« ÇA NE FONCTIONNE PAS! » L’ASPECT SYMBOLIQUE DU DROIT, DU DROIT CRIMINEL À LA LOI 21

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FONDATION CANADIENNE DES RELATIONS RACIALES

«ÇA NE FONCTIONNE PAS! » L'ASPECT SYMBOLIQUE DU DROIT, DU DROIT CRIMINEL À LA LOI 21 Phil Lord Faculté de droit de l'Université McGill Juin 2020


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« ÇA NE FONCTIONNE PAS! » L’ASPECT SYMBOLIQUE DU DROIT, DU DROIT CRIMINEL À LA LOI 21 Phil Lord1 Le présent article utilise un cadre analytique issu du droit criminel pour analyser la Loi 21. Il dresse un portrait de la dénonciation, un principe important du droit criminel, et décrit le cadre analytique qui lui est applicable. Il applique ensuite ce cadre analytique à la Loi 21. Partant d’une analyse historique de l’importance de la laïcité de l’État au Québec, il recadre le débat concernant la Loi 21 et dépeint celle-ci comme un acte symbolique et constitutif. La Loi 21 permet effectivement aux Québécois de se distancier d’un passé asphyxiant où l’état et la religion ne faisaient qu’un. La Loi 21, comme acte symbolique, est constitutive et consolidatrice d’une identité commune. Elle est sous-tendue par certaines anxiétés collectives quant à ce qui pourrait menacer cette identité. En développant un cadre analytique provenant du droit criminel, le présent article suggère, quoique de façon tangentielle, que l’importance des aspects symbolique et constitutif du droit transcende le droit criminel. Mots clés : Québec, Loi 21, discrimination, laïcité, laïcité de l’État, Islam, discrimination, hidjab, religion, droit et religion, Grande Noirceur, Révolution tranquille, droit criminel

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LL.B. (McGill, Tableau d’honneur du doyen), B.C.L. (McGill, Tableau d’honneur du doyen), ACIArb. Je suis reconnaissant envers la professeure Kirsten Anker, Sandrine Ampleman-Tremblay et Lydia Saad pour leur patience, leur dévouement et leurs éclairants commentaires sur des versions antérieures de ce texte. Je reconnais également l’appui financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.


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TABLE DES MATIÈRES TABLE DES MATIÈRES......................................................................................2 INTRODUCTION ...............................................................................................3 I. CADRE ANALYTIQUE ...................................................................................5 II. LA LOI 21 .................................................................................................11 CONCLUSION .................................................................................................16 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................17


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INTRODUCTION

La Loi 21 a été déposée comme projet de loi par le gouvernement nouvellement élu de la Coalition avenir Québec et adoptée par l’Assemblée nationale du Québec en juin 20192. Elle semble clore un débat de longue date au Québec quant à la place des signes religieux dans la fonction publique – et, peut-être, dans la société en général. Ce débat avait passé par la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles de 2007-08 (communément appelée Commission Bouchard-Taylor). Le rapport de cette Commission avait recommandé d’interdire le port de signes religieux à certains employés de l’état3. Le débat avait également marqué plusieurs campagnes électorales précédentes. Lors de l’élection générale de 2012, les questions identitaires avaient contribué à la victoire du Parti Québécois4. À la suite de l’élection, le gouvernement du Parti Québécois avait déposé sa Charte de la laïcité, qui avait des objectifs similaires à ceux de la Loi 215. Cette Charte n’ayant jamais été adoptée, la laïcité de l’État a continué à occuper une place considérable dans le débat public.

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PL 21, Loi sur la laïcité de l’État, 1re sess, 42e lég, Québec, 2019 (sanctionnée le 16 juin 2019), LQ 2019, c 12 [Loi 21]. Il est pertinent de mentionner au passage que l’appellation que j’adopte ici, puisque c’est celle qui a été adoptée dans le débat public concernant la Loi 21, est inexacte. Les projets de lois sont numérotés, mais les lois ne le sont pas. Le « projet de loi 21 » est donc devenu la Loi sur la laïcité de l’État (voir Phil Lord, « Quelle est la réelle raison d'être de la loi 21? » (2020) 9:3 Directions 1 à la p 2). 3 Québec, Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles, Fonder l’avenir : Le temps de la conciliation (Gérard Bouchard et Charles Taylor) [Commission Bouchard-Taylor] (« [e]n ce qui concerne le port de signes religieux par les agents de l’État, nous recommandons qu’il soit interdit à certains d’entre eux (magistrats et procureurs de la Couronne, policiers, gardiens de prison, président et vice-présidents de l’Assemblée nationale). Mais pour tous les autres agents de l’État (enseignants, fonctionnaires, professionnels de la santé et autres), nous estimons que le port de signes religieux devrait être autorisé. Ces deux dispositions nous semblent dictées par la règle d’équilibre qui inspire toute notre démarche » à la p 260). 4 Voir par ex Alec Castonguay, « Les neuf vies de Pauline Marois », L’actualité (7 mars 2014), en ligne : <lactualite.com/politique/les-neuf-vies-de-pauline-marois/> et Mélanie Marquis, « Loi sur la laïcité de l’État: « J’en prends un peu le mérite », dit Marois », La Presse (2 juillet 2019), en ligne : <www.lapresse.ca/actualites/politique/201907/01/015232343-loi-sur-la-laicite-de-letat-jen-prends-un-peu-le-merite-dit-marois.php> . 5 PL 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement, 1re sess, 40e lég, Québec, 2013 (jamais sanctionné).


