Coralie DUMONT MEMOIRE HMONP - ENSA Nantes 2018-2019

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C O R A L I E

DUMONT

MISSION 1 POSSIBLE

LE PROGRAMME : 1er INDICE DU PROJET EN MARCHé PUBLIC

sous la direction de francoise coulon mémoire professionnel / formation hmonp / ensa nantes 2019



C O R A L I E

DUMONT

MISSION 1 POSSIBLE

LE PROGRAMME : 1er INDICE DU PROJET EN MARCHé PUBLIC

sous la direction de francoise coulon mémoire professionnel / formation hmonp / ensa nantes 2019



Merci, à Françoise Coulon pour son accompagnement et ses conseils tout au long de ces cinq mois d’élaboration du mémoire, à Fabienne Legros et Pauline Ouvrard pour les échanges que l’on a eus lors de la présentation orale à mi parcours, à Lise Daculsi, Alexis et Pascal Dumont, Aurélien Mahé, Fabienne Paumier, Nadia Roper, Anaïs Rohfritsch, Laure Pasquet et Carole Pohu pour le temps qu’ils m’ont accordé afin d’échanger sur le sujet de ce mémoire, à mes camarades du jeudi soir et nos échanges sur les divers sujets de mémoire, à l’équipe de l’agence AVENIR24 architecture, à Kévin, François, Théodora et Clémence.


Préface

entre histoire personnelle et histoire du-de projet

N

ous sommes le lendemain de la clôture de ces 5 sessions entre « cours théoriques » et témoignages de professionnels d’horizons différents. 5 mois se sont écoulés, 7 mois depuis les rencontres métiers, plus d’une année depuis la prise de décision vers l’inscription à la formation HMONP, 10 mois depuis mon arrivée à l’agence AVENIR24 architecture, 5 ans après l’obtention de mon diplôme d’état à l’ENSA Nantes et 12 ans après l’obtention de mon bac en Arts Appliqués et mon arrivée en première année à l’école d’architecture de Nantes… des rencontres, des découvertes... Un temps long au cours duquel de nombreuses informations se cumulent, s’additionnent et se confrontent quotidiennement et viennent aujourd’hui interagir dans nos relations et pratiques professionnelles, dans notre production et réflexions personnelles… Quel est notre parcours ? Où allons-nous ? Quel est notre engagement ? pour qui ? Comment participer à l’évolution de la profession et valoriser le travail de l’architecte qui est d’intérêt général et notre travail en tant que futur-e-s architectes ? Comment se positionner dans la sphère des multiples pratiques ? Quels sont nos désirs d’architecture ?

« la forme ne fait pas la fonction mais la fonction fait la forme »1 Le mémoire de HMONP est né d’un questionnement quotidien et de problématiques itératives mettant en jeu deux protagonistes de l’histoire du projet que sont le maître d’ouvrage à l’origine du récit de la commande et le maître d’oeuvre, metteur en scène, « metteur en forme » du projet en marché public. Le programme, synopsis écrit du projet est l’élément essentiel et déclancheur à sa mise en forme. Ainsi l’expression « la forme ne fait pas la fonction mais la fonction fait la forme » prend tout son sens. C’est par une pratique non exhaustive mais diversifiée en architecture que j’ai pu appréhender ce rapport aux programmes, rapport aux usages, rapport à « l’autre », « aux autres » 1. La forme ne fait pas la fonction mais elle peut la suggérer. Allers-retours entre forme et fonction tout au long du processus de construction.

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sous divers angles, en marché privé puis en marché public.

2013 - Après l’obtention de mon diplôme d’état en février, j’ai souhaité voyager, m’évader, m’enrichir à nouveau des autres (MASTER 1 en République Tchèque, à Prague) et des rencontres rendues possibles en totale immersion et prendre ainsi du recul face à ces 5 années d’étude intenses. En m’éloignant quelque peu de la pratique de l’architecture, j’ai développé au cours de mes voyages, un fort intérêt pour la place et l’écoute de « l’autre ».

2015 - à mon retour et pour débuter, j’ai eu plaisir à travailler dans ma ville natale au sein d’une petite équipe de maîtrise d’oeuvre comprenant six personnes. « L’autre » est alors devenu le maître d’ouvrage privé, une société d’assurance, un organisme mutualiste, une personne privée... Comme Un Trait est une agence travaillant exclusivement pour des maîtres d’ouvrage privés avec lesquels nous co-élaborons sur une première mission, celle du programme puis sur une deuxième, celle relative au projet en terme de conception (deux missions qui nécessitent des allers-retours itératifs). J’ai rapidement expérimenté un travail en autonomie avec le maître d’ouvrage sur des projets divers : mise aux normes accessibilité handicapés de l’ensemble des blocs sanitaires des MMA au Mans (du programme à l’analyse des offres des entreprises - démolition/reconstruction), réhabilitation d’agences Groupama au Mans, à Chartres et à Rouen (du relevé/diagnostic, DCE, suivi de chantier), projet d’extension et de surélévation d’une maison individuelle de 130m2 au Mans (de l’APS au DCE) et un projet de réhabilitation de bâtiments industriels en un logement de 250m2 (du programme à l’APD). J’ai pu sur des projets à petite et moyenne échelles entrevoir l’importance donnée à l’écoute fine des besoins exprimés par le maître d’ouvrage souvent maître d’usage et ce tout au long du processus de l’acte de construire. De cette expérience, j’ai commencé à développer des compétences tout autre que celle de la conception (formation initiale) que sont la communication et cette qualité d’écoute. 7


2017 - Par la suite, j’ai intégré l’agence d’Hauteserre architecte au Cannet dans les Alpes-Maritimes. On m’a offert la possibilité de travailler sur des projets de logements de plus grande ampleur (maîtrise d’ouvrage privée, promotion immobilière). J’ai notamment travaillé sur trois projets en autonomie sur la phase technique du DCE : 2 châlets comprenant 42 logements à Briançon, 65 logements à Beausoleil, 2 bâtiments collectifs de 62 logements à Puget-sur-Argent. Cette expérience marquée par un managment basé notamment sur une production graphique intense nous a « déconnectés » du rapport à « l’autre », du rapport entre maître d’ouvrage et maître d’oeuvre et ainsi du rapport entre programmation et conception architecturale, du rapport à l’histoire du projet. 2018 - Finalement, en septembre dernier, l’agence AVENIR24 architecture me propose d’intégrer l’équipe (4 personnes) avec l’objectif de repenser la répartition du travail au sein même de l’agence. L’inscription à la formation HMONP était pour moi l’occasion de m’interroger plus précisement sur un sujet choisi. Le sujet en lien avec ma pratique permet de me questionner, de questionner les pratiques d’architecture, d’entamer une orientation, un positionnement et un engagement vers une pratique future souhaitée, celle au service de « l’autre » ancré dans un territoire singulier. M’interesser à la question du programme semble alors pertinant. Il s’agit de ce que l’on nommera dans cette étude la mission 1, études préalables et programmation, celle relative à la maîtrise d’ouvrage en marché public, mission 1, support de dialogues et négociations entre l’architecte et cet « autre », le maître d’ouvrage. après 2019 - En parallèle, j’ai le désir d’expérimenter et de participer à l’histoire d’un projet d’habitat participatif. Là où le programme est déterminé conjointement avec le maître d’ouvrage, l’habitant et le maître d’œuvre. Souhaitant me rapprocher de notre pratique en agence et l’exercice de l’habitat participatif désiré, je pense notamment au projet « Ensembles à Claveau » à Bordeaux exposé lors des Rencontres Métiers par Antoine Tison et Pierre-Yves Guyot. Ici l’architecte « dépasse » son rôle de créateur/concepteur du projet (réhabilitation d’habitats sociaux). Il devient le lien social entre les acteurs et propose ainsi un programme qui évolue en concertation avec le sujet : les habitants. L’architecte, par une immersion sur un temps long, permet également d’organiser les réflexions afin d’aboutir à un programme cohérent (projet inital/budget).

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De cette étude, en découlent des pistes de réflexions élargies. L’élément déclencheur qui fait l’histoire (analogie domaine du cinéma) est vraisemblablement le programme (en architecture) et le moment de sa passation à l’architecte. Ce mémoire marque un temps d’arrêt (5 mois) et engage des reflexions qui laissent entrevoir des perpectives de notre trajectoire professionnelle en cours et à venir. Il est nécessaire pour ce faire de valoriser des compétences acquises mais également d’appréhender des savoir-faire à acquérir et à mettre en place dans l’objectif d’une pratique future proche de nos désirs d’architecture.

Ouvrons la porte du champ des programmes, succession de mots, expression des besoins, alimentés de diagrammes, tableaux et références, documents contractuels qui ouvrent le dialogue entre acteurs de la construction afin de « toucher du doigt » les prémices de ce qui fait l’histoire des projets. Allons à la rencontre des maîtres d’ouvrage, leurs programmistes et AMO.

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Table des matières préface iNTRODUCTION 1. Les contours de la programmation et l’importance DE la 1ere MISSION

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ETAT DES LIEUX 1.1. Le synopsis : des origines de la programmation à aujourd’hui, approches historiques et législatives

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De l’étymologie du mot programme à la loi MOP de 1985

1.2. Portraits d’acteurs : acteur principal - figurant - metteur en scène

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L’habitant, le maître d’ouvrage, les programmistes et l’architecte

1.3. Le lien fondamental entre le synopsis et la mise en scène entre la programmation (MO) et la conception (MOE)

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La formation initiale : formation et profession Villès-Martin, bord de mer, proposition pour une requalification urbaine : projet de fin d’étude 2013, ENSA Nantes, option de projet AMC (Ambiances, Matières et Climat) proposée par l’équipe enseignante composée de Christian Marenne, Virginir Meunier, Antoirne Mabire et Diego Rodriguez

2. de la nécessité d’immixtion de l’architecte dans la mission 1

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ÉTUDES DE CAS 2.1. Démarche participative dans l’élaboration d’un habitat social collectif 40 L’Acadie, 40 logements coopératifs à Quimper Une mission de faisabilité ou la première étape « conception-conseil » S’inspirer de l’expérience pluridisciplinaire et de la concertation en urbanisme Les limites de l’accord-cadre et la procédure de concours La maquette comme outil d’élaboration du programme

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2.2. Diagnostic « en marchant » pour la réhabilitation d’un habitat social 48 Elsa Triolet, réhabilitation 45 logements au Mans Entre les lignes du programme technique : le programme « sensible » et son rapport à l’existant Valoriser les missions de relevé et diagnostic du « déjà-là » étirement des phases programme/conception Adéquation programme/budget

3. Compétences et outils à faire valoir et/ou à développer

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ÉTUDE PROSPECTIVE 3.1. Se former et former

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Accompagner et assister les maîtrises d’ouvrage Expérimenter : 3 pistes

3.2. Se questionner et susciter l’intérêt

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Questionner les procédures des marchés publics Le programme comme support de négociation et de dialogue Repenser ou compléter l’enseignement des ENSA S’ouvrir aux démarches des pays voisins La culture architecturale et urbaine 3.3. Reprendre ? créer ? Le type de structure L’importance du sujet habitant

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CONCLUSION références et médiagraphie ANNEXES

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Retranscriptions partielles / « trouvailles » d’entretiens Carnet de bord de mise en situation professionnelle Note d’intention Notes de synthèse Rapport de suivi de Mise en Situation Professionnelle

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Introduction

L

e programme et le budget sont les premières clés donnés à l’architecte, maître d’œuvre dans l’élaboration du projet. Nous sommes constamment, à l’agence notamment, confrontés à cette question du programme, tantôt incomplet ou mal défini, tantôt en inadéquation avec le site, le contexte singulier ou avec le budget, tantôt malmenés par des revirements politiques et les évolutions sociétales et l’intérêt porté à la place de l’habitant dans le processus global de construction…Or, le programme est la résultante d’un jeu d’acteurs complexe et fragmenté dont l’architecte semble être exclu du processus.

« la démarche de programmation est d’abord un prélude, mais elle se révèle rapidement être la construction du projet »1 Si l’on part du constat qui sera développé dans cette étude, que le programme est indissociable du projet en terme de conception, le lien intrinsèque entre programme et projet architectural est alors fondamental. Or, en marché public, le programme est élaboré par la maîtrise d’ouvrage ou la maîtrise d’ouvrage déléguée (MOD) et le projet est dessiné et réalisé par l’architecte et l’équipe de maîtrise d’œuvre. En marché public, l’activité de la maîtrise d’ouvrage ainsi que celle de maîtrise d’œuvre et de la conception architecturale sont explicitement codifiées. Maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre sont deux entités scin1. Avant-propos de François Kosciusko-Morizet, président de la MIQCP du Guide de sensibilisation à la programmation, MIQCP, 2008

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dées dont les fonctions sont précisément définies par la loi MOP de 1985 et ses décrets d’application de 1993 (cadre juridique résultant principalement de la loi du 4 janvier 1977 relative à l’architecture et celle du 2 juillet 1985, relative à la maîtrise d’ouvrage publique, la loi MOP) et plus récemment avec la version consolidée de code de la commande publique du 1er avril 2019. C’est dans ce contexte et donc dans ce paradoxe qu’il m’a semblé important d’explorer la question du programme dans l’espace temps de son déroulement et de celui de la conception du projet. Ainsi en découle la question de la place du programme dans le processus global de la conception et celle de l’architecte dans le processus global de construction. Il serait intéressant d’en comprendre son mécanisme, ses enjeux, son évolution mais également ses « porosités » pour ainsi mettre en lumière le rôle de l’architecte non seulement en maîtrise d’œuvre dite « classique », mais aussi dans la démarche précédant sa mission, dans l’amont du projet où la notion d’interprétation et les ingrédients aux prémices de l’histoire du projet semblent lui échapper.

Que peut être la « plus value » apportée de l’architecte dans le processus programme et comment peut-il poursuivre dans la phase conception puis réalisation ? Dans l’hypothèse où l’architec-

Se pose alors la problématique suivante :

ture/l’acte de construire est un tout dans lequel les domaines aujourd’hui fragmentés de la programmation, du projet (conception) et de la réalisation doivent s’imbriquer, il est nécessaire de s’interroger sur le sujet mis en place dans cette étude. Afin de tester et démontrer l’hypothèse, la méthode d’enquête consiste à provoquer des rencontres et mener des entretiens avec les acteurs du programme/projet : chargés d’opération (maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’ouvrage déléguée), AMO (assistant à maîtrise d’ouvrage), programmistes et architectes me permettant de comprendre les mécanismes de la programmation mis en oeuvre par ces derniers et la complexité des enjeux. En parallèle, la médiagraphie vient compléter l’étude et une brève étude de cas concret, contruction de 40 logements locatifs et accessions sociales et 45 logements sociaux en réhabilitation (étude de cas proches des projets pratiqués en agence) viennent enrichir et

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démontrer le propos initial qu’est la nécessité d’intégrer les savoir-faire et les compétences propres des architectes dans la mission 1 en amont de la conception architecturale : la programmation. Ce mémoire s’organise en trois parties. La première (Les contours de la programmation et l’importance de la 1ere mission, état des lieux), propose une petite remontée dans le temps. Nous aborderons, le contexte historique et législatif de la programmation, ensuite nous dresserons le portrait des acteurs qui entrent en jeu dans le processus. Enfin, un saut dans la formation initiale de la profession va permettre de montrer l’importance du sujet quant au lien fondamental qui existe entre la phase amont, les études préalables (missions du maître d’ouvrage en marché public) et la phase conception (mission du maître d’œuvre). La deuxième partie (De la nécessité d’immixtion de l’architecte dans la mission 1, étude de cas), propose d’illustrer le propos par une brève étude de cas concrets. Nous développerons les stratégies que peuvent mettre en place les architectes pour être au plus proche des besoins des habitants et futurs habitants et répondre au mieux à la commande spécifique du maître d’ouvrage. Cette partie montrera l’importance de l’architecte grâce à sa force de proposition et d’accompagnement de la maîtrise d’ouvrage dans le processus programmation/conception. La troisième et dernière partie (Compétences et outils à faire valoir et/ ou à développer, étude propective), marquera un moment de réflexion personnelle et partagée concernant la place de l’architecte dans l’amont de la conception architecturale et posera des pistes de réflexion à mener et à appliquer autant que possible dans ma pratique future. Comme l’évoque Patrick Bouchain, « L’architecture est un ensemble, c’est construire des idées, des rapports », ainsi, dans cette volonté d’une construction collective, et ce, dès les prémices du projet, ce mémoire marquera une étape dans ma démarche personnelle qui se prolongera par une mise en application des découvertes faites au cours de cette étude. Cependant, les cinq mois consacrés à cette dernière ne permettront pas de répondre pleinement aux questions découlant de cette «intrusion» dans l’amont du projet. Cependant, il semble nécessaire de faire du dialogue le fil conducteur du projet pour « faire ensemble » et ainsi comprendre les problématiques et enjeux actuels mais également comprendre les enjeux de la maîtrise d’ouvrage pour ainsi «fluidifier» les rapports maître d’œuvre – maître d’ouvrage (et maître d’usage) afin de mieux se positionner face à la commande dans une future pratique personnelle souhaitée et partagée. 15


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1. Les contours de la programmation et l’importance DE la 1ere MISSION ETAT DES LIEUX

Dans un premier temps, il s’agit de placer la focale en amont du processus de production architecturale ; les études préalables et le programme comme première étape essentielle de l’histoire du projet. Puisqu’en effet, comme le souligne la MIQCP, « les réflexions préalables conditionnent la qualité finale »1 du projet. Ensuite, dé-zoomer puis recentrer la focale de la phase amont à la phase de conception, la mission de maîtrise d’œuvre afin de mettre en évidence la dialectique des acteurs dans le processus programmation/conception. Et finalement un bref parallèle entre la formation initiale de la profession d’architecte et les constats faits précédemment (histoire, législation et acteurs) vont permettre de marquer l’intérêt et l’importance du sujet de ce mémoire : mission 1-possible, les études préalables et la programmation, première étape de l’élaboration d’un projet, mission indissociable de la conception puis de la réalisation du projet architectural. 1. Guide Programmation des Construction Publiques, MIQCP, Éditions le Moniteurs, 2001

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1.1. Le synopsis : des origines de la programmation à aujourd’hui, approches historiques et législatives

Un bref retour en arrière par une approche généalogique nous permet de mieux comprendre l’évolution de la programmation au cours de l’histoire et les étapes qui ont mené à la situation telle qu’on la connait aujourd’hui en marché public en France. En effet, au fil du temps, les textes réglementaires relatifs à la commande publique ont mis l’accent sur l’importance de la phase de réflexion qui est nécessaire à la définition d’un projet de qualité et d’intérêt public. Le mot programme vient du grec programma et signifie « ce qui est écrit à l’avance ». Le terme programme est intégré à la langue française au XVIIe siècle et le terme de programmation n’apparait qu’au XIXe siècle dans laquelle est détaillé ce qui va être organisé. D’après l’étude de Jodelle Zetlaoui-Léger, c’est à la Renaissance avec Léon Battesti Alberti puis au XIXe siècle avec Eugène Emmanuel Violletle-Duc qu’apparait l’intérêt porté sur la démarche, le « process » de la programmation en architecture. A la Renaissance, en Europe, Léon Battesti Alberti évoque dans son traité De re aedificatoria, la nécessité d’instaurer un dialogue entre le maître d’ouvrage, commanditaire, et l’architecte en charge de la conception et de la réalisation de l’ouvrage afin d’établir ce que l’on nomme aujourd’hui le programme ou le cahier des charges du projet. Par un certain nombre de règles, Alberti met en place un « process » dans lequel l’architecte doit répondre aux besoins, aux usages suscités par les désirs en intégrant la notion de beauté relative au plaisir. Au XIXe siècle, Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc, reprend dans ses Entretiens sur l’architecture « cette idée d’approfondissement des éléments du programme comme base de toute réflexion constructive »2 dans l’élaboration d’un projet par l’architecte. Pour lui, « les raisons pre2. la programmation architecturale et urbaine, émergence et évolutions d’une fonction », Jodelle ZETLAOUI-LEGER, dans « les cahiers de la recherche architecturale et urbaine » n°24-25 « la critique en temps et lieux », éditions du patrimoine, 280 pages

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mières, déterminantes en architecture » sont « les moyens matériels » mais également « le programme »3 en distinguant d’un côté l’expression du besoin et d’un autre côté la définition des matériaux et techniques à mettre en œuvre pour y répondre. Dès l’antiquité, dans les civilisations gréco-romaines, le programme contenait des prescriptions notamment en termes de règles. L’objectif du programme était principalement le respect de ces prescriptions par l’architecte et l’entreprise ; le maçon, afin de réaliser l’édifice public dans les coûts d’exécution prévus. Par la suite en France au XVIIe siècle, le programme est utilisé comme outil de contrôle technique et administratif dont les plans-programme des places royales en sont l’illustration. Le programme est ainsi le contrat entre les deux entités que sont le client et l’architecte et sert également de règlement de concours. Au cours du XVIIIe et du XIXe siècle, dans une volonté d’affirmation de l’identité nationale et d’un maintien d’un contrôle social, l’État, utilise le programme comme un outil permettant de diriger la production des équipements sur le territoire. Il régit les modes de contractualisation entre l’État, les autorités locales et les maîtres d’œuvre et permet de planifier et de réaliser dans des délais courts des constructions à grande échelle et d’en maîtriser les coûts. L’architecte est alors au service de l’état et de ses « objectifs politiques, sociaux et économiques selon des modalités qui mèneront progressivement au fonctionnalisme et à la standardisation des « process » et des éléments constructifs. La surface des locaux, la taille du mobilier et sa forme font l’objet de prescriptions très détaillées »4. Comme vu précédemment, la programmation trouve ses sources dans les grandes théories, au cours des siècles passés, de l’Antiquité à la Renaissance puis au cours du XIXe et XXe siècle et également dans les méthodes d’urbanisme développées après la seconde guerre mondiale. Cependant, ce qui marque véritablement l’histoire est « l’an 1 de la pro-

3. Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc, Entretiens sur l’architecture, dixième entretien, [Paris, Morel, 1863], rééd. Mardaga, 1986 p.464 4. la programmation architecturale et urbaine, émergence et évolutions d’une fonction », Jodelle ZETLAOUI-LEGER, dans « les cahiers de la recherche architecturale et urbaine » n°24-25 « la critique en temps et lieux », éditions du patrimoine, 280 pages

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grammation »5 en France qui prend place dans les années 70 avec la loi sur l’ingénierie de 1973 dont le centre Georges Pompidou, centre culturel pluridisciplinaire en est le premier exemple. La démarche programmatique est officialisée, légalisée par la loi mise en vigueur. La programmation devient ainsi une obligation réglementaire. De cette obligation, en découlent les prémices d’une autonomisation de la programmation et la création d’une « nouvelle » profession par la suite. Cette première marche législative instaure également le début de la fragmentation des missions et intrinsèquement la mise à distance entre la programmation et la conception dans le secteur en marché public en France.

Concours d’idées lancé en 1969 Maquette du projet définitif, façade ouest, Renzo Piano et Richard Rogers, 1973 © Centre Pompidou

La directive d’application du décret du 28 février 1973 relatif aux missions d’architecture et d’ingénierie est un des premiers textes à reconnaître l’utilité du programme et la définition de son contenu : « Il est essentiel que les maîtres d’ouvrage consacrent le plus grand soin à l’élaboration en temps voulu du programme de toute opération d’investissement. Des programmes imprécis, voire inexistants, ou modifiés en cours de la réalisation des ouvrages sont générateurs de désordres, d’improvisation et de dépassement de crédit, c’est-à-dire, en définitive, d’ouvrages ratés et hors de prix. Le programme nécessite des études souvent ingrates et difficiles dont il ne faut sous-estimer ni le coût, ni la durée. Ces études portent sur les données, les besoins, les contraintes, les exigences »6. 5. directive d’application du décret du 28 février février 1973 relatif aux missions d’architecture et d’ingénierie 6. Jean Millier, entretien « Maîtrise d’ouvrage et architecture de qualité », Architecture

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« Le décret sur l’ingénierie et l’architecture de 1973, fait passer les architectes du monde de l’art à celui de l’industrie scindant en trois pôles le système de production : le maître d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre et l’entreprise »7 . L’acte de construire n’apparait plus comme un ensemble, un processus global et linéaire dans lequel l’architecte et l’équipe de maîtrise d’œuvre élaborent un projet, de la phase amont ; les études préalables et le programme, à la phase aval, DET (direction de l’exécution du ou des contrats de travaux) et OPC (ordonnancement, pilotage et coordination) ; le chantier. Dans l’agence AVENIR24 architecture dans laquelle j’exerce, l’architecte et son associé, économiste de la construction assurent essentiellement des projets en mission complète, des études à l’assistance à la réception des travaux finis. Ici les liens avec les entreprises, le maître d’ouvrage et l’architecte sont pleinement assurés au regard du respect du programme initialement établi. Le décret sur l’ingénierie est ainsi le premier texte législatif qui régit la fonction du maître d’ouvrage. Il s’agit de structurer cette maîtrise d’ouvrage publique en lui conférant des fonctions afin d’assurer une meilleure maitrise d’une opération de construction. Par la professionnalisation de la maîtrise d’ouvrage publique, la législation souhaite une maîtrise plus accrue des coûts, des délais et éviter une mauvaise adéquation des projets au regard des utilisateurs finaux. Ainsi « La politique des modèles s’est instituée pour raccourcir des procédures. Sur la base d’un programme technique, on lançait un concours national et l’on sélectionnait des entreprises avec lesquelles on passait des marchés de gré à gré […] Les efforts de réflexion se limitaient à modifier les modèles tous les trois ou quatre ans. J’ai jugé qu’il était temps de reporter la réflexion sur la qualité des bâtiments publics. Une position que réaffirmait contre la série, le principe de l’unicité »8. Il s’agit désormais non plus sur un programme technique mais sur une vraie recherche de s’interroger sur la pertinence de l’ouvrage et de sa faisabilité. Ceci est une belle avancée dans la recherche de qualité architecturale et ce pour le bien commun. Le décret sur l’ingénierie de 1973 a permis dans la très grande majorité des cas une clarification des rapports entre maîtres d’ouvrage publics et architectes. Et l’enjeu principal pour les architectes qui ont contri7. Guy Tapie Les architectes mutations d’une profession p.21 8. Jean Millier, entretien « Maîtrise d’ouvrage et architecture de qualité », Architecture Intérieure Créée, 1992

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bué à cette réforme était l’accès à de nouvelles commandes notamment grâce à la mise en place de concours ouverts à des non-spécialistes. Cependant cette clarification accrue du rôle des acteurs principaux du projet a mis l’accent sur la fragmentation du processus : définition des intentions, conception du projet puis réalisation. Les textes législatifs jugés trop succincts ont été complétés par des recommandations exclicitées par la MIQCP. Parmi celles-ci on voit apparaître notamment la volonté de faire participer les futurs usagers au projet. Mais ce n’est véritablement qu’en 1985 qu’un nouveau texte de loi vient préciser l’organisation et les attributions de la maîtrise d’ouvrage, notamment en ce qui concerne les phases d’études préalables et la définition du programme d’une opération. Ainsi la loi MOP et ses décrets d’application relative à la maîtrise d’ouvage publique et ses rapports avec la maîtrise d’oeuvre privée instaurent des obligations qui sont les suivantes : • s’assurer de la faisabilité et de l’opportunité de l’opération envisagée, • déterminer la localisation, • définir le programme, • arrêter l’enveloppe financière prévisionnelle, • choisir le processus selon lequel l’ouvrage sera réalisé.

schéma issu du Guide “Sensibilisation à la programmation, MIQCP, 2008

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La loi définit précisément ce que doit contenir le programme en termes d’objectif : « Le maître d’ouvrage définit dans le programme les objectifs de l’opération et les besoins qu’elle doit satisfaire ainsi que les contraintes et exigences de qualité sociale, urbanistique, architecturale, fonctionnelle, technique et économique, d’insertion dans le paysage et de protection de l’environnement, relatives à la réalisation de l’ouvrage ».

