Anecdotiques

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Anecdotiques / Guillaume Apollinaire

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Apollinaire, Guillaume (1880-1918). Anecdotiques / Guillaume Apollinaire. 1926. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter utilisationcommerciale@bnf.fr.


DEBUT D'UNE SERIE DE DOCUMENTS

EN COULEUR



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FIN D'UNE SERIE DE DOCUMENTS EN COULEUR


ANECDOTIQUES


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STOCK PARIS Rue du Vieux .,•' ^Colom

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE

SUR PAPIER MADAGASCAR CINQ EXEMPLAIR ES, NUMÉROTÉS DE 1 A V, PLUS TROIS EXEMPLAIRES HORS COMMERCE MARQUÉS DE.'A A C SUR PAPIER DE RIVES CINQUANTE EXEMPLAIRES, NUMÉROTÉS DE VI A LV, PI,US DIX EXEMPLAIRES HORS COMMERCEMARQUÉS DE D A M ET SUR PAPIER SATINÉ D'ALFA OUÏHENINCHALANDRE 556 EXEMPLAIRES,NUMÉROTÉS-DE

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Tous

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550, CONSTITUANT L'ÉDITION ORIGINALE.

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traduction et de reproduction réservées pour tous pays. Copyright 1926, by Librairie Stock, Delamatn et Boutelleau.


Avril 1911.

J'aüne les hommes, non pour ce qui les unit, mais pour ce qui les divise, et des cœurs; je veux surtout connaitre ce qui les ronge.

Depuis ma premièrde rencontre avec Jules Romains, et tandis que s'accumulaient les raisons littéraires qui auraient pu nous éloigner l'un de l'autre, la sympathie. naquit qui nous rapprochait. Elle vient, m'a-t-on dit, du fait que nous sommes, de la même date. C'est le jour le plus romanesque de l'année, d'où, sans doute ce pseudonyme de Romains, tandis que, moi-même, je suis. Jules Romains n'a point d'yeux et ses paupières s'ouvrent à peine sur deux cavernes de glace. Au demeurant, son visage est animé et une barbiche dissimule la volonté que marque le menton. L'aspect et l'attitude sont celles d'un secrétaire de syndicat socaliste. I,a littérature se faisant à l'électricité, n'en doutez pas, Romains serait le Pataud de ces électriciens-là. Et si, dans un appel, il menace la Bourgeoisie du Théâtre en vers, c'est avec le ton d'un syndicaliste qui proclame la lutte de classes. Jules Romains est, des hommes que je connais, celui qui pâlit le plus facilement. Un jour, tandis qu'il Hsait article où l'on faisait des réserves sur la Vi&'Unanime je Là brutalité lui plaît et aussi certaines formes puériles de là singularité. A ces propos, son Manuel

un


DEBUT DE PAGINATION


de Déi fication a la valeur d'une confession. L'auteur de l'Armée dans la-ville aime arracher les groupes à leur torpeur, il veut violenter le public, mais son inspiration subit des assauts analogues. Un soir que nous étions avec quelques amis, Romains s'en alla vers 10 heures, disant « J'ai une pièce de vers à faire demain matin, il faudra que je me lève à 4 heures. »

Le prince-régent de Bavière vient de fêter son 90e anniversaire de naissance. J'ai eu l'occasion de voir ce tuteur de deux rois fous. Il a l'air d'un maître à danser du xviiie siècle. Petit, il trépigne et il semble que ce soit en mesure. Il était, une fois où je le vis, en costume de l'ordre de Saint-Georges et coiffé d'une toque empanachée. Les chevaliers l'entouraient et formaient la seule mascarade sérieuse qu'il m'ait été donné d'observer. J'assistai, debout, au banquet qui suivit. Les convives gardaient le silence. Le prince Luitpold faisait encore remuer ses pieds en mesure sous la table et son visage spirituel portait les signes d'une gaîté pleine d'insouciance. Cependant, au fond de la salle, les servantes affairées s'arrêtaient souvent pour avaler, tête renversée, un pot de bière, et, de trois minutes en trois minutes, les hérauts lançaient un appel de trompette, comme pour annoncer la venue d'un des rois fous, qui ne paraissait point.

Pendant une des manifestations d'antisémitisme qui eurent lieu dernièrement, sur la place du Théâtre-Français, je me trouvais un moment au coin de la rue de Rohan, auprès d'un Monsieur dont l'origine israélite ne pouvait faire de doute. Devant nous, se tenait un vieillard qui, par ses gestes et ses cris, montrait combien il approuvait les manifestants. Il se retourna par hasard et, aper-


cevant mon voisin, se livra à un manège qui me parut le plus bizarre du monde. D'un pan de son pardessus, il simula une figure qu'il me. dit ensuite être une tête d'âne et la montra avec insistance au monsieur juif qui, gêné ,d'être là, se retira discrètement au bout de quelques minutes. Voyant qu'il s'en allait, le vieillard se mit à rire bruyamment et m'adressa la parole en ces termes « Il est parti il est parti Quand j'en vois un, je lui montre toujours la tête d'âne, c'est le vieux geste de l'antisémitisme français. En 1850, les écoliers le faisaient encore à leurs camarades juifs. Je ne l'ai jamais oublié. Au collège, nous simulions des têtes d'âne avec nos tabliers noirs maintenant je me sers de mon pardessus. Et je suis le seul à me souvenir de ce signe la tête d'âne. Il doit être très ancien, et, si je n'en comprends plus le sens, j'en ai souvent constaté l'efficace. La tête d'âne les fait fuir. Elle leur rappelle apparemment des souvenirs déshonorants, oui, je crois, déshonorants, et ils partent, ils s'enfuient à son aspect. »

La nouvelle mode pour les écrivains, c'est d'être très écrit volonpeu les auteurs de leurs livres. Ainsi, M. tiers d'après un canevas que lui apporte son éditeur. Il ne reste à l'éminent critique qu'à amplifier. C'est en cela qu'il excelle. Je connais un éditeur qui vient d'apporter un plan à l'illustre amplificateur. « I,e jeune auteur du canevas, m'a-t-il dit, attend avec curiosité l'issue de cette collan'attendra pas longtemps. Il faut à M. deux jours pour écrire un livre, il en faut quinze pour qu'on l'imprime. Dans vingt jours, mon jeune homme lira cet ouvrage qu'il a conçu et n'a point écrit. » C'est le commencement de la division du travail, en littérature.

F.

Il

F.


Nous sommes dans la saison des Salons. Il convient donc de parler des artistes. Et, avant tout, pour ne pas mêler les genres, regardons travailler quelques peintres. Les sculpteurs Rodin, qui ressemble au Père Eternel, Elie Nadelmann, qui travaille couronné de roses, le singulier Manolo qui commença par sculpter des mottes de beurre, Aristide Maillol, qui n'aime rien tant que varier ses travaux artistiques et qui présentement fabrique du papier, auront leur tour. Zuloaga et Emile Bernard s'entendent parfois pour tirer en même temps le portrait du même personnage. Ainsi firent-ils pour le portrait de M. Elémir Bourges. Ainsi font-ils maintenant pour le portrait de Paul Fort» Zuloaga travaille avec enthousiasme, les couleurs l'enivrent, il essuie avec volupté, contre sa blouse ses mains salies. Il recule pour mieux examiner son modèle, penche la tête et cligne d'un oeil. L'Allemand Franz Stuck, auquel il ressemble, ne travaille pas autrement. Rousseau, le Douanier, mort l'année dernière, quand il peignait un sujet fantastique, s'épouvantait de ses propres imaginations est, tremblant, il était obligé d'ouvrir la fenêtreLorsqu'il tirait le portrait de quelqu'un, il était plus. calme. Il prenait avant tout les mesures de son modèle et les inscrivait fort exactement sur sa toile, les réduisant à la dimension du châssis*. Pendant ce temps, pour se récréer, le Douanier chantait des chansons de l'époque où il était employé de l'octroi: le Vin de Suresnes ou Aïe aïe 1 aïe 1 que j'ai mal aux dents, ou la Puce, ou encore Moi, je n'aim' pas les grands journaux

Qui parl'nt de politique. Qu'est-c'que ça m'fait qu'les Esquimaux Aient ravagé l'Afrique ?


C'qui m'faut à moi, c'est l'P'tit Journal, La Gazett', la Croix d'ma mère Tant plus qu'y a d'noyés dans l'canal, Tant plus qu'ça fait mon affaire.

Et il s'arrêtait, parfois, pour prendre un peu de café.

Paul Signac, quand il travaille dans son atelier, a besoin que le parquet y soit ciré comme dans une salle de danser Il veut que tout y soit bien rangé et cela se montre assez dans sa peinture où les couleurs ne se mêlent pas, où chaque point est à sa place. Kees Van Dongen, peintre des danseuses de MusicHall, artiste violent, qui aime la Révolution sociale, les fards et la lumière électrique, entretient dans son atelier une propreté à ravir un habitant de Broek in Waterland, qui passe pour l'endroit le plus propre du monde. Au demeurant, Van Dongen est Hollandais et les Bataves, comme on le sait, ont la manie du nettoyage et de l'ordre. Au contraire, Picasso, qui est Espagnol, cultive avec délices le désordre de son atelier où l'on voit pêle-mêle des idoles océaniennes et africaines, des pièces anatomiques, des instruments de musique, des fruits, des flacons et beaucoup de poussière. Le peintre y travaille lentement, pieds nus, en fumant une pipe de terre. Autrefois, il travaillait la nuit. Le docte Henri Matisse peint avec gravité et solennellement comme si des centaines de Russes et de Berlinois le regardaient. Il travaille un quart d'heure à une toile et passe à une autre. Si quelqu'un se trouve dans son atelier, il l'endoctrine et cite Nietzsche et Claudel, mentionnant encore Duccio, Cézanne et les Néo-Zélandais. Le dessinateur Rouveyre observe son modèle. Sans interrompre la conversation, il trace tout à coup quelques traits de crayons sur un petit carnet et s'excuse de ne point montrer ce qu'il vient de dessiner. Ce dessin, il le reprend à loisir, dix et vingt fois, s'efforçant de bannir toute ressemblance entre le portrait et le modèle et n'y réussissant pas toujours. Les portraits les moins ressem-


blants lui coûtent le plus de peine. Il met parfois plus d'une année à les achever. Et lorsqu'ils lui paraissent bien éloignés de la réalité, voilà notre dessinateur content. I,a cruauté de cette méthode a donné quelques portraits surprenants qui, loin de la réalité, s'approchent singulièrement de la vérité. Marie I^aurencin peint pendant de longues heures sans s'arrêter et les fenêtres toujours fermées. Elle n'admet dans son atelier que sa chatte Poussiquette et chante l'Ermite, la Romance, C'est à Cherbourg que la jeunesse brille, ou encore Biron avait un' ceintur' d'or Qui lui coûtait quinze mill'livres. A son page, il l'avait donnée, Mais ses parents lui ont ôtée.

Albert Marquet peint sous le coup d'un enthousiasme silencieux et cherche d'instinct les lignes et couleurs les plus simples, les plus rares. Il faut que tout soit simple autour de lui, simple. Il aime les chambres sans meubles, les murs blanchis à la chaux. Et que dire de la main de Renoir Gourde, malade, elle crée encore des merveilles.

Paris-Journal ne s'intéresse à rien tant qu'aux cimetères. Il ne se passe guère de jour où cette feuille ne convie ses lecteurs à visiter quelque tombeau célèbre. C'est tantôt celui de Verlaine, tantôt celui de Carrière. Dernièrement, le rendez-vous était fixé devant la tombe de Moréas. Ce grand poète fut incinéré, mais ses cendres ne gisent point dans une case murale du columbarium. Elles reposent dans une tombe bien simple et digne d'un poète qui connut tant d'amertume. Une grille déjà rouillée en marque les limites. Point de croix pour désigner la dalle aux prières des chrétiens et, sur une planchette de sapin, on ne lit que


le nom du poète Jean Moréas. Une seule couronne bien mystérieuse révèle le douloureux secret des Stances. Un ruban porte les noms de Pierye. et Madeleine.

Les inventeurs de Boronali avaient juré de mystifier cette année la Société des Artistes Français. On avait loué un tableau authentique de M. Ingres. A là gouache, on eût changé la signature contre celle de Durand ou Dupont. On avait lieu d'espérer que le jury refuserait cette toile de maître. Alors, quelle joie sur la butte Mais il paraît qu'on a renoncé à cette farce et ce n'est pas à moi de décider si l'on a eu tort ou raison.

Chanteclerf a été l'occasion pour les poètes français de Teprendre un genre délaissé l'épigramme. Pour ma part, je connais un jeune poète Normand ^qui n'a pas composé moins de quarante-quatre épigrammes où la Muse de M. Rostand est fort maltraitée. I,e Rivoli de M. Fauchois a aussi inspiré des épigrammes. en voici deux qui sont bien tournées. L'une a été in-

sérée dans

l'Intransigeant

7

Après Beethoven, Amen

Après Rivoli,

-Au lit

La seconde, parce qu'il n'y a plus de ruelles, court les

brasseries

Le grand Napoléon, le jour de Rivoli, Avait fait, par ma foi, une belle trouvaille, Inutile vraiment puisque partout on lit Qu'à l'Odéon Fauchois a perdu la bataille.

e


Le théâtre mondain va connaître de beaux jours.. M. Alfred Mortier doit monter, sur une grande scène, une Revue littéraire dont l'auteur est M. André Salmon. On s'y amusera aux. dépens des poètes, des romanciers, des peintres et des musiciens. Il y aura la scène de M. Jules Romains, celle de Mle Marguerite Audoux, on se retrouvera au banquet Paul Fort avec un menu ridicule canard à la Roinard, Macaroni aîné, etc. MM. Euglène Montfort et Guillaume Apollinaire réclameront avec insistance leur banquet. Enfin, l'on rira.

Mai 1911. Henri Rousseau fut surnommé le Douanier parce qu'il avait été employé de l'octroi et qu'en effet douanier peut être considéré comme le terme noble qui désigne cette qualité. Le Douanier avait été découvert par Alfred Jarry, dont il avait beaucoup connu le père. Mais, pour dire le vrai, je crois que la simplicité du bonhomme avait beaucoup plus séduit Jarry que les qualités du peintre. Celui qui le premier encouragea les essais du primitif de Plaisance fut incontestablement M. Rémy de Gourmont. Il le rencontrait parfois à certains carrefours de la Rive Gauche où le vieux Roussèau jouait, sur le violon, des mélodies de sa composition et faisait chanter aux petites ouvrières l'air en vogue. La musique nourrissait la peinture, et si le violon d'Ingres a passé en proverbe, sans le violon du Douanier, nous n'aurions point ces dé-' corations étranges qui sont l'unique chose que l'exotisme américain ait fournie aux arts plastiques. C'est qu'en effet Rousseau avait été à l'Amérique,. ayant servi pendant la guerre du Mexique. M.


Quand on l'interrogeait sur cette époque de sa vie, ilne paraissait se souvenir que des fruits qu'il avait vus là-bas et que les soldats n'avaient pas le droit de manger. Mais ses yeux gardaient d'autres souvenirs les forêts tropicales, les singes et les fleurs bizarres. Lès guerres ont tenu une place importante dans la vie du Douanier. En 1870, la présence d'esprit du sergent Rousseau épargna à je ne sais plus quelle ville les horreurs de la guerre civile. Il aimait à détailler les circonstances de ce haut fait et sa vieille voix avait des inflexions singulièrement orgueilleuses quand il en venait à dire que le peuple et l'armée l'avaient acclamé en criant « Vive le sergent Rousseau » Ceux qui ont connu Rousseau se souviennent du goût qu'il marquait pour les fantômes. Il en avait rencontré partout et l'un d'eux l'avait tourmenté pendant plus d'une année, au temps où il était à l'octroi. I,e brave Rousseau était-il en faction, son revenant familier se tenait à dix pas de lui, le narguant, lui faisant des pieds de nez, lâchant des vents puants qui donnaient la nausée au factionnaire. A plusieurs reprises, Rousseau essaya de l'abattre à coups de fusil mais un fantôme ne peut plus mourir. Et s'il essayait de le saisir, le revenant s'abîmait dans le sol et reparaissait à une autre place. Rousseau affirmait encore que Catulle Mendès avait été un grand nécromant « Il vint me chercher un jour à mon atelier, disait-il,. et m'amena dans une maison de la rue Saint-Jacques, où, au troisième étage, se trouvait un moribond dont l'âme flottait dans la chambre sous la forme d'un ver transparent et lumineux. » Il est bien possible qu'après tout Rousseau attigeât la cabane et que l'histoire n'eût rien d'authentique, mais il la racontait telle que je la rapporte et ses récits de révenants étaient innombrables. Rousseau n'était pas seulement peintre et musicien


il était encore auteur. Et il a laissé des fragments de Mémoires, des drames et des Poèmes. Celui qu'il écrivit pour son cadre du Rêve mérite d'être conservé

Yadwigha dans un beau rêve S'étant endormie doucement Entendait les sons d'une musette Dont jouait un charmeur bien pensant. Pendant que la lune reflète Sur les fleurs les arbres verdoyants, Les fauves serpents prêtent l'oreille Aux airs gais de l'instrument.

On n'aurait pas de peine à retrouver dans ses papiers de gentils morceaux aussi bien tournés. A la suite d'une affaire compliquée de chèque et qu'il n'avait pas très bien comprise, Rousseau fut une fois condamné par la Cour d'assises. On lui appliqua cependant la loi Bérenger. Et il avait été plus imprudent que criminel, ayant été roulé par un Saden élève à lui auquel il avait donné des leçons de clarinette. Quand il apprit qu'il bénéficiait de la loi de sursis, le Douanier ne se tint pas de joie et dit poliment « Mon Président je vous remercie, et, si vous voulez, je ferai le portrait de votre dame. » Cette affaire ne laissa point de gâter ses vieux jours. Il avait aimé toute sa vie, d'abord une Polonaise et ensuite ses deux femmes, dont il a laissé les simples et gracieuses effigies. A 64 ans, il s'amouracha d'une personne de 54 ans, qui lui demanda le mariage. Il alla chez les parents solliciter la main de leur demoiselle. Mais ceux-ci ne voulurent rien entendre, disant qu'il avait été condamné et qu'il était un peintre ridicule. Voilà le pauvre Douanier désolé. Il alla chez ses amis solliciter des certificats de talent et d'honnêteté. C'est tout attendri que je lui en rédigeai

un.


Son luurchand de tableaux, M. Vollard, lui en écrivit un autre sur papier timbré. Mais rien n'y fit. Et je pense aussi que la demoiselle ne l'aimait point. Il lui acheta un jour pour cinq mille francs de bijoux et elle ne vint

même pas à son enterrement. Rousseau, depuis qu'il s'était adonné à la peinture, vivait misérablement et laborieusement. Il faisait beaucoup de tableaux de famille pour les petits commerçants du quartier de Plaisance, où il habitait. Et on commence déjà à rechercher ces portraits. Cependant, pendant les usinières années de sa vie, les étrangers s'étaient mis à lui acheter de la peinture. M. Vollard lui en commanda et le Douanier connut une petite aisance, mais pendant fort peu de temps, l'amour l'ayant rendu magnifique et l'obligeant à dépenser tout ce qu'il avait mis de côté. M. Rousseau aimait à donnner des soirées où il invitait des gens de lettres, quelques peintres, de belles étrangères et les demoiselles de son quartier. Ses élèves donnaient un petit concert, on récitait des vers, Rousseau chantait gaîment les chansonnettes de sa jeunesse, et après avoir bu un verre de vin, l'on s'en allait tout content d'avoir passé quelques heures en compagnie d'un brave homme. Iae Douanier fut une des illustrations de la Société des Artistes Indépendants, où la jeunesse artistique a tenu à l'honorer en organisant pieusement une exposition rétrospective de ses oeuvres. Devant ces toiles on a prononcé les noms de Taddeo Gaddi, de Cézanne, de Poussin, on a mentionné les primitifs siennois, pisans et hollandais. on n'a pu obtenir de M. Georges Courteline qu'il prêtât les toiles de Rousseau, qu'il avait achetées pour mettre dans sa fameuse collection de peintures grotesques. M. Courteline ne sait plus où donner%de la tête. Il ne peut se faire à l'idée que Rousseau puisse passer maintenant pour un Maître. On dit qu'il a l'intention de léguer ses tableaux du Douanier au musée dul,ouvre.


La Journée. de Paul Verlaine fut moins tumultueuse qu'on avait pensé. Il n'y eut point de monôme sur Ie boul'Mich, il n'y eut point de cabale à l'Odéon, et l'on avait annoncé ces manifestations. Le matin, au Luxembourg, un dessinateur, qui fait profession d'avoir été l'ami de Verlaine, obtint du succès en déclarant à qui voulait l'entendre qu'il s'était marié la veille, ne voulant point, du moment que son poète allait être célébré officiellement, demeurer dans une situation irrégulière. A l'Odéon, pendant les entr'actes, on commenta un factum assez plat d'idées et de style, où je ne sais quels barbares étaient honnis au bénéfice de quelques poètes tels que MM. Fernand Gregh, Charles Morice, Fernand Divoire, etc. Les peintres nouveaux que l'on a voulu appeler les cubistes étaient fort maltraités. Ils se fâchèrent, et comme le factum qui provoquait leur colère n'était pas signé et ne portait même pas une indication d'imprimeur, les suppositions allèrent leur train. Tour à tour, on incrimina MM. Morice, Jules Romains, Levaillant, Veyssié et quelques autres, d'avoir rédigé la mystérieuse proclamation. Au café qui fait le coin de la place de l'Odéon et de la rue Corneille, il n'y avait que des littérateurs et leur opinion était que le factum avait pour auteurs les cubistes eux-mêmes, désireux de créer de l'agitation autour de leurs œuvres. Cependant, ceux-ci continuaient à accuser M. Charles Morice, et, pendant que l'on banquetait, ils l'empêchèrent de parler, criant « il est ressuscité », faisant circuler parmi les convives des épigrammes, des caricatures destinées à le ridiculiser. Le vacarme reprit de plus belle, lorsqu'on se fut rendu


à la Closerie des Lilas, où M. Combes, cafetier des peintres et des poètes, leur offrit du Champagne en l'honneur de Paul Verlaine. Pour apaiser tout le monde, Paul Fort demanda à Saint-Pol-Roux de relire son discours qu'on n'avait pas entendu au banquet. Et après que quelqu'un eût proposé qu'à I,a Closerie, pour honorer un poète qui défendit toujours courageusement son Art, le lion de Belfort s'appelât désormais le lion de Paul Fort, on se sépara. il faisait jour.

On a dignement célébré la mémoire de Verlaine. II serait injuste de ne pas parler de Jean Moréas, qui aurait. pris

tant de plaisir à cette fête.

Moréas ne pensait qu'à la poésie et, comme il était très heureusement doué, il ne dédaignait pas de la mettre très souvent au service de son esprit. Nous avons ainsi, de lui, un certain nombre d'impromptus enjoués qui sont parfois de fines satires, parfois des madrigaux charmants. I,es Impromptus de Jean Moréas, conservés par la. tradition orale, méritent d'être fixés d'une manière plus. durable. J'en ai recueilli quelques-uns, qu'il répétait volontiers. SUR GABY

Portia, Titania, Perdita, Rosalinde, Passent quand vous riez, Gaby, petite dinde. SUR MADAME

D. R. KS.

Anna, sur sa cavale écumante et fleurie, Passe dans l'air glacé comme une Walkyrie.

Sur

MAURICE

Cremnitz

,s,

Chantons Harmodius et ce Cremnitz encore, Cremnitz semblable au feu, jeune et brillante aurore.


SUR JEANNE G..

H. T.

Ensemble et tour à tour Ophélie et Nérine, C'est Jeannette G., h. honneur de la marine.

t.,

SUR MARIE, LAURENCIN

Qu'elle rie, Et Marie Laurencin, L'or enceint Dans ses belles Prunelles. EMTAPHE DE CHARLES DOURY

Pleurez, Barmaids, il a cessé de boire Charles Doury, le grand honneur de Loire. SUR LE CITOYEN

Rappoport

Qui donc est cestuy-ci ? C'est R.appoport l'ancien, Bélitre d'athéiste et Carpocratien. SUR BARAGNON

Baragnon, amant trop tendre, A des ramages si doux, Que même, au bord du Méandre, Un cygne en serait jaloux. SUR LE MEME

Baragnon, dégouttant d'épaisse soupe aux choux, Médite d'effacer la gloire de Berchoux. À UNE TRAGÉDIENNE

Madame, vous avez l'oeil clair comme un beau ciel, La gorge faite au tour, un nez substantiel Malgré la lèvre mince et la bouche mignonne, Mais vous avez le col d'une fière lionne. SUR MAURICE MAINDRON

Est-il quelque fiére Clorinde Qui n'ait pas gémi sous ses lois ? Djibouti, le Vachette et l'Inde Tour à tour ont vu ses exploits.


SUR TROIS PERSONNES

Toulet, tel le hadji qui compte ses grains d'ambre, Maindron, le casque en tête et Laufer, fier sicambre. A LA FILLE D'UNE TRAGÉDIENNE

Puisqu'il nous faut quitter l'espoir, Charmante Jeanne, de te voir Mêler en tes cheveux la feuille Que ta mère cueille, Qu'au moins la lyre chante un jour Pour toi l'hyménée et l'amour. SUR UNE DAME DONT L'AMANT N'ÉTAIT PAS BEAU

Sans dégoût, sans désirs, la valeureuse Alice Descend avec B. dans l'amoureuse iice.. SUR UNE DAME TRÈS PALE

Vous nous faites songer, admirable Clorinde, Au lapin, au rat blanc et même au cochon d'Inde. SUR RICCIOTTO

Canudo

L'infini dans les yeux, et plein de gravité, Ricciotto Canudo boit l'Asti Spumanté. SUR ROBERT FORT

Robert, qui de Vénus a l'âme tout emplie, Donne un nouvel essor à la mélancolie. SUR ANTOINE ALBALAT

*

Qu'entends-je ? C'est Gaubert qui crie à perdre haleine Morne plaine 1. » « Albalat Albàlat! Albalat SUR ERNEST LA JEUNESSE

Bois le Cinzano de Turin, 0. La Jeunesse purpurin

Moréas improvisa bien d'autres épigrammes, et certaines d'entre elles que l'on a publiées, il eût/préféfê qu'on les oubliât, parce que la forme n'y est point parfaite, comme dans celle-ci

j

*'S


SUR ERNEST GAUBERT

Le bruit s'est répandu, imprécis, indirect, Que le nommé Gaubert se nourrissait d'insectes.

D'autres fois il ne faisait qu'un vers. SUR MANOLO

De don Caramuel Manolo suit la trace.

Une fois, il commença ainsi d'une voix

forte

Gregh. Et l'on crut qu'il allait improviser une épigramme, mais ce n'était pas son dessein, car après quelques instants il ajouta Fernand

Alcanter de Brahm.

avec la même emphase qu'il affectait pour déclamer ce nom magnifique Pedro Calderon de la Barca.

Juillet 1911. •

Dernièrement, Eugène Montfort et moi nousvisitions des appartements. Rue Clauzel, il y avait un atelier à louer, et la concierge nous dit qu'il- était au

cintième. En sortant, Montfort me dit « Si un écrivain mettait aujourdhui ce mot de cintième, même dans la bouche d'un concierge, on se moquerait de lui, et sa réputation d'observateur serait bien compromise. Pour ma part, ne pensais pas qu'on trouvât encore cette faute ailleurs que dans les plus vulgaires romans-feilletons ».. Le même jour, un petit livre publié en 1810 et intitulé le Mauvais Langage Corrigé, par Etienne Mbîard, insti-

je


tuteur, m'étant tombé entre les mains, j'y retrouvai la faute qui nous paraissait insolite « Cintième. Dites cinquième ». Et je découvris qu'après cent ans les Français font les mêmes fautes en' parlant, et comme, en fait de langues, l'usage est un grand maître, on est foxcé d'admettre que dans la plupart des cas la faute est la véritable façon de s'exprimer. En 1810, il était de mode de réagir, contre l'orthographe de Voltaire et les décisions du grammairien Urbain Domergue étaient sans appel. Cet académicien, aujourd'hui complètement oublié, venait de mourir et l'on élut à son fauteuil le poète Saint-Ange, dont personne ne se souvient. Détail piquant Saint-Ange avait été une des victimes de Domergue qui s'était donné la peine de relever dans ses vers des fautes contre la grammaire. Saint-Ange égaya fort l'assemblée, lorsque, le 5 septembre 1810, dans son discours de réception, il raconta qu'un jour M. Domergue avait confié à Beauzée que Voltaire ignorait la

grammaire

Vous me faites plaisir de m'en avertir, répondit Beauzée, cela prouve qu'on peut s'en passer ». Urbain Domergue était un grammairien du genre gai et à propos du mot pétiller, il se faisait fort de prouver que l'accent aigu était une faute, pétiller étant « le fréquentatif d'un mot qu'on devine, mais qu'on n'ose pas «

dire ».

Une autre fois, il décida si l'on devait dire entre quatre z'yeux ou entre quatre yeux. Ce trait plaisant est rapporté

par l'instituteur Molard « Cette question fut l'occasion d'un pari entre deux négociants de kyon. L'un soutint qu'il n'était pas permis de dire entre quatre z'yeux. L'autre prétendit que le Dictiônnaire de l'Académie autorisait cette liaison, pour la douceur du son on ouvrit le dictionnaire dont il invoSl quait l'àutorité, et il eut gain de cause, puisqu'on trouva a justification dans un vocabulaire français. Le vaincu


voulut prendre sa revanche aux dépens de quelqu'autre il répétait sans cesse cette locution, en faisant une liaison vicieuse; elle fut relevée le vaincu renouvela le par? et prit le parti opposé à celui qu'il avait défendu, bie^ persuadé qu'il ne pouvait perdre deux fois, en soutenant deux propositions entièrement contradictoires mais son adversaire usa de prudence car, sans recourir à l'autorité d'un dictionnaire, il s'adressa à M. Urbain Domergue, qui décida que quatre n'étant pas terminé par un s, on ne pouvait dire « entre quatre z'yeux» qu'à la vérité on ne prononçait pas toujours toutes les lettres, mais qu'on ne faisait jamais entendre celles qui n'étaient pas écrites. Il donna -rnême le désaveu de l'auteur du dictionnaire prétendu dé l'Académie, ou plutôt l'aveu de son erreur, et le négociant fut condamné pour avoir dit oui, comme pour avoir dit non. » Il est des gens que la malchance poursuit jusque dans les petites choses. Ce commerçant-là a dû faire faillite et finir aux galères.

Revenions au Mauvais Langage Corrigé. Oh voit au mot abandonnement qu'on ne doit pas dire il a fait l'abandon de ses biens à ses enfants, n l'abandonne-

ment.

L',abandonnement est un acte, l'abandon est un étât. passif ». 1/usage donne aujourd'hui au mot abandon un sens actif. « Affairé. Il est très-affairé. Quoique cette expression soit généralement répandue, elle n'en est -pas moins vicieuse dites il est très occupé a. Après un siècle, Affairé est plein de vie, il court de bouche en bouche et se montre dans les colonnes de journaux, voire dans les livres. « Arquebuse. Eau d'arquebuse dites, eau d'arquehvr sade. » Mais voilà une faute sur laquelle on ne reviendra «

pas.


A propos d'un mal des paupières appelé, aujourd'hui comme en- 1810, orgelet, M. Molard observe que « l'academie dit orgueilleux, singulier masculin. Il a un orgueilleux à l'œil qui l'incommode beaucoup. » C'est l'or-gueil qui a perdu ce mot-là. Arrière- grand^père, pour dire bisaïeul. Cette ex« pression n'est pas française, et forme un contre-sens. Le mot arrière signifie qui vient après, et le bisaïeul est venu avant. » Toutefois, arrière-grand-père, dans le langage est plus fréquemment employé que bisaïeul et comme on l'entend, il importe peu <§u'il forme un contre-sens. Bichonner, se bichonner, se parer, cette expression « n'est pas française dites s'adoniser, il aime à » Ma foi, je pense que s'adoniser est encore moins français que se bichonner, s'adoniser est un de ces mots qu'on ne voit guère que dans les dictionnaires et même en 1810. « Bisquer. S'emporter fortement, s'impatienter. Ce mot n'est pas français c'est un terme d'écolier dites, pester,. verbe. » entendez-vous des écoliers dire pester ? Tu pestes, tu rages, Tu manges du fromage.

Blet. Un fruit blet, une poire blette, c'est-à-dire tropmûre. Ce mot manque à notre langue, ou plutôt il était autrefois en usage on l'a supprimé sans le remplacer. I,'académie,_ au mot poire, dit poire molle. » On dit fort bien, aujourd'hui, une poire blette, ce qui prouve que les vieux mots peuvent être rajeunis lorsqu'ils sont nécessaires. « Bouffer. Manger avec excès. Ce mot n'est pas français. C'est une expression d'écolier dites, ballrer, dont on a fait baffreur. » Bouffer est toujours une expression d'écolier. dites étourdi, extravagant». « Braque. C'est un braque on dit encore familièrement d'un étourdi il est un peu «

braque.' «

Caf

fard. Insecte hideux, qui se tient ordinairement


dans la farine et qui s'en nourrit dites,'blate s. f. » Aujourd'hui, les deux mots se valent. « Cartable. Dites, grand porte-feuille. » Les écoliers préfèrent toujours cartable à grand porte-feuille. « Calville. Sorte de pomme. Ne dites pas une bonne calville, mais dites un bon calville, ce nom est masculin. » On dit une calville en sous-entendant pomme. A cet égard, rien n'a changé depuis 1810. Chacun. Ne dites pas chacun avait sa chacune, mais chacun avait la sienne. » Que de chansons contemporaines il faudrait réformer si l'on adoptait cette correction « Cible. Tirer à la cible. Dites, tirer au but, s. m. » Comme la physionomie de la fête de Neuilly serait modifiée, si l'on n'y tirait plus à la cible « De. Il s'en est fallu de rien que je partisse. Dites, il s'en est rien fallu. » nn dit encore souvent il s'en est fallu de rien. « Débarras. Lieu où l'on serre beaucoup de choses dites décharge, s. f. » On dit toujours un cabinet de débarras. dites délier, v. act. » « Déficeler. Oter les ficelles L'usage autorise déficeler. « Dé f ie à. Je défie votre ami de courir aussi vite que » Aujourd'hui, défier quelmoi il faut dire, je défie qu'un est une expression couvrante. je suis dégrisé. Cette expres« Dégriser, Détromper sion n'est pas française dites, j'en suis bien revenu. » Le langage familier se sert toujours de dégriser. j'ai vu une mère de famille « Demoiselle. Ne dites pas qui se promenait avec ses demoiselles, dites avec ses filles. Un 1910, la fruitière demande encore à la crémière « Comment va votre demoiselle ? » « Démoraliser. Détruire les mœurs. Ce mot n'était pas connu avant la révolution et quoiqu'il soit fort usité, il ne fera jamais partie de la langue française, parce qu'il est hors des règles de l'analogie. » Moraliser signifie faire là morale à quelqu'un. » Démoraliser, faire perdre la force morale, estaussi usité qu'en 1810. cc

à.


Embarras. Faire son embarras. Expression populaire qui n'est pas française dites faire l'important. )} La concierge en parlant de la locataire du cintième dit « Elle fait des embarras. » escaliers. Il faut « Escaliers. Monter et descendre les dit bien monter dire monter et descendre les degrés et descendre l'escaliey. » Ce sont de ces distinctions que le peuple n'approuve point et il en use à son gré. « Eviter. Je vous en éviterai la peine. Cette façon de parler qui est devenue universelle, est tout à fait vicieuse on n'évite pas la peine à quelqu'un. Le mot éviter veut dire f uir on évite quelqu'un, mais non pas à quelqu'un on ne dira donc pas, je vous éviterai la peine mais on dira, je vous épargnerai la peine. » On emploie cependant cette façon de parler, qui est devenue univer«

on

selle.

Fièvres. Cet homme a les fièvres, on n'a pas plusieurs fièvres à la fois dites la fcèvre. » Qui ne connaît des gens qui ont été aux colonies et qui ont les fièvres dites au « Fin fond. Il l'envoie au f in f ond de l'enfer f ond de l'enfer. » On le dit encore et on l'écrit. « Finir. Il faut en finir. Dites il faut finir ou terminer cette affaire, cette chose. Les puristes même ne voudraient pas renoncer à cette expression. « Fourchu. Pied fourchu. Dites, pied fourché. » Dans les légendes on voit encore le diable avec un pied fourchu et non fourché. dites, mets ou « Fricot. Ce qu'on mange avec du pain ragoût. » Le peuple se sert encore de fricot. « Fût. Un tonneau on doit faire sentir le comme dans fat, sot. » L'usage est de ne le faire sentir que dans fat. dites, « Gentil, Gentille. Cet écolier est bien gextil laborieux, diligent. Gentil veut dire joli, délicat. » L'usage' a conservé au mot gentil le sens d'obéissant, de diligent. dites jaillir. y>rGictvr « Gicler. Faire gicler de l'eau s'emploie toujours. Cravir une montagne. Ce verbe n'est pas transitif «

t


dites, (gravir sm unemoritagne. »rMais ondit gravir une montagne. Grippe. prendre quelqu'un -en grippe, 'pour dire se prévenir défavorablement et sans raison dites, reprendre de g rippe contre quelqu'un w». OL,a 'locution correcte serait mal comprise' en to.ii « Heureux fiante qu'on peut facilement iremplaeer, en disant heureux autant qu'on peut l'être. •» 'L'expression absurde et insignifiante est 'toujours usitée. « Joli coeur. iH fait 'le -joli coeur dites, dameret, fan faron. » Ma foi, joli cœur ^entend encore et dameret est expression française. comme un cœur et fait encore partie du langage populaire féminin. <«jLait de poule. Sorte de ^otrillonffâit avec un jaune d'œuf/iflutaitet dusucre; dite?,, brouét ou chaudeau. i> Si j'étais enrhuméije demanderais vc&'làit depouleet laissequi le goûte. niâàitre de -dame. Dites, maître à 'danser. »'On dit «

joli Éormne >un 1

cœur n'est pas-une

mmitre:de' danse. «

Majeure. Tierce majeure1, 'dites • tierce- major ;'expres-

Méchant comme la gale dites, comme lagfëfa. 1 On' dit toujours* méchant comme la -gale. un « Peu. Un «

:dites, parasite. -'On dit bien -piquer »,On,ne dit ne dit plus piquer 'l'assiette, «nais on dit toujours \pique~usiitlte. c« 'Mluùard,dites armoire. » On -serreencore le 'linge 'et va Bique-rossiette

-mais,on

Dites râblu. Voilà un homme ib'ien râfflu. "MaiBion:dit.'toujour«un'hommeibien'râblë. « Râblé.

»


Il

Rebiffer,. 1 se rebiffa contre son; maîtter;; dites 'fe& bèquer. » Qui comprend} rebiffer*, mais; om n'entendrait <«

plus rebéquen Ressemelage. Semelles neuves, à.des; souliers ouiài des cv bottes;, dites, cartselure, su f La- carrelure: de mes: hottes: a décidé, en; raveur. â&resseme--

loge:.

«• Résulten Né. dites cas -iUenxesk résulté. ;,mais ditesdl en.

a résulté. Le peuplé conjugue: toujours* résulter/ awec. le verbe-être. « Saulée. Allée plantée de saules:; àitesisaussme.y> Qtie de poèmes: symboMstes-et même romantiques ouiparnassîwds sont emplis de saulaies1 Suite. Faites icelaide suite, pour dire sansjdélai. Cette

introduite depuisila révolution, On: dira bien il ai eu; la* fièvre quatre

dira pas. j'y

dit,cependant.

Ces exemples montrent'assez

le mauvais langage et que ce

l'on nomme

ainsi, lorsque' l'usage le sanctionne, devient le bon langage. Useront voir en outre que lès Françaisde i&ïo faisaient en parlant-les-: mêmes fautes que ceux de ion. Quelquespuristes- crient encore à Ta corruption dix- langage. On en disait autant en- rôrcr. que

le dessein de faire élever à Paris un monument à Gérard.,

deNervaliIfe.sculpteur>Desb0i&.adéjàachevétlamaqïiette de la statue et l'on n'attend plus que des fonds pour l'exécuter. Sans doute, le. poète: que


du Romantisme », mérite qu'on le glorifie. Cependant il est très difficile aujourd'hui de recueillir de l'argent destiné à la statue d'un homme qui ne s'est pas mêlé de politique. On se flatte toutefois que les Allemands de goût viendront en aide au Comité et tiendront à cœur d'honorer un des écrivains français qui aima le plus l'Allemagne. Qu'on n'y oublie point que Gérard de Nerval traduisit Faust, à la grande satisfaction de Goethe, qui_disait-~4 Eckermann. « En allemand, je ne peux plus lire ïëTayust, mais dans cette traduction française, chaque"ifràit reprend sa fraîcheur et me frappe comme s'il était nouveau pour M. Georges Brandès a appelé « l'Euphorion

moi

». On

ose aussi espérer-, que le Journal contribuera °à hâter l'exécution et l'érection d'un monument dédié à la mémoire de son secrétaire de la rédaction. En effet, Gérard de Nerval occupa cette fonction -au Journal que fonda Alphonse Karr en 1848 et qui se vendait un sou. A cette époque, Gérard traduisait Heine, qui a écrit

lui « C'était vraiment une âme plutôt qu'un homme, je dis une âme d'ange, quelque banal que soit le mot. Et c'était un grand artiste les parfums de sa pensée étaient toujours enfermés dans des cassolettes d'or merveilleusement ciselées. Pourtant rien de l'égoïsme artiste ne se trouvait en lui il était tout candeur enfantine il était d'une délicatesse de sensitive il était bon, il aimait tout le monde il ne jalousait personne il haussait, les épaules quand, par hasard, un roquet l'avait mordu. » De jolies anecdotes sur Gérard de Nerval courent en ce moment les revues et les journaux. Les Marges en ont donné et il y en a de charmantes dans le livre de M. Gauthier Ferrières. Ceci a paru dans Le Journal pour rire (i) en 1855 « Ce pauvre Gérard de Nerval, que tout le monde de

(i) Cité par Binion dans les Marges.


regrette vivement et avec raison, écrivait indifféremment partout, comme Restif la Bretonne, son patron. C'était tantôt une ligne sur une borne, tantôt un alinéa sur un parapet du Pont-Neuf. Parfois dans un guinguette de la banlieue, parfois aussi dans le boudoir d'une actrice, les pieds sur de riches tapis. Estimant peu ce qui se fait rapidement, il mettait sa prose par petites tranches de dix lignes au plus sur les bandes de papier reliées entre elles par des pains à cacheter. Un manuscrit d'un volume représentait ainsi cinq ou six. cents parcelles, mais il n'y avait pas un mot qui ne fût

excellent. Tout le monde a lu sa charmante nouvelle intitulée Sylvie. lorsqu'il était en train de la faire, il alla passer huit jours à Chantilly uniquement pour y étudier un coucher de soleil, dont il avait besoin. Chantilly, disait-il, m'a coûté deux « Ce voyage à cents francs, et je n'y ai pas écrit plus de douze lignes, c'est un coucher de soleil qui m'a mangé beaucoup d'argent et qui ne m'a rapporté que vingt-quatre sous. Un jour, dans le jardin du Palais-Royal, on vit Gérard traînant un homard vivant au bout d'un ruban bleu. I,'histoire circula dans Paris et comme ses amis s'étonnaient

En quoi, répondit l'auteur de Sylvie, un homard est-il plus ridicule qu'un chien, qu'un chat, qu'une gazelle, qu'un lion ou toute autre bête dont on se fait suivre ? J'ai le goût des homards ,qui sout tranquilles, sérieux, savent les secrets de la mer, n'aboient pas. » I,a conversation de Gérard était des plus étranges et avait une saveur singulière. « Il apprenait avec étonnement, dit Auguste deBelloy, que vous n'aviez jamais lu Origène ni Apollonius de Tyane que vous n'étiez pas en état de faire la distinction d'Hillel l'Ancien et d'Hillel le. Saint que vous" ignoriez jusqu'au nom d'Asclépiodote ou de Wigbode. I,es formules suivantes ne tarissaient pas dans sa bouche «


Vous avez lu dans Maïmomde. Vous' vous? rappelez, ce passage de BhavaboutL.. --Il, faut n'avoir jamais lu les. PréadamUe& de I^apôyrèrei.. etc., etc. »; Esprit charmant, Je l'eusse aimé, comme un, frère. Et, qu'on ne s'y trompe point, dique pas ce qu'il est convenu aujourd'hui d'appeler: de l'érudition et qui n'en est point; c'était, tout simplement l'indice d'une imagination ardente. qu'il essayait, de mettre à la portée; de son interlocuteur en choisissant; parmi les notions que tout le monde 'peut avoir acquises,, les plus rares. Car, pource qu'il imaginait, il n'en parlait, pas au premier venu, ni peut-être à personne, mais? tenait son imagination éveil, même pendant la< conversation historiques:et grâce à sans doute, il. ne: pensait;jamais, Le même Auguste, de: Bellay, l'entendit une fois discourir sur un insecte merveilleux que M. J.-H. Fabre ni

aucun; entomologiste: niâtjamais observé. « Bhi bien monsieur, disait Gérard, ce. même cycfoj>hore,, qui offre réunies dans- un\ de ses trompes: tous- les.; instruments du. tourneur et dans l'autre ceux du lampiste, j'en ai' fait un, moi qui.,vous, parle, et voua devineriez: jamais avec, quoi avec; me& doigts-, tûttt: simplement. Mais la matière ?– dit un auditeur; naïf: qui prenait la chose au: sérieux; Laimatière? OJiI'mon Dieu rien qu'un peu de peluche prise: au fond d'une de; mes poches. Oui,- monsieur, de la, peluche, et je l'ai fait-, en moins. de dix minutes, sur le; boulevard, en. causant; Et qufe&t-il. avec Méry qui l'a; vu- et vous? le; dira. devenu: ? reprit: l'autre. Ge qu'il: est devenu ? Jje le

portais à Geoffroy-Saint-Hilaire; quand tout à coup il; s'envola. Et, depuis, je n'ai jamais pu enirefaireun autre.» Monselet l'invita une fois àdînerj-en 1846: qui avait été; très ordinaire,. a, Après le: dîner, Gérard: me prit sous' le bras, et je,' commençai-avec lui; dans Faris; une de ces promenades qu^il affectionnait: tant. lime fit faire une lieue pour aîlearboireide la bière;


sous une tonnelle de la barrière du Trône, m'affirmant que ce n'était que là qu'on, en buvait' de bonne. Wle; était, servie dans des- cruchons particuliers: et; apportée par: deux demoiselles dont les chevaux, abondants, et courts: faisaient l'admiration de Gérard de Nerval. Admiration: toute paisible: et. extatique., En. revenant, il voulut que nous abrégeassions le chemin, par une station aui petit!, Port, de la Porte SmntrMartin,. où- l'on, prend, des: raisins de Malaga confits- dans: le sucre: et l'alcool. H mettait un amour-propre enfantin et une, ardeur très, grande àla recherche de: ces- spécialités parisiennes il savait. .où; l'on débite-lai meilleure- eau-de-vie: de Dantzig, oit l'on: vend auiverrela; blanquette de Iàmoux., Cet épicier^ qui:. est à côté de- la Comédie-Française, au. coin. de la, rue: Montpensier, tient toujours chaud un excellent: punch. authé. On ne peut savourer de délicieux chocolat qu'aux carreau des halles, à deux heures du matin,dans un café où dorment des maraîchers paysannes encapuchonnées. Ainsi me disait Gérard de Nerval. » J'ai lu une de ses lettres. Elle est inédite, fort courte et il manque l'adresse du destinataire qui était invité-à une promenade du côté' de l'Etoile, où' l'on savourerait je ne sais plus quelle boisson rare et délectable. Gérard de Nerval rêvait d'ùne poésie obscure et Hai> monieuse dont il donna quelques exemples. Quoi' qu'on puisse penser. dans les trois ou quatre partis qui.a,ctuellement, haussant le ton, se disputent là gloire poétique, en, France le mystère, dans 1ê poésie, n' est peut êtxe p, as moins légitime que la.clarté. Gérard, de Nerval composa les Chimères. « Et puisque, écrivait-il à Alexandre Dumas en lui. dédiant les Filles du Feu, vous avez eu l'imprudence de citer un des, sonnets: composés- dans cet état de rêverie super-naturaliste, comme diraient les Allemands, il faut que vous les entendiez tous. Vous les trouverez à,la fin du vohtme:. Usine sont guère plus; obssnrsr que; la, métaphysiques d'Hégeli ou) les- MémomUest de: Swedenborg, et

les


perdraient de leur charme à être expliqués, si la chose était possible, concédez-moi du moins le mérite de l'ex-

m'en

pression le. dernière folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poète c'est à la critique de

guérir.

»

C'est bien cela. Certains poètes ont le droit de rester inexplicables, et, à vrai dire, ceux qui paraissent si clairs ne seraient pas toujours les moins obscurs, si l'on voulait débrouiller le sens véritable de leurs poèmes. Cependant, une adorable et mystique lumière éclaire divinement quelques sonnets, qui « perdraient de leur charme à être expliqués, si la chose était possible », quelques sonnets de ce ténébreux pendu qu'un lacet de corset blanc étranglait, un matin de janvier 1855, rue de la Vieille-Lanterne, là ou s'élève maintenant, la scène du Théâtre Sarah-Bernhardt.

Lorsque je faisais mon apprentissage littéraire au quartier latin, on parlait beaucoup de M. Léon-Paul Fargue. On vous disait mystérieusement que M.André Gide savait de ses vers par cœur et l'on en citait un, A toujours le même Les capitaines vainqueurs ont une odeur forte.

x

Or, le Tancrède de M. Léon-Paul Fargue a paru cette année, et en cachette de l'écrivain, par les soins de deux de ses amis. Ce petit livre, qui a du succès, s'ouvre par

une épigraphe

Les capitaines vainqueurs ont une odeur forte. André GlDK

Ainsi, la renommée de M. Léon-Paul Fargue s'est

perpétuée grâce à un vers d'un autre poète. C'est là, sans


doute, un cas unique dans les lettres, bien qu'il y ait assez d'exemples de v&m attribués à quelqu'un qui n'en est pas l'auteur. Ainsi de La critique est aisée, et l'art est difficile, qui étant de Destouches court sous le nom de Boileau.

Le quatrain, A une Tragédienne, que j'ai inséré parmi les Impromptues de Jean Moréas, contenait une coquille au dernier vers. Elle a été vivement relevée par ParisMidi, dont le rédacteur aj oute « On a de la pudeur, rue de Condé ». Il faut encore remarquer que Moréas avait à sa disposition une variante qui rendait fort chaste, mais moins 'beau, le dernier vers du quatrain en question. Mais vous avez

le

cœur d'une fière lionne.

Emile Godefroy m'a fait observer que le second vers du distique sur Baragnon était altéré. Il faut le rétablir ainsi M.

Médite de ternir la gloire de Berchoux.

Quant au vers unique sur Manolo, on m'a demandé quel personnage était ce don ou dom Caramuel, duquel au sens du poète le sculpteur espagnol suivrait la trace. Moréas ne s'est jamais expliqué là-dessus, mais il s'agit évidemment de Jean Caramuel, évêque de Vigevane dans le Milanais et qui mourut en 1781 ou 1782. Au dire des contemporains, ce métaphysicien avait de l'esprit comme huit, de l'éloquence comme cinq et du jugement comme deux. Et cela; montre assez la pénétration de Moréas, car je ne pense pas que l'on puisse mieux juger M. Manolo. D'autrepart voici quelques impromptus qui m'avaient échappé


SUR Emiee

Fàguet

Il avance, je'crois (que Gbdefroy m'assiste), De prose tout armé, Damon, le soléciste!

Sur Gustave Fkejaviixït Fréj avillfe, jgrand Sans le secours de

Sur

cœur qpe Vénus favorise

l'art, eût bien réduit Florise. UN MAGISTRAT

C..l.n, sous-rival de Bartole, Quoi qu'on dise, jerle? maintiens, Attache, en_dépit du. Pactole Avec des saucisses ses chiens.

Août:

ici*.

a un nouveau prétendant au trône de France. C'est un abbé' prêtre du diocèse de Marseille, qui.a dépassé la cinquantaine,. étant né à Manosque en 1860. Il vient de prendre le nom d'Henry duc d'Anjouet fait remonter sa généalogie au fameux Masque de Fer, pris, comme on pense bien, pour I^ouis d'Anjou, né, en 1638, à Saint-Germain, frère jumeau et aînddel/ouis XIV. Le nouveau duc d'Anjou descend avant tout d'une. famille établie depuis plus; d'un siëelè?à Manosquei petite ville: où. des degrés? de parenté: existent entre: presque

tous «les habitants;. Et. voilà-

cpier.'lfii

qui est de Mànoisque,. pourrait bien,; si: cela? l-amusait,.se rattacher lui ausst au. Masque de féax

Bourges^,

On a- beaucoup padérdeîCla^ici^ne: cette année; et l'on sera bien aise de savoir que dans la série les Classiques}


français, 'publiés (en Angleterre par MM. Dent, M^Faguet visent d'éditer avecmneipréface:: La Tulipe noire.' d'AlexandreiDumaspère, et jesuis x. rtàinque les Anglais qui l'achèteront liront un rxicit charmant. Mais je trouve quejl'cmuahuse du_mot classique. >IlBert désormais qualifîerïtousJes auteurs. Ijbs mêmes libraires nous -apprennent (que Béranger aest classique autant que quiconque. Gœthe eût été de leur avis. -Et son opinion vaudrait bien que l'on ;s?y arrêtât. Une autre librairie anglaise publie également une série de classiques français ou l'on a lourré un livre d'Emile Richebourg. Et, après cela, il faut que l'on tire l'échelle.

M. Maurice Maindron

et ses. amis credi et le samedi au Steinbach, boulevard Saint-Michel. Quelqu'un avait donné un nbra, à .cette Académie ¡de brasserie: c'était le Philosopharium, et le mot de tabagie eût exprimé aussi bien que cette appellation macaronique, le caractère de l'assemblée. Elle avait un président, le musicien >fâ. (Dubrsuilh, auquel on présentait :les nouveaux venus. ;Mais M. Maindron, dès qu'il tétait arrivé, régnait.sur la compagnie,; :,sauf, itoutefois, les soirs 'OU Moréas1 était ne laissait (point de lui en vouloir un :peu, àscausecde eela. Iyouis Dumur, Georges I^e Cardonnel, René ,Dalize et plusieurs philosophes faisaient l'ornement de :ces Béunions. Quelquesuns d^entrè :eux étaient des ^Polonais. :Et souvent, 'le mercredi, on woyait M. iËmile Meyerson, i.qùiest r-^militus Un soir, fje vis là M. ikouis .Delasalle, .auteur'd'un roman remarquable Zf Réactionnaire, :qui, -paxâît-til, e

fait

scandale et- queUîon a retiiécde la. Circulation.

M. Maindron, dirait de ses poches un certain nombre de ptpes :du'il posaitdevant -itii, et,


méthodiquement, il les fumait une fois chacune, en buvant des demis. Il parlait beaucoup et sur toutes sortes de questions et il faisait souvent appel à ses souvenirs de voyage. Cependant, si quelqu'un, devant lui, abordait un sujet avec autorité, il l'écoutait, bouche tordue, et, ensuite, il le pressait de questions. On a dit comment l'étude des insectes l'avait amené à s'occuper des armures et enfin à écrire ses romans. Je ne les goûte que médiocrement, mais son aspect, sa conversation et ce que l'on racontait sur son caractère excitaient mon imagination. On le disait fort vindicatif les récits de ses amis le montraient forgeant des armures, martelant des épées, et l'une d'elles, assurait-on, il l'avait destinée pour la vengeance qu'il voulait tirer d'un de ses beaux-frères. Ces racontars, même s'ils n'étaient pas entièrement vrais, peuvent cependant servir à fixer la figure altière et passionnée de cet entomologiste qui avait l'air d'un capitaine au temps de Montluc.

Dans les caves de la Malmaison, il y a beaucoup d'inscriptions. La plupart sont dues à des soldats allemands qui y écrivirent leurs noms en 71. L'une d'elles est plus récente et la voici jean de Mitty, rer juillet 1901. Cet enfantillage bonapartiste peint assez celui qui s'y livra. Il avait un moment caressé l'espoir de devenir le conservateur de cette Malmaison près d'où il est mort On intrigue beaucoup pour cela », disait-il dans son langage plein d'affectation et avec l'accent de M. de Max. Jean de Mitty était Roumain, mais il lui arrivait souvent de cacher son origine et de dire qu'il était de l'Isère. Il parlait encore de sa tante de Fontainebleau, laissant entendre qu'elle lui laisserait un héritage. Il se faisait donc une idée particulière de l'élégance, et avec joie, sans se flatter d'en imposer, il s'essayait à donner ainsi, dans cc


la conversation, une apparence d'authenticité à son pseudonyme. Il avait planté, pour son propre plaisir, un arbre généalogique imaginaire qui l'apparentait à de bonnes maisons, et la noblesse de l'Empire n'y paraissait que dans un petit nombre de rameaux. M. de Mitty allait à la messe chaque dimanche, il se confessait et communiait une fois l'an, et, le vendredi, il faisait maigre. Au demeurant, c'était un gourmet qui. connaissait admirablement le plan gastronomique de Paris. Il admirait beaucoup M. Barrès et alléguait ses juge-

ments à tout propos. Son livre sur la Malmaison, M. Barrès lui en fournit un titre dont il était enchanté Les Feux mourants de la Malmaison. Outre ce livre, qui n'a point paru, on pourrait réunir dans un volume les pages extrêmement piquantes que Jean de Mitty publiait chaque semaine dans le Cri de Paris sur Félix Faure un autre recueil très agréable serait formé par ses articles sur la mode, l'étiquette et la gastronomie enfin, ses notes et ses essais sur Stendhal feraient la matière d'un troisième volume. A l'entendre, il possédait des poèmes inédits de Stendhal, qu'il hésitait à publier parce qu'ils étaient licencieux. Mais peut-être n'avait-il rien de tout cela, et afin de nourrir la conversation, il n'hésitait point à inventer des choses plaisantes qu'il donnait pour véritables. Il se chargeait volontiers des missions que ses amis lui confiaient, mais il n'était pas toujours prudent de compter sur lui, et on l'avait surnommé le Roumain sans parole. Il faisait beaucoup d'efforts pour paraître suranné. Il se modelait sur ce qui se faisait sous l'Empire et voulait que cela se vit dans sa personne, dans ses manières, dans son style et dans son orthographe. Il était aimable, bien appris et spirituel. Voici un madrigal qu'il tourna pour une jolie marchande de tabac des boulevards


Si le tabac est un poison Et si l'amour en est un autre,

Je ne connais pas de maison

Plus dangereuse que la vôtre

Ces petits vers sont de Jean de Mitty, bien qu'ils aient

été attribués à différentes personnes qui n'y avaient pas mis la main. il. cherchait l'originalité dans les ex-dono de ses livres. Il a fait entrer dans celui de mon exemplaire de Lucien Leuwen l'adverbe beyliquement, qui pourra amuser les stendhaliens. Ses superstitions, fort singulières, eussent attiré l'attention de ce grand écrivain de l'histoire civile qu'était le Bayle du Dictionnaire. Jean de Mitty n'écrivait jamais une lettre avant de l'avoir tracée tout entière sur l'ongle du pouce de la main droite avec l'index de la même main. Il pensait qu'urne lettre pour laquelle il aurait omis cette formalité n'aurait aucun effet, qu'il ne lui serait pas répondu, et même qu'elle ne parviendrait jamais à destination. Il pensait encore que la rencontre d'un rousseau lui était favorable, et les taches de rousseur d'une jeune femme au visage sonneux, il les tenait, lorsqu'elles avaient une certaine teinte ou une certaine forme, pour autant de présages heureux. La vue d'une fleur dont j'ai oublié le nom lui donnait de l'inquiétude, et il disait qu'elle avait sur sa vie une très grande influence. Il ne parlait que très rarement de ses superstitions. Il en avait un peu honte. Par contre, il racontait beaucoup d'anecdotes touchant les superstitions des gens qu'il avait connus, comme Oscar Wilde, Hugues Rebell et Marcel Schwob.


Le sculpteur Manolo m'a fait savoir que Moréas ne lui avait pas consacré un vers seulement, mais quatre, dont les trois derniers ont dix pieds. J'ai déjà donné l'alexan-

drin

du début w

De don Caramuel Manolo suit la trace Et par le son mielleux de sa voix On peut aussi le comparer, je crois, A l'Enchanteur des forêts de la Thrace

Au demeurant, je crois bien que je ne parviendrai jamais à recueillir tous les Impromptus de Jean Moréas. On n'a pu retrouver le premier vers du distique où il célé-

brait cette poétesse charmante dont le geste généreux hâta l'érection du monument de Verlaine, au Luxembourg Marguerite Gillot, la sorcière au gant noir.

il y avait manoir à la rime.

Voici encore un vers unique sur quelqu'un dont on

devinera facilement le nom

C'est le jeune éditeur et son affreux sourire.

Et enfin, je tiens à donner cette Apostroehe

A ANDRÉ

Nary

Poète au front pensif dont la féconde veine Honore en vers brillants ton Châtillon-sur-Seine.

Octobre 1911

un

Les événements qui obligèrent tout dernièrement habitant de la Rive droite à aller se loger sur la, Rive gauche m*avaient été prédits, et voici dans quelles circonstances


Un peintre anglais dont j'avais eu l'occasion de dire du bien à propos de son envoi aux Indépendants vint m'en remercier. C'était au mois d'Avril. Je connus bientôt que mon visiteur cultivait les sciences occultes, et, curieux, comme je me flatte de l'être, de tous les détails de l'histoire civile, je lui demandai s'il lui avait été déjà possible de vérifier des prophéties. Il me répondit que oui, qu'il avait recueilli de la bouche d'une voyante des prédictions qui s'étaient réalisées et me proposa de me présenter à cette- dame. Je la rencontrai quelques jours plus tard. Elle ne cherche point à tirer profit de l'extraordinaire faculté qu'elle possède de prévoir l'avenir. Néanmoins, j'ai été autorisé à faire connaître son nom au public. Mme Violette Deroy m'a prédit les événements que l'on sait sans employer aucun ingrédient ou agent magique. Et j'avoue que la précision avec laquelle, ne me connaissant en aucune façon, elle m'avait parlé de ma vie passée n'avait pas laissé de m'étonner. Aussi, ce qu'elle me dit de l'avenir m'impressionna vivement. Toutefois» au bout de quelques jours, je n'y pensai plus c'est que sans doute les conclusions, flatteuses pour moi, de sa. prophétie m'avaient fait oublier les détails fâcheux qu'elle contenait. J'en avais cependant parlé à plusieurs personnes qui me l'ont rappelé ces jours-ci et moi-même je m'en étais bien souvenu. Cet événement bizarre me force désormaisà croire aux oracles il m'engage également à douter de leur utilité. Tous ceux qui se mêlent de prédire sont comme cette Cassandre que personne ne voulait croire. Je me suis assuré aussi que les prophéties ne sont point rares. Plutarque dit quelque part qu'il y avait à Thalame, dans le Péloponèse, un oracle de Pasiphaé. Il avait acquis ce surnom parce qu'il prophétisait à tout le monde. Il y a partout des oracles de Pasiphaé. Plutarque, qui ajoute que Cassandre était morte dans le lieu de cet oracle dont


il parle, pensait sans doute, comme moi-même, que les prophéties sont inutiles parce que personne n'y croit. O Pasiphaé ô Cassandre Belles ombres antiques et prévoyantes, me voilà devenu le Plutarque des oracles qui n'ont pas cessé.

