Eugène Boudin, sa vie et son Oeuvre

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EUGÈNE BOUDIN sa Vie et

son OEuvre



Eugène Boudin SA VIE & SON OEUVRE


77

a été

imprimé

trois cents

exemplaires de ce livre

dont vingt exemplaires sur papier impérial du Japon.

163






Eugène Boudin SA VIE & SON OEUVRE par

GUSTAVE CAHEN AVEC UNE PRÉFACE D'ARSÈNE ALEXANDRE

am

un essai d'eau-forte par Loys Delteil,

frontispice à la pointe sèche par Paul Helleu,

par Eugène Boudin, huit eaux -fortes et

de nombreuses héliotypies. L'Impressionnisme a compté des maîtres plus puissants, mais non de plus délicats. Sa palette abonde en tons vaporeut, d'une transparence et d'une pureté exquise

tjris,

ROGER MARX (Revue encyclopédique)







La

d'un grand artiste

vie

paysages

:

«

c'est

Il est vrai

fait avec rien

que

ce « rien »

des maîtres, ce n'est pas

tel

que Boudin,

», et c'est très

c est

beau.

dont sont souvent faites

peu de chose;

c'est

comme ses

les

œuvres

toute ï âpre joie

du

labeur, c'est V ensemble des méditations, des efforts, des observations, des épreuves, des tristesses, des doutes, et aussi des victorieuses certitudes si péniblement acquises; c'est tout cela

qui vient s'exprimer dans

un

trait,

dans une touche, dans un

accord de tons. Et ce rien, qui ne serait rien en

même s'il ne résumait pas

tant de passion et de foi,

cause de tout celaune importance, finissent toujours

La simplicité carrière.

Dans

par s'imposer est la fleur

les

effet par soi-

pages ou

un prix

avec

et

une éloquence qui

une force

d'une belle vie cette vie

invincible. et

d'une longue

d'Eugène Boudin

résumée par un exécuteur testamentaire qui poursuit

une

belle tâche,

dant

les

prend à

et

est

achève

commencée avec une ardeur peu commune pen-

dernières années

mêmes du

maître, nous apparaît


une figure de brave homme, ne

d'infatigable travailleur, que rien

qu'aucune difficulté n'arrête

lasse,

grise. C'était sa nature

comme

cela, il

et

qu'aucun succès ne

a eu

ou T exceptionnel bonheur, de vivre toutes

la

grande

sagesse,

heures de sa vie

les

conformément à sa nature. Ainsi,

j'ai

toujours plaisir à

le

supposer, vécurent ces

grands Hollandais, qu on commence à ne plus appeler de terme par trop dédaigneux de « petits hollandais certains bons maîtres français dont

»,

Boudin continue

et

ce

aussi

la tra-

dition avec autant d'éclat dans son œuvre que de dignité dans

son existence. C'est étonnant

hommes qui

tater combien tous les çaise

du milieu du

consolant à la fois, de cons-

ont formé cette école fran-

A

différents, ils ont tous ce caractère commun, ils se ce

sera Corot, leur

leur maître à tous, grande figure lumineuse, à

et

jamais rassurante, vrai type

homme plein

du grand poète

et

de bonté et de robuste douceur,

du grand

artiste.

ce sera

groupe de Millet, Rousseau, Daubigny, fuies Dupré, tous acharnés à

l'œ-uvre,

si désintéressés

vilain mot

ignorant

ce

beaux

exemplaires,

si

et

et

des âges divers, faisant partie de

ressemblent par ces fécondes vertus. Ici ancêtre

modestes,

siècle, étaient simples, forts,

paisiblement passionnés.

groupements

et

et cette le

si

de la réclame, ou plutôt

vilaine chose.

taciturne et

le

grand

Comme

Millet,

acharné chercheur, Daubigny, nature riante,

ils

sont

Rousseau

instinctive,


de bon peintre

Bonvin,

de brave homme, Duprê, vieille

et

esprit

mordant

ouvrier entérite.

et

incomparable bonhomme dont la vie

V œuvre aussi grande que et

homme

qu'on citerait encore,

et

de qui

qués à leurs débuts étaient l'effort

que par

Boudin a

été

le

les

Monet,

et

le

petit père Cals, très

un peu

on voit

d' autres

amis de Boudin

impressionnistes tant atta-

caractère. le

trait

encore longtemps, bien que ce

comme

encore plus simple

continuateurs directs, autant

les

d'union entre

de 1830 et ces « impressionnistes

En somme,

Et Daumier,

timide de manières, mais dévoré de passion

de révoltes intérieures. Enfin bien

par

de lion,

de tous ceux-là. Et Ribot, fier

âpre bûcheur, aussi loyal que fin. Et

à part, petit et

celle

est

tête

»,

les

ainsi qu'on

mot ne

signifie pas

maîtres dits les

appellera

grand

chose.

très bien la filiation entre des peintres

Isabey, Jongkind,

puis Boudin

et

Cals, puis

enfin

(je place à part Renoir dont V œuvre

Sisley, Pissarro,

échappe à toute classification, ou plutôt se rattache plus directement au X.VIIP

un

siècle,

d'un seul bond). Boudin a joué même

rôle très considérable dans V évolution de la peinture fran-

çaise de paysage. Il s en est

beaucoup de sagacité, appréciation portée

et je

rendu compte personnellement

ne sais rien de plus saisissant

par un homme sur lui-même, que

avec

comme

ces lignes

que Von retrouvera plus loin, mais asseç belles pour être

imprimées deux fois

et

mises en spécial relief

:

« J'entrai


dit-il,

par

la porte

être eu aussi

que Jongkind avait forcée.... J'aurai peut-

ma petite part d'influence dans le mouvement qui

porte la peinture vers air, de la sincérité

V étude de

la

grande lumière, du plein

dans la reproduction des

du

effets

ciel.

Si

plusieurs de ceux que fat eu V honneur d'introduire dans la voie,

sont emportés plus loin

comme Claude Monet,

tempérament personnel, reconnaissance,

comme f en

ai

conseillé et offert des modèles

Rien

n'est

m en devront pas moins quelque

ne

ils

dû moi-même à ceux qui m'ont

à suivre.

chercher, on ne déterminera jamais

tants de cette évolution, son sort trop souvent réservé et

mieux

On aurabeau

la place

d'Eugène

notre époque. Cette place est très belle, car

tout en ayant servi d' intermédiaire à

complète

»

plus juste, rien n 'est plus complet.

Boudin dans V art de

par leur

personnelle

;

œuvre a

deux moments le

très

impor-

bonheur d'échapper au

aux œuvres de transition. Elle c'est

tout

un

est

écrin de diamants gris,

délicieux de finesse, tout taillés à délicates facettes. Il n'y a plus àla

tenant connue

et

commenter cette œuvre,

appréciée à sa valeur,

crainte de faire besogne

chercher dans

le

par trop oiseuse

et

tant elle est

vraiment j'aurais

si j'allais

de nouveau

vocabulaire habituel de la critique

qui servent à dire la beauté

et la variété

des

main-

ciels,

les

termes

la limpidité

de T atmosphère, la grande harmonie qui règne toujours dans

un

tableau de Boudin, petit ou grand, enfin

V étonnante sûreté,


au prix de milliers

acquise

en quelques touches

ou maisons. Tout cela

cette

qu'il n'y a

de milliers de dessins, avec laquelle

vivre et caractérise, dans

il fait

les êtres et leurs

pable enveloppe aérienne,

monde

et

est

aucun

à présent bénéfice

à

demeures, h arques

évident

si

V impal-

pour

tout le

le redire, et c'est

pour

raison qu'on a insisté plutôt dans cette introduction à

livre si

scrupuleux

et si

documentaire, sur

le

un

profit moral,

dégage de

cette belle

ses confrères sont

empreintes

presque égal au profit artistique, qui

se

carrière.

Les relations de Boudin avec

de cette cordialité noble, de cette franchise parfaite qui sont

vraiment il est

les

beaux côtés du caractère français. Voyeç combien

naturellement fidèle

celui-ci est

« prudents »

et

bon envers Courbet au moment

devenu une sorte

s éloignent,

d'épouvantait

dont

gens

à moins qu'ils ne poussent la pru-

dence jusqu'à lui jeter quelque pierre. Courbet,

immense enfant qu'il

les

était, s'en attendrit, et,

comme un

sans tout à fait

étonner, ne peut s'empêcher de faire la comparaison

s'en

entre

Boudin

et ses « lâcheurs ».

ardeur discrète

il tient

Voyeç encore avec quelle

à honneur de figurer dans son coin

toutes les fois qu'il s'agit de fêter

un de

ses

grands amis, un

jour Corot, un autre jour Ribot. Il ne s'il

réclame jamais rien pour

a un jour

confié,

lui.

dans un moment

C

est

tout au plus

d' expansion,

à un ami


très intime,

rêvait de

nom

Oui,

qu'il était dévoré d'ambition.

donner un jour

ma foi,

il

après sa mort bien entendu!) son

(

à une rue d'Honfleur. Cela nous fait sourire avec beau-

coup de respect

mais lorsque nous y pensons un peu, nous

;

ne tardons pas à sentir toute

la

profondeur

tance d'un pareil sentiment. Honfleur,

V impor-

et toute

c'est

pour Boudin

le

coin de terre passionnément aimé, cest V ensemble des maisonnettes, des

ciel

vieux

auquel on revient tout

un amour tout

mieux

particulier

vivre. Il n'est

un pareil cet

édifices, des

homme

est

un

le

temps,

pour y

n'ait

un

mer

du

et

travailler avec

ou Von

c est le lieu

pas d 'homme qui

un

besoin,

;

vieux bateaux, de la

se sent

le

pareil instinct,

pareil endroit d'élection; mais lorsque

artiste,

l'œuvre

cristallisation de cet intense

maisons, pour des rues

et

n'est autre chose

amour pour

des horizons,

que

la

de la terre et des

pour

de la lumière

et

des flots.

Aussi voye% comme Boudin, sans même donne de la force à remarque, avec

ce cri

un passage d'une exilé

!

II

ce

symbole, et

comme

il

s'en apercevoir,

confirme notre

du cœur, qui m'a beaucoup frappé dans

de ses lettres

:

«

A

Paris, je suis

comme un

»

a hâte de retrouver sa bonne brise natale, son accoutre-

ment de bon vieux peintre loup de mer, cœ-ur joie de travailler sur la jetée,

sur

et

de s'en donner à

la plage,

dans

les


champs, sur

le

marché, partout, dans

que sait

se créer

encore à

ce

sur place tout véritable

pour rendre

le

est

que

Ce qui donne

voir choisir le cadre de leur

mort

se

comme nous

le

et

fait traî-

et

enviable

ont la fortune de pou-

!

bien, voilà de quels simples et

cette vie qui,

Boudin

dernier soupir. Heureuse

Combien peu d'humains

fin en somme.

Et

artiste.

sentiment une beauté touchante, bien humble,

cependant presque dramatique, c

ner

immensité

cette petite

modestes

disions au début

traits est faite-

est,

ainsi qu'un

des paysages de notre bon maître, une page qui atteint à la

beauté

par

la sobriété

On

même.

en parcourra

joyeuses ou douloureuses, dans ce livre qui

parce qu'il donne des faits

façon d'écrire la

non

étapes,

semble excellent

des phrases. C'est la vraie

vie des artistes, et il

vaut mieux laisser par-

œuvres que de briller à leurs dépens. Celui qui a réuni

ler les

et classé ces

place

et

me

les

éléments d'une belle biographie qui va prendre sa

parmi

les

plus nourries et

crées

aux maîtres de notre

avec

un

siècle,

bien vif enthousiasme et

admiration

se

les

plus instructives consa-

a aimé l'homme

un

et

son œuvre

bien rare dévouement ; cette

traduit d'une façon utile

et virile

:

par un bon

livre.

En connu

le lisant, il

et

me prenait un

rencontré Eugène

bien

grand

Boudin que sur

dans son costume d'< exilé». Il

était bien

regret de n'avoir

le sol parisien, et

charmant, bien sym-


pathique ainsi, tout de même, avec son œil brillant, sa robuste onction de vieux

Normand. Mais combien plus

saisissante

devait être la rencontre du peintre avec son gilet de tricot, ses galoches, sa boîte de couleurs, sa casquette de la joie de vivre et

livre

va permettre de

d'imagination;

il

le

dans

deviner vivre, avec

ny aura

A

bonne figure hâlée!

la chance de le connaître

cette

un

laïque, et

ses yeux, plis-

de peindre qui pétillait dans

sait de rides malicieuses sa

n eurent point

marin

ceux qui

intimité, ce

très petit effort

qu'à V écouter parler

,

et il

parle

très bien.

Voilà donc une très bonne Les centaines de dessins de

et très

profitable tâche accomplie.

Boudin, admirable enseignement^

sont ou vont être répartis entre les musées de France;

peintures dans tous les bons coins

peuvent apporter au public exemple

montre sa vie en elle-même dans

ses

et et

la

les

endroits ou

plaisir; enfin,

rapports avec

contemporains. Profite^ de tout cela

on ne saurait trop vivre dans

dans

:

y a des

il

ses

ils

cevolume meilleurs

en fait ou par la pensée,

compagnie de braves gens.

ARSÈNE ALEXANDRE.




Louis-Eugène Boudin

est

né rue Bourdet à Honfleur

(Calvados), le 12 Juillet 1824.

Son

père, ancien canonnier à bord de la Frégate la

cienne, était pilote sur

le

Français, bateau qui faisait le ser-

1

a

Magi-

N" 143. Naissance de Boudin Louis-Eugène. de Honfleur a été extrait ce qui suit

—Des

registres de

l'état civil

de

ville

:

Année

1824.

— Du

treize juillet mil huit cent vingt-quatre

relevée, acte de naissance de

BOUDIN, Louis-Eugène,

de

à deux heures de né d'hier à cinq heures du matin,

Léonard-Sébastien Boudin, marin, et de Marie-Félicité Buffet, son épouse' et section de l'Est. Le sexe de l'enfant a été reconnu' masculin. fils

demeurant à Honfleur, rue Bourdet,


Honneur

vice entre

femme de chambre

Son

aux

et

frère

la

faisait office

de

bateau.

Boudin navigua Il fit

ainsi des

comme

voyages en

Antilles.

Louis «qui est de la plume» a écrit à ce sujet

les vers suivants

Sur

même

d'un long courrier.

à bord

Angleterre

sur ce

Hâvre. Sa mère

Louis-Eugène

Tout jeune,

mousse

et le

mer

:

ils

dans notre famille

étaient tous

L'àieul et ses enfants équipaient la flottille.

Quatre

petits

Reine des

Et

le

bateaux aux noms doux

et

pieux

Flots, Joseph, l'Enfant Victorieux;

dernier, plus grand, un sloop. Sauveur

Réputé

marcheur à vingt

le

lieues

à

Avait pour commandant mon père,

Mes deux

la

du Monde,

ronde,

et pour seconds,

frères dont l'un qu'aujourd'hui nous pleurons.

Dès l'âge de quatorze C'est en 1836,

:

en

ans, la vocation

effet, qu'il

commença

d'Eugène

se révéla.

à dessiner.

Second témoin journalier Premier témoin Le sieur Le Breton, Jean-Baptiste, au même heu. demeurant et majeurs journalier, Le sieur Le Roy, Jean-Auguste, aussi Mathunnnous avec signé qui a l'enfant Sur la réquisition faite par le père de Officier public déléHonfleur, de Mairie à la Adjoint Jacques-Olivier Vaquet, premier ayant déclaré ne savoir écrire ni gué par Monsieur le Maire, les deux témoins :

;

:

signer, de ce requis après lecture.

^

;


M. Robert de remontant à

la Villehervé

dessin

employé non

seule-

cette date.

L'écrivain hâvrais le décrit ainsi

Sur un papier

Aussi

:

fort lisse, l'artiste a

ment deux crayons, bistre.

un

possède de lui

noir et blanc, mais aussi le lavis de

une photographie n'en donnerait qu'une

trahison. «

Deux lignes

d'arbres tortueux

aux cimes dénudées, au

bas de la berge herbue d'une rivière qui serpente dans une plaine partout rase et immense. Voilà le dessin.

même l'extraordinaire impression d'immensité

« C'est

cette plaine

dans un croqueton de 27/20 qui frappe surtout

le spectateur,

sonnel de Il

de

plus

même

que

le faire déjà libre et

bien per-

l'artiste enfant. »

avons nous

avait,

"au

essayé à reproduire

dit,

quatorze ans. Déjà

il

s'était

jus de chique " des barques, des

bricks et des trois-mâts.

Son père ayant

Eugène Boudin,

Grand Quai, encore,

une

commis

et

grève

51,

pris

sa

sa retraite,

sœur

sa

fille,

et

son frère Louis.

Madame Veuve

petite papeterie. Là,

au Havre Il

ouvrit,

Charles, habite

Eugène Boudin devint

continua à dessiner sur

et la falaise.

emmena

les quais, le port, la


— — 4

Le hasard amena dans son magasin le

le

peintre

chargea de tendre et d'encadrer quelques

Boudin essaya de ce maître,

et il

alors de faire

un paysage dans

la

manière

peintre, de Jean-François Millet.

a lui-même raconté ces débuts de sa vie d'artiste, et

nous ne pouvons mieux «

pastels.

eut la bonne fortune de le mettre sous les

yeux d'un autre grand Il

Troyon qui

faire

que de

lui laisser la parole

Quoique né à Honfleurd'un père marin,

l'ingratitude d'oublier

que

c'est la ville

:

je n'aurai

du Hâvre où

j'ai

pas été


élevé qui m'a encouragé et pensionné pendant « J'ajouterai

même

que ce

fut

pour moi

tances d'Alphonse Karr, que Troyon, sollicitèrent,

appuyés par Couveley,

années.

et sur les ins-

Isabey

et

Couture,

alors conservateur

me

Musée, une pension annuelle qui

trois

permit enfin

du

d'aller

à Paris et d'y passer quelques mois. <;

Mais, avant cela, j'avais tendu bien des carrés de papier

à pastel. Le pastel était alors en vogue. Millet,

qui venait d'étudier

à

Ce

Paris

fut vers 1846

sous

que

Delaroche,


— — 6

cherchait « du travail » selon son expression, et vint faire

au Hâvre une

au

l'huile et

guère cossu

de portraits, depuis trente francs, à

série

Le futur auteur de T Angélus

pastel.

n'était

Privé de la maigre pension qu'il recevait

alors.

de Cherbourg, sa

ville

d'adoption aussi,

en

il

était réduit

à faire des dessins dans différents genres, des Vert-Vert,

puis de petits pêcheurs à la ligne, le torse

taches de soleil dans le goût de

Ce

cherchait sa voie.

me

qui

corrigea

Diaz

premier

et

et diaprés

de

de Couture.

Il

de tant de beaux dessins

fut l'auteur

mon

nu

un paysage dans

essai,

manière de Troyon, dont j'avais eu tant de

la

fois l'occasion

d'encadrer et de vendre les pastels. «

A dater de

ce

moment,

dreur. Lorsque Millet

faire aussi,

inquiétude

semée de

roses.

dans une passe

me si

«

que

serait

donné de

difficile qu'il il

était

Le

un

la route n'a pas été

subir. Il était

série

lui-même

dut rester près de deux

venu en

Vous devez bien penser que

d'en

dissimula point son

Le pauvre grand peintre pressentait la

années au Hâvre où

je quittai

du papetier-enca-

vit manifester l'intention

comme il disait, il ne me sur mon avenir, lui dont

d'épreuves qu'il

«

me

c'en fut fait

je

passant.

n'en tins pas compte

:

métier solide pour prendre le pinceau.

portrait était alors

en vogue

je débutai. J'y aurais fait

;

ce fut dans ce genre

quelques progrès sans doute,


mais outre que le

ma manière

ne plaisait guère aux bourgeois,

daguerréotype venait d'être inventé

subit

un temps

« Il fallut

et le portrait

on y renonça tout à fait. chercher à gagner sa vie en faisant tout d'arrêt

concernait son état ; je

peint

:

ce

fis

que

ce

qui

je pus... tableaux de salle

à manger, aquarelles, paysages et enfin tout ce qui pouvait

rapporter quelque «

Ma pension

profit.

avait pris fin

mais

devait plus rien,

elle

:

La

ville

avait eu

du Hâvre ne me

une déception.

On

s'imaginait que j'allais revenir, après trois années d'entretien,

un phénix de sollicité

par

l'art

;

j

les célèbres d'alors, allant

séduisait, à Corot qui voie. C'est ainsi

de ceux qui,

revenu, plus perplexe que jamais,

étais

commençait à nous montrer une autre

que s'écoulent

comme moi

s'essaient durant des

de Rousseau qui nous

les plus précieuses

et tant d'autres, tâtent le terrain et

années à chercher ce qui peut plaire

au public, souverain dispensateur de cherche sa voie efforts,

et l'on

années

la

renommée.

ne parvient, en faisant

les

On

plus grands

qu'à gâter ce que Ion avait en soi d'original.

Combien

n'en voyons-nous pas autour de nous de ces fourvoyés,

dignes d'un meilleur sort « Si

peines

Corot,

du monde

souffrir,

avec

!

un immense

à se faire

talent, avait toutes les

un nom, que n'avions-nous

pas à

nous autres écoliers! La peinture grise n'était guère


8

goûtée à ce moment-là, surtout pour la marine. Gudin trônait,

Isabey renchérissait sur la couleur naturelle; Le

Poittevin et d'autres encore faisaient fureur en peignant de chic

;

ce n'était guère l'occasion d'apporter

n'en voulait à aucun prix.

Il fallut

se retirer

vince en attendant des temps meilleurs, suis resté près de

du

gris

!

On

dans sa pro-

que

et c'est ainsi

je

quinze années sans revenir à Paris.

« Si la province m'avait fourni des ressources plus durables, j'y serais

sûrement

resté, faisant

beaucoup de mes collègues ce qui fait le

encore une

l'ont fait,

du

professorat,

comme

mais je n'avais guère

bonheur des amateurs provinciaux. Ce

fois cet

fut

excellent Isabey qui m'engagea à essayer






de faire prendre mes marines à Paris. Jongkind, son élève,

commençait à

un

dure cachait profitai

faire avaler

une peinture dont

fruit excellent et des plus

pour entrer aussi par

l'écorce

un peu

savoureux. J'en

la porte qu'il avait forcée et je

commençai, quoique timidement encore, à offrir mes marines. «

En

1870, réfugié en Belgique, je m'évertuai à repro-

duire quelques vues de Bruxelles et d'Anvers qui pourront peut-être intéresser les amateurs

de l'avenir par

un

côté

assez juste et assez sincère.

« Depuis, séries de

j'ai

fait,

dans des genres différents, diverses

marines, des plages où l'on pourra retrouver sinon

un grand art, du moins une reproduction assez sincère du monde de notre époque. Peut-être aussi trouvera-t-on dans mes études du ciel, un côté de la grande nature céleste qui n'a jamais été ni plus ni

mieux exploré par mes

seurs. Je n'ose pas mettre

en ligne mes

j'ai

pourtant

aussi parfaits

fait

je

n'être pas

dans leurs détails que ceux des Hollandais,

me

flatte

intérêt plus tard et l'état

bateaux dont

petits

une étude bien laborieuse. Pour

ce qui est d'ailleurs contraire au goût

temps,

prédéces-

du public de

de croire qu'on pourra

y

les voir

notre

avec

retrouver l'allure, les gréements et

de nos ports à notre époque.

« Tout cela est

un bien mince

ligne à côté des grands talents

du

mérite pour présent.

me

mettre en

Si je n'ai

pas

le


mérite d'être classé parmi ceux-là, j'aurai peut-être eu aussi

ma

très petite part d'influence

dans

le

mouvement

qui porte la peinture vers l'étude de la grande lumière, du plein air et de la sincérité dans la reproduction des effets ciel. Si

du

plusieurs de ceux que j'ai eul'honneur d'introduire

dans la voie,

comme Claude Monet,

par leur tempérament personnel,

sont emportés plus loin ils

ne m'en devront pas

moins quelque reconnaissance, comme

j'en

ai

dû,

moi-


— même,

à

ceux qui m'ont

II

modèles à

conseillé et offert des

suivre.

«

En voilà bien long

sur moi, cher Monsieur

la prétention, croyez-le bien, détenir

parmi

contemporains

les

complu

s'est trop ciel.

;

je suis

un

une

isolé,

;

je n'ai

pas

si

grande place

un

rêvasseur qui

à rester dans son coin et à regarder le

L'avenir fera de

moi

bien peur que ce soit de l'oubli.

Boudin, trop modeste,

nombre de ceux qui

nous

ce qu'il fait de »

calomnie;

se

tous. J'ai

il

est

du

petit

se survivront (i).

Tel fut l'avis exprimé par l'écrivain du journal

1'

" Art",

qui dans son compte-rendu du Salon de 1887, reproduisit

Complètons-la maintenant

cette lettre autobiographique.

en reprenant en détail d'Eugène Boudin

les

diverses

telle qu'il vient

phases de

la

vie

de la résumer.

II

En

1856,

tableaux

(1)

VArt,

:

Boudin envoie

deux paysages

1887,

tome XLIII.

à l'exposition de pris

dans

Rouen quatre

la vallée de Rouelles


12

près de Montivilliers, rappelant, paraît-il,

tons de Corot

le

;

une nature morte u largement

à la Chardin, " dit encore

En

1856 également,

Beaux-Arts,

admis.

Il

il

un journal de

la ville.

envoie à Paris, à l'exposition des

tableau " Pardon en Bretagne " qui est

un

il

figure dans son Musée.

A cette même exposition de

Rouen, en 1856,

autre tableau représentant également

Le compte-rendu

le

mentionne dans

ces termes

Une vue de Rouelles de M. Monet de M. Boudin. »

comment

le

nom du

figurait

un

une vue de Rouelles.

«

Voilà

traitée

l'expose ensuite au Havre. La ville l'achète et

aujourd'hui

tés

trop les

manoir en Bretagne, " plus individuel

facture; " et

comme

un peu

:

participe des quali-

peintre qui est aujourd'hui le

chef incontesté de l'école impressionniste, apparaît pour la

première

fois.

Dans quelles

avait-il rencontré

circonstances Claude

Boudin? Voici

Monet

ce qu'a raconté, à ce sujet,

M. Hugues Le Roux. «

Un

jour,

chez

un encadreur

vieux peintre hâvrais Boudin n'était

pas encore vieux

mais passons sur ces la rencontre

et

de la rue de Paris,

le

— entre parenthèse, Boudin il

a toujours été honfleurais,

petits détails

— le

peintre

Boudin

fit

d'un jeune garçon qui apportait des caricatures.


— Le vieux maître (qui yeux.

jeta les

Il vit

en l'exagérant,

mauvais de

les

i

3

n'était encore ni

que

vieux ni maître)

cet enfant cédait

au désir de

caractère des visages et

le

tourner en ridicule.

Il

non

y

fixer,

à l'instinct

demanda

:

— Comment t'appelles-tu? — Claude Monet. — Aimes-tu la peinture ? Regarde. C'était

dans une manière

tionnaire, tous ces paysages

claire,

pour

du port

et

le

temps révolu-

de la basse Seine

que vous connaissez. L'enfant dit

:

C'est très beau.

Mais

il

n'était pas convaincu.

fois qu'il vit travailler

Le maître

Boudin

il

En revanche,

avaient été s'asseoir dans le grand vent

et l'élève

leurs chevalets côte à côte, et

Boudin

Ils

avaient installé

avait dit

:

Voilà ton modèle, peins.

Le

petit

Monet

de son maître

lement

même

première

comprit et fut enthousiasmé.

des plateaux, entre Rouelles et Frileuse.

la

et

il

regardait surtout par dessus l'épaule

voyait s'arrêter, dans sa

les arbres et leur

toile,

frémissement, mais

avec sa clameur, ce grand bruit qu'il

arrive enfin

au bord des

falaises et

le

non

seu-

vent

lui-

fait lorsqu'il

prend son vol sur

la

mer.


—M— De

ce jour

Partout où

école.

n'y eut plus pour l'enfant ni bureau ni il

y

avait place de s'asseoir et de poser

une

sur ses genoux, on le vit peignant le long de la mer.

toile

comme

Et,

il

avait besoin de se fortifier dans sa

il

foi, d'arri-

ver à la formule des idées qui germaient dans sa jeune cervelle,

il

vint à Paris.

furent plusieurs années de causerie plutôt que de

Ce

dans

travail

les ateliers

de Montmartre. Aussi,

Monet, persuadés que la peinture

était

une

les

parents de

école de fainéan-

déclarèrent tout net qu'il fallait faire son choix.

tise, lui

voulait rentrer au bercail et se " mettre dans les

S'il

on lai achèterait un "

res ",

laisserait

" partir

homme

"; s'il s'entêtait,

affai-

on

le

".

— Va pour la gamelle, répondit Monet. Dans partit

ce temps-là

on

pour l'Afrique.

il

Il avait,

pendant

boîte à couleurs, et,

algérienne,

servait sept ans.

Le jeune

homme

bien entendu, emporté sa

ses

deux années de garnison

barbouilla tout juste autant d'études qu'il

monta de gardes. L'Afrique acheva son éducation de coloriste. Elle

bres

",

lui

à

lumière,

apprit

à

y

suivre

à

faire flotter

les

"

regarder

dans

les

om-

décompositions brillantes de la

autour des objets

cette

atmos-


— phère qui tremble,

et les

n'y avait plus

moyen

Il

bien sa santé vie.

i

5

cercle

comme

de douter de sa vocation. Aussi

détraquée et l'on craignait pour sa

s'était-elle

Les parents cédèrent, achetèrent " cette condition à leur

mirent

— Tu entreras dans un Ce béret.

La première

condescendance

«

que

fois

Examinez

fait

— —

«

puis

le dessin,

tendance à regarder

avez

le

ils

maître s'approcha du nouvel

il

dit

il

s'arrêta

un

instant à

:

une fâcheuse

nature trop grossièrement

la

les orteils de votre

comme

bonhomme, vous

lui

des pieds de garçon de recettes.

Mais Monsieur,

« Il

le modèle....

n'y a pas de modèle qui tienne.

venir de l'antique

!

Il faut se

quittait

Gleyre pour n'y plus reparaître jamais.

Il

fait le portrait ",

est

l'atelier

dont Fantin

dans son fameux tableau "

mort pendant

deux autres s'appelaient Renoir

de

entraînait, dans

sa défection, trois camarades. L'un, Basile,

des Batignolles

sou-

»

Quinze jours plus tard Monet

Latour a

mais

:

C'est bien, jeune homme, mais vous avez

elle est.

",

atelier.

élève pour corriger son académie,

contempler

l'homme

Gleyre que Monet vint accrocher son

chez

fut

d'une auréole.

L'atelier

la guerre de 1870. Les

et Sisley.


i6

III

Revenons

à

En

expose dix tableaux à l'exposition du Havre.

Il fait

1857,

il

Eugène Boudin

:

ensuite une vente à l'hôtel des Commissaires-pri-

seurs, dans l'espoir de pouvoir retourner à Paris,

comme

le

demandait instamment Claude Monet, qui venait d'y arriver, mais cette vente ne réussit pas. Eugène Boudin lui

reste

au Hâvre

et

Claude Monet

lui écrit la lettre suivante

Taris,

le

:

20 février

Cher Boudin, Je viens d'apprendre, par

un marchand de tableaux,

qu'il

vous

attendait d'ici quelques jours et je m'empresse de venir vous décider.

D'abord, excusez-moi du retard que

mieux vaut Vous ne

j'ai

mis à vous

écrire,

mais

tard que jamais. sauriez croire l'intérêt que vous aurez

tenant à Paris. Vous devez savoir qu'il

modernes qui renferme

les

y

œuvres de

a

en venant main-

une exposition de tableaux

l'école de 1830 et qui

que nous ne sommes pas tant en décadence qu'on

le dit. Il

prouve

y a près de

dix-huit Delacroix qui sont splendides, entre autres la " Barque de


i

7

Tïon Juan " du Salon de 1855.

Il

y a autant de Decamps, une douzaine

de Rousseau, des Dupré

y

a aussi sept à huit Marilhat et tout

cela des plus plaisir

;

il

beaux. Enfin,

que ça vous

c'est splendide, et je

ferait.

Je vous dirai qu'auprès de tout cela, les

du tout

et les

ne doute pas du

Troyon ne

se tiennent pas

Bonheur encore moins.

Venez, vous ne pouvez qu'y gagner.

Vous savez

aussi que le seul

ayons, Jongkind, est mort pour artistes font

bon peintre de marines que nous l'art;

il

est

une souscription pour pourvoir

Vous avez

complètement

fou.

Les

à ses besoins.

une belle place à prendre.

Troyon me parle toujours de vous

et sera très

heureux de vous

voir.

Le peu de choses que

j'ai

de vous ont été fort remarquées

;

je suis

entouré d'une petite bande déjeunes peintres paysagistes qui seront très

heureux de vous connaître ce sont du ;

reste de vrais peintres.

Apportez surtout de vos œuvres de marines

;

les

bonnes choses

sont toujours assez rares.

Quant

à moi, j'espère que vous ne

pochade de vous comme souvenir,

et

me

refuserez par

comme

conseils,

une

petite

vous savez

le

cas que j'en fais.

Jacque, qui tient l'atelier dans lequel je travaille, voudrait aussi faire il

quelques affaires avec vous. Je crois

connaît

En

fait

qu'il

peut vous être utile

;

énormément de monde. de nouvelles,

lement abandonné

j'ai

à vous dire que Couture, ce rageur, a tota-

la peinture.

Ce

n'est pas

dommage

;

il

a à cette

exposition des tableaux qui sont bien mauvais. Ensuite, vous saurez


— que

le petit

dans

ma

18

Daubigny en question m'appartient tout

chambre. Enfin,

à

fait. Il est

que

je vais finir et j'espère

d'ici

pendu

peu nous

pourrons beaucoup causer ensemble. Je vois toujours ce brave dire mille choses ainsi

vous

Gustave Mathieu qui me charge de vous

Amand

que M.

Gautier.

vous restez à vous abrutir dans cette

si

Quant

me

à moi, je

figures; c'est

trouve joliment bien

une fameuse chose. Du

des paysagistes;

ils

Ils

désespèrent pour

sale ville ici

;

du Hàvre.

reste, à l'académie,

il

à s'apercevoir que c'est

commencent

ferme des

je dessine

n'y a que

une bonne

chose. J'ai

oublié de vous dire que Courbet et Corot brillent aussi à cette

exposition,

La oMort

que

ainsi

et le

Millet.

Il

"Bûcheron. C'est

Enfin je termine.

Ne

a là son tableau refusé au Salon

y

une

:

belle chose.

craignez pas de

me

gêner pour

me

faire faire

vos commissions je suis tout à votre disposition. ;

Ainsi, à bientôt.

