EUGÈNE BOUDIN sa Vie et
son OEuvre
Eugène Boudin SA VIE & SON OEUVRE
77
a été
imprimé
trois cents
exemplaires de ce livre
dont vingt exemplaires sur papier impérial du Japon.
163
Eugène Boudin SA VIE & SON OEUVRE par
GUSTAVE CAHEN AVEC UNE PRÉFACE D'ARSÈNE ALEXANDRE
am
un essai d'eau-forte par Loys Delteil,
frontispice à la pointe sèche par Paul Helleu,
par Eugène Boudin, huit eaux -fortes et
de nombreuses héliotypies. L'Impressionnisme a compté des maîtres plus puissants, mais non de plus délicats. Sa palette abonde en tons vaporeut, d'une transparence et d'une pureté exquise
tjris,
ROGER MARX (Revue encyclopédique)
La
d'un grand artiste
vie
paysages
:
«
c'est
Il est vrai
fait avec rien
que
ce « rien »
des maîtres, ce n'est pas
tel
que Boudin,
», et c'est très
c est
beau.
dont sont souvent faites
peu de chose;
c'est
comme ses
les
œuvres
toute ï âpre joie
du
labeur, c'est V ensemble des méditations, des efforts, des observations, des épreuves, des tristesses, des doutes, et aussi des victorieuses certitudes si péniblement acquises; c'est tout cela
qui vient s'exprimer dans
un
trait,
dans une touche, dans un
accord de tons. Et ce rien, qui ne serait rien en
même s'il ne résumait pas
tant de passion et de foi,
cause de tout celaune importance, finissent toujours
La simplicité carrière.
Dans
par s'imposer est la fleur
les
effet par soi-
pages ou
un prix
avec
et
une éloquence qui
une force
d'une belle vie cette vie
invincible. et
d'une longue
d'Eugène Boudin
résumée par un exécuteur testamentaire qui poursuit
une
belle tâche,
dant
les
prend à
et
est
achève
commencée avec une ardeur peu commune pen-
dernières années
mêmes du
maître, nous apparaît
une figure de brave homme, ne
d'infatigable travailleur, que rien
qu'aucune difficulté n'arrête
lasse,
grise. C'était sa nature
comme
cela, il
et
qu'aucun succès ne
a eu
ou T exceptionnel bonheur, de vivre toutes
la
grande
sagesse,
heures de sa vie
les
conformément à sa nature. Ainsi,
j'ai
toujours plaisir à
le
supposer, vécurent ces
grands Hollandais, qu on commence à ne plus appeler de terme par trop dédaigneux de « petits hollandais certains bons maîtres français dont
»,
Boudin continue
et
ce
aussi
la tra-
dition avec autant d'éclat dans son œuvre que de dignité dans
son existence. C'est étonnant
hommes qui
tater combien tous les çaise
du milieu du
consolant à la fois, de cons-
ont formé cette école fran-
A
différents, ils ont tous ce caractère commun, ils se ce
sera Corot, leur
leur maître à tous, grande figure lumineuse, à
et
jamais rassurante, vrai type
homme plein
du grand poète
et
de bonté et de robuste douceur,
du grand
artiste.
Là
ce sera
groupe de Millet, Rousseau, Daubigny, fuies Dupré, tous acharnés à
l'œ-uvre,
si désintéressés
vilain mot
ignorant
ce
beaux
exemplaires,
si
et
et
des âges divers, faisant partie de
ressemblent par ces fécondes vertus. Ici ancêtre
modestes,
siècle, étaient simples, forts,
paisiblement passionnés.
groupements
et
et cette le
si
de la réclame, ou plutôt
vilaine chose.
taciturne et
le
grand
Comme
Millet,
acharné chercheur, Daubigny, nature riante,
ils
sont
Rousseau
instinctive,
de bon peintre
Bonvin,
de brave homme, Duprê, vieille
et
esprit
mordant
ouvrier entérite.
et
incomparable bonhomme dont la vie
V œuvre aussi grande que et
homme
qu'on citerait encore,
et
de qui
qués à leurs débuts étaient l'effort
que par
Boudin a
été
le
les
Monet,
et
le
petit père Cals, très
un peu
on voit
d' autres
amis de Boudin
impressionnistes tant atta-
caractère. le
trait
encore longtemps, bien que ce
comme
encore plus simple
continuateurs directs, autant
les
d'union entre
de 1830 et ces « impressionnistes
En somme,
Et Daumier,
timide de manières, mais dévoré de passion
de révoltes intérieures. Enfin bien
par
de lion,
de tous ceux-là. Et Ribot, fier
âpre bûcheur, aussi loyal que fin. Et
à part, petit et
celle
est
tête
»,
les
ainsi qu'on
mot ne
signifie pas
maîtres dits les
appellera
grand
chose.
très bien la filiation entre des peintres
Isabey, Jongkind,
puis Boudin
et
Cals, puis
enfin
(je place à part Renoir dont V œuvre
Sisley, Pissarro,
échappe à toute classification, ou plutôt se rattache plus directement au X.VIIP
un
siècle,
d'un seul bond). Boudin a joué même
rôle très considérable dans V évolution de la peinture fran-
çaise de paysage. Il s en est
beaucoup de sagacité, appréciation portée
et je
rendu compte personnellement
ne sais rien de plus saisissant
par un homme sur lui-même, que
avec
comme
ces lignes
que Von retrouvera plus loin, mais asseç belles pour être
imprimées deux fois
et
mises en spécial relief
:
« J'entrai
dit-il,
par
la porte
être eu aussi
que Jongkind avait forcée.... J'aurai peut-
ma petite part d'influence dans le mouvement qui
porte la peinture vers air, de la sincérité
V étude de
la
grande lumière, du plein
dans la reproduction des
du
effets
ciel.
Si
plusieurs de ceux que fat eu V honneur d'introduire dans la voie,
sont emportés plus loin
comme Claude Monet,
tempérament personnel, reconnaissance,
comme f en
ai
conseillé et offert des modèles
Rien
n'est
m en devront pas moins quelque
ne
ils
dû moi-même à ceux qui m'ont
à suivre.
chercher, on ne déterminera jamais
tants de cette évolution, son sort trop souvent réservé et
mieux
On aurabeau
la place
d'Eugène
notre époque. Cette place est très belle, car
tout en ayant servi d' intermédiaire à
complète
»
plus juste, rien n 'est plus complet.
Boudin dans V art de
par leur
personnelle
;
œuvre a
deux moments le
très
impor-
bonheur d'échapper au
aux œuvres de transition. Elle c'est
tout
un
est
écrin de diamants gris,
délicieux de finesse, tout taillés à délicates facettes. Il n'y a plus àla
tenant connue
et
commenter cette œuvre,
appréciée à sa valeur,
crainte de faire besogne
chercher dans
le
par trop oiseuse
et
tant elle est
vraiment j'aurais
si j'allais
de nouveau
vocabulaire habituel de la critique
qui servent à dire la beauté
et la variété
des
main-
ciels,
les
termes
la limpidité
de T atmosphère, la grande harmonie qui règne toujours dans
un
tableau de Boudin, petit ou grand, enfin
V étonnante sûreté,
au prix de milliers
acquise
en quelques touches
ou maisons. Tout cela
cette
qu'il n'y a
de milliers de dessins, avec laquelle
vivre et caractérise, dans
il fait
les êtres et leurs
pable enveloppe aérienne,
monde
et
est
aucun
à présent bénéfice
à
demeures, h arques
évident
si
V impal-
pour
tout le
le redire, et c'est
pour
raison qu'on a insisté plutôt dans cette introduction à
livre si
scrupuleux
et si
documentaire, sur
le
un
profit moral,
dégage de
cette belle
ses confrères sont
empreintes
presque égal au profit artistique, qui
se
carrière.
Les relations de Boudin avec
de cette cordialité noble, de cette franchise parfaite qui sont
vraiment il est
où
les
beaux côtés du caractère français. Voyeç combien
naturellement fidèle
celui-ci est
« prudents »
et
bon envers Courbet au moment
devenu une sorte
s éloignent,
d'épouvantait
dont
gens
à moins qu'ils ne poussent la pru-
dence jusqu'à lui jeter quelque pierre. Courbet,
immense enfant qu'il
les
était, s'en attendrit, et,
comme un
sans tout à fait
étonner, ne peut s'empêcher de faire la comparaison
s'en
entre
Boudin
et ses « lâcheurs ».
ardeur discrète
il tient
Voyeç encore avec quelle
à honneur de figurer dans son coin
toutes les fois qu'il s'agit de fêter
un de
ses
grands amis, un
jour Corot, un autre jour Ribot. Il ne s'il
réclame jamais rien pour
a un jour
confié,
lui.
dans un moment
C
est
tout au plus
d' expansion,
à un ami
très intime,
rêvait de
nom
Oui,
qu'il était dévoré d'ambition.
donner un jour
ma foi,
il
après sa mort bien entendu!) son
(
à une rue d'Honfleur. Cela nous fait sourire avec beau-
coup de respect
mais lorsque nous y pensons un peu, nous
;
ne tardons pas à sentir toute
la
profondeur
tance d'un pareil sentiment. Honfleur,
V impor-
et toute
c'est
pour Boudin
le
coin de terre passionnément aimé, cest V ensemble des maisonnettes, des
ciel
vieux
auquel on revient tout
un amour tout
mieux
particulier
vivre. Il n'est
un pareil cet
édifices, des
homme
est
un
le
temps,
pour y
n'ait
un
mer
du
et
travailler avec
ou Von
c est le lieu
pas d 'homme qui
un
besoin,
;
vieux bateaux, de la
se sent
le
pareil instinct,
pareil endroit d'élection; mais lorsque
artiste,
l'œuvre
cristallisation de cet intense
maisons, pour des rues
et
n'est autre chose
amour pour
des horizons,
que
la
de la terre et des
pour
de la lumière
et
des flots.
Aussi voye% comme Boudin, sans même donne de la force à remarque, avec
ce cri
un passage d'une exilé
!
II
ce
symbole, et
comme
il
s'en apercevoir,
confirme notre
du cœur, qui m'a beaucoup frappé dans
de ses lettres
:
«
A
Paris, je suis
comme un
»
a hâte de retrouver sa bonne brise natale, son accoutre-
ment de bon vieux peintre loup de mer, cœ-ur joie de travailler sur la jetée,
sur
et
de s'en donner à
la plage,
dans
les
champs, sur
le
marché, partout, dans
que sait
se créer
encore à
ce
sur place tout véritable
pour rendre
là
le
est
que
Ce qui donne
voir choisir le cadre de leur
mort
se
comme nous
le
et
fait traî-
et
enviable
ont la fortune de pou-
!
bien, voilà de quels simples et
cette vie qui,
Boudin
dernier soupir. Heureuse
Combien peu d'humains
fin en somme.
Et
artiste.
sentiment une beauté touchante, bien humble,
cependant presque dramatique, c
ner
immensité
cette petite
modestes
disions au début
traits est faite-
est,
ainsi qu'un
des paysages de notre bon maître, une page qui atteint à la
beauté
par
la sobriété
On
même.
en parcourra
joyeuses ou douloureuses, dans ce livre qui
parce qu'il donne des faits
façon d'écrire la
non
étapes,
semble excellent
des phrases. C'est la vraie
vie des artistes, et il
vaut mieux laisser par-
œuvres que de briller à leurs dépens. Celui qui a réuni
ler les
et classé ces
place
et
me
les
éléments d'une belle biographie qui va prendre sa
parmi
les
plus nourries et
crées
aux maîtres de notre
avec
un
siècle,
bien vif enthousiasme et
admiration
se
les
plus instructives consa-
a aimé l'homme
un
et
son œuvre
bien rare dévouement ; cette
traduit d'une façon utile
et virile
:
par un bon
livre.
En connu
le lisant, il
et
me prenait un
rencontré Eugène
bien
grand
Boudin que sur
dans son costume d'< exilé». Il
était bien
regret de n'avoir
le sol parisien, et
charmant, bien sym-
pathique ainsi, tout de même, avec son œil brillant, sa robuste onction de vieux
Normand. Mais combien plus
saisissante
devait être la rencontre du peintre avec son gilet de tricot, ses galoches, sa boîte de couleurs, sa casquette de la joie de vivre et
livre
va permettre de
d'imagination;
il
le
dans
deviner vivre, avec
ny aura
A
bonne figure hâlée!
la chance de le connaître
cette
un
laïque, et
ses yeux, plis-
de peindre qui pétillait dans
sait de rides malicieuses sa
n eurent point
marin
ceux qui
intimité, ce
très petit effort
qu'à V écouter parler
,
—
et il
parle
très bien.
Voilà donc une très bonne Les centaines de dessins de
et très
profitable tâche accomplie.
Boudin, admirable enseignement^
sont ou vont être répartis entre les musées de France;
peintures dans tous les bons coins
peuvent apporter au public exemple
montre sa vie en elle-même dans
ses
et et
la
les
endroits ou
plaisir; enfin,
rapports avec
contemporains. Profite^ de tout cela
on ne saurait trop vivre dans
dans
:
y a des
il
ses
ils
cevolume meilleurs
en fait ou par la pensée,
compagnie de braves gens.
ARSÈNE ALEXANDRE.
Louis-Eugène Boudin
est
né rue Bourdet à Honfleur
(Calvados), le 12 Juillet 1824.
Son
père, ancien canonnier à bord de la Frégate la
cienne, était pilote sur
le
Français, bateau qui faisait le ser-
—
1
a
Magi-
N" 143. Naissance de Boudin Louis-Eugène. de Honfleur a été extrait ce qui suit
—Des
registres de
l'état civil
de
ville
:
Année
1824.
— Du
treize juillet mil huit cent vingt-quatre
relevée, acte de naissance de
BOUDIN, Louis-Eugène,
de
à deux heures de né d'hier à cinq heures du matin,
Léonard-Sébastien Boudin, marin, et de Marie-Félicité Buffet, son épouse' et section de l'Est. Le sexe de l'enfant a été reconnu' masculin. fils
demeurant à Honfleur, rue Bourdet,
Honneur
vice entre
femme de chambre
Son
aux
et
frère
la
faisait office
de
bateau.
Boudin navigua Il fit
ainsi des
comme
voyages en
Antilles.
Louis «qui est de la plume» a écrit à ce sujet
les vers suivants
Sur
même
d'un long courrier.
à bord
Angleterre
sur ce
Hâvre. Sa mère
Louis-Eugène
Tout jeune,
mousse
et le
mer
:
ils
dans notre famille
étaient tous
L'àieul et ses enfants équipaient la flottille.
Quatre
petits
Reine des
Et
le
bateaux aux noms doux
et
pieux
Flots, Joseph, l'Enfant Victorieux;
dernier, plus grand, un sloop. Sauveur
Réputé
marcheur à vingt
le
lieues
à
Avait pour commandant mon père,
Mes deux
la
du Monde,
ronde,
et pour seconds,
frères dont l'un qu'aujourd'hui nous pleurons.
Dès l'âge de quatorze C'est en 1836,
:
en
ans, la vocation
effet, qu'il
commença
d'Eugène
se révéla.
à dessiner.
Second témoin journalier Premier témoin Le sieur Le Breton, Jean-Baptiste, au même heu. demeurant et majeurs journalier, Le sieur Le Roy, Jean-Auguste, aussi Mathunnnous avec signé qui a l'enfant Sur la réquisition faite par le père de Officier public déléHonfleur, de Mairie à la Adjoint Jacques-Olivier Vaquet, premier ayant déclaré ne savoir écrire ni gué par Monsieur le Maire, les deux témoins :
;
:
signer, de ce requis après lecture.
^
;
M. Robert de remontant à
la Villehervé
dessin
employé non
seule-
cette date.
L'écrivain hâvrais le décrit ainsi
Sur un papier
Aussi
:
fort lisse, l'artiste a
ment deux crayons, bistre.
un
possède de lui
noir et blanc, mais aussi le lavis de
une photographie n'en donnerait qu'une
trahison. «
Deux lignes
d'arbres tortueux
aux cimes dénudées, au
bas de la berge herbue d'une rivière qui serpente dans une plaine partout rase et immense. Voilà le dessin.
même l'extraordinaire impression d'immensité
« C'est
cette plaine
dans un croqueton de 27/20 qui frappe surtout
le spectateur,
sonnel de Il
de
plus
même
que
le faire déjà libre et
bien per-
l'artiste enfant. »
avons nous
avait,
"au
essayé à reproduire
dit,
quatorze ans. Déjà
il
s'était
jus de chique " des barques, des
bricks et des trois-mâts.
Son père ayant
Eugène Boudin,
Grand Quai, encore,
une
commis
et
grève
51,
pris
sa
où
sa retraite,
sœur
sa
fille,
et
son frère Louis.
Madame Veuve
petite papeterie. Là,
au Havre Il
ouvrit,
Charles, habite
Eugène Boudin devint
continua à dessiner sur
et la falaise.
emmena
les quais, le port, la
— — 4
Le hasard amena dans son magasin le
le
peintre
chargea de tendre et d'encadrer quelques
Boudin essaya de ce maître,
et il
alors de faire
un paysage dans
la
manière
peintre, de Jean-François Millet.
a lui-même raconté ces débuts de sa vie d'artiste, et
nous ne pouvons mieux «
pastels.
eut la bonne fortune de le mettre sous les
yeux d'un autre grand Il
Troyon qui
faire
que de
lui laisser la parole
Quoique né à Honfleurd'un père marin,
l'ingratitude d'oublier
que
c'est la ville
:
je n'aurai
du Hâvre où
j'ai
pas été
élevé qui m'a encouragé et pensionné pendant « J'ajouterai
même
que ce
fut
pour moi
tances d'Alphonse Karr, que Troyon, sollicitèrent,
appuyés par Couveley,
années.
et sur les ins-
Isabey
et
Couture,
alors conservateur
me
Musée, une pension annuelle qui
trois
permit enfin
du
d'aller
à Paris et d'y passer quelques mois. <;
Mais, avant cela, j'avais tendu bien des carrés de papier
à pastel. Le pastel était alors en vogue. Millet,
qui venait d'étudier
à
Ce
Paris
fut vers 1846
sous
que
Delaroche,
— — 6
cherchait « du travail » selon son expression, et vint faire
au Hâvre une
au
l'huile et
guère cossu
de portraits, depuis trente francs, à
série
Le futur auteur de T Angélus
pastel.
n'était
Privé de la maigre pension qu'il recevait
alors.
de Cherbourg, sa
ville
d'adoption aussi,
en
il
était réduit
à faire des dessins dans différents genres, des Vert-Vert,
puis de petits pêcheurs à la ligne, le torse
taches de soleil dans le goût de
Ce
cherchait sa voie.
me
qui
corrigea
Diaz
premier
et
et diaprés
de
de Couture.
Il
de tant de beaux dessins
fut l'auteur
mon
nu
un paysage dans
essai,
manière de Troyon, dont j'avais eu tant de
la
fois l'occasion
d'encadrer et de vendre les pastels. «
A dater de
ce
moment,
dreur. Lorsque Millet
faire aussi,
inquiétude
semée de
roses.
dans une passe
me si
«
que
serait
donné de
difficile qu'il il
était
Le
un
la route n'a pas été
subir. Il était
série
lui-même
dut rester près de deux
venu en
Vous devez bien penser que
d'en
dissimula point son
Le pauvre grand peintre pressentait la
années au Hâvre où
je quittai
du papetier-enca-
vit manifester l'intention
comme il disait, il ne me sur mon avenir, lui dont
d'épreuves qu'il
«
me
c'en fut fait
je
passant.
n'en tins pas compte
:
métier solide pour prendre le pinceau.
portrait était alors
en vogue
je débutai. J'y aurais fait
;
ce fut dans ce genre
quelques progrès sans doute,
mais outre que le
ma manière
ne plaisait guère aux bourgeois,
daguerréotype venait d'être inventé
subit
un temps
« Il fallut
et le portrait
on y renonça tout à fait. chercher à gagner sa vie en faisant tout d'arrêt
concernait son état ; je
peint
:
ce
fis
que
ce
qui
je pus... tableaux de salle
à manger, aquarelles, paysages et enfin tout ce qui pouvait
rapporter quelque «
Ma pension
profit.
avait pris fin
mais
devait plus rien,
elle
:
La
ville
avait eu
du Hâvre ne me
une déception.
On
s'imaginait que j'allais revenir, après trois années d'entretien,
un phénix de sollicité
par
l'art
;
j
les célèbres d'alors, allant
séduisait, à Corot qui voie. C'est ainsi
de ceux qui,
revenu, plus perplexe que jamais,
étais
commençait à nous montrer une autre
que s'écoulent
comme moi
s'essaient durant des
de Rousseau qui nous
les plus précieuses
et tant d'autres, tâtent le terrain et
années à chercher ce qui peut plaire
au public, souverain dispensateur de cherche sa voie efforts,
et l'on
années
la
renommée.
ne parvient, en faisant
les
On
plus grands
qu'à gâter ce que Ion avait en soi d'original.
Combien
n'en voyons-nous pas autour de nous de ces fourvoyés,
dignes d'un meilleur sort « Si
peines
Corot,
du monde
souffrir,
avec
!
un immense
à se faire
talent, avait toutes les
un nom, que n'avions-nous
pas à
nous autres écoliers! La peinture grise n'était guère
—
8
—
goûtée à ce moment-là, surtout pour la marine. Gudin trônait,
Isabey renchérissait sur la couleur naturelle; Le
Poittevin et d'autres encore faisaient fureur en peignant de chic
;
ce n'était guère l'occasion d'apporter
n'en voulait à aucun prix.
Il fallut
se retirer
vince en attendant des temps meilleurs, suis resté près de
du
gris
!
On
dans sa pro-
que
et c'est ainsi
je
quinze années sans revenir à Paris.
« Si la province m'avait fourni des ressources plus durables, j'y serais
sûrement
resté, faisant
beaucoup de mes collègues ce qui fait le
encore une
l'ont fait,
du
professorat,
comme
mais je n'avais guère
bonheur des amateurs provinciaux. Ce
fois cet
fut
excellent Isabey qui m'engagea à essayer
de faire prendre mes marines à Paris. Jongkind, son élève,
commençait à
un
dure cachait profitai
faire avaler
une peinture dont
fruit excellent et des plus
pour entrer aussi par
l'écorce
un peu
savoureux. J'en
la porte qu'il avait forcée et je
commençai, quoique timidement encore, à offrir mes marines. «
En
1870, réfugié en Belgique, je m'évertuai à repro-
duire quelques vues de Bruxelles et d'Anvers qui pourront peut-être intéresser les amateurs
de l'avenir par
un
côté
assez juste et assez sincère.
« Depuis, séries de
j'ai
fait,
dans des genres différents, diverses
marines, des plages où l'on pourra retrouver sinon
un grand art, du moins une reproduction assez sincère du monde de notre époque. Peut-être aussi trouvera-t-on dans mes études du ciel, un côté de la grande nature céleste qui n'a jamais été ni plus ni
mieux exploré par mes
seurs. Je n'ose pas mettre
en ligne mes
j'ai
pourtant
aussi parfaits
fait
je
n'être pas
dans leurs détails que ceux des Hollandais,
me
flatte
intérêt plus tard et l'état
bateaux dont
petits
une étude bien laborieuse. Pour
ce qui est d'ailleurs contraire au goût
temps,
prédéces-
du public de
de croire qu'on pourra
y
les voir
notre
avec
retrouver l'allure, les gréements et
de nos ports à notre époque.
« Tout cela est
un bien mince
ligne à côté des grands talents
du
mérite pour présent.
me
mettre en
Si je n'ai
pas
le
mérite d'être classé parmi ceux-là, j'aurai peut-être eu aussi
ma
très petite part d'influence
dans
le
mouvement
qui porte la peinture vers l'étude de la grande lumière, du plein air et de la sincérité dans la reproduction des effets ciel. Si
du
plusieurs de ceux que j'ai eul'honneur d'introduire
dans la voie,
comme Claude Monet,
par leur tempérament personnel,
sont emportés plus loin ils
ne m'en devront pas
moins quelque reconnaissance, comme
j'en
ai
dû,
moi-
— même,
à
ceux qui m'ont
—
II
modèles à
conseillé et offert des
suivre.
«
En voilà bien long
sur moi, cher Monsieur
la prétention, croyez-le bien, détenir
parmi
contemporains
les
complu
s'est trop ciel.
;
je suis
un
une
isolé,
;
je n'ai
pas
si
grande place
un
rêvasseur qui
à rester dans son coin et à regarder le
L'avenir fera de
moi
bien peur que ce soit de l'oubli.
Boudin, trop modeste,
nombre de ceux qui
nous
ce qu'il fait de »
calomnie;
se
tous. J'ai
il
est
du
petit
se survivront (i).
Tel fut l'avis exprimé par l'écrivain du journal
1'
" Art",
qui dans son compte-rendu du Salon de 1887, reproduisit
Complètons-la maintenant
cette lettre autobiographique.
en reprenant en détail d'Eugène Boudin
les
diverses
telle qu'il vient
phases de
la
vie
de la résumer.
II
En
1856,
tableaux
(1)
VArt,
:
Boudin envoie
deux paysages
1887,
tome XLIII.
à l'exposition de pris
dans
Rouen quatre
la vallée de Rouelles
12
près de Montivilliers, rappelant, paraît-il,
tons de Corot
le
;
une nature morte u largement
à la Chardin, " dit encore
En
1856 également,
Beaux-Arts,
admis.
Il
il
un journal de
la ville.
envoie à Paris, à l'exposition des
tableau " Pardon en Bretagne " qui est
un
il
figure dans son Musée.
A cette même exposition de
Rouen, en 1856,
autre tableau représentant également
Le compte-rendu
le
mentionne dans
ces termes
Une vue de Rouelles de M. Monet de M. Boudin. »
comment
le
nom du
figurait
un
une vue de Rouelles.
«
Voilà
traitée
l'expose ensuite au Havre. La ville l'achète et
aujourd'hui
tés
trop les
manoir en Bretagne, " plus individuel
facture; " et
comme
un peu
:
participe des quali-
peintre qui est aujourd'hui le
chef incontesté de l'école impressionniste, apparaît pour la
première
fois.
Dans quelles
avait-il rencontré
circonstances Claude
Boudin? Voici
Monet
ce qu'a raconté, à ce sujet,
M. Hugues Le Roux. «
Un
jour,
chez
un encadreur
vieux peintre hâvrais Boudin n'était
pas encore vieux
mais passons sur ces la rencontre
et
de la rue de Paris,
le
— entre parenthèse, Boudin il
a toujours été honfleurais,
petits détails
— le
peintre
Boudin
fit
d'un jeune garçon qui apportait des caricatures.
— Le vieux maître (qui yeux.
jeta les
Il vit
en l'exagérant,
mauvais de
les
i
3
—
n'était encore ni
que
vieux ni maître)
cet enfant cédait
au désir de
caractère des visages et
le
tourner en ridicule.
Il
non
y
fixer,
à l'instinct
demanda
:
— Comment t'appelles-tu? — Claude Monet. — Aimes-tu la peinture ? Regarde. C'était
dans une manière
tionnaire, tous ces paysages
claire,
pour
du port
et
le
temps révolu-
de la basse Seine
que vous connaissez. L'enfant dit
—
:
C'est très beau.
Mais
il
n'était pas convaincu.
fois qu'il vit travailler
Le maître
Boudin
il
En revanche,
avaient été s'asseoir dans le grand vent
et l'élève
leurs chevalets côte à côte, et
Boudin
Ils
avaient installé
avait dit
:
Voilà ton modèle, peins.
Le
petit
Monet
de son maître
lement
même
première
comprit et fut enthousiasmé.
des plateaux, entre Rouelles et Frileuse.
—
la
et
il
regardait surtout par dessus l'épaule
voyait s'arrêter, dans sa
les arbres et leur
toile,
frémissement, mais
avec sa clameur, ce grand bruit qu'il
arrive enfin
au bord des
falaises et
le
non
seu-
vent
lui-
fait lorsqu'il
prend son vol sur
la
mer.
—M— De
ce jour
Partout où
école.
n'y eut plus pour l'enfant ni bureau ni il
y
avait place de s'asseoir et de poser
une
sur ses genoux, on le vit peignant le long de la mer.
toile
comme
Et,
il
avait besoin de se fortifier dans sa
il
foi, d'arri-
ver à la formule des idées qui germaient dans sa jeune cervelle,
il
vint à Paris.
furent plusieurs années de causerie plutôt que de
Ce
dans
travail
les ateliers
de Montmartre. Aussi,
Monet, persuadés que la peinture
était
une
les
parents de
école de fainéan-
déclarèrent tout net qu'il fallait faire son choix.
tise, lui
voulait rentrer au bercail et se " mettre dans les
S'il
on lai achèterait un "
res ",
laisserait
" partir
homme
"; s'il s'entêtait,
affai-
on
le
".
— Va pour la gamelle, répondit Monet. Dans partit
ce temps-là
on
pour l'Afrique.
il
Il avait,
pendant
boîte à couleurs, et,
algérienne,
servait sept ans.
Le jeune
homme
bien entendu, emporté sa
ses
deux années de garnison
barbouilla tout juste autant d'études qu'il
monta de gardes. L'Afrique acheva son éducation de coloriste. Elle
bres
",
lui
à
lumière,
apprit
à
y
suivre
à
faire flotter
les
"
regarder
dans
les
om-
décompositions brillantes de la
autour des objets
cette
atmos-
— phère qui tremble,
et les
n'y avait plus
moyen
Il
bien sa santé vie.
i
—
5
cercle
comme
de douter de sa vocation. Aussi
détraquée et l'on craignait pour sa
s'était-elle
Les parents cédèrent, achetèrent " cette condition à leur
mirent
— Tu entreras dans un Ce béret.
La première
condescendance
—
«
que
fois
Examinez
fait
— —
«
puis
le dessin,
tendance à regarder
avez
le
ils
maître s'approcha du nouvel
il
dit
il
s'arrêta
un
instant à
:
une fâcheuse
nature trop grossièrement
la
les orteils de votre
comme
bonhomme, vous
lui
des pieds de garçon de recettes.
Mais Monsieur,
« Il
le modèle....
n'y a pas de modèle qui tienne.
venir de l'antique
!
Il faut se
quittait
Gleyre pour n'y plus reparaître jamais.
Il
fait le portrait ",
est
l'atelier
dont Fantin
dans son fameux tableau "
mort pendant
deux autres s'appelaient Renoir
de
entraînait, dans
sa défection, trois camarades. L'un, Basile,
des Batignolles
sou-
»
Quinze jours plus tard Monet
Latour a
mais
:
C'est bien, jeune homme, mais vous avez
elle est.
",
atelier.
élève pour corriger son académie,
contempler
l'homme
Gleyre que Monet vint accrocher son
chez
fut
d'une auréole.
L'atelier
la guerre de 1870. Les
et Sisley.
—
i6
—
III
Revenons
à
En
expose dix tableaux à l'exposition du Havre.
Il fait
1857,
il
Eugène Boudin
:
ensuite une vente à l'hôtel des Commissaires-pri-
seurs, dans l'espoir de pouvoir retourner à Paris,
comme
le
demandait instamment Claude Monet, qui venait d'y arriver, mais cette vente ne réussit pas. Eugène Boudin lui
reste
au Hâvre
et
Claude Monet
lui écrit la lettre suivante
Taris,
le
:
20 février
Cher Boudin, Je viens d'apprendre, par
un marchand de tableaux,
qu'il
vous
attendait d'ici quelques jours et je m'empresse de venir vous décider.
D'abord, excusez-moi du retard que
mieux vaut Vous ne
j'ai
mis à vous
écrire,
mais
tard que jamais. sauriez croire l'intérêt que vous aurez
tenant à Paris. Vous devez savoir qu'il
modernes qui renferme
les
y
œuvres de
a
en venant main-
une exposition de tableaux
l'école de 1830 et qui
que nous ne sommes pas tant en décadence qu'on
le dit. Il
prouve
y a près de
dix-huit Delacroix qui sont splendides, entre autres la " Barque de
—
i
—
7
Tïon Juan " du Salon de 1855.
Il
y a autant de Decamps, une douzaine
de Rousseau, des Dupré
y
a aussi sept à huit Marilhat et tout
cela des plus plaisir
;
il
beaux. Enfin,
que ça vous
c'est splendide, et je
ferait.
Je vous dirai qu'auprès de tout cela, les
du tout
et les
ne doute pas du
Troyon ne
se tiennent pas
Bonheur encore moins.
Venez, vous ne pouvez qu'y gagner.
Vous savez
aussi que le seul
ayons, Jongkind, est mort pour artistes font
bon peintre de marines que nous l'art;
il
est
une souscription pour pourvoir
Vous avez
là
complètement
fou.
Les
à ses besoins.
une belle place à prendre.
Troyon me parle toujours de vous
et sera très
heureux de vous
voir.
Le peu de choses que
j'ai
de vous ont été fort remarquées
;
je suis
entouré d'une petite bande déjeunes peintres paysagistes qui seront très
heureux de vous connaître ce sont du ;
reste de vrais peintres.
Apportez surtout de vos œuvres de marines
;
les
bonnes choses
sont toujours assez rares.
Quant
à moi, j'espère que vous ne
pochade de vous comme souvenir,
et
me
refuserez par
comme
conseils,
une
petite
vous savez
le
cas que j'en fais.
Jacque, qui tient l'atelier dans lequel je travaille, voudrait aussi faire il
quelques affaires avec vous. Je crois
connaît
En
fait
qu'il
peut vous être utile
;
énormément de monde. de nouvelles,
lement abandonné
j'ai
à vous dire que Couture, ce rageur, a tota-
la peinture.
Ce
n'est pas
dommage
;
il
a à cette
exposition des tableaux qui sont bien mauvais. Ensuite, vous saurez
— que
le petit
dans
ma
—
18
Daubigny en question m'appartient tout
chambre. Enfin,
à
fait. Il est
que
je vais finir et j'espère
d'ici
pendu
peu nous
pourrons beaucoup causer ensemble. Je vois toujours ce brave dire mille choses ainsi
vous
Gustave Mathieu qui me charge de vous
Amand
que M.
Gautier.
vous restez à vous abrutir dans cette
si
Quant
me
à moi, je
figures; c'est
trouve joliment bien
une fameuse chose. Du
des paysagistes;
ils
Ils
désespèrent pour
sale ville ici
;
du Hàvre.
reste, à l'académie,
il
à s'apercevoir que c'est
commencent
ferme des
je dessine
n'y a que
une bonne
chose. J'ai
oublié de vous dire que Courbet et Corot brillent aussi à cette
exposition,
La oMort
que
ainsi
et le
Millet.
Il
"Bûcheron. C'est
Enfin je termine.
Ne
a là son tableau refusé au Salon
y
une
:
belle chose.
craignez pas de
me
gêner pour
me
faire faire
vos commissions je suis tout à votre disposition. ;
Ainsi, à bientôt.
Répondez-moi vite, petite
et,
à l'avenir nous aurons,
correspondance suivie, une petite gazette des
Adieu, tout à vous. C.
