La sexualité chez les jeunes : entre ouverture et abstinence
Àcette semaine au Délit, nous mettons la sexualité à l’honneur en lui dédiant une édition entière. Part importante de la vie humaine et animale, la sexualité ne se limite pas à la reproduction. En réalité, le terme est vaste et englobe une multitude d’aspects de notre vie comme notre identité, notre orientation sexuelle, nos fantasmes ou nos croyances. La dimension socioculturelle de la sexualité a autant d’importance, voire plus, que son aspect biologique, en particulier à notre époque. Il semble que les nouvelles générations se soient émancipées de l’impératif de la reproduction et des croyances concernant les rapports intimes : elles se sont ouvertes à d’autres fantasmes, désirs et orientations sexuelles, en bref, au plaisir intime tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Il est important de souligner que nous parlons ici des nouvelles générations dont la sexualité serait moins influencée par des facteurs comme la religion ou la politique. Nous ne devons pas oublier que notre vision de la sexualité n’est pas forcément celle des autres, et dépend d’une foule de facteurs individuels et collectifs influencés par l’environnement dans lequel nous avons grandi. Établir une nette distinction entre la dimension socioculturelle de la sexualité et son aspect biologique, notamment lié à la reproduction, nous empêcherait de rendre compte du phénomène de l’influence réciproque qui unit les besoins sexuels innés de l’humain et ses fantasmes, qui sont en partie construits socialement.
Est-ce que les fantasmes ont vraiment émancipé?
Selon une étude, la génération Z, incluant toute personne née entre 1996 et 2012 environ, serait plus ouverte et inclusive que les générations précédentes en ce qui concerne l’identité individuelle. Elle serait davantage respectueuse et compréhensive des membres de la communauté LGBTQIA+, ce qui transparaît par exemple dans l’émergence de mouvements de lutte pour les droits de cette communauté, ayant notamment permis de réduire au nombre de 67 les pays dans lesquels les relations homosexuelles sont criminalisées. D’après une enquête de 2021 menée par l’entreprise française de sondages Ipsos, la génération Z serait un pourcentage plus important ayant une orientation sexuelle autre qu’hétérosexuelle comparativement aux générations précédentes. Mais si la génération Z est véritablement plus ouverte dans ses valeurs, ses pratiques et son plaisir intime, comment expliquer qu’elle soit plus abstinente que les générations précédentes? Pourquoi le pourcentage d’adolescents ne pratiquant pas d’activité sexuelle est passé de 28.8% à 44.2% pour les hommes et de 49.5% à 74% pour les femmes entre 2009 et 2018?
Parmi les causes principales de cette abstinence, le visionnage de pornographie pourrait être cité comme inhibiteur. Cette dernière s’est largement transformée et développée depuis l’avènement d’Internet dans les années 2000, au point d’occuper une part non négligeable du net. Les recherches de contenu pornographique constituent une recherche sur huit sur ordinateur et une recherche sur cinq sur mobile, et l’un des plus gros sites pour adultes, Pornhub, aurait d’ailleurs fait l’objet de 42 milliards de visites en 2019. Dans son sondage effectué sur les étudiant·e·s du campus en 2015, le journal étudiant en ligne The Bull and Bear avait estimé que 38% des étudiant·e·s regardaient du porno plusieurs fois par semaine à une fois par jour.
La pornographie joue un rôle majeur dans la découverte des fantasmes et désirs, et donc dans la construction de l’identité sexuelle. Son visionnement n’est pas sans conséquences, d’autant plus qu’il se fait maintenant de plus en plus jeune. En 2018, 62% des adultes affirmaient avoir vu des images pornographiques pour la première fois avant l’âge de 15 ans. L’accès à ces sites est extrêmement aisé car il n’existe pas de véritable vérification de l’âge des utilisateur·rice·s; les jeunes peuvent donc y accéder dès qu’ils ont accès à Internet, souvent très jeunes. On pourrait se demander si la banalisation des pratiques présentées dans ces vidéos peut avoir un impact sur les taux d’abstinence. Au lieu de laisser libre cours à la découverte de sa sexualité individuelle, ces vidéos ne nous inciteraient-elles pas à adhérer à des schèmes fantasmés collectivement?
On peut notamment citer des performances éloignées de la réalité, l’image de la femme soumise, les acteurs·rices intégralement épilé·e·s ou encore les hommes aux sexes surdimensionnés, qui impactent grandement la sexualité des jeunes, potentiellement incapables de séparer les films X de la réalité.
La pornographie n’est évidemment pas la seule raison justifiant une abstinence plus importante dans la génération Z. La société contemporaine est marquée par la hustle culture (culture de surperformance, tdlr), donc des emplois du temps très chargés, ainsi que l’usage accru des réseaux sociaux et autres applications – comme les plateformes de films sur demande qui priment parfois sur les relations intimes. Ainsi, depuis quelques années, les jeunes font face à une intensification du discours entourant la sexualité, cette dernière étant impactée autant positivement – par une plus grande importance accordée au consentement, une diversification de l’orientation sexuelle et une déconstruction des tabous – que plus négativement – avec le visionnement des vidéos pornographiques. x
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La
Le 17 mars dernier, le Wyoming est devenu le premier État américain à interdire la pilule abortive.
Cette interdiction s’insère plus largement dans le contexte de la révocation l’an dernier de l’arrêt Roe vs Wade , inscrivant le droit à l’avortement dans la législation fédérale. La révocation de l’arrêt donne libre cours aux États de restreindre ou d’interdire l’accès à l’avortement sur leurs sols.
Une nouvelle bataille pour le droit à l’avortement
Alors que 18 États américains ont déjà ou sont en voie d’interdire l’avortement, neuf mois après le revirement de la Cour suprême sur Roe vs Wade , une nouvelle bataille s’engage. Cette fois-ci, sur la pilule abortive, qui représente plus de 53% des avortements aux États-Unis.
La mifépristone, l’un des deux médicaments employés pour avorter, peut être utilisée pour interrompre le processus de gestation dans les dix premières semaines de grossesse.
Ce nouveau combat a été déclenché au Wyoming, un État rouge (républicain) du Nord-Est des États-Unis, devenu la semaine dernière le premier État américain à inscrire l’interdiction de la pilule abortive dans sa législation. Cette loi, l’ Interdiction des avortements chimiques ( tdlr ) (SEA 0093), promulguée le 17 mars dernier, devant prendre effet le 1 er juillet prochain, fait déjà l'objet d’une poursuite devant un tribunal. L’action en justice intentée par six plaignants vise à révoquer deux lois nouvellement passées : la loi interdisant l’usage de la pilule abortive, ainsi que la loi sur La vie est un droit de l’Homme (HEA 0088), passée elle aussi le 17 mars dernier, criminalisant l’avortement sauf en cas d’inceste, de viol ou de danger pour la vie de la mère.
L’une des plaignantes dans l’action en justice contre la nouvelle loi sur la pilule abortive au Wyoming est la gynécologue obstétricienne Giovannina
Anthony, qui détient la seule clinique abortive au Wyoming. Elle explique que la criminalisation d’un médicament vérifié par la
science « pourrait mener à des décès maternels et à des situations horribles pour les mères et les bébés ».
Le 22 mars dernier, la juge Melissa Owens du tribunal de district du comté de Tetona dans l’État du Wyoming a temporairement bloqué l’interdiction d’avorter, mais elle ne s’est cependant pas encore prononcée au sujet de la loi sur la pilule abortive, aussi contestée devant son tribunal.
La juge avait déjà stoppé une loi similaire sur l’avortement en juillet dernier après le revirement de la Cour suprême sur Roe vs Wade
L’inventeur de la pilule abortive – le scientifique français Étienne-Émile Baulieu – a dénoncé dans un entretien avec l’Agence France Presse (AFP) une loi qui traduit le « fanatisme et l’ignorance ». Elle représente selon lui « un recul pour la liberté des femmes, surtout pour les plus précaires qui n’auront pas
les moyens d’aller dans un autre État pour se la procurer ».
La loi sur l’interdiction de la pilule abortive au Wyoming intervient alors que le juge fédéral du district Nord du Texas, Matthew Kacsmaryk, devrait bientôt rendre une décision préliminaire qui pourrait remettre
États-Unis, tout produit pharmaceutique tel que la mifépristone est d’abord approuvé par la FDA avant d’être mis sur le marché. Leur site officiel indique à ce sujet que tout médicament passe par un processus de vérification permettant d’assurer qu’il « fonctionne correctement et que ses avantages pour la santé l’emportent sur les risques connus ».
Une ordonnance rendue au cours du procès pourrait interdire l’accès à ce médicament sur l’ensemble du territoire américain.
tement, avoir un rentissement similaire à la révocation de Roe vs Wade. En effet, les restrictions ou les interdictions sur l’avortement imposées jusqu’alors étaient dans le cadre législatif des États. Ici, des États pro-avortement comme New York, où l’usage de la pilule abortive représente plus de 40% des interruptions de grossesse, verraient leur accès à ces médicaments et à l’avortement en général restreint malgré eux.
en question la circulation aux États-Unis de l’un des deux médicaments utilisés pour les interruptions de grossesses volontaires, la mifépristone.
Lors d’une audience devant le juge texan Kacsmaryk, une coalition anti-avortement a souligné que le médicament représente « un danger pour les femmes » et qu'il « a été approuvé trop hâtivement par l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) ». Aux
Lors d’une audience d’une coalition anti-avortement ayant eu lieu le 15 mars dernier à Amarillo, où le juge Kacsmaryk était le seul juge fédéral, celui-ci a dit vouloir rendre sa décision « le plus rapidement possible ». La mifépristone, l’un des deux médicaments utilisés depuis deux décennies pour interrompre le processus de grossesse, pourrait alors se voir retirer des tablettes et interdire toute circulation dans le pays.
Une telle décision pourrait, selon des défenseurs du droit à l’avor-
Les recours possibles de la FDA Malgré les législations différentes d’un État à l’autre sur l’avortement, il est possible de se procurer des pilules abortives dans les 50 États américains en les commandant sur Internet. En entretien avec Le Délit , Jennifer Fishman, professeure à l’Unité d’éthique biomédicale et au Département des sciences sociales de la médecine de McGill, a souligné : « Il y a maintenant un certain nombre d’organisations aux États-Unis et à l’étranger, y compris l’Aid Access , qui fournissent des pilules à tous les citoyens. L’Aid Access offre également un service qui fournit des provisions avancées de pilules, ce qui signifie que vous pouvez avoir les pilules à portée de main avant d’être enceinte ».
pilule abortive illégale aux États-Unis?
Le Wyoming est devenu le premier État américain à interdire l’accès à la pilule abortive.
« L’inventeur de la pilule abortive – le scientifique français Étienne-Émile Baulieu – a dénoncé dans un entretien avec l’Agence France Presse une loi qui traduit le “fanatisme et l’ignorance” »Léonard smith Rédacteur en chef jade lê | Le Délit Hugo vitrac Éditeur Actualités Interdit ou en passe de l'être restreint protégé
statut de l'avortement aux états-unis par état
Toutefois, les législateurs texans pourraient aussi restreindre, voire interdire le recours à ces organisations en bloquant l’accès aux fournisseurs en ligne, impactant ainsi la distribution de la mifépristone sur l’en -
détient l’autorité nécessaire pour « retarder » ou « atténuer »
l’ordonnance de retirer la pilule abortive du marché. De plus, des études montrant l’inefficacité de la mifépristone pourraient être requises afin de déclencher le
semble du territoire américain. Cependant, comme l’explique Pr Fishman, « il y aura beaucoup plus de décisions à prendre de la part de la FDA et de l’administration Biden quant à la manière de protéger l’accès aux pilules abortives dans les États qui ne l’ont pas interdite ».
Néanmoins, le retrait de l’autorisation sur un médicament ne relève pas seulement d’une décision de la législation fédérale. Il suit un processus strict pouvant être prolongé par une suite de recours juridiques. Selon neuf juristes et avocats américains en droit des aliments et drogues, l’Agence
processus de son interdiction devant les tribunaux.
La réaction de la communauté mcgilloise
En comparaison avec les États-Unis, le Canada n’a pas de loi particulière sur l’avortement. Sa décriminalisation s’est effectuée de manière complètement différente de son voisin américain.
« L’avortement est traité comme n’importe quelle autre procédure médicale au Canada et est par la suite inscrite dans la Loi canadienne sur la santé. Il s’agit d’une intervention médicale couverte par l’assurance fédérale, au même titre
qu’une arthroplastie de la hanche », explique la Pr Jennifer Fishman. L’absence de légifération canadienne sur l’avortement limite grandement la possibilité d’en interdire les moyens. La professeure souligne à ce titre qu’« il est possible que les défenseurs de l’avortement et des droits en matière de santé sexuelle ne veulent pas de lois sur l’avortement, parce que cela ouvre la porte à davantage de restrictions si les gouvernements conservateurs prennent le pouvoir dans les provinces ou à l’échelle nationale ». Si l’interdiction de l’avortement n’est pas envisageable dans l’avenir immédiat au Canada, Le Délit s’est entretenu avec des étudiantes américaines de McGill pour connaître leur perception de la situation aux États-Unis.
Hannah Allen, étudiante détentrice d’un bac en musique au Oberlin College en Ohio, s’inquiète de l’impact scientifique du projet de loi au Texas contre la pilule abortive. Elle explique que le jugement prononcé contre la pilule abortive au Texas, pourtant approuvée par la FDA, représente un danger pour l’accessibilité aux médicaments en général. « À
chaque fois que la FDA donne son approbation pour un médicament ou une pilule, ça prend du temps, c’est vraiment rigoureux. L’idée de ne plus leur accorder la légitimité pour approuver certains médicaments, ça ne sert à rien. Pourquoi faire confiance à toute une entreprise ou une organisation pour
co-américaine à la Faculté des arts, a dénoncé une décision qui relègue l’agentivité des femmes au second plan : « la priorité n’est jamais donnée à la femme, mais toujours à la religion, à certaines valeurs. » Morgane nous a rapporté une formulation cynique entendue, représentant bien selon elle la si-
assurer la santé et la sûreté de ces produits si on veut renverser par la suite le processus? », questionnet-elle. « Renverser un jugement sur la base de fausses informations, c’est ça qui est dangereux », selon Hannah Allen. Le fait de « mêler tout ce qui est politique avec le réel et le scientifique » présent selon elle des risques de dérapages sérieux sur la question de l’avortement, déjà très polarisante aux États-Unis.
Interrogée par Le Délit sur la nouvelle bataille engagée contre la pilule abortive aux États-Unis, Morgane Garrick, étudiante fran-
tuation : « Ils donnent la priorité à un enfant à naître parce qu’il y a encore 50 % de chances que ce soit un homme. »
Les deux étudiantes témoignent de leurs craintes et de celles de leurs proches vis-à-vis des implications posées par les restrictions et les interdictions à l’avortement, notamment sur les plans de carrière. Hannah témoigne que plusieurs personnes pourraient avoir peur de s’installer au Texas pour poursuivre des études, ou commencer un emploi, en sachant qu’elles n’auraient pas accès à l’avortement là-bas. x
Sex(M)ed au devant de la scène
Le 29 mars dernier, l’Université McGill a annoncé « le Prix du Principal pour le rayonnement du savoir dans les médias et auprès du public » de l’année 2023. Le groupe Sex(M)ed, qui avait été finaliste en 2022, a finalement été nommé vainqueur de la catégorie
candidature pour la récompense, afin d’être gratifié·e·s pour leur travail. Pour postuler, les candidat·e·s doivent remplir deux conditions : faire partie de la communauté de l’Université McGill (corps étudiant ou professoral), et il est également nécessaire que leurs activités soient
vainqueur·e dans chaque catégorie est récompensé·e par la réception d’un chèque de 5000 dollars canadiens, délivré par l’Université.
Le Groupe Sex(M)ed
du prix pour les groupes de cette année, pour son action autour de la santé sexuelle et la lutte contre les inégalités auxquelles font face les femmes et les membres de la communauté 2SLGBTQIA+.
Le prix du principal
Décerné chaque année, ce prix a pour but de « souligner les réalisations exceptionnelles des membres de la communauté mcgilloise qui partagent leurs connaissances avec les médias et le public ». Cette distinction comprend quatre catégories : le Prix pour les groupes ; le Prix pour les étudiants aux cycles supérieurs et boursiers postdoctoraux ; le Prix Chercheur en début de carrière ; enfin, le Prix Professeur chevronné.
Dans l’ensemble des catégories, les groupes de recherche et individus membres de la communauté mcgilloise peuvent présenter leur
« liées aux domaines d’études, à l’expertise, aux intérêts, à la recherche et/ou à l’enseignement de l’Université McGill ». La personne ou le groupe
Sex(M)ed est une organisation à but non lucratif canadienne, qui se consacre à la lutte contre les inégalités en matière de santé sexuelle. Elle est composée de plusieurs étudiant·e·s provenant de nombreuses universités du pays comme l’Université McGill, l’Université Concordia, l’Université de Toronto, et plus encore. Elle a plus particulièrement été fondée par deux étudiantes de l’Université McGill, Jillian Schneidman et Camille Zeitouni. Dans une interview pour CTV
Montréal, les deux fondatrices de Sex(M)ed expliquent que l’idée de fonder cette organisation est venue de leurs expériences personnelles, dans lesquelles elles déclarent n’avoir eu que des « conversations limitées avec leurs fournisseurs de soins de santé à propos de leur santé sexuelle (tdlr) ». Elles attestent aussi avoir fondé Sex(M)ed pour répondre à un sentiment de « manque de diversité en termes de sujets abordés en matière de santé sexuelle dans les programmes d’école de médecine ».
L’organisation se présente comme une plateforme permettant de faire entendre les voix des communautés marginalisées (comme la communauté 2SLGBTQIA+), ces dernières n’étant souvent pas suffisamment
représentées dans le système médical. Leur principal objectif est avant tout « d’éduquer le personnel de la santé sur des sujets relatifs à la santé sexuelle qui sont souvent mal traités ou absents des programmes de soins et de santé ».
Sex(M)ed est donc avant tout une plateforme de sensibilisation. Leurs actions concernent surtout la publication d’articles informatifs sur leur site internet, s’organisant à travers différentes sections : Perceptions Professionnelles, Perspectives, Anecdotes Personnelles et enfin Appel à l’Action. L’organisation traite en profondeur de divers sujets allant de la décolonisation de l’éducation en santé sexuelle, à des réflexions sur l’éthique du langage employé entre un·e docteur·e et son·sa patient·e.
