Entrer en littérature au cycle 3

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TABLE

DES

M ATIÈRES Pages

Préface

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Introduction

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Premier chapitre : La littérature se nourrit de la littérature I – Transposition, modernisation II – La récurrence des thèmes III – Les indices qui datent le texte

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Deuxième chapitre : L’éducation artistique et la littérature I – correspondances II – Acquisition d’outils d’analyse

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Troisième chapitre : Le personnage : l’exemple de la marginalité I – Une définition de la marginalité II – Différentes marginalités et réflexions morales III – L’obssession de la marginalité chez Solotareff

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Quatrième chapitre : L’interprétation I – Personnage, informations et interprétation II – Activités du lecteur, de l’auteur et fonctionnement du récit III – Interaction entre le lecteur et le texte IV – Perspectives narratives

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Cinquième chapitre : Écrire avec les textes littéraires I – Compléter - Prolonger - Ajouter II – Transformer III – Planifier IV – Créer à partir de situations inductives V – Les pistes d’écritures dans les documents d’application des programmes

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Bibliographie

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PRÉFACE

P RÉFACE Entrer en litérature…, mais par quelle porte ? Longtemps, on a cru qu'il n'y en avait qu'une seule, et qu'il suffisait d'en connaître le « Sésame, ouvre-toi ! ». Fort de cette conviction, Jakobson, en 1921, créa le concept de « littérarité», susceptible d'être LA clé de LA littérature. Seulement voilà, cette porte unique, on ne la trouva jamais ! En revanche, ce qu'on a découvert peu à peu, tout au long du XXe siècle, c'est que la littérature est un objet fort complexe. Un objet qui se laisse entamer par tous les outils suffisamment affûtés, et qui cependant leur résiste encore, irréductible. On s'y est attaqué avec l'herméneutique, l'histoire, la stylistique, la sociologie, la psychanalyse, la linguistique, la sémiologie devenue sémiotique pour l'occasion, les théories de la réception… et de bien d'autres façons. Tout se passe comme si l'on parvenait à entrer en littérature par maintes portes dérobées, sans jamais trouver l'artère principale -qui n'est sans doute qu'une rêverie simplificatrice de théoricien !-, et sans arriver au centre -sans doute parce qu'il n'y en a pas qu'un seul ! Cependant, quand on adopte une attitude pragmatique, consistant à entrer par toutes les portes dérobées, successivement, les cheminements se croisent et se recoupent sans cesse. On prend petit à petit conscience d'un maillage, de l'existence d'une sorte de tapisserie à multiples dimensions. Et l'on parvient alors à la trame, par ci, une série de motifs, par là, et des nœuds qui tiennent régulièrement tous les fils du récit ensemble.

Entrer en littérature m'apparaît justement comme un outil efficace pour guider de premiers cheminements complexes. L'introduction donne le ton : nombre de références y sont convoquées, mais l'allusion finale aux « Poucet rêveurs » est un clin d'œil implicite à Rimbaud et, au-delà, à la fois au Voyage d'Oregon et à L'enfant océan. Le pemier chapitre entame une comparaison entre un album d'Yvan Pommaux et un conte des Grimm, d'une part, un conte de Perrault et sa parodie contemporaine, d'autre part. Finalement les deux fils se rejoignent dans un autre album de Pommaux. Le deuxième chapitre noue des liens entre la littérature, la peinture et le cinéma, préparant le terrain à l'étude complexe de l'articulation texte/images. Et ainsi de suite... A partir des instructions officielles pour l'école élémentaire de février 2002, on peut inférer qu'une œuvre littéraire se situe aux carrefours de nombreux réseaux -ce qui explicite la complexité de la littérature. Entrer en littérature permet précisément de cheminer jusqu'à un certain nombre de ces carrefours, sans se perdre dans la forêt. Lors d'une recherche récente : Réception de la littérature de jeunesse par des enfants, mon équipe a mis en évidence le fait que les enfants parviennent à progresser sur les chemins de la lecture et de la littérature en acquérant peu à peu ce que nous avons appelé des « petits savoirs ». Chaque acquisition, aussi minime paraisse-t-elle, constitue un tremplin qui permet à l'enfant de

