Mémoire de PFE, vol. 1

Page 1



FLORA INDUSTRIA

Mémoire du Projet de fin d’étude Victor Donnart



Design Process La 4ème dimension ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE NANTES

2019

Enseignants Françoise Coulon (Coordinatrice) Benjamin Avignon



Remerciements Je voudrais remercier l’ensemble des personnes qui m’ont encouragé pendant ce travail et épaulé pendant toutes ces semaines. Je voudrais aussi remercier mes parents pour leur soutien aiguillé ainsi que ma mère pour ses talents de corrections, François pour son aide acharnée, Mathilde pour le réconfort et la force qu’elle m’apporte et enfin Corentin et Stan pour leurs cadeaux respectifs. Je remercie aussi Françoise Coulon et Benjamin Avignon pour leur accompagnement et leur enseignement avisé ainsi que l’ensemble des étudiants de l’option pour cette ambiance bienveillante tout au long du semestre. 5


Sommaire L’organisation d’un projet

6


Attraction Originelle

10

Poursuite du Questionnement

16

20 Espace Public 25 Un espace en agonie 27 Une appropriation évincée Le banc, Objet emblématique de la ville

32

Greffes urbaines, la reconquête naturelle Le retour à la nature Récupération

36

39 40

L’importance du faire, un apprentissage manuel

44

50 La recherche de partenaires Un désordre instructif, la création d’un imaginaire propre

52

Projet Prémices, la naissance du projet 54

the Squa(t)re

62 72

Amorphe Prototype n°1 Prototype n°2 Prototype n°3 Prototype n°4

102

Conclusion

112

Bibliographie

114

Focal


Attraction Originelle

8


Ce

mémoire tente de retranscrire l’exploration à corps perdu d’une expérience, celle d’un « projet de fin d’études », celle de l’apprentissage d’une démarche. Cette démarche tire sa source de l’option Design Process qui vise à entreprendre un véritable bouleversement de nos habitudes de conception. Elle nous pousse à engager une manière d’entreprendre nos projets différemment, axée sur le travail de la quatrième dimension : le temps. Nous sommes aussi constamment ré-interrogés dans notre pratique, nous poussant à déconstruire et reconstruire nos travaux. Une phrase a marqué les débuts de ma réflexion : « Explorer le quotidien métropolitain », remettre en question un rythme qui s’inscrit dans l’ensemble de nos vies. Tout projet porte en son sein une « prise », un désir personnel d’accomplissement. Le mien a d’abord été d’apprendre par le faire, d’expérimenter de mes mains et d’envisager par la recherche et la fabrication des formes et des utilités. Fabriquer des objets et structures qui répondent à l’échelle humaine, me permettant de constamment les manipuler, les déplacer et les retourner. À l’ensemble de cette recherche vient s’additionner une appréhension de la découverte mais aussi de la perdition. La peur de ne plus savoir dans quel sens nous allons, comme si notre projet ne nous appartenait plus et 9


prenait le pas sur notre réflexion. C’est pour ça qu’il est important de se repositionner constamment comme créateur et de reprendre le contrôle de ses idées. Le projet de fin d’étude est l’élaboration d’un travail montrant les capacités d’analyse, de conception et de production auxquelles l’étudiant est arrivé. L’option Design Process nous donnant une liberté totale de projet, le premier travail a été de se concentrer sur une voie, une première direction à prendre. Le sujet étant le processus de conception luimême, l’important a été de ne rien laisser de côté et de donner de l’importance aux différents ratés et explorations de la démarche engagée. J’ai donc fait le choix de commencer ce semestre par une première exploration des alentours de l’école d’architecture. J’ai pris mon longboard, et j’ai entrepris un essai de perdition, de déambulation à l’image des situationnistes*, dans les rues qui forment mon quotidien. Les déambulations situationnistes tissent un lien avec les flâneries de Baudelaire, qui voulait découvrir les rues et parcs parisiens sous l’oeil innocent de l’inconscience. Les situationnistes, eux, s’imposaient différents protocoles de déambulation qui leur permettaient de ne pas entreprendre une expédition raisonnée et subjective. Le parcours d’un skateur dans la ville est lui assez contraint par les différentes compositions des sols. J’ai décidé de prendre cette contrainte comme protocole de ma déambulation et de parcourir le centre-ville nantais en me laissant guider par la praticabilité des trottoirs. Je me suis ensuite perdu dans mon quotidien à la recherche d’inspiration. Mon regard s’est très vite concentré sur certaines parties de la ville, des endroits dans lesquels je voyais des interventions éclore. J’ai décidé d’accompagner cette déambulation d’un reportage photographique où j’essayais de voir chaque endroit qui pouvait m’intéresser pour développer un projet. Suite à cette première déambulation et donc cette première confrontation au terrain, j’ai décidé de faire un premier tri qui me permet de découvrir des premières pistes, des premières ressemblances ou des problématiques communes à ces *L’IS (internationale situationniste) est un mouvement se créant à la suite de mai 68, constitué de Guy Debord et d’autres intellectuelles, proposant des solutions et des interrogations remettant en cause l’instauration d’une quotidienneté maladive et une exacerbation des politiques autoritaires. Ils vantent la déambulation comme expérience sensorielle permettant de se rendre compte des maux de notre société.

10


Parcours de ma dĂŠambulation dans la ville, Un tour de skate Juin 2019


endroits. J’ai ensuite décidé de prendre des calques et dessiner des formes qui reprennent les tracés alentours et répondent au quartier. Des installations qui viennent aussi proposer autre chose, d’autres programmes qui n’existent pas dans la rue. Par ce premier exercice j’ai essayé de concrétiser cette envie de bousculer mes parcours quotidiens et d’essayer d’imaginer des structures nouvelles, qui ne figurent pas encore dans l’espace public. Cet exercice m’a permis de le critiquer et finalement de me rendre compte quelle direction je voulais prendre et les erreurs que je ne devais pas faire. Ne rien proposer de gratuit, et ne pas rentrer la tête la première dans des stéréotypes. Les espaces publics que je parcourais demandaient une attention plus subtile aux enjeux singuliers de chaque espace. Ce mémoire raconte l’histoire de deux projets, étroitement liés, développés dans l’option Design Process. Le premier questionne la notion de « mobilier urbain » : présent en nombre dans l’espace public, son mode de fabrication industriel et en série oublie la diversité des corps, des postures... Le deuxième explore le macro grâce à un outil micro : l’observation de l’infiniment petit comme révélateur de pratiques urbaines et citadines plus « grandes ». Ces deux projets se rejoignent autour d’un seul et même but, questionner l’espace public.

12


13


La poursuite du questionnement

14


Nos parcours quotidiens sont marqués par un espace, l’espace

public. Il est un endroit de transition, celui par lequel les flux se font, mais au-delà de ça, nous ne connaissons que très peu son histoire. Les prémices de l’espace public émergent chez les Grecs, où un mouvement intellectuel cherche à repenser la vie sociale et à la remodeler selon certaines inspirations égalitaires. S’érigeant en espace accueillant les citoyens athéniens pour leur permettre de se rencontrer et de dialoguer, il est le lieu ouvert qui permet de parler des affaires publiques, par opposition au domaine privé, familial qui est lui, complément fermé. Il s’érige en tant que lieu de la parole, autour duquel différentes sphères politiques vont se raccrocher. « Là où s’exprime la liberté, des hommes ont quitté l’espace domestique, se sont risqués hors du confort de leurs maisons pour entrer dans l’espace public – le courage étant une vertu cardinale en politique –, lieu destiné à la fois aux « grandes paroles mais aussi aux grandes actions » (Arendt, 1995), c’est-àdire où il n’existe pas une séparation effective entre la parole et l’action » C’est au travers de ces institutions que l’espace public grec va prendre toute son importance. Bien au-delà de l’agora et dans tous 15


les marchés va naître une parole politique (à son sens le plus large, ce qui est relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir dans une société organisée). Mais au fur et à mesure du temps, l’espace public se scinde entre discours politiques et guerriers dans l’agora et discours de moeurs, de quotidien et de croyance dans le reste de la cité. Notre espace public actuel est tributaire de cette configuration politique grecque et de cette fracture entre politique extérieure et discours intérieur. Un groupe poussant la glorification de la ville à l’extérieur et une certaine forme de conquête pendant que les citadins parlent de ce qui se passe dans leur vie et leur ville. Espace \ɛs.pas\ masculin _ Du latin spatium (« stade, champ de course, arène, étendue, durée »). - Étendue indéfinie. - Étendue limitée et ordinairement superficielle. - Endroit. Public \py.blik\ masculin _ Du latin publicus (« qui concerne l’État, qui intéresse le public ») ; pour le nom, du latin publicum (« intérêt public ») tous deux dérivant - avec l’ajout du suffixe adjectival icus - de poplicus issu de populus (« peuple ») avec l’influence, par proximité phonétique et sémantique, de pubes (« adulte »). - Qui appartient au peuple dans son entier. - Qui appartient à l’État, étatique. - Qui est commun ; à l’usage de tous. - Qui est manifeste, su, connu de tout le monde. - Ce qui a lieu en présence de tout le monde. Nous sommes assez vite fixés sur la signification du mot espace, comme étendue, peut-être indéfinie ou limitée mais en tout cas une étendue, un endroit, un lieu, une terre, etc… C’est la deuxième partie qui donne le doute car la notion de propriété entre en jeu. Appartient au peuple ? Appartient à l’État ? Ou n’appartenant à personne mais à l’usage de tout le monde ?