Répondez-moi vite, petite

et,

à l'avenir nous aurons,

correspondance suivie, une petite gazette des

Adieu, tout à vous. C.

Nous retrouvons

ici

1855,

il

avait fait

Un paysan greffant un Ce tableau

arts.

rue Pigalle.

Millet aussi malheureux que dix était

ans auparavant, alors qu'il

En

une

MONET, 28,

"

cela vous va,

si

au Hâvre.

un de

arbre

serait resté

ses meilleurs tableaux

:

".

dans

l'atelier

de

l'artiste,

si


— Théodore Rousseau, sous ricain,

ne

l'avait

le

19

pseudonyme d'un faux Amé-

acheté au prix de 4,000 francs.

Pour

l'époque, ce prix était élevé.

De

la part de

une

riche, c'était

Théodore Rousseau, qui

alors n'était pas

folie.

Millet resta longtemps sans savoir d'où lui venait cette

aubaine. .

il

Refusé au Salon de 1856,

le dit

Claude Monet,

terminait V Angélus en 1859.

Quant

à Boudin,

faute de ressources, le

comme

s'il

il

ne pouvait encore venir à Paris

avait ici

un ami, Gustave Mathieu,

poète chansonnier, qui tâchait de vendre ses tableaux.

Le

1 février 1857,

^

écrivait à l'artiste qu'il avait

obtenu

d'exposer ses tableaux au concert Musard qui existait alors rue Basse-du-Rempart, à l'endroit où se trouve aujourd'hui la

Grande Maison de blanc. Alexandre Dumas

fils

en

acheta deux.

Claude Monet, de son

côté, continuait de correspondre

avec Boudin.

Le

19

mai

Mon

1859,

il

lui écrivait

:

cher Monsieur,

Je profite d'un instant pour venir vous entretenir de tout ce que je vois

de beau à Paris.


20

Je n'ai

pu

aller

encore qu'une seule fois à l'Exposition, que l'on

vient de fermer pour huit jours; mais, malgré le peu de temps, voir que les paysagistes y étaient en majorité. sont superbes, les

beau. Il

Il

tristesse lier

Troyon

est sublime.

Corot, de vilains Diaz, par exemple. Le tableau de

jolis

M. Gautier

qualité, les

pu

Daubigny sont pour moi quelque chose de bien

y en a surtout un d'Honfleur qui

y de

En

j'ai

est très joli;

profonde.

Il

il

calme

est

dans une

et

gamme

grise d'une

est accablé d'articles d'éloges. Celui de

M. Lhuil-

pèche beaucoup.

J'ai

M. Gautier, qui m'a chargé de vous s'attend à

à moi,

à

vous décourager dans

m'a parfaitement reçu.

il

tableaux en train.

commencer

doit

11

choses, et qui

dire bien des

vous voir à Paris prochainement. C'est

monde. Ne restez pas

Quant

commence par

été faire des visites à plusieurs peintres. Je

Il

de tout

l'avis

le

cette ville de coton.

a beaucoup de

ces jours -ci

une grande

petits litho-

graphie.

Vous m'avez

prié de sonder

les affaires d'art. Il

Ensuite,

j'ai

y

a

un peu pour savoir comment

un peu de

été chez

M.

froid à cause de la guerre.

Lhuillier.

quières) qui lui prête son atelier.

vendu

six cents francs.

Il

en

allaient

fait

Il

Il

est

chez M. Becq (de Fou-

est très content.

un

autre, et a

Son tableau

beaucoup de

est

petits

portraits à faire à cent francs.

L'on voit de ce moment-ci de jolies choses chez les marchands de tableaux.

Voici pour la bonne bouche. Avant de partir du Havre, on m'a

donné une

Troyon.

Vous

lettre

pour

aller voir

que

j'y ai

vues serait chose impossible à dire

belles choses

J'y suis allé.

:

dire les

des bœufs


21

et des chiens admirables.

ma

beaucoup parlé de vous et est tout étonné de ne pas vous voir arriver dans la capitale. Il m'a chargé de vous dire de lui envoyer une dizaine de vos tableaux les plus faits, des marines grises, des natures mortes et Il

des

paysages.

vous

lui

se charge de les placer

Il

avez donnés dans

le

temps.

vous conseille beaucoup de venir

Il

homme,

sont plus faits que ceux que

s'ils

ici. Il

a l'air d'un bien brave

sans façons.

Quant

à moi, voici ce qu'il m'a conseillé de faire; je lui ai

deux de mes natures mortes; là-dessus, il m'a dit cher ami, vous aurez de la couleur; c'est juste d'effet; :

vous

Eh

mais

fassiez des études sérieuses, car ceci c'est très gentil,

faites ça très facilement;

écouter

un

«

mes

atelier

vous ne perdrez jamais

conseils et faire de l'art sérieux,

l'on ne tait

que de

la figure,

ça. Si

montré

bien, il

mon

faut que

mais vous

vous voulez

commencez par entrer dans des académies; apprenez à

dessiner; c'est ce qui vous

manque à presque tous aujourd'hui. Écoutez-moi et vous verrez que je n'ai pas tort; mais dessinez à force; on n'en sait jamais trop. Pourtant ne négligez pas la peinture; de temps en temps

allez à la

campagne

faire

des études, les pousser surtout.

Faites quelques copies au Louvre.

moi

ce que vous ferez, et

De

sorte que

deux d'après deux

et

Venez me voir souvent; montrezavec du courage vous arriverez. »

mes parents sont décidés

à

me

laisser

un mois ou

de Troyon, qui m'engage à rester ici un mois ou à dessiner ferme. « De cette manière, m'a-t-il l'avis

dit,

vous

allez

acquérir des facultés; vous irez au Havre, et vous serez capable de faire de bonnes études dans la campagne, et l'hiver vous reviendrez vous fixer ici définitivement. »


22

Ceci est adopté par mes parents.

et

il

m'a

dit

il

ma

a fallu que je

Alors

:

«

Il

y

à

Troyon où

Couture;

je puis

m'engageait

il

Voulez-vous écouter mes conseils

carrière, j'irais chez

lièrement.

demande

:

si

je

d'aller,

recommençais

vous recommander particudit, j'ai

tou-

que vous pensez de tout

cela.

a encore Picot et Cogniet; mais, m'a-t-il

jours détesté la manière de ces gens-là. » suite; dites-moi ce

Répondez-moi de Voici

mon

adresse

:

Place du Hâvre, Hôtel du Nouveau-Monde.

Répondez-moi de vous indiquerai dans

suite parce

que dans deux jours

ma prochaine mon nouveau

je

déménage. Je

domicile.

Tout à vous, C.

Ce

de conseil était particulièrement intéressant venant

Troyon qui avait merce direct avec Il

MONET.

tout appris de lui-même, dans son

com-

la nature.

avait seulement reçu quelques leçons et quelques

conseils de

M. Riocreux, qui

était

un

peintre de fleurs

attaché à la Manufacture de Sèvres.

Le père de Troyon avait un emploi dans cet établissement. Il mourut en 1 817, laissant deux enfants en bas âge. Constant Troyon était le cadet. La mère de ces deux enfants ne perdit pas courage.

M. Charles Blanc nous apprend qu

elle avait

imaginé

de faire de petits tableaux en assemblant des plumes d'oi-


2}

seaux d'Amérique qu'elle ajustait de manière à en faire des motifs pour épingles, broches, bagues, bracelets et autres parures. C'est avec

produit

le

madame Troyon parvint

de ces plumes d'oiseaux que

à élever ses

deux

enfants.

plus tard Eugène Boudin et Claude Monet,

Comme

Constant Troyon avait commencé par prendre

champs

Un d'un

et s'était

la clef des

mis à dessiner simplement d'après nature.

jour, qu'il avait planté son chevalet sur la lisière

du

bois,

homme

côté

qui avait

de Saint-Cloud,

un

portefeuille

il

fut abordé par

sous le bras.

C'était

Camille Roqueplan. Frappé des études de Troyon de

caractère

sincérité

y remarquait,

qu'il

encouragea son jeune confrère

et lui fit

tions qui lui ouvrirent les yeux. Il

de

l'aller

un

et

du

Roqueplan

quelques observa-

demanda

la permission

voir à Paris et la fréquentation d'un artiste aussi

avancé dans

les secrets

de son art fut pour Troyon une

bonne fortune.

IV Malgré

les sollicitations

de son élève, Eugène Boudin

ne pouvait encore venir à Paris.


— Claude Monet

24

.

lui écrivait le 3 juin 1859

;

Cher Monsieur Boudin, Pardonnez-moi

je

si

me demandiez, mais le un peu

ne vous

pas encore répondu à ce que vous

ai

travail et cet étourdissant Paris

me

font oublier

devoirs d'ami, enfin mieux vaut tard que jamais et arrivons

les

au but. chez Troyon deux

J'ai été

fois. Il se fait

Figurez-vous qu'allant deux

demander quand recommandé. sieurs toiles

Venez

le

partait

il

pour

Enfin, je crois qu'il

en

chez

fois

un

plaisir

lui, je n'ai

de vous voir. pas pensé à lui

campagne, ce que vous m'aviez

la

ne partira pas de

suite, car

il

a plu-

train.

plus tôt possible. Voilà l'exposition qui touche à sa

D'ici quinze jours,

il

n'en sera plus question.

On

même

dit

fin.

que l'on

fermerait très prochainement une salle ou deux. Mais ce n'est qu'un on-dit; malgré cela, hâtez-vous. J'ai

revu plusieurs

fois

M. Gautier, qui sera bien

aise de vous

voir.

Quant ce

que

à l'Exposition, j'y suis retourné plusieurs fois. Je vous dirai

pense de quelques tableaux. Je peux

je

puisque cela semble vous intéresser

Yvon l'autre,

a remis un second tableau

tromper, mais

:

;

il

est,

selon moi,

mieux

mais ça n'est pas beau. C'est d'une couleur noire

types sont les

me

communs

Troyon,

merveilleux,

il il

et

ont tous la

même

expression.

y en a un ou deux énormes y a un

ciel

;

le

Il

que

et sale; les

Quant on

Retour à

magnifique, un ciel d'orage.

fait

la

voit

ferme est

y a beaucoup


25

de mouvement, de vent dans les nuages les vaches de toute beauté. ;

Il

a aussi le Départ pour

y

au lever du

soleil.

C'est

le

marché ;

c'est

un

et les

effet

tes les poses; Il

le

y en les

Un

y

beaucoup de

a

ombres.

et

lui, et c'est lui

y en

Il

On

Une en

se croirait

animaux en masse; des vaches dans tou-

a des

mais ça a du mouvement

plus de succès.

dans

la

il

de brouillard

superbe; c'est surtout très lumineux.

vue prise à Suresnes ; c'est d'une étendue étonnante. pleine campagne;

chiens sont

du désordre.

qui a remporté cettte année

a de lui que je trouve

Quand vous

bien beau tableau de

vous

serez là,

lui

que

me

un peu trop

direz

j'oubliais, c'est

gueule une perdrix. C'est magnifique

;

on sent

si j'ai

noirs

raison.

un chien qui

le poil.

La

a à

tête est

surtout très soignée. Il

a des chiens d'un

y

comme

nommé

aspect, sont très nature

;

Joseph Stevens, un Belge, qui,

mais

il

escamote

les finesses.

Le grand tableau de Rousseau, Les Chiens, est trop grand. un peu confus. Il est mieux en détail qu'en ensemble.

En somme,

il

a de très belles choses.

y

Théodore Rousseau a Il

y

a

deux ou

exécution large et

Il est

fait

de très beaux paysages.

trois portraits de Pils qui sont très

comme

M. Morel Fatio

fait

beaux

comme

aspect.

des marines qui n'ont pas

le

sens

commun

;

c'est affreux.

Monginot voilà tout.

mis de

Il

a mis a

jolies

un tableau, Bertrand

mis ce tableau qui choses.

Il

y

a

était

et

Raton.

Il fait

de

l'effet,

chez Lebas; Adolphe Leleu a

Armand Leleu

qui a voulu faire du


comme

paysage

Corot, en y mettant de grandes figures

échoué. Sans cela

Lambinet ne

me

a plusieurs toiles.

fait aussi

Hamon

n'a

il

a

a fait d'assez jolies choses.

il

plaît qu'à moitié. C'est

Jadin

mais

;

Il

a

un certain succès. Pour moi,

du papillotage, du

il

chic.

des chiens; mais après Troyon, c'est de

la

charge.

pour moi, que d'horribles choses, sans couleur,

fait,

sans dessin. C'est grimacier, prétentieux; en un mot, ça n'a aucune idée de la nature.

Théodore Frère fiques;

il

y

a

une masse de tableaux d'Orient qui sont magni-

a dans tous ces tableaux de la grandeur, une lumière

chaude, et ensuite

c'est très

beau

comme

détail

comme mou-

et

vement. Delacroix a

fait

Ce ne sont que des il

a de la verve,

de plus belles toiles que ce

indications, des ébauches; mais,

mis cette année.

comme

toujours,

du mouvement.

Daubigny, en voilà un nature

qu'il a

gaillard qui fait bien, qui

comprend

la

!

Cette vue de Villerville dont je vous

ai parlé, c'est

de merveilleux. Ce serait bien malheureux

Vous peindre

les détails est

chose

difficile

si

quelque chose

vous ne voyiez pas

ça.

temps

me

pour moi,

et le

presse.

Les Corot sont de simples merveilles.

Il

n'y a pas une marine

d'un peu passable.

Isabey a

fait

une horrible machine.

de jolies petites figures. En somme, les

Comme

ya peintres de marines manquent détail, c'est joli. Il

totalement, et c'est pour vous un chemin qui vous mènerait loin.

Vous m'engagez

à aller voir

M. Monginot.

J'ai

reçu justement en


— même

temps que

ai été et

il

est jeune. Il fait

la

27

vôtre une lettre de recommandation pour

lui. J'y

m'a on ne peut mieux reçu. C'est un charmant garçon. Il

m'a montré une

a mis son atelier à

Il

ma

disposition,

de temps en temps.

et j'en profiterai

Depuis que

marine de vous.

petite

de très belles choses.

Il

je

vous

ma

expliquerai dans

ai écrit,

les

choses ont changé, et je vous

prochaine, qui sera plus prompte que celle-ci,

de quelle manière je suis casé

ici.

Je pense que

vous m'approuverez.

Hâtez-vous. Plus que huit jours pourvoir l'exposition. Je suis à présent,

35,

rue Rodier.

Répondez quand vous viendrez

et

où vous descendrez.

Tout

à vous,

C.

MONET.

V Entre temps, Eugène Boudin Courbet.

La manière dont par Schaunard

dans

les

mémoires

«

On

ne se

cette liaison

le

connaissance de

commença

Schaunard de

qu'il a publiés

serait

faisait la

la

a été racontée

Vie de Bohême,

:

jamais douté que Courbet et moi nous

dussions faire partie d'une caravane de botanistes en tour-


28

née au Hâvre?... C'est pourtant ce qui arriva un jour

Nous

«

découvre

voilà à

la

au Hâvre dans vitrine

consciencieusement

chez M.

démenti

voulant

demanda

il

On

le féliciter.

et

aussitôt

nous envoie

qui depuis n'a pas

espérances que donnaient ses premiers essais.

M. Boudin nous

«

sur galets, et

Boudin, alors tout jeune les

Courbet

la rue de Paris...

d'un papetier de petites marines

faites

l'adresse de l'artiste,

reçut

comme

vous pouvez

le penser,

et se

mit à notre disposition pour nous piloter dans

Dès

le

talla

Pour

Un

lendemain,

emmena

nous

«

la Seine avec des

Manche

et

la surprise

le

falaise.

deux tableaux

:

Une vue de V embou-

pommiers au premier plan.

Mais un matin que nous flânions sur

eûmes nous

à Honfleur et nous ins-

en passant, Courbet peignit

coucher de soleil sur la

chure de

un

il

pays.

le

dans une auberge rustique, à mi-côte de la le dire

d'été.

de rencontrer

le

le port,

nous

quand

poète Baudelaire,

Mal dans

croyions occupé à cultiver ses Fleurs du

hôtel de la rue Mazarine. «

Tous

les "

oh

" et tous les "

ah "

cités

la

gram-

fois

de nos

dans

maire au chapitre des interjections sortirent à la trois poitrines. «

Baudelaire nous expliqua qu'il était en villégiature

forcée chez sa mère, la générale

Aupick, qui possédait une

maison de campagne aux environs de la

ville, et

il

ajouta

:


— «

emmène

Je vous

Nous

«

29

dîner et je vous présente à

elle.

»

étions fort embarrassés, car nous n'avions pas

apporté de toilette

même

nos vareuses de voyage étaient

;

dans un état pittoresque peut-être, en tous cas déplorable.

Mais notre ami nous

fut-il

insista sur

impossible de lui

Je vois encore

«

mon

bras à la maîtresse de la suivi

comme

personne

mant de «

un ton presque impérieux

!....

aide de

aussi

résister.

Courbet

en deux pour

plié

maison qui

était

de petite

camp de ma non moins

Le dîner,

;

luxueusement

très

offrir le taille, et

grotesque

servi, fut char-

tout point.

Quel

dessert plein d'aménité et

été gais si les

comme nous

convenances ne nous avaient

aurions

forcés à mettre

des gants à notre conversation pour remplacer ceux qui

nous manquaient aux mains. Nous prîmes

véranda remplie de plantes voir tous les astres se lever «

ou

rares,

le café

sous une

de laquelle on pouvait

se coucher

dans

les flots.

Vers neuf heures, nous quittâmes pourtant ce lieu

enchanteur, mais c'était pour retourner à Paris de nuit. Baudelaire nous accompagna jusqu'au bateau il

s'embarqua, puis, de plus

avec nous au Hâvre «

ses

Que

en plus

il fit

mieux,

fort, il prit le

train

!

signifiait cet

hôtes?

fort

;

En nous

empressement exagéré à reconduire

suivant, notre

ami un peu fantasque


profitait de l'occasion qui se présentait à lui

de s'évader de

chez sa mère.

C'est que, nous dit-il dans le

«

m'est odieuse, surtout par

m'accable

soleil

;

je

me

le

crois

wagon,

la

campagne

beau temps. La persistance du encore dans l'Inde où la conti-

nuité monotone de son rayonnement jette dans la torpeur

plus de cent millions d'êtres humains, en comptant les Anglais... Pardon, je ne les compte pas, car, au

leur langue, ce qui m'oblige à

eux. Je traduis

même

en ce

une

fait, je sais

certaine politesse envers

moment Edgar

Poe...

Ah

par-

!

lez-moi des ciels parisiens toujours changeants, qui rient et

qui pleurent selon le vent de chaleur

et

et sans

que jamais leurs alternances

d'humidité puissent profiter à de stupides

céréales. Je froisserai plutôt vos convictions de paysagistes,

mais

je

table

;

vous dirai aussi que l'eau en

liberté m'est insupporles

murs

promenade préférée

est la

veux prisonnière, au carcan, dans

je la

géométriques d'un quai.

Ma

berge du canal de l'Ourcq.

Quand je me

«

mieux une l'état

boîte à

parfait

compotier

!

De

c'est

dans une baignoire

musique qu'un

des fruits

rossignol, et,

;

j'aime

pour moi,

d'un jardin ne commence qu'au

Enfin l'homme soumis à la nature m'a toujours

semblé avoir «

baigne,

refait

un

pas vers la sauvagerie originelle

!

paradoxes en paradoxes et de stations en stations,


— 3i — nous étions arrivés à de manière

la

gare Saint-Lazare. Mais quelle drôle

en Normandie

d'aller herboriser

« Il était

quitta; mais

peut-être huit heures il

!

du matin, Courbet nous

fut décidé entre Baudelaire et

moi que nous

déjeunerions ensemble. Baudelaire qui avait quitté la mai-

son maternelle

comme

francs. Je fouillai

dans

il

n'avait

que

trois

et je n'y trouvai

que

l'es-

vient d'être

ma

poche

dit,

poir de vendre quelques gravures au " Père Mêdicis ". »

VI

Plus tard Courbet revint

et rejoignit

dernier le décida à faire de la marine. "

comme Un

disait

«

Du paysage de mer ",

Courbet.

jour qu'ils travaillaient ensemble sur le bord de la

mer, Courbet, quittant sa vers

Eugène Boudin. Ce

Boudin qui ébauchait

toile, se

le

même

pencha silencieusement sujet,

— mer

et ciel.

C'est prodigieux, s'écria Courbet en levant ses robustes

épaules.

En

vérité,

mon

cher, vous êtes

a que vous qui connaissiez le ciel

!

»

un séraphin

;

il

n'y


— «L'hyperbole

n'était pas

mond Bouyer dans 1899. L'air qui

landaises

32

la

un mensonge, a

M. Ray-

dit

Galette des Beaux- Arts du

er

I

Février

manquait trop souvent aux précisions néer-

comme aux

fiertés

romanesques,

l'air est sa

plus

belle conquête.»

Et à propos des ciels de Boudin, Baudelaire, moins para-

doxal que tout à l'heure, a écrit la page suivante dans son

Salon de 1856

:

Oui, l'imagination

«

esprit

fait le

paysage. Je comprends qu'un

appliqué à prendre des notes ne puisse pas s'aban-

donner aux prodigieuses cles de la

rêveries contenues

nature présente

fuit-elle l'atelier

dans

mais, pourquoi

;

du paysagiste? Peut-être les

les specta-

l'imagination artistes

tivent ce genre se défient-ils beaucoup trop de leur

qui cul-

mémoire

qui s'accomode parfaitement à la paresse de leur esprit. «

avaient vu,

S'ils

M. Boudin fort

qui, soit dit

comme

fort

beau

et

sage tableau (Le Pardon de Saint-Anne de Palud), plu-

mer

l'air

vu récemment chez

en passant, expose un

sieurs centaines d'études

la

j'ai

et

du

ciel,

ils

au

pastel, improvisées

en face de

comprendraient ce qu'ils n'ont pas

de comprendre, c'est-à-dire la différence qui sépare une

étude d'un tableau. Mais gueillir

M. Boudin

de son dévouement à son

art,

qui pourrait s'enor-

montre

très

modes-


— tement

33

sa curieuse collection. Il sait bien qu'il

faut

que

tout cela devienne tableau par le

moyen de

poétique rappelée à volonté, et

n'a pas la prétention de

il

l'impression

donner

ses

doute,

nous étalera dans des peintures achevées

il

notes pour des tableaux. Plus tard, sans aucun

gieuses magies de Ses études

«

d'après ce qu'il

dans

la

forme

y

et

l'air et

si

de l'eau.

rapidement

et

si

fidèlement croquées

a de plus inconstant, de plus insaisissable

dans

la couleur, d'après des

nuages, portent toujours, et le

les prodi-

écrits

vent; ainsi, par exemple

en marge, :

vagues

et

des

la date, l'heure

8 octobre,

midi, vent du

nord-ouest. « Si

vous avez eu quelquefois

le loisir

de faire connais-

sance avec ces beautés météorologiques, vous pourrez vérifier

la

par mémoire l'exactitude des observations de M. Boudin

;

légende cachée avec la main, vous devinerez la saison,

l'heure et le vent. Je n'exagère rien, ces

j'ai

nuages aux formes fantastiques

vu.

et

A

la fin, tous

lumineuses, ces

ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses sus-

pendues

et

ajoutées les unes

aux

autres, ces fournaises

béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé et déchiré, ces horizons

en deuil ou ruisselants de métal

fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs

montèrent au cerveau

comme une boisson

capiteuse.

me


— «

Chose assez curieuse,

il

34

ne m*arriva pas une seule

me

devant ces magies liquides ou aériennes, de de l'absence de l'homme; mais je

soit,

un

plaindre

garde bien de

tirer

conseil

pour qui que

non plus que pour M. Boudin. Le

conseil serait

de la plénitude de ce

ma

me

fois,

jouissance

trop dangereux. « Qu'il se rappelle

que l'homme, comme

qui avait soigneusement

fait ses

humanités, ne voit jamais

veut gagner un peu de popu-

l'homme sans

plaisir, et,

larité, qu'il se

garde bien de croire que

à

un

s'il

dit Robespierre

le

public soit arrivé

égal enthousiasme pour la solitude.

Alexandre

Dumas

fils

appréciait également les ciels de

Boudin. Voici une lettre qu'il lui écrivait à ce sujet

:

Cher Monsieur, Voulez- vous

me

vard qui voudrait

permettre de vous adresser une demoiselle Foi-

faire

de la peinture,

et,

par suite d'une certaine

disposition des yeux, voudrait faire surtout des ciels.

Vous, qui

êtes

l'homme des

ciels

par excellence,

vous de voir vos cartons de pastels que vous m'avez

si

lui

permettez-

obligeamment

ouverts ?

Vous m'avez promis

aussi

un grand

ciel,

une

petite ligne de

mer


et

une voile au milieu de tout

Moi j'y pense

cela,

mais vous n'y avez plus pensé.

toujours.

Mille compliments de votre tout dévoué,

A.

Mais «

l'éloge le plus précieux lui vint

Boudin

est le roi des ciels

!

»

DUMAS.

de Corot, qui

dit

:


_

-

36

Corot garda toute sa vie une étude de

que Boudin

lui avait dédiée.

redemanda

et la

mourut,

elle fut

ciel faite

A la mort de Corot,

conserva à son tour;

un

acquise par

et,

artiste

au pastel

Boudin

la

quand Boudin

distingué, Paul

Helleu.

VII

Nous Le

étions arrivés tout à l'heure à l'année 1860.

Claude Monet

21 avril,

écrivait à

Boudin

:

Cher Monsieur, Pardonnez-moi d'accepter vais

si j'ai

autant tardé à vous répondre. Je vous prie

mes excuses; ayant

très

peu de temps à ma disposition,

simplement répondre à votre

lettre

je

dont je vous remercie

beaucoup. Je

vous

dirai

ouverte encore

d'abord que l'Exposition n'est pas fermée et sera assez

longtemps;

je

ne puis vous fixer au juste

l'époque. Je vous annoncerai seulement que vous perdez beaucoup à attendre, et

vu que

l'on a déjà

changé une grande quantité de

toiles,

pas des moins importantes, leur intention étant de faire durer

cette Exposition

a toujours

en changeant

énormément

les toiles tous les mois.

à voir, je vous l'assure.

Du

reste,

il

y


— 37 V enez

donc, je serai bien heureux de vous voir et de vous

demander des conseils sur mes travaux. Il fait

déjà

un temps superbe

Je vous

ici.

vais passer quinze jours, trois semaines dans

à

Champ igny-sur-Marne.

Je vais

y

faire

annonce que

un

petit

je

m'en

pays charmant,

un peu de paysage, accom-

pagné de deux de mes camarades.

M. Gautier vous attend d'après

toujours.

Il

vient de faire une eau-forte

mon Daubigny.

J'espère que, ne m'ayant pas répondu, vous ne

cadeau que

j'ai

me

refusez pas le

eu l'indiscrétion de vous demander. Je vous en serai

reconnaissant

Mathieu vous serre

la

main.

Tout à vous, Votre élève

et ami,

C.

Quoique Paris;

si

allant à la

campagne, vous pouvez

ça ne vous dérange pas, ça

me

fera

MONET.

m écrire

beaucoup de

toujours à

plaisir.

Tout à vous.

L'année suivante, Eugène Boudin prenait la détermination de se fixer à Paris.

Un

de ses amis du Hâvre

recommandation pour

le

lui

donnait une

lettre

dessinateur Karl Bodmer.

de


Havre, 21 janvier 1861.

Mon Je

cher Bodmer,

vous présente [Boudin, jeune peintre hâvrais, dont j'estime

beaucoup

le talent,

peu encouragé par

et qui,

chand du Havre, va décidément

se fixer à

le

public tout mar-

Paris

comme Troyon,

Français, etc., le lui ont dès longtemps conseillé. Il

car

il

ne faut qu'un peu de chance pour que bientôt on parle de

possède à un haut degré

Quelque

plaisir

lui,

sentiment de la couleur.

le

que j'eusse de

visiter quelquefois

son

atelier, je

ne

puis qu'applaudir au parti qu'il prend. Boudin a vu vos dernières lithographies et croit, l'huile,

Je

on

comme

moi, que

si

vous exécutiez ces sujets à

vos tableaux.

se disputerait

vous recommande Boudin.

Je vous serre la

main

et suis

de cœur votre Affectionné ami, J.

Cependant Boudin et,

même

à ce

WANNER.

n'osait pas encore quitter

moment,

il

eut

un

Honneur,

accès de profond décou-

ragement.

Le 27 janvier

une

1862,

lettre désespérée.

il

écrivait à son

ami Gustave Mathieu


39

— Honfleur, 2 7 janvier 1862.

Mon Je vais vous

cher Mathieu,

demander un large

main un morceau de papier

me

le

service. S'il

une plume,

et

je suis

vous tombe sous

la

convaincu que vous

rendrez avec empressement.

Voici ce dont

il

s'agit

:

Cette année encore j'avais résolu de

me

rendre à Paris et à cher-

cher à y vivoter, tant bien que mal, à l'aide de quelques personnes en tête desquelles je

vous place

mais les rapports que l'on

;

situation des choses à Paris

dépourvu d'avances, éventuel, hélas! de

Vous

êtes

et qu'il

mes

pensez.

Vous voyez des

dire ce qu'il

Je il

en

est

vous avoue

me

sur la

d'autant plus que je suis

faudrait vivre sur le placement, bien

peintures.

mieux que

véritable état des choses

m'effraient

me fait

qui que ce soit ;

en position de connaître

le

dites-moi bien sincèrement ce que vous en

peintres, des amateurs, et vous pouvez

me

au juste.

qu'ici je

ne trouve plus

à vivre

littéralement;

faut bien aller chercher sa vie quelque part. Aussi, je vais m'en-

foncer dans quelque coin de l'emploi de

mes mains,

la

province pour tâcher de trouver

car je suis las de solliciter pour qu'on

m'achète, et à quel prix! d'informes peintures que l'on est obligé de faire

au goût de gens qui n'y connaissent rien. Notre métier est déci-

dément Je

très dur.

vous donne une bonne poignée de main,

et

vous prie de

me


dire

un mot bien sincère sur ce que

vous en avez

je

vous demande,

si

toutefois

le loisir.

A

vous d'amitié, E.

BOUDIN. artiste,

Rue de l'Homme-de-Bois,

Rue de

l'

Homme-de-bois, à Honfleur

Boudin habitait un pavillon appelé

le

!

à Honfleur.

C'est là

que

pavillon des trente-

six marches.

Au

lendemain de sa mort, YÉcho Honfleurais a raconté

qu'Eugène Boudin connut nuit d'hiver,

Mais

buer

il

cette

mourant de

là des jours

froid,

il

sans pain,

qu'une

et

brûla ses meubles.

reprend courage. Peut-être

est-il

permis

d'attri-

recrudescence d'énergie à la rencontre qui se

moment entre lui et Jongkind, dont l'exemple fait pour le réconforter et lui donner un nouvel

produisit à ce était

bien

élan.

VIII

Boudin rencontre, en

effet, le

ville et des relations amicales se

peintre

Jongkind

forment entre eux.

à Trou-


4

Jongkind a joué un grand de Boudin,

et, à cet

i

rôle

dans

égard, les lettres

la carrière artistique

du peintre hollandais

constituent des documents intéressants. 1856 Jongkind passait pour fou et

Nous avons vu qu'en était faire

tellement malheureux que

une souscription en

Jongkind

On le vit

était

de 1852,

il

les artistes.

aux environs de Rotterdam.

eut

d'Eugène Isabey.

une troisième médaille

récompense qu'on lui décerna jamais.

fut la seule très

18 19

parmi

à Paris en 1849, dans l'atelier

A l'exposition un

sa faveur

né en

peintre Cals avait dû

le

humble

logis rue de Chevreuse,

Il

;

ce

habitait

au coin du boule-

vard Montparnasse. «Il vivait là, raconte M. deFourcaud, entouré d'oiseaux qui venaient percher jusque sur son chevalet.

Dès

«

ses premiers mots, le désarroi

de ses idées se

manifestait sur tout autre sujet que la peinture. l'objet

de persécutions constantes de

placés....

la part

Mais, dès qu'il parlait de son

Il

se croyait

d'ennemis haut

art,

sa lucidité se

retrouvait intacte. »

Claude Monet a

dit

de lui

:

«

On

a toujours à

gagner à

regarder les paysages de Jongkind parce qu'il peint sincè-

rement

En «

comme 1872,

Un

il

voit et

comme

Emile Zola a

écrit

il

sent.

de lui

»

:

peintre de cette conscience et de cette originalité


— est

un

non pas un maître aux

maître,

colossales,

42

allures superbes et

mais un maître intime, qui pénètre avec une

rare souplesse dans la vie multiple des choses. »

« C'est de Jongkind, dit encore sortie très

est le chef éclatant. »

M. Roger Marx dans

Voici enfin ce qu'a écrit

de Y Image de Juin 1897 « Je l'aime ce ;

qu'est

sensiblement l'école du paysagiste impressionniste

dont M. Claude Monet

ongles

M. de Fourcaud,

je lui

Jongkind

;

est artiste

il

trouve une vraie ;

jusqu'au bout des

et rare sensibilité

sa pensée

C'est Castagnary

Y Artiste où

;

chez lui

marche entraînant

qui tient ce langage

exalte le refusé glorieux de 1863.

il

numéro

:

tout gît dans l'impression

main.... »

le

la

dans

Dix années

plus tard, le justicier pourra encore opposer sa sympathie lucide à l'aveuglement partial des jurys

nouveau parmi adressées à son

les proscrits.

Le

Jongkind

est de

faut lire, dans les lettres

ami Detrimont, comment

révolte sous l'affront et

s'épanche.

Il

:

comment

le

bon peintre

sa tristesse

voici bientôt vieux. Depuis 1846,

se

doucement il

expose

et

peint sans relâche, s'efforçant de conduire le paysage vers l'analyse et la notation des

phénomènes lumineux

aspects grandioses

ou intimes de

du

il

soir

au matin,

;

les

la nature l'émerveillent et

la reproduit sans littérature

mais non


— sans émotion avec la

Seul

~

naïveté chaleureuse de

simple, tendre et sauvage. tant.

43

On

ne

le

son

âme

comprend guère pour-

devine en lui l'initiateur de l'impression-

l'élite

nisme. Philippe Burty

le

loue sans réserve. Dans

le

journal

des Goncourt, le peintre n'est pas traité avec une moindre estime. Tout d'abord le 4 fournit prétexte à à

un

mai

portrait caractéristique de

une curieuse appréciation de <

J'ai été

un

1871, lors d'une visite qui

ses travaux

des premiers à goûter

et

du moment.

l'artiste, dit

Edmond

bonhomme. Figurezaux yeux bleus, du bleu de

de Goncourt, mais je ne connais pas

vous un grand diable de blond,

l'homme

le

la faïence

de Delft, à la bouche aux coins tombants, pei-

gnant en

gilet de tricot et coiffé d'un

hollandais.

