Usages et dérives du catalogue d’exposition. Des catalogues d’artistes ?
ECOLE SUPERIEURE D’ART ET DE DESIGN GRENOBLE-‐VALENCE 2
25 rue Lesdiguières 38000 Grenoble / www.esag.fr
MEMOIRE DE FIN D’ETUDES ET DE RECHERCHE
Usages et dérives du catalogue d’exposition. Des catalogues d’artistes ? Cloé BEAUGRAND -‐ 2011/2012
Directeur de mémoire : Katia SCHNELLER
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REMERCIEMENTS Je tiens à remercier tous ceux qui, de près ou de loin, ont participé à l’élaboration de ce mémoire, en particulier : Hubert Renard, Katia Schneller, Ghislain Mollet-‐Viéville, Francine Delaigle, Emmanuel Hermange, Harald Fernagu, Maxime Noilou, Noëlig Leroux, Christophe, Léo et Rémi Beaugrand, Nathalie Bruneau, Alain Farfall. Remerciements à Hubert pour son soutien sans faille.
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« À s’occuper d’art, on ne tombe jamais que d’un catalogue à l’autre.» Marcel Broodthaers
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INTRODUCTION Les catalogues, qu’ils soient d’expositions, ou raisonnés, ont avant toute chose la vocation d’être des outils scientifiques et critiques. Avec les catalogues d’exposition, nous entendons parler de plus en plus fréquemment de « catalogues d’artiste ». Mais que sont-‐ils vraiment? Nous essaierons ici de les identifier avec leurs particularités et pour cela nous devrons retourner aux origines du catalogue d’exposition pour mieux en comprendre ses développements et mutations dont le « catalogue d’artiste » fait partie. A l’origine, le catalogue d’exposition est une publication plutôt rare et ne concerne que des évènements culturels considérés d’une importance majeure. L’histoire du catalogue d’exposition est indissociable de celle des expositions qu’il documente, cependant l’apparition du catalogue se retrouve plutôt aux alentours du milieu du XVIIIe siècle (les premières expositions étant plus anciennes) avec le développement des grandes expositions tel que celle du Salon de Paris organisée au carré du Louvre en 1725. Le catalogue est à l’époque un petit livret contenant essentiellement la liste exhaustive des œuvres exposées, avec tout au plus un texte du commissaire. Il est principalement destiné aux spécialistes et tend à garder une position objective en regard de l’exposition. Ce type de catalogue sert notamment de guide lors de la visite.
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Depuis le milieu du XXe siècle, la forme du catalogue d’exposition a subie de grandes transformations à l’image de celles qu’a subi l’art lui-‐même, tout comme les expositions auxquelles ils se réfèrent. Ne contenant au départ qu’une liste d’œuvres, le catalogue s’est enrichi d’illustrations, d’abord en noir et blanc et peu nombreuses, pour devenir un ouvrage volumineux contenant une multitudes de reproductions en couleur, allant même parfois jusqu’à reproduire des œuvres qui ne font pas partie du corpus de l’exposition. Ces nombreuses images étant accompagnées d’un grand nombre de textes, de commissaires, de critiques et d’historiens. Au même titre que leurs transformations, ces catalogues ont vu leur diffusion s’accroître, et nos bibliothèques en sont, aujourd’hui, bien remplies. L’intérêt que représente l’objet du catalogue pour les théoriciens a pris de l’ampleur au cours des années 90. En effet à cette période, nous assistons simultanément à l’historicisation de l’art conceptuel, faisant apparaître, notamment, l’importance des travaux de Seth Siegelaub concernant l’usage du catalogue en place et lieu d’exposition. Cette décennie sera aussi celle d’une première analyse en France des livres d’artistes par Anne Moeglin-‐Delcroix avec son « Esthétique du livre d’artiste » publié en 1997. En 1997, se tient par ailleurs, à l’École supérieure d’art de Grenoble, une exposition et un colloque intitulé « l’art et livre ». Ce colloque propose d’étudier les livres d’artistes sur une période allant de 1990 à 1996. A l’occasion de cet évènement sera publié un petit fascicule intitulé « Des livres d’artistes : des destinations »1. Les auteurs y analysent la production de livres par les artistes et l’intérêt qu’ils portent de plus en plus fréquemment pour les catalogues 1 Des livres d'artistes : des destinations : 1990-‐1996, Ecole d'art de Grenoble, 1997
Publié. à l'occasion de l'exposition et du colloque ″L'art et le livre″ du 14 au 15 mars 1997 à l'Ecole d'art de Grenoble Tirage limité à 700 ex.; un insert de Serge Comte sous forme de « post-‐it » accompagne chaque ex. Texte de Frank Perrin
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d’expositions. Il y aurait à ce sujet de nouvelles pratiques allant vers une « dispersion des frontières », une « contamination du catalogue par le livre d’artistes » transformant l’objet scientifique que représente le catalogue en un objet hybride, se rapprochant au plus près de la démarche de l’artiste. Cette hybridation du genre du catalogue d’exposition, nous le verrons au cours du développement de notre réflexion est fondamentalement liée au rôles que les artistes jouent eux-‐mêmes dans la conception de ces catalogues.
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Au cours des années 1990, avec le livre d’artiste reconnu comme forme d’art à part entière, nous verrons apparaître des institutions et lieux spécialisés leurs étant dédiés, avec par exemple, l’ouverture en 1994 dans le limousin, du Centre du livre d’artiste (CDLA). Cela sera l’un des premiers lieu dédié à cette pratique, en suivra d’autres tel que le cabinet du livre d’artiste à l’initiative de Leszek Brogowski (éditions Incertain sens) situé sur le campus de l’université de Rennes 12
A cette période il faut également prendre en compte l’appariation d’une nouvelle génération de critique d’art avec par exemple, Nicolas Bourriaud ou Eric Troncy, … Qui ont pour volonté de privilégier la proximité de l’artiste et du critique, de favoriser l’interchangeabilité des rôles au sein du système artistique. En France, toujours à cette période, apparaissent de nouvelles revues dédiées à l’art contemporain, auxquelles sont associés ces nouveaux critiques d’art, conçues comme des terrains d’expérimentations où joueront sur le même plan, artistes, théoriciens et critiques. (Voir Documents sur l’art contemporain, Purple Prose, Bloc-‐Note…). Mais, les revues d’artistes, qui connaissent encore aujourd’hui un fort développement en proposant encore d’autres alternatives aux modes de diffusions habituels, formeraient un sujet de recherche en soi. Pour cette raison, nous n’entrerons pas dans les détails à ce propos. Un autre tournant décisif pour le catalogue d’exposition se fera notamment à la fin des années 60 avec les travaux des « Conceptuels », dont le langage artistique est particulièrement cohérent avec l’usage du livre comme moyen de mise en forme et de diffusion d’une idée ou d’un projet. D’autres mouvements et groupes artistiques ont par ailleurs influencé à cette époque ces transformations, il s’agit, entre autres, de « Fluxus » et des « Minimalistes ». Au sujet des livres d’artistes, et par extension au sujet du catalogue, tels que l’ont envisagé ces groupes, Sol LeWitt dit :
« Les livres d’artistes sont comme tout autre médium, une manière de transmettre des idées sur l’art, de l’artiste au spectateur/lecteur. Contrairement à d’autres moyens, ils sont accessibles à tout le monde à un prix modique. Ils ne nécessitent pas de lieu spécial pou être vus. Ils n’ont pas de valeur, excepté pour les idées qu’ils contiennent. Ils contiennent le matériel dans une suite déterminée par l’artiste. (Le lecteur/spectateur peut lire le matériel dans n’importe quel ordre, mais l’artiste le présente comme lui/elle
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l’entend.) Les expositions vont et viennent, mais les livres demeurent pendant des années. Ils sont des œuvres en soi, non des reproductions d’œuvres. Pour beaucoup d’artistes œuvrant aujourd’hui, les livres sont le meilleur médium. Souvent ce que l’on voit sur les murs des galeries ne peut être lu/vu aisément, alors que chez soi, dans des conditions moins intimidantes, cela peut être lu facilement. Le désir des artistes est que leurs idées soient perçues par le plus grand nombre possible. Les livres rendent cette tâche plus facile. »2
Sol LeWitt, catalogue d’exposition réalisé par l’artiste3
A propos de cette citation et du rapport que nous pouvons établir entre livre et catalogue, se pose une question, qui sera au centre de notre réflexion : si le livre d’artiste est, comme l’affirme Sol Lewitt, une œuvre en soi et non une reproduction d’œuvre, qu’en est-‐il du catalogue ; Lui qui est sensé documenter une exposition à partir de reproductions d’œuvres ? L’ambigüité de son statut, se forme à partir du moment où l’artiste prend part à la réalisation de son catalogue d’exposition. Ainsi avec les interventions d’artistes, le 2
Sol LeWitt, cité par Guy Schraenen, Catalogues : passation de pouvoir, in les cahiers du musée national d’art moderne, n°56-‐57, 1996 3 Sol Lewitt, Wall Drawings : seventeen squares of eight feet with sixteen lines and one arc, Sep. 16 to Oct. 14, Portland Center for the Visual Arts, 1973
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catalogue d’exposition passe de simple document, à un objet hybride voire à un statut de livre d’artiste et donc d’œuvre d’art. « Catalogue d’artiste » est un terme utilisé par Anne Moeglin-‐Delcroix pour introduire son texte « du catalogue comme œuvre d’art et inversement» rééditer à l’occasion de la publication d’un livre4 réunissant ses textes publiés depuis les années 1980 au sujet du livre d’artiste. Ce texte d’abord publié en 1996 dans les Cahiers du musée National d’Art Moderne5, propose une étude d’ouvrages publiés entre 1970 et 1990. Dans son livre elle l’introduit comme suit :
« De nouveau, il est question de définition. Cette fois, cependant, non pour mettre en relief différences et spécificités entre catégories de publications à ne pas confondre, mais, au contraire, pour étudier les chevauchements propres à déjouer les classifications trop nettes, comme celles qui oppose livre d’artiste et catalogue d’exposition. Et ce, sur fond de deux pratiques introduites par l’art contemporain : d’une part le catalogue d’artiste né du rejet du catalogue sous sa forme traditionnelle, et , d’autre part, la documentation comme art, illustré notamment par l’art conceptuel. »6 Si le catalogue d’artiste est un objet complexe et difficile à définir, toujours en mutation, nous verrons qu’il en existe de nombreuses formes et usages, que nous essaierons donc d’identifier. Nous verrons également, que ces transformations opèrent depuis au moins les années 1960 et que leur développement est exponentiel depuis les années 1990.
4 Anne Moeglin-‐Delcroix, Sur le livre d’artiste, articles et écrits de circonstance (1981-‐2005), Le mot et le
reste, 2006, Marseille, p.189-‐222
5 Du catalogue, les cahiers du musée national d’art moderne, n°56-‐57, 1996, p.94-‐117 6 Anne Moeglin-‐Delcroix, Ibid., p.189
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Il s’agira donc, ici, dans un premier temps, de définition, mais surtout d’identification et de tri. Depuis les premières « dérives » du catalogue d’exposition que l’on pourrait attribuer à Seth Siegelaub, l’art contemporain n’a eu de cesse de publier des catalogues d’exposition dont il est de plus en plus difficile d’en déterminer la nature. En effet si certains continuent de produire des catalogues traditionnels, d’autres les détournent à des fins à chaque fois très différentes. Nous pourrons voir qu’il existe principalement trois catégories de ces catalogues d’expositions. Mais il faudra prendre en compte que chacune d’elles n’est pas fermée sur elle-‐même, que les pratiques se mélangent, s’échangent. Notre objet d’étude débute également à la fin des années 1960 mais se prolongera jusque dans les pratiques les plus contemporaines. Pour cela, en plus du travail de Seth Siegelaub au sein de ses catalogues, je propose d’étudier le travail d’Hubert Renard, artiste dont la pratique découle principalement de l’utilisation de catalogue. En regard de ces deux propositions j’ai choisi un certain nombre d’ouvrages, principalement publiés depuis 1990, qui me semblaient pertinents et sur lesquels j’ai construis mon propos. Au vu de la multitude de catalogues d’exposition publiés chaque année, mon envie de traiter ce sujet part bien évidemment d’un constat général sur l’usage (et les dérives) de ce type de publication au sein du système économique et artistique. La plupart des catalogues traités ici sont principalement ceux que j’ai croisé au fil de mes lectures et recherches au sujet des catalogues d’artistes. Ils font, pour les autres, partie des dernières acquisitions de la bibliothèque Kandinsky er sont les catalogues qui pour leurs formes ou leurs contenus, ont posé la question de leur catégorie au moment de leur classement. J’ai donc fais le choix de ces ouvrages là, parce qu’ils représentent, à mon sens, les grands changements qu’on vu les catalogues d’exposition. Mais, entendons nous bien, de nombreux autres exemples existent dans chacune des catégories que nous allons aborder, il m’est juste impossible d’être exhaustive à ce sujet. Dans un deuxième temps, nous essaierons également de déterminer quels sont les enjeux de la reproduction d’œuvres d’art dans les catalogues d’expositions et puis, ensuite, de manière plus générale, savoir, si l’art dépend de son système de documentation. Et si cette documentation détermine nos rapports à l’art et notre 16
façon de l’envisager, il faudra de demander à quel niveau interviennent ces catalogues. En conclusion nous verrons que l’évolution des usages du catalogue d’exposition reflète et interroge l’évolution du statut de l’artiste dans le système et le monde de l’art ainsi que les collaborations que cela peut impliquer.
