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Problèmes d’approvisionnement : un vrai cercle vicieux
Les difficultés que rencontre l’économie pour s’approvisionner est le fruit d’une conjonction d’événements qui se sont enchaînés comme dans une spirale infernale. Un spécialiste du commerce international en détaille les différentes causes.
Jerome Volluz, responsable maritime auprès de Kuehne+Nagel Suisse, leader mondial du transport international et de la logistique, est aux premières loges pour appréhender les problèmes d’approvisionnement et les pénuries de matières premières que rencontre l’économie mondiale depuis plusieurs mois. «Ces difficultés résultent d’une conjonction d’événements, explique le spécialiste en commerce international. En février 2020, au début de la pandémie, les niveaux de stock en Europe et aux Etats-Unis étaient au plus bas. Il y avait une volonté de produire à flux tendu et une confiance dans les flux logistiques. »
Lorsque la crise sanitaire a débuté en Chine, le confinement des employés a provoqué une rupture de production, qui a affecté le commerce mondial. Les transports par conteneurs dans le monde ont ainsi connu, entre février et avril, une baisse de 20 %, « ce qui n’était jamais arrivé auparavant». Les entreprises occidentales, devant l’inconnue des répercussions de la pandémie, ont diminué leurs stocks. Parallèlement, avec le boum du home office et le confinement, certains secteurs ont vu leur demande exploser, comme le bricolage, les meubles, le matériel informatique, les articles de sport. Privés de voyages, les consommateurs se sont rabattus sur ces produits. Puis les Chinois sont sortis du Covid et ont recommencé à produire.
« DES CONGESTIONS JAMAIS VUES »
C’est alors qu’à fin mars 2021, le porte-conteneurs « Ever-Given », accidenté, a obstrué le canal de Suez pendant plus de deux semaines, bloquant un trafic maritime qu’on évalue à 100 navires par jour. A la réouverture de cet axe stratégique, les ports de destination (Anvers, Rotterdam, Le Havre et ceux de la côte est des Etats-Unis) ont vu débarquer les navires et leurs conteneurs en même temps. « Comme les infrastructures portuaires ne peuvent pas croître, nous avons fait face à des congestions jamais vues », relève Jerome Volluz. Effet collatéral : les bateaux bloqués pendant plusieurs semaines n’ont pas pu reprendre leur routing habituel vers la Chine pour embarquer les marchandises en provenance d’Asie, d’où une pénurie de conteneurs conjuguée à une demande, qui a explosé dans les domaines mentionnés. Résultat de ces éléments conjugués : une augmentation des prix de transports maritimes jamais observée.
Dans son étude conjoncturelle de cet automne, la CVCI relève que deux tiers des sociétés industrielles sondées font état de difficultés d’approvisionnement. Des retards de livraison et des hausses des prix d’achat sont mentionnés par plus de 70 % des structures interrogées. «La Suisse doit relever un challenge supplémentaire de par sa situation géographique, qui complique l’acheminement des marchandises: nous n’avons pas d’accès direct à la mer et le Rhin se trouve à son plus bas niveau d’eau historique», ajoute le spécialiste.
Dans ces conditions, les entreprises sont contraintes soit de répercuter les augmentations sur leurs prix de vente aux consommateurs, soit de diminuer leurs marges. Mais jusqu’à quel niveau ? « L’augmentation des prix dépend des produits, de l’élasticité de la demande, poursuit Jerome Volluz. Mais je constate que le débat sur le prix est souvent biaisé. Est-il normal de payer 1500 dollars un container de Shanghai à Rotterdam d’une capacité de 65 m3 et 25 000 kg de marchandises? Qui va se plaindre si un moutain bike ou un barbecue coûte 20 ou 30 francs de plus? Un exemple : un container peut transporter environ 8000 paires de baskets. Si celles-ci coûtent 1 fr. 50 de plus par paire, croyez-vous qu’il s’en vendra beaucoup moins alors que le prix final se situe à 150 ou 200 francs ? »
UNE SITUATION PARTIE POUR DURER
Quelles sont les perspectives ? « Je n’ai pas de boule de cristal, note le spécialiste, mais il semble probable que la situation va perdurer encore une bonne partie de 2022, car l’infrastructure, la chaîne d’approvisionnement et le near sourcing, ne peuvent changer aussi rapidement et si facilement. » Au passage, il tient à rendre hommage à tous les employés impliqués dans la chaîne logistique, du chauffeur au marin, en passant par les manutentionnaires, tous les spécialistes en logistique et les transitaires, « qui ont fait un travail exceptionnel dans des conditions extrêmes avec, pour résultat, le fait que nous n’avons pratiquement manqué de rien durant la pandémie ».
En conclusion, Jerome Volluz relève un effet de bord de cette crise : d’une part, la chaîne logistique a gagné en visibilité et en importance dans toutes les entreprises. « D’autre part, je pense que l’on arrive au bout du cycle de mondialisation low cost, ce qui va modifier les flux. Sans parler forcément d’économie circulaire ou de near sourcing, nous voyons par exemple que certains fabricants de vêtements produisent maintenant à 60% en Espagne où les salaires sont comparables à ceux de la Chine, mais sans les problèmes d’acheminement et d’inventaires, et en réduisant fortement le time to market. »
Cette évolution se fera, mais pas à court terme : « La Chine l’a très bien compris et est montée en gamme dans la technicité et le prix de ses produits d’exportation. Nous allons certainement vers un changement de cycle, mais la globalisation ne va pas disparaître », conclut-il.