GEORGES MICHEL (ET SWEBACH) — DÉFILÉ
D'UNE ARMÉE (1797)
UN PRECURSEUR
LE PAYSAGISTE ||||||g|||g|jous voudrions être accusés,
GEORGES MICHEL
en Il 811111 Pai~lant de Georges Michel, d'enIPR^HII^ f°ncer une porte largement oula llllllfe verte- La fatalité, pourtant, ne SsaKûSssstSS donne encore à ce paysagiste qu'un rang trop subalterne. Après sa mort, en 1843, alors que depuis longtemps il avait perdu le contact avec le inonde, on oublie son nom pendant trente ans; en sorte que l'histoire de sa vie nous parvient dénaturée, tandis que son oeuvre considérable se disperse, mêlée de honteuses falsifications. Une pieuse étude cependant, publiée en 1873 par Alfred Sensier, tentait de remettre de l'ordre dans les documents recueillis sur Michel. Tout en développant ses raisons
d'admiration pour l'artiste, l'auteur disait : Georges Michel « Nous n'acclamons pas comme une des grandes figures de l'art, tant s'en faut ». Cette réticence se continue tout au Ions du livre. Mais il faut être reconnaissant à Sensier d'avoir tenté cette résurrection ; grâce à lui, nous sommes éclairés sur des points qui nous eussent définitivement échappé, le temps aidant, et aussi les légendes se transmettant, fort inexactes. Si la vérité est toujours désirable, elle l'est particulièrement dans le cas de Georges Michel. Il est bon de rappeler qu'il naissait en 1763, et qu'à la fin du xvme siècle, il était suffisamment connu d'un groupe d'artistes pour que sa collaboration leur parût désirable.
109 N° 73 - JANVIER 1927
L'ART ET LES ARTISTES
LA CHAUMIERE
C'est ainsi que nous avons pu étudier une oeuvre particulièrement précieuse, puisqu'elle situe en 1797 la manière de Michel, lorsqu'il établit un paysage pour Swebach. Il s'agit, en effet, d'une armée, en marche, dont le défilé sillonne à perte de vue une immense plaine. Le tableau, peint sur bois, est daté, et signé des deux artistes. Or, quelque soin que Georges Michel ait pris de s'adapter aux exigences d'une composition minutieuse, et à la manière d'un peintre à demi-miniaturiste, on sent très nettement, dans la facture du paysage, une autorité qui témoigne déjà d'une personnalité réelle. Nous y trouvons en puissance les dons que Michel développera, et nous pouvons admettre que, dès cette époque, il est en grande partie dégagé des influences extérieures. La certitude de cette date permet un relatif classement de ses oeuvres de jeunesse, les toiles signées étant très rares, les datées, plus rares encore. Nous savons que, travaillant avec Taunay, avec Demarne, il traite en dehors de ses paysages, trop proches jusque là des maîtres hollandais, des compositions
où l'anecdote joue le premier rôle. En effet, nous le voyons encore en 1800, dans un des quelques Salons où il est présent, exposer un « Convoi militaire » et une « Halte de cavalerie ». Mais c'est sans doute la dernière concession faite à ses amis et au public, avant d'entrer définitivement, à trente-sept ans, dans le chemin qu'il a découvert. Pour lui, comme pour sa famille d'ailleurs, la vie eût été plus facile s'il avait sacrifié à une manière qui lui assurait des succès. Mais le peintre sentait en lui-même que des forces secrètes devaient l'élever plus haut dans le domaine de l'art. Elles se sont imposées à lui aux environs de la quarantaine. C'est le sort de la plupart des vrais paysagistes, — l'histoire de la peinture en compte infiniment peu, — de ne pouvoir extérioriser leurs dons qu'à l'âge de la maturité. La nécessité de choisir ce qui compte dans un espace limité, au milieu des multiples détails que présente la nature, la difficulté de saisir l'effet qui donne au motif son maximum d'expression, exigent qu'un artiste puisse résumer tout à la fois sa vision et son métier. Aux autres, il
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LE PAYSAGISTE GEORGES MICHEL
LES BUISSONS
est permis de transcrire plus ou moins heureusement, nous dirons même avec un réel talent, de jolis sites, et des effets gais ou tristes; seuls, les psychologues du paysage peuvent nous en donner l'expression synthétique, et ceux-là seuls sont de vrais paysagistes. On comprend que, cherchant parmi ses devanciers ceux qui répondaient à ses aspirations, Georges Michel fut ému par les maîtres hollandais. Il les copie, il les imite, et parle le langage de Ruysdaël, d'Hobbema, de Huysmans, avant de parler son propre langage. Van Goyen aussi le hante, car, destiné à triompher plus tard dans les effets sobres de couleurs, il est certainement plus attiré par ces peintres aux harmonies discrètes que par un magicien de la lumière comme Claude Lorrain. Sans aucun doute, certaines oeuvres du début de sa carrière nous échappent, tant elles sont imprégnées de l'objet de ses admirations; mais ayant eu la bonne fortune d'étu-