Le 30 mars dernier, l’organisation fêtait ses deux ans. Cette reconnaissance de la part de l’Université est une preuve de l’évolution rapide de Sex(M)ed et de la pertinence de cette action. À travers cette réussite, l’organisation marque un peu plus le paysage scientifique et intellectuel mcgillois, montréalais et canadien. x
Retrouvez plus d’informations sur les actions de Sex(M)ed sur leur site internet et compte Instagram
« Des États pro-avortement [...] verraient leur accès à ces médicaments et à l’avortement en général restreint malgré eux »
« Éduquer le personnel de la santé sur des sujets mal traités ou absents des programmes de soins et de santé »
Jillian Schneidman
« Renverser un jugement sur la base de fausses informations, c’est ça qui est dangereux »
Hannah Allen
L’organisation gagne le Prix du Principal de l’Université McGill 2023.vincent maraval Éditeur Actualités Jade lÊ | Le dÉlit
De la tentation à l’addiction
Rencontre avec une personne accro aux vidéos pornographiques.
Aujourd’hui, les services de santé mentale canadiens, dont Better Help , ont développé des programmes et formé des professionnels pour aider ceux qui souffrent d’une addiction à la pornographie. Cette dernière est qualifiée par l’OMS d’addiction comportementale, tout comme les troubles du comportement alimentaire (TCA : boulimie, anorexie, hyperphagie). Cette addiction se caractérise par une consommation excessive et chronophage de contenu pornographique au point qu’elle impacte les relations avec son corps et avec les autres. Le Délit s’est entretenu avec un étudiant de l’Université McGill pour qu’il nous parle de son parcours entre l’addiction aux vidéos pornographiques et l’auto-régulation.
Le Délit (LD) : Quand as-tu su que tu avais un problème avec la consommation de contenu pornographique?
Emmanuel* : Tout a débuté pendant l’été 2022, alors que j’étais en pleine interaction sexuelle avec une femme, et je voyais que mon excitation mentale ne se traduisait pas physiquement. Je me suis rendu compte que la vraie vie m’excitait moins que le virtuel. Le semestre qui a suivi, j’ai essayé de diminuer ma consommation de pornographie et j’ai voulu analyser mon rapport avec cette activité. En fait, j’ai noté que souvent, je me masturbais par habitude et non pas par plaisir. Je me masturbais tous les jours à la même heure.
LD : Comment as-tu arrêté?
Comment t’es-tu senti pendant le sevrage?
Emmanuel : Je ne pense pas être complètement accro au sens médical. Je pense que j’ai eu une relation abusive avec la pornographie pendant plusieurs années, mais je ne sais pas si le terme « sevrage » est vraiment approprié. Je parle plutôt de diminution drastique de consommation ou de vigilance par rapport à mon usage des sites pornographiques. J’avais réfléchi à un plan : l’idée n’était pas d’arrêter la masturbation mais simplement de ne pas dépendre de contenu pornographique.
Donc pendant une semaine, j’ai continué de me faire plaisir quotidiennement, en utilisant seulement mon imagination.
C’était extrêmement difficile. j’avais besoin de 30 minutes au lieu de cinq pour arriver jusqu’au bout. Parfois même, j’abandon -
nais en cours. Avant, il me suffisait de quelques minutes, puis c’était fini et je pouvais tranquillement continuer ma soirée, regarder un épisode d’une série ou finir mon devoir de maths.
Au bout d’une semaine, je me suis vite ennuyé : me forcer à me masturber tous les jours me prenait trop de temps et m’épuisait mentalement. On peut dire que la semaine durant laquelle je me suis forcé à la masturbation quotidiennement sans support audio-visuel, ça, c’était ma semaine de « sevrage ». Après, je me suis dit que j’allais me faire plaisir uniquement quand j’en avais envie. Par conséquent, en arrêtant la consommation de pornographie, j’ai également diminué la fréquence de mes masturbations à environ deux fois par semaine. En janvier, je m’étais dit que c’était bon, j’avais fait le travail nécessaire et je pouvais me remettre à regarder ce genre
de contenu. Sincèrement, ça me manquait. Alors, pendant les vacances, j’ai repris et très vite j’ai vu que c’était nocif pour moi. J’étais stressé par peur de gâcher tous mes efforts et
Honnêtement, je ne ressens plus le sentiment de manque. Je profite de chaque masturbation : elles ne représentent plus aucune sorte d’obligation ou d’habitude pour moi.
âge de comprendre le plaisir sexuel. J’ai tout de suite associé la masturbation à la pornographie : l’un n’existait pas sans l’autre. En plus, les premières vidéos que j’ai regardées ont été dans le genre du sado-masochisme. Au début je les trouvais très dérangeantes, puis je m’y suis vite habitué. J’ai continué à ne regarder presque que des vidéos de ce style, de plus en plus extrêmes. Je ne peux parler pour les autres, mais dans mon cas, je pense que c’est l’exposition très précoce aux contenus extrêmes qui a déclenché la dépendance à la pornographie. J’avais besoin de voir des positions extrêmes et d’entendre des bruits qui traduisent ce plaisir extrême. Évidemment, dans la vraie vie, ce n’est pas pareil, donc je bande moins. Je ne pense pas qu’il faille réguler la production de pornographie : tout comme la drogue, la rendre illégale empirait le problème. Je suis pour le libre accès et la libre production du contenu. Peut-être qu’il faudrait seulement prévenir les enfants des dangers potentiels de la surconsommation des vidéos pornographiques.
LD : Comment appréhendes-tu l’avenir de ta relation avec les vidéos pornographiques?
ce stress pesait sur ma santé mentale, j’ai alors de nouveau arrêté. Aujourd’hui, j’utilise des supports visuels à caractère très peu pornographique. Je trouve des photos d’actrices sur internet dans lesquelles elles sont très peu dénudées et après je laisse mon imagination se charger du reste. On pourrait dire que je suis retourné dans le passé, à l’époque des Playboys
LD : D’après toi, pourquoi es-tu devenu accoutumé à la consommation de vidéos pornographiques? Pourrais-tu formuler une hypothèse sur les raisons de cette addiction comportementale?
Emmanuel : Moi, j’ai commencé à regarder de la pornographie en classe de sixième, dès que mon corps a été en état et en
Emmanuel : Comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas envie de me limiter complètement. Je veux simplement suivre mes instincts, je ne veux pas faire les choses par habitude, je ne veux pas de rituel de masturbation. Si un jour, je veux regarder une vidéo pornographique, je le ferai. Pour l’instant, je n’ai pas envie. J’ai également envie de recommencer à voir des partenaires sexuels. Je veux rencontrer des femmes et pouvoir coucher avec elles sans la peur d’avoir une panne. Une partie du problème de la consommation des vidéos pornographiques, c’est qu’elles te mentent sur les relations sexuelles réelles. Et donc, pour « guérir », il faut vivre dans la vraie vie, il faut faire l’amour à l’écoute de son partenaire, il faut normaliser la copulation ordinaire (sans aspect extrême). J’espère que tout mon travail m’aidera dans mes prochaines relations sexuelles et amoureuses. x
*Nom fictif
« C’est l’exposition très précoce aux contenus extrêmes qui a déclenché la dépendance à la pornographie »
Emmanuel*
Pornographie : différentes positions
Entrevue avec Charly Willinsky, un réalisateur et producteur de cinéma pour adulte montréalais, et Sofia, une intervenante sexuelle.
alexandre gontier Coordonateur VisuelLa plupart d’entre nous regardons du contenu pour adulte, mais peu ont connaissance de ce qui se passe dans les coulisses du cinéma pornographique. Cette semaine, Le Délit s’est entretenu avec deux spécialistes de la pornographie. Dans un premier temps, nous avons rencontré le producteur de contenu gai et acteur montréalais Charly Wilinsky pour en savoir davantage sur ces vidéos créées pour des hommes attirés par des hommes. Le Délit a ensuite discuté des limites de la pornographie avec Sofia Ferguene, une ancienne étudiante de McGill en science politique, qui travaille aujourd’hui comme intervenante et animatrice en vie relationnelle et affective auprès de la jeunesse parisienne.
Le Délit (LD) : Je sais que tu es acteur et producteur, et j’imagine que tu endosses beaucoup de rôles. Quels sont-ils?
Charly (C) : C’est ce qui est amusant, comparé aux industries plus grand public : l’industrie du porno nous permet de toucher à plein de choses. Mais mon quotidien ressemble beaucoup plus à un développeur web qu’à un acteur porno. Je vois continuellement du contenu X, mais il y a des journées où on filme du contenu, et d’autres, pas du tout. Ensuite, j’ai souvent la casquette de recruteur d’acteurs, avec des castings qui prennent énormément de temps, étant donné que c’est une industrie qui consomme beaucoup de nouveaux visages. On voit justement une ouverture ; il y a de plus en plus de gens qui viennent vers nous parce que « la société change » ou « fuck ça, j’ai envie de le faire, go ». Ça devient plus facile. Dernièrement, quasiment tous les jours, je reçois des candidatures, et ça prend 40 % de
alexandre gontier | Le dÉlit
« Peut-être qu’on va arriver à un point où il serait plus simple et moins risqué d’avoir seulement des relations virtuelles »
ait un bon résultat, et pour rassembler les gens, les contacts et les ressources. Il faut mettre la casquette de réalisateur de temps en temps, mais c’est pour ça que je travaille avec des gars qui sont
« Finalement, ce qui est intéressant dans ce documentaire, c’est que les gens qui paient pour les frasques des multinationales comme ça, c’est souvent les gens les plus vulnérables, les travailleurs du sexe »
Charly Wilinsky Charly WilinskyJe pense qu’elle l’est encore avec l’entreprise Pornhub, qui est établie à Montréal. Dans quelle mesure le scandale Pornhub (accusé d’avoir laissé du contenu illégal sur son site) a-t-il impacté ce que vous faisiez?
comme il y a 20 ans, avec les téléphones portables, on ne pensait pas qu’on l’aurait tout le temps dans les mains, et qu’Internet serait comme il est aujourd’hui. Donc avoir des rapports sexuels virtuels permettrait d’éviter ces inconvénients. Peut-être qu’on va arriver à un point où il serait plus simple et moins risqué d’avoir seulement des relations virtuelles.
LD : Est-ce que ton site internet proposerait des relations sexuelles avec un avatar à l’aide d’un casque de réalité virtuelle?
C : Ce qui est fait jusqu’à présent, c’est principalement dû au « POV » (point de vue), où le spectateur est incarné dans la scène. Je crois que ça nous limite quand même beaucoup dans le tournage. Premièrement, les acteurs n’aiment pas filmer du contenu pour la réalité virtuelle, parce que souvent, ils sont restreints dans leur mouvements avec une caméra qui est au niveau du front. Essaie de rester en érection si tu n’es pas vraiment capable de bouger, ce n’est pas évident. En revanche, moi, je crois fermement que tu n’es pas obligé d’être dans la scène. Tu peux être voyeur. La magie du cinéma, c’est d’amener les gens dans des situations qui ne seraient pas communes, pas courantes. On peut simuler n’importe quoi et faire ressentir au spectateur qu’il est présent, sans nécessairement être activement impliqué. Maintenant, le tabou qui persiste, c’est la demande de contenu trash, violent et extrême qui grandit.
LD : Est-ce que selon toi l’industrie du porno est un monde d’opportunités, avec peu de concurrence et où il est facile de se faire connaître?
margaux thomas | Le dÉlit
mon temps. Après ça, je réalise, mais vraiment peu. Je produis, je me charge de mettre tous les éléments ense mble pour qu’on
réalisateurs exclusivement.
LD : Montréal était la capitale du porno pendant assez longtemps.
C : Il y a un documentaire qui est sorti il y a peu de temps sur Netflix qui parle justement de ça, il s’appelle: Money Shot : The Pornhub Story . C’était quand même des choses qui étaient sues à l’intérieur de l’industrie – on connaît bien MindGeek et leurs pratiques, mais en même temps, c’est un collaborateur, c’est une compagnie qui est quand même pas mal au devant de la scène. Ce qui est intéressant dans ce documentaire, c’est que les gens qui paient pour les frasques des multinationales comme ça, c’est souvent les gens les plus vulnérables, les travailleurs du sexe. En fait, c’est nous
aussi qui avons du mal à trouver des façons de se faire payer. On se fait fermer nos comptes en banque dès qu’ils comprennent que la rémunération est en lien avec l’industrie du sexe. Donc, on finit par ne rien dire. À l’ouverture de mon compte, j’ai clairement insisté auprès de la banquière que mes revenus viendraient de l’industrie X, mais heureusement pour moi, elle ne l’a même pas écrit. Donc, pour ma banque, je suis « producteur de contenu original » et « opérateur de plateforme de divertissement sur demande ».
LD : Que penses-tu du porno de demain dans l’émergence de la technologie et du digital?
C : La technologie avance vite, la qualité s’améliore beaucoup. Mais en même temps, l’adoption des utilisateurs n’est pas non plus au rendez-vous. C’est
C : En fait, il y a énormément de concurrence, mais en même temps, c’est ça. C’est un monde qui a un esprit de famille, qui est tout de même très chaleureux. On a besoin des uns et des autres, on ne peut pas faire du contenu tout seul, sinon il n’y aurait pas de variété. Pour te permettre de rester populaire, il faut que tu réussisses à avoir des gens avec qui tu peux collaborer. Je te dirais que ce qui est difficile, c’est d’aller trouver ce premier contact qui va t’ouvrir la porte dans ce monde-là, mais après ça, si tu es quelqu’un qui est facile d’approche, ça roule tout seul.
LD : Sinon, as-tu un compte OnlyFans? Quels sont les avantages d’OnlyFans à ton avis? Pourquoi cette plateforme est aussi populaire et glamorisée?
C : C’est pertinent. En fait, je te dirais, OnlyFans est bien particulier. Le gars qui a lancé OnlyFans , c’est un gars qui avait un site de webcam avant et qui était dans l’industrie pour adultes, mais sa plateforme était censée être pour les influenceurs. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une plateforme où tu peux vendre des cours de fitness, des cours de yoga, à peu près n’importe quel contenu, et le contenu pour adultes est toléré. Donc, ils ont réussi à faire exécuter leurs paiements par des fournisseurs de services qui d’habitude ne travaillent pas pour des sites pour adultes.
LD : Quels sont les salaires de ceux qui travaillent dans l’industrie?
C : J’ai des amis qui font 55 000 $ US par mois. Ensuite, si on va dans les extrêmes, j’en connais un qui, en un an, a fait 1 200 000 $ US sur OnlyFans Celui-là, par exemple, c’est une des plus belles histoires d’ OnlyFans . C’était un influenceur qui avait des millions d’abonnés sur YouTube, qui s’est ensuite lancé dans le contenu pour adultes et a fait le saut
LD : J’ai entendu dire que certains profitent d’une gaffe ou d’une connerie pour se lancer dans l’industrie X plutôt que de se faire cancel , qu’en dis-tu?
C : Tu te souviens de la fille à l’UQAM qui avait montré sa poitrine pour sa photo de graduation? C’est une vedette maintenant et elle fait beaucoup d’argent sur OnlyFans Il y a aussi le cas de la fille de Sunwing, l’avion avec des influenceurs qui ne respectaient pas les restrictions sanitaires. Elle s’est lancée sur OnlyFans et dès le premier mois, elle a dévoilé s’être fait 19 000 $ CA. Donc Vanessa Cosi, après avoir vapoté dans le vol des influenceurs, s’est dit : « OK, qu’est ce que je fais? » Et sa réponse a été de créer un compte OnlyFans pour publier du contenu pour adultes et bénéficier de sa notoriété.
LD : Est-ce qu’on voit souvent des gens qui étudient le cinéma et qui, finalement, choisissent le cinéma pour adulte?
C : Alors, c’est plus fréquent qu’on le pense. Par exemple, Isabelle Hamon est la réali -
« Je te dirais que le domaine est assez inclusif. On essaye quand même de l’être de plus en plus, parce qu’on voit que ça marche sur les plateformes indépendantes. Il y en a pour tous les goûts et pour tout le monde, sachant que les standards de beauté, communs pour un, ne sont pas nécessairement ceux d’un autre »
Willinskyvers OnlyFans par curiosité. C’est sûr que quand tu as déjà des millions de fans, s’il y en a juste 10% qui te suivent sur OnlyFans , ça va vite. Toutefois, ce n’est pas la norme. Ce qui est intéressant avec ces plateformes, c’est que ça met le pouvoir dans les mains des acteurs, comparé à l’industrie du porno habituelle, où ils étaient à la merci des studios, et où ils pouvaient se faire engager deux ou trois fois par an, ce qui est peu. Ils avaient des gros contrats, mais à l’époque, les studios – qui pour la plupart n’étaient pas indépendants – payaient bien. Ce qui est beau, c’est que n’importe qui, tant que c’est quelqu’un qui est dédié, qui aime ce qu’il fait, qui est régulier et assidu, il va se faire de l’argent. Il faut trouver son truc, mais après ça va.
satrice qui fait le plus de tournages de porno gai à Montréal. Elle est lesbienne et elle a étudié en cinéma. Au début, un de ses amis l’a recrutée pour un projet et elle voyait ces tournages comme un travail étudiant. Finalement, elle a fait ça pendant toutes ses études. Puis à la fin, elle s’est dit : « J’aime ce que je fais, je vais arrêter de me mentir, je fais beaucoup d’argent, et surtout je touche à tout. » Elle dit : « Moi, dans une journée, je suis toute seule avec un assistant, je fais de l’éclairage, je filme, je fais un peu de montage. » Donc, elle est restée dans ce domaine, et elle excelle. Quand elle a commencé à travailler pour les plus grands studios de porno gai, l’obstacle principal pour elle c’était la misogynie, mais elle a ouvert bien des portes. La preuve? On en parle aujourd’hui.
LD : Est ce que tu peux me dire un mot sur l’inclusivité dans le milieu du porno?
C : Je te dirais que le domaine est assez inclusif. On essaye quand même de l’être de plus en plus, parce qu’on voit que ça marche sur les plateformes indépendantes. Il y en a pour tous les goûts et pour tout le monde, sachant que les standards de beauté, préférés par l’un, ne sont pas nécessairement ceux d’un autre. Mais effectivement, c’est quand
même une industrie de l’image. En revanche, pour l’âge, je dirais qu’il n’y a pas vraiment de limites, surtout que chez les gais, la figure du « daddy » fonctionne super bien. Je pense que ce qu’il faut retenir, c’est simplement qu’il s’agit d’être le meilleur dans ce que tu fais.
Le Délit a aussi rencontré une intervenante travaillant dans le milieu de l’éducation sexuelle à Paris pour offrir une autre perspective sur le domaine de la pornographie. Le milieu de la
pornographie est réputé pour les multiples abus subis par les travailleurs et travailleuses du sexe. En tant qu’intervenante en vie relationnelle et affective, Sofia Ferguene nous son opinion sur l’industrie pornographique.
Le Délit (LD) : D’après tes interventions dans des établissements scolaires, quel est le rapport des jeunes avec la pornographie?
Sofia (S) : C’est indéniable que le porno a une place centrale dans l’éducation et la sexualité des
« Moi [Isabelle Hamon, ndlr], dans une journée, je suis toute seule avec un assistant, je fais de l’éclairage, je filme, je fais un peu de montage »
Charly WillinskyNous vous souhaitons un bon été, et avons hâte de vous revoir cet automne !