Il y a des oracles et il y a a aussi des revenants. M. Henry de Groux est l'un d'eux. J'ai parlé d'ailleurs de ses ta-

bleaux qui sont, ainsi que lui-même, presque des fantômes. Ce Jordaens trop romantique ressemble à Baudelaire. Il est vêtu sans recherche les inflexions de sa voix ont un charme si particulier, sa conversation où abondent les germanismes usités en Belgique est si nourrie, que ceux qui l'ont entendu parler ne l'oublient plus. Je l'ai vu au Salon d'Automne retoucher avec inquiétude des tableaux peints depuis quinze ans. Et j'ai vu aussi avec quelle curiosité mêlée de regret il regardait toutes les nouveautés de l'Art qu'il cultive, et comme il paraissait timide, modeste et tout plein d'un effroi triomphal parmi les hommes qu'il ne connaissait pas parmi tous ceux qu'il retrouvait.

Les Cubistes, dont on se moque avec tant d'injustice, sont des peintres qui essaient de donner à leurs ouvrages le plus de plasticité possible, et qui savent que si les couleurs sont des symboles, la lumière est la réalité. Ils ont excité la verve d'un des plus rares poètes de ce temps Raoul Ponchon. Ils ont inspiré à Abel Faivre une de ses meilleures caricatures. Il est rare que les nouvelles écoles retiennent ainsi l'attention. Le nom de cubisme a été trouvé par le peintre Henri Matisse, qui le prononça à propos d'un tableau de Picasso. Les premiers tableaux cubistes que l'on ait vus


dans une exposition étaient l'ouvrage de Georges Braque. J'ai l'honneur d'avoir le premier servi de modèle à un peintre cubiste, Jean Metzinger, pour un portrait qui fut exposé en 1910 au Salon des Indépendants.

Pour la première fois depuis quarante ou cinquante ans, on n'a pas vu, avant l'ouverture d'un grand Salon, M. Niel, le père Niel, comme on l'appelait (et qui signait Furetières au Soleil), préparer ses articles de critique. Il était le doyen des écrivains d'Art et n'a pas paru cette année au Salon d'Automne. Son grand âge lui interdit maintenant la fatigue que cause l'examen d'une grande exposition. M. Niel est plein d'anecdotes qu'il raconte avec verve. Il connaît tout le monde. Il est ce qu'on appelle un Pari-' sien averti. Sa gaîté était proverbiale parmi les écrivains d'Art. Il était fort lent, et le soin méticuleux avec leque? il examinait tous les tableaux d'un Salon le forçait à entreprendre son travail avant même que l'on n'eût commencé l'accrochage des tableaux. Il déplorait qu'il y eût maintenant plusieurs grands Salons par saison et évoquait le temps où le vernissage du Salon était l'évènement mondain le plus important de l'année. Bien que son goût pour la peinture lui fit trouver du plaisir à parcourir toute les expositions, il n'était réellement heureux qu'au Salon des Artistes français, qui était demeuré pour lui le Salon. Il le visitait en souriant, muni d'une chaise sur laquelle il s'asseyait longuement devant chaque tableau, et prenait peu de notes. Sa mémoire, encore extrêmement précise, lui permet de se rappeler les plus petits détails de sa longue existence. Un jour que j'échangeais quelques mots avec lui, M. Jean Béraud vint lui demander s'il était enfin décidé à venir poser pour un portrait. M. Niel refusa avec des


paroles aimables. « Il y a bien longtemps que je vous demande cette faveur lui dit M. Jean Béraud. « C'est vrai réplique M, Niel en souriant, la première fois qu'il a été question de ce portrait, c'était en. attendez c'était l'année où l'on portait des pantalons à carreaux », et il lui dit l'année. 1

Novembre 1911.

J'ai rencontré deux peintres, futuristes MM. Boccioni.. et Severini. I,e premier, qui est, si on peut dire, le théoricien de l'école, a un air intrépide et loyal qui dispose aussitôt en sa faveur. Ces messieurs portent des vêtements

de coupe anglaise, très confortables. M. Severini, toscan, est chaussé de souliers découverts et ses chaussettes sont de couleurs différentes. Le jour où je le vis, il portait au pied droit une chaussette couleur framboise et au pied gauche, une chaussette vert bouteille. Cette coqaetterie florentine l'expose à passer pour un homme très distrait, et il avoue que les garçons de café se croient souvent obligés de le prévenir de ce qu'il pensent être une méprise et qui est de la recherche. Je n'ai pas encore vu de tableaux futuristes, mais si j'ai bien compris le sens des recherches auxquelles s'attachent les nouveaux peintres italiens, ils se préoccupent avant tout d'exprimer des sentiments, presque des états d'âme (c'est une expression employée par M. Boccioni lui-même) et de les exprimer de la façon la plus forte possible. Ces jeunes gens ont encore le désir de s'éloigner des formes naturelles et veulent être les inventeurs de leur art. « Ainsi, m'a dit M. Boccioni, j'ai peint deux tableaux, dont l'un exprime le départ et l'autre, l'arrivée. Cela se passe dans une gare. Eh bien! Pour marquer la différente des sentiments,- je ,n'ai pas mis, dans mon tableau de l'arrivée une seule ligne qui soit dans le tableau du départ. »


Cette peinture, qui ainsi expliquée paraît avant tout sentimentale, et un peu puérile, les futuristes la défendent, le cas échéant, à coups de bâton. Florence fut récemment le théâtre d'un de ces combats où les partis en présence étaient, d'une part, les futuristes ayant à leur tête M. Marinetti, et, de l'autre, M. Ardengo Soffici et ses amis de la Voce. Il y eut des blessures, quelques chapeaux furent mis hors d'usage et M. Boccioni, pendant la journée où se déroulèrent les diverses phases de la bataille, dut acheter, pour son compte, trois chapeaux de paille. Finalement, tout le mond* se réconcilia au poste, et, devant le commissaire MM. Boccioni et Soffici témoignèrent de leur estime réciproque. M. Ardengo Soffici qui, par sa critique, avait excité la colère des futuristes, est un des écrivains d'art les plus distingués de l'Italie. Il n'est pas un inconnu à Paris et il est lui-même au courant des tendances de la nouvelle peinture française autant que quiconque en France. Les futuristes, au demeurant; reconnaissent tous les mérites de leur adversaire. Ils ne l'en ont pas moins bâtonné parce qu'il n'était pas de leur avis et la bastonnade a beau être empreinte de courtoisie, elle est une singulièrefaçon de forcer l'admiration. C'est en mars 1912 que les futuristes exposeront à Paris. Nul doute que,s'ils veulent avoir recours aux mêmes arguments, ils n'aient, à cette époque, fort à faire.

Le plus jeune cubiste de France se nomme Georges Deniker. Il est le frère de Nicolas Deniker, un poète de grande inspiration, qui, depuis longremps, se tient volontairement dans la retraite. Ire plus jeune cubiste de France fait en ce moment son service comme aviateur. Il vient de lancer une mode nouvelle de fumer la pipe qui était en usage, paraît-il, dans les camps d'aviation.


On dispose le tabac dans un papier qui est découpé en forme d'hexagone et on fait du tout une petite boule que l'on introduit dans le fourneau de la. pipe. De cette façon, on peut fumer malgré le vent. Cette mode s'est aussitôt répandue à Montmartre. Il est bon d'ajouter que le jeune artiste a d'autres titres qui attireront sur lui l'attention des gens de goût. Il possède un réel talent de peintre et de sculpteur. Une de ses statues fut justement remarquée au dernier Salon de la Nationale. C'est encore un linguiste fort distingué qui, outre la connaissance parfaite de plusieurs langues européennes et du japonais, a des notions de chinois et de quelques autres langages asiatiques. On peut observer à ce propos que les Français, qui passaient autrefois, pour connaître très mal les langues étrangères, se sont mis à les apprendre, et ceux qui en

savent trois ou quatre ne sont pas rares aujourd'hui.

I,a question du latin continue à intéresser, sinon le public, du moins les écrivains en mal d'articles. On m'a rapporté un joli mot de M. Niel, qui est le doyen des écrivains d'Art et duquel j'ai déjà eu l'honneur de parler. A cette époque M. Niel ne signait pas ses articles Furetières, mais le Maréchal. Quelqu'un s'étonnait devant lui du succès de M. Paul Bourget « Que voulez-vous, observa avec bonhomie M. Niel; quand on ne sait pas sur quel sujet écrire, on fait un article sur Bourget. Cela finit par lui faire de la réclame. » Il en est de même aujourd'hui pour la question du latin. Quand on n'a pas de sujet d'article, on en écrit un sur le latin et l'on peut être certain qu'il passera. Je me suis entretenu avec les chefs les plus actifs des "amps en présence Eugène Montfort et Jean Royère. Eh bien Il m'a semblé que si Jean Royère n'est pas tout

«


à fait certain de l'inutilité de la langue morte qu'il voudrait faire mourir une seconde fois, Eugène Montfort n'a pas une entière confiance dans les vertus du cadavre qû'il protège. Au demeurant, le latin n'est plus du tout considéré comme un idiome, mais plutôt comme un remède que les uns estiment dangereux, tandis que d'autres en préconisent l'usage.

Dernièrement, Excelsior demandait aux gens de lettres « Quel est le plus beau roman français ? » Trois Elémir auteurs vivùs+s seulement, furent nommés Bourges, Anatole France et Rosny aîné. On n'a pas remarqué que M. Elémir Bourges venait en tête et obtenait 41 voix pour les Oiseaux s'envolent et les Fleurs tombent. M. Anatole France n'avait que 15 voix pour la Rôtisserie de la Reine Pédauque, et M. Rosny aîné io voix pour la Vague Rouge.

M. Tristan Derème est un jeune poète heureusement doué. C'est avec raison qu'on l'a choisi pour prononcer un discours sous les Tulipiers du Jardin Massey, à Tarbes,

à l'occasion du centenaire de Théophile Gautier. Il fallait bien qu'un jeune homme rendît hommage à un poète dont I'oeuvre peut être regardée comme la louange même de la jeunesse. M. Tristan Derème s'est très bien tiré d'un éloge qu'il lui convenait de faire. C'est avec un art charmant qu'il a pris la précaution oratoire de demander qu'on l'excusât « Et, a-t-il aussitôt ajouté, qu'on ne craigne point que je récidive et puisque j'aurai parlé au premier centenaire de ce poète, je promets de me taire aux suivants. » Il parla ensuite des jeunes


Les jeunes, comme chacun sait, font tirer leurs plaquettes à vingt exemplaires sur des papiers de la Chine ou du Japon et les feront imprimer, quelque jour, et pour être plus originaux encore, sur du papier verre ou sur du papier timbré. Ils écrivent en de minces revues qui ont parfois plusieurs numéros. » S'il lui arrive de citer Horace, il l'appelle Flaeus, mais si c'est Ovide, il ne l'appelle point Naso. Il me semble cependant que M. Tristan Derème est très raisonnable en ses jugements l'art de Gautier rappelle à la fois celui d'Horace et celui d'Ovide. «

L'orthographe a été longtemps hésitante Monna I,isa ou Mona "Usa ? En moins de deux mois, la presse et le commerce se sont décidés en faveur de la seconde forme. On lit chaque jour dans presque tous les journaux quelque. allusion à Mona Lisa et beaucoup de produits industriels se parent maintenant de ce nom; Il y a, le parfum, le corset Mona Lisa. Et personne ne paraît se douter qu'il n'est plus question de la Joconde, mais d'une guenon nommée I,isa, car Mona signifie proprement guenon, tandis que Monna (contraction de Madonna) est un terme qui peut se traduire à peu près par Madame. Décembre

ion.

Depuis qu'il est question du Maroc, je lis.avec attention les récits .de ceux qui y sont allés, j'interroge ceux qui en reviennent dans l'espoir de trouver des renseigne ments touchant la Bibliothèque, de Fez. Personne n'enç. parle. Eugène Montfort a passé son été chez les Maures, mais à cause de la chaleur, il n'a pas été jusqu'à Fez. En explorer la bibliothèque eût été cependant une


entreprise digne de celui qui vient de mettre le latin au premier rang parmi les préoccupations des Français. Si l'on en croit l'orientaliste hollandais, Thomas Erpenius, qui vivait au xviie siècle, la bibliothèque de Fez renfermerait en entier un grand nombre d'ouvrages antiques que nous ne possédons qu'incomplets. Je pense, après tout, qu'il s'agirait de versions arabes. Un orientaliste du xvie siècle, François Clénard,.de Louvain, aurait eu l'occasion de visiter la bibliothèque de Fez. Il est question de cela dans ses Epistolae de Rebus Muhemedicis, lettre au savant Latomus, datée de Fez, le 9 avril 1540. « Il y a bien ici quelques biblothèques ou les chrétiens peuvent entrer à une condition, celle d'être lapidés. Mais mon goût pour la science ne put jamais aller si loin, j'aime mieux revoir Latomus. Le roi m'avait permis d'emporter quelques livres de ces bibliothèques: mais j'ai peine à me fier aux rois, surtout à ceux de ce pays, où j'ai appris ce que c'était que la foi punique. »

r

Je me suis trouvé sur le passage du roi de. Serbie, mais je l'ai mal vu et de trop loin. Le premier chef d'Etat qu'il m'ait été donné de voir, c'était le Président Grévy. J'étais alors un tout petit enfant, et nous habitions en face de l'Elysée. Je me souviens du jour où le Président quitta le Palais. Je jouais sur le balcon et, toute la journée, il y eut des allées et venues de landaus qui partaient pleins de colis, de paniers, de ballots enveloppés dans des draps de lit. Son successeur, le Président Carnot, me parut bien plus beau, mais je ne me le rappelle qu'à travers les caricatures qu'on en a faites. J'ai rencontré le prince de Monaco dans sa principauté ou bien à Paris. Il se promène souvent seul avec une serviette bourrée de papiers sous le bras. J'ai vu Félix


Faure, à Cannes. Il saluait en se tournant entièrement du côté où s'adressait son salut. A Cannes encore, où j'étais au collège, comme les élèves s'intéressaient aux régates, on nous menait parfois, le jeudi ou le dimanche, du côté du port le prince de Galles y commandait la manoeuvre sur son yacht à voiles Le Britannia. Le vieux prince héritier avait toujours l'air ennuyé. Je trouvai bien meilleure mine au roi d'Angleterre, Edouard VII, quand je le vis à Paris, en voiture, à côté du président de la République. Il y a onze ans, j'ai eu plusieurs fois l'occasion de voir l'empereur allemand, et chaque fois sous un uniforme différent. Sa ressemblance avec le ténor Piccaluga, qui chanta dans Miss Helyett, m'à toujours frappé. A Honnef, sur les bords du Rhin, j'ai parfois parlé avec la vieille reine Sophie de Suède et de Norvège. On la poussait dans une petite voiture. C'est là que je vis aussi le roi Oscar, qui vint passer quelques jours auprès de la reine. On donna une fête pendant laquelle il fit, en plein air, un discours qui fût très goûté. Tout le monde riait et le roi avec tout le monde mais je ne savais pas assez d'allemand pour comprendre ce qui se disait. J'ai vu le prince-régent de Bavière, à Munich, petit vieillard sémillant que deux rois fous ont empêché de régner. M. Loubet ressemble un peu à ce prince-régent, mais il ne marche pas en dansant et sourit davantage, M. Fallières, que j'ai eu l'occasion de voir souvent dans les salons de peinture, m'a toujours semblé plein de bonne humeur et ce qu'il trouve à dire aux artistes qu'on lui présente, et dont les œuvres, j'imagine, lui importent peu, est souvent spitrituel et toujours plein d'à propos.

Léo Rouanet vient de mourir dans la force de l'âge. Ceux qui l'ont connu se souviendront toujours'de son humeur parfaite et enjouée, de sa science et de son goût,


avait consacré sa vie à l'étude des lettres espagnoles et portugaises. On lui doit la traduction des Drames religieux de Calderon, plusieurs éditions et traductions de pièces espagnoles du xvie et du xvme siècle, un volume de Chansons populaires espagnoles traduites en regard du texte, une Bibliographie critique du théâtre espagnol Il

en collaboration avec M. Alfred Morel-Fatio. Léo Rouan et, qui aimait les arts, goûtait grandement les oeuvres du sculpteur Aristide Maillol, dont quelques tapisseries Issées avec de la laine envoyée par la reine de Roumanie, Jarmen Sylva, et teintes avec des couleurs extraites de certains végétaux par l'artiste même, ornaient sa maison. Ayant su que ses amis MM. Elémir Bourges et Armand Point,, languissaient de ne pouvoir lire les propos de Michel-Ange sur l'Art, rapportés par le Portugais Francisco de Hollanda, I,éo Rouanet, afin de satisfaire cette. curiosité légitime, traduisit aussitôt les Quatre dialogues sur la peinture, et cette traductionavec l'introduction, qui la précède, forme, à mon sens, un chef d'oeuvre. Tout récemment encore, Léo Rouanet publiait un ouvrage surprenant, traduit en collaboration avec Marcel Lami qu'il est allé rejoindre au-delà de la vie: Zes Mémoires du Capitan Alonso de Contreras lequel de marmiton se fit commandeur de Malte. Ce récit véridique est bien un des ouvrages les plus curieux qui soient, pour la bizarrerie de la trame autant que pour l'énergie du style.

André Blandin et Louis Piérard viennent de créer à Bruxelles le journal fantaisiste qui manquait au pays de Tyl l'Espiègle. Ils l'ont appelé le Passant. L'humour s'y mêle au lyrisme, les caricaturesy alternent avec les dessins sérieux. C'est une tentative nouvelle et le Passant ne rappelle aucun journal de France, ni, je pense, d'aucun

pays. «Le café où nous nous réunissons,

m

'écrit un

des.


rédacteurs, c'est dans les galeries Saint-Hubert, le Hulskamp. Là, Grégoire Le Roy, le vieil ami de Maeterlinck, est, avec le peintre Navez, la terreur du garçon ils illustrent en une heure deux tables de marbre d'une foule de dessins et de chiffres que le malheureux bouffiat doit frotter longuement après leur départ. Horace van Offel et le poète catholique Georges Ramaekers s'y chamaillent sur la question bilingue. M. Stuart Merrill, quand il est à Bruxelles, vient y siroter un schiedam perlé, l'épais curaçao blanc à moins que ce ne soit le jaune advocaat et le dantzig pailleté d'or .La carte des spirites est sur toutes les tables et l'on n'a qu'à choisir. » Le Passant publie un grand roman byzantin inédit par Poladan. On m'a affirmé qu'il était dû à la collaboration d'André Blandin et de Théo Varlet.

De nos jours, on plaisante facilement sur les œuvres d'art quand elles sont nouvelles. Cela dispense de les comprendre. Aujourd'hui, on se moque des cubistes, hier on se moquait du grand peintre Henri Matisse. Luimême donnerait dans ce travers moderne il se moque» dit-on, du cubisme c'est lui qui a trouvé ce nom. Quel ne fut pas son dépit, cet été, en arrivant à Collioures, ou il passe la belle saison, de lire sur la maison le mot Kub en lettres énormes L'extérieur de l'un des murs de sa maison est loué à une entreprise de publicité qui y affiche la réclame d'un produit alimentaire à la mode. On venait de jouer ainsi au maître des couleurs puisssantes et suaves un tour qui lui a gâté se» vacances.


Janvier 1912. Dans la lettre que M. Maurice Barrès a écrite à F.-A. Cazals et Gustave de Rouge et qui sert de préface à leur livre sur les derniers jours de Verlaine, on trouve ce passage curieux « Disons le en passant, on aimerait d'avoir un livre aussi vrai que le vôtre sur les dernières années d'Alfred de Musset, qui ne furent pas très différentes de celles de Verlaine: Le Président Grévy était tout désigné pour l'écrire et pour se faire auprès des lettrés ces mêmes titres que vous êtes en train d'acquérir, mes chers confrères. « On regrettera éternellement qu'il en ait été empêché par des ambitions moins heureuses. »

L'ancien luxe du Sultan Abdul Hamid a été mis aux enchères bric à brac précieux qui sentait plutôt -le parvenu que le souverain oriental. On connaît ces réveillematin en cuivre qui servent aussi de pendules de voyage au travers des panneaux de cristal on aperçoit le mouvement d'horlogerie; Le sultan possédait un de ces réveillematin, non de cuivre, mais d'or tout incrusté de gros brillants. Ce trait montrera à quel point l'ancien monarque manquait de goût. Toutefois, les zarfs éveillaient bien l'idée d'un faste d'Orient. Ce sont les supports de tasses à café turc qui, par la volonté d'Abdul-Hamid, fut si souvent ce mauvais calé, où, dit-on, en guise de sucre, il y avait du verre pilé. Les zarfs du sultan étaient en grand nombre et tous en or, pavés de rubis, d< perles, de brillants, d'émeraudes. Il y en avait d'émaillés dont l'émail était encore enrichi de pierreries.


Dommage qu'Alfred Jarry n'eût pas vécu pour assister à cette exposition. Il eût trouvé des explications mirobolantes et pataphysiques touchant les usages auxquels on destinait ces joyaux. Jarry parlait avec complaisance du sultan qui avait fait représenter Ubu Roi sur son théâtre particulier et s'était diverti. Le fait m'a été affirmé non seulement par Alfred Jarry, mais encore par Edmond Fazy, qui avait vécu en Turquie. Toutefois, l'un d'eux affirmait que la pièce avait été jouée par des acteurs vivants, tandis qu'à en croire l'autre, elle aurait été représentée au moyen de marionnettes.

vient 'de disparaitre. Ce La Petite Gazette journal hebdomadaire était bien rédigé et ceux qui aiment les lettres le lisaient avec plaisir. On le comparait à ces compotes d'Apt, où il était publié. Mais, sucrées au miel, comme dans celles-ci, les guêpes n'y étaient point mortes. Parmi lés excellents prosateurs qui écrivaient dans la Petite Gazette Aptésienne, il faut citer avant tout Emile Godefroy. Il y publia son Auzias qui, dans l'ensemble, constitue un des meilleurs ouvrages de critique générale qui ait paru depuis longtemps. Henri Dagan y fit paraître des contes empreints de bonne humeur, de petits articles pleins de sens et dont les piqûres devaient être bien cuisantes. Paul Bourdin, André Mary, Fernand Sauve complétaient à merveille la brigade qui rédigeait la Petite Gaxette Aptésienne. On les retrouvera le premier mars, à Paris, dans la Revue' nouvelle dés Lettres françaises, que dirigera un poète véritable: Raymond de la Tailhède.


J'ai entendu dernièrement une conversation touchant

les événements littéraires les plus importants de l'année ion. On s'accorda pour dire que c'était la publication de la Mission théâtrale de Wilhelm Meister et celle du Docteur Faustroll, d'Alfred Jarry. Il serait trop long de ici les raisons qui poussaient les interlocuteurs à soutenir cette opinion, qui me paraît fondée. On oubliait, toutefois, qu'un grand poète encore inconnu a peut-être publié cette même année son premier ouvrage.

donner v

M. André Barre, dont la thèse sur le Symbolisme a fait

du bruit, a été célébré en Europe, il y a quelques années. A cette époque, dans l'Européen, journal hebdomadaire; qui, paraissant à Paris, presque inconnu en France; jouissait d'une autorité européenne, M. André Barre publiait des notes sur la Serbie. Il combattait violemment la dynastie des Obrenovitch et, une semaine, il annonça la mort prochaine du couple royal. La tragédie de Belgrade eut lieu peu de temps après cet article,' qui avait été fort .remarqué en Europe, M. André Barre se trouva être, pendant quelques jours, l'homme du jour. Cependant, M. André Barre, que la. politique étrangère n'intéressait probablement plus, poursuivit sa vocation littéraire. C'est dommage, car le rôle prophète n'est pas à dédaigner.

et

de

C'est sans doute aux frais du prophète anonyme qu'on a imprimé et distribué une singulière prophétie concernant des événements à venir avant le 9 avril 1931.


L'exemplaire que je possède, et qui a paru en 1903,. m'a été donné dans la rue, à Paris, la même année. Certaines prédictions, notamment celles concernant le Maroc et Tripoli, et qui se trouvent presque réalisées,. donnent un intérêt à la brochure du Nostradame inconnu. I,a brochure est un in-12 de 42 pages, en comptant la couverture sur laquelle on lit Vingt événements à venir. Selon le Prophète Daniel Entre 1906 et lia fin de cette Ere en et l'Apocalypse. 1929-31. Révolution- et Guerres- dans le cours de 1906 à Confédération de dix Royaumes vers 1919. 1919. Venue d'un Napoléon comme roi de Syrie vers 1922-23 et le Président de la Confédération de 1925-27 à 1929-31. Ascension de 144.000 chrétiens au ciel, le 26 février 1924 Grande tribulation et Persécution pour ou 1926. Descente de Jésus3 ans I/2 de août I925 ou I927. Christ à Jérusalem le 2 mai 1929 ou 9 avril 1931. Règnes sur les nations 1.000 ans. = Aussi le livre du Prophète Daniel. Librairie Charles, 8, rue M. Le Prince, boulevard Saint-Germain, Paris. Une image en couléurs, réprésentant quatre personnages à cheval, symbole des événements prédits, illustre ce titre, dont j'ai respecté les bizarreries. Les pages 2, 3 et 4 de la couverture sont occupées par des images en couleurs, celle de la page 4 est -la plus surprenante. Elle représente la bataille d'Armageddon à Jérusalem, à la fin de cette ère, le 2 mai ou 9 avril 1931. Au bas de la quatrième pâge de la couverture on lit Imprimerie Tom Browne et Compagnie, Hyson Gre&n, Nottingham. A en croire certains renseignements contenus dans la brochure, la première édition en aurait été publiée à la librairie Martien, en 1863, à Philadelphie. Une autre édition, augmentée, .aurait paru en 1893. L'édition de 1903 serait la plus intéressante, car les dates précises des vingt événements à venir s'y trouvent pour la première fois. Il est possible que les premières


éditions aient été publiées en anglais, mais l'auteur n'en

dit rien.

Les premières pages de la prophétie peuvent la faire prendre pour un ouvrage de propagande bonapartiste. Cependant, le Napoléon annoncé finit par tomber dans de telles impiétés, de si grandes cruautés que si la brochure n'était qu'un pamphlet de propagande politique, elle irait à l'encontre de son but. L'auteur connaît pour les avoir parcourus les EtatsUnis, l'Europe, la Palestine. D'autre part, on se trouve en présence d'un historien éclairé, sinon érudit. Aucun des problèmes de la politique contemporaine ne lui est inconnu. Il n'affecte pas des prétentions prophétiques ses prédictions ne sont que des gloses sur des textes sacrés. Le premier passage qui ait trait au Maroc et à Tripoli est ainsi conçu « Des révolutions et des guerres dans le cours de igo6 à 1919 qui amèneront la séparation de la Macédonie, l'Albanie et la Syrie de la Turquie, et l'extension de la France jusqu'au Rhin, et transformeront, pas plus tard que igig, les 22 Royaumes ou Etats qui occupent maintenant le territoire de l'ancien Empire Romain de César, en dix royaumes gouvernés par dix souverains, comme le représentent les dix cornes de la bête de Daniel, ainsi que les dix orteils de la statue de Daniel; 11,33; VII, 24. Les 22 Royaumes ou Etats sont (i) la France (2) la Grande-Bretagne (3) la Belgique (4) le Luxembourg (7) Bade (8) Wurtem(6) la Bavière {5) la Suisse (9) Provinces du Rhin (10) l'Espagne (11) le berg Portugal (12) le Maroc, qui sera ajouté à la France ou à l'Espagne (13) Tripoli, qui sera ajouté à La France ou à l'Italie (14) l'Autriche (15) l'Italie (16) la Grèce (17) l'Egypte (18) la Turquie (I9) la Bulgarie (20) la (22) le Monténégro. » Serbie (21) la Roumanie Un second passage est plus explicite encore. Il mentionne les faits que doivent sa produire avant 1919


Formation de ces dix royaumes en une Confédération ou Alliance de dix royaumes (remplaçant la triple alliance actuelle de l'Allemagne, de l'Autriche et de l'Italie, ainsi que la double alliance de la France et de la Russie). Les dix royaumes condéférés se composeront de (i) la France, s'annexant plusieurs petits états ou royaumes, et ainsi agrandie jusqu'au fleuve du Rhin et le mur romain de Bingen à Ratisbonne, parce qu'autrefois ce fleuve et ce mur formaient la frontière de l'Empire Romain entre la France et l'Allemagne (2} la GrandeBretagne séparée (du moins tant que ces pays auront des parlements à eux) de l'Irlande et de l'Inde, ainsi que ses autres colonies qui n'ont jamais fait partie de l'Empire Romain de César (3) l'Espagne avec le 'Portugal et toute cette partie du Maroc qui ns sera pas ajoutée à laFrance (4) L'Italie probablement avec Tripoli (5) l'Autriche, au moins les provinces situées au nord du Danube, c'est-à-dire moins presque toute la Hongrie et la Bohême, la Moravie et la Galicie (5) la Grèce avec la Thessalie, l'Epire, la Macédonie et l'Albanie comme il fut autrefois (7) l'Egypte (8) la Syrie, séparée de la Turquie (9) la Turquie, qui ne comprendra plus que l'ancienne Grèce et la Bithynie (ro) les Etats des Balkans ou Etats Slaves, c'est-à-dire la Bulgarie et la Roumanie, et une partie de la Serbie et de la Hongrie. » Qui vivra, verra. «

Février 1912.

Il court en ce moment un mot d'esprit sur les portraits que dessine M. Rouveyre d'après ses contemporains « Ce ne sont pas même des caricatures, ce sont des ca-

lomnies ». On l'a attribué à M. Rémy de Gourmont, mais il est, paraît-il, de M. Charles Morice. Comme le mot est bien venu, il restera. Beaucoup de


gens m'ont dit qu'il était juste. La plupart d'entre eux avaient été dessinés par M. Rouveyre.

Le peintre Picasso regarde une toile d'un peintre futuriste. elle est fort embrouillée, des objets disparates s'y mêlent une bouteille, un faux-col, une tête d'homme jovial, etc., ce désordre est intitulé le Rire. « C'est plutôc le Pêle-Mêle », dit en souriant Picasso.

Je connais quelqu'un qui va publier un volume d'histoires juives. Il y en a beaucoup. Elles sont souvent très amusantes et lorsqu'on les raconte on a pris l'habitude de les attribuer à M. Tristan Bernard. Voilà la dernière histoire juive que l'on m'ait racontée Abraham Lévy entre chez la mercière et demande « Matame, je foutrais un morceau de ruban d'une îonqueur écale à celle qui se troufe du pout de mon nez

ma. Très bien, Monsieur

au pout de

»

la mercière, et efle commence à auner en zig-zag « Un mètre, deux mètres, trois mètres, quatre mètres, cinq mètres. » Abraham I,évy l'interrompt brusquement « Parton, Matame, fous ne m'avez pas très bien compris. » « Parfaitement, Monsieur. le bout de votre nez le voilà mais le bout de votre. il est à la synagogtie. » «

», fait

Une dame russe, amateur de peinture moderne, visita dernièrement l'atelier du peintre cubiste espagnol Juan Gris..

Elle regarda longuement les toiles où le public français


ne distingue pas grand chose, puis, se dirigeant vers la porte, la belle Moscovite déclara n'est pas intéressant. On voit trop ce que c'est. » « Ca

Mai 1912. Des hommes que j'ai connus et dont je me souviens avec le plus de plaisir, Faïk bég Konitza est un des plus singuliers. Il naquit en Albanie, voici une quarantaine d'années, d'une famille restée fidèle au culte catholique. Ce Chkipe fut élevé en France et, vers l'âge de 20 ans, il était si pieux qu'il voulut entrer comme novice à la Grande Chartreuse. Il n'en fit rien cependant, et peu à peu sa religion se changea non point en indifférence, mais en une sorte d'anti-cléricalisme décidé qui rappellerait celui de Mérimée. Il continua ses études, mais comme il possédait à un haut degré l'amour de sa patrie albanaise, retourné en Turquie il y conspira, et, d'après ses dires, y fut condamné deux fois

mort par contumace. Il revint en cette France dont il connaissait admirablement la langue et la littérature et se lia avec tous ceux qui s'occupaient de l'Albanie. Cependant, la liberté dont on jouit ici ne lui paraissant point suffisante, il alla s'établir à Bruxelles, rue d'Albanie, pour y fonder une revue inédite Albanià, où il s'occupait de politique et encore plus de littérature, d'histoire, de philologie. Tl donna ainsi beaucoup de vie au mouvement albanisant en purifiant la langue albanaise des termes impropres ou parasites qui s'y étaient glissés, il fit, en peu d'années, d'un patois de bouges à matelots, une langue belle, riche et souple. Cependant, la liberté comme on l'entend à Bruxelles* ne lui plaisait pas plus que celle que l'on a à Paris. Une fois, même, il eut affaire, dans la. rue, à un agent de Police. On l'interrogea « Votre nationalité ? » «

Je


suis d'Albanie. »

j

« Où habitéz-vous ?

»

« Rue d'Al-

banie. » « Quelle est votre profession » « Je dirige l'Albania. » « Pour une fois, -sais-tu, je crois que vous vous moquez de moi », dit l'agent, et le patriote albanais dut passer la nuit au poste. Dégoûté de Bruxelles, Èaïk bég Konitza partit pour Londres., Il abandonna sa belle imprimerie faite uniquement de caractères plantiniens et où il avait composé et imprimé lui-même de petits ouvrages, aujourd'hui- rarissimes. Cela n'avait pas duré longtemps, parce que l'unique ouvrier qu'il employait parvint à mettre tous les caractères en pâte, les rendant inutilisables. C'est à Londres que je connus Faïk bég Konitza, en 1903. Il habitait dans Oakley Crescent, City Road,E. C. Je ne l'avais jamais vu. Il m'avait invité à venir passer quelques jours chez lui et devait venir méprendre à la gare. Il fallait un signe auquel je le reconnusse. Et il était entendu qu'il porterait un orchidée à la boutonnière. Mon train arriva avec un long retard, et, sur le quai de Victoria-Station, je vis que tous les messieurs qui se trouvaient là avaient un orchidée à la boutonnière. Comment reconnaître mon Albanais ? Je pris un cab et arrivai chez lui au moment où il en sortait pour aller acheter l'orchidée. >s Mon séjour à Londres fut charmant. Faïk bég Konitza avait une passion pour la clarinette, le hautbois, le cor anglais. Il avait dans son salon une collection ancienne de ces instruments de bois. Le matin, en attendant le déjeuner, toujours en retard, mon hôte me jouait de vieux airs nasillards, et se tenait assis, les yeux baissés, l'air sérieux, devant son pupitre. On déjeunait à l'albanaise, c'est-à-dire interminablement. Un jour sur deux, il y avait pour entremets de la crème renversée, que je ne goûte point. Il s'en régalait Et le lendemain, il y avait du blanc-manger,, dont je suis friand, et qu'il ne mangeait pas. Les déjeuners duraient si longtemps que je ne pus


visiter aucun musée de Londres, car nous arrivions toujours au moment où l'on fermait les portes. Cependant, nous faisions de longues promenades et j'apprenais à connaître quel esprit fin et cultivé était. Faïk bég Konitza. Comme presque tous les Albanais de bonne race, il 1 était un peu hypocondre et j'étais d'autant plus touché de l'amitié qu'il me témoignait que je ne l'en voyais. point prodigue. Son- hypocondrie se manifestait de la façon la plus bizarre. S'il lui arrivait d'entrer dans un magasin pour y acheter quelque chose, il en sortait avec la peur que le commerçant ne courût après lui, prétendant qu'il l'àvàit. volé « Et en effet, ajoutait-il, comment prouverais-je que je ne l'ai pas volé ? » Quand je le vis à Londres, Faïk bég Konitza venait de réformer sa bibliothèque; il avait vendu tous ses. livres pour acheter de ces éditions anglaises où le texte est imprimé en si petits caractères qu'il faut une loupe pour les lire. Il avait formé ainsi une nouvelle bibliothèque, considérable, qui tenait tout entière dans une petite armoire. Et il n'avait gardé -de ses anciens livres que le Dictionxaiye de Bayle, qu'il avait choisi pour maître, et le dictionnaire de Darmesteter. Sa plus grande admiration littéraire était M. Rémy deGourmont et il me témoigna beaucoup de reconnaissance lorsque, plus tard, ayant trouvé un de ses portraits, je le lui envoyai. Faîk bég Konitza, comme l'autre Beyle, a toujours eu la manie des pseudonymes. Il en change fort souvent. A. l'époque pu je le connus, il se faisait appeler Thrank-Spirobeg, d'après le nom du héros d'un roman historique de Léon Cahun, qui est une manière de chef-d'oeuvre et le meilleur ouvrage inspiré par l'histoire civile des Albanais. Mais voyant que les typographes orthographiaient toujours son pseudonyme Thrank-Spiroberg,.


Faïk bég Konitza se décida bientôt aligner aussi ainsi. Cela ne dura que deux ou trois ans il prit un autre pseudonyme duquel il signa un ouvrage très nourri, très bien écrit, qui est intitulé Essai sur les langues aiMfici*elles, par Pyrrhus Bardyli. Je passai encore unefois quelque temps à Londres-chez Faïk bég Konitza, qui s'était marié, et qui habitait à Chingford. C'était le printemps, nous mous promenions dans la campagne et passions des heures à regarder jouer au.golf. Un peu avant mon arrivée, Fàïk bég Konitza avait fait acheter des poules, pour avoir des œufs frais mais quand on les eut, impossible d'en manger. En effet, comment manger les oeufs de poules que l'on connaît, que l'on nourrit soi-même ? Les poules ne tardèrent pas à manger elles-mêmes leurs œufs et ce fait épouvanta Bàïk bég Konitza au point qu'il regardait ces pauves volatiles avec terreur, n'osant plus les laisser sortir de leur petit poulailler où elles s'entretuèrent pour se dévorer, sauf une qui, étant restée victorieuse, vécut quelques temps encore dans sa solitude. C'est là que je la vis. Elle était devenue féroce et folle comme elle était noire et avait maigri, elle ressembla bientôtà tin corbeau, et avant mon départ, ayant perdu ses plumes, elles'étaitmétamorphosée enune sorte de rat. Faïk bég Konitza publiait YAlbania avec beaucoup de soins. Sur la couverture il y avait, comme marque, les armes du prochain ltoyaume d'Albanie dessinéesparun sculpteur français de talent, dont j'ai oùblié le nom et qui mourut voici quelques années, dans les environs de New- York, d'une chute -en 'ballon. Cependant, l'attention que Faik'bég Konitza mettait à rédiger ses articles et sa lenteur étaient cause que sa revue paraissait toujoiaars avec beaucoup de retard. En 1904, il ne parut que des numéros de 1902, et, en 1007, paraissaient régulièrement

les numéros de 1904.

'La revue française de 1'Occident pourrait seule rivaliser sur ce -point avec


Lorsqu'arriva la Révolution turque, Faïk bég Konitza pensa qu'il rentrerait dans sa patrie. Mais les événements ne se produisirent point selon son gré. Et il partit brusquement pour- l'Amérique au moment où l'on fomentait la révolte albanaise. Il m'écrivit une dernière fois avant de partir, puis neme donna plus de ses nouvelles. Je savais qu'il y a en Amérique une colonie albanaise, importante et riche. Je pensais qu'elle avait accueilli avec faveur le restaurateur de la langue albanaise. Je regrettais qu'il ne me tînt pas au courant de ses aventures, lorsque, l'an dernier, je trouvai, par hasard, chez un libraire, le premier numéro d'une publication intitulée Tnmbéta Krujes, c'est à dire la Trompette dé Craya, qui fut la capitale de Scanderberg. J'y vis que Faik bég Konitza habitait à SaintLouis, dans le Missouri, et qu'il avait renoncé à écrire en français, qu'il connaissait fort bien, pour se servir de l'anglais, qu'il parle fort mal. J'écrivis à Saint-Louis, mais ne reçus point de réponse. Quand, ces jours. derniers, une lettre venue de Chicago me rappela mon Albanais. Elle était expédiée par un certain Benjamin DeCasseres (en un seul mot avec deux majuscules.) Mais récriture de l'enveloppe ne me laissa aucun doute, c'était bien l'écriture de Faïk bég Konitza, petite, bien formée,, avec les a semblables à ceux de l'imprimerie et qui furent copiés sur l'écriture de Pétrarque. J'ouvris la lettre. Elle contenait une sorte de prospectus imprimé de deux pages, en anglais, intitulé Prélude, et dédié à tous ceux qu'a repousses mon égoïsme militant. C'est une sorte de poème en prose, plein de phrases philosophiques et d'images bibliques où sont mentionnés Beethoven, Goethe,, etc., etc. Cet adieu singulier lancé par Faîk bég Konitza à ceux qu'il a connus .et avec lesquels il a rompu toutes relations d'amitié, ne me laisse plus aucun espoir de le revoir. Il a renoncé à l'Europe, il ne publie plus la Trompette


j

de Cyôya, l'Albanie même ne fait peut être plus partie de ses préoccupations, et c'est parmi les gens d'affairés du Michigan que ce descendant des compagnons de Georges Castriot promène maintenant sa mélancolie d'Européen très cultivé, de poète désabusé, son hypocondrie d'exilé -et, sans aucun doute, les quatre grands volumes du Dic-ionnaire de Bayle.

Juin

y

f

1912.

Peu de jours avant le vernissage des Artistes Français, je sortais du Grand Palais, quand un jeune homme m'aborda et, se déclarant artiste peintre, me demanda si son tableau était bien placé. Je promis de le renseigner le lendemain, ainsi que je fis. J'eus, il est vrai, assez de peine à découvrir son tableau que l'on avait placé sur le balcon. Il se trouvait que c'était là un des tableaux les plus audacieux du Salon, puisqu'il ressortit à cette technique néo-impressionniste dont on n'avait vu jusqu'ici des modèles qu'aux Indépendants. Il ne s'agissait point d'une de ces peintures divisionnistes où le peintre strie la toile afin de lui donner une apparence floue et poétique, c'était là un véritable tableau de pointilliste où les couleurs gardaient toute leur force et toute leur pureté. Comment M. Edouard Fer a-t-il fait pour faire admettre son tableau aux Aytistes Français Je revis M. Fer, le lendemain, à l'heure convenue, et sans lui dire ce que je pensais de sa peinture, je le renseignai sur le lieu où on l'avait accrochée. L'artiste m'attendait dans les jardins du 'Cours-laReine. Je m'approchai de lui. Il ne m'avait point aperçu -et je l'entendis qui fredonnait une chanson niçoise E ciqu'e strass'e roba capeù.

î

Il tenait à la main une coupe grecque antique en terre


cuite où sur fond rouge couraient des dessins noirs et l'examinait amoureusement. J'interrompis sa contemplation, lui dis où était son tableau. Il me remercia, puis s'éloignant en chantonnant encore son refrain nissard et balançant le vase grec au bout de son bras droit. I,e nom de M. Fer m'était inconnu, toutefois je croyais reconnaître son visage et pendant quelques jours, je me demandai ou je l'avais rencontré. J'ai réussi à rassembler mes souvenirs et je ne crois point me tromper. Il y a de cela plusieurs années, je passai près du Père Lachaise et comme c'était l'anniversaire de la mort d'Eugène Delacroig j'entrai au cimetière afin de voir quels peintres se souvenaient du grand peintre qui fut l'initiateur de la peinture française moderne. J'arrivai près de la tombe. J'étais seul et personne n'était venu. J'allais me retirer, quand je vis venir un jeune homme qui portait un grand bouquet de fleurs du midi des roses, des mimosas, des violettes. Il s'approcha du monument, y déposa les fleurs, médita un instant et, lentement, il s'en alla. C'était M. Fer.

J'ai rencontré dernièrement un voyageur qui avait vécu quelque temps en Asie parmi les Tongouses. Il m'a traduit quelques pièces dues à un Poètetongouse, contemporain

Un homme regarde par-dessus mon épaule. Le vent passe devant nous en emportant des troupes de femmes étrangères. Et c'est moi que l'homme accuse de leur dé«

part.

»

Les soldats ont voyagé partout et est pour cela qu'ils sont vêtus uniformément. » « Il pousse des étoiles au ciel comme il pousse des fleurs sur la teÇte, mais sur la terre seulement il pousse des hommes et des chevaux. Et c'est pourquoi le-ciel ne peut rivaliser avec la terre. » « Quand je te vois, je suis malade.d'amour, quand je «


ne te vois pas je suis malade d'amour, si bien que ni ta présence, ni ton absence ne peuvent me guérir. » Tout cela a bien autant de valeur que beaucoup de poèmes contemporains.

I*e dimanche I9 mai,

fut enterré,, au cimetière

des

Bagneux le pauvre poète Paul Gabillard, mort, l'avantveille, à l'hôpital de la Charité. Nous étions sept. à suivre le corbillard. le nom de Gabillard ira grossir le martyrologe des poètes morts à l'hôpital. Je revois Gabillard dans les bois de Saint-Cucufa, qu'il hanta quotidiennement, durant quelques années. Il s'est couché sur les bogues de châtaignes qui jonchent une clairière et parle du poète Dubus qu'il aimait fraternellement. Je revois Gabillard au retour de son odyssée en Hollande où, s'étant trouvé seul et sans argent, il avait été incarcéré comme vagabond. Le jour qu'il me conta son aventure, il était ivre de misère,. et ne voulait plus qu'une chose envoyer un sonnet à la reine Wilhelmine afin qu'elle connût quel Français ses sujets avaient emprisonné. Une fois libéré, il était venu à pied, d'Amsterdam, trompant sa faim avec quelques racines arrachées dans les champs. Je revois Gabillard revenant d'Italie, où l'avait envoyé je ne sais quel journal, mais le consul avait dû rapatrie le poète abandonné. Il croyait bien avoir rencontré Dante, une nuit, à Florence. Je revois encore Gabillard luttant contre le péager du pont de Bougival, qui lui réclamait une seconde fois le prix de son passage. Je le revois aussi j,ouant aux échecs où il excellait, ou bien déclamant unpoèmesylvestre, et la poésie le grisait si souvent qu'il en mourut un matin de


mai, tandis que tintait l'Angelus à Saint^Geonaiiits-des-

Prés.

n'espérait plus qu'elle eût lieu, la représentation de l'Iphigénie de Jean Moréas au Théâtre-Français 1 Elle On

vint près de deux ans après le terme de la promesse faite au poète sur son lit de mort. Cependant, lors de la répétition générale, un journaliste cherchait Jean Moréas, auquel il avait télégraphié le matin même pour lui demander un entretien. I,e spectacle était consacré à des. auteurs aimés au Mercure de France. Jules Renard se trouvait parmi les fondateurs de notre revue et le jour de la répétition générale notre librairie mettait en vente les Réflexions sur quelques poètes, de Jean Moréas. Les. journaux du lendemain m'apprirent que Poil-de-Carotte était un chef-d'œuvre, bien fait pour la scène, tandis. que Ylphigénie n'était supportable qu'à la lecture. Jepensais justement le contraire. L'acte de Jules Renard ressemble aux dialogues d'Henri Monnier et plusieurs d'entre eux sont plus scéniques que Poil-de-Carotte, qui ne l'est guère. Le décor, les costumes, le jeu et la voix des acteurs, s'ils n'ajoutent rien à cette petite comédie domestique, lui ôtent beaucoup de sa vraisemblance. L'Iphigénie, dont les beautés apparaissent à la lecture, gagne sur la scène toute l'euphonie que la déclamation sait tirer des beaux vers et l'eurythmie que leur cadence donne aux gestes des. comédiens, L'Iphigénie fut mal jouée par des acteurs, excellents. On eût souhaité de plus beaux décors, des costumes plus richement ornés. Mais ces misères ne diminuaient point la grandeur de la tragédie qui reste, à mon sens, ce que le théâtre de notre temps a produit de plus. parfait. Un. jour que quelqu'un se plaignait des affiçhes qui gâtent les beaux paysages, Moréas déclara qu'elles ne le gênaient point et que la véritable beauté n'est pas. à la merci d'une réclame, de négociant. C'est ainsi que le


sublime de son. chef-d'oeuvre n'est point à la merci d'oripeaux de mauvais goût, de décors misérables, d'acteurs sans enthousiasme. Il est vrai que, parmi les spectateurs, beaucoup n'aimaient point la poésie. Ils pensaient au combat de boxe qui devait avoir lieu le soir. Et pendant lesentr'actes, dans les couloirs, on entendait prononcer le nom de Carpentier plus souvent que celui d'Agamemnon.

1/exposition des « Vexise » chez Bernheim jeune me -donne l'occasion de tirer quelques anecdotes du bel ouvrage de M. Georges Grappe sur Claude Monet. Au lendemain de la guerre, l'artiste connut des heures difficiles.

Il faut citer des deux grands peintres et du destinataire une lettre qu'Edouard Manet écivait en 1875 à «

M. Théodore Duret. Elle situe les choses mieux que n'im-

porte quel commentaire. « Mon cher Duret, « Je suis allé voir Monet hier. Je l'ai trouvé navré et tout à fait à la côte. Il m'a demandé de lui trouver quelqu'un qui lui prendrait au choix de dix à vingt tableaux, à raison de cent francs. Voulez-vous que nous fassions l'affaire à nous deux, soit 500 francs pour chacun ? « Bien entendu chacun, et lui le premier, ignorera que c'est nous qui faisons l'affaire. J'avais pensé à un marchand ou à un amateur quelconque, mais j'entrevois la possibilité d'un refus. «Il faut malheureusement s'y connaître comme nous pour faire, malgré la répugnance qu'on pourrait avoir, -une excellente affaire et en même temps rendre service à un homme de talent. Répondez-moi le plus tôt possible on assignez-moi un rendez-vous. « Amitiés. E. MANET. » (t


A cette époque, Claude Monet peignait la Seine

il était sur la rive ou sur l'eau. Manet disait volontiers à leurs amis communs .l'atelier de Monet,c'est son bateau. » M. Grappe raconte encore la naissance du mot impressionniste qui allait caractériser les peintres du plus grand mouvement d'art moderne. Il fut écrit à propos de l'exposition qui eut lieu chez Nadar, boulevard des Capucines, du 15 avril au 15 mai 1874. d'Astruc, Boudin, « On voit dans cette salle des œuvres Bracquemond, Cézanne, Degas, Guillaumin, Lépine, Berthe Morizot, Pissaro, Renoir, Rouart, Sisley, etc. Ils étaient trente en tout. M. Monet, pour sa part, exposait cinq toiles l'une d'elles, qui représentait un lever de soleil sur un port l'influence de Turner y est très marquée avait pour titre Impression Soleil levant. Très enveloppée, rosée légèrement, et en nuances, par la boule rouge de l'astre naissant, transparente et délicate dans ces brumes, ce fut elle qui déchaîna le toile. I,e Charivari, dirigé par le maître Jacques de l'incompétence, qui s'appelait le Dr Véron, donna le branle. En manière de plaisanterie, le critique d'art de la maison traita tous les exposants d'Impressionnistes, à la faveur du titre choisi par M. Monet pour son aurore marine. » « Toute la journée

Je vous annonce la mort du Passant, ce journal amusant fondé par de bons littérateurs et de spirituels dessi-

nateurs de Bruxelles. I,e dernier numéro du Passant mérite qu'on l'examiné. Il porte en épigraphe ces vers de Laforgue Quand on est mort c'est pour longtemps, La faridondaine, la faridondon.

Dans

une

lettre ouverte encadréede deuil, le Passant fait

part de son décès à ses abonnés et leur en donnela raison


Nous- n'avons plus. le sou! Voilà qui est net et clair. A ce propos, chers abonnés,, faisons,. si vous le voulez bien, un peu de comptabilité Pour les sept francs cinquante de votre ab.onnement,. le.- Passant vous, a. donné jusqu'à ce joar vingt-deux numéros, à vingt centimes le numéro, soit quatre francs soixante. Le présent dernier numéro étant édité: au prix de trois francs, vous vous rendrez facilement compte, après un léger calcul, que vous nous êtes redevables d'une somme de dix centimes. Nous espérons que vous ne lésinerez pas pour nous fanre. parvenir au plus vite ce léger supplément. La somme globale ainsi, obtenue est destinée à faire les fonds d'un banquet de funérailles. Les personnels, pointilleuses qui trouveraient notre façon d'agir un. peu désinvolte sont prévenues que nous «.

partageons entièrement leur manière de voir. » Et la dernière page du Passant est occupée, par un superbe portrait de Cambronne à Waterloo. Il faut ajouter que le Passant accomplit sa mission, qui fut de révéler à. l'univers l'esprit d'André Blandin et les. mérites. littéraires, d'Horace Van. Offel, qui est encore un dessinateur ingénieux et d'un talent véritables Passant, repose, en paix

Il y a quelque temps, M. Camille de Sainte-Croix fit représenter Comme. il vous plaira à l'Athénée.. La forêt; où erraient Rosalinde, OrlandQ, Jacques: le mélancolique, était éclairée à l'électricité. Dans la Dramœtk Review, dw 6 juin x88s Oscar Wilde donna la description d'une représentation de Comme il vous plaira en plein air et en plein jour. «

Shakespeare, ajoute Oscar Wilde (r), a toujours joué

(i) Essais de UtlêïaXure et d' 'esthétique,, trad.. d'Albert Sàvine(P. V. Stock, 1912).


fâmilel eut Macbeth à la lumière artificieHe. Il a joué en plein jour, Comme vous plaira et toutes les autres co-

il

médies. »

part, je pris un grand plaisir à voir jouer Comme il vous -flaira à la lumière artificielle mais voyez comme le récita' Oscar Wilde est attrayant. d'épine 'blanche est de latrarnum « A travers une avenue doré, nous passâmes dans la tente verte qui servait de

Pour

ma

théâtre. L'air était embaumé du doux parfum des lilas et vibrant du chant des merles, et quand le rideau tomba dans sa tranchée de fleurs, nous vîmes devant nous une véritable forêt et nous vîmes que c'était Arden. Car, avec de grands cris, des exclamations, à travers la fougère frémissante, arriva la troupe forestière. Le Duc exilé prit place sous le grand orme et pendant que ses seigneurs étaient -étendus auteur de lui sur l'herbe, la riche mélodie du vers blanc de 'Shakespeare arrivait déjà à nos oreilles. Et pendant toute la représentation, ce délicieux senti ment de la joyeuse vie forestière se prolongea, et même quand la scène resta vide pour que le berger put emmener son troupeau dans 1a prairie ou permettre à Rosalinde de donner des leçons d'amour à Orlando, nous pûmes entendre bien loin le hallo perçant du chasseur et, de temps à autre, le chant lointain d'un cor. De la mise en scène résultait un avantage bien net. I^es entrées et sorties brusques, qui rendent nécessaires sur la scène réelle les limites 4e l'espace disponible, furent supprimées dans bien des cas, -et nous vîmes les acteurs venir peu à peu à nous travers la futaie et le sous-bois ou disparaître en s''effaçant sur la pente jusqu'à ce qu'ils se perdissent <kns quelque profonde retraite,, de 4a forêt, 1'éiet de distance ainsi acquis éta'nt largement accru par les guirlandes de "buée verte qui, de temps à autre, flottaient en travers du fend. Vraiment, je -ne vis jamais une démonstration la


fois aussi parfaite et aussi pratique de la valeur esthé' tique de la fumée. » M. Camille de Sainte-Croix, s'il n'a pas fait jouer en, plein air Comme vous plaira, a du moins donné à la lumière du jour le Marchand de Venise, qui est une sorte de comédie. C'était dans la salle du Trocadéro, il n'y avait pas de décors et ce fut une des plus parfaites représentations théâtrales auxquelles il m'ait été donné d'as-

il

sister.

Août 1912.

Le Banquet de Luna Park, en l'honneur du nouveau Prince des Poètes, avait été précédé d'un certain nombre de banquets préparatoires. Il y eut d'abord le banquet Camoëns offert par le gouvernement portugais. Parmi les. convives, ceux qui n'avaient point lu les Lusiades connaissaient du moins l'Africaine mon voisin de droite, à table, grand voyageur, avait visité la célèbre grotte de Macao, où le poète composa en partie son épopée. Avant et après les discours, on parla surtout de l'éléction. Il en fut de même au banquet que l'on offrit à Jean Royère. Le premier banquet que présida le nouveau Prince des poètes fut celui du Mont de Passy. Il eut lieu sur le coteau, dans la maison de Balzac, et les tables avaient été dressées dans le petit salon, où, au lieu des Raphaëls et des Vincis qu'espérait l'auteur de la Peau de chagrin, M. de Royaumont a fixé au mur des fragments de journaux illustrés. Mais que dire du banquet de Luna Park Les convives étaient innombrables. On dîna sur un pont jeté au-dessus d'une mer en tôle ondulée où naviguaient des fauteuils. Et ce détail unique justifiait la mention des salons sur la carte d'invitation. La foule des convives, celles qui grouillait en bas,


les attractions, les nains, les géants, la musique, les feux de

bengale, un petit éléphant qui portait galamment une casquette rouge sur l'oreille, les chameaux dont les mâchoires remuaient sans cesse horizontalement, le tintement des clochettes, les cris des femmes, tout cela formait un ensemble barbare dans le sens où ce terme peut se confondre aujourd'hui avec celui de moderne. Mais cet ensemble plein de couleurs était aussi plein d'une poésie allègre, imprévue et charmante que devait ressentir vivement le poète de Paris sentimental.

Septembre 1912.

Les peintres cubistes ont eu ces derniers temps le plaisir de recevoir la visite d'un des hommes les plus singuliers qui se puissent imaginer même en rêve. M. Aghéli est Suédois et musulman. Il semble, au demeurant, que la religion de Mahomet fasse de grands progrès en Europe, sinon en France, du moins en Allemagne et dans les pays scandinaves. M. Aghéli ou encore AdbulHadid (c'est là son nom de Mahométan) a été élevé à Paris, où ses parents demeuraient dans la rue Cortot, à Montmartre. Mais il a surtout habité sa patrie, la Suède, et les différents pays musulmans. On le dit fort versé dans les sciences occultes. Il ne sort jamais sans un filet à provisions. La peinture et la sculpture des cubistes a trouvé an lui un défenseur ardent et plein d'idées neuves. Il ressemble au roi de Suède, dont il vante le goût artistique, et auquel, dès son retour dans son pays, il veut montrer les beautés de la nouvelle peinture française. Comme il est dur d'oreille, M. Abdul-Hadid est grand amateur ,de musique. Sa voix sait prendre des inflexions du mépris le plus profond, quand il parle, par exemple des peintres futuristes et il s'étonne, avec raison, de l'indulgence amusée qu'on leur a prodiguée en Francè. En vêtement merdoie, son filet à provision dans la


main droite, notre musulman parcourt Paris, qu'il adore « Pays des efforts, dit-il, et qui ne sont pas toujours récompenses.. »

Les Principautés, anges qui forment une des trois hiérarchies d'Empire, ont introduit dans leurs phalanges quelques personnages surnaturels, desquels celui que l'on a appelé Prince des conteurs, ou encore Han Ryner, n'est parvenu jusqu'aux célestes myriades qu'en entassant électeurs sur électeurs et en les escaladant à la façon des

Titans. I,a Presse confond souvent la popularité dont elle est la dispensatrice avec la véritable notoriété ou même avec la gloire. Et sans y mettre de malice, les rédacteurs des grands journaux professent quelques mépris potur les écrivains qui, n'étant ni des érudits ni des savants, se tiennent à l'écart du journalisme. Cependant,, un grand nombre de poètes et presque tous les écrivains novateurs sont dans ce cas. Ils travaillent avec un grand désintéressement et fort. souvent avec une lenteur qui les rendrait inutiles et même riéicmtes dans les salles de rédaction. Qu'on ne s'étonne donc pas des moqueries par lesquelles la grande presse a accueilli les noms des électeurs entassés par M. Han Ryner à cette fin d'aller prendre rang parmi les Principautés. Ces Pélions et ces Ossas, inconnus 4es journaux, Ben sont pas moins de hautes montagnes. Il y a cinq ou six ans déjà que les lecteurs du Mercure de France (en avance sur ceux des quotidiens) connaissent l'une d'elles, appelée M. Louis de Gonzague Frick. Ses titres littéraires ayant été contestés, à la suite de l'élection où fut désigné celui qui le mieux sur terre sait faire la rue Michel, il les revendiqua par la lettre suivante


i

Enghien, 25 août. Monsieur le rédacteur en chef, Vous êtes sans doute trop jeune pour avoir entendu parler de mes travaux. Qu'ilvous duise toutefois de savoir que j'ai publié, au siècle d'Erasme (c'était alors « la joie immense de vivre parmi les jours»), l'Enchiridion de Jadalbaoth, gentilhomme australasien, et des poèmes conçus dans l'euphuïsme qui triomphait en ce temps-là. Ce bagage littéraire-assez mince pour m'en

donnerla rougets au front ne m'avait pas moins rendu célèbre. Je fus fêté à l'instar du professeur Nostradamus belle mais qui doit toute sa science tête de savant aussi ceci est un mystère que je dévoile à M. Max Jacob, astrologue montmartrois inégalé, littérateur sans second et fondateur du druidisme nouvelle école esthéticométaphysique dans laquelle je me suis enrôlé, encore que je préfère la pataphysique de feu Alfred Jarry 0 Calisaya

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Quant à moi, j'ai bien fondé la phyllorhodomancie ou l'art de vaticiner par la perlustration des feuilles de les fleurs d'oranger ô Mignon eussent roses mieux valu mais je ne veux point de disciples comme Frédéric Nietzsche et les. rejette « d'un impératif caté-

gorique. » Ces fondements posés, souffrez que je vous dise le vif plaisir que j'aurai à savourer en votre compagnie-dont j'augure merveille-des prunes de la Forêt Noire cueillies par les mains de I/ilith que j'antépone à Mme Eve, ainsi qu'il appert d'un de mes poèmes consacré à l'admirable

Satané. Dans cette expectative, il m'est doux, bien doux, de


demeurer sous le charme de l'esprit et du talent que je pressens en vous et de me dire le plus courtoisement du monde votre plus pur serviteur. LOUIS DE GONZAGUE FrICK.