Il a,

sur son chevalet,

chapeau de marin

un tableau de

la banlieue

de Paris avec une berge glaiseuse d'un tripotis délicieux.

nous

fait

voir des esquisses des rues de Paris,

Il

du quartier

Mouffetard, des abords de Saint-Médard où l'enchantement des couleurs grises

et

avoir été surpris par

aqueux. »

barboteuses du plâtre de Paris semble

un magicien dans un rayonnement

— Mais où Edmond de Goncourt

compréhension

la plus pénétrante et la

lorsqu'il énonce, à propos

destiné à servir

venir

:

«

Une

témoigne de

mieux

du salon de

la

avertie, c'est

1882,

cet

axiome

d'épigraphe à toutes les biographies à

chose

me

frappe, c'est l'influence de

Jong-


— kind. Tout

le

44

paysage qui a une valeur à l'heure

descend de ce peintre, lui emprunte ses

ciels, ses

aux yeux

phères, ses terrains. Cela saute

qu'il est,

atmos-

et n'est dit

par

personne. » «

Cette suprématie, chacun

proclamer à carrière de

l'envi.

Quand

Jongkind,

la

l'allait

mort eut mis un terme à

yeux

les

bientôt reconnaître et

les plus hostiles

la

soudain se

dessillèrent; l'indépendance des allures, la hardiesse et la

nouveauté du métier cessèrent

d'être

imputées à

grief.

Les critiques après décès relatèrent plus ou moins exacte-

ment toire,

«

cette existence assez

simple pour n'avoir pas d'his-

non point heureuse cependant...

Mieux que toutes

les

récriminations tardives, l'œuvre '

de Jongkind

s'est

chargée de le venger des iniquités subies.

Voici les lettres de Jongkind

»

:

77 Septembre 1862.

Mon bon ami

Boudin,

Je reçois à l'instant votre petit

mot comme quoi vous pensez

à

moi

d'amitié et que vous avez voulu vous intéresser à nous pour le cas où

nous irions nous

installer à Trouville.

Je vous dirai que et,

nous avons été retenus au Hàvre jusqu'à présent,

pendant ce temps-là je

à Sainte-Adresse.

me

suis

occupé toujours à

faire des études


— Vous comprenez bien

45

qu'il faut

— aimer la nature pour

regarder

la

toujours avec plaisir, curieuse et intéressante, pour la rendre,

en tableaux.

faible,

La peinture

est bien difficile, et

vouloir pas trop embrasser en si

je

même

même

vous disais de courir deux

comme vous

observez bien de ne

temps. C'est absolument

lièvres.

Mais, décidément l'intention

sérieuse c'est de venir vous voir un de ces jours ainsi dire

abandonné

comme

;

nous avons pour

l'intention de venir à Trouville

pour quelque

temps. D'abord, le temps de notre vacance est presque je souffre toujours et

que

chambre au Hâvre

la

fini, et

et ce

puis,

comme

qui m'entoure

sont sains, bons et tranquilles, c'est pour cette raison que je voudrais finir

pour

cette saison notre

époque au Hâvre.

Ainsi donc, un de ces jours je serai heureux de vous revoir.

En

attendant, recevez

mes

salutations sincères.

A vous d'amitié. JONGKIND. Le Hâvre, 17 septembre, 1862 12,

Taris,

Place Louis-Philippe

3 décembre 1862.

Mon bon ami Votre

lettre du...

novembre

Boudin,

1862 m'a fait plaisir d'apprendre votre


bonne

46

-

santé, d'avoir l'idée de venir à Paris et d'avoir

bon souvenir.

Quand

pensé à moi de

Je m'empresse donc aussi de vous faire réponse.

je verrai

M.

Isabey, je lui présenterai vos compliments.

Je crois qu'il est toujours souffrant, mais qu'il travaille cependant toujours.

Jusqu'à présent, je ne sais pas

moi-même

à quelle date l'ouverture

de l'exposition prochaine de Paris.

En

ce

que des plaintes.

qui regarde les affaires, je n'entends

Cependant, on espère que

les affaires reprendront. J'ai placé quel-

ques tableaux dont l'argent n'est pas encore rentré. Enfin, je serai content de vous voir

quand vous viendrez à

Paris.

C'est toujours bon, dans cette ville universelle, de prendre des

renseignements

et

de se

fortifier.

reux dans ce beau pays, où si

Pour

cela, je

vous trouve

fort

heu-

l'on

peut vivre

Je vous remercie de vos compliments sur l'ouvrage de

mes eaux-

il

y

a tant à peindre et

tranquillement.

fortes. Je regrette

tableau.

Il

n'a pas

que M. Le Bas

pas encore placé

n'ait

dû montrer ce tableau à

tout le

mon

petit

monde, au premier

venu. Je suppose qu'il n'en est pas volé et qu'il en trouvera

une place

honorable. Je connais tous les artistes hollandais dont

M. Casinelli vous a

parlé.

Maintenant, je vous dirai que je regarde votre lettre article

de grande poésie

et

de rêverie

;

comme un

que vous n'avez pas encore

trouvé le secret de bien des choses en vous promenant avec un mor-


— ceau de pain voit et d'en Il

me

séjour au

sec. Je

Havre

le positif

de ce que l'on

la vérité philosophique.

vous dire que et

vous engage d'embrasser

comprendre

reste à

47

conservé un bon souvenir de notre

j'ai

de votre accueil d'ami à Trouville

Je désire que vous receviez celle-ci en

et à

bonne santé

et

Honfleur.

que vous

trouviez la paix en faisant de la peinture avec amour. Je serai

heureux d'avoir toujours de vos nouvelles.

En attendant

le plaisir

de vous

voir, votre ami,

JONGKIND. 9,

rue de Chevreuse

au coin du Boulevard Montparnasse.

Depuis

1857,

Jongkind vendait

ses tableaux à

un

petit

marchand de la rue Mogador, qu'on appelait le père Martin. C'était un ancien ouvrier sans instruction, sans fortune, mais plein de finesse Il

avait

et

de goût.

un des premiers deviné en Jongkind un grand

artiste.

Jongkind let 1857

lui écrivait de

Rotterdam à

du

21 juil-

:

Mon bon Je vous envoie aujourd'hui

C'est en

la date

même temps

Martin,

un tableau représentant une marine.

un souvenir du vieux port à Rotterdam. La


construction de cette maison ou huit mois. Enfin,

mon

que vous aurez reçu

aussitôt

eu aussi une

heureusement, aujourd'hui

que je vous

ai

comme je l'ai

fait,

envoyés,

il

il

six à

un tableau

et je

trouviez bien

le

le tableau,

mon

de

lettre

monument est démolie depuis

possible pour en faire

heureux que vous

serais bien

J'ai

j'ai fait

-

48

de m'écrire la réception.

noble ami.

est bien portant.

ne

les a

mon

a été malade, mais

Il

Les derniers tableaux

pas vus,

mais

il

m'encourage,

à vous envoyer des tableaux.

Voyez donc, mon bon Martin, que vous aide,

aussi je vous prie,

;

espérance, et que je

me

êtes

mon

mon

trésor,

trouve satisfait et doublement

de recevoir de vos nouvelles et de voir que vous êtes content

satisfait

de ce que je vous envoie. S'il plait

A bientôt Et,

!

à Dieu, je

En

vous reverrai,

mon bon

attendant,

comme nous avons

réglé

et

mes amis,

et la belle

France.

Martin, envoyez-moi de l'argent.

nos comptes à raison de 175 francs

chaque tableau, je vous prie de m'envoyer 200 francs maintenant.

Pour

le

surplus de 25 francs que je vous dois, nous arrangerons cela

quand je

serai près

de vous.

Mes compliments Qu'on tienne

la

tout près pour boire

Faites connaître Je

me

à

Madame.

grille

chaude pour une

du vieux Médoc de Bercy

mes sentiments

rappelle aussi,

comme

côtelette et la bouteille !

d'amitié à tous les amis.

toujours, à votre

bon souvenir

et je

suis tout à vous.

Votre ami.

JONGKIND. Kruyskade myh N° 15;

235.


IX Le père Martin l'atteste la lettre

19

curieuse,

comme

:

cher Boudin,

Je voulais aller chez et je suis

une physionomie

suivante qu'il écrivait à Eugène Boudin, le

décembre 1887

Mon

était

vous ce matin, mais

la

neige m'a pris en route

comme un barbet. motivait ma visite, en dehors du

revenu mouillé

Voilà ce qui

plaisir

de vous

serrer la main. Il

y

a quelques jours, le matin,

en

de police est venu avec son aide, M.

mon

absence, le commissaire

(

qui a désigné la toile

)

de Corot que vous aviez regardée et que vous avez dû copier chez

le

maître. Je ne sais qui a motivé cette action. Je crois que les brochets

veulent manger maître, et va Je suis

me

en

le

fretin.

Lépine a vu cette

toile

chez Corot, son

remettre une attestation.

train d'établir

mon

honorabilité. Après quarante ans

d'un commerce honnête, être obligé d'établir que l'on n'est pas un filou, c'est raide, J'ai écrit à

comme

M. Doria

disait ce

pauvre Malinet.

et à tous les clients

importance. M. Anatole de

la

dont

le

nom

a quelque

Forge vient de m'envoyer une

lettre

que beaucoup de ces gredins seraient

fiers

d'avoir. Ainsi, cher ami,

vous voyez ce que vous avez à

dans

mon

faire

intérêt

comme

dans


5o

celui de la vérité. Je serais bien aise,

pas de

lui

prouver que

je

— en allant trouver M. Atthalin, non

ne peux pas

me

tromper, mais que je suis

incapable de vendre une toile que je ne croirais pas du maître.

Mon

cher Boudin, M. Corot a peint pendant plus de cinquante-

cinq ans

;

il

a fait sans doute plus de quatre à cinq mille peintures, ce

qui ne veut pas dire que tout cela soit des chefs-d'œuvre, puisqu'il a été longtemps qu'il n'était pas accepté pour le prix des cadres. Si tout

cela avait été

des merveilles,

cela rendrait

la génération

encore

plus bête qu'elle n'est, et cela n'est déjà pas mal. Je vous serre la

main

d'amitié.

MARTIN.

X

Le

14 janvier 1863,

avec Marie-Anne

somme

Eugène Boudin

Guédès,

de 2.000 francs.

au Havre,

qui lui apporte en dot une

Quelques mois plus tard

douleur de perdre son père. la lettre suivante

se marie,

A ce

sujet,

Jongkind

il

a la

lui a écrit

:

Taris, 6 juin i863.

Mon bon J'ai

ami Boudin,

bien souvent pensé à

mon

voyage de l'année passée

et à tant


de preuves de bonne amitié lorsque Honfleur

votre connaissance à

fait

j'ai

et à Trouville.

Enfin, je

vous prie de vouloir bien accepter l'assurance que

je suis

sensible à la lettre que vous m'avez envoyée le 3 juin 1863 et je vous prie,

en

même

temps, d'accepter l'assurance que je prends part à

perte douloureuse de votre bien.

Ce brave homme m'a

bon

me

père, que je

la

rappelle encore très

reçu de bonne amitié et m'a raconté ses

souvenirs de Hollande.

Mon aide,

bon ami Boudin,

pour

la

faut prier Dieu, la grande consolation et

Vous

paix de l'âme de votre bon père.

que moi ce que

Ayez

il

savez aussi bien

nous apprend.

la religion

aussi la bonté de dire

mes

respects à votre

bonne mère

et

3.

tous vos parents. Je n'ai pas beaucoup à ajouter à celle-ci. je

Il

serait bien possible

vienne cette année au Hâvre. Je serai heureux

Mes tableaux

Je travaille toujours.

d'aller

vous

que

voir.

sont parmi les refusés et

j'ai

du

succès. J'ai

vu votre tableau

Pour pour

me

il

;

est assez bien placé et est très

le reste, je souffre toujours et

rétablir. J'espère le

il

faut

du temps

bon. et

du repos

mieux.

Je finis pour aujourd'hui de vous écrire.

Veuillez recevoir

mes

salutations et

mes

souhaits pour vous et

pour Madame Marianne. Je

me recommande

à votre

bon souvenir

votre

et à

bonne

amitié.

Tout à vous,

JONGKIND. 9,

rue de Chevreuse.


— Au

mois d'août de

52

cette

même année

1863,

Jongkind

revient à Honfleur et voici, à ce sujet, les lettres qu'il écrit

ami Eugène Boudin qui

à son

était à ce

moment

à Trou-

ville.

i3 août 186 3.

Paris,

Mon

bon ami Boudin,

Jusqu'à présent, causes

attendu pour vous écrire.

Il

y

a plusieurs

entre autres, un déménagement.

;

J'ai pris

venu me

un troisième étage dans

même

la

maison, où vous étiez

voir.

Suivant votre «

j'ai

lettre, j'ai

Le Port de Honfleur

il

fait retirer

est chez

votre tableau du Salon

moi

et

à votre disposition.

Mais, la principale raison pour laquelle je vous écris aujourd'hui,, c'est

Madame

que

Normandie,

deux mois

Ma

et,

Fesser et moi nous voulons faire

le

voyage de

après réflexion, nous installer pour six semaines ou

à Honfleur.

position financière n'est pas brillante. Mais, pour être tran-

quille et faire quelques je serais

études et pour voir

la

mer

et la belle nature,

heureux de trouver à Honfleur une ou deux chambres

convenables

et

pas cher. Enfin, vous connaissez cet endroit et je vous

prie de vouloir bien, par retour de poste, m'envoyer,

si

vous pouvez,

quelque adresse de bourgeois où nous serons bien.

Vous savez probablement par expérience quand on descend tel

ou

à l'auberge,

que tout revient trop

Fesser et moi nous ferons notre cuisine.

cher,

tandis que

à l'hô-

madame


— Mon bon désirs, je

compte

Dans tous

En et

Boudin,

peux arranger mes

je

si

53

alors sur le plaisir de

ayez

les cas,

la

affaires d'après

mes

vous revoir bientôt.

bonté de m'écrire aussitôt que possible.

attendant, je vous envoie le souhait le plus heureux pour vous

pour Madame Marianne. Votre ami.

JONGKIND. 9,

Samedi,

Mon bon ami

S

je

peu près un mois, avec remercie aussi pour

voir

sommes

à Honfleur et

remets chaque jour de vous donner de mes nouvelles.

D'abord, je vous dirai que

J'ai

septembre i863.

Boudin,

Voilà déjà une dizaine de jours que nous

que

rue de Chevreuse.

la

j'ai

les adresses

reçu votre

bonne

lettre,

M. Hamelin, mais

il

il

y

a été fort

honnête pour nous.

la

mienne.

J'ai

voulu

était toujours sorti.

Enfin, le principal c'est que

Madame

Fesser et moi nous

sommes

de retour en Normandie et installés à Honfleur, rue du Puits, N°

Nous sommes bien

a à

de vos amis à Honfleur. Je vous

réponse que vous aviez envoyée sur

vu M. Dubourg;

il

logés.

31.

Votre ancienne maison de l'année passée

était occupée.

Avec

tout cela

j'ai

pensé

et parlé d'aller

vous voir, mais avant tout


54

prendre bien ses mesures. Je veux dire,

Havre un matin, par

le

bateau et loger

la

mon

intention est d'aller au

nuit dans notre

chambre de

l'année passée, et le lendemain matin partir pour Trou ville, de façon à pouvoir revenir le soir, en se promenant, à Honneur.

Cette année, c'est encore la faute d'argent je

mes

me

même

passée

histoire que l'année

trouve obligé, sur

la

moindre dépense, de

;

faire

calculs et réflexions.

En

attendant,

j'ai

dessiné quelques bateaux et quelques croquis

sur Honfleur. Je tâcherai de mettre

mon

talent

en pratique

reux de pouvoir placer mes tableaux

Dans

ici

et je serais fort

pendant

mon

heu-

séjour.

tous les cas, je ne tarderai pas à aller vous voir et

Madame

Marianne. Je

vous prie de prendre l'assurance que

vous voir

et

Recevez

je serai bien

de causer de beaux-arts, etc., etc., ainsi les souhaits les plus

heureux de

etc.

heureux de votre ami.

JONGKIND. 31,

rue

du Puits à Honfleur.

I er octobre

Mon J'ai

i863.

cher Boudin,

reçu votre lettre du 23 septembre et je vous écris pour vous

donner quelques réponses.


— Le temps

55

est tellement contraire

que nous avions eu

vous voir d'aujourd'hui à demain,

d'aller

et

le projet

puis chaque fois nous

étions retenus par la pluie. Enfin, la décision de

Madame

Fesser et de moi est de quitter

Honfleur dans huit jours, pour être de retour à Paris Mais, avant de partir,

faut espérer

il

que

le

le 8

temps

Octobre. se remettra

encore pour quelques jours et que nous viendrons vous voir avant d' Honfleur.

notre départ

Je vous dirai que les pluies et les vents m'ont

beaucoup dérangé

de pouvoir peindre et travailler d'après nature. Ensuite, pour profiter

avec succès de mes études d'après nature,

deux mois de

il

m'aurait fallu au moins

plus.

J'espère pouvoir m'arranger pour l'année prochaine et être plus

heureux

En

;

je

veux

dire de venir plus tôt et de rester plus longtemps.

attendant, je vous remercie pour toutes les preuves de

bonne

amitié jusqu'à l'avantage de vous revoir. Je vous prie de recevoir

mes

mes souhaits

salutations sincères pour

les plus

heureux

ainsi

que

Madame Marianne. Votre ami,

JONGKIND. Honfleur,

I er

octobre i863. 31,

rue du Puits.

encore à Trou ville.

En

1864,

Au

mois d'août Jongkind revient à Honfleur. Claude

Monet

est à

Boudin

est

Honfleur également.

Il

habite chez la mère


-

56

-

Toutain, à la ferme Saint-Siméon. Tous deux correspondent avec Boudin.

Le

6

août 1864, Jongkind lui écrit

:

Paris, 6 août 1864.

Mon bon Votre

lettre

du

Boudin,

25 juillet m'est bien arrivée et

d'avoir de vos nouvelles et de voir que

il

m'a

fait plaisir

vous pensez à moi de bonne

amitié.

donc pour vous remercier de tous vos bons souvenirs

Je vous écris et je

vous

titude

dirai

pourquoi

je suis

j'ai

du côté où

tardé à vous écrire

je dois diriger

mes

:

à cause de l'incer-

pas.

Aussi, c'est par expérience que j'ose vous dire que je désire de

préférence retourner au Havre ou à Honneur. D'ailleurs, je connais déjà cet endroit et alors je reverrai avec plus de raison et plus sincère la

nature que j'aime à peindre. Si j'étais rentier, je trouve

y vivre

;

j'aime

beaucoup

Honneur un pays admirable,

le cidre et le

Voilà donc une raison bien établie à

aller

voir sa mère,

Belgique voir Bruxelles où revoir

mon

moi-même

et

j'ai

aussi pour

bon pain de Normandie. ;

mais

Madame

Fesser pense

j'avais l'intention

d'aller

quelques amis, passer par Anvers,

en et

pays natal.

Seulement, ce voyage est très coûteux rester, assez fatigant; aussi

et, si

ce n'est pas pour

pour exécuter ce dessein, je crois

qu'il


— faut attendre

57

un meilleur moment

-

et

que

trouve là-bas, en

je

temps, quelques travaux. Bien entendu que c'est

ma

même

seule ressource

d'existence. Je ne

toutes

peux vous donner aujourd'hui aucun

mes pensées, mais

je serai

je

vous

écris tout de

au Havre ou à Honneur, je vous

Suivant votre

lettre, je

mais j'espère que

campagne feront

même

et aussitôt

que

le ferai savoir.

vois avec regret que Marianne est malade,

bon

leur effet

air

de Trouville

prompt

et

de la

la tranquillité

et

heureux pour qu'elle

soit bien-

avec l'espoir de nous revoir.

tôt rétablie,

Madame pour moi.

le

résultat définitif de

Fesser est bien portante et a toujours beaucoup de bontés Il

faut savoir que j'étais engagé et invité d'aller faire

quelques tableaux, mais

elle

ne pourrait pas m'accompagner

me

cette raison je suis resté à Paris parce qu'il

coup de ménagements,

Mon bon

et

pour

faut toujours beau-

etc.

Boudin, recevez l'assurance que

je serai bien content

de

vous revoir avec Marianne.

Nous nous promènerons ensemble, et

nous boirons ensemble de bon cidre Si je

ne viens pas,

je

vous

et

nous mangerons ensemble,

et de

bons morceaux.

écrirai plus tard et je

vous prie de

me

donner de vos nouvelles. Recevez mes meilleurs souhaits de toute amitié.

JONGKIND. 9,

rue de Chevreuse.

Cependant, Jongkind se décide à quitter Paris

et

à


-

-

5:8

qu'en témoigne cette

revenir à Honfleur, ainsi

au

lettre

sculpteur Prouha. Depuis huit jours que pays que

j'ai

revu

petit port de

j'ai

comme

mer où

il

quitté Paris et

toujours avec un

Je vous dis cela

J'ai pris

comme

déjà quelques bains de

plaisir. C'est

marchands

un

mer

de pêche du pays

et

pour mes études.

beaucoup de cidre

et je bois

Fesser est toujours avec moi

heureuse de se trouver dans ce

comme moi,

nouveau

très intéressant

comme un vieux normand. Mon bon Prouha, Madame invite,

voilà à Honfleur, le

y a toujours dix ou vingt navires de toutes

nations, sans compter des bateaux

même.

me

joli

mer

port de

;

enfin,

et est

elle

vous

de venir nous voir. Pour nous, nous avons trouvé

une grande chambre où nous faisons notre café au déjeuner dinatoire à midi ou une heure, suivant

et

lait

mes travaux

notre et

mes

bains de mer.

En attendant

si

vous venez, nous avons logé à

de France, rue Haute près

engageons de prendre

vapeur

le

Furet pour

bien entendu un pour s'arrête à Honfleur.

chemin de

le le

le port et fort bien, à

Havre.

l'aller et

Dans

Il

y

a tous les

:

Aux Armes

Honfleur. Nous vous

Rouen

fer pour

un pour

l'hôtel

bateau à

et là le

deux jours un départ,

le retour, et,

en passant,

il

tous les cas, je serai heureux d'avoir de vos

nouvelles.

Recevez aussi mes meilleurs souhaits aussi de votre frère pour F

Madame

Fesser et

et belle- sœur.

JONGKIND. 45,

rue du Dauphin, chez M. Boucher, à Honfleur, (Calvados).


— De 13

59

son côté, Claude Monet écrivait de Honfleur,

septembre 1864, à Eugène Boudin

Mon J'ai

le

:

cher Boudin,

bien reçu votre aimable

lettre,

mais à

mon grand

regret,

il

m'a

été tout à fait impossible de venir à Villerville. J'avais ici des per-

sonnes à promener.

Quant

à Jongkind,

Madame les a

il

me

charge de vous faire ses amitiés.

Fesser était assez fatiguée

et le

temps

complètement empêchés de venir vous

pourrons

faire cette petite partie

qu'il faisait

voir. J'espère

encore une fois avant

samedi

que nous

mon

départ

de Saint-Siméon. J'ai fait

votre commission auprès de

Madame

Toutain. Elle doit

venir elle-même très prochainement à Trouville et vous conduira sa fille.

En attendant

le plaisir

de vous voir, je vous serre

la

main de

tout

cœur, ainsi qu'à votre bien aimable femme.

Bien à vous.

CLAUDE MONET.

Puis n'avoir et lui

c'est

pu

se

Ribot qui,

le

octobre 1864, regrette de

3

rendre à Trouville auprès d'Eugène Boudin

demande de venir

à Paris

:


6o

Colombes (Seine),

Mon

3

octobre 1864.

cher Boudin,

La plus grande celle

le

satisfaction que

vous ayez pu nous procurer

est

du rétablissement de votre dame.

Toute

ma

famille s'inquiétait de sa santé et tous ici

avons été

heureux d'apprendre que son indisposition n'avait point de Je n'ai point été en

voyage

de n'avoir point profité de

cette

l'offre

année

et je suis

que vous m'avez

très

suite.

un peu contrarié

faite d'aller passer

quelques jours à Trouville. Si j'en juge par le

mentée

et ses aspects

Que ne

vent

qu'il fait ici, la

mer

doit être bien tour-

doivent être bien étonnants.

suis-je près de

vous?

Rozier a dû vous écrire.

Viendrez- vous cette année à Paris?

On

dit

que Troyon sort de sa maison de santé

de guérison. Je ne sais Dites bien à

principalement celles de

en bonne voie

je dois

y croire. Madame Boudin de recevoir si

et est

ma femme

toutes nos amitiés et

qui serait bien heureuse de pou-

voir l'embrasser.

Au revoir, mon

cher Boudin, je suis bien à vous d'amitié. T.

Claude Monet

Mon

écrit à

son tour à Boudin

RIBOT.

:

cher Boudin,

Je suis encore à Honneur. J'ai décidément

beaucoup de peine a


— quitter.

Du

me

mis en rage

suis

reste c'est

beau à présent

si

afin

mieux. Ce bon Jongkind

travail.

franchement

j'irai

est parti

venu vous voir

Mais au premier

qu'il faut profiter.

Aussi, je

de faire d'énormes progrès avant de rentrer à

Paris. Je suis tout seul à présent, et

Je serais déjà

6i

jour, le

il

si

je n'en travaille

y a environ

ce n'est

temps

me

que

trois semaines.

ma

nouvelle ardeur de

forcera bien de

cesser, et

passer une journée avec vous avant de partir pour Paris.

Je suis allé passer quelques jours au Havre. J'avais à faire

panneaux chez M. Gaudibert, Gautier aussi, et

M. Gaudibert m'a chargé de vous

Havre, de passer chez

ou deux panneaux,

En

lui

hâte,

mon

lui. Il serait

en a

fait

deux

quatre ou cinq

bien aise que vous

vous

irez

au

lui fassiez

un

prier, lorsque

je crois.

cher ami, je vous serre la main de tout cœur.

CLAUDE MONET. Mes

amitiés à votre femme,

s.

à présent qu'il n'y a plus de petites

De son côté Courbet Choiseul

et

il

Mon Sur

le désir

avait écrit

était

v. p.

Comment

dames sur

venu

la

diable faites -vous,

plage?

à Deauville

au chalet

:

cher Boudin,

de M. de Choiseul, je vous invite à dîner ainsi que

votre dame, pour demain mercredi à 6 heures du soir.

J'ai

déjà invité


62

M. Monet

et sa

dame

qui m'ont promis, hier soir, au Casino. Je ne

doute pas que vous nous fassiez

le plaisir

Tout

d'accepter.

à vous.

G.

COURBET. Châlet Choiseul.

Prenez Monet en venant

et

venez tous quatre, surtout. Je vous

attends sans manquer.

Nous avons

laissé

Claude Monet

à

la

ferme Saint-

Siméon. Cette ferme était

comme

le

Barbizon de la côte nor-

mande.

Avec Alexandre Dumas, Alphonse Karr,

«

Charles

M. Jehan Soudan de Pierrefitte dans le Normand du 8 juillet 1900, une avant-garde de porteurs

Deslys, raconte Petit

de palettes partit à la découverte des pâturages ses de la

tra et

avec

tout le

«

du

elle,

monde

Jules Dupré, Camille Fiers. à

Saint-Siméon chez

falai-

la

la Il

rencon-

ramena

mère Toutain

cidre et peindre.

Duez, Butin, Dantan, tout un bataillon de glorieux,

passèrent par cette école de plein serre

des

Normandie.

Sur la route de Villerville, Eugène Boudin

«

boire

et

air,

chaude de l'École des Beaux-Arts.

ils

oublièrent la




o a h .g H -g W i



«

-

63

Blottie sous la Côte de Grâce, au

la ferme,

aux

de

toits

chaume

nelle d'où est sortie tout

impressionnistes.

Un

caricaturiste de la

Lune

large

fut

penchant de la

une académie peu solen-

simplement

En

normande, sous vers le Hâvre,

la

moderne

école des

des derniers venus, André Gill, et

de Y Éclipse y avait peint sur

panneau une enseigne curieuse

de l'hostellerie.

falaise,

;

le

un

armes parlantes

les

plein air dans l'herbe grasse de la cour

les

pommiers, en

un fourneau

de mer,

face l'horizon

flambe, attendant le

cordon bleu, honfleuraise accorte,

coëffe

du

crû,

«

rôti.

Le

cotillon

court et soulier plat » brandit la casserole de cuivre rouge,

énorme. Et d'eux-mêmes, une poisson en

écailles,

un

oie

emplumée, un rouge

lapin à poil roux,

y sautent joyeu-

sement, volontaires de la cuisine d'une si aimable personne.

A

ses pieds

sur

un

un canard

plat de

tyr, sent

attend, le bec en avant, tandis

vieux Rouen, Saint-Siméon, vierge

et

que

mar-

trognonner son pif d'ivrogne, à la vue d'un flacon

de vin, au capuchon respectable. Cette amusante peinture qui servit d'enseigne au Salon

de Trouville

dans

la

et

au Salon

collection

si

Normand de

Normand du

1894

au Casino

Vieux Honfleur

est

curieuse de l'amateur honfleurais,

M. D. Louveau. «

un

La ferme Saint-Siméon était admirablement point stratégique de

l'art

normand, dans

située,

en

la pleine


nature agreste

et

64

-

marine de la baie de Seine, aux portes d'une

historique où la race honfleuraise continue son

vieille cité

rêve d'aventures,

non plus enimpossibles courses d'écumeurs

de mer, mais en fantaisies de peintres.

Dans une Boudin

a

écrite à

lettre

lui-même raconté

Saint-Siméon

M. Soudan de ses

souvenirs

Pierrefitte,

de

ferme

la

:

Deauville,

Mon Je trouve, à

»

octobre,

i8g6.

cher maître ès plume,

mon retour

numéro de votre admirable Grâce à vous,

25

j'ai

revu

d'une grande excursion à Dieppe, certain journal, le 'Petit

et

reparcouru

ma

Normand. petite ville natale,

j'ai

passé naguère des années peu fortunées, c'est vrai, mais de ces années de jeunesse où l'espérance tenait lieu de sac.

On

avait,

alors, la vision d'un avenir meilleur;

même, depuis mes premières études mère Toutain, où

j'ai

été

le

à Saint-Siméon, chez cette

enragée, en attendant le succès, venu

vous

Saint-Siméon

le dites

!

Il

j'ai

à

mangé beaucoup de vache

si tard.

y aurait une

— à écrire sur

bonne

premier pensionnaire!... pension

40 francs par mois, nourri et couché,

Oh

mais tout de

belle « légende »

cette hostellerie. Ecrivez-là

comme donc, mon

cher maître.

Que de gens y

ont passé, et des célèbres, à

ma

suite.

Un

ou deux


-

-

65

sont encore existants, Français que j'y conduisis de Gustave Mathieu,

mon

vieil

ami

un jour en compagnie

le poète... et

qui y

assez long séjour avec son copain le père Achard... maîtres, Harpignies.

misère, mais

Vous connaissez

il

s'en consolait

au cidre doux,

le flip

Français tient bon encore...

et

il

ou

faire

un

je

gamine encore,

m'en doute.

cidre n'était

le

l'on

devant un bol de Jlip chaud.

Mais Courbet

Schaunard, son compagnon, que

mains,

un

Le maître des

Ce bon père Achard, ne sachant pas

Je lui ai fait bien des misères, dans cet âge la

depuis,

que cet élément n'existait pas.

ciel, disait

malgré

fit,

lui,

prétendait avec

bon qu'à

se laver les

s'endormit après un copieux déjeuner arrosé par

le petit

tonneau du père Toutain. menai, un jour encore, Troyon

J'y

sont morts,

cidre...

Ils

l'élève,

lui,

citer

maître

fait là,

mon

glorieux Il

tristement et prématurément...

de fortes parties de quilles avec Diaz, un bon encore,

prestement. M'en

un bras énergique,

a-t-il

gagné des parties

en est passé bien d'autres, moins

dans une petite

Rémy

salle,

et

vous abattait !

Encore un

chambre des enfers, fils

illustres peut-être,

Mathon, qui dans ses

au bout de

Jugement dernier de Michel Ange,

Le

et

!

Gautier Amand, Ménard, tracé,

déjeuner au

élève.

qui savait lancer une boule avec les quilles

Van Marck

avait eu le temps défaire sa récolte... J'allais oublier de

Claude Monet,

J'ai

le

et

c'était horrible.

la

comme

loisirs avait

maison, un morceau du

en écorchés.

On nommait

cela la

Toutain, un colosse, y est mort, dans un accès de delirium

tremens, affolé par ces

bonhommes, écorchés

et pantelants...


— Plus tard,

la

mère Toutain

66

fit

passer un badigeon sur ces fresques

sanglantes. Je ne parle pas des derniers occupants,

bon

Cals... Je vois encore l'amusante

comme André

Gill, et ce

pochade de Cals, représentant

1{ose dans l'exercice de ses fonctions, la servante de l'hostellerie de

Saint-Siméon, portant au réveil de notre

atelier, tous les

vases noc-

turnes de la tribu des peintres, une pyramide de poteries, appuyée sur

deux mains aux doigts rouges de

les

colonne... gauloise, jusque sous

la

un nez qui

servante, et

montant en

se détournait, offensé...

Mais, tous ces souvenirs joyeux sont effacés... Néanmoins, j'y ai vu,

il

était

y a quelque quarante ans, de glorieuses kermesses, alors qu'on

encore dans

peuple des marins, et qu'on dansait, après son

— quand

pot de cidre vidé ...Je

le

il

coûtait six sous le pot

!...

vois avec plaisir que votre enthousiasme tenace parvient à

réchauffer les indifférences locales, et que vous avez

fini

par grouper

quelques moins timides, aveG l'ami Louveau, dans l'œuvre de réunir ce qu'on peut sauver encore des « souvenirs » de notre vieille ville de

Honfleur. Bravo

Vous avez petit «

On

!

Bravo

raison.

Il

!

est très possible

Musée des peintres Honfleurais

».

devrait, avant tout, rechercher quelques peintures

que vous ne paraissez pas estimer,

ni mettre

C'est pourtant le premier de nous tous. veilles de peinture, des

Il

toiles

d'Hamelin en seront

serait possible à

Il

au rang

d'Hamelin

qu'il mérite...

a laissé des petites

mer-

portraits surtout... J'en conserve deux. Si

vous obtenez qu'on nous fasse une

deux

de former, dès à présent, un

salle des peintres

Honfleurais, ces

les perles.

quelqu'un d'actif

et

de dévoué,

comme vous


67

en savez faire surgir, de trouver, à Honfleur, un certain nombre de

Hamelin en a

portraits, car

suis bien

mérite...

son maître

artiste

Un

beaucoup,

—à

l'œil

encore

!