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« A ce stade, les rôles de l'artiste, du commissaire d'exposition, du collectionneur, du critique et de l'agent d'art, deviennent interchangeables ou pour le moins complémentaires. » Ghislain Mollet-‐Vieville
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« WHITE CUBE » VERSUS ESPACE DE LA PAGE : LA PLACE DU CATALOGUE Si la forme du catalogue d’exposition a évolué et que son accessibilité s’est démocratisée, il est d’autant plus essentiel de se poser la question des liens qui relient ces catalogues à leurs expositions. Mais au delà d’un simple rapport documentaire, nous essaierons également d’interroger la place particulière qu’occupent ces « catalogues d’artistes ». Jusque dans les années 1950, les catalogues étaient entièrement réalisés par les organisateurs de l’événement : institutions et commissaires. Depuis, nombreux sont les artistes qui se sont emparés de leurs catalogues d’exposition pour en faire des publications originales. Originales, autant dans le sens d’être des publications singulières, innovantes pour leurs formes et leurs contenus, que de prétendre, être elles-‐mêmes des œuvres originales, au même titre qu’un livre d’artiste peut le revendiquer dans la mesure où il est une œuvre originale conçue pour la reproduction. Cependant de grandes différences existent entre ces deux types d’ouvrages. Anne Moeglin-‐Delcroix, a déterminé avec précision ce qu’étaient les livres d’artistes. La rigueur du travaille de définition de cette théoricienne, peut, certains le penserons, exclure, notamment les publications les plus contemporaines (son objet d’études s’arrêtant à la fin des années 1980). Pour ma part, et pour le sujet qui nous intéresse ici : « Le catalogue d’artiste », l’analyse d’Anne Moeglin-‐Delcroix au sujet des livre d’artistes nous donnera un point d’encrage et de comparaison permettant d’engager
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notre réflexion sur les nouvelles pratiques du catalogue d’exposition. Nous serons amené à confronter ces deux objets théoriques, c’est pourquoi, nous nous référerons donc régulièrement aux écrits d’AMD afin de vérifier si, toujours selon elle, nous nous trouvons dans une catégorie plutôt que dans une autre, mais aussi de voir à quels moments les frontières entres ces différentes publications deviennent perméables. Cet événement, l’exposition, auquel se rattache le catalogue, donne à voir une série d’œuvres choisies avec précision pour servir un propos, dans un lieu et sur une période donnée. Ce propos peut être de faire une rétrospective de la production d’un artiste ou de réunir autour d’un thème ou d’une problématique une sélection d’œuvres. Quand à elle, la forme du catalogue répond à un espace-‐temps radicalement différent, proche du livre, elle impose donc aussi à la reproduction d œuvres ses contraintes formelles. Pour ces raisons, nous verrons que le catalogue d’exposition ne pourra jamais être un rendu fidèle de l’exposition mais qu’il en sera toujours une relecture, une réinterprétation. Ainsi, au travers de différents exemples, nous essaierons d’identifier les grands archétypes de ce que pourrait être un catalogue d’artiste. Nous verrons qu’il pourra en être le reflet, l’extension, ou encore qu’il pourra devenir un espace de monstration et de création à part entière et que ces topologies sont déterminées d’une part, par la nature même de l’objet qu’est le catalogue d’exposition et d’autre part, par les rapports que l’artiste est susceptible de tisser avec lui.
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Catalogue-‐Reflet Le catalogue d’exposition, dans sa forme la plus traditionnelle tend à documenter une exposition. Il est entendu de dire qu’il en est la mémoire dans la mesure où son contenu est au plus proche de ce qui a été présenter et qu’il en reste la seule trace. Au sein des catalogues classiques, nous trouverons nécessairement une liste des œuvres exposées ainsi qu’une liste des illustrations ; Les deux choses étant bien différentes, nous verrons, un peu plus loin, que les illustrations (photographie d’exposition, reproductions d’œuvres) ne correspondent pas toujours à l’exposition dont il est question. Il y aura également des informations précises (dates, dimensions, matériaux…) concernant chacune des ces œuvres. Un ou plusieurs textes critique et théorique, accompagnerons les reproductions afin de restituer le contexte historique des artistes et les enjeux de l’exposition. L’exposition est éphémère, la seule chose qui témoigne de ce qu’elle a pu être, en est donc son catalogue. Ce catalogue, documentation de l’exposition ne peut cependant pas rendre fidèlement ce qu’a été l’exposition. En effet, ne répondant pas aux mêmes contraintes, que celles-‐ci soient liées à la temporalité ou à la spatialité, une exposition et son catalogue ne peuvent pas transmettre le même type d’information. Le catalogue d’exposition ne pourra donc être qu’une relecture, qu’une réinterprétation. Prenons comme premier exemple le catalogue impressionniste de la 4ème exposition de peinture, reproduit ci-‐après.
Sur la page de couverture, seule la mention « catalogue » apparaît, accompagnée d’une date, avril 1879, et du prix, 50 centimes. Il faudra attendre d’entrer dans l’ouvrage pour savoir qu’il s’agit du catalogue de la 4ème exposition de peinture, exposition collective se situant au 28 avenue de l’opéra du 10 avril au 11 mai 1879. Après avoir présenter les artistes participants, le catalogue liste les œuvres en les classant par auteurs. Cette liste ne nous apprend pas grand-‐chose sur les œuvres elles-‐mêmes, seuls sont énoncés les titres, la technique, lorsque celle-‐ci n’est pas de la peinture, nous trouvons aussi pour certaines œuvres le nom des collectionneurs. Si l’on apprend peu de choses sur les œuvres exposées, qu’en est-‐il de l’exposition elle-‐ même ? A quoi ressemblait l’accrochage des œuvres ? Etaient-‐elles classées par artistes comme dans le catalogue ? Ou alors, par thèmes ou par tailles ? Même si, au premier abord, ce catalogue ne nous renseigne pas sur la nature de l’exposition, il atteste cependant de l’existence de cet évènement, et nous permet de savoir, un peu plus d’un siècle plus tard, qu’un certains nombres d’œuvres ont été réunies en un lieu et sur une période donnée, et de savoir également, à qui elles appartenaient à cette époque. Ce catalogue a donc une valeur historique importante et rempli sa fonction : être la mémoire de l’événement et en attester son existence passée.
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Ce catalogue, qui ne semble pas nous apporter grand-‐chose au delà du témoignage de l’existence de cet évènement, nous donne un renseignement précieux sur les métamorphoses qu’on subie les expositions et les catalogues qui leur sont associés. A cette époque, à l’image de ce catalogue, les expositions présentaient les œuvres les unes à la suite des autres, les institutions, n’ayant pas d’autres volontés et engagements que de les « montrer ». Avec les expositions contemporaines, qu’elles soient monographiques, collectives ou à thèmes, l’espace et la scénographie ont pris une importance considérable et répondent donc plupart du temps d’une mise en scène très précise. Brian O’Doherty ira jusqu’à dire qu’ « Aujourd’hui, nous avons atteint un point où ce n’est pas l’art que nous voyons d’abord, mais l’espace.»7. C’est à dire que l’espace de la galerie, le « white cube », les murs du musée qui entourent les œuvres influents sur notre manière de les appréhender. 7 Brian O’Doherty, White Cube, l’espace de la galerie et son idéologie, trad. : association des amis de la
maison rouge et JRP Ringier Kunstverlag AG, collection « lectures maison rouge », JRP Ringier, 2008
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Pour le commissaire ou curateur, devenu créateur à part entière, comme le fût Harald Szeeman, pour ne citer que l’un des plus emblématique, placer une œuvre à coté d’une autre, créer des ensembles, des regroupements d’œuvres, au sein d’une salle d’exposition, génère du sens au même titre que lorsque l’on réunit des œuvres sur les pages d’un catalogue. Or, nous pouvons constater que l’ordre d’apparition des œuvres dans un catalogue ne correspond jamais à l’ordre défini par la scénographie de l’exposition : il créé des rapprochements, propose une autre lecture de l’exposition. Alors que les catalogues traditionnels, par leur vocation documentaire tendaient vers la plus grande objectivité possible, les catalogues, depuis le milieu du XXe siècle impliquent de plus en plus de subjectivité. Nous avons donc à faire, dès lors, à un phénomène d’interprétation dicté non seulement par les contraintes formelles du catalogue, mais aussi par les nouveaux enjeux curatoriaux. La mise en espace de l’œuvre dans son exposition peut servir ou non un propos au même titre qu’une mauvaise conception graphique pourra nuire à la lisibilité d’une œuvre. Le « catalogue-‐reflet », dans sa conception, dépend la plupart du temps, des organisateurs de l’exposition (institutions et commissaires) comme le sont les catalogues dits traditionnels. Avec l’augmentation des contenus de ces catalogues, leur conception nécessite désormais le travail d’un graphiste. Ce dernier veille à la lisibilité du propos et de l’œuvre, à la cohérence de l’image et du texte. L’importance du graphiste a pris de l’ampleur avec les changements qu’ont subit les catalogues d’exposition. Au départ, modestes, l’augmentation et la diversification du contenu des catalogues ont rendu nécessaire son apparition. Le graphiste est désormais au catalogue ce que le scénographe est à l’exposition. Par ailleurs, la signature graphique de ces ouvrages a pris de l’importance avec l’augmentation du nombre de catalogues d’exposition publiés chaque année. En effet, avec cette propension, il devient essentiel pour les institutions de se démarquer les unes des autres au travers de leurs publications. Le catalogue ne témoigne plus
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seulement de l’évènement mais également du prestige de l’institution organisatrice, de son originalité voire de son identité propre. La difficulté du travail du graphiste dans ces catalogues est de se conformer à un point de vue déjà donné lors de l’exposition, de servir le parti pris des organisateurs, de répondre à une commande précise et donc de devoir laisser de coté sa propre signature graphique. Cependant, il n’est pas exclu que le graphiste puisse y laisser sa marque, au travers d’un choix de typographie par exemple. Toutefois, une trop grande prise de liberté par le graphiste risquerait de nuire à la lisibilité de l’œuvre. Dans certains cas les institutions souhaitant avoir un catalogue aussi près que possible autant de leur personnalité institutionnelle que de leurs expositions, ont fait le choix d’en assumer eux-‐mêmes la conception graphique, c’est le cas par exemple de W.H.J.B. Sandberg8 (1897-‐1984), à la fois graphiste de talent, typographe et directeur du musée Stedelijk d'Amsterdam qu’il a dirigé jusqu’en 1962. Sandberg, pendant cette période, dirigea toutes les publications du musée, cartons d’invitation, affiches, catalogues, les rendant reconnaissables et donnant ainsi une identité graphique à son institution.
8 Voir le livre de AD Petersen, Sandberg, graphiste et directeur du Stedelijk Museum, trad. Daniel Cunin,
éd. : X.Barral, Paris
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Devant l’importance que représentent aujourd’hui, le contenu mais aussi la conception graphique, même pour le catalogue le plus traditionnel, que ce soit pour la réception ou la compréhension du travail d’un artiste, nous comprendrons pourquoi, de plus en plus fréquemment, ceux-‐ci souhaitent intervenir au sein des publications les concernant. L’artiste devient pour ainsi dire co-‐auteur ou concepteur graphique, afin de rendre cohérent, catalogue et démarche artistique. Il est intéressant de remarquer que de nos jours, il est de plus en plus rare de trouver un catalogue d’exposition monographique ne comportant pas le nom de l’artiste parmi les auteurs. Dans le cas d’expositions collectives, cela est plus rare, mais nous pourrons voir un peu plus tard, avec d’autres cas de figures, que l’artiste, soit par un texte soit par l’ajout d’un travail « inédit », est susceptible d’intervenir aussi dans ce type de publications. Le catalogue traditionnel contemporain, garde sa forme classique et sa fonction de « mémoire de l’exposition » mais en y laissant dans la plupart des cas une plus grande place à l’artiste. Afin de savoir qui fait quoi dans ces catalogues d’exposition, la seule solution est de se reporter au colophon9 en fin d’ouvrage et d’y être attentif. Il faut incontestablement faire attention, car parmi ces catalogues d’exposition qui ne se différencient pas au premier abord de n’importe quel autre catalogue, se cachent parfois des ouvrages qui ne sont pas exactement les catalogues d’expositions au sens traditionnel du terme, auxquels on pourrait s’attendre. Regardons Feux Pâles de Philippe Thomas. Cet ouvrage, catalogue de l’exposition éponyme qui s’est tenue au CAPC de Bordeaux du 7 décembre 1990 au 3 mars 1991, ressemble à un catalogue traditionnel, reflète plutôt bien ce qu’a été l’expo et contient 9 Mention finale d’un livre, comportant à l’origine le nom de l’écrivain et de l’imprimeur. Le colophon
s’est depuis enrichi du logo de l’éditeur, de l’institution, et des noms de tous ceux qui ont eu un rôle significatif à la réalisation de l’ouvrage (graphistes, photographes, auteurs,...)