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ENTRER EN LITTÉRATURE AU CYCLE

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sauter plus loin. Ces « petits savoirs » sont de toutes natures, et nombreux. Collectivement, mes étudiant(e)s de maîtrise se sont amusé(e)s récemment à les répertorier. Leur répertoire en contient déjà 211 : « album, allusion, anticipation, articulation texte/images, auteur, genre "aventures", etc ». Les activités présentées dans Entrer en littérature permettent justement à des élèves d'acquérir quantité de ces « petits savoirs ». Par ailleurs, je ne peux faire semblant d'ignorer que l'un de mes romans, Le treizième chat noir, est un objet d'étude dans cet ouvrage. Une occasion de mettre en évidence quelle acuité lectorale il faut être capable de convoquer pour pouvoir construire sa propre interprétation. Je voudrais dire, à cet égard, qu'un écrivain, délibérément, construit la complexité de son récit. Certes, bien des choses lui échappent ; son inconscient, heureusement, agit à son insu, ce qui fait en quelque sorte vibrer son écriture, mais pour l'essentiel il s'agit d'une construction, d'une architecture sophistiquée. Pour ma part, avant d'écrire un roman, je le laisse longuement se construire dans mon imagination, foisonner, partir dans toutes les directions. Jusqu'au moment où écrire devient une urgence. Alors mon premier acte consiste à assagir quelque peu ma construction imaginaire, en l'ordonnant : je commence par rédiger ce que j'appelle le « feuilletage » : en élaborant une sorte de synopsis où je repère l'intrigue principale, les intrigues secondaires, ma symbolique personnelle, la façon dont chaque personnage va nouer les fils des intrigues, le ton, le type de narration, le genre, etc. Une fois le livre entre les mains du lecteur, c'est au tour de ce dernier d'effectuer son « feuilletage », non seulement en tournant les pages, mais également en repérant les strates du récit, et leurs intersections. Après quoi il peut élaborer sa propre interprétation. C'est justement ce type de lecture experte que permet Entrer en littérature.

Christian Poslaniec INRP, Université du Maine, écrivain.

Grégoire Solotareff, Mathieu, L’école des Loisirs, 1992 6


I NTRODUCTION

I NTRODUCTION Entrer en littérature. Certes l’invitation est alléchante, mais par quel chemin, pour quelle quête ? Il s’agit de l’école, et de la lecture, et des difficultés des élèves encore une fois. Après avoir suivi un écureuil ou un rat bien primaires, mot à mot dans un manuel du cours préparatoire, les élèves souvent ne trouvent plus le chemin des histoires subtiles. Ils ne comprennent pas toutes les histoires même les problèmes et l’Histoire. Ils ne répondent littéralement qu’aux petites questions simples que pose le maître sur la pipe de papa qui fume, est-ce que la pipe de papa fume, oui la pipe de papa fume. Mais les évaluations nationales ont la fièvre, l’inspecteur se penche au chevet du lecteur non-lecteur : « Ne suivez pas à pas un rat, chaussez plutôt les bottes d’un chat qui vous emmènera à sept lieux d’ici. » La lecture littéraire n’est jamais univoque. Elle marque la rencontre personnelle d’un lecteur toujours en devenir et d’un texte pluriel toujours à découvrir. C’est la « réticence » essentielle des textes littéraires comme le soulignent Umberto Eco ou Dominique Maingueneau : « La lecture doit faire surgir tout un univers à partir d’indices lacunaires et peu déterminés ».1 Les personnages souvent ambigus évoluent dans des contextes énigmatiques, le narrateur choisit des perspectives rares qui donnent le vertige, le temps se compte à rebours ou suspend son vol, des ombres connues sont croisées en chemin, sorties de la nuit des contes. « Le texte littéraire, d’une certaine manière, organise la confusion (…) Cette littérature là est le "lieu textuel" d’une " incompréhensibilité programmée " ».2 Le sens n’est jamais donné immédiatement. Il est à construire, à conquérir. Cette quête intelligente invite le lecteur à « déjouer » les embûches laissées par l’auteur et au bout du « conte » à le rencontrer. Le plaisir de la lecture naît de cet effort sur soi-même, de cette lente découverte du texte et aussi de l’intérêt et de la nouveauté des histoires. La littérature remet sur le chemin le mauvais lecteur qui ne sait pas pourquoi il apprend à lire et qui trouve que « la pipe au papa du pape Pie pue ».3 Cherchant les indices pour entrer dans les histoires, l’apprenti lecteur observe, évoque, réfléchit, infère, comprend. La littérature est aussi une école pour la lecture. D’autant qu’elle offre une cour de récréation connue : Poucet et ses cailloux, Alice et ses merveilles. « Depuis deux siècles, la littérature adressée aux enfants (…) est riche de chefs-d’œuvre. Elle s’est constituée comme un univers où les thèmes, les personnages, les situations, les images ne cessent de se répondre ».4 La fréquentation régulière de ces œuvres apporte la connaissance d’un monde certes imaginaire mais qui permet de mieux comprendre le monde réel. Cette dimension culturelle éclaire les contextes de nombreux récits et participe au développement de la compréhension en lecture. « Les résultats des recherches interculturelles montrent que les sujets lisent plus vite les textes portant sur leur propre culture et en retiennent mieux l’information ».5

