Revue #08 – Construire

Page 1



Sommaire CM#08 _ Cycle III avril 2012

Editorial 4 Construire un morceau de verité Hans Frei 5 L’art d’édifier Leon Battista Alberti 6 A la recherche de la beauté Relire De Re Aedificatoria 8 Zaha Hadid Duchesse de Guermantes 10 Construire Mirko & Dario Bonetti 10 Une ligne horizontale Sur le Cargagem de Barcos Clube Santa Paula de J.B. Vilanova Artigas et C. Cascaldi 14 En réponse à l’inquiétude Il y a la culture et l’engagement 14 Qu’en est-il de l’utopie construite ? Sur les Floralies et Le Mirail 16 Un dernier verre Sur le lien qu’entretien Adolf Loos avec sa dernière réalisation 18 Je construis toujours pour moi-même Une discussion avec Pascal Flammer David Zumstein 20 Entéléchie de l’Architecte Laurent Lehman 24 Sortir du plan Sur Sea Strairway de Kazuo Shinohara 25 • Carnet Central Un manuel de construction Extrait de « Construire l’architecture - du matériaux brut à l’édifice » Andréa Deplazes (dir.)

iii


Editorial Il ne suffit plus de poser une pierre sur une autre _ FE

Poser une pierre sur une autre. Puis encore une. Et une autre encore. Puis franchir. D’une pierre à l’autre. De plus en plus. Prendre une brique dans sa main. Mesurer son poids. Puis reposer une pierre sur une autre. Puis encore une. Et une autre encore. Puis franchir. Avec conscience cette fois ci de l’effort de franchir. Avant toute chose. Creuser pour accueillir la première pierre. Trouver le bon sol. L’ensemble des pierres sera un mur. Lorsque le mur s’ouvrira, la lumière pourra entrer. L’intérieur et l’extérieur commenceront à dialoguer. Puis couvrir. Seuls gestes utiles. Enclore et couvrir.

• Le troisième cycle de Cosa Mentale s’ouvre sur le thème essentiel et difficile : Construire. Lieu de tous les efforts, de toutes les souffrances qui suit juste le pur plaisir de penser, qui a alimenté la réflexion des deux premières années de Cosa Mentale. La construction est d’autant plus douloureuse qu’elle débute inéluctablement par une destruction, par la perturbation d’un équilibre, pour tenter de transformer nature en culture. Il faut alors être conscient de la responsabilité de l’architecte dans cet acte brutal, ne pas trembler, et laisser à la nature, à elle seule, le soin de danser et de dessiner sur un mur imperturbable, les formes d’une liberté folle et belle. Construire est le moment dramatique du dessin ou apparaissent toutes les couches et où se perdent nos plus grands fantasmes d’épaisseur, de transparence totale et où le rapport entre l’intérieur et l’extérieur s’amoindrit. C’est une tragique aventure, un effort désespéré contre la fatalité, pour préserver l’essence du projet. Le projet devient tout à coup réel avec un coût, un nombre incroyable de spécialistes, et des savoirs faire différents. Le jeu commence, et au milieu de la tourmente, l’architecte doit se débattre comme il peut pour parvenir à conserver la pensée du projet. Les questions à la mode de développement durable, de HQE, ainsi que la multitude des règlements d’aménagements, des montages financiers (PPP) se complexifient de jour en jour. L’architecte, dans sa liberté projectuelle, risque d’être mis à l’écart tant les contraintes, les acteurs et les préoccupations d’un chantier deviennent nombreux. Il s’agit de faire avec, et de lutter contre. L’importance préalable de la réflexion, d’une construction mentale complète du projet, reste alors la seule voix pour maîtriser un débat entre tous les intervenants, sans avoir la prétention de tout savoir, au contraire, mais en gardant une ligne de conduite que l’on ne corrompt pas. Voilà une réalité. La construction restera néanmoins le moment d’une rencontre merveilleuse entre le projet et la lumière. Le travail sur l’espace, notre travail, peut enfin naître et être lu. Construire c’est, en premier lieu, être conscient de travailler avec des éléments simples qui ont des exigences propres

et les interroger. Qu’est ce qu’un mur, un poteau, un toit ? Quelle est la signification d’un trou dans un mur? Quel est le sens de la position et de la géométrie des éléments entre eux ? Qu’est ce qu’un parcours (du pied et de l’œil) ? Comment toucher un sol, s’implanter ? Comment s’orienter ? Comment guider la lumière ? Qu’est ce que faire habiter ? Se confronter à la composition et aux proportions. Tant de questions que nous devons sans cesse répéter, et auxquelles nous devons continuellement répondre pour construire un projet, riche des éclaircissements que nous ont offert ceux qui nous ont précédés, et ainsi retrouver du sens. Il ne suffit plus de poser une pierre sur l’autre. Certes. Mais cette logique archaïque doit continuer à guider notre crayon pour continuer à penser la gravité. Elle est avec la lumière ce qui relie l’homme à la nature et donc à un temps plus large. Retrouver une cohérence de pensée dans notre manière de construire, là est le véritable enjeu de notre époque, afin de la cristalliser d’une trace plus noble, qui se transmettra par delà notre propre histoire. Là réside l’objet des limites à s’imposer, des règles à se donner. Abordons l’avenir avec courage et passion. Respectons ces règles. Résistons contre la facilité et la séduction. Continuons à réfléchir. Perpétuons la construction dans un ordre juste et faisons rentrer la lumière par le haut. Cet effort à fournir, cette résistance à mener, sont aujourd’hui fondamentaux afin que notre discipline perdure et soit considérée. Résister c’est réfléchir aux questions éternelles qui, elles, ne varieront jamais mais qui répondront toujours aux problèmes de l’époque. Laissons passer les modes, certains que, elles, s’éteindront quand, nous, continuerons de résister. Voilà une autre réalité. FE


Construire un morceau de vérité Hans FREI

Un commencement, pas une cassure – Comment se distinguent les bâtiments de Kerez face au reste de l’architecture suisse-allemande ? L’approche En 1994, Martin Steinmann publie un essai intitulé « La présence des choses : Commentaires sur l’Architecture Récente dans le Nord de la Suisse ». Il y définit un intérêt commun pour les architectes suisses-allemands de premier plan : « une recherche du point zéro de l’architecture, où l’architecture atteint une nouvelle présence. »1 Dix ans plus tard, quand Steinmann fait la critique du premier bâtiment construit de Christian Kerez, on aurait pu s’attendre à un reportage sur l’accomplissement réussi de cette quête. Kerez semble être le « terminator » des architectes suisses-allemands, accomplissant sans effort ce que d’autres peinent à faire. Il se distancie par rapport aux excès et au spectacle de l’architecture contemporaine ; il évite le piège de la sémiotique ; il fait du bâtiment un objet d’expérience sensitive brute, et rien d’autre ; il se concentre sur l’effet des matériaux dans les questionnements architecturaux, ainsi que sur la relation des parties entre elles, et le tout qu’elles forment ; enfin, il cherche sans arrêt la forme la plus simple possible. Pourtant, plus on s’intéresse aux méthodes de travail de Kerez, mieux on comprend que ces corrélations, prenant en compte la réduction formelle et la présence du matériau, ne sont pas tout. Aussi convaincu que Steinmann le soit par les bâtiments, il semble soupçonneux quant aux nombreuses maquettes – par exemple, celles présentées pour l’exposition sur Kerez, en 2006, à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne. Pourquoi autant de maquettes ? D’où vient cette compulsion presque maniaque de construire des maquettes ? Pourquoi la majorité d’entre elles est-elle faite de carton plume ? Par ces maquettes, Kerez n’est-il pas passé depuis longtemps dans l’abstraction ? En réalité, les maquettes nous privent de ces effets de surface, de ces détails finement résolus, de ces motifs tellement cruciaux pour la nouvelle architecture suisseallemande (dont celle de Kerez). Quand on compare l’exposition de Kerez à celle par Herzog & de Meuron – qui se composait aussi exclusivement de maquettes – la différence devient claire. Alors qu’Herzog & de Meuron présentent une orgie fiévreuse de matériaux, qui correspondrait sans doute aux critères de Steinmann, on se sent dans l’exposition de Kerez comme dans une morgue : des morceaux soigneusement disséqués installés sur de grandes tables. Bien sûr, les maquettes ne peuvent pas être utilisées comme un argument contre l’analyse attentive des bâtiments par Steinmann, qui en réalité vient prouver l’absence de rupture dans l’apparence de l’architecture suisse-allemande récente. Elles suggèrent néanmoins que « réduction formelle » et « présence » ne signifient pas les mêmes choses pour Steinmann et Kerez. Pour Steinmann, ces concepts résident quelque part « là-bas » dans la qualité spécifique et la grammaire des matériaux, et mènent au « socle de la forme », le point zéro de l’architecture, dans lequel un bâtiment ne représente rien d’autre que luimême (une position qui, pourtant, reste dépendante de la représentation dans l’architecture). Pour Kerez, à l’inverse, il n’existe pas de vérité architecturale fondatrice à priori ; pour lui, réduction

et présence ne servent qu’à restreindre à un minimum le matériau et les paramètres techniques, pour ouvrir la voie à ce qui l’intéresse au-delà de ces conditions (en corrélation avec une compréhension plus performative de l’architecture). Dans un cas, nous avons affaire à une déclaration d’autonomie de la forme architecturale ; de l’autre, avec des paramètres utilisés comme un cheval de Troie. Mais pourquoi ? Pour le comprendre, il est nécessaire de se pencher à nouveau sur les maquettes. La logique d’une indécente connexion – Qu’est-ce-qui rend la maquette unique ? Le dispositif optique Comme d’autres, les maquettes de Kerez constituent des abstractions de réalités (plus réelles). Néanmoins, certaines vont bien au-delà : elles peuvent alors être vues comme des objets à part entière – ne représentant rien, mais rendant plutôt quelque chose visible. Au lieu de les regarder, il faut regarder à travers. Certaines maquettes ressemblent à des conglomérats d’appareils photos artisanaux. Dans la maquette de la maison à Vinheros (Brésil, 1996), les puits de lumière verticaux, dans un mouvement de va-et-vient, ont finalement créé d’intéressants « entonnoirs de vue » sur le paysage. La maquette structurelle pour l’école professionnelle Salzmagazin, à Zürich (1997) est constituée de longs tubes rectangulaires, empilés en croix, et permet de concentrer l’attention sur l’environnant, comme au travers d’un télescope. D’autres maquettes semblent constituer seulement le mouvement d’un unique appareil photo. Quelques éléments suffisent. Parfois la structure porteuse est déterminante, parfois ce sont les cloisons. Dans la maquette du bâtiment de logements sur Forsterstrasse à Zürich (1999-2003), le champ de vision n’est pas déterminé par l’enveloppe ou l’arrangement des pièces, mais plutôt par la concentration de panneaux indépendants au centre. A chaque mouvement, l’observateur perçoit une nouvelle image de l’environnement. Dans toutes ces maquettes, l’expérience du regard approche la transition de l’artificiel au réel. Comme dans la scène finale du Scandale de Claude Chabrol (1967), dans laquelle la caméra se déplace vers le haut durant une dispute entre les trois personnages. Au fur et à mesure du travelling arrière, on se rend compte que la petite pièce est en réalité une maquette, au sein d’un grand volume noir. La nature fictionnelle du film nous est donc révélée rétrospectivement, les acteurs servant de rats de laboratoire. Quand on rentre en contact avec une maquette de Kerez, un événement similaire se produit – mais à l’inverse. Dans un premier temps, on perçoit la maquette comme un objet fait de carton plume. Mais lorsqu’on s’approche, la matérialité abstraite laisse place aux vrais effets de lumière, au travers des ouvertures, et aux vues et perspectives qui s’ouvrent entre les panneaux ; on est alors plongé dans un monde miniature, dans lequel on tente d’ajuster notre vision à l’orientation de l’espace. La maquette devient appareil photo, au travers duquel on perçoit l’environnement comme une image. La connexion entre l’architecture et la production d’image n’est pas un hasard. Ce que Kerez avait remarqué à propos

de Bernd et Hilla Becher – qu’ils font de la dévaluation de l’image photographique individuelle le thème de leur travail – est aussi vrai pour lui, quoique dans une forme encore plus prononcée.2 La formation architecturale de Kerez provient presque exclusivement des partisans de « l’architecture analogue » ; plus tard, il s’est fait un nom en tant que photographe d’architecture. Dans les deux cas, l’image dans l’architecture devient un dispositif de commande alternatif. En contraste avec le plan comme moyen de représentation, l’intérêt passe de l’organisation géométrique à l’interprétation expressive du projet. Pourtant, sa maîtrise spécifique et opérative des images (en tant que praticien de « l’architecture analogue » et photographe) doit aussi être vue comme une approche plus générale des images. On entend souvent, qu’à l’ère de l’informatique, les images, ayant remplacé la réalité, ont perdu tout leur sens. Kerez, lui, ne prête pas attention à cette dénonciation actuelle de l’image. Ses médias favoris – la télévision et les DVD – sont ceux, disponibles individuellement à toute heure, qu’on accuse le plus fréquemment de brouiller les frontières entre réalité et fiction. Heure après heure, nuit après nuit, il consomme des images sans limite. Sans se soucier de la qualité des émissions, il passe d’une chaîne à l’autre, d’un soap opera à un thriller, s’assoupit sans doute un peu (à mon avis), puis zappe d’Uwe Boll à Ingmar Bergman. Tout ce qu’il reste de cette séquence sans fin est un papillotement. L’obsession avec laquelle il construit maquette après maquette, le lendemain, exprime son désespoir face à cette dévaluation des images. Il cherche à créer quelque chose qui puisse supporter ce papillotement. Pour cela, Kerez passe d’un idiome représentatif à un idiome performatif : ses maquettes sont conçues, non pas comme des écrans de projection, mais comme une tentative de pourvoir l’architecture de son propre régime de picturalité. L’architecture est en passe de devenir un médium qui tire sa puissance de l’image. Hors des sentiers battus. Que reste-t-il lorsque tout est relatif ? « Ces deux aspects de la maison multifamiliale sur Fosterstrasse décrivent une architecture qui tente de résister à une lecture programmatique sans alternative, et la courte durée de vie qui lui est associée. Peut-être, qu’en réalité, la véritable contribution de ce bâtiment réside dans ce refus ».3 Christian Kerez Les architectes déclament sans cesse leur foi dans le pouvoir de l’architecture, malgré le fait qu’ils ont perdu depuis longtemps toute crédibilité. S’il y a, encore aujourd’hui, quelque chose de cohérent dans l’architecture, c’est la spirale d’excentricités qui transmute les distinctions programmatiques en pure torsion. En cela, il n’est pas surprenant que les architectes les plus critiques du siècle dernier soient devenus, aujourd’hui, les acteurs les plus productifs de ce « spectacle d’architecture » (souvent sans même s’en rendre compte). Le pragmatisme radical, vivement débattu récemment, représente une importante alternative à l’escalade vers l’excentrique4, et peut-être même la seule. Il réunit des expériences de deux différents lieux de production de l’architecture : l’État providence européen et le capitalisme américain. On peut encore évoquer le nom de deux importants acteurs de ce débat, avec d’un coté Rem Koolhaas, un praticien avec un goût pour la théorie, de

v


L’art L’art d’édifier d’édifier Leon LeonBattista BattistaALBERTI ALBERTI

l’autre Robert Somol, un théoricien avec un goût pour la pratique. Plus une méthode qu’un programme, il proposer de guider l’approche des paramètres existants. En cela, les architectes ne devraient plus placer leur pratique sous l’égide du dogme ; la non-existence de principes immuables – et, en même temps, le besoin de construire – transforme l’architecture en un gigantesque terrain d’expérimentation. C’est en ce sens que Somol fait référence au « design » comme à un « outil de négociation »5 capable de presque tout, qui, autrement, serait interdit à une discipline respectable et autonome. Par la manière dont Kerez rejette le programme, pour s’en remettre uniquement aux faits, il est véritablement un pragmatique radical par excellence. En effet, il préfère se considérer comme un architecte sans qualités – The Man Without Qualities de Robert Musil est son livre préféré – qui se détache du processus de design pour laisser les éléments décider d’eux-mêmes. Pourtant, la façon dont Somol associe « pragmatique » avec des termes comme « cool », « facile », « séduisant », « succès » est exactement à l’opposé de ce que « radical » et « pragmatique » signifient pour Kerez. Pour ce dernier, l’absence de dogme n’est en rien corrélée à une liberté absolue. Le problème est avant tout la perte de grands thèmes d’architecture, tels que l’autonomie de l’architecture, l’essence de l’espace, la signification de l’habiter. Que reste-t-il à célébrer quand le particulier à remplacer l’universel ? N’est-il pas le témoin d’une sorte de fatalisme, quand l’écroulement de la différenciation est interprété comme un vœu d’indifférence ? Au contraire de l’approche de Somol, le pragmatisme de Kerez emprunte une route difficile. Il n’évite pas les grands thèmes de l’architecture, aussi instables soient-ils ; au lieu de ça, il leur attribue une place différente dans le processus de design. L’absence d’un programme fixé l’oblige à travailler avec un mélange d’éléments, tels les intérêts financiers, les requis techniques, les cadres légaux ; il arrive à les rendre abstraits et à les réduire jusqu’à ce qu’il trouve une solution satisfaisante pour chacun. Mais il va plus loin : comme on l’a vu avec ses maquettes, il joue avec les conditions auxquelles il se conforme. Les paramètres sont utilisés intelligemment, tel un Cheval de Troie, pour permettre de réintroduire les grands thèmes de l’architecture : autonomie, espace et habitat. Dans ce contexte, on peut parler d’une redéfinition de l’architecture. Au lieu de commencer par le dogme pour ensuite y faire « tenir » la forme, la négociation avec les paramètres existants permet d’asserter le dogme, ou au moins de tendre vers des thèmes plus universels, non-déterminés par les conditions spécifiques. Au même titre que les résultats de cette négociation sont valables pour le projet en question, l’universel est lié à une forme singulière. Vu de cette manière, l’architecture est précisément la chose qui, dans tous les cas, doit être reconstruite, sur la base de conditions aléatoires. Au lieu de précéder le bâtiment, c’est autant un outil de fabrication que le bâtiment luimême. Mais pourtant son effet est d’une toute autre nature : celle qui transcende la fonctionnalité. Le bâtiment de logements sur Fosterstrasse à Zürich (1999-2003) peut être décrit comme le résultat de négociations factuelles difficiles ; par une réduction et une abstraction rigoureuses, les conditions convergent finalement vers une structure unique dans laquelle, comme pour un château de cartes, les murs porteurs et les dalles s’assemblent en un équilibre raffiné. La transmission verticale des charges n’apparaît