Nous retrouvons
ici
1855,
il
avait fait
Un paysan greffant un Ce tableau
arts.
rue Pigalle.
Millet aussi malheureux que dix était
ans auparavant, alors qu'il
En
une
MONET, 28,
"
cela vous va,
si
au Hâvre.
un de
arbre
serait resté
ses meilleurs tableaux
:
".
dans
l'atelier
de
l'artiste,
si
— Théodore Rousseau, sous ricain,
ne
l'avait
le
19
—
pseudonyme d'un faux Amé-
acheté au prix de 4,000 francs.
Pour
l'époque, ce prix était élevé.
De
la part de
une
riche, c'était
Théodore Rousseau, qui
alors n'était pas
folie.
Millet resta longtemps sans savoir d'où lui venait cette
aubaine. .
il
Refusé au Salon de 1856,
le dit
Claude Monet,
terminait V Angélus en 1859.
Quant
à Boudin,
faute de ressources, le
comme
s'il
il
ne pouvait encore venir à Paris
avait ici
un ami, Gustave Mathieu,
poète chansonnier, qui tâchait de vendre ses tableaux.
Le
1 février 1857,
^
écrivait à l'artiste qu'il avait
obtenu
d'exposer ses tableaux au concert Musard qui existait alors rue Basse-du-Rempart, à l'endroit où se trouve aujourd'hui la
Grande Maison de blanc. Alexandre Dumas
fils
en
acheta deux.
Claude Monet, de son
côté, continuait de correspondre
avec Boudin.
Le
19
mai
Mon
1859,
il
lui écrivait
:
cher Monsieur,
Je profite d'un instant pour venir vous entretenir de tout ce que je vois
de beau à Paris.
20
Je n'ai
pu
aller
encore qu'une seule fois à l'Exposition, que l'on
vient de fermer pour huit jours; mais, malgré le peu de temps, voir que les paysagistes y étaient en majorité. sont superbes, les
beau. Il
Il
tristesse lier
Troyon
est sublime.
Corot, de vilains Diaz, par exemple. Le tableau de
jolis
M. Gautier
qualité, les
pu
Daubigny sont pour moi quelque chose de bien
y en a surtout un d'Honfleur qui
y de
En
j'ai
est très joli;
profonde.
Il
il
calme
est
dans une
et
gamme
grise d'une
est accablé d'articles d'éloges. Celui de
M. Lhuil-
pèche beaucoup.
J'ai
M. Gautier, qui m'a chargé de vous s'attend à
à moi,
à
vous décourager dans
m'a parfaitement reçu.
il
tableaux en train.
commencer
doit
11
choses, et qui
dire bien des
vous voir à Paris prochainement. C'est
monde. Ne restez pas
Quant
commence par
été faire des visites à plusieurs peintres. Je
Il
de tout
l'avis
le
cette ville de coton.
a beaucoup de
ces jours -ci
une grande
petits litho-
graphie.
Vous m'avez
prié de sonder
les affaires d'art. Il
Ensuite,
j'ai
y
a
un peu pour savoir comment
un peu de
été chez
M.
froid à cause de la guerre.
Lhuillier.
quières) qui lui prête son atelier.
vendu
six cents francs.
Il
en
allaient
fait
Il
Il
est
chez M. Becq (de Fou-
est très content.
un
autre, et a
Son tableau
beaucoup de
est
petits
portraits à faire à cent francs.
L'on voit de ce moment-ci de jolies choses chez les marchands de tableaux.
Voici pour la bonne bouche. Avant de partir du Havre, on m'a
donné une
Troyon.
Vous
lettre
pour
aller voir
que
j'y ai
vues serait chose impossible à dire
belles choses
J'y suis allé.
:
dire les
des bœufs
21
et des chiens admirables.
ma
beaucoup parlé de vous et est tout étonné de ne pas vous voir arriver dans la capitale. Il m'a chargé de vous dire de lui envoyer une dizaine de vos tableaux les plus faits, des marines grises, des natures mortes et Il
des
paysages.
vous
lui
se charge de les placer
Il
avez donnés dans
le
temps.
vous conseille beaucoup de venir
Il
homme,
sont plus faits que ceux que
s'ils
ici. Il
a l'air d'un bien brave
sans façons.
Quant
à moi, voici ce qu'il m'a conseillé de faire; je lui ai
deux de mes natures mortes; là-dessus, il m'a dit cher ami, vous aurez de la couleur; c'est juste d'effet; :
vous
Eh
mais
fassiez des études sérieuses, car ceci c'est très gentil,
faites ça très facilement;
écouter
un
«
mes
atelier
vous ne perdrez jamais
conseils et faire de l'art sérieux,
où
l'on ne tait
que de
la figure,
ça. Si
montré
bien, il
mon
faut que
mais vous
vous voulez
commencez par entrer dans des académies; apprenez à
dessiner; c'est ce qui vous
manque à presque tous aujourd'hui. Écoutez-moi et vous verrez que je n'ai pas tort; mais dessinez à force; on n'en sait jamais trop. Pourtant ne négligez pas la peinture; de temps en temps
allez à la
campagne
faire
des études, les pousser surtout.
Faites quelques copies au Louvre.
moi
ce que vous ferez, et
De
sorte que
deux d'après deux
et
Venez me voir souvent; montrezavec du courage vous arriverez. »
mes parents sont décidés
à
me
laisser
un mois ou
de Troyon, qui m'engage à rester ici un mois ou à dessiner ferme. « De cette manière, m'a-t-il l'avis
dit,
vous
allez
acquérir des facultés; vous irez au Havre, et vous serez capable de faire de bonnes études dans la campagne, et l'hiver vous reviendrez vous fixer ici définitivement. »
22
Ceci est adopté par mes parents.
et
il
m'a
dit
il
ma
a fallu que je
Alors
:
«
Il
y
à
Troyon où
Couture;
je puis
m'engageait
il
Voulez-vous écouter mes conseils
carrière, j'irais chez
lièrement.
demande
:
si
je
d'aller,
recommençais
vous recommander particudit, j'ai
tou-
que vous pensez de tout
cela.
a encore Picot et Cogniet; mais, m'a-t-il
jours détesté la manière de ces gens-là. » suite; dites-moi ce
Répondez-moi de Voici
mon
adresse
:
Place du Hâvre, Hôtel du Nouveau-Monde.
Répondez-moi de vous indiquerai dans
suite parce
que dans deux jours
ma prochaine mon nouveau
je
déménage. Je
domicile.
Tout à vous, C.
Ce
de conseil était particulièrement intéressant venant
Troyon qui avait merce direct avec Il
MONET.
tout appris de lui-même, dans son
com-
la nature.
avait seulement reçu quelques leçons et quelques
conseils de
M. Riocreux, qui
était
un
peintre de fleurs
attaché à la Manufacture de Sèvres.
Le père de Troyon avait un emploi dans cet établissement. Il mourut en 1 817, laissant deux enfants en bas âge. Constant Troyon était le cadet. La mère de ces deux enfants ne perdit pas courage.
M. Charles Blanc nous apprend qu
elle avait
imaginé
de faire de petits tableaux en assemblant des plumes d'oi-
—
2}
—
seaux d'Amérique qu'elle ajustait de manière à en faire des motifs pour épingles, broches, bagues, bracelets et autres parures. C'est avec
produit
le
madame Troyon parvint
de ces plumes d'oiseaux que
à élever ses
deux
enfants.
plus tard Eugène Boudin et Claude Monet,
Comme
Constant Troyon avait commencé par prendre
champs
Un d'un
et s'était
la clef des
mis à dessiner simplement d'après nature.
jour, qu'il avait planté son chevalet sur la lisière
du
bois,
homme
côté
qui avait
de Saint-Cloud,
un
portefeuille
il
fut abordé par
sous le bras.
C'était
Camille Roqueplan. Frappé des études de Troyon de
caractère
sincérité
y remarquait,
qu'il
encouragea son jeune confrère
et lui fit
tions qui lui ouvrirent les yeux. Il
de
l'aller
un
et
du
Roqueplan
quelques observa-
demanda
la permission
voir à Paris et la fréquentation d'un artiste aussi
avancé dans
les secrets
de son art fut pour Troyon une
bonne fortune.
IV Malgré
les sollicitations
de son élève, Eugène Boudin
ne pouvait encore venir à Paris.
— Claude Monet
—
24
.
lui écrivait le 3 juin 1859
;
Cher Monsieur Boudin, Pardonnez-moi
je
si
me demandiez, mais le un peu
ne vous
pas encore répondu à ce que vous
ai
travail et cet étourdissant Paris
me
font oublier
devoirs d'ami, enfin mieux vaut tard que jamais et arrivons
les
au but. chez Troyon deux
J'ai été
fois. Il se fait
Figurez-vous qu'allant deux
demander quand recommandé. sieurs toiles
Venez
le
partait
il
pour
Enfin, je crois qu'il
en
chez
fois
un
plaisir
lui, je n'ai
de vous voir. pas pensé à lui
campagne, ce que vous m'aviez
la
ne partira pas de
suite, car
il
a plu-
train.
plus tôt possible. Voilà l'exposition qui touche à sa
D'ici quinze jours,
il
n'en sera plus question.
On
même
dit
fin.
que l'on
fermerait très prochainement une salle ou deux. Mais ce n'est qu'un on-dit; malgré cela, hâtez-vous. J'ai
revu plusieurs
fois
M. Gautier, qui sera bien
aise de vous
voir.
Quant ce
que
à l'Exposition, j'y suis retourné plusieurs fois. Je vous dirai
pense de quelques tableaux. Je peux
je
puisque cela semble vous intéresser
Yvon l'autre,
a remis un second tableau
tromper, mais
:
;
il
est,
selon moi,
mieux
mais ça n'est pas beau. C'est d'une couleur noire
types sont les
me
communs
Troyon,
merveilleux,
il il
et
ont tous la
même
expression.
y en a un ou deux énormes y a un
ciel
;
le
Il
que
et sale; les
Quant on
Retour à
magnifique, un ciel d'orage.
fait
la
voit
ferme est
y a beaucoup
—
—
25
de mouvement, de vent dans les nuages les vaches de toute beauté. ;
Il
a aussi le Départ pour
y
au lever du
soleil.
C'est
le
marché ;
c'est
un
et les
effet
tes les poses; Il
le
y en les
Un
y
beaucoup de
a
ombres.
et
lui, et c'est lui
y en
Il
On
Une en
se croirait
animaux en masse; des vaches dans tou-
a des
mais ça a du mouvement
plus de succès.
dans
la
il
de brouillard
superbe; c'est surtout très lumineux.
vue prise à Suresnes ; c'est d'une étendue étonnante. pleine campagne;
chiens sont
du désordre.
qui a remporté cettte année
a de lui que je trouve
Quand vous
bien beau tableau de
vous
serez là,
lui
que
me
un peu trop
direz
j'oubliais, c'est
gueule une perdrix. C'est magnifique
;
on sent
si j'ai
noirs
raison.
un chien qui
le poil.
La
a à
tête est
surtout très soignée. Il
a des chiens d'un
y
comme
nommé
aspect, sont très nature
;
Joseph Stevens, un Belge, qui,
mais
il
escamote
les finesses.
Le grand tableau de Rousseau, Les Chiens, est trop grand. un peu confus. Il est mieux en détail qu'en ensemble.
En somme,
il
a de très belles choses.
y
Théodore Rousseau a Il
y
a
deux ou
exécution large et
Il est
fait
de très beaux paysages.
trois portraits de Pils qui sont très
comme
M. Morel Fatio
fait
beaux
comme
aspect.
des marines qui n'ont pas
le
sens
commun
;
c'est affreux.
Monginot voilà tout.
mis de
Il
a mis a
jolies
un tableau, Bertrand
mis ce tableau qui choses.
Il
y
a
était
et
Raton.
Il fait
de
l'effet,
chez Lebas; Adolphe Leleu a
Armand Leleu
qui a voulu faire du
comme
paysage
Corot, en y mettant de grandes figures
échoué. Sans cela
Lambinet ne
me
a plusieurs toiles.
fait aussi
Hamon
n'a
il
a
a fait d'assez jolies choses.
il
plaît qu'à moitié. C'est
Jadin
mais
;
Il
a
un certain succès. Pour moi,
du papillotage, du
il
chic.
des chiens; mais après Troyon, c'est de
la
charge.
pour moi, que d'horribles choses, sans couleur,
fait,
sans dessin. C'est grimacier, prétentieux; en un mot, ça n'a aucune idée de la nature.
Théodore Frère fiques;
il
y
a
une masse de tableaux d'Orient qui sont magni-
a dans tous ces tableaux de la grandeur, une lumière
chaude, et ensuite
c'est très
beau
comme
détail
comme mou-
et
vement. Delacroix a
fait
Ce ne sont que des il
a de la verve,
de plus belles toiles que ce
indications, des ébauches; mais,
mis cette année.
comme
toujours,
du mouvement.
Daubigny, en voilà un nature
qu'il a
gaillard qui fait bien, qui
comprend
la
!
Cette vue de Villerville dont je vous
ai parlé, c'est
de merveilleux. Ce serait bien malheureux
Vous peindre
les détails est
chose
difficile
si
quelque chose
vous ne voyiez pas
ça.
temps
me
pour moi,
et le
presse.
Les Corot sont de simples merveilles.
Il
n'y a pas une marine
d'un peu passable.
Isabey a
fait
une horrible machine.
de jolies petites figures. En somme, les
Comme
ya peintres de marines manquent détail, c'est joli. Il
totalement, et c'est pour vous un chemin qui vous mènerait loin.
Vous m'engagez
à aller voir
M. Monginot.
J'ai
reçu justement en
— même
temps que
ai été et
il
est jeune. Il fait
la
27
—
vôtre une lettre de recommandation pour
lui. J'y
m'a on ne peut mieux reçu. C'est un charmant garçon. Il
m'a montré une
a mis son atelier à
Il
ma
disposition,
de temps en temps.
et j'en profiterai
Depuis que
marine de vous.
petite
de très belles choses.
Il
je
vous
ma
expliquerai dans
ai écrit,
les
choses ont changé, et je vous
prochaine, qui sera plus prompte que celle-ci,
de quelle manière je suis casé
ici.
Je pense que
vous m'approuverez.
Hâtez-vous. Plus que huit jours pourvoir l'exposition. Je suis à présent,
35,
rue Rodier.
Répondez quand vous viendrez
et
où vous descendrez.
Tout
à vous,
C.
MONET.
V Entre temps, Eugène Boudin Courbet.
La manière dont par Schaunard
—
dans
les
mémoires
«
On
ne se
cette liaison
le
connaissance de
commença
Schaunard de
qu'il a publiés
serait
faisait la
la
a été racontée
Vie de Bohême,
—
:
jamais douté que Courbet et moi nous
dussions faire partie d'une caravane de botanistes en tour-
—
28
—
née au Hâvre?... C'est pourtant ce qui arriva un jour
Nous
«
découvre
voilà à
la
au Hâvre dans vitrine
consciencieusement
chez M.
démenti
voulant
demanda
il
On
le féliciter.
et
aussitôt
nous envoie
qui depuis n'a pas
espérances que donnaient ses premiers essais.
M. Boudin nous
«
sur galets, et
Boudin, alors tout jeune les
Courbet
la rue de Paris...
d'un papetier de petites marines
faites
l'adresse de l'artiste,
reçut
comme
vous pouvez
le penser,
et se
mit à notre disposition pour nous piloter dans
Dès
le
talla
Pour
Un
lendemain,
emmena
nous
«
la Seine avec des
Manche
et
là
la surprise
le
falaise.
deux tableaux
:
Une vue de V embou-
pommiers au premier plan.
Mais un matin que nous flânions sur
eûmes nous
à Honfleur et nous ins-
en passant, Courbet peignit
coucher de soleil sur la
chure de
un
il
pays.
le
dans une auberge rustique, à mi-côte de la le dire
d'été.
de rencontrer
le
le port,
nous
quand
poète Baudelaire,
Mal dans
croyions occupé à cultiver ses Fleurs du
hôtel de la rue Mazarine. «
Tous
les "
oh
" et tous les "
ah "
cités
la
gram-
fois
de nos
dans
maire au chapitre des interjections sortirent à la trois poitrines. «
Baudelaire nous expliqua qu'il était en villégiature
forcée chez sa mère, la générale
Aupick, qui possédait une
maison de campagne aux environs de la
ville, et
il
ajouta
:
— «
emmène
Je vous
Nous
«
29
—
dîner et je vous présente à
elle.
»
étions fort embarrassés, car nous n'avions pas
apporté de toilette
même
nos vareuses de voyage étaient
;
dans un état pittoresque peut-être, en tous cas déplorable.
Mais notre ami nous
fut-il
insista sur
impossible de lui
Je vois encore
«
mon
bras à la maîtresse de la suivi
comme
personne
mant de «
un ton presque impérieux
!....
aide de
aussi
résister.
Courbet
en deux pour
plié
maison qui
était
de petite
camp de ma non moins
Le dîner,
;
luxueusement
très
offrir le taille, et
grotesque
servi, fut char-
tout point.
Quel
dessert plein d'aménité et
été gais si les
comme nous
convenances ne nous avaient
aurions
forcés à mettre
des gants à notre conversation pour remplacer ceux qui
nous manquaient aux mains. Nous prîmes
véranda remplie de plantes voir tous les astres se lever «
ou
rares,
le café
sous une
de laquelle on pouvait
se coucher
dans
les flots.
Vers neuf heures, nous quittâmes pourtant ce lieu
enchanteur, mais c'était pour retourner à Paris de nuit. Baudelaire nous accompagna jusqu'au bateau il
s'embarqua, puis, de plus
avec nous au Hâvre «
ses
Que
en plus
il fit
mieux,
fort, il prit le
train
!
signifiait cet
hôtes?
fort
;
En nous
empressement exagéré à reconduire
suivant, notre
ami un peu fantasque
—
—
3°
profitait de l'occasion qui se présentait à lui
de s'évader de
chez sa mère.
—
C'est que, nous dit-il dans le
«
m'est odieuse, surtout par
m'accable
soleil
;
je
me
le
crois
wagon,
la
campagne
beau temps. La persistance du encore dans l'Inde où la conti-
nuité monotone de son rayonnement jette dans la torpeur
plus de cent millions d'êtres humains, en comptant les Anglais... Pardon, je ne les compte pas, car, au
leur langue, ce qui m'oblige à
eux. Je traduis
même
en ce
une
fait, je sais
certaine politesse envers
moment Edgar
Poe...
Ah
par-
!
lez-moi des ciels parisiens toujours changeants, qui rient et
qui pleurent selon le vent de chaleur
et
et sans
que jamais leurs alternances
d'humidité puissent profiter à de stupides
céréales. Je froisserai plutôt vos convictions de paysagistes,
mais
je
table
;
vous dirai aussi que l'eau en
liberté m'est insupporles
murs
promenade préférée
est la
veux prisonnière, au carcan, dans
je la
géométriques d'un quai.
—
Ma
berge du canal de l'Ourcq.
Quand je me
«
mieux une l'état
boîte à
parfait
compotier
!
De
c'est
dans une baignoire
musique qu'un
des fruits
rossignol, et,
;
j'aime
pour moi,
d'un jardin ne commence qu'au
Enfin l'homme soumis à la nature m'a toujours
semblé avoir «
baigne,
refait
un
pas vers la sauvagerie originelle
!
paradoxes en paradoxes et de stations en stations,
— 3i — nous étions arrivés à de manière
la
gare Saint-Lazare. Mais quelle drôle
en Normandie
d'aller herboriser
« Il était
quitta; mais
peut-être huit heures il
!
du matin, Courbet nous
fut décidé entre Baudelaire et
moi que nous
déjeunerions ensemble. Baudelaire qui avait quitté la mai-
son maternelle
comme
francs. Je fouillai
dans
il
n'avait
que
trois
et je n'y trouvai
que
l'es-
vient d'être
ma
poche
dit,
poir de vendre quelques gravures au " Père Mêdicis ". »
VI
Plus tard Courbet revint
et rejoignit
dernier le décida à faire de la marine. "
comme Un
disait
«
Du paysage de mer ",
Courbet.
jour qu'ils travaillaient ensemble sur le bord de la
mer, Courbet, quittant sa vers
Eugène Boudin. Ce
Boudin qui ébauchait
toile, se
le
même
pencha silencieusement sujet,
— mer
et ciel.
C'est prodigieux, s'écria Courbet en levant ses robustes
épaules.
En
vérité,
mon
cher, vous êtes
a que vous qui connaissiez le ciel
!
»
un séraphin
;
il
n'y
— «L'hyperbole
n'était pas
mond Bouyer dans 1899. L'air qui
landaises
32
la
—
un mensonge, a
M. Ray-
dit
Galette des Beaux- Arts du
er
I
Février
manquait trop souvent aux précisions néer-
comme aux
fiertés
romanesques,
l'air est sa
plus
belle conquête.»
Et à propos des ciels de Boudin, Baudelaire, moins para-
doxal que tout à l'heure, a écrit la page suivante dans son
Salon de 1856
:
Oui, l'imagination
«
esprit
fait le
paysage. Je comprends qu'un
appliqué à prendre des notes ne puisse pas s'aban-
donner aux prodigieuses cles de la
rêveries contenues
nature présente
fuit-elle l'atelier
dans
mais, pourquoi
;
du paysagiste? Peut-être les
les specta-
l'imagination artistes
tivent ce genre se défient-ils beaucoup trop de leur
qui cul-
mémoire
qui s'accomode parfaitement à la paresse de leur esprit. «
avaient vu,
S'ils
M. Boudin fort
qui, soit dit
comme
fort
beau
et
sage tableau (Le Pardon de Saint-Anne de Palud), plu-
mer
l'air
vu récemment chez
en passant, expose un
sieurs centaines d'études
la
j'ai
et
du
ciel,
ils
au
pastel, improvisées
en face de
comprendraient ce qu'ils n'ont pas
de comprendre, c'est-à-dire la différence qui sépare une
étude d'un tableau. Mais gueillir
M. Boudin
de son dévouement à son
art,
qui pourrait s'enor-
montre
très
modes-
— tement
33
—
sa curieuse collection. Il sait bien qu'il
faut
que
tout cela devienne tableau par le
moyen de
poétique rappelée à volonté, et
n'a pas la prétention de
il
l'impression
donner
ses
doute,
nous étalera dans des peintures achevées
il
notes pour des tableaux. Plus tard, sans aucun
gieuses magies de Ses études
«
d'après ce qu'il
dans
la
forme
y
et
l'air et
si
de l'eau.
rapidement
et
si
fidèlement croquées
a de plus inconstant, de plus insaisissable
dans
la couleur, d'après des
nuages, portent toujours, et le
les prodi-
écrits
vent; ainsi, par exemple
en marge, :
vagues
et
des
la date, l'heure
8 octobre,
midi, vent du
nord-ouest. « Si
vous avez eu quelquefois
le loisir
de faire connais-
sance avec ces beautés météorologiques, vous pourrez vérifier
la
par mémoire l'exactitude des observations de M. Boudin
;
légende cachée avec la main, vous devinerez la saison,
l'heure et le vent. Je n'exagère rien, ces
j'ai
nuages aux formes fantastiques
vu.
et
A
la fin, tous
lumineuses, ces
ténèbres chaotiques, ces immensités vertes et roses sus-
pendues
et
ajoutées les unes
aux
autres, ces fournaises
béantes, ces firmaments de satin noir ou violet, fripé, roulé et déchiré, ces horizons
en deuil ou ruisselants de métal
fondu, toutes ces profondeurs, toutes ces splendeurs
montèrent au cerveau
comme une boisson
capiteuse.
me
— «
Chose assez curieuse,
il
34
—
ne m*arriva pas une seule
me
devant ces magies liquides ou aériennes, de de l'absence de l'homme; mais je
soit,
un
plaindre
garde bien de
tirer
conseil
pour qui que
non plus que pour M. Boudin. Le
conseil serait
de la plénitude de ce
ma
me
fois,
jouissance
trop dangereux. « Qu'il se rappelle
que l'homme, comme
qui avait soigneusement
fait ses
humanités, ne voit jamais
veut gagner un peu de popu-
l'homme sans
plaisir, et,
larité, qu'il se
garde bien de croire que
à
un
s'il
dit Robespierre
le
public soit arrivé
égal enthousiasme pour la solitude.
Alexandre
Dumas
fils
appréciait également les ciels de
Boudin. Voici une lettre qu'il lui écrivait à ce sujet
:
Cher Monsieur, Voulez- vous
me
vard qui voudrait
permettre de vous adresser une demoiselle Foi-
faire
de la peinture,
et,
par suite d'une certaine
disposition des yeux, voudrait faire surtout des ciels.
Vous, qui
êtes
l'homme des
ciels
par excellence,
vous de voir vos cartons de pastels que vous m'avez
si
lui
permettez-
obligeamment
ouverts ?
Vous m'avez promis
aussi
un grand
ciel,
une
petite ligne de
mer
et
une voile au milieu de tout
Moi j'y pense
cela,
mais vous n'y avez plus pensé.
toujours.
Mille compliments de votre tout dévoué,
A.
Mais «
l'éloge le plus précieux lui vint
Boudin
est le roi des ciels
!
»
DUMAS.
de Corot, qui
dit
:
_
-
36
Corot garda toute sa vie une étude de
que Boudin
lui avait dédiée.
redemanda
et la
mourut,
elle fut
ciel faite
A la mort de Corot,
conserva à son tour;
un
acquise par
et,
artiste
au pastel
Boudin
la
quand Boudin
distingué, Paul
Helleu.
VII
Nous Le
étions arrivés tout à l'heure à l'année 1860.
Claude Monet
21 avril,
écrivait à
Boudin
:
Cher Monsieur, Pardonnez-moi d'accepter vais
si j'ai
autant tardé à vous répondre. Je vous prie
mes excuses; ayant
très
peu de temps à ma disposition,
simplement répondre à votre
lettre
je
dont je vous remercie
beaucoup. Je
vous
dirai
ouverte encore
d'abord que l'Exposition n'est pas fermée et sera assez
longtemps;
je
ne puis vous fixer au juste
l'époque. Je vous annoncerai seulement que vous perdez beaucoup à attendre, et
vu que
l'on a déjà
changé une grande quantité de
toiles,
pas des moins importantes, leur intention étant de faire durer
cette Exposition
a toujours
en changeant
énormément
les toiles tous les mois.
à voir, je vous l'assure.
Du
reste,
il
y
— 37 V enez
donc, je serai bien heureux de vous voir et de vous
demander des conseils sur mes travaux. Il fait
déjà
un temps superbe
Je vous
ici.
vais passer quinze jours, trois semaines dans
à
Champ igny-sur-Marne.
Je vais
y
faire
annonce que
un
petit
je
m'en
pays charmant,
un peu de paysage, accom-
pagné de deux de mes camarades.
M. Gautier vous attend d'après
toujours.
Il
vient de faire une eau-forte
mon Daubigny.
J'espère que, ne m'ayant pas répondu, vous ne
cadeau que
j'ai
me
refusez pas le
eu l'indiscrétion de vous demander. Je vous en serai
reconnaissant
Mathieu vous serre
la
main.
Tout à vous, Votre élève
et ami,
C.
Quoique Paris;
si
allant à la
campagne, vous pouvez
ça ne vous dérange pas, ça
me
fera
MONET.
m écrire
beaucoup de
toujours à
plaisir.
Tout à vous.
L'année suivante, Eugène Boudin prenait la détermination de se fixer à Paris.
Un
de ses amis du Hâvre
recommandation pour
le
lui
donnait une
lettre
dessinateur Karl Bodmer.
de
Havre, 21 janvier 1861.
Mon Je
cher Bodmer,
vous présente [Boudin, jeune peintre hâvrais, dont j'estime
beaucoup
le talent,
peu encouragé par
et qui,
chand du Havre, va décidément
se fixer à
le
public tout mar-
Paris
comme Troyon,
Français, etc., le lui ont dès longtemps conseillé. Il
car
il
ne faut qu'un peu de chance pour que bientôt on parle de
possède à un haut degré
Quelque
plaisir
lui,
sentiment de la couleur.
le
que j'eusse de
visiter quelquefois
son
atelier, je
ne
puis qu'applaudir au parti qu'il prend. Boudin a vu vos dernières lithographies et croit, l'huile,
Je
on
comme
moi, que
si
vous exécutiez ces sujets à
vos tableaux.
se disputerait
vous recommande Boudin.
Je vous serre la
main
et suis
de cœur votre Affectionné ami, J.
Cependant Boudin et,
même
à ce
WANNER.
n'osait pas encore quitter
moment,
il
eut
un
Honneur,
accès de profond décou-
ragement.
Le 27 janvier
une
1862,
lettre désespérée.
il
écrivait à son
ami Gustave Mathieu
—
39
— Honfleur, 2 7 janvier 1862.
Mon Je vais vous
cher Mathieu,
demander un large
main un morceau de papier
me
le
service. S'il
une plume,
et
je suis
vous tombe sous
la
convaincu que vous
rendrez avec empressement.
Voici ce dont
il
s'agit
:
Cette année encore j'avais résolu de
me
rendre à Paris et à cher-
cher à y vivoter, tant bien que mal, à l'aide de quelques personnes en tête desquelles je
vous place
mais les rapports que l'on
;
situation des choses à Paris
dépourvu d'avances, éventuel, hélas! de
Vous
êtes
et qu'il
mes
pensez.
Vous voyez des
dire ce qu'il
Je il
en
est
vous avoue
me
sur la
d'autant plus que je suis
faudrait vivre sur le placement, bien
peintures.
mieux que
véritable état des choses
m'effraient
me fait
qui que ce soit ;
en position de connaître
le
dites-moi bien sincèrement ce que vous en
peintres, des amateurs, et vous pouvez
me
au juste.
qu'ici je
ne trouve plus
à vivre
—
littéralement;
faut bien aller chercher sa vie quelque part. Aussi, je vais m'en-
foncer dans quelque coin de l'emploi de
mes mains,
la
province pour tâcher de trouver
car je suis las de solliciter pour qu'on
m'achète, et à quel prix! d'informes peintures que l'on est obligé de faire
au goût de gens qui n'y connaissent rien. Notre métier est déci-
dément Je
très dur.
vous donne une bonne poignée de main,
et
vous prie de
me
dire
un mot bien sincère sur ce que
vous en avez
—
4°
je
vous demande,
—
si
toutefois
le loisir.
A
vous d'amitié, E.
BOUDIN. artiste,
Rue de l'Homme-de-Bois,
Rue de
l'
Homme-de-bois, à Honfleur
Boudin habitait un pavillon appelé
le
!
à Honfleur.
C'est là
que
pavillon des trente-
six marches.
Au
lendemain de sa mort, YÉcho Honfleurais a raconté
qu'Eugène Boudin connut nuit d'hiver,
Mais
buer
il
cette
mourant de
là des jours
froid,
il
sans pain,
qu'une
et
brûla ses meubles.
reprend courage. Peut-être
est-il
permis
d'attri-
recrudescence d'énergie à la rencontre qui se
moment entre lui et Jongkind, dont l'exemple fait pour le réconforter et lui donner un nouvel
produisit à ce était
bien
élan.
VIII
Boudin rencontre, en
effet, le
ville et des relations amicales se
peintre
Jongkind
forment entre eux.
à Trou-
—
4
Jongkind a joué un grand de Boudin,
et, à cet
—
i
rôle
dans
égard, les lettres
la carrière artistique
du peintre hollandais
constituent des documents intéressants. 1856 Jongkind passait pour fou et
Nous avons vu qu'en était faire
tellement malheureux que
une souscription en
Jongkind
On le vit
était
de 1852,
il
les artistes.
aux environs de Rotterdam.
eut
d'Eugène Isabey.
une troisième médaille
récompense qu'on lui décerna jamais.
fut la seule très
18 19
parmi
à Paris en 1849, dans l'atelier
A l'exposition un
sa faveur
né en
peintre Cals avait dû
le
humble
logis rue de Chevreuse,
Il
;
ce
habitait
au coin du boule-
vard Montparnasse. «Il vivait là, raconte M. deFourcaud, entouré d'oiseaux qui venaient percher jusque sur son chevalet.
Dès
«
ses premiers mots, le désarroi
de ses idées se
manifestait sur tout autre sujet que la peinture. l'objet
de persécutions constantes de
placés....
la part
Mais, dès qu'il parlait de son
Il
se croyait
d'ennemis haut
art,
sa lucidité se
retrouvait intacte. »
Claude Monet a
dit
de lui
:
«
On
a toujours à
gagner à
regarder les paysages de Jongkind parce qu'il peint sincè-
rement
En «
comme 1872,
Un
il
voit et
comme
Emile Zola a
écrit
il
sent.
de lui
»
:
peintre de cette conscience et de cette originalité
— est
un
non pas un maître aux
maître,
colossales,
—
42
allures superbes et
mais un maître intime, qui pénètre avec une
rare souplesse dans la vie multiple des choses. »
« C'est de Jongkind, dit encore sortie très
est le chef éclatant. »
M. Roger Marx dans
Voici enfin ce qu'a écrit
de Y Image de Juin 1897 « Je l'aime ce ;
qu'est
sensiblement l'école du paysagiste impressionniste
dont M. Claude Monet
ongles
M. de Fourcaud,
je lui
Jongkind
;
est artiste
il
trouve une vraie ;
jusqu'au bout des
et rare sensibilité
sa pensée
C'est Castagnary
Y Artiste où
;
chez lui
marche entraînant
qui tient ce langage
exalte le refusé glorieux de 1863.
il
numéro
:
tout gît dans l'impression
main.... »
le
la
dans
Dix années
plus tard, le justicier pourra encore opposer sa sympathie lucide à l'aveuglement partial des jurys
nouveau parmi adressées à son
les proscrits.
Le
Jongkind
est de
faut lire, dans les lettres
ami Detrimont, comment
révolte sous l'affront et
s'épanche.
Il
:
comment
le
bon peintre
sa tristesse
voici bientôt vieux. Depuis 1846,
se
doucement il
expose
et
peint sans relâche, s'efforçant de conduire le paysage vers l'analyse et la notation des
phénomènes lumineux
aspects grandioses
ou intimes de
du
il
soir
au matin,
;
les
la nature l'émerveillent et
la reproduit sans littérature
mais non
— sans émotion avec la
Seul
~
naïveté chaleureuse de
simple, tendre et sauvage. tant.
43
On
ne
le
son
âme
comprend guère pour-
devine en lui l'initiateur de l'impression-
l'élite
nisme. Philippe Burty
le
loue sans réserve. Dans
le
journal
des Goncourt, le peintre n'est pas traité avec une moindre estime. Tout d'abord le 4 fournit prétexte à à
un
mai
portrait caractéristique de
une curieuse appréciation de <
J'ai été
un
1871, lors d'une visite qui
ses travaux
des premiers à goûter
et
du moment.
l'artiste, dit
Edmond
bonhomme. Figurezaux yeux bleus, du bleu de
de Goncourt, mais je ne connais pas
vous un grand diable de blond,
l'homme
le
la faïence
de Delft, à la bouche aux coins tombants, pei-
gnant en
gilet de tricot et coiffé d'un
hollandais.