— et je

que peu de gens, à Honfleur, en comprennent

a fait aussi

Il

d'Ingres,

Quel

sûr

fait

d'admirables dessins, comparables à ceux

homme

Et le brave et honnête

!

le

que

c'était.

!

autre brave

homme, un

autre

un autre

peintre,

artiste

:

Dubourg, méconnu, trop peu admiré.

Vous pouvez, cher faire

ami, vous qui tenez une

beaucoup pour notre

pays envasé

— et qui ne voit pas couler

Trouville

dont vous,

vieille cité, trop

mais qui si

a,

plume bien

taillée,

abandonnée à son

comme

le pactole

sort de

sa voisine

généreusement, vous vous efforcez de réveiller

beaux souvenirs oubliés

pour se consoler, ce passé historique

— et qui peut être fière d'un

certain

les

nombre

de ses enfants, conserverai votre journal,

Je

mon cher

maître, votre journal

si

débordant de nobles pensées artistiques, de beaux rêves pour

mon

me remet en mémoire

cent

coin de pays. Votre Tetit V^ormand,

il

choses oubliées dont vous avez l'amour, avec moi. Il

me

reporte aux années lointaines où j'habitais

mon

pavillon

«

ensorcelé » des trente-six marches, rue de l'Homme-de-Bois.

«

y revenait »

et,

pour

cela, le prix

du

«

loyer

»

en

était

permis à

Il

ma

pauvre bourse plate. J'ai

eu

Courbet

et

là,

pour

visiteurs,

Schaunard de

la «

bien des morts illustres... J'y reçus

Vie de Bohème

».

J'y

«

régalais

»

Baudelaire de la vue de mes ciels au pastel... Mathieu m'y lut ses

Symphonies. Troyon y passa bien des heures, Français aussi. Isabey


— mon

qui était

voisin,

68

m'y donna

— grand

ses encouragements, et le

Jongkind, un fameux aussi, celui-là, y vint bien des fois se griser

de la vue de

bon

la baie

normand.

cidre

Pauvre

petit pavillon, j'y ai passé des jours

vu dans "

J'ai

de vitesse avec

ceau 6

".

le peintre

une porte

;

mais

— en 4

montre

peu argentés

!

de Saint-Siméon, Karl Daubigny joûter

l'atelier "

Je pris la

minutes

de Seine, de nos intimes causeries et de notre

russe Bogoluboff, pour peindre :

un

Le maître français couvrit sa

le russe arriva

"

mor-

toile

en

bon premier, avec un panneau sur

minutes.

Toutes mes amitiés, E.

BOUDIN.

XI

Ace moment, faisait

Boudin, sur les conseils d'Eugène Isabey,

à Trouville ce qu'il a appelé des scènes de plage.

Isabey lui avait

dit qu'il

y

avait là

une

société élégante

qui ferait bon accueil à des tableaux représentant les réu-

nions de baigneurs au

Courses,

aux Ré-

La Plage de

Trouville,

Casino, aux

gates, etc. Il fit

qu'il

un grand

tableau intitulé

envoya à Paris au Salon de

:

1864.






Il

69

représenta également l'inauguration

Deauville avec, au premier plan, cette époque, et

madame

madame

du Casino de

trois reines

de Metternich,

de la

madame

mode de

de Galliffet

de Pourtalès. Les Régates de Trouville,

les

Courses à Deauville furent également le sujet de deux importantes

toiles.

Mais personne n'y découragé liser à

fît

attention, et

Boudin

fut tellement

qu'il enleva les toiles de leurs châssis

nouveau les

pour uti-

bois. Il roula ensuite les toiles qui, trente

ans plus tard, furent retrouvées au fond d'une armoire.


Remontées avec soin par un habile rentoileur du quai des Grands-Augustins, elles ont été remarquées à l'Expo-

d'Eugène Boudin, à l'École

sition qui eut lieu après le décès

des Beaux-Arts.

M. Boudin,

«

dira plus tard

un genre de marines qui

M. Castagnary,

lui appartient

consiste à peindre avec la plage, tout ce

a inventé

en propre

et

qui

beau monde exo-

tique que la haute vie rassemble dans nos villes d'eaux. C'est

vu de

loin,

mais que de

finesse et

de vivacité dans

ces figurines qui, debout ou assises, s'agitent sur le sable!

Comme elles sont bien dans c omme l'ensemble fait tableau flot

monte en grondant,

leur milieu pittoresque et

Le

!

nuages,

ciel roule ses

le

la brise qui souffle taquine les

volants et les jupes. C'est l'océan et on en respire presque le

parfum

salé. »

Déjà, dans son Salon de 1868, «

Et les marines de

M. Castagnary

M. Boudin, vous

avait écrit:

trouverez peut-être

qu'elles ne sont pas assez faites, que le dessin en est

lâché? Oui, si

si

vous mettez

le

nez dessus pour les voir; non,

Comme

vous regardez du point d'optique.

fines et justes de ton,

comme

dans

un peu

elles sont

tous ces petits personnages

ambiant

Ce sont

des effets

vivent

et s'agitent

comme

vous en voyez constamment sur nos côtes norman-

l'air

!


des.

Rien n'est plus vivement

plus pittoresque; et puis

senti, ni

rendu d'une façon

c'est original.

seul qui traite ainsi la marine,

M. Boudin

ou pour employer l'expres-

sion meilleure de Courbet, le paysage de mer.

un

taillé

délogera.

petit

Il s'y est

domaine charmant d'où personne ne

artiste,

M. Castagnary

dans son Salon de 1870

il

revient encore à

parle de ces plages élégantes

que chaque saison d'été vient couvrir d'oisifs

et

Boudin peint

un humour

les effets

un entrain qui ne

De

pittoresques

avec

dont Eugène et

tarissent pas.

son côté Ernest Chesneau, à l'occasion de l'exposi-

tion universelle de 1867, écrivait «

le

»

Fidèle à notre lui, et

est le

M. Boudin

toilettes

:

s'est fait le très spirituel

chroniqueur des

féminines aux bains de mer.

« Il a, le premier, compris tout ce qu'il

pittoresque dans ces caprices de la

y

mode qui

avait de grâce font

gémir

les

moralistes austères, mais qui réjouissent le peintre et sont

une bonne fortune pour son habile pinceau. Personne n'a vu ni rendu, comme M. Boudin, le fourmillement de couleurs de ces toilettes élégantes, le froissement des étoffes souffle de la

mer. »

au


— Malheureusement,

prouve

:

le public,

prenait pas garde à l'œuvre

de Boudin

72

du

qui servait de modèle, ne

peintre. Aussi la situation

était-elle toujours pénible.

Le

12

novembre

1868,

il

Voici

un

fait

qui le

reçut la lettre suivante

M. G. Rosenlecher, consul de Wurtemberg

et

:

de Bade au Hâvre,

étant rentré de sa campagne, présente ses civilités bien empressées

à

Monsieur

prie, lors

E. Boudin, artiste peintre, actuellement à Trouville, et le

de son retour pour Paris, de vouloir bien venir

s'entendre avec faire

pour sa

Madame

salle à

le voir

pour

Rosenlecher, relativement aux peintures à

manger, ainsi que cela a été convenu ensemble. Hâvre,

ce

12 novembre 1868.


-

de faire au château de Bourdainville, par

Il s'agissait

Yerville,

73

deux panneaux de

salle à

manger représentant

l'un le printemps, et l'autre l'automne. ses

amis du Hâvre pour

M. Rosenlecher

Boudin

écrit à

un

:

de

prier d'intervenir auprès de

le

:

14 novembre 1868.

Mon

cher ami,

Je reçois de ce cher à passer chez

lui,

comme

Je voudrais bien j'ai

me

plusieurs raisons.

mal culotté

M. Rosenlecher, un mot par lequel

et vêtu.

vous

il

m'engage

le verrez.

dispenser de faire ce voyage, et pour cela,

La première,

c'est

que je suis on ne peut plus

Ensuite, la patronne ne veut pas rester seule

dans son habitation qu'elle trouve mal close. Pourtant, ce n'est pas une Si

de

commande

à dédaigner.

vous connaissiez un peu M. Rosenlecher, voir.

le

Ne pourrions-nous

vous aurais prié

je

pas lui dire que je suis parti pour

Paris quelques jours plus tôt et que je suis aux regrets de n'avoir

présenter

mes

respects à sa

dame

et l'entretenir

un

pu

instant de sa

commande.

On

pourrait ajouter qu'ayant

compte de

la

vu remplacement

lumière qui doit éclairer

plement à Madame

R... à fixer à

les

panneaux,

peu près

et il

me

rendant

resterait sim-

les objets qu'elle désire

voir figurer dans ces tableaux. Je pourrais, au besoin, lui écrire de

Paris

un bout de

lettre afin

Enfin, vous feriez

de nous mettre en

comme pour

vous.

communion

d'idées.


— Si la

74

course ne vous chagrine pas, faites-moi

J'attendrai votre avis sur cela, car

du voyage, nous Marianne fait

le ferions,

a pris le

dussent

rhume

et

s'il fallait

mes

de

la faire.

absolument se fendre

fesses prendre

l'air...

nous allons hâter notre départ, car

un froid de chien dans notre habitation

bon sous

le plaisir

et je

ne

fais plus rien

il

de

cette influence triste et glaciale.

Une bonne poignée de

mains, et approuvé d'avance ce que vous

ferez et direz.

A

vous de cœur. E.

BOUDIN.

XII

Nous arrivons à l'année La

1870. C'est l'année

!

situation devient encore plus critique.

Voici une lettre que Claude

du Havre,

à

Eugène Boudin

édifie tristement sur leur sort

Monet

Mon

écrit le 9

nous

:

soir,

g septembre iSyo.

cher ami,

Le bateau part demain samedi pour Morlaix. samedi de

septembre

alors à Trouville, et qui

Vendredi

le

de la guerre

l'autre

semaine.

Il

en partira un autre


— N'ayant pas encore réalisé

le

Tivoli, je suis obligé de rester

nécessaire pour en finir à l'hôtel ici,

et

comme

vous prie de remettre, aussitôt

gens-là, je

lettre ci-jointe à

Je

75

vous sera possible,

la

ma femme.

de prendre vos

dis

lui

qu'il

de ces

je crains tout

conseils

s'il

lui

survenait quelque

embarras.

En

ce

moment, ce

n'est pas être indiscret n'est-ce-pas;

de votre côté vous avez quelques commissions Je trouve

mon

père malade de

me

ici,

du

reste si

usez de moi.

savoir dans cette position à

Trouville. Impossible d'avoir d'argent avant quelques jours. Je ne

puis rentrer à l'hôtel sans n'arrive rien à Ici

dénouement

ma femme. Que

on pense presque

d'un autre côté,, pourvu qu'il

et,

de tourments!

à la paix,

on

moins alarmé. La

est

Angleterre est complète. Les transatlantiques font

Londres.

Deux

fuite

le service

cents passagers sont restés ce soir sur

le

en

pour

quai.

C'est triste à voir. Je

vous charge de

la lettre

pour

ma femme,

de notre charmant hôtelier. Aussi, ne

mais

tôt

si

que possible,

mon

craignant la curiosité

remettez qu'à

la

cher ami,

car elle

ma femme,

doit être bien

inquiète.

Pardon

et

merci d'avance.

Tout à vous.

CLAUDE MONET.

Le

9

novembre, Eugène Boudin

était

encore à Trouville


— et

il

écrivait à

76

un amateur, M. Léon Gauchez, n,

Musée, à Bruxelles

du

rue

:

Trouville-sur-zMer,

g novembre iSyo.

Cher Monsieur, Je prends la liberté de vous adresser la présente à Bruxelles, bien

persuadé que

vous n'avez pas

été

curieux de rester dans Paris

assiégé.

Les choses ont tellement empiré chez nous depuis

le

jour de

notre première entrevue, que l'on ne peut guère, hélas! prévoir la fin

de cette pénible situation.

Nous allons bien certainement nous d'autres de

mes

voir,

moi comme beaucoup

confrères, dans la nécessité de chercher

quelque part où nous puissions vivre de notre

un refuge

art.

Déjà quelques-uns ont dû passer en Angleterre.

Il

faudra bien se

décider à suivre leur exemple, en attendant l'apaisement de la tour-

mente, car nos ressources s'épuisent. D'un autre côté, l'Angleterre est le

pays de l'inconnu pour moi, et sommes-nous

tains d'y trouver

un

accueil favorable?

notre pays subit une perturbation qui

goût des choses

Il

d'ailleurs cer-

faut pourtant essayer, car

lui ôtera

pour longtemps

le

d'art.

y a au milieu de tout cela un malheur, c'est que nos finances sont fort bornées, ce qui m'engage à avoir recours à votre obligeance. Il

Vous 10

m'aviez souscrit un billet de 800 francs, payable à Paris

du présent mois.

J'ai

confié cet effet à

un de mes amis qui

le

Ta,






naturellement, conservé en portefeuille et

Ce que

je

ma

disposition.

voudrais réclamer de votre obligeance, ce serait de vous

me

prier de vouloir bien

somme,

à

le tient

faire parvenir le tout

ou

partie de cette

à votre convenance. Je vous en aurai la plus grande obli-

gation dans les circonstances présentes, et vous retournerai

en question sous

le

prochain

le billet

pli.

Je suis désolé de vous causer un dérangement. Je n'attends rien

moins de votre

vienne prochainement,

me

bonheur que

sollicitude. Si j'ai le

répondre, je

me

projet de voyage,

et

ma lettre

que vous vouliez bien prendre

la

vous parpeine de

permettrai de vous demander un conseil sur

et,

mon

au besoin, une recommandation pour une per-

sonne au courant des choses

d'art, si,

comme je

n'en doute pas, vous

avez des relations avec Londres.

Malgré

la

perturbation du pays et des esprits,

j'ai

pu

faire

une

certaine série d'études sur les côtes du Finistère, études intéressantes si

l'on avait le loisir

temps de guerre

de s'occuper de choses aussi

futiles

dans un

et d'investissement.

Recevez, cher Monsieur, les salutations très empressées de votre tout dévoué E.

Rue de

Sur ces Il

entrefaites,

Boudin

BOUDIN,

l'Isly, à

Trouville-sur-Mer.

se décide à partir.

s'en va alors à Bruxelles et parcourt le pays

en faisant

des vues de ports, de marchés, de canaux. Mais les ressour-


ces

de

Vollon, qu'il avait

demandait avec lui comment ils

commençaient

lier,

-

l'artiste allaient bientôt s'épuiser.

retrouvé, se ils

78

à parler

allaient vivre et

de vendre leurs ustensiles d'ate-

quand un jour Madame Boudin, en

allant

rencontra un monsieur inconnu d'elle, qui lui

au marché,

demanda si elle

connaissait l'adresse à Bruxelles d'un peintre français

nom de Boudin. — Vous ne pouvez mieux tomber, lui dit-ell e Je suis sa femme et je vai s vous .

Ce personnage inconnu

marchand de tard le

«

en

même

qui découvrit plus

et

de Vollon,

il

leur

demanda

avaient des tableaux à lui montrer.

Comment,

lui dit

gens qui achètent de «

conduire auprès de lui

fameux Rembrandt du Pecq.

Conduit auprès de Boudin s'ils

répon-

M. Stéphen Bourgeois,

était

tableaux, celui-là

du

la

Boudin,

y

il

peinture?

a

donc encore des

»

Oui, répondit M. Stéphen Bourgeois

faire.

;

si

vous voulez

»

C'était le salut pour les

deux

artistes.

XIII

Après

les

événements de

Eugène Boudin

la guerre et

revint à Paris.

de la

Commune,


ÉGLISE DE

DORDRECHT


— Il s'installa

8o

rue Saint-Lazare, N° 31.

Son ami Jongkind y revint également, mais dans quelles 10

pénibles

novembre

conditions

Voici ce

!

au peintre Voillemot

1871,

écrivait, le

qu'il :

Cher ami Voillemot, Soyez persuadé que revu bien portant rue

je suis

heureux, par

Laffitte. Je n'ai

le

hasard, de vous avoir

jamais cru revenir en France

après tant de misère avoir survécu, de toute malveillance qu'on

m'avait joué. Je

vous

écris principalement

que

j'ai

bien des fois pensé à vous et

à votre amitié pour moi.

Avec

ces sentiments, je vous prie de recevoir l'expression de

sentiments les plus sincères pour votre bonheur. vaillé

comme vous

et

Quand on

mes

a tra-

avec des sentiments aussi honnêtes pour ses

semblables, certes, on a bien mérité et bien gagné la distinction dont

vous êtes décoré. Je suis toujours sous l'influence de mauvais et affreux

sans cela je Si lui

me

ferais

vous voyez

qu'on m'a

Dumas

fait tant

son secours pour

un

me

plaisir d'aller fils,

vous

cauchemars

;

voir.

rappelez-moi à son bon souvenir. Dites

de misères misérablement que j'aurai besoin de

défendre

mon

droit d'existence.

Journellement, je voyage et je pense retourner en Hollande.

Les derniers événements que victimes innocentes

me

j'ai

vus autour de moi et de tant de

font déplorer le

malheur de

la

France où

j'ai


— passé tant d'années et où

encouragé dans

mon

8i

eu quelques amis qui m'ont toujours

j'ai

travail.

Agréez, cher ami Voillemot, mes meilleurs souhaits pour votre

bonheur. Je

me

rappelle à votre bon souvenir et à l'amitié que vous avez

toujours eue pour moi. J.-B.

JONGKIND,

Artiste peintre, 5,

rue de Chevreuse, Paris.

Après tous ces bouleversements, Boudin avait hâte de revoir son

ami Courbet, qui

Boudin

lui écrit

donc

était alors

en prison.

:

Taris, 2 janvier 1872.

Mon

cher Courbet,

Nous ne voulons pas

laisser passer ces jours

où l'on se

fait

un

devoir de visiter tant d'amis plus ou moins heureux, sans vous

envoyer un souvenir au fond de votre prison.

Nous

serions satisfaits que ce faible témoignage de notre amitié

pût, durant quelques instants, faire diversion à votre solitude.

Rentrés depuis peu à Paris, après une très longue absence, nous espérions pouvoir vous serrer la main, mais on nous assure qu'il est difficile

d'obtenir la faveur de vous voir.


— me

Je

des sentiments de plusieurs de

l'interprète

fais ici

82

camarades, entre autres de Monet

également leurs bons souhaits

et

mes

de Gautier qui vous envoient

non moins jaloux que

et qui seraient

moi de passer quelques instants auprès de vous.

Nous nous consolons en pensant que bientôt vous

allez

toucher au

terme de votre captivité et que prochainement vous serez rendu à liberté, à l'art et à

vos amis qui ont eu de

si

la

vives appréhensions à

votre endroit. C'est tout ce

que nous pouvons vous témoigner

ici.

Nous serions heureux que ce souvenir de ceux qui n'ont pas cessé un

instant de se préoccuper de votre sort vous parvienne bientôt.

Dans

cet espoir,

nous vous serrons

Pour moi

et

pour

la

main

très cordialement.

les amis.

E. 31,

Courbet

lui

répond

rue Saint-Lazare.

:

Neuilly,

Mon

y

a

bien des lâcheurs par

Amand

6 janvier 1872.

cher Boudin,

Je suis d'autant plus content d'avoir reçu votre qu'il

BOUDIN,

le

temps qui

Gautier a été courageux, mais

mettre en l'engageant à venir

me

charmante

lettre,

court.

j'ai

eu peur de

le

compro-

voir.

Je n'ai écrit à personne parce qu'ils prennent vos portraits à la


-

-

83

Préfecture de police sur leurs livres, et cela fait des dossiers, ce dont il

temps qui

faut se méfier par le

court.

Maintenant, vous n'avez plus rien à craindre. voir en pèlerinage

un

homme

cellulaire, ce qui n'est

Voilà ce que voulu

faire. J'ai

me

Vous pouvez

qui vient d'exécuter sept mois de prison

pas une petite

affaire.

rapportent mes services rendus et le bien que

j'ai

su que Gautier avait goûté de ces plaisirs-là.

n'y a plus aucune formalité à remplir pour venir

Il

venir

me voir;

il

n'y

a plus qu'à se présenter.

Après avoir échappé aux

mon

fusillades acharnées qu'on projetait à

endroit, j'entreprends de

me

faire faire

une opération par

le

docteur Nélaton, qui pourrait faire ce que les fusillades n'ont pu faire

Je

;

il

faut espérer pourtant

ne puis plus vivre ainsi;

peux penser à

je souffre sans discontinuer,

me

voir un de ces jours, vous

bon retrouver

me

ses amis. 34.

moment.

Venez avec Gautier, Monet dit.

du Roule,

échappé à ces ignobles prisons.

Je peins des fruits pour le

en

ne

ferez le plus grand

Je suis à Neuilly, chez le docteur Duval, avenue J'ai enfin

et je

rien.

Ainsi, venez plaisir. Il fait

que j'échapperai encore

et

même

Bien des choses à votre dame

les

dames,

et à tout le

si le

cœur

monde en

culier.

G.

Je suis prisonnier sur parole.

Mon

COURBET.

temps

finit le

I er

mars.

leur

parti-


XIV Boudin, entre temps, commençait à

On

se faire connaître.

remarquait ses petits bateaux dont

étude

si

laborieuse,

une preuve bien Le 11 octobre

comme

il

l'a dit

il

avait fait

lui-même. En voici

caractéristique. 1877,

il

une

reçut les lettres suivantes

:


-85

22 octobre 1877.

Monsieur, Je possède

un vieux dessin bien

naïf,

ponton anglais, par mon grand père qui y

fait

en 181 1, à bord d'un

était alors prisonnier.

Ce

dessin représente la capture du corsaire boulonnais qu'il commandait,

par deux bricks anglais en vue de Douvres. Je voudrais, si la chose est possible,

ce dessin ce

épisode sur

vous charger de prendre dans

que vous en verrez de bon

et

de

me

reproduire cet

la toile.

Je connais bien votre peinture et je ne sais pas de peintre plus

capable de mieux gréer un navire. C'est un

marin qui vous

demande Enfin,

si

le dit, et,

et

un

petit-fils

à voir nos mâtures et vos gréements

vous n'avez pas

mon

fils

été

de

on se

marin vous même.

but est d'avoir de vous

le

tableau en question,

si

nous

pouvons nous entendre. Je vous donnerai tout le temps que vous voudrez pour

vous serai bien reconnaissant de m'indiquer

le

le faire et

jour où je pourrai

passer vous voir, un matin de 10 heures à midi, ou bien venir

me voir

de 3 heures à 6 heures, à l'adresse ci-dessous, où je travaille. Veuillez agréer, Monsieur,

mes

sincères salutations.

V.

Chez M.

Belvalette, 24,

H....

Avenue

des Champs-Elysées.


Paris,

Mon J'ai

le

20 janvier i8j8.

cher Monsieur Boudin,

eu l'honneur de faire voir hier, à un de mes parents " La cap-

du Petit-rôdeur

ture

Il

m'a chargé de

quand

il

sera

Inutile de

lui

en faire faire un duplicata que je

lui

enverrai

fait.

vous dire que ce n'est pas pressant.

Peut-être bien que je vous en demanderai encore d'autres.

Votre bien dévoué.

V. 24,

Mais ce

petit succès

H....

Avenue des Champs-Elysées.

d'Eugène Boudin

était

encore trop

isolé.

Plus tard, on dira de «

Depuis

le

lui

:

steam-boat aux courtes cheminées crachant

leur fumée trouble, jusqu'aux barques de pêche dont les voiles sont grossièrement rapiécées, le peintre connaît tout

en marine. Là où

le vulgaire

ne

voit

qu'une coquille de

noix plus ou moins grande, toujours la même, lui distingue

un gréement

technique,

un

aspect particulier,

une forme

appropriée. C'est que Boudin est peut-être le seul qui


-

87

-

sache pénétrer l'essence intime, tante qu'on appelle

un

bateau.

moment,

Mais, pour le

lame de

cette chose flot-

>>

ne parvient pas

il

à

vendre ses

tableaux. C'est alors que, dans les premiers jours de juillet 1879,

ami

Boudin

Amand

fait

au Havre une vente publique avec son

Gautier. Quatre tableaux de Boudin trouvent

acheteurs. L'un à 125 francs, l'autre à 210 francs,

sième à 105

Boudin

Pour

francs, et

un quatrième

troi-

à 85 francs. Total pour

525 francs!

:

Amand

Gautier, fiasco complet!

Pas un seul de ses tableaux n'est vendu. et prie

un

Boudin de

dire

que

Il

se

lamente

vente a été ajournée, afin de

la

ne pas déprécier ses tableaux.

En même temps, Amand Gautier

éprouvait une autre

déception, qu'il raconta à Boudin dans les termes suivants

:

Juillet i8jg.

Mon J'ai

reçu

la

cher Boudin,

caisse contenant

mes tableaux.

Ils

sont arrivés sans

accident et en bon état, hier vendredi à 10 heures 1/2 du matin.

Soyez sans inquiétude pour ce qui est de amour-propre. Je conte

la

suis obligé de le faire, je

chose dis

comme

que

la

il

est

sauvegarder notre

convenu. Lorsque

je

vente n'a pas eu lieu par suite


— d'un retard fâcheux

;

qu'ensuite le commissaire-priseur était dans

pour cause de départ.

l'impossibilité de la faire,

Ah mon

88

cher ami, que Paris est

!

Tout

ce temps que nous avons.

de toutes les façons, avec

triste

monde tombe dans

le

le

marasme,

surtout ceux qui n'ont pas de rentes.

Ces

un ami, qui

jours-ci, j'apprends par

d'un député

:

— Dites

à Gautier que c'est

achetée. Hier, j'apprends par regret de ne pouvoir

Cette République

une

me compter était

l'avait donc

demandée pour

une République

dessus des cris de

la

était

bien à

:

;

ils

lui faire

lui,

de Clichy. Le

à l'unanimité et le maire

— Ainsi, sousla République, !

pourtant, pour se mettre au-

pour ce gouvernement timide.

ne sont rien

cela, les chefs

se disent entre

manger de

le

toiles achetées.

commune

et

ne peuvent rien

employés, tous ennemis de la République, font

temps

femme

Turquet, qu'on a

un républicain

l'aise,

la

presse bourgeoise.

une perche pour

Mais dans tout

commune.

n'est pas achetée à

Le gouvernement

C'était

la

la

de

Sa République sera

au nombre des

demande

la

fait.

lettre signée

demandée par

Conseil municipal avait voté

le tenait

la

eux

:

la pluie

— leurs

et le

beau

« Celui-là est républicain, nous allons

vache enragée sous son gouvernement de

prédilection. »

Vous

le

voyez, rien ne

me

réussit.

dues je ne sais comment cela ;

milieu de tout cela, à force de

perdre l'amour de

la

peinture

finira

me

;

Ma

situation est des plus ten-

mais, ce qui

me

désole

tracasser, de ruminer, j'ai

au

peur de


XV Au

Salon de 1880, Boudin exposa une toile importante

intitulée

:

Depuis

La Meuse. 1859, c'est-à-dire depuis vingt et

avait fidèlement exposé, et jamais

un

ans, l'artiste

aucune récompense ne

lui avait été décernée.

Rendant compte du Salon de

M. et

1880, dans

le

Figaro,

Albert Wolff proteste contre cette injuste indifférence,

il

s'exprime ainsi

:

«

La Meuse,

«

Comment peut-il

la meilleure

marine du Salon!

que

l'artiste

qui a signé tant

de jolies choses, et qui, dans ce genre, a

fait école, soit

se faire

encore parmi les non exempts, c'est à ne pas croire! »

Au

Salon de 1881, enfin, Eugène Boudin reçoit une

sième médaille, intitulé

En voilà

:

comme un jeune

débutant, pour

troi-

un tableau

La Meuse à Rotterdam.

1883,

il

reçoit

une médaille de deuxième

exempt du jury d'examen d'admission

Parmi

les félicitations

d'un grand nombre

particulièrement précieuse.

il

en

est

Le

!

que Boudin reçut à

d'artistes,

classe.

cette occasion

une qui

lui parut


M. Fantin Latour envoya avec ces mots

— à

Eugène Boudin une

:

Tous mes compliments. Enfin

A

cœur,

nom

où une

l'heure

l'artiste

carte

!

l'homme de

injustice était réparée,

indépendant dont nous venons

d'écrire le

devait nécessairement intervenir.

Cette seconde médaille avait été décernée au mois de

mai. Mais

même

un

année

fait

plus important s'était produit en cette

1883,

dans l'existence artistique d'Eugène

Boudin. Il

avait organisé,

9,

boulevard de

la

Madeleine, une

exposition générale de ses œuvres. Cette exposition s'était

ouverte le 31 janvier 1883.

Jamais un peintre n'avait encore entrepris de exposition indépendante de ses œuvres.

Il

faire

une

eut l'honneur de

cette initiative hardie.

Claude Monet, Renoir sèrent,

à leur tour,

et

Degas

le

suivirent et expo-

leurs œuvres dans le

pendant les mois suivants. Ce local

même

était celui

local,

des ateliers

Nadar.

Les

artistes

expositions

qui s'étaient associés pour organiser ces

individuelles,

étaient,

Boudin, de Monet, de Renoir

et

indépendamment de de Degas,

M.

Rouart,



92

Mademoiselle Morizot, M. Pissarro, Lépine, de

Bracquemond, Gustave Colin

et

Nittis,

Zacharie Astruc.

En inaugurant cette exposition, Eugène Boudin présenta au public cent cinquante

toiles et

une

au

série d'études

pastel et à l'aquarelle.

Philippe Burty constate, à cette occasion, que tout

mouvement nouveau en

le

peinture est produit par des incon-

nus, en dehors de toute protection administrative. Il

se

flatte

privées, et

Gambetta artistes

il

d'avoir

ajoute

toujours

favorisé ces

que Gambetta

l'excitait à persévérer.

estimait que ces expositions sont

indépendants que

le

expositions

utiles

aux

Salon accable, utiles aussi au

public qu'elles habituent à respecter les efforts individuels. Puis, revenant à «

voici ce qu'il dit

:

M. Eugène Boudin n'a pas conquis au premier combat

cette virtuosité «

Eugène Boudin,

dont la naïveté

à Honfleur, dans

fait le

charme principal.

une famille pauvre,

a connu

il

toutes les traverses de la vie. « Il était

arrivé à établir

au Hâvre un

petit

magasin de

papeterie et de couleurs. Cela le mit en rapports intimes

avec les romantiques qui venaient de découvrir la

Norman-

die et la Bretagne, Camille Fiers, Jules Dupré,

Eugène

Isabey, puis avec l'autre levée, François Millet, Gustave


Courbet.

Il

93

s'essayait à peindre des natures mortes dans le

goût de Chardin, des bateaux dans

les ports,

des animaux,

des ciels surtout. «

M. Boudin

avait procuré à Millet,

au Hâvre, quelques

ventes de petites compositions à la Diaz et quelques portraits,

à 30 francs, de capitaines en partance

retirés

du

trafic

du

bois d'ébène.

avait entrevu,

« Il

ou d'armateurs

sur la face amaigrie

du robuste

travailleur ce qu'un débutant n'appartenant pas à l'Ecole, avait à avaler de vache enragée. Il

confiance dans ce Paris si

si

débarqua sans moins de

blasé et

si

curieux,

si

occupé

et

bon enfant. « Il

aida pendant plusieurs années, Troyon, miné déjà

par des troubles mortels des centres nerveux, à mettre au

carreau ses grandes compositions, à les ébaucher,

épandre les

ciels

superbes aux nuages gonflés de pluie.

travailla

pour lui-même sur

Paris, si

abondamment

les petits

même à y

les quais,

Il

dans les squares de

pittoresques. Les petits amateurs,

marchands à qui

leur bourse

ne permet pas de

miser sur une mazette, l'aidèrent à affirmer sa personnalité. Il

trouva peu à peu le placement de ses ports où les cor-

dages dessinent sur l'horizon laiteux des tissages d'araignées,

de

ses

plages aux foules bariolées, de ses chalands aux

bordages rechampis de vert

pomme

ou de minium.

»


— Quant

On

M. Gustave

Geffroy

l'ouest.

Eugène Boudin

le

:

ferait

en vue de nos côtes de

l'a fait et refait,

ce voyage, depuis le

Finistère jusqu'au Pas-de-Calais. Les aspects

de la terre changent sans

cesse,

aux nuages

du

la réplique juste, l'assaut

les

est

inutile

verdures donnant

du roc par

ondulations de la vague qui vient mourir sur

chaume,

de l'eau,

ciel,

un catalogue

devant ces pages où rien ne ment, où

plages, le

dit,

a l'impression en passant devant ces cinquante pein-

d'un voyage que l'on

tures,

à l'exposition elle-même, voici ce qu'en

15 février 1883, «

94

la

lame,

les

le sable des

d'une cabane, l'indication d'un

les tuiles

costume, nous disent sans erreur sur quel point précis du littoral «

nous nous trouvons.

Eugène Boudin

a longé les côtes bretonnes hérissées de

rochers, les falaises normandes, les dunes artésiennes. Epris

de la

mer

à toutes les heures et dans toutes les saisons,

arrêté partout, a noté les aspects différents Il

«

Il

s'est

du même paysage.

parcourt toutes les criques, tous les ports,

embouchures de

il

toutes les

rivières.

peint la vie et la solitude. Les drames qui se jouent

entre les pierres et l'eau l'intéressent autant que le grouille-

ment d'une

ville

maritime.

Il est l'historien

d'alluvion, des flaques d'eau

bien avant dans les

terres.

que

laissent les

Il est aussi

des formations

grandes marées

l'historien des bassins






95

encombrés de vaisseaux de haut bord, des docks débordants de marchandises. nées de verdures,

un

dessiner, sur

mâts,

dresser les falaises couron-

Il sait faire se il

sait

aligner les pierres d'un quai et

ciel plein

de brouillards et de fumées, les

madriers robustes

les poulies, les cordages, les

et les

enchevêtrements arachnéens du gréement d'un vaisseau. est plein

de la poésie de la mer,

il

Il

connaît toute la technique

de la navigation. «

Rien de ce qui

étranger.

il

;

aux

assiste

flancs

au départ pour

;

il

filer l'un derrière l'autre,

les

la

hameau

les voit sortir

semblables à

tapi entre

pêche des bateaux

bombés, aux voiles brunes et

empesées de goudron

il

passe au bord des flots ne lui est

voit et reproduit sur la toile le

Il

deux roches solides

se

par

rapiécées,

l'étroit

un banc de

passage,

poissons

regarde au loin s'éparpiller sur la mer houleuse

quand

ils

il

est

reviennent, à l'aube, chargés de poissons, dan-

sant joyeusement sur les flots.

avec émotion

un

Dans

ses

promenades,

il

peint

croquis de la barque défunte, délavée par

les pluies,

échouée sur le sable, dont

la carcasse fait

au

des côtes d'un squelette.