1.2. Portaits d’acteurs « tout le monde programme et a toujours programmé »9. Notons que l’étude du mémoire ne remet pas en cause l’existence même du programme et de son autonomisation. En effet comme l’évoque Robert Prost, « c’est bien entre autre par l’invention programmatique que se fait progressivement l’actualisation des projets architecturaux et urbains en regard des mutations sociales et des enjeux urbains »10. Il est donc nécessaire d’intégrer l’importance du processus programme dans le processus global du projet et du rôle de chacun dans l’élaboration de ce dernier ainsi que la place de l’architecte. La restructuration de la maîtrise d’ouvrage par la loi MOP de 1985 et ses décrets d’application de 1994 instaurent véritablement un métier, celui de maître d’ouvrage. Ainsi le programme aide la maîtrise d’ouvrage à définir et préciser sa commande, à mettre en cohérence les objectifs initiaux d’un projet et sa conception (puis sa réalisation et sa gestion) et à s’organiser autour d’un projet d’intérêt général. La programmation désigne, comme vu précédemment, l’élaboration du programme et du cahier des charges d’un projet architectural ou urbain et la conception est la traduction des besoins dans l’espace. Or le constat fait dans mes différentes expériences et dans les entretiens menés lors de l’élaboration du mémoire, montre que programmation et conception sont des éléments partiels de l’acte d’élaboration d’un projet. Il est ainsi nécessaire de s’interroger sur la place des phases program9. la programmation architecturale et urbaine, émergence et évolutions d’une fonction », Jodelle ZETLAOUI-LEGER, dans « les cahiers de la recherche architecturale et urbaine » n°24-25 « la critique en temps et lieux », éditions du patrimoine, 2009, 280 pages 10. Robert Prost Pratiques de projet en architecture, Collection Archygraphy Poche p.81

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mation et conception dans le processus global de production et ainsi réfléchir sur la place des différents acteurs qui interviennent dans ces processus. Cette partie est nourrie des rencontres menées lors de l’élaboration de ce mémoire avec des programmistes et AMO (Carole Pohu, Laure Pasquet et Anaïs Rohfritsch), maîtres d’ouvrage et maître d’ouvrage délégué (Lise Daculsi et Alexis Dumont) et architectes (Fabienne Paumier, Aurélien Mahé, François Barcelo-Chatellier et Nadia Roper). « Les études de programmation sont l’occasion, pour le maître d’ouvrage, de mobiliser ses partenaires, usagers, personnels, élus locaux, maître d’œuvre… autour d’un projet commun. Ce sont des outils de dialogue »11. Ce processus programmatique implique donc un travail collectif et ce en dehors de la conception d’un point de vue formel et structurel. En effet, l’émergence d’un « bon programme », fruit d’une intelligence collective, d’échanges entres différents acteurs concernés impacte considérablement le lieu, l’espace, le projet, que ce soit par les ambiances, le choix des matériaux, de la relation public/privé, de la relation des espaces extérieurs et intérieurs, de la diversité des usages et de leur flexibilité et adaptabilité, de l’accessibilité… Alors même que parfois, les programmes que l’on nous donne à lire ne sont pas toujours pertinents, le travail de l’architecte est bien, comme l’évoque Fabienne Paumier lors de nos échanges concernant l’élaboration d’un programme avec un client privé, l’intérêt porté sur « l’aspect qualité de vie, bien-être, prise en compte de tous les sujets concernant le confort et le confort en tant qu’ambiance architecturale. C’est-à-dire comment on les traite ces aspects en tant qu’architecte. L’ambiance architecturale c’est le traitement de l’espace dans lequel on se sent bien, pourquoi ? Il s’agit de la proportion du lieu, de sa fonctionnalité, la lumière, le confort acoustique, le confort thermique, le côté ergonomique où la qualité des vues qu’on a sur l’extérieur… »12.

Le «bon» casting et ses enjeux L’importance du temps et de la maturation Tout l’enjeu d’un projet de construction publique réside dans la maîtrise d’un processus permettant la mise en œuvre d’un ouvrage de qualité.

11. Guide Programmation des Construction Publiques, MIQCP, Éditions le Moniteurs, 2001 12. MIQCP, 1979, p.52

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La difficulté est de faire converger les intérêts multiples et divergeants des différents acteurs qui interviennent dans le processus : les élus ; enjeux politiques et sociaux, les usagers et utilisateurs exploitants aux besoins divers, les riverains, les co-financiers et l’architecte, maître d’œuvre... En 1979, la MIQCP (Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques) proposait des réformes destinées à améliorer le système mis en place par le décret de 1973. Le chapitre concernant la programmation rappelle que les programmes ne doivent pas comporter de solutions mais seulement la définition des besoins, et de tous les besoins. Ainsi il est mentionné que le maître d’ouvrage en charge du programme « a pour mission de veiller d’une part, à ce que le programme soit complet et comporte toutes les indications utiles au concepteur et, d’autre part, à ce que le programme laisse ouvertes les solutions architecturales. » Il est également ajouté que « certains assouplissements peuvent être envisagés » afin de « permettre certains allers-retours qui pourraient être opportuns quant à la mise au point détaillée des projets ». Ces assouplissements font appaître « que certains changements au programme permettraient […] d’obtenir une meilleur qualité architecturale » ou que l’architecture peut suggérer des éléments de programme.

Les acteurs Le processus global de la production architecturale est bel et bien la résultante d’un travail collectif où, le maître d’ouvrage, l’usager, le maître d’œuvre et l’entreprise en sont les acteurs principaux. Ce quatuor est complexifié par l’intégration d’une multitude d’individus à l’intérieur de chaque entité. Le nombre et la diversité d’acteurs varient en fonction du type d’ouvrage et de sa complexité. La maîtrise d’ouvrage : les responsables politiques ; l’état, la région, le département, les communautés de communes, les communes, la maîtrise d’ouvrage délégué, les SEM (société d’économie mixte), les SPL (société ublique locale)… AMO (assistance à maîtrise d’ouvrage) Les usagers Les acteurs économiques (publics et privés) ; aménageurs, promoteurs et industriels La maîtrise d’œuvre : unique ou associée, parfois plusieurs maîtrises d’œuvre successives réparties selon les différentes missions, intégration d’équipes pluridisciplinaires de maîtrise d’œuvre, économistes, bureaux d’études, urbanistes, paysagistes, acousticiens, scénographes… qui interviennent en totalité ou partiellement dans la conception de l’ouvrage 25


et également les bureaux de contrôle, les coordinateurs sécurité... L’entreprise, entreprise générale ou entreprises par corps de métiers

schéma issu du Guide “Sensibilisation à la programmation3, MIQCP, 2008

l’usager, l’habitant, l’utilisateur : Acteur principal ? acteur de complément ? ou spectateur ? « Pour qu’un projet soit réussi, il faut toujours en amont répondre aux questions : pour qui ? avec qui ? où ? quand ? pourquoi faire ? combien ? » M. François Casteignau Pour qui ? et avec qui ? à partir de ces questions, il semble nécessaire de rappeler que l’usager, habitant ou utilisateur final est l’acteur principal de l’histoire d’un projet et devrait donc participer à ce dernier. Or ce n’est que dans des cas particuliers que l’usager est au cœur du processus et interagit directement avec les autres acteurs du processus de production. Il s’agit de l’usager qui commande et finance l’ouvrage. C’est le cas de la construction d’une maison individuelle pour un particulier travaillant en étroite collaboration avec l’architecte/maître d’œuvre. Notons également le cas en marché privé de la construction d’un ouvrage où le maître d’ouvrage est l’utilisateur final de l’ouvrage comme par exemple pour un industriel ou une association ou encore les exemples d’habitats 26


participatifs développés depuis les années 1970 où le programme et le projet s’entremêlent. Dans ce cas, les usagers, le groupement d’habitant et l’architecte travaillent en étroite collaboration de la phase amont du projet, à l’origine de la commande jusqu’à sa réalisation. Cependant, dans les domaines de la commande publique, l’usager est mis à distance voire totalement exclu du processus global de production d’un ouvrage. C’est particulièrement le cas dans la production de logements sociaux où l’utilisateur final n’intervient pas. A l’agence notamment, même dans des cas de réhabilitation de logements locatifs sociaux, en site occupé, les habitants, occupant déjà les lieux et futurs usagers de ces mêmes logements n’interviennent pas dans le processus programme/conception. L’expression des besoins est intégrée dans le programme élaboré par la maîtrise d’ouvrage, programme réalisé en interne la plupart du temps. Ils tiennent compte des demandes des habitants par sondage/enquête de satisfaction. Les projets sont présentés et les locataires donnent leur avis. Sans avis favorable majoritaire, le projet ne se fait pas. Dans la majorité des cas, les programmes en réhabilitation sont liés à des exigences thermiques et donc relèvent davantage de diagnostics techniques au détriment de l’expression des besoins en termes d’usage des logements. Dans la deuxième partie de ce mémoire l’exemple du projet de L’acadie, à Quimper, (40 logements dont 20 logements locatifs sociaux et 20 logements en accession sociale), commandité par le Logis Breton et en cours d’élaboration par l’agence TLPA à Brest, démontrera la possibilité d’intégrer le locataire-usager comme acteur intervenant dans l’élaboration du programme et de la conception architecturale. Nous verrons également un projet en réhabilitation au Mans (45 logements) sur lequel je travaille en collaboration à l’agence AVENIR24 architecture où la notion de diagnostic de l’existant semble essentiel à l’histoire du projet. C’est dans la phase de programmation que les exigences, les besoins des usagers, des utilisateurs doivent être exprimés, écoutés et entendus.

Le maître d’ouvrage : Directeur de casting ? metteur en scène ? Comme vu précédement, c’est depuis plusieurs dizaines d’années que la loi MOP du 12 juillet 1985 instaure obligatoirement de définir un « programme » et précise dans article 2, les contours de l’action du maître d’ouvrage : « Le Maître de l’ouvrage est la personne morale […] pour 27


laquelle l’ouvrage est construit. Responsable principal de l’ouvrage, il remplit dans ce rôle une fonction d’intérêt général dont il ne peut se démettre […] Il lui appartient après s’être assuré de la faisabilité et de l’opportunité de l’opération envisagée, d’en déterminer la localisation, d’en définir le programme, d’en arrêter l’enveloppe financière prévisionnelle, d’en assurer le financement, de choisir le processus selon lequel l’ouvrage sera réalisé et de conclure, avec les maîtres d’œuvre et entrepreneurs qu’il choisit, les contrats ayant pour objet les études d’exécution des travaux. » Ainsi, « le maître de l’ouvrage définit dans le programme les objectifs de l’opération et les besoins qu’elle doit satisfaire ainsi que les contraintes et exigences de qualité sociale, urbanistique, architecturale, fonctionnelle, technique et économique, d’insertion dans le paysage et de protection de l’environnement, relatives à la réalisation et à l’utilisation de l’ouvrage »13. De manière simplifiée, nous trouverons deux profils principaux dans la maîtrise d’ouvrage publique : le directeur d’investissement et le conducteur d’opération. Le directeur d’investissement est chargé d’établir le programme de l’opération en fonction de divers aspects fonctionnels : définition des besoins, établissement du coût prévisionnel des travaux, architecturaux et techniques. Quant au conducteur d’opération, il établit les caractéristiques techniques et définit les modalités au regard du choix de la maîtrise d’œuvre, des entreprises et il contrôle les travaux. Être maître d’ouvrage, cela sous-entend des engagements forts dont notamment la mobilisation de fonds importants pour la construction d’un ouvrage et les prises de décisions en termes d’usage, de fonctionnement, de durabilité… tout au long du processus de production. Peut-être poussés par des pressions externes, notamment politiques, les maîtres d’ouvrages sont souvent pressés de voir se réaliser les projets. Ainsi, ils négligent parfois la phase de programmation (et parfois la phase conception), première étape de l’élaboration d’un projet, moment essentiel à la réalisation d’un projet de qualité. C’est là où toutes les grandes décisions sont prises et c’est là que le rôle du maître d’ouvrage est primordial. C’est pendant cette phase que se tissent également les prémices de la qualité du dialogue qui sera instauré avec l’architecte et l’équipe de maîtrise d’œuvre et intrinsèquement la capacité de ces protagonistes maîtrise d’ouvrage – maîtrise d’œuvre à mettre en synergie leurs compétences propres au service de 13. loi du 12 juillet 1985, loi MOP

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l’intérêt collectif dans le processus de programmation – conception – réalisation. On l’aura compris, c’est par la programmation que le maître d’ouvrage endosse le rôle essentiel dans le processus global de production d’un ouvrage. Il préfigure la vie dans le futur bâtiment par la définition d’un « projet d’usage ». L’architecte sera quant à lui le traducteur de ce dernier dans l’espace. Ainsi, la MIQCP dans son guide de sensibilisation à la programmation recommande alors dès la mise en route d’un projet, la visite d’ouvrages similaires par les futurs utilisateurs et par la maîtrise d’ouvrage. L’objectif étant de bien déterminer les besoins réels, en s’éloignant des usages habituels pris dans l’utilisation quotidienne d’un ouvrage existant. On peut se demander en tant que concepteur si cette recommandation est mise en pratique lors de l’élaboration des programmes souvent « dépouillés » du rapport à « l’autre », du rapport aux usages. Dans le cas où le maître d’ouvrage réalise son propre programme et ne fait pas appel à un expert, programmiste externe, la difficulté réside dans la prise de recul nécessaire. En effet une implication directe engage consciemment ou inconsciemment une prise de position personnelle dans l’élaboration du programme. Ainsi, il me semble plus intéressant, selon les projets, et tant que cela est possible, d’intégrer un acteur extérieur, un programmiste, programmiste-architecte, dans l’élaboration de ce dernier afin d’être au plus proche de la demande. Pour illustrer ce projet voici une citation de Jacques Allégret, sociologue : « La connaissance des pratiques sociales afférentes à l’objet programmé est sans aucun doute une condition préalable à la détection/compréhension des attentes sociales et à l’écoute des demandes des maîtres d’ouvrage, des utilisateurs et des usagers. Mais cette écoute nécessaire ne saurait être naïve. Elle devra se défier des représentations et des stéréotypes véhiculés par les acteurs entendus, comme de leurs intérêts ou obligations de positions, en sorte d’éviter les dérives vers des économies ou dépenses impertinentes ou faire de fausses ou impraticables innovations »14. Ainsi par cette brève description du rôle de la maîtrise d’ouvrage au regard de la programmation, nous noterons l’intérêt de faire appel à un acteur externe à la maîtrise d’ouvrage afin de faciliter la prise de recul et la remise en question de certains paramètres, besoins exprimés au pré14. Lettre de l’Institut de Programmation en Architecture et en Aménagement, mai 1999, Jacques Allégret, sociologue

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alable. Le programmiste pourra confronter de manière objective les apports des différents protagonistes que sont les usagers, les utilisateurs finaux et le maître d’ouvrage et ainsi élaborer un programme cohérent répondant à des besoins collectifs.

L’expert patenté, le programmiste : Acteur secondaire ? acteur de complément ? « L’élaboration du programme nécessite un travail d’investigations (constats, collectes de données, diagnostics, enquêtes, etc.) et une réflexion prospective pour expliciter les objectifs de l’opération projetée et les moyens pour les atteindre. Le maître d’ouvrage a généralement intérêt à faire appel à un prestataire spécialisé, dit “programmiste”. Un “bon” programme est nécessaire pour espérer obtenir des propositions pertinentes de la part des maîtres d’œuvre chargés de la conception »15. Comme nous avons pu le voir précédement, le développement des missions en amont de la conception par la loi MOP, les études préalables, le programme et le conseil a renforcé le contrôle de la maîtrise d’ouvrage sur le travail des architectes et marque la professionnalisation de cette dernière. Qui dit professionnalisation, dit acquisition de nouvelles compétences d’où l’entrée de nouveaux métiers intégrés dans certains services techniques des collectivités publiques ou indépendants, sociétés privées spécialisées mais agissant pour le compte de la maîtrise d’ouvrage. Ainsi les programmistes dépourvus de formation spécifique (bien qu’il existe depuis les années 80 des enseignements dédiés à la programation), font leur place dans ce nouveau domaine. N’est-ce pas là une occasion pour l’architecte de réaffirmer ses compétences propres afin de réinvestir cette phase amont qui leur a été imputée depuis la loi sur l’ingénierie de 1973 ? Ainsi, à partir des années 80, le domaine de la programmation a connu un essor très important. En 1988 apparaît le collège des programmateurs professionnels puis le Syndicat des Programmistes en Architecture et Aménagement (SYPAA) fondé en 1994 qui reste aujourd’hui le seul organisme à représenter la profession. Le nombre d’entreprises qualifiées sur des missions d’AMO (Assistance 15. Guide de la commande publique d’architecture. Ordre des architectes. 11 octobre 2005

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à la Maîtrise d’Ouvrage) a significativement augmenté ces quinze dernières années. Ainsi, selon les données de l’enquête d’Isabelle Chesneaux et Bernard Haumont, « L’assistance à maîtrise d’ouvrage : études comparative », Jeudis de la commande, PUCA, 21 octobre 1999, 25% de ces dernières ont été créées entre 1991 et 1995, 12% entre 1996 et 1998. On l’aura compris, les études de programmations sont fondamentales dans la réalisation d’un « bon » projet. Ainsi, être programmiste ne s’improvise pas ! Nous constatons par les entretiens menés lors de cette étude et les chiffres résultant du questionnaire mis en œuvre par ALLEGRET Jacques, MERCIER Nathalie et ZETLAOUI-LEGER Jodelle puis retranscrit dans l’article ; L’exercice de la programmation architecturale et urbaine en France dans le cadre du réseau RAMAU, en 2005 que la majorité des programmistes se sont formés « sur le tas », à force d’expérience et regroupe des profils variés dont l’architecte est aujourd’hui majoritaire. Il existe cependant depuis 2000 une qualification professionnelle et universitaire en « programmation architecturale et technique (PAT) délivré par l’organisme l’OPQTECC (Organisme Professionnel de Qualification Technique des Economistes de la Construction et des Programmistes). également, en 2001, un diplôme de niveau Master en formation initiale universitaire est mis en place. Il articule les domaines de l’urbanisme et de l’architecture. On voit apparaître également un Institut Français de formation à la programmation et également un DESS de « programmation architecturale » délivré par l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Malaquais. La MIQCP souligne « l’intérêt du maître d’ouvrage de confier au programmateur un ensemble cohérent de tâches, allant des études pré-opérationnelles au suivi de la conception de l’ouvrage. En effet, que le programme soit réalisé par les propres services du maître d’ouvrage ou par un programmateur public ou privé, la qualité du travail fourni sera d’autant plus grande que le programmateur sera intervenu très en amont dans le projet du maître d’ouvrage et l’aura assisté le plus longtemps possible». Ainsi, on observe que souvent, le programmiste est également AMO. Nous l’avons constaté notamment lors des entretiens menés avec Carole Pohu, société AMOFI à Nantes et Laure Pasquer, société CMB au Mans programmistes et AMO et Alexis Dumont, responsable d’opération de la SPL de Rouen Normandie. Leur rôle est multiple. Ils permettent la clarification de la demande et des besoins et donc de clarifier la commande et permettent de bien définir les enjeux. Ainsi comme l’évoque Alexis Dumont, « on peut dire que programmiste c’est un AMO ». L’AMO 31


et la programmation tendent donc à se confondre. Ainsi les structures et agences intègrent des profils variés tels que des architectes (50% des programmistes selon le Guide de sensibilisation à la Programmation de la MIQCP), des urbanistes, des économistes, des géographes, des sociologues, des ingénieurs… Bien que le nombre d’architectes soit aujourd’hui majoritaire dans les domaines de la programmation (ce qui n’était pas le cas auparavant), toutes les structures n’intègrent pas forcément un profil architecte au sein de leurs équipes. A noter que quel que soit le professionnel choisi par la maîtrise d’ouvrage pour déléguer la réalisation des études de programmation, la responsabilité reste de l’ordre du maître d’ouvrage. Ainsi le lien et le dialogue entre programmiste et maître d’ouvrage est fondamental.

L’architecte : Metteur en scène ? Acteur principal ? acteur de complément ? Le code de déontologie définit par une vision élargie la vocation de l’archite qui est « de participer à tout ce qui concerne l’acte de bâtir et l’aménagement de l’espace ; d’une manière générale, il exerce la fonction de maître d’œuvre. Outre l’établissement du projet architectural, l’architecte peut participer notamment aux missions suivantes : aménagement et urbanisme, y compris élaboration de plans – lotissement – élaboration de programme – préparation des missions nécessaires à l’exécution des avant-projets et des projets – consultation des entreprises, préparations des marchés d’entreprises, coordination et direction des travaux – assistance aux maîtres d’ouvrage – conseil et expertise – enseignement »16 - missions mobilier, OPC etc... Les compétences de l’architecte s’étendent bien au-delà de la conception architecturale. L’architecte doit ainsi se saisir de sa position, sa formation initiale, de sa qualité dit de « généraliste » (vision globale) mais aussi de ses apétences afin d’assister la maîtrise d’ouvrage, elle-même morcellée dès l’amont du processus global du projet. Le maître d’ouvrage est le premier par la loi à devoir assurer la cohérence d’ensemble. Ainsi, l’architecte doit prendre part à cette évolution et «mettre un pied» dans la génèse du projet. Pierre Riboulet dans son ouvrage sur l’hôpital Robert-Debré aborde cette 16. article 2 du code de déontologie des architectes

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problématique concernant la nécessité d’intégrer l’architecte dans la phase amont du projet : « le programme vise un absolu fonctionnel totalement abstrait. Il idéalise complètement l’espace, comme si celui-ci possédait des propriétés magiques, universelles de répondre à toute demande, fût-ce la plus secondaire et la moins fondée. Cette division du travail intellectuel est certainement néfaste au processus d’ensemble. Après tout, il n’y a aucune raison de soumettre l’architecte à l’épreuve inhumaine d’avoir tout à résoudre, même l’impossible et de lui demander, de surcroît, d’apporter là sa marque, son style, d’émettre sa musique. La nécessité d’un travail antérieur au projet, entre programmeur et l’architecte, me paraît de plus en plus évidente »17. La coupure entre le travail antérieur concernant l’élaboration du programme et sa transmission au maître d’oeuvre en charge du projet est souligné par Pierre Riboulet. La problématique concernant la transmission des données entre l’architecte-programmiste et l’architecte-maître d’oeuvre dans ce processus fragmenté est donc à interroger.

