4 minute read
ETHIQUE DE LA MODIFICATION
by Cosa Mentale
Luigi Snozzi, Estensione del Convento di Monte Carasso (TI), 2001
En 1987, Luigi Snozzi est amené à réaliser le nouveau plan régulateur de Monte Carasso, petit village de 2000 habitants qui se situe dans le canton du Tessin en Suisse italienne. Sa première intervention consistait à réhabiliter un ancien monastère qui date de la Renaissance et d’y intégrer une école élémentaire.Il développa ici l’un des principaux thèmes de sa pensée urbaine : la centralité. Aujourd’hui, ce lieu est devenu le centre des institutions publiques du village. L’aventure architecturale que Snozzi a vécu ici, ne s’est jamais terminée. Après avoir bâtit vingt et un projets dans la commune, il vient de réaliser cette année une extension du même monastère, en construisant son aile droite, à l’endroit où se trouvait un ancien couvent, malheureusement détruit en 1968.
Advertisement
Cette intervention semble être une sorte de manifeste de l’un des aspects fondamentaux de la pensée tessinoise: le rapport de résistance qu’elle entretient avec la société contemporaine. Ici, je veux parler du rapport architecture / histoire. Quel acte audacieux que de venir bâtir un mur aveugle contre une paroi qui était là 500 années auparavant ! Quel est le statut de l’architecture moderne vis-à-vis des bâtiments que le temps et les hommes ont bien voulu préserver ? La démarche de projection de Snozzi se pose en antithèse avec toutes les théories fondées sur l’adaptation et l’intégration (bien qu’elles soient très répandues dans les diverses commissions de protection des sites, des monuments historiques et dans les réflexions centrées sur la ville) selon lui, l’architecture ne doit pas s’intégrer dans un site, mais créer un nouveau site, dans un rapport de confrontation et non de soumission à l’existant. Le projet doit être un outil de connaissance du site, et il doit le révéler à sa juste valeur. Architecture historique et architecture moderne sont étroitement liées, dans le sens où le rapport de confrontation qu’elles exercent entre elles permet de les identifier en tant que telles. Sans l’architecture moderne, le patrimoine historique perd toute signification. Ainsi, l’histoire devient fondamentale vis-à-vis des architectes contemporains. Le monastère qui a subi la première intervention avait déjà fait l’objet de nombreuses modifications sur le plan architectural. Le portique du rez-dechaussée de l’aile nord-ouest a été conservé, mais pour y insérer les cinq classes demandées, Snozzi prit la décision de démolir le troisième et une partie du deuxième étage de l’aile Nord Est, qui avaient été ajoutés en 1900. Les classes sont aujourd’hui des duplex, avec le remplacement du vieux toit à deux pentes, elles bénéficient d’un apport de lumière optimal par la mise en œuvre de toitures cintrées en zinc. La nouvelle intervention touche l’aile Est, déjà
constituée par l’église du village. Les premières réflexions concernant ce projet d’agrandissement de l’école allaient dans le sens de restitution d’un cloître traditionnel, c’est-à-dire un espace clos sur quatre côtés. Mais la solution retenue fut celle de venir bâtir l’aile sud-est, devant la façade de l’église. Ainsi, l’implantation choisie ne vient pas à l’encontre du projet global de la commune: le « centre monumental » qui doit être une place publique ouverte. Le langage formel du nouvel édifice est en
rupture totale avec celui de l’existant. D’une part le bâtiment vient se coller à l’aile nord-est du couvent, mais d’autre part il est à distance de l’église. Deux voiles porteurs espacés de vingt mètres permettent de libérer le sol de façon à protéger les ruines de l’ancien couvent. Ainsi, on perçoit le rapport de tension entre les éléments conservés et les éléments ajoutés. La nouvelle aile se propose de réinterpréter le langage historique du lieu à partir des principes de l’architecture moderne. Le portique n’est plus porté par une série de voûtes qui reposent sur des colonnes. La façade principale ne possède aucun percement, elle est constituée par un mur aveugle auquel est suspendu un pan de verre. La confrontation entre le nouveau et l’existant permet de les identifier, d’en faire des éléments remarquables. A l’intérieur de l’édifice, la lumière joue un rôle essentiel. Le dispositif d’entrée engendre un parcours qui s’effectue à la manière d’une promenade architecturale, on y accède par un couloir en balcon sur les salles de classes, où l’on ne bénéficie ni de vue sur la place ni de lumière directe, Snozzi le sait, la lumière est d’autant plus belle lorsqu’on n’en voit pas la source. La vue sur la place n’est donc offerte qu’aux espaces de travail. A l’heure où l’imitation semble être un outil bien répandu dans l’aménagement des vieux centres de nos villes, ou de nos villages, j’invite les architectes à penser à un problème fondamental qui concerne la vie des hommes. Les principes d’intégration qui visent à préserver le patrimoine ont des limites. La copie, le modèle ont bien souvent servi le régionalisme ou l’histoire de façon absurde. Ne serait-ce pas une façon d’emprunter à l’histoire une simple idée de ce qu’elle représente ? Une façon de rendre l’homme naïf ? Il est aux architectes le devoir de restituer la vraie valeur historique d’un bâtiment. Il est donc également leur devoir de connaître l’histoire et de rendre compte de la responsabilité de l’architecture contemporaine vis-à-vis d’elle. La sauvegarde du patrimoine architectural doit exister bien évidement, mais elle doit être réfléchie en profondeur. Le grand risque est de condamner les villes à se figer. L’évolution n’est possible que par l’expérimentation, et les échecs doivent servir d’exemple de façon à ne plus les reproduire. L’Homme contemporain vit dans le même tissu urbain qu’au moyen âge, pourra-t-il le faire éternellement? MG
photographie MG
p.22 photographie MG p.24 en haut: photographie de Serge Demailly, extraite de Luigi Snozzi, Lecons du Thoronet, Le Mur oublié, ed. Abbaye du Thoronet, p.62, 2009 p.24 en bas: photographie Sebastien Tran