Fantin-Latour, sa vie et ses amitiés, 1909

Page 1







ADOLPIIV: JULLIEN

I

ANTIN-LATOUR SA VIE ET SES AMITIÉS I.KTTKfcS

liNElilli-S

tl

SULVEMIUS

l*ERSUi\iNti.S

AVEC CINOIANTE-TROIS REl'RODLCTIONS n'OEUVRES DU MAITRE, TIRÉES A PART, SIX AUTOGRAPHES

£T VINGT-DEUX ILLUSTRATIONS DANS LB TEXTIC

PAIUS Il i:ii:\ 13,

l,\Vi;i

i;,

RIE DES

I.IUIlxMRR-ËDITKUn sai.\ts-i'i;hi;>,

l!)00

I

:i



.

w /



/

FANTIN-LATOUR SA VIE ET SES AMITIÉS


Tous

droits

île

liiiihirtion et

de reiiroduelion réservés

l«)ur tous les pays.

Published

1.',

noveniber 1908. Privilège of copyright in

reserved under tlieAct approved

Morch

3, igo.l,

tlie

Lnitcd States

by Ldcibx Lavich.


^


^v-^r

HHM m


ADOLPHE JULLIEN

FANTIN-LATOUR SA VIE ET SES AMITIÉS LETTRES

INÉDITES

SOUVENIRS

ET

PERSONNELS

AVEC CI.NyUANTE-THOIS HEPRÔDUCTIONS d'oeuvres du MAITRE, TIRÉES A PART, SIX AUTOGRAPHES

ET VINGT-DEUX ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE

PARIS LUCIEN LAVEUR, LIBRAIRE-ÉDITEUR 13,

RIE DES SAINTS-PÈRES, 13

I

!»()!»



MADAME FANTIN-LATOUR



PRÉFACE

Oui,

«

ans,

il

a

f admire

été

et

un des charmes de ma

sion de le lui dire. Je teurs. C'est

a

ai jamais eu f occa-

dire à vous et à vos lec-

le

issu des meilleurs, des plus

d'eux ce bon savoir, sans lequel

le

71

lumineux, des Hollandais

trouble imitile. Il a de beaux Il

Je

vie.

veux au moins

un admirable peintre,

solides et des plus tient

j'aime Fanlin-Lalour. Depuis quarante

le

moyens dart

et des Vénitiens; il

sentiment n'est qu'un et

une

belle conscience.

respect et l'amour de la vie. Ses portraits, ses groupes

respiretit

une gravité douce, dans

Je ne sais rien de plus touchant

la

qm

calme lumière qui

les baigne.

ces assemblées d'amis, qu'on

trouve en grand nombre dans son œuvre. Les figures y vivent

une

vie

à

la fois familière et sublime. J'appellerais, volontiers,

Fantin-Lalour

le

maître de T amitié \..

Cest M. Anatole France monde, a su

si bien lire

»

qui, sans l'avoir

connu

le

moins du

au plus profond du cœur de f homme,

si

clairement discerner la filiation du peintre et le rattacher à ses /.

Livraison des Maîtres Artistes consacrée à P'anlin-Lalour (2f< février

1903).


PRÉFACE.

IV

oérilahlpft (mcêlres.

En

italienne, s'est apparenté

peintres flamands,

par

dune famille

aux plus grands

mainte assemblée célèbre de syndics, d'érhe-

capitales, il n'en est

loin des

ses chefs-d'œuvre

marchands nous saute à

vins et de

œuvres

si

Fantin, descendant

effet, si

mémoire en face de

la

ses

pas moins vrai que d'autres maîtres,

brumes des Flandres, sous

le

chaud

soleil d'Italie, ont

également composé de ces groupements de personnages inactifs

ou peu

s'eti

par

faut, réunis sur la toile

peintre, et que

le

la seule volonté

du

Retour de Chasseurs de Giovanni da San Gio-

vanni, ou la Bamhocciata de Dosso Dossi,

deux morceaux du Palais

Pitti,

pourne

font penser

citer

que

aux grandes

ces

toiles

de Fantin, tout autant que les Syndics dos Drapiers ou les

Archers de Saint-Georjjçes. Et

ta

vite

aperçu

s il est pareillement exact,

l'esprit aiguisé

comme

de M. Anatole France, que ce

digne héritier des grandi peintres d'Amsterdam, de Haarlem

ou de Florence fut par excellence partient-il

pas à l'amitié de

ce qu'il a fait

pour

elle et

lui

le

peintre de Famitié, n'ap-

rendre une très faible partie de

de chercher,

si

maigrement que ce

soit,

à s'acquitter sans retard envers lui?

En ments

vertu de quelle loi secrète arrive-t-il donc que les événeles

plus précis,

les faits les

plus formels,

même ceux

qui

datent dhier à peine et dont les témoins n'ont pas tous dispiru, se déforment si vite en passant

plume des journalistes?

par

la

bouche des hommes ou la

Il n'était rien

qui choquât davantage

Fantin- Latour, au courant de ses nombreuses lectures et pour tout ce qui touchait à son art,

substitution

que ce manque

du romanesque à

la réalité.

d exactitude

et cette

Avec sa mémoire incom-

parable, où tous les gens qu'il avait connus ou simplement entre-


PRÉFACE.

_

V

_^

_

VUS, tous les livres qicil avait lus, tous les chefs-d œuvre de la littérature et des arts dont

gravés

(F une

il

faisait son régal habituel s'étaient

façon ineffaçable,

qu'il découvrait la

il

souffrait singulièrement dès

moindre erreur de date ou de

fait,

que

cette

erreur fût simplement l effet d'une négligence accidentelle ou qu'elle provint,

comme

réfléchie de la vérité,

annve trop souvent, dune déformation

il

dune

histoire inventée à plaisir

écinvain trop pressé pour prendre tait alors

le

contre ces individus, si

qui travestissaient

les faits

temps de

par quelque

s'instruire. Il pes-

peu respectueux de

sans scruprde,

Dieu

et

la vérité,

de fois j'ai entendu sortir de sa bouche des apostrophes

de celle-ci

plume,

:

a

est-ce

Mais vous,

débiter?

Sur

du genre

vous qui tenez une

que vous ne devriez pas vous élever contre ces

inventions saugrenues,

nument

les jou?'nalistes,

combien

sait

les fables

au

lieu

de

les

répandre

et

de répéter ingé-

que certains d'entre vous n arrêtent pas de

»

les questions d'opinion,

plus large, du moins en ce qui riter des critiques suscitées

par

de doctrine, le

il était

on ne peut

concernait, car, loin de s'ir-

ses œuvres,

il

s'en

accommodait

fort bien et les aurait presque provoquées, lui pourtant si irritable et si acerbe dès qu'on s'attaquait fait ses

dieux dans la littérature

et

aux maîtres dont dans

les arts.

il

Mais

avait qu'il

rencontrât un détail inexact, un renseignement erroné sur son

compte ou sur un point quelconque d'histoire que sa mémoire infaillible lui permettait il

de contrôler sans nulle recherche, alors

partait en guerre et fulminait contre les bavards et les faiseurs

de phrases creuses. Des faits exacts qu'il désirait trouver

et

dûment vétnfiés,

voilà ce

avant tout dans ses lectures, pour se former


PRÉPACK.

VI

ensuite une opinion faite

« //

:

lui-même au

nous faut un beau

m'écr4vait-il

frère cadet

lieu

livre, plein

au moment où je

den

do documents sérieux

mon Hector

travaillais à

du Richard Wagner,

accepter une toute »,

Berlioz,

qu'il se lirêparait également à

illustrer.

me

Il

souvient encore

sans savoir où ni quand

du jour

mon

improvisant reporter,

oit, ni

interview pourrait paraître, je lui

demandai de fixer définitivement mes souvenirs sur et les destinées des trois

grandes

du piano, qui forment avec tableaux où

«

tant de

toiles,

les origines

sœurs aînées

celle-ci cette

<f Autour

magistrale série de

beaux portraits, comme

un

l'a dit

critique,

raconteront plus tard, éloquemnient, tiime des intellectuels de la fin

à

du

me

xiX" siècle ». // 7ne

souvient de F empressement qu'il mit

répondre, de f insistance avec laquelle

tains détails, de la hâte qu'il avait de lire

points qui lui tenaient

il

un

revenait sur cer-

article oit plusieurs

au cœur seraient définitivement

éclaircis...

Je ne pus cependant pas lui procurer ce plaisir, car f occasion de publier tous

les

renseignements que je lui devais sur ses groupes

et portraits d'artistes et

d'hommes de

lettres

qu'après qu'il eut disparu de ce monde, au l'Exposition de son

Lorsque

l'idée

ne

s'offrit

moment

à moi

oii

s'ouvrit

il

agissait

œuvre à f École des Beaux-Arts.

me

vint de tifiterroger de la sorte,

s''

pour moi de

contrôler,

ma mémoire

avait retenu de nos entretiens d'autrefois, et c'est

pour

lui de rectifier et compléter ce

que

de grand cœur qu'il s'y prêta. Mais quoique nous nous connusstotis

déjà depuis longtemps et qu'il dût éprouver une satisfaction

réelle à voir paraître

un

écrit

de ce genre,

il

ne s'en

était jamais

ouvert à moi; bien mieux, c'est seulement après sa mort que


PRÉFACli:.

P appris qu'il attendait avec et que,

VII

impatience la publication de ces lignes

sans m'en reparler, par derrière,

d avoir

riant, moitié chaqrin,

il

me

reprochait, moitié

oublié ce que je lui avais promis

de faire. Hélas! non, je ne l'avais pas oublié

réparer ce qu'il pensait être négligence de

qu'un retard indépendant de son grand

amour de

aujourd'hui tous avec ceux qui

les

me

l'

et c'est

ma part et ce qui n'était pour répondre à

volonté, c'est

pu

souvenirs que j'ai

recueillir de sa bouche

sont personnels; que j'évoque atissi était,

qui furent mises à

Mais comment avoir tant de que Fantin adressait

pour

exactitude et de la vérité, que je publie

passionné de musique qu'il lettres inédites

ma

amateur

en profitant largement des

ma

disposition.

lettres entre les

d' Angleterre

l'

mains, soit celles

à ses parents,

soit celles qu'il

envoyait de Paris à ses amis d'Angleterre, ou de sa campagne de

Duré à

ses

instructifs

amis de Paris, sans en

tirer

d autres

que ceux qui témoigneraient de son goût pour

musique? Coinment ne pas y chercher surtout de la pensée du peintre, les

renseignements

les traces

les

la

manifestations

de la formation de son talent,

échos des luttes qu'il a soutenues, les explosions retentissantes

de ses admirations

et

de ses antipathies, pour ne pas employer

gros mot de haines; comment ne pas y puiser en un mot

les

le

pré-

cieux éléments d'une ébauche de biographie complète, oh l'homme revivrait à câté de [artiste, celui-ci celui-là

au milieu de

téméraire à moi

ses

au milieu de

amis? C'est

d entreprendre

;

c'est ce

ses œuvres,

ce qu'il était peut-être

que j'ai pourtant essayé

défaire, en laissant à d'autres, beaucoup plus qualifiés, le mérite et

l'agrément décrire sur Fantin

biographique

et critique,

le

grand travail d'ensemble,

auquel plus d'un écrivain dart doit


PRÉFACE,

VIII

sûrement penser. Mais encore, au milieu de tant de lettres et

de souvenirs, ai-je cru bon de pouMer quand

premier plan «

les

»,

public peut désirer connaître

le

sur lesquels le

même au

d artiste

de

cest-à-dire ceux de ses groupes ou portraits qui sont

en quelque sorte du domaine public, parce qu gens dont

de

tableaux dont M. Gustave Geff'roy a dit qu'ils

constituaient le chapitre le plus important de la vie

Pantin

notes,

le

ils

représentent des

les traits,

ceux aussi

peintre, qui n'aimait pa^ les indiscrétions, pouvait

plus librement s'exprimer. <(

Ce sont

naguère un critique avisé

là, écrivait

documents d'histoire

et

',

de véritables

de pensée, des œuvres rtart très hautes

qui seront recueillies par

les

musées de F avenir, comme

les

tableaux des corporations de Rembrandt, de Franz Hais, avec cette différence

qu'au lieu de

l'effigie

d honnêtes

et

obscurs mar-

d artistes et de penseurs. » Des soit! je ny cotiti^edis pas pour plusieurs

chands, elles légueront celles artistes et des penseurs,

de ces modèles ; mais avant tout des camarades, des amis ou de simples connaissances du peintre. Et F amitié de Fantin, pour

beaucoup d'entre eux, ne constituera pas leur moindre

titre

t attention de la postérité.

I. L'Éclair,

1

.i

mai 1892.

A.

./.

iO Octobre 1908.

à


FANTIN-LATOUR SA VIE ET SES AMITIÉS

CHAPITRE PREMIER LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE

N'est-il pas singulier le

qu'un des peintres qui devaient

faire

plus d'honneur à l'école française et qui, par les gens de

tournure honnête et modeste qu'il aimait à peindre, par simplicité des intérieurs où

— tous

avoir été

pour

l'en

moyenne

railler

et

de

l'ont dit, les

le

plaçait ses

il

uns pour

la

modèles, semble

l'en louer, les autres

peintre par excellence de la classe

la société

bourgeoise,

ait tenu,

par ses ori-

gines, à la race italienne, à la race slave, et qu'il ait pu,

un

jour qu'on parlait beaux-arts, s'écrier sans trop d'invraisemblance

que

les

:

«

Un sang

trop mélangé coule dans

mes veines pour

questions d'école et de nationalité puissent beaucoup

m'agiter?...

»

Pantin descendait d'une nombreuse famille établie depuis des siècles dans

le

Briançonnais

elle avait

dû venir autrei


FANTIN-LATOUU.

nom-là est sûrement d'origine italienne, et

fois d'Italie, car ce

l'on peut voir à Venise, sur la petite place

de

la

Fenice,

une

église de

remarquable do Sansovino,

elles.

le

théâtre

San Fantino, avec un chœur

mais depuis longtemps déjà

branches de cette famille avaient ajouté quelque

les diverses

surnom à

où s'élève

leur

nom patronymique,

de se distinguer entre

afin

Notre peintre appartenait à une branche dont presque

tous les

avaient été dans la robe ou la finance, à

membres

commencer par

ce Jean Fantin,

fils

d'un notaire d'Arvieux et

subdélégué à Briancon, qui

avait, le

dix-septième siècle, pris

nom

domaine que sa femme

le

lui avait

premier, vers

la fin

du

de Latour, en raison d'un apporté en dot, non loin de

la ville.

Dans

le fait,

si

Fantin se rattachait à travers les siècles

à l'Italie, nul ne s'en serait douté, car, avec son visage légè-

rement

aplati

et

son

front

bombé,

il

rapprochait

se

sensiblement du type semi-asiatique et rien qu'à

très

le voir,

on

aurait deviné qu'il tenait de près à la race slave; sa mère, en efl'et,

était

Russe

s'appelait M"*' la

comtesse

béry que

le

:

elle était

née dans

Hélène de NaïdenolF

Zolofi",

le

duché de Podolie,

et était la

fille

adoptive de

née princesse Kourakine. C'est à Cham-

père de Fantin, Jean-Théodore, né à Metz en I80"j,

avait rencontré M"" de Naïdenofî et l'avait épousée,

d'octobre 183i-, ensuite,

il

était

au mois

revenu à Grenoble, où son

talent de peintre était fort apprécié; après avoir

de travailler à l'école de dessin de Grenoble,

il

commencé

s'était

formé

tout seul en faisant des copies au Louvre, dans la galerie ita-

lienne où l'on ne voyait vers 1830 que de rares élèves d'In-


LA VIK KT LA GARRIÈRK DT l'KINTKE.

gros), et là, faisait

pour

dans une

ville

où on

connu tout enfant,

l'avait

il

de nombreux portraits oÀ peignait des tableaux religieux

ou

les églises

les

couvents.

Il

produit de ses pinceaux, avec sa père, Jean-François Fantin, avait servi

dans

amis

nait à ses

le

femme

non

et

loin

du

de son

ancien officier de l'Empire qui

marine, puis dans l'armée de terre, avait

la

comme

pris sa retraite

vivait ainsi tranquille

lieutenant-colonel d'artillerie et don-

spectacle singulier d'un ardent légitimiste,

disciple enthousiaste de Rousseau, et d'un excellent officier,

ennemi déclaré de

la

guerre. Est-ce qu'on ne pourrait pas,

en raison de l'un ou l'autre de ces goûts, de cette sainte hor-

reur de

guerre en particulier, trouver des affinités très

la

sensibles entre le grand-père et

comment

Voilà

le petit-fils?

F'antin naquit à Grenoble, le

183G, au deuxième étage d'une maison de nes,

où son père

tracté mariage.

Théodore

s'était installé tout

Il

i

janvier

cour de Chaul-

la

de suite après avoir con-

reçut les prénoms de Ignace-Henri-Jean-

Théodore, parce que

:

1

c'était

le

prénom de son

père; Jean, parce que c'était celui de son grand-père; Henri,

parce que son parrain, frère aîné de son père, s'appelait ainsi; Ignace,

enfin,

parce

que ce parrain, qui

un jour dans

souhaitait que le nouveau-né entrât

avait tenu à le mettre sous la protection

Compagnie

prénom alors Si

:

il

marquait

qu'il n'appela

que toute

même

une

jésuite

et

les ordres,

du fondateur de

telle prédilection

la

pour ce

jamais son neveu autrement qu'Ignace,

la famille l'appelait

couramment Henri.

Fantin était né à Grenoble et

cette ville, sans

était

s'il

garda toujours pour

jamais y retourner, une certaine tendresse


FANTIN-LATOUR.

qui s'est traduite par des dons considérables au musée,

est

il

de dire qu'il n'en avait aucun souvenir précis, non plus

vrai

que de

campagne de

petite

la

Tronche où ses parents

la

allaient passer l'été, et le contraire eût été surprenant, car

n'avait pas encore six ans lorsque son père, ayant

propre père,

part diminuer les

filles

:

Marie et Nathalie, voyant d'autre

commandes de

portraits et de tableaux de

sainteté, prit le parti de venir se fixer à Paris

fortune

lui sourirait

sa smala, car

davantage.

amenait avec

il

lui

ses trois enfants, mais aussi sa n°

1

de

encore là

que

la

le

il

pensait que

alla se loger avec toute

non seulement sa femme

sœur

et

un de ses

et

au

frères,

fait

coin de cette rue et de l'ancienne rue Taranne. C'est

Henri grandit

diant mollement

le latin

le

et

sous

inquiet surtout de voir se

commença de

la direction

dresser,

s'instruire, étu-

de son oncle Victor,

au bout de ses études

séminaire où son oncle Henri rêvait de

entrer, et s'essayant avec

crayon,

11

rue du Dragon, dans une vieille maison qui

le petit

latines,

perdu son

colonel en retraite, et ayant vu sa famille

le

s'augmenter de deux

la

il

comme

il

le

le

faire

beaucoup plus de goût à manier

voyait faire à son père, ayant

même

le

bientôt

une tâche quotidienne à remplir, par exemple des modèles à copier. Car

Théodore Fantin n'entendait pas que ce

fût là

un

simple amusement pour l'enfant âgé de dix ans à peine, et voulait

développer

bambin

;

la règle

les dispositions qu'il voyait

poindre chez

de travail était assez sévère et

le petit

le

Henri

ne devait abandonner une copie commencée qu'après l'avoir

achevée avec l'exactitude quelquefois, quand

il

la

était à

plus minutieuse: aussi

le

gamin,

bout de patience, déchirait-il ou


POHÏRAIT DK FANTIN 18î)8.

l'AK

l.Ll-.MÈMK

(ialerie Nationak', à llerlin.



LA VIR ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

maculait-il son papier,

comme

8

par accident, pour passer à un

autre genre d'exercices.

Fantin, cependant, n'était pas un élève indocile, tout au contraire;

mais

il

Après qu'on

ailes.

aurait déjà voulu voler

mis à

l'eut

l'école des Frères

Saint-Benoît pour préparer sa première l'eut faite,

de ses propres

communion

revint chez son père, à côté de qui

il

de

la

rue

et qu'il

travaillait

il

tout le jour sans désemparer. Le soir, la distraction préférée

de ses parents rant de

était d'aller, l'été, dîner

banlieue, ou l'hiver, au spectacle, de préférence

la

au Palais-Royal ou sait

dans quelque restau-

même aux

Funambules, où

follement; mais sous cette apparence docile,

Henri donnait déjà des signes d'indépendance.

s'amu-

l'enfant

Il

le

jeune

avait d'abord

de Flaxmann que

copié

furtivement des

prêtés

un pharmacien du voisinage, ancien second prix de

Rome pour

la

dessins

sculpture,

puis

il

s'était

mis, toujours en

cachette, à faire de l'aquarelle, en copiant des scènes

tiques de Baron

ou des paysages de Soulès;

approchait où son père ne pourrait plus

avait

lui

bref,

le tenir

romanl'heure

sous sa rude

discipline.

Un jour les

yeux

et

rue de l'École-de-Médecine,

qu'il passait

lit

cette inscription

d'une porte ouverte; l'on avait organisé

il

:

«

École de Dessin

»,

rêverait

entre et se trouve dans une salle où

une exposition de dessins en

apprend les

d'en faire.

qu'il faut avoir

lève

au-dessus

fin

d'exercice.

Et quels étaient ces dessins? Des académies, justement il

il

11

monte au

secrétariat,

comme

s'informe,

quinze ans pour être admis à suivre

cours et reste penaud en pensant qu'il s'en faut de trois


FANTIN-LATOUK.

mois pour qu'il y puisse entrer. Cependant le secrétaire, touché (le le voir si désappointé, passe sur le règlement et lui donne

quand

même

une carte

10 octobre 1850, à l'heure son petit bagage;

il

dite, le

aux autres

premier

:

soir,

nouvel élève arrive avec

se tire

et

si

exactement ce

fait

jugez de

la joie

du jeune

il

est classé

homme

et

il

qu'il voit

bien de ces études d'après

bosse qu'au premier concours de places, le

lendemain

ne connaît aucun maître, aucun élève;

occupe une place quelconque, faire

Le

d'admission.

la

d'emblée

du bonheur

de ses parents.

avec qui Fantin s'était rapidement le

même chemin

lié

nommé

un

Celui qui venait au second rang était

Solon,

parce qu'ils prenaient

pour rentrer chez eux, au

sortir

de

l'école.

Or, ce Solon suivait aussi les cours que M. Lecoq de Boisbau-

dran

faisait

au n" 39 du quai des Grands-Augustins pour expé-

rimenter, sur des élèves déjà capables de peindre, son sys-

tème basé sur l'éducation de tème

très

l'école

sale de

cices

:

de

original la

la

la

mémoire

pittoresque. Le sys-

de ce maître, qui professait à

la fois

à

rue de l'École-de-Médecine et dans une succur-

Légion d'honneur, comportait deux sortes d'exer-

ceux propres à développer,

forme (dessins),

soit la

mémoire de

soit la

la

mémoire de

couleur

(les

la

premiers

se faisaient à la rue de l'École-de-Médecine, les seconds au

quai des Grands-Augustins), et

le résultat à atteindre,

au bout

mémoire

et sans

d'exercices gradués, était de reproduire de le

secours d'aucun document, quelque morceau de peinture

qu'on était

allé

voir au Louvre. Solon n'eut pas de peine à

décider Fantin à l'accompagner là; mais

le

difficile

pour


LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

7

Fantin était d'obtenir la permission de son père.

Aux yeux

de celui-ci, en l'école

des

effet,

cours du

comme ceux de

soir,

de dessin que Fantin suivait déjà, étaient toujours bons à

fréquenter; mais ceux de l'atelier Lecoq avaitmt lieu

jusqu'à midi, et permettre à son

ment

c'était

élève et le

fils

matin

le

d'y assister régulière-

presque, pour M. Fantin, cesser de l'avoir pour

même un peu

pour aide dans ses travaux personnels

père de Fantin se laissa cependant convaincre

et,

:

à partir

de 1851, l'école du quai des Grands-Augustins compta un élève de plus.

nombreux

n'étaient pas

Ils

dix ou douze environ, et

des plus sommaires,

était

l'installation

là,

francs par élève subvenant tout juste

cotisation de dix

la

aux

généraux et

frais

ne permettant que de recruter des modèles d'occasion, presque de bonne volonté. Fantin, à dire

ou quatre années exercices de

le

vrai,

qu'il suivit ces cours,

pendant

fit

les

trois

quelques-uns des

mémoire recommandés par son maître, mais sans

beaucoup de conviction

;

par tempérament,

il

était rebelle à

tous les régimes, quels qu'ils fussent, et venir exactement à l'atelier n'était

pas

même

avait fini par l'appeler l'attirait et le

car

il

la

«

ramenait

longues^ c'était

encore

:

le

son

fait,

à

tel

point que M. Lecoq

l'Oiseau voyageur ». là,

plaisir

En

réalité, ce qui

après des absences plus ou moins

de travailler d'après

grande liberté que

entrait dans le système

le

le

nu;

maître laissait à ses élèves,

d'enseignement de M. Lecoq de

ne les contraindre en rien, d'éviter de peser sur eux

du monde,

fût-ce

c'était

le

moins

en leur montrant sa propre peinture; de

respecter enfin les dispositions individuelles, de cultiver d'une


FANTIN-LATOUR.

façon plus ou moins intense la personnalité de chacun par

développement de attachait

une

la

mémoire de

le

à laquelle le maître

l'œil,

grande importance.

si

Ce qui charmait enfin Fantin par-dessus tout dans cette école, c'était les solides amitiés qu'il y avait nouées et dont

garda jusqu'au bout

le

plus agréable souvenir. C'était d'abord

Alphonse Legros, simple enfant du peuple de

qu'une éducation la

mais

rencontre,

bande, possédant un don

et

n'ayant reçu

boute-en-train de

le

d'imitation très particulier et

beaucoup d'esprit naturel

:

plus tard, après s'être

naturaliser Anglais, dira

ment

Comme

«

:

aujourd'hui, je

gagnée

d'un avocat appelé par

goût très

vif

fait

n'est-ce" pas

lui

c'est simple! Hier, j'avais

l'ai

pour

les

le

!

» C'était

Fantin

;

c'était

passionné pour

Khédive en Egypte

entré

à

l'atelier,

développé pour

les

et qui avait

avait été

la

fils

la

phénix de

du sculp-

Médicis et

de Jean-Jacques, le

jour où

palette, la tète

l'atelier

il

était

de voir refaire de

de viole des Noces de Cana : ce dernier, à vrai dire,

Après

un

musique rapprochait de

très surpris

mémoire, avec son seul couteau à

le

fils

études de che-

Ottin,

botanique, et que Fantin,

préféré du maître et

drôle-

choses littéraires; c'était Guillaume

Charles Cuisin, très épris la

si

perdu Waterloo;

teur à qui l'on doit le groupe de la Fontaine de très

beaucoup

qui,

naturellement Solon,

Régamey, déjà porté de préférence vers vaux et les scènes militaires; c'était Léon que son goût

du joueur

était l'élève

Lecoq.

séance du matin, tous ces jeunes gens prenaient

leur vol dans Paris, travaillant chacun selon ses préférences

c'est alors

il

que Fantin commença à

aller

régulièrement à

;

la


l'OHIHAIT

IJlC

A M""

M.

ALlMlO.NSi:

Paul Paix (1858).

I.KliUMS



LA VIE Rï LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

9

Bibliothèque impériale pour voir les gravures d'après les maîtres, puis le soir

au Louvre pour voir

tableaux

les

mêmes

— mais,

;

venu, tous ceux que je viens de nommer, et d'autres

encore, se réunissaient tantôt dans l'atelier du père d'Ottin, tantôt dans

une

vant trop à

chambre que

petite

l'étroit, avait

le

père de Fantin, se trou-

louée pour son

maison, et c'étaient parfois de

si

fils

dans

même

la

bruyantes discussions, des

causeries ou des plaisanteries tellement vives, qu'elles finissaient par exaspérer les voisins. Alors,

pour ne plus gôner per-

sonne, nos apprentis peintres se rendaient dans un petit café, le

café Taranne,

que des

trée, tandis

ils

occupaient en maîtres

littérateurs,

la salle

d'en-

Gustave Flaubert et Louis

Bouilhet entre autres, poursuivaient leurs entretiens dans une pièce plus

reculée.

fraient à ces jeunes gens

du côté de

:

ils

allaient à la

l'étang de Villebon, et

chères à M. Lecoq,

les idées

en plein

venu, d'autres

L'été

air,

ils

là,

distractions

s'of-

campagne, surtout

pour mettre en pratique

faisaient des études de

nu

en profitant d'une baignade pour peindre l'un ou lumière plus ou

l'autre d'entre

eux

moins

de ceux de l'éloignement, en un mot de tous

les

de

diffuse,

problèmes de l'atelier.

et

la

après quoi, sur

le

de

la

quelques années pendant lesquelles

plus librement et plus utilement du

le

monde;

conseil de son maître, et sans pour cela

quitter l'atelier Lecoq,

avec

effets

perspective sous un jour autre que celui

Ce furent

Fantin travailla

juger des

il

se présenta à l'École des Beaux-Arts,

quelques-uns de ses camarades. Au bout d'une seule

année d'études, en 1851, certificat l'autorisant à

il

avait déjà reçu de son maître

passer ce concours, mais

il

un

n'en avait i


FANTIN-LATOUR.

10

rien fait; cette fois-ci, après trois années de travail de plus, il

s'y

A

présenta et fut admis cette époque,

il

le 41*', à la

n'y avait pas d'atelier de professeur à

l'École, et le seul avantage

trouver

date du 28 février iSIii,

que Fantin

et ses

amis dussent

d'avoir des séances de modèles gratuites

là, c'était

:

tout l'enseignement officiel consistait en des classes du soir

où peintres

nu ou

et sculpteurs,

l'antique.

deux ou

confondus, travaillaient d'après

Un membre de

trois fois par

le

l'Institut venait les inspecter,

semaine, et c'est ainsi que Fantin se

souvenait d'avoir vu passer

Horace Vernet, Paul Delaroche,

Léon Cogniet, David d'Angers

le

:

et bienveillant; le second, sec et

observations désobligeantes;

le

premier, toujours aimable

gourmé, n'épargnant pas

les

dernier enfin, très intéressant

à écouter, le seul qui parût vouloir faire profiter les élèves

de son expérience.

Au

total, les résultats

à l'École des Beaux-Arts furent négatifs

pour être maintenus,

les élèves

:

du

;

or,

de Fantin

tous les trois mois,

devaient subir un nouveau

concours de réadmission ou de maintien, dire

travail

comme on voudra

au premier de ces concours, Fantin eut un numéro

inférieur à

son

numéro d'entrée;

à

l'examen

suivant,

descendait encore, et au bout de trois ou quatre concours, était éliminé

:

les

ment des progrès C'est ainsi

juges avaient trouvé qu'il

constam-

que Fantin, n'ayant pas eu d'autres maîtres que

ce

fit

gloire de s'inscrire

double patronage et contribua pour une

très large part à la célébrité lui

il

à rebours.

son père et Lecoq de Roisbaudran, se toujours sous

faisait

il

de

l'atelier

où passèrent après

Georges Bellenger, Cazin, Lhermitte, Félix et Frédéric


H

LA VIE ET LA CAREUÊUE DU PEINTRE.

Régamey, Roty;

c'est

heureux

fier

tout

et

rappelait

dernière

à «

:

pourquoi des

succès

:

touchante, à

lui,

d'une façon très

J'ai

bien regretté, m'écrivait Fantin

cette année,

96 ans), dans lequel

venir. Cela

tout

heure

son

24 sep-

le

me

il

m'a touché, car

il

a

j'étais

Au

son testament

fait

oOOO

laisse

de

les funérailles

de faire-part m'est arrivée trop lard.

la lettre

mois de janvier de avait

Lecoq,

de son élève, se

tardifs

tembre 1897, de ne pas être à Paris pour

M. Lecoq

M.

brave

le

un élève

(il

francs, en sou-

indiscipliné et

y avait bien longtemps que je ne l'avais vu...

il

»

* »

En

réalité,

Louvre, et

les

véritables maîtres

comme

c'est,

*

de Fantin étaient au

peu de temps

je le disais plus haut,

après son entrée à l'atelier Lecoq, en 1853, que peintre

entama

cette longue série de copies et d'études

devait égaler parfois les originaux devîmt lesquels

toutes ses journées.

reproduire fut bientôt

le

\e

La première

il

jeune

il

passait

entreprit

de

François I" , du Titien, auquel succédèrent

Duc de Richmond, de Van Dyck

le

qu'il

toile

de Ferdinand Bol, fAssoîuplion et une Poussin,

le

Saint-Jérôme,

du

Titien, etc.

de voir souvent de près, mais sans

;

le

Mathématicien,

Sainte Famille, ;

lui

de

et quelle fut sa joie

adresser

la

parole,

Delacroix qui venait parler à son élève Andrieu, alors occupé

comme Fantin à copier la Vierge du Saint-Georges, de Véronèse! A cette épo(jue, c'est lui-même qui l'a dit, il fut saisi d'une véritable lièvre d'admiration pour ce maître et repro-


FANTIN-LATOUR.

12

duisalt, sur des bouts de toile qu'on a

de son

atelier, après

sa mort, la

femme

sacre de Scio; puis, tour à tour,

Femmes

pu voir à l'Exposition et l'enfant

du Mas-

tous les personnages

comme

d'Alger; enfin, l'été venu,

son

des

camarade

Solon, installé avec sa famille à Versailles, l'avait engagé à y venir passer quelques jours, il occupait toutes ses après-midi à copier, dans la Galerie des Batailles, le

groupe central de

l'Entrée des Croisés à Constantinople.

Tout à coup, arrivèrent des commandes fructueuses, encore par l'intermédiaire du

brave

Solon

:

il

de

s'agissait

faire

des copies d'après les maîtres pour former en Amérique un

musée organisé par

riche M. Stowe, beau-frère de la

le très

célèbre romancière M""* Beecher-Stowe, et ce fut Fanlin qui fut choisi

pour ce vaste

loc, le directeur

travail,

sur la désignation de M. Bel-

de l'École de dessin de

la

rue de l'École-de-

Médecine, qui ne connaissait nullement Fantin, à

la vérité,

mais qui

«

jugea d'après ses copies antérieures.

le

Toi qui

passes ta vie au Louvre, avait dit Solon à son ami, voilà un travail qui serait tout à

comme

se trompait pas, car Fantin,

deux ans à

faire

si

religieusement

les maîtres, et le

le «

faite qu'elle attira

mit en rapport avec Cou-

Lehmann, avec Bonvin, Ricard

Jeanron,

Titien,

amateurs ou des peintres qui venaient encore

au musée étudier ture et

entrée de jeu, mit près de

une copie des Pèlerins d'Emmaûs du

grandeur originale, copie l'attention des

à ta convenance! » Et Solon ne

fait

et liobcrt-F'Ieury, avec

Peintre plébéien », qui suivait de jour en jour les

progrès de ce travail et à qui

pochades, tant

il

était fier

le

jeune

homme donna

quelques

d'un pareil encouragement.


SCENE FINALE DL

M

Lithographie oriftinale

II

lilN

(i ()

(1877).

LU



LA VIK ET LA CARRIÈIIE DU HEIiNTRE.

13

Mais ce n'était pas tout que de copier. Fantin

commen-

çait à

produire par lui-môme

que dix-sept ans,

faisait

il

dès 1853, alors qu'il n'avait

:

un

portrait de lui, qu'il a repro-

duit plus tard en lithographie pour accoui|)agner le catalogue

de ses lithographies dressé par Germain Ilédiard, puis un petit portrait

de son oncle

le

Jésuite et

un minuscule paysage

de Montmartre, deux toiles qui ont été revues, à l'Exposition

ans,

vinrent une tète

rétrospective

de

son

y a deux

il

œuvre.

Ensuite

au crayon, d'après sa sœur Nathalie; un

portrait de la

même

qu'il projetait

d'envoyer à l'Exposition de 1855 et qu'il détrui-

sit

en talma de velours noir sur fond rouge,

tout à coup; une esquisse du Songe,

à son

ofTerte

ami

Solon, du Songe qui devint peu après d'abord un pastel, puis une

peinture à l'huile

;

et c'était

encore de nouvelles études d'après

ses sœurs, sujets de lithographies pour l'avenir, avant qu'il

ne s'improvisât pour un jour peintre de scènes religieuses. Voici dans quelles circonstances s'opéra cette

phose

:

le

curé du

Plessis-Piquet,

ayant manifesté un jour devant faire

le

qui

s'appelait

sculpteur Ottin

décorer une chapelle de sa modeste église,

des fonts baptismaux, pourvu qu'il

dépenses matérielles

:

métamor-

le

désir de

la

chapelle

n'eût à payer

les

s'ofl'rait

eux de se distraire et de travailler ensemble pendant tout

l'automne de 1855. Cuisin, l'aîné et

Lecoq, devait représenter sur Christ dans le Jourdain la

que

couleurs, échafaudages, etc., les jeunes

peintres, avisés de ce désir, saisirent l'occasion qui à

Berlioz,

;

le

le

plus fort de l'atelier

mur du

fond

le

baptême du

Ottin s'était chargé de peindre sur

voûte les médaillons des quatre Évangélistes, et les murs


PANTIN-LATOUR.

14

à Solon pour y peindre le

latéraux furent attribués,

l'un

baptême de l'eunuque par

saint Philippe, et l'autre à Fantin

pour y représenter saint François-Xavier baptisant de dire

Inutile

les têtes d'Ottin,

de

tant

ne subsiste plus rien aujourd'hui, sauf

qu'il

des peintures que ces jeunes gens avaient pris

plaisir à faire,

achever et dont

les Indiens.

le

que

le

curé avait été

maire avait été

fier

de voir

avait

demandé

si

si satisfait, qu'il

à chacun des peintres d'exécuter pour lui un dessin de leurs

compositions

;

c'est ainsi

dans sa poche un beau faire

fi,

lui

qui

que Fantin

billet

vit

tomber inopinément

de cent francs dont

il

ne dut pas

ne gagnait encore un peu d'argent qu'en

donnant des leçons de dessin dans une pension de

la

rue

des Postes.

Mais ces jeunes peintres ne se contentaient pas de peindre. Afin de s'exciter au travail et de se forcer à échanger leurs idées, ils avaient imaginé de

composer un album

transcrivaient leurs impressions en les

ils

collectif,

accompagnant au

besoin de croquis et d'aquarelles, et Fantin, justement en cette

année 1855, y inséra une leur avoir

marqué sa

petite allocution à ses

joie de se retrouver au milieu d'eux et

le

regret de ne pouvoir exprimer

il

affirmait déjà que,

ni d'autre

but dans

nature devait être d'inspiration pour

pour la vie

le

lui,

la

ils

élégamment ce

il

qu'il

éprouve,

n'y avait pas d'autre plaisir

que de peindre; que, selon

souverain modèle,

la

lui,

la

meilleure source

l'homme de génie comme pour

doué de facultés moindres,

amis où, après

et qu'il lui semblait

l'artiste

que l'époque

vivaient devait être féconde parce que l'art entrait dans

voie de la nature et de la vérité.


LA VIE ET LA CARRIÈRK DU PEINTRE.

A le

la suite

de ce petit

«

15

laïus », Cuisin, qui paraît avoir été

gardien de cet album, ne s'est pas tenu d'ajouter les lignes

que voici

Ces phrases écrites sans

«

:

sont celles qui

me

bien loin de se

le figurer,

Je

peint.

l'y

sans prétention,

art,

font le plus de plaisir. Ce sont celles où,

notre modeste Fantin s'est

le

mieux

retrouve tout entier; j'y retrouve son parler

calme, doux et tranquille, ses expressions indécises qui ne tracent que quelques mots à de grands intervalles, laissant à

pensée à combler ce qui manque. Et puis

la

parlait, tout

s'il

qu'il y

arts.

et

comme

pour cela

particulier; c'est il

n'osait

nous

les trouvassions trop ordi-

Et pourtant voilà

Le sentiment

objet de recherche

source d'où

nous ne

dit,

C'est

y a de l'originalité, et pourtant

trop banales.

des

faire

qu'il

craignant que

lire,

naires,

qu'il pense.

montre bien sa nature, son caractère

pour cela les

simplement ce

y

il

comme

on devrait

et la personnalité, loin d'être

d'étude, devraient être

l'eau s'épanche,

un

comme une

sans cesse et sans peine.

On

devrait se laisser aller à faire tout simplement ce qu'on aime,

comme on et se

l'aime; dire ce qu'on pense

comme

complaire soi-même dans ce que l'on

Cette année-là

môme,

homme

le

pense,

fait'... »

l'Exposition universelle ouverte au

Palais de l'Industrie avait produit

notre jeune

on

une

forte

impression sur

qui fut toujours très sensible à ces grandes

manifestations internationales et que ses promenades dans les salles consacrées à Ingros, à Diaz, à

d'admiration. C'est dans i.

Cet album, dit

bourg.

Album de

le

Rousseau rendaient fou

même temps

qu'il

Cuisin, est aujourd'hui au

entreprenait

Musée du Luxem-


FANTIN-LATOUR.

16

pour

première

la

de M. Stowe

de

veille

l'art

deux ans de par

nomme

pas

— toujours

qui

»

dont

travail,

pas

n'allait il

propos duquel un connaisseur

lui dira

des voix

lui

plus tard, au Louvre

:

:

« C'est bien, cette

que

le faites. »

ne

qu'il

mieux

l'on ait

Éloge bien doux à

mais qui ne l'empochait pas d'entendre

l'artiste,

disant

mer-

«

devait faire encore cinq copies

compris Véronèse que vous ne de

demande

la

demander moins de

lui

copie, vous sentez cela. Je ne crois pas

l'oreille

sur

ce tableau des Noces de Cana, cette

suite, et à

la

de copier

fois

Tu ne peux

«

voir l'ensemble; tu te rac-

croches aux détails; celui qui sentirait vraiment les grandes choses de ce maître, verrait et ferait cela bien autrement que toi »

;

faisait

éloge qui l'enchantait, mais ne écrire à

Travaillons;

le

Edwards

«

:

le grisait pas, et

Bien des

travail c'est le

le

me

suis

dit

:

bonheur, et un tas d'autres

sentences dans ce goût. Eh bien! voilà avoir

fois, je

qui lui

le

moment.

Je veux en

courage. Puis vous ne vous figurez pas combien cela

m'est pénible de ne pas faire ce que je veux. Le Louvre, où je vis,

me

désespère. J'ai travaillé assez sérieusement depuis

un mois, voulant

finir

ma

copie. Cela

me

rendait tout triste

de n'être vraiment rien à côté de tous ces grands

artistes, et

vous connaissez

même

le

remords de

l'artiste

qui résiste

aux

plus grands compliments'... »

Ces longues séances quotidiennes au Louvre qui durèrent presque sans interruption jusqu'après

1870

car Fanlin

continuait d'y travailler pour lui-même à l'époque où je

1.

Lettre à Edwards,

du

:21

août

I8fi5.

fis

sa


•a

C o



LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

connaissance

temps, d'abord parisien était

l'amenèrent à connaître

le

peintre

alors

anglais

la

colonie

Leighton,

commandes de

jours en rapports très sympathiques;

récemment

la

la

musique autant que

plus solide amitié,

j'ai

lui,

tout de suite son nouvel

et ce jour dut

copies, prin-

nommé

puis encore un jeune

d'autres musiciens

du violon

vie,

mena

et

don-

se

allemands dont les

peintre français.

compter dans sa

lia

Otto Scholderer qui aimait

savait jouer

le

le

demeura tou-

il

ami chez un compatriote où

exécutions ravissaient d'aise

et qui

arrivé de Francfort, avec qui Fantin se

de

naient rendez-vous

l'atelier

dissemblables que dussent

si

être leurs façons de vivre et leurs caractères,

peintre

dont

grecque de Londres; ensuite

Duran, avec qui,

brillant (jarolus

dès les premiers

un rendez-vous du beau monde

contribua à faire avoir à Fantin des

cipalement dans

17

Un jour

— au moment où

enfin,

il

com-

mençait une seconde copie des Noces de Cana pour un M. Pina, de

Mexico,

Fantin

s'approcher

vit

de

lui,

obtenir un renseignement quelconque, un jeune élégant de sa personne et dont

comme pour homme,

très

suffisance apparente l'avait

la

déjà mal disposé, un jeune étranger qui flânait beaucoup au

Louvre en retouchant de

loin

en loin une copie des Cavaliers

de Vélasquez, qui revenait alors d'un voyage aux bords du Rhin, travaillait

dans

l'atelier

ment quelques eaux-fortes dont souscrites par

de Gleyre et terminait justeles

Fantin lui-même

:

premières épreuves furent c'était

James Abbott Mac

Neil Whistler, qui s'accorda tout de suite à merveille avec

Fantin,

si

différentes

devait occuper

que

fussent

leurs

une grande place dans sa

natures, vie,

et

qui

en subissant 3


FANTIN-LATOUU.

18

beaucoup plus son influence que Fantin ne subit

Au bout de peu de les plus assidus

nouveau venu

jours, le

la

sienne.

un des membres

était

petit cercle qui se réunissait alors rue

du

rOdéon, au café Molière,

et qui comptait,

de

en plus de Fantin

et de Whistler, Legros, Carolus Duran, Scholderer, Zacharie

Astruc, etc., sans oublier quelques Fenians réfugiés alors à

Paris et qui vinrent à la suite do Whistler

comme

le

n'était-ce pas là

:

noyau des futures réunions du

café de

Bade

et

du café Guerbois? Whistler était

comme

à

demeure

quelques années; mais Scholderer, entre

la

France et Francfort, où

tant, certain jour,

il

il

à Paris, au

lui,

partageait son temps

avait sa famille.