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La Loi 21 interdit aux employés de la fonction publique occupant des postes dits d’autorité de porter des signes religieux dans l’exercice de leurs fonctions6. Contrairement à la Charte jadis proposée par le gouvernement du Parti Québécois, cette interdiction ne se limite pas aux signes religieux ostentatoires7. La définition des postes dits d’autorité est également particulièrement large, puisqu’elle inclut notamment les enseignants8. La Loi 21 requiert aussi que les services publics soient donnés et reçus à visage découvert9. Bien qu’il s’agisse d’une loi provinciale, la Loi 21 a été omniprésente dans la dernière élection fédérale. Tous les partis fédéraux, à l’exception du Bloc Québécois, se sont positionnés contre la Loi 2110. Le Parti libéral, gagnant de cette élection, avait même affirmé vouloir participer à une éventuelle contestation devant les tribunaux11. Même après son adoption, la Loi 21 continue de diviser le pays. Une forte majorité (64 %) des Québécois la supporte, alors qu’une majorité (59 %) des Canadiens des autres provinces et territoires s’y oppose12. Bien que la Loi 21 utilise la disposition dérogatoire pour se soustraire à l’application de la Charte canadienne des droits et libertés13, elle a déjà fait l’objet de deux contestations devant les tribunaux14.

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Loi 21, supra note 2, art 6. Voir généralement PL 60, supra note 5. 8 Loi 21, supra note 2, annexe II, art 10. 9 Ibid, arts 7—10. 10 Voir par ex Radio-Canada, « Le débat des chefs fédéraux 2019 » (11 octobre 2019), en ligne (vidéo) : YouTube <www.youtube.com/watch?v=68hBSrw_qvw> . 11 Ibid. 12 Voir Philip Authier, « Majority of Canadians Disapprove of Bill 21, but Quebecers Are in Favour: Poll », The Montreal Gazette (6 août 2019), en ligne : <montrealgazette.com/news/local-news/a-new-poll-shows-support-for-bill-21-is-built-onanti-islam-sentiment> . 13 art 33(1), partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11. 14 En date de janvier 2020. Voir par ex Guiseppe Valiante, « La Cour supérieure entend la contestation de la Loi sur la laïcité de l'État », Le Soleil (9 juillet 2019), en ligne : <www.lesoleil.com/actualite/politique/la-cour-superieure-entend-la-contestation-de-la-loisur-la-laicite-de-letat-e1e20798ed9f78bb7c98e881d5891657> et Judith Lachapelle, « Loi sur la laïcité : une seconde contestation déposée en Cour supérieure », La Presse (27 septembre 2019), en ligne : <www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faitsdivers/201909/26/01-5243014-loi-sur-la-laicite-une-seconde-contestation-deposee-en-coursuperieure.php> . 7


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Dans un article récemment publié, j’ai soutenu que la Loi 21 est un acte symbolique et constitutif15. Ce faisant, j’ai tenté de recadrer le débat public qui, jusqu’alors, était focalisé sur l’efficacité de la Loi 21 quant à son objectif déclaré principal de promouvoir l’égalité des sexes. J’ai soutenu que ce débat et ses positions, opposées à première vue, sont plutôt soustendus par un consensus quant au fait que la loi est un outil permettant d’engendrer un changement social et qu’elle doit, par conséquent, être évaluée par rapport à son efficacité à le faire. J’ai présenté le contexte historique particulier au Québec qui peut expliquer la grande importance que les Québécois accordent aujourd’hui à la laïcité de l’État. J’ai finalement soutenu que ce contexte historique suggère que la Loi 21 est une façon pour les Québécois de se distancier d’un passé asphyxiant où la religion et l’État ne faisaient qu’un. Cette perspective fait perdre presque toute son importance à l’enjeu de l’efficacité de la Loi 21 comme outil de changement social. Je ne me suis pas amplement attardé à la taxinomie proposée, qui distingue l’aspect symbolique du droit de son aspect instrumental. Je le fais ici, m’ancrant dans une doctrine provenant du droit criminel. Je maintiens toujours que la Loi 21 devrait être perçue comme un acte symbolique et constitutif. J’approche par contre cette affirmation d’une perspective différente, m’intéressant à certains concepts ainsi qu’à un cadre analytique propres au droit criminel. Les aspects constitutif et symbolique du droit étant reconnus comme légitimes et importants en droit criminel, je soutiens que le cadre présenté nous permet de mieux comprendre la Loi 21. Ce faisant, je soutiens, quoique de façon tangentielle, que les aspects constitutif et symbolique du droit ont une importance qui dépasse du droit criminel. La première section présente le cadre et les concepts du droit criminel qui sont pertinents à mon analyse. La seconde section les applique à la Loi 21.