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tout le matériel nécessaire a sa compréhension : des textes de personnalités reconnues du monde de l’art et de la littérature, des reproductions d’œuvres avec leurs commentaires, la liste des œuvres exposées… Toutefois, si l’on n’y prend pas garde ou que l’on ne connaît pas le travail de Philippe Thomas, nous ne verrons pas que l’enjeu de ce catalogue ne se situe pas simplement dans le fait de rendre une documentation de l’évènement. Les questions de la fiction et de la notion d’auteur sont partout dans le catalogue. Ce qui forme le travail de l’artiste s’immisce au sein de l’ouvrage et lui donne ainsi une certaine forme d’autonomie. A la fois catalogue et mémoire de l’exposition, il devient en quelque sorte l’extension du travail de l’artiste en dehors du musée. Philippe Thomas créer en 1987 l’agence readymades belong everyone® à New York, un an plus tard sa filiale française les ready made appartiennent à tous le monde® voie le jour. Cette agence, « proposait aux collectionneurs de s'investir totalement dans un projet artistique qui leur serait livré "clé en main", une œuvre dont ils deviendraient les auteurs à part entière et qui les ferait rejoindre les plus grands aux catalogues et programmations des meilleurs musées ».10 Dans un principe similaire lié à la notion de disparition de l’auteur, Philippe thomas rédige un bon nombre des textes de ce catalogue d’exposition Feux pâles, et les signe avec des noms empruntés à de vrais critiques d’art ou d’écrivains. En reprenant à son compte les différents styles d’écriture de chacun, l’artiste trouble les pistes, ne nous permettant plus de distinguer la fiction de la réalité. Ce catalogue, nous y reviendrons plus tard mais nous pouvons déjà le deviner, n’est pas un catalogue classique, ni même un catalogue dont l’artiste ne serait que co-‐auteur, mais une proposition artistique en soi faites par l’artiste, par extension du projet qui a constitué l’exposition. 10 Ghislain Mollet-‐Viéville in catalogue « Passions Privées », Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris,
1995, p.105
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Catalogue-‐Extension Le catalogue d’exposition, plus que la mémoire de l’exposition, est aussi pour l’artiste, un outil de diffusion de son travail. C’est sous cet aspect que le catalogue peut devenir le lieu d’une nouvelle mise en scène du travail artistique. Lorsque l’artiste prend en main la conception de son catalogue, non pas seulement d’un point de vue graphique, mais en décidant d’y réinterpréter son propre travail artistique au travers des contraintes de la forme livre, il crée un ouvrage susceptible de prolonger l’œuvre originale. Au delà de la volonté de l’artiste, le fait d’intervenir au sein du catalogue peut également découler, presque naturellement, de l’essence même du travail de l’artiste et de son engagement artistique. Nous prendrons ici deux premiers exemples concernant des expositions personnelles, il s’agira d’abord de Printed Cinema11 de Rosa Barba, série de brochures publiées au cours des années 2000 et tenant lieu, la plupart du temps, de catalogue d’exposition, puis d’un catalogue d’exposition de Claude Rutault intitulé : Autour du non peint ou le soleil ne fait pas le beau temps mais y contribue12. Ensuite nous reviendrons à la question des expositions collectives et des publications les concernant. Dans ce cas il existe différentes pratiques, après les avoir identifié, nous étudierons plus particulièrement une proposition de Daniel Buren au sein d’un catalogue collectif. 11 Rosa Barba, Printed Cinema : broadcasting from home, [N.1(2004,oct.)-n.10(2008)],
éditions : Argos, Brussels, 2004-‐2008 12 Claude Rutault, Autour du non peint ou le soleil ne fait pas le beau temps mais y contribue, Archives librairie, Paris, 1991
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Rosa barba, artiste née en 1972, a mis le cinéma au centre de sa pratique. Elle utilise le cinéma et tout ce qui le constitue comme médium, ainsi le texte, le son, l’image mais aussi l’appareillage nécessaire à la projection d’un film font partis de son vocabulaire artistique. Même si le film lui-‐même existe de manière autonome dans son travail, Rosa Barba créer également des installations ; en plaçant par exemple, des projecteurs s’éclairant mutuellement sur des socles, elle leurs confère sculpturalité et théâtralité et interroge, par la même occasion, le statut du spectateur. Depuis 2004, l’artiste publie à l’occasion des ses expositions une revue-‐catalogue sous le nom de Printed Cinema. Pour chacune de ces publications le statut varie, il peut tenir lieu de catalogue d’exposition, ou encore être distribué gratuitement sous un statut qui se rapprocherait du journal d’exposition. En 2008, ses 10 premières publications sont réunies dans un coffret13, leur conférant ainsi un nouveau statut tendant vers l’archive voire le livre d’art ou encore le catalogue par la notion de rétrospective que cela implique. 13 Rosa Barba, Printed Cinema : broadcasting from home, [N.1(2004,oct.)-n.10(2008)],
Brussels, 2004-‐2008
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éditions : Argos,
Printed Cinema#2, "Parachutable Obstacles" Spread by ACCA, Melbourne
Printed Matter, 24 pages, Colour Photographs, Projected Text, 2004
Printed Cinema #7 "Waiting Hall" Terminal, distributed by Gouda Lichtjaren 2007
Printed Matter, 24 pages, colour photographs, text, 2007
Dans ces ouvrages elle traduit ses films sous forme d’images et de textes auxquels elle ajoute de temps en temps des éléments qui n’en sont pas directement issus, mais
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auxquels ces derniers font écho. Au travers du livre, l’artiste donne une deuxième lecture de son travail cinématographique, en en faisant une sorte de traduction. Cela lui permet également de diffuser et de donner « vie » à son œuvre en dehors de la temporalité du film et bien sur de l’exposition, de dépasser l’objet en lequel il consiste à l’origine. Et par la même occasion de proposer un nouveau statut au spectateur. « L’art du livre trouve sa fonction dans la problématique de l’espace, sa contribution spécifique résidant en ce qu’il réussit à créer un espace artistique au delà de l’espace en réaction à l’objet commercialement limité autant qu’au paradoxe de l’enceinte publique »14. Autour du non peint15, est un livre de Claude Rutault datant de 1991. Il est publié à l’occasion d’une exposition de l’artiste à la galerie Archives -‐ Jean-‐Dominique Carre. De taille modeste, réalisé en papier Kraft, il ne contient que des pages vierges. Aucune inscription n’y figure, que ce soit un titre, une image, une indication de l’auteur ou de l’éditeur, une pagination quelconque. Il n’y a rien. On trouve seulement, glissé à l’intérieur du livre, un petit encart en papier calque, sur lequel sont imprimées recto/verso plusieurs informations. Sur ce morceau de papier sont inscrits : les dates de l’exposition, l’adresse de la galerie, quatre «définition/méthode»16 (D/M), une pour chaque jour de l’exposition. Une autre mention précise également : « invitation à glisser dans le catalogue d’exposition ». Cela peut surprendre mais ce livre vierge est bien à considérer, selon la volonté de l’artiste, en tant que catalogue d’exposition. Il est distribué au cours de l’exposition ou envoyé en guise de carton d’invitation. Par ailleurs, J-‐D Carre précise sur son site internet17 que Claude Rutault est le seul concepteur de ce « livre-‐catalogue », contrairement aux Printed cinéma, qui eux sont 14 Anne Moeglin-‐Delcroix, Livres d’artistes, collection Sémaphore. BPI Centre Pompidou, édition Hersher Paris, 1985, p.149
15 Claude Rutault, autour du non peint ou le soleil ne fait pas le beau temps mais y contribue, paris :
Archives librairie, 1991 16 Les définitions/méthodes de Claude Rutault sont des protocoles de réalisation pour ses œuvres. Les
d/m sont regroupées dans un ouvrage édités chez Flammarion : Claude Rutault, définitions/méthodes le livre, Paris, Productions Flammarion 4, 2000. 17 http://archives.carre.pagesperso-‐orange.fr/Rutault%20Claude.html, derniere consultation le 20/02/12
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réalisés grâce aux différentes collaborations entre l’artiste, les institutions organisatrices et l’éditeur. Il est également précisé que le livre est édité à l’occasion de l’exposition du même nom. Si Autour du non peint réuni toutes les caractéristiques du livre d’artiste, en se prétendant catalogue, il souligne néanmoins la question du rapport qu’il entretient avec l’exposition et pose donc la question de son autonomie en tant qu’œuvre. La définition/méthode fondatrice du travail de Claude Rutault propose ceci : « Une toile tendue sur châssis, peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée. Sont utilisables tous les formats (...) qu'ils soient rectangulaires, carrés, ronds ou ovales ». Les d/m citées sur l’encart convergent vers la notion de non peint et donc par prolongement du non imprimé. Elles concernent des protocoles de combinaisons sur le mur de toiles et de papiers vierges ainsi que la d/m fondatrice : une toile peinte de la couleurs du mur. Le catalogue se réfère à l’exposition dans la mesure où il est non imprimé et renvoie subséquemment au non peint, ou encore, en considérant que les textes et les images sont imprimés de la même couleur que le papier et donc sont invisibles. Il y aurait donc là un catalogue parce qu’il y a une transposition de l’exposition et du travail de l’artiste dans l’espace bidimensionnel qu’est le livre. D’un autre point de vue, cette publication réunie également toutes les caractéristiques d’un livre d’artiste : entièrement conçue par Claude Rutault, elle fait œuvre, si l’on se réfère à la définition qu’Anne Moeglin-‐Delcroix en fait, parce que c’est un projet véhiculé et pensé par et pour le livre. Dans le cas des expositions collectives, il serait compliqué de laisser chaque artiste prendre part à la conception du catalogue, au risque de se retrouver avec un ouvrage manquant d’homogénéité et de cohérence. Cependant dans quelques rares cas, les spécificités du travail d’un artiste peuvent permettre une intervention particulière au sein du catalogue sans rompre la cohérence et la continuité de l’ouvrage. Ces interventions peuvent être assimilées à des interventions « in-‐situ » dans l’espace des
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pages du catalogue de la même manière dont l’artiste peut intervenir dans l’espace de la galerie. D’autres propositions peuvent également prendre forme de « tirés à part », feuilles, pages, livret, voir CD-‐ROM ou DVD, ou encore sous forme de « post-‐it »18 insérés dans l’ouvrage. Daniel Buren dont le travail est reconnaissable par l’usage systématique de ce qu’il appelle son « outil visuel » : des bandes de couleurs de 8,7 cm de large alternées avec des bandes blanches de la même dimension. Buren en dehors de son travail de peinture intervient régulièrement « in-‐situ » dans l’espace public et muséal avec de grandes installations mettant en scène son outil visuel, chacune d’elles renouvelant et interrogeant les rapports qu’entretiennent les lieux, l’œuvre et les spectateurs. Ses œuvres in-‐situ, généralement monumentales, se mesurent à l’espace qui les entoure et sont difficilement saisissables par la photographie. Pour cette raison, l’artiste attache une grande importance au statut de leurs reproductions photographiques. Pour Daniel Buren, « la reproduction d’un tableau, d’un objet, pour aussi parfaite qu'elle puisse être, en est toujours, définitivement, la trahison. (…) Présenter ces photos c'est donc, en grande partie, et même sans franchir le pas consistant à les vendre comme œuvre à la place de l'original, trahir et pas seulement une fois et d'une seule façon ce qui les induit. »19 En effet, pour les œuvres « In-‐situ » la photographie est souvent le seul moyen d’en garder une trace. Ces reproductions d’œuvres sont considérées par Daniel Buren et à considérer pour nous également, comme des « photos-‐souvenir »20 ; Photo-‐souvenir, parce que, selon Buren, il y à une 18 Voir notamment « des livres d’artiste, des destinations » que nous avons évoqué dans notre
introduction, cette publication contient un insert de Serge Comte sous forme de « post-‐it » dans chaque exemplaire. 19 Daniel Buren, Texte d'introduction à Photos-‐souvenirs 1965-‐1988, in Daniel Buren, Photos-‐souvenirs 1965-‐1988, Villeurbanne, Art édition, 1988, p. 3-‐7, repris in Buren, Daniel, Les Écrits (1965-‐1990), tome III, capc Musée d’art contemporain de Bordeaux, 1991, p. 345-‐354 20 Daniel Buren, Daniel Buren, Texte d'introduction à Photos-‐souvenirs 1965-‐1988, in Daniel Buren, Photos-‐souvenirs 1965-‐1988, Villeurbanne, Art édition, 1988, p. 3-‐7, repris in Buren, Daniel, Les Écrits (1965-‐1990), tome III, capc Musée d’art contemporain de Bordeaux, 1991, p. 345-‐354
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trop grande distance entre l’œuvre originale et l’œuvre reproduite. Les installations de Buren impliquent le spectateur dans l’espace où elles se trouvent, et proposent ainsi une expérience unique pour chaque spectateur. Chacun d’eux, en sortant le l’exposition, en garde une image qui lui est propre. Les photographies d’œuvres serviront pour ceux qui auront expérimenté l’œuvre à stimuler leur mémoire, pour ceux qui ne la verront qu‘en reproduction, elle ne leur en donnera qu’un aperçu, qu’une vision tronquée, déformée de la réalité de l’œuvre. Un des principes fondamental de la photographie étant de cadrer, donc de choisir un point de vue et par ce fait d’exclure ; la reproduction ne peut se substituer à l’œuvre. « En revanche [elle] ‟survit” souvent à l'œuvre et devient ainsi le gage de son existence éphémère. (…) En ce sens, la photo-‐souvenir sert, comme le Musée, à conserver. »21
Photos-souvenirs22
Lors d’expositions collectives, les catalogues traitent généralement de nombreuses œuvres et artistes très différents. Il est donc souvent difficile de proposer suffisamment d’images pour donner un bon aperçu d’une même œuvre. En 21 Daniel Buren, Ibid.
22 Photos-‐souvenirs : Peinture acrylique blanche sur tissu rayé blanc et gris, [Octobre] 1966, source :
http://www.danielburen.com/__db1/3_oeuvres/oeuvres_expos_accueil.php consulté le 3/02/12
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considérant le point de vue de cet artiste, nous pourrons comprendre pourquoi il choisira d’autres alternatives pour représenter son travail dans ses catalogues d’exposition. Plutôt que de voir l’une de ses installations réduite à une photo souvenir, Daniel Buren propose donc régulièrement dans les catalogues collectifs de réaliser une œuvre originale pour la publication. Par exemple, en 1990, pour la catalogue de la Staatsgallery de Stuttgart, il réalise une œuvre, Ritornell, qui consiste en quarante-‐cinq pages avec son outil visuel ; quarante-‐cinq pages sur lesquelles s’alternent des bandes blanches et rouge. Cette œuvre originale créée pour le catalogue, représente pour lui bien mieux son travail que l’aurait fait une « photo-‐ souvenir » de l’installation présentée lors de l’évènement. Ainsi, le catalogue peut avoir la capacité de prolonger l’existence des œuvres hors de l’exposition en leurs offrant un nouvel espace, une nouvelle mise en scène. Le catalogue peut en devenir l’extension. Cette « forme d’art défini par sa reproductibilité n’est pas un remplacement mais prend part à coté des formes conventionnelles »23 [A ce niveau il est essentiel de prendre le temps de faire le point sur une autre question : celle de la reproduction photographique et du statut qu’elle occupe, suivant qu’elle soit réalisée par un photographe professionnel ou par l’artiste lui même. Ici, nous considérerons que la reproduction photographique de l’œuvre, même réalisée par l’artiste, ne fait pas œuvre au sein du catalogue. Nous aborderons plus précisément cette question un peu plus loin dans notre réflexion. Les catalogues abordés dans ce mémoire, sont à envisager autrement, ils ne reproduisent pas, ou pas seulement. Lorsqu’ils proposent autre chose qu’une simple documentation, une nouvelle version de l’œuvre adaptée au catalogue par exemple, ils sont des propositions artistiques se référant à une œuvre originale. 24] 23 Anne Moeglin-‐Delcroix, livres d’artistes, collection Sémaphore, BPI centre Pompidou, ed. Hersher,
