L'oeuvre d'Etienne Dinet, 1903

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Décoration

MENSUELLE D'ART MODERNE

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Publiée sous la direction de MM. VAUDREMER, GRASSET,

J.-P. LAURENS, FRÉMIET, ROTY, L. MAGNE, L. BÉNÉDITE, ROGER MARX, DAMPT

JUILLET

DÉCEMBRE i9o3

Tome XIV

EMILE LÉVY, ÉDITEUR

LIBRAIRIE CENTRALE DES BEAUX-ARTS i3, RUE LAFAYETTE,

PARIS

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ART ET ORIENT

L'OEuvre d'Etienne Dinet


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Art et Décoration

jeune homme c'est le serviteur de son mari, c'est Yousouf. Zoulikha se mourait de passion nonpartagée, de langueur et de mélancolie; ses compagnes n'y pouvaient rien comprendre. « Quand vous aurez vu l'objet de cet amour malheureux, leur dit-elle, vous me comprendrez. » Et elle les réunit en les priant d'user de leurs moyens de persuasion pour tâcher de l'amener vers elle. Et sous les voûtes de ce palais à la fois naturel et féerique, la jolie troupe agitée de petites reines s'empresse

après environ deux ou trois douzaines d'heures en bateau ou en chemin de fer. Mais c'est surtout que le pinceau de ce peintre a une faculté tout à fait rare de créer l'illusion de la vie. Ces petits corps féminins de beau bronze doré, fermes et ronds, moites comme des amphores poreuses, ces petits corps tout frémissants, élégants, souples, félins et agiles, qui font penser à je ne sais quels animaux gracieux, doux et farouches, il en connaît toutes les poses alanguies, câlines et impa-

La Vengeance des enfants d'Antar

autour de Yousouf pour lui offrir des fruits, des pastèques et des oranges. Mais elles sont prises d'un tel saisissement à la vue de sa beauté virile et douce, qu'en épluchant les beaux fruits d'or, les couteaux distraits entaillent toutes les petites mains. C'est tout. Et vous vous demandez si c'est une réalité ou si c'est un rêve. Et, maintenant que le tableau est soustrait à vos regards, l'impression qui en reste est si profonde que vous jureriez que vous avez été un des témoins cachés.Sans doute,vous reconnaissez ces êtres, ces lieux et ces choses; vous savez que tout cela existe, figures, accessoires et décors, dans un pays qui, moralement peut-être, est au bout du monde, mais qui est cependant situé dans une province française et qu'on atteint

tientes, toute la mimique parlante et caractéristique, toute Pâme ardente et enfantine, aux jalousies de petites bêtes gâtées, aux convoitises de jeunes singes; cette âme candide et primitive, qui se traduit dans les brusques variations des physionomies expressives, et dans les accents d'une voix qui prend tantôt les inflexions les plus fluides du chant des oiseaux et tantôt les fureurs et les aboiements rauques de jeunes chacals. Il semble même qu'il nous fasse sentir l'odeur fauve et musquée de ces jeunes chairs sauvages. Et il les rend dans la mobilité et dans l'action avec le relief franc des formes pleines à travers les. jeux les plus inattendus de la lumière naturelle ou artificielle, avec une puissance de clair obscur qui fait saillir les figures de la.


L'OEuvre d'Etienne Dinet profondeur mystérieuse des fonds. Et quel charme dans le paysage, quel attrait dans ces harmonies locales dont il a le senssi pénétrant, quel accord simultané entre tous les éléments qui concourent à ce spectacle! On oublie vraiment ici l'ouvrier devant l'oeuvre. On est seul en face de sa vision. Le secret de cette puissance expressive, de

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un haut esprit de conduite qui ont fait de lui, dans la plus noble acception du mot, un homme et un artiste. Dans le petit cercle d'amis de choix, dont il recherche la compagnie, aucun n'a montré plus de modestie, plus d'effacement, et aussi aucun n'a été entouré du plus tendre respect. Vous connaissez, ou plutôt vous ne devez guère connaître — car le voit-

