ADOLPIIV: JULLIEN
I
ANTIN-LATOUR SA VIE ET SES AMITIÉS I.KTTKfcS
liNElilli-S
tl
SULVEMIUS
l*ERSUi\iNti.S
AVEC CINOIANTE-TROIS REl'RODLCTIONS n'OEUVRES DU MAITRE, TIRÉES A PART, SIX AUTOGRAPHES
£T VINGT-DEUX ILLUSTRATIONS DANS LB TEXTIC
PAIUS Il i:ii:\ 13,
l,\Vi;i
i;,
RIE DES
I.IUIlxMRR-ËDITKUn sai.\ts-i'i;hi;>,
l!)00
I
:i
.
w /
/
FANTIN-LATOUR SA VIE ET SES AMITIÉS
Tous
droits
île
liiiihirtion et
de reiiroduelion réservés
l«)ur tous les pays.
Published
1.',
noveniber 1908. Privilège of copyright in
reserved under tlieAct approved
Morch
3, igo.l,
tlie
Lnitcd States
by Ldcibx Lavich.
^
^v-^r
HHM m
ADOLPHE JULLIEN
FANTIN-LATOUR SA VIE ET SES AMITIÉS LETTRES
INÉDITES
SOUVENIRS
ET
PERSONNELS
AVEC CI.NyUANTE-THOIS HEPRÔDUCTIONS d'oeuvres du MAITRE, TIRÉES A PART, SIX AUTOGRAPHES
ET VINGT-DEUX ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE
PARIS LUCIEN LAVEUR, LIBRAIRE-ÉDITEUR 13,
RIE DES SAINTS-PÈRES, 13
I
!»()!»
MADAME FANTIN-LATOUR
PRÉFACE
Oui,
«
ans,
il
a
f admire
été
et
un des charmes de ma
sion de le lui dire. Je teurs. C'est
a
ai jamais eu f occa-
dire à vous et à vos lec-
le
issu des meilleurs, des plus
d'eux ce bon savoir, sans lequel
le
71
lumineux, des Hollandais
trouble imitile. Il a de beaux Il
Je
vie.
veux au moins
un admirable peintre,
solides et des plus tient
j'aime Fanlin-Lalour. Depuis quarante
le
moyens dart
et des Vénitiens; il
sentiment n'est qu'un et
une
belle conscience.
respect et l'amour de la vie. Ses portraits, ses groupes
respiretit
une gravité douce, dans
Je ne sais rien de plus touchant
la
qm
calme lumière qui
les baigne.
ces assemblées d'amis, qu'on
trouve en grand nombre dans son œuvre. Les figures y vivent
une
vie
à
la fois familière et sublime. J'appellerais, volontiers,
Fantin-Lalour
le
maître de T amitié \..
Cest M. Anatole France monde, a su
si bien lire
»
qui, sans l'avoir
connu
le
moins du
au plus profond du cœur de f homme,
si
clairement discerner la filiation du peintre et le rattacher à ses /.
Livraison des Maîtres Artistes consacrée à P'anlin-Lalour (2f< février
1903).
PRÉFACE.
IV
oérilahlpft (mcêlres.
En
italienne, s'est apparenté
peintres flamands,
par
dune famille
aux plus grands
mainte assemblée célèbre de syndics, d'érhe-
capitales, il n'en est
loin des
ses chefs-d'œuvre
marchands nous saute à
vins et de
œuvres
si
Fantin, descendant
effet, si
mémoire en face de
la
ses
pas moins vrai que d'autres maîtres,
brumes des Flandres, sous
le
chaud
soleil d'Italie, ont
également composé de ces groupements de personnages inactifs
ou peu
s'eti
par
faut, réunis sur la toile
peintre, et que
le
la seule volonté
du
Retour de Chasseurs de Giovanni da San Gio-
vanni, ou la Bamhocciata de Dosso Dossi,
deux morceaux du Palais
Pitti,
pourne
font penser
citer
que
aux grandes
ces
toiles
de Fantin, tout autant que les Syndics dos Drapiers ou les
Archers de Saint-Georjjçes. Et
ta
vite
aperçu
s il est pareillement exact,
l'esprit aiguisé
comme
de M. Anatole France, que ce
digne héritier des grandi peintres d'Amsterdam, de Haarlem
ou de Florence fut par excellence partient-il
pas à l'amitié de
ce qu'il a fait
pour
elle et
lui
le
peintre de Famitié, n'ap-
rendre une très faible partie de
de chercher,
si
maigrement que ce
soit,
à s'acquitter sans retard envers lui?
En ments
vertu de quelle loi secrète arrive-t-il donc que les événeles
plus précis,
les faits les
plus formels,
même ceux
qui
datent dhier à peine et dont les témoins n'ont pas tous dispiru, se déforment si vite en passant
plume des journalistes?
par
la
bouche des hommes ou la
Il n'était rien
qui choquât davantage
Fantin- Latour, au courant de ses nombreuses lectures et pour tout ce qui touchait à son art,
substitution
que ce manque
du romanesque à
la réalité.
d exactitude
et cette
Avec sa mémoire incom-
parable, où tous les gens qu'il avait connus ou simplement entre-
PRÉFACE.
_
V
_^
_
VUS, tous les livres qicil avait lus, tous les chefs-d œuvre de la littérature et des arts dont
gravés
(F une
il
faisait son régal habituel s'étaient
façon ineffaçable,
qu'il découvrait la
il
souffrait singulièrement dès
moindre erreur de date ou de
fait,
que
cette
erreur fût simplement l effet d'une négligence accidentelle ou qu'elle provint,
comme
réfléchie de la vérité,
annve trop souvent, dune déformation
il
dune
histoire inventée à plaisir
écinvain trop pressé pour prendre tait alors
le
contre ces individus, si
qui travestissaient
les faits
temps de
par quelque
s'instruire. Il pes-
peu respectueux de
sans scruprde,
Dieu
et
la vérité,
de fois j'ai entendu sortir de sa bouche des apostrophes
de celle-ci
plume,
:
a
est-ce
Mais vous,
débiter?
Sur
du genre
vous qui tenez une
que vous ne devriez pas vous élever contre ces
inventions saugrenues,
nument
les jou?'nalistes,
combien
sait
les fables
au
lieu
de
les
répandre
et
de répéter ingé-
que certains d'entre vous n arrêtent pas de
»
les questions d'opinion,
plus large, du moins en ce qui riter des critiques suscitées
par
de doctrine, le
il était
on ne peut
concernait, car, loin de s'ir-
ses œuvres,
il
s'en
accommodait
fort bien et les aurait presque provoquées, lui pourtant si irritable et si acerbe dès qu'on s'attaquait fait ses
dieux dans la littérature
et
aux maîtres dont dans
les arts.
il
Mais
avait qu'il
rencontrât un détail inexact, un renseignement erroné sur son
compte ou sur un point quelconque d'histoire que sa mémoire infaillible lui permettait il
de contrôler sans nulle recherche, alors
partait en guerre et fulminait contre les bavards et les faiseurs
de phrases creuses. Des faits exacts qu'il désirait trouver
et
dûment vétnfiés,
voilà ce
avant tout dans ses lectures, pour se former
PRÉPACK.
VI
ensuite une opinion faite
« //
:
lui-même au
nous faut un beau
m'écr4vait-il
frère cadet
lieu
livre, plein
au moment où je
den
do documents sérieux
mon Hector
travaillais à
du Richard Wagner,
accepter une toute »,
Berlioz,
qu'il se lirêparait également à
illustrer.
me
Il
souvient encore
sans savoir où ni quand
du jour
mon
improvisant reporter,
oit, ni
interview pourrait paraître, je lui
demandai de fixer définitivement mes souvenirs sur et les destinées des trois
grandes
du piano, qui forment avec tableaux où
«
tant de
toiles,
les origines
sœurs aînées
celle-ci cette
<f Autour
magistrale série de
beaux portraits, comme
un
l'a dit
critique,
raconteront plus tard, éloquemnient, tiime des intellectuels de la fin
à
du
me
xiX" siècle ». // 7ne
souvient de F empressement qu'il mit
répondre, de f insistance avec laquelle
tains détails, de la hâte qu'il avait de lire
points qui lui tenaient
il
un
revenait sur cer-
article oit plusieurs
au cœur seraient définitivement
éclaircis...
Je ne pus cependant pas lui procurer ce plaisir, car f occasion de publier tous
les
renseignements que je lui devais sur ses groupes
et portraits d'artistes et
d'hommes de
lettres
qu'après qu'il eut disparu de ce monde, au l'Exposition de son
Lorsque
l'idée
ne
s'offrit
moment
à moi
oii
s'ouvrit
il
agissait
œuvre à f École des Beaux-Arts.
me
vint de tifiterroger de la sorte,
s''
pour moi de
contrôler,
ma mémoire
avait retenu de nos entretiens d'autrefois, et c'est
pour
lui de rectifier et compléter ce
que
de grand cœur qu'il s'y prêta. Mais quoique nous nous connusstotis
déjà depuis longtemps et qu'il dût éprouver une satisfaction
réelle à voir paraître
un
écrit
de ce genre,
il
ne s'en
était jamais
ouvert à moi; bien mieux, c'est seulement après sa mort que
PRÉFACli:.
P appris qu'il attendait avec et que,
VII
impatience la publication de ces lignes
sans m'en reparler, par derrière,
d avoir
riant, moitié chaqrin,
il
me
reprochait, moitié
oublié ce que je lui avais promis
de faire. Hélas! non, je ne l'avais pas oublié
réparer ce qu'il pensait être négligence de
qu'un retard indépendant de son grand
amour de
aujourd'hui tous avec ceux qui
les
me
l'
et c'est
ma part et ce qui n'était pour répondre à
volonté, c'est
pu
souvenirs que j'ai
recueillir de sa bouche
sont personnels; que j'évoque atissi était,
qui furent mises à
Mais comment avoir tant de que Fantin adressait
pour
exactitude et de la vérité, que je publie
passionné de musique qu'il lettres inédites
ma
—
amateur
en profitant largement des
ma
disposition.
lettres entre les
d' Angleterre
l'
mains, soit celles
à ses parents,
soit celles qu'il
envoyait de Paris à ses amis d'Angleterre, ou de sa campagne de
Duré à
ses
instructifs
amis de Paris, sans en
tirer
d autres
que ceux qui témoigneraient de son goût pour
musique? Coinment ne pas y chercher surtout de la pensée du peintre, les
renseignements
les traces
les
la
manifestations
de la formation de son talent,
échos des luttes qu'il a soutenues, les explosions retentissantes
de ses admirations
et
de ses antipathies, pour ne pas employer
gros mot de haines; comment ne pas y puiser en un mot
les
le
pré-
cieux éléments d'une ébauche de biographie complète, oh l'homme revivrait à câté de [artiste, celui-ci celui-là
au milieu de
téméraire à moi
ses
au milieu de
amis? C'est
d entreprendre
;
c'est ce
ses œuvres,
ce qu'il était peut-être
que j'ai pourtant essayé
défaire, en laissant à d'autres, beaucoup plus qualifiés, le mérite et
l'agrément décrire sur Fantin
biographique
et critique,
le
grand travail d'ensemble,
auquel plus d'un écrivain dart doit
PRÉFACE,
VIII
sûrement penser. Mais encore, au milieu de tant de lettres et
de souvenirs, ai-je cru bon de pouMer quand
premier plan «
les
»,
public peut désirer connaître
le
sur lesquels le
même au
d artiste
de
cest-à-dire ceux de ses groupes ou portraits qui sont
en quelque sorte du domaine public, parce qu gens dont
de
tableaux dont M. Gustave Geff'roy a dit qu'ils
constituaient le chapitre le plus important de la vie
Pantin
notes,
le
ils
représentent des
les traits,
ceux aussi
peintre, qui n'aimait pa^ les indiscrétions, pouvait
plus librement s'exprimer. <(
Ce sont
naguère un critique avisé
là, écrivait
documents d'histoire
et
',
de véritables
de pensée, des œuvres rtart très hautes
qui seront recueillies par
les
musées de F avenir, comme
les
tableaux des corporations de Rembrandt, de Franz Hais, avec cette différence
qu'au lieu de
l'effigie
d honnêtes
et
obscurs mar-
d artistes et de penseurs. » Des soit! je ny cotiti^edis pas pour plusieurs
chands, elles légueront celles artistes et des penseurs,
de ces modèles ; mais avant tout des camarades, des amis ou de simples connaissances du peintre. Et F amitié de Fantin, pour
beaucoup d'entre eux, ne constituera pas leur moindre
titre
t attention de la postérité.
I. L'Éclair,
1
.i
mai 1892.
A.
./.
iO Octobre 1908.
à
FANTIN-LATOUR SA VIE ET SES AMITIÉS
CHAPITRE PREMIER LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE
N'est-il pas singulier le
qu'un des peintres qui devaient
faire
plus d'honneur à l'école française et qui, par les gens de
tournure honnête et modeste qu'il aimait à peindre, par simplicité des intérieurs où
— tous
avoir été
pour
l'en
moyenne
railler
et
de
l'ont dit, les
—
le
plaçait ses
il
uns pour
la
modèles, semble
l'en louer, les autres
peintre par excellence de la classe
la société
bourgeoise,
ait tenu,
par ses ori-
gines, à la race italienne, à la race slave, et qu'il ait pu,
un
jour qu'on parlait beaux-arts, s'écrier sans trop d'invraisemblance
que
les
:
«
Un sang
trop mélangé coule dans
mes veines pour
questions d'école et de nationalité puissent beaucoup
m'agiter?...
»
Pantin descendait d'une nombreuse famille établie depuis des siècles dans
le
Briançonnais
—
elle avait
dû venir autrei
FANTIN-LATOUU.
nom-là est sûrement d'origine italienne, et
fois d'Italie, car ce
l'on peut voir à Venise, sur la petite place
de
la
Fenice,
une
église de
remarquable do Sansovino,
elles.
le
théâtre
San Fantino, avec un chœur
—
mais depuis longtemps déjà
branches de cette famille avaient ajouté quelque
les diverses
surnom à
où s'élève
leur
nom patronymique,
de se distinguer entre
afin
Notre peintre appartenait à une branche dont presque
tous les
avaient été dans la robe ou la finance, à
membres
commencer par
ce Jean Fantin,
fils
d'un notaire d'Arvieux et
subdélégué à Briancon, qui
avait, le
dix-septième siècle, pris
nom
domaine que sa femme
le
lui avait
premier, vers
la fin
du
de Latour, en raison d'un apporté en dot, non loin de
la ville.
Dans
le fait,
si
Fantin se rattachait à travers les siècles
à l'Italie, nul ne s'en serait douté, car, avec son visage légè-
rement
aplati
et
son
front
bombé,
il
rapprochait
se
sensiblement du type semi-asiatique et rien qu'à
très
le voir,
on
aurait deviné qu'il tenait de près à la race slave; sa mère, en efl'et,
était
Russe
s'appelait M"*' la
comtesse
béry que
le
:
elle était
née dans
Hélène de NaïdenolF
Zolofi",
le
duché de Podolie,
et était la
fille
adoptive de
née princesse Kourakine. C'est à Cham-
père de Fantin, Jean-Théodore, né à Metz en I80"j,
avait rencontré M"" de Naïdenofî et l'avait épousée,
d'octobre 183i-, ensuite,
il
était
au mois
revenu à Grenoble, où son
talent de peintre était fort apprécié; après avoir
de travailler à l'école de dessin de Grenoble,
il
commencé
s'était
formé
tout seul en faisant des copies au Louvre, dans la galerie ita-
lienne où l'on ne voyait vers 1830 que de rares élèves d'In-
LA VIK KT LA GARRIÈRK DT l'KINTKE.
gros), et là, faisait
pour
dans une
ville
où on
connu tout enfant,
l'avait
il
de nombreux portraits oÀ peignait des tableaux religieux
ou
les églises
les
couvents.
Il
produit de ses pinceaux, avec sa père, Jean-François Fantin, avait servi
dans
amis
nait à ses
le
femme
non
et
loin
du
de son
ancien officier de l'Empire qui
marine, puis dans l'armée de terre, avait
la
comme
pris sa retraite
vivait ainsi tranquille
lieutenant-colonel d'artillerie et don-
spectacle singulier d'un ardent légitimiste,
disciple enthousiaste de Rousseau, et d'un excellent officier,
ennemi déclaré de
la
guerre. Est-ce qu'on ne pourrait pas,
en raison de l'un ou l'autre de ces goûts, de cette sainte hor-
reur de
guerre en particulier, trouver des affinités très
la
sensibles entre le grand-père et
comment
Voilà
le petit-fils?
F'antin naquit à Grenoble, le
183G, au deuxième étage d'une maison de nes,
où son père
tracté mariage.
Théodore
s'était installé tout
Il
i
janvier
cour de Chaul-
la
de suite après avoir con-
reçut les prénoms de Ignace-Henri-Jean-
Théodore, parce que
:
1
c'était
le
prénom de son
père; Jean, parce que c'était celui de son grand-père; Henri,
parce que son parrain, frère aîné de son père, s'appelait ainsi; Ignace,
enfin,
parce
que ce parrain, qui
un jour dans
souhaitait que le nouveau-né entrât
avait tenu à le mettre sous la protection
Compagnie
prénom alors Si
:
il
marquait
qu'il n'appela
que toute
même
une
jésuite
et
les ordres,
du fondateur de
telle prédilection
la
pour ce
jamais son neveu autrement qu'Ignace,
la famille l'appelait
couramment Henri.
Fantin était né à Grenoble et
cette ville, sans
était
s'il
garda toujours pour
jamais y retourner, une certaine tendresse
FANTIN-LATOUR.
qui s'est traduite par des dons considérables au musée,
est
il
de dire qu'il n'en avait aucun souvenir précis, non plus
vrai
que de
campagne de
petite
la
Tronche où ses parents
la
allaient passer l'été, et le contraire eût été surprenant, car
n'avait pas encore six ans lorsque son père, ayant
propre père,
part diminuer les
filles
:
Marie et Nathalie, voyant d'autre
commandes de
portraits et de tableaux de
sainteté, prit le parti de venir se fixer à Paris
fortune
lui sourirait
sa smala, car
davantage.
amenait avec
il
lui
ses trois enfants, mais aussi sa n°
1
de
encore là
que
la
le
il
pensait que
alla se loger avec toute
non seulement sa femme
sœur
et
un de ses
et
au
frères,
fait
coin de cette rue et de l'ancienne rue Taranne. C'est
Henri grandit
diant mollement
le latin
le
et
sous
inquiet surtout de voir se
commença de
la direction
dresser,
s'instruire, étu-
de son oncle Victor,
au bout de ses études
séminaire où son oncle Henri rêvait de
entrer, et s'essayant avec
crayon,
11
où
rue du Dragon, dans une vieille maison qui
le petit
latines,
perdu son
colonel en retraite, et ayant vu sa famille
le
s'augmenter de deux
la
il
comme
il
le
le
faire
beaucoup plus de goût à manier
voyait faire à son père, ayant
même
le
bientôt
une tâche quotidienne à remplir, par exemple des modèles à copier. Car
Théodore Fantin n'entendait pas que ce
fût là
un
simple amusement pour l'enfant âgé de dix ans à peine, et voulait
développer
bambin
;
la règle
les dispositions qu'il voyait
poindre chez
de travail était assez sévère et
le petit
le
Henri
ne devait abandonner une copie commencée qu'après l'avoir
achevée avec l'exactitude quelquefois, quand
il
la
était à
plus minutieuse: aussi
le
gamin,
bout de patience, déchirait-il ou
POHÏRAIT DK FANTIN 18î)8.
—
l'AK
l.Ll-.MÈMK
(ialerie Nationak', à llerlin.
LA VIR ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
maculait-il son papier,
comme
8
par accident, pour passer à un
autre genre d'exercices.
Fantin, cependant, n'était pas un élève indocile, tout au contraire;
mais
il
Après qu'on
ailes.
aurait déjà voulu voler
mis à
l'eut
l'école des Frères
Saint-Benoît pour préparer sa première l'eut faite,
de ses propres
communion
revint chez son père, à côté de qui
il
de
la
rue
et qu'il
travaillait
il
tout le jour sans désemparer. Le soir, la distraction préférée
de ses parents rant de
était d'aller, l'été, dîner
banlieue, ou l'hiver, au spectacle, de préférence
la
au Palais-Royal ou sait
dans quelque restau-
même aux
Funambules, où
follement; mais sous cette apparence docile,
Henri donnait déjà des signes d'indépendance.
s'amu-
l'enfant
Il
le
jeune
avait d'abord
de Flaxmann que
copié
furtivement des
prêtés
un pharmacien du voisinage, ancien second prix de
Rome pour
la
dessins
sculpture,
puis
il
s'était
mis, toujours en
cachette, à faire de l'aquarelle, en copiant des scènes
tiques de Baron
ou des paysages de Soulès;
approchait où son père ne pourrait plus
avait
lui
bref,
le tenir
romanl'heure
sous sa rude
discipline.
Un jour les
yeux
et
rue de l'École-de-Médecine,
qu'il passait
lit
cette inscription
d'une porte ouverte; l'on avait organisé
il
:
«
École de Dessin
»,
rêverait
entre et se trouve dans une salle où
une exposition de dessins en
apprend les
d'en faire.
qu'il faut avoir
lève
au-dessus
fin
d'exercice.
Et quels étaient ces dessins? Des académies, justement il
il
11
monte au
secrétariat,
comme
s'informe,
quinze ans pour être admis à suivre
cours et reste penaud en pensant qu'il s'en faut de trois
FANTIN-LATOUK.
mois pour qu'il y puisse entrer. Cependant le secrétaire, touché (le le voir si désappointé, passe sur le règlement et lui donne
quand
même
une carte
10 octobre 1850, à l'heure son petit bagage;
il
dite, le
aux autres
premier
:
soir,
nouvel élève arrive avec
se tire
et
si
exactement ce
fait
jugez de
la joie
du jeune
il
est classé
homme
et
il
qu'il voit
bien de ces études d'après
bosse qu'au premier concours de places, le
lendemain
ne connaît aucun maître, aucun élève;
occupe une place quelconque, faire
Le
d'admission.
la
d'emblée
du bonheur
de ses parents.
avec qui Fantin s'était rapidement le
même chemin
lié
nommé
un
Celui qui venait au second rang était
Solon,
parce qu'ils prenaient
pour rentrer chez eux, au
sortir
de
l'école.
Or, ce Solon suivait aussi les cours que M. Lecoq de Boisbau-
dran
faisait
au n" 39 du quai des Grands-Augustins pour expé-
rimenter, sur des élèves déjà capables de peindre, son sys-
tème basé sur l'éducation de tème
très
l'école
sale de
cices
:
de
original la
la
la
mémoire
pittoresque. Le sys-
de ce maître, qui professait à
la fois
à
rue de l'École-de-Médecine et dans une succur-
Légion d'honneur, comportait deux sortes d'exer-
ceux propres à développer,
forme (dessins),
soit la
mémoire de
soit la
la
mémoire de
couleur
(les
la
premiers
se faisaient à la rue de l'École-de-Médecine, les seconds au
quai des Grands-Augustins), et
le résultat à atteindre,
au bout
mémoire
et sans
d'exercices gradués, était de reproduire de le
secours d'aucun document, quelque morceau de peinture
qu'on était
allé
voir au Louvre. Solon n'eut pas de peine à
décider Fantin à l'accompagner là; mais
le
difficile
pour
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
7
Fantin était d'obtenir la permission de son père.
Aux yeux
de celui-ci, en l'école
des
effet,
cours du
comme ceux de
soir,
de dessin que Fantin suivait déjà, étaient toujours bons à
fréquenter; mais ceux de l'atelier Lecoq avaitmt lieu
jusqu'à midi, et permettre à son
ment
c'était
élève et le
fils
matin
le
d'y assister régulière-
presque, pour M. Fantin, cesser de l'avoir pour
même un peu
pour aide dans ses travaux personnels
père de Fantin se laissa cependant convaincre
et,
:
à partir
de 1851, l'école du quai des Grands-Augustins compta un élève de plus.
nombreux
n'étaient pas
Ils
dix ou douze environ, et
des plus sommaires,
était
l'installation
là,
francs par élève subvenant tout juste
cotisation de dix
la
aux
généraux et
frais
ne permettant que de recruter des modèles d'occasion, presque de bonne volonté. Fantin, à dire
ou quatre années exercices de
le
vrai,
qu'il suivit ces cours,
pendant
fit
les
trois
quelques-uns des
mémoire recommandés par son maître, mais sans
beaucoup de conviction
;
par tempérament,
il
était rebelle à
tous les régimes, quels qu'ils fussent, et venir exactement à l'atelier n'était
pas
même
avait fini par l'appeler l'attirait et le
car
il
la
«
ramenait
longues^ c'était
encore
:
le
son
fait,
à
tel
point que M. Lecoq
l'Oiseau voyageur ». là,
plaisir
En
réalité, ce qui
après des absences plus ou moins
de travailler d'après
grande liberté que
entrait dans le système
le
le
nu;
maître laissait à ses élèves,
d'enseignement de M. Lecoq de
ne les contraindre en rien, d'éviter de peser sur eux
du monde,
fût-ce
c'était
le
moins
en leur montrant sa propre peinture; de
respecter enfin les dispositions individuelles, de cultiver d'une
FANTIN-LATOUR.
façon plus ou moins intense la personnalité de chacun par
développement de attachait
une
la
mémoire de
le
à laquelle le maître
l'œil,
grande importance.
si
Ce qui charmait enfin Fantin par-dessus tout dans cette école, c'était les solides amitiés qu'il y avait nouées et dont
garda jusqu'au bout
le
plus agréable souvenir. C'était d'abord
Alphonse Legros, simple enfant du peuple de
qu'une éducation la
mais
rencontre,
bande, possédant un don
et
n'ayant reçu
boute-en-train de
le
d'imitation très particulier et
beaucoup d'esprit naturel
:
plus tard, après s'être
naturaliser Anglais, dira
ment
Comme
«
:
aujourd'hui, je
gagnée
d'un avocat appelé par
goût très
vif
fait
n'est-ce" pas
lui
c'est simple! Hier, j'avais
l'ai
pour
les
le
!
» C'était
Fantin
;
c'était
passionné pour
Khédive en Egypte
entré
à
l'atelier,
développé pour
les
et qui avait
avait été
la
fils
la
phénix de
du sculp-
Médicis et
de Jean-Jacques, le
jour où
palette, la tète
l'atelier
il
était
de voir refaire de
de viole des Noces de Cana : ce dernier, à vrai dire,
Après
un
musique rapprochait de
très surpris
mémoire, avec son seul couteau à
le
fils
études de che-
Ottin,
botanique, et que Fantin,
préféré du maître et
drôle-
choses littéraires; c'était Guillaume
Charles Cuisin, très épris la
si
perdu Waterloo;
teur à qui l'on doit le groupe de la Fontaine de très
beaucoup
qui,
naturellement Solon,
Régamey, déjà porté de préférence vers vaux et les scènes militaires; c'était Léon que son goût
du joueur
était l'élève
Lecoq.
séance du matin, tous ces jeunes gens prenaient
leur vol dans Paris, travaillant chacun selon ses préférences
—
c'est alors
il
que Fantin commença à
aller
régulièrement à
;
la
l'OHIHAIT
IJlC
A M""
M.
ALlMlO.NSi:
Paul Paix (1858).
I.KliUMS
LA VIE Rï LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
9
Bibliothèque impériale pour voir les gravures d'après les maîtres, puis le soir
au Louvre pour voir
tableaux
les
mêmes
— mais,
;
venu, tous ceux que je viens de nommer, et d'autres
encore, se réunissaient tantôt dans l'atelier du père d'Ottin, tantôt dans
une
vant trop à
chambre que
petite
l'étroit, avait
le
père de Fantin, se trou-
louée pour son
maison, et c'étaient parfois de
si
fils
dans
même
la
bruyantes discussions, des
causeries ou des plaisanteries tellement vives, qu'elles finissaient par exaspérer les voisins. Alors,
pour ne plus gôner per-
sonne, nos apprentis peintres se rendaient dans un petit café, le
où
café Taranne,
que des
trée, tandis
ils
occupaient en maîtres
littérateurs,
la salle
d'en-
Gustave Flaubert et Louis
Bouilhet entre autres, poursuivaient leurs entretiens dans une pièce plus
reculée.
fraient à ces jeunes gens
du côté de
:
ils
allaient à la
l'étang de Villebon, et
chères à M. Lecoq,
les idées
en plein
venu, d'autres
L'été
air,
ils
là,
distractions
s'of-
campagne, surtout
pour mettre en pratique
faisaient des études de
nu
en profitant d'une baignade pour peindre l'un ou lumière plus ou
l'autre d'entre
eux
moins
de ceux de l'éloignement, en un mot de tous
les
de
diffuse,
problèmes de l'atelier.
et
la
après quoi, sur
le
de
la
là
quelques années pendant lesquelles
plus librement et plus utilement du
le
monde;
conseil de son maître, et sans pour cela
quitter l'atelier Lecoq,
avec
effets
perspective sous un jour autre que celui
Ce furent
Fantin travailla
juger des
il
se présenta à l'École des Beaux-Arts,
quelques-uns de ses camarades. Au bout d'une seule
année d'études, en 1851, certificat l'autorisant à
il
avait déjà reçu de son maître
passer ce concours, mais
il
un
n'en avait i
FANTIN-LATOUR.
10
rien fait; cette fois-ci, après trois années de travail de plus, il
s'y
A
présenta et fut admis cette époque,
il
le 41*', à la
n'y avait pas d'atelier de professeur à
l'École, et le seul avantage
trouver
date du 28 février iSIii,
que Fantin
et ses
amis dussent
d'avoir des séances de modèles gratuites
là, c'était
:
tout l'enseignement officiel consistait en des classes du soir
où peintres
nu ou
et sculpteurs,
l'antique.
deux ou
confondus, travaillaient d'après
Un membre de
trois fois par
le
l'Institut venait les inspecter,
semaine, et c'est ainsi que Fantin se
souvenait d'avoir vu passer
là
Horace Vernet, Paul Delaroche,
Léon Cogniet, David d'Angers
le
:
et bienveillant; le second, sec et
observations désobligeantes;
le
premier, toujours aimable
gourmé, n'épargnant pas
les
dernier enfin, très intéressant
à écouter, le seul qui parût vouloir faire profiter les élèves
de son expérience.
Au
total, les résultats
à l'École des Beaux-Arts furent négatifs
pour être maintenus,
les élèves
:
du
;
or,
de Fantin
tous les trois mois,
devaient subir un nouveau
concours de réadmission ou de maintien, dire
travail
comme on voudra
au premier de ces concours, Fantin eut un numéro
inférieur à
son
numéro d'entrée;
à
l'examen
suivant,
descendait encore, et au bout de trois ou quatre concours, était éliminé
:
les
ment des progrès C'est ainsi
juges avaient trouvé qu'il
constam-
que Fantin, n'ayant pas eu d'autres maîtres que
ce
fit
gloire de s'inscrire
double patronage et contribua pour une
très large part à la célébrité lui
il
à rebours.
son père et Lecoq de Roisbaudran, se toujours sous
faisait
il
de
l'atelier
où passèrent après
Georges Bellenger, Cazin, Lhermitte, Félix et Frédéric
H
LA VIE ET LA CAREUÊUE DU PEINTRE.
Régamey, Roty;
c'est
heureux
fier
tout
et
rappelait
dernière
à «
:
pourquoi des
succès
:
touchante, à
lui,
d'une façon très
J'ai
bien regretté, m'écrivait Fantin
cette année,
96 ans), dans lequel
venir. Cela
tout
heure
son
24 sep-
le
me
il
m'a touché, car
il
a
j'étais
Au
son testament
fait
oOOO
laisse
de
les funérailles
de faire-part m'est arrivée trop lard.
la lettre
mois de janvier de avait
Lecoq,
de son élève, se
tardifs
tembre 1897, de ne pas être à Paris pour
M. Lecoq
M.
brave
le
un élève
(il
francs, en sou-
indiscipliné et
y avait bien longtemps que je ne l'avais vu...
il
»
* »
En
réalité,
Louvre, et
les
véritables maîtres
comme
c'est,
*
de Fantin étaient au
peu de temps
je le disais plus haut,
après son entrée à l'atelier Lecoq, en 1853, que peintre
entama
cette longue série de copies et d'études
devait égaler parfois les originaux devîmt lesquels
toutes ses journées.
reproduire fut bientôt
le
\e
La première
il
jeune
où
il
passait
entreprit
de
François I" , du Titien, auquel succédèrent
Duc de Richmond, de Van Dyck
le
qu'il
toile
de Ferdinand Bol, fAssoîuplion et une Poussin,
le
Saint-Jérôme,
du
Titien, etc.
de voir souvent de près, mais sans
;
le
Mathématicien,
Sainte Famille, ;
lui
de
et quelle fut sa joie
adresser
la
parole,
Delacroix qui venait parler à son élève Andrieu, alors occupé
comme Fantin à copier la Vierge du Saint-Georges, de Véronèse! A cette épo(jue, c'est lui-même qui l'a dit, il fut saisi d'une véritable lièvre d'admiration pour ce maître et repro-
FANTIN-LATOUR.
12
duisalt, sur des bouts de toile qu'on a
de son
atelier, après
sa mort, la
femme
sacre de Scio; puis, tour à tour,
Femmes
pu voir à l'Exposition et l'enfant
du Mas-
tous les personnages
comme
d'Alger; enfin, l'été venu,
son
des
camarade
Solon, installé avec sa famille à Versailles, l'avait engagé à y venir passer quelques jours, il occupait toutes ses après-midi à copier, dans la Galerie des Batailles, le
groupe central de
l'Entrée des Croisés à Constantinople.
Tout à coup, arrivèrent des commandes fructueuses, encore par l'intermédiaire du
brave
Solon
:
il
de
s'agissait
faire
des copies d'après les maîtres pour former en Amérique un
musée organisé par
riche M. Stowe, beau-frère de la
le très
célèbre romancière M""* Beecher-Stowe, et ce fut Fanlin qui fut choisi
pour ce vaste
loc, le directeur
travail,
sur la désignation de M. Bel-
de l'École de dessin de
la
rue de l'École-de-
Médecine, qui ne connaissait nullement Fantin, à
la vérité,
mais qui
«
jugea d'après ses copies antérieures.
le
Toi qui
passes ta vie au Louvre, avait dit Solon à son ami, voilà un travail qui serait tout à
comme
se trompait pas, car Fantin,
deux ans à
faire
si
religieusement
les maîtres, et le
le «
faite qu'elle attira
mit en rapport avec Cou-
Lehmann, avec Bonvin, Ricard
Jeanron,
Titien,
amateurs ou des peintres qui venaient encore
au musée étudier ture et
entrée de jeu, mit près de
une copie des Pèlerins d'Emmaûs du
grandeur originale, copie l'attention des
à ta convenance! » Et Solon ne
fait
et liobcrt-F'Ieury, avec
Peintre plébéien », qui suivait de jour en jour les
progrès de ce travail et à qui
pochades, tant
il
était fier
le
jeune
homme donna
quelques
d'un pareil encouragement.
SCENE FINALE DL
M
Lithographie oriftinale
II
lilN
(i ()
(1877).
LU
LA VIK ET LA CARRIÈIIE DU HEIiNTRE.
13
Mais ce n'était pas tout que de copier. Fantin
commen-
çait à
produire par lui-môme
que dix-sept ans,
faisait
il
dès 1853, alors qu'il n'avait
:
un
portrait de lui, qu'il a repro-
duit plus tard en lithographie pour accoui|)agner le catalogue
de ses lithographies dressé par Germain Ilédiard, puis un petit portrait
de son oncle
le
Jésuite et
un minuscule paysage
de Montmartre, deux toiles qui ont été revues, à l'Exposition
ans,
vinrent une tète
rétrospective
de
son
y a deux
il
œuvre.
Ensuite
au crayon, d'après sa sœur Nathalie; un
portrait de la
même
qu'il projetait
d'envoyer à l'Exposition de 1855 et qu'il détrui-
sit
en talma de velours noir sur fond rouge,
tout à coup; une esquisse du Songe,
à son
ofTerte
ami
Solon, du Songe qui devint peu après d'abord un pastel, puis une
peinture à l'huile
;
et c'était
encore de nouvelles études d'après
ses sœurs, sujets de lithographies pour l'avenir, avant qu'il
ne s'improvisât pour un jour peintre de scènes religieuses. Voici dans quelles circonstances s'opéra cette
phose
:
le
curé du
Plessis-Piquet,
ayant manifesté un jour devant faire
le
qui
s'appelait
sculpteur Ottin
décorer une chapelle de sa modeste église,
des fonts baptismaux, pourvu qu'il
dépenses matérielles
:
métamor-
le
désir de
la
chapelle
n'eût à payer
les
s'ofl'rait
eux de se distraire et de travailler ensemble pendant tout
l'automne de 1855. Cuisin, l'aîné et
Lecoq, devait représenter sur Christ dans le Jourdain la
que
couleurs, échafaudages, etc., les jeunes
peintres, avisés de ce désir, saisirent l'occasion qui à
Berlioz,
;
le
le
plus fort de l'atelier
mur du
fond
le
baptême du
Ottin s'était chargé de peindre sur
voûte les médaillons des quatre Évangélistes, et les murs
PANTIN-LATOUR.
14
à Solon pour y peindre le
latéraux furent attribués,
l'un
baptême de l'eunuque par
saint Philippe, et l'autre à Fantin
pour y représenter saint François-Xavier baptisant de dire
Inutile
les têtes d'Ottin,
de
tant
ne subsiste plus rien aujourd'hui, sauf
qu'il
des peintures que ces jeunes gens avaient pris
plaisir à faire,
achever et dont
les Indiens.
le
que
le
curé avait été
maire avait été
fier
de voir
avait
demandé
si
si satisfait, qu'il
à chacun des peintres d'exécuter pour lui un dessin de leurs
compositions
;
c'est ainsi
dans sa poche un beau faire
fi,
lui
qui
que Fantin
billet
vit
tomber inopinément
de cent francs dont
il
ne dut pas
ne gagnait encore un peu d'argent qu'en
donnant des leçons de dessin dans une pension de
la
rue
des Postes.
Mais ces jeunes peintres ne se contentaient pas de peindre. Afin de s'exciter au travail et de se forcer à échanger leurs idées, ils avaient imaginé de
composer un album
transcrivaient leurs impressions en les
ils
collectif,
où
accompagnant au
besoin de croquis et d'aquarelles, et Fantin, justement en cette
année 1855, y inséra une leur avoir
marqué sa
petite allocution à ses
joie de se retrouver au milieu d'eux et
le
regret de ne pouvoir exprimer
il
affirmait déjà que,
ni d'autre
but dans
nature devait être d'inspiration pour
pour la vie
le
lui,
la
ils
élégamment ce
il
qu'il
éprouve,
n'y avait pas d'autre plaisir
que de peindre; que, selon
souverain modèle,
la
lui,
la
meilleure source
l'homme de génie comme pour
doué de facultés moindres,
où
amis où, après
et qu'il lui semblait
l'artiste
que l'époque
vivaient devait être féconde parce que l'art entrait dans
voie de la nature et de la vérité.
LA VIE ET LA CARRIÈRK DU PEINTRE.
A le
la suite
de ce petit
«
15
laïus », Cuisin, qui paraît avoir été
gardien de cet album, ne s'est pas tenu d'ajouter les lignes
que voici
Ces phrases écrites sans
«
:
sont celles qui
me
bien loin de se
le figurer,
Je
peint.
l'y
sans prétention,
art,
font le plus de plaisir. Ce sont celles où,
notre modeste Fantin s'est
le
mieux
retrouve tout entier; j'y retrouve son parler
calme, doux et tranquille, ses expressions indécises qui ne tracent que quelques mots à de grands intervalles, laissant à
pensée à combler ce qui manque. Et puis
la
parlait, tout
s'il
qu'il y
arts.
et
comme
pour cela
particulier; c'est il
n'osait
nous
les trouvassions trop ordi-
Et pourtant voilà
Le sentiment
objet de recherche
source d'où
nous ne
dit,
C'est
y a de l'originalité, et pourtant
trop banales.
des
faire
qu'il
craignant que
lire,
naires,
qu'il pense.
montre bien sa nature, son caractère
pour cela les
simplement ce
y
il
comme
on devrait
et la personnalité, loin d'être
d'étude, devraient être
l'eau s'épanche,
un
comme une
sans cesse et sans peine.
On
devrait se laisser aller à faire tout simplement ce qu'on aime,
comme on et se
l'aime; dire ce qu'on pense
comme
complaire soi-même dans ce que l'on
Cette année-là
môme,
homme
le
pense,
fait'... »
l'Exposition universelle ouverte au
Palais de l'Industrie avait produit
notre jeune
on
une
forte
impression sur
qui fut toujours très sensible à ces grandes
manifestations internationales et que ses promenades dans les salles consacrées à Ingros, à Diaz, à
d'admiration. C'est dans i.
Cet album, dit
bourg.
Album de
le
Rousseau rendaient fou
même temps
qu'il
Cuisin, est aujourd'hui au
entreprenait
Musée du Luxem-
FANTIN-LATOUR.
16
pour
première
la
de M. Stowe
de
veille
l'art
deux ans de par
—
nomme
pas
— toujours
qui
»
dont
travail,
pas
n'allait il
propos duquel un connaisseur
lui dira
des voix
lui
plus tard, au Louvre
:
:
« C'est bien, cette
que
le faites. »
ne
qu'il
mieux
l'on ait
Éloge bien doux à
mais qui ne l'empochait pas d'entendre
l'artiste,
disant
mer-
«
devait faire encore cinq copies
compris Véronèse que vous ne de
demande
la
demander moins de
lui
copie, vous sentez cela. Je ne crois pas
l'oreille
sur
ce tableau des Noces de Cana, cette
suite, et à
la
de copier
fois
Tu ne peux
«
voir l'ensemble; tu te rac-
croches aux détails; celui qui sentirait vraiment les grandes choses de ce maître, verrait et ferait cela bien autrement que toi »
;
faisait
éloge qui l'enchantait, mais ne écrire à
Travaillons;
le
Edwards
«
:
le grisait pas, et
Bien des
travail c'est le
le
me
suis
dit
:
bonheur, et un tas d'autres
sentences dans ce goût. Eh bien! voilà avoir
fois, je
qui lui
le
moment.
Je veux en
courage. Puis vous ne vous figurez pas combien cela
m'est pénible de ne pas faire ce que je veux. Le Louvre, où je vis,
me
désespère. J'ai travaillé assez sérieusement depuis
un mois, voulant
finir
ma
copie. Cela
me
rendait tout triste
de n'être vraiment rien à côté de tous ces grands
artistes, et
vous connaissez
même
le
remords de
l'artiste
qui résiste
aux
plus grands compliments'... »
Ces longues séances quotidiennes au Louvre qui durèrent presque sans interruption jusqu'après
1870
—
car Fanlin
continuait d'y travailler pour lui-même à l'époque où je
1.
Lettre à Edwards,
du
:21
août
I8fi5.
fis
sa
â&#x20AC;¢a
C o
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
—
connaissance
temps, d'abord parisien était
l'amenèrent à connaître
le
peintre
alors
anglais
la
colonie
Leighton,
commandes de
jours en rapports très sympathiques;
récemment
la
la
musique autant que
plus solide amitié,
j'ai
lui,
tout de suite son nouvel
et ce jour dut
copies, prin-
nommé
puis encore un jeune
d'autres musiciens
du violon
vie,
mena
et
don-
se
allemands dont les
peintre français.
compter dans sa
lia
Otto Scholderer qui aimait
savait jouer
le
le
demeura tou-
il
ami chez un compatriote où
exécutions ravissaient d'aise
—
et qui
arrivé de Francfort, avec qui Fantin se
de
naient rendez-vous
l'atelier
dissemblables que dussent
si
être leurs façons de vivre et leurs caractères,
peintre
dont
grecque de Londres; ensuite
Duran, avec qui,
brillant (jarolus
dès les premiers
un rendez-vous du beau monde
contribua à faire avoir à Fantin des
cipalement dans
17
Un jour
— au moment où
enfin,
il
com-
mençait une seconde copie des Noces de Cana pour un M. Pina, de
Mexico,
Fantin
s'approcher
vit
de
lui,
obtenir un renseignement quelconque, un jeune élégant de sa personne et dont
comme pour homme,
très
suffisance apparente l'avait
la
déjà mal disposé, un jeune étranger qui flânait beaucoup au
Louvre en retouchant de
loin
en loin une copie des Cavaliers
de Vélasquez, qui revenait alors d'un voyage aux bords du Rhin, travaillait
dans
l'atelier
ment quelques eaux-fortes dont souscrites par
de Gleyre et terminait justeles
Fantin lui-même
:
premières épreuves furent c'était
James Abbott Mac
Neil Whistler, qui s'accorda tout de suite à merveille avec
Fantin,
si
différentes
devait occuper
que
fussent
leurs
une grande place dans sa
natures, vie,
et
qui
en subissant 3
FANTIN-LATOUU.
18
beaucoup plus son influence que Fantin ne subit
Au bout de peu de les plus assidus
nouveau venu
jours, le
la
sienne.
un des membres
était
petit cercle qui se réunissait alors rue
du
rOdéon, au café Molière,
et qui comptait,
de
en plus de Fantin
et de Whistler, Legros, Carolus Duran, Scholderer, Zacharie
Astruc, etc., sans oublier quelques Fenians réfugiés alors à
Paris et qui vinrent à la suite do Whistler
comme
le
n'était-ce pas là
:
noyau des futures réunions du
café de
Bade
et
du café Guerbois? Whistler était
comme
à
demeure
quelques années; mais Scholderer, entre
la
France et Francfort, où
tant, certain jour,
il
il
à Paris, au
lui,
partageait son temps
avait sa famille.
