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VISIONS
EVGENY MOROZOV, CONTRE L’INTERNET CENTRISME Non, la technologie n’est pas la solution à tout !
culturemobile.net
Nous avons rencontré Evgeny Morozov le mercredi 15 octobre 2014 à la médiathèque Marguerite Duras, au 115 rue de Bagnolet dans le vingtième arrondissement de Paris. Dans une pièce du troisième étage de la médiathèque, petit lieu d’exposition dédié à l’histoire de l’Est parisien, nous avons discuté avec le chercheur et essayiste d’origine biélorusse à partir de son livre, Pour tout résoudre cliquez ici, sous-titré «L’aberration du solutionnisme technologique», traduit et enfin édité en France par Fyp Editions depuis septembre 2014.
Qui est Evgeny Morozov ? Chercheur, journaliste et essayiste, Evgeny Morozov est l’un des plus grands spécialistes des implications politiques et sociales des nouvelles technologies. Né en Biélorussie en 1984, il a vécu à Berlin avant de s’installer aux Etats-Unis. Il collabore à la rédaction de The New Republic et publie régulièrement dans The New York Times, The Economist, The Wall Street Journal, Financial Times, London Review of Books, etc. Son éditorial mensuel dans Slate est repris par de nombreux médias internationaux. Il est l’auteur de deux livres : The Net Delusion : The Dark Side of Internet Freedom (Public Affairs, 2011) et To Save Everything, Click Here: The Folly of Technological Solutionism (Public Affairs, 2013), traduit en français sous le titre Pour tout résoudre, cliquez ici, sous-titré «L’aberration du solutionnisme technologique» (Fyp Editions, 2014).
Photographies : HHG
L’entretien a été réalisé par Ariel Kyrou le 15 octobre 2014 .
Culture Mobile : Evgeny, ma première question est simple : la cible principale de votre livre est ce que vous appelez «l’Internet centrisme». Qu’entendez-vous par là ? Est-ce une idéologie qui ne se donne pas comme telle ? Ou même de façon inconsciente une religion, comme vous l’écrivez parfois ? Evgeny Morozov : Je dirais que c’est d’abord une idéologie. C’est une réponse simple. Mais pour aller plus loin, nous devons en identifier plusieurs dimensions. Une dimension tient clairement à la façon dont nous expliquons les choses. Il s’agit d’un mouvement d’explication d’un grand nombre de changements sociaux, politiques et culturels du monde d’aujourd’hui par une force unique : l’Internet. Cette force est censée être autonome, elle est censée agir selon sa propre logique, sans cesse et partout, exactement comme l’économie, le marché ou la nature sont traditionnellement présentés dans certaines théories sociales telles des forces autonomes agissant d’ellesmêmes. Les actions combinées de compagnies, d’acteurs du monde de l’entreprise ou d’agences de sécurité gouvernementales sont nettoyées de leurs dimensions business ou politique, et sont présentées comme l’expression de cette force autonome unique et totalement indépendante qu’est l’Internet. C’est ainsi que l’on peut affirmer que c’est l’Internet qui a renversé les dictateurs du monde arabe ou qui a suscité une révolution en Iran, que c’est l’Internet qui déstabilise maintenant toutes nos sociétés. L’enjeu essentiel est ici d’attribuer une causalité unique, à savoir l’Internet, à des événements, de façon à ne pas en examiner toutes les autres causes, sociales ou économiques, le capitalisme, la
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politique étrangère des grandes puissances, etc. Il suffit de dire que c’est juste à cause de l’Internet. C’est donc la dimension explicative. Mais il y en a d’autres.
Ce que j’appelle «l’époqualisme» est une autre dimension de cet Internet centrisme. C’est la conviction que nous vivons une époque unique, proprement exceptionnelle, car marquée par l’embrasement à nos côtés de cette grande force autonome que je viens de décrire. Et de ces temps si uniques et exceptionnels, le meilleur est à venir. Puisque, par exemple, Wikipédia fonctionne sur le territoire de la connaissance, on se dit que l’on devrait voir comment Wikipédia pourrait marcher dans la politique. Il y a des mouvements d’un domaine à l’autre. Constatant la façon dont cette force, l’Internet, transforme un domaine, par exemple l’éducation, la musique ou les livres, vous décidez d’appliquer à d’autres territoires très différents la recette qui a fonctionné sur ces domaines-là, mais avec la certitude qu’elle y sera tout aussi disruptive. Depuis plusieurs années, il y a des mouvements sociaux, des hackers, des entrepreneurs ainsi que d’autres forces qui utilisent cette rhétorique pour accompagner leurs actions et pour évacuer toutes considérations sur les implications politiques et sociales de leurs actes. Ils n’ont pas à se justifier, parce qu’ils pensent qu’ils sont du bon côté de l’Histoire et que l’Internet va être une révolution aussi majeure que, par exemple, la révolution de l’imprimerie. Dans mon livre, j’ai essayé de définir toutes les dimensions idéologiques de cette idée d’Internet centrisme, ses spécificités mais aussi ses causes, notamment au travers de ses deux dimensions les plus évidentes, dont je viens de parler. Mais il y en a beaucoup d’autres.