Fantin de

avait prié

moins pour

lui

En par-

expédier des

cadres qu'il jugeait plus jolis et plus avantageux que ceux qu'il trouverait

en Allemagne;

mais, pour éviter d'avoir à

payer les droits de douane dont étaient frappés là-bas les cadres neufs,

il

avait

également demandé à son ami de mettre

dedans n'importe quelle ébauche. Fantin sorte, à seule lin

lui

que ces cadres ne fussent pas taxés

neufs, quatre ou cinq peintures de sa façon assises l'une à côté de l'autre sur trait,

de face et de

portrait de

profil,

avec

un canapé

;

ses

la

comme

deux sœurs

son propre por-

main, puis un

son camarade Alphonse Legros, et c'est de tous Courbet, passant un

jour par Francfort, disait à Scholderer, que la

:

la palette à la

ces morceaux, brossés à la hâte, que

de

expédia de

«

ce n'était pas

peinture pour les bourgeois », on pesant sur celte der-

nière syllabe de toute la lourdeur de son accent franc-comtois.

Fantin, cependant, ne pouvait pas se contenter éternellement


LA VIE ET LA CARIUÈRE DU PEINTRE.

19

de faire des copies pour des particuliers ou de faire cadeau de ses essais de peinture à des amis. contact avec faite avait

morte à francs,

le

public, et

l'hôtel

Drouot pour

pensait pouvoir

il

son maître

lui

Salon,

le

recommander,

mêlée que

la

souhaitait de prendre

première tentative qu'il avait

la

assez mal tourné lorsqu'il avait vendu une nature

auraient passé par

dans

si

11

la

modique somme de dix-sept

espérer mieux de tableaux qui et,

si

souvent qu'il eût entendu

à lui et à d'autres,

plus tard possible,

le

de ne se lancer

il

commençait à

trouver que l'heure était venue d'essayer de marquer sa place

au

soleil.

Pour

la

première

du jury,

sévérités

fois,

en 18o9,

il

se décida à affronter les

et le fait est qu'elles

ne

lui

nagées. Des trois tableaux qu'il avait envoyés

de sa sœur et ses

lisant,

fut

:

mé-

un portrait

un autre de lui-même en corps de chemise,

deux sœurs occupées l'une

aucun ne

furent pas

à tapisser, l'autre à

lire,

admis. Alors, pour protester contre ce refus qu'il

jugeait immérité et qui englobait aussi des tableaux de Ribot, le

Piano de Whistler, un portrait du père de Legros, par

Legros, etc., Bonvin,

le

plus ancien de cette petite phalange

indépendante, plus avancé lui-même dans forcé dis-je,

les portes

la carrière et

ayant

du Salon depuis quelque dix ans, Honvin,

imagina d'ouvrir

comme une

petite Elxposition des

Re-

fusés dans ce qu'il appelait son « atelier flamand » de la rue

Saint-Jacques, et Fantin fut représenté toiles qu'il s'était

sa sœur. fut

vu refuser

:

son propre

par deux des trois {)ortrait et celui

de

Quant au tableau où figuraient ses deux sœurs, force

de l'écarter,

la

place étant strictement mesurée à chacun


FANTIN-LATOUR.

20

des exposants dans cet étroit local et Fantin occupant déjà

largement

colle qui lui

malheureux groupe, refusé d'un le

peintre avait pu

sa

sœur Nathalie

malade

N'était-ce pas dans ce

était attribuée.

pour

saisir

que

côté, éliminé de l'autre, la

dernière fois les traits de

qui, cette année-là

et qu'il fallut interner à

môme, tomba gravement

Charenton où

elle resta plus

de quarante-quatre ans, jusqu'à sa mort arrivée en 1903?

L'année la

mauvaise pour Fantin

était

son échec au Salon,

:

maladie de sa sœur, l'existence monotone

menait dans sa famille, tout contribuait à pensées tristes, à

ami Whistler affectueuses

le

et serrée qu'il

lui

suggérer des

décourager. Heureusement que son nouvel

intervint alors et le décida par ses instances

Mon

«

cher petit Fantin,

lui écrivait-il,

il

faut

que nulle idée, théorie ou autre absurdité ne t'empêche de venir

ici

môme

et

de suite

à faire le voyage d'Angleterre

son beau-frère,

Seymour Haden, allait

»

le

se feraient

le

cours de ses idées.

une

joie

de

le

recevoir; où Fantin

Que de

l'abondance de

la variété

:

«

fut tout

chère et

le

surprises et d'exclamations dans

La commodité des

mère

il

remonta singulièrement en changeant

ses lettres à ses parents! la

lui-

chirurgien et graveur à l'eau-forle

trouver une vie très large, très luxueuse, dont

émerveillé et qui

installations,

des menus, qu'il énu-

Nous dînons, quels dîners! Champagne frappé pour

boisson, tout

le

temps!

»

les

équipages avec cochers pou-

drés; les cavaliers et les amazones, les

mais sans goût, sans chic aucun Park, tout l'enchante, jusqu'à

«

très belles

», qu'il voit défiler

la société

dames, à Hyde-

des exilés français

où cela l'amuse d'entendre mal parler de l'empereur.


o

z

H



LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

Mais

l'artiste est

moins émerveillé que

découvre que

les

très achevés,

comme au

même,

il

mire plus autant

de regarder,

il

il

pointillé, surtout les sujets de genre,

A

richement encadrés.

et

la

National

reste sur la défensive et déclare qu'il n'ad-

les

pointures anciennes; qu'au Louvre, à force

était

en face de tableaux

devenu indulgent pour

tout, tandis qu'ici,

regarde pour

fois,

qu'il

plus juste et trouve que Canaletti,

homme;

jeune

Anglais n'aiment que les tout petits tableaux,

drôle ou sentimental,

Gallery

le

21

Van Eyck,

la

première

tout n'est pas beau

«

Vénitiens,

les

»

:

il

voit

Rembrandt,

Cuyp, voilà ce

qu'il

a

rencontré de meilleur, et surtout un merveilleux Vélasquez,

une Chasse de Philippe IV, vraie qu'il ait jamais vue le

la

il

se console

entend trop jouer par

finit

par

fameuse barcarolle A'Oberon,

lui

les

et

commandant do

le

piano

au bout d'une dizaine de

paradisiaque

«

orgues

porter sur les nerfs,

»,

après avoir donné

Seymour Haden deux esquisses que son hôte

payer, en lui il

plus belle chose et la plus

la

en écoutant M'"" Haden jouer sur

jours de cette existence à

». Il

Miserere de Verdi, qui

mais

«

tient à lui

plus une copie à faire au Louvre,

se prépare à rentrer à Paris et signe audacieusement sa

dernière lettre

:

«

Henri Fantin-Latour, qui

tenant ce qu'il vaut.

»

sait

bien main-

C'est ce qu'il lui restait à montrer.

* * «

Les Salons de peinture, à cette époque, s'ouvraient seule-

ment tous

les

deux ans

:

aussi Fantin ne renouvela-t-il sa

tentative qu'en 1861, et cette fois, trois de ses tableaux sur


FANTIN-LATOUR.

22

quatre furent admis par

qui étaient en réalité des portraits

un autre de sa sœur Marie Ridley.

anglais

Whistler,

Londres,

lui

avait

nommé

arts, avait

un

fait

un d'après lui-même,

:

lisant et enfin celui

jeune étranger,

(]e

d'après natvre

le jury, trois Eludes-

avait

qu'il

du peintre

connu par

connaître à son tour un avocat de

Edwards, qui s'occupait beaucoup de beaux-

réel talent de graveur à l'eau-forte et s'essayait

aussi à faire de la peinture.

Une sympathie réciproque, qui

transformée en une amitié très solide, avait tout

s'était vite

de suite uni Fantin à Edwards,

jeune peintre trouvant un

le

guide, un conseil des plus sûrs, des plus judicieux dans la

personne du barrister anglais. Aussi Fantin, ayant retraversé

Manche dès

la

entre

même

cette

Seymour Haden àqui

celui-ci lui avait faite, (il

il

année 1861,

qui

il

était

une grande copie des Noces de Cana dans

maison du peintre

la

en villégiature) et Edwards auprès de

trouva, à Sunbury, une hospitalité tout à fait cordiale

qui lui rappelait

la vie

ne manque de rien

de famille

», ajoute-t-il

ami Ridley

et l'agréable talent

C'est pendant ce grand

peignit des

natures

à

«

lui

mois d'une

Mais

si

et

je

que ren-

présence de son

la

le piano.

mortes très préférables,

pensait-il,

à

commença

le portrait

de

:

à ses parents; le portrait avance, »

que

tranquillité parfaite qu'il

Edwards on robe blanche, on buste

espoir.

différence

de M""= Edwards sur

celles qu'il avait déjà faites, et qu'il

vait-il

la

en plaisantant

daient encore plus agréables pour

M™**

partager

une commande que

portait, sur

était allé le joindre à Whitley,

Hook, où Haden

dut-il se

grande hâte

qu'il

«

Je travaille, écri-

c'est

y mît.

il

en train,

j'ai

no put pas


LA VIK KT LA CARRIÈRH: DU PEINTRE.

l'achever avant son départ et

il

ne

le

!i3

termina que trois ans

plus tard, toujours à Sunbury, en 186i.

Au commencement de septembre, Paris et courait voir

peindre à Saint-Sulpice

malgré

les

bêtise de

chapelle

la

que Delacroix venait de

Malgré ce nouveau chef-d'œuvre,

x

:

admirables choses qu'il y

l'homme

de retour à

était

il

qui, sur la

a, je n'ai

terre,

pensé qu'à

la

s'amuse à barbouiller

des murailles, et aux autres qui trouvent des merveilles à un

coup de brosse qui va plutôt d'un côté que d'un autre allait travailler

pendant un mois à

échappait bien

Edwards pour

vite;

lui

tant

noir,

il

écrivait

enfin

ses angoisses,

tant

lettres sur

il

:

lettres

à

et continuait

de

voyait

l'avenir en

se heurtait à des refus d'exposer, personne, à

ce qu'il dit, ne voulant de sa peinture.

savez

il

de Courbet et s'en

exprimer sa reconnaissance

confier toutes

lui

il

l'atelier

»;

Paris!!!

Il

y a Paris; vous

Ce mot n'est pas d'un patriote,

tisme n'est pas chez moi; c'est l'art libre.

«

On

mon

le patrio-

sang est trop mélangé! Paris,

n'y vend rien, mais on y a sa libre mani-

festation et des gens qui cherchent, qui luttent, qui applau-

une école;

dissent; on y a des partisans, on y fonde

plus ridicule

comme

la plus élevée y a ses partisans, etc.

fond, un endroit atroce

dant

il

pour pouvoir y

y vécut sans trop de chagrin,

obstinément,

Paris qu'un peu plus tard

seconde Athènes

1.

:

«

vivr(>'. » il

y

presque jamais

voulant

n'en

l'idée la

il

Athènes

fut

comme

LeUre à Edwards, du 23 novembre 1861.

Et cepen-

demeura sortir,

donnera à Edwards

Au

même

dans ce

comme une

Paris, folle et chan-


FANTIN-LATOUR.

24

même, mais

géante, absurde

forme,

couleur, l'art pour

la

aimant

artiste,

découragement, d'espoir et de désespoir

le

tourmenté et

«

Vous

tourmenteur,

le

du commerce

dans

rendent

le

»

et lorsqu'il trouve à se

semble

lui

il

obligé de faire des fleurs!

la tête et je suis

plus

savez, dit-il à Edwards, c'est

Je n'ai jamais eu plus d'idées sur

«

:

de

le

débarrasser de quelques natures mortes, fait

les plus tristes

de confiance et de

carrière de Fantin. Ses soubresauts

malheureux du monde,

la

»

l'art'.

Les années suivantes comptent parmi la

dehors,

le

En

les

qu'il l'art

fai-

sant, je pense à Michel-Ange, devant des pivoines et des roses.

Cela ne peut pas durer. est

Un

portrait qu'il a fait de

de 1863 et

Salon

refusé au

»

Refusés avec sa toile

l'expose

il

Féerie, qui avait eu

:

lui-même

au Salon des

môme

le

sort,

tandis que son tableau de la Lecture avait été admis au Salon officiel.

Puis

mortes pour

le voilà le

s'acharnantde nouveau à faire des natures

monde grec de Londres, où Whistler

l'avait

introduit, fort à propos d'ailleurs, puisqu'une brouille surve-

nue entre

celui-ci

et

son beau-frère Haden empêchait ce

dernier de renouveler à Fantin les faites

:

«

commandes

Le bonheur n'est pas permis,

Allons, marche, paresseux

quelque autre jour,

!

Il

la nécessité

est huit heures.

comme un

qu'il lui avait

commande.

Au Louvre!

»

Et

tableau de son ami vient d'être

refusé au Salon, contre toute justice à ce qu'il lui semblait,

avec quelle

un

côté

\.

fierté

ne

que je ne

s'écriait-il lui

Lettre à Edwards, du 27

pas

:

«

Whistler m'a montré

connaissais pas

novembre

1864.

:

la

persistance, la


f-

s-

3

< >

"H.

£ O



LA VIE ET LA CABRIÈHE DU PEINTRE.

volonté. Mais pourquoi s'occupe-t-il de

hommes; nous

Laissons cela aux artistes

1864

D'abord,

il

réservait

lui

sommes

autres, nous

des

d'assez

{^^randes

satisfactions.

recevoir au Salon sa première très grande

fait

Hommage

:

Reçu ou pas reçu?

»?

'

Mais

toile

:

25

à Delacroix, qui fut mal placée, peu regar-

dée et très critiquée, mais qui enfin avait affronté victorieuse-

ment

le jury; ensuite,

a le grand

il

honneur

VAcademi/ de Londres avec deux tableaux de

fleurs;

peut faire un troisième voyage en Angleterre où plus

vives

encore

l'oubli le

il

qu'aux années précédentes,

jouissances artistiques,

momentané de

même

la

tranquillité

enfin,

je sens

heureux,

vie,

ses préoccupations continuelles

que

les plus

l'on s'endort

calmes que

dans cette

tôt; cela devrait arriver plus tard... »

accueilli à bras

ouverts, mais

nombreux tableaux, en

il

vie-là,

et qu'il

trouve

voyage fait

fait

faire

du

:

«

bien,

«

avec C'est

moments

jamais eus; mais

que cela

est trop il

est

placement de

le

particulier de la Scène de TannhivAiser

retoucha avant de

tableaux de fleurs

:

Et non seulement

Vénusberg) qui avait été reçue cette

(le

j'aie

mêmes

les

de

la

môme

anuée au Salon

vendre à M. lonidès, avec deux

Vous ne vous imaginez pas comme écrit-il

à sa mère. Cela

» Il

le

change, cela

des progrès et vous donne de l'assurance, avec

vraie opinion sur soi.

il

retrouve,

Paradis, écrivait-il à ses parents. Ce sont là les

les plus

admis à

d'être

la

n'y a qu'un seul point noir dans ce

tableau enchanteur, c'est qu'il avait accepté d'aller chez des

!.

Lettre à Edwards, du 15 mai 186!*.


FANTIN-LATOUR.

amis de Whistler, très triste

que

le

fallait

à cent lieues de Londres

«

du Lancashire,

dans un château

»,

lui-même étant encore plus

et

château, puis de peindre là

absolument rajeunir, ce

le portrait

d'une dame qu'il

étonné d'avoir

qu'il est tout

entrepris, mais ce qu'il jure bien de ne jamais «

A

Sunbury, je vais

plaisir et tout

peinture, car

de

faire

me

je vais tâcher de faire

des remords de

mon

c'est affreux'

!

de bonne

portrait; c'est horrible

Ah

des portraits pour plaire au public.

de temps à

plaint, papa, d'avoir passé tant

Que

recommencer.

reposer et faire mes bouquets avec

doucement;

j'ai

triste

!

faire

que je

t'ai

ce métier!

»

Et dès qu'il a regagné Paris, avec quelle effusion ne remercie-t-il pas ses hôtes des longs jours de tranquillité qu'il

leur doit! «... Moi,

mon

dit-il, je

reste à songer. Je suis à Sunbury,

cher monsieur Edwards. Vous ne saurez jamais quel

bonheur, quel beau temps vant vous donner une

passé auprès de vous, ne pou-

j'ai

idée de moi, de

mes premières années, de ma pauvre

mon pauvre moi-môme; de ma

tence,

sur

de

au bonheur, à fait.

J'ai

esprit, tout

la gloire, à l'art;

pour moi ce que

nerveux; toujours replié

jamais content, jamais satis-

j'avais toujours désiré,

mienne doivent causer*.

tourmentée exis-

premier repos

le

rien laisser paraître de l'ennui la

et

éducation, de

toujours seul, toujours aspirant

vie,

trouvé chez vous

mon

me

;

vous avez été

supportant sans

que de certaines natures comme »

Sur ces entrefaites, arrive à

Paris Rossetti, le peintre préraphaélite, que Pantin se reproi.

Lettre à ses parents,

â.

Lettre à Edwards,

du

du li septembre

H

octobre 1864.

1864.


LA VIR ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

chait d'avoir quitté trop brusquement, sans

27

être allé le re-

mercier, après toutes les amabilités qu'il avait reçues de à Londres, et pour réparer disposition

du voyageur;

promène

le

il

sa grossièreté

«

au Louvre, au Luxembourg,

»,

se

il

met à

lui la

et le conduit partout:

Manet, chez Courbet, à

chez

l'Exposition de

Delacroix, etc., sans jamais se lasser de ré-

pondre à toutes

les explications

m'a

« Il

fait

entendre que, pour moi, je ne

achevé. Cela est vrai, je

comme

que

doit faire

que l'étranger

faisais rien d'assez

sens bien, mais je

le

l'on peut.

sens

le

On ne

:

on ne

Je suis trop irritable, trop

mon

changeant, mais j'aurai peut-être les bénéfices de nisation.

demande.

lui

orga-

se refait pas'. »

Bref, lorsqu'il eut fini de flâner, de courir Paris en tout

sens, allant chez et

Manet où

dîne avec Bracquemond, Cordier

Duranty, puis chez ce dernier, où

rend compte qu'on doit au

il

travail,

amis,

le

croire

«

il

parle en exalté et se

un peu fou

entreprend un grand tableau où

il

pensant faire

ainsi

le

pendant de son

», il

il

se

remet

groupe des

Hommage

à

Delacroix, un tableau que Whistler, tout heureux d'y figurer

au premier plan, en costume splondide, un tableau infinie et

dont

de 1865, qu'il

il

fut si

mal

fini,

Lettre à Edwards,

satisfait,

quand

il

le vit

d'avance

une peine au Salon

sur l'heure et n'en conserva que de

Voilà à

à ses amis de

Allons! voilà 64

1.

«

déclarait

Toast, qui causa au peintre

le détruisit

modestes fragments. avait-il écrit

le

:

japonais,

fini!

la

pendule minuit qui sonne,

Sunbury

le 31

décembre 1864.

186o, 1865; que diable qu'est-ce

du 27 novembre 1864.


FANTIN-LATOUR.

28

me remue

que cela va être que 1865 pour nous? Cela coup. je

me

Oh

!

écouté et compté les douze coups à

J'ai

suis dit

me

que cela

Exposition,

Ouf, ça y est, c'est

:

ce

fait

fini

à

travail effrayant

faire!

1865, qu'il paraissait tant redouter, ne puisqu'il

admis au Salon

!

quoi 65 ?

de mal l'anxiété de cette année, cette

Oh!

fatigué! Enfin, c'est la fatalité...» Mais, en

défavorable

pendule et

la

Eh bien

!

avait

un

eu

que

je

somme,

lui-même au

lui avait

pas été trop

tableau

considérable

que ce fussent

lieu

suis

l'année

montré

et qu'après tout c'est lui qui s'était

très sévère envers

beau-

les jurés

officiels.

Un

instant

il

avait cru qu'il lui serait loisible

ner cette année-là en Angleterre, et tableau où

ses hôtes et des

et qu'il

signerait de

venir de Sunbury

qu'il

le faisait

lui

rappelait

le faisait à

air,

pleurer

tant le sou-

même

tendant M""^ Manet jouer une sonate de Beethoven

Mme Edwards

un

intitulerait le Pique-

Sunbury-on-Tliâmes,

charmait,

le

projetait de faire

amis poseraient en plein

déjeunant sur l'herbe, un tableau

Nique

il

de retour-

en en-

comme

Sunbury, par un beau soir d'été qui

les soirées anglaises.

aurait tenu à faire un

Il

grand tableau de ce genre pour se relever de l'échec du

Toa.ft,

pour ne pas atteindre en flâneur sa trentième année qui approchait

on pourrait

:

«

Des figures en plein

faire

une

de 1865; ou encore Paris,

«

avec

du

chose

!

» écrivait-il

au printemps

»

Mais

il

ne

fut

pas libre de

reste, la difficulté de travailler

le soleil, les

comme

Savez- vous que cela ferait très bien à

un tableau anglais?

quitter Paris, et air,

:

belle

air sur le vert,

nuages,

le

temps qui change,

en plein l'aurait


X



LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

Sûrement détourné d'entreprendre ce tableau, le dit

à Edwards,

«

il

il

nages

uns à côté des autres, pour

c'est sa

groupe

idée d'un

propre famille

dre, en y joignant «

quoique

il

voudrait toujours faire des portraits, des person-

des études de tètes, de mains, de Cette

comme

car,

a horreur des mouvements, des scènes

animées, les

29

le

le

resser »; mais à

la réflexion, la

».

pourtant toujours et

un peu plus tard de pein-

avait accepté de venir poser,

Salon, ajoutait-il, n'eût plus

le

mieux possible

plis d'étoffe'

hantait

qu'il parlait

Edwards qui

faire

don de

le

sagesse l'emporte,

il

l'inté-

renonce

à ce grand projet et se résout à faire de simples natures mortes et des études, très sûr qu'il est, dit-il,

vailler

qu'en continuant de tra-

encore pour apprendre et par amour de

l'art,

il

réussira

à vivre tranquillement, à son aise, en se fortifiant de jour en

jour dans

la

technique de son

grande scène

il

art.

Et c'est ainsi qu'au lieu d'une

envoya au Salon qui

et des fruits qu'il vendit par la suite

portrait de sa

que

le

Toast.

sœur

Il

était

lisant qu'il

des fleurs

allait s'ouvrir

en Angleterre, plus un

ne traita pas moins sévèrement

décidément dans une période d'énervement,

encore que ses deux tableaux eussent été bien placés, et écrivait à

Edwards, peu après l'ouverture du Salon

resté quelque

temps à songer sur ce qui

s'était

«

:

Je suis

passé là-bas,

aux opinions, aux critiques. Plein de mépris pour tout\ puis

me

disant que cela

est ainsi,

qu'il

ne

faut pas s'occuper

d'autre chose que de peindre; la misanthropie

1.

Lettre

2. «

sitôt

du 26 juin

Pour tout

»

la

plus grande,

1865.

est bientôt dit,

mais

c'était trop dire, car

il

excepte aus-

de ce mépris général Courbet, Corot, Millet, Rousseau, etc.


FANTIN-LATOUR.

30

Je ne sais

me

tout, je

c'est la

si

maladie qui vient, mais je suis dégoûté de

sens personnel, seul de

mon

opinion'... »

Cependant l'heure approchait où Fantin fragile barrière qui le séparait

par une sorte de défi

pas,

renverser la

allait

encore du monde. Ne

aux jurés

comme

peindre, pour envoyer au Salon de 1867,

s'avisa-t-il

au public, de

le portrait

peintre dont les œuvres provoquaient chaque année colères

du jury ou

Manet

ce

les éclats

que Fantin jugeait

agréable

homme

rire

de

» ?

Or, ce

fifre

ou

les

la foule, le portrait

de

vu ses deux

qui, l'année précédente, avait encore

tableaux refusés, dont un riale

de

de ce

des valtigeurs de la garde impé-

« très

portrait,

bien, simple, très franc et très

merveilleusement peint, d'un

élégant de sa personne et dont

la

tenue et

le

physique

contrastaient avec l'idée que les nigauds avaient dû se faire

de

lui

d'après ses tableaux, excita la curiosité générale et fut

un des succès du Salon. Que

choses avaient changé en

les

jour où Fantin écrivait à Edwards à pro-

deux ans, depuis

le

pos du Toast

Je n'ai jamais eu autant de gens s'occupant

de moi

:

ce

:

«

sont des méchancetés

exemple! Grâce à

mon

sujet et au portrait de

Nous sommes toujours ensemble lui,

inouïes

mais plus méchant pour moi!

partout,

par

Manet dedans.

on est plus violent pour

:

»

Cette fois-ci,

ils

se pré-

sentaient encore de compagnie, mais les méchancetés avaient

cessé

;

les

compliments commençaient

et tel fut l'effet produit

par ce portrait que Fantin reçut presque sur l'heure des propositions tout à

1.

fait

Loltrodu 14 mai 1866.

inespérées.


LA VIE ET LA CAKUIÈllE DU PEINTRE.

Par son canicirado, un peu plus âgé que

lui,

31

l'estimable

peintre de chasses, comte Albert de Ballcroy, qui figure dans

V Hommage à Delacroix^

s'était

il

trouvé en rapport au Louvre

avec la duchesse de Fitz-Jamcs qui cultivait également peinture, et celle-ci lui

demanda de composer un

plus considérables.

La

écrivait-il à

dans ce l'avenir.

«

Edwards

le

moment du

tableau des

prend un tout autre aspect,

vie

28 août 1867.

travail et des

Je viens de

la

l'Anjou,

J'ai le

bonheur d'avoir

chances d'en avoir dans

du château de M. de

femme

Fitz-

James', dont

j'ai

J'ai été là-bas

quatre jours pour disposer un tableau qui doit

représenter d'elle,

sa

fait

ici

mère

et

un tableau dans

la

la

ses

et

quinze

donnée de

les

quatre

petits-enfants

enfants.

autour

celui de Delacroix.

de mes camarades, ce sont tous ses petits-enfants, depuis

lieu

l'âge de

deux ans jusqu'à vingt

ans.

J'ai

petites filles, demoiselles, jeunes gens, et

mants; puis,

noms de

la

comme

petits

garçons et

beaucoup sont char-

personnages, ce sont les plus

noblesse

:

la

grands

duchesse douairière de Fitz-James,

deux enfants du baron de Charette, qui commande

les

zouaves pontificaux

(il

est descendant

Salviati,

grande famille italienne,

et

rien.

duc de

les quatre à refaire

duc de Fitz-James. Voyez, est-ce étonnant ce monde-là! Je

les

du célèbre Vendéen),

cinq enfants du comte de Biron, les quatre du

les

Au

me demande comment,

d'être lancé je n'y

Tout cela provient du Portrait de Manet...

du

dans

comprends

»

Mais ce grand tableau, déjà préparé, ne reçut jamais de

1.

Le château de

la

Lorie, près de Segré.


FANTIN-LATOUR.

32

commencement d'exécution,

et le

peintre qui se promettait de

redoubler d'efforts pour surmonter tâche, qui se sentait

les difficultés

d'une pareille

du reste en verve après avoir passé deux

grands mois à faire des portraits, n'eut pas l'occasion de se distinguer

«

en allant toujours au vrai

»

pour réagir contre

tout ce qui lui paraissait faux dans ce temps-là. C'est lui qui

recula devant cette grosse besogne, effrayé qu'il était d'avoir à faire poser tant d'adolescents et de bambins qui auraient été

mauvais modèles,

d'assez

de son refus dans

les raisons

et

il

grande

difficulté

me

petits-enfants, je

sentant

aussi important pour

Après

M'étant convaincu de

vois forcé de renoncer à

ma

mes

forces.

faire

mon

de vos

entreprise,

Dans un moment

réputation, je craindrais de ne pas

réussir ce tableau, ce qui l'avenir.

«

:

du tableau que je devais

tâche au-dessus de

la

nettement

très

la lettre qu'il écrivit alors à la

duchesse douairière de Fitz-James la très

donne

me

mon voyage

ferait le plus

grand tort pour

à la Lorie et à Fontenay,

j'ai

reconnu l'impossibilité d'une pareille œuvre, surtout à cause

du nombre d'enfants

et

de

la difficulté

de les

faire poser... »

Whistler, hélas! avait parlé trop vite lorsqu'il avait dit à

son ami

une

:

Je regrette bien que tu ne puisses venir

«

visite

seulement

;

la

cause

fait

que

faire

et

dont tu

me

le

tableau

parles sera une bien belle

chose. Envoie-moi un croquis dès que tu l'auras arrangé

Les seules 1867, sont

toiles le

Te

monde. Bravo!

cher, j'en suis très heureux, et je suis sûr que

que tu vas

faire

je t'en félicite.

voilà maintenant vraiment lancé dans le grand

mon

me

que Fantin termina de ce côté, dès

portrait de la duchesse

!

l'été

Edouard de Fitz-James

»

de et


o y.



LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

ceux de ses deux jeunes le

château de

fils,

un autre château

la Lorie,

celui de Fontenay-Trésigny,

de

Biron,

belle-sœur de

Fantin de venir ébaucher

de lui

le

la

la

duchesse

le

portrait de sa propre ;

comtesse

de Fitz-James,

et ce court séjour

presque plus avantageux que

Après

filles.

s'ouvrit devant lui,

en Seine-et-Marne, où

terminer ensuite à Paris

fut

de ses deux jeunes

33

sa

pria afin

fille,

dans

la

Bric

longue station dans

l'Anjou, puisqu'enplusdu portraitde M"" Marguerite de Biron, qu'il

se vit contraint

sieurs

commandes de

de ne pas exposer,

il

recueillit là plu-

portraits qu'il exécuta par la suite

de son jeune frère, des deux MM.. de Bonneval... Au fond,

Whistler ne voyait-il pas juste lorsque, vers il

ceux

Dcmachy

de M'"^ de La Panouse, de M"" de Chaubry, de M"" et

:

écrivait

nons

joyeusement à son ami

les devants. C'est

au Derby. C'est

le

:

comme aux

«

la

même époque

Nous deux, nous pre-

comme

grandes courses,

pur sang qui gagne! Je crois que nous

pouvons maintenant en être

sûrs.

Le champ

est à

nous »?

* * *

Non, Whistler ne se trompait pas en poussant ce

cri

de joie

dans un accès de franchise et d'amour-propre; mais Fantin était plus réfléchi, plus

modeste

aussi.

Pour

lui,

entre eux

tous, les peintres indépendants, qui s'appelaient alors les réalistes,

qui s'appelleront plus tard les impressionnistes, en révolte

contre la règle académique ou les lois de la mode, pas de chef;

il

n'y avait

il

n'y avait

que des camarades réunis par leurs

idées d'indépendance, mais bataillant chacun à sa manière, en 5


FANTIN-LATOUR.

34

touto liberté d'action, sans se ranger sous aucune bannière,

de Courbet, car Fantin, tout en rendant

fût-ce celle

hommage

aux puissantes qualités du peintre, n'avait pas pu demeurer plus d'un mois dans l'atelier du maître d'Ornans. Et jamais

pût y avoir un chef parmi eux ne

l'idée qu'il

davantage que lorsqu'on prétendait

comme

Legros avait essayé de

l'affubler, lui,

le faire

:

choquait

le

de ce

titre,

A propos du

«

chef

d'école, c'est comique, écrit-il à Edwards, le 2 janvier 1867.

Voilà bien les histoires de Legros; voilà près de deux ou trois

ans qu'il dit

même

la

dernier voyage

Voyons,

«

:

chose. Je

à Paris, à son

lui ai dit ceci

c'est bête; c'est

un

titre

«

public donne, on ne le prend pas; aujourd'hui, c'est

«

que l'opinion prend pour

« le

plus occupé les masses.

de ne pas fuir

un

le chef, et c'est

titre

»

A

le

le

Manet

effet celui qui a

ce compte-là, et

tapage et de violenter

le

en

que

s'il

avait suffi

public pour obtenir

dont Fantin ne voulait absolument pas pour lui-même,

est-ce qu'à son défaut Whistler n'aurait pas pu, sinon l'accaparer,

du moins

le

partager avec l'auteur de Lola de Valence?

Fantin n'avait donc pu rien envoyer au Salon de 1868; c'était,

comme

à rattraper;

il

il

le dit

s'y

avec philosophie, une année de perdue

employait de toutes ses forces, mais sans

ligne de conduite bien arrêtée, et quoiqu'il

fît

de belles pro-

testations dans ses lettres, affirmant qu'il considérait tout le

temps passé

comme une

école

:

école d'étude d'art, école

d'après nature, école de l'espèce humaine, disait-il, qu'il était le

à

la fois « l'étudiant

lier

de

la

nature

plus dégoûté;

c'est

de

celle-là,

— quoiqu'il déclarât

rester

des œuvres du passé, au Louvre, et l'éco-

»,

il

travaillait

d'une façon incertaine et


LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

n'arrivait pas à se contenter

sort

aux deux

lui-même, car

pour

toiles peintes

le

il

38

môme

réserva le

Salon de 1869.

Il

détruisit

aussi bien le Lever, qui avait été admis et représentait une

femme

s'éveillant,

sous les rayons

entourée de servantes empressées à

du

que

levant,

soleil

d'Orient, qui avait été refusé et montrait

morceaux de piano

délicieux

:

Schumann

qu'il intitula

de

Dans

c'est le reflet d'Orient.

un intérieur de harem où dansent des aimées, par des lanternes; autour de l'aimée, des

musique. Par une fenêtre

mêler sa lumière blanche

rêvant aux

le

vague on

intérieur éclairé

femmes

font de la

»

bleu

difficile.

Que voulez-vous?

je sens en travaillant

et tout le reste.

me

Je

fais plat'

Finalement, de toute cette scène, amoureusement

combinée,

il

ne conserva que deux figures découpées

Tune l'Aurore,

tulait

le

semblent très propres au

mon chemin;

que peu m'importe l'opinion sir\..

me

scène. Entreprise

Je sens que je suis dans

voit

bleue aux lumières rose doré des

et le rose doré, couleurs qui la

Der-

les caprices

lanternes; c'est un fond très vaporeux où se combinent

poétique de

Reflets

un rayon de lune qui vient

entri;

et

:

parer

la sorte. «

montre au spectateur

rière lui et autour de lui je

de son rêve

tableau

le

la

suite à son

l'autre la Nuit, et

ami Edmond Maître.

cette année-là et

le

dont

qu'il inti-

cadeau par

il fit

Triste année, en

la

somme, que

sort semblait narguer le jeune peintre

:

ne découvrait-il pas au Salon, sous une signature inconnue de

lui,

fois à

certain tableau de renoncules qu'il avait

un camarade

et qui figurait là

en meilleure place que

son propre envoi, relégué sous les frises? I.

Lettre à Edward»,

du

H

mars 18H9.

donné autre-


PANTIN-LATOUR.

36

Aussi quel découragement perce alors dans ses lettres! travaille pourtant

beaucoup, me;me trop;

beaucoup de natures mortes;

au Louvre

et tout cela

je vais en

printemps,

le

même

ne mène à rien de sérieux

mande de temps en temps,

Je

constamment des

j'ai

rages de travail et je n'avance à rien. Depuis j'ai fait

«

:

temps

une com-

à peine de quoi vivre. Si je n'étais

incapable de faire autre chose, je renoncerais. Le Salon dernier a été pitoyable

;

l'autre est entré par

placé tout en haut et a excité la critique générale. Les

pitié,

gens

un tableau refusé

:

les

mieux disposés pour moi n'osaient pas m'en

parler.

Pensez, quand ces deux tableaux sont rentrés chez moi, combien

étaient tristes à voir. L'auteur a tant de raisons pour

ils

découvrir des défauts en plus de tous ceux qu'on Il

faut être bien certain

peut

faire,

pour continuer'.

c'est »

encore

Encore un

complètement changer de face

allaient

de 1870 une grande vaillant

que

toile

au milieu d'amis qui

où le

il

le

lui

montre

!

seul travail qu'on

effort, et les

choses

en envoyant au Salon

:

avait représenté

Manet

regardent peindre, Fantin

tra-

allait

retrouver, plus général encore et presque sans restriction, le

succès qu'il avait obtenu trois ans plus

môme

lui-même en avait

peintre. Et

tôt,

avec

le secret

le

portrait

du

pressentiment

Que

ce serait

agréable, dites-moi, de venir voir ensemble notre

Exposi-

lorsqu'il écrivait à

car au fond

tion,

chance),

me

reux.

(je

Si

le

7 avril

n'ose pas trop

semble que mes

remarqués!

être

1.

il

Edwards, dès

le

» 14

septembre 1869.

«

dire, ayant

efforts, cette

cela n'était pas, je

LeUre à Edwards, du

:

peu de

année, devront

serais très

malheu-


I,

Oessiii

au crayon,

ré|)lii|ue

K

JUGKME.NT DE

plus poussée du crocpiis le

Tiré d'un

album de

12

crii|uis

Novembre

P A fait

II

au

I

S clii\t«au

de Fontenay-Trésigny

180".

du peintre, au Musée du Luxembourg.



LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

Mais les

si

aux

cet Atelier

Batignolles, par ses dimensions et

personnages mis en scène,

du public,

l'autre tableau

la Lecture,

37

attirait

davantage l'attention

envoyé par Fantin au Salon de 1870,

où figuraient sa future femme

et sa future belle-

sœur, n'était pas moins apprécié des connaisseurs, de ceuxlà

mêmes

l'artiste,

comme

qui l'avaient combattu jusqu'alors,

l'écrit

tout étourdi par une réussite qui dépassait ses espé-

rances. Finalement, la troisième médaille qui lui fut alors

accordée par et l'autre

le

de ces deux

chée que sur ture,

jury devait récompenser indistinctement l'une

comme

mais

toiles;

la plus petite et la si

les jurés

la

mention n'en

fut accro-

moins bien placée

:

la Lec-

eussent gardé rancune à leur justi-

ciable d'avoir encore choisi

Manet pour personnage principal

de son grand tableau. C'est enfin la

vogue assurée pour

mandes semblent devoir la F'rance et

le

peintre et les

affluer, lorsque la

guerre éclate entre

l'Allemagne et remet tout en question.

en train de concevoir de grands projets pour tout arrêté, l'argent vait Fantin à

manque,

Edwards

le

les

le

commandos

30 juillet, avant

com-

«

J'étais

Salon, et voilà

aussi... » écri-

même que

n'eussent

commencé nos désastres, mais en témoignant déjà de cette sainte horreur de père,

le

la

guerre qu'il semblait avoir héritée de son grand-

colonel d'artillerie.

«

Adieu,

mon

cher Edwards; je

vous prie de présenter mes respects à Madame; dites-lui combien je serais désireux de lui entendre jouer ces sonates de

Beethoven. Qui

sait,

obligé de chercher 1.

avec les événements,

si

je

ne serai pas

un refuge en Angleterre? L'avenir'?...

Lettre du 30 juillet 1870.

»


FANTIN-LATOUR.

38

Non, le

il

ne chercha pas de refuge en Angleterre et passa tout

temps du siège à Paris, à côté de son père, mais dans

la

situation la plus pénible, obligé de rester couché par les froids les plus

rigoureux pour ne pas geler dans sa chambre sans feu

et travaillant toujours, tantôt dessinant

dans son

lit

en se

prenant lui-même pour modèle, tantôt peignant de mémoire

ou d'inspiration,.. Enfin, n'est pas

la

guerre est

proclamée.

encore

Au commencement de mars,

Fantin voit arriver son ami Edwards,

En trouvant le

comme une

providence.

de fleurs, de natures mortes,

là tant d'esquisses,

harrister anglais, à qui la suppression et le rachat de sa

charge d'avoué de qu'il y le

Commune

finie et la

la

marine laissaient

un coup de fortune à

avait

le

champ

tenter

libre,

débarrassa

il

:

devina

peintre de toutes ces toiles qui l'encombraient, les dirigea

sur

Londres et

entreprit

vendre

de les

des

à

amateurs

anglais. L'affaire dut tourner assez vite selon les

car moins de trois mois après,

il

proposait à Fantin d'acquérir

également V Atelier aux Batignolles, et aubaine pour

le

Commune

la

;

son ami

le

sortira

«

de toutes les

me la

ma sœur

;

vous

me

tirez

remettra complètement et

du moment

vie

:

je serai

en

de chaque jour, mais

encore je pourrai payer les cinq loyers que pension de

avec grand

G juin 1871, au lendemain de

difficultés

mesure, non seulement pour

la

une véritable

.l'accepte

avec grand plaisir

j'accepte

littéralement de la peine; cela

me

c'était là

jeune peintre qui ne pouvait absolument

pas suffire à ses charges de famille. plaisir, disait-il à

vœux d'Edwards,

j'ai

en arrière

et

qui est dans une maison de santé. Je


LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

39

ne saurais trop vous remercier; je vous devrai beaucoup de

me

tirer

de

comme

de forces,

même

Et de

»

là.

la

môme

travail.

«

pourra reprendre un peu qu'il faut

lutté!

que

me

je

reprend courage et retrouve sa

Il

faut bien espérer, disait-il

Au prochain

me

veux

c'est ici

et j'y ai déjà tellement

une position,

Salon, je

dans

que Paris

et

Vous savez que

d'activité.

fasse

des

il

que l'avenir sera plus calme

lettre,

à bout

voit débarrassé

se

aussitôt qu'il

inquiétudes pour l'avenir,

ardeur au

comme

écrasé sous les coups réitérés des événe-

nements, de même,

belle

qu'il s'était senti

présenter avec

un

tableau important, on doit pouvoir prendre sa place... Pour les

choses de

temps? Rien. L'avenir quelques jours

Qu'est-ce que le

je suis bien décidé.

la vie,

est à moi,

difficiles.

il

me

seulement passer

faut

y aura encore des jours pour la

Il

peinture en France, et je les veux à moi.

»

Quelle grande place tiendront désormais dans

la

vie de

Fantin ces amis d'Angleterre qui n'étaient pas seulement des

gens à

pratique et de bon conseil, mais qui, par leur

l'esprit

sens des affaires,

surent aussi

le

partie matérielle de son existence!

s'ouvrait à

M.

et M'""

ses intérêts, fût-ce

soins

les

ailleurs

travailler à sa

maintes toiles

il

qu'il

effet,

guider dans

et

non seulement

même

et

il

des croquis de ses ta-

eux de

la

pour tout ce qui

Angleterre,

la

communi-

projets, leur

s'en remettait à

consultait

qu'en

prévoyants

En

Edwards do ses

quant ses idées, leur envoyant bleaux futurs; mais

servir

c'est

défense de

le

grâce

touchait, à

leurs

pourra mener une vie tranquille et

guise tandis qu'eux s'occuperont de placer

de

lui, vite

appréciées au delà de

la

Manche.


FANTIN-LATOUR.

<0

Comment donc

Fantin, qui peignait pour les Expositions de

grands tableaux qui ne se vendaient pas et des portraits pour lesquels vivre

il

une

n'avait pas eu

s'il

Londres

demandait une rétribution dérisoire,

lui

constituaient

petite réserve

par

aurait-il

pu

que ses amis de

vente de ses tableaux, ces

la

admirables tableaux de fleurs que presque personne ne connaissait

après

en France,

qu'il expédiait

la belle saison, et

que

les

directement en Angleterre,

acheteurs attendaient là-bas

avec impatience? Ainsi arriva-t-il que ces toiles éblouissantes

de vie et de fraîcheur aient presque toutes échappé aux amateurs français, qui ne s'en seraient guère souciés peut-être, et qu'elles aient causé

en

reparaissant

une surprise à peu près générale lorsque,

nombre

à

l'Exposition

l'œuvre du peintre, elles éclatèrent

aux yeux du public émerveillé i.

Chose particulière

fleurs, n'a

jamais

fait

:

rétrospective

comme un

de

feu d'artifice

'.

Fantin qui a peint de

si

nombreux tableaux de

qu'une seule lithographie représentant des fleurs, ce

fameux Bouquet de roses (n" 26 du Catalogue Hédiard), qui fut exposé au Salon de 1880 et que Fantin donnait aimablement, comme il faisait de toutes ses lithographies en ce temps-là, à quiconque manifestait le désir de l'avoir,

môme

sans être personnellement connu de

son genre et comparable, moins fleurs

que

la

lui.

C'est cette pièce

unique en

couleur, aux plus jolis tableaux de

peintre ait brossés (ce Bouquet de roses, du reste, avait été

le

d'abord peint à l'huile par Fantin), qui a monté

si

rapidement de prix en

vente publique et qui, après avoir été cotée 21 francs, pas davantage, à la vente Aglaiis

Bouveane, en novembre 1894, puis ISo francs à la vente van Wisselingh, à Londres, au commencement de t90i, et, très peu après, 323 francs, à

la

vente Barrion à Paris, a brusquement sauté à 680 francs, à

vente Hédiard, au mois de novembre de

sans les

frais, à la

la

même

vente Gerbeau, en mai 1908.

du 2' étal, tiré à 50 épreuves ou huit épreuves du 1" état?

:

Il

la

année, puis à 960 francs,

s'agit là

dune

des épreuves

qu'est-ce que vaudrait donc une des sept


IIOUyUET DE l.illiii^'iapliic

ItOSES

ur-iginale 1I88U).



c^

A A-c c<^

->*i>..

^^ ^

^^ ^/.^ "^/^y*'^

^^^

«'•^Sét^'^A^iÉ^


4^

'^—


c>r*'^

/"

^^ /

l*-**»*-»

.

»


fo^

P^o^yot^t^t/r.

^c**t^

x'T^ Ot'ttM^

^r

a<»«t_


l'OltTllAlT

DE M»"

Salon de 1811.

FA.NTIN-L.VTOL'K

A M""

Faiilin-Latour.



LA

VI1-:

ET LA CAURIÈIIE DU PEINTRE.