qu’à l’intersection des murs superposés ; chaque niveau est alors déterminé par une constellation spatiale, qui ne pourrait être altérée qu’en modifiant le système dans son ensemble. Les impressions spatiales, pourtant aussi matérialisées et présentes que la structure, nous emmènent dans une autre direction : l’entrée du bunker, le fin ruban de fenêtres qui sépare le puits souterrain de la construction au-dessus, et qui indique sa position en respectant le sol ; la colonne de lumière dans l’escalier ; l’altération continue entre perspectives ouvertes et niches protégées à mesure de l’avancée entre les murs massifs de béton ; l’expansion du paysage ; la transparence réflective de la façade de verre, superposant intérieur et extérieur. L’habitat est plus une façon de prendre en compte le monde que de se protéger de ses éléments. Dans ce cas – comme souvent avec Kerez – la métaphore bien connue, de Leon Battista Alberti, de la fenêtre comme une image sur le mur, ne suffit plus à décrire les mécanismes optiques de mur et d’ouverture, de structure porteuse et d’espace. Presque comme, en plus de sa fonction statique, la structure porteuse prenait le rôle d’éditer le film, et d’assembler les différentes scènes en un tout cohérent. Cette connexion paradoxale entre nécessité constructive et mise en scène spatiale sert ce que Kerez appelle « la recherche d’une logique irréfutable »6, grâce à laquelle il poursuit l’indissoluble unité du particulier et de l’universel. Si, comme le philosophe et linguiste Gottlob Frege le souligne7, le mot « vérité » se rapporte à la logique (comme « bien » se rapporte à l’éthique, « beau » à l’esthétique), alors les bâtiments de Christian Kerez sont l’expression d’une recherche de vérité – mais pas une vérité arrêtée. La vérité architecturale n’est pas découverte ; pour chaque projet elle doit être construite à nouveau, petit à petit, au travers du hasard de l’accumulation des conditions existantes. HF Notes : 1. Martin Steinmann, The Presence of Things : Comments on Recent Architecture in Northern Switzerland, éditions Kevin Alter et Mark Gilbert, Construction, Intention, Detail. Five Projects from Five Swiss Architects (Zürich, 1994), pp. 10-24. Les architectes concernés sont Burkhalter et Sumi, Diener et Diener, Herzog & de Meuron, Meili & Peter, et Peter Zumthor. 2. Laurent Stadler, Über das Abbild der Architektur. Interview mit Christian Kerez, archithese, 5 (2006), p. 76. 3. Christian Kerez, Der Raum selbst. Einige Überlegungen zu den Mitteln der Architektur, Werk, Bauen + Wohnen, 5 (Mai 2004), p. 24. 4. John Rajchman, A New Pragmatism ? , éditions Cynthia C. Davidson, Anyhow (New York, 1998), pp. 212-17 ; éditions Joan Ockman, The Pragmatist Imagination. Thinking About « Things in the Making » (New York, 2000) ; Neuer Pragmatismus in der Architektur, édition spéciale d’Arch+, 156 (Mai 2001) ; Robert Somol et Sarah Whiting, Notes Around the Doppler Effect and Other Moods of Modernism, Perspects 33. The Yale Architecture Journal (2002), pp. 72-77 ; Robert Somol, 12 Reasons to Get Back Into Shape, dans Rem Koolhaas, et al., eds. , Content (Cologne, 2004), pp. 86-87 ; éditions William Saunders , The New Architectural Pragmatism (Minneapolis, Minn. , 2007) ; Bruno Latour, From Realpolitik to Dingpolitik of How to Make Things Public, éditions Bruno Latour et Peter Weibel, Making Things Public Atmospheres of Democracy, exh. Cat ; Zentrum für Kunst und Medientechnologie Karlsruhe (Cambridge, Mass. , 2005), pp. 14-43. 5. Robert Somol, Indifferent Urbanism : Graphic Standards and Urban Norms, Holcim Forum 2007. 6. Kerez 2004 (see note 3), p. 34. 8. Gottlobe Frege, Der Gedanke – eine logische Untersuchung, Beiträge zue Philosophie des deutschen Idealismus, 1, 2 (Erfurt, 1918/19), pp. 58-77 ; cité dans Logische Untersuchungen, 4ème édition (Göttlingen, 1933), p. 30. Texte original : Constructing a Piece of Truth, Materials on the Work of Christian Kerez Hans Frei _ Traduction NC

[7] Nos ancêtres nous ont transmis les arts1, nombreux et variés, qui contribuent à une vie bonne et heureuse, après les avoir conquis au prix de beaucoup d’effort et de soin. Même si tous ces arts rivalisent entre eux par leur prétention à servir au mieux le genre humain, nous nous apercevons cependant que chacun d’eux possède en soi quelque chose de propre, par quoi il semble promettre des fruits singuliers et différents de ceux des autres. Nous pratiquons certains arts par nécessité, nous en estimons d’autres pour leur utilité, les derniers enfin nous sont précieux pour le seul plaisir que procure leur étude2. Il ne m’appartient toutefois pas de dresser la liste de ces arts tant elle est évidente. Mais, en te les rappelant, tu n’en trouveras en réalité aucun, dans l’ensemble des arts les plus importants, qui ne poursuive et ne considère seulement ses fins propres au mépris des autres. Si tu finissais par en découvrir qui non seulement te soient absolument indispensables mais qui réussissent en outre à joindre l’utilité au plaisir et à la dignité, tu ne devrais pas à mon avis exclure l’architecture de leur nombre ; car, à bien y réfléchir, l’architecture est d’une parfaite commodité, pour les usages publics et privés, d’un très grand agrément pour le genre humain, et n’occupe pas le dernier rang de dignité parmi les principaux arts. Mais, avant d’aller plus loin, j’estime qu’il me faut expliquer qui donc je voudrais voir reconnaître comme architecte3. Car ce n’est certes pas un charpentier que je te présenterai pour être comparé aux grands maîtres des autres disciplines : la main de l’artisan ne sert en effet que d’instrument à l’architecte. Quant à moi, j’accorderai le statut d’architecte à celui qui saura, par une méthode précise et des voies admirables aussi bien concevoir mentalement que réaliser tout ce qui, par le déplacement des masses, par la liaison et par l’assemblage des corps, se prêtera le mieux aux plus nobles usages des hommes. [9] Ce que seules l’intelligence et la connaissance des choses les plus parfaites et les plus dignes permettent d’atteindre. Tel sera donc l’architecte. Je reviens à mon propos. Certains ont prétendu que l’eau ou le feu furent à l’origine du développement des sociétés humaines. Pour ma part, considérant l’utilité et la nécessité du toit et du mur, je me persuaderai qu’ils ont joué un rôle bien plus important pour rapprocher les hommes les uns des autres et les maintenir unis4. Cependant, nous ne devons pas seulement à l’architecte les refuges sûrs et agréables qu’il nous a procuré contre les ardeurs du soleil et les frimas de l’hiver ( même si ces bienfaits ne sont pas minces), mais aussi, dans les domaines public et privé, d’innombrables inventions sans conteste fort utiles et toujours parfaitement adaptées aux usages de la vie. Combien de familles très respectables, ruinées par l’injustice du temps, notre cité et d’autres par le monde n’eussent-elles pas perdues, si leurs foyers paternels ne les avaient recueillies et réchauffées comme dans le sein de leurs ancêtres5! En son temps, on approuva hautement Dédale pour avoir aménagé à Sélinonte une grotte où s’exhalait et se concentrait une vapeur si tiède et si douce qu’elle provoquait une bienfaisante transpiration et guérissait les corps en leur procurant un extrême plaisir6. Que mentionner d’autre ? Tout ce que les hommes ont pu imaginer de ce genre pour entretenir leur santé : promenades, piscines, thermes, etc. Dois-je aussi rappeler les véhicules, les moulins, les horloges, et toutes les inventions modestes qui ont pourtant une telle importance dans notre vie quotidienne ? Ou l’abondance des eaux tirées des entrailles de la terre et offertes à des usages aussi variés que désirables ? Ou encore les monuments commémoratifs,


les sanctuaires, les oratoires, les temples, ainsi que les constructions du même genre inventées par l’architecte pour la pratique de la religion et pour le bien de la postérité ? Faut-il enfin rappeler qu’en taillant la roche, transperçant les montagnes, comblant les vallées, endiguant la mer et les lacs, drainant les marais, armant les navires, rectifiant le cours des fleuves, repoussant l’ennemi, construisant des ponts et des ports, l’architecte non seulement pourvoit aux besoins quotidien des hommes, [11] mais leur ouvre aussi l’accès à toutes les provinces du monde7 ? Ce qui leur a permis de partager, par des échanges mutuels, les fruits de la terre, les épices et les pierres précieuses, ainsi que leurs connaissances et leurs compétences, comme tout ce qui contribue à la santé et à la vie. Ajoute à ces bienfaits les armes de jet, les machines de siège, les citadelles et tout ce qui sert à conserver la liberté de la patrie et à accroître le patrimoine et l’honneur de la cité comme à étendre et affermir son empire. Je pense assurément que, si à toutes les villes innombrables qui, depuis les temps les plus reculés, tombèrent sous la domination étrangère à la suite d’un siège, on demandait qui avait été responsable de leur défaite et de leur soumission, elles n’hésiteraient pas à affirmer que ce fut l’architecte. En effet, elles avaient facilement nargué la troupe ennemie, mais n’avaient pu résister longtemps ni à la puissance d’invention de l’architecte, ni à la masse de ses ouvrages de siège, ni au choc des machines de jet au moyen desquels il les harcelait, les assiégeait et les écrasait. D’un autre côté, les assiégés pensent ne jamais pouvoir mieux assurer leur sécurité que par les ressources et le talent de l’architecte. Si tu te rappelles les campagnes du passé, tu t’apercevras sans doute que les talents et la vertu de l’architecte ont valu un plus grand nombre de victoires que le commandement du général en chef et sa prise d’auspices, et que l’ennemi a été vaincu par le génie du premier sans les armes du second plus souvent que par le glaive du second sans le conseil du premier8. Mieux encore, l’architecte triomphe avec peu d’hommes et sans pertes. En voilà assez sur l’utilité de l’architecture ! Quel agrément procure le soin et la réflexion dont l’acte d’édifier fait l’objet et à quelle profondeur ils sont enracinés dans notre esprit apparaît en maintes circonstances et, en particulier, dans le fait que tu ne découvriras personne qui, à condition d’en avoir les moyens, n’aspire de tout son être à édifier quelque chose et qui, s’il a fait quelque découverte dans l’art d’édifier, ne veuille à tout prix la divulguer et la faire connaître pour l’usage des hommes, comme si la nature le lui commandait. Que de fois, occupés pourtant à d’autres tâches, nous ne pouvons nous empêcher de concevoir mentalement quelques bâtiments9 ! Et devant l’édifice des autres, nous examinons et mesurons aussitôt chacune de ses dimensions, puis nous consacrons toutes les ressources de notre intelligence à chercher ce qui pourrait être supprimé, ajouté ou déplacé pour rendre l’ouvrage plus élégant, [13] avant de donner spontanément notre avis. Et, s’il est bien conçu et correctement réalisé, qui ne le contemplera avec le plus grand plaisir et la plus grande jubilation ? Dois-je rappeler non seulement combien l’architecture a contribué à l’utilité et au plaisir des citoyens, dans leur cité et au dehors, mais combien surtout elle leur a value d’honneur ? Qui ne se loue d’avoir édifié ? Nous nous glorifions même des demeures privées que nous habitons, dès lors qu’elles sont construites avec un peu plus de soin que de coutume. Si tu as élevé un mur ou un portique très élégant, ou si tu as orné des portes, des

colonnes ou un toit, les hommes de bien les approuvent et s’en félicitent autant pour eux-mêmes que pour toi, avant tout parce qu’à leurs yeux tu as, par ce fruit de ta fortune, accru ton honneur et ta dignité ainsi que ceux de ta famille, de ta postérité et de ta cité. C’est d’abord au tombeau de Jupiter que la Crète a due sa notoriété, et Délos était Honorée en raison moins de l’oracle d’Apollon que de la forme et de la beauté de sa ville ou de la majesté de son temple. Sur la contribution inestimable apportée par l’édification au prestige de l’empire et au nom latin, je me bornerai à dire que les tombeaux et les vestiges de son antique magnificence, un peu partout offerts à nos yeux, nous ont appris à croire le témoignage des historiens au sujet de bien des faits qui autrement nous sembleraient bien moins dignes de foi10. C’est pourquoi Thucydide approuve excellemment la sagesse des anciens qui dotaient leurs villes de tous les genres d’édifices pour paraître bien plus puissants qu’ils ne l’étaient en réalité11. Et, parmi les princes les plus grands et les plus sages, en fut il seulement un qui refusa de considérer l’art d’édifier comme l’un des principaux moyens de transmettre son nom et sa mémoire? Mais en voilà assez sur ce sujet. Notons enfin que la stabilité, la dignité et l’honneur, de la république sont grandement redevables à l’architecte qui nous permet de passer nos loisirs dans la beauté, la gaîté et la salubrité, et de vaquer à nos affaires avec avantage et profit, dans l’un et l’autre cas sans danger et avec dignité. Considérant le plaisir et l’agrément extraordinaires que nous procurent ses ouvrages, leur nécessité, l’aide et le secours que nous apportent ses inventions, sans compter le bénéfice qu’en tire la postérité, nous n’hésiterons pas à affirmer que l’architecte doive être reconnu, respecté et tenu pour l’un des premiers [15] parmi ceux qui ont mérité d’être récompensés et honorés par le genre humain. De mon côté, après avoir constaté qu’il en était bien ainsi, je me mis, pour le plaisir de l’esprit, à examiner avec le plus grand soin l’art de l’architecte et les domaines qu’il embrasse : de quels principes dérive-t-il, ou encore par quels éléments peut on l’identifier et le définir ? Découvrant que ces éléments étaient de genres divers, presque infinis en nombre, d’une nature admirable et d’une incroyable utilité, j’en arrivais à me demander parfois quelle condition chez les hommes, quelle partie de la république, quel gouvernement de la cité étaient les plus redevables à l’architecte, inventeur de toutes ces commodités : sontce le prince ou l’homme privé, le domaine sacré ou le domaine profane, le loisir ou les affaires ? Les individus ou le genre humain ? C’est pourquoi, pour plusieurs raisons trop longues à expliquer ici, je décidai de rassembler tout ce qui a été confié à ces dix livres. Voilà l’ordre selon lequel ils traiteront le sujet. De fait, j’ai remarqué qu’un édifice est une sorte de corps12 qui, comme les autres corps, consiste en linéaments et en matière13, les premiers produits par l’intelligence, la seconde engendrée par la nature : l’esprit et la réflexion s’appliquent aux premiers, la sélection et la préparation à la seconde ; mais je m’aperçus que ni les premiers ni la seconde ne suffisaient à l’entreprise sans la main d’un ouvrier expérimenté14 qui intervienne pour adapter la matière aux linéaments. Et puisque les édifices relevaient de divers usages, il me parut nécessaire de chercher si un même dessin de linéaments convenait à n’importe quel ouvrage. Pour cette raison, j’ai divisé les édifices en différents genres ; puis ayant constaté que la cohérence et la proportion des lignes, dont dépend principalement la réalisation de la beauté, étaient à leur