Il

treillis

;

;

dans un pardon breton où

les

lave

songer

une aquarelle

bonnets rouges des gars de

Plougastel éclatent au milieu des coiffes dentelées et des robes de religieuses des femmes. ciel et

de la mer. Puis

il

Il

note au pastel

un

état

du

arrive avec son attirail de peintre


— marin

96

sur une plage où Paris est en villégia-

et paysagiste,

ture. Il s'installe tranquillement

au milieu du high-life

et

reproduit les costumes à la dernière mode, s'enlevant en

un

taches vives sur

ciel gris et

une mer glauque,

il

profile

une parisienne sur un cap écroulé

«

que Boudin connaît

C'est ainsi

en dégage

le sens, établit entre

la surface

eux un accord

assigne leur vraie place dans l'ensemble,

des objets et parfait,

empêche

leur

leurs cou-

leurs de détonner dans l'orchestration de ses tableaux. Il

de la mer, de ses enchantements

est épris

à l'existence des

s'intéresse

du

chaînes

des ancres

de l'Océan

«

seurs

En

écluses,

et

de ses colères,

des pierres

il

des

et

quai, des bateaux, des gouvernails, des voiles,

et et

il

devient le peintre sincère et savant des côtes

de

la

Manche

résumé, Eugène Boudin est

immédiats

de

un des

l'impressionnisme,

peintres précur-

avec

Corot

et

Jongkind. « Il

apprend que

le noir

opaque n'existe pas, que

est transparent. Il observe quelle valeur

à la lumière et

comment

ligne d'horizon.

Il

gris,

nuance

du gris mélangé de

prennent

l'air

les objets

les plans s'établissent jusqu'à la

la

gamme

violet

infinie et ravissante

du

sombre, jusqu'au gris argenté


— comme le ventre d'un Il saisit le

forme

roite, la

et

il

couleur

poisson, et

mouvement

et leur

97

:

il

triomphe en l'exécutant.

des choses en le

même

nuage qui monte,

voile éclatante dans le soleil, la

écrit la

synthèse des éléments

d'autres discutent ses

temps que leur l'eau qui

mi-

barque qui passe,

et des êtres

en

action. Que

procédés sommaires. Les

résultats

sont là qui s'imposent

depuis vingt-cinq ans, exposé des petits chefs-

« Il a,

d'œuvre qui seront un jour musées,

et

la gloire des collections et des

pour lesquels ses confrères lui ont, en 1881, accordé

une deuxième médaille

!

»

XVI Les vrais

artistes savaient apprécier le talent de

Parmi eux 22

mars

s'était

formé un groupe qui,

1884, offrit à l'Hôtel Continental,

le

Boudin.

samedi

un banquet au

peintre Th. Ribot.

La présidence de

cette

cérémonie

fut

donnée à Eugène

Boudin.

Comme

Boudin, Ribot avait eu des commencements

difficiles. Il s'était

tout d'abord destiné à l'Ecole de Châlons.


— Puis

devenu teneur de

était

il

g8

livres

un

chez

drapier

d'Elbeuf, puis contremaître d'un entrepreneur de constructions en

Algérie. Entre temps,

peignit des cadres de

il

glace, des feuilles de stores, des enseignes,

renaissantes, écrit

lithographia

fit,

pour l'Amérique, des

En présence de

ces entraves sans cesse

des couvertures de romances, copies de Watteau. «

il

il

M. Roger Marx dans V Image W, pas une

heure de défaillance, d'abandon, pas un instant d'amerépreuves ne savent point atteindre Ribot, ou

tume.

Les

plutôt,

hormis

s'y

la peinture,

rien n'est pour le toucher. Il

absorbe tout entier, poussant droit son œuvre

sa vie,

sans

souci

comme

traverses, sans concessions

des

au

public, sans déchéance envers soi-même. »

Un

jour

marmiton,

de carnaval,

il

son

tîls

s

'étant

déguisé

en

eut l'idée de peindre des tableaux de cuisine

avec des gâte-sauce tout vêtus de blanc. Ces tableaux

le

mirent enfin en vue. C'était au Salon de 1861. Le peintre avait près de 40 ans.

Vingt ans plus tard avait lieu

Fourcaud a «

fait le récit

Le 22 mars 1884,

fêtes de l'Hôtel

saurait laisser (1)

Numéro de

cérémonie dont M. de

dans les termes suivants il

y eut à

Continental,

tomber dans

Février 1897.

la

Paris,

dans

:

la salle des

un banquet que

l'oubli. L'idée

en

l'on

ne

était sortie


— d'un petit groupe

du courage difficultés

d'artistes,

qu'il faut

de la vie,

99

un

soir

que

l'on s'entretenait

pour rester soi-même, au milieu des

et

ne jamais

sacrifier

aux pernicieuses

des assistants,

influences. « Parbleu! s'écria l'un

nous

avons à deux pas de nous l'indépendance incarnée, l'hon-

neur même, Ribot, enfin. Vous connaissez d'une peinture

si

robuste

;

mieux encore que son tère. C'est

que

la situation d'ancien

vous savez

Eh

maître qu'il s'est faite parmi nous. fier talent

il

;

qu'aucune

injustice

bien,

y

un de ces hommes simples

forts,

tableaux

ses

il

y

a en lui

a son noble caracet

modestes autant

n'abat,

que l'approche

d'aucun honneur ne trouble, qui s'élèvent au-dessus des

jugements et

frivoles,

d'eux-mêmes

ne prennent conseil que de

et persévèrent,

en dépit de

tout,

la nature

dans leurs

convictions. »

« Croyez-moi, allons chercher en sa solitude cet hon-

nête

artiste,

rude dans son art

sa carrière vaillante par

et sage

dans

un hommage

sa vie.

Honorons

éclatant, par

un

acte

public digne de lui et digne de nous. «

Cette proposition soudaine fut saisie au vol, adoptée

d'enthousiasme. cents artistes,

Quelques jours peintres,

après, nous étions

écrivains,

statuaires,

deux

graveurs,

musiciens, groupés autour du peintre de " Saint-Sébastien

martyr

" et

de " la Comptabilité

".


IOO

Je revois, en

y pensant,

longue

salle aux colonnes de marbre, aux voussures dorées, aux plafonds allégoriques, «

telle qu'elle était ce soir là,

Un

ment.

soleil,

grande porte

palette

chargée de

dant

la

une

croisée d'une late

".

dans son splendide embrase-

trait définissait, dès l'entrée, l'esprit

au dessus de trophée,

la

d'artiste,

palme

détachait

munie de

le et

mots

:

A

"

officiel.

fen,

original

comme un pinceaux,

Ribot, peintre indépen-

Le président, désigné par

maître paysagiste,

le vieil

:

tous,

c'était

ne

Eugène

amoureux de

ciel

de la mer. Et quelle assemblée offerte aux yeux

de toutes parts «

!

Le Directeur des Beaux-Arts en fonctions, M. Kaemp. avait eu le bon goût de représenter l'Etat en ce banquet

significatif, à côté

ruban rouge à

de

M. Bardoux

la boutonnière

qui, ministre, attacha le

de l'artiste. M. Antonin Proust,

l'un des porte-drapeaux de l'Art Libre, le ministre qui

décora Monet, était là de

même,

ancien directeur des Beaux-Arts «

des

:

enguirlandée d'un ruban d'écar-

d'or,

portait sur son habit noir ni croix ni plaques

humide

ses

fête

n'avait point d'ailleurs réservé la présidence à

un personnage Boudin,

un

éblouissante

ses couleurs,

se lisaient ces

On

se

de la

Vers quelque point qu'on

hommes renommés

à

bon

et aussi

et critique

se tournât, titre

:

M. Paul Mantz, éminent.

on reconnaissait

des peintres

comme


101

Fantin-Latour, Roll, Cazin, Joseph de Nittis, Claude Monet, Raffaëlli, Alfred Stevens,

statuaires

Lalo

comme

Duez, Gervex, Lhermitte..., des

Rodin,

César Franck; des écrivains

et

Goncourt, l'auteur

illustre de "

" Y Art au

siècle ".

Qu 'ajoute rai-je

«

par

XVIII

e

mal

le

terrible

!

comme Edouard comme Edmond de

des musiciens

Germinie Lacerteux

" et

de

Bastien-Lepage retenu loin de Paris

qui allait l'emporter, s'associait à la

manifestation par une lettre nette et vraiment touchante.

Puvis de Chavannes, Henner, Carolus-Duran, absents ou empêchés, faisaient savoir au maître qu'ils s'unissaient à tous pour lui rendre

un témoignage d'honneur. Au

M. Bardoux, au nom peintre

de l'Ecole Française, offrait au grand

une médaille de bronze expressément modelée pour

lui et portant cette inscription

"

A Ribot,

«

Et

le

remercier toast,

dessert,

indépendants

les

maître,

ému aux

dignement

:

;

21

mars 1884

".

larmes, ne sachant

l'assistance,

au milieu des acclamations

portait

cet

comment

admirable

«

Messieurs, je bois à

l'art

des maîtres émanci-

pateurs, à l'art de Millet, de Corot, de

Daubigny, de Cour-

l'art,

mais à

bet et de

l'art

Manet

A vrai dire,

!

que j'aime,

—à

:

»

on avait également pensé, pour la présidence


102

de ce banquet,

un

à

autre artiste également modeste

François Bonvin. C'était aussi le

jour de son mariage

et avait

un homme

du repas de noces

adressé à sa nouvelle femme, cette courte allocution :

N'oublie jamais que tu entres dans une famille de

Ma

robe et depée.

garde-champêtre

!

mère

Montrouge

et

était

était

en

père

est

garde-champêtre à

effet

un

tenait là également

il

mon

couturière et

»

Le père de Bonvin

nom

simple, celui qui,

s'était levé, à la fin

que M. Jules Breton a transcrite «

petit débit

où son

servait d'enseigne.

Bonvin avait

été ouvrier typographe,

il

avait

abandonné

son métier pour devenir peintre.

Mais, n'ayant plus son salaire pour vivre, la place d'inspecteur Il

y comptait

entre temps,

un la

de bétail qui entraient au marché, et

peignait des enseignes.

nourrisseur de l'avenue du

poule aux œufs d'or, de

Charles Vincent,

le

avait obtenu

de la boucherie au marché de Poissy.

les têtes

il

il

Il

Maine où

même

en a il

fait

une pour

avait représenté

que Ribot avait

fait

pour

cordonnier poète, une enseigne intitulée

"Au Soulier de Noël ". Bonvin

était

offert à Ribot.

malade

et

il

ne put

se rendre

au banquet


Ce fut

sur la proposition d'un de nos peintres les plus

distingués, offerte à

M.

Cazin, que la présidence

du banquet

fut

Eugène Boudin.

XVII

Au salon Un

de 1887, Eugène Boudin exposa

rivage, Etaples,

marée basse

A propos de cette exposition, s'exprime ainsi

:

et le

trois

tableaux

:

Port de Lorient.

le critique

du journal Y Art,


— Marinistes

«

que

songe à

je

et

104

paysagistes s'entendent trop bien pour

les séparer.

Le

petit bataillon des

premiers

supérieurement son rang, grâce à M, Eugène Boudin

tient

M. Mesdag.

et à

Principalement, "

«

Un

nous

rivage

on a vu beaucoup de Boudin de

laisserait

ce genre,

calme;

mais on n'en

connaît que bien peu qui vaillent " Etaples, marée basse

La toile, de modestes tement composée

Le

n'est

ciel

et

animée de maintes figures

une

très

rière

les

plus délicats, les plus

plus harmonieux, qui couronne admirablement

longue, une très pénible, une très honorable car-

de lutte incessante.

Le

spirituelles.

Morceau de choix, morceau

accompli, symphonie des gris clairs, les

proportions, est parfai-

et excellentes

point banal.

".

31 janvier

1888,

»

Boudin

Boulevard de la Madeleine, N°

une nouvelle exposition

fit

Cette exposition compre-

9.

nait 18 tableaux.

Le

19 avril suivant

il fit

catalogue contenait 100

une vente

numéros

:

à l'Hôtel Drouot.

Le

60 tableaux, 30 pastels,

et 10 aquarelles.

Le produit net s'éleva Sur

un exemplaire du

à 9.105

15.

catalogue, à côté

dication de chaque article et inscrivit

fr.

mélancoliquement

du nom de le

du

prix d'adju-

l'acheteur,

Boudin

prix des cadres et en

fit

le


— total

la

io 5

qui était de 2.080 francs, ce qui réduisit le produit de

vente à 7.025 francs, pour les cent ouvrages vendus

même année,

La

tabl eau intitulé

au Hâvre

l'Eure,

:

".

exposa au Salon un

l'infatigable artiste

"

Une

Ce

!

dans

corvette russe

le

bassin de

tableau fut acheté par l'Etat et placé

au musée du Luxembourg. Mais, l'année suivante, 1889, une grande douleur vint atteindre

En

Eugène Boudin

:

cette triste circonstance

émues des

Le 24 mars

il

Claude Monet n'oublia

Il lui

adressa la lettre sui-

:

Fresselines (Creuse),

Mon C'est

ici,

dans un pays perdu, que j'apprends

Croyez que sais le vide

28 mars 188g.

cher Boudin,

qui vous frappe, ce qui vous explique je

que

mon

une

telle perte.

malheur

absence.

prends part à votre douleur. laisse

le terrible

Soyez

J'ai

passé par

fort et

là,

et je

courageux,

c'est

seule chose que je puisse vous dire en vous envoyant

cères

femme.

plusieurs artistes de ses amis, entre autres de

pas non plus Eugène Boudin!

la

perdit sa

reçut des lettres profondément

l'excellent paysagiste Guillemet.

vante

il

mes bien

sin-

compliments de condoléance.

J'ai

bien des reproches à

bien souvent.

me

faire à votre endroit. Je

me

Ne m'en gardez pas rancune, mon cher ami.

les fais

Je suis


io6

toujours aux champs, souvent en voyage, et toujours en passant à Paris.

Mais, n'en soyez pas moins certain de l'amitié que je vous

porte, ainsi que de

ma

reconnaissance pour les premiers conseils

que vous m'avez donnés, conseils qui m'ont Votre

vieil

fait ce

que

je suis.

ami bien dévoué,

CLAUDE MONET. Dès mon

retour, dans

un mois,

j'irai

sûrement vous serrer

la

main.

XVIII

A la même

époque, Claude Monet faisait une exposi-

tion de ses œuvres boulevard Montmartre, et

Le Roux récit

écrivait le

récit

M. Hugues

des débuts de ce grand artiste,

dans lequel apparaissait Eugène Boudin

et

dont

il

a

été parlé plus haut.

M. Hugues Le Roux «

terminait ainsi son article

L'histoire des débuts de

Claude Monet

:

est celle

de

tous ses camarades. Les premières toiles qu'ils envoient au

Salon emportent

un

vif succès

de curiosité.

1

864-1 865,

expose sont placées à la cimaise. L'on

les

marines

fait

beaucoup de bruit autour de

qu'il

En

"La femme

à la robe


107

verte" qui aujourd'hui est dans la galerie de M. Arsène

Houssaye.

Luxembourg, avait

« Je la garde pour le

quand

reur au jeune peintre,

De même une

«

aujourd'hui articles

dans

le

les

temps seront venus.

" Marine à Honfleur

chanteur Faure,

la presse. C'était

écrit l'acqué-

"

fut l'objet

»

que possède de nombreux

une tentative de plein

air

séduisante et hardie.

Tant que

«

les impressionnistes s'étaient contentés

de

succès isolés, on les avait loués sans se préoccuper des

conséquences de ces éloges. Mais lorsqu'on imitateurs de

leur

manière, lorsqu'on

tendaient à se grouper

vit surgir des

s'aperçut

et qu'ils faisaient école,

qu'ils

on tenta

d'étouffer la révolution dans l'œuf. Désormais, leurs envois

furent systématiquement refusés. «

Le fantaisiste Alphonse Allais a défini l'impressionisme

d'une façon bien divertissante dans triple ironie qu'il intitule

«

Vous ne savez

impressionistes «

Ce

?

Eh

:

Chroniques du bon

pas,

fait-il,

bien, je vais

sont des gens qui

un de ce

que

ses articles à sens.

que

c'est

vous l'apprendre

les

:

s'imaginent bouleverser l'Art

parce qu'il ne délimitent pas le contour des objets et qu'ils font de la peinture «

Voilà ce que

moins foncée que c'est

que

les autres.

les impressionnistes.


— Naturellement

«

Ils

se

ils

io8

ne fichent pas un sou.

>

ne fichent pas un sou. Mais que leur importe

!

Ils

ne

découragent pas.

Claude Monet temps

il

fait

aux champs,

est toujours

une exposition

pendant ce

et

particulière boulevard

Mont-

martre.

XIX Quant

à

Eugène Boudin,

il

fait

aussi

une exposition

particulière dans la galerie Durand-Ruel, rue

du

8 juillet

au

Peletier,

14 août 1889.

expose 89 tableaux

Il

Le

faits à

Dordrecht, à Etaples, au

Hâvre, à Deauville, à Trouville, à Berck, à Oisème, à

Camaret, à Anvers, à Fécamp, à Honneur. Le catalogue de cette exposition est

notice est l'œuvre elle

précédé d'une notice anonyme. Cette

du graveur

Félix Buhot,

et,

à ce titre,

mérite d'être réunie aux divers documents qui con-

cernent Eugène Boudin. «

La plupart des lecteurs de

ce catalogue auront certai-

nement gardé mémoire de l'exposition première des œuvres de M. Boudin, organisée comme celle-ci par M. DurandRuel

;

mais alors dans un

local

beaucoup moins favorable




o <

K Pi

<

'c

-



— que ne

sont

le

io9

— de la rue Le Peletier.

les galeries actuelles

C'était au boulevard de la Madeleine,

en

février 1883, et

ce fut le début d'une série d'expositions individuelles.

« Aujourd'hui,

M. Durand- Ruel

réunit

une soixantaine

de tableaux et pastels choisis dans l'œuvre des six dernières

années. L'exposition actuelle n'est donc à aucun réplique de celle de

qui montrait l'ensemble des

1883,

travaux de M. Boudin. Résultat de santes

recherches,

elle

une

titre

ces récentes et inces-

croyons-nous,

manifestera,

la

deuxième manière du peintre qu'on pourrait appeler manière lumineuse

et ensoleillée.

Sa palette

s'est

la

enrichie

de notes nouvelles; son étude constante de la nature, sa soif

du vrai

et

du mieux

l'ont

amené au but poursuivi

plus grande intensité dans la lumière,

un rendu plus

:

une

puis-

sant, plus sonore des colorations franches et vives.

« Certains

morceaux

culière les rares qualités d'harmonie cette fois

dans

par une maîtrise supérieure

pastels, notes rapides

une énergie

font briller avec

:

parti-

l'éclat,

possédées

sans

parler des

mais complètes, sur nature, véritable

Liber studiorum de l'artiste

;

nous voulons signaler ces

dernières plages de Deauville inondées de soleil matinal, ces

marines aux

ciels d'azur,

comme

Retour des barques de pêche, enfin

d'animaux qui porte

le

numéro

le et

Brick anglais

et le

surtout le tableau

53 dans le catalogue dressé


IIO

par

le

peintre avant sa fuite vers la mer,

modestement Etude,

intitule

tableau qu'il

qui nous semble une des

et

plus belles toiles de ce genre que jamais aucun maître signée, «

et

y compris Paul

Cuyp

Potter,

et

ait

Troyon.

D'autres toiles encore nous transportent dans de gras

humides pâturages où ruminent de

mandes

que

et ces tableaux,

;

belles vaches nor-

le peintre a traités

soins et dans des formats inusités, ne seront pas

moindres attractions

M. Boudin le public,

de

cette

galerie.

avait exposé des études

une des

Déjà, en

1883,

d'animaux auxquelles

absorbé par les vues de ports et de villes, n'ac-

corda pas peut-être toute l'attention qu'elles

Nous pensons que les comparaison avec

modernes,

avec des

et

toiles

nouvelles peuvent soutenir la

œuvres

les

méritaient.

meilleurs

des

animaliers

avec celles du plus illustre de tous. Si elles ne

présentent pas les robustes structures, les modelés gras et

soyeux des vaches de Troyon, de

finesse,

de distinction

et

elles

possèdent des qualités

de fluidité dans les ciels que

ce dernier n'avait pas toujours,

il

faut le reconnaître.

Outre

que ces tableaux reposent sur des centaines d'études de dessins rehaussés, cherchés par la construction l'allure,

— et qu'il faut,

avoir vus dans l'atelier

que M. Boudin, par

la

pour

du

se faire idée

peintre,

nature

même

il

est

et

et

par

de leur nombre,

bon de rappeler

de ses anciens travaux,


— était tout

semble

se

difficiles

1 1 1

préparé à aborder ce genre spécial auquel

complaire aujourd'hui.

de ses débuts,

le

Il fut,

en

effet,

il

aux temps

collaborateur de Troyon pendant

plusieurs années

«

Aux

artistes

Salons annuels, ses tableaux avaient frappé les

par cette admirable justesse des valeurs, poursui-

vies et notées sans défaillance, qui fait l'incontestable supériorité être,

du

peintre, et dont Corot et

Jongkind

seuls, peut-

avaient jusqu'alors fourni d'aussi frappants exemples.

M. Boudin

fut,

après ces deux maîtres,

influent de l'étude

du plein

air,

un protagoniste

un des promoteurs de

l'école impressionniste. »

M. Burty

a dit de lui

:

M. Eugène Boudin, sans pasticher M. Jongkind, a eu les yeux ouverts par son œuvre. A son tour, il a fait un élève c'est M. Monet, dont les paysages, lorsqu'ils n'ont «

point été trop hâtivement brossés, exercent sur teurs délicats tres,

les specta-

une sensation d'étonnement charmé. D'au-

moins sincères ou

excessifs,

ont parfois compromis la

cause. t

M. Boudin ne

Il est

s'est

point improvisé impressionniste.

arrivé à ses conclusions par des raisonnements, des


112

comparaisons

L'étude des conditions ex-

et des essais

presses sous lesquelles se présente ici et là la nature le

conduit seule. Nulles traces d'école. « S'il fallait

absolument établir des comparaisons, trou-

ver des maîtres à

un

artiste sorti

de la

mer

et

qui

s'est

formé

à peu près seul, nous les chercherions volontiers dans ces

peintres hollandais et des spectacles

du dix-septième

simplement observés

des pages d'une sûreté de

mité parfaits, et

et,

siècle qui, sur des faits

méthode

et

et traduits,

ont écrit

d'un charme d'inti-

plus particulièrement, dans

Van

de Velde

dans Van Goyen. M. Boudin nous semble par instants

un descendant bien moderne, bièn contemporain de deux maîtres plus d'un grand amateur

s'est

ces

plu à réaliser

;

le

parallèle,

moderne

et,

de ce

redoutable

voisinage, le peintre

n'a pas été diminué.

« C'est qu'en

œuvres de ce

effet,

depuis bien des années déjà, les

travailleur solitaire et infatigable, dont la pro-

duction est immense, sont entrées dans presque toutes les collections.

Comme

il

arrive souvent au début, les premiers

acheteurs des ouvrages de des peintres. alors

que

A

cette

M. Boudin

époque

initiale

furent des artistes,

dont nous avons parlé,

les exigences de la vie le confinaient à

Honfleur

ou au Hâvre, M. Boudin avait souvent recours au pastel pour fixer dans des notes rapides, mais extraordinairement


ii5

justes et ressenties, les effets fuyants des

mer. Ch. Baudelaire

les vit

au Hâvre en

étude consacrée au Salon de cette

nuages

din exposait son premier tableau),

de la

dans une

1859, et,

même année

et

(où M. Bou-

il

parla de ces pastels

tard, Corot les vit à

son tour, ces pastels,

avec enthousiasme. «

Un

et insista

peu plus

tellement auprès de leur auteur pour en acquérir

quelques-uns, que M. Boudin

finit

par céder, malgré son

attachement pour ces documents précieux, dont l'ensemble formait

une

véritable histoire

qu'ils rappelaient les études de les

du

ciel.

M. Burty

trouvait

nuages que se disputaient

admirateurs d'Eugène Delacroix à la vente posthume

de ses cartons. «

Ce que nous venons de

rappeler

ici

n'est peut-être pas

inutile pour expliquer la virtuosité vraiment étonnante,

mais toujours absolument dans Ruel

les et

sincère,

déployée par M. Boudin

pastels actuellement exposés chez

M. Durand-

qui sont, pour la plupart, de date récente.

On

est

surpris de trouver, dans des croquis enlevés d'un seul jet, les tons nourris et solides, la

composition pleine

et unifiée,

enfin toute l'orchestration de véritables tableaux. «

Il

faut le dire à la

louange des amateurs qui ont

depuis longtemps déjà donné place à collections,

que leur choix n'a pu

M. Boudin dans être

leurs

déterminé par

la


— situation officielle

du

ii4

peintre.

En

1883,1e jury lui décerna

une tardive médaille de deuxième rien.

En

il

est

dans

le

d'honneurs

offi-

même cas que MM. Degas

Jongkind. Mais qu'importe? Pour

art,

fait

M. Boudin ne cumule pas précisément. Au regard

des faveurs de l'État, et

Depuis, plus

Plus rien, malgré la constance de ses envois, souvent

importants, aux Salons annuels. ciels,

classe.

comprendre, traduire la

l'artiste épris

vérité, se

de son

rapprocher chaque

jour de l'idéal, le faire sentir aux autres, n'est-ce pas déjà

une grande part de bonheur

amour de

et

une douce récompense? Cet

l'art, cette foi artistique

ont déjà soutenu

M. Bou-

din dans bien des épreuves, noblement et discrètement supportées, et

récemment encore, dans

la plus douloureuse

de toutes, la perte de la compagne dévouée de sa vie et de ses travaux. C'est

vaincu,

pour

lui

M. de Fourcaud,

lignes, par lesquelles

qu'un critique sérieux

écrivait,

il

nous voulons

y

« pris, qu'ils sont tout d'un « tout le

« déplacer la tradition « justice

que quand

:

:

« C'est la

et

récom-

méconnus ou incom-

coup acceptés

monde. Leur honnête

con-

a tantôt six ans, ces

finir

« pense de ces chercheurs, longtemps

et

et

admirés de

patient effort a tendu à

on ne leur rend unanimement

la tradition est enfin déplacée. >


115

XX En

année

cette

1889, avait lieu l'exposition universelle.

Le jury international décerna à Eugène Boudin une médaille d'or.

L'année suivante, en mai 1890, Boudin

fit

une exposition

de ses œuvres à Boston, dans les galeries Chase,

7,

Ha-

milton place.

A la même dans

époque, Ribot faisait une exposition à Paris,

la galerie

Bernheim,

8,

rue Laffitte, et Boudin lui

écrivit à cette occasion la lettre suivante

:

5

Paris,

Mon

Vous avez nombreuse

très belle exposition

que

j'ai

mes

réuni là des morceaux superbes, très admirés par la

Bernheim

et

et

par vos

pu vous

serrer la

nombreux également.

Je n'ai regretté qu'une chose, c'est de n'avoir pas

main

sincères compli-

visitée hier au soir.

société qui remplissait les salons de

confrères, très

18go.

cher Ribot,

Je ne puis résister au désir de vous envoyer

ments sur votre

juin

vous témoigner de vive voix toute

pour vos récents ouvrages, qui attestent votre

mon

admiration, tant

virilité,

que pour des


1 1

6

œuvres d'une autre époque qui m'étaient inconnues à côté des maîtres

du passé.

est consolant

Il

et qui resteront

pour nous de voir que, malgré

s'accumulent sur nos

les

années qui

nous tenons encore vaillamment notre

têtes,

place au milieu de cette jeunesse turbulente

et oseuse,

qui veut faire

un peu

autre chose que ses devanciers et qui s'emporte peut-être

dans ses écarts de couleur

et

de fulgurance

L'avenir mettra chacun à sa place et fera justice des exagérations peut-être utiles

du présent. Laissons-les exulter

pleines mains, ces jeunes, et nous autres ne

heureux de pouvoir, malgré

les années,

et jeter leur

sève à

sommes-nous pas encore

nous présenter encore au

milieu de cette turbulente jeunesse.

A vous

de tout cœur,

mon

cher

Ribot,

et

mes bonnes amitiés

à

votre famille. E.

Aurons nous pars

de vous voir à Trouville cette année

le plaisir

demain pour un voyage dans

Boudin tains Il

le

Je

?

Nord.

choqué par

était alors

les

exagérations de cer-

nouveaux venus. avait le souci d'éviter que sa peinture ne

vilaine tache grise, et avait clair

BOUDIN.

dit ».

Daubigny

Mais

il

:

il

«

répétait souvent

un mot que

Nous ne peignons jamais

disait aussi

:

«

une

fit

lui

assez

La lumière a un langage.

Il


— faut la faire parler, faire

gueuler

Au

mois de décembre de

Ruel,

à

et,

ce sujet,

Les envois de

me paraissent

tique.

cette

même

année

1890,

une exposition nouvelle chez Durand-

fait

remarque suivante

fitte

faut la faire chanter. Il ne faut pas la

>.

Eugène Boudin

«

il

iiy

M. Théodore de Wyzewa

fait

:

M. Boudin

à l'exposition de la rue Laf-

d'un très précieux enseignement

artis-

montrent comment l'étude passionnée de

Ils

la

nature comporte par

elle

seule

une

la

possibilité indéfinie de

progrès dans la finesse de la vision et la sûreté du métier. Ils

montrent

vailler

un

aussi

comment un

demi-siècle, atteindre

bileté technique, créer cent et

peintre français peut tra-

œuvres d'un

art toujours

d'ha-

ferme

vivant, sans que les critiques influents s'avisent de le

louer

ou

le

peindre une l'ordre

ministre de le décorer

dame

la tête

:

tandis qu'il

suranné des couleurs

tel qu'il est

dans

décoré de nos jeunes maîtres

mars de

de

189 1,

la nature,

ou

un bocal de pharmacie ou

fumée d'un poêle mobile pour devenir

Au mois de

suffit

en bas ou de bouleverser un peu

d'observer son modèle à travers la

un suprême degré

aussitôt le plus

».

Eugène Boudin fait encore une

exposition dans les galeries de

M. Durand-Ruel, qui

a, le


u8

premier, compris et soutenu le

mouvement impressionniste,

et aidé ainsi

au renouvellement des tendances

en France

par suite, en Europe.

et,

Cette exposition

comprend

3

3

34 pastels et

tableaux,

les bords de la

au Hâvre, à Berck, sur

189 dessins, faits

artistiques

Touques, à Tourgéville, à Deauville, à Saint-Valery-sur-

Somme,

à Etretat, à Trouville, à Dunkerque, à Étaples, à

Saint-Val ery-en-Caux, à Dordrecht, en Bretagne.

Rendant compte de journal L'Art dans tiste «

au travail

les

cette

exposition, le

Deux Mondes, nous

représente l'ar-

:

Étaples avec ses sables,

le

Havre

son estuaire de

et

Seine, le Finistère et ses blocs de rochers, partout

une grève, un «

port, des bateaux, voilà l'atelier

L'homme

:

une

tête

une barbiche blanche,

finesse. Il

cantiles

à

le

de vieux pilote,

haut des joues

le

est placide,

mêle

la

il

y a

de Boudin. hâle rouge,

rasé. Il a le parler

un peu monotone. La physionomie,

très lent, bas,

normande,

du

critique

toute

avec des yeux petits où se décèle la

compréhension nette des nécessités mer-

un entêtement imperturbable dans

ses

con-

victions artistiques. «

A

Paris,

Boudin

une grande pièce

est

habite, 11, place Vintimille.

encombrée de

toiles,

Toute

posées par terre,


— s'appuyant contre

le

ii9

mur en

longues rangées pressées ainsi

cartes.

Dans

que des capucins de

cet

amas règne un

moitié chronologique et moitié géographique, où se retrouve avec

une aisance

prestigieuse.

ne

Il

ordre

l'artiste

fait là

que

des retouches, conservant à chaque œuvre la sincérité de l'étude

en plein

air.

Partout, dans les

couloirs

déborde une incroyable quantité de dessins aquarellées où se

Boudin.

Il

y

manifeste

a en lui

une

même,

et d'esquisses

l'élément primesautier

de

faculté innée de voir vite, juste,

complet. Quelques coups de crayon, deux ou trois teintes

ébauchées, des indications en marge, cela jours le tableau «

Et

c'est

y

suffit,

— tou-

est.

tantôt les floraisons prairiales, opulentes et

grasses des environs de Trouville où, sur les bords de la

Touques, ruminent paresseusement

les

vaches luisantes;

tantôt des laveuses accroupies au travail en

un

fouillis

mou-

vementé; ou bien de longues plages avec des groupes clairsemés sur le sable jaune. Mais ce que l'artiste préfère, c'est le port; sur les

eaux

paisibles se dressent les mâts, s'enche-

vêtrent les cordages des agrès, sans feuilles,

aux

fortes

comme une

étrange forêt

lianes; çà et là, la

éployée, des pavillons multicolores.

»

note vive,


120

XXI Tous cés.

ces éloges, les véritables artistes les avaient

devan-

Les meilleurs d'entre eux ne comprenaient pas qu'Eu-

gène Boudin ne Le

13

écrivait à

fût pas décoré.

juillet 1891,

Boudin

un grand

la belle lettre

peintre, Alfred Stevens,

que

voici

:


121

i3 juillet i8gi.

Cher Je

lis,

dans

non Boudin.

confrère,

les

décorés du Ministère des Beaux-Arts, Baudoin et

J'aurais été

n'y mettre qu'un seul mot

ma

heureux, en vous envoyant

si

Enfin

:

carte,

de

!

Croyez, cher confrère, que pas un seul peintre ne vous la donne, cette distinction; et cela depuis la

donne

nombre d'années;

un

si

seul

ne vous

pas, c'est qu'il croit depuis longtemps le ruban rouge à votre

boutonnière.

Ceux

qui,

comme

de leur distinction,

moi, sont plus heureux, auraient été plus

s'ils

fiers

avaient appris votre nomination.

Croyez, cher confrère, à

mon

admiration et à mes meilleurs senti-

ments.

ALFRED STEVENS, 15,

Boudin

lui

répond

:

Cher maître Votre aimable jours après

lettre,

de sympathie à

qui vient de

vous remercier de

mon

me

comme

vous,

parvenir, a couru quelques

artistiques.

cette rare et

touchante marque

égard.