45

Mais revenons à l'année 1872. Fantin, dans son atelier de tant d'esquisses et d'études qui

ainsi débarrassé

accumulées depuis des années, se sentait

s'y étaient

l'esprit plus libre

à peu près délivré de tout souci matériel immédiat,

un coup

de frapper V Atelier

aux

comparable à celui

Batignoiles et décida de

Salon qui dût s'ouvrir après

grande

toile à

«

rêvait

il

qu'avait produit

composer pour

l'Année terrible

premier

le

une autre

»,

personnages, où figureraient surtout des poètes,

de jeunes écrivains habitués du passage Choiseul et de

Lcmerre. Un Coin de

librairie

:

table, tel

était

le

la

de ce

titre

tableau qui n'eut pas, tant s'en faut, un succès comparable à celui de VAtelier, qui fut accueilli par de teries traduisant

mais qui

favorables du public,

dispositions peu

même immédiatement acheté par un anglais. A dater de ce jour, cependant, l'horizon

quand

fut

jeune amateur s'éclaircit

les

nombreuses plaisan-

singulièrement devant Fantin. En 1873,

au Salon deux toiles qui sont également appréciées

un

portrait de

future

lisant, qui n'est autre

femme; ensuite une nature morte préparatoire pour

d'étude

même

femme

titre et

les plus

Au

d'abord

celui

de sa

table, sorte

précédent tableau portant

le

regardées à l'Exposition de l'École des Beaux-Arts.

divers; mais

l'un, le

Coin de

:

qui fut, après la mort du peintre, une des toiles

Salon de

tableaux

le

:

que

envoie

il

qui

il

1874,

il

n'expose que des Fleurs

et objets

se rattrape l'année suivante en envoyant

consolident sa

réputation

naissante

double portrait de M. et M""" Edwards,

parmi ses plus célèbres, tandis que M"* E. Crowe, très goûté par

les

l'autre,

et

deux dont

fut vite classé le

portrait de

gens du métier, avait beau-


FANTIN-LATOUR.

46

coup moins frappé

les visiteurs ordinaires

daille fut la consécration

de ce double succès que

peintre ne put pas connaître, car

s'était éteint à la veille

de peinture,

Tous

Fantin à Edwards

même

succès,

Me

26 mai 1873.

la médaille,

il

me

trois

la justice

Fantin

ans,

se sentait

il

avait

est étonnant

En

»

ne comptait plus

lui,

faiblissaient de jour en jour,

marcher droit devant

quel plaisir ce dut être pour

des hommes...

:

donc gagné beaucoup de

désormais sûr de

que de timides adversaires, qui et n'avait qu'à

que vous

semblait que c'était votre tour, mais c'est

n'est pas étranger. Enfin

deux ou

là,

écrivait

voilà hors concours et

que vous êtes étranger. Mais Lhermitte, cela

terrain;

depuis

de l'ouverture du Salon

singulier, ce succès!... Je suis bien étonné

n'ayez rien;

il

père du

ne se mêleront plus de mes affaires; cela est vrai-

les jurys

ment

le

les

le

le vieillard, très affaibli

quelque temps, «

une seconde mé-

:

lui

Dans ces conditions-

lui.

que de

faire, à

l'automne

de 1875, une tournée en Belgique et en Hollande où l'accompagnaient son ami Edwards et M. et M"° Dubourg en qui, par

cœur

élan réciproque du

femme

prédestinée à porter son

heureusement pour je

« Si

me

lui

mariais? Non. La

Mais

la fin

jouissance

en entier

\e

Lettre

il

:

!

allait

il

3 février 1865.

il

n'est pas

trouver

était loin

écrivait à

la

Edwards

pour moi; je

:

la

»

lui réservait

entendre exécuter pour

et Juliette

allait

1

femme

de cette année-là

Roméo

du

'

il

nom Comme

— du temps où

rendrais trop malheureuse

1.

de l'intelligence,

et

de Berlioz, dont

encore une rare la il

première n'avait

fois

pu con-


LA VIK ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

47

que des fragments épars aux Concerts populaires

naître encore

de Pasdeloup, et l'impression qu'il ressentit aux Concerts du Châtelet fut

si

profonde qu'immédiatement

d'épancher son admiration débordante.

Il

il

sentit le besoin

avait tout de suite

brossé une esquisse, tracé un dessin, préparé une lithographie dont tait, lui,

toujours

le sujet était

peintre, apportant

le

monument devant

le

même, où

il

se représen-

une couronne au pied d'un

Muse de

lequel se tient la

l'histoire

en

autour duquel se groupent ou pleurent les héroïnes

deuil,

célébrées par Berlioz. Cependant, une petite esquisse ou une

simple lithographie ne suffisaient pas à traduire son enthou-

siasme

:

il

prenait une grande toile, y transportait les

mômes

personnages en grandeur naturelle, et envoyait au Salon de

1876 ce tableau considérable, dont le titre

un peu vague

tracée sur le

le

caractère allégorique,

r Anniversaire et aussi l'inscription

:

monument A :

Berlioz,

ne furent pas sans inquié-

ter le jury et troubler les visiteurs

du Salon qui n'étaient

encore, ni les uns, ni les autres, ralliés à Berlioz et s'étonnaient qu'on pût lui rendre un toile,

tel

hommage.

en signe de désapprobation qui

Aussi,

cette

s'adressait peut-être

autant au compositeur qu'au peintre, fut-elle accrochée au plus haut des l'auteur,

peu

de

murs du

la part

nombreux,

Palais de l'Industrie et ne valut-elle à

des meilleurs juges, que des compliments

perdus au

milieu

franches critiques formulées par

de

restrictions

nombre de gens qui

ou de

n'étaient

pas fâchés de faire payer ses récents succès au jeune peintre. voix d'un ami

Et

si

un

tel conflit

la

lui

dut être agréable à entendre dans

de blâmes et d'éloges, ce fut sûrement celle de


FANTIN-LATOUR.

48

Léon Valade, table,

poète, un des convives du Coin de

le délicat

qui accorda son luth et adressa vite à Fantin

sonnet que voici Sur

la

:

tombe où tu

Pleurer!

le joli

vois

:

viens,

Musc de l'harmonie,

consolant ta muette langueur,

Un groupe lumineux

chante et rayonne en chœur,

Fait des créations vivantes du génie. C'est Didon, soupirant sa jalouse agonie,

Marguerite, l'enfance adorable du cœur, Juliette, jetée

Par

La

le

au bras de son vainqueur

premier amour plein d'extase

froide

Mort a pris

le fils

infinie...

d'Orphée en vain

:

Le bon peintre, dévot au maestro divin, S'isole

au premier plan dans une pose austère

;

Et cette vision, ce rôve glorieux

Du triomphe posthume

emplit l'àme

et les

yeux

Pensivement baissés du pieux donataire.

* *

*

Ce n'est pas seulement Berlioz qui fondit sur Fantin le

terrassa d'admiration en

il

avait

cette

religieusement écouté

les

et

année 1876, Berlioz, dont Troyens à Carthage, au

Théâtre-Lyrique, quelque treize ans auparavant; c'est égale-

ment Wagner dont

s'était

il

déclaré l'ardent défenseur d'après

ce qu'il avait pu entendre de lui dans les concerts, mais de

qui

il

n'avait jamais

scène, avec toute

la

vu un drame entier se dérouler à

pompe

la

décorative et tout l'appareil théà-


L Salon de

ANM VKIISAIHE — Musée de (ireiiuble.

1891).



LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

tral

que demandaient ces créations de génie.

par l'heureuse disponible,

de

la

il

colline

d'un ami qui

entremise

49

Et, tout à coup,

un

offre

lui

billet

se trouve transporté en pleine Bavière, au pied

théâtre érigé spécialement pour la repré-

le

sentation de l'Anneau du Nihelung vient d'être inauguré;

lui-même à

assiste

rables et en

troisième série de ces

la

mémo-

fêtes

rapporte des impressions tellement vives, des

souvenirs tellement précieux, qu'il en parlait encore

comme

en face de Berlioz, est avec

Wagner

ses parents dès 1864,

musique de

la

il

en face de Schumann,

faut

avec

comme

émotion de longues années après. Et devant Wagner

mann

il

Schu-

«

l'avenir », écrivait-il à

que son enthousiasme éclate

aux yeux de tous, par des créations pour lesquelles

il

fait

appel tour à tour au crayon de couleur, au crayon lithogra-

phique, enfin à ses pinceaux.

De

ce jour-là, par suite de la double

commotion

qu'il a

ressentie, le poète qui sommeillait en lui va se manifester; le

enflammé d'admiration, va donner

poète,

libre

cours à

son imagination créatrice, en puisant dans les chefs-d'œuvre

de

musique nombre de scènes allégoriques, dramatiques

la

ou fantastiques,

celles

pour lesquelles, plus

tard,

il

marquera

peut-être les préférences les plus vives, parce qu'elles auront jailli

de son cerveau sans

tout entières

d'aucun ce ne

modèle

fut pas là,

ni

d'aucune

somme

aide

toute,

qu'il

ait

extérieure.

sous

et

le

eu besoin

Est-ce

que

coup d'une in-

fluence du dehors, l'explosion de désirs qu'il sentait bouil-

lonner en 1869,

lui

depuis des années et qu'il

dans une

lettre à

Edwards

:

«

Je

laissait fais

percer dès

toujours des 7


FANTIN-LATOUR.

50

mon

natures mortes, mais

moi, que je découvre

tous les

jours, veut paraître. Plus maintenant d'essais d'enfant.

Les

esquisses que je faisais depuis longtemps

que

Whistler a chez celle

Féerie,

la

:

que j'exposais aux Refusés en 1863;

lui et

de Tannhœuser, à l'Exposition de 1864,

et

bien des

esquisses que vous avez pu voir chez Whistler, ou celle de Ridley, que je

me

rappelle que vous aviez trouvée bien, j'y

reviens plus de jour en jour. Depuis deux ans les portraits

que

j'ai faits

choses que faire,

m'y ont poussé beaucoup. En

j'aie faites, j'avais

représenter avec

ces choses qui passent

le

toria

Dubourg,

toujours cet idéal devant moi

qu'il avait

le

connue au Louvre (ne leur le

Saint-Thomas d'Aquin dans

Scholderer,

ni

les

»?

Edwards

était-il

Mariage mystique de sainte

Catherine, du Corrège, sans s'adresser

ni

les yeux'...

mariage de Fantin avec M"^ Vic-

pas arrivé de copier ensemble

l'église

:

plus de réalité possible ces rêves,

un moment devant

Le 16 novembre 1876,

face des meilleures

un mot?),

la

qu'il

fut célébré à

plus stricte intimité, aurait

désiré avoir,

n'ayant pu venir. Les deux témoins du peintre étaient natu-

Edouard Manet

Tellement ses deux grands amis

:

Maître, et ceux de la jeune fdle

d'abord un ami de

Paul Hedler, puis

le

:

le peintre

1.

qu'il avait

la famille,

à M"® Dubourg.

de son mariage, l'existence de Fantin, déjà

heur

Edmond

graveur Henri Valentin qui, certain jour,

au Louvre, avait présenté

se déroula dans

et

un calme absolu, dans

si

le

A

partir

peu accidentée, tranquille bon-

prévu et annoncé d'avance à ses amis d'An-

Lettre à Edwards,

du

21

mars

1869.


LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

gleterre, en les remerciant de leurs

vœux

A moins

«

:

SI

de

choses indépendantes de nous deux, je crois que je vais «Hre

heureux; nous nous connaissons et nous convenons très bien'.

Le goût du chez

soi,

dès lors, l'envahit de plus en plus

» :

toutes les journées passées à l'atelier, à peindre

en com-

pagnie de sa femme; (juelque sortie hâtive avant

le

puis, le soir, la lecture en

commun

à haute voix

dîner,

ou quelques

esquisses, quelques croquis jetés sur des bouts de papier; l'été

venu, un séjour de trois mois environ au village de Buré,

dans l'Orne, où sa femme avait un

petit bien

de famille, et

tous les ans, l'envoi régulier au Salon de peintures, de pastels,

de lithographies,

fruits

nombreux tableaux de

de ce labeur incessant, sans parler des fleurs qu'il fait à la

campagne

et qu'il

expédie tout droit à Londres. Dès l'année suivante, en

temps que ses pastels des de

du Rhin

Filles

Walkyrie témoignaient de

la

avait ressentie à Bayreuth,

portrait de sa

sœur

femme

figurait avec

Belgique avec sa

et

et

et M'"''

Scène finale

la

profonde impression

(ici

:

la Lecture,

se place

qu'il

où sa belle-

un voyage

qu'il

fit

en

M"" Charlotte Dubourg, à l'occa-

sion du centenaire de Bubens); puis

M.

de

exposait au Salon un nouveau

un groupe

une amie

femme

il

la

et

même

Dubourg, sa femme

il

réunissait sur la toile

et sa belle-sœur

dans cette

admirable Famille D..., peu regardée au Salon de 1878, mais

mieux appréciée cinq ans plus traits

du

siècle; enfin,

en 1879,

Palais de l'Industrie avec

1.

tard, à l'Exposition des il

se mettait en évidence au

un groupe qui

LeUre du 13 septembre 1876.

Por-

fut

des plus remar-


FANTIN-LATUUR.

52

qués

:

Dans C atelier. Ces succès,

se suivant presque sans inter-

ruption, ne pouvaient faire autrement que de désigner Fantin

pour une distinction que tant d'autres peintres plus jeunes que lui

avaient déjà obtenue

m

:

le

27

juillet

de cette année,

il

était


a.

2

s

-1

o

c

*

U ^

oc

00



LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

la vie

à

53

de Fanlin, et l'énumération de ses œuvres capitales

marquer

les étapes

de cette carrière

si

sulfit

sérieusement pour-

de toute coterie et sans l'ombre d'intrigue.

suivie, à l'écart

Voici d'abord \k Scène finale du Rheingold, du Salon de 1880, qui, quatre ans plus tard,

par

le

succès qu'elle remporta h

l'Exposition d'Anvers, valut au peintre la décoration de l'Ordre

do Léopold voici les portraits séparés de M"" Riesener ;

de M"" Callimaki-Catargi (1881), déjcà

880) et

deux modèles qui avaient

les

posé pour Dans C atelier. Voici cette délicieuse Brodeuse,

portrait

de

l'année

môme

belle-sœur du peintre,

la

honorable et où

il

faisait

il

Henry Lerolle

avec sa

en

1881,

femme un quatrième voyage

et

W"

de

1882,

sans nom, celui de sa femme, et

Salon triennal de cette lui qu'il

dût

les

portraits de

Léon Maître, plus une étude au

pastel d'après sa belle-sœur; en 1883,

dernier de

toujours

obtint pour la lithographie une... mention

en Angleterre. Ensuite arrivent, en M""*

( 1

même faire,

un nouveau

le pastel

portrait

de ï Aurore; au

année, son propre portrait, et,

le

entre tous ces travaux, sa

nomination de Membre de VInstitule, à Londres, dont il se trouva fort

honoré,

le

28 février 1883. L'année 1884, par grande

exception, se passa sans nouveau portrait; la

Nuit de printemps, qui figura cette

de Londres,

comme

il

môme

expédia au Salon

année à VInstitute

envoi du nouveau membre, et l'Etude,

qui avait paru l'année précédente à suivante,

il

VAcademy; mais l'année

se rattrapait en exposant sa dernière grande toile

Autour du piano, avec quatre des lithographies

composées pour modèles, tandis

illustrer qu'il

le

qu'il

Richard Wagner d'un

:

avait

de

ses

envoyait à l'Exposition d'Anvers, outre


FANTIN-LATOUR.

Si

sa Brodeuse, un

senté sous

deuxième

qui n'a jamais

le titre,

En 1880, le portrait

il

portrait de M"'* varie';,

de Rêverie.

donnait au Salon de Paris,

de M. Léon Maître avec

Imuscr; puis, en 1887,

le

Léon Maître, pnV-

comme

peintures,

Venmherij, de Tann-

de sa beile-sfeur, daté de

le portrait

1882, et celui de l'auteur de ces lignes, qu'il venait de faire; enfin, après la

Damnation de Faust

et l'Or

dût consentir à peindre

1888, les derniers portraits qu'il celui de

du Rhin, exposés en

M. Ricada, accompagné de

la toile

:

Immortalité, au

Salon de 1889, et ceux de M"^ Sonia Yanowski, sa nièce, et de

M™" Léopold Gravier, en môme temps que ment de Paris, au Salon de 1890. A tin,

comme pour

du Juge-

partir de ce jour-là,

et n'enverra

lui,

à ses portraits, n'en fera plus

au Salon que des sujets d'imagination, ins-

pirés par la musique, la mythologie ou la fantaisie pure,

ment et le

:

Danses et

la Tentation de saint

Prélude de Lohengrin en

r Aurore,

les

VOheron de Weber;

gneuses, ces

1

le

Antoine en 1891

892 ensuite

Troyens à Carthage ,

de saint Antoine,

Fan-

protester contre les éloges qu'on accordait

trop exclusivement, selon

aucun

le pastel

;

le

;

Hélène

Songe et Parsifal,

les Raigneuses,

la Toilette, la Nuit,

notam-

Vision, d'après

une seconde Tentation

Lever, Andromède, Ondine, encore des Bai-

deux derniers tableaux exposés en 1899. Et ce

fut

aussi la dernière fois qu'il envoya quelque chose au Salon

:

après avoir fourni sa part à l'Exposition centennale de 1900 (ce qui lui valut la rosette d'officier et s'être

donné

le

de

la

Légion d'honneur)

malin plaisir de présenter

gloire, sa Féerie, reléguée retira sous sa tente et

là,

en pleine

en 1863 au Salon des Refusés,

n'exposa plus jamais rien.

il

se


LA VIE ET LA CAEIRIÈRE DU PEINTRE.

Il

55

n'en travaillait pas moins pour cela; mais ses tableaux

allaient directement de la rue des

Beaux-Arts à

rue Laf-

la

où son ami Tempelaere

les

montrait aux amateurs et

n'était pas long à les vendre.

Au

surplus,

fîtte,

lui était

arrivé sur

le

tard

:

la

la Ville

de saint Antoine;

et la Tentation

gloire

l'administration des Beaux-Arts

musée du Luxembourg

avait racheté en Angleterre et placé au

son Atelier aux Batignolles ;

un peu de

de Paris acquérait Hélène

la ville

bévue qu'avait commise autrefois

de Grenoble réparait

préposé aux

l'adjoint

beaux-arts en dédaignant l'Anniversaire, et achetait ce tableau

que

le

peintre avait envoyé à l'Exposition locale de 1899; le

musée de Pau acquérait Dans P atelier cien portrait

Berlin

du

les

Danses et celui de Bruxelles

:

(de 1879), tandis qu'Anvers s'assurait d'un an-

du peintre, daté de 1858; Lyon de

portrait de

enfin la haute situation lui valait d'être

promu

la

femme du

peintre,

la Lecture et

fait

en

1883;

que Fantin avait conquise en Belgique officier

dans l'ordre de Léopold, en

1894, après l'Exposition universelle d'Anvers.

Mais en combien d'autres circonstances lieu d'être satisfait

Une exposition de

de

la

n'avait-il

tournure que prenaient

les

pas eu

choses?

ses lithographies, qu'il avait faite à Kensing-

ton en 1898, décidait le British

Muséum

à acquérir une grande

quantité de ses compositions sur pierre; une exposition du

môme

genre,

suivante,

organisée par M.

Léonce Bénédite,

Tannée

au musée du Luxembourg, n'avait pas été moins

heureuse et

l'avait

décidé à donner à ce musée presque toutes

ses lithographies; enfin avait attiré

une exposition de ses dessins originaux

beaucoup de monde chez Tempelaere en 1901

et


FANTIN-LATOUR.

56

lui avait

prouvé que ce

n'était

pas seulement ses peintures que

prisaient et recherchaient les véritables amateurs. Or, le succès

de ces expositions toutes spéciales, et qui ne s'adressaient pas au grand public,

en ces dernières années

car,

comme

et,

naturel de retour sur son passé,

ment ces compositions en réalités

de

la vie,

ne

il

noir, par

où sa fantaisie

librement épanchées tant que ses portraits,

particulièrement agréable,

lui avait été

s'était

et

mouvement

par un

affectionnait particulière-

il

échappé des

s'était

son imagination s'étaient

le peintre,

pas senti assez

admis fort,

et classé

s'il

pour

traitait ces

scènes de rôve en couleur, pour les imposer d'abord au jury, puis au public. avait eu

Il

également

sa vie, de rencontrer

accordé et qui l'un,

lui

la

chance, en approchant de

deux hommes avec qui

Gustave Tempelaere, dont

devenu pour

l'autre,

lui

1. «

il

:

avait fait la connaissance à

s'était

attaché à sa fortune et

le

qui, depuis le jour

il

il

s'était

pré-

peintre afin de l'interroger au sujet

de ses lithographies, n'avait et son affection, tant

s'était vite

un véritable ami, d'excellent conseil;

Germain Hédiard,

senté timidement chez

de

marqué un dévouement sans bornes

avaient

l'enterrement de Bonvin', qui était

il

la fin

fait

que monter dans son estime

apportait dans les moindres travaux

Je reviens de Saint-Germain, où est mort Bonvin, écrivait-il à M"" Ed-

décembre 1887. On l'a enterré à midi, là-bas, dans le cimetière du la terrasse que vous connaissez bien. La cérémonie a été des plus tristes. Très peu de monde; rien d'officiel, rien de la direction des Beaux-Arts. Voilà un des meilleurs peintres de ce temps disparu, et sans que wards,

le 21

Pecq, au bas de

le

monde

s'en doute. Et l'on ne fait rien pour ses funérailles! Pas

de discours!...

»

un mot


Sd



LA VIE ET LA CARRIÈRE DU PEINTRE.

qu'il entreprenait, outre

grapliique,

un

un goût

prononcé pour

très

esprit très précis,

un amour de

57

l'art litiio-

l'exactitude la

plus minutieuse, qui étaient bien propres à ravir Fantin. Aussi

un gros chagrin pour ce dernier de voir disparaître

fut-ce

inopinément celui qui avait dressé un catalogue

clair

si

de

ses lithographies, qui s'apprêtait à le compléter et qui avait

déjà réuni force renseignements très développés pour s'oc-

cuper de l'homme et du peintre après avoir scrupuleusement étudié le lithographe. avait déjà

Peu d'années auparavant, en 1898, Fantin

vu partir l'ami qui, sans être peintre

parce qu'il ne maniait pas

compagnon

Edmond communes en cher

le

justement

brosse, avait peut-être été son

la

plus fidèle et

le

et

plus clairvoyant dans

notre

la vie,

Maître, à qui l'attachaient tant de préférences peinture, en musique, en littérature, et tant de

souvenirs des années de jeunesse et de combat pour

l'art.

Cette double perte avait été très vivement ressentie par

Fantin;

la disparition

de mars 1904,

subite d'Hédiard, en particulier, au mois

aurait cru que, vigoureux égale,

teur?

il

A

des plus sensibles; mais qui donc

lui avait été

comme

il

ne survivrait que peu de mois à son zélé commental'été

de cette

même

année,

il

les ans,

pour sa campagne de Buré, où

et ses

fleurs

M"»^

de santé toujours

l'était et

il

allait

bien-aimées, et c'est de

Edwards,

le

18

juillet,

l'indilTérence avec laquelle

du peintre anglais Watts grand artiste

était parti,

qu'il était!

:

un court on

billet

chercher qu'il

il

avait appris chez

« Ici,

comme le

tous

repos

expédiait à

gémissait de

nous

la

mort

on ne paraît pas se douter du

La mort de Lenbach

de retentissement. Drôle de temps!

»

Dans

les

n'a pas eu plus

premiers jours 8


FANTIN-LATOUR.

58

d'août,

il

avait eu le plaisir de recevoir la visite

pelacre accompagné d'un de ses

conservé

et

le

fils,

du

fidèle Tein-

une photographie a

souvenir de cette dernière réunion des deux amis,

quelques semaines après, le matin du 25 août, à l'heure où

des amis du voisinage arrivaient pour déjeuner chez tout à coup, fut pris d'un très violent malaise et

foudroyé, dans son jardin, entre les bras de sa

lui,

Fantin,

tomba comme

femme

et

de sa

belle-sœur.

Mais

Le

l*""

c'est à Paris qu'il devait

dormir son dernier sommeil.

septembre, ses funérailles étaient célébrées à

l'église

Saint-Germain-des-Prés, sans honneurs militaires, sans pompe officielle ni étalage

de décorations, mais avec

la

noble sévérité

qui convenait pour un artiste

si

nuée

des fleurs, ces fleurs que

seulement

par l'éclat

modeste

et si simple, attéle

peintre aimait tant et qu'il faisait vivre en quelque sorte sur la toile.

Après quoi, ses amis

et ses

admirateurs l'accompa-

gnèrent à sa dernière demeure, au cimetière Montparnasse,

le

directeur des Beaux-Arts, M.

beaucoup de chaleur où

le

peintre

et

route

il

de pénétration

Eugène Carrière

artistes, l'aîné, l'ami, le

Henry Marcel,

louait avec

l'artiste et

l'homme;

saluait brièvement, au

nom

des

maître qui leur avait indiqué quelle

convenait de suivre, tout droit, sans défaillance.


CHAPITRE

II

CROUPES ET PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES

y a trente-sept ans environ

Il

des futurs maîtres de

mon

mon

que dans

«

et

m'arrivait

avec Fantin-

liai

artiste

initiation

de

et

la

»,

constamment de

et lui s'étaient

connus

j'étais

En 1871, dans tout

aux chefs-d'œuvre de Wagner, de

les

etc.

Toutes les soirées que

passer chez un nouvel ami,

six

Ville,

et

école de peinture, et, vite,

là,

spirituel, cruel à la

comme a dit de me trouver avec ou sept ans plus

Bade, où se tenaient, autour de Manet, ils

comme lui chez Edmond

travaillant

érudit sans pair, férocement conseil

restées aussi pré-

Commune,

connu par des camarades

solide

encore

comme un

elles dataient d'hier.

bureaux de l'Hôtel de

les

bêtise

Guerre

de libres, je courais

j'avais

Maître,

la

si

Schumann, de Brahms,

Berlioz, de j'avais

peinture, sont

la

souvenir que

au lendemain de de

me

mais qu'un de mes amis saluait déjà

très discuté,

le feu

je

mes premières rencontres avec un

Latour, et

sentes à

que

lui

Verlaine,

il

Pantin. Maître tôt,

les assises

au café de de

la

jeune

s'étaient liés de la plus solide


FANTIN-LATOUR.

60

amitié. Le d'art

et des discussions

temps des réunions de jeunesse

au café avait pris

tous les soirs,

fin;

mais Fantin venait chez son ami

tandis que nous nous installions au piano,

et,

Maître et moi, pour deux ou trois bonnes sans

mot

ou se promenait dans

dire

sa courte moustache, la

comme

s'il

la

heures,

fumait

lui

chambre en mordillant

mieux pénétré de

se fût ainsi

musique. Aux approches de minuit, nous quittions

Taranne,où demeurait Maître', côté, Fantin vers le

et

la

rue

nous tirions chacun de notre

Luxembourg; moi, vers

l'Hôtel de Ville...

Ainsi se nouèrent, entre Fantin et moi, sous les auspices du plus sûr des amis, des relations que le temps n'avait

comment

resserrer, et voilà

je

fond, quitte à l'appuyer encore de l'histoire

me

que

fait

suis trouvé connaître à

mes recherches personnelles,

de tant de tableaux dont j'entendis

en particulier des toiles que j'appellerai

«

si

souvent parler,

historiques

»

de

Fantin-Latour.

Mais quels peuvent bien être, allez-vous dire, et portraits historiques d'un peintre qui n'a

les

jamais

tableaux

fait d'his-

toire? Eh! mais tout simplement ceux qui pourront présenter,

dans

un

la suite,

ques-uns d'entre

intérêt historique; les

ceux où revivront quel-

contemporains de

l'artiste

peintres, musiciens, etc. Les Primitifs, Van Eyck,

introduisaient portraits de

écrivains,

Memling,

seigneurs, supérieurs là

de couvents ou autres;

que des figures accessoires, indépendantes

Ces maisons de l'ancienne rue Taranne existent encore; elles forment

numéros impairs du boulevard Sainl-Germain, en arrière de la Diderot, depuis la rue de Rennes jusque la rue des Saints-Pères.

les

etc.,

souvent dans leurs tableaux de sainteté des

mais ce n'étaient 1.

:

statue de


Andromède' Salon de 1898.

A M. Gorjeu.



PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.

du

sujet principal

:

hommage aux personnes ou aux

simple

familles qui les faisaient travailler.

lèbres Syndics,

61

Van der Helst

Rembrandt, dans ses céFranz Hais, sont

et surtout

les

premiers maîtres qui aient osé composer des tableaux avec de simples réunions de personnages

dont tout

mérite est dans

contemporains, tableaux de

la

peinture, dans la

vérité de la représentation, et qui, tout en

étant dépourvus

le

de sujet proprement

dit,

la qualité

acquièrent avec

portraits, le sérieux et la valeur d'un

condition

essentielle,

non agissantes,

ordre. Or, ce qu'ont

Fantin-Latour fut

le

temps, par ces

document

historique. La

pour entreprendre sans témérité une

composition de ce genre, où tout figures

le

l'intérêt se

est d'être

un

portraitiste

Rembrandt

fait

premier à

concentre sur des

et ses

le tenter

de premier

contemporains,

de nos jours, à con-

cevoir et à exécuter d'importantes compositions dans

le

genre

de celles des maîtres flamands. *

Fantin n'a pas produit moins de quatre grandes toiles de cette catégorie, et toutes les quatre, outre qu'elles sont déjà

classées parmi les meilleurs offrent

de

Il

une valeur historique en raison de

la célébrité

que

le

morceaux de peinture de ce temps,

dont jouissent à présent

hasard des circonstances a

faut bien savoir, en effet,

fait

la

la notoriété et

même

plupart des modèles

poser devant

le

peintre.

que jamais Fantin n'aurait donné

place à n'importe qui dans ses tableaux, en raison d'une notoriété plus

ou moins grande

;

il

aurait bien plutôt écarté de ses


FANTIN-LATOUR.

62

compositions quiconque et

lui aurait

paru avoir trop d'importance

devoir attirer devant ses toiles la troupe des badauds, en

quête de portraits de gens connus, et non pas seulement peintres ou les

vrais

amateurs de peinture

ne voulait

il

:

pour ses tableaux d'autres juges que ceux-ci. Je circonstances, relations plus ou

hasard des

sympathies plus ou moins vives à vie,

tel

ou

le

moins

répète

:

suivies,

moment

tel

les

de

la

n'y eut pas d'autres raisons que celles-là dans le choix

il

que Fantin

fit

de ses modèles, et c'est ce qui explique pour-

quoi, entre eux tous, trois seulement, ses amis de la première

heure

:

Edouard Manet, Whistler

l'ancienneté de

et

Edmond

leurs rapports avec Fantin

Maître, ont dû à

de figurer dans

deux de ses grands tableaux. La première de ces compositions son

titre

môme

et

est aussi la seule qui, par

en raison des écrivains et artistes militants

groupés autour d'un portrait ou d'un emblème, d'une consécration, d'un ait

hommage; où

ait le caractère

le peintre,

voulu affirmer ses préférences personnelles.

en un mot, Il

venait de

suivre, avec Baudelaire et Manet, le convoi funèbre de Delacroix, et revenait

contre

le

du Père-Lachaise en maugréant avec

médiocre concours de monde qu'avait

rement d'un que-morts

»

tel

ses

attiré l'enter-

maître, lorsqu'ils furent rejoints par des

«

cro-

qui portaient, tels des marchands d'habits, tout

le

costume d'académicien de Delacroix

de

le

le

peintre de vingt-sept ans; l'idée de protester par un

mage

amis

reprendre.

A

cette vue,

public contre

le

:

la famille avait oublié

une généreuse indignation secoue

hom-

peu de solennité de ces funérailles

tra-

versa son esprit, et ses amis s'y associèrent d'enthousiasme.


PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.

Pondant dos mois, Fantin brossa doux, où

il

s'offorçait d'associer

quatro projots,

trois,

des personnages modernes et des

même

figures allégoriques; Baudelaire lui proposait

d'apothéose où

aurait groupé tous les génies

il

Gœthe, Byron,

dont Delacroix

etc.,

63

une idée

Shakespeare,

:

inspiré,

s'était

mais

le

peintre hésitait toujours.

Un jour

enfin, certain tableau de

donné de voir une copie tira

du doute

il

:

par

faite

Franz le

liais,

dont

il

lui fut

peintre belge Dubois,

le

renonça à toute idée d'allégorie et décida de

ne mettre sur sa

que des personnages

toile

amena Champfleury

(ce qui

habitué à se considérer

faire la

fît

comme

le

réels.

Duranty

grimace à Baudelaire,

défenseur

attitré

du roman-

tisme et de Delacroix, tandis que Champfleury n'était pour lui

que

le

porte-voix do Courbet, de l'école réaliste), et bientôt

se trouvèrent rassemblés autour

du

portrait de Delacroix

:

Whistler, bien pris dans une redingote serrée à la taille et portant des fleurs; Fantin lui-même, en corps de chemise et le

pinceau à

la

main; Duranty,

le

critique,

et les

peintres

Alphonse Legros et Louis Cordier; puis Champfleury, Baudelaire,

Mais

Manet, Bracquemond et il

paraît

le

peintre Albert de Balleroy.

que d'autres avaient dû figurer

là.

«

Legros et

moi, nous viendrons à Paris pour poser quinze jours avant Salon, écrivait Whistler à Fantin, le

3 février 1864; garde-

nous donc deux bonnes places. Peut-être Rossetti aussi; de

dit qu'il serait très fier

c'est

bien,

un grand pour

artiste

;

les raisons

te poser. Il a

tu l'aimeras

que

tu

le

une

tête

il

m'a

superbe et

beaucoup. De Balleroy est

donnes; mais pourquoi Ribot?

Fantin, ton tableau va être très beau; la grande

masse de

lu-


FANTIN-LATOUR.

64

mière

fait

bougrement

bien. Cela va être très

heureux pour

car c'est un tableau qui attirera forcément l'attention... l'attira,

Il

laissait

échapper dans cette

lettre

un aveu bien caractéristique

savoir

un peu de ce que

ET DELACHOIX,

MOI

On

est prié

buées par

le

«

Ah!

même

je voudrais bien

une mau-

AVEC MES AMIS AUTOUR, PAR FANTl.N

de remarquer la supériorité de celle belle réclame sur celles distriDiable (49, rue de Rivoli).

Bon

vaise journée

:

VBommagc à

Delacroix {te Salon pour

rire, 1864).

est-on malheureux de faire mauvais! »

mal placée, en

provoqua-t-elle

nages

:

tu sais! Je viens d'avoir

Caricature de Oill d'après

elle fut

»

mais d'une autre façon que ne

c'est positif,

l'espérait Whistler, qui

au Salon de 1864

effet,

et

Comme

combien ne

pas de fines plaisanteries, avec ses person-

inactifs, cette toile qui,

depuis

lors,

reparut avec éclat,

d'abord en Angleterre, à deux reprises; ensuite à Paris à

seconde Exposition des Portraits du tion centennale elle

toi,

de 1889,

et,

siècle,

la

en 188a à l'Exposi;

plus récemment, à Glasgow, d'où

ne revint que pour entrer dans

la

riche

collection de


A» ^

o u

«

g o

t.



T

PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.

M. Moreau-Néiaton

et,

par

la suite,

au Louvre, avec tous

65

les

autres tableaux du généreux donateur! Il

en est d'une

toile

comme

d'une œuvre musicale

:

il

est

bien rare qu'elle disparaisse tout entière et qu'il n'en reste

IN-L ATOUR

LE TESTAMENT DE CESAR GIRODOT, PAR FA N Le tableau

est

navrant de

tristesse.

On

vient de délivrer les legs. Les légataires

sont furieux et désolés. Le plus important, celui du milieu, est, à son grand regret,

du sac à charbon qu'il vient de revêtir et de vieilles graltures de palette. Son voisin de gauche, d'un soulier, vieu.x serviteur de Balzac; celui de droite, d'un reste bien sec de blanc de zinc; sou camarade, d'une vessie de vert Véronèse. Les autres n'ont rien que du noir, sauf un seul, moins attristé peut-être, qui recueille

héritier

avec soin

le

chien du maître.

Caricature de Bertall d'après l'Hommage à Delaci'oix {Journal

ammani

,

4 juin 1881).

pas quelque fragment, lorsque c'est l'auteur lui-même qui a entrepris de l'anéantir. Tel est, en effet, le cas

du tableau

:

le

Toast, admis au Salon de 1865, qui réunissait autour d'une table les

camarades habituels de Fantin

montrant à ses amis

la figure

de

et le peintre

la Vérité,

lui-même

quoique

l'artiste 9


FANTIN-LATOUR.

68

détruit aussitôt cette composition qui le choquait, après

ait

qu'il l'eût

jugée au Salon, par ce mélange inexplicable du nu et

du costume moderne, autrement

de l'allégorie et de

Les personnages que Fanlin avait groupés

réalité.

en main et portant un toast à y engageait du

les

dit

geste, étaient ses

verre

là, le

comme

la Vérité,

le

la

peintre

modèles ordinaires

:

Manet, Bracquemond, Vollon, Cordier, Whistler qui avait très

naïvement demandé d'avoir

du devant

»;

à quoi Fantin avait consenti très volontiers, d'abord pour

le

« la belle

place, celle

remercier de toutes ses amabilités, ensuite et surtout parce

que Whistler devait poser vêtu d'une robe japonaise

et

qu'une

robe japonaise, au premier plan, tentait singulièrement peintre.

Le sujet court dans

«

Fantin à Edwards,

le

le

monde

artistique, écrivait

3 février 1865; on en parle beaucoup.

y a une colère générale; je suis

un poseur, prétentieux,

un aplomb inouï! Ces messieurs qui sont

les

Il

fou;

amants de

la

Une femme nue avec des gens à

Vérité! Puis les hauts cris. table, c'est incroyable, et

le

vous ne vous imaginez pas quelle

colère c'est déjà. Signe que je frapperai juste. Je crois que

chemin

cela fera son

Moi,

il

me semble que

Après avoir et retouchée

seul

et

nous allons voir du drôle à présent.

cela

fait et refait

dans

encore dans tiers et le

et crié

»

cette toile, après l'avoir

la

distincts

la lettre citée

le

dans sa

dans

Vérité et la Vérité

plus haut,

quart lorsqu'il était dans

que

des forces...

conçue

de diverses façons, en fondant finalement en un

deux tableaux d'abord

est entré

me donne

le

tète,

le

Repas

— après

« le

Repas

», disait-il

avoir défié

le

feu de la composition

peintre était prêt à recevoir des coups, mais


PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.

par l'étude et

qu'il saurait résister

calmé subitement à mesure sive, et

ne

félicitait-il

auriez été content sept heures

écrivait à son

vous m'aviez vu

si

ma famille

étonnée

la

pour

a été

la

me

:

«

Vous

soir exactement,

première

la

de

fois

ma

vie,

mes ordres autour glace au bout de

tableau retourné. Je faisais des lieues

Les premiers jours,

ainsi.

je

mon

pour voir

pour des

fait

semaine dernière, depuis

subjuguée. Je les avais à

et

de

qu'il avait

ami de Londres

de moi. Debout au chevalet, courant à l'atelier,

chance

du matin jusqu'à sept heures du

tellement que je crois,

il

la

tableau véritablement

«

pas

s'était-il

approchait de l'heure déci-

pas Edwards de

ne pas figurer dans un fous »? Finalement,

qu'il

ne

le travail,

67

j'ai

cru que je n'y résisterais pas;

sentais perdu, le sang bourdonnait dans

mes

oreilles, les

nerfs de la tête tendus, vraiment cela est fou de faire des

tableaux ainsi.

emporté à deux heures. Vous est bien au-dessous

de

mon

dirai-je

costume,

le

:

temps

c'est qu'il

ne rien négliger, en pas mal, voilà.

A

tableau rêvé ? Presque tout est resté

beaucoup pensé, en

mon I.

loin.

j'ai

le faisant,

(sic).

la

Son

pose, à

hâte de

le

voir au Salon;

j'ai

surtout pour l'expérience. J'ai

au recul, à

la

grandeui- des salles,

voulu rendre l'eUet de

la

nature

Alors vous comprenez que je ne peux juger

tableau qu'au Salon Leltrc à

mor-

meilleur morceau. Quelques têtes

le voir,

à l'éloignement. J'aurais

même, vue de

y a un

m'a donné, son attention à

fait le

peur aussi, mais veux

Il

Whistler en costume chinois

présent,

a

que mon tableau exécuté

inachevé, ce qui maintenant m'afflige beaucoup.

ceau surtout beau

On

jusqu'au 20, hier, midi.

travaillé

J'ai

Edwards du

'2\

'.

»

mars

ISCo.


FANTIN-LATOUR.

68

Mais l'impression

qu'il

en ressentit

fut

des plus fâcheuses,

œuvre de lui-même

puisqu'il n'hésita pas à sacrifier son

par conscience d'artiste, alors que les attaques auxquelles était

en butte auraient pu l'engager à

la

et il

comme

conserver,

pour braver l'opinion générale. Mais cela n'entrait pas en ligne de compte pour Fantin écrivait-il à

ble

même.

Edwards

le

L'Exposition est

«

:

finie,

26 juin. Bien critiqué,

allez. C'est igno-

eu partout des critiques (cela

J'ai

content), depuis

le

Dieu merci!

me

rend bien

Moniteur (Théophile Gautier) jusqu'au der-

nier des journaux, revues, brochures, mais partout tes, très

méchantes.

Si l'on a sifflé

des peintres. Ribot, qui ne répété) que je lui ai fait

me

N'est-ce pas ignoble?... être nuisible, puis (c'est nal)

que

critique

:

parle plus, dit (à ce que l'on m'a

On

le

Que

vendre.

dit

que

prix de son tableau à

le

dites-vous de cela?

je soutiens

About qui a

Manet pour

dans un jour-

écrit cela

«

Vous

allez gâter vos chefs-d'œuvre!

»

Voilà

n'en conserva que quelques morceaux, »,

comme

la

»

d'art...

Sans aucune hésitation, Fantin détruisit donc sa

mal

lui

l'empêche d'achever et d'étudier ses tableaux,

je

lui criant

Manet, moi, je suis détesté

augmenter

Londres pour l'empêcher de

méchan-

il

disait, c'est-à-dire la

«

toile et

quelques têtes pas

sienne propre et celles

de Vollon et de Whistler. Le premier de ces fragments est encore aujourd'hui chez

M. Barrasse,

le

M'"""

Fantin;

le

deuxième appartient à

troisième fut acheté assez vite par un amateur

américain, presque un marchand de tableaux, qui

le

donna par

la suite,

avec

lithographies de Fantin, au

nommé

la collection très

Avery,

complète des

Musée métropolitain de New- York.


o s

r.

O S

5

c

2



PORTRAITS DARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.

«

Tu

sais

que

69

je suis très flatté, écrivait Whistler à Fantin,

de ce que tu m'as conservé en détruisant ton tableau; chose

anciennes choses! Je tant pleuré après!

»

même

de

très à regretter tout

l'ai

Mais

que

cette démolition de nos

bien trop souvent pratiquée et

j'ai

désolé qu'il fût de cette destruc-

si

Whistler savait s'en consoler en pensant, d'après ce que_

tion,

peut-être en Amérique,

lui disait

son ami, que sa figure

et « rien

ne pouvait être plus charmant pour

irait

lui, assurait-il,

que d'être présenté à ses compatriotes par Fantin

».

Grâce à

l'opportune intervention du collectionneur Avery, l'Amérique

reconquérir l'Américain'.

allait

Cinq grandes années se passèrent avant que se décidât à entreprendre

comme

se restreignant, «

une

l'a

toile

du

même

très bien dit

le

peintre ne

genre, mais en

M. Léonce Bénédite,

au rôle plus étroit et plus sûr de représentation de personnages

contemporains sympathiquement réunis en raison d'une com-

munauté de goûts ou de travaux où

».

Fantin qui, dans

le

temps

peignait V Hommage à Delacroix et le Toast, demeurait

il

rue Saint-Lazare, avait pris l'habitude, en raison de

la

proxi-

mité, de se rencontrer avec Manet tous les jours, soit avant, soit

après

le dîner.

et fumait

Or, ces réunions de café, où

il

ne buvait guère

de préférence en laissant parler ses amis qui, presque

tous, fréquentaient l'atelier de Manet, lui semblèrent former sujet de tableau tout indiqué

par 1.

la tête, elle

Pour de plus grands l'art

dès que l'idée

lui

en eut passé

ne fut pas longue à se développer et à aboutir. détails sur ce point spécial, voir les articles très

intéressants de M. Léonce Bénédite

Heoue de

:

un

ancien

et

:

Histoire d'un tableau

moderne (janvier-lévrier 1903).

:

le

Toast, dans la


FANTIN-LATOUR.

70

Je pense au Salon, écrivait-il à Edwards

«

le

M octobre

1869; je commence à crayonner des projets. Je pense beaucoup à un grand tableau de plus de trois mètres de large sur plus de

deux de haut, représentant au centre Manet peignant à son chevalet, devant lui son

modèle posant; à côté de

des amis, des connaissances, du

un assez

paraît

monde dans

autour,

lui et

l'atelier.

Cela

me

motif de tableau pittoresque, un intérieur

joli

des complaisants pour poser. Si vous veniez

d'atelier. J'aurai

à Paris, je voudrais bien vous mettre dans ce tableau. Cela serait-il possible?

ter

un

Vous voyez que je

pareil tableau

:

suis bien oseur pour ten-

j'espère que vous serez content de

me

voir dans votre idée, qui est de continuer toujours. C'est encore

un

une tentative; mais que

essai,

ments de tenter une bout,

faut bien

il

moment

:

si

je vais être dans des tour-

grande entreprise! Pour

du courage.