égard de la plus haute importance, j’entrepris de chercher plus avant ce que sont la beauté et son caractère ainsi que ses diverses destinations. Enfin, comme tous ces édifices peuvent parfois présenter des défauts, je m’enquis de la manière de les corriger et de les réparer. Un titre a été donné à chaque livre selon la spécificité de son sujet. Livre I : Linéaments. Livre II : [17] Matériaux. Livre III : Construction. Livre IV : Construction des ouvrages destinés à tous. Livre V : Construction des ouvrages destinés aux catégories particulières de citoyens et d’habitants. Livre VI : Embellissement. Livre VII : Embellissement des ouvrages sacrés. Livre VIII : Embellissement des ouvrages publics profanes. Livre IX : Embellissement des ouvrages privés. Livre X : Réparation des ouvrages. Ont été ajoutés les traités sur Le Navire, la Technique du bronze, l’Histoire du nombre et des lignes et Ce sur qui est utile à l’architecte dans l’exercice de sa profession15. LBA Notes : 1. Ars (art) est l’équivalent en latin du grec teknè. Ce terme s’applique donc ici à tous les savoir-faire humains, sans privilège des activités plastiques, que Vasari appellera les « arts du dessin ». Il ne peut, a foriori, être réduit aux activités esthétiques subsumées en français au XVIIIe siècle sous l’expression « beaux-art ». Cf. Paul Oskar Kriseller, « The modern system of the arts », in Renaissance Thought and the Arts, Princeton, Princeton University Press, 1965. Pour une définition des arts chez Alberti, cf. De familia, op. cit., livre II, p. 178, 1. 2041. 2. Première apparition de la triade nécessité, commodité, plaisir (cf, introduction p.20-21). 3. Acte de naissance de l’architecte libéral. A rapprocher de De pictura, II,26 qui dissocie le statut du peintre de celui des artisans (arifices, fabri), sans non plus le désigner par un substantif propre. Le thème est repris pas Filarète dans le traité, qu’il a écrit en volgare, vraisemblablement dans les années 1460-1464 (cf. Trattato di architettura, éd. Anna Maria Finoli et Liliana Grassi, Milan, II Polifilo, 1972), et sera quasiment retranscrit par Philibert De l’Orme dans la préface de son Premier livre de l’Architecture (1567 ; facsimilé de l’édition 1648, Liège, Pierre Mardaga, 1981), où il oppose le « docte et savant architecte » à un «maître maçon et à un maître charpentier» (p.7 r-v). 4. Premier schéma métamythique de l’architecture. Cf. introduction, p.24. 5. Allusion à l’exil de la famille d’Alberti. 6. Diodore de Sicile [Dio. Sic. ], Bibliothèque historique, IV, 78 7. Pour Alberti, l’architecte réunit toutes les compétences du bâtisseur, il est au premier chef ingénieur. 8. Xénophon [Xen.], Economique [Oec.], XXI, 8 9. Dans le dialogue Profugiorum ab aerumna libri III (Sur les moyens d’assurer la tranquilité de l’âme), Agnolo Pandolfini, après avoir indiqué qu’il chasse ses soucis en composant des poèmes, en développant des argumentations , en « construisant en esprit quelque machine inédite », ajoute : « de même, il m’arrive de composer et d’édifier mentalement quelque édifice très élaboré et d’en disposer avec ordre et proportion les colomnes, assorties de leurs chapîteaux et de bases insolites...» (in Opere volgari, éd. Cecile Grayson , Bari, Laterza, 1966, p.182, 1. 2-7). 10. Avant de s’intéresser à leurs caractéristiques architecturales propres, les contemporains de Pétrarque et les humanistes de la génération précédant celle d’Alberti ont d’abord vu dans les ruines antiques une sorte de mémento et de confirmation du témoignage des histriens antiques, comme le constate encore chez de nombreux antiquaires jusqu’au XIXe siècle. Cf. R. Krautheimer, Lorenzo Ghibert, op. cit., p. 294-295, et Postface, p. 551. 11. Thucydide [Thuc.], Guerre du Péloponnèse, I, 10, 2. 12. Première apparition de cet axiome oprératoire (cf. Introduction, P.22) 13. Cf. infra, livre I, chap. 1, p.55 et n.1. 14. Son interêt pour la technique et sa pratique des chantiers font conférer par Alberti un rôle à part entière à l’artisan et au savoir-faire manuel. On trouve la même attitude dans le Trattato de Filarète. 15. Le premier traité est évoqué dans le De re aedificatoria, au livre V, chap. 12, p. 249, et le troisième au livre III, chap.2, p. 142 ; le deuxième traité (aeraria) renvoie non pas aux finances (aerarium), comme on le traduit habituellement, mais à la fonte du bronze. Extrait de : De Re Aedificatoria (1485) Leon Battista Alberti _ Prologue, ed. Seuil, Paris, 2004, p.47

vii


A la recherche de la beauté Relire DE RE AEDIFICATORIA _ FE

De re Aedificatoria, ouvrage de Leon Battista Alberti de la deuxième moitié du 15ème siècle, est un véritable traité sur « l’art d’édifier ». Il pose, ici, les bases modernes d’une réelle théorie de l’édification. Les règles exposées ainsi que les considérations d’ordre plus général ont une portée universelle car elles sont énoncées pour faire face à la diversité des situations propres à une discipline autonome. Les réflexions exposées conservent une actualité certaine pour qui veut tendre vers le beau, solide et utile. Cet ouvrage est partagé entre théorie et pratique. Alberti prouve ici sa fine connaissance des matériaux, de leur mise en œuvre, ainsi qu’un réel savoir du chantier. Il démontre aussi sa posture d’intellectuel à travers la construction d’une pensée tournée vers un art total. • Le soleil s’arrête un instant sur la façade de Santa Maria Novella. Le soleil passe vite en décembre. Et pendant cet instant la place de l’église s’agite. La lumière change. Les rayons de l’hiver la rendent plus bleue. Les gens marchent vite. Il fait froid. La fumée qui sort de leurs bouches dessine leurs courses. L’air frais suspend la beauté. La pierre semble plus dure. La solennité du Palazzo Ruccelai fige la rue, l’ordonne, et la ville dans son agitation continue, s’assoit à son rythme inébranlable. Extraites d’un temps, du temps de la beauté, les œuvres d’Alberti transmettent la grâce de la passion, de l’amour heureux, de la connaissance vitale. Elles partagent leurs autorités et leurs gravités avec les rues et les places auxquelles elles font face. Ce n’est plus simplement l’œuvre que l’on observe, mais toute la place, toute la rue, qu’elle emporte dans sa danse délicate avec le temps. L’atmosphère de la place respire l’air de Santa Maria Novella. L’air se charge de ses couleurs, de sa dignité. Nous ne pouvons croire ce que nous entendons raconter sur Alberti, que son travail n’est que raison, rigueur et mathématique. Il l’est, certes, car la beauté est le fruit de l’esprit et son œuvre sera toujours plus belle que le travail de la nature. Mais elle se nourrit aussi de la belle peinture, de la partition musicale harmonieuse qu’il pratique et de la belle langue qu’il défend. Son intérêt pour la science et les préoccupations de son époque, qui portent autour de la place de l’homme, et de la raison, dans l’art, lui sont familier, néanmoins son goût prononcé pour les arts, complète et affine sa sensibilité. « Car tous les arts qui contribuèrent à émouvoir et à retenir les âmes ressemblent à la lyre, en faisant harmonieusement répondre les voix graves aux aiguës et résonner les voix moyennes avec celles-ci, produit par leur variété une merveilleuse correspondance d’accord sonores qui nous charme et nous captive au plus haut point ».1 Il transmet cet équilibre à la ville. Chez Alberti, comme chez ses prédécesseurs, l’observation de la nature nourrit ses recherches qui conduisent à une vision organique de l’édification. Organique à toutes les échelles, puisqu’il pense la ville comme un édifice, constituée de parties dépendantes les unes des autres, que ce soit dans l’usage comme dans la forme. Ces rapports à installer sont le travail de l’architecte. La partition qu’il doit jouer pour mettre les

lignes, les angles, les volumes, en proportion entre eux. Chaque partie ou plutôt chaque organe doit être dessiné afin de rentrer dans un rapport juste avec les autres, de les faire travailler les uns pour les autres, et ainsi, conquérir la grâce de la belle anatomie. Françoise Choay énonce le concept de « beauté organique ». Il travaille pour cela en suivant ses propres règles d’économie de la construction, qui concernent autant l’utilisation des matériaux que l’organisation en plans, coupes et élévations des parties de l’édifice entre elles ainsi qu’un souci d’économie des dépenses. Cette économie n’a pas d’autre dessein que de constituer un corps parfaitement dépendant de chacune de ses parties, et de concentrer les efforts et les moyens. C’est pourquoi il consacre un temps important à la réflexion, qui permet de synthétiser une pensée en un objet complet, dans lequel il devient impossible de retrancher quoique ce soit sans toucher à l’intégrité du tout. Cette beauté organique doit alors, pour nous émouvoir, répondre à des principes qu’il énonce. Il distingue, le numerus (nombre de parties semblables et des parties distinctes), le finitio (la proportion des parties entre elles) et le collocatio (position des parties entre elles et par rapport à l’œuvre). La synthèse des trois permettant théoriquement d’atteindre la concinnitas, cet équilibre de la forme qui harmonise la production de l’homme avec les règles fondamentales de la nature. Ainsi, l’unité d’une œuvre humaine bien constituée peut atteindre la solennité des fruits de la nature qui, derrière une simplicité formelle, dissimulent une richesse de composition prodigieuse afin de répondre à des besoins multiples. La production d’une œuvre de qualité apporte à son créateur l’immortalité de sa pensée qu’il transmet aux futures générations. Seules les œuvres pures qui font avancer la discipline retiennent notre regard. Elles seules méritent d’être analysées, critiquées et admirées. Elles seules nous font avancer. Alberti le sait. La beauté, l’amour de la beauté naissent du désir de procréation, de transmission de soi, puisque seul par la reproduction de la chair ou par la fabrication de la beauté, l’immortalité peut être atteinte. « Mais pourquoi de la « procréation » ? Parce que pour un être mortel, la génération équivaut à la perpétuation dans l’existence, c’est à dire à l’immortalité. Or le désir d’immortalité accompagne nécessairement celui du bien, d’après ce que nous sommes convenus, s’il est vrai que l’amour à pour objet la possession éternelle du bien. De cette argumentation, il ressort que l’amour a nécessairement pour objet aussi l’immortalité ».2 La beauté, construction multiple, puise dans son époque les préoccupations de celle-ci, sa saveur, et se construit sur les vestiges du passé qui nous parviennent. C’est ainsi que la vie, le mouvement, le renouveau, participent à l’immortalité de la beauté. « C’est ici une belle occasion, en vérité, pour établir une théorie rationnelle et historique du beau, en opposition avec la théorie du beau unique et absolu ; pour montrer que le beau est toujours, inévitablement, d’une composition double, bien que l’impression qu’il produit soit une ; car la difficulté de discerner les éléments variables du beau dans l’unité de l’impression n’infirme en rien la nécessité de la variété dans sa composition. Le beau est fait d’un élément éternel,

invariable, dont la quantité est excessivement difficile à déterminer, et d’un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion ».3 Alberti construit en entrelaçant la beauté dégagée des obsessions de la Renaissance (proportions, harmonie, travail sur la perspective) avec la beauté issue de l’héritage des anciens (San Miniato, les romains, Brunelleschi, Donatello). Par l’amour de la beauté, par sa construction ainsi que par sa composition double décrite par Baudelaire, Alberti pose les questions, nous fait avancer et devient immortel. Cette science du beau, ce souci pour atteindre le bien évoqué par Platon, semble pouvoir procurer un plaisir intense, la joie simple mais enivrante, de pouvoir contempler la beauté en elle même qui est la fin ultime de l’édification. Léon Battista Alberti, bien que n’ayant que peu construit, a laissé les témoignages suffisants pour approcher son imperturbable parcours où s’unissent la sensibilité et la raison. Introduisant une pensée organique de l’édification selon une méthode définie, tout en souhaitant laisser une trace pérenne d’une œuvre accomplie. Sa vie durant, son seul but aura été d’élever l’art et de trouver la voie de la beauté. Celle que l’on désire avoir et garder. Celle dont on tombe amoureux. Et nous, remis de cette petite histoire, lorsqu’émergent au cours de notre déambulation florentine, Santa Maria Novella ou encore le Palazzo Ruccellai, nous aimons une fois encore, respirer, sentir, apercevoir, l’espace renaissant invisible de l’air. FE Notes : 1. Léon Battista Alberti, L’Art d’Edifier, éd. du Seuil, septembre 2004, p81 2. Platon, Le banquet, éd. Flammarion, août 2007, p150 3. Charles Baudelaire – Le peintre de la vie moderne –éd. du Sandre, mai 2009, p.9 Ouvrages consultés : - Michel Paoli, Léon Battista Alberti 1404-1472, éd. de l’imprimeur - Françoise Choay, La règle et le modèle, éd. du Seuil Illustration : Santa Maria Novella d’Alberti un après midi d’hiver _ FE


ix


Zaha Hadid

Construire

Duchesse de Guermantes _ MGDL

MIRKO & DARIO BONETTI

1

L’architecture de Zaha Hadid pourrait-elle être jugée comme orgueilleuse ? Ses postures urbaines pourraitelles être interprétées comme une indifférence vis à vis de bâtiments qui ne seraient pas à la hauteur de sa classe ? Les prises de position revendiquées par Zaha Hadid sont à l’origine de fractures qui fragilisent l’organisation d’une ville. L’argumentation ici développée n’est pas un exercice rhétorique ou une critique de bon ton. C’est bien un problème éthique dont il s’agit, exposé en quelques arguments simplifiés. Argument A _ L’architecture de Zaha Hadid est-elle de l’Architecture ? On pourrait reprocher à Zaha Hadid de faire de l’architecture sans se poser des questions d’architecte. Elle travaille une forme dans un espace virtuel : la confrontation à l’espace matériel qui accompagnera le bâtiment est retardée le plus possible. Seuls la recherche plastique, l’application d’un répertoire de codes esthétiques et un résultat volumétrique dirigent ses études. Elle pose dans la ville un nouvel objet : le quartier devra s’adapter, se construire autour de cette forme parasite. Son architecture ne s’intéresse pas à l’existant, à l’histoire singulière d’un site ou d’une culture ; ses bâtiments sont interchangeables, à la manière du MobileArt, déposé à New York, Tokyo et maintenant à Paris, sans aucune différence. Incapable d’apporter des solutions urbaines, Zaha Hadid signe une collection de totems qu’il conviendra de considérer avec le recul nécessaire. Cette accumulation d’objets architecturaux est a rapprocher du Romantisme que définissait Paul Valery : « La simulation, l’exagération (qui est simulation par l’intensité de l’expression), la facilité, où tombent toujours ceux qui ne visent qu’à produire des sensations immédiates, sont les vices de ce moment [Romantique] des arts »2. Cette piste infertile qu’identifie Paul Valery semble se rapprocher de celle dans laquelle s’engouffre Zaha Hadid et ses disciples. Argument B _ L’architecture de Zaha Hadid est-elle pour l’Homme ? Ces formes n’ont pas d’échelles : les chaussures qu’elle dessine ressemblent à ses bâtiments, les bâtiments qu’elle dessine ressemblent à ses chaussures. Si l’homme peut rentrer dans les volumes de ses réalisations, les espaces que le visiteur traverse n’ont rien en commun avec sa taille et ses besoins. Il va devoir s’adapter à cette plasticité, à ces formes aux lignes qui miment un mouvement dynamique. Zaha Hadid oublie l’essentiel : l’Homme est le seul élément réellement dynamique d’une Architecture ; il est le visiteur capable de mettre l’espace en mouvement par la maîtrise de son propre déplacement - les gesticulations de cette architecture semblent alors superflues. Au final, tous les espaces de ces bâtiments sont des résidus : leurs proportions, leurs agencements, leur lumière naturelle sont le négatif d’une recherche pelliculaire. L’usager, l’habitant, devient un squatteur (de l’anglais « s’accroupir ») ; un individu évoluant dans un environnement qui ne lui est pas destiné. Ce mépris pour l’Homme et son confort devrait nous sembler révoltant.

