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•
•
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nt:
HENRI REGNAULT
H
a
filé tiré
30 exemplaires numérotés, sur papier de Hollande,
avec deux épreuves de l'eau
chine volant.
— Prix
r.uas. -
lue
:
10
sisios
-
forte avant
la
lettre,
dont une sur
fr.
laçox
n
cour., iul d'uuikt<j,
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CORRESPONDANCE DE
HENRI REGNAULT A .N NOTICE
ET KELUEILLIE
PAR
ARTHUR DUPARC SUIVIE DU
CATALOGUE COMPLET DE L'ŒUVRE DE
II
REGNAULT
cl ornée
D'UN PORTRAIT
PAR
M.
GRAVÉ A L'EAU -FORTS lAGl'Il.LEIUlIK
cimwK.vmcit kt 1*,
libuaiuks-kiiiteuks
QIAI nu
1.01’
V11E,
28
1872
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Googl
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A
MONSIEUR VICTOR H
F.
M
U n
F.
DF
I.’ I
R E (ï N À U L T
NS T ITDT
HOMMAGE RESPECTUEUX ARTHUR DUPARC
!
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CORRESPONDANCE DE
HENRI REGNAULT CHAPITRE PREMIER —
—
—
Enfance de Régnault. Ses études. Ses 19 janvier 1871. Concours pour le prix de Rome. débuts dans la peinture. Départ pour Rome.
—
—
Le siège de Paris touchait fatalement à son terme. La grande
depuis
ville, investie
bom-
près de cinq mois, épuisée, affamée,
bardée, ne voulait pas se rendre. Elle exigeait
un
dit sa
effort
suprême, désespéré, qui ren-
chute aussi glorieuse que sa
résis-
tance.
Une dernière
sortie eut lieu le
vier. Les bataillons mobilisés
de
la
19 jan-
garde na-
tionale reçurent l’ordre d’attaquer les Prus-
siens retranchés derrière les
murs du parc
de lluzenval. i
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
‘2
En marche depuis
le
milieu de la nuit,
nos soldats improvisés combattirent toute
la
journée, courageusement, inutilement. Le soir venu,
sés,
fallut
il
compta, on
sonner
recueillit les
la retraite
morts
:
on se
et les bles-
on signala des absents.
'Parmi ceux dont
le sort était
inconnu se
trouvait Henri Régnault. Ses amis l’avaient
aperçu restant en arrière au l’ordre de se replier était
vaient appelé
:
moment où
donné
« Le temps de
ils
;
l’a-
brûler mes
dernières cartouches, et je vous rejoins », avait-il
répondu avec calme. Depuis
ne savait rien de
lors
on
lui.
La nouvelle de sa disparition se répandit le
soir
même
menta avec
dans tout Paris. On
anxiété.
On
la
com-
se refusait à croire à
un malheur. Peut-être Régnault
n’avait-il
pu rejoindre à temps son bataillon, peutêtre était-il prisonnier ou recueilli, blessé,
parles Prussiens. Ce dernier bruit prit un instant
tacha
une certaine consistance,
comme
à
et
on
s’y rat-
une chance heureuse
et dé-
sirable.
Georges Clairin
j
le
compagnon
si
lidèle
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by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
de Régnault pendant
les trois
nées de sa vie, se mit dès
3
dernières an-
lendemain à
le
la
recherche de son ami, avec un infatigable
dévouement. taille,
Il
parcourut
champ de
le
ba-
appelant Henri, retournant les morts,
s’informant de tous côtés, se cramponnant à
une espérance qui
lui
échappait d’heure
en heure, mais à laquelle renoncer.
que
prit
le
il
ne voulait pas
revint le soir à Paris, et ap-
Il
doute
n’était plus possible.
Un
ambulancier avait reconnu Régnault parmi les
morts
gauche, face,
;
foudroyé.
précises,
son
adresse, le à
frappé d’une balle à la tempe
jeune artiste
le
nom,
nom de
était
tombé sur
indications
Les
sa
les
profession,
la
plus
son
son père se trouvaient
l’intérieur de sa tunique. L’ambulancier
avait recueilli aussi quelques objets qui lui
appartenaient, puis le
il
avait
dû abandonner
cadavre pour continuer son
triste
mi-
nistère.
Clairin mit dès lors toute son ardeur à dé-
couvrir
le
corps de son ami. Après bien des
recherches enfin, le
infructueuses,
22 janvier, parmi
il
le
les
retrouva
monceaux
•
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
4
morts transportés
de
Au moment où tion de ce
étrange
:
malheur,
si
confirma-
un fait murmurer, avait
montré une fermeté
vrai-
au milieu de calamités inouïes,
Paris se sentit faiblir devant '
la
grand nombre de ses défen-
seurs, qui avait virile
Père-Lachaise.
se produisit
il
Paris qui, sans
vu périr un
ment
au
connue
fut
la
perte de cé
homme. Humiliée, absorbée dans une immense douleur patriotique, frémis-
jeune
sant de honte et d’angoisse devant la nécessité
d’une cruelle capitulation,
cité trouva
ses
enfants.
cœur par si
grande
la
encore des larmes pour un de
Chacun
se
sentit
cette mort, à la fois
frappé au si
belle et
affreuse. Elle parut être le dernier rayon
de gloire arraché à notre couronne,
le der-
nier mot. de nos malheurs.
Le service funèbre eut lieu à Saint-Augustin. C’était la veille
que déjà
le
de
la
canon ne
capitulation et lors-
se faisait plus enten-
dre qu’à de rares intervalles. La famille de Régnault, absente, ignorait encore sa mort.
Mais tout ce que Paris renfermait de célébrités s’était joint
spontanément aux amis
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.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
du jeune peintre,
nef fut trop pe-
et la
pour contenir ceux qui voulaient
tite
lui
rendre un dernier hommage. Ses compa-
gnons d’armes en tenue de campagne, décernèrent
ment
honneurs
les
placé près du cercueil,
que nulle douleur
lait
sacrifice, l’artiste,
et il
lui
enterre-
bouquet de
tandis qu’un
militaire,
lilas blanc,
d’un
révé-
manqué au
n’avait
qu’à la perte du soldat et de joindre
fallait
celle
plus
in-
time et plus poignante encore du fiancé.
Une
indescriptible
tous
les
cœurs
larmes de tous triste
ém#tion elle
;
les
gagné
avait
faisait
des
jaillir
yeux et donnait
à cette
cérémonie un caractère unique
profondément touchant
on eut
:
et
un
dit
deuil public.
Ceux-là
mêmes
qui s’étaient montrés les
plus sévères pour l’artiste se sentirent dé-
sarmés. « Une fatalité
cruelle
si
crime commis par
la
donne
l’idée d’un
mort, écrit M. Paul
de Saint-Victor, qui avait durement les
dernières productions de
qu’il
immole de
traité
l’artiste.
Lors-
pareilles victimes, le
meur-
i.
-
—
—
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
G
trc inconscient
de
la
guerre
fait
d’un
l’effet
assassinat. »
La critique n’eut qu’une voix 'pour célébrer
le talent, le
généreux dévouement
mort d’Henri Régnault. Les poètes
et la
leur
à
tour voulurent chanter la glorieuse victime
de et,
la
dernière heure et du dernier combat,
dès le 27 janvier, des vers de M. Manuel
furent récités au théâtre français par Coquelin, qui avait été
lié
avec Régnault.
Comment expliquer cependant
cette
émo-
tion passionnée? A, peine quelques œuvres
de Régnault avaient été livrées au public elles avaient
tions.
Il
pussent
et
rencontré de vives contradic-
semblait donc que ses amis seuls avoir
conscience
de sa
valeur,
apprécier sa nature riche et sympathique
On
et
pressentir ses succès futurs.
sa
mort qu’au fond une opinion unanime
lui avait
attribué parmi les artistes
vit
à
une
place qui désormais ne pouvait être remplie.
Pour nous qui l’avons beaucoup connu, c’est-à-dire à
cœur de
profondément aimé, nous avons
le révéler tel qu’il était et
de mon-
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GoogI
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. trer, à côté des
tre, l’intelligence d’élite
ble de sentir
7
éminentes qualités du peinqui
puissamment
le
et
rendait capa-
d’exprimer ses
impressions avec un merveilleux talent. Mille fois nous avions eu l’infatigable activité
preuve de
la
de Régnault,
et
pour-
nous avons pu tout ensem-
tant, lorsque
ble voir l’exposition de ses œuvres et par-
courir sa volumineuse correspondance,
nous a été
difficile
ment ce jeune homme sorte, multiplier les
avait su, en quelque
heures,
côté de travaux de peinture
par leur nombre,
il
il
de comprendre com-
s’était
comment si
à
étonnants
créé les loisirs
nécessaires pour tant écrire, .tant raconter.
Pas une observation en effet ne frappe
son esprit ou ne stimule sa curiosité, pas
une émotion
nement
n’atteint son
frivole
àme, pas un évé-
ou sérieux ne se passe de-
vant ses yeux, sans qu’il éprouve
de faire aussitôt partager
amis
le
besoin
à son père et à ses
ses impressions et ses
remarques.
Ces lettres, écrites spontanément et sans
aucune arrière-pensée de
publicité, consti-
tuent donc, pour ainsi parler, le journal de
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
8 •
lui-même, au jour
sa vie, écrit par
jour
le
,
elles
donnent une idée exacte de son carac-
tère,
de son genre d’esprit, de ses tendances
artistiques; elles le représentent, vraiment
ressemblant fantaisie
que
non plus sous
et
lui avaient trop
les traits
souvent
bués des impressions personnelles; le
de
attri-
elles
montrent enfin sous un jour complet.
Nous
le
voyons invariablement enthousiaste
quand
il
commence un
quand
il
l’achève, toujours sévère
même, parce
qu’il reste,
et ses progrès,
tableau, mécontent
pour
malgré ses
lui-
efforts
bien loin encore de son idéal.
Mais, par-dessus tout, en lisant cette cor-
nous sentirons grandir nos
respondance, regrets, parce
certitude
que nous arriverons à une
absolue de l’avenir brillant ré-
servé à Régnault
:
il
devait être
un jour
le
chef de l’École française contemporaine
;
nul doute ne demeure dans l’esprit à ce sujet
quand on
Notre
l’a
tâche,
suivi pas à pas.
en réunissant ces
maté-
riaux épars, est donc bien simple
:
borne à
le
artiste
les
coordonner^ et à laisser
elle se
jeune
lui-même nous dire ce que contenait
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
déjà et ce II.
que promettait
Régnault naquit à Paris,
1845.
était le
Il
second
membre
Régnault,
le
mie
sciences
des
O
sa riche nature. le
de l’Acadé-
illustre
dont
50 octobre
de M. Victor
fils
l’Europe
entière
connaît les travaux, et qui dirigea pendant vingt-cinq ans avec
manufacture
éclat la
nationale de Sèvres.
De bonne heure on positions
Dès sa
première
fut frappé des dis-
du jeune Régnault.
artistiques
crayon et du papier; pis,
il
pour
enfance,
on
tranquille à la maison,
et,
lui
le
tenir
donnait un
couché sur
le ta-
passait des heures entières à dessiner
ce qui l’avait frappé dans ses promenades,
animaux, chevaux
surtout des Plus tard le
il
et
chiens.
demandait constamment qu’on
menât promener au Jardin des plantes;
s’arrêtait
longtemps devant
parcs des animaux, dont
il
les cages,
suivait les
il
les
mou-
vements avec une attention persistante
et
sans qu’il fût possible de l’arracher à l’exa-
men
qu’il
sinait ces
poses où
en
faisait.
Aussitôt rentré,
mêmes animaux dans il
les
avait
vus,
il
des-
toutes les
recommençant
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
10
son travail jusqu’à ce qu’il en fût et sans
satisfait
jamais se décourager. Déjà sa mère
recueillait
avec soin ces essais qui déno-
taient, chez
un enfant de cinq ans, un esune persévérance et des
prit d’observation,
dispositions bien extraordinaires.
que sur
tant
sa
à tout remarquer;
çait à tout voir,
fusait de copier et
c’est
ainsi
Ne comp-
mémoire, Régnault
s’exeril
re-
aucun dessin ou gravure, qu’il
acquérait
seul
les
premières notions de cette admirable connaissance de l’animal dont tard à rendre les
il
excella plus
mouvements
et les
for-
mes.
Encore quelques années rons, ses
et
nous
le ver-
externe au lycée Napoléon, charger
papiers de croquis;
un besoin impérieux,
c’était
irrésistible,
pour
lui
de repro-
duire tout ce qui frappait son esprit. Ces
premiers dessins étaient dès lors recherchés et
précieusement conservés par ses cama-
rades.
A mesure que
l’enfant grandit,
ses des-
sins deviennent plus complets. Dès la classe
de quatrième,
il
profite des jours
de congé
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
pour jeter hardiment sur
dont
historiques fesseurs.
11
papier des es-
rapportant aux sujets
de figures se
sais
le
l’entretenaient
ses
pro-
Ces études avaient pour but les
grands tableaux dre un jour
il
;
qu’il projetait déjà
en
fit,
pendant
de pein-
,
les convales-
cences de ses maladies d’enfant, de grandes esquisses au fusain et au crayon batailles
d’issus, d’Àrbelles
:
celles des
de Rocrov,
et
figuraient à l’exposition de l’École des beauxarts
;
elles
se faisaient
remarquer par
hardiesse de la composition,
le
la
mouvement
des figures, l’audace des raccourcis, autant
de qualités qui dénotaient déjà d’un véritable
artiste.
treize ans qui se jouait
cultés était
le souflle
Un enfant de onze de pareilles
à
diffi-
merveilleusement doué, et on
pouvait pressentir qu’il deviendrait un grand peintre.
En août 1857, un
accident mit en dan-
ger les jours de son père et exigea pen-
dant longtemps
les
soins assidus de toute
sa famille. Henri avait alors douze ans, âge
bruyant
et difficile,
fisent [dus et
où déjà
les
jeux ne suf-
où l’étude n’absorbe pas en-
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COKHKSl’ÜNDANCK DK HKNHI REGNAULT.
12
core.
Pour pouvoir
ture de Sèvres,
cupation. et
il
Il
il
garder à
le
la
manufac-
donner une oc-
fallait lui
eut l'idée de se faire sculpteur
modela en
argile,
de mémoire, un
cheval appartenant à l’Empereur
en temps seulement
;
de temps
dans
allait le voir
il
écuries du château de Saint-Cloud sai
étonna tellement
leur
les artistes,
demande, on en
tira
les
cet es-
:
que, sur
quelques exem-
plaires.
Cette grande facilitéquele jeune Régnault
montrait pour les arts,
la rapidité
de sès
progrès, ne laissaient pas son père sans in-
quiétude.
11
prévoyait bien que,
un cours trop
s’il
donnait
facile à cette vocation, les étu-
des littéraires sérieuses, qui seules pouvaient
modérer
fougue de l’imagina-
et diriger la
tion d’Henri, deviendraient bientôt impossibles.
Il
chercha donc
à
à l’entrainement de son
artistique, et ne lui
çons de dessin
dant
les
;
fit
il
fils
vers la carrière
jamais donner de
mais, à
vacances,
mettre des entraves
la
campagne
et
le-
pen-
lui laissait la liberté
de
se livrer exclusivement à ses études de prédilection.
On peut juger par
le
nombre des
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by
\
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
dessins faits en des temps
cœur
bien Henri avait à
père
le lui avait
l’art
auquel
il
vou-
savait au reste
11
ses
vœux ne
fin
de ses études classiques
seraient accomplis qu’après
rait acquis le Il
13
com-
courts,
— son formellement déclaré — que
consacrer.
lait se
si
était entré
grade de bachelier ès
dans
la
et lorsqu’il aulettres.
vues de son père et
les
chaque année de nombreuses nominations vinrent affirmer
le
rang distingué qu’il oc-
cupait parmi ses condisciples. -
le
Sa mémoire surtout était étonnante.
11
eut
bonheur, du reste, de rencontrer une cer-
taine
condescendance chez des professeurs
intelligents, qui
ne demandèrent pas à cette
nature d’élite, un peu fantaisiste et mal à l’aise
quand
l’exacte
elle se sentait trop
ples. Ainsi, tout
ment
cours
le
gardait
comprimée,
régularité exigée de ses condisci-
le
en
germe
qui éclatera plus
poursuivant brillam-
de ses
de
Régnault
études, cette
personnalité
tard dans toutes ses œu-
vres. Il
sortit
du
collège en 1859 et
alors de suivre sans entraves son
il
fut libre
goût pour 2
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by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
14
dessin
le
maître.
;
mais
fallait
il
lui
trouver
un
-
Son père redoutait de
le voir
entrer dans
l’un des grands ateliers de Paris, de le déga-
ger,
si
jeune encore, de cette surveillance
suivie, incessante, qu’il jugeait nécessaire à
son ardente nature. Aussi s’adressa-t-il à
MM. Ingres
et Flandrin,
si
capables tous
deux de comprendre ce que promettaient de tels
débuts.
de dire combien
Inutile
furent frappés
des
dispositions
ils
d’Henri.
Malheureusement Flandrin, qui s’occupait alors exclusivement de ses belles fresques
de
Saint-Germain
prendre
chez
des
lui.
Prés,
D’après
ne son
put
le
conseil,
Régnault fut confié à M. Lamothe, ancien élève de Ingres et qui l’avait aidé dans les
peintures exécutées pierre, chez M. le
au château
M. Lamothe, fidèle à maître, dirigea,
de Dam-
duc de Luynes. la
doctrine de son
comme on
pouvait s’y
at-
tendre, les études de son élève vers la pein-
ture religieuse, et lui
fit
faire des dessins
d’après Raphaël, le Poussin, Ingres, etc., tandis qu’à l’École des beaux-arts Régnault
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
15
étudiait l’académie. Ses progrès en dessin
furent il
put
si
rapides que, peu de temps après,
commencer
ses études de
peinture
à l’huile.
Après y
avoir consacré quelques mois,
Régnault fut admis, en mai 1862, à concourir pour
concours
le
prix de Véturie
était
Rome. Le
sujet
du
aux pieds de son
fils
Coriolan , et venant, avec les dames romaines
en deuil, lui demander de lever le siège de Rome. Le tableau du jeune candidat n’obtint pas le prix
néanmoins son succès
;
grand auprès du jury, qui
lui
accorda
fut
le pre-
mier accessit avec une médaille.
En 1864, cours, mais traits
il
ne se présenta pas au con-
il
exposa au Salon deux por-
jusqu’à mi-corps et de grandeur na-
turelle.
Inscrit à l’atelier de M. Cabanel, Régnault était il
peu assidu à l’École des beaux-arts;
travaillait
tantôt à
lui avait installé
où
il
tantôt à Paris
atelier,
en avait loué un rue d’Enfer.
entrepris alors la
un
Sèvres où son père
un grand
Il
avait
tableau religieux,
Mise au tombeau du Christ tableau qu’il ,
-
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
10
n’acheva jamais, et qui a été détruit pen-
dant
la
guerre. Une lettre de lui nous dit
sous quelle impression
le
il
commençait
nous montre combien déjà sa sévérité
et
pour vir
œuvres venait heureusement
ses
ser-
de contre-poids à l’enthousiasme de ses
vingt ans. A M. STÉPHANE MALLARMÉ. Jeudi.
commencer mon grand
Je vais
l'Ensevelissement dont tu as vu
tous les croquis d’après nature
fait
avoir
ma
1
,
J’ai
et je vais
dans deux jours. J’entreprends
toile
une oeuvre gigantesque, mais
mon
atteindre
tableau de
une esquisse.
but
;
je sens
là
je crois pouvoir
en moi une ardeur
une vigueur qui ne me font rien trouver de
et
mon
trop audacieux. Je vois et je le vois
réponde à
que
si je
superbe.
ma
Il
tète. Je
ne
le
ma tète ma main
tableau dans
faut donc
que
montrerai au public
suis entièrement satisfait. Je suis d’avis
qu’on ne doit jamais exposer à
la critique
aulres une chose que soi-même on trouve vaise.
Tant qu’on y découvre des défaillances,
faut les corriger et ne jamais laisser rien n’ait
1
des
mau-
rêvé ainsi.
Catalogue,
n" 168
Je ne
me
il
que l’on
presserai pas, pour
à 178.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
donnera mon jugement progrès que
ma
le
temps de
main, car
c’est la tête qui
diriger, et je crois impossible de s’élever
quand on ne
se trouve pas
dessous de soi-même. Je
monter
doit et
de
beaucoup au-
dans une lutte per-
vis
Temps:
pétuelle contre le
17
faire plus de
c’est triste à dire, je
suis souvent vaincu...
Henri destinait ce grand tableau
tre, incessant,
il
tait et souffrait
était
en retard;
il
le sen-
des moindres instants ar-
rachés à son travail. Écoutons-le A M.
à l’Ex-
malgré un labeur opiniâ-
position. Mais,
:
STÉPHANE HAIXARMÉ. •
2 janvier 1865
Je t’assure bien que je ne t’en veux nullement
de ton silence. De quel châtiment
moi qui, sans
classe, sans
me
punirais-je,
poème dramatique
et
sans enfant, reste des mois entiers sans t’écrire?
Mais
à
quoi servirait noire intimité
si
nous étions
obligés de nous envoyer des cartes an jour de l’an ?
Le seul mot de carte
que
le
nom
journée que froid
de j’ai
Rome
me à
produit
le
même
effet
Annibal. Te dirai-je
la
passée hier en piétinant, par ce
humide qui me
fait
envier
le sort
de
la
mar-
motte, et en m’arrêtant presque à chaque porte
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
18
pour y déposer des cartes pliées? Passer une journée à ne voir que des portiers Et il va !
recommencer aujourd’hui!
falloir
ache-
C’est
ter bien cher les quelques petites étrennes qu’on reçoit.
Ce qui m’attriste le plus,
c’est
que je perds trois
précieuses journées, ce qui est énorme pour moi,
comme
car je suis en retard. Je travaille pourtant
un malheureux, sans relâche, malgré
nuit qui m’environnent. Si
lards et la
aime
la
lumière,
la belle
belle chaleur qui
beau soleil,
le
nous permet de
travailler
la
en
en pantoufles. Nous ne pouvons pas
et
peindre, les pieds dans une chancelière; faut la
poète
nous abhorrons tout ce qui n’est
lumière,
chemise
le
au coin du feu, nous au-
l’hiver, les veillées
tres peintres
pas
les brouil-
liberté de nos
mouvements,
il
Peut-être plus tard, dans
le ciel bleu.
ges, trouverai-je
où
le
au
(jris! c’est là
un climat
il
nous
nous faut
mes voya-
plus égal que le nôtre,
bleu sera toujours au-dessus de moi. Haine
mon
de guerre.
cri
A M. EMMANUEL DES ESSARTS.
Janvier 1865.
Stéphane a pu de t’écrire excuse à
te
le
1
er
le dire
ou
donner
sonne ne peut
la
le
que
mon
intention était
2 janvier. Je
si je
ne
l’ai
pas
n’ai
qu’une
fait, et
comprendre mieux que
per-
toi. J’ai
Digitized by
CORRESPONDANCE PE HENRI REGNAULT.
un grand tableau en travaille depuis six
mois
et
core presque autant pour le
20 mars au plus tard
mis
le
ou
vif, je
répit, je
compte
le
il
m’en faudrait en-
finir. Il doit être re!
Néanmoins, mort
terminer. Je n’ai plus de
ne vois plus mes amis.
mener de
19
train pour l’Exposilion. J’y
voulu d’abord
J’ai
front le travail de la journée et la fati-
soirées, mais il me faut y renoncer. Levé tous lesjoursà six heures et demie, je suis éreinté
gue des
le soir
après un travail fébrile de huit ou neuf
heures, et je prends le parti de
monde. ver
C’est grâce à ce
un moment pour causer avec
Le tableau que je
fais
renoncer au
vœu que
dans ce
je puis trou-
toi...
moment
au tombeau dont tu as peut-être vu
Mise-
,
est la
une pre-
mière idée l’année dernière quand tu es venu à Sèvres. J’ai
en projet bien des choses;
un volume pour
te les
sujets des tragédies antiques
en
et j'espère
il
il
me demandera
faudrait
m’ont enthousiasmé
traiter quelques-uns.
d’Héliogabale,
me
narrer toutes. Plusieurs
y a aussi
un
Dans l’histoire
très-beau sujet qui
quelques années de
travail,
mais
dont j’espère faire une bonne chose. Plus je
hommes l’ont
lis
l’antiquité, plus je vois
que deux
seulement, parmi nos contemporains,
comprise
:
c’est Ingres et Delacroix.
Presque
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
20
tous les sujets en ont été traités cent fois chacun
suivant moi
ils
,
sont neufs, et toujours neufs, et
peuvent être présentés maintenant d’une façon
monde.
intéressante pour tout le
beau
C’est si
l’antiquité'!
En 1865, conde
fois
II.
Régnault entre pour
en loge
:
Orphée
Eurydice aux divinités infernales, le sujet
du concours.
la se-
redemandant tel
était
L’artiste, cette
fois,
se laisse emporter par sa haine de la banalité,
extrême désir de produire
par son
quelque chose de nouveau, de saisissant;
il
montre plutôt disciple de Delacroix
se
qu’élève de l’École, et
il
échoue, malgré
les
très-grandes qualités de sa composition. Il
ne nous appartient pas de juger
ici
des
tableaux qui n’ont pas figuré à l’Exposition
des œuvres de Régnault et que le public ne sera plus appelé à voir. Nous nous associe-
rons par notre silence à
la
pensée délicate
de M. Victor Régnault, qui n’a pas voulu, en les
soumettant à
la critique,
comparaisons avec sés ces
mêmes
provoquer des
les tableaux
récompen-
années. Nous nous contente-
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAliLT.
rons de constater qui
portait
le
presse
la
‘2l
courant sympathique et
public vers
le
Régnault, en qui l’on reconnaissait déjà un véritable peintre.
Vaincu pour
la
seconde
Régnault
fois,
prit aussitôt sou tableau de la Mise
re-
au tom-
beau. Le découragement était inconnu à cette
nature pleine de ressort
époque, son
âme
mais, à
:
d’artiste
était
cette
pour ainsi
dire souffrante. Elle subissait la crise inévitable qui atteint toutes les riches organi-
sations au
moment de
sion; elle avait soif de
leur complète éclo-
rompre
les liens qui
l’entravaient, de secouer le joug auquel elle était assujettie,
de prendre son essor, de
vivre enfin de sa propre vie. Déjà, dans son
Orphée , nous avons
donner au dont
il
vu Régnault s’aban-
charme qui
se défiait encore.
mais
l’attirait,
Que de
fois
dans
nos causeries intimes ne m’a-t-il pas ra-
conté et ses luttes intérieures qu'il faisait
pour résister
contre lequel ses maîtres
garde
!
dances
à
et
l’effort
l’entraînement
le
Pour lui-même, ses nouvelles étaient,
'
mettaient en ten-
encore confuses, vagues,
in-
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
22
déterminées
;
il
cherchait sa voie dans
demi-obscurité, et
comment en
autrement? Élevé dans
une été
eùt-il
le culte exclusif
de
la ligne,
habitué aux étoffes correctement
drapées,
à
courant qui et la
une couleur toute convention-
comment
nelle,
n’eût-il pas été effrayé
le portait
du
vers la vérité, la vie,
lumière? Laissons-le nous raconter
ses doutes, ses hésitations, l’ardent travail
qui se
fit
loureuse
en son esprit à cette heure dou-
:
A U. STÉPHANE MALLARMÉ.
9 octobre 1865.
Une métamorphose singulière s’opère en moi je suis
devenu rêveur, renfermé. Pourquoi
sais. Je
:
>
Je ne
voudrais être sans cesse entouré de cette
nuée qui rendait Énôe
invisible. Très-souvent
m’est pénible de parler
;
je
moments que ceux qui me sent
?
il
voudrais dans ces
sont chers compris-
mon silence. Je suis alors comme une
chauve-
souris qui s’envole en plein jour et se cogne de toutes
parts. J’éprouve
un grand bonheur
écouter et à ne rien dire; alors seulement
semble que je jouis de toute je serais
ma liberté.
il
à
me
Dieu! que
heureux de vous voir souvent, mes chers
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
amis,
et
23
de passer quelques heures avec vous,
mais loin de tous, dans un désert improvisé,
une chambre au coin du
à-dire dans
feu,
c’est-
ou dans
les bois sous la nuit! Je respirerais alors à pleine
poitrine, je boirais la poésie avec vous et j’oublierais
pendant quelque temps. Mais
la terre
un maniaque.
aussi je suis
Je ne sais
si c’est
cette langue
si
à force d’approfondir l’Art,
riche et infinie, mais je prends en
grippe la langue de tous les jours et de tout le
monde. De tout et
même
que
je vois de la peinture par-
que je découvre des trésors dans un che-
min qui monte, dans une charpente qui tache sur
le ciel,
dans
le
se dé-
bleu du ciel qui se mire
dans un ruisseau d’une sale rue de Paris, etc...,
de même,
je voudrais trouver
pour
etc.,
mon
esprit des sensations aussi variées et aussi char-
mantes, quand mes yeux se reposent et ne regardent pas. Mais alors, je ne vois que prose et
que laideur. et les
Il
faudrait vraiment pour les artistes
poètes des demeures au-dessus des nuages,
où, dans leurs crises de folie,
ils
viendraient tout
oublier et se perdre dans la pureté qui planerait
sur eux. Là* on n’entendrait pas un seul bruit du
monde, on ne
verrait pas
d’en bas. Je
permettrais seulement au son des
cloches de monter
en
une seule fumée partie accords presque insai-
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
24
sissables
bleu et
le
;
compléteraient l’har-
l’infini
moriie.