Il a,
sur son chevalet,
chapeau de marin
un tableau de
la banlieue
de Paris avec une berge glaiseuse d'un tripotis délicieux.
nous
fait
voir des esquisses des rues de Paris,
Il
du quartier
Mouffetard, des abords de Saint-Médard où l'enchantement des couleurs grises
et
avoir été surpris par
aqueux. »
barboteuses du plâtre de Paris semble
un magicien dans un rayonnement
— Mais où Edmond de Goncourt
compréhension
la plus pénétrante et la
lorsqu'il énonce, à propos
destiné à servir
venir
:
—
«
Une
témoigne de
mieux
du salon de
la
avertie, c'est
1882,
cet
axiome
d'épigraphe à toutes les biographies à
chose
me
frappe, c'est l'influence de
Jong-
— kind. Tout
le
—
44
paysage qui a une valeur à l'heure
descend de ce peintre, lui emprunte ses
ciels, ses
aux yeux
phères, ses terrains. Cela saute
qu'il est,
atmos-
et n'est dit
par
personne. » «
Cette suprématie, chacun
proclamer à carrière de
l'envi.
Quand
Jongkind,
la
l'allait
mort eut mis un terme à
yeux
les
bientôt reconnaître et
les plus hostiles
la
soudain se
dessillèrent; l'indépendance des allures, la hardiesse et la
nouveauté du métier cessèrent
d'être
imputées à
grief.
Les critiques après décès relatèrent plus ou moins exacte-
ment toire,
«
cette existence assez
simple pour n'avoir pas d'his-
non point heureuse cependant...
Mieux que toutes
les
récriminations tardives, l'œuvre '
de Jongkind
s'est
chargée de le venger des iniquités subies.
Voici les lettres de Jongkind
»
:
77 Septembre 1862.
Mon bon ami
Boudin,
Je reçois à l'instant votre petit
mot comme quoi vous pensez
à
moi
d'amitié et que vous avez voulu vous intéresser à nous pour le cas où
nous irions nous
installer à Trouville.
Je vous dirai que et,
nous avons été retenus au Hàvre jusqu'à présent,
pendant ce temps-là je
à Sainte-Adresse.
me
suis
occupé toujours à
faire des études
— Vous comprenez bien
45
qu'il faut
— aimer la nature pour
regarder
la
toujours avec plaisir, curieuse et intéressante, pour la rendre,
en tableaux.
faible,
La peinture
est bien difficile, et
vouloir pas trop embrasser en si
je
même
même
vous disais de courir deux
comme vous
observez bien de ne
temps. C'est absolument
lièvres.
Mais, décidément l'intention
sérieuse c'est de venir vous voir un de ces jours ainsi dire
abandonné
comme
;
nous avons pour
l'intention de venir à Trouville
pour quelque
temps. D'abord, le temps de notre vacance est presque je souffre toujours et
que
chambre au Hâvre
la
fini, et
et ce
puis,
comme
qui m'entoure
sont sains, bons et tranquilles, c'est pour cette raison que je voudrais finir
pour
cette saison notre
époque au Hâvre.
Ainsi donc, un de ces jours je serai heureux de vous revoir.
En
attendant, recevez
mes
salutations sincères.
A vous d'amitié. JONGKIND. Le Hâvre, 17 septembre, 1862 12,
Taris,
Place Louis-Philippe
3 décembre 1862.
Mon bon ami Votre
lettre du...
novembre
Boudin,
1862 m'a fait plaisir d'apprendre votre
bonne
46
-
santé, d'avoir l'idée de venir à Paris et d'avoir
bon souvenir.
Quand
pensé à moi de
Je m'empresse donc aussi de vous faire réponse.
je verrai
M.
Isabey, je lui présenterai vos compliments.
Je crois qu'il est toujours souffrant, mais qu'il travaille cependant toujours.
Jusqu'à présent, je ne sais pas
moi-même
à quelle date l'ouverture
de l'exposition prochaine de Paris.
En
ce
que des plaintes.
qui regarde les affaires, je n'entends
Cependant, on espère que
les affaires reprendront. J'ai placé quel-
ques tableaux dont l'argent n'est pas encore rentré. Enfin, je serai content de vous voir
quand vous viendrez à
Paris.
C'est toujours bon, dans cette ville universelle, de prendre des
renseignements
et
de se
fortifier.
reux dans ce beau pays, où si
Pour
cela, je
vous trouve
où
fort
heu-
l'on
peut vivre
Je vous remercie de vos compliments sur l'ouvrage de
mes eaux-
il
y
a tant à peindre et
tranquillement.
fortes. Je regrette
tableau.
Il
n'a pas
que M. Le Bas
pas encore placé
n'ait
dû montrer ce tableau à
tout le
mon
petit
monde, au premier
venu. Je suppose qu'il n'en est pas volé et qu'il en trouvera
une place
honorable. Je connais tous les artistes hollandais dont
M. Casinelli vous a
parlé.
Maintenant, je vous dirai que je regarde votre lettre article
de grande poésie
et
de rêverie
;
comme un
que vous n'avez pas encore
trouvé le secret de bien des choses en vous promenant avec un mor-
— ceau de pain voit et d'en Il
me
séjour au
sec. Je
Havre
le positif
de ce que l'on
la vérité philosophique.
vous dire que et
—
vous engage d'embrasser
comprendre
reste à
47
conservé un bon souvenir de notre
j'ai
de votre accueil d'ami à Trouville
Je désire que vous receviez celle-ci en
et à
bonne santé
et
Honfleur.
que vous
trouviez la paix en faisant de la peinture avec amour. Je serai
heureux d'avoir toujours de vos nouvelles.
En attendant
le plaisir
de vous
voir, votre ami,
JONGKIND. 9,
rue de Chevreuse
au coin du Boulevard Montparnasse.
Depuis
1857,
Jongkind vendait
ses tableaux à
un
petit
marchand de la rue Mogador, qu'on appelait le père Martin. C'était un ancien ouvrier sans instruction, sans fortune, mais plein de finesse Il
avait
et
de goût.
un des premiers deviné en Jongkind un grand
artiste.
Jongkind let 1857
lui écrivait de
Rotterdam à
du
21 juil-
:
Mon bon Je vous envoie aujourd'hui
C'est en
la date
même temps
Martin,
un tableau représentant une marine.
un souvenir du vieux port à Rotterdam. La
construction de cette maison ou huit mois. Enfin,
mon
que vous aurez reçu
aussitôt
eu aussi une
heureusement, aujourd'hui
que je vous
ai
comme je l'ai
fait,
envoyés,
il
il
six à
un tableau
et je
trouviez bien
le
le tableau,
mon
de
lettre
monument est démolie depuis
possible pour en faire
heureux que vous
serais bien
J'ai
j'ai fait
-
48
de m'écrire la réception.
noble ami.
est bien portant.
ne
les a
mon
a été malade, mais
Il
Les derniers tableaux
pas vus,
mais
il
m'encourage,
à vous envoyer des tableaux.
Voyez donc, mon bon Martin, que vous aide,
aussi je vous prie,
;
espérance, et que je
me
êtes
mon
mon
trésor,
trouve satisfait et doublement
de recevoir de vos nouvelles et de voir que vous êtes content
satisfait
de ce que je vous envoie. S'il plait
A bientôt Et,
!
à Dieu, je
En
vous reverrai,
mon bon
attendant,
comme nous avons
réglé
et
mes amis,
et la belle
France.
Martin, envoyez-moi de l'argent.
nos comptes à raison de 175 francs
chaque tableau, je vous prie de m'envoyer 200 francs maintenant.
Pour
le
surplus de 25 francs que je vous dois, nous arrangerons cela
quand je
serai près
de vous.
Mes compliments Qu'on tienne
la
tout près pour boire
Faites connaître Je
me
à
Madame.
grille
chaude pour une
du vieux Médoc de Bercy
mes sentiments
rappelle aussi,
comme
côtelette et la bouteille !
d'amitié à tous les amis.
toujours, à votre
bon souvenir
et je
suis tout à vous.
Votre ami.
JONGKIND. Kruyskade myh N° 15;
235.
IX Le père Martin l'atteste la lettre
19
curieuse,
comme
:
cher Boudin,
Je voulais aller chez et je suis
une physionomie
suivante qu'il écrivait à Eugène Boudin, le
décembre 1887
Mon
était
vous ce matin, mais
la
neige m'a pris en route
comme un barbet. motivait ma visite, en dehors du
revenu mouillé
Voilà ce qui
plaisir
de vous
serrer la main. Il
y
a quelques jours, le matin,
en
de police est venu avec son aide, M.
mon
absence, le commissaire
(
qui a désigné la toile
)
de Corot que vous aviez regardée et que vous avez dû copier chez
le
maître. Je ne sais qui a motivé cette action. Je crois que les brochets
veulent manger maître, et va Je suis
me
en
le
fretin.
Lépine a vu cette
toile
chez Corot, son
remettre une attestation.
train d'établir
mon
honorabilité. Après quarante ans
d'un commerce honnête, être obligé d'établir que l'on n'est pas un filou, c'est raide, J'ai écrit à
comme
M. Doria
disait ce
pauvre Malinet.
et à tous les clients
importance. M. Anatole de
la
dont
le
nom
a quelque
Forge vient de m'envoyer une
lettre
que beaucoup de ces gredins seraient
fiers
d'avoir. Ainsi, cher ami,
vous voyez ce que vous avez à
dans
mon
faire
intérêt
comme
dans
—
5o
celui de la vérité. Je serais bien aise,
pas de
lui
prouver que
je
— en allant trouver M. Atthalin, non
ne peux pas
me
tromper, mais que je suis
incapable de vendre une toile que je ne croirais pas du maître.
Mon
cher Boudin, M. Corot a peint pendant plus de cinquante-
cinq ans
;
il
a fait sans doute plus de quatre à cinq mille peintures, ce
qui ne veut pas dire que tout cela soit des chefs-d'œuvre, puisqu'il a été longtemps qu'il n'était pas accepté pour le prix des cadres. Si tout
cela avait été
des merveilles,
cela rendrait
la génération
encore
plus bête qu'elle n'est, et cela n'est déjà pas mal. Je vous serre la
main
d'amitié.
MARTIN.
X
Le
14 janvier 1863,
avec Marie-Anne
somme
Eugène Boudin
Guédès,
de 2.000 francs.
au Havre,
qui lui apporte en dot une
Quelques mois plus tard
douleur de perdre son père. la lettre suivante
se marie,
A ce
sujet,
Jongkind
il
a la
lui a écrit
:
Taris, 6 juin i863.
Mon bon J'ai
ami Boudin,
bien souvent pensé à
mon
voyage de l'année passée
et à tant
de preuves de bonne amitié lorsque Honfleur
votre connaissance à
fait
j'ai
et à Trouville.
Enfin, je
vous prie de vouloir bien accepter l'assurance que
je suis
sensible à la lettre que vous m'avez envoyée le 3 juin 1863 et je vous prie,
en
même
temps, d'accepter l'assurance que je prends part à
perte douloureuse de votre bien.
Ce brave homme m'a
bon
me
père, que je
la
rappelle encore très
reçu de bonne amitié et m'a raconté ses
souvenirs de Hollande.
Mon aide,
bon ami Boudin,
pour
la
faut prier Dieu, la grande consolation et
Vous
paix de l'âme de votre bon père.
que moi ce que
Ayez
il
savez aussi bien
nous apprend.
la religion
aussi la bonté de dire
mes
respects à votre
bonne mère
et
3.
tous vos parents. Je n'ai pas beaucoup à ajouter à celle-ci. je
Il
serait bien possible
vienne cette année au Hâvre. Je serai heureux
Mes tableaux
Je travaille toujours.
d'aller
vous
que
voir.
sont parmi les refusés et
j'ai
du
succès. J'ai
vu votre tableau
Pour pour
me
il
;
est assez bien placé et est très
le reste, je souffre toujours et
rétablir. J'espère le
il
faut
du temps
bon. et
du repos
mieux.
Je finis pour aujourd'hui de vous écrire.
Veuillez recevoir
mes
salutations et
mes
souhaits pour vous et
pour Madame Marianne. Je
me recommande
à votre
bon souvenir
votre
et à
bonne
amitié.
Tout à vous,
JONGKIND. 9,
rue de Chevreuse.
— Au
mois d'août de
52
cette
—
même année
1863,
Jongkind
revient à Honfleur et voici, à ce sujet, les lettres qu'il écrit
ami Eugène Boudin qui
à son
était à ce
moment
à Trou-
ville.
i3 août 186 3.
Paris,
Mon
bon ami Boudin,
Jusqu'à présent, causes
attendu pour vous écrire.
Il
y
a plusieurs
entre autres, un déménagement.
;
J'ai pris
venu me
un troisième étage dans
même
la
maison, où vous étiez
voir.
Suivant votre «
j'ai
lettre, j'ai
Le Port de Honfleur
•
—
il
fait retirer
est chez
votre tableau du Salon
moi
et
—
à votre disposition.
Mais, la principale raison pour laquelle je vous écris aujourd'hui,, c'est
Madame
que
Normandie,
deux mois
Ma
et,
Fesser et moi nous voulons faire
le
voyage de
après réflexion, nous installer pour six semaines ou
à Honfleur.
position financière n'est pas brillante. Mais, pour être tran-
quille et faire quelques je serais
études et pour voir
la
mer
et la belle nature,
heureux de trouver à Honfleur une ou deux chambres
convenables
et
pas cher. Enfin, vous connaissez cet endroit et je vous
prie de vouloir bien, par retour de poste, m'envoyer,
si
vous pouvez,
quelque adresse de bourgeois où nous serons bien.
Vous savez probablement par expérience quand on descend tel
ou
à l'auberge,
que tout revient trop
Fesser et moi nous ferons notre cuisine.
cher,
tandis que
à l'hô-
madame
— Mon bon désirs, je
compte
Dans tous
En et
Boudin,
peux arranger mes
je
si
—
53
alors sur le plaisir de
ayez
les cas,
la
affaires d'après
mes
vous revoir bientôt.
bonté de m'écrire aussitôt que possible.
attendant, je vous envoie le souhait le plus heureux pour vous
pour Madame Marianne. Votre ami.
JONGKIND. 9,
Samedi,
Mon bon ami
S
je
peu près un mois, avec remercie aussi pour
voir
sommes
à Honfleur et
remets chaque jour de vous donner de mes nouvelles.
D'abord, je vous dirai que
J'ai
septembre i863.
Boudin,
Voilà déjà une dizaine de jours que nous
que
rue de Chevreuse.
la
j'ai
les adresses
reçu votre
bonne
lettre,
M. Hamelin, mais
il
il
y
a été fort
honnête pour nous.
la
mienne.
J'ai
voulu
était toujours sorti.
Enfin, le principal c'est que
Madame
Fesser et moi nous
sommes
de retour en Normandie et installés à Honfleur, rue du Puits, N°
Nous sommes bien
a à
de vos amis à Honfleur. Je vous
réponse que vous aviez envoyée sur
vu M. Dubourg;
il
logés.
31.
Votre ancienne maison de l'année passée
était occupée.
Avec
tout cela
j'ai
pensé
et parlé d'aller
vous voir, mais avant tout
—
54
—
prendre bien ses mesures. Je veux dire,
Havre un matin, par
le
bateau et loger
la
mon
intention est d'aller au
nuit dans notre
chambre de
l'année passée, et le lendemain matin partir pour Trou ville, de façon à pouvoir revenir le soir, en se promenant, à Honneur.
Cette année, c'est encore la faute d'argent je
mes
me
même
passée
histoire que l'année
trouve obligé, sur
la
moindre dépense, de
;
faire
calculs et réflexions.
En
attendant,
j'ai
dessiné quelques bateaux et quelques croquis
sur Honfleur. Je tâcherai de mettre
mon
talent
en pratique
reux de pouvoir placer mes tableaux
Dans
ici
et je serais fort
pendant
mon
heu-
séjour.
tous les cas, je ne tarderai pas à aller vous voir et
Madame
Marianne. Je
vous prie de prendre l'assurance que
vous voir
et
Recevez
je serai bien
de causer de beaux-arts, etc., etc., ainsi les souhaits les plus
heureux de
etc.
heureux de votre ami.
JONGKIND. 31,
rue
du Puits à Honfleur.
I er octobre
Mon J'ai
i863.
cher Boudin,
reçu votre lettre du 23 septembre et je vous écris pour vous
donner quelques réponses.
— Le temps
—
55
est tellement contraire
que nous avions eu
vous voir d'aujourd'hui à demain,
d'aller
et
le projet
puis chaque fois nous
étions retenus par la pluie. Enfin, la décision de
Madame
Fesser et de moi est de quitter
Honfleur dans huit jours, pour être de retour à Paris Mais, avant de partir,
faut espérer
il
que
le
le 8
temps
Octobre. se remettra
encore pour quelques jours et que nous viendrons vous voir avant d' Honfleur.
notre départ
Je vous dirai que les pluies et les vents m'ont
beaucoup dérangé
de pouvoir peindre et travailler d'après nature. Ensuite, pour profiter
avec succès de mes études d'après nature,
deux mois de
il
m'aurait fallu au moins
plus.
J'espère pouvoir m'arranger pour l'année prochaine et être plus
heureux
En
;
je
veux
dire de venir plus tôt et de rester plus longtemps.
attendant, je vous remercie pour toutes les preuves de
bonne
amitié jusqu'à l'avantage de vous revoir. Je vous prie de recevoir
mes
mes souhaits
salutations sincères pour
les plus
heureux
ainsi
que
Madame Marianne. Votre ami,
JONGKIND. Honfleur,
I er
octobre i863. 31,
rue du Puits.
encore à Trou ville.
En
1864,
Au
mois d'août Jongkind revient à Honfleur. Claude
Monet
est à
Boudin
est
Honfleur également.
Il
habite chez la mère
-
56
-
Toutain, à la ferme Saint-Siméon. Tous deux correspondent avec Boudin.
Le
6
août 1864, Jongkind lui écrit
:
Paris, 6 août 1864.
Mon bon Votre
lettre
du
Boudin,
25 juillet m'est bien arrivée et
d'avoir de vos nouvelles et de voir que
il
m'a
fait plaisir
vous pensez à moi de bonne
amitié.
donc pour vous remercier de tous vos bons souvenirs
Je vous écris et je
vous
titude
où
dirai
pourquoi
je suis
j'ai
du côté où
tardé à vous écrire
je dois diriger
mes
:
à cause de l'incer-
pas.
Aussi, c'est par expérience que j'ose vous dire que je désire de
préférence retourner au Havre ou à Honneur. D'ailleurs, je connais déjà cet endroit et alors je reverrai avec plus de raison et plus sincère la
nature que j'aime à peindre. Si j'étais rentier, je trouve
y vivre
;
j'aime
beaucoup
Honneur un pays admirable,
le cidre et le
Voilà donc une raison bien établie à
aller
voir sa mère,
Belgique voir Bruxelles où revoir
mon
moi-même
et
j'ai
aussi pour
bon pain de Normandie. ;
mais
Madame
Fesser pense
j'avais l'intention
d'aller
quelques amis, passer par Anvers,
en et
pays natal.
Seulement, ce voyage est très coûteux rester, assez fatigant; aussi
et, si
ce n'est pas pour
pour exécuter ce dessein, je crois
qu'il
— faut attendre
57
un meilleur moment
-
et
que
trouve là-bas, en
je
temps, quelques travaux. Bien entendu que c'est
ma
même
seule ressource
d'existence. Je ne
toutes
peux vous donner aujourd'hui aucun
mes pensées, mais
je serai
je
vous
écris tout de
au Havre ou à Honneur, je vous
Suivant votre
lettre, je
mais j'espère que
campagne feront
même
et aussitôt
que
le ferai savoir.
vois avec regret que Marianne est malade,
bon
leur effet
air
de Trouville
prompt
et
de la
la tranquillité
et
heureux pour qu'elle
soit bien-
avec l'espoir de nous revoir.
tôt rétablie,
Madame pour moi.
le
résultat définitif de
Fesser est bien portante et a toujours beaucoup de bontés Il
faut savoir que j'étais engagé et invité d'aller faire
quelques tableaux, mais
elle
ne pourrait pas m'accompagner
me
cette raison je suis resté à Paris parce qu'il
coup de ménagements,
Mon bon
et
pour
faut toujours beau-
etc.
Boudin, recevez l'assurance que
je serai bien content
de
vous revoir avec Marianne.
Nous nous promènerons ensemble, et
nous boirons ensemble de bon cidre Si je
ne viens pas,
je
vous
et
nous mangerons ensemble,
et de
bons morceaux.
écrirai plus tard et je
vous prie de
me
donner de vos nouvelles. Recevez mes meilleurs souhaits de toute amitié.
JONGKIND. 9,
rue de Chevreuse.
Cependant, Jongkind se décide à quitter Paris
et
à
-
-
5:8
qu'en témoigne cette
revenir à Honfleur, ainsi
au
lettre
sculpteur Prouha. Depuis huit jours que pays que
j'ai
revu
petit port de
j'ai
comme
mer où
il
quitté Paris et
toujours avec un
Je vous dis cela
J'ai pris
comme
déjà quelques bains de
plaisir. C'est
marchands
un
mer
de pêche du pays
et
pour mes études.
beaucoup de cidre
et je bois
Fesser est toujours avec moi
heureuse de se trouver dans ce
comme moi,
nouveau
très intéressant
comme un vieux normand. Mon bon Prouha, Madame invite,
voilà à Honfleur, le
y a toujours dix ou vingt navires de toutes
nations, sans compter des bateaux
même.
me
joli
mer
port de
;
enfin,
et est
elle
vous
de venir nous voir. Pour nous, nous avons trouvé
une grande chambre où nous faisons notre café au déjeuner dinatoire à midi ou une heure, suivant
et
lait
mes travaux
notre et
mes
bains de mer.
En attendant
si
vous venez, nous avons logé à
de France, rue Haute près
engageons de prendre
vapeur
le
Furet pour
bien entendu un pour s'arrête à Honfleur.
chemin de
le le
le port et fort bien, à
Havre.
l'aller et
Dans
Il
y
a tous les
:
Aux Armes
Honfleur. Nous vous
Rouen
fer pour
un pour
l'hôtel
bateau à
et là le
deux jours un départ,
le retour, et,
en passant,
il
tous les cas, je serai heureux d'avoir de vos
nouvelles.
Recevez aussi mes meilleurs souhaits aussi de votre frère pour F
Madame
Fesser et
et belle- sœur.
JONGKIND. 45,
rue du Dauphin, chez M. Boucher, à Honfleur, (Calvados).
— De 13
—
59
son côté, Claude Monet écrivait de Honfleur,
septembre 1864, à Eugène Boudin
Mon J'ai
le
:
cher Boudin,
bien reçu votre aimable
lettre,
mais à
mon grand
regret,
il
m'a
été tout à fait impossible de venir à Villerville. J'avais ici des per-
sonnes à promener.
Quant
à Jongkind,
Madame les a
il
me
charge de vous faire ses amitiés.
Fesser était assez fatiguée
et le
temps
complètement empêchés de venir vous
pourrons
faire cette petite partie
qu'il faisait
voir. J'espère
encore une fois avant
samedi
que nous
mon
départ
de Saint-Siméon. J'ai fait
votre commission auprès de
Madame
Toutain. Elle doit
venir elle-même très prochainement à Trouville et vous conduira sa fille.
En attendant
le plaisir
de vous voir, je vous serre
la
main de
tout
cœur, ainsi qu'à votre bien aimable femme.
Bien à vous.
CLAUDE MONET.
Puis n'avoir et lui
c'est
pu
se
Ribot qui,
le
octobre 1864, regrette de
3
rendre à Trouville auprès d'Eugène Boudin
demande de venir
à Paris
:
—
6o
—
Colombes (Seine),
Mon
3
octobre 1864.
cher Boudin,
La plus grande celle
le
satisfaction que
vous ayez pu nous procurer
est
du rétablissement de votre dame.
Toute
ma
famille s'inquiétait de sa santé et tous ici
avons été
heureux d'apprendre que son indisposition n'avait point de Je n'ai point été en
voyage
de n'avoir point profité de
cette
l'offre
année
et je suis
que vous m'avez
très
suite.
un peu contrarié
faite d'aller passer
quelques jours à Trouville. Si j'en juge par le
mentée
et ses aspects
Que ne
vent
qu'il fait ici, la
mer
doit être bien tour-
doivent être bien étonnants.
suis-je près de
vous?
Rozier a dû vous écrire.
Viendrez- vous cette année à Paris?
On
dit
que Troyon sort de sa maison de santé
de guérison. Je ne sais Dites bien à
principalement celles de
en bonne voie
je dois
y croire. Madame Boudin de recevoir si
et est
ma femme
toutes nos amitiés et
qui serait bien heureuse de pou-
voir l'embrasser.
Au revoir, mon
cher Boudin, je suis bien à vous d'amitié. T.
Claude Monet
Mon
écrit à
son tour à Boudin
RIBOT.
:
cher Boudin,
Je suis encore à Honneur. J'ai décidément
beaucoup de peine a
— quitter.
Du
me
mis en rage
suis
reste c'est
beau à présent
si
afin
mieux. Ce bon Jongkind
travail.
franchement
j'irai
est parti
venu vous voir
Mais au premier
qu'il faut profiter.
Aussi, je
de faire d'énormes progrès avant de rentrer à
Paris. Je suis tout seul à présent, et
Je serais déjà
—
6i
jour, le
il
si
je n'en travaille
y a environ
ce n'est
temps
me
que
trois semaines.
ma
nouvelle ardeur de
forcera bien de
cesser, et
passer une journée avec vous avant de partir pour Paris.
Je suis allé passer quelques jours au Havre. J'avais à faire
panneaux chez M. Gaudibert, Gautier aussi, et
M. Gaudibert m'a chargé de vous
Havre, de passer chez
ou deux panneaux,
En
lui
hâte,
mon
lui. Il serait
en a
fait
deux
quatre ou cinq
bien aise que vous
vous
irez
au
lui fassiez
un
prier, lorsque
je crois.
cher ami, je vous serre la main de tout cœur.
CLAUDE MONET. Mes
amitiés à votre femme,
s.
à présent qu'il n'y a plus de petites
De son côté Courbet Choiseul
et
il
Mon Sur
le désir
avait écrit
était
v. p.
Comment
dames sur
venu
la
diable faites -vous,
plage?
à Deauville
au chalet
:
cher Boudin,
de M. de Choiseul, je vous invite à dîner ainsi que
votre dame, pour demain mercredi à 6 heures du soir.
J'ai
déjà invité
62
M. Monet
et sa
dame
qui m'ont promis, hier soir, au Casino. Je ne
doute pas que vous nous fassiez
le plaisir
Tout
d'accepter.
à vous.
G.
COURBET. Châlet Choiseul.
Prenez Monet en venant
et
venez tous quatre, surtout. Je vous
attends sans manquer.
Nous avons
laissé
Claude Monet
à
la
ferme Saint-
Siméon. Cette ferme était
comme
le
Barbizon de la côte nor-
mande.
Avec Alexandre Dumas, Alphonse Karr,
«
Charles
M. Jehan Soudan de Pierrefitte dans le Normand du 8 juillet 1900, une avant-garde de porteurs
Deslys, raconte Petit
de palettes partit à la découverte des pâturages ses de la
tra et
avec
tout le
«
du
elle,
monde
Jules Dupré, Camille Fiers. à
Saint-Siméon chez
falai-
la
la Il
rencon-
ramena
mère Toutain
cidre et peindre.
Duez, Butin, Dantan, tout un bataillon de glorieux,
passèrent par cette école de plein serre
des
Normandie.
Sur la route de Villerville, Eugène Boudin
«
boire
et
air,
chaude de l'École des Beaux-Arts.
où
ils
oublièrent la
o a h .g H -g W i
«
-
63
Blottie sous la Côte de Grâce, au
la ferme,
aux
de
toits
chaume
nelle d'où est sortie tout
impressionnistes.
Un
caricaturiste de la
Lune
large
fut
penchant de la
une académie peu solen-
simplement
En
normande, sous vers le Hâvre,
la
moderne
école des
des derniers venus, André Gill, et
de Y Éclipse y avait peint sur
panneau une enseigne curieuse
de l'hostellerie.
falaise,
;
le
un
armes parlantes
les
plein air dans l'herbe grasse de la cour
les
pommiers, en
un fourneau
de mer,
face l'horizon
flambe, attendant le
cordon bleu, honfleuraise accorte,
coëffe
du
crû,
«
rôti.
Le
cotillon
court et soulier plat » brandit la casserole de cuivre rouge,
énorme. Et d'eux-mêmes, une poisson en
écailles,
un
oie
emplumée, un rouge
lapin à poil roux,
y sautent joyeu-
sement, volontaires de la cuisine d'une si aimable personne.
A
ses pieds
sur
un
un canard
plat de
tyr, sent
attend, le bec en avant, tandis
vieux Rouen, Saint-Siméon, vierge
et
que
mar-
trognonner son pif d'ivrogne, à la vue d'un flacon
de vin, au capuchon respectable. Cette amusante peinture qui servit d'enseigne au Salon
de Trouville
dans
la
et
au Salon
collection
si
Normand de
Normand du
1894
au Casino
Vieux Honfleur
est
curieuse de l'amateur honfleurais,
M. D. Louveau. «
un
La ferme Saint-Siméon était admirablement point stratégique de
l'art
normand, dans
située,
en
la pleine
nature agreste
et
64
-
marine de la baie de Seine, aux portes d'une
historique où la race honfleuraise continue son
vieille cité
rêve d'aventures,
non plus enimpossibles courses d'écumeurs
de mer, mais en fantaisies de peintres.
Dans une Boudin
a
écrite à
lettre
lui-même raconté
Saint-Siméon
M. Soudan de ses
souvenirs
Pierrefitte,
de
ferme
la
:
Deauville,
Mon Je trouve, à
»
octobre,
i8g6.
cher maître ès plume,
mon retour
numéro de votre admirable Grâce à vous,
25
j'ai
revu
d'une grande excursion à Dieppe, certain journal, le 'Petit
et
reparcouru
ma
Normand. petite ville natale,
où
j'ai
passé naguère des années peu fortunées, c'est vrai, mais de ces années de jeunesse où l'espérance tenait lieu de sac.
On
avait,
alors, la vision d'un avenir meilleur;
même, depuis mes premières études mère Toutain, où
j'ai
été
le
à Saint-Siméon, chez cette
enragée, en attendant le succès, venu
vous
Saint-Siméon
le dites
!
Il
j'ai
à
mangé beaucoup de vache
si tard.
y aurait une
— à écrire sur
bonne
premier pensionnaire!... pension
40 francs par mois, nourri et couché,
Oh
mais tout de
belle « légende »
cette hostellerie. Ecrivez-là
—
comme donc, mon
cher maître.
Que de gens y
ont passé, et des célèbres, à
ma
suite.
Un
ou deux
-
-
65
sont encore existants, Français que j'y conduisis de Gustave Mathieu,
mon
vieil
ami
un jour en compagnie
le poète... et
qui y
assez long séjour avec son copain le père Achard... maîtres, Harpignies.
misère, mais
Vous connaissez
il
s'en consolait
au cidre doux,
le flip
Français tient bon encore...
et
il
ou
faire
un
je
gamine encore,
m'en doute.
cidre n'était
le
l'on
devant un bol de Jlip chaud.
Mais Courbet
Schaunard, son compagnon, que
mains,
un
Le maître des
Ce bon père Achard, ne sachant pas
Je lui ai fait bien des misères, dans cet âge la
depuis,
que cet élément n'existait pas.
ciel, disait
malgré
fit,
lui,
prétendait avec
bon qu'à
se laver les
s'endormit après un copieux déjeuner arrosé par
le petit
tonneau du père Toutain. menai, un jour encore, Troyon
J'y
sont morts,
cidre...
Ils
l'élève,
lui,
citer
maître
fait là,
mon
glorieux Il
tristement et prématurément...
de fortes parties de quilles avec Diaz, un bon encore,
prestement. M'en
un bras énergique,
a-t-il
gagné des parties
en est passé bien d'autres, moins
dans une petite
Rémy
salle,
et
vous abattait !
Encore un
chambre des enfers, fils
illustres peut-être,
Mathon, qui dans ses
au bout de
Jugement dernier de Michel Ange,
Le
et
!
Gautier Amand, Ménard, tracé,
déjeuner au
élève.
qui savait lancer une boule avec les quilles
Van Marck
avait eu le temps défaire sa récolte... J'allais oublier de
Claude Monet,
J'ai
le
et
c'était horrible.
la
comme
loisirs avait
maison, un morceau du
en écorchés.
On nommait
cela la
•
Toutain, un colosse, y est mort, dans un accès de delirium
tremens, affolé par ces
bonhommes, écorchés
et pantelants...
— Plus tard,
la
mère Toutain
66
fit
—
passer un badigeon sur ces fresques
sanglantes. Je ne parle pas des derniers occupants,
bon
Cals... Je vois encore l'amusante
comme André
Gill, et ce
pochade de Cals, représentant
1{ose dans l'exercice de ses fonctions, la servante de l'hostellerie de
Saint-Siméon, portant au réveil de notre
atelier, tous les
vases noc-
turnes de la tribu des peintres, une pyramide de poteries, appuyée sur
deux mains aux doigts rouges de
les
colonne... gauloise, jusque sous
la
un nez qui
servante, et
montant en
se détournait, offensé...
Mais, tous ces souvenirs joyeux sont effacés... Néanmoins, j'y ai vu,
il
était
y a quelque quarante ans, de glorieuses kermesses, alors qu'on
encore dans
peuple des marins, et qu'on dansait, après son
— quand
pot de cidre vidé ...Je
le
il
coûtait six sous le pot
!...
vois avec plaisir que votre enthousiasme tenace parvient à
réchauffer les indifférences locales, et que vous avez
fini
par grouper
quelques moins timides, aveG l'ami Louveau, dans l'œuvre de réunir ce qu'on peut sauver encore des « souvenirs » de notre vieille ville de
Honfleur. Bravo
Vous avez petit «
On
!
Bravo
raison.
Il
!
est très possible
Musée des peintres Honfleurais
».
devrait, avant tout, rechercher quelques peintures
que vous ne paraissez pas estimer,
ni mettre
C'est pourtant le premier de nous tous. veilles de peinture, des
Il
toiles
d'Hamelin en seront
serait possible à
Il
au rang
d'Hamelin
qu'il mérite...
a laissé des petites
mer-
portraits surtout... J'en conserve deux. Si
vous obtenez qu'on nous fasse une
deux
de former, dès à présent, un
salle des peintres
Honfleurais, ces
les perles.
quelqu'un d'actif
et
de dévoué,
comme vous
—
67
—
en savez faire surgir, de trouver, à Honfleur, un certain nombre de
Hamelin en a
portraits, car
suis bien
mérite...
son maître
artiste
Un
beaucoup,
—à
l'œil
encore
!