Paris, 1985
24 Au sujet de la photographie d’exposition, voir les recherches de Rémi Parcollet.
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Catalogue-‐exposition Depuis les années 1960, le catalogue nous le voyons, laisse de plus en plus de place et de liberté à l’artiste, le catalogue devenant même, dans certains cas, un espace de création à part entière. Mais ce catalogue peut-‐il être lui-‐même, un espace d’exposition ? En opérant un petit retour en arrière, aux origines des « catalogues d’artiste » dans les années 1960, à l’époque des « Minimals » et des « conceptuels », nous verrons que le catalogue d’exposition a bel et bien remplacé l’exposition. Les pages du livre ont supplanté les murs de la galerie et du musée. C’est avec le travail de Seth Siegelaub que les premiers catalogues-‐exposition ont vu le jour. Seth Siegelaub (1941-‐ ), est au cours des années 1960 l’un des principaux représentant de l’art conceptuel aux États-‐Unis. Pendant cette période il fût successivement, galeriste, commissaire d’exposition indépendant et éditeur, jusqu’au tout début des années 1970, moment, où il cessa ses activités dans le milieu artistique. En 1966, il ferme la galerie qu’il avait ouverte quelques mois plus tôt, considérant que celle-‐ci représentait trop de contraintes vis à vis de l’art et des artistes qu’il souhaitait soutenir. Ces artistes, conceptuels pour la plupart, pratiquaient un art de la dématérialisation, un art pour lequel, l’idée prime sur l’objet et remet « profondément en question, les critères artistiques et marchands qui caractérisent alors les institutions muséales ou les galeries d’art »25. Avec eux, il s’agit notamment de Robert Barry, Lawrence Weiner, Douglas Huebler, Carl Andre, Joseph Kosuth, Daniel Buren, Sol Lewitt, et quelques autres ; Seth Siegelaub, en abandonnant sa galerie, va chercher 25 Jérôme Dupeyrat, Seth Siegelaub : Exposer, Publier…, texte pour l'exposition 69, année conceptuelle,
Médiathèque du musée des Abattoirs, Toulouse, 2010. Consulté sur : http://www.jrmdprt.net/ le 12/12/11
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des alternatives aux modes d’exposition et de diffusion traditionnels qui ne sont plus tellement adaptés à ces nouvelles figures de l’art. L’édition va apparaître alors, avec son nouveau statut de commissaire indépendant et d’éditeur, comme une solution mieux adaptée aux formes d’art qu’il défend. C’est ainsi que Siegelaub va concevoir ses premiers catalogues-‐expositions qui tiendront lieu et place de l’exposition. Seth Siegelaub dira lui même : «ce nouveau rapport possible de l’art et du catalogue se trouve, je le répète, très lié à la nature même des œuvres en question»26 . En effet, avec des productions plus traditionnelles telles que la peinture ou la sculpture, le catalogue d’exposition ne peut que proposer des reproductions et être tout au plus, le reflet des expositions, ou voire dans certains cas, comme nous l’avons évoqué plus haut, en être l’extension. Avec l’art conceptuel particulièrement, il faut, un espace commun sur lequel, textes et images peuvent fonctionner ensemble, comme le dit Jean-‐Marc Poinsot, « il faut un plan commun sur lequel ils puissent cohabiter, exister en gardant leurs qualités propres »27. Le catalogue, la forme du livre, est un espace tout à fait propice au développement d’une exposition conceptuel à l’intérieur de ses pages ; exposition au sens ou une proposition artistique est donnée à voir dans un catalogue et que seul le catalogue en permet sa visibilité et sa diffusion. L’art conceptuel, entretient un lien particulier avec le texte et l’énoncé, il est par nature beaucoup plus proche de la forme textuelle liée au livre. Si « l’exposition est le lieu habituel où par habitude l’artiste se manifeste »28, Seth Siegelaub, lui, va proposer des expositions sous forme de catalogues, utiliser l’espace de la page pour donner à voir une proposition artistique, comme on accrocherait une œuvre sur le mur d’une galerie. 26 Seth Sieglaub, Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, L’art conceptuel une perspective, 22
novembre 1989-‐ 18 février 1990, Société des amis Amis du Musée d’Art Moderne de la ville de Paris, Paris Musées, 1989, p86 27 Jean-‐Marc Poinsot, Quand l’œuvre a lieu – L’art exposé et ses récits autorisés (nouvelle édition revue et augmentée), collection MAMCO, Les Presses du Réel, Rennes, 2008 28 Seth Sieglaub, 18 Paris IV.70 [catalog = Katalog], Paris, 1970, postface
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Sa première publication de ce type est le catalogue-‐exposition Douglas Huebler, November 1968, en suivra d’autres collectifs tels que July, August, September 1969 par exemple, proposant une exposition collective. Les titres de ces ouvrages font références à des dates d’expositions, comme on les trouverait sur une affiche annonçant l’événement et manifestent le caractère particulier de ces ouvrages : être à la fois catalogue et exposition mais peut-‐être, aussi livre d’artiste. Les publication se Seth Siegelaub sont appréhendables en tant qu’expositions parce qu’elles donnent à voir des propositions artistiques sous forme de documents et que ces documents en sont l’unique mode de visibilité. L’œuvre ne préexiste pas à sa reproduction, l’œuvre est la reproduction, tout comme l’exposition ne précède pas son catalogue elle est le catalogue. Siegelaub induit dans ses publications une notion chère aux artistes qu’il défend : l’équivalence entre l’œuvre et sa reproduction. Pourrions-‐nous imaginer d’autres formes de catalogue-‐exposition aujourd’hui ? Qu’apporte en fait cet objet catalogue aux artistes ? Est-‐il réellement un mode efficace de diffusion en dehors des quelques situations que nous venons d’étudier ? Quelles en sont les formes les plus courantes aujourd’hui ? Et finalement sont ils des catalogues d’artistes ? Si oui, dans quelle mesure ? Ce sont ces interrogations que nous aborderont dans la partie suivante et auxquelles nous essaierons de répondre. Mais avant cela, il y a un autre phénomène intéressant sur lequel je souhaiterai m’arrêter parce qu’il me semble révélateur. Révélateur tant sur la posture de l’artiste contemporain que sur l’importance que ce dernier confère aux catalogues d’exposition.
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Francine Delaigle, Bibliothécaire et responsable des réserves de la Bibliothèque Kandinsky reçoit régulièrement des demandes provenant des artistes eux-‐mêmes de reclassement de leurs catalogues d’exposition. En tant que responsable, des réserves, de la section livre d’artiste et des acquisitions, elle est chargée de classer les nouveaux ouvrages qu’elle reçoit en leur procurant un titre de forme29. Parmi ces nouvelles acquisitions se trouvent un grand nombre de catalogues d’expositions, au vu de la grande diversité de ce type d’ouvrage, il peut paraître compliqué d’en identifier certains. A ce sujet, devant la complexité de classement que représentent ces publications, Francine Delaigle à écrit un guide de catalogage des catalogues d’exposition.30 Dans ce dernier elle distingue les catalogues classiques des « nouveaux catalogues ». Ces nouveaux catalogues correspondent à une grande variété de publications hybrides et plutôt contemporaines. En prenant en compte leurs formes, leurs auteurs, leurs contenus, elle les classera soit dans la catégorie des livres d’artiste soit dans celle des catalogues d’exposition. C’est à ce moment que certains artistes interviennent, alors que leurs catalogues comprennent toutes les caractéristiques d’un catalogue d’exposition traditionnel, ils souhaitent les voir considérés comme des livres d’artistes. Cela peut paraître surprenant dans la mesure où ils ne sont généralement pas les seuls responsables de la publication, ils ne peuvent être que co-‐auteur ou encore n’avoir contribué qu’à la conception graphique. Il arrive également que ce soit de vrais livres d’artiste dans la mesure où ils ont été entièrement conçus par l’artiste, mais leurs similitudes avec un catalogue traditionnel arrivent même à tromper une bibliothécaire aguerrie. Pour cette raison nous rencontrons de plus en plus de catalogues dont les spécificités le feraient se confondre avec un catalogue classique, dans lesquels les artistes font préciser en préface de l’ouvrage qu’il s’agit d’un livre d’artiste. Le dernier exemple de ce type que j’ai rencontré est le catalogue Against Interpretation de Ján Mančuska
29 Un titre de forme est utilisé, selon certaines règles de catalogage, pour regrouper les œuvres de
même type ou ayant une même forme, conformément à la définition donnée au paragraphe 11.6 des Principes de Paris adoptés par la Conférence Internationale sur les Principes de catalogage, Paris, octobre 1961. 30 Francine Delaigle, Guide de Catalogage. Les catalogues d’expositions. Documentation du musée national d’art moderne, Centre George Pompidou, Paris, 1991
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(voir illustration). _ Aujourd’hui, comme le dit Hubert Renard « il n’y a plus de catalogue d’exposition monographique dans lequel l’artiste ne serait pas intervenu d’une manière ou d’une autre, même si il n’y a pas fait grand-‐chose. »31
Ján Mančuska, Against Interpretation, photo de couverture
Premières lignes du texte de préface, p7, préface de Hilke Wagner
31 Voir Discussion avec Hubert Renard en annexe de ce mémoire.
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« Plus personne ne regarde l’art. Faites directement des œuvres pour la reproduction dans les revues d’art. Puisque nous connaissons les œuvres par des reproductions nos œuvres devraient êtres faites uniquement pour la reproduction. Plus d’art sans intermédiaire »
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John Baldessari
QUESTIONS DE LA DOCUMENTATION DE L’ART ET DE SA REPRODUCTION : LA PLACE DU CATALOGUE « Le medium, c’est le message », avec cette célèbre formule, Marshall McLuhan32 nous propose de concevoir le media comme message : Ce n’est pas le contenu qui importe mais la façon dont l’information est véhiculée. La nature du média (medium) influence notre réception de l’information et donc le rapport au monde que nous nous construisons. Si nous appliquons cette idée au catalogue d’exposition, plusieurs questions se posent, Il s’agit d’abord d’identifier le catalogue comme média et de comprendre comment il véhicule l’information (au sein de système de l’art). Ensuite si ce n’est pas le contenu qui compte mais l’objet lui-‐même, il faudra déterminer la place de ce dernier dans le système d’information et de documentation de l’art et cela en regard de l’œuvre originale. Ici nous rejoignons une autre idée, celle de Seth Siegelaub, pour qui, l’œuvre d’art ne réside pas un objet unique mais comprend sa reproduction et son système d’information. En suivant cette idée, le catalogue d’exposition ferai parti de l’œuvre ou du moins participerait à son existence. Si une œuvre d’art dépend en partie de son système de documentation, si « être artiste aujourd’hui, c’est être reproduit »33, il n’est pas difficile d’envisager l’importance que revêt le catalogue pour les artistes. Cependant nous verrons qu’avec l’évolution de l’art, de ses expositions et de son système, que les enjeux et les usages, du catalogue d’exposition, se sont déplacés, qu’ils ne sont plus forcément liés aux expositions, ou que celles-‐ci ne sont plus que, dans certains cas, prétextes à produire ces publications. 32 Marshall McLuhan (1911-‐ 1980) est un théoricien de la communication canadienne, il est l’un des
fondateurs des études contemporaines sur les médias. 33 Leszek Brogowski, Editer l’art : le livre d'artiste et l'histoire du livre, éditions de la Transparence,
Chatou, 2010, p. 263.
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« Appareillage médiologique »34 de l’œuvre d’art.
La réception d’une œuvre d’art, dépend d’une part, du lieu dans lequel elle est présentée et d’autre part d’un système d’objets participant à sa monstration et à sa diffusion. C’est ce système que Michel Gauthier nomme « appareillage médiologique ». Cet appareillage comprend deux types d’objets. Il y a ceux qui participent directement à la monstration de l’œuvre tel que les socles, les cadres,… et ceux dont le catalogue d’exposition fait partie et qui participent à sa diffusion. Dans cette dernière catégorie nous trouverons principalement tous les types de publications produits autour de l’exposition (cartons d’invitation, affiches, etc.). C’est donc à l’appareillage secondaire que nous nous intéresserons ici, parce qu’il détermine aussi, les conditions d’existence sociale de l’art. L’intérêt du catalogue par rapport aux autres publications est, selon Michel Gauthier, qu’il bénéficie d’une « permanence médiatique»35. A l’inverse, les affiches et les cartons ont des temporalités d’usages définies : respectivement, le temps de l’exposition et le jour du vernissage alors que le catalogue, lui, nous le savons maintenant, continu d’exister, en tant qu’objet, en dehors de l’exposition. La forme livre du catalogue, propose, nous l’avons vu précédemment, un contexte de visibilité des œuvres qui lui est propre : un nombre de pages déterminé, une dimension précise qui norme la taille des œuvres ou plutôt celle de leurs 34 Terme emprunté à Michel Gauthier, Dérives périphériques, Cahiers du MNAM n° 56-‐57, Du catalogue,
1996 35 Michel Gauthier, Dérives périphériques, Cahiers du MNAM n° 56-‐57, Du catalogue, 1996
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reproductions, comme le dirait Eric Duyckaerts, un catalogue montre les choses en plus petit.36 Le catalogue lui, propose surtout un réseau de diffusion en dehors de la galerie et du musée, les librairies et les bibliothèques, permettant une plus grande circulation des œuvres dans le monde de l’art. Concevoir une exposition aujourd’hui c’est également concevoir un plan de communication et des outils de médiation. Comme l’espace d’exposition, la forme livre, les images et les textes, que contiennent les catalogues, interviennent aussi sur la réception et la compréhension que nous avons des œuvres. Les livres ou les catalogues, ne visent pas les mêmes publics que les expositions, ils s’adressent à des destinataires individuels dans leurs environnements privés et impliquent des paramètres nouveaux pour la réception de l’information comme, par exemple une temporalité imprévisible liées à la lecture et une possible simultanéité de son appréhension. Le temps de visite d’une exposition n’est nullement comparable à celui de lecture d’un catalogue, tout comme cela ne demande pas la même implication suivant que l’on soit spectateur ou lecteur. Pouvons-‐nous cependant prétendre connaître l’œuvre d’un artiste sans avoir vu l’original ? Ou encore saisir les enjeux d’une exposition, avec les liens qu’elles tissent entre chaque œuvre si nous ne l’avons pas visité, et d’une certaine façon, expérimenter? Pour Marcel Duchamps, « c’est le regardeur qui fait le tableaux », mais alors qu’en est il du lecteur, sachant que la plupart des œuvres que nous disons connaitre, nous ne les avons rencontrer qu’au travers de leurs reproductions et le plus souvent au travers de catalogues ? Douglas Huebler dit à ce propos : « la prise de conscience de l’œuvre dépend de son système de documentation »37. Une œuvre donc ne peut fonctionner en totale autonomie, elle requiert d’être diffusée, donc montrée et reproduite pour que son 36 Voir l’annexe en fin de mémoire : Une définition du catalogue d’après une vidéo d’Eric Duyckaerts. 37 Douglas Huebler, cité par Anne Moeglin-‐Delcroix, Esthétique
Place, Bibliothèque nationale, Paris, 1997
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du livre d'artiste, 1960-1980, Jean-Michel
existence soit admise et reconnue. En s’appuyant sur ce constat, nous pourrions en déduire que le catalogue faisant parti du système de documentation de l’œuvre, participe à sa prise de conscience mais surtout modélise notre façon de la percevoir. En tant que mémoire de l’exposition, mais aussi par extension, en tant que mémoire de l’œuvre, le catalogue influence sa réception auprès d’un publique à venir (autre que celui de l’exposition). L’idée que nous pouvons nous faire de l’œuvre originale est en partie définie par les images reproduites à l’intérieur du catalogue. Il est évident que le catalogue n’est pas le seul à participer de cette prise de conscience et à véhiculer des reproductions d’œuvres, il en est l’un des moyens parmi d’autre tel que les revue, les articles, et maintenant aussi les blogs et sites internet. Il est cependant celui dont le contenu bénéficie, nous l’avons dit, de la plus grande « permanence médiatique». Et si nous pensons comme Daniel Buren, que la reproduction « est aussi différente de l'œuvre que pouvait l'être une gravure par rapport au tableau quand celle-‐ci était l'unique moyen de colporter celui-‐là.»38, cela explique pourquoi le catalogue d’exposition représente une telle importance pour l’artiste et pourquoi ce dernier souhaite pouvoir le revendiquer ou du mois y avoir un droit de regard afin de maîtriser la façon dont son travail sera perçu à posteriori de l’exposition. Alain Farfall dit à ce propos : « ce besoin de diffuser, de faire savoir, de faire connaître, ce besoin de publicité, constitue finalement le véritable lieu de l’art contemporain »39. Si nous revenons aux idées des années 1960, avec les pratiques de Seth Siegelaub par exemples autant qu’avec les idées des artistes qu’il défendait, la documentation comme art, ne dirait rien de moins qu’une œuvre traditionnelle. Toujours selon les conceptuels, « l’imprimé c’est de la pensée », il n’y aurait pas de hiérarchie entre
38 Daniel Buren, Texte d'introduction à Photos-‐souvenirs 1965-‐1988
in Daniel Buren, Photos-‐souvenirs 1965-‐1988, Villeurbanne, Art édition, 1988, p. 3-‐7, repris in Buren, Daniel, Les Écrits (1965-‐1990), tome III, CAPC, Musée d’art contemporain de Bordeaux, 1991, p. 345-‐ 354 39 Alain Farfall, Des Illusions, ou l’invention de l’art, Rennes, Éditions Incertain Sens, 2008, p. 59.