dier l'une de ces toiles, signée, de facture complètement hollandaise, nous comprenons mieux encore le crédit qu'il faut faire à un véritable tempérament. D'ailleurs, contrairement à tout ce qu'on a pu dire, l'éducation artistique de Georges Michel se poursuit dès l'origine avec une parfaite logique. Il débute chez Leduc, peintre sans envergure mais fort expérimenté et prend des habitudes de discipline dans son travail qui seront pour lui une force jusqu'à la fin de sa vie. On sait quel rôle jouait l'enseignement du dessin chez nos devanciers. Comme tout le monde, Michel fait des académies, mais, né paysagiste, il dessine chaque jour hors de l'atelier. Dans les centaines et les centaines de feuilles qu'il laisse dans ses cartons, nous rencontrons maints exemples de croquis, exécutés dans les rues de Paris, sur les quais de la Seine, dans les faubourgs, où les relations des lignes sont uniquement traitées dans un but de construction; les personnages, semblables à de petites quilles, s'étagent exactement à
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L'ART ET LES ARTISTES leurs plans perspectifs, et ces notes à la mine de plomb, qui n'étaient pas faites pour être montrées, sont comparables aux gammes d'assouplissement auxquelles s'astreignent les plus grands musiciens. A côté de ces impressions rapides, nous trouvons de véritables compositions où Michel retrace dans leur milieu les divers faits qui le frappent. Puis ce sont des dessins beaucoup plus poussés au crayon noir, quelquefois à l'encre de Chine, qui lui serviront de documents pour ses tableaux. Les plus émouvants sont des vues de Montmartre. Nous imaginons difficilement qu'à la place du Montmartre actuel et de ses faubourgs particulièremenj tumultueux, se trouvaient des carrières, des plaines arides, peuplées de moulins, traversées de chemins marécageux conduisant à des bois qui fermaient l'horizon. Michel eut l'occasion de voyager en Allemagne avec le duc de Guiche, en Suisse avec M. de Crammont; nous le suivons encore dans ses énormes randonnées où il se montre infatigable travailleur, mais c'est à Montmartre qu'il revient sans cesse, et c'est là qu'il dira le mieux ce qu'il a à dire.
Il est particulièrement important pour l'histoire du paysage de savoir que, dès la fin du xvme siècle, George Michel s'exprime avec une technique qui va se modifier quelque peu, mais qui est définitive dans son principe. Combien de fois, en effet, n'at-on pas entendu dire que Michel s'était assimilé les méthodes de Old Crome et de Constable? La place de ces deux grands artistes est telle qu'il serait puéril d'en amoindrir l'importance au bénéfice de qui que ce soit. Leur parenté artistique avec Michel est évidente. Seulement nous ne pouvons oublier que, s'ils ne doivent rien sans doute au peintre français, celui-ci est le premier en date; l'expression définitive de sa vision est trouvée avant celle des deux paysagistes anglais qu'il ne connaît pas et dont on ne connaît rien en France. Old Crome traverse notre pajfs en 1814, lorsqu'il se rend en Belgique, et c'est en 1824 que trois tableaux de Constable sont exposés à Paris pour la première fois. Or, à ce moment, Michel est à l'apogée de son talent. S'il doit à quelqu'un dans sa manière définitive, c'est à Rembrandt. C'est lui dont il étudie le métier avec passion, et