Que ne vivre
peut-on, de temps en temps, cesser de
pour goûter de ces sensations
fines et trop accablantes
je tâche crois,
Tu
à la fois trop
pour nous vivants
de m’élever dans
l’art;
!
Oui,
mais je suis, je
dans une période de grande impuissance.
l’as
sans doute traversée aussi. C’est
ment où des mondes
un mo-
entiers, cachés jusqu'alors,
se déroulent devant nous,
où
les
grands nuages
qui couvraient les têtes des montagnes se dissipent, et où les
ombres des abîmes deviennent
lumineuses; c’est un initié
à
moment où
des mystères
inouïs,
l’on
se sent
où, longtemps
aveugle, on voit tout à coup à des distances prodigieuses, où l’on est
comme suffoqué
trop abondant et trop
j’éprouve
:
je
me
par
un
vivifiant. C’est là ce
air
que
sens grandir et m’élever, mais
je découvre trop de choses à la fois, et
mes yeux
ne sont pas encore accoutumés à tant de lumière.
Apartirdeee moment, nous
le
voyons sans
cesse au Louvre, étudiant les œuvres coloristes
;
tantôt c’était
des
du Christ au tom-
beau de Titien qu’il faisait une copie, tantôt
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
des Noces de Cana , de Véronèse.
‘25
avait
Il
une prédilection marquée pour ce tableau et il
rêvait de le copier
Un jour même
ginal.
pour ce gigantesque
dans il
la taille
travail;
était inexécutable et
de
vint prendre
l’ori-
mesure
mais son projet
dut en reconnaître
il
l’impossibilité. 11
copia donc, d’une manière fort remar-
quable, ce tableau sur deux petites toiles
dont
chacune en reproduisait
moitié.
la
Puis, lorsque ce travail fut achevé, treprit toile
il
en-
une copie de l’ensemble sur une
qui avait environ trois mètres de large
sur deux mètres cinquante de haut. Quoiqu’il n’ait pas
eu
loin l’exécution,
le
temps d’en pousser bien
on retrouve dans son ébau-
che un sentiment juste de
la
couleur et une
aptitude merveilleuse à interpréter ce qu’il voulait rendre. Ici
se place
une anecdote que
je ne puis
résister à citer. Installé sur son échelle et
travaillant à sa copie, Régnault causait avec
un ami. Tout à coup bile, sa voix se et,
d’un signe,
sa
main devient immo-
tait, ses il
yeux restent
fixes;
indique à son compas
Digitizad by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
26
gnon une jeune femme arrêtée devant sa copie qu’elle examinait avec attention. Ja-
mais type à
la
fois
beau n’avait frappé
plus étrange
et plus
regards de
l’artiste.
les
Grande, élégante, simple dans sa robe de velours noir, elle semblait être la réalisation
du rêve d’un grand
artiste, l’apparition
beauté idéalisée par
le
ques instants passés devant la
visite le
de loin
sa pensée
11
;
abandonne rien
comme
miration seule
le
la
copie d’Henri,
paisiblement sa
du Louvre. Mais Régnault
charme.
suit
la
femme continua
jeune
de
génie. Après quel-
était sous
ses pinceaux et la
que de respectueux dans dans sa contenance,
l’ad-
pousse. D’où venait cette
créature incomparable? N’était-eile pas des-
cendue d’un des cadres qui l’entouraient? L’artiste et. n’y
cherche en vain dans ses souvenirs
découvre rien d’aussi parfaitement
beau.
Après avoir parcouru nos galeries,
la visi-
teuse traversa de nouveau le salon carré et le
hasard voulut qu’elle
un dernier adieu
s’y arrêtât
pour dire
à la Joconde * près de la-
quelle se trouvait Régnault.
'
^
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Tout à coup,
timidité mêlée d’enthousiasme
madame, belle la femme spirer ainsi un
pas,
pour
la
voyant,
27
une
se découvre et avec
il
« N’est-ce
:
devait
qu’elle
être
bien
qui a eu le pouvoir d’inartiste
première
fois
!
Ah
!
comprends
je
aujourd’hui, en vous
qu’on se sente capable de créer
un chef-d’œuvre.
bonheur de
Si j’avais le
moi aussi
faire votre portrait, j’en suis sûr,
j’arriverais à produire
une œuvre remar-
quable! » Et
il
continuait, emporté malgré lui, cé-
dant à une fascination inconnue, s’excusant
nommant
de son audace,
même,
afin
son père et
lui-
de prévenir toute impression de
défiance chez l’inconnue, et affirmant son respect avec une sincérité qui ne permettait
aucun doute. Elle le
,
comprit
et le
rassura
m’insultez pas, monsieur, en belle la
:
je sais
que
mon, mari que être
« Vous ne
trouvant
je le suis. Étrangère à
France, j’arrive d’Athènes
traverser Paris.
:
me et
ne
fais
que
J’accompagne à Londres
ses affaires y appellent. Peut-
au retour m’arrêterai-je un peu plus
Digilized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
28
longtemps. Vous désirez faire
mon
mon
portrait?
mari, sans doute, y consentira volon-
tiers. »
La conversation ainsi engagée continua
quelque temps encore. Régnault conduisit la visiteuse
jour-là,
jusqu’à
ne
il
la
porte du Louvre
travailla plus.
Il
et,
ce
son
rêvait, à
œuvre future. Dans cette anecdote, ce que j’aime, surtout vèle
si
contre
le
sentiment artistique qui
vif et si complet. Incapable
l’admiration
Régnault
,
l’exprime
s’en offenser
Jamais
il
les
un
traits
et
la
l’autorise à
s’affranchir des usages sans que
femme dont
ré-
de lutter
franchement, presque gauchement,
candeur de son enthousiasme
c’est
s’y
la
jeune
captivent puisse
le
instant.
ne sut
le
nom
de l’étrangère
;
elle-même sans doute a oublié celui du jeune peintre, presque enfant,
avec une
si
qui
la
suppliait
naïve éloquence de laisser re-
produire sa merveilleuse beauté.
Pendant ce
même
hiver 1865-1866, Ré-
gnault peignit aussi un grand
nombre
d’é-
tudes de nature morte, gibiers, étoffes, ar-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
mes
,
curiosités
;
puis
20
commença les avait commandés
il
grands panneaux que lui M. Renouard.
Enfin, pour la troisième fois
au concours
et obtint. le prix;
il
se présenta
mais non sans
avoir eu à traverser des heures cruelles de
découragement.
Au début, en
effet,
travaille avec ardeur,
il
manque,
mais bientôt l’entrain
lui
position lui déplaît,
est
et,
il
com-
sa
mécontent de
prévovant un nouvel échec,
il
lui
abandonne
son œuvre inachevée et semble renoncer à la lutte.
Le
concours touchait à sa
quelques jours
et
la
soirée chez
rencontra une jeune expressifs
et
la
;
fille
un ami,
dont
les
Il
lui
en
aussitôt deux croquis et nous le vîmes
devenir pensif. Dès
mit à l’œuvre il
y
traits
physionomie étrange
causèrent une impression profonde. fit
encore
Henri, étant venu
lorsque
sortir de loge,
avec moi passer
fin
concurrents allaient
les
fit
:
le
lendemain
il
se re-
d’une esquisse en hauteur
un tableau en largeur, sans modifier
pourtant sa composition
et
l’arrangement
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
30
des personnages, et donna à sa Thétis le fin
profil
qu’il
avait
deur au tait
et
de
distingué
rencontrée
la
la
travail était fiévreuse;
comme
jeune
fille
Son ar-
veille.
on
sen-
le
oppressé par une vision
inté-
En
rieure qu’il s’efforçait de reproduire.
douze jours, son tableau fut
refait et obtint
le prix.
Si
quelques passages se ressentent de
les rachètent!
dans
cette
la
combien de qualités
rapidité de l’exécution,
Quelle vie, quelle énergie
figure
d’Achille
!
Quelle
no-
blesse, quelle élégance, quelle exquise pu-
reté de lignes dans la Thétis
quelle allure de déesse
!
quelle fierté,
!
Régnault fut heureux de son succès,
et le
laissa voir avec cette simplicité, cette fran-
qui avaient
chise
chez
lui
un
grand
si
charme. Quelques jours après prix,
il
écrivait à
distribution des
la
madame
de Sainbris
:
Vous voyez, madame, que Y audaces fortuna uvat n’est pas un mensonge est
;
vous voyez qu’il
bon d’avoir renconlré mademoiselle
***,
car
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
ma
voyant
mon
tableau...
Et à son ami M. Montfort,
de sa joie en ces termes
Je suis bienheureux de
voilà
mon succès, qui me dé-
donc libre enfin de
d’étudier à
mon
aise,
faisait part
il
:
livre des insipides préoccupations
Me
31
Thétis c’est elle, et vous la reconnaîtrez en
du concours.
travailler
pour moi,
de chercher à m’élever au
contact des maîtres. Je n’ai qu’un regret, c’est de
ne pas vous avoir vu devant
mon
tableau et de
n’avoir pas recueilli, séance tenante, votre im-
pression, à laquelle j’attache tant de prix.
Non-seulement
le jury
nanimité, mais encore
m’a donné
j’ai
la distribution des prix
le prix à l'u-
eu un vrai triomphe à
de Romeetdes médailles
du Salon, qui a eu lieu au Louvre le mardi 14 août. J’ai
bien regretté que
ter ainsi
mon père
n’ait
pu y
assis-
que quelques bons amis, parmi lesquels
je vous compte, et à qui
un pareil succèsauraitfait
bien plaisir, car les applaudissements sont plus agréables aux amis et parents qu’à ceux qui en sont l’objet.
Au commencement de septembre, Re-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
32
gnault partit pour uneexcursion en Bretagne.
Le 30 septembre
il
écrivait à
Sainbris ces quelques lignes
madame de
:
Je suis en Bretagne depuis le 4 de ce mois. Je travaille et suis
exténué de fatigue... Je devrais
être à Paris depuis le 10. Mais
comment
être le
plus fort en face du chaos, en face des merveilles
du sauvage terrible et
et de l’horrible,
en face de cette mer
presque toujours furieuse contre cette
pointe de terre indiscrète qui se permet de s’a-
vancer avec un air menaçant au milieu du brutal
Océan
!
Voilà ce qui m’enchaîne ici...
Ce voyage devait être de peu de durée, et Régnault, allait être arraché à ses enchante-
ments d’une manière aussi cruelle qu’imprévue. Une dépêche le rappela brusque-
ment
à Sèvres,
où sa mère
se
mourait. 10 octobre.
y a quelques heures, rappelé à Sèvres par un télégramme qui m’apprend J'ai
que
quitté Plogoff
ma
il
pauvre mère est au plus mal... Me voilà
dans une chambre d’auberge, attendant que
le
courrier m’emporte cette nuit à trois heures vers
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
33
Quimper. Je n’arriverai que vendredi matin Dieu, .
que
la
Il
vapeur est lente
!...
arriva trop tard.
trine avait emporté
une
rapidité
un nouveau
madame
fluxion de
poi-
avec
foudroyante.
Bientôt après,
frappait cette famille
deuil
:
veuve du célèbre archi-
F. Mazois,
grand’tante d’Henri, succombait
et
tecte,
Une
madame Régnault
21 octobre, après une maladie de plusieurs
le
années. C’est elle que H. Régnault a représentée sur son les
mains
(n°
lit
de mort, un crucifix entre
3 du catalogue).
Le pauvre artiste,
si
aimant
et si cruelle-
ment éprouvé, trouve des accents bien émus pour peindre
sa
douleur
:
A MADAME DE SAINBRIS.
21 octobre 1866.
Ma quand
tante Mazois vient de je l'ai
quittée,
il
paraissait s’être remise avait éprouvées
mourir. Pourtant,
y a quelques heures, elle
un peu des
fatigues qu’elle
dans son transport de Sèvres à
Paris.
Voilà
un mois
d’octobre qui nous a coûté cher!
Ma grand’mère, aveugle,
On
se le
est
seule maintenant. Pauvre
rappellera.
femme!
qu’elle
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
34
doit souffrir
I
Et elle a soixante-dix ans. Son tour
va venir aussi. C’est épouvantable!...
,
k. H,
XALUMftf.
22 octobre 1860.
Que tu
es
bon de tendre
la
qui te laisse ignorer dix jours
main au misérable
un deuil
ma mère;
sais pas
pas
la
je le regrette;
était
ne pensais
je
perdre, je ne m’étais jamais
qu’un jour ou l’autre
elle
nous
aussi pro-
Tu ne connais-
fond, à toi, son frère bien-aimé!
à l’idée
fait
quitterait.
tellement bonne, ses vertus étaient
et si élevées, elle était tout rielle, qu’elle
me
entière
si
immaté-
si
semblait devoir échapper aux
lois
dures qui régissent les hommes. Je
sais
une fête de penser qu’un
jour,
tablirais à Paris, tu trouverais
conde mère pour déjà, parce te
que
toi et ta
elle
projets,
que
fai-
tu t’é-
une
se-
Elle t’aimait
moment où nous
pu trouver une demi-journée les
en
femme.
me
quand
tu m’aimais, et j’attendais
présenter à elle le
Mais
Elle
pures
pour
aurions
à passer ensemble.
deviennent-ils?
Ils
se
changent en regrets, en larmes...
Le 4 septembre,
bientôt
!
»
je partais
pour
la
Bretagne,
ma bonne mère en lui disant « A Elle me recommandait de ne pas rester
'embrassais
:
trop longtemps absent, puisque dans trois [mois e devais partir
pour un long voyage. Là bas, je
Digitized
by
Googl
.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
55
recevais presque tous les jours une bonne lettre d’elle.
Le 5 octobre,
elle m’écrivit
une lettre plus
ma sœur m’écrim’apprenant que ma mère avait
courte, elle était fatiguée. Le 7, vait à sa place
de violents lit.
Le 9,
qui
me
en
maux de
je recevais
tête et qu’elle s’était
mise au
une dépêche de mon père
rappelait à Sèvres
!
Arrêté à Nantes par les inondations de la Loire, et obligé
de retourner sur mes pas et de perdre
un jour pour reprendre
la ligne
Paris, j’arrivais à Sèvres
deux heures morte;
pu la
dans
de Qu imper à
la
nuit
du 15,
demie du matin. Ma mcre
et
à
était
elle avait été enterrée la veille. Je n’avais
lui dire adieu, ni l’embrasser, ni la revoir, ni
conduire au cimetière! Hier, notre bonne tante Mazois,qui nous adorait
et sur laquelle
fection
nous avions reporté en partie
l’af-
que nous donnions à notre mère, une
femme hors ligne
aussi, d'une distinction eld’une
bonté inouïes, qui nous avait tous élevés et ne nous avait jamais laissés
un jour sans une preuve de
sa
tendresse et de son dévouement, nous a été enle-
vée brusquement par une crise d’une longue maladie, contre laquelle elle luttait depuis
A
longtemps
cinq heures elle marchait encore, à six heures et
demie
elle étaitmorte. Je l’avais quittée
res auparavant,
deux heu-
heureuxdelavoirmieux portante*
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
30
Gomment
trouves-tu
notre mois
Bon ami, que deviens-tu, que moi une longue
lettre.
Tu
sais
d'octobre
combien
est
il
de se retrouver entouré de ses amis quand des se font dans fauteuils
quand on
la famille,
libres,
deux
lits
deux places vides; quand
!
fais-tu? Écris-
bon
les vi-
voit
deux
inhabités et à table
matin on n’a plus
le
de mère à embrasser à son réveil, plus de mère à embrasser le soir
!
Je vais partir dans
ma mère pour
sa bénédiction? Et
lui
demander
mon
est-ce
retour qu'elle
Qui m’embrassera avec une affection
l’aurait été ?
tendre et
pour
quand je reviendrai, qui
sera aussi heureux de
qui
si
deux mois. Où trouverai-je
lui dire adieu,
si
douce? De qui recevrai-je des let-
tres aussi affectueuses?
Parle-moi de
ta
femme, de
ta petite
et de ton petit nid. J’ai besoin d’être
Geneviève
un peu chez
toi...
*
Régnault avait rapporté
(le
ce trop court
voyage en Bretagne bon nombre de dessins
au crayon noir tes
l
,
facture 1
et plusieurs
études
pein-
dans lesquelles on retrouve, sous une
un
peu
heurtée,
un sentiment
Plusieurs ont figuré à l’exposition des œuvres de Régnault.
Digitized by
CORRESPON DANCE DE HENIU REGNAULT.
37
exact de la nature sauvage qu’il avait eue
sous les yeux. Mieux que personne fait
pour
saisir
le
il
était
çôté terrible et gran-
diose de ces rochers noirs battus par la mer, et
pour comprendre
et
aimer
la
beauté sim-
ple des horizons arides de la Bretagne.
De retour à Paris, Henri transporte son atelier rue Lafayette.
Là, en collaboration il
achève
lui avait
deman-
avec ses amis,Clairin et Blanchard, les six
grands panneaux que
dés M. Benuuard. Puis
il
fait,
à lui seul,
un tableau de nature morte pour son ami, M. Roger Portalis.
Comment donner une idée du nom qui régnait dans cet
désordre
sans
atelier?
Etoffes précieuses, riches tapis, objets cu-
rieux de toutes sortes, tables couvertes de gibier et de poissons, attendant l’heure où
Régnault
les
transportera sur la toile, tout
cela était confondu dans
un indescriptible
chaos. Et chaque jour voyait se renouveler cette bizarre collection. Si les carpes de
Seine paraissaient trop bourgeoises
et
la
man-
quaient de lumière, d’éclatants poissons de
mer venaient
aussitôt
les
remplacer, et à
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
38
leur
tour les gibiers les plus différents
étalaient à nos yeux leur fourrure ou leur
plumage. L’esprit aussi trouvait là des distractions
variées
l’art
;
y était
aimé
heures
comme
peinture.
la
sous
et cultivé
musique
toutes ses formes, et la
avait ses
Que de
fois
brosses et couleurs furent soudain abandon-
nées quand entrait un ami musicien
nous groupions alors autour du
!
Nous
piano,
écoutant une sonate de Beethoven ou une partition de
Wagner, magistralement exé-
cutées par Saint-Saëns; nous unissions nos voix pour chanter en
scènes de
chœur
V Orphée de Gluck, ou
les
grandes
bien encore
nous nous taisions pour laisser Régnault, de sa voix
si
douce
et si
pénétrante, nous
dire quelque mélodie nouvelle ou quelque
cavatine italienne. L’ouvrage, vite.
il
est vrai, n’en allait pas plus
Mais faut-il
l’esprit
le
regretter? Le
ont besoin d’aliment.
loppaient à artistique,
l’aise
Ils
cœur
et
se déve-
dans cette atmosphère
au milieu de ces jouissances tout
intellectuelles.
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
39
Cette vie remplie par le travail et
ne
mitié
pas
faisait
qu’il était attendu à
oublier
l’a-
Régnault
à
Rome; lui-même
eût
désiré s’y rendre sans retard. Mais le cou-
rage
lui
liens
si
manquait pour briser
mille
les
doux que semble resserrer encore
l’approche de toute grande séparation. Puis,
devenu de jour en jour plus sévère pour lui-même, il ne pouvait se décider à signer ses
panneaux tant
qu’il
y découvrait des
imperfections. Les changements à y faire reculaient incessamment l’heure des adieux. Elle
sonna enfin.
Il
partit le
cœur ouvert
à
toutes les nobles émotions, l’esprit impré-
gné encore des souvenirs classiques, moire prête à tout recevoir nir, l’imagination
remplie
des
la
mé-
et à tout rete-
impressionnable à l’excès,
inspirations
de
ses
poètes
aimés, avide de connaître, de goûter de nouvelles
émotions, et de se jeter dans
l’in
connu.
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CHAPITRE
II «
— Retour
Rome.
séjour à
— Portrait de madame
à Paris.
Rome. — Autoraédon. —
Le départ fut
D...
— Second
Départ pour l'Espagne.
au 2 mars, jour où
fixé
M. Hébert quittait Paris pour aller prendre possession de sa place de directeur de l’Aca-
démie de Home. A peine Régnault
a-t-il
quitté Paris, qu’il éprouve le besoin de déverser en quelque sorte dans sa correspon-
dance toutes
les
impressions qu’il reçoit.
11
raconte tour à tour avec une expansion et
un
laisser-aller
charmants, ses voyages, ses
appréciations des maîtres, en qu’il
donne des
lui-même, sur sa les
scènes dont
ûme nous
même
temps
détails pleins d’intérêt sur
sur ses travaux, sur
vie, il
est
est ouverte
témoin. Toute son
dans ces pages émues
Digitized by
•nsv
l-T T.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Son enthousiasme,
et attrayantes.
alors, y est
communicatif
et
si
41
juvénile
on arrive à
par-
tager jusqu’à cette disposition aimable
et
rare, qui le faisait jouir sans restriction
du
moment présent. A SON PËHE.
4 mars 1867.
Nous sommes arrivés à Marseille avec un tard de
deux heures. Notre nuit en wagon
aussi froide
re-
a été
ma vie je mon pauvre nez était deet j’ai cru un moment qu’il al-
que possible; jamais de
n’ai été aussi
gelé
venu insensible
;
lait
me tomber
ma
retraite de Russie
dans
la
main. Ce voyage-là a été
;
et
pourtant nous avions
des boules d’eau chaude qu’on renouvelait toutes les
deux heures
de bons manteaux pour nous
et
envelopper.
Le s’est la
ciel,
qui avait été très-pur toute
couvert
journée
:
le
la
nuit,
matin et est resté sombre toute fâcheux
c’était
,
car la route est su-
perbe, surtout depuis Avignon. Mais gris sur le désert de la
Crau
le
lui faisait
temps perdre
tout son caractère.
Aussitôt
dans
la
arrivé, je
ville et à
merveille
la divine
me
suis
mis à courir
contempler avant toute autre
Canne bière.
J’ai
longé les bas4.
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!
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
42
sins jusqu’à la nier, puis je
me
suis
un brave pécheur. Nous avons
avec
embarqué
fait
une
belle
tournée en mer. Vers huit heures et demie du soir nous
sommes
six heures, la
une course de
rentrés, après
pendant lesquelles
j’avais bien
ramé
moitié du temps, ce qui m’a donné un appélit
d’enfer.
Aujourd’hui
j’ai
fait
une promenade par un
temps superbe, chaud, lumineux, un d’été. Les côtes voisines
vrai
temps
de Marseille sont splen-
mer bleue comme une pierre précieuse comme un beau velours...... Demain je me lèverai de bonne heure et j’irai
dides, la et
unie
encore quelques lieues en mer. Décidément
faire
je crois que, si je n’étais pas peintre, je serajp»
marin
ou autre chose. A SON FRÈRE. '
Gènes, 9 mars 1807.
Puisque
c’est toi
qui as pris
plume pour me répondre, tient
ma
première
lettre
le
premier
M' la
c’est à toi qu’appar-
de Gènes.
Notre départ de Marseille a été retardé par l’impossibilité
de trouver vendredi malin des
places dans la diligence de Nice à Gênes.
Nous
n’avons donc quitté Marseille que jeudi à midi
et
demi.
Mes deux jours supplémentaires
se sont passés
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by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
43
à Marseille
en courses fort agréables, par un
beau temps,
très-clair
mais
très-froid.
d’un violent mal de dents, je
Affligé
affronter la
mer par
le mistral. Je
n’ai pas osé
me
suis
donc
contenté d’excursions terrestres, tâchant d’ex-
poser autant que possible au soleil bienfaisant
malade de
côté
ma
le
tète.
Je suis allé à Notre-Dame de la Garde, église
moderne construite avec une grande conscience dans J^fctyle roman. Du haut de
la
plate-forme
j’a^yu tout le panorama de Marseille, qui semble s’étendre excessivement loin dans
grâce à
campagne très-rapprochées, qui continuer
Du
zon.
les
terres,
prodigieuse quantité de maisons de
la
la ville
côté
font l’effet de
jusqu’aux montagnes de
l’hori-
du midi, ces montagnes sont d’un
aspect sévère et grandiose, d’un ton gris et triste
qui doit ressembler aux côtes de la Grèce, moins l’or
d’un
soleil d'Orient. Et
Marseille, lui
môme en hiver,
a
pourtant
un
éclat
voyons jamais chez nous, par
le soleil à
que nous ne
les plus fortes
chaleurs.
De
cette
hauteur on comprend bien
la disposi-
tion des ports, qui ont été considérablement aug-
mentés depuis quelque temps et ne suffiront pourtant bientôt plus. La
mer, d'un bleu féerique
et
inimitable, dessinait les contours des môles et
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
44
des maisons blanches qui se détachaient sur elle.
Par endroits, les chênes verts et par leur verdure sombre
les
les pins
rendaient
maisons de
la ville
encore plus étincelantes.
On
a fait, ces dernières années,
une superbe
promenade qu’on appelle route de c’est
une route qui
Corniche;
la
part des bassins de la Canne-
bière et suit en dehors tous les escarpements de la
côte jusqu’à la base des montagnes
Au milieu de gnes
et les
la baie
derniers escarpements de Marseille,
s’élève la villa
pour en
du sud.
comprise entre ces monta-
faire
Borelli,
que
la
ville
achetée
a
une sorte de bois de Boulogne
:
les
élégants y font la promenade en voilure et reviennent parle Prado. Le mardi gras, pas un masque,
pas un oisif dans les rues. Le mercredi des cendres, les Marseillais font leur
quelques titis, quelques
mes; toutes
Longchamp on voit
hommes
;
habillés en fem-
les voitures sont dehors,
depuis les
plus cossues jusqu’aux plus modestes.
un tour dans la
cette
villa Borelli et
cohue qui occupe
une
J’ai
le
fait
Prado,
partie de la route de la
Corniche; mais je n’ai rien vu d’intéressant
:
le
luxe n’est pas aux chevaux.
Jeudi matin,
j’ai
fait
un croquis
plume
à la
pour remercier M. G... de sa bonne hospitalité, par une attention de bien peu de valeur,
il
est
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,do§I
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. vrai.
45
En somme, ma plus grande impression
Marseille a été celle que
un beau
traversant sur une petite barque, sous ciel étoilé, le
à
ressentie le soir en
j’ai
grand bassin qui conduit à
Can-
la
nebière, au milieu de deux imposantes rangées
de grands navires marchands, dressant de cha-
que côté leurs hautes proues noires, d’ou sortaient des forêts
laissant flotter
de mâts leurs
et
de vergues,
pavillons,
et
uns
les
les
autres
sécher quelques-unes de leurs voiles. Dans le
fond de celte immense et sombre avenue,
la
Cannebière, avec tous ses becs de gaz, étincelait
comme une grande
constellation.
Les navires
n’ont pas le droit d’être éclairés dans le port, par crainte
du
feu, et
comme
la
journée
et
même
la
soirée étaient terminées, on n’entendait plus de bruit, et notre petite nacelle semblait fière d’être
seule vivante et seule à fendre l’eau avec ce petit clapotis,
dont
la
musique
est si
agréable
au milieu du silence. Le jeudi nous avons pris Nice, où nous
après avoir parcouru des
doute par
le
chemin de
fer
pour
sommes arrivés à six heures et demie
le soleil,
sites,
mais que
le
merveilleux sans
temps nous empê-
chait d’apprécier justement... depuis deux heures
il
pleuvait à torrents. Nice n’est pas habituée à
dépareilles inondations et ne prend pas ses pré-
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
46
cautions pour assurer aux piétons
quand
retrouvai
temps la
mon
un
sol
ferme
Le lendemain matin, je
arrive la pluie.
directeur à la diligence, et par
gris et incertain
nous primes
un
route de
la.
Corniche. Cette route est tellement belle, qu elle
résiste
môme
longé
la
au manque de lumière. Nous avons
mer
tout le temps, tantôt à
grande hauteur, tantôt sur
m’amuserai pas
Je ne
une assez
du
les sables
rivage...
à te faire voir de loin des
choses merveilleuses mais indescriptibles. Qu’il te suffise
de savoir que les sites les plus grandio-
ses et variés, les rochers les plus nobles
tons et
ment
comme formes,
les villages les
comme
plus hardi-
plantés sur des escarpements abrupts, s’of-
fraient à
chaque instant à nous,
en extase. La mer
moment
reflétait
le
et
nous tenaient
ciel
gris et
par
prenait des teintes d’un vert tendre ini-
maginable.
Avant d’arriver àMenton (ou aprèsl’avoir quitté, je
ne me rappelle pas bien) nous avons traversé des
bois de palmiers tombant jusqu’à
la
mer
et cou-
ronnés de grandes pentes rocheuses d’une aridité
vraiment
africaine. Si le soleil avait
ter l’illusion
!!!
pu complé-
Nous passions souvent à travers
des bois de citronniers, d’orangers, d’oliviers
dont les troncs noueux et rageurs affectaient des
formes fantastiques;
la
mer
apparaissait par ci
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
par
là et
47
s’harmonisait merveilleusement avec le
ton clair et gris des blonds oliviers.
A
la frontière italienne,
mes d’une
nous avons été
victi-
de messieurs
petite escroquerie
les
douaniers, contre laquelle nous avons réclamé à
Gênes, mais sans grand espoir de pouvoir obtenir justice,
car
il
paraît
que
italien a besoin d’argent et
laisser faire à ses
le
gouvernement
ne redoute pas de
employés quelques petites ca-
nailleries fructifiantes.
