les cahiers du patrimoine de
BOLIVIE n°2
avril
2013
Chef-d’œuvre
du patrimoine immatériel
de l’humanité :
Le CarnavaL d’OrurO Quinoa, le grain d’or des Andes • Les plaines de Moxos • Alasitas • Le journal du Che en Bolivie • Sucre, mère de toutes les saveurs • Pachakuti, un nouveau cycle pour les peuples du monde • La Isla del Sol
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oxos
uinoa
Le grain d’or des andes photo
: archive abi
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carnaval d’oruro
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: hay haenen
zone humide
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Le grain d’or des Andes
moxos
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Le carnavaL d’oruro
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Le journaL du che en boLIvIe
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sucre, mère de toutes Les saveurs
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La IsLa des soL
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Les pLaInes de
La plus grande zone humide du monde Chef-d’œuvre du patrimoine immatériel de l’humanité
Candidate au patrimoine immatériel de l’humanité
La chronique de l’hédonisme
Un nouveau cycle d’harmonie
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QuInoa
lasitas
Pachakuti
un nouveau cycle d’harmonie
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brèves
: cesar anGeL cataLan
sommaIre
Photo de couverture : vice-ministère du tourisme de bolivie
Les cahiers du patrimoine de Bolivie sont une publication de la Délégation Permanente de l'Etat Plurinational de Bolivie auprès de l'UNESCO Ambassadeur Délégué Permanent : Sergio Caceres G. 1 rue Miollis – 75015 • tél : 01 45 68 30 39 courriel : delegation@bolivia-unesco.org web : boliviaenlaunesco.com
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La IsLa deL soL L’île aux légendes incas...
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Les cahiers du patrimoine de bolivie Numéro 2 - Printemps 2013 Assistante de rédaction : América Dominguez Mise en page : Anne Leïla Ollivier - Atelier ALO Imprimé par : Le Ravin Bleu Ont participé à ce numéro : Jaime Iturri Salmon, Réseau de tourisme communautaire APTHAPI, WWF Bolivia, Ramon Rocha Monroy.
: Louise Greco
L’île aux légendes incas...
: hay haenen
Bolivia danza 2013
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a Fiesta Grande, que l'on nomme également le carnaval de Santa Cruz, vient d'être désignée patrimoine culturel de l'Etat bolivien. Cette nomination s'inscrit dans l'histoire bolivienne où le carnaval a toujours été une fête très importante, peu importe le milieu environnemental ou social. « Cette fête, qui a vu le jour au cours du XXème siècle, a une identité et des caractéristiques propres qui le distinguent des carnavals d'autres régions de la Bolivie. Il commence notamment par l'élection d'une Reine de la Fête » explique l'historienne Paula Peña. La promulgation de la loi par le président Evo Morales a été effectuée juste avant le début des festivités, au début du mois de février de cette année.
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: dr
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: cesar anGeL cataLan
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La Fiesta Grande, patrimoine de l'État bolivien
e concours national de danse « Bolivia Danza 2013 » débutera cette année à Oruro le 27 avril. Ce circuit de danse qui se déplace dans différentes villes de Bolivie a pour but de sélectionner divers groupes de danse du pays pour les faire participer à la grande finale qui a lieu dans une ville différente chaque année. 2000 participants de 3 à 70 ans sont attendus par les organisateurs pour 2013. Selon Milton Herbas, le coordinateur de l'évènement, « la danse a beaucoup évolué en Bolivie ces dernières années et les groupes de jeunes redonnent de la vigueur à ce festival. Les styles varient des danses traditionnelles boliviennes aux danses classiques, modernes et contemporaines ». Ce festival, composé d'un jury international, verra se dérouler sa grande finale cette année à Oruro, capitale du folklore de la Bolivie.
'ONU a accepté le retour, le 10 janvier dernier, de la Bolivie au sein de la Convention Unique sur les Stupéfiants, appelée également Convention de Vienne. Après 50 ans de pénalisation de la coutume ancestrale andine de l'Akulliku (mastication de la feuille de coca), cette résolution accorde donc officiellement aux Boliviens le droit de mâcher à nouveau la feuille de coca et de produire celle-ci sur leur territoire pour leur consommation traditionnelle. Depuis 2009, la constitution bolivienne protège la feuille de coca en l'intégrant dans le patrimoine culturel du pays tout en affirmant que dr celle-ci, dans son état naturel, n'est pas un stupéfiant contrairement à la
cocaïne. La Bolivie poursuit donc sa lutte contre la production illégale de feuille de coca destinée à la fabrication de cocaïne (11 000 hectares éradiqués l'an passé) et souhaite dénoncer, grâce à cette résolution internationale, l'amalgame qui a été fait pendant tant d'années entre la mastication traditionnelle de la feuille de coca et la production et la consommation de cocaïne. Evo Morales, le président bolivien, se félicite de cette reconnais3
sance internationale de l'identité du peuple bolivien et remercie les 169 pays de l'Organisation des NationsUnies qui ont voté en faveur de cette résolution.
: dr
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: Louise Greco
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Dépénalisation de L’Akulliku à l’ONU
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breves
année internatiOnaLe du quinOa
QuInoa Le graIn d’or d par
Jennifer sauvaGe
2013 a été déclarée année internationale du quinoa par l’assemblée Générale des nations unies et evo morales, président de la bolivie, en est devenu l’ambassadeur spécial. peu connu jusqu’il y a quelques années, le quinoa, aliment de base des communautés paysannes andines depuis des siècles, intègre peu à peu les régimes alimentaires du monde entier.
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commencent à s’y intéresser pour sa résistance à la sécheresse et au froid (de -8 à 38°C), pour son adaptation aussi bien aux zones littorales qu’aux altitudes avoisinant les 4000 mètres d’altitude et au fait que sa culture ne nécessite pas d’engrais. Les Etats-Unis et la France ont saisi l’opportunité et produisent déjà environ 7000 tonnes de quinoa par an chacun. Cette résistance du quinoa en fait donc une culture de choix pour des pays subissant la sécheresse, comme la région du Sahel, par exemple, où des millions de personnes souffrent de la faim. Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture), le quinoa pourrait donc contribuer à réduire le nombre de personnes souffrant de malnutrition chronique dans le monde (870 millions de personnes selon un rapport publié par la FAO, soit une personne sur huit). Ce schéma s’inscrit cependant dans un dilemme difficile à résoudre. La demande de quinoa a tellement augmenté ces dernières années que les prix se sont envolés (70 dollars la tonne il y a 10 ans contre 2000 dollars actuellement). « La nourriture du pauvre » il y a encore quelques années a donc énormément gagné en popularité. Ce phénomène est donc à double tranchant. D’un côté, les petits exploitants et les coopératives (représentant la quasi-totalité des 250 000 hectares dans le monde où le quinoa est cultivé) vont largement profiter de la hausse de ces prix pour améliorer leur revenu.
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: michaeL hermann
champ de quinoa au bord du Lac titicaca à cachiLaya en boLivie.
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uelles sont donc les raisons du succès du quinoa ? Tout d’abord, « Le grain d’or des Andes », comme le nomme les peuples autochtones, a une haute valeur nutritive. Il est dépourvu de gluten, est riche en acides aminés essentiels, en oligoéléments et en vitamines. Ensuite, le quinoa est facilement cultivable. Originellement produit sur les hauts plateaux de la Colombie, d’Equateur, du Pérou et de la Bolivie (les deux derniers recensant à eux seuls plus de la moitié des 70 000 tonnes cultivées chaque année), de nombreux pays
annĂŠe internatiOnaLe du quinOa
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: archive abi
des andes
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année internatiOnaLe du quinOa qu’entraînent la revalorisation des terrains cultivables et l’épuisement des terres causé par l’intensivité des cultures sont également à prendre en compte dans l’équation. Le phénomène du quinoa semble donc être une aubaine pour contribuer à la réduction de la malnutrition dans le monde mais de nombreux défis sont encore à relever. Consciente de ces dérives, l’ONU souhaite donc agir pour rééquilibrer la production et la distribution de quinoa et promeut, à travers cette année internationale, une production et une consommation responsable de cet aliment.
Mais d’un autre, les agriculteurs ont tendance à vendre la totalité de leur production pour profiter de cette montée des prix, suscitant là des inquiétudes du point de vue de la malnutrition des enfants de la région andine. De plus, cette augmentation de leur pouvoir d’achat a tendance à les détourner vers l’achat de nourriture industrielle nutritivement moins riche plutôt que vers la consommation de leurs propres produits. Quant aux petits consommateurs boliviens de quinoa, cette hausse du prix de vente a tendance à les laisser de côté car ils ne peuvent plus se permettre de l’acheter. D’autres dérives telles que les litiges fonciers
QuInoa, Le savoIr des andes Par JaiMe iturri salMón
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alimentation, de leur médecine et des coutumes mystiques des Peuples Indigènes. Certains disent que c’est le blé des incas ou le riz des andins. Mais ces comparaisons sont humbles. En réalité le quinoa représente beaucoup plus. On ne peut imaginer le développement culturel des andins sans lui. Le quinoa est un aliment si complet qu’il permet de guérir le diabète et de résoudre des problèmes de malnutrition. Il agit sur les deux extrêmes de la brèche alimentaire. Le quinoa est une réponse au Changement Climatique produit par l’ambition d’un système qui détruit l’écologie pour produire plus en laissant derrière des hordes d’affamés. Il s’agit également d’un élément indispensable permettant d’expliquer les savoirs des Andes et la relation des hommes de cette partie du monde avec la Terre Mère. Pour cette raison, les Nations Unies ont déclaré 2013 comme étant l’Année Internationale du Quinoa.
n plein hiver, Maria Calle, une jeune fille de 16 ans, prend une boisson chaude qui lui permet de combattre le froid et d’avoir la force nécessaire pour supporter la journée. Cette boisson est un mélange de quinoa et de pomme. La vendeuse la met dans un petit sac plastique et donne une paille à Maria pour qu’elle puisse en boire des petites gorgées sans se brûler. Tandis qu’elle boit cette boisson nutritive, Maria se souvient de ce quinoa qu’elle consomme depuis toute petite. Sa grand-mère lui disait que c’était « pour que les enfants grandissent en bonne santé », celle-ci même en consommait pour guérir son ostéoporose. Maria se rappelle qu’une fois son frère s’était fait mal à la jambe et que sa mère lui avait appliqué une compresse de quinoa sur le bandage pour que la blessure guérisse. Le quinoa est présent dans la vie des andins depuis sept mille ans, il fait partie de leur
Le quinoa royal, variété bolivienne unique au monde Produite dans le sud de l'altiplano bolivien (départements de Oruro et Potosi), le quinoa royal est une espèce unique au monde. sa composition alimentaire est exceptionnellement riche en protéines, acides aminés, minéraux (calcium, fer, zinc) et vitamines. de plus, chaque grain de quinoa royal, en comparaison au riz ou au blé, a un taux plus élevé de protéine pour une plus faible concentration en graisse. Ce type de quinoa, contrairement à certaines variétés douces cultivées dans les zones humides, possède une composition alimentaire d'une richesse exceptionnelle et ne présente pas de taux élevés en saponine. des études révèlent que cette variété n'existe que dans le sud de l'altiplano bolivien, dans les sols sableux à proximité des déserts de sel et des volcans, car elle-ci se nourrit des minéraux et du potassium qu'offrent ces différents 6
nature
Les pLaInes de
moxos
La pLus grande zone humIde au monde
La région des plaines de moxos, située au nord de la bolivie dans le département de béni, vient d’être déclarée « zone humide la plus grande au monde » par la convention de ramsar. ayant un rôle primordial dans la gestion et la régulation hydrologique de la région, de nombreuses mesures ont été prises par le gouvernement bolivien pour protéger cet écosystème.