La DPS remercie son lectorat et ses commanditaires pour leur soutien durant l’année 2022-23.
montréal
jeunes, puisqu’il représente encore aujourd’hui un tabou. Aborder le thème de la sexualité avec sa famille et ses amis pendant la préadolescence et l’adolescence reste un sujet sensible. Dans les associations féministes ou de santé sexuelle, l’éducation relationnelle et affective passe par la déconstruction des idées reçues qui sont véhiculées par le porno « populaire » (dit mainstream en anglais, ndlr) qui met en scène des rapports stéréotypés.
LD : Peux-tu m’en dire davantage sur les stéréotypes qu’on retrouve dans le porno?
S : Même si on trouve dans le porno « populaire » des représentations de personnes issues des minorités, handicapées, racisées, grosses ou minces, c’est sous la forme de fétiches et dans des catégories particulières que ces minorités sont représentées. C’est intéressant de voir comment le porno illustre profondé-
ment les tensions politiques qu’on a en France, notamment sur les questions de race, parce qu’il y a encore beaucoup d’islamophobie. Ironiquement, la catégorie pornographique la plus visitée en France, c’est « beurette » (verlan pour une femme arabe, c’est un mot péjoratif associé à la vulgarité, (ndlr)). La liste des catégories les plus populaires est souvent le reflet du spectre des désirs des hommes blancs hétéros et de ce qu’ils érotisent. C’est rarement représentatif de ce qui excite vraiment les personnes en général, dans leur diversité. Toutefois, c’est un discours que j’ai et qui est propre au porno dit « populaire ».
LD : Peux-tu m’en dire davantage sur les femmes dans le milieu du X « populaire »?
S : Oui. Il y a de tout. J’ai l’impression qu’en ce moment, on donne de plus en plus la parole à des femmes qui ont le pouvoir sur leur carrière dans le X. On leur donne un petit peu plus de place pour parler de leur expérience dans les médias, sur les réseaux sociaux. Je regarde des entrevues, je vois des femmes qui s’expriment sur leur carrière et ce qu’elles disent souvent, c’est que la profession a changé avec le capitalisme. Je pense qu’il y a cette compétition entre les actrices qui
revient souvent, qui va plus loin qu’au début, quand c’était une plus petite industrie. Au début, elles avaient des contrats clairs, avec des pratiques définies, et maintenant, elles se retrouvent sur un tournage où au dernier moment on leur dit quoi faire. En tout cas, c’est vrai pour le porno « populaire ».
orientations, morphologies, identités, communautés et scénarios. Mais si elle est difficile à définir par la multiplicité de ses formats, on peut préciser la définition de la pornographie éthique par ce qu’elle n’est pas. Contrairement à ce que l’industrie pornographique et les stéréotypes assignés à la
LD : Enfin, y a-t-il des avenues pour produire un contenu hétérosexuel ou lesbien plus éthique?
S : Oui, l’une des solutions est la production de porno féministe. C’est donc dans la diversité de ses acteurs, de ses actrices, de ses réalisateurs et de ses réalisatrices que la pornographie féministe se démarque de la pornographie traditionnelle et agit pour une pluralité normalisée et non plus fétichisée. La pornographie féministe jouit d’une diversité nécessaire à l’illustration réaliste de l’éventail des pratiques sexuelles. Pour cela, elle met en scène différentes
féminité nous laissent parfois penser, la pornographie féministe ou éthique ne capture pas le sexe sous l’angle exclusif des sentiments, de l’affection, de la douceur ou encore du sexe dit « vanille ». Elle aborde la diversité non seulement des portraits qu’elle met en scène, mais aussi des désirs et des orientations sexuelles. Ce qui différencie la violence que l’on peut retrouver dans l’industrie traditionnelle de celle que l’on retrouve dans la pornographie éthique et féministe, c’est le consentement, la sécurité et le désir qui encadrent et motivent les acteurs et actrices dans la réalisation de ce type de scène. x
EndoCARES: l’endométriose est enfin prise en main
Ouverture du premier centre pour l’endométriose à McGill.
« À ce jour, il n’y a toujours pas de traitement contre l’endométriose »
Le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) a lancé, le 28 mars dernier, l’ouverture d’un centre pour l’endométriose, le premier de ce genre dans la province. Il est aussi affilié à la Faculté de médecine des sciences de l’Université McGill et continue de modeler, entre autres, le cours de la médecine pédiatrique en attirant des « sommités » cliniques et scientifiques du monde entier. Le centre
EndoCARES comprend une équipe de recherche et un service de soins chirurgicaux, dont le but est d’offrir aux patient·e·s atteint·e·s de douleurs et d’infertilité causées par l’endométriose un « accès accéléré à des services d’imagerie diagnostique opportuns et spécialisés ». À cela s’ajoutent aussi des soins multidisciplinaires « fondés sur les besoins individuels ».
Parlons de l’endométriose
D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il s’agit d’une « maladie qui se caractérise par le développement de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus, provoquant ainsi des douleurs et/ou une infertilité ». Elle touche les femmes en âge de procréer, provoquant souvent
la stérilité. Dr Togas Tulandi, professeur titulaire et directeur du Département d’obstétrique et de gynécologie de McGill, spécialiste de l’endométriose, a affirmé l’an dernier que la maladie est courante, et que beaucoup de femmes en souffrent à travers le monde. En effet, l’OMS affirme aussi que près de 10% des femmes en âge d’enfanter sont touchées par cette maladie, soit 190 millions de personnes à travers le monde. D’autres statistiques montrent que jusqu’à 50 %
servir pour les prochains projets de recherche. En même temps, l’objectif du centre est également de créer un réseau international où des recherches peuvent être menées en collaboration avec d’autres centres grâce à « l’échange d’idées et d’expériences ».
À ce jour, il n’y a toujours pas de traitement contre l’endométriose. Toutefois, les patientes soignées chez EndoCARES bénéficient de « pratiques chirurgicales novatrices et spécifiques à l’endo-
« Jusqu’à 50 % des femmes souffrant d’infertilité et 70 % de celles souffrant de douleurs pelviennes chroniques sont atteintes d’endométriose »
Dr Togas Tulandides femmes souffrant d’infertilité et 70 % de celles souffrant de douleurs pelviennes chroniques sont atteintes d’endométriose, selon le Dr Togas Tulandi.
La création du centre EndoCARES répond aussi à un manque de recherches sur le sujet. À cet égard, EndoCARES vise à optimiser la recherche « fondamentale, épidémiologique et clinique » sur la maladie en établissant une base de données à partir de patients, pouvant
métriose » qui n’ont jamais été offertes auparavant au Québec. Les efforts du CUSM vont en ce sens : comme il est indiqué sur son site, les soins cliniques et les futures recherches d’EndoCARES sont financés en partie grâce aux donations généreuses faites à la fondation du CUSM, qui a reçu jusqu’à 700 000 dollars en soutien au personnel hospitalier afin d’acquérir le matériel nécessaire pour le programme EndoCARES. x
« La pornographie féministe se démarque de la pornographie traditionnelle et agit pour une pluralité normalisée et non plus fétichisée »
Viagra, 25 ans d’érections
Le 27 mars 2023, la pilule bleue, aussi appelée Viagra, a fêté ses 25 ans. Cette pilule en forme de losange est petite, mais elle a pourtant une drôle d’histoire. Tout commence en 1998, lorsque des chercheurs du laboratoire américain Pfizer développent une pilule pour traiter les maladies cardiaques comme l’hypertension, grâce à une molécule appelée citrate de sildénafil, qui au lieu d’augmenter la circulation sanguine vers le cœur, l’augmente vers le pénis. Cette erreur a finalement été bénéfique pour des milliers de personnes.
Bénédiction scientifique…
En ce qui concerne son mécanisme d’action sur les dysfonctionnements érectiles, la molécule de sildénafil relaxe le muscle lisse du pénis et aug mente ainsi l’influx de sang dans le corps caverneux, permettant au sang d’arriver plus rapidement et d’ainsi obtenir une érection plus forte. Néanmoins, le Viagra ne traite pas le désir sexuel, les problèmes d’éjaculation ou les difficultés de couple. À 15 dollars l’unité à sa sortie sur le marché, le prix a gonflé à plus de 50 dollars jusqu’en 2017, où une version générique est arrivée, faisant chuter le prix à environ un dollar le cachet. Son concurrent, le Cialis, sorti en 2011, est un médicament à base de molécule de tadalafil, qui a relativement les mêmes fonctions, favorisant la circulation sanguine dans le pénis.
Cette pilule est cependant associée à des risques, notamment sur ses effets secondaires et sa potentielle influence sur la maladie d’Alzheimer. La dose habituellement recommandée est de 50 mg, à prendre approximativement 30 minutes à une heure avant l’activité sexuelle. Le médicament peut toutefois être pris de quatre heures à 30 minutes avant l’activité sexuelle, étant donné qu’il y a un temps moyen de 27 minutes avant d’agir. Selon l’efficacité du médicament et ses effets secondaires, la dose peut être augmentée jusqu’à 100 mg, ou diminuée jusqu’à 25 mg. Néanmoins, ces pilules ont un désavantage; les effets secondaires associés au sildénafil et au tadalafil incluent des migraines, maux de tête, des rougeurs au visage, une irritation ou congestion du nez, des problèmes de digestion, des étourdissements ou encore
une modification temporaire de la perception des couleurs, encore plus si la prise du médicament est combinée à une consommation d’alcool ou de drogue. Cependant, l’utilisation du Viagra est en hausse pour les personnes consommant des drogues dures, afin de contrer les effets néfastes des drogues sur la fonction érectile, comme la cocaine, la MDMA ou le cannabis. Les consommateur·rice·s voient le médicament comme une solu tion pharmaceutique simple au défi de maintenir une érection, tout en utilisant des drogues.
…ou tabous de performance?
Depuis la mise sur le marché du Viagra aux États-Unis – qui a connu un succès immédiat – 65 millions d’ordonnances ont été prescrites dans le monde. Les utilisateur·rice·s se sont jeté·e·s sur le produit dans l’espoir de démultiplier leurs performances, de faire
durer leur plaisir et celui de leurs partenaires. Pour certains, l’utilisation du Viagra est synonyme de solution facile permettant de libérer la libido des indivi -
Le Délit a rencontré Martin*, un jeune homme de 23 ans, pour discuter de la pression associée à l’érection masculine lors des relations sexuelles. En questionnant Martin sur cette pression, il répond avec certitude que l’anxiété et l’appréhension s’appliquent à la fois à l’érection et à la performance lors de l’expérience globale. De façon générale, la pénétration –et donc l’érection – est perçue comme la source principale de plaisir sexuel. Pour Martin, « avoir une érection n’est pas non plus la seule manière de se procurer du plaisir, mais c’est primordial ». Ce qui est projeté dans les médias et dans l’opinion sociale, c’est que le plaisir sexuel est basé sur la pénétration d’un pénis dans un vagin. De manière très crue, « il y a cette idée que –même si on sait que c’est pas la seule source de plaisir chez les femmes – ton pénis doit faire plaisir à tes partenaires sexuel·le·s· » explique Martin.
Il est déconseillé d’utiliser le Viagra chez les jeunes hommes qui ne présentent pas de problèmes d’érection, et pourtant, beaucoup de jeunes comme Martin pensent que le médicament permet d’avoir une érection plus dure et plus longue. Pfizer, l’entreprise qui produit le Viagra, a confirmé que l’âge moyen d’un utilisateur typique de ce médicament est de 53 ans, sachant que la société ne détient pas de registre pour les utilisateurs de moins de 33 ans, vu qu’ils n’expérimentent généralement pas de dysfonction érectile. Martin affirme ne pas avoir discuté de l’utilisation du Viagra avec ses
Et pourquoi pas une pilule rose?
Le révolution sexuelle et médicale a pendant longtemps négligé les femmes souffrant de dysfonctionnements et de perte de libido, comme la sécheresse vaginale due à la ménopause, qui peut causer des douleurs pendant les rapports sexuels. Le Vyleesi, ce nouveau médicament améliorant la libido des femmes, est considéré comme le « Viagra féminin ». Ce produit, destiné aux femmes pré-ménopausées souffrant d’un faible désir sexuel, a été approuvé en 2019 par l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA). Cependant, il est question de son efficacité réelle ainsi que des préoccupations de santé qui y sont associées. Cette innovation a été considérée comme une avancée majeure pour la santé sexuelle des femmes alors qu’un manque d’intérêt régulier et persistant pour l’activité sexuelle touche entre 6% et 10% des femmes en âge de procréer aux États-Unis. Cependant, la pilule rose a également ravivé le débat sur le rôle des médicaments dans des questions aussi complexes que le désir sexuel et la libido. Le médicament vise à réduire l’anxiété et à améliorer le désir sexuel en contrôlant les niveaux de deux neurotransmetteurs : la présence de dopamine et la libération de sérotonine, souvent appelée « l’hormone du bonheur ».
Le nouveau médicament Vyleesi sera en concurrence directe avec l’Addyi, vendu par Sprout Pharmaceuticals, qui est pris sous forme de pilule quotidienne et a été approuvé par la FDA en 2015. Les utilisateur·rice·s d’Addyi affirment vouloir des effets secondaires plus doux et une action plus rapide, car la nausée a été signalée chez 40 % des sujets, souvent dans l’heure suivant l’injection de la dose, impactant ainsi le rapport sexuel.
Martin*dus ayant un appareil génital masculin. Toutefois, une aussi grande popularité pour la pilule bleue pourrait être symptôme d’une société qui s’accroche à la performance. La dysfonction érectile est également appelée « impuissance sexuelle » par certains – focalisant le plaisir sexuel autour d’une pénétration par un pénis. Cette pression liée aux prouesses sexuelles touche majoritairement les hommes.
amis proches, parce que « chez les hommes en général, c’est un peu tabou. C’est vu comme une forme de faiblesse de devoir recourir à cette pilule plutôt que de naturellement bander ». Si l’effet placebo du médicament peut faire monter la tension sexuelle des utilisateur·rice·s, le fait de devoir prévoir à l’avance ses rapports sexuels enlève l’aspect authentique et fougueux de ces derniers.
Si le Vyleesi et l’Addyi sont surnommés « Viagra féminin », leur mécanisme est bien différent étant donné qu’il agit directement sur le cerveau. Même si certain·e·s des utilisateur·rice·s retrouvent plus de désir grâce à l’activation de neurotransmetteurs, les scientifiques avertissent qu’il ne faut pas s’attendre à un miracle et que son efficacité n’égale en aucun cas celle du Viagra.
*Nom fictif x
margaux thomas Éditrice ActualitésUn regard sur l’importance de la performance sexuelle masculine.Philippine d’ halleine
« Chez les hommes en général, c’est un peu tabou. C’est vu comme une forme de faiblesse de devoir recourir au Viagra plutôt que de naturellement bander »
Quand la pêche tourne mal
Le chat sort toujours du sac quand il est question de catfishing.
Jeanne MarengèrEÉditrice
EnquêtesFaire des rencontres à l’ère virtuelle comporte son lot de défis. Parmi ceux-ci se trouve la possibilité que la personne rencontrée par le biais de sites de rencontre ou autres réseaux sociaux ne soit en réalité pas celui·celle qu’il·elle prétend être. Le Délit a rencontré trois victimes de catfishing afin d’en apprendre un peu plus sur les implications de s’être fait leurrer par un·e voleur·euse d’identité.
Depuis le début des années 2000, le monde du net a été révolutionné par l’apparition d’une variété impressionnante de plateformes permettant de mettre en contact différent·e·s utilisateur·rice·s. De Myspace à Instagram ou Tinder en passant par Grindr, le nouveau siècle offre à sa jeunesse une multitude de façon de faire des rencontres, de former des amitiés virtuelles, et même d’aller plus loin. Les options en termes de relations romantiques se sont multipliées avec l’envol de sites de rencontres comme Hinge ou Bumble. Certaines plateformes, comme Tumblr ou Reddit, qui ne sont pas réservées exclusivement aux utilisateur·rice·s cherchant l’amour – ou quelque chose de plus charnel – ont aussi prouvé leur capacité à favoriser les rencontres plus qu’amicales.
Toutefois, Internet a tendance à inciter au mensonge, principalement en raison de l’anonymat que certain·e·s trouvent derrière leur écran d’ordinateur. Une étude datant de 2007 a estimé qu’environ 80% de ses participant·e·s se trouvaient plus enclin·e·s à mentir sur des attributs tels que la taille, l’âge et le poids lors de leurs interactions en ligne. À l’extrême se trouvent ceux·celles que l’on nomme les catfishs , qui choisissent pour leur part de mentir sur l’entièreté de leur personne. Ce sont des individus qui dupent intentionnellement d’autres personnes en créant des profils mensongers sur les réseaux sociaux, souvent dans le but de former des connections romantiques. Ceux·celles-ci utilisent généralement des photos qui ne sont pas les leurs ou des photos extrêmement modifiées au point de les rendre méconnaissables
afin de duper ceux·celles avec qui ils·elles échangent. Ils·elles favorisent également des relations exclusivement en ligne, afin d’éviter d’avoir à dévoiler leur supercherie.
Tomber dans le piège
Le Délit a rencontré trois étudiant·e·s qui nous ont partagé leur histoire.
Le Délit (LD) : Pourrais-tu nous mettre en contexte et nous expliquer ton expérience avec un·e catfish ?