Enfants jouant

ces facultés si complètes et si étroitement unies de narrateur, de poète et de peintre; le secret de cette force communicative, réside ici

comme partout,comme toujours,dans le caractère propre de l'homme. C'est sa conviction, sa foi, sa probité, l'amour ardent de son art et des sujets qu'il s'est donné mission de peindre qui ont fait de Dinet une figure personnelle et exceptionnelle. A aucun moment il n'a cherché ni le succès, ni le profit. Il a porté dans son art comme dans sa vie un désintéressement, une dignité,

on à Paris, hors de son atelier?— son visage aux traits fins et nerveux de grand chef arabe. Sur son front et dans son regard on lit l'intelligence, l'énergie, la décision et en même temps je ne sais quoi de souriant, de caressant et d'un peu farouche. Et c'est bien l'expression vraie de sa nature, droite et résolue, mais aussi timide et bonne. On sait quel incomparable ami il fut pour ces deux malheureux camarades qui dorment l'un sous les sables du Harrar, l'autre dans un lit de cendres refroidies, au pied des volcans de Java: Mau-


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rice Potter et Marius Perret, si fiers l'un et l'autre de le considérer comme leur initiateur et leur maître. L'ami qui, depuis tant d'années, l'a suivi de près dans sa vie et dans son oeuvre, peut écrire publiquement ici, sans embarras, ce qui est l'expression de la pensée de tous. Il ne trouvera de protestation et de mécontentement que d'un côté et on le devine. Une particularité du caractère de Dinet,

phénomènes lumineux, soit dans leurs effets directs les plus intenses, soit dans leur action indirecte la plus subtile. Après Belly, après Guillaumet, après Fromentin lui-même, qui les note surtout dans ses écrits, il abordait sous un ciel dont la splendeur torride donnait à ces problèmes une portée exceptionnelle, l'étude méthodique, raisonnée,on irait jusqu'à dire scientifique, de toutes les grandes ques-

Jeunes filles dansant el chantant

c'est que lorsqu'il a conçu quelque entreprise, il faut qu'il la conduise jusqu'au bout. Nul conseil, nul obstacle ne pourraitl'cndétourner. S'il s'est trompé, tant pis! il se trompera, mais du moins il en aura le coeur net, il saura pourquoi et il n'en connaîtra que mieux ce qu'il convient exactement de faire. C'est ce qui explique certaines contradictions apparentes que l'on peut trouver entre ses principes au cours de sa carrière. Il avait commencé au début par des études analytiques et il a poussé jusqu'au degré le plus aigu ou le plus délicat l'observation et la notation des

tions physiques de l'éclairage des corps dans l'espace sous les rayons du soleil, avec la répercussion lumineuse du sol et de tous les autres accidents environnants, l'interposition de l'atmosphère,etleurscorollaires,delà décoloration des tons dans la clarté ou de la coloration des ombres, problèmes qui, sous le ciel de France, avaient passionné des maîtres tels que Rousseau et Corot, DaubignyetTrovon, Millet et Manet et ont eu une influence si profonde sur les destinées de Part contemporain. On n'a pas oublié cette première série à laquelle appartient le petit chef-d'oeuvre des


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o Le fils d'un saint marabout porté en triomphe par la foule


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Terrasses de Laghouat du Luxembourg et dont l'expression la plus excessive fut cette toile intitulée : Midi en juillet à Bou Saada, semblant ainsi réunir tous les superlatifs de la lumière et de la chaleur. Avons-nous discuté, alors, sur ces questions de la lumière solaire, soit qu'elle est vue par un spectateur placé dans l'ombre, soit par un observateur placé lui-même dans la région éclairée; de la lumière diffuse; de la composition lumineuse du tableau, toute différente sous les cieux africains de nos cieux septentrionaux et à propos de laquelle Fromentin émettait des observations si curieuses et si justes On était dans le plein épanouissement de l'impressionnisme. L'orientalisme, moins suspect, pouvait, grâce à son étiquette exotique, faire accepter un certain nombre de nouveautés que l'on jugeait, ailleurs, par trop téméraires. C'était l'orientalisme compris dans l'esprit de la grande tradition. Nous étions très intéressés par toutes ces préoccupations pittoresques et nous nous en entretenions longuement avec Paul Leroy, un des plus vieux « Biskris », et notre cher et malheureux Marius Perret. Ce fut l'origine de notre Société des Orientalistes. Perret en avait été, si l'on peut dire, la conscience; Dinet en fut l'espritet le souffle. Mais, en "retour, il en subit lui-même l'influence. Elle l'attacha plus étroitement encore, s'il était possible, à ce pays, à cette race, à ces moeurs qui lui étaient très chers, malgré les découragements qu'on essayait vainement de faire naître en lui dans certains milieux, malgré le dédain manifesté, pour ces sujets orientaux, par des confrères qui criaient à la mascarade et qui, de leur côté, allaient chercher leurs tableaux dans les pages mortes des livres, déguisant leurs personnages avec tous les oripeaux des théâtres, des écoles et des académies. Mais sous cette forme analytique, Dinet était allé jusqu'au bout de son idée. Ne pouvant pousser plus loin, il n'était pas homme à se cantonner éternellement dans le même cercle de notations, d'observations, de descriptions ou de portraits, dût-il en sortir des chefsd'oeuvre. Il né s'était pas, inutilement, d'ailleurs, attaché au pays et aux indigènes. Cette race africaine du Nord, si mêlée qu'elle soit par endroits, après tant de mouvements produits par le passage surles anciens fonds autochtones, des Romains, des Phéniciens, des Goths, des Vandales, des Arabes et le recul des Maures !