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e 2 février 2012 (jour mondial des zones humides), la convention de Ramsar, traitant des zones humides d’importance internationale, a désigné la zone humide des plaines de Moxos comme étant la plus grande au monde. Avec plus de 6,9 millions d’hectares, elle a une taille équivalente à la Hollande et la Belgique réunies. Elle se démarque par sa riche diversité naturelle et pour sa valeur culturelle. « WWF applaudit le gouvernement de Bolivie pour les mesures prises afin de protéger les écosystèmes vitaux » affirme Jim Leape, directeur général de WWF International. « Le bassin Amazonien, qui regroupe neuf pays, est le foyer d’innombrables espèces endémiques et de millions de personnes. Il joue LA zONE HUMIDE DES un rôle essentiel dans PLAINES DE MOxOS EST la régulation du cliIMPORTANTE POUR éVITER mat, ce qui est fondaLES INONDATIONS, MAINTEmental pour tous. Avoir des zones huNIR LES BASSINS éCOLOmides saines contriGIQUES MINIMAUx DANS bue à maintenir le bon LES RIVIèRES DURANT LA fonctionnement de SAISON SèCHE ET ENTRETEtoute l’Amazonie. » NIR LE CyCLE HyDROLOLes plaines de GIQUE DE LA RéGION. Moxos, situées près de la frontière entre la Bolivie, le Pérou et le Brésil sont formées par des savanes tropicales, avec des cycles de sécheresse et des inondations. Ces zones humides sont spécialement valorisées par leur riche diversité naturelle : jusqu'à au-
sites ramsar en
boLivie
jourd’hui on identifie 131 espèces de mammifères, 568 d’oiseaux, 102 de reptiles, 62 d’amphibiens, 625 de poissons et au moins 1000 plantes. De nombreuses espèces, dont la loutre géante et le dauphin rose, ont été classées comme vulnérables, en « voie d’extinction » voire en « voie critique d’extinction ». La région est traversée par trois rivières principales : Le Béni, à l’ouest, l’Itenez ou le Guaporé, à l’est et le Mamoré, dans la région centrale. Ces rivières se rassemblent pour former la rivière Madeira, principal affluent méridional du fleuve Amazone. 7
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: omar rocha/wwf
La convention relative aux zones humides d’importance internationale est un traité intergouvernemental signé par 160 pays en 1971 dans la ville iranienne de Ramsar. La convention de Ramsar œuvre pour la conservation et l’usage rationnel des zones humides afin de parvenir à un développement durable. La désignation des plaines de Moxos comme zone humide est le produit d’un effort conjoint mené par le gouvernement du département de Béni, le ministère de l’Environnement et de l’Eau ainsi que le Vice ministre
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« La constitution politique de l’Etat Plurinational de Bolivie reconnait l'importance des zones humides et établit comme principe de base pour « Vivre Bien » en respect à la Terre Mère. En reconnaissant l’importance des zones humides dans la protection de la Terre
La convention de ramsar
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Le compromis du gouvernement bolivien
Mère et l’importance internationale que représente la déclaration des Plaines de Moxos comme zone humide, l’Etat Plurinational de Bolivie, en coordination avec les acteurs sociaux, permet de conserver les zones humides, tout en recherchant le développement complet de ses habitants en harmonie avec la Terre Mère et les systèmes de vie qui la composent. » a rappelé Juan Pablo Cardozo Arnez, Vice ministre de l’Environnement de Bolivie. « En faisant écho à la demande d’Evo Morales au monde, nous appelons tous les pays à inclure dans leurs législations les droits de la Terre Mère et à réaliser les accords internationaux pour que les êtres humains commencent à vivre en harmonie et en équilibre avec elle ».
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La zone humide des plaines de Moxos est importante pour éviter les inondations, maintenir les bassins écologiques minimaux dans les rivières durant la saison sèche et entretenir le cycle hydrologique de la région, particulièrement dans les rivières péruviennes et brésiliennes. Il s’agit d’une zone peu peuplée qui abrite sept territoires indigènes et huit aires protégées. Elle comporte également des communautés paysannes et des propriétés privées, vouées toutes deux principalement à l’agriculture. Des cultures précolombiennes ont habité cette région de 800 à 1200 ap. J.C., comme « la Culture Hydraulique de Moxos », qui se caractérise par une infrastructure hydraulique et une gestion intelligente de l’eau de ce vaste territoire de plaines. C’est grâce à cette gestion qu'une production agricole intensive a pu voir le jour, permettant ainsi la survie de ces peuples.
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ci-dessus : paLmiers royaux sur Le Lac roGaGuado dans Le béni / La rivière yata/ tortues de rivière / Loutre des pLaines de moxos paGe de Gauche : rivière saint martin
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: omar rocha/wwf
Selon la convention de Ramsar, on qualifie de zone humide toute étendue de marais, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres .
de l’Environnement de Bolivie. WWF a réalisé les études techniques privées dans le cadre de la convention de Ramsar de façon à permettre cette désignation comme étant d’importance internationale. La Bolivie, qui a adhéré a la convention de Ramsar en 1990 et qui l’a ratifié le 7 mai 2002, compte huit autres sites classés par la convention de Ramsar : Les Lipez (dans le sud-ouest du département de Potosi), le lac Titicaca (département de La Paz), le bassin de Tajzara (département de Tarija), les lacs Poopó et Uru Uru (entre le département de Oruro et le Pantanal bolivien), les marais de Izozog et la rivière Parapeti (département de Santa Cruz de la Sierra). « La désignation des plaines de Moxos est primordiale pour la conservation des zones humides dans la région amazonienne car leur condition saine aura un
impact positif sur les cycles hydrologiques du bassin amazonien. Ceci aidera à la conservation d’écosystèmes et de paysages, garantira un développement équilibré des habitants de l’Amazonie et assurera la conservation de cette zone » affirme Luis Pabon, directeur de WWF Bolivie. « Mais le plus important est le défi que relève le gouvernement bolivien et la société civile qui s'engagent à protéger les plaines de Moxos à long terme. Cette déclaration montre clairement comment, ici en Amérique latine, et particulièrement en Bolivie, les procédés et les politiques gouvernementales d’appui à la conservation peuvent conduire à d’importantes réussites ». Publié par WWF Bolivia. http://bolivia.panda.org/ 9
Chef d’œuvre de L’humanité
Le carnaval d’oruro chef d’œuvre du patrimoine oral et Immatériel de l’humanité par Jennifer sauvaGe
Le carnaval d'oruro constitue l'un des plus grands évènements culturels d'amérique. fête bolivienne qui trouve ses origines dans la période précoloniale, ce carnaval a évolué au fil de l'histoire de cette région andine et d'un intense syncrétisme culturel. Le carnaval d'oruro a été proclamé « chef d'œuvre du patrimoine oral et immatériel de l'humanité » par l'unesco en 2001.
oruro, ville minière cosmopolite…
fête d’Ito où ils dansaient déguisés en hommage au Dieu Tiw, protecteur de ce peuple dans les mines. La refondation de la ville d’Oruro a ensuite laissé place à un fort métissage culturel. Le mélange des Kollas, Urus, Quechuas, colons espagnols et immigrants attirés par l’activité minière a été à l’origine de nouvelles expressions culturelles et d’une culture folklorique régionale, qui se traduisaient par différentes manifestations populaires. Le carnaval d’Oruro est donc né d’un syncrétisme entre les anciennes croyances andines et la religion catholique imposée sous la colonisation. Il est le fruit de processions religieuses où indigènes et espagnols se partageaient l’espace dans le défilé. Le premier carnaval, en tant que tel, daterait du 2 février 1789. Cette date aurait été instituée par les espagnols pour fêter la Vierge de la Candelaria (connue également comme la Vierge du Socavon, signifiant ici « grotte ») connu comme le jour de la chandeleur. Célébrant les pouvoirs miraculeux de cette vierge, cette fête chrétienne a rapidement pris racine dans la dévotion du peuple d’Oruro. A cette origine chrétienne du carnaval se mélange les invocations ancestrales andines à la Pacha Mama (Terre Mère), au Tiw (Dieu Uru) et au Tio Supay (maître des mines). Les andins rendent par la même occasion un culte sacré aux divinités telles que le soleil, les étoiles et tout autre phénomène de l’espace cosmologique.
