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se réinventer Enquête conjoncturelle CVCI Sombres perspectives
Le sport mondial va devoir se réinventer
La pandémie de Covid-19 a bouleversé le monde du sport : compétitions annulées, matches à huis clos, clubs en sursis. Pour Jean-Loup Chappelet, spécialiste en management sportif, c’est l’occasion pour ce secteur de se renouveler. Le numérique aura un rôle à jouer.
TEXTE JEAN-FRANÇOIS KRÄHENBÜHL JEAN-FRANCOIS.KRAHENBUHL@CVCI.CH PHOTOS DR
Jean-Loup Chappelet est d’avis que l’événementiel virtuel va beaucoup se développer. Jean-Loup Chappelet, professeur honoraire à l’Unil, n’hésite pas à parler d’« annus horribilis pour le sport mondial ». Une année 2020 évidemment marquée par la pandémie, avec ses effets dévastateurs sur l’économie. « Les manifestations sportives ont beaucoup souffert, observe-t-il. Le canton de Vaud devait vivre une année extraordinaire avec les Jeux Olympiques de la jeunesse, les Mondiaux de hockey sur glace en mai, ceux de pétanque en juillet et ceux de cyclisme dans le Chablais en automne. Seul le premier événement a pu se dérouler.» Le sport-spectacle a beaucoup souffert, car les recettes des spectateurs sont absentes et les frais fixes demeurent.
Tous les amateurs de compétitions sportives en sont meurtris : voir des stades vides, des clubs en quarantaine et menacés de faillites n’augure rien de réjouissant. Comment le sport professionnel peut-il se relever de la crise actuelle ? Pour Jean-Loup Chappelet, il y a sports et sports. La situation du tir à l’arc ou du taekwondo n’est ainsi pas la même que celle du football ou du hockey sur glace. Le sport organisé dans les clubs et orienté compétition, dont certaines spectaculaires, souffrent énormément. « Le Conseil fédéral a débloqué 50 millions de francs, puis 150 à fonds perdus, et 350 millions de prêts pour le sport professionnel. La question est de savoir si cela sera suffisant. »
Le professeur ajoute que certains sports dépendent énormément de la présence de spectateurs et d’autres pas du tout. Le tournoi de tennis de Roland-Garros, qui s’est tenu cet automne à Paris à huis clos, n’a pas trop souffert financièrement dans la mesure où la billetterie ne représente que 15 % de son budget. Le 85 % restant émane des sponsors et des droits TV. Le championnat de football anglais s’en sort malgré les matches sans spectateurs, car les clubs touchent des droits TV considérables, et la visibilité des panneaux publicitaires disposés autour du terrain permet de contenter annonceurs et sponsors.
SPONSORING ET PUBLICITÉ EN BERNE
« La baisse du sponsoring impacte tous les sports, poursuit le professeur de l’Unil. Certains grands événements bénéficient de contrats de longue durée (3, 4 ou 5 ans), mais pour les sponsors, la situation est et sera aussi difficile. » La publicité ne se porte pas mieux. Les entreprises qui sponsorisent et qui font de la pub vont probablement réduire leurs engagements dans le sport. Ce seront sans doute les premiers budgets qu’elles couperont. Les grands événements vont en subir les conséquences. Les événements de sport de masse (marathon de Lausanne, 20 km, etc.) reposent en revanche sur des droits de participations et des subventions publiques. Le spécialiste pense que le nombre d’évènements sportifs pour l’élite va sans doute fortement diminuer. « Ce n’est peut-être pas plus mal, poursuit-il, car beaucoup sont devenus des prétextes à monétiser le spectacle sportif et ne sont pas très durables. » Il pense notamment à l’Adria Tour, ce tournoi de tennis organisé par Novak Djokovic cet été, qui a été un cluster de la pandémie.