Fantin de
avait prié
moins pour
lui
En par-
expédier des
cadres qu'il jugeait plus jolis et plus avantageux que ceux qu'il trouverait
en Allemagne;
mais, pour éviter d'avoir à
payer les droits de douane dont étaient frappés là-bas les cadres neufs,
il
avait
également demandé à son ami de mettre
dedans n'importe quelle ébauche. Fantin sorte, à seule lin
lui
que ces cadres ne fussent pas taxés
neufs, quatre ou cinq peintures de sa façon assises l'une à côté de l'autre sur trait,
de face et de
portrait de
profil,
avec
un canapé
;
ses
la
comme
deux sœurs
son propre por-
main, puis un
son camarade Alphonse Legros, et c'est de tous Courbet, passant un
jour par Francfort, disait à Scholderer, que la
:
la palette à la
ces morceaux, brossés à la hâte, que
de
expédia de
«
ce n'était pas
là
peinture pour les bourgeois », on pesant sur celte der-
nière syllabe de toute la lourdeur de son accent franc-comtois.
Fantin, cependant, ne pouvait pas se contenter éternellement
LA VIE ET LA CARIUÈRE DU PEINTRE.
19
de faire des copies pour des particuliers ou de faire cadeau de ses essais de peinture à des amis. contact avec faite avait
morte à francs,
le
public, et
l'hôtel
Drouot pour
pensait pouvoir
il
son maître
lui
Salon,
le
recommander,
mêlée que
la
souhaitait de prendre
première tentative qu'il avait
la
assez mal tourné lorsqu'il avait vendu une nature
auraient passé par
dans
si
11
la
modique somme de dix-sept
espérer mieux de tableaux qui et,
si
souvent qu'il eût entendu
à lui et à d'autres,
plus tard possible,
le
de ne se lancer
il
commençait à
trouver que l'heure était venue d'essayer de marquer sa place
au
soleil.
Pour
la
première
du jury,
sévérités
fois,
en 18o9,
il
se décida à affronter les
et le fait est qu'elles
ne
lui
nagées. Des trois tableaux qu'il avait envoyés
de sa sœur et ses
lisant,
fut
:
mé-
un portrait
un autre de lui-même en corps de chemise,
deux sœurs occupées l'une
aucun ne
furent pas
à tapisser, l'autre à
lire,
admis. Alors, pour protester contre ce refus qu'il
jugeait immérité et qui englobait aussi des tableaux de Ribot, le
Piano de Whistler, un portrait du père de Legros, par
Legros, etc., Bonvin,
le
plus ancien de cette petite phalange
indépendante, plus avancé lui-même dans forcé dis-je,
les portes
la carrière et
ayant
du Salon depuis quelque dix ans, Honvin,
imagina d'ouvrir
comme une
petite Elxposition des
Re-
fusés dans ce qu'il appelait son « atelier flamand » de la rue
Saint-Jacques, et Fantin fut représenté toiles qu'il s'était
sa sœur. fut
vu refuser
:
là
son propre
par deux des trois {)ortrait et celui
de
Quant au tableau où figuraient ses deux sœurs, force
de l'écarter,
la
place étant strictement mesurée à chacun
FANTIN-LATOUR.
20
des exposants dans cet étroit local et Fantin occupant déjà
largement
colle qui lui
malheureux groupe, refusé d'un le
peintre avait pu
sa
sœur Nathalie
malade
N'était-ce pas dans ce
était attribuée.
pour
saisir
que
côté, éliminé de l'autre, la
dernière fois les traits de
qui, cette année-là
et qu'il fallut interner à
môme, tomba gravement
Charenton où
elle resta plus
de quarante-quatre ans, jusqu'à sa mort arrivée en 1903?
L'année la
mauvaise pour Fantin
était
son échec au Salon,
:
maladie de sa sœur, l'existence monotone
menait dans sa famille, tout contribuait à pensées tristes, à
ami Whistler affectueuses
le
et serrée qu'il
lui
suggérer des
décourager. Heureusement que son nouvel
intervint alors et le décida par ses instances
—
Mon
«
cher petit Fantin,
lui écrivait-il,
il
faut
que nulle idée, théorie ou autre absurdité ne t'empêche de venir
ici
môme
et
de suite
—
à faire le voyage d'Angleterre
son beau-frère,
Seymour Haden, allait
»
le
se feraient
le
cours de ses idées.
une
joie
de
le
recevoir; où Fantin
Que de
l'abondance de
la variété
:
«
fut tout
chère et
le
surprises et d'exclamations dans
La commodité des
mère
il
remonta singulièrement en changeant
ses lettres à ses parents! la
lui-
chirurgien et graveur à l'eau-forle
trouver une vie très large, très luxueuse, dont
émerveillé et qui
où
installations,
des menus, qu'il énu-
Nous dînons, quels dîners! Champagne frappé pour
boisson, tout
le
temps!
»
les
équipages avec cochers pou-
drés; les cavaliers et les amazones, les
mais sans goût, sans chic aucun Park, tout l'enchante, jusqu'à
«
très belles
», qu'il voit défiler
la société
dames, à Hyde-
des exilés français
où cela l'amuse d'entendre mal parler de l'empereur.
o
z
H
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
Mais
l'artiste est
moins émerveillé que
découvre que
les
très achevés,
comme au
même,
il
mire plus autant
de regarder,
il
il
pointillé, surtout les sujets de genre,
A
richement encadrés.
et
la
National
reste sur la défensive et déclare qu'il n'ad-
les
pointures anciennes; qu'au Louvre, à force
était
en face de tableaux
devenu indulgent pour
tout, tandis qu'ici,
regarde pour
fois,
qu'il
plus juste et trouve que Canaletti,
homme;
jeune
Anglais n'aiment que les tout petits tableaux,
drôle ou sentimental,
Gallery
le
21
Van Eyck,
la
première
tout n'est pas beau
«
Vénitiens,
les
»
:
il
voit
Rembrandt,
Cuyp, voilà ce
qu'il
a
rencontré de meilleur, et surtout un merveilleux Vélasquez,
une Chasse de Philippe IV, vraie qu'il ait jamais vue le
la
il
se console
entend trop jouer par
finit
par
fameuse barcarolle A'Oberon,
lui
les
et
commandant do
le
piano
au bout d'une dizaine de
paradisiaque
«
orgues
porter sur les nerfs,
»,
après avoir donné
Seymour Haden deux esquisses que son hôte
payer, en lui il
plus belle chose et la plus
la
en écoutant M'"" Haden jouer sur
jours de cette existence à
». Il
Miserere de Verdi, qui
mais
«
tient à lui
plus une copie à faire au Louvre,
se prépare à rentrer à Paris et signe audacieusement sa
dernière lettre
:
«
Henri Fantin-Latour, qui
tenant ce qu'il vaut.
»
sait
bien main-
C'est ce qu'il lui restait à montrer.
* * «
Les Salons de peinture, à cette époque, s'ouvraient seule-
ment tous
les
deux ans
:
aussi Fantin ne renouvela-t-il sa
tentative qu'en 1861, et cette fois, trois de ses tableaux sur
FANTIN-LATOUR.
22
quatre furent admis par
qui étaient en réalité des portraits
un autre de sa sœur Marie Ridley.
anglais
Whistler,
Londres,
lui
avait
nommé
arts, avait
un
fait
un d'après lui-même,
:
lisant et enfin celui
jeune étranger,
(]e
d'après natvre
le jury, trois Eludes-
avait
qu'il
du peintre
connu par
connaître à son tour un avocat de
Edwards, qui s'occupait beaucoup de beaux-
réel talent de graveur à l'eau-forte et s'essayait
aussi à faire de la peinture.
Une sympathie réciproque, qui
transformée en une amitié très solide, avait tout
s'était vite
de suite uni Fantin à Edwards,
jeune peintre trouvant un
le
guide, un conseil des plus sûrs, des plus judicieux dans la
personne du barrister anglais. Aussi Fantin, ayant retraversé
Manche dès
la
entre
même
cette
Seymour Haden àqui
celui-ci lui avait faite, (il
il
année 1861,
qui
il
était
une grande copie des Noces de Cana dans
maison du peintre
la
en villégiature) et Edwards auprès de
trouva, à Sunbury, une hospitalité tout à fait cordiale
qui lui rappelait
la vie
ne manque de rien
de famille
», ajoute-t-il
—
ami Ridley
et l'agréable talent
C'est pendant ce grand
peignit des
natures
à
«
lui
mois d'une
Mais
si
et
je
que ren-
présence de son
la
le piano.
mortes très préférables,
pensait-il,
à
commença
le portrait
de
:
à ses parents; le portrait avance, »
—
que
tranquillité parfaite qu'il
Edwards on robe blanche, on buste
espoir.
différence
de M""= Edwards sur
celles qu'il avait déjà faites, et qu'il
vait-il
la
en plaisantant
daient encore plus agréables pour
M™**
partager
une commande que
portait, sur
était allé le joindre à Whitley,
Hook, où Haden
dut-il se
grande hâte
qu'il
«
Je travaille, écri-
c'est
y mît.
il
en train,
j'ai
no put pas
LA VIK KT LA CARRIÈRH: DU PEINTRE.
l'achever avant son départ et
il
ne
le
!i3
termina que trois ans
plus tard, toujours à Sunbury, en 186i.
Au commencement de septembre, Paris et courait voir
peindre à Saint-Sulpice
malgré
les
bêtise de
chapelle
la
que Delacroix venait de
Malgré ce nouveau chef-d'œuvre,
x
:
admirables choses qu'il y
l'homme
de retour à
était
il
qui, sur la
a, je n'ai
terre,
pensé qu'à
la
s'amuse à barbouiller
des murailles, et aux autres qui trouvent des merveilles à un
coup de brosse qui va plutôt d'un côté que d'un autre allait travailler
pendant un mois à
échappait bien
Edwards pour
vite;
lui
tant
noir,
il
écrivait
enfin
ses angoisses,
tant
lettres sur
il
:
lettres
à
et continuait
de
voyait
l'avenir en
se heurtait à des refus d'exposer, personne, à
ce qu'il dit, ne voulant de sa peinture.
savez
il
de Courbet et s'en
exprimer sa reconnaissance
confier toutes
lui
il
l'atelier
»;
Paris!!!
Il
y a Paris; vous
Ce mot n'est pas d'un patriote,
tisme n'est pas chez moi; c'est l'art libre.
«
On
mon
le patrio-
sang est trop mélangé! Paris,
n'y vend rien, mais on y a sa libre mani-
festation et des gens qui cherchent, qui luttent, qui applau-
une école;
dissent; on y a des partisans, on y fonde
plus ridicule
comme
la plus élevée y a ses partisans, etc.
fond, un endroit atroce
dant
il
pour pouvoir y
y vécut sans trop de chagrin,
obstinément,
Paris qu'un peu plus tard
seconde Athènes
1.
:
«
vivr(>'. » il
y
presque jamais
voulant
n'en
l'idée la
il
Athènes
fut
comme
LeUre à Edwards, du 23 novembre 1861.
Et cepen-
demeura sortir,
donnera à Edwards
Au
même
dans ce
comme une
Paris, folle et chan-
FANTIN-LATOUR.
24
même, mais
géante, absurde
forme,
couleur, l'art pour
la
aimant
artiste,
découragement, d'espoir et de désespoir
—
le
tourmenté et
«
Vous
tourmenteur,
le
du commerce
dans
rendent
le
»
—
et lorsqu'il trouve à se
semble
lui
il
obligé de faire des fleurs!
la tête et je suis
plus
savez, dit-il à Edwards, c'est
Je n'ai jamais eu plus d'idées sur
«
:
de
le
débarrasser de quelques natures mortes, fait
les plus tristes
de confiance et de
carrière de Fantin. Ses soubresauts
malheureux du monde,
la
»
l'art'.
Les années suivantes comptent parmi la
dehors,
le
En
les
qu'il l'art
fai-
sant, je pense à Michel-Ange, devant des pivoines et des roses.
Cela ne peut pas durer. est
Un
portrait qu'il a fait de
de 1863 et
Salon
refusé au
»
Refusés avec sa toile
l'expose
il
Féerie, qui avait eu
:
lui-même
au Salon des
môme
le
sort,
tandis que son tableau de la Lecture avait été admis au Salon officiel.
Puis
mortes pour
le voilà le
s'acharnantde nouveau à faire des natures
monde grec de Londres, où Whistler
l'avait
introduit, fort à propos d'ailleurs, puisqu'une brouille surve-
nue entre
celui-ci
et
son beau-frère Haden empêchait ce
dernier de renouveler à Fantin les faites
:
«
commandes
Le bonheur n'est pas permis,
Allons, marche, paresseux
quelque autre jour,
!
Il
la nécessité
est huit heures.
comme un
qu'il lui avait
commande.
Au Louvre!
»
Et
tableau de son ami vient d'être
refusé au Salon, contre toute justice à ce qu'il lui semblait,
avec quelle
un
côté
\.
fierté
ne
que je ne
s'écriait-il lui
Lettre à Edwards, du 27
pas
:
«
Whistler m'a montré
connaissais pas
novembre
1864.
:
la
persistance, la
f-
s-
3
< >
"H.
£ O
LA VIE ET LA CABRIÈHE DU PEINTRE.
volonté. Mais pourquoi s'occupe-t-il de
hommes; nous
Laissons cela aux artistes
1864
D'abord,
il
réservait
lui
sommes
autres, nous
des
d'assez
{^^randes
satisfactions.
recevoir au Salon sa première très grande
fait
Hommage
:
Reçu ou pas reçu?
»?
'
Mais
toile
:
25
à Delacroix, qui fut mal placée, peu regar-
dée et très critiquée, mais qui enfin avait affronté victorieuse-
ment
le jury; ensuite,
a le grand
il
honneur
VAcademi/ de Londres avec deux tableaux de
fleurs;
peut faire un troisième voyage en Angleterre où plus
vives
encore
l'oubli le
il
qu'aux années précédentes,
jouissances artistiques,
momentané de
même
la
tranquillité
enfin,
je sens
heureux,
vie,
ses préoccupations continuelles
que
les plus
l'on s'endort
calmes que
dans cette
tôt; cela devrait arriver plus tard... »
accueilli à bras
ouverts, mais
nombreux tableaux, en
il
vie-là,
et qu'il
trouve
voyage fait
fait
faire
du
:
«
bien,
là
«
avec C'est
moments
jamais eus; mais
que cela
est trop il
est
placement de
le
particulier de la Scène de TannhivAiser
retoucha avant de
tableaux de fleurs
:
Et non seulement
Vénusberg) qui avait été reçue cette
(le
j'aie
mêmes
les
de
la
môme
anuée au Salon
vendre à M. lonidès, avec deux
Vous ne vous imaginez pas comme écrit-il
à sa mère. Cela
» Il
le
change, cela
des progrès et vous donne de l'assurance, avec
vraie opinion sur soi.
il
retrouve,
Paradis, écrivait-il à ses parents. Ce sont là les
les plus
admis à
d'être
la
n'y a qu'un seul point noir dans ce
tableau enchanteur, c'est qu'il avait accepté d'aller chez des
!.
Lettre à Edwards, du 15 mai 186!*.
FANTIN-LATOUR.
amis de Whistler, très triste
que
le
fallait
à cent lieues de Londres
«
du Lancashire,
dans un château
»,
lui-même étant encore plus
et
château, puis de peindre là
absolument rajeunir, ce
le portrait
d'une dame qu'il
étonné d'avoir
qu'il est tout
entrepris, mais ce qu'il jure bien de ne jamais «
A
Sunbury, je vais
plaisir et tout
peinture, car
de
faire
me
je vais tâcher de faire
des remords de
mon
c'est affreux'
!
de bonne
portrait; c'est horrible
Ah
des portraits pour plaire au public.
de temps à
plaint, papa, d'avoir passé tant
Que
recommencer.
reposer et faire mes bouquets avec
doucement;
j'ai
triste
!
faire
que je
t'ai
ce métier!
»
Et dès qu'il a regagné Paris, avec quelle effusion ne remercie-t-il pas ses hôtes des longs jours de tranquillité qu'il
leur doit! «... Moi,
mon
dit-il, je
reste à songer. Je suis à Sunbury,
cher monsieur Edwards. Vous ne saurez jamais quel
bonheur, quel beau temps vant vous donner une
passé auprès de vous, ne pou-
j'ai
idée de moi, de
mes premières années, de ma pauvre
mon pauvre moi-môme; de ma
tence,
sur
de
au bonheur, à fait.
J'ai
esprit, tout
la gloire, à l'art;
pour moi ce que
nerveux; toujours replié
jamais content, jamais satis-
j'avais toujours désiré,
mienne doivent causer*.
tourmentée exis-
premier repos
le
rien laisser paraître de l'ennui la
et
éducation, de
toujours seul, toujours aspirant
vie,
trouvé chez vous
mon
me
;
vous avez été
supportant sans
que de certaines natures comme »
Sur ces entrefaites, arrive à
Paris Rossetti, le peintre préraphaélite, que Pantin se reproi.
Lettre à ses parents,
â.
Lettre à Edwards,
du
du li septembre
H
octobre 1864.
1864.
LA VIR ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
chait d'avoir quitté trop brusquement, sans
27
être allé le re-
mercier, après toutes les amabilités qu'il avait reçues de à Londres, et pour réparer disposition
du voyageur;
promène
le
il
sa grossièreté
«
au Louvre, au Luxembourg,
»,
se
il
met à
lui la
et le conduit partout:
Manet, chez Courbet, à
chez
l'Exposition de
Delacroix, etc., sans jamais se lasser de ré-
pondre à toutes
les explications
m'a
« Il
fait
entendre que, pour moi, je ne
achevé. Cela est vrai, je
comme
que
doit faire
que l'étranger
faisais rien d'assez
sens bien, mais je
le
l'on peut.
sens
le
On ne
:
on ne
Je suis trop irritable, trop
mon
changeant, mais j'aurai peut-être les bénéfices de nisation.
demande.
lui
orga-
se refait pas'. »
Bref, lorsqu'il eut fini de flâner, de courir Paris en tout
sens, allant chez et
Manet où
dîne avec Bracquemond, Cordier
Duranty, puis chez ce dernier, où
rend compte qu'on doit au
il
travail,
amis,
le
croire
«
il
parle en exalté et se
un peu fou
entreprend un grand tableau où
il
pensant faire
ainsi
le
pendant de son
», il
il
se
remet
groupe des
Hommage
à
Delacroix, un tableau que Whistler, tout heureux d'y figurer
au premier plan, en costume splondide, un tableau infinie et
dont
de 1865, qu'il
il
fut si
mal
fini,
Lettre à Edwards,
satisfait,
quand
il
le vit
d'avance
une peine au Salon
sur l'heure et n'en conserva que de
Voilà à
à ses amis de
Allons! voilà 64
1.
«
déclarait
Toast, qui causa au peintre
le détruisit
modestes fragments. avait-il écrit
le
:
japonais,
fini!
la
pendule minuit qui sonne,
Sunbury
le 31
décembre 1864.
186o, 1865; que diable qu'est-ce
du 27 novembre 1864.
FANTIN-LATOUR.
28
me remue
que cela va être que 1865 pour nous? Cela coup. je
me
Oh
!
écouté et compté les douze coups à
J'ai
suis dit
me
que cela
Exposition,
Ouf, ça y est, c'est
:
ce
fait
fini
à
travail effrayant
faire!
1865, qu'il paraissait tant redouter, ne puisqu'il
admis au Salon
!
quoi 65 ?
de mal l'anxiété de cette année, cette
Oh!
fatigué! Enfin, c'est la fatalité...» Mais, en
défavorable
pendule et
la
Eh bien
!
avait
un
eu
que
je
somme,
lui-même au
lui avait
pas été trop
tableau
considérable
que ce fussent
lieu
suis
l'année
montré
et qu'après tout c'est lui qui s'était
très sévère envers
beau-
les jurés
officiels.
Un
instant
il
avait cru qu'il lui serait loisible
ner cette année-là en Angleterre, et tableau où
ses hôtes et des
et qu'il
signerait de
venir de Sunbury
qu'il
le faisait
lui
rappelait
le faisait à
air,
pleurer
tant le sou-
même
tendant M""^ Manet jouer une sonate de Beethoven
Mme Edwards
un
intitulerait le Pique-
Sunbury-on-Tliâmes,
charmait,
le
projetait de faire
amis poseraient en plein
déjeunant sur l'herbe, un tableau
Nique
il
de retour-
en en-
comme
Sunbury, par un beau soir d'été qui
les soirées anglaises.
aurait tenu à faire un
Il
grand tableau de ce genre pour se relever de l'échec du
Toa.ft,
pour ne pas atteindre en flâneur sa trentième année qui approchait
on pourrait
:
«
Des figures en plein
faire
une
de 1865; ou encore Paris,
«
avec
du
chose
!
» écrivait-il
au printemps
»
Mais
il
ne
fut
pas libre de
reste, la difficulté de travailler
le soleil, les
comme
Savez- vous que cela ferait très bien à
un tableau anglais?
quitter Paris, et air,
:
belle
air sur le vert,
nuages,
le
temps qui change,
en plein l'aurait
X
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
Sûrement détourné d'entreprendre ce tableau, le dit
à Edwards,
«
il
il
nages
uns à côté des autres, pour
c'est sa
groupe
idée d'un
propre famille
dre, en y joignant «
quoique
il
voudrait toujours faire des portraits, des person-
des études de tètes, de mains, de Cette
comme
car,
a horreur des mouvements, des scènes
animées, les
29
le
le
resser »; mais à
la réflexion, la
».
pourtant toujours et
un peu plus tard de pein-
avait accepté de venir poser,
Salon, ajoutait-il, n'eût plus
le
mieux possible
plis d'étoffe'
hantait
qu'il parlait
Edwards qui
faire
don de
le
sagesse l'emporte,
il
l'inté-
renonce
à ce grand projet et se résout à faire de simples natures mortes et des études, très sûr qu'il est, dit-il,
vailler
qu'en continuant de tra-
encore pour apprendre et par amour de
l'art,
il
réussira
à vivre tranquillement, à son aise, en se fortifiant de jour en
jour dans
la
technique de son
grande scène
il
art.
Et c'est ainsi qu'au lieu d'une
envoya au Salon qui
et des fruits qu'il vendit par la suite
portrait de sa
que
le
Toast.
sœur
Il
était
lisant qu'il
des fleurs
allait s'ouvrir
en Angleterre, plus un
ne traita pas moins sévèrement
décidément dans une période d'énervement,
encore que ses deux tableaux eussent été bien placés, et écrivait à
Edwards, peu après l'ouverture du Salon
resté quelque
temps à songer sur ce qui
s'était
«
:
Je suis
passé là-bas,
aux opinions, aux critiques. Plein de mépris pour tout\ puis
me
disant que cela
est ainsi,
qu'il
ne
faut pas s'occuper
d'autre chose que de peindre; la misanthropie
1.
Lettre
2. «
sitôt
du 26 juin
Pour tout
»
la
plus grande,
1865.
est bientôt dit,
mais
c'était trop dire, car
il
excepte aus-
de ce mépris général Courbet, Corot, Millet, Rousseau, etc.
FANTIN-LATOUR.
30
Je ne sais
me
tout, je
c'est la
si
maladie qui vient, mais je suis dégoûté de
sens personnel, seul de
mon
opinion'... »
Cependant l'heure approchait où Fantin fragile barrière qui le séparait
par une sorte de défi
pas,
renverser la
allait
encore du monde. Ne
aux jurés
comme
peindre, pour envoyer au Salon de 1867,
s'avisa-t-il
au public, de
le portrait
peintre dont les œuvres provoquaient chaque année colères
du jury ou
Manet
ce
les éclats
que Fantin jugeait
agréable
homme
rire
de
» ?
Or, ce
fifre
ou
les
la foule, le portrait
de
vu ses deux
qui, l'année précédente, avait encore
tableaux refusés, dont un riale
de
de ce
des valtigeurs de la garde impé-
« très
portrait,
bien, simple, très franc et très
merveilleusement peint, d'un
élégant de sa personne et dont
la
tenue et
le
physique
contrastaient avec l'idée que les nigauds avaient dû se faire
de
lui
d'après ses tableaux, excita la curiosité générale et fut
un des succès du Salon. Que
choses avaient changé en
les
jour où Fantin écrivait à Edwards à pro-
deux ans, depuis
le
pos du Toast
Je n'ai jamais eu autant de gens s'occupant
de moi
:
ce
:
«
sont des méchancetés
exemple! Grâce à
mon
sujet et au portrait de
Nous sommes toujours ensemble lui,
inouïes
mais plus méchant pour moi!
partout,
par
Manet dedans.
on est plus violent pour
:
»
Cette fois-ci,
ils
se pré-
sentaient encore de compagnie, mais les méchancetés avaient
cessé
;
les
compliments commençaient
et tel fut l'effet produit
par ce portrait que Fantin reçut presque sur l'heure des propositions tout à
1.
fait
Loltrodu 14 mai 1866.
inespérées.
LA VIE ET LA CAKUIÈllE DU PEINTRE.
Par son canicirado, un peu plus âgé que
lui,
31
l'estimable
peintre de chasses, comte Albert de Ballcroy, qui figure dans
V Hommage à Delacroix^
s'était
il
trouvé en rapport au Louvre
avec la duchesse de Fitz-Jamcs qui cultivait également peinture, et celle-ci lui
demanda de composer un
plus considérables.
La
écrivait-il à
dans ce l'avenir.
«
Edwards
le
moment du
tableau des
prend un tout autre aspect,
vie
28 août 1867.
travail et des
Je viens de
la
l'Anjou,
J'ai le
bonheur d'avoir
chances d'en avoir dans
du château de M. de
femme
Fitz-
James', dont
j'ai
J'ai été là-bas
quatre jours pour disposer un tableau qui doit
représenter d'elle,
sa
fait
ici
mère
et
un tableau dans
la
la
ses
et
quinze
donnée de
les
quatre
petits-enfants
enfants.
autour
celui de Delacroix.
de mes camarades, ce sont tous ses petits-enfants, depuis
lieu
l'âge de
deux ans jusqu'à vingt
ans.
J'ai
petites filles, demoiselles, jeunes gens, et
mants; puis,
noms de
la
comme
petits
garçons et
beaucoup sont char-
personnages, ce sont les plus
noblesse
:
la
grands
duchesse douairière de Fitz-James,
deux enfants du baron de Charette, qui commande
les
zouaves pontificaux
(il
est descendant
Salviati,
grande famille italienne,
et
rien.
duc de
les quatre à refaire
duc de Fitz-James. Voyez, est-ce étonnant ce monde-là! Je
les
du célèbre Vendéen),
cinq enfants du comte de Biron, les quatre du
les
Au
me demande comment,
d'être lancé je n'y
Tout cela provient du Portrait de Manet...
du
dans
comprends
»
Mais ce grand tableau, déjà préparé, ne reçut jamais de
1.
Le château de
la
Lorie, près de Segré.
FANTIN-LATOUR.
32
commencement d'exécution,
et le
peintre qui se promettait de
redoubler d'efforts pour surmonter tâche, qui se sentait
les difficultés
d'une pareille
du reste en verve après avoir passé deux
grands mois à faire des portraits, n'eut pas l'occasion de se distinguer
«
en allant toujours au vrai
»
pour réagir contre
tout ce qui lui paraissait faux dans ce temps-là. C'est lui qui
recula devant cette grosse besogne, effrayé qu'il était d'avoir à faire poser tant d'adolescents et de bambins qui auraient été
mauvais modèles,
d'assez
de son refus dans
les raisons
et
il
grande
difficulté
me
petits-enfants, je
sentant
aussi important pour
Après
M'étant convaincu de
vois forcé de renoncer à
ma
mes
forces.
faire
mon
de vos
entreprise,
Dans un moment
réputation, je craindrais de ne pas
réussir ce tableau, ce qui l'avenir.
«
:
du tableau que je devais
tâche au-dessus de
la
nettement
très
la lettre qu'il écrivit alors à la
duchesse douairière de Fitz-James la très
donne
me
mon voyage
ferait le plus
grand tort pour
à la Lorie et à Fontenay,
j'ai
reconnu l'impossibilité d'une pareille œuvre, surtout à cause
du nombre d'enfants
et
de
la difficulté
de les
faire poser... »
Whistler, hélas! avait parlé trop vite lorsqu'il avait dit à
son ami
une
:
Je regrette bien que tu ne puisses venir
«
visite
seulement
;
la
cause
fait
que
faire
et
dont tu
me
le
tableau
parles sera une bien belle
chose. Envoie-moi un croquis dès que tu l'auras arrangé
Les seules 1867, sont
toiles le
Te
monde. Bravo!
cher, j'en suis très heureux, et je suis sûr que
que tu vas
faire
je t'en félicite.
voilà maintenant vraiment lancé dans le grand
mon
me
que Fantin termina de ce côté, dès
portrait de la duchesse
!
l'été
Edouard de Fitz-James
»
de et
o y.
—
—
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
ceux de ses deux jeunes le
château de
fils,
un autre château
la Lorie,
celui de Fontenay-Trésigny,
de
Biron,
belle-sœur de
Fantin de venir ébaucher
de lui
le
la
la
duchesse
le
portrait de sa propre ;
comtesse
de Fitz-James,
et ce court séjour
presque plus avantageux que
Après
filles.
s'ouvrit devant lui,
en Seine-et-Marne, où
terminer ensuite à Paris
fut
de ses deux jeunes
33
sa
pria afin
fille,
dans
la
Bric
longue station dans
l'Anjou, puisqu'enplusdu portraitde M"" Marguerite de Biron, qu'il
se vit contraint
sieurs
commandes de
de ne pas exposer,
il
recueillit là plu-
portraits qu'il exécuta par la suite
de son jeune frère, des deux MM.. de Bonneval... Au fond,
Whistler ne voyait-il pas juste lorsque, vers il
ceux
Dcmachy
de M'"^ de La Panouse, de M"" de Chaubry, de M"" et
:
écrivait
nons
joyeusement à son ami
les devants. C'est
au Derby. C'est
le
:
comme aux
«
la
même époque
Nous deux, nous pre-
comme
grandes courses,
pur sang qui gagne! Je crois que nous
pouvons maintenant en être
sûrs.
Le champ
est à
nous »?
* * *
Non, Whistler ne se trompait pas en poussant ce
cri
de joie
dans un accès de franchise et d'amour-propre; mais Fantin était plus réfléchi, plus
modeste
aussi.
Pour
lui,
entre eux
tous, les peintres indépendants, qui s'appelaient alors les réalistes,
qui s'appelleront plus tard les impressionnistes, en révolte
contre la règle académique ou les lois de la mode, pas de chef;
il
n'y avait
il
n'y avait
que des camarades réunis par leurs
idées d'indépendance, mais bataillant chacun à sa manière, en 5
FANTIN-LATOUR.
34
touto liberté d'action, sans se ranger sous aucune bannière,
de Courbet, car Fantin, tout en rendant
fût-ce celle
hommage
aux puissantes qualités du peintre, n'avait pas pu demeurer plus d'un mois dans l'atelier du maître d'Ornans. Et jamais
pût y avoir un chef parmi eux ne
l'idée qu'il
davantage que lorsqu'on prétendait
comme
Legros avait essayé de
l'affubler, lui,
le faire
:
choquait
le
de ce
titre,
A propos du
«
chef
d'école, c'est comique, écrit-il à Edwards, le 2 janvier 1867.
Voilà bien les histoires de Legros; voilà près de deux ou trois
ans qu'il dit
même
la
dernier voyage
Voyons,
«
:
chose. Je
à Paris, à son
lui ai dit ceci
c'est bête; c'est
un
titre
«
public donne, on ne le prend pas; aujourd'hui, c'est
«
que l'opinion prend pour
« le
plus occupé les masses.
de ne pas fuir
un
le chef, et c'est
titre
»
A
le
le
Manet
effet celui qui a
ce compte-là, et
tapage et de violenter
le
en
que
s'il
avait suffi
public pour obtenir
dont Fantin ne voulait absolument pas pour lui-même,
est-ce qu'à son défaut Whistler n'aurait pas pu, sinon l'accaparer,
du moins
le
partager avec l'auteur de Lola de Valence?
Fantin n'avait donc pu rien envoyer au Salon de 1868; c'était,
comme
à rattraper;
il
il
le dit
s'y
avec philosophie, une année de perdue
employait de toutes ses forces, mais sans
ligne de conduite bien arrêtée, et quoiqu'il
fît
de belles pro-
testations dans ses lettres, affirmant qu'il considérait tout le
temps passé
comme une
école
:
école d'étude d'art, école
d'après nature, école de l'espèce humaine, disait-il, qu'il était le
à
la fois « l'étudiant
lier
de
la
nature
plus dégoûté;
—
c'est
de
celle-là,
— quoiqu'il déclarât
rester
des œuvres du passé, au Louvre, et l'éco-
»,
il
travaillait
d'une façon incertaine et
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
n'arrivait pas à se contenter
sort
aux deux
lui-même, car
pour
toiles peintes
le
il
38
môme
réserva le
Salon de 1869.
Il
détruisit
aussi bien le Lever, qui avait été admis et représentait une
femme
s'éveillant,
sous les rayons
entourée de servantes empressées à
du
que
levant,
soleil
d'Orient, qui avait été refusé et montrait
morceaux de piano
délicieux
:
Schumann
qu'il intitula
de
Dans
c'est le reflet d'Orient.
un intérieur de harem où dansent des aimées, par des lanternes; autour de l'aimée, des
musique. Par une fenêtre
mêler sa lumière blanche
rêvant aux
le
vague on
intérieur éclairé
femmes
font de la
»
bleu
difficile.
Que voulez-vous?
je sens en travaillant
et tout le reste.
me
Je
fais plat'
Finalement, de toute cette scène, amoureusement
combinée,
il
ne conserva que deux figures découpées
Tune l'Aurore,
tulait
le
semblent très propres au
mon chemin;
que peu m'importe l'opinion sir\..
me
scène. Entreprise
Je sens que je suis dans
voit
bleue aux lumières rose doré des
et le rose doré, couleurs qui la
Der-
les caprices
lanternes; c'est un fond très vaporeux où se combinent
poétique de
Reflets
un rayon de lune qui vient
entri;
et
:
parer
la sorte. «
montre au spectateur
rière lui et autour de lui je
de son rêve
tableau
le
la
suite à son
l'autre la Nuit, et
ami Edmond Maître.
cette année-là et
où
le
dont
qu'il inti-
cadeau par
il fit
Triste année, en
la
somme, que
sort semblait narguer le jeune peintre
:
ne découvrait-il pas au Salon, sous une signature inconnue de
lui,
fois à
certain tableau de renoncules qu'il avait
un camarade
et qui figurait là
en meilleure place que
son propre envoi, relégué sous les frises? I.
Lettre à Edward»,
du
H
mars 18H9.
donné autre-
PANTIN-LATOUR.
36
Aussi quel découragement perce alors dans ses lettres! travaille pourtant
beaucoup, me;me trop;
beaucoup de natures mortes;
au Louvre
et tout cela
je vais en
printemps,
le
même
ne mène à rien de sérieux
mande de temps en temps,
Je
constamment des
j'ai
rages de travail et je n'avance à rien. Depuis j'ai fait
«
:
temps
une com-
à peine de quoi vivre. Si je n'étais
incapable de faire autre chose, je renoncerais. Le Salon dernier a été pitoyable
;
l'autre est entré par
placé tout en haut et a excité la critique générale. Les
pitié,
gens
un tableau refusé
:
les
mieux disposés pour moi n'osaient pas m'en
parler.
Pensez, quand ces deux tableaux sont rentrés chez moi, combien
étaient tristes à voir. L'auteur a tant de raisons pour
ils
découvrir des défauts en plus de tous ceux qu'on Il
faut être bien certain
peut
faire,
pour continuer'.
c'est »
encore
Encore un
complètement changer de face
allaient
de 1870 une grande vaillant
que
toile
au milieu d'amis qui
où le
il
le
lui
montre
!
seul travail qu'on
effort, et les
choses
en envoyant au Salon
:
avait représenté
Manet
regardent peindre, Fantin
tra-
allait
retrouver, plus général encore et presque sans restriction, le
succès qu'il avait obtenu trois ans plus
môme
lui-même en avait
peintre. Et
tôt,
avec
le secret
le
portrait
du
pressentiment
Que
ce serait
agréable, dites-moi, de venir voir ensemble notre
Exposi-
lorsqu'il écrivait à
car au fond
tion,
chance),
me
reux.
(je
Si
le
7 avril
n'ose pas trop
semble que mes
remarqués!
être
1.
il
Edwards, dès
le
» 14
septembre 1869.
«
dire, ayant
efforts, cette
cela n'était pas, je
LeUre à Edwards, du
:
peu de
année, devront
serais très
malheu-
I,
Oessiii
au crayon,
ré|)lii|ue
K
JUGKME.NT DE
plus poussée du crocpiis le
Tiré d'un
album de
12
crii|uis
Novembre
P A fait
II
au
I
S clii\t«au
de Fontenay-Trésigny
180".
du peintre, au Musée du Luxembourg.
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
Mais les
si
aux
cet Atelier
Batignolles, par ses dimensions et
personnages mis en scène,
du public,
l'autre tableau
la Lecture,
37
attirait
davantage l'attention
envoyé par Fantin au Salon de 1870,
où figuraient sa future femme
et sa future belle-
sœur, n'était pas moins apprécié des connaisseurs, de ceuxlà
mêmes
l'artiste,
comme
qui l'avaient combattu jusqu'alors,
l'écrit
tout étourdi par une réussite qui dépassait ses espé-
rances. Finalement, la troisième médaille qui lui fut alors
accordée par et l'autre
le
de ces deux
chée que sur ture,
jury devait récompenser indistinctement l'une
comme
mais
toiles;
la plus petite et la si
les jurés
la
mention n'en
fut accro-
moins bien placée
:
la Lec-
eussent gardé rancune à leur justi-
ciable d'avoir encore choisi
Manet pour personnage principal
de son grand tableau. C'est enfin la
vogue assurée pour
mandes semblent devoir la F'rance et
le
peintre et les
affluer, lorsque la
guerre éclate entre
l'Allemagne et remet tout en question.
en train de concevoir de grands projets pour tout arrêté, l'argent vait Fantin à
manque,
Edwards
le
les
le
commandos
30 juillet, avant
com-
«
J'étais
Salon, et voilà
aussi... » écri-
même que
n'eussent
commencé nos désastres, mais en témoignant déjà de cette sainte horreur de père,
le
la
guerre qu'il semblait avoir héritée de son grand-
colonel d'artillerie.
«
Adieu,
mon
cher Edwards; je
vous prie de présenter mes respects à Madame; dites-lui combien je serais désireux de lui entendre jouer ces sonates de
Beethoven. Qui
sait,
obligé de chercher 1.
avec les événements,
si
je
ne serai pas
un refuge en Angleterre? L'avenir'?...
Lettre du 30 juillet 1870.
»
FANTIN-LATOUR.
38
Non, le
il
ne chercha pas de refuge en Angleterre et passa tout
temps du siège à Paris, à côté de son père, mais dans
la
situation la plus pénible, obligé de rester couché par les froids les plus
rigoureux pour ne pas geler dans sa chambre sans feu
et travaillant toujours, tantôt dessinant
dans son
lit
en se
prenant lui-même pour modèle, tantôt peignant de mémoire
ou d'inspiration,.. Enfin, n'est pas
la
guerre est
proclamée.
encore
Au commencement de mars,
Fantin voit arriver son ami Edwards,
En trouvant le
comme une
providence.
de fleurs, de natures mortes,
là tant d'esquisses,
harrister anglais, à qui la suppression et le rachat de sa
charge d'avoué de qu'il y le
Commune
finie et la
la
marine laissaient
un coup de fortune à
avait
le
champ
tenter
libre,
débarrassa
il
:
devina
peintre de toutes ces toiles qui l'encombraient, les dirigea
sur
Londres et
entreprit
vendre
de les
des
à
amateurs
anglais. L'affaire dut tourner assez vite selon les
car moins de trois mois après,
il
proposait à Fantin d'acquérir
également V Atelier aux Batignolles, et aubaine pour
le
Commune
la
;
son ami
le
sortira
«
de toutes les
me la
ma sœur
;
vous
me
tirez
remettra complètement et
du moment
vie
:
je serai
en
de chaque jour, mais
encore je pourrai payer les cinq loyers que pension de
avec grand
G juin 1871, au lendemain de
difficultés
mesure, non seulement pour
la
une véritable
.l'accepte
avec grand plaisir
j'accepte
littéralement de la peine; cela
me
c'était là
jeune peintre qui ne pouvait absolument
pas suffire à ses charges de famille. plaisir, disait-il à
vœux d'Edwards,
j'ai
en arrière
et
qui est dans une maison de santé. Je
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
39
ne saurais trop vous remercier; je vous devrai beaucoup de
me
tirer
de
comme
de forces,
même
Et de
»
là.
la
môme
travail.
«
pourra reprendre un peu qu'il faut
lutté!
que
me
je
reprend courage et retrouve sa
Il
faut bien espérer, disait-il
Au prochain
me
veux
c'est ici
et j'y ai déjà tellement
une position,
Salon, je
dans
que Paris
et
Vous savez que
d'activité.
fasse
des
il
que l'avenir sera plus calme
lettre,
à bout
voit débarrassé
se
aussitôt qu'il
inquiétudes pour l'avenir,
ardeur au
comme
écrasé sous les coups réitérés des événe-
nements, de même,
belle
qu'il s'était senti
présenter avec
un
tableau important, on doit pouvoir prendre sa place... Pour les
choses de
temps? Rien. L'avenir quelques jours
Qu'est-ce que le
je suis bien décidé.
la vie,
est à moi,
difficiles.
il
me
seulement passer
faut
y aura encore des jours pour la
Il
peinture en France, et je les veux à moi.
»
Quelle grande place tiendront désormais dans
la
vie de
Fantin ces amis d'Angleterre qui n'étaient pas seulement des
gens à
pratique et de bon conseil, mais qui, par leur
l'esprit
sens des affaires,
surent aussi
le
partie matérielle de son existence!
s'ouvrait à
M.
et M'""
ses intérêts, fût-ce
soins
les
ailleurs
travailler à sa
maintes toiles
il
qu'il
effet,
guider dans
et
non seulement
même
et
il
des croquis de ses ta-
eux de
la
pour tout ce qui
Angleterre,
la
communi-
projets, leur
s'en remettait à
consultait
qu'en
prévoyants
En
Edwards do ses
quant ses idées, leur envoyant bleaux futurs; mais
servir
c'est
défense de
le
grâce
touchait, à
leurs
pourra mener une vie tranquille et
guise tandis qu'eux s'occuperont de placer
de
lui, vite
appréciées au delà de
la
Manche.
FANTIN-LATOUR.
<0
Comment donc
Fantin, qui peignait pour les Expositions de
grands tableaux qui ne se vendaient pas et des portraits pour lesquels vivre
il
une
n'avait pas eu
s'il
Londres
demandait une rétribution dérisoire,
lui
constituaient
petite réserve
par
aurait-il
pu
que ses amis de
vente de ses tableaux, ces
la
admirables tableaux de fleurs que presque personne ne connaissait
après
en France,
qu'il expédiait
la belle saison, et
que
les
directement en Angleterre,
acheteurs attendaient là-bas
avec impatience? Ainsi arriva-t-il que ces toiles éblouissantes
de vie et de fraîcheur aient presque toutes échappé aux amateurs français, qui ne s'en seraient guère souciés peut-être, et qu'elles aient causé
en
reparaissant
une surprise à peu près générale lorsque,
nombre
à
l'Exposition
l'œuvre du peintre, elles éclatèrent
aux yeux du public émerveillé i.
Chose particulière
fleurs, n'a
jamais
fait
:
rétrospective
comme un
de
feu d'artifice
'.
Fantin qui a peint de
si
nombreux tableaux de
qu'une seule lithographie représentant des fleurs, ce
fameux Bouquet de roses (n" 26 du Catalogue Hédiard), qui fut exposé au Salon de 1880 et que Fantin donnait aimablement, comme il faisait de toutes ses lithographies en ce temps-là, à quiconque manifestait le désir de l'avoir,
môme
sans être personnellement connu de
son genre et comparable, moins fleurs
que
la
lui.
C'est cette pièce
unique en
couleur, aux plus jolis tableaux de
peintre ait brossés (ce Bouquet de roses, du reste, avait été
le
d'abord peint à l'huile par Fantin), qui a monté
si
rapidement de prix en
vente publique et qui, après avoir été cotée 21 francs, pas davantage, à la vente Aglaiis
Bouveane, en novembre 1894, puis ISo francs à la vente van Wisselingh, à Londres, au commencement de t90i, et, très peu après, 323 francs, à
la
vente Barrion à Paris, a brusquement sauté à 680 francs, à
vente Hédiard, au mois de novembre de
sans les
frais, à la
la
même
vente Gerbeau, en mai 1908.
du 2' étal, tiré à 50 épreuves ou huit épreuves du 1" état?
:
Il
la
année, puis à 960 francs,
s'agit là
dune
des épreuves
qu'est-ce que vaudrait donc une des sept
IIOUyUET DE l.illiii^'iapliic
ItOSES
ur-iginale 1I88U).
c^
A A-c c<^
->*i>..
^^ ^
^^ ^/.^ "^/^y*'^
^^^
«'•^Sét^'^A^iÉ^
4^
'^â&#x20AC;&#x201D;
c>r*'^
/"
^^ /
l*-**»*-»
.
»
fo^
P^o^yot^t^t/r.
^c**t^
x'T^ Ot'ttM^
^r
a<»«t_
l'OltTllAlT
DE M»"
Salon de 1811.
—
FA.NTIN-L.VTOL'K
A M""
Faiilin-Latour.
LA
VI1-:
ET LA CAURIÈIIE DU PEINTRE.