J'y

aller jusqu'au

pense beaucoup dans ce

tout ce que je vois, tout ce que je fais, c'est toujours

en vue de ce projet.

»

Plus tard, presque au dernier moment, et pressait

Edwards de venir

ment avant

le

:

il

insistait

qu'il arrive cinq

encore

jours seule-

jour du dépôt fixé au 20 mars et trois ou

quatre jours suffiront pour introduire ce retardataire dans tableau lettre si

:

«

Je crois qu'il va assez bien, ajoute Fantin dans sa

du 1" mars 1870.

étrange dans

le

C'est pourtant difficile à dire.

monde

artistique,

l'opinion de ses confrères. Je je

travaille

beaucoup

et plein

on ne

sait

hauteur de

mon

On

est

quoi penser de

me donne beaucoup

de peine,

de rage; mais suis-je récom-

pensé? Je suis tellement fatigué que cela ne à hi

le

idéal; je ne

me

paraît jamais

peux guère vous donner une


PORTRAITS DARTISTKS ET D'HOMMES DE LETTRES.

idée de ce

que

c'est;

sévère, que nulle

il

part

sottises d'aujourd'hui

me

71

semble que l'aspect est simple et

on ne

auront

Lorsque

voit d'effronterie.

fait

les

place à celles de l'avenir, que

l'acharnement contre Manet aura disparu, on ne verra dans

mon

tableau

qu'un intérieur d'atelier, un peintre faisant avec des amis autour.

portrait d'un ami,

dans un coin une place modeste,

de l'étranger. mettre

le

J'ai

l'intention, si

chapeau de soie sur

Je vous ai gardé

comme

vous représentez un artiste qui entre dans

le

vous

le

désiriez;

l'atelier,

qui vient

vous m'y autorisez, de vous la tôte, le

mac-farlane ou

le

costume du voyageur; cela rendrait bien l'intention d'exprimer

un et

artiste qui entre

dans

l'atelier, étant

d'une tapisserie portière...

près du bord de

la toile

»

Mais Edwards ne put pas venir, apparemment parce que Pantin n'avait pas répondu assez vite à sa lettre d'acceptation,

comme sait

s'en excuse à la date

celui-ci

du 7

avril

encore rien du jury, on en est encore à voir

Vous pensez que je suis

j'ai travaillé

«

:

les tableaux.

jusqu'à la dernière heure.

ennuyé de ne pas avoir répondu à votre

ceptation de venir poser! Je ne sais

comment je

Comme

lettre d'ac-

n'ai

pas songé

à vous répondre; je pensais que vous vous imagineriez j'étais

On no

combien

content de vous peindre. Cela ne pouvait se faire autre-

ment que

je

comptasse sur vous.

J'étais

si

occupé de ce

tableau, je ne voyais plus rien d'autre. Cela a été

organiser, tout ce

monde à

retenir, l'arrangement

si

difficile

de toutes ces

poses! Pour les heures, les jours, prendre les gens quand voulaient,

quand

ils

quelque chose pour

pouvaient, car tous le

Salon, à

à

mes modèles

ils

faisaient

commencer par Manet, qui

a pu


FANTIN-LATOUR.

72

à peine

me donner le temps

une idée du

travail

rêter et toujours

que

nécessaire. Je ne peux vous donner

j'ai fait

pendant

du premier coup;

trois

je

mois sans m'ar-

n'avais le

temps de

lOûO

JÉSUS PEIGNANT AU MILIEU DE SES DISCIPLES, OU LA DIVINE ÉCOLE DE MANET, TABLEAU RELIGIEUX PAR FANTIN-LATOUR « En ce lemps-là, J. Manet dit à ses disciples En vérité, en vérité, je vous le dis. :

Celui qui a ce trac pour peindre est un grand peintre. Allez et peignez, et vous éclairerez le monde, et vos vessies seront des lanternes. » Caricature de Bertall d'après

rien

Un

Atelier

aux

recommencer. Enfin, cela

Balii/nollet (Journal amiaant. i\

est fait;

mai

n'en parlons plus.

Ce que Fantin négligeait de dire à son ami, faillit

même

ne

pas pouvoir

1870).

»

c'est qu'il

terminer à temps, par suite

d'un duel, insignifiant d'ailleurs, qui eut lieu entre Duranty et

Manet (Zola servant de témoin à ce dernier) après de

très vives

discussions de café. Mais tous les obstacles furent surmontés


en

M iJ >J

O «5 <S

H •< O

-S

<

s I

ce

S <

<"

a o



PORTRAITS D ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.

73

à temps, et ce fut une des toiles les plus regardées, les plus

commentées au Salon de 1870, que

dénommé

ainsi

nombre de

en

raison

lant d'eux l'école

des

couramment en par-

disait

où Zacharie Astruc,

BatignoUes),

peintre allemand Scholderer, Auguste Renoir, sionniste

Emile Zola,

»,

Bazille, puis

Edmond

Edwards

voir

futur

le

le

30 mai;

mes tableaux

meilleures choses

:

le

vous voir, écrivait encore Fantin

je voudrais bien

succès a dépassé

que vous puissiez

mes espérances.

compliments qui

et les

sensibles. Aussi le jury s'est décidé

enfin

connaît pas et pour la vente, et

tenant que j'arrivasse à gagner

par

mes ennemis. J'avoue que

ma

il

fallait

m'a

les

me sont le plus à me donner une le

monde

qui

absolument main-

vie. Je suis accepté,

cela

J'ai

entendu

j'ai

médaille, ce qui a une grande importance pour s'y

impres-

«

Maître et son ami Frédéric

l'approbation, je crois, des meilleurs juges;

ne

le

Claude Monet, figuraient autour de Manet occupé

à peindre. « Je voudrais bien

à

Batignolles,

du quartier qu'habitaient alors

(comme on

ces artistes

aux

ci^lAleliet^

fait

grand

même

plaisir

de

même avec le tableau qui dut le plus les peintres. Je me sens bien dispos pour conle combat. Oh! ceux qui sont nos ennemis, comme

réussir sans aucune concession, irriter

tinuer

nous allons

les

combattre!

J'ai tant

de colère et de mépris.

voilà libre des juges aussi (cette médaille

passer sans

examen du

Non seulement

cet Atelier

une troisième médaille tinction,

il

fut

jury,

;

on

est reçu

aux

donne

de droit!

le

Me

droit de

)... »

Batiynolles valut à l'auteur

mais, en raison

môme

bien près d'être acquis par

Beaux-Arts pour être envoyé au musée de

la la

de cette disDirection des

ville natale 10

du


FANTIN-LATOUR.

74

Grenoble. Tout fut arrêté par les désastres de

peintre, à

la

guerre et les changements qui s'ensuivirent dans l'adminis-

haut fonctionnaire des Beaux-Arts, Alfred Arago,

tration, le

qui avait conclu l'affaire avec P'antin, dans un

gresse causé par l'annonce de

ayant quitté

la

place dès le lendemain, et n'ayant laissé aucune

se retrouva plus tard, la

se prévaloir le peintre lorsqu'il

guerre une fois

autre directeur des Beaux-Arts.

pour

se débarrasser

Edwards, traits à

en

et c'est

la

d'allé-

fausse victoire de Reichshoffen,

la

aucun papier dont pût

pièce,

moment

plume de

de cette la

lui

ses

finie,

en face d'un

En désespoir de cause, Pantin, toile

encombrante,

céda à

la

expédiant qu'il y ajoutait ces por-

différents modèles, sans doute afin

qu'Edwards pût renseigner sur eux

les

amateurs qui seraient

tentés de l'acquérir. «

Voici les

noms des

peintres réunis autour de

peignant, écrivait-il à son ami de Londres

A

le

Manet

15 juin 1871.

côté de lui (Manet), Scholderer (en paletot brun), de Franc-

fort,

peintre qui a

fait

de très belles natures mortes, à qui je

trouve beaucoup de talent, que je vous

recommande comme

un ami bien charmant, jouant du violon en ligent, très

artiste, très intel-

doux, avec qui vous aurez, j'en suis bien sûr,

des relations agréables... Derrière Manet est Renoir, peintre qui fera parler de lui

(il

a certes

du

talent),

puis Astruc,

poète fantaisiste, en ce genre je ne m'y connais pas. Manet

semble

le

regarder et faire son portrait

:

il

semble se prêter

de bonne grâce à cela; je crois que parmi nous

il

personne qui ne

pour

l'ait

portraituré

:

c'est

un

plaisir

n'y

a lui

de poser. Au-dessus, Emile Zola, romancier réaliste, grand


PORTRAITS D'ARTISTES ET IVIIOMMKS DE LETTRES.

défenseur de Manet dans les journaux la

main.

A

A

Ville.

fin,

de

côté

pauvre garçon qui

lui, Bazille,

il

Minerve grecque du

grande

toile

style le plus pur,

1

une

la table,

un pot émaillé de »

Peine perdue,

ne trouva pas d'acquéreur en Angleterre, et

après être restée près de vingt ans chez Edwards, elle être achetée, en

Edmond

annonçait du talent.

Bouvier, peintre faisant ces objets avec goût... cette

:

s'est fait tuer

Monet, peintre que vous connaissez. Sur

côté,

petite

un lorgnon à

tient

musicien amateur, employé à l'Hôtel de

à Beaune-la-Rolande par les Prussiens;

A

il

presque une tête seulement, un ami

côté,

Maître, esprit

;

75

finit

par

892, par notre administration des Beaux-Arts

aujourd'hui, elle occupe une place d'honneur au

:

musée du

Luxembourg. cependant,

Fantin,

caressait

depuis quelque

de rendre à Baudelaire un

projet

qu'il avait

rendu à Delacroix;

membres du monde

il

le

pareil à celui

songeait à grouper divers

autour du portrait de l'auteur

littéraire

des Fleurs du mal. Son ami

hommage

temps

Edmond

Maître, qui ne devait

pas figurer dans ce tableau, l'avait mis en rapport avec divers poètes, qui

de

la

travaillaient

ou fréquentaient dans

Préfecture de la Seine

:

Arthur Rimbaud, Léon Valade, parlait

Lecontc; l'esprit

aussi

de

le

bureaux

Albert Mérat, Paul Verlaine, etc.

d'amener Théodore Lisie, et

les

tableau

L'édit(>ur Poulet-Malassis

de

Banville, Asselineau,

prenait déjà

forme

dans

du peintre, qui rangeait quelques-uns de ses modèles

autour d'une table, en avant du portrait de Baudelaire, orné

lui-même de rateurs.

«

feuillage

et placé entre

Cela s'appellerait

Un

deux groupes d'admi-

anniversaire, à cause du por-


FANTIN-LATOUH.

76

Irait

de Baudelaire qui serait au fond de

Edwards

le

Je ferai

le

autour de

les autres

Baudelaire d'après

FA.MIN-LATOLK

:

la table

le portrait

à

éti'it-i|

décembre 1871. Un de ces messieurs

22

une de ses poésies; salle...

la salle,

lirait

dans

la

que j'en

ai

et

lABLli

UN COIN DE

Caricature de Stop (Journal amusant, I" juiu 187*).

dans

le

Delacroix. Les douze apôtres

me

paraissent un sujet

excitant pour l'opinion. Baudelaire, dont la réputation grandit, est considéré

par

tandis que c'est

le

public

comme un

un de ces purs

artistes

être révolutionnaire,

en dehors de tout!...

»

Ce tableau ne paraissait donc pas devoir rencontrer trop de

difficultés,

regret de

ne

encore que certains modèles exprimassent pas voir figurer au

le

milieu d'eux Swinburne,


ca -<

H

e

U a ' i

u

M 3 a



^6 r}c^y4-

/LV

^':^ ^52^4r<^'

/^^^^^^.^^

a^^^e^*^

^2>.

.

'9^


^:^ ^.*.^^>^ Va^^'-t-*-^

f^^*^-**^

<?**-C- JÎ-ù^


V


</,»»*.<»<^

^/.^

/^

.^.^ ^^<-^

-Z-^'t*^-*^

€^-'''^'

~^^

^.a^


l'UllTItAIT

I)i;

Sillon

(le

\V. 18CI.

HIDLEY



PORTRAITS D'ARTISTKS ET D'HOMMES DE LETTRES.

81

qui avait dû, paraît-il, poser auparavant avoc Whistler dans

{'Hommage à Delacroix Edwards dans sa que

si

Whistler

cfu'on lui

était à Paris,

aurait

il

pu

lui parler

Bien mieux,

directe.

peintre était tellement heureux d'entreprendre

besogne

qu'il

défiait le

fièrement dans

(de r Anniversaire) fais

de

me

le

la

monde en quelque

même

la

,

Edwards

lettre à

jamais

«

:

et s'écriait

Ce que

l'on dira

ne m'a moins inquiété. Je

cela

les autres,

le

une semblable

sorte

peinture pour moi. Edwards, en qui

conseille;

de cela,

devenu un trop grand personnage

était

une proposition

fît

lui-même à

dit

le

du 30 décembre 1871, en ajoutant

lettre

mais que Swinburne

pour

c'est Fantin qui

:

confiance,

j'ai

cela m'est égal. Je vais m'appli-

quer. J'ai une douzaine de tètes plus intéressantes les unes

que

les autres;

une collection de portraits superbes. Ah! que

Holbein en aurait

fait

une

belle collection de dessins! »

Mais tout marchait trop bien, ne touchait en rien aux soir,

risqué

qu'une querelle, qui

et voilà

lettres ni

aux

arts,

au dîner des Vilains Bonshommes, quelquefois,

entre

deux

des

jusqu'aux voies de

fait, fit

Fantin s'était

modèles,

cependant une affection des plus vives. Cette

grand bruit dans

le

un beau

éclate

qu'unissait

querelle', allant

monde

littéraire.

Alors, Albert Mérat déclara se retirer d'une société

sions se déchaînaient avec une telle violence;

n'était déjà

il

les pas-

plus question d'amener là aucun des gros bonnets littéraires édités par Poulet-Malassis; Fantin modifia instantanément le

plan de son tableau; Baudelaire en disparut; une haut<' touffe d'hortensias prit la place d'Albert Mérat, exilé volontaire, et le

Coin de table, enfin, fut terminé juste à temps pour ligurer 11


FANTIN-LATOUK.

82

au Salon de 1872. Un Coin de

catalogue;

le

de littérature;

le

table, disait le

Dinei^ des Poètes, disaient les gens

Repas des Communards, disaient

frottés

les artistes,

en colportant un

propos peu charitable de Charles Blanc, alors directeur des Beaux-Arts;

et,

par

autour de cette table

Rimbaud,

le

le fait, :

il

n'y avait guère

Ernest d'Hervilly, Paul Verlaine,"Arthur

doux Léon Valade

et Camille

Pelletan, Elzéar

Bonnier, Emile Blémont, de qui Pantin avait isolé

deux ans auparavant,

et

le

peintre

ce que racontèrent certains

mourut, n'a

voyages. Après avoir été vu à Paris, tion organisée à

un portrait

fait

Jean Aicard.

Ce tableau-là, contrairement journaux quand

que des poètes

il

pas

fait

et fut tout

acheté par un jeune Anglais, M. Crowley, qui étudiait cine et marquait beaucoup de goût pour la peinture.

de peu d'années, ce collectionneur, qui

longs

une exposi-

figura dans

Londres par Durand-Ruel

de

de suite la

méde-

Au bout

formé une

s'était

très

belle galerie, vint à mourir, et son frère, qui hérita de lui après

que leur père

fut

mort à son tour, se trouva

fort

par cette grande toile qu'il ne savait où mettre tant bien qu<'

garantir)

:

il

mal par

terre, avec des

(il

embarrassé

l'avait

placée

meubles devant pour

la

manifestait en toute occasion le projet de s'en

défaire. Pantin, informé de cela par M'""

Kdwards, en avertit

son ami Tempelaere, qui se rendit tout de suite à Reading, acheta ce tableau, l'apporta en France l'un des écrivains ayant

mont récit

:

posé devant

et

le

vendit ensuite à

le peintre,

M. Emile Blé-

cela se passait dans le courant de 1897. Voilà, d'après le

môme que

Pantin m'en a

fait,

comment

ce tableau revint

en Prance, et cela sans avoir été jamais destiné par Pantin à


PORTHAriS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES. personne, sans qu'il y

ait jamais

chères, sans que nul autre que

eu de vente publique ni d'en-

le

peintre se soit jamais avisé de

dans son pays d'origine

faire revenir

le

83

:

tout ce qu'on a ra-

conté d'autre à ce sujet est pur roman, et celui qui a répandu ces belles histoires connaissait

à

la famille

du

longtemps

ou écoutant de

mal Fantin,

qu'il le rattachait

pastelliste Latour.

Après ces peintres et

si

et ces poètes, Fantin

pensa souvent

à composer un groupe de personnes faisant

musique

la

chœur de dames); mais

(il

projetait d'abord de peindre

tantôt la difficulté de trouver des

dèles à sa convenance en plus de Maître et de

un

mo-

moi, tantôt

l'ennui d'avoir à faire poser des dames, le faisait reculer. Fina-

lement, après qu'il eut rencontré en Chabrier ni trop

connu,

ni trop

le

personnage,

obscur, mais propre à figurer devant un

piano, qu'il désirait mettre au centre de son tableau, Fantin prit

simplement diverses personnes avec lesquelles

relation plus

que

ainsi

ou moins suivie ou qu'on

se groupèrent autour

deux amis dont

les

puis

le

il

Tout

fut

plement

le

Amédée

:

Maître et moi,

compositeur Vincent d'Indy

intitulée

:

et

Pigeon.

toile,

que

le

la

fin,

pour

le

peintre avait tout sim-

Autour du piano, souleva autant d'admi-

ration parmi les connaisseurs

et à

d'Emmanuel Chabrier, d'abord

terminé, sans trop de presse à

Salon de 1885, où cette

en

violoniste Boisseau, l'écrivain d'art Camille Benoît, le

romancier-critique

de

était

connaître et c'est

pouvait disposer à sa guise

juge d'instruction Lascoux, le

lui fit

il

que de curiosité dans

le

public;

ce tableau alla directement à Londres, puis à Bruxelles

Munich avant

d'arriver chez celui qui s'en était assuré la


FANTIN-LATOUR.

84

possession dès

va bien

»,

le

premier jour.

disions-nous en plaisantant avec

celui-ci l'écrivait plus tard à M"" lui

Notre tableau, notre succès

«

comme

Fantin,

Edwards, dans

la lettre

apprend que l'ami qui avait beaucoup contribué à

entreprendre cette grande

en

toile

était

le

:

il

lui faire

devenu l'acquéreur

ne s'en séparerait presque sûrement jamais est toujours à la place

le fait est

et

qu'elle

peintre a pu la voir accrocher,

il

y a de cela vingt ans passés. # *

*

Outre ces quatre grands tableaux, Fantin a encore peint quelques portraits

— cinq

qui sont en quelque fallait-il,

six

en y comprenant

du domaine public

pour que Fantin se décidât

qu'ils fussent bien

simples modèles

veau

sorte

ou

les traits

à

;

Du

peindre ces gens-là,

le

de nou-

reste, en fixant

nombre des œuvres dont

curieux pourraient s'occuper un jour, en

comme

lui

de Manet ou ceux de votre serviteur,

mentait pas en réalité

mais encore

de ses amis et posassent devant de profession.

le sien

il

les

n'aug-

simples

dehors de toute

question de peinture, et c'était bien alors son ami Manet, son

ami JuUien,

— ce

n'était ni le peintre, ni l'écrivain,

qu'il

acceptait de faire vivre isolément sur la toile, exactement comme

quand

il

entreprit le double portrait de

comme aux jours où lui-même

et

ses

il

et

M"" Edwards;

prenait pour premiers modèles, après

deux sœurs,

Alphonse Legros (1856

M.

soit

son

camarade

d'atelier

et 1858), soit le peintre anglais Ridiey

(1861), dont les portraits, très ignorés, restèrent

si

longtemps


POKTKAIT DE Salon

(le

18"5.

M.

Kl

.M"k

KIJWIN

KUWAIlIfS

Nalioniil tiullenj, à Lonilrcs.



PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.

accrochés dans

l'atelier

du peintre avant Là

clairvoyants collectionneurs.

d'être acquis par de

s'arrêtent les rares

gens appartenant au public que Fantin, qu'on de tant de côtés, se décida à faire et travaillait

lit

le

en vain

avec plaisir parce qu'il

nant à Francfort,

comme

en se jouant par Fantin dans

l'avait

prié

de

lui

auraient payé beaucoup plus cher à

cadres neufs,

s'ils

faire la

envoyer

et

qui

douane allemande,

eussent été expédiés vides,

du moment

objets presque sans valeur,

qu'ils

que

entou-

un morceau de peinture quelconque. Ensuite, quand

poser devant

gleterre, Fantin

lui le le

le

un des cadres qu'Otto Scholdcrer, retour-

seul but de remplir

fit

sollicitait

grand portrait d'Alphonse Legros, ne l'ou-

blions pas, fut brossé

raient

images de

par amitié.

Tout d'abord

comme comme

85

il

jeune Ridley, arrivé récemment d'An-

considérait tellement

comme un modèle

d'occasion qu'il envoyait cette toile au Salon de 1861, où elle fut

admise, non pas

comme un

vague mention cVEtude plus,

parmi

salles

du Palais de

le

les

portrait réel,

cTapri's nature. Et

visiteurs qui

la

qui donc, au sur-

arpentèrent cette année-là les

l'Industrie, se serait inquiété

nom du modèle ou môme

mais sous

celui

du

de découvrir

peintre, tous les

deux

également obscurs?

A l'époque où Manet posa devant que lui-même avait choisie

et qui

Fantin, dans une attitude lui

était

habituelle, l'au-

teur cVO/i/mpia se trouvait dans la période la plus batailleuse

de sa carrière, en butte aux sarcasmes des artistes, aux quolibets

de

la critique.

Aussi Fantin, en peignant alors son com-

pagnon des jours d'étude au Louvre, en exposant ce portrait


FANTIN-LATOUR.

86

en 1867, ontendait-il bien manifester à

pour l'homme

et

son admiration pour

son affection

fois

la

peintre, ainsi qu'en

le

témoigne une dédicace toute spéciale, presque provocatrice, au bas de

inscrite

la toile

:

A mon ami Edouard

Pour ce qui regarde Edwin Edwards, graveur à l'eau-forte, qui

1823

(il

avait

donc

était

treize ans

de plus que Pantin)

gravure à l'eau-forte, jouant de

et

Luquet,

les éditeurs

de

la

soumit à Bracquemond ce tage

» et

que

le

la flûte

avec M™" Edwards au

faire cette

qu'il appelait

en riant son

la faire

les noirs, y

passer

:

«

C'est

Pantin, de faire ce qu'on n'a pas appris! le

planche pour Cadart

Société des Aqua-fortistes

que chose, à condition d'enlever

ment pour

voir à

le

représenter, dans une

celui-ci, ayant jugé qu'on pouvait

coups de burin pour

mourut à

aussi par les lettres de Pantin qu'il était

ennuyé d'avoir accepté de

fort

et

savons, étant allé

le

Sunbury, en 1864, avait commencé par

Nous savons

cet avocat, peintre et

né à Framiingham (Suffolk) en

Londres en 1879, Pantin, nous

piano.

Manel.

en

qu'il

grat-

tirer quel-

donna quelques

si difficile, »

«

;

Mais

écrivait

c'est seule-

Salon de 1875 qu'il composa dans son atelier de

Paris le groupe de M. et

M"® Edwards, auquel sa

célébrité

naissante allait s'accrocher'.

De ces deux tableaux, qui reparurent à l'Exposition centennale de 1889, l'un, le portrait de Manet, a trouvé sa place En se reporlanl à la page 77, on verra combien 1.

leltre le

de Kaiitin reproduite en fac-similé à

tableau

tel

débarrassé des accessoires oniblématitiues auxquels pensé, est préféiable au premier projet, où

gardien Ingres.

»

la

«mil fut exécuté, tout simple et

« la

Muse

Fantin avait dabonl inspiratrice,

en Ange

semblait être un ressouvenir du célèbre portrait de Cherubini, par


PORTRAITS D'ARTISTES ET D'HOMMES DE LETTRES.

musée do Chicago;

définitivo au

M"" Edwards, a en ayant

la

sienne à

la

l'autro, le portrait

de M. et

National Gallery, M""" Edwards

don au grand musée de Londres aussitôt

fait

eut appris la mort de l'auteur. Et celle-ci d'avoir fait à

87

l'on

si

qu'elle

ne peut qu'approuver

son pays ce magnifique cadeau,

l'on

si

doit féliciter l'Amérique d'avoir su s'emparer d'une toile aussi

célèbre que le portrait

le

Portrall de MaacA, ne faut-il pas déplorer que

d'un peintre

comme Manet

par un peintre

tel

que

Fantin, que ce gage d'une amitié constante entre deux artistes français qui auraient pu devenir rivaux,

que ce tableau auquel

nous aurions dû doublement tenir

perdu pour

et

soit

la

France

que notre administration des Beaux-Arts, lorsqu'elle pou-

vait facilement l'arrêter, l'ait laissé partir

Après ces

toiles qui sont capitales

pour (Chicago?

dans son œuvre

et

mar-

quent des points lumineux dans sa carrière, Fantin ne peiplus

gnit

que deux portraits qui ne fussent pas ceux de

simples particuliers 1883,

il

fit

:

le

sien

propre et celui d'un ami. En

de lui-même un portrait

Salon triennal

officiel

définitif

pour r(Mivoyer au

qu'on projetait d'ouvrir tous les trois ans,

vers l'automne, au Palais de l'Industrie, et qui n'eut lieu que cette année-là; puis, quatre

sans doute afin de fiée

ans après,

me dédommager

de

que j'occupais dans Autour du piano,

il

la

peignait

et l'exposait

à

Munich,

Musée des

du piano.

en Angleterre et en Danemark, etc.,

avant de se fixer,

le

mien,

place un peu sacri-

de 1887. Peu de tableaux ont autant voyagé que allant soit

le

au Salon ceux-là,

soit à Bruxelles et

premier à Florence, au

Offices; le second à Paris,

tout à côté à' Autour


FANTIN-LATOUR.

8R

* *

*

Voilà quels sont, et vous voyez qu'ils peuvent compter, les

groupes ou portraits peints par Fantin-Latour qui pré-

sentent déjà ou pourront présenter un jour quelque intérêt d'histoire.

est

Il

vraiment curieux qu'un peintre qui se serait

refusé à voir jamais poser devant et qui vécut toujours

quelque

car

tant travaillé pour l'avenir,

la toile les traits

d'un grand nombre d'artistes

c'est bien le

toutes

les

célèbre,

ait

ou d'écrivains militants avec lesquels

mune. Et

homme

en dehors du monde, à l'écart de tout

cénacle ou de toute école,

ayant fixé sur

lui

bon combat

causes

d'art,

de

il

qu'il

com-

avait fait cause

combattit sans relâche,

littérature

ou de musique

auxquelles Fantin se trouva adhérer et qu'il défendit ou plutôt qu'il

exalta à sa manière, ont

fini

par triompher. L'alliance

était toute naturelle qui devait s'établir entre cet artiste

indépendance absolue

et tant

aussi pourra-t-il passer

peintre,

non

pas

à

de libres esprits de son époque

bon droit dans

l'avenir

pour

spécialement des Impressionnistes,

Parnassiens ou des Wagnéristes, ce qui l'aurait fort

mais

plus

largement

indépendants.

d'une

des

hommes

d'avant-garde

:

le

des

irrité,

et

des


u



CHAPITRE

III

UN PEINTRE MELOMANE

Qu'un peintre goûte infiniment qu'il s'y loisir,

il

n'y a rien

revient en

crement

même

exerce

mémoire

fier

musique

que de naturel,

moments de

et tout

aussitôt

nous

souvenir d'Ingres qui n'était pas médio-

de son agréable talent sur

peintre aime la

et s'y délecte,

et qu'il en exécute à ses

là le

la

le

violon

;

mais qu'un

musique au point d'y trouver un puissant

réconfort dans ses jours de fatigue ou de doute, qu'il soit épris de l'art des sons jusqu'à chercher dans les chefs-d'œuvre

des maîtres les sujets de d'imagination, vie chez les

à

fait

lui,

le

hommes

la

plupart de ses dessins ou toiles

peintre de la réalité et de la vie, de la et chez

les

fleurs, voilà ce qui est tout

exceptionnel, peut-être unique, et ce qui est mainte-

nant à considérer chez Fantin-Latour.

Par combien de compositions idéales

ou

lithogra|)hies, n'a-t-il pas

ration

que

musical, de le

lui

la

inspiraient les sensibilité

poussèrent dès

le

si

:

témoigné de

peintures, la

pastels

|)rofonde

admi-

plus hautes créations de avisée, de l'instinct

premier jour vers

les

si

l'art

sûr qui

maîtres discutés, 12


FANTIN-LATOUR.

90

méconnus,

mais à qui un avenir plus ou moins

injuriés,

rapproché réservait une réparation triomphale

Certes,

!

œuvres peintes ou gravées parlent avec éloquence

l'instant

plus grands maîtres de la musique au

lui les

mais

XIX® siècle;

n'est-il

môme où

il

suffi-

connu quelle influence

raient à dire à ceux qui ne l'ont pas

ont exercée sur

et

ses

pas piquant de saisir sur

le vif,

les ressentait et les confiait à

dans

des amis,

l'expression de ses sentiments d'admiration et de son enthou-

siasme en présence des œuvres qui se révélaient troublaient

du

ciel le

plus

fort qu'il regrettait parfois

si

don de création musicale,

complètement à

qui

l'art

lui

afin

à lui et le

de n'avoir pas reçu de pouvoir se livrer

procurait

vives

d'aussi

jouissances?

de

Si

Fantin

la

musique

l'audition

fut,

s'il

vie, très

désireux d'entendre

s'absorbait, des soirées entières, dans

d'œuvres exécutées d'une façon plus ou moins

lante par des

thies;

et

durant toute sa

s'il

amis partageant ses admirations

et ses antipa-

fréquenta beaucoup les théâtres et

avant de se renfermer dans

bril-

concerts

les

sa tour d'ivoire de la rue

des

lleaux-Arts, c'est surtout en deux circonstances bien déter-

minées

(pi'il

d'abord au

se sentit bouleversé par le

moment de

lu

démon de

wmx

révélant quantité de chefs-d'œuvre dont le titre

ou

musique

:

grande vogue des Concerts popu-

laires qui le passionnèrent, lui et tous

jusque-là que

la

de son âge, en leur ils

ne connaissaient

qu'ils devaient se contenter

de jouer

au piano; ensuite, à l'heure des premières représentations de Mayreulh, auxquelles un ami d'assister. Or, à ces

lui

procura inopinément

deux époques, Fantin

fut

le

moyen

comme emporté


UN PEINTRE MIÎF.OMANE.

par

désir de

le

communiquer

lui-môme,

mettre de

à d'autres ses joies, ses sur-

le

voir sous le coup

il

nous per-

et ce sont ces lettres-là qui vont

immédiat des émotions

ressenties, de les lui entcndr*^ traduire en

avait

comme

enthousiasmes; d'enflammer ses amis

prises, ses l'était

91

un

qu'il

l;m^af,'c

d'autant plus vibrant qu'il est moins apprêté et plus familier.

* * *

pendant

C'est

les trois séjours

que Kanlin

en 1859, 1861 et 186i, tantôt à Londres chez

Seymour

chez M. et et

beau-frère de

lladen, M"""

Edwards,

qu'il

\N

eut

le cél«'l»re fj;raveur

en

là,

révélation

d(>

allemand»;,

des dames très au courant de

elVel,

et

mêlée de surprise,

il

avait entendu

:

la

ren-

musique

pianiste, écrivain

le

lui

:

Mondnacht

qu'il avait ressenti»;

(titre

en entendant exé-

Prière de Moïse par un orchestre très

moment môme où

il

de Londres qui

que

lui

nombreux au

entrait dans le colossal Palais de Cristal,

avait été plus violente, et c'était encore là

{grande

la

11

l'Heure du Mystère), de Robert Schuniann. Certes,

commotion physique

cuter

lui.

connu, Edouard Dannreuther, une mélodie

d'un compositeur totalement inconnu de français

musi(pu;

chanter par une jeune

Grecque, M"" lonidès, qui devait épouser et conférencier bien

la

rappelait toujours avec quelle émotion,

se

il

Sunbury,

lantnt à

histler, la

en Angleterre

du maître qui devaient exercer tant d'empire sur

contra

la

lit

revenaient

fût déjà et

le

un des souvenirs

plus volontiers;

mais

si

que dût rester son admiration pour

Hossini, admiration qu'il étendait,

un peu par

esprit de contra-


PANTIN-LATOUR.

diction, jusqu'à Zelmira, jusqu'à Bruschino peut-être,

certain que l'émotion

que

lui avait

il

est

causée une simple mélodie

de Schumann avait été autrement profonde, autrement décisive,

autrement féconde.

paroles

:

parlent plus haut que les

Ici les faits

quoi qu'il en pût dire, jamais Rossini ne

l'atteignit,

comme Schumann,

au plus

profond du cœur. Fantin s'était décidé

Si

à traverser la Manche, c'était,

nous

le

savons, pour répon-

dre aux pressants appels de

Whistler

qui

désirait

faire connaître

doption,

le

sa famille,

aussi

lui

son pays d'a-

présenter dans

nous savons

et

quel accueil

avait

il

reçu du beau-frère de Whistler,

quelle vie plantureuse

Si M. Gérôme ou M. Cabanel se permettent de passer à portée de ma canne,

et toute nouvelle

pour

voilà des gaillards qui n'ont qu'à bien se

menait là-bas

Lunch ou

tenir. Caricature do Bertall d'après lo Portrait de Manet (Journal ammant, 8 juin 1867).

roastbeef. J'en

mange, de

la

il

avait

deux ou

trois

tranches de

viande, et de l'excellente!

Bonne

Le tout arrosé de Xérès'.

connu Ridley qui

et Ridley, ayant reçu la visite

«

il

goûter, un goûter où j'avale

religion qui n'a pas de jours maigres!

Puis, par Whistler,

:

lui

»

travaillait à Paris,

de son compatriote Edwards, avait

mis celui-ci en rapport avec Fantin, de façon que dès son 1.

Lettre à ses parents,

du

17 juillet 1859.


POUTRAir d'ÉDOIAUI) manet Salon de 186".

Arl

liislitule,

ii

Chicago.



UN PEINTRE MÉLOMANE.

second voyage en Angleterre,

le

jeune peintre accepta d'aller

passer quelque temps chez les Edwards;

en confiance avec ses hôtes,

s'était senti

93

tout de suite,

là, si

il

bien qu'il les prit

dès lors pour confidents de ses joies, de ses craintes, de ses

calme

espoirs. Et telle fut l'impression de

éprouva dès

faisant qu'il

de ses nouveaux amis, disait-il,

le

et

de repos bien-

premier jour à Sunbury, auprès

qu'il

lui

suffisait

de s'en souvenir,

pour retrouver un peu de cette tranquillité per-

due. Aussi rien ne

tentait davantage

le

que de

voyage et de retourner dans ce Sunbury

refaire

un

tel

qu'il appelait plai-

samment, d'après Edwards, son hôtel des Invalides

«

:

Oh!

le

bel hôtel, s'écriait-il, et ces soirs d'été, et la Sonate pathétique, et

Beethoven'

1862

:

!... »

et sifflé l'année

quatorze mois aj)rès la

première

sans avoir

la

le

nom

de Richard Wagner, hué

précédente à notre Opéra, reparaît sur une

affiche à Paris, grâce

pour

c'est l'année

au courageux Pasdeloup qui, la

fois

déroute

d(>

le

10 mai,

Tannlwuser, ose bien jouer

grande Marche du concours, non

la

prudence de

la

mettre à

la fin

d'un concert de

bienfaisance au profit de l'Œuvre de Notre-Dame-des-Arts.

Pantin y court l'esprit

des foules!

toujours de voir

quand cela

«

amour

crayon \.

et,

Eh

écrit-il

» »

,

bien!

Wagner marche donc dans

sur l'heure à Edwards. Je regrette

mes adorations adorées par

arrive à la

quand j'aime. son

«

:

masse du monde. Je

d'autres, surtout suis très jaloux

Et d'enthousiasme, impatient de proclamer aussi vite qu'il a pris la plume,

il

saisit

son

pour célébrer ce premier triomphe de Wagner

LeUre à Edwards, du 23 novembre 1861.


FANTIN-LATOUR.

94

à Paris,

compose

du

cette belle lithof^raphie

Venusherfj, qui,

complètement transformée, deviendra, deux ans plus tableau à l'huile admis au Salon de 1864, en

môme

tard, le

temps que

V Hommage à Delaavix.

Au mois

de septembre de cette

même

année 1864, Fantin,

alors âgé de vingt-huit ans, retournait à

semblait

lui

si

douce, où

il

Sunbury où

la vie

mère

se faisait expédier par sa

des pièces de piano, de Schumann, destinées à M""" Edwards;

il

dessinait la curieuse et très rare eau-forte qui représen-

Edwards jouant sur

tait

avec sa

femme

un morceau de Schumann

qui l'accompagne au piano; d'où

enfin à ses parents

commencé

la flûte

:

«

Que vous

dirai-je

il

écrivait

de nouveau? Rien.

à travailler, je suis heureux, je crois que

ma

tout.

Ta

vais

répondre en

lettre,

chère mère, m'a

la relisant,

fait

grand

J'ai

c'est

plaisir et je

car que vous dirais-je?

Que

je

me font grand plaisir, que la musique de Schumann que Madame joue dans la chambre à côté est superbe, que j'entre dans un monde musical qui me plaît relis les Misérables qui

beaucoup. Cette musique de l'avenir, je celle-là

que j'aimerais

faire si j'étais

la pressentais. C'est

musicien, hélas!

»

Ce dernier séjour à Sunbury avait sensiblement resserré les liens entre

ses amis d'Angleterre et Fantin,

si

bien que

leur correspondance prend alors une tournure plus familière,

une correspondance où

la

musique

raison des œuvres auxquelles et «

de leur

commune

J'envoie en

octobre

1864,

il

tient

une large place en

s'était initié

chez les Edwards

admiration pour l'auteur de Manfred.

même temps que ma soit très

vite après son

écrit-il

en

retour à Paris,

lettre,


UN PEINTllE MÉLOMANE.

même temps

en

j'envoie

Schnmann, que

Madame,

marchand

lisez-la, je

musique;

cette

le

Voilà

ma

musique

de

mais

c'est court, Il

c'est très utile

pour com-

connu

mu-

au culte de ces grands artistes.

je suis tout entier

religion, l'Art; voilà le seul idéal, la seule chose

prendre mes éludes, je le

indiquée.

faut s'être attendri, avoir

pure dans l'homme... En attendant

c'était

m'a

de cette vie pour bien comprendre cette

les souffrances

Oh!

une Vie de Robert

lettre

vous prie. Cela vous servira pour jouer

prendre ce grand artiste.

sique.

que nia

95

me

laisse

aller à la

de re-

l'envie

le travail,

musique. Hier

premier Concert populaire de musique classique,

dont je vous

ai parlé.

Weher, avec

le

J'y ai été. C'était Juhel-Onverture,

chant national anglais à

la

fin.

de

Une superbe

symphonie de Haydn avec un adorable minuelto. Quelle

belle

musique

Alle-

!

La

polonaise de Sime/iwe (opéra joué

magne), de Meyerbeer, m'a paru n'avoir pas toute la

savez

pour

:

Mozart, c'est tout dire, un andante de cet ange

Schumann

profond

comme

centre, pris de vertige; on

la

ne

mer. sait

Puis, après avoir entretenu ses

pas trait à notre sujet, l'avait

il

:

»

ces hauteurs, dans ces profondeurs...

il

Puis,

emporté dans un monde splendide.

a dit quelque chose de bien

c'est

!

grandiose symphoni(! de Beethoven en ut mineu7\

C'est foudroyant, l'on est

comme

grandeur de

musique de ce concert. Un andante de Mozart, vous

finir, la

le ciel,

la

en

«

C'est haut

comme

Oui, l'on est l'on

là,

au

est entraîné sur

»

amis de choses qui n'ont

ne se tient pas de terminer sa

lettre

commencée, en parlant de Schumann, en

célébrant les louanges de celle auprès de qui,

disait-il,

le


FANTIN-LATOUR.

96

maître, brisé par

le travail,

sa tête fatiguée. «

devait être

Je crois que

Scliumann, cela vous intéressera

un autre milieu. Moi,

»

heureux de reposer

quand vous

comme

lirez

vie de

la

moi, quoique dans

désemparer.

je l'ai lue sans

Louvre, assis devant les Rembrandt

rumeur

si

(c'est

mon

J'étais

«

au

éternelle

à moi), et j'ai été bien intéressé. Sous cette bio-

graphie je vois une nature que je comprends. Qu'il a été

malheureux. Que Clara Schumann a dû être pour Providence

!

persistance

Comme la

Elle est bien intéressante, avec cette continuelle

à

faire

entendre ses œuvres

cela doit être

femme

doux pour

est merveilleuse

Vous verrez

une

lui

quand

lui

après sa

quand

elle est

il

l'entend

comme

cette vie terrible avant son mariage,

mort.

Que

!

celle-là!...

quand

elle

jouait dans les concerts, vous le verrez jaloux de ces gens

monde n'aimant

rien et toujours prodigues des compliments

qu'ils savent dire, puisqu'ils les débitent à toutes les

Ce piano devenu presque impossible,

cette famille

femmes. en

voilà l'explication de sa folie et, sans Clara, cela serait

plus vite; nous lui devons son

pèlerinage pour moi, concerts'.

cet hiver elle vient à Paris

si

de

l'influence

qu'une

donner des

compagne

à qui sa vie est associée, se

LeUre du

Schumann, en

aussi

aimante

et doit exercer sur le génie et les créations

reprises dans les lettres

1.

venu

»

dévouée peut l'artiste

lutte,

œuvre peut-être. Ce sera un

Cette admiration reconnaissante pour Clara

raison

du

'24

de

manifeste à diverses

du peintre, comme

octobre 1864.

et

s'il

eût souhaité,


A

LA MÉMOIRE DE KO EUT SCIIL'MAN.N 11

Lithographie originale

(18"3).



UN PEINTRE MÉLOMANE.

97

pressenti le bonheur que l'avenir lui réservait à lui-môme.

Un

jour,

comme

Schumann

son enthousiasme croissant pour

l'avait fait causer,

lui si

peu

liant d'habitude, avec

un autre

habitué des Concerts populaires, ce dernier, qui avait eu plusieurs fois l'occasion d'entendre jouer Clara, parlait d'elle à

Fantin qui se hâtait de rapporter ces discours à M""" Edwards «

J'avais

entendu parler

tendresse pour son mari, de son sique. Je vis paraître

amateur,

disait cet

d'elle,

amour pour

une femme en

la

:

de sa

bonne mu-

noir, très simple,

non

plus jeune, mais qui avait dû être belle, de cette beauté que les artistes

aiment; elle se met au piano tout simplement,

avec respect^ sans musique devant

elle, et

joue une sonate de

Beethoven. Dès les premières notes, je compris que j'entendais quelque chose de nouveau, c'est-à-dire les souvenirs

c'était

;

artiste ; tous

de pianistes s'envolèrent. Je n'avais pas

de ces exécutants qui jouent, tion

une

un jeu pur,

comme

précis,

un

avec inspira-

l'on dit,

mesuré, rigoureux. Tout

d'abord, j'avais été pris d'attention

pour quelque chose de

nouveau, puis, au bout d'un quart d'heure, un intérêt très grand,

puis l'enthousiasme,

provoqué par

mérite de ce

le

respect pour l'Art, pour l'œuvre de l'artiste. C'était un respect

qui

ressemblait au

d'entendre enfin artiste

compris

la

recueillement de

musique d'un

et vénéré.

Ce

la

homme

prière;

Je venais

aimé, de voir un

beau lorsqu'elle joua

fut très

des œuvres de son mari, et je ne puis vous en dire davantage, il

faudrait l'entendre; c'était la

même

que

le

compréhension

jeu de cette grande artiste

!

ajoute Fantin, moi, enthousiaste et bien

»

«

et le respect

Moi, Madame,

un peu

fou, à ce in

que


FANTIN-LATOUR.

98

m'a

dit cette

personne, je pensais que

non pas l'homme, mais

peut-être,

Schumann

devait être

heureux

l'artiste,

naissant. Elle doit le penser aussi, j'en suis sûr.

là,

et recon-

»

Le jeune peintre va également passer quelques soirées aux

Italiens.

11

y entend Don Giovanni, dont l'ouverture

lui

rappelle les agréables séances de musique à Sunbury, chez

Don

ses amis;

Giovanni, merveilleux,

dit-il,

exécuté par de mauvais chanteurs, exception

dans Zerline,

«

avec un

fait

c'est vrai,

la Patti

à un garde

éclater de rire toute la salle

y entend aussi la Traviala,

musique,

de

faite

commandeur semblable

national en plâtre et qui a Il

mais bien mal

».

musique d'enragé, peu de

«

mais quelque chose d'un

sionné, ce qui est rare aujourd'hui

»

;

homme

pas-

puis, tout de suite après

avoir émis ce jugement qui surprendra un peu ceux qui se

rappellent «

comment

Rentrons dans

il

parlait de Verdi sur la fin

l'art,

Mendelssohn

;

vraiment, pour

le

J'ai fait

amende honorable

il

il

à

bien juger, l'orchestre est

indispensable. Dans ce Songe d'une nuit dété, leux de sonorité,

:

dédaigneusement; je suis

ajoute-t-il

un fervent du Concert populaire.

de sa vie

est merveil-

il

a des effets d'instrumentation superbes,

remplace beaucoup par cela

les idées

mélodiques*.