Nous sommes arrivés à Gênes matin. La pluie qui avait cédé les
pendant
à huit heures
la
du
place aux étoi-
pas permis au soleil de
la nuit, n’a
se faire voir à nous en costume italien, de sorte
que j’en suis réduit à qu’il est resté
me
Nous avons parcouru beaux palais, dont je ne ils
me
rappeler le soleil,
tel
dans mes souvenirs de Paris. la ville et visité les plus
me rappelle pas les noms
sont sortis delà cervelle pour
clusivement remplie de
mon
la laisser
:
ex-
admiration pour les
chefs-d'œuvre de premier ordre que j’ai vus.
Dans
l’un, le palaisBalbi,je crois, se trouve
chef-d’œuvre incomparable tien,
exécuté avec toute
geur dont
il
la précision
la
:
un
du
portrait
souplesse et
un Ti-
la lar-
est capable, jointes à la fermeté et à
d’un Antonello de Messine
prodigieux. Celte toile nous a rendus
:
c’est
difficiles
CORRESPONDANCE DE HENHI REGNAULT.
48
pour
les autres peintures
ques
salles sont
de ce palais, dont quel-
magnifiquement décorées
nées de très-beaux plafonds
et
et or-
de frises peintes
par des artistes génois inconnus, maisétonnem-
ment
forts
dans
l’art
de
la
grande décoration. Un
marquis de Balbi occupe encore ce
palais, qui n’a
pas cessé d’appartenir à sa famille.
Nous avons caliers
donné
cours et es-
visité les vestibules,
de l’Université, ancien palais Durazzo, à la ville par
un descendant de
cette fa-
mille. C’est d’un aspect original, d’une grâce et
d’une élégance dont rien n’approche. On voudrait voir,
penchées sur
les balustrades qui s’é-
tagent en galeries sur la cour, quelques belles
dames du quinzième ou seizième siècle étalant ces brocards d’or et de soie qui devaient briller avec tant de richesse sur les beaux
marbres blancsde
l’architecture.
Puis nous
sommes
entrés dans
le
palais Du-
razzooù nous avonsadmiréde splendides Van Dyck et
un Ribeira de premier ordre. Au
ancien Balbi, peu de belles choses,
palais Royal, si
ce n’est un
portrait de Philippe IV, par Vélasquez, trait
de
femme
aussi, par
un por-
par Van Dyck et un autre, superbe
Tintoret.
Au
palais Brignole,
nous
avons trouvé quatre magnifiques portraits par
Van Dyck, dont un représentant un marquis de
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
40
.
Brignole à cheval. De Véronèse, une très-belle Judith se préparant à mettre la tête d'Holopherne
dans un sac que
tient
une négresse..., un beau
Rubens...
Nous avons vu
cathédrale de Gênes, San Lo-
la
renzo, construite au douzième siècle avec des
marbres noirs
triste
Le portail est merveil-
et blancs.
leux, la nef et le
chœur d’un
aspect sévère et
qui impose.
Demain nous partons pour
la
Spezzia.
A M. G. CLAIÎUN.
Rome, 15 mars 1867.
Nous sommes arrivés hier du matin. Tout
le
à
Rome
à dix
attendait à la gare pour nous conduire
sement à
la villa Médicis.
pleuvait à torrents
heures
personnel de l'Académie nous
:
pompeu-
Malheureusement
il
nous nous sommes séparés
par petits groupes et avons rempli quelques
fia-
cres.
Je ne te raconterai pas Marseille jusqu'à écrit là dessus te la
mon
une longue
communiquera
si
mon
départ
voyage depuis de Gênes.
lettre à
mon
cela peut le faire plaisir.
Cette chance qui, à ce que lu prétends, suit partout,
J’ai
frère qui
m’a bien mal
servi
cette fois.
me Le
mauvais temps nous a poursuivis dans toutes nos pérégrinations. Nous avons été noyés à Nice, &
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
50
noyés à Gênes, noyés à
la
Spezzia, noyés à
Rome.
Florence seule nous a souri avec bienveillance.
Toute est
la
route splendide de
la
Corniche nous
demeurée presque inconnue. Un brouillard
épais nous entourait, et quand, par hasard, nous sortions des nuages, c’était pour entrer dans
une
pluie tellement forte, qu’on se serait cru sous
une cascade. Je regrette bien de n’avoir pas
connu Gènes
avant de composer l’architecture de nos pan-
neaux
:
j’ai
vu dans certains palais des intérieurs
de cour en marbre blanc qui auraient bien notre affaire
entre autres,
:
fait
cour de l’Univer-
qui y conduit a pour rampes deux
sité. L’escalier
lions,
la
de proportions colossales, qui suivent le
mouvement de bas, en face
l’escalier et
descendent
la tête
en
du spectateur, avec une hardiesse
étonnante. J’ai
admiré
qu’il m’ait été
douzième
à
Gênes
les plus
donné de
siècle,
marbres blancs
est
la
beaux Van Dyck
La cathédrale, du
d’un beau caractère, Ses
et noirs alternés lui
sévérité imposante dans
où
voir.
donnentune
une harmonie sombre
plus petite note rouge ou violette prend une
puissance incroyable.
Un temps
atroce a fidèlement
tre diligence jusqu’à la Spezzia
accompagné nooù nous devions
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
un jour ou deux pour
rester
51
visiter les environs,
qui, paraît-il, sont superbes.
Il
y a près de là
petit port, Porto Venere, qui est
unique
et
un
qu’on
nous avait bien recommandé. A notre arrivée l’hôtel
de
Croix-de-Malte,
la
œilà travers
ment
les
nuages
et
la
à
lune a montré un
nous avons eu un mo-
d’espoir. Après notre souper, le ciel s’était
en partie découvert,
le
vent était tombé. Nous
avons passé une partie delà nuit à fumer à notre fenêtre, qui donnait sur le petit golfe. La lune s’était
couchée,
les côtes
du fond
se confondaient
avec le ciel; on ne voyait rien que les étoiles à l’extrême horizon, faisaient
une ligne
comme une chose que loin la
glace.
le petit
mer en
deux ou
et,
trois lanternes qui
brillante sur la
mer
On
pas
n’entendait
polie
autre
soupir que rendait de loin en
laissant
dernière petite ride.
Il
mourir sur
faisait
chaud
le sable sa ;
le
parfum
des orangers et des lauriers qui couvraient
le
jardin de l’hôtel nous arrivait par bouffées
je
n’ai
jamais
que cette
si
:
bien entendu le septuor des Troyens
nuit-lù...
Le réveil ne fut pas en rapport avec nos espérances du premier sommeil. Le temps gris
temps gris
tant désiré à la pointe
;
le
du RazÜ Et
qui plus est, une petite pluie fine bien établie
Ce n’était pas
la
î
peine de rester à laSpezzia. Nous
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
52
avons, avec résignation, pris
pour Florence '
ét
et y
demie, par un
le
chemin de
sommes arrivés
fer
heures
à trois
soleil resplendissant.
Les musées étaient fermés, nous n’avions donc rien de
mieux
à faire
que de nous promener. J’ai
été émerveillé de l’aspect puissant et farouche du
Palazzo Vecchio et de presque tous les palais de
Florence. La partie basse des
murs est construite
en grosses pierres brutes à peine sans ornements, sans sculptures
taillées, noires, ;
mais les pro-
portions sont nobles et grandioses. J’ai
vu
de Giotto.
la belle loge
d’Orcagna,
le
Campanile
Quels pygmées semblent
nos plus
grands peintres ou architectes à côté de ces tes-là! c'est
Puis
admirable
;
d’une sauvagerie
et
temps d’une beauté étrange. Rien que et la coiffure
artis-
Persée de Benvenuto Cellini
le
:
en
même
le
casque
du Persée seraient déjà un merveil-
leux chef-d’œuvre; mais, en revanche,
j’ai
trouvé
atroces et le petit David de Michel-Ange, et le Caeus , et je ne sais plus qui de Baccio Bandinelli, et la
grande statue de marbre d’Annamatoau milieu
d’une fontaine entourée de figures de bronze, aussi élégantes et amusantes de la figure
du milieu
mouvements que mal bâtie.
est lourde et
Nous avons vu Florence en deux jours et
pour cela
il
ne faut pas
et
demi,
flâner. Les galeries
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Pilti et
vre
:
ce serait trop long de te
comme des
nommer môme là
des Raphaël
Titien, avec plus
de force peut-
les plus remarquables. J’ai
beaux
53
des Offices sont remplies de chefs-d’œu-
vu
Dans
être et plus de fermeté.
les églises, j’ai été
émerveillé,
renversé par les fresques d’Andréa
del Sarto et
de Masaccio. Celles de Frà Angelico
et
de Ghirlandaio renferment aussi de bien belles
choses. Ce qui est merveilleux dans les
fresques de ces primitifs, c’est le
énormes
charme des
couleurs et cet harmonieux aspect de tapisseries. J’ai fait
dicis.
mon
pèlerinage à la chapelle des Mé-
splendides morceaux
Quels
vivent et remuent
là
1
de marbre
Mais qu’ils sont mal en-
tourés! Cette architecture qu’on attribue à Mi-
chel-Ange
me
rend furieux. C’est mesquin, dé-
chiqueté, et cela rétrécit et
abîme
les figures.
Ces petits mausolées, ces petites colonnes, petites fenêtres
dans lesquels sont cernées
et
ces
mu-
rées les divines figures du Penseur et de Julien,
m’ont mis dans une colère bleue. J’ai quitté
Florence avec beaucoup de regret.
J’avais la tête brisée
:
quand je fermais
je voyais danser devant
moi
les
les
yeux,
grands marbres
de Michel-Ange couverts de peintures de Ghirlandaio ou autres, ayant pour têtes
du Palais-Vieux
et
le
campanile
pour piédestal des palais tout
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
54
entiers, des églises de J’étais tôt à
marbres noirs
et blancs!
complètement abruti. Je reviendrai bien-
Florence
c’est
:
une mine de
trésors. Et
quelle ville agréable, calme, propre,
de chefs-d’œuvre en plein jardins
!
air,
parsemée
sans grilles, sans
Vous pouvez vous mettre
à
genoux de-
vant Benvenuto: personne ne viendra vous dé-
Mon pantalon
ranger.
à boutons dans le bas, qui
a causé le bonheur des Marseillais, ne faisait pas
retourner un seul Florentin. On le droit
me
de porter ce qui
me reconnaissait plaisait.
Les Flo-
rentins sont d’une politesse et d’une complai-
sance parfaites; leurs qu’à
Rome, où
heures,
j’ai
ne vous importunent pas de
je
offres
ne suis
de service. Tandis
sorti
été assailli par
qui veulent
mes
ils
demandes ou
que deux ou
trois
une troupe de diables
me brosser de force, cirer me forcer à leur donner
souliers,
de force
quelque
chose ou à leur acheter des photographies
on a
:
une escorte de mendiants. Et quelle variété d’infirmes, de difformes
!
Les Romaines ne m’émerveillent pas non plus, les
églises
m’ennuient
je
;
vois
Saint-Sulpice
et Saint-Vincent-de-Paul partout. Si
avait le trois
numéro 111
ou quatre habitants
Je reviens
encore
il
y
(de la rue Lafayette) et ses !
du Vatican. Je me
suis prosterné
Digilized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
devant
les
55
peintures delà chapelle Sixtine et de-
vant les Slames. Je suis broyé.. Ce géant de
Michel-Ange m’a laissé à moitié mort
coup
de.
c’est
:
un
foudre que ce plafond. Voilà qui est au-
dessus de tout ce que peut concevoir une imagination de peiptre, de sculpteur et de poète, et
qui ne doit jamais donner de désillusion. J’avoue
qu’en présence de ce plafond, merveilles,
n’ai
je
merveille des
la
pu regarder
Jugement
le
dernier.
Comme disposition générale, comme tournure, ce plafond est monstrueux de beauté colossale
comme
ton,
il
plus doux et puisse rêver
est
le ;
de l’aspect
le
plus puissant à
mais
c’est
un
vrai
la
c’est trop beau. Je n’ai
fois
l’on
ferait
pas plus
pas ressenti après
que vous
cetle visite-là cet entrain, cette verve
donnent généralement
que
cauchemar. En
tombant du cinquième, on ne se mal;
;
plus agréable, le
les maîtres lorsqu’on a
causé avec eux. J’ai
commencé ma
phaël par
la
visite
aux Stanzes de Ra-
Bataille de Constantin
déplu, c’est un fouillis dur et sans
noir
et
blanc désagréable
:
j’y
doute plus lard de belles choses Jules
Romain qui
voit bien,
:
effet,
cela m’a
d’un ton
trouverai sans :
du
reste c’est
a exécuté tout cela, et
quand on
on
le
arrive ensuite devant la
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
50
Messe de Bolsena,
et
1
.
’Héliodore, et YÉcole d’A-
thènes, et Y Attila, et la Dispute
du Saint-Sacre-
ment. Yoilà autre chose que ce que nous connaissons de Raphaël.
Ces œuvres sont d’un ton superbe, excepté certains bleus de YÉcole d’Athèiies, qui ont
dû
passer. Je les mets au-dessous de Michel-Ange,
tiennent encore la tète bien haute, et
mais
elles
c’est
encore un fameux géant que ce Raphaël et
homme
un autre
que celui des Madones
Enfants-Jésus. Voilà le résultat de
ma
et
des
première
tournée à Rome, voilà mes premières imprescrois pas
sions; je ne
qu’elles
modifient
se
beaucoup. Les jardins delà ville sont parfumés, le temps
beau
est
et
chaud
;
comme un
heureux
je suis
dieu J’ai
je
pourtant une
ne pourrai revenir
ma
pension
c’est
:
triste nouvelle à te
à Paris
comme
de tout ça.
Dans
donner;
temps de
le
la crainte
de voir renouveler des abus qui avaient eu lieu l’an passé,
On
on
a pris cette
mesure rigoureuse.
a droit de voyager dans l’univers entier, ex-
cepté en France et surtout à Paris. Je vais écrire à faires,
mais
j’ai
Édouard
la
fameuse
lettre d’af-
besoin que Michel-Ange, Titien,
Raphaël, Masaccio
me
laissent
un peu de Iran-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
pour
quillité
57
m’ennuient à force
réfléchir. Ils
de danser autour de moi! Ah, cher ami, tu Bnfoncé pour
les « effrayant
deux jours plus que
toi
!
es
poussé en
» J’en ai
depuis que tu es au
monde !... A M.
H. CAZA1.IS.
Rome,
Nos amis communs ont dû
mes premières ami
vieil
bon port, bien
embaumé
les lauriers chauffés
les
j’occupe une petite ;
j’ai
par
le ciel
par le soleil ont
sa terrasse et sa chambre. Je ne suis
pas logé dans le palais même, ;
que ton
attristé
mais raccommodé un peu avec
depuis que
parc
mars 1867.
communiquer
lettres. Elles t’ont appris
est arrivé à
la pluie,
cela
18
te
une
et
j’aime mieux
chambre au bout du
petite terrasse d’où je respire tous
partums des bosquets qu’elle domine
:
à
travers les pins, j’aperçois quelques silhouettes
de dômes, puis le
les jardins
du Pincio,
et
au delà,
château Saint-Ange et Saint-Pierre; quelle toile
de fond
1!
A chaque heure du
jour elle revêt des
aspects différents, et le soir, la lune vient grandir encore ces grandes lignes.
Hier, après avoir sanctifié ma matinée
à la
cha-
pelle Sixtine devant le dieu Michel-Ange, j’ai fuit
une longue promenade dans Home. J’ai
visité le Palais des Césars,
ou du moins
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
58
ce qui en reste. Je n’ai trouvé qu’un faible intérêt à tous ces débris
de fondations
et
de salles
souterraines dont on ne saisit pas bien la disposition et la raison d’ôtre.
Ce qui est vraiment beau dans ces ruines-là, c’est la
vue qu’on a de
la loggia
d’où les empe-
reurs assistaient aux représentations del circo
Olimpio , dit
rama qui
le cicerone.
leux. J’ai été voirie pitole... etc... Je le
plan de
cas, le
Forum,
le
Colisée, le Ca-
mais cela viendra. sans doute,
même
voir, la
quand
un
tu viendras
impression que celle qui m’a
poursuivi pendant tout le temps de
nade.
pano-
ne comprends pas bien encore
la ville,
Tu éprouveras
me
En tous
se déroule autour de vous est merveil-
ma prome-
On ne peut s’empêcher de marcher avec
respect religieux dans ces rues, dans ces
places où chaque pierre raconte
un meurtre
;
mais
l’on est
un triomphe ou
constamment surpris
des dimensions moyennes de tous ces édifices
auxquels l’imagination prêtait une grandeur en rapport avec
de Titus a
les
souvenirs qu’ils rappellent; l’Arc
l’air
d’un joujou à 'côté de l’Arc de
Titus qu’on s’était construit dans
la tète. Cette
Voie triomphale qui conduit au Capitole par tant
de détours
et suit
des mouvements de terrain
si
brusques, n’étonne que par son peu de largeur
!d
by
Google i
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. et toutes ses sinuosités.
ponde
à notre besoin
que
lisée... Je crois
du
les
59
La seule chose qui récolossal, c’est le Co-
architectures des As-
syriens et des Égyptiens avec leurs immenses ave-
nues de colosses de granit, leurs cours énormes, leurs temples étagés
et'
liers étaient bien plus
précédés de larges esca-
en harmonie avec
la
gran-
deur de ces peuples...
Nous avons, au
comment
contraire, peine à
comprendre
peuple romain, qui commandait
le
à la
moitié de la terre, pouvait se contenter de ce petit
Forum
(rétréci encore par tous les
qui l’entouraient),
et
comment
temples
ces conquérants,
ces héros géants, passaient sans se heurter la tête
sous dé pareils arcs de triomphe,
et
sans écra-
ser contre leurs parois les trophées et les trou-
peaux d’esclaves attachés toi les murailles
à leurs chars. Rappelle-
de Ninive, sur lesquelles vingt-
cinq chars pouvaient marcher de front, et ces vieux temples indiens composés d'une quinzaine d'étages dont
on
n’atteignait le premier qu’aprés
avoir gravi plusieurs terrasses superposées et
d’interminables escaliers... Nous voyons
superbe étalage de magnificence religieuse.
et
là
un
de pompe
Sur ces centaines de marches des
troupes de prêtres et de sacrificateurs
;
tout au-
tour, des populations entières, occupant pendant
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
80
plusieurs jours, pour assister à ces fêles, des plaines immenses...,
au
Mais je ne vois ni Marius, ni César, monter
Capitole par cette misérable Voie triomphale! Je
ne puis qui,
môme me
de
consoler en voyant Saint-Pierre, aussi grandiose
ne parait pas
près,
qu’il devrait l’être.
grandeur que de
la
On ne juge
bien de sa vraie
campagne romaine, quand on
aperçoit à des distances effrayantes cet
dôme solidement
assis au-dessus
de
énorme
la ville
el
qui ne semble pas diminuer à mesure qu’on s’éloigne.
Mais ce qui est plus grand
et plus
écrasant
que
tout ce qu’on peut imaginer, et ce qui ne doit ja-
mais donner de désillusion, des merveilles,
le
Quel beau tableau
plafond de j’y ai
c’est la merveille la
vu hier
chapelle Sixlinc. :
tous les cardi-
naux en grand costume, avec leurs robes violettes et leurs pèlerines
d’hermine, et ces fumées d’en-
cens qui élevaient encore
nous
le
plafond au-dessus de
1
Malheureusement
la
musique
était
martyrisée
d’une façon indigne. Elle était superbe et d’une étrangeté bien grande el bien sévère, mais quel
massacre
!
!
!
Je t’écris
au milieu d’un concert de
cloches, qui, par leurs différentes et
sonneries, font, en grand,
la
nombreuses
musique des
insectes
Dtaitized by
CORRESPONDANCE UE HENRI REGNAULT.
dans un bois, par
Cl
grandes chaleurs de
les plus
l’été...
A
SUN PÈRE.
29 mars 1867. ... J’ai
un
reçu ce matin
nonçait l’arrivée de
que je pouvais
mes
les faire
petit
mot qui m’an-
me
caisses et
prendre
à la
prévenait
douane.
J’y
envoyai de suite quelqu'un, mais on répondit que les
employés avaient congé tous
de carême. neuf jours à
deux
caisses
n’aura donc
11
grande
la !
C’est
vitesse
un peu
les
vendredis
que
fallu
vingt-
pour m’apporter
fort.
Il
paraît que les
objets envoyés par petite vitesse mettent parfois
trarié
à
venir. Je
de ce retard parce que
ront de rai
mois
ou cinq
quatre
les
Romedans quelques jours,
guère
le
suis
con-
W... F... partiet
que je n’au-
temps de terminer qu’un des deux
portraits.
Je ne sais plus ce que je vous dernière lettre cit
:
ai dit
dans
en tout cas, je reprends
interrompu de
ma
vie à
Rome.
me
Si je
ma
le ré-
ré-
pète, vous m’excuserez.
Tous
les jours je vois
quelque chose de nou-
veau et cela sera encore longtemps
ainsi, car si
les Chinois passent toute leur vie à
apprendre à
écrire leur langue, je crois
que peu de Romains
connaissent toutes les richesses de leur pays.
«
A
6
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
62
l’exception
de quelques jours de sirocco qui connaître l’énervement
abrutissant
m’ont
tait
qu’on
éprouve dans ce pays-ci par
d’orage, j'ai eu J’ai fait
un beau
soleil et
les
un beau
temps ciel.
plusieurs promenades à cheval dans la
campagne romaine
:
manière de
c’est la seule
la
parcourir d’une façon à la fois utile et agréable, car on trouve de bons
chevaux, habitués à
chasse à courre et qui résistent bien à
Ce mois-ci
sont très-demandés
ils
et
la
la fatigue.
on
a quel-
quefois de la peine à en trouver; mais après
Pâques, les forestieri disparaîtront; c’est ainsi
que nous autres, vieux Romains, nous appelons les
étrangers, Français, Anglais, Russes, Alle-
mands qui envahissent les hôtels et les écuries de Rome au moment des fêtes de Pâques. *
J’ai visité à
peu près toutes
ville (pas à cheval). Elles
On
est obligé d’avaler
de
la
ne sont pas très-riches.
une masse considérable de
assommants de
ces tableaux
les galeries
la
décadence
ita-
lienne avant de tomber sur des perles rares, telles
que l’Amour :
divin et l'Amour profane ,
Saint Dominique , (vrai bijou), à
du
Titien
la galerie
;
la
du
Titien
;
Danaë, du Gorrége
Borghèse;
le
portrait
d’un doge par Titien, et certains morceaux de
Raphaël dans
la
Vierge au Donataire et dans la
Transfiguration, au
musée du Vatican; unsuperbe
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Velasquez
à
la
Van Dvck
portraits de
Colonna, sole,
et
galerie Doria,
deux ou
Gô
deux Irès-beaux
et d’IIolbein, à la galerie
trois petits tableaux
de Fie-
au palais Corsini.
En somme, tous ces musées-là pas les galeries Pitti et des
même
réunis ne feraient
Offices,
de Florence, ni
notre Louvre, dont on médit tant. Je n’ai
pas encore vu, en
de Corrége plus beau
Italie,
que YAntiope, de Léonard supérieur à et à Sainte
la
Joconde
Anne.
Seulement, ce qu’il n’y a nulle part, c’est la chapelle Sixtine et les Stanze. La Transfiguration ne
m’a pas fait grand
plaisir. C’est
dansla Dispute du
Saint-Sacrement qu’il faut voirRaphaëleldanscerlaine partie à'Héliodoreet de la Messe de Bolséna.
Là,
il est
complet en tout
et coloriste
autant que
n’importe qui. Mais il ne faut pas aller aux Stanze
en sortant de dessous
plafond de
le
Sixtine, parce qu’aiors,
il
la
chapelle
n’y a pas à dit e, Ra-
phaël est obligé de descendre d’un échelon. J’ai fait,
ces derniers temps, de belles excur-
sions à cheval sur la voie Labienne et ses envi-
rons, sur
voie Appia, sur la voie Tiburtine.
la
Quelle nature désolée culture,
une
Rome mais ;
fois
à
!
Pas un arbre, pas une
une certaine distance de
d’admirables mouvements de ter-
rains, grands,
sauvages,
et des silhouettes
de
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
04
montagnes d’une variété
et
d’une noblesse prodi-
gieuses.
Lundi dernier, avec quelques amis, nous avons pris le
chemin de
sommes
et le
pour Frascati,
pour
et
de
là
nous
Ferra ta en traversant une
Nous avons passé quelques heures
très-jolie forêt. à la foire,
fer
allés à Grotla
connaissance avec le caractère
faire
costume des gens de
Mais tout cela se perd; qu’ils conservent
il
avec
merveilleuse saleté.
On
campagne romaine.
la
n’y a qu’une seule chose
entêtement
:
c’est
une
n’a pas idée de cela. Au-
près de ces gens-là, nos Bretons de Plogoff sedes raffinés et des marquis. Quant à cette
raient
beauté, à cette tournure tant vantées, j’avoue ne
pas en avoir trouvé trace.
que quelques
jolies
glaises venues,
admirer
n’y avait à la foire
Il
femmes... c’étaient des An-
comme nous
sans doute, pour
admirable population des environs
celte
de Rome. Que
les
paysannes romaines sont
des belles et grandes Bretonnes de
Baz
et
de
et cette
l'Ilc
de Sein!
Où
loin
pointe
du
est-elle, cette fierté
noblesse des paysans romains en gue-
nilles? Ils
sont ignobles, mendiants et plats, et
cette population jusqu’ici
Nous verrons plus Enfin
la
le soleil, à force
morceaux de
ne m’enchante pas.
tard.
de faire fondre
les
gros
lard à moitié pourri qui couvraient
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Ja foire,
nous
un
invita à chercher
Nous nous assîmes sur un
fect.
lieu
65
moins
in-
pré, au-dessus
d’une fontaine ombragée par deux grands et
beaux platanes chevaux et
et les
on menait boire
et à laquelle
raccommodé avec
la
foire.
En somme, nous
avions passé une excellente journée. Nous
vons terminée par une
ou plutôt
même gravi
à
les
ânes; ce spectacle m’a consolé
visite à
une superbe
un superbe parc, car
l’a-
villa,
la villa elle-
n’a rien de remarquable. Puis nous avons
la
montagne pour
aller voir les ruines de
l’ancienne ville de Tusculum.
Par un chemin charmant nous rivés sur la crête les
débris
ar-
d’un amphithéâtre, d’un palais de
Tibère construit sur une
ne reste plus que des difficile
sommes
du mamelon où se trouvent
de se
faire
villa
de Cicéron. Mais
salles intérieures, et
il
il
est
une idée de ce que pouvait être
ce palais. Ce qui nous a particulièrement intéressés, c’est le théâtre qui a été découvert
un champ, par
les ordres
niers rois de Sardaigne
;
de
il
la fille
est
sous
d'un desder-
parfaitement con-
servé, moins bien cependant que lés théâtres de
Pompéi. La façade la
et le
mur
qui
faisait le
fond de
scène manquent, mais les dallages, les bases
des colonnes, les gradins et les petits escaliers sont très-complets. Vient ensuite une sorte de poro.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
OC
tique ouvert dont les voûtes se sont malheureu-
sement écroulées. Puis on arrive à l’emplacement de
dont
citadelle,
la
il
ne reste plus rien. Aidés
peut-être par cette parole de notre carie
:
Tuscu-
lum ancienne ville pélasgique, nous avions décou,
vert de splendides
murs
mais
pélasgiques,
un
architecte qui nous accompagnait
nous
que nos fameux murs
que dans notre
n’existaient
a
prouvé
imagination et que nous n’avions devant les yeux
que
rocher à
le
l’état
sauvage
!
Cela ne
fait
rien,
mais nous aimons mieux croire que ce sont des
murs pélasgiques. Nous avons
suivi assez
longtemps
la
fameuse
voie Latine dont le dallage est très-hien conservé
aux environs de Tusculum, apparaissent au loin dans
dont
et
traces
les
la vallée albaine.
Ce que nous n’avions plus à notre seconde visite, c’était le
coucher de
soleil,
qui était admira-
ble^ veille. Sur les hauteurs de Tusculum, nous avions en face de nous la campagne et Rome au fond. Un peu à gauche la mer qui étincelait, puis le
mont Cavi
et l’adorable village
de Rocca
di
Papa,
un roc et s’étageant en amphithéâtre flanc de la montagne encore plus à gau-
planté sur
sur
le
che,
la
;
suite des
nous avions tes
les
montagnes albaines. A droite
montagnes de la Sabine, aux arê-
accentuées et termes
comme
de
l’acier.
*
Les
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
07
arbres qui couvraient le mont Cavi ressemblaient à
un velours grenat usé
la
;
plaine était rousse, et
des montagnes dans l’ombre, d'un bleu
la partie
de pierre précieuse. La mer
était
sillonné de grands
c’était splendide. Je
nuages;
le ciel
théâtres devant de
comprends qu’en plaçant leurs semblables merveilles,
en feu,
anciens pouvaient se
les
passer de décors. Les plus riches feraient triste
mine en
magie de
face de celte
bano,
nous avons
et
la
sommes
Après déjeuner, nous
suivi
nature.
pour Al-
partis
une route superbe,
d’abord à travers plaine, puis dans une magnifique forêt, et enfin
qui dominent pied du
mont
éteint. C’était
grand
d’Albano
les crêtes
s’étend au
qui
Cavi dans le cratère d’un volcan
un énorme
bordé
et
nous avons longé
lac
le
cratère, car le lac est
de belles forêts.
Nous
avons
passé successivement à côté de villages trèspittoresques et admirablement situés Castel Gondolfo
pour
l’été.
où
le
Enfin nous
sommes
une
arrivés
Nous avons renvoyé notre voiture '
«à
et le lac
mont Cavi dans un le lac
Némi,
contre-lort du
situé aussi
l’Ariccia,
au pied du
cratère un peu plus élevé
Albauo, dont
mont
il
villa
Albano.