— et je
que peu de gens, à Honfleur, en comprennent
a fait aussi
Il
d'Ingres,
Quel
sûr
fait
d'admirables dessins, comparables à ceux
homme
Et le brave et honnête
!
le
que
c'était.
!
autre brave
homme, un
autre
un autre
peintre,
artiste
:
Dubourg, méconnu, trop peu admiré.
Vous pouvez, cher faire
ami, vous qui tenez une
beaucoup pour notre
pays envasé
— et qui ne voit pas couler
—
Trouville
dont vous,
vieille cité, trop
mais qui si
a,
plume bien
taillée,
abandonnée à son
comme
le pactole
sort de
sa voisine
généreusement, vous vous efforcez de réveiller
beaux souvenirs oubliés
—
pour se consoler, ce passé historique
— et qui peut être fière d'un
certain
les
nombre
de ses enfants, conserverai votre journal,
Je
mon cher
maître, votre journal
si
débordant de nobles pensées artistiques, de beaux rêves pour
mon
me remet en mémoire
cent
coin de pays. Votre Tetit V^ormand,
il
choses oubliées dont vous avez l'amour, avec moi. Il
me
reporte aux années lointaines où j'habitais
mon
pavillon
«
ensorcelé » des trente-six marches, rue de l'Homme-de-Bois.
«
y revenait »
et,
pour
cela, le prix
du
«
loyer
»
en
était
—
permis à
Il
ma
pauvre bourse plate. J'ai
eu
Courbet
et
là,
pour
visiteurs,
Schaunard de
la «
bien des morts illustres... J'y reçus
Vie de Bohème
».
—
J'y
«
régalais
»
Baudelaire de la vue de mes ciels au pastel... Mathieu m'y lut ses
Symphonies. Troyon y passa bien des heures, Français aussi. Isabey
— mon
qui était
voisin,
68
m'y donna
— grand
ses encouragements, et le
Jongkind, un fameux aussi, celui-là, y vint bien des fois se griser
de la vue de
bon
la baie
normand.
cidre
Pauvre
petit pavillon, j'y ai passé des jours
vu dans "
J'ai
de vitesse avec
ceau 6
".
le peintre
une porte
;
mais
— en 4
montre
peu argentés
!
de Saint-Siméon, Karl Daubigny joûter
l'atelier "
Je pris la
minutes
de Seine, de nos intimes causeries et de notre
russe Bogoluboff, pour peindre :
un
Le maître français couvrit sa
le russe arriva
"
mor-
toile
en
bon premier, avec un panneau sur
minutes.
Toutes mes amitiés, E.
BOUDIN.
XI
Ace moment, faisait
Boudin, sur les conseils d'Eugène Isabey,
à Trouville ce qu'il a appelé des scènes de plage.
Isabey lui avait
dit qu'il
y
avait là
une
société élégante
qui ferait bon accueil à des tableaux représentant les réu-
nions de baigneurs au
Courses,
aux Ré-
La Plage de
Trouville,
Casino, aux
gates, etc. Il fit
qu'il
un grand
tableau intitulé
envoya à Paris au Salon de
:
1864.
—
Il
69
—
représenta également l'inauguration
Deauville avec, au premier plan, cette époque, et
madame
madame
du Casino de
trois reines
de Metternich,
de la
madame
mode de
de Galliffet
de Pourtalès. Les Régates de Trouville,
les
Courses à Deauville furent également le sujet de deux importantes
toiles.
Mais personne n'y découragé liser à
fît
attention, et
Boudin
fut tellement
qu'il enleva les toiles de leurs châssis
nouveau les
pour uti-
bois. Il roula ensuite les toiles qui, trente
ans plus tard, furent retrouvées au fond d'une armoire.
—
—
7°
Remontées avec soin par un habile rentoileur du quai des Grands-Augustins, elles ont été remarquées à l'Expo-
d'Eugène Boudin, à l'École
sition qui eut lieu après le décès
des Beaux-Arts.
M. Boudin,
«
dira plus tard
un genre de marines qui
M. Castagnary,
lui appartient
consiste à peindre avec la plage, tout ce
a inventé
en propre
et
qui
beau monde exo-
tique que la haute vie rassemble dans nos villes d'eaux. C'est
vu de
loin,
mais que de
finesse et
de vivacité dans
ces figurines qui, debout ou assises, s'agitent sur le sable!
Comme elles sont bien dans c omme l'ensemble fait tableau flot
monte en grondant,
leur milieu pittoresque et
Le
!
nuages,
ciel roule ses
le
la brise qui souffle taquine les
volants et les jupes. C'est l'océan et on en respire presque le
parfum
salé. »
Déjà, dans son Salon de 1868, «
Et les marines de
M. Castagnary
M. Boudin, vous
avait écrit:
trouverez peut-être
qu'elles ne sont pas assez faites, que le dessin en est
lâché? Oui, si
si
vous mettez
le
nez dessus pour les voir; non,
Comme
vous regardez du point d'optique.
fines et justes de ton,
comme
dans
un peu
elles sont
tous ces petits personnages
ambiant
Ce sont
des effets
vivent
et s'agitent
comme
vous en voyez constamment sur nos côtes norman-
l'air
!
des.
Rien n'est plus vivement
plus pittoresque; et puis
senti, ni
rendu d'une façon
c'est original.
seul qui traite ainsi la marine,
M. Boudin
ou pour employer l'expres-
sion meilleure de Courbet, le paysage de mer.
un
taillé
délogera.
petit
Il s'y est
domaine charmant d'où personne ne
artiste,
M. Castagnary
dans son Salon de 1870
il
revient encore à
parle de ces plages élégantes
que chaque saison d'été vient couvrir d'oisifs
et
Boudin peint
un humour
les effets
un entrain qui ne
De
pittoresques
avec
dont Eugène et
tarissent pas.
son côté Ernest Chesneau, à l'occasion de l'exposi-
tion universelle de 1867, écrivait «
le
»
Fidèle à notre lui, et
est le
M. Boudin
toilettes
:
s'est fait le très spirituel
chroniqueur des
féminines aux bains de mer.
« Il a, le premier, compris tout ce qu'il
pittoresque dans ces caprices de la
y
mode qui
avait de grâce font
gémir
les
moralistes austères, mais qui réjouissent le peintre et sont
une bonne fortune pour son habile pinceau. Personne n'a vu ni rendu, comme M. Boudin, le fourmillement de couleurs de ces toilettes élégantes, le froissement des étoffes souffle de la
mer. »
au
— Malheureusement,
prouve
:
—
le public,
prenait pas garde à l'œuvre
de Boudin
72
du
qui servait de modèle, ne
peintre. Aussi la situation
était-elle toujours pénible.
Le
12
novembre
1868,
il
Voici
un
fait
qui le
reçut la lettre suivante
M. G. Rosenlecher, consul de Wurtemberg
et
:
de Bade au Hâvre,
étant rentré de sa campagne, présente ses civilités bien empressées
à
Monsieur
prie, lors
E. Boudin, artiste peintre, actuellement à Trouville, et le
de son retour pour Paris, de vouloir bien venir
s'entendre avec faire
pour sa
Madame
salle à
le voir
pour
Rosenlecher, relativement aux peintures à
manger, ainsi que cela a été convenu ensemble. Hâvre,
ce
12 novembre 1868.
-
—
de faire au château de Bourdainville, par
Il s'agissait
Yerville,
73
deux panneaux de
salle à
manger représentant
l'un le printemps, et l'autre l'automne. ses
amis du Hâvre pour
M. Rosenlecher
Boudin
écrit à
un
:
de
prier d'intervenir auprès de
le
:
14 novembre 1868.
Mon
cher ami,
Je reçois de ce cher à passer chez
lui,
comme
Je voudrais bien j'ai
me
plusieurs raisons.
mal culotté
M. Rosenlecher, un mot par lequel
et vêtu.
vous
il
m'engage
le verrez.
dispenser de faire ce voyage, et pour cela,
La première,
c'est
que je suis on ne peut plus
Ensuite, la patronne ne veut pas rester seule
dans son habitation qu'elle trouve mal close. Pourtant, ce n'est pas une Si
de
commande
à dédaigner.
vous connaissiez un peu M. Rosenlecher, voir.
le
Ne pourrions-nous
vous aurais prié
je
pas lui dire que je suis parti pour
Paris quelques jours plus tôt et que je suis aux regrets de n'avoir
présenter
mes
respects à sa
dame
et l'entretenir
un
pu
instant de sa
commande.
On
pourrait ajouter qu'ayant
compte de
la
vu remplacement
lumière qui doit éclairer
plement à Madame
R... à fixer à
les
panneaux,
peu près
et il
me
rendant
resterait sim-
les objets qu'elle désire
voir figurer dans ces tableaux. Je pourrais, au besoin, lui écrire de
Paris
un bout de
lettre afin
Enfin, vous feriez
de nous mettre en
comme pour
vous.
communion
d'idées.
— Si la
—
74
course ne vous chagrine pas, faites-moi
J'attendrai votre avis sur cela, car
du voyage, nous Marianne fait
le ferions,
a pris le
dussent
rhume
et
s'il fallait
mes
de
la faire.
absolument se fendre
fesses prendre
l'air...
nous allons hâter notre départ, car
un froid de chien dans notre habitation
bon sous
le plaisir
et je
ne
fais plus rien
il
de
cette influence triste et glaciale.
Une bonne poignée de
mains, et approuvé d'avance ce que vous
ferez et direz.
A
vous de cœur. E.
BOUDIN.
XII
Nous arrivons à l'année La
1870. C'est l'année
!
situation devient encore plus critique.
Voici une lettre que Claude
du Havre,
à
Eugène Boudin
édifie tristement sur leur sort
Monet
Mon
écrit le 9
nous
:
soir,
g septembre iSyo.
cher ami,
Le bateau part demain samedi pour Morlaix. samedi de
septembre
alors à Trouville, et qui
Vendredi
le
de la guerre
l'autre
semaine.
Il
en partira un autre
— N'ayant pas encore réalisé
le
Tivoli, je suis obligé de rester
nécessaire pour en finir à l'hôtel ici,
et
comme
vous prie de remettre, aussitôt
gens-là, je
lettre ci-jointe à
Je
—
75
vous sera possible,
la
ma femme.
de prendre vos
dis
lui
qu'il
de ces
je crains tout
conseils
s'il
lui
survenait quelque
embarras.
En
ce
moment, ce
n'est pas être indiscret n'est-ce-pas;
de votre côté vous avez quelques commissions Je trouve
mon
père malade de
me
ici,
du
reste si
usez de moi.
savoir dans cette position à
Trouville. Impossible d'avoir d'argent avant quelques jours. Je ne
puis rentrer à l'hôtel sans n'arrive rien à Ici
dénouement
ma femme. Que
on pense presque
d'un autre côté,, pourvu qu'il
et,
de tourments!
à la paix,
on
moins alarmé. La
est
Angleterre est complète. Les transatlantiques font
Londres.
Deux
fuite
le service
cents passagers sont restés ce soir sur
le
en
pour
quai.
C'est triste à voir. Je
vous charge de
la lettre
pour
ma femme,
de notre charmant hôtelier. Aussi, ne
mais
tôt
si
que possible,
mon
craignant la curiosité
remettez qu'à
la
cher ami,
car elle
ma femme,
doit être bien
inquiète.
Pardon
et
merci d'avance.
Tout à vous.
CLAUDE MONET.
Le
9
novembre, Eugène Boudin
était
encore à Trouville
— et
il
écrivait à
76
—
un amateur, M. Léon Gauchez, n,
Musée, à Bruxelles
du
rue
:
Trouville-sur-zMer,
g novembre iSyo.
Cher Monsieur, Je prends la liberté de vous adresser la présente à Bruxelles, bien
persuadé que
vous n'avez pas
été
curieux de rester dans Paris
assiégé.
Les choses ont tellement empiré chez nous depuis
le
jour de
notre première entrevue, que l'on ne peut guère, hélas! prévoir la fin
de cette pénible situation.
Nous allons bien certainement nous d'autres de
mes
voir,
moi comme beaucoup
confrères, dans la nécessité de chercher
quelque part où nous puissions vivre de notre
un refuge
art.
Déjà quelques-uns ont dû passer en Angleterre.
Il
faudra bien se
décider à suivre leur exemple, en attendant l'apaisement de la tour-
mente, car nos ressources s'épuisent. D'un autre côté, l'Angleterre est le
pays de l'inconnu pour moi, et sommes-nous
tains d'y trouver
un
accueil favorable?
notre pays subit une perturbation qui
goût des choses
Il
d'ailleurs cer-
faut pourtant essayer, car
lui ôtera
pour longtemps
le
d'art.
y a au milieu de tout cela un malheur, c'est que nos finances sont fort bornées, ce qui m'engage à avoir recours à votre obligeance. Il
Vous 10
m'aviez souscrit un billet de 800 francs, payable à Paris
du présent mois.
J'ai
confié cet effet à
un de mes amis qui
le
Ta,
naturellement, conservé en portefeuille et
Ce que
je
ma
disposition.
voudrais réclamer de votre obligeance, ce serait de vous
me
prier de vouloir bien
somme,
à
le tient
faire parvenir le tout
ou
partie de cette
à votre convenance. Je vous en aurai la plus grande obli-
gation dans les circonstances présentes, et vous retournerai
en question sous
le
prochain
le billet
pli.
Je suis désolé de vous causer un dérangement. Je n'attends rien
moins de votre
vienne prochainement,
me
bonheur que
sollicitude. Si j'ai le
répondre, je
me
projet de voyage,
et
ma lettre
que vous vouliez bien prendre
la
vous parpeine de
permettrai de vous demander un conseil sur
et,
mon
au besoin, une recommandation pour une per-
sonne au courant des choses
d'art, si,
comme je
n'en doute pas, vous
avez des relations avec Londres.
Malgré
la
perturbation du pays et des esprits,
j'ai
pu
faire
une
certaine série d'études sur les côtes du Finistère, études intéressantes si
l'on avait le loisir
temps de guerre
de s'occuper de choses aussi
futiles
dans un
et d'investissement.
Recevez, cher Monsieur, les salutations très empressées de votre tout dévoué E.
Rue de
Sur ces Il
entrefaites,
Boudin
BOUDIN,
l'Isly, à
Trouville-sur-Mer.
se décide à partir.
s'en va alors à Bruxelles et parcourt le pays
en faisant
des vues de ports, de marchés, de canaux. Mais les ressour-
ces
de
Vollon, qu'il avait
demandait avec lui comment ils
commençaient
lier,
-
l'artiste allaient bientôt s'épuiser.
retrouvé, se ils
78
à parler
allaient vivre et
de vendre leurs ustensiles d'ate-
quand un jour Madame Boudin, en
allant
rencontra un monsieur inconnu d'elle, qui lui
au marché,
demanda si elle
connaissait l'adresse à Bruxelles d'un peintre français
nom de Boudin. — Vous ne pouvez mieux tomber, lui dit-ell e Je suis sa femme et je vai s vous .
Ce personnage inconnu
marchand de tard le
«
en
même
qui découvrit plus
et
de Vollon,
il
leur
demanda
avaient des tableaux à lui montrer.
Comment,
lui dit
gens qui achètent de «
conduire auprès de lui
fameux Rembrandt du Pecq.
Conduit auprès de Boudin s'ils
répon-
M. Stéphen Bourgeois,
était
tableaux, celui-là
du
la
Boudin,
y
il
peinture?
a
donc encore des
»
Oui, répondit M. Stéphen Bourgeois
faire.
;
si
vous voulez
»
C'était le salut pour les
deux
artistes.
XIII
Après
les
événements de
Eugène Boudin
la guerre et
revint à Paris.
de la
Commune,
Ã&#x2030;GLISE DE
DORDRECHT
— Il s'installa
—
8o
rue Saint-Lazare, N° 31.
Son ami Jongkind y revint également, mais dans quelles 10
pénibles
novembre
conditions
Voici ce
!
au peintre Voillemot
1871,
écrivait, le
qu'il :
Cher ami Voillemot, Soyez persuadé que revu bien portant rue
je suis
heureux, par
Laffitte. Je n'ai
le
hasard, de vous avoir
jamais cru revenir en France
après tant de misère avoir survécu, de toute malveillance qu'on
m'avait joué. Je
vous
écris principalement
que
j'ai
bien des fois pensé à vous et
à votre amitié pour moi.
Avec
ces sentiments, je vous prie de recevoir l'expression de
sentiments les plus sincères pour votre bonheur. vaillé
comme vous
et
Quand on
mes
a tra-
avec des sentiments aussi honnêtes pour ses
semblables, certes, on a bien mérité et bien gagné la distinction dont
vous êtes décoré. Je suis toujours sous l'influence de mauvais et affreux
sans cela je Si lui
me
ferais
vous voyez
qu'on m'a
Dumas
fait tant
son secours pour
un
me
plaisir d'aller fils,
vous
cauchemars
;
voir.
rappelez-moi à son bon souvenir. Dites
de misères misérablement que j'aurai besoin de
défendre
mon
droit d'existence.
Journellement, je voyage et je pense retourner en Hollande.
Les derniers événements que victimes innocentes
me
j'ai
vus autour de moi et de tant de
font déplorer le
malheur de
la
France où
j'ai
— passé tant d'années et où
encouragé dans
mon
8i
—
eu quelques amis qui m'ont toujours
j'ai
travail.
Agréez, cher ami Voillemot, mes meilleurs souhaits pour votre
bonheur. Je
me
rappelle à votre bon souvenir et à l'amitié que vous avez
toujours eue pour moi. J.-B.
JONGKIND,
Artiste peintre, 5,
rue de Chevreuse, Paris.
Après tous ces bouleversements, Boudin avait hâte de revoir son
ami Courbet, qui
Boudin
lui écrit
donc
était alors
en prison.
:
Taris, 2 janvier 1872.
Mon
cher Courbet,
Nous ne voulons pas
laisser passer ces jours
où l'on se
fait
un
devoir de visiter tant d'amis plus ou moins heureux, sans vous
envoyer un souvenir au fond de votre prison.
Nous
serions satisfaits que ce faible témoignage de notre amitié
pût, durant quelques instants, faire diversion à votre solitude.
Rentrés depuis peu à Paris, après une très longue absence, nous espérions pouvoir vous serrer la main, mais on nous assure qu'il est difficile
d'obtenir la faveur de vous voir.
— me
Je
—
des sentiments de plusieurs de
l'interprète
fais ici
82
camarades, entre autres de Monet
également leurs bons souhaits
et
mes
de Gautier qui vous envoient
non moins jaloux que
et qui seraient
moi de passer quelques instants auprès de vous.
Nous nous consolons en pensant que bientôt vous
allez
toucher au
terme de votre captivité et que prochainement vous serez rendu à liberté, à l'art et à
vos amis qui ont eu de
si
la
vives appréhensions à
votre endroit. C'est tout ce
que nous pouvons vous témoigner
ici.
Nous serions heureux que ce souvenir de ceux qui n'ont pas cessé un
instant de se préoccuper de votre sort vous parvienne bientôt.
Dans
cet espoir,
nous vous serrons
Pour moi
et
pour
la
main
très cordialement.
les amis.
E. 31,
Courbet
lui
répond
rue Saint-Lazare.
:
Neuilly,
Mon
y
a
bien des lâcheurs par
Amand
6 janvier 1872.
cher Boudin,
Je suis d'autant plus content d'avoir reçu votre qu'il
BOUDIN,
le
temps qui
Gautier a été courageux, mais
mettre en l'engageant à venir
me
charmante
lettre,
court.
j'ai
eu peur de
le
compro-
voir.
Je n'ai écrit à personne parce qu'ils prennent vos portraits à la
-
-
83
Préfecture de police sur leurs livres, et cela fait des dossiers, ce dont il
temps qui
faut se méfier par le
court.
Maintenant, vous n'avez plus rien à craindre. voir en pèlerinage
un
homme
cellulaire, ce qui n'est
Voilà ce que voulu
faire. J'ai
me
Vous pouvez
qui vient d'exécuter sept mois de prison
pas une petite
affaire.
rapportent mes services rendus et le bien que
j'ai
su que Gautier avait goûté de ces plaisirs-là.
n'y a plus aucune formalité à remplir pour venir
Il
venir
me voir;
il
n'y
a plus qu'à se présenter.
Après avoir échappé aux
mon
fusillades acharnées qu'on projetait à
endroit, j'entreprends de
me
faire faire
une opération par
le
docteur Nélaton, qui pourrait faire ce que les fusillades n'ont pu faire
Je
;
il
faut espérer pourtant
ne puis plus vivre ainsi;
peux penser à
je souffre sans discontinuer,
me
voir un de ces jours, vous
bon retrouver
me
ses amis. 34.
moment.
Venez avec Gautier, Monet dit.
du Roule,
échappé à ces ignobles prisons.
Je peins des fruits pour le
en
ne
ferez le plus grand
Je suis à Neuilly, chez le docteur Duval, avenue J'ai enfin
et je
rien.
Ainsi, venez plaisir. Il fait
que j'échapperai encore
et
même
Bien des choses à votre dame
les
dames,
et à tout le
si le
cœur
monde en
culier.
G.
Je suis prisonnier sur parole.
Mon
COURBET.
temps
finit le
I er
mars.
leur
parti-
XIV Boudin, entre temps, commençait à
On
se faire connaître.
remarquait ses petits bateaux dont
étude
si
laborieuse,
une preuve bien Le 11 octobre
comme
il
l'a dit
il
avait fait
lui-même. En voici
caractéristique. 1877,
il
une
reçut les lettres suivantes
:
-85
22 octobre 1877.
Monsieur, Je possède
un vieux dessin bien
naïf,
ponton anglais, par mon grand père qui y
fait
en 181 1, à bord d'un
était alors prisonnier.
Ce
dessin représente la capture du corsaire boulonnais qu'il commandait,
par deux bricks anglais en vue de Douvres. Je voudrais, si la chose est possible,
ce dessin ce
épisode sur
vous charger de prendre dans
que vous en verrez de bon
et
de
me
reproduire cet
la toile.
Je connais bien votre peinture et je ne sais pas de peintre plus
capable de mieux gréer un navire. C'est un
marin qui vous
demande Enfin,
si
le dit, et,
et
un
petit-fils
à voir nos mâtures et vos gréements
vous n'avez pas
mon
fils
été
de
on se
marin vous même.
but est d'avoir de vous
le
tableau en question,
si
nous
pouvons nous entendre. Je vous donnerai tout le temps que vous voudrez pour
vous serai bien reconnaissant de m'indiquer
le
le faire et
jour où je pourrai
passer vous voir, un matin de 10 heures à midi, ou bien venir
me voir
de 3 heures à 6 heures, à l'adresse ci-dessous, où je travaille. Veuillez agréer, Monsieur,
mes
sincères salutations.
V.
Chez M.
Belvalette, 24,
H....
Avenue
des Champs-Elysées.
Paris,
Mon J'ai
le
20 janvier i8j8.
cher Monsieur Boudin,
eu l'honneur de faire voir hier, à un de mes parents " La cap-
du Petit-rôdeur
ture
Il
m'a chargé de
quand
il
sera
Inutile de
lui
en faire faire un duplicata que je
lui
enverrai
fait.
vous dire que ce n'est pas pressant.
Peut-être bien que je vous en demanderai encore d'autres.
Votre bien dévoué.
V. 24,
Mais ce
petit succès
H....
Avenue des Champs-Elysées.
d'Eugène Boudin
était
encore trop
isolé.
Plus tard, on dira de «
Depuis
le
lui
:
steam-boat aux courtes cheminées crachant
leur fumée trouble, jusqu'aux barques de pêche dont les voiles sont grossièrement rapiécées, le peintre connaît tout
en marine. Là où
le vulgaire
ne
voit
qu'une coquille de
noix plus ou moins grande, toujours la même, lui distingue
un gréement
technique,
un
aspect particulier,
une forme
appropriée. C'est que Boudin est peut-être le seul qui
-
87
-
sache pénétrer l'essence intime, tante qu'on appelle
un
bateau.
moment,
Mais, pour le
lame de
cette chose flot-
>>
ne parvient pas
il
à
vendre ses
tableaux. C'est alors que, dans les premiers jours de juillet 1879,
ami
Boudin
Amand
fait
au Havre une vente publique avec son
Gautier. Quatre tableaux de Boudin trouvent
acheteurs. L'un à 125 francs, l'autre à 210 francs,
sième à 105
Boudin
Pour
francs, et
un quatrième
troi-
à 85 francs. Total pour
525 francs!
:
Amand
Gautier, fiasco complet!
Pas un seul de ses tableaux n'est vendu. et prie
un
Boudin de
dire
que
Il
se
lamente
vente a été ajournée, afin de
la
ne pas déprécier ses tableaux.
En même temps, Amand Gautier
éprouvait une autre
déception, qu'il raconta à Boudin dans les termes suivants
:
Juillet i8jg.
Mon J'ai
reçu
la
cher Boudin,
caisse contenant
mes tableaux.
Ils
sont arrivés sans
accident et en bon état, hier vendredi à 10 heures 1/2 du matin.
Soyez sans inquiétude pour ce qui est de amour-propre. Je conte
la
suis obligé de le faire, je
chose dis
comme
que
la
il
est
sauvegarder notre
convenu. Lorsque
je
vente n'a pas eu lieu par suite
— d'un retard fâcheux
;
—
qu'ensuite le commissaire-priseur était dans
pour cause de départ.
l'impossibilité de la faire,
Ah mon
88
cher ami, que Paris est
!
Tout
ce temps que nous avons.
de toutes les façons, avec
triste
monde tombe dans
le
le
marasme,
surtout ceux qui n'ont pas de rentes.
Ces
un ami, qui
jours-ci, j'apprends par
d'un député
:
— Dites
à Gautier que c'est
achetée. Hier, j'apprends par regret de ne pouvoir
Cette République
une
me compter était
l'avait donc
demandée pour
une République
dessus des cris de
la
était
bien à
:
;
ils
lui faire
lui,
de Clichy. Le
à l'unanimité et le maire
— Ainsi, sousla République, !
pourtant, pour se mettre au-
pour ce gouvernement timide.
ne sont rien
cela, les chefs
se disent entre
manger de
le
toiles achetées.
commune
et
ne peuvent rien
employés, tous ennemis de la République, font
temps
femme
Turquet, qu'on a
un républicain
l'aise,
la
presse bourgeoise.
une perche pour
Mais dans tout
commune.
n'est pas achetée à
Le gouvernement
C'était
la
la
de
Sa République sera
au nombre des
demande
la
fait.
lettre signée
demandée par
Conseil municipal avait voté
le tenait
la
eux
:
la pluie
—
— leurs
et le
beau
« Celui-là est républicain, nous allons
vache enragée sous son gouvernement de
prédilection. »
Vous
le
voyez, rien ne
me
réussit.
dues je ne sais comment cela ;
milieu de tout cela, à force de
perdre l'amour de
la
peinture
finira
me
;
Ma
situation est des plus ten-
mais, ce qui
me
désole
tracasser, de ruminer, j'ai
au
peur de
XV Au
Salon de 1880, Boudin exposa une toile importante
intitulée
:
Depuis
La Meuse. 1859, c'est-à-dire depuis vingt et
avait fidèlement exposé, et jamais
un
ans, l'artiste
aucune récompense ne
lui avait été décernée.
Rendant compte du Salon de
M. et
1880, dans
le
Figaro,
Albert Wolff proteste contre cette injuste indifférence,
il
s'exprime ainsi
:
«
La Meuse,
«
Comment peut-il
la meilleure
marine du Salon!
que
l'artiste
qui a signé tant
de jolies choses, et qui, dans ce genre, a
fait école, soit
se faire
encore parmi les non exempts, c'est à ne pas croire! »
Au
Salon de 1881, enfin, Eugène Boudin reçoit une
sième médaille, intitulé
En voilà
:
comme un jeune
débutant, pour
troi-
un tableau
La Meuse à Rotterdam.
1883,
il
reçoit
une médaille de deuxième
exempt du jury d'examen d'admission
Parmi
les félicitations
d'un grand nombre
particulièrement précieuse.
il
en
est
Le
!
que Boudin reçut à
d'artistes,
classe.
cette occasion
une qui
lui parut
—
9°
M. Fantin Latour envoya avec ces mots
— à
Eugène Boudin une
:
Tous mes compliments. Enfin
A
cœur,
nom
où une
l'heure
l'artiste
carte
!
l'homme de
injustice était réparée,
indépendant dont nous venons
d'écrire le
devait nécessairement intervenir.
Cette seconde médaille avait été décernée au mois de
mai. Mais
même
un
année
fait
plus important s'était produit en cette
1883,
dans l'existence artistique d'Eugène
Boudin. Il
avait organisé,
9,
boulevard de
la
Madeleine, une
exposition générale de ses œuvres. Cette exposition s'était
ouverte le 31 janvier 1883.
Jamais un peintre n'avait encore entrepris de exposition indépendante de ses œuvres.
Il
faire
une
eut l'honneur de
cette initiative hardie.
Claude Monet, Renoir sèrent,
à leur tour,
et
Degas
le
suivirent et expo-
leurs œuvres dans le
pendant les mois suivants. Ce local
même
était celui
local,
des ateliers
Nadar.
Les
artistes
expositions
qui s'étaient associés pour organiser ces
individuelles,
étaient,
Boudin, de Monet, de Renoir
et
indépendamment de de Degas,
M.
Rouart,
—
92
—
Mademoiselle Morizot, M. Pissarro, Lépine, de
Bracquemond, Gustave Colin
et
Nittis,
Zacharie Astruc.
En inaugurant cette exposition, Eugène Boudin présenta au public cent cinquante
toiles et
une
au
série d'études
pastel et à l'aquarelle.
Philippe Burty constate, à cette occasion, que tout
mouvement nouveau en
le
peinture est produit par des incon-
nus, en dehors de toute protection administrative. Il
se
flatte
privées, et
Gambetta artistes
il
d'avoir
ajoute
toujours
favorisé ces
que Gambetta
l'excitait à persévérer.
estimait que ces expositions sont
indépendants que
le
expositions
utiles
aux
Salon accable, utiles aussi au
public qu'elles habituent à respecter les efforts individuels. Puis, revenant à «
voici ce qu'il dit
:
M. Eugène Boudin n'a pas conquis au premier combat
cette virtuosité «
Eugène Boudin,
Né
dont la naïveté
à Honfleur, dans
fait le
charme principal.
une famille pauvre,
a connu
il
toutes les traverses de la vie. « Il était
arrivé à établir
au Hâvre un
petit
magasin de
papeterie et de couleurs. Cela le mit en rapports intimes
avec les romantiques qui venaient de découvrir la
Norman-
die et la Bretagne, Camille Fiers, Jules Dupré,
Eugène
Isabey, puis avec l'autre levée, François Millet, Gustave
Courbet.
Il
93
—
s'essayait à peindre des natures mortes dans le
goût de Chardin, des bateaux dans
les ports,
des animaux,
des ciels surtout. «
M. Boudin
avait procuré à Millet,
au Hâvre, quelques
ventes de petites compositions à la Diaz et quelques portraits,
à 30 francs, de capitaines en partance
retirés
du
trafic
du
bois d'ébène.
avait entrevu,
« Il
ou d'armateurs
sur la face amaigrie
du robuste
travailleur ce qu'un débutant n'appartenant pas à l'Ecole, avait à avaler de vache enragée. Il
confiance dans ce Paris si
si
débarqua sans moins de
blasé et
si
curieux,
si
occupé
et
bon enfant. « Il
aida pendant plusieurs années, Troyon, miné déjà
par des troubles mortels des centres nerveux, à mettre au
carreau ses grandes compositions, à les ébaucher,
épandre les
ciels
superbes aux nuages gonflés de pluie.
travailla
pour lui-même sur
Paris, si
abondamment
les petits
même à y
les quais,
Il
dans les squares de
pittoresques. Les petits amateurs,
marchands à qui
leur bourse
ne permet pas de
miser sur une mazette, l'aidèrent à affirmer sa personnalité. Il
trouva peu à peu le placement de ses ports où les cor-
dages dessinent sur l'horizon laiteux des tissages d'araignées,
de
ses
plages aux foules bariolées, de ses chalands aux
bordages rechampis de vert
pomme
ou de minium.
»
— Quant
On
M. Gustave
Geffroy
l'ouest.
Eugène Boudin
le
:
ferait
en vue de nos côtes de
l'a fait et refait,
ce voyage, depuis le
Finistère jusqu'au Pas-de-Calais. Les aspects
de la terre changent sans
cesse,
aux nuages
du
la réplique juste, l'assaut
les
est
inutile
verdures donnant
du roc par
ondulations de la vague qui vient mourir sur
chaume,
de l'eau,
ciel,
un catalogue
devant ces pages où rien ne ment, où
plages, le
dit,
a l'impression en passant devant ces cinquante pein-
d'un voyage que l'on
tures,
—
à l'exposition elle-même, voici ce qu'en
15 février 1883, «
94
la
lame,
les
le sable des
d'une cabane, l'indication d'un
les tuiles
costume, nous disent sans erreur sur quel point précis du littoral «
nous nous trouvons.
Eugène Boudin
a longé les côtes bretonnes hérissées de
rochers, les falaises normandes, les dunes artésiennes. Epris
de la
mer
à toutes les heures et dans toutes les saisons,
arrêté partout, a noté les aspects différents Il
«
Il
s'est
du même paysage.
parcourt toutes les criques, tous les ports,
embouchures de
il
toutes les
rivières.
peint la vie et la solitude. Les drames qui se jouent
entre les pierres et l'eau l'intéressent autant que le grouille-
ment d'une
ville
maritime.
Il est l'historien
d'alluvion, des flaques d'eau
bien avant dans les
terres.
que
laissent les
Il est aussi
des formations
grandes marées
l'historien des bassins
—
—
95
encombrés de vaisseaux de haut bord, des docks débordants de marchandises. nées de verdures,
un
dessiner, sur
mâts,
dresser les falaises couron-
Il sait faire se il
sait
aligner les pierres d'un quai et
ciel plein
de brouillards et de fumées, les
madriers robustes
les poulies, les cordages, les
et les
enchevêtrements arachnéens du gréement d'un vaisseau. est plein
de la poésie de la mer,
il
Il
connaît toute la technique
de la navigation. «
Rien de ce qui
étranger.
il
;
aux
assiste
flancs
au départ pour
;
il
filer l'un derrière l'autre,
les
là
la
hameau
les voit sortir
semblables à
tapi entre
pêche des bateaux
bombés, aux voiles brunes et
empesées de goudron
il
passe au bord des flots ne lui est
voit et reproduit sur la toile le
Il
deux roches solides
se
par
rapiécées,
l'étroit
un banc de
passage,
poissons
regarde au loin s'éparpiller sur la mer houleuse
quand
ils
il
est
reviennent, à l'aube, chargés de poissons, dan-
sant joyeusement sur les flots.
avec émotion
un
Dans
ses
promenades,
il
peint
croquis de la barque défunte, délavée par
les pluies,
échouée sur le sable, dont
la carcasse fait
au
des côtes d'un squelette.