Depuis bien des années amis,

et ami,

moi dans mes pérégrinations

Je ne saurais trop

rue Flachat.

qui

cette

promesse m'est

pensent

que

je

faite

pourrais

par quelques mériter cette


récompense. Je

en remercie profondément

les

voir leur désir trompé que pour

ceux qui obtiennent

Vous

savez,

mon

matérielle pendant

cher maître,

nombre

demander

qui ne suis pas jaloux de

qu'après avoir lutté pour la vie

d'années, je trouve que c'est

peu de cas de

d'autre, faisant

vexé de

ruban.

pu vivre de mon

résultat d'avoir

droit d'en

le

moi-même,

et je suis plus

mon

art,

et

je

n'en

mérite et ne

ai

me

un

suffisant

jamais désiré

croyant pas en

plus.

y a quelque temps, lorsqu'il fut question de demander pour moi le ruban, je fis une démarche collective avec un certain nombre Il

d'admirateurs de ce grand talent qui aura laissé en France tant de petits chefs-d'œuvre, je

veux parler de Jongkind.

Il

me

semblait que

ce maître peintre devait passer avant moi. Il

les derniers jours

de ce grand

récompense qu'on a

tant prodi-

m'eût été doux de voir adoucir

artiste,

en

lui

donnant

cette haute

guée à d'autres étrangers qui ne comptent guère dans

l'art

de notre

époque.

Pour moi, qui je

me

n'ai pas la prétention

trouve, je vous assure,

de

m égaler à ce grand maître,

suffisamment récompensé par

le

suf-

frage des amateurs.

M. Turquet, approché,

me

le seul

des directeurs des Beaux-Arts que

j'ai

jamais

reprochait d'être un peintre du commerce. Peut-être

avait-il raison;

nous nous émiettons un peu, aujourd'hui qu'on ne

compte guère qu'avec des

toiles gigantesques.

Qu'en

dites-vous,

vous qui n'avez pas besoin de plus de quelques centimètres de pour faire un bijou bleue ?

comme

la

dame en jaune ou

la petite

toile

femme


— Je n'en continuerai pas

qui

me

reste,

123

mon œuvre avec de mon mieux.

moins

cherchant à faire

le

peu de forces

Croyez, cher maître et ami, que je suis bien sensible à votre

témoignage de sympathique amitié,

ainsi qu'à celle des bienveillants

confrères de la Société qui (m'a-t-on assuré) notre Président en tête,

m'ont porté sur

la

liste

des artistes à récompenser.

ma

C'est là

meilleure décoration.

A vous

bien cordialement. E.

Boudin

BOUDIN.

comme Corot « Toute distinction qu'il faut solliciter ne me tente pas. Si l'on veut m'en donner, on sait bien où me trouver; mais de ceux qui pouvaient

était

pour des démarches,

Quant

venait de mourir le 9 février 1891,

il

à la Côte-Saint-André, petit village

du Dauphiné où

il

où, soit dit en passant, Berlioz est né.

Le vieux paysagiste

s'était

endormi de son dernier som-

meil loin de son pays, de ses parents

Lui non plus n'avait pas convoité

qu'un qui, un jour,

et

de ses amis.

les

faisait miroiter à ses

honneurs.

yeux

du ruban rouge, M. de Fourcaud raconte «

:

je n'en suis pas. »

à Jongkind,

s'était retiré, et

dire,

Vous avez dû

voir qu'il

maison un charbonnier

:

y

A quel-

l'éventualité

qu'il répondit

a au rez-de-chaussée de

c'est

mon

:

ma

ami. Je veux pouvoir


124

continuer à causer avec lui sans m'humilier et sans l'humilier. »

En

ce qui concerne

table injustice.

A

Ce

fut

Eugène Boudin,

il

M. Léon Bourgeois qui

struction publique et des Beaux-Arts, l'État le tableau

tableau placé

Luxembourg,

et

nommé geait

fit

véri-

cesser.

acheta pour le

il

exposé par Boudin

Villefranche,

il

la

une

1892, étant alors ministre de l'In-

l'Exposition de

compte de

avait

y

pour

lui

la

Rade

au musée

aujourd'hui

lui écrivit

:

annoncer

de

du

qu'il était

chevalier de la Légion d'Honneur, et qu'il char-

M. Puvis

de Chavannes de lui remettre les insignes

de son grade.

M. Léon Bourgeois d'Eugène Boudin,

et

avait résolu de réserver la décoration

quand

qu'on savait disponible, fait». Si l'on tâchait il

répondait

Boudin! mais

était

:

«

C'est il

il

il

était sollicité

répondait

de savoir quel

Boudin

».

:

«

pour

Mon

;

M. Léon Bourgeois

le solliciteur se retirait alors sans insister

Boudin

est

Mais on objectait toujours

est déjà décoré! »

1892,

choix

était le futur titulaire,

obligé de détromper son interlocuteur, et

Le 30 octobre

la croix

il

ajoute

que

davantage.

Puvis de Chavannes

écrit à

Eugène

:

Mon

cher Boudin,

Je viens de recevoir de la

Grande Chancellerie

les papiers concer-


nant votre nomination de chevalier Je serai

charmé de vous

i2 5

et la croix qui

remettre

les

vous

est destinée.

moi-même avec une bonne

et cordiale accolade.

PUVIS DE CHAVANNES.

même

Vers la

une

lettre

époque,

avait reçu de

il

Claude Monet

touchante, où leurs vieux souvenirs revivaient

embellis par Téloignement

:

Giverny, far Vernon (Eure), 22 août i8g2.

Mon

cher Boudin,

Excusez-moi de n'avoir pas répondu plus vite à votre qu'au retour de

lettre; ce n'est

de votre

lettre qui,

tout très touché en

vous

mon voyage

le pensez,

même temps

m'a

que

que

j'ai

si

eu connaissance

été très agréable. J'ai été sur-

très flatté

de votre demande. Je

ne puis vous annoncer aujourd'hui l'envoi de ce souvenir. Je travaillé cette

année

digne de vous

;

et je tiens à

aimable

n'ai

pas

vous donner quelque chose qui soit

mais vous n'aurez pas besoin de

me

rafraîchir la

mémoire.

Vous savez

que

l'affection

j'ai

toujours eue pour vous, et aussi la

reconnaissance. Je n'ai pas oublié que c'est vous qui, le premier,

m'avez appris à voir

Comme vous, ses courses en

et à

comprendre.

bien des

fois, j'ai

pensé à ces débuts, à ces délicieu-

compagnie de Jongkind, de Courbet. Aussi

bien heureux de voir que vous en avez conservé

le

ai-je été

souvenir.


126

J'espère bien cet hiver venir vous serrer la

main

et

causer de ce

bon temps. Votre

vieil ami,

CLAUDE MONET.

XXII Eugène Boudin

avait alors soixante-huit ans.

Ses habitudes de travail n'avaient pas changé.

Dès

mois de mars,

le

il

quittait Paris et

commençait

ses

pérégrinations.

Dans

les

Midi pour

dernières années,

se garantir contre les

qu'il avait contractées

dut

il

les

diriger vers le

douleurs rhumatismales

en peignant au grand

air

par tous

les

temps.

Mais au mois de ville,

et là,

il

juin,

il

revenait régulièrement à Deau-

achevait les tableaux qu'il avait

cours de ses voyages.

Il restait

qu'à la fin de la saison, Paris que vers la fin

et

il

sur les bords de la

ne rentrait dans son

au

faits

mer

jus-

atelier

de

du mois de novembre.

Dans l'année qui précéda

celle

de sa mort, en 1897,

il

peignait encore au mois de novembre dans les rues de

Honfleur,

et

Le pauvre

il

écrivait à

artiste a

un de

ses

amis

bien froid aux doigts.

:


— Une

ramené

fois

dans son

127

à Paris par l'hiver,

il

restait

enfermé

sans interruption, ne sortant

atelier et travaillait

pour ainsi dire jamais.

De

une production incessante dont

s'inquiétaient.

Un

d'entre

eux,

certains amateurs

un ami de

première

la

heure, aurait voulu le voir modérer son ardeur et limiter le

nombre des œuvres lui faire des

Boudin

qu'il entreprenait. Il lui avait écrit

recommandations dans

lui répondit

talent.

Mais

est-il

ce sens.

:

Je pourrais convenir avec vous que

mon

pour

j'ai

quelquefois

«

galvaudé »

bien certain qu'avec plus d'économie dans la

production, je fusse arrivé à un autre résultat? C'est fort douteux.

Certains amateurs m'en font un crime. Mais lorsque je leur dirai

:

C'est doublé, à prendre ou à laisser! Croyez-vous qu'ils ne regim-

beront pas contre

Du reste,

prétention

?

viens de passer un hiver qui est un avertissement. Je

ce n'est pas douteux. Je m'arrêterai forcément un de ces jours.

vieillis,

Déjà

je

ma

je

brouille.

sens une grande fatigue. Il

s'alourdit,

mon

œil se

n'y a plus que la volonté qui survit et cette habitude prise

de labourer journellement quelque

Ma main

volupté à

me

mon

reposer,

sillon.

Mais croyez que j'aurais

n'était le devoir qui

me

pousse au

travail.

Ce

n'est pas lorsqu'on touche à son quinzième lustre qu'on doit


se figurer qu'on ira plus loin.

me semble

pinceau qui

Mais

s'il

-

128

Il

faudra bien lâcher quelque jour le

déjà lourd.

m'est donné de peindre encore quelque temps, vous aurez

satisfaction, car j'ai pris la résolution de

ne plus mettre tant d'enfants

dehors. Je vais serrer cette mécanique résolument.

Et puis, je suis bientôt

ans que

Dieu

je laboure. Les

moi,

!

Je ne

je suis sans

satisfait

de

mon

n'y a pas moins de soixante-quatre

mauvais jours comptent double dans la vie,

eu de ces jours de désespérance

sait si j'en ai

de toute sorte

fini. Il

me

fais

et

et

de privations

pas d'illusion sur ce qui m'attend. Pour

ambition. Je serais bien

me

sort. J'en vois qui

difficile si je n'étais

pas

valent et qui végètent à côté

de moi.

Du

reste,

ne croyez pas que

c'est

un grand désir de lucre qui m'a

poussé jusqu'à présent. Le papa Corot lui-même, « galvaudé » son talent (puisque c'est le

mot

qui a pas

mal

consacré), a eu la fai-

blesse, lui aussi, de se laisser circonvenir et fatiguer jusqu'à son der-

nier jour et sans profit,

comme je

Et dans l'intimité, travailler

Boudin

aurait

pu

Mon

ajouter

souvent.

disait

moins; mais alors que

Je m'ennuierais. Il

le fais

:

«

ferais-je

Certes, je pourrais

dans l'intervalle?

seul plaisir est de peindre. »

que souvent des marchands avaient

voulu s'assurer sa production d'une manière exclusive,

mais

qu'il s'y était toujours refusé,

malgré

les

avantages

pécuniaires qu'il aurait certainement tirés d'un semblable


129

arrangement fréquemment accepté. Par

eux

d'entre

le

boudaient. Mais

disait à ce sujet

il

plus de quinze ans à travailler sans rien vendre

quand un amateur

« J'ai

:

été

aujourd'hui

;

ma porte,

vient frapper à

plusieurs

suite,

j

'éprouve

un

trop grand plaisir pour ne pas le satisfaire et je suis trop flatté Il

de sa démarche pour pouvoir l'éconduire. » s'efforçait

donc de contenter tout

monde. Et

le

comment n'y eût-il pas réussi ? Ses prétentions étaient si modestes! M. Vollon raconte qu'un jour il amena dans l'atelier de Boudin un riche amateur de Marseille. Il prit Eugène Boudin

«

à part et lui dit

Je t'avertis que

prix élevés.

Ne

mon client a l'habitude

l'amateur parcourt

A un moment ment devant une

»,

me

donné, toile

le visiteur s'arrête

amateur.

et lui dit tout

sais, je t'avertis; si c'est ce

« C'est fort bien, dit

mais moi »

je

plus longue-

qui parait fixer son choix. Boudin

cinquante francs

trois cent

»

l'atelier.

absolument impossible de

sera

!

répond Boudin, pendant que

lui

s'approche alors de Vollon

il

de payer des

vas pas demander des prix ridicules

— « Sois tranquille

— « Tu

:

!

».

.

bas

:

tableau là qu'il prend,

le lui laisser à

moins de

.

Vollon,

fais

comme

ne reviendrai plus jamais chez

tu l'entends toi

avec

;

un


— Comme

1)0

Boudin, M. Vollon avait eu des débuts très

modestes. Son premier ouvrage eut cependant tout de suite

une grande publicité.

Il

passa

de milliers de spectateurs.

Il

du premier coup sous peignit, en effet, les

les

yeux

numéros

sur fonte émaillée des maisons de la ville de Lyon, sa ville natale.

Employé dans une

fonderie,

il

couche bleue sur laquelle se détachent sons. Puis

il

fit

en 1859,

les

numéros des mai-

de la bijouterie, ensuite de la gravure, afin

de gagner sa vie. Enfin, en 1857, rots et,

débuta par cette belle

il

exposa à

il

Lyon

des Pier-

vint à Paris.

XXIII Eugène Boudin, en

1896, fut obligé par l'état de sa santé

de retourner passer l'hiver dans Venise.

Il

Deau ville

s'y installa,

en

le

Midi.

effet, et

où, à peine débarqué,

il

Il

résolut d'aller à

revint avec ses études à fut interwievé par

un

rédacteur de Y Echo de Paris qui donna le compte-rendu de sa visite

:

«

Venise n'existe plus

«

Par

cette

devant moi,

:

il

boutade qu'il

le peintre

y

a des bateaux à vapeur

laissait l'autre jour

!

échapper

Ziem, ce toujours fidèle courtisan de


131

la « reine de l'Adriatique » prononçait

peut-être «

pour

— l'oraison funèbre de

La cité de

perles, de roses et de lapis

un

des steamers

«Que

romantique.

que Ziem a peinte

de plusieurs générations d'amateurs, aurait-elle

la joie

place à

fait

l'art

— inconsciemment

port de

mer quelconque,

souillé de la

fumée

?

deviennent,

hélas!

l'élégance

archaïque,

la

majesté pittoresque des vieux palais se mirant dans la lagune,

si

de ballots,

les

quais de marbre s'encombrent de caisses et

grincement des grues à vapeur,

la plainte

stridente des sirènes couvrent de leurs bruits le

murmure

si

le

soyeux des gondoles glissant sur l'on n'entend plus filles «

au passage

un

canaux

les soupirs poussés

derrière les jalousies baissées

Seul,

les

la

par les belles

dommage

j'ai

eu

la

causé

beauté de l'éternel refuge

des poètes et des amoureux. Cet artiste, c'est

Boudin, que

si

?

artiste pouvait apprécier le

par l'inévitable civilisation à

déserts, et

le

bonne fortune de rencontrer

peintre l'autre

jour à Trouville, retour de Venise. «

Rassurez-vous,

ai passé «

me dit-il, Venise

est

toujours belle; j'y

quelques semaines inoubliables.

Mais Ziem a raison de clamer un De profundis. La

Venise qu'il a peinte n'existe plus guère. C'est celle des siècles

écoulés, qu'avec de savantes études et grâce à la


.

132

puissance de son imagination de poète,

merveilleusement. Mais

non moins

vue,

j'ai

le ciel d'être

y

a

une autre Venise,

«

refléter les

dire,

Hâvre

comme

immense

mirages du

mon cher maître,

propre tempérament, c'est peints à Venise,

que

bleu, les nuages de courir en troupeaux

mer de

Cela veut

celle

hommes, voyez- vous, n'empêcheront

rapides ou en flocons légers sur son velours, et la

reconstituer

d'une beauté éternelle. Les

belle et

misérables efforts des

jamais

il

pu

a

il

le ciel

vous

les

si

ciel.

que, fidèle à votre

et l'eau

avez

tapis de

que vous avez

souvent peints au

?

«

Justement,

dit-il

en

Ah

s 'animant.

!

Monsieur

quels ciels merveilleux, quelles aurores, quels couchants

Et la mer

!

Combien

certaines heures, c'est

différente de notre

comme

«

Une

ces horizons

aux tons

pour moi une inoubliable volupté de

ce fut

ce voyage

!

!

. .

l'œil

que

»

conviction ardente,

un enthousiasme

juvénile illu-

tence n'a été qu'une patiente étude de l'horizon flots,

de

perlés

minaient la figure hâlée du vieux peintre dont toute

des

A

des gris incomparables de finesse et de légèreté.

J'ai surpris !

!

!

de la crème... Et encore, cette

atmosphère unique au monde,

Ah

Manche

!

qu'une contemplation passionnée des

aux grandes nues chevauchantes.

l'exis-

mouvant

ciels

marins


.

.

133

Sa face énergique, aux poils rudes

«

et blancs, ses

d'un bleu de faïence, son sourire naïf et large,

vifs, purs,

font prendre invariablement pour quelque loup de

qui le voit pour la première Et

«

comme

maintenant de

«

Non,

la conversation a lui

:

répondit-il à

une de mes questions, j'ai

sur la peinture m'ont toujours semblé lutté

longtemps avant

heureusement, qui

me

la

récompense

Mon

cesse.

je n'eus

cherché tout seul

un peu

discussions

les

oiseuses.

Pour

d'être compris; aujourd'hui,

arrive; j'ai

sont depuis longtemps fidèles,

augmente sans

mer par

tourné et que nous parlons

sans être d'aucune coterie, d'aucune école, et

j'ai

le

fois.

point de maître à proprement parler;

moi,

yeux

ambition

se

quelques amateurs dont le nombre

borne à

les satis-

faire.

— — sont

«

Et vous y arrivez?.

«

Pas toujours

mes amis me

harcèlent.

«

en

riant

M. Boudin

;

ceux qui

me

.

Cela ne m'étonne pas,

merveilles. «

dit

.

traitent de fainéant, et les autres

leur annoncer que,

!

.

cher maître, et

je vais

de Venise, vous leur rapportez des

.

Ah! non,

que Venise

mon

dites

que

j'ai

vu

des merveilles. Dites

est toujours la plus belle des cités

maritimes, le


— joyau unique, poètes,

En

i34

le décor propice

— aux

mais ne parlez pas de ma peinture.» (eugène

lui reprochèrent

mais d'y avoir

commis une

doucement, non pas d'avoir été à Venise,

fait

des tableaux. Pour eux, Boudin avait

sorte de sacrilège en abordant

appartenait exclusivement à Ziem.

on

le

voulu toucher

qui n'était pas le sien

sujet qui

avait beau se défendre

que Ziem avait

à la convention

et qu'il aurait

un

créée,

un domaine

dû considérer comme

lui.

Boudin ne et se

Il

blâmait néanmoins d'avoir pénétré sur

fermé pour

tardieu).

dans l'entourage d'Eugène Boudin, plusieurs

effet,

d'avoir

rêveries; rassurez les

tint pas le

borna à répéter

moindre compte de

qu'il avait fait à

ces critiques,

Venise ce qu'il avait

vu, et qu'il avait fidèlement reproduit la réalité, d'ailleurs

sans penser à la Venise

très belle,

que Ziem

telle

la rêvait et

se plaisait à l'imaginer.

Le souci que Boudin avait eu de demeurer exact poussé

si

loin,

que dans un de

ses plus

importants tableaux,

on voyait, au premier plan, des chalands chargés de défilant sur palais et de paraissait

un

canal,

paille,

au fond, une magnifique suite de

et,

monuments

était

;

et

comme

la

vue de

ce fourrage

choquer l'amateur en offrant un contraste fâcheux

avec ce fonds de somptueuse architecture, Boudin prit soin


.

— d'expliquer qu'à Venise

ment

il

i35

n'y avait pas de rues, mais seule-

des canaux, et que tous les services se faisaient par avait fait ce tableau

un

convoi de bateaux chargés de paille avait défilé devant

lui,

eau; que, par suite, le jour où

que

cela n'avait rien

il

que de normal

là-bas, et qu'il avait

reproduit ce qui se voyait habituellement et ce qu'il avait

vu précisément

ce jour-là.

L'amateur cependant ne se laissa pas convaincre, pria cet

Boudin de

amas de

faire disparaître la

paille.

et

il

tache jaune que formait

Boudin, très accommodant, n'insista

pas, et, content de son explication, céda

au désir de l'ache-

teur, qui préférait voir l'église Saint-Marc sans le convoi

de

fourrage

XXIV Venise fut sa dernière étape.

Au

mois de février 1898,

A cette amis

:

époque,

il

il

se sentit malade.

écrivait la lettre suivante à

un

de ses


136

— Paris,

18

le

février i8g8.

Cher Monsieur,

Vous excuserez un malade aller

qui aurait dû depuis plusieurs semaines

prendre de vos nouvelles et vous souhaiter

bonjour

le

;

voilà près de six semaines que je suis atteint de l'influenza avec fièvre qui

Mon

m'a cloué au

lit

mais

une

assez longtemps.

plus grand supplice, à part la maladie, c'est que je n'ai pu,

jusqu'à présent,

me

livrer à

quand

état

de reprendre

je serai

en

visiter l'atelier

aucun

travail et je

la palette,

ne

quoique

sais

vraiment

je puisse déjà

en curieux.

Croyez, cher Monsieur, à mes meilleurs sentiments et agréez

mes

cordiales salutations. E.

Boudin poêle.

Il

dans son

se tenait

BOUDIN.

atelier, assis

tout près

du

avait froid jusqu'aux os, disait-il, et ne parvenait

pas à se réchauffer.

Il

n'avait plus de forces et ses jambes le

soutenaient à peine. Il

voulut aller au

De

soleil et se rendit à

là, il écrivait à la

date

du

Beaulieu-sur-Mer.

25 avril 1898

:

Cher Monsieur, Votre

lettre

me

parvient

semaines déjà sans que j'en

à Beaulieu

aie ressenti

je

un grand

suis

depuis trois

bien-être.


— Il

est

croyais

vrai

que

suis parti

je

137

beaucoup plus malade que

me

arrivé à Nice, je ne pouvais plus

l'être, car,

je ne

traîner et

moment que j'allais être obligé de me faire conduire à Mes jambes m'abandonnaient, je ne pouvais faire vingt pas

cru un

j'ai

l'hôpital.

sans succomber. Enfin, mais, hélas

!

pas

j'ai

la santé.

gagné Beaulieu où

Car

je suis depuis trois

plus triste état, pouvant à peine

J'ai

traîner et ne

gîte,

semaines dans

mangeant

éprouvé un petit mieux, mais

J'avais tout d'abord

maintenu.

me

trouvé un

j'ai

consulté un médecin qui m'a mis au

plus.

ne

il

lait

le

s'est

pas

pour toute

nourriture et j'en suis arrivé à un état de faiblesse très inquiétant,

car je peux à peine

Pour comble,

la

me

traîner à quelques centaines de pas

semaine a

soleil est absent, et le

été et continue d'être

temps maussade

de malade. Je ne sais vraiment

si je

me

logis.

mauvaise. Le

et froid ajoute à

pourrai

du

ma

détresse

remettre sur pied et

reprendre quelques forces. C'est douteux.

Vous voulez bien me

consulter relativement à quelques

toiles

que vous désirez exposer (à l'Exposition des Beaux-Arts de Périgueux). Je vous en prie, faites tout ce qu'il vous plaira à cet égard et ce sera

pour

le

mieux.

Je suis

que

je

si

peu à

ne prends

même

tant dans les rares

pour tenter

la peinture, réduit

pas

la

le suis

parla maladie,

peine de regarder autour de moi. Pour-

moments où

le peintre,

comme je

le ciel est

mais je n'y songe

clément, c'est assez beau

même

pas,

tellement la

maladie m'a abattu. Toutefois le pittoresque a disparu.

Il

y a de beaux jardins remplis

d'orangers, de citronniers, d'arbres exotiques, mais tout est accaparé

pour

faire des jardins.


Voilà que va s'ouvrir

comparer

38

i

entre les deux Salons.

la lutte

et ce sera, je crois,

On

pourra

une étude assez curieuse dont

me

je

désintéresse.

Agréez, cher Monsieur,

mes plus

cordiales salutations. E.

A

la

même

époque,

M. D. Louveau

il

écrivait à

BOUDIN.

un ami de Honfleur,

:

Beaulieu-sur-Mer, i5 mai i8g8.

Mon

cher monsieur Louveau,

C'est de Beaulieu, où je suis depuis la lettre

deux mois, que

je

réponds à

que vous m'avez adressée à Paris. Vous ignorez que depuis

cinq mois tout à l'heure je traîne une existence maladive, à d'une violente attaque d'influenza Paris, j'ai

du

dû changer de climat

;

que, ne pouvant

et essayer d'un

me

la suite

remettre à

pays plus favorisé

soleil

Hélas! je suis loin d'y avoir retrouvé une santé perdue...

Dans

quelques jours, nous allons quitter cette côte bénie des uns, mais où je n'ai

pu ni réchauffer mes pauvres vieux

os, ni

retrouver la vigueur je

vais revenir vers notre Normandie, très affaibli par

qui m'est imposé, car

aliment solide ou

j'ai

absolument perdu

un régime de

la faculté

lait

de digérer tout

fortifiant...

Retrouverai-je, au pays natal, je suis arrivé à

;

mes

forces perdues

?

J'en doute, car

un degré d'épuisement absolu., pouvant

à peine

mar-


— cher cent pas.,

et

n'ayant plus la force de tenir le pinceau, ce qui est

une de mes douleurs J'ai

139

vu souvent

les plus vives.

à Paris notre

ami Marais...

est

il

venu me rendre

mon départ pour le midi, mais là, je me croyais encore assez fort pour me risquer à un voyage lointain sur lequel je comptais pour m'apporter la santé. Je m'étais trompé et je me suis visite la veille de

trouvé

ici

sur

le

point de succomber dix fois.

J'espère pourtant revoir encore notre vieille cage

chercher

la

affaibli et

bien découragé, je vous assure... si

nous arrivons à bon port, vous voir dans les

On

premiers jours de juin à Deauville... natal de préférence à celui

que

je

m'y envoie respirer

du Midi... Cela me

ne voudrais par mourir

et connaissances, et surtout des

ici,

réussira-t-il ?

je suis trop loin

bonne, malgré

les

temps rigoureux qu'on

de pouvoir vous donner

la

main

de tous

l'air

Le

les

fait

amis

miens.

Je veux croire que votre santé, ainsi que celle de est

et

convalescence peut-être possible encore. Mais je pars bien

Nous comptons,

est

normande

Madame Louveau

signale, et je souhaite

bientôt.

Bien affectueusement à vous. E.

Il revint à

moment où au

travail,

il

il

Paris de plus en plus faible,

une

et,

un matin, au

préparait sa palette pour tâcher de se remettre

tomba de son escabeau

la fin. Il ne put désormais aller

sur

BOUDIN.

sur le plancher.

dans son

chaise longue dans sa salle à

atelier. Il

manger,

Ce

fut

vécut

relisant Les

Maîtres d'autrefois, de Fromentin, ces maîtres flamands

et


140

hollandais qu'il avait étudiés avec tant d'ardeur quand, en 1846,

était

il

venu

à Paris grâce

aux subsides de

la ville

du

Havre. C'était un retour à des débuts éloignés de plus de cinquante ans.

Mais bientôt,

se sentant définitivement

perdu,

il fit

ses

dernières recommandations au sujet de ses études et de ses

croquis précieusement conservés et soigneusement classés

pendant un demi-siècle de rir

à

Deau ville, dans son

en face de la mer. prix,

travail, et

A

il

châlet, près de

Paris,

étouffait,

il

mou-

décida d'aller

au risque de ne pas arriver vivant,

il

sa ville natale,

A

disait-il.

tout

voulait s'en aller

là-bas.

Sa volonté fut accomplie grâce à un suprême

effort

d'énergie de sa part.

En

s'éloignant de Paris,

situation et ce

moment

nombre surtout

il il

sentait qu'il

il

se rendait bien

ne reverrait plus son

n'avait qu'un seul souci.

atelier.

Il laissait

A

un grand

une quarantaine de cartons contenant un ensemble

Il

ne voulait pas que

siècle fût livré

au public

et

le tout classé et

ce long travail d'un

tombât dans

jusqu'au huit août suivant.

demi-

la circulation.

Transporté à Deauville au mois de juin 1898, tint

sa

d'études peintes et de toiles ébauchées. Il laissait

innombrable de croquis d'après nature, annoté.

compte de

il

se sou-


i4i

XXV A

qui rappelle bien

article

peintre

derniers jours de la vie

les

du

:

La dernière

«

de sa mort, M. Roger-Milès publia un

la nouvelle

que

fois

je le vis

dans son

de la

atelier

place Vintimille

de causerie

parla de sa longue carrière, sans amertume,

et

homme

en

2V°

37-

Commune

il

il

y

a décela des mois

Boudin Louis-Eugène

— Du

août i8ç8).

(8

:

en veine

Registre des décès de la :

huitième jour du mois d'Août de l'année mil huit cent quatre-

du matin, en

Édouard-Adolphe, Maire,

officier

de l'Etat Civil de la

de

secrétaire

:

maison commune, devant nous Hunebelle

la

la

Commune

tement du Calvados, ont comparu journalier, domicilié rue de la

ans,

était

de Deauville, pour l'année mil huit cent quatre-vingt-dix-huit, est extrait

Aujourd'hui

trois

il

qui ne regrette rien, qui a la conscience pure de

vingt-dix-huit, à dix heures

d'officier

Légion d'Honneur, faisant

Adam

officier

fonctions

âgé de trente-six ans, Ponchy Eugène, âgé de soixante-

Jules-Arsène,

Banque, à Deauville,

de mairie,

les

de Deauville, Canton de Trouville, Dépar-

et

d'Académie, aussi domicilié à Deauville,

à l'Hôtel de Ville, tous deux voisins et non parents du défunt, lesquels nous ont déclaré que cejourd'hui à six heures du matin, Boudin Louis-Eugène, âgé de soixante-

quatorze ans, artiste peintre, Chevalier de la Légion d'Honneur, domicilié rue Deauville, veuf de feue

Guedès Marie-Anne,

fils

Oliffe,

à

de feu Boudin Léonard-Sébastien et de

feue Buffet Marie-Félicité, née à Honfleur, est décédé en sa maison dans cette com-

mune. Ce dont nous nous sommes assuré, et qui nous est de plus affirmé par certificat du docteur Leneveu, domicilié à Trouville c'est pourquoi nous avons rédigé le présent acte, que les déclarants ont signé avec nous après lecture. :

Ont signé

:

J.

Adam

;

E.

Ponchy Ed. Hunebelle. ;


142

toute défaillance; en vaillant qui ne doit qu'à lui, à son effort,

son talent, l'estime où le tiennent

à

capables de l'apprécier

jamais rien

demandé

« Il s'était assis

et

et à

les seuls

gens

de l'aimer; en travailleur qui n'a qui l'on n'a rien donné.

devant

le petit

bahut où, dans des che-

mises, ses croquis et ses dessins étaient classés avec ordre, et, les

tirant

une à une,

il

les ouvrit et les feuilleta. C'était

toute sa vie qui lui passait sous les yeux; c'était son labeur

de cinquante années qui apparaissait avec sa palpitation l'étude continue d'un observateur fin et

c'était

spéciale;

avisé, spirituel

quand

une synthèse expres-

croquait en

il

sive les gens des villes égarés sur les plages, plein d'émotion

quand et

il

consacrait ses

aux bateaux,

y

homme

papiers

ces coquilles qui ont

qui sont des ailes « Il

menus

aux gens de

une âme

la

mer

et ces voiles

!

avait là tout ce qui avait été la passion de cet

formé à

l'école des maîtres

de

l'école

de 1830; des

pêcheurs et des sloops de pêche, des coups de vent

et des

accalmies, le grouillement des baigneurs sur le sable fin ou la rudesse des galets; la coquetterie la

mode

capricieuse, et

humaine

ballotée par

marquant chaque année d'une

déchéance et d'une invention nouvelle, en face de l'immuable splendeur de la mer, sur

le

miroir de laquelle

le soleil


— incessament

i

4

3

jouer sa féerie de lumière dans

fait

décor

le

fugitif des nuages.

« Et

chaque

feuillet rappelait

au vieux peintre un

daté et oublié dans son

un tableau depuis longtemps

dent,

œuvre;

il

évoquait sans lassitude

inci-

et

sans fatuité son passé

tout frémissant de souvenirs. Sa mémoire, présente et claire, se répandait

comme une

intarissable; et c'était

source dont rien n'a souillé le

une

joie attendrie

flot

vraiment que de

l'entendre parler, lui qui est certainement

un

des plus dis-

tingués petits-maîtres de notre école française, petit-maître

ayant

ici le

délicieux

mot pour désigner

sens qu'on donne à ce

du dix-septième

Flamands

siècle

qui

les

sont

l'orgueil des collections particulières et des musées.

« Je

me

le rappelle

œil bleu profond ville

:

«

A

me

disant avec

Paris, je suis

une larme dans son

comme un

exilé

ne convenait ni à son tempérament, ni à son

lui fallait les

grands horizons,

les

!

»

La

art;

il

grands tumultes de la

nature et les grands recueillements. Elevé au bord de la mer, dans la brutale harmonie des

«

vagues, au spectacle toujours renouvelé des bateaux qui

vont tés,

et

viennent, des marins

et des

pêcheurs, des ciels agi-

calmes, assombris, étincelants, prodigieusement élevés

ou lourdement

abaissés,

suivant qu'il est dans le caprice

des vents de les forcer à telle ou telle forme,

Eugène Bou-


i44

din réalise l'idée qu'on doit se faire du peintre de marine. «

le

Chaque morceau

temps; rien n'y

qu'il a signé

est laissé

ces effets ont été vus, et

interprétés avec

aspect dans

au hasard; on devine que tous

on constate

une incroyable

crayon; je n'en veux

marque un

citer

qu'il ont été notés et

virtuosité de pinceau

pour exemple que

ou de

ses soleils

couchants, de mignonnes études qui prennent des proportions de chefs-d'œuvre avec leurs accents vigoureux, leur

étrange vérité de pittoresque et l'admirable poésie qui s'en

dégage

:

le soleil jette

sa pourpre éclatante

autour de son orbe la prodigalité de ;

a suspendu son vol et les êtres les éléments,

même comme

tout est calme pourtant le vent

:

comme

les choses,

restent immobilisés dans leur admiration,

devant cette souriante apothéose d'un beau jour où tout est

harmonie, caresse, passion, lumière « C'est

avec

qu'il avait si

un

y

prit

a

«

y

monotone, que Boudin a voulu mourir.

une quinzaine

que son heure

volonté,

dont

pareil spectacle sous les yeux, spectacle

souvent traduit, sans qu'on puisse jamais

lui reprocher d'être Il

il

!

à peine, se sentant plus mal,

était

exigea qu'on

proche. Par le

un

il

com-

dernier effort de

ramenât, de Paris, à cette mer

l'air le grisait.