Argument C _ L’architecture de Zaha Hadid est-elle pérenne ? L’architecture de Zaha Hadid ne fonctionne qu’au présent. Son manque de considération pour l’environnement bâti qu’elle vient compléter, sa conception fragmentée d’une Histoire de l’Architecture qu’elle refuse de voir comme un ensemble homogène et son besoin de se distinguer à tout prix, l’empêchent d’ancrer sa production dans une Histoire pérenne et continue de l’Architecture : ses bâtiments sont périssables. Les formes, les matières et les outils qui constituent sa signature sont bien d’aujourd’hui ; mais cette adéquation fusionnelle avec les tendances esthétiques de notre époque laisse présager une répulsion rapide. Giorgio Agemben fixe ce concept avec une grande clarté : « La contemporanéité est donc une singulière relation avec son temps propre, auquel on adhère tout en prenant ses distances ; elle est très précisément la relation au temps qui adhère à lui par le déphasage et l’anachronisme. Ceux qui coïncident trop pleinement avec l’époque, qui conviennent parfaitement avec elle sur tous les points, ne sont pas des contemporains parce que, pour ces raisons mêmes, ils n’arrivent pas à la voir »3. Enfermée dans une esthétique contemporaine (déjà « datée » puisque datée d’aujourd’hui), Zaha Hadid bloque toute relation possible avec une histoire passée et en devenir. MGDL

Notes : 1. La duchesse de Guermantes est un personnage de la Recherche du Temps perdu, de Marcel Proust. E-mail envoyé par E.P. le 5 mars 2012 à 13h59 : « En quelques mots voici qui est Oriane, duchesse de Guermantes, personnage important de la Recherche : D’abord déçu par son physique, le narrateur de Proust en tombe amoureux. Mondaine, prescriptrice des canons de la mode dans les salons parisiens, notamment dans le sien, tout le monde en quête de respectabilité sociale veut se référer à elle ; elle est hautaine, indifférente à tout ce qui n’est pas à la hauteur de sa classe. Mais sa notoriété ne dure qu’un temps .... Son déclin mondain est relaté dans le Temps Retrouvé : son esprit s’émousse, son physique se dégrade : elle est socialement déclassée. » 2. Paul VALERY, Degas Danse Dessin, Folio Essais, 2008, p.197 3. Giorgio AGEMBEN, Nudité, Bibliothèque Rivages, 2009, p.25

« Migliorare lo spazio di vita dell’uomo, non vi è altro senso nel costruire ». Il nostro contributo sul tema costruire potrebbe iniziare e concludersi con questa fulminante sintesi di Aurelio Galfetti. Il grande entusiasmo dimostrato dai redattori di Cosa Mentale nell’invitarci sulle loro pagine merita sicuramente una riflessione supplementare. Accettiamo così l’invito con gran piacere ed altrettanta ingenuità. Passata l’euforia iniziale ci siamo infatti chiesti se fossimo le persone più indicate per affrontare un tema così ampio e variegato. In quindici anni d’attività abbiamo progettato moltissimo e costruito pochissimo. Ci siamo però rassicurati all’idea di aver avuto la fortuna, non solo di costruire, ma anche di poter seguire tutte le fasi dei pochi progetti realizzati ; dai primi schizzi d’intenzione alla posa dell’ultima pietra e, alle volte, anche oltre. Di questo lungo e faticoso percorso ci piacerebbe evocare due aspetti solo apparentemente in contrasto tra loro. Il primo legato alla dimensione più intima ed egocentrica del nostro mestiere, il secondo legato alla dimensione pubblica del nostro fare. 1_ Costruire dovrebbe essere l’esito naturale del processo di progettazione, la logica traduzione dell’idea in oggetto, del progetto in architettura. Consideriamo i progetti rimasti sulla carta, reclusi negli archivi, come dei figli eternamente adolescenti. Progetti che fanno certamente parte del nostro bagaglio professionale e per i quali nutriamo, forse un po’ pateticamente, un grande affetto, ma con i quali non siamo in grado di confrontarci con il necessario distacco. Costruire significa traghettare un progetto dall’adolescenza alla fase adulta, accettando i rischi, le conseguenze e, qualche volta, le sorprese che ciò può comportare. Certo una bella avventura ! Sapere progettare e disegnare un muro è una cosa importante, necessaria. Saperlo difendere dalle esigenze specialistiche e settoriali, definirne l’esecuzione, vederlo fondare e crescere, capirne la logica costruttiva, apprezzarne i rapporti con il territorio, l’inserimento nel luogo, o meravigliarsi per il modo in cui la luce ne lambisce le superfici, valutare gli spazi che genera, comprenderne le mancanze e i difetti, per poi finire con il capire qualcosa in più sul senso di un muro, lo è sicuramente altrettanto. In questo senso costruire è una condizione essenziale per l’architetto e per l’architettura, perchè in questa condizione si trova lo spazio per un confronto inequivocabile con il contesto nel quale siamo chiamati ad operare. Un’opportunità concreta per rapportare direttamente il progetto alla dimensione territoriale, urbanistica e architettonica; l’occasione unica per inserire un’idea in una prospettiva storica e sociale che non lascia spazio ad alcun alibi. Certo una grande opportunità ! È in questo confronto critico tra l’idea e la sua realizzazione, alle volte sorprendente, alle volte impietoso, che troviamo gli spazi per riformulare i problemi, che nuove questioni si sollevano e che le convinzioni, ritenute assodate, mutano ed evolvono. In questo confronto, un progetto dopo l’altro, una costruzione dopo l’altra, troviamo la via per progredire come architetti. Questa opportunità di confronto va però difesa. Il nostro


ruolo di progettisti e costruttori di un migliore spazio di vita per l’uomo va rivendicato. Come architetti rileviamo una costante erosione delle nostre competenze. Molte sono le figure specialistiche, certamente utili, che si sono ritagliate uno spazio nella nostra disciplina e ciò non di rado con la nostra stessa complicità. Sempre più tardi veniamo coinvolti nel processo di progettazione di un’opera (normalmente quando le decisioni strategiche o quantomeno determinanti per un progetto sono già state prese) e sempre più presto tendiamo a venirne esclusi (con l’attribuzione della realizzazione dell’opera a sedicenti specialisti). Nella concessione di questa delega, o in questa esclusione, si cela però un’insidia per la qualità del progetto perché la sua evoluzione e la sua maturazione raramente si concludono con la stesura dell’ultimo piano esecutivo e dell’ultimo dettaglio. 2_ Costruire non è però solo un mero esercizio di verifica empirica delle nostre personali aspirazioni progettuali. I limiti e le contraddizioni del nostro modello di sviluppo, più vorace che capace di ordinare e coordinate l’impiego delle risorse, si sono oggi più che mai palesati. Il confronto con i temi dello sviluppo sostenibile, dell’ecologia, della qualità dell’ambiente naturale e di quello costruito, non può più essere demandato. In questo quadro e nel nostro ambito, ogni intervento costruito, piccolo o grande, pubblico o privato, trasforma un territorio, modifica un paesaggio, compone un pezzo delle nostre città, ridisegna lo spazio collettivo; diventa, in altre parole, una componente della nostra quotidianità ed una testimonianza della nostra cultura del fare. L’atto del costruire ha quindi una dimensione pubblica e, in quanto tale, etica. Un’affermazione che potrebbe apparire oggi più che mai banale e scontata. Forse. Meno banale e scontato ci pare invece cercare di agire da architetti con la consapevolezza di questa dimensione. Quante risorse, territoriali, materiali e umane sono implicate nella costruzione! Possiamo ancora permetterci di sprecarle per ignoranza, o peggio ancora per semplice opportunismo? Quante aspettative e quante speranze si celano nell’atto del costruire! Possiamo veramente permetterci di deluderle? Ma quale altro mestiere, pur carico di responsabilità, concede la realizzazione delle tue visioni ? (… con mezzi altrui!) Luigi Snozzi in uno dei suoi aforismi afferma: « Ogni intervento richiede una distruzione, distruggi con senno ». Ci piace anche ricordare che spesso ama aggiungere: « … e con gioia ! ». Forse sarebbero state sufficienti queste due citazioni. MD&DB

Traduction de SC et CM : « Améliorer l’espace de vie de l’homme, il ne faut pas chercher d’autre sens au construire ». Notre contribution au thème construire aurait pu commencer et terminer avec cette synthèse lumineuse d’Aurelio Galfetti. Pourtant, le grand enthousiasme démontré par la rédaction de Cosa Mentale en nous invitant à participer à sa revue mérite un effort supplémentaire. Nous acceptons donc l’invitation avec grand plaisir et autant de naïveté. Après cette première réaction enthousiaste, nous nous sommes très vite demandé si nous étions vraiment les personnes les plus indiquées pour affronter un sujet aussi ample et vaste. En quinze ans d’activité nous avons en effet beaucoup projeté et très peu construit. Mais nous nous rassurons en pensant à la chance que nous avons eu de ne pas seulement avoir construit, mais d’avoir pu suivre toutes les phases des quelques projets réalisés ; depuis les premiers croquis d’intention à la pose de la dernière pierre et, certaines fois, même plus que ça. De ce long et fatigant parcours nous aimerions évoquer deux aspects seulement en contraste entre eux. Le premier lié à la dimension plus intime et égocentrique de notre métier ; le deuxième lié à la dimension publique du faire de l’architecture. 1_ Construire devrait être le résultat naturel du processus de projet, la traduction logique de l’idée en objet, du projet en architecture. Nous considérons les projets qui sont resté sur le papier, enfermés parmi les archives, comme des enfants toujours adolescents. Il s’agit de projets qui font certainement partie du notre bagage professionnel et pour les quels nous éprouvons, peut être un peu pathétiquement, une grande affection, mais auxquels nous ne sommes pas capables de nous confronter avec suffisamment de détachement. Construire signifie accompagner un projet de l’adolescence à la phase adulte, en acceptant les risques et le conséquences et, certaines fois, les surprises que cela peut porter. Il s’agit certainement d’une belle aventure ! Savoir faire du projet et dessiner un mur est une chose importante, nécessaire. Il est tout aussi nécessaire de savoir le défendre des exigences spécialistes et sectorielles, d’en définir l’exécution, de le voir se fonder et grandir, d’en comprendre la logique constructive et d’en apprécier les rapports avec le territoire, l’insertion dans le lieu, ou de s’émerveiller pour la façon dont la lumière touche les surfaces, d’estimer les espaces qu’il génère, d’en comprendre les erreurs et le défauts pour, à la fin, comprendre quelque chose en plus sur le sens d’un mur. Dans ce sens là, construire est une condition nécessaire pour l’architecte et pour l’architecture, parce que dans cette condition se trouve le lieu d’une confrontation nécessaire avec le contexte dans le quel on est appelé à opérer. Une opportunité concrète pour rapporter directement le projet à la dimension territoriale, urbanistique et architectonique ; l’occasion unique pour insérer une idée dans une perspective historique et sociale qui ne laisse pas de place aux alibis. Il s’agit certainement d’une grande opportunité ! Et c’est dans cette confrontation critique entre l’idée et sa réalisation, parfois surprenante, parfois impitoyable, que nous trouvons les espaces pour reformuler les problèmes, que de nouvelles questions se soulèvent et que les convictions, que nous croyons établies, changent et évoluent. Dans cette confrontation, projet après projet, construction

après construction, nous trouvons le chemin pour progresser en tant qu’architectes. Cependant il faut projeter cette opportunité de confrontation. Notre rôle de projeteurs et de constructeurs d’un meilleur espace de vie pour l’homme doit être revendiqué. En tant qu’architectes nous assistons à une érosion constante de nos compétences. Nombreuses sont les figures spécialisées, certainement utiles, qui se sont appropriées un fragment de notre discipline, et cela souvent avec notre propre complicité. Nous sommes impliqués dans le projet d’une œuvre toujours plus tard (normalement quand les décisions stratégiques ou au moins déterminantes pour le projet ont déjà été prises) alors que nous tendons à être exclus toujours plus tôt (avec l’attribution de la réalisation de l’œuvre à des spécialistes). Mais dans la concession de ce rôle, ou dans cette exclusion, se cache un danger pour la qualité du projet parce que son évolution et sa maturation se concluent rarement avec le dessin du dernier plan d’exécution ou du dernier détail. 2_ Construire n’est pas seulement un simple exercice de vérification empirique de nos aspirations personnelles pour le projet. Nous avons désormais compris les limites et les contradictions de notre modèle de développement, plus vorace que capable d’ordonner et de coordonner l’utilisation des ressources. La confrontation avec les thématiques du développement durable, de l’écologie, de la qualité du milieu naturel et du « milieu construit », ne peut pas être reporté. Dans ce cadre et dans notre métier, chaque intervention construite, petite ou grande, publique ou privée, transforme un territoire, modifie un paysage, compose un morceau des nos villes, redessine l’espace collectif ; devient, en d’autres mots, un composant de notre quotidienneté et un témoignage de notre culture du faire. L’acte de construire a donc une dimension publique et donc éthique. Une affirmation qui, peut-être, apparaît aujourd’hui plus que jamais banale et entendue. Peut-être. Par contre chercher à agir comme des architectes avec la conscience de cette dimension nous semble moins banal et entendu. Combien de ressources territoriales, matérielles et humaines sont impliquées dans la construction! Pouvons nous encore nous permettre de les gâcher à cause de notre ignorance, ou même pire, à cause du notre opportunisme ? Tant d’illusions et tant d’espérances se cachent dans l’acte de construire! Pouvons nous vraiment nous permettre de les décevoir ? Et quel autre métier que le notre, même autant chargé de responsabilités, peut permettre la réalisation de ses visions ? (…avec des moyens d’autrui !) Luigi Snozzi affirme dans un de ses aphorismes : « Chaque intervention nécessite une destruction, détruit avec sagesse ». Nous aimons nous rappeler que souvent il aime ajouter : «…et aussi avec joie ! ». Peut-être que ces deux citations auraient été suffisantes. MD&DB

xi



Illustrations de Dario Bonetti _ Extension de maison au bord du lac

xiii


Une ligne horizontale Sur le Garagem De Barcos Clube Santa Paula, São Paulo, 1961 de J.B. Vilanova Artigas et C. Cascaldi _ GP

Au Brésil, le courant brutaliste apparaît à partir du début des années 50 dans des œuvres de Rio de Janeiro à Sao Paulo influençant une génération d’architectes paulistes. Contemporaine à la construction de Brasilia, cette nouvelle pensée se revendique Architecture Nationale mais c’est cependant dans la ville de Sao Paulo que l’utilisation du béton brut est le plus signifiante. Artigas, né dans les années 20, fait ainsi partie de cette génération d’architectes responsables de la radicalisation du langage moderne et d’un nouveau langage urbain. Ingénieur puis architecte, son expression architecturale évoque toujours la rationalisation du processus constructif développant des solutions avant gardistes. Une hétérogénéité formelle et matérielle s’annonce ainsi dans de nombreuses œuvres Pauliste de la même époque, la définissant de cette façon peu à peu de Brutaliste. Par cela, notons que la deuxième moitié du 20ème siècle fut également marquée par l’organisation de la première biennale d’art moderne à Sao Paulo (1951) grâce à laquelle l’architecture pauliste, déjà connue dans l’architecture moderne brésilienne, sera alors reconnue par ses qualités d’avant garde à l’international. L’architecture Brutaliste Pauliste peut désormais être mise en avant comme une pensée ayant ses propres qualités, considérées comme universelles et atemporelles, se démarquant peu à peu de l’école Carioca, courant originaire de Rio, plus connu par son maître Oscar Niemeyer et ses architectures formelles. • Une ligne horizontale. Du béton brut. Une présence construite dans ce milieu végétal. Elle s’épaissit et dessine une grande dalle qui se dégage. Nous nous trouvons face au garage de bateaux de Santa Paula Yate Club. Projet singulier où l’aboutissement d’un travail structurel et formel est appliqué à un édifice relativement petit et de programme très simple. Entre terre et bras de mer, il vient redessiner la rive en un geste unique. Non loin du barrage de Guarapiranga, les bords de ce réservoir d’eau, riche réserve naturelle, sont d’abord connues sous le nom de « mer de Sao Paulo », fruit de larges visions modernes. (Puis abandonnés depuis quelques années, les constructions de ses abords souffrent de détérioration provoquée par la totale absence d’entretien). La structure du garage à bateaux est à couper le souffle. La longue et fine couverture horizontale frôle le sol pour ne rentrer en contact avec lui qu’au moyen de 8 points d’appuis précisément dessinés. De cette façon, l’élément supérieur se libère du sol, et l’ombre qu’il crée en dessous semble le faire flotter au dessus du site.