Il
treillis
;
;
dans un pardon breton où
les
lave
songer
une aquarelle
bonnets rouges des gars de
Plougastel éclatent au milieu des coiffes dentelées et des robes de religieuses des femmes. ciel et
de la mer. Puis
il
Il
note au pastel
un
état
du
arrive avec son attirail de peintre
— marin
96
—
sur une plage où Paris est en villégia-
et paysagiste,
ture. Il s'installe tranquillement
au milieu du high-life
et
reproduit les costumes à la dernière mode, s'enlevant en
un
taches vives sur
ciel gris et
une mer glauque,
il
profile
une parisienne sur un cap écroulé
«
que Boudin connaît
C'est ainsi
en dégage
le sens, établit entre
la surface
eux un accord
assigne leur vraie place dans l'ensemble,
des objets et parfait,
empêche
leur
leurs cou-
leurs de détonner dans l'orchestration de ses tableaux. Il
de la mer, de ses enchantements
est épris
à l'existence des
s'intéresse
du
chaînes
des ancres
de l'Océan
«
seurs
En
écluses,
et
de ses colères,
des pierres
il
des
et
quai, des bateaux, des gouvernails, des voiles,
et et
il
devient le peintre sincère et savant des côtes
de
la
Manche
résumé, Eugène Boudin est
immédiats
de
un des
l'impressionnisme,
peintres précur-
avec
Corot
et
Jongkind. « Il
apprend que
le noir
opaque n'existe pas, que
est transparent. Il observe quelle valeur
à la lumière et
comment
ligne d'horizon.
Il
gris,
nuance
du gris mélangé de
prennent
l'air
les objets
les plans s'établissent jusqu'à la
la
gamme
violet
infinie et ravissante
du
sombre, jusqu'au gris argenté
— comme le ventre d'un Il saisit le
forme
roite, la
et
il
couleur
—
poisson, et
mouvement
et leur
97
:
il
triomphe en l'exécutant.
des choses en le
même
nuage qui monte,
voile éclatante dans le soleil, la
écrit la
synthèse des éléments
d'autres discutent ses
temps que leur l'eau qui
mi-
barque qui passe,
et des êtres
en
action. Que
procédés sommaires. Les
résultats
sont là qui s'imposent
depuis vingt-cinq ans, exposé des petits chefs-
« Il a,
d'œuvre qui seront un jour musées,
et
la gloire des collections et des
pour lesquels ses confrères lui ont, en 1881, accordé
une deuxième médaille
!
»
XVI Les vrais
artistes savaient apprécier le talent de
Parmi eux 22
mars
s'était
formé un groupe qui,
1884, offrit à l'Hôtel Continental,
le
Boudin.
samedi
un banquet au
peintre Th. Ribot.
La présidence de
cette
cérémonie
fut
donnée à Eugène
Boudin.
Comme
Boudin, Ribot avait eu des commencements
difficiles. Il s'était
tout d'abord destiné à l'Ecole de Châlons.
— Puis
—
devenu teneur de
était
il
g8
livres
un
chez
drapier
d'Elbeuf, puis contremaître d'un entrepreneur de constructions en
Algérie. Entre temps,
peignit des cadres de
il
glace, des feuilles de stores, des enseignes,
renaissantes, écrit
lithographia
fit,
pour l'Amérique, des
En présence de
ces entraves sans cesse
des couvertures de romances, copies de Watteau. «
il
il
M. Roger Marx dans V Image W, pas une
heure de défaillance, d'abandon, pas un instant d'amerépreuves ne savent point atteindre Ribot, ou
tume.
Les
plutôt,
hormis
s'y
la peinture,
rien n'est pour le toucher. Il
absorbe tout entier, poussant droit son œuvre
sa vie,
sans
souci
comme
traverses, sans concessions
des
au
public, sans déchéance envers soi-même. »
Un
jour
marmiton,
de carnaval,
il
son
tîls
s
'étant
déguisé
en
eut l'idée de peindre des tableaux de cuisine
avec des gâte-sauce tout vêtus de blanc. Ces tableaux
le
mirent enfin en vue. C'était au Salon de 1861. Le peintre avait près de 40 ans.
Vingt ans plus tard avait lieu
Fourcaud a «
fait le récit
Le 22 mars 1884,
fêtes de l'Hôtel
saurait laisser (1)
Numéro de
cérémonie dont M. de
dans les termes suivants il
y eut à
Continental,
tomber dans
Février 1897.
la
Paris,
dans
:
la salle des
un banquet que
l'oubli. L'idée
en
l'on
ne
était sortie
— d'un petit groupe
du courage difficultés
d'artistes,
qu'il faut
de la vie,
99
—
un
soir
que
l'on s'entretenait
pour rester soi-même, au milieu des
et
ne jamais
sacrifier
aux pernicieuses
des assistants,
influences. « Parbleu! s'écria l'un
nous
avons à deux pas de nous l'indépendance incarnée, l'hon-
neur même, Ribot, enfin. Vous connaissez d'une peinture
si
robuste
;
mieux encore que son tère. C'est
que
la situation d'ancien
vous savez
Eh
maître qu'il s'est faite parmi nous. fier talent
il
;
qu'aucune
injustice
bien,
y
un de ces hommes simples
forts,
tableaux
ses
il
y
a en lui
a son noble caracet
modestes autant
n'abat,
que l'approche
d'aucun honneur ne trouble, qui s'élèvent au-dessus des
jugements et
frivoles,
d'eux-mêmes
ne prennent conseil que de
et persévèrent,
en dépit de
tout,
la nature
dans leurs
convictions. »
« Croyez-moi, allons chercher en sa solitude cet hon-
nête
artiste,
rude dans son art
sa carrière vaillante par
et sage
dans
un hommage
sa vie.
Honorons
éclatant, par
un
acte
public digne de lui et digne de nous. «
Cette proposition soudaine fut saisie au vol, adoptée
d'enthousiasme. cents artistes,
Quelques jours peintres,
après, nous étions
écrivains,
statuaires,
deux
graveurs,
musiciens, groupés autour du peintre de " Saint-Sébastien
martyr
" et
de " la Comptabilité
".
—
IOO
Je revois, en
y pensant,
longue
salle aux colonnes de marbre, aux voussures dorées, aux plafonds allégoriques, «
telle qu'elle était ce soir là,
Un
ment.
soleil,
grande porte
palette
chargée de
où
dant
la
une
croisée d'une late
".
dans son splendide embrase-
trait définissait, dès l'entrée, l'esprit
au dessus de trophée,
la
d'artiste,
palme
détachait
munie de
le et
mots
:
A
"
officiel.
fen,
original
comme un pinceaux,
Ribot, peintre indépen-
Le président, désigné par
maître paysagiste,
le vieil
:
tous,
c'était
ne
Eugène
amoureux de
ciel
de la mer. Et quelle assemblée offerte aux yeux
de toutes parts «
!
Le Directeur des Beaux-Arts en fonctions, M. Kaemp. avait eu le bon goût de représenter l'Etat en ce banquet
significatif, à côté
ruban rouge à
de
M. Bardoux
la boutonnière
qui, ministre, attacha le
de l'artiste. M. Antonin Proust,
l'un des porte-drapeaux de l'Art Libre, le ministre qui
décora Monet, était là de
même,
ancien directeur des Beaux-Arts «
des
:
enguirlandée d'un ruban d'écar-
d'or,
portait sur son habit noir ni croix ni plaques
humide
ses
fête
n'avait point d'ailleurs réservé la présidence à
un personnage Boudin,
un
éblouissante
ses couleurs,
se lisaient ces
On
se
de la
Vers quelque point qu'on
hommes renommés
à
bon
et aussi
et critique
se tournât, titre
:
M. Paul Mantz, éminent.
on reconnaissait
des peintres
comme
—
101
Fantin-Latour, Roll, Cazin, Joseph de Nittis, Claude Monet, Raffaëlli, Alfred Stevens,
statuaires
Lalo
comme
Duez, Gervex, Lhermitte..., des
Rodin,
César Franck; des écrivains
et
Goncourt, l'auteur
illustre de "
" Y Art au
siècle ".
Qu 'ajoute rai-je
«
par
XVIII
e
mal
le
terrible
!
comme Edouard comme Edmond de
des musiciens
Germinie Lacerteux
" et
de
Bastien-Lepage retenu loin de Paris
qui allait l'emporter, s'associait à la
manifestation par une lettre nette et vraiment touchante.
Puvis de Chavannes, Henner, Carolus-Duran, absents ou empêchés, faisaient savoir au maître qu'ils s'unissaient à tous pour lui rendre
un témoignage d'honneur. Au
M. Bardoux, au nom peintre
de l'Ecole Française, offrait au grand
une médaille de bronze expressément modelée pour
lui et portant cette inscription
"
A Ribot,
«
Et
le
remercier toast,
dessert,
indépendants
les
maître,
ému aux
dignement
:
;
21
mars 1884
".
larmes, ne sachant
l'assistance,
au milieu des acclamations
portait
cet
comment
admirable
«
Messieurs, je bois à
l'art
des maîtres émanci-
pateurs, à l'art de Millet, de Corot, de
Daubigny, de Cour-
l'art,
mais à
bet et de
l'art
Manet
A vrai dire,
!
que j'aime,
—à
:
»
on avait également pensé, pour la présidence
102
de ce banquet,
un
à
autre artiste également modeste
François Bonvin. C'était aussi le
jour de son mariage
et avait
un homme
du repas de noces
adressé à sa nouvelle femme, cette courte allocution :
N'oublie jamais que tu entres dans une famille de
Ma
robe et depée.
garde-champêtre
!
mère
Montrouge
et
était
était
en
père
est
garde-champêtre à
effet
un
tenait là également
il
mon
couturière et
»
Le père de Bonvin
nom
simple, celui qui,
s'était levé, à la fin
que M. Jules Breton a transcrite «
—
petit débit
où son
servait d'enseigne.
Bonvin avait
été ouvrier typographe,
il
avait
abandonné
son métier pour devenir peintre.
Mais, n'ayant plus son salaire pour vivre, la place d'inspecteur Il
y comptait
entre temps,
un la
de bétail qui entraient au marché, et
peignait des enseignes.
nourrisseur de l'avenue du
poule aux œufs d'or, de
Charles Vincent,
le
avait obtenu
de la boucherie au marché de Poissy.
les têtes
il
il
Il
Maine où
même
en a il
fait
une pour
avait représenté
que Ribot avait
fait
pour
cordonnier poète, une enseigne intitulée
"Au Soulier de Noël ". Bonvin
était
offert à Ribot.
malade
et
il
ne put
se rendre
au banquet
Ce fut
sur la proposition d'un de nos peintres les plus
distingués, offerte à
M.
Cazin, que la présidence
du banquet
fut
Eugène Boudin.
XVII
Au salon Un
de 1887, Eugène Boudin exposa
rivage, Etaples,
marée basse
A propos de cette exposition, s'exprime ainsi
:
et le
trois
tableaux
:
Port de Lorient.
le critique
du journal Y Art,
— Marinistes
«
que
songe à
je
et
104
—
paysagistes s'entendent trop bien pour
les séparer.
Le
petit bataillon des
premiers
supérieurement son rang, grâce à M, Eugène Boudin
tient
M. Mesdag.
et à
Principalement, "
«
Un
nous
rivage
on a vu beaucoup de Boudin de
laisserait
ce genre,
calme;
mais on n'en
connaît que bien peu qui vaillent " Etaples, marée basse
La toile, de modestes tement composée
Le
n'est
ciel
et
animée de maintes figures
une
très
rière
les
plus délicats, les plus
plus harmonieux, qui couronne admirablement
longue, une très pénible, une très honorable car-
de lutte incessante.
Le
spirituelles.
Morceau de choix, morceau
accompli, symphonie des gris clairs, les
proportions, est parfai-
et excellentes
point banal.
".
31 janvier
1888,
»
Boudin
Boulevard de la Madeleine, N°
une nouvelle exposition
fit
Cette exposition compre-
9.
nait 18 tableaux.
Le
19 avril suivant
il fit
catalogue contenait 100
une vente
numéros
:
à l'Hôtel Drouot.
Le
60 tableaux, 30 pastels,
et 10 aquarelles.
Le produit net s'éleva Sur
un exemplaire du
à 9.105
15.
catalogue, à côté
dication de chaque article et inscrivit
fr.
mélancoliquement
du nom de le
du
prix d'adju-
l'acheteur,
Boudin
prix des cadres et en
fit
le
— total
la
io 5
—
qui était de 2.080 francs, ce qui réduisit le produit de
vente à 7.025 francs, pour les cent ouvrages vendus
même année,
La
tabl eau intitulé
au Hâvre
l'Eure,
:
".
exposa au Salon un
l'infatigable artiste
"
Une
Ce
!
dans
corvette russe
le
bassin de
tableau fut acheté par l'Etat et placé
au musée du Luxembourg. Mais, l'année suivante, 1889, une grande douleur vint atteindre
En
Eugène Boudin
:
cette triste circonstance
émues des
Le 24 mars
il
Claude Monet n'oublia
Il lui
adressa la lettre sui-
:
Fresselines (Creuse),
Mon C'est
ici,
dans un pays perdu, que j'apprends
Croyez que sais le vide
28 mars 188g.
cher Boudin,
qui vous frappe, ce qui vous explique je
que
mon
une
telle perte.
malheur
absence.
prends part à votre douleur. laisse
le terrible
Soyez
J'ai
passé par
fort et
là,
et je
courageux,
c'est
seule chose que je puisse vous dire en vous envoyant
cères
femme.
plusieurs artistes de ses amis, entre autres de
pas non plus Eugène Boudin!
la
perdit sa
reçut des lettres profondément
l'excellent paysagiste Guillemet.
vante
il
mes bien
sin-
compliments de condoléance.
J'ai
bien des reproches à
bien souvent.
me
faire à votre endroit. Je
me
Ne m'en gardez pas rancune, mon cher ami.
les fais
Je suis
—
io6
—
toujours aux champs, souvent en voyage, et toujours en passant à Paris.
Mais, n'en soyez pas moins certain de l'amitié que je vous
porte, ainsi que de
ma
reconnaissance pour les premiers conseils
que vous m'avez donnés, conseils qui m'ont Votre
vieil
fait ce
que
je suis.
ami bien dévoué,
CLAUDE MONET. Dès mon
retour, dans
un mois,
j'irai
sûrement vous serrer
la
main.
XVIII
A la même
époque, Claude Monet faisait une exposi-
tion de ses œuvres boulevard Montmartre, et
Le Roux récit
écrivait le
récit
M. Hugues
des débuts de ce grand artiste,
dans lequel apparaissait Eugène Boudin
et
dont
il
a
été parlé plus haut.
M. Hugues Le Roux «
terminait ainsi son article
L'histoire des débuts de
Claude Monet
:
est celle
de
tous ses camarades. Les premières toiles qu'ils envoient au
Salon emportent
un
vif succès
de curiosité.
1
864-1 865,
expose sont placées à la cimaise. L'on
les
marines
fait
beaucoup de bruit autour de
qu'il
En
"La femme
à la robe
—
107
—
verte" qui aujourd'hui est dans la galerie de M. Arsène
Houssaye.
Luxembourg, avait
« Je la garde pour le
quand
reur au jeune peintre,
De même une
«
aujourd'hui articles
dans
le
les
temps seront venus.
" Marine à Honfleur
chanteur Faure,
la presse. C'était
écrit l'acqué-
"
fut l'objet
»
que possède de nombreux
une tentative de plein
air
séduisante et hardie.
Tant que
«
les impressionnistes s'étaient contentés
de
succès isolés, on les avait loués sans se préoccuper des
conséquences de ces éloges. Mais lorsqu'on imitateurs de
leur
manière, lorsqu'on
tendaient à se grouper
vit surgir des
s'aperçut
et qu'ils faisaient école,
qu'ils
on tenta
d'étouffer la révolution dans l'œuf. Désormais, leurs envois
furent systématiquement refusés. «
Le fantaisiste Alphonse Allais a défini l'impressionisme
d'une façon bien divertissante dans triple ironie qu'il intitule
—
«
Vous ne savez
impressionistes «
Ce
?
Eh
:
Chroniques du bon
pas,
fait-il,
bien, je vais
sont des gens qui
un de ce
que
ses articles à sens.
que
c'est
vous l'apprendre
les
:
s'imaginent bouleverser l'Art
parce qu'il ne délimitent pas le contour des objets et qu'ils font de la peinture «
Voilà ce que
moins foncée que c'est
que
les autres.
les impressionnistes.
— Naturellement
«
Ils
se
ils
—
io8
ne fichent pas un sou.
>
ne fichent pas un sou. Mais que leur importe
!
Ils
ne
découragent pas.
Claude Monet temps
il
fait
aux champs,
est toujours
une exposition
pendant ce
et
particulière boulevard
Mont-
martre.
XIX Quant
à
Eugène Boudin,
il
fait
aussi
une exposition
particulière dans la galerie Durand-Ruel, rue
du
8 juillet
au
Peletier,
14 août 1889.
expose 89 tableaux
Il
Le
faits à
Dordrecht, à Etaples, au
Hâvre, à Deauville, à Trouville, à Berck, à Oisème, à
Camaret, à Anvers, à Fécamp, à Honneur. Le catalogue de cette exposition est
notice est l'œuvre elle
précédé d'une notice anonyme. Cette
du graveur
Félix Buhot,
et,
à ce titre,
mérite d'être réunie aux divers documents qui con-
cernent Eugène Boudin. «
La plupart des lecteurs de
ce catalogue auront certai-
nement gardé mémoire de l'exposition première des œuvres de M. Boudin, organisée comme celle-ci par M. DurandRuel
;
mais alors dans un
local
beaucoup moins favorable
o <
K Pi
<
'c
-
— que ne
sont
le
io9
— de la rue Le Peletier.
les galeries actuelles
C'était au boulevard de la Madeleine,
en
février 1883, et
ce fut le début d'une série d'expositions individuelles.
« Aujourd'hui,
M. Durand- Ruel
réunit
une soixantaine
de tableaux et pastels choisis dans l'œuvre des six dernières
années. L'exposition actuelle n'est donc à aucun réplique de celle de
qui montrait l'ensemble des
1883,
travaux de M. Boudin. Résultat de santes
recherches,
elle
une
titre
ces récentes et inces-
croyons-nous,
manifestera,
la
deuxième manière du peintre qu'on pourrait appeler manière lumineuse
et ensoleillée.
Sa palette
s'est
la
enrichie
de notes nouvelles; son étude constante de la nature, sa soif
du vrai
et
du mieux
l'ont
amené au but poursuivi
plus grande intensité dans la lumière,
un rendu plus
:
une
puis-
sant, plus sonore des colorations franches et vives.
« Certains
morceaux
culière les rares qualités d'harmonie cette fois
dans
par une maîtrise supérieure
pastels, notes rapides
une énergie
font briller avec
:
parti-
l'éclat,
possédées
sans
parler des
mais complètes, sur nature, véritable
Liber studiorum de l'artiste
;
nous voulons signaler ces
dernières plages de Deauville inondées de soleil matinal, ces
marines aux
ciels d'azur,
comme
Retour des barques de pêche, enfin
d'animaux qui porte
le
numéro
le et
Brick anglais
et le
surtout le tableau
53 dans le catalogue dressé
IIO
par
le
peintre avant sa fuite vers la mer,
modestement Etude,
intitule
tableau qu'il
qui nous semble une des
et
plus belles toiles de ce genre que jamais aucun maître signée, «
et
y compris Paul
Cuyp
Potter,
et
ait
Troyon.
D'autres toiles encore nous transportent dans de gras
humides pâturages où ruminent de
mandes
que
et ces tableaux,
;
belles vaches nor-
le peintre a traités
soins et dans des formats inusités, ne seront pas
moindres attractions
M. Boudin le public,
de
cette
galerie.
avait exposé des études
une des
Déjà, en
1883,
d'animaux auxquelles
absorbé par les vues de ports et de villes, n'ac-
corda pas peut-être toute l'attention qu'elles
Nous pensons que les comparaison avec
modernes,
avec des
et
toiles
nouvelles peuvent soutenir la
œuvres
les
méritaient.
meilleurs
des
animaliers
avec celles du plus illustre de tous. Si elles ne
présentent pas les robustes structures, les modelés gras et
soyeux des vaches de Troyon, de
finesse,
de distinction
et
elles
possèdent des qualités
de fluidité dans les ciels que
ce dernier n'avait pas toujours,
il
faut le reconnaître.
Outre
que ces tableaux reposent sur des centaines d'études de dessins rehaussés, cherchés par la construction l'allure,
— et qu'il faut,
avoir vus dans l'atelier
que M. Boudin, par
la
pour
du
se faire idée
peintre,
nature
—
même
il
est
et
et
par
de leur nombre,
bon de rappeler
de ses anciens travaux,
— était tout
semble
se
difficiles
1 1 1
—
préparé à aborder ce genre spécial auquel
complaire aujourd'hui.
de ses débuts,
le
Il fut,
en
effet,
il
aux temps
collaborateur de Troyon pendant
plusieurs années
«
Aux
artistes
Salons annuels, ses tableaux avaient frappé les
par cette admirable justesse des valeurs, poursui-
vies et notées sans défaillance, qui fait l'incontestable supériorité être,
du
peintre, et dont Corot et
Jongkind
seuls, peut-
avaient jusqu'alors fourni d'aussi frappants exemples.
M. Boudin
fut,
après ces deux maîtres,
influent de l'étude
du plein
air,
un protagoniste
un des promoteurs de
l'école impressionniste. »
M. Burty
a dit de lui
:
M. Eugène Boudin, sans pasticher M. Jongkind, a eu les yeux ouverts par son œuvre. A son tour, il a fait un élève c'est M. Monet, dont les paysages, lorsqu'ils n'ont «
point été trop hâtivement brossés, exercent sur teurs délicats tres,
les specta-
une sensation d'étonnement charmé. D'au-
moins sincères ou
excessifs,
ont parfois compromis la
cause. t
M. Boudin ne
Il est
s'est
point improvisé impressionniste.
arrivé à ses conclusions par des raisonnements, des
112
comparaisons
L'étude des conditions ex-
et des essais
presses sous lesquelles se présente ici et là la nature le
conduit seule. Nulles traces d'école. « S'il fallait
absolument établir des comparaisons, trou-
ver des maîtres à
un
artiste sorti
de la
mer
et
qui
s'est
formé
à peu près seul, nous les chercherions volontiers dans ces
peintres hollandais et des spectacles
du dix-septième
simplement observés
des pages d'une sûreté de
mité parfaits, et
et,
siècle qui, sur des faits
méthode
et
et traduits,
ont écrit
d'un charme d'inti-
plus particulièrement, dans
Van
de Velde
dans Van Goyen. M. Boudin nous semble par instants
un descendant bien moderne, bièn contemporain de deux maîtres plus d'un grand amateur
s'est
ces
plu à réaliser
;
le
parallèle,
moderne
et,
de ce
redoutable
voisinage, le peintre
n'a pas été diminué.
« C'est qu'en
œuvres de ce
effet,
depuis bien des années déjà, les
travailleur solitaire et infatigable, dont la pro-
duction est immense, sont entrées dans presque toutes les collections.
Comme
il
arrive souvent au début, les premiers
acheteurs des ouvrages de des peintres. alors
que
A
cette
M. Boudin
époque
initiale
furent des artistes,
dont nous avons parlé,
les exigences de la vie le confinaient à
Honfleur
ou au Hâvre, M. Boudin avait souvent recours au pastel pour fixer dans des notes rapides, mais extraordinairement
—
ii5
—
justes et ressenties, les effets fuyants des
mer. Ch. Baudelaire
les vit
au Hâvre en
étude consacrée au Salon de cette
nuages
din exposait son premier tableau),
de la
dans une
1859, et,
même année
et
(où M. Bou-
il
parla de ces pastels
tard, Corot les vit à
son tour, ces pastels,
avec enthousiasme. «
Un
et insista
peu plus
tellement auprès de leur auteur pour en acquérir
quelques-uns, que M. Boudin
finit
par céder, malgré son
attachement pour ces documents précieux, dont l'ensemble formait
une
véritable histoire
qu'ils rappelaient les études de les
du
ciel.
M. Burty
trouvait
nuages que se disputaient
admirateurs d'Eugène Delacroix à la vente posthume
de ses cartons. «
Ce que nous venons de
rappeler
ici
n'est peut-être pas
inutile pour expliquer la virtuosité vraiment étonnante,
mais toujours absolument dans Ruel
les et
sincère,
déployée par M. Boudin
pastels actuellement exposés chez
M. Durand-
qui sont, pour la plupart, de date récente.
On
est
surpris de trouver, dans des croquis enlevés d'un seul jet, les tons nourris et solides, la
composition pleine
et unifiée,
enfin toute l'orchestration de véritables tableaux. «
Il
faut le dire à la
louange des amateurs qui ont
depuis longtemps déjà donné place à collections,
que leur choix n'a pu
M. Boudin dans être
leurs
déterminé par
la
— situation officielle
du
ii4
peintre.
—
En
1883,1e jury lui décerna
une tardive médaille de deuxième rien.
En
il
est
dans
le
d'honneurs
offi-
même cas que MM. Degas
Jongkind. Mais qu'importe? Pour
art,
fait
M. Boudin ne cumule pas précisément. Au regard
des faveurs de l'État, et
Depuis, plus
Plus rien, malgré la constance de ses envois, souvent
importants, aux Salons annuels. ciels,
classe.
comprendre, traduire la
l'artiste épris
vérité, se
de son
rapprocher chaque
jour de l'idéal, le faire sentir aux autres, n'est-ce pas déjà
une grande part de bonheur
amour de
et
une douce récompense? Cet
l'art, cette foi artistique
ont déjà soutenu
M. Bou-
din dans bien des épreuves, noblement et discrètement supportées, et
récemment encore, dans
la plus douloureuse
de toutes, la perte de la compagne dévouée de sa vie et de ses travaux. C'est
vaincu,
pour
lui
M. de Fourcaud,
lignes, par lesquelles
qu'un critique sérieux
écrivait,
il
nous voulons
y
« pris, qu'ils sont tout d'un « tout le
« déplacer la tradition « justice
que quand
:
:
« C'est la
et
récom-
méconnus ou incom-
coup acceptés
monde. Leur honnête
con-
a tantôt six ans, ces
finir
« pense de ces chercheurs, longtemps
et
et
admirés de
patient effort a tendu à
on ne leur rend unanimement
la tradition est enfin déplacée. >
—
115
—
XX En
année
cette
1889, avait lieu l'exposition universelle.
Le jury international décerna à Eugène Boudin une médaille d'or.
L'année suivante, en mai 1890, Boudin
fit
une exposition
de ses œuvres à Boston, dans les galeries Chase,
7,
Ha-
milton place.
A la même dans
époque, Ribot faisait une exposition à Paris,
la galerie
Bernheim,
8,
rue Laffitte, et Boudin lui
écrivit à cette occasion la lettre suivante
:
5
Paris,
Mon
Vous avez nombreuse
très belle exposition
que
j'ai
mes
réuni là des morceaux superbes, très admirés par la
Bernheim
et
et
par vos
pu vous
serrer la
nombreux également.
Je n'ai regretté qu'une chose, c'est de n'avoir pas
main
sincères compli-
visitée hier au soir.
société qui remplissait les salons de
confrères, très
18go.
cher Ribot,
Je ne puis résister au désir de vous envoyer
ments sur votre
juin
vous témoigner de vive voix toute
pour vos récents ouvrages, qui attestent votre
mon
admiration, tant
virilité,
que pour des
—
1 1
6
—
œuvres d'une autre époque qui m'étaient inconnues à côté des maîtres
du passé.
est consolant
Il
et qui resteront
pour nous de voir que, malgré
s'accumulent sur nos
les
années qui
nous tenons encore vaillamment notre
têtes,
place au milieu de cette jeunesse turbulente
et oseuse,
qui veut faire
un peu
autre chose que ses devanciers et qui s'emporte peut-être
dans ses écarts de couleur
et
de fulgurance
L'avenir mettra chacun à sa place et fera justice des exagérations peut-être utiles
du présent. Laissons-les exulter
pleines mains, ces jeunes, et nous autres ne
heureux de pouvoir, malgré
les années,
et jeter leur
sève à
sommes-nous pas encore
nous présenter encore au
milieu de cette turbulente jeunesse.
A vous
de tout cœur,
mon
cher
Ribot,
et
mes bonnes amitiés
à
votre famille. E.
Aurons nous pars
de vous voir à Trouville cette année
le plaisir
demain pour un voyage dans
Boudin tains Il
le
Je
?
Nord.
choqué par
était alors
les
exagérations de cer-
nouveaux venus. avait le souci d'éviter que sa peinture ne
vilaine tache grise, et avait clair
BOUDIN.
dit ».
Daubigny
Mais
il
:
il
«
répétait souvent
un mot que
Nous ne peignons jamais
disait aussi
:
«
une
fit
lui
assez
La lumière a un langage.
Il
— faut la faire parler, faire
gueuler
Au
mois de décembre de
Ruel,
à
et,
ce sujet,
Les envois de
me paraissent
tique.
cette
même
année
1890,
une exposition nouvelle chez Durand-
fait
remarque suivante
fitte
faut la faire chanter. Il ne faut pas la
>.
Eugène Boudin
«
il
—
iiy
M. Théodore de Wyzewa
fait
:
M. Boudin
à l'exposition de la rue Laf-
d'un très précieux enseignement
artis-
montrent comment l'étude passionnée de
Ils
la
nature comporte par
elle
seule
une
la
possibilité indéfinie de
progrès dans la finesse de la vision et la sûreté du métier. Ils
montrent
vailler
un
aussi
comment un
demi-siècle, atteindre
bileté technique, créer cent et
peintre français peut tra-
œuvres d'un
art toujours
d'ha-
ferme
vivant, sans que les critiques influents s'avisent de le
louer
ou
le
peindre une l'ordre
ministre de le décorer
dame
la tête
:
tandis qu'il
suranné des couleurs
tel qu'il est
dans
décoré de nos jeunes maîtres
mars de
de
189 1,
la nature,
ou
un bocal de pharmacie ou
fumée d'un poêle mobile pour devenir
Au mois de
suffit
en bas ou de bouleverser un peu
d'observer son modèle à travers la
un suprême degré
aussitôt le plus
».
Eugène Boudin fait encore une
exposition dans les galeries de
M. Durand-Ruel, qui
a, le
—
u8
premier, compris et soutenu le
—
mouvement impressionniste,
et aidé ainsi
au renouvellement des tendances
en France
par suite, en Europe.
et,
Cette exposition
comprend
3
3
34 pastels et
tableaux,
les bords de la
au Hâvre, à Berck, sur
189 dessins, faits
artistiques
Touques, à Tourgéville, à Deauville, à Saint-Valery-sur-
Somme,
à Etretat, à Trouville, à Dunkerque, à Étaples, à
Saint-Val ery-en-Caux, à Dordrecht, en Bretagne.
Rendant compte de journal L'Art dans tiste «
au travail
les
cette
exposition, le
Deux Mondes, nous
représente l'ar-
:
Étaples avec ses sables,
le
Havre
son estuaire de
et
Seine, le Finistère et ses blocs de rochers, partout
une grève, un «
port, des bateaux, voilà l'atelier
L'homme
:
une
tête
une barbiche blanche,
finesse. Il
cantiles
à
le
de vieux pilote,
haut des joues
le
où
est placide,
mêle
la
il
y a
de Boudin. hâle rouge,
rasé. Il a le parler
un peu monotone. La physionomie,
très lent, bas,
normande,
du
critique
toute
avec des yeux petits où se décèle la
compréhension nette des nécessités mer-
un entêtement imperturbable dans
ses
con-
victions artistiques. «
A
Paris,
Boudin
une grande pièce
est
habite, 11, place Vintimille.
encombrée de
toiles,
Toute
posées par terre,
— s'appuyant contre
le
ii9
—
mur en
longues rangées pressées ainsi
cartes.
Dans
que des capucins de
cet
amas règne un
moitié chronologique et moitié géographique, où se retrouve avec
une aisance
prestigieuse.
ne
Il
ordre
l'artiste
fait là
que
des retouches, conservant à chaque œuvre la sincérité de l'étude
en plein
air.
Partout, dans les
couloirs
déborde une incroyable quantité de dessins aquarellées où se
Boudin.
Il
y
manifeste
a en lui
une
même,
et d'esquisses
l'élément primesautier
de
faculté innée de voir vite, juste,
complet. Quelques coups de crayon, deux ou trois teintes
ébauchées, des indications en marge, cela jours le tableau «
Et
c'est
y
suffit,
— tou-
est.
tantôt les floraisons prairiales, opulentes et
grasses des environs de Trouville où, sur les bords de la
Touques, ruminent paresseusement
les
vaches luisantes;
tantôt des laveuses accroupies au travail en
un
fouillis
mou-
vementé; ou bien de longues plages avec des groupes clairsemés sur le sable jaune. Mais ce que l'artiste préfère, c'est le port; sur les
eaux
paisibles se dressent les mâts, s'enche-
vêtrent les cordages des agrès, sans feuilles,
aux
fortes
comme une
étrange forêt
lianes; çà et là, la
éployée, des pavillons multicolores.
»
note vive,
120
XXI Tous cés.
ces éloges, les véritables artistes les avaient
devan-
Les meilleurs d'entre eux ne comprenaient pas qu'Eu-
gène Boudin ne Le
13
écrivait à
fût pas décoré.
juillet 1891,
Boudin
un grand
la belle lettre
peintre, Alfred Stevens,
que
voici
:
121
i3 juillet i8gi.
Cher Je
lis,
dans
non Boudin.
confrère,
les
décorés du Ministère des Beaux-Arts, Baudoin et
J'aurais été
n'y mettre qu'un seul mot
ma
heureux, en vous envoyant
si
Enfin
:
carte,
de
!
Croyez, cher confrère, que pas un seul peintre ne vous la donne, cette distinction; et cela depuis la
donne
nombre d'années;
un
si
seul
ne vous
pas, c'est qu'il croit depuis longtemps le ruban rouge à votre
boutonnière.
Ceux
qui,
comme
de leur distinction,
moi, sont plus heureux, auraient été plus
s'ils
fiers
avaient appris votre nomination.
Croyez, cher confrère, à
mon
admiration et à mes meilleurs senti-
ments.
ALFRED STEVENS, 15,
Boudin
lui
répond
:
Cher maître Votre aimable jours après
lettre,
de sympathie à
qui vient de
vous remercier de
mon
me
comme
vous,
parvenir, a couru quelques
artistiques.
cette rare et
touchante marque
égard.