c'est à lui qu'il emprunte sa matière riche, solide, vivante, et le principe d'une coloration qui va du gris cendré aux bruns transparents. Déjà, chez Ruysdaël et chez Van Goyen, il avait compris à quelle activité de coloration on peut arriver avec le jeu des tons froids et des tons chauds. Mais à mesure que Michel prend contact plus directement avec la nature, son métier a besoin de s'amplifier; Rembrandt lui en donne les moyens. Avant Michel, il est excessivement rare qu'un paysagiste peigne d'après nature. Seuls, les dessins et la mémoire de l'oeil servaient à l'édification d'une oeuvre. D'ailleurs, Michel procède fréquemment ainsi, mais les témoignages de toutes sortes viennent nous prouver que, souvent aussi, il est sur le motif avec ses couleurs, puisant directement aux sources d'émotion. Mais une note d'art aussi nouvelle trouvait peu d'amateurs; aussi bien, Michel était-il peu exigeant, peu gâté en outre par le succès des Salons où il passait inaperçu. Il serait d'ailleurs inexact de croire qu'il vécut dans la misère, et injuste de méconnaître le rôle de quelques généreux protecteurs. Au début de sa carrière, Michel a vécu en collaborant aux tableaux de ses confrères et en vendant des copies. Il eut aussi la chance de rencontrer quelques amateurs. Nous parlerons pour mémoire de Lebrun, qui fit des offres à l'artiste, jeune encore. Le mari de la célèbre portraitiste était marchand de tableaux. A cette époque, il misait uniquement sur les promesses que faisait naître l'extrême habileté du débutant. Mais des hommes comme le baron d'Ivry, le marquis du Planty, ont positivement soutenu Michel. Même, pendant plusieurs années, le baron d'Ivry, peintre amateur, s'éprit tellement des tableaux de son protégé, qu'il voulut accaparer toute sa production. Les convictions politiques des deux hommes étaient cependant fort éloignées, Michel ayant plutôt des idées avancées ; mais M. d'Ivry lui disait : « Quand un homme a ton talent, on lui passe toutes ses sottises ; si tu veux peindre deux heures devant moi, je te laisserai après, pendant deux heures, parler de Robespierre». L'exigence du baron était telle que Michel ne put répondre à l'offre d'acquisition d'une toile qui lui fut faite par l'administration des Musées. Sous la direction de Michel, le baron d'Ivry travaillait, le maître corrigeant l'élève, et, parmi les prétendus « Michel »
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LE PAYSAGISTE GEORGES MICHEL qui nous semblent douteux, il se glisse un certain nombre de toiles du disciple. Ce fut une période de relative aisance pour Michel et ses ressources s'augmentaient encore du bénéfice que lui apportaient des restaurations, de tableaux pour le musée du Louvre et la collection du cardinal Fesch.
Michallon, Watelet. L'académisme représenté par un homme de la taille de David triomphe ; mais, dans une telle ambiance, les recherches d'un Michel ne répondent plus au goût du jour. Ses pairs n'ont pas la grandeur d'âme d'oublier leurs intérêts personnels pour le défendre. Nous voyons son nom pour
RENTREE DE TROUPEAU
Il eut donc une clientèle réduite, mais la dernière fois au catalogue du Salon de fidèle. 1814 ; il envoie cependant jusqu'en 1823, en Mais pour exploiter de tels avantages, il se faisant régulièrement refuser. On s'explifaut être de sang-froid. Or, Michel est un que alors que cet être sensible, peu armé ardent, un passionné, toute sa passion, pour la lutte dans la vie, n'ayant de force d'ailleurs, étant limitée à la peinture. A me- que pour peindre, se soit retiré du monde. sure que sa personnalité s'affirme, on le Sur ce point encore il imite Rembrandt. comprend moins. Nous sommes au début Alors, sans le moindre souci des contingences du dix-neuvième siècle, époque de réaction extérieures, il travaille avec ferveur. Il peint artistique. L'anathème est jeté auxvme; les comme d'autres prient, et c'est sans doute paysagistes sont du reste peu suivis, et ceux au moment où il arrive avec les moyens qui connaissent le succès s'appellent Bidault, les plus simples à une grande éloquence 113
L'ART ET LES ARTISTES
LES MOULINS
picturale, que ses admirateurs se raréfient. poignante un coin de prédilection. Georges Le baron d'Ivry, lui-même, l'abandonne. Michel revient instinctivement à la campagne de Montmartre; il en évoque l'austère II est souvent question des trois manières beauté avec une maîtrise authentique. Dans de Georges Michel. Nous avons essayé de ces pages où le drame est exprimé avec tant situer la première, qui se termine par la con- de feu intérieur et une telle absence théâtrale, quête de sa personnalité, à la fin du xvme siè- il y a lieu d'accorder à leur auteur la très \ cle. Nous pensons que la troisième, celle de haute place qui lui est due. Le métier obéit la vieillesse, où l'on considère en général définitivement à la pensée qui dirige. Nous que le