L'Enchiridion de Jadalbaoth, gentilhomme australasien, est une suite de paraboles excellentes, dignes d'être

haussées près de celles que le nouveau prince des conteurs mit au compte du sage Psychodore et de celles que réunit naguère l'admirable Louis Latourette sous le titre suivant Des étoiles en plein midi. Outre l'Exchiridion de Jadalbaoth; qui fut inséré dans la Phalange, M. Louis de Gonzague Frick a publié quelques poèmes, et voici cinq ans qu'un dixairi qu'il m'avait dédié a été reproduit dans la Mercure. M. Louis de Gonzague Frick, qui a collaboré à un grand nombre de journaux et de revues d'avantgarde, a longtemps entretenu des correspondances suivies avec plusieurs grands écrivains des cinq parties du monde. Il n'est donc pas inconnu dans la république des lettres. Nous nous sommes connus, M. Louis de Gonzague Frick et moi, il y a de cela une vingtaine d'années. Nous étions alors au collège. Mais comme nous n'étions pas dans la même classe, sa physionomie s'était effacée de ma mémoire lorsque, le 27 janvier 1907, à 5 heures du matin, un violent coup de sonnette m'ayant réveillé,, j'allai ouvrir en chemise. Il y avait là un jeune homme de haute taille, en redingote, chapeau haut de forme, une rose insigne à la boutonnière, et, à l'œil droit, un monocle insolent. Je ne tardai point à reconnaître, en ce jeune homme élégant, l'ancien collégien Louis Frick qui 'était encore parmi les petits alors que j'étais déjà parmi les moyens. Après s'être fait reconnaître, ce visiteur matinal me suivit dans mon bureau, et, tandis que je grelottais, car il faisait froid, il me récita l'Après-midi d'ux faune et quelques proses de Mallarmé après quoi il déclama les passages principaux d'un roman de M. Sadia Lévy,


écrivain rare et nombreux la déclamation d'un long morceau tiré de l'Enchanteur pourrissant me flatta audelà de toute expression, je goûtai encore telle tirade extraite d'un ouvrage de M. Suarès et un mélodieux poème de Jean Royère. Ces déclamations, pendant lesquelles je ne cessai de grelotter, étaient coupées de remarques formulées en une langue ferme et nette que la rareté de la plupart des mots rendait néanmoins difficile à comprendre. Au point que, grelottant, je n'hésitai point à comparer mentalement mon visiteur à l'Ecolier limousin, et aussitôt il m'intéressa. Les mots s'usent, et il est bon que, de temps en temps, quelque écolier limousin, bravant le ridicule, tente de substituer à un vocabulaire trop usé, des mots neufs, longs et laids, ayant tous les défauts des choses nouvelles. Mais, si le peuple les adopte, ces mots-là embelliront et finiront par s'user aussi bien que les autres. Depuis ce matin de janvier igo7, j'ai revu maintes fois M. Louis de Gonzague Frick et jamais plus son langage surprenant, tout farci de termes rares, tirés du grec et du latin, ne m'a paru ridicule. Pour ce qui concerne la phyllorhodomancie, M. Louis de Gonzague Frick s'y adonnait déjà, et quelques pré-dictions qu'il fit en ce temps-là, devant de nombreux témoins, ne manquèrent point de se réaliser. Aussi, conjuré-je ce moderne Nostradame de publier, tous les ans un almanach où, dans un langage parent de celui de l'amant de Polie, de celui de Fidenzio Glottocrysio Ludimagistro, de celui des euphuistes anglais, il prédise, par centuries lyriques, les événements de l'année. Lorsque M. Louis de Gonzague Frick vint me rendre visite pour la première fois, il s'appelait encore Louis de Frick, qui est un nom bien court pour un poète-phyllorhodomancien. Il eut bientôt trouvé ce beau nom auquel le calendrier lui donnait un droit incontestable. M. Louis de Gonzague Frick est sans contredit le jeune homme qui connaît par cœur le plus de vers de ses con"i


i

temporains. Ces poèmes, il les récite de deux manières la sienne et celle de l'auteur. La première manière est généralement la meilleure. M. Louis de Gonzague Frick est encore un ami délicat et plein de dévouement. Un poète pour lequel il avait de l'amitié était pris au lever, chaque matin, d'une toux nerveuse. Le médecin avait ordonné de manger une pomme à jeun. et, craignant que son ami n'oubliât de suivre cette prescription, M. Louis de Gonzague vint tous les matins, pendant plus de six mois, lui apporter une pomme. Le trait est touchant. Mais cent effort dut le dégoûter des reinettes, car, depuis lors, notre phyllorhodomancien lyrique préfère les longs hululements de LiHth, première femme d'Adam, à l'Eve mangeuse de pommes et s'il parle légèrement du Druidisme, c'est parce qu'il s'est souvenu que longtemps avant que les Basques n'eussent introduit la culture de la pomme et l'usage du cidre en Bretagne, les pommiers faisaient déjà le principal ornement des vergers d'Escalon. On s'est souvent étonné devant moi que M. Louis de Gonzague Frick fût moins connu du grand public que certains auteurs sans fantaisie, sans gentillesse, qui parviennent le plus injustement du monde à s'imposer à leurs lecteurs qu'ils ennuient. Mais voici M. Louis de Gonzague Frick hors de l'obscurité. Il n'y resta si longtemps que parce qu'en un moment de colère il avait brisé une glace au Cardinal. C'était une faute, puisque les meilleures glaces sont celles du Napolitain. Quoi qu'il en soit, le soir du banquet que la Phalange donna en 1907 ou en i9o8 en l'honneur de M. Paul Adam, on écoutait avec attention un assez long discours quand un bruit épouvantable troubla la fête. On apprit bientôt que, pour des raisons que nous n'avons pas à apprécier ici mais entièrement honorables, M. Louis de Gonzague Frick avait brisé à coups de pied une grande glace il paraissait être destiné alors à une gloire immédiate et dut l'attendre quatre ou cinq ans. C'est que le bris d'une


glace porte malheur, il s'oppose, sinon à la véritable gloire, du moins à la popularité, qui souvent en tient lieu. La dernière fois que je rencontrai M. Louis de Gonzague Frick, nous étions au Repos de Béthanie, à Montmartre. Les Princes étaient là, mais ils n'étaient pas encore Princes. Le banquet avait lieu en l'honneur de Jean Royère. M. Louis de Gonzague Frick fit un discours concis, parfait, et j'admirai sans rés,erve les trésors de son éloquence. Elle ne s'exerce qu'à propos de lettres. Elles le passionnent par-dessus tout. On rencontrerait difficilement quelqu'un qui aimât davantage la littérature. Et si je devais voter afin d'élire un Prince des littérateurs, c'est à M. Louis de Gonzague Frick qu'irait aussitôt mon suffrage. Il est encore et par-dessus tout homme d'esprit. C'est très finement qu'il a relevé la réclame dérisoire qu'on lui avait faite à propos de l'élection du Prince des Conteurs.

Novembre

igi2.

M. Guy Lavaud est devenu le gendre de M. Francis Vielé- Griffin. Un mariage littéraire est aujourd'hui chose

rare. Et je me réjouis qu'un poète aussi poétique, aussi plein de talent que l'auteur de la Floraisondes eaux et Du Livre de la Mort entre dans la famille d'un des plus grands poètes de la génération Symboliste. J'ai connu Guy Lavaud il y a six ou sept ans et dès l'abord je fus frappé de cette sensibilité grave et lyrique qui le fait se présenter partout avec une touchante et charmante timidité. Lorsqu'il rencontre quelqu'un pour la première fois, Guy Lavaud semble se replier. On dirait qu'il veut dérober son âme à la curiosité du nouveau venu, de l'adversaire. Pas si adversaire que cela, puisque, d'autre part, il semble que Guy Lavaud fasse à l'inconnu


offrande de sa douceur et des grâces charmantes de son

esprit.

Surtout sensible aux harmonies véritables et les plus tendres du lyrisme le plus passionné, Guy Lavaud n'est pas un curieux au sens littéraire du mot. Le pittoresque des choses ne le touche guère plus que leur histoire. Un jour que Guy Lavaud était venu passer quelques jours à Paris, l'ayant rencontré chez un ami commun, je lui fis visiter les rues les plus curieuses du Marais. Mais, Guy Lavaud ne parut prendre qu'un médiocre plaisir à cette promenade et lorsque, la nuit tombée, nous retrouvâmes le chemin des Boulevards, il me dit « Nos vieux hôtels de Périgueux sont, je crois, bien plus intéressants que les vieilles maisons du Marais ». Et il ne fut plus question d'archéologie entre nous.

Il y a en ce moment une sorte de résurrection de Jean

Lombard. Les journaux publient des fragments inédits de ses œuvres, un volume de ses poèmes va paraître. On n'a publié jusqu'ici qu'un petit nombre d'anecdotes relatives à un écrivain qui eut la plus grande influence sur quelques auteurs, contemporains, comme Paul Adam, par. exemple. On ne sait pas que Jean Lombard, ce grand évocateur dé foules, était un homme bon, et l'amertume que lui valait la fréquentation de ses semblables tournait en attention affectueuse à l'égard des animaux. On a dit que Jean Lombard avait été débardeur. Voici le fait sa mère s'était remariée avec un homme veuf ou divorcé. Les deux conjoints avaient 'apporté dans cette union un nombre à peu près égal d'enfants chacun. Jean Lombard, le plus jeune, finit par appartenir indistinctement à l'un et à l'autre, et tous deux mettaient la même énergie à le rosser. Les deux époux, cependant, trouvaient des occasions fréquentes de


brouilles et même de séparations chacun d'eux rassemblait son lot d'enfants et prenait le train pour réintégrer la maison de ses parents. Et c'est à l'occasion d'une de ces séparations que Jean Lombard fut oublié à treize ans à la gare de Marseille. Il dut donc assurer son existence. Il fit le débardeur, comme on l'a dit. Ensuite il s'embarqua comme mousse, vit l'Algérie, puis il revint à Marseille, où il commença de participer à la vie politique ai attendant d'y être mêlé plus activement, car on ne sait peut-être pas qu'il fut le secrétaire et rapporteur du Premier Congrès ouvrier de Marseille. Il entra en apprentissage comme bijoutier, d'autres ont dit et écrit comme typographe, et peut-être, au fond, le fut-il réellement, car il a fait un peu de tout. On a dit aussi que Jean Lombard avait été cordonnier, puis mandoliniste. Voici il avait fondé un journal hebdoniadaire, la Sève. Les bureaux se tenaient rue Papety, à Marseille cette rue Papety est devenue la rue Bernex depuis. A l'adresse de la Sève vous trouviez une échoppe de cordonnier, et au visiteur qui demandait M. le Directeur, le cordonnier montrait une ouverture pratiquée au plafond de son échoppe et où l'on accédait par une échelle de meunier dont le délabrement était tel qu'il était indispensable de faire usage aussi d'une corde qui pendait. Et les visiteurs se demandaient souvent s'il n'était pas moins dangereux de monter à la corde que de gravir l'échelle vermoulue. Un jour, Elisée Reclus vint voir Jean Lombard au bureau de la Sève. Il en fut transporté d'enthousiasme il eut bien voulu encor être transporté au plafond lorsqu'il vit la difficulté que comportait l'opération par les moyens ordinaires. Jean Lombard descendit au-devant de l'illustre visiteur, qui d'un signe demanda une démonstration. Après vous, lui dit Jean Lombard. Vous en êtes encore làï dit Reclus, abolissant aiysi les derniers vestiges d'une politesse surannée. Et ils

montèrent.


Jean lombard n'était expansif qu'en famille, où il racontait les livres qu'il avait en chantier, en les présentant à ses enfants sous forme de légendes merveilleuses

qui les passionnaient souvent même ils gardaient dans leurs jeux, les noms antiques. Ces noms antiques Lombard, les aimait un de ses fils s'appelle Hannibal, l'autre, écrivain lui-même, ajouta au prénom de Paul celui d'Hesius, qui est le vrai nom de son acte de naissance. Hesius était une divinité gauloise terrible et il paraît que le jeune Hesius Paul fut un enfant terrible, en effet. Jean lombard avait fondé le Poytique, groupe de poètes qui chaque semaine devaient lire un nombre fixé de poèmes inédits pour S'OBLIGER AU TRAVAIL. Jean Lombard promit d'amener à une réunion un personnage de la Préfecture. A la séance, chacun lut le meilleur de son œuvre, et tout y passa. L'on reconduisit le visiteur, que l'on croyait de marque, le préfet, par exemple. Et le visiteur n'était que le concierge de la préfecture.

Il y a maintenant une légende de Moréas, en Amérique. Cette légende, qui est surprenante, m'a été contée par M. Frédéric Boutet. Elle aurait été publiée avec beaucoup de détails singuliers dans un journal des EtatsUnis.

Si l'on en croyait cette fable, Jean Moréas, ayant décidé de mourir, alla visiter tous ses amis et leur réclama ses photographies pour les détruire. Il acheta ensuite un

cheval blanc, sur lequel il galopa jusqu'à Dieppe, où la mer ne l'arrêta point, car il s'y enfonça avec sa mon-

ture.

J'ai rencontré dernièrement un poète hollandais,

M. Albert Verwey,

.directeur d'une revue estimée: De


Beweging

(le Mouvement) Il m'apprit que tandis que la

presse française faisait son possible pour déconsidérer l'art français moderne, c'est-à-dire ce cubisme que j'ai longtemps défendu seul, au contraire, en Hollande, le bourgmestre d'Amsterdam inaugurait une exposition cubiste, qui avait lieu au Musée. Ainsi, cependant qu'à Paris on demandait des sanctions contre des peintres coupables d'avoir des opinions esthétiques différentes de celles qui ont cours dans les salles de rédaction, à Amsterdam, on faisait aux cubistes une réception officieile. Je demandai à M. Verwey s'il connaissait des raisons d'une si grande différence de traitement, à l'égard de la nouvelle peinture, non plus art d'imitation, mais art intérieur le poète batave, homme mûr, nanti d'une véritable culture artistique, m'a répondu « C'est qu'en Hollande tout le monde s'intéresse depuis longtemps aux choses de la peinture et il n'y a pas un poète chez nous qui n'ait aussitôt sa'si les relations qui lient la nouvelle peinture à la poésie. » Il ne faut pas oublier en effet que Delaunay, Gleizes, Le Fauconnier, Metzinger, Léger, etc. c'est-à-dire la plupart des peintres cubistes, vivent dans la compagnie des poètes. Quant à Picasso, qui inventa la peinture nouvelle et qui, on ne peut plus en douter aujourd iaù, est la figure artistique la plus haute de ce temps, il n'a vécu que parmi des poètes dont je m'honore d'être.

Mars 1913. C'était à Cadix, en 1904, au cours d'une réunion politique. Un jeune homme venait de prononcer un discours très violent où il exprimait des opinions républicaines. Les autorités avisées, on décida de l'arrêter sur le champ


dans la salle même ou' il avait parlé. Mais la vigilance des révolutionnaires espagnols est si rarement en défaut qu'elle mérite souvent le nom d'inquiétude., Quoi qu'il en soit, au moment où 0n allait le prendre devant le public qu'il avait enthousiasmé, le jeune orateur tira de sa poche un revolver et, le tenant braqué sur ceux qui en voulaient à sa liberté, il marcha à reculons jusqu'à une fenêtre ouverte qu'il enjamba, laissant tout interdits ceux qui le poursuivaient. Ayant sauté dans la rue, il tomba presque dans les bras d.'un vieux prêtre qui passait et qui, après un moment de frayeur, se remit en reconnaissant dans le fugitif Pedro Luis de Galvez, fils d'un de ses amis intimes. Le bon prêtre savait quelles étaient les idées du jeune homme, il comprit aussitôt ce qui s'était passé, et, sans dire un mot, entraîna le fils de son ami loin de la rue dangereuse où ils se trouvaient. Après avoir passé une nuit dans la demeure de sou vénérable protecteur, Pedro Luis de Galvez partit poux Cordoue vêtu en ecclésiastique. C'est là qu'il fut arrêté et condamné à 14 ans de travaux forcés. On le mit au bagne d'Ocana, le plus terrible d'Fspagne, celui où sont enfermés les criminels les plus dangereux. L'Etat espagnol consacre, paraît-il, la somme quotidienne de cinquante centimes à l'entretien des forçats. Or, paraît-il encore, les appétits des fonctionnaires réduisaient cette maigre somme à un reliquat de quinze ce times par jour destinés à nourrir et vêtir un condamné. Pedro I,uis de Galvez était au courant de ces choses et il passa deux ans à fomenter une révolte dans le bagne. Il y réussit enfin, mais les geôliers ayant eu le dessus, on l'enchaîna par la jambe gauche dans un cachot. La chaîne scellée au mur n'avait pas cinquante centimètres de long. J'ai vu les jambes de Pedro Luis de Galvez. La gauche, qui porta la chaîne, est trois fois plus grosse que la droite. Il resta dans ce cachot deux nouvelles années couché


sur le sol humide et passant le temps à apprivoiser des

rats. Une cellule qui donnait sur la rue s'ouvrait en face de son cachot et cette cellule était la demeure provisoire d'un chanoine de Séville, amateur de tapisseries. Parmi les rats qu'avait dressés Pedro Luis de Galvez il s'en trouvait un auquel il avait crevé les yeux. C'était son rat favori, il dormait couché sur sa poitrine. Pedro Luis lui avait attaché une ficelle à la queue, et sans lâcher la ficelle, le faisait passer sous la porte du cachot. Le rat aveugle s'en allait en ligne droite et passait aussi sous la porte de la cellule du chanoine qui ne manquait jamais ni de papier, ni de crayon ni de cigarettes que lui jetaient de la rue des passants charitables. Le chanoine accueillait le rat fort aimablement, attachait sur lui du papier, des cigarettes et parfois un crayon. La nourriture, comme on pense, était médiocre et peu abondante la chair était représentée par de petits morceaux de lard que l'on ne cuisait pas afin qu'ils ne fondissent point. Pedro Luis de Galvez mettait de côté tous ces bouts de lard et, quand il en avait en nombre suffisant, il déchirait un lambeau de sa chemise dont il faisait une mèche à sa chandelle de lard, et, s'éclairant ainsi la nuit, il écrivait des poèmes et des contes sur le papier que lui avait apporté son rat aveugle. A l'époque de son arrestation, Pedro Luis de Galvez était un inconnu dans le monde des gens de lettres et dans celui des révolutionnaires. Sa condamnation à 14 années de bagne n'avait soulevé l'indignation de personne. Il serait mort dans son cachot, si son caractère n'avait plu à l'un de ses geôliers. Le chanoine de Séville avait été remis en liberté il y avait. quatre ans que Pedro Luis de Galvez était au bagne d'Ocana, il y en avait deux qu'il gisait, la chaîne au pied, dans le cachot humide. « Un nouveau geôlier se prit d'une affection fraternelle pour ce pauvre condamné aux yeux fiévreux, pour ce


misérable auquel les rats seuls formaient une société. Il l'avait surpris écrivant, et, ayant lu ses essais lyriques, avait été transporté d'admiration. C'est alors qu'un journal, F'l Libéral, organisa un important concours de nouvelles. Le geôlier vint l'apprendre un matin au jeune prisonnier, l'engageant à concourir, lui offrant de recopier la nouvelle écrite au crayon mais Pedro I,uis de Galvez ne lui répondit pas. Le geôlier insista désormais chaque jour sur ce qu'il appelait une idée, mais sans pouvoir décider son auteur à se mettre au travail. Cette longue détention avait usé les forces de Pedro Luis de Galvez la chaîne avait blessé sa jambe gauche il n'écrivait plus que rarement et avait renoncé à toute espérance. La proposition du geôlier lui paraissait inutile. Cependant, lorsque ce fut la veille du jour où l'on allait clore le concours de nouvelles, le geôlier vint supplier en pleurant son prisonnier de ne point renoncer à cette unique chance d'être enfin connu des hommes, et le farouche prisonnier répondit « Apportez-moi un litre de vin et j'écrirai la nouvelle. » Le geôlier risquait de perdre sa place, il apporta pourtant le vin au prisonnier lyrique, qui, réconforté, écrivit une nouvelle intitulée El ciego de la flauta. L'Aveugle de la flûte, recopié avec soin par le geôlier, fut envoyé au concours du Libeyal et obtint le premier prix. Quel ne fut pas l'étonnement des membres du jury lorsqu'ayant ouvert l'enveloppe annexée à la nouvelle ils lurent que son auteur était enfermé pour 14 ans au bagne d'Ocana. Ce fut d'abord un beau scandale en Espagne mais le roi signa bientôt la grâce de Pedro Luis de Galvez, qui devint correspondant du Libéral à Melilla, et obtint la croix du mérite militaire de première classe. Pedro Luis de Galvez a écrit des pièces de théâtre r la Prison (drame en 4 actes), la Senorita bohemia (co<:


»

médie en 2 actes) et des romans blâma, la Casa verde, etc., etc.

El projeta, Elia, Rosa

I,e peintre Rouault, homme à la fois farouche et timide, vient d'exposer à la galerie Druet un album de dessins d'une grande puissance. J'y ai relevé des légendes satiriques dont j'aime la fantaisie passionnée, et quelques poèmes où la satire flambe mystiquement. J'essayerai en vain de décrire la jeunesse et la bonne humeur du juge auquel M. Rouault fait dire «Nul n'est la loi. Voici d'autres juges, ils sont décorés et le Christ meurt au fond « Nous aimons les croix et nous savons les

ignorer porter.

»

Le bourreau dit au condamné « Je vous gâte, cher ami, je vous gâte. » ,La dame en décolleté « Je suis une petite grenouille qui se plaît dans son marécage. » I,e dessin qu'accompagne ce poème s'appelle l'Aveugle et le voyant

C'est, moi l'aveugle vif alerte et gai comme un moineau pillard Le voyant qui me conduit est sombre et noir comme le soir d'hiver-,9, qui nous glace le coeur 0 mon gai compagnon trempe moi l'esprit dans l'eau vive de ta résignation douce

forte

s

'*


vois-tu donc la nuit adorable de tes yeux la lumière de ton âme Que daiv

ô bienheureux

Et voici dans la série miserere le poème qui donne une

ei haute signification au poème intitulé Blasphèmes Agneau divin viens de ma main manger le

ainsi

pain délectable

parlait ce

doux crétin miteux-doucereux Mendigot de vocation aimable vermine ami des poux qui aime oh ma mère le prochain mieux que lui-même agneau divin viens de

ma main manger le

pain délectable

M. Rouault ne met pas de ponctuation dans, ses poèmes.


Le dessinateur Jules Depaquit raconte de jolies histoires. En voici deux qui se suivent. Un acteur de théâtre de faubourg avait à jouer le rôle de Joad. En étudiant la pièce, il fut frappé par le nom d'Abner. Il accourt dans le cabinet du directeur et lui dit « Il doit y avoir une erreur Racine n'était pas un fourneau, c'est Albert qu'il a voulu dire. »I,e directeurlui dit « Tâchez de respecter un peu le texte et ne vous occupez pas d'autre chose. x Mais l'acteur était fermement décidé à corriger Racine et, le soir de la première, il bredouilla les premiers vers de la tirade Celui qui met un frein à la fureur des flots

mais arrivé

à

Je crains Dieu.

Il s'avança jusqu'à la rampe, et, les bras élevés, il déclama d'un air décidé .cher Albert

et ajouta avec désinvolture

.et n'ai point d'autre crainte. I,e public ne s'aperçut de rien. Un auteur, en jouant Çromwel, récitait un fameux monologue et .tordait sa moustache à l'américaine. Elle lui resta dans la main. Au fond, son domestique se tordait de rire. Cromwel lui jeta un regard vainqueur, lança gaillardement sa moustache du côté cour et continua d'arpenter la scène à grands pas chaque fois que le bout de son pied rencontrait la moustache à l'américaine, il la pous-


salit avec dédain, du côté jardin

et du côt! cour alter-

nativement. Cette fois encore le public ne s'aperçut de rien.

Avril 1913 Un témoin des funérailles de Walt Wnitman m'en à raconte les détails. Je les ai recueillis de sa bouche et je reproduis son récit tel qu'il me l'a dicté, sans rien y ajouter. On m'a affirmé d'aatïe part çpe personne n'avait encore puî>fîé une relation détaillée de cet enterrement, qui fut une giSftée fêté, populaire. « Walt Whitman, the good gyay, prit lui-même des dispositions pour ses funérailles. Secrètement, il avait gardé assez d'argent pour se faire construire un tombeau franchement laid qu'il avait sans doute dessiné lui-même. Je crois que la somme se montait à vingt mille francs. Après sa mort, on loua un grand terrain occupé le plus souvent par des cirques ambulants. Ce champ fut entouré dé palissades peintes en vert. On construisit trois pavïlloris un pour le corps de Whitman 1"autre pour faire le bavbacue (ripaille populaire où l'on rôtit us bœuf et un mouton) le troisième pour les boissons cuves de whisky, de bière, citronnade, eau pure. Trois mille cinq cents personnes, hommes, femmes et enfants, vinrent assister, sans invitation, à ces funérailles. Notez que cela se passait près de Carndea (New-

jersey).

Trois grandes fanfares en uniforme jouaient à tour de rôle. Tous ceux que Walt avait connus étaient là les poètes, les savants, les journalistes de New-Yoîk, les hommes politiques venus de Washington.d'anciens soldats, des invalides du Nord et du Sud, les fermiers, les pêcheurs d'huîtres de son canton natal, les stage drivers (cochefs


d'omnibus) de Broadway, des nègres, ses anciennes maitresses et ses comerados (ce mot, qu'il croyait espagnol lui servait à désigner les jeunes gens qu'il avait aimés dans sa vieillesse et il ne dissimulait point son goût pour la philopédie), les médecins de la guerre, les infirmiers et les infirmières, les parents des blessés et des tués pendant la guerre, tous gens qui avaient conam Whitmaia et avec lesquels il avait correspondu. I;es pédérastes étaient venus en foule, et le plus entouré était un jeune homme de vingt à vingt-deux ans, célèbre pour sa beauté, Peter Connelly, un Irlandais conducteur de tramway à Washington d'abord et ensuite à Philadelphie, et que Whitman avait aimé par dessus tout. Tout le monde se souvenait d'avoir vu souvent Walt Whitman est Peter Coanelly assis au bord du trottoir et mangeant des melons d'eau. Aussi, à cette fête ou plutôt à ces funérailles, y avait-il de grands tas de melons d'eau à la disposition du public. Les discours n'étaient pas réglés d'avance. Parlait qui voulait. L'orateur montait sur une chaise ou sur une table et plusieurs orateurs parlaient en même temps. On lut un grand nombre de télégrammes et de câblogrammes euvoyés pat des poètes d'Amérique oud'Europe. Plusieurs de ces télégrammes et de ces câblogrammes étaient rédigés en vers. La plupart des harangues eurent trait aux ennemis de Whitman. limt le monde but énormément. Il y eut soixante pugilats et la police, qui intervint, arrêta cinquante per-

sonnes.

La fête dura de l'aube au couchant. Plusieurs orateurs qui parlèrent près du cercueil ponctuèrent leurs discours en frappant à coups de poing sur la bière. On pense que plusieurs enfants de Whitman étaient avec leurs mères blanches ou noises, mais l'on n'em est pas certain. Whitman avait coutume de dire qu'il avait connu six

là.


de ses enfants, mais que sans doute il en avait eu beaucoup d'autres. Au coucher du soleil, il se forma un grand cortège précédé des musiques jouant le rag-time. Ensuite venait le cercueil de Whitman porté par six hommes ivres et suivi de la foule, On alla ainsi du champ clos au cimetière où le tombeau se dressait en haut d'une colline. Les musiques ne cessèrent point de jouer pendant toute la cérémonie.

Les porteurs essayèrent de faire entrer le cercueil dans le mausolée, mais la porte était trop étroite ils se jetèrent à quatre pattes, on hissa le cercueil sur leur dos et

ils purent entrer au tombeau; c'est ainsi que le plus grand poète démocratique entra dans sa dernière demeure et la foule, en chantant, en se caressant, en titubant, reprit les tramways pour regagner Philadelphie. »

L'Intransigeant a publié une lettre fort intéressante de Mistral à Pauf Fort. Celui qui aurait des droits incontestables au titre de Roi des poètes y donne au Prince des poètes français des renseignements précieux sur la versification de son beau Poème du Rhône. Point d'histoire littéraire qu'il était intéressant de recueillir. «Cher grand poète, je comprends que devant les sept ôu huit siècles qui ont usé des formules rimées et rythmées de la poésie française, vous en ayez eu la satiété, comme on l'a des rimes trop employées, et que votre libre idéal ait cherché librement une forme nouvelle et bien à vous et à vos ordres. Quand j'entamai mon Poème du Rhône, la même fatigue des systèmes traditionnels et désuets me fit chercher un autre moule pour ma pensée poétique, et, comme j'avais observé que, dans la nature, la grande harmonie qui y chante est formée de toutes sortes de voix et de sons dissonnants, j'adoptai pour musique de mes vers


une suite de décasyllabes qui finissaient tous par une pénultième dissonnantt et toujours variée sur les toniques A, E, I, O, U or, cette dissonnance a son agrément et dissipe la monotonie d'une œuvre de longue haleine. Vous avez atteint le même résultat par une formule plus mélodieuse et qui marie admirablement le rythme et la rime, demandés par l'oreille, à la liberté de la prose, voulue par la nature. Et votre Choix de Ballades française, que vous m'avez offert avec un pur diamant en dédicace, m'éblouit et me charme, comme une Voie Lactée au ciel de l'imagination.. Mais les poésies qui l'étoilent, cette flottante Voie Lactée, ne sont pas des nébuleuses, mais bien des radieuses, et des, sémillantes, et des croustillantes! Bref, un étourdissement. d'ivresse, un vertige d'aède qui boit le vin gaulois dans une coupe d'or A vous, Prince, mes félicitations, ma gratitude »

Frédéric Mistral.

I,a renaissance du mysticisme appelle celle des sciences occultes. Ce nouveau courant se manifeste non seulement en \France. En Angleterre, on interrogele destin même chez les gens du peuple. On m'a donné un curieux petit livre de colportage intitulé Napoléon Buonaparte's celebrated Book of fate, f yom the Original Manuscript, as consulted N'est-il pas by himself > on .aU important occasions. curieux de voir Napoléon passer au rang de sorcier ? ha légende de l'Empereur continue et se modifie de la façon

la plus inattendue.

I,e

grand événement artistique et mondain de J'an-* née (!) a été l'inauguration du Théâtre, des ChampsElyséespendant les deux soirées du 31 mars et du avril.

i"


Je ne dirai rien

des représentations, pour ne pas empiétex sur le domaine de M. Maurice Boissard. Je »'ad aucune peine à ne pas parler du auquel je n'ai rien compris (je comprends rarement le,5 paroles chantées). Je ne dirai rien de la nmsiqtte, pour ne pas empiéter sur le domaine de M. Jean Maraud rien de la peinture, pour ne pas empiéter sur celui de M. Gustave Kahn, et rien de l'acoustique, qui appartient au savant M. Georges Bohn. Mais la salle et les couloirs sont le domaine de la Vie Anecdotique. Le soir de Benvenuto je trouvai que la safle semtait l'ail. C'est une des odeurs que je préfère. Je pensais qu'il s'agissait d'un parfum nouveau produit d'un art fataristedes odeurs. J'étais tout simplement placé auprès qui est un chanteur illustre et qui nous vieat de, M. du midi. Une sorte de scandale échappa à presque tous les spectateurs qui n'étaient pas Américains. Il y a, paraît-il, concurrence à New-York,pour les représentationsd'opéra, entre M. Otto K. et M. Van. t. La plus grande cantatrice américaine Miss A. à jeune femme d'une grande 'beauté, a appartenu jusqu'ici à l'opéra de, ]IL Le soir de Benventëo, elle-était dassuse logeavee M. Van.t. Les- Antéricaiss jubilaient la mort de Kerpont Morgaai, la loge des Champs-Blysées, que de nouvelles en un jour Bi; use- nouvelle en Amérique est quelque chose de plus singulier et de plus particulier que partout ailleurs. Un événement quelconque, même s'il est important, ne constitue pas une nouvelle. Mais que le président des Etats-Unis n'ait pas salué dans la rue un de ses ministres, voilà une nouvelle. Un veau à cinq pattes, voilà une nouvelle. Une femme qui accouche de douze enfants, voilà,une nouvelle. Les nouvelles, en Amérique, doivent être avant tout des événements uniques. Dans les couloirs, l'élégant et courtois Pétrone de nos cotiHons se mêlait aux Américains, dorait il a récemment parcouru le payst La presse a chanté ses. succès, sur tous

I.

G.

«

K.


les tons, et cependant voici l'injuste et désavantageux jugement que j'ai entendu porter sur lui par un Américain au visage énergique et puéril « Singulier missionnaire de l'élégance Il n'est pas beau, il n'est pas jeune, il n'est pas. élégant. » Pendant ce temps-là, M. Weîngartuer 'conduisait l'orchestre à la cravache. Six ministres mélomanes applaudissaient Berlioz et la façade du théâtre était éclairée d'une façon éblouissante par un puissant rayon qui tombait avec un éclat insoutenable du haut de la tour Eiffel. Mais, dans us bar à la mode, M. Forain, ayant eu l'occasion de parler du nouveau théâtre, l'avait aussitôt surnommé

le Zeppelin àe l'avenue Montaigne.

I,es industriels et les commerçants tendent de plus en plus à remplir le rôle de mécènes et à prendre une part active dans les lettres et les arts modernes. La Société pour la fabrication des cafés sans caféine (Kaffee-KmâehAkt. Ges. Hagen) à Brême a pris la direction commerciale et financière de la revue littéraire Guelden Kammer. La direction littéraire ne change pas. I,a revue,, comme par le passé, reste une des plus vaillantes tevues d'avantgarde de l'Allemagne et ne devient pas exclusivement l'organe de publicité de la Société Kaffee-Hagen. Propriété de cette société. la « Gueldenkammer » a son existence financière assurée, elle peut compter sur une bonne collaboration et entrer d'emblée parmi les grandes revues. Cette association d'un grand industriel à une entreprise littéraire a été saluée par la critique allemande comme une dès plus importantes innovations dan%fedomaine de la culture (Kultur) et des letttes,y<e un signe des temps, et le commencement

t


Les événements de Mexico nous ont laissés pleins d'inquiétude sur le sort du b,,rde madériste J. Urueta, arrêté, dans la nuit du 18 air ig, dans le train nocturne de Vera-Cruz. Le poète était en compagnie de son ami Sanchez Azcona, secrétaire particulier de l'ancien Président de la République. Ils furent tous deux arrêtés à la gare d'Apizaco par des gendarmes. Voici les faits tels qu'ils me sont communiqués par un témoin venu de là-bas « Le 18 février, à 2 heures de l'après-midi, M. Francisco Madéro et les ministres présents dans les salons du Palais-National étaient faits prisonniers par le générale Blanquet. Pendant ce temps, dans une salle du restaurant Gambrinus, déjeunait le général Herta en compagnie du général Delgrado et de Gustave Madéro, frère du Président de la République, et que l'opinion publique rend responsable des événements. Le repas se passait sans incident, quand, au dessert, un exprès apporta une lettre au général Huerta, l'avisant de ce qui venait de se passer au Palais. Huerta se leva, et intima à ses deux commensaux l'ordre de lui remettre leurs armes. Il s'ensuivit un grand tumulte. Le barde Urueta, présent dans la salle, voulut s'interposer. Delgrado et G. Madéro furent arrêtés. Quant au barde Urueta, il réussit à s'enfuir grâce à une bousculade. Beaucoup de personnes prenaient le train de Véra-Cruz pour se mettre à l'abri des bateaux de guerre américains. C'est dans ce train que le barde madériste J. Urueta a été arrêté. C'est, tout juste ai les journaux, qui paraissaient alors sur deux pages, ont mentionné cette arrestation et depuis lors on n'en parle plus. Qu'est devenu le barde Urueta ? Quel est son sort ? » Le témoin ajouta encore quelques pittoresques détails sur la guerre civile qui arrêta durant onze jours l'activité commerciale de Mexico.


«Les magasins et les banques ont été fermés onze

jours.

Les magasins d'alimentation entr'ouvrafcïit un. moment leur porte vers 7 heures du matin. Mais on ne livrait rien à domicile, pas même les câblogrammes. I,es.

tramways ne marchaient pas. Le canon grondait toutes la journée. Il y eut beaucoup de victimes, d'après les. informationsofficielles près de 5.000. Détail caractérisdes victimes sont des civils, curieux qui tique, 90 allaient aux informations et qui trouvaient la mort. Il y a des quartiers qui ont beaucoup souffert du bombardement. Là, tout est dévasté, incendié, en ruine. Les cadavres à moitié carbonisés jonchent les rues. Sur les terrains vagues de Valbuena on brûle les morts. Arrosés de pétrole, des cadavres de soldats fédéraux, de ruraux, de curieux, femmes, enfants, sont amoncelés et brûlés. La flamme jaillit, les chairs grésillent. Dés curieux avec de longs bâtons remuent les corps. Une fumée noire, âcre, pestilentielle, monte dans le ciel inexorablement pur. ». Et il termina ainsi son rêcit «Aujourd'hui Mexico reprend son aspect coutumier de ville au travail. Les magasins sont ouverts. Les rues. sont animées. Chacun est occupé à réparer les brèches faites à ses affaires, à courir aux informations et nouvelles près d'amis perdus de vue pendant onze teuiblesjours. Les agences d'inhumation sont débordées. Tous; les menuisiers travaillent, ils clouent à la hâte des cercueils.

Le poète J. Urueta a chanté quelques-uns des traits. les moins moraux et les plus lyriques de cette guerre civile, qui n'est pas encore terminée. Le parti madériste qui, malgré tout, existe encore, pleure la disparition de son Tyrtée que d'aucuns pensent être mort, tandis que la plupart de ceux qui l'ont connu estiment devoir être encore vivant. Des gens prétendent l'avoir vu déguisé en femme, comme fut Achille. Vêtu avec une rare élégance, le barde madériste, qui


semblait fort à l'aise sous son vêtement féminin, tenait la main -détail singulier et bien précis le tome

premier des Poesias de Placido, édition de Roe I^ockwood and Son,

à New- York.

»

Juin 1913. Voici que le prince des poètes est revenu du pays d'Hamlet. Paul Fort a tant aimé le Prince de Danemark qu'il souhaitait certainement parcourir son pays. Peutêtre même a-t-il visité ce fameux tombeau d'Haralet qu'un aubergiste a édifié dans le jardin. I,es gens du pays racontent qu'on y mena un jour Mme Sarah-Bernhardt qui, à la vue de ce tombeau vide, versa d'abondântes

larmes et finit même par s'évanouir. Il a sans doute vu le château d'Elseneur, en danois Helsingôr. D'Elseneur on voit les fenêtres d'Helsinborg, en Suède. Entre eux, le Sixind scintille plus qu'il ne moutonne, et l'onde, qui est couleur coquille d'huître près de la rive, en s'en éloignant bleuit jusqu'au noir. I/biveï, la mer gèle et l'on passe dessus. Ims bateaux suédois restent en Danemark et les bateaux danois restent \en :Suède et c'est, paraît-il, un beau spectacle que le retour de ces barques après le déges. Peut-être le Prince des poètes a-t-il eu l'occasion d'assister à une des chasses royales ? Elles ont lieu entre Eiseneur et Copenhague, dans une sorte de banlieue .sauvage, avec bois, landes et, par place, de légères ondulations de. terrain si rares en Danemark que l'on les y appelle des montagnes. C'est là qu'errent une trentaine de troupeaux de 500 têtes, daims et cerfs, qui ne se mêlent point et si doux que, si l'on ne fait point mine de s'en occuper, on peut passer parmi eux sans qu'ils s'écartent. Quand un cerf devenu vieux ne suit plus bien sa harde, on prévient le roi qui arrive aussitôt et le tire


tout bonnement au milieu d'une grande affluence de ses sujets et festoie ensuite dans un pavillon de chasse de style Louis. XIV, appelé l'Hermitagel. Ce sont là toutes les chasses royales.

Sans aucun doute Paul Fort a remarqué dans 1?église-" d'Elseneur un tableau comme il y en a beaucoup en Danemark. C'est un tableau à transformations, tel qu'on en voit souvent à la porte des marchands d'objets de piété. Si l'on vient de droite, ce tableau représente la Nativité si l'on vient de gauche, c'est la Crucifixion, et de face, e?est la Résurrection tandis que les soldats romains. s'écroulent devant tant de Majesté, le Christ sort du tombeau, un drapeau aux couleurs du Danemark à la main. Une des choses qui ont le plus vivement frappé Paul Fort, c'est la familiarité des princes danois avec leurpeuple. Il les a rencontrés à Tivoli, sorte de Magic-City où se divertissent lest habitants de Copenhague. Les; princes étaient là' et s'en donnaient à cœur joie, essayant les carrousels, les: toboggans, les chutes d'eau; et dans l'un de ces divertissements appelé la Roue joyeuse, où le jeu consiste à être secoué si fort que les gens tombent les uns sur les autres et finissent par être rejetés dans la foule, tes princes royaux, avec des grands éclats de rire, tombaient; bravement parmi leurs sujets, comme un simple Prince des poètes. Cependant, un de leurs compagnons, prince impérial allemand, ne voulut en aucune sorte se mêler à ces jeux. Paul Fort, couronné de son chapeau Rembrandt, s'en fut ensuite au banquet que.lui avaient préparé les poètesdanois et il admirait le crépuscule, ce crépuscule du nord qui fa^t tant songer à l'Orient, crépuscule cul de; de bouteille, lumière indécise des limbes, mystère des contes d'Andersen. I^a nuit est venue et au-dessus de l'obscurité nage le jour qui ne veut pas partir. A travers l'ombre crépusculaire on aperçoit le plus déli-* cieux. jour vert, crépuscule merveilleux dont rêve encore 'e poète des Ballades françaises.


J'ai reçu la touchante lettre suivante que je me permets de recommander à l'attention des éditeurs et des mécènes

(Ici le nom d'une ville), 2 mai 1913. « Monsieur, je vous envoie un manusciit. Voici ce que j'ai l'honneur de vous demander en vous priant de me pardonner mon audace: Croyez-vous que les élucubrations dont je vous envoie un specimen puissent être vendues ? Je possède 50 carnets formant environ 5.000 pages. J'ai écrit à peu près chaque jour depuis l'âge de 17 ans, c'est-à-dire depuis onze ans. Je ne suis pas un -homme de lettres, mais seulement un gueux et un vagabond. Comme je suis malade et sans argent, je me décide à communiquer ceci à quelqu'un. J'avais envoyé, il y a quelques mois, au (ici le nom d'une importante revue parisienne) une copie de quelques pages de mes cahiers, mais aujourd'hui je n'espère rien de cette tentative. Je n'espère pas outre mesure de celle-ci et je crois que vous me répondrez. Si vous me dites que je ne puis rien retirer de ce journal, alors je le brûlerai et j'attendrai la mort, car j'ai trop oublié que j'avais un corps, Monsieur, et maintenant je sais que je suis phtisique, comme Saint Spinosa, mon père en esprit. Mais, j'ai encore une ambition ou plutôt un caprice de petit enfant je vou-cirais pouvoir aller à Naples pour y mourir, c'est la seule ville de laquelle j'ai gardé un bon souvenir. Il me faudrait pour cela environ 200 francs. Et je vous supplie de me dire 10 Si je peux vendre ce que j'ai écrit et dont vous voyez le ton (je n'ai pas travaillé mon style ni même mon -orthographe, je n'ai écrit que pour moi et j'ignore si je vaux pour les autres) à une revue, à un éditeur, à n'im-

porte

qi<j


20 Si je peux en retirer 200 francs. 30 Si je pourrais recevoir ces 200 francs avant un mois.

Je vous communiquerai mon adresse poste-restante dans la ville où je serai dans une dizaine de jours. J'at-

tendrai votre réponse huit jours dans cette ville. Si vous ne croyez pas que je puisse réussir, vous retournerez mon manuscrit. Je suis votre reconnaissant. (Ici la signature que je cèle.)

me

H.B.

Je ne possède sur moi que six carnets de petit format, les autres sont cachés dans un bois. Je vous envoie ces quelques pages parce qu'elles sont à peu près lisibles. » Cette lettre est du 2 mai. Depuis ce temps-là, je n'ai reçu aucune nouvelle lettre du vagabond. Peut-être .est-il mort avant que son désir de revoir Naples fut accompli. Les pages qu'il m'a envoyées sont pleines d'ardeur et de lyrisme sauvage. L'auteur s'y désigne lui-même sous le nom de Magnus le Portefaix. Une sorte de sensualité :mystique ajoute à l'étrangeté de ce journal.

J'ài eu l'occasion d'assister à une répétition de La

JPisanelle au théâtre du Châtelet. De la pièce, rien à dire, sinon qu'elle m'a paru n'être qu'un drame romantique

à contrastes violents, nonnes et ribaudes, princes et Jttffians, toute la lyre. Cependant, les acteurs sont capables de faire réussir cette pièce, oùl'auteur a dissimulé autant de ficelles qu'il en faut pour entortiller le public. Un personnage mérite une mention spéciale, parce que les- spectateurs n'auront point à l'applaudir. C'est le metteur, en scène, M. Meyerhold. Il s'est déjà fait en Russie une très grande réputation, et se donne, je crois, cpmme novateur dans l'art théâtral. De l'avis de ceux

v


qui ont vu M. Francis de Croissèt, M. Meyerhold lui ressemble parfaitement. Il ne sait pas un mot de français. Malgré cela, il parvient à diriger plus de 250 acteurs ou figurante dont il ne parle point la langue. le gestes suffit à M. Meyerhold, qui fonde tout l'art théâtral suc la. mimique. Il se démène, tempête, hurle; rugit, fait recommencer cinquante fois de suite le même mouvement aussi bien à Mle Rubinstein, à M. de Max ou au simple figurant. Il parvient ainsi à donner beaucoup de vie aux attitudes scéhiques. Pendant que j'assistais à cette répétition,, à laquelle hauteur n'assistait pas, on 'pratiqua dans le texte une jolie coup,ire dont M. d'Annunzio peut remercier les» dieux. C'était une nonne qui s'écriait « Je viens de fourrée » Et, ma, foi, je ne crois pas avoir mon pied

malentendu.

Août 1913. On a souvent regretté que trop de prêtres, trop de. curés dont l'éducation esthétique était insuffisante ne répugnassent point à orner les églises avec les produits de cet art dégénéré, qui s'appelle l'art de Saint-Sulpice. Raison de: plus pour signaler qu'un simple curé de campagne; l'abbé van Hollebeke, vient de s'élever contré l'art industriel à prétentions religieuses. \¡L'abbé van Hollebeke consacre le peu de loisirs que lui laisse le soin des âmes de sa paroisse à peindredans son presbytère: de Saint-Paul (Oise) des tableaux où se. manifeste, avec sa foi, son talent sobre parfois jusqu'à la¡ bxutalité.. Ses n©iabreuses; tôiïês, où il a fixé en scènes, réalistes: l'émotion suscitée dans les campagnes par séparation. de l'église et de l'Etat, ont plus- qu'un in-:

la

térêt: anecdotique. •

Dernièrement, il donnait à Paris» dans une salle de

la?


rue de la Chaussée d'Antin, une conférence ou il parlaqui dé« contre les curés, les 'donateurs et lès peintres corent les églises. » L'abbé van Hollebeke a parlé selon ses propres termes, « avec la brutalité de ses tableaux » et ce qu'il avait à dire n'avait rien d'élégant, ni d'apprêté « un curé de village' sabrant ce qui se trouve devant

lui. »

Cette façon rude de s'exprimer n'a point déplu et l'on peut souhaiter que beaucoup de curés continuent le mou-, vement commencé par l'abbé van Hollebeke.

Constantin Balmont, le grand poète russe qui habitait Paris pendant les sept années de son exil, vient de rentrer-, en son pays. Son retour n'aété qu'une marche triomphale,; dès la frontière, où une députation. de Polonais est venuele saluer. Au débarcadère de Moscou, les chefs de diverses écoles littéraires l'attendaient avec une foule composée de l'élite du public et, de la jeunesse littéraire et artistique désireuse de rendre hommage à son poète favori. Balmont fut salué par une pluie de fleurs, on l'acclama, on. l'applaudit. Et comme ce grand poète est un modeste, il parut si troublé de ces témoignages d'affection que l'on aperçut les violents efforts qu'il faisait pour ne pas. pleurer. Quelqu'un s'avance et commence un discours « Sept années d'absence. » Un officier de gendarmerie poli, mais ferme intervient « Les discours, les réunions publiques sont interdite. » On proteste. L'officier gêné'. lui-même de son rôle ajoute « J'ai reçu des ordres. je%s n'ai pas droit de regarder: » « Regardez donc plutôt' par là les autos qui passent plaisante une dame. Il se détourne indulgent on réussit à déclamer un impromptue

I


Doux

Le soleil Brille au ciel. Ton génie

et fort, ton cœur En

Chante la vie

Dans la rue autour de l'auto la foule augmente. Des :gens sollicitent de l'exilé lyrique qu'il leur donne une fleur comme souvenir. Le poète sourit, il jette des fleurs que l'on se dispute. Encore des hourras, des applaudissements, et l'auto nie par une belle matinée de printemps ensoleillé, aux sons des cloches du dimanche, au cœur de la Russie, dans la ville aux cent mille clochers d'or. Toute la semaine s'est passée en réunions, fêtes, ovations, tous les jours arrivaient des télégrammes et des lettres saluant le poète rapatrié. Au milieu de son triomphe, Balmont n'a pas oubtié la France et ses amis, dont il a parlé dès les premières interviews, nommant parmi ses amis français les plus intimes René Ghil, qui a traduit Balmont en français, et Paul Fort, dont lui-même a traduit les poésies au début de sa carrière littéraire, et dont il continue de traduire les oeuvres récentes. L'amitié fraternelle qui unit Balmont et le Prince des Poètes est proverbiale en Russie. Àù demeurant, l'une et l'autre ont débuté dans les lettres la même année. Septembre 1913.

Nous avons visité cet été, André Billy et moi, les ruines de l'Abbaye de Jumièges. elles s'élèvent dans un beau parc Jean de Tinan y erra souvent, paraît-il. Et près du petit musée où l'on conserve la pierre tombale d'Agnès Sorel et le tombeau des Enervés, nous vîmes un cabinet de travail dont la décoration nous ramenait un peu plus de quinze ans en arrière. Les murs sont couverts d'affiches,


de programmes de théâtre, d'éventails, de photographies; sous verre ou dans de petits cadres, voici les portraits et des caricatures du temps,. C'est Jean Lorrain, ce sont encore des gens de lettres vivants, qui furent célèbres et que l'on a presque oubliés. Ces curiosités, ces Souvenirs, qui plairont un jour, sont

aujourd'hui dans l'âge ingrat. On plutôt, elle sont démodées, défraîchies, mais elles évoquent un peu l'époque de cet élégant et délicat Jean de Tinan, courte période où la littérature fut trop raffinée, où écrivains et lecteurs, désignés tous ensemble sous le nom d'esthètes, étaient aussi énervés que les fils de Clovis II, les Enervés de Jumièges.

De Jumièges nous allâmes à Villequier, fameux à cause du mascaret, à cause des roses, des cerises, des pilotes, et où survit le souvenir de l'accident qui fit périr en Seine, le 4 septembre 1843, quatre personnes parmi lesquelles la fille de Victor Hugo. Tombes romantiques Une couturière à la journée m'a dit que son père vit l2 naufrage, et que sa mère, qui était femme de ménage chez les Vacquerie, veilla les cadavres dans la jolie maison que l'on appelle aujourd'hui la maison blanche, les héritiers de Vacquerie l'ayant fait repeindre, mais que l'on appelait alors la maison rouge. Le cimetière pourrait être un lieu célèbre de pèlerinage pour les hugolâtres, mais il en vient rarement ici, peutêtre même commencent-ils à être rares ailleurs. Et tandis qu'ils diminuent, le grand poète compte chaque jour plus de secrets admirateurs parmi les jeunes poètes. Trois rangs de tombes méritent au cimetière de Villequier de retenir l'attention de ceux qu'intéresse l'histoire du romantisme. Voici d'abord la rangée placée le plus haut. Ce sont trois tombes entourées d'une seule grille qui enferme trois dalles. Ia tombe de gauche près


l'église est séparée des deux autres, qui sont

d'une

seule pièce. Voici les inscriptions de gauche à droite ICI REPOSE MARIE-EUPHÉMIE DE. LA PORTE DÉCÉDÉE LE 3 AOUT 1833 PANS SA 33e année veuve DE FRANÇOIS AMANDVACQUERIE DÉCÉDÉ A MARSEILLE

pour

priez DIEU

LE REPOS DÉ.

SON AME

REPOSE

MARIÈ-ALINE VACQUERIE DÉCÉDÉE LE Ier MAI 1855 DANS SA

22e

ANNÉE

ÉPOUSE DE

Amand-Onésime

Vacquerie PRIEZ Dieu pour

elle

REPOSE

a côté de sa mère MARGUERITE

Vacquerie

A VILLEQUIER

LE 2O AVRIL 1855 DÉCÉDÉE A DUCLAIR LE IO JUIN 1855

La seconde rangée est composée de trois tombesentourées. chacune d'une grille. A l'intérieur, il y a une') petite bordure de buis et-un rosier. I;a première tombeà gauche porte l'inscription suivante

Ici sont réunis

Charles-Amable-Isidore

et sa

Vacquerie

femme

jeanne-arsène

ClIAUVEAU


Les tombes suivantes -contiennent les victimes d'un accident dont la mémoire ne passera que lorsque la douleur sublime et la poésie auront cessé d'émouvoir les hommesCHARLES VACQUERIE

âgé

26 ANS & LÉOPOLDINE VaCQUERIE .DE

'•*''

NÉE HUGO ÂGÉE DE 19 ANS MARIÉS LE 15 FÉVRIER ET MORTS LE 4 SEPTEMBRE 1843 DE PROFUNDIS CLAMAVIT AD TE DOMINE

Sur

la' tombe romantique de 'la fille de Victor Hugo

pousse un rosier blanc avec deux roses épanouies; je n'ai pas osé toucher aux fleurs, mais j'ai cueilli trois feuilles que je porterai au grand Elémir Bourges. PIERRE VACQUERIE AGÉ DE 62 ANS

Arthur VACQUERIE AGÉDE

MORTS LE

4

II

ANS SEPTEMBRE

1843

DE PROFUNDIS CLAMAVIT AD TE DOMINE

,La' dernière rangée n'est composée que 'de deux tombes semblables à celles de la rangée précédente, sauf que, sur là pierre tumulaire d'Auguste Vacquerie. il n'y a point

croix.' De droite à gauche on voit, avant tout, un petit tertre d;e gazon. C'était peut-être la place qu'avait choisie Victor Hugo pour y reposer.

vde

fit A côté

Adèle FEMME

,DE

','

Victor-Hugo


Sur le rosier s'effeuille une rose rouge.

Et voici la

pierre tombale d'Auguste Vacquerie. AUGUSTE VACQUERIE

1819-1895

Ma mère avait sâ chambre à coté de la mienne

Je

Je me suis assuré ma place au cimetière

Tout contre celle ou nous l'avons couchée, afin De sentir là tout près la mère au coeur divin Que vivante j'aimais et que morte j'adore. Et comme si cela nous rapprochait encore veux qu'à son tombeau le mien soit ressemblant. Ainsi mourir pour moi n'aura rien de troublant Et ce sera reprendre une habitude ancienne Que de ravoir ma chambre à côté de la sienne.

Au bas de la tombe on lit le no m du marbrier qui grava l'inscription Leferrier. Du cimetière, on voit la Seine. A l'endroit précis oiz eut lieu l'accident du 4 septembre 1843, un pilote de la corporation de Quillebœuf aborde un cargo norvégien, et, après avoir lancé son manteau ciré, escalade vivement l'échelle, tandis que lé pilote de la corporation de Rouen abandonne la passerelle, serre la main du capitaine, du nouveau pilote, jette son imperméable et descend vivement dans la barque. Au tournant de Caudebec, un remorqueur gémit cinq fois, annonçant aux pilotes qui sedésolent, assemblés sur le quai, un convoi funèbre de quatre canals. comme l'herbe est odorante Sous les arbres profonds et verts. Oh

J'aime beaucoup le talent des deux Tharaud. Il est fait de Vérité et de simplicité. L'aîné ayant reçu la croix de

9


la légion d'honneur, nous nous sommes réunis quatre

pour célébrer dans un dîner amical une croix aussi brillante. Il y avait là, avec le nouveau chevalier, André Billy, René Dalize et moi-même. Tharaud l'aîné est un petit homme mince, agile et robuste. On sent qu'il a de la volonté, non de l'entêtement sur sa tête passée à la tondeuse les cheveux très courts se hérissent, c'est ainsi que je me figure les bonzes thibétains. Il rappelle aussi, et je ne saurais dire en quoi, ces personnages de la tapisserie de Bayeux qui regardent la comète isti mirant stellam. Tharaud l'aîné parle dans un langage plein de sens, il observe bien, écoute de même, et, quand il contredit, c'est en s'étonnant d'avoir à le faire alors il sourit et prend une voix de tête. Un dîner presque rustique du salé aux choux ,un filet

saignant, une salade, du fromage de chèvre. Les vins étaient bons Vouvray, Corton, Musigny, Chambertin. tout cela, assaisonné par la gaillarde humeur et l'appétit des convives, fut trouvé parfait et l'on décida de fonder Les dîners du litre où, mensuellement, quelques dîneurs, triés sur le volet, inviteraient un raseur notoire à ne pas présider la réunion.

Octobre 1913.,

France recherche les ouvrages concernant les peintres de la Révolution et de l'Empire. Il court les librairies et demande si l'on a trouvé tel ouvrage qu'il a demandé quelques mois auparavant. Lui montre-t-on le livre, il sourit, le feuillette, donne quelques explications concernant l'auteur qui l'a écrit ou le peintre dont il s'agit, et met le bouquin en poche. Si le libraire s'excusé parce qu'il lui a été impossible de rien trouver, M. France renouvelle ses explications touchant les ouvrages qu'il recherche et avant de s'en aller il jette un coup d'oeil M. Anatole


sur les rayons. Il est rare, au demeurant, qu'il ne découvre point dans quelque encoignure un petit livre intéressant qu'il emporte. Dernièrement, il se trouvait ainsi chez un bouquiniste où il découvrit quelques livre»

qui lui plurent Vous mettrez cela sur mon compte. Pas du tout,. lui répondit le libraire, c'est moi qui vous redois de l'argent, M. France. Tiens, tiens s'exclama le père de Jérôme Coignard. En êtes-vous bien sûr ? Et il regagna son taxi-auto où il se mit aussitôt à. regarder les vignettes de I^efèvre illustrant Primerose par Morel de Vindé, Paris, Didot-l'Aîné, 1797, in-18 relié en veau. M. Anatole France ne protège pas seulement les peintres. de la Révolution et de l'Empire, il va lancer un jeune graveur catalan, M.. I,ouis Jou, qui, après avoir frappé en vain à un grand nombre de portes parisiennes, décida enfin de soumettre à son auteurpréféIé quelques bois qu'il avait gravés pour illustrer les Opinions de Jérôme Coignard. N'osant demander une audience à l'Académicienillustre,, il se contenta de déposer chez M. France quelques-unes de ses planches soigneusement enveloppées dans un journal. Il revint le lendemain et, habitué aux rebuffades, il demanda au valet de chambre qui lui ouvrit la porte, de lui remettre le paquet qu'il avait déposé la veille. On ne le laissa point partir et tout honteux de la simplicité de sa mise, de ses souliers boueux, car il pleuvait, il fut pousse dans le cabinet de travail d'Anatole France qui, plein d'enthousiasme, promit d'écrire, pour la nouvelle illustrée en bois gravés par édition de Louis Jou et, dont les souscripteurs se trouvèrent réunis comme par enchantement, une nouvelle préface que les bibliophiles attendent avec impatience. Et M. I,ouis Ion.. inconnu de la veille, malgré son talent, devint en peu de jours, grâce à la perspicace bienveillance d'Anatole France, un des graveurs les plus parisiens.


I,e Salon d'Automne va s'ouvrir dans peu. de jours les écxivains d'art vont commencer à parcourir les salles pleines de poussières, parmi les encadreurs et les tapissiers. Il n'est peut-être pas sans intérêt de fixer la physionomie de quelques-uns de ceux qui se sont donné la tâche d'imposer au public leur particulière conception des arts plastiques. Nous ne verrons plus cette année le Maréchal, M. Miel s'est retiré de la lutte. Nous n'entendrons plus ce vieillard aimable, qui eût l'occasion de prêter un jour un demi-louis à Baudelaire, conter de sa voix claire des anecdotes du temps d'Alfred de Musset. M. Thiébault-Sisson arrivera en chapeau haut de forme, qu'il porte en arrière. Il parcourra les salles en souriant au ciel couleur du Temps. M. Vauxcelles écrit son salon au Salon même. Il écrit largement sur de grandes feuilles de papier, s'interrompant parfois pour secouer son porte-plume réservoir. M. Etienne Charles passera avec patience un nombre incalculable de fois à travers toutes les salles du Salon à la recherche d'un petit tableau introuvable il est la conscience même, la bonhomie et la bonne humeur. Pour la centième fois il me demandera de lui expliquer le cubisme, sur quoi je ne lui donnerai point d'explications, qu'il n'a point la moindre envie d'écouter. Il s'occupe avec passion des choses de la Révolution et M. France le consulterait avec fruit sur les artistes de ce temps-là. M. Graville, dans un langage disert, commentera la pauvreté de certaines toiles signées de noms illustres.. Son goût, sans être audacieux, est excellent. Cet épicurien est un homme charmant et un causeur agréable. Il goûte la poésie, et a écrit des poèmes dont Mallarmé eût aimé la délicate subtilité. M. Arsène Alexandre tourne lentement autour des salles, il s'arrête parfois devant une toile, médite longuement et, sur un tout petit carnet, il


note rapidement un ou deux mots; il ne s'attarde point, pas plus du reste que M. Georges Lecomte, qui arpente fiévreusement les salles à la recherche des toiles qui pourront l'émouvoir. Nous ne verrons pas sans doute cette année André Salmon, poète qui a la mine désabusée d'un Habsbourg,' Il réserve à présent son activité critique aux manifestations artistiques particulières. Gabriel Mourey, la tête penchée, se promènera avec un air méprisant devant les œuvres ressortissant à des conceptions plastiques auxquelles il lui plaît de ne rien entendre. Ce poète admirateur de Verhaeren demeure en art le disciple fervent de Whistler. En chapeau rond, manteau flottant, Gabriel Mourey s'attardera à parler de poésie avec quelques confrères. Il y a encore d'autres

critiques.