d'Espagne, garde, toutefois, surtout dans le Sud, une pureté relative, et, dans tous les cas, une grande allure d'humanité primitive, fière, virile, imposante et ce haut caractère à la fois héroïque et familier qui distinguait les populations humaines des temps anciens. Que ceux qui n'ont pas été en Algérie lisent ce qu'ont écrit Delacroix^ Chassériau, Fromentin et Guillaumet, au cours de leurs voyages et en dehors du point de vue professionnel C'est un enthousiasme égal chez tous et qui s'exalte de jour en jour chez ceux qui y sont le plus souvent retournés. Fromentin voit partout la féodalité chevaleresque du temps d'Omar, Guillaumet cite à tout propos la Bible. Et ce n'est ni chez Pun ni chez l'autre l'emploi de termes convenus de comparaison littéraire, mais l'expression exacte d'un état réel, parla subsistance intégrale, ici et là, de ces deux anciennes formes de sociétés. Dinet, moins que tout autre, devait demeurer insensible à ce milieu. Justement vers cette époque un petit événement devait lui fournir le moyen de pénétrer plus profondément encore dans l'intimité la plus secrète de la vie et de l'âme arabes et le retenir à jamaisfixé aune forme d'art qui, sans perdre aucune parcelle de sa forte saveur locale, le ramenait chaque jour vers déplus hautes généralités humaines. C'est, en effet, à ce moment, il y a unedouzaine d'années environ, queDinet connut Si Slimanben Ibrahim Bâmer, l'auteur littéraire du Printemps des coeurs. Sliman,mon ami Sliman, car c'est aussi mon ami, et c'est une amitié que je n'estime point banale, Sliman mérite quelques lignes de biographie. C'est en effet, une figure originale. Ce n'est pas qu'il soit une exception sensible dans le monde arabe, ni qu'il appartienne à cette catégorie, généralement peu intéressante, de prétendus assimilés. Non, assurément, et son propre mérite est qu'il est resté pleinement arabe. Sliman ben Ibrahim est né vers 1870 à Bou Saada. Il est d'une famille mzabite et l'on sait que cette race de réformistes austères, qui sont comme les protestants de l'islamisme, est remarquable par son intelligence, son activité commerciale et que sa probité était jadis passée en proverbe. Sliman a hérité de leur sens droit et de leur intelligence ouverte et juste. Dans une circonstance dont le détail serait trop long à conter et n'offre aucun intérêt ici, au milieu d'une querelle entredeux partis dans l'un desquels Dinet se trouvait engagé malgré lui par des relations qui, en ces pays où l'on !