I. CADRE ANALYTIQUE La Loi 21 n’appartient bien évidemment pas au droit criminel. Il s’agit d’une loi adoptée par l’Assemblée nationale du Québec qui n’entraîne pas de conséquences pénales. Dans le cadre du présent article, je cherche à 15

Lord, supra note 2. Voir aussi Phil Lord, « What Is the True Purpose of Quebec's Bill 21? » (2020) 9:3 Directions 1. L’article a été écrit et publié en français et en anglais.


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utiliser certains concepts du droit criminel, moins présents dans le droit civil, pour mieux comprendre la Loi 21. Les divisions entre les types de droit ne sont pas étanches16, et les concepts et cadres analytiques qui s’appliquent à ceux-ci sont d’autant plus perméables. L’aspect symbolique du droit bénéficie d’une certaine légitimité qui lui confère un traitement particulier en droit criminel. J’utiliserai le cadre analytique et l’historique de cet aspect dans mon analyse de la Loi 21. Ce faisant, je soutiendrai, quoiqu’indirectement, qu’il est également utile à notre compréhension du droit civil. Prenons comme point de départ l’article 718 du Code criminel, qui énumère les objectifs de la détermination de la peine. L’article est rédigé comme suit : 718 Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants : a) dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité; b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions; c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société; d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants; e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes ou à la collectivité17. Le sous-aspect le plus pertinent à notre analyse est le premier. L’on y introduit un aspect symbolique du droit, soit le principe de dénonciation. Contrairement aux autres objectifs mentionnés dans l’article, celui-ci n’est pas instrumental. Il ne sert pas directement à diminuer la criminalité. La 16

Voir par ex Thomas A Cowan, « Contracts and Torts Should Be Merged » (1955) 7:3 J Leg Educ 377 à la p 379 et George K Gardner, « An Inquiry into the Principles of the Law of Contracts » (1932) 46:1 Harv L Rev 1. 17 LRC 1985, c C-46.


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dissuasion et l’isolement mentionnés aux deux sous-aspects suivants servent ostensiblement à, respectivement, dissuader le contrevenant potentiel de commettre un crime et isoler notamment celui qui demeure susceptible de le faire. Le dernier sous-aspect cherche probablement aussi à dissuader le contrevenant de commettre un autre crime. L’avant dernier est, quant à lui, assez explicite. Contrairement à tous ces autres sous-aspects, le premier (qui vise à dénoncer le comportement) n’atteint aucun objectif relié au contrevenant, à la victime ou à d’autres personnes susceptibles de commettre un crime. La dénonciation est donc un objectif en soi. Le professeur Richard Dubé s’exprime à ce sujet comme suit: Lorsqu’on parle de « dénonciation » en matière de droit criminel, on se réfère à des objectifs qui ne sont pas empiriques mais bien symboliques. Les peines afflictives constituent un des symboles ou un des signes à travers lesquels se communique socialement l’atteinte que représente le crime contre les valeurs fondamentales de la société [italiques dans l’original]18. Si l’on perçoit le crime comme une atteinte à la communauté ou à ses valeurs, il n’est pas surprenant que le droit criminel soit l’outil disponible pour tenter de l’éradiquer. Le droit criminel est ostensiblement notre outil le plus puissant. Il amène des conséquences fort sérieuses pour le contrevenant, incluant la perte de libertés fondamentales. Bien que cet outil semble à première vue trop puissant pour simplement dénoncer un comportement que la société abhorre (mais qui n’affecte pas nécessairement les tiers), il semble en réalité, en tant qu’outil de droit public, être l’un des plus pertinents qui s’offrent au législateur. Si le législateur créait quelconque recours de droit privé, ce seraient les citoyens qui devraient s’en

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Richard Dubé et Sébastien Labonté, « La dénonciation, la rétribution et la dissuasion : repenser trois obstacles à l’évolution du droit criminel moderne » (2016) 57:4 C de D 685 aux pp 691—92. Voir aussi Bill Wringe, « Rethinking expressive theories of punishment: why denunciation is a better bet than communication or pure expression » (2016) 174:3 Philosophical Studies 1 et Lisa L Sample, Mary K Evans et Amy L Anderson, « Sex Offender Community Notification Laws: Are Their Effects Symbolic or Instrumental in Nature? » (2011) 21:1 Crim Justice Policy Rev 27. Contra Kenworthey Bilz et Janice Nadler, « Law, Moral Attitudes, and Behavioral Change » dans Eyal Zamir et Doron Teichman, dirs, The Oxford Handbook of Behavioral Economics and the Law, New York, Oxford University Press, 2014, 241; Phil Lord, « The Social Perils and Promise of Remote Work » (2020) 4:S J Behavioral Economics Policy 63 et Richard H Thaler et Cass R Sunstein, Nudge: Improving Decisions About Health, Wealth, and Happiness, New York, Penguin, 2009.