Luce : C’était en juillet 2021. Cet été-là, j’avais installé Tinder pour la première fois et du haut de mes 19 ans, je découvrais ce que c’était de dater après une longue relation de deux ans. À date, j’avais déjà rencontré quelques personnes et tout
étaient
très posées, du genre Instagram. Il disait habiter à Londres, mais qu’il devait déménager à Montréal le mois suivant pour entrer à McGill. On a jasé un peu sur Whatsapp, application qu’il m’avait demandé de télécharger pour discuter. Au bout d’une heure, il m’a demandé des photos, à quoi je lui ai répondu d’aller voir mon compte Instagram
Il insistait pour avoir des photos prises en « live » (pas des nudes ) et je lui ai répondu que j’étais au travail. Je me rappelle avoir commencé à douter en raison d’incohérences dans ses messages, notamment le fait qu’il évitait constamment mes demandes de voir ses réseaux sociaux. Bref, c’était bizarre, mais je me divertissais. Il m’a envoyé un selfie où il ne portait que des boxers , sans qu’on ne voie sa tête. La photo était radi -
souviens d’avoir blagué, en lui demandant s’il était un catfish Il m’a immédiatement bloquée et a supprimé toutes nos conversations. J’ai pris ça pour un oui.
ment inconscient qu’on est en train de se faire avoir. C’était le début de l’été 2022, j’étais chez moi et je cherchais quelque chose à faire, quelque chose de fun . Je commence une discus -
« Je me souviens d’avoir blagué, en lui demandant s’il était un catfish . Il m’a immédiatement bloquée et a supprimé toutes nos conversations. J’ai pris ça pour un oui »
Luis : J’ai été victime de catfishing plusieurs fois par le passé. Je dirais que j’ai le plus souvent été catfish lors de mes brefs passages sur l’applica -
« Une étude datant de 2007 a estimé qu’environ 80% de ses participant·e·s se trouvaient plus enclin·e·s à mentir sur des attributs tels que la taille, l’âge et le poids lors de leurs interactions en ligne »
s’était très bien déroulé. Cette fois-là, j’étais au travail quand j’ai eu le match , c’était un gars qui correspondait parfaitement aux standards de beauté, et je me rappelle avoir swipe en me disant qu’il était hors d’atteinte, mais pourquoi pas. Ses photos
calement différente de celles sur son profil : teint beaucoup plus pâle, qualité de photo très ordinaire et morphologie significativement différente. Je lui ai fait part de ma confusion et lui ai demandé une vidéo, ce à quoi il a trouvé une excuse. Je me
tion Grindr, célèbre pour les hook-ups dans la communauté LGBTQ+. Les chances élevées de rencontrer un catfish sur Grindr sont inquiétantes. J’aimerais entamer mon anecdote en précisant que je ne suis pas idiot, mais il arrive qu’on soit vrai -
sion avec un gars de Grindr qui m’avait l’air intéressant, et il ne passe pas par quatre chemins. Ayant de l’expérience avec les catfish , je prends toujours mes précautions en demandant leurs réseaux, des photos prises avec certains objets, etc. Honnêtement, c’était bizarre dès le début, mais j’étais tellement in the mood que je ne me suis pas cassé la tête. Il m’a dit être plus vieux et ne pas avoir Instagram ou Snapchat, mais qu’il était à l’aise avec Whatsapp. Sur Whatsapp, on discute et il m’envoie quelques photos qui avaient l’air absolument réelles, sans quoi j’aurais mis fin à la discussion. On a fait nos plans, et il était censé venir à mon appartement. Quand je suis descendu pour lui ouvrir, je vous promets que j’ai figé. Genre, 15 crises cardiaques en l’espace d’un instant. Ce n’était pas le même homme que celui avec qui j’avais échangé toute la soirée. J’étais bouche-bée, et je savais qu’il savait où j’habitais. J’ai immédiatement contacté une amie pour lui signaler ce qui se passait, lui demander de garder un œil sur ma localisation, et d’appeler la police si jamais je ne répondais plus. J’ai envoyé les infos du gars à mon amie. J’ai demandé au gars de Grindr de rester dans l’entrée de mon bloc et je lui ai demandé de s’expliquer. Il est devenu hyper défensif quand il a vu que j’étais direct et que je lui verbalisais mon inconfort. Je l’ai mis en garde que ce genre d’action était illégale et que s’il revenait, je contacterais la police. Heureusement pour moi, rien de plus n’est arrivé.
Jennifer : Il y a quelques années, j’aimais beaucoup me faire des amis virtuels sur
Reddit ou Discord . Un de mes amis était un gars qui m’avait dit venir d’Irlande. On se parlait par messages très fréquemment, et on s’échangeait souvent des selfies . Au bout d’un moment, la conversation est devenue sexuelle : je lui ai envoyé une photo de mes seins et lui de son pénis. On a continué à s’échanger des photos pendant quelques semaines, et on se rapprochait émotionnellement en parallèle. J’ai commencé à avoir des doutes après quelque temps. J’ai recherché quelques-unes de ses photos à l’aide de la recherche inversée par image de Google.
C’est alors que j’ai réalisé qu’au moins une de ses photos provenait d’un subreddit de pornographie. Je l’ai confronté, et il a répondu rapidement qu’il devait s’être fait hacker et qu’il devrait donc supprimer son compte immédiatement. C’est ce qu’il a fait, et je ne lui ai jamais reparlé.
LD : Comment dirais-tu que tu t’es senti·e dans la situation?
Luce : Ne prenant pas vraiment ces applications au sérieux, j’ai pris ça avec humour et comme une anecdote à raconter, mais je ressens toujours encore un inconfort quand un inconnu insiste pour obtenir des détails sur moi ou des photos. J’aurais très bien pu en révéler plus (trop) avant de me rendre compte de sa malhonnêteté.
Luis : Je me suis senti inconfortable, trahi, effrayé et un peu niais. Comme je l’ai dit, je suis généralement habile dans ce genre de situation. Je suis allé
pour ta sécurité. Jennifer : J’étais sous le choc. Étant donné mon manque d’expérience auprès des gars, je m’étais attachée à lui très rapidement. Je me demandais si tout ce qu’il m’avait raconté n’était que des mensonges. J’avais la preuve
est important de demander des vidéos, de discuter longuement avec la personne et de porter attention aux détails puisqu’ils peuvent en dire long sur la légitimité de la personne.
Luis : Demande une photo. Je
plement de se voir en vrai. Avec les technologies qui existent aujourd’hui, je pense qu’il est assez simple d’éviter le catfishing si on se tient aux précautions mentionnées précédemment. Aussi, c’est super important de ne pas se laisser emporter par ses
mais je crois que souvent ce sont les catfish qui souffrent le plus de leur manque de confiance.
Luis : Je crois qu’il y a forcément deux perspectives à considérer. Comme je l’ai dit, mon expérience avec ce genre de situation m’a montré que les gens qui volent l’identité des autres le font pour cacher des complexes, et pour se sentir mieux à propos d’eux-mêmes. Toutefois, ça n’enlève pas au fait qu’une autre part des catfish le font pour de mauvaises raisons, dans le but de blesser. Si je m’en tiens à mes expériences, je crois réellement qu’ils ne sont pas tous malintentionnés, et que ça part souvent d’un manque de confiance et d’une peur du rejet. C’est pour ça que j’ai l’impression que le catfishing est tellement dépassé, puisqu’en 2023, on est de plus en plus ouverts sur les différences. On a des comités, des forums pour absolument tous les fétiches possibles. Si quelqu’un n’arrive pas à trouver la personne qui lui convient ici, il n’a qu’à chercher ailleurs. On devrait arrêter de se limiter aux horizons connus. Même si ça peut sembler difficile à croire, il y aura toujours quelqu’un qui saura nous aimer pour nous, sans besoin de se faire passer pour un autre.
sur des dates où un cinquantenaire se présentait alors qu’il devait être dans la trentaine. J’ai senti que mon jugement avait failli, et que j’aurais pu faire mieux. J’aurais pu me faire kidnapper, me faire agresser, etc. Dans ma communauté spécifiquement, il y a des histoires d’horreur où des hommes gais se font assassiner. J’étais aussi gêné, étant donné que je lui avais envoyé des photos avec lesquelles il peut faire ce qu’il veut. Ce genre de situation est hautement problématique parce que tu te trouves dans une position où c’est relativement gênant d’en parler, mais où tu crains aussi
que ses nudes étaient faux, mais je n’avais aucune idée si les selfies venaient réellement de lui. Maintenant que j’ai plus d’expérience, j’ai beaucoup de regrets par rapport à cette situation, et je pense que j’aurais pu l’éviter facilement. Je n’ai aucune idée de ce qu’il a pu faire avec mes nudes
LD : Que conseillerais-tu à quelqu’un qui voudrait éviter de se voir piégé par un catfish?
Luce : Je pense qu’il est crucial de vérifier que la personne possède un compte Instagram ou un Facebook qui a l’air réel. Il
sais que ça peut être gênant de demander : « Peux-tu m’envoyer une photo de toi qui fait un peace sign ? » En toute honnêteté, c’est la meilleure façon de vérifier que la personne dit vrai sur son identité. Aussi, toujours, je répète, toujours, faire confiance à son instinct. Si on sent que quelque chose cloche, c’est probablement parce que c’est réellement le cas.
Jennifer : Mon conseil serait simplement d’éviter de s’investir dans des relations romantiques ou sexuelles avec des personnes qui évitent de parler au téléphone, par FaceTime , ou sim -
sentiments, surtout pas au point d’ignorer tous les red flags qui se présentent.
LD : D’où crois-tu que viennent les motivations de ces individus qui piègent d’autres personnes comme tu as pu l’être?
Luce : Je crois que ça peut autant venir d’un manque d’estime de soi que d’idées malintentionnées, mais dans mon cas, j’estime que c’était principalement de l’insécurité. Cependant, je crois qu’il y a toujours un fond malsain quand on cherche à obtenir quelque chose d’une façon malhonnête. Il y aura toujours des cas plus extrêmes, qui terminent en drame,
Jennifer : Je pense que ça dépend de la personne. Dans ma situation, j’ai plutôt envie de dire que c’était quelqu’un avec d’énormes problèmes d’estime de soi, et qui souhaitait se faire passer pour un autre afin d’assouvir ses désirs d’attention. Pour eux, le catfishing est une façon de recevoir l’attention dont ils rêvent, sans risquer de se faire rejeter réellement. Cependant, ça ne rend pas pour autant ce genre d’agissements pardonnable.
Poissons-chats: une espèce en voie de disparition?
Les catfish , comme nous l’ont confirmé Luce, Luis et Jennifer, auront su être hautement astucieux afin de garder leurs réelles identités protégées par le passé. Ceci étant dit, comme Luis a su nous le rappeler, il n’y aurait plus de raison de se cacher derrière son écran en 2023, puisqu’il y en a vraiment pour tous les goûts de nos jous. Espérons donc que le futur saura corroborer cette hypothèse. x
« Il est important de demander des vidéos, de discuter longuement avec la personne et de porter attention aux détails puisqu’ils peuvent en dire long sur la légitimité de la personne »
« Ce genre de situation est hautement problématique parce que tu te trouves dans une position où c’est relativement gênant d’en parler, mais où tu crains aussi pour ta sécurité »Alexandre gontier | Le dÉlit
Aimer à l’âge d’Internet : une utopie?
Tinder : de belles promesses, mais à quel prix?
L’ère de l’information, du numérique et d’Internet a profondément bouleversé toutes les sphères sociales. Que ce soit sur le plan scientifique, économique, médiatique, industriel ou social, les changements causés par l’arrivée des ordinateurs, des téléphones cellulaires au 21 e siècle nous ont propulsés dans un monde parallèle à celui du 20 e siècle. Ces changements ont apporté avec eux des bienfaits formidables, mais aussi utopiques car les récents développements de l’intelligence artificielle, comme ChatGPT, sont arrivés tellement brusquement qu’ils ont bouleversé nos rapports en société, notamment en matière d’amour. Dans le Global Happiness
« Le modèle d’affaire de Tinder ne serait-il pas basé sur l’exploitation de gens désespérés en quête d’amour? »
Report 2023 ( Rapport sur le bonheur mondial de 2023, tdlr ), la firme française Ipsos a sondé 22 508 adultes âgés de moins de 75 ans dans 32 pays quant à la satisfaction générale de leur vie. Dans les 30 aspects sondés, comportant notamment la situation financière, la relation familiale ou la quantité de temps libre, la vie romantique et sexuelle arrivait au 27 e rang, pour 63% des gens exprimant être satisfaits. Aux États-Unis, ce pourcentage est réduit à 60%, et encore davantage au Canada, où la moyenne de satisfaction concernant les relations romantiques et sexuelles atteint à peine 58%. Ce rapport dresse un portrait de la situation amoureuse loin de l’idéal populaire.
En plus de rendre compte de la satisfaction actuelle de la vie romantique et sexuelle des gens, le rapport tente également d’évaluer leurs attentes futures. Plus particulièrement, il a été demandé aux personnes interrogées si la capacité à trouver un partenaire romantique allait devenir plus difficile au cours des dix prochaines années. Les résultats au niveau mondial montrent que 22% pensent que trouver un partenaire romantique va devenir plus facile (les optimistes), 43% pensent que ça va devenir plus difficile (les pessimistes) et 35% pensent que la situation demeurera similaire.
Une cause probable pour tous
ces malheurs amoureux
Je pense qu’il serait impossible de parler de la situation actuelle de l’amour en Amérique du Nord sans mentionner l’éléphant dans la pièce : Tinder et la montée des applications de rencontre. Tout comme les divers réseaux sociaux qui sont maintenant omniprésents dans notre vie, Tinder s’est basé sur une idée qui semblait être inoffensive et nettement positive en théorie. En pratique, il est difficile d’ignorer les conséquences dévastatrices que l’adoption massive de cette technologie a créée dans notre société, tant sur le plan de la santé émotionnelle que mentale. Commençons par énumérer les problèmes majeurs dont souffrent Tinder et les autres applications de rencontre.
Le premier problème de Tinder est le ratio homme/femme. Pour les utilisateurs de Tinder aux États-Unis en 2021, la proportion des utilisateurs était de 76%, tandis qu’elle était de 24% pour les utilisatrices. Également, il a été démontré que les hommes sont plus actifs que les femmes sur ces applications, faisant en sorte qu’ils voient en moyenne plus de profils que les femmes. La conséquence de cette plus grande proportion d’hommes - et du fait que les hommes utilisent ces applications beaucoup plus souventest que seulement le top 10-20% des profils masculins sont capa -
bles d’avoir une interaction constante avec des profils féminins. Effectivement, la façon exacte dont l’algorithme de Tinder fonctionne demeure inconnue, mais il a été spéculé qu’il fonctionne de façon similaire à un classement ELO, quoique ça ne semble plus être le cas. Néanmoins, quand les femmes utilisent l’application, elles ne voient généralement que « l’élite » des profils masculins, ces profils que Tinder considère comme étant les plus désirables. Du côté masculin, les utilisateurs, qui par malheur ne réussissent pas à atteindre le top 10-20% des profils, vont n’avoir que très peu de matchs ou d’interactions avec des profils féminins. Ainsi, la réalité de Tinder pour la grande majorité des hommes se rapproche plus au désert du Sahara qu’à une oasis d’abondance, indépendamment du succès que ces hommes seraient capables d’obtenir avec la gente féminine en face à face.
pour les hommes, mais bien la qualité des interactions qu’elles obtiennent avec ces matchs En effet, il semble y avoir une divergence entre les hommes et les femmes quant à la motivation derrière l’utilisation de l’application. Une étude montre que les hommes utilisent les applications de rencontre principalement à des fins sexuelles ou pour trouver des relations
à long terme. Tinder n’est pas fait pour trouver l’amour. Certes, il n’est pas impossible de trouver une relation amoureuse sur Tinder, mais je pense que c’est seulement un très petit pourcentage de ces relations qui perdureront. L’offre et la demande
Pour essayer de comprendre pourquoi un si grand nombre de personnes ont une expérience désagréable sur Tinder et sur les autres applications de rencontres, il faut peutêtre revenir à leur but initial. En effet, Tinder est d’abord une compagnie qui cherche à maximiser ses profits. Ses trois principales sources de revenus sont la vente de données des utilisateurs, les publicités, ainsi que les abonnements payants comme Tinder Gold.
« Au grand malheur des romantiques de ce monde, nous vivons dans une société où l’amour de l’argent est plus important que l’amour des êtres humains »
Dans les trois cas, Tinder a intérêt à ce que l’utilisateur utilise l’application le plus longtemps possible. Au fur et à mesure que les profils défilent, Tinder est capable de récolter des données sur l’usager, ainsi que de montrer des publicités. De la même manière, plus il y est difficile pour l’utilisateur d’obtenir des matchs , plus les chances sont élevées que celui-ci va débourser de l’argent pour un abonnement payant. Le modèle d’affaire de Tinder ne serait-il pas basé sur l’exploitation de gens désespérés en quête d’amour? Plus il est dif -
Du côté des utilisatrices, elles semblent d’emblée être capables d’avoir beaucoup plus de succès que les hommes. Effectivement, une étude a démontré que les femmes ont un taux de match s’élevant à 10%, comparativement à 0,6% pour les hommes. Ainsi, une femme serait capable d’avoir un match à tous les dix profils visionnés. Le problème du côté féminin n’est donc pas la quantité de matchs qu’elles obtiennent, comme c’est le cas
à court terme, tandis que les femmes les utilisent principalement pour trouver des relations romantiques ou des relations amicales. De plus, beaucoup d’utilisateurs et d’utilisatrices de Tinder verraient l’application comme un jeu ou une source de divertissement, ce qui peut facilement devenir une source de frustration pour les personnes cherchant une relation romantique sérieuse.
Tinder semble donc créer une distorsion de la réalité amoureuse tant pour les hommes que pour les femmes. Alors que les hommes pensent qu’ils ont peu de valeur, puisqu’aucune femme ne semble être intéressée par eux, les femmes seraient amenées à croire que les hommes sont méprisables et seulement intéressés par le sexe. D’après moi, les grands perdants sur Tinder sont donc les utilisateurs qui recherchent une relation romantique
ficile de trouver l’amour sur Tinder, plus la compagnie se fait d’argent, c’est aussi simple que ça. Après tout, s’il était facile de trouver l’amour sur Tinder, comme leur approche commerciale semble l’indiquer, les chances que les utilisateurs suppriment l’application seraient bien plus élevées.
Au grand malheur des romantiques de ce monde, nous vivons dans une société où l’amour de l’argent est plus important que l’amour des êtres humains. La détresse émotionnelle de millions de personnes ne semble être qu’un petit prix à payer pour des profits faramineux. Cette quête perpétuelle du profit, quelles qu’en soient les conséquences, est pourtant être normalisée dans notre société actuelle. x
nicholas corneau Contributeur OpinionApprendre à s’aimer
Politique de la jouissance personnelle.
Toute sexualité est politique. Les femmes s’en rendent particulièrement compte en grandissant : tout ce qui touche au corps est un tabou, surtout lorsqu’il est question d’un corps qui diffère de la normalité d’un pénis érigé comme virilité. Je pense que nous, les femmes et autres minorités sexuelles, devons avoir notre mot à dire sur ce qui a trait à nos corps et apprendre à le connaître à notre rythme, dépourvu du regard extérieur. Dès qu’on regarde les nouvelles, on est confronté à un rappel constant de la fragilité de ce que nous avons pris pour acquis, par exemple l’avortement. Nous n’avons qu’à regarder le cas de la Floride, où le gouverneur Ron de Santis interdit déjà la mention de l’éducation LBTQ+ dans les écoles. L’État du Tennesse, qui a décidé de bannir la culture drag dans l’espace public, met en danger les individus transgenres. Pourtant, il y a plus de 55 ans, le premier ministre Pierre-Elliott Trudeau a dit, lors de la présentation de sa loi omnibus qui allait décriminaliser l’avortement et l’homosexualité, que l’État n’avait rien à faire dans la chambre à coucher des citoyen·ne·s. Malheureusement, le temps passe, les menaces sont cycliques et reviennent continuellement pour nous dire que nous ne serons jamais en paix.