1.3. Le lien fondamental entre le synopsis et la mise en scène entre la programmation (MO) et la conception (MOE) La formation initiale : profession et formation Le sujet de la programmation fait écho notamment à mon projet de fin d’étude au cours duquel programme et conception s’entremêlent jusqu’à ne faire qu’un. L’analyse technique et sensible du site ainsi que la définition et la recherche des besoins (politique, technique et usage) fût la partie majeure du projet dans le temps de son élaboration. La conception d’un point de vue recherche « formelle et artistique » n’est finalement qu’une infime partie du travail produit tout au long du semestre. Mais elle n’est pas à négliger pour autant. Le projet s’intitulait Villès-Martin, bord de mer, proposition pour une requalification urbaine : projet de fin d’étude 2013, ENSA Nantes, et s’inscrivait dans le cadre de l’option AMC (Ambiances, Matières et Climat) proposée par l’équipe enseignante composée de Christian Marenne, Virginir Meunier, Antoine Mabire et Diego Rodriguez. L’unité d’enseignement avait pour objectif de mener de front le projet à l’échelle urbaine ainsi que le projet 17. Pierre Riboulet sur l’hôpital Robert-Dbré, 1989 p.132

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à l’échelle architecturale tout en intégrant les dimensions relatives aux modes d’habiter en lien avec les usages et en interrogeant ces derniers au regard des ambiances, des matières et du climat. « Nous pensons un programme lié à un territoire, donc nous pensons des espaces à vivre pour autrui. Ainsi il est impératif de penser nos projets en rapport aux ambiances confrontées à la dimension climat afin de mettre en place une qualité d’usage selon les différents lieux pratiqués »18. Ainsi lorsque l’on se replonge quelques années en arrière, dans les programmes proposés de l’ENSA Nantes, l’enseignement de la programmation n’est pas intégré de manière explicite. Cependant lors de l’élaboration de nos projets tout au long du cursus, nous sommes constamment confrontés à cette question du programme, de la perception des lieux, l’émergence d’indices, d’intuitions, de la définition des besoins, des usages que l’on traduit dans l’espace et le temps. Les apports théoriques, l’analyse même de la production architecturale et l’expérimentation de la sociologie notamment enrichissent la pratique qui est intimement liée à cette question du programme. à la suite des études, dans la pratique professionnelle, « l’édifice construit est le résultat d’un acte de conception »19. La formation initiale permet d’apprendre la conception, mission relative à la maîtrise d’oeuvre. La notion de conception doit être considérée de manière plus élargie, ce qui correspondrait davantage à la formation initiale de l’architecte. Le processus de conception englobe l’ensemble du processus de construction de la mission 1 à la prise en charge du projet et de sa construction. Cependant la forme peut, par certains côtés, avoir une valeur d’hypothèse et/ou d’analyse. Le terme conception fait référence dans l’appréciation collective à l’idée de « création » et renvoie à l’image d’une architecture construite. En fait selon une enquête menée par l’Ipsos pour AMC, Le Moniteur Architecture en 2011 montre que pour 73% des français, l’architecture est une discipline difficile à comprendre pour le grand public et 45% pensent que l’architecte est avant tout un « artiste ». 18. Extrait de l’introduction du rapport de présentation de mon projet de fin d’étude en 2013 à l’ENSA Nantes, option Ambiances, Matières et Climat encadrée par Christian Marenne et Virginir Meunier Villès-Martin, bord de mer, proposition pour une requalification urbaine 2013, ENSA Nantes 19. Dominique Raynaud, Cinq essais sur l’architecture, étude sur la conception de projets de l’Atelier Zô, Scarpa, Le Corbusier, Pei, L’Harmattan en 2002

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Ainsi la formation initiale et la pratique doivent être force d’engagement des architectes. En effet, « ce que les textes dissocient, la pratique doit le lier. Dans la réalité, les itérations et interactions dynamiques ont lieu entre les moments de production du projet : la conception architecturale nourrit fréquemment le programme et objective les attentes du client, la construction et le chantier transforment les aspects de la conception architecturale ou technique d’origine »20. « On pourrait croire qu’interpréter et expérimenter c’est perdre du temps, gâcher. En fait c’est l’inverse : plus on interprète, moins on consomme, plus on travaille, plus il y a de la matière grise, moins il y a de dépenses de matières. Donc interpréter, c’est rechercher les moyens et les actes les plus adaptés, les plus généreux pour agir au mieux en étant le plus concentré possible »21. La conception est alors dans la pratique et plus particulièrement en marché public l’interprétation et la perception au regard du contexte et du programme donné. Le programme et les besoins représentent les premiers jalons de la production architecturale. La conception est l’interprétation et l’expression des besoins perçus par l’architecte maître d’œuvre. Or la législation de ces 30 dernières années renforce le rôle de la maîtrise d’ouvrage publique (et privée) prenant en charge la formulation des conditions pour la production d’un projet. On peut alors se demander si cette évolution ne rompt pas le lien privilégié entre le maître d’ouvrage et l’architecte, lien fondamental dans le fait architectural, dans la conception d’un projet. La loi MOP située dans le prolongement du décret de 1973 réaffirme la séparation entre maître d’ouvrage public et maîtrise d’œuvre privée et met en évidence le rôle que doit jouer la maîtrise d’ouvrage dans la conception d’un projet. De plus la loi MOP ainsi que le décret de 1973 ne traitent que des rapports entre certains maîtres d’ouvrage publics (elle exclut les établissements publics de type industriel et commercial) et maîtres d’œuvre privés. Ainsi, elle perpétue la différenciation juridique entre marché public et marché privé. Cependant, la règlementation en marché public sert de modèle dans le secteur privé. La législation met à distance également la formation initiale (conception) de la profession et la pratique. 20. Guy Tapie Les architectes mutations d’une profession p.2 21. Patrick Bouchain, Construire autrement, comment faire ? p.74

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Conclusion « La programmation est la première étape essentielle pour la réalisation d’un équipement de qualité »22 Nous l’avons noté dans cette incursion historique et législative que les textes et la règlementation ont mis l’accent sur l’importance de la phase amont de la mission de maîtrise d’oeuvre en marché public. Cette mission 1 s’établit sur un temps long, celui de la réflexion, un temps de maturation/murissement nécessaire à la définition et la réalisation d’un ouvrage de qualité. En découle une définition davantage clarifiée du rôle de chacun des acteurs instaurant la notion de concurrence plus accrue, responsabilise la maîtrise d’ouvrage et laisse entrevoir une place pour l’architecte et l’usager du projet. « Ce que les textes dissocient, la pratique doit le lier »23 Mais le processus va bien au-delà de la seule production d’un programme et de la définition des besoins. En effet il est l’outil de dialogue entre les acteurs qui participent à un projet public d’intérêt commun. Le processus légalisé se voit fragmenté mais tend dans la pratique vers un tout autre principe complexe ponctué d’allers-retours propres à chaque projet. Le processus d’ensemble propose donc des réajustements dans le temps entre programmation nommée la mission 1, 22. Marché public et maîtrise d’œuvre, « mini guide comment bien choisir l’architecte et son équipe » publié par l’ordre des architectes et le ministère de la culture et de la communication 23. Guy Tapie Les architectes mutations d’une profession p.2

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la conception et la réalisation. Se pose la question de la définition du terme conception. Par exemple, Jean-Charles Lebahar (1983) définit la conception en trois phases : celle du « diagnostic architectural », la « simulation graphique » et « l’établissement du modèle de construction ». La conception architecturale est un processus séquencé difficile à définir puisque propre à chaque situation/degré de complexité et contexte de projet. Ainsi elle pourrait être définie en trois phases principales : • L’analyse : le programme, le budget, l’écoute fine des non-dits des acteurs du processus (maître d’ouvrage, usagers entre autres), le site et ses contraintes... Cette phase est plus ou moins longue en fonction de la complexité du projet et de son programme. Elle peut s’apparenter à la mission d’études préliminaires (mission contractualisée). • La synthèse : idée fédératrice permettant la gestion et la résolution des problèmes complexes. Cette phase nécessite un temps « long » de maturation, d’incubation24. • La prise en charge : la construction, la communication, l’économie de moyen au sens large. 24. terme proposé par Dominique Raynaud dans son ouvrage Cinq essais sur l’architecture, étude sur la conception de projets de l’Atelier Zô, Scarpa, Le Corbusier, Pei, L’Harmattan en 2002

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2. de la nécessité d’immixtion de l’architecte dans la mission 1 ÉTUDE DE CAS

On a pu le voir, la programmation et la conception sont deux entités, deux moments du processus global de construction dissociés par la législation mais inversement indissociables dans la pratique et fondamentaux au regard de la formation initiale de la profession. L’élaboration du programme est également le lien social entre les acteurs du « casting projet ». Le point que nous allons développer maintenant s’attachera à présenter l’importance et la nécessité d’impliquer l’architecte dans la phase amont du processus global. Nous développerons à partir de deux études de cas concrets, les stratégies que peuvent mettre en place les architectes pour être au plus proche des besoins et répondre au mieux à la commande spécifique du maître d’ouvrage. Les thèmes abordés seront les outils tels que la faisabilité, la concertation et le diagnostic comme moyens d’immixtion de l’architecte dans la commande. Il sera nécessaire de s’interroger et de questionner les procédures des marchés publics et notamment la procédure de concours ou encore la technique d’achat de l’accord-cadre. Le premier cas est celui d’un projet d’habitat social en cours d’étude à l’agence TLPA qui se situe à Quimper. Nous nous attacherons à montrer l’importance de l’outil faisabilité comme levier de prise en main partielle de la 38


commande par l’architecte. Cet exemple montrera à partir d’une démarche participative l’intérêt de l’implication de « l’autre », usager dans la démarche de programmation et de la conception et ainsi définir le rôle de l’architecte dans la démarche complète de production d’un ouvrage, des études préalables à sa réalisation. Afin d’apporter une réflexion personnelle et critique sur la question du programme et plus précisément sur le rapport au programme dans l’existant (travail très présent dans l’agence AVENIR24 architecture), nous analyserons un projet sur lequel je travaille depuis que j’ai intégré l’équipe, du relevé/diagnostic à l’APD, mission en cours. Il s’agit d’un programme de réhabilitation de 45 logements sociaux en site inoccupé. Cet exemple permettra de questionner le rôle de l’architecte dans une mission associée (à la mission de maîtrise d’oeuvre) de diagnostic « sensible » en lien avec l’existant et son territoire singulier. Ces deux études de cas seront complétées par d’autres références et paroles rapportées d’entretiens permettant de nuancer les propos et d’apporter d’autres questionnements. De plus le carnet de bord projet par projet apportera quelques éclaircissements sur ma pratique en agence. Ces quelques exemples seront mis en relation avec le programme et son rapport à la conception. Il serait nécessaire d’élargir le champ de cette étude de cas à différents types de projets. En effet, l’étude pourrait s’étendre à tout équipement réalisé par un maître d’ouvrage public mais également à des constructions privées, des aménagements urbains et paysagers… des projets répondant à des AMI tels que Imagine Angers par exemple. 39


2.1. Un projet d’habitat social participatif

Lieu : Quimper Maîtrise d’ouvrage : Le Logis Breton Architecte : Atelier TLPA 40 logements locatifs et en accession sociale

« Si on l’a jamais fait, cela ne veut pas dire que l’on ne peut pas le faire »25

17 07 2018 - ACADIE soirée d’information et de rencontres, un beau moment pour inaugurer ensemble la maison du projet (photo P.Leopold)

L’acadie, ce sont 40 logements dont 20 logements locatifs sociaux et 20 logements en accession sociale situés à Quimper, commandités par le Logis Breton et en cours d’élaboration (attente de l’obtention du permis de construire lors de ma rencontre avec Aurélien Mahé, architecte en charge du projet) par l’agence TLPA à Brest. Cet exemple démontre la possibilité d’intégrer le locataire-usager comme acteur principal intervenant dans l’élaboration du programme et de la conception architecturale de son habitat social. J’ai eu le plaisir de rencontrer et d’échanger avec Aurélien Mahé, ar25. Gunther Ludewig, de l’agence SOLIDAR à propos du projet de l’ökohaus à Berlin

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chitecte en charge du projet l’Acadie. S’agissant d’un projet d’habitat social intégrant une démarche collaborative/participative, ce dernier m’intéressait tout particulièrement. Non seulement l’intérêt se porte au regard de l’étude de ce mémoire et en parallèle, au regard de notre travail au sein de l’agence AVENIR24 architecture. En effet, nous réalisons de nombreux projets en habitat social avec différents bailleurs. Il s’agit de comprendre quels outils ont été mis en place par l’architecte dans ce projet afin de « prendre en main » une partie de la commande initiale et d’insuffler les premières grandes intentions en amont (mission 1) de la conception architecturale. Il s’agit également de comprendre dans quel contexte, la maîtrise d’ouvrage se saisit des compétences des architectes pour faire évoluer leurs méthodes de travail. Dans ce cas, la commande publique se rapproche de la commande privée.

Une mission de faisabilité ou la première étape « conception-conseil » Le bailleur a peu de ressources en interne concernant la partie économique, démographique et socioprofessionnelle et surtout l’état de la demande en logement au regard de son patrimoine. Ainsi, le projet débute par une simple demande technique, capacitaire et capacité volumétrique du maître d’ouvrage, Le Logis Breton. Il s’agit d’une mission de faisabilité dans les conditions d’un contrat d’accord-cadre que l’atelier TLPA a contractualisé avec le bailleur lors d’un précédent appel d’offre. Puisqu’il faut aller toujours plus vite, construire plus rapidement, réduire les temps d’étude et ceci dans des coûts réduits également (comme l’évoque Laure Pasquet, programmiste et AMO à l’agence CMB lors de notre rencontre organisée dans le cadre de ce mémoire), l’intérêt de l’accord-cadre est véritablement la suppression de l’appel d’offre dans certains cas et donc le raccourcissement des procédures pour le maître d’ouvrage ainsi que la maîtrise des coûts (c’est également le cas pour les conceptions-constructions, brève étude de cas à retrouver dans le carnet de bord réalisé au sein de l’agence AVENIR24 architecture). La maîtrise d’œuvre quant à elle doit se saisir de cet outil. En l’utilisant à bon escient, cela lui garantit des missions sur une durée déterminée et surtout lui permet de prendre en charge un projet un peu plus en amont. Petit aparté, qu’est-ce que l’accord-cadre en marché public ? En voici la définition relative au code de la commande publique : « L’accord-cadre permet de présélectionner un ou plusieurs opérateurs économiques en vue de conclure un contrat établissant tout ou partie des règles rela41


tives aux commandes à passer au cours d’une période donnée. La durée des accords-cadres ne peut dépasser quatre ans pour les pouvoirs adjudicateurs et huit ans pour les entités adjudicatrices, sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés, notamment par leur l’objet ou par le fait que leur exécution nécessite des investissements amortissables sur une durée supérieure »26. Pour rappel, le code de la commande publique définit six techniques d’achat qui sont l’accord-cadre, le concours ; ce sont les deux techniques qui vont nous intéresser dans ce projet, le système de qualification réservé aux entités adjudicatrices, le système d’acquisition dynamique, le catalogue électronique et les enchères électroniques qui ne seront pas développés dans cette étude. Dans la majorité des cas, l’étude de faisabilité permet en fin du processus d’élaboration du programme de valider sa faisabilité en termes d’économie (le coût), de temporalité (le planning), de technicité (les contraintes liées aux spécificités du terrain), de fonctionnalité et qualité d’usage et d’urbanisme (constructibilité liée au site et aux règlements d’urbanisme). Dans le cas de l’Acadie, il s’agit dans un premier temps de transmettre une faisabilité au bailleur afin qu’il puisse monter un dossier en interne et établir son programme. Cette première mission de faisabilité était relativement libre. Deux immeubles de 14 logements au total, en mauvais état, sont implantés sur le terrain. La mission est de proposer différents cas de figure au bailleur. Faut-il réhabiliter tout ou une partie des logements ? Faut-il démolir et reconstruire ? Faut-il démolir et reconstruire un ou plusieurs bâtiments ? Nous nous trouvons en site occupé par les locataires en place depuis un certain nombre d’années et nous sommes situés en ville mais sans connexion réelle avec celle-ci. En effet la parcelle de forme triangulaire est relativement enclavée, entre deux voies ferrées dont une est désaffectée. De plus, le terrain se situe dans un quartier, au bout d’une impasse renforçant cet effet de coupure avec la ville. « Rien de ce contexte n’apporte de lui-même un projet », évoque Aurélien Mahé, architecte en charge de l’opération lors de notre rencontre. L’Atelier TLPA propose une faisabilité qui prend la forme de différents scénaris. De ces derniers 26. Code de la commande publique, dans le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, on parle de «Techniques particulières d’achat», article L2325-1

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en découlent le nombre de logements et la première ébauche du programme. À noter qu’à l’origine, le seul invariant est qu’il fallait conserver 14 logements puisqu’il y a actuellement 14 logements sur la parcelle avec pour objectif de densifier la parcelle. L’étude capacitaire, l’analyse du site et du plan local d’urbanisme met en avant la possibilité de construire 40 logements neufs en collectif. Le bailleur choisit, après analyse en interne et en regard sa capacité de financement le scénario comportant le maximum de logements à construire. L’étude de faisabilité apparait comme un outil majeur dont l’architecte peut et doit se saisir. Dans le cas de l’Acadie, cette étude s’apparente à une étude préliminaire définie par l’Ordre des Architectes : « Les études préliminaires ont pour objet de vérifier l’adéquation entre les intentions du maître d’ouvrage et les moyens qu’il se donne pour les atteindre, et permettre de fixer ultérieurement les conditions, le contenu et les moyens de la mission de l’architecte »27. La question qui se pose alors à l’équipe TLPA est comment peut-on venir construire 40 logements sans que cela ne ressemble à une « barre d’immeubles sans âme », au système constructif connu et aux typologies de logements types, standardisés et décontextualisés ? L’architecte entre autre est responsable de la qualité de notre cadre bâti, de l’architecture du quotidien, de l’urbanité de nos paysages construits. Ce sentiment de responsabilité est véritablement ce qui doit animer l’architecte dès les prémices du projet. C’est bel et bien le moment où toutes les grandes intentions émergent. Ceci est envisageable en marché privé puisque la législation ne fragmente pas le processus tel que l’on a pu le voir en marché public. « Le grand handicap des marchés publics en France c’est qu’ils favorisent la séparation entre investissement et fonctionnement, entre maîtrise d’ouvrage et utilisateurs. Alors que dans le privé les maîtres d’ouvrages construisent souvent dans le but de mieux exploiter. » exprime M. Gérard Rigaudeau lors de son témoignage pour la MIQCP (élaboration du Guide de sensibilisation à la programmation publié en 2008). Les problématiques diffèrent donc lorsque l’on est en marché privé ou en marché public. Cependant, les objectifs de l’architecte restent les mêmes ainsi que sa responsabilité en terme de qualité d’usage en réponse aux besoins pré-établis. Cette responsabilité (profession réglementée) devrait permettre à l’architecte d’exiger d’avoir « toutes les cartes en mains ». 27. Guide d’utilisation des contrats d’architecte pour les études préliminaires

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S’inspirer de l’expérience pluridisciplinaire et de la concertation en urbanisme « On a eu envie de ramener un côté un peu sensible dans la faisabilité pour donner une orientation au maître d’ouvrage pour son projet », évoque Aurélien Mahé lors de nos échanges. Il s’agit véritablement de se saisir de cet outil qu’est la faisabilité afin d’accompagner le maître d’ouvrage dans une posture propre au regard du contexte et en parallèle, en accord avec leur politique interne. Ainsi dans le projet de l’Acadie sont venues rapidement l’envie et la nécessité de parler « d’esprit du projet » en apportant l’idée de participatif à ce moment là de la commande. L’agence TLPA s’inspire alors de leurs expériences en urbanisme ou la concertation est partie prenante du travail. « En urbanisme, on fait énormément de concertations et du coup on avait à la fois cette approche participative en urbanisme et ce projet qui était dans un site où nous n’étions pas inspirés. On s’est dit que c’était peut-être l’occasion de faire un truc. Puisque il n’y a un contexte mais que ce dernier ne va apporter quelque chose pour que ce bâtiment soit bien vécu par ses habitants, peut-être faut-il qu’il soit construit avec ses habitants »28. L’avantage d’une pluridisciplinarité des profils en interne dans une agence d’architecture est de permettre de nourrir de ses expériences les différents projets et ainsi instaurer une force de persuasion face au maître d’ouvrage. L’agence TLPA use de sa force architecte-urbaniste. Nous concernant (l’agence où je travaille actuellement), nous mettons en avant nos compétences architecte-économiste qui s’avèrent bien utile en terme de « crédibilité » face à la maîtrise d’ouvrage lorsqu’il s’agit de valider les coûts prévisionnels à chaque phase d’étude voire même de la mise en valeur de l’équipe lors des candidatures publiques auxquelles nous répondons. Ce petit pas de côté amorce des intentions prospectives dans ma pratique future, celle d’une agence pluridisciplinaire à « taille humaine ». Habituellement, le programme en habitat est très contraint dans son organisation interne et fonctionnelle et dans ses caractéristiques techniques. Le bailleur détermine au préalable ses propres exigences au regard de l’analyse de son patrimoine, en terme de prestations et ma28. Extrait d’entretien du 29 avril 2019 avec Aurélien Mahé, architecte chez TLPA à Brest

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tériaux à mettre en œuvre ainsi que les typologies de logements. Ce programme/cahier des charges est un document qui doit être adapté en fonction du contexte et discuté avec l’architecte et l’équipe de maîtrise d’œuvre. Cependant on se rend compte que ce n’est pas toujours le cas. L’Acadie, démarche « innovante » permet la mise en place d’un nouveau cahier des charges répondant au plus juste aux besoins et envies des utilisateurs finaux. L’initiative permet une « mise à jour » du programme type répondant davantage aux nouvelles façons d’habiter. Dans le cadre de projets en commande publique plus « classiques », il est nécessaire d’organiser une réunion en amont de la conception avec le maître d’ouvrage, l’architecte et ou l’équipe de maîtrise d’œuvre (bureau d’étude et économiste) afin de discuter et négocier des éventuelles mises à jour à opérer sur le programme ou évolutions de certaines prestations. En parallèle de ce travail de faisabilité, le Logis Breton venait de recevoir les résultats d’un audit effectué en interne concernant « la philosophie de l’entreprise ». Pour résumer, des psychologues et sociologues ont mené une étude qui rendait compte des origines du Logis Breton né de coopératives d’habitants qui construisaient des logements pour tous et à bas coûts. La coïncidence est telle que la démarche programmatique sensible esquissée par l’atelier TLPA concordait parfaitement avec la volonté du bailleur de retrouver l’esprit d’origine et les fondements de son entreprise, « ils avaient le projet qui collait pile avec le rendu de l’étude»29. De plus la concertation habitante avait pour objectif d’apporter de nouvelles contraintes et d’idées de projet...

Les limites de l’accord-cadre et la procédure de concours En marché public, il existe plusieurs formes d’accès à la faisabilité : sous forme d’appels d’offres classiques (ouverts à tout type de profils, architecte, économiste, programmistes..), sous forme d’accord-cadre. L’accord-cadre permet de cadrer les missions au préalable (contrat, conditions de rémunération... pré établi) ou sous forme d’une commande directement passée entre le maître d’ouvrage et son architecte. Ainsi à l’agence, nous réalisons régulièrement des missions de faisabilité contractualisées et donc rémunérées. Ceci n’est pas sans cacher l’intérêt de pratiquer ces missions (dans les limites de prestation de la faisabilité) au regard d’une possible mission de maîtrise d’oeuvre par la suite. 29. Extrait d’entretien du 29 avril 2019 avec Aurélien Mahé, architecte chez TLPA à Brest

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Parce que le projet de l’Acadie est dans un contrat d’accord-cadre, la mission de faisabilité (+) validée aurait dû se poursuivre naturellement sur un marché habituel de maîtrise d’œuvre. Les limites et le cadre législatif n’ont pas permis la continuité du projet en cours. Le montant des honoraires dépassant celui précisé dans le contrat, le bailleur a dû lancer une procédure de concours. La faisabilité complète, capacité de site et intentions de projet sont publiées et diffusées et les équipes de maîtrises d’œuvre sont mises en concurrence. La loi autorisant l’architecte en charge de la faisabilité à concourir, l’Atelier TLPA concourt bien évidemment et se trouve lauréat. La mise en concurrence permet d’améliorer le choix de la meilleure équipe « sur la papier ». On peut se demander alors si la qualité des projets d’un point de vue durabilité, économique, fonctionnel…ne pourrait pas être assurée par l’établissement d’un processus ou un retour en arrière quant au processus actuel fragmenté, vers l’établissement d’un lien fondamental et essentiel entre le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre. Lien déjà entamé, voire consumé dans les procédures des marchés publics que sont les candidatures publiques et les procédures de concours. « Il faut observer la situation dans laquelle on se trouve, profiter de ce que l’on appelle le « concours de circonstances », écarter le plus possible les modèles dévastateurs en architecture, car ils correspondent très rarement à la situation réelle, et mettre toute son énergie dans l’expérimentation de la situation et non dans l’application forcée du modèle »30. Voici en quelque sorte des recommandations ou en tout cas ce qu’applique l’architecte Patrick Bouchain dans ses projets. C’est véritablement ce qu’a souhaité développer l’Atelier TLPA lors de la réalisation de la faisabilité de l’Acadie : une observation du contexte, une écoute fine des besoins et intentions de son maître d’ouvrage. « L’architecture […] est l’art le plus usité puisque tout le monde l’utilise et l’expérimente, ne serait-ce que pour l’habiter. On ne demande jamais l’avis de l’utilisateur sous prétexte qu’il n’a pas la capacité de le donner : comme c’est un métier perçu comme plus technique qu’artistique, il faudrait être un technicien pour donner son avis »31. La co-élaboration du « logement coopératif » comme l’exprime le maître d’ouvrage prend forme dans les esprits de tous. Le processus est basé 30. Patrick Bouchain Construire autrement, comment faire ? p.41 31. Patrick Bouchain Construire autrement, comment faire ? p.81

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sur un système horizontal facilitant les échanges actifs entre maître d’oeuvre, futurs accédants et locataires pour la production des futurs logements et espaces communs. Cette démarche permet de repenser les modes d’habiter et de sortir des plans type des logements aujourd’hui standardisés. Du logement pour tous au logements « pour chacun ». Les architectes rédigent, lors du concours une note méthodologique de co-conception qui est appliquée dès le début des études. Les ateliers communs et la maquette sont des outils qui permettent aux architectes de saisir par une écoute fine les désirs et usages nécessaires à l’élaboration du projet. Les « données » collectées de ces ateliers doivent davantage être des « indices » à interpréter dans la phase de conception et non des « données » à suivre à la lettre. La démarche s’inspire d’expériences similaires menées en Allemagne et en Hollande. Il s’agit de s’ouvrir aux démarches opérées chez nos voisins (piste de réflexion développée dans la troisième partie du mémoire).

16 11 2018 - soirée de reflexion avec les habitants autour de la maquette espaces exterieurs salle commune et façade photos (photo p.leopold)

A travers cette étude de cas, nous avons compris l’importance de l’outil faisabilité. L’architecte enrichit la faisabilité capacitaire par ses compétences propres relatives à sa formation initiale et sa vision transversale du projet (de la technique au sensible). Elle est aussi importante au regard de la qualité des relations entre maître d’ouvrage et maître d’oeuvre puisqu’elle est véritablement le lien entre ces derniers. L’architecte peut proposer par le biais de cet outil une prestation plurielle technique et sensible de conseil auprès du maître d’ouvrage (pousser le devoir de conseil de l’architecte un peu plus loin). 47


2.3. Un projet de réhabilitation d’habitat social collectif

Lieu : Le Mans Maîtrise d’ouvrage : F2M Architecte : AVENIR24 architecture 45 logements

ELSA TRIOLET réhabilitation de 45 logements, photographie extraite de la page de couverture du programme (F2m) Elsa Triolet, ce sont 45 logements locatifs sociaux, situés au Mans, commandités par F2M, bailleur social. Le projet est en cours d’élaboration (phase APD terminée et dépôt de la déclaration prélable en cours) par l’agence AVENIR24 architecture dans laquelle j’exerce. Cet exemple démontre la nécessité d’intégrer l’architecte dans la phase amont, mission 1 qui précède la phase de conception et de mobiliser ses compétences propres dans l’élaboration du programme, d’un programme technique decontextualisé à un programme « sensible » et transversal dans l’habitat social réhabilité. J’ai intégré l’agence en septembre 2018. A mon arrivée me sont confiées 48


les études du projet Elsa Triolet, travail en collaboration avec l’architecte et l’économiste associés de l’agence et le chargé d’opération du côté maîtrise d’ouvrage publique. Ce projet m’intéresse particulièrement, non seulement au regard de l’étude de ce mémoire portant sur la programmation mais également au regard du travail et de l’accompagnement mené auprès de la maîtrise d’ouvrage dans un objectif commun, celui d’une réhabilitation de qualité intégrant objectifs techniques désormais maitrisés mais également répondant à des usages futurs de l’habiter (souvent oubliés dans les programmes de réhabilitation). Il s’agit de comprendre quels sont les outils mis en œuvre et quelle démarche a été mise en place par l’architecte dans ce projet afin d’orienter ou d’intégrer de nouveaux éléments essentiels au programme et ainsi insuffler les grandes intentions en amont de la conception architecturale. Historiquement, l’identité des architectes est valorisée dans le marché de la commande publique par la réalisation de constructions neuves. En effet c’est dans ce domaine que dans la conscience collective s’exerce la « plus-value » de l’architecte, dans la conception. Nous parlons ici de la notion de « créativité ». C’est pourquoi au milieu des années quatrevingt dix, on observe une faible présence des architectes sur le marché de la réhabilitation. Désormais, les marchés de la réhabilitation se sont développés et ce au point de devenir une donnée lourde de l’économie du bâtiment (intégration de la notion du coût global). Ce marché de la réhabilitation est récurrent et prépondérant dans les programmes proposés par la maîtrise d’ouvrage publique avec laquelle nous travaillons. Alors qu’en parallèle se développe une forte prise en compte des usages, comme l’évoque Carole Pohu, programmiste et AMO (de formation architecte) lors de notre rencontre « c’est depuis 5 ans qu’on a vu les choses complètement basculer de la technique à l’usage », les programmes de projets de réhabilitation restent majoritairement très techniques et succincts. L’expertise de l’usage est parfois trop peu considérée dans les programmes et c’est particulièrement vrai dans les programmes en réhabilitation (site occupé ou non occupé). En aparté, en marché privé, pour des opérations de logements ou bureaux par exemple, les programmes sont souvent réalisés en interne par la maîtrise d’ouvrage. Malgré des programmes qui semblent très complets, accumulation d’informations, surfaces, technicité... les « non-dits », rapport à l’usage sont mis de côté.