L'OEuvre d'Etienne Dinet

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Esclave de la passion et Lumière des yeux

retourne à des conceptions politiques assez simplistes, vous classentdans un camp ou dans l'autre, Sliman, au péril de la sienne, sauva la vie à celuiqu'il suivait déjà comme son maître. Dèslors des liens plus étroits se formèrent entre

les deux compagnons de route. Sliman n'attendit plus Dinet, chaque été aux portes du désert, mais il l'accompagna l'hiver à Paris. Or l'Arabe s'était attaché avec un enthousiasme ardent à l'oeuvre du peintre qui exaltait son pays et sa


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Art et Décoration

race. Chez ce musulman pratiquant et fidèle, rigoureux observateur des lois du Prophète et, qui plus est, chez ce mzabitequi nous paraîtrait devoir professer la plus sainte horreur des images, le sens des arts, de nos arts à nous, de notre art même le plus occidental et le plus moderne : la peinture, s'est développé avec un sentiment très intense et un esprit critique très avisé dont la droiture et la sûreté ne sont plus

dans une évolution nouvelle, de représentations synthétiques de la vie arabe. Ce n'était alors que le début encore incertain dans sa direction, de la série dont le portrait même de Sliman inaugure la deuxième période. Il abandonne à ce point sa méthode antérieure — pour y revenir plus tard, il est vrai — qu'il renonce à peindre ses sujets directement sur nature et les compose sur des études

Frère et Soeur

chose commune parmi nous. Hôte assidu de nos expositions et de nos musées, mais l'oeil et l'esprit formés, en dehors de nos habitudes invétérées d'atelier, d'académies ou d'écoles, habitudes qui sont non seulement perpétuées dans l'enseignement, mais consacrées par les musées, Sliman ben Ibrahim témoignait souvent de sa stupeur devant telle gesticulation dont il essayait en vain de deviner les raisons, devant telle action qui n'était reconnaissable que pour les initiés à ce misérable vocabulaire. Or Dinet, changeant de route, s'était lancé en plein à cette heuic

sans doute solidement établies, mais en laissant plus de liberté à l'imagination par le jeu du souvenir. Cette époque commence à peu près avec le Charmeur de vipères du Salon de 1890 et comprend le Jeu de la poudre, le Soir du Rhamadan, « L'air était embrasé.... » la Courtisane, etc. Vous savez combien Dinet est sensible à la pantomime. Il excelle à rendre la physionomie et l'action, il a le don de la mobilité et de la vie. On pense si cette question du « geste » a pu le préoccuper, cette question du geste vrai, du geste naturel, simple et expressif, infiniment pittoresque et varié que


L'OEuvre d'Etienne Dinet fournit incessamment la vie, le geste, dénaturé chez nous par les grands décorateurs italiens qui, dès le xvic siècle, imposèrent sur notre école cette lourde domination dont tout l'effort

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de misères et de labeurs, l'être humain qui travaille, le seul'dont l'action semble intéres-

sante à l'art d'aujourd'hui, est usé, déprimé parfois dégradé, dans tous les cas, modifié par

Râouacha

du siècle ne nous a pas encore affranchis. A ces observations formulées déjà par tant de maîtres, à commencer par David lui-même, Dinet joignait une remarque personnelle. Cette existence partagée entre deux mondes si divers, les lui faisait mieux connaître, l'un et l'autre, par l'exercice d'une perpétuelle comparaison. Dinet notait donc combien dans notre civilisation chrétienne et septentrionale, où le progrès continu est fait de luttes ardentes,

l'effort accoutumé, le contact de la machine, la division du travail, sans parler d'autres facteurs secondaires tels que le théâtre, les réunions publiques, la caserne, les cabarets, tous ces milieux où chacun des individus qui forment la foule est acteur, figurant ou spectateur porté à l'imitation. Dans les populations sahariennes, au contraire, où l'existence patriarcale

s'est continuée sans interruption, comme si le temps s'était arrêté tout net, les mêmes atti-


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Art et Décoration

tudes, les mêmes gestes, les mêmes expressions physionomiquessesont perpétuées à travers les siècles, correspondant au même genre d'existence, aux mêmes occupations, aux mêmes rapports entre les hommes, aux mêmes pensées intérieures. D'où il s'ensuit que si la vie contemporaine, qui a fourni des inspirations si hautes, est de nature à donner des éléments particulièrement riches et éloquents dans l'ordre de ce qu'on peut appeler la beauté expressive, l'observation des milieux indigènes de nos provinces de l'Afrique du Nord est

beau sans emphase, toujours logique jusque dans ses violences, et répondant exactement d'instinct à l'action voulue comme les termes propres d'un langage juste correspondent exactement à la pensée. C'est dans cet ordre d'idées particulier que Sliman ben Ibrahim fut pour Dinet d'un secours tout à fait précieux. Sliman, en effet, faisait lui-même sans étude et par nature les gestes que Dinet cherchait pour marquer l'action de ses personnages. Je n'ai point oublié entre autres souvenirs, pour m'en être assez