Novembre È913

I,a petite troupe dont je faisais partie, et qui finissait, cette année, ses vacances au Croisic, n'avait emporté qu'un seul livre, que l'un de nous avait acheté à la gare Portraits et Souvenirs d'Henri de Régnier, et dans la villa meublée ou nous habitâmes nous en trouvâmes un autre, un roman de Balzac Béatrix, je me souviens que nous passâmes une après-midi à rechercher la maison ou José-Maria de Hérédia mit la dernière main aux Trophées. Le livre d'Henri de Régnier nous avait révélé l'existence de cette maison « En 1892, il habitait au Croisic, sur le quai, devant le port, une vieille maison d'armateur. ? j'avoue que nous ne la trouvâmes point; cependant, un de nos amis, qui s'était mis à lire Béatrix, nous dit « Peut-être serons-nous plus heureux à Guérande et découvrirons-nous la maison dont Balzac a fait la demeure de son héros Calyste. » Ceci avait été dit en

Et


manière de plaisanterie, mais chacun de nous lut .Béatrix. Quelques jours après, nous allâmes à Guérande et nous entreprîmes cette excursion balzacienne, non dans le but de découvrir la maison de Calyste, mais simplement afin de visiter cette petite ville que Balzac a si bien décrite et qu'il appelle « l'Herculanum de la féodalité, moins le linceul de lave. » La belle fortification nous guidait de loin, au-delà des marais-salants que nous traversâmes. Les paludiers du Bourg de Batz ne portent plus le costume blanc qu'ils avaient au temps de Balzac mais le paysage'n'a rien perdu des grâces nalves qui le paraient alors. Guérande est encore enceinte de ses hautes murailles, l'eau stagne dans les douves sur certains points, cependant, les créneaux sont démolis, plusieurs meurtrières s'encombrent d'arbustes et le lierre emmantelle quelques-unes de ses tours. Depuis le temps oh écrivait Balzac le clocher de bois de la collégiale de Saint-Aubin qui a remplacéla flèche de pierre, a été remplacé deux fois. Sous la porte de ville, l'appareil présente encore de nombreux signes de tâcherons. Guérande est une ville quiète et pensive, elle est précieuse comme un bijou de famille nous nous y promenâmes avec émotion. Nous nous disposions à sortir de la ville par la porte Saint-Michel, lorsque celui de nous qui avait lu Béatrix, avisant un ecclésiastique, lui demanda si la maison de Calyste du Guaisnic existait encore, et sans hésiter, le bon prêtre lui répondit que nous trouverions cette maison sur la Place de l'Ancien Marché aux blés à l'extrémité de la rue du même nom il ajouta que cette maison appartenait autrefois au chapitre de Saint-Aubin et qu'elle était affectée au logement du chanoine théologal, curé de la paroisse. Nous allâmes voir la maison elle n'a pas beaucoup changé depuis le temps où Balzac la décrivait. Par la porte ouverte nous aperçûmes dans la cour la; famille qui l'habite, famille modeste à ce qu'il rïbus sembla il nous parut aussi, car la porte du perron s'entr'ouvrit, que tout l'ancien luxe des Guaisnic avait dis-


paru. I,a cour sert aujourd'hui de potager; par-dessus un mur nous aperçûmes les cimes des arbres de ce jardin dont Balzac dit qu'il est « luxueux dans une si vieille enceinte, d'un demi-arpent environ et divisé en carrés de légumes bordés de quenouilles. » Les bonnes gens qui se trouvaient dans la cour et qui nous semblèrent être les habitants de ce logis paraissaient si occupés à disputer ,avec une vieille femme portant la coiffe guérandaise que nous n'osâmes point interrompre leur conversation pour les interroger.

S'il est moins connu en France qu'en Allemagne, où. on le tient pour un des talents les plus originaux d'aujourd'hui, le musicien Edgar Varèse ne tardera pas à conquérir Paris comme il a conquis Berlin. Le musicien français, comme on l'appelle là-bas, se trouve en ce moment en France et je l'ai entendu tenir sur Léon Deubel, qui fut son camarade, des propos qui paraissent dignes d'être rapportés. Je les transcris ainsi que je les ai notés « Léon Deubel, disait Edgard Varèse, était très misanthrope et très mysogine. A ma connaissance, il n'aima qu'une seule femme, Anna, petite allemande très laide. Le seul camarade pour lequel il ait nourri une affection véritablement vive fut Louis Pergaud, dans l'avenir littéraire duquel il croyait avec une grande foi. Il avait encore de l'affection pour Emile Bernard, qui avait été toujours très gentil avec lui et l'avait placé à la Rénovation Esthétique où il était grandement logé il avait pour moi au moins de l'estime, puisqu'il m'invita à venir partager son logement. Pendant le temps que j'habituai avec lui, Deubel me lisait tout ce qu'il faisait. Nous passions de bonnes soirées à boire du vin blanc qu'il aimait beaucoup et qu'il allait acheter à la Coopérative, rue Cardinale. J'ai mis plusieurs choses de lui en musique un sonnet intitulé, Souvenir, deux proses rythmées


faites exprès pour moi et qui je crois n'ont jamais paru dans aucune revue. J'ai écrit aussi le Prélude à la fin d'un jour, poème symphonique destiné à servir de prologue à la Fin d'un jour, un des poèmes de la Lumière natale. Léon Deubel avait un très grand orgueil, il souffrait énormément de son obscurité en 1905 et en igo6, il avait déjà des idées de suicide. C'était une nature très droite, très sensible et très sentimentale. Il n'était pas du tout replié sur lui-même, ainsi qu'ont pu le croire quelques chroniqueurs. Avec ses amis, il était très communicatif et souvent d'une gaieté trop bruyante, surtout lorsqu'il avait bu. A l'époque ou j'habitais avec lui, il avait écrit un roman, ou plutôt l'ébauche d'un roman, Plein de Soupe, qui était un peu l'histoire de son enlance. Le dernier chapitre, écrit par Deubel, se terminait ainsi c'était le jour de la rentrée en classe après les vacances on déclinait rosa, la rose, pendant que « les dernières roses de septembre s'effeuillaient dans le jar-

J'ai dit que Deubel était

mysogine il était surtout extrêmement maladroit avec les femmes cependant très

sanguin, il était aussi très sensuel, il souffrait beaucoup du mépris qu'il croyait que'les femmes lui témoignaient. Un soir, à la Rénovation Esthétique, il y avait avec moi Hubert Fillay et quelques autres camarades. Deuble nous déclama un de ses poèmes les plus poignants sur la femme, et, lorsqu'il eut fini, il tomba plutôt qu'il ne s'assit sur une chaise et se mit à sangloter. Léon Deubel, qui désirait de toutes ses forces la gloire; était très flatté lorsque l'on écrivait quelque chose sur lui. Son ambition était d'être édité au Mercure de France. Une de ses idées était de partir pour l'Allemagne, d'apprendre bien l'allemand et de se mettre à écrire en ailemand il croyait que là-bas il serait plus facilement accueilli, ce qa; était une grande erreur. Son goût pour l'Allemagne n'a, paraît-il, cessé de s'augmenter depuis. Mais au temps où j'habitais avec lui, il se flattait


un Celte et tout en aimant et admirant les poètes latins,. il avait horreur des Français qui se disaient latins. »

Je n'ai pas été invité au Théâtre du Vieux-Colombier,,

sans quoi je vous eusse parlé d'une répétition générale qui fut un événement très important de la vie littéraire. Néanmoins, je tenais à connaître le nouveau théâtre, à le connaître dès sa naissance. Je me présentai à l'ancien Athénée Saint-Germain, le soir même de la répétition des couturières. Je dois dire que celles-ci avaient été soigneusement écartées et remplacées par des peintres et des photographes. L'une d'elles, qui avait pénétré dans la salle, sans doute par surprise ainsi que je l'avais fait, moi-même, voulut intervenir à un certain moment. Elle le fit avec beaucoup d'à-propos et de bon sens, mais les photographes rangés en bataille.se tournèrent aussitôt vers elle et, braquant leurs appareils, la bombardèrent au magnésium, puis sortirent prestement en emportant de singuliers parasols en forme de potiron. Les costumes sont, à mon gré, ce qui, au point de vue décoratif, me paraît le plus réussi dans ce théâtre. Je n'ai pas à vous parler de la pièce si curieuse à bien, des égards, ni des acteurs qui ont bien joué, c'est-à-direavec ensemble, et qui ont su prendre, quand il fallait de belles attitudes. Dans la salle, vêtu en compagnon de Villon, M. Copeatt venait examiner le jeu de sa troupe quand lui-même n'avait pas à paraître sur la scène M. Henri Ghéolt, vantait les merveilles d'un éclairage qu'il avait passé la nuit à régler M. I,uc Durtain, obligé de rentrer chez lui à minuit, regrettait ne de pas pouvoir entendre là pièce jusqu'au bout M. René Dalize manifestait la plus vive admiration pour l'acteur qui jouait le rôle presque muet de Cranwell (je dois ajouter que le talent de M. Dulli»> emportait tous les suffrages.) Je n'entendis point les.


réflexions de'M. Pavlowski, et M. Roland d'Orgelès me priva volontairement des siennes. On attendait avec une certaine impatience l'apparition du propriétaire sur le balcon qu'il s'est réservé face à la scène, mais il. ne vint point. En nous retirant nous étions pleins d'espoir dans l'avenir du nouveau théâtre et aucun de nous ne doutait qu'avant peu de mois on débaptisât la rue du Four, si proche, et la rue de la Chaise, non moins proche et si colombienne.

Décembre 1913

I,a gloire de la grotte de Macao, où Camcëns se retirait pour penser à la poésie, va-t-elle pâlir devant celle de la grotte d'Alger, où, en 1577, s'abritèrent quinze captifs chrétiens qui tentaient de s'évader ? L'un des captifs était don Miguel de Cervantes Saavedra, auteur de Don Quichotte. Il y vécut une huitaine de jours, prenant soin de ses compagnons. La grotte donnait sur le jardin d'un renégat grec dont le nom musulman était Hassan. Ce jardin est aujourd'hui le jardin Labatery. On en doit la découverte au zèle de l'ex-consul d'Espagne à Alger, M. Adriamo Rotondo y Nicolau, dont une commission des autorités locales appuya l'opinion par une déclaration

que voici « Après une étude approfondie de la question relative au lieu qui servait d'asile à Cervantes et à ses compagnons au moment de l'évasion des bains d'Alger, les soussignés déclarent que la grotte de la propriété I,abatery. leur paraît réunir toutes les conditions, y compris les topographiques, indiquées par Hoedo, seul écrivain dont le témoignage possède quelque valeur décisive. en ce qui touche ce point à éclaircir, Ont signé l'acte MM. Hipp. Bourgeois, chef d'état-major en


retraite Durand, ex-professeur d'université, officier d'Académie, chevalier des Saints Maurice et Lazare de Grammont, président de la société historique d'Alger; Marcarthy, conservateur à la Bibliothèque Nationale d'Alger E. Masqueroy, directeur de l'Ecole supérieure des lettres, Toubin, correspondant de la Société anthropologique d'Espagne V. Vaille, professeur à l'Ecole supérieure des lettres, et J. Alberti, P. Petrus, J. Stiges, tous trois membres de la colonie espagnole, » Ce document a été publié par l'Espagne, qui paraît en français et qui ajouté « La grotte historique. doit être conservée par et pour l'Espagne. Notre amitié actuelle avec la France aplanira beaucoup les difficultés. »

Je dînais dernièrement parmi quelques aliénistes la conversation tomba sur M. Paul Bourget et j'appris que cet important écrivain s'occupait des fous avec passion.

Je demandai à l'un

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des jeunes médecins de m'écrire quelques détails touchant les occupations de l'éminent, psychologue lorsqu'il va au Dépôt se livrer à ses études favorites. Le lendemain je reçus la lettre suivante sur M. Paul Bourget et les aliénés aMon cher ami, vous m'avez demandé, l'autre jour, des renseignements sur Paul Bourget au Dépôt. Les voici. Dans la saison où il n'est pas trop ridicule pour un élégant de se montrer à Paris, Paul Bourget hante 1'infirmerie spéciale du Dépôt. Il y fait figure de penseur et ceux qui l'ont aperçu recroquevillé sur lui-même, ayant l'air d'un immense cerveau qui a presque honte de son corps et cherche à le réduire le plus possible (comme les Sélénites du roman de Wells) sont incapables de l'oublier. Un malade entre; les yeux de Bourget se tournent vers lui comme vers une proie et il écoute son délire, prenant de ci de là quelques notes d'une écriture maladroite sur une feuille de papier (c'est une occasion de


plus de montrer son dédain des choses matérielles d'écrite mal, juste assez pour réaliser la pensée). L'interrogatoire terminé, le penseur se ramasse sur lui-même. et pense. Le résultat de sa méditation est à fordinairequatre ou cinq pages de cette écriture maladroite où. il développe ses observations et leur résultat. C'est ce résultat qu'il est curieux de connaître. Pour l'aliéniste la forme d'un délire a peu de valeur. Peu ïîsporte la complication plus ou moins grande du système d'un persécuté. L'essentiel est que ce malade ressent un trouble profond de sa personnalité qui change ses rapports :avec le monde extérieur et lui fait croire que ce monde est hostile. Le trouble de la personnalité est des plus intéressants à étudier. S'il est en rapport avec une affeetion transitoire, le malade guérira; s'il est chronique, il -est certain que le délire ne finira qu'avec la vie. D'autre part à côté de ces troubles de la sensibilité (qui se traduisent dans le domaine physique par des douleurs névralgiques très fréquentes), il faut faire état du plus ou moins d'intégrité de l'intelligence. Une intelligence affaiblie ne réagira pas de même qu'une intelligence intacte ou à peu près. Voici, grossièrement exposés, les deux principaux points qui intéressent le médecin et qu'à l'ordinaire il recherche avec soin. Pour Bourget les choses sont différentes. Une malade délire ou tient des propos incohérents^ caractérisés par une enfilade de mots sans suite. Bourget note ces mots et cherche à les téunir par un lien logique .et à les grouper autour d'associations d'idées principales et accessoires. Les mots fleurs, jardin, bouquet, maison reviennent souvent il écrit sur un papier que la malade aimait son jardin et sa maison, qu'elle aimait à cueillir des fleurs pour en orner sa chambre, etc. Vous voyez le procédé; il est un peu enfantin. Personne, en-effet, n'a jamais contesté que les délires ne fussent bâtis ave^ des matériaux empruntés à la réalité et associés plus ou moins foie» ensuite grâce à des liens morbides. Que cela indique


ce qui surnage d'intact au milieu d'un chaos provisoire ou définitif, c'est une chose évidente, mais dont la cour naissance ne semble pas d'un intérêt primordial pour un médecin Bourget, au contraire, doit y trouver un excellent prétexte à littérature et doit profondément émouvoir. en faisant le récit, ses amies, les duchesses. Peut-être Bourget vient-il chercher au Dépôt 'toutsimplement des histoires qui puissent lui fournir des canevas de nouvelles; malgré moi j'ai toujours pensé quec'était là le principal intérêt qui l'y amenait. Mais il faudrait, pour affirmer ce que j'avance, l'avoir suivi plus longtemps. Voilà, mon cher ami, ce que je pense de Bourget au Dépôt c'est une impression personnelle, et dont vous pourrez faire ce que vous voudrez. Je vous demanderai seulement de ne pas me citer, car je ne tiens' nullement à attirer sur ma modeste personne les foudres du penseur, qui ne pratique pas toujours le pardon des injures, malgré sa conversion, et d'autre part, a une influence certaine sur la plupart des grands médecins d'aujourd'hui, etc., etc. »

Jai rapporté le détail des funérailles de Walt Whitman tel qu'il m'a été raconté en présence d'un jeune poète de talent, M. Blaise Cendrars. Je n'y ai rien ajouté et rien

retranché. Je croyais qu'il s'agissait de faits indiscutablement connus en Amérique. Du moment qu'on les conteste, je regrette vivement de les avoir mis en question. Ne pouvant livrer un nom qu'il ne m'appartient pas de donner, je prie qu'on efface l'anecdote que j'ai racontée. Par conséquent, qu'on ne prenne point ces lignes pour une réponse à M. Merrill. Néanmoins, il me semble que M. Stuart Merrill fait, dans sa réfutation définitive d'étranges confusions.'C'est ainsi qu'il confond l'unisexualité avec la débauche la. plus crapuleuse. Tandis qu'elle n'est rien moins que cela-


Un grand nombre des unisexuels que j'ai connus étaient des gens chastes et bornaient leurs plaisirs à ceux de l'amitié. D'autre part, l'esprit sinon la lettre de l'article écrit par M. Merrill tendrait à faire croire que l'unisexualité est exceptionnelle. Il n'en est rien cependant, pas même en Amérique.

J'ai rencontré depuis quelques années un grand

nombre d'Américains hommes et femmes, et je jure que même ceux qui étaient tout le contraire d'un unisexuel étaient hantés par l'idée d'unisexualité. Il en était question dans tous leurs propos. Ils affirmaient qu'elle était extrêmement répandue dans les Etats-Unis et l'un d'eux, pour me prouver le fait, me raconta l'anecdote populaire suivante. Un provincial venu à New-York pour s'amuser s'en va au théâtre. Au contrôle, un personnage efféminé le conseille d'une voix de tête et avec des chichis si peu équivoques que le provincial scandalisé va se plaindre au directeur, qui le reçoit avec des mines aussi singulières. Notre homme, étonné, se décide enfin à entrer dans la salle où les placeurs le conduisent avec des gestes non moins maniérés. Le provincial en fureur quitte le théâtre et avise un policeman. Celui-ci lui répond de la même façon et sur le ton qu'affectent volontiers les unisexuels. L'histoire continue ainsi et, à travers son exagération/ on distinguera facilement la vérité. L'unisexualité n'est pour le moins pas plus rare en Amérique qu'en Europe, où elle est très commune. M. Stuart Merrill, qui peut bien limiter à trois anonymes le nombre de ceux qui ont dit avoir connu l'unisexualité de Whitman, et tenir leur témoignage pour non-avenu, ne pourrait pas imposer son opinion à la foule des savants, des médecins, des écrivains, américains ou non, qui tous admirateurs de Whitman autant que M. Merrill lui-même, tiennent cependant Whitman pour un unisexuel. Ce qui a été publié sur ce sujet dans le inonde ,entier formerait déjà une petite bibliothèque. M. Merrill peut donc


combattre une opinion qui n'est point la mienne, car je n'en ai aucune sur la question, mais,il ne peut refuser d'avouer qu'il ne s'agisse là d'une opinion extrêmement répandue. Et les photographies même de Whitman ne vont nullement à l'encontre de cette opinion, pas plus que la péroraison de Calamus. On sait le rôle patriotique que les fraternités, dont on ne conteste pas, je pense, le caractère unisexuel, ont joué en Grèce et en Allemagne Cependant avant de me retirer d'une discussion que je merepens vivement d'avoir provoquée, puisque, faute de pouvoir citer un nom, les torts sont de mon côté, je veux -encore me permettre trois observations i° Le vieil éditeur de Philadelphie cité par M. Reeves n'est pas si anonyme que le dit M. Merrill. Ea effet, M. Reeves ajoutait qu'il tenait un des cordons du poêle aux funérailles 2° J'ai entendu dire qu'au contraire de ce qu'avance M. Merrill l'opérette Patience n'était qu'une longue allusion aux goûts antiphysiques d'Oscar Wilde mais peut-être me trompé-je encore et M. Merrill va-t-il exiger des noms 30 Puisque la législation barbare et injuste de certains Tftats condamne avec sévérité les unisexuels, M. Merrill ne pense-t-il pas qu'il est du dernier intérêt de montrer qu'il a pu y avoir des hommes de génie parmi les unisexuels ? Le prestige de ces hommes ne peut-il aider à défaire la barbarie et l'injustice des législations citées par M. Merrill ? Par quelle rage singulière MM. Les Humanitaires, chaque fois qu'un grand homme est donné comme unisexuel s'efforcent-ils de dénier aux autres unisexuels le droit de le considérer comme un des leurs ? Si nous avions l'avantage de donner dans l'unisexualité, M. Merrill ou moi, la question ne nous serait pas indifférente.


Janvier 1914 Tout le monde a lu les lettres par lesquelles, l'an dernier et cette année même, M. Lampué faisait savoir au monde consterné qu'il n'approuvait point la peinture contemporaine et qu'il persécuterait volontiers les nouveaux peintres. Verra-t-on ainsi au xxe siècle des persecutions esthétiques comme on a vu en d'autres temps des persécutions religieuses ? Quoi qu'il advienne, l'attitude de M. Lampué, qu'approuvent un très grand nombre de gens et quelques grands journaux, nous prouve que la tolérance est une vertu bien oubliée. M. Lampué a le front de se réclamer d'Henri IV, et quel don de joyeux avènement fit ce monarque à la France, sinon la tolé-

rance ? Or, ce que le public ignore généralement, c'est que vous êtes orfèvre, monsieur I^ampué, ou plutôt vous êtes

peintre. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'en ébranlant de toute la force de son autorité la 6e colonne de la Ire page des grands journaux, M. le conseiller municipal Lampué ait eu pour but de détruire dans l'esprit du public toute une catégorie de peintres qui pouvaient faire à sa propre peinture une concurrence sérieuse. Non, je n'irai pas jusqu'à dire cela, car je ne le pense pas, mais ce que je pense, c'est que M. I^ampué est orfèvre, ou, plutôt, qu'il est peintre et que cette qualité eut dû le rendre plus circonspect, sinon dans ses apprédations, du moins dans l'expression de ses désirs touchant les sanctions à appliquer aux peintres dont les œuvres n'emportent point ses suffrages d'esthète. Là-bas, près des Gobelins, boulevard de Port-Royale il y a une maison qui porte le numéro 72. Deux boutique, celle d'un cordonnier et celle d'une brasserie, ornent cet ;mmeuble, mais ce qu'on peut y voir de plus intéressant


encore, c'est, sous la porte cochère, l'exposition permanente des oeuvres de M. Lampué. Douze tableaux de M. Lampué, l'exposition est de taille Ce sont des paysages exposés dans des vitrines où ils se tiennent sans cadre, suivant la mode inaugurée par Henri Matisse au Salon d'Automne, mode qui a dû bien choquer M. Lampué. Dans l'un de ces paysages, on devine mal une figure (je la distingue, moi, parce que j'ai une grande habitude des conventions adoptées par les peintres), et je me demande ce que verrait un Marocain, si on lui montrait ces trois boules de différentes couleurs et superposées obliquement qui ont la prétention de représenter une blanchisseuse. M. Lampué veut bien peindre avec la liberté qui lui est agréable, tandis qu'il entend réduire le rôle des autres peintres à celui de photographe. Une femme verte l'irrite, pour un peu un dessin à la mine de plomb lui paraîtrait invraisemblable et intolérable. La photographie simple ne doit plus le satisfaire et la photographie en couleurs" seule lui paraîtra désormais véridique mais trois boules obliques suffisent, quand il peint, indiquer une lavandière. La paille et la poutre, vous dis-je. Et cette poutre-là soutient l'édifice où se tient l'exposition permanente de M. Lampué, sous une porte-cochère; elle hennit joyeusement dans l'œil de M. Lampué quand il monte sur ses grands chevaux pour ébranler de son autorité la 6e colonne de la ire page des grands journaux. Et voilà mais je ne vous ai point parlé des paysages de M. Lampué, que vous irez voir, si vous y tenez, au numéro 72 du boulevard de Port-Royal, sous la porte cochère.

Il y a de cela quinze jours, un homme au visage sem-

blable à une pomme grise et ridée, un homme de la taille


des Lapons, aux cheveux semblables à du poil de lapin, errait, vers 9 heures du soir, aux alentours de la gare Montparnasse. Il cherchait un endroit où passer une agréable soirée. Et quoi qu'on en pense à l'étranger,, Paris n'est pas, ou du moins n'est plus une ville où les. amusements abondent, le soir particulièrement. C'était un mardi. L'homme, qui était un Danois, romancier distingué en son pays, voyageur intrépide nommé Ebbe Kornerup et fils d'un savant archéologue bien connu de ceux qui se sont occupés de préhistoire, venait passer deux jours dans la capitale du monde civilisé avant de s'embarquer pour une île déserte choisie par lui dans les parages les moins fréquentés de la Polynésie. Il erra ainsi le long d:> boulevard du Montparnasse, entrant dans. tous les cafés, dans toutes les brasseries mais on sait qu'à Paris on ne va plus guère au café, ni à la brasserie, l'apéritif lui-même, qui autrefois se prolongeait fort tard, n'existe plus et je ne crois pas qu'il faille s'en plaindre. n'y a « Comment, se disait M. Ebbe Kornerup, il plus de poètes, plus de peintres à Montparnasse on a déjà annoncé la mort de Montmartre, mais je pensais. que Montparnasse existait encore. Quel peut être désormais le logis des neufs Muses si le Mont Parnasse est désert ? Paut-il maintenant gravir les plus hautes cîmes alpestres pour les rencontrer hivernant p&tmi les mondains sportifs et les alpinistes ? Tanguent-elles aux théstangos ? » Et déjà il se proposait d'aller dès le lendemain au Parthénon interviewer à ce sujet Mme la baronne Brault, lorsque, arrivé à la hauteur de l'Observatoire, il eut l'idée d'entrer au café de la Closerie des lilas, dont les: lumières éclatantes ont pour effet de laisser dans l'ombre cette merveille du Paris moderne, la statue.du maréchal Ney, le chef-d'œuvre de Rude. I,à M. Kornerup aperçut les neuf Muses et tout le Parnasse. Il n'hésita point, entra, et se fit servir urife de ces boissons fortes qu'affectionnent les habitants du Danemark.


Bien lui en prit, car quelqu'un le reconnut aussitôt et le présenta à notre Prince des Poètes, qui l'accuellit avec -cette bonne grâce, qui, son génie poétique aidant, est èn train de le rendre l'homme le plus célèbre de l'Europe. Notre ami Alexandre Mercereau, avec une courtoisie identique, le présenta au reste de l'assemblée. Quelqu'un qui l'avait connu à Roskilde, sa ville natale, voulut bien apprécier ainsi,, pour l'édification de l'assistance, le talent de M. Ebbe Kornerup « C'est le Pierre Loti danois mais le petit homme manifesta violemment son irritation touchant une autonomase qu'il trouvait injustifiée « Moi, pas Pierre Loti, moi Bbbe Kornerup. » Cependant, M. Kornerup fut si heureux de cette riencontre qu'il rendit sur-le-champ toute son estime au quartier du Montparnasse et que, deux jours après, il sanglotait désespérément, car le temps était venu d'aller s'embarquer à Anvers pour cette île ou il se propose de vivre seul pendant deux ans afin d'y écrire un roman, -et qui est située dans les parages les plus déserts de la Polynésie le souvenir exquis qu'il emportait de Paris et des poètes qu'il y avait rencontrés lui fendait le cœur. « Si je n'avais pas mon billet, disait-il en essuyant ses larmes, je ne quitterais pas Paris. Et il montrait son billet de voyage, qui lui coûtait environ cinq mille francs.

Il faut aller voir à Bullier, le jeudi et le dimanche, M. et Mme Robert Delaunay, peintres, qui sont en train -d'y opérer la réforme du costume. I,'orphisme simultané a produit des nouveautés vestimentaires qui ne sont pas à dédaigner. Elles eussent fourni à Carlyle un curieux chapitre du Sattor Resartus. M. et Mme Delaunay sont des novateurs. Ils ne s'embarrassent pas de l'imitation des modes anciennes, et 'comme ils veulent être de leur temps, ils ne cherchent point à innover dans la forme de la coupe des vêtements,


suivant en cela la mode du jour, mais ils cherchent à influencer en utilisant des matières nouvelles infiniment variées de couleurs. Voici, par exemple, un costume de M.Robert Delaunay veston violet, gilet beige, pantalon nègre. En voici un autre manteau rouge à col bleu, chaussettes rouges, chaussures jaune et noir, pantalon noir, veston vert, gilet bleu de ciel, minuscule cravate rouge. Voici la description d'une robe simultanée de Mme Sonia Delaunay Terck tailleur violet, longue ceinture violette et verte, et, sous la jaquette, un corsage divisé en zones de couleurs vives, tendres ou passées, où se mêlent le vieux rose, la couleur tango, le bleu nattier, l'écadate, etc., apparaissant sur différentes matières, telles que drap, taffetas, tulle, pilou, moire et poult de soie juxtaposés,

Tant de variété n'a point passé inaperçue. Elle met de la fantaisie dans l'élégance. Et si, vous rendant à Bullier, vous ne les voyez pas aussitôt, sachez que les réformateurs du costume se tiennent généralement au pied de l'orchestre, d'où ils contemplent sans mépris les vêtements monotones des danseurs et des danseuses.

C'est avec une profonde stupeur que l'on a appris à Paris la disparition du Dr. Otto Gross, le fameux psychologue et médecin autrichien, son arrestation secrète et sa séquestration précipitée dans un asile d'aliénés. I/e Dr. Otto Gross est le premier qui ait développé et mis en pratique les théories de Freud, qui fut le créateur de la psycho-analyse. Certaines cures du Dr. Otto Gross ont réussi au-delà de tout ce qu'on attendait. Il fut encore un des premiers qui défendirent Otto Weininge% sur lequel il écrivit une brochure très discutée. Il a aussi publié beaucoup d'articles suggestifs sur des questions


d'éducation, de politique, d'art, sur la création subconsciente, etc., écrits toujours fondés sur lapsycho-analyse ou analyse des mouvements inconscientsde la personnalité. Il venait de s'installer à Berlin pour mettre au point le résultat de dix années de travaux qu'il pensait publier dans un ouvrage intitulé l'Ethique nouvelle, quand il fut arrêté par les sbires d'une agence privée autrichienne requise, dit-on, par son père. I^es manuscrits furent saisis. On ne se doute pas du lieu où il a été emmené. On sait seulement qu'il fut enfermé dans un wagon de marchandises jusqu'à la frontière autrichienne où l'on perd sa trace. Ces faits singuliers ont soulevé l'opinion publique en Allemagne et même en, France, où le disparu comptait de nombreux' amis.

le père est le professeur Hans Gross lui-même, le ce-

lèbre criminalogiste à l'université de Gratz, auteur d'un manuel pour les juges d'instruction, manuel basé également sur la psycho-analyse et qui est en train de révolutionner la routine judiciaire, en Autriche, en Allemagne, en Angleterre et dans les pays du Nord. On attribue toute cette affaire à une questic.n d'héritage compliquée de névropathie. Tout cela, au demeurant, ne justifie point une arrestation secrète interrompant l'oeuvre importante et impatiemment attendue d'un savant universellement reconnu. Quelques spectateurs, à la représentation au théâtre de V Œuvre du Baladin du monde occidental, trouvaient très immoral tant d'humour tiré de l'assassinat d'un père par son fils peut-être trouveront-ils également regrettables les attentats des pères sur les fils comme dans l'affaire du comique Fragson à Paris et celle du Dr. Gross, à Berlin.

Wunderkind der Epigraphie, disait Mommsen en par-


lant du jeune Seymour de Ricci, quand celui-ci n'était encore qu'un écolier. L'Enfant prodige de l'épigrafihie n'a point borné ses connaissances aux inscriptions chal-

déennes. Membre de la Société des études rabelaisiennes, il a fait quelques trouvailles qui ne sont pas sans importance, -au dire même du savant Pierre-Paul Plan, qui fait autorité en la matière. M. Seymour de Ricci connaît aussi tous les objets d'art du monde entier, le lieu où'ils se trouvent, le prix qu'ils valent et celui qu'ils ont coûté. Amateur éclairé, ses investigations l'ont fait pénétrer dans tous les domaines de l'art et de la curiosité. Il est encore bibliographe sans pareil et s'il me fallait énumérer tous les mérites de ce jeune érudit, les pages de ma chronique n'y suffiraient peut-être point. L'an dernier il constatait qu'il n'y avait plus à la disposition du public un catalogue tenu à jour des peintures du Louvre. Le catalogue de Nillot a été réédité et complété la dernière fois, pour la section italienne, en 1877. M, Seymour de Ricci se mit aussitôt à l'ouvrage et, comme il est fort expéditif, l'automne arrivé, il publia sor t^mier volume: Description raisonnée des peintres du L.mre. Italie et Espagne. Pour ne peiner personne, il avait omis la Joconde. On a affirmé que plusieurs conservateurs du Louvre lui avaient demandé comme un service personnel de n'en point parler. Il aurait bien objecté que, depuis 1870, les cartes de France contiennent, désignées à l'attention par des couleurs spéciales, les provinces perdues, l'Alsace et la Lorraine, et que cela serait une belle page dans Son catalogue que celle ou on pourrait lire la description de la Joconde suivie de cette indication entre parenthèses (en déficit.) Toujours est-il que le catalogue de M. Seymour de Ricci offre cette particularité d'être le,seul çatalogue du Louvre où il ne soit pas fait mention de la Joconde. Il est vrai qu'il en sera parlé dans la seconde édition, qui est sous presse, et qu'un carton va être im-


primé pour donner satisfaction aux souscripteurs de la première édition. Pour finir, j'espère bien que les Bibliomanes me sauront gré de leur avoir indiqué une curiosité bibliographique dont ils n'avaient sans doute pas encore entendu

parler.

On a appris la mort volontaire de M. Camille Sohet, industriel amateur et qui tenait par diverses parentés ou amitiés aux arts et. aux lettres. Il était l'ancien mari de la Mérelli, cette sœur de dessinateur connue, cette beauté que l'odyssée de la Catarina rendit célèbre. Je le rencontrai un soir d'hiver, sous une pluie battante, dans une rue de Montmartre mal éclairée par de vieux réverbères fort éloignés les uns des autres. Il me tint longtemps au pied de je ne sais plus lequel de ces escaliers qui donnent une physionomie si pittoresque au vieux Montmartre. Il me prit pour confident de ses peines et dé ses ambitions déçues. Il rêvait de révolutionner la chromolithographie. Il voulait « rajeunir les cadres »; disait-il, mais il ne voyait pas ce rajeunissement comme imprimeur, il le voyait en peintre. Il me demanda si je ne connaissais pas un peintre cubiste qui consentirait à dessiner une boîte cubiste pour les bonbons d'étrennes d'une maison qui porte un nrom de peinture, mettons la maison Aquarelle. Et comme j'objectai que les cubistes étaient fiers et ne recherchaient point l'argent (les cubistes sont pour ainsi dire les seuls peintres qui vendent de la peinture aujourd'hui), il insista tant que je finis par, lui désigner un transfuge du Cuqui, pour cinquante francs, fit la boîte bisme, M. demandée. Mme Aquarelle, lors d'une visite qu'elle fit à M. X. dans l'illustre maison située autrefois au 13 de la rue Ravignan, Mme Aquarelle, dis-je, vit des natures mortes si pompières qu'elle s'écria avec amertume

X.


c'est de l'impressionnisme ça, c'est horrible, je n'en voudrais à aucun prix. » Sur quoi on renonça à lui montrer la boîte cubiste et Sohet ne se consola jamais des cinquante francs qu'il avait donnés à M. X. Il n'est point douteux que cette boîte manquée n'ait contribué aa désespoir du malheu« Mais

reux Sohet. Que ne s'adressait-il aux cartonniers chez qui il y a tant de boîtes dans la nature desquelles il est

d'être cubistes

Février igi4

Il vient de paraître en Italie un Almanaco purgativo-

pour 1914. Cet Almanach purgatif est l'oeuvre des deux: nouveaux futuristes, Atdeugo Sofîici et Giovanni Papini. Ils sont l'un et l'autre bien connus en Frange, où le premier a longtemps vécu. Le second, qui tient dans la hiérarchie futuriste rang d'antiphilosophe, est un collaborateur du Mercure de France. Je tenterai d'esquisser ici même un de ces jours le portrait de l'antiphilosophe

Papiai.

Dans YAlmmecch purgatif il y a des choses assez drôles, surtout les anecdotes. En voici une sur Napoléon. « Durant sa captivité à Sainte-Hélène, Napoléon aimait de préférence s'entretenir avec des Italiens et spéciale-, ment avec le docteur Arttomarchi, avec lequel il revenait votatttieïs sui les: circonstances de sa, vie aventureuse. Un matin, ils parlaient comme d'habitude,, assis sur le rivage, et le médecin lui ayant fait quelques question sur les véritables raisons de la campagne de Russie, Napoléon lui répondit Mon. intention, pour assurer la. paix del'Europe, était de frapper à mort l'Empire Musse. -.< visai an cœurr mais l'Empereur sourit lo pvési net cuk> »i tu-me Voici des anecdotes sur Baudelaire-

e


sait que, durant son séjour à

Dijon, Charles Bautraversa une période de si atroce misère qu'il dut supporter que Jeanne Duval, sa maîtresse, se livrât à la prostitution pour subvenir aux besoins du ménage. Baudelaire en souffrit cruellement toutefois cette abjection, dans laquelle il se sentait tombé, lui procurait parfois, comme il le confessait lui-même, une ténébreuse volupté qui se répandait en sarcasmes diaboliques. Un soir, par exemple, la pauvre mûlatresse, de retour à la maison après des heures et des heures d'absence, -raconta à son ami qu'elle avait rencontré un vieux qui, après avoir écouté son histoire, ému de compassion, lui avait donné quelques louis sans lui rien demander en échange. Et comme elle se réjouissait de la chose « Non, non, dit le poète irrité, pas de médiocrité, il faut le rechercher et coucher avec lui.» Une autre fois qu'elle était sur le point de sortir comme toujours à 1% recherche de quelque amateur adventice Baudelaire lui courut derrière en criant par l'escalier «On

delaire

monsieur,

cette

recommandation

« Et surtout n'oublie pas de dire à tes clients que fais ça pour moi, pour Charles Baudelaire. »

tu

Un soir que la pauvrette rentrait à la maison, ramenant un prêtre « levé » qui sait par quels sacrifices observa l'auteur des Fleurs du mal « Très bien -.ce soir, c'est un ministre de Dieu qui vient augmenter notre douleur,: à la fin ce sera Dieu- lui-même à me faire cocu, ce qui sera enfin digne de moi. Les pensées des grands hommes données par l'A Imanaçh purgatif ne sont pas moins bien choisies L'infini est nécessairement plus vaste que le fini* puisqu'il le contient .Pi,ATOijr. Il y a dans la philosophie beaucoup de mystères qui me sont ni dans- le ciel ni sur la terre. Shakespeare. J'ai connu un homme tellement peureux que, bien que bon catholique, il n'allait jamais à la messe. A quelqu'un qui lui demandait pourquoi, il répondit Dieu est


bon, et me pardonnera, mais le Diable, qui est méchant, pourrait se formaliser. STERNE. Les femmes ne s'habillent que pour exciter le désir de les déshabiller. CASANOVA. Si Judas avait eu-l'idée d'offrir, avec ses trente deniers, un bon souper aux apôtres, sa réputation serait infiniment meilleure que celle qu'il a aujourd'hui. VOLTAIRE. La famille est une chose si déprimante et si embarrassante pour l'homme que les seuls êtres vraiment libres sont les enfants trouvés. La chose la plus humaine que puisse donc faire un père est d'abandonner ses enfants dès leur naissance. J.-J. ROUSSEAU. Les bouchers sont les seuls hommes que l'on puisse comparer aux esprits libres les uns comme les autres ont mission d'égorger les bêtes. NIETZSCHE. Le monde est tellement mauvais que Dieu lui-même, qùi l'a fait, n'y habite plus. Shopenhauer. Le génie est la,lumière la foule est l'ombre. Mais, de même que la lumière illumine l'ombre, ainsi le génie éclaire la voie des multitudes. VICmOR HuGo. L'or est comme le reflet de la puissance divine sur la terre c'est pourquoi plus on en possède plus on s'avoisiné à Dieu. Rothschild. En philosophie la chose la plus difficile n'est pas de trouver la vérité, mais que la vérité trouvée signifie quelque chose. UGQ Foscolo. Nous sommes tous héros sur terre du premier au dernier et vice-versa. On ne pense guère à l'héroïsme de notre père Adam, quand il consentit que Dieu prît une côte pour en former là femme. Emerson. Je n'ai rien à dire contre la femme, sinon qu'elle ne ressemble pas assez à l'homme. Oscar Wilde. La dernière forme de la foi consiste à croire que l'on ne croit à rien. Anatole France. » Une des nouveautés de VAlmanach je dis nouveautés ce sont des versiculets intitulés dans l'imprimé Malthusiens dominicaux, mais que les auteurs appellent


définitions 'malthusiennes. Malthusien vetrt dire ici improductif et aussi que le quatrain se retire 'au. meilleur moment. Bu effet, leur plus grand mérite conentre -eux

siste à promettre quelque chose et à ne rien donner, sinon quelque bourde propre'à'faire rire. I<e dernier mot est tronqué. Il est possible en italien de tronquer certains mots pour la nécessité de la versification, mais seulement certains mots. On peut, par exemple, dire eavaï pour cavallo, mais

il

onïeiait,en a l'air de ne

pas savoir se'tirer d'un mauvais pas poétique, ce qui est l'impuissance même, d'où Tidëe

de l'infécondité malthusienne. En italien tout cela est ridicule. C'est un Napolitain qui a inventé le genre, il y une cinquantaine d'années, mais il faisait ça aveelo^qtre et généralement sans cette ressource du mot tronque arbitrairement et bêtement. Il employait des mots troncables: Voici la traduction de quelques quatrains de VAlmanach Boucher, c'est cette séhose

puisait faire ses affaires, Sur la porte il écrit bœuf,

"

Dedans il vend du cheval.

.Venise

c!est cette

-chese

M.

Qui s'agite dans la M. neuve, antique M.«. l'infini.

M. M.à

.L'Allemand est cette-chose

Qui est imbécile en tout.

ressemble beaucoup auJloeuf. Mais n'éveille pas l'appétit. 11

Eëministe est cette :chose ;Qui -vsxxt faire les ^élections, ..Pour entrer au Parlement.'

Qomme

on voit, l'Mfnmaëh purg0tf, issu àes

Mima.


eût décerné aux auteurs le grand cordon de: l'ordre de-la

témoigoe encore- de la vitalité du Gidouille. futurisme, qui. n'a- point dédaigné d'entrer dans, l'histoire de l'esprit humain parmi les risées du publie et ses propres éclats de rire. J'oubliais d'ajoutée que;, conformément l'épiphonème vertical de mon maniïeste S cmtitraditton futuriste du 29 juin igi3 « Suppression de l'histoire )', les, ane6dotes et les pensées- de- -l'Almanach citées plus haut. sont entièrement fausses et qu'elles: ont. part conséquent toute la saveur de l'inédit. Mars 1914 I.e. quartier Montparnasse,; du. témoignage- de l'habitant des quartiers environnants, est un, quartier de louftingues. La. vérité est que Montparnasse remplace Montmartre, le Montmartre d'autrefois, celui des artistes, d:es chansonniers, des moulins, dès cabarets,, voire même des haschischophages, des premiers opiomanes- et des sempiternels éthéromanes tous- ceug (parmi les Montmartrois du grand art) qui vivaient encore et que la noce expulsait du vieux Montmartre détruit par. les propriêV taires et les architectes-, conspués- par les futuristes par risiens, où, d'ailleurs, tous ceux-là ont émigré sous-focme de cubistes, de Peaux-Rouge, de poètes orphiques^ Ils ont troublé des éclats de leur voix les échos du carrefouf de la Grande-Chaumière. Devant un café établi dans une maison de licencieuse mémoire, ils ont dressé un conr current redoutable, le' café de la Rotonde. En f anse,- se tiennent les- Allemands. Ici, vont plus volontiers les dans 1'un ou dans

Les marchands de couleurs dans-toutes les rues: avoir sinantes offrent leur multicolore tentation à tous ceux


qu'un rapide coup d'œil dans les expositions d'avantgarde a fait s'écrier Anch'io son Pittore. Esquissons avant tout la physionomie du Carrefour, Vraisemblablement, elle changera avant peu. A l'un des coins du boulevard du Montparnasse, un grand épicier étale aux yeux de tout un peuple d'artistes interna-

tionaux son nom énigmatique Hazayd. Sa marchandise est des plus variées et ses chalands sont de toutes sortes* L'Américain trouve ici les grappes-fruits qui sont au citron ce que le melon d'eau est au cantaloup, le Russe y retrouve ses pommes de paradis semblables à des bigarreaux, le Hongrois sa charcuterie poivrée de rouge, etc. Voici, à l'autre angle, la Rotonde, un Indien en grand costume de cuir et de plumes peintre et modèle attirent les regards. André Salmon s'arrête quelquefois à cette terrasse distant comme un spectateur au fond d'une avant-scène, Max Jacob est souvènt là vendant sa Côte et ses dessins, quelquefois même la longue silhouette sereine de Charles Morice se profile longtemps à l'intérieur, contre la muraille. A l'angle du boulevard du Montparnasse et de la rue clientèle d'habitués, gens Delambre, c'est le Dôme riches, esthéticiens du Massachussets ou des bords de la Sprée, c'est encore Pascin ou le Clinchtel contemporain c'est ici que se décide l'admiration que l'on professera en Allemagne pour tel ou tel peintre français. les gloires de Géricault, de Courbet, de Seurat, du Douanier n'ont pas eu à souffrir des entretiens esthétiques entre les Allemands millionnaires du Dôme. Un autre angle c'est Baty ou le dernier marchand. de vin. Quand il se sera retiré, cette profession aura pratiquement disparu de Paris. Il restera des mastroquets et des bistrots, mais le chand' de. vin aura vécu. En attendant -ceux que les maladies ou plutôt les médecins n'ont pas fait renoncer entièrement aux vins de France fêtent à l'envi cette cave bien soignée. Plus loin, à droite, sur le boulevard Raspail, le petit


café des Vigourelles abrite, les jours où l'on ne danse pas à Bullier, une jeunesse pétulante un homme au visage. sévère s'y tient souvent. Il déclare avec simplicité à qui veut l'entendre « Je suis l'homme le plus emm.dant du quartier, j'emm. de même les conseillers municipaux. » On l'appelle le lion. Il a tellement em.rdé de monde qu'il en a tiré des rentes. En effet, la plupart des cafés, des bistrots du quartier préfèrent lui donner de l'argent plutôt que de le servir. Il n'a qu'à se présenter dans ces endroits, pour qu'aussitôt on lui donne selon l'importance de la maison, un franc, deux francs et même trois francs cinquante. Chaque matin, cet homme de génie fait sa petite tournée dans le quartier et cela lui suffit pour vivre, il e..rde tout le monde et ne doit rien à personne. Dans ce petit café provincial des Vigourelles viennent quelquefois MM. de Segonzac, I,uc-Albert Moreau, André Derain, Edouard Férat, René Dalize et un personnage énigmatique que l'on appelle le Finlandais, mais qui, je crois, est en réalité un limousin de Limoges. I,e distingué propriétaire de la-maison, M. Vigoureux s'est fait une popularité d'excellent aloi dans, son arrondissement en déclarant publiquement, dans un beau mouvement-d'éloquence « Messieurs, tout en étant bistrot, j'aime beaucoup les arts; le dimanche, quand je ne vais pas au cinéma, je vais au Louvre. » Presque en face se trouve la boutique de M. Cocula, qui, par un singulier phénomène de mimétisme onomastique, en est venu, comme son quapi-homonyme anglais, M. Cook, à s'occuper de voyages les Anglais ont l'agence Cook et les Français ont le train Cocula. Dans les rues qui entourent le cimetière du Montparnasse, et où M. de Max garde le tombeau de Baudelaire, se trouvent les demeures d'anciens habitants célèbres de Montmartre beaucoup d'entre eux même, comme Picasso, habitaient la célèbre maison du 13 de lame de Ravigna, aujourd'hui, 13 place Emile-Goudeau. Redescendons. rue de la Grande-Chaumière, rue des


Académies, où, naguère encore l'unique Patagon des Paris, l'Araueanien Ortiz de Zarate; se promenait en; proclamant qu'il avait découvert la vérité. Ici se tient; encore un fameux petit restaurant de modèles, Cher Papa il est tenu par un ancien Garibaldien qui assagisonne les pâtes aussi bien que dans les osteries romaines. C'est un lieu charmant où M. Anatole France, s'il le* connaissait, viendrait souvent. En attendant, on y ren*contre d'aimables gens, parmi lesquels MM. Paul Morisse^ André Billy et Paul Léautaud. S'il a une couleur différente de celle du Montmartre d'autrefois, le Montparnasse d'aujourd'hui n'a pas moinsi de gaieté, de simplicité et de laisser-aller. Les costumes-: à: l'américaine' des artistes d'aujourd'hui ne sont ni moinsr larges, ni d'un autre velours que celui des rapins d'au*trefois ils sont larges d'une autre façon, voilà tout, et' la sandale, après tout, n'est pas moins germanique que l'affreuse bottine à élastique de jadis. Bientôt; je gage; sans le souhaiter, Montparnasse aura ses boîtes de; nuits-, ses chansonniers comme il' a ses peintres et'ses poètes.. te jour où un Bruant aura chanté les divers coins de ce; quartier plein de fantaisie, les crémeries; la caserne? àtelier de la rue Campagne.Première; l'extraordinaire' Grèmerie-Grill-rootn du Boulevard du Montparnasse, le restaurant Chinois, les mardis de la Closerie des Ï41asy, ce jour-là Montparnasse aura vécu. I/agence Coofc y; amènera ses caravanes, et le train Gocula émigrera en_ quelque autre quartier, emportant les-peintres, les Chinois; les Patagons; les- Indiens Comanches, les LimousinsFinlandais, les Vigourelles et peut-être même l'homme le plus emm.dant du quartier, vers une autre destination, vers un autre arrondissement, vers une autre-butte, vers un autre mont, sans doute les Buttes-Chaumont.

Le faux- Yankee de là rue Richepansei M. Félix


Fénéon, n'a jamais été très prodigue de sa prose, dé même sa faconde est plutôt laconique. Toutefois, cet écrivain si dépouillé qu'il avait pour ainsi dire inventé, dans ses immortelles nouvelles en 3 lignes du Matin, les, mots en liberté qu'ont adopté les futuristes¡ se taisait depuis trop longtemps. Le voilà qui revient à ses premières amours la peinture. Il combine ses dons d'écrivains d'art avec le rôle d'informateur qu'il assuma quelque temps, pour nous, donner anonymement chaque quinzaine, et de la façon la plus savoureuse, des nouvelles importantes qui concernent les arts. Ce. petit Bulletin, qui. se trouver à. la fm du catalogue de. chez Bernheim; sera conservé avec soin par les amateurs. d'art autant que par les curieux de lettres. Il a déjà paru deux de. ces savoureux, Bulletins.. Bulletins, voilà un, titre bien moderne. Espérons que les Bulletins de M. Félix Fénéon formeront plusieurs forts volumes. Ce seront les bulletins de la grande peinture, comme y a eu les bulletins de la Grande-Armée.

il

Le lundi 2 mars 1914, à 2 heures, eut lieu à l'hôtel Drouot, salles Nos 7 et 8, la vente aux enchères publiques d'une collection qui restera célèbre. Celle de la. Peau de, l'Ours. A côté d'œuvres d'artistes des générations précédentes comme Constantin Guys, ou Hervier, Van Gogh, Gauguin ou Henri-Edmond Cross parmi.les morts, Forain, Odilon. Redon, Maurice Denis, Vuillard, Bonnard, nmile Bernard, Filiger, Vallotton, Signac, Sérusier, Roussel, Ranson, Maillol, I/Uce, on voyait les oeuvres des peintres de la. génération actuelle Henri; Matisse; Pablo Picasso;, André Derain, Marie I,aurencin, Maurice de Wlaminck,. Metzinger, Raoul Dufy, Van Dongen,. Diufrenoy, Flanidrm,:Marquet,.Fxiesz,Girieud, Iyaeoste.XapradeïRouaultjr Mauguin, Mme Matval, Verhoeven, Puy,, Herbin, R.. de. la Fresnaye, Du:noyer. de Segonzac, etc.


C'était la premiers fois que les œuvres des peintres nouveaux, fauves ou cubistes, affrontaient la vente aux enchères.

C'était la première fois aussi qu'une partie du produit de la vente (20 ° /0) a été réservée aux artistes. Les résultats ont dépassé les espérances que fondaient sur leur goût les compagnons de la Peau de l'Ours. La préface du catalogue de la vente explique avec simplicité comment s'est formée cette importante collection. « Des amis se sont réunis, il y a dix ans, pour former une collection de tableaux et surtout garnir, orner les murs de leurs logis. Les belles œuvres du passé étant presque inaccessibles, ils se laissèrent aisément persuader, jeunes la plupart et fondant espoir en l'avenir, de faire confiance à des artistes jeunes aussi ou récemment découverts. Il leur semblait honorable de courir les risques que comportent les choses nouvelles plutôt que ceux, non moins redoutables, du faux, du truqué, du surfait. N'observaient-ils pas, en paraissant aller de l'avant, la tradition même des bonnes époques, moins attentives au passé qu'à la mise en valeur du présent et à la préparation de l'avenir et plus préoccupées de la formation des styles que de leur classification et de leur momification dans le

musée »

Plus loin, ceux de la Peau de l'Ours parlent de Picasso et du cubisme sans les nommer, et c'est encore là une page intéressante de l'histoire des arts contemporains. « Un autre encore a accompli dans une grande jeunesse, en plusieurs évolutions, une œuvre considérable, pleine de force, de grâce et de gravité, avant d'être séduit par la beauté abstraite, célèbrée par Platon, des plans et des lignes et de se lancer en initiateur dans ce domaine à la poursuite de découvertes dont la portée ne peut encore être mesurée. Quoiqu'il ne soit pas impossible de trouver, dans le temps et dans l'espace, les premières données des tentatives actuelles, l'art du peintre semble


bien, aujourd'hui surtout, ne plus connaître de limites, ni de règles que celle, éternelle, du goût. Licence dangereuse pour les faibles, liberté execellente pour ceux qui sont supérieurement doués et déjà l'on voit poindre chez des nouveaux venus une fantaisie, une allure dégagée, une jeunesse de goût que n'auront pu connaître ceux qui ont lutté pour les affranchir. Au surplus, aux disciplines d'école a succédé pour tous ces peintres celle qu'ils se sont imposée eux-mêmes et qui, sans réprimer leurs élans, n'étant point opposée à leur nature,, concentre leur effort. Il semble que, lorsqu'on jugera l'art de cette époque d'assez loin pour ne voir, au commencement du xxe siècle, qu'une seule école, elle se caractérisera, sous l'égide sans doute de Cézanne, par un retour marqué vers la solidité, la composition, la tradition hautement comprise. » Je voudrais connaître les auteurs de cette page excellente pour leur serrer la main. Moi-même je n'ai jamais dit autre chose au sujet de la jeune peinture, si même je l'ai formulé autrement. Pour ajouter un détail anecdotique, on raconte que les amateurs de la Peau de l'Ours n'ont consacré à la vente de leurs tableaux que des différences réalisées au jeu, entre amis. I,a Peau de l'Ours réhabilite. définitivement les jeux de commerce et aussi le système des tontines.

A

vril 1914

Comme au temps de Gavarni, l'époque va-t-elle être dominée par le carnaval ? La danse est à la mode, on danse partout, partout ont lieu des bals masqués. I,a mode féminine se prête si bien au travesti que les femmes ont déguisé leurs cheveux sous des,(1couïeurs éclatantes et délicates qui rappellent celles des fon-


taines lumineuses- qui m'étonnèrent quand j'étais enfant, à l'exposition de 1889. On dirait encore des lueurs stellaires et voilà que les, Parisiennes à la mode ont droit, cette année, qu'on les appelle des Bérénices, puisque leurs- chevelures méritent d'être m4ses au rang des constellations. Tout naturellement les bals de l'Opéra. ont ressuscité. ,Et. la plaisanterie grivoise du premier de ces nouveaux bals de l'Opéra où chaque femme recevait une boîte fermée à clef, tandis. que chaque homme recevait, une clef, à charge pour lui de trouver la serrure de sa clef, est d'excellent augure pour la gaieté générale. I/a vie v.a devenir légère et peut-être plus tard, quand le tango, la mazixe, la. furlana seront oubliés, dira-t-on de note époque comme dans la célèbre lithographie de Gavarni: cc Il lui sera beaucoup pardonné, parce qu'elle a beaucoup

dansé. » manque aux travestissements d'aujauxD'ailleurs, d'hui un artiste comme Gavarni, qui en dessina tant,,les inventant, sans rien emprunter à personne. Il n'existe aujourd'hui aucun type particulier à notre temps comme les Débardeurs, les Dominos, les Pierrots, les Pierrettes, les Postillons, les Bayadères, les Chicards, dont un poète ferait vite des personnages, comparables aux masques de la Comédie italienne et qui méritent qu'on ne les abandonne point. Pour créer de nouveaux masques, il faudrait un nonveau Gavarni. Son chef-d'œuvre fut le Débardeur, qui est surtout un travesti féminin délicieusement équivoque et dont il a suffisamment souligné le caractère dans cette légende à propos d'un débardeur femme lutinant Pierrette, qui lui crie «Va donc. singulier masculin, » en quoi-se, résume peut-être la fantaisie insolente de tout le sxe siècle. Il faudra aussi pour la nouvelle joie de l'époque- inventer un nouveau cancan, l'ancien ayant été amené

il


par I;a Goulue, 'Rayon d'Or, Grille d'Egoût, Valentin le Désossé et par la dévotion de grands peintres comme Toulouse-Lautrec et Seurat au rang des danses hiératiques.

Il faut quelque chose qui réponde au cancan du temps

de Gavarni, à ce jeune cancan dont les différences avec le cancan du Moulin-Rouge sont bien marquées si on compare par exemple'le tableau de Seurat, le Chahut, au monologue 'beaucoup plus ancien, -intitulé Mémoires de Mlle Fi fine ex-blanchisseuse (paroles de J. Choux, musique de Javelot) La Chahutte,et la cancanska, Dont j'connais les poses-intimes, Avec rédovccet mazurka M'font faire'bien des victimes (bis).

pleine d'abandon et qui montre une femme telie qu'elle est. gracieuse toujours, balançant Il a basq«e:«tîr laîhanche et se cambrant comme une TbiddlousedeKIossieuMenpon {elle chante) « ^Avezvous vu dans Barcelone une Andalou. » I^apolka a bien aussi son charme mais parlez-moi du cancan de la canca.nska, vulgairement appelée quadrille. C'est là que je suis à mon aise "(Criant) En avant deux (Musique, elle figure quelques pas de cancans). Y-a-t-il rien deplusechevelé, de plus igédittisantî? .11 n'y a jamais Arqp de place pour mai %{elle sfi$ure £& qui. suit) j.e:passe, repasse, balance et tourne sur pivot, ne levant toutefois la jambe qu'à une hauteur raisonnable. pour ?ne pas -tomber. Si l'on-rit, je recommence de,plus belle et finis toujours par me rattraper. {criant) à la queue du chat !Et puisque la danse est 'le'pas de èharge de l'amour, elle doit aussi -conduire au mariage. Dansons donc en attendant mieux (au refrain). » «

Oh

»Sîil

la masourka

danse

aujourd'hui .l'imagination de Ga^arni pour inventer de nouveaux travestissements, il manque aussi le don d'observation de Gavarni pour noter en manque


légendes point trop courtes les milles réflexions de ceux qui s'amusent. Aujourd'hui, il faut des légendes brèves ou plutôt personne ne sait plus en faire de longues.

J'ai noté dans les lithos de Gavarni quelques légendes

qui se rapportent à cé mode des bats, à ces balochards, à ces débardeurs, ces chicards qu'il avait inventés. UN CHICARD A UN DÉBARDEUR «

Lilie

Lilie

rien ne te dit donc que c'est moi, Lilie ?

UN PATRON DE LAVOIR A UN DÉBARDEUR

Dachu, tu m'ennuies -Non, Norinne, c'est toi qui t'ennuies. » « Dachu

LA MÈRE DU DÉBARDEUR «

Malheureuse enfant

qu'as-tu fait de ton sexe ? »

DEUX DÉBARDEURS et quand je pense que tout « Y en a-t-i des femmes, y en a-t-i 9a mange tous les jours que Dieu fait c'est ça qui donne une crâne idée de l'homme »

LE

Monter à cheval sur le cou t'appelle' ça plaisanter, toi!" «

MARI

d'un

homme qu'on ne connaît pas,

MARI-PIERROT A SA FEMME-DÉBARDEUR

Qui est plus à plaindre au monde qu'un homme uni à ùndébardeur ? C'est une femme en puissance de Pierrot. » a

DOMINO A UN JEUNE HOMME QUI COURTISE UNE FEMME MASQUÉE «

C'est vieux et laid, mon cher

tu es floué comme dans un bois. Il

DEUX DOMINOS A UN CHIFFONNIER

Qu'est-ce que tu peux venir chercher par ici, philosophe ? Je ramasse toutes vos vieilles blagues d'amour, mes colombes on en refait du neuf. » Il


LE DÉBARDEUR (homme)« Ne me parlez pas dés hommes en carnaval pour s'amuser heureusement moi, la mienne est mariée on me la tient. » LE POSTILLON: « Moi la mienne est mariée aussi, mais avec

latiens

moi-mème.

moi. ça fait que je

»

s

LTN DOMINO QUI PASSE

«

ma

Je les tiens tous les deux. Ils vont me le payer. Eh bien on dit que certain colonel se marie. te voilà veuve pauvre bayadère. Hélas, oui, mon pauvre baron, et ta femme aussi. » DEUX DÉBARDEURS, HOMME ET

FEM:viE

1:

« Agathe et toi, mon vieux Ferdinand, ça ne sera pas long cette petite là est trop rouée pour toi parce que t'es plus roué, qu'elle. et pour que ça dure faut toujours qu'un des deux pose d'abord. » DEUX DÉBARDEURS, HOMME ET FEMME « Voyons si tu te souvîens numéro ?

Dix-sept. Rue ?

Christine. Madame?

Bienveillant. et il y a un bilboquet à la sonnette. » DÉBARDEUR AU PIERROT: Monsieur, non 1 ces manières-là ne

bien non, peuvent pas me convenir. vous menez une conduite beaucoup trop dissipée « Eh

DEUX DÉBARDEURS, HOMME ET femme

J'ai çancanné que j'en ai pus de jambes, j'ai mal au cou d'avoir crié. et bu que le palais m'en ratisse. Tu n'es donc pas un homme ? » «

«

DEUX DÉBARDEURS, HOMME ET FEMME On va pincer son petit cancan, mais bien en douceur. faut pas

désobliger le gouvernement. »

EUNUQUE

UNE

canotière.

« Tel que tu me vois, Chaloupe, c'est moi qui soigne les chameaux du Grand Turc.


Et tu gagnes à ça

?