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Ces programme sont alors des programmes types, reproductibles. Cela donne lieu à des programmes décontextualisés. C’est ce qu’évoque notamment Alexis Dumont lors de nos échanges concernant son ancien poste de chargé de programme immobilier chez Eiffage : « On ne faisait que du bureau ou que du logement donc sait très bien faire un programme de bureau. Les trames de façades, c’est tant de mètres, profondeur, les hauteurs sous plafond… souvent l’archi nous faisait une capacité et donc nous on construisait notre programme avec ces éléments en disant ça va être entre 5 et 5300 m3 de bureau et puis après on détaillait. Nos programmes n’étaient pas très gros, c’était plutôt des programmes fonctionnels […]. C’est nous qui disions, sur le bureau la trame de façade c’est 3,35 m, trame classique ou 2,70 m pour les éléments de menuiserie etc, profondeur… […] Ce sont des trucs classiques »32. Le projet devient alors un produit basé sur la rentabilité, un simple objet financier. Une des différences majeures entre la maîtrise d’ouvrage publique et la maîtrise d’ouvrage privée réside notamment dans le temps de l’investissement. En effet en logement, marché davantage étudié dans ce mémoire (notamment puisqu’il s’agit des opérations le plus développées à l’agence), la maîtrise d’ouvrage publique investit pour cinquante ans.

schéma issu du Guide “Ouvrages publics et coût global”, MIQCP, janvier 2006

De ce fait, la démarche de projet, des études préalables à la réalisation jusqu’à la maintenance de l’ouvrage est particulière et demande un processus long de la part du maître d’ouvrage. « Il ne faut pas qu’on se trompe dans ce qu’on définit » comme l’évoque Lize Daculsi, respon32. Extrait d’entretien du 05 mai 2019 avec Alexis Dumont, responsable d’opération à la SPL de Rouen Normandie

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sable développement et chargée d’opération chez Sarthe Habitat, office public de l’habitat. Ce long processus comprend globalement l’analyse du site, l’environnement, géographique, économique mais aussi démographique, socioprofessionnel, l’analyse « sensible » du contexte et ainsi la mise en perspective des besoins. On peut se demander si ce long processus, ne peut pas être le fruit d’un travail collaboratif en maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Chacun par sa compétence singulière viendrait nourrir le travail et les prémices du projet afin d’aboutir à un projet cohérent où chacun y aurait contribué dès sa genèse.

Fabriquer avec l’existant, une compétence à développer Vers une réhabilitation contextualisée « Une architecture contextualisée et donc contemporaine, se fait dans un moment contextuel parce qu’elle se fait dans un lieu. Elle est contextuelle parce qu’elle se fait avec des personnes. Il y a ceux qui habitent […]. Les gens qui habitent c’est tout le monde, c’est un élu, un ouvrier, un futur usager, un habitant au sens habitant de son logement »33. Cette citation de Patrick Bouchain révèle les paramètres souvent absents des programmes de réhabilitation de logements : le lieu et l’habitant et son rapport au logement. À partir du moment où l’on part de l’existant, cela implique des notions de réalité qui sont liées au diagnostic et à une connaissance constructive, une écoute fine des récits qui portent le « déjà là », une analyse des usages. Il est nécessaire de s’attacher à la pré-existence du bâtiment dans sa globalité en apprenant à observer de manière très fine ce qui se dégage du lieu contextualisé. « Souvent, la pensée des maîtres d’ouvrage est sous-tendue par l’idée que l’usage est de la responsabilité de l’architecte […] » expriment M. Philippe Joncoux et Mme. Sophie Petrault lors des entretiens menés par la MIQCP pour la réalisation du Guide de sensibilisation à la programmation publié en 2008. C’est ce que l’on observe dans les projets en réhabilitation. Les études préliminaires et le programme sont primordiaux dans l’élaboration d’un projet. En effet, la réussite d’une opération dépend avant 33. Patrick Bouchain évoque également lors de la conférence Penser le monde d’après-demain organisée par Les Ateliers de la Pensée du festival d’Avignon (médiapart et la revue du crieur)

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tout de la capacité de la maîtrise d’ouvrage à envisager globalement le projet. Il s’agit de développer une étude préalable sous tous ses aspects et non se contenter d’élaborer un projet au regard des seuls problèmes techniques. De plus les programmes intègrent des notions plus détaillées en lien avec les usages, fruit de concertations réalisées en amont avec un comité de pilotage. Or, on peut se demander pourquoi cette évolution n’est pas expérimentée et mise en application dans le marché de la réhabilitation, marché public ? N’est-ce pas là, un interstice dans lequel l’architecte peut faire valoir ses compétences auprès de la maîtrise d’ouvrage publique trop souvent non qualifiée ?

Le temps de l’analyse de l’existant au profit de la gestion économique du projet Travailler avec l’existant nécessite un temps long d’analyse mais de cette analyse en découle la question de l’économie de moyen. Comment on fait mieux avec peu tout en puisant les ressources de l’analyse fine du pré-existant ?

La relation architecte/maîtrise d’ouvrage Vers une assistance dans la définition du programme ? Diagnostic « en marchant » de l’existant : visite collective maître d’ouvrage et maître d’œuvre.

12 12 2018 - ELSA TRIOLET après-midi du “ diagnostic en marchant ” avec la maîtrise d’ouvrage pour la présentation de l’APS du projet (photos Coralie Dumont)

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Après une première phase d’analyse de l’existant sur plan, analyse constructive, compréhension de la logique organisationnelle, répartition par typologie, appréhension du terrain, sa topologie… analyse de l’aménagement intérieur des logements, organisation des fonctions et relations entre elles, rapport à l’extérieur, l’orientation, les vues, les proportions, la qualité des espaces, le traitement particulier des façades et le rapport à l’environnement… c’est l’heure de la vérification des hypothèses proposées au regard de la demande initiale. Nous restituons les plans de l’existant et l’ébauche d’un premier avant projet. L’avant projet intègre de nouveaux éléments programmatiques. Ainsi, nous organisons une réunion afin d’échanger nos points de vue au regard du programme initial et nos conclusions faites suite au diagnostic de l’existant. Cette réunion se déroulera « en marchant », en parcourant les lieux, d’appartement en appartement afin d’accompagner le maître d’ouvrage dans notre démarche et de valider nos hypothèses. J’ai découvert lors de mes entretiens menés dans le cadre du mémoire que ce type de diagnostic dit « en marchant » est une méthode mise en place tout récemment au sein d’un autre organisme d’habitat social très impliqué dans le rapport avec les habitants. à partir d’un projet comme celui d’Elsa Triolet, qui semblait uniquement technique au départ, le diagnotic de l’existant révèle et exprime des problématiques sociales, urbaines, d’environnement, d’organisation spatiale... qui sont des enjeux majeurs pour le maître d’ouvrage. Une reconnaissance du site (avec le maître d’ouvrage) est fondamentale et indispensable. Patrick Bouchain évoque également, lors de la conférence Penser le monde d’après-demain organisée par Les Ateliers de la Pensée du festival d’Avignon (médiapart et la revue du crieur), son travail sur ce qu’il nomme le « non-programme » ou l’idée de considérer que « le programme se fait en marchant » afin de laisser les indices, les idées, les intuitions... émerger. Ceci est le travail élémentaire et classique de l’architecte. D’ailleurs, notons que les missions de diagnostic aussi diverses soientelles figurent dans la loi MOP. Concernant le marché de la réhabilitation, ces missions apparaissent fondamentales pour la bonne élaboration du programme. Or nous notons dans notre travail qu’elles ne sont pratiquées qu’à la marge où en « mission intégrée » à la mission de maîtrise d’œuvre. établir cet état des lieux global, technique et sensible au regard du contexte d’un territoire singulier est un temps de réflexion au service de la qualité finale de l’ouvrage. Ce dernier détermine notamment la faisabilité de l’opération.

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Si nous avions travaillé en site occupé, les moyens et outils que nous aurions mis en place auraient différé. Peut-être qu’il aurait fallu mettre en place des ateliers en concertation avec les habitants des lieux. Le temps de programmation/conception se serait probablement allongé. Je pense, comme évoqué dans la préface de cette étude, au projet de réhabilitation de 245 maisons, « Ensembles à Claveau » à Bordeaux exposé lors des Rencontres Métiers par Antoine Tison et Pierre-Yves Guyot. Il s’agit d’un projet à valeur pédagogique, expérimentale, économique et sociale, basé sur le déjà-là et l’appropriation. L’architecte devient le lien social entre les acteurs et propose ainsi un programme qui évolue en concertation avec le sujet : entre autres, les habitants. Ces derniers ne sont pas experts (ils ont une connaissance de leurs désirs et non de leurs besoins). Ainsi une écoute fine de divers points de vue, alimentée du travail de conception est nécessaire. L’architecte, par une immersion sur un temps long, permet également d’organiser les réflexions afin d’aboutir à un programme cohérent (projet inital/budget).

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Conclusion Cette étude de cas concrets, non exhaustive, devrait être alimentée par des projets plus diversifiés et à différentes échelles urbaines et architecturales. Cependant elle a le mérite de mettre en marche une réflexion personnelle concernant les processus programmation-conception et leur mise en application de manière traditionnelle. Comme nous avons pu le voir dans la première partie de ce mémoire, ce processus fragmenté est marqué par une suite de séquences dont chacun est responsable individuellement. Or ce système mis en œuvre réduit considérablement les rapports humains nécessaires à la construction de la ville et ses espaces et de l’usager, de l’habitant, de l’utilisateur dans un positionnement passif. On peut se demander si cette mise à distance des différents acteurs de la construction induite par l’application stricte du processus programmation-conception en marché public n’est pas à l’origine de défaillances observées aujourd’hui dans certains territoires. Ainsi l’architecte doit se saisir des outils qui s’offrent à lui dont notamment l’outil de faisabilité, la concertation habitante et le diagnotic. Ces derniers sont à valoriser auprès de la maîtrise d’ouvrage. Il s’agit d’acquérir et/ou déveloper ses compétences relatives à ces outils dans l’objectif de réalisation d’ouvrage de qualité en relation directe avec l’utilisateur premier et le territoire - intérêt d’utilité publique -

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3. Compétences et outils à faire valoir et/ou à développer ÉTUDE PROSPECTIVE Après avoir évoqué les enjeux qu’impliquent la fragmentation entre programme et conception et plus particulièrement en marché public, il s’agit en tant que future architecte de répondre aux enjeux de demain. Ainsi comme nous avons pu le voir, les interactions itératives entre la mission 1, l’élément déclencheur (le programme) et le processus de conception, la mission de maîtrise d’oeuvre sont incontournables et nécessaires à la « bonne écriture » de l’histoire du projet et ce dans l’intérêt de «l’autre», de l’intérêt général. Comme évoqué précedement, l’analyse du programme fait donc partie de la phase de conception. C’est dès la mission 1 qu’apparaîssent les « vraies » contraintes qui alimenteront le projet « sur-mesure ». La compétence pluridisciplinaire propre à la formation des architectes doit ainsi permettre à ce dernier de se positionner en tant que professionnel de la construction dans le contexte actuel. « S’inscrire dans un contexte, connaître les règles, ne pas agir mais transformer, faire le moins possible pour donner le plus possible, entraîner tout le monde, interpréter, donner du temps, transmettre, ne jamais faire pareil… »34 Nous énoncerons dans cette dernière partie quelques pistes à investir et à explorer dans une stratégie globale et dans une possible reprise ou création d’agence.

34. Patrick Bouchain Construire autrement, comment faire ? préface

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3.1. SE FORMER ET FORMER

Accompagner et assister les différentes maîtrises d’ouvrage et mettre en avant la formation collective Pour se faire, il s’agit peut-être de développer des compétences en interne dans l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour l’accompagner dans l’élaboration et la définition du programme. Comme nous avons pu le voir dans la première partie de cette étude, la programmation et l’assistance à maîtrise d’ouvrage tendent à se confondre. Se former est une nécessité, d’où la mise en place de formations obligatoires par l’Ordre des Architectes. Nos modes de vie évoluent, les exigences techniques évoluent également. Cependant les mentalités n’évoluent pas en même temps, ni de manière proportionnelle. Il s’agit de ce fait « d’éduquer » et de former la maîtrise d’usage, acteur principal ainsi que la maîtrise d’ouvrage, commanditaire, aux questionnements à et nos modes d’habiter et de faire la ville de demain. Il s’agit de porter la culture architecturale au grand public,habitant du territoire français. Lors de ma rencontre avec Lize Dalculci, responsable développement et chargée d’opération chez Sarthe Habitat, office public de l’habitat, je fus suprise d’apprendre la mise en place d’un partenariat depuis une année du bailleur avec l’École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers (ENSAM) et l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Val de Seine (ENSAPVA). Il s’agit de mettre en place des conférences sur des thématiques identifiées comme par exemple : mutations démographiques et des modes de vie - les défis du parc existant - les transformations du confort de l’habitat, de la salubrité durable, acteurs et habitants construire la mixité sociale - transition énergétique… L’objectif est de mettre en synergie les réflexions des différents acteurs déjà sensibilisés par l’architecture que sont les enseignants des métiers de l’art et de l’architecture et ceux de la maîtrise d’ouvrage publique afin de participer et de collaborer pour relever les défis de l’habitat de demain. Après ces échanges et conférences doivent être mis en place des plans d’actions

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dans la façon d’élaborer le programme/le cahier des charges qui sera transmis à l’équipe de maîtrise d’oeuvre. Ne serait-il pas intéressant de développer ces initiatives de manière élargie et de pouvoir ouvrir ces démarches à tous les acteurs de la construction dont la maîtrise d’œuvre, metteur en scène du projet qui en fait grandement partie ? De plus, localement, des initiatives commencent à voir le jour entre architectes, notamment l’association des architectes de la Sarthe ASS à laquelle nous adhérons. Ces démarches singulières s’inscrivent dans cette volonté d’initier l’usager/habitant entre autre à l’architecture. Ces initiatives sont d’utilité publique et les architectes doivent donner des prérogatives, des orientations de la culture. Aussi, ces démarches grand public de sensibilisation à l’architecture sont également celles des CAUE et de la Maison de l’Architecture. Dorénavant, des actions pédagogiques se développent, on peut le voir notamment avec les portes ouvertes des agences d’architecture qui ont lieu tous les ans. On pourrait se dire que nous nous éloignons du sujet ! Cependant, il semblerait que l’étude de ce mémoire sur l’amont du projet architectural est aussi du ressort de l’architecte, acteur sachant. C’est ce que nous essayons de démontrer, mais c’est surtout par la loi, du ressort de la maîtrise d’ouvrage. Il est possible d’agir sur la législation par le biais des députés. Nous le savons, l’Ordre des Architectes et les syndicats d’architecture sont continuellement en débat avec les législateurs. Il est également envisageable de mettre en place des actions afin de former la maîtrise d’ouvrage dans les missions qui lui incombent, celle de la définition des grandes intentions de projet, les études préalables et la définition du programme et ce à l’initiative des architectes. De plus il s’agit de s’allier et de participer avec les CAUE à la sensibilisation des acteurs au regard de l’architecture. C’est au moment de la loi de 1977 sur l’ingénierie que l’architecture est reconnue d’intérêt général et pour défendre cet intérêt général, le législateur crée les Conseils d’architecture d’urbanisme et d’environnement (CAUE), associations départementales financées par les Conseils généraux. Les CAUE doivent avoir une activité de conseil auprès de l’ensemble des collectivités locales et des maîtres d’ouvrage qui en ressentent le besoin, afin d’aider à améliorer la qualité des réalisations architecturales et des opérations d’urbanisme. De plus, les CAUE doivent orienter le grand public et les collectivités vers les architectes, ce qui est rarement le cas sur les différents sites internet disponibles (le CAUE de la Sarthe a, quant à lui,

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dressé une liste d’architectes Sarthois vers qui s’orienter). On remarquera ainsi que de plus en plus d’élus et de collectivités, mais également certains bailleurs, souhaitent enclencher le pas vers de nouvelles façons de faire afin de rendre attractifs leurs villes et leur patrimoine en étant en accord avec les préoccupations de demain. Il faut se saisir de ces envies et de ces volontés, notamment pour sortir des productions de logements et autres programmations types. Outre les outils énumérés précédemment que sont la faisabilité, la concertation et le diagnostic, nous pouvons depuis peu se saisir de l’outil du permis d’aménager pour insuffler les grandes intentions moteurs de projet dans la phase amont de la conception architecturale et ce dès les études urbaines. En effet, depuis le 1er mai 2017, le décret n° 2017-252 impose le recours obligatoire à l’architecte pour l’élaboration du projet architectural, paysager et environnemental (PAPE) d’un permis d’aménager un lotissement dont la surface de terrain à aménager est supérieure à 2 500 m2. « C’est le nouvel article L. 441-4 du code de l’urbanisme qui prévoit que « La demande de permis d’aménager concernant un lotissement ne peut être instruite que si la personne qui désire entreprendre des travaux soumis à une autorisation a fait appel aux compétences nécessaires en matière d’architecture, d’urbanisme et de paysage pour établir le projet architectural, paysager et environnemental dont, pour les lotissements de surface de terrain à aménager supérieure à un seuil fixé par décret en Conseil d’Etat, celles d’un architecte au sens de l’article 9 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture ». Cet article a été créé par l’article 81 de la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, loi LCAP. C’est le décret n° 2017-252 du 27 février 2017, (publié au Journal Officiel du 28 février 2017), qui a ainsi prévu l’obligation de recourir à un architecte pour établir le projet architectural, paysager et environnemental d’un lotissement dont la surface de terrain à aménager est supérieure à 2500 m2. »35²

35. Extrait de l’article du Conseil National - Ordre des Architectes, sur le recours obligatoire à l’architecte pour l’élaboration du projet architectural, paysager et environnemental (PAPE) d’un permis d’aménager un lotissement dont la surface de terrain à aménager est supérieure à 2 500 m2.²

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Expérimenter pour nourrir le projet et son process Investir le champ des démarches participatives et développer la concertation habitante à différentes échelles, de l’échelle urbaine à l’échelle architecturale « En architecture, la personne qui commande un objet participe à l’ouvrage au même titre que celui qui le conçoit, que celui qui le réalise et que celui qui s’en sert »36. Cette réflexion de Patrick Bouchain reste à mon sens primordiale dans la démarche à mettre en place dans l’élaboration dans un premier temps du programme d’un ouvrage. La concertation habitante est fondamentale. Cependant, il faut veiller à fixer et décrire ses limites et des « règles » à mettre en place. En effet, il ne s’agit en aucun cas d’une application directe des désirs exprimés par l’habitant. La concertation et la participation ne sont pas des pratiques nouvelles. C’est en me documentant ultérieurement sur l’habitat participatif que j’ai découvert la revue n°335 Techniques & Architecture publiée par les Éditions Regirex-France en 1981 qui consacre son édition au thème de l’Habitat : évolution des pratiques et aborde les thèmes suivants : • aménagement urbain concerté • ateliers publics d’architecture • habitat et participation Déjà était abordée la volonté des concepteurs, architectes, de modifier leurs pratiques du projet, de la recherche formelle vers une recherche d’ordre méthodologique. Dans une démarche participative, le premier travail consistait à trouver des « candidats » ayant la volonté de sortir du rôle de simple consommateur pour passer à celui de concepteur. Des campagnes (articles de presse, affiches, tracts...) étaient menées et des réunions publiques étaient organisées toutes les semaines. On y présentait des diapositives qui rappellaient que « la ville ancienne, celle justement que nous aimions était faite avec des immeubles, des rues de formes étranges, de places, de choses inutiles... » « Le temps passait et déformait la ville ». On y présentait ensuite des petits groupes d’habitations plus modernes conçus en collaboration avec les habitants. Cette nouvelle méthodologie en cours d’élaboration permettait de faire sortir les futurs habitants des modèles construits a postériori de la phase de conception, mo36. Patrick Bouchain Construire autrement, comment faire ? p.80

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dèles connus de la production de logements. Des ateliers étaient ensuite mis en place autour des thèmes suivants : l’information, l’expression, la formation des groupes de voisinage, la programmation. La conception du projet était en cours. Une telle production collective de l’habitat nécessitait un temps long et un effort d’organisation inédit. Les textes de la directive d’application du décret du 28 février 1973 relatifs aux missions d’architecture et de l’ingénierie sont complétés par des recommandations formulées par la MIQCP en 1985 : • Améliorer la qualité des constructions publiques, La Documentation française, 1981, • Études préalables et programme, Éditions du Moniteur, 1984, • Participation et construction publiques, Éditions du Moniteurs, 1984 ; Ainsi est mis l’accent sur la notion de participation des usagers, utilisateurs, habitants dans la programmation des constructions publiques. L’habitat « co-réflechi » induit de laisser la place aux usagers au coeur du processus. Ceci est rendu possible en mettant en place des ateliers participatifs. Des usages en découlent des fonctions et des formes puis des espaces menant à la rédaction de ce que l’on appelerait le programme. Ici le programme ne parlerait pas de système technique ni d’architecture au sens premier du terme mais il serait la traduction des besoins exprimés collectivement (organisation des locaux entre eux, zone de transition, porosités, cheminements...). Il s’agit en fait des non-dits rarement explicités dans les programmes en marché public.

« Recherche et développement » à la manière dont l’exprime Aurélien Mahé, architecte à l’Atelier TLPA à Brest, expérimenter, oser, « à perte » comme certains diraient mais c’est de cette audace que nait l’enrichissement au sein de l’agence. Cela permet de nourrir les projets d’une part, et de provoquer la commande ultérieure d’autre part. Il ne s’agit donc pas de perte ! Ainsi la question du croisement lié entre la pratique et la recherche est importante. Il y a des praticiens qui sont enseignants, chercheurs, géographes, anthropologues, plasticiens et c’est la convergence de cette interdisciplinarité que l’on fait du projet de qualité en réponse à un contexte spécifique. Arpenter les sites de projet (diagnostic en marchant), appréhender son rapport sensible au territoire et l’articulation entre plusieurs disciplines permet de révéler des enjeux, capter des intuitions spécifiques au contexte et ainsi fabriquer du projet. 62


Expérimenter à la marge par la lecture et les conférences Pour ma part, exerçant au sein d’une équipe qui travaille principalement en marché public et donc étant soumise à la réglementation, il est impossible légalement et déontologiquement d’expérimenter des méthodes qui peuvent être à la marge du système classique encadré par la loi. Cependant cette expérimentation peut se faire par des lectures ou en assistant à des conférences. Il s’agit d’écouter ce qui se passe ailleurs, ceux qui provoquent pour requestionner les process réglementés et en tirer des conclusions. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité assister par exemple à la conférence « Faire l’architecture et vivre autrement », les rendez-vous de l’architecture, qui a eu lieu au Lieu Unique le vendredi 12 avril 2019. La conférence était présentée sous forme d’une discussion publique qui rassemblait Patrick Bouchain, architecte, scénographe, Camille et Camille de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le Studio Borderline de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes et le DSAA (Dîplome supérieur d’Arts appliqués) Alternatives urbaines de Vitry/Seine. Il s’agit de garder une distance mais de s’ouvrir à ce qui se fait ailleurs pour enrichir nos modes de faire du programme et de l’architecture parfois trop rigides ou formatés malgré nous. Le recul de l’architecte apparaît comme sa qualité 1ere. De cette conférence, j’en ai retenu quelques citations intéressantes qui reprennent toutes l’idée d’une construction collective et d’un mode opératoire linéaire. En voici des extraits : « Construire son habitat et sa relation à l’autre » « La ZAD fabrique du commun, on construit une cabane et on construit une relation avec » « L’ambition est totale, une vision globale écologique et humaine et magnifique sur la ZAD, elle laisse croire en l’avenir » « Sauver le territoire par l’habitat » « Provoquer le conflit pour commencer la négociation, c’est ce qu’on observe de plus en plus en architecture » « Est-ce que c’est celui qui habite qui décide si son logement est agréable et standard à son mode d’habiter ? » « Pas de recette toute prête car il y a un contexte » « Niveau de décision le plus horizontal possible » « On a des choses à construire mais aussi des choses à déconstruire dans l’usage » « Il y a des marges qui existent pour expérimenter et vivre autrement, vivre ensemble » 63


12 04 2019 - Faire l’architecture et vivre autrement, les rendez-vous de l’architecture, conférence au Lieu Unique (photo Coralie Dumont)

Le programme doit fabriquer du commun dans une ambition totale intégrant une vision globale, écologique et humaine. Le programme est nécessairement ancré dans un contexte, un territoire singulier. Le programme doit interroger nos modes de faire et requestionner les usages souvent appliqués de manière systématique. Le programme écrit est la première base d’un ouvrage construit collectivement, il s’agit des prémices de l’histoire d’un projet. Le programme est l’occasion d’un débat où tous les acteurs, le commanditaire, l’usager et l’architecte doivent interagir. Ces conclusions peuvent paraître trop idéalistes pour être applicables. Cependant il s’agit de garder en tête ce qui fait, et ce d’un point de vue personnel, émerger de bons projets en symbiose avec un contexte et les besoins réels.