16


Photographie de l’espace public, Passage du tramway sur le cour des 50 otages Avril 2019


Espace public Le résiduel, l’abandon, le délaissé « C’est ce qu’il reste de l’espace public »*

*Patrick Bouchain, l’architecture comme relation, Citation marquée dans un de ses carnets

18


L ’espace

public est un espace, qui par ses propriétés, accessibilité et gratuité, devrait apporter des valeurs de partage, de relation, d’échange et de liberté. Il est difficile à définir car très complexe et rassemble une diversité d’activités qui ne se retrouve nulle part ailleurs. Il est seul lieu de passage pour certains, espace de travail ou dortoir pour d’autres. Nous le fréquentons tous car il est obligatoire mais sa frontière est assez vague et nous ne savons pas réellement où il s’arrête. Ses limites sont floues ce qui ajoute au côté énigmatique de cette étendue. Nicolas Hossard et Magdalena Jarvin le décrivent d’une façon explicite et pragmatique : « l’espace à l’usage de tous » et « fréquentable par l’ensemble de la population ». La ville de Nantes décrit ses espaces publics ainsi : « Espace non bâti, bien commun, où s’exercent diverses fonctions nécessaires à la vie urbaine. De l’agora grecque à nos espaces publics contemporains, le lieu civique disparaît de plus en plus au profit de l’espace fonctionnel plus ou moins paysager et aménagé selon des usages définis : déambulation, promenade, déplacement, repos, convivialité, récréation, respiration, représentation, information, histoire, consommation (marché, étals, terrasses…)… ». 19


Photographie d’une personne âgée sur l’espace public, L’absence de mobilier pousse les citadins à improviser des assises Juin 2019


Nous pouvons nous questionner sur la part de public de cet espace qui est laissé comme libre mais avec conditions. Il est extrêmement complexe et regorge de nombre des problématiques actuelles comme la place des sans domicile fixe et des migrants, exclus de notre processus sociétal, ou encore la ségrégation des LGBT et l’exclusion des femmes. Cet espace, infiniment vaste, captive les foules. Il est le lieu de tous les combats, de tous les messages mais aussi de tous les maux. Le rôle et l’importance de l’élément « espace public » dans la ville est considéré comme croissant, il est la figure de proue de l’intervention des administrations municipales et gouvernementales dans la ville. Le concept même d’espace public a été glorifié en tant qu’un des ingrédients principaux des discours politiques avec des expressions qui ressortent fréquemment (travaux de réhabilitation, « Métamorphose de la ville »*, re-qualification des espaces, sécurisation de la ville) autant de termes et de tournures de phrases qui permettent à la ville de communiquer à travers cet espace. L’espace public est-il le miroir des travers de notre société ? La relégation pour certains, la sectorisation pour d’autres, le bien commun mais finalement le bien pour certains . Le bien commun est une autre notion cultivée par les politiques urbaines, qui brandissent cette pensée comme axe de politique, sous couvert de créer des choses pour « tout le monde ». Or nous savons qu’essayer de créer un dictat, une normativité dans notre société rime souvent avec échec. Ne conviendrait-il pas alors de percevoir dans ce foisonnement des discours sur le politique, les symptômes d’un espace public défiguré, à travers des discours nous vantant constamment le renouveau de la ville ? La ville a-telle autant besoin de renouveau et de changement majeurs ? Nous revenons alors à un questionnement clair : de problème entre volonté théorique et idéologique ou réelle intentionnalité d’amélioration de cet espace. Selon Manuel Delgado, l’espace public contemporain se trouve à

*Expression utilisé à plusieurs reprises par Johanna Rolland sur le site de la ville de Nantes, sur les modifications futures de la ville. Expression qui est reprise par la majorité de la presse pour nommer les transformations de la ville 21


Position des mobiliers urbains dans le centre ville de Nantes, Une absence remarquĂŠe Juin 2019


mi-chemin entre idéologie de la domination et utopie de la classe moyenne universelle : ...du mobilier urbain, des relations pacifiées sous l’œil des caméras et des villes édulcorées censées appartenir à tous, c’est-à-dire, à personne. Cette dernière phrase montre une incompréhension révélatrice de la qualification de cet espace (appartenant à tous donc à personne). Par un manque de personnalisation, l’espace public devient le lieu de la masse et de l’uniformisation, il devient un no man’s land où les langages singuliers sont exclus ou alors encadrés. La seule question à poser ne serait-elle pas celle de notre mainmise sur cet espace, comment réussir à se le ré-approprier et lui faire quitter la simple sphère politique pour renouer une vraie relation avec celui-ci.

Un espace en agonie Les villes contemporaines sont frappées par un ensemble de dynamiques qui modifient et accentuent ses évolutions (Ségrégation, Exclusion, fragmentation, privatisation). Cet espace accessible à tous est soumis à des règles d’anonymat, d’inattention et même de négligence, que nous opérons dans notre quotidien, mais aussi à certaines règles d’appropriation que le passant fait siennes par des pratiques sociales et spatiales. Mais ces appropriations restent très faibles et sont extrêmement limitées par les réglementations de notre société. Les étals de marché disparaissent, les places deviennent de grandes esplanades vides, le mobilier urbain se raréfie, la publicité devient affaire commune et malgré la diminution de son emprise ces dernières décennies, la voiture reste l’élément le plus dépensier d’espace. Cet espace peut aussi être caractérisé comme le centre de la scène, il est l’endroit où tout se voit, la crise migratoire, les manifestations mais aussi les jours fériés, les vacances scolaires ou les soldes. Il est espace de liberté donc espace de revendication où le droit de manifestation, même si mis à mal ces derniers mois, reste une des valeurs fondamentales. Mais les politiques urbaines ont besoin de cet 23


Photographie de dispositifs anti-sdf Ă Nantes, Sur mon chemin quotidien Mai 2019


espace comme scène principale d’un jeu de théâtre entre les différentes villes, essayant à tout prix de reléguer la misère, l’assommant à coups de projets de métamorphoses urbaines. Ce jeu surpasse bien d’autre problématiques auxquelles la ville ne s’attaque pas et préfère faire l’impasse. La sphère privée de nos villes représente un acteur aussi important que la ville et interfère énormément avec notre espace public, les terrasses de bar l’envahissent et se l’approprient quand les banques et les seuils d’immeuble s’en protègent. Les installations anti-sdf, anciennement réservées aux banques, se démocratisent dans le développement et la réhabilitation des espaces publics. La fondation Abbé Pierre a même organisé un concours, « Les Pics d’ors » récompensant les pires dispositifs anti-sdf en France. L’espace public est aujourd’hui l’écran d’une société ancrée dans une crise multidimensionnelle, à la fois démocratique, économique, écologique et sociétale où il faut arriver à retrouver une légitimité d’intervention et d’appropriation.