L’utilité et l’intersectionnalité
Tout ce qui sera énoncé comme un problème par une femme hétérosexuelle est seulement la pointe de l’iceberg que l’intersectionnalité peut révèler davantage. Un individu queer va rechercher la représentation dont il a besoin pour se sentir validé dans sa vie sentimentale et sexuelle. Tout signe d’individualité qui ne se réfugie pas dans l’hétéronormativité est jugé comme dérangeant. Il faut toujours se battre contre ce même regard qui sait uniquement juger. De plus, une personne transgenre se confronte à la cisnormativité, selon laquelle on s’attend à ce que celle-ci doive uniquement aller vers la féminité ou la masculinité, sans aucune zone grise. Sur les applications de rencontre, on leur répète qu’elles ne seront jamais assez valides et sont constamment ramenées à leurs parties génitales. La sexualité devient un traumatisme, une blessure constante, alors qu’elles ne cherchent qu’à être elles-mêmes.
Voir des personnes queer heureuses est un affront alors que ce n’est que ce qu’elles méritent, comme n’importe quel autre être humain
cisgenre et hétérosexuel. La subjectivité non-objective
Ce qui advient au niveau politique reflète la vie de tous les jours. Combien de fois pouvons-nous supporter de réentendre les mêmes commentaires sur les photos dévêtues d’une femme sur les réseaux sociaux tandis qu’une adolescente refusant de se faire sexualiser est couverte de honte par ses camarades de classes et les adultes? C’est sans mentionner la popularité grandissante des alpha males, qui considèrent les femmes comme des créatures uniquement utiles pour des fonctionnalités de femme au foyer sans aucune touche de modernité. Ils nous crient : « Comment osez-vous vous intéresser autant au sexe alors qu’on vous demande seulement d’être des vierges effarées prises par derrière ? Comment osez-vous
regard qui n’est pas uniquement concentré sur le plaisir masculin. Se satisfaire soi-même
La solution à tout cela peut se trouver dans ce que nous choisissons de faire pour reprendre le contrôle sur notre corps, sur le regard qui est porté sur lui, sur les sensations que nous voulons vivre pour et grâce à celui-ci. L’intime est politique et expérimenter sa sexualité seul·e, sans un regard qui juge les minorités sexuelles, peut être une solution. Il y a désormais plusieurs expert·e·s, sexologues, éducateur·rice·s sur le bout de nos doigts qui peuvent nous inspirer et nous conseiller sur le sujet. En effet, la solution peut même se trouver dans notre fil de réseaux sociaux quotidien. Depuis quelques années, des comptes Instagram se concentrent sur la sexualité des femmes et des autres minorités sexuelles. Il y est question, et ce, sans
rapport au corps et pour éviter le miroir stéréotypé qui nous est renvoyé constamment. Cela permet à des comptes Instagram comme omgyesdotcom, thevaginablog, maman_ sexo, club_sexu, jouissance.club, de rendre plus accessible le contenu de ceux-ci. Ces comptes cherchent à démocratiser les enjeux féminins en lien avec la sexualité, notamment en publiant des statistiques pour normaliser ce qui est considéré comme « problématique », comme la douleur lors des règles ou le faible taux d’orgasmes. Ces pages Instagram sont une porte d’entrée à la découverte d’applications comme Dipsea, Oh Cleo et Emjoy, qui proposent gratuitement (puis par le moyen d’une rémunération modeste) des conseils sur l’expérience de la sexualité peu importe ce qui a été vécu par l’utilisatrice précédemment, de la déstigmatisation de conditions comme l’endométriose, la douleur pendant
une place plus importante à l’imagination et à l’intimité. Selon Gina Gutierrez, cofondatrice de Dipsea, la recherche montre que les hommes préfèrent les images graphiques, tandis que les femmes préfèrent les histoires érotiques. Elles peuvent être elles-mêmes et s’échapper de la réalité plus facilement qu’avec la pornographie visuelle, réflétant souvent des stéréotypes sexuels qui enferment les femmes dans des cases dont elles veulent se défaire. Puisque ces applications sont souvent fondées par des femmes, on remarque rapidement l’absence du regard masculin, encourageant les visions erronées et empoisonnantes. On va au-delà de l’idée de la pénétration absolue, ajoutant davantage de douceur et de contrôle pour la personne auditrice avec une attention particulière accordée au respect. Cela redonne une agentivité féminine qui s’est perdue avec le temps et offre aux femmes davantage d’options pour apprendre à se connaître sans nécessairement avoir besoin d’un partenaire masculin à tout prix pour effectuer leur propre exploration sexuelle.
Le plaisir de s’éduquer
Avoir cette documentation à portée de main a changé ma vision de la sexualité et m’a enlevé des peurs sur mon propre corps. Je me suis rendue compte que parler de sexualité féminine ouvertement n’est pas aussi pervers et démoniaque qu’on pourrait le croire. Je dirais même qu’il faut en parler parce qu’en bâillonnant tout ce qui est en lien avec ce sujet, les problèmes de notre corps demeurent inconnus, amenant de la honte à se sentir bien dans ce que nous sommes. Il s’agit de s’éduquer à notre propre rythme et de ne pas se condamner à se réfugier dans ces mauvais plis de retrait, de chuchotements à la place de conversations ouvertes sur le sujet.
refuser les va-et-vient d’un immense bâton qui se fout de ce que vous voulez ? » Même s’il est question d’une minorité d’hommes, cela nous rappelle un regard suffocant qui refuse de voir des êtres humains confortables dans leur peau. Notre corps ne devrait pas être contrôlé par quiconque d’autre que nous-mêmes, sous un
tabous, d’orgasmes, de clitoris, d’éjaculation féminine, du plaisir procuré par la masturbation ou encore de l’importance de la communication avec un·e partenaire. Ce n’est que depuis très récemment que des études plus sérieuses sont menées sur la sexualité féminine, et chacune de ces nouvelles informations sont capitale dans la réduction des complexes par
les relations sexuelles jusqu’à l’expérience d’un premier orgasme. On y retrouve aussi un contexte efficace pour effacer la peur d’explorer et prendre confiance en ses fétiches et ses attirances, ce qui peut amener à la découverte des histoires audios érotiques qui plaisent davantage à un certain auditoire s’intéressant plus à l’écoute qu’à l’image, et qui laisse
En apprendre sur notre sexualité permet d’apprendre à aimer, à s’aimer et à se dire que notre ressenti est valide. Apprendre à définir ses propres limites et comprendre ses propres désirs devrait être un droit, et non un choix, ce qui est difficile à atteindre en tant que femme, et c’est sans mentionner les personnes non-binaires, transgenres ou tout simplement queer. Il faut alors se rappeler que cela nous a été refusé pendant plusieurs années. Grâce aux nombreuses éducateur·trices sur les réseaux sociaux et les applications qui ont été créées, gabrielle potvin Contributrice Opionion
« Notre corps ne devrait pas être contrôlé par quiconque d’autre que nous-mêmes, sous un regard qui n’est pas uniquement orienté vers le plaisir »
Au-delà de l’odorat
Les phéromones ont-ils réellement des impacts sur la sexualité humaine?
Sur la scène scientifique internationale, les phéromones sont encore aujourd’hui un sujet qui soulève des débats. Bien que leur existence et leurs effets soient largement acceptés au sein du règne animal, leur rôle chez les êtres humains reste hautement contesté. Le Délit a choisi d’investiguer la perception des phéromones chez la communauté étudiante mcgilloise dans le cadre de son édition sur la sexualité : le journal a rencontré un étudiant de l’Université, Alexandre, qui a témoigné de son expérience avec « le mystère des phéromones », et un professeur de l’Université McGill, Dr David Morris, qui nous a partagé son expertise dans le domaine afin de nous aider à naviguer ce débat.
À la suite d’un bref sondage mené sur le campus mcgillois cette semaine, deux conclusions sautent aux yeux : bien que la plupart des étudiant·e·s de l’Université McGill ignorent ce que sont les phéromones, ils·elles semblent pourtant enclin·e·s à croire en leur existence. En effet, la grande majorité des étudiant·e·s interpellé·e·s se positionnent en faveur de l’existence des phéromones chez les humains – certain·e·s disant même en avoir vécu les effets. Toutefois, l’étude scientifique du phénomène est loin de confirmer l’intuition de la population étudiante.
Les phéromones : sujet controversé
Chez les animaux et les insectes, les phéromones sont des sécrétions chimiques qui permettent une communication entre les membres d’une même espèce. Les phéromones jouent ainsi un rôle non seulement dans la reproduction, mais aussi sur le plan des communications intraspécifiques pour la défense, la préservation, le pistage et de nombreuses autres fonctions.
Selon le biologiste Tristram D. Wyatt, enseignant au sein du département de zoologie de l’Université Oxford, les phéromones sont des facteurs clés de la sélection sexuelle puisqu’ils jouent le rôle d’indicateurs de santé, de la génétique et du statut reproductif entre les membres d’une espèce. Ils participent donc activement au processus de reproduction, en initiant l’attraction entre deux possibles partenaires.
Bien que leur influence chez les animaux fasse consensus au sein du milieu scientifique, l’influence des phéromones chez les humains demeure un mystère. Les êtres humains, étant des mammifères, devraient être soumis au pouvoir des phéromones au même titre que les autres espèces. Selon le chimiste Normand Voyer, chez les hommes, ce sont les glandes auxiliaires situées au niveau des aisselles qui seraient le
centre de production et d’émanation des phéromones. Pour les femmes, ce serait au niveau de l’entrejambe que les phéromones seraient libérées. Toutefois, il rappelle que l’obsession de l’être humain moderne avec l’hygiène aurait pu nous « désensibiliser aux phéromones ». À la lumière des circonstances, peut-on donc affirmer avec certitude que les humains produisent des phéromones, ou même qu’ils sont réceptifs à leurs effets?
Pseudoscience de l’attraction
Le Délit a demandé l’avis de Dr David Morris, professeur agrégé de la Faculté de Médecine spécialisé en endocrinologie, de mettre en évidence ce qui est actuellement connu des phéromones et de leur possible impact sur la sexualité humaine. Selon lui, « les preuves concernant le rôle de l’odorat dans les relations entre humains sont pas convaincantes (tldr) ».
études ont associé les phéromones avec la sélection de partenaires sexuels en fonction de facteurs génétiques prédéterminés (tldr) ».
Il est possible que les études auxquelles Dr Morris fait référence expliquent ces moments d’attraction inexplicables entre deux individus qui n’auraient jamais prédit ce genre d’attirance. Toutefois, Dr Morris met l’accent sur le manque d’études crédibles au sujet des phéromones chez les humains.
Odeurs de faux-semblants
Alexandre, un étudiant en physiologie à l’Université McGill, a accepté de témoigner sur son expérience avec les phéromones. Bien qu’il soit réticent à se prononcer définitivement sur la question de l’existence des phéromones chez les humains, Alexandre se dit être « plutôt neutre sur la question des phéromones » : « J’ai étudié dans le do-
notre réceptivité à leurs effets. C’est réellement un mystère. » Alexandre, malgré ses réserves, a tout de même tenu à partager ses expériences avec les phéromones : « En effet, il y a eu des instances où j’ai pu croire que les phéromones avaient un effet sur moi. Malgré tout, je ne sais pas si c’était réellement leur effet ou si ce n’était pas simplement l’odeur de la transpiration ou celle de la personne, parce que les deux sont dissociables et que j’ai de la difficulté à identifier laquelle des deux me faisait effet. Dans le passé, j’ai été en couple avec un homme, et on s’était entendu mutuellement pour ne pas porter de déodorant parce que les secrétions corporelles de l’un et de l’autre nous excitaient beaucoup. […] Il y a beaucoup de fétichismes et de pratiques sexuelles qui sont basés justement sur les odeurs corporelles, et même les odeurs déplaisantes comme celles des pieds. Dans des contextes sexuels parti -
Ces utilisateurs faisaient la promotion de produits contenant supposément des phéromones, et qui, conséquemment, devaient avoir l’effet d’augmenter le niveau d’attrait des individus les utilisant. Ceci étant dit, la vente d’huiles aphrodisiaques ou de parfums qui contiendraient des phéromones n’est pas régulée et n’a pas produit de résultats concluants quant à ses prétentions. Dr Morris mentionnait d’ailleurs au Délit le manque de preuves scientifiques appuyant la commercialisation des phéromones.
Selon Alexandre, « il est ridicule de capitaliser sur le mystère. La création de produits autour de ce genre de mystères scientifiques, en les vendant parce [que les phéromones, ndlr] auraient potentiellement un effet chez les humains qui en feraient usage, contribue à un schème dangereux et impertinent. » Il compare la commercialisation des phéromones à celle du CBD ou celle du safran, qui aurait potentiellement des bienfaits pour la digestion, ou encore à la distribution commerciale de remèdes homéopathiques, tous des produits qui sont vendus à la population sans réels fondements scientifiques. Il mentionne que bien que ces « remèdes miracles » réussissent parfois à provoquer des effets perceptibles pour le·la consommateur·rice, ils sont trop souvent le fruit de l’effet placebo. Il est donc tout naturel qu’on se questionne sur les implications de l’ignorance – ou de la crédulité – de certain·e·s quand il en vient aux pseudosciences et à leur mise en marché.
Mythe ou réalité scientifique?
Selon Dr Morris, « chez les humains, la plupart des études ont été concentrées sur le contenu de la sueur axillaire - principalement ce qui produit l’odeur lorsqu’on sue des aisselles -, les stéroïdes nommées 16-androstènes, le plus commun étant l’androstadienone, qui est hautement concentrée dans la sueur des hommes. Certaines études controversées ont suggéré que cette substance pouvait rehausser l’humeur et augmenter le désir sexuel. D’autres
maine des sciences et dans plusieurs de mes cours, notamment en endocrinologie, j’ai été amené à étudier les hormones et les phéromones des mammifères, de certains mollusques et des insectes. J’ai pu y voir à quel point les phéromones affectaient le comportement de ces derniers. Toutefois, comme je l’ai vu dans mes cours, les phéromones demeurent un mystère en ce qui a trait à leurs effets sur les êtres humains. On n’est pas définitif sur la production de phéromones chez les humains, ni sur
culiers, ces odeurs vont avoir une incidence sur le niveau d’excitation du partenaire ». La question persiste : les humains sont-ils réceptifs aux phéromones, ou n’ont-ils en réalité aucun effet sur les humains?
Un attrape-nigaud?
Récemment, les phéromones ont gagné en popularité sur des plateformes comme TikTok, où on vantait leurs mérites en ce qui a trait à l’attraction du sexe opposé.
En ce qui a trait à la question des phéromones et à leur ésotérisme, Alexandre a confié au Délit : « J’aimerais bien avoir une réponse définitive. En fait, je ne sais pas si je voudrais la connaître parce qu’il y a des mystères qu’on aime ne pas percer. Si on en venait à se positionner catégoriquement sur la question et qu’on jugeait que les phéromones n’existent pas, ça me décevrait un peu. » Comme Alexandre le souligne, il y a des questions qui gagnent à rester sans réponse, puisqu’elles peuvent ainsi garder leur magie. Sachant que l’étude des phéromones est encore récente, nous pouvons espérer qu’un jour, une réponse nous soit donnée concernant le fondement de leur existence chez les humains – ou un possible démenti des théories existantes proposant leur effet sur l’Humain. Pour l’instant, nous devron nous contenter de la magie des phéromones. x
« Dans le passé, j’ai été en couple avec un homme, et on s’était entendu mutuellement pour ne pas porter de déodorant parce que les secrétions corporelles de l’un et de l’autre nous excitaient beaucoup »alexandre gontier | LE Délit Jeanne marengère Éditrice Enquêtes Alexandre, étudiant en physiologie à McGill
au féminin
Philosophesse
and Revenge
Opinion : se réapproprier le cinéma.
Avertissement : Cet article traite des sujets du viol et des violences sexuelles.
Longues jambes dénudées, pistolets dans les porte-jarretelles, costumes de super-héroïnes moulants à en transpercer la peau, déhanchement sur la piste, le bouton de la chemise légèrement défait au bureau… Et puis, les gros plans, ceux qui nous font oublier que nous n’aimons pas tous·tes admirer
les collines féminines, ceux qui nous font nous délecter – quelle que soit notre orientation sexuelle – de l’esthétique divine du corps féminin. La caméra nous permet de vivre des milliers de vie, à travers les yeux et les oreilles d’étranger·ère·s venu·e·s d’autres temps, d’autres univers. Seulement, il semble que la plupart du temps, dans les sièges en velours des salles de cinéma, nous devenons tous·tes des hommes hétérosexuels, et les femmes deviennent l’objet ultime, celui qui n’existe que pour le plaisir des yeux. Le cinéma n’a longtemps offert de représentation qu’à ce regard masculin, pour qui, le sang des blessures des plus grandes guerrières n’existait que pour faire pointer leurs tétons sous leur robe blanche incommodante et ridicule. Ce regard a joué un rôle important dans la construction de la culture du viol et a contribué à l’instrumentalisation des corps féminins. Nous avons tous·te·s appris à regarder ces femmes, Catwoman, Loana, la fée clochette ou Lara Croft, avec désir et envie, oubliant qu’elles étaient supposées être plus que de vulgaires corps. Pendant des années, le sousgenre cinématographique du Rape and Revenge , souvent associé au cinéma d’horreur, allait au-delà, en érotisant l’une des plus grandes violences faites au corps : le viol. Ce sera le cas jusqu’à ce que l’histoire nous prouve que nous devons nous réapproprier nos représentations. Le regard féminin a su s’emparer de ce sous-genre pour le transform -
er en un fantasme jouissif de vengeance et de réparation sanglante. Pour les siècles de violences sexistes, mais surtout de sexualisation répugnante des personnages féminins au cinéma, le regard féminin aura réaligné la trajectoire de ce genre en se l’appropriant. La caméra, synonyme de pouvoir dans ce cas, permet de redessiner la femme, autrefois hypersexualisée dans l’oeil du public.
Viol et vengeance
Le sous-genre cinématographique du Rape and Revenge , souvent associé au cinéma d’exploitation, d’horreur ou encore au thriller , a longtemps reposé sur des codes profondément misogynes. Le scénario est fondé sur un ou plusieurs viols, suivi de la vengeance
fantasmes les plus fous. Dans L’Ange de la vengeance d’Abel Ferrara, sorti en 1981, l’héroïne nommée Thana devient tueuse à la chaîne après avoir subi plusieurs viols. Elle porte ses pistolets dans ses porte-jarretelles. Le cliché est si grotesque et misogyne, qu’on se demande comment Ferrara a pu filmer sérieusement cette représentation ridicule, presque caricaturée, d’une femme assoiffée de vengeance. Dans Irréversible de Gaspar Noé, la scène de viol est tout simplement insupportable, et la vengance, portée par Vincent Cassel, a les couleurs de la violence masculine et du duel chevaleresque vieuxjeu d’homme-à-homme. Les réalisateurs ne font pas vraiment le travail pointilleux de transcendance qui permet normalement à l’artiste de
rendre cette action attrayante, d’effacer la douleur qu’elle implique. Nous savons tous·tes que la violence n’a rien d’enviable. Pour ce qui est la violence sexuelle, c’est d’autant plus cruel car le sexe est censé être une source de plaisir. La douleur transperçante qui peut en découler n’est pas évidente pour tout le monde. Pour comprendre la gravité de cet acte, et en désérotisant cette violence, le cinéma peut contribuer à remanier les perceptions. Tandis que la justice reste stagnante à l’égard des viols au quotidien, le cinéma devient un outil pour crier cette rage légitime, née après des siècles passés sous la loi du silence.