3.2. SE QUESTIONNER ET SUSCITER L’INTÉRÊT

Questionner les procédures d’appel d’offre en marché public Comme on a pu le voir, les allers-retours entre le programme et la

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conception du projet sont inévitables et nécessaires. Ces interactions itératives permettent des réajustements tout au long de l’élaboration du projet. Il est donc courant qu’au cours des phases APS et APD que certaines données du programme soient remises en question. Seules les intentions fondamentales issues du travail de conception restent dans la majorité des cas immuables. Cependant au moment de la passation des marchés, le dialogue doit déjà être entamé entre maître d’ouvrage public et maîtrise d’œuvre privée. Ainsi certaines procédures dont les procédures adaptées, MAPA ou MPA permettent une plus grande souplesse contrairement aux procédures formalisées. « Une procédure adaptée est une procédure par laquelle l’acheteur définit librement les modalités de passation du marché, dans le respect des principes de la commande publique et des dispositions du présent livre, à l’exception de celles relatives à des obligations inhérentes à un achat selon une procédure formalisée »37. De plus, nous sommes conscients que la procédure de concours telle qu’elle est appliquée aujourd’hui est également à questionner. En effet comme évoqué dans le Rapport d’information de Patrick Bloch il s’agit de « s’interroger plus précisément sur ce que pourrait être un concours adapté aux conditions actuelles. Les interlocuteurs de la mission ont insisté sur trois points : les références exigées pour concourir, l’ampleur de la procédure pour l’architecte, en particulier lors de la phase initiale, et la difficulté qu’entraîne l’anonymat pendant le déroulement de la phase du jugement qui interdit le dialogue entre le jury et les candidats avant le choix du lauréat »38. Dans la procédure de concours, la porosité entre programmation et conception est quasi nulle. Il s’agirait peut-être d’imaginer un allongement de la phase question-réponse en amont. En tout cas, avant que cela puisse être envisageable, il s’agit pour l’architecte de ne pas négliger ce moment de questions-réponses qui est le seul lien possible entre programmation et conception et le seul espace de dialogue ouvert pour faire émerger les manquements au programme proposé. 37. Article L. 2123-1 du code de la commande publique (applicable à compter du 01/04/19 38. Rapport d’information déposé en application de l’article 145 du Règlement par la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur la création architecturale le 2 juillet 2014

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Ce questionnement sur la procédure de concours n’est pas récent. En effet comme évoqué précédemment, dans sa brochure destinée aux maîtres d’ouvrages publics, MIQCP, 1979, la MIQCP préfère la transgression de la règle du concours qui place l’architecte comme un acteur seul et isolé dans la réflexion sur le projet. En effet la MIQCP propose d’amorcer les échanges au préalable « en organisant avant la compétition un dialogue entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre intéressés à la commande »39 ceci dans l’intérêt commun pour une meilleure qualité architecturale tout en préservant l’égalité des équipes concurrentes. Les règles de la compétition lors d’un concours obligent le maître d’ouvrage à donner les mêmes informations à tous les concurrents. Ainsi, par exemple, si tous les architectes participant à un concours n’ont pas assisté à une réunion d’information, il est tenu au maître d’ouvrage d’en rédiger un compte-rendu, envoyé à chaque équipe. Cette façon de procéder rompt avec l’idée même d’instaurer un dialogue en amont de la conception puisqu’en effet beaucoup sont frileux de poser certaines questions ayant « peur » que les équipes concurrentes captent des informations relatives aux prémices d’une réflexion personnelle sur le futur projet. Cela peut même rapprocher le projet de celui d’un autre concurrent. De plus les concours figent une image qui ne peut évoluer et ce malgré les changements nécessaires opérés lors des études. Cela pose parfois des problèmes lors du dépôt du permis de construire. Des oppositions peuvent se faire au regard de cette image qui souvent a sensiblement évolué. C’est notamment ce qui s’est passé pour le projet de l’Acadie. Dans notre cas, le recours a entraîné une refonte partielle des études et donc un allongement du temps du projet (temps long des études faites précédemment en concertation avec les habitants). Voici ci-dessous les insertions relatives au concours et au permis de construire du projet de l’Acadie. On peut se demander pourquoi y a-t-il eu une simplication formelle en atyque et donc une perte de rentabilité en toiture. Ainsi Fabienne Paumier a évoqué lors de nos échanges qu’il était important de penser le projet afin qu’il puisse évoluer après la phase de concours sans que son image soit modifiée. « Je participe à des jurys de concours je donne des conseils au maître d’ouvrage. […] Un projet, doit évoluer. Il faut en tant que jury regarder ce qui est irrémédiable c’est-à-dire si le projet ne peut pas être modifié sans une remise en cause complète. […] C’est ça le problème du concours, c’est que ça fige une image ». 39. MIQCP, 1979

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image du concours (image 3declic)

17 05 2019 - ACADIE - insertion le permis de construire (image 3declic)

Le dialogue et la négociation Réfléchir à la ville de demain induit une réflexion sur le logement et nos manières d’habiter. Pour se faire, il faut mieux réfléchir avec la maîtrise d’ouvrage sur la question du logement. Pour changer nos manières de faire, il faut intégrer quelqu’un de plus, les utilisateurs, usagers, habitants et se poser la question avec eux. Ainsi le programme 67


doit être le support de discussion (alors que souvent c’est le projet car le programme semble trop abstrait). Le débat et la concertation en urbanisme sont beaucoup plus faciles à susciter qu’un débat sur la programmation et la conception d’un projet à l’échelle architecturale. Cette démarche de concertation demande du temps et de l’énergie afin de créer du dialogue : entre élus, maître d’ouvrage, riverains, habitants, techniciens, architecte… Mais ce dialogue à ne pas négliger, basé sur la négociation, l’écoute et la retranscription des besoins sont des données fondamentales qui ne peuvent qu’enrichir la conception et faciliter la façon dont il sera vécu et perçu une fois réalisé. C’est bien sur ce point que Laure Pasquet, programmiste et économiste rencontrée lors de cette étude marque l’intérêt de faire intervenir dès les prémices du projet les différents intervenants dans l’objectif notamment d’une meilleure acceptation du projet livré. Ainsi, il est important de mettre en place un historique et une diffusion régulière (comptes rendus) car les réunions successives ne réunissent pas forcément les mêmes intervenants. Thomas Huguen, architecte chez Utop, agence parisienne met le doigt sur la nécessité en tant qu’architecte et accompagnateur de la maîtrise d’ouvrage et de la maître d’usage de reconnaître l’expertise (expertise ponctuelle) des habitants. Le dialogue et l’implication de chacun permet ainsi de sortir des modèles standardisés et permet de proposer des solutions « non normées ». De plus, depuis le 1er férier 2019, la loi instaure ce que certains appellent « permis d’expérimenter », d’autres « permis d’innover », d’autres encore « permis de déroger » (Prévue par l’article 49 de la loi Confiance du 10 août 2018). C’était le « permis de faire », prévu par l’article 88, I de la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) du 7 juillet 2016.

Intégrer (davantage) l’enseignement de la programmation et des sciences humaines et renforcer la question du patrimoine dans le cursus des écoles d’architecture en France Il y a la possibilité de se former en s’appuyant sur l’IPAA (Institut de programmation en architecture et aménagement), association créée en 1994. Cependant il est nécessaire de soulever la question de la reconnaissance de la formation initiale des architectes et de l’expérience et leurs apports. Ainsi comment peut-on faire valoir cette expertise auprès de la maîtrise d’ouvrage ? Selon l’enquête menée par Jacques ALLEGRET, Nathalie MERCIER et 68


Jodelle ZETLAOUI-LEGER sur l’exercice de la programmation architecturale et urbaine en France, 70% des professionnels interrogés se déclarent autodidactes dans leurs compétences relatives à la programmation. Il s’agit de l’expérience propre à chacun (l’expérience de la vie) et l’expérience théorique de la conception (formation initiale des architectes). Les premiers mots évoqués par Fabienne Paumier, architecte, lors de notre rencontre sur le sujet de la programmation au regard de la conception marquent cette volonté d’affirmer que la programmation fait partie intégrante des compétences des architectes et de sa formation initiale et fait partie intégrante du processus global du projet (phase d’écoute fine, collecte des données, perception, intuitions... analyse et synthèse). Ainsi elle déclare : « je n’ai pas appris le métier de programmiste du tout, je ne me suis jamais affichée comme programmiste. Simplement quand j’étais à l’école d’archi, j’ai travaillé avec des sociologues, un ethnologue sur toute l’approche en amont de la prise en compte des besoins. On a fait des immersions dans des endroits, des stages et on était en observation participante, enfin voilà avec des méthodes d’ethnologie. Donc ça ça m’est resté et puis après dès que j’ai pu, je me suis remise dans cette situation là avec des maîtres d’ouvrage qui prenaient un architecte sans avoir de programmiste, c’est-à-dire des associations, associations médico et sociales. On démarre de la page blanche, sans programme ce qui fait que là j’ai déroulé ma petite histoire en allant visiter les lieux, parler avec les gens, en travaillant avec un groupe de pilotage. Il n’y avait pas de méthodo qu’ont les programmistes aujourd’hui, pas du tout »40. Il est nécessaire de s’intéresser aux domaines des sciences humaines et sociales, une des disciplines de l’architecture, car elle « permettent d’explorer la « demande sociale », « les besoins », les « usages » et les « représentations » associés à l’espace »41. Il s’agit également par l’exemple du projet Elsa Triolet au Mans sur lequel je travaille depuis mon arrivée à l’agence, qu’il est nécessaire de réintroduire la question du patrimoine au sens large du terme dans l’ensei40. Extrait d’entretien du 14 mai 2019 avec Fabienne Paumier, architecte chez Pièces Montées et plus récemment associée avec l’agence Architour, regroupés sous le nom de Faro 41. Invention et réinvention de la « programmation générative » des projets : une opportunité de collaboration entre architecture et sciences humaines et sociales pour des modes d’habiter « durables », Jodelle Zetlaoui-Léger

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gnement des écoles d’architecture et ainsi mettre en lumière l’importance de l’analyse de l’existant dans des projets de réhabilitation.

S’ouvrir et s’intéresser aux démarches opérées dans les pays voisins Design Methods Movement : les études anglos-saxonnes faites par des théoriciens-praticiens des années 1960 à 2000. Comme l’indique Jodelle Zetlaoui-Léger dans son étude ; La programmation architecturale et urbaine : émergence et évolutions d’une fonction, très peu de travaux et recherches traitent de la question de la programmation en France. Hors, lorsque l’on dé-zoome la focale de notre territoire aux territoires étrangers et notamment en Angleterre, les anglos-saxons portent un intérêt certain pour la programmation qui fait l’objet de nombreuses recherches et expérimentations dans les années 1950 à 1990. En effet, la prise en compte des nouveaux enjeux environnementaux induisent de nombreux changements dans les méthodes d’élaboration d’un projet. Les préoccupations actuelles en France font bel et bien référence aux études menées en Angleterre. Cet intérêt me conforte sur mon positionnement en tant que future praticienne et le regard porté sur la façon d’aborder un projet d’intérêt général public. En effet l’étude élaborée durant ces 5 mois - de février à juillet - en collaboration avec notre directrice d’étude Françoise Coulon, les quatre étudiants de mon groupe d’étude, les échanges entretenus avec d’anciens diplômés, Fabienne Legros et Pauline Ouvrage et les dix étudiants de la table ronde organisée le vendredi 10 mai, les échanges avec différents architectes et autres acteurs de la construction, les intervenants des sessions HMONP… renforcent cette nécessité et cette volonté de (re)nouer le lien toujours existant mais fragilisé par l’évolution de la profession, la fragmentation des processus, la professionnalisation de la maîtrise d’ouvrage publique, la multiplicité des acteurs… entre programmation et conception c’est-à-dire entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. S’agit-il d’un retour en arrière dans le processus de production ? Nous trouvons-nous au paroxysme d’un système de production en devenir incertain ? Il faut rappeler que par le passé, à la Renaissance, les architectes étaient à l’initiative de la commande et proposaient des projets aux institutions politiques pour l’intérêt du bien commun de la cité. Aujourd’hui les AMI, Appels à Manifestation d’Inten70


tion est un processus de présélection pour le financement de projets d’initiative OSC et démontrent que l’architecte peut être par sa vision tranversale et sa formation initiale à l’origine de la commande et insufler les prémices de projets, que l’on nommera la mission 1. Ces appels à projets restent ponctuels alors que ces commandes devraient être davantage automatiques/systématiques. En aparté, voici les activité de l’OSC : « L’OSC doit avoir dans ses missions sociales majeures l’objectif de mener des actions dans le domaine de l’aide au développement et de la solidarité internationale particulièrement en matière de lutte contre la pauvreté, de promotion de la gouvernance, de l’égalité de genre et de défense des droits fondamentaux, d’éducation au développement ou de renforcement des acteurs de la solidarité internationale »42. Après Réinventer Paris, Imagine Angers est un exemple d’appel à projets urbains innovants qui est mis en place en 2017 par la ville afin d’inciter les différents acteurs de la construction, investisseurs, concepteurs… à l’innovation à l’échelle d’un territoire dans une réflexion portée sur la ville de demain. La ville propose alors sept territoires angevins emblématiques. « Les critères étaient la qualité des équipes mais surtout l’intérêt de la programmation »43. Il s’agit de répondre à un double objectif, celui de voir émerger des projets emblématiques, répondant à l’identité propre de la ville et de son territoire et celui d’une réflexion collective sur l’évolution des formes d’habitat, des espaces de travail qui répondent au plus près aux besoins des usagers, habitants. Cette démarche permet en tant que concepteur d’apporter notre savoir-faire, notre « plus-value » au sein d’une équipe de spécialistes, bureaux d’étude, paysagistes… dans l’élaboration d’un programme-projet. L’AMI est un véritable outil dont les collectivités publiques ainsi que les architectes doivent se saisir. Ce dispositif de l’AMI est un levier permettant d’apporter la preuve indiscutable du lien fondamental abordé précédemment entre le programme et la conception architecturale. Roch Bancour, adjoint à l’urbanisme et à l’aménagement du domaine public de la ville résume simplement l’objectif d’Imagine Angers 42. Occitanie Coopération, Réseau régional multi-acteurs de la coopération et de la solidarité internationale Appel à manifestation d’intention de projets pour 2017 OSC – AFD 43. Le gotha de l’architecture imagine Angers, Le Moniteur, Roch Brancour, adjoint à l’urbanisme et à l’aménagement du domaine public

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qui est « de concevoir des bâtiments pour ces sites emblématiques mais aussi d’imaginer des programmes, des usages, des innovations propres à répondre aux évolutions à venir de nos façons d’habiter, de travailler ou encore de consommer »44. Ces appels à projets sont révélateurs sans le savoir du besoin de faire appel aux architectes.

Intégrer la culture architecturale et urbaine dans les écoles dès le plus jeune âge Nous en revenons au même sujet qui est finalement la sensibilisation du grand public à l’architecture. Ainsi pour susciter l’intérêt et en comprendre les enjeux, il est primordial d’intégrer dès les petites classes l’enseignement de la culture architecturale et urbaine. En effet, nous noterons comme évoqué dans le rapport Bloche l’absence d’intérêt à la défense de la qualité architecturale. Ainsi, « il apparait nécessaire de provoquer, au sein de la population, un désir d’architecture »45. La diffusion de la culture architecturale est dans un premier temps à enseigner, au même titre que les arts plastiques ou encore la musique afin d’élaborer une première base de connaissances et dans un second temps à promouvoir auprès d’un public élargi. En effet les études préalables et les programmes sont sous la direction des institutions publiques, élus, communes, bailleurs... qui n’ont, pour une grande majorité aucune culture en terme d’architecture et d’aménagement du terroire. Si l’on déplace un peu la focale vers nos pays voisins, les habitants de Grande-Bretagne ou d’Italie ont recours systématiquement aux compétences des architectes et ceci n’est pas lié à une obligation légale puisque le recours à un architecte n’est pas obligatoire. Il s’agit bel et bien d’une habitude culturelle.

44. Imagine Angers, Appel à projets urbains innovant, édito, Christophe Béchu, maire d’Angers p.5 45. Rapport d’information par Patrick Bloche du 2 juillet 2014 déposé à l’Assemblée Nationale

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3.3. REPRENDRE ? CRÉER ? Prendre le temps de s’interroger sur nos désirs d’architecture

L’importance de cette étude et le temps qui nous est imparti pour développer un sujet est sans aucun doute le moment pour mener une réflexion personnelle autour de notre futur métier. Il s’agit de s’en saisir afin de marquer un temps d’arrêt et comprendre nos désirs et notre vision sur la profession. Finalement, peu importe la finalité, c’est-àdire peut importe s’il est question de reprise de l’agence familiale ou la création d’une structure. La question est de s’interroger sur ce qui nous semble important dans l’acte/le fait de construire et ce vers quoi nous souhaitons nous orienter. L’histoire qui s’est créée au fil des recherches menées sur le sujet n’ont fait que mettre en évidence mon intérêt personnel porté sur des projets relatifs à la commande publique et plus précisément le marché de l’habitat (raison pour laquelle j’ai intégré l’agence en septembre 2018). Participer à une construction collective d’intérêt général est pour moi porteur de sens dans ma pratique actuelle et future. Elle est confrontée à la commande en marché privé qui répond davantage à l’intérêt individuel (propos à nuancer selon les maîtres d’ouvrage). « La construction publique n’est qu’un « outil » parmi d’autres utilisé pour améliorer ou développer un service public. La raison d’être un service, et donc de la construction éventuellement nécessaire pour l’héberger, est d’offrir aux citoyens des services communs ou des activités sociales. […] les espaces offerts par le bâtiment public influencent la façon dont peuvent se réaliser les activités abritées […] »46 Les opportunités et expérimentations sont facilitées dans certains secteurs du marché privé notamment lors de démarches participatives à l’initiative de groupements d’habitants. C’est pourquoi le propos est à nuancer. Il ne s’agit pas d’exercer exclusivement sur un marché plus qu’un autre ou sur un type de projet plus qu’un autre puisque l’expérience et leurs apports multiples nourrit continuellement les projets futurs et en cours. Ainsi il est nécessaire de répondre à différents appels 46. Guide Programmation des constructions publiques, MIQCP, édition 2001

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d’offres d’horizons variés, ce que nous essayons de faire au maximum à l’agence. À l’origine de la création de l’agence AVENIR24 architecture, il y avait deux protagonistes : Pascal Dumont, architecte DPLG et Jean-Marie Boby, économiste de la construction. L’association de leurs compétences était et a toujours été un atout pour l’accès à la commande. L’hypothèse étant probablement le manque de confiance des maîtres d’ouvrage envers les architectes concernant la prise en charge du projet, c’est-à-dire la gestion économique de ce dernier, le respect du budget et le suivi des travaux. Leurs volontés étaient la mise en place d’une structure fonctionnant sur l’horizontalité du pouvoir décisionnel, l’égalité des apports, savoir-faire et compétences de chacun. La SCOP, société coopérative de production semblait la plus appropriée. Finalement l’association n’a pas poursuivi dans cette démarche puisque la SCOP d’architecture doit comprendre au minimum deux architectes. C’est probablement grâce à l’éducation que j’ai reçue, la transmission de valeurs fondamentales mises en synergie avec les évolutions sociétales, économiques, techniques et environnementales qui questionnent notre manière de pratiquer l’architecture, que ma vision s’aiguille véritablement vers : le projet comme résultante d’un acte collectif. Cet acte, c’est d’une part, un travail collectif interne à l’agence, par le déploiement d’un type de structure et l’intégration de diverses disciplines (économie, sciences humaines, paysage…) et externe (relation avec la maîtrise d’ouvrage, bureaux d’études, entreprises) à échelle humaine et d’autre part l’expérimentation et la pratique d’une démarche participative à différentes échelles de projets, urbains et architecturaux.

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conclusion

L

’etude menée a pour intention première de montrer l’importance de la phase des études préalables et de la programmation (définition des besoins), nommée mission 1 au regard de la mission de maîtrise d’oeuvre (mission règlementée en marché public). L’origine du sujet choisi est implicitement liée à ma pratique actuelle et mes expériences passées. Il découle de questionnements itératifs, sujets de débats internes et externes à l’agence qui viennent rythmer l’histoire du projet, des études à sa réalisation. Il apparait tantôt très complet (projet décrit dans le carnet de bord - réhabilitation et extension de l’école de Fresnay-sur-Sarthe) et tantôt obsolète dès la prise en main de ce dernier. Il est finalement la source majeure et incontournable, objet contractualisé dans l’élaboration du projet. Il est l’outil, (support de dialogue et négociation) qui structure l’espace social de l’acte de construire et qui détermine donc les relations entres les acteurs qui entrent en jeu, entre le maître d’ouvrage, les différents spécialistes et experts, les habitants/ utilisateurs, les entreprises, le ou les architectes, l’équipe de maîtrise d’oeuvre... Le programme est fondamental et sa définition doit être la plus juste, lisible, simple et exhaustive à la fois. La professionnalisation et la responsabilisation accrues de la maîtrise d’ouvrage couplées à une complexification des contextes, (législatif, normatif, réglementaire et économique) dessinent de nouveaux profils tels que les programmistes et les assistants à maîtrise d’ouvrage, deux professions qui tendent à se confondre. Il est important de préciser que l’étude n’a nul objectif de remettre en cause ces professions (professionnels intégrant une grande majorité d’architectes) oeuvrant en soutien, conseil et aide auprès des politiques/instances decisionnaires. Les vertus de l’architecte, évoquées par Olivier Chadoin, sociologue, sont notamment sa faculté de s’adapter aux changements liés à l’évolution de la société et donc « son indétermination » dans la définition même de sa profession. Chacun d’entre nous, futur(e)s architectes avons ainsi la possibilité de nous positionner dans la sphère des pratiques qui englobe la profession d’architecte. Autant que ce positionnement soit la résultante d’un désir et réflexions personnelles ! Ainsi, le temps qui nous est imparti pour mener cette étude est un temps relativement court. C’est LE moment clé nous permettant de « mettre le pied » sur et/ou dans

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un sujet porteur de sens et d’intérêt dans notre pratique actuelle et future. Cette incursion dans la génèse du projet permet la rencontre avec les maîtres d’ouvrage qui détiennent l’élément déclencheur (analogie au cinéma) de l’histoire du/des projets. J’ai ainsi pu entrevoir la possibilité pour les architectes de prendre part, et place dans la génèse des projets et une volonté de certains maîtres d’ouvrage d’être accompagnés dans les missions complexes qui leurs sont attribuées. Lize Daculsi, maître d’ouvrage et chargée d’opération me fait part à la fin de nos échanges de son intérêt pour l’étude menée et de son souhait d’échanger à nouveau sur ce dernier. Cette étude m’a permis de marquer un temps d’arrêt et faire le point sur ma pratique. Questionner ce qui « fait projet » et ainsi mettre un pied dans la génèse de l’histoire des projets. Elle laisse donc entrevoir des pistes de réflexion et d’évolution possible au regard du processus global de construction.

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RéFéRENCES médiagraphie OUVRAGES BOUCHAIN Patrick, Construire autrement, comment faire ? Actes Sud, L’impensé CHADOIN Olivier, Être architecte, Les vertus de l’indétermination, De la sociologie d’une profession à la sociologie du travail professionnel, Sociologie & Sciences sociales

Extrait d’ouvrage CHAMPY Florent, Les architectes et la commande publique, puf Sociologie HUET Michel, L’architecte maître d’œuvre, éditions Le Moniteur, page 69 L’architecte et le maître d’ouvrage TAPIE Guy, Les architectes : Mutations d’une profession, Ed. L’Harmattan, Collection «Logiques sociales» dirigée par Bruno Péquignot, 2009 p22 à 54, p215 à 246 PROST Robert, Pratiques de projet en architecture, Collection Archigraphy Poche, p77-90 p 77 à 82 HUET Michel, L’architecte maître d’œuvre, éditions Le Moniteur, page 69 L’architecte et le maître d’ouvrage

REVUES Habitat : évolution des pratiques n°335, Techniques & ARCHITECTURE, mai 1981 p54-55, p112 à 117

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GUIDES, études et rapports • Code de la commande publique 2019 - CCP (entre en vigueur le 1 er avril 2019) • Guide de sensibilisation à la programmation, MIQCP, 2008 • Programmation des constructions publiques, édition du Moniteur, MIQCP, 2001 • Études préalables et programme d’une construction publique, MIQCP, Editions du Moniteur • « Questionner le verrou du programme », université foraine de Clermont-Ferrand, La Gauthière, PUCA, n°24, juin 2015 Histoire et législation : • ZETLAOUI-LEGER Jodelle, « la programmation architecturale et urbaine, émergence et évolution d’une fonction », « les cahiers de la recherche architecturale et urbaine » n°24-25 « la critique en temps et lieux », éditions du patrimoine • ALLEGRET Jacques, MERCIER Nathalie et ZETLAOUI-LEGER Jodelle, L’exercice de la programmation architecturale et urbaine en France, Note de synthèse Recherche dans le cadre du réseau RAMAU, 2005. • POMMELET Pierre, « dialectique des acteurs dans la création et la programmation en architecture et urbanisme », Arch. & Comport./Arch. Behav., vol. 5, n°3, 1989 Méthodes : • GERBER Carole, ZETLAOUI-LEGER Jodelle, LOMBARD François et MEUNIER François, Programmation architecturale et urbaine : vers une recomposition des pratiques ? • Marché public et maîtrise d’œuvre, « mini guide comment bien choisir l’architecte et son équipe » publié par l’ordre des architectes et le ministère de la culture et de la communication. • Rapport d’information par Patrick Bloche du 2 juillet 2014 déposé à l’Assemblée Nationale 79


DOCUMENTAIRES ET INTERNET • Patrick Bouchain & Philippe Simay, Construire autrement avec Patrick Bouchain, www.metropolitiques.eu Marché privé : l’habitat participatif programmation et conception ; un processus projet global • Table ronde, L’habitat participatif, comment ça marche ? Trois projets pour comprendre. Marseille 25 janvier 2019 Marché public : l’habitat collectif programme et conception en co-élaboration, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre et futurs habitants • L’Acadie : un projet architectural d’un nouveau genre va sortir de terre à Quimper https://www.bretagne-economique.com/actualites/lacadie-un-projetarchitectural-dun-nouveau-genre-va-sortir-de-terre-quimper http://www.acadie-quimper.com/ • AMI 2019, Appel à manifestation d’intention de projets pour 2019 • http://imagine.angers.fr/ • Ordre des Architectes : Conseil National https://www.architectes.org

CONFÉRENCES et réunions d’information • Canopée, Le Mans, La promesse d’un lieu de vie durable, Réunion d’information, à l’université au Mans le mardi 23 avril 2019 • Faire l’architecture et vivre autrement, les rendez-vous de l’architecture, conférence au Lieu Unique le vendredi 12 avril 2019 80


entretiens Menés : • Lize Daculsi, chargée d’opération et responsable développement, Sarthe Habitat, Le Mans lundi 20 mai • Alexis DUMONT, chargé d’opération, SEM, Rouen dimanche 06 mai • Anaïs ROHFRITSCH, CAUE de la Mayenne, Laval mardi mardi 19 mars • Pascal DUMONT, Avenir24 architecture, Le Mans à l’agence • Aurélien MAHÉ, TLPA, Brest lundi 29 avril • Fabienne PAUMIER, Pièce Montée, Le Mans mardi 14 mai • Nadia ROPER, 33bis architectes, Nantes jeudi 02 mai • Laure PASQUET, CMB, Le Mans lundi 20 mai 14h • Carole POHU, architecte DPLG, AMOFI, Nantes jeudi 25 avril Programmés : • Ghislin COURTOIS, Pré-program, Rennes, octobre 2019

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annexes Extraits de 6 entretiens selectionnés Programmiste et AMO, architecte DPLG de formation Carole Pohu, AMOFI, NANTES 24 avril 2019 « Au début d’AMOFI c’était plutôt une formation d’ingénieur, c’est-à-dire une programmation avec beaucoup d’exigences techniques, etc… alors qu’aujourd’hui c’est une programmation plus orientée vers l’usage. 80% c’est du travail d’analyse d’un contexte, d’une situation, d’écoute avec les utilisateurs, de retranscription et, après de vérification en faisabilité, le projet est viable. La partie technique est vraiment secondaire aujourd’hui. C’est au stade des études préalables que se prennent toutes les grandes décisions. C’est cet accompagnement et ce travail avec le maître d’ouvrage (qui est de bien comprendre ses attentes), qui nous permet de bien analyser les enjeux, le contexte etc… et qui fait qu’on donne les grandes orientations de programme. Il y a une partie du projet qui est faite dès la programmation ». « Le fait d’être architecte de formation pour faire de la programmation, me semble intéressant parce qu’on a cette vision globale. On n’est pas des spécialistes dans un domaine mais on a une vision très globale du montage d’un projet, du prix des choses, du temps de réalisation, du temps travaux, du phasage. Il faut avoir tout ça en tête pour pouvoir bien conseiller et ne pas lancer dans la nature un programme qui n’est pas réalisable ». « Quand on est sur la programmation, on est obligé de se poser la question des usages et dans les usages de se poser toujours la question de la pérennité de ces usages. Or on sait qu’entre le moment où on intervient et le moment où le bâtiment est livré, il se passe entre 3 et 4 ans. Donc répondre à la question de l’usage aujourd’hui qui pourrait être immuable dans 4 ans et encore plus parce que l’on construit pour au moins 30 ans, ça pose question. Et par rapport à ce qui s’est fait dans les années 80 on voit bien la difficulté qu’on a à faire évoluer les bâtiments de cette époque qui répondaient alors vraiment aux usages et qui répondaient tellement aux usages spécifiques à un instant T, qu’aujourd’hui on ne sait pas quoi faire de ces bâtiments là. Finalement il faut se poser la question en amont, de savoir comment répondre spatialement à différents usages et pour ce que l’on construit ou ce que l’on réhabilite puisse servir à d’autres usages […]. En termes de développement durable, de pérennité d’investissement pour les maîtres d’ouvrage ce sont des choses qui leur parlent. Parce que ce qui est compliqué pour un maître d’ouvrage c’est toujours se dire que c’est un lourd investissement, endettement pour 20 ou 30 ans… mais comment vérifier la per-

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tinence de ce qui est demandé par l’exigence des usagers et des utilisateurs ». « La question est l’équilibre des choses, à travailler avec les usagers et les utilisateurs lors de concertations, c’est de voir comment on peut répondre à différents usages qui sont les leurs aujourd’hui et comment on peut un peu extrapoler ». « C’est assez variable mais en général c’est peu de chose, la commune X veut construire un groupe scolaire de 10 classes sur un terrain. Nous notre travail c’est de faire tout ce travail de genèse. On nous dit : il faudra livrer un programme pour l’architecte. En quelques mots c’est ça. à nous de monter une méthodologie, de dire ce qu’on va faire, comment on va le faire ».