45
Mais revenons à l'année 1872. Fantin, dans son atelier de tant d'esquisses et d'études qui
ainsi débarrassé
accumulées depuis des années, se sentait
s'y étaient
l'esprit plus libre
à peu près délivré de tout souci matériel immédiat,
un coup
de frapper V Atelier
aux
comparable à celui
Batignoiles et décida de
Salon qui dût s'ouvrir après
grande
toile à
«
rêvait
il
qu'avait produit
composer pour
l'Année terrible
premier
le
une autre
»,
personnages, où figureraient surtout des poètes,
de jeunes écrivains habitués du passage Choiseul et de
Lcmerre. Un Coin de
librairie
:
table, tel
était
le
la
de ce
titre
tableau qui n'eut pas, tant s'en faut, un succès comparable à celui de VAtelier, qui fut accueilli par de teries traduisant
mais qui
favorables du public,
dispositions peu
même immédiatement acheté par un anglais. A dater de ce jour, cependant, l'horizon
quand
fut
jeune amateur s'éclaircit
les
nombreuses plaisan-
singulièrement devant Fantin. En 1873,
au Salon deux toiles qui sont également appréciées
un
portrait de
future
lisant, qui n'est autre
femme; ensuite une nature morte préparatoire pour
d'étude
même
femme
titre et
les plus
Au
d'abord
celui
de sa
table, sorte
précédent tableau portant
le
regardées à l'Exposition de l'École des Beaux-Arts.
divers; mais
l'un, le
Coin de
:
qui fut, après la mort du peintre, une des toiles
Salon de
tableaux
le
:
que
envoie
il
qui
il
1874,
il
n'expose que des Fleurs
et objets
se rattrape l'année suivante en envoyant
consolident sa
réputation
naissante
double portrait de M. et M""" Edwards,
parmi ses plus célèbres, tandis que M"* E. Crowe, très goûté par
les
l'autre,
et
deux dont
fut vite classé le
portrait de
gens du métier, avait beau-
FANTIN-LATOUR.
46
coup moins frappé
les visiteurs ordinaires
daille fut la consécration
de ce double succès que
peintre ne put pas connaître, car
s'était éteint à la veille
de peinture,
Tous
Fantin à Edwards
même
succès,
Me
26 mai 1873.
la médaille,
il
me
trois
la justice
Fantin
ans,
se sentait
il
avait
est étonnant
En
»
ne comptait plus
lui,
faiblissaient de jour en jour,
marcher droit devant
quel plaisir ce dut être pour
des hommes...
:
donc gagné beaucoup de
désormais sûr de
que de timides adversaires, qui et n'avait qu'à
que vous
semblait que c'était votre tour, mais c'est
n'est pas étranger. Enfin
deux ou
là,
écrivait
voilà hors concours et
que vous êtes étranger. Mais Lhermitte, cela
terrain;
depuis
de l'ouverture du Salon
singulier, ce succès!... Je suis bien étonné
n'ayez rien;
il
père du
ne se mêleront plus de mes affaires; cela est vrai-
les jurys
ment
le
les
le
le vieillard, très affaibli
quelque temps, «
une seconde mé-
:
lui
Dans ces conditions-
lui.
que de
faire, à
l'automne
de 1875, une tournée en Belgique et en Hollande où l'accompagnaient son ami Edwards et M. et M"° Dubourg en qui, par
cœur
élan réciproque du
femme
prédestinée à porter son
heureusement pour je
« Si
me
lui
mariais? Non. La
Mais
la fin
jouissance
en entier
\e
Lettre
il
:
!
allait
il
3 février 1865.
il
n'est pas
trouver
était loin
écrivait à
la
—
Edwards
pour moi; je
:
la
»
lui réservait
entendre exécuter pour
et Juliette
allait
1
femme
de cette année-là
Roméo
du
'
il
nom Comme
— du temps où
rendrais trop malheureuse
1.
de l'intelligence,
et
de Berlioz, dont
encore une rare la il
première n'avait
fois
pu con-
LA VIK ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
47
que des fragments épars aux Concerts populaires
naître encore
de Pasdeloup, et l'impression qu'il ressentit aux Concerts du Châtelet fut
si
profonde qu'immédiatement
d'épancher son admiration débordante.
Il
il
sentit le besoin
avait tout de suite
brossé une esquisse, tracé un dessin, préparé une lithographie dont tait, lui,
toujours
le sujet était
peintre, apportant
le
monument devant
le
même, où
il
se représen-
une couronne au pied d'un
Muse de
lequel se tient la
l'histoire
en
autour duquel se groupent ou pleurent les héroïnes
deuil,
célébrées par Berlioz. Cependant, une petite esquisse ou une
simple lithographie ne suffisaient pas à traduire son enthou-
siasme
:
il
prenait une grande toile, y transportait les
mômes
personnages en grandeur naturelle, et envoyait au Salon de
1876 ce tableau considérable, dont le titre
un peu vague
tracée sur le
le
caractère allégorique,
r Anniversaire et aussi l'inscription
:
monument A :
Berlioz,
ne furent pas sans inquié-
ter le jury et troubler les visiteurs
du Salon qui n'étaient
encore, ni les uns, ni les autres, ralliés à Berlioz et s'étonnaient qu'on pût lui rendre un toile,
tel
hommage.
en signe de désapprobation qui
Aussi,
cette
s'adressait peut-être
autant au compositeur qu'au peintre, fut-elle accrochée au plus haut des l'auteur,
peu
de
murs du
la part
nombreux,
Palais de l'Industrie et ne valut-elle à
des meilleurs juges, que des compliments
perdus au
milieu
franches critiques formulées par
de
restrictions
nombre de gens qui
ou de
n'étaient
pas fâchés de faire payer ses récents succès au jeune peintre. voix d'un ami
Et
si
un
tel conflit
la
lui
dut être agréable à entendre dans
de blâmes et d'éloges, ce fut sûrement celle de
FANTIN-LATOUR.
48
Léon Valade, table,
poète, un des convives du Coin de
le délicat
qui accorda son luth et adressa vite à Fantin
sonnet que voici Sur
la
:
tombe où tu
Pleurer!
le joli
—
vois
:
viens,
Musc de l'harmonie,
consolant ta muette langueur,
Un groupe lumineux
chante et rayonne en chœur,
Fait des créations vivantes du génie. C'est Didon, soupirant sa jalouse agonie,
Marguerite, l'enfance adorable du cœur, Juliette, jetée
Par
La
le
au bras de son vainqueur
premier amour plein d'extase
froide
Mort a pris
le fils
infinie...
d'Orphée en vain
:
Le bon peintre, dévot au maestro divin, S'isole
au premier plan dans une pose austère
;
Et cette vision, ce rôve glorieux
Du triomphe posthume
emplit l'àme
et les
yeux
Pensivement baissés du pieux donataire.
* *
*
Ce n'est pas seulement Berlioz qui fondit sur Fantin le
terrassa d'admiration en
il
avait
cette
religieusement écouté
les
et
année 1876, Berlioz, dont Troyens à Carthage, au
Théâtre-Lyrique, quelque treize ans auparavant; c'est égale-
ment Wagner dont
s'était
il
déclaré l'ardent défenseur d'après
ce qu'il avait pu entendre de lui dans les concerts, mais de
qui
il
n'avait jamais
scène, avec toute
la
vu un drame entier se dérouler à
pompe
la
décorative et tout l'appareil théà-
L Salon de
ANM VKIISAIHE — Musée de (ireiiuble.
1891).
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
tral
que demandaient ces créations de génie.
par l'heureuse disponible,
de
la
il
colline
d'un ami qui
entremise
49
Et, tout à coup,
un
offre
lui
billet
se trouve transporté en pleine Bavière, au pied
où
théâtre érigé spécialement pour la repré-
le
sentation de l'Anneau du Nihelung vient d'être inauguré;
lui-même à
assiste
rables et en
troisième série de ces
la
mémo-
fêtes
rapporte des impressions tellement vives, des
souvenirs tellement précieux, qu'il en parlait encore
comme
en face de Berlioz, est avec
Wagner
—
ses parents dès 1864,
musique de
la
il
—
en face de Schumann,
faut
avec
comme
émotion de longues années après. Et devant Wagner
mann
il
Schu-
«
l'avenir », écrivait-il à
que son enthousiasme éclate
aux yeux de tous, par des créations pour lesquelles
il
fait
appel tour à tour au crayon de couleur, au crayon lithogra-
phique, enfin à ses pinceaux.
De
ce jour-là, par suite de la double
commotion
qu'il a
ressentie, le poète qui sommeillait en lui va se manifester; le
enflammé d'admiration, va donner
poète,
libre
cours à
son imagination créatrice, en puisant dans les chefs-d'œuvre
de
musique nombre de scènes allégoriques, dramatiques
la
ou fantastiques,
celles
pour lesquelles, plus
tard,
il
marquera
peut-être les préférences les plus vives, parce qu'elles auront jailli
de son cerveau sans
tout entières
d'aucun ce ne
modèle
fut pas là,
ni
d'aucune
somme
aide
toute,
qu'il
ait
extérieure.
sous
et
le
eu besoin
Est-ce
que
coup d'une in-
fluence du dehors, l'explosion de désirs qu'il sentait bouil-
lonner en 1869,
lui
depuis des années et qu'il
dans une
lettre à
Edwards
:
«
Je
laissait fais
percer dès
toujours des 7
FANTIN-LATOUR.
50
mon
natures mortes, mais
moi, que je découvre
tous les
jours, veut paraître. Plus maintenant d'essais d'enfant.
Les
esquisses que je faisais depuis longtemps
que
Whistler a chez celle
Féerie,
la
:
que j'exposais aux Refusés en 1863;
lui et
de Tannhœuser, à l'Exposition de 1864,
et
bien des
esquisses que vous avez pu voir chez Whistler, ou celle de Ridley, que je
me
rappelle que vous aviez trouvée bien, j'y
reviens plus de jour en jour. Depuis deux ans les portraits
que
j'ai faits
choses que faire,
m'y ont poussé beaucoup. En
j'aie faites, j'avais
représenter avec
ces choses qui passent
le
toria
Dubourg,
toujours cet idéal devant moi
qu'il avait
le
connue au Louvre (ne leur le
Saint-Thomas d'Aquin dans
Scholderer,
ni
les
»?
Edwards
était-il
Mariage mystique de sainte
Catherine, du Corrège, sans s'adresser
ni
les yeux'...
mariage de Fantin avec M"^ Vic-
pas arrivé de copier ensemble
l'église
:
plus de réalité possible ces rêves,
un moment devant
Le 16 novembre 1876,
face des meilleures
un mot?),
la
qu'il
fut célébré à
plus stricte intimité, aurait
désiré avoir,
n'ayant pu venir. Les deux témoins du peintre étaient natu-
Edouard Manet
Tellement ses deux grands amis
:
Maître, et ceux de la jeune fdle
d'abord un ami de
Paul Hedler, puis
le
:
le peintre
1.
qu'il avait
la famille,
à M"® Dubourg.
de son mariage, l'existence de Fantin, déjà
heur
Edmond
graveur Henri Valentin qui, certain jour,
au Louvre, avait présenté
se déroula dans
et
un calme absolu, dans
si
le
A
partir
peu accidentée, tranquille bon-
prévu et annoncé d'avance à ses amis d'An-
Lettre à Edwards,
du
21
mars
1869.
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
gleterre, en les remerciant de leurs
vœux
A moins
«
:
SI
de
choses indépendantes de nous deux, je crois que je vais «Hre
heureux; nous nous connaissons et nous convenons très bien'.
Le goût du chez
soi,
dès lors, l'envahit de plus en plus
» :
toutes les journées passées à l'atelier, à peindre
en com-
pagnie de sa femme; (juelque sortie hâtive avant
le
puis, le soir, la lecture en
commun
à haute voix
dîner,
ou quelques
esquisses, quelques croquis jetés sur des bouts de papier; l'été
venu, un séjour de trois mois environ au village de Buré,
dans l'Orne, où sa femme avait un
petit bien
de famille, et
tous les ans, l'envoi régulier au Salon de peintures, de pastels,
de lithographies,
fruits
nombreux tableaux de
de ce labeur incessant, sans parler des fleurs qu'il fait à la
campagne
et qu'il
expédie tout droit à Londres. Dès l'année suivante, en
temps que ses pastels des de
du Rhin
Filles
Walkyrie témoignaient de
la
avait ressentie à Bayreuth,
portrait de sa
sœur
femme
figurait avec
Belgique avec sa
et
et
et M'"''
Scène finale
la
profonde impression
(ici
:
la Lecture,
se place
qu'il
où sa belle-
un voyage
qu'il
fit
en
M"" Charlotte Dubourg, à l'occa-
sion du centenaire de Bubens); puis
M.
de
exposait au Salon un nouveau
un groupe
une amie
femme
il
la
et
même
Dubourg, sa femme
il
réunissait sur la toile
et sa belle-sœur
dans cette
admirable Famille D..., peu regardée au Salon de 1878, mais
mieux appréciée cinq ans plus traits
du
siècle; enfin,
en 1879,
Palais de l'Industrie avec
1.
tard, à l'Exposition des il
se mettait en évidence au
un groupe qui
LeUre du 13 septembre 1876.
Por-
fut
des plus remar-
FANTIN-LATUUR.
52
qués
:
Dans C atelier. Ces succès,
se suivant presque sans inter-
ruption, ne pouvaient faire autrement que de désigner Fantin
pour une distinction que tant d'autres peintres plus jeunes que lui
avaient déjà obtenue
m
:
le
27
juillet
de cette année,
il
était
a.
2
s
-1
o
c
*
U ^
oc
00
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
la vie
à
53
de Fanlin, et l'énumération de ses œuvres capitales
marquer
les étapes
de cette carrière
si
sulfit
sérieusement pour-
de toute coterie et sans l'ombre d'intrigue.
suivie, à l'écart
Voici d'abord \k Scène finale du Rheingold, du Salon de 1880, qui, quatre ans plus tard,
par
le
succès qu'elle remporta h
l'Exposition d'Anvers, valut au peintre la décoration de l'Ordre
do Léopold voici les portraits séparés de M"" Riesener ;
de M"" Callimaki-Catargi (1881), déjcà
880) et
deux modèles qui avaient
les
posé pour Dans C atelier. Voici cette délicieuse Brodeuse,
portrait
de
l'année
môme
belle-sœur du peintre,
la
où
honorable et où
il
faisait
il
Henry Lerolle
avec sa
en
1881,
femme un quatrième voyage
et
W"
de
1882,
sans nom, celui de sa femme, et
Salon triennal de cette lui qu'il
dût
les
portraits de
Léon Maître, plus une étude au
pastel d'après sa belle-sœur; en 1883,
dernier de
toujours
obtint pour la lithographie une... mention
en Angleterre. Ensuite arrivent, en M""*
( 1
même faire,
un nouveau
le pastel
portrait
de ï Aurore; au
année, son propre portrait, et,
le
entre tous ces travaux, sa
nomination de Membre de VInstitule, à Londres, dont il se trouva fort
honoré,
le
28 février 1883. L'année 1884, par grande
exception, se passa sans nouveau portrait; la
Nuit de printemps, qui figura cette
de Londres,
comme
il
môme
expédia au Salon
année à VInstitute
envoi du nouveau membre, et l'Etude,
qui avait paru l'année précédente à suivante,
il
VAcademy; mais l'année
se rattrapait en exposant sa dernière grande toile
Autour du piano, avec quatre des lithographies
composées pour modèles, tandis
illustrer qu'il
le
qu'il
Richard Wagner d'un
:
avait
de
ses
envoyait à l'Exposition d'Anvers, outre
FANTIN-LATOUR.
Si
sa Brodeuse, un
senté sous
deuxième
qui n'a jamais
le titre,
En 1880, le portrait
il
portrait de M"'* varie';,
de Rêverie.
donnait au Salon de Paris,
de M. Léon Maître avec
Imuscr; puis, en 1887,
le
Léon Maître, pnV-
comme
peintures,
Venmherij, de Tann-
de sa beile-sfeur, daté de
le portrait
1882, et celui de l'auteur de ces lignes, qu'il venait de faire; enfin, après la
Damnation de Faust
et l'Or
dût consentir à peindre
1888, les derniers portraits qu'il celui de
du Rhin, exposés en
M. Ricada, accompagné de
la toile
:
Immortalité, au
Salon de 1889, et ceux de M"^ Sonia Yanowski, sa nièce, et de
M™" Léopold Gravier, en môme temps que ment de Paris, au Salon de 1890. A tin,
comme pour
du Juge-
partir de ce jour-là,
et n'enverra
lui,
à ses portraits, n'en fera plus
au Salon que des sujets d'imagination, ins-
pirés par la musique, la mythologie ou la fantaisie pure,
ment et le
:
Danses et
la Tentation de saint
Prélude de Lohengrin en
r Aurore,
les
VOheron de Weber;
gneuses, ces
1
le
Antoine en 1891
892 ensuite
Troyens à Carthage ,
de saint Antoine,
Fan-
protester contre les éloges qu'on accordait
trop exclusivement, selon
aucun
le pastel
;
le
;
Hélène
Songe et Parsifal,
les Raigneuses,
la Toilette, la Nuit,
notam-
Vision, d'après
une seconde Tentation
Lever, Andromède, Ondine, encore des Bai-
deux derniers tableaux exposés en 1899. Et ce
fut
aussi la dernière fois qu'il envoya quelque chose au Salon
:
après avoir fourni sa part à l'Exposition centennale de 1900 (ce qui lui valut la rosette d'officier et s'être
donné
le
de
la
Légion d'honneur)
malin plaisir de présenter
gloire, sa Féerie, reléguée retira sous sa tente et
là,
en pleine
en 1863 au Salon des Refusés,
n'exposa plus jamais rien.
il
se
LA VIE ET LA CAEIRIÈRE DU PEINTRE.
Il
55
n'en travaillait pas moins pour cela; mais ses tableaux
allaient directement de la rue des
Beaux-Arts à
rue Laf-
la
où son ami Tempelaere
les
montrait aux amateurs et
n'était pas long à les vendre.
Au
surplus,
fîtte,
lui était
arrivé sur
le
tard
:
la
la Ville
de saint Antoine;
et la Tentation
gloire
l'administration des Beaux-Arts
musée du Luxembourg
avait racheté en Angleterre et placé au
son Atelier aux Batignolles ;
un peu de
de Paris acquérait Hélène
la ville
bévue qu'avait commise autrefois
de Grenoble réparait
préposé aux
l'adjoint
beaux-arts en dédaignant l'Anniversaire, et achetait ce tableau
que
le
peintre avait envoyé à l'Exposition locale de 1899; le
musée de Pau acquérait Dans P atelier cien portrait
Berlin
du
les
Danses et celui de Bruxelles
:
(de 1879), tandis qu'Anvers s'assurait d'un an-
du peintre, daté de 1858; Lyon de
portrait de
enfin la haute situation lui valait d'être
promu
la
femme du
peintre,
la Lecture et
fait
en
1883;
que Fantin avait conquise en Belgique officier
dans l'ordre de Léopold, en
1894, après l'Exposition universelle d'Anvers.
Mais en combien d'autres circonstances lieu d'être satisfait
Une exposition de
de
la
n'avait-il
tournure que prenaient
les
pas eu
choses?
ses lithographies, qu'il avait faite à Kensing-
ton en 1898, décidait le British
Muséum
à acquérir une grande
quantité de ses compositions sur pierre; une exposition du
môme
genre,
suivante,
organisée par M.
Léonce Bénédite,
Tannée
au musée du Luxembourg, n'avait pas été moins
heureuse et
l'avait
décidé à donner à ce musée presque toutes
ses lithographies; enfin avait attiré
une exposition de ses dessins originaux
beaucoup de monde chez Tempelaere en 1901
et
FANTIN-LATOUR.
56
lui avait
prouvé que ce
n'était
pas seulement ses peintures que
prisaient et recherchaient les véritables amateurs. Or, le succès
de ces expositions toutes spéciales, et qui ne s'adressaient pas au grand public,
en ces dernières années
car,
comme
et,
naturel de retour sur son passé,
ment ces compositions en réalités
de
la vie,
ne
il
noir, par
où sa fantaisie
librement épanchées tant que ses portraits,
particulièrement agréable,
lui avait été
s'était
et
mouvement
par un
affectionnait particulière-
où
il
échappé des
s'était
son imagination s'étaient
le peintre,
pas senti assez
admis fort,
et classé
s'il
pour
traitait ces
scènes de rôve en couleur, pour les imposer d'abord au jury, puis au public. avait eu
Il
également
sa vie, de rencontrer
accordé et qui l'un,
lui
la
chance, en approchant de
deux hommes avec qui
Gustave Tempelaere, dont
devenu pour
l'autre,
lui
1. «
il
:
avait fait la connaissance à
s'était
attaché à sa fortune et
le
qui, depuis le jour
il
où
il
s'était
pré-
peintre afin de l'interroger au sujet
de ses lithographies, n'avait et son affection, tant
s'était vite
un véritable ami, d'excellent conseil;
Germain Hédiard,
senté timidement chez
de
marqué un dévouement sans bornes
avaient
l'enterrement de Bonvin', qui était
il
la fin
fait
que monter dans son estime
apportait dans les moindres travaux
Je reviens de Saint-Germain, où est mort Bonvin, écrivait-il à M"" Ed-
décembre 1887. On l'a enterré à midi, là-bas, dans le cimetière du la terrasse que vous connaissez bien. La cérémonie a été des plus tristes. Très peu de monde; rien d'officiel, rien de la direction des Beaux-Arts. Voilà un des meilleurs peintres de ce temps disparu, et sans que wards,
le 21
Pecq, au bas de
le
monde
s'en doute. Et l'on ne fait rien pour ses funérailles! Pas
de discours!...
»
un mot
Sd
LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.
qu'il entreprenait, outre
grapliique,
un
un goût
prononcé pour
très
esprit très précis,
un amour de
57
l'art litiio-
l'exactitude la
plus minutieuse, qui étaient bien propres à ravir Fantin. Aussi
un gros chagrin pour ce dernier de voir disparaître
fut-ce
inopinément celui qui avait dressé un catalogue
clair
si
de
ses lithographies, qui s'apprêtait à le compléter et qui avait
déjà réuni force renseignements très développés pour s'oc-
cuper de l'homme et du peintre après avoir scrupuleusement étudié le lithographe. avait déjà
Peu d'années auparavant, en 1898, Fantin
vu partir l'ami qui, sans être peintre
parce qu'il ne maniait pas
compagnon
Edmond communes en cher
le
justement
brosse, avait peut-être été son
la
plus fidèle et
le
et
plus clairvoyant dans
notre
la vie,
Maître, à qui l'attachaient tant de préférences peinture, en musique, en littérature, et tant de
souvenirs des années de jeunesse et de combat pour
l'art.
Cette double perte avait été très vivement ressentie par
Fantin;
la disparition
de mars 1904,
subite d'Hédiard, en particulier, au mois
aurait cru que, vigoureux égale,
teur?
il
A
des plus sensibles; mais qui donc
lui avait été
comme
il
ne survivrait que peu de mois à son zélé commental'été
de cette
même
année,
il
les ans,
pour sa campagne de Buré, où
et ses
fleurs
M"»^
de santé toujours
l'était et
il
allait
bien-aimées, et c'est de
Edwards,
le
18
juillet,
l'indilTérence avec laquelle
du peintre anglais Watts grand artiste
était parti,
qu'il était!
:
un court on
là
billet
chercher qu'il
où
il
avait appris chez
« Ici,
comme le
tous
repos
expédiait à
gémissait de
nous
la
mort
on ne paraît pas se douter du
La mort de Lenbach
de retentissement. Drôle de temps!
»
Dans
les
n'a pas eu plus
premiers jours 8
FANTIN-LATOUR.
58
d'août,
il
avait eu le plaisir de recevoir la visite
pelacre accompagné d'un de ses
conservé
—
et
le
fils,
—
du
fidèle Tein-
une photographie a
souvenir de cette dernière réunion des deux amis,
quelques semaines après, le matin du 25 août, à l'heure où
des amis du voisinage arrivaient pour déjeuner chez tout à coup, fut pris d'un très violent malaise et
foudroyé, dans son jardin, entre les bras de sa
lui,
Fantin,
tomba comme
femme
et
de sa
belle-sœur.
Mais
Le
l*""
c'est à Paris qu'il devait
dormir son dernier sommeil.
septembre, ses funérailles étaient célébrées à
l'église
Saint-Germain-des-Prés, sans honneurs militaires, sans pompe officielle ni étalage
de décorations, mais avec
la
noble sévérité
qui convenait pour un artiste
si
nuée
des fleurs, ces fleurs que
seulement
par l'éclat
modeste
et si simple, attéle
peintre aimait tant et qu'il faisait vivre en quelque sorte sur la toile.
Après quoi, ses amis
et ses
admirateurs l'accompa-
gnèrent à sa dernière demeure, au cimetière Montparnasse,
où
le
directeur des Beaux-Arts, M.
beaucoup de chaleur où
le
peintre
et
route
il
de pénétration
Eugène Carrière
artistes, l'aîné, l'ami, le
Henry Marcel,
louait avec
l'artiste et
l'homme;
saluait brièvement, au
nom
des
maître qui leur avait indiqué quelle
convenait de suivre, tout droit, sans défaillance.
CHAPITRE
II
CROUPES ET PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES
y a trente-sept ans environ
Il
des futurs maîtres de
mon
mon
que dans
«
et
m'arrivait
avec Fantin-
liai
artiste
initiation
de
et
la
»,
constamment de
et lui s'étaient
connus
j'étais
En 1871, dans tout
aux chefs-d'œuvre de Wagner, de
les
etc.
Toutes les soirées que
passer chez un nouvel ami,
six
Ville,
et
école de peinture, et, vite,
là,
spirituel, cruel à la
comme a dit de me trouver avec ou sept ans plus
Bade, où se tenaient, autour de Manet, ils
comme lui chez Edmond
travaillant
érudit sans pair, férocement conseil
restées aussi pré-
Commune,
connu par des camarades
solide
encore
comme un
elles dataient d'hier.
bureaux de l'Hôtel de
les
bêtise
Guerre
de libres, je courais
j'avais
Maître,
la
si
Schumann, de Brahms,
Berlioz, de j'avais
peinture, sont
la
souvenir que
au lendemain de de
me
mais qu'un de mes amis saluait déjà
très discuté,
le feu
je
mes premières rencontres avec un
Latour, et
sentes à
que
lui
Verlaine,
il
Pantin. Maître tôt,
les assises
au café de de
la
jeune
s'étaient liés de la plus solide
FANTIN-LATOUR.
60
amitié. Le d'art
et des discussions
temps des réunions de jeunesse
au café avait pris
tous les soirs,
fin;
mais Fantin venait chez son ami
tandis que nous nous installions au piano,
et,
Maître et moi, pour deux ou trois bonnes sans
mot
ou se promenait dans
dire
sa courte moustache, la
comme
s'il
la
heures,
fumait
lui
chambre en mordillant
mieux pénétré de
se fût ainsi
musique. Aux approches de minuit, nous quittions
Taranne,où demeurait Maître', côté, Fantin vers le
et
la
rue
nous tirions chacun de notre
Luxembourg; moi, vers
l'Hôtel de Ville...
Ainsi se nouèrent, entre Fantin et moi, sous les auspices du plus sûr des amis, des relations que le temps n'avait
comment
resserrer, et voilà
je
fond, quitte à l'appuyer encore de l'histoire
me
que
fait
suis trouvé connaître à
mes recherches personnelles,
de tant de tableaux dont j'entendis
en particulier des toiles que j'appellerai
«
si
souvent parler,
historiques
»
de
Fantin-Latour.
Mais quels peuvent bien être, allez-vous dire, et portraits historiques d'un peintre qui n'a
les
jamais
tableaux
fait d'his-
toire? Eh! mais tout simplement ceux qui pourront présenter,
dans
un
la suite,
ques-uns d'entre
intérêt historique; les
ceux où revivront quel-
contemporains de
l'artiste
peintres, musiciens, etc. Les Primitifs, Van Eyck,
introduisaient portraits de
écrivains,
Memling,
seigneurs, supérieurs là
de couvents ou autres;
que des figures accessoires, indépendantes
Ces maisons de l'ancienne rue Taranne existent encore; elles forment
numéros impairs du boulevard Sainl-Germain, en arrière de la Diderot, depuis la rue de Rennes jusque la rue des Saints-Pères.
les
etc.,
souvent dans leurs tableaux de sainteté des
mais ce n'étaient 1.
:
statue de
Andromède' Salon de 1898.
—
A M. Gorjeu.
PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.
du
sujet principal
:
hommage aux personnes ou aux
simple
familles qui les faisaient travailler.
lèbres Syndics,
61
Van der Helst
Rembrandt, dans ses céFranz Hais, sont
et surtout
les
premiers maîtres qui aient osé composer des tableaux avec de simples réunions de personnages
dont tout
mérite est dans
contemporains, tableaux de
la
peinture, dans la
vérité de la représentation, et qui, tout en
étant dépourvus
le
de sujet proprement
dit,
la qualité
acquièrent avec
portraits, le sérieux et la valeur d'un
condition
essentielle,
non agissantes,
ordre. Or, ce qu'ont
Fantin-Latour fut
le
temps, par ces
document
historique. La
pour entreprendre sans témérité une
composition de ce genre, où tout figures
le
l'intérêt se
est d'être
un
portraitiste
Rembrandt
fait
premier à
concentre sur des
et ses
le tenter
de premier
contemporains,
de nos jours, à con-
cevoir et à exécuter d'importantes compositions dans
le
genre
de celles des maîtres flamands. *
Fantin n'a pas produit moins de quatre grandes toiles de cette catégorie, et toutes les quatre, outre qu'elles sont déjà
classées parmi les meilleurs offrent
de
Il
une valeur historique en raison de
la célébrité
que
le
morceaux de peinture de ce temps,
dont jouissent à présent
hasard des circonstances a
faut bien savoir, en effet,
fait
la
la notoriété et
même
plupart des modèles
poser devant
le
peintre.
que jamais Fantin n'aurait donné
place à n'importe qui dans ses tableaux, en raison d'une notoriété plus
ou moins grande
;
il
aurait bien plutôt écarté de ses
FANTIN-LATOUR.
62
compositions quiconque et
lui aurait
paru avoir trop d'importance
devoir attirer devant ses toiles la troupe des badauds, en
quête de portraits de gens connus, et non pas seulement peintres ou les
vrais
amateurs de peinture
ne voulait
il
:
pour ses tableaux d'autres juges que ceux-ci. Je circonstances, relations plus ou
hasard des
sympathies plus ou moins vives à vie,
tel
ou
le
moins
répète
:
suivies,
moment
tel
les
de
la
n'y eut pas d'autres raisons que celles-là dans le choix
il
que Fantin
fit
de ses modèles, et c'est ce qui explique pour-
quoi, entre eux tous, trois seulement, ses amis de la première
heure
:
Edouard Manet, Whistler
l'ancienneté de
et
Edmond
leurs rapports avec Fantin
Maître, ont dû à
de figurer dans
deux de ses grands tableaux. La première de ces compositions son
titre
môme
et
est aussi la seule qui, par
en raison des écrivains et artistes militants
groupés autour d'un portrait ou d'un emblème, d'une consécration, d'un ait
hommage; où
ait le caractère
le peintre,
voulu affirmer ses préférences personnelles.
en un mot, Il
venait de
suivre, avec Baudelaire et Manet, le convoi funèbre de Delacroix, et revenait
contre
le
du Père-Lachaise en maugréant avec
médiocre concours de monde qu'avait
rement d'un que-morts
»
tel
ses
attiré l'enter-
maître, lorsqu'ils furent rejoints par des
«
cro-
qui portaient, tels des marchands d'habits, tout
le
costume d'académicien de Delacroix
de
le
le
peintre de vingt-sept ans; l'idée de protester par un
mage
amis
reprendre.
A
cette vue,
public contre
le
:
la famille avait oublié
une généreuse indignation secoue
hom-
peu de solennité de ces funérailles
tra-
versa son esprit, et ses amis s'y associèrent d'enthousiasme.
PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.
Pondant dos mois, Fantin brossa doux, où
il
s'offorçait d'associer
quatro projots,
trois,
des personnages modernes et des
même
figures allégoriques; Baudelaire lui proposait
d'apothéose où
aurait groupé tous les génies
il
Gœthe, Byron,
dont Delacroix
etc.,
63
une idée
Shakespeare,
:
inspiré,
s'était
mais
le
peintre hésitait toujours.
Un jour
enfin, certain tableau de
donné de voir une copie tira
du doute
il
:
par
faite
Franz le
liais,
dont
il
lui fut
peintre belge Dubois,
le
renonça à toute idée d'allégorie et décida de
ne mettre sur sa
que des personnages
toile
amena Champfleury
(ce qui
habitué à se considérer
faire la
fît
comme
le
réels.
Duranty
grimace à Baudelaire,
défenseur
attitré
du roman-
tisme et de Delacroix, tandis que Champfleury n'était pour lui
que
le
porte-voix do Courbet, de l'école réaliste), et bientôt
se trouvèrent rassemblés autour
du
portrait de Delacroix
:
Whistler, bien pris dans une redingote serrée à la taille et portant des fleurs; Fantin lui-même, en corps de chemise et le
pinceau à
la
main; Duranty,
le
critique,
et les
peintres
Alphonse Legros et Louis Cordier; puis Champfleury, Baudelaire,
Mais
Manet, Bracquemond et il
paraît
le
peintre Albert de Balleroy.
que d'autres avaient dû figurer
là.
«
Legros et
moi, nous viendrons à Paris pour poser quinze jours avant Salon, écrivait Whistler à Fantin, le
3 février 1864; garde-
nous donc deux bonnes places. Peut-être Rossetti aussi; de
dit qu'il serait très fier
c'est
bien,
un grand pour
artiste
;
les raisons
te poser. Il a
tu l'aimeras
que
tu
le
une
tête
il
m'a
superbe et
beaucoup. De Balleroy est
donnes; mais pourquoi Ribot?
Fantin, ton tableau va être très beau; la grande
masse de
lu-
FANTIN-LATOUR.
64
mière
fait
bougrement
bien. Cela va être très
heureux pour
car c'est un tableau qui attirera forcément l'attention... l'attira,
Il
laissait
échapper dans cette
lettre
un aveu bien caractéristique
savoir
un peu de ce que
ET DELACHOIX,
MOI
On
est prié
buées par
le
«
Ah!
même
je voudrais bien
une mau-
AVEC MES AMIS AUTOUR, PAR FANTl.N
de remarquer la supériorité de celle belle réclame sur celles distriDiable (49, rue de Rivoli).
Bon
vaise journée
:
VBommagc à
Delacroix {te Salon pour
rire, 1864).
est-on malheureux de faire mauvais! »
mal placée, en
provoqua-t-elle
nages
:
tu sais! Je viens d'avoir
Caricature de Oill d'après
elle fut
»
mais d'une autre façon que ne
c'est positif,
l'espérait Whistler, qui
au Salon de 1864
effet,
et
Comme
combien ne
pas de fines plaisanteries, avec ses person-
inactifs, cette toile qui,
depuis
lors,
reparut avec éclat,
d'abord en Angleterre, à deux reprises; ensuite à Paris à
seconde Exposition des Portraits du tion centennale elle
toi,
de 1889,
et,
siècle,
la
en 188a à l'Exposi;
plus récemment, à Glasgow, d'où
ne revint que pour entrer dans
la
riche
collection de
A» ^
o u
«
g o
t.
T
PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.
M. Moreau-Néiaton
et,
par
la suite,
au Louvre, avec tous
65
les
autres tableaux du généreux donateur! Il
en est d'une
toile
comme
d'une œuvre musicale
:
il
est
bien rare qu'elle disparaisse tout entière et qu'il n'en reste
IN-L ATOUR
LE TESTAMENT DE CESAR GIRODOT, PAR FA N Le tableau
est
navrant de
tristesse.
On
vient de délivrer les legs. Les légataires
sont furieux et désolés. Le plus important, celui du milieu, est, à son grand regret,
du sac à charbon qu'il vient de revêtir et de vieilles graltures de palette. Son voisin de gauche, d'un soulier, vieu.x serviteur de Balzac; celui de droite, d'un reste bien sec de blanc de zinc; sou camarade, d'une vessie de vert Véronèse. Les autres n'ont rien que du noir, sauf un seul, moins attristé peut-être, qui recueille
héritier
avec soin
le
chien du maître.
Caricature de Bertall d'après l'Hommage à Delaci'oix {Journal
ammani
,
4 juin 1881).
pas quelque fragment, lorsque c'est l'auteur lui-même qui a entrepris de l'anéantir. Tel est, en effet, le cas
du tableau
:
le
Toast, admis au Salon de 1865, qui réunissait autour d'une table les
camarades habituels de Fantin
montrant à ses amis
la figure
de
et le peintre
la Vérité,
lui-même
quoique
l'artiste 9
FANTIN-LATOUR.
68
détruit aussitôt cette composition qui le choquait, après
ait
qu'il l'eût
jugée au Salon, par ce mélange inexplicable du nu et
du costume moderne, autrement
de l'allégorie et de
Les personnages que Fanlin avait groupés
réalité.
en main et portant un toast à y engageait du
les
dit
geste, étaient ses
verre
là, le
comme
la Vérité,
le
la
peintre
modèles ordinaires
:
Manet, Bracquemond, Vollon, Cordier, Whistler qui avait très
naïvement demandé d'avoir
du devant
»;
à quoi Fantin avait consenti très volontiers, d'abord pour
le
« la belle
place, celle
remercier de toutes ses amabilités, ensuite et surtout parce
que Whistler devait poser vêtu d'une robe japonaise
et
qu'une
robe japonaise, au premier plan, tentait singulièrement peintre.
Le sujet court dans
«
Fantin à Edwards,
le
le
monde
artistique, écrivait
3 février 1865; on en parle beaucoup.
y a une colère générale; je suis
un poseur, prétentieux,
un aplomb inouï! Ces messieurs qui sont
les
Il
fou;
amants de
la
Une femme nue avec des gens à
Vérité! Puis les hauts cris. table, c'est incroyable, et
le
vous ne vous imaginez pas quelle
colère c'est déjà. Signe que je frapperai juste. Je crois que
chemin
cela fera son
Moi,
il
me semble que
Après avoir et retouchée
seul
et
nous allons voir du drôle à présent.
cela
fait et refait
dans
encore dans tiers et le
et crié
»
cette toile, après l'avoir
la
distincts
la lettre citée
le
dans sa
dans
Vérité et la Vérité
plus haut,
quart lorsqu'il était dans
que
des forces...
conçue
de diverses façons, en fondant finalement en un
deux tableaux d'abord
est entré
me donne
le
tète,
le
—
Repas
— après
« le
Repas
», disait-il
avoir défié
le
feu de la composition
peintre était prêt à recevoir des coups, mais
PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.
par l'étude et
qu'il saurait résister
calmé subitement à mesure sive, et
ne
félicitait-il
auriez été content sept heures
écrivait à son
vous m'aviez vu
si
ma famille
étonnée
la
pour
a été
la
me
:
«
Vous
soir exactement,
première
la
de
fois
ma
vie,
mes ordres autour glace au bout de
tableau retourné. Je faisais des lieues
Les premiers jours,
ainsi.
je
mon
pour voir
pour des
fait
semaine dernière, depuis
subjuguée. Je les avais à
et
de
qu'il avait
ami de Londres
de moi. Debout au chevalet, courant à l'atelier,
chance
du matin jusqu'à sept heures du
tellement que je crois,
il
la
tableau véritablement
«
pas
s'était-il
approchait de l'heure déci-
pas Edwards de
ne pas figurer dans un fous »? Finalement,
qu'il
ne
le travail,
67
j'ai
cru que je n'y résisterais pas;
sentais perdu, le sang bourdonnait dans
mes
oreilles, les
nerfs de la tête tendus, vraiment cela est fou de faire des
tableaux ainsi.
emporté à deux heures. Vous est bien au-dessous
de
mon
dirai-je
costume,
le
:
temps
c'est qu'il
ne rien négliger, en pas mal, voilà.
A
tableau rêvé ? Presque tout est resté
beaucoup pensé, en
mon I.
loin.
j'ai
le faisant,
(sic).
la
Son
pose, à
hâte de
le
voir au Salon;
j'ai
surtout pour l'expérience. J'ai
au recul, à
la
grandeui- des salles,
voulu rendre l'eUet de
la
nature
Alors vous comprenez que je ne peux juger
tableau qu'au Salon Leltrc à
mor-
meilleur morceau. Quelques têtes
le voir,
à l'éloignement. J'aurais
même, vue de
y a un
m'a donné, son attention à
fait le
peur aussi, mais veux
Il
Whistler en costume chinois
présent,
a
que mon tableau exécuté
inachevé, ce qui maintenant m'afflige beaucoup.
ceau surtout beau
On
jusqu'au 20, hier, midi.
travaillé
J'ai
Edwards du
'2\
'.
»
mars
ISCo.
FANTIN-LATOUR.
68
Mais l'impression
qu'il
en ressentit
fut
des plus fâcheuses,
œuvre de lui-même
puisqu'il n'hésita pas à sacrifier son
par conscience d'artiste, alors que les attaques auxquelles était
en butte auraient pu l'engager à
la
et il
comme
conserver,
pour braver l'opinion générale. Mais cela n'entrait pas en ligne de compte pour Fantin écrivait-il à
ble
même.
Edwards
le
L'Exposition est
«
:
finie,
26 juin. Bien critiqué,
allez. C'est igno-
eu partout des critiques (cela
J'ai
content), depuis
le
Dieu merci!
me
rend bien
Moniteur (Théophile Gautier) jusqu'au der-
nier des journaux, revues, brochures, mais partout tes, très
méchantes.
Si l'on a sifflé
des peintres. Ribot, qui ne répété) que je lui ai fait
me
N'est-ce pas ignoble?... être nuisible, puis (c'est nal)
que
critique
:
parle plus, dit (à ce que l'on m'a
On
le
Que
vendre.
dit
que
prix de son tableau à
le
dites-vous de cela?
je soutiens
About qui a
Manet pour
dans un jour-
écrit cela
«
Vous
allez gâter vos chefs-d'œuvre!
»
Voilà
n'en conserva que quelques morceaux, »,
comme
la
»
d'art...
Sans aucune hésitation, Fantin détruisit donc sa
mal
lui
l'empêche d'achever et d'étudier ses tableaux,
je
lui criant
Manet, moi, je suis détesté
augmenter
Londres pour l'empêcher de
méchan-
il
disait, c'est-à-dire la
«
toile et
quelques têtes pas
sienne propre et celles
de Vollon et de Whistler. Le premier de ces fragments est encore aujourd'hui chez
M. Barrasse,
le
M'"""
Fantin;
le
deuxième appartient à
troisième fut acheté assez vite par un amateur
américain, presque un marchand de tableaux, qui
le
donna par
la suite,
avec
lithographies de Fantin, au
nommé
la collection très
Avery,
complète des
Musée métropolitain de New- York.
o s
r.
O S
5
c
2
PORTRAITS DARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.
«
Tu
sais
que
69
je suis très flatté, écrivait Whistler à Fantin,
de ce que tu m'as conservé en détruisant ton tableau; chose
anciennes choses! Je tant pleuré après!
»
même
de
très à regretter tout
l'ai
Mais
que
cette démolition de nos
bien trop souvent pratiquée et
j'ai
désolé qu'il fût de cette destruc-
si
Whistler savait s'en consoler en pensant, d'après ce que_
tion,
peut-être en Amérique,
lui disait
son ami, que sa figure
et « rien
ne pouvait être plus charmant pour
irait
lui, assurait-il,
que d'être présenté à ses compatriotes par Fantin
».
Grâce à
l'opportune intervention du collectionneur Avery, l'Amérique
reconquérir l'Américain'.
allait
Cinq grandes années se passèrent avant que se décidât à entreprendre
comme
se restreignant, «
une
l'a
toile
du
même
très bien dit
le
peintre ne
genre, mais en
M. Léonce Bénédite,
au rôle plus étroit et plus sûr de représentation de personnages
contemporains sympathiquement réunis en raison d'une com-
munauté de goûts ou de travaux où
».
Fantin qui, dans
le
temps
peignait V Hommage à Delacroix et le Toast, demeurait
il
rue Saint-Lazare, avait pris l'habitude, en raison de
la
proxi-
mité, de se rencontrer avec Manet tous les jours, soit avant, soit
après
le dîner.
et fumait
Or, ces réunions de café, où
il
ne buvait guère
de préférence en laissant parler ses amis qui, presque
tous, fréquentaient l'atelier de Manet, lui semblèrent former sujet de tableau tout indiqué
par 1.
la tête, elle
Pour de plus grands l'art
dès que l'idée
lui
en eut passé
ne fut pas longue à se développer et à aboutir. détails sur ce point spécial, voir les articles très
intéressants de M. Léonce Bénédite
Heoue de
:
un
ancien
et
:
Histoire d'un tableau
moderne (janvier-lévrier 1903).
:
le
Toast, dans la
FANTIN-LATOUR.
70
Je pense au Salon, écrivait-il à Edwards
«
le
M octobre
1869; je commence à crayonner des projets. Je pense beaucoup à un grand tableau de plus de trois mètres de large sur plus de
deux de haut, représentant au centre Manet peignant à son chevalet, devant lui son
modèle posant; à côté de
des amis, des connaissances, du
un assez
paraît
monde dans
autour,
lui et
l'atelier.
Cela
me
motif de tableau pittoresque, un intérieur
joli
des complaisants pour poser. Si vous veniez
d'atelier. J'aurai
à Paris, je voudrais bien vous mettre dans ce tableau. Cela serait-il possible?
ter
un
Vous voyez que je
pareil tableau
:
suis bien oseur pour ten-
j'espère que vous serez content de
me
voir dans votre idée, qui est de continuer toujours. C'est encore
un
une tentative; mais que
essai,
ments de tenter une bout,
faut bien
il
moment
:
si
je vais être dans des tour-
grande entreprise! Pour
du courage.