Une appropriation évincée Lors de la manifestation XVI des gilets jaunes, des habitants de la ZAD de Notre Dame des Landes sont venus planter un potager sur des espaces de pelouse du centre-ville ; ils ont essayé, avec ce type d’appropriation, de rendre un endroit stérile, vivant. Le lendemain matin à 8h45, les employés de la mairie étaient au pied de guerre pour déplanter tout ce qui l’avait été. Cette tentative d’appropriation visant à détourner à des fins propres l’usage prescrit de cet espace public, notamment en lui donnant un autre sens, tourne à la faillite. On remarque alors à quel point l’espace public doit être représentatif d’une certaine politique de la ville, et montrer sur cette simple appropriation une violence et un contrôle infaillible. Cette dynamique d’appropriation ou de détournement rejoint alors une autre opposition, celle entre un espace public normatif (image politique de la ville), mais aussi transgressé et subverti (manifestation), à la fois un espace de l’ordre établi et celui de sa contestation. Plusieurs exemples assez communs montrent cet échec de dialogue : des conflits d’usages opposent ainsi skaters et promeneurs, ou encore 25


Photographie pendant le mouvement «Nuit Debout», Affiche installée sur la statue, place de la république, par Antipub Mai 2016

« Aujourd’hui n’est plus le moment de s’indigner seul dans son coin, mais d’agir tous ensemble. Nous, les 99 %, nous avons la capacité d’agir et de repousser définitivement les 1 % et leur monde, pour les déloger de nos villes, de nos lieux de travail, de nos vies. » Militante durant la nuit du 6 mai 2016, appelant à une GlobalDebout


SDF et forces de l’ordre, piétons et automobilistes, fêtards et riverains, etc… « La sociologie parle d’espace public de façon métaphorique, comme la scène des regards ou le lieu d’où l’on parle, la réflexion architecturale pense l’espace comme rapport entre les éléments du bâti, l’urbanisme y voit les aménagements urbains favorisant interactions ou évitements dans la ville. L’action politique reprend à son compte la pensée urbanistique en impulsant les projets d’aménagement, dans le cadre notamment de la politique de la ville ; la parole politique la confond avec la surface de médiatisation. Pour le géographe, c’est la dimension du commun qui prime »* La question d’appropriation supplante celle de propriété, mais, dans un espace défini comme commun à tous les citoyens, où sont rendus ses droits et sa dignité ? L’article 27 de la déclaration universelle des droits de l’homme souligne le droit de chaque personne de notre société à prendre part à la vie culturelle de la communauté et en jouir librement. N’y aurait-il pas, dans cette zone décrite comme simple espace, le réel enjeu de la re-qualifier comme un lieu à part entière de l’appropriation citoyenne ? En faire le lieu de la rencontre plutôt que celui des flux incessants où la performance est à celui qui arrivera à éviter et esquiver le flux constant arrivant en face de lui. En ville, le citadin est constamment agressé par une multitude d’informations qui arrivent simultanément, il apprend donc à ne pas être réceptif à l’ensemble de ces informations et donc se détacher de son environnement. George Simmel dit que l’homme urbain modelé par la ville devient un citoyen rationnel qui évolue dans l’ordre et développe trois facultés lui permettant de survivre dans ce nouvel environnement : l’individualisation, l’intellectualisation et la rationalisation.

*Coline Merlo, « Qu’est ce que l’espace public ? », Dunkerque Opener, art et espace public, décembre 2014

27


Il y a ici aussi une vraie problématique de ré-enchanter le quotidien et de, peut-être par des actions assez simples et singulières, venir perturber le flux en construisant. Intervenir à contre-courant et ne peut être pas proposer des mobiliers qui viennent proposer quelque chose mais au contraire de l’intervention quasi inutile, qui vient simplement questionner le flux. Par la forme, par le son, par la lumière éveiller nos sens, nous rendre compte de ce qu’il se passe autour de nous, c’est la tentative de venir perturber l’urbain. À l’image des graffeurs ou taggeurs venant agrémenter l’espace public de leurs fresques, nous devons utiliser notre savoir faire pour l’émerveiller à notre façon. Selon le code pénal, tout ce qui arrête et dévie les flux devient suspect de « trouble à l’ordre public ». C’est évidemment une démarche de venir détourner à des fins propres l’usage prescrit de cet espace public mais en le forçant bien plus insidieusement, notamment en donnant un autre sens et une autre image. Section 1 : Des destructions, dégradations et détériorations ne présentant pas de danger pour les personnes Article 322-1 La destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger. Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général lorsqu’il n’en est résulté qu’un dommage léger. Article 322-2 L’infraction définie au premier alinéa de l’article 322-1 est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende et celle définie au deuxième alinéa du même article 28


Photographie de l’espace public nantais, Sur mon chemin quotidien, des citadins à la recherche de nature Mai 2019


de 7 500 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général, lorsque le bien détruit, dégradé ou détérioré est : 1° (Abrogé) ; 2° Un registre, une minute ou un acte original de l’autorité publique. L’espace qui nous est communiqué comme un espace de respect et de partage est aujourd’hui devenu un espace de contraintes où tout ce qui n’est pas explicitement autorisé tend à être totalement interdit. À Paris et dans d’autres villes de France, la liberté même de planter est restreinte sous l’égide d’un permis de végétaliser, tout ce qui n’est pas autorisé est interdit jusqu’à condamner des libertés qui devraient être fondamentales. Notre quotidien est aussi marqué dans l’actualité par une question sécuritaire, où la peur de l’autre pousse cet espace à devenir l’autel du moins disant, du moins gênant. L’espace à l’origine public, porteur d’une richesse tirée de sa fréquentation, devient stérile. Quelle serait ma chance d’arriver à proposer des éléments qui viennent perturber le terrain de jeu de notre quotidien ?

Le banc Objet emblématique de la ville Il faut complexifier la lecture qui est souvent trop frontale, très caricaturale, regrette ainsi Chris Blache. C’est pourquoi il faut vraiment travailler sur l’intersectionnalité. La construction de l’espace public moderne s’est concentrée autour de la circulation automobile comme artère de la ville. Nous avons donc développé des espaces adaptés à des vitesses de croisement importantes et non selon l’importance de la rencontre piétonne. Les politiques publiques nous énoncent des espaces basés sur le vivre ensemble et le développement de l’urbanité mais nous avons surtout des espaces dédiés à la circulation ou à la commercialisation de l’espace public. Consomme ou circule, c’est ce que nous propose l’espace public en ce moment. Bien sûr ce n’est pas aussi simple, il y a certes d’autres espaces, des parkings, des endroits où s’asseoir ou 30


encore des aires de jeux mais ces équipements se font trop rares, ils sont inexploités, inadaptés et ne répondent pas à l’actualité de nos villes. Le banc représente l’âme de l’espace public, un mobilier qui se concentre sur l’assise comme réponse aux besoins des citadins. Mais c’est aussi un indicateur, même un révélateur de beaucoup de mécanismes encore ancrés dans notre société et dans nos habitudes. Il ne propose pas d’espace d’installation du corps permettant le confort quel que soit l’âge, le genre ou encore la taille, et est donc un mobilier discriminant. Il est majoritairement dessiné selon une proportion, celle d’une personne d’1m75 (représentant la taille moyenne masculine) qui montre son manque d’adaptation au reste de la population, et le sexisme que représente ce mobilier. Ce mobilier est historiquement l’assise de la séduction et de l’intimité à cause de la proximité qu’il impose entre plusieurs individus, il évolue avec son époque et se simplifie, jusqu’à sa disparition totale dans nombre d’endroits. Il est à l’image de notre société et du reste de l’espace public, il s’appauvrit offrant toujours moins de liberté de disposition jusqu’à même aller à l’encontre de son utilisation première, être confortable pour pouvoir se reposer. Un banc, c’est gratuit, un banc, ça ouvre la porte à des rencontres, à des discussions, un banc, c’est le droit de s’asseoir dans l’espace public, sans forcément consommer, un banc, c’est un bras d’honneur à l’espace marchand * Les gens qui voient de travers pensent que les bancs verts Qu’on voit sur les trottoirs Sont faits pour les impotents ou les ventripotents Mais c’est une absurdité car à la vérité, ils sont là c’est notoire Pour accueillir quelque temps les amours débutants*

*« Non à l’ablation des bancs » d’Arnaud Bernard (2009) * Bancs publics, Georges Brassens

31


Ces bancs sont positionnées le long de la loire et permettent de s’asseoir et d’avoir une vue sur le fleuve. Ils ont une assise en bois massif et des pieds en métal, l’assise est droite sans dossier ni accoudoirs.

Photographie de l’espace public Nantais, Sur mon chemin quotidien, les espaces dédiés à l’assise Mai 2019


Les bancs du centre ville. Ils sont à la fois massif, en pierre, solide et contraigne par leur formes le corps. Les pieds sont rapprochés pour empêcher toute appropriation du dessous de l’assise.

Photographie de l’espace public Nantais, Sur mon chemin quotidien, les rares bancs du centre ville Mai 2019


Greffes Urbaines La reconquĂŞte naturelle

34


In wildness is the preservation of the world.* Greffe \ féminin (1080) De l’ancien français graife, greife, grafe, issu du latin graphium « stylet, poinçon ».