Jeux d'enfants

propre à livrer à l'artiste des trésors pour ainsi dire vierges, d'éléments essentiellement pittoresques et plastiques, que nous ne trouvons plus intacts autour de nous et que nous avons coutume de chercher dans les dépouilles froides du passé. Splendeur d'un décor incomparable, éclairé par l'illumination éternelle d'un ciel merveilleux de contes et de féeries ; singularité charmante ou simplicité grandiose du costume ; beauté des éires réalisant dans la pureté de leur dessin anatomique, dans la majesté de leur maintien, dans leur fierté ou leur grâce, un des plus dignes exemplaires du type humain; voilà donc ce que Dinet trouvait devant ses yeux, chaque année, durant les six mois de sa vie saharienne, lu il y trouvait du même coup, l'attitude noble sans la pose, le geste

amusé, une leçon donnée à propos de VOthello, du Salon de I8Q<> OÙ Dinetapprit comme il faut s'y prendre dans les règles pour tordre le cou à une jeune femme. Comprend-on maintenant en quoi ces scènes de caractère exotique, dont les uns se sont bornés à noter les curiosités ethnographiques, les autres — et Dinet lui-même à certaines heures, — à fixer le charme local, ont pu devenir le prétexte de hautes généralités humaines. Au lieu de concevoir un confus âge d'or, irréel, chimérique, abstrait, composé avec les seules ressources de l'imagination, de la mémoire et des livres, Dinet a placé son rêve dans un monde réel, tangible, concret et vivant de formes animées et pensantes, qui présente l'attrait sans égal de la vie et produit en même temps sur notre esprit le prestige qu'exercent


L'OEuvre d'Etienne Dinet toujours sur lui les choses lointaines. Il a réalisé la beauté dans la vérité. Voilà ce.que j'ai voulu dire, sans chercher une autre conclusion sur l'oeuvre de Dinet, que celle que chacun de ceux qui la connaissent trouvera sûrement de lui-même. J'ai tenu, simplement, à en donner une sorte d'explication, et à justifier l'attrait exercé par ces sujets qui, dans le cours de l'histoire de la peinture, ont tenté tant de magnifiques imaginations. Depuis le début du siècle, il n'est pas un de nos plus grands artistes qui n'ait voulu puiser à cette source abondante et vive de sensations, de formes, de splendeur, de beautés ailleurs inconnues. Pourtant, soit par suite d'une connaissance insuffisante des milieux et surtout de l'humanité de ces pays, soit par la subsistance de préjugés d'école qui ne leur permettaient pas de s'écarter trop loin des voies de la tradition, ils n'avaient pu ou osé approfondir ce que l'un d'entre eux, Fromentin, le premier qui cherchât les raisons de ces séductions et que préoccupât leur mode d'interprétation, appelait de « périlleuses nouveautés )). Mais la plupart des motifs donnés par ce critique sagace et avisé, pour restreindre dans l'expression de la vie et de la nature orientales,

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ce qui devait revenir au domaine de la pein-

ture, ont disparu par le fait même des circonstances. Par suite des contacts beaucoup plus fréquents avec les régions de civilisation musulmane, les éléments dangereux de curiosité, le caractère ethnographique, tout l'exotisme enfin des pays orientaux n'offre, à nos yeux et à notre esprit, pas plus de surprise que la singularité des costumes et des moeurs de telle province française comme la Bretagne ou de tel pays chrétien et voisin comme la Hollande. Ce n'était toutefois qu'en poussant beaucoup plus loin dans ces études, qu'on pouvait dépasser le premier attrait étrange et superficiel pour retrouver le grand fond primitif, général et humain; ce n'était qu'en visant plus haut et plus loin qu'on pouvait sortir la peinture orientaliste des habitudes purement descriptives ou des pratiques étroitement pittoresques dont les charmes faciles menaçaient d'être une cause d'engourdissement. L'ambition des jeunes orientalistes les plus clairvoyants a été de la remettre dans la voie d'entreprises plus dignes de son grand passé. On conviendra sans effort, que nul n'y a réussi avec plus d'éclat et plus d'autorité que Etienne Dinet. LÉONCE BÉNIÎDITE


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