J'y
aller jusqu'au
pense beaucoup dans ce
tout ce que je vois, tout ce que je fais, c'est toujours
en vue de ce projet.
»
Plus tard, presque au dernier moment, et pressait
Edwards de venir
ment avant
le
:
il
insistait
qu'il arrive cinq
encore
jours seule-
jour du dépôt fixé au 20 mars et trois ou
quatre jours suffiront pour introduire ce retardataire dans tableau lettre si
:
«
Je crois qu'il va assez bien, ajoute Fantin dans sa
du 1" mars 1870.
étrange dans
le
C'est pourtant difficile à dire.
monde
artistique,
l'opinion de ses confrères. Je je
travaille
beaucoup
et plein
on ne
sait
hauteur de
mon
On
est
quoi penser de
me donne beaucoup
de peine,
de rage; mais suis-je récom-
pensé? Je suis tellement fatigué que cela ne à hi
le
idéal; je ne
me
paraît jamais
peux guère vous donner une
PORTRAITS DARTISTKS ET D'HOMMES DE LETTRES.
idée de ce
que
c'est;
sévère, que nulle
il
part
sottises d'aujourd'hui
me
71
semble que l'aspect est simple et
on ne
auront
Lorsque
voit d'effronterie.
fait
les
place à celles de l'avenir, que
l'acharnement contre Manet aura disparu, on ne verra dans
mon
tableau
qu'un intérieur d'atelier, un peintre faisant avec des amis autour.
portrait d'un ami,
dans un coin une place modeste,
de l'étranger. mettre
le
J'ai
l'intention, si
chapeau de soie sur
Je vous ai gardé
comme
vous représentez un artiste qui entre dans
le
vous
le
désiriez;
l'atelier,
qui vient
vous m'y autorisez, de vous la tôte, le
mac-farlane ou
le
costume du voyageur; cela rendrait bien l'intention d'exprimer
un et
artiste qui entre
dans
l'atelier, étant
d'une tapisserie portière...
près du bord de
la toile
»
Mais Edwards ne put pas venir, apparemment parce que Pantin n'avait pas répondu assez vite à sa lettre d'acceptation,
comme sait
s'en excuse à la date
celui-ci
du 7
avril
encore rien du jury, on en est encore à voir
Vous pensez que je suis
j'ai travaillé
«
:
les tableaux.
jusqu'à la dernière heure.
ennuyé de ne pas avoir répondu à votre
ceptation de venir poser! Je ne sais
comment je
Comme
lettre d'ac-
n'ai
pas songé
à vous répondre; je pensais que vous vous imagineriez j'étais
On no
combien
content de vous peindre. Cela ne pouvait se faire autre-
ment que
je
comptasse sur vous.
J'étais
si
occupé de ce
tableau, je ne voyais plus rien d'autre. Cela a été
organiser, tout ce
monde à
retenir, l'arrangement
si
difficile
de toutes ces
poses! Pour les heures, les jours, prendre les gens quand voulaient,
quand
ils
quelque chose pour
pouvaient, car tous le
Salon, à
à
mes modèles
ils
faisaient
commencer par Manet, qui
a pu
FANTIN-LATOUR.
72
à peine
me donner le temps
une idée du
travail
rêter et toujours
que
nécessaire. Je ne peux vous donner
j'ai fait
pendant
du premier coup;
trois
je
mois sans m'ar-
n'avais le
temps de
lOûO
JÉSUS PEIGNANT AU MILIEU DE SES DISCIPLES, OU LA DIVINE ÉCOLE DE MANET, TABLEAU RELIGIEUX PAR FANTIN-LATOUR « En ce lemps-là, J. Manet dit à ses disciples En vérité, en vérité, je vous le dis. :
Celui qui a ce trac pour peindre est un grand peintre. Allez et peignez, et vous éclairerez le monde, et vos vessies seront des lanternes. » Caricature de Bertall d'après
rien
Un
Atelier
aux
recommencer. Enfin, cela
Balii/nollet (Journal amiaant. i\
est fait;
mai
n'en parlons plus.
Ce que Fantin négligeait de dire à son ami, faillit
même
ne
pas pouvoir
1870).
»
c'est qu'il
terminer à temps, par suite
d'un duel, insignifiant d'ailleurs, qui eut lieu entre Duranty et
Manet (Zola servant de témoin à ce dernier) après de
très vives
discussions de café. Mais tous les obstacles furent surmontés
en
M iJ >J
O «5 <S
H •< O
-S
<
s I
ce
S <
<"
a o
PORTRAITS D ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.
73
à temps, et ce fut une des toiles les plus regardées, les plus
commentées au Salon de 1870, que
dénommé
ainsi
nombre de
en
raison
lant d'eux l'école
des
couramment en par-
disait
où Zacharie Astruc,
BatignoUes),
peintre allemand Scholderer, Auguste Renoir, sionniste
Emile Zola,
»,
Bazille, puis
Edmond
Edwards
voir
futur
le
le
30 mai;
mes tableaux
meilleures choses
:
le
vous voir, écrivait encore Fantin
je voudrais bien
succès a dépassé
que vous puissiez
mes espérances.
compliments qui
et les
sensibles. Aussi le jury s'est décidé
enfin
connaît pas et pour la vente, et
tenant que j'arrivasse à gagner
par
mes ennemis. J'avoue que
ma
il
fallait
m'a
les
me sont le plus à me donner une le
monde
qui
absolument main-
vie. Je suis accepté,
cela
J'ai
entendu
j'ai
médaille, ce qui a une grande importance pour s'y
impres-
«
Maître et son ami Frédéric
l'approbation, je crois, des meilleurs juges;
ne
le
Claude Monet, figuraient autour de Manet occupé
à peindre. « Je voudrais bien
à
Batignolles,
du quartier qu'habitaient alors
(comme on
ces artistes
aux
ci^lAleliet^
fait
grand
même
plaisir
de
même avec le tableau qui dut le plus les peintres. Je me sens bien dispos pour conle combat. Oh! ceux qui sont nos ennemis, comme
réussir sans aucune concession, irriter
tinuer
nous allons
les
combattre!
J'ai tant
de colère et de mépris.
voilà libre des juges aussi (cette médaille
passer sans
examen du
Non seulement
cet Atelier
une troisième médaille tinction,
il
fut
jury,
;
on
est reçu
aux
donne
de droit!
le
Me
droit de
)... »
Batiynolles valut à l'auteur
mais, en raison
môme
bien près d'être acquis par
Beaux-Arts pour être envoyé au musée de
la la
de cette disDirection des
ville natale 10
du
FANTIN-LATOUR.
74
Grenoble. Tout fut arrêté par les désastres de
peintre, à
la
guerre et les changements qui s'ensuivirent dans l'adminis-
haut fonctionnaire des Beaux-Arts, Alfred Arago,
tration, le
qui avait conclu l'affaire avec P'antin, dans un
gresse causé par l'annonce de
ayant quitté
la
place dès le lendemain, et n'ayant laissé aucune
se retrouva plus tard, la
se prévaloir le peintre lorsqu'il
guerre une fois
autre directeur des Beaux-Arts.
pour
se débarrasser
Edwards, traits à
en
et c'est
la
d'allé-
fausse victoire de Reichshoffen,
la
aucun papier dont pût
pièce,
moment
plume de
de cette la
lui
ses
finie,
en face d'un
En désespoir de cause, Pantin, toile
encombrante,
céda à
la
expédiant qu'il y ajoutait ces por-
différents modèles, sans doute afin
qu'Edwards pût renseigner sur eux
les
amateurs qui seraient
tentés de l'acquérir. «
Voici les
noms des
peintres réunis autour de
peignant, écrivait-il à son ami de Londres
A
le
Manet
15 juin 1871.
côté de lui (Manet), Scholderer (en paletot brun), de Franc-
fort,
peintre qui a
fait
de très belles natures mortes, à qui je
trouve beaucoup de talent, que je vous
recommande comme
un ami bien charmant, jouant du violon en ligent, très
artiste, très intel-
doux, avec qui vous aurez, j'en suis bien sûr,
des relations agréables... Derrière Manet est Renoir, peintre qui fera parler de lui
(il
a certes
du
talent),
puis Astruc,
poète fantaisiste, en ce genre je ne m'y connais pas. Manet
semble
le
regarder et faire son portrait
:
il
semble se prêter
de bonne grâce à cela; je crois que parmi nous
il
personne qui ne
pour
l'ait
portraituré
:
c'est
un
plaisir
n'y
a lui
de poser. Au-dessus, Emile Zola, romancier réaliste, grand
PORTRAITS D'ARTISTES ET IVIIOMMKS DE LETTRES.
défenseur de Manet dans les journaux la
main.
A
A
Ville.
fin,
de
côté
pauvre garçon qui
lui, Bazille,
il
Minerve grecque du
grande
toile
style le plus pur,
1
une
la table,
un pot émaillé de »
Peine perdue,
ne trouva pas d'acquéreur en Angleterre, et
après être restée près de vingt ans chez Edwards, elle être achetée, en
Edmond
annonçait du talent.
Bouvier, peintre faisant ces objets avec goût... cette
:
s'est fait tuer
Monet, peintre que vous connaissez. Sur
côté,
petite
un lorgnon à
tient
musicien amateur, employé à l'Hôtel de
à Beaune-la-Rolande par les Prussiens;
A
il
presque une tête seulement, un ami
côté,
Maître, esprit
;
75
finit
par
892, par notre administration des Beaux-Arts
aujourd'hui, elle occupe une place d'honneur au
:
musée du
Luxembourg. cependant,
Fantin,
caressait
depuis quelque
de rendre à Baudelaire un
projet
qu'il avait
rendu à Delacroix;
membres du monde
il
le
pareil à celui
songeait à grouper divers
autour du portrait de l'auteur
littéraire
des Fleurs du mal. Son ami
hommage
temps
Edmond
Maître, qui ne devait
pas figurer dans ce tableau, l'avait mis en rapport avec divers poètes, qui
de
la
travaillaient
ou fréquentaient dans
Préfecture de la Seine
:
Arthur Rimbaud, Léon Valade, parlait
Lecontc; l'esprit
aussi
de
le
bureaux
Albert Mérat, Paul Verlaine, etc.
d'amener Théodore Lisie, et
les
tableau
L'édit(>ur Poulet-Malassis
de
Banville, Asselineau,
prenait déjà
forme
dans
du peintre, qui rangeait quelques-uns de ses modèles
autour d'une table, en avant du portrait de Baudelaire, orné
lui-même de rateurs.
«
feuillage
et placé entre
Cela s'appellerait
Un
deux groupes d'admi-
anniversaire, à cause du por-
FANTIN-LATOUH.
76
Irait
de Baudelaire qui serait au fond de
Edwards
le
Je ferai
le
autour de
les autres
Baudelaire d'après
FA.MIN-LATOLK
:
la table
le portrait
à
éti'it-i|
décembre 1871. Un de ces messieurs
22
une de ses poésies; salle...
la salle,
lirait
dans
la
que j'en
ai
et
lABLli
UN COIN DE
Caricature de Stop (Journal amusant, I" juiu 187*).
dans
le
Delacroix. Les douze apôtres
me
paraissent un sujet
excitant pour l'opinion. Baudelaire, dont la réputation grandit, est considéré
par
tandis que c'est
le
public
comme un
un de ces purs
artistes
être révolutionnaire,
en dehors de tout!...
»
Ce tableau ne paraissait donc pas devoir rencontrer trop de
difficultés,
regret de
ne
encore que certains modèles exprimassent pas voir figurer au
le
milieu d'eux Swinburne,
ca -<
H
e
U a ' i
u
M 3 a
^6 r}c^y4-
/LV
^':^ ^52^4r<^'
/^^^^^^.^^
a^^^e^*^
^2>.
.
'9^
^:^ ^.*.^^>^ Va^^'-t-*-^
f^^*^-**^
<?**-C- JÎ-ù^
V
</,»»*.<»<^
^/.^
/^
.^.^ ^^<-^
-Z-^'t*^-*^
€^-'''^'
~^^
^.a^
l'UllTItAIT
I)i;
Sillon
(le
\V. 18CI.
HIDLEY
PORTRAITS D'ARTISTKS ET D'HOMMES DE LETTRES.
81
qui avait dû, paraît-il, poser auparavant avoc Whistler dans
{'Hommage à Delacroix Edwards dans sa que
si
Whistler
cfu'on lui
était à Paris,
aurait
il
pu
lui parler
Bien mieux,
directe.
peintre était tellement heureux d'entreprendre
besogne
qu'il
défiait le
fièrement dans
(de r Anniversaire) fais
de
me
le
la
monde en quelque
même
la
,
Edwards
lettre à
jamais
«
:
et s'écriait
Ce que
l'on dira
ne m'a moins inquiété. Je
cela
les autres,
le
une semblable
sorte
peinture pour moi. Edwards, en qui
conseille;
de cela,
devenu un trop grand personnage
était
une proposition
fît
lui-même à
dit
le
du 30 décembre 1871, en ajoutant
lettre
mais que Swinburne
pour
c'est Fantin qui
:
confiance,
j'ai
cela m'est égal. Je vais m'appli-
quer. J'ai une douzaine de tètes plus intéressantes les unes
que
les autres;
une collection de portraits superbes. Ah! que
Holbein en aurait
fait
une
belle collection de dessins! »
Mais tout marchait trop bien, ne touchait en rien aux soir,
risqué
qu'une querelle, qui
et voilà
lettres ni
aux
arts,
au dîner des Vilains Bonshommes, quelquefois,
entre
deux
des
où
jusqu'aux voies de
fait, fit
Fantin s'était
modèles,
cependant une affection des plus vives. Cette
grand bruit dans
le
un beau
éclate
qu'unissait
querelle', allant
monde
littéraire.
Alors, Albert Mérat déclara se retirer d'une société
où
sions se déchaînaient avec une telle violence;
n'était déjà
il
les pas-
plus question d'amener là aucun des gros bonnets littéraires édités par Poulet-Malassis; Fantin modifia instantanément le
plan de son tableau; Baudelaire en disparut; une haut<' touffe d'hortensias prit la place d'Albert Mérat, exilé volontaire, et le
Coin de table, enfin, fut terminé juste à temps pour ligurer 11
FANTIN-LATOUK.
82
au Salon de 1872. Un Coin de
catalogue;
le
de littérature;
le
table, disait le
Dinei^ des Poètes, disaient les gens
Repas des Communards, disaient
frottés
les artistes,
en colportant un
propos peu charitable de Charles Blanc, alors directeur des Beaux-Arts;
et,
par
autour de cette table
Rimbaud,
le
le fait, :
il
n'y avait guère
Ernest d'Hervilly, Paul Verlaine,"Arthur
doux Léon Valade
et Camille
Pelletan, Elzéar
Bonnier, Emile Blémont, de qui Pantin avait isolé
deux ans auparavant,
et
le
peintre
cà
ce que racontèrent certains
mourut, n'a
voyages. Après avoir été vu à Paris, tion organisée à
un portrait
fait
Jean Aicard.
Ce tableau-là, contrairement journaux quand
que des poètes
il
pas
fait
et fut tout
acheté par un jeune Anglais, M. Crowley, qui étudiait cine et marquait beaucoup de goût pour la peinture.
de peu d'années, ce collectionneur, qui
longs
une exposi-
figura dans
Londres par Durand-Ruel
de
de suite la
méde-
Au bout
formé une
s'était
très
belle galerie, vint à mourir, et son frère, qui hérita de lui après
que leur père
fut
mort à son tour, se trouva
fort
par cette grande toile qu'il ne savait où mettre tant bien qu<'
garantir)
:
il
mal par
terre, avec des
(il
embarrassé
l'avait
placée
meubles devant pour
la
manifestait en toute occasion le projet de s'en
défaire. Pantin, informé de cela par M'""
Kdwards, en avertit
son ami Tempelaere, qui se rendit tout de suite à Reading, acheta ce tableau, l'apporta en France l'un des écrivains ayant
mont récit
:
posé devant
et
le
vendit ensuite à
le peintre,
M. Emile Blé-
cela se passait dans le courant de 1897. Voilà, d'après le
môme que
Pantin m'en a
fait,
comment
ce tableau revint
en Prance, et cela sans avoir été jamais destiné par Pantin à
PORTHAriS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES. personne, sans qu'il y
ait jamais
chères, sans que nul autre que
eu de vente publique ni d'en-
le
peintre se soit jamais avisé de
dans son pays d'origine
faire revenir
le
83
:
tout ce qu'on a ra-
conté d'autre à ce sujet est pur roman, et celui qui a répandu ces belles histoires connaissait
à
la famille
du
longtemps
—
ou écoutant de
mal Fantin,
qu'il le rattachait
pastelliste Latour.
Après ces peintres et
si
et ces poètes, Fantin
pensa souvent
—
à composer un groupe de personnes faisant
musique
la
chœur de dames); mais
(il
projetait d'abord de peindre
tantôt la difficulté de trouver des
dèles à sa convenance en plus de Maître et de
un
mo-
moi, tantôt
l'ennui d'avoir à faire poser des dames, le faisait reculer. Fina-
lement, après qu'il eut rencontré en Chabrier ni trop
connu,
ni trop
le
personnage,
obscur, mais propre à figurer devant un
piano, qu'il désirait mettre au centre de son tableau, Fantin prit
simplement diverses personnes avec lesquelles
relation plus
que
ainsi
ou moins suivie ou qu'on
se groupèrent autour
deux amis dont
les
puis
le
il
Tout
fut
plement
le
Amédée
:
Maître et moi,
compositeur Vincent d'Indy
intitulée
:
et
Pigeon.
toile,
que
le
la
fin,
pour
le
peintre avait tout sim-
Autour du piano, souleva autant d'admi-
ration parmi les connaisseurs
et à
d'Emmanuel Chabrier, d'abord
terminé, sans trop de presse à
Salon de 1885, où cette
là
en
violoniste Boisseau, l'écrivain d'art Camille Benoît, le
romancier-critique
de
était
connaître et c'est
pouvait disposer à sa guise
juge d'instruction Lascoux, le
lui fit
il
que de curiosité dans
le
public;
ce tableau alla directement à Londres, puis à Bruxelles
Munich avant
d'arriver chez celui qui s'en était assuré la
FANTIN-LATOUR.
84
possession dès
va bien
»,
le
premier jour.
disions-nous en plaisantant avec
celui-ci l'écrivait plus tard à M"" lui
Notre tableau, notre succès
«
comme
Fantin,
Edwards, dans
la lettre
apprend que l'ami qui avait beaucoup contribué à
entreprendre cette grande
en
toile
était
où
le
:
il
lui faire
devenu l'acquéreur
ne s'en séparerait presque sûrement jamais est toujours à la place
où
le fait est
et
qu'elle
peintre a pu la voir accrocher,
il
y a de cela vingt ans passés. # *
*
Outre ces quatre grands tableaux, Fantin a encore peint quelques portraits
— cinq
qui sont en quelque fallait-il,
six
en y comprenant
du domaine public
pour que Fantin se décidât
qu'ils fussent bien
simples modèles
veau
sorte
ou
les traits
à
;
Du
peindre ces gens-là,
le
de nou-
reste, en fixant
nombre des œuvres dont
curieux pourraient s'occuper un jour, en
comme
lui
de Manet ou ceux de votre serviteur,
mentait pas en réalité
—
mais encore
de ses amis et posassent devant de profession.
le sien
il
les
n'aug-
simples
dehors de toute
question de peinture, et c'était bien alors son ami Manet, son
ami JuUien,
— ce
n'était ni le peintre, ni l'écrivain,
—
qu'il
acceptait de faire vivre isolément sur la toile, exactement comme
quand
il
entreprit le double portrait de
comme aux jours où lui-même
et
ses
il
et
M"" Edwards;
prenait pour premiers modèles, après
deux sœurs,
Alphonse Legros (1856
M.
soit
son
camarade
d'atelier
et 1858), soit le peintre anglais Ridiey
(1861), dont les portraits, très ignorés, restèrent
si
longtemps
POKTKAIT DE Salon
(le
18"5.
M.
—
Kl
.M"k
KIJWIN
KUWAIlIfS
Nalioniil tiullenj, à Lonilrcs.
PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.
accrochés dans
l'atelier
du peintre avant Là
clairvoyants collectionneurs.
d'être acquis par de
s'arrêtent les rares
gens appartenant au public que Fantin, qu'on de tant de côtés, se décida à faire et travaillait
lit
le
en vain
avec plaisir parce qu'il
nant à Francfort,
comme
en se jouant par Fantin dans
l'avait
prié
de
lui
auraient payé beaucoup plus cher à
cadres neufs,
s'ils
faire la
envoyer
et
qui
douane allemande,
eussent été expédiés vides,
du moment
objets presque sans valeur,
qu'ils
que
entou-
un morceau de peinture quelconque. Ensuite, quand
poser devant
gleterre, Fantin
lui le le
le
un des cadres qu'Otto Scholdcrer, retour-
seul but de remplir
fit
sollicitait
grand portrait d'Alphonse Legros, ne l'ou-
blions pas, fut brossé
raient
images de
par amitié.
Tout d'abord
comme comme
85
il
jeune Ridley, arrivé récemment d'An-
considérait tellement
comme un modèle
d'occasion qu'il envoyait cette toile au Salon de 1861, où elle fut
admise, non pas
comme un
vague mention cVEtude plus,
parmi
salles
du Palais de
le
les
portrait réel,
cTapri's nature. Et
visiteurs qui
la
qui donc, au sur-
arpentèrent cette année-là les
l'Industrie, se serait inquiété
nom du modèle ou môme
mais sous
celui
du
de découvrir
peintre, tous les
deux
également obscurs?
A l'époque où Manet posa devant que lui-même avait choisie
et qui
Fantin, dans une attitude lui
était
habituelle, l'au-
teur cVO/i/mpia se trouvait dans la période la plus batailleuse
de sa carrière, en butte aux sarcasmes des artistes, aux quolibets
de
la critique.
Aussi Fantin, en peignant alors son com-
pagnon des jours d'étude au Louvre, en exposant ce portrait
FANTIN-LATOUR.
86
en 1867, ontendait-il bien manifester à
pour l'homme
et
son admiration pour
son affection
fois
la
peintre, ainsi qu'en
le
témoigne une dédicace toute spéciale, presque provocatrice, au bas de
inscrite
la toile
:
A mon ami Edouard
Pour ce qui regarde Edwin Edwards, graveur à l'eau-forte, qui
1823
(il
avait
donc
était
treize ans
de plus que Pantin)
gravure à l'eau-forte, jouant de
et
Luquet,
les éditeurs
de
la
soumit à Bracquemond ce tage
» et
que
le
la flûte
avec M™" Edwards au
faire cette
qu'il appelait
en riant son
la faire
les noirs, y
passer
:
«
C'est
Pantin, de faire ce qu'on n'a pas appris! le
planche pour Cadart
Société des Aqua-fortistes
que chose, à condition d'enlever
ment pour
voir à
le
représenter, dans une
celui-ci, ayant jugé qu'on pouvait
coups de burin pour
mourut à
aussi par les lettres de Pantin qu'il était
ennuyé d'avoir accepté de
fort
et
savons, étant allé
le
Sunbury, en 1864, avait commencé par
Nous savons
cet avocat, peintre et
né à Framiingham (Suffolk) en
Londres en 1879, Pantin, nous
piano.
Manel.
en
qu'il
grat-
tirer quel-
donna quelques
si difficile, »
«
;
Mais
écrivait
c'est seule-
Salon de 1875 qu'il composa dans son atelier de
Paris le groupe de M. et
M"® Edwards, auquel sa
célébrité
naissante allait s'accrocher'.
De ces deux tableaux, qui reparurent à l'Exposition centennale de 1889, l'un, le portrait de Manet, a trouvé sa place En se reporlanl à la page 77, on verra combien 1.
leltre le
de Kaiitin reproduite en fac-similé à
tableau
tel
débarrassé des accessoires oniblématitiues auxquels pensé, est préféiable au premier projet, où
gardien Ingres.
»
la
«mil fut exécuté, tout simple et
« la
Muse
Fantin avait dabonl inspiratrice,
en Ange
semblait être un ressouvenir du célèbre portrait de Cherubini, par
PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.
musée do Chicago;
définitivo au
M"" Edwards, a en ayant
la
sienne à
la
l'autro, le portrait
de M. et
National Gallery, M""" Edwards
don au grand musée de Londres aussitôt
fait
eut appris la mort de l'auteur. Et celle-ci d'avoir fait à
87
l'on
si
qu'elle
ne peut qu'approuver
son pays ce magnifique cadeau,
l'on
si
doit féliciter l'Amérique d'avoir su s'emparer d'une toile aussi
célèbre que le portrait
le
Portrall de MaacA, ne faut-il pas déplorer que
d'un peintre
comme Manet
par un peintre
tel
que
Fantin, que ce gage d'une amitié constante entre deux artistes français qui auraient pu devenir rivaux,
que ce tableau auquel
nous aurions dû doublement tenir
perdu pour
et
soit
la
France
que notre administration des Beaux-Arts, lorsqu'elle pou-
vait facilement l'arrêter, l'ait laissé partir
Après ces
toiles qui sont capitales
pour (Chicago?
dans son œuvre
et
mar-
quent des points lumineux dans sa carrière, Fantin ne peiplus
gnit
que deux portraits qui ne fussent pas ceux de
simples particuliers 1883,
il
fit
:
le
sien
propre et celui d'un ami. En
de lui-même un portrait
Salon triennal
officiel
définitif
pour r(Mivoyer au
qu'on projetait d'ouvrir tous les trois ans,
vers l'automne, au Palais de l'Industrie, et qui n'eut lieu que cette année-là; puis, quatre
sans doute afin de fiée
ans après,
me dédommager
de
que j'occupais dans Autour du piano,
il
la
peignait
et l'exposait
à
Munich,
Musée des
du piano.
en Angleterre et en Danemark, etc.,
avant de se fixer,
le
mien,
place un peu sacri-
de 1887. Peu de tableaux ont autant voyagé que allant soit
le
au Salon ceux-là,
soit à Bruxelles et
premier à Florence, au
Offices; le second à Paris,
tout à côté à' Autour
FANTIN-LATOUR.
8R
* *
*
Voilà quels sont, et vous voyez qu'ils peuvent compter, les
groupes ou portraits peints par Fantin-Latour qui pré-
sentent déjà ou pourront présenter un jour quelque intérêt d'histoire.
est
Il
vraiment curieux qu'un peintre qui se serait
refusé à voir jamais poser devant et qui vécut toujours
quelque
car
tant travaillé pour l'avenir,
la toile les traits
d'un grand nombre d'artistes
c'est bien le
toutes
les
célèbre,
ait
ou d'écrivains militants avec lesquels
mune. Et
homme
en dehors du monde, à l'écart de tout
cénacle ou de toute école,
ayant fixé sur
lui
bon combat
causes
d'art,
de
il
qu'il
com-
avait fait cause
combattit sans relâche,
littérature
ou de musique
auxquelles Fantin se trouva adhérer et qu'il défendit ou plutôt qu'il
exalta à sa manière, ont
fini
par triompher. L'alliance
était toute naturelle qui devait s'établir entre cet artiste
indépendance absolue
et tant
aussi pourra-t-il passer
peintre,
non
pas
à
de libres esprits de son époque
bon droit dans
l'avenir
pour
spécialement des Impressionnistes,
Parnassiens ou des Wagnéristes, ce qui l'aurait fort
mais
plus
largement
indépendants.
d'une
des
hommes
d'avant-garde
:
le
des
irrité,
et
des
u
CHAPITRE
III
UN PEINTRE MELOMANE
Qu'un peintre goûte infiniment qu'il s'y loisir,
il
n'y a rien
revient en
crement
même
exerce
mémoire
fier
musique
que de naturel,
moments de
et tout
aussitôt
nous
souvenir d'Ingres qui n'était pas médio-
de son agréable talent sur
peintre aime la
et s'y délecte,
et qu'il en exécute à ses
là le
la
le
violon
;
mais qu'un
musique au point d'y trouver un puissant
réconfort dans ses jours de fatigue ou de doute, qu'il soit épris de l'art des sons jusqu'à chercher dans les chefs-d'œuvre
des maîtres les sujets de d'imagination, vie chez les
à
fait
lui,
le
hommes
la
plupart de ses dessins ou toiles
peintre de la réalité et de la vie, de la et chez
les
fleurs, voilà ce qui est tout
exceptionnel, peut-être unique, et ce qui est mainte-
nant à considérer chez Fantin-Latour.
Par combien de compositions idéales
ou
lithogra|)hies, n'a-t-il pas
ration
que
musical, de le
lui
la
inspiraient les sensibilité
poussèrent dès
le
si
:
témoigné de
peintures, la
pastels
|)rofonde
admi-
plus hautes créations de avisée, de l'instinct
premier jour vers
les
si
l'art
sûr qui
maîtres discutés, 12
FANTIN-LATOUR.
90
méconnus,
mais à qui un avenir plus ou moins
injuriés,
rapproché réservait une réparation triomphale
Certes,
!
œuvres peintes ou gravées parlent avec éloquence
l'instant
plus grands maîtres de la musique au
lui les
mais
XIX® siècle;
n'est-il
môme où
il
suffi-
connu quelle influence
raient à dire à ceux qui ne l'ont pas
ont exercée sur
et
ses
pas piquant de saisir sur
le vif,
les ressentait et les confiait à
dans
des amis,
l'expression de ses sentiments d'admiration et de son enthou-
siasme en présence des œuvres qui se révélaient troublaient
du
ciel le
plus
fort qu'il regrettait parfois
si
don de création musicale,
complètement à
qui
l'art
lui
afin
à lui et le
de n'avoir pas reçu de pouvoir se livrer
procurait
vives
d'aussi
jouissances?
de
Si
Fantin
la
musique
l'audition
fut,
s'il
vie, très
désireux d'entendre
s'absorbait, des soirées entières, dans
d'œuvres exécutées d'une façon plus ou moins
lante par des
thies;
et
durant toute sa
s'il
amis partageant ses admirations
et ses antipa-
fréquenta beaucoup les théâtres et
avant de se renfermer dans
bril-
concerts
les
sa tour d'ivoire de la rue
des
lleaux-Arts, c'est surtout en deux circonstances bien déter-
minées
(pi'il
d'abord au
se sentit bouleversé par le
moment de
lu
démon de
wmx
révélant quantité de chefs-d'œuvre dont le titre
ou
musique
:
grande vogue des Concerts popu-
laires qui le passionnèrent, lui et tous
jusque-là que
la
de son âge, en leur ils
ne connaissaient
qu'ils devaient se contenter
de jouer
au piano; ensuite, à l'heure des premières représentations de Mayreulh, auxquelles un ami d'assister. Or, à ces
lui
procura inopinément
deux époques, Fantin
fut
le
moyen
comme emporté
UN PEINTRE MIÎF.OMANE.
par
désir de
le
communiquer
lui-môme,
mettre de
à d'autres ses joies, ses sur-
le
voir sous le coup
il
nous per-
et ce sont ces lettres-là qui vont
immédiat des émotions
ressenties, de les lui entcndr*^ traduire en
avait
comme
enthousiasmes; d'enflammer ses amis
prises, ses l'était
91
un
qu'il
l;m^af,'c
d'autant plus vibrant qu'il est moins apprêté et plus familier.
* * *
pendant
C'est
les trois séjours
que Kanlin
en 1859, 1861 et 186i, tantôt à Londres chez
Seymour
chez M. et et
beau-frère de
lladen, M"""
Edwards,
qu'il
\N
eut
le cél«'l»re fj;raveur
en
là,
révélation
d(>
allemand»;,
des dames très au courant de
elVel,
et
mêlée de surprise,
il
avait entendu
:
la
ren-
musique
pianiste, écrivain
le
lui
:
Mondnacht
qu'il avait ressenti»;
(titre
en entendant exé-
Prière de Moïse par un orchestre très
moment môme où
il
de Londres qui
que
lui
nombreux au
entrait dans le colossal Palais de Cristal,
avait été plus violente, et c'était encore là
{grande
la
11
l'Heure du Mystère), de Robert Schuniann. Certes,
commotion physique
cuter
lui.
connu, Edouard Dannreuther, une mélodie
d'un compositeur totalement inconnu de français
musi(pu;
chanter par une jeune
Grecque, M"" lonidès, qui devait épouser et conférencier bien
la
rappelait toujours avec quelle émotion,
se
il
Sunbury,
lantnt à
histler, la
en Angleterre
du maître qui devaient exercer tant d'empire sur
contra
la
lit
revenaient
fût déjà et
le
un des souvenirs
plus volontiers;
mais
si
que dût rester son admiration pour
Hossini, admiration qu'il étendait,
un peu par
esprit de contra-
PANTIN-LATOUR.
diction, jusqu'à Zelmira, jusqu'à Bruschino peut-être,
certain que l'émotion
que
lui avait
il
est
causée une simple mélodie
de Schumann avait été autrement profonde, autrement décisive,
autrement féconde.
paroles
:
parlent plus haut que les
Ici les faits
quoi qu'il en pût dire, jamais Rossini ne
l'atteignit,
comme Schumann,
au plus
profond du cœur. Fantin s'était décidé
Si
à traverser la Manche, c'était,
nous
le
savons, pour répon-
dre aux pressants appels de
Whistler
qui
désirait
faire connaître
doption,
le
sa famille,
aussi
lui
son pays d'a-
présenter dans
nous savons
et
quel accueil
avait
il
reçu du beau-frère de Whistler,
quelle vie plantureuse
Si M. Gérôme ou M. Cabanel se permettent de passer à portée de ma canne,
et toute nouvelle
pour
voilà des gaillards qui n'ont qu'à bien se
menait là-bas
Lunch ou
tenir. Caricature do Bertall d'après lo Portrait de Manet (Journal ammant, 8 juin 1867).
roastbeef. J'en
mange, de
la
il
avait
deux ou
trois
tranches de
viande, et de l'excellente!
Bonne
Le tout arrosé de Xérès'.
connu Ridley qui
et Ridley, ayant reçu la visite
«
il
goûter, un goûter où j'avale
religion qui n'a pas de jours maigres!
Puis, par Whistler,
:
lui
»
travaillait à Paris,
de son compatriote Edwards, avait
mis celui-ci en rapport avec Fantin, de façon que dès son 1.
Lettre à ses parents,
du
17 juillet 1859.
POUTRAir d'ÉDOIAUI) manet Salon de 186".
—
Arl
liislitule,
ii
Chicago.
UN PEINTRE MÉLOMANE.
second voyage en Angleterre,
le
jeune peintre accepta d'aller
passer quelque temps chez les Edwards;
en confiance avec ses hôtes,
s'était senti
93
tout de suite,
là, si
il
bien qu'il les prit
dès lors pour confidents de ses joies, de ses craintes, de ses
calme
espoirs. Et telle fut l'impression de
éprouva dès
faisant qu'il
de ses nouveaux amis, disait-il,
le
et
de repos bien-
premier jour à Sunbury, auprès
qu'il
lui
suffisait
de s'en souvenir,
pour retrouver un peu de cette tranquillité per-
due. Aussi rien ne
tentait davantage
le
que de
voyage et de retourner dans ce Sunbury
refaire
un
tel
qu'il appelait plai-
samment, d'après Edwards, son hôtel des Invalides
«
:
Oh!
le
bel hôtel, s'écriait-il, et ces soirs d'été, et la Sonate pathétique, et
Beethoven'
1862
:
!... »
et sifflé l'année
quatorze mois aj)rès la
première
sans avoir
la
le
nom
de Richard Wagner, hué
précédente à notre Opéra, reparaît sur une
affiche à Paris, grâce
pour
où
c'est l'année
au courageux Pasdeloup qui, la
fois
déroute
d(>
le
10 mai,
Tannlwuser, ose bien jouer
grande Marche du concours, non
la
prudence de
la
mettre à
la fin
d'un concert de
bienfaisance au profit de l'Œuvre de Notre-Dame-des-Arts.
Pantin y court l'esprit
des foules!
toujours de voir
quand cela
«
amour
crayon \.
et,
Eh
écrit-il
» »
,
bien!
Wagner marche donc dans
sur l'heure à Edwards. Je regrette
mes adorations adorées par
arrive à la
quand j'aime. son
«
:
masse du monde. Je
d'autres, surtout suis très jaloux
Et d'enthousiasme, impatient de proclamer aussi vite qu'il a pris la plume,
il
saisit
son
pour célébrer ce premier triomphe de Wagner
LeUre à Edwards, du 23 novembre 1861.
FANTIN-LATOUR.
94
à Paris,
compose
du
cette belle lithof^raphie
Venusherfj, qui,
complètement transformée, deviendra, deux ans plus tableau à l'huile admis au Salon de 1864, en
môme
tard, le
temps que
V Hommage à Delaavix.
Au mois
de septembre de cette
même
année 1864, Fantin,
alors âgé de vingt-huit ans, retournait à
semblait
lui
si
douce, où
il
Sunbury où
la vie
mère
se faisait expédier par sa
des pièces de piano, de Schumann, destinées à M""" Edwards;
où
il
dessinait la curieuse et très rare eau-forte qui représen-
Edwards jouant sur
tait
avec sa
femme
un morceau de Schumann
qui l'accompagne au piano; d'où
enfin à ses parents
commencé
la flûte
:
«
Que vous
dirai-je
il
écrivait
de nouveau? Rien.
à travailler, je suis heureux, je crois que
ma
tout.
Ta
vais
répondre en
lettre,
chère mère, m'a
la relisant,
fait
grand
J'ai
c'est
plaisir et je
car que vous dirais-je?
Que
je
me font grand plaisir, que la musique de Schumann que Madame joue dans la chambre à côté est superbe, que j'entre dans un monde musical qui me plaît relis les Misérables qui
beaucoup. Cette musique de l'avenir, je celle-là
que j'aimerais
faire si j'étais
la pressentais. C'est
musicien, hélas!
»
Ce dernier séjour à Sunbury avait sensiblement resserré les liens entre
ses amis d'Angleterre et Fantin,
si
bien que
leur correspondance prend alors une tournure plus familière,
une correspondance où
la
musique
raison des œuvres auxquelles et «
de leur
commune
J'envoie en
octobre
1864,
il
tient
une large place en
s'était initié
chez les Edwards
admiration pour l'auteur de Manfred.
même temps que ma soit très
vite après son
—
écrit-il
en
retour à Paris,
—
lettre,
UN PEINTllE MÉLOMANE.
même temps
en
j'envoie
Schnmann, que
Madame,
marchand
lisez-la, je
musique;
cette
le
Voilà
ma
musique
de
mais
c'est court, Il
c'est très utile
pour com-
connu
mu-
au culte de ces grands artistes.
je suis tout entier
religion, l'Art; voilà le seul idéal, la seule chose
prendre mes éludes, je le
indiquée.
faut s'être attendri, avoir
pure dans l'homme... En attendant
c'était
m'a
de cette vie pour bien comprendre cette
les souffrances
Oh!
une Vie de Robert
lettre
vous prie. Cela vous servira pour jouer
prendre ce grand artiste.
sique.
que nia
95
me
laisse
aller à la
de re-
l'envie
le travail,
musique. Hier
premier Concert populaire de musique classique,
dont je vous
ai parlé.
Weher, avec
le
J'y ai été. C'était Juhel-Onverture,
chant national anglais à
la
fin.
de
Une superbe
symphonie de Haydn avec un adorable minuelto. Quelle
belle
musique
Alle-
!
La
polonaise de Sime/iwe (opéra joué
magne), de Meyerbeer, m'a paru n'avoir pas toute la
savez
pour
:
Mozart, c'est tout dire, un andante de cet ange
Schumann
profond
comme
centre, pris de vertige; on
la
ne
mer. sait
Puis, après avoir entretenu ses
pas trait à notre sujet, l'avait
il
:
»
où
ces hauteurs, dans ces profondeurs...
il
Puis,
emporté dans un monde splendide.
a dit quelque chose de bien
c'est
!
grandiose symphoni(! de Beethoven en ut mineu7\
C'est foudroyant, l'on est
comme
grandeur de
musique de ce concert. Un andante de Mozart, vous
finir, la
le ciel,
la
en
«
C'est haut
comme
Oui, l'on est l'on
là,
au
est entraîné sur
»
amis de choses qui n'ont
ne se tient pas de terminer sa
lettre
commencée, en parlant de Schumann, en
célébrant les louanges de celle auprès de qui,
disait-il,
le
FANTIN-LATOUR.
96
maître, brisé par
le travail,
sa tête fatiguée. «
devait être
Je crois que
Scliumann, cela vous intéressera
un autre milieu. Moi,
»
heureux de reposer
quand vous
comme
lirez
vie de
la
moi, quoique dans
désemparer.
je l'ai lue sans
Louvre, assis devant les Rembrandt
rumeur
si
(c'est
mon
J'étais
«
au
éternelle
à moi), et j'ai été bien intéressé. Sous cette bio-
graphie je vois une nature que je comprends. Qu'il a été
malheureux. Que Clara Schumann a dû être pour Providence
!
persistance
Comme la
Elle est bien intéressante, avec cette continuelle
à
faire
entendre ses œuvres
cela doit être
femme
doux pour
est merveilleuse
Vous verrez
une
lui
quand
lui
après sa
quand
elle est
il
l'entend
comme
cette vie terrible avant son mariage,
mort.
Que
!
celle-là!...
quand
elle
jouait dans les concerts, vous le verrez jaloux de ces gens
monde n'aimant
rien et toujours prodigues des compliments
qu'ils savent dire, puisqu'ils les débitent à toutes les
Ce piano devenu presque impossible,
cette famille
femmes. en
voilà l'explication de sa folie et, sans Clara, cela serait
plus vite; nous lui devons son
pèlerinage pour moi, concerts'.
cet hiver elle vient à Paris
si
de
l'influence
qu'une
donner des
compagne
à qui sa vie est associée, se
LeUre du
Schumann, en
aussi
aimante
et doit exercer sur le génie et les créations
reprises dans les lettres
1.
venu
»
dévouée peut l'artiste
lutte,
œuvre peut-être. Ce sera un
Cette admiration reconnaissante pour Clara
raison
du
'24
de
manifeste à diverses
du peintre, comme
octobre 1864.
et
s'il
eût souhaité,
A
LA MÃ&#x2030;MOIRE DE KO EUT SCIIL'MAN.N 11
Lithographie originale
(18"3).
UN PEINTRE MÉLOMANE.
97
pressenti le bonheur que l'avenir lui réservait à lui-môme.
Un
jour,
comme
Schumann
son enthousiasme croissant pour
l'avait fait causer,
lui si
peu
liant d'habitude, avec
un autre
habitué des Concerts populaires, ce dernier, qui avait eu plusieurs fois l'occasion d'entendre jouer Clara, parlait d'elle à
Fantin qui se hâtait de rapporter ces discours à M""" Edwards «
J'avais
entendu parler
tendresse pour son mari, de son sique. Je vis paraître
amateur,
disait cet
d'elle,
amour pour
une femme en
la
:
de sa
bonne mu-
noir, très simple,
non
plus jeune, mais qui avait dû être belle, de cette beauté que les artistes
aiment; elle se met au piano tout simplement,
avec respect^ sans musique devant
elle, et
joue une sonate de
Beethoven. Dès les premières notes, je compris que j'entendais quelque chose de nouveau, c'est-à-dire les souvenirs
c'était
;
artiste ; tous
de pianistes s'envolèrent. Je n'avais pas
de ces exécutants qui jouent, tion
une
un jeu pur,
comme
précis,
là
un
avec inspira-
l'on dit,
mesuré, rigoureux. Tout
d'abord, j'avais été pris d'attention
pour quelque chose de
nouveau, puis, au bout d'un quart d'heure, un intérêt très grand,
puis l'enthousiasme,
provoqué par
mérite de ce
le
respect pour l'Art, pour l'œuvre de l'artiste. C'était un respect
qui
ressemblait au
d'entendre enfin artiste
compris
la
recueillement de
musique d'un
et vénéré.
Ce
la
homme
prière;
Je venais
aimé, de voir un
beau lorsqu'elle joua
fut très
des œuvres de son mari, et je ne puis vous en dire davantage, il
faudrait l'entendre; c'était la
même
que
le
compréhension
jeu de cette grande artiste
!
ajoute Fantin, moi, enthousiaste et bien
»
—
«
et le respect
Moi, Madame,
un peu
fou, à ce in
que
FANTIN-LATOUR.
98
m'a
dit cette
personne, je pensais que
non pas l'homme, mais
peut-être,
Schumann
devait être
heureux
l'artiste,
naissant. Elle doit le penser aussi, j'en suis sûr.
là,
et recon-
»
Le jeune peintre va également passer quelques soirées aux
Italiens.
11
y entend Don Giovanni, dont l'ouverture
lui
rappelle les agréables séances de musique à Sunbury, chez
Don
ses amis;
Giovanni, merveilleux,
dit-il,
exécuté par de mauvais chanteurs, exception
dans Zerline,
«
avec un
fait
c'est vrai,
la Patti
à un garde
éclater de rire toute la salle
y entend aussi la Traviala,
musique,
de
faite
commandeur semblable
national en plâtre et qui a Il
mais bien mal
».
musique d'enragé, peu de
«
mais quelque chose d'un
sionné, ce qui est rare aujourd'hui
»
;
homme
pas-
puis, tout de suite après
avoir émis ce jugement qui surprendra un peu ceux qui se
rappellent «
comment
Rentrons dans
il
parlait de Verdi sur la fin
l'art,
Mendelssohn
;
vraiment, pour
le
J'ai fait
amende honorable
il
il
à
bien juger, l'orchestre est
indispensable. Dans ce Songe d'une nuit dété, leux de sonorité,
:
dédaigneusement; je suis
ajoute-t-il
un fervent du Concert populaire.
de sa vie
est merveil-
il
a des effets d'instrumentation superbes,
remplace beaucoup par cela
les idées
mélodiques*.
