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Parole d’expert Plaidoyer pour une « durabilité humaine »

Plaidoyer pour une « durablité humaine »

La convergence des nouvelles technologies va sans aucun doute redéfinir le monde du travail. Directrice du Futures Lab de l’Unil, Isabelle Chappuis plaide pour la formation continue, sans laquelle l’obsolescence de l’Homme est presque programmée.

Repenser le monde du travail, les industries et les professions en considérant toujours la place de l’humain en son sein : telles sont les missions du Futures Lab, l’entité de prospective appliquée de l’Unil à HEC Lausanne, depuis 2019. Sa fondatrice et directrice, Isabelle Chappuis, y voit un moyen « de donner aux organisations et aux individus les moyens de construire des visions d’avenir à des horizons lointains et de concevoir avec eux des plans de développement – au travers de l’éducation – vers la ‹durabilité humaine›, un des piliers fondamentaux de la durabilité ».

Isabelle Chappuis donne régulièrement des conférences sur l’avenir du travail et les futurs positifs et se passionne pour les personnes, les transitions et l’accélération de leur réussite. L’évolution technologique actuelle fait peser des incertitudes croissantes et pourrait, selon elle, générer des risques socio-économiques, ainsi que des anticipations mauvaises ou tardives. « C’est pourquoi la littéracie des futurs, à savoir notre capacité à anticiper, devient l’une des compétences clés pour le XXIe siècle. » Aussi à HEC Lausanne est-elle en train de créer le Swiss Center for Positive Futures avec l’expert en prospective stratégique, Gabriele Rizzo. Ce centre national de prospective aura pour objectif, non seulement, de continuer les projets de prospective appliqués via le Futures Lab, mais aussi de faire évoluer les méthodes de prospective et, surtout, de l’enseigner aux jeunes et aux moins jeunes.

L’économiste est convaincue que la convergence des technologies va redéfinir le monde du travail. Ce processus a déjà commencé avec la crise sanitaire qui a accéléré la numérisation, « mais le Covid ne représente qu’un tour de chauffe pour les disruptions à venir. Le grand défi sera lié à notre capacité d’adaptation. » Pour elle, pas de doute : sans formation continue ou adaptation de la formation en général, notre obsolescence est presque inéluctable. Il s’agit d’une responsabilité multipartite : l’individu, la société et les employeurs. « Mais elle devra à mon sens s’étendre aux acteurs de ce nouveau monde du travail et, à terme, cela devrait aussi intégrer les plateformes de services, par exemple. »

« RE-CRÉATION » ET RÉCRÉATION

Dans le livre « HR Futures 2030 : A Design for Future-Ready Human Resources », qu’elle a écrit avec Gabriele Rizzo, Isabelle Chappuis décrit les forces qui vont façonner l’environnement dans lequel la fonction RH devra performer en 2030 et les nouveaux défis potentiels que les responsables RH devront gérer. « Nous proposons vingt-deux disciplines différentes à développer dès aujourd’hui au sein de la fonction RH, comme celle, par exemple, de l’art de la rémunération, à savoir le développement d’un système de rémunération qui prenne en compte les spécificités de chaque individu. » C’est une certitude à ses yeux : le standard actuel « études-travail-retraite » touche à sa fin et de ce fait, « nous aurons inévitablement besoin d’y intégrer des nombreux moments de ‹re-création› (formation continue) et de ‹récréation› (repos, année sabbatique, retraite). C’est pourquoi il va devenir nécessaire de personnaliser la rémunération en fonction des nouvelles tranches de vie et des besoins réels des employés. »

Comment, dès lors, intégrer ces futurs bouleversements ? « En développant des compétences qui transcendent le contexte actuel du travail, de sorte qu’elles soient non seulement transversales, mais aussi durables », estime-elle. L’idée ici est d’œuvrer à la « durabilité humaine ». A des compétences de base, elle souhaite ajouter, par exemple, la capacité d’improviser, le développement de la confiance en soi, la compétence de fusion avec les machines – à savoir se laisser augmenter par les compétences infinies des machines – et, évidemment, la littéracie des futurs ou la capacité d’anticiper pour se préparer non seulement pour des futurs différents, mais aussi pour les façonner.

Si certaines entreprises ont déjà anticipé ces changements, Isabelle Chappuis constate que la plupart d’entre elles ont des plans stratégiques à cinq ans et que beaucoup naviguent à vue. « Et rares sont celles qui ont des plans à dix ou vingt ans. Et pourtant, pensez aux entreprises familiales dont le but est d’être transmises de génération en génération ? » Le Futures Lab va et voit plus loin : « Nous scannons l’horizon lointain afin d’identifier des signaux faibles – souvent hors du champ lié au thème étudié – et nous réfléchissons aux conséquences de deuxième et troisième ordre pour ensuite décrire un environnement – souvent complétement différent –, dans lequel les entreprises devront évoluer. Nous mettons en lumières des dilemmes à venir pour que les décideurs puissent prendre des décisions plus éclairées. »

Isabelle Chappuis remarque, enfin, que l’accélération du monde et son cortège d’incertitudes peut être source d’angoisse. « Et, pourtant, c’est justement dans l’incertitude que peut naître l’espoir. Aujourd’hui, nous devons faire évoluer notre discours concernant le futur de sorte que nous retrouvions notre capacité à agir, pour que nous puissions redevenir les architectes de notre futur, et non pas ses victimes. »

m www.unil.ch/scpf

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