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prévaloir19. Un recours de droit public permet à l’état de s’assurer que la loi est utilisée et qu’elle n’est pas soumise à des considérations extrinsèques inhérentes aux recours de droit privé – notamment les coûts reliés à ces recours20. Bien que plusieurs aient critiqué la pertinence de la dénonciation comme aspect de la détermination de la peine21, son importance ne semble pas avoir diminué à travers le temps. Plusieurs modifications relativement récentes au Code criminel enchâssent l’importance particulière de ce principe lorsque certains crimes sont commis. C’est le cas pour les infractions commises contre les enfants22, les agents de la paix et autres personnes associées au système judiciaire23, certains animaux24 et, depuis 2019, les femmes autochtones25. Cet objectif est également mentionné expressément dans plusieurs lois pénales26. L’on comprend donc que l’objectif de dénonciation occupe une place importante dans le droit criminel. Cet objectif légitime le fait que la loi serve à atteindre des objectifs autres qu’instrumentaux. Il reconnait que ce que le professeur Dubé qualifie d’« empirique » ne suffit pas à expliquer entièrement le droit. C’est particulièrement le cas en droit criminel. Ce dernier s’applique dans des situations souvent répugnantes qui choquent la conscience publique. L’objectif de dénonciation légitime notre aversion souvent intuitive envers ces situations. Il justifie la criminalisation de certains comportements, même lorsque cette criminalisation ne permet d’atteindre aucun objectif instrumental et nous laisse même, à l’occasion, dans une pire situation.

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Voir généralement Charles E Clark, « Law Enforcement and Public Administration » (1935) 30:3 Illinois L Rev 273 (qui concerne la responsabilité de l’état relative à la mise en application du droit public). 20 Voir généralement LCB Gower, « The Cost of Litigation: Reflections on the Evershed Report » (1954) 17:1 Mod L Rev 1 et John C Kleefeld, « Class Actions as Alternative Dispute Resolution » (2001) 39:4 Osgoode Hall LJ 817. 21 Voir par ex ibid et Michael Cavadino et James Dignan, The Penal System: An Introduction, 4e éd, Thousand Oaks, Sage, 2007 aux pp 35—65 (qui critique la dénonciation comme objectif indépendant de la détermination de la peine). 22 Code criminel, supra note 17, art 718.01 (adopté en 2005). 23 Ibid, art 718.02 (adopté en 2009). 24 Ibid, art 718.03 (adopté en 2015). 25 Ibid, art 718.04. 26 Voir Dubé et Labonté, supra note 18 à la p 692.


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L’on ne peut, par exemple, justifier la criminalisation de la possession de drogues par des raisons dites empiriques27. Les statistiques suggèrent plutôt que la criminalisation de la possession à des fins de consommation de tous les types de drogues ne diminue pas les taux de consommation de ces drogues, entraîne la surincarcération de certaines populations marginalisées et peut même augmenter indirectement les taux de criminalité28. À l’inverse, une décriminalisation ne semble pas augmenter les taux de consommation et, dans les pays et états qui ont adopté la décriminalisation, la mortalité reliée à la consommation de drogue et les taux de consommation auprès des populations vulnérables (comme les adolescents) ont diminué29. Cela dit, la population serait probablement fortement opposée à la décriminalisation de la possession à des fins de consommation de certains types de drogues, notamment les drogues dites dures. Lors de la dernière élection fédérale, cette position a été dépeinte comme radicale. Après que plusieurs membres de son parti aient suggéré une telle décriminalisation, le premier ministre sortant Justin Trudeau a senti le besoin d’y réitérer plusieurs fois son opposition30. La criminalisation se justifie donc par des raisons autres qu’empiriques et, en l’espèce, entraîne même des coûts humains et financiers importants. Elle dénote l’anxiété de la population par rapport à certaines drogues31. Cette anxiété peut, par exemple, refléter la crainte que cette décriminalisation s’inscrive dans un courant de décriminalisation d’autres actes que l’on considère aberrants. Similairement, une revue historique de la criminalisation de l’homosexualité au Canada, minutieusement effectuée par Robert Leckey de l’Université McGill, illustre l’anxiété collective qui sous-tendait la 27