à Frascali et
nous nous sommes mis en route pour
Genzano
Marino,
:
Pape possède
est séparé par
que
un long
Cavi.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
08
Pendant une heure ou deux, nous avons longé les rives
de ce lac qui, dit-on, a cent soixante
mètres de profondeur. C’est
plus déli-
le lieu le
cieux qu’on puisse voir. De beaux arbres penchés et
presque déracinés par
les
eaux qui tombent des
côtes à pic, s’allongent au-dessus
du lac
et
y
trem-
pent leurs grandes branches. Nous avons vu l’em-
placement d’un temple de Diane dont
il
ne reste
plus que quelques pierres. C’était bien
la
place de
Diane au milieu des bois, auprès d’un
lac
bordé
par endroits de longs roseaux dorés, au pied d’une belle
montagne. Quelle tranquillité, quel mystère!
De toutes parts des côtes boisées. Les anciens mettre un temple de Diane. J’aurais
fait
n’é-
pour y
taient pas si bêtes d’avoir choisi ce lieu
des bas-
sesses pour en être le grand prêtre.
Nous nous sommes reposés oe calme charmant de
la
à l'ombre
devant
nature, et nous avons
grimpéjusqu’à Némi situé à mi-côte, sur la partie ,
la
plus abrupte et
la
plus verticale de
la
mon-
tagne. C’est
une position merveilleuse pour des gens ’
qui veulent se repaître de beaux spectacles ; mais, s’il
faut
que
les
Némicns descendent
et
montent
souvent leur côte pour faire leurs provisions,
je
les plains.
Du sommet, nous avons vu
le
coucher du
soleil
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
69
se refléter d’abord à nos pieds dans le lac, puis
de l’autre côté des montagnes
et
par delà les
plaines du Latium, dans la mer. Je crois que c’était
encore plus beau que ce que nous avions vu
la veille.
Après avoir erré quelque temps dans un bois,
nous avons trouvé un chemin creux
et fantastique
avec des arbres dont les racines, minées par les
eaux, formaient voûte au-dessus. de nos
têtes, et
nous avons regagné Albano avec l’ardeur voyageurs pris par
la
de
nuit et terriblement affa-
més. Le lendemain matin nous voulions aller voir Paluzzuola, petit village construit sur l’emplace-
ment d’Albe
la
Longue. Nous sommes descendus,
en conséquence, sur
nous
faire traverser
gravir
en bateau de
Albe
jusqu’à
bords du lac Albano pour
les
la
l’autre côté et
Longue. Impossible de
trouver une barque. Nous avons pris alors solution de faire le tour
encore bien loin d’Albe
du déjeuner rait tout
et
du lac mais nous
la
un peu de
;
la
ré-
étions
Longue, quand l’heure sirocco qui nous reli-
courage nous engagèrent à rebrousser
chemin jusqu’à Albano. Dans l’après-midi nous avons
visité les jardins
de
la villa
Doria, d’où l’on
a une vue superbe sur les plaines du Latium, la forêt
Laurentium
et la
mer. Nous avons vu, delà
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
70
terrasse, les ruines de la ville antique de Bovillæ,
l’ancienne ville deNumitor,je crois, legrand’père
de Romulus. Puis nous avons parcouru Albano
pour y trouver .un certain amphithéâtre de Donatien, dont il reste encore quelque chose, dit-on, près d’un couvent de capucins. Nous n’avons
jamais pu
Nous n’avons pas aperçu
le trouver.
non plus ces
belles Albanaises dont
on parle tant
C’était
pourtant l’heure où elles allaient à
taine
desAlbanaises,
:
il
la
!
fon-
y en avait, mais de belles,
point.
Nous sommes revenus dîner demain
je suis allé
à
Rome. Le
len-
au palais Barberini voir un
admirable plafond de Pietro de Cortone. Voilà un
homme
dont nous n'avons
mauvais tableaux
une énorme
comme
au Louvre que de
qui a peint à fresque, dans
un plafond vraiment mer-
salle,
comme
veilleux
et
comme
effet et
y a là dedans
un mou-
composition,
aspect de ton.
Il
vement, une fougue, une harmonie, une vigueur «ui m’ont bien étonné.
Ce matin j’ai val,
fait
une grande promenade
-traversé le Tibre, à Ponte Mole, et
mes engagés dans sans
à che-
avec des amis, au nord de Rome. Nous avons
fin,
la
campagne
nous nous som-
à travers des prés
où paissent de grands troupeaux de
bœufs etde chevaux sauvages. Nous nous sommes
Digitized by •m.'
•
•'
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
71
un peu égarés, maisle dôme de Saint-Pierre qu’on voit
de
si
loin, et
de presque partout, nous a remis
dans notre direction. La pluie nous a trempés loin de
et,
comme nous étions
Rome, nous avons dû prendre une
plus rapide.
Une dizaine de
allure
ces molosses énor-
mes qui gardent
les
troupeaux dans la campagne
nous donnaient
la
chasse avec des airs féroces.
Il
ne doit pas
est à pied.
de
En
faire
bon
tout cas,
les avoir fait
les
ils
rencontrer quand on
peuvent nous reprocher
rudement courir.
Demain nous partons, au nombre de sept,
pour une excursion
à cheval à Ponte
tano, le long de Teverone,
jusqu’aux
Aquæ Albulæ
ou
nous pousserons
(eaux sulfureuses), où
les anciens avaient établi la reine
et
six
Nomen-
des bains qu’embellit
Zénobie pendant sa captivité... Dimanche
nous repartirons encore, toujours explorer une autre partie de
quelques jours Voilà,
mon
la
à cheval,
pour
campagne... Dans
j’irai à Tivoli.
cher père,commenlj’emploie
mon
temps. J’espère pouvoir
me
E... lundi prochain.
.
mettre aux portraits W..
.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
72
A SON PERE.
2 ...
Mes
avril 1867.
mais
caisses sont arrivées, c'est vrai,
je ne les ai pas encore. Elles sont en
une
c’est toute
pour
histoire
les
en
douane et
faire sortii
M. llébert a attendu les siennes quinze jours, et
comme
je
ne suis pas M. Hébert,
tendre encore plus que livrer,
il
me suffirait
francs, mais je
je crains d’at-
Pour
lui.
me
les faire
de débourser soixante-deux
m’y refuse, car
violent de débourser pareille
ques livres, quelques
je trouve
un peu
somme pour
effets et
quel-
un rouleau de pa-
pier blanc.
Ce retard pourtant W... F... vont partir
me
cause du
Les
tort.
pu
et je n’aurai
finir
un
seul des portraits. Si j’avais prévu tous ces en-
nuis, j’aurais voyagé avec
mes
caisses.
gage n’eût pas été bien considérable
Mon ba-
et j’aurais
pu, au moins, faire un portrait. Si
Léon se décide
sainte
,
à venir
recommande-lui
on doive user avec soient et
casquettes
les
passer
le
seul
ici la
employés quels qu’ils
quelques galons qu’ils aient :
c’est
quarante sous dans
semaine
moyen dont à
leurs
de leur glisser une pièce de la
main. Avec cela on en
fait
ce qu’on veut. Si j’avais su, j’aurais usé plus
souvent de ce moyen. Pour
les
bagages
à
Digitized
la
by
.
-
1 ”
UUIfTB-’.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
douane,
c’est
même
suffit
souverain
souvent; on regarde
le
on vous laisse tranquille...
caisse et
un prince ou
affaire à
donnez-lui cent sous qu’il vous
On
plaira.
un
à
et
15
de vingt sous
la pièce
;
dessus de Si
la
vous avez
liant fonctionnaire,
vous obtiendrez tout ce d’agir loyalement
tort
a
avec ces fripons. De tous ces impôts prélevés aux
douanes
et ailleurs, le
pauvre pape ne touche
pas un centime. Tout cela passe dans des employés supérieurs, et
s’ari’ôte
la
poche
aux ministres
ne va pas plus loin.
Mon
atelier
encore réparé,
pas
n’étant
continue mes pérégrinations à travers
je
la ville
campagne. Nous en causerons une autre
et la fois...
A fA CIUSD’hÊRE.
10 avril 1867.
Ma chère bonne maman, y a bien longtemps
Il
tendresses de ton
pas à
mon
je
veux l’envoyer les
petit-fils et filleul. Si je
ne
l’ai
encore, c’est que les lettres écrites soit
fait
tous
que
père, soit aux autres, étaient pour vous
que chacun de vous pouvait mettre son
et
nom à
l’en-tôte.
aime,
il
est
Quand on
bien
difficile
sans penser à tous en
est loin des
gens qu’on
de penser à l’un d’eux
même temps, et chaque comme une bombe de
baiser qu’on envoie est
7
Digitizad by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
74
un
feu d’artifice qui monte en
pare ensuite en une vingtaine
seul trait et se séd'étoiles.
que
Cette fois, c’est toi que je vise, c’est toi
j’embrasse
première et qui seras chargée d’em-
la
brasser les autres de
ma
ses d’ailleurs n'auraient
cho-
part. Bien des
pour d’autres qu'un
bien faible intérêt et je puis le les écrire, à toi qui te tourmentes toujours et qui aimes à connaître les choses en détail. Je suis sûr
que tu
es mécontente de ne pas savoir quelle est règle de vie et
de suite
me
et
mon
après tu
me
laisseras dire ce
Pour ne pas ternir
maux de
me
fort
mon
récit par
que j’ai mis
tristes
fin à
mes
dents par l’extraction d’une molaire qui
martyrisera plus et qui m’a été enlevée
des dentistes français envoie-t-elle à
Rome en
Français et adroit.
part ce fâcheux incident,
mais été plus
Rome un
dentisterie? je l’ignore, mais
le fait est qu’il est
A
de
habilement par un jeunedentiste. La société
prix de
,se
que bon
semblera.
détails, je te dirai d’abord
ne
ma
hygiène. Je vais te contenter
ma
florissante. J’espère
santé n’a ja-
que cet
état
mainliendra longtemps. Je
me
temps
je
lève de
bonne heure
et la plupart
du
commence ma journée par une grande
promenade
à
cheval. Après déjeuner je vais voir
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
qu’au dîner
et le soir je
me
heure. Tu vois qu’il n’y a pas
75
me promène jus-
des galeries et des églises. Je
couche de bonne
là
de quoi se rendre
malade.
Nous prenons nos repas tous ensemble dans
un grand traits
réfectoire
de tous
les
les por-
où sont accrochés
pensionnaires peintres, scul-
pteurs, graveurs, architectes et musiciens depuis le
commencement de
ce siècle jusqu’à nos jours.
La cuisine n’est pas mauvaise
nement mieux que
celle
des
vaut
et
certai-
restaurants
de
Rome. Nous dînons
à l'Ave Maria, c’est-à-dire
puscule, à l’apparition de ciel et
la
première
à
onze heures
dîner à sept. Plus tard, dans quinze jours,
chaque repas sera retardé d’un quart d’heure ainsi de suite jusqu’en
midi
au
nous déjeunons huit heures avant. Ainsi,
maintenant noire déjeuner a lieu et le
au cré-
étoile
et
on dîne
mai
;
et
alors on déjeune à
à huit heures.
Je suis entouré de bons camarades, très-ai-
mables pour moi,
et très-unis,
contrairement à
ce qu’on croit à Paris. Je les connaissais
du
reste
presque tous, car je suis un vieux concurrent
mes premières armes Nous avons
à l’École datent
à l’Académie le
qu’on puisse rêver
et
et
de loin.
plus beau parc
dans ce moment surtout
.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
76
y est
l’air
lais
embaumé: nous
que nous envie
Le directeur
dimanches
il
est
habitons
un beau pa-
Fambassade de France.
.
charmant pour moi. Tous les
reçoit les pensionnaires et les ar-
tistes français et
Nous
fort
étrangers qui lui sont présentés.
faisons de la musique.
existence est ravissante et
si
En somme, notre
quelques regrets et
souvenirs ne venaient de temps en temps nous assaillir,
on
serait
Jeudi dernier,
une
pleinement heureux.
j’ai fait
petite excursion
il
avec deux camarades
Nous avons eu
Tivoli.
le
plus beau temps qu’ort puisse rêver et, depuis la sortie des
murs de Rome, nous avons
roulé au
milieu de sites et d’horizons merveilleux.
Nous avons
visité la villa
Adriana, dont les
grandes ruines sont d’un aspect splendide au milieu des grands cyprès et des pins parasols qui
ombragent ses beaux parcs. Nous avons traversé
un bois superbe
d’oliviers poussant sur
une mon-'
tagne rocheuse et nous avons déjeuné à Tivoli
dans
le petit
le spectacle
tagnes.
temple antique de
Nous avons étudié toutes
naturelles de ce coin
si
devant
la Sibylle,
admirable des cascades
étrange
et
des
mon-
les merveilles et
si
beau,
la
grotte de Neptune, la grotte de la Sirène, les Cascatelles, etc., etc..., et la ville d'Este dont la dis-
position et la situation sont vraiment
charman-
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
77
Nous recommencerons au mois prochain cette
tes.
excursion
;
seulement nous pousserons plus loin,
jusqu’à Subiaco et Cervara. J’ai visité aussi les belles
de Rome,
tuées aux portes
qui sont
villas
Pamphili, Borghèse, etc., etc...
On
a,
montagnes de
Les chênes verts ces parcs
la
Sabine
et les
de presque
campagne
toutes, des vues magnifiques sur la les
si-
villas Albani,
les
et
monts albains.
et les pins parasols
un aspect de grandeur
donnent à
et d’étrangeté
qui a bien son charme. Et puis, partout des fontaines. des jets d'eau. à
Rome. Que
main, alors que tous l’eau
des montagnes
grand nombre dans
la
On ne marchande pas
l’eau
devait-ce être sous l'empire ro-
et
les
on en
campagne.
aqueducs y amenaient Ils étaient en
voisines?
voit partout des ruines
y en a encore trois ou
Il
quatre en bon état qui servent à alimenter les fontaines et les réservoirs. A l’Académie, l’eau est excellente
elle
;
nous
est fournie
par Pâque-
duc de l’Aqua Felice. Il
est
demain sais
un peu
tard, et
à six heures,
que ce
il
si je
faut
veux être sur pied
que
je
dorme. Je
n’est pas toi qui te plaindras de ce
que je demande encore écrire
à
la
me coucher. Du
reste, je saurai
semaine prochaine
et
ne man-
querai pas de choses à vous dire,.. 7.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
78
A SOX PÈRE.
10 avril 1807.
Je suis encore obligé de
commencer ma
par ces paroles éternellement répétées
lettre
Je n’ai
:
pas encore
mes
ai palpées,
touchées, mais je ne les ai pas fait
caisses
sortir des magasins.
Il
m’en veulent
me
comme fois,
et
!
!
faut croire
que les douanes
poursuivent
On me
fait
fatalement
le
passage libre de mes af-
de vrais comptes d’apothicaire,
on ne veut diminuer mes tiers, si
ser 45
Je les ai vues, je les
des harpies. J’y suis allé hier encore une
pensant obtenir
faires.
!
frais d’entrée
que d’un
bien que je vais être obligé de débour-
fr.
75 pour des caisses ne renfermant que
des objets de travail. Je ne peux pas attendre in-
définiment ni faire de nouvelles démarches qui
amèneraient des pourparlers sans pendant
la
caisses et je vais payer ce qu’on
mais je conserverai toute rible contre la
libre
fin,
surtout
semaine sainte. Or j’ai besoin de mes
échange
Quand donc
!
douane
ma
et les
vie
me demande une haine
douaniers
0
!
;
ter!
le
Plus de douane ni de douaniers!
verrai-je arriver ce
temps heureux,
cet âge d’or?
Les W... F... sont partis hier
Tu me
parles de
me
I...
mettre à l’ouvrage
ce que je ferai peu à
peu.
Mais
j’ai
:
c’est
encore
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
beaucoup
quelques-uns de mes camarades
mes prédécesseurs
79
comme
ne veux pas agir
à voir. Je
et
surtout de
qui arrivaient à
Rome pour
s’enfermer dans leurs ateliers, d’où
ils
sortaient
cinq ans après sans connaître seulement
de Saint-Pierre ou
la
chapelle Sixtine
la ;
cour
autant
rester à Paris. Le voyage ne peut être instructif
que
s’il
vous montre des choses nouvelles qui
ouvrent dans
mées.
S’il
la
cervelle des cases encore fer-
ne consiste que dans un changement
bon se déranger? Du reste, je vais commencer quelques études dans la campagne
d’atelier, à quoi
d’abord, maintenant
que
la
douce encore; plus tard quand
température est la
saison devien-
dra chaude, je travaillerai dans les églises et les
musées.
comme
Il
arrive,
dans
musées de Rome
les
partout, que les belles toiles dont on au-
rait intérêt à
garder un souvenir sont occupées
par des copistes plus ou moins forts d’inscriptions sont souvent vais m’inscrire dès
nombre de choses
;
fort
;
les
listes
longues et je
maintenant pour un certain je
ne sais pas quand je pour-
rai les faire.
Cette lettre étant joins
aucun
rait.
J’écris à
lettre...
purement
d’affaires, je
détail pittoresque...
n’y
cela détonne-
bonne maman. Demande-lui ma
N’oublie pas de m’envoyer les portraits
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
80
de famille. Tu
sais
que
je n’en ai pas
ma
de
mère. A H. BÜ5SINF,
25 J’ai
avril,
1867.
mor-
porté dernièrement chez Lislz le
ceau de Camille
et
il
Ta reçu ainsi que son por-
teur avec une amabilité charmante. J’avais
peu peur en tirant
le
cordon de
bien qu’amené par un de àListz,
mon cœur
battait
sonnette, et,
mes amis
déjà présenté
comme
commencé par
dentiste. J’ai
un
la
à la porte
balbutier des
d’un
Mon-
seigneur, Monsignor, Monsieur l’abbé, maestro, etc... si
Mais
ber
mon
m’a mis
il
simple et
à
mon
aise par
bienveillant que
si
effroi et n’ai
un accueil
j’ai laissé
plus vu, dans cet
tom-
homme
noir à grands cheveux, qu’un artiste chaud et
passionné,
un ami dévoué de Camille.
parlé de lui avec très-sincère.
Il
Veni Creator s’arrêtant à style, la
Il
m’a
une admiration qui m’a paru a déchiffré
que
je
venais
séance tenante
de
lui
chaque instant pour en louer
coupe savante
le
remettre,
et originale. Puis
le
beau
il
nous
a joué, avec cette puissance et cette énergie fan-
tastiques que vous lui connaissez, des
morceaux
de ses symphonies de Dante et de saint François à le venir voir le
vendredi quand
je voudrais. Je le croyais poseur.,
mais je suis re-
et
m’a engagé
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
venu de
8t
cetle idée-là et suis sorti de chez lui pro-
fondément impressionné par son jeu, son aménité, et sa belle tête.
En
de musique, je n’ai entendu
fait
deux messes pendant
la
à la chapelle Sixtine et
semaine sainte.
peu de talent des chanteurs rable dont
ils
de
que
choqué du
J'ai été
et
ici
des Miserere
façon déplo-
la
étaient conduits. La maîtrise de la
chapelle Sixtine est bien tombée, et pourtant elle a
de bien belles choses à exécuter. Dans cette
salle merveilleuse, sous ce
plafond
Jugement dernier qui vous élèvent
et si
devant ce
haut que
le
moindre chant viendrait compléter l’harmonie et s’embellirait
on
du voisinage du géant Michel-Ange,
serait disposé à
religieux.
Au
admirer n’importe quel chœur
lieu de cela les chanteurs vous ar-
rachent à votre contemplation par des timbres plus que
criards et désagréables, des accords
douteux, des rentrées mal faites, des
trilles tou-
jours manqués, des miaulements dont sien
peut seul avoir idée,
quième étage sous des
s’il
toits
un
Pari-
a habité au cin-
fréquentés par des
troupes de chats amoureux. Je ne puis trouver d’autre comparaison pour vous faire comprendre ce
que
j’ai souffert
,
en entendant écorcher ainsi
de belles fugues et de beaux motels. Une fois, pourtant,
ils
ont bien chanté un chœur superbe
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
82
el ont produit des effets et
de sonorité intéressants
étrangement puissants. Mais, en général,
cultivent la fausse note et le cri avec
ils
une persis-
tance désastreuse. J’ai assisté
dimanche
à la bénédiction
pape donne chaque année, haut de
la
le
que
le
jour de Pâques, du
Loggia , au peuple agenouillé en foule
sur l’immense place de Saint-Pierre. C’était un
merveilleux spectacle, bien émouvant et d’une
grandeur imposante. La voix du pape résonnait dans toute l’étendue de
la place, et
son geste
noble se voyait de partout. Cela m’a rappelé le récit
Je
du Tannhàuser.
me
vocaux
:
suis remis ces jours-ci à cela
me
fera
mes
du bien, car ma
exercices voix était
devenue d’une lourdeur désespérante. Quant à la
peinture, je n’en
mieux regarder
et
pas
ai
fait
encore. J’aime
comprendre que de me mettre
immédiatement au
travail. J'espère
de quelques mois
me
pera en moi et, je
le
fera
que
du bien
sens artistique.
J’ai
cet arrêt
et dévelop-
beaucoup vu
pense, beaucoup appris. C’est ce que l’ave-
nir nous apprendra.
vous espérer
Je n’ose pas
ici,
et
pourtant
une séparation de quatre ans, savez-vous que c’est bien
long
1
Soyons philosophes. Car,
temps semble long pour
le fils et
si
pour l’ami,
le il
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. passera encore trop vite pour
83
le peintre. J’ai tant
si
peu en quatre ans!
Toutefois, j’aime à croire
que vous ne rougirez
on
à apprendre et
pas de moi,
et je
fait
compte beaucoup sur
née de voyage pour
me
cette an-
transformer et
m’in-
struire A SON PÈRE.
25 avril 1867.
Voilà trop longtemps que je ne
mon
breuses durant
de
faire
dre
le
la
t’ai
écrit,
mais
mes occupations nom-
excuse est dans
semaine sainte.
J’ai été
queue pendant des heures,
obligé
afin d’enten-
Miserere à la Sixtine. J’ai assisté aux gran-
des processions qui se sont faites à Saint-Pierre, à l’occasion de l’anniversaire du retour deGaële,
puis le jeudi saint et
le
dimanche de Pâques.
C’est superbe.
Je suis bien revenu sur le Pierre, qui ne m’avait pas les
premières
depuis
à le
fois que. je le
compte de
énorme
et, à
visitai; j’ai
certains
qui, au
Saint-
grande impression
connaître et à l’aimer. J’y
merveilleux effets basilique
fait
ai
appris
vu de
moments,
premier
cette
abord
ne
semble pas très-religieuse, prend un aspect mystérieux et imposant, que viennent grandir encore les
fumées de l’encens
et les
grandes ombres des
voûtes*
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
8t
Le jour de Pâques surtout, sous
le vestibule,
c’était inouï. J’étais
au moment où
grandes
les
portes du milieu se sont ouvertes, laissant aper cevoir
le
fond de
l’église
-
dans une sorte de
brouillard lumineux, au milieu duquel se profilait
le
monte
grand dais à colonnes torses qui sur-
l’autel.
rayons de
Grâce aux fumées d’encens
soleil qui les traversaient, la
de Saint-Pierre
était plus que. triplée.
près de nous était un peu sombre
de
la
et
aux
profondeur La nef plus
et,
au milieu
porte, la procession des cardinaux, des évê-
ques de tous pays, avec leurs grandes mitres blanches, arrivait sur nous, dominée par le pape,
porté sous un dais rouge et couronnant ce splendide tableau
si
merveilleusement encadré. De
ma
vie je n’ai vu chose plus belle et plus grandiose.
Quelques inslants après, dans toute tendue de rouge, sous
grande loge
la
un immense vélum
qui mettait dans une ombre transparente pres-
que toute
la
façade de Saint-Pierre,
]
e saint-pèr e
apparaisssait porté sur son trône, sous
accompagné de deux énormes
de paons blancs, et d’une voix forte donnait la bénédiction à tout
couvrant
la
un
dais,
éventails en queues
le
et
peuple
sonore à
place entière. C’était le speclacle
plus grand et
le
il
genoux le
plus émouvant qu’on puisse
rêver. Debout sur le pavois, les bras étendus sur
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REf.NAULT. la foule, le saint-père se voyait
de toute
85 la
place
et sa voix s’en allait au loin, au milieu d’un
lène^ incroyable. Le centre de
cupé par l'armée
si-
place était oc-
la
que
pontificale, tant fantassins
cavaliers. Après la bénédiction, le peuple a poussé
des
cris
de
Viva
:
il
santo padre
des mouchoirs.
re! en agitant
,
des palmes
et
cette scène
une impression profonde, aucun pays
crois pas qu’en
il
J’ai
et
au point
la fois
au point de vue artistique.
Je n’ai eu qu'une désillusion
rapport de
;
c’est
sous
musique. La maîtrise de
la
ne
et je
puisse y avoir rien
d’aussi beau et imposant, tout à
de vue moral
remporté de
la
le
cha-
pelle Sixtine n’est pas brillante; elle écorche trop
souvent de
splendides
conviens, d’une
motets.
difficulté
Ils
sont,
j’en
prodigieuse, surtout
sans aucun accompagnement qui guide les exécutants; mais ceux-ci pourraient chanter moins
faux
et
avec
des
timbres moins criards
et
moins désagréables. Et puis à Saint-Pierre, au lieu
d’une vingtaine de chanteurs,
il
faudrait
des doubles chœurs de cent ou deux cents voix
au moins. C’est d’une maigreur déplorable, est impossible
sont,
faute
avec le l’effet
d’être
ému
de puissance,
grandiose
et
il
par des chants qui si
peu en rapport
déployé partout.
d’un géant de vingt pieds, qui
Cela
fait
aurai.t
une
8
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
80
tôle grosse
voix de
comme un
une
poing d’enfant ou
cricri
A H. MALLARMÉ.
25 avril 1867.
...Tu ne te figures pas combien je suis
heureux
mon
assiette!
de trouver une lettre de France sur
Et ce plaisir ne m’arrive pas aussi souvent
ma
je le voudrais. Si elle
me
que
pauvre mère vivait encore,
gâterait sous ce rapport-là; je suis
sûr
qu’elle ne serait pas avare de ce cadeau si pré-
cieux pour
l’exilé.
Je n’ai jamais autant senti le
vide que sa mort m’a laissé que depuis
mon
dé-
part de France.
Et pourtant
que possible
;
mes journées je vois
sont aussi remplies
du nouveau presque tous
ma vie dans des enthousiasmes mon sac d’admiration se remplit à
les jours, je passe
continuels et
mesure que
j’en dépense. La
est merveilleuse le plus
;
c’est elle
campagne romaine
qui m’impressionne
vivement. C’est ce que
j’ai
plus écrasant. Et la chapelle Sixtine il
jamais vu de !
! !
n’y aurait pas besoin d’autre chose à
chapelle Sixtine
et la
campagne!!!
11
ya
Pour moi,
Rome. La là
de quoi
émouvoir, de quoi inspirer, de quoi élever l’âme del’artiste, sans jamais la lasser.
On resterait vingt
ans ici que la vingtième année on serait encore plus passionné pour ces merveilles, auxquelles
il
ne
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
87
peut exister nulle part rien de comparable. Je serais bien heureux de voir ton enthousiasme de-
vant ce qui m’émeut tant tous les jours.
Lundi je vais chercher un autre genre d’émotion, plus doux, plus calme
:
je vais passer trois
semaines ou un mois à Naples. Ce beau mois de
mai donnera au pays un aspect plus jeune encore heureux. Et puis je travaillerai, à
et plus
mon
retour. A SON PÈRE.
Jeudi, 2 mai 1867.
Rome
Je suis parti de
nepveu,
lundi matin avec Le-
et le soir vers sept
à Naples, après
un
trajet
heures nous étions
en chemin de
fer
de
toute beauté, à travers des montagnes admirables auxquelles le ciel chargé de nuages orageux
donnait
les effets
leil
dramatiques et
les
sommes entrés, au
so-
les plus
plus sauvages. Puis, nous
couchant, dans cette riante campagne de Na-
ples,
au milieu de vergers d’ormeaux
et d’oliviers
réunis entre eux par des festons de vigne. Cela a
un
air de fête qui
rend heureux
Le musée de Naples n’est pas riche en peintures. Je n’y ai
de Titien
et
remarqué que deux ou
trois toiles
de Ribeira. Mais en revanche
il
pos-
sède quelques bronzes merveilleux, dont je ne
connais d’équivalents dans aucun musée. Les
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
88
peintures de
Pompéi réunies dans deux ou mais je
salles sont très-intéressantes,
core eu
temps de
le
n’ai
trois
pas en-
les étudier avec assez
de re-
cueillement. Mercredi, nous avons passé
la
rente. C'est le paradis terrestre Il
y a là des
journée à Sor-
!
hommes, des femmes,
et surtout
des enfants magnifiques. Nous allons nous y in-
pour quelque temps,
staller vailler,
me
et là, je
compte tra-
livrer au croquis et à l’aquarelle
avec
une ardeur digne des merveilles que j’aurai sous les veux %t
K
SON PÈRE.
H
Je suis au paradis!