»
Mais quel n'est pas son chagrin, on pourrait presque dire son désespoir en entendant très peu applaudir siffler
à
ce
Schumann
môme
concert une
(c'était celle
en
Lettre
du 27 novembre 1864.
!
«
beaucoup
superbe symphonie
si héniol,
ce jour-là la première audition)
I.
«
et
»
de
dont Pasdeloup donnait
Les chut
!
chut
!
m'entraient
UN PEINTRE MÉLOMANE. dans
le cnour, écrit-il. Si
vous m'aviez vu, Madame, moi dans
vous m'auriez reconnu rien qu'à
la salle,
malheureux,
figure. J'étais bien
du Schumann que
M'""
même abondance
bien de
il
lui, et c'est, je crois,
nous aimons
les
grandeur,
caractère de cette
au milieu de Haydn,
Mozart,
ce qui explique l'opposition qu'il
nous n'aimons pas
redites,
les
De ce grand
caractères différents.
entendu chez M""^ Meurice, par
d Orient k
même
fait l'effet
on a horreur du nouveau, cela nous
:
les
même
:
m'a
ma
se tient par l'originalité de ses idées qui sont
y a contre lui
autres,
et pourtant cela
de belles idées, là,
rougeur de
la
Thompson nous joua
musique. Je trouve que, Beethoven,
99
elle et M"'"
Madame,
quatre mains; ce sont.
irrite,
opinions
artiste,
Manet,
les Reflets
morceaux
les
j'ai
(|ue
jouèrent vos sœurs. Oh! que cela est beau! J'étais transporté, tellement que l'on
moqué de moi, Champfleury m'a nom me reste. Eh bien j'en suis fier.
s'est
appelé Schumanniste,
le
!
Mais nous n'avions entendu que trois de ces morceaux;
les
un surtout qui
est
trois autres aussi sont superbes,
ravissant, c'est inouï',
Cette M"'"
y en a
»
Thompson, à qui Fantin adresse
nir reconnaissant, était la glais qui
il
femme du
opéra heureusement de
la
ici
célèbre chirurgien an-
pierre le roi Léopold I",
de Belgique, eut moins de succès avec Napoléon qui Fantin disait tout d'abord qu'il «
un médecin ne pouvant pas
lui
un souve-
lui était
III,
et
de
peu sympathique,
être plus agréable
qu'un
prêtre », impression qui dut se modifier par la suite, car cet
1.
Lettre
du 27 novembre
18ti4.
100
FANTIN-LATOUR.
araateur de peinture
lui
commandes
plusieurs achats et
iit
qui n'étaient pas à dédaigner.
Quant aux deux dames françaises vable d'entendre, dès
époque,
cette
à qui Fantin fut redela
Reflets d'Orient, elles étaient toutes les
nistes
l'une, M"^" Paul
:
l'élève d'Ingres, aurait
Meurice,
pu se
suite complète
des
deux d'habiles pia-
du peintre Oranger,
fille
livrer tout à l'art musical, car
piano en
elle sut, à l'occasion, tirer parti
de son talent sur
donnant des leçons;
Edouard Manet, née Suzanne
l'autre, M"'^
Leenhoff, Hollandaise d'origine et
une exécutante
si
pour
dans
la
musicjue
musique allemande moderne
peu d'amateurs soupçonnaient alors en France. C'est
elle
rimera
d'un organiste, était
très brillante, très versée
classique et très initiée aussi à la
que
fille
le
que Théodore de Banville, quelque dix ans plus tard, sous forme d'envoi, en
les vers suivants,
un exemplaire de ses Exilés
adressant
lui
:
La musique aux charmantes voix S'éveille et chante sous vos doigts,
Parlant des
deux
qu'elle devine;
Et mes vers, oiseaux las d'errer,
Volent vers vous pour s'enivrer
Des sons de
la lyre
divine
Mais comment Fantin, après avoir
aux compliments, que au Louvre,
—
écriée un jour,
«
—
Je
M'""
poseur!
ce petit
avait-il fini
sourde oreille lui »
adresser
s'était-elle
par se laisser entraîner dans un
nombre
peintres, de littérateurs, en
la
Meurice essayait de
déteste
salon où fréquentaient
fait
d'artistes,
un mot
«
de musiciens, de
tout le
monde Hugo
03
a a
u a
'a
<
2
=
UN PEINTRE MÉLOMANE.
et
C* »? Ce
fut tout
101
de suite après son retour d'Angleterre,
en 1864, que les avances et politesses redoublèrent et
Champfleury, à
suite d'une très aimable invitation à dîner
la
qui ne lui permettait pas,
san du Danube.
«
...
dit-il,
de continuer à faire
Conversation sur
mon
Je parle de
là.
famille.
quelques-uns; on
pay-
écrit-il.
l'art n'a rien
projet de voyage à Jersey pour
tableau Hugo; on est très étonné et serait en
le
démocratie,
la
Je ne suis nullement dans ces idées et je dis que à voir
qu'il
conduire chez M'"" Meurice par Rracquemond, Manet,
se laissa
vu que
j'ai
l'on
le
en cau-
Après tous ces bavardages, nous restons
fait
de
la
musique. M""" Meurice
Manet
et M"'"
jouent un morceau d'Haydn à quatre mains. Je parle alors
de M'"" Schumann; on dit: Beaucoup de talent, mais jeu pré-
mathématique, violent; critiques qui
cis, sec,
de grands éloges, n'est-ce pas. dise
:
Voilà qu'on joue du
Madame?
a,
fait
fin;
M"" Manet, voyant que
recommencée.
m'a
me
fait
:
il
dans les sonates 7. Cela
entendu deux
fois la
faisait tant
sa
n'aime rien, ne comprend rien.
musique,
et voilà tout ce
monde
avait été
pour Stephen
lleller,
Eh bien! vers une heure du matin, nous ven, en
l'a
malgré tout, pour tout
qui se
ce qu'il aime, car vous pensez que le début de soir-là,
de plaisir,
Il
de parler avec chaleur de Schumann, du plaisir que
suffi
donne
cela
si
avait;
mi bémol, op.
J'ai
J'avais honte et mépris,
monde
ce que ce
demander
vous pensez.
plaisir,
Et puis, que je vous
y a celle en
il
m'a
grand
paraissaient
Schumann, tout ce qu'on en
puis, vers la fin, j'ai l'aplomb de
de Beethoven que l'on
me
mi
meta
la
Stamaty
brûler
musique, ce et
autres.
étions dans Beetho-
bémol. Drôle, étrange! Et l'on veut que j'aille dans
FANTIN-LATOUR.
102
A
ce monde, non, n'est-ce pas? solitude
la
est
môme
y était quand il
préférable
quoi cela sert-il? Non, non,
môme
ici,
dans ce monde,
allé,
sans travail'... et, la
»
Il
musique aidant,
y retournera plus d'une fois sans trop se faire prier.
Tout à
fm de cette
la
môme
une commotion des plus violentes en entendant l'ouver-
tait
du Vaisseau Fantôme, que Pasdeloup exécutait pour
ture
Hier, écrivait-il le 26 décembre,
première
fois
mencé
journée par
la
«
:
quelque temps. Mais
le
l'on jouait l'ouverture
puis vous donner une idée
dans ses mains est inouï, parable à lui
seul;
aurait
l'on
Ma
du Vaisseau Fan-
été enthousiasmé. Je ne
j'ai
de cette musique. L'orchestre
début de l'ouverture est incom-
le
le sentir,
coupait
écrit avec
c'était
moi par un
rentré chez
ou plutôt
la figure,
j'étais transporté. !
que
dit
d'autres
pauvre tète a été emportée par ce tourbillon
merveilleux. Je suis
musique
com-
de merveilleuses sonorités, étrangetés appartenant
:
instruments.
sans
j'ai
le
me
Oh!
le
froid très
mordait grand
les joues,
mais je rêvais;
bonheur que
Je pensais à ces grands artistes
hommes, de donner
1.
l'on
Lettre à Edwards,
est ici question,
Fantin,
sa pensée, son
ne peut dire avec
beaucoup plus
Meurice en peignant
le
la
voix
du 24 octobre
ne fut pas tard,
dur
sentant avec plaisir; ce vent froid
me donne
même
suprême
!
1864.
la
quelle belle chose
:
que de produire des œuvres qui peuvent tant remuer
que
la
concert dont je m'étais privé depuis
tôme, de Richard Wagner, dont
me
année 1864, Fantin ressen-
idéal,
les
de dire ce
»
— Le
«
tableau Hufro
»,
dont
il
esquissé. Mais avec quel empressement,
ne répondra-t-il pas à
la
demande de Paul
Satyre {Légende des Siècles), qu'on peut voir dans
}{rande galerie de la Maison de Victor
Hugo, à
la
place des Vosges
!
la
UN PEINTRE MÉLOMANE.
103
Vous souvenez-vous que dans nos derniers jours passés
«
ensemble,
encore écrit à ses
avait-il
amis,
à
du
date
la
27 novembre 180i, on parlait d'un opéra ayant f;rand succès,
Roland à Roncevaux?
eu
J'ai
la curiosité d'aller l'entendre; ce
Oh
n'est pas mauvais, c'est pis, c'est plat, médiocre.
se méfier des grands succès
axiome que
Quand
:
pléter par le
monde
diocre
»
;
monde
tout le
médiocre.
c'est
»
du public! On pourrait
Axiome
!
qu'il faut
établir cet
trouve une chose bien, c'est
com-
très juste, à condition de
Quand
tout
trouve d'emblée une chose bien, c'est que c'est
mé-
un seul mot axiome
pensée du peintre
la
:
«
très juste et dont la contre-partie pourrait
être formulée ainsi
:
œuvre véritablement neuve
toute
tinée à braver les atteintes
étape dans l'histoire de
et des-
du temps, à marquer une grande
l'art
musical,
commence
toujours par
contrarier et bouleverser les goûts du public.
La correspondance de Fantin avec M. fin à
—
et par
deux
Edwards
— du moins en ce qui touche
l'automne de 1869,
musique,
et M"'*'
lettres
où
il
leur
prit
à la
annonce des choses
qui le mettent en joie. D'abord, c'est qu'il a entendu de nou-
veaux morceaux qui
Schumann, à ce élève de «
Il
me
l'ont
enchanté
qu'il croit; puis
presque tout l'œuvre de
de nombreuses pages d'un
Schumann, Johannès Brahms, qui
a
un grand talent
semble, ajoute-t-il, que de tout ce que
de moderne, c'est ce qui m'a suite, c'est
à la
:
que
musique
:
fait le
l'hiver qui vient «
On ne
j'ai
entendu
plus d'impression.
promet
:
»
En-
d'être très favorable
parle que de concerts
ici,
écrit-il
le
14 octobre; non seulement les Concerts populaires et ceux
du Conservatoire, mais encore l'Opéra en
donnerait et
le
FANTIN-LATOUR.
104
Théâtre-Italien, qui annonce Fidelio, de Beethoven, et radis et la Péri, de
un chef-d'œuvre
torio. C'est
me
paraît
Schumann, une
si
beau que
j'ai
:
je
le
Pa-
sorte de symphonie-ora-
entendu au piano
l'ai
;
cela
hâte de l'entendre à l'orchestre... »
Ces concerts do l'Opéra étaient ceux que d'organiser, qu'il organisa, en effet, et qui
Litolff
rêvait
ne dépassèrent
pas deux soirées, au lieu des quatorze annoncées, mais qui
eurent ce résultat inespéré de provoquer un revirement du public en faveur de Berlioz, mort seulement depuis huit ou
neuf mois, tant
le
danse des Sylphes
menuet des
délicieux et la
foudroyante Marche hongroise émurent
et bouleversèrent les auditeurs
deux
répéter les
fallu
Follets, l'exquise
fois
aux deux concerts, car
il
avait
ces morceaux, la veille encore
inconnus, de la Damnation de Faust. Quant aux promesses faites
par
le
directeur de l'Opéra-Italien, elles furent égale-
ment tenues, sans beaucoup plus de succès, ce qui concernait salle allait
Ventadour.
Il
Schumann,
—
et
— du
Fantin de courir à
la
fut donc, avec Maître, avec d'autres qu'il
bientôt connaître,
un des plus
fidèles auditeurs
représentations de Fidelio, de ces exécutions de et la
moins en
le
de ces Paradis
Péri, où brillait la grande tragédienne lyrique Gabrielle
Krauss (car l'opéra de Beethoven et
Schumann
le
poème dramatique de
avaient été montés exprès pour elle), et qui ouvri-
rent des horizons splendides à ceux qui eurent alors la révélation de ces chefs-d'œuvre.
Le jeune peintre en
fut
comme
ébloui et des souvenirs de ces soirées inoubliables revenaient
souvent, par la suite, dans les conversations qu'il avait avec ses amis, lui faisaient
même
prendre
le
crayon et dessiner ses
PORTRAIT UE Salon
tle
1882.
Jl>'«
—
Il
E
Mi
Y
A M. Henry
I.EIIOLI.E Lciolle.
i*/^^^
/^
c-^^
''Z-*-*-*«
14
/
/^-Ue-;
-^c^yc^
^^
^L^
'^ v/
:fc*^^*^ yf^^
uS-*-.
OS,,t^y,\ «S^s-»^,
^
c/ Itc^ C^-*^
C<^c.y»-9
-^^
^
/4
a^-^^^y^*"*^
P O F.
M KS
U AMO
L'
H
,
1>
E
11
UAH MS
Lilllugraphie originale (188SJ.
UN PEINTRE MÉLOMANE.
deux premières
lithographies à
Quelques années plus tard
la
109
gloire de
allait éclater le
de Bayreuth, qui devait retentir dans tout
le
Schumann...
coup de tonnerre
monde
musical'.
* * *
Un
soir
du mois d'août 1876, comme Fantin
chez son ami Maître, où, selon son habitude,
il
se trouvait
fumait cigares
sur cigarettes en nous écoutant taper de nos quatre mains sur
un méchant piano, tout
un autre ami de
à coup,
la
maison,
mélomane passionné qui marchait dès j'ai nommé Lascoux, des partisans de Wagner,
magistrat de race et lors
—
—
en tète
fit
irruption dans la
chambre
et
mit à
voudrait en profiter une place pour
la
la
disposition de qui
troisième série des
représentations de l'Anneau du Nibelung, au théâtre de Bayreuth. Certes l'offre était des plus tentantes et cette place,
un
billet
provenant de Léon Leroy, l'écrivain tout dévoué aux
intérêts de il
Wagner, aurait pu susciter de vives compétitions
n'y en eut
aucune
et Fantin, qui n'était
voyageur déterminé, accepta de
cependant pas un
sur-le-champ
partir
:
pour
l'Allemagne, bien que cette absence dût faire reculer un peu
son mariage
(il
comptait d'ailleurs retrouver M. et M"" Du-
bourg à Nuremberg, puis joie était grande d'être 1.
aller avec
eux à Munich), tant sa
un des premiers,
Le tableau dont parle Fantin dans
lui si
vivement épris
la lettre ci-contre (p. 105-108),
adressée
à M"^ Edwards, est Autour du piano, qui m'était revenu de Londres après avoir été exposé à
VArMdfmy.
Dubourg) désignent
M"'"
— Dans
la
première page,
les initiales V. D. (Victoria
Fantin-Latour, qu'il ne mentionnait pas autrement,
d'habitude, dans ses lettres à ses amis de Londres.
FANTIN-LATOUR.
ilO
de
la
musique de Wagner, à
l'avenir, qui
homme
venait de
l'art
de
terre par la volonté d'un
sortir de
et la protection d'un roi.
Mais
il
ne partit pas sans promettre à ses amis de les
Edmond
tenir au courant de ces fêtes, et c'est à
envoya
Mecque de
visiter la
les quatre
Ring,
—
Quand
je dis
—
lettres,
lettres, le
:
après chaque partie du
une
dont je vais donner
Maître qu'il
passages essentiels.
les
ici
terme est impropre, car ces extraits
comme
n'ont pas de forme déterminée; ce sont,
presque tout
ce qu'écrivait Pantin, des notes très rapides en style télégra-
phique, une sorte de mémento que
lui-même
et qu'il
communique
recommandant bien qu'on
le lui
feuilles, écrites à la hâte, qu'il
aucune recherche.
voyageur rédige pour
à ses amis de Paris, mais en
conserve, car c'est dans ces
retrouvera plus tard ses impres-
sions toutes fraîches, prises sur le et sans
le
vif,
au courant de
la
plume
Mais comment n'être pas frappé
de leur vivacité, de leur concision impétueuse, et comment ne pas remarquer à quel point l'œil du peintre,
comme
ici,
est
vivement
son oreille par ce qu'elle
frappé par ce qu'il
voit,
entend? C'est pour
voyageur, de quelque côté que son atten-
tion se tourne,
Dès
qu'il
le
un émerveillement toujours plus
arrive à Bayreuth
vif.
ouvre sa fenêtre,
et qu'il
dimanche 27 août, à cinq heures du matin, Fantin par l'aspect agréable et joyeux de fois Versailles,
La Haye
qui
la ville
lui
est
le
charmé
rappelle à
la
et certains quartiers
de Londres. Et
La
ville entière est
quelle animation partout, dès la matinée
!
pavoisée d'oriflammes rouge, blanc et noir ou d'autres bleu et blanc; des troupes défilent,
le
Roi
vient
d'arriver pour la
UN PEINTRE MÉLOMANK.
iH
représentation du soir, les habitants ont pris leur grande tenue
du dimanche, tandis que
les touristes circulent
voyage, jumelles au côté, guide à
la
main
en habits de
cependant, pro-
(lui,
menait partout un superbe chapeau haut de forme); tout à coup, un grand vent s'élève et tous ces beaux drapeaux se retournent, s'accrochent, se déchirent; puis la pluie survient, et c'est par
un temps fâcheux, qu'après avoir
ment déjeuné en M.
et M'"''
ville,
Lascoux
Fantin et ses amis
très
médiocre-
voyageait avec
(il
et Jules Bordier, le fondateur des Concerts
populaires d'Angers) prennent la jolie route qui doit les conduire au théâtre. Mais
heures
:
par protection spéciale,
machinerie de ration
»
spectacle ne
le
la
scène, puis
du théâtre, de leur
à la foule qui attend
ils
triste
dédommagent, à
la «
rain ne paraît toujours pas
;
restau-
repas de midi, et se mêlent
passage du Roi. Cependant,
le
sept
leur est permis de visiter la
il
se
commencera qu'à
une fanfare
souve-
le
retentit, et vite,
il
leur
faut pénétrer dans la salle afin de s'assurer de leurs fauteuils. «
Nous entrons
très bien l'aspect,
;
n'y a pas d'extérieur
ou
trois Français.
du
A
tout, ni façade, rien).
avec
Liszt
parle français. M'""
sobre et solennel
Cosima
des dames,
se trouve là.
peine deux
groupe
Avant
(il
où
l'on
l'obscurité,
il
y a demi-lumière; on sent qu'il va se passer quelque chose
de sérieux. Une sonnerie militaire à l'extérieur, c'est
mais avant qu'on puisse nuit (presque) fort.
Puis
se
comme
fait.
le voir,
Je
le
Roi
;
signal se fait entendre, la
vous assure que cela remue très
des mugissements (c'est sonore et voilé)
;
immense. Oh
î
l'orchestre fait l'effet d'une seule voix, orgue c'est très
le
beau! Unique. Rien n'est
comme
cela.
C'est
une
FANTIN-LATOUR.
112
ment
Le rideau s'écarte douce-
non encore éprouvée.
sensation
et voici
petit verdâtre,
une chose sans nom, vague, obscure, s'éclairant lentement; bientôt
petit à
on aperçoit des
roches, puis tout doucement des formes passent, repassent,
du Rhin dans
Filles
les
haut; dans
dans
Albérich
le bas,
fond des roches. Je
le
n'ai rien
dans mes souvenirs de
plus féerique,
de
beau,
le
plus
Le
de plus réalisé.
mouvement des
Filles
du
Rhin qui nagent en chantant L'Albérich qui
parfait.
est
grimpe, qui ravit
l'or;
clairage, la lueur
que
l'or
dans
comme
le reste, c'est
le
LOUENUKIN ËCLAIKANT LE MONDE
faut
cela môle.
que spectateur, Ces
fait
:
nant...
sensa-
musique, pas le sujet;
mais
tateur. Ce n'est pas le
mot
messieurs (Lascoux et Rordier) sont ravis,
absolument
un grand
décor, pas
la
auditeur non plus, c'est tout
ni
renversés par l'orchestre et
semble
la
de
dans tout
un empoignement du spec-
Caricature de Stop d'après le Prélude de Lufienijrin (Journal amusant, 30 avril 1892).
qu'il
Pas
jette
l'eau, tout est ra-
vissant. Là,
tion.
l'é-
effet
:
le
sentiment musical de
réussi, l'orchestre invisible! le
vide!
Son absence
L'espace mystique
L'impression est énorme,
malgré
l'en-
est éton-
mon manque de
PKÃ&#x2030;LUDE DE I.OHENGRIN Lilhograpliie originale (1882), reitrise pour
A
le liibleau
M. Ch.-Ed. Uavilaud.
du Salon de 1892.
UN PEINTRE MÉLUMANE.
il3
connaissance qui m'einpèciie de suivre d'un bout à l'autre. Cela
me
des impressions est
même prendre! Je me
la
l'action,
animal, de
forte!
Et
fatigue de la
réunion des décors, de
la
langue que l'on veut com-
suis vu forcé de lâcher quelquefois, de rester
le
comme on
fatigue.
si
l'intensité
subir, de vivre sans réflexion. Je suis persuadé
pourtant que cela
que l'audition au piano, car
fatigue plus
musicien possédant sa partition, connaissant connaît une langue, n'éprouverait pas tant de
me
Pourtant M. Lascoux vient de
dire qu'il a été dans
l'impossibilité de dormir. Moi, je dors bien, accablé par les
impressions que
j'ai
ressenties. Et la bière est
si
bonne! Nous
avons causé en rentrant vers dix heures. J'aime bien ce pays. J'y retrouve déjà le plaisir
paisible.
que
j'avais en Angleterre
on
:
»
à son réveil, quelle n'est pas la surprise
Le lendemain,
de Pantin en entendant sous ses fenêtres un gamin qui la chanson du matelot de Tristan et Iseiilt! Puis
arpente
est
la ville,
à la poste où
de son ami,
il
va voir
la statue
de Jean-Paul;
trouve deux lettres qui
il
sort,
il
il
siffle il
se rend
lui font plaisir
:
l'une
peintre Otto Scholderer, alors fixé à Londres,
le
qui l'engageait vivement à passer par Francfort pour y voir sa famille;
l'autre
lui
apprenant que son envoi à l'Exposition
d'Anvers [Panier de roses) était très bien placé;
il
flâne
aux
devantures des boutiques, achète quelques souvenirs photo-
graphiques pour des amis, mais laisse de côté
Wagner
et
gauche,
là
casquettes-Bayreuth
les
où
avec tout un
le
hasard
le
;
mène avec
il
les cravates-
mange ses amis;
à droite, il
à
déjeune
groupe de musiciens de l'orchestre, ce qui is
lU
FANTIN-LATOUR.
l'amuse, et dîne ou soupe au restaurant du tht'àtre, ce qui l'enchante, en face
du délicieux panorama de
coteaux qui bordent
la vallée
la ville et
du Mein rouge. Mais
le
des
malheur
est qu'il pleut toujours. «
Arrivons à
chevauchée
Walkûre. C'est superbe. Splcndide est
la
et aussi l'ensemble
de Wotan, leurs cris pendant
Wotan quand paraison.
elles
des Walkyries; les reproches le
combat, puis en face de
cachent Brunnhilde, hors de toute com-
Une violence passionnée,
de Wotan, délicieux
récits
la
le lied
inouïe. Bien fatigants les
du Printemps, mais mal
chanté par Niemann qui n'est pas bon. Très bien Brunnhilde Belle décoration la
et Sieglindc.
demeure de Hunding;
grande
porte ouverte par le printemps, l'épée dans l'arbre, idée poétique. à faire
:
Il
est rempli d'imagination.
son idéal, trop élevé pour
ment rendu. c'est-à-dire
Il
quand on
de Brunnhilde.
Il
le
rend
comme
ramène parmi
il
réussit,
veut, c'est admi-
beaux
les cris
Walkyries. Dans l'en-
les
c'est superbe. Je
compa-
une magnifique cuisine, pleine d'ustensiles de
Wagner
toute sorte (mais je vous dirai cela).
dans un coin du théâtre; ce furent des c'étaient des transports enthousiastes.
produit toujours grand nuit, et le Boi, suivi voir.
le
est insuffisam-
quand
très beaux, très
descendu dans l'orchestre,
rerai cela à
il
seul reproche
y a une scène magnifique entre Brunnhilde
et Sieglinde, qu'elle tr'acte,
le théâtre,
tente l'impossible, mais aussi,
Les adieux de Wotan
rable.
Un
la
cris,
a été aperçu
des cris!
A
la fin,
A peine la fanfare (qui me
effet) se fait-elle
entendre que voilà
la
de Wagner, entre mais on peut à peine les
Nous avons aperçu MM. Mendès,
;
d'Indy, d'Eichthal, etc.,
UN PEINTRE MÉLOMANE. mais
il
y a très peu de Français; nous faisons sensation, on
ne peux pas
aimable partout, très obligeant... Je
est très
rendre ce qui se passe théâtre
115
dans
ici,
une
c'est
animée. Ce
fête très
champs, ces belles vues tout autour,
les
les
restaurations, des bocks partout, tous ces voyageurs qui vont
Les habitants paraissent enchantés. La présence
et viennent.
du Roi anime sailles.
la ville,
qui est paisible
comme
autrefois Ver-
Des grandes voitures partout, à l'heure du théâtre,
qui se suivent; pourtant pas de cris, c'est un public choisi. Je suis enchanté d'être venu.
Nous
avoir ici!
Wagner. Je
je regrette de ne pas vous
où je vais de ce pas, à
les
à.
demain
Siegfried.
spectateurs de
cette
»
troisième
pour ceux des deux premières qui avaient eu 17 août et
maison de
la
vais là tous les jours, je tourne autour et je suis
content. Adieu;
Pour
irions
Que
du 20 au 23,
la
série,
lieu
comme
du 13 au
soirée la plus brillante et celle
qui leur causa à la fois la surprise la plus vive et l'impression la plus profonde, ce fut celle où et certes,
il
fallait
ils
que l'enchantement
entendirent Siegfried, et
l'émotion qui se
dégageaient de cette partie de l'œuvre fussent singulièrement puissants pour dépasser
l'effet
si
violent
que
la
Walkyrie
avait produit la veille sur tous les assistants. Fantin ne résista
pas
plus qu'un autre à l'enthousiasme général, et sa
troisième lettre n'est, d'un bout à l'autre, qu'une explosion
de joie délirante. «
J'ai
...
Il
n'y a rien en
été enlevé
tamment
et par
musique d'aussi beau,
s'écrie-t-il.
non pas seulement un moment, mais consdegrés toujours plus élevés;
le
duo
est
une
FANTIN-LATOUR.
116
scène entière, c'est prodigieux! M"'" Materna est superbe, le
ténor moins bien, mais rien n'y sation encore ressentie!
fait, c'est la
Oh! son
éveil!
presque dit seulement
par l'orchestre, ravissant et sublime, et
en scène!
L'n
comme
lever de soleil
beau! Les musiciens
plus grande sen-
la situation, effet,
la
que
ah!
Mime Wagner
si
plein de naturel, de comique, lui, le musicien de
bien imaginé! Et
si
bien,
comme
dans Siegfried,
fameux dragon; dans
est bien absurde.
Que
le
départ de Siegfried dans les
le
flammes. Mais vous savez que la
les
l'on voit
je suis content d'être ici! J'ai vu
et
Lascoux a liard
souper à fait
la
il
Wagner
dans
acclamé sur
La la
:
d'assez près.
est très petit.
il
Il
Un vieux à Liszt
des femmes autour de
lui.
Restauration-Wagner est très amusant.
connaissance avec un musicien de Montbé-
qui est un grand partisan et est venu s'offrir
exécutant.
qu'est
les féeries.
Madame ressemble beaucoup
l'on voit partout, toujours avec
Le dîner
ici
Rheingold, c'était un serpent
Ce n'est que ce que
savant ou diplomate.
que
décors sont souvent très
forge de Mime. C'est
paraît vieilli, presque tout blanc,
salle
est
très
chaleureuse.
proposition de M. Feustel
nisateur), c'a été étourdissant de bruit, 11
scène de
la
Forge! Une évocation d'Erda magnifique! Très belle mise
en scène et beau décor pour
le
le rôle
bien chanté et joué! Voilà une surprise de trouver
Lohengrin. Ce Siegfried est la
c'est
semblent mettre cela au-dessus des
ici
autres partitions. La scène des oiseaux est charmante,
de
mise
pleut toujours, nous
sommes
Pluio à verse, des chemins!
(le
Le
Roi
comme a
été
banquier orga-
chapeaux en
l'air, etc.
rentrés hier par un temps!
Heureusement que nous avions
a
UN PEINTRE MÉLOMANE.
bien soupe.
Menu
bière. Quelle bière
Suppe Knlb, ragoût de veau, roastheef
:
!
117
Que je
et
Ademain.»
suis content d'être ici!
Le Crépuscule des Dieux, en revanche, exerça une action
moins immédiate
moins
et
acte, sur des auditeurs qui
au moins jusqu'au dernier
forte,
ne connaissaient pas encore assez
tous les éléments dont se compose cette musique pour en
apprécier l'admirable structure et
la
grandeur prodigieuse.
C'étaient autant de néophytes, pleins de
que tous
enfin des néophytes,
bonne volonté, mais
les spectateurs qui se succé-
dèrent à Bayreuth durant cette première année, et.Fantin,
comme
il
lui-même,
le dit
n'était pas assez
préparé pour ne
pas trouver, avec tous ses amis, que les premières scènes de cette
quatrième partie traînaient passablement en longueur;
mais quel
réveil
au tableau de
mort de Siegfried
la
«
monde les
que ces
artiste
sur
la
mon
fêtes!
Il
cher Maître
faisait
défilent, la
!
Quel
plaisir
beau. Jamais autant de
route. Les voitures se suivent de
Wagnériens
portes;
chasse et quelle secousse à
!
Hier, grande journée,
pour un
la
population est sur
chaque côté le
;
devant des
Roi va passer. De l'esplanade, où nous restons un
le
moment, on
voit tout
ce
mouvement
apprête l'illumination du soir,
fait
il
:
c'est
On
superbe.
grand jour, jamais
le
paysage n'a été plus charmant de ces hauteurs. La fanfare sur l'esplanade se fait entendre, tout le
un monsieur qui adresse de
puis voilà à
la salle,
monde
on
crie,
on applaudit.
Il
entre, on se presse,
sa place quelques
compare
les
Wagnériens qui
vont se séparer aux apôtres qui vont porter partout nouvelle...
La scène des Nornes,
le
mots
la
bonne
départ de Siegfried,
la
H8
FANTIN-LATOUR.
de Hagcn
veillée
peu long; mais Filles
;
la chasse, le récit,
marche funèbre,
On
triple
un
la partition, cela paraît
dernier acte est très saisissant,
le
du Rhin,
en scène.
connaissant peu
la
chef-d'œuvre
:
mort de
le trio
des
Siegfried, la
musique, drame, mise
l'emporte sur son bouclier, escorté par tous les
guerriers (admirablement costumés), effet de lune sur une par-
du cortège
tie
et l'autre
dans l'ombre. Les nuages descendent
au-dessus du cortège, paraissent plètement. Admirable. C'est
que
le
suivre et le couvrent
la réussite
com-
complète de son idée
page, et vraiment on sent alors que rien ne peut
cette
soutenir la comparaison. C'est un art nouveau,
l'art
de l'avenir
cris,
chapeaux,
certainement. »
Pensez à l'ovation
finale
!
Une tempête,
mouchoirs, bouquets, couronnes,
etc. Enfin,
il
paraît!
n'avez pas idée de l'émotion qui vous gagne de voir cet le
chapeau à
les
me
larmes
tacle.
Il
la toile
lui,
baissée, à ses pieds, ces fleurs;
reviennent aux yeux en vous décrivant ce spec-
Applaudissements, et
parle...
la toile
de grands
cris, elle se relève; alors, tous les
rangés,
leur adresse quelques
il
frappements de pied
émouvant
!
homme,
main, attitude très simple, interdit, voulant
la
Derrière
parler.
Vous
On
comme
sort,
scène, nous nous
s'il
mots
qu'il
tombe. Encore
chanteurs sont
accentue par des
conduisait un orchestre. C'est
nous allons donner un coup d'œil à
promenons dans
voir l'orchestre, on embrasse
là
les coulisses,
la
nous allons
Wagner, on l'entoure; Madame
embrasse des dames; on pleure, Wilhelmy paraît très ému.
On
se dit adieu.
Liszt est très entouré; c'est
une vraie
fête
de famille. J'entends Wagner qui dit à des dames en français
:
UN PEINTRE MÉLOMANE.
«
Prenez garde do tomber!
il
paraît fatigué,
comme
assisté à cette fête
avec un accent très allemand;
»
Ah! que je
éteint.
Combien
!
119
suis content d'avoir
l'on sent ici la vie
!
Est-ce triste
pour nous d'être obligés d'aller dehors pour assister à une artistique, d'aller
car cela vous
chercher du soutien pour notre vie
fait le
Qu'on se rappelle, après avoir
me
sens transporté.
lu ces lignes,
»
par quelles
plaisanteries furent accueillies en France l'ouverture et les
d'artiste,
plus grand bien, cela rend do l'ardeur.
Je ne peux pas exprimer combien je
de Bayreuth
fête
du théâtre
premières représentations de t Anneau du
Nibelung ; qu'on se souvienne en particulier des jugements cruellement ironiques que portèrent sur cette entreprise et cette
œuvre colossale ceux qui
de juger
les
productions de
faisaient profession chez
l'esprit et
nous
les créations d'art;
qu'on compare cette ignorance arrogante et têtue aux fraîches impressions d'un
artiste
qui
ressent
naïvement
les
choses
sans se targuer de les juger, mais qui exprime avec une chaleur désordonnée ce qu'il a ressenti, et dites de quel côté se
trouvent,
non pas seulement l'indépendance
avec lesquelles
Wagner
a toujours
et la
bonne
foi
demandé qu'on appréciât
ses œuvres, mais aussi la clairvoyance et la liberté d'esprit.
* * *
Les rejoint
fêtes
M.
de Bayreuth sont terminées. Fantin, après avoir
et M""
Dubourg à Nuremberg,
va visiter avec eux
les
s'arrête à Batisbonne,
musées de Munich
(l'affluence
des
étrangers avait forcé les trois voyageurs de se loger à Augs-
FANTIN-LATOUR.
MO
bourg), puis, sans gagner Francfort, en raison d'un deuil sur-
venu dans
la
famille de Scholderer,
Nancy
sant par Stuttgart et
Je suis heureux d'avoir
«
:
rentre à Paris en pas-
il
fait
ce voyage, écrit-il dès son retour, à Edwards; cela m'a changé les idées. Je suis gai, content, bien disposé à travailler'
tout aussitôt,
germe
dante moisson,
si
et
monte dans son cerveau
prompte à
cette
!
» Et,
abon-
lever, de compositions idéales,
lithographies d'abord, ensuite pastels et tableaux à l'huile, où les
œuvres
qu'il
lesquelles les éclatant; par la
aime
plus prennent une nouvelle vie par
le
hommage
maîtres qu'il admire reçoivent un lesquelles,
veille, devient
lui,
simple auditeur et spectateur
poète et créateur à son tour et remercie
à sa façon, en les glorifiant, Berlioz,
des souveraines jouissances qu'ils
lui
Quelques mois seulement avant
Wagner
et
Schumann
ont procurées.
d'aller à Bayreuth,
après
avoir entendu aux concerts du Gliàtelet la deuxième exécution intégrale,
donnée par M. Colonne du Roméo
Berlioz (avec M"" Vergin, il
avait
saire,
Bouhy comme
la
marge
:
même
noble, était
la
musée de Gre-
première qui témoignât de son culte pour Ber-
De môme,
à peine revenu de Bayreuth,
crayon et traçait sur
1.
l'huile, puis
grandeur, enfin lithographie, d'où est sorti
tableau magistral appartenant aujourd'hui au
lioz.
solistes),
Souvenir du o décembre 1875,
admirable composition, d'abord esquisse à
dessin de le
Fùrst et
de
composé sa grande scène allégorique de F Anniver-
en écrivant dans
et cette
MM.
et Juliette,
la
il
prenait son
pierre cette délicieuse scène initiale
LeUre du 13 septembre 1876.
X u ^
UN PEINTRE MÉLOMANE.
de l'Or du Rhin, qui devint par
la
huile, en inscrivant au bas cette
A
suite
121
un
une
pastel, puis
dédicace reconnaissante
:
monsieur A. Lascoux, souvenir de Bayreuth. C'est ainsi qu'à
peu de mois
d'intervalle,
il
se sentit dominé, conquis,
emporté
par ces maîtres, et que les délicieuses émotions qu'il avait
éprouvées en écoutant leurs chefs-d'œuvre agirent fortement sur son imagination créatrice et
où
le
poussèrent dans une voie
ne pensait guère à s'engager, quoiqu'il y dût marcher
il
leur égal. faut se rappeler, en effet, qu'avant ces grandes
Il
lithographiques de l'Anniversaire
sitions
et
compo-
du Rheingold,
Fantin n'en avait encore dessiné que six, entre lesquelles
seulement avaient
trois
mière de toutes,
1862 sous
le
le
trait à la
musique
:
d'abord
Venusberrj , de Tannhœuser,
la
pre-
composé en
coup de l'indignation que l'échec de cet opéra
à Paris lui avait causée et de la joie qu'il avait ressentie en
entendant jouer populaires et la
:
Marche du concours aux Concerts
la célèbre
ensuite celles
Fée des Alpes, qui
:
A
la
mémoire de Robert Schumann
jaillirent
de son cerveau, où
elles
couvaient depuis longtemps peut-être, à l'occasion des fêtes organisées à
Bonn en l'honneur de Schumann, durant
le
mois
d'août 1873. Est-ce à dire pour cela que, sans la vive émotion
que
lui
causèrent l'audition de Roméo
repré-
et Juliette et la
sentation de l'Anneau du NibeUtng, Fantin pe se serait pas senti
entraîné quelque jour,
deux circonstances, vers quées
les
comme
les figures
il
l'avait
été déjà
en
musicales qu'avaient évo-
maîtres chers à son cœur?
Non
certes, et ce serait
exagérer que d'aller jusque-là; mais n'y ayant pas été poussé 46
FANTIN-LATOUR.
in
par une force irrésistible,
il
aurait mis sans doute, dans une
poursuivie à bâtons rompus, moins d'élan, moins de
tâche
fièvre et n'aurait peut-être pas produit
une suite aussi nom-
breuse, aussi riche de ces lumineuses
transpositions de la
poésie et des sons en dessins, en couleurs.
ne m'appartient
Il
— car —
ne
je
ni
de
fais office ici
les
dénombrer
de catalogueur
ni
de
ni
les juger,
de critique,
ni
mais ce que je puis, ce que je dois dire, l'ayant vu mieux
que personne,
à une
entraîner
combien Fantin se
c'est
besogne qui
auteur de ses amis
lui
le
facilement
laissait
charmait, et comment, un
ayant demandé certain jour de vouloir
bien dessiner un simple frontispice pour un ouvrage en préparation sur Richard Wagner,
de
le peintre,
en aiguille,
fil
ne composa pas moins de quatorze lithographies, jugeant plus naturel de glorifier ainsi chacune des grandes maître, de telle façon qu'un peu plus tard,
il
obligé d'en faire autant pour Berlioz, et qu'il
œuvres du
se vit le
fit,
comme
du
reste,
avec autant de joie et d'aussi bon cœur. Nul doute, assuré-
ment, que
besogne dans il
ne
la
le
si
même ami
d'honorer par leurs
afin
mesure de leurs
s'y fût prêté
Car,
Manfred
qu'il si
de se remettre à
communs
efforts, et
forces, le génie de Robert
chacun
Schumann,
musiciens,
admirait
le
c'était
bien l'autour de
plus vivement, qu'il aimait
j'ose dire, et dès 1872,
il
le
plus
pensait à composer
en son honneur un grand tableau semblable à celui dont rêvait
ment
la
avec un empressement tout pareil.
entre tous les
tendrement,
l'avait prié
il
également pour Berlioz et qui, celui-là, devait rapideaboutir.
«
Que
penseriez-vous, écrivait-il à Edwards
le
UN PEINTRE MÉLOMANE.
20 décembre jeunes le
d'un groupe ou
1872,
123
d'une
procession
de
des Muses, par exemple, venant orner et décorer
filles,
tombeau de Robert Schumann avec des
esquisse que
faite,
j'ai
il
y a une jeune
fleurs?.. le
fille,
Dans une buste nu,
avec une poignée de roses blanches qu'elle vient apporter sur le
tombeau qui
inscription
memoriam,
In
:
sous sa plume
:
poète musicien des jeunes
ou
les
une grande pierre droite
est
où
cet
«
Faut-il peindre autour de son
» ?
ou des Muses, ou
mêmes
personnages
il
y a une
Et les demandes se pressent
etc. »
Comment honorer dignement
filles,
et
la
Musique
admirable
monument
et la Poésie,
de ses créations? N'est-ce pas
là
une besogne au-dessus de ses forces? Comment rendre un digne
hommage
même
dispose, et ne serait-il pas très désolé de mal l'honorer?
Qu'Edwards
Schumann,
à
et sa lui
un
tel
créateur avec les moyens dont lui-
femme, qui n'admirent pas moins que
prodiguent avis et conseils, à
lui
qui ne s'est
lui,
encore ouvert de ce projet qu'à son ami Maître... En suite de quoi parurent deux lithographies, réalisant chacun de ces
deux projets
:
d'abord, celle dont
il
est question plus haut,
datée de 1873, qui représente une jeune
déposant une gerbe de fleurs sur
la
fille,
à
demi nue,
tombe du maître;
puis,
vingt ans plus tard, celle où toute une théorie de jeunes
femmes, guidées par un génie
ment vers une Schumann, lesquels
la
stèle
ailé,
se dirige avec recueille-
surmontée du buste de Robert Schumann.
Berlioz,
Wagner,
tels étaient les
maîtres vers
pensée de Pantin se tournait de préférence et
dirigeait son crayon
:
ce sont, de toute évidence, ceux dont
les inspirations et les créations parlaient le plus à
son esprit,
iU
FANTIN-LATOUR.
à son cœur;
mais Brahms aussi,
d'autant plus qu'il
qu'il
aimait et défendait
sentait plus injustement
le
nous, excita plus d'une fois son imagination
pas sans
moins une,
Beethoven, ce ne
Rossini ne fut
une ou deux compositions; Weber en
lui inspirer
éclore au
;
combattu chez
et
ne
s'il
fut pas faute
s'est
fit
jamais mesuré avec
de l'admirer, croyez-le bien;
c'est plutôt parce qu'il l'admirait trop... Et puis, quel besoin
Beethoven, acclamé par tout son aide? En quoi
le
monde
le peintre, qui,
dans
musical, avait-il de fond, mais sans y
le
tendre, faisait œuvre de propagande et se tournait d'instinct
vers les génies que aurait-il
de
la
fait
Symphomo faire
dans
ignorait
ou combattait encore,
avec chœur, et ne valait-il pas efTorls, qu'il
triompher dans
la peinture,
les
rants, les envieux et les la
foule
pu ôlre du moindre secours à l'auteur de Fidelio
employât tous ses
pour
la
route en France?
la
mieux
et
qu'il
rassemblât toutes ses forces
musique, ainsi
qu'il l'a toujours
génies souverains à qui les igno-
beaux esprits ont
si
longtemps barré
â&#x20AC;¢r.
CHAPITRE
IV
AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN AMI Ces deux tableaux-ci, presque
les derniers
de leur genre
dans l'œuvre entier du peintre, sont ceux sur lesquels, en
ma
double qualité de modèle et de futur possesseur, j'en
su,
ai
dès l'origine, autant que l'auteur en personne, car je
me
rappelle leur préparation, leur enfantement d'aussi loin que
Fantin pouvait s'en souvenir lui-même. Je n'ai rien ignoré
des hésitations par lesquelles la plus
il
importante de ces deux
a passé avant d'entreprendre toiles, j'ai suivi
jour les progrès de son travail; enfin
j'ai là,
de jour en
devant moi, pour
mes souvenirs, nombre de documents
certains,
esquisses et lettres du peintre ou lettres d'un ami
commun,
contrôler
qui sont arrivés entre
mes mains après
l'autre et n'ont pas été sans
qui sommeillaient au fond de colie
me gagne
billets,
la
mort de
l'un et
de
me rappeler beaucoup de choses ma mémoire. Mais quelle mélan-
en feuilletant tous ces papiers, croquis ou
que nous étions plusieurs autrefois à regarder, à nous
communiquer
et qui
reprennent aujourd'hui pour moi toute
leur signification, dans les
moindres
détails!...
FANTIN-LATOUII.
126
» *
*
«
Voici une nouvelle d'art très fraîche et très sûre, et de
la
dernière importance. Ce matin, lundi, 12 de janvier 1885,
à
9 heures
un quart, M.
et
chevalier
Fantin-Latour,
de
l'Ordre de Léopold, a résolu de peindre à l'huile une toile
de plus de deux mètres, représentant une lecture au piano.
Le piano sera un crapaud tout
en
et le pianiste
ayant autour
peau,
de
Camille Benoît, Adolphe Jullion, Maître,
—
et peut-être
M. Jacques Blanche
Emmanuel
MM. Vincent d'Indy, Amédée Pigeon et Edmond lui
M. Antoine Lascoux
(s'il
Chabrier,
daigne) et
(s'il
est nécessaire). L'ordre des séances
de pose sera très prochainement indiqué
à
M.