En vous écoutant me vient à l’esprit le titre du livre de Kevin Kelly, que vous citez, «Ce que veut la technologie» (What technology wants), comme si la technologie, tel un être vivant, pouvait avoir un désir et une volonté propres. Kevin Kelly présente la technologie comme
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quelque chose de naturel, ayant une logique, une volonté autonomes. C’est l’un des multiples exemples que vous donnez… Vous pouvez imaginer le même livre avec un titre comme «Ce que veut la nature», «Ce que veut l’économie» ou «Ce que veut le marché». On peut être plus ou moins enclin à accepter ou non ce style de titre selon les cas. Il y a des livres intéressants avec des titres du genre «Ce que veut le capitalisme», tout à fait acceptables. La question, c’est : que gagne-t-on et que perd-t-on à traiter la technologie comme quelque chose d’extérieur au capitalisme, extérieur à l’impérialisme, extérieur aux différentes théories et catégories sociales. Et je ne pense pas que les gens qui utilisent ce type de formule aient réfléchi précisément à ces questions. Ils utilisent ce genre de vocabulaire parce que cela les aide à expliquer des choses.
L’autre grande idée de votre livre, c’est le solutionnisme technologique. De ce que j’ai compris, il est à la fois une extension et la meilleure expression de l’Internet centrisme. Il va au-delà de l’Internet, puisqu’il concerne l’ensemble du spectre de nos technologies depuis qu’elles existent (vous citez ainsi l’exemple de SaintSimon). Mais l’Internet en est aujourd’hui, semble-t-il, le véhicule par excellence. Le solutionnisme technologique est-il bien à la fois l’expression et l’extension de l’Internet centrisme ?
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Eh bien, je dirais que l’Internet centrisme joue un rôle clef pour permettre l’invasion du solutionnisme technologique. C’est un facilitateur plutôt qu’une extension de l’Internet centrisme. Comme vous l’avez souligné, c’est vrai qu’il y a eu auparavant d’autres vagues de ce que j’appelle le solutionnisme, que je définis comme une façon de se reposer sur la technologie pour tenter de résoudre des problèmes dont l’existence n’est pas avérée. Vous n’assumez pas la multiplicité des sources et causes potentielles de tout problème. Immédiatement, vous utilisez la technologie, sans chercher d’autres moyens de résoudre le problème, et sans même avoir fait l’effort préalable de définir ce problème. Ce que je décris là, c’est-à-dire la résolution de soucis majeurs, était la mission même de la politique. La politique devait trouver des causes, étudiait des problèmes comme le réchauffement du climat, l’obésité ou n’importe quelle autre question, la crise financière même, pour tenter de les résoudre. Dans le passé, la politique cherchait des modèles d’explication : le problème vient-il de l’attitude des banques ? De tel ou tel lobbying exacerbé ? Ou de la chute de l’Etat Providence ? Or aujourd’hui la technologie devient une manière très pratique d’éviter de se poser toutes ces questions. Elle permet de se focaliser sur un certain type de solutions concrètes à ces problèmes, juste en cherchant des réponses au niveau des individus, parce qu’il est beaucoup plus facile de réguler le comportement des individus que le comportement des institutions. Désormais, grâce aux smartphones et aux objets intelligents, tout ce que nous faisons est suivi et surveillé, mais peut aussi être orienté via des incitations. Il devient possible de nous pousser, en tant qu’individus, à agir dans tel ou tel sens, par exemple à consommer moins d’énergie dans notre maison, dès lors que tout est piloté par la technologie et qu’une alerte peut nous inciter à éteindre la télévision, ou à éteindre la lumière de la pièce d’à côté. Cela ne résout en rien le problème sous-jacent, à la source du changement climatique, à savoir les folles dépenses en énergie de nos économies, la liberté laissée aux sociétés pétrolières de polluer sans frein, ou notre incapacité à bâtir des mécanismes de régulation globale. Tous ces problèmes persistent. Mais nous les fuyons, avec ce sentiment confortable de participer à la résolution du changement climatique en faisant quelque chose avec les citoyens. Pour les sociétés qui commercialisent ces technologies, c’est un business très
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profitable. Elles sont très contentes de proposer ces applications que chacun utilise et que les gouvernements approuvent. Mais du point de vue du bien public, pour moi c’est une voie sans issue. Ce n’est pas parce que c’est profitable que c’est la bonne chose à faire.