L’espace public étant un espace dit « malade », la notion

de greffe urbaine ou architecturale prend tout son sens. En botanique, la greffe est la transplantation d’un organisme sur un autre organisme afin d’obtenir un individu unique, qui possède de nouvelles caractéristiques. En médecine, c’est la transplantation d’un organe provenant d’un donneur dans le corps d’un receveur, c’est un organe sain qui vient en remplacement d’un organe malade. La notion de greffe insinue obligatoirement celle d’assemblage. En médecine et botanique les assemblages sont basés sur la couture qui permet aux deux formes organiques de se rattacher. Mais les assemblages sont avant tout spécifiques aux choix de matériaux. Ainsi certains procédés seront plus efficaces que d’autres. *Le salut du monde passe par l’état sauvage, Henry D. Thoreau, Walden, 1854

35


La greffe urbaine est donc l’action d’interagir avec l’environnement urbain en apportant des éléments qui permettent de modifier son fonctionnement, son organisation mais surtout les comportements. Mais une greffe doit aussi être in situ et faire écho à l’environnement dans lequel elle se trouve car elle exprime une symbiose recherchée entre l’objet architectural et son contexte ainsi qu’entre son utilité et son utilisation. C’est à ce moment-là que cet objet peut devenir manifeste et, au-delà de sa simple utilisation, peut devenir une structure qui permet la communication d’une idée, d’un concept. Deux niveaux d’information peuvent être intégrés dans un même corps. Lynn Margulis décrit la symbiose comme étant un facteur clé de l’évolution des espèces. Elle considère que la théorie darwinienne, axée sur la compétition, est incomplète et affirme, qu’au contraire, l’évolution est orientée par des phénomènes de coopération, d’interaction et de dépendance mutuelle entre organismes vivants. C’est vers cet idéal d’échange et d’interaction que ce projet tend à être le plus juste possible de part une collaboration constante entre les différents matériaux et logique de projet. À travers les greffes que j’aimerais entreprendre, mon envie est de proposer une pause dans la temporalité urbaine, de briser le schéma répétitif qui s’inscrit dans le quotidien des nantais. Essayer à travers une intervention architecturale de créer une structure intimiste à l’image d’un terrier urbain. L’aspect naturel et sauvage de cette greffe est nécessaire. La disparition de la nature sauvage en ville est presque totale, chaque espace est contrôlé, tondu, aménagé. Seul quelques partis pris forts comme le square de l’ile Mabon restent les derniers ilots d’un monde disparu. Pour nombre d’auteurs du début du siècle, à l’image d’Henry D. Thoreau, la liberté et la salvation se trouvaient dans le retour à la nature. Ils y voyaient, dans ce rapport à la nature, une leçon politique de liberté. Mais la nature était aussi pour eux un endroit de retraite leur permettant d’analyser le monde, d’avoir du recul sur leur quotidien. Sauvage \so.vaʒ\ ou \sɔ.vaʒ\ masculin et féminin identiques 6. Qui se fait dans le désordre ou la violence, sans égard pour l’être humain ou pour le long terme.

36


En prenant cette dernière définition de la sauvagerie, terme d’ailleurs répété comme un slogan par nombre de rappeurs comme Kalash Criminel ou comme un hymne par Lou Reed dans son Walk on the wild side, nous pouvions nous demander s’il ne serait pas temps de redécouvrir notre société et notre espace public d’un nouvel oeil. À l’image de certains observatoires naturels, rester caché des journées entières à l’abri, juste à observer et comprendre comment les hommes vivent en société, de quelle manière ils évoluent avec leurs congénères.

Le retour à la nature est un droit, une nécessité ou un élément négligeable du fonctionnement de notre société. La nature dans nos villes est encadrée et contrôlée, elle ne possède presque aucune liberté et si sous les pavés quelques fleurs éclosent, elles se retrouveront vite détruite. Les citadins ont l’imaginaire du retour à la nature comme une pause pendant un week-end, pour se « ressourcer ». À l’image des datchas en Russie, c’est le privilège d’avoir une résidence secondaire et de pouvoir s’écarter du flux continu de la ville l’histoire de quelques jours. Mais je pense que le concept de retour à la nature se trouve bien loin de cette analogie, ce serait plutôt une véritable intégration de la nature dans notre quotidien. Nous n’avons que fuit ou essayé de domestiquer et de nous protéger de cette sauvagerie de la nature, sans même comprendre ce qu’elle avait d’essentielle dans notre mode de fonctionnement. Je pense sincèrement qu’il existe un fossé entre une relation temporaire avec la nature permettant le repos et la nature comme élément fondamental, sociétal, et élémentaire d’une société qui s’est éloignée de la réalité du dehors. Mais c’est à partir de cette instant que se pose les réelles questions, comment procéder à cette sensibilisation. Est-ce que cela peut passer dans un premier temps par la forme comme première étape d’éveil, pour ensuite pouvoir engager de réelles démarches. La plupart des animaux ne conçoivent ni ne construisent d’objets destinés simplement au confort (c’est à dire au bien-être du corps), et sont donc systématiquement confrontés aux propositions de 37


leur environnement. Il y a quelque chose dans ces situations, qui ramène notre corps et notre esprit à une relation très primaire avec son environnement. Les animaux se méfient constamment et ne relâchent pas leur garde. Nous avons depuis des siècles passé ce cap pour concevoir des équipements s’adaptant le mieux à nos habitudes et qui nous englobent dans des cocons de confort. Nous possédons chez nous une assise par activité : le lit pour dormir, le canapé pour regarder la télé, la chaise de bureau pour travailler. Nous sommes ancrés dans un système extrêmement confortable et la remise en question de ce confort ne se pose même pas. S’extirper de ce quotidien morne et répétitif est sûrement peine perdue mais nous pouvons nous demander comment, simplement, nous pourrions nous rendre compte de nos évolutions et de notre dépendance à ces dictats. Ré-essayer de s’allonger sur un tronc d’arbre, ou alors construire, à l’image des premières cabanes transcendantalistes*, des observatoires qui permettent de se retrouver seul face à la ville, dans une démarche de questionnement. Prendre de la hauteur, réinterroger notre part d’enfance, de naïveté et s’improviser poète le temps de quelques minutes. La ré-appropriation de la ville passera obligatoirement par une redécouverte de ce que l’espace public est et ce qu’il représente. Arpenter et observer comme procédé pédagogique et observatoire didactique permettant de réveiller les consciences, ou au moins de les questionner.

! La cabane prend ici le statut de manifeste. "* La récupération systématique, élément à part entière du processus de conception

*Transcendantalisme : Le transcendantalisme est un mouvement littéraire, spirituel, culturel et philosophique qui a émergé aux États-Unis, en Nouvelle-Angleterre, dans la première moitié du xixe siècle. Une des croyances fondamentales des transcendantalistes était la bonté inhérente des humains et de la nature. *Marc Wigley, dans Cabin Fever, 2016

38


Photographie de l’Atelier du collectif Gru, Une après-midi de récupération Avril 2019


Notre époque et les pratiques consommatrices de notre société font que nous avons à notre disposition des quantités titanesques de matériaux non exploités ou déjà utilisés. Le travail développé ici est de se positionner à des endroits d’interaction stratégiques entre plusieurs acteurs pour nous permettre de récupérer des matériaux. Par exemple, les grandes surfaces de la construction comme DIS (Dock Industrie Service) vendent la majorité de leur stock en linéaire de 6 mètres de long. Mais ils sont amenés à souvent, voir régulièrement, redécouper ces linéaires pour des commandes spécifiques et précises, ils se retrouvent donc à découper 100 tubes à 5m60 ou 4m30 et mettent l’ensemble des chutes à la benne. Les grandes surfaces payent ensuite d’autres entreprises chargées de la récupération de ces chutes pour les refondre et réaliser de nouveaux linéaires. C’est à cet emplacement précis que je me place. De la même façon, sur les chantiers du BTP, énormément de matière est jetée dans les bennes sans aucune logique de récupération. Je récupère l’ensemble de ces morceaux et cherche ensuite à développer des techniques pour les remettre en valeur : soit des systèmes d’assemblage qui permettent de retrouver des longueurs intéressantes (manchonnage) soit retravailler la matière dans son état. Le but est ici de réaliser un véritable travail de recherche des matériaux perdus dans le cycle de notre société. Partir à la recherche des éléments abandonnés ou inutilisés qui peuvent être récupérés et ensuite détournés sans devoir dépenser de l’énergie pour les acheminer, les retransformer ou bien simplement qu’ils finissent dans la nature. Les différents recyclages entrepris permettent aux projets de se créer une réelle singularité et de se créer leur image propre. C’est aussi le développement d’autres techniques et méthodes de fonctionnement pour réaliser le projet. Les assemblages de différents matériaux va constituer l’entièreté du projet. L’utilisation de matériaux de récupération dans l’espace public encourage aussi le changement de mentalité, pour aller vers une nouvelle manière de fonctionner : effectuer la symbiose de différents paradygmes pour la mise en forme de greffe dans l’espace public.