»

Mais quel n'est pas son chagrin, on pourrait presque dire son désespoir en entendant très peu applaudir siffler

à

ce

Schumann

môme

concert une

(c'était celle

en

Lettre

du 27 novembre 1864.

!

«

beaucoup

superbe symphonie

si héniol,

ce jour-là la première audition)

I.

«

et

»

de

dont Pasdeloup donnait

Les chut

!

chut

!

m'entraient


UN PEINTRE MÉLOMANE. dans

le cnour, écrit-il. Si

vous m'aviez vu, Madame, moi dans

vous m'auriez reconnu rien qu'à

la salle,

malheureux,

figure. J'étais bien

du Schumann que

M'""

même abondance

bien de

il

lui, et c'est, je crois,

nous aimons

les

grandeur,

caractère de cette

au milieu de Haydn,

Mozart,

ce qui explique l'opposition qu'il

nous n'aimons pas

redites,

les

De ce grand

caractères différents.

entendu chez M""^ Meurice, par

d Orient k

même

fait l'effet

on a horreur du nouveau, cela nous

:

les

même

:

m'a

ma

se tient par l'originalité de ses idées qui sont

y a contre lui

autres,

et pourtant cela

de belles idées, là,

rougeur de

la

Thompson nous joua

musique. Je trouve que, Beethoven,

99

elle et M"'"

Madame,

quatre mains; ce sont.

irrite,

opinions

artiste,

Manet,

les Reflets

morceaux

les

j'ai

(|ue

jouèrent vos sœurs. Oh! que cela est beau! J'étais transporté, tellement que l'on

moqué de moi, Champfleury m'a nom me reste. Eh bien j'en suis fier.

s'est

appelé Schumanniste,

le

!

Mais nous n'avions entendu que trois de ces morceaux;

les

un surtout qui

est

trois autres aussi sont superbes,

ravissant, c'est inouï',

Cette M"'"

y en a

»

Thompson, à qui Fantin adresse

nir reconnaissant, était la glais qui

il

femme du

opéra heureusement de

la

ici

célèbre chirurgien an-

pierre le roi Léopold I",

de Belgique, eut moins de succès avec Napoléon qui Fantin disait tout d'abord qu'il «

un médecin ne pouvant pas

lui

un souve-

lui était

III,

et

de

peu sympathique,

être plus agréable

qu'un

prêtre », impression qui dut se modifier par la suite, car cet

1.

Lettre

du 27 novembre

18ti4.


100

FANTIN-LATOUR.

araateur de peinture

lui

commandes

plusieurs achats et

iit

qui n'étaient pas à dédaigner.

Quant aux deux dames françaises vable d'entendre, dès

époque,

cette

à qui Fantin fut redela

Reflets d'Orient, elles étaient toutes les

nistes

l'une, M"^" Paul

:

l'élève d'Ingres, aurait

Meurice,

pu se

suite complète

des

deux d'habiles pia-

du peintre Oranger,

fille

livrer tout à l'art musical, car

piano en

elle sut, à l'occasion, tirer parti

de son talent sur

donnant des leçons;

Edouard Manet, née Suzanne

l'autre, M"'^

Leenhoff, Hollandaise d'origine et

une exécutante

si

pour

dans

la

musicjue

musique allemande moderne

peu d'amateurs soupçonnaient alors en France. C'est

elle

rimera

d'un organiste, était

très brillante, très versée

classique et très initiée aussi à la

que

fille

le

que Théodore de Banville, quelque dix ans plus tard, sous forme d'envoi, en

les vers suivants,

un exemplaire de ses Exilés

adressant

lui

:

La musique aux charmantes voix S'éveille et chante sous vos doigts,

Parlant des

deux

qu'elle devine;

Et mes vers, oiseaux las d'errer,

Volent vers vous pour s'enivrer

Des sons de

la lyre

divine

Mais comment Fantin, après avoir

aux compliments, que au Louvre,

écriée un jour,

«

Je

M'""

poseur!

ce petit

avait-il fini

sourde oreille lui »

adresser

s'était-elle

par se laisser entraîner dans un

nombre

peintres, de littérateurs, en

la

Meurice essayait de

déteste

salon où fréquentaient

fait

d'artistes,

un mot

«

de musiciens, de

tout le

monde Hugo


03

a a

u a

'a

<

2

=



UN PEINTRE MÉLOMANE.

et

C* »? Ce

fut tout

101

de suite après son retour d'Angleterre,

en 1864, que les avances et politesses redoublèrent et

Champfleury, à

suite d'une très aimable invitation à dîner

la

qui ne lui permettait pas,

san du Danube.

«

...

dit-il,

de continuer à faire

Conversation sur

mon

Je parle de

là.

famille.

quelques-uns; on

pay-

écrit-il.

l'art n'a rien

projet de voyage à Jersey pour

tableau Hugo; on est très étonné et serait en

le

démocratie,

la

Je ne suis nullement dans ces idées et je dis que à voir

qu'il

conduire chez M'"" Meurice par Rracquemond, Manet,

se laissa

vu que

j'ai

l'on

le

en cau-

Après tous ces bavardages, nous restons

fait

de

la

musique. M""" Meurice

Manet

et M"'"

jouent un morceau d'Haydn à quatre mains. Je parle alors

de M'"" Schumann; on dit: Beaucoup de talent, mais jeu pré-

mathématique, violent; critiques qui

cis, sec,

de grands éloges, n'est-ce pas. dise

:

Voilà qu'on joue du

Madame?

a,

fait

fin;

M"" Manet, voyant que

recommencée.

m'a

me

fait

:

il

dans les sonates 7. Cela

entendu deux

fois la

faisait tant

sa

n'aime rien, ne comprend rien.

musique,

et voilà tout ce

monde

avait été

pour Stephen

lleller,

Eh bien! vers une heure du matin, nous ven, en

l'a

malgré tout, pour tout

qui se

ce qu'il aime, car vous pensez que le début de soir-là,

de plaisir,

Il

de parler avec chaleur de Schumann, du plaisir que

suffi

donne

cela

si

avait;

mi bémol, op.

J'ai

J'avais honte et mépris,

monde

ce que ce

demander

vous pensez.

plaisir,

Et puis, que je vous

y a celle en

il

m'a

grand

paraissaient

Schumann, tout ce qu'on en

puis, vers la fin, j'ai l'aplomb de

de Beethoven que l'on

me

mi

meta

la

Stamaty

brûler

musique, ce et

autres.

étions dans Beetho-

bémol. Drôle, étrange! Et l'on veut que j'aille dans


FANTIN-LATOUR.

102

A

ce monde, non, n'est-ce pas? solitude

la

est

môme

y était quand il

préférable

quoi cela sert-il? Non, non,

môme

ici,

dans ce monde,

allé,

sans travail'... et, la

»

Il

musique aidant,

y retournera plus d'une fois sans trop se faire prier.

Tout à

fm de cette

la

môme

une commotion des plus violentes en entendant l'ouver-

tait

du Vaisseau Fantôme, que Pasdeloup exécutait pour

ture

Hier, écrivait-il le 26 décembre,

première

fois

mencé

journée par

la

«

:

quelque temps. Mais

le

l'on jouait l'ouverture

puis vous donner une idée

dans ses mains est inouï, parable à lui

seul;

aurait

l'on

Ma

du Vaisseau Fan-

été enthousiasmé. Je ne

j'ai

de cette musique. L'orchestre

début de l'ouverture est incom-

le

le sentir,

coupait

écrit avec

c'était

moi par un

rentré chez

ou plutôt

la figure,

j'étais transporté. !

que

dit

d'autres

pauvre tète a été emportée par ce tourbillon

merveilleux. Je suis

musique

com-

de merveilleuses sonorités, étrangetés appartenant

:

instruments.

sans

j'ai

le

me

Oh!

le

froid très

mordait grand

les joues,

mais je rêvais;

bonheur que

Je pensais à ces grands artistes

hommes, de donner

1.

l'on

Lettre à Edwards,

est ici question,

Fantin,

sa pensée, son

ne peut dire avec

beaucoup plus

Meurice en peignant

le

la

voix

du 24 octobre

ne fut pas tard,

dur

sentant avec plaisir; ce vent froid

me donne

même

suprême

!

1864.

la

quelle belle chose

:

que de produire des œuvres qui peuvent tant remuer

que

la

concert dont je m'étais privé depuis

tôme, de Richard Wagner, dont

me

année 1864, Fantin ressen-

idéal,

les

de dire ce

»

— Le

«

tableau Hufro

»,

dont

il

esquissé. Mais avec quel empressement,

ne répondra-t-il pas à

la

demande de Paul

Satyre {Légende des Siècles), qu'on peut voir dans

}{rande galerie de la Maison de Victor

Hugo, à

la

place des Vosges

!

la


UN PEINTRE MÉLOMANE.

103

Vous souvenez-vous que dans nos derniers jours passés

«

ensemble,

encore écrit à ses

avait-il

amis,

à

du

date

la

27 novembre 180i, on parlait d'un opéra ayant f;rand succès,

Roland à Roncevaux?

eu

J'ai

la curiosité d'aller l'entendre; ce

Oh

n'est pas mauvais, c'est pis, c'est plat, médiocre.

se méfier des grands succès

axiome que

Quand

:

pléter par le

monde

diocre

»

;

monde

tout le

médiocre.

c'est

»

du public! On pourrait

Axiome

!

qu'il faut

établir cet

trouve une chose bien, c'est

com-

très juste, à condition de

Quand

tout

trouve d'emblée une chose bien, c'est que c'est

mé-

un seul mot axiome

pensée du peintre

la

:

«

très juste et dont la contre-partie pourrait

être formulée ainsi

:

œuvre véritablement neuve

toute

tinée à braver les atteintes

étape dans l'histoire de

et des-

du temps, à marquer une grande

l'art

musical,

commence

toujours par

contrarier et bouleverser les goûts du public.

La correspondance de Fantin avec M. fin à

et par

deux

Edwards

— du moins en ce qui touche

l'automne de 1869,

musique,

et M"'*'

lettres

il

leur

prit

à la

annonce des choses

qui le mettent en joie. D'abord, c'est qu'il a entendu de nou-

veaux morceaux qui

Schumann, à ce élève de «

Il

me

l'ont

enchanté

qu'il croit; puis

presque tout l'œuvre de

de nombreuses pages d'un

Schumann, Johannès Brahms, qui

a

un grand talent

semble, ajoute-t-il, que de tout ce que

de moderne, c'est ce qui m'a suite, c'est

à la

:

que

musique

:

fait le

l'hiver qui vient «

On ne

j'ai

entendu

plus d'impression.

promet

:

»

En-

d'être très favorable

parle que de concerts

ici,

écrit-il

le

14 octobre; non seulement les Concerts populaires et ceux

du Conservatoire, mais encore l'Opéra en

donnerait et

le


FANTIN-LATOUR.

104

Théâtre-Italien, qui annonce Fidelio, de Beethoven, et radis et la Péri, de

un chef-d'œuvre

torio. C'est

me

paraît

Schumann, une

si

beau que

j'ai

:

je

le

Pa-

sorte de symphonie-ora-

entendu au piano

l'ai

;

cela

hâte de l'entendre à l'orchestre... »

Ces concerts do l'Opéra étaient ceux que d'organiser, qu'il organisa, en effet, et qui

Litolff

rêvait

ne dépassèrent

pas deux soirées, au lieu des quatorze annoncées, mais qui

eurent ce résultat inespéré de provoquer un revirement du public en faveur de Berlioz, mort seulement depuis huit ou

neuf mois, tant

le

danse des Sylphes

menuet des

délicieux et la

foudroyante Marche hongroise émurent

et bouleversèrent les auditeurs

deux

répéter les

fallu

Follets, l'exquise

fois

aux deux concerts, car

il

avait

ces morceaux, la veille encore

inconnus, de la Damnation de Faust. Quant aux promesses faites

par

le

directeur de l'Opéra-Italien, elles furent égale-

ment tenues, sans beaucoup plus de succès, ce qui concernait salle allait

Ventadour.

Il

Schumann,

et

— du

Fantin de courir à

la

fut donc, avec Maître, avec d'autres qu'il

bientôt connaître,

un des plus

fidèles auditeurs

représentations de Fidelio, de ces exécutions de et la

moins en

le

de ces Paradis

Péri, où brillait la grande tragédienne lyrique Gabrielle

Krauss (car l'opéra de Beethoven et

Schumann

le

poème dramatique de

avaient été montés exprès pour elle), et qui ouvri-

rent des horizons splendides à ceux qui eurent alors la révélation de ces chefs-d'œuvre.

Le jeune peintre en

fut

comme

ébloui et des souvenirs de ces soirées inoubliables revenaient

souvent, par la suite, dans les conversations qu'il avait avec ses amis, lui faisaient

même

prendre

le

crayon et dessiner ses


PORTRAIT UE Salon

tle

1882.

Jl>'«

Il

E

Mi

Y

A M. Henry

I.EIIOLI.E Lciolle.



i*/^^^

/^

c-^^

''Z-*-*-*«

14


/

/^-Ue-;

-^c^yc^

^^

^L^

'^ v/

:fc*^^*^ yf^^

uS-*-.

OS,,t^y,\ «S^s-»^,

^

c/ Itc^ C^-*^


C<^c.y»-9


-^^

^

/4

a^-^^^y^*"*^


P O F.

M KS

U AMO

L'

H

,

1>

E

11

UAH MS

Lilllugraphie originale (188SJ.



UN PEINTRE MÉLOMANE.

deux premières

lithographies à

Quelques années plus tard

la

109

gloire de

allait éclater le

de Bayreuth, qui devait retentir dans tout

le

Schumann...

coup de tonnerre

monde

musical'.

* * *

Un

soir

du mois d'août 1876, comme Fantin

chez son ami Maître, où, selon son habitude,

il

se trouvait

fumait cigares

sur cigarettes en nous écoutant taper de nos quatre mains sur

un méchant piano, tout

un autre ami de

à coup,

la

maison,

mélomane passionné qui marchait dès j'ai nommé Lascoux, des partisans de Wagner,

magistrat de race et lors

en tète

fit

irruption dans la

chambre

et

mit à

voudrait en profiter une place pour

la

la

disposition de qui

troisième série des

représentations de l'Anneau du Nibelung, au théâtre de Bayreuth. Certes l'offre était des plus tentantes et cette place,

un

billet

provenant de Léon Leroy, l'écrivain tout dévoué aux

intérêts de il

Wagner, aurait pu susciter de vives compétitions

n'y en eut

aucune

et Fantin, qui n'était

voyageur déterminé, accepta de

cependant pas un

sur-le-champ

partir

:

pour

l'Allemagne, bien que cette absence dût faire reculer un peu

son mariage

(il

comptait d'ailleurs retrouver M. et M"" Du-

bourg à Nuremberg, puis joie était grande d'être 1.

aller avec

eux à Munich), tant sa

un des premiers,

Le tableau dont parle Fantin dans

lui si

vivement épris

la lettre ci-contre (p. 105-108),

adressée

à M"^ Edwards, est Autour du piano, qui m'était revenu de Londres après avoir été exposé à

VArMdfmy.

Dubourg) désignent

M"'"

— Dans

la

première page,

les initiales V. D. (Victoria

Fantin-Latour, qu'il ne mentionnait pas autrement,

d'habitude, dans ses lettres à ses amis de Londres.


FANTIN-LATOUR.

ilO

de

la

musique de Wagner, à

l'avenir, qui

homme

venait de

l'art

de

terre par la volonté d'un

sortir de

et la protection d'un roi.

Mais

il

ne partit pas sans promettre à ses amis de les

Edmond

tenir au courant de ces fêtes, et c'est à

envoya

Mecque de

visiter la

les quatre

Ring,

Quand

je dis

lettres,

lettres, le

:

après chaque partie du

une

dont je vais donner

Maître qu'il

passages essentiels.

les

ici

terme est impropre, car ces extraits

comme

n'ont pas de forme déterminée; ce sont,

presque tout

ce qu'écrivait Pantin, des notes très rapides en style télégra-

phique, une sorte de mémento que

lui-même

et qu'il

communique

recommandant bien qu'on

le lui

feuilles, écrites à la hâte, qu'il

aucune recherche.

voyageur rédige pour

à ses amis de Paris, mais en

conserve, car c'est dans ces

retrouvera plus tard ses impres-

sions toutes fraîches, prises sur le et sans

le

vif,

au courant de

la

plume

Mais comment n'être pas frappé

de leur vivacité, de leur concision impétueuse, et comment ne pas remarquer à quel point l'œil du peintre,

comme

ici,

est

vivement

son oreille par ce qu'elle

frappé par ce qu'il

voit,

entend? C'est pour

voyageur, de quelque côté que son atten-

tion se tourne,

Dès

qu'il

le

un émerveillement toujours plus

arrive à Bayreuth

vif.

ouvre sa fenêtre,

et qu'il

dimanche 27 août, à cinq heures du matin, Fantin par l'aspect agréable et joyeux de fois Versailles,

La Haye

qui

la ville

lui

est

le

charmé

rappelle à

la

et certains quartiers

de Londres. Et

La

ville entière est

quelle animation partout, dès la matinée

!

pavoisée d'oriflammes rouge, blanc et noir ou d'autres bleu et blanc; des troupes défilent,

le

Roi

vient

d'arriver pour la


UN PEINTRE MÉLOMANK.

iH

représentation du soir, les habitants ont pris leur grande tenue

du dimanche, tandis que

les touristes circulent

voyage, jumelles au côté, guide à

la

main

en habits de

cependant, pro-

(lui,

menait partout un superbe chapeau haut de forme); tout à coup, un grand vent s'élève et tous ces beaux drapeaux se retournent, s'accrochent, se déchirent; puis la pluie survient, et c'est par

un temps fâcheux, qu'après avoir

ment déjeuné en M.

et M'"''

ville,

Lascoux

Fantin et ses amis

très

médiocre-

voyageait avec

(il

et Jules Bordier, le fondateur des Concerts

populaires d'Angers) prennent la jolie route qui doit les conduire au théâtre. Mais

heures

:

par protection spéciale,

machinerie de ration

»

spectacle ne

le

la

scène, puis

du théâtre, de leur

à la foule qui attend

ils

triste

dédommagent, à

la «

rain ne paraît toujours pas

;

restau-

repas de midi, et se mêlent

passage du Roi. Cependant,

le

sept

leur est permis de visiter la

il

se

commencera qu'à

une fanfare

souve-

le

retentit, et vite,

il

leur

faut pénétrer dans la salle afin de s'assurer de leurs fauteuils. «

Nous entrons

très bien l'aspect,

;

n'y a pas d'extérieur

ou

trois Français.

du

A

tout, ni façade, rien).

avec

Liszt

parle français. M'""

sobre et solennel

Cosima

des dames,

se trouve là.

peine deux

groupe

Avant

(il

l'on

l'obscurité,

il

y a demi-lumière; on sent qu'il va se passer quelque chose

de sérieux. Une sonnerie militaire à l'extérieur, c'est

mais avant qu'on puisse nuit (presque) fort.

Puis

se

comme

fait.

le voir,

Je

le

Roi

;

signal se fait entendre, la

vous assure que cela remue très

des mugissements (c'est sonore et voilé)

;

immense. Oh

î

l'orchestre fait l'effet d'une seule voix, orgue c'est très

le

beau! Unique. Rien n'est

comme

cela.

C'est

une


FANTIN-LATOUR.

112

ment

Le rideau s'écarte douce-

non encore éprouvée.

sensation

et voici

petit verdâtre,

une chose sans nom, vague, obscure, s'éclairant lentement; bientôt

petit à

on aperçoit des

roches, puis tout doucement des formes passent, repassent,

du Rhin dans

Filles

les

haut; dans

dans

Albérich

le bas,

fond des roches. Je

le

n'ai rien

dans mes souvenirs de

plus féerique,

de

beau,

le

plus

Le

de plus réalisé.

mouvement des

Filles

du

Rhin qui nagent en chantant L'Albérich qui

parfait.

est

grimpe, qui ravit

l'or;

clairage, la lueur

que

l'or

dans

comme

le reste, c'est

le

LOUENUKIN ËCLAIKANT LE MONDE

faut

cela môle.

que spectateur, Ces

fait

:

nant...

sensa-

musique, pas le sujet;

mais

tateur. Ce n'est pas le

mot

messieurs (Lascoux et Rordier) sont ravis,

absolument

un grand

décor, pas

la

auditeur non plus, c'est tout

ni

renversés par l'orchestre et

semble

la

de

dans tout

un empoignement du spec-

Caricature de Stop d'après le Prélude de Lufienijrin (Journal amusant, 30 avril 1892).

qu'il

Pas

jette

l'eau, tout est ra-

vissant. Là,

tion.

l'é-

effet

:

le

sentiment musical de

réussi, l'orchestre invisible! le

vide!

Son absence

L'espace mystique

L'impression est énorme,

malgré

l'en-

est éton-

mon manque de


PKÉLUDE DE I.OHENGRIN Lilhograpliie originale (1882), reitrise pour

A

le liibleau

M. Ch.-Ed. Uavilaud.

du Salon de 1892.



UN PEINTRE MÉLUMANE.

il3

connaissance qui m'einpèciie de suivre d'un bout à l'autre. Cela

me

des impressions est

même prendre! Je me

la

l'action,

animal, de

forte!

Et

fatigue de la

réunion des décors, de

la

langue que l'on veut com-

suis vu forcé de lâcher quelquefois, de rester

le

comme on

fatigue.

si

l'intensité

subir, de vivre sans réflexion. Je suis persuadé

pourtant que cela

que l'audition au piano, car

fatigue plus

musicien possédant sa partition, connaissant connaît une langue, n'éprouverait pas tant de

me

Pourtant M. Lascoux vient de

dire qu'il a été dans

l'impossibilité de dormir. Moi, je dors bien, accablé par les

impressions que

j'ai

ressenties. Et la bière est

si

bonne! Nous

avons causé en rentrant vers dix heures. J'aime bien ce pays. J'y retrouve déjà le plaisir

paisible.

que

j'avais en Angleterre

on

:

»

à son réveil, quelle n'est pas la surprise

Le lendemain,

de Pantin en entendant sous ses fenêtres un gamin qui la chanson du matelot de Tristan et Iseiilt! Puis

arpente

est

la ville,

à la poste où

de son ami,

il

va voir

la statue

de Jean-Paul;

trouve deux lettres qui

il

sort,

il

il

siffle il

se rend

lui font plaisir

:

l'une

peintre Otto Scholderer, alors fixé à Londres,

le

qui l'engageait vivement à passer par Francfort pour y voir sa famille;

l'autre

lui

apprenant que son envoi à l'Exposition

d'Anvers [Panier de roses) était très bien placé;

il

flâne

aux

devantures des boutiques, achète quelques souvenirs photo-

graphiques pour des amis, mais laisse de côté

Wagner

et

gauche,

casquettes-Bayreuth

les

avec tout un

le

hasard

le

;

mène avec

il

les cravates-

mange ses amis;

à droite, il

à

déjeune

groupe de musiciens de l'orchestre, ce qui is


lU

FANTIN-LATOUR.

l'amuse, et dîne ou soupe au restaurant du tht'àtre, ce qui l'enchante, en face

du délicieux panorama de

coteaux qui bordent

la vallée

la ville et

du Mein rouge. Mais

le

des

malheur

est qu'il pleut toujours. «

Arrivons à

chevauchée

Walkûre. C'est superbe. Splcndide est

la

et aussi l'ensemble

de Wotan, leurs cris pendant

Wotan quand paraison.

elles

des Walkyries; les reproches le

combat, puis en face de

cachent Brunnhilde, hors de toute com-

Une violence passionnée,

de Wotan, délicieux

récits

la

le lied

inouïe. Bien fatigants les

du Printemps, mais mal

chanté par Niemann qui n'est pas bon. Très bien Brunnhilde Belle décoration la

et Sieglindc.

demeure de Hunding;

grande

porte ouverte par le printemps, l'épée dans l'arbre, idée poétique. à faire

:

Il

est rempli d'imagination.

son idéal, trop élevé pour

ment rendu. c'est-à-dire

Il

quand on

de Brunnhilde.

Il

le

rend

comme

ramène parmi

il

réussit,

veut, c'est admi-

beaux

les cris

Walkyries. Dans l'en-

les

c'est superbe. Je

compa-

une magnifique cuisine, pleine d'ustensiles de

Wagner

toute sorte (mais je vous dirai cela).

dans un coin du théâtre; ce furent des c'étaient des transports enthousiastes.

produit toujours grand nuit, et le Boi, suivi voir.

le

est insuffisam-

quand

très beaux, très

descendu dans l'orchestre,

rerai cela à

il

seul reproche

y a une scène magnifique entre Brunnhilde

et Sieglinde, qu'elle tr'acte,

le théâtre,

tente l'impossible, mais aussi,

Les adieux de Wotan

rable.

Un

la

cris,

a été aperçu

des cris!

A

la fin,

A peine la fanfare (qui me

effet) se fait-elle

entendre que voilà

la

de Wagner, entre mais on peut à peine les

Nous avons aperçu MM. Mendès,

;

d'Indy, d'Eichthal, etc.,


UN PEINTRE MÉLOMANE. mais

il

y a très peu de Français; nous faisons sensation, on

ne peux pas

aimable partout, très obligeant... Je

est très

rendre ce qui se passe théâtre

115

dans

ici,

une

c'est

animée. Ce

fête très

champs, ces belles vues tout autour,

les

les

restaurations, des bocks partout, tous ces voyageurs qui vont

Les habitants paraissent enchantés. La présence

et viennent.

du Roi anime sailles.

la ville,

qui est paisible

comme

autrefois Ver-

Des grandes voitures partout, à l'heure du théâtre,

qui se suivent; pourtant pas de cris, c'est un public choisi. Je suis enchanté d'être venu.

Nous

avoir ici!

Wagner. Je

je regrette de ne pas vous

où je vais de ce pas, à

les

à.

demain

Siegfried.

spectateurs de

cette

»

troisième

pour ceux des deux premières qui avaient eu 17 août et

maison de

la

vais là tous les jours, je tourne autour et je suis

content. Adieu;

Pour

irions

Que

du 20 au 23,

la

série,

lieu

comme

du 13 au

soirée la plus brillante et celle

qui leur causa à la fois la surprise la plus vive et l'impression la plus profonde, ce fut celle où et certes,

il

fallait

ils

que l'enchantement

entendirent Siegfried, et

l'émotion qui se

dégageaient de cette partie de l'œuvre fussent singulièrement puissants pour dépasser

l'effet

si

violent

que

la

Walkyrie

avait produit la veille sur tous les assistants. Fantin ne résista

pas

plus qu'un autre à l'enthousiasme général, et sa

troisième lettre n'est, d'un bout à l'autre, qu'une explosion

de joie délirante. «

J'ai

...

Il

n'y a rien en

été enlevé

tamment

et par

musique d'aussi beau,

s'écrie-t-il.

non pas seulement un moment, mais consdegrés toujours plus élevés;

le

duo

est

une


FANTIN-LATOUR.

116

scène entière, c'est prodigieux! M"'" Materna est superbe, le

ténor moins bien, mais rien n'y sation encore ressentie!

fait, c'est la

Oh! son

éveil!

presque dit seulement

par l'orchestre, ravissant et sublime, et

en scène!

L'n

comme

lever de soleil

beau! Les musiciens

plus grande sen-

la situation, effet,

la

que

ah!

Mime Wagner

si

plein de naturel, de comique, lui, le musicien de

bien imaginé! Et

si

bien,

comme

dans Siegfried,

fameux dragon; dans

est bien absurde.

Que

le

départ de Siegfried dans les

le

flammes. Mais vous savez que la

les

l'on voit

je suis content d'être ici! J'ai vu

et

Lascoux a liard

souper à fait

la

il

Wagner

dans

acclamé sur

La la

:

d'assez près.

est très petit.

il

Il

Un vieux à Liszt

des femmes autour de

lui.

Restauration-Wagner est très amusant.

connaissance avec un musicien de Montbé-

qui est un grand partisan et est venu s'offrir

exécutant.

qu'est

les féeries.

Madame ressemble beaucoup

l'on voit partout, toujours avec

Le dîner

ici

Rheingold, c'était un serpent

Ce n'est que ce que

savant ou diplomate.

que

décors sont souvent très

forge de Mime. C'est

paraît vieilli, presque tout blanc,

salle

est

très

chaleureuse.

proposition de M. Feustel

nisateur), c'a été étourdissant de bruit, 11

scène de

la

Forge! Une évocation d'Erda magnifique! Très belle mise

en scène et beau décor pour

le

le rôle

bien chanté et joué! Voilà une surprise de trouver

Lohengrin. Ce Siegfried est la

c'est

semblent mettre cela au-dessus des

ici

autres partitions. La scène des oiseaux est charmante,

de

mise

pleut toujours, nous

sommes

Pluio à verse, des chemins!

(le

Le

Roi

comme a

été

banquier orga-

chapeaux en

l'air, etc.

rentrés hier par un temps!

Heureusement que nous avions


a



UN PEINTRE MÉLOMANE.

bien soupe.

Menu

bière. Quelle bière

Suppe Knlb, ragoût de veau, roastheef

:

!

117

Que je

et

Ademain.»

suis content d'être ici!

Le Crépuscule des Dieux, en revanche, exerça une action

moins immédiate

moins

et

acte, sur des auditeurs qui

au moins jusqu'au dernier

forte,

ne connaissaient pas encore assez

tous les éléments dont se compose cette musique pour en

apprécier l'admirable structure et

la

grandeur prodigieuse.

C'étaient autant de néophytes, pleins de

que tous

enfin des néophytes,

bonne volonté, mais

les spectateurs qui se succé-

dèrent à Bayreuth durant cette première année, et.Fantin,

comme

il

lui-même,

le dit

n'était pas assez

préparé pour ne

pas trouver, avec tous ses amis, que les premières scènes de cette

quatrième partie traînaient passablement en longueur;

mais quel

réveil

au tableau de

mort de Siegfried

la

«

monde les

que ces

artiste

sur

la

mon

fêtes!

Il

cher Maître

faisait

défilent, la

!

Quel

plaisir

beau. Jamais autant de

route. Les voitures se suivent de

Wagnériens

portes;

chasse et quelle secousse à

!

Hier, grande journée,

pour un

la

population est sur

chaque côté le

;

devant des

Roi va passer. De l'esplanade, où nous restons un

le

moment, on

voit tout

ce

mouvement

apprête l'illumination du soir,

fait

il

:

c'est

On

superbe.

grand jour, jamais

le

paysage n'a été plus charmant de ces hauteurs. La fanfare sur l'esplanade se fait entendre, tout le

un monsieur qui adresse de

puis voilà à

la salle,

monde

on

crie,

on applaudit.

Il

entre, on se presse,

sa place quelques

compare

les

Wagnériens qui

vont se séparer aux apôtres qui vont porter partout nouvelle...

La scène des Nornes,

le

mots

la

bonne

départ de Siegfried,

la


H8

FANTIN-LATOUR.

de Hagcn

veillée

peu long; mais Filles

;

la chasse, le récit,

marche funèbre,

On

triple

un

la partition, cela paraît

dernier acte est très saisissant,

le

du Rhin,

en scène.

connaissant peu

la

chef-d'œuvre

:

mort de

le trio

des

Siegfried, la

musique, drame, mise

l'emporte sur son bouclier, escorté par tous les

guerriers (admirablement costumés), effet de lune sur une par-

du cortège

tie

et l'autre

dans l'ombre. Les nuages descendent

au-dessus du cortège, paraissent plètement. Admirable. C'est

que

le

suivre et le couvrent

la réussite

com-

complète de son idée

page, et vraiment on sent alors que rien ne peut

cette

soutenir la comparaison. C'est un art nouveau,

l'art

de l'avenir

cris,

chapeaux,

certainement. »

Pensez à l'ovation

finale

!

Une tempête,

mouchoirs, bouquets, couronnes,

etc. Enfin,

il

paraît!

n'avez pas idée de l'émotion qui vous gagne de voir cet le

chapeau à

les

me

larmes

tacle.

Il

la toile

lui,

baissée, à ses pieds, ces fleurs;

reviennent aux yeux en vous décrivant ce spec-

Applaudissements, et

parle...

la toile

de grands

cris, elle se relève; alors, tous les

rangés,

leur adresse quelques

il

frappements de pied

émouvant

!

homme,

main, attitude très simple, interdit, voulant

la

Derrière

parler.

Vous

On

comme

sort,

scène, nous nous

s'il

mots

qu'il

tombe. Encore

chanteurs sont

accentue par des

conduisait un orchestre. C'est

nous allons donner un coup d'œil à

promenons dans

voir l'orchestre, on embrasse

les coulisses,

la

nous allons

Wagner, on l'entoure; Madame

embrasse des dames; on pleure, Wilhelmy paraît très ému.

On

se dit adieu.

Liszt est très entouré; c'est

une vraie

fête

de famille. J'entends Wagner qui dit à des dames en français

:


UN PEINTRE MÉLOMANE.

«

Prenez garde do tomber!

il

paraît fatigué,

comme

assisté à cette fête

avec un accent très allemand;

»

Ah! que je

éteint.

Combien

!

119

suis content d'avoir

l'on sent ici la vie

!

Est-ce triste

pour nous d'être obligés d'aller dehors pour assister à une artistique, d'aller

car cela vous

chercher du soutien pour notre vie

fait le

Qu'on se rappelle, après avoir

me

sens transporté.

lu ces lignes,

»

par quelles

plaisanteries furent accueillies en France l'ouverture et les

d'artiste,

plus grand bien, cela rend do l'ardeur.

Je ne peux pas exprimer combien je

de Bayreuth

fête

du théâtre

premières représentations de t Anneau du

Nibelung ; qu'on se souvienne en particulier des jugements cruellement ironiques que portèrent sur cette entreprise et cette

œuvre colossale ceux qui

de juger

les

productions de

faisaient profession chez

l'esprit et

nous

les créations d'art;

qu'on compare cette ignorance arrogante et têtue aux fraîches impressions d'un

artiste

qui

ressent

naïvement

les

choses

sans se targuer de les juger, mais qui exprime avec une chaleur désordonnée ce qu'il a ressenti, et dites de quel côté se

trouvent,

non pas seulement l'indépendance

avec lesquelles

Wagner

a toujours

et la

bonne

foi

demandé qu'on appréciât

ses œuvres, mais aussi la clairvoyance et la liberté d'esprit.

* * *

Les rejoint

fêtes

M.

de Bayreuth sont terminées. Fantin, après avoir

et M""

Dubourg à Nuremberg,

va visiter avec eux

les

s'arrête à Batisbonne,

musées de Munich

(l'affluence

des

étrangers avait forcé les trois voyageurs de se loger à Augs-


FANTIN-LATOUR.

MO

bourg), puis, sans gagner Francfort, en raison d'un deuil sur-

venu dans

la

famille de Scholderer,

Nancy

sant par Stuttgart et

Je suis heureux d'avoir

«

:

rentre à Paris en pas-

il

fait

ce voyage, écrit-il dès son retour, à Edwards; cela m'a changé les idées. Je suis gai, content, bien disposé à travailler'

tout aussitôt,

germe

dante moisson,

si

et

monte dans son cerveau

prompte à

cette

!

» Et,

abon-

lever, de compositions idéales,

lithographies d'abord, ensuite pastels et tableaux à l'huile, où les

œuvres

qu'il

lesquelles les éclatant; par la

aime

plus prennent une nouvelle vie par

le

hommage

maîtres qu'il admire reçoivent un lesquelles,

veille, devient

lui,

simple auditeur et spectateur

poète et créateur à son tour et remercie

à sa façon, en les glorifiant, Berlioz,

des souveraines jouissances qu'ils

lui

Quelques mois seulement avant

Wagner

et

Schumann

ont procurées.

d'aller à Bayreuth,

après

avoir entendu aux concerts du Gliàtelet la deuxième exécution intégrale,

donnée par M. Colonne du Roméo

Berlioz (avec M"" Vergin, il

avait

saire,

Bouhy comme

la

marge

:

même

noble, était

la

musée de Gre-

première qui témoignât de son culte pour Ber-

De môme,

à peine revenu de Bayreuth,

crayon et traçait sur

1.

l'huile, puis

grandeur, enfin lithographie, d'où est sorti

tableau magistral appartenant aujourd'hui au

lioz.

solistes),

Souvenir du o décembre 1875,

admirable composition, d'abord esquisse à

dessin de le

Fùrst et

de

composé sa grande scène allégorique de F Anniver-

en écrivant dans

et cette

MM.

et Juliette,

la

il

prenait son

pierre cette délicieuse scène initiale

LeUre du 13 septembre 1876.


X u ^



UN PEINTRE MÉLOMANE.

de l'Or du Rhin, qui devint par

la

huile, en inscrivant au bas cette

A

suite

121

un

une

pastel, puis

dédicace reconnaissante

:

monsieur A. Lascoux, souvenir de Bayreuth. C'est ainsi qu'à

peu de mois

d'intervalle,

il

se sentit dominé, conquis,

emporté

par ces maîtres, et que les délicieuses émotions qu'il avait

éprouvées en écoutant leurs chefs-d'œuvre agirent fortement sur son imagination créatrice et

le

poussèrent dans une voie

ne pensait guère à s'engager, quoiqu'il y dût marcher

il

leur égal. faut se rappeler, en effet, qu'avant ces grandes

Il

lithographiques de l'Anniversaire

sitions

et

compo-

du Rheingold,

Fantin n'en avait encore dessiné que six, entre lesquelles

seulement avaient

trois

mière de toutes,

1862 sous

le

le

trait à la

musique

:

d'abord

Venusberrj , de Tannhœuser,

la

pre-

composé en

coup de l'indignation que l'échec de cet opéra

à Paris lui avait causée et de la joie qu'il avait ressentie en

entendant jouer populaires et la

:

Marche du concours aux Concerts

la célèbre

ensuite celles

Fée des Alpes, qui

:

A

la

mémoire de Robert Schumann

jaillirent

de son cerveau, où

elles

couvaient depuis longtemps peut-être, à l'occasion des fêtes organisées à

Bonn en l'honneur de Schumann, durant

le

mois

d'août 1873. Est-ce à dire pour cela que, sans la vive émotion

que

lui

causèrent l'audition de Roméo

repré-

et Juliette et la

sentation de l'Anneau du NibeUtng, Fantin pe se serait pas senti

entraîné quelque jour,

deux circonstances, vers quées

les

comme

les figures

il

l'avait

été déjà

en

musicales qu'avaient évo-

maîtres chers à son cœur?

Non

certes, et ce serait

exagérer que d'aller jusque-là; mais n'y ayant pas été poussé 46


FANTIN-LATOUR.

in

par une force irrésistible,

il

aurait mis sans doute, dans une

poursuivie à bâtons rompus, moins d'élan, moins de

tâche

fièvre et n'aurait peut-être pas produit

une suite aussi nom-

breuse, aussi riche de ces lumineuses

transpositions de la

poésie et des sons en dessins, en couleurs.

ne m'appartient

Il

— car —

ne

je

ni

de

fais office ici

les

dénombrer

de catalogueur

ni

de

ni

les juger,

de critique,

ni

mais ce que je puis, ce que je dois dire, l'ayant vu mieux

que personne,

à une

entraîner

combien Fantin se

c'est

besogne qui

auteur de ses amis

lui

le

facilement

laissait

charmait, et comment, un

ayant demandé certain jour de vouloir

bien dessiner un simple frontispice pour un ouvrage en préparation sur Richard Wagner,

de

le peintre,

en aiguille,

fil

ne composa pas moins de quatorze lithographies, jugeant plus naturel de glorifier ainsi chacune des grandes maître, de telle façon qu'un peu plus tard,

il

obligé d'en faire autant pour Berlioz, et qu'il

œuvres du

se vit le

fit,

comme

du

reste,

avec autant de joie et d'aussi bon cœur. Nul doute, assuré-

ment, que

besogne dans il

ne

la

le

si

même ami

d'honorer par leurs

afin

mesure de leurs

s'y fût prêté

Car,

Manfred

qu'il si

de se remettre à

communs

efforts, et

forces, le génie de Robert

chacun

Schumann,

musiciens,

admirait

le

c'était

bien l'autour de

plus vivement, qu'il aimait

j'ose dire, et dès 1872,

il

le

plus

pensait à composer

en son honneur un grand tableau semblable à celui dont rêvait

ment

la

avec un empressement tout pareil.

entre tous les

tendrement,

l'avait prié

il

également pour Berlioz et qui, celui-là, devait rapideaboutir.

«

Que

penseriez-vous, écrivait-il à Edwards

le


UN PEINTRE MÉLOMANE.

20 décembre jeunes le

d'un groupe ou

1872,

123

d'une

procession

de

des Muses, par exemple, venant orner et décorer

filles,

tombeau de Robert Schumann avec des

esquisse que

faite,

j'ai

il

y a une jeune

fleurs?.. le

fille,

Dans une buste nu,

avec une poignée de roses blanches qu'elle vient apporter sur le

tombeau qui

inscription

memoriam,

In

:

sous sa plume

:

poète musicien des jeunes

ou

les

une grande pierre droite

est

cet

«

Faut-il peindre autour de son

» ?

ou des Muses, ou

mêmes

personnages

il

y a une

Et les demandes se pressent

etc. »

Comment honorer dignement

filles,

et

la

Musique

admirable

monument

et la Poésie,

de ses créations? N'est-ce pas

une besogne au-dessus de ses forces? Comment rendre un digne

hommage

même

dispose, et ne serait-il pas très désolé de mal l'honorer?

Qu'Edwards

Schumann,

à

et sa lui

un

tel

créateur avec les moyens dont lui-

femme, qui n'admirent pas moins que

prodiguent avis et conseils, à

lui

qui ne s'est

lui,

encore ouvert de ce projet qu'à son ami Maître... En suite de quoi parurent deux lithographies, réalisant chacun de ces

deux projets

:

d'abord, celle dont

il

est question plus haut,

datée de 1873, qui représente une jeune

déposant une gerbe de fleurs sur

la

fille,

à

demi nue,

tombe du maître;

puis,

vingt ans plus tard, celle où toute une théorie de jeunes

femmes, guidées par un génie

ment vers une Schumann, lesquels

la

stèle

ailé,

se dirige avec recueille-

surmontée du buste de Robert Schumann.

Berlioz,

Wagner,

tels étaient les

maîtres vers

pensée de Pantin se tournait de préférence et

dirigeait son crayon

:

ce sont, de toute évidence, ceux dont

les inspirations et les créations parlaient le plus à

son esprit,


iU

FANTIN-LATOUR.

à son cœur;

mais Brahms aussi,

d'autant plus qu'il

qu'il

aimait et défendait

sentait plus injustement

le

nous, excita plus d'une fois son imagination

pas sans

moins une,

Beethoven, ce ne

Rossini ne fut

une ou deux compositions; Weber en

lui inspirer

éclore au

;

combattu chez

et

ne

s'il

fut pas faute

s'est

fit

jamais mesuré avec

de l'admirer, croyez-le bien;

c'est plutôt parce qu'il l'admirait trop... Et puis, quel besoin

Beethoven, acclamé par tout son aide? En quoi

le

monde

le peintre, qui,

dans

musical, avait-il de fond, mais sans y

le

tendre, faisait œuvre de propagande et se tournait d'instinct

vers les génies que aurait-il

de

la

fait

Symphomo faire

dans

ignorait

ou combattait encore,

avec chœur, et ne valait-il pas efTorls, qu'il

triompher dans

la peinture,

les

rants, les envieux et les la

foule

pu ôlre du moindre secours à l'auteur de Fidelio

employât tous ses

pour

la

route en France?

la

mieux

et

qu'il

rassemblât toutes ses forces

musique, ainsi

qu'il l'a toujours

génies souverains à qui les igno-

beaux esprits ont

si

longtemps barré


•r.



CHAPITRE

IV

AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN AMI Ces deux tableaux-ci, presque

les derniers

de leur genre

dans l'œuvre entier du peintre, sont ceux sur lesquels, en

ma

double qualité de modèle et de futur possesseur, j'en

su,

ai

dès l'origine, autant que l'auteur en personne, car je

me

rappelle leur préparation, leur enfantement d'aussi loin que

Fantin pouvait s'en souvenir lui-même. Je n'ai rien ignoré

des hésitations par lesquelles la plus

il

importante de ces deux

a passé avant d'entreprendre toiles, j'ai suivi

jour les progrès de son travail; enfin

j'ai là,

de jour en

devant moi, pour

mes souvenirs, nombre de documents

certains,

esquisses et lettres du peintre ou lettres d'un ami

commun,

contrôler

qui sont arrivés entre

mes mains après

l'autre et n'ont pas été sans

qui sommeillaient au fond de colie

me gagne

billets,

la

mort de

l'un et

de

me rappeler beaucoup de choses ma mémoire. Mais quelle mélan-

en feuilletant tous ces papiers, croquis ou

que nous étions plusieurs autrefois à regarder, à nous

communiquer

et qui

reprennent aujourd'hui pour moi toute

leur signification, dans les

moindres

détails!...


FANTIN-LATOUII.

126

» *

*

«

Voici une nouvelle d'art très fraîche et très sûre, et de

la

dernière importance. Ce matin, lundi, 12 de janvier 1885,

à

9 heures

un quart, M.

et

chevalier

Fantin-Latour,

de

l'Ordre de Léopold, a résolu de peindre à l'huile une toile

de plus de deux mètres, représentant une lecture au piano.

Le piano sera un crapaud tout

en

et le pianiste

ayant autour

peau,

de

Camille Benoît, Adolphe Jullion, Maître,

et peut-être

M. Jacques Blanche

Emmanuel

MM. Vincent d'Indy, Amédée Pigeon et Edmond lui

M. Antoine Lascoux

(s'il

Chabrier,

daigne) et

(s'il

est nécessaire). L'ordre des séances

de pose sera très prochainement indiqué

à

M.