Architecte Aurélien Mahé, TLPA, BREST 29 avril 2019 « Les programmistes interviennent plus sur des gros équipements publics, du style cinémas, une piscine… qui sont des projets un peu compliqués et où les maîtres d’ouvrage ont besoin de quelqu’un qui les aide à clarifier un peu leurs besoins et du coup à estimer combien ça va coûter. Sur du logement social ce qu’on fait beaucoup, les bailleurs le savent… sur l’Acadie c’est un peu différent. D’une certaine manière c’est un peu nous qui avons fait le programme de ce projet là. On a eu une première phase d’étude indépendante du marché dans lequel on travaille aujourd’hui qui était une simple question du maître d’ouvrage : on a cette parcelle avec deux bâtiments existants dessus, qu’est ce qu’on en fait ? On a 14 logements, ils sont vieux, on a besoin de les rénover. Est-ce que c’est intéressant de les rénover ? ou est-ce qu’il faut les démolir et on reconstruit à la place ? et si on reconstruit, combien on peut reconstruire ? On a un accord cadre avec eux qui leurs permettent de nous confier des petites missions comme ça très facilement en fonction des besoins. On leur a fait quelques petits scénarios, on conserve un bâtiment, on démolit l’autre, on conserve les deux, on construit un truc à côté, on enlève tout, on construit un nouveau, on construit un petit nouveau, on construit un gros nouveau… il y a plein d’hypothèses ». « […] En marge de cette faisabilité très capacitaire, très technique vu qu’on travaillait avec un économiste, on leur a aussi parlé esprit du projet et on a commencé à amener cette idée de participatif à ce moment là dans leur commande ». « On était obligés de fournir une image du projet fini, celle qui était censée être réalisée en se disant que les façades allaient être réalisées par les habitants. Du coup pour avoir un rendu à peu près fidèle à ce que pourra être le rendu final, on a créé à l’agence 40 fiches de logements, en s’inspirant des statistiques des occupants habituels du logement social sur Quimper. Donc il y avait tant de pourcentage de personnes âgées seules, tant de pourcentage de familles… on a

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créé des petits profils type avec des logements et puis on a distribué ça à nos copains et nos familles avec un petit plan de logement, des choix de matériaux, etc… et on leur a demandé de remplir les fiches. On s’est retrouvés avec 40 fiches remplies par d’autres gens que nous et on les a compilées ». « On a eu les écrits classiques du concours, des écrits de description du projet. Et on a eu ce qu’on aurait jamais fait sur d’autres projets : tout un mémoire carrément sur la méthode concertation qu’on allait mettre en place avec les habitants, de temps du déroulé, les différentes phases, on a vraiment décrit du début jusqu’à la fin du projet tout ce qui allait se passer. On a décrit comment on allait construire une maison du projet dès le début du projet sur site pour accueillir les habitants dans les moments de concertation, comment allaient se dérouler les entretiens avec les habitants et quelles étaient les limites de la co-conception avec eux, l’organisation d’ateliers collectifs pour les faire se rassembler une fois qu’ils seraient connus ». « Il y a beaucoup de choses qui sont inspirées de ce que l’on fait en urbanisme ». « On commence par changer la programmation des logements. Parce que c’est pile le moment où le gouvernement Macron a modifié les allocations logements, ils ont du coup modifié aussi les loyers que les bailleurs pouvaient demander à leurs locataires. […] D’un seul coup c’est une chape de plomb qui tombe sur le monde du logement social. ça devient beaucoup plus difficile de construire, déjà qu’on était rentrés dans une période où les prix de construction avaient augmenté […] pour équilibrer l’opération, le bailleur est obligé de baisser un peu le nombre de locatifs et de baisser les accessions […] ». « Donc on se retrouve à être obligés de modifier le projet pour commencer. Au final la programmation n’a pas servi à grand-chose, enfin si quand même, mais elle a vite évolué. Et cette modification là nous a finalement coûté assez cher en délai puisque en même temps que l’on recommençait le projet, on allait aussi voir la mairie pour communiquer auprès d’eux, et voir quel était leur ressenti par rapport à ça […] ».

Maître d’ouvrage délégué Alexis Dumont, SPL, ROUEN 06 mai 2019 « Dès qu’on est sur des programmes un peu spécifiques on lance toujours une petite mission de programmiste externe. […] On peut exclure des fois de dire : celui qui fait le programme de l’opération ne peut pas répondre à la maîtrise d’œuvre, au concours d’archi pour la maîtrise d’œuvre ». « Programmiste en bâtiment quasiment : essentiellement des architectes, […] quand tu n’as vraiment rien dans la partie fonctionnelle c’est bien d’avoir un ar-

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chitecte, c’est l’architecte qui le fait après éventuellement sur la partie technique et encore à ce stade ce n’est pas forcément très utile, il y a l’économiste qui peut rentrer dans la boucle. Mais sur le programme fonctionnel, je n’ai vu que des architectes. Je ne vois pas qui pourrait le faire d’autre de toute façon, ou alors un maître d’ouvrage qui a beaucoup d’expérience ». « Si on prend des gens que j’avais rencontrés à la Région Normandie où en bâtiment, en maîtrise d’ouvrage bâtiment ils ne font que des lycées, […] ils sont 10 ou 12 dans l’équipe, ils ont vraiment la compétence spécifiquement lycée, donc ils savent qu’en terme de programmation, ils ont suffisamment d’expérience pour la faire eux-mêmes. Après quand on ne fait pas tout le temps, je regarde chez nous, on n’est pas très nombreux, si tu fais des équipements scolaires une fois de temps en temps et puis en fonction du site il faut faire un peu une capacité pour voir en terme de surface ce que ça va donner […]. Ce ne sont que des architectes, qui peuvent faire ça. Alors après oui, un ingénieur peut aller plus loin je dirais plutôt un économiste comme profil pour faire la partie... plus rentrer dans le programme technique ». « Souvent dans des ZAC d’habitat, c’est nous qui définissons sur le terrain ce qu’il y aura comme programmation. On va nous le soumettre et on valide, les hauteurs ce sont les documents d’urbanisme, le type d’habitat, ça peut être du logement social, il y a différents types de logement social etc, on peut imposer pas mal de trucs. Dans les ZAC il y a ce qu’on appelle des Cahiers des charges architecture et urbanistique et CCAUP et du coup ça peut aller très loin dans ce qu’on peut imposer sur la forme, l’implantation des bâtiments. Parce qu’il y a eu, pour la programmation de la ZAC un urbaniste qui a dit ici sur le terrain, le bâtiment il faut qu’il soit implanté comme ci, comme ça, donc ça peut aller assez loin. C’est aussi confortable pour l’architecte qui va travailler sur le terrain en disant que l’urbaniste l’a programmé comme ça donc il faut s’inscrire dans ces volumes etc... ». « Mais bon pour consulter de manière égalitaire il faut arrêter le programme à un moment donné. Il évoluera derrière mais normalement il ne peut pas non plus évoluer tant que l’on parle d’économie générale du marché, c’est-à-dire tant que le programme n’évolue pas de manière disproportionnée, ça marche […], sinon tu es obligé de relancer la procédure de concours ».

Architecte Fabienne Paumier, Pièces Montées, LE MANS 14 mai 2019 « […] je n’ai pas appris le métier de programmiste du tout, […]. Quand j’étais à l’école d’archi, j’ai travaillé avec des sociologues, un ethnologue sur toute l’approche en amont de la prise en compte des besoins. On a fait des immersions dans des endroits, des stages et on était en observation participante avec des méthodes d’ethnologie. […] ça m’est resté et puis après, dès que j’ai pu, je me

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suis remise dans cette situation là avec des maîtres d’ouvrage qui prenaient un architecte sans avoir de programmiste […]. On démarre de la page blanche, sans programme. Ce qui fait que là, j’ai déroulé ma petite histoire en allant visiter les lieux, parler avec les gens, en travaillant avec un groupe de pilotage […] avec ma façon de faire, il n’y avait pas de méthodo qu’ont les programmistes aujourd’hui, pas du tout ». « […] Il y a certains programmes qui sont très bien faits, effectivement où il y a eu un vrai travail de fond et ça c’est très confortable par ce que là, on sait qu’on déroule un projet intelligent. Il y a des programmes où c’est beaucoup plus compliqué, soit parce que le programmiste n’a pas forcément eu les moyens d’aller à fond dans son projet, dans son travail, soit parce que le maître d’ouvrage n’a […] pas fait de programme, il s’est déterminé programmiste tout seul donc il a fait 3 pages A4 […] et il est sûr de ce qu’il a écrit ». « Après quand on fait du concours, avec une certaine expérience dans un domaine, on nourrit le projet de sa propre expérience, des choses qui ne sont pas forcément marquées dans le programme. C’est là qu’on apporte la plus-value et puis on a des fois gagné des projets en n’étant pas sur la même longueur d’onde que le programmiste ». « Le programmiste a fait un scénario, […] et il a fait des études de faisabilité, […] et dernièrement on a gagné un concours, on a pas du tout respecté ce que le programmiste avait proposé, ça nous paraissait en terme de qualité architecturale pas du tout pertinent […]. Parfois le travail a été tellement fait en amont, le maître d’ouvrage s’est tellement habitué a la solution qui lui était proposée qu’il ne peut pas se laisser surprendre et c’est là que ce n’est pas bien […] ». « On ne laisse rien de côté par rapport au respect des besoins. Par contre il y a des programmistes qui vont au-delà, et qui donnent déjà des solutions, et c’est là-dessus qu’on n’est pas obligés de respecter. Mais oui les surfaces et les fonctionnalités doivent être respectées. Le bilan de surfaces est super important. Il y a un moment donné où le bilan de surfaces c’est le coût […] ». « Enfin un bon programme, un programme bien fait, c’est très important de le respecter parce que c’est vrai que c’est aussi le respect des utilisateurs qui ont travaillé sur le sujet, il y a eu quand même beaucoup de travail en amont, beaucoup de réunions, les gens ont demandé des choses […]. Et parfois l’expression du besoin dans le programme est des fois trop rigide, donc à nous de respecter, répondre aux besoins […]». « On a un travail d’architecte, c’est la frontière entre les deux (architecte/programmiste). Il faut dans la lecture d’un programme arriver à déterminer ce qui est de l’ordre de l’incontournable, et ce qui est de l’ordre de notre propre savoir-faire ».

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« Je fais des jurys de concours aussi et je donne des conseils au maître d’ouvrage, […] de toute façon un projet, doit évoluer, regardez ce qui est incontournable, enfin comment dire, irrémédiable c’est-à-dire si le projet ne peut pas être modifié sans une remise en cause complète. Si c’est le cas, ça ne va pas. Mais il y a certains projets où l’on peut bouger des pièces, ce n’est pas un problème. C’est fait pour bouger, c’est une première esquisse. C’est une esquisse donc c’est une première réponse. Par contre si l’organisation générale respecte la philosophie du programme, on ne remet pas en cause les volumes ni l’image. C’est ça le problème du concours, c’est que ça fige une image ». « Il y a toujours un jury d’architectes, composé d’au moins 3 architectes logiquement formés pour bien conseiller ». « Donc, non, on peut se poser des questions sur la procédure de concours et puis ce qui déraisonne complètement aussi dans la procédure de concours, c’est anonyme, donc on ne peut pas expliquer ce qu’on a fait oralement. […] On éloigne l’architecte encore plus de ce côté-là […] L’échange c’est très important » « On avait encore hier un industriel. Là, il faut tout dérouler avec lui, mais c’est ça qui est intéressant aussi parce que c’est à ce moment là que l’on crée un lien, un lien de confiance […]. Quand il voit la qualité d’écoute, tout ce qu’on lui suggère comme question, déjà là il commence à être en confiance. Et puis après […] c’est souvent là que, lorsque nous-mêmes, nous posons des questions et qu’on est en contact de l’utilisateur final souvent on est très pertinents dans la réponse, on est souvent très très pertinents ». « On travail avec un groupe d’habitants qui a l’intention de construire. Ainsi on est au cœur du débat ». « On analyse les différents pôles fonctionnels, comment ils font, et la plupart du temps ce sont quand même des structures assez importantes. On démarre de quelque chose d’assez schématique sur les différentes fonctions, les relations entre elles. Très vite je fais un tableau de surfaces, complet, exhaustif pour avoir aussi le budget. Et puis après petit à petit on affine. De toute façon ce ne sont jamais des programmes comme font les programmistes. C’est-à-dire que c’est un travail où on ne dessine pas, on ne DESSINE PAS, pendant le temps qu’il faut, jusqu’à ce qu’on soit d’accord sur un cadre où tout a été noté, y compris tous les détails, de fonctionnalité, d’ameublement, de ceci de cela, de liaison ». « Il faut rester très abstrait, très théorique, très sensible, sur des évocations […] et c’est parce qu’on ressent aussi les choses, ça passe par notre sensibilité, ça passe par la relation que l’on a instaurée avec la personne ». Il y a des gens […] ils confondent l’expression des besoins et l’expression des solutions […] Donc quand on ne dessine pas, on ne dessine pas. On décide de discuter des besoins et des désirs, les désirs ça fait partie aussi de l’expression du programme […] »

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Architecte Nadia Roper, 33bis architectes, NANTES 02 mai 2019 « Dans l’agence dans laquelle de travaillais auparavent, on faisait du programme. Ce n’était pas de l’AMO du tout. C’était vraiment des missions de programmation donc assez spécifique, avec les établissements scolaires privés. On faisait des dossiers de demande de subventions pour la région même si nous avions fait le programme […] ce qui se passait souvent c’est qu’on avait le marché de maîtrise d’œuvre après même si c’était nous qui avions fait le programme (marché privé) […] ». « Souvent, les demandes des institutions publiques c’était de pousser le programme jusqu’à l’APD pour avoir les budgets figés, pouvoir le bloquer et ensuite subventionner. En fait il y a plein d’ambiguïtés en marché public. Surtout en ce qui concerne les concours. Je n’ai pas travaillé sur des programmes de concours, c’était des missions spécifiques. Je n’ai pas la formation AMO et programmiste c’est vraiment une formation sur le tas ». « […] Pour nous c’était intéressant aussi d’avoir cette phase en amont du projet où on maîtrise toutes les données. Dans un programme on prend en compte des données concrètes, on a des perspectives d’évolution qui sont liées aux effectifs. Enfin l’évolution des enseignements : on élargit beaucoup le domaine, on s’intéresse à autre chose effectivement qu’à la construction ». « On avait une méthodologie d’élaboration du programme mais ça restait avec un groupe de pilotage avec les enseignants. Parfois ceux-ci recueillaient aussi des informations avec les élèves mais on avait une démarche assez limitée ». « Il y a une certaine frustration quand on travaille en maîtrise d’œuvre, il y a plein de choses qui nous échappent ». « Après c’est un travail long et fastidieux d’élaborer un programme, et parfois c’est vrai que c’est aussi simple, quand le travail est déjà fait. ça permet de raccourcir les missions, ce n’est pas plus mal, mais je pense qu’il y a des contextes où tout se croise… l’idée de faire des missions séparées n’est pas forcément justifiée ». « La co-conception, on en entend plus parler aujourd’hui, il y a un regain […] c’est la relation avec le maître d’ouvrage qui est hyper importante à la base ». « […] on a fait une petite fiche programme que l’on donne à nos clients dès le début et on a aussi une méthodologie a mise en place pour faciliter l’échange avec les nouveaux clients et donc surtout sur le marché de la maison individuelle. Et surtout poser les choses, on a séquencé la mission, qui est déjà séquensable

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mais on identifie avec une étude de faisabilité, on fait un contrat dès le départ. L’étude de faisabilité est systématique, elle a un prix, on ne travaille pas gratuitement […] ». « Parfois il y a aussi des projets d’autoconstruction. Il y a plein de types de projets. Donc on expose bien la séquensabilité de la mission et du coup, on a cette mission d’étude, de faisabilité et on donne la fiche programme. Simplement avoir des notions sur les besoins, sur les envies et voilà les recherches de fonctionnalités. Souvent ils sont influencés par leur espace actuel mais l’idée c’est justement de se détacher du plan et de retravailler, de repenser par des mots ou par des images. C’était vraiment avoir quelque chose de leur part, autre qu’un échange d’entretien. […] Les gens en général jouent le jeu et puis répondent. Donc, ces petites fiches sont plus ou moins riches, mais souvent utiles qu’on ne fait pas évoluer mais qui, à la première esquisse, sont des documents de référence. Même si la traduction en plan ou en maquette ou en volume est très induite par nous, eux ils auraient très bien pu s’imaginer autre chose avec les mêmes mots ». « Après il y a surtout aussi cette notion d’appropriation, c’est vrai que dans le locatif je pense qu’il y a la question de la responsabilisation de l’accès au logement et tout ça ». « Les organismes évoluent, tout évolue. Quand le programme commence il y a un temps. Quand le programme sort et que l’archi le prend en main il y a encore 6 mois, un an... Parfois il démarre 4 ans auparavent. Donc les programmistes, prennent en compte tout ça, toute l’évolutivité possible mais c’est clair que le matériau figé ça n’existe pas […] » « Je pense que c’est vraiment lié aussi aux échelles de projets et puis après dans le logement il n’y a pas forcément ces règles là. Je vois les bailleurs ou les constructeurs, ils vont parler en typologie, en surface et puis après ça se développe de plus en plus effectivement, même avec de nouveaux intervenants, les histoires de maîtrise d’usage, assistant de la maîtrise d’usage. Ils travaillent vraiment sur le travail avec les habitants. Ils font de la concertation, ils font des résidences, ils travaillent sur le quartier, sur différentes échelles ». « C’est vrai qu’il y a énormément de notions dans un programme, le gros problème c’est effectivement le démarrage du projet et là où le programmiste est allé trop loin, comment fait-on ? » « […] Je n’ai pas vu de programmistes non architectes… […] mais aujourd’hui il y a une bonne proportion d’architectes, plus de la moitié je crois. Ils sont architectes et du coup c’est aussi lié au contexte mais il y en a un qui me disait que sur de l’existant ils étaient obligés de se projeter, de toute façon, ils proposaient des organisations, des surfaces définies. Sur des projets neufs ils travaillaient en bulles, en schémas, ils ne formalisaient pas en fait alors que dans de l’existant cela y était déjà… après ils proposaient telle ou telle extension mais finalement c’était

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déjà du projet. Donc en fait c’est le passage du relais, clairement il y a forcément un retour en arrière ». « Je pense que dans notre mission, on a manifestement du programme à faire, on en fait tout le temps […] ». « Mais en tout cas c’est plaisant de pouvoir s’intéresser à ça et s’enrichir, je trouve que c’est particulièrement utile pour la conception, pour maîtriser tout le processus ». « Certaines personnes nous ont contactés. Elles avaient démarré leurs boîtes avec des marchés publics et s’étaient fait connaîtres par des mairies, et ensuite des mairies sont venues les voir. On va faire une petite mission ensemble, sans concours, sans appel d’offre, une petite étude de faisabilité. En fait c’est finalement un détournement finalement de la loi. Cela pose question, si ça se passe comme ça, il y a peut-être des choses à remettre en question […] Après c’est du cas par cas et c’est cela qui est compliqué ».

Maître d’ouvrage d’opération et responsable développement Lize Daculsi, Sarthe Habitat, LE MANS 20 mai 2019 « […] on sait ce qu’on a comme besoins, on sait ce que les locataires attendent que la société évolue et on essaie d’évoluer avec elle. […] ». « Nous concernant, l’origine d’un projet c’est souvent une collectivité rencontrée qui nous propose un terrain. Donc suite à ça, on fait appel bien souvent à un cabinet de maîtrise d’œuvre pour faire une étude de capacité. […] on rencontre la collectivité pour présenter le projet, et nous étudions le partenariat. Et une fois qu’on a calé cette partie, définition de la coordination avec la collectivité ». « En interne, on a un comité d’investissement auprès duquel on va présenter le projet. On travaille sur le site, tout l’environnement géographique, l’environnement économique, démographique, socioprofessionnel, et après on définit avec l’agence les besoins ». « Que sont les besoins de l’agence, les besoins de typologies, les besoins en termes de loyer ou autre qu’il pourrait y avoir sur la commune ? […] ça, c’est un travail qui est déjà assez long en termes de temps ». « Toute l’activité d’investigation est la base de définition du besoin, si ce travail là est baclé, globalement on n’oeuvre pas correctement sur l’environnement du site, comme ne pas voir que le terrain est pollué, de ne pas voir que le sol est «

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pourri » voilà des choses comme ça et mal identifier les besoins. Et après une fois qu’on est passé en comité d’investissement, on a un débat sur le bureau de CA, pour un engagement de principe de Sarthe Habitat et ensuite on travaille sur le programme de maîtrise d’œuvre ». « Dans le programme de maîtrise d’œuvre on intègre une bonne partie analyse de site qu’on avait pu présenter au comité d’investissement et également tout ce qui est des éléments de fonctionnalité et de prescriptions techniques. La fonctionnalité ce sont les tableaux faisant apparaître tout ce qui est lien entre les pièces, entre les fonctions. On ne résonne pas en pièce, on raisonne fonction. […] Et suite à ça on lance notre consultation pour désigner une équipe de maîtrise d’œuvre ». « Une fois qu’on a désigné une maîtrise d’œuvre, on va travailler avec elle sur tout le déroulé de l’opération. Donc esquisse, APS, APD etc et on va regarder si chacune des phases se conforme bien à notre programme […] Qu’il n’y ait pas de mauvaises surprises au moment de l’appel d’offre ». « […] Moi je suis urbaniste, pas déclaré urbaniste en tant que tel, j’ai fait la formation à Nantes Ville et Territoire avec l’école d’archi les facs de géo et les facs de droit. Valérie, aménagement, Anne Valérie est plus aménagement et Frédéric est universitaire plus profil géographique ». « On en fait quelques-unes en interne (mission de faisabilité). Globalement sur des petits sites, parce que ça demande du temps » « On n’y arrive pas avec le coût global. On est engagés sur nos logements sur 50 ans, on n’est pas au coût global […] ». « […] les équilibres d’opération, on ne les transmet pas aux équipes de maîtrise d’œuvre. Parce que ce sont nos frais de fonctionnement, notre taux de rotation, notre taux de vacances, notre taux pour les prévisions de gros entretiens ou autre. On donne notre coût de construction avec notre enveloppe». « Il y a une enquête est faite à chaque mise en location de logement neuf. On a un bilan. On interroge nos locataires, ceux qui veulent bien répondre. […] on leur pose la question : à savoir s’ils sont contents de leur logement, très satisfaisant, satisfaisant, peu satisfaisant et très peu satisfaisant. La clarté, les placards, l’aménagement, l’agencement, donc ils donnent leur sentiment dessus. […] Mais ça on l’a mis en place très récemment, ça fait 2 ans ». « On a ça pour essayer d’alimenter et on a également des réunions d’information où on peut suivre l’évolution des logements. Et cette année on avait entrepris un partenariat avec le centre régional universitaire de l’habitat de l’université ». « Ils sont donc enseignants à l’ENSAM et ENSAPVS, voilà pourquoi on essaie de

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travailler avec eux. On essaie à chaque fois de mettre en place un plan d’action . On essaie de voir ce qu’on peut faire. Par exemple, notamment pour la réhabilitation, faire établir un diagnostic en marchant, qui n’est pas forcement assez fait. Diagnostic en marchant, en préparation pour la réhabilitation […]. Les shed patrimoine font un état des diagnostics techniques mais il vaut mieux voir également un peu l’environnement. Et faire du diagnostic en marchant on trouvait ça intéressant. Il faut que les responsables d’agence chargés du patrimoine, le responsable du service maintenance aillent sur le site voir un peu l’environnement. Qu’est ce qu’on peut y faire, comment on s’intègre ? ». « L’évolution familiale de demain... chaque territoire est vraiment différent. En Sarthe sur une problématique de vieillissement, glissement et décomposition familiale, ça c’est sûr, maintenant c’est qu’est ce qu’on propose, quelle alternative a-t-on ? On essaie de développer pour les personnes qui sont quand même autonomes le label HSS... nos locataires n’ont pas focément les moyens d’aller tous en maison de retraire […] Décohabitation par exemple : 1. les enfants partent de chez leur parents 2. problème de décomposition familiale (il y a de plus en plus de personnes qui sont amenées à se séparer mais ils n’ont l’enfant qu’une semaine sur deux). Donc ça veut dire que la moitie du temps les pièces ne servent pas. Dans notre philosophie un peu universitaire, on était favorable à la mutualisation de pièces et tout ça ». « Les gens ne sont pas prêts à partager en bout de course la machine à laver qu’on va mettre au rez-de-chaussée ». « On a travaillé avec un groupe qui voulait faire de l’habitat participatif sur Le Mans en accession à la propriété. Ils voulaient qu’on les aide. On leur dit le problème que cela nous coûte de l’argent de mener les études et de rechercher le montage juridique. Et les gens en fait bien qu’ils lancent l’habitat participatif, ils ne sont pas prêts à chercher de leur côté, à missionner un avocat. C’était à nous Sarthe Habitat de tout payer ». « On est prêts à aller de l’avant, mais on se heurtre des fois à des freins juridiques, des freins techniques qui font qu’on est un peu empêchés ». « Il y a eu un grand débat national sur l’allègement de tout ce qui est réglementation, donc effectivement avec la loi ELAN normalement c’est 20%, et nous en métropole on refuse. Ils veulent qu’on soit à 100% ». « De toute façon avec la loi MOP on ne doit pas changer la commande […] Par exemple Ecommoy qu’on a mis en chantier avec votre cabinet, c’est un projet qu’on avait démarré en 2012, on l’a mis en location l’année dernière. Notre programme type entre 2012 et 2018, a changé. On a fait les modifications qu’on pouvait faire sans avoir à déposer un permis de construire. Mais on essaie de le faire évoluer parce qu’entre le moment où on désigne l’architecte et le moment où on passe en appel d’offre, il y a 2 ans. Une typologie peut évoluer aussi. […] ».