L
a ville d’Oruro, capitale de la province du même nom, se trouve au centre d’un plateau d’un peu moins de 4000m d’altitude, à l’ouest de la Bolivie. Endroit peuplé à l’origine par des communautés parlant aymara et quechua, la ville tire son nom de l’un des plus anciens peuples de la zone andine qui venait sur ce site sacré pour accomplir ses rituels : Les Urus. La ville d’Oruro, refondée en 1606 par les espagnols, est devenue un important centre minier d’argent, d’étain, de tungstène et de plomb. Grâce à son industrie minière, au commerce et à d’autres activités nées du progrès de la région, Oruro est rapidement devenue une ville cosmopolite où s’exprimait la personnalité culturelle de chaque groupe d’immigrants. Pour ces raisons elle a été désignée capitale du folklore de la Bolivie en 1970. origines du carnaval
Le carnaval d’Oruro est né d’une synthèse de différentes cultures en lien avec l’histoire de la région. Dans son origine précoloniale, cette fête s’appelait en langue aymara « Anata ». Les indiens aymaras dansaient et marchaient au rythme de la musique pour rendre hommage à la Pachamama (Terre Mère). Les Urus réalisaient également une cérémonie qui s’appelait la 10
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: hay haenen
Guerrier tobas
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Chef d’œuvre de L’humanité
: vice-ministère du tourisme de boLivie
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: hay haenen
Les préparatifs du carnaval d’Oruro commencent le jour même où se termine le précédent carnaval, c’està-dire une fois la passation aux nouveaux responsables de l’organisation effectuée. Chaque année ce sont des centaines d’artisans qui travaillent toute l’année pour renouveler entièrement les milliers de costumes et de masques des danseurs. Une « tournée » est ensuite effectuée par les organisateurs un peu plus de trois mois avant le carnaval. Ils rendent visite à leurs connaissances en leur offrant des petits pains, des pâtisseries et de la chicha (boisson alcoolisée faite à partir de la fermentation du maïs) pour leur demander leur concours dans l’organisation et pour incorporer de nouveaux danseurs dans les « fraternités » (groupes de danse). C’est lors du « premier jour de l’invitation », le premier dimanche de novembre, que les nouveaux danseurs s’engagent à faire partie de groupes folkloriques pour une durée de trois ans. Ceux-ci accomplissent leur promesse en dansant sur environ quatre kilomètres, d’une extrémité de la ville jusqu’au sanctuaire du Socavon. Ils promettent ensuite, agenouillés devant l’autel de la Vierge, de danser trois ans de suite en son honneur et reçoivent finalement une bénédiction du prêtre. A partir de ce moment, les nouveaux danseurs vivent en harmonie dans leurs fraternités et répètent chaque semaine jusqu’à l’arrivée du carnaval. Tous les samedis, des veillées ont lieu où l’on prie la Vierge du Socavon en mâchant des feuilles de coca entre fraternités.
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: vice-ministère du tourisme de boLivie
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: José porras
une célébration préparée des mois à l’avance…
en haut à Gauche : sanctuaire de La vierGe du socavon en pLein carnavaL. fanfare aux couLeurs du drapeau boLivien Le masque d'achachi est fait de fer bLanc nickeLé. iL représente un contremaître espaGnoL, chauve, qui se fait obéir à coups de fouet. Les escLaves morenos (de peau foncée) qui Le suivent donnent Leur nom à cette danse: La morenada. en haut à droite: La danse du tinku représente un ritueL andin préincaïque, oriGinaire du département de potosi, qui consiste en un combat entre différentes communautés. Les sacrifiés de ces combats doivent donner en offrande Leur sanG à La Pachamama pour que Les récoLtes de L'année soient bonnes. en bas à droite: Le tobas est une danse en honneur d’une tribu de Guerriers du sud-est de La boLivie. eLLe consiste en différents pas sautés exécutés par Les danseurs pour impressionner L’audience. 12
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Le carnaval d'Oruro débute généralement mi-février. La fête se déroule principalement sur trois jours et trois nuits. Le vendredi, la veille du carnaval, les mineurs convient le Tio (maître des mines) aux festivités en partageant avec lui alcool, cigarettes et coca. Ils procèdent à la Wilancha qui est un sacrifice de lamas, de moutons et de coqs blancs, suivi du Karaku, le banquet familial où tout est servi en abondance. La fête du carnaval commence ensuite avec la cérémonie de « l’arrivée des cierges » où les organisateurs allument de grands cierges à l’église et dans les locaux où sont préparés des autels spéciaux pour la fête. Ces cierges doivent rester allumés jusqu’à ce que le carnaval atteigne son apogée. Une veillée est ensuite effectuée dans ces locaux en mastiquant de la feuille de coca et en buvant du punch (boisson chaude à base d'alcool, de lait et de sucre) au milieu de camaretas, statues en forme d’animaux ou d’étoiles. Le samedi matin, premier jour de la fête, commence par une messe à l’église après laquelle les responsables,
: hay haenen
trois jours et trois nuits de fête endiablée…
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en haut à Gauche : La morenada est une danse qui s’appeLait oriGinairement La danse des “morenos” (peaux foncées). imaGinée par Les indiGènes sous L’ère coLoniaLe, cette danse représente une satire des afro-descendants expLoités par Les coLonisateurs / photo : danieL cabaLLero en haut à droite : La diablada est La danse principaLe du carnavaL d'oruro. seLon L'interprétation chrétienne, L'archanGe saint micheL (au premier pLan), symboLise Le bien qui Lutte contre Le maL incarné par Les diabLes. L'autre version représente Le souLèvement des mineurs (en diabLes) qui se battent contre Leurs oppresseurs espaGnoLs / photo : vice-ministère du tourisme de boLivie au miLieu : Le suri sicuri, que L’on appeLLe aussi « La danse de L’autruche », est une danse oriGinaire des communautés andines aymaras, moLLos et Lipis. iL s’aGit d’une représentation de La chasse au suri (autruche en LanGue aymara) / photos : herbert muLLer en bas : fraternités de "caPorales". cette danse, apparue pour La première en 1970, s'inspire de La danse afroboLivienne saya et du personnaGe du caporaL de La saya, contremaître sous L'ère coLoniaLe. photo de Gauche
: vice-ministère du tourisme / photo de droite : hay haenen
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Chef d’œuvre de L’humanité et beaucoup d’autres danses. Chacune a sa propre signification, sa propre histoire, la plupart exprimant une rébellion indigène face aux envahisseurs espagnols. L’ambiance est unique, extraordinaire et les costumes sont féériques. La danse constitue une procession, un pèlerinage où les chorégraphies se réalisent en marchant et où les danseurs vivent leur foi en se libérant du superflu. Ce défilé est unique par sa beauté et ses couleurs, son éclat et sa symbolique. Tout au long de la journée, les invités font des offrandes matérielles aux organisateurs et leur accrochent des billets sur la poitrine, selon la tradition respectivement de l’aini et du t’hipanacu.
les invités et les danseurs se rendent accompagnés par les fanfares à la « maison de la fête », décorée pour l’occasion. C’est alors que commence le défilé. Chaque année, ce sont plus de 28 000 danseurs et 10 000 musiciens répartis en une cinquantaine de groupes qui prennent part au cortège. Ce défilé incroyablement coloré parcourt les quatre kilomètres de procession à travers la ville pendant plus de vingt heures, sans interruption, pour finalement s’arrêter au sanctuaire de la Vierge du Socavon. Les groupes de danse se succèdent et tous les participants à la fête vibrent au passage de la Diablada, Morenada, Tobas, Llameros, Incas, Caporales, Tinkus
Légendes de l’apparition de la vierge du socavon : chiru chiru et el nina nina Chiru Chiru était un vagabond qui volait pour pouvoir vivre. Au cours d’une de ses incursions, il fut blessé par un cantonnier auquel il essayait de voler un bien. Il fuya et tomba agonisant aux abords de la petite ville. La Vierge de la Candelaria vint à son secours et le conduisit lentement jusqu’à son refuge, une grotte, où elle l’assista avec bonté et recueillit son repentir en le bénissant avant que celui-ci ne succombe. Le voisinage du bourg, se rendant compte de sa disparition, trouva Chiru Chiru dans la grotte du Socavon où apparut une fresque grandeur nature de la Vierge de la Candelaria avec son enfant dans les bras. Dès lors, on l’appela la Vierge du Socavon et on décida de l’honorer tous les ans durant trois jours à partir du samedi de carnaval. El Nina Nina était le surnom d’Anselmo Belarmino, terrible voleur connu de la région. On raconte qu’un jour de l’an 1789, Nina Nina voulut fuir avec sa prétendante, Lorenza Choquiamo, pour allumer des cierges en l’honneur de la Vierge dans les hauteurs de la ville. Lorsqu’ils rentrèrent, le père de Lorenza les surprit et donna un coup de poignard mortel à Nina Nina. Ce dernier fut conduit par une femme d’une beauté exceptionnelle à l’hôpital qui le bénit et fit venir un curé avant de disparaître subitement. Le curé raconte qu’il reçut la confession du patient agonisant qui lui raconta sa dévotion pour la Vierge de la Candelaria et l’aide qu’elle lui avait donné avant sa mort.
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statue à L'effiGie du tio (appeLé aussi huari), maître des mines, qui se situe dans Le souterrain du sanctuaire du socavon à oruro fresque de La vierGe du socavon, appeLée aussi vierGe de La candelaria
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Huari était un demi-dieu dans la mythologie de l’altiplano andin qui avait comme attribut la force. Il s’agissait d’un monstre qui dormait dans les entrailles de la Cordillère. Econduit par Aurora, la fille du Dieu Inti qu’honore le peuple Uru, il décide de se venger sur ce peuple et de fomenter une rébellion en leur montrant les inégalités de distribution de richesses de la terre entre les habitants de l’altiplano et ceux de la vallée. L’envie s’emparant de leurs âmes, les Urus devinrent revêches et renfrognés, n’ayant pour but que de nuire à leur prochain. La Ñusta (princesse inca) apparut et les libéra de la malédiction en leur rappelant la douce quiétude des esprits tranquilles et sereins et leur demanda de faire régner l’amour et l’union entre les hommes. Lorsque Huari l’apprit, il devint fou de rage et envoya des monstres géants sous formes d’animaux (lézard, crapaud, fourmis et serpent) pour anéantir les Urus. La Ñusta réapparut à chaque fois pour les protéger en tuant ou pétrifiant ces animaux géants. Selon le mythe, elle réapparut également lors de l’arrivée des conquistadors. Sous la période coloniale, par syncrétisme, la Ñusta est devenue la Vierge du Socavon et Huari s’est peu à peu réincarné dans le diable populairement surnommé le Tio (l’oncle). La Vierge du Socavon est devenue la patronne, la gardienne et la protectrice de la ville d’Oruro et figure depuis sur les armes de la ville. Le Tio est devenu le personnage central des rites effectués par les mineurs. A la fois honoré, vénéré et craint par eux, ces derniers lui demandent l’octroi de sa bienveillance et de sa protection dans les mines. Son effigie est modelée en terre minéralisée par les mineurs eux-mêmes.
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La légende de huari (ou Wari) et la Ñusta
Chef d’œuvre de L’humanité La diablada
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: vice-ministère du tourisme de boLivie
La Diablada est la danse principale du carnaval d’Oruro. La version la plus courante raconte que cette danse trouve son inspiration dans des danses précoloniales telles que la llama llama dansée par les Urus en l’honneur du Dieu Tiw, protecteur de ce peuple dans les mines. Du temps de la colonisation, le Dieu Tiw est devenu le Tio Supay ou le Tio (maître des mines) auquel les mineurs rendaient hommage en dansant peints en rouge ou déguisés en diable. Cette danse représente une lutte entre le bien et le mal, un combat entre les diables menés par Lucifer et l’archange Saint Michel. Cette mise en scène tend à être interprétée de deux façons. La version chrétienne traduit cette scène par le combat du bien et des sept vertus représentées par l’archange Saint Michel (figure chrétienne) face au mal et les sept péchés capitaux incarnés par les diables (figures païennes). L’autre version représente plutôt une satire du conquistador où les mineurs soumis, déguisés en diable, se battent contre leurs oppresseurs espagnols. La première apparition de la Diablada se situe dans la deuxième moitié du 18ème siècle. Avec le temps les costumes sont devenus de plus en plus luxueux avec de belles pierres précieuses, des broderies élégantes de fils d’or et d’argent qui éblouissent tous ceux qui participent à la fête.