Le garage à bateaux, comme son nom l’indique, divise son programme entre terre et mer. Il accueille embarcations et piétons par un travail en coupe du sol. La marée, dans son doux balancé, et le sol, peuvent ainsi aisément se rencontrer sous cet abri. Abri qui en un instant solutionne la forte chaleur par son ombre épaisse. L’intérêt de ce petit édifice, outre le fait qu’il renvoie à une mythologie de l’abri primitif (expression d’une dalle horizontale comme celle d’une couverture d’un dolmen), c’est l’unité originelle de conception qu’il porte et qui retient la trilogie Vitruvienne à un ensemble –solide– utile–beau. Si selon Wassily Kandisky le point est le zéro, alors, la ligne serait un. Un, comme symbole d’unité. Construite dans une direction précise, la dalle reprend, dans une horizontalité parfaite, l’image de la ligne d’horizon, équilibre connu, intemporel et immuable. L’horizontale correspond, dans la conception humaine, à la ligne ou à la surface sur laquelle l’homme se repose et se meut. L’horizontale est donc une base de soutien. Elle est une ligne connue qui devient rassurante. Ici, contrôlée dans sa longueur, elle peut être embrassée entièrement par le regard. Avant de prendre de l’épaisseur, c’est sa double dimension qui nous attire. Parallèle au sol sur lequel on se tient, la surface s’étend, offrant ainsi une transparence totale sur le reste du paysage. C’est enfin dans la troisième dimension qu’elle exprime toute sa matérialité. En dalle ou en volume (si elle contient du programme ou non), la couverture créée avec le sol une tension et cadre par ses propres limites le vide existant. Le vide devenant un espace habité dont la dalle horizontale devient à elle seule le repère spatial. De la même façon, on retrouve l’exactitude de ce travail dans de nombreux projets de Villanova Artigas. Ce rapport brut à la matière, la dimension allongée de la ligne, retenue, réduit au regard l’effet lourd des masses construites. Structure, entre rêve et réalité. Face à cet élément de composition, on médite encore. Touchés par l’habilité d’ Artigas on déchiffre peu à peu la puissance contenue dans le dessin qu’il parvient à maîtriser pour adoucir ses projets. De façon très simple, la dalle horizontale, structure totale, devient ici solution architecturale. Elle règle le rapport au site, le parcours et la lumière. Et c’est dans ce jeu savant à travers l’ordre, la matière et la transparence qu’il se dégage de ce petit monument le sentiment d’équilibre et de légèreté. GP « J’admire les poètes. Ce qu’ils disent en deux mots, il nous faut l’exprimer par des milliards de briques ». J.B. Vilanova Artigas, 1973

En En réponse réponse àà l’inquietude l’inquietude IlIlyyaalalaculture cultureetetl’engagement l’engagement__BM BM

« L’urbanisme est issu de l’architecture. Mais entre l’art des grands bâtisseurs et l’urbanisme d’aujourd’hui, la matière s’est enrichie, transformée, compliquée à la mesure de la civilisation dont elle est une sorte de vitrine ».1 Une inquiétude _ 25 février, Le Monde.fr rubrique « Société », par Nathaniel Herzberg L’article s’intitule «Le Paysage français, grand oublié des politiques d’urbanisation ». Il est écrit en réaction à l’intervention télévisuelle le 29 janvier du président/futur candidat Nicolas Sarkozy qui annonçait sa volonté d’augmenter de 30% les droits à construire sur tout immeuble, toute maison et tout terrain qui ne soit pas inscrit au patrimoine naturel ou au patrimoine historique. Alors, prenant cette proposition de loi comme un détonateur, le journaliste met le doigt sur l’état et les conditions de la construction du territoire français aujourd’hui, sur le rôle et les responsabilités des différents acteurs. Il énonce toutes les problématiques urbaines et architecturales contemporaines auxquelles nous, jeunes professionnels, allons être confrontés dans l’exercice de notre métier. L’étalement urbain et la consommation de l’espace par les politiques de lotissements, la disparition de l’identité des communes, la question des entrées de villes et de la place de la voiture constituent les réels grands enjeux de l’urbanisme contemporain auxquels il va falloir tenter d’apporter des réponses, comme l’ont amorcé les projets proposés dans le cadre du Grand Paris et comme le fait aujourd’hui la Hollande par exemple. Voilà un extrait de cet article: « Jean Attali, philosophe et professeur d’urbanisme à l’École nationale d’architecture de Paris-Malaquais, renchérit : «Lorsque mes amis architectes critiquent la maison individuelle, il y a un léger biais qu’ils omettent de signaler, à savoir que ce marché leur échappe très largement. En France, le recours à un architecte n’est obligatoire qu’à partir de 170 m2. Je suis donc toujours un peu mal à l’aise quand je les entends prendre pour cible la maison individuelle.» … Il invite architectes, urbanistes, sociologues, juristes et économistes à changer de nature : «Qu’ils ne se vivent plus comme des dompteurs qui descendent dans l’arène expliquer aux fauves qu’ils ont tort de rugir, mais comme des accoucheurs de la co-construction.» … Pourtant, presque tous reconnaissent à la proposition deux mérites : celui de mettre le doigt sur un des maux de notre époque, ce que le géographe Michel Lussault nomme «la procéduralisation de la ville», ce maquis de lois, de règlements, de contraintes qui finit par étouffer toute dynamique urbaine (et architecturale). Et également celui de poser les questions du rôle des individus ordinaires dans la fabrique de la cité ».2 La lecture de ce papier et de ces témoignages sur la position des architectes dans la société et sur l’état de l’urbanisme en France aujourd’hui m’a sérieusement


interpellé et questionné. Cet article fait donc état d’un questionnement, ou plutôt d’une inquiétude. L’inquiétude d’un futur architecte, qui à l’aube de sa vie d’exercice et de recherches, se retrouve face à un magma de règlements, de contraintes, de questions irrésolues sur les conditions de la pratique, le statut, la responsabilité et l’engagement de l’architecte urbaniste dans les grandes décisions pour la construction de la ville aujourd’hui et la conservation du territoire demain. Afin d’apaiser ce doute soudain, je me suis intéressé au statut légal de la profession, ou plus simplement au rôle de l’architecte dans la société, l’architecte comme protagoniste séculaire de la construction du territoire, définit par la loi 77-2 du 3 janvier sur l’architecture, qui donna naissance à l’Ordre des architectes. Un rappel sur le rôle de l’architecte _ Loi 77-2 du 3 Janvier 1977 modifiée sur l’architecture Cette loi constitue les fondements juridiques de la profession d’architecte. Elle a institué et réactualisé l’ordre des architectes créé en 1940 sous le régime de Vichy. Cette corporation permet de définir la mission de l’architecte, d’en déterminer son le rôle et ses responsabilités. Extrait du site de l’Ordre des architectes « La vocation de l’architecte est de participer à tout ce qui relève de l’aménagement de l’espace et plus particulièrement de l’acte de bâtir. L’architecte intervient sur la construction, la réhabilitation, l’adaptation des paysages, des édifices publics ou privés, à usage d’habitation, professionnel, industriel, commercial, etc. Son concours est obligatoire pour l’établissement du projet architectural faisant l’objet d’une demande de permis de construire (sauf pour les cas dérogatoires prévus par l’article 4 de la loi sur l’architecture). L’architecte répond aux attentes de chaque usager en veillant au respect de l’intérêt collectif ». Extrait de la loi 77-2 de 1977 sur l’architecture Art. 1er. - L’architecture est une expression de la culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d’intérêt public. Art. 3. - Quiconque désire entreprendre des travaux soumis à une autorisation de construire doit faire appel à un architecte pour établir le projet architectural faisant l’objet de la demande de permis de construire, sans préjudice du recours à d’autres personnes participant soit individuellement, soit en équipe, à la conception. Cette obligation n’exclut pas le recours à un architecte pour des missions plus étendues. Art. 4. - (Modifié par Loi 81-1153 du 29 Décembre 1981, art 1, JORF 30 décembre 1981 ; Loi 2005-157 du 23 février 2005, art. 30, JORF 24 février 2005) Par dérogation à l’article 3 ci-dessus, ne sont pas tenues

de recourir à un architecte les personnes physiques ou exploitations agricoles à responsabilité limitée à associé unique qui déclarent vouloir édifier ou modifier, pour elles-mêmes, une construction de faible importance dont les caractéristiques, et notamment la surface maximale de plancher, sont déterminées par décret en Conseil d’État. Ces caractéristiques peuvent être différentes selon la destination des constructions. Le recours à l’architecte n’est pas non plus obligatoire pour les travaux soumis au permis de construire ou à l’autorisation, qui concernent exclusivement l’aménagement et l’équipement des espaces intérieurs des constructions et des vitrines commerciales ou qui sont limités à des reprises n’entraînant pas de modifications visibles de l’extérieur. • Intervention d’un architecte. L’élaboration et la signature du projet architectural par un architecte sont obligatoires pour toute demande de permis de construire portant sur une construction d’une surface hors œuvre nette (SHON) égale ou supérieure à 170 m2. Art. 7. - (Modifié par Décret 86-984 du 9 Août 1986, art 7 XLIII, JORF 27 août 1986) Le conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement a pour mission de développer l’information, la sensibilité et l’esprit de participation du public dans le domaine de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement. Il contribue, directement ou indirectement, à la formation et au perfectionnement des maîtres d’ouvrage, des professionnels et des agents des administrations et des collectivités qui interviennent dans le domaine de la construction. Un engagement Dans ces quelques articles volontairement extraits de la loi de 1977, les mots sont forts et ont un sens. L’« acte de bâtir », l’«expression de la culture », la « création architecturale », la « qualité des constructions », la « sauvegarde de l’environnement et du territoire » doivent redevenir au cœur des engagements de l’architecte afin de s’attaquer aux nouvelles problématiques urbaines mises en exergue par l’article du monde et énoncées précédemment. Car aujourd’hui, dans un pays considéré comme « terre classique de l‘architecture », un constat est clair : des études à l’exercice, l’architecte n’a plus un rôle de protagoniste sur la scène de la construction et de l’aménagement du territoire car il n’est plus à même de faire respecter et d’appliquer l’objectif culturel et environnemental placé dans la construction. Un phénomène d’apathie se généralise dans les écoles françaises d’architecture qui deviennent petit à petit des huis clos complètement déconnectés de la réalité et désintéressés de la vie politique, artistique, de l’information, etc. La majorité de l’édition exerce la publication d’architecture pour le grand public sans aucune approche critique ni pédagogique, mais uniquement sous l’angle publicitaire et décoratif. A ce sujet, un texte de Maurice Besset publié dans Criticat #6 3 exprime en 1967 ces maux et difficultés liés

à l’indifférence et l’isolement de l’architecture française. Bien qu’écrit il y a plus de 40 années, ce texte reste d’une actualité déconcertante. Et enfin, comme l’évoque l’article de Nathaniel Herzberg, l’urbanisme et l’architecture sont devenus des disciplines abstraites et extrinsèques pour l’opinion. En effet, la mission de conseil, de formation et de sensibilisation du public dans le domaine de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement attribuée à l’architecte par l’article 7 de la loi de 1977 périclite et se désagrège petit à petit. En reprenant les termes de critique d’architecture, ces disciplines « sont devenus plus gestionnaires que réflexives et semblent avoir abandonnés, au profit d’objets architecturaux aussi superficiels qu’éphémères, le rôle moteur qu’il avait voulu reconquérir ».4 « L’urbanisme contemporain connaît une crise de croissance 4». Le débat sur la construction du territoire doit alors être recentré sur les vraies problématiques que rencontre la ville aujourd’hui et de ce fait, être repris en main par les compétences en place, dans un engagement commun entre architectes, urbanistes et paysagistes. Ici résident les enjeux de notre époque pour écrire l’avenir de la ville. BM Notes : 1. Jérôme Chapuisat. 2. Nathaniel Herzberg, Le Paysage français, grand oublié des politiques d’urbanisation, Le Monde.fr rubrique société, 25 février 2012 3. Maurice Besset, New French Architecture/Nouvelle architecture française, Teufen (CH), Arthur Niggli, 1967, p.7, publié dans la revue Criticat #6, sept 2010, p.61-62 4. Françoise Fromonot, Urbanisme, fin de siècle, Criticat numéro 8, sept 2011, p.39-41

xv


Qu’en est-il de l’utopie construite ? Sur les Floralies & le Mirail _ TG

Dans le contexte progressiste qui entoure l’année 1968, l’architecture n’était pas en reste des bouleversements idéologiques. Toutes basées sur un réel optimisme social, les villes nouvelles ont été le terrain d’expérimentation de toute une génération d’architectes qui ont tenté de substituer à la modernité fonctionnaliste des grands ensembles une nouvelle modernité contestataire. Parmi les villes qui ont permis la concrétisation des théories d’ avant-gardes, Toulouse occupe une place prépondérante. A travers l’histoire et l’actualité de deux exemples complémentaires, tentons de tirer les enseignement de cette page singulière de l’histoire de l’architecture. 1_ Les années 60 sont caractérisées par la prise de conscience des effets voir des excès de la croissance sur les modes de vie. Elle conduit par le biais de disciplines annexes comme la sociologie urbaine ou le situationnisme, à une remise en question des manières d’habiter et de pensée la ville. Ces nouvelles préoccupations avaient permis, par le biais du groupe international Team X, la dislocation de la pensée univoque des CIAM et la remise en question du catéchisme de la Chartes d’Athènes. C’est à partir de ce revirement vers des explorations théoriques nouvelles que l’on peut parler d’utopie. Elle prendra deux formes. La tendance futuriste exacerbait le potentiel de la technique pour en faire une solution à la congestion des villes et à l’étalement urbain. La ville spatiale de Yona Friedman, la nouvelle Babylone de Constant ou « Paris sous la Seine » de Paul Maymond furent plus perçus comme des provocations intéressantes que comme des

réponses crédibles. Les recherches des contestataires du Team X se basaient elles sur l’observation des formes anciennes et sur l’apport de la sociologie. Réfutant le rationalisme - les principe de séparation des fonctions et d’architecture objet - ils tentaient comme l’avait énoncé George Candilis de « fusionner l’urbanisme et l’architecture dans un tissu global ». Cette nouvelle modernité tente d’intégrer dans une architecture système les nouvelles aspirations de la société: interpénétration des flux piéton et voiture, appropriation de l’espace par les usagers, complexification des formes urbaines. 2_ Le concours du Mirail représente l’un des grands tournants de ces évolutions idéologiques, voyant la proposition de Ville Radieuse de Le Corbusier échouer face au plan fulgurent de l’équipe Candilis, Josic et Woods (figures phares du Team X). Ce projet de ville nouvelle de 100 000 habitants pour la périphérie toulousaine était sans précédent en 1962. Il allait être l’occasion de construire un système total faisant la synthèse de l’arsenal conceptuel développé à l’époque par le Team X. Selon un modèle organique, un grand centre linéaire matérialisé par une dalle piétonne se propage dans le site et vient générer des grandes barres de collectifs liées entre elles par des coursives aériennes. Les tracés en nid d’abeilles étaient censé évoquer la croissance et l’évolutivité. Le but affiché par Sadrach Woods étaient de dessiner des structures « telles que l’homme puisse, à travers elles, contribuer à la création de son propre environnement. ». C’est donc à partir de ces concepts que démarre en 1968

le grand chantier du Mirail, l’agence installé par Candilis à Toulouse a alors les pleins pouvoir pour les matérialiser. Une utopie prend forme à partir du moment où tous les acteurs en valident les objectifs et les idéaux. Elle suppose en réalité un certain totalitarisme puisqu’elle tente d’imposer à une population une façon idéalisée d’habiter la ville. Si le Mirail du début emporte l’adhésion de tous grâce à la séduction du discours de Candilis et à la propagande municipale, il s’est assez vite heurté à l’opposition des promoteurs et des constructeurs. L’aval politique non plus ne pouvait pas durer éternellement et fut relayé par la résistance de la nouvelle municipalité à voir se lever la densité du projet. L’utopie ne fut réalisée que partiellement et montra avant son achèvement, sa difficulté à emporter le consensus. Toute la population qui venait grossir le Mirail le faisait de plus en plus par contrainte et ne pouvait pas être en bonne entente avec les aspirations sociales de son architecture. L’utopie du Mirail ne rencontra pas le public visé et se transforma en une machine d’exclusion sociale fatale. La recherche prospective des formes de la société de demain ne pouvait en réalité pas prendre en compte les infinités de facteurs imprévus qui entrent en ligne de compte lorsque l’on parle de civilisation. Ainsi, les structures urbaines du Mirail, de Bagatelle, et de la Reynerie font tour à tour objet de destruction, de morcellement, et sont peu à peu absorbées par la ville pragmatique et par un grand projet de ville qui réussit à superposer des modèles urbains plus contemporains à la géométrie complexe dessinée par Candilis Josic & Woods. La première ville nouvelle française renait peu à peu de ses cendres émeutières en


rentrant enfin, après 30 ans de (dys)fonctionnement, dans le cadre d’une société qui l’avait rejeté. La ville du Mirail va mieux car elle ne se bâtit plus à partir de l’unicité d’un modèle mais sur une pluralité d’intervention. 3_ En septembre prochain, l’ensemble résidentiel des Floralies, assemblage proliférant construit en banlieue toulousaine par les architectes Jean Alauze et Auguste Vives, sera entièrement détruit pour être remplacé par un urbanisme plus en accord avec les exigences actuelles. Perdu dans une impasse au fond d’un quartier pavillonnaire, ce projet singulier est resté totalement oublié de l’histoire. Pourtant, la découverte de son architecture est une vraie surprise. Quelques 300 modules parallélépipédiques s’empilent, se juchent sur des pilotis, s’ancrent dans le sol au milieu d’une végétation invasive et d’une accumulation d’immondices. Cette enclave est encore habitée, mais elle revêt déjà l’aspect d’une ruine. Les louables intentions du projet (complexification des transitions privées/publiques, ambigüité des espaces, appropriation des usagers, lien social, inscription de typologies individuelles dans un collectif dense..) ont en réalité mené à une incompréhension. Après une construction compliquée, les innombrables coursives, terrasses, et recoins des Floralies n’ont jamais sus revêtir leur rôle d’urbanité, elles n’ont su embrasser un autre destin que celui d’une enclave ghétoïsé dans un milieu strictement résidentiel. Les Floralies ont échoué pour diverses raisons. Les contraintes budgétaires du chantier, les contradictions des décisions politiques et une longue