Merci Thelma, merci Louise
moment, elles signent pour de bon son illégitimité. En 1991, le premier film de Rape and Revenge libérateur a vu le jour. Puisque la justice n’apporte jamais réparation aux victimes dans la plupart des cas, Thelma et Louise se sauvent ellesmêmes, et leur cavale leur offre la puissance dont le viol et la police tentent de les priver. Après le mouvement #MeToo né en 2007, d’autres films de rape and revenge arborant un regard féminin puissant voient le jour. Elle de Paul Verhoeven ou encore Revenge de Françoise Coralie Fargeat, plus gore, plus violent, plus en colère. Les personnages féminins y sont entiers, dans tout ce que vous pouvez aimer ou détester. Elles jouent des personnages à la construction complexe, qui peuvent nous fasciner autant que nous effrayer. La caméra leur offre un champ d’expression ultime, où les rêves de vengeance les plus intimes qui hantent nos cœurs voient le jour. Elles violentent, tuent, humilient, frappent et regardent. Tandis que la réalité ne peut justifier ces actions, c’est là que le cinéma comme arme culturelle prend tout son sens.
de la victime ou d’un·e de ses proches. Ce sous-genre parle de colère, une colère pour laquelle les femmes sont souvent stigmatisées. Il cherche à abattre les codes du genre pour offrir aux femmes des chemins d’expressions. Mais même sur ce terrain, les hommes sont parvenus à s’approprier ce genre pour le modeler à leur image, en lui donnant la forme de leurs
représenter avec justesse des expériences qu’il·elle n’a pas vécues. Ils abordent le viol d’un point de vue voyeur, la victime étant ainsi aliénée, doublement victime de nos regards. Lorsqu’un·e réalisateur·rice représente des violences sexuelles, il·elle a le devoir de se questionner. Tout le monde sait qu’un coup de poing fait mal; ainsi, il est impossible de
Thelma et Louise , réalisé par Ridley Scott et sorti en 1991, raconte la cavale de deux femmes, Thelma et Louise, fuyant la police, mais surtout, le patriarcat. L’intrigue commence tandis que Louise tue, d’un coup de revolver, un homme dans le stationnement d’une boîte de nuit, afin de sauver Thelma d’un viol. Le film est jouissif, et leur vengeance n’existe nullement pour le plaisir des hommes. Elle est sincère et libératrice : elles s’émancipent du patriarcat, pour personne d’autre qu’elles-même. Quand elles s’embrassent à la fin, on se doute que leur baiser est le symbole de leur détachement complet du regard masculin; elles existent pour elles, à deux. Quel que soit le regard de désir que les spectateurs auraient pu poser sur elles jusqu’à ce
Les films de Rape and revenge sont une vengeance sanglante et radicale contre les représentations niaises et humiliantes qui ont enfermé les femmes dans des personnages soumis et superficiels. Ces films ne justifient pas la vengeance : ils expriment une colère viscérale, incomprise, et trop souvent remise en question. Ils provoquent avec insolence la justice, qui croit trop peu souvent les victimes, qui les diminue et les abandonne. La violence masculine fut toujours honorée à travers l’histoire du cinéma. Avec le genre du Rape and Revenge , un regard féminin s’affirme et prépare le terrain pour de prochains films, plus libérateurs encore. De nouvelles histoires s’écrivent, une page se tourne, et la caméra change de camp. x
marie prince Éditrice Au Féminin
« Tandis que la justice stagne à l ’égard des viols au quotidien, le cinéma devient un outil pour crier cette rage légitime née après des siècles passés sous la loi du silence »
Marie prince | Le délit
« Ce regard a joué un rô le important dans la construction de la culture du viol »
« Les personnages féminins y sont entiers, dans tout ce que vous pouvez aimer ou détester »
Témoignages d’ étudiantes sur leur rapport au sexe à distance.
Tous les témoignages sont anonymes
J’ai pratiqué le sexe à distance pendant le confinement et pendant les vacances avec mon ex petitcopain avec qui j’ai été en relation plus d’un an. Pendant le confinement, on faisait des facetime où chacun se masturbait, tous les soirs pendant un mois et demi. Parfois, on se voyait la journée et on s’envoyait quand même des nudes le soir. Quand on a commencé les facetime sexuels, je n’avais jamais couché avec un garçon avant, et ça m’a permis de découvrir le plaisir masculin sans me mettre trop de pression, parce que je n’avais rien à faire. Cela m’a aussi permis de m’ouvrir plus facilement, de poser pleins de questions et d’aborder ma première fois beaucoup plus sereinement. J’étais plus à l’aise car le sexe à distance a décomplexé le sexe entre nous. Pendant les vacances, cela nous permettait aussi de préserver notre lien physique et sexuel.
Seulement, à un moment, cela a pris une place vraiment importante dans notre relation, et est un peu devenu une routine. Je me suis lassée, et j’avais plus de mal à dire non, car les choses s’étaient installées ainsi. Ça m’arrivait de le faire de façon expéditive, de simuler. Je trouve que le consentement est plus difficile à exprimer à distance car il est plus compliqué de faire ressentir les choses à la personne lorsqu’on a du mal à les verbaliser. Au final, c’est le plus gros problème avec le sexe à distance : tu ne peux pas autant comprendre les émotions et les sentiments d’une personne en vidéo que dans la vraie vie.
Avec mon ex-copain, on faisait des facetime sexuels et on échangeait des vidéos et des photos. J’ai plutôt une bonne relation avec ça parce que je n’ai jamais eu de mauvaises expériences, alors que je sais que c’est arrivé à beaucoup de personnes. Je trouve que le sexe à distance c’est une grosse étape. Tu dois avoir confiance en l’autre et être à l’aise avec ton corps. Le sexe avec mon ex occupait une grande part de notre relation, et de se voir ainsi à distance nous permettait de garder ce lien et ce désir entre nous, malgré la séparation physique. Quand tu es loin l’un de l’autre, je trouve que tu peux facilement tomber dans une routine, avec les appels et les messages ; pour moi, c’était un moyen de préserver la flamme. Cette expérience peut parfois être frustrante car il y a moins d’alchimie. C’est plus automatique, purement sexuel, et l’autre devient un peu « objectifié », sans ce côté affectif, les caresses et les câlins. À la longue, j’avais peur que cela devienne toxique, que l’autre devienne seulement un objet à travers l’écran, parce qu’il manquerait ce côté organique.
Je suis en relation à distance avec mon copain depuis plusieurs mois. Moi, je n’aime pas trop le sexe virtuel ; je trouve qu’il y a moins d’excitation et je trouve ça gênant quand cela se passe derrière un écran. On s’envoie des photos de temps en temps, mais rien de trop osé. Je lui ai dit dès le début que je n’avais pas envie de voir son pénis à l’écran, que ça ne me faisait rien du tout, et que ça me dégoûtait. Les vidéos ou les appels pour se chauffer, ce n’est pas du tout mon truc non plus. Parfois, on se chauffe par écrit, mais avec le décalage horaire, il va dormir, et moi je me retrouve là, en pleine journée ; je ne suis pas forcément à l’aise, je trouve ça « crade ». Le lendemain, je repense à ce que j’ai dit la veille, et je n’aime pas mes mots. Heureusement sur Snapchat, les messages se suppriment au bout de 24h…
Entre nous, le sexe à distance a été une source d’embrouilles. Lui, il veut vraiment qu’on trouve des moyens de le faire, alors que moi, pas du tout. Dans la vie réelle, on aime le sexe de façon plutôt égale. Mais nous sommes en relation à distance maintenant, et dans ce contexte, je peux vraiment m’en passer. Le virtuel ça ne m’excite pas. Les photos me rappellent qu’il est beau, mais cela ne va pas plus loin. Pour lui, les photos ont généralement l’effet inverse, alors il veut que l’on continue à se chauffer après. La plupart du temps, je ne veux pas, ça le frustre et il se braque. Il ne se rend parfois pas compte qu’il me met la pression. Si dans la vraie vie, je ne voulais pas coucher avec lui et qu’il me répondait « ah t’es relou », je le larguerais dans la minute, et ça, je lui ai expliqué. Quand on se retrouve, le sexe est vraiment bien, parce que la tension a eu le temps de monter. À distance, c’est plus compliqué.
Mon copain et moi sommes en relation à distance depuis deux ans maintenant. On se voit tous les quatre mois, en décembre et pendant l’été. Ce qui est particulier, c’est qu’on s’est mis ensemble juste avant que je parte au Canada. On n’a donc pas vraiment pu profiter de la période en début de relation où le sexe prend beaucoup de place. Cela a beaucoup influencé notre rapport au sexe, et la place que cela prenait dans notre relation. Le sexe, pour moi, c’est un mode de connexion. Alors, nous avons trouvé d’autres moyens d’avoir cette connexion, même à distance. On a commencé à s’envoyer des photos sexy, on s’écrit aussi. Ça peut partir de quelque chose d’anodin, et après on se chauffe. On a essayé une ou deux fois le sexe au téléphone, c’était marrant, mais je n’étais pas 100% à l’aise, donc je ne sais pas si je le ferai à nouveau. Il est vrai que j’ai l’impression d’avoir moins envie qu’au début parce qu’il n’est pas là, alors il y a moins de choses qui déclenchent mon envie.
Dans notre relation, ne pas avoir de relation sexuelle pendant de longues périodes de temps n’est pas un problème. Pour nous, le sexe c’est un bonus, et le fait d’être à distance nous a obligé à fonder notre relation sur une connexion intellectuelle et émotionnelle. J’ai pu voir s’il me faisait rire, s’il m’intéressait vraiment, si j’aimais nos discussions. À distance, tu n’as pas la possibilité de régler des conflits ou d’exprimer ton amour pour l’autre par le sexe. Nous n’avions pas ce moyen de nous connecter, alors nous avons appris à tout verbaliser. Nous avons développé des racines fortes parce qu’il y a aussi beaucoup d’amitié entre nous. Sur le long terme, cela a renforcé notre relation. x
Allô chéri, j’ ai envie de toi (ou pas)- Sara - Rita - Paola - Maelle
Pilule et libido : Pourquoi j’ ai dit stop
Opinion sur la pilule contraceptive et comment elle a gâché ma vie.
J’ai pris la pilule contraceptive pendant quatre années consécutives, de mes 15 ans à mes 19 ans. J’ai commencé à la prendre parce que j’avais un copain et que ma maman m’avait dit qu’il fallait que j’aille chez ma médecin pour me renseigner sur les moyens de contraception. Elle m’avait prescrit, avec une facilité qui paraissait rassurante à l’époque, la pilule Leeloo, que j’ai continué à prendre jusqu’à mes 18 ans. Elle m’avait parlé de potentiels effets secondaires, mais rien qui pouvait me décourager à découvrir ma vie sexuelle, avec ce que je percevais comme une liberté, loin des préservatifs. Ma maman me le disait, la pilule était une chance et les femmes s’étaient battues pour cela. Il fallait que je l’apprécie. Les choses se sont plutôt bien passées jusqu’à ce que je me sépare de mon premier copain, j’avais 17 ans. Pendant tout ce temps, je n’ai pas eu d’effets secondaires, mais j’ai vécu une petite dizaine de fois sur deux ans l’angoisse insoutenable de se croire enceinte. À 15 ans, je n’avais pas la maturité que nécessite la régularité avec laquelle il faut prendre la pilule. J’étais tête en l’air et emplie de choses à faire et à imaginer, ce qui menait à un nombre incalculable d’oublis de ma pilule. Je pensais pouvoir gérer cette anxiété, jusqu’à ce que les choses se gâtent… J’ai toujours aimé le sexe. Ma
relation à mon corps était apaisée avant d’arriver à l’université, et j’aimais entretenir des relations avec des hommes, régulièrement, avec confiance et plaisir. Quand je suis arrivée à l’université McGill, j’avais déjà quelques problèmes de libido qui se sont aggravés, mais que je prenais pour les conséquences de traumatismes ou d’une évolution naturelle. Je ne mouillais plus, et ma libido avait grandement diminué. J’avais souvent des sauts d’humeur, comme jamais auparavant. Ma médecin m’a prescrit une nouvelle pilule, cette fois sans œstrogènes, la principale hormone féminine, Optimizette, et tous les symptômes que je viens de vous citer se sont exacerbés. J’étais malheureuse, je n’avais plus aucun désir, mes émotions me jouaient des tours que je ne comprenais pas, et je me croyais malade. Puis, un jour, j’en ai parlé à une de mes meilleures amies à McGill, qui s’est retrouvée dans chacun de mes symptômes. J’ai commencé à en parler autour de moi et j’étais loin d’être seule. Une copine me racontait avoir vu une psychologue pendant un an à cause de sauts d’humeur écrasants, tandis qu’elle a retrouvé son fonctionnement émotionnel normal à la seconde où elle a arrêté la pilule. Mes copines me parlaient de cette « flemme » de faire l’amour depuis qu’elles prenaient la pilule, sentiment que je comprenais si bien. Cette flemme,
je la vivais dans ma chair. Ce n’était plus moi. J’aimais le sexe, j’avais envie de vivre avec fougue l’intensité de ma libido, parce
que j’aimais ça, parce que j’étais jeune, parce que j’aimais. Après quatre ans de vie commune avec la pilule contraceptive, je lui ai dit que c’était fini, un jeudi après-midi, en plein milieu d’une plaquette. J’avais choisi la date avec ma meilleure amie qui arrêtait en même temps que moi, pour nous donner du courage. J’ai gardé la plaquette dans mon portefeuille quelques jours, puis finalement, j’ai tout jeté.
quelque sorte d’hormones que ce soit dans mon corps. Elles étaient bannies de ma vie, pour toujours. C’était ma décision et personne ne pouvait me faire changer d’avis. Mon plaisir vaut autant que celui de mon partenaire, et à ce que je sache le préservatif n’arrête pas le désir. Il a compris, ne m’a jamais demandé quoi que ce soit ni même fait ressentir que ça le dérangeait. Avec la pilule contraceptive, je me suis sentie contrôlée, anesthésiée, on a tenté de m’adoucir, de me faire rentrer
commune avec la pilule contraceptive, je lui ai dit que cétait fini, un jeudi après-midi, en plein milieu d ’ une plaquette »
Cela fait maintenant plus d’un an que j’ai arrêté la pilule. Je crois que c’était une des décisions les plus courageuses de ma vie. L’une des décisions dont je suis le plus fière. Je me suis retrouvée, comme je m’étais laissée quand j’avais 15 ans. J’ai retrouvé mon corps, ses variations et ses changements au fil de mon cycle hormonal. J’ai retrouvé ma libido, le fonctionnement normal de mon vagin, mon cerveau et ma joie de vivre. J’ai dit à mon copain d’aujourd’hui que je ne mettrai plus jamais de ma vie
dans une case, alors que j’étais une jeune fille amoureuse du sexe, libre et affamée. Je ne veux plus sentir ce contrôle sur mon corps, et je voudrais que l’on parle plus de l’impact de la pilule sur la libido. Non, ce n’est pas un effet sans importance, ce n’est pas parce que nous sommes des femmes que nous n’avons pas le droit de profiter de tout ce que le sexe apporte. Je sais que certains effets de la pilule se poursuivent même longtemps après. Méfiez-vous de sa taille, elle est petite certes, mais cela ne la rend pas moins dangereuse. x
Mon expérience positive de la pilule
Toi, prends-tu la pilule? »
LA pilule, un comprimé tellement connu qu’on n’a même plus besoin d’y accoler un adjectif. Quand on possède un utérus, la question des anovulants s’impose. Cette question, que plusieurs doivent se poser parfois dès la puberté, divise les scientifiques et les médecins, tout comme elle divise notre entourage, qui considère souvent avoir son avis à donner. Permettezmoi donc d’y ajouter mon petit grain de sel positif, que le débat sur la pilule contraceptive gagnerait à prendre en compte.
La première fois qu’on ouvre une boîte de pilules contraceptives, on s’aperçoit qu’elle est essentiellement remplie par une immense feuille plutôt que par les comprimés eux-mêmes. On comprend donc qu’il y a beaucoup de contre-indications à prendre en compte quand on ingère des hormones chaque jour. Parmi les effets secondaires potentiels du médicament, il y a notamment des maux de tête, de l’irritabilité, des nausées et des menstruations irrégulières.
Les risques encourus varient aussi selon les hormones contenues dans les anovulants. Par exemple, les risques les plus dangereux,
Opinion : Les risques en valent parfois la chandelle.
comme les caillots sanguins, la crise cardiaque, l’hypertension et l’accident vasculaire cérébral, sont seulement causés par les anovulants contenant de l’œstrogène.
Parmi les personnes prenant ce type de médication, ce n’est qu’un faible pourcentage d’entre elles qui va réellement avoir de tels effets sur sa santé. Il est tout de même important de garder en tête que cette petite fraction, lorsque mise à grande échelle, se traduit par un grand nombre de personnes. Bien que ces problèmes de santé ne soient pas fréquents, ils peuvent être particulièrement graves, ce qu’il faut prendre en compte avant de commencer la médication. Pour une personne à la recherche d’un moyen de contraception qui n’impacte pas sa santé, tous ces risques peuvent faire pencher la balance vers un contraceptif différent.
D’un autre côté, de nombreuses
personnes prennent la pilule pour d’autres de ses bienfaits, au-delà de la promesse d’une absence de grossesse. Par exemple, pour les personnes qui ont des crampes menstruelles sévères chaque mois, prendre la pilule peut offrir des menstruations plus régulières et moins douloureuses, en plus de rendre leur flux plus léger. Les anovulants ont aussi la capacité de diminuer l’anémie et l’acné, de traiter l’endométriose et de réduire les risques de certains cancers. Ils permettent aussi, chez certaines personnes, de réduire le syndrome prémenstruel (SPM), dont les impacts sont affectifs, cognitifs et physiques, et qui touchent près de 70% des personnes possédant un utérus.
J’ai moi-même vécu avec un SPM très sévère qui a compliqué ma vie de mes 14 à 21 ans. Pour le traiter, j’ai essayé deux sortes d’anovulants, l’anneau contraceptif et des antidépresseurs, sans succès. J’ai finalement trouvé une troisième pilule, mieux adaptée à mon corps que les précédentes, qui a eu des effets incroyables sur mon bienêtre. Étonnamment, ce médicament a été drastiquement plus efficace que les antidépresseurs pour améliorer ma santé mentale, puisqu’il agissait directement sur mon problème, dont la source
était hormonale. Ce comprimé quotidien m’a été particulièrement bénéfique, et je pense que cela nécessite de nuancer le bilan
bien terne que plusieurs dressent à l’égard de ce médicament.