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« Il est précis, sans être trop précis non plus parce qu’on est pas architecte, et bien qu’il y ait une étude de capacité qui ait été faite, c’est une étude de capacité « grosse maille » pas dans le détail […] ». « Est- ce que pour vous, c’est la loi MOP qui fait ça et qu’on ne peut pas travailler avec l’équipe de maîtrise d’œuvre en amont, de l’étude de capacité jusqu’à la réalisation ? Est-ce que pour vous c’est quelque chose qui pourrait être requestionnée ou c’est quelque chose qui fonctionne ? ça serait bien que ce soit requestionné, mais le problème c’est qu’on ne peut pas. On ne peut pas parce qu’en fait, il faudrait que l’élu comprenne que ça prend du temps. Quand on répond par exemple à un appel à projet, ça veut dire qu’en fait, pour désigner une équipe de maîtrise d’œuvre il faut quand même pour nous, définir des bases, un programme, donc il faut étudier. Il y a forcément tout ce travail préalable à faire. […] Forcément, ça prend du temps. Quand on travaille avec une collectivité, qui veut un dessin, elle ne va pas attendre 6 mois qu’on désigne un maître d’œuvre. Elle le veut globalement dans les 2 mois donc on n’a pas le temps de désigner un architecte. Donc forcément on travaille avec une première équipe pour faire l’étude de capacité et une fois qu’ils nous disent on travaille avec vous, nous c’était une étude de capacité, ce n’est pas forcément avec cet architecte là qu’on va travailler. Donc il faut nous relaisser du temps pour désigner un programme et faire conformément à la règlementation. ça voudrait dire en fait, faire un accord cadre avec 6 architectes enfin peut-être 4, 5 architectes, on travaille toujours avec ces 5 là. ça pose d’autres soucis : comment faites-vous en tant qu’architecte ? Cela veut dire que vous n’avez pas de commande avec Sarthe Habitat pendant 3, 4, 5 ans. On pense à vous. De notre côté on pourrait mettre en place un accord cadre avec trois architectes, et travailler toujours avec ces trois mêmes architectes en les mettant en concurrence uniquement sur le prix de la prestation. La demande serait la suivante : on souhaite 5 logements par exemple et vous réalisez l’étude de capacité ainsi que le montage du projet. De notre côté ça nous simplifierai la démarche ». « Est-ce que l’accord-cadre ne pose pas aussi d’autres soucis après en terme de qualité ? De pauvreté architecturale et tout ça, on est d’accord. Donc on n’est pas prêts à aller dedans par rapport à notre sensibilité, on trouve qu’au vu du travail que vous faites, vous avez les compétences et vous avez la formation pour. Ce n’est pas en prenant un architecte au rabais qu’on aura cette qualité là et globalement on a le travail à la hauteur de la rémunération. […] C’est approuvé, ça veut dire que sur le territoire de la Sarthe, pour toutes les livraisons de logements de imaginons 2019 à 2023, vous avez le même modèle. On ne veut pas de ça […] ». « Il y a des collectivités, quand on répond à des appels à projet, à qui il faut remettre sous 1 mois un dessin, mais on a pas le temps de désigner un architecte » . « On est sur un recrutement, […] peut importe le profil, c’est une bonne formation de base et l’expérience professionnelle qui fait que la personne n’a pas unique-

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ment un regard maîtrise d’œuvre, un regard économiste ou un regard programmiste mais un regard maîtrise d’ouvrage. On est là pour défendre les intérêts du maître d’ouvrage […] il ne faut pas qu’un architecte se sente frustré, parce que ce n’est pas lui qui dessine les plans. Il ne doit pas prendre la place de l’architecte. Chacun reste à sa place, il est maître d’ouvrage, il n’est pas là pour apporter des solutions techniques, il y a un maître d’œuvre. On le voit nous-mêmes avec certains collaborateurs, qui font de la maîtrise d’œuvre, ce n’est pas le même rôle, leurs assurances ne sont pas les mêmes […] Pour ne pas mettre en porte à faux l’équipe de maîtrise d’œuvre qui est là et qui a une mission particulière et qui a des compétences particulières ». « La procédure de concours... on en est moins satisfaits du résultat. On est vraiment plus dans la recherche globale, c’est quoi le moins pire ? […] Bien souvent, concernant les concours, nous n’avons pas de maîtrise sur le coût financier parce que l’architecte s’est fait plaisir ». « […] On le ressent bien quand on travaille avec vous, on n’a pas de mauvaises surprises, il y a des archis, c’est beau architecturalement, l’image rend super bien. On choisit une image, mais après il y a le coût des matériaux… » « Mais la concertation qu’on peut avoir sur un petit projet comme on peut avoir sur Ecommoy, sur Vibraye, sur plein de petits projets donnera l’impression d’avoir une équipe de maîtrise d’œuvre qui est à notre écoute et qui dit « écoutez la phase d’avant, en fait j’ai prévu ça, ça fonctionnerait mieux comme ça… on est d’accord ».

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carnet de bord Le carnet de bord s’attache à présenter une sélection de projets sur lesquels je travaille actuellement au sein de l’agence avenir24 architecture. L’agence est située dans ma ville natale au Mans, au 24 rue de l’avenir. J’ai pu suivre de près et de loin l’évolution de cette agence - anciennement agence LE BERRE - puisque je porte le même nom de famille que l’associé majoritaire, Pascal Dumont lequel a repris l’agence en 2005. Aujourd’hui la petite équipe est composée d’un architecte DPLG gérant de la SARL, un associé économiste et OPC, Jean-Marie BOBY un dessinateur-projeteur de formation économie de la construction, Baptiste Peltier, une assistante administrative, Françoise Bruon et moi-même titulaire du diplôme d’état de l’ENSA Nantes et en CDI depuis septembre 2018. L’agence réalise des projets en mission complète exclusivement et explore en parallèle des missions concernant la réalisation de permis d’aménager en collaboration avec « notre » paysagiste (PAYSAGE CONCEPT Fabienne Dutheil - cotraitante intégrée régulièrement à l’équipe de maîtrise d’oeuvre) et des missions de faisabilité et conseil pour la maîtrise d’ouvrage. Nous travaillons principalement avec une maîtrise d’ouvrage publique composée de différents bailleurs, des communes, des communautés de commune, département... Parfois nous travaillons en marché privé sur sollicitations ponctuelles. J’ai la chance d’exercer au sein d’une petite équipe. La communication et le travail collectif sont une force réelle au sein de l’agence sur tous les projets et à toutes les phases. Répondant régulièrement à des appels publics, tout le monde contribue et s’affère à la tâche. Parfois même, l’équipe complète travaille ponctuellement sur la même candidature (moyen d’accéder à la commande). Nous expérimentons le concours mais cela reste très exceptionnel. J’aborderai notamment dans le carnet de bord un projet « expérimental » réalisé cette année en procédure de concours conception-réalisation (12 logements) avec une entreprise de gros oeuvre mandataire. Il s’agit d’enrichir nos projets, notre rapport aux programmes par de nouvelles expériences : ici en collaboration avec les entreprises locales. Nous aborderons succintement plusieurs projets sur lesquels je travaille, il s’agit de réhabilitation d’équipements publics : une extension/réhabili-

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tation d’une école à Fresnay-sur-Sarthe (PC obtenu et PRO en cours de finalisation) et la réhabilitation d’une école à Bonnétable (en attente de l’obtention du PC et PRO en cours d’élaboration). Nous développerons l’histoire du projet de la construction d’une agence territoriale MSA (Mutuelle Sociale Agricole), projet que j’ai repris en cours d’étude et pour lequel j’assiste au suivi du chantier. Nous aborderons un dernier projet de réhabilitation d’une ancienne gare ferroviaire à destination d’accueil en Open Space au rez-de-chaussée et un logement d’urgence pour la commune aménagé à l’étage. Un calendrier de mise en situation professionnelle permet d’entrevoir les diverses missions sur lesquelles j’ai pu travailler depuis septembre 2018 ou des missions en cours d’élaboration. Le carnet de bord non exhaustif met en avant les relations et intéractions qui ont lieu tout au long des études mais également en phase chantier entre le programme et la conception (quelques projets sont sélectionnés).

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Calendrier Mise en situation professionnelle Construction d’une agence territoriale à Monval-sur-Loire Maître d’ouvrage : MSA, Mayenne - Orne - Sarthe

septembre

dépôt du PC 26 juillet

octobre

novembre

Rendu - 8 oct.

Restructuration et extension de l’école primaire publique et maternelle à Fresnay-sur-Sarthe Maître d’ouvrage : Commune de Fresnay-sur-Sarthe Réhabilitation de 45 logements collectifs locatifs au Mans Maître d’ouvrage : F2M Valloire Habitat RDV sur place avec le MO

Réhabilitation d’une ancienne gare ferroviaire de Voivres-lès-le-Mans Maître d’ouvrage : Commune de Voivres-lès-le-Mans

Rendu 1 - 26 sept.

Faisabilité PASA et jardin thérapeutique, extension de l’Ehpad à Ballon Saint Mars Maître d’ouvrage : EHPAD Ballon Saint Mars Construction de 8 logements individuels locatifs à Chauffour Notre Dame Maître d’ouvrage : Sarthe Habitat

Rendu - 9 oct.

Faisabilité 6 logements individuels locatifs à Saint-Ouen en Belin Maître d’ouvrage : Sarthe Habitat Faisabilité 25 logements individuels locatifs à Saint-Mars la Brière Maître d’ouvrage : Sarthe Habitat

Rendu analyse PA - 30 déc.

Faisabilité 16 logements individuels locatifs à Vibraye Maître d’ouvrage : Sarthe Habitat Concours Conception-construction 12 logements intermédiaires au Mans Maître d’ouvrage : Le Mans Métropole Candidatures publiques Analyse de site, montage des dossiers, rédaction du mémoire technique, sélection et présentation des références... Réhabilitation école maternelle à Bonnetable Maître d’ouvrage : Commune de Bonnetable

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Bâtiment à vocation économique à Vaas


Candidatures

Faisabilité

décembre

Relevé

janvier

ESQ. APS DIAGNOSTIC février

APD

PC

PRO

ACT

avril

mars

Marché

DET - OPC

mai

AOR

juin

Marchés signés - 13 fév.

Rendu le 4 janv.

dépôt du PD le 30 janv.

Lot désamiantage - démol. 6 mars dépôt du PC école maternelle le 14 fév. dépôt du PC école maternelle le 18 fév.

attente obtention PC Obtention des PC le 7 janv.

attente plan topo

attente validation APD pour dépôt PD

Rendu - 7 déc.

Reçu plan topo

Rendu le 24 avril

attente subventions (MO) pour commencer PRO Rendu 2 - 24 déc.

dépôt du PC - 25 janv.

pièces complémentaires

RDV sur place avec le MO

Rendu 24 déc.

Obtention du PC le 2 avril

Rendu Fai. - 1er mars

pièces complémentaires

dépôt du PC - 7 fév.

pièces complémentaires

pièces complémentaires Obtention du PC

Remise du programme

Rendu 1 - 4 fév.

Rendu 1 - 28 janv.

Rendu 2 - 4 mars

Rendu 2 - 18 fév.

Rendu Fai. - 29 mars

Rendu - 2 juin APS rendu au mandataire - 2 mai oral Présentation projet au mandataire - 17 avril négociation 2e visite du site - 9 avril 5 juillet

Réhab. 30 log. en Sarthe - 15 fév. Réhab. bureaux au Mans - 14 janvier

PASA extension EHPAD à Ballon Saint Mars - 1er mars Chapiteau Cirque au Mans - 28 fév.

35 logements à La Flèche - 12 juin Pépinière d’entreprises à Spay - 17 juin

Rendu - 18 avril RDV sur place avec le MO et BE Rendu - 23 mai dépôt du PC - 7 juin

Rendu 3 juillet

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Réhabilitation 45 logements collectifs locatifs Le Mans Maîtrise d’ouvrage : F2M Budget : 4 000 000 € HT ESQ/APS/APD en attente relevé de géomètre ___________________________________________________________ Programme sommaire initial : L’objectif est d’obtenir la classe énergétique B après travaux de l’ensemble des logements. Opération de désamiantage pour les sols, menuisieries extérieures. Façades : ITE Travaux intérieurs sommaires : quelques typologies de logements sont à revoir

DP 6

Programme/conception Le constat initial est édifiant, le programme semble incomplet (3 pages seulement). Il manque certaines études à compléter au préalable. Nous n’avons pas le relevé de géomètre nécessaire dès l’esquisse (pour la mise en place des premiers éléments liés aux espaces extérieurs et vérifier l’accessibilité car site très en pente) et le rapport amiante est partiel. Après une première analyse des plans/coupes/façades/détails (analyse logique constructive, structure/trame, typologies de logements...) et plusieurs visites sur site, nous organisons une réunion sous forme de « diagnostic en marchant » avec le maître d’ouvrage (étude de cas n°2 de la deuxième partie du mémoire). Il est apparu la nécessité de repenser l’ensemble des logements dans leurs organisations : d’une part, au regard d’un diagnoctic technique relevant d’un mauvais état de l’ensemble des cloisons et d’autre part, une répartition intérieure ne répondant plus aux modes d’habiter et besoins actuels des usagers. De ce diagnotic, en découle un « nouveau », programme plus complet abordant la notion d’usage. En phase APS, réalisation de l’estimation par métrés des différents lots afin d’être au plus proche de la réalité budgétaire du projet. Nous choisissons alors la mise en oeuvre d’une ITE sans désamiantage afin de répondre au nouveau programme et ce dans l’enveloppe bud100


DP en cours

getaire initiale. à l’APS l’ensemble du projet programme/conception (plans) et le budget est validé. L’APD est ensuite réalisée et la déclaration préalable est en cours... en attendant les dernières validations du maître d’ouvrage sur le choix des garde-corps. Nous avons commandé les échantillons des bardages extérieurs afin de les faire valider auprès de la maîtrise d’ouvrage. En parallèle, F2M bailleur social est en phase d’être intégré à un groupe plus important. Le maître d’ouvrage nous contacte, le budget est réétabli... il faut revoir les fondements du projet, le programme est modifié. L’ITE ne fait plus partie du projet (c’était pourtant la donnée principale) et elle est remplacée par un simple ravalement. J’ai eu un grand plaisir d’être en charge du projet de réhabilitation sur cette opération, l’exercice n’est pas simple puisqu’au départ le programme est « bancal », et s’y ajoutent des problèmes techniques liés à une réorganisation spatiale intérieure... réseaux... nous travaillons en équipe avec notre bureau d’étude. L’APD terminé et le PRO en marche, j’ai hâte de consulter les entreprises... de commencer le chantier et finalement voir le résultat d’un travail sur presque une année. Nouveau revirement de situation, l’ITE sera réalisée, il faut désormais trouver des économies et déposer la déclaration préalable en mairie... 101


Réhabilitation et extension d’une école primaine et maternelle publique Fresnay-sur-Sarthe Maîtrise d’ouvrage : Commune de Fresnay-sur-Sarthe Budget : 1 178 000 € HT ESQ/APS/APD/PC/PRO en cours ___________________________________________________________ Programme : : Programmesommaire sommaireinitial initial Il comprend la réhabilitation d’un bâtiment existant (TAP.) de l’école primaire pour y aménager 1 salle de classe, 1 salle des professeurs, 1 tisanerie. et une partie de l’école maternelle. Extension du bâtiment TAP. Création d’une liaison entre primaire et maternelle (1 niv. de différence) ainsi qu’1 préau, 1 porche d’entrée, création de 2 salles de classe, sanitaires et locaux annexes.

PC 8

Programme/conception Le programme est réalisé en amont par un programmiste de formation architecte. Il semble très complet et aborde des questions d’usages. On peut supposer qu’il s’agit du résultat d’un travail réalisé en concertation. Je suis en charge avec l’architecte de l’agence des études du projet que je prends « en cours de route » à la phase APS. Le programme est alors ma feuille de route et comporte tous les éléments dont j’ai besoin. Nous réalisons une nouvelle estimation par métré en phase APS. Précédement, la 1ere estimation avait mis en évidence la non adéquation programme initial et l’enveloppe financière. Ceci avait également été mentionné (devoir de conseil) dans le mémoire technique fourni par l’agence dans le dossier de candidature quelques mois auparavent. à noter aussi qu’en cours d’étude, le maître d’ouvrage décide d’ajouter un nouvel élément programmatique, la réfection totale du bâtiment réhabilité (après conseil du maître d’oeuvre). Les études de sol permettent d’affiner l’estimation. Les difficultés techniques liées à un terrain à fort 102


PC 6

PC 6

dénivelé contribue à cet écart de budget. « Une bonne programmation doit garantir la compatibilité entre contenu du programme et enveloppe financière programmatique. Dans le cas contraire, que faudra-t-il faire au moment de vérité, suivre le programme ou suivre le budget ? » voilà ce qu’exprime M. Dominique Lucigny interrogé par la MIQCP lors de l’élaboration du Guide de sensibilisation à la programmation publié en 2008. L’équipe de maîtrise d’oeuvre AVENIR24 architecture s’engage toujours à concevoir un projet qui respecte l’enveloppe du maître d’ouvrage (donnée importante, fruit de longues études réalisées au préalable). Puisque le dialogue est ouvert depuis le début des études et que le problème lié au budget sous-estimé a été évoqué en amont des études et le maître d’ouvrage souhaitant suivre les exigeances initiales du programme, ce dernier valide le budget. Le PC est obtenu, le PRO est en train de se terminer, les derniers détails de serrurerie sont dessinés... L’appel d’offre pour la partie démolition est lancé... à suivre 103


Construction d’une agence territoriale Monval-sur-Loire Maîtrise d’ouvrage : MSA, Myenne - Orne - Sarthe Budget : 390 000 € HT APS/APD/PRO/CHANTIER ___________________________________________________________ Programme sommaire initial : Construction d’une agence territoriale pour la MSA (Mutuelle Sociale Agricole), la CPAM, et l’URSAAF

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Programme/conception/réalisation Le programme est relativement simple, il s’agit d’un bâtiment recevant du public de 220 m2 habitables pour trois organismes regroupés (cités dans le programme initial). Cependant les superficies ne sont pas toutes bien identifiées : accueil attente, la salle de réunion, les archives, le bureau du médecin et le nombre de sanitaires. De plus, l’organisation entre les trois organismes est sujet à de nombreuses modifications et ajustements en phase esquisse : cela impacte principement l’entrée du personnel, la place des bureaux, la surface de l’accueil partagé. C’est à la maîtrise d’oeuvre de se « débrouiller ». à la phase APD alors que tout semble avancer normalement, le maître d’ouvrage réduit unilatéralement le budget de 5%. Nous trouvons des 5%, le PRO est affiné, la consultation lancée avec un résultat positif mais à l’euro près. La passation des marchés traîne un peu... Le chantier peut démarrer et il avance maintenant « à bon train ». Quand les entreprises sont efficaces, et la coordination est bien assurée, les « péripéties » de la conception (nombreux allers-retours itératifs à chacune des phases) semblent déjà loin. Nous notons que le maître d’ouvrage s’étonne parfois de l’avancement rapide et le respect des délais. 104


chantier - 25 juin 2019

site de projet

Finalement ce n’est pas si rare. La réception est déjà évoquée avec l’achat du mobilier par le maître d’ouvrage. La salle de réunion peut être mutualisée pour des organismes extérieurs à l’établissement. Ainsi le nombre de places de stationnement évolue constamment. Nous essayons de maintenir la surface globale constante afin d’éviter tout « dérapage » du coût (malgré une maîtrise d’ouvrage qui veut toujours plus pour le même prix). Le projet en termes de conception et programmation est enfin arrêté (nous sommes en cours de chantier). L’ensemble des documents graphiques, descriptif (matériaux/équipements) est validé.

chantier - 25 juin 2019 105


Concours conception-réalisation 12 logements intermédiaires locatifs sociaux Le Mans Maîtrise d’ouvrage : Le Mans Métropole Budget : 1 395 000 € HT ___________________________________________________________

A

Programme sommaire initial : Le programme est très contraint par des données de la ZAC : règlement d’urbanisme, aspect des bâtiments, aménagements paysagers, gestion des eaux pluviales... 12 logements intermédiaires dont 11 T4 et 1 T3 2 T4 sont aménagés pour les personnes à mobilité réduite AXONOMétrie est répartition des typologies 12 pl. véhicules dont 6 garages

AXONOMétrie Ouest répartition des typologies

6 3

5

2

4

1

schéma typologies

Programme/conception « La connaissance des pratiques sociales afférentes à l’objet à programmer est sans aucun doute une condition préalable à la détection/compréhension des attentes sociales et à l’écoute des demandes des maîtres d’ouvrage, des utilisateurs et des usagers. Mais cette écoute nécessaire ne saurait être naïve. Elle devra se défier des représentations et des stéréotypes véhiculés par les acteurs entendus, comme de leurs intérêts ou obligations de position, en sorte d’éviter les dérives vers des économies ou dépenses impertinentes ou faire de fausses ou impraticables innovations ». Jacques Allégret, sociologue. Lettre de l’Institut de Programmation en Architecture et Aménagement. Mai 1999. Dans le cadre d’un concours conception-réalisation, cette étude fine des maîtres d’ouvrage, et usagers n’existe pas. Il faut donc apprendre à lire entre les lignes du programme qui nous est confié. Il faut déterminer ce qui est de l’incontournable, immuable dans le programme proposé et ce qui est de l’ordre de l’interprétation. De plus, la difficulté réside dans équilibre à trouver entre le programme et enveloppe financière prévisionnelle. Le programme est très contraint. Dès l’analyse de ce dernier, nous savons que des compromis doivent être faits entre programme et budget. « Une bonne programmation doit garantir la compatibilité entre conte106


ambiance intérieure

nu du programme et enveloppe financière programmatique. Dans le cas contraire, que faudra-t-il faire au moment de vérité, suivre le programme ou suivre le budget ? » voilà ce qu’exprime M. Dominique Lucigny interrogé par la MIQCP lors de l’élaboration du Guide de sensibilisation à la programmation publié en 2008. Dans cette démarche de conception/construction le rapport entre le maître d’ouvrage et l’architecte est moindre. Nous naviguons dans d’innombrables pièces du programme... pas toutes cohérentes. Le délai est court, les entreprises cotraitantes doivent chiffrer le projet, amander/ modifier les prix, ajuster pour finaliser ce dernier et ceci dans un peu moins de 2 mois. Le temps est une donnée importante dans l’élaboration d’un projet en procédure « classique ». Ici le temps est maître du projet ! C’est une performance, pas par la taille de l’opération mais par le nombre d’acteurs cotraitants à mettre en marche. Puisqu’en effet, le choix de ne pas répondre en entreprise générale est l’ADN de l’équipe. Des adaptations au programme sont donc actées (non validées par le maître d’ouvrage absent). L’ensemble nous semble cohérent pour répondre aux exigeances/souhaits de ce dernier. Le prix tient la route. Nous « fonçons » mais regrettons néanmoins ce manque de dialogue. 107


Réhabilitation d’une ancienne gare ferroviaire Voivre-Lès-Le-Mans Maîtrise d’ouvrage : Commune de Voivre-Lès-Le-Mans Budget : 339 000 € HT ESQ/APS/APD/PRO ___________________________________________________________ Programme sommaire initial : L’objectif est d’obtenir la classe énergétique B après travaux de l’ensemble des logements. Opération de désamiantage pour les sols, menusieries extérieures. Façades : ITE Travaux intérieurs sommaires : quelques typologies de logements sont à revoir

PC 7

état actuel de l’ancienne gare

Programme/conception Le programme est relativement simple. La commune veut « sauver » sa gare de la démolition. Pour cela, elle trouve un nouvel usage à ce bâtiment d’intérêt patrimonial pour la commune (importance donnée à l’existant, le déjà-là). Le budget n’est cependant pas en adéquation avec le programme. De plus, le maître d’ouvrage change les orientations générales du projet avec l’apport de matériaux biosourcés dans l’objectif d’obtenir des subventions et répondre aux exigences environnementales en cours. La réunion avec le comité de pilotage, élus, professionnels et habitants se déroule avec bienveillance. Chacun s’exprime, les explications sont précises et complètes. Après un relevé fin et méticuleux, le maître d’ouvrage souhaite conserver le bâtiment dans son jus. Le diagnostic puis l’APS sont établis. Les plans sont repris pour implanter un petit logement, T3 plutôt qu’un T2 initialement prévu à l’étage. L’estimation est réalisée par métré. L’APS est validé avec quelques adaptations (sur les prescriptions de matériaux). Le permis de construire est déposé et obtenu. Finalisation des financements en cours... nous attendons « le feu vert » du maître d’ouvrage 108


Construction de 8 logements locatifs sociaux Chauffour-Notre-Dame Maîtrise d’ouvrage : Sarthe Habitat Budget : 873 200 € HT APS/APD/PC/PRO ___________________________________________________________ Programme sommaire initial : Le programme consiste en la construction de 8 logements dont 6 T3 RDC pour des personnes âgées et 2 T4 duplex dans un lotissement en cours de construction VRD associés pour travailler sur les liaisons et accès aux logements site de projet

Programme/conception Un premier travail en plan de masse est fait. Nous implantons de façon simple les logements sur le terrain et constatons que la densité de construction pose un réel problème pour un terrain en pente sensible et contraignante pour l’accessibilité. Une maquette est réalisée pour la présentation aux élus de la commune. La maquette est un véritable outil de communication à ne pas négliger de la part des architectes malgré le fort développement de l’outil informatique et de la 3D. Le plan de masse est alors validé (esquisse). L’APS est réalisée mais l’estimation par métré aboutit à un décalage avec le budget du maître d’ouvrage. Le terrain, suite au sondage de sol, se révèle mauvais pour l’obtention de coût maîtrisé des fondations du plancher bas de la voirie. Après de longues adaptations, modifications, ajustements, optimisations, la phase APD est validée avec un dépassement du budget global très sensible. Le permis de construire est déposé et nous l’avons obtenu. Nous finalisons le PRO. La consultation des entreprises permettra de vérifier nos hypthèses de coût et enfin construire les 8 logements pour notre client. 109


note d’intention

mai 2019

Titre MISSION LONGUE

Sous-titre à la conquête de l’amont du projet en marché public : le programme

5 mots clés programme/conception – captation/interprétation – temporalité – concertation

Problématique Que peut être la «plus value» de l’architecte apportée dans le processus programme et comment peut-il poursuivre dans la phase conception puis réalisation ?