Jullien, qui

est d'ores et déjà invité à soigner son teint... »

Voilà en quels termes

Edmond

Maître m'annonçait ce que

notre ami venait de décider, non sans qu'il eût longuement

pesé

le

pour

et

le

contre avant de reprendre ses pinceaux

pour peindre un tableau

tel

qu'il

composé

n'en avait pas

depuis de longues années. Le dernier de ce genre qu'il eût entrepris et terminé, le Coin de table, remontait à l'année

1872. Après avoir groupé des peintres et des lettres

devant

le

portrait de Delacroix auquel

ils

hommage, ou autour de Manet peignant dans son Batignolles; après

avoir représenté

poètes

cadre

devant

le

vide

plus

hommes de rendaient

atelier des

spécialement des

devait

d'abord

figurer

Baudelaire, Pantin avait souvent caressé le projet de pléter cette série par

une quatrième

toile,

la

com-

Musique


AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN

AMI.

127

serait glorifiée après la Peinture et la Poésie. L'idée lui souriait

de célébrer

auquel

l'art

il

devait des jouissances telle-

comme nous

ment vives

qu'il regrettait parfois,

marquer à

ses parents, de n'avoir pas reçu

création

mage

musicale

tout d'abord,

et,

rendre à

qu'il désirait

la

qu'il

ciel le

don de

aurait conçu

l'hom-

Musique sous

chœur de dames, en groupant modèles féminins

il

du

sans

là,

l'avons vu le

la

forme d'un

doute, les divers

avait représentés

un

ailleurs,

sur les genoux, devant un métier de brodeuse ou

livre

la palette

à la main. « Si je

trouvais des femmes, je ferais une répétition d'un

chœur de dames,

écrivait-il à

Un musicien au

1872.

Edwards dès

piano, tournant

conséquent, ce serait l'accessoire,

du piano

et derrière

tant.

Quel

quet

»

et,

joli

une

bouquet!

le

le

mois d'octobre

dos au public (par

le

prétexte), et tout autour

série de jeunes filles et »

femmes chan-

Mais comment composer ce

à défaut des personnes dont

il

«

bou-

était sûr, connais-

sant leur exactitude et leur façon de poser, n'aurait-il pas dû

recruter des modèles parmi ces

monde auxquelles souvent

sollicité

il

dames

et

jeunes

refusa, dès qu'il le put, le concours

de ses pinceaux, tant

il

que

qui

celles-là

du si

aurait été exaspéré

d'avoir à subir ou leurs fantaisies incessantes,

vations saugrenues

filles

ou

les

obser-

payent très cher se

croient toujours en droit de faire, soit par elles-mêmes, soit

par la bouche de leurs amis, aux peintres les plus considérables? N'est-ce

même

la

pas

là,

du

reste,

une des raisons,

je dirai

raison capitale du refus que Fantin opposait presque

invariablement aux demandes qu'on

lui faisait

de peindre des


FANTIN-LATOUR.

128

gens

ne connaissait pas, des personnes en

qu'il

face des-

se serait trouvé pour la première fois, ou peu s'en

quelles

il

faut, le

jour de

la

première séance de pose?

semblait que cet admirable peintre de portraits dût être

Il

comme

habitué aux figures qu'il se proposait de porter sur la

communion avec ceux

dût être d'avance en

qu'il

toile,

allait portrairc.

qu'il

Et combien sont rares les personnes qui, sans

préparation, rien que par une démarche habile ou une parole

opportune, ont su

der à fallait

les

le

surprendre en quelque sorte

accepter pour modèles du jour au lendemain

voir avec quelle inquiétude

tion de ce genre,

même émanant

il

un peintre de

portraits,

!

Il

écoutait toute proposi-

de gens à qui

haité d'être agréable; avec quelle insistance d'être

et le déci-

il

il

aurait sou-

se défendait

au sens propre du mot, ne

faisant jamais poser devant lui, disait-il,

que des personnes

de sa famille ou des amis, plus rarement de simples connaissances; avec quelle joie

il

renvoyait ces solliciteurs à ceux de

ses illustres confrères qui faisaient vraiment métier de pein-

dre des portraits et ne s'en lassaient pas; quel soupir de sou-

lagement

il

poussait enfin

lorsque ces visiteurs importuns se

décidaient à battre en retraite et qu'il avait fermé

la

porte sur

eux.

Deux autres points également Fantin, dès il

difficiles

à concilier

préoccupaient

qu'il pensait à ce tableau.

était très décidé, s'il se

D'une part,

mettait jamais à l'œuvre, à n'ad-

mettre sur cette toile aucun compositeur, aucun musicien,

dont

la

réputation fût telle qu'il dût écraser les autres modèles

ou donner à cette assemblée un caractère de

petite école

ou


l'ourii.viT Salon

(Je

iJi:

18'JO.

m'"'

léoi'Old

A M. Léopold

gravikk (jiavicr.



AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN de cénacle, car droit de faire

ne se reconnaissait pas, à

il

il

voulait

piano ne

que

pas

fît

1129

peintre,

le

une sorte de manifestation musicale semblable

celle qu'il avait faite avec part,

lui

AMI.

le

son

Hommage

à Delacroix. D'autre

personnage principal

simplement

h

qu'il placerait

au

de mannequin et que,

office

sans avoir une notoriété trop grande,

il

cependant bien à

fût

sa place devant un clavier. Ces hésitations auraient pu durer

longtemps,

et cela

malgré mes exhortations

coup occupé du tableau; à le faire,

»

dit Fantin

Edwards',

M'""

si le

d'Emmanuel Chabrier,

a été

il

«Il s'est

beaucoup pour

me

beau-

décider

en parlant de moi dans une lettre à hasard ne l'eût remis un jour en face qu'il avait

perdu de vue après

l'avoir

souvent rencontré au quartier Latin.

Manet

C'est à l'enterrement d'Edouard

vèrent, au printemps de 1883 le

A

«

:

peintre au musicien, seriez-vous

qu'ils se

retrou-

propos, dit tout à coup

homme

à poser dans

un

tableau, assis au piano, entouré de gens qui vous écouteraient?

— Certainement

et

de grand cœur.

projet de Fantin prit tout à

sans désemparer,

le

fait

»

corps,

A

partir de ce jour, le

et, s'il

ne l'exécuta pas

temps lui manquant pour faire de ce tableau

son envoi au Salon de 1884,

il

se réserva d'y revenir dès l'hi-

ver suivant. Et ses divers modèles, en plus de Chabrier, furent effectivement ceux que Maître m'annonçait dans sa lettre

d'abord Maître et ainsi

moi-même,

qu'Amédée Pigeon, dont

ses il

convives du

lundi

:

soir,

avait fait la connaissance à

propos d'un article très finement écrit sur ses tableaux; puis

1.

Lettre

du 29 octobre 1885.


FANTIN-LATOUR.

130

Lascoux, avec qui

Antoine

avait

il

de V Anneau du Nibelung, à Bayreuth; de

représentations

jeunes compositeurs, élèves de Franck,

:

MM.

Camille Benoît et Vincent d'Indy, l'un ameBoisseau, qui faisait également

le violoniste

nant l'autre; enfin

partie de ces réunions intimes

remplaça dans

et

jeune peintre Jacques Blanche auquel

le

ait

entrevus

qu'il avait

musique qui se donnaient chez

justement aux soirées de

Lascoux

aux premières

assisté

il

le

que Fantin

se peut

d'abord songé, mais qui ne fut jamais invité à y figurer.

Avant

môme

nous convoquer, Fantin avait presque

de

dans sa

établi son tableau

tête, ainsi

mière esquisse, très vague

et

que

le

prouve une pre-

ne comprenant que sept per-

sonnages, en date du 26 décembre 1884; mais du

groupe

il

nous eut tous réunis devant

très vite arrêté était

comme

:

lui,

son plan

définitif fut

dès son premier grand croquis,

fixé et

moment

le

peintre

n'apporta plus à son projet, dans les deux

croquis suivants, que des corrections de détail, arrêtées à la date du 19 janvier 1885. Aussitôt qu'il nous eut campés sur

mit à peindre,

la toile et qu'il se

rales et c'est

nous

fit

renonça aux séances géné-

il

poser isolément ou par petits groupes, et

seulement à

la fin,

presque à

la veille

d'expédier son

tableau au Salon, qu'il nous réunit tous encore, afin de juger

de

l'effet

d'ensemble.

éveillées dans le

ambitions

monde musical

allait voir le jour, et

glisser par

Des

cependant, s'étaient

à l'annonce

du tableau qui

plus d'un étranger aurait souhaité de s'y

manœuvre

habile ou

démarche d'amis complai-

sants; mais c'était peine perdue avec Fantin, qui ne craignait rien tant, je le répète,

que d'avoir

l'air

de

faire

une manifes-


AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN talion musicale et qui écartait do son tableau

AMI.

131

non seulement

tout accessoire, tout buste ou portrait significatif, mais aussi

toute personnalité citer

que deux,

un peu marquante. C'est

ainsi,

nettement d'y introduire,

qu'il refusa

Charles Lamoureux, qui était alors le champion

miné de que ses

pour n'en soit

plus déter-

le

cause wagnérienne en F'rance; soit César Franck,

la

trois élèves Chabrier, d'Indy et Benoît auraient désiré

voir présider en quelque sorte à cette réunion. «

je

Madame,

écrivait Fantin à M"''

Edwards

25 février 1 885,

vous envoie un croquis du tableau; je n'y mets pas de

femmes. Ce sont toujours des réunions et

le

non des réunions du monde, que

j'ai

que

d'artistes

je fais,

je ne connais pas et dont

horreur: on ne peut rien faire avec ces gens-là aujour-

d'hui. Ils sont de plus en plus stupides. Celui-là est la suite

des

autres

ciens...

»

tableaux

Et,

:

Peintres,

les

deux mois plus

tard,

Poètes, les Musi-

les

peu de temps avant l'ou-

verture du Salon, où Fantin avait envoyé son tableau, sentait par écrit ses divers

modèles à

M"""

il

pré-

Edwards, qui, entre

eux tous, ne connaissait encore que Maître, pour

l'avoir ren-

contré rue des Beaux-Arts lorsqu'elle venait à Paris, chaque

année, à l'époque du Salon

:

«

Voici les

noms des personnages

de Autour du piano. Celui qui joue du piano est Chabrier,

compositeur de grand

talent.

A

côté,

Emmanuel paraissant

tourner les pages au pupitre, Camille Benoît, qui a traduit

des écrits de Wagner, et aussi compositeur; derrière

chapeau sur

la tête et

critique d'art musical, français, auteur

la

canne à

la

lui, le

main, Adolphe JuUien,

sévère pour nos prétendus musiciens

de plusieurs ouvrages sur

le

théâtre du siècle


FANTIN-LATOUH.

132

dernier; près de

lui,

entre les portes, M. Boisseau, violoniste

à l'Opéra et au Conservatoire.

A

côté de Lascoux, debout, la

cigarette à la main, Vincent d'indy, compositeur d'avenir: la tête

dans

la

main, assis et

le

dernier de ce côté,

Pigeon, qui est au Figaro pour

le

Amédée

Courrier d'Allemagne et qui vient de

faire

un

inté-

livre très

ressant

intitulé

L Allemarjne

:

de M.

de Bismarck. Tous

wagnéristes

'

!

»

Autour du piano fut

donc exposé au

Salon de 1885. Malgré tant de précauA lively Suiulay al Hom(^ wilh ail Hyinns anil no H ers. Un joyeux dimanche à la maison, avec eux tous et

sans

elles.

tions

que

prises

peinture

la

seule

pour

attirât

l'at-

[Plaisanterie en anglais de fantaisie, i)ar analogie

de prononciation entre les mots hymm (hymnes) et eux)]. hitns (barbarisme créé pour signifier :

Caricature du Punch, do Londres, d'après Autour du piano

tention des connaisseurs, sans que des

figurestropconnues

(3 juillet 1886).

fixassent les regards des badauds,

remarquez qu'en 1885

Chabrier n'était rien de plus que l'auteur à'Esparla et que,

M. d'Indy avait déjà produit il

les trois parties

n'avait pas encore fait exécuter son

de Wallenstein,

Chant de

la Cloche, qui

venait seulement d'être couronné au concours de

1.

Lettre du 19 avril 188R.

si

la

^

ille

de




AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN Paris,

— Fantin ne put pas empêcher

le

AMI.

133

public de so demander,

toile si vivante et si puissante, quels étaient ces

devant cette

individus ainsi réunis autour d'un pianiste et d'un piano. Les visiteurs

qui

prétendaient bien informés

se

leurs amis; d'autres s'ingéniaient à mettre des

renseignaient

noms

sur ces

visages et ne

manquaient pas générale-

ment de

re-

connaître

le

compositeur

Palad

i 1

h e

dansl'homme chapeau,

au

ce qui aurait

me

flatter

infiniment, et

de trouver un

Le grand De profundis du maestro Chabrier, clianlé par

MM.

Saint - Saëns très

S, T, U, V, X,

Y

et Z.

Caricature de Stop, d'après Autour du piano [Journal amusant, 2 mai 1885).

ressem-

blant faisait

dans

le

personnage à cheval sur une chaise, ce qui

beaucoup

rire

réserve allait au

Maître. Aussi

rebours de

Fantin, voyant

ses intentions,

tout de voir qu'on aimait à découvrir là des n'aurait jamais

accepté de peindre, voulut-il

à ces méprises. Après

le

Salon de Paris,

le

exaspéré sur-

hommes

qu'il

couper court

Autour du piano

avait été expédié directement à Londres, chez

pour être présenté à VAcademy, qui

que sa

W"

Edwards,

reçut et l'exposa en


FANTIN-LATOUR.

134

1886

mais, ensuite, lorsque Fantin envoya sa toile au Salon

';

Munich, l'année sui-

triennal de Bruxelles, en 1887, puis à

vante,

n'avait jamais voulu faire jusque-là et

ce qu'il

fit

il

dessina un petit cartouche explicatif, afin de rendre à ses

modèles leur véritable

différents

généralement dans

très

modeste

état

leur

civil,

notoriété

rang de simples débutants

et leur

carrière des lettres ou des arts ^

la

Le hasard, cependant, un hasard assez naturel après puisque tous avait

gens

les

comme

fait,

tout,

représentés n'étaient pas trop vieux,

ici

Fantin l'écrivait à M™'' Edwards, que ces

divers musiciens, amateurs ou critiques avaient des préfé-

rences communes, une admiration plus ou moins vive pour

Richard Wagner, et se trouvaient de

la

sorte en

communauté

d'opinions avec celui qui faisait leurs portraits; or, ce simple

hasard avait tableau fût

suffi

communément

peu menaçant désigne, sicale;

il

ne faut

« ...Je

«

désigné sous ce

Les Wagnéristes.

:

le

VAcademy cariémenl;

il

s'il

est vrai

malgré tout? Cela »

il

lettre

que

me

suflirait

presque.

Ainsi parle Fantin à M"" se dit « très louché

»

Mon

2.

;

j'ai

trouvé

Mon

plus sérieux public

refus ne passerait pas inaperçu,

Edwards dans sa

des oITres que je

je lui avais fait faire par Maître, et qui

content

le

que ce tableau

n'importe que je sois refusé! le

le

mu-

garder d'évoquer à ce propos

se

tableau sera vu par les Académiciens, el n'est-ce pas

je pense.

quelque

De quelque façon qu'on

Petit Bayreuth », car

risque

titre alors

rattacher à aucune école ou coterie

faut surtout

il

souvenir du 1.

pour que, dès avant son apparition, ce

lettre

commence

un acquéreur pour Autour du

du 29 octobre 1885, ou plutôt

lui avais faites

ainsi

:

«

Je suis bien

piano!... »

Ces dates des divers voyages d'Autour du piano à l'étranger sont les

seules e.\acles, quoiqu'elles dilTorent de celles qu'on pourrait trouver dans d'autres publications.


AUTOUR DU PIANO KT LE PORTRAIT D'UN parut au

moment où

les

AMI.

135

réunions wagnériennes, organisées et

dirigées par Lascoux, prenaient de l'extension et s'intitulaient

plaisamment toute

«

fortuit(>,

n'avait jamais

Petit et

Bayreuth

»,

c'était là

plus d'un des personnages

pris

part,

ni

comme

une coïncidence représentés

ici

exécutant,

auditeur, aux exercices musicaux qui, après avoir

dans

le

du peintre Toché, tantôt chez

et devaient se terminer les wagnéristes

de

commencé

salon de Lascoux, rue de l'Université, avaient lieu

tantôt dans l'atelier

salle

comme

ni

M'"^ Pelouze,

par de véritables concerts, où tous

de Paris brûlaient de se

faire inviter,

dans

la

Société d'Encouragement pour l'Industrie natio-

la

nale, en face de Saint-Germain-des-Prés. Il

ne reste plus aujourd'hui qu'un souvenir lointain de ces

appellations batailleuses, et c'est sous ce titre d'une imprécision très réfléchie

:

tout de suite attaché, Il

Autour du

auquel Fantin

piaiio,

que ce tableau a conquis

s'était

la célébrité.

complète, après V Hommage à Delacroix, après Un Atelier

aux Batignolles, après Un Coin de toiles

table, la série

des grandes

maître peintre a groupé divers artistes,

le

hommes

de lettres ou libres esprits de son temps et qui seront plus

de peinture mis à part, des

tard, qui sont déjà, tout mérite

documents

très utiles à consulter

artistique de la

que

je viens

fin

du

pour

la vie intellectuelle et

Et que ressort-il des détails

xix" siècle.

de donner sur cette

toile aussi

bien que des

esquisses qu'on trouvera plus loin? C'est que rarement peintre

eut l'idée plus nette à

la fois

des conditions dans lesquelles qu'il

du tableau il

le

qu'il voulait faire et

voulait entreprendre, puis-

ne se mit au travail que lorsqu'il les trouva réunies;


FANTIN-LATOUR.

136

c'est aussi qu'il était tellement

possédé de son sujet et

l'avait

tellement dans la tête que, dès qu'il prit ses crayons,

presque du premier

jet sur le papier le tracé définitif

jeta

il

de cette

grande composition. * *

Il

*

ne balança pas davantage et ne montra pas moins de

décision lorsque, se mettant en face de l'ami h qui

il

avait

assigné une place un peu sacrifiée dans Autour du piano,

il

entreprit de le peindre assis devant sa table de travail, en train d'écrire,

ou quelque

ou plutôt se préparant à écrire quelque

livre

semblable à celui

article

qu'il avait déjà publié

sur

Richard Wagner, l'aide du grand peintre ne devant pas plus lui

manquer pour honorer

qu'elle ne lui avait fait défaut et Iseult. Ici, trois

fut

tout

Damnation de Faust

l'auteur de la

pour

glorifier celui

de Tristan

esquisses, très vite ébauchées (la première

de suite

écartée

blent de très près),

et

les

suffirent à

deux autres se ressem-

Fan tin pour poser son per-

sonnage, pour établir ce portrait qui vint deux ans après

Autour du piano

et

semble

s'y rattacher,

reprenait un de ses modèles pour

puisque

le traiter

le

peintre

isolément et

le

mettre en pleine lumière, après l'avoir d'abord rejeté dans l'ombre. Et sitôt que

ami Adolphe d'autant

Jullien,

plus

la

lui fut faite

de peindre son

Fantin y souscrivit sur l'heure, avec

d'empressement,

compter sur l'exactitude qu'il avait déjà

demande

savait

qu'il

et la patiente

pu juger, mais auquel

qu'il

pouvait

immobilité d'un modèle il

allait

beaucoup plus


go;tti;hd.kmmkri

N(i

:

siegfuied kt les filles du

Lithographie originale (1884).

iuiin



'2-

/^^-.^^^

0»*»

7

'^

4cJ;M^

tff,-».»--'^-*-^

^ ^

'>»-»X.

O

-^

f>

^/^ Q. 18


f%

î

^


<^

<J-V»

^»#-^

irû/'

/Cc4^4^

-2.—

/^'^S"

ô-^:^^^

-^^^ >V<^


\a>y^'U4^ P^^:2^^c,--u^f-

^,


•M

o H

«î



AUTOUR DU

PIAiNO ET LE

demander. Le peintre, en être à ses

dans sa besogne

écrivait-il

bien, et est très

dont

et

il

:

6 février 1887;

le

intéressant

à faire'.

En

»

retinrent dans l'atelier de

la

me

19 janvier et

le

ne languissait jamais entre

hôtes, et coupées d'un bon

de

chacune,

la

15 mars; séances très agréables, du reste, où la

conversation

le

que plus

sorte

rue des Beaux-Arts; plus de

trente séances, dont la première eut lieu le

pose très

il

de trente séances, de quatre heures environ

dernière

ne craignait

comme pour lui-même, et se com« Mon portrait de Jullien marche,

M™" Edwards

à

Ul

AMI.

avec un ami qui semblait

effet,

yeux un véritable modèle,

pas de se servir, travaillait plaisait

POKTRAIT D'UN

moment de

le

modèle

et ses

repos pour déguster

thé quotidien, lorsque trois heures sonnaient à l'horloge l'Institut'.

Lui, pour se distraire et s'encourager au travail, ne laissait

pas que de provoquer quelque discussion sur n'importe

quel point où d'avance

mais

il

manœuvre,

il

avis;

fallait

il

savait

1.

il

je

voir sa surprise

ne serais pas de son lorsque,

déjouant sa

m'arrivait d'éluder le débat qu'il cherchait et

de rompre les chiens. Plus plus

que

il

avait d'affection

les gens,

commencer par une des per-

aimait à les taquiner, à

A rapprocher

pour

de celte phrase de Fantin dans une lettre quil adressait

du Toast vaut mieux ne rien

à Edwards, le 29 mars 1865, à propos de son tableau

:

nous, sans modèle qui ne pose pas bien,

faire.

il

« Oui,

pour

Chaque

jour, je l'éprouve. » 2.

Dans

Bruxelles

»

la lettre

reproduite ci-contre (p. 137-UO)

dont Fantin

me parle

était le

sition générale des Beaux-Arts qui allait avoir lieu

tembre au 1" novembre 1887.

le «

déménagement pour

départ d'Autour du piano pour l'Expo-

dans cette

ville,

du

1"^

sep-


FANTIN-LATOUR.

142

sonnes qui si

cœur après

plus au

lui tenaient le

sa

femme,

et

j'en juge par sa façon d'être avec moi, soit durant les char-

mants dîners du lundi

pendant nos longues séances

soir, soit

de pose, je n'étais sûrement pas un de ceux

qu'il aimait le

moins. Entendez bien cependant que ces taquineries étaient très inoiïensives et n'avaient rien

que de

très cordial. C'était

un de ses amusements préférés que de prendre

les

gens en

flagrant délit d'ignorance, de les pousser à parler de ce qu'ils

connaissaient mal, surtout de l'on se gardait à carreau

sujets sur lesquels

il

avec

la

peinture,

lui et

volontiers,

et,

si

qu'on évitât d'aborder les

vous guettait,

vous tendait quelque

il

piège et cherchait à vous y faire tomber. Il

me

souvient, en particulier, d'un jour où, certain écri-

vain étant venu l'entretenir d'une brochure qu'il projetait de

publier sur articles

en quêtant de droite et de gauche divers

lui,

ou jugements,

et

ayant demandé quelles gens

lui

avaient qualité, à ses yeux, pour se prononcer sur son compte. Pantin, après avoir

nommé

dififérents critiques d'art

connus, imagina de m'indiquer. laquelle

il

m'annonça que

avis sur sa peinture et

Il

me

souvient de

j'allais enfin

du

pas

me

dérober à

faire, etc., etc.

la

plume

la joie

plaisir qu'il éprouvait à

et m'exécuter,

question,

comme

La brochure parut

avec

mon voir ma

avoir à donner

mine embarrassée, avec quelle insistance je devais prendre la

des plus

il

me

que

répétait

que

je ne pouvais

je paraissais vouloir le

et voici ce

que Pantin put

ma signature « Monsieur, vous voulez bien me demander mon opinion sur « l'art et l'œuvre » de FantinLatour; voici ma réponse Il y a déjà plus de trente ans que

y lire, sous

:

:


AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN

m'honore

collaboration dont je

sont pas près de

part moi, «

et j'espère

Eh bien

quand !

interroge!

le

dépit d'avoir

mon

modèle

portrait. Ces

avait pris goût,

je ris à :

été

bien

si

aimables réunions,

ne

s'arrêtèrent

que

peintre dut poser ses pinceaux et envoyer ce por-

tout frais, au Salon de 1887, en

trait,

comme

!

Mais revenons à

le

Et

suffit

de son air déconfît, de son

qui trahissait son

deviné et déjoué

lorsque

»

vous

vous n'en dites pas long, vous, quand on vous »,

auxquelles

revis,

je le

que nos bonnes

cela ne

Si

finir.

Avec mes salutations empressées.

pas...

143

Fantin d'une solide amitié, scellée par une

je suis lié avec

relations ne

AMI.

même temps

que celui

de M"" Charlotte Dubourg, daté de 1882 et contemporain, par conséquent, de ceux de M'^" Henry Lerolle et de M'"" Léon Maître. C'est sans doute pour faire

honneur au peintre

et à

son modèle féminin que chacun de ces deux portraits, celui de son ami

comme

très belle place,

dans

des portes d'entrée, arrivait sur le

celui le

si

de sa belle-sœur,

accroché en

salon central, en face de chacune

bien qu'on les apercevait dès qu'on

large palier

l'Industrie. Et ce

fut

du grand

portrait, qui

escalier

du Palais de

reçut des critiques les plus

grands éloges, à propos duquel M. Gustave Gedroy, notam-

ment,

félicitait l'auteur

d'avoir montré

combien

il

«

excellait

à peindre les physionomies écoutantes de ceux qui

parmi

les

livres et

dans une atmosphère musicale'

également l'heur de frapper vivement

1.

La

Justice, 7 juin 1887.

vivent »,

eut

les visiteurs les plus


FANTIN-LATOUR.

\u

superficiels

lorsqu'il

fut

exposé au Salon de Bruxelles, en

1890, ou encore lorsqu'il reparut à Paris m«>me, à l'Exposition des Portraits d'écrivains et de journalistes

1893.

pas à

N'est-ce

du

propos de cet envoi que

siècle,

en

presse

la

unanimement,

belge, presque

que

insistait sur le plaisir

les

amateurs éprouveraient à trouver

deux noms

réunis

ainsi

chers au public bruxellois, ceux

du peintre

et

de l'écrivain qui

s'étaient associés

:

la glo-

de ces deux grands

rification

artistes

pour

Hector Berlioz

et Bi-

chard Wagner'?

Que deux ou Adolphe Jullien pensum pour avoir dit M.

faisant

un

du mal de

trois

encore,

s'écoulent

années Fantin

et

renoncera complètement à

faire

Wagnoi'.

des portraits Caricature de Stop, d'après le Portrait de M. Adolphe Jullien {Journal amu-

(il

n'en

pas plus de trois après

peignit le

mien,

sant, 30 avril 1887).

et les derniers qu'il ait signés

:

ceux de sa nièce. M"" Sonia Yanowski, devenue M'"® de Nikanoff, et

de

M°»'=

Léopold Gravier, datent de 1889-90), tant ce

« 11 me semble que ce Salon s'annonce bien, mVcrivait Fantin, de Buré, septembre 1890, après avoir reçu un lot de journaux belges; j'envoie ma carte à MM. Fétis et Champal. Il me semble très bon d'avoir un article comme 1

.

le 18

celui-là

dans Clndcpendance. N'allez pas

Cela se

lisait

en

elTet

dans

M. Cliampal, qui écrivait à

exposé par Fantin,

«

l'article très la

Itéformc,

il

faire votre lêle

:

« Fêle originale!! »

cbaud de M. Edouard avait jugé

merveilleux de simplicité,

que

était

un

le

Fétis; quant à

d'homme monument

portrait

véritable


POUTUAir Salon

.lo

DIO

M.

A

1887.

A M.

I)

(

»

1. 1" II

K

JULLIEN

Adolplie Jullien.



AUTOUR DU PIANO ET LE PORTRAIT D'UN

AMI.

maître portraitiste, à mesure qu'il s'élevait dans son percevait

mieux

qu'il

eût conscience de sa

un degré de perfection où

vaient à vouloir atteindre tait

en

ardeur, un acharnement qui l'éner-

mettait une

et

art,

les difficultés, semblait être pris d'inquiétude

en face du modèle vivant, bien force,

145

il

redou-

toujours de ne pas parvenir. De là vient que, lorsqu'il se

trouvait en face d'individus qu'il ne craignait pas de fatiguer,

— ler

et ce fut le cas

pour

les

deux tableaux dont

en pleine connaissance de cause,

il

je puis par-

ne se lassait pas

de travailler, je ne dirai pas pour modifier son œuvre, car,

encore une

fois,

la

il

concevait très rapidement d'ensemble

avec une sûreté surprenante, mais

et la jetait sur la toile

pour y mettre plus d'accent, plus de

relief,

plus de vigueur,

pour pénétrer au plus profond de ses modèles et donner d'eux une image «

Ah

!

le

animée

d'une

peintre franc, véridique

puissante !

s'écriait

vie

intérieure.

M. Roger Marx,

justement à propos du portrait qui vient de nous occuper;

comme

il

saisit

le

moral de

la

ressemblance,

comme

il

excelle à rendre l'enveloppante caresse de ce jour d'intérieur

il

place ses modèles'

.artistitiufi

».

C'est encore à

!

»

l'occasion de

ce

Salon

qu'un rédacleur de

modèle choisi par Fantin de « célèbre chef reçut de Paris une lettre de remerciements qui se

l'Kloile belge, ayant qualifié le

d'orchestre français

terminait ainsi

:

«

»,

Je n'ai jamais battu la mesure. Ecrivain, critique, histo-

non pas chef d'orchestre heureusement pour les chanteurs. Remettez-moi donc, je vous prie, à ma vrai» place, afin que Joseph Dupont ne prenne pas ombrage et me donne encore la main lorsque j'irai à Bruxelles. » 1. Le Voltaire, i"m&i\8Sl. rien musical, tant que vous voudrez; mais

19


FANTIN-LATOUR.

liH

»

Un témoin de

*

tous les jours pouvait seul raconter avec

une exactitude absolue, à propos de ces deux tableaux de

comment

Fantin,

ils

furent conçus et

comment

ils

furent

exécutés sans l'ombre d'une hésitation. Aussi voudra-t-on bien

m'excuser d'avoir profité des avantages que

mon par

me

donnaient

mes longues relations avec Fantin pour narrer menu l'historique de ces deux toiles; en ajoutant

âge et le

encore, afin de ne rien laisser dans l'ombre, que les lignes

simples de

si

piano et

la

la

pièce où nous

l'instrument empiétant sur une porte

place de

étaient empruntées au salon

réunions de musique, et que était

sommes groupés autour du

môme

le

où Lascoux donnait ses

morceau ouvert sur

non pas de Richard Wagner, mais

Wagnéristes féroces affectaient d'en rougir

le

pupitre

combien de ces !

— de Johannès

Brahms. Sur

ma demande,

après coup, Fantin, quoiqu'il n'aimât

guère à revenir sur un travail dont

un dessin au crayon,

ma mère

que

il

se croyait délivré,

très poussé, d'après

mon

portrait

fit

afin

n'en fût pas absolument privée pendant que

l'original courrait le

monde

et

un léger croquis,

de Chine, d'après Autour du piano

:

à l'encre

croquis et dessin sont

encore entre mes mains. En ce qui concerne Autour du piano, il

est

opportun de spécifier que ce croquis, mesurant 17 cen-

timètres de haut sur 24 de large, est fait

d'après son grand tableau, et

le

seul que Fantin ait

si j'insiste

là-dessus, c'est


AUTOUR DU PIANO qu'il

m'est revenu que certain amateur se

un dessin de Fantin, à piano

ET LE PORTRAIT D'UN AMI.

:

il

de posséder

l'encre de Chine d'après Autour

m'en coûte, assurément, de détruire une

mais comment ne pas

le faire ? Il existe

à l'encre d'après ce tableau, il

flattait

fut fait par

147

du

illusion,

bien un autre dessin

mais qui n'est pas de Fantin

M. Félix Jazinski

et publié

dans l'Ari en

:

juil-

)r«^

CARTE DE FANTIN-LATOUR Annonçant let

1885.

Il

qu'il

viendra vernir son Autour du piano.

est reconnaissable, ainsi

qui en furent tirées, à ce que les

beaucoup plus

travaillés,

que

que toutes

fi}i;ures

les

épreuves

et les habits sont

mon chapeau

dessus du piano sont très noirs et qu'enlin

et l'intérieur la

du

signature, en

haut, à droite, très accusée, presque toute droite et suivie

du

chiffre

83 (date fausse), n'a aucun rapport avec l'écriture

de Fantin, tandis que dans

le

croquis de Fantin lui-même,

la

signature est beaucoup plus légère, plus penchée et n'est suivie d'aucune

mention d'année...


FANTIN-LATOUR.

148

Et

comment mieux terminer qu'en exhumant une page

bien oubliée de vous sans doute, à supposer que vous l'ayez

jamais lue, où l'auteur de Bruges-la-Morte a magistralement caractérisé le talent

de cette œuvre,

la

synthèse.

à' Autour

du piano

:

«

exprimé

saisi les traits essentiels,

C'est

bien une

groupe ainsi autour du piano

les

chambre

d'art,

de

qui la

— avec Vincent d'Indy, l'auteur de Cloche, — tandis que Ghabrier exécute une musique qui la

rend méditatifs tous ces visages veulent saisir

l'infini

une autre œuvre où rel, la

la vie

celle

musiciens français

jeune école,

au centre,

Le mérite

avant tout, son grand style, l'habileté

c'est,

du peintre à avoir par

du peintre

même

d'artistes.

qui passe dans les

la

On

musique. On songe à

personnages ont aussi

tension de tout l'être pensant,

pation d'âme; c'est la sublime page de

dirait qu'ils

le la

même même

Rembrandt

:

la

natu-

occu-

Leçon

d'analomie, où toute la passion sereine de la science solennise la scène,

\.

comme

ici la

passion douloureuse de

Revue générale, de Bruxelles, octobre 1887

l'art'

»?


PARSIFAI.

:

KVOCATION DE

KfNDHY

Lithographie originale (1883).



CHAPITRE V FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITE

Lorsqu'on pénétrait, au fond d'une cour de Beaux-Arts, dans

remise transformée en

la

la

atelier,

rue des

aux murs

sans aucun luxe, avec des ébauches du peintre ou des

gris,

copies de tableaux du Louvre accrochées un peu partout, et

qu'on se trouvait en face de cet

homme

légèrement trapu,

toujours vêtu d'un pantalon et d'un veston gris foncé, à

la

barbe courte, aux cheveux clairsemés et grisonnants qui s'envolaient derrière

une sorte de

visière en carton qu'il mettait

pour peindre; lorsqu'on entrait dans cet intérieur

le

tant

calme

maître et M""® Fantin vivaient loin du monde, ne sor-

que

le

moins possible

auprès de l'autre, sage

si

et,

il

et

pleinement heureux d'être l'un

semblait qu'on vît s'ouvrir

la retraite

du

dans cette sorte de thébaïde où nul bruit n'arrivait

du dehors que

son de l'horloge de

le

l'Institut,

on se serait

cru à cent lieues de Paris.

Mais à voir

la

chaleur que

le

peintre mettait dans ses dis-

cours, dans ses boutades, dans ses paradoxes; à voir l'insis-

tance avec laquelle

il

interrogeait les visiteurs pour connaître


FANTIN-LATOUR.

150

l'envers des choses, à voir

comment

de son esprit par des lectures du et sans

jamais sacrifier à

la

mode,

entretenait la culture

il

soir, toutes très sérieuses il

que ce quasi-

était clair

reclus volontaire, qui n'ouvrait que très difficilement sa porte et

son cœur, que ce philosophe qui ne voulait plus prendre

aucune part

ni

aux

aux

luttes, ni

plaisirs

de

la vie et se

can-

tonnait dans son modeste home, à l'écart de toutes les vaines

du

discussions

monde,

apparences, une

âme

tailleur, et était

en

nements extérieurs

très ardente,

réalité qu'il

prenait

même

très

un esprit

aux

très vif, très ba-

beaucoup moins détaché des évé-

ne voulait

dait plus dans l'arène, mais et

conservé, contrairement

avait

le paraître.

ne descen-

11

regardait combattre les autres

il

vivement

parti

pour ceux-ci ou pour

ceux-là.

Cet

homme,

qui ne redoutait

nouveaux visages,

était

dans

le

rien tant

que de voir de

fond très accessible à ceux

qui savaient pénétrer lentement dans son affection et n'entraient pas chez lui

comme en

pays conquis pour

der quelque travail, fût-ce au poids de sur

lui-même des renseignements

d'ailleurs,

mais à

naissait bien

la

qu'il

l'or,

ou

lui

lui

demanarracher

donnait volontiers,

longue, à bon escient, et lorsqu'il con-

les gens.

C'était

un timide plus encore qu'un

sauvage, mais un timide qui avait de terribles coups de boutoir et

ne pardonnait guère à ceux qui avaient eu

de l'indisposer. Combien n'en

ai-je

la

maladresse

pas vu de ces visiteurs,

de ces passants qui croyaient pouvoir entrer

n'importe quel autre peintre et s'en retournaient

comme

chez

l'oreille basse,

sans avoir obtenu ni le portrait qu'ils auraient voulu

lui faire


FANTIN-LATOUH DANS L'INTIMITÉ. renseignements qu'ils pensaient obtenir de

faire, ni les

En

151

Pantin n'eut qu'un seul atelier, celui de

réalité,

des Beaux-Arts, n"

8,

entré

était

il

lui

!

rue

la

Vendredi-Saint

le

(10 avril) de l'année 1868 et qu'il ne devait jamais quitter. Jusque-là,

avait toujours travaillé dans l'atelier

il

ou plutôt

dans quelque grande pièce de l'appartement de son père d'abord

:

rue du Dragon, puis au 31 de

1,

enfin, rue Saint-Lazare,

de V

Hommage

la

rue de Beaune',

avait peint ses grands tableaux

il

du Toast^,

à Delacroix et

puis, très

temps, rue de Londres. Mais cette fugue sur

longue dorée

rien

que

six

morte, en juillet 1867, son père et rive gauche,

au n" 11 de

que Pantin occupa

était sa joie d'avoir enfin

ami Edwards, parti

à

j'étais

Louvre

1. Ici

était interdit

il

allait

s'était attardé

chez soi

«

«

:

dans

:

suis

et le lundi (les

que

si petit,

le

père de Fantin la

venait quelquefois

un jour

à son

monde

est

travail

au

tant de peine

deux jours où

lui avait

loué une

rue Pérou, qui abritait

demander

une grande place

le

71»,

et

l'hospitalité à

croquis qui représente Fantin encore

la tête, et s'ainusant à dessiner.

fit

Cette maison, qui portait le n"

prises pour établir

telle

Carolus Duran, Zacharie Astruc, etc. Whistler, quand

le quartier,

au

chapeau sur

c'est alors

travailleurs), je fais des natures

qu'il

2.

le

donné

son ami, et c'est ainsi lit, le

le

reprends avec rage

aux

:

» qu'il écrivait

Aujourd'hui

me

fut

revinrent sur leur chère

coucher dans une maison de

aussi d'autres artistes il

un

Le dimanche

l'appartement était

chambre où

je

que sa mère

rue des Beaux-Arts. Et

la

bien en retard; je

à ces portraits! le

de

14 juillet 1868

campagne;

la

Louvre;

le

lui

et dès

ne fut pas de

rue des Saints-Pères

la

l'atelier

ans

peu de

la rive droite,

attirée par des amis,

où sa famille avait été

:

a disparu lors des démolitions entre-

un square devant la

Trinité.


FANTIN-LATOUR.

152

mortes; je suis dans

un

je suis dans

premier soi seul

atelier,

A

!

pêches et

les

Oh!

atelier.

pensez à

;

je

il

est

me renferme

déménaf^é,

seul. Et

mon

enfin, en avoir

un à

suis bien

je

mon bonheur;

trente-deux ans,

bien tranquille

les abricots. J'ai

temps!

et je vis

là,

J'ai

dans

une petite vie les rêves,

des

illusions sans doute. Enfin, cela rend les fous joyeux. »

La

du peintre

vie

s'est

écoulée tout entière, on peut

dire sans nulle exagération, entre les salles atelier.

Dès

du Louvre

goûté du bonheur d'avoir un

qu'il eut

son

chez soi

«

»,

plus possible et fréquenta moins le Louvre, mais

il

y resta

il

restait toujours sous l'influence des maîtres

il

avait cherché

le

et

le

longtemps

tant d'esquisses où

auprès desquels

pain quotidien de

le

lui-même

avait plaisir à

l'art.

De

reconnaître les

souvenir traversait sa pensée; de

grands peintres dont

le

tant de projets jetés

par

lui

sur

le

papier dès

première

la

heure, qu'il laissait dormir et reprenait un beau jour, après

de longues années, pour en

comme on

lithographie,

quelque tableau ou quelque

faire

s'en

assurerait en

feuilletant

albums de croquis que sa veuve a donnés au

Luxembourg

et à celui

de Grenoble. Et

n'a-t-il

musée du

pas lui-même,

en des termes d'une sincérité charmante, célébré toujours nouveau pour

lui,

le

charme

l'attrait,

de ces besognes incessamment

répétées du matin et du soir? écrit-il, est

les

«

Le charme de

l'esquisse,

cette chose impossible à déterminer, à affirmer;

est

dans son incertitude que chaque spectateur

achève à son idée. On y voit ce que l'on veut. C'est un peu

comme

la

sonate qui

fait

rêver, chacun selon son goût, ceux

qui ont de l'imagination et le goût du rêve... Ces esquisses


l'OUTIIAlT

1)1-;

Salon de ISSI.

M'"

—

Cil

AU [.OIT

A M"'

Cliurlottc

1-:

DlltOUItCi

Dubourg.



FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ. hommages, des

sont des

que j'aime; que

l'on

l'on

admire.

actes d'admiration envers des maîtres

un peu comme

si

l'on chantait

des mélodies

comme aussi des variations sur un thème que On essaye ainsi ses forces en se mettant dans

aime,

d'un autre avant d'avoir les siennes; on se rend

les idées

compte

c'est

153

ainsi des choses,

pourquoi

en faisant des esquisses que

j'ai

ceci,

pourquoi

cela. C'est

compris tous ces maîtres du

passé*... »

Que

encore au Louvre,

va-t-il faire

le

matin, dès qu'il a

quelque loisir? Des esquisses, toujours des esquisses, se maintenir

dans

bonne voie

la

)^.

Et que

«

pour

fait-il le soir,

alors

qu'il

ne peut plus peindre?

loin,

dans quantité d'anciens projets, les idées qui

les plus

Je cherche, dit-il

«

un peu plus

me

semblent

propres à être exécutées, je les mets en train, à

lueur de la lampe, et les peins remplie.

Quand

je

le

la

lendemain. La vie est ainsi

retrouve tous ces vieux projets, toutes

ces esquisses dans les albums ou sur de petits bouts de papier, je

me

dis

:

«

Qui aurait pensé qu'un jour

je

retrouverais

tout cela avec intérêt et m'en servirais et le continuerais? Je

ne sais qui a

dit

que

l'on passait sa vie à exécuter les projets

de sa première jeunesse? n'est pas capable

On

les

abandonne parce que

de leur donner une forme; c'est

le

savoir

qui ne vient qu'avec l'âge qui en permet l'exécution \ serait-ce pas Goethe qui parlait à tin,

par cette hésitation, ne

peu près de

faisait-il

l'on

la sorte, et

»

Ne

Fan-

pas tort à son admirable

mémoire'? l-"2.

3.

Lettre à Edwards,

C'est dans

du 30 décembre 1871.

ses Mémoires {Vérité et Poésie)

que Gœthe, développant 20

le


FANTIN-LATOUR.

\U

Tant que son père vécut, Fantin demeura avec rue des Saints-Pères, ensuite au 82 de

une maison donnant sur pice, et

même,

à la

fin,

état d'esprit assez faible, son

le

fils

d'abord

rue Bonaparte, dans

du séminaire de Saint-Sul-

les jardins

comme

la

lui,

vieux peintre était dans un

ne

le quittait

chaque

soir, le

plus souvent pour venir rue Taranne, qu'après l'avoir vu se coucher, presque s'endormir. Plus tard, lorsque son père fut mort et

que lui-même

Beaux-

se fut marié, son installation rue des

Arts prit un caractère définitif par la location d'un modeste

appartement communiquant avec son intérieur.

atelier par

un escalier

Et tout aussitôt commencèrent là ces charmantes

réunions d'amis, ces petits dîners tout intimes de quinzaine, le lundi soir, où Fantin groupa d'abord son ami Maître et le critique Duranty

1866 à Edwards; causer avec

lui,

Je crois qu'il vous plaira, écrivait-il en

«

c'est

ce qui est

tiques les plus élevées »

Duranty n'y

un garçon

attitré à

pour Autour du piano. Je

vieillesse

en abondance

:

«

j'arrivai

moi-même

lorsque

dater de l'époque où nous posions vis paraître le

aussi

quelquefois,

critique Arsène Alexandre,

Ce qu'on désire dans

», écrit,

on peut

dont Amédée Pigeon devint éga-

à de lointains intervalles, soit vieux proverbe allemand

intelligent,

agréable, des questions artis-

— où

;

était déjà plus,

lement un convive

si

très

la

jeunesse, on

entre autres choses qui s'étaient

l'a

dans

comme

la

cris-

Nos désirs sont les pressentiments des facultés qui sont en nous, les précurseurs de ce que nous sommes capables de faire; ce que nous pouvons et que nous désirons s'olTre à notre imagina* tion hors de nous et dans l'avenir; nous espérons ce que nous possédons déjà sans le savoir. C'est ainsi qu'une anticipation ardente transforme une possibilité véritable en une réalité imaginaire. » Mémoires de Gœthe, trad. tallisées

dans

l'esprit

Jacques Porchal;

de Fantin

:

2" partie, livre IX.