Voir par ex Desmond Manderson, « Possessed: Drug Policy, Witchcraft and Belief » (2005) 19 Cultural Studies 36. Voir aussi James C Weissman, « Drug Control Principles: Instrumentalism and Symbolism » (1979) 11:3 J Psychedelic Drugs 203. L’auteur note également que certains objectifs, à première vue instrumentaux, s’avèrent être des objectifs symboliques (ibid à la p 207). 28 Voir Brian Stauffer, « Every 25 Seconds: The Human Toll of Criminalizing Drug Use in the United States » (12 octobre 2016), en ligne : Human Rights Watch <www.hrw.org/report/2016/10/12/every-25-seconds/human-toll-criminalizing-drug-useunited-states> (un récent rapport détaillé d’un organisme pour la promotion des droits humains qui recense les données pertinentes). 29 Ibid. 30 Voir Radio-Canada, « Le débat des chefs fédéraux 2019 », supra note 10 et Rachel Browne, « Trudeau confirms that the Liberals are not looking to decriminalize drugs », Global News (24 septembre 2019), en ligne : <globalnews.ca/news/5946329/trudeau-liberals-decriminalize-drugs/> . 31 Voir par ex Manderson, supra note 27 et Weissman, supra note 27 à la p 208.


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criminalisation de l’homosexualité32. Il est difficile d’imaginer un motif instrumental qui aurait pu justifier ce traitement de l’homosexualité. Contrairement à plusieurs autres comportements criminalisés, l’homosexualité n’affecte pas de tiers. Elle ne concerne que ses participants consentants. L’on peut plutôt instinctivement penser que cette criminalisation visait l’élimination partielle ou totale d’une activité que la population abhorrait, le droit criminel étant l’outil le plus efficace permettant de le faire (sans qu’il n’y ait quelconque preuve empirique à ce sujet). Leckey effectue une analyse des débats parlementaires qui ont précédé la décriminalisation de l’homosexualité, s’exprimant comme suit : The Parliament of Canada partially decriminalized homosexual conduct in 1969. Keeping buggery and gross indecency as offences, the reform carved an exception for consensual acts committed in private by husband and wife or by two persons 21 years of age or older. […] As rapidly becomes plain, the reform’s opponents wore their homophobia on their sleeves. They expressed a sense of insecurity, anxiety, and even panic: Canadian society was under threat; heterosexuality and the family were fragile. Strikingly, though, even the leading reformers insisted that homosexuality would remain illegal, laboriously affirming their disgust for it33. L’anxiété collective décrite par Leckey m’amène à mon dernier point relatif au cadre analytique du droit criminel pertinent à mon analyse. Elle contextualise l’aspect symbolique du droit. En effet, ce dernier semble souvent s’inscrire dans une anxiété collective relative à la fois à l’acte que l’on dénonce et à son impact sur l’identité partagée d’un peuple34. L’acte est donc non seulement aberrant, mais il contrevient également à une valeur qui définit notre identité collective. Notre anxiété collective est donc moins une anxiété relative à l’acte criminel en soi qu’elle en est une relative à la menace que cet acte pose à la survie de notre identité partagée. La dénonciation symbolique qui s’effectue en droit criminel ne vise pas 32

Robert Leckey, « “Repugnant”: Homosexuality and Criminal Family Law » (2020) 70:__ UTLJ __ (à paraître), en ligne: SSRN <ssrn.com/abstract=3447301> . Un troisième exemple d’une loi pénale dont les objectifs sont principalement symboliques, que je n’analyserai pas ici en détail, sont les lois visant à établir un registre de certains délinquants, voir Sample, Evans et Anderson, supra note 18. Au Canada, un tel registre existe pour les délinquants sexuels, voir Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, LC 2004, c 10. 33 Ibid aux pp 1—2. 34 Voir par ex Manderson, supra note 27; Weissman, supra note 27 à la p 208 et Sample, Evans et Anderson, supra note 18.


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d’objectif instrumental comme la rétribution ou la réintégration du contrevenant. Elle vise la préservation de notre identité collective. La présente section a décrit le cadre analytique du droit criminel, à l’intérieur duquel la dénonciation du comportement du contrevenant est un objectif légitime et commun. Cet objectif en est un qui est purement symbolique. La prochaine section applique ce cadre analytique à la Loi 21, afin de soutenir que celle-ci devrait également être perçue comme un acte symbolique et constitutif.