Le voyage, on

avait,

au bout de

le devine, fut cruel

cette épreuve,

un

au malade; mais

il

coin de ciel aimé, à


M5

regarder, et des barques dont le balancement, dans le clapotis de l'eau, saurait bercer sa douleur. «

et

et

C'en

comme

était trop si

cependant; Boudin arriva là-bas épuisé,

son mal lui avait consenti

une faveur assez grande en

ivresse de s'emplir encore il

acheva de mourir.

»

une

lui

un

crédit assez long

ménageant

fois les

poumons

la

suprême

d'air salin,


146

_

XXVI Ses obsèques eurent lieu le vendredi 12 août 1898, à l'église

de la Trinité,

et

il

fut enseveli

Vincent, à Montmartre, dans les restes de sa

Voici

«

On

le

journal

Temps rendit compte de

cette

:

a célébré aujourd'hui, à midi, en l'église de la Tri-

nité, le service «

tombe où reposaient déjà

femme.

comment

cérémonie

la

au cimetière Saint-

funèbre du peintre Eugène Boudin.

Ramené, dans la journée

d'hier, de Deauville, le corps

avait été exposé, en attendant la cérémonie, dans

caveaux de

l'église. Il a été transporté,

un

des

après le service, au

cimetière Saint- Vincent de Montmartre, dans

un caveau de

famille. «

Peu de

Parisiens connaissent aujourd'hui ce cimetière

qui est l'ancien cimetière paroissial de Montmartre. Assis

au sommet de il

la butte, sur le versant

ne reçoit plus que de loin en loin

qui regarde le nord,

la dépouille de

quelque

membre d'une des vieilles familles montmartroises en possession depuis longtemps d'un caveau. «

De

la rue Saint- Vincent à

la

rue

Caulaincourt, en


.

M7

pente raide, ses allées ombreuses dégringolent, accessibles

seulement aux piétons. Le calme profond qui règne n'est troublé que par les cris joyeux des oiseaux, et les cercueils, à l'ancienne

mode

provinciale,

y pénètrent sur

les épaules

de robustes porteurs. «

Et,

par une radieuse journée

clair soleil

qu'on voit dans

comme

le lointain

celle-ci,

poudroyer jusqu'à

la plaine Saint-Denis, sur les toits éparpillés le

vieux champ de repos, perdu sous

rien de plus funèbre.

sous le

de la banlieue,

les feuilles,

n'a plus

On ne saurait rêver une cité des

morts

plus discrète et moins imprégnée de tristesse «

Arrivé devant la tombe,

tréteau, les

dans

couronnes

l'allée, et,

on

cortège a

halte. Sur

fait

a déposé le cercueil,

un

on a entassé

devant ce reposoir improvisé, paré de cou-

leurs éclatantes, qui eût été

peintre,

le

un modèle exquis pour un

deux discours sans pompe, mais émus, ont

été

prononcés. «

M. Kaempfen,

directeur des musées nationaux, repré-

sentant le ministre des Beaux-Arts, a retracé en termes

touchants

la carrière

du maître. M. Louveau,

municipal de Honfleur, a surtout insisté sur tion qui unissait « Il

Boudin à

conseiller

l'étroite affec-

sa ville natale.

en a donné dans son testament une dernière preuve

en lui léguant un choix important de

très belles toiles.

»


— Voici

le

texte

du

148

M. Kaempfen, directeur représenter M. Léon Bour-

discours que

des musées nationaux, chargé de

Beaux-

geois, ministre de l'Instruction publique et des Arts,

prononça devant

Le Ministre de

«

tombe

la

:

l'Instruction publique et des

Arts a voulu qu'une parole d'adieu fût dite en son la

tombe de l'homme simple,

vailleur infatigable,

nous «

du bon

et

Beaux-

nom

sur

du

tra-

discret et modeste,

loyal peintre qui vient de

être enlevé.

Eugène Boudin

était

né à Honfleur.

Fils

de pilote, son

enfance fut bercée sur la vague, au souffle du vent, sous ciel vaste,

aux changeants

aspects, et le ciel et la

premières amours, auxquelles

ses

le

mer furent

demeura toujours

il

fidèle.

«

Le

quand

il

ciel et la

pouvait s'échapper de la petite boutique de mar-

chand de couleurs et

mer, voilà ce qu'il essayait de peindre

qu'il avait ouverte

plus tard, encouragé

et conseillé

pour gagner sa vie; par

un grand

artiste

qu'un hasard heureuxavait mis sur son chemin, lorsqu'il se fut décidé

de laisser là le commerce, voilà ce qu'il peignit

sans cesse avec passion et

le

cœur plein de joie

et ainsi

jusqu'à la fin. «

Avec quelle conscience

et quelle

patiente ardeur

il


— cherchait la vérité « Il

;

M9

flotilles

gris

On

la sent

sombre auxquels

de bateaux de pêche, dans

mer ou de gens du monde en ses plages.

connu

tous ceux qui l'ont

avait le don de la vie.

nuages d'un

il

les

dans

les ciels

aux

dans ses

se plaisait,

groupes de gens de

villégiature, dont

Son pinceau avait des

le diront.

il

finesses de

peuplait

coloration

exquises. «

Et ce talent exact et sincère, poétique aussi, était

si

bien marqué d'une empreinte personnelle, que devant une toile

d'Eugène Boudin

nom

autre

que

« L'artiste

à qui ne

aima

pour

l'art

l'art lui

guère possible de mettre un

le sien.

que nous regrettons aura sa place parmi ceux

manquera jamais le

« Il laisse il

n'était

il

de belles œuvres

non pour

même.

suffrage des délicats. ;

il

laisse aussi

la célébrité

un

ou pour

bel

exemple

le profit,

;

mais

»

XXVII Le

9 janvier 1899, s'ouvrit à l'école des

Beaux-Arts l'Ex-

position des œuvres d'Eugène Boudin.

se trouvait réuni

93 pastels et aquarelles

un ensemble de 364 tableaux envoyés de tous

et

de

les points de la


France

et

même

venus de l'étranger. Les musées

et les

ama-

teurs s'étaient empressés de répondre à l'appel d'un comité

qui comptait parmi ses président Arts,

membres M. Léon Bourgeois, ancien

du Conseil, M. Roujon, directeur des Beaux-

M. Albert

Sorel, de

l'Académie Française, M.Vollon,

M. Paul Dubois, M. Cormon, de directeur des

teur

l'Institut,

M. Kaempfen,

Musées Nationaux, M. Bénédite, conserva-

du musée du Luxembourg, M. de Fourcaud, professeur


— à

l'école

B eaux-Art s

des

I

5

I

M. Marais, maire du Hâvre,

,

comme

M.

Butel,

MM.

Carolus-Duran, Blanche, Carrière, Cazin, Damoye,

maire

de

Honfleur,

peintres

des

Fantin-Latour, Gervex, Guignard, Guillemet, Harpignies, Helleu, Lebourg, faelli, Tissot, le

MM.

Lhermitte, Claude Monet, Quost, Raf-

sculpteur Guilbert, des critiques d'art comme

Arsène Alexandre, Gustave Geffroy, Roger Marx,

André Michel, Roger Milès, Armand Sisson,

des

amateurs

comme MM.

Eugène Adam, Charles de le

Bériot,

Silvestre, Thiébault-

docteur Abadie,

le

Bourgès (de Bordeaux),

docteur Brocq, C. Coquelin, Georges Feydeau, Louveau

(de Honfleur),

Georges Lutz, de Meur, de Saint-Albin,

Tavernier, Georges Viau. Artistes et amateurs eurent à

mage rendu ministre de acheta

de

un

à la

l'Instruction

la

fut placée

peintre.

publique

participer à l'hom-

M. Georges Leygues, des

et

des plus importants et des plus

l'Exposition

Dès

mémoire du

cœur de

:

" Le Port de

beaux tableaux

Bordeaux

fermeture de l'exposition, cette

Beaux-Arts,

toile

(1874)

".

remarquable

au Musée du Luxembourg.

Eugène Boudin, nous

l'avons dit, avait laissé

un nombre

considérable d'études peintes, de croquis au crayon, au pastel et

à l'aquarelle.


I

52

~

Les études peintes furent offertes l'artiste

par la famille de

du Havre, pour le musée

à la ville

et les écoles

de la

ville.

Les croquis au crayon, au pastel

donnés à le

l'Etat et

remis au Louvre pour être répartis entre

musée du Luxembourg D'autre part,

souscription,

et,

le

Vieux Honfleur, de

de

musées de province. firent entre

eux une

concours de l'État, de la Société du

la

ville

ils firent

teur Ernest Guilbert, ville natale

et les

amis du peintre

les

avec

d'Eugène Boudin,

et à l'aquarelle furent

un

de Honfleur, des parents

exécuter, par le distingué sculp-

buste en marbre qui fut offert à la

l'artiste.

XXVIII Le dimanche, guration du

A

13

août 1899, avait lieu à Honfleur l'inau-

musée Saint-Étienne.

cette occasion,

été organisée.

réservée à

Dans

une exposition des beaux-arts cette exposition,

une

avait

salle avait été

Eugène Boudin.

Devant un vaste panneau recouvert de tableaux dans son œuvre,

se dressait

le buste sculpté

choisis

par Ernest


— Guilbert les

et offert à la ville

amis de

Devant

«

de Honfleur par les parents et

l'artiste.

ce buste,

M. Albert

religieusement écouté

tion

53

Sorel, de l'Académie fran-

prononça un discours d'une éloquence émouvante,

çaise,

foule

1

fréquemment applaudi par une

et

nombreuse. Voici

le texte

de cette magistrale allocu-

:

Il est

neur dans " Société

naturel qu'Eugène Boudin ait les fêtes

données par une Société qui

Normande

Eugène Boudin,

s'intitule

d'Art et de Traditions populaires"

l'excellent artiste,

vieux Honfleur dont nous avons

est

pris le

en 1824, d'une famille de simples marins.

temps,

une place d'hon-

un

enfant de ce

nom 11

le représentant le plus distingué

;

il

y

est

a été, dans son

d'une des tradi-

tions dont notre ville est le plus justement fière, celle qui

nous a donné Hamelin, Dubourg, Renouf,

et

formé notre

colonie de peintres honfleurais. «

Je sais bien que

a été élevé

au Hâvre.

si

Eugène Boudin

On

l'y a

né à Honfleur

il

vu successivement matelot

à

est

bord du bateau de son père, commis, puis papetier-encaC'est ainsi qu'il tendait des papiers à pastel pour

dreur.

Troyon. Entre temps vait, le

jeune

il

long des quais,

homme

s'exerçait à dessiner le

long des

falaises.

comme

il

pou-

Vers 1846, un

appelé à faire la gloire de la Normandie


— artiste et à

temps,

les

154

devenir l'un des grands peintres français de tous délicieux auteur

le

de "V Angélus"

Millet,

,

s'échoua au Havre, cherchant à vivre de portraits d'après nature, depuis trente francs par tête, à l'huile et Fils de

paysans de

Hague, Millet

la

marins de Honfleur, qui, C'est de Millet l'art, les

« C'est

baptême de

le

qu'il

Alphonse

rencontra

Karr, Isabey, Couture. Ils se joignirent à Troyon et à veley, alors conservateur

du Musée, pour obtenir de

une pension qui permît

à

Paris. Il

y fréquenta

vivants, le Louvre,

Eugène Boudin

les ateliers

il

des

premiers encouragements.

Hâvre

encore au

fils

voulait être peintre-

lui aussi,

et les

pastel.

au

s'intéressa

qu'Eugène Boudin reçut

premiers conseils

au

connut

Cou-

la ville

d'aller étudier à

il

les

maîtres morts,

connut

les

vrais inspirateurs peut-être, les Hollandais, dont

maîtres

il

et ses

devait

renouveler, en les appliquant à nos paysages de France, le naturel, la hardiesse et le coloris. «

Mais

Je sais cela, et ce ne serait pas je sais aussi

ici le

lieu de l'oublier.

que Boudin, revenu de Paris, perplexe sur

son art et plus perplexe encore sur sa vie, se réfugia à fleur.

En

ces jours "

" tenait lieu de sac

mère Toutain, les

peu argentés ", il

fut le

"

où l'espérance,

Hon-

disait-il,

premier pensionnaire de la

à Saint-Siméon. Il

y

travailla;

amis qui l'avaient aidé au Hâvre;

il

s'en

il

y

fit

retrouva d'autres

:


— Français,

Diaz,

Schaunard

~

i55

Courbet,

passant au Hâvre avec

qui,

Vie de

l'original de la

de petits galets enluminés, reconnut et se lia

avec

vue de

un

— remarqua

artiste, le

chercha

Boudin quitta Saint-Siméon pour

lui.

choir des trente-six marches où la

Bohême

au pastel

ses ciels

il

", et

le per-

" régalait Baudelaire de

Courbet de généreux bols

de "flip". «

Ainsi se forma

le vieil artiste

barbu

et

grisonnant que

nous avons tous aperçu sur nos quais; ainsi succès, qui vint ce

fut

Depuis

si

tard.

Baudelaire lors,

qui

Son premier Salon le

il

est

attendit le

de 1859,

proclama paysagiste français.

Eugène Boudin voyagea beaucoup,

de préférence à Deauville où venir, de cœur,

il

et

il.

s'arrêtant

revint mourir. Mais, de sou-

resta toujours attaché à sa patrie d'ori-

gine, " notre pauvre vieille cité honfleuraise, envasée ".

Il

désirait la voir se ranimer, se dégager, reprendre son essor. « Il

y

rêvait

sa place, à côté

de nous tous

une exposition de peinture où

d'Hamelin, oublié, méconnu, "

", disait-il,

«

'',

ceux d'Ingres, son maitre

Ce vœu

aurait eu

le

premier

qui " a laissé des petites merveilles

de peinture, des portraits surtout rables à

il

s'est réalisé et

l'on

et des dessins

" compa-

".

ne s'étonnera point,

si,

saluant aujourd'hui devant ce choix exquis des œuvres

d'Eugène Boudin,

le

monument que ses amis

lui ont élevé,


— si

parlant de lui, en simple amateur et en vieux honfleu-

rais, je le tire

un peu

à nous, et

souvenir de l'artiste qui

maritime, adoucie

est parti

et

comme

grand fleuve qui baigne de contourne

les

je

si

cherche à fixer

ici le

de chez nous.

bien à nous, ou plutôt à notre nature

« C'est qu'il est

et

156

attendrie par le courant

ses

brumes

du

les prairies salines,

coteaux où les grands hêtres tourmentés se

tordent sous le vent d'ouest. «

Elle parle à tous les yeux, cette nature colorée,

mou-

vante, contrastée. Elle apparaît tour à tour riante, épanouie,

mélancolique, douloureuse à l'automne, hérissée en hiver, et

peuplée de fantômes. Elle enchante,

elle trouble, elle

elle berce, elle endort,

épouvante. Nous autres qui en recevons

l'impression avec le premier souffle de la vie, elle nous prend

tout enfants, et ne nous lâche plus.

Ceux qui ne

restent pas

reviennent toujours. «

C'est la merveilleuse diversité de cette nature

attire,

qui pique au jeu tant d'artistes

et

qui

suscite tant de

vocations inattendues. L'immortelle sirène, à demi sortant des eaux, leur tend les bras à tous, jeunes et vieux, et les

provoque du

même

énigmatique

sourire.

tours qui s'évanouissent dans l'air rente, saisir

Dessiner les con-

noyé de brume transpa-

au passage ces formes ondoyantes, ces nuances

qui se dégradent à l'infini

et

dans

la vibration incessante


-

-

!57

y a de plus mobile au monde, la lumière, fixer choses exquises et insaisissables, le nuage qui vole, se

de ce qu'il ces

déroule

et

se

transfigure, le frémissement de la feuille,

du brin

l'ondulation

d'herbe, le frôlement de la brise sur la

vague, du rayon sur l'écume,

c'est la

tentation qui

fait le

peintre, la lutte qui fait l'artiste. «

Eugène Boudin

gieusement travaillé c'est

a et

connu l'une

prodigieusement produit.

son mot, " tout ce qui concerne son état ";

apprend son

ce qui

mené

Il a

et l'autre.

art.

Ce

il

prodia

fait,

fait

tout

Il

a

travail de toute sa vie,

avec une ardeur, " une joie à la besogne

"

il

l'a

que rien

n'a jamais déconcertée. Ni son art ne s'est gâté à cette pro-

duction incessante, ni sa main ne s'y est alourdie, ni sa vision ne s'y est ternie ou offusquée. «

Il

est

demeuré un peintre jeune,

le trait

alerte, la

couleur gaie. «

la

Il

a peint sur toutes les côtes, de la

Manche

à l'Adriatique,

a peint la Hollande, ses

il

mer du Nord

et

de la Méditerranée à l'Océan; a reconnu

une seconde

de il

patrie de

yeux, la Belgique, la Provence, Venise aux palais roses,

Bordeaux aux quais fourmillants

et

comme

embroussaillés

de mâts et de cordages; les processions de Bretagne, et les

marchés grouillants d'hommes

et

de bêtes

;

les petits

bateaux

surtout, les barques filant sous la brise, avec le clapotement


du vent dans

i

-

58

vague sous

la voile et de la

laveuses aux fichus bariolés qui battent

le

la quille

les

;

linge dans le cou-

rant de la Touques, le soir, et sur la plage, plate et jaune, les robes claires, les

aux

bords relevés,

ombrelles bleues

manteaux

rouges, les chapeaux

ou

voilettes enroulées

aux

flottantes,

les

brunes des Parisiennes, chatoyantes au

et

soleil.

« Partout

a su

il

qu'on reconnait

pays

le

note personnelle qui

«

Plus

qu'on

dit

qu'on se

et

fait

qu'on

dit

:

C'est

s'est

l'identifie

il

imprimé

s'est

il

sa

au premier coup !

jamais fourvoyé entre

a cherché sa voie, plus

fait

en cette

là,

a

un Eugène Boudin

C'est

:

Ajoutez qu'il ne il

note significative qui

la

heure du jour; partout aussi

saison, à cette

d'oeil et

donner

les écoles.

trouvé lui-même.

Ce

besoin toujours grandissant chez lui de voir plus vrai, de saisir

plus

vite,

en haleine

;

il

et,

avec les jeunes

:

vieillissant,

il

la critique s'est

un promoteur du

de l'impressionnisme. Mais

il

ne

veautés par école buissonnière

;

s'est

plu à saluer en plein air et s'est il

y

l'a très

bien

dit,

pris

tenu

marche

trouvé de plain-pied

un

lui, rétros-

précurseur

pas jeté dans ces nouest

venu par

" Cet exquis notateur des nuances lumineuses

comme on

l'a

a suivi, de son pas naturel et posé, la

de son temps,

pectivement,

de rendre avec plus de sincérité,

l'étude.

" n'a jamais,

ses notations

pour des






— œuvres

et ses

i

5

9

impressions pour des tableaux. C'est à force

d'attention qu'il est arrivé à son extrême délicatesse de

touche,

c'est à force

d'exercice qu'il a acquis sa virtuosité.

Ses dessins, carnets, pastels, croquis, avec des indications

de couleurs, qui sont des chefs-d'œuvre de précision, dans la traduction verbale des choses vues, forment

un

véritable

trésor qui sera peut-être son principal titre de gloire dans l'avenir. Ils remplissent des dossiers classés avec

car cet

ami de Schaunard

méthode,

de Courbet, ce contempteur

et

des bourgeois, avait gardé quelque chose de son métier de

commis

et de sa profession

conservation de ses notes fouiller indéfiniment l'étoffe

;

un

de papetier

c'était

mieux qu'un

où, de près,

enluminées, "

couleur du

Témoin

cet éton-

les

yeux,

vu

à distance, révèle sa gracieuse

comme

coiffes blanches,

aux robes

diaprées de taches de soleil

".

avait sa façon de voir bien à lui, j'ajouterai, bien de

notre pays.

Ceux qui

de vieux loup de mer faïence

herbier, c'était

que vous avez sous

rangée de jeunes femmes aux

Il

y pouvait

il

on n'aperçoit que des coulées incohérentes de

couleurs épaisses, et qui,

«

apportait à la

fées, l'étoffe

et toujours vraie.

nant " pardon en Bretagne

il

ordre parfait. Et

merveilleuse du conte de

temps, toujours fraîche

:

".

l'ont 11

connu ont signalé

ces

yeux

Cet œil n avait ni la

vifs,

sur sa figure

purs, d'un bleu de

fixité dure, ni l'éclat

métal-


160

lique de l'œil construit pour affronter le soleil implacable et

sans ombre, le mirage du désert immobile,

aveuglant des mers du Midi. œil

comme

Il

celui des mouettes,

habitué à cligner sous

faut à nos paysagistes

humide,

vent âpre

le

miroir

le

et les

un

flexible, subtil,

morsures du grain

du

qui cingle, à se garder contre les surprises

soleil

qui

perce la nuée, et contre l'éblouissement subit de la traînée étincelante qui frémit sur les vagues. «

Cet œil

fait

pour

notre ciel en a projeté par-

refléter

tout le reflet. " Je suis, disait

Eugène Boudin, un

isolé, ".

rêvasseur, qui s'est trop complu.... à regarderie ciel «

Il l'a

même

vu

gris,

et

plu à

à Venise. Il a été le coloriste

merveilles de couleur

Depuis

s'est

il

le gris

il

y

le voir ainsi partout,

du

gris,

a découvertes et

il

mais quelles

a su exprimer

de nos printemps, tendre et léger

vol d'hirondelle, jusqu'au gris

somptueux

nuées sous lesquelles s'allume, en

un

et

!

comme un

velouté des

été, l'incendie

du cou-

grand

art. Il a

chant. « C'est là sa principale

été peintre

de

ciels, le

"

ouverture sur

roi des ciels ", disait

seur infatigable de nuages,

animaux monstrueux incessamment le soleil fait

le

et

il

Corot; chas-

a poursuivi sans relâche les

protéïques qu'enfante et engloutit

la nue. Il a exploré ces grèves dentelées

émerger en s'enfonçant dans

les

eaux

et

que qui


— semblent, au «

Dans

ciel, révéler les

ses tableaux,

dense

foule,

1

il

6

1

continents d'un autre monde.

aime les groupes,

la plante,

qu'un élément du paysage. Mais, flous,

ses plages,

il

pour lui

n'est

bonhommes

ses petits

qui fourmillent sur ses quais, ses marchés, les a

minutieusement

détaillés sur nature.

pour nous autres normands,

ce sera

C'est,

représente la

remuante, plus volontiers que l'individu.

et

La personne humaine, comme

un peu

il

pour nous

autres honfleurais, l'attrait inépuisable de ses cartons.

y retrouverons

les types

des de la vie maritime a la

si

bien

que nous avons connus,

du pays,

ces originaux

saisis, tels qu'il les vit

naissance de Boudin,

«

Boudin

les

le

temps de

mis en scène dans son

charmant tableau " Le départ du Passager

Vieux Honfleur

les épiso-

que Leprince

en son temps,

et qu'il les a

Nous

",

qui a valu au

honneurs du Louvre.

les a fréquentés, ces

bonhommes,

au passage, en causant avec eux,

et

les a pris

il

sous maint aspect

en manches de chemise, larges bretelles tricotées

pilotes

chapeau haut de forme, hiver qu'il fasse, soleil, grêle

comme

été,

:

et

quelque temps

ou tempête; matelots penchés sur

leur barque tirée à terre et interrogeant l'horizon

débarqués, affalés sur l'herbe,

et

regardant

la

;

matelots

marée qui

femmes de marins, les jours de gros temps, se faisant une visière de leurs mains, tâchant de percer de l'œil baisse

;


la pluie qui les fouette

162

au

visage, bousculées par le vent

qui s'engouffre dans leurs jupes, haletantes de l'ouragan,

mer qui gronde,

haletantes d'anxiété, réclamant à la

homme.

barque, leur enfant, leur « Il artiste

y

un Eugène Boudin inconnu, non moins

a là

que

l'autre, mais,

pour nous,

à

coup

sûr, plus signi-

plus familier. C'est l'Eugène Boudin populaire,

ficatif et

témoin affectionné de notre

petite vie maritime,

comme

par lui au temps où,

encore du peuple des marins «

leur

En

lui

il

ressentie

disait joliment, "

on

était

".

décernant notre hommage, pensons que ce

peintre est de ceux qui traduisent en aventures et trouvailles de couleur le génie curieux,

conquérant de

la race.

Dans

moins modeste que ne

brillante

que ne

naturel

et

Eugène Boudin

a

l'était sa

personne, plus

de son vivant, sa gloire. Si je rêvais

l'a été,

les

de sincérité,

et

cette élite,

sa place,

quelque tombe selon

vagabond, laborieux

convenances de son génie je l'imaginerais

dans

le

fait

de

cimetière

qui entourait autrefois l'église, à l'ombre de laquelle

il

est né. «

Des charpentiers de navires

même

main, du

même

marteau, de

de

la

hache que

les

la construisirent la

même

lourds bateaux qui atterrirent les premiers au Brésil, que les vaisseaux, déjà

mieux

découplés, qui portèrent

Cham-


i6}

plain au Canada. Pour élever leur temple à leur Dieu, ces architectes naïfs et croyants ne trouvèrent pas de combi-

naison plus digne ni plus juste que de renverser la nef de leurs navires et de la planter hardiment sur les arbres équarris, dont

ils

faisaient ailleurs des

et maîtriser les mers.

vent

Cette sainte Catherine long-

rendue à elle-même. Son chevet

notre Exposition d'art populaire normand, ait

qu'une relation

XV me

très

siècle et le peintre

cueillir le

plâtras ignominieux, est déjà,

temps défigurée par des partie,

mâts pour

est le et,

bien qu'il n'y

XIX me

,

Honfleurais, rudes et touchants, nés

me

semble que

trouve ses

A

cette

Honfleur,

titres

je le

ramène dans

du

lorsque je replace le

honfleurais Eugène Boudin dans la lignée de

il

bijou de

lointaine entre ces artisans

du

en

comme

vieux

ces

lui de la

sa famille et

que

mer, je lui

de noblesse. »

cérémonie assistaient

M. Noël du

le sous-préfet, le

maire de

Tilly et le Conseil municipal, le

capitaine de vaisseau Hamelin, les lieutenants de vaisseau

Le Bihan

et

Carré avec

un détachement de marins

tenant à deux torpilleurs envoyés de Cherbourg;

appar-

M.

le

colonel Lachèvre et les membres du comité du Vieux Honfleur, le corps des

sapeurs-pompiers, la brigade des douanes

et les diverses Sociétés

de la

ville.


164

XXIX Dans

sa séance

pal de la ville de

nom

du

9

septembre 1899,

Honneur, sur

le

le

Conseil munici-

rapport de

M. Renoult, au

de la Commission des travaux publics, décida que

le

buste d'Eugène Boudin serait placé sur la petite pelouse à l'entrée

du Boulevard Carnot, près du

de l'Ouest, en face de cette mer que

terre-plein de la jetée

le

grand peintre aimait

tant et qui lui a inspiré les magnifiques toiles que l'on admirait à l'Exposition

Son buste, filer

les

de l'école des Beaux-Arts.

yeux tournés

vers la mer, verra les barques

sous le vent, gagnant le large ou rentrant dans le port

de sa ville natale.

Eugène Boudin appartient à l'histoire générale de la peinture parce qu'il est

du

petit

quelque chose de personnel «

Boudin

nombre de ceux qui ont mis

et d'original

dans leurs œuvres.

a dit quelque chose »

(JEAN DOLENT) Il

occupe entre Jongkind, qui fut un véritable précur-

seur, et

Claude Monet à qui

il

se faisait

un honneur

d'avoir

ouvert la voie, une place qui ne peut lui être disputée.


165

Sa vie mérite d'être connue parce qu'elle est

un exemple

d'énergie patiente et d'indépendante modestie.

Quand, après avoir admiré l'œuvre d'Eugène Boudin,

«

M. Roger

dit

on

Milès, dans son ouvrage

jette les regards

cile

du

peintre,

en

arrière sur la vie

si

"Art

Nature",

et

laborieuse,

si diffi-

on ne peut se défendre d'une grande sym-

pathie et d'une profonde gratitude pour

l'homme

qui, tout

seul, par la seule force de sa patience, de son courage, de sa

volonté assidue, a

pu accomplir une

si

haute conquête.

faut savoir ce qu'a été la lutte de cet artiste

vu

à quelle prodigieuse dépense de talent

quand riété,

il

s'agissait

de créer son

nom et

il

;

a

il

faut avoir

les peintres

A l'Exposition

se livrer,

d'affirmer sa noto-

pour comprendre quelle place prépondérante

de tenir parmi

Il

il

mérite

de la mer. »

Universelle de 1900, les organisateurs de

l'Exposition centenale de l'art français,

M. Emile

Molinier

M. Roger Marx, ont ouvert à Eugène Boudin la grande porte de l'histoire. Dans cette grandiose manifestation de

et

l'art français,

notre artiste a été représenté par des œuvres

capitales.

Ce

sont

53.

:

Le Port de

M. Georges Viau.

Bordeaux

(1875)

appartenant à


— N°

La plage

54.

55.

1

66

de Trouville (1864) appartenant à

Le Port de Camaret appartenant à

M. X.

Madame

Georges Feydeau. Enfin, le 8 août 1900, la ville de Honfleur inaugura l'élé-

vation du

ment

monument d'Eugène Boudin

définitif, et

sur son emplace-

organisa à cette occasion des fêtes dont

un

journal local, L'Écho Honfleurais, donna le compte rendu

que nous reproduisons partiellement. «

Dimanche matin,

le dernier

ration

par

un beau

soleil d'été,

coup de main aux préparatifs de

on donnait

la fête

d'inaugu-

du buste d'Eugène Boudin. Les arcs-de-triomphe

s'achevaient pendant qu'on plaçait les derniers poteaux et

que lanternes «

A

et verres multicolores

deux heures un

accompagner de- Ville.

Peu

le

quart, les diverses Sociétés devant

cortège officiel se massaient place del'Hôtel-

après arrivaient

du ministre de

ornaient les maisons.

MM.

Roger Marx, délégué

l'Instruction Publique, Tillaye, sénateur,

ancien ministre, Conrad de Witt, député, Grangier de la de la Marinière, sous-préfet de Pont-rÉvêque, accompagnés

du Maire de Honfleur également

M.

de M. Marais, peintre. Signalons

et

la présence de

Delteil, graveur,

et

M. Roger Milès,

critique d'art,

M. Viau.

« Sous le vestibule de l'Hôtel de Ville, transformé en

un


167

élégant parterre, se trouvaient

Chambre de Commerce,

MM.

Ullern, président de la

Butel, conseiller général,

Dumont,

muniprésident du Conseil d'arrondissement, le Conseil docteur Rachet, cipal, le Comité Eugène Boudin, M. le

M. D. Louveau, M. Soudan de Chèvre,

et les

M.

Pierrefitte,

le colonel

La

représentants des diverses administrations et

des Sociétés de la ville.

Dans

«

la salle des mariages,

formant un

très joli salon

artistes honde peinture, où l'on avait réuni les œuvres des Les présentations fleurais, avait lieu la réception officielle.

Hamelin, terminées, on admirait les belles toiles de Boudin,

Dubourg

Société

ville, s'est

arc de

se

et

accompagné de toutes

mis en marche.

de

l'artiste,

la décoration

par

le cortège,

rue

du Puits

se trouve

un

de

est des

la rue,

pour gagner

et la rue

mieux

de la

les Sociétés

la rue

Bour-

se dresse

un

palette.

Celui

réussis, de

même

triomphe surmonté d'une immense

de la rue Eugène Boudin

qui a été suivie, dans son entier, le terre-plein

Prémord.

A

de la jetée par la

l'entrée

du

terre-plein,

troisième arc de triomphe, celui de la Société

des Marins qui, «

A l'entrée

trouve la maison natale de

que

Après une

salle.

la ville, le cortège officiel, précédé

Philharmonique

det,

Renouf, groupées dans la

au musée de

visite

de la

et

Le public,

comme toujours, obtient un légitime très

nombreux,

succès.

a déjà envahi la jetée, et on


— prend place autour de peintre

168

la pelouse

trouve

se

le

Eugène Boudin recouvert d'un drapeau

buste

du

tricolore.

M. Louis Boudin, M. Onésime Boudin, et les autres membres de sa famille sont venus et sont groupés au pied du monument, au pied duquel ils déposent Les

de

frères

l'artiste,

pieusement des gerbes de recouvre

le

fleurs.

On

enlève le voile qui

maître, et le buste en marbre,

œuvre du

sculp-

teur Guilbert, apparaît, pendant que le public applaudit, et

que

la

Philharmonique joue La Marseillaise.

M. Marais, Président du Comité Eugène Boudin,

«

prend

le

premier

Monsieur

la parole

le

:

délégué du Ministre,

Monsieur le Maire, Messieurs,

Mon

titre

de peintre honfleurais

l'honneur de vous présenter

le

me

vaut, aujourd'hui,

buste du peintre Eugène

Boudin, œuvre du distingué sculpteur Guilbert. Les amis, les admirateurs du maître mariniste ont voulu son souvenir en face de la mer normande qu'il peignit si

bien

et qu'il

que doit les

aima

aller

amis de

tant; c'est à eux,

mon

si

vous mêle permettez,

premier remerciement, au

l'Art. C'est

pour moi une grande

nom de tous joie

que

cet



— hommage rendu au Honfleur,

On

l'a

race de

ma

170

maître; car j'y vois

justement remarqué, M.

très

marins honfleurais, après avoir

le si

délégué; notre

longtemps cher-

la poursuite d'aventures lointaines, tra-

duit, depuis bientôt cent ans, ses rêves

Le nombre de nos bons peintres

comme

fait

en peinture.

beaucoup d'honneur pas nés,

ils

ne

Le magnifique décor naturel de nos campagnes

et

de

une

s'y

à

ville natale.

ché son idéal dans

à

un hommage

petite ville

la nôtre. Il n'y sont

formèrent pas par simple hasard.

notre mer, confondus en

un

seul paysage, nous

donne

l'éter-

nelle leçon des choses. Et, depuis le siècle dernier, l'ancienne

prospérité

commerciale de

la cité a

moine des familles, de riches belles formes,

groupé dans

collections d'objets

le patri-

dont

les

chaque jour, à notre insu, font notre éduca-

tion d'art.