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l’œuvre et son commentaire. Ces idées nous l’avons vu avec les catalogues-‐exposition de Siegelaub sont tout à fait pertinentes à ce moment et rendues possible grâce à la nature même des œuvres en question. Pour Harald Szeeman, le musée sanctifie, alors que le catalogue montre des idées immatérielles ; Par ailleurs, le catalogue d’exposition permet d’abolir les différences formelles entre les œuvres, d’en ôter toute hiérarchie, en les conformant au catalogue. Aujourd’hui, alors que l’objet matériel et la notion d’original reprennent de nouveau de l’importance pour l’art et pour son marché, quelle place laissons nous à la documentation ? A t’elle toujours cette potentialité de modéliser notre regard ou du moins de pallier l’absence de l’original ? François Piron et Guillaume Désanges, deux jeunes commissaires, ont présenté à plusieurs reprises, une exposition intitulée Jiri Kovanda VS le reste du monde, tentatives de rapprochement. La première présentation eue d’abord lieue à partir du 14 octobre 2006 à la gb Agency à Paris, avant d’intégrer d’autres institutions. Ce qui est particulièrement intéressant pour notre sujet, est la manière dont ils utilisent dans cette exposition la reproduction d’œuvre pour mettre en exergue le travail Jiri Kovanda. C’est avant tout une exposition personnelle de l’artiste mais elle devient en même temps, par la présence d’un grand nombre d’autres œuvres présentent sous formes de documents, une exposition collective. L’œuvre de Kovanda est principalement constituée de « micro-‐performances » souvent pratiquées dans l’espace publique et restituées ensuite par la photographie. L’enjeu pour les commissaires était de pouvoir confronter ce travail discret à un grand nombre d’autres artistes, de créer des liens, « de faire écho », en associant le travail de l’artiste à d’autres œuvres. C’est à ce moment qu’interviennent les reproductions, ayant peu de moyen et peu d’espace avec l’obligation de transportabilité de l’exposition à moindre coup, ils se sont tournés vers un outil de reproduction qui à largement fait ses preuves : la photocopieuse. En photocopiant des reproductions déjà existantes dans les catalogues, ils ont prouvé à travers l’importance de la reproduction d’œuvre dans le rapport que nous entretenons avec l’art. François Piron dit à ce propos :
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« L’exposition ne procède pas d’une idéologie de substitution exclusive du document par rapport à l’œuvre, mais repose sur la conviction que la relation à l’art n’est certainement pas réductible à la présentation de l’original. »40
JIRI KOVANDA VS LE RESTE DU MONDE, exposition à l’Ecole Régionale des Beaux Arts de Valence, 2007, © photo : François Piron
Photographie d’exposition, reproduction photographique, des livres d’images. 40 François Piron, Jiri Kovanda VS reste du monde (tentatives de rapprochement),
entretien avec François Piron et Guillaume Desanges, 12.04.2008, consulté le 9/01/12 : http://www.ecoledumagasin.com/session17/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=123 ,
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Le catalogue d’exposition, d’abord outil de documentation et de diffusion de l’exposition, est aussi un outil de médiation et de communication. Lorsque l’on regarde un catalogue d’exposition de plus près, on constate, on peut le dire, qu’il ne contient jamais les photographies de l’exposition en question. Il présente la plupart du temps des photographies d’expositions antérieures ou encore des reproductions d’œuvre prisent hors contexte, en studio par exemple. La principale raison à cela est que le catalogue est préparé en parallèle de l’exposition afin d’être prêt le jour du vernissage pour faire événement au même titre que l’exposition. Lors de l’ouverture de l’exposition, il sert à la fois d’objet promotionnel distribué aux hautes personnalités du monde de l’art et de support pour les critiques et les journalistes pour la rédaction de leurs articles. Pourtant toutes les institutions font intervenir un photographe41 afin de documenter l’exposition, d’en garder une trace. Ces images conservées dans les archives, intègrent en fait à postériori d’autres catalogues ou encore d’autres types de publication et sont finalement le plus souvent destinées à la presse. Mais si ces images ne sont pas dans les catalogues d’expositions, en tout cas pas dans ceux directement concernés, continuent t’ils de documenter, ou d’attester de ce qu’a été l’exposition ? L’illustration d’une œuvre, dans le sens ou ce n’est pas l’œuvre en situation qui est montré, mais ce à quoi elle peut ressembler, suffit-‐elle à véhiculer l’idée, la teneur de l’œuvre et les enjeux de sa mise en espace ? A coté de ces questions, avec les « nouveaux catalogues », quand l’artiste devient graphiste, concepteur ou encore co-‐auteur de son catalogue d’exposition, on peut remarquer que c’est souvent au détriment du commentaire. Lorsque le catalogue d’exposition perd son contenu scientifique, donc son rôle premier, c’est à dire qu’il ne renseigne plus sur l’exposition, Il est légitime de se demander quel intérêt continue d’y trouver l’artiste au point de continuer, et ce de plus en plus fréquemment, à vouloir être au moins reconnu comme co-‐auteur de l’ouvrage. Lorsque le catalogue devient prolongement de l’œuvre (et donc ne fait pas 41 Voir à ce sujet le travail de Marc Domage, pour ne citer que l’un des photographes les plus présents
sur la scène artistique française.
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œuvre à part entière) pour se substituer au statut de document qu’il est par tradition sensé occuper, quelle nouvelle place occupe t’il au sein du système artistique ? Il me semble intéressant de voir que le catalogue d’exposition, même privé du contenu sensément devoir le définir reste un objet de médiation. C’est à dire qu’il continu de diffuser et de faire circuler un nom auquel est associé des images et les références d’une institution. En effet, l’avantage de ce type de publication en est le partenariat avec les institutions, dont elles portent l’emblème, le logo, et donne à ce titre du crédit à l’artiste. Au contraire des livres d’artiste, dont Anne Moeglin-‐Delcroix a souligné le caractère d’autoproduction, les catalogues d’exposition ou plus précisément ce que l’on appelle les catalogues d’artiste tendent à devenir des livres d’artiste déjà validés par le système institutionnel et font donc autorité pour le travail de l’artiste. L’inconvenant est que, pour quelqu’un qui n’aurait pas eu l’occasion de voir l’exposition ou qui n’aurait aucun pré requis, aucune connaissance du travail de l’artiste, ces publications risquent de devenir des objets hermétiques42. Les artistes ne semblent pas s’en inquiéter pour autant, et nous pourrons peut être trouver plusieurs explications à cela. Tout d’abord, avec internet, cet immense réseau, chacun peut y avoir une vitrine, sa propre « galerie virtuelle » mettant en avant son travail, ses positions et choisir lui même les textes qui viendront commenter le tout, ce nouvel outil a permis la multiplication de sites « officiel d’artiste ». Si nous cherchons une informations aujourd’hui l’un de nos premier reflexe est de se tourner vers le net, ce n’est que pour des recherches plus poussées que nous irons vers les bibliothèques et les ouvrages spécialisés. Il y a par ailleurs d’autres types de publications qui voient le jour et se multiplient au moment de l’exposition et qui viennent combler le vide laisser par les nouveaux catalogues d’exposition. Parmi ces autres publications nous trouverons principalement les communiqués de presse et les petits journaux. 42 Voir à ce sujet une publication du MAC/VAL : L’œuvre peut-‐elle se passer de commentaire(s) ?, Musée
d’Art Contemporain du Val de Marne, 2006
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Les catalogues d’exposition, à la tendance générale, ressemblent de plus en plus à des livres d’images. Ed Ruscha, l’un des premiers artistes à faire des livres, publie en 1963 Twenty six Gazoline Stations, conçut un peu sur le même modèle que les livres d’apprentissage des enfants, l’ouvrage propose une succession d’images sur un même thème. Trente six photographies de stations services se succèdent avec pour seule information l’indication du lieu ou elles se trouvent, Ruscha à cette époque réalisa plusieures publications de ce genre qui influencèrent et ouvrir de nouvelles voies aux pratiques artistiques comme par exemple Various Small Fires (1964) ou Nine Swimming Pools and a Broken Glass (1968). En regardant nos catalogues d’exposition, il est intéressant de voir à quel point les livres d’artistes et notamment le travail de Ruscha, ont influencé les artistes, mais aussi les institutions. Ces dernières conçoivent aujourd’hui leurs catalogues comme des livres d’images : très peu de texte, voir une absence totale de commentaire et uniquement les illustrations d’œuvre. Si l’artiste peut être le graphiste de ce genre de publications, elles sont en réalité, le plus fréquemment, le fait des institutions elles-‐mêmes et deviennent ce qu’Hubert Renard appelle des livres de commissaire43.
43 Voir Annexe : Discussion avec Hubert Renard
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Ed RUSCHA, Twenty Six Gazoline Station, 19..
Richard PRINCE, Girlfriends : Museum Boymans-van Beuningen, Rotterdam, exposition du 3.10-28.11.1993
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Fictions d’artiste, parodies et détournements du catalogue. Yves Klein en précurseur, créé en 1954 l’un des premiers « catalogue d’artiste ». Il s’agit de son livre intitulé Yves peintures44. Premier geste public de l’artiste, ce livre contient toutes les caractéristiques du catalogue traditionnel. Une préface, une série de planches tenant lieux de reproductions d’œuvres et leurs commentaires (dates, dimensions, lieux). Cependant, la préface, de Claude Pascal, n’est qu’une série de lignes noires et les œuvres présentées n’existent que dans ce catalogue. En effet, ces œuvres n’existent pas, en tout cas pas en dehors du livre. Ainsi avec ce catalogue, Yves Klein ouvre la voix à la question du statut de l’œuvre en regard de sa reproduction, à la question de la valeur de l’original et de l’unique par rapport au multiple. Ces questions d’équivalence seront à maintes fois reprises, comme nous l’avons vu, dans les années suivantes par de nombreux artistes. Il ouvre également la voix au travail de fiction : Klein, au travers de cette fiction d’œuvre, mais aussi d’artiste, car en 1954 il n’est pas encore reconnu en tant que tel, nous met en garde contre nous même, tout en mettant en place les fondements de son travail à venir, dont le monochrome et la puissance de la couleur pure. 44 Yves Klein, Yves Peintures : 10 planches en couleurs, Imprimeur, F. F. de Sarabia, Madrid, 1954
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Chaque œuvre reproduite dans ce catalogue d’artiste, est accompagnée d’une légende mentionnant un lieu et des dimensions. Par habitude, nous aurons tendances à apparenter ces informations au lieu de conservation de l’œuvre (la collection), et aux dimensions de l’œuvre originale. Alors qu’en réalité, il s’agit du lieu de réalisation de l’œuvre et les dimensions de la reproduction en millimètre. Et c’est bien nos habitudes et notre manque de vigilance que Klein pointe du doigt, en parodiant le catalogue, ce qu’il représente et les usages qui l’accompagnent. Nous avons également vu avec le catalogue Feux Pâles de Philippe Thomas, qu’il fallait prendre garde aux catalogues d’exposition, qu’ils n’étaient pas toujours ce qu’ils prétendaient être. Philippe Thomas, en signant ses textes de noms connus, continuant le travail se son agence les ready made appartiennent à tout le monde, utilise l’objet institutionnel qu’est le catalogue d’exposition pour porter son propre discours, la « lutte » contre la « toute puissance » de la signature. Au delà de la critique, avec ces fictions d’artistes il s’agit bien plus souvent d’une remise en cause du système, d’une remise en question du monde de l’art et de son marché au travers de ce qui les caractérises : leurs propres outils de communication. La fiction d’artiste est une pratique qui prend de nombreuses formes, mais la plupart de ces fictions sont rendues publiques et crédibilisées par un appareillage d’information et de diffusion appartenant le plus souvent au monde « réel » de l’art. A ce sujet voir notamment le travail d’artistes comme Pierre Monjaret avec La Bergerie45, Donelle Woolford, Hubert Renard… Parmi eux, je souhaiterais m’arrêter sur le travail d’Hubert Renard qui a la particularité de mettre le catalogue et ses usages au centre de sa pratique. Hubert Renard a créé un artiste fictif. Cet artiste n’est autre que son double et homonyme «Hubert Renard». L’un inventant le travail de l’autre. Hubert Renard, 45 La Bergerie, lieu d’art contemporain, rue F. Jammes, 65100 Bourréac.
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pour donner vie à sa fiction, créer des archives contenant tout le système d’information nécessaire à « la prise de conscience de l’œuvre », il utilise tous ce que le milieu de l’art met à sa disposition pour crédibiliser l’œuvre de son double. Le travail du «vrai » Hubert Renard est de créer de la documentation et son support favori, si je puis dire, est le catalogue d’exposition. Le catalogue, parce qu’il est un objet de témoignage et parce qu’il fait autorité autant du coté des institutions que de celui des artistes. C’est un objet qui atteste de l’existence des expositions d’Hubert Renard. Mais si le catalogue intéresse cet artiste, c’est aussi peut-‐être, parce qu’il à montré au fil de ses changements, de l’évolution de ses usages une certaine familiarité avec les livres d’artistes. Les archives d’Hubert Renard donne vie et crédibilise le travail d’« Hubert Renard ». Il ne se contente pas de créer des documents, il va jusqu’à inventer son propre monde de l’art avec tout un écosystème qui lui est propre : le monde d’Hubert Renard compte de nombreuses institutions, des galeries et galeristes, des centres d’art, des fondations et fondateurs, des critiques d’arts, artistes…; auxquels viennent, de temps en temps, se confronter de vraies personnalités, artistes et théoriciens, bien encrés dans le réel ; Chacun des personnages, réels ou fictifs, interviennent dans la conception des catalogues46. Les critiques critiquent, rédigent des articles dans des revues de grande renommée, et sont auteurs dans les catalogues d’expositions, les fondations organisent et les fondateurs s’expriment lors de discours 47… Si Hubert Renard réussi à semer le doute autour de son travail c’est parce qu’il maîtrise et utilise avec rigueur tous les outils mis à sa disposition par le monde institutionnel pour promouvoir et diffuser de vrais artistes. C’est peut-‐être, au moment où nous commençons à envisager le catalogue comme un outil promotionnel que l’on peut percevoir la dimension parodique du travail de cet artiste. Comme chez Klein, peut-‐être de façon plus subtile, il dissémine tout au long de ses publications des indices nous permettant de ne pas tomber complètement dans le piège de ces vrai-‐faux catalogues d’artiste.