Quelques sequins, Chaloupe, et les satisfactionsd'an cœur pur. Et nourri. »DÉBARDEUR-HOMME A UN JEUNE HOMME EN REDINGOTE

« On rit avec vous et tu te fâches. -en voilà un drôle de pistolet MOUSQUETAIRE A UNE JEUNE FEMME QUE L'ON COIFFE

toi

C'est comme ça que t'es prête, Ne m'en parlez pas c'est ce nom de nom de merlan-là qui n'en finit jamais. » «

DÉBARDEUR-FEMME A UN PETIT JEUNE HOMME EN REDINGOTE a

Va dire à ta mère qu'a te mouche. »

Quand. Gavarni se rendait à l'Opéra, il disait « Je vais à ma bibliothèque j>, et à force de voir danser,, il en était venu à considérer l'amour même comme une danse, et le mot que nous a conservé' Goneourt et par lequel Gavarni voulait exprimer le sens d'aimer avec la tête, avec l'imagination, ce mot si expressif de ginginer, qui mériterait qu'on le conservât, ne ressemble-t-il pas au terme argotique guincher, qui signifie danser ? Il manque donc un Gavarni, mais les danseurs et les danseuses ne manquent pas. Dans un petit théâtre, j'ai vu danser la furlana (prononcer fourlana), que les danseurs, avant de la danser qualifièrent danse du pape, des pas si lascifs que le pape serait bien étonné d'elle mentiosmé à ce propos. Et tandis que la danseuse presque nue, plus que saue, atrocement nue, car le cache-sexe de cette jolie fille la f aisait ressembler aux Vénus orthopédiques ou encore à je ne sais quelle lunaire guerre de Cent ans, fallait avec son cavalier, je pensais à cette jolie scène desM émoires où Casanova dansait la forlane à Constantinople. Et cette jolie page dont je me souvenais, mieux que les histrions que j'avais sous les yeux, me montrait la danse vénitienne sinon recommandée, du moins évoquée par le pape comme un sûr remède au tango


Peu de jours après, je trouvai chez le pacha, Osman mon Ismaïl-effendi à diner. Il me donna de grandes marques d'amitié, et j'y répondis, glissant sur les reproches qu'il me fit de ne pas être allé déjeuner avec lui depuis tant de temps. Je ne pus me dispenser d'aller dîner chez lui avec Bonneval, et il me fit jouir d'un spectacle charmant des esclaves napolitains des deux sexes représentèrent une pantomime et dansèrent des calabraises. M. de Bonneval ayant parlé de la danse vénitienne appelée forlana, et Ismaïl m'ayant témoigné un vif désir de la connaître, je lui dis qu'il m'était impossible de le satisfaire sans une danseuse de mon pays et sans un violon qui en sût l'air. Sur cela, prenant un violon, j'exécutai l'air de la danse mais, quand même la danseuse aurait été trouvée, je ne pouvais point jouer et danser tout à la fois. I:smail. se levant, parla à l'écart à un de ses eunuques, qui sortit est revint peu de minutes après lui parler à l'oreille. Alors l'effendi me dit que la danseuse était trouvée je lui répondis que le violon le serait aussi bientôt, s'il voulait envoyer un billet à l'hôtel de Venise, ce qui fut fait l'instant. Le baïle Dona m'envoya. un de ses gens, très bon violon pour le genre. Dès que le musicien fut prêt, une porte s'ouvre et voilà une belle femme qui en sort, la figure couverte d'un masque dé velours noir, tels que ceux qu'à Venise on appelle moretta. L'apparition de ce beau masque surprit et enchanta l'assemblée, car il est impossible de se figurer un objet plus intéressant, tant pour la beauté de ce qu'on pouvait voir de safigure que pour l'élégance des tonnes, l'agrément de sa taille, la suavité voluptueuse des contours et le goût exquis qui se voyait dans. sa parure. La nymphe se place et nous dansons ensemble six forlanes de suite. J'étais brûlant et hors d'haleine car il n'y a point de danse nationale plus violente mais la belle se tenait debout, et, sans donner le moindre signe de lassitude, elle paraissait me défier à la ronde du ballet, ce qui est


le plus difficile, elle semblait planer. L'étonnement me tenait hors de moi, car je ne me souvenais pas d'avoir jamais vu si bien danser ce ballet, même à Venise. Après quelques minutes de repos, un peu honteux de la lassitude que j'éprouvais, je m'approche d'elle et lui dis « Ancora sei, e poi basta, se non volete vedermê morire ». Elle m'aurait répondu, si elle avait pu, mais elle avait un de ces. masques barbares qui empêchent de prononcer un seul mot. A défaut de la parole,- un serrement de main que personne ne pouvait voir me fit tout, deviner. Dès que les six secondes forlanes furent achevées, un eunuque .vrit la porte et ma belle partenaire dis-

parut. »

Nous avons donc les danses, mais il manque, avec le Gavarni, les Lévêques, les Seymour, les La Batut. Et peut-être même, après tout, s'ils manquent aujourd'hui,, ne manqueront-ils pas demain et le Gavarni paraîtrat-il aussi. En tout cas, le premier bal de l'Opéra a grandement attiré l'attention des peintres et beaucoup de ceux que je connais y ont été. Epoque de bals et de mascarades! L'époque sera légère, mais troublée sans doute, car on ne danse jamais plus quedans le temps des révolutions, ni mieux que sur un volcan-

Quelques esthètes russes ont lancé un manifeste trilingue destiné à opposer l'art oriental à celui d'occident.Voici le texte français de ce factum du Spectre spontané i NOUS ET L'OCCIDENT (PLACARD N° »

I)

L'Europe a été atteinte dans ses aspirations créatrices: (restées sans réalisation !) d'une crise qui s'est manifestée;


••

dans l'orientation' vers l'Orient. Cependant la compréhension de l'Orient est hors du pouvoir de l'Occident, car ce dernier a perdu là notion des limites de l'art (sont confondus les problèmes philosophiques et esthétiques avec les méthodes d'incarnation dans l'art). L'Art â.z l'Europe est. archaïque et il n'y a et il ne peut y avoir d'autre art, vu que ce dernier se base sur les éléments cosmiques, tandis que tout l'art de l'Europe est territorial. La Russie est l'unique pays. qui jusqu'à présent n'a pas d'art territorial. Tout le travail de l'Occident a été de défendre les résultats acquis par le vieil art (l'esthétique précédente). Tous les autres essais de l'Occident à construire une nouvelle esthétique, étant aprioriques et non pas apostédoriques sont fatalement catastrophiques l'esthétique nouvelle suit l'art nouveau et non pas inversement. Tout en reconnaissant la divergence dans l'évolution des arts occidental et oriental (l'art de l'Occident est l'incarnation de la conception natale mondiale géométrique, conception se dirigeant de l'objet au sujet l'art de l'Orient est l'incarnation de la conception mondiale algébraïque, se dirigeant du sujet à l'objet) nous admettons comme principes directeurs, communs pour la peinture, la poésie et la musique i) le spectre spontané, 2) la profondeur spontaxée, 3) l'autosuf fisance des temps comme méthode carnation, et des xythmes comme absolus et comme principes spéciaux

d'in-

A LA PEINTURE

i) La négation de la construction d'après le conus, comme représentant la perspective trigonométrique 2) les dissonnances. GEORGES JACOULOFF.

A LA POÉSIE i) la continuité de la masse verbale simple 2) la différenciation des masses des raréfications diverses lithoides, fluides et phosphénoïdes 3) l'élimination de la conception accidentaliste. BENOIT LIVSCHITZ.


A LA MUSIQUE

i) L'élimination de, la îmtéarité (de

rarcbitectoniqitie} au moyen* de la perspective interne (la, synthèse- primitive) 2) substantiviré des. éléments* ARTHUR-VINCENT

n

est vrai

Lourié.

quel négation de la construction $ après

le conus est tout un programme.

Mai 1914.

Le poète Dyssord est une des figures les glus popu-

laires chez les jeunes, littérateurs. Ses vers spirituels et pleins de nomdialaiicfi: sont. très goûtés. Afin, de re mettre sa santé compromise par le climal parisien, Dyssord est allé à T-tmis prendre la direction d'un journal local arabopko.be qtt'il quittait bientôt. Cependant, cette courte. étape directoriale ayant suscité en lui un goût de l'action. violentêi. voilà qu'il fonde la Bmiedlle de Tums, hebdomadaire de combat, feœiMe indigfinopMle, qui,, dès; les piemiers numéros, a pris rang parmi les publications les plus inattendues qui paraissent aujourd'hui. Voici une information prise au hasard dans la. mbri^tte Tuais qui'

fiasse « Singulière histoire, en vérité, que celle, qui aroeniait,, l'autre jour devant le Tribunal l'abbesse mdulgemte d'un couvent des plus profanes sis, rue el-Mektar, à l'enseigne fort engageante de t'Eden. Cette aimable personne se trouve actuellement en démêlés avec son principal actionnaire, qui est en même temps fonctionnaire dans, notre tolérante capitale de la Régence. Ceîuï-cl ne demande rien moins qtte l'expulsion de sa.

collaboratrice « la. maison est à moi, c'est à vous d'en sortir. »


Celle-ci proteste qu'on ne saurait lui en vouloir du peu de bénéfice réalisé dans le dernier exercice. Les affaires sont calmes, déclarait-elfe, la mais sur le coeur, à 1'hoaorabfe président qui lui exposait les griefs de soit associé et refusait de la suivre sur un terrain aussi,

délicat.

Mais l'hoaneste dame ainsi que s'exprimaitBeceaee, (sic) d'insister Que voulez-vous, on nous fait une telle concurrence Si cela continue il deviendra désormais impossible, dams notre commerce, à Tunis,, de joindre les: deux bouts. Nos frais généraux sant des plus considérables, il nous faut

renouveler notre marchandise pour contenter des clients de plus en plus exigeants. Les primeurs deviennent hors de: prix et, d'autre- part, vous savez bien,, les règlements s'y apposent, que nous ne saurions leur fournir des produits avariés. Le président, ému par cette déclaration, s'empressa d'octroyer à l'abbesse affligée un certain délai pour vider les lieux. Comme cela, observa-t-il, vous pourrez voias retourner. Mais l'expulsée récalcitrante de protester Cela, jamais, mon président. Et l'on passa à une autre affaire,, celle-ci étant close. » Plus loin, voici encore une anecdote touchant Moïéas Il me se passait, naguère, de jour que le poète Jean ce Moréas ne reçut la. visite de quelque mauvais poétaiMan qui, avec cette assurance qui est le touchant privilège des débutante de lettres, ne voulut lui imposer l'audition de quelque poèmes de sa façon. Quand Moréas ne pouvait éluder le fâeheux, après l'avoir écouté avec une patience narquoise, il lui disait C'est très bien, très bien vos vers. Puis, prenant son André Chénier sur un rayon de sa bibliothèque, il en lisait à haute voix une strophe et ajoutait

)


Quant à

ceci, c'est bien. Jamais plus merveilleuse leçon d'indulgente sagesse ne nous fut donnée, » Procès-verbaux de duels inénarrables, petite correspondance ébouriffante, nouvelles fantaisistes excessives, publicité rédigée sous la forme la plus amusante, articles

politiques très documentés et. très inattendus, la gazette régence contient les choses les plus amusantes qui soient. Et, pour en finir dignement avec la Bataille de Tunis, voici la réponse à un Groupe de touristes. « Si vous venez passer la semaine prochaine en Tunisie, point n'est besoin de vous munir d'un casque colonial. Un bon parapluie et un pardessus d'hiver feront bien mieux votre, affaire. » Malgré le caractère particulièrement brillant de sa nouvelle publication, je me demande si Jacques Dyssord restera longtemps encore en Tunisie. Je serais bien étonné s'il ne regrettait pas déjà la rue Cadet, la rue Montmartre et quelques coins pittoresques de la rive gauche, de la rue Visconti au Panthéon en passant par les quais et le Boul'Mich. Que durera la Bataille de Tunis ? longtemps, peutêtre, mais peut-être aussi ce que dure le jasmin ou un litre de-boukha dans une famille juive de Tunis. rt, en ce dernier cas, le merveilleux poète Dyssord reprendrait le Caythage et le P.-L-M. vià Tunis-Paris. J'imagine que l'auteur du dernier chant de l'intermezzo redoute les fortes chaleurs dans la Régence. ,Peut-être'ce voyage nous vaudra-t-il un roman ? Mais le pays prête avant tout à l'opérette. M'est avis qu'en y regardant les Arabes et les juifs à la façon de Daumier, Dyssord pourrait en sortir quelque chose de bien. Quelqu'un qui revient de la Régence l'a jugée devant moi en ces termes, que j'ai scrupuleusement notés « Sans parler des indigènes, la plupart des Européens qui habitent là-bas vous rendent quatre pièces fausses sur cent sous. On chasse sans grand risque le bédouin


dans le bled à condition de respecter les marabouts. L'anisette Licari sévit et les chansons de Millandy. La bagatelle s'y désigne par le verbe local niquer, abréviation très reconnaissable, et on nique à des tarifs fort abordables. Pour le reste c'est un pastiche des frères Tharaud, mais en décalcomanie.

Depuis quelques années, on s'efforce d'introduire à Paris des légumes, des fruits nouveaux et, tandis que le topinambour d'une part, les sorbes, les cormes, de l'autre, ont presque entièrement disparu, on fait maintenant une grande consommation de fenouil, de crônes, etc., comme nouveaux légumes, et de bananes, de grape-fruits, de letchis, etc., comme nouveaux fruits. Pour habituer le public à ces nouveautés, les marchands. ont imaginé de les faire prôner en des prospectus qui sont parmi ce que l'art populaire contemporain a produit de plus curieux. Voici le texte d'un prospectus que l'on a répandu à profusion cette année-ci et qui avait pour but d'habituer les Parisiens à manger de la patate. LA PATATE LA

patate douce est originaire de l'Inde, et se cultive

avec succès dans le nord de l'Afrique. Celle qui alimente le marché parisien provient de la province d'Alger. Malheureusement, ce légume n'est pas assez répandu et si BRILLAT-SAVARIN l'avait connu il n'aurait pas omis de le recommander pour la confection de son Navarin, ,,a qui, ajouté aux pommes de terre, le rend plus succulent. On peut la faire cuire entière dans un four, en ayant soin, de ne la peler qu'au moment de servir.


En beignets les gourmets les

plus, difficiles s'en ré-

galent et elle fait un excellent entremets. En eretoke coupée en tranches plates elle remplace avantageusement la pomme de terre. Cuite et réduite en bouillie, elle fait d'excellentes confitures. Enfin, Mesdames, qui aimez les petits gâteaux fourrés,. ayez la certitude que la plupart ne sont faits qu'avec de la purée de patate qui remplace parfaitement celle de MARRON

?. »

Le style de ce prospectus est elliptique, mais savoureux. Brillat-Savarin ne f eut peut-être pas approuvé, mais Grrmod de La Reynière l'aurait appris par cœur.

Un médecin m'a communiqué cette: lettre émouvante à laquelle il n'a pas pu donner de réponse, qu'il a- conservie: précieusement pendant plusieurs années et qu'il a souvent relue comme un précieux document. de conscience et de psychologie. Paris, le 23 janvier 1905. Monsieur le Docteur,,

Je sollicite de votre bienveillance quelques instants d'attention. Pharmacien, 35 ans, avarié depuis deux ans et demi, hors du mariage loyal, par suite, je désire néanmoins me

marier. Je cherche une avariée comme moi. Il peut s'en trouver parmi les veuves, les divorcées, aussi et un tel mariage chez les jeunes fHïes de qui ne comporterait pas d'enfants serait la solution la plus simple.


Mais, à défaut, j'épouserais toute autre femme ayant une tare physique quelconque, non visible, la mettant également hors du mariage. la souhaite musicienne, trente ans environ et quelque

f J

ortaBe.

Si vous connaissez, monsieur le Docteur, une personne que cette lettre puisse intéresser, je vous serais infiniment obligé de lui en faire part. I,e but est honorable je me permets de sollicites votre concours. Toute reconnaissance acquise, Agréez, je vous prie, monsieur le Docteur, l'expresskm de mes sentiments distingués-.

Paris, le 23 janvier 1905. Pendant un mois, à partir de cette date, écrire à cette

âdresse

Monsieur LATOUR

ketter-Box 6, rue de Sèze, Paris. Prière de vouloir bien communiquer à vos confrères. La lettre n'était point manuscrite, mais imprimée. Le pharmacien a-t-il trouvé la compagne de ses rêves ? Je s'en sais rien toujours est-il qu'un désintéressement aussi anormal ne me remplit pas d'aise et, cette circulaire mélancolique, il me semble qu'un Homais aurait bien pu l'écrire s'il avait été avarié.

d'Antoise à l'Odéon est devenue tm prétexte à réclame. Tout le monde était candidat. A F heaTe où j'écris ceci, on ne sait pas encore qui recaeiîîera le titre de roi en jOdéonie, mais ce que l'on sait, c'est que presque aucun de ces candidats disposés à travailler à l'œil n'a d'argent à mettre dans cette affaire et par :La succession


conséquent ne pourrait accepter le poste d'Antoine au cas où le ministre voudrait l'y nommer. C'est à peu près ce que m'a déclaré un des candidats sérieux, mais non un de ceux qui aient le plus de chances de voir aboutir sa candidature, je veux parler du poète Maurice Magre. La conclusion de cette levée d'héritiers antoinistes, c'est qu'on a pris l'habitude de la réclame. Que tout le monde, peu ou prou, veut se faire de la publicité et que ceux qui croient qu'elle aide aux arts et aux lettres se ..trompent entièrement. Elle sert peut-être à faire gagner de l'argent, mais je crains bien qu'elle n'abaisse un peu ceux qui s'en servent ainsi au hasard. La réclame coûte que coûte, ce n'est pas ce que le futurismeitalien envoie de meilleure la France.

Celtophile. Ou alliez-vous quand je vous ay rencontré ? Philausone. Je m'en allés à space, car j'ai ceste usance de spaceger après le past et mesmes quelque volte incontinent après, quand j'ay un peu de fastide ou de martel

in teste. > Celt. Vous plairait-il sortir hors de la porte pour prendre l'air des champs ? Phil. J'aures plaisir

de faire compagnie à vostre seigneurie, si je n'estès desjà un peu stanque. Celt. Comment Avez-vous si mauvaises jambes? Phil. J'ay bonnes jambes (de quoi Dieu soit ringrazié), mais j'ai battu la strade desja tout ce matin, etc. C'est ainsi qu'Henri Estienne, dans ses Dialogues du français italianisé, se moquait de la mode que l'on avait en ce temps-là de travestir le français en italien. De nos jours, les amateurs de courses de taureaux du midi. (les aficionados) ont la manie de travestir le français en espagnol. Voici quelques exemples de Langage français espagnolisé tiré du journal le Torero qui paraît à Nîmes. C'est d'abord le compte-rendu d'une' course qui eut lieu à Murcie le 15 avril


Huit teros de Veragua pour Cocherito, Paco Madrid, Francisco Posada et Belmonte. Plaza archi-comble. Cocherito est très fêté à son premier toro, pour son bon vouloir, son intelligence fccena de mudeta et une demiestocade supérieure. Au 4e, qu'il estoque en remplace«

ment de Belmonte blessé, il passe inaperçu malgré un excellent travail et une bonne estocade courte. Au 5e, il exécute un magnifique travail de muleta et le toyo cuadré, c'est Paco Madrid qui porte une demi-estocade lagartijera. (Ovation.) Enfin, au 8e, travail élégant, deux vinchazos et une belle estocade courte. (Ovation.) Paco Madrid, intrépide, passe bien le deuxième Veragua, qu'il roule de deux pinchazos et une grande estocade. Grande ovation au 6e il est encore plus vaillant si possible et termine par un pinchazo supérieur et une estocade jusqu'au coude. (Autre ovation.) Posada est toujours le héros dans quelque corrida qu'il se présente. Son premier tombe sur une grande estocade suivie d'un descabello et la faena avait été superbe. Le Chico est longuement acclamé. Au 7e, fuyard, il fournit un travail approprié, qui est terminé par une estocade foudroyante. L'oreille du défunt lui est offeite au milieu du délire général. Belmonte n'a fait apprécier que son talent de capeador, et son travail de maleta au 3e toro fut émotionnant mais en portant un pinchazo, il sortit de suerte saisi, piétiné et il se retira à l'infirmerie où on lui reconnut un coup sourd au pied droit. » Voici un extrait du compte rendu d'une course qui a lieu à Marseille. Il s'agit des taureaux « Leur moral ne démentit pas ce que promettait leur physique ils eurent assez de bravoure pour partir la cavalerie, de loin et aux premières provocations; le troisième, un jabonero, alla même jusqu'à recharger et s'en- j-* dormir dans la suerte de varas tous furent nobles ét clairs comme des toros de caste le pouvoir seul manqua. Seulement, ce n'étaient pas des bêtes lourdes et ils arri-


vexent à la mort mobiles et parfois distraits. De plus, l'absence de m&ritta fit. qu'on les piqua dans la fialetilla (l'épaule), et qu'on les banderitta plutôt sur les côtés et la défectuosité des blessures occasionna des. extranos (mouvements imprévus), qui n'auraient pas existé autrement. » Ceci est tiré d'une course, à I/mmel Le deuxième taro qui lui écîrat était un viens: simbd, il tira de cet animal retors le meilleur parti possible. I+e succès obtenu par Vaillant fut vif et mérité. lotirent, dama un mauvais jour, ne fit rien de bon, il fut souvent tenaillé par la frousse. BoaiÉy III, habilement secondé par son père, attendit le beecer& qus lui était destiné, il le reçut de superbe façon, en deux recortes impressionnants, Le CMe&> enthousiasma la foule par son jeu de cape facile, élégant il dessina des demi-véroniques- supérieurs a ftarear, il épingla une bonne partie au awarte®, son truster de muleta fut remarquable. Quand le MMchacho couronna son travail, en plaçant le simulacre au bon endroit, il fut salué par une ovation indescriptible du publie. » A Bordeaux, le 12 avril, un correspondant, M. Creuzans, espagnolise aussi bizarrement. I,e temps, quoique maussade, permit aux aficionados bordelais de venir en foule voir le fameux ncmUero Algaben II et les tores de Snrga. Quant au second matador, Ahalareno, qïti n'avait pas encore toréé dans notre ville, il fut plutôt malheureux. Premier tora noir, sort rapidement et Algabeno le capée à la perfection. Puis le bidw donne courageisement assaut à la gent montée, qui lui fait mordre le fer par quatre fois, pour autant de chutes un cheval reste four

farrastre. Un briniis à la présidence et Algabeno sert une mmkta calme et scientifique, terminée par deux estocades bien placées. I,a dernière livre le Surga au funtilkm. Deuxième tor& noir cendré, est arrêté par la cape de


Alcalareno. Il fonce alors sur un picador qu'il désarçonne. Trois autres piques suivent, dont les deux premières excellentes:, Algabeno exécute de savants et élégamtscapotazos. Quatrième fore, noir, superbes, prend quatre piques. La suerte des banderilles est émouvante. A la mort, Alcalareno semble ému et, quoique aidé é'Algabeno et tous, ses hommes, il est hésitant. Il danse devant le Surga qui le désarme et rentre plusieurs fois m&tar il entend deux avis et conclut enfin. Cinquième tore noir magnifique. On lui laisse. une pique dans le corps. Pour la lui enlever, on l'attire vers la barrera, ce qui permet à un chulo de se distinguer pour son courage, à un toreyo de montrer son adresse en arrachant le restant. » Remarquez que la plupart des termes espagnols em-ployés dans ces articles pourraient être remplacés des termes français correspondants. Le paso doble ne serait-il pas un pas redoublé et ne serait-il pas plus clair de dire l'aprèsHtmidi au lieu de la ter de ? D'autre part, il se peut que cette mode de mêler au français des termes étrangers soit un moyen de renouveler le langage, de lui infuser une vertu nouvelle. Les aficionados du midi ne feraient pas autre ehose que d'enrichir la langue. Ils s'y emploient en tout cas, de façon décidée et la. littérature espagnolisée s'est enrichie, en 1913, de 26 volumes et de 19 nouveaux journaux taurins. On m'a cité, par contre, un aficionado- nationaliste qui avait trouvé le: moyen de franciser agréablement le: eosteioe des toréadors. On sait que, les jours de corrida dans le midi,, beaucoup de Français s'habillent en toreros. Notre aficionada s'habillait en Breton. Pour terminer, voici encore une coupure du elle donne, en langage espagnolisé, une opinion, autorisée sur l'année 1913, du point de vue des amateur de courses de taureaux, et aussi des aperçus ratétessants-

par

»


sur l'avenir de la tauromachie. A remarquer aussi que le modernisme s'introduit dans ta plaza. « En résumé, la temporada de 1913 a été plus intéressante que les dernières, à tous les points de vue. Elle affirme la supériorité des toreros sur les matadors et marque une reconnaissance du bon goût, malgré quelques excentricités modernistes. la tauromachie est plus que jamais en faveur et si l'on doit déplorer parfois la partialité d'un public pas toujours très compétent, il faut bien avouer que les passions aficionadas donnent du relief et de l'attrait à la fête du courage et de la grâce, la corrida de pourpre et d'ors sous le soleil.

Jules Claretie, amateur éclairé, avait réuni un certain nombre de tableaux et de dessins qui ont été dispersés aux enchères publiques. Il aimait l'art moderne et, dans sa collection, Picasso voisinait avec Degas, Maurice Denis et Forain. Quelques pièces de la collection Claretie intéressent particulièrement les lettres. Théophile Gautier était représenté par une lVhdeleine, petite toile de 40 cent. de hauteur sur 32 de largeur, à propos de laquelle Jules Claretie écrivait dans le Temps du 26 octobre ion: Théophile « Je possède une toile de la jeunesse de Gautier,une peinture qui donnerait une idée bien inexacte de la poésie de l'auteur d'Albertus, un portrait de femme vu de trois quarts tête blonde aux cheveux d'or déroulés sur les épaules, regards poétiquement levés vers le ciel, le cou nu, une tunique blanche assez lâche avec un manteau jeté sur les épaules, quelque modèle ou Cydalise de passage en la rue du Doyenné. » M. Claretie a encore mentionné ce tableau dans ses

Confidences à propos de ma bibliothèque. M. Claretie possédait un portrait du célèbre auteur du


Mérite des lemmes, du vieil académicien Ernest Legouvé, par son petit fils, M. Georges Desvallières. M. I,egouvé est dans son cabinet de la rue Saint-Marc, il est vu de profil à droite. Ce portrait, dessin aux deux crayons, fut peint en 1891. Trois dessins de Heim représentent l'un M. Firmin, de la Comédie-Française, en 1827, le second Casimir. Delavigne en 1828, vu de profil, légèrement incliné, le bras droit appuyé sur un fauteuil et tenant de la main gauche son chapeau et le troisième Emile Deschamps en 1846, vu de trois quarts, en habit, tenant son chapeau de la main gauche. Prosper Mérimée est fort bien représenté par un album se composant d'une lettre autographe, d'un portrait en lithographie, de soixante-cinq dessins ou caricatures à la plume, etc., et de deux portraits dans un cadre représentant l'un Mignet, de l'Académie-Française, et l'autre, le duc de Broglie. Sur le portrait de Mignet est écrit « I,e beau Mignet, s'endormant de fatigue à 4 heures du soir fait pendant une séance de l'Académie, par Mérimée, qui était assis à l'autre extrémité de la salle, en face de lui, 1855. » Sur le portrait du duc de Broglie, on lit « Le duc de Broglie, s'endormant à l'Académie; fait par Mérimée, qui était assis derrière lui, de côté, 21 juin 1859.

»

»..

Plus bas, on a encore tracé ces mots « Dessin à la plume par Prosper Mérimée, provenant de la collection de Sainte-Beuve, qui a ajouté à chacun d'eux une explication de sa main. » M. Claretie possédait un dessin à la plume de Victorien Sardou Projet de décor pour le premiers acte de « Thermidor Il représente une rivière bordée d'arbres au seconde plan, un pont jeté entre deux rives. Au dos, un plan avec des notes manuscrites de l'auteur.


On lit en bas: « Dessin de Victorien Sardora pour le Ier acte de Thermidor (k'île bouviers)., décor exécuté par M. L,emeunier,

J. Claretiev

avait aussi réuni quelques sculptures parmi lesquelles un marbre de Falguière, Vicior Hugo, rédaction de celui existant au Théâtre-Français, et une cire de Mercier, Portrait d'A tfred de Musset. M. Claretie

Juin

19,14

Francis Carco est un. jeune écrivain qui, affectant un cynisme gracieux, est, au fond, très par et très véréeondieux. C'est un grand, travailleur qui trouvé, encore le temps de vagabonder des nuits entières en compagnie de M. Louis de Gonzague Frick. Il a renouvelé, en. se promenant ainsi la nuit, fe thème de la pape, cher aux poètes fantaisistes du xixe siècle. il chante M. Carco; imite Mayol à la perfection d'ailleurs agréablement toutes les chansonnettes et il danse à ravir. Il a beaucoup d'ordre, son intérieur est très propre et chaque fois qu'il publie un livre il l'envoie à toute la presse. M. Carco réalise pour le piihfc f énaittin l'idéal du jeune homme moderne; il n'est pas grand, il est mince,. il est pâle et son sourire semble toujours faire attendre une épigramme qu'il ne lâche jamais que sous la forme d'un madrigal, car il prend volontiers le genre tendre. Ses principaux amis, sont ou ont été MM. Gazanion, Jean Pellerin, Tristan Derême, I,. de G. Frick, Claudien,, etc. Quelques vices discrètement entretenus contribuent à le maintenir dans une odeur de sainteté sur laquelle il vaut mieux ne pas insister.


Il affectionne les restaurants italien»,

notamment un de-

ceux de la rue des Martyrs, où on le rencontré avec MM. Mario Meunier et Marc Brésil. Ces messieurs s'y entretiennent d'art et de littérature avec beaucoug.

d'esprit

fréquente aussi beaucoup le cirque Médranoet il aime tant les clowns qu'il a fini par leur ressembler un tout petit peu par la pâleur et la coiffure. Tl goûte les littératures simples et violentes et cherche du pittoresque dans les réalités des existences à côté. It partage avec M. Mac Orlan, auteur d'un extraordinaire Rire jaune, qui vient de paraître, un goût particulier pour les chansons de la légion étrangère. Francis Carco est né à Nouméa en 1886. Les premières impressions fortes de son enfance se rapportent aux Canaques. Il se souvent parfaitement de ces nègres à tête asymétrique, au crâne apîati en travers, à chevelure hérissée, aux yeux injectés de sang. Il se souvient des popinées ou femmes canaques dont le ventre présente plusieurs lignes parallèles, tandis que la peaîi pend comme un petit tablier. Il se souvient des merveilleux dieux maquillés de la Nouvelle-Calédonie, sculptures expressives et d'un art si passionné qu'elles nous étoaûent et nous ravissent d'admiration au point qu'on les recherche aujourd'hui avec l'ardeur esthétique que les savants mettent à fouiller le sol hellène afin d'y découvrir des fragments de dieux antiques. Ses souvenirs se rapportent au nègre Aronda, qui dansait dans l'ombre saleilleuse, aux combats que se livraient parfois dans la ville même de Nouméa les tribus de Canaques indépendantes et ennemies. Une fois, le petit Carco se rendait à l'école, quand éclata une bataille de cette sorte. Toutes les nippons se fermaient, les Européens se terraient afin de laisser le champ libre aux braves guerriers qui s'avançaient aimés du tanico, du casse-tête à bec d'oiseau des sagaies minces. et flexibles et de la fronde. M. Carco


L'enfant, qui portait au bras un petit panier plein de provisions destinées à son déjeuner, c'eut que-le temps de se réfugier chez un épicier, où il passa trois jours, après quoi, les Canaques s'étant retirés, il retourna chez lui avec son petit panier toujours empli d'aliments auxquels il n'avait pas touché. Un jour, le jeune Carco prit le paquebot afin de gagner l'Europe il vit l'oiseau de Sydney qui n'a pas d'aile et, chaque matin, dans sa cabine, le même poisson volant venait le visiter. A Marseille, on lui donna un singe, qui mourut de froid, à Nice, l'année suivante. Puis, ce fût le lycée de Nice avec son vieil aspect de couvent et les sorties où l'on courait sur le pont du Paillon afin d'aller voir les saltimbanques et les lutteurs qui s'exhibaient dans leurs baraques sur l'autre rive. Après un séjour du côté de Dijon, dans la patrie de Désiré Nisard, Châtillon-sur-Seine, le jeune Francis Carco fit du café-concert. Il s'était spécialisé dans les chansons de Mayol. C'est ainsi qu'il s'exhiba dans les caf' conc' à Toulouse et à Marseille. Il fit son service militaire à Grenoble, puis à Briançon. A cette époque, il faisait déjà des vers, et il faut noter que ses premiers poèmes avaient été corrigés par M. de Pomairols durant un séjour que Francis Carco avait fait dans le Rouergue. Pendant son service et tandis qu'il gagnait les galons de caporal, Carco continait à faire des vers mais comme il n'avait pas toujours le temps de les écrire, afin de ne pas les oublier, il bornait ses poèmes à trois strophes. C'est au régiment qu'il rencontra Jean- Pellerin qui écrivit sur lui un poème dont voici le début !f'

Caporal Carco, vous n'étiez Pas un gradé sévère.

Ensuite le jeûna poète vint à Paris, il y fréquenta les bars, le Lapin Agile et l'apéritif du Moulin-Rouge. Mais c'est au Lapin Agile qu'on le voyait le plus il y chantait


toujours les chansons de Mayol, celles de la Légion étrangère, y disait ses propres vers, et on l'y avait sur-' nommé Coq d'Or. Après un court passage à la Belle Edition, il partit avec Max Régis à Nice, où il entra à la Grande France, qu'il ne faut par confondre avec la Grande Fyance de Marius-Ary Leblond, où je publiai moi-même mes premiers vers, en igoi. Maintenant voilà Carco de nouveau installé à Paris il a quitté sa modeste chambrette de la rue Visconti, pour l'appartement plus confortable du Quai-aux-fleurs, et, malgré un labeur acharné, il n'a pas cessé de fréquenter les bals-nvisettes. Celui des Cravilliers, où les musiciens se tiennent sur un petit balcon le bal de la jeunesse, rue Saint-Martin dont le patron a une si belle collection de lingues qu'il donne en prime a ses clients celui d'Octobre, rue Sainte-Geneviève, et qui appartient à M. Vachier le Petit Balcon, qui s'ouvre dans une impasse près de la Bastille le bal de la rue des Carmes la Fauvette, rue de Vanves, et le Boulodrome de Montmartre endroit charmant où la musique est, à mon gré, plus plaisante que celle de M. Strauss.

La publicité devient bien littéraire. J'ai reçu un petit. livre destiné à exciter la superstition il s'agit de vendre des pierres porte-bonheur. Le commerçant, qui est un homme avisé, afin d'intéresser les chalands, a fait précéder les prix courants de son catalogue d'un récit romanesque de son existence. C'est une biographie pittoresque et amusante dont voici les principaux traits, on. dirait un chapitre de Robinson Crusoé


UNE HISTOIRE MERVEILLEUSE Comment Walter I. RAND, DE

Boston,

UN COMMERÇANT GAGNA une FORTUNE

«Désirez-vous un avenir prospère ? Désirez-vous savoir votre bonne fortune pour la vie, vos succès et votre avenir futur, au point de vue de l'argent ? Est-ce votre désir que tout se trouve sous vos pas ? S'il en est ainsi, lisez l'histoire remarquable du capitaine Walter I. Rand, un des expert les plus connus pour l'estimation des -pierres précieuses, dans la ville de Boston. Le Capitaine Walter I. Rand est né le 7 août 1854, dans une ferme située à quatre milles de Porstmouth, N. H. Le capitaine Rand est un descendant direct de Fran-çois Rand, qui était membre d'une compagnie, envoyée d'Amérique, en 1631, par le capitaine John Mason, pour soumettre la -région avoisinant la rivière Piscataqua. Il s'établit à Portsmouth, N. H., et on lui donna des terres dans cette partie de la ville qui est maintenant connue sous le nomde Rye. François fut tué par les Indiens le 29 septembre 1691 sa femme avait été tuée par eux peu de îiaps auparavant, pendant qu'il était allé au

moulin Lorsqu'il était encore jeune, les parents du capitaine Rand déménagèrent de la ferme à la ville afin que les enfants puissent avoir une meilleure éducation. Quand il était jeune garçon, il fut élève des écoles publiques et il passa le temps accordé pour les récréations sur la rivière Piscataqua ou sur l'Océan, à pêcher, en bateau à voiles, à nager et à tous ces exercices en plein air qui créent une constitution fenne et robuste, ce qui lui a permis, plus tard, de surmonter bien des obstacles. Il passait aussi une partie de son temps autour des quais du port à écouter les histoires quelquefois un peu exagérées des


vieux marins, ce qui développa chez lui un amour violent

aventures est l'idée de visiter, quelque jour, les places principales de l'Univers. A l'âge de quatorze ans, il s'engagea sur un garde.côte des Etats-Unis sous les ordres du capitaine Hull Adams de Quincy =(Mass,| et resta avec lui jusqu'au moment de son lieenciememt. Il .revint aléas chez lui et trouva une place dans une épicerie. Mais cette vie terre-à-terre ,devint bientôt trop monotone pour lui, et le désir des aventures et des voyages était si grand qu'il quitta sa place, alla à New-York et s'embarqua pour Para, Amérique du Sud. Et pendant les dix ans qui suivirent il voyagea autour du monde, où la fantaisie le menait. Et si nous avions assez d'espace nous pourrions raconter ses aventures soit sur terre, soit sur mer. A son retour à Boston, il se mit dans le commerce audessus du vieux Boylston Market dans Washington .Street. Pendant cette période, il commença à s'intéresser aux pierres précieuses et à étudier la géologie et la minéralogie. Après des études longues et profondes des leçons pratiques dans cette branche et après l'habitude de manier les pierres précieuses, il devint un des experts en pierres fines les plus connus. Mais son vieux désir pour les voyages et son amour pour la mer furent de nouveau si grands qu'il vendit son fonds de commerce et commença le i-er août 1889 un voyage autour du monde. En voyageant dans l'Est il débarqua dans l'Ile de Ceylan, dans les Indes, sans argent, malade et sans amis. C'est pendant qu'il était à désespérer du futur qu'un vieil Indien lui donna la pierre Porte-Bonheur le capitaine Rand en rit et s'en moqua, mais l'Indien déclara qu'elle allait changer sa fortune, et cela arriva vingt quatre heures plus tard un navire anglais à destination de Colombo fut signalé à bord plusieurs Bostoniens qui faisaient le tour du monte étaient des amis du capitaine Rand. Il les guida dans l'intérieur de l'île, leur donnant des avis pour acheter des pcMir les


pierres fines. Ils savaient qu'il était un expert. Pour ses bons offices il reçut une bonne commission des marchands et il plaça cet argent dans l'île très avantageusement. Il acheta alors une grande quantité de pierres précieuses des indigènes, qui les trouvent dans les mines et les taillent sur les montagnes, les obtenant ainsi à un prix aussi réduit que les marchands indigènes de

Colombo.

En quittant Ceylan, il alla à Paris et en 30 jours vendit des pierres précieuses pour une valeur de 12.000 fr. Allant de là à Londres (Angleterre) il s'arrêta pour deux semaines et fit 40.000 fr. de bénéfi.ce en un clin De retour à Boston, il ouvrit un magasin dans Tremont Street sous la vieille Evans House, se mit à vendre des pierres précieuses avec un succès phénoménal. Cela dura jusqu'à il y a six ans,quand,en déménageant d'Huntington Avenue à Hemenway Street, le capitaine Rand perdit sa pierre Porte-Bonheur. Il n'y pensa pas d'abord, mais la mauvaise fortune se montra bientôt. Il fit de mauvaises spécculations en faisant des affaires, et tout semblait aller mal les pertes qu'il éprouva engloutirent la fortune qu'il avait amassée, et pendant trois ans rien ne lui réussit. Un jour, comme il calculait ce qu'il avait perdu et pensait à sa mauvaise chance, il compara sa situation avec celle qu'il avait dans l'Inde lorsque le vieil Indien lui avait donné la pierre Porte-Bonheur. Il commença de suite à la chercher partout, mais sans succès, et désespérait de la retrouver, quand un jour, quelque temps après, en cherchant de vieux vêtements pour travailler dans le lot de mineurs de cuivre qu'il y avait dans l'Arizona,. il la trouva dans un gilet, dans une malle déposée dans. la cave. Personne ne peut se figurer sa joie à rentrer en possession de la pierre. Du moment qu'il l'eut retrouvée, sa fortune changea


il a de nouveau gagné de l'argent et tout a changé pourle mieux. Il a aussi appris que certains lots de terrains qu'il avait dans l'Arizona sont très riches en cuivre. Il croyait qu'ils n'avaient pas de valeur. Le capitaine Rand ayant conscience de la valeur immense de la pierre et se rappelant les histoires remarquables racontées par les indigènes au sujet du pouvoir de la pierre, s'en est procuré quelques-unes. Dans aucune autre partie du monde, excepté les montagnes de Ceylan, Indes, on ne trouve ces pierres. On lestrouve dans d'étroites crevasses dans les rocs majestueux qui ont été soulevés par la force volcanique il y a des millions d'années et dans des places qui sont presque inaccessibles à cause de la traversée de jungles épaisseset mortelles que peu ont le courage de traverser. Ces pierres, après avoir été touvées dans les mines, sont taillées et polies par des femmes et des enfants, envoyéesà Colombo et à Point of Gaul pour être vendues. De tous ceux qui vont à la recherche de ces pierres, ou d'autres pierres de prix, bien peu reviennent. Beaucoup meurent de la morsure mortelle du serpent cobra, parce qu'il n'existe pas de remède (on estime que plusde 30.000 personnes meurent, chaque année, dans toute les Indes seulement, des morsures de ces serpents). D'autres sont dévorés par les bêtes féroces et tous sont plus ou moins atteints par la terrible fièvre des jungles, dont on guérit rarement. Cette 'histoire est vraie dans tous ses détails, et c'est la seule vraie pierre Porte-Bonheur qui ait jamais été apportée en Amérique. Le capitaine Rand est aujourd'hui un marchand de pierres précieuses et un grand acheteur de matières d'or,

et d'argent. Son magasin est à XXX, où il sera heureux de rencontrer tous ceux qui voudront le visiter il certifiera par écrit l'histoire qui précède, qui est ïéellement l'histoire la plus remarquable qui ait jamais été racontée


au eu

sujet d'un Bostonien qui a vécu dans toutes les parties monde.

»

Je n'ai supprimé

que

l'adresse de cet habile com-

merçant, afin que l'on ne m'accuse point de favoriser la superstition.

J'ai été invité par

un jeune musicien à entendre de sa musique. C'est un homme bien élevé et plein de talent. II s'appelle Albert Savinio et j'ai idée que l'on entendra de nouveau parler de lui. Mais pour ce qui est du petit concert qu'il m'a donné, j'étais charmé et étonné à la fois, car il maltraitait si fort

l'instrument qu'il touchait qu'après chaque morceau de musique on enlevait les morceaux du piano droit qu'il avait brisé pour lui en apporter un autre, qu'il brisait incontinent. Et j'estime qu'avant deux ans il aura ainsi brisé tous les pianos existants à Paris, après quoi il pourra partir à travers le monde et briser tous les pianos existants dans l'univers. Ce qui sera peut-être un bon débarras.

Juillet 1914 barbier du Sénat, qui eut l'occasion de coiffer le peintre anglais Whistler, m'en a parlé. En ce temps-là, Whistler, qui avait les cheveux blancs, se les faisait teindre et, afin de conserver une apparence encoreplus juvénile, il voulait qu'on réservât sur le front une mèche qui devait rester blanche. Et je propose aux astronomes qu'ainsi que la chevelure de Bérénice- la mèche de M. Whistler soit mise au nombre des constellations. M. Jpussein,


Les Archives de la parole' ont parlé, le 27 mai à 17 heures, pour la première fois à propos d'une audition de poèmes symbolistes dits par les poètes eux-mêmes et enregistrés aux Archives. Cela se passait à la Sorbonne, salle V, escalier SaintJacques, 2e étage. 1/ audition était précédée d'une conférence de Jean Royère après laquelle on écouta lespoèmes, tandis que M. Ferdinand Brunot, le savant directeur des Archives de la Parole, servait d'opérateur. Voici le programme de cette séance

Première

PARTIE Pour le tombeau de Jean Second.

Pierre Louys Jean Royère Thrène. Henri Almé Harpe du soiy.

DEUXIÈME PARTIE

Gustave Kahn Les bonnes dames. Henri Hertz La promenade avec Dieu. André Spire Nudité. TROISIÈME PARTIE

André Fontainas Décembre. Paul Fort La voix de Boeufs. Guillaume Apollinaire Sous le pont Mirabeau et Marie. René Ghil Chant dans l'espace. QUATRIÈME PARTIE

Maurice de Faramond Esther devant Assuérus. Emile Verhaeren Le vent.

C'est en étendant parfois à l'excès l'expression de poèmes symbolistes que Jean Royère a pu grouper des poètes comme René Ghil, André Spire, Henri Hert^. et moi-même avec Pierre Louys par exemple. N'importe la fête fut tout intime. J'aperçus dans la salle Henri Hertz, André Spire, René Ghil, Maurice de Faramond,


André Billy, André Arnyve1de, Barzun, Albert Mockel, Mme Henriette Sauret, Mme Louise Faure-Favier, Mme Stella Croissant. La voix de Pierre Louys est si sourde que nous ne comprenions qu'avec peine ce que disait la longue mélodie de ses alexandrins. On comprit mieux Royère et Henri Aimé. Mais Gustave Kahn fut le premier que l'on entendit vraiment. On ne comprit pas mal Henri Hertz qui rougissait dans cette barbe célèbre qui lui part du bout du nez, et quant à André Spire, ce fut comme pour Gustave .Kahn, on le comprit parfaitement. On saisit beaucoup mieux ce que disait Fontainas que ce qu'avait dit Pierre Louys, mais, en définitive, les voix de l'un et de l'autre sont si sourdes que c'est bien celles que l'on a le moins comprises. Le poème de Paul Fort fit une grande impression. On regretta son absence. J'entendis très bien mes deux poèmes, mais j'ignore si les autres auditeurs les ont compris aussi bien que moi. Et j'eus encore une fois l'étonnement que j'avais éprouvé le jour ou Mme Ferdinand Brunot enregistra ma Après l'enregistrement, on fit redire mes poèmes à l'appareil et je ne reconnus nullement ma voix. D'ailleurs, comme je fais mes poèmes en les chantant sur des rythmes qu'a notés mon ami Max Jacob, j'aurais dû les chanter comme fit René Ghil,quifutavecVerhaeren le véritable triomphateur de cette séance. Le chant vertigineux de René Ghil, on eut dit des harpes éoliennes vibrant dans un jardin d'Italie, ou encore que l'Aurore touchait la statue de Memnon et surtout l'hymne télégraphique que lés fils et les poteaux ne cessent d'entonner sur les grandes routes. Après cette musique aérienne, qui vibrait si bien dans l'espace, l'accent guttural de Maurice de Faramond

parole..


chanta plus sourdement le destin de la princesse juive. devant le roi perse, mais la voix vibrante de Verhaeren, parole claire et juvénile, éclata encore comme un joyeux chant de coq.

I,a scène se passe chez le peintre I,D., un artiste qui expose à la Nationale. Ce peintre a la manie de voiler les objets qu'il y a chez lui. Il venait, dans sa saison d'hiver, de tirer le portrait de Mme de qui, visitant un jour l'atelier, s'arrêta devant un grand voile derrière lequel paraissait se dissimuler un tableau dont on voyait un peu le cadre. « Qu'y a-t-il derrière ce voile, demande Mme de R. ? Je parie que c'est encore une cochonnerie. » Alors le peintre tire le voile et la dame s'aperçoit elle-

R.

même.

La lecture de Fant6mas, de Pierre Souvestre et de Marcel Allain, est en ce moment fort à la mode dans plusieurs milieux littéraires et artistiques. Cet extraordinaire roman, plein de vie et d'imagination, écrit n'importe comment, mais avec beaucoup de pittoresque, a trouvé, grâce à la vogue que lui a conférée le cinéma, un public cultivé qui se passionne pour les aventures du policier Juve, du journaliste Fandor, de Lady Beltham, etc., I,a lecture des romans populaires d'imagination et d'aventures est une occupation poétique du plus haut intérêt. Pour ma part, je m'y suis toujours livré par à coups, mais complètement, huit, dix jours de suite. Ce sont même, je crois, à peu près les seuls livres que j^aie bien lus et j'ai eu le plaisir de rencontrer nombre de bon .esprits qui partageaient ce goût avec moi. s-

etc..


Le grand Blêmir Bourges, qui a dévoué une grande partie de sa vie à.la lecture des livres les plus sérieux, les plus difficiles à lire, et que peu de gens lisent, se récrée parfois en lisant des romans d'imagination. Le merveilleux Dumas père, le poétique Paul Féval, inventeur de chansons imprévues et touchantes comme celles que nous a conservées le riche folklore de la Bretagne, les épopées populaires américaines Nick Carter, et BuffcUo Bill, ces deux éloges de l'énergie contre lesquels s'élèvent bien mal à propos certains moralistes, n'ont pas de secrets pour

lui-

Bismark lisait Gaboriau. Vincent Muselli lit William

est, au point de vue imaginatif, une des! oeuvres les plus riches qui existent. Les descriptions y sont presque toujours exactes et, plus tard ce sera, pour l'argot contemporain, une mine de documents inappréciables. Fantômas

v

La vaccination est-elle utile ou dangereuse ? C'est une question qui préoccupe beaucoup de gens dans différents pays, mais pas en France, où je crois que l'on n'a pas encore mené de campagne contre le vaccin. En Angleterre, au contraire, la lutte contre la vaccination a donné lieu à toute une littérature comportant tous les genres, du roman jusqu'à la chansonnette, du sermon jusqu'à, l'allocution après banquet. L'ouvrage anglais le plus célèbre sur ce sujet est dû à Wallace, contemporain et continuateur de Darwin il pirut en 1898 et est intitulé La Vaccination est une désillusion et son obligation pénale un crime. L'Allemagne, le Danemark, l'Italie, etc., sont aussi, en ce moment même, le théâtre de luttes violentes contre la vaccination. J'ai connu un jeune auteur dramatique, dont on parla


un moment à cause d'une pièce sur la vieillesse (j'en ai oublié le titre). Lui s'appelait Auguste Achaume c'était un grand voyageur et, avant de bien le connaître, je le rencontrai plusieurs fois dans des villes que je visi-

tais.

Il promena longtemps dans Paris une pièce contre la vaccine, mais aucun théâtre ne voulut la prendre. Elle était cependant bien émouvante et aurait surpris les spectateurs.

Août 1914

Août 1914

Dernièrement la Galerie Malpel avait organisé une intéressante exposition de dessins d'enfants. I,e premier prix de cette sorte de concours fut décerné avec raison à Mlle Claudine Peské, fille du peintre Peské. Cette enfant de onze ans joint à de grands dons décoratifs un véritable talent littéraire. Elle illustre ses propres poèmes et j'ai copié les vers suivants dans les aquarelles qu'elle exposait rue Montaigne. Voici une impression de la forêt de Fontainebleau,. où l'on trouve Sous les feuilles fanées, Des petits champignons, Des cèpes, des giroles, Tout gracieux et ronds.

Voici encore un Printemps plein de fraîcheur Voilà Printemps s'amène. D'un air joyeux il a chassé Le vieil hiver tout glacé. Avec lui il nous amène Fleurs de pervenche, lilas, robe blanche

x


la

Myosotis et coquelicots. Voilà Printemps s'amène Et l'on entend dans la plaine Le coq qui crie à gorge pleine Le joyeux cocorico.

On retrouve dans ces vers d'une poétesse de onze ans simplicité et l'art délicat de quelques poètes du xvie

On assure que Mle Claudine Peské se destine à la poésie plutôt qu'à la peinture. Je ne sais pas ce que ses talents deviendront. Aujourd'hui toutefois, ils sont véritables, et je crois que l'on déjà les goûter sans restriction.

peut

Je parlais dernièrement, avec mon ami Toussaint Luca;

des types assez extraordinaires que nous avions connus dans le midi, dans notre enfance. C'est alors qu'il me dit qu'il avait été un moment question d'élever un monu:ment au poète Adrien Blandignère, qui vivait sur une partie de la commune de La Turbie, appelée le Carnier, et qui est rattachée aujourd'hui à la commune nouvelle de Beausoleil. Il vivait chichement du produit des acrostiches qu'il faisait dans les cafés. Il rimait encore des compliments lors de tous les événements officiels et les adressait soit -aux ministres, soit au président de la République luimême. Il les faisait imprimer ensuite et distribuait ces plaquettes à ceux qui lui commandaient des acrostiches. Il s'intitulait candidat perpétuel à l'Académie française, je crois même qu'il n'en voulait qu'au fauteuil de M. Renan, et il ne sortait jamais sans avoir la poitrine constellée d'un nombre infini d'ordres étrangers de toutes sortes et de toutes nuances. J'avais gardé quelques-uns de ses vers, notamment ses


poèmes sur l'alliance franco-russe. Ils valaient leur pesant d'or. Malheureusement je les ai égarés. Je me souviens qu'un matin nous nous promenions avec Toussaint Luca dans le sale quartier piémontais du Carnier, et plus précisément dans la petite portion de ce quartier nommée le Tonkin. Sur la route une troupe de gamins et de gamines entourait Apollonie, une femme de ménage qui, âgée, était encore belle, brune et bien faite. Les gamins et gamines, qui la connaissaient bien, la voyant passer tous les jours, avaient pris l'habitude de se moquer d'elle et, parce qu'elle était brune et peu soignée, ils l'appelaient Bi f f abrenn, ce qui signifie à peu-près breneuse en piémontais. Il y avait des gamins tout petits, qui criaient le plus fort et détalaient avec une rapidité de chevreuil lorsqu'elle essayait de les frapper. Il y avait encore des gamins et des gamines plus grands. L'une avait dans les treize ans et portait ûn bébé dans les bras. Les uns étaient pieds nus, d'autres n'avaient que des souliers, la grande avait des bas et des bottines. Ils chantaient « Madama Biffabrenn, Madama Biffabrenn. » Tout à coup, la femme de ménage, irritée par les cris injurieux des gamins, se.retourna avec un geste qui fit reculer la troupe et leur cria le mot de Cambronne. Aussitôt un chœur répondit « Merda-rosa, merd'a ti ros'a mi. » C'est de cette scène inoubliable que j'ai tiré plus tard quelques éléments de mon manifeste milanais, V Antitraditionfuturiste, qui vient d'être imité avec bonheur par les nouveaux artistes et poètes anglais, dans le premier numéro de leur revue trimestrielle Blast. Au chœur des gamins, la femme de ménage cria un « Plandrong » sur lequel ils se turent, tandis qu'elle s'adressait à Adrien Blandignère, qui venait de paraître sur le petit balcon d'une bicoque de bois le pot de chambre à la main. Elle s'inclina en minaudant 1 mouchieu, « Bonjour mouchieu » puis s'avançânt « Ah vous ne savez pas. Il y a mon mari qui s'est sauvé, vous savez. » Et elle pleurnichait « Hé hi hi hé hé je le croyais 1


si brave. Ah mouchieu » elle disait cela d'un air désespéré qui marquait une douleur seulement de surface et s'éloignant alors faisait des gestes, tandis que les gamins revenus près d'elle chantaient encore « Madama. Biffabrenn, Madama Biffabrenn » Et nous restâmes pensifs à regarder le singulier vieillard, en redingote et tête nue, descendre doucement son escalier en tenant avec précaution le grand vase de nuit qui était la seule chose blanche dans cette rue pavée de briques, où les murailles des maisons étaient d'une saleté infecte. En face s'étendait la Méditerranée, calme et bleue par places comme si l'eau laissait transparaître d'énormes saphirs. I,e Rocher de Monaco la pénétrait, massif et élevé, supportant de merveilleux jardins suspendus, et la cathédrale alors inachevée, dont le portail s'ouvre face à la mer. Accrochés aux flancs perpendiculaires penchaient ks cactus fleuris et déjà en fruits, les grenadiers sauvages, les figuiers feuillus, les géraniums aux bouquets rouges et les lambrusques aux fleurs roses. Derrière s'élevaient les montagnes, qui ne laissent qu'une bande étroite de terre libre jusqu'à la mer, la Tête de chien qui simule assez un dogue au repos, bien que son nom vienne d'une confusion entre un camp dont cette montagne était la tête et le mot can, qui signifie chien dans les patois locaux, puis la Turbie avec sa tour d'Auguste, le mont de la Justice, où il semble d'en bas, à cause d'une carrière, qu'il y ait des ruines, bien qu'il n'y ait plus trace d'un temple à cette déesse, le Mont Agel, qui domine la région, et toutes les autres montagnes qui s'étendent en ondes demi-circulaires jusqu'en Italie. Et quand Adrien Blandignère fut descendu, il passa près de nous et nous salua gentiment en passant. « Bonjour, messieurs, j'ai fait hier un double acrostiche Félix Faute et Nicolas Ier. J'en suis très content et j'espère bien que cette fois-ci on me donnera enfin les palmes académiques. »


Toussaint Luca, qui est chef de cabinet du préfet de la Vienne, m'a parlé de la foire aux valets. Certaines provinces de la douce France ont pieuse« ment conservé leurs anciennes coutumes et traditions. originale et d'un ca« Parmi elles, il en est une fort foire aux valets, qui se tient au ractère agreste c'e commencement de juillet dans la Touraine, le Poitou et le Berry. L'autre jour, à Châteauroux, le spectacle de la foire « aux valets ne manquait pas de pittoresque. Il y avait là plusieurs centaines de valets de ferme, ouvriers agricoles et filles de métairies, attendant paisiblement, tout en conversant dans leurs dialectes savoureux, d'être loués pour l'année. animés, maîtres et domestiques « En des colloques échangeraient offres et demandes. J'ai constaté, au surplus, que les exigences de ces derniers devenaient plus grandes tant au point de vue des gages que sous le rapport de la nourriture et des conditions de logement. « Quelques prix étaient intéressants à noter. Un maître berger gagne de 750 à 850 francs une bergère, 350 à 420 francs un vacher, de 250 à 400 fr. un petit berger, de 200 à 230 fr. une cuisinière, de 400 à 500 fr. une Elle de ferme, 500 fr. un « bricolin » ou une « bricoline », dé 300 à 400 fr. un'valet de charrue, de 800 à 1.000 fr. « Il va sans dire que les domestiques agricoles sont nourris et logés. Et leurs gages prennent en grande partie le chemin de la caisse d'épargne. » Ce même jour, le même

la

Et il ajouta: « J'ai encore vu cette foire aux valets dans certaines

localités du Vivarais, en particulier à Saint-Agrè^e (Ardèche).« Je t'enverrai un de ces jours un relevé de noms de


familles assez bizarres qui rappellent d'une façon moins: poétique les mêmes que Loti nous a révélés. « C'est ainsi que j'ai découvert M. l'Homme à la Bonne, M. l'Homme à la Bonne femme. « Certains noms de villages sont également singuliers. « Il y a même un hameau qui s'appelait, il y a peu de temps, la Ville de Merde et qui a été autorisé à s'appeler maintenant la Ville Mal Nommée. »

Juin

1915

Le premier dimanche de mars, je déjeunais au petit restaurant de la Grille, quand un caporal de la ligne se leva de sa table et m'aborda en me récitant une strophe «le la Chünson du Mal-aimé. Je fus interloqué. Un deuxième canonnier-conducteur n'est pas habitué à ce qu'on lui récite ses propres vers. Je le regardai sans le reconnaître. Il était de haute taille, et, de figure, ressemblait à un Victor-Hugo sans barbe et plus encore à un Balzac. « Je suis Léo Larguier, me dit-il alors. Bonjour, Guillaume Apollinaire. » Et nous ne nous. quittâmes que le soir à l'heure de la rentrée au quartier. Ce jour-là et les jours suivants nous ne parlâmes pas de la guerre, car les soldats n'en parlent jamais, mais de la flore nîmoise dont, en dépit de Moréas,le jasmin ne fait pas partie. Quelquefois, l'aimable M. Bertin, secrétaire général de la préfecture, nous apportait l'agrément de sa conversation enjouée et d'une érudition spirituelle. La voix terrible de Léo I,arguier dominait le colloque et j'en entends encore les éclats quand il nous disait le nom d'un homme de sa compagnie « Ferragute Cypriaque. » Le dimanche suivant Larguier nous emmena, M. Bertin et moi, chez un de ses amis, le peintre Sainturier, dont les dessins ont la pureté de ceux de Despiau.-Sainturier vit en ermite, il est inconnu et se complaît dans son


obscurité ensoleillée du Midi. Très jeune d'aspect, bien qu'ayant passé l'âge de servir, il est robuste et travaille beaucoup et, outre ses productions, qui sont personnelles, et très intéressantes, on voit dans sa demeure des .trésors artistiques que je ne soupçonnais point. C'est là que j'ai vu un extraordinaire portrait de Stendhal inconnu. Ce portrait peint à l'huile, représente Stendhal à mi-corps et vu de face. Le visage est calme et pétillant de malice contenue. C'est chez le peintre Saintuner, que je vis pour la première fois Alfred de Musset. Ses autres portraits paraissent factices quand on a vu celui-ci qui est peint par Ricard. Musset est de profil. Larguier n'en revenait pas et Sainturier promit de lui en faire une copie après la Guerre. Il y a là, de Ricard aussi, un beau portrait de Manet. Mais nous vîmes, encore chez Sainturier, un Van Dyck Chayles Ier enfant, plusieurs portraits et miniatures d'Isabey, un Greco, des esquisses be Boucher, un merveilleux Latour, deux Hubert Rodert, des Monticelli, une petite nature morte de Cézanne, etc., etc. Le lendemain, je ne revis plus Larguier. Il est-.parti pour un camp d'instruction d'où il s'en ira bientôt sur le front comme caporal brancardier. Nous, nous y retrouverons peut-être à cette époque. J'ai rencontré peu de littérateurs-soldats, depuis que je suis soldat m 4-même. Avant Léo Largmer, j'avais rencontré Maurice Cremnitz, que connaissent peu les nouvelles générations, mais que n'ont pas oublié André Gide ni Paul Fargue. Engagé volontaire dès le début de la guerre, Creninitz vivait la vie des dépôts d'infanterie. Nous nous vîmes dans un café durant quelques minutes et, fantassin, il trouva qu'artilleur j'étais mieux vêtu que lui. J'en avais presque honte et quand je le quittai, je sortis à reculons afin que l'éclat des éperons ne désolât point ce gentil et vaillant garçon, qui doit être au feu'

maintenant. J'ai revu aussi le dramaturge Auguste Adiaume,


caporal dans un régiment, de territoriaux. II avait bonne figure sous la capote et, cantonné dans un skating, çouchait sur 1,'estrade de l'orchestre il couche à. présent sous la tente. pans, le dépôt d'artillerie où j'achève mes brigadier-poète, « classes », mon lit est près de celui d'un René Berthier,. qui fit partie à Toulon du groupe littéraire. des Facettes. J'ai lu de ses poèmes et, à mon avis, il est un des. meilleurs poètes de sa génération. Il partira au feu à la fin de la. semaine et, utilisant ses dernières veilles,, ce jeune poilu, de vingt-deux ans, qui est aussi un. mécanicien expérimenté, met au point une invention qui en. vaut la peine, mais dont le secret lui appartient.