II. LA LOI 21 Je mentionnais dans l’introduction le clivage dans l’opinion publique qui définit la Loi 21. Une forte majorité (64 %) des Québécois supporte la loi, alors qu’une majorité (59 %) des Canadiens s’y oppose. Dans mon article précédent sur la Loi 2135, je me suis intéressé au contexte particulier au Québec qui peut expliquer ce clivage. Je m’ancre en le préambule de la loi, qui est rédigé comme suit : [L]a nation québécoise a des caractéristiques propres, dont sa tradition civiliste, des valeurs sociales distinctes et un parcours historique spécifique l’ayant amenée à développer un attachement particulier à la laïcité de l’État36[.] Je trace ensuite l’histoire du Québec jusqu’à la Révolution tranquille des années 1960. Je note que le Québec a été fondé en tant que colonie catholique et que l’Église a joué un rôle fort important jusqu’à la Révolution tranquille. L’historien Robert Choquette décrit le rôle de l’Église dans les affaires publiques comme suit : This establishment included government subsidies of many kinds, in the form of land grants, direct subsidies, and salaries. It also included direct and indirect control of the established churches by government, in the form of nomination bishops, approval of pastoral appointments, approval of church budgets, or of monitoring clerical pronouncements.

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Lord, supra note 2. Loi 21, supra note 2.


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« ÇA NE FONCTIONNE PAS! » […] The established [Catholic] churches became, for all practical purposes, departments of state and their clergy public functionaries37.

Jusqu’à la Révolution tranquille, l’Église administrait les réseaux de la santé et de l’éducation dans la province38. On connait aujourd’hui la période qui a précédé la Révolution tranquille comme la Grande Noirceur. Cette période de conservatisme se caractérisait par un support presqu’inconditionnel par l’Église de l’État (et l’inverse). La laïcité de l’État a fait partie intégrante de la Révolution tranquille. C’est lors de cette période clé qu’elle s’est inscrite dans l’identité collective du peuple québécois. La Révolution tranquille a permis au Québec de se délier des chaînes de l’influence de l’Église catholique et d’un passé qui semblait dès lors opprimant39. La Loi 21 est une étape additionnelle dans l’affirmation de l’importance de la laïcité de l’État. Comme la Révolution tranquille, elle est un acte constitutif et symbolique. En affirmant l’importance contemporaine de la laïcité de l’État, la Loi 21 continue de définir l’identité du peuple québécois. Elle sert à conclure « l’affranchissement inachevé des chaînes de la confluence de l’église et de l’état » 40. Cette analyse recadre le débat public relatif à la Loi 21. Ce débat avait jusqu’alors été focalisé sur l’efficacité de la Loi 21 quant à l’atteinte de son objectif déclaré principal de promouvoir l’égalité des sexes et, plus particulièrement sur l’hidjab, un voile porté par certaines femmes de confession musulmane41. L’on avait dépeint la laïcité de l’État comme un outil législatif servant à promouvoir l’égalité des sexes. La Loi 21 force les femmes de confession musulmane à retirer leur hidjab, que l’on considère comme un symbole d’oppression de la femme42. Ceux qui supportent la Loi 21 croient que cet outil est efficace. Ceux qui s’y opposent ne le croient pas. Ils prétendent plutôt que la Loi 21 force les femmes de confession musulmane à choisir entre leur religion et le service de l’état (ou l’accès aux services publics). Ils croient qu’elles choisiront leur religion, ce qui accélérera simplement leur marginalisation43. Bien que ces deux positions 37

Robert Choquette, Canada’s Religions, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, 2004 à la p 223. 38 Voir Donald Cuccioletta et Martin Lubin, « The Quebec Quiet Revolution: A Noisy Evolution » (2003) 36 Quebec Studies 125 aux pp 126-127. 39 Lord, supra note 2 à la p 7. 40 Ibid. 41 Ibid à la p 4. Voir aussi Radio-Canada, « Le débat des chefs fédéraux 2019 », supra note 10. 42 Lord, supra note 2 à la p 4. 43 Ibid aux pp 4—5.


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soient opposées, elles sont pleinement commensurables. Elles sont effectivement bâties sur un consensus quant au fait que l’objectif de la loi est de promouvoir l’égalité des sexes et qu’elle doit conséquemment être jugée sur son efficacité à le faire44. Le cadre analytique présenté dans la section précédente appuie les conclusions tirées dans mon article. Il suggère que le débat relatif à la Loi 21 ignore peut-être la réelle raison d’être de la Loi 21, soit son aspect symbolique. Ce cadre analytique légitime effectivement l’aspect symbolique du droit. Il peut sembler à première vue surprenant, voire même éhonté, d’affirmer que le débat public ignore la réelle raison d’être de la loi et, qui plus est, que la loi vise réellement à atteindre un objectif purement symbolique (plutôt qu’instrumental). Par contre, le droit criminel offre un cadre analytique différent qui contextualise cette affirmation. Dans ce cadre analytique, cette symbolicité du droit est reconnu comme importante et légitime. L’on ne se surprendrait pas d’affirmer qu’une loi la priorise. C’est effectivement le cas pour plusieurs infractions criminelles, mentionnées dans la première section, qui priorisent l’objectif de dénonciation lors de la détermination de la peine45. Tel que mentionné dans la section précédente, l’objectif de dénonciation est priorisé en soi. L’on cherche, en droit criminel, à dénoncer le sérieux de l’infraction, sans chercher à atteindre quelconque autre objectif relié au contrevenant ou à la diminution des taux de criminalité. En l’espèce, le cadre analytique que je propose dans mon article antérieur nous amène à cesser la recherche d’un objectif instrumental de la Loi 21 et à plutôt accepter que celle-ci vise peut-être simplement à énoncer une valeur sociétale importante, soit la laïcité de l’État. Le contexte historique propre au Québec, caractérisé par une confluence oppressante de l’église et de l’état, contextualise et explique que la laïcité de l’État soit une valeur que l’on poursuit en soi. Par ailleurs, dans les deux cas, l’affirmation de l’importance d’une valeur est plus qu’un acte symbolique: c’est également un acte constitutif. Cet acte contribue à la formation et à la consolidation de l’identité collective d’une société. Dans le cas du droit criminel, le professeur Dubé 44