Tu ne peux
idée de Sorrente. Ah! quelles
mai 18G7. faire
te
une
matinées, quel-
journées et quelles nuits surtout! Si lu sa-
les
vais
ce
que
c’est
que
mer de
la
Naples, reflétant la lune et silhouette
du Vésuve dans
baie
la
les étoiles,
le
de
avec la
fond! Et ce calme,
ce silence, interrompus toutes les trois ou quatre
secondes par rir
le
doucement
Depuis
ma
soupir de à
la
mer, qui vient mou-
nos pieds sous
dernière lettre,
la terrasse
j'ai fait
!
bien des
choses. J’ai
d’abord été
vent d’où
le
à
San Marlino, un ancien cou-
noble Victor-Emmanuel, ce grand ioi,
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
n chassé
les
moines,
dans presque toute
comme
il
l’a fait,
89
du
reste,
Ce grand monarque
l’Italie.
libéral qui veut la liberté de l’Italie,
ne permet
pas à un malheureux moine de vivre tranquille-
ment, loin du monde, dans convient. les
Il
sa cellule, si cela lui
trouve plus convenable de convertir
couvents en casernes. Cinq ou six moines
sont laissés pour
le service
de
la chapelle, les
autres sont priés de changer de costume et de s’en retourner chez eux. Cela m’a fait
beaucoup
de peine de voir à Florence ces pauvres couvents de Dominicains, que Ficsole avait couverts de merveilleuses, complètement
déserts
maintenant, ces pauvres cloîtres vides,
les cor-
fresques
ridors des cellules et les cellules complètement
nus. Enfin, bref, de San Marlino on a une vue splendide; on domine toute la baie de Naples,
Dieu
sait
ce que c’est que la baie de Naples.
et
Il
y
a là aussi de très-beaux Ribeira.
Puis,
j’ai
passé une journée à Pompéi;
mon
pauvre oncle Mazois serait bien heureux de voir
Pompéi maintenant. On y
travaille toujours et
a découvert bien des choses depuis parlerai de
Pompéi plus
sans doute, quand j’effleure
un peu
j
lui.
on
Je te
tard, l’année prochaine
v travaillerai. Cette année
tout,
mais
temps de m’arrêter quelque
je n’ai
guère
le
part. .
8.
Digitized by
COHRESl 0 .NUANCE
90
Le lendemain et
E HENRI REGNAULT.
i
j'ai fait
l’ascension
du Vésuve
une descenle dans Herculanum.
semble
Les fouilles sont très-peu avancées, on
môme avoir renoncé à les continuer. Ilerculanum est enfoui sous 80 pieds de lave, et Portici et
Résina sont bâties dessus. Les travaux dans
cette lave si
dure sont excessivement coûteux
on n’a guère retrouvé que
le théâtre,
:
qui est fort
grand, et dans lequel on a découvert une grande quantité de statues de marbre et de bronze. Cela
donnerait vraiment envie de pousser plus loin les recherches.
Herculanum,
grandeur de son théâtre tres de
si
compare
l’on
à celle des
la
deux théâ-
Pompéi, devait être infiniment plus con-
sidérable
que Pompéi. Les plus beaux bronzes
du musée de Naples proviennent presque tous d’Herculanum,
et le théâtre seul
a été fouillé!
Quelles richesses incomparables on trouverait,
une
fois
arrivé au
L’ascension
Forum
du Vésuve
et
aux temples!
est
très-intéressante.
On chemine pendant une heure dans l’éruption de 1858
formes
les
ou 1859. Ces
les laves
de
laves affectent les
plus fantastiques. Dans certains en-
droits elles sont tordues
comme
d’autres on croirait voir
des cordes, dans
un champ de
bataille
avec des cadavres enlacés et amoncelés en monta-
gne, Plus loin on croirait voir une
mer
furieuse
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
uns contre dans
moment où
au
solidifiée
les autres.
le cratère,
une le
Nous sommes descendus
moment
où par
leur épouvantable,
91
ses flols luttaient les
il
fait
une cha-
où l’on est suffoqué par
et
violente odeur de soufre. Mais en ce moment,
Vésuve
est sage et
ne lance que quelques pe-
tites bouffées
de fumée qui ne font pas grand’
peur. Ce qui
est
vraiment curieux,
c’est
cette
marmite immense dans laquelle sont entassées pêle-mêle, des masses de pierres et de laves à
moitié refroidies, affectant les formes les plus bizarres et revêtues des tons les plus étranges... Puis,
au cap Misène, où j’ai vu l’empla-
été
j'ai
cement de
que tous
les
gens bien posés de l’empire romain avaient
fait
cette multitude de villas
construire sur cette côte, à cause des eaux de toute espèce et de toutes vertus qui sourdent
du
pied des montagnes volcaniques du pays.
Depuis
mon
séjour à Sorrente, je circule à âne les environs. C’est à devenir fou,
ou à pied dans tant c’est beau
!
On
respire à pleins
parfum des citronniers tent
leurs
fleurs
en
et
poumons
le
des orangers qui por-
même
temps
fruits...
Mais en voilà assez:
chanter
les
si
que leurs
me mets à il me faudra
je
charmes de Sorrente
écrire vingt-cinq mille vers...
Nous irons prochainement
à Capri, à Amalfî, à
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
02
Païenne, à Pæstum
de choses à voir
nous ne posons point.
;
et à
un
Je passerai certainement ges.
de
Que
admirer dans ce pays idéal été
!
dans ces para-
y a beaucoup à faire et, au point de vue nature humaine, on peut trouver ici, bien
Il
la
mieux qu a Rome, des types très-beaux,
et
d’un
caractère original et sauvage... A SON PÈRE.
Sorrente, vendredi 15 mai 1867.
Je
bon
ne parti
tirerai
que
mon
je croyais de
à Sorrente.
et
malheureusement pas un aussi voyage à Naples
Depuis six joursje suis souffrant,
maux de tète et d’estomac. Je ne quitte mon lit et, malgré un traitement vigoureux,
pris de
pas
Dans
je suis bien faible.
la
crainte que cela
ne
dure encore quelques jours, nous partons ce soir
pour Naples
et
demain pour Rome.
C’est désolant de
tronquer un
si
beau voyage...
A SON PÈRE.
Rome, 29 mai 1807.
Je suis revenu de Naples
voyage, mais depuis,
j’ai
un peu
eu
le
fatigué par le
temps de
me
re-
mettre complètement. Je suis un peu maigri, c’est vrai,
mais on ne reste pas impunément neuf
jours sans manger. Je vais reprendre peu à peu
mes. forces et commencer voyage d’étude dans
le
le
mois prochain un
nord de
l’Italie.
Digitized i
by
Goo
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Tu me
de ces excursions, que tu comptes à
de l’automne. Je ne
la fin
tout
le
93
parles de t’attendre pour quelques-unes
monde
Il
est
moi
faire avec
conseille pas, et
de venir à
te le dira,
le milieu d’octobre.
le
Rome
connu que
avant
les
mois
précédents ne sont vraiment pas bons à passer à
Rome, surtout pour quelqu’un qui n’est pas acclimaté. Du reste, les gens du pays sont encore plus éprouvés par
le
climat que Jes étrangers.
Les fièvres minent peu à peu ces peuples du La-
tium pendant presque tout
rend
cette race
si
pauvre
Je ne passerai pas l’été à et je n’y reviendrai
d’octobre. et
Du
les
premiers jours
reste M. Hébert s’absentera aussi
ne reviendra guère qu’à ce momenl-là.
Après mure réflexion pas pu faire,
qui
peu vigoureuse.
Rome, bien entendu,
que vers
inutile de s’exposer à ces
le
l’été. C’est là ce
et si
comme
maudites
j’ai
Il
est
fièvres.
décidé que, n’ayant
font tous les prix de
Rome,
voyage d’ensemble du nord de l’Italie, au mois
de décembre avant de se rendre à la fin
de janvier,
j’ai
d’une façon plus lente là cet été,
comme qu’ils profit
au lieu de
ils le
Rome pour
décidé, dis-je, que je ferais et
plus complète ce voyage-
le faire
font d’habitude,
en simple touriste,
vu
le
peu de temps
peuvent y dépenser. Je compte en tirer un immédiat. Restant assez longtemps dans
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
9i
chaque
me
je
ville et
surtout à Florence et à Venise, des
livrerai à
études sérieuses qui
ne
m’empêcheront pas de mûrir mon Envoi, auquel
me
je
mettrai complètement au mois d’octobre.
Je ne crois pas que ce soit trop
comme
d’agir
cela.
manière de voir en
Tu
me
presser
combien de
sais
art s’est modifiée, et
fois
que
ma
combien
de nouveaux horizons, qui m’étaient longtemps restés cachés, se sont
moi. Je
n’ai plus le
niment
à
ce
ment
peu près toute
ma
première année, connaî-
pour
l’Italie
années suivantes
et
chaque nouvelle tournée:
«
les
du
système de changement, ou
moins, je veux, dès tre à
peu à peu ouverts devant
temps de m’abonner indéfi-
me
guider sûre-
ne pas m’écrier à
Ah
1
si
j’avais
vu
cela l’année dernière, je n'aurais pas fait ceci, je
me serais détourné
de
cela.
. .
etc. » Je
veux savoir
dès maintenant vers quoi je suis vraiment
le
plus
porté, où je devrai revenir de préférence, quelles
sont les œuvres dont l’étude pourra développer
en moi
les qualités
et celles qui
que
j’ai
à
l’état
soupçonne pas en moi Cette lettre est
les
germes.
un peu une réponse
Montfort, et je te prierai de la lui
puisqu’en causant avec lui
d'embryon
m’en donneront d’autres dont je ne
toi,
à celle de
communiquer
je trouve l’occasion
de
répondre sur certains points où nous ne som-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. ines pas tout à
instant que je suis à Sèvres,
dîne avec nous,
et
95
d’accord. Supposons donc
fait
un
un jour que Montfort
qu’après dîner nous discutons
tous les trois.
Dans sa laquelle
lettre si affectueuse, si
me donne
il
bonne
dans
et
d’excellents conseils,
m’écrit une phrase qui va
me
il
servir de thème, et
qui me permettra de vous développer
mon opinion
si toutefois
vous voulez bien ailacher quelque
importance
à
mes
les soutenir par ce
idées, bien
que
ne puisse
je
grand tuteur qu’on nous jette
toujours à la tête, à nous autres jeunes gens l'expérience .
:
Mot sublime qu’on nous présente
comme la tête de Gorgone. Ma foi, tant pis je ne me laisse pas pétrifier par la fameuse Gorgone et !
je pars, convaincu
un instant que
rience infuse. Oui, criez; c’est
Montfort
dans sa
me
lettre,
disait
j’ai
comme
ça
!
l 'expé-
...
donc entre autres choses,
que je ne devrais pas accumuler
voyage sur voyage et excursion sur excursion, mais, au contraire, les espacer et m’arranger de façon à ne voyager que pour travail fait à
Rome. Voilà
me
le point
reposer d’un
sur lequel nous
ne sommes pas d’accord. Les années suivantes je ferai cette année,
il
comme
est de toute nécessité
cela
que
;
mais
j’aie
une
*dée générale sur l’art italien, et cela pour ga»
Digitized by
m
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
gner du temps,
et, je te le disais tout à
l’heure,
pour pouvoir plus tard,
à
chose dont j’aurai besoin
comme on cherche dans
un
coup sûr, chercher la
dictionnaire que l’on connait bien.
Je regarde
comme une chose presque mauvaise Rome avant de connaître à fond
qu’on arrive à cette
çon
longue histoire de
l'art
qu’on
lit
d'une fa-
complète déjà à Florence et dont on doit
si
combler
par
les lacunes
la
de Milan, de
visite
Padoue, de Parme, de Sienne, de Fisc, de Venise, etc...
Que voulez-vous qu’on
fasse
quand de but
en blanc on se trouve en face de ce formidable géant de
devant
la
lui,
chapelle Sixtine?
quand
à
chaque
Que peut-on oser
visite
on
est écrasé
sous un double sentiment d’étonnement et d’admiration, tellement étrange, qu’on se demande
si
ce n’est pas de la peur? Pour moi, Michel-Ange est
un dieu auquel on n’ose pas toucher
:
on
craindrait qu’il n’en sortit du feu.
Pour l’instant du moins, je
me
sens pas
le
même qu’il me me contente
je
platif.
n’ai pasenvie, je
courage de l’aborder; ferait
de
je
ne
pressens
plus de mol que de bien et
lui
rendre un culte contem-
Mais quant -à l’attaquer
main, j’avoue que
je
les
armes
à la
ne m’en sens pas encore
la
force.
Et
pourtant j’en comprends bien, je crois,
Dîgïtizea by
GlJUÿk;
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. toute
la
grandeur, toute
pour l'ensemble de
l’art.
pourrait supporter
un
un
97
beauté écrasante
la
Rien évidemment ne
parallèle avec lui
:
c’est
colosse qui écrase tout ce qui l'approche.
Yoilà pourquoi je n’ai pas encore travaillé à la
chapelle Sixtine, voilà
mieux
pourquoi,
si
j’avais été
portant, j’aurais fait des études d’après
nature aux environs de Naples, voilà pourquoi, la saison était
à
Rome,
et
moins chaude
si j’étais
si
qu’elle ne l’est déjà
imprudent,
j’irais faire
des
éludes dans la campagne romaine où je connais tant de paysages d’un caractère
dont
si fier et
les
aspects variés et toujours grandioses m’émerveillent sans cesse
voilà pourquoi, enfin,
;
aller étudier des maîtres qui
me
font
je vais
moins peur
que Michel-Ange. Je
demanderai quelques conseils
fresques que
musées Pitti de
toiles
j’ai
et
vues à Florence
des Offices,
j’ai
dans
les
noté bon nombre
qui m’instruiront beaucoup, sans que
je craigne d’ôtre entraîné par
mense
à certaines et,
(et
une force trop im-
contre laquelle je ne pourrais rien),
à
devenir un diminutif de Vasari, exagérant encore les charges qu’il fait
sible
autrement
nelle que arts.
Tous
:
de son maître. C’est impos-
c’est
la
l’on retrouve à
loi
immuable
et éter-
chaque pas dans
les génies qui ont porté
les
une branche 9
Digitized by
.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
'J8
quelconque
pour ainsi
(le l’art
à son
sommet, qui ont épuisé,
que ce
dire, tout ce
filon
pouvait don-
ner, sont des culs-de-sac. Après eux n’arrivent
que des élèves difformes qui vont contre lç fond dudit cul-de-sac. nouilles et veulent égaler le ils
en crèvent.
Ils
se casser le
Ils
nez
sont des gre-
bœuf en grosseur
:
veulent aller plus loin que le
maître, oubliant qu’ils viennent trop tard et qu’il n’y a plus rien à tenter dans cette voie-là, et
tombent dans
la caricature
;
une admiration béate pour un génie prennent à peine, mais devant lequel la tête, ils
Ils
ne sont rien devant leur enseignement
veilleux
moins encore pendant que
qu’ils
il
Pour
com-
reconnaissent qu’ils
fétiche et,
malgré
mer-
le
n’auraient été en venant
artiste
moitié chemin et que
faisait
progresser l’école
sortait.
faire
de
(langage
un peu
pensée)
il
;
l’art,
il
trivial
faut se monter
le
coup ,
mais qui rend bien
ma
faut croire qu’on va faire faire à l’Art
un pas nouveau. Sans tant de
com-
courbent
qu’ils ont reçu, ils sont
l’art était à
chaque nouvel d’où
qu’ils ils
n’osent plus rien, et deviennent
plètement impuissants.
ils
ou bien, châtrés par
mal ?.
cela, à quoi
bon
se
donner
.
Bref, pour mettre fin à tout ce bavardage, je
suis persuadé
que
mon
voyage de cet été va
me
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
90
développer énormément. Je vais exploiter de
Rome
vrais trésors, et je rapporterai à
des et des impressions qui faire enfin
de
découvrirai
la
des étu-
permettront de
peinture dans ia voie que je
où
et
me
je
me
tâcherai de
me
fortifier le
plus possible. Je ne sais ce
que
je pars,
malgré
que je reviendrai
ne sachant rien
;
mais je sais ce plein d'espoir
et
cela.
com-
Je suis décidé à étudier beaucoup, pour
mencer,
les
maîtres qui ont
les Titien, les
Léonard à être ce
pas que je croie qu’ils
un
Titien,
la fois;
amené
me
un Léonard
les Raphaël,
qu’ils sont.
Non
rendront un Raphaël, et
un Véronèse
tout à
non, je n’ai pas tant d’ambition. Mais,
dans leur sentiment naïf et profond
et les
grandes
qualités de couleur qui m’ont frappé chez beau-
coup(je ne parle que deceque
on peut
lire
j’ai
vu
à Florence),
plus clairement que chez les maîtres
arrivés qui sont plus retors et cachent
leur jeu. Ce qui ne
mieux
m’empêchera pas de frapper
quelquefois à la porte deYéronèse, de Titien,
du
Tintoret, d’André del Sarte et autres, et de causer
un peu avec eux pour rapporter quelque chose de leurs bonnes leçons. Je vous demande pardon de vous ennuyer
si
longtemps de mes idées que
vous ne partagerez peut-être pas;
j’ai
voulu
me
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
100
confesser, et, comme cela ne m’arrive pas souvent, il
y en a eu long....
Lés impressions vaient-elles
du jeune
artiste
pou-
plus fidèlement
se refléter
et
avec une vérité plus sympathique que dans ces pages émues? Il y laisse voir une âme ardente, pénétréejusque dans ses plus intimes replis par l’admiration
des maîtres,
une
intelligence éclairée et raisonnée de l’art, et
une défiance de lui-même qui
dans
la
pour
les
profondeur
même
œuvres sublimes
yeux. Non-seulement il
leur voue
et s’il n’ose
loin, si
une
il
les
a sa source
de son respect qu’il a sous les
comprend, mais
sorte de culte passionné,
encore les contempler que de
dès l’abord
il
n’essaye pas de les
copier, c’est qu’il a peur de porter sur elles
une main
sacrilège.
à rencontrer, unie
modestie
si
Sommes-nous habitués à
tant
de talent, une
pleine de grandeur et de sin-
cérité? Et cependant on a cru
que Régnault
était
chefs-d’œuvre des
resté
pouvoir avancer indifférent
maîtres,
froid
aux
devant
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. la beauté divine qui s’y révèle
Florence, ditM. Charles Blanc,
Rome ne
et
après avoir reconnu les
le
101
« L’austère
le séduisit
lui plut jamais. » Et
Régnault par
peu
M. Mantz,
charme exercé sur
aspects
côtés anecdotiques de
les
:
pittoresques
et
Rome, ajoute
:
« Mais, pour lesgrandes créations de Michel-
Ange
et
de Raphaël, pour
les
l’antiquité, ce fut autre chose
maturité de
cœur
l’esprit,
un
:
prodiges de
une certaine
du
certain trouble
sont nécessaires à qui veut sentir ces
nobles inventions. L’heure n’était pas venue
pour frir,
lui
le
de savourer, au point d’en souf-
charme
rieure de
ces
victorieux, l’émotion inté-
œuvres
grandioses et ex-
quises. »
Cette appréciation tout imaginaire et fantaisiste s’évanouit
les lettres
à
une toutes
lui,
en
d’elle-même quand on
de Régnault. les
Il
affirmations. Nul plus
ner pour Michel-Ange, nul plus que
comme
que
de nature à se passion-
effet, n’était
s’est senti
lit
en contredit une
écrasé par
cet
lui
ne
incom-
parable génie. Ce n’est donc pas par indifférence, mais par
une
sorte de terreur respec9.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
102
tueuse, qu’il s’éloigne du colosse dont
la
crainte le poursuivra toute sa vie.
L’étude de bait ni tés.
peinture, au reste, n’absor-
la
tout son temps ni toutes ses facul-
Merveilleusement doué pour
ardent et curieux, à
un goût ou
à
un
il
les arts,
ne se restreignait pas
travail exclusifs
nous le
;
voyons rester Parisien tout en vivant à Rome,
au mouvement intellectuel
s’associer de loin
et artistique, s’intéresser à tous
ceux qu’il
avait aimés et quittés, et chercher en de-
de
hors
la
peinture les distractions
riées et sérieuses
complète. parfois sa
mantes,
Il
va-
que réclamait sa nature
si
avait le goût des lettres, laissait
plume
tracer des
et cultivait
stances char-
surtout l’intimité de
Musset, de Byron, de Victor Hugo et des autres poètes qu’on peut appeler les coloristes et
de
la littérature.
Excellent musicien
secondé par une voix délicieuse,
tait
il
chan-
chaque semaine aux réunions de M.
directeur de l’Académie.
Il
le
étudiait attenti-
vement toutes
les
les appréciait
avec un jugement à
productions musicales et la fois
raisonné et passionné.
Digitized by
•
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Cependant l’Exposition
1867 venait d’ouvrir elle les artistes
ses
de tous les pays. D’autre
grande violence, Médicis
de
portes et attirait à
Rome
part, le choléra sévissant à
villa
103
universelle
avec une
pensionnaires de
les
obtinrent l’autorisation
la
de
venir à Paris. Cette mesure exceptionnelle
renverse tous les plans de Régnault. Adieu
voyages
adieu galeries, musées,
projetés,
études artistiques d’après les maîtres liens. Et pourtant,
ter
comment ne
de cette occasion unique qui,
début, rompait un
exil
ita-
pas profi-
dès
le
de quatre ans,
et
permettait au jeune artiste de se retrouver
au milieu des siens?
Il
n’y résista pas, mais,
pour tout concilier,
il
résolut de voir rapi-
dement
l’Exposition, de ne passer
de temps à Paris,
et
que peu
de réaliser ensuite son
désir de visiter le nord de l’Italie, avant de
retourner
à
Rome.
Nous
verrons
quelle
suite de circonstances vint entraver encore
ces combinaisons et le priver de ce voyage
ardemment ambitionné,
et
que jamais
il
si
ne
devait faire.
La première œuvre’importante tentée par
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
104
.
Régnault fut commencée pendant ce séjour à Paris, de juin à décembre 1867 parler du portrait de
madame
:
D**\
je Il
veux eut à
passer par des phases bien diverses, et
me
motif personnel
trême intérêt bit.
les
fit
suivre avec
un
un ex-
transformations qu’il su-
Je crois qu’il ne sera pas sans utilité,
pour
l’art
naître la
comme pour la critique, de consomme de travail dépensée dans
œuvre, d’un aspect
cette
facile et si li-
si
bre, et d’assister tour à tour aux découra-
gements profonds, puis aux retours de confiance qui se succédèrent dans l’esprit
jeune
Au commencement de me faire un
Régnault de la Il
du
artiste.
jeune
fille
qui allait devenir
n’était question alors
sans importance,
devant être
juillet,
petit
le
je priai
portrait
de
ma femme.
que d’un médaillon
nombre des séances
fort limité.
Régnault se mit à
l’œuvre. Mais lorsqu’il dut adopter une pose
pour
les
mains,
il
chercha vainement à les
placer d’une manière qui le
satisfit,
dans un
cadre aussi restreint. La toile fut donc agrandie une première fois, etla composition chan-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
gée.
Madame
I)...,
105
assise d’abord, fut repré-
sentée debout. Malgré cette modification,
mouvement tain.
le
des bras restait toujours incer-
Régnault eût voulu trouver quelque
chose qui échappât au domaine de
rou-
la
tine.
Un jour
il
prit
un fusain,
l’écrasa
surune
feuille de papier, et y traça fiévreusement le portrait tel qu’il devait être.
La composi-
tion qu’il cherchait vainement depuis quel-
ques jours venait de
lui apparaître.
Il
se
me montra son esquisse, m’entendant me récrier sur la dimension
tourna vers moi, et
très-considérable qu’il faudrait nécessaire-
ment donner au
portrait,
lui laisser toute latitude
qu’il concevait et
comme
il
me
supplia de
de reproduire ce il
le
concevait
se sentait sûr
de
sais libre,
incapable de réussir
et
;
il
lui, disait-il, si je le laissi
je le
forçais à réduire les proportions et le caractère
de ce tableau...
bonnes raisons je
dus céder à
et se
Il
accumula tant de
montra
si
inflexible
que
la fin.
Son séjour à Paris se trouva par
là
même
prolongé et ses projets renversés une seconde
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
100 fois. il
Du mois d’août au mois de décembre,
travailla à cette toile, sauf pendant lestrois
semaines qu’il vint passer à
campagne
la
avec moi.
pendant ces mois que furent
C’est aussi
exécutés presque tous ces merveilleux portraits
au crayon, au nombre d’une vingtaine,
un des plus sûrs
qui seront
titres
de gloire
d’Henri Régnault et que l’exposition
thume de
œuvres a
ses
que tous pour
première
la
pinceau de
Si le
fait
pos-
connaître pres-
fois.
l’artiste avait
encore des
doutes, des hésitations, on n’en peut à coup
sûr dire autant de son crayon; tour à tour savant et ferme, audacieux et doux, rêveur
ou accentué, suivant
le
savait se modifier à l’infini,
il
modèle
qu’il représentait et avec
lequel sa manière semblait s’identifier.
Régnault, du reste, avait conscience de sa supériorité en ce genre et sait
:
«
Ah
!
si
un jour
je savais peindre
sais dessiner, je serais bien
il me dicomme je
heureux! Cela
viendra peut-être, en travaillant beaucoup. »
Au commencement de décembre, gnault reprit
le
Ré-
chemin de Rome. Le por-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAI
1
ment fond
faits
était
que
n’y avait de vrai-
la tête et le
bras gauche. Le
encore indécis, la robe et
mettre
le lévrier
Rome que nous
inachevés, et c’est à l’artiste
10 7
LT.
Il
trait n’était pas terminé.
verrons
dernière main à cette
la
toile.
Tout en travaillant à ce portrait, bien souvent
le
peintre avait pensé au tableau qu’il
comme
composerait
envoi de première an-
née. Son sujet était choisi, c’était Judith au
moment où
elle va,
par un meurtre, accom-
plir la délivrance d’Israël. Déjà Régnault en avait fixé sur le papier plusieurs esquisses. Il
rapportait
même
de Paris quelques étu-
des très-serrées faites d’après modèle, et à
peine arrivé à Rome, à l’œuvre. Mais
mande de M.
il
se mit sérieusement
presque aussitôt, à
Hébert,
il
la
de-
dut renoncer à son
projet. Laissons, selon notre habitude, la pa-
role à l’artiste
:
à
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
108
» SON PKBE.
Rome,
7
décembre 1867.
Nous sommes arrivés hier au
soir à l’Aca-
démie après un voyage assez agréable; pour
ma
part je n'étais pas fatigué!
Nous nous sommes embarqués mercredi six
heures: mais
la
soir.
mer était trop mauvaise pour
nous permettre de sortir du port. Nous avons dû passer la nuit en rade. Le lendemain malin à
demie, nous avons été réveillés par
six
heures
les
craquements du bateau
violentes
;
et
et des secousses assez
nous étions en mer.
Nous nous sommes levés sur le pont;
le
temps
était
assez frais, et le crépuscule
On
et
sommes montés
beau malgré un vent
commençait
à rosir.
entendait déjà dans les cabines des cris d’en-
fants, des hauts de
qui se fermaient,
mes,
etc., etc....
cœur formidables, des portes des geignements
en somme, toute
la
de
fem-
musique qui
accompagne un bâtiment en marche. La journée a été
mer
superbe,
s’est
le soleil
calmée vers
s’est levé
nous avons dû su ivre les côtes au le large, car les
brillant et la
les dix heures.
lieu
Cependant de prendre
lames étaient encore trop vio-
lentes.
La seconde journée a élé moins agréable. La pluie n’a pas cessé, et,
ce matin, elle
tombe
en-.
-Oigitizedby-Goegle
CORRESPONDANCE DE HEN1U REGNAULT. core. La voilà installée pour
un mois,
109
disent les
habitants du pays A SON PÈRE.
14 décembre 1867.
Je voulais t’écrire tais sur
ma
une longue lettre
devoirsd’italien m’ont pris plus de
pensais, et,
mes
temps que je ne
à onze heures, j’étais trop fatigué
pour commencer une
lettre, d’autant
modèle ce matin à sept heures
j’avais
comp-
et je
soirée d’hier pour le faire, mais
Je te donnerai
plus que et
demie.
donc seulement quelques aper-
mon genre de vie. Rome une paix profonde
çus rapides sur 11
règne à
rapport avec ce qu’on
en
On ne
naux.
de Rome,
le
pont Salara
les zouaves
et
eu
Rome
le
est
eu des
pays à deux milles
coupé
et
témoigne
une des dernières
affaires.
Les
sont précédées de postes fortifiés
de buttes en terre, ce qui l’idée
bien peu les jour-
ont dû, par ce moyen, protéger
leur retraite dans
portes de
dans
se douterait pas qu’il y a
événements politiques. Dans
que
lit
de défendre
Sans ces témoins muets de
fait croire
qu’on a
contre une attaque.
la ville
la tentative garibal-
dienne, on ne pourrait pas s’imaginer qu’il passé quelque chose à
Rome
s’est
depuis l’année der-
nière.
Je
me
suis mis à étudier l’italien avec la
ferme
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
110
volonté de le savoir bientôt je prends trois leçons :
par semaine.
J’ai fait aussi
quelques tournées
Vatican et dans les galeries que je préfère
Dans mes moments perdus j’exerce
et Borghèse.
Prim,
mon
au saut.
lévrier,
J’attends prochainement Lagraine ai
pas offert
le
Pérou, mais
destes auxquelles je l’engage il
me
sais
ici.
lui
Il
que de
n’y a
petits
moins mous
à Paris. Elle
ne
seul
modèle
On ne trouve plus
ou
maigres. Je voudrais bien avoir
claire
:
j'ai
oublié d’en acheter
une
m’est indispensable pour des études
d’architecture que
peu près ce
Rome un
lui, je
mon Holo-
jeunes gens efféminés,
et
une chambre
pas à
puissant et souple.
fait,
i
mo-
conviennent et
vraiment pas comment je ferais
pherne.