«


FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ.

soit

Germain Hédiard, lorsque son

graphique de Fantin eut

fait

de

travail sur l'œuvre litho-

lui

un des

visiteurs les plus

assidus de l'atelier de la rue des Beaux-Arts

d'Amédée Pigeon, professeur

à la

155

;

soit le frère

Faculté des sciences de

Dijon, très passionné pour tout ce qui touchait à la photogra-

magnésium

phie, qui essayait de nous prendre le soir au n'arrivait le plus souvent qu'à faire des

toutes les personnes avaient

images où presque

brusquement fermé

Fantin, qui détestait tellement le

les yeux.

monde, aimait beau-

coup au contraire ces repas d'intimité, toujours après lesquels

il

et

très

fins,

évoquait force souvenirs ou cherchait à piquer

amicalement ses convives, ces petites soirées qui se terminaient entre dix et onze heures par une excellente tasse de thé.

Et

s'il

m'était permis de coudre

à ces souvenirs d'art

quelques souvenirs de cuisine, je dirais quelle sollicitude avait

pour

amis

les

qu'il

traitait,

comment

il

il

ne manquait

presque jamais, ces jours-là, d'aller chercher des cigares de choix pour

les

fumeurs ou de rapporter quelque excellent

mage pour ceux qui en délicieux

Chester,

lui.

Quels

incomparables,

quels

étaient aussi friands

Gorgonzola

quels

Slilton exquis, quels merveilleux Sassenage

Dauphiné sans doute

comme

ils

il

que

fro-

— en souvenir du

m'a été donné de déguster

là,

et

étaient les bienvenus chez moi, ces fromages de

pays qu'il m'expédiait do Buré, ces Gacé, proche Camembert, qu'il m'écrivait

devoir tenir agréablement leur partie dans

la

symphonie odorante des fromages! Fantin avait toujours été l'homme de ces réunions intimes,

de ces libres causeries entre amis, que ce fût au café Molière,


FANTIN-LATOUR.

156

au café de Bade, au café Guerbois ou chez son ami Maître «

y a

Il

dans

là,

l'atelier,

M. Edwards, Ridley, un de ses amis,

Edwards. On cause,

M""^

:

de Sunbury à ses pa-

écrivait-il

»

rents dès 1861. Aussi avait-il été très heureux, sitôt marié,

de reconstituer ces petites réunions chez

lui,

de se retrouver

au milieu d'amis éprouvés sans avoir à enlever ses chaussons, ses chers chaussons auxquels

se montrait déjà

il

attaché lors de ses visites à Sunbury; mais

avec horreur réceptions et réunions,

mondaine

toute obligation

il

il

si

fort

évitait toujours

s'était

soustrait à

ne savait plus depuis longtemps

et

ce que c'était qu'un habit noir. Si Fantin fuyait tellement

mal à

le

monde,

c'est qu'il en

avait peur et s'y sentait

mais ce

n'était pas là

seulement une répulsion instinctive;

que, lorsqu'il avait été forcé d'entrer en contact

c'était aussi

avec

lui,

avait senti tout le vide et toute la fausseté de ses

il

usages et de ses formules et

palement

lorsqu'il avait

châteaux de

A une

l'aise;

la

qu'il

faire

en avait souffert, princi-

quelques séjours dans des

Brie ou de l'Anjou.

seule époque de sa vie, au

moment de

ses voyages

en Angleterre, au milieu de ce luxe et de ce confort qui l'avaient tellement surpris,

gance et «

Si tu

s'était

me

avait eu quelques velléités d'élé-

il

vu forcé de se commander un habit noir

voyais en habit, écrivait-il de Londres à sa mère,

en 1864, je suis splendide;

peu près pour 350 francs.

j'ai

»

payé

Mais

il

le tailleur, j'en ai

eu à

avait eu bien vite assez

de cette vie de visites et de présentations, de ces fêtes tions,

:

et récep-

de ces dîners au Champagne, toujours en habit, toujours

en cravate blanche. Cependant, lorsqu'il

était

revenu en France,


K

2



FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ.

157

quelque temps de ce changement d'habitudes

il

s'était ressenti

«

Oh! que le pauvre peintre a de peine à se remettre!

à Edwards,

le

27 novembre 1864.

flâne toujours; let. Il est

tée, je

on

le voit

ne

11

partout, mais

non pas à son cheva-

assez frais;

ma

pas, dans le

monde, de le trouver aimable de

cravate va toujours mal!

»

le dire

;

Oh! votre

traire.

ours?

si

Il

Oh! mais cela ne va pas durer,

c'est abrutissant. » Et le fait est

bout

dépende mois,

année avait pris

à sa mère,

avait ofl"ert son

il

charmant. (Charmant!

est

a été dit!) Pourquoi était-il

seront

Partout où je vais, on répète à

fille? « fils

s'ils

Et ne s'avise-t-on

parce qu'un jour, en revenant d'une soirée,

:

enchan-

est

m'occupe beaucoup de mes gants, de savoir

ma mère

écrivait-il

fait rien, flâne, flâne,

devenu l'homme des salons. Ma mère

bras à une jolie jeune

:

le

mot

faut l'amener, le dis-

j'espère. J'en ai honte

que cela ne dura guère

:

:

au

cette crise d'élégance de la vingt-huitième

fin.

*

*

Au moment môme où anglaise, décrit

jusqu'à

que

je

le

il

*

Fantin était

faut voir de quel œil

monde où

il

est,

il

les

regarde et de quelle plume

personnes

la figure qu'il doit faire là

m'embête,

Mytton-llall, où

il

écrit-il à

plus séduit par la vie

le

:

Edwards,

«

le

Ah!

vous saviez ce

4 septembre 1864, de

avait entrepris le portrait de M'"® Potter;

non, cela ne peut pas se dire. Dans ce moment, de je

vois des coteaux

cloches et,

je

:

coudoie et

qu'il si

il

;

c'est triste à

des églises sont

mourir.

crois aussi, Whistler;

Oh que je !

mais

il

ne

ma

et l'on

fenêtre,

sonne

les

regrette d'être venu le dit

que

le

moins


FANTIN-LATOUR.

158

possible. Je ne fais l'habit noir!

que m'habiller

En passant

pantalon

le

:

le soir,

j'injurie

Whistler qui est très gentil et

On

beaucoup

boit

et l'on

mange

c'est la redingote, c'est

le

vers sept heures,

supporte assez bien.

très bien,

mais de ces nourri-

A

tures de salon, des miettes de quantité de choses.

jeunes frères, pas gais; une demoiselle,

M. Potter la

table, des

sœur, peu plaisante.

la

mais ne pense qu'à bien vivre

est, lui, très gentil,

:

douceur même, embrasse ses enfants comme du pain. Et

que d'enfants! Tous ceux d'Haden, ce qui

quatre, puis

fait

quatre ou cinq de Potter; des bruits impossibles. la seule

Non, je

vous

comme un

ferai

la

s'habiller,

fait

exprès...

reproduction de

noir, prenant

Nous entrons dans

la salle

je ne trouve pas

:

moi,

:

mener à

je représenterai cela, cet

mon

mourir de

c'est à

table.

départ

le

domes-

splendide, en la

chemi-

bras et

le

présente.

à manger; je cherche des mots,

éclat de rire. Je vais finir par

Avec tout

ici

bras nus, bracelets, un tas

fia fia,

à l'aspect que je devais avoir;

:

tenue

repas;

le

de choses. Moi, alors, j'arrondis

dide

ma

je serai chez vous,

ou cherchant à prendre une pose à

née; M""" Potter, en grand

à savoir bien

Quand

l'entrée au salon au crépuscule, le

tique entrant pour annoncer

que

Haden,

qui eût été agréable, est malade et garde la chambre.

c'est

pour

M"'*'

j'ai

rire. Hier, j'ai

cru que j'allais partir d'un

apprendre à

Oh

!

le

pensé

me

tenir très bien,

jour d'Haden, ce sera splen-

l'homme du monde!...

homme un peu sauvage

bourru, mais brusque et renfrogné lorsqu'il

»

et je

ne dirai pas

le voulait, qui disait

volontiers de lui-môme à propos des avances que M™'= Meurice lui

avait

faites

en

le

voyant peindre au Louvre

:

« J'ai fait


FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ.

l'ours, » n'était pas tellement «

non pas lorsqu'on

cir,

le

mal léché

flattait,

échapper quelque parole heureuse, qui

le

ne pût s'adou-

» qu'il

mais

159

lorsqu'on

mettait en sympathie

mouvement

avec vous, ou lorsqu'il se laissait aller à quelque d'indulgence dédaigneuse.

mieux que lui fut

celle

Et

nulle histoire ne

du portrait de

M"*^

laissait

le

prouve

Marguerite de Biron qui

particulièrement pénible et se termina

comme

vous

allez le savoir.

C'est en 1867, à l'heure où le succès avait signalé Fantin à l'attention des

des

commandes

comme

qui auraient pu,

s'il

du Portrait de Manct

amateurs

et lui avait valu

avait continué, le classer

du grand monde,

qu'il avait accepté

de

se rendre au château de Fontenay-Trésigny, pour peindre

le

peintre attiré

un modèle tout

portrait de M"" de Biron,

à fait aimable etqui

se prêtait à lui jouer quelques-uns de ses

comme

le

Joyeux laboureur, de Schumann. «J'ai été

portrait à la écrivait-il à

beaucoup et je

campagne

Edwards

achevées,

le

et je le

termine en ce

25 novembre 1867...

pour

d'efforts

m'en trouve

inconnus.

morceaux

de

faire

très bien

:

il

la

moment

favoris, faire

un

à Paris,

J'ai fait et je fais

peinture très poussée et

s'ouvre devant moi des horizons

A un moment, il faut bien faire des choses très cela me sert beaucoup pour voir très large. Je fais

un portrait d'une demoiselle de dix-huit ans, robe blanche et rubans cerise, mi-corps,

une chaise; dans

le

fond,

la

si

en

main posée sur

un meuble avec des

un portrait dans ces données

très jolie,

fleurs; et faire

connues, en peintre, avec des

moyens

si

difficile.

Quelquefois, je suis perdu dans ces difficultés. Joignez

loin

de

la

beauté de

la

nature, cela est terriblement


PANTIN-LATOUR.

160

à cela la vie de château, le inonde autour de moi, les distractions, les séductions de toute espèce, la tenue de l'habit noir

pour dîner au moment où

il

doux de

serait si

se reposer;

puis passer la soirée au salon, au milieu de conversations sans intérêt

pour moi

Quoi

un soin le

qu'il

en

!

»

fût,

ce portrait, que

touchait à sa

infini,

et

fin,

le

peintre avait traité avec

Fantin comptait déjà sur

succès qu'il ne pouvait manquer d'avoir au Salon, lorsque

M""^ de Biron, prise

de scrupules qui paraîtraient aujourd'hui

bien étranges, revint sur sa promesse et

que

qu'elle désirait

le

portrait de sa

savoir au peintre

fit

fille

ne

fût pas exposé.

Et cela huit jours avant l'expiration du délai pour les envois

au Salon de 1868, sans que Fantin eût

ou

même

le

temps de

de terminer un tableau quelconque.

cependant, très désolé dans

se résigna

mais sans récriminer

fond,

le

Il

faire

contre ce vélo tardif d'une mère inquiète. Oui, mais n'appritil

pas plus tard qu'afin de faire entrer son œuvre dans une

série symétrique de portraits de famille,

ovale, en supprimant des mains qu'il

aussi élégantes, aussi

vivantes

on

l'avait

coupée en

avait faites aussi fines,

que possible? Et

plus tard

encore, après qu'il était devenu célèbre et que les propriétaires

du

portrait se furent avisés qu'en coupant les mains, ce qui

n'était pas

une perte, on

qui était grand

avait aussi

dommage, ne

vit-il

coupé

signature, ce

la

pas arriver chez

lui

l'ambas-

membre de la famille qui lui demanda le simplement du monde de vouloir bien resigner sa toile sadeur d'un

mutilée? Fantin

Par

un

fit

un haut-Ie-corps de surprise

revirement

singulier,

Fantin, qui,

plus ainsi

et signa.

adolescent.


I

c



FANTIN-LATOUR DANS beaucoup

avait fréquenté

L'INTIMITÉ.

les théâtres

161

avec son père, surtout

jeune homme, avait suivi toutes

les théâtres gais, et qui,

les

représentations de l'ancien Théâtre-Lyrique, au boulevard du

— quelle source pour nous deux! —

Temple,

inépuisable de souvenirs

sur

s'était

concerts et des théâtres vait, il

d'entendre de

la

:

la fin

disait

il

musique,

tout à

que cela

fait

détourné des

le fatiguait, l'éner-

et peut-être était-ce vrai, tant

y concentrait toutes les forces de son esprit etde sa volonté.

encore vu se déranger pour aller voir jouer Béatrice

Je

l'ai

et

Bénédict, de

Troyens, dont

Berlioz,

il

avait été

à

l'Odéon; à l'Opéra-Comique,

ainsi

les

un des auditeurs assidus en 1863,

ou môme, à l'Opéra, VA'ida de Verdi, vers qui

et

communs

il

était

revenu,

que son ami Maître, après avoir été passablement tiède

presque hostile

et l'exaspération

:

rappelez-vous ce qu'il disait de la Traviata

que

lui

causait à Londres le Misei^ere

du

Trouvère.

En

qui

ce

regarde Wagner,

il

laissa

se

entraîner à

l'Opéra pour y voir jouer Lohengrin,la Walkyrie, Tannhseuser et les Maîtres

Chanteurs de Nuremberg.

de

c'est plein

vie, écrivait-il â M""^

«

Nous sommes ravis,

Edwards

le

19 novembre

première représentation. On voit

1897, après avoir assisté à

la

que Wagner

de son sort à l'époque où

était satisfait

posait cet ouvrage

;

»

— mais ce

il

com-

fut tout, et lorsque arrivèrent

Siegfried et Tristan et Iseult, Fantin sut

tenir

bon contre

les

exhortations de ses amis et les sollicitations de son entourage

immédiat il

:

ni

pour Wagner,

ni pourBerlio/, ni

pour personne

ne se dérangea plus jamais. En réalité, Fantin, surtout après

qu'il se fut

marié, n'alla plus que rarement dans les concerts 21


FANTIN-LATOUR.

162

ot

presque jamais au spectacle; tous ses appétits de musique

étaient satisfaits par les séances de piano à quatre mains

que

son ami Lascoux donnait avec un ancien magistrat, M. Grattery, et

dans lesquelles ces deux amateurs exécutaient avec passion

les

opéras de Wagner.

Lascoux ne

faisait

père, le conseiller à la

que continuer

traditions de

les

son

Cour de Cassation, chez qui avaient

eu lieu jusqu'en 1870, des séances intimes de quatuors de

musique

classique. Fantin avait

ami Maître,

ainsi

que

le

dû être introduit

peintre

Bazille,

et

par son

quand on

les

voyait tous trois arriver dans ce milieu tranquille et bourgeois

«Tiens! voilà les Manct!

» s'écriait-on

:

avec une terreur affectée.

Les séances de piano à quatre mains du fds s'étaient bientôt transformées en séances de quatuors où l'on jouait surtout des

œuvres de Schumann, de Brahms; où

eux-mêmes tout vin

en

la

les

porte aux nouveaux arrivants, où l'on pouvait,

écoutant, ou fumer ou boire à

d'Arbois;

auditeurs ouvraient

l'on aperçut

satiété

d'excellent

M. Saint-Saëns,

quelquefois

M. Messager, Chabrier, M. Fauré, qu'on appelait déjà, mais par façon de plaisanter,

le

Schumann

manquait pas de venir, quand

il

français

;

où Svendsen ne

était à Paris, et tenait

môme

une partie de violon. Après

les

quatuors, simples ou doublés, les transcriptions de

fragments de Parsif a/ arrangés pour petit orchestre par M. llumperdinck tout exprès pour Lascoux; après quatre exécutants, dix, vingt, trente,

au nombre desquels figuraient parfois Garcin,

Lamoureux, Maurin, sous

la

direction de Lascoux; après quinze

ou vingt auditeurs, tous intimes, cent, deux

cents,

trois


FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ. convoqués par des invitations qu'on

cents,

coup plus

parts, et puis tout à

163

sollicitait

de toutes

L'organisateur de ces

rien.

séances, excédé du bruit qu'elles faisaient dans Paris et des

compliments qu'on

lui

adressait en affectant de le traiter, au

détriment du magistrat, non plus

comme un

qui s'amuse, mais

comme un

simple amateur

professionnel de la musique,

jugea bon d'arrêter ces divertissements musicaux

:

dès lors

Fantin n'entendit pour ainsi dire plus du tout de musique...

Encore qu'il

rît

dans

qu'il fût,

volontiers

d'humeur assez gaie

l'intimité,

plutôt

un concentré,

son amitié, pour solide qu'elle

d'une façon très expansive l'affection qu'il

du

en se rappelant d'anciennes pièces

Palais-Royal, son théâtre favori, Fantin, dans la vie, était

et

il

:

le

courant de

je

ne dis pas un morose, et

fût,

ne se manifestait jamais plutôt deviner et sentir

fallait

vous portait et savoir

Lui-même

la savourer.

en convenait d'ailleurs et s'en disculpait assez drôlement dans ses lettres à ses parents à propos de

sans doute celle de sa

mère

fête oubliée,

de sa sœur Marie...

et

diable, vos fêtes, écrivait-il le

quelque

20 août 1861,

je

Ah!

«

ne connais

pas tout cela. J'écris peu, c'est vrai, mais quand j'écris, c'est

pour vous, ceci

:

c'est parce

fête,

écrit,

fait plaisir.

le

comme

sa

jour de

mère

Que me

Eh bien!

pour vous demander des bretelles la

avait

le

si

je

jour de

»

Ou

encore, un peu plus loin,

dû mal prendre ce Ion cavalier

:

«

maman, n'accusez pas votre fils comme cela; je ne grand bruit de mes affections, je ne comprends pas

chère

fait

Saint-Henri... Ah! qu'en dites-vous?

Elle est bonne, celle-là?...

pas

me

C'est la sainte Ceci; c'est la sainte Cela?

vous avais

ma

que cela

Ma fais

les


FANTIN-LATOUR.

164

grandes protestations, mais j'aime bien. Je suis très malheu-

reux

même

de ne pouvoir pas dire ce que je sens. Tu pardon-

neras cet oubli bien involontaire, je t'assure. bien grands, je

le sais (paresse),

mais

des défauts

J'ai

ne crois pas être

je

si

insensible que vous le supposez. Mais cacher ce que j'éprouve

une chose que

est

ne peux empêcher,

je

et les affections

demandent, mystère

et

du

crois,

je

une mutuelle com-

préhension. S'aimer, sans

pour

dii^e,

tise...

Et

par une bê-

»

même

de

dans

tard,

finir

les

que, plus

lettres

qu'il

m'écrira de Buré, Pantin KaiUin-Latour...

ci...

voyez par Val

Voyez, voyez... Parsifal

me

marquera toujours sa recon-

Une pièce de Wagner?

Mais non... Les Cloches de Corneville. Voyez par

le

naissance pour

le

nouvelles que je

lui

peu

de

envoyais

!

Caricature de Honriot, d'après Parsifal les Filles- Fleurs {L'Illtuitralion,

de Paris, non sans quelques

et

6 mai 1893).

pointes à l'adresse de ceux qui,

de

comme

même

parents,

il

Maître ou Pigeon, avaient

dans

la

plume moins

facile,

dernière de ses lettres d'Angleterre à ses

écrivait

:

«

...Je

sens que je vais travailler. Le

travail artistique, c'est tout, je il

la

n'y a rien d'autre. C'est

veux

faire

des chefs-d'œuvre;

une consolation,

c'est la seule qui

peut faire consentir à vivre. Si je n'avais pas cet espoir, je voudrais mourir.

Que

la vie est

qu'illusions qui s'envolent, il

absurde autrement

!

Ce n'est

que bonheur d'un moment, puis

y a les tristesses qui viennent; je redoute toujours

la

fin


PAIISIFAI.

ET LES FI LLES-FI.EU H S

Lithographie orlj^inale (1883), reprise pour

A M.

le

tableau du Salon de 1893.

Ch.-Ed. Haviland.



FANHN-LATOUR DANS du bonheur. Écrivez-moi

une

lettre,

Edwards

cela est

si

165

agréable de recevoir

on se sent aimé d'autres qui pensent à vous'. encore avec quelle émotion

faut voir

Il

;

L'INTIMITÉ.

le

départ et

le

»

annonce à

il

mariage de sa chère sœur Marie,

après huit ans d'attente

que

attendait

(elle

le

fiancé qu'elle aimait eût

une

position

assurée,

c'est-à-dire le grade de

dans

colonel

russe), et la

cause

lui

l'armée

douleur que sépa-

cette

ration,

d'autant

cruelle,

que

fille

avait

plus

jeune

la

partir seule

pour Varsovie où

le

ma-

riage allait se célébrer,

chez des amis,

de

la

la

guerre

Prusse contre l'Au-

triche ayant hâté ce riage, en

qu'elle

môme

ma-

On a donné à

votre père, ce matin.

Caricature do Stop, d'après Pnrsifat cl Fleurs {Jottntal amusant, 6 mai 1893).

le)

FilUt-

temps

empêchait les parents de Pantin de se rendre

si

loin,

sans

être sûrs de pouvoir, au retour, retraverser l'Europe en feu. «

Enfin, tout est

achevé, elle nous a quittés,

Edwards. Jugez des douleurs de pénible. Je ne

1.

me

la

à

séparation; cela a été très

sens plus ce que

Lettre du 19 septembre 1864.

écrivait-il

j'ai

été, cela

m'a

vieilli


FANTIN-LATOUR.

beaucoup. c'est

de

Si ce n'était l'attente et l'angoisse

un bien pourtant pour

elle...

séparation,

la

a trente-sept ans et un bel

11

avenir devant lui; vous voyez que c'est une bonne chose pour

jeune (vingt-neuf ans) je craignais toujours

elle qui n'était plus

que cela

:

n'arrivât pas'... » Et tout de suite apr«;s,

il

ajoute

:

Vous comprenezponrquoi, malgré tout leplaisirqucj'auraisde vous voir, il m'est impossible d'aller à Sunbury cette année. Me <(

pour mon père

voilà seul enfant

aime

tant. Je

mon

sens que c'est

;

je ne

plus vrai de tous les devoirs. Je crois

devoir et c'est bien

môme

le

du bon-

passer leur vieillesse dans la tranquillité,

heur, leur

faire

l'aisance et

même,

si

je le

peux en

travaillant

donner du bien-être, du luxe. On doit être en vieillissant.

Ma récompense

heureux; mais

le pourrai-je*?...

sera

le

si

colère de tous les refusés, était

le

sensible à cela les voir

»

la

mort de sa mère arrivant juste au moment où raisons d'être heureux,

beaucoup, leur

bonheur de

Et quel coup ce fut pour Fantin que

Ce tableau, qui

les

que cela est des

plus fortifiants pour le travail. Je veux leur donner

de

peux

pas? Ce serait cruel et je

laisser seuls maintenant, n'est-ce les

ma mère

et

car au

lui, avait

portrait

maladie et il

milieu de

la

avait le plus la

bruyante

vu recevoir son tableau!

de Manet,

avait

vivement

frappé tous les jurés et gens de l'administration qui avaient

pu l'entrevoir avant l'ouverture du Salon. goûter ce

plaisir,

écrit-il

préoccupé et inquiet de

1-2. Lettre k

l'état

Edwards, du 2

à

Edwards

de

ma mère

juillet 1866.

«

le

Mais je ne peux 12

avril

1867,

qui est toujours très


FANTIN-LATOUR DANS malade;

»

lorsque

le

eut

fait

L'INTIMITÉ.

ou encore, deux grands mois plus

commandes,

venir des

trois

séances par jour

place auprès de

ma

mère, passant

mon

la nuit

moi qui me croyais autrefois dans une

«

:

Je

mon

le fatal

événement,

écrivait à la date laisse

Oh

auprès d'elle.

!

vie dure, je vois la

courage, je n'en puis plus. il

rentre

père, je prends sa

aujourd'hui. Je veux en partir maintenant; je

bout de

lui

qu'il peignait

trois portraits

dîner, n'en pouvant plus; je relaye

me

25 juin,

tard, le

succès du Portrait de Manet à l'Exposition

simultanément, d'où

vie

167

»

suis au

Quatre mois après

n'avait pas encore repris le dessus et

du 25 novembre

un vide atroce.

«

:

La perte de ma mère

pour moi une espérance

C'était

continuelle de lui montrer son fds réussissant; j'aurais tant désiré lui procurer une vieillesse plus heureuse que le

mencement de

sa vie, et puis rien!

Oh! voyez-vous,

com-

c'est la

plus grande douleur que l'on puisse avoir. Je ne m'en suis

pas encore ressenti autant que maintenant et chaque jour ce sont des regrets constants.

Au

retour, ces jours-ci

du château de Fontenay-Trésigny, où portrait de M"" de Biron), quel vide!

il

avait

Que

(il

revenait

commencé

c'est triste

le

de ne

pas trouver un accueil, une oonversation, de ne pas faire des projets ensemble, de ne pas parler de choses

espérances dans l'avenir!

»

Combien

il

à faire,

des

dut regretter alors de

n'avoir pas mis sur l'heure à exécution le projet qu'il avait

formé et communiqué peu auparavant à Edwards de représenter sur

la toile

toute sa famille

lui-même, sans doute, avec eux

!

:

père, n)ère,

sœur

et


FANTIN-LATOUR.

168

*

Tel

pour sa famille,

était

il

*

tel

il

peu communicatif, peu expansif, mais

même. A

la

façon dont

il

exemple de Legros lorsque

pour ses amis

était

parle d'eux dans ses lettres, par

presque avec

celui-ci se brouille

Fantin parce que, installé à Londres et y ayant carrière,

il

quand

attaché

très

:

fait

toute sa

ne peut pas admettre que l'amitié de Fantin se par-

tage entre Whistler et lui-même; à la joie que Fantin manifeste, lui le

de

qui est

si

triste et se sent si seul à Paris,

prochain retour de Scholderer le

et

aux craintes

trouver changé ou différent de ce qu'il

met

à l'empressement qu'il

à

annoncer

rien tirer

quand

il

ne

lui parle

il

exprime

voudrait voir;

ne peut d'ailleurs

pas de lui-môme, et par Manet,

qui a envoyé là un très bon portrait de Zola, et le meilleur aussi

du Salon tout entier

que ce garçon-là ne

fait

ses amitiés et qu'il leur

qu'il

double succès rem-

le

porté au Salon de 1868 par Legros, dont

le

en apprenant

bon marché

demeure

ni

»,

il

«

son meilleur

est facile

de voir

de ses opinions

fidèle, alors

ni

de

que certains de

ses amis paraissent s'écarter de lui et le laissent continuer seul dans la vie. «

autour de

soi,

Au

départ, on est jeune, heureux; des amis

puis l'on marche et l'on se quitte sur la route.

Adieu! adieu! dit-on de temps en temps, puis on est seul;

heureux quand on a encore

que

1.

le

repos éternel

Lettre à Edwards,

comme du 26

l'Art.

Sans quoi,

espoir

février 1866.

'.

»

il

n'y aurait plus


KÈVKIUK

(.M>"=

I.

188i.

ÈON

MAÎTBE)



^

''<

/'•*.<.

Ct^t-j^

/>

7^

/^

<^.

22



"7^

«9^^"v^

?

^

(f*A

7^

-y^iyc

J"


a.

-

—^

r-

»

«

'

«

a*^

c^^^o^.^:,

\

a

-

^^^^


!0

O —

s

-"

o „

<

w s

as

e



FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ. Et quelle

chaleur n'avait-il pas mise

173

précédemment à

défendre Manet, tant que celui-ci était repoussé par des juges qui

condamnaient sans

le

de parti

été refusé

même

avoir vu ses tableaux!

Depuis l'année dernière, on disait eu

courage de

le

le faire,

ne parle que de cela. plus grand bien sa tenue

sur

:

:

le

Edwards en

pris, écrivait-il à

Ils

le voilà

moment,

a

avril 1866.

qu'il serait refusé. Ils ont

un grand

cela produit

en voulant

lui font,

effet ici,

on

lui nuire,

le

martyr... J'ai été très satisfait de il

a eu

un mouvement de

puis a repris le calme de celui qui est fort et

de commencer un autre tableau. Malgré la

« Il

il

colère,

est en train

peu de succès que

le

peinture vraie a dans ce temps-ci, elle est en marche et

du moment où on l'admettra. La conduite du jury

bien près

est si injuste qu'il

mis

:

on trouve cela trop dur'.

1.

parmi nos enne-

»

Mais celui de tous ses amis qui mait

même

y a une réaction,

le

surprenait et le char-

plus, c'était ce volage et fringant Whistler

le

Enfin,

beaucoup plus

tard, après la

mort de Manet Edwards le

n'sultats de la vente Manet, écrira-t-il à M'""

:

«

qui lui

Vous avez vu

H

les

février 1884. Je

crains que l'on n'ait exagéré les prix des tableaux, ce qui fait que l'on a trop

racheté en ne voulant par les vendre à bon marché. Quelle déplorable idée

de croire que

Dans

la

bonne peinture peut se vendre cher, comme

la lettre

reproduite ci-contre

If'me qu'il avait adopté par

(p. 169-17'*),

la

mauvaise!

selon un

Fantin,

»

sys-

manière de taquinerie, exagère visiblement son

admiration pour Rossini en affectant de mettre indistinctement tous ses opéras,

même

Zelmira

et

Le catalogue dont

/ticciardn e Zoraïde, il

au rang des chefs-d'œuvre absolus.

parle était celui de ses lithographies, dressé par

Germain

Hédiard, précédé d'une étude générale sur son œuvre lithographique elaccom-

pagné de deux lithographies originales (son portrait à et

Vénus

et

l'Amour) et publié effectivement

marchand d'estampes,

18, rue

«

chez

Guénégaud, 1892

».

l'âge

de dix-sept ans

Edmond

Sagot, libraire,


m

FANTIN-LATOUR.

avait donné, c'est vrai, de très

tion et l'avait

je

:

«

qui

saisir, à

il

ne se

me

Gela

un grand

ferait

de

plaisir

peux dire maintenant que son silence m'a

disait

il

à

le revoir, et

bien de la

fait

moi comme une femme, comme

peine, car Whistler est pour

une maîtresse que

qu'il

lassait pas d'écrire

de réponse régulière et de qui

recevoir

Edwards

d'affec-

chaudement soutenu en Angleterre, mais

pouvait difficilement

sans

nombreuses marques

l'on aime,

malgré tous

les

ennuis qu'elle

vous donne.

J'ai

bien peu d'affection pour les femmes, je n'ai

jamais rien

fait

pour

comprends pas

;

être capable de c'est la

même

rait avoir

font peur et je ne les

mais au fond, tout au fond, je sens que

aimé, je serais l'esclave

j'étais

me

elles; elles

si

plus soumis et serais peut-

le

toutes les plus grandes folies. Je sens que

chose pour Whistler

un ami dévoué

et

:

s'il

savait

comme

aimant en moi. Malgré

il

pour-

tout,

il

est séduisant'... «

Mais

qu'il se retrouve tout à

coup en

face de cet incon-

stant ami, et tout aussitôt les dissemblances de leurs

natures éclatent à ses yeux et celui qu'il souhaitait tant

le

deux

rendent presque dur pour

de revoir

:

« J'ai

trouvé Whistler

très Américain, très aimable; mais, moi, pas trop aimable. Je

sens que nos beaux jours sont passés. Offres de service, vou-

m'emmener

lant

à finir.

car

il

bien

1.

Je

me

chez

lui;

mais

Lettre

depuis que je

du 2

ne pouvais pas

:

ma

copie

reproche de n'être pas plus aimable avec

est toujours très bien utile

je

juillet 1866.

pour moi, le

connais

et, :

je le sens,

il

lui

m'est

chez les Grecs, son


FANTIN-LATOUR -DANS L'INTIMITÉ.

absence

s'est

l'ait

sentir'.

croit trop à l'argent, à

Il

au bruit, pas assez au bien, qui est

le seul

C'est long, c'est vrai, et c'est pénible

:

il

moyen de

travail si captivant! le Capitole! c'est vrai,

se relâcheront, surtout après la

parvenir.

le

mais

prix de ce

Couronnes! Gloire M...

»

Ils

mais combien leurs relations

que Whistler se sera marié

Et

!

dernière fois qu'ils se rencontrèrent, à l'Exposition cen-

tennale de 1900, «

l'habit,

faut travailler,

quelle belle occupation, un travail intéressant et

ne rompirent jamais,

175

comme

passaient devant la Famille D...

ils

Dis donc, s'écria joyeusement Whistler; et toi qui

santais sur le portrait de

son air

le

ma mère?

— Oh! ma

plus doux, ce n'est que

me

plai-

repartit Fantin de

belle-mère.

»

un

Certes, Fantin, à la différence de Whistler, n'était pas

remuant, pour ne pas dire plus, et ne il

n'était

l'homme

ni des

de voix, et on se

le

fumant

et

buvant

café auxquelles

il

«

:

croyait pas à l'habit

»

;

grandes phrases ni des grands éclats

représente mal autrement qu'écoutant,

oh

!

très

peu

dans ces réunions de

se rendait pourtant régulièrement, afin d'y

récolter quelques nouvelles d'art, mais dont

le

ton général

déplaisait à sa nature silencieuse et renfermée. C'est au café

de Bade, où

il

s'arrêtait tous les jours,

remontant du Louvre vers la

la

très

original,

stère des Finances et

1.

Chez

Whistler 2.

nommé

lui avait fait

fait

de son côté avec

Fioupou, sous-chef au Mini-

dans

la

colonie grecque de Londres où

vendre plusieurs tableaux.

du

dîner, en

grand collectionneur d'estampes, une

les Grecs, c'est-à-dire

Lettre à Edwards,

le

rue Saint-Lazare, qu'il avait

connaissance de Maître, lequel venait

un ami

avant

2 janvier 1867.


FANTIN-LATOUR.

176

sorte de personnage hoffmannesque dont les saillies amères et les

boutades paradoxales, lancées à haute voix, faisaient

la joie

des habitués,

comme

Whistler, etc. C'est encore

Legros, Zacharie Astruc, Cordier,

connut

là qu'il

le

peintre Bazille,

ami personnel de Maître, également TANTm-LATOU

passionné pour

peinture et la

la

sique et qui, certain soir, priait

mu-

comme on

le

de ne pas jouer de piano avec

ce dernier pour cause de mort dans la

maison, prit ses cahiers de musique

compagnie de

et entraîna toute la

rue Taranne continuer

aux

Batignolles,

la

pour

séance qui venait d'être

la

interrompue. Et Fantin n'avait pas été le

moins ardent à

afin

faire ce petit

voyage,

de ne pas perdre une note des

morceaux

qu'il

s'était

promis

d'en-

tendre.

Au

café,

il

semblerait, d'après quelques passages des lettres

de Whistler, que celui-ci et Fantin dussent principalement causer ensemble, en se tenant un peu à l'écart de leurs camarades, sans doute en

raison de

Whistler affirmait en ces termes l'un à l'autre

:

l'affection «

Nous sommes nécessaires

pour ce véritable échange de sympathie que nous

ne pouvons pas trouver avec d'autres. de Londres, qu'il

réciproque que

il

»

Et c'est ce qui

fait

que,

revient volontiers sur ces causeries de café,

demande des nouvelles

recommandations du genre de

et fait celle-ci

à :

Fantin d'amusantes «

Maintenant, voici


IHIH^^



FANTIN-LATOUR DANS

L INTIMITE.

177

ce que tu vas propager partout avec toute la finesse de gredin

que

dignes l'un de l'autre.

Tu

nous nous connaissons

tu sauras parfaitement y mettre, car

glisseras

ceci

J'ai

reçu

la

médaille d'or de

au commandant

la

Hollande.

commandant Lejosne,

(le

parent de Bazille) au café de Bade, de sorte que les autres puissent l'entendre et que ça vienne naturellement à se savoir partout...

»

Après

le café

de Bade, ce fut au café Guerbois, avenue de

Clichy, que nos jeunes gens, déjà plus mûrs, tinrent leurs

probablement parce que Manet, Zola, Monot,

assises,

Bazille,

Renoir, etc., demeuraient dans ces parages et formaient ce

qu'on appelait alors l'école des Batignolles. Mais ces réunions

du

auxquelles Fantin ne

soir,

dans

le

moins

manqua guère

quartier de la Chaussée-d'Antin, lorsqu'il fut

revenu sur

le

tant qu'il

virent de

demeura moins en

gaucbe, et c'est alors,

la rive

tout de suite après la guerre, que, sans pousser

si

loin,

il

passait presque toutes ses soirées à nous entendre pianoter.

Maître et moi, sur

le

môme

où s'escrimait auparavant dans

les

Rolande

Du

zouaves :

le

reste, ces

Fantin qu'un

pauvre Bazille qui

et avait été tué à

rue Taranne

la

instrument, dans la

la bataille

beaucoup

l'attirait

môme

s'était

pièce

engagé

de Beaune-la-

plus.

réunions de café n'avaient jamais eu

attrait

bien

C'était

relatif.

une obligation du métier que de

pour

en quelque sorte

rendre et d'y entendre

s'y

Courbet pérorer de sa grosse voix, avec violence, ou Manet y fulminer

môme café!

contre les

membres du

se morigénait en s'appelant »,

se plaisantait sur le

:

«

jury

officiel

;

mais

lui-

Paresseux, coureur de

premier verre d'absinthe 23

qu'il


FANTLN-LATOUR.

178

premier

avait bu, le

trouvât

dont

ou

môme

vait la

moment du

à certain

bien

avait eu

il

et le dernier,

un

pensait-il,

qu'il

et,

banquet des Aqua-fortistes

un tableau,

instant l'idée de faire

du Champagne,

écrit-il

Edwards

à

éprou-

il

impression qui n'avait rien d'agréable.

café et

se

«...

le

Au

2 jan-

commencé à faire de mauvaises charges d'ateabsurdes; nous sommes alors partis, quelques-uns. Ah!

vier 1864, on a lier,

toujours les masses stupides!.. Est-on malheureux de n'avoir rien

comme

de Bade, je

société

me

!

Pas de réunions potables

déplais. C'est de

;

même au

café

mauvais goût; on y est bote.

Que voulez-vous? mais

je

ne peux pas dire autrement. J'en

sors toujours dégoûté.

On

n'y dit rien, on ne pense pas, ce

ne sont pas des artistes. Des cancans, intérêt,

c'est

comprend

c'est \h tout.

quelques nouvelles artistiques.

qu'il ait vite

»

Le seul

Comme

renoncé à traverser tout Paris

on

le soir,

après son dîner, pour se retrouver au milieu de camarades

dont

il

goûtait de moins en moins les propos décousus, sans

portée, et les plaisanteries sans sel

!

Pantin n'était pas d'un caractère plaintif, rait

le

lettres,

supposer en

le

voyant gémir

sur les difficultés auxquelles

si il

comme on

pour-

souvent, dans ses se heurte, sur son

labeur aussi acharné qu'improductif; mais c'est que de très

lourdes charges de famille pesaient sur à Edwards, au

marier, qu'il plus sa avait

moment où était seul

sa

lui,

sœur Marie

il

il

ne cache pas

les quitte

pour soutenir son père

sœur Nathalie, toujours malade

des moments où

car

pour se

et sa

mère,

et internée, et qu'il y

désespérait de

pouvoir travailler

assez pour répondre à tant de besoins toujours renaissants.


pantin-latour Dans lintimité.

Au

surplus,

loin en loin

questions d'argent ne

les

dans sa correspondance, et

179

reparaissent que de

c'est toujours l'art seul

qui le préoccupe; les périodes d'espoir et les crises de dé-

couragement nerveux où

le

Il

se rapprocher des maîtres qu'il voudrait

n'a jamais rien dit de plus vrai

que

lorsqu'il écrivait

dans une de ses premières lettres à Edwards, dès d'octobre 1861 faire,

:

En dehors de mon

«

mande tous ou encore, La

art, je

cette vie,

me

bonne;

me

ne

je

reste n'est

que mensonge, horrible

je vais être libre,

heureux

me

l'œuvre, à l'œuvre

mêmes

!

disiez

qu'il aspirait à égaler, ces chers

le travail,

ne

lui

il

nous

te

nous

t'en

:

«

tout

le

que

!

»

Ces maîtres

maîtres du musée du

semblaient-ils pas quelquefois s'animer,

voilà, viens, c'est

quelque absence, et

beau

!

lui

Nous t'aimerons,

consolerons. Tes beaux jours sont passés; mais nous,

donnerons. L'Art,

est à toi; viens 1.

Te

Vous

retrouvait le calme et le bonheur

lorsqu'il se rapprochait d'eux après

parler ainsi

là,

:

veut l'homme tout entier.

Cela vaut mieux que tout

Louvre auprès de qui

:

quand je

illusion... N'est-ce pas

? L'art

de-

la vie... »;

plais pas

que vous

tue. J'attends

l'art

du 16 décembre 1864

trois ans plus tard, à la date

vie ne m'est pas

car

avez raison; l'atelier et rien d'autre, car tout est

dans

mois

ne peux rien

en dehors de

les sacrifices, car l'art est

suis agité, cela

A

le

rien dire, et la façon dont je vois l'art de jour en jour

m'éloigne de toutes les choses de

«

l'état

jettent son travail obstiné, ses efforts plus ou

moins heureux pour égaler.

proviennent uniquement de

qu'il traverse

c'est la vie supportable; l'avenir

dans notre famille'!...

LeUre à Edwards, du ii octobre 186 4.

»


FANTIN-LATOUR.

i80

Et quelle noble ambition d'être ambitieux,

dès

dit-il,

«

je

dis

dit qu'il faut l'être, et

il

même

premier jour, avant

le

Projets pour

me

l'agite, car loin

lui-même

de devenir un

l'était,

artiste!

quand

Salon, esquisses, pensées sérieuses,

le

que

de se défendre

j'ai

mon

dans mes mains, dans

de

livre

croquis, la gloire ou rien. Faire quelque chose de bien, mais

pas de juges

Penser seul à

!

ne savoir où l'on va, entrer

l'art,

dans l'inconnu, marcher en avant, puis revenir, prendre à à gauche,

puis

droite,

de

dans

attendre

cile,

que

soi,

le lever

les appréciations

pas d'éducation

;

regarder

soleil

:

que cet

art est diffi-

en sont fausses! Et pas de conseils,

comme

doit prendre sans tergiverser!

me

du

désapprendre ce que

j'en perds la tête'. » Et

vous ne

fatigue,

chercher une lueur à l'horizon, assis

tout autour la nuit,

puis s'asseoir de

il

«

Il

l'on sait

sait

!

Oh

parfois

!

bien quel chemin

faut travailler (ah

direz rien); oui, travailler vraiment, je

à cela

!

me

aperçu ces jours-ci que quand on veut aller où je veux le

plus haut possible,

ragé \

»

Ou

il

bien encore

d'avoir compris

le

faut :

travail

«

absolument

Mon et

il

suis

aller,

faire ce travail d'en-

cher Edwards, je vous dois

le

vrai

calme

qu'il

donne.

Je n'ai pas besoin de m'agiter, de parler; je travaille, ce qui

vaut mieux \ Enfin, il

»

quand

il

s'interrogera un peu plus tard,

pourra à bon droit écrire ceci

efforts, toutes

:

mes préoccupations,

Lettre à Edwards,

Lettre

du

21

3.

Lettre

(\\\

8 avril 1866.

1865.

Je récapitule tous

ce que

du 26 décembre 1864.

i.

2.

mars

«

comme

j'ai

fait

pour

mes

me


LA TOII.KTÏK DK VÉNL'S Dessin

tiré

d'un album de croquis du peintre, au Musée du Luxembourg.



FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITE. dégager du faux, mes ardeurs à chercher

ma

conduite

moi rien à rude et sur

la

si

je

;

ne vois rien

De

effacer.

peu frayé;

me

pense à

le vrai. Je

de trop fou. Je n'ai derrière

Mais

l'hésitation?

je

181

le

chemin

est

si

suis assis peut-être trop souvent

route pour prendre du repos, mais cela n'a jamais été

que quand je ne voyais plus l'horizon ou que

me

était

rempli d'obstacles. Je

Si je

tombais aujourd'hui, qui

suis relevé, je sait si je

me

chemin

le

veux marcher... relèverais?

Vous

devez bien

me

connaître à présent, mais vous ne pouvez pas

encore voir

le

fond de F'antin. Je suis bien décidé, mais je

suis très faible aussi. J'ai

de force matérielle.

me

cela

explique

un peu de

J'ai tant

de peine pour

faire

peu

quelque chose,

coûte tant, que sans cesse je suis fatigué. Cela vous

mes perpétuelles

plaintes'. » Et

on peut toujours progresser, encore mieux,

comme

«

comme

manque

distribuer

»,

il

comme,

selon

lui,

son seul but est de faire

on ne peut rien,

facultés naturelles, mais qu'on peut

qui

force nerveuse, mais

dit-il,

quant aux

beaucoup pour réparer ce

supplie encore son ami d'Angleterre de lui

généreusement

la

manne

de

réconfortante

ses

conseils ^

Mais de quel courage et de quelle résolution ne devait-il pas s'armer pour résister

aux assauts réitérés que

vraient les séductions de la vie de Paris

de s'abandonner à

la flânerie, et

follement l'assiègent et ne

le

!