Ibid. Les infractions pertinentes mentionnées dans la première section sont celles commises à l’égard des enfants, des agents de la paix et autres personnes associées au système judiciaire, de certains animaux et des femmes autochtones. Je mentionne également la criminalisation historique de l’homosexualité et de la possession de drogue à des fins de consommation. 45


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(précité) parle de la dénonciation comme étant un objectif « symbolique », un signe « à travers [lequel] se communique socialement l’atteinte que représente le crime contre les valeurs fondamentales de la société »46. La communication de la valeur (par son atteinte) est constitutive et consolidatrice de l’identité collective qui se définit par cette même valeur. L’on affirme par exemple l’importance de cette valeur en punissant le contrevenant de façon plus sévère. La communication de la valeur favorise la cohésion sociale en affirmant qu’une caractéristique est commune aux membres de la société. Dans le cas de la Loi 21, l’on affirme l’importance de la laïcité de l’État. Cette affirmation est constitutive en ce qu’elle affirme l’importance toujours actuelle de cette valeur dans l’identité collective des Québécois à la suite de la Révolution tranquille47. Elle permet aussi, tel que mentionné précédemment, de poursuivre l’affranchissement ou l’assainissement de la fonction publique en y éliminant les vestiges de la religion. Ce faisant, l’affirmation de l’importance de la laïcité de l’État permet aux Québécois de se libérer, tant symboliquement que réellement, des chaines d’un passé où l’influence de l’Église Catholique était opprimante. L’affirmation de l’importance de la laïcité de l’État se contextualise par une anxiété collective semblable à celle décrite dans la section précédente (en droit criminel). J’ai précédemment souligné l’anxiété qui sous-tend la criminalisation de l’homosexualité et la possession de drogues, deux exemples tirés du droit criminel. Cette anxiété découle moins de l’acte criminalisé que de la menace que celui-ci pose à l’identité. La Loi 21 résulte similairement d’une anxiété collective. Tout d’abord, l’anxiété liée à un passé traumatique où l’Église catholique possédait un pouvoir considérable subsiste. Notre affranchissement continuel découle en partie d’une peur que le passé nous rattrape. Certains pourraient suggérer que la focalisation du 46

Dubé et Labonté, supra note 18 aux pp 691—92. Cet aspect constitutif du droit fait l’objet d’une riche doctrine, voir par ex James Boyd White, « Law as Rhetoric, Rhetoric as Law: The Arts of Cultural and Communal Life » (1985) 52:3 U Chicago L Rev 684. White affirme que la communication de certaines valeurs qui s’effectue par exemple par le biais de certaines lois n’est pas statique. Elle est plutôt constitutive d’une identité commune. La loi et cette identité sont donc mutuellement constitutives. Par rapport au droit criminel plus particulièrement, voir par ex Stuart Henry et Dragan Milovanovic, « Constitutive Criminology: The Maturation of Critical Theory » (1991) 29:2 Criminology 293. L’exemple offert par ces auteurs en est un, peut-être à l’instar de la Loi 21, où l’affirmation de la valeur entretient un comportement négatif (le crime). Quoi qu’il en soit, c’est ostensiblement la fluidité de notre identité et de la relation entre la loi et celle-ci qui nous poussent à constamment réaffirmer l’importance de certaines valeurs à travers les lois – même si ces valeurs font déjà partie de notre identité partagée. 47