C’est donc d’une certaine façon la fin de la politique, mais c’est aussi la fin de l’imagination, la fin de la création. Vous donnez en effet au début de votre livre l’exemple d’une femme, dans sa cuisine, dont les gestes seraient entièrement pilotés par la technologie, par son smartphone ou des caméras pour la guider et lui permettre de faire sans la moindre erreur très exactement la recette prévue par son guide. Plus de Tarte Tatin ! Elle ne peut plus détourner la recette, plus la réinventer au fur et à mesure qu’elle cuisine… Vous décrivez aussi cette perte de créativité bien réelle, non ? Oui. La Silicon Valley pose sans cesse des hypothèses sur l’existence humaine, sur ce qui vaut la peine d’être vécu. Et pour la Silicon Valley, moins vous avez de friction dans votre vie, mieux c’est ; moins de désagrément vous avez, mieux c’est ; plus de temps vous avez pour vous-même, moins vous vous ennuyez, mieux c’est. Nous pourrions dresser une liste concrétisant la vision qu’ont de la vie les entrepreneurs de la Silicon Valley. De fait, leur vision de la vie découle des solutions, des applications qu’ils conçoivent pour nous. Donc s’ils pensent que l’ennui doit absolument être évité, c’est parce qu’ils ont toutes les applications pour nous permettre de ne plus nous ennuyer. Il semble bien
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que leur vision de l’existence humaine vienne des spécificités de leur petit milieu d’où ils tirent des solutions toutes faites. Mais je suis d’accord que ce type de mécanisation, d’automatisation risque d’appauvrir notre vie, nous privant du type de défis qui rendent notre vie un peu plus intéressante, même si nous ne le réalisons pas tout de suite. Etre mis au défi de résoudre des problèmes, avoir à passer des obstacles dans la vie quotidienne vous permet aussi de grandir, spirituellement, physiquement, intellectuellement. Vous retirer ses petits défis du quotidien rend votre vie plus pauvre. Ce serait une vie dans une sorte de paradis où vous ne rencontreriez aucun obstacle dès votre réveil chaque jour, car tout de votre vie serait pris en charge. Je ne pense pas que les gars de la Silicon Valley aient réfléchi et résolu, pour leur utopie, le problème majeur de toutes les pensées utopiques : que pouvez-vous faire une fois que vous avez atteint cette utopie absolue ? Rares sont ceux qui ont répondu à cette question, car le paradis de l’utopie, pour qui s’y penche vraiment, ressemble très vite à l’enfer, à un monde encore plus ennuyeux que le monde d’avant !
Au fond, ce que vous racontez ressemble à un processus de simplification de la vie par la technologie, au point de nous transformer en machine, un peu comme dans bien des textes d’un auteur de science-fiction qui me passionne : Philip K. Dick. Car ces technologies, à vous suivre, nous incitent à agir comme des robots, comme des machines réflexes. Sous ce regard, vous dîtes d’ailleurs que le véritable roi de l’Internet, son penseur majeur pourrait être le psychologue et fondateur du béhaviorisme radical B.F. Skinner, lui-même fortement
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influencé par Ivan Pavlov… En simplifiant ainsi à l’extrême notre vie, via des mécanismes de réponse binaires à des machines, la technologie n’exerce-t-elle pas sur nous une sorte de «contrôle soft» aussi insidieux qu’au final efficace ? Je suis d’accord. Beaucoup des idées qui circulent aujourd’hui dans la Silicon Valley ne sont pas si nouvelles que ça. Vous pourriez dire que l’idée de ludification comme celle de créer des incitations de type ludique pour orienter les actions des individus ne sont pas nouvelles et originales. Mais ce qui l’est, c’est l’ampleur de l’infrastructure technologique qui a émergé et se met aujourd’hui en place pour permettre d’implémenter beaucoup plus facilement ce type de schéma, de démarche d’incitation. Donc, si vous possédez un compte Facebook et des «amis», si vous utilisez Bitcoin, si vous avez un smartphone, il est beaucoup plus facile de vous inciter par des jeux et récompenses à être un bon citoyen. Auparavant, lorsque vous sortiez dans la rue et que vous tombiez sur un déchet trainant sur le trottoir, qu’est-ce qui pouvait bien vous pousser à l’enlever ? La loi par exemple, ou précisément une loi vous menaçant d’une amende ou d’une peine de prison si vous ne ramassez pas ce qui encombre et salit la rue. Ou alors, la morale, le poids des normes sociales qui vous incitent à agir ainsi pour être considéré comme un bon citoyen. La différence, c’est qu’aujourd’hui, vous avez une troisième option : grâce à ses capteurs, votre téléphone est capable de détecter le déchet dans la rue, et il vous incite à le ramasser pour gagner des points ou récompenses, sur Facebook ou ailleurs. C’est une nouvelle façon de motiver et d’orienter le comportement des êtres humains. Et je pense que ce nouveau mécanisme d’orientation de nos actes induit des principes moraux, politiques et sociaux spécifiques, dont nous n’avons pas encore bien compris les implications. C’est l’un des sujets que je développe dans mon livre : bien des choses que nous ferions désormais grâce aux incitations de la technologie et de ses applications étaient faites
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jusqu’ici pour bien d’autres raisons, parce que cela correspond à nos convictions, pour être bien vu des autres citoyens ou car nous avons le sentiment que c’est de notre devoir, de notre responsabilité de citoyen d’agir ainsi. Dès lors que l’on change de paradigme et que l’on offre des compensations aux gens, en particulier monétaires, pour des actions qu’ils auraient auparavant accomplies quoi qu’il en soit, l’on diminue l’intérêt de ces actions en tant que telles, et de moins en moins de gens sont enclins à les accomplir sans récompense. Imaginez le projet de construire une école près de chez vous : même si vous savez que les travaux devraient vous embêter, vous ne pouvez vous y opposer, car c’est quelque chose de positif pour l’ensemble des citoyens. Sauf que dans un monde où tout fonctionne à la compensation, il y a des chances que vous vous opposiez à ce projet pour peu que la compensation soit insuffisante, par exemple de l’ordre d’une centaine d’euros par famille. Les gens de la Silicon Valley ne s’interrogent jamais sur ce genre de problèmes. Ils ne pensent qu’en termes d’efficacité immédiate et individuelle, en termes de coûts et de dépenses, ce sont leurs seuls critères.