Après tout, on est menstrué·e presque le quart de notre vie adulte et cette proportion est la même pour le syndrome prémenstruel. Mon SPM nuisait suffisamment à ma qualité de vie pour que je décide de prendre la pilule : les risques qu’elle avait pour ma santé valaient la peine d’être
encourus si elle me permettait de mieux profiter de ce quart de ma vie où j’avais mon SPM, qui était autrefois assez pénible. Prendre ce médicament chaque soir me permet aujourd’hui de m’épanouir, et je ne suis pas la seule à voir la pilule sous ce jour positif. Si les anovulants améliorent la qualité de vie de plusieurs, que ce soit sur le plan physique, émotif ou cognitif, ils méritent que leurs bienfaits ne soient pas passés sous silence. x
Rose chedidsophie lachance
Contributrice
« Après quatre ans de vie
« J’ai finalement trouvé une troisième pilule (...) qui a eu des effets incroyables sur mon bien-être »
Les petits rats se rebellent
ÉditriceL’opéra Garnier est l’un des plus célèbres théâtres d’opéra au monde, situé dans le neuvième arrondissement de Paris. Construit à la fin du 19 e siècle, il est un symbole de la culture et de l’élégance de l’époque. Cependant, derrière la façade majestueuse de ce monument se cachait un monde de désirs et de passions qui étaient souvent considérés comme tabous à l’époque : la sexualité. Les danseuses étaient considérées comme des femmes à la morale douteuse, souvent
plutôt la représentation de ces dernières. Cette même classe critiquant l’exposition de Degas s’avère être la plus féroce consommatrice des faveurs sexuelles proposées à l’Opéra. La Petite Danseuse de Quatorze Ans est une sculpture en bronze créée par Edgar Degas en 1881 qui représente une jeune danseuse de l’Opéra de Paris vêtue d’un tutu en tulle, d’un corset et de chaussons de danse. La sculpture a suscité la controverse en raison de son réalisme brutal, de sa représentation crue de la danse et de la sexualisation supposée de la jeune fille. Exposée
Pauline Guillon intitulé Louise , dans lequel le spectateur suit la soirée d’une danseuse de l’Opéra à la fin du 19 e siècle. Après sa performance sur scène dans le ballet Gisèle , la collègue de Louise lui réclame la somme qu’elle lui doit depuis quelques semaines. À court, Louise décide de se fondre dans la masse de prostituées et de rejoindre ses mécènes et clients habituels pour rembourser sa dette. À cette époque, le salaire d’une danseuse classique n’est pas suffisant pour en vivre, les artistes dépendent donc du pourboire de leurs spectateurs, qui deviennent leurs clients.
Chorégraphie et modernité
personnages masculins. Quand elle tourne puis saute, la robe de Kitri vole pour dévoiler, en l’espace de quelques secondes, ses jambes nues écartées par des positions souples.
l’objet de désirs et d’attentions de la part de riches protecteurs. Les chanteuses étaient également soumises à des avances sexuelles de la part de leur public. Plus franchement, l’opéra Garnier était un bordel de luxe. Au cours d’une soirée, certains passaient de spectateurs à clients et d’autres de danseuses à prostituées. Avec le temps, le métier de danseuse classique s’est professionnalisé et la prostitution s’est vue davantage stigmatisée. Les chorégraphes ont essayé d’opérer une certaine révolution sexuelle dans ce corps de métier tout en respectant les règles de bienséance. Cet article compare trois époques afin de retracer l’évolution du rapport entre la sexualité et la danse classique.
Les premières danseuses de l’Opéra
À la fin du 19 e siècle, le peintre français Edgar Degas provoque un scandale à la suite de l’exposition d’une série de tableaux et de sculptures représentant des danseuses de l’Opéra. Il les montre dans l’intimité de leur travail : les vestiaires, les coulisses, l’étirement. Degas peint leurs dos dénudés et leurs jambes écartées, de quoi choquer la haute bourgeoisie parisienne. En réalité, ce qui choquait le plus, ce n’était pas tant les positions des danseuses, mais
pour la première fois à Paris en 1881, à l’occasion de la sixième exposition impressionniste, elle est vivement critiquée par Paul Mantz qui se questionne : « Pourquoi son front est-il, comme ses lèvres, marqué d’un caractère si profondément vicieux? »
En 2021, l’école d’art parisienne Les Gobelins produit un courtmétrage animé avec Constance Bertoux, Camille Bozec, et
Au début du 20 e siècle, la danse classique se veut à l’avantgarde de la représentation d’une sexualité féminine libérée. Alors qu’au 19 e siècle la mode est aux ballets romantiques narrant des histoires d’amour tragiques dansées par des femmes dont le tutu couvre l’intégralité des jambes, le 20 e voit l’essor de pièces allègres et provocatrices.
Composé en 1869 par Marius Petipa, le ballet Don Quichotte est joué pour la première fois en France en 1905 au théâtre du Châtelet. Ce ballet met en scène le personnage de Kitri, une jeune espagnole sensuelle qui fait rêver l’ensemble des
Le chorégraphe russe Rudolf Noureev opère la révolution sexuelle dans le monde de la danse classique. Après avoir demandé l’asile en 1961, Noureev reprend des ballets classiques pour les réinventer dans l’érotisme. Par exemple, dans sa version de Roméo et Juliette , représentée pour la première fois le 9 octobre 1977, le couple se touche, s’embrasse, s’émeut dans une passion sexuelle et tangible. En 2019, le réalisateur Ralph Fiennes compose le film Le Corbeau Blanc qui retrace la vie de Rudolf Noureev lors de son arrivée à Paris. Le prodige Noureev, interprété par Oleg Ivenko, est en tournée à Paris avec la compagnie du Kirov et devient fou de la liberté sexuelle qui habite les Parisiennes. Après être tombé dans la passion pour Clara Saint, interprétée par Adèle Exarchopoulos, Noureev prend la décision de quitter l’URSS pour demeurer à Paris,
ville d’où il tirera son inspiration pour toutes ces œuvres révolutionnaires. Le film de Fiennes montre l’importance des fréquentations sexuelles et amoureuses dans le processus de création : pour représenter et danser la passion, il faut la vivre à nu. Concilier sexualité et danse classique aujourd’hui
Le Délit s’est entretenu avec Hortense pour en savoir plus sur comment une danseuse concilie sexualité et danse classique. Hortense Pelletan est une danseuse de 19 ans,
qui en parallèle de ses études en sciences politiques, suit le cycle à orientation professionnelle au Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR) de Reims. Elle danse près de 15 heures par semaine.
Le Délit (LD) : Comment la danse classique a-t-elle impacté ton rapport au corps dans l’activité sexuelle, que ce soit la masturbation, la séduction ou la copulation? As-tu l’impression que le fait d’être une danseuse est en soi un atout dans le jeu de la séduction?
jade Lê i le délit
Une balade dans la représentation de la sexualité dans la danse classique.
« Pour représenter et danser la passion, il faut la vivre à nu »
Agathe Nolla
Culture
« L’opéra Garnier était un bordel de luxe : au cours d’une soirée, certains passaient de spectateurs à clients et d’autres de danseuses à prostituées »
Hortense Pelletan (HP) : Honnêtement, je pense que la danse a considérablement changé le rapport que j’ai vis-à-vis de mon corps. Depuis que je danse de manière intensive, soit depuis mes 13 ans environ, j’ai une très bonne connaissance de mon corps. Je connais les mouvements qui me procurent du plaisir et ceux qui, au contraire, sont plus inconfortables et moins naturels pour moi.
En ce qui concerne le rapport entre la danse et l’activité sexuelle, je pense que la danse classique m’a aidée à m’affirmer davantage dans des situations de drague. Je pense que mon corps arrive à retranscrire les sensations, les jeux et les aventures qui se produisent sur scène dans la séduction. Réciproquement, les expériences que j’ai connues dans la vie m’ont aidée dans ma danse car elles m’ont permis d’interpréter les rôles de manière plus juste et sincère. Je pense que la danse me donne confiance en moi de manière générale, ce qui me permet de me sentir plus belle au quotidien. De fait, je pense qu’elle influence de manière indirecte mon jeu de séduction car j’arrive mieux à m’affirmer depuis que je danse et je connais très bien mes forces et faiblesses corporelles, et donc je sais lesquelles mettre en avant dans une situation de
drague. Quand je dis que je suis danseuse classique, la personne en face trouve cela en général original et respectable, étant donné que peu de gens poursuivent la danse de manière aussi intensive en parallèle de leurs études traditionnelles. Je pense que les gens associent plus le classique à l’élégance et la grâce, soit des qualités associées au féminin et à la douceur, plutôt qu’au sexy et au sensuel. Je pense pas que l’on associe encore aujourd’hui la danse à l’activité sexuelle mais plutôt à la grâce et au raffinement.
LD : As-tu déjà eu l’impression d’interpréter des rôles sensuels ou des chorégraphies à caractère sexuel?
HP : Oui, j’ai déjà dû interpréter des rôles sensuels, notamment celui de Douniazad dans le ballet Schéhérazade de Michel Fokine ou encore dans le Casse-Noisette de Lev Ivanov avec la Danse Arabe. Je pense que ces rôles se font plus rares dans la danse classique par rapport à d’autres types de rôles issus de ballets du répertoire, qui mettent souvent en scène des jeunes filles innocentes, qui doivent faire face à un destin tragique et lugubre, comme celui de Gisèle. Le classicisme se base sur des normes telles que la bienséance et la vraisemblance. Dans le répertoire, on évite des rôles trop explicites, on reprend des his-
toires peu choquantes qui mettent davantage l’accent sur le romantisme que sur la passion sexuelle.
LD : Te sens-tu sensuelle quand tu danses en cours comme sur scène? Est-ce que tu trouves les costumes sexy? Si cette sensualité existe, comment l’exprimes-tu?
HP : Quand je danse, je me sens belle. Je pense que c’est vraiment le seul moment où je me sens entièrement bien dans ma peau car j’arrive à m’exprimer de manière sincère et passionnée, cela a un effet libérateur et transcendant sur
moi. Je ne sais pas si c’est toujours de la sensualité car cela dépend des rôles à interpréter, mais en tout cas, je pense que ma perception d’être belle se multiplie et se renforce sur scène. Pour les costumes, cela dépend encore une fois des
rôles et du type de ballet mis en scène ainsi que de la chorégraphie imposée. De manière générale, je pense que les costumes sont destinés à créer un tableau harmonieux et plaisant pour le spectateur. Cet ensemble, musique, danse et décors, crée le beau et se destine à toucher le spectateur autant que le danseur-interprète. Ce qui prime, ce n’est pas tant la sensualité, mais la beauté. J’espère continuer à grandir et à me transformer avec mon corps, que ce soit au CRR ou dans un autre cursus de danse à l’étranger. x
La vie sexuelle des trentenaires
Il n’y a pas de destin ni de fidélité, mais des corps qui s’attirent. Sans nul attachement et surtout sans pitié, on
de Sciences Po (Emilie, jouée par Lucie Zhang) à un professeur de français désabusé (Camille, soit Makita Samba), et une agente immobilière en
joue et on déchire ». Ce vers de Houellebecq, extrait d’un poème ironiquement intitulé Amour, Amour , serait le sous-titre parfait du film Les Olympiades de Jacques Audiard (2021) et pourrait offrir, à travers lui, la ligne de conduite sexuelle de toute une génération.
Dans ce film sorti en 2021, et passé relativement inaperçu en raison de la pandémie, le réalisateur français dépeint les égarements de quatre trentenaires qui se croisent, s’évitent et se rencontrent dans le 13 ème arrondissement de Paris, à la faveur d’une attirance tantôt professionnelle, amicale ou purement sexuelle. C’est un jeu de marivaudage moderne, très amusant, qui lie une diplômée
reprise d’étude (Nora, Noémie Merlant) à une cam-girl renommée (Amber, Jehnny Beth).
Entre les tours de béton et les esplanades vides du 13 ème , tous les personnages semblent mener une existence maussade dont la trajectoire se dessine malgré eux. Les horizons sont bouchés alors il n’y a pas d’autre espoir pour eux, d’autre plaisir, que celui de s’éclater au lit. Camille affirme fièrement vouloir « compenser sa frustration professionnelle par une activité sexuelle intense ».
Cependant, ce qui marque avant tout dans ce long-métrage, c’est l’image. Elle est sublime, sculptée dans un noir et blanc brillant, qui capte le regard et atté -
nue le sentiment de désespoir ; elle est tellement belle que l’on se remémore mieux le film par la perfection photographique de certains moments que par la progression de son intrigue. Pour ne citer que quelques-unes des plus fortes images (qui justifient à elles seules que vous vous jetiez sur le lien de visionnement situé à la fin de cet article), il y a : l’ouverture tendrement mélancolique (et infiniment comique) sur le quartier des Olympiades . La nuit, alors qu’Émilie chante en chinois, nue dans son canapé ; l’ébranlement de Nora, trentenaire, lors d’une soirée d’étudiants en deuxième année de droit où elle est confondue avec la cam-girl Amber Sweet ; les dialogues lunaires qui fondent
l’amitié de Nora et Amber Sweet sur internet ; Émilie et Camille allongés en surplomb du XIII ème ; les innombrables scènes d’amour ; et finalement cette course, cet envol prosaïque d’Émilie à travers le restaurant où elle travaille comme serveuse, juste après avoir fait l’amour avec un parfait inconnu.
Le portrait de cette génération au bord du désenchantement est merveilleusement rythmé par la musique de Rone, compositeur électro, et participe de la déconstruction narrative du long-métrage. Ses rythmes en crescendo, puis en decrescendo, ses tonalités languissantes ou stellaires, étirent, tranchent et digèrent le temps, comme s’il
devait se plier à la subjectivité du ressenti, celui du spectateur autant que celui des personnages. Sa musique embrasse et embrase le film ; elle lui donne une profondeur dont il pourrait manquer autrement.
Finalement, à quoi sert ce film ? Que peut nous apprendre la génération qui nous précède sur la façon de conduire une vie amoureuse et sexuelle épanouie? Audiard dépeint une population désenchantée, mais pas malheureuse, qui ne se résigne pas au seul plaisir physique. L’image de fin, Émilie qui affecte de ne pas entendre la déclaration d’amour que lui fait Camille à l’interphone, propose de dépasser le récit houellebecquien, la réalité misérable des désirs sexuels, sans pour autant revenir à une conception naïve et exclusivement romantique des relations amoureuses ; comme si l’acte sexuel n’était qu’un pont, un contentement éphémère, mais désormais nécessaire pour atteindre le bonheur à deux (ou plus).
Visionnage : Le film Les Olympiades de Jacques Audiard est accessible gratuitement pour tous les étudiants de McGill sur le site Kanopy (via le site de McGill Library) x
cinéma Plongée dans le désenchantement des Olympiades de Jacques Audiard.
Louis ponchon Éditeur Culture
« Ce qui prime, ce n’est pas tant la sensualité, mais la beauté »
Hortense Pelletan
« Audiard dépeint une population désenchantée, mais pas malheureuse, qui ne se résigne pas au seul plaisir physique »margaux thomas | le délit
Quelques contributions anonymes...
L’été dernier, j’avais décidé de rester quatre mois à Montréal et de ne pas rentrer chez mes parents. Mon bail s’était terminé fin avril. J’ai alors cherché un appartement à sous-louer sur des groupes Facebook. J’ai trouvé une chambre sympathique, lumineuse et peu chère dans le Nord du Plateau. Quelques semaines après mon installation temporaire, j’ai fouillé dans un des tiroirs de la table de nuit. J’y ai trouvé près de six godes et des outils de bondage. Je me suis fait un plaisir de les utiliser durant l’intégralité de mes quatre mois. Évidemment, je les ai bien nettoyés avant et après mon usage. J’ai laissé un petit mot de remerciement dans le tiroir en partant, avant de bloquer le locataire de mes contacts. J’ai toujours peur de le recroiser dans Montréal.
Quand j’avais 18 ans, ma classe avait organisé une soirée en plein air sur l’esplanade des Invalides. Après plusieurs verres de rosé, je me suis mise à discuter d’un groupe de rappeurs dont j’étais fan avec un ami, Bastien. Vers minuit, Bastien décide de m’embrasser puis de m’accompagner chez lui. Je suis un peu ivre, mais j’étais heureuse d’être dans ses bras. Quand nous sommes arrivées, je me suis déshabillée, puis il m’a embrassé tout le corps. Après avoir achevé ce minutieux exercice, il m’a demandé si je voulais faire l’amour, ce à quoi j’ai répondu franchement que j’avais mes règles. Il m’a dit qu’on pouvait s’attarder sur des préliminaires. Mon ivresse et mon honnêteté brutale se sont alliées pour créer une réplique assassine : « Je suis un peu bourrée, donc si je la mets dans ma bouche, je la mords. »
Historiquement, ma libido est assez faible. Le stress, mes hormones et mon passé sexuel contribuent ensemble à me donner relativement peu envie de sexe. Cependant, il arrive un peu trop souvent qu’une envie soudaine me vienne à des moments que certains jugeraient franchement inappropriés – et je l’accorde, ils le sont. Le plus récent exemple d’« envie inopportune de cul » s’est révélé être des funérailles. Le lieu saint, l’église, devant le cercueil de mon défunt grand-père (pas avec lui, je vous rassure). Si la messe des obsèques fut longue et très inintéressante, le goûter qui la suivit fut plus mouvementé. Merci donc à M., que je n’avais pas vu depuis mes neuf ans et que je ne reverrai jamais je l’espère, ainsi qu’aux spacieuses toilettes du salon funéraire.
L’année dernière, en discutant de pornographie avec des amis, je me suis rendu compte que je n’avais pas les mêmes habitudes que mes compères. Alors qu’on s’échangeait des conseils de sites pornographiques, j’ai réalisé que mes amis utilisaient presque uniquement des sites pornographiques qui proposaient des vidéos. Moi, je me masturbe avec literotica.com, un site qui propose des histoires sexuelles. Pas d’images, pas de son : une simple lecture.
Doux baisers sous ma poitrine
Tes mains agrippent fermement mes hanches
Je tremble à ton toucher
Mes ongles s’enfoncent dans ton dos
Nous sommes une sculpture de chair
Avec mes jambes
J’ouvre mon âme
Te laisse pénétrer mes espoirs, mes
peurs, mes rêves, mon esprit,
Tu gémis dans mon oreille et j’adore ça
J’aime nos corps qui se complètent
Nos lèvres qui s’assemblent
Je fonds sur toi comme une bou
gie qu’on a oublié d’éteindre
C’est toi
C’est moi
En cet instant le monde pourrait s’effondrer
Je remercierais les dieux de finir avec toi
Pour toujours, tes caresses
Dans ta chaleur
Impuissante sous ton emprise
Et pourtant plus puissante que jamais
On se réveille confus d’être deux car on ne faisait qu’un.
cœur qui bat mains qui suent je me mets dans la tête que dès qu’on sort du char C’est là que ça se passe
Ta main caresse ma cuisse
Le rouge monte trop vite cacher mes mains tremblantes
Tu ne sais pas que je n’y connais rien et que j’hésite encore
22 ans c’est pas vieux pourtant ça aurait pu se passer avant maintenant ça en vaut la peine je me le répète, saine et sauve
On peut baiser sans amour se lâcher après, ça se fait
Notre baiser s’éternise
Les boutons de ma chemise volent
Tu demandes si ça va si je veux toujours
Dire oui, enfin.
