DEBOUTCIV N°9 - PORTRAIT D UNE GRANDE DAME

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DOSSIER

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Portrait d'une grande dame Capturée en même temps que Laurent Gbagbo, son époux, par la coalition internationale armée, violentée et humiliée, celle qui a été pendant une décennie la First Lady de Côte d’Ivoire est, depuis le 11 avril, dans l’état d’un ange déchu. Pourtant, elle est loin de mériter le traitement à elle infligé aujourd’hui. Autant ces images avilissantes de Madame Simone Gbagbo, qui ont fait le tour du monde, ont étanché des rancunes tenaces, autant elles ont choqué plus d’une âme…Etalée tout au long de son corps, les mèches arrachées, la camisole tirée, les yeux vidés de vie…« Exilée sur le sol au milieu des huées », elle a été abandonnée aux mains des hommes en armes, sous un Ciel muet. Déchue !… est-ce vraiment la grande Simone cette dame humiliée, cassée ? Qui est cette femme ? Mérite-telle la rafale des quolibets dégradants ?

laquelle elle occupe les plus hauts postes. Devenue enseignante, elle prend une part active aux mouvements de revendications syndicales de l`enseignement dans les années 70 et 80. Dans un contexte parti unique, une telle option n’est pas sans risque. Elle fait connaissance avec les rigueurs de l’univers carcéral. Deux fois, elle est bastonnée, blessée et jetée en prison. Sa témérité impressionne ses collègues. Ceux-ci la portent à la tête du SYNARES (Syndicat National pour la recherche et pour l’enseignement du Supérieur). Elle devient la première femme ivoirienne à avoir dirigé un syndicat de l’enseignement supérieur. Au plan politique, la « princesse » de Moossou, a combattu, auprès de son camarade et époux, dans la douleur, le plus souvent,

Une femme de tête Simone fait partie des femmes hors-gabarit de CI. Bénéficiant d’une solide formation politique et universitaire, intrépide et très influente, éduquée à exprimer ses vues sans complaisance aucune, l’ex-Première Dame de Côte d’Ivoire, a le profil pour se présenter un jour aux élections présidentielles au nom de son parti. Son bagage intellectuel, son allure princière, ses traits racés et sa taille imposante plaident à sa faveur. « La Grande Royale ! » dirait le romancier sénégalais Cheikh Hamidou Kane. En 1949, au cœur de la cité de Moossou, la famille du gendarme Ehivet Jean, accueille la venue au monde, d’un bébé de sexe féminin. Cette famille, ce jour-là, ne pouvait pas imaginer que la petite créature que leurs bras émus tenaient aurait un destin on ne peut plus incroyable. Encouragée par un père qui croit en l’intelligence humaine, elle a très tôt des goûts studieux. Ses études primaires, secondaires et supérieures se déroulent avec aisance. Passionnée par la culture africaine, elle choisit de faire une licence de linguistique africaine à l'université d'Abidjan. Elle obtient un doctorat 3e cycle en littérature orale et devient plus tard chercheur en linguistique appliquée et offre ses services à l’IHAA (Institut d’Histoire, d’Art et d’Archéologie).

Une femme de pouvoir De bonne heure, Simone Ehivet Gbagbo développe des qualités d’une personne née pour commander. Pendant son adolescence, elle est réputée pour son engagement religieux au sein de la JEC dans

Lorsqu’en 2000, son époux, Laurent Gbagbo, accède à la magistrature suprême, tous les observateurs attendent qu’elle se plie à la tradition qui veut que les Premières Dame se consacrent aux œuvres sociales et caritatives. Mais c’était oublier qu’Ehivet Simone est une femme de pouvoir et de rupture. A la surprise générale, elle demeure dans l’arène et se fait une fois encore élire, avec éclat, députée d’Abobo. Au parlement, elle préside avec fermeté le groupe parlementaire du parti présidentiel. Si la vice-présidente du FPI a pu rester débout et digne malgré toutes les humiliations et les persécutions par elle subites, c’est parce qu’elle est avant tout une femme à la foi immuable. « Pour moi, confesse-telle, la foi a toujours été une richesse indispensable, un repère essentiel. C'est dans ma foi que je trouve la sérénité, c'est sur elle que reposent mes actes». Grande dans la tête, cette mère de cinq enfants, est malgré sa grande influence et le respect qu’elle force, une femme controversée. Dans son propre parti, on lui reproche sa grande propension à imposer ses vues au détriment de l’avis de la majorité. Elle tient tête aux hommes et élève la voix quand il faut. Une chose est certaine : Simone Ehivet Gbagbo est née pour jouer les tout premiers rôles au risque de heurter des sensibilités. La Hilary Clinton des tropiques, c’est bien elle !

Les « crimes » de Simone Gbagbo

Houphouët-Boigny, le « dragon-cracheur de feu ». Dans la clandestinité, elle fait partie des matrones qui ont permis l’enfantement du FPI. Elle en devient même la première Secrétaire Générale et du coup, la première femme ivoirienne à diriger un parti politique. Dotée d’un souffle de combattante inflexible et d’arguments idéologiques foudroyants, elle est de tous les combats pour une Côte d’Ivoire politiquement plurielle. En 1995, elle se présente aux élections législatives et se fait élire avec Jacqueline Lohoues Oble, député d’Abobo, rejoignant ainsi son époux dans l’hémicycle.

Une première dame atypique

Dès l’arrestation de Laurent Gbagbo ce lundi 11 avril, Simone Gbagbo va vivre l’enfer. Dans l’autre camp on jubile de voir la chrétienne abandonnée par son Dieu. Que lui reproche-t-on alors ? D’avoir été l’épouse de Laurent Gbagbo, celui que la presse française présente comme « un dictateur ». Que lui reproche-t-on ? Première Dame, elle n’a pas voulu faire comme toutes les Premières Dames de Côte d’Ivoire. Elle n’a pas voulu se laisser transir dans les fonctions de First Lady condamnée à se taire et à soulager les âmes souffrantes. Elle n’a pas voulu créer une fondation ou une ONG pour, au terme de discours hypocrites arrosés de larmes feintes, faire des dons aux personnes défavorisées. Première Dame, elle a osé se faire élire député dans une commune réputée être le fief de l’opposition d’alors. Pour combattre Laurent Gbagbo, il fallait briser Simone, le talon d’Achille de l’homme fort d’Abidjan. On lui « colle » lâchement l’Escadron de la mort et la disparition mystérieuse de Guy André-Kieffer, un journaliste franco-canadien. Les juges français chargés de l’enquête qui l’auditionnent n’arrachent pas la moindre


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