Vous dites : «être un bon citoyen». Mais n’avez-vous pas le sentiment que les décideurs de la Silicon Valley font justement la confusion entre «être un bon citoyen» et «être un bon consommateur», sans réaliser toute la différence qu’il y a entre l’un et l’autre. Pour eux, il suffit d’être un bon consommateur pour être un bon citoyen, alors que cela n’a rien à voir, non ? Sûr ! Mais cette confusion peut sans doute s’expliquer par l’origine de ces idées, qui viennent de la Silicon Valley, de Palo Alto et de la Baie de San Francisco. A part ici et là, dans des villes comme Berkeley, la notion de citoyenneté a complètement disparu de l’horizon politique et social de la Californie. Lorsque vous vivez dans l’une de ses
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banlieues, en bougeant peu de chez vous, et qu’en voiture, sans utiliser les transports en commun et les infrastructures publiques, comment voulez-vous avoir une idée de cette notion de citoyenneté ? Les entrepreneurs de la Silicon Valley traitent les citoyens comme des consommateurs parce qu’eux-mêmes ne rencontrent jamais de citoyens dans leur vie quotidienne. Et sans en avoir conscience, ils extrapolent à partir de leur situation et de leurs désirs personnels ce que devraient être selon eux la situation et les désirs de tous les individus de la planète.
Vous n’avez pas l’air de beaucoup apprécier le mouvement du «quantified self» et tous ses outils et mécanismes d’auto-suivi (self tracking) personnel, cette façon de vivre en quantifiant, en mesurant le moindre des gestes de votre vie quotidienne pilotée par les technologies et ses applications… Cela semble certes la fin de toute poésie et de toute invention, mais pourquoi détestez vous à ce point le quantified self et l’auto-suivi ? Cela vient de ma critique du solutionnisme, pour être honnête. Je n’ai pas de souci avec les chiffres en tant que tels. Ils sont nécessaires, par exemple, pour compter son argent… Il y a des situations où une prise de mesure a du sens, dans le domaine médical par exemple. Mais il y a des situations où, à l’inverse, cela n’a aucun sens. Car l’introduction du suivi et de la mesure chiffrée de vos actions oriente votre regard dans une direction unique. Prenez le changement climatique, une nouvelle fois. Que mesurez-vous, lorsque vous mesurez votre consommation électrique, dans votre maison ? Que faites-vous, lorsque vous essayez d’optimiser votre attitude en termes de dépenses d’énergie ? Que mesurezvous lorsque vous mesurez la quantité de calories que vous mangez ? Ou combien de calories vous brûlez lorsque vous faites de l’exercice ? Les technologies de mesure vous
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racontent une histoire chiffrée traitant de l’impact de vos activités sur vous et vous seul. Elles ne vous disent rien sur les facteurs sociaux plus larges qui vous permettraient de comprendre ce que vous avez dans votre assiette et pourquoi, comme elles ne vous disent rien sur le comment et le pourquoi des infrastructures à votre disposition pour faire de l’exercice. Elles évacuent totalement les dimensions sociales et politiques de nos choix quotidiens. En se focalisant uniquement sur le contenu de vos décisions individuelles en tant que telles, elles vous éloignent encore plus de toute conscience politique. Vous n’éprouvez plus le désir de comprendre le pourquoi de vos actes, de comprendre à quel point vos décisions sont ou non réellement autonomes et viennent de vous plutôt que de votre contexte social et politique. Une chose est de me faire comprendre, comme le font toutes ces applications, qu’ici à Palo Alto il vaudrait mieux que je marche plus souvent si je ne veux pas devenir obèse. Une autre chose serait de réaliser que l’une des raisons pour lesquelles je ne marche pas, comme beaucoup d’autres citoyens, tient à un manque d’infrastructure, aux trottoirs peu adaptés, à l’absence de parcours de marche, au fait que tout ici a été pensé pour les voitures plutôt que pour les piétons. Les mécanismes dont je parle rejettent systématiquement la faute sur l’individu, comme s’il n’y avait pas de problèmes sociaux. L’individu se sent coupable, et c’est pour ne plus se sentir coupable qu’il est poussé à agir sur lui-même, alors qu’il pourrait à l’inverse s’interroger sur la société et la vie de la cité… Ce sont des mécanismes assez proches de ceux qui permettent de justifier des cures d’austérité économique en Grèce ou en Espagne. Leur principe est en effet de culpabiliser les citoyens, d’insister sur leur responsabilité plutôt que sur celle des banques allemandes. C’est une façon de justifier les efforts financiers qu’on leur demande, à eux et pas aux banques. Nous pourrions d’ailleurs imaginer des applications pour smartphone incitant les citoyens grecs et espagnols à se serrer la ceinture… Mais je ne crois pas qu’elles pourraient agir sur les raisons institutionnelles, financières, sociales et politiques de la crise qui a touché ces deux pays. Le quantifield self et l’auto-suivi fonctionnent de la même manière : ils nous évitent une analyse complète de la situation de chacun, de ses causes non seulement personnelles mais surtout sociales et politiques. De fait, la solution
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technologique remplace, et l’analyse préalable du problème dans sa complexité, et toute autre solution qui ne reposerait pas sur les technologies et ses mécanismes individuels d’incitation et d’autocontrôle.
