Interview Marina Viotti

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INTERVIEW DE MARINA VIOTTI

INTERVIEW

WITH MARINA VIOTTI

MARINA VIOTTI

LAURÉATE DU CONCOURS DE GENÈVE EN 2016 PAR ANYA LEVEILLÉ

Comment devient-on chanteuse lyrique ? Quand Marina Viotti se pose cette question, elle a 25 ans, des diplômes de littérature, philosophie et flûte traversière en poche et une carrière de chanteuse métal ! Mais dès ses premiers cours de chant classique, c’est une évidence : avec l’opéra, elle se sent à la maison. Lauréate de nombreux prix internationaux, dont un 3e Prix du Concours de Genève, en 2016, elle est invitée, aujourd’hui, sur les plus grandes scènes lyriques mondiales. Et quand elle n’est pas Carmen, Rosine ou Dorabella, elle retrouve ses deux projets dans lesquels elle tisse des liens entre musique classique, jazz, pop et chanson. C’est d’ailleurs au Concours de Genève que ces projets, plus personnels, ont germé. En appelant Marina Viotti, tard dans la soirée, après un récital avec le guitariste Gabriel Branco, on se replonge avec elle dans une compétition qui occupe une place à part dans la galaxie des concours de musique.

Comment avez-vous traversé, en 2016, les épreuves du Concours de Genève ?

Premièrement, il faut rappeler qu’il s’agit d’un concours très long et très exigeant sur le plan du programme. Il y a quatre tours et, pour chaque étape, il faut préparer beaucoup de pièces. J’ai beaucoup aimé la demi-finale, pour laquelle il fallait préparer un mini récital de 40 min, ce qui permet de montrer des facettes différentes de son travail et de raconter quelque chose. Pour ma part, j’ai présenté un programme très personnel et cross-over dans lequel je chantais l’amour sous toutes ses formes en passant par des genres très différents. J’ai aussi adoré pouvoir chanter avec un orchestre pour la finale, même si l’air que j’avais choisi était peut-être un peu trop lourd pour moi. Et enfin, j’ai trouvé incroyable tout l’accompagnement des lauréats mis en place par le Concours avec l’organisation de concerts, de masterclasses et de workshops.

MARINA VIOTTI

LAUREATE OF THE CONCOURS DE GENÈVE IN 2016 BY ANYA

LEVEILLÉ

MARINA VIOTTI: A MEZZO WITHOUT BOARDERS

How do you become a lyrical singer? When Marina Viotti asked herself this question, she was 25 years old, with degrees in literature, philosophy and flute in her pocket and a career as a metal singer! But as soon as she took her first classical singing lessons, it was obvious: opera was her calling. Winner of numerous international prizes, including 3rd prize at the Concours de Genève in 2016, she is now invited to perform on the world’s greatest opera stages. And when she's not playing Carmen, Rosine or Dorabella, she’s presenting her two projects which combine classical music, jazz, pop and chanson. It was at the Concours de Genève that these more personal projects were born. A phone call to Marina Viotti late in the evening, after a recital with guitarist Gabriel Branco, took us back with her to a competition that occupies a special place in the galaxy of music competitions.

How did experience the Concours de Genève in 2016? First of all, it’s important to remember that it is a very long competition, and the programme is quite intense. There are four rounds, and you have to prepare a lot of repertoire for each one. I really enjoyed the semi-final, which was a 40-minute recital. It was a great opportunity to show different sides of my work and tell a story. For my part, I presented a very personal cross-over programme, in which I sang about love in all its forms, using very different genres. I also loved singing with an orchestra at the final, even though the piece I’d chosen was perhaps a little too heavy for me. Finally, I was amazed at how much support the competition gave to its winners, offering a wide range of concerts, masterclasses and workshops.

Quels sont les conseils que vous donneriez à un chanteur ou une chanteuse qui souhaite participer à une compétition d’art lyrique ?