40


Conception

Matière première

Transformation

Livraison Distribution

Bennes

Chutes Récupération

Processus de récupération, Réutilisation de déchets industriels, DIS

Livraison

Récolte

Floralies

Production

Vente

Dégradation

Récupération

Processus de récupération, Réutilisation de déchets végétaux, les Floralies


L’importance du Faire Un apprentissage manuel

42


Le pouvoir de construire en école d’architecture est rarement

réellement abordé comme une part importante du processus de conception. Les étapes les plus concrètes de conception par lesquelles nous passons en tant qu’étudiants sont les maquettes. Pourtant, ce moment est fondamental dans la réalisation de chaque projet. Il nous permet d’apprendre par la pratique et d’avoir un réel lien entre le dessin et la construction. Chaque projet dessiné est pensé en tant qu’élément qui va prendre forme par la réflexion, du détail qui peut évoluer à tout moment et jusqu’à la fin. C’est une ode à l’incrémentalisme, mouvement développé par Lucien Kroll ou encore Charles Lindlom, intuitif, holistique et darwinien (évoluant pas à pas, à l’image des tâtonnements de la nature), qui se préoccupe de l’information vivante à chaque moment de la conception et du contexte. On ne décide de chaque étape qu’au moment où on l’aborde. Incrémentalisme signifie officiellement : «Apprendre à marcher en marchant ». Décrite comme une science de la débrouillardise, elle glorifie l’action de faire, faire au fur et à mesure, vantant ainsi les qualités de la spontanéité. Cette méthode permet aussi de ne jamais réellement envisager quelle finité aura la construction : la fin n’est donc jamais définie.

43


! L’incrémentalisme devient la façon écologique de décider, par la participation continue de toutes les informations et de tous les informateurs qui surgissent inopinément " Cette réflexion s’inscrit dans une problématique globale qui ne laisse aucune chose de côté et qui cherche à entrevoir chaque élément du projet comme porteur d’une réflexion propre. La phase de chantier est, in fine, un travail de conception constant qui interagit dans la réflexion globale du projet. C’est rendre palpable des idées et envies subites, débarquant dans la chronologie du projet de manière inattendue. Pendant notre enseignement à l’école d’architecture nous avons la possibilité de construire mais ça n’englobe que très rarement l’intégralité d’un projet de fabrication. Aussi nous avons décidé, en deuxième année, avec des amis étudiants de commencer à fabriquer entre nous et de développer, à côté de nos études, une pratique complémentaire. Le but de ce regroupement collectif était avant tout de découvrir d’autres domaines, d’expérimenter, de construire et de s’ouvrir le plus tôt possible au monde extérieur à l’école d’architecture. C’était aussi de développer une désindividualisation permettant de nourrir le travail de chacun, de se sentir capable autour du groupe de fabriquer à diverses échelles. Le premier pas important a été la construction d’un Atelier/Garage sur la presqu’ile guérandaise. Ce premier projet, d’une ampleur plus architecturale, nous a permis de nous plonger dans la conception et dans des savoir-faire que nous ne possédions pas. Ce projet a été une suite constante de découvertes dans lesquelles nous procédions par étapes et nous apprenions au jour le jour comment fabriquer une

*Article du site internet : lafabriquedelhospitalité.org

44


Photographie de l’Atelier B, Construction d’un garage sur la presqu’ile Guérandaise Aout 2018


structure de cette ampleur. Avant le début du chantier, nous avions dessiné les charpentes ainsi qu’une majeure partie du bâtiment pour réaliser nos commandes. Mais le projet a pris tout son sens quand nous nous sommes retrouvés avec l’ensemble du bois devant la dalle de l’ancien garage et qu’il y avait tout à faire. Sans le savoir nous procédions par incrémentalisme, nous réfléchissions au jour le jour comment chaque partie allait s’assembler. Ce projet nous a permis d’apprendre en faisant et de continuer à réellement développer et d’avoir un affect particulier pour la fabrication. J’ai pris goût à fabriquer sans réellement de but précis, juste avec une idée vague de la réalisation finale. Lors de moments comme celui de l’écriture du mémoire de master, j’aimais me retrouver devant l’établi de l’atelier pour fabriquer sans réellement penser à autre chose. C’est aussi le développement de savoirs en voie d’extinction, l’expérimentation par le travail manuel permettant de redonner à la fois de l’ingéniosité dans la construction mais aussi de responsabiliser le constructeur en tant que créateur d’un travail de groupe. L’importance des assemblages comme outil pédagogique, nous ne pouvons plus actuellement ouvrir le capot d’une voiture pour essayer de bidouiller et comprendre. Les technologies que nous développons aujourd’hui sont extrêmement compliquées il est donc important de recréer et montrer des assemblages ayant du sens, poussant à l’imagination, au questionnement. C’est le travail de saveurs primitives, celles de la compréhension de la fabrication, de l’être humain comme machine apprenant en regardant et s’éduquant par l’interrogation. C’est la fascination d’une certaine logique que nous assimilons mal à l’école d’architecture, nous n’avons pas de réel dialogue avec tous les métiers qui gravitent autour du notre et nous ne réalisons que très rarement les enjeux qu’il y a derrière toute construction. Le travail à la main est une de ces pratiques qui donne de l’intelligibilité au travail de conception et nous aide à nous améliorer dans notre mission.

46


Photographie d’un tabouret, Réalisation d’un tabouret à partir du bac à chutes Avril 2019


La recherche de partenaires Une tentative d’approche du monde professionnel J’avais pour objectif, dès le début du semestre, de me mettre à la recherche de partenaires qui pourraient m’aider dans la réalisation de mon projet de fin d’étude. Ayant fait mon mémoire de master sur la ligne verte et le voyage à Nantes, j’ai rapidement essayé de me rapprocher du VAN pour savoir si je pouvais avoir leur soutien pour venir construire mon projet dans l’espace public sans avoir de problème avec les autorités et sans qu’il soit rapidement détruit. Avec l’aide de François Charrier, un ami à mes parents, j’ai pu assez rapidement avoir un rendez-vous avec une personne du VAN voulant voir mon projet. J’ai pris l’ensemble des pièces que j’avais produites et j’y suis allé. Le rendez-vous s’est bien passé, j’ai pu présenter les prémices de mon travail et surtout la volonté que j’avais de développer un projet sur l’espace public. Malheureusement, je me suis rapidement rendu compte que je n’aurai aucune nouvelle du VAN mais n’en perdait pas l’espoir de trouver une opportunité. Sans grande expérience, la difficulté de trouver des partenaires est d’autant plus grande que, en tant qu’étudiant, les rapports sont très rarement respectueux, car on ne nous prend pas réellement au sérieux. J’ai ensuite eu, toujours grâce à François, l’opportunité de présenter mon travail pour les Floralies 2019, mais une fois de plus ce fut un échec, ayant apparemment l’envie mais pas le budget pour mon travail. Ces différentes péripéties ont eu plusieurs conséquences sur ma manière d’appréhender mon projet. Je me suis rendu compte qu’au fur et à mesure des rencontres mon projet s’écartait peu à peu de ce que je voulais qu’il devienne. C’est après une visite de site au Parc des Expositions de Nantes que j’ai commencé à prendre un nouveau tournant. Je me suis retrouvé dans le parc floral de la roseraie, et c’est à ce moment là que j’ai remis en question ma manière de faire les choses. Je me suis rendu compte que ce que je voulais faire avait empiété sur ce qu’il fallait faire. J’ai décidé de retourner plusieurs fois dans ce parc pour retrouver de l’inspiration et savoir quelles étaient les réelles problématiques de l’espace public.

48


C’est l’importance de flâner qui m’a redonné le sens de ce sur quoi je devais travailler, essentialiser mes recherches vers un extrait pur et simple de ce que je voulais réellement faire. Avoir une réflexion beaucoup plus critique sur l’intervention dans l’espace public, travailler plusieurs interventions afin de développer une vision alternative de l’appropriation de l’espace public. Développer des installations porteuse d’une image forte permettant de recréer des repères dans la ville, de re-symboliser des lieux comme manifeste.

49


Un désordre instructif La création d’un imaginaire propre Souvent tirée d’histoires, d’éléments marquants ou de simples réflexions spontanées, la création est directement liée à un imaginaire personnel. Nous nous inspirons de différentes manières selon l’endroit dans lequel nous travaillons, ou bien par pur esprit manifeste ou artistique nous venons communiquer un monde qui nous est propre. Une remise en question constante est importante et nécessite une subversion généralisée sur tout ce qui se construit autour de nous. Subversion politique, culturelle, humoristique ou encore poétique, notre implication dans la remise en question des codes qui nous sont communiqués depuis notre plus jeune enfance est importante de par la portée qu’ont nos actions. Car construire est un acte qu’il ne faudrait pas prendre à la légère. C’est la mobilisation de beaucoup d’acteurs, de fonds et de temps dont il serait irresponsable d’oublier l’impact. C’est aussi une activité qui nous prend aux tripes et nous habite au jour le jour, à tel point que nous arrivons souvent à un stade où il est difficile de se remettre en question ; en cause, l’ampleur personnelle que ce travail prend. Je pense que nous avons à la fois le pouvoir et le devoir de sensibiliser nos actions et de créer autour d’elles un imaginaire leur étant propre. C’est le fait de pouvoir grâce à nos actions développer l’imaginaire de l’espace dans lequel nous nous trouvons et d’émerveiller les esprits.