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débat public sur l’hidjab découle également d’une anxiété relative aux personnes de confession musulmane. Je crois plutôt qu’il s’agit de la même anxiété. La peur de l’hidjab est réellement la peur qu’un groupe religieux, quel qu’il soit, prenne trop de place dans la société et menace notre identité collective.48 C’est la peur d’un multiculturalisme prétendument poussé trop loin. À cet égard, la Commission Bouchard-Taylor, qui a occupé une place importante dans l’évolution du débat sur la laïcité de l’État, concernait les accommodements raisonnables. Elle s’inscrivait dans un courant de pensée majoritaire selon lequel les accommodements offerts à certains groupes religieux allaient trop loin49. Autant en droit criminel qu’en ce qui concerne la Loi 21, l’on peut constater un impact sur les tiers. En droit criminel, l’affirmation de l’importance d’une valeur se fait notamment par l’entremise de la détermination de la peine. S’ensuit un impact sur le contrevenant, qui subit une peine plus sévère même si cette peine ne favorise ni sa responsabilisation ni sa réinsertion sociale. La société paie aussi un certain prix en ce que d’autres objectifs plus instrumentaux qui assureraient la protection de la société ou de la victime sont au moins partiellement supplantés par l’objectif de dénonciation. Quant aux conséquences de la Loi 21, des femmes de confession musulmanes se voient dans l’obligation de choisir entre le service dans la fonction publique (et l’accès à des services publics essentiels) et le port d’un signe religieux qui leur est cher. L’affirmation de l’importance de la laïcité de l’État se fait donc à leur détriment. L’impact sur ces tiers me permet de réitérer mon affirmation antérieure que l’aspect symbolique du droit est intrinsèquement important. En droit criminel, cette affirmation est relativement intuitive (notamment puisqu’elle est explicitée dans certaines lois). L’on sait qu’elle entraîne une peine plus sévère pour le contrevenant. L’importance de l’affirmation d’une valeur est proportionnelle à ce coût. Pour ce qui est de la Loi 21, son aspect symbolique est moins explicite. Par contre, si l’on accepte la thèse que je mets ici de l’avant, l’impact sur les femmes de confession musulmane est significatif et ne vise aucun objectif instrumental. Si l’on est prêts à payer ce prix, l’aspect symbolique du droit est manifestement également important en droit civil. 48

La peur de l’inconnu, en général, et de certains groupes ethniques minoritaires, en particulier, sous-tend également plusieurs lois pénales, notamment celles concernant les drogues mentionnées dans la section précédente, voir par ex Weissman, supra note 27 à la p 207. 49 Voir généralement Commission Bouchard-Taylor, supra note 3.


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En somme, la présente section a appliqué le cadre analytique du droit criminel décrit dans la première section à la Loi 21. Partant d’une analyse historique de l’importance de la laïcité de l’État au Québec, cette section a dépeint la Loi 21 comme un acte symbolique et constitutif. Finalement, elle a appliqué les divers aspects du cadre analytique de la première section à la Loi 21.

CONCLUSION

Le présent article s’est défini par un effort biparti. Premièrement, il a cherché à enrichir notre compréhension de la Loi 21. Cette loi étant fort récente, il existe peu de doctrine l’analysant. Par ailleurs, tel que je l’avais prétendu dans mon article antérieur sur la Loi 21, le débat public relatif à celle-ci s’est limité à son efficacité à favoriser l’égalité des sexes. La présent article défend la thèse, également soutenue dans mon article antérieur, que la Loi 21 est le mieux comprise comme un acte symbolique et constitutif. Il innove en s’ancrant dans une doctrine provenant du droit criminel, qui offre à ma position antérieure une profondeur nouvelle et un cadre théorique moins clairsemé. Deuxièmement, le présent article a cherché à enrichir notre compréhension du droit. Bien que le droit criminel soit défini par une pluralité d’objectifs légitimes et communs, certains de ces objectifs sont ignorés lorsque l’on cherche à comprendre le droit civil. Le présent article a donc développé un cadre analytique provenant du droit criminel. Bien que ce cadre soit issu du droit criminel, son applicabilité à la Loi 21 quant aux multiples aspects décrits ci-haut nous amène à conclure que l’aspect symbolique du droit est bien présent en droit civil. Il sera intéressant de voir de futurs travaux scientifiques appliquer cet aspect du droit et son cadre analytique à d’autres lois. Les opposants de la Loi 21 avaient jusqu’alors affirmé que la Loi 21 « ne fonctionne pas », affirmant qu’elle échoue à atteindre son objectif déclaré principal de promouvoir l’égalité des sexes. Ils auront maintenant, je l’espère, une compréhension plus sophistiquée de la Loi 21. Affirmer que la Loi 21 ne fonctionne pas, c’est probablement poser la mauvaise question. C’est présumer que la loi doit absolument viser un objectif instrumental. Certaines lois ne « fonctionnent » pas : elles parlent. Elles énoncent des valeurs importantes pour une société, constituant et protégeant ainsi une identité collective. Elles expriment et canalisent nos anxiétés. Avant de nous positionner pour ou contre la Loi 21, l’on devrait chercher à la comprendre. Ce faisant, l’on en apprend beaucoup sur nous-mêmes.


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