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Dominique Maingueneau, Pragmatique pour le discours littéraire, Bordas, 1990 Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Hatier, 2002 Jacques Prévert, La crosse en l’air, Paroles, 1936 Littérature, Document d’application des programmes, CNDP, 2002 Jocelyne Giasson, La compréhension en lecture, De Boeck Université, 1996

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Ebouriffée, émerveillée, ébaubie par tant de connaissances, la conseillère pédagogique du Cateau, jadis, rencontra la princesse des écoles et voulut tordre les questionnaires de lecture dans les glaces.1 Les questionnaires de lecture posent en effet des questions de surface, c’est papa qui fume encore. Les élèves passent beaucoup de temps à écrire des réponses, le texte est souvent court, tronqué, inexploité. Certains élèves développent même des stratégies et lisent d’abord les questions. « Le questionnaire a, dans ce cas, pour effet paradoxal d’empêcher la lecture du texte questionné. »2 Des questionnaires donc nenni. Le projet était autre : constituer des valises d’ouvrages de littérature et rechercher des pistes de questionnement organisées autour d’entrées didactiques actuelles : les personnages, la mise en réseau, le traitement du temps, des lieux, le style et des activités de lecture, d’écriture, de discussion, d’interprétation. Des livres surtout pour lire et aimer lire, des titres contemporains aussi, des créateurs, des illustrateurs nouveaux. Des enseignants, à l’occasion de stages répétés pendant plusieurs années ont donc lu, analysé, suggéré des études. Ils étaient cinq, bientôt furent appelés Le club des cinq. Ils ont donc suivi la conseillère et ses valises et sont restés pour tout le voyage. Un professeur d’IUFM qui passait par-là fit régulièrement le détour par Le château et apporta son caillou sur le chemin. Avec leur inspecteur qui répondait à une sollicitation du CRDP, l’équipe a donc rédigé le présent ouvrage en reprenant de nombreux exemples présentés dans les valises de littérature de la circonscription. Cet ouvrage destiné particulièrement aux enseignants du cycle 3 propose des fiches de préparation et des commentaires didactiques. Les enseignants choisiront donc certaines études et s’efforceront de faire vivre la lecture, chaque roman ou album étant abordé différemment sans un arrêt automatique sur l’analyse de la couverture par exemple. La lecture littéraire peut naître de la richesse, de l’originalité des œuvres retenues, de leur présentation orale, de leur interprétation, de leur mise en réseau culturelle, de leur compréhension bien sûr. Et c’est dans le dialogue patiemment construit entre le maître et les élèves que le sens et l’intérêt vont souvent s’éclore. Entrer en littérature suppose donc un accompagnement. Notre ouvrage retient quelques guides que l’on peut d’ailleurs retrouver dans les recommandations des nouveaux programmes. La mise en réseau ou en relation des œuvres constitue les deux premiers chapitres, le second organisant des regroupements avec les arts visuels : la peinture, le cinéma. Le rapprochement de deux ou de plusieurs œuvres permet de mettre en exergue des traits culturels, des mythes mais aussi des éléments du récit (caractérisation des personnages, traitement du temps, des lieux) ou encore des procédés d’écriture (point de vue du narrateur, fonction des illustrations ou des images). La compréhension des textes peut se trouver facilitée par la comparaison. La version d’un même récit offert par des auteurs différents facilite les réflexions sur l’interprétation. « La connivence culturelle sans laquelle il n’y a pas de compréhension à l’intérieur d’une société »3 se construit progressivement. Le chapitre deux s’arrête sur les inspirations inter-artistiques explorant également leurs résonances. Notre personnage s’invite au chapitre 3. Catherine Tauveron4 a montré que le personnage constituait une clé pour la compréhension des récits. La désignation des personnages (noms propres, noms communs, anaphores) recèle déjà une difficulté aux conséquences majeures pour la compréhension. La caractérisation du personnage amène le lecteur à compulser tout l’ouvrage, à dépasser le cadre de la page. L’analyse de la fonction des personnages joue également un rôle dans l’interprétation du récit. Notre étude retient le thème de la marginalité à travers plusieurs œuvres, plusieurs personnages et pose une réflexion morale. « La littérature de jeunesse, quelle soit d’hier ou d’aujourd’hui n’a jamais manqué de mettre en jeu les grandes valeurs, de montrer comment les choix qui président aux conduites humaines sont difficiles… ».5 L’interprétation s’installe parce que le texte littéraire joue à ne pas tout dire d’emblée, à