J’imagine que vous êtes d’accord avec cette idée qu’en aucun cas l’on peut dire que la technologie est neutre. A ce que j’ai lu dans votre livre, la prétention des gens de Google à la neutralité de leurs algorithmes, par exemple, me semble et vous semble aussi une fumisterie. Ils voient la technologie comme quelque chose de neutre et de parfait, qui ne peut commettre d’erreur. Or un algorithme ne naît pas de rien : il est pensé, conçu et construit par des êtres humains, et à ce titre ne peut en aucune façon être considéré comme neutre, non ? Mon travail a effectivement consisté à prendre ce qui nous est présenté comme objectif et indépendant de nos réalités sociales et politiques, et d’en révéler les dimensions sous-jacentes. Des décisions sont évidemment prises en termes de design, de données signifiantes à prendre en compte ou non, et ces décisions impactent très fortement les résultats de l’algorithme ou de la plateforme. Il y a une tendance, chez les ingénieurs, à ne revendiquer qu’une compétence et une responsabilité techniques, sans aucune considération sur ce qui pourrait être fait des systèmes technologiques qu’ils conçoivent et développent. A suivre leur discours, tout tient à l’ordinateur, comme si c’était l’ordinateur et lui seul, sans leur travail de programmation et les choix de leur entreprise ou de leur commanditaire, qui pouvait définir quelles seraient les données pertinentes ou non sur tel ou tel sujet. Mais des données peuvent être pertinentes pour une personne,
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et absolument pas pour une autre. Qui décide de cette pertinence ? Même Google n’a pas une vue très juste de la façon dont son système fonctionne, et de ce qui explique qu’une seule et même requête par deux personnes différentes aboutit le plus souvent à des résultats eux-mêmes très différents. Ses responsables, lorsqu’on les interroge, se réfugient derrière l’objectivité de leur technologie pour justifier de leur incapacité à expliquer clairement ou plus encore à agir sur les résultats qu’ils obtiennent. Je ne suis pas certain que ce soit la façon dont nous aurions envie de gouverner le monde. Que des compagnies nous proposent des produits, certes apparemment efficaces, mais qu’elles affirment ne pas comprendre vraiment elles-mêmes ? Et que ce soit justement une bonne raison pour les utiliser ? Cela ne me semble pas très logique…
D’ailleurs, il y a des polémiques, et même une enquête en cours de la Commission européenne, sur la façon dont le moteur de recherche, plutôt que d’être neutre comme le revendiquent les gens de Google, favoriserait les produits et services de Google, dont en particulier Google+, ou favoriserait ceux de ses annonceurs… Dans votre livre, il y a un passage intéressant, où vous expliquez qu’aujourd’hui, avec toutes nos technologies, une action de désobéissance civile comme celle de Rosa Parks dans un bus de la ville de Montgomery dans l’Alabama en 1955 serait impossible. Cet exemple illustret-il selon vous le caractère profondément conservateur de toutes ces technologies et de ce que vous appelez
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le solutionnisme technologique ? C’est une force conservatrice parce qu’il semble que nous vivons dans une société elle-même conservatrice, obsédée par le terrorisme et par la prévention de tous les types de risques. La logique de l’Etat et de ceux en charge de notre sécurité est guidée par la volonté de comprendre, mais surtout d’anticiper et de prévenir les dangers que représenteraient tels ou tels types de population. L’information, les statistiques et les nouvelles technologies sont des alliés dans ce combat. Or la quantité énorme de données que des sociétés comme Google ou Facebook génèrent peut être utilisée à des fins de prédiction, et c’est pourquoi ces compagnies deviennent d’importantes sources d’information pour les gouvernements et leurs agences de sécurité. L’idée, ici, est celle de la préemption, c’est-à-dire de la capacité à anticiper et prévenir au bon moment les pertes de contrôle avant qu’elles ne surviennent, de sorte à justement garder le contrôle. Pour éviter la crise, vous la rendez juste impossible. Et pour la rendre impossible, vous agissez en amont pour que cette crise ne puisse survenir, par exemple en surveillant de près, en vous occupant des fauteurs de trouble potentiels. Mais pour cela, il vous faut des listes de fauteurs de trouble potentiels, basées sur les probabilités des individus à devenir ou non des perturbateurs. Sous ce regard, effectivement, il y a des chances pour qu’aujourd’hui, Rosa Parks aurait été empêchée d’agir comme elle l’a fait dans son bus à Montgomery en 1955. Il est même probable qu’elle n’aurait pu entrer dans le bus, car la compagnie de transports en commun aurait constaté l’occupation de toutes les places réservées à la population noire, contrairement à celles des Blancs, et aurait donc empêché les Noirs de monter à la station où Rosa Parks a pris ce véhicule public. Je ne dis pas qu’il est désormais impossible de protester et d’être dissident. J’affirme juste que c’est beaucoup plus difficile. Mais ce simple constat pose le problème de la capacité de nos systèmes démocratiques à se remettre en cause grâce à l’action de dissidents comme Rosa Parks, et donc à évoluer.