46 Voir à ce sujet : Hubert Renard, Une monographie, d: Ce catalogue d’artiste entièrement conçu par
Hubert Renard est préfacé par Anne Moeglin-‐Delcroix. Alors que tout l’ouvrage est conçu sur le principe de la fiction, AMD l’introduit avec une « vraie » préface sur le « vrai » Hubert Renard et son travail de fiction… Mais comme le dit l’artiste, « de toute façon personne ne lit les préfaces alors… » 47 Hubert Renard, Les discours de Pully, éditions Incertain Sens, Rennes 2010
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From: cloe beaugrand
Sent: Wednesday, December 07, 2011 1:08 PM To: hubert renard Subject: RE: A propos de vos catalogues.... Bonjour Hubert, J’aimerai si vous le pouvez, que vous me donniez votre position sur une remarque d'Anne Moeglin-Delcroix. Dans l'un de ses textes, elle écrit: "Hubert Renard a poussé jusqu'à ses ultimes conséquences la réflexion sur l'inutilité de l'exposition, en faisant de cette dernière l'objet de ses publications (...) L'artiste Hubert Renard n'a rien d'autre à montrer que des publications sur et de Hubert Renard. Le paradoxe est que tout en ne reproduisant que des œuvres exposées, elles mettent en question la nécessité de l'exposition elle-même" Merci d'avance. Cloé
De : Hubert Renard Objet : Rép : A propos de vos catalogues.... Date : 7 décembre 2011 15:14:51 HNEC À : cloé beaugrand
Re-bonjour, Je pense être tout à fait d’accord avec AMD. L’idée initiale de mon travail était d’éliminer l’objet, et de ne produire que ses scories, ses marques, sa reproduction, sa documentation, son récit. Mais ce faisant, je me suis peu à peu rendu compte que l’exposition, devenue un objet, devait être supprimée aussi, pour penser l’art et ne pas être pensé par lui. Un catalogue d’exposition fait souvent bien mieux le travail diffusion que l’exposition. Il est moins déterminé que l’exposition par des usages sociaux et des rites magiques, du moins il peut plus facilement s’en défaire. Il dure plus longtemps et se déplace à volonté. L’exposition, qui initialement était simplement la mise à vue de l’objet d’art (ex-ponere, poser au dehors), qui était son espace de révélation, est devenue sa production, sa raison, son sens, son temps d’existence. Avec un art de plus en plus immatériel ou de plus en plus encombrant (les deux options se croisent...), les expos prennent de plus en plus d’importance dans le processus de production du milieu de l’art. Je pense qu’en effet, il faudrait arriver à s’en défaire, pour tenter d’en finir avec la fétichisation de l’art, et commencer enfin à travailler. Ne faire plus que les catalogues. Ne faire plus que des actions, hors du champ de l’art, documentées ou non. Et ne plus faire de bruit... Bien à vous, Huber
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Hubert Renard, intervention In Situ, Mur Saint Martin48, Paris, 2012 48 « Un mur au cœur de paris, de la peinture : un artiste recouvre l'autre... » 180, rue Saint Martin 75002
Paris. http://lemursaintmartin.over-‐blog.com/ © photo : Hubert Renard
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Regardons Stille Gesten, catalogue de l’exposition éponyme, il présente une succession d’images, alternance de ce qui ressemble à des reproductions de photographies, de plans axonométriques de meubles et de vues de salles d’expositions. Chaque type d’image est traité sur le même plan, de la même façon. Il ressemble aux livres d’images dont nous parlions plus haut. Le colophon indique les dates et lieu de l’exposition : du 28 novembre 1990 au 16 janvier 1991 à la Kunsthalle Krefeld, ainsi que d’autres informations relatives à l’exposition et au catalogue. Ainsi nous savons que la curatrice de l’exposition se nomme Ursula Donner, que le catalogue est réalisé par Hubert Renard, et que les crédits sont répartis entre le Kunsthalle Krefeld et l’artiste. Par ailleurs quelques remerciements sont attribués à différentes personnes. Jusqu’ici tout paraît normal, c’est seulement après avoir parcouru le catalogue dans son ensemble que l’on commence à s’interroger sur le choix des images, la teneur même de l’exposition… Toutes les réponses sont en réalité dans le colophon. Après quelques recherches on se rend compte qu’il n’y à pas de Kunsthalle à Krefeld, et encore moins d’Ursula Donner. Que les personnes remerciées sont également des inventions, mis à part Anne Moeglin-‐Delcroix qui vient renforcer le trouble. Hubert Renard dit à propos de ce catalogue: « J’ai imaginé l’expo d’Hubert Renard et j’ai fait de son catalogue ce qu’on appelle un catalogue d’artiste. Pour cela c’était très simple… je me suis dis : « prends tout ce qu’il y a dans l’expo, mets-‐le en pages et enlève tous les commentaires, pas de textes, aucune explication, rien ! » Il n’y a dans le catalogue que des images. Dans l’expo d’HR ce sont des photos et des sculptures, ces dernières sont traduites dans le catalogue par des dessins axonométriques. On pourrait les découper et fabriquer les sculptures en papier ! Elles sont d’ailleurs exactement aux dimensions de leur réalisation en maquette »49.
49 Voir Discussion avec Hubert Renard en annexe
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Vue de l’exposition Stille Gesten
Le travail d’Hubert Renard se joue à différentes échelles (à prendre dans tous les sens du terme). Renard produit l’œuvre de son double et la diffuse au travers de catalogues d’exposition, il ne réalise jamais les œuvres de l’autre HR, il ne produit que des maquettes au 1/20. C’est la reproduction photographique de l’œuvre qui anéantira toute notion d’échelle pour le lecteur. Ainsi avec cette fiction d’artiste, d’œuvre et d’exposition HR interroge le rôle de la photographie dans notre rapport à l’art, la relation que nous entretenons avec la reproduction et nous met encore une fois en garde contre notre façon de regarder l’art.
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Cependant, il faut bien admettre que les catalogues d’Hubert Renard n’ont de catalogues d’exposition que leurs noms. Ils ne sont tous au plus que des parodies de catalogues comme a pu l’être le Yves Peintures de Klein. Se voulant ressemblant à des catalogues d’artiste, les publications d’Hubert Renard sont en réalité tout à fait autonomes, elles ne dépendent pas d’un projet d’exposition ni de l’événement qu’elles représentent. Si l’on se réfère à la définition d’Anne Moeglin-‐Delcroix, Hubert Renard serait plutôt l’auteur de livres d’artiste. La fiction permettant de semer le doute et d’enclencher un processus de remise en question de ce que l’ont regarde. Il dit : « Mon travail, conçu pour apparaître sous la forme d’un livre, en l’occurrence un faux catalogue d’exposition, entre évidemment dans cette catégorie du livre d’artiste tel qu’il est décrit par Anne Moeglin-‐Delcroix. D’un autre côté, la question du statut bibliographique de mes livres (livre d’artiste ou catalogue), n’est pas fondamentale. Je veux dire : elle n’a pas besoin d’être tranchée, puisque le jeu consiste justement à la poser… »
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CONCLUSION Nous avons vu qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le catalogue d’exposition a subi de nombreuses transformations. Ces transformations imputables à la fois, aux artistes souhaitant répondre aux enjeux de leurs époques ou encore aux institutions et aux besoins qu’elles ont pour des fins promotionnelles que ce soit de leurs artistes ou d’elles-‐mêmes. Depuis les années 1990, nous sommes de plus en plus souvent confrontés à des catalogues d’expositions dans lesquels on trouve en postface ou encore dans les colophons des indications nous proposant de considérer le catalogue en question comme un livre d’artiste. Ainsi nous trouvons imprimés dans les « nouveaux catalogues » des « publications éditées à l’occasion de l’exposition » ou encore « ce catalogue est à considérer comme un livre d’artiste » … Francine Delaigle, a trouvé une parade pour classer ces ouvrages dans les rayons de sa bibliothèque. Elle emploi le terme de « catalogue – livre d’artiste », c’est peut-‐être ce qui qualifie le mieux ces publications. Cela ressemble étrangement au terme employé par Anne Moeglin-‐Delcroix « catalogue d’artiste ». Pourtant il me semble juste de considérer que ce terme employé par AMD ne permet plus de définir la plupart des publications qui ont cours aujourd’hui. En effet, si il y a eu des catalogues d’artiste, ils correspondraient aux quelques exemples que nous avons abordés sous les termes de « catalogue – extension » et de
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« catalogue – exposition ». Même si ce sont des cas de figure encore exploité aujourd’hui, ils ne constituent pas la majorité. Aujourd’hui, ce sont plutôt les livres d’images qui remplissent nos bibliothèques et ils n’ont plus rien ni de catalogue d’exposition, ni de livres d’artiste ou alors un peu des deux. Cela qui implique de toute manière, à mon sens, qu’ils ne rentrent pas tout à fait dans aucune de ces deux définitions. En poussant un peu plus loin cette logique, j’irai jusqu’à considérer que ces catalogues d’artistes dont on entend parler, n’existent plus, ou alors sont des cas isolés. Ce qui passe pour tel aujourd’hui appartiendrai bien plus à ce que Hubert Renard a nommé des catalogues de commissaires, c’est à dire que ces catalogues correspondent davantage à des projets éditoriaux qu’à des projets artistiques. Si il y à des « catalogues d’artiste » ne sont ils pas en fait des livres d’artistes déguisés en catalogues d’exposition ? Les autres publications ne sont elles pas juste devenu des objets dérivés d’exposition ? Il y a certainement encore un bon nombre de bon « catalogue-‐livre d’artiste », mais devant la prolifération de ce type de publication, je parle du grand nombre de catalogue d’exposition vidé de leur contenu, je craint que ce qui a pu être un espace de création et de réflexion pour les artistes ne soient récupéré par les institution et ne deviennent quelques objets dérivés. Les catalogues d’exposition offrent encore une possibilité intéressante pour ce que l’on appelle la « photographie plasticienne » et plus généralement pour la photographie contemporaine. Le statut de la photographie a toujours été ambigu, controversé, l’art contemporain et la photo, entretiennent des liens de plus en plus étroits, cependant nous prenons toujours garde de bien les distinguer l’un de l’autre. Le catalogue d’exposition, d’abord outil, puis livre d’artiste, devenu objet hybride, offre à la photographie la possibilité, sous la forme d’un dispositif « catalogue-‐ extension », de disperser les frontières entre art contemporain et photographie. Il
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faut voir à ce sujet, par exemple, les publications du point du jour, centre d’art éditeur, dédié à la photographie. Je terminerai sur une citation d’Alain Farfall : « ‟ Je ne sais pas si je me fais bien comprendre”. C’est souvent comme ça que j’aimerais terminer la plupart de mes textes, mais je n’ose pas, alors je fais comme tout le monde, je laisse un dernier mot un peu ouvert, un peu interrogatif, un peu énigmatique, mais c’est souvent une pirouette, une façon de cacher mon inquiétude de n’avoir pas véritablement réussi à formuler les choses, une façon de dire que la pensée continue à faire son travail au delà du texte. La forme s’achève, pas la pensée. »50
50 Alain Farfall, Des illusions ou l’invention de l’art, éditions Incertains Sens, Renne, 2008, p34
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ANNEXES
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« Bon, un catalogue, n’importe quel catalogue. Alors qu’est-‐ce que c’est qu’un catalogue ? Catalogue… J’ai le sentiment que je vais un peu me répéter, mais catalogue (…), catalogie c’est le contraire de analogie. Enfin, bon, on est toujours dans des racines grecques. Alors analogie c’est une proportion, « Ana », qui monte, comme dans l’anabase, on monte, on monte, on monte. Cata base, on descend, on descend, on descend. « Cata » c’est descendre. Alors, c’est des proportions montantes pour analogie : 1∕2 = 3∕6 : on est monté dans les valeurs numériques, catalogie, descendre, 3∕6 = 1∕2 : on est descendu dans les valeurs numériques. Alors, ça veut dire : c’est petit un catalogue. On fait les trucs en petits ! Voilà ce qu’on fait dans un catalogue.
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Je pends ça par exemple, ça fait 89,8 cm sur 73,8 cm, vous voyez bien que c’est plus petit, ça fait pas 73, 82… Donc on l’a fait en proportion descendante, on l’a fait en plus petit. On fait en plus petit. Celui là aussi, « oulala », 150 cm X 175 cm, vous voyez, alors qu’on a peut être à peine 19 cm, à la place des 175, donc on s’est rendu compte que (sifflement), ça a maigrit, donc catalogue, c’est faire les trucs en petit. On fait en petit, on fait des proportions descendantes. On a un grand truc on le fait proportionnellement plus petit, plus petit, plus petit, pour que ca rentre dans un livre. C’est ça l’intérêt d’un catalogue, c’est faire rentrer des images dans un livre. Voilà, on a des images dans un livre. 116 cm, ça serait jamais rentrer dans un bouquin. Catalogie. C’est assez pratique finalement, mais alors, dans un catalogue, là on voit qu’il y a du texte, souvent. Souvent il y a du texte. Pourquoi ? Est-‐ce que c’est une proportion descendante, une proportion montante ? Non. C’est de l’ordre du langage ca n’a rien à voir. Mais évidemment on n’achète pas un catalogue pour le texte, on l’achète pour les images. Le texte on pourrait même dire, c’est un prétexte pour justifier le fait qu’on peut avoir des images à coté. Donc ça ne compte pas du tout ! Dans un catalogue les textes ne compte pas du tout. »
I.