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: vice-ministère du tourisme de boLivie. photos à droite et en bas : hay haenen photo en haut à Gauche
masque de diabLada
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La rue La Paz, dans la ville d'Oruro, est dédiée aux artisans du carnaval. Tout au long de cette rue sont installées de nombreuses familles (Flores, Molina, Quiroga, Lopez, Crispin, Cruz, Churqui, Aguilar...) qui, de génération en génération, ont développé un art natif dont la beauté resplendit lors du carnaval. Enfants, parents et grands-parents travaillent ensemble dans ces ateliers, chaque famille ayant son propre style et ses secrets. On dit que les premiers artisans commencèrent sous l'ère coloniale en reproduisant des images de saints pour les églises et les villages. Au fil des années, avec la naissance de la Diablada, ces familles se lancèrent finalement dans la création de masques, passant ainsi d'un art espagnol à un art natif. Ces masques, dont le temps de confection est considérable, sont d'une beauté hallucinante. Faits en plâtre, ils sont décorés jusque dans les moindres détails et ont même des systèmes internes d'illumination pour la nuit. Chaque masque est fait sur mesure pour tous les danseurs du carnaval. Ceux de la Diablada sont particulièrement travaillés avec leurs grands yeux désorbités, la bouche à moitié ouverte et ses énormes dents acérées, des crocs saillants, un nez défiguré et d'immenses oreilles. Ces masques, généralement très lourds, sont souvent ornés d'animaux de légendes andines comme le condor, le lézard, les fourmis, la vipère, le crapaud, le dragon, certains d'entre eux possédant parfois jusqu'à sept têtes. Plus les masques sont ornés, colorés et attirent l'attention, plus les danseurs sont fiers de les porter.
: hay haenen
Les mascareros, artisans émérites sur plusieurs générations...
: vice-ministère du tourisme de boLivie. photos à droite et en bas : hay haenen
photo en haut à Gauche
Chef d’œuvre de L’humanité A l’aube du dimanche, un culte est rendu au soleil et à la Vierge du Socavon. Tous les participants du carnaval se retrouvent sur les pentes du mont Pie de Gallo, à côté du sanctuaire de Socavon. Les danseurs, les musiciens et le peuple, dans une foule impressionnante, attendent des heures durant l’arrivée des premiers rayons de l’astre roi. Ces derniers sont accueillis par les fanfares et les groupes de musiciens qui jouent pour le salut matinal de la Vierge de la Candelaria. La dernière journée, appelée la « Sobre Kacharpaya », est dédiée aux organisateurs pour les remercier de ces trois jours et trois nuits de fête. Responsables et
invités dansent la Kacharpaya (danse d’adieu dans les célébrations andines) pour clore la fête puis rendent visite aux responsables de l’année suivante en leur transmettant la statue sculptée de la Vierge de la Candelaria. Chaque année des sociologues, des ethnologues, des cinéastes, des chorégraphes, des musiciens, des poètes, des peintres et de nombreux visiteurs viennent découvrir la magnificence de ce carnaval. Il s’agit là d’un des plus grands évènements culturels d’Amérique. C’est pour cette raison que le carnaval a été nommé « Chef d’œuvre du Patrimoine Oral et Immatériel de l’Humanité » par l’UNESCO en 2001.
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alasitas
candidate au patrimoine
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e Immatériel de l’humanité par serGio caceres
A
son stand de miniatures
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cholita de La paz devant
: cesar anGeL cataLan photo
: cesar anGeL cataLan
lasitas est une fête traditionnelle de bolivie qui est apparue pour la première fois au xvième siècle, sous l'ère coloniale. devenue très populaire au fil du temps, elle mobilise maintenant une grande partie de la population, qui y participe dans le but de voir se réaliser ses voeux au cours de l'année. cette tradition bolivienne, en constante innovation, est actuellement candidate aux listes du patrimoine culturel immatériel de l'unesco.
feria d'aLasitas vue d'en haut 19
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S
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: cesar anGeL cataLan
Selon la tradition, le 24 janvier, à midi pile, il faut acquérir, en miniature, tout ce que l’on désire obtenir dans l’année (maison, voiture, diplôme, visa, argent, électroménager, etc.) et le faire immédiatement bénir par un yatiri ou un curé. Celui qui accomplit ce rite verra ses désirs réalisés au cours de l’année. Il est également impératif d’acheter un Ekeko. Mais attention, acheter un Ekeko ne signifie pas acheter un jouet ou une décoration. L’Ekeko est une divinité, la divinité de l’abondance. Elle garantit le bien-être de toute personne qui la possède. Néanmoins, pour cela, il faut lui donner à fumer une cigarette tous les mardis et les vendredis. S’il semble que l’Astoria sans filtre soit meilleure (sa préférée), l’Ekeko apprécie toutes les variétés de tabac. Nous faisons référence ici à la fête des Alasitas, une coutume très populaire en Bolivie et qui se répand dans d'autres pays. Comme nous l’avons déjà mentionné, la fête commence le 24 janvier à midi, moment où (du moins à La Paz) toutes les activités sont paralysées. Le trafic des véhicules est le plus affecté dans la mesure où la plupart des habitants se retrouvent dans les rues pour acquérir leur Ekeko et leurs miniatures. C’est ainsi que débute l’une des fêtes artisanales les plus fascinantes du monde où l’ingéniosité populaire se manifeste et s’exerce pour réduire en miniature tous les objets que nous pouvons rencontrer dans la vie quotidienne. Pour cette raison, c’est une fête en constante rénovation et innovation. Le personnage central de cette fête, l’Ekeko, est une petite statue faite majoritairement en chaux. Elle représente un petit homme gros, à l'expression bienveillante et festive, surchargé d’objets les plus divers. Ses oriCHAQUE 24 JANVIER à MIDI, CEUx QUI PARTICIPENT AU gines remontent à l’époque RITE DES ALASITAS EN- préincaïque, mais il a subi TRENT EN CONTACT AVEC des transformations diUNE COUTUME MILLéNAIRE, verses pour parvenir à la UN VéRITABLE PATRIMOINE version actuelle. DE L’HUMANITé VIVANT ET De nombreux spéciaCHANGEANT. listes s’accordent sur l’origine aymara du mot « Alasitas » : ce terme signifierait alors « Achète-moi » avec une référence sous-entendue aux miniatures. « Achète-moi ces petites choses » constituerait peutêtre une traduction plus adéquate. Si l’Ekeko et la fabrication de miniatures remontent à la période précoloniale, la première Fête des Alasitas proprement dite a eu lieu le jour de la fondation de la ville de La Paz, le 20 octobre 1548, sous la colonie espagnole. Il s’agissait d’une fête où « les Blancs et les Indiens festoyaient chacun à leur manière et à leur
ci-dessus : • stand de churros dans Le marché d'aLasitas • La féérie d'aLasitas
place » comme nous le rappelle Ernesto Cavour dans son livre sur les Alasitas. Les Européens et les créoles (métisses) célébraient cette fête en se déguisant tandis que les indigènes s’y rendaient en apportant des sculptures en miniature qu’on leur échangeait contre des petites pierres planes qui, selon Cavour, constituaient la monnaie de l’époque. La fête a ensuite été interdite par l’église catholique qui considérait qu’elle avait un caractère licencieux. C’est le Gouverneur Intendant de La Paz qui, en 1781, a rétabli la fête. Il a néanmoins déplacé la date, la fixant au 24 janvier, jour consacré à Notre Dame de La Paz. Il s'agit là d'une manière de la remercier pour avoir survécu au siège indigène mené par Tupak Katarí et Bartolina Sisa. Ce siège est une des premières rébellions anticoloniales d’Amérique. Il a duré plus de six mois 20
vice-ministère du tourisme/boLivie
paGe de droite : • ekeko des campaGnes • statue représentant L'ekeko, dieu de L'abondance charGé de biLLets et de diverses autres choses. • Les petits biLLets d'aLasitas • petites maisons miniatures
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: cesar anGeL cataLan
: musef. photos à droite et en bas : vice-ministère du tourisme de boLivie
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: cesar anGeL cataLan
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Les petits billets d'alasitas Nous pouvons admirer les fameux « billets d'Alasitas », copies miniatures des bolivianos (monnaie bolivienne) d'usage courant et des petits dollars américains par coupure de 10, 20, 50 et 100. Ces derniers sont les plus appréciés et sollicités dans notre milieu pour leur statut de patron monétaire international et ils se vendent souvent enveloppés avec des sapitos (petits crapauds), des huayruritos (petites graines rouges symboles de bonne chance) et des herrajitos (ferrures). Dans les imprimeries « Maquev » et « Contemporanea », toutes deux situées sur la rue Linares de la ville de La Paz, on les imprime avec d'autres petits billets appartenant aux pays voisins (...). Quant aux petits dollars, dont l'élaboration des traits et des couleurs est impeccable, ils nous rappellent une anecdote: « Une femme après avoir visité la fête d'Alasitas avait ramené dans ses affaires, à son retour aux Etats-Unis d'Amérique, une collection de ces petits dollars. Les agents de la douane, lorsqu'ils virent ces petits billets, appelèrent la police de l'aéroport qui immédiatement amenèrent la dame en prison pour recevoir sa déclaration ». La nouvelle a été diffusée par la presse internationale. /ernesto cavour 21
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: danieL espinoza, abi.