Jullien, qui
est d'ores et déjà invité à soigner son teint... »
Voilà en quels termes
Edmond
Maître m'annonçait ce que
notre ami venait de décider, non sans qu'il eût longuement
pesé
le
pour
et
le
contre avant de reprendre ses pinceaux
pour peindre un tableau
tel
qu'il
composé
n'en avait pas
depuis de longues années. Le dernier de ce genre qu'il eût entrepris et terminé, le Coin de table, remontait à l'année
1872. Après avoir groupé des peintres et des lettres
devant
le
portrait de Delacroix auquel
ils
hommage, ou autour de Manet peignant dans son Batignolles; après
avoir représenté
poètes
cadre
devant
le
vide
où
plus
hommes de rendaient
atelier des
spécialement des
devait
d'abord
figurer
Baudelaire, Pantin avait souvent caressé le projet de pléter cette série par
une quatrième
toile,
où
la
com-
Musique
AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN
AMI.
127
serait glorifiée après la Peinture et la Poésie. L'idée lui souriait
de célébrer
auquel
l'art
il
devait des jouissances telle-
comme nous
ment vives
qu'il regrettait parfois,
marquer à
ses parents, de n'avoir pas reçu
création
mage
musicale
tout d'abord,
et,
rendre à
qu'il désirait
la
qu'il
ciel le
don de
aurait conçu
l'hom-
Musique sous
chœur de dames, en groupant modèles féminins
il
du
sans
là,
l'avons vu le
la
forme d'un
doute, les divers
avait représentés
un
ailleurs,
sur les genoux, devant un métier de brodeuse ou
livre
la palette
à la main. « Si je
trouvais des femmes, je ferais une répétition d'un
chœur de dames,
écrivait-il à
Un musicien au
1872.
Edwards dès
piano, tournant
conséquent, ce serait l'accessoire,
du piano
et derrière
tant.
Quel
quet
»
et,
joli
une
bouquet!
le
le
mois d'octobre
dos au public (par
le
prétexte), et tout autour
série de jeunes filles et »
femmes chan-
Mais comment composer ce
à défaut des personnes dont
il
«
bou-
était sûr, connais-
sant leur exactitude et leur façon de poser, n'aurait-il pas dû
recruter des modèles parmi ces
monde auxquelles souvent
sollicité
il
dames
et
jeunes
refusa, dès qu'il le put, le concours
de ses pinceaux, tant
il
que
qui
celles-là
du si
aurait été exaspéré
d'avoir à subir ou leurs fantaisies incessantes,
vations saugrenues
filles
ou
les
obser-
payent très cher se
croient toujours en droit de faire, soit par elles-mêmes, soit
par la bouche de leurs amis, aux peintres les plus considérables? N'est-ce
même
la
pas
là,
du
reste,
une des raisons,
je dirai
raison capitale du refus que Fantin opposait presque
invariablement aux demandes qu'on
lui faisait
de peindre des
FANTIN-LATOUR.
128
gens
ne connaissait pas, des personnes en
qu'il
face des-
se serait trouvé pour la première fois, ou peu s'en
quelles
il
faut, le
jour de
la
première séance de pose?
semblait que cet admirable peintre de portraits dût être
Il
comme
habitué aux figures qu'il se proposait de porter sur la
communion avec ceux
dût être d'avance en
qu'il
toile,
allait portrairc.
qu'il
Et combien sont rares les personnes qui, sans
préparation, rien que par une démarche habile ou une parole
opportune, ont su
der à fallait
les
le
surprendre en quelque sorte
accepter pour modèles du jour au lendemain
voir avec quelle inquiétude
tion de ce genre,
même émanant
il
un peintre de
portraits,
!
Il
écoutait toute proposi-
de gens à qui
haité d'être agréable; avec quelle insistance d'être
et le déci-
il
il
aurait sou-
se défendait
au sens propre du mot, ne
faisant jamais poser devant lui, disait-il,
que des personnes
de sa famille ou des amis, plus rarement de simples connaissances; avec quelle joie
il
renvoyait ces solliciteurs à ceux de
ses illustres confrères qui faisaient vraiment métier de pein-
dre des portraits et ne s'en lassaient pas; quel soupir de sou-
lagement
il
poussait enfin
lorsque ces visiteurs importuns se
décidaient à battre en retraite et qu'il avait fermé
la
porte sur
eux.
Deux autres points également Fantin, dès il
difficiles
à concilier
préoccupaient
qu'il pensait à ce tableau.
était très décidé, s'il se
D'une part,
mettait jamais à l'œuvre, à n'ad-
mettre sur cette toile aucun compositeur, aucun musicien,
dont
la
réputation fût telle qu'il dût écraser les autres modèles
ou donner à cette assemblée un caractère de
petite école
ou
l'ourii.viT Salon
(Je
iJi:
18'JO.
m'"'
—
léoi'Old
A M. Léopold
gravikk (jiavicr.
AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN de cénacle, car droit de faire
ne se reconnaissait pas, à
il
il
voulait
piano ne
que
pas
fît
1129
peintre,
le
une sorte de manifestation musicale semblable
celle qu'il avait faite avec part,
lui
AMI.
le
son
Hommage
à Delacroix. D'autre
personnage principal
simplement
là
h
qu'il placerait
au
de mannequin et que,
office
sans avoir une notoriété trop grande,
il
cependant bien à
fût
sa place devant un clavier. Ces hésitations auraient pu durer
longtemps,
et cela
malgré mes exhortations
coup occupé du tableau; à le faire,
»
dit Fantin
Edwards',
M'""
—
si le
d'Emmanuel Chabrier,
a été
il
—
«Il s'est
beaucoup pour
me
beau-
décider
en parlant de moi dans une lettre à hasard ne l'eût remis un jour en face qu'il avait
perdu de vue après
l'avoir
souvent rencontré au quartier Latin.
Manet
C'est à l'enterrement d'Edouard
vèrent, au printemps de 1883 le
A
«
:
peintre au musicien, seriez-vous
qu'ils se
retrou-
propos, dit tout à coup
homme
à poser dans
un
tableau, assis au piano, entouré de gens qui vous écouteraient?
— Certainement
et
de grand cœur.
projet de Fantin prit tout à
sans désemparer,
le
fait
»
corps,
A
partir de ce jour, le
et, s'il
ne l'exécuta pas
temps lui manquant pour faire de ce tableau
son envoi au Salon de 1884,
il
se réserva d'y revenir dès l'hi-
ver suivant. Et ses divers modèles, en plus de Chabrier, furent effectivement ceux que Maître m'annonçait dans sa lettre
d'abord Maître et ainsi
moi-même,
qu'Amédée Pigeon, dont
ses il
convives du
lundi
:
soir,
avait fait la connaissance à
propos d'un article très finement écrit sur ses tableaux; puis
1.
Lettre
du 29 octobre 1885.
FANTIN-LATOUR.
130
Lascoux, avec qui
Antoine
avait
il
de V Anneau du Nibelung, à Bayreuth; de
représentations
jeunes compositeurs, élèves de Franck,
:
MM.
Camille Benoît et Vincent d'Indy, l'un ameBoisseau, qui faisait également
le violoniste
nant l'autre; enfin
partie de ces réunions intimes
remplaça dans
et
jeune peintre Jacques Blanche auquel
le
ait
entrevus
qu'il avait
musique qui se donnaient chez
justement aux soirées de
Lascoux
aux premières
assisté
il
le
que Fantin
se peut
d'abord songé, mais qui ne fut jamais invité à y figurer.
Avant
môme
nous convoquer, Fantin avait presque
de
dans sa
établi son tableau
tête, ainsi
mière esquisse, très vague
et
que
le
prouve une pre-
ne comprenant que sept per-
sonnages, en date du 26 décembre 1884; mais du
où
groupe
il
nous eut tous réunis devant
très vite arrêté était
comme
:
lui,
son plan
définitif fut
dès son premier grand croquis,
fixé et
moment
le
peintre
n'apporta plus à son projet, dans les deux
croquis suivants, que des corrections de détail, arrêtées à la date du 19 janvier 1885. Aussitôt qu'il nous eut campés sur
mit à peindre,
la toile et qu'il se
rales et c'est
nous
fit
renonça aux séances géné-
il
poser isolément ou par petits groupes, et
seulement à
la fin,
presque à
la veille
d'expédier son
tableau au Salon, qu'il nous réunit tous encore, afin de juger
de
l'effet
d'ensemble.
éveillées dans le
ambitions
monde musical
allait voir le jour, et
glisser par
Des
cependant, s'étaient
à l'annonce
du tableau qui
plus d'un étranger aurait souhaité de s'y
manœuvre
habile ou
démarche d'amis complai-
sants; mais c'était peine perdue avec Fantin, qui ne craignait rien tant, je le répète,
que d'avoir
l'air
de
faire
une manifes-
AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN talion musicale et qui écartait do son tableau
AMI.
131
non seulement
tout accessoire, tout buste ou portrait significatif, mais aussi
toute personnalité citer
que deux,
un peu marquante. C'est
ainsi,
nettement d'y introduire,
qu'il refusa
Charles Lamoureux, qui était alors le champion
miné de que ses
pour n'en soit
plus déter-
le
cause wagnérienne en F'rance; soit César Franck,
la
trois élèves Chabrier, d'Indy et Benoît auraient désiré
voir présider en quelque sorte à cette réunion. «
je
Madame,
écrivait Fantin à M"''
Edwards
25 février 1 885,
vous envoie un croquis du tableau; je n'y mets pas de
femmes. Ce sont toujours des réunions et
le
non des réunions du monde, que
j'ai
que
d'artistes
je fais,
je ne connais pas et dont
horreur: on ne peut rien faire avec ces gens-là aujour-
d'hui. Ils sont de plus en plus stupides. Celui-là est la suite
des
autres
ciens...
»
tableaux
Et,
:
Peintres,
les
deux mois plus
tard,
Poètes, les Musi-
les
peu de temps avant l'ou-
verture du Salon, où Fantin avait envoyé son tableau, sentait par écrit ses divers
modèles à
M"""
il
pré-
Edwards, qui, entre
eux tous, ne connaissait encore que Maître, pour
l'avoir ren-
contré rue des Beaux-Arts lorsqu'elle venait à Paris, chaque
année, à l'époque du Salon
:
«
Voici les
noms des personnages
de Autour du piano. Celui qui joue du piano est Chabrier,
compositeur de grand
talent.
A
côté,
Emmanuel paraissant
tourner les pages au pupitre, Camille Benoît, qui a traduit
des écrits de Wagner, et aussi compositeur; derrière
chapeau sur
la tête et
critique d'art musical, français, auteur
la
canne à
la
lui, le
main, Adolphe JuUien,
sévère pour nos prétendus musiciens
de plusieurs ouvrages sur
le
théâtre du siècle
FANTIN-LATOUH.
132
dernier; près de
lui,
entre les portes, M. Boisseau, violoniste
à l'Opéra et au Conservatoire.
A
côté de Lascoux, debout, la
cigarette à la main, Vincent d'indy, compositeur d'avenir: la tête
dans
la
main, assis et
le
dernier de ce côté,
Pigeon, qui est au Figaro pour
le
Amédée
Courrier d'Allemagne et qui vient de
faire
un
inté-
livre très
ressant
intitulé
L Allemarjne
:
de M.
de Bismarck. Tous
wagnéristes
'
!
»
Autour du piano fut
donc exposé au
Salon de 1885. Malgré tant de précauA lively Suiulay al Hom(^ wilh ail Hyinns anil no H ers. Un joyeux dimanche à la maison, avec eux tous et
sans
elles.
tions
que
prises
peinture
la
seule
pour
attirât
l'at-
[Plaisanterie en anglais de fantaisie, i)ar analogie
de prononciation entre les mots hymm (hymnes) et eux)]. hitns (barbarisme créé pour signifier :
Caricature du Punch, do Londres, d'après Autour du piano
tention des connaisseurs, sans que des
figurestropconnues
(3 juillet 1886).
fixassent les regards des badauds,
—
remarquez qu'en 1885
Chabrier n'était rien de plus que l'auteur à'Esparla et que,
M. d'Indy avait déjà produit il
les trois parties
n'avait pas encore fait exécuter son
de Wallenstein,
Chant de
la Cloche, qui
venait seulement d'être couronné au concours de
1.
Lettre du 19 avril 188R.
si
la
^
ille
de
AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN Paris,
— Fantin ne put pas empêcher
le
AMI.
133
public de so demander,
toile si vivante et si puissante, quels étaient ces
devant cette
individus ainsi réunis autour d'un pianiste et d'un piano. Les visiteurs
qui
prétendaient bien informés
se
leurs amis; d'autres s'ingéniaient à mettre des
renseignaient
noms
sur ces
visages et ne
manquaient pas générale-
ment de
re-
connaître
le
compositeur
Palad
i 1
h e
dansl'homme chapeau,
au
ce qui aurait
dû
me
flatter
infiniment, et
de trouver un
Le grand De profundis du maestro Chabrier, clianlé par
MM.
Saint - Saëns très
S, T, U, V, X,
Y
et Z.
Caricature de Stop, d'après Autour du piano [Journal amusant, 2 mai 1885).
ressem-
blant faisait
dans
le
personnage à cheval sur une chaise, ce qui
beaucoup
rire
réserve allait au
Maître. Aussi
rebours de
Fantin, voyant
ses intentions,
tout de voir qu'on aimait à découvrir là des n'aurait jamais
accepté de peindre, voulut-il
à ces méprises. Après
le
Salon de Paris,
le
exaspéré sur-
hommes
qu'il
couper court
Autour du piano
avait été expédié directement à Londres, chez
pour être présenté à VAcademy, qui
que sa
W"
Edwards,
reçut et l'exposa en
FANTIN-LATOUR.
134
1886
mais, ensuite, lorsque Fantin envoya sa toile au Salon
';
Munich, l'année sui-
triennal de Bruxelles, en 1887, puis à
vante,
n'avait jamais voulu faire jusque-là et
ce qu'il
fit
il
dessina un petit cartouche explicatif, afin de rendre à ses
modèles leur véritable
différents
généralement dans
très
modeste
état
leur
civil,
notoriété
rang de simples débutants
et leur
carrière des lettres ou des arts ^
la
Le hasard, cependant, un hasard assez naturel après puisque tous avait
gens
les
comme
fait,
tout,
représentés n'étaient pas trop vieux,
ici
Fantin l'écrivait à M™'' Edwards, que ces
divers musiciens, amateurs ou critiques avaient des préfé-
rences communes, une admiration plus ou moins vive pour
Richard Wagner, et se trouvaient de
la
sorte en
communauté
d'opinions avec celui qui faisait leurs portraits; or, ce simple
hasard avait tableau fût
suffi
communément
peu menaçant désigne, sicale;
il
ne faut
« ...Je
«
désigné sous ce
Les Wagnéristes.
:
le
VAcademy cariémenl;
il
s'il
est vrai
malgré tout? Cela »
où
il
lettre
que
me
suflirait
presque.
Ainsi parle Fantin à M"" se dit « très louché
»
Mon
2.
;
j'ai
trouvé
Mon
plus sérieux public
refus ne passerait pas inaperçu,
Edwards dans sa
des oITres que je
je lui avais fait faire par Maître, et qui
content
le
que ce tableau
n'importe que je sois refusé! le
le
mu-
garder d'évoquer à ce propos
se
tableau sera vu par les Académiciens, el n'est-ce pas
je pense.
quelque
De quelque façon qu'on
Petit Bayreuth », car
risque
titre alors
rattacher à aucune école ou coterie
faut surtout
il
souvenir du 1.
pour que, dès avant son apparition, ce
lettre
commence
un acquéreur pour Autour du
du 29 octobre 1885, ou plutôt
lui avais faites
ainsi
:
«
Je suis bien
piano!... »
Ces dates des divers voyages d'Autour du piano à l'étranger sont les
seules e.\acles, quoiqu'elles dilTorent de celles qu'on pourrait trouver dans d'autres publications.
AUTOUR DU PIANO KT LE PORTRAIT D'UN parut au
moment où
les
AMI.
135
réunions wagnériennes, organisées et
dirigées par Lascoux, prenaient de l'extension et s'intitulaient
plaisamment toute
«
fortuit(>,
n'avait jamais
Petit et
Bayreuth
»,
c'était là
plus d'un des personnages
pris
part,
ni
comme
une coïncidence représentés
ici
exécutant,
auditeur, aux exercices musicaux qui, après avoir
dans
le
du peintre Toché, tantôt chez
et devaient se terminer les wagnéristes
de
commencé
salon de Lascoux, rue de l'Université, avaient lieu
tantôt dans l'atelier
salle
comme
ni
M'"^ Pelouze,
par de véritables concerts, où tous
de Paris brûlaient de se
faire inviter,
dans
la
Société d'Encouragement pour l'Industrie natio-
la
nale, en face de Saint-Germain-des-Prés. Il
ne reste plus aujourd'hui qu'un souvenir lointain de ces
appellations batailleuses, et c'est sous ce titre d'une imprécision très réfléchie
:
tout de suite attaché, Il
Autour du
auquel Fantin
piaiio,
que ce tableau a conquis
s'était
la célébrité.
complète, après V Hommage à Delacroix, après Un Atelier
aux Batignolles, après Un Coin de toiles
où
table, la série
des grandes
maître peintre a groupé divers artistes,
le
hommes
de lettres ou libres esprits de son temps et qui seront plus
de peinture mis à part, des
tard, qui sont déjà, tout mérite
documents
très utiles à consulter
artistique de la
que
je viens
fin
du
pour
la vie intellectuelle et
Et que ressort-il des détails
xix" siècle.
de donner sur cette
toile aussi
bien que des
esquisses qu'on trouvera plus loin? C'est que rarement peintre
eut l'idée plus nette à
la fois
des conditions dans lesquelles qu'il
du tableau il
le
qu'il voulait faire et
voulait entreprendre, puis-
ne se mit au travail que lorsqu'il les trouva réunies;
FANTIN-LATOUR.
136
c'est aussi qu'il était tellement
possédé de son sujet et
l'avait
tellement dans la tête que, dès qu'il prit ses crayons,
presque du premier
jet sur le papier le tracé définitif
jeta
il
de cette
grande composition. * *
Il
*
ne balança pas davantage et ne montra pas moins de
décision lorsque, se mettant en face de l'ami h qui
il
avait
assigné une place un peu sacrifiée dans Autour du piano,
il
entreprit de le peindre assis devant sa table de travail, en train d'écrire,
ou quelque
ou plutôt se préparant à écrire quelque
livre
semblable à celui
article
qu'il avait déjà publié
sur
Richard Wagner, l'aide du grand peintre ne devant pas plus lui
manquer pour honorer
qu'elle ne lui avait fait défaut et Iseult. Ici, trois
fut
tout
Damnation de Faust
l'auteur de la
pour
glorifier celui
de Tristan
esquisses, très vite ébauchées (la première
de suite
écartée
blent de très près),
et
les
suffirent à
deux autres se ressem-
Fan tin pour poser son per-
sonnage, pour établir ce portrait qui vint deux ans après
Autour du piano
et
semble
s'y rattacher,
reprenait un de ses modèles pour
puisque
le traiter
le
peintre
isolément et
le
mettre en pleine lumière, après l'avoir d'abord rejeté dans l'ombre. Et sitôt que
ami Adolphe d'autant
Jullien,
plus
la
lui fut faite
de peindre son
Fantin y souscrivit sur l'heure, avec
d'empressement,
compter sur l'exactitude qu'il avait déjà
demande
savait
qu'il
et la patiente
pu juger, mais auquel
qu'il
pouvait
immobilité d'un modèle il
allait
beaucoup plus
go;tti;hd.kmmkri
N(i
:
siegfuied kt les filles du
Lithographie originale (1884).
iuiin
'2-
/^^-.^^^
0»*»
7
•
'^
4cJ;M^
tff,-».»--'^-*-^
^ ^
'>»-»X.
O
-^
f>
^/^ Q. 18
f%
î
^
<^
<J-V»
^»#-^
irû/'
/Cc4^4^
-2.—
/^'^S"
ô-^:^^^
-^^^ >V<^
\a>y^'U4^ P^^:2^^c,--u^f-
^,
•M
o H
«î
AUTOUR DU
PIAiNO ET LE
demander. Le peintre, en être à ses
dans sa besogne
écrivait-il
bien, et est très
dont
et
il
:
6 février 1887;
le
intéressant
à faire'.
En
»
retinrent dans l'atelier de
la
me
19 janvier et
le
ne languissait jamais entre
hôtes, et coupées d'un bon
de
chacune,
la
15 mars; séances très agréables, du reste, où la
conversation
le
que plus
sorte
rue des Beaux-Arts; plus de
trente séances, dont la première eut lieu le
pose très
il
de trente séances, de quatre heures environ
dernière
ne craignait
comme pour lui-même, et se com« Mon portrait de Jullien marche,
M™" Edwards
à
Ul
AMI.
avec un ami qui semblait
effet,
yeux un véritable modèle,
pas de se servir, travaillait plaisait
POKTRAIT D'UN
moment de
le
modèle
et ses
repos pour déguster
thé quotidien, lorsque trois heures sonnaient à l'horloge l'Institut'.
Lui, pour se distraire et s'encourager au travail, ne laissait
pas que de provoquer quelque discussion sur n'importe
quel point où d'avance
mais
il
manœuvre,
il
avis;
fallait
il
savait
1.
il
je
voir sa surprise
ne serais pas de son lorsque,
déjouant sa
m'arrivait d'éluder le débat qu'il cherchait et
de rompre les chiens. Plus plus
que
il
avait d'affection
les gens,
commencer par une des per-
aimait à les taquiner, à
A rapprocher
pour
de celte phrase de Fantin dans une lettre quil adressait
du Toast vaut mieux ne rien
à Edwards, le 29 mars 1865, à propos de son tableau
:
nous, sans modèle qui ne pose pas bien,
faire.
il
« Oui,
pour
Chaque
jour, je l'éprouve. » 2.
Dans
Bruxelles
»
la lettre
reproduite ci-contre (p. 137-UO)
dont Fantin
me parle
était le
sition générale des Beaux-Arts qui allait avoir lieu
tembre au 1" novembre 1887.
le «
déménagement pour
départ d'Autour du piano pour l'Expo-
dans cette
ville,
du
1"^
sep-
FANTIN-LATOUR.
142
sonnes qui si
cœur après
plus au
lui tenaient le
sa
femme,
et
j'en juge par sa façon d'être avec moi, soit durant les char-
mants dîners du lundi
pendant nos longues séances
soir, soit
de pose, je n'étais sûrement pas un de ceux
qu'il aimait le
moins. Entendez bien cependant que ces taquineries étaient très inoiïensives et n'avaient rien
que de
très cordial. C'était
un de ses amusements préférés que de prendre
les
gens en
flagrant délit d'ignorance, de les pousser à parler de ce qu'ils
connaissaient mal, surtout de l'on se gardait à carreau
sujets sur lesquels
il
avec
la
peinture,
lui et
volontiers,
et,
si
qu'on évitât d'aborder les
vous guettait,
vous tendait quelque
il
piège et cherchait à vous y faire tomber. Il
me
souvient, en particulier, d'un jour où, certain écri-
vain étant venu l'entretenir d'une brochure qu'il projetait de
publier sur articles
en quêtant de droite et de gauche divers
lui,
ou jugements,
et
ayant demandé quelles gens
lui
avaient qualité, à ses yeux, pour se prononcer sur son compte. Pantin, après avoir
nommé
dififérents critiques d'art
connus, imagina de m'indiquer. laquelle
il
m'annonça que
avis sur sa peinture et
Il
me
souvient de
j'allais enfin
du
pas
me
dérober à
faire, etc., etc.
la
plume
la joie
plaisir qu'il éprouvait à
et m'exécuter,
question,
comme
La brochure parut
avec
mon voir ma
avoir à donner
mine embarrassée, avec quelle insistance je devais prendre la
des plus
il
me
que
répétait
que
je ne pouvais
je paraissais vouloir le
et voici ce
que Pantin put
ma signature « Monsieur, vous voulez bien me demander mon opinion sur « l'art et l'œuvre » de FantinLatour; voici ma réponse Il y a déjà plus de trente ans que
y lire, sous
:
:
AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN
m'honore
collaboration dont je
sont pas près de
part moi, «
et j'espère
Eh bien
quand !
interroge!
le
dépit d'avoir
mon
modèle
portrait. Ces
avait pris goût,
je ris à :
été
bien
si
aimables réunions,
ne
s'arrêtèrent
que
peintre dut poser ses pinceaux et envoyer ce por-
tout frais, au Salon de 1887, en
trait,
comme
!
Mais revenons à
le
Et
suffit
de son air déconfît, de son
qui trahissait son
deviné et déjoué
lorsque
»
vous
vous n'en dites pas long, vous, quand on vous »,
auxquelles
revis,
je le
que nos bonnes
cela ne
Si
finir.
Avec mes salutations empressées.
pas...
143
Fantin d'une solide amitié, scellée par une
je suis lié avec
relations ne
AMI.
même temps
que celui
de M"" Charlotte Dubourg, daté de 1882 et contemporain, par conséquent, de ceux de M'^" Henry Lerolle et de M'"" Léon Maître. C'est sans doute pour faire
honneur au peintre
et à
son modèle féminin que chacun de ces deux portraits, celui de son ami
comme
très belle place,
dans
des portes d'entrée, arrivait sur le
celui le
si
de sa belle-sœur,
accroché en
salon central, en face de chacune
bien qu'on les apercevait dès qu'on
large palier
l'Industrie. Et ce
fut
du grand
portrait, qui
escalier
du Palais de
reçut des critiques les plus
grands éloges, à propos duquel M. Gustave Gedroy, notam-
ment,
félicitait l'auteur
d'avoir montré
combien
il
«
excellait
à peindre les physionomies écoutantes de ceux qui
parmi
les
livres et
dans une atmosphère musicale'
également l'heur de frapper vivement
1.
La
Justice, 7 juin 1887.
vivent »,
eut
les visiteurs les plus
FANTIN-LATOUR.
\u
superficiels
lorsqu'il
fut
exposé au Salon de Bruxelles, en
1890, ou encore lorsqu'il reparut à Paris m«>me, à l'Exposition des Portraits d'écrivains et de journalistes
1893.
pas à
N'est-ce
du
propos de cet envoi que
siècle,
en
presse
la
unanimement,
belge, presque
que
insistait sur le plaisir
les
amateurs éprouveraient à trouver
deux noms
réunis
ainsi
chers au public bruxellois, ceux
du peintre
et
de l'écrivain qui
s'étaient associés
:
la glo-
de ces deux grands
rification
artistes
pour
Hector Berlioz
et Bi-
chard Wagner'?
Que deux ou Adolphe Jullien pensum pour avoir dit M.
faisant
un
du mal de
trois
encore,
s'écoulent
années Fantin
et
renoncera complètement à
faire
Wagnoi'.
des portraits Caricature de Stop, d'après le Portrait de M. Adolphe Jullien {Journal amu-
(il
n'en
pas plus de trois après
peignit le
mien,
sant, 30 avril 1887).
et les derniers qu'il ait signés
:
ceux de sa nièce. M"" Sonia Yanowski, devenue M'"® de Nikanoff, et
de
M°»'=
Léopold Gravier, datent de 1889-90), tant ce
« 11 me semble que ce Salon s'annonce bien, mVcrivait Fantin, de Buré, septembre 1890, après avoir reçu un lot de journaux belges; j'envoie ma carte à MM. Fétis et Champal. Il me semble très bon d'avoir un article comme 1
.
le 18
celui-là
dans Clndcpendance. N'allez pas
Cela se
lisait
en
elTet
dans
M. Cliampal, qui écrivait à
exposé par Fantin,
«
l'article très la
Itéformc,
il
faire votre lêle
:
« Fêle originale!! »
cbaud de M. Edouard avait jugé
merveilleux de simplicité,
que
était
un
le
Fétis; quant à
d'homme monument
portrait
véritable
POUTUAir Salon
.lo
DIO
M.
A
1887.
—
A M.
I)
(
»
1. 1" II
K
JULLIEN
Adolplie Jullien.
AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN
AMI.
maître portraitiste, à mesure qu'il s'élevait dans son percevait
mieux
qu'il
eût conscience de sa
un degré de perfection où
vaient à vouloir atteindre tait
en
ardeur, un acharnement qui l'éner-
mettait une
et
art,
les difficultés, semblait être pris d'inquiétude
en face du modèle vivant, bien force,
145
il
redou-
toujours de ne pas parvenir. De là vient que, lorsqu'il se
trouvait en face d'individus qu'il ne craignait pas de fatiguer,
— ler
et ce fut le cas
pour
les
deux tableaux dont
—
en pleine connaissance de cause,
il
je puis par-
ne se lassait pas
de travailler, je ne dirai pas pour modifier son œuvre, car,
encore une
fois,
la
il
concevait très rapidement d'ensemble
avec une sûreté surprenante, mais
et la jetait sur la toile
pour y mettre plus d'accent, plus de
relief,
plus de vigueur,
pour pénétrer au plus profond de ses modèles et donner d'eux une image «
Ah
!
le
animée
d'une
peintre franc, véridique
puissante !
s'écriait
vie
intérieure.
M. Roger Marx,
justement à propos du portrait qui vient de nous occuper;
comme
il
saisit
le
moral de
la
ressemblance,
comme
il
excelle à rendre l'enveloppante caresse de ce jour d'intérieur
où
il
place ses modèles'
.artistitiufi
».
C'est encore à
!
»
l'occasion de
ce
Salon
qu'un rédacleur de
modèle choisi par Fantin de « célèbre chef reçut de Paris une lettre de remerciements qui se
l'Kloile belge, ayant qualifié le
d'orchestre français
terminait ainsi
:
«
»,
Je n'ai jamais battu la mesure. Ecrivain, critique, histo-
—
non pas chef d'orchestre heureusement pour les chanteurs. Remettez-moi donc, je vous prie, à ma vrai» place, afin que Joseph Dupont ne prenne pas ombrage et me donne encore la main lorsque j'irai à Bruxelles. » 1. Le Voltaire, i"m&i\8Sl. rien musical, tant que vous voudrez; mais
19
FANTIN-LATOUR.
liH
»
Un témoin de
*
tous les jours pouvait seul raconter avec
une exactitude absolue, à propos de ces deux tableaux de
comment
Fantin,
ils
furent conçus et
comment
ils
furent
exécutés sans l'ombre d'une hésitation. Aussi voudra-t-on bien
m'excuser d'avoir profité des avantages que
mon par
me
donnaient
mes longues relations avec Fantin pour narrer menu l'historique de ces deux toiles; en ajoutant
âge et le
encore, afin de ne rien laisser dans l'ombre, que les lignes
simples de
si
piano et
la
la
pièce où nous
l'instrument empiétant sur une porte
place de
étaient empruntées au salon
réunions de musique, et que était
sommes groupés autour du
môme
le
où Lascoux donnait ses
morceau ouvert sur
non pas de Richard Wagner, mais
—
Wagnéristes féroces affectaient d'en rougir
le
pupitre
combien de ces !
— de Johannès
Brahms. Sur
ma demande,
après coup, Fantin, quoiqu'il n'aimât
guère à revenir sur un travail dont
un dessin au crayon,
ma mère
que
il
se croyait délivré,
très poussé, d'après
mon
portrait
—
fit
afin
n'en fût pas absolument privée pendant que
l'original courrait le
monde
—
et
un léger croquis,
de Chine, d'après Autour du piano
:
à l'encre
croquis et dessin sont
encore entre mes mains. En ce qui concerne Autour du piano, il
est
opportun de spécifier que ce croquis, mesurant 17 cen-
timètres de haut sur 24 de large, est fait
d'après son grand tableau, et
le
seul que Fantin ait
si j'insiste
là-dessus, c'est
AUTOUR DU PIANO qu'il
m'est revenu que certain amateur se
un dessin de Fantin, à piano
ET LE PORTRAIT D'UN AMI.
:
il
de posséder
l'encre de Chine d'après Autour
m'en coûte, assurément, de détruire une
mais comment ne pas
le faire ? Il existe
à l'encre d'après ce tableau, il
flattait
fut fait par
147
du
illusion,
bien un autre dessin
mais qui n'est pas de Fantin
M. Félix Jazinski
et publié
dans l'Ari en
:
juil-
)r«^
CARTE DE FANTIN-LATOUR Annonçant let
1885.
Il
qu'il
viendra vernir son Autour du piano.
est reconnaissable, ainsi
qui en furent tirées, à ce que les
beaucoup plus
travaillés,
que
que toutes
fi}i;ures
les
épreuves
et les habits sont
mon chapeau
dessus du piano sont très noirs et qu'enlin
et l'intérieur la
du
signature, en
haut, à droite, très accusée, presque toute droite et suivie
du
chiffre
83 (date fausse), n'a aucun rapport avec l'écriture
de Fantin, tandis que dans
le
croquis de Fantin lui-même,
la
signature est beaucoup plus légère, plus penchée et n'est suivie d'aucune
mention d'année...
FANTIN-LATOUR.
148
Et
comment mieux terminer qu'en exhumant une page
bien oubliée de vous sans doute, à supposer que vous l'ayez
jamais lue, où l'auteur de Bruges-la-Morte a magistralement caractérisé le talent
de cette œuvre,
la
synthèse.
à' Autour
du piano
:
«
exprimé
saisi les traits essentiels,
C'est
bien une
groupe ainsi autour du piano
les
chambre
d'art,
de
qui la
— avec Vincent d'Indy, l'auteur de Cloche, — tandis que Ghabrier exécute une musique qui la
rend méditatifs tous ces visages veulent saisir
l'infini
une autre œuvre où rel, la
la vie
celle
musiciens français
jeune école,
au centre,
Le mérite
avant tout, son grand style, l'habileté
c'est,
du peintre à avoir par
du peintre
même
d'artistes.
qui passe dans les
la
On
musique. On songe à
personnages ont aussi
tension de tout l'être pensant,
pation d'âme; c'est la sublime page de
dirait qu'ils
le la
même même
Rembrandt
:
la
natu-
occu-
Leçon
d'analomie, où toute la passion sereine de la science solennise la scène,
\.
comme
ici la
passion douloureuse de
Revue générale, de Bruxelles, octobre 1887
l'art'
»?
PARSIFAI.
:
KVOCATION DE
KfNDHY
Lithographie originale (1883).
CHAPITRE V FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITE
Lorsqu'on pénétrait, au fond d'une cour de Beaux-Arts, dans
remise transformée en
la
la
atelier,
rue des
aux murs
sans aucun luxe, avec des ébauches du peintre ou des
gris,
copies de tableaux du Louvre accrochées un peu partout, et
qu'on se trouvait en face de cet
homme
légèrement trapu,
toujours vêtu d'un pantalon et d'un veston gris foncé, à
la
barbe courte, aux cheveux clairsemés et grisonnants qui s'envolaient derrière
une sorte de
visière en carton qu'il mettait
pour peindre; lorsqu'on entrait dans cet intérieur
où
le
tant
calme
maître et M""® Fantin vivaient loin du monde, ne sor-
que
le
moins possible
auprès de l'autre, sage
si
et,
il
et
pleinement heureux d'être l'un
semblait qu'on vît s'ouvrir
la retraite
du
dans cette sorte de thébaïde où nul bruit n'arrivait
du dehors que
son de l'horloge de
le
l'Institut,
on se serait
cru à cent lieues de Paris.
Mais à voir
la
chaleur que
le
peintre mettait dans ses dis-
cours, dans ses boutades, dans ses paradoxes; à voir l'insis-
tance avec laquelle
il
interrogeait les visiteurs pour connaître
FANTIN-LATOUR.
150
l'envers des choses, à voir
comment
de son esprit par des lectures du et sans
jamais sacrifier à
la
mode,
entretenait la culture
il
soir, toutes très sérieuses il
que ce quasi-
était clair
reclus volontaire, qui n'ouvrait que très difficilement sa porte et
son cœur, que ce philosophe qui ne voulait plus prendre
aucune part
ni
aux
aux
luttes, ni
plaisirs
de
la vie et se
can-
tonnait dans son modeste home, à l'écart de toutes les vaines
du
discussions
monde,
apparences, une
âme
tailleur, et était
en
nements extérieurs
très ardente,
réalité qu'il
prenait
même
très
un esprit
aux
très vif, très ba-
beaucoup moins détaché des évé-
ne voulait
dait plus dans l'arène, mais et
conservé, contrairement
avait
le paraître.
ne descen-
11
regardait combattre les autres
il
vivement
parti
pour ceux-ci ou pour
ceux-là.
Cet
homme,
qui ne redoutait
nouveaux visages,
était
dans
le
rien tant
que de voir de
fond très accessible à ceux
qui savaient pénétrer lentement dans son affection et n'entraient pas chez lui
comme en
pays conquis pour
der quelque travail, fût-ce au poids de sur
lui-même des renseignements
d'ailleurs,
mais à
naissait bien
la
qu'il
l'or,
ou
lui
lui
demanarracher
donnait volontiers,
longue, à bon escient, et lorsqu'il con-
les gens.
C'était
un timide plus encore qu'un
sauvage, mais un timide qui avait de terribles coups de boutoir et
ne pardonnait guère à ceux qui avaient eu
de l'indisposer. Combien n'en
ai-je
la
maladresse
pas vu de ces visiteurs,
de ces passants qui croyaient pouvoir entrer
là
n'importe quel autre peintre et s'en retournaient
comme
chez
l'oreille basse,
sans avoir obtenu ni le portrait qu'ils auraient voulu
lui faire
FANTIN-LATOUH DANS L'INTIMITÉ. renseignements qu'ils pensaient obtenir de
faire, ni les
En
151
Pantin n'eut qu'un seul atelier, celui de
réalité,
des Beaux-Arts, n"
où
8,
entré
était
il
lui
!
rue
la
Vendredi-Saint
le
(10 avril) de l'année 1868 et qu'il ne devait jamais quitter. Jusque-là,
avait toujours travaillé dans l'atelier
il
ou plutôt
dans quelque grande pièce de l'appartement de son père d'abord
:
rue du Dragon, puis au 31 de
1,
où
enfin, rue Saint-Lazare,
de V
Hommage
la
rue de Beaune',
avait peint ses grands tableaux
il
du Toast^,
à Delacroix et
puis, très
temps, rue de Londres. Mais cette fugue sur
longue dorée
—
rien
que
six
morte, en juillet 1867, son père et rive gauche,
au n" 11 de
que Pantin occupa
était sa joie d'avoir enfin
ami Edwards, parti
à
j'étais
Louvre
1. Ici
était interdit
il
allait
s'était attardé
chez soi
«
«
:
dans
:
suis
et le lundi (les
que
si petit,
le
père de Fantin la
venait quelquefois
un jour
à son
monde
est
travail
au
tant de peine
deux jours où
lui avait
loué une
rue Pérou, qui abritait
demander
une grande place
le
71»,
et
l'hospitalité à
croquis qui représente Fantin encore
la tête, et s'ainusant à dessiner.
fit
Cette maison, qui portait le n"
prises pour établir
telle
Carolus Duran, Zacharie Astruc, etc. Whistler, quand
le quartier,
au
chapeau sur
c'est alors
travailleurs), je fais des natures
qu'il
2.
le
donné
son ami, et c'est ainsi lit, le
le
reprends avec rage
aux
:
» qu'il écrivait
Aujourd'hui
me
fut
revinrent sur leur chère
coucher dans une maison de
aussi d'autres artistes il
un
Le dimanche
l'appartement était
chambre où
je
que sa mère
rue des Beaux-Arts. Et
la
bien en retard; je
à ces portraits! le
de
14 juillet 1868
campagne;
la
Louvre;
le
lui
et dès
ne fut pas de
rue des Saints-Pères
la
l'atelier
—
ans
peu de
la rive droite,
attirée par des amis,
où sa famille avait été
:
a disparu lors des démolitions entre-
un square devant la
Trinité.
FANTIN-LATOUR.
•
152
mortes; je suis dans
un
je suis dans
premier soi seul
atelier,
A
!
pêches et
les
Oh!
atelier.
pensez à
;
je
il
est
me renferme
déménaf^é,
seul. Et
mon
enfin, en avoir
un à
suis bien
je
mon bonheur;
trente-deux ans,
bien tranquille
les abricots. J'ai
temps!
et je vis
là,
J'ai
dans
une petite vie les rêves,
des
illusions sans doute. Enfin, cela rend les fous joyeux. »
La
du peintre
vie
s'est
écoulée tout entière, on peut
dire sans nulle exagération, entre les salles atelier.
Dès
du Louvre
goûté du bonheur d'avoir un
qu'il eut
son
chez soi
«
»,
plus possible et fréquenta moins le Louvre, mais
il
y resta
il
restait toujours sous l'influence des maîtres
il
avait cherché
le
et
le
longtemps
tant d'esquisses où
auprès desquels
pain quotidien de
le
lui-même
avait plaisir à
l'art.
De
reconnaître les
souvenir traversait sa pensée; de
grands peintres dont
le
tant de projets jetés
par
lui
sur
le
là
papier dès
là
première
la
heure, qu'il laissait dormir et reprenait un beau jour, après
de longues années, pour en
comme on
lithographie,
quelque tableau ou quelque
faire
s'en
assurerait en
feuilletant
albums de croquis que sa veuve a donnés au
Luxembourg
et à celui
de Grenoble. Et
n'a-t-il
musée du
pas lui-même,
en des termes d'une sincérité charmante, célébré toujours nouveau pour
lui,
le
charme
l'attrait,
de ces besognes incessamment
répétées du matin et du soir? écrit-il, est
les
«
Le charme de
l'esquisse,
cette chose impossible à déterminer, à affirmer;
est
dans son incertitude que chaque spectateur
achève à son idée. On y voit ce que l'on veut. C'est un peu
comme
la
sonate qui
fait
rêver, chacun selon son goût, ceux
qui ont de l'imagination et le goût du rêve... Ces esquisses
l'OUTIIAlT
1)1-;
Salon de ISSI.
M'"
â&#x20AC;&#x201D;
Cil
AU [.OIT
A M"'
Cliurlottc
1-:
DlltOUItCi
Dubourg.
FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ. hommages, des
sont des
que j'aime; que
l'on
l'on
admire.
actes d'admiration envers des maîtres
un peu comme
si
l'on chantait
des mélodies
comme aussi des variations sur un thème que On essaye ainsi ses forces en se mettant dans
aime,
d'un autre avant d'avoir les siennes; on se rend
les idées
compte
c'est
153
ainsi des choses,
pourquoi
en faisant des esquisses que
j'ai
ceci,
pourquoi
cela. C'est
compris tous ces maîtres du
passé*... »
Que
encore au Louvre,
va-t-il faire
le
matin, dès qu'il a
quelque loisir? Des esquisses, toujours des esquisses, se maintenir
dans
bonne voie
la
)^.
Et que
«
pour
fait-il le soir,
alors
qu'il
ne peut plus peindre?
loin,
dans quantité d'anciens projets, les idées qui
les plus
Je cherche, dit-il
«
un peu plus
me
semblent
propres à être exécutées, je les mets en train, à
lueur de la lampe, et les peins remplie.
Quand
je
le
la
lendemain. La vie est ainsi
retrouve tous ces vieux projets, toutes
ces esquisses dans les albums ou sur de petits bouts de papier, je
me
dis
:
«
Qui aurait pensé qu'un jour
je
retrouverais
tout cela avec intérêt et m'en servirais et le continuerais? Je
ne sais qui a
dit
que
l'on passait sa vie à exécuter les projets
de sa première jeunesse? n'est pas capable
On
les
abandonne parce que
de leur donner une forme; c'est
le
savoir
qui ne vient qu'avec l'âge qui en permet l'exécution \ serait-ce pas Goethe qui parlait à tin,
par cette hésitation, ne
peu près de
faisait-il
l'on
la sorte, et
»
Ne
Fan-
pas tort à son admirable
mémoire'? l-"2.
3.
Lettre à Edwards,
C'est dans
du 30 décembre 1871.
ses Mémoires {Vérité et Poésie)
que Gœthe, développant 20
le
FANTIN-LATOUR.
\U
Tant que son père vécut, Fantin demeura avec rue des Saints-Pères, ensuite au 82 de
une maison donnant sur pice, et
même,
à la
fin,
état d'esprit assez faible, son
le
fils
d'abord
rue Bonaparte, dans
du séminaire de Saint-Sul-
les jardins
comme
la
lui,
vieux peintre était dans un
ne
le quittait
chaque
soir, le
plus souvent pour venir rue Taranne, qu'après l'avoir vu se coucher, presque s'endormir. Plus tard, lorsque son père fut mort et
que lui-même
Beaux-
se fut marié, son installation rue des
Arts prit un caractère définitif par la location d'un modeste
appartement communiquant avec son intérieur.
atelier par
un escalier
Et tout aussitôt commencèrent là ces charmantes
réunions d'amis, ces petits dîners tout intimes de quinzaine, le lundi soir, où Fantin groupa d'abord son ami Maître et le critique Duranty
—
1866 à Edwards; causer avec
lui,
Je crois qu'il vous plaira, écrivait-il en
«
c'est
ce qui est
tiques les plus élevées »
Duranty n'y
un garçon
attitré à
pour Autour du piano. Je
vieillesse
en abondance
:
«
j'arrivai
moi-même
lorsque
dater de l'époque où nous posions vis paraître le
aussi
là
quelquefois,
critique Arsène Alexandre,
Ce qu'on désire dans
», écrit,
on peut
dont Amédée Pigeon devint éga-
à de lointains intervalles, soit vieux proverbe allemand
intelligent,
agréable, des questions artis-
— où
;
était déjà plus,
lement un convive
si
très
la
jeunesse, on
entre autres choses qui s'étaient
l'a
dans
comme
la
cris-
Nos désirs sont les pressentiments des facultés qui sont en nous, les précurseurs de ce que nous sommes capables de faire; ce que nous pouvons et que nous désirons s'olTre à notre imagina* tion hors de nous et dans l'avenir; nous espérons ce que nous possédons déjà sans le savoir. C'est ainsi qu'une anticipation ardente transforme une possibilité véritable en une réalité imaginaire. » Mémoires de Gœthe, trad. tallisées
dans
l'esprit
Jacques Porchal;
de Fantin
:
2" partie, livre IX.