procédure judiciaire ont entamé les intentions louables du départ. Il suffisait alors que les exigences de la société changent dans des directions plus sécuritaires, plus écologiques, plus normalisées pour que l’espoir d’un fonctionnement harmonieux soit achevé. Le tissu proliférant évocateur de croissance est finalement indéformable et n’a pas la capacité, comme un élément ponctuel tel qu’une tour ou qu’une barre, de s’adapter à une société mouvante. 4_ « Si la société n’a pas de forme, comment les architectes peuvent-ils construire une forme qui y réponde ? » Aldo Van Eyck La destruction des Floralies est sans doute autant justifiée que l’ont été celles de Saint Louis (mort de l’architecture moderne selon Charles Jencks) ou des dalles du Mirail, elle nous questionne sur la pérennité de tout ce que l’architecture produit pour le monde moderne. Paradoxalement, les systèmes souples et évolutifs que les architectes du Team X et leurs héritiers directs ont tenté de développer pour rendre la ville à ses usagers n’ont jamais vraiment connu une autre évolution que leurs décrépitudes. Ils ont rejoint par leur radicalité idéologique, la même rigidité dans le temps que les modèles rationalistes qu’ils avaient rejetés. Face à ces échecs relatifs à vouloir rénover une modernité qui était encore vecteur d’espoir pour la société, comment l’architecture pouvait-elle faire autrement que d’opérer un tournant décisif et de tenter d’oublier les grands gestes du passé? Comment continuer de la meilleur manière

qui soit l’histoire urbaine après que les désillusions de plusieurs utopies aient terni le modernisme architectural ? Comment enfin combler le fossé entre les idéaux que l’on a consécutivement définis, et les réalités pragmatiques qui les ont dépassées ? L’optimisme de ces années 60 et 70 réside dans le fait que les architectes ont tenté de remplacer un idéal moderniste par une autre expression plus humaine mais tout aussi abstractive, anticipatrice et idéologique que la précédente. Le nouvel échec de cette architecture contestataire n’en sera que plus douloureux et entrainera le rejet absolu des figures nouvelles pour revenir aux formes urbaines historiquement comprise (la rue, l’îlot). L’architecture a trop souvent vu une relation trop directe entre sa propre forme et celle de la société. Elle tendait trop souvent, en donnant un cadre à sa propre observation des modes de vie, à assujettir une société. Dans le contexte où nous sommes, l’architecture cesse peu à peu d’être utilisée comme le symbole d’un système social ou d’une idéologie particulière, elle se dépolitise pour mieux répondre à l’hétérogénéité que la ville contemporaine réclame. Elle se fait de plus en plus l’instrument de la croissance et a cessé d’être un réel vecteur de progrès. La figure de l’architecte omnipotent et optimiste a tendance à disparaître pour faire appel dans la fabrication de la ville à une pluralité de voix. Il s’agit pour nous de bien intégrer cette évolution tout en se rappelant que les architectes ont été les contributeurs de la révolution morale et théorique de mai 68, et qu’il se donnaient le droit de prospecter sur les formes des sociétés humaines futures. TG Illustration : Axonométrie des Floralies

xvii


Un dernier verre Sur le lien qu’entretien Adolf Loos avec sa dernière réalisation _ LM

En 1931, Adolf Loos qui séjourne à Nice se voit confier la réalisation d’un espace de présentation à l’Internationale Raumausstellung de Cologne pour la firme de mobilier berlinoise Gebrüder Schurmann. Il conçoit pour l’occasion une pièce aux meubles laqués noir et rouge associés à un tapis vert sur le modèle d’une salle à manger réalisée deux ans auparavant, et s’attache au choix précis des accessoires.1 Pour la vaisselle, il parcourt les meilleurs ateliers de céramique de l’arrière-pays de Cannes : dans la cave d’un artisan, il tombe sur un simple modèle d’assiette mise au rebut, dans laquelle a coulé de l’émail - c’est ce modèle-là qu’il choisit. Pour les verres, Loos est en pourparlers avec l’atelier viennois de produits verriers J. & L. Lobmeyr. Puisqu’il lui est impossible depuis Nice de mettre un pied dans les ateliers viennois, les échanges au sujet des verres qu’il dessine lui-même seront donc épistolaires, ce qui permet de connaître précisément ses intentions. Il écrit à ce sujet: « Très cher Monsieur Rath, je vous ai indiqué les mesures et la taille pour un service de verres et ce service doit être réalisé sans changements aucun. Les changements sont réservés à l’œuvre du temps. ».2 Ce service ne sera pas réalisé à temps pour l’exposition de Cologne, mais il est encore aujourd’hui produit et distribué par les ateliers Lobmeyr. Il comprend une carafe et des verres à eau, à bière, à champagne, à vin et à liqueur en cristal fin dont le fond est taillé, dessinant un motif géométrique de quadrillage. Loos insiste sur la verticalité des rebords et sur le fond parfaitement plat, produisant un dessin d’une grande pureté qui n’a rien perdu de sa modernité. Ce faisant, il tente de concilier la sobriété du service moderne avec l’artisanat du verre taillé, artisanat qu’il appréciait particulièrement et qui avait atteint selon lui son plus haut degré de perfection en Autriche, mais qui se complaisait dans la lourdeur des décors gravés.3 Ces verres dont l’ornement n’est pas apparent mais se découvre subtilement au toucher se marient ainsi aux services de faïence les plus simples pour une table de bon goût, sans coquetteries. « Pour ce local, il s’agit de dessiner un service qui, bien qu’il soit taillé, s’adapte au caractère de l’ensemble. La forme de base est le verre à vin beaucoup trop grande que l’on ne remplit qu’à moitié, large, stable, sans taille apparente! ».4 Ce rapport à l’objet est permanent chez Loos et traverse toute sa carrière : malgré sa formation d’architecteingénieur, c’est par le design qu’il est réellement venu à l’architecture. Son premier emploi fut dans un atelier de marqueterie5, et ses premiers écrits traitent exclusivement d’objets utilitaires. Il a par la suite réalisé d’innombrables aménagements intérieurs pour lesquels il conçut du mobilier que l’on retrouve au fil des années: chaises, tables, tabourets, lampes - jusqu’à ce service de verres. Des modèles toujours simples et confortables nécessitant de nombreux prototypes, souvent copiés de modèles anciens, réalisés avec les meilleurs artisans6 dans des matériaux soigneusement choisis. L’obsession pour l’objet poli, « glatt », pour la sensualité tactile et visuelle du chêne, du cuivre ou du verre, se retrouve dans toutes ses réalisations. Pourtant dès 1900, dans son essai Histoire d’un pauvre riche comme dans La suppression des meubles en 1924, Loos plaide pour un recours systématique au placard intégré par les architectes, le mobilier relevant de la conception de l’artisan et du libre choix de l’habitant; en cela il s’oppose

radicalement aux tendances d’art total de la Sécession et de l’Art Nouveau. Pourquoi donc l’architecte Loos, qui déniait à ces derniers le droit à s’occuper de mobilier, a-t-il passé sa vie à en dessiner ? Dur avec lui-même, il écrit en 1903 : « Installer des logements n’a rien à voir avec l’architecture. J’ai tiré de là ma subsistance parce que c’est une chose que je sais faire. De même qu’en Amérique, pendant un certain temps, j’ai subvenu à mes besoins en lavant de la vaisselle »7. Par ces réalisations, il comblait en quelque sorte le manque de commandes dont il souffrit toute sa vie, passant lui-même commande aux meilleurs artisans. Bien qu’il prétende rêver de constructions purement architectoniques, il semble qu’il n’ait jamais eu réellement l’intention d’abandonner le design. On ignore s’il continuait à un âge avancé à laver la vaisselle, mais il est certain qu’il continua toute sa vie à s’occuper d’aménagements intérieurs et d’objets, comme en témoigne ce service de verres. Profondément fétichiste, il était obsédé par la belle matière et par sa mise en œuvre : un piètement en bois poli, une serrure de cuivre, un revêtement de marbre… Une anecdote rapportée par Claire Loos, sa quatrième femme, démontre bien son obsession maladive pour les objets de son entourage alors même qu’il était en cure de convalescence: « Nous sommes à Hall. Loos est assis devant l’hôtel. Tout à coup, il devient inquiet, se lève, observe attentivement le fauteuil en osier, se rassied interrogateur, se relève ! Au dos du dossier il y a une étiquette : Herlitz Scharnstein. Loos hèle une voiture ‘Claire, monte! Nous allons à Scharnstein’. Monsieur Herlitz est un homme simple ».8 Aux États-Unis, la révélation du style moderne, fonctionnel et dépouillé, lui vint en admirant dans une vitrine une simple malle de voyage de cuir et de cuivre.9 Cette malle était la première pierre d’un grand édifice intellectuel qui, liant le sens du détail de l’artisanat aux plus hautes considérations morales et politiques, devait le conduire à développer un profond sens artistique, un réel sens de l’espace, de la lumière et du matériau, et à devenir le génie architectural qui nous laissa quelques uns des plus beaux projets d’architecture jamais conçus, comme le projet de villa pour Josephine Baker. Il trouvait dans les plus petites réalisations matière à construire, comme il trouvait matière à construire dans ses innombrables articles et conférences. Construire une pensée, construire un objet, construire un immeuble sont pour lui constamment et étroitement liés. Chaque chronique, chaque ferrure ou chaque mur est une pierre apportée à l’édifice global, qui pose inlassablement les mêmes questions : les recherches de la perfection, de la vérité absolue et de la libre individualité. En allemand, le même terme « bauen » signifie également construire et cultiver. Ces deux notions découlent du sens archaïque du mot « habiter » c’est-à-dire « la manière dont les mortels sont sur terre ».10 Ainsi, Loos n’a-t-il rien fait d’autre de sa vie que d’habiter notre monde : cultiver et édifier pour construire un monde moderne, dédié à « l’homme aux nerfs modernes ». Dans les domaines de l’immatériel - par ses écrits et ses engagements pour la culture – ou de l’architecture, de la plus grande à la plus petite échelle, du plan urbain au simple verre. Pierre de Meuron a déclaré lors d’une interview : « L’architecture est liée à la culture de même qu’un verre à vin l’est au vin. Les architectes peuvent concevoir le

verre, mais pas le vin. Si le vin est mauvais, le meilleur verre au monde ne le rendra pas meilleur. Mais si le vin est bon, un verre bien conçu peut augmenter le plaisir de la dégustation. »11 Qui a déjà fait l’expérience de goûter un même vin dans un gobelet en plastique puis dans un verre en cristal sait combien la différence est remarquable. Telle est la force de l’architecture. Le matériau, mais aussi le dessin du rebord en contact avec les lèvres, du renflement du ballon ou de la hauteur du pied comptent au millimètre près. Non pour satisfaire un quelconque goût esthétique, mais parce que cela transforme littéralement le contenu et l’expérience qui en est faite. Loos a poursuivi cet objectif sans relâche. Enthousiasmé par le service de verres de 1931, il écrivait dans la foulée à Lobmeyr pour suggérer de nouvelles idées à développer. Dans les mois qui suivirent, sa santé se dégrada fortement et le 23 août 1933, Adolf Loos meurt à l’âge de 63 ans. Ce service de verres est, avec sa propre tombe dessinée la même année, son dernier projet réalisé. LM

Notes : 1. Ces informations sont tirées de la très complète biographie par B. Rukschcio et R. Schachel, La vie et l’œuvre de Adolf Loos, Bruxelles, éditions Mardaga, 1982. 2. A. Loos, lettre à Stephan Rath de la firme Lobmeyr, Juan-les Pins, 13 mai 1931, in La vie et l’œuvre de Adolf Loos op. cité. 3. Verre et terre, chroniques écrites à l’occasion de l’exposition viennoise du jubilé, 1898 in A. Loos, Paroles dans le vide, Paris, éditions Ivrea, 1994. 4. Loos travaillait étroitement avec le maître-menuisier Veillich, pour lequel il écrivit un article émouvant à sa mort « Le vieux Veillich est mort. Il a été enterré hier. Ceux qui me connaissent savent de qui je parle. Tous ceux qui ont été mes clients le connaissent. […] Le cœur en deuil, nous avons déposé dans la tombe le vieux Veillich avec sa varlope. » - Josef Veillich, 1929, in A. Loos, Malgré tout, Paris, éditions Ivrea,1994. 5. En 1893, Loos se rend à New York, Chicago et Philadelphie où il enchaîne les petits boulots. Ces trois années passées aux États-Unis transforment sa vision du monde et il consacrera sa vie entière à la promotion du style de vie pragmatique du nouveau monde. Bien qu’il n’y soit plus jamais retourné par la suite, c’est lui qui incitera notamment ses élèves Neutra et Schindler à émigrer aux États-Unis, devenus depuis des icônes de « l’ american way of life ». 6. A. Loos, réponse au courrier des lecteurs de sa revue auto éditée Das Andere, 1903 7. C. Loos, Adolf Loos privat, Vienne 1936 8. « Une malle de cuir, cerclée de cuivre. C’est le style moderne !» R. Scheu, Adolf Loos, in Die Fackel n°283/284, Vienne, 1909 9. M. Heidegger analyse ce phénomène dans sa conférence de 1951 Bâtir habiter penser, in Essais & conférences, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1980 10. Ten questions to Pierre de Meuron : http://discover-elbphilharmonie-hamburg.com/en/tenquestions herzogdemeuron/ – consulté en février 2012 Illustrations : Service à boire n°248 «Loos» – Ó Lobmeyr


xix


-1 0 1 2 CT CL


Je construis toujours pour moi-même Une discussion avec Pascal Flammer _ DAVID ZUMSTEIN

Inmitten einer unverbauten Juralandsschaft von Balsthal steht der aussergewöhnliche Erstling des jungen schweizer Architekten Pascal Flammer. Im folgenden Gespräch erklärt er, durch was sich dieser eigenwillige Bau für ihn auszeichnet und um was es ihm zur Zeit beim Bauen geht. DZ : Wir sind hier in Deinem ersten gebauten Haus. Die Schönheit ist kaum zu übersehen. Schon nur die Lage ist einzigartig: ein weites, von zwei Hügelzügen flankiertes Ackerfeld. Um was ging es Dir bei diesem Projekt? PF : Ich denke, die eigentliche Schönheit in diesem Entwurf kommt daher, dass es hier um die Landschaft geht. Mich hat die starke Präsenz der Landschaft von Anfang an beschäftigt. Man ist hier ziemlich einsam. Daher war es für mich zentral, einen Ort zu bauen, wo man es aushält, zwei Wochen ausschliesslich im und ums Haus zu sein. Architektonisch entstand daraus die Idee, drei verschiedene Stockwerke übereinanderzustapeln, die auf unterschiedliche Weise mit dieser Landschaft in Bezug treten. Ein Stockwerk sollte komplett verglast sein. Als Raum, wo man in der Landschaft sitzt und ihr ausgeliefert ist. Im Raum darüber ist man über Boden, schaut auf die Umgebung herab oder in die Weite, betrachtet und dominiert sie. Man reflektiert, blickt mit Distanz, wie wenn man ein Bild anschaut. Der dritte Raum liegt unter der Erde und ist vollständig geschlossen. Das sollte der Ort sein, der keine fixe Geographie hat. Ein Raum, der überall auf der Welt sein könnte. Ich hatte die Vorstellung, dass diese drei unterschiedlichen Aussenbezüge genügen würden, ein Gebäude aufzugleisen. DZ : Das heisst, Du hast das räumliche Gefüge des Hauses nicht a priori programmatisch gesetzt, sondern aus ihrem Bezug zur Landschaft? PF : Das ist richtig. Ich hatte auch stets die Vorstellung, dass alle drei Räume das gleiche Programm aufweisen, habe mir nicht gesagt, da schlafe ich und da ist Stube. Programmatisch musste alles möglich sein. In der Weiterentwicklung haben sich die Räume natürlich funktional differenziert. Das Erdgeschoss umfasst die gesamte Grundfläche des Hauses und ist der Aufenthaltsraum. Es ist ein Raum, den man nicht besetzt, in dem nimmt man nur teil. Räumlich gesehen gehört er zur Landschaft. Nun ist dieser Bezug jedoch verklärt, der Raum liegt nämlich 75cm unter dem Terrain. Somit grenzt er sich auch von der Umgebung ab. Er ist einerseits gefasst durch tischhohe Möbel, die sich entlang der vier Seiten ziehen und andererseits komplett verglast. Im Obergeschoss ist die Grundfläche geviertelt, in vier stark begrenzte Räume, die auf der einen Seite 6 Meter hoch sind. Über je ein grosses Fenster sieht man nach draussen in die Natur. Der dritte Raum im Untergeschoss hat die Grundfläche des Hauses, ist aber um neunzig Grad gedreht, ein grosses Zenitalfenster öffnet sich gen Himmel. Er wurde leider aus Kostengründen gestrichen. DZ : Es scheint als ob das Haus gar nicht als Einfamilienhaus gedacht wurde? PF : Ich denke, was dieses Haus auszeichnet sind architektonische Gedanken und keine konkrete Wohnvorstellung. Das Gebäude wurde zum Einfamilienhaus, weil in einem der vier Zimmer ein Bad drin ist und weil ich heute hier wohne. DZ : Wie weit wusstest Du beim Entwurf bereits, dass Du,