D’après une vidéo d’Eric Duyckaerts 51
51 Eric Duyckaerts, Catalogue, 2011, 2min33. Consultée sur la page Facebook de l’artiste le 9/02/11
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Discussion avec Hubert Renard CB : J’ai souhaité que l’on se rencontre pour que l’on puisse discuter de ton travail, car il n’est pas toujours évident de s’y retrouver parmi tous tes personnages, de comprendre comment fonctionnent tes catalogues et le statut que tu leur donnes. De mon côté je travaille sur la question du catalogue d’artiste, sur le livre comme possible espace curatorial, je crois qu’il serait intéressant que tu me dises ce que tu en penses. HR : Dans ta question, tu parles de « livre comme espace curatorial », c’est-‐à-‐dire, d’une certaine façon, du livre d’artiste. Le livre comme lieu d’exposition est tout aussi légitime que « l’espace exposition », et à mon humble avis mille fois plus génial et pratique ! Le livre dure, l’exposition ne dure pas. Le livre diffuse alors que l’exposition reste en un lieu défini et elle finit toujours par être démontée. Le livre, on peut le déchirer ou le brûler, il reste, grâce à sa nature reproductible. Le livre pour y présenter mon travail est une évidence, même si à mes débuts cela n’a pas immédiatement été clair… Aujourd’hui, de manière un peu provocante, j’ai tendance à dire : « arrêtons de faire des expositions, faisons des livres » ! Le catalogue c’est autre chose, et dans ce que tu as dis, tu es passée de catalogue à livre. Le catalogue n’est pas un livre indifférent, ce n’est pas n’importe quel livre. Le catalogue est la mémoire de l’exposition. Il a besoin de l’évènement, pas le livre d’artiste. Le catalogue est sensé faire le lien entre l’exposition et son avenir incertain. L’exposition a un temps et un espace défini alors que le catalogue serait en quelque sorte son extension, son au-‐delà. C’est là que cela devient intéressant car les artistes ont compris qu’en prenant en mains leurs catalogues d’expositions, ils prendraient en mains le devenir de leurs expositions. Jusqu’à présent c’était plutôt le commissaire d’expo qui était l’auteur du catalogue, l’artiste n’y intervenait pas du tout, c’était des objets scientifiques sur lesquels les critiques et théoriciens pouvaient s’appuyer pour leurs recherches lorsque par exemple, ils n’avaient pas vu l’exposition. CB : Depuis quelques années, depuis que l’artiste a prit part à l’élaboration du catalogue d’exposition, ce type d’ouvrage a perdu son contenu critique, analytique et historique pour devenir un bel objet avec de belles images mais ne permettant plus de savoir ce qu’a été l’exposition… HR : (rires) Avec les catalogues contemporains c’est pratiquement impossible de savoir… Mais là, c’est un travers, qui je pense n’est pas dû seulement aux artistes. Regarde les livres d’architecture, les architectes ne font plus aucune différence entre les projets réalisés et ceux non réalisés, sauf que par moment on aimerait bien savoir
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ce qui a été construit et qu’on peut voir dans le monde réel et ce qui ne l’a pas été. Pour les catalogues d’exposition c’est un peu la même chose : on ne se préoccupe plus de savoir ce qui a été exposé et de ce qui a été fabriqué pour le catalogue, tout est mêlé dans un bel ouvrage… Mais cela n’en fait pas non plus des catalogues d’artistes. C’est ambigu. CB : Pour ces catalogues là, il s’agirait plutôt d’une collaboration, l’artiste y serait plutôt co-‐auteur… HR : Le problème, c’est que maintenant il n’y a presque plus de catalogue d’exposition monographique dans lequel l’artiste n’intervient pas d’une manière ou d’une autre, même si il n’y fait pas grand-‐chose, … CB : J’ai rencontré Francine Delaigle52 la semaine dernière à propos de cette notion de catalogue d’artistes. Elle m’a montré des ouvrages qui ont vraiment la forme de catalogues dits traditionnels, avec leur contenu scientifique… Et qui, soit par une précision écrite en introduction, soit par une demande personnelle de l’artiste, sont classés et considérés en tant que livres d’artistes… Cela m’amène à me demander si cette notion de catalogue d’artiste qu’utilise Anne Moeglin-‐Delcroix53 et que j’essaie de définir ne serait pas fantasmée ? Et si elle existe, est-‐elle réellement définissable ? HR : Alors, quand AMD utilise ce terme, je suppose qu’elle pense aux expos de…. CB : Seth Siegelaub ? HR : Oui, les catalogues d’exposition de Siegelaub qui sont eux-‐mêmes l’exposition. Quand elle dit « catalogue d’artiste » elle pense à ces ouvrages, … Il y en a très peu en réalité. Dans ce cas là Siegelaub n’est plus galeriste ou éditeur, il est véritablement artiste. Avec lui, le catalogue est vraiment un lieu de création, de monstration, d’exposition, à tel point que l’exposition n’a même pas besoin d’exister et que le catalogue se suffit. Le véritable catalogue d’artiste serait pour moi un ouvrage dans lequel, un artiste, ayant réalisé une expo, (ou un projet), choisirait de l’accompagner d’un livre qui la prolongera ou la complètera, non pas un compte-‐rendu mais vraiment un élément du 52 Francine Delaigle est bibliothécaire, responsable de la Réserve de la Bibliothèque Kandinsky et plus particulièrement de la section des livres d’artistes. Elle est également l’auteure de : Les catalogues d'exposition : Guide de catalogage, paru en 1991 aux éditions du centre George Pompidou. 53 Anne Moeglin-‐Delcroix est une spécialiste du livre d’artiste. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages à ce sujet dont le célèbre Esthétique du livre d'artiste (1960-‐1980), J.-‐M. Place, Bibliothèque nationale de France, Paris
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projet, et qui existera à part entière. Un livre d’artiste, mais complètement lié au moment de l’exposition. Sans l’exposition le livre n’aurait pas eu lieu. Ce serait ça, un catalogue d’artiste, et pas ces éditions hybrides entre objets scientifiques et livres d’artistes qui sont souvent des catalogues de commissaires. En fait, c’est assez facile de faire la différence, d’un coté c’est un projet artistique et de l’autre c’est un projet éditorial. CB : Je suis assez d’accord avec tout cela. À mon sens, il y a trois options de classement du catalogue. D’abord les catalogues qui se veulent être le reflet de l’exposition, qui sont les plus traditionnels, il y a ceux qui seraient une extension de l’exposition en proposant quelque chose qui viendrait compléter l’exposition et les derniers qui correspondraient à une traduction de l’espace d’exposition à l’intérieur de leurs pages et qui proposent un projet entièrement indépendant, tels les catalogues de Siegelaub dont nous venons de parler… Mais j’aimerais que l’on parle de ceux d’Hubert Renard. Il me semble qu’il y en aurait pour chacune de ces catégories… HR : je me suis effectivement amusé à décliner avec mes catalogues chacun de ces aspects là, sinon cela n’aurait servi à rien d’en faire toujours un de plus. À chaque projet, je me suis penché sur un aspect particulier de cette histoire du catalogue. Le catalogue traditionnel se compose du texte du commissaire ou du critique, des reproductions des œuvres, et d’un appareil scientifique. Il est le reflet de l’exposition, sa documentation, ce qu’il en reste. Sans s’occuper pour l’instant des éditions hybrides ou du catalogue d’artiste, il est dans une espèce d’ambigüité absolument terrifiante. Quand on regarde dans un catalogue d’expo il ne contient jamais l’exposition, jamais ! CB : Effectivement, la plupart du temps le catalogue est préparé en amont de l’exposition ce qui fait qu’on ne trouve que des images d’expositions antérieures, des gros plans,… HR : Ce sont les images de l’œuvre et non l’œuvre en situation. On ne trouve jamais le plan de l’expo, or, comment savoir quel tableau était accroché à coté de quel autre ? Un tableau n’est pas tout seul dans l’espace, et dans le catalogue non plus ! Si il est sur une page à coté d’une autre image, ça raconte des choses, ça bouge! Le catalogue n’est jamais le reflet de l’expo sur papier ! Tu es d’accord avec moi ? Même le catalogue le plus traditionnel est toujours une relecture de l’exposition. Parfois il y a beaucoup plus de choses dans le catalogue que dans l’expo et ça c’est plutôt la mode contemporaine. Autrefois, c’était plutôt l’inverse. Les premiers catalogues historiques, ceux du début du XXe siècle, c’est du bonheur. Le catalogue à l’époque c’est un petit livret, une douzaine de pages avec la liste des tableaux et cela
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même pour des expos extrêmement importantes voire historiques. Pour ces expos il ne nous reste que la liste des tableaux. C'est surprenant ! CB : Hier j’ai rencontré Ghislain Mollet-‐Viéville54, il m’a montré toutes les publications de Siegelaub. Parmi elles, il y a un catalogue qui m’a particulièrement marqué. Il s’agit de celui de "Joseph Kosuth and Robert Morris"55 , dans lequel il n’y a que les légendes des œuvres et aucune image, que des pages blanches, et pour moi cela fonctionne ! C’est plus intéressant et plus juste que la plupart des catalogues que l’on peut faire maintenant, avec de belles et grandes images. Ils font de beaux livres et de belles bibliothèques mais ça n’apporte rien sur les expos elles mêmes. HR : Oui c’est un sujet passionnant parce que le catalogue a des conséquences aussi sur notre façon de voir l’art ! Encore une fois et de façon un peu provocante, j’ai envie de dire « les expos ça m’ennuie, je vais voir le catalogue et c’est tout ! », Je ne vais plus voir les expos, je vais dans les librairies et je regarde les catalogues. Ils sont toujours plus beaux que les expos, les reproductions sont de super bonne qualité alors que dans les expos tu as toujours un éclairage épouvantable et des gens qui te bousculent ! Il y a toujours plus de choses que dans l’expo et tu as tout le temps de le regarder tranquillement. Pour moi l’expo idéale serait plutôt dans son catalogue. Ça pose des questions sur la reproductibilité de l’art. Quand on n’a pas le tableau, est-‐ ce que la photo est suffisante ? Comment la photo parle, etc. Tout ça, ce sont des questions posées à travers le catalogue d’exposition mais pas seulement, puisque le livre d’artiste ou les monographies les posent aussi. Le catalogue d’exposition tel qu’on l’entend est, on le disait au début de la conversation, un genre classique, mais ce genre classique est lui-‐même un objet hybride entre l’encyclopédie, le beau livre et le catalogue raisonné. C’est pour ça que quand tu veux l’étudier tu te retrouves devant une multitude de choses, avec une impression d’impossibilité de faire le tri. Il se pourrait que le catalogue d’exposition ne soit pas un genre. CB : Non je pense que le catalogue d’exposition est un outil, c’est un objet qui participe au système de l’art actuel, c’est aussi pour cela que ça m’intéresse de l’étudier. Il sert à diffuser, à montrer. Pour moi, étudier le catalogue d’exposition c’est aussi une façon d’essayer de comprendre comment l’art fonctionne…
54 GMV se défini comme agent d’art. Il assure la promotion de l’art conceptuel et minimal.
Il est également Expert honoraire près la Cour d'Appel de Paris et Membre de l'Association Internationale des Critiques d'Art. 55 Seth Siegelaub, Joseph Kosuth and Robert Morris, Laura Knott Gallery, Bradford Junior College, Bradford, Massachusetts, March 1969, 8p. 18.5 x 18.5 cm. Paper. 1 BW ill. A two-‐person exhibition, catalogue and symposium held at the Bradford Junior College in March 1969.
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Par ailleurs, j’ai l’impression que depuis les années 90, beaucoup de gens parlent de catalogue d’artiste mais on ne trouve rien à ce sujet. HR : Personnellement, je n’ai jamais trouvé d’études scientifiques sérieuses à ce sujet. Effectivement tout le monde en parle, la chose existe mais je ne connais personne qui jusque là se serait vraiment intéressé à faire un travail de tri, de définition et de typologie ! A part AMD dans son petit texte56, mais il reste très lié aux pratiques de Siegelaub et aux publications des années 90. Les éditions de ce genre se sont multipliées et le terrain est toujours en friche… CB : Ce texte est paru dans le les cahiers du MNAM57 en 96 avant d’être réédité dans son recueil de texte « sur le livre d’artiste »58 Ce double numéro des cahiers dédié au catalogue est d’ailleurs le seul ouvrage que j’ai pu trouver jusqu'à présent sur cette question. HR : Oui et il date un peu… depuis le problème s’est encore amplifié. Cette étude est peut être arrivée trop tôt, ils avaient conscience que quelque chose se passait, mais aujourd’hui il y aurait besoin que quelqu’un s’empare du sujet et en fasse une étude un peu poussée. C’est d’ailleurs, je crois, la seule source que j’ai trouvée pour écrire le texte d’Alain Farfall à propos des catalogues hybrides dans le livre « Donnant-‐donnant »59. CB : À propos d’Alain Farfall, c’est drôle car je ne me suis rendu compte qu’après coup de la supercherie. J’ai découvert ton travail en même temps que je débutais mes recherches sur le catalogue d’artiste. Et c’est en retournant voir des ouvrages lus il y a plusieurs mois que je me suis rendue compte que Farfall n’était pas un critique comme les autres… (Rire) HR : C’est un grand hommage que tu fais à Farfall en tombant dans le piège, c’est ce que je cherche à faire, que les choses puissent apparaître d’une façon pour ensuite les reprendre pour une seconde lecture. CB : Moi, cela me fait beaucoup rire, j’aime plutôt l’idée… mais je me demande si cela n’énerve pas certaines personnes, n’y a-‐t-‐il pas de mauvaises réactions ? 56 Hubert Renard fait référence au texte intitulé du catalogue comme œuvre d’art. 57 Du catalogue, Cahiers du MNAM, n° 56-‐57, Paris, 1996
58 Anne Moeglin-‐Delcroix, Sur le livre d'artiste, Articles et écrits de circonstances, 1981-‐2005, Le mot
et le reste, 2006
59 Jean-‐Louis Chapuis, donnant donnant, éditions rapports d’activité, décembre 2008
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HR : Les personnes qui réagissent bien à la supercherie sont rares! Le plus souvent cela énerve car cela met en défaut leur savoir. Se rendre compte qu’on y a cru, qu’on s’est fait avoir, c’est quelque chose qui irrite ! Mais on s’est fait avoir pourquoi ? Parce que le nom de Farfall est une invention ? Beaucoup d’auteurs écrivent sous un nom d’emprunt ! Cela ne gêne personne! Parce que Farfall ne serait pas un théoricien mais un artiste ? Combien d’artistes sont de très grands théoriciens? Pourquoi on se serait fait avoir ? Parce que je dis ouvertement que les textes de Farfall sont un jeu littéraire de collage ? Mais tous les universitaires, tous, n’écrivent que comme ça, à part peut être quelques philosophes, et encore..! Enfin ce n’est pas une honte, je trouve cela normal, il n’y a pas de pensée ex nihilo, comme il n’y a pas de création ex nihilo! CB : Cela me fait penser à l’histoire de Jean-‐Yves Jouannais avec son Félicien Marboeuf. Une journaliste dont j’ai oublié le nom était horrifiée de s’être fait avoir par cette fiction d’écrivain, alors qu’elle s’était engagée en écrivant des choses à son sujet… HB : Oui quand tu travailles sur la fiction tu apprends très vite qu’il y a des gens qui ne supportent pas de s’être trompés dans leur jugement, qui ne supportent pas l’impression d’avoir été trompés… Beaucoup de gens réagissent très mal… CB : Et bien moi je trouve cela drôle ! J’ai peut être un humour bizarre. Je découvre avec mes recherches que l’art conceptuel m’amuse… Jusque là, je ne m’y étais que très peu intéressée, j’étais pleine de préjugés et m’étais arrêtée à cette notion de concept qui pour moi était une barrière. Je découvre maintenant, notamment avec les publications de Siegelaub, un univers tout à fait passionnant ! HR : L’art minimal d’abord puis l’art conceptuel ont tellement été mal vécus par le monde de l’art « non conceptuel » on va dire, qu’ils ont été taxés d’intellectuels dans les années 70/80. Il y a encore un grand nombre de gens qui ne peuvent pas aborder cet art. Alors que pour moi c’est un art extrêmement poétique et souvent drôle (il y a bien sûr des choses mieux et moins bien). C’est aussi terriblement plastique contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, même si ce n’est pas toujours ce que ces artistes voulaient faire car ils cherchaient à dématérialiser l’œuvre au maximum, mais quand tu regardes ce qu’ils ont fait et ce qu’il en reste, c’est plastique ! Ces œuvres ont une existence physique qui est souvent très belle, très esthétique ! Je suis très, très sensible à ça, mais pas pour les bonnes raisons, moi j’aime la forme, j’aime la poésie, j’en aime l’humour…