Depuis bien des années amis,
et ami,
moi dans mes pérégrinations
Je ne saurais trop
rue Flachat.
qui
cette
promesse m'est
pensent
que
je
faite
pourrais
par quelques mériter cette
récompense. Je
en remercie profondément
les
voir leur désir trompé que pour
ceux qui obtiennent
Vous
savez,
mon
matérielle pendant
cher maître,
nombre
demander
qui ne suis pas jaloux de
qu'après avoir lutté pour la vie
d'années, je trouve que c'est
peu de cas de
d'autre, faisant
vexé de
ruban.
pu vivre de mon
résultat d'avoir
droit d'en
le
moi-même,
et je suis plus
mon
art,
et
je
n'en
mérite et ne
ai
me
un
suffisant
jamais désiré
croyant pas en
plus.
y a quelque temps, lorsqu'il fut question de demander pour moi le ruban, je fis une démarche collective avec un certain nombre Il
d'admirateurs de ce grand talent qui aura laissé en France tant de petits chefs-d'œuvre, je
veux parler de Jongkind.
Il
me
semblait que
ce maître peintre devait passer avant moi. Il
les derniers jours
de ce grand
récompense qu'on a
tant prodi-
m'eût été doux de voir adoucir
artiste,
en
lui
donnant
cette haute
guée à d'autres étrangers qui ne comptent guère dans
l'art
de notre
époque.
Pour moi, qui je
me
n'ai pas la prétention
trouve, je vous assure,
de
m égaler à ce grand maître,
suffisamment récompensé par
le
suf-
frage des amateurs.
M. Turquet, approché,
me
le seul
des directeurs des Beaux-Arts que
j'ai
jamais
reprochait d'être un peintre du commerce. Peut-être
avait-il raison;
nous nous émiettons un peu, aujourd'hui qu'on ne
compte guère qu'avec des
toiles gigantesques.
Qu'en
dites-vous,
vous qui n'avez pas besoin de plus de quelques centimètres de pour faire un bijou bleue ?
comme
la
dame en jaune ou
la petite
toile
femme
— Je n'en continuerai pas
qui
me
reste,
123
—
mon œuvre avec de mon mieux.
moins
cherchant à faire
le
peu de forces
Croyez, cher maître et ami, que je suis bien sensible à votre
témoignage de sympathique amitié,
ainsi qu'à celle des bienveillants
confrères de la Société qui (m'a-t-on assuré) notre Président en tête,
m'ont porté sur
la
liste
des artistes à récompenser.
ma
C'est là
meilleure décoration.
A vous
bien cordialement. E.
Boudin
BOUDIN.
comme Corot « Toute distinction qu'il faut solliciter ne me tente pas. Si l'on veut m'en donner, on sait bien où me trouver; mais de ceux qui pouvaient
était
pour des démarches,
Quant
venait de mourir le 9 février 1891,
il
à la Côte-Saint-André, petit village
du Dauphiné où
il
où, soit dit en passant, Berlioz est né.
Le vieux paysagiste
s'était
endormi de son dernier som-
meil loin de son pays, de ses parents
Lui non plus n'avait pas convoité
qu'un qui, un jour,
et
de ses amis.
les
faisait miroiter à ses
honneurs.
yeux
du ruban rouge, M. de Fourcaud raconte «
:
je n'en suis pas. »
à Jongkind,
s'était retiré, et
dire,
Vous avez dû
voir qu'il
maison un charbonnier
:
y
A quel-
l'éventualité
qu'il répondit
a au rez-de-chaussée de
c'est
mon
:
ma
ami. Je veux pouvoir
—
—
124
continuer à causer avec lui sans m'humilier et sans l'humilier. »
En
ce qui concerne
table injustice.
A
Ce
fut
Eugène Boudin,
il
M. Léon Bourgeois qui
struction publique et des Beaux-Arts, l'État le tableau
tableau placé
Luxembourg,
et
nommé geait
fit
véri-
cesser.
acheta pour le
il
exposé par Boudin
Villefranche,
il
la
une
1892, étant alors ministre de l'In-
l'Exposition de
compte de
avait
y
pour
lui
la
Rade
au musée
aujourd'hui
lui écrivit
:
annoncer
de
du
qu'il était
chevalier de la Légion d'Honneur, et qu'il char-
M. Puvis
de Chavannes de lui remettre les insignes
de son grade.
M. Léon Bourgeois d'Eugène Boudin,
et
avait résolu de réserver la décoration
quand
qu'on savait disponible, fait». Si l'on tâchait il
répondait
€
Boudin! mais
était
:
«
C'est il
il
il
était sollicité
répondait
de savoir quel
Boudin
».
:
«
pour
Mon
;
M. Léon Bourgeois
le solliciteur se retirait alors sans insister
Boudin
est
Mais on objectait toujours
est déjà décoré! »
1892,
choix
était le futur titulaire,
obligé de détromper son interlocuteur, et
Le 30 octobre
la croix
il
ajoute
que
davantage.
Puvis de Chavannes
écrit à
Eugène
:
Mon
cher Boudin,
Je viens de recevoir de la
Grande Chancellerie
les papiers concer-
—
nant votre nomination de chevalier Je serai
charmé de vous
—
i2 5
et la croix qui
remettre
les
vous
est destinée.
moi-même avec une bonne
et cordiale accolade.
PUVIS DE CHAVANNES.
même
Vers la
une
lettre
époque,
avait reçu de
il
Claude Monet
touchante, où leurs vieux souvenirs revivaient
embellis par Téloignement
:
Giverny, far Vernon (Eure), 22 août i8g2.
Mon
cher Boudin,
Excusez-moi de n'avoir pas répondu plus vite à votre qu'au retour de
lettre; ce n'est
de votre
lettre qui,
tout très touché en
vous
mon voyage
le pensez,
même temps
m'a
que
que
j'ai
si
eu connaissance
été très agréable. J'ai été sur-
très flatté
de votre demande. Je
ne puis vous annoncer aujourd'hui l'envoi de ce souvenir. Je travaillé cette
année
digne de vous
;
et je tiens à
aimable
n'ai
pas
vous donner quelque chose qui soit
mais vous n'aurez pas besoin de
me
rafraîchir la
mémoire.
Vous savez
que
l'affection
j'ai
toujours eue pour vous, et aussi la
reconnaissance. Je n'ai pas oublié que c'est vous qui, le premier,
m'avez appris à voir
Comme vous, ses courses en
et à
comprendre.
bien des
fois, j'ai
pensé à ces débuts, à ces délicieu-
compagnie de Jongkind, de Courbet. Aussi
bien heureux de voir que vous en avez conservé
le
ai-je été
souvenir.
126
J'espère bien cet hiver venir vous serrer la
main
et
causer de ce
bon temps. Votre
vieil ami,
CLAUDE MONET.
XXII Eugène Boudin
avait alors soixante-huit ans.
Ses habitudes de travail n'avaient pas changé.
Dès
mois de mars,
le
il
quittait Paris et
commençait
ses
pérégrinations.
Dans
les
Midi pour
dernières années,
se garantir contre les
qu'il avait contractées
dut
il
les
diriger vers le
douleurs rhumatismales
en peignant au grand
air
par tous
les
temps.
Mais au mois de ville,
et là,
il
juin,
il
revenait régulièrement à Deau-
achevait les tableaux qu'il avait
cours de ses voyages.
Il restait
qu'à la fin de la saison, Paris que vers la fin
et
il
sur les bords de la
ne rentrait dans son
au
faits
mer
jus-
atelier
de
du mois de novembre.
Dans l'année qui précéda
celle
de sa mort, en 1897,
il
peignait encore au mois de novembre dans les rues de
Honfleur,
et
Le pauvre
il
écrivait à
artiste a
un de
ses
amis
bien froid aux doigts.
:
— Une
ramené
fois
dans son
127
—
à Paris par l'hiver,
il
restait
enfermé
sans interruption, ne sortant
atelier et travaillait
pour ainsi dire jamais.
De
là
une production incessante dont
s'inquiétaient.
Un
d'entre
eux,
certains amateurs
un ami de
première
la
heure, aurait voulu le voir modérer son ardeur et limiter le
nombre des œuvres lui faire des
Boudin
qu'il entreprenait. Il lui avait écrit
recommandations dans
lui répondit
talent.
Mais
est-il
ce sens.
:
Je pourrais convenir avec vous que
mon
pour
j'ai
quelquefois
«
galvaudé »
bien certain qu'avec plus d'économie dans la
production, je fusse arrivé à un autre résultat? C'est fort douteux.
Certains amateurs m'en font un crime. Mais lorsque je leur dirai
:
C'est doublé, à prendre ou à laisser! Croyez-vous qu'ils ne regim-
beront pas contre
Du reste,
prétention
?
viens de passer un hiver qui est un avertissement. Je
ce n'est pas douteux. Je m'arrêterai forcément un de ces jours.
vieillis,
Déjà
je
ma
je
brouille.
sens une grande fatigue. Il
s'alourdit,
mon
œil se
n'y a plus que la volonté qui survit et cette habitude prise
de labourer journellement quelque
Ma main
volupté à
me
mon
reposer,
sillon.
Mais croyez que j'aurais
n'était le devoir qui
me
pousse au
travail.
Ce
n'est pas lorsqu'on touche à son quinzième lustre qu'on doit
se figurer qu'on ira plus loin.
me semble
pinceau qui
Mais
s'il
-
128
Il
faudra bien lâcher quelque jour le
déjà lourd.
m'est donné de peindre encore quelque temps, vous aurez
satisfaction, car j'ai pris la résolution de
ne plus mettre tant d'enfants
dehors. Je vais serrer cette mécanique résolument.
Et puis, je suis bientôt
ans que
Dieu
je laboure. Les
moi,
!
Je ne
je suis sans
satisfait
de
mon
n'y a pas moins de soixante-quatre
mauvais jours comptent double dans la vie,
eu de ces jours de désespérance
sait si j'en ai
de toute sorte
fini. Il
me
fais
et
et
de privations
pas d'illusion sur ce qui m'attend. Pour
ambition. Je serais bien
me
sort. J'en vois qui
difficile si je n'étais
pas
valent et qui végètent à côté
de moi.
Du
reste,
ne croyez pas que
c'est
un grand désir de lucre qui m'a
poussé jusqu'à présent. Le papa Corot lui-même, « galvaudé » son talent (puisque c'est le
mot
qui a pas
mal
consacré), a eu la fai-
blesse, lui aussi, de se laisser circonvenir et fatiguer jusqu'à son der-
nier jour et sans profit,
comme je
Et dans l'intimité, travailler
Boudin
aurait
pu
Mon
ajouter
souvent.
disait
moins; mais alors que
Je m'ennuierais. Il
le fais
:
«
ferais-je
Certes, je pourrais
dans l'intervalle?
seul plaisir est de peindre. »
que souvent des marchands avaient
voulu s'assurer sa production d'une manière exclusive,
mais
qu'il s'y était toujours refusé,
malgré
les
avantages
pécuniaires qu'il aurait certainement tirés d'un semblable
—
—
129
arrangement fréquemment accepté. Par
eux
d'entre
le
boudaient. Mais
disait à ce sujet
il
plus de quinze ans à travailler sans rien vendre
quand un amateur
« J'ai
:
été
aujourd'hui
;
ma porte,
vient frapper à
plusieurs
suite,
j
'éprouve
un
trop grand plaisir pour ne pas le satisfaire et je suis trop flatté Il
de sa démarche pour pouvoir l'éconduire. » s'efforçait
donc de contenter tout
monde. Et
le
comment n'y eût-il pas réussi ? Ses prétentions étaient si modestes! M. Vollon raconte qu'un jour il amena dans l'atelier de Boudin un riche amateur de Marseille. Il prit Eugène Boudin
—
«
à part et lui dit
Je t'avertis que
prix élevés.
Ne
mon client a l'habitude
l'amateur parcourt
A un moment ment devant une
»,
me
donné, toile
le visiteur s'arrête
—
amateur.
et lui dit tout
sais, je t'avertis; si c'est ce
« C'est fort bien, dit
mais moi »
je
plus longue-
qui parait fixer son choix. Boudin
cinquante francs
trois cent
»
l'atelier.
absolument impossible de
sera
!
répond Boudin, pendant que
lui
s'approche alors de Vollon
il
de payer des
vas pas demander des prix ridicules
— « Sois tranquille
— « Tu
:
!
».
.
bas
:
tableau là qu'il prend,
le lui laisser à
moins de
.
Vollon,
fais
comme
ne reviendrai plus jamais chez
tu l'entends toi
avec
;
un
— Comme
—
1)0
Boudin, M. Vollon avait eu des débuts très
modestes. Son premier ouvrage eut cependant tout de suite
une grande publicité.
Il
passa
de milliers de spectateurs.
Il
du premier coup sous peignit, en effet, les
les
yeux
numéros
sur fonte émaillée des maisons de la ville de Lyon, sa ville natale.
Employé dans une
fonderie,
il
couche bleue sur laquelle se détachent sons. Puis
il
fit
en 1859,
les
numéros des mai-
de la bijouterie, ensuite de la gravure, afin
de gagner sa vie. Enfin, en 1857, rots et,
débuta par cette belle
il
exposa à
il
Lyon
des Pier-
vint à Paris.
XXIII Eugène Boudin, en
1896, fut obligé par l'état de sa santé
de retourner passer l'hiver dans Venise.
Il
Deau ville
s'y installa,
en
le
Midi.
effet, et
où, à peine débarqué,
il
Il
résolut d'aller à
revint avec ses études à fut interwievé par
un
rédacteur de Y Echo de Paris qui donna le compte-rendu de sa visite
:
«
Venise n'existe plus
«
Par
cette
devant moi,
:
il
boutade qu'il
le peintre
y
a des bateaux à vapeur
laissait l'autre jour
!
échapper
Ziem, ce toujours fidèle courtisan de
—
131
—
la « reine de l'Adriatique » prononçait
peut-être «
pour
— l'oraison funèbre de
La cité de
perles, de roses et de lapis
un
des steamers
«Que
romantique.
que Ziem a peinte
de plusieurs générations d'amateurs, aurait-elle
la joie
place à
fait
l'art
— inconsciemment
port de
mer quelconque,
souillé de la
fumée
?
deviennent,
hélas!
l'élégance
archaïque,
la
majesté pittoresque des vieux palais se mirant dans la lagune,
si
de ballots,
les
quais de marbre s'encombrent de caisses et
grincement des grues à vapeur,
la plainte
stridente des sirènes couvrent de leurs bruits le
murmure
si
le
soyeux des gondoles glissant sur l'on n'entend plus filles «
au passage
un
canaux
les soupirs poussés
derrière les jalousies baissées
Seul,
les
la
par les belles
dommage
j'ai
eu
la
causé
beauté de l'éternel refuge
des poètes et des amoureux. Cet artiste, c'est
Boudin, que
si
?
artiste pouvait apprécier le
par l'inévitable civilisation à
déserts, et
le
bonne fortune de rencontrer
peintre l'autre
jour à Trouville, retour de Venise. «
Rassurez-vous,
ai passé «
me dit-il, Venise
est
toujours belle; j'y
quelques semaines inoubliables.
Mais Ziem a raison de clamer un De profundis. La
Venise qu'il a peinte n'existe plus guère. C'est celle des siècles
écoulés, qu'avec de savantes études et grâce à la
.
—
—
132
puissance de son imagination de poète,
merveilleusement. Mais
non moins
vue,
j'ai
le ciel d'être
y
a
une autre Venise,
—
«
refléter les
dire,
Hâvre
—
comme
immense
mirages du
mon cher maître,
propre tempérament, c'est peints à Venise,
que
bleu, les nuages de courir en troupeaux
mer de
Cela veut
celle
hommes, voyez- vous, n'empêcheront
rapides ou en flocons légers sur son velours, et la
reconstituer
d'une beauté éternelle. Les
belle et
misérables efforts des
jamais
il
pu
a
il
le ciel
vous
les
si
ciel.
que, fidèle à votre
et l'eau
avez
tapis de
que vous avez
souvent peints au
?
«
Justement,
dit-il
en
Ah
s 'animant.
!
Monsieur
quels ciels merveilleux, quelles aurores, quels couchants
Et la mer
!
Combien
certaines heures, c'est
différente de notre
comme
«
Une
ces horizons
aux tons
pour moi une inoubliable volupté de
ce fut
ce voyage
!
!
. .
l'œil
que
»
conviction ardente,
un enthousiasme
juvénile illu-
tence n'a été qu'une patiente étude de l'horizon flots,
de
perlés
minaient la figure hâlée du vieux peintre dont toute
des
A
des gris incomparables de finesse et de légèreté.
J'ai surpris !
!
!
de la crème... Et encore, cette
atmosphère unique au monde,
Ah
Manche
!
qu'une contemplation passionnée des
aux grandes nues chevauchantes.
l'exis-
mouvant
ciels
marins
.
.
—
—
133
Sa face énergique, aux poils rudes
«
et blancs, ses
d'un bleu de faïence, son sourire naïf et large,
vifs, purs,
font prendre invariablement pour quelque loup de
qui le voit pour la première Et
«
comme
maintenant de
—
«
Non,
la conversation a lui
:
répondit-il à
une de mes questions, j'ai
sur la peinture m'ont toujours semblé lutté
longtemps avant
heureusement, qui
me
la
récompense
Mon
cesse.
je n'eus
cherché tout seul
un peu
discussions
les
oiseuses.
Pour
d'être compris; aujourd'hui,
arrive; j'ai
sont depuis longtemps fidèles,
augmente sans
mer par
tourné et que nous parlons
sans être d'aucune coterie, d'aucune école, et
j'ai
le
fois.
point de maître à proprement parler;
moi,
yeux
ambition
se
quelques amateurs dont le nombre
borne à
les satis-
faire.
— — sont
«
Et vous y arrivez?.
«
Pas toujours
mes amis me
harcèlent.
—
«
en
riant
M. Boudin
;
ceux qui
me
.
Cela ne m'étonne pas,
merveilles. «
dit
.
traitent de fainéant, et les autres
leur annoncer que,
—
!
.
cher maître, et
je vais
de Venise, vous leur rapportez des
.
Ah! non,
que Venise
mon
dites
que
j'ai
vu
des merveilles. Dites
est toujours la plus belle des cités
maritimes, le
— joyau unique, poètes,
En
i34
le décor propice
— aux
mais ne parlez pas de ma peinture.» (eugène
lui reprochèrent
mais d'y avoir
commis une
doucement, non pas d'avoir été à Venise,
fait
des tableaux. Pour eux, Boudin avait
sorte de sacrilège en abordant
appartenait exclusivement à Ziem.
on
le
voulu toucher
qui n'était pas le sien
sujet qui
avait beau se défendre
que Ziem avait
à la convention
et qu'il aurait
un
créée,
un domaine
dû considérer comme
lui.
Boudin ne et se
Il
blâmait néanmoins d'avoir pénétré sur
fermé pour
tardieu).
dans l'entourage d'Eugène Boudin, plusieurs
effet,
d'avoir
rêveries; rassurez les
tint pas le
borna à répéter
moindre compte de
qu'il avait fait à
ces critiques,
Venise ce qu'il avait
vu, et qu'il avait fidèlement reproduit la réalité, d'ailleurs
sans penser à la Venise
très belle,
que Ziem
telle
la rêvait et
se plaisait à l'imaginer.
Le souci que Boudin avait eu de demeurer exact poussé
si
loin,
que dans un de
ses plus
importants tableaux,
on voyait, au premier plan, des chalands chargés de défilant sur palais et de paraissait
un
canal,
paille,
au fond, une magnifique suite de
et,
monuments
était
;
et
comme
la
vue de
ce fourrage
choquer l'amateur en offrant un contraste fâcheux
avec ce fonds de somptueuse architecture, Boudin prit soin
.
— d'expliquer qu'à Venise
ment
il
—
i35
n'y avait pas de rues, mais seule-
des canaux, et que tous les services se faisaient par avait fait ce tableau
un
convoi de bateaux chargés de paille avait défilé devant
lui,
eau; que, par suite, le jour où
que
cela n'avait rien
il
que de normal
là-bas, et qu'il avait
reproduit ce qui se voyait habituellement et ce qu'il avait
vu précisément
ce jour-là.
L'amateur cependant ne se laissa pas convaincre, pria cet
Boudin de
amas de
faire disparaître la
paille.
et
il
tache jaune que formait
Boudin, très accommodant, n'insista
pas, et, content de son explication, céda
au désir de l'ache-
teur, qui préférait voir l'église Saint-Marc sans le convoi
de
fourrage
XXIV Venise fut sa dernière étape.
Au
mois de février 1898,
A cette amis
:
époque,
il
il
se sentit malade.
écrivait la lettre suivante à
un
de ses
—
136
— Paris,
18
le
février i8g8.
Cher Monsieur,
Vous excuserez un malade aller
qui aurait dû depuis plusieurs semaines
prendre de vos nouvelles et vous souhaiter
bonjour
le
;
voilà près de six semaines que je suis atteint de l'influenza avec fièvre qui
Mon
m'a cloué au
lit
mais
une
assez longtemps.
plus grand supplice, à part la maladie, c'est que je n'ai pu,
jusqu'à présent,
me
livrer à
quand
état
de reprendre
je serai
en
visiter l'atelier
aucun
travail et je
la palette,
ne
quoique
sais
vraiment
je puisse déjà
en curieux.
Croyez, cher Monsieur, à mes meilleurs sentiments et agréez
mes
cordiales salutations. E.
Boudin poêle.
Il
dans son
se tenait
BOUDIN.
atelier, assis
tout près
du
avait froid jusqu'aux os, disait-il, et ne parvenait
pas à se réchauffer.
Il
n'avait plus de forces et ses jambes le
soutenaient à peine. Il
voulut aller au
De
soleil et se rendit à
là, il écrivait à la
date
du
Beaulieu-sur-Mer.
25 avril 1898
:
Cher Monsieur, Votre
lettre
me
parvient
semaines déjà sans que j'en
à Beaulieu
aie ressenti
où
je
un grand
suis
depuis trois
bien-être.
— Il
est
croyais
vrai
que
suis parti
je
—
137
beaucoup plus malade que
me
arrivé à Nice, je ne pouvais plus
l'être, car,
je ne
traîner et
moment que j'allais être obligé de me faire conduire à Mes jambes m'abandonnaient, je ne pouvais faire vingt pas
cru un
j'ai
l'hôpital.
sans succomber. Enfin, mais, hélas
!
pas
j'ai
la santé.
gagné Beaulieu où
Car
je suis depuis trois
plus triste état, pouvant à peine
J'ai
traîner et ne
gîte,
semaines dans
mangeant
éprouvé un petit mieux, mais
J'avais tout d'abord
maintenu.
me
trouvé un
j'ai
consulté un médecin qui m'a mis au
plus.
ne
il
lait
le
s'est
pas
pour toute
nourriture et j'en suis arrivé à un état de faiblesse très inquiétant,
car je peux à peine
Pour comble,
la
me
traîner à quelques centaines de pas
semaine a
soleil est absent, et le
été et continue d'être
temps maussade
de malade. Je ne sais vraiment
si je
me
logis.
mauvaise. Le
et froid ajoute à
pourrai
du
ma
détresse
remettre sur pied et
reprendre quelques forces. C'est douteux.
Vous voulez bien me
consulter relativement à quelques
toiles
que vous désirez exposer (à l'Exposition des Beaux-Arts de Périgueux). Je vous en prie, faites tout ce qu'il vous plaira à cet égard et ce sera
pour
le
mieux.
Je suis
que
je
si
peu à
ne prends
même
tant dans les rares
pour tenter
la peinture, réduit
pas
la
le suis
parla maladie,
peine de regarder autour de moi. Pour-
moments où
le peintre,
comme je
le ciel est
mais je n'y songe
clément, c'est assez beau
même
pas,
tellement la
maladie m'a abattu. Toutefois le pittoresque a disparu.
Il
y a de beaux jardins remplis
d'orangers, de citronniers, d'arbres exotiques, mais tout est accaparé
pour
faire des jardins.
Voilà que va s'ouvrir
comparer
38
i
entre les deux Salons.
la lutte
et ce sera, je crois,
On
pourra
une étude assez curieuse dont
me
je
désintéresse.
Agréez, cher Monsieur,
mes plus
cordiales salutations. E.
A
la
même
époque,
M. D. Louveau
il
écrivait à
BOUDIN.
un ami de Honfleur,
:
Beaulieu-sur-Mer, i5 mai i8g8.
Mon
cher monsieur Louveau,
C'est de Beaulieu, où je suis depuis la lettre
deux mois, que
je
réponds à
que vous m'avez adressée à Paris. Vous ignorez que depuis
cinq mois tout à l'heure je traîne une existence maladive, à d'une violente attaque d'influenza Paris, j'ai
du
dû changer de climat
;
que, ne pouvant
et essayer d'un
me
la suite
remettre à
pays plus favorisé
soleil
Hélas! je suis loin d'y avoir retrouvé une santé perdue...
Dans
quelques jours, nous allons quitter cette côte bénie des uns, mais où je n'ai
pu ni réchauffer mes pauvres vieux
os, ni
retrouver la vigueur je
vais revenir vers notre Normandie, très affaibli par
qui m'est imposé, car
aliment solide ou
j'ai
absolument perdu
un régime de
la faculté
lait
de digérer tout
fortifiant...
Retrouverai-je, au pays natal, je suis arrivé à
;
mes
forces perdues
?
J'en doute, car
un degré d'épuisement absolu., pouvant
à peine
mar-
— cher cent pas.,
et
—
n'ayant plus la force de tenir le pinceau, ce qui est
une de mes douleurs J'ai
139
vu souvent
les plus vives.
à Paris notre
ami Marais...
est
il
venu me rendre
mon départ pour le midi, mais là, je me croyais encore assez fort pour me risquer à un voyage lointain sur lequel je comptais pour m'apporter la santé. Je m'étais trompé et je me suis visite la veille de
trouvé
ici
sur
le
point de succomber dix fois.
J'espère pourtant revoir encore notre vieille cage
chercher
la
affaibli et
bien découragé, je vous assure... si
nous arrivons à bon port, vous voir dans les
On
premiers jours de juin à Deauville... natal de préférence à celui
que
je
m'y envoie respirer
du Midi... Cela me
ne voudrais par mourir
et connaissances, et surtout des
ici,
réussira-t-il ?
je suis trop loin
bonne, malgré
les
temps rigoureux qu'on
de pouvoir vous donner
la
main
de tous
l'air
Le
les
fait
amis
miens.
Je veux croire que votre santé, ainsi que celle de est
et
convalescence peut-être possible encore. Mais je pars bien
Nous comptons,
est
normande
Madame Louveau
signale, et je souhaite
bientôt.
Bien affectueusement à vous. E.
Il revint à
moment où au
travail,
il
il
Paris de plus en plus faible,
une
et,
un matin, au
préparait sa palette pour tâcher de se remettre
tomba de son escabeau
la fin. Il ne put désormais aller
sur
BOUDIN.
sur le plancher.
dans son
chaise longue dans sa salle à
atelier. Il
manger,
Ce
fut
vécut
relisant Les
Maîtres d'autrefois, de Fromentin, ces maîtres flamands
et
—
—
140
hollandais qu'il avait étudiés avec tant d'ardeur quand, en 1846,
était
il
venu
à Paris grâce
aux subsides de
la ville
du
Havre. C'était un retour à des débuts éloignés de plus de cinquante ans.
Mais bientôt,
se sentant définitivement
perdu,
il fit
ses
dernières recommandations au sujet de ses études et de ses
croquis précieusement conservés et soigneusement classés
pendant un demi-siècle de rir
à
Deau ville, dans son
en face de la mer. prix,
travail, et
A
il
châlet, près de
Paris,
étouffait,
il
mou-
décida d'aller
au risque de ne pas arriver vivant,
il
sa ville natale,
A
disait-il.
tout
voulait s'en aller
là-bas.
Sa volonté fut accomplie grâce à un suprême
effort
d'énergie de sa part.
En
s'éloignant de Paris,
situation et ce
moment
nombre surtout
il il
sentait qu'il
il
se rendait bien
ne reverrait plus son
n'avait qu'un seul souci.
atelier.
Il laissait
A
un grand
une quarantaine de cartons contenant un ensemble
Il
ne voulait pas que
siècle fût livré
au public
et
le tout classé et
ce long travail d'un
tombât dans
jusqu'au huit août suivant.
demi-
la circulation.
Transporté à Deauville au mois de juin 1898, tint
sa
d'études peintes et de toiles ébauchées. Il laissait
innombrable de croquis d'après nature, annoté.
compte de
il
se sou-
—
—
i4i
XXV A
qui rappelle bien
article
peintre
derniers jours de la vie
les
du
:
La dernière
«
de sa mort, M. Roger-Milès publia un
la nouvelle
que
fois
je le vis
dans son
de la
atelier
place Vintimille
—
de causerie
parla de sa longue carrière, sans amertume,
et
homme
en
2V°
37-
Commune
—
il
il
y
a décela des mois
Boudin Louis-Eugène
— Du
août i8ç8).
(8
:
en veine
Registre des décès de la :
huitième jour du mois d'Août de l'année mil huit cent quatre-
du matin, en
Édouard-Adolphe, Maire,
officier
de l'Etat Civil de la
de
secrétaire
:
maison commune, devant nous Hunebelle
la
la
Commune
tement du Calvados, ont comparu journalier, domicilié rue de la
ans,
était
de Deauville, pour l'année mil huit cent quatre-vingt-dix-huit, est extrait
Aujourd'hui
trois
il
qui ne regrette rien, qui a la conscience pure de
vingt-dix-huit, à dix heures
d'officier
—
Légion d'Honneur, faisant
Adam
officier
fonctions
âgé de trente-six ans, Ponchy Eugène, âgé de soixante-
Jules-Arsène,
Banque, à Deauville,
de mairie,
les
de Deauville, Canton de Trouville, Dépar-
et
d'Académie, aussi domicilié à Deauville,
à l'Hôtel de Ville, tous deux voisins et non parents du défunt, lesquels nous ont déclaré que cejourd'hui à six heures du matin, Boudin Louis-Eugène, âgé de soixante-
quatorze ans, artiste peintre, Chevalier de la Légion d'Honneur, domicilié rue Deauville, veuf de feue
Guedès Marie-Anne,
fils
Oliffe,
à
de feu Boudin Léonard-Sébastien et de
feue Buffet Marie-Félicité, née à Honfleur, est décédé en sa maison dans cette com-
mune. Ce dont nous nous sommes assuré, et qui nous est de plus affirmé par certificat du docteur Leneveu, domicilié à Trouville c'est pourquoi nous avons rédigé le présent acte, que les déclarants ont signé avec nous après lecture. :
Ont signé
:
J.
Adam
;
E.
Ponchy Ed. Hunebelle. ;
—
—
142
toute défaillance; en vaillant qui ne doit qu'à lui, à son effort,
son talent, l'estime où le tiennent
à
capables de l'apprécier
jamais rien
demandé
« Il s'était assis
et
et à
les seuls
gens
de l'aimer; en travailleur qui n'a qui l'on n'a rien donné.
devant
le petit
bahut où, dans des che-
mises, ses croquis et ses dessins étaient classés avec ordre, et, les
tirant
une à une,
il
les ouvrit et les feuilleta. C'était
toute sa vie qui lui passait sous les yeux; c'était son labeur
de cinquante années qui apparaissait avec sa palpitation l'étude continue d'un observateur fin et
c'était
spéciale;
avisé, spirituel
quand
une synthèse expres-
croquait en
il
sive les gens des villes égarés sur les plages, plein d'émotion
quand et
il
consacrait ses
aux bateaux,
y
homme
papiers
ces coquilles qui ont
qui sont des ailes « Il
menus
aux gens de
une âme
la
mer
et ces voiles
!
avait là tout ce qui avait été la passion de cet
formé à
l'école des maîtres
de
l'école
de 1830; des
pêcheurs et des sloops de pêche, des coups de vent
et des
accalmies, le grouillement des baigneurs sur le sable fin ou la rudesse des galets; la coquetterie la
mode
capricieuse, et
humaine
ballotée par
marquant chaque année d'une
déchéance et d'une invention nouvelle, en face de l'immuable splendeur de la mer, sur
le
miroir de laquelle
le soleil
— incessament
i
4
3
—
jouer sa féerie de lumière dans
fait
décor
le
fugitif des nuages.
« Et
chaque
feuillet rappelait
au vieux peintre un
daté et oublié dans son
un tableau depuis longtemps
dent,
œuvre;
il
évoquait sans lassitude
inci-
et
sans fatuité son passé
tout frémissant de souvenirs. Sa mémoire, présente et claire, se répandait
comme une
intarissable; et c'était
source dont rien n'a souillé le
une
joie attendrie
flot
vraiment que de
l'entendre parler, lui qui est certainement
un
des plus dis-
tingués petits-maîtres de notre école française, petit-maître
ayant
ici le
délicieux
mot pour désigner
sens qu'on donne à ce
du dix-septième
Flamands
siècle
qui
les
sont
l'orgueil des collections particulières et des musées.
« Je
me
le rappelle
œil bleu profond ville
:
«
A
me
disant avec
Paris, je suis
une larme dans son
comme un
exilé
ne convenait ni à son tempérament, ni à son
lui fallait les
grands horizons,
les
!
»
La
art;
il
grands tumultes de la
nature et les grands recueillements. Elevé au bord de la mer, dans la brutale harmonie des
«
vagues, au spectacle toujours renouvelé des bateaux qui
vont tés,
et
viennent, des marins
et des
pêcheurs, des ciels agi-
calmes, assombris, étincelants, prodigieusement élevés
ou lourdement
abaissés,
suivant qu'il est dans le caprice
des vents de les forcer à telle ou telle forme,
Eugène Bou-
—
i44
—
din réalise l'idée qu'on doit se faire du peintre de marine. «
le
Chaque morceau
temps; rien n'y
qu'il a signé
est laissé
ces effets ont été vus, et
interprétés avec
aspect dans
au hasard; on devine que tous
on constate
une incroyable
crayon; je n'en veux
marque un
citer
qu'il ont été notés et
virtuosité de pinceau
pour exemple que
ou de
ses soleils
couchants, de mignonnes études qui prennent des proportions de chefs-d'œuvre avec leurs accents vigoureux, leur
étrange vérité de pittoresque et l'admirable poésie qui s'en
dégage
:
le soleil jette
sa pourpre éclatante
autour de son orbe la prodigalité de ;
a suspendu son vol et les êtres les éléments,
même comme
tout est calme pourtant le vent
:
comme
les choses,
restent immobilisés dans leur admiration,
devant cette souriante apothéose d'un beau jour où tout est
harmonie, caresse, passion, lumière « C'est
avec
qu'il avait si
un
y
prit
a
«
y
monotone, que Boudin a voulu mourir.
une quinzaine
que son heure
volonté,
dont
pareil spectacle sous les yeux, spectacle
souvent traduit, sans qu'on puisse jamais
lui reprocher d'être Il
il
!
à peine, se sentant plus mal,
était
exigea qu'on
proche. Par le
un
il
com-
dernier effort de
ramenât, de Paris, à cette mer
l'air le grisait.