einmal in diesem Haus wohnen könntest, wie präsent war der Gedanke, dass Du im Grunde für Dich selbst bauen würdest? PF : Das wusste ich nicht. Aber das ist etwas, was ich nicht nur bei diesem Gebäude, sondern immer und ausschliesslich denke: ich denke nur an mich. Und daher baue ich auch immer nur für mich selbst. Bei jedem Haus und jedem neuen Entwurf, praktisch auch funktionsunabhängig. Ich bin gedanklich immer der zukünftige Nutzer. Ich kann nicht projizieren, wie ein anderer in einem Raum fühlen würde. Die Frage ist für ich immer: wie würde ich ein Gebäude besetzen? DZ : Es scheint als ob Du zu einem grossen Teil Carte Blanche hattest für diesen Entwurf? PF: Ich hatte starke Auflagen, natürlich bei den Kosten. Die äussere Form war eine direkte Auflage der Gemeinde und vom Heimatschutz. Und dann gab es noch Wünsche der Bauherrschaft, zum Beispiel, dass das Haus aus Holz ist. DZ : Das sieht man diesem Haus kaum an. Im Gegenteil, man hat das Gefühl, es sei alles ins Extrem getrieben? PF : Ich denke, das Haus ist einem normalen Einfamilienhaus ganz ähnlich. Es ist in seiner Grundsubstanz, zum Beispiel bezüglich Typologie oder Dachform, total konventionell und wurde von mir im Entwurf einzig in ganz wenigen aber bestimmten Punkten ins Extrem getrieben. DZ : Welches sind diese Extreme für Dich? PF : Das eine ist, was ich schon eingangs gesagt habe: die drei explizit ausformulierten Bezüge zur Natur. Zweitens ist das ganze Haus aus dem gleichen Material, Fichtenholz: Struktur, Decken, Wände. Boden, Schränke. Dieser hemmungslose und überbordende Einsatz eines einzigen Materials verleiht diesem Haus einen extremen Ausdruck. Ich hatte Angst, dass Haus sähe durch das Holz aus wie ein Chalet. Deshalb wollte ich es mit einem blauen Lack überstreichen. Doch der Bauherr war dagegen. Heute gefällt mir das Haus sogar so wie es ist. Ich glaube, das kommt daher, dass es hier nirgends eine weisse Referenzfläche gibt. Drittens, hat das Haus keinen Gang. Im Obergeschoss ist der Verteilraum so klein wie nur irgendwie möglich dimensioniert und alle Zimmer sind miteinander verbunden. So sind die Räume zu einem Rundgang aneinandergereiht – ohne Sackgasse. Schliesslich kommen noch ein paar Spezialsachen dazu, von denen ich immer mehr das Gefühl habe, dass sie wichtig sind, obwohl sie eigentlich nebensächlich erscheinen: dies sind zum Beispiel grossen kreisförmigen Fenster im Obergeschoss. DZ : Die Fenster verleihen dem Haus eine starke, fast luxuriöse Expressivität. War das so gewollt? PF : Ich habe mir überlegt, was man machen könnte, damit die Räume im Obergeschoss ineinander übergehen. Das Glas war für mich ein Mittel dazu. Der Kreis ergab sich aus einer These: ich wage zu sagen, dass es keine andere Form gibt, die, wenn sie halbiert ist, so stark auf die andere Hälfte hinweist.

Mittlerweile habe ich aber das Gefühl, dass das Fenster noch etwas ganz anderes macht. Bedingt durch den Umstand, dass die Schiebetüren der Zimmer direkt auf das Glas stossen, wird das ganze Haus physisch verwundbar. Und diese Fragilität erhöht bei mir persönlich die Wahrnehmung, dass ich lebe, allein dadurch dass, eine Bewegung eine Konsequenz hat. Ich konnte mir das vorher nie ganz vorstellen, obschon ich das im Modell geprüft habe. Für mich war dieses Haus in mehreren Belangen ein Risiko. Oder zumindest war ich mir unsicher, ob es funktioniert. DZ : Du meinst, Du wusstest nicht, zu was diese thematischen Ingredienzien des Entwurfs führen? PF : Ich denke, es ist wahnsinnig wichtig als Architekt, dass man Spekulationen macht. Spekulationen, die man, wenn man auch noch so lange nachforscht, einfach in der Konsequenz nicht schlüssig beantworten oder erfassen kann. Für mich sind solche Themen wie der Speck im Essen. Dort wird Architektur eben gedanklich spannend. DZ : Deine bisherigen Entwürfe zeichnen sich durch ein starkes strukturelles Denken aus. Wie verhält es sich bei diesem Haus mit der Struktur, wie wichtig war Sie hier? PF : Mir war wichtig, dass das Erdgeschoss ein möglichst stützenloser Raum wird. Dies bestimmte die Struktur des Hauses. Im Prinzip haben wir es mit einer typischen Betonstruktur mit Scheiben und Pfosten zu tun, die aber an die Möglichkeiten des Holzes angepasst wurde. Da man mit Holz schlecht aussteifen kann, sind die Pfosten als eigentliche Kreuze ausgebildet. Die Konsequenz ist eine figürliche Wirkung der Pfosten und Stützen. Es stehen jetzt auf einmal Figuren um einen herum, die man strukturell verstehen aber auch als Formen lesen kann, wie Skulpturen, als Kreuz oder als Männchen. DZ : Und damit identifizieren sie das Haus auch in einem gewissen Sinne, geben ihm seine eigentliche, spezifische Identität? PF : Ja. In meinerArbeit versuche ich immer wieder das streng Schematische zu verlassen und Identifikationselemente zu schaffen. Aber ich wage mich noch nicht, direkt aus dem Bauch heraus Figuren zu entwerfen. Deshalb sind sie hier gleichzeitig Struktur. DZ : Geht es Dir da um das pure Statement, dessen was Du schön findest oder hast Du auch einen Anspruch an eine Objektivierbarkeit? PF : Alles was unpräzise ist, und die Architektur ist es nun mal, basiert auf Entscheidungen aus dem subjektiven Geschmack heraus. Natürlich möchte ich nicht alleine stehen damit: ich freue mich, wenn andere Leute, verstehen was ich mache. DZ : Was macht für Dich gute Architektur aus? PF : Ich möchte zumindest, dass meine Häuser anreizen. Mein Ziel eines Gebäudes ist, dass ich selber und die Leute ringsum angeregt sind. Das erwarte ich auch von den anderen Architekten oder Künstlern, eigentlich von allen Menschen: angeregt zu sein und neugierig zu werden. Auf Sachen zu stossen, die ich mir nicht überlegt habe und mich zum weiterdenken bewegen.

xxi


Traduction de Maud Châtelet : Au milieu d’un paysage intact de Balsthal, dans le Jura suisse, se trouve la première oeuvre hors du commun du jeune architecte suisse Pascal Flammer. Il nous explique ici ce qui, d’après lui, fait la particularité de ce bâtiment et ce qui lui importe aujourd’hui lorsqu’il construit. DZ : Nous sommes ici dans ta première maison construite. C’est un endroit très beau dans un paysage unique: une large prairie cultivée, des collines, une falaise, la forêt et au loin une chute d’eau. Que fait d’après-toi la beauté de cette maison? Qu’as-tu cherché à faire? PF : Je pense que la beauté du projet vient du fait que le paysage en est le thème central. Sa présence m’a fasciné dès le début. Mais c’est un endroit assez solitaire. Il était crucial pour moi de construire un lieu où l’on puisse supporter de rester deux semaines à l’intérieur ou autour de la maison. Cela se traduit dans le projet par l’idée de trois étages superposés, dont le rapport à la nature, au paysage serait très différent. Un étage entièrement vitré, comme pièce où l’on s’installe dans le paysage, où l’on y est exposé. À l’étage suivant, au-dessus du sol, on regarde d’en haut vers les alentours ou le lointain, on observe et l’on domine. On réfléchit, prend de la distance, comme lorsqu’on regarde un tableau. Le troisième espace est sous la terre et est complètement clos, un lieu qui n’a pas de géographie fixe, un espace qui pourrait être n’importe où dans le monde. Il m’a semblé que cette idée de trois espaces complètement différents suffirait à développer un bâtiment. DZ : Cela signifie que tu n’as pas défini l’organisation spatiale de la maison autour du programme, mais par le rapport des espaces au paysage? PF : C’est exact. Pour moi, les trois espaces ont toujours eu le même programme, je ne me suis pas dit, ici je dors, et là c’est le séjour. Tout devait être possible. Par la suite, naturellement, les fonctions des espaces se sont différenciées. Le rez-de-chaussée correspond à l’empreinte de la maison et est l’espace de séjour. C’est un espace que l’on n’occupe pas, mais auquel on prend part. Spatialement, il fait partie du paysage. Mais cette relation est rendue moins évidente: cet espace est enfoncé 75cm dans le sol et comme protégé de ses environs. Il est ainsi d’une part délimité par les meubles à hauteur de table qui courent le long des quatre côtés de l’espace et d’autre part, entièrement vitré et ouvert. À l’étage, la surface est divisée en quatre espaces très clairement définis, dont un des murs fait 6 mètres de haut. On y regarde la nature à travers une fenêtre large comme la pièce. Le troisième étage, au sous-sol, fait la même surface que le rez-de-chaussée, mais il est tourné à quatre-vingt-dix degrés. Une grande fenêtre zénithale ouvre vers le ciel. Ce dernier espace n’a malheureusement pas pu être construit. DZ : On a l’impression que la maison n’a pas été conçue comme une maison individuelle? PF : Je pense que ce qui distingue cette maison, c’est une pensée architecturale, et pas la proposition concrète d’une façon de vivre. Le bâtiment est devenu une maison, parce qu’une salle de bain est installée dans l’une des quatre pièces, et parce que j’y vis aujourd’hui. DZ : Dans quelle mesure savais-tu lors de la conception

que tu vivrais dans cette maison, à quel point pensais-tu que tu étais en train de construire pour toi-même? PF : Je ne le savais pas, mais c’est une chose, pas seulement pour ce bâtiment, que je pense toujours: Je pense toujours seulement à moi-même. Et donc je construis aussi toujours pour moi-même. Pour chaque bâtiment et chaque nouveau projet, indépendamment du programme, je suis toujours mentalement le futur utilisateur. Je ne peux pas imaginer comment quelqu’un d’autre se sentirait dans un espace. La question pour moi est toujours: comment occuperais-je ce lieu? DZ : On a l’impression que tu as eu pour une large mesure carte blanche pour ce projet? PF : J’avais de grandes restrictions: les coûts bien sûr, la forme extérieure qui découle directement de la réglementation de la commune et de la commission du patrimoine et enfin, il y avait les exigences de la cliente, par exemple, que la maison soit en bois. DZ : On ne peut presque pas se l’imaginer, au contraire, il semble que tout soit poussé à l’extrême? PF : Je pense que la maison est très semblable à une maison individuelle normale. Elle est tout à fait classique dans ses éléments de base, par exemple la typologie ou la forme du toit. Ce sont seulement quelques points spécifiques qui ont été radicalisés dans le projet. DZ : Quels sont ces extrêmes d’après toi? PF : Tout d’abord, ce dont nous parlions au début: les trois rapports explicitement formulés à la nature. Ensuite, toute la maison construite d’un même matériau, du bois d’épicéa: la structure, le plafond, les murs, les sols, les placards. Cette utilisation débridée d’un seul matériau donne à cette maison une expression extrême. J’avais peur que, du fait de tout ce bois, la maison ressemble à un chalet, et je voulais tout peindre avec une laque bleue. Mais la propriétaire n’a pas voulu. Aujourd’hui, la maison me plaît comme elle est. Je pense que c’est parce qu’il n’y a nulle part de surface blanche de référence. Troisièmement, la maison n’a pas de couloir. A l’étage, l’espace de distribution est aussi petit que possible. Par ailleurs, toutes les chambres sont liées les unes aux autres et créent ainsi une enfilade - sans cul-de-sac. Et il y a enfin quelques détails spéciaux dont je pense de plus en plus qu’ils sont importants, bien qu’ils semblent accessoires: ce sont par exemple les grandes fenêtres circulaires à l’étage. DZ : Les fenêtres donnent à l’édifice une forte expression, presque luxueuse. Était-ce intentionnel? PF : J’ai réfléchi à ce que l’on pourrait faire pour que les espaces à l’étage se fondent l’un dans l’autre. Le verre m’a semblé un moyen de le faire. Le cercle vient de la thèse que j’ose avancer, qu’aucune autre forme coupée à moitié, n’appelle si fortement son autre moitié. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ces fenêtres font aussi une autre chose tout à fait différente. Du fait que les portes coulissantes des chambres viennent buter à même le verre, la maison entière devient vulnérable. Et cette fragilité augmente mon sentiment d’être vivant, simplement parce que je sens un mouvement et une conséquence. Je n’aurais

jamais pu me l’imaginer, même si je l’ai testé en maquette. Pour moi, cette maison était un risque à plusieurs égards. Ou du moins je n’étais pas sûr que cela fonctionne. DZ : Tu veux dire que tu ne savais pas à quoi conduiraient ces ingrédients thématiques du projet? PF : Je pense qu’il est extrêmement important en tant qu’architecte, de faire des hypothèses. Des hypothèses qui, aussi longtemps qu’on les examine, ne se laissent pas simplement appréhender ou n’aboutissent à une réponse concluante. Pour moi, ces questions sont le lard dans la nourriture. C’est là que l’architecture devient justement passionnante. DZ : Tes projets précédents sont fortement caractérisés par une pensée structurelle. Est-ce le cas avec cette maison? Quelle importance la structure a-t-elle ici? PF : Il était important que le rez-de-chaussée soit aussi libre que possible. C’est ce qui détermine la structure de la maison. En principe nous avons affaire à une structure typique pour le béton, avec des voiles et des poteaux, qui a été adaptée aux possibilités du bois. Puisqu’il est difficile de contreventer avec le bois, les poteaux sont conçus comme de véritables croix, avec pour conséquence un effet de figures des poteaux et des colonnes. Il y a maintenant tout à coup autour de nous des figures, qui peuvent être comprises structurellement ou lues comme des formes, des sculptures, des croix ou des personnages. DZ : Et elles donnent à la maison son identité particulière en un certain sens? PF: Oui. Dans mon travail, j’essaie toujours de quitter le schématisme et de créer des éléments d’identification. Mais je n’ose pas encore créer des figures directement à l’intuition. Donc ici, elles font partie de la structure. DZ : S’agit-il purement la déclaration de ce que tu trouves beau ou as-tu aussi une exigence d’objectivité? PF: Tout ce qui est imprécis, et l’architecture l’est finalement, est fondé sur des décisions subjectives, de goût. Bien sûr, je ne veux pas être seul avec ces décisions: je me réjouis lorsque d’autres comprennent ce que je fais. DZ : Que fait, d’après toi, la bonne architecture? PF : Je voudrais au moins que mes maisons animent. Mon objectif pour un bâtiment, c’est que moi-même et les gens qui sont autour soient excités, stimulés. C’est aussi ce que j’attends des architectes ou des artistes, de tous les gens en fait, d’être inspiré et intrigué. De croiser des choses auxquelles je n’avais pas pensé et qui me font réfléchir. Illustration : Ioana Marinescu _ Maison Balsthal, Pascal Flammer


xxiii


Entéléchie de l’architecte LAURENT LEHMANN

« Fragments d’un paradis » titre du dernier ouvrage, inachevé, de Jean Giono « What I wanted to do was to paint sunlight on the side of a house » Edward Hopper « Faire simple ne consiste pas tant à négliger ce qui est complexe qu’à clarifier ce qui importe » Gleen Murcutt (trad. F. Fromonot) « What will be has always been » Louis I. Kahn • Dans son élévation, chaque pièce occupe un fragment d’espace circonscrit à sa volumétrie intérieure. Il s’agit d’occupation. Là où, précédemment, il n’y avait rien - ou bien les branches d’un végétal et la course des oiseaux - il y a maintenant cela : du vide. Du vide enfermé. Ce vide est par essence un artefact. Il s’agit d’un vide limité. Ses caractéristiques géométriques, la nature, la couleur, l’odeur, la texture de ses parois en définissent la nature. Ses baies, leurs ouvertures, leurs fermetures, leur orientation, articulent ce vide au vide environnant. L’ensemble participe de la qualité architecturale de ce vide dans son accomplissement intrinsèque, comme dans son rapport d’ouverture à ce qui se situe au-delà ; à commencer par l’épaisseur de son enveloppe. Un immeuble, succession de pièces, est une succession de vides. Cette succession de vide est une occupation, une soustraction du paysage. Faute de mieux - diront certains - cette soustractionoccupation s’opère par adjonction matérielle. Hors la grotte, la construction des hommes est ordonnancement de matière. Cette mise en ordre de la matière dans l’espace est le métier de l’architecte. Chaque projet est pour l’architecte une nouvelle rencontre. Rencontre d’un paysage - d’un climat -, d’une commande, d’un client. A l’aube même de cette rencontre se déploie la contrainte. Contrainte climatique, énergétique, géologique, normative, économique. Contrainte physique. «Le monde est un cryptogramme, et la mathématique en est la clef» Galilée. Les équations de Maxwell décrivent dans leur éclatante simplicité le comportement électromagnétique dissimulé de l’univers. La théorie de la gravitation, la mécanique du solide, la relativité restreinte puis générale dévoilent les fondements mathématiques de l’espace qui nous inclue. La matière pèse. La matière tombe : verticalement et linéairement - à l’approximation prêt de la rotation de la Terre, de la course elliptique de celle-ci autour du soleil, et de la cavalerie vertigineuse de l’ensemble autour du centre