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CB : Oui. Ce qui me semble également intéressant, ce sont leurs catalogues, particulièrement ceux de Siegelaub parce qu’ils proposent des modes de diffusion alternatifs à ceux des galeries et grandes institutions… HR : L’exposition est devenue un tel carcan conventionnel que le moindre accro est immédiatement repéré et interprété. L’exposition me semble totalement hors de notre époque, on s’accroche à un mode de fonctionnement plein de conventions … Je préfère le livre. Le livre aussi est un lieu bourré de conventions, d’une histoire, d’une tradition de lecture… sauf qu’il n’est pas l’objet de toutes les attentions du monde de l’art. Ce qui attire l’attention c’est ce white cube, ce sont ces expositions, dans leur forme même plus que par les objets qu’elles sont censées présenter. Et plus que les expositions elles-‐mêmes ce qui compte ce sont leurs inscriptions dans le monde : carton d’invitation, prestige du lieu d’expo, articles de presse,… On se retrouve dans un système qui est juste de la production culturelle comme une autre, cela produit du bruit, ça fait travailler du monde… L’art critique des années 70 a eu un effet indésirable : rendre le lieu d’exposition plus important qu’il ne devrait. J’aime mieux montrer mon travail dans une salle propre que dans une salle sale, mais bon, une salle sale peu faire l’affaire aussi. Et j’aime mieux avoir une grande expo qu’une petite…, quoi que non, une petite expo c’est très bien aussi. En plus j’aime mieux ne pas avoir d’expo du tout mais parfois on y est obligé. CB : Justement, à propos de ces expositions, celles d’Hubert Renard, enfin des Hubert Renard… HR : On en fait tous les deux c’est le problème… (Rires) CB : Voilà (Rires)! J’ai des difficultés à savoir, au vu du CV disponible sur internet, qui a fait quoi !? Alors il y a certaines expositions pour lesquelles c’est évident, mais ma question est à propos de toi pas l’artiste mais l’autre. En quoi consistent tes expositions ? Que montres-‐tu? HR : Pas L’artiste de fiction ? L’artiste du réel ? CB : Oui HR : Et bien moi je ne montre que des documents. Je me mets un peu à exister en dehors de lui, l’autre me fatigue par moment ! Quand je fais une exposition où je montre mon travail de fiction, c’est-‐à-‐dire le travail de l’autre Hubert Renard, comme 78
ce qu’il produit n’existe pas, je ne montre que des archives, cela en prend toutes les formes possibles : des vitrines avec des documents, des projections, diaporamas, vidéos, tout ce qui est de l’ordre de la documentation. Ce ne sont jamais les objets qu’il a produits. Je ne veux pas les fabriquer à l’échelle réelle puisque ce travail de fiction est un travail de miniature. Cela a existé à un moment, au travers de maquettes, mais elles sont détruites. En fait je fais les expositions que je déteste visiter. Je déteste les expos documentaires, je trouve cela rébarbatif ! Mes expos sont donc les catalogues d’Hubert Renard sous vitrine… Les livres sous vitrine c’est d’une tristesse ! Je comprends bien qu’il y ait des livres précieux, rares… qu’on ne peut mettre dans les mains du public. Le public est forcement quelque chose qui détruit. Pourquoi faire des expos dans des musées quand on sait que le public vient détruire les œuvres d’art ? Le musée peut être un lieu qui conserve, mais si il est un lieu qui diffuse, chaque exposition est un risque majeur pour l’œuvre, du coup on met sous vitre, on installe des mises à distance pour empêcher d’approcher… On dit « venez voir mais pas de trop près, vous êtes un danger !» Alors qu’avec les reproductions il n’y a pas de risques car si on les abîme il y en a toujours d’autres… CB : C’est pour ça que je fais et aime faire des montages d’expositions. C’est le seul moment où l’on a le droit de toucher les œuvres et pour moi l’art devient vraiment intéressant quand on peut le toucher… A propos du catalogue, revenons-‐en à notre sujet, j’ai souvent le sentiment qu’il y a aussi quelque chose de l’ordre du recyclage. L’expo est éphémère, comment lui garantir une certaine pérennité? HR : Il y a certainement un effet de recyclage, de documentation. Non, pas véritablement une documentation, ce serait plutôt une sorte de prolongation. Le catalogue est, je pense, surtout un effet de culture : aujourd’hui on considère qu’il n’y a pas d’exposition sérieuse sans catalogue. Le catalogue est une sorte de légitimation de l’exposition. Il peut y avoir n’importe quoi dedans on s’en moque mais si il n’y a pas de catalogue, l’expo n’est pas sérieuse. Le catalogue d’artiste pourrait être du coup, si tant est que ce genre existe, une sorte de sur-‐légitimation, mais dans le sens ou l’institution est suffisamment prestigieuse (légitime) pour proposer autre chose que le catalogue standard. On fait un catalogue d’artiste, c’est à dire on abandonne son droit d’éditeur sur le catalogue pour l’offrir à l’artiste qui en fera ce qu’il voudra. C’est souvent une façon de dire « regardez comme on est moderne, regardez comme on transgresse les règles ! ». Le genre est tellement devenu à la mode qu’il y a de vrais catalogues d’expo qui se déguisent en livres d’artistes, ce qui donne les objets hybrides dont on parlait au début. CB : Avec par exemple les livres d’images, livres d’artistes du type de ceux d’Ed Ruscha (Twenty six gazoline stations), qui proposent une succession d’images sans aucune légendes ni commentaires… à mi-‐chemin entre deux genres. Aujourd’hui beaucoup d’artistes utilisent cette forme pour leurs catalogues qui deviennent une suite d’images sans aucune information si ce n’est dans le colophon à la fin de
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l’ouvrage qui précise généralement le lieu de l’exposition auquel le catalogue se réfère. Est ce que ce sont des livres d’artistes ? Est ce que ce sont des catalogues ? À partir du moment où dans ces ouvrages, même si l’institution reste en retrait, il reste la marque de la collaboration avec un livre estampillé d’un ou plusieurs logos, avec la précision que l’on doit se référer à un évènement,… l’artiste n’est donc plus complètement autonome, on est plus dans les autoproductions décrites par Anne Moeglin-‐Delcroix… HR : Je suis complètement d’accord avec toi, et on en trouve beaucoup d’exemples… Francine, elle, va les ranger dans la catégorie des livres d’artistes, à mon avis pas totalement à tort sauf que ce sont des livres d’artistes qui me semblent moins intéressants dans la mesure où ils sont encore les rebus d’une exposition. CB : Et il me semble qu’en tant que « catalogues d’exposition » ils ne sont pas très intéressants non plus, dans la mesure où ils ne remplissent plus leur rôle! HR : Dans la production d’Hubert Renard cela serait le « Stille Gesten » édité chez Incertains Sens. C’est exactement ce que j’ai voulu faire avec ce livre : j’ai imaginé l’expo d’Hubert Renard et j’ai fait de son catalogue ce qu’on appelle un catalogue d’artiste. Pour cela c’était très simple… je me suis dis : « prends tout ce qu’il y a dans l’expo, mets-‐le en pages et enlève tous les commentaires, pas de textes, aucune explication, rien ! » Il n’y a dans le catalogue que des images. Dans l’expo d’HR ce sont des photos et des sculptures, ces dernières sont traduites dans le catalogue par des dessins axonométriques. On pourrait les découper et fabriquer les sculptures en papier ! Elles sont d’ailleurs exactement aux dimensions de leur réalisation en maquette. Pour moi ce livre c’est n’importe quoi (même si je l’adore!), je me suis amusé… J’ai étudié un peu ce type de catalogues, c’est un tic de l’art contemporain, et en même temps il y a quelque chose d’intéressant. À partir du moment où j’enlève la légende d’une image, je la rends énigmatique, je lui donne une sorte d’autonomie. Il y a quelque chose de magique et d’extrêmement dérangeant. Avec ce livre cela fonctionne, les gens le feuillètent et ne savent pas trop ce que c’est… ils se disent, si c’est un catalogue on ne comprend pas, il n’y a pas d’explications, si c’est un livre d’artiste on ne voit pas très bien non plus de quoi il s’agit. CB : Quand je l’ai consulté la première fois je suis effectivement restée perplexe. Je me suis demandé à quoi correspondait le mobilier, à quoi correspondaient ces dessins et les photos. On sent qu’il y a un rapport avec un lieu mais il est difficile de déterminer lequel. HR : Hubert Renard a créé du mobilier pour son expo... Cela a un sens dans le contexte du musée mais ce n’est pas pareil de mettre une chaise dans une salle d’expo que dans un catalogue, dans le catalogue ça perd tout son sens…
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CB : « Stille Gestsen » est je crois le premier catalogue d’exposition d’Hubert Renard que j’ai regardé. Je n’étais pas encore très au fait du travail, je ne savais pas encore qui faisait quoi. En l’étudiant je me suis posé un tas de questions presque naïves : Qu’est ce qui était exposé ? Quelles sont les œuvres ? Les photos du catalogue sont-‐elles des œuvres photographiques? Les dessins de mobilier sont ils des dessins ou du vrai mobilier ? … -‐ Finalement, c’est assez énervant, on se demande si Hubert Renard ne se moque pas de nous !-‐ Avec ce catalogue on a vraiment aucun repère ! Et même dans le cas où ce serait un livre d’images on se demande aussi quel en est le but… Les photographies sont très belles mais les plans de meubles que viennent ils y faire ? Quel est le rapport avec les vues de salles d’exposition vides ? HR : J’aime beaucoup ta lecture... En fait j’ai commencé à faire des livres, mes catalogues d’expositions fictives, sans connaître le domaine du livre d’artiste. Ce livre est venu peu de temps après avoir rencontré Anne Moeglin-‐Delcroix. Je ne connaissais pas son travail, on a eu un RDV et elle m’a parlé du livre d’artiste. Cela m’a amené à repenser entièrement mon travail au travers du livre d’artiste. On m’aurait parlé de catalogue, j’aurais dit oui je fais des catalogues mais des livres d’artistes ? Je n’avais pas vu cela sous cet angle… CB : Sont-‐ils des livres d’artistes déguisés en catalogues ? HR : Oui ! Mon travail, conçu pour apparaître sous la forme d’un livre, en l’occurrence un faux catalogue d’exposition, entre évidemment dans cette catégorie du livre d’artiste tel qu’il est décrit par Anne Moeglin-‐Delcroix. D’un autre côté, la question du statut bibliographique de mes livres (livre d’artiste ou catalogue), n’est pas fondamentale. Je veux dire : elle n’a pas besoin d’être tranchée, puisque le jeu consiste justement à la poser…
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TABLE DES MATIERES REMERCIEMENTS
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INTRODUCTION
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« WHITE CUBE » VERSUS ESPACE DE LA PAGE : LE PLACE DU CATALOGUE 18 Catalogue-‐Reflet Catalogue-‐Extension 28 Catalogue-‐Exposition 36
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QUESTIONS DE LA DOCUMENTATION DE L’ART ET DE SA REPRODUCTION : LA PLACE DU CATALOGUE 43 « Appareillage médiologique » de l’œuvre d’art 44 Photographie d’exposition, reproduction photographique, des livres d’images 48 Fictions d’artiste, parodies et détournements du catalogue 53 CONCLUSION
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ANNEXES
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Une définition du catalogue, d’après Eric Duyckaerts Discussion avec Hubert Renard
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TABLE DES MATIERE
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BIBLIOGRAPHIE
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BIBLIOGRAPHIE (sélection) Catalogues et livres d’artiste. Alain Farfall, Des Illusions, ou l’invention de l’art, Rennes, Éditions Incertain Sens, 2008 CAPC Musée d'art contemporain, Feux pâles : une pièce à conviction, Bordeaux, du 7 déc. 1990 au 3 mars 1991 / [exposition réalisée avec le concours de l'agence ″Les ready-‐made appartiennent à tout le monde″], CAPC Musée d'art contemporain, 1990 Claude Rutault, Autour du non peint ou le soleil ne fait pas le beau temps mais y contribue, Archives librairie, Paris, 1991 Gilles Saussier, Le tableau de chasse, Le point du jour, Cherbourg-‐Octeville, 2010 Hubert Renard, Catalogue, 1986, Galerie M. [et] M…, Montréal, [Paris : H. Renard, 1994] Hubert Renard, Une Monographie, Montrouge : Burozoïque, 2009 Hubert Renard, Centre Limousin d’art et de culture, 8 fév.12 mars 1984, [Paris : H. Renard, 1993] Hubert Renard, Stille Gesten, Incertain Sens, [Rennes ,2001]
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Museum Boymans-‐van Beuningen, Richard Prince, girlfriends, Rotterdam, 3.10-‐28.11 1993
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Des livres d'artistes : des destinations : 1990-‐1996, Ecole d'art de Grenoble, 1997 Ed Ruscha, Huit textes vingt-‐trois entretiens 1965-‐2009, trad. Fabienne Durand-‐ Bogaert, JRP Ringier, Letzigraben ; La Maison Rouge, fondation Antoine de Galbert, Paris, 2010 Francine Delaigle, Guide de Catalogage. Les catalogues d’expositions. Documentation du musée national d’art moderne, Centre George Pompidou, Paris, 1991 Harald Szeemann, Méthodologie individuelle, JRP Ringier Kunstverlag AG ; Le Magasin, Centre National d’Art Contemporain de Grenoble, 2007 Jean-‐Marc Poinsot, Quand l’œuvre a lieu – L’art exposé et ses récits autorisés (nouvelle édition revue et augmentée), collection MAMCO, Les Presses du Réel, Rennes, 2008 L’art peut-‐il se passer de commentaire(s) ?, MAC/VAL, 2006 Leszek Brogowski, Editer l’art : le livre d'artiste et l'histoire du livre, éditions de la Transparence, Chatou, 2010
Revues Du catalogue, les cahiers du musée national d’art moderne, n°56-‐57, 1996 Rosa Barba, Printed Cinema, broadcasting from home, Argos ed. Brussels, 2004-‐2008 2.0.1: revue de recherche sur l'art du XIXème au XXIème siècle / comité de rédaction : Marianne Bordreau, Jérôme Dupeyrat, Léo Guy-‐Denarcy, Camille PageardRennes Association 2.0.1 : Université de Rennes, 2008-‐2011
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