«
FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ.
soit
Germain Hédiard, lorsque son
graphique de Fantin eut
fait
de
travail sur l'œuvre litho-
lui
un des
visiteurs les plus
assidus de l'atelier de la rue des Beaux-Arts
d'Amédée Pigeon, professeur
à la
155
;
soit le frère
Faculté des sciences de
Dijon, très passionné pour tout ce qui touchait à la photogra-
magnésium
phie, qui essayait de nous prendre le soir au n'arrivait le plus souvent qu'à faire des
toutes les personnes avaient
images où presque
brusquement fermé
Fantin, qui détestait tellement le
les yeux.
monde, aimait beau-
coup au contraire ces repas d'intimité, toujours après lesquels
il
et
très
fins,
évoquait force souvenirs ou cherchait à piquer
amicalement ses convives, ces petites soirées qui se terminaient entre dix et onze heures par une excellente tasse de thé.
Et
s'il
m'était permis de coudre
à ces souvenirs d'art
quelques souvenirs de cuisine, je dirais quelle sollicitude avait
pour
amis
les
qu'il
traitait,
comment
il
il
ne manquait
presque jamais, ces jours-là, d'aller chercher des cigares de choix pour
les
fumeurs ou de rapporter quelque excellent
mage pour ceux qui en délicieux
Chester,
lui.
Quels
incomparables,
quels
étaient aussi friands
Gorgonzola
quels
Slilton exquis, quels merveilleux Sassenage
Dauphiné sans doute
comme
ils
—
il
que
fro-
— en souvenir du
m'a été donné de déguster
là,
et
étaient les bienvenus chez moi, ces fromages de
pays qu'il m'expédiait do Buré, ces Gacé, proche Camembert, qu'il m'écrivait
devoir tenir agréablement leur partie dans
la
symphonie odorante des fromages! Fantin avait toujours été l'homme de ces réunions intimes,
de ces libres causeries entre amis, que ce fût au café Molière,
FANTIN-LATOUR.
156
au café de Bade, au café Guerbois ou chez son ami Maître «
y a
Il
dans
là,
l'atelier,
M. Edwards, Ridley, un de ses amis,
Edwards. On cause,
M""^
:
de Sunbury à ses pa-
écrivait-il
»
rents dès 1861. Aussi avait-il été très heureux, sitôt marié,
de reconstituer ces petites réunions chez
lui,
de se retrouver
au milieu d'amis éprouvés sans avoir à enlever ses chaussons, ses chers chaussons auxquels
se montrait déjà
il
attaché lors de ses visites à Sunbury; mais
avec horreur réceptions et réunions,
mondaine
toute obligation
il
il
si
fort
évitait toujours
s'était
soustrait à
ne savait plus depuis longtemps
et
ce que c'était qu'un habit noir. Si Fantin fuyait tellement
mal à
le
monde,
c'est qu'il en
avait peur et s'y sentait
mais ce
n'était pas là
seulement une répulsion instinctive;
que, lorsqu'il avait été forcé d'entrer en contact
c'était aussi
avec
lui,
avait senti tout le vide et toute la fausseté de ses
il
usages et de ses formules et
palement
lorsqu'il avait
châteaux de
A une
l'aise;
la
dû
qu'il
faire
en avait souffert, princi-
quelques séjours dans des
Brie ou de l'Anjou.
seule époque de sa vie, au
moment de
ses voyages
en Angleterre, au milieu de ce luxe et de ce confort qui l'avaient tellement surpris,
gance et «
Si tu
s'était
me
avait eu quelques velléités d'élé-
il
vu forcé de se commander un habit noir
voyais en habit, écrivait-il de Londres à sa mère,
en 1864, je suis splendide;
peu près pour 350 francs.
j'ai
»
payé
Mais
il
le tailleur, j'en ai
eu à
avait eu bien vite assez
de cette vie de visites et de présentations, de ces fêtes tions,
:
et récep-
de ces dîners au Champagne, toujours en habit, toujours
en cravate blanche. Cependant, lorsqu'il
était
revenu en France,
K
2
FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ.
157
quelque temps de ce changement d'habitudes
il
s'était ressenti
«
Oh! que le pauvre peintre a de peine à se remettre!
à Edwards,
le
27 novembre 1864.
flâne toujours; let. Il est
tée, je
on
le voit
ne
11
partout, mais
non pas à son cheva-
assez frais;
ma
pas, dans le
monde, de le trouver aimable de
cravate va toujours mal!
»
le dire
;
Oh! votre
traire.
ours?
si
Il
Oh! mais cela ne va pas durer,
c'est abrutissant. » Et le fait est
bout
dépende mois,
année avait pris
à sa mère,
avait ofl"ert son
il
charmant. (Charmant!
est
a été dit!) Pourquoi était-il
seront
Partout où je vais, on répète à
fille? « fils
s'ils
Et ne s'avise-t-on
parce qu'un jour, en revenant d'une soirée,
:
enchan-
est
m'occupe beaucoup de mes gants, de savoir
ma mère
écrivait-il
fait rien, flâne, flâne,
devenu l'homme des salons. Ma mère
bras à une jolie jeune
:
le
mot
faut l'amener, le dis-
j'espère. J'en ai honte
que cela ne dura guère
:
:
au
cette crise d'élégance de la vingt-huitième
fin.
*
*
Au moment môme où anglaise, décrit
jusqu'à
que
je
le
il
*
Fantin était
faut voir de quel œil
monde où
il
est,
il
les
regarde et de quelle plume
personnes
la figure qu'il doit faire là
m'embête,
Mytton-llall, où
il
écrit-il à
plus séduit par la vie
le
:
Edwards,
«
le
Ah!
vous saviez ce
4 septembre 1864, de
avait entrepris le portrait de M'"® Potter;
non, cela ne peut pas se dire. Dans ce moment, de je
vois des coteaux
cloches et,
je
:
coudoie et
qu'il si
il
;
c'est triste à
des églises sont
mourir.
crois aussi, Whistler;
là
Oh que je !
mais
il
ne
ma
et l'on
fenêtre,
sonne
les
regrette d'être venu le dit
que
le
moins
FANTIN-LATOUR.
158
possible. Je ne fais l'habit noir!
que m'habiller
En passant
pantalon
le
:
le soir,
j'injurie
Whistler qui est très gentil et
On
beaucoup
boit
et l'on
mange
c'est la redingote, c'est
le
vers sept heures,
supporte assez bien.
très bien,
mais de ces nourri-
A
tures de salon, des miettes de quantité de choses.
jeunes frères, pas gais; une demoiselle,
M. Potter la
table, des
sœur, peu plaisante.
la
mais ne pense qu'à bien vivre
est, lui, très gentil,
:
douceur même, embrasse ses enfants comme du pain. Et
que d'enfants! Tous ceux d'Haden, ce qui
quatre, puis
fait
quatre ou cinq de Potter; des bruits impossibles. la seule
Non, je
vous
comme un
ferai
la
s'habiller,
fait
exprès...
reproduction de
noir, prenant
Nous entrons dans
la salle
je ne trouve pas
:
moi,
:
mener à
je représenterai cela, cet
mon
mourir de
c'est à
table.
départ
le
domes-
splendide, en la
chemi-
bras et
le
présente.
à manger; je cherche des mots,
éclat de rire. Je vais finir par
Avec tout
ici
bras nus, bracelets, un tas
fia fia,
à l'aspect que je devais avoir;
:
tenue
repas;
le
de choses. Moi, alors, j'arrondis
dide
ma
je serai chez vous,
ou cherchant à prendre une pose à
née; M""" Potter, en grand
à savoir bien
Quand
l'entrée au salon au crépuscule, le
tique entrant pour annoncer
que
Haden,
qui eût été agréable, est malade et garde la chambre.
c'est
pour
M"'*'
j'ai
rire. Hier, j'ai
cru que j'allais partir d'un
apprendre à
Oh
!
le
pensé
me
tenir très bien,
jour d'Haden, ce sera splen-
l'homme du monde!...
homme un peu sauvage
bourru, mais brusque et renfrogné lorsqu'il
»
et je
ne dirai pas
le voulait, qui disait
volontiers de lui-môme à propos des avances que M™'= Meurice lui
avait
faites
en
le
voyant peindre au Louvre
:
« J'ai fait
FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ.
l'ours, » n'était pas tellement «
non pas lorsqu'on
cir,
le
mal léché
flattait,
échapper quelque parole heureuse, qui
le
ne pût s'adou-
» qu'il
mais
159
lorsqu'on
mettait en sympathie
mouvement
avec vous, ou lorsqu'il se laissait aller à quelque d'indulgence dédaigneuse.
mieux que lui fut
celle
Et
nulle histoire ne
du portrait de
M"*^
laissait
le
prouve
Marguerite de Biron qui
particulièrement pénible et se termina
comme
vous
allez le savoir.
C'est en 1867, à l'heure où le succès avait signalé Fantin à l'attention des
des
commandes
comme
qui auraient pu,
s'il
du Portrait de Manct
amateurs
et lui avait valu
avait continué, le classer
du grand monde,
qu'il avait accepté
de
se rendre au château de Fontenay-Trésigny, pour peindre
le
peintre attiré
un modèle tout
portrait de M"" de Biron,
à fait aimable etqui
se prêtait à lui jouer quelques-uns de ses
comme
le
Joyeux laboureur, de Schumann. «J'ai été
portrait à la écrivait-il à
beaucoup et je
campagne
Edwards
achevées,
le
et je le
termine en ce
25 novembre 1867...
pour
d'efforts
m'en trouve
inconnus.
morceaux
de
faire
très bien
:
il
la
moment
favoris, faire
un
à Paris,
J'ai fait et je fais
peinture très poussée et
s'ouvre devant moi des horizons
A un moment, il faut bien faire des choses très cela me sert beaucoup pour voir très large. Je fais
un portrait d'une demoiselle de dix-huit ans, robe blanche et rubans cerise, mi-corps,
une chaise; dans
le
fond,
la
si
en
main posée sur
un meuble avec des
un portrait dans ces données
très jolie,
fleurs; et faire
connues, en peintre, avec des
moyens
si
difficile.
Quelquefois, je suis perdu dans ces difficultés. Joignez
loin
de
la
beauté de
la
nature, cela est terriblement
PANTIN-LATOUR.
160
à cela la vie de château, le inonde autour de moi, les distractions, les séductions de toute espèce, la tenue de l'habit noir
pour dîner au moment où
il
doux de
serait si
se reposer;
puis passer la soirée au salon, au milieu de conversations sans intérêt
pour moi
Quoi
un soin le
qu'il
en
!
»
fût,
ce portrait, que
touchait à sa
infini,
et
fin,
le
peintre avait traité avec
Fantin comptait déjà sur
succès qu'il ne pouvait manquer d'avoir au Salon, lorsque
M""^ de Biron, prise
de scrupules qui paraîtraient aujourd'hui
bien étranges, revint sur sa promesse et
que
qu'elle désirait
le
portrait de sa
savoir au peintre
fit
fille
ne
fût pas exposé.
Et cela huit jours avant l'expiration du délai pour les envois
au Salon de 1868, sans que Fantin eût
ou
même
le
temps de
de terminer un tableau quelconque.
cependant, très désolé dans
se résigna
mais sans récriminer
fond,
le
Il
faire
contre ce vélo tardif d'une mère inquiète. Oui, mais n'appritil
pas plus tard qu'afin de faire entrer son œuvre dans une
série symétrique de portraits de famille,
ovale, en supprimant des mains qu'il
aussi élégantes, aussi
vivantes
on
l'avait
coupée en
avait faites aussi fines,
que possible? Et
plus tard
encore, après qu'il était devenu célèbre et que les propriétaires
du
portrait se furent avisés qu'en coupant les mains, ce qui
n'était pas
une perte, on
qui était grand
avait aussi
dommage, ne
vit-il
coupé
signature, ce
la
pas arriver chez
lui
l'ambas-
membre de la famille qui lui demanda le simplement du monde de vouloir bien resigner sa toile sadeur d'un
mutilée? Fantin
Par
un
fit
un haut-Ie-corps de surprise
revirement
singulier,
—
Fantin, qui,
plus ainsi
et signa.
adolescent.
I
c
FANTIN-LATOUR DANS beaucoup
avait fréquenté
L'INTIMITÉ.
les théâtres
161
avec son père, surtout
jeune homme, avait suivi toutes
les théâtres gais, et qui,
les
représentations de l'ancien Théâtre-Lyrique, au boulevard du
— quelle source pour nous deux! —
Temple,
inépuisable de souvenirs
sur
s'était
concerts et des théâtres vait, il
d'entendre de
la
:
la fin
disait
il
musique,
tout à
que cela
fait
détourné des
le fatiguait, l'éner-
et peut-être était-ce vrai, tant
y concentrait toutes les forces de son esprit etde sa volonté.
encore vu se déranger pour aller voir jouer Béatrice
Je
l'ai
et
Bénédict, de
Troyens, dont
Berlioz,
il
avait été
à
l'Odéon; à l'Opéra-Comique,
ainsi
les
un des auditeurs assidus en 1863,
ou môme, à l'Opéra, VA'ida de Verdi, vers qui
et
communs
il
était
revenu,
que son ami Maître, après avoir été passablement tiède
presque hostile
et l'exaspération
:
rappelez-vous ce qu'il disait de la Traviata
que
lui
causait à Londres le Misei^ere
du
Trouvère.
En
qui
ce
regarde Wagner,
il
laissa
se
entraîner à
l'Opéra pour y voir jouer Lohengrin,la Walkyrie, Tannhseuser et les Maîtres
Chanteurs de Nuremberg.
de
c'est plein
vie, écrivait-il â M""^
—
«
Nous sommes ravis,
Edwards
le
19 novembre
première représentation. On voit
1897, après avoir assisté à
la
que Wagner
de son sort à l'époque où
était satisfait
posait cet ouvrage
;
»
— mais ce
il
com-
fut tout, et lorsque arrivèrent
Siegfried et Tristan et Iseult, Fantin sut
tenir
bon contre
les
exhortations de ses amis et les sollicitations de son entourage
immédiat il
:
ni
pour Wagner,
ni pourBerlio/, ni
pour personne
ne se dérangea plus jamais. En réalité, Fantin, surtout après
qu'il se fut
marié, n'alla plus que rarement dans les concerts 21
FANTIN-LATOUR.
162
ot
presque jamais au spectacle; tous ses appétits de musique
étaient satisfaits par les séances de piano à quatre mains
que
son ami Lascoux donnait avec un ancien magistrat, M. Grattery, et
dans lesquelles ces deux amateurs exécutaient avec passion
les
opéras de Wagner.
Lascoux ne
faisait
père, le conseiller à la
que continuer
traditions de
les
son
Cour de Cassation, chez qui avaient
eu lieu jusqu'en 1870, des séances intimes de quatuors de
musique
classique. Fantin avait
ami Maître,
ainsi
que
le
dû être introduit
peintre
Bazille,
et
là
par son
quand on
les
voyait tous trois arriver dans ce milieu tranquille et bourgeois
«Tiens! voilà les Manct!
» s'écriait-on
:
avec une terreur affectée.
Les séances de piano à quatre mains du fds s'étaient bientôt transformées en séances de quatuors où l'on jouait surtout des
œuvres de Schumann, de Brahms; où
eux-mêmes tout vin
en
la
les
porte aux nouveaux arrivants, où l'on pouvait,
écoutant, ou fumer ou boire à
d'Arbois;
auditeurs ouvraient
où
l'on aperçut
satiété
d'excellent
M. Saint-Saëns,
quelquefois
M. Messager, Chabrier, M. Fauré, qu'on appelait déjà, mais par façon de plaisanter,
le
Schumann
manquait pas de venir, quand
il
français
;
où Svendsen ne
était à Paris, et tenait
môme
une partie de violon. Après
les
quatuors, simples ou doublés, les transcriptions de
fragments de Parsif a/ arrangés pour petit orchestre par M. llumperdinck tout exprès pour Lascoux; après quatre exécutants, dix, vingt, trente,
au nombre desquels figuraient parfois Garcin,
Lamoureux, Maurin, sous
la
direction de Lascoux; après quinze
ou vingt auditeurs, tous intimes, cent, deux
cents,
trois
FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ. convoqués par des invitations qu'on
cents,
coup plus
parts, et puis tout à
163
sollicitait
de toutes
L'organisateur de ces
rien.
séances, excédé du bruit qu'elles faisaient dans Paris et des
compliments qu'on
lui
adressait en affectant de le traiter, au
détriment du magistrat, non plus
comme un
qui s'amuse, mais
comme un
simple amateur
professionnel de la musique,
jugea bon d'arrêter ces divertissements musicaux
:
dès lors
Fantin n'entendit pour ainsi dire plus du tout de musique...
Encore qu'il
rît
dans
qu'il fût,
volontiers
d'humeur assez gaie
l'intimité,
plutôt
un concentré,
son amitié, pour solide qu'elle
d'une façon très expansive l'affection qu'il
du
en se rappelant d'anciennes pièces
Palais-Royal, son théâtre favori, Fantin, dans la vie, était
et
il
:
le
courant de
je
ne dis pas un morose, et
fût,
ne se manifestait jamais plutôt deviner et sentir
fallait
vous portait et savoir
Lui-même
la savourer.
en convenait d'ailleurs et s'en disculpait assez drôlement dans ses lettres à ses parents à propos de
sans doute celle de sa
mère
fête oubliée,
de sa sœur Marie...
et
diable, vos fêtes, écrivait-il le
quelque
20 août 1861,
je
Ah!
«
ne connais
pas tout cela. J'écris peu, c'est vrai, mais quand j'écris, c'est
pour vous, ceci
:
c'est parce
fête,
écrit,
fait plaisir.
le
comme
sa
jour de
mère
Que me
Eh bien!
pour vous demander des bretelles la
avait
le
si
je
jour de
»
Ou
encore, un peu plus loin,
dû mal prendre ce Ion cavalier
:
«
maman, n'accusez pas votre fils comme cela; je ne grand bruit de mes affections, je ne comprends pas
chère
fait
Saint-Henri... Ah! qu'en dites-vous?
Elle est bonne, celle-là?...
pas
me
C'est la sainte Ceci; c'est la sainte Cela?
vous avais
ma
que cela
Ma fais
les
FANTIN-LATOUR.
164
grandes protestations, mais j'aime bien. Je suis très malheu-
reux
même
de ne pouvoir pas dire ce que je sens. Tu pardon-
neras cet oubli bien involontaire, je t'assure. bien grands, je
le sais (paresse),
mais
des défauts
J'ai
ne crois pas être
je
si
insensible que vous le supposez. Mais cacher ce que j'éprouve
une chose que
est
ne peux empêcher,
je
et les affections
demandent, mystère
et
du
crois,
je
une mutuelle com-
préhension. S'aimer, sans
pour
dii^e,
tise...
Et
par une bê-
»
même
de
dans
tard,
finir
les
que, plus
lettres
qu'il
m'écrira de Buré, Pantin KaiUin-Latour...
ci...
voyez par Val
Voyez, voyez... Parsifal
me
marquera toujours sa recon-
Une pièce de Wagner?
Mais non... Les Cloches de Corneville. Voyez par
le
naissance pour
le
nouvelles que je
lui
peu
de
envoyais
!
Caricature de Honriot, d'après Parsifal les Filles- Fleurs {L'Illtuitralion,
de Paris, non sans quelques
et
6 mai 1893).
pointes à l'adresse de ceux qui,
de
comme
même
parents,
il
Maître ou Pigeon, avaient
dans
la
plume moins
facile,
dernière de ses lettres d'Angleterre à ses
écrivait
:
«
...Je
sens que je vais travailler. Le
travail artistique, c'est tout, je il
la
n'y a rien d'autre. C'est
veux
faire
des chefs-d'œuvre;
une consolation,
c'est la seule qui
peut faire consentir à vivre. Si je n'avais pas cet espoir, je voudrais mourir.
Que
la vie est
qu'illusions qui s'envolent, il
absurde autrement
!
Ce n'est
que bonheur d'un moment, puis
y a les tristesses qui viennent; je redoute toujours
la
fin
PAIISIFAI.
ET LES FI LLES-FI.EU H S
Lithographie orlj^inale (1883), reprise pour
A M.
le
tableau du Salon de 1893.
Ch.-Ed. Haviland.
FANHN-LATOUR DANS du bonheur. Écrivez-moi
une
lettre,
Edwards
cela est
si
165
agréable de recevoir
on se sent aimé d'autres qui pensent à vous'. encore avec quelle émotion
faut voir
Il
;
L'INTIMITÉ.
le
départ et
le
»
annonce à
il
mariage de sa chère sœur Marie,
après huit ans d'attente
que
attendait
(elle
le
fiancé qu'elle aimait eût
une
position
assurée,
c'est-à-dire le grade de
dans
colonel
russe), et la
cause
lui
l'armée
douleur que sépa-
cette
ration,
d'autant
cruelle,
que
fille
avait
dû
plus
jeune
la
partir seule
pour Varsovie où
le
ma-
riage allait se célébrer,
chez des amis,
de
la
la
guerre
Prusse contre l'Au-
triche ayant hâté ce riage, en
qu'elle
môme
ma-
On a donné à
votre père, ce matin.
Caricature do Stop, d'après Pnrsifat cl Fleurs {Jottntal amusant, 6 mai 1893).
le)
FilUt-
temps
empêchait les parents de Pantin de se rendre
si
loin,
sans
être sûrs de pouvoir, au retour, retraverser l'Europe en feu. «
Enfin, tout est
achevé, elle nous a quittés,
Edwards. Jugez des douleurs de pénible. Je ne
1.
me
la
à
séparation; cela a été très
sens plus ce que
Lettre du 19 septembre 1864.
écrivait-il
j'ai
été, cela
m'a
vieilli
FANTIN-LATOUR.
beaucoup. c'est
de
Si ce n'était l'attente et l'angoisse
un bien pourtant pour
elle...
séparation,
la
a trente-sept ans et un bel
11
avenir devant lui; vous voyez que c'est une bonne chose pour
jeune (vingt-neuf ans) je craignais toujours
elle qui n'était plus
que cela
:
n'arrivât pas'... » Et tout de suite apr«;s,
il
ajoute
:
Vous comprenezponrquoi, malgré tout leplaisirqucj'auraisde vous voir, il m'est impossible d'aller à Sunbury cette année. Me <(
pour mon père
voilà seul enfant
aime
tant. Je
mon
sens que c'est
;
je ne
plus vrai de tous les devoirs. Je crois
devoir et c'est bien
môme
le
du bon-
passer leur vieillesse dans la tranquillité,
heur, leur
faire
l'aisance et
même,
si
je le
peux en
travaillant
donner du bien-être, du luxe. On doit être en vieillissant.
Ma récompense
heureux; mais
le pourrai-je*?...
sera
le
si
colère de tous les refusés, était
le
sensible à cela les voir
»
la
mort de sa mère arrivant juste au moment où raisons d'être heureux,
beaucoup, leur
bonheur de
Et quel coup ce fut pour Fantin que
Ce tableau, qui
les
que cela est des
plus fortifiants pour le travail. Je veux leur donner
de
peux
pas? Ce serait cruel et je
laisser seuls maintenant, n'est-ce les
ma mère
et
car au
lui, avait
portrait
maladie et il
milieu de
la
avait le plus la
bruyante
vu recevoir son tableau!
de Manet,
avait
vivement
frappé tous les jurés et gens de l'administration qui avaient
pu l'entrevoir avant l'ouverture du Salon. goûter ce
plaisir,
écrit-il
préoccupé et inquiet de
1-2. Lettre k
l'état
Edwards, du 2
à
Edwards
de
ma mère
juillet 1866.
«
le
Mais je ne peux 12
avril
1867,
qui est toujours très
FANTIN-LATOUR DANS malade;
»
lorsque
le
eut
fait
L'INTIMITÉ.
ou encore, deux grands mois plus
commandes,
venir des
trois
séances par jour
place auprès de
ma
mère, passant
mon
la nuit
moi qui me croyais autrefois dans une
«
:
Je
mon
le fatal
événement,
écrivait à la date laisse
Oh
auprès d'elle.
!
vie dure, je vois la
courage, je n'en puis plus. il
rentre
père, je prends sa
aujourd'hui. Je veux en partir maintenant; je
bout de
lui
qu'il peignait
trois portraits
dîner, n'en pouvant plus; je relaye
me
25 juin,
tard, le
succès du Portrait de Manet à l'Exposition
simultanément, d'où
vie
167
»
suis au
Quatre mois après
n'avait pas encore repris le dessus et
du 25 novembre
un vide atroce.
«
:
La perte de ma mère
pour moi une espérance
C'était
continuelle de lui montrer son fds réussissant; j'aurais tant désiré lui procurer une vieillesse plus heureuse que le
mencement de
sa vie, et puis rien!
Oh! voyez-vous,
com-
c'est la
plus grande douleur que l'on puisse avoir. Je ne m'en suis
pas encore ressenti autant que maintenant et chaque jour ce sont des regrets constants.
Au
retour, ces jours-ci
du château de Fontenay-Trésigny, où portrait de M"" de Biron), quel vide!
il
avait
Que
(il
revenait
commencé
c'est triste
le
de ne
pas trouver un accueil, une oonversation, de ne pas faire des projets ensemble, de ne pas parler de choses
espérances dans l'avenir!
»
Combien
il
à faire,
des
dut regretter alors de
n'avoir pas mis sur l'heure à exécution le projet qu'il avait
formé et communiqué peu auparavant à Edwards de représenter sur
la toile
toute sa famille
lui-même, sans doute, avec eux
!
:
père, n)ère,
sœur
—
et
FANTIN-LATOUR.
168
*
Tel
pour sa famille,
était
il
*
tel
il
peu communicatif, peu expansif, mais
même. A
la
façon dont
il
exemple de Legros lorsque
pour ses amis
était
parle d'eux dans ses lettres, par
presque avec
celui-ci se brouille
Fantin parce que, installé à Londres et y ayant carrière,
il
quand
attaché
très
:
fait
toute sa
ne peut pas admettre que l'amitié de Fantin se par-
tage entre Whistler et lui-même; à la joie que Fantin manifeste, lui le
de
qui est
si
triste et se sent si seul à Paris,
prochain retour de Scholderer le
et
aux craintes
trouver changé ou différent de ce qu'il
met
à l'empressement qu'il
à
annoncer
rien tirer
quand
il
ne
lui parle
il
exprime
voudrait voir;
ne peut d'ailleurs
pas de lui-môme, et par Manet,
qui a envoyé là un très bon portrait de Zola, et le meilleur aussi
du Salon tout entier
que ce garçon-là ne
fait
ses amitiés et qu'il leur
qu'il
double succès rem-
le
porté au Salon de 1868 par Legros, dont
le
en apprenant
bon marché
demeure
ni
»,
il
«
son meilleur
est facile
de voir
de ses opinions
fidèle, alors
ni
de
que certains de
ses amis paraissent s'écarter de lui et le laissent continuer seul dans la vie. «
autour de
soi,
Au
départ, on est jeune, heureux; des amis
puis l'on marche et l'on se quitte sur la route.
Adieu! adieu! dit-on de temps en temps, puis on est seul;
heureux quand on a encore
que
1.
le
repos éternel
Lettre à Edwards,
comme du 26
l'Art.
Sans quoi,
espoir
février 1866.
'.
»
il
n'y aurait plus
KÈVKIUK
(.M>"=
I.
188i.
ÈON
MAÎTBE)
^
''<
/'â&#x20AC;¢*.<.
Ct^t-j^
/>
7^
/^
<^.
22
"7^
«9^^"v^
?
^
(f*A
7^
-y^iyc
J"
a.
-
—^
r-
»
«
^«
'
«
a*^
c^^^o^.^:,
\
a
-
^^^^
!0
O —
s
-"
o „
<
w s
as
e
FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ. Et quelle
chaleur n'avait-il pas mise
173
précédemment à
défendre Manet, tant que celui-ci était repoussé par des juges qui
condamnaient sans
le
de parti
été refusé
même
avoir vu ses tableaux!
Depuis l'année dernière, on disait eu
courage de
le
le faire,
ne parle que de cela. plus grand bien sa tenue
sur
:
:
le
Edwards en
pris, écrivait-il à
Ils
le voilà
moment,
a
avril 1866.
qu'il serait refusé. Ils ont
un grand
cela produit
en voulant
lui font,
effet ici,
on
lui nuire,
le
martyr... J'ai été très satisfait de il
a eu
un mouvement de
puis a repris le calme de celui qui est fort et
de commencer un autre tableau. Malgré la
« Il
il
colère,
est en train
peu de succès que
le
peinture vraie a dans ce temps-ci, elle est en marche et
du moment où on l'admettra. La conduite du jury
bien près
est si injuste qu'il
mis
:
on trouve cela trop dur'.
1.
parmi nos enne-
»
Mais celui de tous ses amis qui mait
même
y a une réaction,
le
surprenait et le char-
plus, c'était ce volage et fringant Whistler
le
Enfin,
beaucoup plus
tard, après la
mort de Manet Edwards le
n'sultats de la vente Manet, écrira-t-il à M'""
:
«
qui lui
Vous avez vu
H
les
février 1884. Je
crains que l'on n'ait exagéré les prix des tableaux, ce qui fait que l'on a trop
racheté en ne voulant par les vendre à bon marché. Quelle déplorable idée
de croire que
—
Dans
la
bonne peinture peut se vendre cher, comme
la lettre
reproduite ci-contre
If'me qu'il avait adopté par
(p. 169-17'*),
la
mauvaise!
selon un
Fantin,
»
sys-
manière de taquinerie, exagère visiblement son
admiration pour Rossini en affectant de mettre indistinctement tous ses opéras,
même
Zelmira
et
Le catalogue dont
/ticciardn e Zoraïde, il
au rang des chefs-d'œuvre absolus.
parle était celui de ses lithographies, dressé par
Germain
Hédiard, précédé d'une étude générale sur son œuvre lithographique elaccom-
pagné de deux lithographies originales (son portrait à et
Vénus
et
l'Amour) et publié effectivement
marchand d'estampes,
18, rue
«
chez
Guénégaud, 1892
».
l'âge
de dix-sept ans
Edmond
Sagot, libraire,
m
FANTIN-LATOUR.
avait donné, c'est vrai, de très
tion et l'avait
je
:
«
qui
saisir, à
il
ne se
me
Gela
un grand
ferait
de
plaisir
peux dire maintenant que son silence m'a
disait
il
à
le revoir, et
bien de la
fait
moi comme une femme, comme
peine, car Whistler est pour
une maîtresse que
qu'il
lassait pas d'écrire
de réponse régulière et de qui
recevoir
Edwards
d'affec-
chaudement soutenu en Angleterre, mais
pouvait difficilement
sans
nombreuses marques
l'on aime,
malgré tous
les
ennuis qu'elle
vous donne.
J'ai
bien peu d'affection pour les femmes, je n'ai
jamais rien
fait
pour
comprends pas
;
être capable de c'est la
même
rait avoir
font peur et je ne les
mais au fond, tout au fond, je sens que
aimé, je serais l'esclave
j'étais
me
elles; elles
si
plus soumis et serais peut-
le
toutes les plus grandes folies. Je sens que
chose pour Whistler
un ami dévoué
et
:
s'il
savait
comme
aimant en moi. Malgré
il
pour-
tout,
il
est séduisant'... «
Mais
qu'il se retrouve tout à
coup en
face de cet incon-
stant ami, et tout aussitôt les dissemblances de leurs
natures éclatent à ses yeux et celui qu'il souhaitait tant
le
deux
rendent presque dur pour
de revoir
:
« J'ai
trouvé Whistler
très Américain, très aimable; mais, moi, pas trop aimable. Je
sens que nos beaux jours sont passés. Offres de service, vou-
m'emmener
lant
à finir.
car
il
bien
1.
Je
me
chez
lui;
mais
Lettre
depuis que je
du 2
ne pouvais pas
:
ma
copie
reproche de n'être pas plus aimable avec
est toujours très bien utile
je
juillet 1866.
pour moi, le
connais
et, :
je le sens,
il
lui
m'est
chez les Grecs, son
FANTIN-LATOUR -DANS L'INTIMITÉ.
absence
s'est
l'ait
sentir'.
croit trop à l'argent, à
Il
au bruit, pas assez au bien, qui est
le seul
C'est long, c'est vrai, et c'est pénible
:
il
moyen de
travail si captivant! le Capitole! c'est vrai,
se relâcheront, surtout après la
parvenir.
le
mais
prix de ce
Couronnes! Gloire M...
»
Ils
mais combien leurs relations
que Whistler se sera marié
Et
!
dernière fois qu'ils se rencontrèrent, à l'Exposition cen-
tennale de 1900, «
l'habit,
faut travailler,
quelle belle occupation, un travail intéressant et
ne rompirent jamais,
175
comme
passaient devant la Famille D...
ils
Dis donc, s'écria joyeusement Whistler; et toi qui
santais sur le portrait de
son air
le
ma mère?
— Oh! ma
plus doux, ce n'est que
me
plai-
repartit Fantin de
belle-mère.
»
un
Certes, Fantin, à la différence de Whistler, n'était pas
remuant, pour ne pas dire plus, et ne il
n'était
l'homme
ni des
de voix, et on se
le
fumant
—
et
buvant
café auxquelles
il
«
:
croyait pas à l'habit
»
;
grandes phrases ni des grands éclats
représente mal autrement qu'écoutant,
oh
!
très
peu
—
dans ces réunions de
se rendait pourtant régulièrement, afin d'y
récolter quelques nouvelles d'art, mais dont
le
ton général
déplaisait à sa nature silencieuse et renfermée. C'est au café
de Bade, où
il
s'arrêtait tous les jours,
remontant du Louvre vers la
la
très
original,
stère des Finances et
1.
Chez
Whistler 2.
nommé
lui avait fait
là
fait
de son côté avec
Fioupou, sous-chef au Mini-
dans
la
colonie grecque de Londres où
vendre plusieurs tableaux.
du
dîner, en
grand collectionneur d'estampes, une
les Grecs, c'est-à-dire
Lettre à Edwards,
le
rue Saint-Lazare, qu'il avait
connaissance de Maître, lequel venait
un ami
avant
2 janvier 1867.
FANTIN-LATOUR.
176
sorte de personnage hoffmannesque dont les saillies amères et les
boutades paradoxales, lancées à haute voix, faisaient
la joie
des habitués,
comme
Whistler, etc. C'est encore
Legros, Zacharie Astruc, Cordier,
connut
là qu'il
le
peintre Bazille,
ami personnel de Maître, également TANTm-LATOU
passionné pour
peinture et la
la
sique et qui, certain soir, priait
mu-
comme on
le
de ne pas jouer de piano avec
ce dernier pour cause de mort dans la
maison, prit ses cahiers de musique
compagnie de
et entraîna toute la
rue Taranne continuer
aux
Batignolles,
la
pour
séance qui venait d'être
la
interrompue. Et Fantin n'avait pas été le
moins ardent à
afin
faire ce petit
voyage,
de ne pas perdre une note des
morceaux
qu'il
s'était
promis
d'en-
tendre.
Au
café,
il
semblerait, d'après quelques passages des lettres
de Whistler, que celui-ci et Fantin dussent principalement causer ensemble, en se tenant un peu à l'écart de leurs camarades, sans doute en
raison de
Whistler affirmait en ces termes l'un à l'autre
:
l'affection «
Nous sommes nécessaires
pour ce véritable échange de sympathie que nous
ne pouvons pas trouver avec d'autres. de Londres, qu'il
réciproque que
il
»
Et c'est ce qui
fait
que,
revient volontiers sur ces causeries de café,
demande des nouvelles
recommandations du genre de
et fait celle-ci
à :
Fantin d'amusantes «
Maintenant, voici
IHIH^^
FANTIN-LATOUR DANS
L INTIMITE.
177
ce que tu vas propager partout avec toute la finesse de gredin
que
dignes l'un de l'autre.
Tu
nous nous connaissons
tu sauras parfaitement y mettre, car
glisseras
ceci
J'ai
reçu
la
médaille d'or de
au commandant
la
Hollande.
commandant Lejosne,
(le
parent de Bazille) au café de Bade, de sorte que les autres puissent l'entendre et que ça vienne naturellement à se savoir partout...
»
Après
le café
de Bade, ce fut au café Guerbois, avenue de
Clichy, que nos jeunes gens, déjà plus mûrs, tinrent leurs
probablement parce que Manet, Zola, Monot,
assises,
Bazille,
Renoir, etc., demeuraient dans ces parages et formaient ce
qu'on appelait alors l'école des Batignolles. Mais ces réunions
du
auxquelles Fantin ne
soir,
dans
le
moins
manqua guère
quartier de la Chaussée-d'Antin, lorsqu'il fut
revenu sur
le
tant qu'il
virent de
demeura moins en
gaucbe, et c'est alors,
la rive
tout de suite après la guerre, que, sans pousser
si
loin,
il
passait presque toutes ses soirées à nous entendre pianoter.
Maître et moi, sur
le
môme
où s'escrimait auparavant dans
les
Rolande
Du
zouaves :
le
reste, ces
Fantin qu'un
pauvre Bazille qui
et avait été tué à
rue Taranne
la
instrument, dans la
la bataille
beaucoup
l'attirait
môme
s'était
pièce
engagé
de Beaune-la-
plus.
réunions de café n'avaient jamais eu
attrait
bien
C'était
relatif.
une obligation du métier que de
pour
en quelque sorte
rendre et d'y entendre
s'y
Courbet pérorer de sa grosse voix, avec violence, ou Manet y fulminer
môme café!
contre les
membres du
se morigénait en s'appelant »,
se plaisantait sur le
:
«
jury
officiel
;
mais
lui-
Paresseux, coureur de
premier verre d'absinthe 23
qu'il
FANTLN-LATOUR.
178
premier
avait bu, le
trouvât
dont
ou
là
môme
vait la
moment du
à certain
bien
avait eu
il
et le dernier,
un
pensait-il,
qu'il
et,
banquet des Aqua-fortistes
un tableau,
instant l'idée de faire
du Champagne,
écrit-il
Edwards
à
éprou-
il
impression qui n'avait rien d'agréable.
café et
se
«...
le
Au
2 jan-
commencé à faire de mauvaises charges d'ateabsurdes; nous sommes alors partis, quelques-uns. Ah!
vier 1864, on a lier,
toujours les masses stupides!.. Est-on malheureux de n'avoir rien
comme
de Bade, je
société
me
!
Pas de réunions potables
déplais. C'est de
;
même au
café
mauvais goût; on y est bote.
Que voulez-vous? mais
je
ne peux pas dire autrement. J'en
sors toujours dégoûté.
On
n'y dit rien, on ne pense pas, ce
ne sont pas des artistes. Des cancans, intérêt,
c'est
comprend
c'est \h tout.
quelques nouvelles artistiques.
qu'il ait vite
»
Le seul
Comme
renoncé à traverser tout Paris
on
le soir,
après son dîner, pour se retrouver au milieu de camarades
dont
il
goûtait de moins en moins les propos décousus, sans
portée, et les plaisanteries sans sel
!
Pantin n'était pas d'un caractère plaintif, rait
le
lettres,
supposer en
le
voyant gémir
sur les difficultés auxquelles
si il
comme on
pour-
souvent, dans ses se heurte, sur son
labeur aussi acharné qu'improductif; mais c'est que de très
lourdes charges de famille pesaient sur à Edwards, au
marier, qu'il plus sa avait
moment où était seul
sa
lui,
sœur Marie
il
il
ne cache pas
les quitte
pour soutenir son père
sœur Nathalie, toujours malade
des moments où
car
pour se
et sa
mère,
et internée, et qu'il y
désespérait de
pouvoir travailler
assez pour répondre à tant de besoins toujours renaissants.
pantin-latour Dans lintimité.
Au
surplus,
loin en loin
questions d'argent ne
les
dans sa correspondance, et
179
reparaissent que de
c'est toujours l'art seul
qui le préoccupe; les périodes d'espoir et les crises de dé-
couragement nerveux où
le
Il
se rapprocher des maîtres qu'il voudrait
n'a jamais rien dit de plus vrai
que
lorsqu'il écrivait
dans une de ses premières lettres à Edwards, dès d'octobre 1861 faire,
:
En dehors de mon
«
mande tous ou encore, La
art, je
cette vie,
me
bonne;
me
ne
je
reste n'est
que mensonge, horrible
je vais être libre,
heureux
me
l'œuvre, à l'œuvre
mêmes
!
disiez
qu'il aspirait à égaler, ces chers
le travail,
ne
lui
il
nous
te
nous
t'en
:
«
tout
le
que
!
»
Ces maîtres
maîtres du musée du
semblaient-ils pas quelquefois s'animer,
voilà, viens, c'est
quelque absence, et
beau
!
lui
Nous t'aimerons,
consolerons. Tes beaux jours sont passés; mais nous,
donnerons. L'Art,
est à toi; viens 1.
Te
Vous
retrouvait le calme et le bonheur
lorsqu'il se rapprochait d'eux après
parler ainsi
là,
:
veut l'homme tout entier.
Cela vaut mieux que tout
Louvre auprès de qui
:
quand je
illusion... N'est-ce pas
? L'art
de-
la vie... »;
plais pas
que vous
tue. J'attends
l'art
du 16 décembre 1864
trois ans plus tard, à la date
vie ne m'est pas
car
avez raison; l'atelier et rien d'autre, car tout est
dans
mois
ne peux rien
en dehors de
les sacrifices, car l'art est
suis agité, cela
A
le
rien dire, et la façon dont je vois l'art de jour en jour
m'éloigne de toutes les choses de
«
l'état
jettent son travail obstiné, ses efforts plus ou
moins heureux pour égaler.
proviennent uniquement de
qu'il traverse
c'est la vie supportable; l'avenir
dans notre famille'!...
LeUre à Edwards, du ii octobre 186 4.
»
FANTIN-LATOUR.
i80
Et quelle noble ambition d'être ambitieux,
dès
dit-il,
«
je
dis
dit qu'il faut l'être, et
il
même
premier jour, avant
le
Projets pour
me
l'agite, car loin
lui-même
de devenir un
l'était,
artiste!
quand
Salon, esquisses, pensées sérieuses,
le
que
de se défendre
j'ai
mon
dans mes mains, dans
là
de
livre
croquis, la gloire ou rien. Faire quelque chose de bien, mais
pas de juges
Penser seul à
!
ne savoir où l'on va, entrer
l'art,
dans l'inconnu, marcher en avant, puis revenir, prendre à à gauche,
puis
droite,
de
dans
attendre
cile,
que
soi,
le lever
les appréciations
pas d'éducation
;
regarder
soleil
:
que cet
art est diffi-
en sont fausses! Et pas de conseils,
comme
doit prendre sans tergiverser!
me
du
désapprendre ce que
j'en perds la tête'. » Et
vous ne
fatigue,
chercher une lueur à l'horizon, assis
tout autour la nuit,
puis s'asseoir de
il
«
Il
l'on sait
sait
!
Oh
parfois
!
bien quel chemin
faut travailler (ah
direz rien); oui, travailler vraiment, je
à cela
!
me
aperçu ces jours-ci que quand on veut aller où je veux le
plus haut possible,
ragé \
»
Ou
il
bien encore
d'avoir compris
le
faut :
travail
«
absolument
Mon et
il
suis
aller,
faire ce travail d'en-
cher Edwards, je vous dois
le
vrai
calme
qu'il
donne.
Je n'ai pas besoin de m'agiter, de parler; je travaille, ce qui
vaut mieux \ Enfin, il
»
quand
il
s'interrogera un peu plus tard,
pourra à bon droit écrire ceci
efforts, toutes
:
mes préoccupations,
Lettre à Edwards,
Lettre
du
21
3.
Lettre
(\\\
8 avril 1866.
1865.
Je récapitule tous
ce que
du 26 décembre 1864.
i.
2.
mars
«
comme
j'ai
fait
pour
mes
me
LA TOII.KTÏK DK VÉNL'S Dessin
tiré
d'un album de croquis du peintre, au Musée du Luxembourg.
FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITE. dégager du faux, mes ardeurs à chercher
ma
conduite
moi rien à rude et sur
la
si
je
;
ne vois rien
De
effacer.
peu frayé;
me
pense à
le vrai. Je
de trop fou. Je n'ai derrière
Mais
l'hésitation?
je
181
le
chemin
est
si
suis assis peut-être trop souvent
route pour prendre du repos, mais cela n'a jamais été
que quand je ne voyais plus l'horizon ou que
me
était
rempli d'obstacles. Je
Si je
tombais aujourd'hui, qui
suis relevé, je sait si je
me
chemin
le
veux marcher... relèverais?
Vous
devez bien
me
connaître à présent, mais vous ne pouvez pas
encore voir
le
fond de F'antin. Je suis bien décidé, mais je
suis très faible aussi. J'ai
de force matérielle.
me
cela
explique
un peu de
J'ai tant
de peine pour
faire
peu
quelque chose,
coûte tant, que sans cesse je suis fatigué. Cela vous
mes perpétuelles
plaintes'. » Et
on peut toujours progresser, encore mieux,
comme
«
comme
manque
distribuer
»,
il
comme,
selon
lui,
son seul but est de faire
on ne peut rien,
facultés naturelles, mais qu'on peut
qui
force nerveuse, mais
dit-il,
quant aux
beaucoup pour réparer ce
supplie encore son ami d'Angleterre de lui
généreusement
la
manne
de
réconfortante
ses
conseils ^
Mais de quel courage et de quelle résolution ne devait-il pas s'armer pour résister
aux assauts réitérés que
vraient les séductions de la vie de Paris
de s'abandonner à
la flânerie, et
follement l'assiègent et ne
le
!
