Crédit photo : Sophie Mendes
calédonien l’inacceptable. Côté indépendantistes, Le Fulk et l’USTKE qui avaient plutôt vu dans ces Accords, la reddition du FLNKS devant la puissance coloniale, quittèrent l’un après l’autre ce mouvement. Pour les anti-indépendantistes de leur côté, enfermés dans l’idée que c’est l’Europe qui apporte le progrès, la civilisation et le droit aux peuples exotiques, et non l’inverse, reconnaître que les kanak ont des droits historiques
et qu’ils les leur offrent de surcroît en partage, relevait de l’injure. Il a fallu toute l’autorité de J. Lafleur pour faire admettre momentanément, aux élus du RPCR, qu’accepter les kanak de leur part était la seule condition intelligente d’une paix durable.
A. El Sadate survenue dans un contexte politique similaire de négociation pour un accord de paix. Pour la même raison, J. Lafleur avait été désavoué par la majorité des électeurs européens du Grand Nouméa lors du référendum de 1988 sur les Accords de Matignon.
Les Accords de Matignon-Oudinot, germe du grand rêve calédonien, est l’expression de la dignité du politique. Ils sont une profession de foi, en la possibilité, pour tous les “enfants du pays”, de forger ensemble un monde commun, à partir de leurs identités individuelles et collectives respectives. Ils sont le pari sur l’intelligence, dans la mesure où celle-ci est cette capacité qui nous rend capable, de nous élever au-dessus de notre univers de vie pour accueillir l’autre dans son honneur, eût-il été l’ennemi d’hier, et prendre le risque d’admettre que, même s’il y a eu des morts entre nous, celui-ci a une vérité à partager avec nous.
Lors du premier référendum en 2018, 30 ans après la poignée de main historique, l’esprit des Accords de Matignon-Oudinot a grandi et habite la conscience calédonienne. D’un côté, il y a cette aspiration profondément humaine qui d’ellemême gagne doucement les consciences, et de l’autre côté les partis politiques qui s’approprient, à grand bruit, les notions de “destin commun, d’avenir ensemble”, pour en faire des arguments de lutte pour le pouvoir, conservant tristement un regard tourné vers le passé, négligeant de voir toutes les opportunités d’un avenir meilleur pour la jeunesse du Pays. De l’autre côté il y a la dignité du politique, dans la mesure où selon la philosophe H. Arendt la dignité humaine tient au fait d’être “co-fondateur d’un monde commun”, il y a la politique dans sa médiocrité, règne de la ruse et des rapports de forces. Il faut libérer la politique de la médiocrité.
Cependant, ce qui a été, et ce qui reste toujours difficile à faire comprendre, c’est que ces Accords s’inscrivent dans un processus de paix d’une grande hauteur politique, bien différent des combats électoraux habituels du type gauche contre droite, conservateurs contre libéraux ou indépendantistes contre anti-indépendantistes. En effet, si dans ce dernier cas de figure, une belle victoire électorale s’obtient par la défaite des adversaires, œuvrer pour la paix par contre exige, autant que faire se peut, respect mutuel et écoute de l’autre. Dans cet autre cas de figure, chacun doit à la fois défendre ses convictions et en même temps veiller à ce que l’autre ne soit pas discrédité dans son propre camp, sinon tout est à recommencer. A respecter ainsi l’ennemi d’hier, chacun court le risque d’être accusé, par ses propres compagnons de lutte, de “trahir la cause”, avec des conséquences souvent dramatiques dont l’histoire offre de nombreux exemples. Pour cette raison J-M Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné avaient été soupçonnés de trahison par d’autres indépendantistes kanaks qui s’attendaient à les voir piétiner le RPCR avec l’appui des socialistes français et non qu’ils s’engagent avec J. Lafleur dans un processus de paix. Leur mort rappelle celle de l’israélien Rabin et de l’égyptien
Fondamentalement, cela signifie que la création d’un monde commun est moins une affaire de majorité électorale, que de respect des dignités individuelles et collectives. Le peuple kanak a accepté de partager ses droits avec d’autres depuis 1983 et il est temps aujourd’hui, par la seule majorité électorale de démontrer que ce monde commun existe bien, depuis longtemps, et que chacun d’entrenous vit déjà chaque jour l’un avec l’autre dans le respect des dignités individuelles et collectives. Cette prise de conscience collective a dorénavant un impact sur la politique du pays, quel que soit le parti. Cette petite graine semée il y a 30 ans a germé, grandi et elle est devenue en 2018 un bel arbre avec des racines bien ancrées dans le sol du Pays, ne demandant plus qu’à fleurir en 2020 avec un OUI à la pleine souveraineté du pays, pour enfin offrir ses fruits d’indépendance.
CONSTRUIRE LES LOYAUTÉ
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