de notre galaxie -…

Bref, pour ce qui nous concerne, dans les limites de l’espace

et du temps qui sont les nôtres, dans l’instantanéité d’un matin ensoleillé d’été, le vide que nous avons élevé pour en faire une pièce tombe, et nous avec ! Il convient donc de le porter. Quoique l’on pense, et quoiqu’on fasse, cette chute est verticale. Il s’agit là d’une propriété fondamentale de la nature ; de notre espace de travail. Nous bâtissons au cœur d’un vide ontologiquement mathématique. Mettre en ordre de la matière dans l’espace est ainsi un art de la contrainte maximum, inscrit dans la géométrie physique du possible. Cette structuration matérielle de notre objet convient ; ou pas. Chaque projet peut s’en nourrir ou tenter de s’en affranchir. La dernière décennie apparaît déjà comme le temps de l’abstraction matérielle de la structure. Temps d’éclosion (d’explosion ?) intense dans l’usage renouvelé d’une palette de matériaux de parements multicolore. Sous l’impératif écologique, architectes - et fabricants des composants de la construction - rivalisent d’inventivité dans la mise à disposition et l’utilisation de matériaux technologiques acidulés bardés de toutes les vertus d’un futur enchanté au coin d’une nature malmenée. L’habitat écologique impose dans l’imaginaire collectif (largement au-delà des cercles des initiés habituels) les canons d’une beauté exubérante, courbe, ronde, colorée. La surenchère dans l’utilisation de produits manufacturés bardés d’avis techniques, éco-labels, et autres recommandations des bureaux de contrôles veillant au bon grain de nos jours et de nos nuits, suscite les attentes pressantes de nos maîtres d’ouvrages, comme les craintes un peu confuses d’hésitation de notre profession honteusement perdue au creux de ce déferlement ingérable. L’une des conséquences les plus inattendues de la nouvelle doxa de l’isolation par l’extérieur est la mise en œuvre de matériaux exposant aux intempéries leurs faiblesses prévisibles, alors que solidité et dureté se trouvent cantonnés à l’intérieur structurel de nos demeures. Explorer l’usage de matériaux anciens et massifs, tels que la pierre ou la brique modulaire, relève dans ces conditions simultanément de la réaction et de la provocation. Pourtant, au-delà de toute position dogmatique, ces matériaux traditionnels recèlent encore quelques vertus intrinsèques et extrinsèques. Intrinsèques, au crible de grilles d’analyse pourtant peu favorables, et notamment économiques ; et extrinsèques dans l’obligeance qu’ils imposent aux bonnes manières du

savoir construire.

Les 16 logements construits à Bry-sur-Marne en pierre de taille massive porteuse s’inscrivent dans une telle filiation. Connaissance de la carrière. Étude des dispositifs d’extraction et de transformation. Émission de gaz à effet de serre, et consommation d’énergie réduites. Approvisionnement rapproché. Rapidité d’exécution. Inaltérabilité du parement. Mise au point du calepinage : conséquence de l’épaisseur de la dalle, de la chape thermo-acoustique et de ses cordons chauffants, des douches à l’italienne et de leurs structure Wedi, du grès cérame, de la cote finie des complexes des loggias bois et de leurs cœurs de Kerto étanché, de la hauteur à 1,90 des jours de souffrance intérieurs… Ce trait précis qui marque la perfection de cet assemblage complexe dont seul ressort ce qui compte in fine : la gravité essentielle d’un bâtiment soulevé face à un semblable bâtiment posé. Le bruissement silencieux de la pierre au soleil après l’enfouissement de millions d’années. Il s’agit simultanément d’un aboutissement et d’une prémisse. L’achèvement du bâti révélant la complétude de l’idée qui l’a engendré, et sa longueur de conviction. En cela, et quoiqu’elle ne représente qu’une part mineure de la matière mise en œuvre, la frontière extérieure est perçue – à tort, parfois à raison – comme la structuration représentative du projet tout entier. Le parti d’un matériau modulaire dur et pérenne comme la pierre pour la réalisation de logements sociaux souffrant de peu d’entretien - est alors un choix constructif économique qui expose, sans préjugé, aux bonnes manières de construire. Nullement exclusif, ca matériau archaïque aux grandes qualités environnementales, impose cependant – dès l’acceptation de son évidence projectuelle – sa présence matérielle à la totalité du projet. Maitrise de l’économie générale et prestations qualitatives comme la serrurerie des rez-de-chaussée, le bois aluminium des croisées ou le tablier aluminium des volets roulants. Pas un exploit, mais une somme qui tombe juste. Il y a là - hors de tout discours – un déplacement mystérieux et bouleversant qui s’installe statiquement dans la trame spatiale et mathématique de notre écologie construite. Une part pour les hommes, celle de leurs chorégraphies futures au cœur de ce vide matérialisé. Une part des Dieux, pour ce plein désormais incarné.


Sortir du plan Sur Sea Stairway, Nerima, Tokyo, Japon, 1969-1971 Kazuo Shinohara _ SC

Cosa Mentale est le moyen de raconter des rencontres avec des bâtiments, des projets qui touchent, des évidences. De rassembler des pierres éparses pour reconstituer, pasà-pas, une ligne continue. On se demande parfois ce qu’on cherche en allant par là. Pas longtemps, mais de temps en temps, on doute. Et puis on ouvre un livre, on lève les yeux, et on se trouve face à une évidence, claire et pure. Une de celles qui nous font croire en nous, et en la possibilité d’une architecture forte, belle, calme et respectueuse à la fois. Et que les tenants du spectacle et de l’image cherchent à réduire au silence. • Un projet de qualité sait toujours nous faire oublier son dessin. Et tout ce qu’il y a avant disparaît. Évidemment, ce n’est pas vraiment une disparition, mais plutôt une réincarnation. Le projet arrête de vivre sous une forme pour devenir autre chose. Le projet n’est ni le dessin, ni le bâtiment, c’est toujours autre chose. Je ne crois pas qu’on puisse dire que « la construction est le véritable objet de l’architecture ». C’est bien vers elle que se tournent tous les efforts de l’architecte, dessins, calculs, mots. Et pourtant, il me semble qu’aucun de ces moments ne renferme la totalité du projet. Les objets de l’architecture sont multiples et d’égale valeur, ils sont des moments de réflexion et de fabrication toujours dépassés par le suivant. La construction est un de ces moments, bien sûr, mais en aucun cas le dernier ! On sent bien que rien n’est assouvi, ou très peu, une fois le projet fini. Sa vie avec l’architecte se termine alors qu’il commence tout juste à être habité. Et celui qui l’a vu naître, grandir, doit le laisser partir continuer sa vie sans lui. Il lui échappe, c’est tout. Je ne crois pas qu’il faille une fin à l’architecture. Son immortalité, l’éternel recommencement qui est sa marque est aussi sa principale beauté. • Je ne voulais pas de plan, pas de coupe. Un projet de la terre, de la lumière et du temps. Une évidence qui semble être née de rien. Une présence seule, une évidence. Et puis je me rends vite compte que l’évidence ne naît pas seule : elle doit être révélée. Le travail de l’architecte est un travail de révélation. C’est un mécanisme qui nécessite de creuser sur soi-même, de chercher à aller plus loin intérieurement, de diviser, de retrancher. C’est ce chemin qu’emprunte Shinohara pour bâtir ce projet de l’intérieur. Il semble que ce projet, jamais dans sa vie n’a existé à plat. Le dessin appartient pour toujours à la préhistoire du projet.

Une légère pente porte sa coupe et construit l’axe de l’atelier. Cet axe vient nous chercher dès que l’on entre pour nous amener en une seule volée à la lumière. Et aussi au travail, à la couleur. C’est le dénivelé seul, existant à priori, qui sépare espaces et fonctions, et dispose les pleins et les vides. Voilà une évidence. L’espace très simple de cet atelier est richement fractionné, cloisonné par la marche et la lumière. Il est construit de l’intérieur, sans façade, sans le regard. Et on rêve même à un projet sans dessin. Ou en tout cas très peu. « C’est vrai, il est en ce pays ce qu’on nomme des architectes, et j’ai entendu parler de l’un d’eux au moins comme possédé de l’idée qu’il y a un fond de vérité, une nécessité, de là une beauté dans l’acte qui consiste à faire des ornements d’architecture, à croire que c’est une révélation pour lui. Fort bien peut être à son point de vue, mais guère mieux que le commun dilettantisme. En réformateur sentimental de l’architecture, c’est par la corniche qu’il commença, non par les fondations. Ce fut seulement l’embarras de savoir comment mettre un fond de vérité dans les ornements qui valut à toute dragée de renfermer en fait une amande ou un grain de carvi – bien qu’à mon sens ce soit sans le sucre que les amandes sont le plus saines – et non pas comment l’hôte, l’habitant, pourrait honnêtement bâtir à l’intérieur et à l’extérieur, en laissant les ornements s’arranger à leur guise. Quel homme doué de raison supposa jamais que les ornements étaient quelque chose d’extérieur et de tout bonnement dans la peau (…) ? »1 Dans cet atelier-pente, rien n’est ornement, rien n’est détail, rien n’est structure. Tout est fait d’une masse continue de béton qui se coule lentement dans la profondeur de la parcelle. Tout est silencieux, pas un mot, pas une référence, pas d’histoire. Là encore l’évidence d’être ce que l’on doit être.

réfléchit, dessine, construit. Et puis arrive le moment de lâcher le projet, de le laisser, de le donner. Adulte, il a encore sa vie à faire en toute indépendance. Voilà encore un moment clé, voilà encore un déchirement, voilà un abandon. Les murs et le sol se couvrent de traces de peinture et d’objets. Le peintre installe sa vie dans le bâtiment qui l’accueille et le reçoit. Il trouve la place de sa pratique de l’espace, la place de poser sa tasse, son verre, son livre. La place de penser, de manger, de se reposer sans sentir forcé ou contraint. Les liens qui se construisent entre l’atelier et le peintre sont d’une autre nature mais aussi forts, complexes et étroits que ceux qui lient l’architecte à son projet. Tout est calme, cette transition est acceptée. Et l’architecte poursuit son travail l’esprit tranquille. L’évidence brille, elle est éternelle, mais elle nous dit aussi qu’elle veut être dépassée. Elle nous dit qu’elle n’est qu’une pierre parmi les autres. Une solide, une dont on est sûr qu’elle nous mène dans la bonne direction. Mais une pierre. Peut-être est-ce la le véritable objet de l’architecture : le dépassement, la progression. Peut-être est-ce le temps qui fait tout, marchant devant nous, et que l’architecte ne peut que suivre du mieux qu’il peut le rythme implacable qu’il lui impose. SC Notes : 1. Henry David Thoreau, Walden ou La vie dans les bois, 1854. Illustration : coupe de la Maison Sea Stairway, Tokyo, Japon

Cet atelier-promenade a été pensé au long d’une marche silencieuse à travers le site. Comment on organise la progression vers l’intérieur, comment on ressort ? Et la lumière elle, doit avoir son cheminement propre qui croise notre pas sans le suivre. Le toit continu doit toujours nous abriter lui, et peut-être aussi nous éclairer. Le toit éclaire le dessin et le jardin éclaire le repas ; puis le sommeil. Et la rue éclaire la lecture : l’atelier se retourne. On accède en montant deux marches depuis l’espace de dessin à une bibliothèque posée au dessus de l’entrée, opaque et pesante. C’est elle qui provoque, en sousface, la compression préliminaire à l’ascension vers la lumière. En façade, elle ouvre les deux seules baies sur la rue, étroites, tant l’effort est grand. Kazuo Shinohara pose une pierre après l’autre, et avance le long du chemin qu’il se trace lui même. Il marche,

xxv


Membres fondateurs Comité de rédaction Simon Campedel * Mélanie Délas Frédéric Einaudi Mathias Gervais de Lafond Maxime Gil Baptiste Manet Claudia Mion Félicia Revay Hugo Vergès Simon Vergès

Rédacteurs & Collaborateurs Mirko Bonetti, Dario Bonetti, Maud Châtelet, Nikhil Calas, Marie Corbin, Bérengère de Contenson, Pascal Flammer, Tristan Gaboriau, Laurent Lehmann, Luca Monsaingeon, Gabriela Puig, Zoé Salvaire, David Zumstein

Comité de Soutien Alberto Campo Baeza, Mirko & Dario Bonetti René Borruey, Serge Caillaud, Alain Dervieux, Guy Desgrandschamps, Jean-Patrick Fortin, Cyrille Faivre-Aublin, Stéphane Fernandez, Mauro Galantino, Silvia Gmür, Jacques Gubler, Giacomo & Riccarda Guidotti, Roberto Masiero, Patrizia Marone, Luca Mengoni, Stefano Moor, Philippe Prost, Laurent Salomon, Ivry Serres, Luigi Snozzi, Laurent Tournié, Jean Claude Vigato - Michel Kagan

Remerciements Mélissa Baravalle, Valentin Bearth, Jean-Pierre Bonbenriether, Andrea Deplazes, Hélène Einaudi, Hans Frei, Christian Kerez, Ákos Moravánszky, Julie Lecoustre, Elisabeth Pujol, Editions du Seuil

Contacts Info, abonnement : contact@cosamentale.com Librairies : distribution@cosamentale.com www.cosamentale.com Abonnement : sur www.cosamentale.com ou en retournant le bulletin d’abonnemement joint Cosa Mentale ENSAPB - 60 Boulevard de la Villette 75019 Paris Imprimeur : Alliance Partenaire Graphique Z.A. de l’Ourcq, 45 rue Delizy, 93500 Pantin Tous droits réservés © Cosa Mentale 2011 La revue Cosa Mentale est éditée par l’association Cosa Mentale depuis 2009 Dépot légal _ ISSN 2105-3901 Avril 2012 Illustration : 1ère couverture : Un monastère des Météores _ Grèce _ 2011 _ FE 2ème et 3ème de couverture : Coupe détail, maison Balsthal, Pascal Flammer * Directeur de publication


xxvii


CREDO.

L’architecture est Cosa Mentale

1. L’ARCHITECTURE DOIT NOUS ABRITER, NOUS ÉMOUVOIR ET NOUS SITUER.

• L’émotion est dans la proportion, la matière et la lumière. • La lumière est matière, structure et géométrie.

2. L’ARCHITECTURE EST UN JEU DANS L’ORDRE PUR.

• Le jeu est la recherche de réponses aux questions éternelles de l’ordre, De la logique, de la mesure, de la règle, de la lumière, De la structure, de la technique, de l’artifice, de la précision, De l’idée et de l’abstraction, du type, du public et du privé, De la forme, du détail, du lieu, du passé, du beau, De la qualité, du chef-d’oeuvre, de la rigueur et de l’éthique, Du langage et du métier, de l’inutile. • Le jeu c’est se confronter et réinterroger sans cesse les chefs-d’oeuvre du passé.

3. LE JEU A BESOIN DE LA RÈGLE.

• La règle surgit de la combinaison du projet. • Tout à l’intérieur de la règle, rien en dehors de la règle. • La règle est cosa mentale, elle est le dépassement de la tâche à accomplir.

4. DU SOL SOURDENT L’HISTOIRE ET LE TEMPS. • S’ancrer dans le sol, C’est s’ancrer dans l’histoire et le temps. • L’ acte architectural est une modification consciente d’un sol : Il faut prendre conscience de cette responsabilité. • L’acte architectural est une perturbation de l’équilibre d’un territoire.

5. REGARDER, VOIR, OBSERVER : C’EST LE TRAVAIL DE L’ARCHITECTE. • Tout se joue là, entre travail, éthique et conscience. • Et tout se joue entre le sol et le ciel, unis en un seul geste.

6. TRAVAILLER C’EST CONSTRUIRE UNE PENSÉE. • Faire un plan signifie s’abandonner au plaisir de penser.

7. L’ARCHITECTURE EST ACTION ET PENSÉE, ELLE EST ACTION DANS UNE PENSÉE. • La pensée guide l’acte architectural.

8. LA CRITIQUE MET L’ACTION EN RÉSONANCE. • Chaque action est une critique. • Chaque action est réinterrogée par la critique, Qui est ainsi la garante de son actualité.

numéro 8 _ CONSTRUIRE _ Cycle III avril 2012 _ 6.00 Euro

www.cosamentale.com


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.