Je ne lu
les conditions
rendra de grands services. Sans
d’homme
au
Doria
:
qu’il
j’ai
commencées.
me
faut
J’ai
comme
trouvé à
nature de
femme pour ma Judith A SON PÈRE.
Rome, 20 décembre 1867.
Ta lettre m’a jeté dans une bien vive inquiétude.
Comment! ma pauvre grand’mère, qui
jusqu’ici avait tenu bon, faiblit à son tour
!
J’ai
bien peur que cette crise ne soit fatale pour nous tous. Elle
ne mange plus depuis
je
ne
sais
bien de temps, ne sort plus, pleure toute
la
comjour-
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M
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
née
et
ne parvient pas à se réchauffer. Cela ne
pouvait pas durer éternellement... Ah! avez de cruels
que, de
mon
moments
si
vous
à Paris, je vous assure
côté, j’ai des
heures d’angoisse, ne
sachant les nouvelles qu’avec
un
retard de plu-
sieurs jours et ne pouvant jamais être sûr que
miens sont en bonne santé
les
;
me disant chaque
jour qu’il se passe peut-être de pénibles choses
que
je
ne sais pas encore
un
y a
Il
!
du moins, sur lequel
point
tu
ne pas avoir d’inquiétude. Tout va bien travaille depuis
cès
:
peux
ici.
Je
quelques jours, mais sans suc-
je cherche, en modifiant
un peu mon Holo-
pherne, à combler l’immense vide qui est au-dessus, sans être arrivé à quelque chose de bon.
Je
tourne et retourne, j’élève et j’abaisse, je
rogne de
la toile et j’en
remets. Je n’ai pas encore
trouvé ce qui sera mieux, ou bien
;
j’attends La-
graine pour résoudre enfin le problème de
pherne,
et
bien ennuyé de ne
de
mon
l’IIolo-
mon installation. Je suis pas me tirer glorieusement
terminer
affaire,
il
faudra pourtant bien vaincre
la difficulté...
A SON PÈHE.
2 janvier 1868. ...
J’ai
du nouveau
à t’annoncer. M. Hébert a
appris que dans le rapport
du
conseil supérieur
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
112
sur les Envois, on se plaignait amèrement de voir
ne pas se conformer à ce que le
les pensionnaires
règlement leur demandait.
coup à ce que, dès tion,
Il
tient
donc beau-
première année de sa direc-
la
on ne puisse pas
reprocher de laisser
lui
les choses aller à leur guise. Il
m’a supplié de garder ma Judith pour l’année
prochaine et d’envoyer, cette année, simplement
une ligure nue, très-eherchée comme exécution. Après avoir résisté un peu,
donc de côté
ma
j’ai
cédé. Je laisserai
Judith. L’IIolopherne, bien
que
nu, est d’un effet trop soumis au reste du ta-
comme
bleau pour compter
envoi de première
année. J’y travaillerai piano, piano, et
il
n’en sera
que meilleur comme second envoi. Je ferai donc cet hiver d'après Lagraine qui n’est pas
encore arrivé, une figure nue, très-
éludiée je ne sais pas encore quel ;
pose je lui donnerai
;
nom
ni quelle
je cherche cela en ce
mo-
ment. Puisque ces messieurs veulent un morceau d’exécution, je tâcherai de les satisfaire... A SON PÈRE.
5 janvier 1868.
me froisser de tous les bons me donnes, je t’en remercie
Loin de
que tu
cœur, mais je ne
te
promets pas de
les
conseils
de
tout
suivre en
tous points.
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—
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Tu
que je veux donner
à
ma
ment n’admet que des
Judith, que le règle-
suivre éternellement la
en hauteur le
quand
de
croirait obligé
môme
en largeur,
et
rectangulaires. Je
toiles
ne vois pas pourquoi on se
pas
113
m'objecles au sujet de la forme cintrée
routine des toiles
pourquoi on n’aurait
et
courage d’abattre les coins d’un tableau cela
permet d’avoir
heureuses, des mouvements
des plus
plus
lignes
développés.
Cette forme cintrée peut encadrer votre sujet
dans un motif d’architecture qui, par le
détail,
fera valoir
suppose que
le
beaucoup
tableau
occupe un rinceau , je
la
le ton,
par
peinture.
On
partie d’une salle et
fait
crois,
— je ne sais
pas
le
terme d’architecture.
Du
reste,
il
ment puisque
ne
Je vais faire
s’agit pas
de cela pour le mo-
remets ce tableau à plus tard.
je
une seule
Un
ligure cette fois.
jeune Grec, Automéilon , par exemple, ramenant des pâturages qui bordent leScamandre,les che-
vaux divins d’Achille, ces chevaux aux crinières d’or,
jeune
tombant jusqu'à
terre. J’ai trouvé
homme un mouvement
admirable. court vers
Il
est
pour
mon
où Lagraine
au milieu des deux chevaux
le spectateur
est et
en tenant un cheval de
chaque main. Les chevaux se présentent presque de face: l’un se cabre
et l’autre jette la tête
10
de
.
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
114
côté pour tâcher de se débarrasser de la le tient.
assez heureux, à la fois
main qui
un arrangement
Je crois avoir trouvé
comme masse et comme
ligne.
Le jeune
homme
un morceau superbe
est
à
peindre et les chevaux sont dans des mouvements assez amusants.
Il
faut qu’ils aient
et
de
la férocité
fougue
la
de leur maître Achille. Si je n’a-
peur de retarder encore le départ de cette
vais pas
lettre, je te ferais
Ma
une anima-
quelque chose de
tion extraordinaire,
toile est
un
petit calque
commandée
et
de mon dessin.
aura des propor-
tions encore assez considérables
:
dix de hauteur sur deux mètres
mètres
trois
soixante-dix
me prendra moins mon llolopherne les
de largeur. Malgré tout, cela
de temps que n’aurait
animaux
fait
se font plus vite
Je vois bien nettement
:
que
les
hommes.
mon but et j’ai déjà réuni
quelques études pour ce tableau. Je possède bien,
ma
je crois (toujours dans
cheval que je veux peindre n’ai qu’à copier.
tête), la et,
nature de
quant au nu, je
Mon modèle me donne des mor-
ceaux admirables Les bois que m’a apportés Lagraine sont bien
pour moi, mais temps. cis
Ils
Wey
ils
ne
me
sont destinés à
feront perdre
aucun
un ouvrage de M. Fran-
sur Rome. Je n’y travaillerai que
le soir,
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
115
d’après quelques croquis dessinés d’après nature
dans mes moments de nades.
loisir et
dans mes prome-
représenteront quelques scènes de
Ils
la vie
romaine chez
les
Transtévérins et les Contadini,
etc., etc. Loin
de
me causer le moindre tort, ils me
feront faire des croquis pittoresques
où je pourrai
trouver quelquefois un bon enseignement. A. M. A. Dl’PARC.
0 janvier 1868.
Si j’ai attendu si c’est
que
longtemps avant de
t’écrire,
je voulais te donner des nouvelles de
ton portrait. Malheureusement, bien que nous
soyons aujourd’hui soit arrivé le 1
la caisse
de
er ,
le
ü janvier
je n’ai pas
et
que Lagraine
encore pu
faire sortir
la douane...
Comme cette
il y a des fêtes tous les deux jours semaine, on ne peut avoir ni ouvriers, ni
hommes dans t’inquiéterais
les
bureaux.
J’ai
pensé que
en ne recevant pas de
lettre
tu
qui
t’annonçât le déballage du portrait, et voilà pour-
quoi je t’écris, bien que je n’aie pas d’autres détails à te
La
donner.
toile est
arrivée à bon port, sans accroc et sans
écorchure. Dans l’atelier, quand elle sera tendue, je verrai si elle n’est pas
rayée ou égratignée.
Espérons que non. L’observation que tu
me
fais
dans
ta lettre
sur
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
116 la
ma
ressemblance de
Judith avec
ma
Thétis
ne m’effraie pas. Le mouvement a quelque rapmais
port, c’est vrai, différent.
n’a aucune
pas
tableau exécuté, et
il
pour arriver
piller
composition
la
avec l’autre. Et
similitude
considère
ne
je
produit sera bien
l’effet
La ligne générale de
puis,
mon prix comme un me serait indifférent d’v quelque
à
chose de
sé-
rieux.
Du
reste, ce tableau est
remis à l'année pro-
chaine. M. Hébert veut que je suive qui ne
demande qu’une
Comme
non pas un tableau.
le
j’ai
année une figure de jeune
près Lagraine. Mais ce que ne sait pas c’est
règlement
temps
querait pour bien faire ce tableau, fais celle
le
figure nue, d’étude, et
me mancédé, et je
homme le
d’a-
directeur,
que cette figure nue sera entre deux che-
vaux grands
comme
Le règlement se
nature.
plaindra certainement encore, mais je m’arroge le droit
me
de représenter des mastodontes
si
cela
fait plaisir.
J’ai
trouvé des
mouvements de chevaux qui
sont assez amusants, je crois, et quant au jeune
Grec qui
les tient,
ceaux à peindre
et
il
présente de superbes mor-
une tournure assez
reste plus qu’à faire hic... D’autant plus
(1ère. 11
une bonne peinture
que
là,
il
n’y a pas
:
ne
c’est le
moyen de
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U7
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
se jeler sur c’est
le
sentiment ou sur l’intérêt du sujet
:
une chôse purement d’exécution A SON PÈRE.
Janvier, lundi soir, 1868.
«
Nous avons
lu
mercredi soir dans l'Osser-
vatore romano que l’éruption du Vésuve faisait
beaucoup de progrès,
lendemain, nous
et dès le
nous mettions en route au nombre de douze... Le temps
laissait fort à désirer
;
le ciel était
très-chargé, la pluie tombait par instants, mais les
augures romains nous avaient prédit que
temps changerait
et
le
nous l’espérions de toutes
nos forces. Vers les cinq heures ou cinq heures et demie, c’est-à-dire
deux heures environ avant d’arriver
à Naples, celui de nous qui était le plus près de la
fenêtre cria, non pas le
Vésuve!
coiffé
»
En
:
effet,
Terre il
!
mais
de son panache rouge
flanc étincelant
:
« Le
Vésuve!
apparaissait à l’horizon, et
montrant son
de lave. Bien entendu, à ce
toutes les têtes se sont mises
aux portières
nous n’avons plus quitté de vue
le dit
cri,
et
Vésuve
jusqu’à notre arrivée en gare.
Nous sommes descendus au quai Santa-Lucia, à la les
Casa Combi, qui de toute antiquité a abrité
pensionnaires qui viennent
tres
de
la
à
Naples. Des fenê-
Casa Combi on a la plus belle vue qu’on
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
118
puisse imaginer; le golfe tout entier lieu le Vésuve.
Le temps
et,
au mi-
un
lune bordait d’argent les nuages et faisait contraste merveilleux tres
et les
reflétaient
avec les lueurs rougeâ-
traînées de feu
dans
la
La
débrouillé.
s’était
mer.
du Vésuve qui se
C’était
un superbe spec-
tacle.
Après nous être suffisamment disputés avec nos cochers qui, selon leur louable habitude,
nous réclamaient
le triple
et prétendaient tous
de ce qui leur
discussion s’est ouverte pour savoir vions nous rendre le soir
sina et de
là,
môme à
tenter l’ascension
nous attendrions
le
était
dû
avoir oublié leur tarif, la
nous deRé-
du Vésuve, ou
lendemain. Moi,
de partir tout de suite, parce que
si
Portici et à
le
si
j’étais d’avis
temps pouvait
se gâter et qu’au milieu d’une ondée l’ascension
manquer de charme.
pouvait
L’avis contraire
prévalut.
Le lendemain matin, vers partions en
omnibus pour
charmant,
le
gnâmes
soleil
les dix heures,
Portici.
légèrement
nous
Le temps était
voilé.
Nous ga-
à pied Résina, qui touche à Portici, nous
prîmes un guide
et
un porteur que nous chargeâ-
mes de nos douze manteaux
et d’un panier con-
tenant quelques provisions de bouche, et nous
gravîmes les premières pentes du Vésuve.
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Googli
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Nous traversâmes successivement
119
les laves
de
1862, 1857, 1858 et 1859, au milieu des aspects les plus
fantastiques. Ces laves couvrent toute
montagne de monceaux aux formes étranges,
la
tantôt semblables à des rouleaux de câbles tordus, tantôt à des troncs d’arbres broyés et calcinés.
Ailleurs on se croirait sur
un champ de
bataille
où des géants entassés entrelaceraient leurs
membres
brisés. Ce n’est pas
cela ressemble par
moment
vres gigantesques et
une
plaisanterie
à des tas
;
de cada-
on trouve des formes de
jambes, de bras, de dos,
etc.
Tout cela produi-
sant de belles lignes sauvages et d’un effet lu-
gubre, navrant.
Vers deux heures et demie, nous arrivions à l’Ermitage, situé au milieu delà montagne. Après
avoir
bu quelques
bouteilles de vin pour nous
donner des forces, nous avons commencé tie
la par-
sérieuse de l'ascension au milieu des laves
refroidies de la
changent en
semaine précédente. Les courants
effet fort
Lèvent commençait heur,
il
souvent de direction. à fraîchir, mais, par bon-
chassait les vapeurs et la
fumée du côté
de Pompéi, de sorte que nous pouvions avancer en toute sécurité, sans crainte d’être aveuglés par
la
cendre ou axphyxiés par
les
vapeurs sul-
fureuses.
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
120
Par
instants
crevasses
de
il
qui
se
lave et des
la
sortait
des fentes
trouvaient
des
et
nos pieds
sous
de chaleur suffo-
bouffées
cantes.
Après une heure de marche, nous arrivâmes au pied du cône. Là, cinq de nos camarades nous
abandonnèrent; bes et
la
ils
n’en pouvaient plus; les
jam-
respiration leur faisaient à la fois dé-
faut, et s’ils avaient persisté à
nous suivre, nous
aurions été contraints de ralentir notre marche.
Le guide nous pressait; nous n’avions pas de torches et
nous
il
fallait
grimper
à
travers
les
scories vomies les jours précédents. Les sentiers
avaient été entièrement recouverts, et le guide,
qui cherchait
comme nous
son chemin au mi-
lieu de cette nouvelle croûte, craignait
de nous
voir surpris par la nuit.
Nous grimpons donc au nombre de ment,
et
sept seule-
avec beaucoup de peine; les scories à
peine refroidies se détachent
sous les pieds et
roulent derrière nous. Figurez-vous une ascension dans
une
boite à coke avec
une pente
très-
roide.
A
moitié route,
de fatigue
et
un de nos camarades, épuisé
complètement démoralisé,
s’arrêta,
ne pouvant aller plus loin. Nous ne pouvions laisser seul
en cet
état, car
il
le
n’aurait pas eu la
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
121
On le laissa souffler on fit du bien à tout le monde,
force de redescendre.
but du rhum, ce qui
,
et le guide, à l’aide d’une forte ceinture, se char-
gea de hisser jusqu’en haut
Le courage
le
pauvre éreinté.
peu à peu, à mesure que
lui revint
nous approchions du sommet
et
que
les
détona-
la lave,
au cou-
tions devenaient plus terribles.
Nous atteignîmes cher du
soleil.
la
Tout
source de
s’était bien
passé sans
le
moindre accident. Pour nous récompenser de nos fatigues, nous étions devant
un
spectacle vraiment infernal. La
lave sortait en bouillonnant d'une sorte de tunnel, et coulait
comme un torrent,
métal fondu, rougi à blanc. Par
avec l’éclat d'un
moments
elle ra-
lentissait sa course, se soulevait à plusieurs re-
prises
comme
chaque
la poitrine
foislaissait
d’un géant essoufflé et
échapper
pir de vapeurs sulfureuses
comme un gros souque
le
vent chassait
loin de nous.
Nous étions sur
le sol
de l’ancien cratère que
j’avais piétiné l’année dernière. Alors
creux; mais au
moment de
il
l’éruption,
était il
en
s’est
gonflé, gonflé encore, s’est soulevé en dos d’âne,
puis a crevé, et c’est de là quesortent les jets de
fumée
et de
projectiles.
Ceux-ci, en retombant
avecla cendre, ont formé un second cône qui s’est il
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
122
élevé peu à peu et couronne maintenant le
som-
met du grand cône. Nous étions au pied de ce nouveau cône, sur la partie de l’ancien cratère encore à
découvert,
d’ou sort le torrent de lave qui se divise ensuite
en deux ou trois bras pour se réunir plus bas et
ne plus
faire
qu’un seul courant.
Celui-ci se divise de
nouveau en deux branches
qui se dirigent, l'une vers Résina, l’autre vers
Torre del Greco. Au-dessus de nos tètes s’étendait
nache de vapeur éclairé par la lave.
rouges de
Toutes les dix ou quinze secondes,
tère vomissait
qui s’élevait bait
un grand pa-
les reflets
comme un
arbre colossal et retom-
en cendres. Du milieu de ce
taient des pierres
jet noir sau-
enflammées qui montaient à
une assez grande hauteur lant sur les flancs
un bouquet de
le cra-
un immense plumet noir foncé
du
petit
retombaient en rou-
et
cône
;
c’était
en grand
feu d’artifice partant avec
carme proportionné
un va-
à sa taille.
Nous sommes restés
là à
peu près une demi-
heure, jusqu’à ce que la nuit fût venue. Nos bâtons, trempés dans la lave, flambaient immédiate-
ment comme des allumettes, si
rapide qu’il entraînait
la
et le
courant
était
pointe des bâtons
sans qu’il fût possible de résister à sa force.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Il
pée dans un mouchoir
et la
figure cachée der-
rière son chapeau, on ne pouvait rester
ou quatre secondes aussi près du
Nous avons
pris quelques
que
trois
feu.
moulages de pièces
de monnaie dans des gouttes de lave que faisait sauter
125
main envelop-
va sans dire que, bien que la
le
hors du courant. Nous avons
guide
mangé
des œufs cuits en quelques minutes sur le sol où
nous marchions, puis nous nous sommes remis en route pour descendre.
Un courant de
lave sorti
nouvellement d’un point plus élevé que nous, et descendant tranquillement du côté par lequel
nous étions montés quelques moments auparavant, nous barra le chemin. Si nous nous étions
un peu plus
attardés,
rés et enfermés dans difficile
peu
à
de
sortir.
nous aurions
une
île
d’où
été entouil
eût été
Nous avons, en appuyant un
gauche, pu passer avant l’arrivée de
la lave,
puis nous avons gagné, à notre droite, la partie
de
la
montagne où
la
cendre n’était pas encore
recouverte. Une fois dans la cendre, nous n’a-
vions plus qu’à nous laisser glisser et
le
chemin
devenait très-facile.
Arrivés au bas du cône, nous nous trouvés dans le cratère, primitif, la
sommes Somma, d’où
s’échappèrent les laves qui engloutirent Hercula-
num
et
les
cendres qui engloutirent Pompéi.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
124
Nous avions devant nous d’immenses murailles de roc à pic, aux arêtes fermes
aux contours sauvages
et
découpées,
et
terribles. Les reflets
rouges, renvoyés par la traînée de vapeurs qui suit le cours de la lave
mets on se :
en éclairaient
les
som-
serait cru en enfer.
Nous avons
suivi la
Somma
dans
la
direction
de l’Ermitage, et après une demi-heure de che, ou plutôt
maroù
de course dans des chemins
vingt fois nous aurions
nous arrivâmes sur un
dû nous casser les jambes, petit
monticule d’où l’on
voyait l’ensemble de l'éruption et des différents
courants.
Là
retrouvâmes ceux de nos
nous
camarades qui nous avaient quittés sion du cône.
Nous fûmes reçus
à l’ascen-
à bras ouverts
par nos compagnons qui commençaient à s’inquiéter et qui nous embrassaient
comme
avions couru de grands dangers, ou
si
si
nous
nous reve-
nions d'une bataille meurtrière...
Nous allâmes tous ensemble à l’Ermitage casser la croûte
chées le
le
de l’amitié et
tortiller
en quelques bou-
gigot apporté de Naples. Puis
coup de
l’étrier et
nous bûmes
reprîmes notre pas de course
pour descendre. Nous arrivâmes à Résina vers neuf heures
et
demie.
Laisse-moi te raconter un
de
la
trait assez
amusant
fourberie napolitaine. Des voituriers qui
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
125
nous avaient vus passer et entrer dans la cour des omnibus vinrent nous trouver au assurèrent qu’ils venaient de
café, et
la part
nous
du directeur
des omnibus nous proposer deux voitures pour
le
môme
le
soir.
prix,
aucun omnibus n’élant
Nous nous sommes doutés
quelque chose là-dessous
promener de sont allés à
la
la belle
et les
libre
pour
qu’il
y avait
avons envoyés
façon. Pour se venger,
ducteur que nous étions partis sans l’attendre
que nous avions massier,
ils
rencontre de l’omnibus, dire au conet
pris d’autres voitures. Mais notre
homme
de tète et qui connaît
les
litains, sortit du. café et arriva assez tôt
Napo-
pour dé-
mentir ce que venaient dire ces gredins de
voi-
turiers.
Nous montâmes donc en omnibus. Mais au bout de vingt-cinq pas, l’un des chevaux, qui n’avait peut-être pas
mangé depuis deux
jours, a refusé
d'avancer, et ni coups de fouet ni caresses ne purent lui faire faire
un
pas.
Nous avons
rnis pied à
terre et pris pédestrement la route de Naples,
nous arrivâmes après minuit en
trois
où
bandes.
Les plus fatigués traînaient la patte par derrière. Ils
nous rejoignirent pourtant au café de l’Eu-
rope
et la
journée se termina par une forte soupe
à l’oignon,
que nous dévorâmes avec un appétit
de naufragés.
H.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
120
Le lendemain nous apprîmes que
la
de
coulée
lave, qui se dirigeait vers Résina, s’était arrêtée,
que
et
la
prendre
coulée qui, la
le
près de deux
commençait à
veille,
chemin de Torre
del Greco avait fait
pendant
kilomètres
la
A
nuit.
l’heure qu’il est, Torre del Greco doit brûler, à
moins que, par un nouveau caprice fait
un crochet
et
ne se
soit
la lave n’ait
répandue plus loin, ce
qui m’étonnerait. Je suis bien heureux d’avoir
vu
le
Vésuve en éruption.
C’est
vraiment
splendide spectacle. Je regretterais toute
ma
un vie
de ne pas en avoir joui.
Nous employâmes
la
journée du samedi à
courir dans Naples et surtout dans les vieux quartiers, dans celui
des chaudronniers entre
autres. Le soir, nous avons été à salle est belle,
San Carlo. La
ou plutôt, grande, mais on ne peut
imaginer à quel point sont ridicules les
costumes
faire
et les
une charge,
chanteurs. qu’ils
les
décors,
auraient voulu
ne seraient pas arrivés à
y avait surtout un ballet avec des figures, des costumes, des
être plus mauvais.
pantomime
Ils
Il
tournures d’un grotesque qu’on ne peut inventer....
Il
faut voir cela
Le dimanche
chemin de
!....
matin
fer, et à huit
Rome. Aussitôt après
nous avons
repris
le
heures nous étions à
dîner,
j’ai
endossé
l’habit
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. été
et j’ai
Voilà,
127
passer la soirée chez le directeur.
mon
cher père,
le récit
ma fugue
de
Naples. Ce petit voyage ne m’aura pas
dre de temps, car
la toile
de
fait
madame D...
à
per-
est en-
core en douane, et celle que j’ai commandée pour
mon
envoi ne m’est pas encore livrée. A SON PÈRE.
.
Rome, 12
février 1868.
Notre nouvel architecte, Bénard, a
fait
son entrée jeudi dernier, d’une façon tout à
fait
opposée aux traditions... Les
nouveaux arrivaient ordinairement en
voiture et les pensionnaires allaient au-devant
d’eux jusqu’à
la
Storta,à une quinzaine de milles
de Rome. Là, on déjeunait
ensemble pour
la
et
première
on rompait
fois.
on
cheval, les autres dans des voitures, la voiture
le
pain
Puis, les uns à escortait
des arrivants jusqu’à l’Académie, en
entrant dans
Rome
par
la
Porte du Peuple et
Pincio, ce qui pouvait déjà leur
le
donner une idée
d’un des beaux endroits de Rome. Grâce aux perfectionnements de
Bénard
est arrivé
la
circulation
en chemin de
contraire aux usages. Puis,
moderne,
fer, ce
comme il
prévenu de son arrivée, on n’a pu
qui est
n’avait pas
lui faire les
charges ordinaires, fort innocentes du reste.. Elles consistaient
généralement dans
l'étalage
de
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
128 la
chambres
plus grande misère, soit dans les
qu’on avait démeublées à cet
On
nière de vivre.
effet, soit
dans
dînait
la
dans
la
ma-
plus vilaine
de l’Académie et sur une table ignoble en-
salle
tourée de chaises cassées, éclairée par de sales chandelles plantées dans les bouteilles. geait dans des
On man-
assiettes cassées avec des four-
chettes d'étain tordues et ébréchées, on
dans des tasses dentelées,
misérablement vêtus,
les
les
buvait
domestiques étaient
yeux en
compote.
Les pensionnaires se disputaient pendant tout le dîner
haines
pour
faire croire
les plus invétérées
on en venait
même
;
à des voies de fait simulées.
Puis on présentait
qu’on leur servait
aux nouveaux que les régnaient parmi eux
les
nouveaux au jardinier,
comme
vrai directeur leur était
étant le directeur. Le
montré comme le menui-
sier ivrogne de l’Académie.
Un des pensionnaires
déguisé en moine faisait pendant lectures en italien
le
repas des
aussi ennuyeuses
que pos-
sible, etc., etc...
cela n’a eu lieu. Les Cette année rien de tout A
traditions s’en vont. C’est triste. A M. A. DUPA RC.
Home, lundi
Je suis très-touché
mort
;
je suis
soir.
du chagrin que t’a causé
ma
heureux de voir que mes amis tien-
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
lévrier noir
suivre
mon
— ne sera pas
caniche fidèle à
le seul
convoi. Tout cela
liO
— mon
ncnl encore à moi, et de penser que Prim
me
flatte
plus que je n’ai jamais été moins mort
d’aulanl et
moins
assassiné que maintenant, et je ne vois point
le
motif qui pourrait entraîner les honnêtes gens
à
m’assassiner, à moins que les sept sous qui restent
mon
pour finir
mois ne viennent
Quant aux jalousies des maris,
ter.
et
me
à les ten-
aux ven-
geances des frères et des pères, je ne les crains pas, car je ne me doute pas encore qu’ily ait un sexe
féminin en
un
Italie. 11
faudrait qu’on m’eut pris pour
autre, et je ne souhaite à personne de
sembler. Ce que j’en dis soit
par modestie
;
j’ai
là,
me res-
ne crois pas que ce
voulu dire que je n’avais
nulle envie de ressembler à un individu capable d’être assassiné.
dépêche, je ne tât le
Quand Lenepveu me montra
me
De Profundis sur moi,
et je fus fort
quand, deux jours après, M. Hébert
une
ta
doutais pas qu’à Paris on chan-
étonné
me montra
dépêche qui lui arrivait de Paris, avec
gnature de Blanchard. Elle « Bruits persistants
était ainsi
la si-
conçue:
à Paris que Régnault
est
as-
sassiné; répondez au plus vite. » S’il en était arrivé
une troisième, j’aurais
fini
par
le croire
moi-
mème. Je vous
demande pardon, mes amis, de la peine
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
130
que
je vous ai
sans
faite,
bien que je trouve
le vouloir,
croyez
et
plaisanterie mauvaise. Je la,
la
trouverais bien plus mauvaise encore,
le
si
bruit
avait été fondé.
Enfin, n’y pensons plus; consolons-nous à la
pensée
qu’il
y a, dans ce
moment,
à
Saint-Gaë-
un pen-
tan, au fond des jardins de l’Académie,
sionnaire qui ressemble beaucoup au Régnault
auprès
tant pleuré, et qui pourra le remplacer
de ses amis.
Le spectre de Régnault la veille
ne
l’a
du jour où
il
t’avait écrit
une
lettre,
mais
a reçu ta dépêche,
il
pas envoyée. Elle t’apprenait où en était le
portrait
;
mais
comme
gnements qu’elle
te
le
lendemain
ledit spectre a préféré brûler la lettre et
une autre quand
rensei-
les
donnait étaient devenus faux,
en écrire avancé.
le portrait serait plus
Je le dirai qu’au déballage (le déballage est funeste)
il
ne croyais J’ai la
m’a profondément désillusionné. Je pas^ qu’il
me
commencé par
robe
dégoûterait autant.
glacer le fond, puis j’ai fait
et j’ai ainsi repris
un peu
d’espoir. J’ai
repeint le chien en entier et cette fois, je crois
;
sa tète qui était
il
est bien,
mal dessinée
et
mal
peinte est réussie maintenant. La robe aussi s’est
engraissée
comme peinture me désolait.
de carton qui
et a
perdu cet aspect
Mais alors c’était
Digitized by
le
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
fond qui qui
me
brave
n’allait plus
;
il
était d’un ton
soulevait le cœur. J’ai pris
et
l’ai
131
monotone
un
parti
de
repréparé en grisaille parce que
jamais je n’aurais pu
accumulés.
sortir des glacis
Sur une bonne préparation, variée de ton, plus chaude en certains endroits, plus argentée
dans d’autres, je
par glacis, des
vais obtenir,
rouges harmonieux et variés
Tu que
rirais bien si je te disais, ce qui est vrai,
remplace par un fauteuil Louis XIV,
sais. Je la
couvert (dans la nature) d'une qui
que tu connais-
tu ne reverras pas la chaise
fait
teuil, je
étoffe
valoir tout ce qui l’entoure. jette
charmante Sur ce fau-
une fourrure en léopard sur
quelle se détache la partie inférieure
puis je transforme le motif de
la
la-
du chien,
draperie du
tond. Il
me
reposer
reste le tapis à faire;
puis je laisserai
avant de glacer définitivement
le tout,
le
fond, mais je ne toucherai pas à la tête.