photos Ă droite et en bas
: musef
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dOssier dans l’Altiplano bolivien au bord du lac Titikaka. Les Tiwanacotas idolâtraient une statue de pierre en miniature qui, à la différence de l’Ekeko actuel, représentait une divinité nue. Après l’invasion incaïque, l’Ekeko a été adoptée par les Incas qui l’ont convertie en une représentation de la fertilité et de l’abondance. Selon l’historien Rigoberto Paredes, une version de la fête des Alasitas avait lieu au temps de l’Empire Inca durant le solstice d’été, moment où les habitants offraient à l’Ekeko des miniatures qui symbolisaient leurs espoirs. Ceci a été confirmé par l’archéologue autrichien Arturo Ponsnasky. Selon la plupart des historiens, la fête des Alasitas provient de cultures antérieures aux Incas. Plusieurs siècles se sont écoulés depuis les petites sculptures en pierre idolâtrées par les Tiwanacotas jusqu'à la statue de l’Ekeko que nous rencontrons aujourd’hui sur les marchés de La Paz, bien habillée et chargée d’aliments, d’ordinateurs et d’autres objets les plus divers. La fête et son Ekeko ont fait l’objet de plusieurs syncrétismes et métissages. Néanmoins, malgré cela et le temps passé, leur essence n’a pas changé. Chaque 24 janvier à midi, ceux qui participent au rite des Alasitas entrent en contact avec une coutume millénaire, un véritable patrimoine de l’humanité vivant et changeant. La fête des miniatures, comme nous l’indique Ernesto Cavour, est un musée où l’on peut admirer « toute l’ampleur du savoir, c’est comme réaliser un inventaire vivant de l’évolution des techniques et de l’art bolivien » et, pourquoi pas, des coutumes et du quotidien de la société bolivienne…
durant lesquels les habitants de la ville ont souffert, entre autres, de pénuries. Dans son livre Leyendas de mi tierra, l’écrivain Antonio Díaz Villamil (1897-1948) suggère que l’Ekeko que nous connaissons aujourd’hui est justement né de ce siège. A l'époque de l'esclavage, l’indigène Paulina Tintaya est envoyée à La Paz par son maître, l’Espagnol Francisco de Rojas. Contrainte à abandonner son amoureux, Isidro Choquehanca, ce dernier lui fabrique une petite statue pour lui offrir comme cadeau et amulette. En fabriquant la statue, le jeune amant réalise le portrait du maître de l’indigène, Francisco de Rojas, car c'est de lui que dépend le destin de chacun d’eux. Selon la légende de Villamil, le caractère bienveillant a été attribué à la statue dans l’espoir que Rojas se radoucisse et n’éloigne pas son aimée en l’exilant à La Paz. Isidro a également doté sa statue de représentations en miniature, comme des vivres et autres objets qui auraient pu manquer à sa compagne. La statue a finalement voyagé avec l’indigène jusqu'à La Paz et, dans les moments d’importante pénurie alimentaire, les provisions de Paulina étaient toujours abondantes et les vivres se reproduisaient de manière magique chaque nuit. Ce miracle a été attribué à la statue et c’est à partir de là que serait né le culte à l’Ekeko comme Dieu de l’abondance. D’autres historiens pensent que le culte à l’Ekeko remonte à la culture Tiwanaku, culture préincaïque établie
photo en haut à Gauche
: danieL espinoza, abi.
photos à droite et en bas
: musef
paGe de Gauche : • choLita boLivienne à son stand de miniatures • ekeko vivant • choLitas boLiviennes Jouant de La musique dans La rue
Les petits mots Les petits mots utilisés pour Alasitas sont: aurita, aquicitos, un ratito, pancito, salteñita, empanaditas, quesito, besito, mamacita, papacito, choricito, lindurita, florcita; et également : ch'iticito, k'olito, wawita, kholilita, jiskhita, peladingo, chiquitingo,etc.: tous les mots terminés en -ito, -cito, -ita, -cita, -ingo, -inga sont des diminutifs utilisés dans un sens affectif, de tendresse, d'appréciation, d'amour, comportements qui pour nous, les boliviens, font partie notre manière d'être. / ernesto cavour Les journaux d'alasitas Entre les divers objets qui sont miniaturisés par les artisans d'Alasitas figurent les journaux. Cette coutume remonte au moins à l'année 1846, date de l'exemplaire le plus ancien du journal d'Alasitas conservé en Bolivie. Dans l'antiquité, et jusqu'au début du xxème siècle, des écrivains journalistes et des imprimeurs réalisaient des journaux spécialement pour cette fête. Il s'agissait de publications sur un ton satirique et ingénieux et nombreux furent les gouvernements qui firent interdire la publication de ces journaux pour la fête d'Alasitas parce qu'ils étaient considérés comme « politiquement impertinents ». De nos jours, ce sont les journaux habituels qui préparent des versions miniatures sur un ton humoristique pour Alasitas. A cet égard, Ernesto Cavour regrette que se soit perdue la tradition ancienne des « Periodiquitos de Alasitas » (petits journaux d'Alasitas). Mais tout n'est pas tout à fait perdu. Les publications miniatures ont été inscrites sur le registre régional de la Mémoire du Monde de l'UNESCO, grâce à un travail coordonné par le Ministère des Cultures de Bolivie conjointement au Gouvernement Autonome Municipal de La Paz (GAMLP), la Fondation Flavio Machicado, le Musée des instruments natifs et des collectionneurs. 23
mémOire histOrique
Le journaL du che en boLIvIe par sergIo caceres
Le Journal du che en bolivie constitue un patrimoine documentaire important pour la construction de la mémoire historique. document non accessible au public pendant de nombreuses années, il fait aujourd’hui partie de la candidature au registre mondial des mémoires du monde de l’unesco, avec l’ensemble des œuvres et manuscrits du guérillero. Un an plus tard, la maison de vente aux enchères Sotheby’s annonce de manière surprenante la mise en vente du Journal du Che en Bolivie le 16 juillet 1984. Immédiatement, la Chancellerie bolivienne se lance dans un processus légal de récupération qui débouche sur le rapatriement du Journal du Che en Bolivie le 16 septembre 1986, date à laquelle il fut déposé dans les coffres de la Banque Centrale sous protection du gouvernement. Malgré tous ces évènements, le contenu du Journal du Che en Bolivie n’a pas été maintenu secret, ni gardé loin du public. Au contraire, en 1968, une première édition a été publiée à La Havane et distribuée gratuitement à toute la population. Par la suite, le journal a été édité et réédité dans différentes parties du monde et a été traduit en 6 langues. Les notes que le Che a laissées dans ce journal ont servi d’inspiration à différentes reprises et pour des publics très variés : Depuis le chanteur Noel Nicola qui s’est servi d’une partie du registre quotidien du Che
Le 7 octobre 1967, Ernesto Che Guevara, le révolutionnaire le plus connu au monde, est capturé par l’armée bolivienne après de nombreux mois d’offensive de guérilla. On connaît la suite de l’histoire. La dictature militaire de cette période, en coordination avec le Département d’Etat des Etats-Unis, ordonne l’exécution du guérillero. Entre les objets qui lui furent confisqués le jour de sa capture se trouvait son journal de campagne, composé d’un agenda et d’un cahier. Les deux documents ont immédiatement été archivés et classés « Secret d’Etat » par un Décret Suprême de décembre 1967. En 1980, le Dictateur Luis Garcia Mesa, en étroite collaboration avec son ministre de l’intérieur Luis Arce Gomez (tous deux en prison actuellement), décident de déclasser le document et d’organiser une vente aux enchères internationale du Journal. Bien qu’on ne sache pas précisément les débouchés de cette vente, une inspection de routine en 1983 rend compte de la disparition du Journal.
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: ministère du tourisme de boLivie
: ministère du tourisme de boLivie
manuscrits du GueriLLero
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mémOire histOrique pour écrire une chanson (Décembre trois et quatre), en passant par le roman Matias l’apôtre suppléant de l’écrivain bolivien Julio de la Vega, jusqu’à cet excellent documentaire Richard LE JOURNAL DU CHE EN signé BOLIVIE, POUR LES RAISONS Dindo, dont le titre homonyme est Le QUI ONT DéJà éTé MENJournal du Che en TIONNéES, CONSTITUE UN Bolivie, pour ne PATRIMOINE DOCUMENTAIRE citer que quelques DE DIMENSION UNIVERexemples. Ceci SELLE PUISQU’IL S’AGIT sans oublier tous les D’UNE PIèCE TéMOIGNANT touristes qui débarD’UN MOMENT CLé DE quent chaque année L’HISTOIRE DE LA BOLIVIE à Vallegrande pour ET QUI AURA, DE PLUS, DE aller découvrir, PROFONDES RéPERCUSSIONS journal en main, les ET INFLUENCE AU NIVEAU sentiers de la guéRéGIONAL ET MONDIAL. rilla héroïque. Cependant, le document original (un agenda à la couverture bordeaux et un cahier rouge à spirales) est resté dans les ombres du secret d’Etat et des coffres de la Banque Centrale jusqu’au 7 juillet 2008, date à laquelle le Ministère des Cultures a réussi à se voir autoriser l’accès au Journal afin d’en réaliser un fac-similé. Cette copie a été reproduite à tirage limité dans le but de les distribuer à des bibliothèques publiques pour que ce document puisse être accessible à tous. Dans le même but, un deuxième effort a été la candidature au Registre Mondial des Mémoires du Monde de l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO) de « La vie et l’œuvre d’Ernesto Che Guevara, depuis les manuscrits de l’adolescence au Journal de campagne en Bolivie ». Cette candidature a été présentée conjointement par le gouvernement bolivien, la République de Cuba et les héritiers du guérillero. Le registre de Mémoire du Monde est un programme destiné à contribuer à la préservation et à faciliter l’accès universel au patrimoine documentaire de tous les recoins de la planète. Le résultat de cette postulation sera connu au mois de décembre prochain. Le Journal du Che en Bolivie, pour les raisons qui ont déjà été mentionnées, constitue un patrimoine documentaire de dimension universelle puisqu’il s’agit d’une pièce témoignant d’un moment clé de l’histoire de la Bolivie et qui aura, de plus, de profondes répercussions et influence au niveau régional et mondial. Sa conservation est importante pour la construction de la mémoire historique du pays. Sa connaissance est vitale pour comprendre la dimension et le contexte historique dans lequel il a été rédigé.
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: manon servien
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: Louise Greco
ci-dessous : • pLaine en contrebas du viLLaGe montaGneux de "La hiGuera" où Le che a été capturé puis tué Le 9 octobre 1967. • Le document oriGinaL est resté dans Les ombres du secret d'etat et de La banque centraLe Jusqu'au 7 JuiLLet 2008, date à LaqueLLe Le ministère des cuLtures a réussi à se voir autoriser L'accès au JournaL afin d'en réaLiser un fac-simiLé • "Je Préfère mourir debout que vivre à genoux". fameuse phrase du GuériLLéro peinte sur Les murs d'une maison du viLLaGe de "La hiGuera".