peintre se révèle dans la plénitude de le voyons utiliser volontiers le papier comme sa personnalité, n'est qu'une suite logique de support, suivant une méthode chère aux la seconde. Sans d'ailleurs tenter de clas- peintres français du xvinie siècle, comme aux sification théorique, particulièrement vaine flamands du xvne. Tantôt ce papier est collé quand il s'agit d'un artiste aussi indépen- sur une toile, tantôt il reste à l'état de feuille dant que Michel, nous distinguons chez lui, libre, et va connaître dans un carton cinaprès la période du début, où il est encore quante ans d'oubli. Ce n'est pas par éconotributaire d'influences diverses, une période mie que Michel utilise ce procédé, c'est parce de maturité. C'est alors qu'il nous semble que, seul, il lui permet dans la fougue d'une donner ses pages les plus décisives. Contrai- séance rapide la réalisation de certains prorement à la thèse généralement admise, et blèmes de la matière. Sa palette est plus en dépit d'admirables visions datant de la réduite que jamais. Il joue volontiers d'un fin de sa longue carrière, c'est entre 1815 et gris franc, plus ou moins intense, autour i83o que nous plaçons le vrai Michel, celui duquel viennent se moduler les tons subtils, qui cherche constamment et s'appuie sur une argentés et fauves, nés d'une palette que observation constante de la nature. Cette l'ocre jaune et le brun rouge complètent en observation fera place, dans les dernières grande partie. Le bleu ne tient qu'un rôle années, àuneinterprétation plus Imaginative-, discret; quant aux laques, il les néglige comséduisante, mais certainement moins forte. plètement. Sa peinture est établie sur l'équiAucun peintre n'a traduit de façon plus libre des valeurs et non pas sur les chances 114
LE PAYSAGISTE GEORGES MICHEL nateur, à l'observateur constant de la nature, que nous devons aussi les ciels où s'étagent et s'entrecroisent les nuées. Un rayon de soleil apparaît, dissocie ce monde en mouvement et met de l'ordre dans ce désordre apparent. Les dernières toiles de Michel sont de plus en plus fougueuses et dramatiques; il ne reste plus rien du souvenir des Hollandais. Le contrôle de la nature fait place au besoin de faire parler la couleur et d'intensifier l'expression. Tel effet d'orage, que nous avons eu l'occasion de voir, donne la sensation d'une peinture apocalyptique. Les décors restent sensiblement les mêmes; mais, en vieillissant, Georges Michel devient visionnaire. Complétant l'ensemble de son oeuvre, ces pages, dont l'écriture révèle la passion, précisent ce que nous avions la tentation de dire tout de suite : Georges Michel est le trait d'union entre les maîtres anciens et notre génération; il porte en lui le germe du paysage moderne. Sans nous soucier des engouements passagers dont il fut l'objet, du silence dont il fut victime, ni des spéculateurs futurs qui lui reconnaîtront le plus grand génie, nous devons admettre, pour être modérés, qu'il en avait tout au moins l'étincelle. J.-G. GOULINAT.
instables que procurent les couleurs fugaces. Il empâte, non pour empâter sans discernement, mais en variant sa facture; ici la brosse est conduite avec furie, là avec préciosité. Quelque monochromes que soient parfois ses toiles, elles sont d'un coloriste caractéristique, si nous admettons que le coloriste est celui qui fait chanter la couleur, indépendamment de la violence du ton employé. Notre pupille, nous semble-t-il, se dilate en fouillant le mystère de ses forêts. Ses horizons vont à l'infini. Chaque élément de sa composition est à son plan et nous avonsja sensation de son poids atomique. Michel est-il le peintre des moulins, comme on se plait à le dire? En vérité il a merveilleusement traduit leur vie ou leur sommeil dans le paysage. Mais si nous devions le classer, nous dirions combien, avant de peindre des moulins, des maisons ou des arbres, il a su exprimer le sol sur lequel ils reposent. Michel est un constructeur de terrains; non pas en réaliste savant et précis comme Ruysdaël ou Poussin, mais en évocateur. Il laisse deviner, plus qu'il n'indique toujours scrupuleusement, les plans subtils d'une plaine, la structure d'un coteau qu'enveloppe l'ombre d'une forêt. C'est au dessi-
Phot. Bulloz.
Musée du Louvre.
VUE DE MONTMARTRE
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