Hier
j’ai fait,
sans pluie heureusement, une
magnifique promenade avec l’ami Machard. Nous
nous sommes perdus
et
heures à cheval nous ne
au lieu de rester
trois
sommes revenus qu’au
bout de dix heures. Nous avons vu des choses merveilleuses.
Au
retour,
Prim a étranglé un
mouton, ce qui m’a été très-désagréable
et aurait
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
132
pu
m’attirer
une mauvaise
n’avait pas
sionomie
mon
eu peur de
était
neuf heures
affaire
un brave homme
n’avait pas été
berger
le
si
et
surtout s’il
phy-
chien, dont la
devenue féroce. Et pourtant après
et
demie de course,
fatigué et adouci
:
j’espère
aurait
il
que cela ne
dû être
lui arri-
vera plus. J’ai
fait
une superbe ascension au Vésuve
pour plus amples
détails, va
Collège de France, et lettre
Ce
où je
raconte
lui
mon
serait trop long à écrire
;
un de ces soirs au
demande
à
mon
père la
escapade à Naples.
une seconde
fois.
Je dessine, en effet, quelques bois pour la
maison Hachette, mais ce
pas pour une
n’est
illustration ordinaire. Je fais des scènes
pitto-
resques d'après nature, pour un ouvrage
Rome, de M. Francis Wey. H y
sur
a loin de là à
des pignochages de chic
Ma
lettre n’a ni
pas pour cela
;
queue ni
je
suppose que lu ne de
tète;
réponds à
ne m’en veuille
les questions et je
me demandes
pas une page
style.
A SON PÈRE.
Rome
La
triste
nouvelle
consterné, bien que
j’y
que
tu
cô
...
m’apprends
ma
fusse préparé.
Dès la première lettre où tu m’annonçais
Digitized
by
la
CORRESPONDANCE DE HENRI REüNAULT.
ma
maladie de
pauvre grand’mère,
mauvais côté des choses d’illusion. Pourtant, le
et je
cœur
ne
me
153
vu
j’ai
le
suis pas fait
se refuse toujours
à croire ce qu’il craint, et peu à peu, encouragé
par de meilleures nouvelles, je m’étais habitué
ma
de nouveau à penser que je reverrais encore grand’mère,
et
que sa
pherait du mal.
forte constitution triom-
On peut
une maladie de cœur. Je
vivre longtemps avec suis effrayé de la rapi-
dité avec laquelle notre famille, si
heureuse en-
y a deux ans, s’est décimée. Quelle confiance peut-on avoir maintenant?
core
il
Combien
ma
je regrette d’avoir
grand’mère pendant
Pourquoi
faut-il
que
ma
mon
si
peu
de
profité
séjour à Paris!
vie se passe à regretter
sans cesse, et que je ne songe jamais à éviter ce qui
me donnera
des regrets plus tard? Ah! je
voudrais bien racheter les heures sottement ployées, les soirées passées loin de vous
em-
quand
je
pouvais rester auprès de vous. Maintenant que je
ne peux plus vous voir, elles seraient
je sens de quel prix
pour moi. Une chose qui
sole aussi, c’est de n’avoir pas
bonne maman. Et dix fois. Je ne
fait
me
dé-
un dessin de
j’en aurais bien eu le
comprends pas comment
temps il
ne
m’est pas venu dans l’idée de le faire à Sèvres. Il
faut
que
j’aie le
cerveau
à
l’envers
pour ne i-i
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
134
jamais faire
choses à leur heure el ne ja-
les
mais prévoir. Je
vis
au jour
jour, sans re-
le
garder en avant. Que veux-tu?. mon père, je le sens bien, et dans la solitude j’en souffre.
Malheureusement une traîné dans
tourner
et
fois à Paris, je suis
en-
une espèce de tourbillon qui me
fait
me
retire tout raisonnement. Je n’ai
plus le temps de penser je suis pris d’une sorte :
d’agitation qui
m’empêche de
ne suis pas plutôt être à la Madeleine
;
tenir en place. Je
à la Bastille
que je voudrais
je voudrais,
en
même temps,
courir à cheval, sauter d’un trapèze à l’autre,
peindre des chefs-d’œuvre, etc., sens pas vivre
me semble loisir
;
je suis
le
calme, je
que
me
et l’emploi
de
paraît singulier quand, rentré
me
représente
Je voudrais bien avoir l’étude
ne
étrangère à la mienne. Je n’ai pas le
de réfléchir avec tranquillité,
mon temps me dans
etc. Je
animé par une âme qui
j’ai faite
de
mon passé.
une photographie de
ma
tante Mazois el
épreuve du dessin que Montfort a
fait
de
une
ma pau-
vre mère... J’ai travaillé,
madame est
U....
tous ces jours-ci, au portrait de
Le chien que j’ai repeint en entier
devenu bien. La robe
depuis qu’elle
me
semble assez grasse
est retravaillée.
complètement remanié
Le fond a été
comme arrangement
et
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
135
me donne bon espoir. commence mon Envoi. Ma toile me paraît
repréparé d’une façon qui Je
énorme
c’est
;
que j’ai un cheval qui se cabre,
et
cela tient de la place en hauteur.
Le bruit que
j’étais assassiné
été jusqu’à toi, car
M. Hébert
sais
aura sans doute
a couru dans tout Paris.
reçu bon nombre de dépêches,
a
demandant
il
si
lui
cette nouvelle était fondée. Je ne
vraiment pas d’où a pu venir ce bruit-là, n’a
pu
lui fournir le
et
moindre motif. Gela
rien
ici
s’est
répandu avec une rapidité surprenante, car
plusieurs de
mes camarades de l’Académie ont
même
reçu, en
temps, des
lettres
de Paris, de
sources bien différentes, et toutes prononçaient
mon
oraison funèbre et demandaient des détails
sur cet horrible accident. crainte, c’est
qu’à
toi
,
Je
n’avais
qu’une
que ce canard ne fût arrivé jus-
et n’eût ajouté
encore à
tes inquié-
tudes.
Allons,
mon pauvre
père, le vide s’agrandit
autour de nous, espérons qu’il ne gagnera pas
de longtemps, mais nous ne sommes pas payés
pour espérer, depuis tant de catastrophes. L’Institut s’était
ému
à la nouvelle de
ruption du Vésuve, et les discussions taient engagées pour savoir de quel
l’é-
s’é-
côté
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
130
avait
la lave
lettre
son chemin.
fait
que nous avons
Comme
la
citée répondait à ces
doutes d’une manière formelle, M. Régnault père
communiqua
la
lendemain
à ses confrères, et le
insérée en
fut
elle
au
partie
Moniteur.
Le numéro où
d’Henri. Celui-ci
réclame,
très-contrarié
fut
mains
les
ennemi juré
,
tombait
avait paru
elle
quelques jours plus tard entre
de
toute
de cet inci-
dent. J’aime à Croire, m’écrivait-il, que ce n’est pas
de
toi
qui as
une
mettre au Moniteur une partie
j’ai
adressée à
une charge,
jour. Si c’est si c’est
fait
que
la lettre
mon
père l’autre
je la trouve
mauvaise,
sérieusement, je
sottise faite
la
trouve
pommée! Il
écrivait
Comment
en
se
même
fait-il,
l’Académie je voie dans «
Nous empruntons
temps
à son père
le
à
Moniteur
une
lettre
:
de M. Henri
Régnault, premier prix de peinture, n’écris pas de lettres à
:
qu'en rentrant au salon de
etc. »
mes parents pour
soient publiées, et je ne
Je
qu’elles
comprends pas qu’on
Digitized by
CORRESPOND \NCE DE HENRI REGNAUI.T.
137
fasse pareille sottise. Ce n’est certainement pas toi.
Qui alors? Je suis furieux. Je ne vois pas quel
intérêt on peut avoir à jeter le ridicule sur quel-
qu’un qui ne plus que cela
le !
cherche pas.
Me
me manquait
ne
11
voilà journaliste
!
D’autres journaux vont s’empresser de répéter l’article
du Moniteur;
occuper
monde de moi
le
j’aurai l’air de vouloir et
nombre de gens
bienveillants trouveront charmant de dire c’est
ma
moi qui déjà
ai
fait
mort, pour faire parler de moi
l’attention sur ce
que
courir le bruit de et
attirer
que j’enverrai à l’Exposition ou
ailleurs.
Et
voilà
que pour
les
confirmer dans
opinion, on voit, imprimée dans relation
qu’on
le
celle
Moniteur , une
croira adressée avec intention
aux journaux, quand
c’est tout
récit sans prétention,
cherchant à communiquer
à quelques intimes
Je ne
mes propres
peux pas dire
simplement un
impressions....
à quel point je suis désolé
de te voir ainsi assailli de tous côtés par tant de
malheurs, à un
moment où
tu avais besoin de
repos et de paix, pour te remettre un peu de tes fatigues accumulées.
Quant à moi, je
dame
D....
quis de
travaille.
louche à sa
chevaux qui
Le portrait de ma-
tin. J'ai fait
me
quelques cro-
serviront. Je continue 12.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
138
mes études
me
vais
Mon
l’espagnol, je
m’a demandé, dimanche
petit directeur
dernier, de lui rendre
me
commence
d’italien, je
remettre à l’anglais.
un
service, qui, je l’avoue,
coûtait beaucoup, et ne s’accordait pas
la disposition d’esprit
vais.
Il
dans laquelle je
avait invité à
me
avec trou-
dîner l’ambassadeur de
France, des princesses, des comtesses, etc., et devait leur servir, le soir,
de
la
musique de cham-
bre exécutée par les meilleurs artistes de Mais
ils
furent obligés d’aller, le soir
une répétition au théâtre d’Apollo dans sa détresse bâiller la
dans
et la crainte
le salon,
me
Rome. même, à
M. Hébert,
;
de voir ses invités
pria de faire les frais de
soirée et de remplacer les
instrumentistes.
Bien que je ne fusse guère disposé à paraître en public, j’ait fait
démon mieux pour ne pas faire mon directeur. On a été satis-
rater la soirée de fait.
Excuse-moi,
mon
père, de t’écrire
si
peu
et si
mal, mais mes journées et mes soirées sont bien employées... AM.
A,
DUP ARC.
Rome, 4
février 1868.
Le portrait se termine tout doucement. Hélas je sens
mes
illusions s’envoler
sure que j’approche de
une
la fin et
que
à
!
une à me-
je vois cha-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
que morceau tais
loin de l’idéal
si
139
que je m’é-
proposé.
Quand la
rester
je reçus ta lettre, je venais de
peau de léopard,
sortie
et
de
changer
remplacer par une
la
de bal, doublée d’une fourrure grise assez
heureuse
comme
Te voyant blâmer mapcau
ton.
de léopard, j’avais par esprit de contradiction presque envie de rure grise
fait
la remettre.
Cependant
Notre loi à nous, ce n’est pas la fantaisie et, si
bien, je
ne
le
bon sens , mais
une chose absurde
doit faire
vois pas pourquoi on se garderait de
mettre cette chose absurde. peinture, grand Dieu
!
Si
on raisonnait en
on n’oserait rien
raisonnement ne sert qu’à entraver Si tu
la four-
bien mieux.
veux raisonner devant
tres, tu trouveras
les
faire.
Le
et à refroidir.
œuvres des maî-
bon nombre de choses qui
n’ont pas de raison d’être et qui sont là où elles sont, parce qu’elles y font bien. Voilà tout.
Et
pourquoi nous, qui à côté de ces géants-là ne
sommes que
des pygmées, pourquoi nous pri-
verions-nous de ressources qu'ils ont
employées pour réussir?... sentiment avant tout,
et
si
souvent
L’art .doit obéir
au
ne pas craindre de bra-
ver l’exactitude, la raison, etc... Ç’a a été
prendre
la
un grand chagrin
pour'
moi d’ap-
mort de ma pauvre grand’mére, qui
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
140
m’avait élevé et que j'aimais tendrement. Je
ne
y a un mois et demi, lui dire adieu pour la dernière fois. Ma croyais pas en
quittant,
la
famille se décime avec et
une
est bien pénible d’être
il
il
.effrayante rapidité loin des siens
dans
de pareilles crises... AM.
A. Dl'PARC.
Depuis que je n’y travaille plus, je n’ai pas sur
ma
toile la
Tantôt
me
elle
même opinion deux jours de suite. me désole, me désespère tantôt elle ;
satisfait à
peu près. Je puis pourtant
quelle a beaucoup gagné. le
visage;
j’ai refait
je crois être arrivé
J’ai
deux ou
certifier
tout repris, excepté trois fois le
fond et
au résultat que je cherchais.
Bien des chaises et des fauteuils se sont succédé sur cette
toile, à
Rome comme
à Paris; plusieurs
fourrures ont été jetées dessus, et en tout a disparu
;
il
rures, et l’unique draperie bilier
somme,
n’y a plus ni meubles ni four-
du fond cache un mo-
qui pourrait remplir de grands apparte-
ments Le directeur paraît ravi et me promet un succès. Il
prétend que cela fera honneur à l’Académie.
Les camarades sont généralement contents.
Un
seul, garçon très-franc et très-artiste, n’est con-
tent
que de
la
robe
et
du chien,
et
me
fait
sur le
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. reste des observations que je
me
fais à
141
moi-môme.
J’en conclus qu’il a raison puisqu’il pense
comme
moi. Mais je souhaite que
le
notre avis et qu’il trouve
le portrait très-bien.
Du
reste, j’ai fait ce
tout ce qui
me
que
public ne soit pas de
j’ai
pu;
déplaisait et tout a
j’ai
remanié
monté d'un
degré. Malheureusement cela ne suffit pas. Si j’avais
du temps devant moi, que de choses
j'é-
baucherais de nouveau pour tâcher de les amener
au point où
je voudrais les voir
!
A K. BUTIN.
0 mars ...
Ces jours derniers,
j’ai été
J’avais à finir
auquel
pu
je n’ai
i8f»8 #
t’écrire, car
occupé de choses diverses.
j’ai
commencé
fait
d’abord
mon grand
des changements
et
portrait,
dont
j’ai re-
certaines parties. Puis nous faisions à
cinq ou six un grand char pour
le
carnaval, et
il
y fallait mettre force estampages, force peinture et force sculpture.
De plus ténor de à
la
je préparais
ma
voix pour les soli de
messe de Requiem , exécutée avant-hier
Saint-Louis des Français pour l’inauguration
du monument élevé dans
ladite église à la
mé-
moire de notre camarade Deschamps, mort à Naples, l’été dernier.
Les premiers chanteurs et les plus forts in-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
142
strumentistes de il
s’agissait
Rome prêtaient leur concours
et
de ne pas faire rougir l’Académie de
son ténor. L’église
était
nombre mar-
remplie, et bon
d’étrangers avaient été conviés. Tout a bien
ché,
dit-on.
Nous nous sommes couverts de
gloire. j’ai dû faire de nomRome pour trouver des aux bois qui me sont com-
Outre ces occupations, breuses excursions dans fonds que je destine
mandés pour l’ouvrage de M. Francis Wey. Mes projets de vie monacale ne sont pas faciles à exécuter.
J’ai
eu beau promettre de n’aller
nulle part, je suis obligé de retirer bien des soi-
rées à la destination que je leur avais donnée, c’est-à-dire J’ai
au dessin
et à l’étude
de
l’italien.
acheté une grammaire espagnole pour
familiariser
un peu avec
me
celte langue-là et jen’ai
pas eu le temps d’y mettre encore le nez.
Indépendamment de de
ma cheminée une
tout cela,
j'ai
rangée de pipes
âu-dessus qu’il faut
que j’entretienne tour à tour, ce qui prend plus de temps qu’on ne pense. Je ne veux pas qu’Aglaé soit jalouse
de Catherine
et,
pour que ces
belles
maîtresses ne se brûlent pas, je suis forcé de les laisser reposer
ma
de temps à autre pour reporter
faveur sur les autres pipes de
Fatma
mon harem.
a des exigences, Gertrude veut être
fumée
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. aussi.
de
Tu
vois
la terre
que je suis l’homme
romaine pleurer et
143
occupé
!
Je ne puis pas
maine,
le plus
il
non plus
mon
campagne
laisser la
absence plus d’une se-
faut que j’accorde
aux juments
Yi-
pera, Pomposina, Turchetta et autres, l’honneur
de m’y porter
le
dimanche matin
et
me
de
faire
sauter quelques barrières. Parlons un peu politique maintenant. Le car-
naval à
Rome
n’a pas été très-gai cette année;
notre char était
mains
le seul
patriotes allaient
dans
le
Corso
bouder dans
:
le
les Ro-
Pincio,
tandis que les étrangers, Américains, Anglais,
Français, Russes, etc... tâchaient
d’égayer
le
carnaval et se battaient à coups de confettis et
de bouquets. Notre char a eu un grand succès, et nous avons
eu des applaudissements
et
des bouquets en
grand nombre, envoyés par de petites mains d’Anglaises et d’Américaines qui, presque toutes, étaient jolies
comme
Mais tout cela est
des cœurs.
fini et
me
voilà prêt mainte*
nant à entamer vigoureusement
mon fougueux
envoi.....
Digitized by
t
CORRESPONDANCE ÜE HENRI REGNAULT.
141
A
A.
il.
DU'AllC.
Rome,
Tu dois
être
1
mars 1808.
1
dans des transes mortelles; ma
réputation d’inexactitude doit t’effrayer et je
sûr que tu
le
demandes
pour l’Exposition.
J’ai
si
déjà
le portrait
manqué
la
suis
arrivera
première
occasion de l’envoyer; aujourd’hui je manque la
seconde. Que veux-tu? je découvre tous
les
jours des choses nouvelles et Irés-imporlanles faire
sur cette maudite
toile.
En somme
gagne à chaque retouche, surtout au point vue de mais
il
à
elle
de
Le détail y perd quelquefois, doit rester subordonné à l’effet général... l’aspect.
Les bijoux en particulier sont maladroitement peints. J’ai refait le bracelet aujourd’hui parce,
que de
loin
loin
ne
il
les chairs
mais
on
fait
le
voyait à peine
;
maintenant
de
pas mal, mais de près... huml...
ne sont pas assez variées
comme
tons,
je n’ose
temps.
Il
y retoucher, toujours faute de y aurait encore beaucoup à faire pour
aviver à bien... Quoiqu’il en soit, M. Hébert est portrait qu'il
m’amène
si
ravi de
tous les jours
de femmes de haut rang
et
un
mon
cortège
souvent de grande
beauté.
Mes modestes appartements
pensionnaire
ne désemplissent pas et mes simples chaises de
r
'M
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
145
paille ont l’honneur de porter princesses polo-
naises en ska,
princesse de Sc..., comtesse de
marquise de No...,
G...,
femmes de Rome et de
Les plus jolies
etc.
l’étranger (de l’Amérique
surtout) défilent devant ce portrait. Ce public
me
enchanteur
répéterai pas; la tête
fait
ils
des compliments que je ne te vois
de ton ami qui, bien que préférant
complimenis aux injures, ne nance
Tu
sont par trop exagérés.
devant des admirations
faire
me
trêmes. Je
ies
sait quelle conte-
aussi ex-
contente de rougir virginalement.
Vrai, je suis parfois fort embarrassé et gêné.
que
crains
Je
mes retouches
tou tés
centes ne soient pas très-sèches
madame mari.
ma
Zamacoïs emportera
un charmant
serve avec
J’ai été
le
petit
de con-
toile,
tableau de
du couvent de SanfOnofrio nent. C’est très-réussi
comme
Zamacoïs
son
voir ce tableau cette après-midi
:
les
comme
:
manger
cela représente l’intérieur d'une salle à
tuel
ré-
15, jour où
moines ^jeû-
effet et
trè^piri-
altitude. s’est installé
dansTatelier de For-
tuny. J’ai vu là des études de Fortuny, qui sont
prodigieuses de couleur et de hardiesse de peinture.
Ah
!
qu’il est peintre ce garçon-là
aussi des eaux-fortes
ravissantes
élève, Simonetti, qui travaille
de
!
J’ai
lui.
dans cet
vu
Son
atelier, 13
CORRESPONDANCE DE HENRI REONAULT.
146
m’a montré des choses charmantes en train. Il m’a fait voir un petit tableau qui sera un pechet-d’œuvre
tit
termine
le
s’il
commencé. Malheureusement
comme n’ai
je
année à
tableau de Simonetti qui figure cette l’Exposition
:
je te
recommande
est
il
pu voir le
d’y faire atten-
tion.
Voila deux gaillards qui vont joliment bien
Quelle habileté 1! quelle couleur amusante esprit et quelle justesse
On
sait
dans
la
1
!
quel
touche!
avec quelle sévère promptitude
sont jugées, en général, les premières œuvres
des jeunes artistes et combien succès au
d’expliquer leur
grand mot pondre à
:
la facilité
;
il
est
fréquent
moyen de ce
mot qui semble
tout, et à l’aide
ré-
duquel on refuse
à l’artiste ces travaux lents et sérieux, cette
recherche persévérante du bien ou du mieux, nécessaires à toute
œuvre vraiment remar-
quable. C’est pour répondre à cette objection trop souvent faite au sujet de Régnault, j’ai
tenu, je le répète, à
que
énumérer toutes
les
phases par lesquelles ont passé successive*
ment
les
diverses parties
nous occupe.
4
du tableau qui
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Non sans doute que merveilleuse
facilité.
peinture auquel
il
ment exécuté. Mais
147
Henri sa
je conteste à
Chaque morceau de
travaillait était rapideil
n’en était que plus sé-
vère pour lui-même et sacrifiait, sans hési-
d’un travail considérable,
ter, le résultat
entrevoyait
un
?
plus heureux effet.
tait
s’il
qu un changement pût produire
Longuement
son œuvre, longuement
la perfectionnait
sans calculer
le
avant de
temps
il
il
médi-
l’étudiait et
la livrer
au public,
qu’il y employait,
sans tenir compte de sa peine. C’est qu’il avait reçu de la nature, outre son rare talent,
une conscience scrupuleuse
sévérance infatigable qui ne
et
lui
taient jamais d’être satisfait de ses
toujours
il
une perpermet-
œuvres
;
resta au-dessous de ses légitimes
ambitions.
Le portrait de seul
madame
occupé Régnault. Déjà
D... il
n’avait pas
avait
ébauché
son Automêdon , fait quelques études de che-
vaux en vue de ce tableau, et employé ses soirées à dessiner ces
ornent l’ouvrage cis
si
bois charmants qui
intéressant de M. Fran-
Wey.
Digitized by
,
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
148
Tandis que Régnault prépare son envoi tout en s’occupant de divers travaux qui intéressent
nature
sa
un
quittons- le
ardente
instant,
Paris à l’Exposition de
et
pour
curieuse, assister
à
1868, qui vient de
s’ouvrir.
Le portrait de
temps
madame
D... était arrivé à
sans avoir subi d’avaries. Placé
et
beaucoup trop haut pour obtint cependant
un
être bien jugé,
des amateurs éclairés.
des artistes et laisse la parole à
il
véritable succès auprès
Je
M. Théophile Gautier, qui
dès cette première œuvre, devient
le
plus
ardent et le plus éloquent des admirateurs
de Régnault
:
par M. Réy a dans le portrait de madame I)..., gnault, des qualités supérieures et une hardiesse de «
Il
ton de plus en plus rare aujourd'hui.
Madame
l>
—
décolletée, les bras nus, vêtue d'une opulente robe
de velours
cerise,
debout, dans une pose aisée et na-
turelle, se détache d’un
ou draperie, qui
fait
fond rouge sombre, tenture
ressortir la
lumineuse blan-
cheur de ses chairs. La tète vit et respire et l’on ne sent nullement dans l’attitude du corps cet air de contrainte que donne l’immobilité de la pose. Cette belle peinture, dont la fougue n’exclut pas la délicatesse et l’élégance, rappelle la
manière
libre des por-
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. traitistes anglais, sir
et sir «
140
Joshua Reynolds, Gainsborough
Thomas Lawrence.
Assurément,
seignements
ni
le
jeune
demandé
artiste n’a
ni ren-
conseils à la photographie et a peint
ad vivum. Nous aimons
cette
manière grande
et
ma-
gistrale d'entendre le portrait. Outre qu’elle repré-
sente
madame
D..., la toile
de M. Régnault est un
tableau qu’on regarderait avec plaisir dans une galerie,
mérite qui
manque
souvent à des portraits fort
estimables et que possèdent Holbein, van Dyk, Titien et, à
un degré moindre sans doute, mais encore
très-
éminent, les peintres de l’école anglaise dont nous parlions tout à l’heure.
»
Et M. Paul de Saint-Victor
:
Un portrait d’une grande tournure et d’un aspect romanesque est celui de madame D..., par d
M. Régnault.
Madame D.
. .
est représentée debout,
en robe rouge,
sur un rideau écarlate, caressant du revers de
main
le
cou d'un grand
lèvier. Cette fanfare
la
de cou-
leur donne à la ligure quelque chose d’étrange et de
triomphal. Les bras nus sont d’un jet superbe et d’un ton vivant. Mais la lête ne
domine pas
splendeur du vêtement éclipse un peu qu’il est, ce
le
costume,
le visage.
grand portrait, exécuté avec une
hardie et brillante et dont
le
la
Tel
facilité
parti pris frise le tour
de force, est un des remarqubles morceaux de peinture de l’Exposition.
»
J’emprunte enfin à
titre
de curiosité ces 45.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
150
quelques lignes à un journal qui ne vécut
que peu de temps «
:
M. Régnault, quoique élève de Cabanel, a un vé-
ritable talent. Les draperies sont parfaitement
com-
prises et largement traitées; les accessoires sont im-
portants sans nuire au sujet principal, la couleùr est
chaude
sans criaillerie, l’harmonie du ton est
et vive
bien soutenue
;
mais, car
celui-ci n’est pas
mince,
il
y a toujours
madame
D...
un mais
et
pose trop, ses
chairs sont de l’ivoire et non de la chair et l’harmonie universelle
du ton
est
blanches que sa poitrine
rompue par des taches bras font dans
et ses
bleau. Le lévrier est fort beau.
Sans facilement comprendre
une harmonie peut
le ta-
»
être à la
comment
fois bien sou-
tenue et rompue par des taches, nous regrettons néanmoins que le trop célèbre général
Cluseret ne se soit pas contenté de livrer des
combats aussi pacifiques. Personne ne songea à contester l’éclatant
début de Régnault. Les connaisseurs y applaudirent, le public en fut frappé, les critiques mirent à discuter le talent et les ten-
dances du jeune artiste cette ardeur qui ne fait
jamais défaut lorsqu’il
s’agit
d’une œu-
vre audacieuse et inattendue. Le jury seul
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. se maintint dans
à
refusa
151
une prudente réserve
et
une médaille que
la
Régnault
voix publique lui avait décernée sans hésiter.
Cette sévérité inattendue (j’allais dire cette
une
injustice), causa
cette
véritable surprise, car
œuvre savamment étudiée, exécutée
d’une manière à
sage et magistrale,
la fois
ne heurtait, malgré sa personnalité, aucune des traditions de l’École. Cette
deux
même
portraits
ferme
année,
Régnault exposait
au crayon noir d’un dessin
et irréprochable,
remplis de vie et de
caractère. Enfin, à la gravure, des dessins
de
lui,
veur,
quoique bien défigurés par permettaient
de constater
le gra-
la
sou-
plesse de son talent.
Chose étrange! tandis que Régnault,
le
dessinateur des bois, ne recevait aucune
récompense, Il
était
le
graveur obtenait
la
médaille
!
pourtant demeuré bien au-dessous
de sa tâche,
et ces dessins, si fins et si spiri-
tuels sous le crayon de Régnault, étaient de-
venus lourds
et vulgaires sous le
burin qui
les avait traduits,
Digitized
by
CORNESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
152
Régnault, mis au sévère
fait à ses
pas perdu
courage.
et laborieuse
courant de l’accueil
envois par le jury, n’avait
A
de sa vie,
époque calme
cette il
lement, de temps à autre,
écrivait il
peu
;
seu-
envoyait de ses
nouvelles à sa famille ou à ses amis etc’està
de rares intervalles que nous retrouverons
dans sa correspondance quelques-unes de ces longues et intéressantes lettres auxquelles
il
A
nous avait précédemment habitués. SON PÈRE.
Nous sommes
partis
dans
la
nuit de diman-
che à lundi, à trois heures du malin, munis de vivres et de munitions el nous à Ostie vers six heures,
petit jour
sommes
arrivés
complètement gelés. Au
nous nous sommes mis en roule pour
les étangs.
Nous étions chacun dans
un
petit
baleau.
Noire expédition n’a pas été très-brillante parce
que
les canards, chassés
continuellement par les
braconniers du pays, sont devenus très-roués... Mais
si
notre chasse n’a pas été exterminatrice,
nous avons du moins passé une journée délicieuse dans un pays merveilleux
et
par un temps admi-
rable.
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Je
sur
me
les lacs
et l'éclat
153
suis cru plus d’une fois sur le Nil
du
de l’Afrique, tant la pureté de donnaient à
soleil
la
ou
l’air
nature un aspect
oriental.