I,a grande Question est de savoir où l'on ira front dis: Nord au Dardanelles. Dard'anelîe est Dardanie ou î'antique lîwn. Ces j'ournaîtetes n'ont pas encore découvert que te premier boulet des Britains est tombé non loin du tombeau d'Achille:, le second près de- celui dz Protésiîas> mort devait Troie avant tout a.utre: Je crois que le tombeau de I^éandre est sur une rive de î'Hèlîespont et qu'un fanal marin surmonte sa colonne mutilée. Un âussi bon nageur que Lord Byron pourrait traverser le détroit par une belle nuit nacrée. I/a»tiqiîe maîtresse du ,Grec est sur le rivage. Blte enlace le baigneur téméraire et!: qui elle croit reconnaître son amant. Elle est îb\h, et les Dieux l'ont punie d'avoir jadis attenté à ses jours. Ainsi la prêtresse de Vénus est-elle condamnée à courir sur la rive jusqu'à la fin des siècles. Bile a goût de coquillage quand on la « mange ». C'était un conte de l'ancienne marine, au temps où les enseignes connaissaient la. fable et citaient levers « solitaire » de ï^emierre Le.

trident de Neptune est le spectre du monde.


Un canonnier dont le frère est marin a eu des nouvelles. excellentes de notre escadre. Comme elles n'ont point figuré dans les journaux et ne peuvent gêner la censure, je les transcris ici afin que s'en conserve le souvenir. Quand le navire, amiral fut en vue du Détroit, une barque gouvernée par un vieil marinier, qui ressemblait à Poseïdon, fit signe qu'elle désirait accoster on laissa venir, et une vieillarde brandissant un f tuillard de laurier escalada la coupée et réclama les honneurs. Elle dit ensuite au matelot de Ploërmel qui lui taillait une basane pour réponse qu'elle voulait parler au. Chefz qu'elle se nommait MèA«u«p^p« ou Tête-Noire, encore qu'elle avait voyagé à. Claros, qu'elle fût blanche Samos, Délos, Delphes» et, qu'elle connaissait la passe de Troie. A la seconde basane, elle remit une enveloppe et redescendit avec dignité. Le matelot porta le pli à l'Amiral, qui en tira une feuille de laurier sur laquelle étaient, tracés ces alexandrins Fils d'Ulysse, nocher Boue de Lapereyre Bientôt vaincu le Turc montrera le derrière.

Le premier mouvement de l'Amiral fut de jeter cette feuille de laurier, dont l'inscription lui parut futile, et de punir l'importun tailleur de basanes, ce qui lui donna le temps de la réflexion. Le second mouvement fut donc de regarder l'enveloppe, laquelle portait à gauche, en lettres rouges Trou de la S'ybille. C'était l'Hellespontienne 1 Et maintenant que toute la Flotte connaît les deux vers sibyllins qui présagent la victoire, les matelots se les renvoient d'un bord à l'autre les compagnies débarquement les chantent pendant la charge. Bref, il y eut la marche d'Austerlitz On va leur percer ifre lire celle l'aime le

d


le

j'aime

Irst à l'oignon quand il est bon il y a déjà la marche de Constantinople Bientôt, vaincu, le Turc derrière, qui fera pendant aux vers célèbres, retrouvés dans ma mémoire, mais dont l'auteur m'6-

chappe

Illacrymabuntur constantinepolitani Innumerabilibus sollicitudinibus.

On m'a montré le manuscrit d'un prophète-poète, émule du Nostradame de Salon. Le prophète se nommait Paillet et vivait vers 1880. Ces prophéties m'ont paru se rapporter la guerre actuelle. Je les donne sans les commenter. La première a trait à Anvers Anvers, on bâtit une tour. Ville sauvée, un prince arrive. Toutes tes mains à la dérive Maigres comme un clou de vautour.

La seconde est plus claire Reims à l'honneur de peine en peine Les Marniats ont délivré, Pour qu'il brille, ton nom sacré Regard de roi, regard de reine.

La troisième est sybilline 0 ma douleur de Baccarat.

Le petit loup qui s'y dérobe. Eclairs, éclairs au ciel pour robe Quand Franc victoire y trouvera.

Dans la quatrième de ces prophéties, je tiens à faire remarquer l'expression énigmatique Foudunbras, d'un


bras, qui s'applique à merveille au Kaiser manchot d'Allemagne. Coulogne est évidemment ici pour Cologne La marchandise de -Coulogne Preux et preuses saccageront. Le Foudunbras s'ouvre le front A Strasbourg où va la cigogne.

Août 1915

I/évêQue DE METZ ET JEANNE d'Arc.

On n'a pas lu

sans étonnement que l'évêque de Metz avait interdit dans son diocèse le. culte de dulie que la béatification de Jeanne d'Arc permet de rendre à l'héroïne lorraine, dont les obus boches, destructeurs de cathédrales, n'ont pu abattre la. statue qui se dresse toujours fièrement sur le parvis de Notre-Dame de Reims. Et cette information. presque incroyable m'a rappelé une lointaine journée de ma vie. C'était en automne igoi. Je voyageais en. Allemagne et je fus invité dans un Ritteygut (c'est, je crois, une propriété foncière à laquelle est attaché le titre de chevalier), qui se trouve sur la rive gauche du Rhin, derrière Remagen, dans la vallée de l'Ahr. On m'engagea à aller visiter la belle abbaye bénédictine de Maria L/aach, située au lieu même où, selon la légende, Geneviève de Brabant vécut sauvagement dans la solitude, au bord du lac empoisonné de Maria Laach. Il n'y a qu'un petit nombre d'abbayes de Bénédictins en Allemagne et la plus célèbre est celle de Beuron qui, au xixe siècle, essaya d'imposer une nouvelle esthétique à la catholicité, laquelle après tout, avait assez affaire de se débarrasser de l'esthétique de Saint-Sulpice sans s'embarrasserpar surcroît d'une esthétique catholicoboche. Je ne doute point, au reste, qu'aux productions des artistes bénédictins de Beuron les gens de goût ne préfèrent encore la basse latinité savoureuse des Carmina


Burma dont l'Abbaye conserve le manuscrit, édité, il y a quelque vingt ans, par la société littéraire de Stuttgart. L'abbaye bénédictine de Maria I,aach, elle, est moderne Elle jouissait, à l'époque dont je parle, de la faveur de l'empereur, qui, je crois, l'avait visitée l'année d'avant. On m'avait donné un lettre d'introduction auprès de l'abbé du couvent, qu s'appelait Benzler. Je partis de bon matin, guidé à travers la forêt par ne paysan rhénan qui ne parlait que le plat-allemand. En route la pluie nous surprit et c'est tout trempé que j'arrivai à Maria-Laach où le portier du couvent ne comprenant rien au peu d'allemand que je savais et dont je tentais maladroitement de me servir, s'obstinait

me prendre pour le boulanger 5ie sind der Bœcker, me répétait-il. Finalement, quand je lui eus montré ma lettre, il comprit et, en retour, me fit comprendre que l'abbé venait d'être appelé au siège épiscopal de Metz, que, par ,conséquent il ne pourrait me recevoir, car il se préparait à se rendre dans son diocèse et qu'il partirait dans une heure à peine. .Je le vis à son départ et lui remis ma lettre. H me dit qu'il s'intéressait à la littérature moderne,, même française, surtout à la poésie et qu'il était heureux de devenir le pasteur spirituel des habitants d'une province qui avait donné à la France sa plus sublime héroïne « laquelle, ajouta-t-il, n'a été dignement chantée que par le 'grand allemand Schiller ». Il me donna en outre une médaille de Saint-Benoît; que j'ai perdue depuis. Et l'abbé Benzier s'en alla en lorraine pour y devenir ce Monseigneur Benzler, qui vient de manifester si mal à propos contre la Pucelle bienheureuse qui, en dépit des marmites, veille toujours devant la cathédrale en ruines où elle fut à 1'honneur, ayant été à la peine. .à


tes AGRÉMENTS DE lA GUERRE EN .AVRIL.

LeS Ar-

tilleurs vivent dans la forêt. Les servants sont logés sotis terre â côté de lents canons. Les conducteurs habitent non loin avec les chevaux. La forêt comprend diverses essences 11 y a une futaie de pins, il y a encore des hêtres, beaucoup de bouleaux, des aulnes, des noisetiers et quelques merisiers. Là où sont les pins, c'est la cathédrale. Les obus des Boches y sont souvent tombés, mais elle est toujours debout érigeant vers la voûte d'aiguilles et de branchages le galbe de ses fûts. Le bouleau brûle en répandant un parfum aromatique qui ressemble à celui qui forment dans les églises l'encens et la cire mêlés. L'odeur du merisier qui flambe est suave. Le feu est sans prix pour le soldat.Il ne l'a pas toujours. Que de fois il faut l'éteindre brusquement. Et l'on devient plus pauvre à voir cet or soudain disparaître. .On écrit sur un tronc d'arbre au .soleil printanier; les pieds dans la boue de la forêt marécageuse. Un rat fait sa toilette auprès des feuillées où se succèdent les aceroupissements. L'encre est rare quand on en a et qu'elle diminue, on l'allonge avec de l'eau et de la suie. Un lièvre pas poltron du tout lève le cul dans les pervenches. Les caissons sont couvertes de branchages comme si-on les décorait pour une bataille de fleurs sur la Côte d'Azur. Un avion français passe blond et bourdonnant comme une porcelaine de bon augure. On tire dessus et comme lès obus de 77 tombent sur la forêt les hommes se précipitent pour déterrer leurs fusées d'alu-

.minium. .Quand on né se bat pas on fait des bagues, des bagues en aluminium qui provient des obus des Boches, que l'on

5


fond

dans des moules de craie ou de pomme de terre. On les achève à la lime. Et les poilus liment, liment aux tranchées des fantassins, aux tranchées souterraines des servants, dans les huttes des conducteurs, aux cantonnements des dragons de nouveau à pied comme ils étaient autrefois. Filles et femmes de France, conservez pieusement ces anneaux de métal pâle comme les visages de ceux qui sont morts en pensant à vous.

.Les okm

miaulent Ce sont des ensits volants,

La chanson à la mode dans le secteur en avril c'était le Pont de Minaucourt, sur l'air les Ponts de Paris

En avant d'un village Qu'on nomme Minaucourt Un pont donne passage Aux soldats nuit et jour. Près des tranchées, Blottis, cachés, Se trouvent les abris de nos troupes Et, des troupiers, Les cuisiniers

Tranquïllement y font la soupe. Refrain

Au pont de Minaucourt Nous sommes nuit et jour

Depuis des mois, c'est là notre demeure. Les uns y vivent et les autres y meurent Mais qu'importe Ta mort Si nous sommes plus forts, N'avons-nous pas des 155 courts Au pont de Minaucourt ?


C'est pas un petit Nice Le pont de Minaucourt. Ici pas de caprice De plaisir et d'amour De féminin Nous n'avons rien A part Rosalie-Baïonnette Mais, aux abris, Dans notre nid Elle repose la coquette. (au refrain) Ce n'est pas par débine Que je dis en ce jour Qu'on fait bonne cuisine Au pont de Minaucourt

Riz du Japon Et saucisson De l'Australie ou d' l'Amérique, Quart de tacot (De çs, pas trop, Ça pourrait donner la colique) (au refrain)

IV Quand finira la guerre Et que nous reviendrons Chez nous, la mine fière, Alors nous conterons A nos parents, A nos enfants Notre campagne et nos victoires. Ohé

les gas

N'oubliez pas Aussi de leur conter l'histoire. Refrain Du pont de Minaucourt Où, pendant bien des jours, rendant des nuits, durant lajgrandelutte Des Allemands précipitant la .chute. Si vous avez lutté, C'est pour la liberté Souvenez-vous aussi et pour toujours Du pont de Minaucourt.

«


Cette chanson, dont l'auteur, le caporal Abel Mazurel, du 22e colonial, est tombé au champ d'honneur, se chante encore couramment. On en modifie les paroles on remplace le pont de Minaucourt par.un autre pont, et l'air mélancolique se perpétue pendant les longues attentes. .On attend le vaguemestre comme on attend un baiser. C'est lui qui donne le lointain, le profond baiser de la vie aux poilus. Il arrive de loin. On signale son cheval une demi-heure avant l'arrivée. Et quand il est là, le cri de « Aux lettres » se répète dans tout le bivouac. Peu lettres dans la forêt. La batterie est presque entièrement composée d'hommes des régions envahies. Et chaque jour, depuis des mois, ils espèrent une lettre tout de même. On distribue les rares lettres quotidiennes et ceux qui n'ont rien reçu se remettent (si le travail est terminé) à polir des bagues. Poil Demi-poil Quart de poil Poil, poil.

La lampe est un verre ou une mèche faite avec les débris d'un bonnet de coton trempé dans la graisse détachée des rations de bœuf. Un peu de paille, le manteau, la couverture de cheval et le couvre-pied, voilà le lit, Avec le sac pour oreiller.

Mais cette lampe éclaire bien. C'est à ne pas y croire, on peut lire, on peut écrire tandis que dorment les autres. En dormant, le conducteur du milieu du canon, qui est un gars de Saint-Quentin, appelle « Pascaline! » tandis que dans les roseaux dont la hutte est bâtie les rats font des batteries attelées. Et les obus miaulent comme des chats amoureux. Les mitrailleuses ont moulu le café

saturnien depuis la tombée de la nuit et continuent après minuit où, sur la route au loin, c'est la rumeur


discontinue jusqu'à l'aube des convois de ravitaillement. .Agent de liaison, j'ai à porter un pli au commandant du groupe dans sa forêt. Le soleil dore le sentier. Puis dans des champs qui attendent le laboureur, j'évite les trous d'obus. Le Mot. Un village. Boue profonde. On bombarde. Les routes interdites sont barrées par des chariots. Les brèches sont masquées par des branches de sapin entrelacées. Voici l'église, trouée, les vitraux brisés, un harmoniumy gémit doucement.Desprairies.Lesobusboches miaulent et, fusant, éclatent en laissant un nuage couleur d'épongé. J'arrive à la lisière de la forêt que je longe au galop parce qu'on est en vue de l'ennemi. J'arrive à une petite rivière sous bois. Pont d'osier et de roseaux. Je laisse mon cheval attaché à un bouleau. Je traverse un pont, ,deux ponts, trois ponts, car trois ruisseaux coulent dans la forêt. Une branche de noisetier brisée c'est le repère. Je tourne à droite et vais pendant un quart d'heure. Un petit carré de papier piqué dans une branche. Second repère. La cabane du commandant est à 50 pas à gauche.

M'y voilà

Vous arrivez juste à temps. Je m'étais égaré, mon commandant, entre le dernier ponceau et le premier repère. Et le nid d'agace, mon enfant, le nid d'agace à vingt mètres d'une pelure d'orange suspendue à un petit merisier Ah La vie est ainsi faite. Il faut prendre garde aux nids et aussi, mon enfant, aussi et, peut-être plus encore, aux peaux d'orange.

Sans aucun doute, Henry Gauthiers-Villars (Willy) a raison. Il est probable que ma mémoire fut infidèle. Mais, ainsi que la plupart de mes compagnons d'armes, je n'aime pas à entendre parler d'infidélité. Dommage que l'Enchanteur Maugis ne soit plus en âge de servir. Ses lutins, son esprit, ses tours, son cheval Bayart et


Flamberge son épée, qui lui seraient rendus l'un et l'autre par Renaud, deviendraient vite populaires sur le Front. Novembre 1915

Le 27 juillet, jour de Saint Pantaléon, fête patronale du M. où se trouvaient nos positions, on restaura une tradition qui s'était perdue, je crois, depuis 1875. C'est le jeu de la roue, tradition de l'endroit. Du village il ne reste dans les décombres de l'église que la cloche chue du clocher, mais demeurée intacte plus de maisons, partant plus d'habitants. Mais la roue (non une roue de charron toutefois, mais un dévidoir à fil téléphonique) descendit et remonta maintes fois la pente de la colline.

La poudre sans fumée ressemble à une algue ou encore à ces morceaux de gomme parfumée que mâchonnent les fumeurs américains.

Les poètes sont nombreux dans ma batterie. C'est un hasard Leurs mérites sont divers, mais chez tous on remarque un ton naturel qui est bien la chose la plus agréable en poésie. Les poètes de ma batterie Je ne peux vous les faire tous connaître, ces confrères qui sont aussi mes compagnons d'armes. Il y a le brigadier Baldy. C'est un jeune homme de 18 ans il était employé dans une grande maison de soieries de l'avenue de l'Opéra. Ses vers ont du sentiment. Voici le 2e canonnier-conducteur Alexandre CouIon, noueur, de Saint-Quentin. C'est un bon cavalier.


Depuis deux mois environ il est conducteur non monté et utilise ses loisirs en faisant la cuistance de sa pièce. Ce tisseur des pays envahis, s'il est ignorant de la versification classique, n'en est pas moins un poète véritable et il a exprimé d'une façon saisissante la vie des conducteurs d'artillerie dans les échelons de combat Dans le bois de C.ois Nous y avons vécu huit mois, Planté de frênes, de bouleaux, de sapins verts, La ..e batterie du. y a passé l'hiver. Les bicoques en bois et couvertes de roseaux Je vous assure que les poilus n'ont pas eu chaud Puis avec le printemps les beaux jours sont venus J'y ai vu la V. en crue Et sur ses berges inondées Je pêchais le gardon, le brochet De l'eau jusqu'au mollet et transi par le froid. De retour au gourbi les poilus de la pièce se moquaient Les jours et les mois s'écoulaient Et des nouvelles jamais Pendant bien des nuits dans mes rêveries Je songeais à mon épouse chérie Qui est. sous le joug des assassins de Liège et de Louvain Qui peut-être pleure du soir au matin Puis un jour dans ce bois où l'eau est hébergée J'ai reçu des nouvelles de l'aimée C'est par une expatriée une amie inconnue Vous ne pourrez croire le bonheur que j'ai eu Toujours je penserai à ma bienfaitrice C'est une institutrice Demeurant à Saint-Quentin Rue des Girondins.

sans nous avertir on nous fit partir une nuit Au revoir C.ois, B.t, V.y' Et me voilà parti, pour la même destinée désolée Aux confins de la Les Boches ont détruit tout « Peut-être un jour ce sera notre tour Pour venger cette terre où dorment des héros Ils y sont par milliers et maintenant ne valent même pas zéro La plaine est parsemée de routes Et

C.e

«


Où l'herbe et pas un épi ne pousse C'est la terre du carnage Où le plus faible s'enrage Les Français sont sous t' ,r?, les Boches aussi, Et, même morts, ils sor encore aux prises. Et sur les coteaux dans, .es ravins dévastés Bien des braves ont leur mausolée. Et moi, souvent, quand je passe sur le chemin des rondins Je pense à mon épouse, à mes parents, à Saint-Quentin. Mais c'est ici, sur les collines crayeuses Où les tranchées étincellent de blancheur Que dans les flancs d'un mamelon Nous avons enterré l'échelon. Nous sommes sous terre, les chevaux sont dessus, Sauf pour les bourrins, on ne craint pas les obus. Comme sur le reste du front, Toujours, toujours tonne le canon. La vie est monotone Et quand les gars de l'Aisne et du Nord, Sans parents, sans nouvelles et sans or

•'

Entonnent un refrain du pays, On songe aux êtres qu'on a chéris. Bien souvent le cafard vous prend, mais en vain. On le noie, soit dans l'eau, soit dans le vin, Et le lendemain, la tête reposée, L'on songe encore à sa moisson, à ses prés. On songe aussi à ces Boches, horde atroce et têtue, On les attend en vain, l'arme au pied,.devant les H. ri. s. Et dans ces plaines immenses Qui n'ont pas reçu de semence. Les bois de bouleaux et de sapin Presque tous ont servi de rondins Et quand, le matin, comme un chien sortant de sa niche L'on monte sur le toit du gourbi, L'on regarde partout, à la ronde Sans apercevoir un clocher, une maison.

Puisque de la pièce, je suis le cuisinier,

Je vais au

bois, avant le soleil levé. Et bientôt, le café bout dans la marmite Et c'est.moi le premier, dans la batterie, qui crie « La première pièce au jus ». (Par un poilu de Saint-Quenlin.) COULON

Alexandre.


Quelques poèmes du maître-pointeur ïlayien Julian ont paru dan: le bulletin dactylographié, que l'importante maison de quincaillerie, où il est commis dans le -civil, a eu l'heureuse idée de publier mensuellement, pour tenir ses employés mobilisés au courant des affaires -commerciales et autres qui peuvent les intéresser. Le poème que je donne est extrait du Carnet contenant des (vers) créés par Julian Flavien, Maître pointeur d'Artillerie, .e Batteyie, faits dans la M. près de pendant Les batailles de. la grande guerre Européenne.

au.

V.

UN BON. POINTEUR

Tranquillement assis à côté de ma pièce, J'attends, l'oeil aux aguets et l'oreille tendue, Le doux commandement de mon bon chef de pièce, L'ordre du brave capitaine, avec sa voix aiguë. Je fauche sans pitié par des tirs en rafales Les maudits Allemands comme des cannibales. Et de mon bon canon, chaque obus qui sort, Dans ces hordes sauvages, s'en va donner la mort. Le soir après le tir, quand le soleil se couche, Dans un gourbi creusé près du canon, je couche. Ayez foi, la victoire est au ciel étoilé, Car mon pointage est bon, et mon tir bien réglé.

Par

JULiAN FLAVIEN

dans la boue, pendant

la

longue guerre.

Heureusement, l'esprit gaulois ne perd pas ses droits. Il anime le Docteur FI. déjà cité à l'ordre des Armées. Il l'anima, sans aucun doute, lorsqu'il fit une répartie, fameuse aujourd'hui, puisqu'on la met même en cartes postales. Un grincheux s'indignait devant lui de ce qu'une jeune femme était venue voir son amant jusque dans la zone de l'avant.


Quel mal y a-t-il, observa finement le médecin militaire qui fut maire de quel mal y a-t-il donc à ce qu'une femme se fasse baiser sur le front ? » I,'esprit gaulois anima encore un artilleur qui élevait «

M.

un rapace. Il pensait que c'était un épervier ou un tiercelet. Quand il sut le véritable nom de son élève, il le laissa partir « Ce n'était qu'un faucon », dit-il à ses poteaux.

Depuis le commencement de la guerre, on mentionne souvent Stendhal et Wells, le premier peur avoir appris au public qu'un soldat combattant ne pouvait avoir aucune idée de la bataille à laquelle il participait, et le second pour avoir prévu cette guerre de tranchées et parce qu'il préconise l'emploi des avions en très grand nombre. A propos du premier, on peut remarquer que son opinion est maintenant en défaut, car dans la guerre actuelle le combattant, et surtout le fantassin, se rend très bien compte de la bataille. En effet, la stratégie est réduite à sa plus simple expression. C'est un art qui attend encore ses novateurs. Quant au second, quelques amis me prient de lui faire savoir qu'il est bien gentil d'avoir prévu les tranchées et de vanter l'emploi de régiments aériens, mais qu'il serait plus gentil encore d'indiquer un moyen pratique de réaliser la machine à explorer le temps et l'homme invisible, procédés qui rendraient les plus grands services dans cette guerre où les stratagèmes sont plus nécessaires encore qu'autrefois. Il serait en effet intéressant de faire passer par le lendemain ou les jours suivants, ou même par une date écoulée, des armées qui, dans le présent seraient sans force offensive, mais sur lesquelles l'ennemi ne pourrait


rien si elles ne se trouvaient plus dans l'époque où résiste cet ennemi. D'autre part les grands efforts que l'on fait d'un côté et de l'autre pour obtenir une nuance d'uniforme pratiquement peu visible, les efforts que font les Allemands, pour rendre leurs dirigeables et leurs aéroplanes invisibles. et toute l'ingéniosité que l'on doit déployer pour rester toujours défilé par rapport à son adversaire montrent combien une solution du second problème serait intéressante. Maintes fois examinés à l'époque pacifique où les hommes avaient assez de sang-froid pour discuter d'aussi hardis problèmes, ceux-ci ne parurent point d'essence absurde ou utopique. Ceux qui, ces dernières années, ont scruté la nature intime de la matière ont fait assurément des découvertes plus inattendues.

Toutes les religions sont florissantes. Il en est même qui, mortes, renaissent à cette heure. Ainsi au Mexique et dans toute l'Amérique centrale, les vieilles religions d'avant la découverte revivent. Au Mexique, les dieux Aztèques, Toltèques ou Chichimèques ont ressuscité. Heureuse idolâtrie, si elle pouvait faire revivre le sens de cette noble beauté plastique que les tailleurs de,pierre mexicains ont eue autrefois à an si haut degré et que: presque tous les peuples ont perdue. Et puisqu'il s'agit ici de religion, n'est-il pas vrai que ce soit une occasion unique pour ceux qui s y intéressent de chercher quelle est la véritable ou la meilleure, à cette heure où les croyants de tant d'entre elles viennent subir sur notre front l'épreuve commune du plus grand danger ? Chrétiens catholiques et de toute confession; mahométans, sectateurs de toutes les religions de l'Inde, tous ont montré une égale dignité devant la menace de mort


même ceux qui, individualistes ou socialistes, n'ont confiance que dans l'intelligence de l'espèce. Et l'on pourrait se demander, devant ce tableau, si l'esprit religieux en général ne serait pas précisément, avec sens inquiétudes mêmes, un mode de cette foi de l'homme en lui-même et son espèce. et de

Janvier 1916

la vie des gens de lettres est devenue difficile» m'a-t-on

dit, depuis la guerre. Je parle de ceux qui ne s'occupent que de littérature et ne sont pas en âge de porter les armes. C'est ainsi que Willy, qui est un des meilleurs observateurs des milieux où il a vécu et qui vit de sa plume, a dû pour vivre s'expatrier à Genève, les journaux réservant leurs colonnes à la singulière littérature de ceux à qui l'on a réservé le monopole des récits guerriers interdits avec raison aux militaires. Ces historiographes, les plus inattendus q«*.e l'on connaisse, prennent le pain 'des gens de lettres. Tls sont des civils embusqués dans la chose militaire et c'est l'une des plus vilaines embuscades. Puisse la Suisse mieux réussir à Willy que la pauvre Belgique, où il demeurait, je crois, avant la guerre Avant d'aller en Suisse, Willy est allé voir la Hollande. Il s'y procura un passeport. (:4' officine où on. le délivrait -est fermée à cette heure, d'après ce qu'en ont dit les gazettes.) Avec le passeport hollandais, voilà Willy cam©uflé en Batave. L'esprit d'aventure le pousse et il passe chez les Boches voir donner à Dusseldorf la première d'une tragédie ressortissant à cette fausse esthétique que les Viennois exploitent depuis quelques années. La passion y est en jeu. C'est la Sakmé d'Oscar Wilde -et aussi Racine que l'on a pillés et méconnus dans ces productions misérables sans noblesse véritable, ni vérité lyrique, A Dusseldorf donc on donnait Ariane à Naxos


de M. Paul Ernst. Mme Andor, qui faisait Ariane, était endormie et le public aussi, nous fait savoir Willy. Ayant assisté à cette première boche d'Ariane, Willy s'en fut à Calvinopolisen rendre compte dans les journaux suisses. C'est un comble. Mais rendre compte des xasoirs rhénans dans les gazettes helvétiques pendant la guerre de J915, quelle situation pour un romancier bien parisien Cette anomalie est si apparente qu'elle n'a pas échappé aux Leipziger Neueste Nachriekten, qui ont dit leur fait à Willy, sans s'étonner toutefois. qu'il eût pu voyager en Allemagne tuais Willy s'en f pas mal Il fait la guerre à sa façon qui ne me paraît pas mauvaise. Il y a beaucoup d'allemands en Suisse et l'on m'a raconté que, dans une petite brasserie de Genève antiboche, où Willy mangeait des saucisses avec du vin blanc, un Boche qui se trouvait là fit la remarque « Vous parlez l'allemand avec l'accent français. »La remarqueétait justesans doute, mais la réplique ne se fit pas attendre et Willy de demander de sa voix la plus douce « Quand je dis M.e, est-ce que j'ai l'accent allemand ? }) Le Boche ne répondit pas, mais dit à sa voisine que le peuple français était ausserordentlich gmb. Willy a continué à manger. Cet .écrivain délicat et spirituel a vécu en Allemagne comme Nerciat, à qui je l'ai comparé autrefois. Il a vécu en Allemagne, a loué Wagner, compté des amis allemands, mais ne s'est jamais habitué à l'absence de tact de cette race geschmacklos au premier chef. I,e succès de ses articles dans le journal la Suisse, qui s'honore en accueillant l'écrivain parisien, a déterminé Willy à tenter d'autres .expéditions .audacieuses l'Ariane ia Naxas, de M. Ernst, a pris Wflly pour Thésée, qui, suivant le fil qu'elle lui a donné, reviendra un jour prochain reprendre ses occupations de critique musical et de critique des mceurs, à Paris même, ou son esprit est nécessaire. Toutefois, pour l'instant, Le critique est Thésée, son art est en exil.


La littérature de temps de guerre n'est pas fameuse, jusqu'ici, en France, où sévissent les diverses variétés de mémoires d'un poilu. Elle est. pire encore en Allemagne, d'après les spécimens grotesques d'Errinnerungen que nous avons trouvés dans les tranchées boches après la grande affaire de septembre. Un de mes camarades a emporté les plats récits ou Anton Fendrich, ami du Kaiser, note platement des stupidités mensongères, touchant les sentiments des Belges à l'égard des Boches. Ce bouquin, intitulé Andey Front, sent la nigauderie badoise il est oint de. tartuferies maladroites et truffé de mensonges contradictoires c'èst à vomir Pour ma. part, j'ai gardé un opuscule du format d'un carnet de blanchisseuse 24 pages sous couverture de papier glacé. Au recto du premier plat de la couverture, dans un encadrement noir, blanc et rouge, il y a H eil unserem Kaiser puis le portrait de Guillaume II (son buste de face) ensuite Ein Gyuss ins Feld und an alle deutscke elt von Oskar Brussau. Au verso du premier plat de la couverture se trouve un poème Dem Kaiser, par Max Béwer. A la première page, on retrouve le titre avec l'ia• dication du tirage 223-228 Tausend puis les indications W

éditoriales 1914 Gustav Sckloessmanns Verlagsbuchhandlung (Gusiav Fick), Leipzig undHamburg. A la page 2 on peut lire une épigraphe en vers d'Emmanuel Geibel (i87ô) et une phrase du Kaiser écrite ou prononcée à la date du 6 août 1915 et où il est parlé de Dieu. Tout ce recueil de phrases patriotiques est d'une insipidité kaiserlicoboche dont rien n'approche. Page 23, on a réuni .les pensées extraites des discours ou proclamations du Kaiser. Puis. sur le côté intérieur du second plat de la couverture, une poésie fait allusion à une anecdote tirée d'une lettre de la sentinelle qui veillait le 16 août, à la porte du château du Kaiser. Il devait partir le lende-


main aux armées et pour que le bruit des pas des sentinelles ne le dérangeât pas, on avait jeté des tapis devant le château. Après ce poème d'Hermann Trumer, on trouve, sur le côté extérieur du second plat de la couverture, une platitude en vers d'Ulrich Meyer, c Dem Kaiser», et l'adresse de l'imprimerie Sparmersche Btichdruckerei in Leipzig.

Que sont devenus Do, Di et Dé, les trois petits crapauds qu'André Rouveyre élevait avant la guerre et qui avaient été trouvés aux environs de Vittel au milieu du mois de juillet 1914 ? Rouveyre tenait beaucoup à ces petites bêtes qui lui avaient été données par une très jolie femme. Il ne se séparait jamais de ses crapauds et les élevait avec un soin scrupuleux. I,e premier logis des trois batraciens fut, après leur capture, un entonnoir à essence comme en ont tous les automobilistes; un papier les recouvrait et en somme, Do, Di et Dé se trouvaient plutôt mal logés. Après cela, ils habitèrent pendant trois ou quatre jours un bocal de bonbons anglais. Enfin, à partir du 25 juillet, leur demeure fut un vivier en tôle destiné aux pêcheurs' à la ligne et composé de deux boîtes dont l'extérieur comprenait un couvercle et uue anse, tandis que celle qui est à l'intérieur était percée comme un crible. D'ordinaire, les boîtes étaient séparées et les crapauds se tenaient sur un lit de cresson dans celle qui était trouée. Mais on les transvasait dans l'autre au moment

du

repas.

Quand Rouveyre partit pour Deauville, il emboîta le* vivier percé dans son enveloppe, en ayant soin d'ouvrir les couvercles, afin que ses favoris ne manquassent pas

d'air.


Chaque jour,, vers deux heures de l'après-midi, Rottveyre nourrissait ses crapauds. Il les plaçait dans desviviers sans trous et y lâchait sept ou huit mouches vivantes. Do, dont la taille était plus du triple de celle de ses petits camarades et atteignait celle d'une petites bouteille d'encre à deux sous, mangeait pour sa part cinq ou six de ces mouches. Il attendait que l'une d'elles, se fut posé,e, la fixait et faisait partir sa langue à une distance d'un tiers de sa propre taille, happait la mouche et l'avalait incontinent. Ce voyage de la langue d'un crapaud est plus rapide qu'un clin d'oeil. Je l'ai observé maintes fois et il m'a été impossible de rien voir de cette langue chasseresse. Je n'ai vu que la mouche disparaître dans la gueule du protégé de Rotiveyre. Di et Dé mangeaient beaucoup moins une mouche de temps en temps, tous les trois ou quatrejours, leur suffisait. Leur langue n'était pas moins agile que celle de Do et faisait aussi bien que la sienne office: de boomerang, foudroyant le gibier et le rapportant dans. la carnassière gourmande. Pour se procurer ces mouches, Rouveyre entretenait à grands frais un braconnier qui était chargé d'en fournirvingt tous les deux jours; Ces mouches lui étaient payées à raison de deux pour un sou. Il était tout d'abord muni d'un(': petite cage à mouches métallique, jouet d'enfant qui, en l'occurrence, devenait un utile engin de vénerie. Tous les deux jours, il apportait la cage à mouches à Rouveyre,. qui faisait passer ces perdrix-à-crapauds dans un ancien bocal à kola, en verre, dont le couvercle en métal avait été percé de petits trous. Les mouches y volaient librement jusqu'à ce qu'eut sonné pour elles l'heure d'être mangées à la crapaudine. Le 29 juillet il arriva un malheur, la cage à mouches fut démantibulée et il fut impossible d'en trouver une autre à Deauville, où nous nous trouvions. Et les crapauds auraient risqué de jeûner si Rouveyre n'avait ingénieusement remédié à la situation en confectionnant


une cage à mouches, bien plus juteuse que la précédente. Au moyen d'un fer chaud, il' creusa un bouchon dans. sa partie cylindrique, n'y faisant qu'une seule o&vertare qu'il garnit de barreaux, c'est-à-dire d'épiagles enfoncées dans la partie supérieure dit bouchon. Quand lebracoimieifcvoulait introduire une mouche, il retirait uneépingle qu'il replaçait ensuite. Pour donner plus d'aise à ses crapauds, Rouveyre? joignait au cresson quelques coquillages ou Do, Di et Dé se tassaient et digéraient en pais1. Que sont-ils donc devenus ?

appris que le peintre karîo-now avait: été grièvement blessé. Il était sergent dans Farinée russe, qu'il rejoignit difficilement, car, au moment due la déclaration de guerre, il se reposait en Bretagne. C'esst à r©ceasicna des ballets russes; qu'en 1914 Paris avait eu la visite, des. deux peintres russes très- eo-imius dans leur Gontcharowa et M. Larionow..J'avais pu assister à la patmière du Cop d'Or et faire conaaissaaee avecM11*»de Gfflàfercharowa.quf en avait brossé les décors, et avee. M.. I,arionow. Elle est moscovite et towte- sa figure atteste le, sang kalitto'ak qu'eËe ne renie point. Os ne sauiajct dire qu'elle est belle, mais elle ne laisse pas que ê'avoir urne grâce piquante et singulière qui M vaut rapidement la. sympathie due ceux qui l'approchent. et tout particulièrement par une modestie qui ne se dément jamais et par l'ingénuité de son rire. Pour M. I/arionow, c'est un géant- dont la force doit être considérable les- boches doivent en savoir quelqne-. chose ses petits yeux soat constamment en éveil et le profü de son visage serait assez bien figuré par tffi»ang§e: obtus. Il a l'air d'un de ces soldats qui sont punis pendant tout le temps de leur service et qtu ne- se font pas plus.. J "ai


de bile pour ça. La lecture des œuvres militaires de Georges Courteline peut donner assez bien une idée de la physionomie de M. Larionow, dont l'intelligence est vive et dont les jugements sont pénétrants. Ne connaissant du français que deux phrases « C'est bon », et « C'est mauvais », il les nuançait avec un tel bonheur que, durant tout son séjour à Paris, elles lui ont servi non seulement à se tirer d'affaire, mais encore à exprimer les opinions justes, et souvent inattendues, sur les tableaux qu'il voyait et sur les gens qu'il approchait. D'un naturel exubérant, M. Larionow criait ses enthousiasmes à tue-tête. Et la simplicité de son accoutrement lui avait vite valu la confiance des populations artistiques de Montparnasse où il habitait. Ce brave soldat ne m'en voudra pas de raconter une des diverses aventures qu'il eut à Paris. Donc, le jour du 14 juillet, M. I,arionow se trouvait, vers deux heures de l'après-midi, du côté de Saint-Merry, quand des tranchées causées par une imprudente ingestion de fruits crus le déterminèrent à chercher un asile discret qu'il ne sut point découvrir. Homme de décision autant que peintre de talent, il sauta dans un taxi et, jugeant qu'il n'aurait point le temps de se rendre dans son lointain quartier, il se fit mener chez un de ses amis, Boulevard Saint-Germain. Hélas ses forces le trahirent. Et quand son ami, épouvanté par les coups de sonnette réitérés, eut ouvert la porte, il vit devant lui une face blême qui semblait n'avoir .,jamais ri. M. Larionow ne lui adressa pas la parole, mais, le bousculant de l'air le plus désespéré, il gagna le lieu qu'il eut désiré atteindre un peu plus tôt. Il en sortit bientôt et, s'étant déshabillé, il se lava complètement après quoi, tout nu, il lava à fond son linge et son pantalon d'été, qu'il repassa ensuite fort soigneusement. Et comme l'ami qui l'accueillait lui demandait d'où venaient les ancres tatouées sur ses lombes, M. karionow,


qui vient de Bessarabie, répondit que c'était en souvenir de ce qu'il avait été une fois à la mer et qu'il avait l'intention d'aller la revoir en Bretagne. Puis, quand M. I^arionow fut de nouveau frais et pimpant, la gaieté renaquit dans ses yeux et sur ses lèvres et il se remit, ainsi qu'il en a l'habitude, à croquer ceux qui l'entouraient sur tous les bouts de papier qui lui tombaient sous la main.

Entendu dans une tranchée cette réponse héroïque « Mais non de dlà, tu es blessé et tu ne le dis pas. Fallait crier, mon vieux » qu'est là s'plaint pas, « Crier! t'es pas fou! ce mort crie pas et je m'serais fait honte de crier en étant que

blessé.»

Février 1916. Vers la fin du premier semestre de 1915, tandis que il advint un fait les Austro-Hongrois attaquaient singulier digne de demeurer dans les annales de l'Amour. De race polonaise, le commandant de l'artillerie qui attaquait le secteur était le comte propre cousin du commandant de l'artillerie russe, le comte Cs. La guerre a créé de ces pénibles situations dans les familles éparpillées de la Pologne déchirée. Très riche, bien qu'il fût « au service de l'Autriche », qui possédait d'immenses domaines dans le comte la région, y avait longtemps vécu avant la guerre et même s'était vu contraint d'y laisser son amie, une mar-% chande au long corps potelé, au regard voluptueux et musicienne accomplie, laquelle, depuis peu de temps, était du dernier bien avec le comte Cs. commandant

G.

Pr.

Pr.

12


de l'artillerie. russe. De son côté, celui-ci laissait derrière les lignes sa maîtresse qu'il aimait tendrement. Cette jeune patricienne, veuve depuis un an à peine et qui connaissait pour la première fois le plaisir d'aimer, se désolait d'être séparée de son amant, et le comte lui être présenté avant qu'il qui avait eu l'occasion ne; devint l'ennemi, l'envahisseur, lui faisait en vain une cour très assidue. II n'avait pas oublié toutefois sa mu sicienne, la marchande de et, musicien lui-même, compositeur de talent, pour se rappeler as souvenir de sa maîtresse, il eut l'idée de lui donner un concert, tour. à tour aubade et sérénade, tel qu'aucun amant n'avait eneore tenté d'en flatter !!ouïe de sa maîtresse. Après avoir mesuré le soa des canons, de façon à connaître le timbre et la hauteur de la note: qui sortait de leur âme, il eomposa une épouvantable: symphonie: qu'il fit exéeuÉer à ses batteries,' et son rival,, le commandant de l'artillerie russe, non moins musicien que lui, le comprit si bien qu'à ce terrible concert il mêla les accents aussi sauvages, mais malheureusement moins puissants, de ses canons, complétant ainsi l'horrible symphonie de son ennemi. Ce n'était rien moins que de la musique de chambre. Et ce concert, qui portait la mort,. dura ainsi deux jours et deux nuits, terrifiant ceux qui l'écoutaient et auraient bien voulu, ne pas l'entendre, mais ne. pouvaient s'empêcher d'en admirer l'effrayante et magnifique harmonie. Durant la deuxième nuit, le comte Pr. fit lancer sur la ville de G. des obus à gaz suffocant où, s'étant souvenu des alcancies des Mores de Grenade, il avait fait mêler des parfums très subtils qui embaumèrent la ville assiégée et les odeurs les plus variées et les plus violentes s'y succédèrent jusqu'à l'aube, tandis que le front des tranchées s'éclairait d'une merveilleuse pyrotechnie de fusées de toutes les couleurs qui montaient sans cesse et mouraient doucement. ra garnison russe et la presque totalité de la population de G. périrent de ce concert

Pr.

G.


Pr.

qu'il retrouva morte avec la maîtresse du comte de sur le cadavre de son amant. Quant à la maîtresse de celui-ci, qui avait résisté jusque là aux désirs du vainqueur,, il fallut qu'elle cédât à sa violence, mais le soir qui s'était endormi même elle poignarda le comte gorge de viande, ivre d'hydromel et de to'kay centenaires, après quoi une dernière rafale russe venue de loin laissa tomber un obus sur le petit castel où vivait la jeune veuve et la tua de telle façon qu'à raccord final du concert sanglant, il ne demeura aucun des quatre amants po-

Pr.

tonals.

Dans les derniers temps de ma vie d'artilleur, j'ai habité une cagnat boche qui ^s'appelait Café Sfrind, et les fondateurs de :ce singulier café avaient aj©uté sur la porte l'avis suivant Dieser Understand, ist von der Gruppe Malinowstri Ausgebaut und wird auch von iht bewohnt. Autour se trouvaient des cagnats nommées Lustige Mühle, villa Beaulieu, villa Hiddek, villa Svhweizertal. Dans le voisinage, les deux cimetières du Trou-Bricot étalaient :leur .macabre décoration où se mêlaient la funèbre craie sculptée, le pin, le bouleau et les inscriptions funéraires Sei getreû bis in dem Tod Liemef Md as Slaw keinschonr' er Tod ist au! der Welt als wer vor'm Feind ersçhlagen., etc.

Voici quelques aphorismes touchant le fantassin du front Tous les fantassins méritent la croix de guerre.

$


Ce qui domine dans un combat, c'est le tac tac tac dé

la mitrailleuse. Le langage du fantassin est riche en synonymes, par exemple le même engin de tranchées, l'horrible bombe qui naguère venait en se lamentant et que les Boches ont réussi à rendre muette, se nomme selon les secteurs youyou, fléchette ou queue de rat. A l'abri-caverne collectif par escouade ou demi-section, le fantassin préfère, bien que ce soit défendu, se creuser un abri individuel dans le flanc de la tranchée. Celui qui n'a _pas vécu en hiver dans une tranchée où ça barde ne sait pas combien la vie peut être une chose

simple. La vermine est chargée de. faire la toilette des fantassins, officiers, sous-officiers et soldats. Celui qui n'a pas vu des musettes suspendues au pied d'un cadavre qui pourrit sur le parapet de la tanchée ne sait pas combien la rrort est une chose simple. L'héroïsme du fantassin français de 1915 surpasse tout ce qu'on connaissait jusqu'aujourd'hui en fait d'héroïsme.

Ceux qui ont fait la guerre en Champagne et qui survivront reviendront sans doute visiter avec une atroce curiosité cette région infernale qui va de la butte de Souain à Massiges. Au dire de ceux qui connaissent les autres parties du front, c'est là que le drame est le plus poignant. Aucune désolation n'égale l'épouvantable aspect de ces ondulations de terrain zébrées de boyaux et de profondes tranchées blanches. Rien n'évoque plus fortement l'enfer comme ces grands entonnoirs crayeux qui furent le théâtre de corps à corps effroyables d'hommes à hommes, d'homme à engin effroyable. Cote 193, cote


butte de Souain, butte de Tahure et vous, mystérieuse butte de Mesnil, sol stérile abreuvé de sang et de 196,

sacrifices sans nombre Croix des cimetières, croix françaises, croix ennemies, et vous, simples croix qui abritez dit-on, les cadavres du e. Qui a jamais connu un spectacle plus tragique que celui de la cote 196, vue du Balcon ? Et ce petit coin de Beauséjour, qui devait être un si charmant séjour avant la guerre Celui qui parcourra plus tard la Champagne pouilleuse cherchera avec intérêt la petite tombe qui abrite les cadavres du fermier de Beauséjour et de sa fille. Région où la vie est dure, mais le courage, l'esprit de sacrifice, l'entrain y sont d'autant plus grands. Qui regardera, après la guerre, sans émotion pointer le bouton rose de l'euphorbe verruquée, ou s'étaler les spatules de la pimprenelle à saveur de concombre ? Et le berger qui mènera plus tard paître ses moutons sur ces crêtes qui furent les volcans de cette guerre se baissera parfois pour ramasser quelque fragment de cuir de ce qui fut un casque boche et regardera curieusement ce débris informe de notre époque. Mais des mains pieuses entretiendront les cimetières.

Avril igi6 HISTOIRE DU Permissionnaire

lorsqu'il fut dans le

train qui l'emmenait à Marseille, l'officier permissionnaire dont il est question s'endormit profondément. Il y avait plusieurs mois qu'il couchait sur le sol, et la douceur des banquettes du wagon de première où il voyageait le faisait dormir, en quelque sorte, de tendresse. C'était sa première permission depuis le commencement de la

guerre.

1/arrivée dans la Capitale eut lieu par un beau soleil


et, le soir, quand le Permissionnaire reprit le rapide, il emportait de Paris une excellente impression que gâtait seulement quelques embuscades surprises çà et là. A Marseille, il attendit le bateau qui devait le transporter en Algérie. Il profita de cette attente forcée pour visiter les camps anglais. La rencontre d'un de ses amis devenu interprète auprès de l'armée anglaise lui facilita ses excursions. Son cicerone savait porter l'uniforme kaki orné des têtes de

sphinx. Le permissionnaire fut bien

reçu sous les tentes des

officiers anglais. ly'Interprète qui le guidait jouissant d'une certaine popularité, ceux qui, parmi les officiers anglais, entendaient le français, fredonnèrent une chansonnette dont les In-

terprètes .sont les héros

Non seul'ment faut savoir I'français, Faut même connaître un peu d'anglais, Ca peut servir, on sait jamais, Aux Interprètes.

Le Permissionnaire vit les 'Hindous faire leur cuisine et les Tommies s'exercer au maniement d'armes. Au demeurant, la ville était pleine d'Anglais, d'Hindous, de Serbes, d'Annamites. Ces derniers étaient vêtus en artilleurs, et destinés, disait-on, à l'aviation il y avait encore quelques officiers russes et des officiers italiens en

petit nombre. Le second jour, le Permissionnaire s'en fut visiter Aix où il eut la surprise d'être conduit par un cocher qui avait été le propre cocher de Cézanne. Ce brave homme.. nommé Baptiste Curriier, se souvenait bien de son maître « Il fallait dire comme lui mais il ne fallait pas le. flatter. » On alla ainsi jusqu'au Jas de Bouffan où peignit Cézanne. Après quoi, rentré à Marseille, le Permissionnaire put enfin, le surlendemain, prendre le bateau qui,


0.

où il passa le tous feux éteints, le porta jusqu'à temps de sa permission. Il y entendit raconter plusieurs histoires dont voici un échantillon. Ancien professeur au lycée des :garçons, puis avocat, X. était encore capitaine des pompiers et vénérable de

la loge d'O. A la déclaration de guerre, il laisse sa femme et ses cinq enfants, s'.engage et part comme capitaine. Un jour sa mort est annoncée officiellement. I;t des soldats de son régiment, ses concitoyens, écrivent" à -sa veuve des détails précis. Le capitaine X. a été tué alors qu'il montait à l'assaut en tête de sa compagnie et son corps, resté suspendu aux fils de fer et très visible, a fait l'objet de maints combats, mais en vain, o*r on n'a pu le reprendre. (Notons que l'on a aussi montré ce -corps ou du moins un corps qui passe pour être celui du capitairïe au Permissionnaire.) A quelque temps de là,.la veuve reçoit d'Allemagne une lettre venue par des voies neutres. Il est dit dans la lettre « Votre mari n'est pas mort, mais seulement blessé. Il est en ce moment bien -soigné. ) » Le Permissionnaire entendit aussi raconter l'histoire d'une-dame de la Société d'O. qui, deguiséeen Mauresque, parcourt les cafés pour dire leur fait aux embusqués et leur intimer l'ordre de partit sur le Front. l/e Permissionnaire assista à des couchers de soleil merveilleux où le ciel s'emplissait de roses ardentes, de lilas flamboyants et de violettes phosphorescentes. Il s'arrêta parfois dans les faubourgs pour écouter les petites fillettes des écoles, petites françaises, petites espagnoles et petites mauresques qui chantaient des rondes nouvelles en sautant à la corde.

X.

A. B. C. D. Les Français ont gagné, Les All'mands ont perdu, Le Kaiser sera pendu.


Ou cettç ronde-ci qui a deux couplets mon Dieu quell'triste année Tout le mond' mobilisé.. Y a des morts et des blessés, Il y a mêm' des prisonniers. Ah

Viv' la classe de vingt âns C'est des homm's, plus des enfants, Qu'ils s'en vont aux Dardanelles, S'ils n'oublient pas leurs petit's demoiselles.

Le Permissionnaire visita la mosquée d'O. mais il fut aussi à la cathédrale où il entendit un prédicateur démontrerfort ingénieusementl'existence du Dieuunique: « Il n'y a qu'un Dieu, il ne pourrait y en avoir d'autre. En effet, puisque Dieu est partout, où se mettrait l'autre?» Enfin, dans une famille amie, s'étant approché d'une petite fille qui étudiait ses leçons et ayant parcouru le cahier de dictée, il vit que les auteurs à qui les professeurs du lycée de jeune filles d'O. empruntaient le plus souvent leurs textes étaient M. Pierre Mille et M. Ernest Gaubert, sous-préfet. Puis sa permission expirée, l'officier permissionnaire reprit le bateau et quitta le port d'O. par une belle nuit où la mer était phosphorescente. Le navire fendait l'or vert et liquide. Des tirailleurs sur le pont sombre comme celui du Vaisseau-Fantôme chantonnaient A mêla djiriwelya la la. Et quand le jour revint, la côte d'Afrique

avait disparu. En repassant par Paris, le Permissionnaire entendit raconter l'histoire d'une dame qui sait quand la guerre doit finir. Cette dame se rendait dernièrement au Sacré-Cœur, à Montmartre. Le fiacre qui la conduisait avançait cahin-

caha, car la montée est rude. Une pauvresse suivait péniblement ie même chemin. La dame lui offre charitablement une place dans sa voiture. La vieille accepte et la conversation s'engage.


Le sujet, tout

le monde le devine. « Rassurez-vous, ma petite dame, la guerre sera finie au mois de. vous plaisantez ? La guerre sera finie en. aussi vrai que le cocher qui nous conduit sera mort dans une heure. » Elles arrivent, se séparent et chacune va faire ses dévotions. En sortant, la dame aperçoit sa voiture, le siège était vide. Elle cherche son cocher on venait, lui dit-on, de le transporter dans une pharmacie voisine, mort d'une con-

En.

gestion..

Voilà un conte à dormir debout le plus extraordinaire c'est que, paraît-il, il est véridique. Puis, de retour sur le front, l'officier permissionnaire

retrouva

La tranchée en première ligne Les éléphants des pare-éclats, Une girouette maligne Et le regard des guetteurs las Qui veillent le silence insigne.

Et quelques jours après, il rencontra quelqu'un de sa

connaissance, un caporal d'un régiment voisin. Ce gradé, chargé d'un énorme barda, conduisait un petit détachement et, un monocle suspendu à un cordonnet de soie, se balançait élégamment devant lui. C'était le caporal Gabriel Boissy et, durant quelques minutes, ils parlèrent sans: aigreur, avec commisération même, des embusques de leur connaissance.

Octobre 1916

Je signale à ceux qui se demandent

si la guerre a

développé le sentiment religieux le nouveau manifeste


futuriste où Marinetti fonde la .nouvelle religion de la vélocité. Cette curieuse amplification., révélatrice d'un curieux état d'âme au sein d'une époque qui ne me semble pas moins curieuse, a paru dans le premier numéro de Vltalia futurista qui paraît à Florence. Où etit le temps, mon cher Marmetti, où vous m'annonciez la publication d'un autre manifeste futuriste intitulé l'irréligion .futuriste que vous n'avez jamais lait paraître ? Mais je me suis demandé en lisant le manifeste que vous venez de « lancer » s'il ne s'agit point du premier manifeste irréligieux dont vous .aviez tout simplement changé, avec le titre, quelques termes dont le sens allait à.rencontre de votre tendance nouvelles. Fondateur de religion vous voilà fondateur de religion C'est une situation sociale par.le temps «qui court Car il ne s'agit pas là d'une iréréde plus 'au moins chrétienne, ou de nouvelles pratiques superstitieuses purement extérieures. Non, vous, Marinetti, vous fondez une religion nouvelle établie sur le développement des moyens de locomotion. ,Au lieu :de Divinité vous dites Vélocité sans le savoir les Allemands ont bien fondé la religion de la Férocité. Mais, comme vous, je préfère la vélocité qui est unedéité plusmoderne, bien qu'elle paraisse peu se sou-cier de la durée de la guerre. Nul doute qu'au cours de -votre campagne comme v.olon±aire cycliste, Dieu que lion a figuré comme un triangle ne -,vous soit apparu sous la forme d'une bécane et vous vous êtes écrié Véloee », c'est-à-dire « ce vélo » et cette exclamation quasi pantagruélique éveilla en vous je ne sais quel sentiment religieux qui transfigura la bécane en en faisant tourner les roues avec -cette vitesse fulgurante qui était jusqu'ici l'apanage de cette classe d'ange appelée ofaninim qui dans l'-angéologie hébraïque sont les roues du char céleste. Fondateur de religion vous êtes le premier du xxe siècle. Et au mxe je n'en connais qu'un seul Joseph


Smith, fondateur du mormonisme, sorte de paganisme idëaBste, tiré des superstitions des Indiens peaux-rouges et que caractérise la polygamie anthume et posthume des fidèles; Vous, dans le but d'honorer « la beauté de la vélocité », vous faites naître « la nouvéte religion morale de la vé1 focité » de votre grande guerre libératrice ». « La morale chrétienne, est-il' dit dans le Manifeste, défendit la structure physiologique de l'homme des excès de la sensualité; Elîe modéra ses instincts et les équiiibra. La morale futuriste défendra l'homme de la décomposition: déterminée par la lenteur, le souvenir, l'analyse, fe repos et Phabitude. L'énergie humaine centuplée par la vélocité dominera le temps et l'espace. » Et-, après un tableau historic0-lyrique de la vitesse, le manifeste en vient à la naissance de la ligne droite, « un d'es caractères' de la divinité. » Un parallèle entre la vélocité qui est « pure » et la lenteur qui est «immonde » amène le fondateur de religion à indiquer quelques saints delà nouvellereligion. Ce sont particulièrement- les astres et les ondes lumineuses. Kt il annonce que « les sportmen sont les premiers catéchumènes1 de cette religion dont te résultat prochainement attendu sera la destrm-tion des maisons et des cités remplacées- par dès rendez--vous d'automobiles et daéroplanes ». Et les demeures de cette divinité ce sont « les wagonsrestaurants (manger en vélocité) Les gares de chemin de fer de l'Ouest- Amérique, où les trains lancés à 140 kilomètres à l'heure passent buvant sans s'arrêter t'eau nécessaire et les sacs de la poste. Les ponts et les tunnels. La place de l'Opéra à Paris. Le Strand à Londres. Les circuits d'automobiles. Les films cinématographiques. Les stations radiotélégraphiquès. Les grands ïî.bes qui précipitent des colonnes d'eau alpestre pour prendre à L'atmosphère l'électricité moMce. Les grands couturiers parisiens qui, au moyen de l'invention véloce de la. mode,.

i »'


créent la passion du nouveau et la haine pour le déjà-vu. Les cités modernissimes et actives comme Milan, qui selon les Américains, a le punch (coup net et précis par lequel le boxeur met son adversaire knock-out). Les champs de bataille. » A l'énumération de quelques choses divines succède celle de quelques vélocités « L'héroïsme est une vélocité que dirige une nation. » L'exagération est aussi sans doute une vélocité. Et il y a quelque prétention choquante à vouloir tout dé go fonder une religion dont le besoin ne se fait pas sentir. Mais il n'en reste pas moins que les moyens de locomotion, le mouvement pour tout dire, ont modifié notre façon de sentir, lu iont donné un prétexte excellent pour se renouveler, et il y a quelque chose de juste et de touchant dans ce désir de nouveau qui, né en France, s'exprime si violemment en Italie. Il y a là sinon une religion, du moins comme une morale de la nouveauté qui a quelque sens, dès qu'on la débarrasse des concetti marinettiens. Et puis comment ne pas regarder avec sympathie un homme qui ne cesse d'insuffler le courage au cœur de ses compatriotes ? « Aujourd'hui règne une nouvelle morale de guerre. Toute lâcheté, si petite soit-elle, tout acte de tolérance est un délit immonde. Toute critique est aujourd'hui une trahison. Italiens imposez violemment silence dans les rendez-vous publics et privés à ceux qui n'ont pas une confiance absolue en Cardona et dans la force italienne. Bâillonnez et arrêtez les alarmistes de toute espèce. » Cette morale n'est pas si mauvaise et il n'y a pas un Français qui ne la trouvera de son goût.

Tandis

qu'il se fait pape et pape de la vélocité futuriste,

d'autres futuristes s'en prennent à la science et donnent 'en plein dans l'absurde. I,eur manifeste la science futu-


viste s'intitulerait plus justement la curieuse ignorance .futuriste, car le but qu'ils assignent aux recherches désordonnées, aux intuitions contradictoires des adeptes de cette bizarre science, c'est l'ignorance absolue fin suprême de la science serait, hypothétiquement, de ne nous faire plus rien comprendre, de ramener l'huma-nité vers le mystère total. » Fatalement, ils tombent dans le spiritisme. Ce sont des esprits religieux qui se guipent. Les Futuristes vont vite, car ils adorent la vélocité, et même ils vont fort. Ces cinématolâtres n'ajoutent-ils pas « Nous attirons l'attention de tous les audacieux vers cette zone moins battue de notre réalité qui comprend les phénomènes du médianisme, du psychisme, de la rhabdomancie, de la divination, de la télépathie. » ^Certes ces recherches ne sont pas indignes d'intérêt, mais c'est une conclusion bizarre à un manifeste scientifique et ce n'est pas là un programme à recommander à l'activité d'une jeunesse studieuse. Marinetti s'amuse à avoir du bon sens hors de la raison. Les signataires de ce manifeste manquent même de bon sens. C'est la tendance la plus fâcheuse vers laquelle des -esprits puissent s'orienter. S'ils sentent un besoin impérieux de pitié, les Français qui se souviennent de Pasteur et pas mal d'Italiens trouveront plus simple, plus sérieux, sinon plus profitable d'aller, sans négliger les études scientifiques sérieuses, s'agenouiller dans un .sanctuaire, Sacré-Cœur, Lourdes ou Sainte maison de Lorette, que de marier la religion avec la science dans le cabinet d'une voyante.

La

Umberto Boccioni est-il le premier futuriste qui soit -rnort, semblable à Godeau qui fut le premier académicien à trépasser ? Je ne sais. Il est en tout cas le premier mort ,d'entre les futuristes dont le nom est un peu connu.,


Peintre tout d'abord, il montra ses ouvrages dans cette exposition annoncée à grand tapage qui eut lieu che& -Berhèim, à Paris. l;es seuls peintres viables y étaient Sévérini et Carra, tous deux influencés par nos écoles d'avant-garde. Séparés de Marinetti, ils sont encore ce que cette école plastique offre de plus remarquable. Plus tard Boccioni -abandonna l'esthétique plus verbale que plastique, des états d'âmes pour une sculpture cette foieplus neuve et plus plastique, dont il avait trouvé la source dans les ouvrages de Rosso et dans l'atelier de Picasso. Au reste, le labeur opiniâtre de Boccioni conserve son importance dans l'histoire dtla'jeune sculpture, dont il est incontestablement un des novateurs. Il périt, tandis qu'il faisait ses classes de canonnierconducteur. Il tomba du porteur d'avant qu'il montait et se brisa dans cette chute.