J’ai été étonné de voir que vous parliez de PredPol,
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c’est-à-dire du logiciel de prévention des délits Prediction Police, sans citer le film Minority Report, de Steven Spielberg d’après une nouvelle de Philip K. Dick. J’ai également découvert il y a quelques jours le projet de Dubaï de munir les agents de police de Google Glasses connectées à tous les fichiers sur la délinquance du pays. Un véritable projet de science-fiction ! Or vous ne parlez jamais dans votre livre de cette capacité que pourrait avoir la science-fiction, en inventant ses propres histoires à partir de notre réel technologique et son avenir, de nous faire prendre du recul sur notre réel et la langue de bois technologique. Les dystopies de science-fiction ne sont-elles pas l’un des meilleurs moyens pour nous prévenir des dérives possibles de notre monde nourri de nouvelles technologies ? Je n’ai pas ressenti le besoin de citer Minority Report car ce qu’annonce le film, à savoir la prévention des délits, existe d’ores et déjà, certes sous une forme moins radicale, mais existe tout de même dans une ville comme Chicago. Quoi qu’il en soit, j’ai préféré ne pas parler de science-fiction pour ne pas mêler les genres, et prêter trop facilement le flan à la critique aux Etats-Unis. C’est lié au contexte de réception des essais aux Etats-Unis, qui est assez conservateur et n’aurait pas compris que je parle de technologies bien réelles en illustrant mon propos par de la science-fiction. C’est dommage, effectivement,
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à cause de la portée que peuvent avoir certaines visions dystopiques dans la sciencefiction. Un écrivain au style aussi brillant que Dave Eggers n’aurait pas à forcer son talent pour imaginer une dystopie assez terrifiante à partir d’une description à peine exagérée du fonctionnement de Google et de Facebook aujourd’hui. Mais c’est surtout dommage parce que la science-fiction, comme l’a montré le critique et penseur Fredric Jameson, reste l’un des seuls territoires où s’imaginent des formes alternatives d’organisation de la société. Elle est à même de construire des utopies beaucoup plus complexes et intéressantes, originales et décapantes que celles de la Silicon Valley et de l’Amérique corporate.
Comme vous le dîtes vous-mêmes, on ne peut tout jeter dans le même panier. Or vous ne parlez pas dans votre livre du logiciel libre ou des licences en Creative Commons. Au contraire du quantified self, pour ne citer que lui, ils supposent un vrai travail de réflexion et non l’application bête et méchante d’une recette tout faite. La décision de mettre par exemple mon livre en Creative Commons suppose une vraie réflexion en amont, sur le contexte de réception du livre, pour bien en choisir et en assumer les modalités… Pourquoi n’avez-vous pas parlé du logiciel libre ou de ce type de licences comme façon de faire penser les gens à ce qu’ils font vraiment ? J’ai écrit ailleurs sur le logiciel libre et ses différences par rapport à l’open source. Quant aux Creative Commons, c’est sans doute plutôt comme expression du solutionnisme
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technologique que j’en aurais plutôt parlé. Car il s’agit aussi d’une façon d’éviter de s’attaquer de front aux abus du copyright. Créer une nouvelle petite classe de créations culturelles, grâce à des auteurs choisissant eux-mêmes leur type de licence juridique, n’est pas en soi une mauvaise chose, loin s’en faut. Mais cela ne résout en rien le problème du pouvoir exorbitant des multinationales du divertissement et des grands studios avec leurs lobbyistes à Washington DC. Lawrence Lessig lui-même, à l’origine des Creative Commons, est le premier à reconnaître que ces licences ne peuvent suffire pour combattre les lobbyistes d’Hollywood, et qu’il faut se battre sur le terrain, à Washington même. Penser à soi et son rôle en tant que producteur ou consommateur d’un nouveau genre grâce aux Creative Commons est une chose, qui reste de l’ordre de l’acte individuel. Penser collectivement aux enjeux de propriété intellectuelle, imaginer et pousser une véritable réforme au nom du bien commun, en est une autre.