Concours de poésie
Terrée sous les draps je me protège du monde dans une barrière du son. C’est seulement dans ce lit que je sais redevenir enfant, ne pas grandir. L’oreiller me chuchote que la nuit absorbe ce qui m’est inconcevable. Je veux parler à la nuit l’enfant parle se dit-elle distraite et je serre contre moi ma vieille peluche du haut de la vingtaine rien n’a changé.
Je me demande pourquoi j’ai dérangé, trop fait savoir que j’étais là. J’ai fini par m’inculquer le renfermement, l’isolement, la sobriété, avant que tout cela ne soit à la mode. Je me demande comment faire pour recommencer à crier. Je cherche toujours par où m’y prendre pour exister.
Je m’invente formellement. Je me catégorise, me dresse en listes une identité fixée. Je décide que le rouge est ma couleur préférée. Je cherche une fin immobile dans laquelle m’encarcaner. Sinon je ne sais pas comment faire. Je peux être qui je veux. Sinon la nuance est mon fardeau, et plus rien n’est noir ni blanc. Sinon il faut penser à l’existence flexible au changement constant. À l’identité mutable. L’évolution donne le vertige, où va tout ce que je perds de moi à chaque instant?
Je m’égare dans un labyrinthe de repères qui ne tiennent pas la route. Inventée dans le ciment, je n’ai réussi qu’à me faire mentir. J’ai oublié qui j’étais.
On oublie trop souvent qu’on a un jour été enfant. Car on se croit heureux de l’abandonner, cet enfant, exactement au moment où on le perd. On le délaisse quelque part sous la douillette, avec l’ourson rabougri qui a déjà eu un visage, qui a déjà parlé lui aussi. Et un jour à vingt ans on se demande pourquoi on est déjà en retailles et pourquoi ce deuil en nous d’une personne que l’on a été alors que l’on n’est encore personne. Et quelque chose ici, une pièce détachée, murmure ; ne m’oublie pas. Grandir c’est consentir au mutisme. Je retourne aux draps pour guérir.
Juliette
Lapointe-Roy
Les enfants n’ont pas de maison ils doivent toujours marcher comme des cerveaux qui se vident en procession ils coulent dans des jouets mâchouillés et tout le reste.
Pour ne pas se perdre ils ont les mains attachées aux voisines attachées deux par deux et ils marchent.
Régulièrement on les accusent aléatoirement toi tu as les mains sales toi tu vas te laver les mains.
Ils sont sales malgré eux habillés malgrés eux parlés et ils sont décidés.
Il faut marcher il faut dire ce qu’on fait il faut retrouver le bouchon avant que ça ne sèche et ne pas gaspiller ses larmes.
Avec quatre pattes cherche un bouchon.
En défilant ils brandissent des mains pleines de poux. On les photographie et on leur ment. Jamais ils ne verront les photographies.
Qui m’a raturé mes doigts? Personne c’est moi. Je les mords jusqu’à me rappeler que ma bave est la plus sale. Maintenant mes mains sont recouvertes comme dans un projet qui sent la gouache. J’encre à l’envers, à partir de mes bouts, je joue. J’appuie avec ma main sur la surface d’une table parfaitement lisse. Chacun de mes doigts a éclaté comme une fontaine à dix jets. Je me lève et comme un enfant qui passe. Je demande où mes stylos peuvent trouver refuge. On me pointe le sol, et je recommence à chercher.
Quand je me repose ici le drap est trop léger sur mon corps maintenant grand et je me rappelle l’enfant fragile la tête enfouie. Même quand la cachette est mon seul lieu et que mon petit cœur fait l’équilibriste entre les couvertures, je n’ai plus besoin d’être l’autre chose de moi. Le drap est assez lourd pour me protéger, assez lourd pour que je m’endorme.
J’ai vu des personnes se refermer subitement lorsqu’on a exposé leur grotte à la vue de tous·tes. Leurs bras se sont croisés sur leur ventre et leur visage est devenu sévère. Une personne en qui elles avaient eu confiance avait guidé des inconnu·e·s jusqu’à leur lieu de recueillement ou de solitude. Un chemin avait été tracé jusqu’à leur grotte, et elles ne pouvaient désormais plus être tranquilles : les visiteurs pourraient y revenir sans invitation. Elles n’ont ensuite participé aux conversations que lorsqu’on les a interpellées, et un tranchant est apparu dans leur voix. Elles ont perdu leur ton familier et ont transformé des mots qui habituellement ouvrent en des mots qui ferment (des mots qu’on utilise pour créer une distance). Elles ont acquiescé en disant « effectivement », mais la sécheresse dans leur voix laissait bien savoir à leur auditoire que ce marqueur de relation ne serait suivi d’aucune explication.
Bien que certaines personnes laissent paraître leur paysage interne comme une vaste plaine sans refuge, je sais que tout le monde a une grotte et qu’on choisit judicieusement les personnes qu’on y accueille ainsi que la durée de leur séjour. Les invitations sont toujours à renouveler et rares sont les personnes qui y possèdent un accès privilégié. x
Le Délit présente les lauréats du concours d’écriture du Collectif de Poésie francophone sur le thème du « Refuge ».
Peut-être bien que nous serions encore tous dans un monde merveilleux si Ève et Adam n’avaient pas consommé le fameux fruit défendu du jardin d’Éden. Après avoir soulagé leurs chaleurs insoutenables, le couple fondateur se couvre les parties génitales avec des feuilles de vigne. Et voici que depuis la Genèse, nous bouffons, nous buvons et nous baisons. La langue française compte de nombreuses expressions idiomatiques gastronomiques qui servent de métaphores aux sujets tabous ou interdits. Ce besoin de codifier des termes sexuels ou des insultes vient d’abord de la régulation des institutions comme l’État, l’Académie ou l’Église, ce que Michel Foucault appelle une « mise en discours » quasi officielle. De là s’opère un phénomène d’épuration du vocabulaire qui mène non seulement à des restrictions, mais aussi à des codifications comme l’apparition de nombreux idiotismes ou d’autres métaphores.
théâtre
Alors que certains idiotismes gastronomiques n’ont aucune connotation sexuelle, comme le remplacement du mot « putain » par « purée », beaucoup d’entre eux jouent sur la taille, la forme ou l’emploi de certains aliments pour euphémiser des situations sexuelles. Par exemple, l’expression « tremper son biscuit », qui fait référence à la pénétration, est une métaphore ou euphémisme assez évident. Le pénis se substitue au biscuit, venant de leur forme similaire dans certains
en bouche
cas, qui est trempé dans la tasse de lait matinale, représentant l’éjaculation dans le sexe de la femme.
Cette codification a lieu notamment entre des locuteurs où le rapport social n’autorise pas d’aborder certains sujets. Les idiotismes gastronomiques se créent soit par une similarité visuelle, soit par les liens entre les rapports sociaux du couple et l’équilibre de pouvoir des ustensiles, aliments ou animaux. Pour illustrer, les
aubergines ou les asperges se rapprochent visiblement du sexe masculin, tout comme les bonbons qui, historiquement sphériques, s’apparentent à des testicules. L’utilisation de lexique de charcuterie peut désigner le pénis ou la pénétration (saucisse, lard, os à moelle, Weenie ou meat en anglais) contre celui du coquillage ou animal à coquille pour indiquer celui de la femme (con, schnecke, moule) est une claire projection du rapport de forces prédatrices-proies.
Ainsi, l’homme et son pénis sont souvent représentés par des animaux forts, grands, larges et dangereux, alors que le vagin féminin est plutôt associé à des petits animaux, impuissants et sans défense. Le lien entre l’alimentaire et le sexuel se fait presque inconsciemment, d’abord puisqu’il mime
»
la relation hétéronormée entre l’homme et la femme en construisant un rapport similaire entre le mangeur et le mangé, mais aussi à travers une série de points communs. En plus d’être deux domaines qui touchent à l’intime, l’instinct de survie mêle également nourriture et copulation : l’un pour survivre dans l’immédiat et l’autre pour faire perdurer notre espèce. Les idiotismes gastronomiques ne servent pas uniquement à « protéger » les jeunes des sujets sexuels. Ils contribuent également à faire de la sexualité un sujet tabou. L’emploi de ces euphémismes hétérénormés sont le symptôme d’une société pudique et sexiste, toujours prête à réprimer n’importe quelle expression de libération sexuelle. x
Comme une vraie histoire d’amour
Jusqu’en février dernier se jouait au Théâtre du Nouveau Monde une adaptation théâtrale de la correspondance entretenue entre l’écrivain Albert Camus et l’actrice Maria Casarès tout au long de leur relation. Le titre de cette invraisemblable épopée émotionnelle, Je t’écris au milieu d’un bel orage, est tiré d’une lettre de Camus et englobe à lui seul les deux éléments fondamentaux de leur histoire : l’écriture et les contraintes.
Ce n’étaient pas des lettres à vocation publique. À la mort de Camus, dans un accident de voiture au tout début de l’année 1960, René Char prit possession de leur correspondance. Puis elle fut transmise à Catherine Camus – fille de l’écrivain et de son épouse légitime, Francine Faure – qui décida, en 2017, de la publier chez Gallimard. Le grand public découvrit alors le lien brûlant qui unissait deux grandes figures de la vie artistique et intellectuelle française des années 1940-1950. Avec Steve Gagnon en Albert Camus et Anne Dorval en Maria Casarès,
la pièce mise en scène par Maxime Carbonneau a sans doute offert le meilleur spectacle de la saison théâtrale qui s’achève : c’est un bijou taillé dans l’émotion pure, éclatant de tendresse et d’érotisme, travaillé sous la chaleur ardente du désir et dans le feu de l’écriture.
Ayant passé les premières années de tumulte amoureux, d’incertitude sur la nature, la durée de leur relation, et l’irascibilité que cette incertitude engendre inévitablement, les amants s’installent dans une dépendance saine, un lien qui va en se renforçant. Soudain, les échanges s’apaisent, les lettres s’allongent et les confidences gagnent en sincérité. On voit surgir sur scène ce que l’on avait cru un temps ne jamais pouvoir exister : une véritable histoire d’amour. Une histoire d’amour… le terme semble galvaudé, il cache un lien si fort que des mots peinent à l’expliquer et que pour le comprendre, il faut en avoir été témoin, comme ce soir de février au balcon du TNM. Camus et Casarès se rencontrent vers la fin de la guerre, en 1944, à Paris. Lui est un écrivain en devenir, déjà marié, et elle une comédienne
reconnue. Ils s’éloignent puis se retrouvent par hasard en 1948, toujours dans la même ville, où commence alors une longue relation amoureuse et épistolaire. Il reste 865 lettres dans toutes celles qu’ils se sont échangées ; elles constituent au deux-tiers les textes du spectacle, le reste provenant d’entrevues, d’œuvres publiées, d’articles de presse et même une partie du discours de Camus à la réception du Nobel en 1957.
La mise en scène met très justement l’accent sur l’équité entre les deux amants, qui écrivent aussi bien l’un que l’autre, traduisent aussi bien la fièvre de leurs sentiments : on suit les événements de leur vie et l’évolution de leur carrière sans que jamais l’un prenne le dessus sur l’autre. La pièce ne raconte pas leur intimité d’un point de vue historique, et n’essaie pas non plus de reconstruire
une vie quotidienne fictive, dont personne ne peut témoigner, mais en prenant la voie des mots, en gardant cette distance qui était une constante de leur amour, et son meilleur écrin. « Lorsque j’essaie d’imaginer notre avenir, j’étouffe presque de bonheur et une immense crainte me serre le cœur, ne pouvant croire à tant de joie dans ce monde. » écrit Maria Casarès. Albert répond : « Moi, je n’ai jamais été aussi démuni, aussi désarmé. Je t’embrasse, mais avec ces larmes que je ne peux pas verser et qui m’étouffent. »
Dans la dernière heure du spectacle, le tempo de leur histoire s’accélère. On fonce à toute vitesse vers ce matin de janvier 1960 où Camus disparaît le long d’une route de campagne. Symboliquement, le lit où les corps des amants s’unissaient, et qui trônait au milieu de l’im-
mense scène, s’abîme dans un puits sans fond. Maria Casarès reste seule, triste, furieuse, anéantie ; elle hurle de douleur en espagnol, sa langue maternelle, pour offrir une sublime déclaration d’amour posthume. Puis quelques années plus tard, bien après la mort de Camus, dans une confession de journaliste, elle lâche cette petite phrase qui clôt le spectacle et inonde de larmes les derniers yeux restés secs : « Quand on a aimé quelqu’un, on n’est plus jamais seule. »x
L’art de cacher la honte sexuelle dans le vocabulaire gastronomique.
« Le lien entre l’alimentaire et le sexuel se fait presque inconsciemment, (...) en construisant un rapport similaire entre le mangeur et le mangé
Retour sur le plus beau spectacle de la saison théâtrale 2022-2023.
« Je t’embrasse, mais avec ces larmes que je ne peux pas verser et qui m’étouffent »
louis ponchon Éditeur Culture
Commémorer les soulèvement étudiants de 2012
Entrevue avec le coréalisateur de 2012/Dans le coeur.
agathe Nolla Éditrice CultureÀl’affiche depuis le 31 mars dernier, le documentaire 2012/Dans le cœur retrace les événements majeurs des grèves étudiantes contre le Plan Nord, initiative minière dans des territoires autochtones, proposée par le gouvernement de Jean Charest. Les images offrent un tableau cru des violences policières et des propagandes médiatiques déployées pour minimiser et faire taire les revendications de milliers d’étudiants québécois. Le Délit a rencontré l’un des coréalisateurs du film, Arnaud Valade, afin qu’il réponde à nos questions quant au processus de création de cette œuvre commémorative.
Le Délit (LD) : En guise d’introduction, pouvez-vous me dire comment vous avez vécu les grèves étudiantes de 2012?
Arnaud Valade (AV) : En 2012, j’avais 16 ans, j’étais en secondaire 5. Mon frère, Maxence, et ma sœur étaient déjà très impliqués dans l’organisation des luttes étudiantes depuis 2011. Quand la grève s’est généralisée dans les milieux universitaires, il y a eu un appel dans les écoles secondaires pour également se mettre en grève. C’était illégal de le faire. On s’est réunis, puis on a organisé un petit mouvement de grève sauvage dans les écoles secondaires. À ma première manifestation, j’ai fait l’expérience de la répression, de la violence policière. Comme beaucoup de monde le disait à l’époque, on est tous devenus anarchistes en trois semaines.
LD : Comment est né le projet du film?
AV : C’est un projet qui a un embryon depuis 2015. Rodrigue Jean, le coréalisateur, voulait filmer un essai cinématographique sur ce qu’il s’est passé à Victoriaville, en mai 2012. Mais il y a eu beaucoup de réticence dans le financement de cette idée, alors, pendant un moment, on l’a mise de côté, jusqu’en début de l’année 2021, où Rodrigue et moi, on avait envie de reprendre le projet, pour commémorer les 10 ans. Pour nous, l’important c’était de marquer la mémoire de ce mouvement du côté des gens qui s’organisaient à l’époque, du côté militant. Le but du film n’était pas nécessairement d’avoir un regard nostalgique vers le passé, mais plutôt d’actualiser le mouvement et de continuer l’écriture de l’histoire de luttes et mouvement sociaux du Québec. Notre but était de montrer comment - malgré la très grande
diversité du groupe, nous étions majoritairement des étudiants blancs et privilégiés - faisions l’expérience de la violence policière pour la première fois et étions désignés comme ennemis du pouvoir.
LD : Le film est composé d’une série de vidéos prises par les différents acteurs de la grève de 2012 : des vidéos télévisées par RadioCanada, des vidéos prises par les hommes politiques québécois, et les nombreuses vidéos des étudiants grévistes. Quel a été votre processus pour faire de toutes ces images un collage cinématographique?
AV: On avait grappillé à droite et à gauche toutes les images des gens qui étaient présents pendant les rassemblements majeurs, au Palais des Congrès en mars, et à Victoriaville en mai, pour écrire un film qui allait démentir les communiqués qui avaient été faits par la police et relayés par les médias. Il y avait déjà un petit bassin de vidéos connues sur les réseaux, et à partir de celles-là, on a essayé de contacter les personnes qui avaient filmé, ou qui avaient été filmées, pour leur demander si elles n’avaient pas davantage d’images. On se demandait « C’est qui cette personne? Est-ce qu’elle existe encore? Est-ce qu’elle a encore ces images? » On a écrit à des dizaines et des dizaines de personnes pour avoir de l’info. Finalement, on a retrouvé les gens et leurs images.
LD : Avec la voix narrative de Safia Nolin, la musique est un fil conducteur dans le déroulement du film. Pouvez-vous me parler davantage de la création de cette musique et de son rôle dans le film?
AV : C’est un bon ami à moi qui s’appelle Jacob Desjardins, qui a composé la musique. On avait une sensibilité commune, car lui aussi a été très investi dans la grève de 2012 : il était très touché par notre projet et les images. Il utilise des synthétiseurs modulaires pour modifier les ondes sonores. C’est un travail d’artisan de jouer avec la matière première des ondes acoustiques. Il a composé pendant toute la durée du montage, en parallèle avec la réalisation du film. Nous, ce qu’on voulait, c’était quelque chose d’ambivalent, qui viendrait appuyer et accompagner les images, sans trop les connoter.
LD : Quel est l’effet espéré de votre film sur le public?
AV : Le film s’adresse à la jeunesse d’aujourd’hui, qui n’a pas vécu cette grève : je veux lui montrer ce dont les étudiants étaient capables à l’époque en s’organisant en groupes révolutionnaires. Mais il s’adresse également aux gens qui l’ont vécue de près ou loin en 2012, pour remercier ceux qui y ont participé et ceux qui ont été blessés émotionnellement, économiquement et physiquement par cet engage-
ment social. Il y a des personnes qui traînent encore ça sur le dos, des blessés dont on n’a jamais parlé, qui portent encore de graves blessures aujourd’hui. Pour nous, ce film est une garantie que la mémoire de ces gens-là n’est pas perdue, parce que ce sont eux qui ont porté à bout de bras le mouvement. Le film est à leur honneur. x
« Le but du film n’était pas d’avoir un regard nostalgique vers le passé, mais de continuer l’écriture de l’histoire de luttes »