A

la suite de cettè mort, il ne reste plus guère autour

de Marinetti que de nouveaux futuristes. Un effet,

:Boccioni était pour ainsi dire l'unique de-ses compagnons de la première heure qui ne se fussent un peu écartés de-

Je parle bien entendu de ceux qui avaient xt la valeur. Bteeux qui, étant venus au futurisme après les premières luttes, Soffici, Papini, Polazzeschi, sont peut-être lesmeilleurs de la jeune Italie littéraire, sont encore futuristes sans doute, mais ne veulent pas demeurer soue l'autorité un peu étroite du Pape Marinetti. C'est ainsi du moins, que j'ai cru comprendre ce qui se passe au sein du futurisme italien. C'est .ainsi que, cessant d'être une école tapageuse. il peut devenir un mouvement. Marinetti, qui a en Amérique la réputation d'être un. remarquable politicien, ferait peut-être bien de laisser..


côté,- dans la conduite des affaires spirituelles de son école, cette intransigeance encyclopédique qui devient plus démodée à mesure que les affaires de l'Italie et de l'univers deviennent plus sérieuses. Il n'est pas sans talent. Il est peut-être temps pour lui d'asseoir sa réputation sur une œuvre solide.A moinsqu'il ne considère que ses « manifestes » sont l'oeuvre importante de sa vie. Il y excelle, en effet. Ets'fllui plaît, qu'il manifeste tant qu'il voudra, ce gentil mais trop voluptueux adepte de la sagesse cinématique d'Epieure de

Décembre

igi6

Voici une anecdote de guerre et cependant ce n'est pas une anecdote militaire. Elle m'a été racontée par le héros lui-même. Il m'a prié de taire son nom et de changer légèrement quelques circonstances. Je m'incline devant son désir, tout en regrettant de ne pouvoir donner ce cachet d'autheneité, ou plutôt, cette précision à un si beau trait de la vie contemporaine. Pour ma part, je :ne connais rien de plus noble que cette vision d'un village en ruines qui se dresse superbement intact sur le Thabor transfigurateur de l'Art. avait obtenu d'aller peindre dans la Le: peintre zone des armées les vues pittoresques des ruines de la guerre. Il parcourait le front depuis les confins de la Suisse et maintenant qu'il approchait du village ou il était né son coeur battaittrès fort. Il avait vu un grandmombre de villages que Tarfillerie et l'incendie ont tuinés. I*es uns sont réduits à l'état dfâ squelettes il ne reste que quelques murs. Qùelqueïois 1,église est presque intacte. I^e|jlus souvent le clocher a LE vn,i,AG£

INTACT.

A.D.


été abattu. Mais tous ces décombres ont déjà l'aspect grandiose des ruines antiques. Malgré l'horreur qu'elles représentent, on est, forcé d'en admirer la beauté, que -vdis-je la pureté. Dans les villes du front, la guerre n'a causé que des dégâts dont l'apparence sinistre ne peut que serrer le cœur. Il n'y a que des démolitions. Dans les villages, au contraire, la ruine est pour ainsi dire achevée et forme un ensemble empreint le plus souvent d'une grandeur touchant, d'une délicatesse à pleurer. A. D. avait reproduit ce caractère dans ses études, car il était sensible et chacune des ruines qu'il avait vues avait éveillé en lui un sentiment où se mêlait à la haine contre la barbarie destructrice un profond respect artistique. Voyageant à pied comme les paysagistes d'autrefois, il goûtait pleinement, en mime temps que la fraîcheur de la belle matinée d'automne, le charme d'un paysage qu'il s'étonnait de ne plus reconnaître. En effet, il approchait du village natal. Cette région, qu'il parcourait et où son enfance s'était écoulée tout entière, lui était familière entre toutes et cependant il la reconnaissait à peine. Partout, s'enchevêtraient des routes nouvelles, soigneusement entretenues. C'étaient encore des chemins de fer à voie étroite et de-ci de-là, le long de ces artères, de ces veines du corps sublime des armées combattantes, se dressaient des baraquements, des hangars. Villages inattendus, les cantonnements groupaient leurs huttes sous les arbres des boqueteaux. Et A. D. admirait cette vie nouvelle née de la guerre. Car si les ruines ont été accumulées, les voies de communications ont été multipliées et elles concourent si grandement à la richesse d'une contrée, qu'on peut se demander si pour un grand nombre de ces villages, le perfectionnement des moyens de communications ne compense pas dans une large mesure la perte des maisons, abs-


traction faite toutefois de ce que ces ruines pouvaient représenter comme valeur artistique. Elle était souvent très grande, mais, en l'état des réflexions du peintre A. restait entièrement hors de la question. C'est un Champenois qui par tempérament examine les choses et les idées sous tous les aspects que lui présente son esprit mobile et pénétrant. La raison l'incitait à moraliser et sans que l'esthétique y perdît ses droits, il s'attachait à deviner les conséquences de ce qu'il voyait. Un Provençal, un Breton eussent tenu d'autres raisonnements selon une autre logique, et cette variété de tempéraments qui se rejoignent dans la haute civilisation française explique comment la France peut si bien remplir son admirable mission. Car c'est elle qui, depuis la ruine de l'antiquité, joue vis-à-vis de l'humanité le rôle qu'ont joué avant elle la Grèce et puis Rome. Voilà donc A. s'approchant de son village natal par des routes inconnues. Tout est propre et bien entretenu. Des cavaliers passent à travers champs. Il croise une théorie de lourds camions de ravitaillement. Les trous d'obus ici et là sont bien faits, bien ronds et pleins de fleurs qui tranchent dans la campagne comme les corbeilles dans un jardin. Au loin, des coups de canon éclatent pompeusement. Des avions, sentinelles aériennes, semblent les abeilles qui butinent sur les fleurs subites des éclatements le miel si doux de la victoire. A. D. sent alors tout le charme de cette fraîche et belle matinée d'automne et tout à coup, au tournant d'un coteau, apparaît le village natal. Est-ce lui ? Rien n'est demeuré de ce qui pouvait le faire reconnaître. Où est le fin clocher ? où sont les vergers qui l'entouraient jadis, et qui au printemps, le ceignaient d'une guirlande fleurie ? Où est le petit château, cette merveille de grâce qui depuis la Renaissance se mirait dans l'étang ? où est l'usine dont la haute cheminée était

D.

D.


ce que le xixe siècle avait apportê dans le pays de plus caractéristique en fait d'architecture ? Pas de doute cependant voici l'étang et quelque pans de murs, restes du château; voici le cimetière qui paraît s'être agrandi; voici les ruines de l'église voici la maison natale d'A. D. La voici entre d'autres maisons semblables de chacune d'elles, ils reste deux murs nettement silhouettés qui se terminent en forme de briques, attestant ainsi la durée de la guerre et les blessures. Mais, Dieu que ces ruines sont vivantes Les décombres ont été déblayés. Partout on a fait place nette et, au flanc du coteau, un bivouac s'est établi, dans des gourbis, et sur l'un d'eux, A. D. reconnaît avec un plaisir ému, la porte, la jolie porte de sa maison natale. Et le voilà installé, il ouvre son carnet et dessine fiévreusement, avec joie. L'inspiration l'anime, jamais aucune ruine ne l'a transporté p ce point. Il ne se borne. point à tracer un croquis. Il achèv* son dessin. Il n'a de cesse qu'il soit, complet. Tout y est. Voici à droite le cimetière grand comme celui d'une petite ville. A gauche ce sont les baraquements qui paraissent continuer le village qui ainsi se développe à l'ouest, ce qui e;t une loi urbaine bien reconnue. Voici encore le bivouac à flanc de coteau et plusieurs larges routes qui se croisent sur la grande place où n'aboutissaient autrefois que des chemins mal entretenus et des sentiers bordés de. murs et de haies vives. Et le dessin achevé, A. D. contemple son ouvrage avec étonnement. Est-ce bien son village ruiné qu'il. a dessiné ? Oui, pas de doute. Tout est rendu avec exactitude et cependant voici que sur le papier, malgré cette exactitude minutieuse, le village s'est transfiguré il est plus grand, plus beau qu'auparavant, qu'au temps de sorr enfance. Les perspectives des ruines ont pris l'aspect de maisons bien alignées. Un rideau de. peupliers dissimule les ruines du. château, de la haute, cheminée et du


clocher, tandis qu'il n'apparaît de l'église qu'une partie de la nef encore intacte. c'est maintenant une petite ville Le village d'A. desservie par de larges et de nombreuses voies de communications. Un.petit. chemin de fer passe. au milieu de ces vastes baraquements qui, sur le dessin, ont pris 1,'importance d'un quartier nouveau. Et ce dessin si exact apporte aussi une vision de ce que deviendra aprèsla guerre ce village maintenant en ruines. A. D. m'a raconté qu'il regarda lontemps avec un attendrissement sans tristesse son dessin précis et prophétique, puis, ayant serré son cahier et ses crayons, il se mit en route et s'éloigna.. de son village natal où il entré. Il marcha et, lorsqu'il eut gravi la petite côte qui se dirige vers l'ouest, il s'arrêta, se tourna et contempla les ruines qui lui avaient paru si prospères* II en aperçut toute la tristesse, toute l'horreur. Il ne vit plus les routes neuves, ni les baraquements, ni le. petit «hemin de fer. 1,église. était sans toit et sans clocher, l'usine sans cheminée du château et des maisons, il ne Testait que des pans de murs..1J1 regarda, tout,ce1a longtemps, son cœur se serra et il se mit à pleurer. Voilà le tableau tel qu'il m'a été décrit par A. D. mais je ne peux rendre l'accent extraordinairement passionné avec lequel il me parla de cette transfiguration

D.

point

merveilleuse.J'ai vu le dessin miraculeux, il. est d'une beauté touchante, mais il faudrait que tout le monde; eût en France la vision nette de l'avenir, comme l'eut le peintre A. devant les ruines, de son village natal. Il faudrait que dans tous, les esprits slaccomplît k mkacle. patriotique. de la double vue. Partout en France, la guerre peut amener des changements magnifiques il faut les apercevoir dès aujourd'hui afin de pouvoir les réaliser.

D.


Janvier 1917 On voit trop peu de femmes enceintes. Bien entendu, ce n'est pas sur les boulevards ni aux terrasses des cafés qu'il. faudrait les voir plus belles et plus' précieuses que- la tête de Jupiter encore lourde de sa Minerve casquée comme nos soldats. C'est dans les squares, les jardins publics, aux bois de Boulogne et de Vincennes qu'on voudrait qu'elles appafussent avec cette gravité pleine de grâce qui fait le, charme des jeunes matrones. Il n'y a qu'une doctrine touchant les enfants c'est le vieil adage français « Dieu bénit les nombreuses familles. »» S'il y avait eu plus d'enfants en France, la guerre eut été moins longue. La fortune des gens riches à enfant unique est presque toujours frappée de stérilité. Leur héritier s'en contente et le plus souvent la dissipe. Et même lorsqu'on n'a pas affaire à un dissipateur, laplupart du temps il ne fait du moins rien- pont l'augmenter, si bien qu'elle diminue, entraînant mille ruines. Il faut avoir beaucoup d'enfants pour le bonheur du.. foyer et de la nation. Je voudrais que les soldats, et avant tout les officiers, prissent l'habitude de faire le salut militaire aux femmes

enceintes.

Il faut instituer des honneurs spéciaux pour celles qui

forment les plus exquis vergers du beau pays de France.

Une de mes premières impressions de Paris, lorsque j'y revins blessé, fut de surprendre, au téléphone de l'hô-


pital où l'on me pansait, cette bribe de phrase l'industrie admirable des poupées. » Qui parlait ? je ne sais et peu importe « C'est tout de même un peu fort, pensai-je, de s'occuper de poupées

en ce moment ». Depuis, mon opinion s'est bien modifiée à cet égard. La poupée de Paris qui montrait la mode à toute l'Europe ne faisait-elle pas beaucoup pour le prestige de la France ? Des artistes, des femmes naturellement, ont eu l'idée de faire des poupées portraits, idée charmante qui a déjà produit d'agréables ouvrages comme ceux que MIle Vassilieff a exposé un peu partout et même sur le Boulevard. Si cette mode s'installe, nos petites nièces posséderont de très curieuses galeries d'ancêtres. On jouera Hernani dans la chambre aux jouets. Ne voilà-t-il pas la grand'mère dans son costume de la Croix-Rouge telle qu'elle était toute jeune, en 1916 Elle voisine avec le grand-oncle en lieutenant de chasseurs avec sa croix de guerre. Il ne faut pas que les enfants d'aujourd'hui puissent oublier ainsi qu'avaient oublié ceux d'après 70. Il convient donc de multiplier les souvenirs et les poupéesportraits ce sont des souvenirs quasi-vivants.

J'imagine qu'il n'est pas sans intérêt de raconter l'Histoire d'une gazette du front. Elle me rappelle qu'artilleur d'abord, fantassin ensuite, je ne me suis jamais ennuyé à la guerre, pas plus dans les secteurs tranquilles, que dans ceux qui ne l'étaient

pas. A

cette

époque j'étais brigadier-fourrier d'une batterie

qui faisait partie d'un régiment du midi, mais était composée d'éléments provenant du dépôt d'un régiment des départements envahis.


Nous étions dans un secteur tranquille. Chaque matin, je quittais l'échelon à cheval pour aller à la batterie de tir communiquer les pièces administratives à notre capitaine. Ce matin-là je ventais de traverser un bois. Je chevalchais dans une grande prairie toute rouge de coquelicots et qui, s'étendant à perte de vue jusqu'aux tranchées entièrement blanches, formait avec l'azur. du ciel un véritable drapeau tricolore. Les pièces contre avions tiraient sur un taube qui avait franchi nos lignes. Les projectiles l'encadraient avec une précision qui lui fût devenue fatale, s'il n'avait jugé à propos de s'enfuir à tire d'aile. Bientôt, il devint invisible et il ne resta dans le ciel que la guirlande de roses blanches des éclatements qui s'estompaient peu à peu.' Un singulier projectile tomba auprès de moi en tourbillonnant. On eût dit d'une feuille morte, mais une feuille blanchâtre. Je descendis de cheval pour savoir de quoi il s'agissait. • C'était un numéro de la Gazette des A rdennes que le Boche avait laissé tomber avant de s'en aller et que le vent avait apporté près de moi. On connaît ce misérable journal que les Allemands publient dans les régions envahies Il est rédigé dans un français le plus souvent douteux et sur un ton doucereux tout particulièrement répugnant. Je remis ce journal à mon capitaine. On en trouva un autre exemplaire dans les environs de la batterie et de la lecture de ce journal boche, il nous vint l'idée de fonder à notre tour une gazette hebdomadaire. Le sous-chef artificier, qui était parisien, en trouva le titre destiné à honorer nos alliés les Anglais Le Tranchman'Echo. I,e logis, chef de la 2e pièce, fournit le soustitre journal mondain, et comme c'était un bon dessinateur on 'le chargea d'écrire et d'orner ce titre sous lequel les rédacteurs devaient écrire leurs articles^ En effet, le Tranchman' Echo devait être manuscrit et son


unique exemplaire circulerait ensuite parmi les officiers tout d'abord, les gradés et les servants. de la batterie de tir. ensuite, après quoi, il irait à l'échelon-récréer les conducteurs. Le premier numéro décida du succès qui ne fut. pas mince. L'article de tête, de style légèrement soldatesque, mais d'intention excellente, était galamment dédié Aux Dames. Il était suivi d'une vie fantaisiste de sainte Barbe, patronne des artilleurs. Elle y était traitée avec respect, mais les Bollandistes n'eussent pas admis: cette version cependant curieuse de ses faits et gestes. N'allait-on pas jusqu'à prétendre qu'en faveur leur de patronne, les artilleurs seuls auraient droit, en bonne justice, au titre Ad.e poilns Au reste, quelques réflexions sans- acrimonie, sur la durée de la guerre, mettaient directement sainte Barbe en cause et auraient pu paraître irrévérencieuses si le ton de bonne humeur répandu dans tout l'article n'avait indiqué qu'elles étaient sans portée. Un dessin assez, drôle représentait les 1: !l.jnands en train de manger une choucroute de fils de fer barbelés. Et pour finir, il y avait une série impayable de décisions de

cuisine. Ce numéro, qui amusa les. officiers, circula aussi dans les pièces. de la batterie de tir, mais il ne parvint pas. à l'échelon. On soupçonna véhémentement le maître ouvrier en bois de l'avoir envoyé à sa marraine en même temps qu'un coupe-papier fait d'un bout de eeinture. d'obus. Le second numéro du Tranchman'Echo fut aussi attrayant que le premier. Je me souviens que dans l'article de tête il était question des totos. A cette époque, les artiflots n'en avaient pas encore; On les mettait en garde contre ces parasites qui gênaient fort les bobosses (en langage d'axtilleur, les bobosses- ce sont les fantassins;) Pour minutieuse qu'elle fut," la description des mœurs du toto n'en, était pas moins "au chiqué et l'illustre Fabre ne l'eût point approuvée.


Plus tard, au demeurant, j'eus l'occasion d'étudier les

totos de très près. Un éreintement à fond du bureau

de la batterie rangea .du coup le Tranchman'Echo dans l'opposition. Ce numéro contenait encore un portrait en pied du brigadier d'ordinaire en train d'assister à la naissance de Vénusqui, on le sait, sortit de l'onde amère. J'ajoute que je n'ai jamais compris le sens symbolique de cette allégorie. Une chanson en patois du Nord terminait fort poétiquement ce numéro 2 qui eut une fin singulière, car il tomba dans une marmite de campement tandis que la soupe y cuisait. Et on chercha en vain à le sauver l'encre s'était brouillée et il était devenu illisible. A la suite de cet accident, on décida de tirer le Tranchman'Echo à plusieurs exemplaires et le chef allant faire des achats à la ville voisine nous rapporta un rouleau de pâte à polycopier. Le maréchal des logis, chef de la 2e pièce, se mit avant tout à tracer le cadre du journal titre, ornements et

rubriques.

Il attendait la

copie pour la transcrire avant de tirer le numéro dont il fallait douze exemplaires. Il y avait huit abonnés parmi lesquels le capitaine, un exemplaire était destiné à chacun des trois rédacteurs, et enfin, il y avait l'exemplaire du dépôt légal à la Bibliothèque Nationale. La copie s'élaborait et devait être remise à « l'imprimeur » le soir même quand l'ordre de départ arriva. On plia bagages et l'on attendit les avant-trains. Entre temps, pour ne pas avoir travaillé en vain et ne pas mécontenter les abonnés, « l'imprimeur » tira en blanc les deux pages de titres et de rubriques sur lesquelles il ajouta en travers N° 3 tout Particulièrement visé par la censure. Je te crois, il ne. restait que des blancs. Mais le titre et les rubriques sont assez amusants pour que le numéro figure honorablement dans la collection de journaux du front que l'érudit M. de La Jonquière


conserve précieusement à la Bibliothèque Nationale, car le dépôt légal ne fut pas omis. I,e numéro 3 de Tranchman' Echo journal mondain présente .orné de canons croisées, d'obus et d'un monoplan' en plein vol. Il contient une Dernière heure suivie de ces mentions caractéristiques Fil spécial avec l'Infanterie.. Correspondant à l'échelon. Aucune nouvelle du monde

entier. se

Bien en prit au logis de la 2e pièce de tirer en blanc quelques exemplaires du numéro 3 le souvenir au moins

s'en peut conserver. On amena les avant-trains à minuit et nous nous dirigeâmes vers une lointaine région où nous mîmes en batterie dans un secteur beaucoup moins tranquille et jamais nous n'eûmes le loisir de reprendre la publicationde notre gazette.

Avril 1917

J'ai trouvé un petit livre qui n'est pas plus mentionné

parmi les classiques de la table que le traité sur la tempérance du fameux Cornaro lequel donnait l'exemple en n'ingérant que « quatorze onces de liquide et de solide par jour, et il vécut cent ans, » Le petit livre est anonyme. Il a été imprimé l'an IV, « dans les temps difficiles » de la Révolution et il traited'un sujet bien actuel en cette époque de taxes, de restrictions et de tessères annonnaires ou cartes alimentaires. Au demeurant, en voici le titre suggestif petite cuisiniey économe ou l'Art de faire la cuisine aU"

Le

meilleur marché. On y a ajouté « l'indication des aliments les plus rapprochés des facultés de tous les citoyens avec la manière de faire le pain, et des instructions claires et faciles sur le-


traitement et l'apprêt des pommes de terre,, dans les temps difficiles, etc. » En ce temps-là, Frédéric de Prusse était à la mode, et Alfred de Vigny a signalé dans Napoléon des traits qui décèlent l'imitation de Frédéric-le-Grand. Les Allemands de 1914 professaient pour Napoléon une admiration comparable à celle que les Français de l'an II professaient pour le rex tibicen, mais les Français de 1917 n'ont fait -encore bénéficier personne de l'admiration que Napoléon avait vouée à Frédéric II et qu'ils auraient dû, en bonne justice, vouer eux-mêmes à Napoléon-le-Grand. L'auteur du Petit cuisinier, économe témoigne de la vogue des idées du grand Frédéric, car c'est à.un ouvrage du châtelain de Sans-Souci qu'il a emprunté cette épigraphe que nos dictateurs du ravitaillement feraient bien de méditer afin que nous bénéficions de cet examen profitable. « L'art de vaincre est perdu, sans l'art de subsister (Frédéric II, Avt de la guerre). « On reconnaîtra .aisément, écrivait l'auteur du Cuisinier économe, à la simple inspection du titre de ce petit ouvrage, qu'il n'en est peut-être pas de plus utile à présenter au public dans les circonstances actuelles. Tout ce que ce titre promet et annonce se trouve fidèlement. exécuté dans ce manuel de cuisine économique.. « Cela n'empêchera pas néanmoins le rentier-le mieux partagé, comme l'individu le moins fortuné, d'y trouver, même avec assez d'abondance, de. quoi concilier la satisfaction de leur appétit ou de leur goût, avec l'économie la plus désirable nous sommes sûrs, au moins, que les plats. qu'ils serviront sur leurs tables, d'après les. indications de notre petit cuisinier,. en fournissant d'une manière prompte, commode et satisfaisante à leur appétit; ne nuiront ni à leur santé, ni à leur bourse deux points extrêmement importants que nous n'avons cessé de cour sidérer dans la rédaction de chaque article de ce Manuel dont nous avons banni le superflu, pour n'admettre que l'utile et le. nécessaire. »


feuilletant le livre,

tombe vite sur des, iNdications qui ne paraissent pas moins utiles aujourd'hui que « dans les temps difficiles M de la Grande Révolution. « Tout pain.ssis étant remis au four, regagne un peu de la bonté qu'il a perdue depuis qu'il a été cuit et pourvu qu'il soit mangé promptement il semblera qu'il soit nouveau mais si on le. gardait, il sécherait et diminuerait de qualité.» Et ailleurs « On devrait, en France, s'occuper un peu plus de la culture du maïs qui.réussit assez bien en FrancheComté, en Bourgogne et en Bresse. » « On s'en trouverait bien mieux dans certaines occasions» ,ajoute l'auteur qui indique encore « Le pain est fait de la même manière que celui de froment, on le digère d'abord difncilement mais l'estomac s'y fait et on en mange ensuite comme d'autres, on l'estime plus, pour le goût, que le pain d'orge pur. » Le morceau de résistance de tout l'ouvrage est constitué par des Instructions faciles sur les, pommes, de terre. qui n'aurait plus sa raison d'être aujourd'hui ou la pomme de terre, qui était alors une nouveauté alimentaire, est en passe de devenir une rareté gastronomique. « Mon âme est triste jusqu'à la sobriété », écrivait un jour Monselet dans $e&4ettres à Emilie sur la gastronomie. Nous n'avons pas lieu d'être tristes jusqu'à ce point, dans la douce France qui, .si l'on veut, peut produire de quoi nourrir tous ses habitants. Mais voici pour ceux qui sont inquiets d'exemples et de précédents quelques traits héroïques de tempérance. } Magon de Carthage traversa sept fois le désert, vivant d'un peu de farine et s'abstenant de boire. Matris d'Athènes..se contenta. toute sa vie de ne prendre comme nourriture que de'§ baies de myrte et il ne buvait que de l'eau. Et il y. a belle lurette qu'un grand nombre de Parisiennes. vivent plus frugalement que les coolies chinois En

on.


renommés pour leur sobriété, telle que sur cela, ils rendes points à un chameau.

draient

Depuis quelques années, des artistes, des amateurs d'art ont cru pouvoir s'intéresser aux idoles de l'Afrique et de l'Océanie au point de vue purement artistique et en faisant abstraction du caractère surnaturel qui leur était attribué par lés artistes qui les sculptèrent et les croyants qui leur rendaient hommage. Qu'on l'approuve ou non, le mouvement existe, mais aucun appareil critique n'est encore à la disposition'de cette nouvelle euriosité qu'on pourrait appeler mélanophilie ou mélanomanie et une collection ou une exposition de statues nègres par exemple ne saurait être présentée de la même façon que les objets d'art, peintures ou statues exécutées en Europe, dans les pays à civilisation classique de l'Asie, en Egypte ou dans les autres régions romaines de l'Afrique du Nord, Le public est accoutumé de trouver dans les catalogues qu'il reçoit et dans les expositions qu'il visite des oeuvres bien définies, classées avec précision, pouvant être attribuées, souvent avec certitude; à* des maîtres et à des écoles déterminés. Une présentation analogue serait impossible dans le cas dont il s'agit. Dans l'état actuel de l'anthropologie et de la science de l'art, il serait téméraire de vouloir disserter avec certitude, tant au point de vue archéologique qu'au point de vue esthétique; sur ces idoles nègres qui excitent d'autant plus la curiosité de leurs amateurs que les renseignements manquent touchant leur origine et que jusqu'à ce jour aucun nom d'artiste n'a pu être prononcé. Impossible donc pour le moment de fixer l'époque certaine. des plus beaux. de ces fétiches de bois, dont


certains remontent à une très haute antiquité et attestent (je parle ici des idoles africaines), par le style qui les caractérise, une indubitable parenté avec l'esthétique égyptienne dont ils dérivent, à moins que le contraire même étant la vérité, ils n'aient exercé sur les artistes de l'Egypte une influence qui justifierait amplement l'intérêt qui s'attache aujourd'hui à ces ouvrages. Sans aucun doute, s'il eût eu l'occasion d'étudier Ies fétiches dé l'Afrique, Gobineau aurait penché pour la deuxième hypothèse, lui qui faisait jouer aux descendants de Cham un rôle prépondérant en ce qui concerne, dans l'histoire des progrès humains, la naissance et ledéveloppement du sentiment artistique. Mais tout Français qu'il ait été en dépit des Gobineauvereine, Gobineau ne saurait être à la mode aujourd'hui dans un pays civilisé et nous ne scruterons pas davantage cette opinion qu'au surplus personne n'a alléguée. Tout au plus, pourrait-on cataloguer les pièces de l'art nègre par régions et parfois par ateliers, mais pour ce qui concerne l'art africain cette classification serait souvent en défaut et nous ne nous hasarderons pas non plus dans cette voie. L'évolution de la sculpture fétichiste des noirs, d'après des probabilités qu'il est permis d'envisager, s'est effectuée selon des rythmes infiniment plus étendus que ceux qui ont procédé à l'évolution de l'art européen et chinois 'par exemple. Nul doute que la transmission des modèles traditionnels ne puisse être considérée comme une des principales règles de cet art. Aux siècles et aux fractionsde siècles de l'histoire de l'art occidental, l'Afrique et l'Océanie opposent de vastes périodes qui comprennent parfois l'effort de nombreuses générations, mais la fan-taisie qui a toujours présidé à cette imitation, fantaisiedont la source réside souvent dans l'emploi de simples .grigris, de matériaux disparates que l'artiste avait sous 1,a main et qui excitaient son sens décoratif et son sentimentreligieux, fait surgir la difficulté de fixer ces œuvres d'art.


dans le temps, et d'autant plus qu'au cours des années

ces grigris tels que pagnes de cotonnade, grandes plumes, boulettes de résine, colliers, pendeloques, clochettes en fer, lianes, poignées d'herbes, coquillages, dents de suidés, miroirs, clous, morceaux de ferraille de toute espèce se sont usés, ont été brisés ou perdus, et ont été remplacés par d'autres grigris qui modifiaient l'aspect général du fétiche, jetant sur son âge un doute qu'il n'est plus possible de dissiper. Celui. qui entreprendrait de telles recherches esthétiques ne pourrait s'appuyer sur aucun écrit, aucune inscription ancienne, et, sauf quelques précisions et surtout quelques hypothèses anthropologiques sur la destination religieuse des idoles en question rien ne vient éclairer le mystère de leur anonymat aèmère et il faudra longtemps encore se contenter de n'éprouver vis-à-vis des idoles nègres que des sensations esthétiques est d'évocation poétique. Aux rapports des voyageurs, aux données des géographes, aux classements des anthropologues» aux déductions des ethnographes, les critiques européens pourront-ils ajouter une analyse méthodique des- styles, l'équivalent de ce qui fut fait pour les écoles primitives de nos pays, à peu près inconnues il y a un demi-siècle 7 C'est une question qui ne suscite aucune réponse en un temps où les. lois de la guerre interdisent aux savants et amateurs d'art de précieuses sources de renseignements quisont situées à Bruxelles*, par exemple.. L,e. but de cette nouvelle curiosité a été avant tout l'agrément et ensuite le désir légitime de grouper de nouveaux modèles esthétiques. Parfois il s'agissait de garnir, orner un logis. libelles oeuvres,, de- l'exotisme pour ainsi dire classique de la Perse, de la Chine et du Japon sont déjà presque inaccessibles en s'intéressant l'art mystérieux des noirs. récemment découvert on ne court pas encore les. risques- redoutables du faux, du 'truqué, du surfait. Telle fut l'origine d'une curiosité dont l'initiateur fut,


je crois il y a quelques seize ans; le peintre Maurice de Vlamynck. S'il n'a pas la prétention de vulgariser le

goût des sculptures nègres de toutes les époques, de toutes les régions, de toutes les tendances, de tous les ateliers, du. moins a-t-il eu le mérite d'être le premier à. recueillir une série d'exemplaires typiques de la culture fétichiste,, en se souciant, non pas des caractères ethniques des statues nègres, mais de leur beauté qui retient, à présent, l'attention de nombreux artistes, esthéticiens et amateurs contemporains. C'est par une grande audace du goût que l'on est venu à considérer ces idoles nègres comme de véritables oeuvres d'art. Cette audace après tout n'a pas dépassé son but si, comme je le croirais volontiers, il s'agit de réalisations esthétiques auxquelles leur anonymat n'enlève rien de leur.' ardeur, de leur grandeur, de leur véritable et simple beauté. Septembre 1917

La.mort de mon ami.René Dalize m'a surpris au point que, sauf quelques phrases où j'évoquais sa mémoire et que j'ai lues 'dans le salon de Mme Aurel, je n'ai pu encore écrire decelui-que j'avais appelé dans Zone, la première pièce d'Alcools, Le plus-ancien de mes camarades René Dalize.

Il s'appelait René Dupuy et ses- amis le désignaient plutôt par son nom que par son pseudonyme; Cela venait

que, sauf quelques articles- de- journaux, sauf quelques fragments publiés dans les Soirées de Pans, il n'avait rien paru sous eette signature. Un roman auquel il tenait et qui contient beaucoup de son esprit charmant et singulier a paru dans PanirMidi signé Franquevaux. Durant la guerre il reprit ce* pseù? donyme pour donner dans les- Imberbes, la. revue poly-


graphiée sur gélatine que publiait sa compagnie de mitf ailleuses, un poème d'une fantaisie macabre signé cette fois Caporal Baron Franquevaux, gradé de l'Echelon. Son roman revu et mis au point avant la guerre paraîtra sous le pseudonyme de René Dalize qu'il avait élu pour être celui dont il signerait les œuvres auxquelles il tenait et sous lequel ses amis l'ont désigné dans leurs poèmes. Et ce roman intitulé, le Club des Neurasthéniquës, révèlera au public un humour tout spécial et qui était la marque distinctive de notre ami. Il sentait parfaitement les travers, mais il avait assez de force d'âme et d'indulgence pour en rire seulement, sans aigreur et avec un bon sens qu'il avait à un extrême degré il indiquait aussi la façon dont ces travers auraient pu se transformer en qualités. Nous réunirons dans un autre volume les vers, les fragments de René Dalize et ses essais sur la littérature des intoxiqués qui sont pleins d'aperçus nouveaux et ingénieux sur le mécanisme de l'imagination chez un Edgar Poe ou un Baudelaire. D'après ce qu'il m'a été dit, René Dalize, qui commandait la troisième compagnie de mitrailleuses du e régiment de marche a été tué devant Craonne. Il venait de la ferme de Cogne-Le- Vent où il était au repos. Blessé au visage en allant aux tranchées, il refusa de se laisser évacuer. Sommairement pansé, il s'occupa personnellement, selon son habitude, de choisir l'emplacement de ses mitrailleuses et c'est tandis qu'il réglait le tir de sa deuxième pièce qu'un obus l'étendit mort auprès des servants de sa pièce. Des événements de cette sorte s'étant mille et mille fois répétés au cours de cette interminable guerre font désormais partie du tragique quotidien au xxe siècle et le moins que nous en puissions dire,c'est que bienheureux sont ceux à qui le sort a réservé l'euthanasie, la bonne mort sur le coup, le trépas sans délai et sans souffrance. J'ai connu René Dalize en 6e dans un petit collège


du midi où nous passions des heures de classe à jouer à la petite guerre. Nos soldats n'étaient pas de plomb,

mais peints à l'aquarelle sur des cartes de visite repliées pour qu'ils se tinssent debout. Je dirigeais l'armée romaine où figuraient, je ne sais pourquoi, quelques MounetSully dans Œdipè-Roi et René Dalize régentait les Mèdes entre lesquels un superbe monstre Oannès repliait majestueusement sa queue de poisson. Il y avait encore dans la classe l'armée gauloise, l'armée grecque, etc. etc. Toutes ces armées antiques avaient été peintes par deux jeunes peintres dont la paresse en toute matière autre que le dessin faisait l'ornement de la 3e. L'un de ses peintres connut plus tard à Montmartre une certaine fortune. Il s'appelait ^empereur et l'on a de lui quelques tableaux délicats et d'un bon coloris. On retrouverait de ses dessins dans le Rire et autres journaux bouffons. A l'époque dont je parle, 1892, I^empereur se spécialisait dans les dessins militaires. Nos armées, à René Dalize et à moi, avaient été peintes par l'autre artiste du collège il se nommait Charles Tamburini et je ne sais ce qu'il est devenu. Le jeu consistait à armer d'un petit.rouleau de papier replié un élastique noué au pouce et à l'index de la main gauche, on tirait le projectile de la main droite pour tendre l'élastique et il s'agissait d'abattre les soldats d'une des armées adverses. Le jeu finissait souvent parla confiscation d'une armée toute entière ou encore de l'artillerie par le professeur qui, myope à l'excès, ne s'apercevait de notre manège que lorsqu'un projectile l'atteignait ou tombait sur son pupitre, et les srrêts ou les « lignes » de pleuvoir. Il y a longtemps, par conséquent, que nous connaissions la guerre, René Dalize et moi, et à sa dernière permission nous parlâmes encore de ces combats d'artillerie de la 6e où nous avions inventé,avec la guerre immobile, les tranchées même, puisque nos ~» soldats se dissimulaient dans le casier béant qui se trouvait sous nos pupitres.


la

1/été, récréation du soir, nous faisions une guerre qui n'était point prohibée. Divisés en deux camps, tous les élèves du collège, armés de vingt balles de cuir rembourrées d'étoupe, munis d'un bouclier peint aux armes les plus fameuses sur champ d'azur dans un camp et sur champ de gueules dans l'autre, s'assaillaient. ï,e but était de s'emparer et de garder le drapeau de l'adversaire et dès que l'on était touché par une balle on se considérait comme mort. Ives morts au. demeurant représentaient assez bien nos ouvriers en munitions d'atijourd'hui. Car après avoir déposé leur bouclier, ils s'occupaient à ramasser les balles et fournissaient des munitiens aux combattants de leur camp. René Dalize, qui était né en- 1878, entra plus tard au Borda. C'est au cours de son premier voyage à 'bord du Suchet qu'il eut l'occasion d'assisterà la eatastroplie de la Martinique dont il a laissé plusieurs relations. C'est à son retour que je le retrouvai. Nous nous étions perdus de vue durant quelques années. 11 n'avait pas changé et je reconnus ce long corps dégingandé à 1a marche tanguante, à la fois si charmant et^si las que le futur auteur du Club des Neurasthéniques arracha à André Salmon, avec lequel il se lia bientôt, ce cri ravï Que tu me plais,-René Dalize! Bientôt ayant quitté la marine, il fût mêlé à tous les événements de la vie des poètes et des peintres de sa génération il se lia aussi avec Jean Moréas, J. B. Toulet, André Tudesq et fréquenta assidûment le philosopharium de M. Albalat qui fiôrissait au Vachette et quâ, après avoir été transporté au Panthéon, tieht maintenant ses séances quotidiennes au caïe de Cluny. Ce qui caractérisait le talent démené Dalize et qui, s'il avait vécu, devait lui constituer comme auteur dramatique une personnalité -particulière, une place à part, c'est un certain esprit apte à exprimer avec une concision, un raccourci étonnant, le caractère déconcertant S'une


époque troublée à l'excès et bouillonnante de nouveautés surprenantes. Il les regardait en dramaturge, c'est-à-dire avec un intérêt détaché, amusé et toujours sans parti pris. Son ton était à cet égard si délicat qu'on ne peut le comparer qu'à un marivaudage qui, au lieu de s'appliquer simplement à l'amour, aurait été allégé des questions aussi lourdes que celles qui préoccupent aujourd'hui tous les hommes la guerre et le socialisme. La croix de la Légion d'honneur, la croix de guerre sur la poitrine,-roulé dans un drapeau tricolore, notre cher René Dalize dort maintenant du sommeil de Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie.

Il reste, pour fixer -ses traits, trois portraits, dont deux

furent peints par Marie I/aurencin et l'autre par

M.

de

Quervily. Plus tard, oh aura l'occasion de parler de la clairvoyance de notre'ami au cours de cette guerre et avantelle. Les vieux ont soi f, s'est-il écrié dans un essai publié quelques jours avant la déclaration de guerre en parodiant un titre célèbre, cri fatal que l'esprit cruel de la vieillesse toute puissante ne lui a pas pardonné; et c'est pourquoi les vieillards, maîtres de la mort, se sont abreuvés de son sang précieux. Octobre 1917

Aujourd'hui tout le monde se plaint de ne pas avoir de temps. Ives auteurs écrivent leurs livres à la hâte, avant d'avoir pu ys penser les peintres peignent comme s'il s'agissait d'établir un record de vitesse les architectes bâtissent *i vite que les maisons se dressent dans leciel en quinze jours. Cette hâte aboutit à des ouvrages le plus souvent si imparfaits qu'ils justifient, ce semble, la préférence que les connaisseursaccordent aux-travaux des anciens.


Comme excuse, on dit que l'on n'a pas le temps, que nous sommes dans le siècle de la vitesse, que bien faire n'est pas indispensable, mais qu'aller vite est la seule chose nécessaire. Vitesse et Progrès sont les.marottes du jour et on les confond sans c- sse, sans penser, qu'en la plupart des cas, après tout, le temps ne fait rien à l'affaire. Un Zanzibàrien de mes amis affirme même que si les Françaises n'ont plus d'enfants, c'est; qu'elles trouvent que la grossesse dure trop longtemps. Cependant, jamais les hommes n'ont eu plus de temps devant eux pour accomplir à la perfection les ouvrages entreprennent. Les moyens de locomotion devenus très rapides épargnent un temps qu'il fallait bien consacrér autrefois aux déplacements des artistes et des ouvriers, aux transports des matériaux. Des machines adroites et expéditives peuvent aussi achever aujourd'hui la grosse besogne. Les écrivains et les peintres ne vont si vite que par un accord inconscient avec cette fièvre de vitesse au milieu de laquelle ils vivent. et si les entreprises publiques étaient menées à bien avec une lenteurop portune ou plutôt une constance et prévoyance qui ne se rebutent point, les lettres et les arts ne trahiraient pas une disproportion choquante entre l'idéal grandiose auquel elles visent et les moyens hâtifs qu'on emploie pour l'atteindre. On n'ose pas de nos jours, comme on faisait jadis, commencer de ces édificés dont la construction, ainsi que celle des cathédrales, devait durer des siècles, tandis que la durée assignée à ces monuments était illimitée. Je crois pour ma part qu'il n'est de durable que ce qui a été fait lentement; nos constructions de fer s'useront vite, la rouille'les rongera en quelques dizaines d'années; nos tableaux inachevés peints avec de mauvaises couleurs sur des toiles mal préparées s'assombriront et s'écailleront sous les yeux de leurs auteurs. Les livrés non médités lasseront -le public quand ils ne tomberont pas en poussière.

qu'ils


Que faire pour remédier à tout cela ? Il faudrait seulement un peu plus de lenteur et qu'on laissât la vitesse là où elle a sa raison d'être, c'est-à-dire dans la locomotion. 1/idée de vitesse en est venue à se confondre avec l'idée de progrès sans qu'à mon sens il y ait rien de commun entre elles. Beau siècle de progrès qui laissera quelques principes, mais aucune oeuvre On a le droit de se demander si le progrès ainsi entendu n'est pas une preuve d'infériorité de notre époque vis-à-vis de ces siècles d'ignorance qui nous ont laissé des monuments durables de leur patience d'où s'engendraient la raison et le savoir. Et tout cela s'applique aussi à la guerre qui a heurté toutes les opinions reçues sur la vitesse contemporaine. Et elle vaudrait bien la peine qu'on l'appelât la guerre de trois mois pour conserver un souvenir d'une erreur due avant tout à la manie que l'on a de confondre la vitesse et le progrès.

Parmi les organes spéciaux nés durant la guerre de l'intérêt qu'il y avait à tenir au courant des affaires qui les intéressent les poilus qui sont au front, l'un des moins curieux n'est pas la petite revue polycopiée que publient mensuellement les élèves de l'école des Beaux-Arts sous le titre Gazette Cormon-Collin-Flameng. C'est un petit folio en feuilles retenues par une agrafe, composé de 2 feuillets non numérotés et 19 pages. Le tout est illustré de façon fort amusante. Le premier feuillet, blanc au recto, comporte le titre illustré et le dessin représente les rêve d'un élève de l'Ecole des Beaux-Arts dans les tranchées le 2e feuillet, blanc au verso, porte au recto orné d'un dessin funéraire le nom des camarades morts au Champ d'honneur. La page 1 porte le titre complet

Gazette « Cormon-Collin-Flameng» et des ateliers de gravure? Rédacteur-Fondateur,A. Courselles-Dumont, 7,quaiMalaquais, Paris, VIe, collaborateur, MM. Manant, R. Jaudon.


Après quoi vient un avis inattendu En échange de la envoyez votre photo aux Rédacteurs. Le texte débute par les avis de décès, de disparition; les blessés et malades en traitement, les prisonniers, les disparus, puis sous le titre Ceux qui ont écrit, vient l'amusante et souvent émouvante petite Correspondance du front ou l'on trouve des fantaisies comme la suivante dont Fauteur, un nommé Sauvage, prouve que la scie d'atelier est aussi florissante que du temps d'Henry Monnier. inattendue et sensationnelle de Sénéga« Une arrivée lais est venue assombrir nos tranchées. Nous voici dans le noir. Heureusement qu'il y a clair de lune toutes les nuits; Nous pourrons à présent avoir des idées noires. Quand une marmite tombera, on pourra penser elle veut broyer du noir, ou encore un gros noir sur des petits noirs. Le matin, ce sera une joie que de prendre son « petit noir » en compagnie de noirs. Je crois que leur couleur ne déteint pas sur les Boches, car ils en sont verts. » Un autre profite de sa lettre pour y glisser des conseils et des considérations ethniques. «La gazette m'apprend que le camarade BEAUMg se rend au Maroc. Heureux roumi (Qu'Allah l'ait en son saint burnous !) Je regrette que son départ fusant et précipité ne m'ait pas donné le temps de lui indiquer quelquestuyaux élastiques sur ce dont il aurait dû se munir. Mais s'il pénètre dans l'intérieur du bled et s'il désire batifoler avec une brune fille du Moghreb, recommaïdezlui de ne pas s'étonner sur la position que prennent les dames marocaines du Centre pour. qui. suffit, s'pas ? Cette position étant inconnue et non représentée sur le petit livret à 64 pages (32 pour les gravures, 32 pour l'explication) dont Eeyser avait jadis le monopole de

Gazette,

vente.Les*»

pages suivantes sont remplies par les citations, les échos, les expositions, les avis, etc.


Dans la partie littéraire on trouve souvent des chansons pleines de verve, comme ce Cafard anonyme (sur l'air du Pou et l'Araignée) qui mérite de ne pas passer inaperçu Un jour un permissionnaire, Qui rejoignait sans entrain, Trouve en descendant du train Un copain qui n'riait guère. Survint un troisièm' poilu Qui n'rigolait pas non plus. Le premier s'grattait le crâne, Le second s'grattait plus bas, Le troisième se grattait pas, Mais il tremblait sur sa canne. On d'vinait à leurs façons Qu'ils n'apportaient rien de bon.

d'une voix soudaine S'écria « C'que j'ai sur moi Ne vient pas d'Choisy-le-Roi, Mais, dans l'train qui m'en ramène, Les copains (mine' d'aristos 1) M'ont repassé des totos. Le second dit d'un'voix grise « Moi, j'ai rien pris en wagon Mais; dans l'train de Mézidon J'ai dû m'asseoir par méprise Sur un nid de p'tits scorpions, Car.je suis plein de morsures. » Le ^premier

L'dernier dit d'une voix amère « Moi, j'rapport' de la Cité Un fléau plus redouté Que vos parasit's vulgaires Ces Messieurs du Boulevard foutu lésai'Cafard! Comme ils étaient très malades, Le toubib qu'ils allèr'nt voir Au premier dit « Savon noir. » Au second il dit Pommade. » Au malade du cafard Il conseilla le pinard.

M'on

ci


Mais

le cafard est tenace

Le poilu s'mit au pinard, Il s enfila quart sur quart, Mais ce fut inefficace. Et mêm' plus il en buvait, Plus son état s'aggravait. Or voilà que le soir même La mitraille rappliqua. Avec un'fureur extrême Nos poilus, fiers et vaillants, Culbutèr'nt les assaillants. Après cette chaude affaire Dont le succès fut brillant Ils s'embrassaient, en riant, Confiants comme naguère. Quant au terrible cafard Il n'était plus nulle part.

Le chef de ces intrépides Leur dit alors, triomphant « C'est la POUDRE, mes enfants, Le meilleur insecticide. V'la pourquoi ceux de Paris Ne seront jamais guéris. »

Un roman feuilleton couronne cette plaisante gazette, très appréciée au front. Le roman actuel Les Clystères de New-York est désopilant. Des croquis semés çà et là ornent agréablement cette publication que les amateurs rechercheront. Novembre I917

Une des façons les plus modernes de s'exprimer est de lé, faire au moyen des initiales des mots d'une phrase, ces lettres isolées formant des vocables acrostiches. Et la guerre a donné un grand développement à cet usage à la vérité fort ancien.


On ne dit pas le Gxand Quartiex Général, mais le Gxand Cugé que l'on écrit le G. Q. G. Bien des gens, même des militaires peu au fait de la mythologie du front, ont été intrigués par la Déesse qui est proprement la Dixection des Etapes et Sexvices et s'orthographie la D.E. S. L'R. Q. qui revient si souvent dans les circulaires et rapports militaires et qui se prononce tout comme un l'écrit, c'est le Ravitaillement quotidien, si important aux armées que Frédéric II a pu écrire « L'art de vaincre n'est rien sans l'art de subsister. » On parle couramment d'un éxaté. Il s'agit tout simplement d'un R. A. T. ou soldat de la Réserve de l'Armée territoriale. Tout le monde connaît les valeureux gévecés, c'est-àdire les G. V. C. ou Gaxdes des Yoies et Communications qui ont défendu les ponts et les lignes de chemin de fer, contre l'audace toujours possible d'espions criminels. Les Belges appellent céibé (C. I. B.) le Camp d'Instxuction Belge et ceux qui en font partie sont les cibistes. Un des vocables acrostiches les plus célèbres est celui anglais d'Anzac, né pendant l'expédition des Dardanelles. Il est composé des initiales d'Australian and NewZealand Army Corps et l'on dit couramment en parlant des soldats de la cinquième partie du monde les Anzacs. C'est peut-être le mot le plus fameux qui soit né de la guerre et c'est un vocable acrostiche. Du reste, il y a longtemps déjà que l'Angleterre et les Etats-Unis avaient donné beaucoup d'essor à cette façon d'écrire, sinôn de parler, et la lecture d'une carte de visite anglaise est parfois -une véritable énigme à cause de l'accumulation d'initiales qu'il s'agit de déchiffrer. Avant la guerre, entre amis, nous avions inventé le jeu du Pof .qui consistait à prendre un nom et à faire de chacune de ses lettres l'initiale d'un mot, les mots réunies formant une phrase. Le nom du jeu venant des initiales P. 0. F. qui signifient Paxti Ouvrier Français.


Des appellations commerciales ont été aussi formées par l'assemblage acrostiche d'initiales, par exemple le mot Sadla qui désigne une grande épicerie et signifie Société anonyme de l'Alimentation. La marque célèbre de papier à cigarettes Job vient de ce que sur les cahiers les initiales du fabricant J. Bardou avaient été séparées par un point en forme de losange, donnant à peu près le mot JOB qui fit fortune, sauf en Russie, où ce vocable a, paraît-il, une signification inconvenante. On essaya de le retourner Boj, mais cela si, ifiait Dieu, trop sublime pour une marque de papier à cigarettes, et je ne sais quelle dénomination portent en Russie les cahiers de papier Job. Avant la guerre, une revue musicale, organe de la Société indépendante de. Musique, portait sur sa couverture les initiales S. I. M. que j'ai souvent entendu prononcer Sim. Depuis la guerre, une revue d'avant-garde consacrée aux lettres, aux arts plastiques et à la musique a pris le nom de Sic, emprunté d'initiales qui désignent sons, idées, couleurs. La publicité commerciale a encore illustré les 5P. qui signifient Pilules Pink, Pour Personnes Pâles, et le Tot dont le sens m'échappe, mais qui apparut un temps si souvent dans les réclames des journaux italiens que l'on finit par appeler le charmant Marinetti, à cause de son amour pour le battage «il poeta Tot. » N'appelle-t-on pas couramment la télégraphie sans fil, la Téessef, que l'on écrit T. S. F. ? et YAélgêpé, c'est l'Artillexie lourde à grande puissance (A. L. G. P. Y. Pendant la guerre, les Allemands ont créé le motdevise Hiddekk que j'ai trouvé inscrit sur une guitoune du trou Bricot « villa Hiddekk ». Il doit se lire en allemand Haupsache ist, dass die Englaender Keile kriegen, c'est-à-dire l'essentiel, c'est que les Anglais soient rossés. Sur une cagna française d'artilleurs près de Mesnilles-Hurlus, j'avais déjà trouvé l'inscription acrostiche


Atitala, qui pourrait être la devise de tous lès Alliés: tout, il faut anéantir l'Allemagne. Sur une autre cagna il y avait cette exclamation Olala, dont le propriétaire m'apprit qu'elle signifiait On les aura les Allemands Sur le bureau qui se trouvait à l'échelon d'une batterie d'artillerie aux environs de Soissons, j'ai vu une pancarte, avec l'inscription patriotique Vano, c'est-à-dire: Versons, amis, notye Or. Et quellemagnifique affiche pour un emprunt de la victoire ne feraient pas ces trois inscriptions ainsi disposées. ATIFALA VANO OLALA

Nul doute qu'elle n'attire l'oeil Remarquons qu'en Russie les Cadets, important parti politique qui a joué un rôle décisif dans la Révolution, ne sont pas autre chose que les K. D. ou (K) Constitu-

tionnels Démocrates. I,es Romains avaient déjà le fameux S. P. Q. R. ou Sénatus populus Que Romanus. Saint Augustin, au chapitre 23 du livre XVII de son De civitate Dei, parle d'un acrostiche de la sibylle Erythrée: le mot grec îx^; qui formait la phrase fameuse qui signifie « Jésus-Christ fils de Dieu Sauveur. » Et, s'il n'avait été un signe sacré dé ralliement, ce poème grec pourrait servir d'exemple au jeu du Pof dont il est parlé

plus haut. Il y a plusieurs dissertations savantes sur ce sujet. Plusieurs de ces plaisanteries en initiales ont trait à des papes. Les R. R. R. du pape Silvestre II (Gerbert) sont célèbres. Ils signifient Reims; > Ravenne et Rome. En effet, il avait été archevêque de Reims en 992, archevêque de Ravenne en 998 et il fut élu pape à Rome en 999 *on en 'Et un vers Transit ab R Gerbertus ad R, fit Papa regens R.


On connaît aussi l'inscription du pape Nicolas V N. P. V. qui signifiait Nicolaus Papa Quintus et que l'on interpréta malicieusement Nil Papa volet. C'est encore le même procédé qui a permis de donner à la devise autrichienne A E I 0 U les sens présomptueux d'4ustriacorum Est Imperare Orbi Universo ou encore Aquila Electa luste Omnia Vincit. L'utilisation des abréviations acrostiches n'est donc pas neuve. Ce qui est neuf et peut intéresser le philologue, sinon le grammairien, c'est la formation de néologismes tel que pof, ératé, gévécé, Hiddekk, Anzac, Cibiste,. Atifala, Cadets, Sic, etc., issus de ce procédé, appelé à fournir un grand nombre de vocables, surtout à la terminologie commerciale et dont un certain nombre sans aucun doute resteront dans les langues.

Imaginant au cours d'un conte sa pathétique plante de jouvence d'oubli et de mort la Malabée qui pousse la vie à reculons et fait retomber en enfance celui qui en use, André Billy a grandement enrichi le domaine singulier des végétaux fantastiques et littéraires. Sa plante est l'égale désormais du Bomaretz qui se trouve dans le Voyage en^ Moscovie, Tartayie ët Perse d'Adam Oléarius, traduit et augmenté par Wicqueford (in-4, Paris, 1666). Oléarius rapporte avoir vu en Russie la plante la plus bizarre qui ait occupé l'attention des savants du xvme siècle le bomaretz que les loups dé1 vorent avec gloutonnerie. De la grosseur d'un concombre, il a, au témoignage d'Oléarius, la figure d'un agnelet et ronge les herbes environnantes. A maturité, sa tige se dessèche et le fruit se couvre d'une enveloppe velue qui, préparée, sert de fourrure. Le Bomaretz a encore été vu par le Hollandais Jean Struyz qui en parle dzns ses Reysen door Indien, Griechland, Moscôvyen, Taftarien, Medien, Persien, Oost Indien,


Japan, etc. Amsterdam, 1676. Struyz l'appelle Bonaret ou Bonayez ou encore Agneau végétal. Couvert d'un duvet à fond blanc, il croît sur une tige d'un mètre environ et mange les herbes à l'entour.

Avec ses quatre dromadaires Don Pédro d'Alfaroubeira Courut le monde et l'admira Il fit ce que je voudrais faire Si j'avais quatre dromadaires.

Et ce petit poème de mai,

Bestiaiye, si bien illustré par Dufy, me revient à la mémoire en pensant que Gomez et Santistevan, dans sa relation des voyages de l'infant

de Portugal don Pedro d'Alfaroubeira rapporte que dans les états du Prêtejan, souverain maître de l'Inde-mineur et de l'Inde-majeùr, on fit voir à l'infant don Pedro, le corps de l'apôtre Saint-Thomas qui, mort, se tient droit sur l'autel et garde en sa main un sarment desséché. Mais au moment de la messe, le sarment jette des vrilles et des feuilles, le pampre se charge de fruits et au moment de la conséeration la grappe mûre fournit le vin eucharistique. Marco Polo, parlant de l'île Mystoiak, mentionnait l'arbre du soleil et celui de la lune, qui parlèrent à Alexandre pour lui annoncer son trépans. On sait, d'après Malvenda; que le paradis terrestre était planté d'arbres admirables et prodigieux parmi lesquels le Bedolah ou Bdellium dont il n'est pas bien certain après tout que ce soit un arbre, une gomme au parfum suave, une perle à l'orient unique, un onyx parfait, un diamant aux feux merveilleux, une escarboucle ou simplement le lit étincelant des fleuves limpides. Pour ce qui concerne l'arbre de vie portant les fruits de la science du bien et du mal, qui est bien l'arbre fantastique le plus littéraire qui soit, puisqu'on le trouve dans le livre des livres, dans la Bible même, j'aurai peine à épuiser la vaste littérature qui existe à son sujet. Qu'il suffise de dire que cet arbre fantastique qui est


à la base de nos croyances sacrées et par conséquent orne notre esprit dès l'enfance devient, dans la chronique arabe de Tabari, tout simplement du blé. Selon le savant bibliographe van Praët, au moyen âge, dans la Pénitence d'Adam, il est parlé des graines de l'arbre de science données par Adam à Seth et que celui-ci mit dans la bouche d'Adam quand il fut mort. Ces- trois grains produisirent un arbrisseau que Moïse fit transporter dans cette terre «promise où il n'entra point. David le fit entourer d'une grille en argent. Salomon en coupa les branches pour les utiliser lors de la construction du temple. le tronc fut jeté dans la piscine probatique et quand on l'en retira, il servit de passerelle au-dessus d'un torrent et la reine de Saba qui le reconnut ne voulut pas le fouler par respect et passa le torrent à gué. Plus tard ce tronc servit à faire la Croix sur laquelle fut supplicié le Rédempteur. Quant aux graines de frêne, le docteur très illuminé, le catalan Raymond I/ulle, nous apprend qu'elles servent à nourrir le Phénix. Dans ses Voyages Vincent I,e Blanc décrit le Garoë, arbre fantastique des Canaries. On le trouve à Ténériffe. Ses feuilles distillent de l'eau dont les habitants s'abreuvent. Il est enveloppé d'une nuée gris clair qui s'épanche en eau dans des cuves où les habitants la recueillent pour eux et leurs troupeaux. Après ces plantes merveilleuses et peu connues, inutile de rien ajouter sur la Mandragore dont Machiavel écrivit en 1518 une comédie et dont La Fontaine fit un conte, sur l'ache qui donnait le rire sardonique, sur le Chêne polyglotte de Dodone^qui rendait les oracles dans la langue de ceux qui venaient le consulter, pas plus que sur le tilleul enchanté de Pontarlier, qui appartiennent plus strictement au domaine du folklore simple qu'à celui des végétaux fantastiques de la littérature.


Février 1918

J'ai l'honneur et le plaisir d'annoncer la

naissance

d'un art que l'on peut d'emblée classer dans la catégorie

des Beaux-Arts. Et cet art nouveau, c'est l'Art tactile. Je l'avais imaginé, l'an dernier, dans un petit conte intitulé Mon ami Ludovic, qui fut publié dans l'A lmanach des lettres et des Arts édité par Martine. En voici les traits principaux précisés dans mon conte. « C'est mon cher Ludovic, disais-j e, qui a inventé l'art du tact du contact du toucher. Je ne donnerai point le détail des effleurements, chatouillis, coups de toute sorte et de toute force dont mon cher Ludovic fit sur nous l'expérience et que nous avions la. patience de subir. Toutefois, il entre dans mon plan de vous dire que cet art, dont les règles et la technique sont aujourd'hui dans tout leur développement, est fondé sur la façon différente dont, selon leur nature, les objets affëctent le sens du toucher, Le sec, l'humide, le mouillé, tous les degrés du froid et du cha,Ud, le gluant ,1'épais^ le tendre, le mou, le dur, l'élastique, l'huileux, le soyeux, le velouté, le rêche, le grenu, etc. etc., mariés, rapprochés de façon inattendue, forment là- riche matière où mon ami Ludovic puise les combinaisons subtiles et sublimes de l'art tactile, musique muette qui exacerbait nos nerfs. Mon cher Ludovic professait que tous les genres de contact, ressentis simultanément, procureraient la sensation du vide, car, ajoutait-il- on. ne l'ignore plus depuis longtemps, la nature a horreur du vide, et ce que l'on prend, pour le vide, c'est le solide même. a Voilà ce que je disais entre autres choses danf mon conte mais l'art tactile que je ne faisais que prévoir, qu'annoncer, qu'imagineri, vient de naître. Je n'en veux pour preuve qu'une photographie partie


dans une revue singulière et sans date, intitulée bizarrement Rongwrong, que l'on a publiée à New-Yorkà une date que l'on peut estimer située entre les cinq mai dix-neuf cent dix-sept et le mois d'octobre de cette même année. I,a photographie représente un plâtre il toucher chez De Zayas un plâtre à toucher, c'est l'expression employée

par l'artiste.

Cette première œuvre tactile a pour auteur un artiste du nom de Clifford Williams, auquel je vous laisse le soin de donner un nom générique, car, pour ma part, au cours du conte, je n'ai pas songé à donner à l'avance un nom aux plasticiens de l'art du toucher et, depuis que j'ai vu la reproduction du Rongwrong, j'ai cherché, mais n'ai trouvé ,aucun néologisme propre à exprimer le caractère de cette nouvelle profession artistique. Quoi qu'il en soit, l'événement s'est réalisé. Et voilà, grâce à Madame, Mademoiselle ou Monsieur Clifford Williams, le domaine de l'esthétique agrandi dans des proportions que nous aurions peine à envisger. Je ne sais qui a prétendu que l'invention d'une recette culinaire était plus importante pour l'humanité que la découverte d'une étoile. J'imagine cependant que l'invention d'un art nouveau est plus importante encore que celle d'un nouveau ragoût, et que de jouissances merveilleuses le goût raffiné de nos descendants ne devra-t-il pas à mon ami Ludovic d'abord, mais surtout à Clifford Williams, qui, au printemps de 1917, eut l'honneur d exposer chez M. de Zayas le premier plâtre à toucher. Ne méprisons pas ces débuts modestes le cinématographe, qui est aujourd'hui le grand art populaire, a eu des débuts plus modestes encore. Au commencement, c'est-à-dire il n'y a pas bien longtemps, ce n'était qu'un jeu d'enfant. Comme mon ami Ludovic, M. Clifford Williams a inventé, a créé et, partant, il a fait à la lettre œuvre de poète, puisque poésie, c'est création.