Résumé Le programme est la première clée donnée à l’architecte, maître d’œuvre dans l’élaboration du projet. Nous sommes constamment, à l’agence notamment, confrontés à cette question du programme, tantôt incomplet ou mal défini, tantôt en inadéquation avec le site, le contexte ou avec le budget, tantôt malmenés par des revirements politiques et les évolutions sociétales et l’intérêt porté à la place de l’usager dans le processus de conception…Or, le programme est la résultante d’un jeu d’acteurs complexe et fragmenté dont l’architecte semble être exclu du processus. Si l’on part du constat qui sera développé dans cette étude, que le programme est indissociable du projet en terme de conception, le lien intrinsèque entre programme et projet est alors fondamental. Or, en marché public, le programme est élaboré par la maîtrise d’ouvrage ou la maîtrise d’ouvrage déléguée (MOD) et le projet (conception) est imaginé et réalisé par l’architecte. En marché public, l’activité de la maîtrise d’ouvrage ainsi que celle de la maîtrise d’œuvre et de la conception architecturale sont explicitement codifiées. Maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre sont deux entités scindées dont les fonctions sont précisément définies par la loi MOP de 1985 et ses décrets d’application de 1993 (cadre juridique résultant principalement de la loi du 4 janvier 1977 relative à l’architecture et celle

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du 2 juillet 1985, relative à la maîtrise d’ouvrage publique, la loi MOP) et plus récemment avec la version consolidée du code de la commande publique du 1er avril 2019. C’est dans ce contexte historique et législatif et ce paradoxe qu’il m’a semblé important d’explorer la question du programme dans l’espace temps de son déroulement et de celui de la conception du projet. Ainsi en découle la question de la place de l’architecte dans le processus global de construction. Il serait intéressant d’en comprendre son mécanisme, ses enjeux, son évolution mais également ses «porosités» pour ainsi mettre en lumière le rôle de l’architecte non seulement en maîtrise d’œuvre dite «classique», mais aussi dans la démarche précédant sa mission, dans l’amont du projet où la notion d’interprétation et les ingrédients aux prémices du projet semblent lui échapper. Se pose alors la problématique suivante : Que peut être la «plus value» de l’architecte apportée dans le processus programme et comment peut-il poursuivre dans la phase conception puis réalisation ? Dans l’hypothèse où l’architecture/l’acte de construire est un tout dans lequel les domaines aujourd’hui fragmentés de la programmation, du projet (conception) et de la réalisation doivent s’imbriquer, il est nécessaire de s’interroger sur le sujet mis en place dans cette étude.

Méthode d’enquête La méthode d’enquête consiste à mener des rencontres et entretiens avec les acteurs du programme/projet : chargés d’opération (maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’ouvrage déléguée), AMO (assistant à maîtrise d’ouvrage), programmistes et architectes me permettant de comprendre les mécanismes de la programmation et la complexité des enjeux. La mise en œuvre d’une médiagraphie et une brève étude de cas (proches de cas pratiqués en agence) viennent enrichir et démontrer le propos initial qu’est la nécessité d’intégrer les savoir-faire et les compétences propres aux architectes dans la mission amont : la programmation.

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Plan I. Les contours de la programmation : état des lieux I.1. les origines, approches historiques et législatives I.2. les acteurs et les objectifs de la programmation I.3. le lien fondamental : programme/projet La formation initiale II. Le projet, un processus global : études de cas II.2. programme neuf en logement social habitat participatif en marché privé L’Acadie, Quimper, TLPA II.3. programme en réhabilitation Elsa Triolet, Le Mans, AVENIR24 architceture II.4. programme équipement public ENSA Nantes, Lacaton et Vassal III. L’architecte et la commande publique : étude prospective III.1. former et se former III.2. se questionner et susciter l’intérêt III.3. reprendre ou créer ?

Éléments de conclusion visés — La nécessité de réinterroger les procédures des marchés publics — la mise en valeur des démarches « alternatives » de co-conception — questionner les missions et le besoin d’intégrer l’architecte dans la phase amont de conception

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Références/ Médiagraphie OUVRAGES —BOUCHAIN Patrick, Construire autrement, comment faire ?, Actes Sud, L’impensé —CHADOIN Olivier, Être architecte, Les vertus de l’indétermination, De la sociologie d’une profession à la sociologie du travail professionnel, Sociologie & Sciences sociales REVUE — Habitat : évolution des pratiques n°335, Techniques & ARCHITECTURE, mai 1981 GUIDES, ÉTUDES ET RAPPORTS — Code de la commande publique 2019 - CCP (entre en vigueur le 1 er avril 2019) — Guide de sensibilisation à la programmation, MIQCP, 2008 — Programmation des constructions publiques, édition du Moniteur, MIQCP, 2001 — ALLEGRET Jacques, MERCIER Nathalie et ZETLAOUI-LEGER Jodelle, L’exercice de la programmation architecturale et urbaine en France, Note de synthèse Recherche dans le cadre du réseau RAMAU, 2005 — Rapport d’information par Patrick Bloche du 2 juillet 2014 déposé à l’Assemblée Nationale — « Questionner le verrou du programme », université foraine de Clermont-Ferrand, La Gauthière, PUCA, n°24, juin 2015 CONFÉRENCE ET RÉUNION D’INFORMATION — Canopée, Le Mans, La promesse d’un lieu de vie durable, Réunion d’information, à l’université au Mans le mardi 23 avril 2019 — Faire l’architecture et vivre autrement, les rendez-vous de l’architecture, conférence au Lieu Unique le vendredi 12 avril 2019

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noteS de synthèse

28 juin 2019

NOTE DE SYNTHÈSE n°1 SESSIONS 1 à 5 « La loi sur l’architecture a plus de 40 ans et sa rédaction reste plus que jamais pertinente : la mission de l’architecte est une mission qui va bien au-delà du seul établissement du projet architectural »1. ___________________________________________________________ Nous sommes le lendemain de la clôture de ces 5 sessions entre « cours théoriques » et témoignages de professionnels d’horizons différents. 5 mois se sont écoulés, 7 mois depuis les rencontres métiers, plus d’une année depuis la prise de décision pour l’inscription à la formation HMONP, 10 mois depuis mon arrivée à l’agence AVENIR24 architecture, 5 ans après l’obtention de mon diplôme d’état à l’ENSA Nantes et 12 ans après mon arrivée en première année à l’école d’architecture… Un temps long au cours duquel de nombreuses informations se cumulent, s’additionnent et se confrontent quotidiennement et viennent aujourd’hui interagir dans nos relations et pratiques professionnelles, dans notre production et réflexions personnelles… Quel est notre parcours ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Quel est notre engagement ? Comment participer à l’évolution de la profession et valoriser légitimement le travail de l’architecte et notre travail en tant que futur(e)s architectes ? Comment se positionner dans la sphère des multiples pratiques ? Quelles sont nos désirs et nos ambitions d’architecture ? La prise de conscience est totale. Notre engagement en cours d’élaboration (formation HMONP vers la création, reprise… d’une agence d’architecture) se précise. Notre vision se clarifie et se joue de dualités successives : passionnante et effrayante, rationnelle et lumineuse, encadrée et artistique, humaine. L’engagement est total tel un mariage entre deux individus, « pour le meilleur et pour le pire », de la « prise en main » du programme à la construction jusqu’à la réception du projet. Les témoignages des différents architectes, sociologues et professionnels démontrent ce temps long de maturation d’un projet rendu possible, notamment par la qualité des liens tissés entre les acteurs de la construction et la « bonne » mise en pratique des éléments fondamentaux expo1. Cahiers de la profession # 66 - 1er trimestre 2019, Ordre des Architectes

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sés lors de ces sessions HMONP. L’enjeu est exacerbé et notre ambition doit être à sa hauteur. Cette introduction « à chaud » marque l’importance du temps. Chaque session, relativement courte, organisée sur 3 jours à intervalle régulier est à mon sens une bonne organisation dans le déroulement de la formation. Le moment entre deux sessions est nécessaire et laisse place au temps de maturation autour des sujets qui embrasent la profession. Le temps est notamment une donnée à valoriser dans nos/notre pratiques futures. L’Ordre des Architectes, placé sous la tutelle du ministère de la culture représentent la profession et garantit l’intérêt public. L’Ordre nous dresse l’ampleur des risques, des devoirs et obligations de l’architecte. Puisqu’il s’agit d’une profession réglementée et d’intérêt public (point de départ) défini par la loi du 3 janvier 1977, l’architecte est soumis à l’ensemble des normes législatives et réglementaires régi par la profession. Il répond à des obligations : assurance (la MAF…), formation, textes de loi. L’UNSFA, syndicat majoritaire, permet quant à lui notre « défense » et négocie notamment les lois sociales de la profession auprès des parlementaires. L’architecte a également un devoir de conseil constaté par la jurisprudence. Il est important d’écrire aux maîtres d’ouvrage nos recommandations en expliquant pourquoi afin de faciliter notre « défense » en cas de sinistre. L’économie du projet est le « nerf de la guerre ». Quelles que soient son échelle et sa nature, le projet n’est pensé et rendu possible qu’à condition d’une bonne maîtrise économique de ce dernier. Le coût est ce qui cadre le processus global de construction, de l’élaboration du programme (mission relative à la maîtrise d’ouvrage en marché public), au chantier : à la réalisation de l’ouvrage, sa réception et son parfait achèvement. A chaque phase relative aux missions règlementées de maîtrise d’œuvre (missions contractualisées), il est nécessaire de (re)mettre en parallèle et de valider la bonne adéquation entre le programme initial et le coût prévisionnel (estimation par métrés la plus fiable plutôt que par ratios – on peut recouper les deux). Intégrer l’économie en interne à l’agence est très pertinent. Cela évite tout « dérapage » dans le processus global de production et facilite les relations entre commanditaire/client/maître 115


d’ouvrage et architecte. La loi MOP et depuis le 1e avril 2019, le Code des marchés publics définissent et codifient les relations entre maîtrise d’ouvrage publique et maîtrise d’œuvre privée. Ainsi la maîtrise d’ouvrage publique s’est au fur et à mesure du temps professionnalisée (vers une maîtrise globale dès l’amont du processus de conception) d’où l’apparition de nouvelles professions comme notamment les programmistes et AMO. La rémunération de l’architecte (négociation des honoraires auprès des maîtres d’ouvrages – règles relatives à la rémunération dans le code des devoirs professionnels) est intimement liée à cette question d’économie. Propos appuyé par l’UNSFA qui recommande également l’intégration de compétences variées en interne afin d’éviter le morcellement de plus en plus accru de la profession. Les procédures en marché public sont en quelque sorte des « modèles » (règlementés) sur lesquels les procédures en marché privé s’appuient. Le seul secteur « à la marge » et dont les architectes ne détiennent que 5% des marchés est l’habitat individuel privé. Il s’agit de ne pas négliger ce dernier car l’enjeu est important face à la perte de qualité des constructions réalisées par des constructeurs, soumis au code de la consommation. La phase chantier commence dès la conception. En effet, elle comprend le calendrier, le plan d’installation de chantier (PIC) puis le planning définitif (pièce contractuelle), effectué après désignation des entreprises (marchés signés). Les ordres de service délivrés, la réunion de démarrage de chantier (moment important) est planifiée. Cette première réunion rappelle les généralités : OPC, démarrage des 1er corps d’état, administratif, planning, DET, rappel des conditions de paiement, des dates des situations chaque mois, des obligations en termes de sécurité… à chaque réunion de chantier, il est nécessaire de reprendre le compte-rendu précédent (diffusé dans les 48h qui suivent la réunion) pour le mettre à jour. La réception est du ressort de l’OPC et l’architecte doit assistance au maître d’ouvrage. Il faut bien faire la distinction entre les réserves de réception et les réserves en GPA. L’architecte travaille en collaboration avec différents bureaux d’études, des spécialistes, des ingénieurs, des paysagistes, des designers (contrats de cotraitant)… mais également avec des artisans, des entreprises, différents maîtres d’ouvrage publics et/ou privés, des habitants… chacun répondant à des obligations et partageant des responsabilités. L’espace de la maîtrise d’œuvre est donc un espace social qui est défini par des relations humaines. L’image de l’architecte œuvrant seul s’ef-

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face des consciences. « L’œuvre architecturale » directement liée à une figure semble discutable. Ainsi les notions d’œuvre collective, d’œuvre collaborative et d’œuvre composite sont davantage pertinentes. Ces nouvelles équipes de maîtrises d’œuvre, pluridisciplinaires sont constituées selon les projets, disciplines requises au cas par cas, à la demande du maître d’ouvrage ou à l’initiative du maître d’œuvre (à l’agence, nous intégrons presque systématiquement la paysagiste avec laquelle nous avons l’habitude de travailler dans l’équipe de maîtrise d’œuvre pour répondre aux appels d’offre publique et ce dans l’objectif d’accéder à la commande. Le BIM comme évoqué lors de la session relative au chantier serait un « écosystème qui simplifie les relations ». On en comprend les contours, les ambitions, les intérêts de chacun dont le Graal doit être l’exploitation de la maquette numérique par la maîtrise d’ouvrage dans le temps long de la maintenance et de l’exploitation de son bâtiment. Il y a eu le développement de l’outil informatique (aujourd’hui maîtrisé) qui permet la simplification de certaines tâches et facilite la traçabilité des informations. L’outil a engendré la multiplication des logiciels et mis en place le lobbying des revendeurs… on peut se demander si l’outil BIM et sa démarche sont au service de l’intérêt public, pour la construction d’ouvrage de qualité ? Nous comprenons l’intérêt des architectes à se saisir de ce dernier afin notamment d’accéder à la commande et reprendre la main sur la pratique de l’architecture en maintenant certaines missions en interne à l’agence. La mission BIM fera peut-être l’objet d’une autre mission cotraitée ou sous traitée ou à charge directe du maître d’ouvrage puisque c’est lui qui l’utilise à la fin. Quelques mémoires se heurtent à cette question du BIM et ont le mérite de « mettre le pied » dans ce vaste outil de production et ce que cela implique en termes de mission supplémentaire/complémentaire, d’acquisition de compétences, de perte/gain de responsabilité, de pérennité, d’investissement, de contractualisation… Outrepasser la compréhension du cadre général de la profession et des acteurs qui entrent dans le jeu de l’acte de construire, les architectes se heurtent en parallèle à la gestion d’agence, au management d’une équipe et à la communication dans toutes ses composantes. La communication auprès du grand public et sa sensibilisation à l’architecture est primordiale. Ce sujet est trop peu abordé voir totalement exclu dans le discours des différents intervenants. Si l’intérêt est d’ordre public, alors la communication l’est également. L’architecte doit prendre part à la «

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promotion » de l’architecture qui doit se traduire dans un langage commun, accessible à tous. L’étude du mémoire s’intéresse à cette question de la communication à travers le prisme de la programmation, première étape indissociable de la conception. Les Maisons d’architecture ou des projets (au Mans, la maison des projets va voir le jour), les CAUE, les associations (nombreuses) d’architectes œuvrent dans ce sens. Les vertus de l’architecte, évoquées par Olivier Chadoin, sociologue, sont notamment sa faculté de s’adapter aux changements liés à l’évolution de la société et donc « son indétermination » dans la définition même de sa profession. Ainsi, la profession est une construction permanente et les compétences multiples de l’architecte sont difficilement « nominables ». De nombreux sujets de mémoire touchent de manière générale à l’agence d’architecture. Quel statut juridique ? En son nom propre ? En société ? Ces questionnements apportent en partie la preuve d’un décalage entre les pratiques actuelles et celles des architectes en devenir et la capacité de ces derniers à se (re)positionner et les formes de sociétés qui s’offrent à nous. Ainsi les témoignages d’architectes (collectif Saga…, ou architecte « hybrides » ou « schizophrénes » Po et Fichtre…, termes employés par plusieurs architectes lors des sessions) appuient le propos. Les apports « théoriques » apparaissent trop peu nuancés notamment concernant les modes d’exercices des architectes. En quelques mots clés, Jacques Boucheton de Jba et encadrant de la formation HMONP résume ce qu’est une agence d’architecture aujourd’hui et ce que nous dev(r)ont maîtriser ou tout du moins en partie (s’il est question d’exercer au sein d’une équipe) : prospective / marché – ressources humaines – outils de conception / production graphique – cadre normatif / production technique – planification études / chantier – réception / parfait achèvement – litiges / expertises – intendance / vie d’agence – trésorerie / rentabilité. Toutes les thématiques s’imbriquent, se suivent, se superposent, évoluent. Puisque les sessions de la formation HMONP et notre immersion en agence nous confrontent à la réalité de la profession et ses multiples facettes, ses risques et ses ambitions, nous noterons donc l’engagement vers lequel le premier pas fut marqué d’une part par l’inscription à la HMONP à l’ENSA de Nantes et d’autre part par la démarche personnelle autour d’un sujet important au regard de notre pratique actuelle et future souhaitée.

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NOTE DE SYNTHÈSE n°2 SESSION 5, L’AGENCE D’ARCHITECTURE ___________________________________________________________ La 5e et dernière session resserre le champ de la focale sur l’agence d’architecture, ses relations humaines internes et son fonctionnement. HMOnp Habilitation à la maîtrise d’œuvre en son nom propre, le suffixe NP évoqué par Jean-Louis Violeau, sociologue et professeur à l’ENSAP Nantes a retenu mon attention. En effet, les échanges entre étudiants DE marquent une forte volonté d’exercer à plusieurs, s’enrichir les uns des autres et ainsi enrichir les projets (partager aussi les responsabilités). Chacun avec ses propres appétences, ses désirs et ses savoir-faire rend possible le développement d’une structure cohérente regroupant des profils variés (exemple société en SCOP, structure malheureusement non développée lors des deux interventions de Vincent Lecomte, expert comptable). L’équipe pluridisciplinaire constituée est notamment un atout pour accéder à la commande. Les interventions et notamment celle de Frédéric Pechereau, de Po architectes et Fichtre mettent en lumière la possibilité d’exercer de manière « hybride » en alliant architecture, prestation intellectuelle et artisanat. Ceci est rendu possible légalement par la création de deux statuts juridiques distincts. Ainsi une pratique enrichit l’autre continuellement et inversement. La démarche qualité et la certification ISO 9001 mises en place à l’agence Jba représentent en quelque sorte l’objectif ultime/maximum pour un « bon » fonctionnement de l’agence d’architecture. Basée sur un principe d’amélioration continue, elle requiert une grande qualité de rigueur, souvent « charrettes » pour les rendus de concours par exemple. Avant d’emprunter le chemin de la démarche qualité et toutes les contraintes et implications que cela engendre, il s’agit lorsque l’on est gérant et/ou associé d’une agence, de prendre le temps de comprendre et d’analyser ce qui pose problème et ce qui fonctionne dans l’organisation de l’agence. Ceci doit s’appliquer à chaque phase d’élaboration d’un projet afin d’éviter de reproduire les erreurs. On remarque de manière générale que les maîtres d’ouvrage sont toujours pressés, il faut aller vite dans les études, déposer le PC (acte réglementaire), construire… vite et moins cher… Cependant il est nécessaire de valoriser le temps malgré un processus toujours plus compressé. La certification ISO 9001 apparait très contraignante notamment par ces audits réguliers au cours 119


desquels est validé un certain nombre de paramètres. La démarche, fonctionnement horizontal, implique l’ensemble des salariés en leur attribuant notamment de nouvelles responsabilités. La « fidélisation » de ces derniers améliore intrinsèquement la rentabilité de la structure. La formation initiale de la profession d’architecte traite essentiellement de projet en terme de conception architecturale (plus apports théoriques structure/sociologie/arts…). Le point fort évoqué par Jacques Boucheton est donc la capacité de la démarche à « libérer le temps de conception ». Il faut avoir conscience également de ce qu’entreprendre dans une agence d’architecture signifie. En effet la création implique un certain nombre d’obligations d’ordre social, fiscal, comptable et juridique et donc de responsabilités. L’expert comptable est important dans la phase de création et dans le suivi financier de l’agence (l’importance du bilan annuel et ce que cela comprend). La transmission est le sujet qui clôture la formation HMONP. Elle m’intéresse particulièrement puisque j’ai intégré l’agence AVENIR24 architecture dont le gérant est mon père. Comme évoqué dans le dossier d’inscription à la HMONP, j’ai quitté mon ancien poste pour rejoindre la petite équipe (5 personnes) en septembre dernier. La question de transmission n’est pas abordée de prime abord. En effet, nous l’avons bien compris avec l’intervention de Gaëlle Peneau, architecte gérante de GPAA qu’il est encore question de temps. La transmission nécessite un temps long avec des avancées et des retours en arrière. Ce que je retiens d’un grand nombre d’interventions de ces sessions (et tout particulièrement la 5e session) est l’importance de l’humain. La qualité des relations mise en synergie fait que le processus global, de la prise en main du programme à la réalisation du projet, se concrétise de manière harmonieuse. Il est question de relations internes et externes à l’agence dont la qualité d’écoute (l’écoute fine développée dans mon sujet de mémoire à travers le prisme de la programmation et l’écoute des non-dits), savoir-faire à développer avec les salariés et associés de l’agence, les maîtres d’ouvrage, les collaborateurs, les experts (bureaux d’études, bureaux de contrôle, comptable…) qui nous conseillent, les entreprises… « C’est l’humain avant l’architecture » comme l’évoque Gaëlle Penneau et je rajouterai c’est l’humain pour l’architecture. L’image est également un sujet incontournable lorsqu’il s’agit de reprise d’agence notamment. La communication graphique est indispensable

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en termes de lisibilité et donc de qualité d’échange. Elle est représentative d’une agence et d’un architecte parfois. Ainsi Jacques Boucheton a souhaité « effacer » des consciences le nom de l’architecte pour laisser place à l’agence dans laquelle chacun peut s’identifier et prendre place. C’est l’Atelier La Casse qui répondra à la commande. On notera de fortes similitudes entre le design graphique et l’architecture qui sont tous deux des « arts de commande ». La mission de l’architecte et ce qu’on attend de lui par sa formation initiale réside dans le terme conception. Ainsi il est important de retenir que la conception se développe à toutes les phases du projet, de l’esquisse, aux études techniques, aux questions d’économie, de descriptif, des détails d’exécution, au suivi de chantier jusqu’à sa réception. Il faut ainsi privilégier les contrats en mission complète (conception et le contrôle de l’exécution des travaux) recommandation également faite par l’Ordre des Architectes, afin de légitimer nos savoir-faire et compétences auprès de nos interlocuteurs et valoriser notre profession. C’est depuis que l’architecte ne finance plus ses propres projets (architecte-commanditaire) qu’il a perdu de son « pouvoir ». L’architecte se retrouve aujourd’hui « dominé chez les dominants », propos forts évoqués de Jean-Louis Violeau mais très juste. Ces derniers échanges lors de la 5e session de la formation HMONP viennent soutenir mes questionnements relatifs à la programmation (mission de la maîtrise d’ouvrage en marché public). Cela conforte l’étude qui marque l’importance de la place de l’architecte dans la phase amont de sa mission de maîtrise d’œuvre et la nécessité de « (re)mettre le pied » dans la commande. Il s’agit de se saisir des outils existants que sont par exemple la faisabilité et la concertation afin de faire valoir les compétences propres des architectes dans la mission 1 (mission préalable du processus global de construction). Il s’agit également d’acquérir de nouvelles compétences en termes de communication et d’écoute notamment.

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Ce mémoire, écrit dans le cadre de la formation à l’Habilitation de la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre (HMONP) à l’école Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes, interroge la possibilité pour l’architecte de prendre part et place dans la phase amont de la mission de maîtrise d’oeuvre en marché public. L’étude questionne ce qui « fait projet », à l’élément déclencheur de l’histoire et s’immisce dans les prémices du processus de construction, dans les études préalables et la programmation que l’on nomme la mission 1.

coralie dumont sous la direction de francoise coulon 126


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Ce mémoire, écrit dans le cadre de la formation à l’Habilitation de la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre (HMONP) à l’école Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes, interroge la possibilité pour l’architecte de prendre part et place dans la phase amont de la mission de maîtrise d’oeuvre en marché public. L’étude questionne ce qui « fait projet », à l’élément déclencheur de l’histoire et s’immisce dans les prémices du processus de construction, dans les études préalables et la programmation que l’on nomme la mission 1.

coralie dumont sous la direction de francoise coulon


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