50


Photographie expĂŠrimentation, Grillage trempĂŠ dans le latex Mars 2019


Projet 52




Prémices La naissance du projet

Au début de l’option de Design Process j’ai donc commencé

à me balader dans la ville, à la recherche d’endroits dans lesquelles je pourrais venir m’installer. J’ai très rapidement choisi deux lieux qui m’inspiraient et dans lesquelles je sentais que je pouvais développer mon travail. Le premier est le square du Muséum d’histoire naturelle et le deuxième est la place François II. Je me suis ensuite concentré sur le square du Muséum, partant en même temps à la recherche de partenaires. Mes premières observations m’ont permis de comprendre la nature de l’endroit et quelle était réellement son fonctionnement. Beaucoup de familles et d’adolescents du quartier y viennent en fin d’après midi pour se reposer et jouer dans le square soit avec les jeux soit dans l’herbe. Je voulais faire quelque chose pour les adultes, pousser les parents à se lever et aller jouer avec leurs enfants, essayer de leur redonner un peu de naïveté. J’avais aussi dans l’idée qu’il y ait un point d’interaction entre les habitués du parc et mon projet, qu’ils puissent participer à travers un moyen détourné. Pour cela j’ai, grâce à un logiciel, fait une première liste de 99 mots tiré au hasard, qui désigne tout et n’importe quoi. J’ai ensuite fait une deuxième liste de 40 mots qui comprend des impressions géométriques. Je suis ensuite allé à la rencontre des adultes comme des enfants leur proposer de cocher les mots qui les inspiraient le plus sans leur dire la finalité de ce jeu. 55


Photomontage au Parc de la Beaujoire, À la recherche d’un angle d’attaque Avril 2019


Tous assez intrigués par l’exercice, ils se sont prêtés au jeu, les enfants me questionnant même sur les délais de construction. J’ai donc pu grâce à cette liste me rendre compte que les désirs des usagers se cristallisaient dans des objets de distraction ordinaires : des balançoires, des catapultes, un canon, des fleurs, un toboggan, etc... Ces témoignages faisaient appel à des imaginaires qu’il était question d’hybrider, d’essentialiser. Au fil des recherches de partenaires, je me suis retrouvé une aprèsmidi au parc floral de la Beaujoire à me balader et je me suis aperçu que la problématique ne se situait pas du côté des enfants. Ils n’avaient aucun problème dans leur manière de s’approprier n’importe quel endroit contrairement à leurs parents. En un instant, mon regard s’est porté sur les mobiliers disponibles dans le parc, seuls endroits où les adultes peuvent s’asseoir. Le banc est l’emblème même de l’espace public, il en existe plusieurs formes mais est souvent restreint à une simple assise dessinée selon des proportions strictes, celle d’un être humain d’1m75 à la morphologie moyenne. En parallèle de cette observation du mobilier, je me suis intéressé à la végétation de ce jardin à l’anglaise. Des jardiniers sont engagés à l’année pour rendre ce jardin absolument sans défaut. Ils retaillent tous les arbustes, la pelouse est tondue, le ruisseau nettoyé, les chemins balayés et ainsi de suite. Tout est contrôlé, tout sauf un seul élément, les pétales des fleurs qui viennent sans arrêt recouvrir le sol. Ils sont le dernier élément d’appropriation dans ce jardin par la nature.

57


Pétale \pe.tal\ masculin Partie de la fleur située entre les sépales et les organes reproducteurs. Les pétales composent la corolle et sont fixés au calice par un onglet. Le pétale est une feuille qui, avec le temps, s’est modifiée pour devenir plus attractive et attirer le regard dans son environnement. C’est un signal, une onde, lancé aux animaux pollinisateur passant à coté, leur montrant la voie pour faire leur travail et participer au travail de reproduction de l’arbre. Les pétales sont aussi le signe des saisons, ils sont la marque d’un cycle de vie se répétant tous les ans. Chaque pétale est adapté à la fleur qu’il protège. Cette idée peut être transmise au mobilier urbain dans son ultra-adaptation aux usagers. Le pétale est l’enseigne publicitaire de la feuille, elle lui permet de se faire remarquer. Pour cela, trois caractéristiques remarquables : leur couleur, leur odeur et leur chaleur. Mais c’est aussi une piste d’atterrissage pour toute sortes d’insectes se baladant d’arbre en arbre et récupérant le nectar. Enfin c’est aussi une coque de protection permettant au cœur de la fleur de se protéger des différents dangers venant de l’extérieur. Après un retour en ville j’ai pu observer le même phénomène. À chaque coup de vent on les voit s’envoler par centaine et se disperser dans toute la ville. C’est avec la tombée des feuilles des arbres au printemps et les mauvaises herbes qui essayent de pousser entre les pavés, les seules marques d’appropriation de la nature sur la ville. J’ai, à la suite de ces observations, commencé à expérimenter la fabrication de mobilier reprenant le vocabulaire de la nature et de ces fameux pétales. J’ai commencé à m’intéresser aux formes et aux techniques de construction que je pouvais combiner pour arriver à mettre à l’œuvre des premiers prototypes. Parallèlement à ces expérimentations, j’ai commencé à imaginer l’environnement dans lequel je pourrais mobiliser ces observations.

58


Photographie d’un détail de structure, Fauteuil en grillage à poules et sciure de bois Avril 2019


the Squa(t)re *ceci est une fiction




Je squat le square avec un !square" Ville de Nantes = 65,19 km2 = 65 190 000 m2 Espace public Nantais = 20% de 65 190 000 = 13 038 000 m2 Population Nantaise = 303 382 habitants Espace public par habitant = 42,9755226 m2 / habitant 43 m2 est la surface que chaque personne de la ville pourrait logiquement s’approprier. Pourquoi ne pas le tenter ?


the Squa(t)re Le Square, de l’ancien français esquarre « équerre » et « carré », les deux sens s’étant conservé dans l’anglais square. Esquarre a donné équerre en français moderne. Il est issu du bas latin ex + quadra « carré ». Le square est cet espace de verdure dans l’espace public, qui compose avec les parcs, le maillage naturel de la ville. Mais c’est aussi en anglais, le carré, cette forme géométrique derrière laquelle se regroupe énormément de signification autant mathématique que architecturale. the Squa(t)re est un événement fictionné organisé par un association loi 1901 « à but non lucratif » formé par un regroupement de jeunes architectes. Son but est de mettre en place un festival bi-annuelle s’organisant autout d’interventions dans l’espace public, s’inspirant du Park(ing) Day (C’est un événement mondial ouvert à tous qui a lieu le 3e week-end de septembre, durant lequel citoyens, artistes et activistes collaborent pour transformer temporairement des places de parking payantes en espaces végétalisés et conviviaux). Le festival s’organise donc deux fois par an selon deux moments clés de l’année. Le premier est la floraison des arbres, l’Hanami au Japon (floraison des cerisiers et moment de rassemblement dans les parcs de la ville). Le second est l’envol des feuilles mortes à l’automne. Le festival se cristallise autour de ces deux instants, qui forme à eux deux des formes d’appropriation et de révolte de la nature sur la ville. L’instant de quelques jours et semaines, la nature vient envahir et déranger cet espace public contraint. Le festival se calque sur ce rythme naturel saisonnier pour venir à son tour, occuper l’espace public le temps de quelques jours. Cet événement à pour but de questionner les processus de conception de la ville et le contrôle absolue qu’il existe au sein de cet espace. Ces interventions s’effectue autour d’un square de la surface de l’EPPH (espace public par habitant), chiffre qui va rythmer tout le reste du festival. Ce carré d’appropriation pur prend alors différentes significations, il devient à la fois un échantillonnage de laboratoire qui montre les tentatives d’expérimentations des riverains mais inspire aussi un ring de boxe où un combat se met en place entre les participants et l’espace dans lequel ils interviennent. 64



Ces l’occasion de prendre l’espace public comme lieu d’expression à part entière, qui permet à ces participants de communiquer aux yeux de la population des revendications, des travaux, des savoirs-faire ou encore une valorisation du travail. Cet événement est ouvert à toute personne attiré par l’exploration et la découverte de nouvelle manière de fonctionner, de travailler et d’envisager le futur de notre société. Le but est de questionner et réinterroger les principes même de l’espace public par l’intervention impromptue de tout un chacun.