Je ne suis que partiellement d’accord avec vous. Car tout de même, des initiatives comme les Creative Commons ou en France la licence Art Libre peuvent participer à la création de véritables communautés, audelà de l’individu isolé qui ne pense qu’à son nombril. Elles peuvent pousser les gens à agir ensemble… Peut-être, mais cela ne suffira pas à susciter un agenda révolutionnaire à Chicago… Les Creative Commons restent de l’ordre de l’initiative «consumer friendly», chacun pouvant choisir la solution de son choix. Elles n’interrogent pas la question de la loi en tant que telle, elles ne cherchent pas à réguler autrement le marché, le monde de la création. La question essentielle, c’est : que pensez-vous que ce projet cherche à obtenir au final ? Si l’objectif est une plus grande ouverture, à tous, du monde de la culture, en y incluant les œuvres de ces cent dernières années pour beaucoup cadenassées par le copyright, les Creative Commons risquent de s’avérer bien insuffisantes…
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Certes, mais l’usage de ces licences peut être l’une des pièces d’un édifice plus vaste aux dimensions multiples, dont l’objectif serait à terme une vraie transformation des règles et usages du copyright et de la propriété intellectuelle. Pourquoi être à ce point «maximaliste» ? Pourquoi rester dans la logique du tout ou rien ? Des lieux comme cette médiathèque, où nous sommes installés, ont un rôle fort dans la diffusion de la culture, et pourraient être parmi les socles d’une telle action collective… Pourquoi pas. Ceci dit, nous ne sommes pas ici en Amérique, mais en Europe, avec une tradition de centres sociaux. Il y a par exemple en Italie des communautés de partage, hors toute logique de marché, qui se créent pour trouver des solutions humaines, de l’ordre d’une solidarité ne devant rien à personne, et qui fonctionnent comme des zones d’autonomie dans des squats. Ce modèle me semble bien plus intéressant et prometteur que la façon légaliste, très propre et acceptable par le marché d’envisager le problème à la façon américaine. Mais si nous cherchons un modèle que puisse tolérer Washington DC, soit, créons des médiathèques et utilisons les licences Creative Commons…
Vous n’avez pas tort, même si cela se discute, mais la culture n’est pas la même, le background, la façon de penser reste différente entre l’Europe et l’Amérique, entre Paris et Washington…
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C’est vrai.
La société américaine reste tout de même plus individualiste que les sociétés européennes, en particulier continentales (si l’on met de côté le Royaume-Uni)… Bon, pour revenir à notre cœur de sujet, ne croyez-vous pas que le problème tient moins à la technologie ou à l’Internet en tant que tels qu’à une certaine façon de les considérer l’un et l’autre selon les règles, je dirais même la très dangereuse fiction économiste des théoriciens du choix rationnel qui réduisent l’être humain à un simple homo economicus tout juste capable d’appuyer ou non sur un bouton, uniquement pour satisfaire ses intérêts personnels ? Sous ce registre, ce problème n’est-il pas bien plus ancien que l’Internet ? Ce serait bien qu’il suffise de prendre conscience de cette volonté de certaines entreprises de nous réduire à un homo economicus pour ne pas en devenir un. Sauf que ces outils technologiques façonnent notre subjectivité, et nous transforment visiblement en cet homo economicus que nous n’étions pas auparavant. En ce sens, le souci est donc bien plus important. Il y a clairement un effort pour nous faire agir rationnellement, ou du moins selon ce qui semble rationnel à certains. Regardez par exemple comment toutes ces applications nous incitent à dormir plus, à manger mieux, à faire de l’exercice, à consommer moins d’énergie, bref à rendre nos comportements plus sains, plus corrects, plus adaptés à un certain type de pensée rationnelle et à l’économie qui va avec. Bien
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sûr que nous ne sommes pas cet homo economicus de la pensée économique classique, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons jamais le devenir, surtout si nous sommes mis sur cette voie par des incitations et récompenses. J’ai bien peur que l’intégration entre l’Etat, le marché et ces technologies ne soient déjà en train de produire ce nouveau type d’être humain bien plus rationnel et surtout prévisible qu’auparavant.