Tout d’abord de n’y aller que si l’on est prêt. C’est vraiment important, car sinon, ça peut se transformer en une expérience horrible qui peut même vous détruire. En revanche, si on est prêt, un concours peut devenir un tremplin, car il permet à un jeune chanteur de retenir l’attention de potentiels futurs employeurs. Par exemple, des directeurs d’opéra, qui siègent souvent dans les jurys. Je dis souvent à mes élèves que si on arrive à un concours en étant prêt à 80%, avec la pression et le stress, on perd encore au moins 30% de ses capacités. Et il est dommage de ne révéler qu’une infime facette de ses capacités devant des gens qui, potentiellement, pourraient vous donner du travail. De plus, les épreuves étant souvent filmées, les vidéos restent ensuite en ligne, et malheureusement, dans ce milieu, on n’oublie pas les prestations moins réussies. Je recommande aussi à mes étudiants de travailler avec un metteur en scène sur l’aspect scénique de leur performance et, bien sûr, de réfléchir au répertoire. Est-ce qu’on présente un air qui montre où on en est au moment du concours ou alors, on chante quelque chose qui montre là où on pourrait aller ? Vaste question…

Depuis 2016, votre carrière a pris un envol extraordinaire. Est-ce que vous avez l’impression d’avoir fondamentalement changé au cours de ces huit années ? Je dirais que j’ai beaucoup changé dans ma manière d’être sur scène. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus libre, je sais aussi quelle est ma personnalité scénique. Ceci dit, en 2016, il y avait déjà, en germe, ce qui est devenu aujourd’hui ma « marque de fabrique » : ces projets très créatifs qui racontent une histoire. C’est ce que j’ai fait en demi-finale. Avec le recul, je me dis que c’était assez osé de proposer du Jacques Brel et des standards de jazz dans une demi-finale de concours d’opéra. Je l’ai fait, parce que c’était vraiment moi, et aujourd’hui, je fais la même chose, mais en mieux. En repensant à celle que j’étais pendant le Concours de

What advice would you give to a singer who wants to enter an opera competition?

First and foremost, don’t go if you’re not ready. This is really important, because if you’re not, it can end up being a horrible experience that can even destroy you. On the other hand, if you’re ready, a competition can be a great way to get noticed by potential future employers. For instance, opera directors frequently serve on juries. I often tell my students that if you enter a competition when you’re 80% ready, with all the pressure and stress, you’ll still lose at least 30% of your ability. It’s a shame to show only a small part of what you can do in front of people who could potentially give you a job. Also, since competitions are often filmed, the videos stay online. Unfortunately, in this business, less successful performances are not forgotten. I also advise my students to work with a director on the staging of their performance and, of course, to think about the repertoire. Do you perform an aria that shows where you are at the time of the competition, or do you sing something that shows where you could go? It’s a big decision.

Since 2016, your career has taken off in an amazing way. Do you feel like you've changed a lot in the last eight years? I’d say I’ve changed quite a bit in the way I perform. I’m a lot freer now and I also know what my stage personality is. Having said that, back in 2016 I was already working on some ideas that would eventually become my trademark: these highly creative projects that tell a story. That’s what I did in the semi-final. Looking back, I think it was quite a bold move to perform Jacques Brel and jazz standards in the semi-finals of an opera competition. I did it because it was true to who I was, and today I’m doing the same thing, only better. When I think back to who I was during the Concours de Genève, I feel like I’ve kept the same sincerity. I’m more assertive, but I still have the same desires, which I now fulfil with more resources, both vocally and physically. In 2016, my voice had a different colour. Since then, it’s developed on its own. It just happened naturally.

Genève, j’ai l’impression d’avoir gardé la même sincérité. Je suis, bien sûr, plus affirmée, mais j’ai toujours les mêmes envies que je réalise, aujourd’hui, avec plus de moyens, aussi bien vocaux que physiques. En 2016, ma voix avait une autre couleur. Depuis, elle s’est développée toute seule. Ça s’est fait naturellement.

Vous évoquiez vos élèves : quelle place occupe l’enseignement dans votre vie ?

Pour le moment, j’enseigne en privé et je donne beaucoup de masterclasses. Mais il est possible que dans un avenir proche, je sois amenée à donner des cours dans une institution. On me dit souvent que j’ai tout mon temps avant de me mettre à l’enseignement, que je suis trop jeune, mais je ne suis pas d’accord. Pourquoi faudrait-il attendre d’être plus âgée pour enseigner ? Au contraire, c’est maintenant que je peux transmettre plein de choses aux plus jeunes. J’ai pris ce chemin de chanteuse lyrique il n’y a pas si longtemps, et je sais à quoi ressemble le métier aujourd’hui.