! Je suis actionnaire de l’espace public "* Le but de cet événement est bel et bien de ré-enchanter notre quotidien créer de l’inattendue, du risque, de l’inconcevable, de l’illogique, du surréaliste et de l’incompréhensible. Le Carré, Du latin quadratus, devenu quarré ou carrez en moyen français, et enfin carré depuis l’époque moderne. 1.En forme de rectangle dont les quatre côtés sont égaux.derrière laquelle se regroupe énormément de signification. 2. Qui est juste et droit dans ses convictions, et qui ne s’en détourne pas. Ce mouvement se monte autour d’une idée forte, celle que puisse exister un espace public plus personnel, dont la liberté serait totale, qui n’est contraint ni par le flux constant des voitures, ni celui des piétons. Un espace où toute les réglementations de la ville peuvent être remise en question. Cette intervention revendique deux principes distincts, la reconquête de l’espace public vis à vis des municipalités contre l’utilisation de l’espace public comme lieu commercial et un combat contre la privatisation et l’occupation de la ville à la fois par les commerces mais aussi les transports. Un espace public personnel qui permet de redonner de la singularité à la ville, que chaque personne qui s’approprie son square fasse ressortir de ses constructions une part de sa personnalité. Chaque intervention est une tentative de ré-enchanter la ville par une création *Slogan de communication de Park(ing) Day, 2018

66


et une conception spontanée d’un espace qui sorte de l’ordinaire et du quotidien. Détourner la normativité des espaces, expérimenter constamment et sans arrêt en mettant à l’épreuve notre espace commun. C’est aussi l’occasion, comme la ville avec ses travaux et ses barrières, se réapproprier notre espace en nous donnant les mêmes libertés que la ville, se donner le droit de réserver provisoirement un espace le temps de le réaménager. C’est finalement une logique de transgression cohérente et nécessaire qui nous permet d’émerveiller un espace Suite à la mise en place de cette événement, j’ai décidé de m’atteler à l’exercice et de proposer deux interventions dans l’espace public. La première se base sur une longue observation de la nature en ville et une remise en question du mobilier de notre espace public, quant à la deuxième elle part d’une observation des sols de la ville au Microscope pour découvrir les éléments de la ville imperceptible. C’est un voyage de l’incroyablement petit à l’échelle 1 à la recherche des éléments qui caractérisent notre quotidien. Ces deux interventions prennent place dans le périmètre proche de l’école d’architecture de Nantes.

67


Amorphe

Projet A

Amorphe, Du grec ancien μορφος, amorphos (« informe ») est constitué de la racine grecque morphos (forme) et du préfixe privatif a. Morphée, (en grec ancien Μορφεύς / Morpheús, de μορφή / morphé, « forme ») est, dans la mythologie grecque, la divinité des rêves prophétiques, fils d’Hypnos (le Sommeil) et de Nyx (la Nuit). Morphée peut changer d’apparence et adapter son image à chaque être humain pour s’approcher au plus près des mortels. Mais c’est aussi « la forme » dont découle la morphologie ; l’étude de celle-ci. En biologie, c’est l’étude de la structure des êtres vivants, aussi bien animal que végétal. Morphée me permet de rassembler deux choses, le travail de la forme et l’imaginaire de la faune et de la flore.

68




L

es mobiliers qui se trouvent dans l’espace public ont une morphologie qui est constamment la même, des blocs de bois ou de pierre, lourd, simple et bien enraciné au sol. La majorité est crée selon les mêmes proportions, celui d’un modèle type d’un humain d’1m75, qui est la taille moyenne des hommes. La question qui se pose est le problème de la normativité de ce discours et nous pouvons nous questionner sur ce que cela révèle du fonctionnement de notre société ou du moins des politiques en matière d’espace public. La réduction de la morphologie d’une population à une moyenne. C’est une des bases de la stérilisation de l’espace public passant par la simplification à une norme, qui plus est sexiste. L’objectif de ce projet est de développer une série de mobilier allant à contre sens de toute les logiques actuelles de l’espace public. Le square que je propose est la simulation de la reconstruction d’un salon de mobilier anormaux. Le but est ici aussi d’expérimenter des procédés de conception et de construction différents et aléatoire par rapport aux éléments que je récupérais au fur et à mesure de la construction. C’est aussi de reprendre la forme du salon comme marque d’appropriation la plus singulière d’un espace dans l’espace public. 71


! L’espace public, comme le conçoit Homère, est le lieu qui jaillit des diverses expériences des hommes libres et égaux qui s’exposent et s’affrontent dans les joutes oratoires. " Nous nous rendons compte avec ce texte que cet imaginaire de l’espace public masculin est ancestrale et que nous sommes encore plongé dans ce fonctionnement là. Le but de ce projet est l’expérimentation à corps perdu dans la recherche de mobilier qui prennent du sens dans leur environnement. C’est aussi la recherche d’une ergonomie adapté au corps humain et ne faisant aucune ségrégation entre les formes.

Le choix du lieu J’ai décidé de choisir comme lieu d’appropriation le toit de l’école pour plusieurs raisons. J’ai voulu travailler des espaces que je côtoie et que je connais. Le toit de l’école d’architecture de Nantes m’a paru l’endroit le plus approprié, à la fois par sa situation mais aussi par sa composition. Il est tout d’abord communiqué par les architectes du projet comme une partie de l’espace public de la ville mais est aussi une représentation de l’évolution de nos espaces publics, une étendue de béton lisse, qui ne dispose pas de mobiliers. Son appropriation y est difficile par le manque d’accroche possible, la composition de l’environnement se veut infertile malgré le fait que quelques pousses d’herbe arrive quand même à se l’approprier.

Début de construction J’ai entamé la recherche de forme par la construction d’une structure qui est la duplication d’un assemblage à l’image d’un insecte ou encore d’une charpente. Elle devait à l’origine s’installait dans le premier site que j’avais choisi, le Muséum d’histoire naturelle. Cette structure, qui est à la base pensé comme la maquette d’une structure appropriable au 1/10ème pour les enfants s’est assez vite assimilé à 72


Photomontage, Implantation du premier Square sur le Toit de l’ENSAN Mai 2019


une assise de part son échelle humaine. Cette structure m’a intéressé de part l’aspect qu’elle transmettais, une hybridation entre imaginaire animale et matériaux industrielle récupéré dans un chantier. Mais les bouts des fers étaient coupant après les avoir découpé à la meuleuse et donc dangereux, j’avais récupéré un peu plus tôt dans l’après midi des tubes en cuivre que j’ai décidé de fixer à chaque extrémités permettant de protéger l’utilisateur de l’assise. J’ai ensuite placer des rangements à l’intérieur de la structure et une assise, transformant cette maquette en meuble à chaussures d’entrée. Ce projet a été le début de ces travaux s’inspirant de la forme animale et essayant de chercher et de puiser son inspiration dans les fonctionnements de la faune et la flore. Cette structure m’a fait m’intéresser au insectes et tout particulièrement au mille-pattes. Les Diplopodes (Diplopoda, terme d’origine grecque rappelant qu’ils ont deux paires de pieds sur chaque segment) sont une classe d’arthropodes myriapodes qui, comme les chilopodes sont plus connus sous le nom de « mille-pattes ». Nocturnes ou lucifuges, les diplopodes vivent (exceptionnellement en colonies denses) sous les pierres, dans le sol, dans le bois mort et en décomposition et dans les endroits humides. Ma structure s’apparente à cette famille d’insectes sauf qu’elle ne possède qu’une seule paire de pieds par segment. J’ai donc décidé de nommer ce projet Duplipodia (Duplicata et Diplopodes).

Expérimentation / Conception J’ai démarré l’expérimentation de la construction de ce mobilier par la manipulation de feuilles métalliques. Je voulais garder dans ce mobilier la légèreté et la fragilité du pétale qui vient se poser sur la pelouse. J’ai donc récupéré des feuilles de métal de 1mm que j’ai plié de différentes façons dans l’espoir de les rigidifier. Je me suis rendu compte que les pliages nets donnaient plus de résistance à la feuille contrairement aux courbes. J’ai décidé de travailler l’ergonomie de la feuille par la multiplication de pliages, à l’image d’un origami. J’ai procédé ensuite à un long temps de récupération de matériaux divers et variés. Une première partie vient entièrement de récupération sur des chantiers ou chez des grands distributeurs de métal. Une deuxième partie vient entièrement de récupération dans des milieux naturels de ressources elle aussi naturelle. 74


Duplipodia V1 Structure fer à béton

Duplipodia V2 Maquette 1/10ème

Duplipodia V3 Table basse


Photographie, Un espace public qui regarde la ville de haut Juin 2019


Axonométrie, Amorphe se pose sur le toit de l’école Juin 2019



1er Prototype Assise Tabouret Matériaux Feuille métallique + Fer à béton Temps de conception 6 semaines Mode d’assemblage Soudure sans pré-troues Traitement Polissage de la feuille Usages Assise temporaire Rapport au sens Léger / Lourd


Axonométrie éclatée, Les étapes de construction

1.