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ChrOnique de L’hédOnisme
sucre
mère de toutes les saveurs PAR
RAMON ROCHA MONROy
ramon rocha monroy est un écrivain, journaliste et chercheur reconnu en bolivie. nommé à de nombreuses reprises pour des prix de littérature nationaux pour ses romans el run run de la calavera, ando volando bajo, Pedagogía de la liberación, la casilla vacía, Potosí 1600, il est également très connu pour ses critiques culinaires au niveau national sous les pseudonymes « el ojo de vidrio » ou encore « el cronista de cochabamba ». il a été nommé vice-ministre des cultures de bolivie en 1999. Écoute, noire prétentieuse, De voler tu ne vas pas voler, Malgré ton dédain, À la fin tu vas m’aimer. La goutte perce le rocher Dans sa soif de percer, et si se traîne le lierre, Ce n’est pas par vilenie ni vulgarité. J’ai pu lire ces vers sur des carreaux de faïence ravissants d’un mur du marché du Guereo, à quelques pas de la Recoleta, dans la ville de Sucre. Si ma mémoire ne me fait pas défaut, les paroles de ce bailecito (danse folklorique bolivienne) est d’Ovidio Cespedes. Des vers tels que ceux-ci surgissent dans les recoins agréables de cette belle ville-mère à l’origine de toutes les saveurs. Ces carreaux sont fabriqués par « Bol art », une entreprise locale, et coûtent chacun 8 dollars. Je trouve là deux jeunes artistes, Eric Nina et Vilma Valda, peignant à la glycéro les motifs que leur demandent les passants... Des frises, des blasons, des noms de famille ou de rue. La carte de Sucre apparaît ainsi en divers endroits de la ville, munie de détails précis peints sur la faïence. Les photo 1 : LA CHICHA
De
mairies du pays feraient bien de faire faire leurs écriteaux de rues et leurs numéros de maisons à Bol art. Sur le marché de Sucre existe une conspiration générale pour élever l’estime de soi : tout le monde t'appelle « docteur ». Ce n’est pas une blague récemment inventée, mais l’héritage des pleine de jurisconsultes, de procureurs, d’avocaillons ou de vulgaires gratte-papiers. Il vient du temps des hiérarchies rigides et des jalousies entre le président du tribunal maximal et l’archevêque, tous deux en compétition à chaque cérémonie publique pour établir qui du pouvoir ecclésiastique ou séculaire était le plus fort. Le curieux est que l’habitude subsiste aujourd’hui chez les habitants de Sucre, même chez les chauffeurs qui occupent la voie réservée et tournent au coin de la rue en faisant des courbettes. Ce sont des gens pacifiques ces habitants de Sucre, à force de bien manger et de pratiquer la plus importante des vertus locales, la discrétion —même si Tristan Marof préfère parler d'une « discrétion à vive voix »— ou communication de confidences ou purement et simplement commérage. Commérages et surnoms, tous deux attributs de l’esprit le plus vif.
PADILLA EST UNE BOISSON ALCOOLISéE OBTENUE à PARTIR DE LA FERMENTATION DE MAïS ET EMBOUTEILLéE DANS LA LOCALITé DE PADILLA
/ photo : JuerGen horn
photo 2 : LES enRoLLADoS SONT éLABORéS à PARTIR DE VIANDE DE PORC MARINéE DANS DES CONDIMENTS ET ENROULéE DANS UN MORCEAU DE CUIR DE L'ANIMAL AVANT D'êTRE CUITE DANS UNE POêLE PUIS DéCOUPéE EN RONDELLES. ILS SONT LES éQUIVALENTS DU "FROMAGE DE TêTE" FRANçAIS / photo : dr photo 3 : LE MonDonGo EST UN PLAT à BASE DE VIANDE DE PORC EN SAUCE PIMENTéE ACCOMPAGNéE DE MAïS CUIT AVEC DES PETITS MORCEAUx DE CUIR DE L'ANIMAL. photo 4 : LE PICAnTe TRIXTo EST UN PLAT RéALISé à PARTIR DE POULET, DE LANGUE DE BOEUF, DE LAPIN, D'OIGNONS, DE CONDIMENTS ET DE PIMENTS / photo : dr
ChrOnique de L’hédOnisme Mais le plus étonnant à Sucre, c’est que cette vie paisible a pour pilier une prodigieuse densité culturelle... Dans chaque maison, chaque couvent, chaque rue. C’est ici que nous sommes nés en tant que pays, et la mémoire de notre naissance, Sucre la conserve avec l’amour d’une mère. Levi-Strauss disait que la culture naît lorsque que quelqu’un jette un morceau de viande sur le feu. La cuisine est le ventre maternel de la culture. D'une bonne digestion/ingestion peut naître un bailecito inspiré ou une bagarre avec des blessés graves et des morts légers. à Sucre, il est impossible de passer outre l’excellence de la cuisine qui est, dans la « cuistonomie » nationale, la seule qui peut tutoyer de grandes cuisines, comme la mexicaine par exemple (je dis « cuistonomie » parce que « gastronomie » me fait penser a une maladie et « culinaire » semble faire allusion à d’autres plaisirs). Où est née cette cuisine ? Elle est le fruit d’un doux métissage de la colonie et non de la conquête, de l’amour et l’amitié et non de la guerre. D’après la solidité de ses saveurs, elle est probablement née dans des climats froids, dans de petits villages perdus en Galice ou en Cantabrie, ou dans l’hiver castillan. Mais elle a incorporé ici des éléments qui, aujourd’hui, lui confèrent une appellation d’origine. Ainsi le piment jaune et coloré, la pomme de terre, le maïs, la tomate et le chuño. Sans oublier cette cholita gringa qui nous vient de loin mais qui a su se rendre indispensable au goût populaire : l’oignon. La meilleure explication de ces origines se trouve sans doute, dans le livre de Beatriz Rossels La gastronomia en Potosi y Charcas siglos XVIII, XIX y XX. qui décrit le mariage de l’autochtone et de l’espagnol par l’analyse de trois cahiers de cuisine : celui de Madame Josepha de Escurrechea, de la fin du xVIIIème siècle, et ceux de Juana Manuela Gorriti et Sofia de Urquidi, du xIxème siècle. Ce livre est d’une grande précision conceptuelle et fourmille d’observations aigües sur l'origine et le développement de la cuisine métisse. J’ai pu retrouver les saveurs délicieuses de cette cuisine de bonne famille chez des hôtes dotés de la chaleur et des scrupules de ceux qui pratiquent la sorcellerie « cuistonomière » dans la plus grande discrétion ; ainsi, en
hommage à celle-ci, je cacherai leurs noms. Nous avons ouvert les hostilités par une bonne dose de ce mets néolithique que l’on ne trouve plus dans les grandes villes : la peau de lait bouilli, avec laquelle on prépare des gollorias, arrosées de miel de canne à sucre ou de sirop. à midi nous avions rendez-vous avec ce prodige du syncrétisme : le cocko, fils métisse du coq au vin français. à Sucre, on le prépare avec de la chicha de padilla (boisson alcoolisée obtenue à partir de maïs fermenté), accompagnée de nouilles et de pommes de terre. Dieu merci, nous donnions un peu de repos à notre estomac pendant la nuit, car le jour nous avions de redoutables rendez-vous avec le jolke, les chorizos negros, les enrollados, lemondongo, la chanfaina, la sullka et le picante trixto, plat fait à partir de poulet, de langue et de lapin. De ce plat est née l'idée du picante sixto, doté de trois éléments supplémentaires : les piments cola, saice et ranga. Le sixto me permet une pensée pour mon père qui m’a bien eu en me prénommant Sixto Ramon — dans l'intention secrète, qui sait, d’adoucir mon caractère. Comment peut-on supporter une telle quantité de sauces (comme l’allpis) si piquantes ? Le secret est dans la cuisson à feu doux, cérémonie qui commence aux premières lueurs de la journée, ou dans la cuisson façon fritadas prolijas, qui les rendent inoffensifs. Inutile d’agresser un habitant du département de Chuquisaca (dont la capitale est Sucre) avec les saveurs k’aimas (« fades ») du sushi, de la sauce blanche et autres choses du genre. Son palais est fait pour les saveurs robustes et l’alchimie des ingrédients combinés. C’est peut-être pour cette raison qu’il n'y a pas de citoyen plus exigent à table qu’un habitant du Chuquisaca. Le chuño p’uti, par exemple, doit être al dente et le temps de cuisson du rein très précis. Le cocko se fait avec du piment jaune et le aji de lengua avec du piment rouge. Malheureux soit celui qui inverse les piments! Le jolke, par exemple, est un bouillon de rein cuisiné à La Paz avec de l’origan et beaucoup de condiments. à Cochabamba, il est mangé si cru et nature qu’il en devient presque vulgaire. à Sucre, en revanche, il est servi abondamment avec de l’allpi et du piment rouge. Rien à voir avec le rein au vin ou en bouillon !
photo 5 : LES GoLLoRIAS SONT UN DESSERT à BASE DE BANANES, DE CRèME ET DE MIEL DE CANNE à SUCRE FRITS DANS UNE POêLE / photo : dr photo 6 : LES CHoRIzoS neGRoS SONT DES SAUCISSES éLABORéES à PARTIR DE VIANDE DE BOEUF ET DE PORC MIxéS AVEC DU CUMIN, DES OIGNONS ET DU PIMENT / photo : dr photo 7 : LA CHAnFAInA EST UN PLAT à BASE D'AGNEAU, DE RIz, DE POMME DE TERRE ET DE PIMENT / photo : dr photo 8 : LA SULLKA EST UNE VIANDE DE BOEUF GRILLéE SERVIE AVEC DU MAïS CUIT DANS L'EAU / photo : dr
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PaChakuti
Pachakuti,
de la macha à la Pacha
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Le 21 décembre 2012 a marqué le début d'un nouveau paradigme pour les peuples du monde. pour l'arrivée de ce solstice d'été, plusieurs centaines d'indigènes sont venus se rassembler sur la isla del sol (île située au centre du Lac titicaca) pour accueillir le début d'une nouvelle ère d'équilibre et d'harmonie en présence du président bolivien evo morales, et de nombreuses autorités. au cours de la cérémonie, le président bolivien a proposé dix axes thématiques et actions afin d'éviter que le capitalisme ne ruine la terre mère et les êtres humains. il a appelé, par la même occasion, à l'intégration, l'unité et la solidarité entre les peuples du monde.
: reynaLdo zaconeta
un nouveau cycle d'harmonie pour les peuples du monde.