Les fans de sport ont bu le calice jusqu’à la lie cet été avec le report des Jeux Olympiques de Tokyo et de l’Eurofoot à 2021. Grand spécialiste de l’olympisme, Jean-Loup Chappelet estime que ces décisions étaient judicieuses, car cela donne le temps aux responsables de se réorganiser. «La situation en été 2021 sera, je l’espère, bien meilleure qu’aujourd’hui. Elle est d’ailleurs déjà bonne actuellement au Japon. En un an, beaucoup de choses peuvent se passer. Je reste optimiste, les JO auront lieu d’une façon ou d’une autre. Le CIO a constitué au gré des années des réserves, et n’a donc pas trop de souci d’argent. La FIFA et l’UEFA en disposent elles aussi, ce qui leur permet de maintenir les emplois. »
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Toutes les disciplines sportives n’ont pas pâti de la pandémie dans la même mesure. La pratique individuelle a ainsi pu se poursuivre et elle s’est même développée «car les gens ont profité de leur temps libre pour faire un peu d’exercice, surtout ce printemps en Suisse où il n’y avait qu’un semi-confinement», relève Jean-Loup Chappelet. Pour s’aérer l’esprit, certains se sont même remis au sport, encouragés par de grandes vedettes, à l’image de Roger Federer avec son Tennis At Home Challenge. Ce que les spécialistes nomment le sport inorganisé représente les ¾ des activités sportives en Suisse. « Ce sport-là va continuer à se développer, car il répond à un besoin de bouger, pandémie ou pas. »
LES ÉVÉNEMENTS VIRTUELS ONT UN AVENIR
L’incertitude qui règne encore dans le domaine sanitaire interroge clairement sur l’avenir du sport en général. Serait-ce l’occasion, pour lui, de se réinventer ? L’émergence de compétitions virtuelles fournit quelques pistes de réflexion. « Le digital s’est bien développé, constate Jean-Loup Chappelet. Le Tour de Suisse cycliste virtuel, par exemple, a rencontré pas mal de succès cet été.» Le professeur lausannois imagine trois catégories de sport à l’avenir. Tout d’abord, la pratique individuelle comme la randonnée, le vélo ou le jogging va continuer, car les gens ont besoin de bouger. Ensuite, les très grands événements dits patrimoniaux, qui existent depuis très longtemps, comme Athletissima à Lausanne, ont des chances de se poursuivre, défendus par leurs organisateurs, bien sûr, mais aussi par les communautés qui les accueillent.
«Les événements intermédiaires tenus à bout de bras par leurs organisateurs et leurs sponsors vont, quant à eux, rencontrer des difficultés, car ils ne trouveront plus de sponsors et pourraient être assez facilement remplacés par du virtuel. L’événementiel virtuel va beaucoup se développer à mon avis. »
Dans ce contexte teinté d’incertitude, la présence de nombreuses fédérations internationales dans notre pays pourrait susciter des convoitises. Certaines d’entre elles ont déjà déménagé comme le judo (Budapest), et peutêtre bientôt celle de tennis de table, selon le professeur. Pour lui, les atouts traditionnels de la Suisse (cadre de vie, qualité des prestations, neutralité et cadre juridique favorable) demeurent. «La proximité du CIO reste un atout indéniable, d’autant qu’il vient de construire un nouveau siège et compte donc rester longtemps à Lausanne», observe JeanLoup Chappelet. Ce dernier constate toutefois qu’aujourd’hui, « la proximité physique est moins importante que par le passé dans la mesure où l’on fait de plus en plus de réunions par visioconférence. Cela ne jouera pas en faveur de centres comme Lausanne ou la Genève internationale. Des réunions, des assemblées générales peuvent se tenir en ligne. Il n’y a pas besoin de se déplacer à l’autre bout du monde pour une séance qui dure deux heures. Les gens vont rester de plus en plus chez eux. »
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DES ACTIVITÉS SPORTIVES SONT REPRÉSENTÉES PAR LE SPORT INORGANISÉ