2.

3.

4.

1. Feuille de mousse 2. Feuille métallique 1mm 3. Fer à béton 8mm 4. Socle en béton et sciure de bois


Photographie de construction Soudure des pieds sur la feuille mĂŠtallique Avril 2019

Photographie de construction Soudure des pieds sur la feuille mĂŠtallique Avril 2019


Photographie de préparation, Découpe du socle et préparation à la peinture Mai 2019


Photographie d’assemblage, Mise en forme du coussin de l’assise Mai 2019



2ème Prototype Assise Fauteuil allongé Matériaux Grillage + tube métallique + fil de fer + sciure de bois Temps de conception 8 semaines Mode d’assemblage Colle à bois et soudure Traitement Polissage de la feuille Usages Assise confortable Rapport au sens Piquant


Axonométrie éclatée, Les étapes de construction

1.

2.

3.

4.

5.

6.

1. Coussin de Sciure 2. Premier grillage 3. Manchonnage des pieds 4. Deuxième grillage 5. Pieds 6. Contreventements


Photographie de préparation, Assemblage des mailles métalliques et des préparation de manchonnage Mai 2019


Photographie de préparation, Élaboration de la feuille (grillage + colle à bois et sciure) Mai 2019


Photographie de modification, Renforcement de la structure de base Mai 2019



3ème Prototype Assise Tabouret Matériaux Feuille métallique + Fer à béton Temps de conception 8 heures Mode d’assemblage Soudure sans pré-troues Traitement Polissage de la feuille Usages Assise temporaire Rapport au sens Abrasif


Axonométrie éclatée, Les étapes de construction

1.

2.

3.

4.

5.

6.

1. Coussin en latex 2. Accoudoirs en bakélisé 3. Plaque en fibre de verre 4. Sous structure 5. Éléments de pieds 1 6. Éléments de pieds 2


Photographie préparation, Récupération d’un moule de Snowboard Mai 2019

Photographie préparation, Récouvrement avec scotch Mai 2019


Photographie préparation, Modification du moule Mai 2019

Photographie préparation, Bache, fibre de verre et structure métal Mai 2019


Photographie résultat échec, Échantillon de bache avec epoxy Mai 2019



4ème Prototype Assise Tabouret Matériaux Feuille métallique + Fer à béton Temps de conception 8 heures Mode d’assemblage Soudure sans pré-troues Traitement Polissage de la feuille Usages Assise temporaire Rapport au sens Abrasif


Axonométrie éclatée, Les étapes de construction

1.

2.

3.

4.

5.

1. Coussin en fleur 2. Poignées 3. Pieds 4. Contreventements 5. Poids / Stabilisateur


Photographie des pétales, Récupération des déchets floral des Floralies Mai 2019

Photographie des pétales, Triage des déchets, récupération des pétales Mai 2019


Photographie du moule de l’assise, Moule de l’assise qui sèche avec de l’epoxy Mai 2019


Photographie de l’assise en pétales, Étape de ponçage et de nettoyage Mai 2019


Focale Projet B

Focale, Du latin focalis dérivé de focus (« feu, foyer ») avec le suffixe -alis. 1. (Physique) Qui a rapport, qui est placé au foyer des rayons lumineux d’un miroir ou d’une lentille. 2. (Géométrie) Qui a rapport au foyer d’une ellipse. 3. (Médecine) Localisé, circonscrit, bien délimité Le titre de focal prend tout son intérêt dans mon projet de part son histoire, son site et son implantation. Il me permet de réunir le vocabulaire du microscope et de la caméra, celui du rond point où je m’implante et de son accroche à un point bien précis de l’espace public. 102




S

ur ce deuxième projet, je décide de ne pas prendre l’humain comme première donnée d’analyse. A cela, j’ai préféré porter mon attention sur ce qui n’est jamais pris en compte, sur le «reste», sur les traces laissées par l’homme moderne dans l’espace public : mon regard s’est vite focalisé sur les «rebuts» qui jonchaient le sol, déchets et petits éléments non identifiés. En tant que grands oubliés de la description des lieux (qui s’est jamais intéressé à ces non-objets, qui nous renvoient nos honteuses pratiques de souillure de l’espace ), ces petits témoins sont néanmoins présents et visibles pour qui ose s’en approcher. En s’en approchant d’autant plus (mille fois plus, c’est ce que permet mon microscope), ils revêtent une image poétique, déconstruisent la grossièreté qu’on leur prête généralement. Ma deuxième action a été d’observer les gens se déplacer autour de l’école d’architecture, en voiture ou à pieds. Un flux plus ou moins constant selon les moments de la journée mais toujours quelque chose à faire, une activité à accomplir. L’idée est ici de lier des flux de pensée qui peuvent se rejoindre et d’influer directement sur le quotidien des urbains. Ma première remarque à été de vouloir remettre en question ce flux, de le malmener et de le bousculer. 105


À côté de célà je voulais venir m’intégrer dans l’espace public d’une façon plus poussé que de simplement posé ce carré. Il existe des formes qui font partie de l’espace public mais auxquelles on ne comprend ni l’utilité ni la présence. Elles poussent, par leur simple présence, la question du degrés d’appropriation qu’elles impliquent. Le but de mon intervention est d’adapter le principe du microscope, qui vient révéler l’invisible et l’indicible, à l’échelle une.

! La caméra est le microscope de la vie " J’ai longtemps cherché à adapter ce concept du microscope à la taille réelle de l’être humain. C’est après cette phrase que je me suis rendu compte que des microscopes étaient d’ores et déjà disséminés partout dans la ville : les caméras de surveillance. À l’image des longues vues qu’on retrouve dans les lieux touristiques, elles viennent délivrer un autre regard sur la vie de la ville, elles permettent de prendre de la hauteur sur notre quotidien. De plus l’utilisation de la caméra, voir même son détournement faisait écho aux notions pour lesquelles je me suis installé dans l’espace public se privatisation. L’idée serait ici, à travers une intervention sur des éléments de l’espace public, de bousculer les flux de la villes par l’utilisation de la caméra. Un microscope est composé d’un socle, d’une lampe, d’une plateforme amovible, et d’un bras qui portent les objectifs. Le but est de replacer l’ensemble de ces éléments dans des structures à plus grande échelle. Je développe à travers ce second projet, un dyptique de structure qui questionne la prise de hauteur dans la ville.

*Citation de Claude Lellouche

106


Photomontage, Implantation du deuxième Square Place François II Mai 2019


Photomontage, Implantation d’une structure sur des éléments de l’espace public «unconnus» Mai 2019


Photomontage, Implantation d’une structure sur un banc Mai 2019


Photographie sculpture, Surveillance Camera Ai Weiwei


Observatoire Structure Caméra

Frontière de l’intervention


Conclusion

Un apprentissage constant

112


Ce semestre à été riche de découverte et de rebondissement. J’ai

longtemps vagabondé entre réflexion profonde et expérimentation manuelle pour arriver à mettre en forme et trouver une réelle ligne directrice à mon travail lors de ce projet de fin d’étude. Une remise en question constante et profonde a forgé en moi, une nouvelle façon d’aborder la conception et le processus de création par une certaine naïveté constructive. Essayer sans se poser de question et en évitant d’entrevoir quelle va être la finalité de la création. C’est aussi l’exercice d’une remise en question de notre espace public qui ouvre des possibilités beaucoup plus riche. Public-cité ou le moyen de redonner une singularité personnelle à un espace public qui va être communiqué aux yeux de la ville. Cet événement permet à la fois une appropriation libre mais aussi une certaine émancipation de l’expression et de la conception.

113


Bibliographie

114


ALOUTI F., Mieux accueillir les femmes dans l’espace public, Article Le Monde, 2017 BÉGOUT B., Le Park, Allia, 2010 BOVET-PAVY A., Lumières sur la Ville, Arte Reportage, 2018 CISSÉ B., L’espace public politique ou le lieu de la construction déconstructive, CSP, 2013 DAMANI A., Patrick Bouchain : L’architecture comme relation, Actes SUD, 2018 DELGADO M., L’espace public comme idéologie, Collectif de l’édition, 2016 HOSSARD & JARVIN, C’est ma ville, L’Harmattan, 2006 LEFEBVRE H., Le Droit à la ville, Economica, 1968 PAQUOT T., L’espace public, La découverte, 2009 PRÉVOT M. & DOUAY N., Activisme urbain, Armand Colin, 2012 REBEIHI A., Pourquoi le spectacle de la nature nous émeut ?, France Inter, 2018 THOREAU H.D., Walden, Attitudes - Le mot et le reste, 1854

115





Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.