Dans le dernier chapitre de votre livre, vous donnez quelques exemples d’autres façons de voir, de penser les technologies et leurs dispositifs, de façon à créer de la réflexion voire des débats plutôt que de les éliminer au nom de l’efficacité. Vous parlez dans votre livre d’«applications erratiques», par exemple d’une rallonge dénommée Caterpillar (c’est-à-dire Chenille) qui vise par son état changeant «à faire naître une réflexion sur le gâchis d’énergie que représentent les appareils en mode veille». Ce genre de produit perturbant représentet-il vraiment un futur possible pour nos technologies ? Les exemples que je donne sont là pour démontrer que la technologie n’est pas condamnée au simple fonctionnalisme, qu’il est possible de créer des artefacts technologiques dont les objectifs iraient au-delà de leur simple utilité immédiate et opérationnelle, qui pourraient ainsi vous aider à penser à ce que vous faites. Pourraient-ils trouver un public ? Si l’on peut sortir du simple consumérisme, et apprécier des objets mêlant une logique de consommation et d’utilité à une logique de citoyenneté, pourquoi pas ? Après tout, des enseignes comme Starbucks réussissent parfois à nous faire consommer du café
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qui, au-delà du breuvage, nous permet d’aider des enfants en Afrique. Je ne sais si les enfants africains ont réellement été ainsi aidés, mais en tout cas l’exemple montre qu’il est possible de coupler en un seul produit des logiques différentes voire contradictoires, par exemple la consommation et la politique. Pour beaucoup, ce ne sera guère qu’une nouvelle façon pour le capitalisme de s’adapter en devenant plus éthique. Apple ou Google pourraient proposer demain des produits et services ayant ce type de double fonction, à la fois d’utilité pratique et d’ambition politique, pourquoi pas d’ailleurs en continuant plus que jamais à nous «tracer» comme je le critique dans mon livre. Ce ne serait donc pas la panacée… Car la seule vraie façon de changer serait d’évoluer plus profondément vers un autre système économique. Mais, je le répète, rien ne nous empêche de penser des artefacts technologiques ayant ouvertement d’autres objectifs que l’utilité pour le consommateur et le profit financier pour son fabricant. En revanche, si le profit reste l’unique objectif des entreprises, pourquoi imaginer d’autres fonctions que celles que désire le marché ? Pourquoi créer un objet vous faisant également réfléchir au monde du futur ? On en revient donc toujours à cette question des modèles économiques et sociétaux du e-capitalisme…
Car les artefacts que vous décrivez à la fin de votre livre me font effectivement moins penser à des produits et services potentiels d’entreprises de la Silicon Valley qu’à des dispositifs, qu’à des installations créées par des artistes critiques utilisant le numérique comme Gregory Chatonsky ou Christophe Bruno… Oui, ce type de démarche est nécessaire, notamment pour nous aider à prendre de la distance par rapport aux nouvelles technologies, pour susciter des débats aussi. Mais quelle pourrait être sa portée pour le grand public ? Ensuite, je crains que de telles démarches artistiques ne puissent vraiment aider à éviter la chute de l’Etat providence
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ou à résoudre les problèmes de la dette et de la crise financière. C’est bien, prenons du recul, réfléchissons, mais aussi agissons plus, et collectivement…
C’est vrai que ces installations d’artistes ne touchent guère aujourd’hui qu’un public d’initiés, et déjà en partie convaincus, malheureusement, sans parler de la nécessité que vous évoquez de passer de la prise de conscience à l’action collective… C’est un point difficile. Car plus vous réalisez l’ampleur des problèmes et de ce que nous devrions réaliser au niveau collectif pour changer les choses, moins vous voyez comment vous battre concrètement. C’est dur d’identifier la situation dans sa globalité, la puissance des forces auxquelles s’opposer, et de ne pas se sentir vraiment désespéré, et donc incapable d’agir. C’est très difficile de trouver, tout au contraire de ce désespoir, l’énergie pour avancer sur ce registre social et politique. La tâche paraît si immense…
Là est peut-être le problème majeur, en vérité ? C’est d’ailleurs celui auquel s’attaque un philosophe comme Bernard Stiegler avec l’association Ars Industrialis… Mais c’est vrai que les gens ne voient pas comment ils pourraient agir, je veux dire politiquement… Oui, je ne blâme pas les gens, face à l’effondrement de la situation sociale et politique, l’effondrement des partis politiques… Je ne blâme pas les citoyens isolés… C’est complexe…
Mais c’est ça que nous devons reconstruire, selon moi,
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peut-être en bâtissant de nouvelles communautés à partir de questions très concrètes, comme celles de la médiathèque où nous sommes pour terminer notre conversation… Une nouvelle fois, la survie de ce type d’institutions dépend de la survie de l’Etat Providence. Oui… Je pense que nous avons besoin de nouveaux acteurs, de nouvelles aventures, peut-être même de nouvelles institutions pour nous représenter collectivement… Car il semble évident que de plus en plus de gens travaillent d’une façon bien plus flexible et décentralisée, et que les syndicats traditionnels ne savent comment répondre à cette nouvelle donne. Faut-il créer des syndicats à même de représenter des travailleurs de cette âge du crowdsourcing ? Les intermédiaires d’aujourd’hui semblent avoir atteint leurs limites. L’émergence de nouveaux intermédiaires entre les citoyens et les Etats, entre les citoyens et les grandes puissances de l’économie devient un enjeu majeur.
Écouter le podcast tiré de l’entretien avec Evgeny Morozov sur le site Culture Mobile.