Un « métier » qui reste, encore, très dur pour les jeunes chanteuses…

Il est également très dur pour les jeunes chanteurs, même si on en parle moins. J’ai beaucoup d’élèves masculins et j’ai aussi de nombreux élèves non genrés. La nouvelle génération est très ancrée dans les problématiques actuelles. Parmi mes élèves, il y a des mezzos avec les cheveux rasés, des basses qui mettent des jupes, des ténors avec du rouge à lèvres. Il y a de tout, et c’est génial ; ces jeunes interprètes représentent la société d’aujourd’hui.

« Aujourd’hui, être chanteuse ou chanteur, ce n’est plus seulement être un bon interprète, mais c’est aussi être un acteur, un influenceur et un entrepreneur. »

You mentioned your students: what role does teaching play in your life?

At the moment, I teach privately and give a lot of masterclasses. But it’s possible that in the near future, I will be brought to teach in an institution. I’m often told that I have plenty of time before I start teaching, that I’m too young, but I don’t agree. Why should I wait until I’m older to teach? In fact, I think now is the perfect time for me to pass on a lot of things to younger people. I started out as an opera singer not so long ago, and I know what the profession is like today.

A “profession” that is still very difficult for young female singers...

It’s also very difficult for young male singers, even though we don’t talk about it as much. I have a lot of male students, and I also have a lot of non-binary students. The new generation is very much in tune with today’s issues. I have mezzos with shaved hair, basses who wear skirts, tenors with lipstick. There’s a bit of everything, and it’s great; these young performers represent today’s society.

“Being a singer today isn’t just about being a good performer. It’s also about being an actor, an influencer and an entrepreneur.”

What do you seek to transmit to them?

I try to teach them everything they don’t learn at school. Being a singer today isn’t just about being a good performer. It’s also about being an actor, an influencer and an entrepreneur.

Unfortunately, these days, to exist as a singer, you have to be on social media. The first thing most people do is check out your Instagram profile and your YouTube videos. Whether you like it or not, that’s the reality. So,

L’ÉLÉGANCE

[Nom fém.]

L’art et la manière de vous recevoir.

Qu’est-ce que vous leur transmettez ?

J’essaie de leur apprendre tout ce qu’on n’apprend pas à l’école. Aujourd’hui, être chanteuse ou chanteur, ce n’est plus seulement être un bon interprète, mais c’est aussi être un acteur, un influenceur et un entrepreneur. Malheureusement, aujourd’hui, pour exister en tant que chanteur, on doit avoir une présence sur les réseaux sociaux. La première chose que la plupart des gens font, c’est d’aller voir votre profil Instagram et vos vidéos sur YouTube. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, c’est la réalité. Donc, j’enseigne le chant, mais j’apprends aussi à mes étudiants toutes les autres facettes du métier. On parle aussi des limites : comment se comporter face à un agent, un chef d’orchestre ou un metteur en scène ? Comment éviter de se faire marcher dessus, sans non plus devenir une diva ? Je recommande aussi à mes élèves de faire du sport afin de pouvoir tenir sur des productions de plus en plus exigeantes sur le plan physique. Aujourd’hui, les distributions sont souvent composées par les metteurs en scène. Ils veulent des interprètes capables de faire des choses qu’ils ont imaginées, donc si on n’est pas en forme, on risque d’avoir moins d’engagements. Je dis aussi à mes étudiants qu’il est très important de prendre soin de son corps. En plus du sport, il faut vraiment pouvoir s’accorder des jours de repos, consulter un ostéopathe ou un masseur… Notre corps, c’est notre instrument !

I teach singing, but I also show my students the other sides of the profession. We also talk about boundaries: how do you behave in front of an agent, a conductor or a director? How do you avoid being trampled on, without necessarily becoming a diva? I also advise my students to take up sport to cope with the increasingly physically demanding productions. Today’s casts are often put together by directors. They want performers who can do the things they’ve imagined, so if you’re not in shape, you risk getting fewer engagements. I also tell my students that it’s very important to take care of your body. As well as sport, you really need to be able to take days off, see an osteopath or masseur... Our body is our instrument!

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