Le 21 décembre 2012 a marqué la fin de l’ère de la Macha. Cette ère, considérée comme le temps de l’égoïsme, de la division et de l’individualisme, a laissé place à la Pacha, un temps nouveau où règnent harmonie, fraternité et communautarisme. 500 ans se sont écoulés avant que les peuples ne puissent célébrer le retour de ce temps, période tant attendue par les plus âgés qui gardaient en eux l'espoir de pouvoir célébrer à leur tour un retour de temps, comme l'avaient fait leurs ancêtres après la période d'obscurité qu'a été le colonialisme. L'évènement est venu achever le cycle du non-temps et reçoit le Pachakuti, nouveau cycle, temps de l'équilibre et de l'harmonie pour la Terre Mère.
qué par la rébellion des peuples indigènes emmenée par Tupac Katari et Bartolina Sisa. Le troisième, reconnu comme celui de la révolution, commence avec la résurgence des peuples et des organisations sociales depuis 1992. C'est par cette résurgence qu'Evo Morales est arrivé au pouvoir en 2006, devenant ainsi le premier président indigène de Bolivie. Ce troisième Taki Unquy célèbre une réapparition de toutes les richesses des connaissances et de la culture. Evo Morales a annoncé que la crise économique récente annonçait la fin du capitalisme et d'une consommation déchaînée, c'est-àdire d'un modèle de société où l'être humain prétend être supérieur à la Terre Mère, reconvertissant la nature en un objet.
Le troisième
une cérémonie de purification
Le Taki Unquy marque le début d’un temps nouveau pour les peuples indigènes. Il en existe trois. Le premier a été caractérisé par la résistance des indigènes après l’invasion des espagnols. Le deuxième a été mar-
Autorités du gouvernement, ambassadeurs, ministres, gouverneurs départementaux et leaders d'organisations sociales nationales et internationales étaient présents sur la Isla del Sol, célèbre centre cérémonial religieux 28
PaChakuti
arrivée d’evo moraLes à bord de La « baLsa tunupa », embarcation mystique traditionneLLe fabriquée à partir de roseaux qui a pris Le nom de tunupa, du nom de La divinité andine qui contrôLait Les voLcans, Les rayons et L’eau.
enclavé au milieu du lac Titicaca. Cette cérémonie ancestrale, qui consiste en un lavage spirituel dirigé par des amautas (sages) de la communauté Ch'alla, a été organisée pour donner la bienvenue au nouveau cycle
d'harmonie et d'équilibre entre les peuples. Des discours et des danses ont également accompagné la cérémonie pour souhaiter la bienvenue au Pachakuti. /J.Sauvage
« Ce solstice d'été est un nouveau début, la résurgence des peuples, un acte de récupération de l'identité de nos ancêtres. avec l'arrivée du Pachakuti, nos peuples pourront enfin redorer la splendeur de leur culture, de ce trésor qu'ils ont caché des centaines d'années pour le protéger des mains de l'oppresseur. nos ancêtres nous ont enseigné qu'il est possible de construire une société meilleure où le travail et la vie en communauté prend le pas sur l'individualisme ». félix Cardenas, vice-ministre de la décolonisation
« depuis plus de 500 ans, les sages des plus grandes tribus ont présagé l'arrivée d'un temps nouveau. ils nous ont enseigné à découvrir les secrets de la nature, à aimer cette terre mère, à la préserver et la protéger en cultivant la vie. nos aïeuls nous avaient prévenus de l'arrivée des hommes blancs et nous ont dit de « Garder sous terre les choses sacrées et de les préserver jusqu'à l'arrivée d'un temps nouveau. Ce temps est arrivé! »
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PaChakuti Les dix axes d’evo morales pour la nouvelle ère axe 1. poLitique Constatant que les intérêts du peuple ne sont pas représentés par les systèmes politiques actuels élitistes, exclusifs, gouvernés par une oligarchie qui se donne pour mission de défendre les intérêts économiques d'une poignée et non ceux du peuple, nous proposons: − De refonder les systèmes politiques en cultivant toutes les formes de hiérarchies, de monarchies, d'oligarchies du marché et du capital. La démocratie est le gouvernement des peuples et non du marché. − De passer de la démocratie représentative, où le pouvoir est au service des intérêts des élites et des minorités, à la démocratie communale, où n'existent ni majorités ni minorités et où la raison s'impose et non le vote. − Que l'action politique se constitue en un engagement intégral et permanent à la vie qui soit à la fois éthique, humain et moral avec nos peuples pour récupérer les codes de nos ancêtres.
− De nous défaire du racisme, du fascisme et de tout type de discrimination imposés par le colonialisme. − De nous défaire du mercantilisme, de la surconsommation, du luxe, de l'égoïsme et de la cupidité transmis par le colonialisme, afin de promouvoir le bien-être. − De récupérer les connaissances et les codes des cultures millénaires dans le monde pour renforcer la prise de conscience des personnes et des sociétés sur la Terre Mère et sur le fait que ce soit un être vivant et sacré. − De construire des Etats Plurinationaux où existent de multiples cultures et le respect du plurinationalisme social. axe 4. environnement Constatant que les idéologues du système capitaliste promeuvent l' « économie verte » comme le salut de ce modèle de société - ce qui ne signifie rien de plus que la mercantilisation de la nature -, nous proposons: − D'exiger aux pays à l'origine de la crise climatique qu'ils remplissent leur responsabilité historique en payant la dette climatique aux peuples du sud et qu'ils réduisent drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre dans le cadre d'engagements internationaux inaliénables. − De mettre en place des politiques et des actions nécessaires qui préviennent et évitent l'épuisement des ressources naturelles en prenant en compte le fait que la vie dépende du soutien à la capacité de régénération des systèmes de vie de la Terre Mère. − Que nous, tous les pays du monde, impulsions de manière vive et déterminée la non-commercialisation des fonctions environnementales et procédés naturels de la Terre Mère.
axe 2. sociaL Considérant qu'il est nécessaire d'avoir plus de droits sociaux et humains face à la marchandisation des besoins humains et que le capitalisme ne fait que privatiser les services et spéculer avec ces besoins, nous proposons : − D'accélérer la reconnaissance dans la législation internationale et normative nationale des services basiques tels que l'eau, l'électricité, les communications et l'assainissement en tant que droit humain fondamental. − De progresser dans la nationalisation des services basiques puisque les administrations privées marginalisent la majorité de la population. − De concentrer plus de ressources économiques dans les Etats et créer des mécanismes de distribution de cette richesse entre les régions et les populations qui en ont le plus besoin. − De développer la formation d'un nouvel être humain complet qui ne soit ni matérialiste ni consumériste.
axe 5. ressources natureLLes La souveraineté sur les ressources naturelles est la condition pour la libération de la domination coloniale et néolibérale ainsi que le développement complet des peuples. Dans la majorité des pays, cette richesse a été pillée. Pour ces raisons, nous proposons : − D'attribuer la propriété des ressources naturelles à l'Etat au bénéfice des peuples pour que ceux-ci puissent jouir de l'ensemble des ressources naturelles. − D'impulser un processus de nationalisation pour tous les pays du monde ayant des ressources naturelles stratégiques car c'est uniquement à travers ce mécanisme qu'il est possible de rompre les processus de colonialisme économique.
axe 3. cuLtureL-spiritueL Nous vivons dans une société où tout est globalisé et hégémonique. De nos jours, les cultures ancestrales sont marginalisées dans les processus économiques et politiques. Ceci a entraîné une profonde déshumanisation dans le monde et une mise à l'écart des richesses culturelles et spirituelles. Pour ces raisons, nous proposons :
ci-dessous : • Le nouveau cycLe d’harmonie et d’équiLibre entres Les peupLes est accueiLLi par une cérémonie ancestraLe de purification, à LaqueLLe participe evo moraLes, qui consiste en un LavaGe spiritueL / photo : abi/edL
• Le président boLivien vient à La rencontre des centaines d’indiGènes s’étant dépLacés de divers endroits de La boLivie pour recevoir cette nouveLLe ère / photo : abi/edL
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PaChakuti
− De développer des processus d'industrialisation de ces ressources naturelles en prenant toujours en compte la protection et le respect des droits de la Terre Mère.
− De construire la convergence dans les connaissances, les savoirs, les techniques, et les technologies ancestrales et communautaires avec les pratiques et les technologies de la science moderne pour créer les conditions pour le bienêtre et la protection de la Terre Mère. − Développer les connaissances et les technologies propres rompant ainsi avec la dépendance technologique aux puissances transnationales du nord. − Construire le collaborationnisme, la solidarité et la complémentarité des peuples entre les pays du sud et du nord.
axe 6. souverainete aLimentaire Face à la nécessité de savoir s'alimenter pour bien vivre, d'atteindre la sécurité alimentaire dans le droit humain et considérant que l'alimentation est une partie centrale de la vie des personnes, nous proposons : − De progresser dans la construction d'un savoir sur l'alimentation pour bien vivre à partir de la récupération des savoirs alimentaires et des technologies productives, alimentaires et communautaires où les aliments sont des médicaments tout en faisant partie de notre identité culturelle. − Que chaque pays garantisse les aliments basiques de consommation à travers le renforcement des systèmes économiques, productifs, sociaux et culturels des producteurs ruraux. − De protéger la population de la mauvaise nutrition en mettant l'accent sur le contrôle de la commercialisation des aliments qui nuisent à la santé des êtres humains.
axe 9. institutionnaLite internationaLe Pour construire une institutionnalité mondiale qui bénéficie à tous les peuples du monde et en prenant en compte que l'actuelle est mise en place pour soumettre et mentir aux peuples au nom de la liberté et de la démocratie - à travers des organisations comme l'OTAN et le Conseil de Sécurité de l'ONU qui détruisent les peuples, légalisent les armes et protègent les massacres - nous proposons: − De construire les conditions institutionnelles et juridiques pour que les peuples et les pays vivent en dignité et en souveraineté, sans interventionnisme ni bases militaires étrangères. − De nous libérer des liens idéologiques et politiques des organismes mondiaux financiers comme la banque mondiale ou le fonds monétaire international. − Construire une organisation mondiale des pauvres, de la justice, de la souveraineté des peuples, de la Terre Mère et de l'assemblée des peuples du monde.
axe 7. inteGration internationaLe Pour réussir l'intégration sud-sud, il est indispensable de promouvoir les actions suivantes : − Configurer les coalitions et les alliances puissantes pour qu'elles souscrivent à des traités de la vie, au partage de connaissances, de la technologie et de la provision des ressources financières et non à des traités de libre commerce, qui sont des traités de la mort pour les peuples du sud, mais également ceux du nord. − Construire un mécanisme pour le développement complet et l'intégration entre les Etats et les peuples du sud qui incluent les domaines des connaissances, des technologies, de l'énergie, de la production des aliments, du financement, de la santé et de l'éducation entre autres. − Avancer dans la fraternité des peuples du sud avec ceux du nord pour détruire l'impérialisme et construire l'horizon civilisationnel du bien être en harmonie et en équilibre avec la Terre Mère.
axe 10. economique-financier Prenant en compte que le développement économique ne doit pas être orienté vers le marché, vers le capital et le profit, mais plutôt vers le bonheur des personnes, et que le capitalisme ne fait que globaliser la pauvreté, la faim et l'injustice sociale, nous proposons: − De configurer un nouvel ordre économique financier international basé sur les principes d'équité, de souveraineté nationale, d'intérêts communs et d'harmonie avec la nature, la coopération et la solidarité entre les Etats et les peuples. − De construire une nouvelle architecture et un système financier mondial et régional libre des liens et des tentacules de la banque mondiale et du fond monétaire international. − De nous libérer du lien colonial appelé « dette externe » qui a pour seul but de faire du chantage et de nous obliger à livrer nos richesses et privatiser nos ressources naturelles.
axe 8. connaissances et technoLoGies Les connaissances et la technologie sont des instruments fondamentaux pour réussir le développement intégral, l'éradication de la pauvreté et de la faim. Les entreprises énergétiques et la transformation des matières premières, entre autres, sont importantes pour mettre en place nos technologies utilisées par des puissances comme un pouvoir de contrôle. Nous proposons :
ci-dessous : • indiGènes venus du béni exécutant La danse sacrée des macheteros, issue de Leur réGion, devant une muLtitude de personnes./ photo
: abi/edL
• L'akuLLiku (mastication de feuiLLes de coca), cérémonie traditionneLLe en boLivie/ photo : José Lirauze
31 José Lirauze
La bOLivie t’attend...