De

tous nos peintres honfleurais,

Eugène Boudin

incarne le milieu d'où nous

a été

sommes

le maître. Il

résume,

tous

Son talent formule, dans une variété vivante,

sortis.

il

ce qui est notre tradition populaire

Boudin, Sans doute,

l'amour de la mer.

fils

de marin, a surtout peint nos gens de mer.

il

a noté d'un pinceau spirituel les épisodes

mondains sur il

:

les plages élégantes;

a peint la Hollande,

il

il

a peint la Bretagne,

a peint Venise. Mais, c'est sur-


I

71

tout la foule de notre peuple marin, c'est la foule en vareuse

de nos quais, les bordées de pêcheurs dans nos barques, tous de notre port, toutes

les coins

les

roches de notre côte qu'il

a répétés, cinquante ans, avec émotion, avec passion; sous les ciels

changeants de notre horizon, Eugène Boudin

bon peintre de

En

la vie

de notre peuple.

lui élevant ce marbre, les

amis de l'Art Français,

admirateurs du maître rendent un

Monsieur

le

fut le

hommage

les

à nos marins.

Maire,

Au nom du comité Boudin, non sans fierté,

j

'ai

l'honneur

de remettre ce buste du peintre Eugène Boudin à

la ville

de Honfleur.

Une des dernières préoccupations du maître était de former un petit musée, montrant l'enchaînement de la tradition chez les peintres honfleurais.

Grâce

à votre municipalité, notre

commencer

Dans

Comité

à réaliser cette pensée favorite

du

a eu la joie de

maître.

notre salle des artistes honfleurais où

Boudin

a sa

place au premier rang, l'enseignement d'art pour la foule se

maintiendra, se perpétuera, par des modèles

offerts à

ceux

qui voudront être les continuateurs de la tradition des peintres de chez nous. Ainsi, le talent

du maître Boudin n'aura pas

été seule-


17'2

ment un honneur

;

il

restera

un

— bienfait et

une

utile fonda-

tion d'art pour sa ville natale.

«

Tilly, maire, s'exprime

M. Noël du

en ces termes

:

Messieurs,

contribué à Je remercie sincèrement tous ceux qui ont l'érection de ce

hommage au cité

a

vu

Ils

monument,

talent

et

qui ont tenu ainsi à rendre

du grand peintre de marine que notre

naître.

ont eu raison de vouloir perpétuer parmi nous le

souvenir de notre glorieux compatriote qui est aussi notre image bienfaiteur, et ils ont été bien inspirés en plaçant son sur ce rivage qui, tant de

fois,

a

servi de

thème

à ses

tableaux. Messieurs,

Au nom

de la municipalité de Honfleur, je reçois avec

des sentiments de profonde gratitude le buste

du

peintre honfleurais ont élevé à sa

que

mémoire

Comité Eugène Boudin vient de remettre

à la

les

et

amis

que

ville

le

de

Honfleur.

présence ont bien Je remercie tous ceux qui par leur particulier l'éclat de cette cérémonie, et en

voulu rehausser

M. Roger Marx, délégué du ministre

des Beaux-Arts,


— que MM.

ainsi

«

Sénateur

les

M. Roger Marx

173

et

Député

le

M. le

a pris ensuite la parole

ministre de l'Instruction Publique

prononcé

et

et

Sous-Préfet.

au

nom du

des Beaux-Arts, et a

discours suivant, digne en tous points du cri-

tique d'art qui avait déjà

d'Eugène Boudin

Monsieur

si

ardemment défendu

la cause

:

le Maire,

Mesdames, Messieurs, Il

ce

faut louer la pensée qui a fait choisir,

monument, une

la naissance

pour inaugurer

date qui avoisine de très près celle de

d'Eugène Boudin

(i).

La solennité y gagne

la

elle revêt du vertu d'une commémoration anniversaire; même coup une signification plus intime et plus touchante.

au hasard dans Ainsi, de toute évidence, rien n'a été livré son l'hommage que la ville de Honneur rend aujourd'hui à grand peintre,

et notre

premier soin

est

d'applaudir à la

dépit des années, vigilance d'une admiration demeurée, en

ardente

et fidèle.

dévotion Nul ne mérite mieux qu'Eugène Boudin cette l'amour de la du souvenir. Chez lui le culte du clocher, (i)

Le 13

Juillet.


— petite patrie téristiques;

74

dans la grande, sont au plus haut point carac-

on

périodes de

i

les voit s'attester

la carrière,

de mille façons, à toutes

aussi bien

l'au-delà,

Boudin léguait au musée natal

son atelier qui lui tenaient

du

à l'heure obscure

début qu'à l'instant de la vieillesse où, célèbre les

et

les

occupé de

ouvrages de

plus au cœur.

le

Les esprits enclins à la philosophie se complaisent aux retours sur le passé. Votre concitoyen puisa dans ces regards

en soi-même

la conscience très lucide et très nette des ori-

gines de son talent.

En

ce qui le concerne, la théorie de

Taine se vérifie à merveille

et l'action

du milieu apparaît

indéniable. L'œuvre est le résultat du tempérament,

tempérament

n'est autre

que

le vôtre,

et le

Messieurs, ou plus

généralement celui des gens de mer. L'amour profond de rêverie

y prédomine, entretenu par

la

la

contemplation de

l'horizon. J'insiste sur ce trait distinctif parce qu'il découvre et fit

explique ce qui fut l'ambition d'Eugène Boudin sa gloire

:

la

reproduction des états du

diversité infinie, et la fixation des

ciel,

et ce

qui

dans leur

jeux de l'ambiance,

si

ténus qu'ils semblent défier toute transcription matérielle.

Pour dégager entre les maîtres

l'originalité de l'artiste et le différencier

du plein

l'ordre des recherches,

par

air,

laissons-nous guider par

la qualité particulière

de l'enve-

loppe, par la discrétion voulue des tonalités argentines.

Au


— milieu du dix-neuvième

i75

siècle,

Lépine, pour tendre parallèlement vers drées, vers la peinture grise, alors fait le triste

et cette sensibilité

les

ses lettres. Or, d'où

optique

lection pour les spectacles à demi voilés,

nement

harmonies cen-

peu goûtée. Boudin en

aveu dans quelqu'une de

venues

lui sont

si

que Corot, puis

n'est

il

si

et cette prédi-

ce n'est de raffi-

progressif d'une vision accoutumée, dès l'enfance,

à percer la vapeur des brouillards, à distinguer la réalité à travers

l'embrun de la mer, du fleuve

travail de l'atavisme aboutit, chez

et

du

port.

Le lent

Boudin, à l'exacte ana-

lyse des variations atmosphériques et de leurs effets sur la

nature soumise à son regard. Vous savez quelle fut cette

comment

nature,

Messieurs,

s'illustra

à définir les côtes françaises de

et

Bretagne, de l'Ouest et du Midi;

le

il

peintre

honfleurais

Normandie

lui advint

et

de

même

de

planter son chevalet sur les bords de l'Escaut, à Anvers,

puis de s'aventurer en Hollande, en Italie, et de prouver,

par de victorieux exemples, font ressembler

Amsterdam

les

analogies de pittoresque qui

à Venise.

Pourtant, ce serait méconnaître une partie de ignorer

une

partie

du

résultat

l'effort et

que confiner Eugène Boudin

dans la pratique exclusive du paysage de terre ou de mer,

que négliger en

mœurs,

le peintre

lui l'animalier et surtout le notateur de

des marchés et des lavoirs, des foires et


176

des pardons, des ports et des plages. Dans ses tableaux, pastels

ou dessins animés d'une figuration humaine,

trait d'art se et l'on

labeur

double d'une valeur documentaire

admire et à la

l'artiste

qui

destinée des

même

à tour, avec la

s'est intéressé

oisifs, et

qui a

l'at-

essentielle,

pareillement au

pu consigner tour

autorité, l'activité fiévreuse d'un port

du beau monde paradant et coquetant sous casinos, au temps du second Empire.

et l'élégance

tente des

la

Boudin comme sur Jongkind, l'exemple d'Isabey ne laissa pas d'agir et d'engager à ne point isoler une tradition le cadre de l'action, le décor des personnages; Certes,

heureuse

sur

trouvée de la sorte continuée; mais Eugène

s'est

Boudin peut

se

prévaloir, en

influence décisive;

et, si ses

suffirait à sa gloire d'avoir dessillé

nom

les

yeux de toute une génération

Claude Monet,

le

il

une

tableaux ne garantissaient pas

son

contre l'oubli,

d'avoir exercé

plus,

et

d avoir

initié à l'art

maître glorieux de notre école contempo-

raine de paysage.

Voilà pourquoi, Messieurs, la ville de Honfleur

honorée en consacrant une belle mémoire,

et

s'est

pourquoi

le

aussi légiMinistère des Beaux-Arts désirait s'associer à un traits time hommage. Le buste expressif qui reproduit les

d'Eugène Boudin a ce terre-plein,

été érigé, avec

une

parfaite logique, sur

en regard de la mer que votre concitoyen a


i77

aimée, qu'il a chantée en poète, en peintre et en marin.

Pour ceux qui

l'ont connu, ce sera

une douce émotion, au

cours de leurs promenades, de retrouver son

du

effigie,

non loin

port et de l'Océan, ses modèles d'élection. Plus tard, en

embrassant dans un et les

même

coup d'œil l'image de l'homme

thèmes inspirateurs de l'œuvre,

les

passants évoque-

ront les affres du peintre jaloux de rendre les vibrations de l'air,

esprit

de la lumière, la fuite du

viendra s'opposer à

la

flot

mouvant,

et

dans leur

puissance des éléments, au

renouvellement

fatal,

inconscient de la nature, la beauté

immanente de

l'art,

le

humain.

rayonnement créateur du genre





Eugène Boudin

ses réflexions sur des

notait

dont nous extrayons

les passages suivants

carnets

:

C'est pour soi qu'il faut peindre. Chercher à se satisfaire soi-

même. Se

laisser

emporter à son inspiration.

Tout ce qui force,

est peint directement et sur

une puissance, une

vivacité

place a toujours une

de touche qu'on ne retrouve plus dans

l'atelier.

Nous peignons dessous là

et

trop à sec.

dégrader sa peinture dans

tout ce qui

manque pour

lui

les

Il

faut de toute nécessité frotter les

tons plus chauds. Je crois que c'est

donner un aspect chaud

et agréable.

Conducteur de moutons à Plougastel. Étudier cette

du

Millet, le

belle figure

d'homme appuyé

Berger) mais étudier

donner à celà un caractère

saisissant.

le

sur son bâton (se souvenir

beau fond limpide

et

plein d'air et


— -~^~-s

l82

Les femmes de Berck. Aussi en préparer

les dessins

de caractère.

Etudier types.

Marines. La trouvé leur côté saisissant

même

recherche.

et leur

accent vrai.

Vanneuses également, bien déterminer cela en esquisses, tenter,

mais

29

mufle, avril

dans

la

l'accent

chaude atmosphère

est bien délicat. Le

souple. Touchée dans le

les

peindre qu'après avoir

des figures

et

essayer

en dessins terminés, au pastel ou à l'aquarelle, tenter,

établir cela,

Troyon

Ne

les sabots,

le

modelé de

comme

Millet.

cette petite

vache est bien

sens du poil avec des agréments de couleur. Mais

tout cela est

si

délicat,

si

fini.

(Vente Beurnonville,

1880.)

Ciels.

De beaux

et

grands

ciels

tout

tourmentés de nuages,

chiffonnés de couleurs, profonds, entraînants. Rien dessous

Plus d'enveloppe, enfin plus de moelleux.

s'il

n'y a rien.

Touche trop dure

à

voir.

Même

dans un petit tableau,

il

ne faut pas de traces du pinceau.


-

i8 3

-

Peindre, peindre toujours, vigoureusement, avec fermeté et sans hésitation.

Que

le

morceau

L'essentiel

est

soit toujours coloré et

que

fermement

comme

tout s'arrange

établi.

couleur et

comme

harmonie.

Pousser ses

pousser

études,

!

Pousser

Sur nature ou

!

sous

'impression.

Pourquoi

ne

peint-on

pas

plus

souvent pour

soi,

pour se

satisfaire.

Plages. Les pousser sur nature aussi

On le lieu

peut compter

comme

ou sur l'impression toute

loin

que possible.

peintures directes les choses faites sur

fraîche.

Mais que d'occasions on néglige de

faire

de belles esquisses, des esquisses

vivantes sur les quais, sur les plages et dans les rues.

^Marchés an poisson. Il

y a

une mine

à exploiter.

Combien en

ai-je

ébauché? En m'appli-


184

quant, je dois en sortir un certain nombre avec environ.

que

place, soit

Arrivée du poisson.

les quais.

ou que

je les esquisse,

Figures

Figures

!

!

!

pied

11

l'esprit, le

Combien encore à méditer

j'en fasse la

crevettes, des

sur

composition directement.

Marchés directs à Trouville ou

Marins, des pêcheurs de

ailleurs.

femmes de pêcheurs, des

faut aller à Sainte-Adresse revoir le galet et chercher à retrouver

sentiment

triste

de ces vieux que

j'ai si

Des femmes, des mousses dans abandonnés bêtement dans

Buveurs de dessins.

d'un

figures

Trouville, Rotterdam aussi, à méditer.

Sur

matelots.

des

Tons

vifs.

leur

bien trouvé jadis.

milieu.

Que

de motifs

l'oubli des cartons.

cidre.

En esquisser un

certain

nombre sur mes

Compositions importantes à méditer.

Montrer un entêtement extrême à rester dans l'impression primitive, qui est la

bonne.

La nature est encore

le

grand

livre à déchiffrer.


Ne pas redouter aborder dans leur variété

les

grands

et leur

-

i8 5

effets

se faire sur le lieu

le

ciel

et

sur

la

mer,

les

puissance sans s'inquiéter du convenu.

Peindre aussi sous l'impression

pu

dans

et

sans apprêt tout ce qui n'aura

même.

Trois coups de pinceau d'après nature valent mieux que deux

jours de travail au chevalet.

^/^^^ une

H fau t que

idée. L'art est

pour peindre,

le

la

couleur,

le

dessin, la forme concourent à exprimer

moyen d'exprimer

ce

Métier bien

.-^^^^ la

Il

peintre a senti. Peindre

suit.

Nous

Parents malheureux.

privés de bien des choses nécessaires, ne voyant pas l'issue de tant

de traverses. J'ai

«

le

triste résultat!

Cortège de tourments qui nous

mêmes

que

faut

volonté!

vous avez

la tête

gonflée de préoccupations et ne fais rien qui vaille.

difficile.

Conversation avec Troyon, 7 avril i863.

vous

Vous avez la

vous crisper

roidir,

vivacité

à force de volonté.

De

la

volonté, de

tout effleuré, mais rien approfondi; vous êtes artiste;

d'impression,

la

chaleur de conception, mais

il

faut


186

Que ne

plus.

faites-vous une jolie peinture bien naïve, ferme, bien écrite,

simplement composée avec ces

petits riens

peinture sincère, variée, qui ressuscite figures bien

jolies

étaient ravissants.

nettes

Vous vous

étrangères à votre voie.

vous y remettre.

En

d'ombres

de

lumière.

relâché.

Vos premiers

une

essais

Vous avez cherché des choses

Vous avez perdu du temps. Mais

il

est

temps de

»

tout cela est vrai.

effet,

êtes

les plages,

sentiment des hollandais, avec de

le

et

qu'on trouve sur

Ma

peinture est devenue louche, parce que les

figures sont molles et baveuses pour chercher

le

mouvement.

Il

faut revenir

à cette prime manière qui avait plus de dureté, mais aussi plus de recherche

dans

la

forme, se donner

Van de Velde pour modèle

accentuer les

et

ciels

avec une grande énergie.

Un

noir fort, effet dessous.

Un

blanc vif ou argenté, mais tout cela profond, grand, net de touche,

net de ligne, et, là-dessous, le ciel

sera grand, et

un

petit

toujours de

la

retrouver cette impression heureuse,

sujet bien

établi,

puissance, de

comme

je

subordonné lorsque

la netteté.

la

Si je

pouvais

vois aujourd'hui, je ne

rapporterais pas une peinture faible. Parfois une énergie du diable dans les effets vifs et

«

du profond, du vague dans

Vous avez rapporté de Bretagne des

en une, et jetez-la sur

la toile

Enfin faites bien tout ce que

3 à

les infinis

merveilles de composition. Prenez-

avec ardeur

vous

blonds.

et ce caractère

ferez! »

juin. Notre pauvre père a rendu son

deux heures.

tranché du pays.

âme

à

Dieu ce matin,


0

i

i

1

*^9ffmjimm

<J<n*w^

o^èo* Aèt^^

FACSIMILE D'UNE PAGE DES CARNETS D'EUGÈNE BOUDIN


v^-^^- S

juin.

Hier,

nous avons rendu

les

derniers

devoirs

pauvre corps au milieu de toutes sortes d'angoisses. En rentrant,

nous avons trouvé là,

et ces

ce pauvre

lit

sont maintenant croisées sur son corps dans

existence.

père

Du

et

cherchons à

soir,

le

le

pain quotidien,

repos. Prenons soin de cette

rendre douces les dernières années de son

lui

courage, en souvenir de celui que tu as toujours eu, vénéré

!

faut se remettre avec ardeur à la besogne.

11

Le découragement est un mauvais loge

le

son

veuf de son hôte. Son image est toujours

mains, qui nous ont gagné avec tant de peine

pauvre mère,

à

souvent

si

qu'il

malheureux que moi,

m'arrête court.

Il

hôte, et par malheur, je le

y en a pourtant qui, tout aussi

finissent par se tirer d'affaire.

Ces gens-là n'ont pas

plus que moi.

Résolution. Ne pas

pour

mon

instruction

perdre

une minute. Entreprendre, autant

que pour un certain

profit,

des copies dont je

en sorte de garder un double pour moi, pour placer dans

^-^—^

Il

y a

des moments

durs

à

mon

surmonter, c'est

ferai

salon futur.

incontestable.

Ainsi lorsqu'on voit de tous côtés l'impossibilité de décrocher un peu d'ar-

gent vieille

et

que partout autour de

mère qui réclame,

de couleurs

même

c'est

soi

surgissent les besoins. C'est une pauvre

un loyer

et mille riens

dont

à payer, c'est il

faut se

un besoin de hardes,

passer. Cette mesquine


— économie vous tue lentement avec

comme une

tirent sur le cerveau

189

les

appréhensions qui s'y mêlent

idée attristante.

me

toute espèce de courage disparaît, et je

Dans ces moments de

sens dans un

général qui m'a trop souvent paralysé, puisque je

une

égales à celles de bien des gens et bilité

de

est vrai, n'y est

ments, de

pour

tires

un

les

filet,

si

anéantissement

agréments de

queue

la

comme un

l'art. L'art,

il

tant de décourage-

de faire ce qui nous

faut se borner à faire de ces petits riens

demandons et

et

diable par

le

débattant dans les mailles d'un Il

cœur

crise

vois, avec des facultés

nous nous devons, malgré

rien, et

travailler selon notre

pauvre Jongkind, tu

me

qui

attention continue, dans l'impossi-

Vantez encore

faire ce qu'ils font.

et

et tu

plaît.

Toi aussi,

cherches, en te

pauvre oiseau pris.

que personne ne

fait.

Nous

peu au public que nous devons enfin l'obtenir avec du courage

petit rien de talent.

Vu Pour arriver

J. à

Villerville ce jour, 1 3

à mettre

ensemble

les

Septembre.

deux bouts,

c'est

un grand

d'ordre qu'il faut. Travail soutenu. Faire des eaux-fortes dans les

esprit

moments

de lassitude. Songer aux expositions de Caen, du Havre, de Bordeaux

et

autres, etc.

-^^-^^ 16 Je suis

Septembre. Visite à Cordier.

dans un

moment où

j'ai

besoin de déployer un grand courage.

Oser, oser!

Paris, Février.

Depuis un mois tout

à

l'heure

que nous


— de retour à Paris,

voilà

j'ai

190

passé par bien des impressions. Courageux un

jour, découragé l'autre et souvent perdant tout espoir.

au Havre pour

écrire

demande

même,

me recommander

à

M. G.

place de professeur. La lettre est

la

car le petit

Ces jours-ci

et insister

faite. Il

pour

j'allais

qu'il

me

faudra l'envoyer quand

encouragement qui vient de m'arriver

n'est pas la fortune.

Visite de Ribot. Il

trouve des choses excellentes dans

perfection

que

j'ai à atteindre.

mes

études. Mais je sens, moi, la

Une couleur plus

forte,

quelque chose de

et

plus nerveux et de plus souple dans l'exécution.

^N^v^^v^

Exposition de 1864.

Première

que je ne

visite.

vois.

Observé que

les

fonds sont chauds de ton

Daubigny enveloppe son ensemble d'un

Meissonier. Peint large malgré faible.

Enlève

^^^^

et repeint

Bia\, vente

Paysages

moins durs

splendide.

sa petite dimension. Couleur

d'un seul coup jusqu'à

4 Mai.

air

et

la perfection.

pleins

de

soleil.

Pâte

un peu

lourde par endroits, mais quelle puissance d'effet!

Ne jamais repasse rie.

le doigt,

il

ternir la couleur.

C'est

une

fleur.

Si l'on

y passe

et

n'y a plus de velouté, plus de charme, plus de coquette-

Et puis ces tons ternes et plombés,

il

faut les bannir à tout jamais!


— On conquérir? N'y tures abordées

vient de

pour

les

comme

faire

Un

avec franchise.

des figures en arrière-plan.

Quelques belles

et

Expositions du boulevard

-^~>^>

spirituelle. L'esprit n'est

?

difficile

larges

à

pein-

marché au poisson abondant avec

fort

les

dimensions du Daubigny.

tournées grandement.

et autres,

Napoléon.

si

Une ou deux

Méditer aussi

de jolies choses, poussées loin

pas trop, mais bon!

et lumière,

Meissonier.

pour moi

— Une plage dans

copieuses figures

composition

donner des médailles. Est-ce chose

donc rien à

a-t-il

191

Peinture

(5

fine

Mai 1864.)

et

en

même temps

pas absent de cette œuvre au moins, quoique l'exé-

cution en soit précise.

Essayer de mettre plus de chaleur, plus d'éclat

dans

ma

tumes.

un

peinture.

— Dessiner

petit rien sur la

Chercher surtout.

oppositions les plus

les

— Essayer aussi

mer ou sur

la

les

et

plus de force

vives dans les

superbes

effets

de

ciel

cos-

avec

plage. Bien observer l'ensemble et l'abor-

der avec feu dans toutes les proportions. Chercher à faire plat de modelé,

mais vif de ton. Exagérer un point pour

le

ressort

études spéciales de bateaux et accessoires. Frais

i865, 8 Mai.

Sorti

et vif

de l'ensemble.

Faire

sans salissures.

de l'Exposition. Trop bleu, trop bleu.

Plus d'air dans les groupes, figures moins grandes. Plus d'équilibre. Réfléchir son

tableau d'avance et

plus chauds d'aspect.

le

bien pondérer. Essayer des effets gris mais


192

Sortant du Louvre. Habileté prodigieuse des Guardi. Légèreté de leur exécution. Esprit de

vigoureux du Vernet

:

faire

la

touche jusque dans

moindres

chez tous ces maîtres qui vont au but

Les admirables figures

nettes et

si

bien étudié. Fermeté des fonds, des eaux,

de plus grands cadres Etoffer

les

et

si

etc.

détails.

si

Accent

résolument

justes avec leur caractère

Chercher dorénavant à

si

faire

plus de soin dans les figures accessoires.

aussi

résolument mes marines. Surtout ne pas hésiter pour

vigueurs

les

qu'il faut atteindre partout.

Sujets à préparer. Grandes plages avec de nombreuses figures éparses sans chercher un sujet, et

comme je

l'ai fait

bien assis. Le souvenir du Guardi avec un accent plus nature.

Marchés au poisson. Méditer faisant 11

jusqu'à présent. Vigoureux

dominer

les figures, soit

cela de

en mettant tout

diverses façons, soit en

l'intérêt

faudra préparer cela là-bas afin d'avoir les types

et

dans

les

poissons.

les accessoires

bien

justes.

Un grand marché pour

avec les types pris par leur côté saisissant.

celui là réunir tous

la

les

pommiers. Types, mouvement, costumes

Steen. Faire poser. Réunir tout ce

Entreprendre

que

;

je pourrai.

quelques sujets avec des pêcheurs, y joindre à l'occasion

quelques figures d'élégantes. Pour vigueurs de

faudra

matériaux sur place.

Une grande beuverie sous des choses à

II

l'effet et

les

ne pas craindre

la

marines, essayer cela dans violence.

Se servir aussi souvent que possible de

la

nature pour tout.

les

grandes


— -^^^-^

i

93

1866. Retour de Trouville.

fructueuse. Courbet a

fait là

Passé

quelques belles marines.

bon. Recherche depuis peu d'un

faire

une saison assez peu

Effet

des miennes assez

encore supérieur, plus fin

Daubigny. Grande finesse.

Visite à

Des choses légères

et

si

possible.

bien faites.

Supériorité des Courbet.

22 Décembre. faible

de

gamme,

petiote,

— Beaucoup de découragement. Ma peinture trop

étriquée. Pas de puissance, ni de hardiesse,

de magie. C'est une allure plus hardie à prendre. Si la

petit

simple

bout de

naïve copie de

et

toile, ce serait

solide de ton

bon, mais

et

faut fouetter sa crème.

nature pouvait suffire, appliquée sur

la

il

Vente Kalil Bey. En entrant fine, nacrée,

Il

pas

le

faut aller au delà.

le

Courbet,

la

baigneuse.

de modelé, d'un ton particulier, ni

Peinture violet ni

rouge, ni gris.

Au chauds

dessous des Fromentin, beaucoup de finesse dans et

doux, une finesse nacrée, de

la

solidité

de brusque. Decamps lourds

dans certains morceaux. Rousseau

paysages bien

établis,

et forcés

atteint à

chauds, dorés,

même

tons, des gris

dans l'ensemble. Cavaliers

d'une grande élégance, très soignés. Ensemble doux et rien

les

et fin.

Peu d'opposition

quoique d'une grande lumière la

plus haute perfection.

dans un gris blond. Ciels

Petits

bien

étayés, solides, profonds.

Delacroix. Solidité d'une tableau est toujours

si

couleur sublime. Des accents puissants. Son

bien enveloppé. L'évêque de Liège est plein de choses

superbes, des têtes, des mouvements. Cependant ce tableau est un peu ancien

de

faire

pour

lui et

ne possède pas toutes

les qualités qu'il a atteintes depuis.


— Délicieux Téniers,

Un

le

194

cabinet de tableaux avec portrait du peintre.

Boucher, mais un peu négligé

joli

et

ne pouvant pas se placer à côté

de ces maîtres solides. Delacroix et Rousseau qui marchent en première ligne.

Ici c'est

Résumé. Chercher dans des tableaux Essayer ces

des plages.

vaporeux,

choses perlées ou

les figures délicates.

nous en avons peu

à

^^-^^

Ce

bien l'ensemble

n'est pas ;

comme

et

que

est insuffisant

vite.

doit frapper dans

pour faire passer

un le

tableau, mais

tout défectueux.

— Hervier.

avec une tête singulière

vêtements

petites idées

en avant beaucoup trop

un morceau

homme

eaux bien humides, fonds

Mais que tout cela demande de temps

un morceau qui

Che\ Latouche Gros

les

donner à chaque chose, nous autres pauvres nécessi-

sommes poussés

teux qui

très fins ces délicatesses des ciels,

— des gestes timides

et

une

petite

et singuliers

d'un

voix

— mal

homme

fichu

qui a ses

arrêtées sur tout cela. Ses adorations curieuses pour

Dupré

et

Rousseau, ses dieux. «

On

fait gris

aujourd'hui, c'est triste et ça

peut pas supporter

le

tombe dans

les salons

voisinage des meubles, des tentures.

où ça ne

Millet et les

autres emploient des tons qui tombent et qui donneront des tableaux effacés

pour

l'avenir.

Parlez-moi de Dupré quand le

principe de la

il

a fait de ces

couleur une fois trouvé,

il

beaux tableaux ragoûtants où a enveloppé ça

partout

d'une


— belle

solides, pas de peinture durable.

A Un

reflet

seul

on ne

Et puis aujourd'hui

pâte brillante et forte.

Le

195

met

fait

pas de couleurs

»

d'un plan à un autre.

les distances

mesure que vous augmentez votre

cadre,

augmentez

l'intensité

des tons.

ton n'est vrai que relativement à un ton voisin. La pureté absolue du ton

n'existe pas.

Le côté décoratif de

peinture

la

Dupré, chez Daubigny. L'on

-^^y^y^ relative est

sacrifie

est curieux à

complètement

venue, mais aussi

aisance à peu près assurée.

les maladies,

Eh quoi, tout

les

ne sais quel germe d'inquiétude

précipice dans lequel

et

de tristesse

nous entrons.

un détachement curieux de mes dehors, l'inconnu

!

Une

est nerveux, machinal, saire.

au

Tout ce

qu'il

la

!

mais n'amène plus

le

prospérité

pouvoir d'étouffer

Plus on avance dans cet les fleurs

de condamnés

affections, et je ne sais

sorte de fatalité roule

— Une

Un peu d'économies, une

main sur

Folie

ciel.

morts, et aussi les afflictions

cela n'a pas le

avenir obscur, et plus on cherche à porter le

la terre

77 novembre 1874. Retour de ^Bordeaux.

de toute sorte. Pourtant les temps sont changés.

je

étudier chez Corot, chez

en moi

calme

!

quoi

qui bordent

A

l'intérieur,

d'attractif

et m'effraie.

Le travail

et cette sérénité si

y avait en moi de sympathique, de bon,

indifférence des choses de la vie

voudrais je ne sais quoi, est vertigineuse.

11

me

que

néces-

s'éteint. Je

surprends des instincts mauvais, des duretés de coeur qui m'effraient.

un dégoût, une

je n'avais

au

me

C'est

pas jadis. Je

laisser glisser tranquillement sur cette pente qui

y a des résistances qui m'en empêchent.


— ^/xxv/^

Sous

les

196

pommiers.

Grandes figures. Chercher de l'expression dans l'ont fait les maîtres,

^r^^^s

1887

notamment Cuyp dans son Mangeur de moules.

Peu

.

comme

physionomies

les

bien.

et

Ne

plus gâcher son temps

comme

par

le

passé.

Bien observer et tirer de

La lumière surtout denser,

la

!

la

nature tout ce qu'il est possible d'en

Chercher son rayonnement,

négliger ou

avec

la

fulguration,

la

con-

poursuivre dans sa chaleur.

Toute peinture qui ne donne pas une sensation

La

la

tirer.

non avenue.

est

Il

faut

la

supprimer.

la

solidité est

une condition de

lumière toujours,

et

la

bonne

qualité.

fortement, afin que

la

Modeler solidemen

peinture ne s'amincisse

point.

Chercher à

faire coloré,

dans l'ombre. Faire que ce

sans tomber dans soit toujours

une

le

sombre. Essayer un morceau

gamme

de tons coquets, sinon

très puissants.

Faire

que

le petit

morceau

soit fin de ton et

Plus de verve, plus de fougue tout son éclat, par tas.

25 mars. plusieurs.

des

Moyen

marines

Oh

la

Visite

et

forme une plaquette agréable

d'emportement. Plaquer

la

.

couleur avec

molesse, quel défaut à éviter!

aux

aquarellistes. Beaucoup

de verve dans

excellent de traiter ce qu'on ne peut peindre. Pourquoi pas

(C...,

faible;

D..., également)

des plages, des figures, des

pêcheurs d'équilles, tous ces petits sujets qui sont à

traiter à l'eau.

Vigou-


— reux surtout

sans-façon dans

et

Pousser dans

le frais.

i97

façon de

la

faire.

Cela force à dessiner ferme.

Bien écrire sa peinture. La fermeté toujours

tout. Faire poser figures et

animaux. Se remettre au dessin. En

et

dans

faire

de

poussés au fusain, de bien troussés. Couleur, intensité de ton. Partir d'une plus ciels

grande puissance dans

les

eaux surtout,

et arriver

aux

avec une coloration plus montée.

2 S avril. Notre pauvre ami Donnay est mort. Quelle angoisse! vieillit,

et

que

ce

On

bon soutien va vous manquer! Le goût s'en va.

plus à rien. Plus de courage.

On

se sent

abandonné de tout

le

sent qu'on

On

ne tient

monde.

Salon 87, I er mai. Chercher de

les côtés colorés

dans

la

nature, les effets puissants, et faire plus

ciels unis.

Peindre pour soi. C'est la

mer

Revenir aux

qu'il faut aborder, et ciels

aborder vigoureusement.

simples, simples, unis, et pas d'empâtements exagérés.

Des taches, des taches, moins de modelé!

Du

fini

partout; rien de négligé.

Les ombres bien enveloppées.

-^^-^^

1887, fin mai. Encore à Paris. Pentecôte.

Pas travaillé tous ces temps derniers.


198

Subi un énervement incroyable par

On

vient.

ne

plus

sait

si

Sans doute je suis trop tière

lumière par

Devant

la

l'ai

là,

mais

ciels puissants,

la terre

je l'entrevois

Y

par

il

soit.

bon comme ma-

mais, poussé par l'exemple des Millet

;

Il

y a bien de

même

de

là-dessous,

un

l'air,

faut plus.

nature, c'est à méditer qu'il faut s'exercer.

De grands morceau de

capable de faire quoi que ce

voudrais élever cela d'un cran.

ci

découragement qui vous

gris, trop matérialiste. C'est assez

malgré des défauts

picturale,

et les autres, je la

l'on est encore

suite de

profonds, vaporeux, légers,

ou des bateaux, mais que

dans ce

moment

de lueur qui

penserai-je en peignant?

Il

le

me

ce soit grand, idéalisé,

comme

vient.

faudra. Condenser

déjà essayé souvent. Faire impression sur

et,

le

la

comme

nature,

spectateur par

la

je

tournure

du tableau.

Je

m'entends en ce quart-d'heure. Mais que de

répéter. Condenser, arriver à la grandeur,

Puis chercher lumière,

Au

comme

le

la

fraîcheur

du ton.

beau temps nous

même

Que

la fait

dans

les

lois

il

taut se le

plus petits cadres.

ça réjouisse

le

cœur par

sa

éprouver, cette sensation.

fond, je ne suis pas gai. C'est peut-être à cause de cela que je sens

si

bien.

Quel abandon

1

milieu de ce délaissement.

Faut-il

en avoir en réserve pour se soutenir au


— de

Visite

M.

monde. C'est consolant

^v^-v^^. Ils

ce côté

A

Il

me promet une

justice

de

l'autre

II

y a de

!

Exposition des intransigeants

ont raison tout de

du progrès à

Les cadres à

la

même.

Exagération dans

le

bleu violacé.

faire.

façon de Whistler. Faire force ciels sur papier et les enca-

drer de cette façon.

Comme

199

Cazin est tranquille

!



Achevé d'imprimer le 25

Octobre 1900 par

FLOURY & M ART Y 1,

Boulevard des Capucines à Paris.





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