Qu'il ait le
Lettre à Edwards,
2.
Lettre
du
du
lâchent plus
2 juillet 1866.
3 janvier 1867.
li-
malheur
tout aussitôt des idées de vivre :
qui courent au Bois de Boulogne emportent 1.
lui
«
Les voitures
ma
pensée. La
PANTIN-LATOUR.
182
rue de
Chausséo-d'Antin que je remonte
la
du
du Louvre
et
sienne,
gaie,
si
Je désire tout
travail
attirante,
si
ici,
cette rue
;
remplie de cette vie pari-
si
me
au sortir
le soir,
rend
m'ennuie...
triste; je
dans cette vie de Paris:
c'est la
femme qui
passe, c'est le cheval qui court, c'est la voiture qui roule
sont toutes ces vanités-là qui
me
études, de je
Italie,
un peu d'argent,
Qu'il ait seulement
»
mes qu'il
à sa guise, et loin de céder à ces tentations
soit libre d'agir
en
faire
ce
mettre à apprendre sérieusement tout ce que
ne sais pas.
mondaines,
m'empêchent de
;
y échappera en fuyant très loin et se réfugiera
il
dans
les
bras de
Peinture;
la
vivra
il
là,
dans
le
pays
de Raphaël, de Michel-Ange, de Titien, de Véronèse, une vie
douce et
et calme, en
dehors du monde qui
l'empêche de devenir
gagner péniblement sa vie
son balcon de la
soirée,
la
au
et
rue de Londres, où
milieu
des
idées
meil.
ne
le
atelier et entrera c'est ce qu'il
:
dehors I.
il
s'assoit et
:
«
plus de
Frères,
fume toute
qui l'assaillent et
définitif,
il
le
som-
sait qu'il
jour où, fermant
l'oreille
se cloîtrera presque dans son
— irrévocablement —
il
Lettros à Edwards,
faut travailler'
du
à
deux ou
musique, plus de distractions, plus
réunions au café, plus rien de
de
il
en quelque sorte en religion artistique. Et
décida de faire
trois reprises
il
puisse réaliser,
momentané dans
le travail, le
à tous les bruits de la ville,
la fièvre
remonter tristement sur
Quant au repos complet, au calme trouvera que dans
le
noires
jusqu'à ce qu'il cherche un repos
donne
rêverait d'être. Et ce
l'artiste qu'il
rêve l'enchante; mais, en attendant qu'il lui faut
lui
3 février et
du
la !
vie
ni
»
21 août 1865.
des bruits du
FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ.
183
* *
Ce qui frappe dans
les
*
lettres
d'abondance à Edwards,
et parle
recherche et
même
moyen de courtes toile,
phrases,
comme
papier
qu'il jette sur le
des touches de peinture sur une
rait
comment, sans aucune
c'est
sans style, au
de notej très brèves
où Fantin ouvre son c(eur
il
arrive à
il
jette-
donner
l'impression très nette de ce qu'il sent, de ce qu'il veut dire et
comment, en
on croirait l'entendre causer, cou-
le lisant,
pant ses phrases et répétant ses mots tude de
comme
il
avait l'habi-
Et n'arrive-t-il pas, de la sorte, à de véri-
le faire.
tables effets de vigueur, particulièrement dans
une page où,
tout irrité de la sévérité des juges officiels, qu'il faut bien subir,
mais sans
les reconnaître,
tant de leur
refusés
d'il
à forcer
nombre
et
explique par quelle force résul-
de leur union, ses amis et
les
résistances aveugles du jury, mais
moins
forts,
Ce n'est que par peur, on peut
la
camaraderie pour
le
jury
le dire,
que nous (Manet,
— ou bien
nous
le
faisons.
comme
nous,
étions quelques-uns à ;
semble de toutes «
tout est
On nous refuse. Nous étions plusieurs alors la plainte forte. On expose les refusés; le public (c'est-à-dire l'en-
exposer. est
En 1803, nous
:
quand, grâce à
des incidents particuliers, on force les portes ici,
comment,
payent pour eux?
Whistler et lui-même) avons été reçus. Voyez-vous
dans
lui, les
y a deux ans, ont pu arriver à se faire admettre,
d'autres, plus jeunes et « ...
il
Eh bien! mais
il
les
opinions) parle. Cela se résume en
y a des capacités là dedans!
»
:
Ceci, à par-
FANTIN-LATOUR.
184
tir
de ce moment, a été pour nous un laissez-passer. Tenez,
mon
cher Edwards, laissez-moi vous faire un petit tableau de
ce que c'est que les jugements artistiques. Point de départ
Des peintres de talent; des idées dans seulement;
comprend
les autres, la foule,
rien
;
la tête
:
de quelques-uns qui suit ne
suit. Cette foule
elle imite, copie, surtout les défauts
:
on ne
peut pas copier les qualités, sans les posséder, en germe au
moins. Viennent alors des gens nouveaux qui sont frappés surtout des défauts, qui cherchent autre chose; voilà l'idée
qui naît dans
la tête
d'un
homme;
autour de soi on en voit
d'autres qui se rencontrent; on se dit
de faire ainsi; on devrait
tort
faire
Cela est vrai; on a
«
:
comme
cela.
Dans
»
les
premiers temps, on expose, on est refusé. Ce n'est pas assez bien; cela n'est pas assez différent, cela a encore du rapport
avec les choses que tout
on
travaille,
le
monde
fait.
On
se groupe, on crie,
on est plus nombreux, on vous
laisse
comme
Alors, on se rencontre, on en voit qui font aussi
que vous aimez, on se connaît, on se sent entouré d'audace. Voilà ce que j'ai tant aimé, moi J'ai
:
c'était ce
cru que cela pourrait durer. Là était
enfin cela
dément
cette réputation de
chaque jour, maintenant. Non,
mon
passer.
,
ce
on a plus
moment-là.
erreur, mais
méchant qui grandit
j'étais artiste
avant tout. Main-
hommes m'ont montré mon don-quichottisme deviens comme eux. Je reviens au moment où
tenant que les artistique, je l'on
était plein
d'ardeur, à cette année 1863, où
exposa, refusés. Depuis, quelques
noms
l'on
nous
font rugir les jurés;
vous ne pouvez pas vous imaginer quelle est leur colère. Et puis
ils
disent
:
«
Nous
les
recevons pour
les punir,
pour que
FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ.
public en fasse justice.
le
A
»
présent, vous, vous payez pour
On se venge certainement sur Comment! en voilà encore d'autres?
nous. «
Et l'année suivante,
il
185
vous.
se disent
Ils
Refusés! refusés'!
:
»
revient encore sur ce sujet pour
consoler Edwards du refus des deux tableaux qu'il avait en-
voyés et qui n'avaient pas eu plus de succès que ses envois de l'année précédente; mais cette fois-ci ce n'est plus du passé
que parle Fantin, regarde lui
la
c'est
peinture en général
comme
en ce qui
particulièrement, et sur ces deux points,
clairvoyance extrême, la fois le
public.
il
il
le
regarde,
montre une
perçoit avec une netteté sans égale à
sens dans lequel évoluera la peinture et à la suite de
quels changements
le
de l'avenir, de l'avenir en ce qui
il
arrivera
Dans un temps,
simple et
dit-il,
le vrai, le jury,
recherche de
la
lui-même où
l'on
à gagner la faveur
commence
à chercher
qui n'attache aucune valeur à
vérité, n'a plus de raison d'être
du
:
« Il
la
n'est
plus en harmonie avec notre époque qui est pleine de tentatives et
de recherches originales. Je crois
est passé des écoles et des
mouvements
même
que
artistiques.
le
temps
Après
le
mouvement romantique, né de l'exagération classique; après le mouvement réaliste, issu des folies du romantisme, on s'aperçoit que dans toutes ces idées
Nous allons arrivera devant
la
la
y a
de grandes bêtises.
façon personnelle de sentir.
Un homme,
nature, l'aime à de certaines heures, aime de cer-
tains objets, est frappé finesse, etc. Cela est
1.
il
Lettre à Edwards,
du
de
la
puissance de
la
nature, de sa
certainement ce que l'on voit dans
14 avril 1865.
24
les
FANTLN-LATOUR.
186
beaux moments de est bien éveillé.
l'art. Allez,
Ce que
heureux dans
très
regrette de n'être pas tout à fait
voir avoir
vi'ai\ » Puis, fait
moins de deux mois après
changé
comme
à ce qui est
:
«
Je suis très satiseflFet
le
le
moment où
l'on viendra
difficile
vous êtes
j'ai
beau
me
quand
je vois le goût
bien\
»
le
naturel
:
il
Vous me
:
on ne
dites
:
«
sait
Vous
Vous comprenez maintenant
:
de se dire incompris; mais que vou-
dire cela, je ne
du jour
L'heure qu'il attendait surtout
à faire.
triste. »
c'est prétentieux et bête
lez-vous?
au
plus difficile et le plus méritant.
public n'apprécie pas parce qu'il est mal élevé
faites cela et
que ce
mes natures mortes bien des choses que
Je crois qu'il y a dans
pas combien cela est
je
que cela vous paraisse naturel. Je crois
et
bien que je n'ai qu'à attendre naturel
Oue
un débutant, de ne pas pou-
que mes natures mortes vous fassent cet
n'était pas
le
l'avenir.
première! Je vais travailler au vrai-
naïveté
la
ou tente
y dit, discute, espère
l'on
nous promet un temps
quoi qu'en dise Legros, Paris
finit
peux
et les choses
autrement
faire
que
l'on trouve
par arriver, celle où l'on goûta
recueillit alors la
récompense de sa per-
sévérance et de sa fermeté de convictions par des compliments bien doux à son oreille
;
mais sans attendre jusqu'à ce mo-
ment-là, est-ce que les témoignages d'estime les plus flatteurs
ne
lui
à la
étaient pas venus surtout d'Angleterre, au début
fin
de sa carrière? En 1864 déjà,
la
première
fois qu'il
eut l'honneur d'être exposé à l'Académie de Londres, \.
2.
du 14 avril 1866. Lettre du 3 juin 1866. Lettre
comme il
avait
FA.NTIN-LATOUR DAiNS
appris par un
son ami ne
L INTIMITÉ.
|s7
mot joyeux do Whistler qu'un académicien que
nomme
pas s'était écrié
«
:
Les bouquets de Mon-
sieur Fantin sont ravissants ; y^ les ai vus tous les deux;
sont bien complets!
»
et l'on
devine quelle joie une
ils
telle
parole avait dû lui causer. Quelque vingt ans plus tard, lors
du dernier voyage de Fantin en Angleterre, est-ce que apprenant par
le
docteur Blanche que
Millais,
le peintre français était
à Londres, ne lui avait pas aussitôt écrit pour l'inviter à dîner et le présenter à des confrères d'Angleterre? Est-ce
uniquement son départ,
fut pas
pêcha
difficile
à retarder, qui
voyageur d'accepter cette invitation, très
le
que ce ne
em-
llatteuse,
mais également embarrassante pour quelqu'un qui ne parlait pas du tout l'anglais, et la lettre que Fantin écrivit à Millais
pour s'excuser ne marquait-elle pas combien sible à cet
honneur, en
admiration sincère et de avait subie, dès son les
même temps la
avait été sen-
il
qu'elle témoignait d'une
puissante influence que lui-même
premier séjour à Londres, en regardant
tableaux du maître anglais? Fantin, on ne saurait trop le répéter, car c'était un des
signes distinctifs de son caractère, avait l'horreur du bruit,
de
la
réclame, et tout ce qui avait l'apparence d'une manifes-
tation lui
répugnait profondément; mais
verbe haut, parleur,
il
s'il
était
n'était ni
n'avait pas le
s'il
un grand causeur,
ni
cependant d'humeur combative
attaquât les gens en face,
il
ne
lui déplaisait
un bruyant
et,
sans qu'il
nullement que
son opinion arrivât aux oreilles des artistes qu'il n'estimait guère. Aussi combien de fois ne l'a-t-on pas vu, au Salon,
sans en avoir
l'air et
tout en causant avec ceux qui l'accom-
FANTIN-LATOUR.
188
pagnaient, lancer de ces jugements brefs et caustiques que recueillait l'oreille
qui
n'étaient pas
adresse?
Il
disait
promeneur quelconque
attentive d'un
longs
à
se
colporter,
un jour à ses parents
à
arriver
qu'il
circonstances,
un malin
plaisir
de
opinion, ce
pas
peut-être
n'était
son
se faisait au
il
laisser deviner son
qui
certaines
lorsque
et
art était en jeu,
contraire
qu'il pensait.
dans
toutefois,
leur
ne pouvait pas
ne pas cacher ce Soit;
à
et
le
moyen
de
d'amis;
mais
comme
pris
le
parti
de marcher" seul
dans
la vie et qu'il
rien de
se
faire
personne,
beaucoup avait
il
ne
sollicitait
il
éprouvait
—
une jouissance particulière
MADEMOISELLE AURORE
car
il
ne
il
l'était
l'écrivait
à se distinguer de la masse
conditions vitales
jugements.
Non
qu'il
et
fût
des
mé-
un jour avec une sorte de jactance,
les règles
de
l'art
essentielles
auquel
en un mot, un des
et s'étant le plus
le
pas du tout; mais parce qu'il entendait ne
jamais transiger suc
qu'il était,
—
je
dépendance du caractère
Caricature do Stop, d'après l'Auroye (Journal nmttsaut, 5 mai IHtU.)
comme
combien
de ses contemporains par Fin-
DANS LA DANSE DE LOÏE FOLLER
chant,
comprends!
et
il
du beau, sur
s'était
hommes
ayant
les
consacré; parce le
plus réfléchi
solidement attachés à leurs convictions.
L
AUR
Salon de
HK 1894.
FANTIN-LATOUR DANS
Un des
artistes les plus
189
fermement convaincus;
moins bruyants,
aussi l'un des
L'I>fTIMlTÉ
combien
d'attirer l'attention de la galerie. Et
mais
moins préoccupés
des
l'un
oui,
il
était loin
de
sa pensée de chercher à se singulariser, à conquérir un lustre
comme
particulier,
de bonnes langues l'auraient volontiers
insinué, lorsqu'il cherchait et trouvait une très riche source d'inspirations dans les créations maîtresses de la littérature et
de
musical! En
l'art
d'œuvre la
Fantin, qui prisait fort les chefs-
littéraires les plus divers et qui aimait
musique, avait des préférences
quées;
pu
effet, si
s'il
le faire
les traduisait par le
par
tion personnelle
l'âge, cet
ce qui sentait
la
il
des antipathies très mar-
crayon
c'était
combien
:
dans
ainsi le public
Avec
plume,
la
et
passionnément
comme un
autre aurait
uniquement pour
sa satisfac-
s'en fallait qu'il voulût mettre
confidence de ses opinions!
la
éloignement instinctif de Fantin pour tout réclame ou
la
représentation, cette répu-
gnance à se mettre en avant, à se dévoiler au public autre-
ment que par
les
manifestations
d'artiste, n'avaient fait
courantes de son labeur
que croître à mesure
qu'il s'absorbait
davantage dans son travail solitaire, ne traçant aucune limite à son art, n'acceptant de règle de
dans des jouissances
personne, et se délectant
littéraires et musicales, très vives,
mais
très intimes, qu'il aurait cru profaner en les criant à la foule.
Comme
cet ermite de la rue des Beaux-Arts devait se sentir
loin des
deux amis, avec lesquels
entrée dans
la
carrière,
et
il
combien
avait le
combattu dès son
tapage que ceux-ci
avaient toujours entretenu autour de leurs personnes et de leurs
œuvres
était fait
pour
le
choquer! Qu'il
était
différent
FANTIN-LATOUR.
KtO
d'un Manctqui, non content d'être aussi célèbre que (laribaldi,
comme
des flatteurs
le
disaient
lui
en riant, rêvait d'une
gloire encore plus retentissante et souhaitait
Paris, n'eût lieu sans
monie mondaine, à
fût signalée! Qu'il était éloigné sait bien et se qualifiait
que sa présence y
d'un Whistler qui se connais-
en termes des plus libres lorsqu'il
voulait caractériser sa façon d'agir avec le prît
que nulle céré-
monde,
soit qu'il
de petites mines boudeuses, soit qu'il prodiguât les cajo-
leries et les sourires
!
Quel contraste entre ces remuants, ces
agités, ces bruyants et cet isolé volontaire, qui, selon l'heu-
reuse image de M. Roger Marx, restait sourd aux vains bruits
du dehors
afin
de mieux entendre
la
voix de l'inspiration,
cette voix qui lui disait qu'il n'était pas
de
la réalité vivante,
un poète, à
la
seulement
peintre
le
mais aussi celui du rêve, un évocateur,
façon des maîtres dont la musique ou les vers
chantaient à son oreille et résonnaient dans son co'ur Telle fut
donc
l'origine de cette admirable série
!
de litho-
graphies, grandes et petites, qui atteignent presque à deux cents et dont la plupart tendaient, de son propre élan ou sur la
demande de quelque ami,
à glorifier les écrivains, les poètes,
surtout les musiciens qu'il aimait le mieux. C'était sa manière, à
lui,
de rendre
hommage
à ses auteurs préférés, par des
compositions lithographiques et distribuait ensuite à c'était
pour lui-même
ceux qu'elles pouvaient intéresser
:
parce qu'il admirait profondément Hugo, Stendhal et
Delacroix qu'il éprouvait c'était
qu'il faisait tirer
parce
que
le
Berlioz,
besoin de les célébrer à sa façon;
Wagner, Schumann
et
Brahms
l'avaient maintes fois enchanté qu'il leur consacrait tant de
FANTIN-LATOUK DANS L'INTIMITÉ.
191
lithographies d'une poésie enchanteresse; enfin, c'était parce qu'il goûtait
infiniment André Chénier qu'il acceptait sur
tard de faire, pour
une édition des œuvres du poète, toute
une série de dessins sur pierre semblables à ceux
Wagner
et sur
Hector Berlioz.
Parmi ces lithographies,
fois,
de les traiter soit à ne l'oublions pas,
en reprit plusieurs par
aux
:
de
ciel
V Anniversaire , que
frises
du Palais de
;
mais une seule
d'un des maîtres de
la glorification
musique. C'est en 1875, dans
tableau
au pastel
la suite
usage de ses pinceaux pour con-
fit
il
de Berlioz rayonner au
je
la joie
de voir enfin
nom
composa ce grand
l'art, qu'il
me
le
rappelle avoir vu accroché
l'Industrie, qui fut reproduit cent fois
dans tous les formats par le
il
l'huile, soit
sacrer une grande toile à la
qu'il avait
composés pour de grandes publications sur Richard
déjà
afin
le
la
gravure ou
peintre garda tristement chez
lui
photographie, que
la
pendant des années, et
qui figure aujourd'hui en très belle place au
musée de Gre-
noble. L'histoire de ce tableau sera sûrement celle de beaucoup d'autres du maître vait-il
un jour en
l'admiration trente
de
«
Voyez, admirez
riant; je
l'avenir
conduite, écri-
sera
proposée à
quand on racontera que »
'
—
j'ai
mis
et ses compositions
marchands
se sou-
elles virent le jour, sont aujourd'hui
presque
dont
peu quand
ma
crois qu'elle
ans à attendre l'acheteur
capitales, celles
ciaient
—
les
amateurs
et les
toutes en France, chez des amis ou des amateurs qui ne les laisseront
1.
sûrement pas s'égarer.
Lellreà M'"" Edwards, du
-J!»
C'était
mars 1894.
une
satisfaction des
FANTIN-LATOUR.
192
plus vives pour
composées,
ses grandes toiles
mais dans
l'esprit
que
peintre, à la fin de sa vie, de savoir
le
je
ne dirai pas à l'imitation,
de Rembrandt, de Van der Helst et de Franz
Hais, étaient toutes réunies à Paris, non loin du Louvre.
Ce maître-là s'en est où
la
fortune et
la
allé,
comme
tant d'autres, à l'heure
vogue commençaient à
lui
venir,
mais
comme
il
pas en
peine de les voir arriver, et l'on peut assurer qu'il
n'avait jamais cherché ni l'une ni l'autre,
mena, durant ses dernières années, une
il
n'était
vie particulièrement
douce, ayant à ses côtés une compagne bien-aimée qui semblait n'avoir
âme avec lui-même
qu'une
et
voyant venir régu-
de rares mais fidèles amis, éprouvés de
lièrement chez
lui
longue date.
n'en demandait pas davantage et coulait ainsi
Il
des jours heureux qu'elle
l'a
:
la
mort
aussi lui aura été clémente, puis-
abattu d'un seul coup de sa faux.
o
U
3
a '5)
APPENDICE
CATALOGUE DES TABLEAUX A L'HUILE ET PASTELS ENVOYÉS PAH
I
ANI I^-I.ATOUR
ALX SALONS DE PARIS
ET DE IJlJELyLES AUTHES IMPORTANTS DANS SON (EUVKE
Ceci n'est pas, tant s'en faut, le catalogue complet de l'œuvre peint de Fantin-Latour toiles, à tout le
:
c'est
simplement
moins de toutes
la liste
de ses principales
celles, peintures à l'huile
ou pastels,
qui ont été présentées par lui ou reçues aux Salons de Paris, de 1859 à 1899,
augmentées de quelques autres
portraits dont j'ai
pu retrouver
la trace.
tionné, autant que possible, à l'année qu'il n'a été
et,
oîi
en particulier, de tous est
men-
a été peint, alors
même
Chaque tableau il
exposé à Paris que plus tard; de plus, lorsqu'une
a été exposée d'abord
comme
comme
toile
pastel, puis reprise à l'huile, elle se
trouve indiquée naturellement à son année d'origine, celle où
parut
les
pastel. Enfin, j'ai noté le plus
exaclemenl que
elle
j'ai
pu
dansquels muséesou chez quelles personnes se trouvent actuellement ces différents tableaux
;
mais sur ce point encore je m'excuse pourles
erreurs que j'aurais pu commettre ou pour les lacunes que je n'ai pas
pu combler. 25
FANTIN-LATOUR.
194
1853 Petit Portrait de son oncle,
A
Henri Fantin-Lalnur père jésuite. ,
M""^ Fanlin-Latour.
Petit Portrait de lui-même à dlr-sept ans (tête).
A M""
Failli n-L;iluui-.
1854 Portrait de sa sœur Nathalie. Détruit.
Saint Jean
A
Le
et le
Chasseur.
M°"= Fanlin-Latour.
Son(/e,
première esquisse du pastel de 1889 et du tableau à
l'huile
de 1893.
A M""
Fanlin-Latour.
1856 Portrait de lui-même, de trois quarts, dans
un
la droite.
Portrait de
M. Alphonse
Leyros (petite
1857 Portrait de lui-même.
A M. Ferdinand Tempelaere.
1858 Portraits de ses
deux sœurs
A M. Julien Tempelaere.
assises.
tête).
fauteuil, tourné vers
.
APPENDICE.
195
Portrait de lui-même, en corps de cliemise, la palette à
lu
main.
Musée d'Anvers.
Portrait de
M. Alphonse Leyros (grandeur
A M"» Paul
naturelle).
Paix.
Portrait de lui-même, assis, en pied, devant un chevalet. Galerie Nationale, à Berlin.
Portrait de lui-même (tête). A M. Camille Benoît.
Portrait de kii-mcme
A
M. Jean Dolent.
Portrait de lui-même
A
(tête)
(tète).
M. A. fiuillemet.
1859 Portrait de sa sœur Marie lisant, refusé au Salon de J859.
A
M. (iorjeu.
Portrait de lui-même, en corps de chemise, refusé au Salon de 1859. Mus('-e
de Grenoble.
Portraits de ses sœurs faisant de la tapisserie et
Salon de 1859.
A
M"»» Victor Klotz.
1860 Portrait de lui-même. A
M"»" Victor Klotz.
lisant,
refusé au
FANTIN-LATOUR.
196
1861
Elude
d'après nature (son propre portrait), Salon de IHfH.
A
M. G. Viau.
Elude d'après nature A
Étude
(sa
sœur Marie
lisant),
Salon de 1861.
Raymond Kœchlin.
M.
d'après nature (portrait de
W.
Hidley), Salon de 1861.
Petit portrait de lui-même, refnsé au Salon de 1861. Portrait de
31""'
Edwin Edwards, terminé en 1864.
Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris.
1862 Portrait de lui-même, refusé au Salon de 1863; exposé au Salon
des Refusés de 1863.
A
M. Darrasse.
1863
La
Lecture (portrait de sa sœur Marie), Salon de 1863.
A
M. Guillaume Charlier (Collection
Van Cnlsem).
Féerie^ Salon des Refusés de 1863.
A
M.
Cli.-E(l. Ilavilaiul.
186i
Hommuye
à Delacroix, Salon de 186i.
Musée du Louvre (Collection Moreau-Nélaton).
Scène de Tannhxuser, Salon de 1864. A
M. Rosenberg.
Portrait de
M""
Potter.
PORÏKAIT DE M"«: EVA Salon de 1881.
—
Sledelijk
CA
I.l-l
MAK
I
-
C
AT A
Muséum, k Amsterdam.
It
C. 1
APPENDICE.
197
1865
Le
Toast, Salon de 1865. DtHruit.
— Kestentles têtes de Whistler (Musée
Je Vûllon
M. Darrasse) et Je Fanlin
(à
Métro|jolitain, à New-York),
(ù M°"=
Fantin-Latour).
1866 Portrait de
femme
(sa
sœur Marie
lisant),
Salon de 1866.
Uétruit.
Nature morte [La Table garnie). Salon de 1866. A M. Reginald
D.
1867 Portrait de Art
M. M*" {Edouard Manet),
Institute, à
Salon de 1867.
Chicago.
Portrait-étude (son propre portrait), Salon de 1867. Portrait de la Duc/iesse
A Portrait
Edouard de Fitz-James.
M. BeurJelcy.
du jeune Jacques de Fitz-James
,
fils
de
la
précédente.
A M. narrasse.
Portrait du jeune Henri de Fitz-James, frère cadet du précédent. A M. Albert
Pia.
Portraits séparés des deur jeunes demoiselles de Fitz-James,
sœurs des
précédents.
1868 Portrait de
M"' Marguerite de Biron, destiné mais non envoyé au
Salon de 1868. A M™"
la .Marquise
de Saint-Sauveur.
KANTIN-LATOUR.
198
La Panouse.
Portrait de M'"' de
Portrait de
M"" de
Chatibry.
M"' Demachy
Portraits de
deux
Portraits des
M"
et
de son jeune frère.
de Donneval.
1809
Le
*
Lever, Salon de 1869. Détruit.
Reflets d'Orient, refusé au Salon de 1869. Détruit.
Tête déjeune
A
Restent deux fragments
fille
:
l'Aurore et la Nuit.
(de face).
M. Van Gogh.
Tête de la
A
—
même jeune fille
(profil).
Sir Herbert Thonii)son.
1870
Un
Atelier
aux
Batignolles, Salon de 1870.
Musée du Luxembourg.
La
I^erture (portraits de
M""
Victoria et Charlolte Dubourg), Salon
de 1870. A M. Ch.-Ed. Haviland.
Portrait de
A
M. Emile
Petitdidier (Emile Blémont) (tête).
M. Éniili' lilémont.
Portrait de
M.
Petitdidier, frère
du précédent
(tête).
APPENDICE.
199
1872
Un
Coin de A
table,
Salon de 1872.
M. Emile Blémont.
1873 Porlraïl de
M""**
[M"-' Victoria
Dubourg), Salon de 1873.
Musée du Luxembourg.
Coin de
table,
nature morte, Salon de 1873.
1874 Fleurs et objets divers. Salon de 1874.
1875 Portraits de
M.
et 31""
Ë. E*** [Edwin Edwards), Salon de 1873.
National Gallenj, à Londres.
Portrait de M''" E. C*** [Miss Edith Crowe), Salon de 1873
A
.M""=
Paul Paix.
1876
U Anniversaire
,
Salon de 1876.
Musée de Grenoble.
Fleurs (bouquet de dahlias), Salon de 1876.
1877
La
Lecture (M"" Charlotte Dubourg et une amie), Salon de 1877. Musée de Lyon.
FANTIN-LATOUR.
200
Portrait de M'"' F*** [M"" Fantin-Latour)
A
,
Salon de 1877.
M"»" Fantin-Latour.
Souvenir de Bayreuth
:
Aev Filles du Rhin, pastel, Salon de 1877
Musée du Luxembourg.
Scène finale de Détruit.
Walkiire, pastel, Salon de 1877.
la
— L'esquisse
pointe est au Musée de Montpellier.
1878
La
/>***
Famille
A
[Dubourg), Salon de 1878.
M°«' Fantin-Latour.
JUnaldo, pastel, Salon de 1878; transformé ensuite en peinture.
Duo
des Troyem, pastel, Salon de
1878; transformé ensuite en
peinture.
1879
Dans
Portraits ou
F Atelier, ou
La Leçon
de dessin (M""' Louise
sener et Éva Callimaki-Catargi), Salon de 1879. Musée de Hruxelles.
1880
M"' L.
Portrait de
A
M°>°
Léouzon
li*** le
{M"' Louise Riesener), Salon de 1880.
Duc.
Scène finale du Rheingold, Salon de 1880.
La Musique, A M.
pastel, Salon
Sijthoflf,
de Leyde.
de 1880.
llie-
r.
a
APPENDICK.
201
1881
La Brodeuse (M"«CharloUe Dubonrg), Salon de A M""
1881.
Esnault-Pelteiie
Portrait de M"'^ E. C.-C**' [M"'
Éva
Cnilimaki-Catargi), Salon de
1881. Stedelijk
Muséum, à Amslerdam.
Une Mélodie de Sc.humann, A
pastel, Salon de 1881.
M. Darrasso.
Tentation, pastel, Salon de 1881
;
transformé ensuite en peinture.
Exposition universelle décennale de 1889. Musée de (irenoble.
1882 Portrait de h.
M"" H.
//'* {M'""
Henry
Salon de 1882.
M. Henry Lerolle.
Portrait de M'"' L. Art
Institute, à
M"'
[M""'
Léon Maître), Salon de 1882.
Brooklyn.
Étude (M"" Charlotte Dubourg), A
Lerolle),
pastel, Salon de 1882.
M. Roger Marx.
Portrait de
A M"»
M'" C. /)*" {M"" Charlotte Dubourg), Salon de 1887. Charlotte Dubourg.
1883 Portrait [M"" Fantin-Latour), Salon de 1883. Galerie Nationale, à Berlin.
26
'mrmttmmmm^ftmty^.-
w
ESQUISSES POUH
«
AIÎTOIIH
A M. Adolphe I^ N*
1.
Dl'
PIANO
»
.N"
Jtillion.
croquis jeté sur le papier avant toute séance est daté
I
du Î6 décembre I8S4.
«le
pose,
ET i
ESQUISSES POUR «AUTOUR DU PIANO»» A M. Adolphe Le
>i" 4,
lo
K°'
3
ET 4
Jullien.
troisième des projets faits avec les modèles posaut, u
uK'^
arrêté à la date du 10 janvier 1885.
FANTIN-LATOUR.
L'Aurore, pastel, Salon de 1883; transformé ensuite en peinture, Salon de 1894. Portrait de lui-même, Salon triennal de 1883. Musée des OfQces, à Florence.
L'Etude (Miss BudgeLt), Salon de 188i. A
M. Guillaume Charlier (Collection Vaii Cutsem).
1884 Nuit de printemps (ou Le Rêve du poète), Salon de 1884. Musée de Pau.
L Anniversaire, A
Sara
la
pastel,
Salon de 1884.
Esiiault-Pelterie.
M'"'=
baigneuse, pastel, Salon
de 1884; transformé ensuite en
peinture.
Portrait de
M"'
A M""
S. B*** {Miss Sarah Dudfjett).
Budgelt.
1885 Autour du piano. Salon de 1885'. A
1.
M. Adolphe Jullicn.
Je donne ci-contre, à titre de documents
complète des projets pour Autour du piano partiennent.
On pourra
vérifier
par
là
et
(p.
pour
20'2--203 et
mon
combien Fantin,
207 j,
la série
portrait, qui
ainsi
que
m'ap-
je lai dit
plus haut, concevait vite et réalisait presque sans hésitation ses plus grands tableaux.
U
o a.
3 o
'
G.
£5
—
a
o
w
APPENDICE.
Rêverie
'joo
Léon Maître).
(M"""
M"" Leroy.
Portrait de
1886 Tannhœuser [Le Venusberg), Salon de 1886. Portrait de
A
M. L. M*** [Léon
Maître), Salon de 1886.
M. Henry Lerolle.
Siegfried et
let Filles
du Rhin,
pastel, Salon de
1886; transformé
ensuite en peinture, Exposition universelle décennale de 1889.
A
M. Darrasse.
Le Jugement de A
Paris, pastel. Salon de 1886.
M. Coudray.
Portrait de M. Becker.
A
M. Darrasse.
1887 Portrait de
A
M. Adolphe
JuUien, Salon de 1887.
M. Adolphe Jullien.
Ariane abandonnée, pastel. Salon de 1887.
L'Aurore
et la
Nuit, pastel, Salon de 1887.
1888
La Damnation
de Faust, Salon de 1888.
FANTIN-LATOUR.
206
LOr
du Rhin, Salon de 1888. A M""
Esn<iult-Pelteiie.
Béatrice et Bénédict, pastel, Salon de 1888.
A M. Teulsch.
Danses, pastel, Salon de 1888;
transformé ensuite en
peinture,
Salon de 1891. Musée de Pau.
1889 Immortalité, Salon de 1889.
A
M.
Polirait de
A
Andrew
M.
M™
Le Songe,
Reid.
C. R*** [Ricada], Salon de 1889.
Ricada.
pastel, Salon de
1889; transformé ensuite en peinture,
Salon de 1893. A
M. Bessonneau.
Portrait de M'"' L. G*** {M'"' Léopold Gracier), Salon de 1890.
A
M. Léopold Gravier.
1890 Portrait de M"' S.
A M""
Y*" [M'" Sonia
Yanowski), Salon de 1890.
de Nikanoff.
Le Jugement de en peinture.
Paris, pastel. Salon de
1890; transformé ensuite
ESQUISSES l'OUK LE l'OItïHAIT U K A M. Adolpho
M.
Jullien.
AlHiMMIF, 4l,I,LIE.N
FANTIN-LATOUR.
208
1891
La
Tentation de Saint Antoine, Salon de 1891.
A
La
M. Abel Jay, de Bordeaux.
Vérité, pastel, Salon de 1891.
1892 Hélène, Salon de 1892. Palais des Beaux-Arts de
lu Ville
de Paris.
Prélude de Lohengrin [Le Graal), Salon de 1892'. A
M. Ch.-Ed. Haviland.
Évocation de Kundry, pastel, Salon de 1892. A. M. Ferdinand Dreyfus.
Le Bain, A
Salon de 1892.
pastel,
M. Ch.-Ed. Haviland.
1893 Parsi/'al et les Filles-Fleun,
A 1.
M. Ch.-Ed. Haviland.
je
me
persuade que
comme
et se borner,
tion le
deux
Fantin balança longtemps entre ces
premier, et voici ce que Maître
mieux
Salon de 1893.
du mot
:
le
lui écrivait
le
avant d'adopter
Plus
c'était votre
première idée, à
la
j'y
le
rêve et
que
le
faire connaître la significa-
Saint-Uraal ? C'est le vase sacré
jour de la Cène et qui recueillit son sang sur
rapporté ici-bas par
la croix;
il
troupe miraculeuse des Anges pour être confié à
garde de pieux chevaliers qui s'appelleront de son nom. puisé directement son interprétation? Dans
deux points
«
:
catalogue doit demeurer purement didactique
Saint-Ciraal. Qu'est-ce
Sauveur a bu
titres
à ce propos
le
Où
le
peintre
où est la
a-t-il
prélude de Latiengrin. Ces
établis qui disent le sens et la genèse de l'œuvre, le livret a
rempli son objet
:
le
reste est affaire à l'œuvre elle-nièine.
»
,i:s
rnoYK.NS
a
cahthauk
:
riAi.ii;:
Lithographie originale (1884).
iialie:
APPENDICE. L'Amour
.)0!t
désarmé, pastel, Salon de 1893.
Baigneuses, pastel, Salon de 1893.
M""
Portrait de
A M""
Cli.-Ed. Havitand, pastel.
Pliilippe Buity.
1894
L Aurore,
Salon de 1894.
Les Troyens à Carthage, Salon de 1894. A
Musique A
M. Ch.-Ed. Haviland.
et
M. Camus, de Limoges.
Promenade, sous
A
Poésie, pastel, Salon de 1894.
Salon de 1894; transformé ensuite en peinture
pastel,
le titre
de
:
Baigneuses, Salon de 1899.
M. Lesieur.
1895 Baigneuses, Salon de 1893. Vision (d'après Oberon), Salon de 1895.
A
La
M. Krausliaar, de New- York.
Nuit, pastel, Salon de 1895.
1896
La
Toilette,
Salon de 1896. «7
FANTIN-LATOIIR.
210
Véini<: el les Aiiioais,
A
Salon de 1H90.
M"'" Dubois.
Ondine, paslel, Salon do IHÎKi.
1897
LaNuil, Salon de 1897. Must'o
ilu
Ln TenUiùon
Luxembourg.
de Sninl An/nine, Salon de 1897.
Palais des Heanx-Aits de
In
Ville
de Paris
1898
Le
Lever, Salon de 1898. Musée de Reims.
Andromède, Salon de 1898. A
M. Gorjeu.
Danses.
1899 Ondine, Salon de 1899.
TABLE DES ILLUSTRATIONS
ILLUSTRATIONS HORS TEXTE Pa(;cs.
Fan'tin-Latour, par lui-irn^me
du Musée des
(1883). Héliogravure d'après le portrait
Offices, à Florence
Fantin-Latouh, par lui-même PORTllAIT DE M.
Al. l'IlONSE
Krontispiic
(1858)
Lkohos
5
(1858)
Scène finale m; Rueingold. Lithographie
9
originale (1877).
RiNALDO, de Brahms. Lithographie
originale (1878)
Les sœt'RS du peintur
Nathalie
Latour
:
i:ï
13 17
Maiue
Fa.nti.n-
(1859)
La Walkyrie
"21
(début). Lithographie originale (I879j
Un morceau de Scuumann. Projkt
M""'
...
i>our le
•!:'>
Eau-forte originale (1864)
i9
groupe de la Famille de Fitz-James, non
cuté (1867). Dessin
d'un album de croquis du peintre
tiré
Le Jugement de Paris.
Dessin
tiré
d'un
exé-
....
33
album de croquis du
peintre (1867)
37
Bouquet de roses. Portrait de
M'""
L'Anniversaire
Lithographie originale (1880)
Kantin-Latour
41
(Salon de 1877)
4.")
(Salon de 1896;
La Famille D"' (Salon de Le Paraius et la Péri
49
53
1878)
(début). Lithographie originale (1884)
.
.
.
57
TABLE DES ILLUSTRATIONS.
212
Page».
Andromkde
(Salon de 1898)
HoMMAGK
Delacroix (Salon de
A
61
65
1864)
PoHTKAiTs DE F A NTi N-L ATOUR VoLLON ET Whistler. Fragments conservés du tableau du Toast (Salon de 1865), détruit par l'auteur.
69
Un atelier aux Batignolles
73
,
Un
(Salon de t870j
coin de table (Salon de 1872)
Portrait de W. Ridley (Salon de Portraits de M. et
Tannu^iser
(le
77
Edwin Edwards
M""^
(Salon de 1875)
Venusberg). Lithographie
Portrait d'Edouard Manet (Salon de
A LA MÉMOIRE DE RoBEHT ScHUMANN.
Manfred
81
1861)
....
85
...
89
originale (1862).
93
1867)
Lithographie Originale (1873).
Apparition de la Fée des Alpes. Lithographie
:
origi-
101
nale (1873)
Portrait de M"" Henry Lerolle (Salon de
Poèmes d'amour,
....
109
(le Graal). Lithographie originale (1882).
113
Évocation d'Erda. Lithographie
:
La Lecture
105
1882)
de Brahms. Lithographie originale (1885)
Prélude de Louengrin Siegfried
originale (1876).
.
.
A Robert Scuumann. M"""
Autour du piano
125
Lithographie originale (1893)
Léopold Gravier
129
(Salon de 1890)
133
(Salon de 1885)
Gcetterd^mmerung
:
Siegfried et les Filles du
Iîmin.
Lilho-
137
graphie originale (1880)
La Prise de Troie
:
Apparition d'Hector
a
Énée. Lithographie 141
originale (1880)
Portrait de M. Adolphe Jullien (Salon de
Parsifal
:
117 121
(Salon de 1877)
Portrait de
97
145
1887)
Évocation de Kundry. Lithographie
Portrait de M"" Charlotte Dubourg (Salon de
originale (1885)
.
149
153
1887)
La Nuit
(Salon de 1897)
157
L'Étude
(Salon de 18831
161
Parsifal et les Filles-Fleurs. Lithographie
originale
i8S,s
.
.
165
TABLE DES ILLUSTRATIONS.
213 P«ge».
RÊVERIE
(M"'"
Manfred
Léon
Maître), 1884
169
Apparition d'Astarté. Lithographie
:
Portrait de
M"''
Dessin
tiré
fSalon de 1879)
181
185
(Salon de 1894)
189
Ballet des Troyens. Lithographie
originale (1893)
193
Portrait de M"" Éva Callimaki-Catargi (Salon de
1881).
.
.
.
(1898)
197
201
Nuit de Printemps, ou le Rêve du poète (Salon de Les Troyens a CARTUAr.E (1884)
173 177
d'un album de croquis du peinire.
Dans l'atelier, ou la Leçon de dessin
Danses
.
Sonia Yanowski (Salon de 1890)
La Toilette de Vénus.
L'Aurore
originale (1881)
:
1884).
.
.
205
.
Italie! Italie! Lithographie originale
:....;
-209
II
ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE
AUTOGRAPHES
ET
Fantin-Latour dans son atelier de Buré. Gravure
sur bois
d'après une photographie faite vers 190^2 Lettre de
Caricature
Fantin-Latour d'après
Titre.
à Edwards (de Paris, 20 avril 1873)
La Famillic D*", dans
le
.
Mnak, de Londres 52
(1879j
Caricature
dans
le
d'A.NDRÉ Gill, d'après I'Hommage a Salon pour
Caricature de le
Delacroix,
rire (1864)
64
Bërtall, d'après I'Hommage a Delacroix, dans
Journal amusant (1864)
Caricature de
dans
41-44
le
65
Bertall, d'après Un atelier aux Batignolles.
Journal amusant (1870j
Caricature de Stop, d'après
amusant (1872)
Un
coin de table, dans
72 le
Journal 76
TABLE DES ILLUSTRATIONS,
214
Fantin-Latour à Edwards
Lettre de
Caricature de le
Behtall, d'après
le
(de Paris, 26
novembre
1874).
Pokthaiï de Maxet, dans
Journal amusant (1867)
92
Lettrede Fantin-Latoir àM™Edwards(dePari8,31octobrel886). Caricature de Stoi", d'après
112
Aitihh
d'après
Caricature
nr
piano,
dans
le
Punch,
de 132
Londres (1886) Caricature de Stop, d'après
Aitolk du piano, dans
le
Journal 133
amusant (1885) Lettre 2
Fantin-Latoiu
de
Adolpiie
M.
à
Jullien
(de
Duré,
137-140
septembre 1887) de
Caricature
Stop,
Jl'llien, dans
le
d'après
vembre
Fleurs, dans
:\
Adolphe lit
M. Adolphe Jullien (de Paris, no-
d'après
Parsifai,
kt
les
Filles164
l'Illustration (1893)
Parsikal et les Filles-Fleurs 163
Journal amusant (1893)
le
Lettre de
M.
147
Caricature de Stop, d'après
dans
Portrait de
1886j
d'IlEXRiOT,
Caricature
le
Journal amusant (1887)
Faxtin-Latihk
Carte de
105-108
Préli de de Lohengrin, dans
le
Journal amusant (1892j
le
77-80
Fantin-Latour
à M.
Adolphe Jullien (de Duré, 14 sep169-172
tembre 1892j Caricature de Stop, d'après
le
Portrait de M""
S. Y.,
dans
le
176
Journal amusant (1890) Caricature de Stop, d'après
L'Aurore, dans
le
Journal amusant 188
(1894)
Quatre esquisses pour
202-203
Autour du piano
Trois esquisses pour le
Portrait de
M'.
Adolphe Jullien.
.
207
TABLE DES MATIÈRES
Papes.
m
Préface CiiAPiïHK
PREMIER.
CiiAi-iTRE
II.
—
—
La Vie
Groupes
et
et
la
Carrière du peintre
portraits
d'artistes
et
1
d'hommes de
lettres
CiiAiTiRE
III.
Chapitre
IV.
Chapitre
V.
Appe.ndice.
—
— — —
Un
Peintre
59
mélomane
Autour du piano
et le portrait d'un
89
ami
i'îô
Fantin-Latour dans l'intimité
149
Catalogue des tableaux à l'huile et pastels envoyés par Fantin-Latour aux Salons de Paris et de quel-
ques autres importants dans son O'uvre.
...
193
Table des Illustrations uors texte
211
Table des Illustrations dans le texte et des Autographes.
213
IMPRIMÉ l'A H
PHILIPPE 19,
II
E N
UAHD
rue des Saints-Pères
PAKIS
ND
Jxillien, Adolphe
553 F3J8
Fantin-Latour
PLEASE
CARDS OR
DO NOT REMOVE
SLIPS
UNIVERSITY
FROM
THIS
OF TORONTO
LIBRARY