Qu'il ait le

Lettre à Edwards,

2.

Lettre

du

du

lâchent plus

2 juillet 1866.

3 janvier 1867.

li-

malheur

tout aussitôt des idées de vivre :

qui courent au Bois de Boulogne emportent 1.

lui

«

Les voitures

ma

pensée. La


PANTIN-LATOUR.

182

rue de

Chausséo-d'Antin que je remonte

la

du

du Louvre

et

sienne,

gaie,

si

Je désire tout

travail

attirante,

si

ici,

cette rue

;

remplie de cette vie pari-

si

me

au sortir

le soir,

rend

m'ennuie...

triste; je

dans cette vie de Paris:

c'est la

femme qui

passe, c'est le cheval qui court, c'est la voiture qui roule

sont toutes ces vanités-là qui

me

études, de je

Italie,

un peu d'argent,

Qu'il ait seulement

»

mes qu'il

à sa guise, et loin de céder à ces tentations

soit libre d'agir

en

faire

ce

mettre à apprendre sérieusement tout ce que

ne sais pas.

mondaines,

m'empêchent de

;

y échappera en fuyant très loin et se réfugiera

il

dans

les

bras de

Peinture;

la

vivra

il

là,

dans

le

pays

de Raphaël, de Michel-Ange, de Titien, de Véronèse, une vie

douce et

et calme, en

dehors du monde qui

l'empêche de devenir

gagner péniblement sa vie

son balcon de la

soirée,

la

au

et

rue de Londres, où

milieu

des

idées

meil.

ne

le

atelier et entrera c'est ce qu'il

:

dehors I.

il

s'assoit et

:

«

plus de

Frères,

fume toute

qui l'assaillent et

définitif,

il

le

som-

sait qu'il

jour où, fermant

l'oreille

se cloîtrera presque dans son

— irrévocablement —

il

Lettros à Edwards,

faut travailler'

du

à

deux ou

musique, plus de distractions, plus

réunions au café, plus rien de

de

il

en quelque sorte en religion artistique. Et

décida de faire

trois reprises

il

puisse réaliser,

momentané dans

le travail, le

à tous les bruits de la ville,

la fièvre

remonter tristement sur

Quant au repos complet, au calme trouvera que dans

le

noires

jusqu'à ce qu'il cherche un repos

donne

rêverait d'être. Et ce

l'artiste qu'il

rêve l'enchante; mais, en attendant qu'il lui faut

lui

3 février et

du

la !

vie

ni

»

21 août 1865.

des bruits du


FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ.

183

* *

Ce qui frappe dans

les

*

lettres

d'abondance à Edwards,

et parle

recherche et

même

moyen de courtes toile,

phrases,

comme

papier

qu'il jette sur le

des touches de peinture sur une

rait

comment, sans aucune

c'est

sans style, au

de notej très brèves

où Fantin ouvre son c(eur

il

arrive à

il

jette-

donner

l'impression très nette de ce qu'il sent, de ce qu'il veut dire et

comment, en

on croirait l'entendre causer, cou-

le lisant,

pant ses phrases et répétant ses mots tude de

comme

il

avait l'habi-

Et n'arrive-t-il pas, de la sorte, à de véri-

le faire.

tables effets de vigueur, particulièrement dans

une page où,

tout irrité de la sévérité des juges officiels, qu'il faut bien subir,

mais sans

les reconnaître,

tant de leur

refusés

d'il

à forcer

nombre

et

explique par quelle force résul-

de leur union, ses amis et

les

résistances aveugles du jury, mais

moins

forts,

Ce n'est que par peur, on peut

la

camaraderie pour

le

jury

le dire,

que nous (Manet,

— ou bien

nous

le

faisons.

comme

nous,

étions quelques-uns à ;

semble de toutes «

tout est

On nous refuse. Nous étions plusieurs alors la plainte forte. On expose les refusés; le public (c'est-à-dire l'en-

exposer. est

En 1803, nous

:

quand, grâce à

des incidents particuliers, on force les portes ici,

comment,

payent pour eux?

Whistler et lui-même) avons été reçus. Voyez-vous

dans

lui, les

y a deux ans, ont pu arriver à se faire admettre,

d'autres, plus jeunes et « ...

il

Eh bien! mais

il

les

opinions) parle. Cela se résume en

y a des capacités là dedans!

»

:

Ceci, à par-


FANTIN-LATOUR.

184

tir

de ce moment, a été pour nous un laissez-passer. Tenez,

mon

cher Edwards, laissez-moi vous faire un petit tableau de

ce que c'est que les jugements artistiques. Point de départ

Des peintres de talent; des idées dans seulement;

comprend

les autres, la foule,

rien

;

la tête

:

de quelques-uns qui suit ne

suit. Cette foule

elle imite, copie, surtout les défauts

:

on ne

peut pas copier les qualités, sans les posséder, en germe au

moins. Viennent alors des gens nouveaux qui sont frappés surtout des défauts, qui cherchent autre chose; voilà l'idée

qui naît dans

la tête

d'un

homme;

autour de soi on en voit

d'autres qui se rencontrent; on se dit

de faire ainsi; on devrait

tort

faire

Cela est vrai; on a

«

:

comme

cela.

Dans

»

les

premiers temps, on expose, on est refusé. Ce n'est pas assez bien; cela n'est pas assez différent, cela a encore du rapport

avec les choses que tout

on

travaille,

le

monde

fait.

On

se groupe, on crie,

on est plus nombreux, on vous

laisse

comme

Alors, on se rencontre, on en voit qui font aussi

que vous aimez, on se connaît, on se sent entouré d'audace. Voilà ce que j'ai tant aimé, moi J'ai

:

c'était ce

cru que cela pourrait durer. Là était

enfin cela

dément

cette réputation de

chaque jour, maintenant. Non,

mon

passer.

,

ce

on a plus

moment-là.

erreur, mais

méchant qui grandit

j'étais artiste

avant tout. Main-

hommes m'ont montré mon don-quichottisme deviens comme eux. Je reviens au moment où

tenant que les artistique, je l'on

était plein

d'ardeur, à cette année 1863, où

exposa, refusés. Depuis, quelques

noms

l'on

nous

font rugir les jurés;

vous ne pouvez pas vous imaginer quelle est leur colère. Et puis

ils

disent

:

«

Nous

les

recevons pour

les punir,

pour que




FANTIN-LATOUR DANS L'INTIMITÉ.

public en fasse justice.

le

A

»

présent, vous, vous payez pour

On se venge certainement sur Comment! en voilà encore d'autres?

nous. «

Et l'année suivante,

il

185

vous.

se disent

Ils

Refusés! refusés'!

:

»

revient encore sur ce sujet pour

consoler Edwards du refus des deux tableaux qu'il avait en-

voyés et qui n'avaient pas eu plus de succès que ses envois de l'année précédente; mais cette fois-ci ce n'est plus du passé

que parle Fantin, regarde lui

la

c'est

peinture en général

comme

en ce qui

particulièrement, et sur ces deux points,

clairvoyance extrême, la fois le

public.

il

il

le

regarde,

montre une

perçoit avec une netteté sans égale à

sens dans lequel évoluera la peinture et à la suite de

quels changements

le

de l'avenir, de l'avenir en ce qui

il

arrivera

Dans un temps,

simple et

dit-il,

le vrai, le jury,

recherche de

la

lui-même où

l'on

à gagner la faveur

commence

à chercher

qui n'attache aucune valeur à

vérité, n'a plus de raison d'être

du

:

« Il

la

n'est

plus en harmonie avec notre époque qui est pleine de tentatives et

de recherches originales. Je crois

est passé des écoles et des

mouvements

même

que

artistiques.

le

temps

Après

le

mouvement romantique, né de l'exagération classique; après le mouvement réaliste, issu des folies du romantisme, on s'aperçoit que dans toutes ces idées

Nous allons arrivera devant

la

la

y a

de grandes bêtises.

façon personnelle de sentir.

Un homme,

nature, l'aime à de certaines heures, aime de cer-

tains objets, est frappé finesse, etc. Cela est

1.

il

Lettre à Edwards,

du

de

la

puissance de

la

nature, de sa

certainement ce que l'on voit dans

14 avril 1865.

24

les


FANTLN-LATOUR.

186

beaux moments de est bien éveillé.

l'art. Allez,

Ce que

heureux dans

très

regrette de n'être pas tout à fait

voir avoir

vi'ai\ » Puis, fait

moins de deux mois après

changé

comme

à ce qui est

:

«

Je suis très satiseflFet

le

le

moment où

l'on viendra

difficile

vous êtes

j'ai

beau

me

quand

je vois le goût

bien\

»

le

naturel

:

il

Vous me

:

on ne

dites

:

«

sait

Vous

Vous comprenez maintenant

:

de se dire incompris; mais que vou-

dire cela, je ne

du jour

L'heure qu'il attendait surtout

à faire.

triste. »

c'est prétentieux et bête

lez-vous?

au

plus difficile et le plus méritant.

public n'apprécie pas parce qu'il est mal élevé

faites cela et

que ce

mes natures mortes bien des choses que

Je crois qu'il y a dans

pas combien cela est

je

que cela vous paraisse naturel. Je crois

et

bien que je n'ai qu'à attendre naturel

Oue

un débutant, de ne pas pou-

que mes natures mortes vous fassent cet

n'était pas

le

l'avenir.

première! Je vais travailler au vrai-

naïveté

la

ou tente

y dit, discute, espère

l'on

nous promet un temps

quoi qu'en dise Legros, Paris

finit

peux

et les choses

autrement

faire

que

l'on trouve

par arriver, celle où l'on goûta

recueillit alors la

récompense de sa per-

sévérance et de sa fermeté de convictions par des compliments bien doux à son oreille

;

mais sans attendre jusqu'à ce mo-

ment-là, est-ce que les témoignages d'estime les plus flatteurs

ne

lui

à la

étaient pas venus surtout d'Angleterre, au début

fin

de sa carrière? En 1864 déjà,

la

première

fois qu'il

eut l'honneur d'être exposé à l'Académie de Londres, \.

2.

du 14 avril 1866. Lettre du 3 juin 1866. Lettre

comme il

avait


FA.NTIN-LATOUR DAiNS

appris par un

son ami ne

L INTIMITÉ.

|s7

mot joyeux do Whistler qu'un académicien que

nomme

pas s'était écrié

«

:

Les bouquets de Mon-

sieur Fantin sont ravissants ; y^ les ai vus tous les deux;

sont bien complets!

»

et l'on

devine quelle joie une

ils

telle

parole avait dû lui causer. Quelque vingt ans plus tard, lors

du dernier voyage de Fantin en Angleterre, est-ce que apprenant par

le

docteur Blanche que

Millais,

le peintre français était

à Londres, ne lui avait pas aussitôt écrit pour l'inviter à dîner et le présenter à des confrères d'Angleterre? Est-ce

uniquement son départ,

fut pas

pêcha

difficile

à retarder, qui

voyageur d'accepter cette invitation, très

le

que ce ne

em-

llatteuse,

mais également embarrassante pour quelqu'un qui ne parlait pas du tout l'anglais, et la lettre que Fantin écrivit à Millais

pour s'excuser ne marquait-elle pas combien sible à cet

honneur, en

admiration sincère et de avait subie, dès son les

même temps la

avait été sen-

il

qu'elle témoignait d'une

puissante influence que lui-même

premier séjour à Londres, en regardant

tableaux du maître anglais? Fantin, on ne saurait trop le répéter, car c'était un des

signes distinctifs de son caractère, avait l'horreur du bruit,

de

la

réclame, et tout ce qui avait l'apparence d'une manifes-

tation lui

répugnait profondément; mais

verbe haut, parleur,

il

s'il

était

n'était ni

n'avait pas le

s'il

un grand causeur,

ni

cependant d'humeur combative

attaquât les gens en face,

il

ne

lui déplaisait

un bruyant

et,

sans qu'il

nullement que

son opinion arrivât aux oreilles des artistes qu'il n'estimait guère. Aussi combien de fois ne l'a-t-on pas vu, au Salon,

sans en avoir

l'air et

tout en causant avec ceux qui l'accom-


FANTIN-LATOUR.

188

pagnaient, lancer de ces jugements brefs et caustiques que recueillait l'oreille

qui

n'étaient pas

adresse?

Il

disait

promeneur quelconque

attentive d'un

longs

à

se

colporter,

un jour à ses parents

à

arriver

qu'il

circonstances,

un malin

plaisir

de

opinion, ce

pas

peut-être

n'était

son

se faisait au

il

laisser deviner son

qui

certaines

lorsque

et

art était en jeu,

contraire

qu'il pensait.

dans

toutefois,

leur

ne pouvait pas

ne pas cacher ce Soit;

à

et

le

moyen

de

d'amis;

mais

comme

pris

le

parti

de marcher" seul

dans

la vie et qu'il

rien de

se

faire

personne,

beaucoup avait

il

ne

sollicitait

il

éprouvait

une jouissance particulière

MADEMOISELLE AURORE

car

il

ne

il

l'était

l'écrivait

à se distinguer de la masse

conditions vitales

jugements.

Non

qu'il

et

fût

des

mé-

un jour avec une sorte de jactance,

les règles

de

l'art

essentielles

auquel

en un mot, un des

et s'étant le plus

le

pas du tout; mais parce qu'il entendait ne

jamais transiger suc

qu'il était,

je

dépendance du caractère

Caricature do Stop, d'après l'Auroye (Journal nmttsaut, 5 mai IHtU.)

comme

combien

de ses contemporains par Fin-

DANS LA DANSE DE LOÏE FOLLER

chant,

comprends!

et

il

du beau, sur

s'était

hommes

ayant

les

consacré; parce le

plus réfléchi

solidement attachés à leurs convictions.


L

AUR

Salon de

HK 1894.



FANTIN-LATOUR DANS

Un des

artistes les plus

189

fermement convaincus;

moins bruyants,

aussi l'un des

L'I>fTIMlTÉ

combien

d'attirer l'attention de la galerie. Et

mais

moins préoccupés

des

l'un

oui,

il

était loin

de

sa pensée de chercher à se singulariser, à conquérir un lustre

comme

particulier,

de bonnes langues l'auraient volontiers

insinué, lorsqu'il cherchait et trouvait une très riche source d'inspirations dans les créations maîtresses de la littérature et

de

musical! En

l'art

d'œuvre la

Fantin, qui prisait fort les chefs-

littéraires les plus divers et qui aimait

musique, avait des préférences

quées;

pu

effet, si

s'il

le faire

les traduisait par le

par

tion personnelle

l'âge, cet

ce qui sentait

la

il

des antipathies très mar-

crayon

c'était

combien

:

dans

ainsi le public

Avec

plume,

la

et

passionnément

comme un

autre aurait

uniquement pour

sa satisfac-

s'en fallait qu'il voulût mettre

confidence de ses opinions!

la

éloignement instinctif de Fantin pour tout réclame ou

la

représentation, cette répu-

gnance à se mettre en avant, à se dévoiler au public autre-

ment que par

les

manifestations

d'artiste, n'avaient fait

courantes de son labeur

que croître à mesure

qu'il s'absorbait

davantage dans son travail solitaire, ne traçant aucune limite à son art, n'acceptant de règle de

dans des jouissances

personne, et se délectant

littéraires et musicales, très vives,

mais

très intimes, qu'il aurait cru profaner en les criant à la foule.

Comme

cet ermite de la rue des Beaux-Arts devait se sentir

loin des

deux amis, avec lesquels

entrée dans

la

carrière,

et

il

combien

avait le

combattu dès son

tapage que ceux-ci

avaient toujours entretenu autour de leurs personnes et de leurs

œuvres

était fait

pour

le

choquer! Qu'il

était

différent


FANTIN-LATOUR.

KtO

d'un Manctqui, non content d'être aussi célèbre que (laribaldi,

comme

des flatteurs

le

disaient

lui

en riant, rêvait d'une

gloire encore plus retentissante et souhaitait

Paris, n'eût lieu sans

monie mondaine, à

fût signalée! Qu'il était éloigné sait bien et se qualifiait

que sa présence y

d'un Whistler qui se connais-

en termes des plus libres lorsqu'il

voulait caractériser sa façon d'agir avec le prît

que nulle céré-

monde,

soit qu'il

de petites mines boudeuses, soit qu'il prodiguât les cajo-

leries et les sourires

!

Quel contraste entre ces remuants, ces

agités, ces bruyants et cet isolé volontaire, qui, selon l'heu-

reuse image de M. Roger Marx, restait sourd aux vains bruits

du dehors

afin

de mieux entendre

la

voix de l'inspiration,

cette voix qui lui disait qu'il n'était pas

de

la réalité vivante,

un poète, à

la

seulement

peintre

le

mais aussi celui du rêve, un évocateur,

façon des maîtres dont la musique ou les vers

chantaient à son oreille et résonnaient dans son co'ur Telle fut

donc

l'origine de cette admirable série

!

de litho-

graphies, grandes et petites, qui atteignent presque à deux cents et dont la plupart tendaient, de son propre élan ou sur la

demande de quelque ami,

à glorifier les écrivains, les poètes,

surtout les musiciens qu'il aimait le mieux. C'était sa manière, à

lui,

de rendre

hommage

à ses auteurs préférés, par des

compositions lithographiques et distribuait ensuite à c'était

pour lui-même

ceux qu'elles pouvaient intéresser

:

parce qu'il admirait profondément Hugo, Stendhal et

Delacroix qu'il éprouvait c'était

qu'il faisait tirer

parce

que

le

Berlioz,

besoin de les célébrer à sa façon;

Wagner, Schumann

et

Brahms

l'avaient maintes fois enchanté qu'il leur consacrait tant de


FANTIN-LATOUK DANS L'INTIMITÉ.

191

lithographies d'une poésie enchanteresse; enfin, c'était parce qu'il goûtait

infiniment André Chénier qu'il acceptait sur

tard de faire, pour

une édition des œuvres du poète, toute

une série de dessins sur pierre semblables à ceux

Wagner

et sur

Hector Berlioz.

Parmi ces lithographies,

fois,

de les traiter soit à ne l'oublions pas,

en reprit plusieurs par

aux

:

de

ciel

V Anniversaire , que

frises

du Palais de

;

mais une seule

d'un des maîtres de

la glorification

musique. C'est en 1875, dans

tableau

au pastel

la suite

usage de ses pinceaux pour con-

fit

il

de Berlioz rayonner au

je

la joie

de voir enfin

nom

composa ce grand

l'art, qu'il

me

le

rappelle avoir vu accroché

l'Industrie, qui fut reproduit cent fois

dans tous les formats par le

il

l'huile, soit

sacrer une grande toile à la

qu'il avait

composés pour de grandes publications sur Richard

déjà

afin

le

la

gravure ou

peintre garda tristement chez

lui

photographie, que

la

pendant des années, et

qui figure aujourd'hui en très belle place au

musée de Gre-

noble. L'histoire de ce tableau sera sûrement celle de beaucoup d'autres du maître vait-il

un jour en

l'admiration trente

de

«

Voyez, admirez

riant; je

l'avenir

conduite, écri-

sera

proposée à

quand on racontera que »

'

j'ai

mis

et ses compositions

marchands

se sou-

elles virent le jour, sont aujourd'hui

presque

dont

peu quand

ma

crois qu'elle

ans à attendre l'acheteur

capitales, celles

ciaient

les

amateurs

et les

toutes en France, chez des amis ou des amateurs qui ne les laisseront

1.

sûrement pas s'égarer.

Lellreà M'"" Edwards, du

-J!»

C'était

mars 1894.

une

satisfaction des


FANTIN-LATOUR.

192

plus vives pour

composées,

ses grandes toiles

mais dans

l'esprit

que

peintre, à la fin de sa vie, de savoir

le

je

ne dirai pas à l'imitation,

de Rembrandt, de Van der Helst et de Franz

Hais, étaient toutes réunies à Paris, non loin du Louvre.

Ce maître-là s'en est où

la

fortune et

la

allé,

comme

tant d'autres, à l'heure

vogue commençaient à

lui

venir,

mais

comme

il

pas en

peine de les voir arriver, et l'on peut assurer qu'il

n'avait jamais cherché ni l'une ni l'autre,

mena, durant ses dernières années, une

il

n'était

vie particulièrement

douce, ayant à ses côtés une compagne bien-aimée qui semblait n'avoir

âme avec lui-même

qu'une

et

voyant venir régu-

de rares mais fidèles amis, éprouvés de

lièrement chez

lui

longue date.

n'en demandait pas davantage et coulait ainsi

Il

des jours heureux qu'elle

l'a

:

la

mort

aussi lui aura été clémente, puis-

abattu d'un seul coup de sa faux.


o

U

3

a '5)



APPENDICE

CATALOGUE DES TABLEAUX A L'HUILE ET PASTELS ENVOYÉS PAH

I

ANI I^-I.ATOUR

ALX SALONS DE PARIS

ET DE IJlJELyLES AUTHES IMPORTANTS DANS SON (EUVKE

Ceci n'est pas, tant s'en faut, le catalogue complet de l'œuvre peint de Fantin-Latour toiles, à tout le

:

c'est

simplement

moins de toutes

la liste

de ses principales

celles, peintures à l'huile

ou pastels,

qui ont été présentées par lui ou reçues aux Salons de Paris, de 1859 à 1899,

augmentées de quelques autres

portraits dont j'ai

pu retrouver

la trace.

tionné, autant que possible, à l'année qu'il n'a été

et,

oîi

en particulier, de tous est

men-

a été peint, alors

même

Chaque tableau il

exposé à Paris que plus tard; de plus, lorsqu'une

a été exposée d'abord

comme

comme

toile

pastel, puis reprise à l'huile, elle se

trouve indiquée naturellement à son année d'origine, celle où

parut

les

pastel. Enfin, j'ai noté le plus

exaclemenl que

elle

j'ai

pu

dansquels muséesou chez quelles personnes se trouvent actuellement ces différents tableaux

;

mais sur ce point encore je m'excuse pourles

erreurs que j'aurais pu commettre ou pour les lacunes que je n'ai pas

pu combler. 25


FANTIN-LATOUR.

194

1853 Petit Portrait de son oncle,

A

Henri Fantin-Lalnur père jésuite. ,

M""^ Fanlin-Latour.

Petit Portrait de lui-même à dlr-sept ans (tête).

A M""

Failli n-L;iluui-.

1854 Portrait de sa sœur Nathalie. Détruit.

Saint Jean

A

Le

et le

Chasseur.

M°"= Fanlin-Latour.

Son(/e,

première esquisse du pastel de 1889 et du tableau à

l'huile

de 1893.

A M""

Fanlin-Latour.

1856 Portrait de lui-même, de trois quarts, dans

un

la droite.

Portrait de

M. Alphonse

Leyros (petite

1857 Portrait de lui-même.

A M. Ferdinand Tempelaere.

1858 Portraits de ses

deux sœurs

A M. Julien Tempelaere.

assises.

tête).

fauteuil, tourné vers


.

APPENDICE.

195

Portrait de lui-même, en corps de cliemise, la palette à

lu

main.

Musée d'Anvers.

Portrait de

M. Alphonse Leyros (grandeur

A M"» Paul

naturelle).

Paix.

Portrait de lui-même, assis, en pied, devant un chevalet. Galerie Nationale, à Berlin.

Portrait de lui-même (tête). A M. Camille Benoît.

Portrait de kii-mcme

A

M. Jean Dolent.

Portrait de lui-même

A

(tête)

(tète).

M. A. fiuillemet.

1859 Portrait de sa sœur Marie lisant, refusé au Salon de J859.

A

M. (iorjeu.

Portrait de lui-même, en corps de chemise, refusé au Salon de 1859. Mus('-e

de Grenoble.

Portraits de ses sœurs faisant de la tapisserie et

Salon de 1859.

A

M"»» Victor Klotz.

1860 Portrait de lui-même. A

M"»" Victor Klotz.

lisant,

refusé au


FANTIN-LATOUR.

196

1861

Elude

d'après nature (son propre portrait), Salon de IHfH.

A

M. G. Viau.

Elude d'après nature A

Étude

(sa

sœur Marie

lisant),

Salon de 1861.

Raymond Kœchlin.

M.

d'après nature (portrait de

W.

Hidley), Salon de 1861.

Petit portrait de lui-même, refnsé au Salon de 1861. Portrait de

31""'

Edwin Edwards, terminé en 1864.

Palais des Beaux-Arts de la Ville de Paris.

1862 Portrait de lui-même, refusé au Salon de 1863; exposé au Salon

des Refusés de 1863.

A

M. Darrasse.

1863

La

Lecture (portrait de sa sœur Marie), Salon de 1863.

A

M. Guillaume Charlier (Collection

Van Cnlsem).

Féerie^ Salon des Refusés de 1863.

A

M.

Cli.-E(l. Ilavilaiul.

186i

Hommuye

à Delacroix, Salon de 186i.

Musée du Louvre (Collection Moreau-Nélaton).

Scène de Tannhxuser, Salon de 1864. A

M. Rosenberg.

Portrait de

M""

Potter.


PORÏKAIT DE M"«: EVA Salon de 1881.

Sledelijk

CA

I.l-l

MAK

I

-

C

AT A

Muséum, k Amsterdam.

It

C. 1



APPENDICE.

197

1865

Le

Toast, Salon de 1865. DtHruit.

— Kestentles têtes de Whistler (Musée

Je Vûllon

M. Darrasse) et Je Fanlin

Métro|jolitain, à New-York),

(ù M°"=

Fantin-Latour).

1866 Portrait de

femme

(sa

sœur Marie

lisant),

Salon de 1866.

Uétruit.

Nature morte [La Table garnie). Salon de 1866. A M. Reginald

D.

1867 Portrait de Art

M. M*" {Edouard Manet),

Institute, à

Salon de 1867.

Chicago.

Portrait-étude (son propre portrait), Salon de 1867. Portrait de la Duc/iesse

A Portrait

Edouard de Fitz-James.

M. BeurJelcy.

du jeune Jacques de Fitz-James

,

fils

de

la

précédente.

A M. narrasse.

Portrait du jeune Henri de Fitz-James, frère cadet du précédent. A M. Albert

Pia.

Portraits séparés des deur jeunes demoiselles de Fitz-James,

sœurs des

précédents.

1868 Portrait de

M"' Marguerite de Biron, destiné mais non envoyé au

Salon de 1868. A M™"

la .Marquise

de Saint-Sauveur.


KANTIN-LATOUR.

198

La Panouse.

Portrait de M'"' de

Portrait de

M"" de

Chatibry.

M"' Demachy

Portraits de

deux

Portraits des

M"

et

de son jeune frère.

de Donneval.

1809

Le

*

Lever, Salon de 1869. Détruit.

Reflets d'Orient, refusé au Salon de 1869. Détruit.

Tête déjeune

A

Restent deux fragments

fille

:

l'Aurore et la Nuit.

(de face).

M. Van Gogh.

Tête de la

A

même jeune fille

(profil).

Sir Herbert Thonii)son.

1870

Un

Atelier

aux

Batignolles, Salon de 1870.

Musée du Luxembourg.

La

I^erture (portraits de

M""

Victoria et Charlolte Dubourg), Salon

de 1870. A M. Ch.-Ed. Haviland.

Portrait de

A

M. Emile

Petitdidier (Emile Blémont) (tête).

M. Éniili' lilémont.

Portrait de

M.

Petitdidier, frère

du précédent

(tête).


APPENDICE.

199

1872

Un

Coin de A

table,

Salon de 1872.

M. Emile Blémont.

1873 Porlraïl de

M""**

[M"-' Victoria

Dubourg), Salon de 1873.

Musée du Luxembourg.

Coin de

table,

nature morte, Salon de 1873.

1874 Fleurs et objets divers. Salon de 1874.

1875 Portraits de

M.

et 31""

Ë. E*** [Edwin Edwards), Salon de 1873.

National Gallenj, à Londres.

Portrait de M''" E. C*** [Miss Edith Crowe), Salon de 1873

A

.M""=

Paul Paix.

1876

U Anniversaire

,

Salon de 1876.

Musée de Grenoble.

Fleurs (bouquet de dahlias), Salon de 1876.

1877

La

Lecture (M"" Charlotte Dubourg et une amie), Salon de 1877. Musée de Lyon.


FANTIN-LATOUR.

200

Portrait de M'"' F*** [M"" Fantin-Latour)

A

,

Salon de 1877.

M"»" Fantin-Latour.

Souvenir de Bayreuth

:

Aev Filles du Rhin, pastel, Salon de 1877

Musée du Luxembourg.

Scène finale de Détruit.

Walkiire, pastel, Salon de 1877.

la

— L'esquisse

pointe est au Musée de Montpellier.

1878

La

/>***

Famille

A

[Dubourg), Salon de 1878.

M°«' Fantin-Latour.

JUnaldo, pastel, Salon de 1878; transformé ensuite en peinture.

Duo

des Troyem, pastel, Salon de

1878; transformé ensuite en

peinture.

1879

Dans

Portraits ou

F Atelier, ou

La Leçon

de dessin (M""' Louise

sener et Éva Callimaki-Catargi), Salon de 1879. Musée de Hruxelles.

1880

M"' L.

Portrait de

A

M°>°

Léouzon

li*** le

{M"' Louise Riesener), Salon de 1880.

Duc.

Scène finale du Rheingold, Salon de 1880.

La Musique, A M.

pastel, Salon

Sijthoflf,

de Leyde.

de 1880.

llie-


r.

a



APPENDICK.

201

1881

La Brodeuse (M"«CharloUe Dubonrg), Salon de A M""

1881.

Esnault-Pelteiie

Portrait de M"'^ E. C.-C**' [M"'

Éva

Cnilimaki-Catargi), Salon de

1881. Stedelijk

Muséum, à Amslerdam.

Une Mélodie de Sc.humann, A

pastel, Salon de 1881.

M. Darrasso.

Tentation, pastel, Salon de 1881

;

transformé ensuite en peinture.

Exposition universelle décennale de 1889. Musée de (irenoble.

1882 Portrait de h.

M"" H.

//'* {M'""

Henry

Salon de 1882.

M. Henry Lerolle.

Portrait de M'"' L. Art

Institute, à

M"'

[M""'

Léon Maître), Salon de 1882.

Brooklyn.

Étude (M"" Charlotte Dubourg), A

Lerolle),

pastel, Salon de 1882.

M. Roger Marx.

Portrait de

A M"»

M'" C. /)*" {M"" Charlotte Dubourg), Salon de 1887. Charlotte Dubourg.

1883 Portrait [M"" Fantin-Latour), Salon de 1883. Galerie Nationale, à Berlin.

26


'mrmttmmmm^ftmty^.-

w

ESQUISSES POUH

«

AIÎTOIIH

A M. Adolphe I^ N*

1.

Dl'

PIANO

»

.N"

Jtillion.

croquis jeté sur le papier avant toute séance est daté

I

du Î6 décembre I8S4.

«le

pose,

ET i


ESQUISSES POUR «AUTOUR DU PIANO»» A M. Adolphe Le

>i" 4,

lo

K°'

3

ET 4

Jullien.

troisième des projets faits avec les modèles posaut, u

uK'^

arrêté à la date du 10 janvier 1885.


FANTIN-LATOUR.

L'Aurore, pastel, Salon de 1883; transformé ensuite en peinture, Salon de 1894. Portrait de lui-même, Salon triennal de 1883. Musée des OfQces, à Florence.

L'Etude (Miss BudgeLt), Salon de 188i. A

M. Guillaume Charlier (Collection Vaii Cutsem).

1884 Nuit de printemps (ou Le Rêve du poète), Salon de 1884. Musée de Pau.

L Anniversaire, A

Sara

la

pastel,

Salon de 1884.

Esiiault-Pelterie.

M'"'=

baigneuse, pastel, Salon

de 1884; transformé ensuite en

peinture.

Portrait de

M"'

A M""

S. B*** {Miss Sarah Dudfjett).

Budgelt.

1885 Autour du piano. Salon de 1885'. A

1.

M. Adolphe Jullicn.

Je donne ci-contre, à titre de documents

complète des projets pour Autour du piano partiennent.

On pourra

vérifier

par

et

(p.

pour

20'2--203 et

mon

combien Fantin,

207 j,

la série

portrait, qui

ainsi

que

m'ap-

je lai dit

plus haut, concevait vite et réalisait presque sans hésitation ses plus grands tableaux.


U

o a.

3 o

'

G.

£5

a

o

w



APPENDICE.

Rêverie

'joo

Léon Maître).

(M"""

M"" Leroy.

Portrait de

1886 Tannhœuser [Le Venusberg), Salon de 1886. Portrait de

A

M. L. M*** [Léon

Maître), Salon de 1886.

M. Henry Lerolle.

Siegfried et

let Filles

du Rhin,

pastel, Salon de

1886; transformé

ensuite en peinture, Exposition universelle décennale de 1889.

A

M. Darrasse.

Le Jugement de A

Paris, pastel. Salon de 1886.

M. Coudray.

Portrait de M. Becker.

A

M. Darrasse.

1887 Portrait de

A

M. Adolphe

JuUien, Salon de 1887.

M. Adolphe Jullien.

Ariane abandonnée, pastel. Salon de 1887.

L'Aurore

et la

Nuit, pastel, Salon de 1887.

1888

La Damnation

de Faust, Salon de 1888.


FANTIN-LATOUR.

206

LOr

du Rhin, Salon de 1888. A M""

Esn<iult-Pelteiie.

Béatrice et Bénédict, pastel, Salon de 1888.

A M. Teulsch.

Danses, pastel, Salon de 1888;

transformé ensuite en

peinture,

Salon de 1891. Musée de Pau.

1889 Immortalité, Salon de 1889.

A

M.

Polirait de

A

Andrew

M.

M™

Le Songe,

Reid.

C. R*** [Ricada], Salon de 1889.

Ricada.

pastel, Salon de

1889; transformé ensuite en peinture,

Salon de 1893. A

M. Bessonneau.

Portrait de M'"' L. G*** {M'"' Léopold Gracier), Salon de 1890.

A

M. Léopold Gravier.

1890 Portrait de M"' S.

A M""

Y*" [M'" Sonia

Yanowski), Salon de 1890.

de Nikanoff.

Le Jugement de en peinture.

Paris, pastel. Salon de

1890; transformé ensuite


ESQUISSES l'OUK LE l'OItïHAIT U K A M. Adolpho

M.

Jullien.

AlHiMMIF, 4l,I,LIE.N


FANTIN-LATOUR.

208

1891

La

Tentation de Saint Antoine, Salon de 1891.

A

La

M. Abel Jay, de Bordeaux.

Vérité, pastel, Salon de 1891.

1892 Hélène, Salon de 1892. Palais des Beaux-Arts de

lu Ville

de Paris.

Prélude de Lohengrin [Le Graal), Salon de 1892'. A

M. Ch.-Ed. Haviland.

Évocation de Kundry, pastel, Salon de 1892. A. M. Ferdinand Dreyfus.

Le Bain, A

Salon de 1892.

pastel,

M. Ch.-Ed. Haviland.

1893 Parsi/'al et les Filles-Fleun,

A 1.

M. Ch.-Ed. Haviland.

je

me

persuade que

comme

et se borner,

tion le

deux

Fantin balança longtemps entre ces

premier, et voici ce que Maître

mieux

Salon de 1893.

du mot

:

le

lui écrivait

le

avant d'adopter

Plus

c'était votre

première idée, à

la

j'y

le

rêve et

que

le

faire connaître la significa-

Saint-Uraal ? C'est le vase sacré

jour de la Cène et qui recueillit son sang sur

rapporté ici-bas par

la croix;

il

troupe miraculeuse des Anges pour être confié à

garde de pieux chevaliers qui s'appelleront de son nom. puisé directement son interprétation? Dans

deux points

«

:

catalogue doit demeurer purement didactique

Saint-Ciraal. Qu'est-ce

Sauveur a bu

titres

à ce propos

le

le

peintre

où est la

a-t-il

prélude de Latiengrin. Ces

établis qui disent le sens et la genèse de l'œuvre, le livret a

rempli son objet

:

le

reste est affaire à l'œuvre elle-nièine.

»


,i:s

rnoYK.NS

a

cahthauk

:

riAi.ii;:

Lithographie originale (1884).

iialie:



APPENDICE. L'Amour

.)0!t

désarmé, pastel, Salon de 1893.

Baigneuses, pastel, Salon de 1893.

M""

Portrait de

A M""

Cli.-Ed. Havitand, pastel.

Pliilippe Buity.

1894

L Aurore,

Salon de 1894.

Les Troyens à Carthage, Salon de 1894. A

Musique A

M. Ch.-Ed. Haviland.

et

M. Camus, de Limoges.

Promenade, sous

A

Poésie, pastel, Salon de 1894.

Salon de 1894; transformé ensuite en peinture

pastel,

le titre

de

:

Baigneuses, Salon de 1899.

M. Lesieur.

1895 Baigneuses, Salon de 1893. Vision (d'après Oberon), Salon de 1895.

A

La

M. Krausliaar, de New- York.

Nuit, pastel, Salon de 1895.

1896

La

Toilette,

Salon de 1896. «7


FANTIN-LATOIIR.

210

Véini<: el les Aiiioais,

A

Salon de 1H90.

M"'" Dubois.

Ondine, paslel, Salon do IHÎKi.

1897

LaNuil, Salon de 1897. Must'o

ilu

Ln TenUiùon

Luxembourg.

de Sninl An/nine, Salon de 1897.

Palais des Heanx-Aits de

In

Ville

de Paris

1898

Le

Lever, Salon de 1898. Musée de Reims.

Andromède, Salon de 1898. A

M. Gorjeu.

Danses.

1899 Ondine, Salon de 1899.


TABLE DES ILLUSTRATIONS

ILLUSTRATIONS HORS TEXTE Pa(;cs.

Fan'tin-Latour, par lui-irn^me

du Musée des

(1883). Héliogravure d'après le portrait

Offices, à Florence

Fantin-Latouh, par lui-même PORTllAIT DE M.

Al. l'IlONSE

Krontispiic

(1858)

Lkohos

5

(1858)

Scène finale m; Rueingold. Lithographie

9

originale (1877).

RiNALDO, de Brahms. Lithographie

originale (1878)

Les sœt'RS du peintur

Nathalie

Latour

:

i:ï

13 17

Maiue

Fa.nti.n-

(1859)

La Walkyrie

"21

(début). Lithographie originale (I879j

Un morceau de Scuumann. Projkt

M""'

...

i>our le

•!:'>

Eau-forte originale (1864)

i9

groupe de la Famille de Fitz-James, non

cuté (1867). Dessin

d'un album de croquis du peintre

tiré

Le Jugement de Paris.

Dessin

tiré

d'un

exé-

....

33

album de croquis du

peintre (1867)

37

Bouquet de roses. Portrait de

M'""

L'Anniversaire

Lithographie originale (1880)

Kantin-Latour

41

(Salon de 1877)

4.")

(Salon de 1896;

La Famille D"' (Salon de Le Paraius et la Péri

49

53

1878)

(début). Lithographie originale (1884)

.

.

.

57


TABLE DES ILLUSTRATIONS.

212

Page».

Andromkde

(Salon de 1898)

HoMMAGK

Delacroix (Salon de

A

61

65

1864)

PoHTKAiTs DE F A NTi N-L ATOUR VoLLON ET Whistler. Fragments conservés du tableau du Toast (Salon de 1865), détruit par l'auteur.

69

Un atelier aux Batignolles

73

,

Un

(Salon de t870j

coin de table (Salon de 1872)

Portrait de W. Ridley (Salon de Portraits de M. et

Tannu^iser

(le

77

Edwin Edwards

M""^

(Salon de 1875)

Venusberg). Lithographie

Portrait d'Edouard Manet (Salon de

A LA MÉMOIRE DE RoBEHT ScHUMANN.

Manfred

81

1861)

....

85

...

89

originale (1862).

93

1867)

Lithographie Originale (1873).

Apparition de la Fée des Alpes. Lithographie

:

origi-

101

nale (1873)

Portrait de M"" Henry Lerolle (Salon de

Poèmes d'amour,

....

109

(le Graal). Lithographie originale (1882).

113

Évocation d'Erda. Lithographie

:

La Lecture

105

1882)

de Brahms. Lithographie originale (1885)

Prélude de Louengrin Siegfried

originale (1876).

.

.

A Robert Scuumann. M"""

Autour du piano

125

Lithographie originale (1893)

Léopold Gravier

129

(Salon de 1890)

133

(Salon de 1885)

Gcetterd^mmerung

:

Siegfried et les Filles du

Iîmin.

Lilho-

137

graphie originale (1880)

La Prise de Troie

:

Apparition d'Hector

a

Énée. Lithographie 141

originale (1880)

Portrait de M. Adolphe Jullien (Salon de

Parsifal

:

117 121

(Salon de 1877)

Portrait de

97

145

1887)

Évocation de Kundry. Lithographie

Portrait de M"" Charlotte Dubourg (Salon de

originale (1885)

.

149

153

1887)

La Nuit

(Salon de 1897)

157

L'Étude

(Salon de 18831

161

Parsifal et les Filles-Fleurs. Lithographie

originale

i8S,s

.

.

165


TABLE DES ILLUSTRATIONS.

213 P«ge».

RÊVERIE

(M"'"

Manfred

Léon

Maître), 1884

169

Apparition d'Astarté. Lithographie

:

Portrait de

M"''

Dessin

tiré

fSalon de 1879)

181

185

(Salon de 1894)

189

Ballet des Troyens. Lithographie

originale (1893)

193

Portrait de M"" Éva Callimaki-Catargi (Salon de

1881).

.

.

.

(1898)

197

201

Nuit de Printemps, ou le Rêve du poète (Salon de Les Troyens a CARTUAr.E (1884)

173 177

d'un album de croquis du peinire.

Dans l'atelier, ou la Leçon de dessin

Danses

.

Sonia Yanowski (Salon de 1890)

La Toilette de Vénus.

L'Aurore

originale (1881)

:

1884).

.

.

205

.

Italie! Italie! Lithographie originale

:....;

-209

II

ILLUSTRATIONS DANS LE TEXTE

AUTOGRAPHES

ET

Fantin-Latour dans son atelier de Buré. Gravure

sur bois

d'après une photographie faite vers 190^2 Lettre de

Caricature

Fantin-Latour d'après

Titre.

à Edwards (de Paris, 20 avril 1873)

La Famillic D*", dans

le

.

Mnak, de Londres 52

(1879j

Caricature

dans

le

d'A.NDRÉ Gill, d'après I'Hommage a Salon pour

Caricature de le

Delacroix,

rire (1864)

64

Bërtall, d'après I'Hommage a Delacroix, dans

Journal amusant (1864)

Caricature de

dans

41-44

le

65

Bertall, d'après Un atelier aux Batignolles.

Journal amusant (1870j

Caricature de Stop, d'après

amusant (1872)

Un

coin de table, dans

72 le

Journal 76


TABLE DES ILLUSTRATIONS,

214

Fantin-Latour à Edwards

Lettre de

Caricature de le

Behtall, d'après

le

(de Paris, 26

novembre

1874).

Pokthaiï de Maxet, dans

Journal amusant (1867)

92

Lettrede Fantin-Latoir àM™Edwards(dePari8,31octobrel886). Caricature de Stoi", d'après

112

Aitihh

d'après

Caricature

nr

piano,

dans

le

Punch,

de 132

Londres (1886) Caricature de Stop, d'après

Aitolk du piano, dans

le

Journal 133

amusant (1885) Lettre 2

Fantin-Latoiu

de

Adolpiie

M.

à

Jullien

(de

Duré,

137-140

septembre 1887) de

Caricature

Stop,

Jl'llien, dans

le

d'après

vembre

Fleurs, dans

:\

Adolphe lit

M. Adolphe Jullien (de Paris, no-

d'après

Parsifai,

kt

les

Filles164

l'Illustration (1893)

Parsikal et les Filles-Fleurs 163

Journal amusant (1893)

le

Lettre de

M.

147

Caricature de Stop, d'après

dans

Portrait de

1886j

d'IlEXRiOT,

Caricature

le

Journal amusant (1887)

Faxtin-Latihk

Carte de

105-108

Préli de de Lohengrin, dans

le

Journal amusant (1892j

le

77-80

Fantin-Latour

à M.

Adolphe Jullien (de Duré, 14 sep169-172

tembre 1892j Caricature de Stop, d'après

le

Portrait de M""

S. Y.,

dans

le

176

Journal amusant (1890) Caricature de Stop, d'après

L'Aurore, dans

le

Journal amusant 188

(1894)

Quatre esquisses pour

202-203

Autour du piano

Trois esquisses pour le

Portrait de

M'.

Adolphe Jullien.

.

207


TABLE DES MATIÈRES

Papes.

m

Préface CiiAPiïHK

PREMIER.

CiiAi-iTRE

II.

La Vie

Groupes

et

et

la

Carrière du peintre

portraits

d'artistes

et

1

d'hommes de

lettres

CiiAiTiRE

III.

Chapitre

IV.

Chapitre

V.

Appe.ndice.

— — —

Un

Peintre

59

mélomane

Autour du piano

et le portrait d'un

89

ami

i'îô

Fantin-Latour dans l'intimité

149

Catalogue des tableaux à l'huile et pastels envoyés par Fantin-Latour aux Salons de Paris et de quel-

ques autres importants dans son O'uvre.

...

193

Table des Illustrations uors texte

211

Table des Illustrations dans le texte et des Autographes.

213


IMPRIMÉ l'A H

PHILIPPE 19,

II

E N

UAHD

rue des Saints-Pères

PAKIS






ND

Jxillien, Adolphe

553 F3J8

Fantin-Latour

PLEASE

CARDS OR

DO NOT REMOVE

SLIPS

UNIVERSITY

FROM

THIS

OF TORONTO

POCKET

LIBRARY



Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.