Le voyage, on
avait,
au bout de
le devine, fut cruel
cette épreuve,
un
au malade; mais
il
coin de ciel aimé, à
—
M5
—
regarder, et des barques dont le balancement, dans le clapotis de l'eau, saurait bercer sa douleur. «
et
et
C'en
comme
était trop si
cependant; Boudin arriva là-bas épuisé,
son mal lui avait consenti
une faveur assez grande en
ivresse de s'emplir encore il
acheva de mourir.
»
une
lui
un
crédit assez long
ménageant
fois les
poumons
la
suprême
d'air salin,
—
146
_
XXVI Ses obsèques eurent lieu le vendredi 12 août 1898, à l'église
de la Trinité,
et
il
fut enseveli
Vincent, à Montmartre, dans les restes de sa
Voici
«
On
le
journal
Temps rendit compte de
cette
:
a célébré aujourd'hui, à midi, en l'église de la Tri-
nité, le service «
tombe où reposaient déjà
femme.
comment
cérémonie
la
au cimetière Saint-
funèbre du peintre Eugène Boudin.
Ramené, dans la journée
d'hier, de Deauville, le corps
avait été exposé, en attendant la cérémonie, dans
caveaux de
l'église. Il a été transporté,
un
des
après le service, au
cimetière Saint- Vincent de Montmartre, dans
un caveau de
famille. «
Peu de
Parisiens connaissent aujourd'hui ce cimetière
qui est l'ancien cimetière paroissial de Montmartre. Assis
au sommet de il
la butte, sur le versant
ne reçoit plus que de loin en loin
qui regarde le nord,
la dépouille de
quelque
membre d'une des vieilles familles montmartroises en possession depuis longtemps d'un caveau. «
De
la rue Saint- Vincent à
la
rue
Caulaincourt, en
.
—
—
M7
pente raide, ses allées ombreuses dégringolent, accessibles
seulement aux piétons. Le calme profond qui règne n'est troublé que par les cris joyeux des oiseaux, et les cercueils, à l'ancienne
mode
provinciale,
y pénètrent sur
les épaules
de robustes porteurs. «
Et,
par une radieuse journée
clair soleil
qu'on voit dans
comme
le lointain
celle-ci,
poudroyer jusqu'à
la plaine Saint-Denis, sur les toits éparpillés le
vieux champ de repos, perdu sous
rien de plus funèbre.
sous le
de la banlieue,
les feuilles,
n'a plus
On ne saurait rêver une cité des
morts
plus discrète et moins imprégnée de tristesse «
Arrivé devant la tombe,
tréteau, les
dans
couronnes
l'allée, et,
on
cortège a
halte. Sur
fait
a déposé le cercueil,
un
on a entassé
devant ce reposoir improvisé, paré de cou-
leurs éclatantes, qui eût été
peintre,
le
un modèle exquis pour un
deux discours sans pompe, mais émus, ont
été
prononcés. «
M. Kaempfen,
directeur des musées nationaux, repré-
sentant le ministre des Beaux-Arts, a retracé en termes
touchants
la carrière
du maître. M. Louveau,
municipal de Honfleur, a surtout insisté sur tion qui unissait « Il
Boudin à
conseiller
l'étroite affec-
sa ville natale.
en a donné dans son testament une dernière preuve
en lui léguant un choix important de
très belles toiles.
»
— Voici
le
texte
du
—
148
M. Kaempfen, directeur représenter M. Léon Bour-
discours que
des musées nationaux, chargé de
Beaux-
geois, ministre de l'Instruction publique et des Arts,
prononça devant
Le Ministre de
«
tombe
la
:
l'Instruction publique et des
Arts a voulu qu'une parole d'adieu fût dite en son la
tombe de l'homme simple,
vailleur infatigable,
nous «
du bon
et
Beaux-
nom
sur
du
tra-
discret et modeste,
loyal peintre qui vient de
être enlevé.
Eugène Boudin
était
né à Honfleur.
Fils
de pilote, son
enfance fut bercée sur la vague, au souffle du vent, sous ciel vaste,
aux changeants
aspects, et le ciel et la
premières amours, auxquelles
ses
le
mer furent
demeura toujours
il
fidèle.
«
Le
quand
il
ciel et la
pouvait s'échapper de la petite boutique de mar-
chand de couleurs et
mer, voilà ce qu'il essayait de peindre
qu'il avait ouverte
plus tard, encouragé
et conseillé
pour gagner sa vie; par
un grand
artiste
qu'un hasard heureuxavait mis sur son chemin, lorsqu'il se fut décidé
de laisser là le commerce, voilà ce qu'il peignit
sans cesse avec passion et
le
cœur plein de joie
et ainsi
jusqu'à la fin. «
Avec quelle conscience
et quelle
patiente ardeur
il
— cherchait la vérité « Il
;
M9
flotilles
gris
On
la sent
sombre auxquels
de bateaux de pêche, dans
mer ou de gens du monde en ses plages.
connu
tous ceux qui l'ont
avait le don de la vie.
nuages d'un
—
il
les
dans
les ciels
aux
dans ses
se plaisait,
groupes de gens de
villégiature, dont
Son pinceau avait des
le diront.
il
finesses de
peuplait
coloration
exquises. «
Et ce talent exact et sincère, poétique aussi, était
si
bien marqué d'une empreinte personnelle, que devant une toile
d'Eugène Boudin
nom
autre
que
« L'artiste
à qui ne
aima
pour
l'art
l'art lui
guère possible de mettre un
le sien.
que nous regrettons aura sa place parmi ceux
manquera jamais le
« Il laisse il
n'était
il
de belles œuvres
non pour
même.
suffrage des délicats. ;
il
laisse aussi
la célébrité
un
ou pour
bel
exemple
le profit,
;
mais
»
XXVII Le
9 janvier 1899, s'ouvrit à l'école des
Beaux-Arts l'Ex-
position des œuvres d'Eugène Boudin.
Là
se trouvait réuni
93 pastels et aquarelles
un ensemble de 364 tableaux envoyés de tous
et
de
les points de la
France
et
même
venus de l'étranger. Les musées
et les
ama-
teurs s'étaient empressés de répondre à l'appel d'un comité
qui comptait parmi ses président Arts,
membres M. Léon Bourgeois, ancien
du Conseil, M. Roujon, directeur des Beaux-
M. Albert
Sorel, de
l'Académie Française, M.Vollon,
M. Paul Dubois, M. Cormon, de directeur des
teur
l'Institut,
M. Kaempfen,
Musées Nationaux, M. Bénédite, conserva-
du musée du Luxembourg, M. de Fourcaud, professeur
— à
l'école
B eaux-Art s
des
I
5
I
—
M. Marais, maire du Hâvre,
,
comme
M.
Butel,
MM.
Carolus-Duran, Blanche, Carrière, Cazin, Damoye,
maire
de
Honfleur,
peintres
des
Fantin-Latour, Gervex, Guignard, Guillemet, Harpignies, Helleu, Lebourg, faelli, Tissot, le
MM.
Lhermitte, Claude Monet, Quost, Raf-
sculpteur Guilbert, des critiques d'art comme
Arsène Alexandre, Gustave Geffroy, Roger Marx,
André Michel, Roger Milès, Armand Sisson,
des
amateurs
comme MM.
Eugène Adam, Charles de le
Bériot,
Silvestre, Thiébault-
docteur Abadie,
le
Bourgès (de Bordeaux),
docteur Brocq, C. Coquelin, Georges Feydeau, Louveau
(de Honfleur),
Georges Lutz, de Meur, de Saint-Albin,
Tavernier, Georges Viau. Artistes et amateurs eurent à
mage rendu ministre de acheta
de
un
à la
l'Instruction
la
fut placée
peintre.
publique
participer à l'hom-
M. Georges Leygues, des
et
des plus importants et des plus
l'Exposition
Dès
mémoire du
cœur de
:
" Le Port de
beaux tableaux
Bordeaux
fermeture de l'exposition, cette
Beaux-Arts,
toile
(1874)
".
remarquable
au Musée du Luxembourg.
Eugène Boudin, nous
l'avons dit, avait laissé
un nombre
considérable d'études peintes, de croquis au crayon, au pastel et
à l'aquarelle.
—
I
52
~
Les études peintes furent offertes l'artiste
par la famille de
du Havre, pour le musée
à la ville
et les écoles
de la
ville.
Les croquis au crayon, au pastel
donnés à le
l'Etat et
remis au Louvre pour être répartis entre
musée du Luxembourg D'autre part,
souscription,
et,
le
Vieux Honfleur, de
de
musées de province. firent entre
eux une
concours de l'État, de la Société du
la
ville
ils firent
teur Ernest Guilbert, ville natale
et les
amis du peintre
les
avec
d'Eugène Boudin,
et à l'aquarelle furent
un
de Honfleur, des parents
exécuter, par le distingué sculp-
buste en marbre qui fut offert à la
l'artiste.
XXVIII Le dimanche, guration du
A
13
août 1899, avait lieu à Honfleur l'inau-
musée Saint-Étienne.
cette occasion,
été organisée.
réservée à
Dans
une exposition des beaux-arts cette exposition,
une
avait
salle avait été
Eugène Boudin.
Devant un vaste panneau recouvert de tableaux dans son œuvre,
se dressait
le buste sculpté
choisis
par Ernest
— Guilbert les
et offert à la ville
amis de
Devant
«
de Honfleur par les parents et
l'artiste.
ce buste,
M. Albert
religieusement écouté
tion
—
53
Sorel, de l'Académie fran-
prononça un discours d'une éloquence émouvante,
çaise,
foule
1
fréquemment applaudi par une
et
nombreuse. Voici
le texte
de cette magistrale allocu-
:
Il est
neur dans " Société
naturel qu'Eugène Boudin ait les fêtes
données par une Société qui
Normande
Eugène Boudin,
s'intitule
d'Art et de Traditions populaires"
l'excellent artiste,
vieux Honfleur dont nous avons
est
pris le
en 1824, d'une famille de simples marins.
temps,
une place d'hon-
un
enfant de ce
nom 11
le représentant le plus distingué
;
il
y
est
né
a été, dans son
d'une des tradi-
tions dont notre ville est le plus justement fière, celle qui
nous a donné Hamelin, Dubourg, Renouf,
et
formé notre
colonie de peintres honfleurais. «
Je sais bien que
a été élevé
au Hâvre.
si
Eugène Boudin
On
l'y a
né à Honfleur
il
vu successivement matelot
à
est
bord du bateau de son père, commis, puis papetier-encaC'est ainsi qu'il tendait des papiers à pastel pour
dreur.
Troyon. Entre temps vait, le
jeune
il
long des quais,
homme
s'exerçait à dessiner le
long des
falaises.
comme
il
pou-
Vers 1846, un
appelé à faire la gloire de la Normandie
— artiste et à
temps,
les
—
154
devenir l'un des grands peintres français de tous délicieux auteur
le
de "V Angélus"
Millet,
,
s'échoua au Havre, cherchant à vivre de portraits d'après nature, depuis trente francs par tête, à l'huile et Fils de
paysans de
Hague, Millet
la
marins de Honfleur, qui, C'est de Millet l'art, les
« C'est
baptême de
le
qu'il
Alphonse
rencontra
Karr, Isabey, Couture. Ils se joignirent à Troyon et à veley, alors conservateur
du Musée, pour obtenir de
une pension qui permît
à
Paris. Il
y fréquenta
vivants, le Louvre,
Eugène Boudin
les ateliers
où
il
des
premiers encouragements.
Hâvre
encore au
fils
voulait être peintre-
lui aussi,
et les
pastel.
au
s'intéressa
qu'Eugène Boudin reçut
premiers conseils
au
connut
Cou-
la ville
d'aller étudier à
où
il
les
maîtres morts,
connut
les
vrais inspirateurs peut-être, les Hollandais, dont
maîtres
il
et ses
devait
renouveler, en les appliquant à nos paysages de France, le naturel, la hardiesse et le coloris. «
Mais
Je sais cela, et ce ne serait pas je sais aussi
ici le
lieu de l'oublier.
que Boudin, revenu de Paris, perplexe sur
son art et plus perplexe encore sur sa vie, se réfugia à fleur.
En
ces jours "
" tenait lieu de sac
mère Toutain, les
peu argentés ", il
fut le
"
où l'espérance,
Hon-
disait-il,
premier pensionnaire de la
à Saint-Siméon. Il
y
travailla;
amis qui l'avaient aidé au Hâvre;
il
s'en
il
y
fit
retrouva d'autres
:
— Français,
Diaz,
Schaunard
—
~
i55
Courbet,
passant au Hâvre avec
qui,
Vie de
l'original de la
de petits galets enluminés, reconnut et se lia
avec
vue de
un
— remarqua
artiste, le
chercha
Boudin quitta Saint-Siméon pour
lui.
choir des trente-six marches où la
Bohême
au pastel
ses ciels
il
", et
le per-
" régalait Baudelaire de
Courbet de généreux bols
de "flip". «
Ainsi se forma
le vieil artiste
barbu
et
grisonnant que
nous avons tous aperçu sur nos quais; ainsi succès, qui vint ce
fut
Depuis
si
tard.
Baudelaire lors,
qui
Son premier Salon le
il
est
attendit le
de 1859,
proclama paysagiste français.
Eugène Boudin voyagea beaucoup,
de préférence à Deauville où venir, de cœur,
il
et
il.
s'arrêtant
revint mourir. Mais, de sou-
resta toujours attaché à sa patrie d'ori-
gine, " notre pauvre vieille cité honfleuraise, envasée ".
Il
désirait la voir se ranimer, se dégager, reprendre son essor. « Il
y
rêvait
sa place, à côté
de nous tous
une exposition de peinture où
d'Hamelin, oublié, méconnu, "
", disait-il,
«
'',
ceux d'Ingres, son maitre
Ce vœu
aurait eu
le
premier
qui " a laissé des petites merveilles
de peinture, des portraits surtout rables à
il
s'est réalisé et
l'on
et des dessins
" compa-
".
ne s'étonnera point,
si,
saluant aujourd'hui devant ce choix exquis des œuvres
d'Eugène Boudin,
le
monument que ses amis
lui ont élevé,
— si
parlant de lui, en simple amateur et en vieux honfleu-
rais, je le tire
un peu
à nous, et
souvenir de l'artiste qui
maritime, adoucie
est parti
et
comme
grand fleuve qui baigne de contourne
les
je
si
cherche à fixer
ici le
de chez nous.
bien à nous, ou plutôt à notre nature
« C'est qu'il est
et
—
156
attendrie par le courant
ses
brumes
du
les prairies salines,
coteaux où les grands hêtres tourmentés se
tordent sous le vent d'ouest. «
Elle parle à tous les yeux, cette nature colorée,
mou-
vante, contrastée. Elle apparaît tour à tour riante, épanouie,
mélancolique, douloureuse à l'automne, hérissée en hiver, et
peuplée de fantômes. Elle enchante,
elle trouble, elle
elle berce, elle endort,
épouvante. Nous autres qui en recevons
l'impression avec le premier souffle de la vie, elle nous prend
tout enfants, et ne nous lâche plus.
Ceux qui ne
restent pas
reviennent toujours. «
C'est la merveilleuse diversité de cette nature
attire,
qui pique au jeu tant d'artistes
et
qui
suscite tant de
vocations inattendues. L'immortelle sirène, à demi sortant des eaux, leur tend les bras à tous, jeunes et vieux, et les
provoque du
même
énigmatique
sourire.
tours qui s'évanouissent dans l'air rente, saisir
Dessiner les con-
noyé de brume transpa-
au passage ces formes ondoyantes, ces nuances
qui se dégradent à l'infini
et
dans
la vibration incessante
-
-
!57
y a de plus mobile au monde, la lumière, fixer choses exquises et insaisissables, le nuage qui vole, se
de ce qu'il ces
déroule
et
se
transfigure, le frémissement de la feuille,
du brin
l'ondulation
d'herbe, le frôlement de la brise sur la
vague, du rayon sur l'écume,
c'est la
tentation qui
fait le
peintre, la lutte qui fait l'artiste. «
Eugène Boudin
gieusement travaillé c'est
a et
connu l'une
prodigieusement produit.
son mot, " tout ce qui concerne son état ";
apprend son
ce qui
mené
Il a
et l'autre.
art.
Ce
il
prodia
fait,
fait
tout
Il
a
travail de toute sa vie,
avec une ardeur, " une joie à la besogne
"
il
l'a
que rien
n'a jamais déconcertée. Ni son art ne s'est gâté à cette pro-
duction incessante, ni sa main ne s'y est alourdie, ni sa vision ne s'y est ternie ou offusquée. «
Il
est
demeuré un peintre jeune,
le trait
alerte, la
couleur gaie. «
la
Il
a peint sur toutes les côtes, de la
Manche
à l'Adriatique,
a peint la Hollande, ses
où
il
mer du Nord
et
de la Méditerranée à l'Océan; a reconnu
une seconde
de il
patrie de
yeux, la Belgique, la Provence, Venise aux palais roses,
Bordeaux aux quais fourmillants
et
comme
embroussaillés
de mâts et de cordages; les processions de Bretagne, et les
marchés grouillants d'hommes
et
de bêtes
;
les petits
bateaux
surtout, les barques filant sous la brise, avec le clapotement
du vent dans
i
-
58
vague sous
la voile et de la
laveuses aux fichus bariolés qui battent
le
la quille
les
;
linge dans le cou-
rant de la Touques, le soir, et sur la plage, plate et jaune, les robes claires, les
aux
bords relevés,
ombrelles bleues
manteaux
rouges, les chapeaux
ou
voilettes enroulées
aux
flottantes,
les
brunes des Parisiennes, chatoyantes au
et
soleil.
« Partout
a su
il
qu'on reconnait
pays
le
note personnelle qui
«
Plus
qu'on
dit
qu'on se
et
fait
qu'on
dit
:
C'est
s'est
l'identifie
il
imprimé
s'est
il
sa
au premier coup !
jamais fourvoyé entre
a cherché sa voie, plus
fait
en cette
là,
a
un Eugène Boudin
C'est
:
Ajoutez qu'il ne il
note significative qui
la
heure du jour; partout aussi
saison, à cette
d'oeil et
donner
les écoles.
trouvé lui-même.
Ce
besoin toujours grandissant chez lui de voir plus vrai, de saisir
plus
vite,
en haleine
;
il
et,
avec les jeunes
:
vieillissant,
il
la critique s'est
un promoteur du
de l'impressionnisme. Mais
il
ne
veautés par école buissonnière
;
s'est
plu à saluer en plein air et s'est il
y
l'a très
bien
dit,
pris
tenu
marche
trouvé de plain-pied
un
lui, rétros-
précurseur
pas jeté dans ces nouest
venu par
" Cet exquis notateur des nuances lumineuses
comme on
l'a
a suivi, de son pas naturel et posé, la
de son temps,
pectivement,
de rendre avec plus de sincérité,
l'étude.
" n'a jamais,
ses notations
pour des
— œuvres
et ses
i
5
9
—
impressions pour des tableaux. C'est à force
d'attention qu'il est arrivé à son extrême délicatesse de
touche,
c'est à force
d'exercice qu'il a acquis sa virtuosité.
Ses dessins, carnets, pastels, croquis, avec des indications
de couleurs, qui sont des chefs-d'œuvre de précision, dans la traduction verbale des choses vues, forment
un
véritable
trésor qui sera peut-être son principal titre de gloire dans l'avenir. Ils remplissent des dossiers classés avec
car cet
ami de Schaunard
méthode,
de Courbet, ce contempteur
et
des bourgeois, avait gardé quelque chose de son métier de
commis
et de sa profession
conservation de ses notes fouiller indéfiniment l'étoffe
;
un
de papetier
c'était
mieux qu'un
où, de près,
enluminées, "
couleur du
Témoin
cet éton-
les
yeux,
vu
à distance, révèle sa gracieuse
comme
coiffes blanches,
aux robes
diaprées de taches de soleil
".
avait sa façon de voir bien à lui, j'ajouterai, bien de
notre pays.
Ceux qui
de vieux loup de mer faïence
herbier, c'était
que vous avez sous
rangée de jeunes femmes aux
Il
y pouvait
il
on n'aperçoit que des coulées incohérentes de
couleurs épaisses, et qui,
«
apportait à la
fées, l'étoffe
et toujours vraie.
nant " pardon en Bretagne
il
ordre parfait. Et
merveilleuse du conte de
temps, toujours fraîche
:
".
l'ont 11
connu ont signalé
ces
yeux
Cet œil n avait ni la
vifs,
sur sa figure
purs, d'un bleu de
fixité dure, ni l'éclat
métal-
—
—
160
lique de l'œil construit pour affronter le soleil implacable et
sans ombre, le mirage du désert immobile,
aveuglant des mers du Midi. œil
comme
Il
celui des mouettes,
habitué à cligner sous
faut à nos paysagistes
humide,
vent âpre
le
miroir
le
et les
un
flexible, subtil,
morsures du grain
du
qui cingle, à se garder contre les surprises
soleil
qui
perce la nuée, et contre l'éblouissement subit de la traînée étincelante qui frémit sur les vagues. «
Cet œil
fait
pour
notre ciel en a projeté par-
refléter
tout le reflet. " Je suis, disait
Eugène Boudin, un
isolé, ".
rêvasseur, qui s'est trop complu.... à regarderie ciel «
Il l'a
même
vu
gris,
et
plu à
à Venise. Il a été le coloriste
merveilles de couleur
Depuis
s'est
il
le gris
il
y
le voir ainsi partout,
du
gris,
a découvertes et
il
mais quelles
a su exprimer
de nos printemps, tendre et léger
vol d'hirondelle, jusqu'au gris
somptueux
nuées sous lesquelles s'allume, en
un
et
!
comme un
velouté des
été, l'incendie
du cou-
grand
art. Il a
chant. « C'est là sa principale
été peintre
de
ciels, le
"
ouverture sur
roi des ciels ", disait
seur infatigable de nuages,
animaux monstrueux incessamment le soleil fait
le
et
il
Corot; chas-
a poursuivi sans relâche les
protéïques qu'enfante et engloutit
la nue. Il a exploré ces grèves dentelées
émerger en s'enfonçant dans
les
eaux
et
que qui
— semblent, au «
Dans
ciel, révéler les
ses tableaux,
dense
foule,
1
il
6
—
1
continents d'un autre monde.
aime les groupes,
la plante,
qu'un élément du paysage. Mais, flous,
ses plages,
il
pour lui
n'est
bonhommes
ses petits
qui fourmillent sur ses quais, ses marchés, les a
minutieusement
détaillés sur nature.
pour nous autres normands,
ce sera
C'est,
représente la
remuante, plus volontiers que l'individu.
et
La personne humaine, comme
un peu
il
pour nous
autres honfleurais, l'attrait inépuisable de ses cartons.
y retrouverons
les types
des de la vie maritime a la
si
bien
que nous avons connus,
du pays,
ces originaux
saisis, tels qu'il les vit
naissance de Boudin,
«
Boudin
les
le
temps de
mis en scène dans son
charmant tableau " Le départ du Passager
Vieux Honfleur
les épiso-
que Leprince
en son temps,
et qu'il les a
Nous
",
qui a valu au
honneurs du Louvre.
les a fréquentés, ces
bonhommes,
au passage, en causant avec eux,
et
les a pris
il
sous maint aspect
en manches de chemise, larges bretelles tricotées
pilotes
chapeau haut de forme, hiver qu'il fasse, soleil, grêle
comme
été,
:
et
quelque temps
ou tempête; matelots penchés sur
leur barque tirée à terre et interrogeant l'horizon
débarqués, affalés sur l'herbe,
et
regardant
la
;
matelots
marée qui
femmes de marins, les jours de gros temps, se faisant une visière de leurs mains, tâchant de percer de l'œil baisse
;
la pluie qui les fouette
—
162
au
visage, bousculées par le vent
qui s'engouffre dans leurs jupes, haletantes de l'ouragan,
mer qui gronde,
haletantes d'anxiété, réclamant à la
homme.
barque, leur enfant, leur « Il artiste
y
un Eugène Boudin inconnu, non moins
a là
que
l'autre, mais,
pour nous,
à
coup
sûr, plus signi-
plus familier. C'est l'Eugène Boudin populaire,
ficatif et
témoin affectionné de notre
petite vie maritime,
comme
par lui au temps où,
encore du peuple des marins «
leur
En
lui
il
ressentie
disait joliment, "
on
était
".
décernant notre hommage, pensons que ce
peintre est de ceux qui traduisent en aventures et trouvailles de couleur le génie curieux,
conquérant de
la race.
Dans
moins modeste que ne
brillante
que ne
naturel
et
Eugène Boudin
a
l'était sa
personne, plus
de son vivant, sa gloire. Si je rêvais
l'a été,
les
de sincérité,
et
cette élite,
sa place,
quelque tombe selon
vagabond, laborieux
convenances de son génie je l'imaginerais
dans
le
fait
de
cimetière
qui entourait autrefois l'église, à l'ombre de laquelle
il
est né. «
Des charpentiers de navires
même
main, du
même
marteau, de
de
la
hache que
les
la construisirent la
même
lourds bateaux qui atterrirent les premiers au Brésil, que les vaisseaux, déjà
mieux
découplés, qui portèrent
Cham-
—
i6}
—
plain au Canada. Pour élever leur temple à leur Dieu, ces architectes naïfs et croyants ne trouvèrent pas de combi-
naison plus digne ni plus juste que de renverser la nef de leurs navires et de la planter hardiment sur les arbres équarris, dont
ils
faisaient ailleurs des
et maîtriser les mers.
vent
Cette sainte Catherine long-
rendue à elle-même. Son chevet
notre Exposition d'art populaire normand, ait
qu'une relation
XV me
très
siècle et le peintre
cueillir le
plâtras ignominieux, est déjà,
temps défigurée par des partie,
mâts pour
est le et,
bien qu'il n'y
XIX me
,
Honfleurais, rudes et touchants, nés
me
semble que
trouve ses
A
cette
Honfleur,
titres
je le
ramène dans
du
lorsque je replace le
honfleurais Eugène Boudin dans la lignée de
il
bijou de
lointaine entre ces artisans
du
en
comme
vieux
ces
lui de la
sa famille et
que
mer, je lui
de noblesse. »
cérémonie assistaient
M. Noël du
le sous-préfet, le
maire de
Tilly et le Conseil municipal, le
capitaine de vaisseau Hamelin, les lieutenants de vaisseau
Le Bihan
et
Carré avec
un détachement de marins
tenant à deux torpilleurs envoyés de Cherbourg;
appar-
M.
le
colonel Lachèvre et les membres du comité du Vieux Honfleur, le corps des
sapeurs-pompiers, la brigade des douanes
et les diverses Sociétés
de la
ville.
—
164
—
XXIX Dans
sa séance
pal de la ville de
nom
du
9
septembre 1899,
Honneur, sur
le
le
Conseil munici-
rapport de
M. Renoult, au
de la Commission des travaux publics, décida que
le
buste d'Eugène Boudin serait placé sur la petite pelouse à l'entrée
du Boulevard Carnot, près du
de l'Ouest, en face de cette mer que
terre-plein de la jetée
le
grand peintre aimait
tant et qui lui a inspiré les magnifiques toiles que l'on admirait à l'Exposition
Son buste, filer
les
de l'école des Beaux-Arts.
yeux tournés
vers la mer, verra les barques
sous le vent, gagnant le large ou rentrant dans le port
de sa ville natale.
Eugène Boudin appartient à l'histoire générale de la peinture parce qu'il est
du
petit
quelque chose de personnel «
Boudin
nombre de ceux qui ont mis
et d'original
dans leurs œuvres.
a dit quelque chose »
(JEAN DOLENT) Il
occupe entre Jongkind, qui fut un véritable précur-
seur, et
Claude Monet à qui
il
se faisait
un honneur
d'avoir
ouvert la voie, une place qui ne peut lui être disputée.
—
165
—
Sa vie mérite d'être connue parce qu'elle est
un exemple
d'énergie patiente et d'indépendante modestie.
Quand, après avoir admiré l'œuvre d'Eugène Boudin,
«
M. Roger
dit
on
Milès, dans son ouvrage
jette les regards
cile
du
peintre,
en
arrière sur la vie
si
"Art
Nature",
et
laborieuse,
si diffi-
on ne peut se défendre d'une grande sym-
pathie et d'une profonde gratitude pour
l'homme
qui, tout
seul, par la seule force de sa patience, de son courage, de sa
volonté assidue, a
pu accomplir une
si
haute conquête.
faut savoir ce qu'a été la lutte de cet artiste
vu
à quelle prodigieuse dépense de talent
quand riété,
il
s'agissait
de créer son
nom et
il
;
a
il
faut avoir
dû
les peintres
A l'Exposition
se livrer,
d'affirmer sa noto-
pour comprendre quelle place prépondérante
de tenir parmi
Il
il
mérite
de la mer. »
Universelle de 1900, les organisateurs de
l'Exposition centenale de l'art français,
M. Emile
Molinier
M. Roger Marx, ont ouvert à Eugène Boudin la grande porte de l'histoire. Dans cette grandiose manifestation de
et
l'art français,
notre artiste a été représenté par des œuvres
capitales.
Ce
sont
N°
53.
:
Le Port de
M. Georges Viau.
Bordeaux
(1875)
appartenant à
— N°
La plage
54.
N°
55.
1
66
—
de Trouville (1864) appartenant à
Le Port de Camaret appartenant à
M. X.
Madame
Georges Feydeau. Enfin, le 8 août 1900, la ville de Honfleur inaugura l'élé-
vation du
ment
monument d'Eugène Boudin
définitif, et
sur son emplace-
organisa à cette occasion des fêtes dont
un
journal local, L'Écho Honfleurais, donna le compte rendu
que nous reproduisons partiellement. «
Dimanche matin,
le dernier
ration
par
un beau
soleil d'été,
coup de main aux préparatifs de
on donnait
la fête
d'inaugu-
du buste d'Eugène Boudin. Les arcs-de-triomphe
s'achevaient pendant qu'on plaçait les derniers poteaux et
que lanternes «
A
et verres multicolores
deux heures un
accompagner de- Ville.
Peu
le
quart, les diverses Sociétés devant
cortège officiel se massaient place del'Hôtel-
après arrivaient
du ministre de
ornaient les maisons.
MM.
Roger Marx, délégué
l'Instruction Publique, Tillaye, sénateur,
ancien ministre, Conrad de Witt, député, Grangier de la de la Marinière, sous-préfet de Pont-rÉvêque, accompagnés
du Maire de Honfleur également
M.
de M. Marais, peintre. Signalons
et
la présence de
Delteil, graveur,
et
M. Roger Milès,
critique d'art,
M. Viau.
« Sous le vestibule de l'Hôtel de Ville, transformé en
un
—
167
élégant parterre, se trouvaient
Chambre de Commerce,
—
MM.
Ullern, président de la
Butel, conseiller général,
Dumont,
muniprésident du Conseil d'arrondissement, le Conseil docteur Rachet, cipal, le Comité Eugène Boudin, M. le
M. D. Louveau, M. Soudan de Chèvre,
et les
M.
Pierrefitte,
le colonel
La
représentants des diverses administrations et
des Sociétés de la ville.
Dans
«
la salle des mariages,
formant un
très joli salon
artistes honde peinture, où l'on avait réuni les œuvres des Les présentations fleurais, avait lieu la réception officielle.
Hamelin, terminées, on admirait les belles toiles de Boudin,
Dubourg
Société
ville, s'est
arc de
se
et
accompagné de toutes
mis en marche.
de
l'artiste,
la décoration
par
le cortège,
rue
du Puits
se trouve
un
de
est des
la rue,
pour gagner
et la rue
mieux
de la
les Sociétés
la rue
Bour-
se dresse
un
palette.
Celui
réussis, de
même
triomphe surmonté d'une immense
de la rue Eugène Boudin
qui a été suivie, dans son entier, le terre-plein
Prémord.
A
de la jetée par la
l'entrée
du
terre-plein,
troisième arc de triomphe, celui de la Société
des Marins qui, «
A l'entrée
trouve la maison natale de
que
Après une
salle.
la ville, le cortège officiel, précédé
Philharmonique
où
det,
Renouf, groupées dans la
au musée de
visite
de la
et
Le public,
comme toujours, obtient un légitime très
nombreux,
succès.
a déjà envahi la jetée, et on
— prend place autour de peintre
168
—
la pelouse
où
trouve
se
le
Eugène Boudin recouvert d'un drapeau
buste
du
tricolore.
M. Louis Boudin, M. Onésime Boudin, et les autres membres de sa famille sont venus et sont groupés au pied du monument, au pied duquel ils déposent Les
de
frères
l'artiste,
pieusement des gerbes de recouvre
le
fleurs.
On
enlève le voile qui
maître, et le buste en marbre,
œuvre du
sculp-
teur Guilbert, apparaît, pendant que le public applaudit, et
que
la
Philharmonique joue La Marseillaise.
M. Marais, Président du Comité Eugène Boudin,
«
prend
le
premier
Monsieur
la parole
le
:
délégué du Ministre,
Monsieur le Maire, Messieurs,
Mon
titre
de peintre honfleurais
l'honneur de vous présenter
le
me
vaut, aujourd'hui,
buste du peintre Eugène
Boudin, œuvre du distingué sculpteur Guilbert. Les amis, les admirateurs du maître mariniste ont voulu son souvenir en face de la mer normande qu'il peignit si
bien
et qu'il
que doit les
aima
aller
amis de
tant; c'est à eux,
mon
si
vous mêle permettez,
premier remerciement, au
l'Art. C'est
pour moi une grande
nom de tous joie
que
cet
— hommage rendu au Honfleur,
On
l'a
race de
ma
170
—
maître; car j'y vois
justement remarqué, M.
très
marins honfleurais, après avoir
le si
délégué; notre
longtemps cher-
la poursuite d'aventures lointaines, tra-
duit, depuis bientôt cent ans, ses rêves
Le nombre de nos bons peintres
comme
fait
en peinture.
beaucoup d'honneur pas nés,
ils
ne
Le magnifique décor naturel de nos campagnes
et
de
une
s'y
à
ville natale.
ché son idéal dans
à
un hommage
petite ville
la nôtre. Il n'y sont
formèrent pas par simple hasard.
notre mer, confondus en
un
seul paysage, nous
donne
l'éter-
nelle leçon des choses. Et, depuis le siècle dernier, l'ancienne
prospérité
commerciale de
la cité a
moine des familles, de riches belles formes,
groupé dans
collections d'objets
le patri-
dont
les
chaque jour, à notre insu, font notre éduca-
tion d'art.