Dernièrement, la nouvelle galerie Weill, rue Taitbout, dont les proportions ne font pas oublier, l'ancienne petite boutique de la rue Victor Massé où ont eu lieu d'inoubliables expositions de Matisse, de Picasso, de Derain, de Vlaminck, où les amateurs trouvèrent à des prix défiant toute concurrence des toiles aujourd'hui célèbres, s'ouvrait pour l'exposition du peintre Charles Vilette. Je l'ai connu avant ses débuts, au temps où vivait Clovis Sagot, ce marchand qui brûlait de la flamme de l'art et fut un grand inventeur d'artistes. Charles Vilette passa avec lui sa jeunesse, vivant en contact quoditien avec les œuvres des maîtres de la dernière génération, Gauguin, Van Gogh, Toulouse-Lautrec, et les jeunes maîtres de la génération actuelle. Puis, un jour, Charles Vilette put s'écrier Anch'io son pittore, et peu de jours après, il osa montrer sa première toile à Clovis Sagot « Ça y est, mon garçon dit calui-ci, tu as le don, te voilà parti, il ne te reste plus qu'à travailler. » C'était, je crois, un paysage de la Seine, du côté d'Argenteuil, avec un pont. Et ainsi encouragé, Charles Vilette travailla avec toute l'ardeur de sa jeunesse et de ses sentiments. Et quand Clovis Sagot mourut, Charles Vilette commençait à se faire un nom. La guerre arriva, il y fut grièvement blessé au bras et les toiles exposées à la galerie Weill ont été exécutées par un peintre qui n'a plus qu'une main à sa disposition. Il faut entendre le peintre gaucher, ce grand garçon de trente cinq ans, raconter la longue éducation de sa main gauche, à l'hôpital. La force de sa volonté lui permit de surmonter toutes les difficultés et ce récit serait digne d'entrer dans les petits ouvrages sur la Moyale en action. Il est édifiant et permet de tout espérer d'une race dont les héros ne doutent point d'eux, même mutilés'


Il fallait signaler anecdotiquement l'exposition de ce peintre gaucher par suite de blessures de guerre et auquel la spontanéité, la variété, la qualité de son talent permettent de prédire une brillante carrière artistique. Murs xgxB, Administration allemande vient de faire admettre un faux Titien au musée de Berlin. Les faux ne se compteront bientôt plus dac<? lasmuseesallemands.Lapresseei.es empires centraux mène grand bruit autour de ce « riche joyau de ce chef-d'œuvre du Titien » qui fait désormais partie du Kaiser Friedrich Muséum, Le tableau, d'après la presse berlinoise, représente une femme nue étendue sur une couche à ses pieds est assis un jeune homme qui la regarde en touchant l'orgue des tentures tombent à grands plis dans le fond un paysage. On ne dit pas d'où vient ce tableau. Mais son identification ne fait aucun doute, c'est en effet la description d'un chef-d'œuvre de Titien. Vénus se récréant L

et le jouteur d'orgue.

Ce tableau est depuis,plusieurs siècles en Espagne et orne le musée du Pxado. Il fut acheté en Angleterre par Alonso de Cardenas pour le roi Philippe IV à la vente du roi décapité Charles Ier, Il fut payé 165 livres sterling. Il vaudrait aujourd'hui nombre respectable de millions. A moins que l'Espagne n'ait vendu les tableaux du Prado, le Titien du musée de Berlin est un faux. Il est vrai qu'il y a des copie. L'une d'elles se trouve au Prado même qui présente avec l'original des différences de détail. Au reste elle lui est infiniment inférieure. L'Angleterre en possède trois copiés, il yen a une à La Haye, une à Dresde et plusieurs en Italie. Hais, l'histoire valait d'être notée. Les critiques d'art colossalement érudits d'Allemagne n'ont pas été corrigées

un


par la mésaventure du fameux von Bode qui prit pour une œuvre de Léonard un buste en cire du xixe siècle ne voulut pas avouer son erreur. Les Allemands

etn'avoueront

pas qu'ils ont pris une médiocre copie pour une œuvre authentique du Titien.

On pense généralement que le tir rapide des canons est une chose moderne. C'est une erreur. On en trouve la preuve dans un passage des Mémoires sle Casanova, tome VII de l'édition Garnier, page 183 Melissino m'invita à assister à une revue « I,e colonel qui eut lieu à trois verstes de Pétersbourg, et où le général Alexis Orloff donna à dîner à quatre-vingts convives. J'y allai avec le prince de Courlande et on y fit le tour de force de tirer vingt coups du même canon dans une minute. Les pièces de campagne, servies par six artilleurs, tiraient vingt fois par minute, soit en position, soit en marchant à l'ennemi. J'ai vu cela une montre à seconde à la main dans trois secondes le tube lançait la mort, à la première la pièce était écouvillonnée, chargée à la seconde et déchargée à la troisième. » Le 75 ne tire pas en général aujourd'hui un nombre de coups supérieur à celui que l'artillerie russe tirait au xvme siècle. D'autre part, on voit par ce passage que le chronométrage n'est pas non plus une invention moderne. le prince de Courlande désigné ici est le père de cette charmante Dorothée, princesse de Courlande, qui devint la du,chesse de Dïno et dont le journal et les lettres contiennent tant de détails intéressants sur TaUëyrand.oe diplomate qui avait à un aussi haut degré le sens des réalités. Mais que l'artillerie russe était puissante et bien exercée au xvin6

siècle.


La favorite de François-Joseph, Charlotte Schratt, est morte après son royal amant. Elle le retint non seulement avec des baisers, mais encore avec du riz et des petits pois. Un proverbe culinaire d'Italie dit Il nzo è la morte del fisello, c'est-àdire « Le riz est la mort du petit pois. » Le riz n'a pas tué seulement le petit pois, mais encore les vieux amants qui faisaient leurs choux gras de ces aliments pleins d'innocence. Il y a beaucoup d'années que Charlotte Schratt était une gracieuse comédienne du Burgtheater où l'empereur l'admira. Le théâtre de la Burg perdit son étoile et Charlotte Schratt devint la favorite du vieux monarque, et ce n'est pas assez dire, elle en devint véritablement maîtresse avec tous les sens que l'on peut attacher à ce mot. La dynastie des Habsbourg dispersait au vent du siècle les feuilles mortes de son arbre généalogique, la famille de François-Joseph s'anéantissait par le suicide, le naufrage, l'assassinat, les mariages dégradants, Mme Schratt s'éternisait comme une momie. Depuis longtemps, la beauté, les grâces, les séductions physiques avaient quitté la vieille actrice il ne restait à sa disposition que les sortilèges de la cuisine elle les mit tous en œuvre pour conserver son amant. L'alchimie des fourneaux lui fournit d'exquises préparations qui flattaient le goût de la façon la plus voluptueuse, et les dernières années de François-Joseph furent marquées de gourmands sacrifices à la Vénus culinaire. Comme Mme Schratt connaissait bien les goûts du monarque, elle savait qu'il lui était resté comme une nostalgie des mets vénitiens longtemps il fit venir des friandises trévisanes, et mille autres nourritures délicates lui étaient envoyées d'Italie. Mme Schratt voulut que son cuisinier apprît entre autres cette fameuse soupe de riz aux petits pois joyau de l'ancienne cuisine véni-


tienne, que. chacun pourra essayer quand le temps des pois verts sera venu: il suffit de faire revenir un peu d'oignon dans du beurre quand ils ont blondi, on ajoute de l'eau bouillante dans laquelle on jette des petits pois, des pommes de terre coupées en morceaux et, quinze minutes avant de servir le riz cette soupe épaisse s'assaisonne de fromage râpé. François-Joseph n'épargnait pas le parmesan. L'archiduc François-Ferdinand et l'archiduchesse tentèrent de lutter culinairement avec Mme Schratt. Ce fut une guerre terrible où l'artillerie des casseroles fit de savantes « préparations. » Les rivaux de la Schratt découvrirent un cuisinier extraordinaire dont les menus flattaient à la fois le goût et le sentiment. Françoisjoseph n'y résista pas. La gourmandise atténua chez lui son antipathie pour l'archiduchesse. Mme Schratt vit avec désespoir que son « Schatz » acceptait de plus en plus souvent des invitations de l'archiduc, mais elle ne se considérait pas comme battue elle déclara la guerre et le résultat de cette campagne fut que, traître et déserteur, le cuisinier de l'archiduc passa au service de la Schratt. L'attentat de Sarajevo rendit sa victoire définitive durant la guerre son influence, grâce à la cuisine, s'accrut encore, si bien que le gouvernement impérial allemand, s'efforçant d'empêcher une rupture entre l'Autriche et l'Italie, versa deux millions à Mme Schratt et donna une croix enrichie de diamants à son confesseur, car la favorite avait un confesseur en titre, casuiste et aussi sensible sans doute pour tout ce qui concernait la bouche, que peu chatouilleux sur l'honneur matrimonial. Voici deux ans déjà que la vieille comédienne ne régnait plus. Un collectionneur a déjà voulu acheter le lit et la batterie de cuisine de la défunte c'est par l'un et l'autre qu'elle domina si longtemps le vieil empereur..


tabac à priser ne manque point, le tabac à chiquer non plus, mais seulement le tabac à fumer.. On est donc privé, non de tabac, mais de fumer « une volupté nouvelle » a écrit M. Pierre Louys, bien que dans plusieurs dissertations des savants aient étudié, sans la résoudre ni l'épuiser, la question de savoir si l'on a fumé dans l'antiquité. Pour ce qui est de chiquer, la coutume se perd décidément, du moins en France, et l'habitude autrefois si raffiné de priser suit le même chemin. Avant la guerre, je ne connaissais plus comme priseur que le Prince des -poètes et quelques employés de la Bibliothèque Nationale. J'ignore s'ils ont persisté dans leur habitude. Ut puisque la matière à fumer manque, et que l'on en a augmenté le prix, à diverses reprises, c'est le cas de raconter un trait où le tabac joue un rôle. Dans une ville d'Italie quelques années avant la guerre, un de ces allemands enrichis et sadiques qui traduisaient I*e

-leurs imaginations grossières et compliquées en, décors d'une banalité splendide me fit demander d'aller voir ses livres, sa collection de fétiches d'Océanie et d'Afrique et ses tableaux de Gauguin. Cet homme, dont le nom importe peu, cherchait à rivaliser en raffinement avec ce qu'il avait entendu dire de certains Anglais et en goût avec ce qu'il savait des Français. Parmi ses tableaux, il y avait quelques faux. Les fétiches avaient été choisis sans discernement. Quant à ses livres, je n'eus pas le temps de les regarder. On me fit passer dans un fumoir, où le parvenu allemand était enfoncé dans un fauteuil de cuir et fumait des cigarettes égyptiennes tandis qu'auprès de lui, nue, une fillette idéalement fine, attendait qu'après avoir tiré trois ou quatre bouffées, avant de la jeter, il éteignît sa cigarette sur les reins de la petite fille, dont la peau frémissait, et une brûlure tachait la blancheur du corps


charmant que le vieil Allemand cynique torturait d'un air indifférent. Imaginez ce personnage pourvu d'un grade militaire et imaginez les déportements ou peut conduire sa manie de fumeur invétéré. Mais pour ce qui nous concerne, nous vivons privés désormais de cette « volupté nouvelle », privés de fumer, sans tenir compte de l'absurde vers de Thomas Corneille dans

le Festin

de

Et qui vit

Pierre

1

sans tabac n.'est pas digne de vivre.

On sait qu'avant la bataille Hindenburg a coutume de prier, affirmant que Dieu ne veut rien faire gratis et que si l'on souhaite son aide, il faut le payer d'avance. Ce trait rnystico-financier qui peint la mentalité des sphères dirigeantes de l'Allemagne rappelle une anecdote qui caractérise à merveille ia bizarrerie et la modestie -d.u grand homme et du rare écrivain que fttt. l'auteur de Gulliver. On la trouvera dans Pope qui raconte en ces termes une visite qu'il fit, avec Gay, au docteur Swift, doyen de Saint-Patrice « Natzs le trouvâmes assis devant une table^ la tête Quoi! appuyée sur sa main. Bu nous voyant il s'écria c'est vous Que signifie cette visrte ? Comment avez-vous eu le courage de déserter la société des grands Seigneurs pour venir chez un pauvre dayen ? Parce que nous préférons la vôtre à celle des plus grands Seigneurs de l'Angleterre. Si j je. ne vous connaissais pas, j'aurais été la dupe de ce compliment mais puisque vous. êtes ici, je dois vous donner à souper. ° Nous avons soupé. peine Quoi déjà 1 cela me paraît fort étrange est-il huit heures Si vous n'aviez pas eu cette précau

à


tion, j'aurais été obligé de vous donner quelque chose à manger. Voyons, quel souper vous aurais-je servi ? Deux homards, deux shellings une tourte, un shelling. Quoique vous ayez soupé de bonne heure, pour m'épargner la dépense d'un repas, vous ne refuserez pas de boire un verre de bière avec moi ? Nous préférons causer avec vous. Sans doute vous auriez bu si vous aviez mangé ? Oui Par conséquent une bouteille de porter deux shellings. Deux et deux font quatre et un font cinq. Tenez, Pope, voilà une demi-couronne pour vous et une autre pour Gay. Prenez Prenez Je ne veux pas que l'on vienne s'ennuyer chez moi gratis.

Il s'est fondé récemment en Bulgarie une société ou

plutôt une secte où il n'entre que des femmes et surtout des filles qui jurent de ne point se marier, de ne jamais avoir commerce avec un homme, et surtoutde n'avoir jamais d'enfant tout particulièrement du sexe mâle. C'est paraît-il, en haine de la guerre qu'a été fondée cette pecte d'Anandrynes bulgares. La Bulgarie, comme on voit, n'est pas seulement le pays des Bougres, il est encore celui des Bougresses, et ce détail d'histoire contemporaine évoque le trait suivant d'un caractère extraordinaire et unique qui a été rapporté par un journal anglais en 1788. A Bagborough, petite ville du Sommersetshire, on enterra le 10 juin une dame âgée de 83 ans qui, par haine pour notre sexe, et pour imposer silence à la calomnie qui accuse les femmes d'un penchant violent pour les hommes, avait pris le parti de passer toute sa vie dans le célibat. Elle se nommait Jane Keene aimable d'ailleurs, douce, complaisante à l'égard des hommes mariés, mais de


l'humeur la plus farouche avec les jeunes gens, surtout avec ceux qu'elle soupçonnait d'en vouloir à sa liberté elles les évitait et prenait la fuite dès qu'elle en apercevait un. Par son testament elle laissa tout son bien, qui était considérable, à ses nièces et à ses cousines, à l'exclusion entière de tous ses parents du sexe viril. Elle avait légué cent livres sterling à quatre hommes de l'âge de quarante ans, quels qu'ils fussent, pour porter son corps au cimetière mais à condition qu'ils assurassent par serment n'avoir jamais eu de commerce avec aucune femme. Il ne se trouva personne qui put remplir cette condition, de sorte que son cercueil fut porté par des filles. I,e motif d'une disposition si bizarre était, paraît-il, de faire voir aux hommes que la disproportion du penchant des deux sexes aux plaisirs de l'amour est au moins de 40 à 80. Par un autre article, elle ordonnait qu'on ne chantât que des hymnes de joie à ses funérailles, qu'on donnât un festin à tous ceux qui y assisteraient, et que six filles vierges dansassent sur sa fosse, aussitôt qu'elle serait fermée. Vierges ou non, six filles de quinze ans qui passèrent pour telles y dansèrent, et l'on assure que sur plus de deux mille personnes qui assistèrent à cette cérémonie, il n'y en eut pas une seule qui ne fût ivre au retour. Il y a beaucoup d'apparence que Miss Jane Keene ignorait l'histoire de cette vestale qui, au risque d'être châtiée rigoureusement, comme elle le fut en effet, ne put s'empêcher un jour de s'écrier avec transport Felices nuptae, moriar nubere delce est

Quant aux dames de Sofia, nos contemporaines, elles ont pris le parti de laisser désormais s'éteindre une race qui, par ses excès durant cette guerre, a démérité de vivre. La cyainte des armées de l'Entente est le commencement de So f ia, la Sagesse.


Un autre testament bizarre est celui-ci, qui força un héritier, qui n'aimait que médiocrement la Finance, à fréquenter assidûment la Bourse. En 1776, il mourut à Londres un particulier qui avait amassé dans le commerce une fortune de 60.000 livres sterling, soit un million et demi de francs. Il avait fait un de ses cousins, qui n'était point négociant, son légataire universel, avec cette singulière clause, qu'il serait obligé de se rendre tous les jours au Stock Exchange et d'y rester depuis deux heures jusqu'à trois. Ni le temps ni ses affaires ne devaient l'empêcher de s'acquitter de ce devoir, et il n'en était dispensé qu'en cas de maladie seulement. Sans cette dernière circonstance bien prouvée, était-il dit dans le testament, il perdrait toute la fortune de son. parent, et s'il omettait un seul jour de remplir son engagement, certaines fondations pieuses que l'on nommait auraient le droit de se mettre en, possession de l'héritage. Le bon homme voulait par là rendre une espèce d'hommage %u StockExchange où il avait amassé toute sa fortune. Mais cette fortune du défunt fit un esclave de son héritier. Ce n'était jamais que le dimanche qu.'il pouvait s' éloigner del,ondr es, le Stock Exchange étant fermé ce jour-là. Cet homme manifestait un mécontentement extrême,il nepouvait pas même faire le plus petit voyage, il lui fallait constamment arranger toutes ses affaires et ses visites de manière à ne point manquer l'heure de la Bourse. Il demeurait dans la partie ouest de Londres, c'est-à-dire à un lieue du Stock-Exchange où, après avoir journellement passé une heure sans parler à personne, il remontait dans sa voiture et partait. Les fondations pieuses, intéressées à son exactitude, le faisaient observer de très près. Les journaux italiens qui parviennent maintenant en


France ont des blancs à tous les endroits ou ils avaient des annonces. C'est que l'espionnage allemand se servait activement de ces annonces pour communiquer axrae ses agents situés en Suisse, en France ou ailleurs. Désormais tout journal sortant de l'Italie doit être sans annonces, ce qui laisse dans ces feuilles des blancs considérables. Supprimées pour l'Etranger, en Italie, les petites annonces sont bien réduites chez nous depuis que les journaux ont moins de pages. Cette mode des petites annonces, qui avait pris un g^nd développement durant les quinze dernières années ayant la guerre, paraît originaire d'Angleterre. On n'a qu'à feuilleter les journaux anglais du commentcement du siècle dernier pour voir que nos Alliés usaient. depuis longtemps déjà de ce moyen de correspondance. Au reste, on. trouvait souvent dans les gazettes anglaises de cette époque des annonces extraordinaires. Les uns faisaient savoir par cette voie qu'ils avaient le dessein de se marier et quelles qualités ils désiraient rencontrer dans les personnes à qui leurs propositions conviendraient, d'autres, qu'ils avaient fait choix de telle jeune personne qu'ils avaient vue quelque part, et de qui ils comptaient avoir été remarqués. On put lire en 1810, dans la London Chronicle, l'annonce suivante « Le jeune homme qui fut remarqué le 3 de ce mois à l'Oratorio, par une miss habillée, etc. n'est point marié, et ses vœux seraient comblés si cette aimable personne daignait lui faire savoir par un mot d'écrit adressé. etc. en quel lieu et quand il pourra avoir l'honneur de lui présenter ses hommages. » Un vieil officier fit insérer dans le Leâger l'avis suivant et Un militaire déjà d'un certain âge, mais qui a un haut grade dans l'armée, et un revenu considérable, a résolu de prendre une femme qui le débarrasse de tous les soins domestiques, et l'aide à passer agréablement le reste de ses jours.


Comme c'est principalement dans cette vue qu'il se marie et qu'il veut se mettre à l'abri de toute crainte, il avertit les jeunes personnes qui ambitionneraient l'honneur de devenir sa veuve qu'elles peuvent se dispenser de se mettre sur les rangs il préfère une femme d'un âge moyen, dont la figure soit avenante, qui plaise surtout par ses manières, qui ait des sentiments, de la doueeur dans le caractère, de l'éducation et autant d'attraits et de charme qu'il en faut pour entretenir dans un vieillard la chaleur nécessaire aux ressorts de la santé. » Une jeune dame qui se proposait d'aller passer l'hiver dans un pays étranger, fit insérer dans les gazettes l'avis. suivant « Une jeune lady, maîtresse de sa personne et partagée d'une fortune honnête, qui croit n'être pas désa.gréable et se flatte qu'elle ne l'est pas davantage aux yeux des autres, est dans la résolution d'aller passer l'hiver dans un pays étranger. Elle serait charmée que quelque jeune homme d'une famille honnête et d'une société agréable voulut être son compagnon de voyage. Elle n'a point d'engagement de cœur et elle souhaite que celui qui se proposera soit aussi libre qu'elle, afin que rien n'empêche une union plus intime de succéder à cette première liaison. La réponse est attendue sous quinze .jours. On compte que le secret sera gardé jusqu'à ce que tous les arrangements soient pris l'indiscrétion ne resterait pas impunie. N. B. Tous les frais du voyage seront faits par la lady. » Cette annonce avait paru dans le London Chronicle du 7 octobre 1814. On vit la réponse suivante dans celui du surlendemain « Un homme entre deux âges, d'une assez bonne santé, offre ses services à la dame de qui est l'annonce insérée dans la gazette d'hier .Il a déjà voyagé, et il vit dans une parfaite indépendance. Si la dame en question croit qu'il puisse lui convenir, il est prêt à partir aussitôt qu'elle le


désirera. Elle voudra bien lui faire savoir ses intentions en écrivant à l'adresse de A. Z. chez M. Sacy, libraire, etc. » Les journaux de Londres annoncèrent en 1880 qu'un Anglais se proposait de donner des leçons de rire à ses compatriotes des deux sexes. On ne sait pas s'il a fait fortune. Un loyal cordonnier de Bristol fit annoncer, en 1794, qu'il avait l'honneur d'être alarmiste, qu'il avait résolu de ne pas faire de souliers pour les républicains, et qu'en conséquence il comptait avoir pour pratiques les « loyaux sujets » de sa Majesté. Il était assez ordinaire chez les Anglais d'alors que l'enthousiasme religieux influât sur le choix des domestiques. I,'avis suivant, inséré dans l'Evening Post de Cork, en 1803, offre l'exemple d'un zèle contraire et non moins singulier « On demande un cuisinier, une femme de charge et une femme de chambre on désire qu'ils soient réellement déistes s'adresser chez l'imprimeur, etc. » Les Anglais, au reste, se servent depuis longtemps de la presse pour communiquer. En 1742, M. Wilson, de Glascow et peut-être un ancêtre du président des EtatsUnis, voulant observer les astres, fit un jour insérer dans les gazettes qu'il priait ses concitoyens de faire éteindre le feu de toutes les cheminées, depuis 3 heures jusqu'au coucher du soleil, afin que les fumées ne rendissent pas son observation infructueuse. A l'heure marquée, les feux furent éteints et l'observateur put librement braquer sa lunette. Voici un avertissement curieux et bizarre qu'on peut lire dans une feuille anglaise de 1811. « Je désire que personne ne fasse crédit à Marie Williams, ma femme, parce que je ne payerai point ses dettes. Signé, Thomas Williams. » », On trouva le lendemain, dans le même journal, la note suivante « Thomas Williams aurait pu s'épargner l'avertisse-


ment qu'il a fait imprimer hier il ne doit pas craindre qu'on me fasse crédit à cause de lui comme il ne paye pas ses propres dettes, personne ne comptera sur lui pour payer les miennes. » Il. y a eu un Irlandais qui, en 1804, s'était fait une certaine réputation à Londres en mangeant un chien tost vif, et qui avait tiré des sommes considérables de cette espèce de spectacle. En 1805, il publia qu'il mangerait un chat. Voici les termes de l'annonce chien vivant, « 1/Irlandais qui mangea l'an passé un aux applaudissements du public, s'engage à manger, le 15 avril, un chat d'un an, en commençant par la tête. I;e spectacle est au lieu ordinaire. » Juillet 1918 En détruisant la liberté, cette guerre que les Allemands ont rendue inévitable suscite notre curiosité à l'égard de ceux qui dans les âges écoulés ont pu vivre à leur guise. Les conditions qu'exige une telle existence ne se sont jamais rencontrées- comme au XVIIIe siècle. On peut craindre que, la paix conclue, elles ne se retrouvent plus jamais et qu'enrégimentés, cantonnés dans leurs nationalités, leurs races, leurs syndicats professionnels et politiques, les hommes réunis en troupeaux dociles ne songent même plus qu'il y ait eu des temps où l'on pouvait faire ce qu'on voulait. Parmi les partisans de cette liberté individuelle aucun ne sut mieux mettre en pratique ses convictions qu'Ed-

ward- Wortley-Montague, fils de l'ambassadrice célèbre à qui l'on doit l'inoculation et des lettres qui ont eu beaucoup de succès. Les détails de la vie de cet héritier d'un nom illustre, né en 1713, sont fort singuliers. C'était un nouvel Alcibiade, qui prenait avec la dernière facilité les moeurs des


pays où il se trouvait. Il a passé sa vie à voyager c'est sur lui que sa mère fit la première application de l'inoculation de la petite vérole qu'elle avait eu l'occasion d'observer en Turquie. Il s'échappa trois fois de chez ses parents, se fit mousse, puis conducteur d'ânes en Portugal, fut enfermé au Châtelet de Paris sous prévention d'escroquerie, n'en devint pas moins membre de la Chambre des Communes en 1754, puis voyagea en Asie et finit par se faire musulman. En Europe il avait partout des maîtresses et en Asie des sérails, il avait vécu dans la liaison la plus intime avec Ali-Bey, chef des Mameloucks, ancien esclave, qui en 1766 s'était emparé du pouvoir en Egypte et rendu indépendant de la Porte. Edward Wortley-Montague s'était marié dans sa patrie avec une blanchisseuse qui mourut sans lui laisser d'enfants voulant absolument avoir un héritier, il accourut du fond de l'Egypte pour se remarier et, afin d'être sûr de son fait, il avait, à ce qu'on assure, chargé un de ses amis de lui chercher quelque jeune femme qui se trouvât en même temps enceinte et libre. Cet avis ava't été inséré sous un nom étranger dans les papiers publics. On avait trouvé le sujet, il ne manquait plus que le retour d'Edward Wortley-Montague qui; arrivé en 1776 à Padoue, y mourut par un accident aussi étrange que le reste de sa vie l'os d'un bec-figue, arrêté dans son gosier, l'étouffa. Il parlait toutes les langues orientales l'hébreu, l'arabe, le chaldéen, le persan, le turc, le grec lui étaient aussi familiers que l'anglais. Il était d'ailleurs très instruit, ce qui est facile à croire. Il avait adopté les mœurs, les usages, les habillements et les habitudes des Turcs il préférait leur méthode de s'asseoir, les jambes croisées et repliées, à la nôtre. On a de lui des Réflexions sur Les anciennes Républiques et un Voyage au Mont Sinaï. L'instinct de liberté qui est ancré dans l'homme n'a


pas encore disparu, puisque l'ancien administrateur de la Bibliothèque Mazarine, Alfred F°ranklin, l'érudit à qui l'on doit tant d'ouvrages intéressants sur les mœurs, semble bien avoir toujours vécu à sa guise. En juillet 1915, il avait fait faire par le Dr J. De Gaube son examen physique et intellectuel, qu'il avait fait imprimer au verso de vieux bulletins de demande usagés de la Bibliothèque Mazarine. Sur celui que j'ai sous les yeux un lecteur nommé Crespin a demandé la traduction de la Zoologie de Claus. Au verso on peut lire Dr J. DE GAUBE Le dit client est né en r830

UN CUENT DU

Examen physique

toujours excellente. Caractère très gai. N'a presque jamais pris de médicaments. Aucun depuis plus de vingt cinq ans, pas même une purgation. Peut supprimer un repas sans aucun inconvénient, sans même que l'appétit au repas-suivant soit augmenté. Jusqu'à l'âge de 75 ans a vécu presque uniquement de viande et de sucre. Point de légumes. N'a jamais cessé de fumer beaucoup, surtout la pipe, depuis plus de 65 ans. Quatre passions les femmes, les chiens, le tabac et le sucre. Marche sans fatigue pendant plus de trois heures. Ne se sert pas de verres pour le travail. Sommeil, toujours profond et très régulier, de 8 à 9 heures. Voix pour le chant restée très pure, sans nul chevrotement. Pas le plus léger tremblement dans les mains. Porte encore un poids de vingt kilos avec un doigt. « Santé restée


Examen intellectuel

Ne croit ni à Dieu ni à diable. S'avoue fort heureux et l'a toujours été. Est, toujours et en toute saison, au travail le matin depuis 5 'ou 6 heures jusqu'à 10 heures. Sauf recherches dans les bibliothèques,jamais aucun travail dans la journée, consacrée à dés métiers manuels et parfois très pénibles. A-été neuf fois couronné par l'Institut, l'Académie de médecine, etc. A eu, cette année-ci, deux volumes couronnés par l'Académie des sciences morales et politiques. » D'autre part, Alfréd Franklin avait fait imprimer d'avance la lettre de faire-part de son décès elle est conçue comme il suit La famille de Monsieur ALFRED FRANKLIN Administrateur honoraire de la bibliothèque Mazarine. Chevalier de la Légion d'honneur. Officier de L'Instruction publique. Lauréat de l'Académie française, de l'Académie des Inscriptions de l'Académie des sciences morales et politiques, de la Faculté de Médecine et de la Société protectrice des Animaux, a le regret de vous annoncer qu'il a terminé, le (?) de ce mois, à t'âge de 85 ans, dans sa maison de Viroflay, une vie consacrée tout entière à la culture des lettres, et restée toujours parfaitement heureuse. Suivant la volonté expresse du défunt, son corps a été incinéré au cimetière de l'Est, dans la plus stricte intimité. Etaient seuls présents, sa f emme, son frère, son chien.


Le défunt a ordonné aussi que cette lettre, rédigée par lui. fût seule envoyée après sa mort. Viroflay, le 1915, 8,

route Nationale,

Un mathématicien qui nous prie de taire son nom a fait un curieux calcul touchant le temps perdu par les fumeurs. Ce calcul sur le tabac consolera peut-être ceux qtri gaspillent, en outre, du temps à chercher, de bureau en bureau, les paquets introuvables qui contiennent l'herbe à Nicot.

Tout fumeur fume une cigarette au moins trois fois par heure pendant sept heures chaque jour, et cette évaluation est modérée, beaucoup de fumeurs la dépassent. Chaque cigarette exige une manipulation d'au moins une minute et demie, ce qui fait quatre minutes et demie par heure, soit trente et une minutes et demie par jour. Il est juste d'ajouter que du temps où l'on prisait, on perdait beaucoup plus de temps. Car tout priseur qui en faisait un usage habituel avait recours à une prise six fois an moins par heure, chaque prise exigeait l'usage du mouchoir, le déplacement et la remise en poche, l'ouverture et la fermeture de la boîte, et autres circonstances. indispensables, le tout n'exigeant pas moins d'une minute et demie de temps, ce qui faisait neuf minutes par heure, deux heures vingt-quatre minutes par jour ou la dixième partie de la, journée, soit un jour sur dix, trente-six jours et demi par an et quatre années entières dans quarante ans. Le fumeur de cigarettes perd beaucoup moins de temps, surtout s'illes fume toutes faites quant au fumeur de pipe, il va plus vite encore.. La pipe au reste règne aux armées. Les soldats alliés l'emportent au combat et un poilu ne se séparerait plus de sa pipe avant la bataille, comme gu temps où, dans


une chanson célèbre; La Tulipe faisait ses adieux à la divinité de son coeur, en .lui confiant sa pipe et son briquet.

Tiens, serre ma pipe, Garde mon briquet, Et si L'l Tulipe Fait le noir trajet, Que tu sois la seule Dans le régiment Qu'a.it le brûle-gueule De son cher amant. Ah retiens tes larmes, Calme ton chagrin Au nom de tes charmes. Achève ton vin. Mais quoi, de nos bandes, J'entends les tambours. Gloire tu commandes, Adieu les Amours

Aujourd'hui, quand le poilu va se battre il fait, comme Monsieur de Crac Quarid ce grand homme allait en guerre, Il portait dans son petit sac Le doux portrait de sa bergère, Avec la pipe de tabac.

Août 1918 Quel sera l'Hymne de la Société des Nations quand elle existera, si jamais elle existe, bien qu'il paraisse aujourd'hui fort possible qu'elle existe un jour ? Il paraît qu'elle a déjà son drapeau. Elle pourrait aussi prendre, dès aujourd'hui, pour hymne la chanson de Béranger intitulée, la Sainte Alliance des peuples

J'ai vu la paix descendre sur la terre

Semant de l'or, ,des fleurs et des épis. L'air était calme, et du dieu de la guerre Elle étouffait les foudres assoupis.

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Ah 1 disait-elle, égaux par la vaillance, Français, Anglais, Belge, Russe ou Germain, Peuples, formez une sainte alliance, « Et donnez-vous la main.»

Dans l'énumération, les mentions fâcheuses « Russe ou Germain » pourraient être avantageusementremplacées par « Serbe ou Mourmain » ou encore par « Serbe ou Roumain » et le couplet serait encore ma foi, très sortable. «

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Pauvres mortels, tant de haine vous lasse, Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil, D'un globe étroit divisez mieux l'espace, Chacun de vous aura place au soleil. Tous attelés au char de la puissance, Du vrai bonheur vous quitterez le chemin, Peuples, formez une sainte alliance, « Et donnez-vous la main. »

On découvrira peut-être plus tard que des guerres napoléoniennes à celle d'aujourd'hui, un courant de bonté assez comparable au mysticisme franciscain coulait dans l'univers. « Chacun de vous aura place au soleil. » ,Le vers de Béranger n'a-t-il pas quelque chose de ce qu'aurait pu dire saint François, qui ne tardera pas à être à la mode en France ? Il l'est déjà en Italie où le cinéma vient de donner avec succès un film de Mario Corsi intitulé JFrate Sole, dont Luigi Mancialli a écrit la partition. Dans ce film sont reproduits beaucoup d'épisodes de la vie du saint d'Assise. Notre frère le Soleil doit présider à la Société des. Nations et c'est à lui que Béranger en appelait déjà en faveur de la sainte Alliance des peuples. «

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Chez vos voisins vous portez l'incendie L'Aquilon souffle et vos bois sont brûlés, Et, quand la terre est enfin refroidie, Le soc languit sous des bras mutilés. Près de la borne où chaque Etat commence Aucun épi n'est pur de sang humain. Peuples, formez une sainte alliance « Et donnez-vous la main. »


ffî

que ces strophes ne sont pas sans beauté. Quand elles auront l'ancienneté nécessaire et qu'on ne sera plus sensible à ce que certaines expressions ont aujourd'hui de démodé, on reconnaîtra bien qu'elles sont d'un véritable et grand poète, et le souffle largement humain qui les anime enthousiasmera encore ceux que l'enthousiasme et la foi peuvent transporter. Mais où en sera alors la Société des Nations ? Avouons

Des potentats, dans vos cités en flammes sceptre insolent « Osent au bout de leur « Marquer, compter et recompter les âmes Que leur adjuge un triomphe sanglant. Il Faibles troupeaux, vous passez sans défense D'un joug pesant sous un joug inhumain, Peuples, formez une sainte alliance, « « Et donnez-vous la main. » «

Voici un tableau comme les peintres d'histoire en peignaient autrefois. On voit au loin les cités en flammes.

Le sceptre insolent est tendu vers un troupeau de captifs hâves et de captives à demi-nues. Notre âge a vu des scènes semblables qui, croyait-on, ne se reproduiraient plus. Et devant ces retours singuliers et inattendus de l'histoire, quelques jeunes gens ont déjà déclaré devant mni « La Société des Nations n'empêchera pas ces choses d'avoir de nouveau lieu à l'occasion. » Que Mars en vain n'arrête point sa course « Fondez des lois dans vos pays souffrants « De votre sang ne livrez plus la source « Aux rois ingrats, aux vastes conquérants. « Des astres faux conjurez l'influence Effroi d'un jour, ils pâliront demain. « Peuples, formez une sainte alliance, « Et donnez-vous la main. » «

Quelle époque admirable, celle du Romantisme, où des poètes comme Hugo, Lamartine, Béranger traduisaient vraiment dans leurs poèmes les sentiments et l'âme de la nation Ni avant, ni après on ne connaît rien de com-


parable à ce lyrisme simple et sonore, bien fait pour être répété par la voix franche et mâle des citoyens. Utopies si l'on veut, mats utopies du premier ordre et bien dignes

d'être caressées.

Oui, libre enfin, que le monde respire î 1 Sur Je passé jetez un voile épais, « Semez vos champs aux accords de la lyre « L'encens des arts doit brûler pour la paix sein de l'abondance, « L'espoir riant, au « Accueillera les doux fruits de l'hymen. « Peuples formez une sainte alliance « Et donnez-vous la main. » «

C'est un tableau du Poussin. Rien de plus simple, de plus noble et de mieux composé. Au témoignage d'Eekermann, Goethe professait une estime particulière pour le talent lyrique de Béranger. On ne le tient plus guère que pour ta poète mineur mais combien de nos poètes majeurs contemporains seraient capables de composer cette strophe ou plutôt le couplet du grand chansonnier?

}

Ainsi parlait cette vierge adorée, Et plus d'un roi répétait ses discours. Comme au printemps la terre était parée, L'automne en fleurs rappelait les amours. Pour l'étranger, coulez, bons vins de France, De sa frontière il reprend le chemin. Peuples, formons une sainte alliance, Et donnons-nous la main.

N'oublions pas cependant que les Allemands appellent « bataille de la Sainte Alliance » telle que nous appelons Waterloo. Il y a donc des a Sociétés des Nations » qui peuvent même être tournées contre la-France quand les Berlinois passent sur la « Sainte Alliance Platz », ils doivent fire en pensant à « la Société des Nations », mais rire jaune cependant en imaginant que, pendant à Waterloo, une bataille pourrait bien avoir lien, que nous appellerions « la bataille de la Société des Nations », et

Et


qui détruirait à jamais ce qu'il est convenu d'appeler le militarisme prussien. Un savant qui doit être aussi un utopiste, M. Boirel, a publié dans la Rivista tecnica e coloniale di Science applicate un article sur la possibilité d'utiliser les cendres de tabac., Sherlock Holmes, on s'en souvient, avait spécialement étudié les cendres des différents tabacs, et cette connaissance lui était fort utile dans ses recherches ,de. policier 100 grammes de cigares donnent 30 gr. 4 de cendres contenant 6 gr. 09 de potasse. 100 grammes de cigarettes donnent 31 gr. 43 de cendre et 6 gr. 29 de potasse. 100 grammes de tabac pour la pipe donnent ,3i gr. 52 de cendres et 6,67 de potasse. On voit la conclusion que l'on peut tirer des chiffres de la consommation annuelle de tabac pour les Alliés réunis. La récupération de la potasse contenue dans les cendres de tabac ne se fera jamais, il vaut mieux le dire tout de suite à M. BurreL Elle se fera d'autant moins que le tabac décrient plus rare, ce qui n'empêche d'ailleurs personne de aimer autant qu'auparavant. Ceux qui ne fument pas de tabac fument des succédanés qui commencent à paraître un peu partout. On en consomme déjà beaucoup à Paris. Ils sentent tout autre chose que le tabac. M. Burrel pourra se consoler de sa déconvenue scientifique en relisant le beau sonnet de Saint-Amand .sur la pipe.

amateur..

fagot une pipe à la main., Tristement accoudé contre une cheminée, Les yeux fixés vers terre, et l'âme Je songe aux cruautés de mon sort inhumain, Assis

star

un

mutinée,


L'espoir qui me remet du jour au lendemain, Essaye à gagner temps sur ma peine obstinée, Et, me venant promettre une autre destinée, Me fait monter plus haut qu'un empereur romain Mais à peine cette herbe est-elle mise en cendre, Qu'en mon premier état il me convient descendre Et passer mes ennuis à redire souvent Non, je ne trouve point beaucoup de différence De prendre du tabac à vivre d'espérance, Car l'un n'est que fumée et l'autre que du vent.

Septembre 1918

D.

permissionnaire qui, tout Non, disait mon ami savant qu'il soit, est dans l'artillerie en qualité de maîtrepointer depuis le commencement de la guerre, Non L'âme du Canon n'est pas une simple expression symbolique ou technique. Il s'agit d'une réalité et j'ai toujours pensé pour ma part qu'après un certain nombre de coups tirés, le canon s'animait selon sa nature et n'était plus insensible jusqu'à sa mort, c'est-à-dire lorsqu'il sautait ou se trouvait hors d'usage. Du reste écoutez bien La bataille d'artillerie faisait rage. Depuis trois jours on tirait sans arrêt de part et d'autre. I,a batterie était placée à une des extrémités delà ligne ou l'action se déroulait. En ce point, tandis que l'infanterie progressait au centre du champ de bataille, on n'avait pour mission que de neutraliser l'activité de l'artillerie ennemie et de barrer la route à la contre-attaque. Vers le milieu de la troisième journée, les officiers furent tués l'un après l'autre. I,a plupart des sousofficiers et des servants moururent aussi et il ne resta plus qu'un seul des canons en service. C'était la quatrième pièce. Elle fonctionnait depuis le début de la guerre et avait été à la Marne, à l'Yser, en Argonne et en Cham-

pagne.

Peu à peu, elle perdit aussi ses canonniers et il ne resta


que deux hommes pour la

servir le maréchal des logis et le second pourvoyeur. Mais les éléments du tir ne changeaient pas. On tirait toujours avec la même hausse et les deux hommes continuaient leur service avec entrain. I,e pourvoyeur faisait aussi fonction de chargeur et le maréchal des logis vérifiait et tirait. La quatrième pièce était un beau 75 que ses servants, tous gars de ch'Nord soignaient avec un amour particulier. Ils le traitaient avec une sorte d'humanité où il entrait m l'admiration, de la vénération et de la familiarité et, durant tout le cours de la guerre, le canon avait été entretenu aussi minutieusement que s'il eût été au parc attendant l'inspection. Ces canonniers savaient que leur canon avait une âme, mais ils n'entendaient point par là seulement sa. partie creuse, ils pensaient aussi à une âme vivante, à un esprit qui l'animait réellement et le rendait supérieur non seulement aux autres canons, mais aux hommes.

mêmes.

Reprenant une tradition qui a de la grâce, ils lui avaient donné un nom. On l'appelait le Sénateur,ce qui n'était nullement une allusion à nos pères conscrits, mais bien une métaphore qui tirait son origine de la forme même de la pièce. On sait que dans l'argot du front, le 75 est souvent désigné sous la dénomination de « cigare » et les servants avaient donné à leur pièce le nom même de leurs cigarespréférés, les « sénateurs ». S'il est impossible d'avancer que le canon « le Sénateur » eut une âme autre que la partie creuse de son tube, on peut néanmoins supposer qu'il avait absorbé une partie de la sensibilité de ses six servants, qui lui adressaient volontiers la parole et auraient ri au nez de celui qui leur eût affirmé que leur canon ne comprenait pas ce qu'ils lui Dans la bataille qui se déroulait, la voix tonitruahte' du « Sénateur » s'élevait avec régularité.

disaient.

»


'grosse -marmite de viio arriva' et »um éclat tua net le pourvoyeur. :Le maréchal des logis continua de servir :1a pièce aeul. En bras de chemise, il se hâtait tout suant et les douilles doraient le sol tout autour de lui. Bientôt, une nouvelle marmite le jeta, le :front troué, Une

tout

à côté de sa pièce.

A ce moment, d'un observatoire :lointain, un officier d'état-major, qui par la suite reconstitua cette scène et me l'a racontée, ayant par hasard regardé de -ce côté, vit, au bout de sa lorgnette, se dérouler le spectacle le plus étrange et le-plus émouvant. Il lui parut que le canon « Sénateur «était brusquement devenu de chair et qu'une vie nouvelle particulièrement

active l'animait. Les essieux s'allongèrent comme des bras au :bout desquels les roues se tendirent.comme de grandes matas ouvertes qui allèrent prendre un obus. La roue gauche fit alors office de chargeur, tandis que la droite, faisant fonction de tireur, ouvrit, puis referma la culasse et tira brusquementle tire-feu. 'Le coup partit, et de son observatoire, au loin, :'Saisi d'étonnement et d'enthousiasme, l'officier mt le canon refaire la même manœuvre jusqu'à l'épuisement des

munitions.

Dès que cela lui fut possible, l'officier alla jusqu'à la batterie. On y enterrait les morts, tandis que les avant* trains, venus de l'échelon, étaient ^ur le ipx)int d'emmener les petits canons gris. I/officier recueillit avec passion, dela>bouche des conducteurs, les détailsTelatif s à l'amour que «es "servants portaient à la quatrième pièce. Il nota aussi Icsumom qu'ils lui avaient donné. Puis il examina, avec uneuuriosité attendrie, le ;canon prodigieux. 'Rien ne paraissait à l'extérieur qui rappelât l'évènement extraordinaire auquel il avait:assistéfdeloin.

étaient là qu'on ne pouvait confondre avec desanains;


En effet dit à^monamicD: au récit qu'il fitde cette aventure. I/bffitier était loin; il' crut que le canon tirait tout seuL. C'est une simple hallucination provoquée par la. tension nerveuse,, l'éclat du soleil et par la suggestion accomplie par. l'expression âme du canon qui, Signifiant quelque chosedebienconcret en balistique, s'était pour un: temps transformée dans l'espritde l'officier en:. quelque chose_d'abstrait:qui:douait le canon en question, d'une vie toute-particulière. » « Qui sait ? » dit mon ami avant d'aborder un autre-sujet de conversation..

D.

L'affaire, Malvy suscite des réflexions anecdotiques qu'il convient de situer en Angleterre, puisque ce pays est le: berceau- de. la vie parlementaire; I/a. popularité et l'impopularité, en matière politique ont de si) singuliers retours qu'elles ne sigoifient le plus souvent pas grand chose en elles-mêmes. Par contre le. sang-froid, la, présence- d'esprit sont les plus grandes qualités et les plus: nécessaires-à. ceux qui veulent occuper de hautes fonctions politiques. En 1785, Pitt s'étant rendu chez le: lord, Maire, au. Guidhall" pour y dîner, fut insulté par la populace qui jeta dans sa-voiture de-la boue, des pommes- cuites; etc., dont, lord Richmond, ,qui était avec luide mit à. couvert,, en: lui faisant un parapet avec les coussins de la voiture. Cette aventure donna lieu à l'inforiixation suivante qui fut insérée le- lendemain dans les journaux. Lord Richmond vient de: se montrer très habile ingénieur par l'invention d'un nouveau genre de parapet que le ministre-ne peut qu'agréer, puisqu'il a sauvé la vie du ministre. » Lord Richmond avait des qualités politiques dont manquait M. Malvy puisque,, ministre de l'intérieur, il ne put protéger l'impopularité de M. Caillaux qui- dans plu-


rieurs circonstances fut en butte à la foule plus encore que Pitt en 1785. D'autre part, à propos des fréquentations est de la clientèle des ministres, l'anecdote suivante fournit

un exemple que tous méditeraient avec profit. Richard Cromwell, fils d'Olivier et qui jouit quelque

-temps du souverain pouvoir que lui avait transmis son père, vécut longtemps dans la retraite à sa campagne de Cheshunt, sous le nom de Cierck, et ,atteignit un âge très avancé. Il sut s'y faire oublier et n'était connu -que d'un petit nombre d'amis. Il ne se privait point du plaisir de les voir chez eux ou de les recevoir chez lui mais il évitait soigneusement de parler de la place éminente qu'il avait occupée d'une manière si passagère. Le docteur Watt, qui le voyait souvent, assure qu'il ne l'a jamais entendu y faire allusion, si ce n'est une -seule fois et d'une manière fort indirecte. Son premier établissement dans cette terre était de l'année 1680. Il y jouit constamment d'une bonne santé. Il était si alerte et si vigoureux qu'à l'âge de quatrevingts ans il faisait plusieurs milles au galop, rl mourut -dans sa quatre vingt-seizième année, en 1712. Mais voici l'anecdote en question que le vicaire 0. Worth a rapportée d'après le récit de deux témoins oculaires. Personne n'était admis auprès de Richard Cromwell, s'il n'avait pas de fortes recommandations de quelqu'un de ses anciens amis qui le présentât comme un homme -aimable et comme un homme d'honneur. Un des deux témoins cités ci-dessus obtint la recommandation requise, et fut introduit dans la société de Richard, après avoir été prévenu qu'il fallait se prêter aux petites singularités de ce vieillard, sans lui faire aucune question -et sans avoir même l'air d'y prendre garde. Après une heure ou deux de conversation à table, Richard se leva et prit une chandelle allumée. Toute la compagnie suivit, sachant fort bien ce qu'il fallait faire, à l'exception de ce nouvel hôte qui l'igno-rait entièrement.

y


On prit les verres et les bouteilles, et, en marchant sur le pas du ci-devant protecteur, on se rendit dans un galetas où il n'y avait pour tout meuble qu'une petite boite à perruque. M. Cromwell la mit au milieu de la chambre, se fit donner un verre de vin et but à la prospérité de la vieille Angleterre. Toute la compagnie en fit autant. M. Windus, le nouveau recommandé, fut invité à remplir à son tour la même cérémonie en se mettant comme eux à cheval sur le vieux coffre. M. Cromwell l'avertit de prendre garde et de s'asseoir légèrement, car, lui dit-il, vous tenez sous vous la vie et la fortune de tout le bon peuple d'Angleterre. En même temps il ouvrit la boîte et en tira, non sans beaucoup de plaisanteries et de gaîté, les originaux des pétitions qui lui avaient été adressées en sa qualité de protecteur. C'était ainsi qu'il avait coutume d'initier à sa,

Société les nouveaux venus que ses amis lui présentaient, M. Malvy donnerait gros pour pouvoir aller examiner en secret et à la lueur d'une chandelle, ainsi que faisait Richard Cromwell, les pétitions et les recommandations. qui lui ont été adressées en qualité de ministre de l'in-

térieur..

Mais au lieu de chandelle, il a fallu qu'il en rendît compte en public et à la lumière du soleil, qui, dans tous les cas, est beaucoup trop vive pour de telles choses qui, même irréprochables, se plaisent dans le mystère et l'obscurité. Une dame qui put assister à quelques séances du procès Malvy était fort impressionnée de ne lui avoir entendu dire qu'une seule chose. C'était dans la rue et près du Sénat. Il parlait avec an de ses amis et, en passant près de lui, la dame l'entendait qui disait « Le ;soleil brûle. » Il faisait chaud, en effet. ^f Au mois de juin i8o2,on donnait au théâtre deMarcketDrayton, une représentation d'une pièce de Kotzebue, cet Allemand, agent de la Russie, que Sand assassina et qui nous a laissé de jolis souvenirs sur Mme Récamier.


La pièce de Eotzebue se passe au. Pérou. Au moment où. le premier des Incas adressait un hymne au soleil, le transparent qui figurait cet astre prit feu, de sorte- que ce grand-prêtre, qui était en même temps le directeur du spectacle, interrompit à plusieurs reprises son hymne pour crier « Le soleil brûle éteignez, le Soleil !» Et voilà ce que m'a rappelél'exclamation de M. Malvy rapportéepar une dame qui, grâce;àlaxousine de l'épouse d'un des défenseurs^ put,. par un brûlant après-midi de fin de juillet, assister à une séaace de la Haute-Cour. Mais, n'est-il pas vrai que, quand, on. examine, la vie de certains hommes d'Etat, qui, s'étant mêlés de mener leshommes, ne savaient se diriger eux-mêmes et ont mal fini; on est' tenté de dire à leur, propos ce; que -disait à son docteur Heylin: ? Le fameux docteur. Hëylin; auteur, d'un ouvrage intitulé Description générale dm globe;, s'était égaré de sa route dans- un bois- à, quelques milles de sa maison du Hàmpshire: Il était déjà minuit qu'il: errait encore, et la nuit était fortsombre. Son valet, garçon:naïf, mais-plein de sens; lui dit: « Parbleu Monsieur, de quoi, diable f vous êtes-vous mêlé de donner, une- description du monde entier, puisque vous ne pouvez pas trouver votre chemin à trois milles-de chez vous ? »

J'ai fait dan&mon dernier article, entre Sainte A llince et Belle Alliance; une regrettable confusion à propos de laquelle j'ai reçu-la lettre que voici Monsieur,

vousave^bien! loué le véritable e& gmmi. poète» notre vieux Béranger; qui ne s'étaitpasr vu depuis? long.Comme

tempsà'pareillefête.et danslë Et qu'il y a


des peuples aux. Divine Tragédie de Henry Bataille et bondieuseries de Paul Claudel Mais dans vos souvenirs. de Waterloo, là ferme de-la s'est amalgamée avec l'auberge de la. Alliance. C'est devant cette ferme que se rencontrèrent, à neuf heures du soir, Blüchervenant de Plancenoitet Wellington arrivant de la Haie-Sainte; « Frappé que sa rencontre avec Wellington: eut lieu précisément devant la Belle-Alliance, Blûcher pensa à donner ce nom là bataille où l'alliance des Anglais et des Prussiens avait produit un si grand résultat. » (Henri Houssaye, Waterloo, 15e édition, page 414): Dans une visite au; champ de bataille; en 1894, je: suis entré dans cette misérable auberge de la Belles-Alliance^. décorée (?) toujours de cette enseigne lépreuse, et qui ne paraît pas avoir changé depuis 1815, et j'y. ai bu un verre de mauvaise bière, Personne autre dans l'auberge que la servante; et une très vieille femme endormie sur un grabat, qu'on m'a dit être née en 1800 et avoir; fui dans les bois pendant la bataille. Tout cela est bien pâle à côté des horreurs que nous vivons. T'ai vu aussi à Berlin la place de la Belle- Alliance, avec la Victoria-Sœule, ou, plus exactement, Belle-Alliance Platz au sud de Berlin); où viennent aboutir les Friedrichstrasse; trasse. Il y a autour de la colonne 4 groupes en marbre. représentant les alliés de 1815 Prusse, Angleterre* Hollande et Hanovre. Ce qui contribue à la confusion d'une enseigne d'auberge avec une alliance de peuples. Né voyez dans ces remarques qu'un témoignage de l'intérêt que j'ai pris à la lecture de votre vaillant article (lé vrai, l'unique, l'immortel.); sur agréer mes biens dévoués sentiments. D* Càixamand. *


Novembre

igi8

et

Les livres, les écrits se multiplient touchant la vie la mort glorieuse dans les rangs de la légion étrangère .d'Alan Seeger, poète américain. Je ne m'étendrai pas -sur le milieu qu'il fréquentait. Quelques-uns des jeunes Américains qui le composaient, tels qu'Harrison Reeves «et le peintre Bruce qui ressortit à l'orphisme et au simultanisme après avoir été un élève d'Henri Matisse, sont encore à Pais et mieux que moi pourraient dire ce que fut la vie d'Alan Seeger au quartier latin. Je n'ai la prétention que de fixer ici le point de savoir -dans quelles conditions Alan Seeger publia un article en français. Ce fut le seul. Sans être capitale, la chose a son importance, puisqu'il s'agit du premier mort de l'élite

américaine. 1/ En io,jfçï, j'étais le rédacteur en chef des Soirées de Paris, revue moderne dont cinq collaborateurs sont. morts au champ d'honneur ou de blessures reçues en combattant dans l'infanterie. Alan Seeger, que je rencontrais souvent, m'avait fait part de son désir de publier quelque chose en français 'et qui pût être utile aux Français. Au mois de mai, il déposa au bureau de la revue un article intitulé Le Baseball aux Etats-Unis, accompagné de la lettre suivante Cher Apollinaire Voici un article de sujet bien moderne qui doit vous plaire pour les Soirées. Je l'ai mis en .mauvais français, comme exercice. Vous pourriez, si vous l'acceptez, écrire une petite introduction, comme on fait ici en France dans les revues et journaux, expliquant en quelques lignes comment les deux équipes champions de l'Amérique sont passées par Paris, comment le mauvais temps a empêché le jeu, et disant ensuite que M. Alan '.Seeger, poète américain, communique le suivant, etc., etc. Vous trouverez le français exécrable surtout à partir de la troisième page où j'ai travaillé seul, mais vous com-


prendrez mieux mon mauvais français que mon bon anglais. J'espère que vous pourrez vous servir de ceci. Ai,an SEEGER. 17, rue du Sommerard. C'est ensuite qu'Alan Seeger partit pour Londres d'où il m'envoya la carte que voici 60, Torrington Sq., I/ondon, W. C.

Hurry me dit que vous avez de la traduction à faire. Vous pouvez m'écrire à cette adresse si je puis vous aideren quelque chose

Et envoyez-moi le numéro des Soiyées si vous publiez

mon article sur le baseball. Salutations.

13, 6, x4.

Marinetti est ici avec les bruiteurs. L'article d'Alan Seeger sur le Baseball aux Etats-Unis parut dans le dernier numéro des Sjnrées de Paris, numéro double (juillet et août 1914). A ce numéro, qui fut le dernier de cette revue et qui borde pour -ainsi dire la guerre, dix-huit personnes avaient collaboré. Les collaborateurs hommes n'étaient que 16, car il faut défalquer deux femmes. Sur les 16 collaborateurs de ce dernier numéro, deux sont morts, combattants héroïques, dix ont combattu, furent blessés, combattent encore ou sont toujours mo-

bilisés. Ce numéro, si belliqueux, sans le paraître, était bien celui ou devait être publié l'article d'Alan Seeger, poètes américain sur « le plus bruyant de tous les sports », que celui qui mourut si bravement en faveur de la cause française écrivit « pour convertir la jeunesse française à ce mâgnifique sport, aussi passionnant comme récréation qu'important à cause de toutes les qualités d'énergie, de ^vitesse et de sang-froid qu'il développe chez ses joueurs ».


Dans le Temps, à plusieurs reprises, M. Paul Souday a défendu la poésie contre M. Abel Hermant qui, ne pouvant souffrir les vers, s'était efforcé de démontrer la supémoritéde la; prose. M. Abel Hermant, qui méprise la poésie, gaûte infiniment la prose, et la plus prosaïque, puisqu'on l'a vu ré-cemment faire l'éloge de celle de Georges Ohnet lorsqu'il mourut. Il est vrai, que M. Abel Hermant est orfèvre, c.'est-à-dire qu'il n'écrit qu'en prose. Son cas est moins choquant que celui de Lamotte Houdart qui, poète maismauvais poète il. est vrai, soutint le premier, autrefois, le même paradoxe. De notre temps, Octave Mirbeau professait la même opinion. Je n'ai eu que deux fois l'honneur de m'entretenir avec lui et chaque fois je l'entendis s'étonner qu'il y eut encore des-poètes. Il affirmait que la poésie n'intéressait pers«nnnp et. il, trouvait ridicule que l'on écrivît encore Il abaissé derrière lui une école d'écrivains et d'admirateurs qui à l'égard de la, poésie pensent comme lui et méprisent tout ce qui a trait. à l'art de faire des vers. Mais le choeur des Muses peut chanter, il est bien défendu contre toutes les attaques. Contredisant avec force l'école allemande qui soutint qufHomère n'avait pas existé; ainsi que les Carpocratiens divinisaient le grand Mélésigène aveugle, M. Paul Souday déclare « qu'Homère est positivement dieu ». Ne-fallait-il pas signaler cet acte de foi poétique tellement inattendu sous la. plume d'un prosateur ? Tandis que M. Eaul Souday défendait la poésie, celle-ci voyait s'approcher d'elle un autre.néophyte remarquable,, grand prosateur qui à vrai. dire ne fut j jamais un profane7Deux, fois cette. année, M. Charles Maurras quittait le sermo pédestris -QOXLT les vers. La première fois, ce fut pour, doter d'une. courte, inscription lyrique le socle d'un.

en

vers..


groupe sculpté:pour ,M. Real-Pelikrte. La seconde fois, j1 prit le ton de l'ode ,pour chanter la Marne. Ce long fragment offre d'autant plus d'intérêt qu'on,y,peut voir 'que le goût légitime de M. Charles Maurras pour les règles 'cet la tradition ne l'aveugle point sur l'utilité de les ob-

server-supessstitieusement. Ses vers ressortissent au ^genre que l'.on appelle « le vers libéré ». On y-fait rimer le pluriel avec le singulier, la rime devient parfois si faible qu'elle confine à l'assonnance l'hiatus même y laisse se heurter deux voyelles. Du reste, la liberté avec laquelle M. Charles Maurras a osé aborder le ton de l'ode n'ôte rien au nombre de ses strophes, à la fermeté de sa langue, à la richesse d'une pensée qui même en pindarisant sait s'exprimer simplement et harmonieusement. Ses modèles, à mon sens, ne se trouvent ni au. xvne, niau .xrxe, niauxxesiècle cesont KndareetRonsard Mais toutle-monden'apas compris la qualité de ces divertissements. I*e goût de la jeunesse est ^aujourd'hui si divisé Ils aideront toutefois à combattre :la tendance que l'on-a dans certains milieux à se laisser troubler beaucoup plus que de raison ,par les centons eut îles pastiches dont la ^perfection n'emporte nullement la

,légitimité et qui peuvent bien amuser le lecteur, sans JKjaoœr leur auteur, chez qui ils décèlent plus d'habileté <et de bonheur que de talent.X'autorité .d'un Maurras peut encore servir quand on remarquera la simplicité *de:ses vers à se laisser aller avec .moins de complaisance <ét seulement en souriant, à goûter la subtilité et l'excessive afféterie des courtes pièces de vers de certains prosateurs qui gongorisent sans mallarmiser le moins du monde. Enfin, les audaces d'un maître aussi traditionaliste que l'est le rédacteur en chef de l'Action français montrent assez que l'audace est bien dans la tradition des lettres françaises et que les innovatioas peuvent bien être et sont généralement le fait des plus cultivés, de -ceux qui tout en ayant le plus de dons ont également le plus de métier. ;Quand on laboure un champ, lirait


que la terre soit promptement retournée, de façon à ce que toutes les particules du sol soient tour à tour et d'années en années exposées au sol. Il en est de même de la langue. Du moment qu'un auteur se conforme à l'usage au point de vue de la syntaxe et du vocabulaire, et sauf les exceptions qui viennent confirmer cette règle, il doit être dans une matière aussi conventionnelle que l'expression poétique, être laissé libre d'en approfondir toutes les ressources, de tout remanier à son gré, pour-le plus grand bien de la langue qu'il travaille à rendre plus, nette, plus claire, plus riche et plus belle, et pour le grand profit de l'esprit humain. Au contraire, les tentions des puristes et des grammairiens, quand elle vont à des excès, ne servent de rien qu'à appauvrir le langage, qu'à éteindre l'imagination des poètes et qu'à préparer la mort de la langue. Les poèmes de Mauxras donnent une leçon de mesure. On peut en faire son profit dans tous les camps littéraires. Mais l'on me dit que MM. Souday et Maurras n'appar tiennent ni au même parti politique, ni au même littéraire et que ce serait les désobliger que de les assembler dans un même article. Qu'importe ? la disparate raîtra moins cruelle dans les circonstances qui ont provoqué leur rapprochement. N'appartiennent-ils pas tous deux à une même communion, celle de la divinité d'Homère ? La royauté de la poésie ne réunit-elle pas ces deux prosateurs dans le même parti royaliste ? Ce sont en outre deux républicains de la République des lettres. Et leurs divisions sont peu de chose au regard de ce qui les les associe dans un même amour pour la djywerpeçsi6-

plus pré-

parti

pa

'fFIN

Imp. R.


ORIGINAL EN COULEUR

NF Z 43-l20-8


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