La Isla del sol,
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la isla del sol (l’île du soleil) est la plus grande île du lac sacré titicaca. connue pour ses couchers et levers de soleil extraordinaires, elle est surtout remplie d’histoires et de légendes incas dont les sites archéologiques, les temples sacrés et les terrasses agricoles en sont les vestiges. attirant les visiteurs tant par sa beauté naturelle que par son contenu historique, l’île a vu se développer un réseau de tourisme communautaire depuis 2009. du nom d’apthapi, ce réseau est une organisation qui a pour but de mettre en commun les capacités des différentes communautés du lac titicaca afin de développer un tourisme communautaire. a travers cet article, le réseau apthapi nous fait part du caractère sacré et historique de cette île et des raisons qui poussent les communautés locales à la faire connaître.
: Louise Greco
l’île aux légendes incas...
L
Son nom fait référence à cette étoile que nous connaissons de manière conventionnelle comme le Soleil. Celui-ci n’est pas considéré ici de manière commune et courante, il représente plutôt une partie de ce qu’englobe la cosmovision andine. L’adoration que cette culture a pour cet astre n’est pas « mystique », la vérité et la logique qui se trouve derrière cette adoration se trouve au plus profond de notre être. Il nous arrive souvent de rechercher la foi et le sens de choses qui nous sont invisibles et même dont on n’a aucune preuve. Les croyances de cette culture millénaire se basent sur ce qu’on peut voir et sur ce qui nous est donné par la nature, en résumé, sur ce qui nous permet de vivre. Mais contrairement à ce que l’on peut penser, le développement humain - vers lequel on croit avancer - n’est surtout pas à opposer à ces croyances ni à cette harmonie trop souvent considérée comme étant une chose du passé. Cette culture nous montre justement que ce développement est antérieur et qu’on ne s’en est jamais autant éloignés.
orsque l’on parle de la Isla del Sol, il ne semble pas approprié de commencer par ses paysages majestueux, ses levers de soleil éblouissants ou la beauté naturelle de ses terrasses agricoles. Il parait plus juste de commencer par le sens historique que ses habitants lui donnent. La Isla del Sol représente tout le sacré de la culture andine, la « OUBLIEz LA CONNExION Mère qui fournit le néà INTERNET, ICI ON SE cessaire pour vivre CONNECTE à LA TERRE mais qui punit MèRE ». lorsqu’on manque de respect à sa grande générosité. Cette île n’est pas seulement un endroit ou l’on peut vivre, elle représente une forme de vie qui nous connecte à ce qu’il y a de plus pur dans l’existence, à ce qui a toujours existé sans les altérations provoquées par l’ambition humaine. 32
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: Louise Greco
La bOLivie t’attend...
Située dans la partie centrale du Lac Titicaca, au NordOuest de la ville de Copacabana, la Isla del Sol est remplie d’histoires et de légendes. Celles-ci nous ramènent aux origines des cultures latino-américaines avant l’invasion espagnole, le pillage de ses richesses et la contamination culturelle qui s’en est suivie. Elles racontent les chroniques de cette île et en particulier celles de la Roca Sagrada (la Roche Sacrée, site archéologique ouvert au public) d’où sont sortis Manco Capac et Mama ocllo pour fonder la ville de Cuzco, berceau de l’Empire Inca. La Isla del Sol représente donc un endroit clé de cet Empire. Sur cette île ont été construits des chemins, des temples sacrés et ont été développées des technologies agricoles défiant l’intelligence humaine actuelle. L’île se divise en trois parties. Des communautés habitent dans chacune d’elles, ce qui leur confère à toutes trois certaines particularités. Dans la partie sud, on retrouve Yumani, une communauté où se trouve un grand
escalier qui nous dirige à une fontaine d’eau précolombienne appelée La Fontaine de la Jeunesse. Dans la zone centrale on retrouve Ch’alla, une SUR CETTE îLE ONT éTé communauté caractéCONSTRUITS DES CHEMINS, risée par une plage DES TEMPLES SACRéS ET magnifique située sur ONT éTé DéVELOPPéES DES la cote est. Dans la TECHNOLOGIES AGRICOLES zone nord, on retrouve DéFIANT L’INTELLIGENCE Ch’allapampa, foyer HUMAINE ACTUELLE de la fameuse Roca Sagrada et du labyrinthe de la Chinkana (sites archéologiques de grande importance dans la culture andine) qui sont les vestiges de l’origine d’un pays mais aussi d’un continent. Les communautés habitant sur la Isla del Sol basent leur travail sur différentes activités. L’activité agricole, tout d’abord, fournit une grande variété d’aliments comme la pomme de terre, le riz et des graines, entre 33
©THéOPHILE ROULET
panorama de La isLa deL soL
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: quentin chapLet
La bOLivie t’attend...
La isLa deL soL est une îLe située au miLieu du Lac titicaca. au-deLà de ses paysaGes maGnifiques et de ses couchers de soLeiL fabuLeux, cette îLe possède de nombreux vestiGes incas.
autres. Typiques de la gastronomie bolivienne, ces denrées sont complétées par le produit de la pêche qui fournit de nombreux poissons. L’ispi et la truite, notamment, sont des poissons particulièrement savoureux qui rendent le menu local digne de dégustation. L’élevage d’animaux et la production artisanale viennent également suppléer le travail ardu des habitants de cette région pour pouvoir se nourrir. Il y a plusieurs années, l’activité touristique a commencé à se développer dans cette île au contenu inégalable. Chaque année, des milliers de touristes viennent
visiter ce lieu, à la recherche d’une communion avec la nature qu’il n’est plus possible de trouver dans la vie quotidienne lorsque ceux-ci sont noyés dans la jungle humaine. La croissance de cette activité et le soutien économique qu’elle a apporté à la communauté ont donc rendu nécessaire la création d’une organisation. Celle-ci devait en effet avoir pour but de développer cette activité et de faire en sorte qu’elle évolue de manière à ce que soient maintenues les caractéristiques innées de la culture, tout en les combinant avec les exigences du monde moderne.
Manco Capac et Mama Ocllo sont les enfants du dieu soleil Inti. selon la légende, ils seraient nés de l’écume du lac titicaca avec pour mission d’amener la civilisation aux hommes après un grand déluge dévastateur et de fonder la capitale du futur empire. Cette dernière fut établie à Cuzco (« nombril du monde » en langue quechua), ville qui se situe actuellement au sud du Pérou. Manco Capac enseigna alors aux hommes l’agriculture et l’artisanat et Mama Ocllo enseigna aux femmes l’art du tissage.
aPthaPi, signifiant « se rassembler et partager » en langue aymara, constitue un réseau de tourisme communautaire. 207 familles habitant sur les rives et les îles du lac titicaca sont regroupées dans cette organisation qui a pour but de faire découvrir les merveilles de ce lac sacré au rythme des croyances et des légendes aymaras. ayant vu le jour en 2009, ce réseau permet à toutes ces familles de mettre en commun leurs capacités pour développer et améliorer un tourisme communautaire autour de découvertes de leurs formes de vie, de transmissions de leurs mythes et de connaissance de l’artisanat local. Pour en savoir plus sur ce réseau : http://www.titicacaturismo.com ou info@titicacatu34
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: arcenio maLdonado photo
: arcenio maLdonado
APTHAPI, Réseau de tourisme communautaire du Lac Titicaca
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C’est dans cet objectif que s’est créé le Réseau de Tourisme Communautaire APTHAPI. Celui-ci permet aux communautés du Lac Titicaca de s’organiser pour que l’activité touristique soit développée afin de contribuer à la croissance socio-économique de chacune d'elles. Afin de répondre également aux nouvelles exigences et nécessités du tourisme actuel, de nouvelles capacités doivent être développées et c’est dans ce but qu’intervient le réseau APTHAPI, avec l’appui des fondations et des gouvernements locaux. Des progrès ont déjà été réalisés dans le domaine de la gastronomie, de l’hôtellerie, des guides et dans le développement des activités touristiques. Ces avancées ont permis à la population de côtoyer le monde actuel sans trahir ses coutumes, ses traditions et tout ce qui lui est précieux. Comme tout projet entrepris a son lot de réussites et d’échecs, de défis et d’opportunités, le réseau APTHAPI se voit maintenant confronté à de nombreux défis à venir. L’activité touristique étant relativement nouvelle au sein de cette culture, l’organisation entre les communautés nécessite encore beaucoup de travail. Les habitants de l’île doivent maintenant arriver à gérer l’activité touristique pour éviter qu’elle ne les déçoive. Mais le potentiel de l’île et cette culture sacrée nous rend confiants. Avec de la volonté, de la patience et du travail, ce projet progressera et apportera de nombreux bénéfices à une culture très méritante. Pour terminer ce bref article, nous citerons une phrase qu’une des communautés de la Isla del Sol a coutume de dire aux touristes : « Oubliez la connexion à Internet, ici on se connecte à la Terre Mère ».
: arcenio maLdonado
La bOLivie t’attend...
• Grand escaLier situé au sud de L'îLe menant à une fontaine précoLombienne et aux communautés vivant pLus haut. • fontaine précoLombienne • portes du Labyrinthe chinkana situé à chaLLapampa, au nord de L'îLe. ces vestiGes incas constituent un site archéoLoGique qui peut être visité pendant La Journée. 35
: Louise Greco photo
coucher de soLeiL sur Le Lac titicaca. Délégation permanente De l’état plurinational De Bolivie auprès De l’unesco