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La princesse des écoles, les classes ou glaces de neige in Pef La belle lisse poire du prince de Motordu, Gallimard jeunesse, 1980 Catherine Tauveron, ibidem Francis Marcoin, Qu’entendre par le mot « littérature » à l’école primaire, les journées de l’O.N.L, janvier 2002 Catherine Tauveron, Le Personnage, une clef pour la didactique du récit à l’école élémentaire, Delachaux et Niestlé, 1995 Littérature, Documents d’application des programmes, ibidem


I NTRODUCTION

cacher une partie de l’information, à fourvoyer le lecteur. Dans cette conception l’auteur du récit attribue au lecteur un rôle significatif dans la construction du sens. Il est le « co-énonciateur » (D. Maingueneau). « Dès les premiers moments de la lecture, en classe, des questionnements, des échanges permettent de mieux comprendre ce qui résiste à une interprétation immédiate ».1 L’interprétation de la fin de séquence permet de confronter les interprétations plus larges qui mettent en débat des émotions, des valeurs. Certains aspects du texte étant laissés en blanc, libres d’interprétation. Notre dernier chapitre offre précisément les blancs du récit à la plume du lecteur. L’écriture dans le cadre d’une liaison didactique bien explorée avec la lecture permet de poursuivre la compréhension des textes et la rencontre avec l’œuvre. Le récit peut être complété, prolongé, transformé. De nombreux exemples sont donnés, encore appuyés sur des ouvrages de la littérature de jeunesse. Il ne s’agit pas d’étouffer l’intérêt pour la lecture sous une avalanche de fiches mais de limiter les études menées en s’arrêtant sur des points majeurs du récit. L’enseignant peut alors soulever des problèmes de compréhension, d’interprétation, susciter l’expression des élèves, leur parole, leur écriture. Les chemins de la littérature font des détours mais passent par l’école pour égrener quand même d’autres Poucet rêveurs. Francis Dupuit

1 Littérature, Documents d’application des programmes, ibidem

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