De
tous nos peintres honfleurais,
Eugène Boudin
incarne le milieu d'où nous
a été
sommes
le maître. Il
résume,
tous
Son talent formule, dans une variété vivante,
sortis.
il
ce qui est notre tradition populaire
Boudin, Sans doute,
l'amour de la mer.
fils
de marin, a surtout peint nos gens de mer.
il
a noté d'un pinceau spirituel les épisodes
mondains sur il
:
les plages élégantes;
a peint la Hollande,
il
il
a peint la Bretagne,
a peint Venise. Mais, c'est sur-
—
I
71
—
tout la foule de notre peuple marin, c'est la foule en vareuse
de nos quais, les bordées de pêcheurs dans nos barques, tous de notre port, toutes
les coins
les
roches de notre côte qu'il
a répétés, cinquante ans, avec émotion, avec passion; sous les ciels
changeants de notre horizon, Eugène Boudin
bon peintre de
En
la vie
de notre peuple.
lui élevant ce marbre, les
amis de l'Art Français,
admirateurs du maître rendent un
Monsieur
le
fut le
hommage
les
à nos marins.
Maire,
Au nom du comité Boudin, non sans fierté,
j
'ai
l'honneur
de remettre ce buste du peintre Eugène Boudin à
la ville
de Honfleur.
Une des dernières préoccupations du maître était de former un petit musée, montrant l'enchaînement de la tradition chez les peintres honfleurais.
Grâce
à votre municipalité, notre
commencer
Dans
Comité
à réaliser cette pensée favorite
du
a eu la joie de
maître.
notre salle des artistes honfleurais où
Boudin
a sa
place au premier rang, l'enseignement d'art pour la foule se
maintiendra, se perpétuera, par des modèles
offerts à
ceux
qui voudront être les continuateurs de la tradition des peintres de chez nous. Ainsi, le talent
du maître Boudin n'aura pas
été seule-
17'2
ment un honneur
;
il
restera
un
— bienfait et
une
utile fonda-
tion d'art pour sa ville natale.
«
Tilly, maire, s'exprime
M. Noël du
en ces termes
:
Messieurs,
contribué à Je remercie sincèrement tous ceux qui ont l'érection de ce
hommage au cité
a
vu
Ils
monument,
talent
et
qui ont tenu ainsi à rendre
du grand peintre de marine que notre
naître.
ont eu raison de vouloir perpétuer parmi nous le
souvenir de notre glorieux compatriote qui est aussi notre image bienfaiteur, et ils ont été bien inspirés en plaçant son sur ce rivage qui, tant de
fois,
a
servi de
thème
à ses
tableaux. Messieurs,
Au nom
de la municipalité de Honfleur, je reçois avec
des sentiments de profonde gratitude le buste
du
peintre honfleurais ont élevé à sa
que
mémoire
Comité Eugène Boudin vient de remettre
à la
les
et
amis
que
ville
le
de
Honfleur.
présence ont bien Je remercie tous ceux qui par leur particulier l'éclat de cette cérémonie, et en
voulu rehausser
M. Roger Marx, délégué du ministre
des Beaux-Arts,
— que MM.
ainsi
«
Sénateur
les
M. Roger Marx
—
173
et
Député
le
M. le
a pris ensuite la parole
ministre de l'Instruction Publique
prononcé
et
et
Sous-Préfet.
au
nom du
des Beaux-Arts, et a
discours suivant, digne en tous points du cri-
tique d'art qui avait déjà
d'Eugène Boudin
Monsieur
si
ardemment défendu
la cause
:
le Maire,
Mesdames, Messieurs, Il
ce
faut louer la pensée qui a fait choisir,
monument, une
la naissance
pour inaugurer
date qui avoisine de très près celle de
d'Eugène Boudin
(i).
La solennité y gagne
la
elle revêt du vertu d'une commémoration anniversaire; même coup une signification plus intime et plus touchante.
au hasard dans Ainsi, de toute évidence, rien n'a été livré son l'hommage que la ville de Honneur rend aujourd'hui à grand peintre,
et notre
premier soin
est
d'applaudir à la
dépit des années, vigilance d'une admiration demeurée, en
ardente
et fidèle.
dévotion Nul ne mérite mieux qu'Eugène Boudin cette l'amour de la du souvenir. Chez lui le culte du clocher, (i)
Le 13
Juillet.
— petite patrie téristiques;
74
—
dans la grande, sont au plus haut point carac-
on
périodes de
i
les voit s'attester
la carrière,
de mille façons, à toutes
aussi bien
l'au-delà,
Boudin léguait au musée natal
son atelier qui lui tenaient
du
à l'heure obscure
début qu'à l'instant de la vieillesse où, célèbre les
et
les
occupé de
ouvrages de
plus au cœur.
le
Les esprits enclins à la philosophie se complaisent aux retours sur le passé. Votre concitoyen puisa dans ces regards
en soi-même
la conscience très lucide et très nette des ori-
gines de son talent.
En
ce qui le concerne, la théorie de
Taine se vérifie à merveille
et l'action
du milieu apparaît
indéniable. L'œuvre est le résultat du tempérament,
tempérament
n'est autre
que
le vôtre,
et le
Messieurs, ou plus
généralement celui des gens de mer. L'amour profond de rêverie
y prédomine, entretenu par
la
la
contemplation de
l'horizon. J'insiste sur ce trait distinctif parce qu'il découvre et fit
explique ce qui fut l'ambition d'Eugène Boudin sa gloire
:
la
reproduction des états du
diversité infinie, et la fixation des
ciel,
et ce
qui
dans leur
jeux de l'ambiance,
si
ténus qu'ils semblent défier toute transcription matérielle.
Pour dégager entre les maîtres
l'originalité de l'artiste et le différencier
du plein
l'ordre des recherches,
par
air,
laissons-nous guider par
la qualité particulière
de l'enve-
loppe, par la discrétion voulue des tonalités argentines.
Au
— milieu du dix-neuvième
i75
—
siècle,
Lépine, pour tendre parallèlement vers drées, vers la peinture grise, alors fait le triste
et cette sensibilité
les
ses lettres. Or, d'où
optique
lection pour les spectacles à demi voilés,
nement
harmonies cen-
peu goûtée. Boudin en
aveu dans quelqu'une de
venues
lui sont
si
que Corot, puis
n'est
il
si
et cette prédi-
ce n'est de raffi-
progressif d'une vision accoutumée, dès l'enfance,
à percer la vapeur des brouillards, à distinguer la réalité à travers
l'embrun de la mer, du fleuve
travail de l'atavisme aboutit, chez
et
du
port.
Le lent
Boudin, à l'exacte ana-
lyse des variations atmosphériques et de leurs effets sur la
nature soumise à son regard. Vous savez quelle fut cette
comment
nature,
Messieurs,
s'illustra
à définir les côtes françaises de
et
Bretagne, de l'Ouest et du Midi;
le
il
peintre
honfleurais
Normandie
lui advint
et
de
même
de
planter son chevalet sur les bords de l'Escaut, à Anvers,
puis de s'aventurer en Hollande, en Italie, et de prouver,
par de victorieux exemples, font ressembler
Amsterdam
les
analogies de pittoresque qui
à Venise.
Pourtant, ce serait méconnaître une partie de ignorer
une
partie
du
résultat
l'effort et
que confiner Eugène Boudin
dans la pratique exclusive du paysage de terre ou de mer,
que négliger en
mœurs,
le peintre
lui l'animalier et surtout le notateur de
des marchés et des lavoirs, des foires et
—
176
—
des pardons, des ports et des plages. Dans ses tableaux, pastels
ou dessins animés d'une figuration humaine,
trait d'art se et l'on
labeur
double d'une valeur documentaire
admire et à la
l'artiste
qui
destinée des
même
à tour, avec la
s'est intéressé
oisifs, et
qui a
l'at-
essentielle,
pareillement au
pu consigner tour
autorité, l'activité fiévreuse d'un port
du beau monde paradant et coquetant sous casinos, au temps du second Empire.
et l'élégance
tente des
la
Boudin comme sur Jongkind, l'exemple d'Isabey ne laissa pas d'agir et d'engager à ne point isoler une tradition le cadre de l'action, le décor des personnages; Certes,
heureuse
sur
trouvée de la sorte continuée; mais Eugène
s'est
Boudin peut
se
prévaloir, en
influence décisive;
et, si ses
suffirait à sa gloire d'avoir dessillé
nom
les
yeux de toute une génération
Claude Monet,
le
il
une
tableaux ne garantissaient pas
son
contre l'oubli,
d'avoir exercé
plus,
et
d avoir
initié à l'art
maître glorieux de notre école contempo-
raine de paysage.
Voilà pourquoi, Messieurs, la ville de Honfleur
honorée en consacrant une belle mémoire,
et
s'est
pourquoi
le
aussi légiMinistère des Beaux-Arts désirait s'associer à un traits time hommage. Le buste expressif qui reproduit les
d'Eugène Boudin a ce terre-plein,
été érigé, avec
une
parfaite logique, sur
en regard de la mer que votre concitoyen a
—
i77
aimée, qu'il a chantée en poète, en peintre et en marin.
Pour ceux qui
l'ont connu, ce sera
une douce émotion, au
cours de leurs promenades, de retrouver son
du
effigie,
non loin
port et de l'Océan, ses modèles d'élection. Plus tard, en
embrassant dans un et les
même
coup d'œil l'image de l'homme
thèmes inspirateurs de l'œuvre,
les
passants évoque-
ront les affres du peintre jaloux de rendre les vibrations de l'air,
esprit
de la lumière, la fuite du
viendra s'opposer à
la
flot
mouvant,
et
dans leur
puissance des éléments, au
renouvellement
fatal,
inconscient de la nature, la beauté
immanente de
l'art,
le
humain.
rayonnement créateur du genre
Eugène Boudin
ses réflexions sur des
notait
dont nous extrayons
les passages suivants
carnets
:
C'est pour soi qu'il faut peindre. Chercher à se satisfaire soi-
même. Se
laisser
emporter à son inspiration.
Tout ce qui force,
est peint directement et sur
une puissance, une
vivacité
place a toujours une
de touche qu'on ne retrouve plus dans
l'atelier.
Nous peignons dessous là
et
trop à sec.
dégrader sa peinture dans
tout ce qui
manque pour
lui
les
Il
faut de toute nécessité frotter les
tons plus chauds. Je crois que c'est
donner un aspect chaud
et agréable.
Conducteur de moutons à Plougastel. Étudier cette
du
Millet, le
belle figure
d'homme appuyé
Berger) mais étudier
donner à celà un caractère
saisissant.
le
sur son bâton (se souvenir
beau fond limpide
et
plein d'air et
— -~^~-s
l82
—
Les femmes de Berck. Aussi en préparer
les dessins
de caractère.
Etudier types.
Marines. La trouvé leur côté saisissant
même
recherche.
et leur
accent vrai.
Vanneuses également, bien déterminer cela en esquisses, tenter,
mais
29
mufle, avril
dans
la
l'accent
chaude atmosphère
est bien délicat. Le
souple. Touchée dans le
les
peindre qu'après avoir
des figures
et
essayer
en dessins terminés, au pastel ou à l'aquarelle, tenter,
établir cela,
Troyon
Ne
les sabots,
le
modelé de
comme
Millet.
cette petite
vache est bien
sens du poil avec des agréments de couleur. Mais
tout cela est
si
délicat,
si
fini.
(Vente Beurnonville,
1880.)
Ciels.
De beaux
et
grands
ciels
tout
tourmentés de nuages,
chiffonnés de couleurs, profonds, entraînants. Rien dessous
Plus d'enveloppe, enfin plus de moelleux.
s'il
n'y a rien.
Touche trop dure
à
voir.
Même
dans un petit tableau,
il
ne faut pas de traces du pinceau.
-
i8 3
-
Peindre, peindre toujours, vigoureusement, avec fermeté et sans hésitation.
Que
le
morceau
L'essentiel
est
soit toujours coloré et
que
fermement
comme
tout s'arrange
établi.
couleur et
comme
harmonie.
Pousser ses
pousser
études,
!
Pousser
Sur nature ou
!
sous
'impression.
Pourquoi
ne
peint-on
pas
plus
souvent pour
soi,
pour se
satisfaire.
Plages. Les pousser sur nature aussi
On le lieu
peut compter
comme
ou sur l'impression toute
loin
que possible.
peintures directes les choses faites sur
fraîche.
Mais que d'occasions on néglige de
faire
de belles esquisses, des esquisses
vivantes sur les quais, sur les plages et dans les rues.
^Marchés an poisson. Il
y a
là
une mine
à exploiter.
Combien en
ai-je
ébauché? En m'appli-
—
184
—
quant, je dois en sortir un certain nombre avec environ.
que
place, soit
Arrivée du poisson.
les quais.
ou que
je les esquisse,
Figures
Figures
!
!
!
pied
11
l'esprit, le
Combien encore à méditer
j'en fasse la
crevettes, des
sur
composition directement.
Marchés directs à Trouville ou
Marins, des pêcheurs de
ailleurs.
femmes de pêcheurs, des
faut aller à Sainte-Adresse revoir le galet et chercher à retrouver
sentiment
triste
de ces vieux que
j'ai si
Des femmes, des mousses dans abandonnés bêtement dans
Buveurs de dessins.
d'un
figures
Trouville, Rotterdam aussi, à méditer.
Sur
matelots.
des
Tons
vifs.
leur
bien trouvé jadis.
milieu.
Que
de motifs
l'oubli des cartons.
cidre.
En esquisser un
certain
nombre sur mes
Compositions importantes à méditer.
Montrer un entêtement extrême à rester dans l'impression primitive, qui est la
bonne.
La nature est encore
le
grand
livre à déchiffrer.
Ne pas redouter aborder dans leur variété
les
grands
et leur
-
i8 5
effets
se faire sur le lieu
le
ciel
et
sur
la
mer,
les
puissance sans s'inquiéter du convenu.
Peindre aussi sous l'impression
pu
dans
et
sans apprêt tout ce qui n'aura
même.
Trois coups de pinceau d'après nature valent mieux que deux
jours de travail au chevalet.
^/^^^ une
H fau t que
idée. L'art est
pour peindre,
le
la
couleur,
le
dessin, la forme concourent à exprimer
moyen d'exprimer
ce
Métier bien
.-^^^^ la
Il
peintre a senti. Peindre
suit.
Nous
Parents malheureux.
privés de bien des choses nécessaires, ne voyant pas l'issue de tant
de traverses. J'ai
«
le
triste résultat!
Cortège de tourments qui nous
mêmes
que
faut
volonté!
vous avez
la tête
gonflée de préoccupations et ne fais rien qui vaille.
difficile.
Conversation avec Troyon, 7 avril i863.
vous
Vous avez la
vous crisper
roidir,
vivacité
à force de volonté.
De
la
volonté, de
tout effleuré, mais rien approfondi; vous êtes artiste;
d'impression,
la
chaleur de conception, mais
il
faut
—
186
Que ne
plus.
faites-vous une jolie peinture bien naïve, ferme, bien écrite,
simplement composée avec ces
petits riens
peinture sincère, variée, qui ressuscite figures bien
jolies
étaient ravissants.
nettes
Vous vous
étrangères à votre voie.
vous y remettre.
En
d'ombres
de
lumière.
relâché.
Vos premiers
une
essais
Vous avez cherché des choses
Vous avez perdu du temps. Mais
il
est
temps de
»
tout cela est vrai.
effet,
êtes
les plages,
sentiment des hollandais, avec de
le
et
qu'on trouve sur
Ma
peinture est devenue louche, parce que les
figures sont molles et baveuses pour chercher
le
mouvement.
Il
faut revenir
à cette prime manière qui avait plus de dureté, mais aussi plus de recherche
dans
la
forme, se donner
Van de Velde pour modèle
accentuer les
et
ciels
avec une grande énergie.
Un
noir fort, effet dessous.
Un
blanc vif ou argenté, mais tout cela profond, grand, net de touche,
net de ligne, et, là-dessous, le ciel
sera grand, et
un
petit
toujours de
la
retrouver cette impression heureuse,
sujet bien
établi,
puissance, de
comme
je
subordonné lorsque
la netteté.
la
Si je
pouvais
vois aujourd'hui, je ne
rapporterais pas une peinture faible. Parfois une énergie du diable dans les effets vifs et
«
du profond, du vague dans
Vous avez rapporté de Bretagne des
en une, et jetez-la sur
la toile
Enfin faites bien tout ce que
3 à
les infinis
merveilles de composition. Prenez-
avec ardeur
vous
blonds.
et ce caractère
ferez! »
juin. Notre pauvre père a rendu son
deux heures.
tranché du pays.
âme
à
Dieu ce matin,
0
i
i
1
*^9ffmjimm
<J<n*w^
o^èo* Aèt^^
FACSIMILE D'UNE PAGE DES CARNETS D'EUGÈNE BOUDIN
v^-^^- S
juin.
Hier,
nous avons rendu
les
derniers
devoirs
pauvre corps au milieu de toutes sortes d'angoisses. En rentrant,
nous avons trouvé là,
et ces
ce pauvre
lit
sont maintenant croisées sur son corps dans
existence.
père
Du
et
cherchons à
soir,
le
le
pain quotidien,
repos. Prenons soin de cette
rendre douces les dernières années de son
lui
courage, en souvenir de celui que tu as toujours eu, vénéré
!
faut se remettre avec ardeur à la besogne.
11
Le découragement est un mauvais loge
le
son
veuf de son hôte. Son image est toujours
mains, qui nous ont gagné avec tant de peine
pauvre mère,
à
souvent
si
qu'il
malheureux que moi,
m'arrête court.
Il
hôte, et par malheur, je le
y en a pourtant qui, tout aussi
finissent par se tirer d'affaire.
Ces gens-là n'ont pas
plus que moi.
Résolution. Ne pas
pour
mon
instruction
perdre
une minute. Entreprendre, autant
que pour un certain
profit,
des copies dont je
en sorte de garder un double pour moi, pour placer dans
^-^—^
Il
y a
des moments
durs
à
mon
surmonter, c'est
ferai
salon futur.
incontestable.
Ainsi lorsqu'on voit de tous côtés l'impossibilité de décrocher un peu d'ar-
gent vieille
et
que partout autour de
mère qui réclame,
de couleurs
même
c'est
soi
surgissent les besoins. C'est une pauvre
un loyer
et mille riens
dont
à payer, c'est il
faut se
un besoin de hardes,
passer. Cette mesquine
— économie vous tue lentement avec
comme une
tirent sur le cerveau
—
189
les
appréhensions qui s'y mêlent
idée attristante.
me
toute espèce de courage disparaît, et je
Dans ces moments de
sens dans un
général qui m'a trop souvent paralysé, puisque je
une
égales à celles de bien des gens et bilité
de
est vrai, n'y est
ments, de
pour
tires
un
les
filet,
si
anéantissement
agréments de
queue
la
comme un
l'art. L'art,
il
tant de décourage-
de faire ce qui nous
faut se borner à faire de ces petits riens
demandons et
et
diable par
le
débattant dans les mailles d'un Il
cœur
crise
vois, avec des facultés
nous nous devons, malgré
rien, et
travailler selon notre
pauvre Jongkind, tu
me
qui
attention continue, dans l'impossi-
Vantez encore
faire ce qu'ils font.
et
et tu
plaît.
Toi aussi,
cherches, en te
pauvre oiseau pris.
que personne ne
fait.
Nous
peu au public que nous devons enfin l'obtenir avec du courage
petit rien de talent.
Vu Pour arriver
J. à
Villerville ce jour, 1 3
à mettre
ensemble
les
Septembre.
deux bouts,
c'est
un grand
d'ordre qu'il faut. Travail soutenu. Faire des eaux-fortes dans les
esprit
moments
de lassitude. Songer aux expositions de Caen, du Havre, de Bordeaux
et
autres, etc.
-^^-^^ 16 Je suis
Septembre. Visite à Cordier.
dans un
moment où
j'ai
besoin de déployer un grand courage.
Oser, oser!
Paris, Février.
—
Depuis un mois tout
à
l'heure
que nous
— de retour à Paris,
voilà
j'ai
190
—
passé par bien des impressions. Courageux un
jour, découragé l'autre et souvent perdant tout espoir.
au Havre pour
écrire
demande
même,
me recommander
à
M. G.
place de professeur. La lettre est
la
car le petit
Ces jours-ci
et insister
faite. Il
pour
j'allais
qu'il
me
faudra l'envoyer quand
encouragement qui vient de m'arriver
n'est pas la fortune.
Visite de Ribot. Il
trouve des choses excellentes dans
perfection
que
j'ai à atteindre.
mes
études. Mais je sens, moi, la
Une couleur plus
forte,
quelque chose de
et
plus nerveux et de plus souple dans l'exécution.
^N^v^^v^
Exposition de 1864.
Première
que je ne
visite.
vois.
Observé que
les
fonds sont chauds de ton
Daubigny enveloppe son ensemble d'un
Meissonier. Peint large malgré faible.
Enlève
^^^^
et repeint
Bia\, vente
—
Paysages
moins durs
splendide.
sa petite dimension. Couleur
d'un seul coup jusqu'à
4 Mai.
air
et
la perfection.
pleins
de
soleil.
Pâte
un peu
lourde par endroits, mais quelle puissance d'effet!
Ne jamais repasse rie.
le doigt,
il
ternir la couleur.
C'est
une
fleur.
Si l'on
y passe
et
n'y a plus de velouté, plus de charme, plus de coquette-
Et puis ces tons ternes et plombés,
il
faut les bannir à tout jamais!
— On conquérir? N'y tures abordées
vient de
pour
les
comme
faire
Un
avec franchise.
des figures en arrière-plan.
Quelques belles
et
Expositions du boulevard
-^~>^>
spirituelle. L'esprit n'est
—
?
difficile
larges
à
pein-
marché au poisson abondant avec
fort
les
dimensions du Daubigny.
tournées grandement.
et autres,
Napoléon.
si
Une ou deux
—
Méditer aussi
de jolies choses, poussées loin
pas trop, mais bon!
et lumière,
Meissonier.
pour moi
— Une plage dans
copieuses figures
composition
—
donner des médailles. Est-ce chose
donc rien à
a-t-il
191
Peinture
(5
fine
Mai 1864.)
et
en
même temps
pas absent de cette œuvre au moins, quoique l'exé-
cution en soit précise.
Essayer de mettre plus de chaleur, plus d'éclat
dans
ma
tumes.
un
peinture.
— Dessiner
petit rien sur la
Chercher surtout.
oppositions les plus
les
— Essayer aussi
mer ou sur
la
les
et
plus de force
vives dans les
superbes
effets
de
ciel
cos-
avec
plage. Bien observer l'ensemble et l'abor-
der avec feu dans toutes les proportions. Chercher à faire plat de modelé,
mais vif de ton. Exagérer un point pour
le
ressort
études spéciales de bateaux et accessoires. Frais
i865, 8 Mai.
—
Sorti
et vif
de l'ensemble.
Faire
sans salissures.
de l'Exposition. Trop bleu, trop bleu.
Plus d'air dans les groupes, figures moins grandes. Plus d'équilibre. Réfléchir son
tableau d'avance et
plus chauds d'aspect.
le
bien pondérer. Essayer des effets gris mais
—
192
—
Sortant du Louvre. Habileté prodigieuse des Guardi. Légèreté de leur exécution. Esprit de
vigoureux du Vernet
:
faire
la
touche jusque dans
moindres
chez tous ces maîtres qui vont au but
Les admirables figures
nettes et
si
bien étudié. Fermeté des fonds, des eaux,
de plus grands cadres Etoffer
les
et
si
etc.
détails.
si
Accent
résolument
—
justes avec leur caractère
Chercher dorénavant à
si
faire
plus de soin dans les figures accessoires.
aussi
résolument mes marines. Surtout ne pas hésiter pour
vigueurs
les
qu'il faut atteindre partout.
Sujets à préparer. Grandes plages avec de nombreuses figures éparses sans chercher un sujet, et
comme je
l'ai fait
bien assis. Le souvenir du Guardi avec un accent plus nature.
Marchés au poisson. Méditer faisant 11
jusqu'à présent. Vigoureux
dominer
les figures, soit
cela de
en mettant tout
diverses façons, soit en
l'intérêt
faudra préparer cela là-bas afin d'avoir les types
et
dans
les
poissons.
les accessoires
bien
justes.
Un grand marché pour
avec les types pris par leur côté saisissant.
celui là réunir tous
la
les
pommiers. Types, mouvement, costumes
Steen. Faire poser. Réunir tout ce
Entreprendre
que
;
je pourrai.
quelques sujets avec des pêcheurs, y joindre à l'occasion
quelques figures d'élégantes. Pour vigueurs de
faudra
matériaux sur place.
Une grande beuverie sous des choses à
II
l'effet et
les
ne pas craindre
la
marines, essayer cela dans violence.
Se servir aussi souvent que possible de
la
nature pour tout.
les
grandes
— -^^^-^
i
93
—
1866. Retour de Trouville.
fructueuse. Courbet a
fait là
Passé
là
quelques belles marines.
bon. Recherche depuis peu d'un
faire
une saison assez peu
Effet
des miennes assez
encore supérieur, plus fin
Daubigny. Grande finesse.
Visite à
—
Des choses légères
et
si
possible.
bien faites.
Supériorité des Courbet.
22 Décembre. faible
de
gamme,
petiote,
— Beaucoup de découragement. Ma peinture trop
étriquée. Pas de puissance, ni de hardiesse,
de magie. C'est une allure plus hardie à prendre. Si la
petit
simple
bout de
naïve copie de
et
toile, ce serait
solide de ton
bon, mais
et
faut fouetter sa crème.
nature pouvait suffire, appliquée sur
la
il
Vente Kalil Bey. En entrant fine, nacrée,
Il
pas
le
faut aller au delà.
le
Courbet,
la
baigneuse.
de modelé, d'un ton particulier, ni
Peinture violet ni
rouge, ni gris.
Au chauds
dessous des Fromentin, beaucoup de finesse dans et
doux, une finesse nacrée, de
la
solidité
de brusque. Decamps lourds
dans certains morceaux. Rousseau
paysages bien
établis,
et forcés
atteint à
chauds, dorés,
même
tons, des gris
dans l'ensemble. Cavaliers
d'une grande élégance, très soignés. Ensemble doux et rien
les
et fin.
Peu d'opposition
quoique d'une grande lumière la
plus haute perfection.
dans un gris blond. Ciels
Petits
bien
étayés, solides, profonds.
Delacroix. Solidité d'une tableau est toujours
si
couleur sublime. Des accents puissants. Son
bien enveloppé. L'évêque de Liège est plein de choses
superbes, des têtes, des mouvements. Cependant ce tableau est un peu ancien
de
faire
pour
lui et
ne possède pas toutes
les qualités qu'il a atteintes depuis.
— Délicieux Téniers,
Un
le
—
194
cabinet de tableaux avec portrait du peintre.
Boucher, mais un peu négligé
joli
et
ne pouvant pas se placer à côté
de ces maîtres solides. Delacroix et Rousseau qui marchent en première ligne.
Ici c'est
Résumé. Chercher dans des tableaux Essayer ces
des plages.
vaporeux,
choses perlées ou
les figures délicates.
nous en avons peu
à
^^-^^
Ce
bien l'ensemble
n'est pas ;
comme
et
que
est insuffisant
vite.
doit frapper dans
pour faire passer
un le
tableau, mais
tout défectueux.
— Hervier.
avec une tête singulière
vêtements
petites idées
en avant beaucoup trop
un morceau
homme
eaux bien humides, fonds
Mais que tout cela demande de temps
un morceau qui
Che\ Latouche Gros
les
donner à chaque chose, nous autres pauvres nécessi-
sommes poussés
teux qui
très fins ces délicatesses des ciels,
— des gestes timides
et
une
petite
et singuliers
d'un
voix
— mal
homme
fichu
qui a ses
arrêtées sur tout cela. Ses adorations curieuses pour
Dupré
et
Rousseau, ses dieux. «
On
fait gris
aujourd'hui, c'est triste et ça
peut pas supporter
le
tombe dans
les salons
voisinage des meubles, des tentures.
où ça ne
Millet et les
autres emploient des tons qui tombent et qui donneront des tableaux effacés
pour
l'avenir.
Parlez-moi de Dupré quand le
principe de la
il
a fait de ces
couleur une fois trouvé,
il
beaux tableaux ragoûtants où a enveloppé ça
partout
d'une
— belle
solides, pas de peinture durable.
A Un
reflet
seul
on ne
Et puis aujourd'hui
pâte brillante et forte.
Le
—
195
met
fait
pas de couleurs
»
d'un plan à un autre.
les distances
mesure que vous augmentez votre
cadre,
augmentez
l'intensité
des tons.
ton n'est vrai que relativement à un ton voisin. La pureté absolue du ton
n'existe pas.
Le côté décoratif de
peinture
la
Dupré, chez Daubigny. L'on
-^^y^y^ relative est
sacrifie
est curieux à
complètement
venue, mais aussi
aisance à peu près assurée.
les maladies,
Eh quoi, tout
les
ne sais quel germe d'inquiétude
précipice dans lequel
et
de tristesse
nous entrons.
un détachement curieux de mes dehors, l'inconnu
!
Une
est nerveux, machinal, saire.
au
Tout ce
qu'il
la
!
mais n'amène plus
le
prospérité
pouvoir d'étouffer
Plus on avance dans cet les fleurs
de condamnés
affections, et je ne sais
sorte de fatalité roule
— Une
Un peu d'économies, une
main sur
Folie
ciel.
morts, et aussi les afflictions
cela n'a pas le
avenir obscur, et plus on cherche à porter le
la terre
77 novembre 1874. Retour de ^Bordeaux.
de toute sorte. Pourtant les temps sont changés.
je
étudier chez Corot, chez
en moi
calme
!
quoi
qui bordent
A
l'intérieur,
d'attractif
et m'effraie.
Le travail
et cette sérénité si
y avait en moi de sympathique, de bon,
indifférence des choses de la vie
voudrais je ne sais quoi, est vertigineuse.
11
me
que
néces-
s'éteint. Je
surprends des instincts mauvais, des duretés de coeur qui m'effraient.
un dégoût, une
je n'avais
au
me
C'est
pas jadis. Je
laisser glisser tranquillement sur cette pente qui
y a des résistances qui m'en empêchent.
— ^/xxv/^
Sous
les
196
—
pommiers.
Grandes figures. Chercher de l'expression dans l'ont fait les maîtres,
^r^^^s
1887
notamment Cuyp dans son Mangeur de moules.
Peu
.
comme
physionomies
les
bien.
et
Ne
plus gâcher son temps
comme
par
le
passé.
Bien observer et tirer de
La lumière surtout denser,
la
!
la
nature tout ce qu'il est possible d'en
Chercher son rayonnement,
négliger ou
avec
la
fulguration,
la
con-
poursuivre dans sa chaleur.
Toute peinture qui ne donne pas une sensation
La
la
tirer.
non avenue.
est
Il
faut
la
supprimer.
la
solidité est
une condition de
lumière toujours,
et
la
bonne
qualité.
fortement, afin que
la
Modeler solidemen
peinture ne s'amincisse
point.
Chercher à
faire coloré,
dans l'ombre. Faire que ce
sans tomber dans soit toujours
une
le
sombre. Essayer un morceau
gamme
de tons coquets, sinon
très puissants.
Faire
que
le petit
morceau
soit fin de ton et
Plus de verve, plus de fougue tout son éclat, par tas.
25 mars. plusieurs.
des
Moyen
marines
Oh
la
Visite
et
forme une plaquette agréable
d'emportement. Plaquer
la
.
couleur avec
molesse, quel défaut à éviter!
aux
aquarellistes. Beaucoup
de verve dans
excellent de traiter ce qu'on ne peut peindre. Pourquoi pas
(C...,
faible;
D..., également)
des plages, des figures, des
pêcheurs d'équilles, tous ces petits sujets qui sont à
traiter à l'eau.
Vigou-
— reux surtout
sans-façon dans
et
Pousser dans
le frais.
—
i97
façon de
la
faire.
Cela force à dessiner ferme.
Bien écrire sa peinture. La fermeté toujours
tout. Faire poser figures et
animaux. Se remettre au dessin. En
et
dans
faire
de
poussés au fusain, de bien troussés. Couleur, intensité de ton. Partir d'une plus ciels
grande puissance dans
les
eaux surtout,
et arriver
aux
avec une coloration plus montée.
2 S avril. Notre pauvre ami Donnay est mort. Quelle angoisse! vieillit,
et
que
ce
On
bon soutien va vous manquer! Le goût s'en va.
plus à rien. Plus de courage.
On
se sent
abandonné de tout
le
sent qu'on
On
ne tient
monde.
Salon 87, I er mai. Chercher de
les côtés colorés
dans
la
nature, les effets puissants, et faire plus
ciels unis.
Peindre pour soi. C'est la
mer
Revenir aux
qu'il faut aborder, et ciels
aborder vigoureusement.
simples, simples, unis, et pas d'empâtements exagérés.
Des taches, des taches, moins de modelé!
Du
fini
partout; rien de négligé.
Les ombres bien enveloppées.
-^^-^^
1887, fin mai. Encore à Paris. Pentecôte.
Pas travaillé tous ces temps derniers.
—
198
—
Subi un énervement incroyable par
On
vient.
ne
plus
sait
si
Sans doute je suis trop tière
lumière par
Devant
la
l'ai
là,
mais
ciels puissants,
la terre
je l'entrevois
Y
par
il
soit.
bon comme ma-
mais, poussé par l'exemple des Millet
;
Il
y a bien de
même
de
là-dessous,
un
l'air,
faut plus.
nature, c'est à méditer qu'il faut s'exercer.
De grands morceau de
capable de faire quoi que ce
voudrais élever cela d'un cran.
ci
découragement qui vous
gris, trop matérialiste. C'est assez
malgré des défauts
picturale,
et les autres, je la
l'on est encore
suite de
profonds, vaporeux, légers,
ou des bateaux, mais que
dans ce
moment
de lueur qui
penserai-je en peignant?
Il
le
me
ce soit grand, idéalisé,
comme
vient.
faudra. Condenser
déjà essayé souvent. Faire impression sur
et,
le
la
comme
nature,
spectateur par
la
je
tournure
du tableau.
Je
m'entends en ce quart-d'heure. Mais que de
répéter. Condenser, arriver à la grandeur,
Puis chercher lumière,
Au
comme
le
la
fraîcheur
du ton.
beau temps nous
même
Que
la fait
dans
les
lois
il
taut se le
plus petits cadres.
ça réjouisse
le
cœur par
sa
éprouver, cette sensation.
fond, je ne suis pas gai. C'est peut-être à cause de cela que je sens
si
bien.
Quel abandon
1
milieu de ce délaissement.
Faut-il
en avoir en réserve pour se soutenir au
— de
Visite
M.
monde. C'est consolant
^v^-v^^. Ils
ce côté
A
Il
—
me promet une
justice
de
l'autre
II
y a de
!
Exposition des intransigeants
ont raison tout de
du progrès à
Les cadres à
la
même.
Exagération dans
le
bleu violacé.
faire.
façon de Whistler. Faire force ciels sur papier et les enca-
drer de cette façon.
Comme
199
Cazin est tranquille
!
Achevé d'imprimer le 25
Octobre 1900 par
FLOURY & M ART Y 1,
Boulevard des Capucines à Paris.