Les étangs s’étendent très-loin dans de vastes
montagnes
plaines, bornées à l’horizon par les
de
la
Sabine et
monts Albains d’un
les
côté, et
de l’autre par de grandes forêts de pins para-
mer. Rien
sols qui vont jusqu’à la
plus
n’est
beau que ces grands bois sombres, formant de lignes, sévères et
belles
dans une eau calme
du
le bleu
ciel
en
fermes
,
se reflétant
et éclatante qui réfléchissait lui prêtant le brillant
pierres précieuses. Jamais de
ma
vie je
ne
du monde connu, plus
suis cru plus loin
des
me
isolé,
qu’au milieu de ces grands roseaux qui enfer-
ment
les
étangs dans un cercle d’or. L’aspect
primitif de nos pirogues, l’air sauvage et misé-
rable de nos rameurs ajoutaient encore à
l’illu-
sion.
Les montagnes du fond, encore couvertes de neige, paraissaient belles arêtes
énormes
comme le ciel d’Orient. tout ce
et dessinaient leurs
sur un ciel lumineux C’était
que vous voudrez,
tistiques ont bien
pu me
et
vibrant
magique, féerique,
et ces distractions ar-
faire
manquer quelques
bêles. Qu’importe?... Cette journée restera dans
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
154
mes souvenirs de voyage comme une des plus belles et des plus remplies d’impressions
pro-
fondes...
A SON PÈRE.
...
Je suis toujours attaché à
que je veux
vois assez clairement ce
avec audace. Et quand
un peu
et j’y
cours
passé une journée à
j'ai
monter sur mon escabeau suis
mon grand tableau
m’a pas donné trop d’ennui. Je
qui, jusqu’ici, ne
en descendre,
et à
fatigué et n’ai plus
môme
le
je
courage
d’écrire le soir...
Nous sommes bien
tristes à l’Académie.
Nous
avons perdu dans la nuit de dimanche à lundi (21 avril 1868),
un de nos meilleurs camarades,
Dutert, architecte qui avait eu le prix la
année que
le
pauvre Deschamps.
Il
même
était poitri-
naire, et quoiqu’il eût fort bien supporté l’hiver, il
n’a
pu
résister à
une courte
malade que dix heures était gai et plaisantait ...
corps lui..
.
;
de sa mort
il
Nous nous sommes relayés auprès de son et,
ce matin, on a célébré
une messe pour
Rome
rude et trop iné-
Le climat de
gal pour des poitrinaires. la
crise. Il n’a été
la veille
avec nous...
est trop
Au
milieu de
la
plus chaude, un changement de vent
brusquement un
journée
amène
froid glacial. Je n’ai jamais
vu
Digitized bv
Google .Ml
«V
'-A-ï
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
155
nulle part d’ouragans aussi violents qu’ici. Par-
que non-seulement
fois le vent est tel,
et
les
les portes
détachent et frappent contre
volets se
murs avec une
les
force extraordinaire, mais
encore les vitrages de nos ateliers, qui sont construits avec des barres
voiles d’un navire.
sons
et
le
fer, plient
comme
les
mai-
les
surtout dans nos pavillons, qui ne sont
nullement
mat où
de
Tout tremble dans
Ce n’est vraiment pas un
abrités.
moyen de
les
cli-
envoyer des poitrinaires; c’est
l’on doive
achever promptement
A SON PÈRE.
14 juin 18G8.
L’Exposition
ouverte dimanche der-
s’est
ici
nier et fermera demain. Je n’en suis pas fâché
me
parce que je pourrai exécuter enfin
ma
figure
remettre à l’œuvre et
que
j’ai
réébauchée en-
tièrement la veille de l’Exposition, préférant
mon-
qu’une chose mal
faite.
trer
une chose pas
Ma pauvre rible
faite,
toile a fait,
du haut du
toit
était trop fraîche et
que, d’autre part,
du de
reste,
une chute
ter-
Comme
elle
l’atelier.
ne pouvait pas se rouler,
la fenêtre
et
de l’atelier n’était pas
assez grande pour la laisser passer toute tendue, il
le
a fallu la retirer
haut et
le
du châssis,
bas de
la toile
et
clouer seulement
sur deux traverses
indépendantes, de façon à replier un peu
la toile
Digitized by
CORRESPONDANCE DK HENRI REGNAULT,
150
sur elle-même et
une
fois
sur
au moyen de cordes, fier
à
par la fenêtre
la faire sortir
par
le toit, la tenir
la laisser
descendre
deux hommes placés dans
;
traverse, puis
la
cour
la
et
con-
le
soin
de tirer bien droit-la traverse du bas, pour em-
pêcher la
la toile
de se plisser
gouttière. Mais
il
faisait
romains sont détestables
mes
placés en
et
de frotter contre
du vent
et les clous
peut-être les
:
bas ont-ils tiré trop
fort.
homBref,
les clous qui retenaient la toile à la traverse
haut se sont
étêtés,
malheureuse
place, et la
du
ont déchiré la toile par est
tombée d’un
fort
second au-dessus de l’entresol, en se repliant sur elle-même
et
en
se
tordant
comme un
chiffon.
La figure était fraîche
!
Je te laisse à penser ce
qu’elle était
devenue après cet accident. Le plus
triste, c’est
que
s’était fait ...
Une
retendue,
la
peinture s’était éraillée, qu’il
de grandes fissures. fois la toile arrivée j’ai
mages les plus visibles. Mais l'état
où
sous
le
vestibule et
réparé tant bien que mal les dom-
clic se trouvait
vrai
!
l’avoir
vue dans
après sa chute et avant
d’être retendue, ce n’était pas encourageant, et
à ce moment-là, j’aurais préféré cent fois
complètement déchirée ...
Mon
et irréparable
la
voir
!
envoi ne sera pas ce que j’aurais voulu,
Piniti/o ri
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
mais néanmoins j’espère qu’on y
157
découvrira
quelques qualités.
Tu
verras à l’Exposilion
au mois d’août à
l’École,
un bien beau morceau de sculpture de
lliolle,
un
11
aura
y
mourant
Narcisse
une
aussi
par Barrias. Puis, en peinture, périeure d’une
Nymphe de
de Filense partie
su-
Maillard, d'un
mo-
trop souple
delé très-souple,
superbe.
c’est
;
figure
jolie
la
môme
:
c’en est
mou. Machard recommence sa figure pour la sixième fois.
Dieu veuille qu’il ne
la
septième, parce qu’alors
pour ne pas être prêt chée aux rochers pect.
aurait des chances
une Angélique
joli ton,
ici,
les Parisiens
comme
cela aurait
que ce qu’on
Mar sy as des Monchablon
les
le
;
;
malheureu-
verront pas, car cela ne'
Envoi, et c’est fâcheux, parce
pu donner de Layraud une autre
que idée
danslecou,
ne
une
de notre jardinier
un beau morceau de peinture
sement
atta-
distinguée d’as-
entre autres choses,
tôle d’après la fille
compte pas
a
C'est
!
d’un
Layraud avait
élude de c’est
,
recommence pas une
il
a vu de lui jusqu’il présent.
brasel
le
Il
y
haut delapoitrinedcson
parties très-fermes et bien exécutées. a
un grand
tableau,
un peu dans
la
manière allemande, mais qui ne manque pas de grandeur; c’est Y Ensevelissement
(le
Moïse;
le
11
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT
158
Moïse est beau, les anges moins
intéressants
selon moi.
Somme rieure à
toute, je crois cette exposition supé-
la
même
dernière et
à quelques autres
précédentes. Nous verrons ce qu’on en dira
même c’est
chose sans doute que tous les ans
;
la
que
:
mauvais, mauvais, mauvais, que l’Académie
devrait être supprimée, qu’il n’est pas nécessaire
d’envoyer des peintres en
venu
est pas
Michel-Ange
comme
et
comme
que Manet n’y
Italie,
que néanmoins
est bien près
il
dessin
couleur.
Quant au jury chargé de rédiger sur les Envois, je vois tableau
:
que je
n’ai
d’ici
les
rapports
mon
ce qu’il dira de
que de l’aplomb,
de l’aplomb, que j’aurais mieux filière
de
de Velasquez
et
fait
et rien
que
de suivre la
idyllique d'Émile Lévy et d’étudier avec
amour un Aslec de douze ans mode) que j’aurais
très à la
endormi
,
(cet-
intitulé
la grenouille ,
ou l 'Enfant à
au lézard , ou YEnfant à
la
puce
âge devient
Jeune pêcheur
ou YEnfant
!...
A SON PÈRE.
Rome, 4
Depuis que je
t’ai
écrit *
juillet 1868.
nous avons eu
la
fête de Saint-Pierre, la plus belle après celle de
Pâques.
Quel merveilleux tableau que
la
procession
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
dans Saint-Pierre!
C’est
159
d’une couleur extraordi-
naire qui réunit toutes les qualités imaginables
de richesse de tons, de vigueur, d’harmonie et de composition. Quel fond que cette abside de SaintPierre où s’élève
un immense
dais de velours
grenat aux franges d’or, qui se détache sur le
grand
couleur d’or représentant
vitrail
Esprit, vitrail
rayons d’or,
le tout
la
le Saint-
entouré de nuages
au milieu de
la
et
de
pierre grise,
une lumière étincelante
qu’illumine
par
ovale
,
adoucie
fumée de l’encens.
Et ces grandes colonnes torses, en bronze, du
grand autel, faisant une silhouette sombre C’est !
étonnant!
La statue de bronze de saint Pierre gnifiquement décorée pour tête est coiffée
verle de
est
d’une superbe tiare toute recou-
pierreries.
Une grande draperie de
brocart or et rouge violacé enveloppe tue, derrière
or
et
ma-
la circonstance; la
laquelle est
la
sta-
un fond de brocart
rouge aussi, mais d’un autre rouge plus
chaud.
Au-dessous du dais en velours grenat à franges d’or, et devant la statue,
de magnifiques candé-
labres avec des pieds ciselés, dit-on, par Benve-
nutto Cellini C’est une magnifique idole indienne .
cette figure et cette
main de bronze
noir,
;
au mi-
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
100
lieu
de ces draperies
pierreries font
si
riches et de toutes ces
penser à une divinité de l’Inde.
Indien ou Romain, toujours
est-il
que
c'est ad-
mirable. Il
ya
s’arrête et
un moment dans au
de
milieu
la
procession
cardinaux
la fête
monsignors portant toutes
du saint-père,
les
où
l’église, les
les tiares et mitres
gentilshommes des cardinaux
vêtus de soie noire avec épée d’acier au côté, les
gardes suisses en cuirasses damasquinées portant la Miséricorde à
deux mains. Les évêques
étrangers et orientaux sont dans leurs plus beaux
costumes, et or,
les gardes
nobles en grande tenue rouge
casque en tête
et culotte de peau.
Tout cela
s’arrête subitement et se retourne vers le pape,
porté sous son dais de velours par des gentils-
hommes, couverts de costumes du seizième siècle en velours cl soie rouge, et entouré de ses grands éventails en
plumes de paons blancs
et
en plumes
d’autruches blanches. Le pape alors proclame un
manifeste quelconque, proteste contre les enne-
mis de
la
foi..., etc.
Cette scène est
unique de
beauté, et on ne peut avoir idée de pareille gran-
deur
et
Cette
de pareille pompe.
semaine aussi je suis
situé dans un fort bel
allô
au camp.
emplacement qui
n’a
inconvénient, c’est de se trouver juste à
Il
est
qu’un
la
hau-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
teur
101
orages qui, cette année, se succèdent
(les
plusieurs fois par jour. Il
est situé
presque au sommet du mont Cavi,
sur un plateau assez étendu qui tère.
Celte
plaine s’appelle
le
fui jadis un cracamp d’Annibal,
parce que la tradition rapporte que ce grand
Rome.
général s’y établit lorsqu’il arriva devant C’est C’est
en
une
effet
belle position pour
un camp.
un plateau bien plan, en forme de demi-
cercle, dont le diamètre est entièrement et a
vue sur toute
la
campagne,
et
dégagé dont
la
partie circulaire est bordée d’un amphithéâtre
de collines boisées. On est
mense
fauteuil.
heureux, car
les
Cette
là
année
comme dans un imle
choix n’est pas
malheureux soldats sont tou-
jours dans les nuages, et cinq ou six fois par jour il
pleut sur
le
camp.
Le pape venait y dire la messe en plein air, devant les soldats, auxquels il a donné sa bénédiction, après les avoir fait fort
beau
messe,
s’il
et si
manœuvrer. C’eut
un camérier
été
temps de
n’avait pas plu tout le
n’avait pas tenu
la
un pa-
rapluie au-dessus de la tète du pape, ce qui relirait tout le caractère sérieux
L’Exposition
de
Rome
repiit en sous-œuvre son
de
la
finie
cérémonie...
,
Régnault
Automédon ,
et
il
h.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
1G2
venait de le terminer, lorsqu’une horrible le força à
chute de cheval
un repos complet.
me fut
Le premier récit de cet accident
en-
voyé par lui dès qu’il se sentit un peu remis,
mais avec prière de garder à-vis
le silence vis-
de sa famille. A M. A.
DUPARC.
Rome,
Je ne puis te faire en ce
11 juillet, 18G8.
moment
de moi que je t’ai promis. Ma sentable dans l’état où elle est
rebouche. Tu
me
trouveras,
une noble
reverrons,
le portrait
tête n’est pas pré;
faut qu’elle se
il
quand nous nous
cicatrice à la tête.
pas que ce soit à Montana que je
Ne
crois
l’aie reçue, ni
dans un duel contre un mari jaloux, ou contre le
honorable enfant. Non
d’une
père
;
c’est
moins dramatique.
Un failli
fort joli cheval, le
tuer le
sure', son cavalier.
dans
ma
jour delà Fête-Dieu, avait
commandant de zouaves de Trous-
sagesse
:
Il
Ce que voyant, faut
que je
saye, je le trouve charmant
lendemain cile,
Tué
un peu
un prix de à la bataille
;
vif,
me
suis dit
charmant encore
comme un cœur,
joli
gracieux,
points
1
;
je
l’essaye. Je l’esle
élégant, do-
mais méritant de tous
sagesse.
de Patay,
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
163
Le surlendemain, après avoir été de plus en plus charmant à
Borghèse, monsieur re-
la villa
fuse d’aller à l’Aqua Acetosa.
Rome parla porte du Peuple et un i. Je
lutte et
Il
veut rentrer à
droitcomme
pointe
veux aller à l’Aqua Acetosa. Mon-
sieur refuse et repointe au moins
Après une demi-heure de
lutte,
trente fois.
nous rentrons
à
l’écurie* Mais je voulais avoir le dernier mot, et
je redemande le cheval le lendemain. 11
vient
porte le
me
prendre devant l’Académie, maisla
du Peuple une
manège de
dure encore
fois
passée,
il
recommence
la veille et cette petite plaisanterie
trois quarts d'heure. J’étais
sur la route à Ponte Molle par M. et D..., avec qui je devais faire la
A
force d’éperons, je finis par
val de rentrer à
de
promenade.
empêcher
Rome mais alors ;
attendu
madame
il
le
che-
enfila la via
Flaminia avec une allure de course plate. J’évite la
première voiture que nous rencontrons, mais
pour tomber sur
la
seconde, qui était un tombe-
reau plein de sable, pièce de résistance. Mon cheval s’aplatit là-dessus, et moi, je vais étudier
de près crit
le
une
cours des astres
jolie parabole, je
première, en plein sur
ment je ne
puis après avoir dé-
me
plante, la tête la
crâne. Fort heureuse-
le
pris pas racine
;
;
je fus étourdi et aveu-
glé par le sang qui coulait sur
ma figure, je passai
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
lot
comme du me
quarante-huit heures dans la glace,
champagne frappé,
et
quatre jours après je
levais. Je
ne suis pas encore fermé,
mon
peu d’idées ne se sauve par
que
Mon père n’en
chut!! pour la chute! je
n’en
ai
parlé
personne .qu’à
à
et crains là
Chut
!
sait rien
à
et
toi
!
;
Jadin...
La seconde
lettre fut adressée
deux mois
plus tard à son père, qui avait appris cident et lui avait
demandé des
l’ac-
détails.
A SON l'ÈRE.
Tu me demandes des et
mon
détails sur
accident. Si cela peut te faire le
moindre
plaisir
surtout pour que les choses ne se grossissent
pas avec la distance,, les voilà. J'avais eu pen-
dant tout
le
mois de juin un cheval
idéal. C’était
certainement l'âme d’un saint, qui
s’était réfu-
giée dans le corps de celte
hôte. Je
bonne
conduisais ce cheval qu'à la parole intelligent,
que
je pouvais lire
et qu’il s’arrangeait de façon à les
mauvais pas,
les
tures, etc.... Jamais
en
ai fait
faire
;
au grand trot,
me
faix*e
mauvais chemins, il
ne
ne
était si
il
éviter
les voi-
se fatiguait, et je lui
de rudes, pourtant! Jamais
ne m’a rien refusé, ni fossé, ni
il
barrière
Digitized by
.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
1Gj
Trouvant l’existence monotone avec une bêle de
bonne composition
si
d’un
caractère
plus
adressé à un fort
,
joli
que
me
et qui
avait
celte bête avait des passions ardentes.
Il
deux attachés d’ambassade
il
avait
et fait
clown à M. de Troussure, com-
faire l’exercice de
mandant des zouaves, taire
la
œil d'un vif et d’un noir qui prouvait
jeté par terre
la loge
suis
arabe qui m’avait servi
un peu quinteux. D’abord,
réputation d’être
un
je
et
,
de modèle pour mes chevaux,
avait
voulu goûter
j’ai
épineux
le
jour de Pâques, devant
des autorités. D'un autre côté, un secré-
d’ambassade de France
un mois,
et
eu pendant
l’avait
en avait été très-content. Je
monté quatre jours de
l’ai
un rêve que
suite; c’était
ce cheval, d’une légèreté et d’une souplesse merveilleuses. Mais,
menade, chai,
le
il
au retour de
chercha
à
la
détournant du chemin de l’écurie pour
lui laisser le
temps de
se calmer.
à essayer d’un exercice tout à
que; sur
il
les
s’enlevait droit
tiré
un
et sur l’encolure,
commençait
il
«
digne du ciri
et
marchait
manqué de
si j’avais
tant soit peu sur la
bouche
se renversait sur moi.
à s’amasser, cela
nous reprîmes donc
se mit alors
Il
fait
comme un
pieds de derrière;
souplesse ou
foule
quatrième pro-
s’emballer. Je l’en empê-
le
chemin de
La
m’ennuyait
la
maison,
;
et
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNADLT.
106
le cheval,
content de m’avoir
fait
rebrousser che-
min, rentra tranquillement à Rome. Le lende*
main, je devais faire une promenade à cheval avec M.
et
madame de
D.
vers six heures,
après
..
la
séance, c’est-à-dire
heures
six
et
demie.
toujours notre heure de promenade. Je dai
mon
C’était
deman-
cheval devant l’Académie. J’arrivai
peu en retard à
porte du
la
un
Peuple, lieu du
rendez-vous. Ne voyant pas les deux autres che-
vaux et
me
croyant en avance, j’attendis quel-
ques minutes. Le précepteur du
petit
de D...
m’annonça qu’on
vint alors à passer
et
pris les devants, à
cause des voitures qui in-
avait
quiétaient les chevaux, et qu’on m’attendait à
Ponte-Molle
gens chic de
c’était l’heure
;
Rome
les
où
les
voitures des
conduisent à la
villa
Bor-
ghèse. Je voulus alors piquer des deux et aller rejoindre
mon
mes compagnons de promenade, mais
cheval, qui venait de passer quelques mi-
nutes en face
commode de
la
porte
rentrer à
du Peuple
et
l’écurie après
trouvait
une
si
courte promenade, refusa de marcher, et se rappelant qu’il m’avait
fait
céder
la veille,
mença son manège de pointage J'avais beau, avec les
maintenir dans faire
prendre et
la le
jambes
direction
recom-
et
de ruades.
et les
éperons, le
que
je voulais lui
pousser en avant,
il
s’enlevait
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. tout droit,
tour de valse, qui
167
sur ses pieds de derrière un
faisait,
mettait en face de la porte du
le
une ruade.
Peuple, puis lançait
Cette lutte dura
plus d’une demi-heure; je renversai une boutique d’aquafresca et orangeade, je manquai d’écraser
gendarmes
et passants.
rêtées et encombraient
Les voitures s’étaient arle
à chaque instant à voir
passage. Je m’attendais
mon
cheval retomber les
deux pieds de devant dans une calèche décou-
une de nos charmantes prin-
verte, et écraser
cesses.
Bien que tu prétendes que je n’ai pas de dispositions équestres,
serait pas resté
il
en
y a plus d’un cavalier qui ne
selle
pendant toute
cette
gym-
nastique du cheval. Enfin, furieux, hors de se décida
le cheval partit et
min que
je lui demandais.
mières voitures, prit
le
Il
à
suivre
le
lui,
che-
évita bien les pre-
mors aux dents,
et,
lancé
à fond de train, sans qu’aucune secousse sur le
mors pût
l’arrêter,
un tombereau de
il
alla
donner du
éviter. Alors je fermai les yeux,
en
l’air
me
poitrail sur
sable que je ne pus lui taire
comme une
me
sentis enlever
flèche, et fus tout étonné de
retrouver aux pieds du cheval du tombereau*
et planté
Voilà.
d’aplomb sur
ma
tête
Fort heureusement
heure avant, sans
de l’autre côté. il
cela, j’avais le
avait plu
une
crâne fracassé
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
168
ma
et
cervelle giglait sur les
murs
!
Maintenant
que tout va bien, nous pouvons en rire des bossus. Je sance;
me relevai
avec toute
ma
comme
connais-
sang m’aveugla bientôt. Le précepteur
le
vu voler dans
qui, de loin, m’avait
les airs au-
dessus des voitures, accourut immédiatement et
me
trouva entre les mains de braves gens qui
pansaient
et
me
me
mettaient vinaigre et arnica. Fort
heureusement, je perdis beaucoup de sang. On
me ramena Lagraine revenir.
en voiture à l’Académie. Le pauvre
faillit
tète et l’épine dorsale.
De et
la
me
pansa,
Bravo! rien de cassé!...
glace autour de la tête, et renouvelée nuit
jour pour empêcher
pansement deux et
me voyant me sonda la
trouver mal en
se
Le médecin
fois
congestion. Charpie,
la
par jour... Soins incessants
dévoués de Lagraine, vraie sœur de Charité,
bonté des camarades, du directeur. Mieux au
bout de
trois jours.
me trouve
sur
mon
Épatement du médecin qui
séant
bout de huit ou dix jours,
On me Il
croyait mort.
salubre, où
aller il
il
le
crie
au miracle. Au
malade
est sur pied.
Prompt rétablissement...
était indispensable
Rome pour
;
que Régnault quittât
chercher un climat plus
n’eût plus à
redouter les
fièvres qui l’épuisaient et constituaient
pour
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. lui,
dans son état de
faiblesse,
un
160
véritable
danger. partit le 6 août
11
pour Marseille. Mais,
avant de raccompagner dans
le
voyage qu’il
entreprend, revenons à son Àutomédon , que
nous connaissons peu, quoique nous nous en soyons déjà tant occupés, et laissons l’artiste
lui-même nous décrire son œuvre.
A H. CAZAL1S.
Tu voi
l’es
effrayé
du
de cette année
grec à
ma
sujet anlique de
mais rassure-toi,
;
mon En-
j’ai fait
Automédon pourra
être tout ce
que lu voudras,
cherché dans mes chevaux, non pas
et j’ai
du
manière. C’est une traduction libre.
la
coupe de crinière des chevaux lhessaliens, mais ce qu’il y a de plus noble et de plus effrayant
dans
le cheval,
ce qui pouvait en faire
le
cheval
historique, le cheval qui parlait, le cheval qui
prévoyait la mort de son maître Achille.
Le
ciel
est
surchargé d’orages, une mer de
plomb commence qu’à
la
à
s’agiter
sourdement, bien
surface elle semble encore endormie.
Un
rayon de soleil triste éclaire à l’horizon d’une lueur blafarde une côte rocheuse
et aride.
Les
chevaux, sachant que leur maître les mènera au 15
Bigitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
170
combat, que ce combat sera coûtera
la vie, se
le
dernier et lui
débattent et luttent contre le
serviteur qui est venu les prendre au pâturage.
L’un d’eux, bai brun, se dresse
comme un
fantôme sombre et se silhouette sur voulu donner dans
le
tableau
comme un
goût d’événement sinistre. Mais
que
tout ce
Tu
je voulais
as raison
un
;
grand
le ciel. J’ai
ai-je
avant-
bien dit
?
artiste doit se laisser aller
aux impressions diverses
qu’il ressent devant la
nature, et ne doit pas rejeter et mépriser la moi-
de ses bons mouvements
tié
comme
acceptés par l’école ou la secte dont
il
n’étant pas fait partie.
Oui, la nature, le vrai, l’ému et l’émouvant, vie
ou
la
la
mort, mais la vraie mort sans mouve-
ment, horrible ou sereine, voilà ce qu’il faut chercher.
beaucoup
J’ai
travaillé cet hiver sans
résultat. Mais toutes et plus tard,
il
grand
mes observations s’amassent
sortira peut-être
quelque chose
de ce chaos.
mes chevaux fougueux , mes ciels ma mer sinistre j’ai voulu rendre d’une chair de femme et les éclairs dorés
Après d’orage l’éclat
,
,
d’une chevelure américaine* bien
J’ai
bien travaillé)
cherché, mais je n’ai pas trouvé encore.
Qui sait? cela viendra peut-être...;.
,
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. A M.
171
DUPARC.
A.
Rome, 5 août 1808,
Je quitte cin, et je dois.
Rome demain
ne t’envoie pas
Ta femme aurait
celui de te fâcher
Voilà
sur l’ordre du méde-
si
les dessins
le droit
je
le
et toi
ne sortais de maladie.
un mois à peu près que, pour m’être cru
trop bien remis de
ma
avec une fièvre de cheval
chute, je suis malade, toute couverte
et la tête
d’abcès, etc. Depuis dix jours je
premiers jours
mon
que je
de sourire
fauteuil,
il
me
lève; les
m’était impossible d’atteindre
mais, grâce au bon appétit,
j’ai
repris assez vite des forces.
Je suis, j’espère, en état de gagner Marseille, et
comme
il
est probable
guera quelque peu,
que
le
me fatime repo-
voyage
j’ai l’intention
de
ser à Marseille jusqu’à ce que je sois de force à
gagner Bayonne, où Clairin m’attend. Je ne puis vraisemblablement pas t’envoyer
un
croquis de moi dans ce
moment
:
tu ne
me
reconnaîtrais pas. Outre que tout travail et toute application
me
sont interdits, je n’ai presque plus
de sourcils, je suis vidé, je n’ai plus de cheveux. Je ne puis
me
toucher
la tête
ber trois mille d’un coup,
sans en faire tomet,
comme depuis me toucher
huit jours je n’ai pu m’empêcher de la tête,
ou d’y déposer un chapeau qui se couvre
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
172
immédiatement de crins comme nid de fauvette,
ma
lement éclaircie, que Mais rassure-toi
tu
peux m’envoyer
mon
j’ai
une bonne phote faire le
retour, car c’est plus
une
c’est
dette conlracléc et
moment
d’un
les huissiers
nous irons revoir l’endroit ensemble, dessin se fera pendant ton séjour Voilà,
mon pauvre
fait
:
«
Demain
ton dessin? » C’est ce jour-là que
me
que
sentis
m’engourdir
je faisais à la j’ai
tenir
que
et
le
j’ai à t’ari-
de ce que je
ma derme mets à
promis. Te rappelles-tu que dans
nière lettre je te disais
que
à
ici.
ami, tout ce que
noncer, c’est que je n’ai rien
Je
tel-
Quant au dessin des bœufs, j’espère que
l'autre.
l’avais
d'un
peau apparaît parlout.
Envoi je pourrai
dessin que je te dois à
qu’une promesse,
la
comme
:
mon
tographie de
l’intérieur
pauvre toison se trouve
eu toutes
,
je
été pris.
j’ai
pendant une
visite
duchesse Colonna, au point
les peines
du monde
à
me con-
dans une posture convenable pendant une
demi-heure. Puis, je suis rentré à casa vers cinq heures, exténué de fatigue, déjà gagné par fièvre. Je
me
pu prendre
suis étendu sur
et la nuit a
mon
lit, je
commencé mon
accès de fièvre qui m’a tenu
si
la
n’ai rien
violent
longtemps. On
l’a
coupé avec des doses formidables de quinine, qui m’ont rendu sourd pendant
trois
ou quatre jours.
Digitlzed by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Mais
docteur craint
le
le
au moindre refroidissement,
retour de et
il
me
173
fièvre
!a
prie de
me
m’embarque donc de-
lancer dans l’espace. Je
main malin.
Régnault supporta osé
n’aurait
passés à Marseille,
madame huit
mencé
au
pour cette
Espagne
pas, mais vers attrait.
sistible tait le
et
y
il
en
pendant
travailla
com-
avait
se remit
en route
ne connaissait
qu’il
laquelle l’appelait
un
On eût
pressen-
dit
charme sous lequel
ver. Là,
jours
trois
au château de
portrait qu’il
Rome. Puis
à
Après
se rendit
il
de D...
jours
voyage mieux qu’on
le
l'espérer.
effet,
il
il
qu’il
irré-
allait se trou-
rencontrera des maîtres
qui « l’effrayeront » moins que .Michel-Ange là aussi la
nature sera pour
lui pleine
de
;
sé-
ductions encore inconnues, et son enthou-
siasme laissera loin derrière
lui les
enchan-
tements de sa chère campagne romaine la feront pâlir
dans ses souvenirs
et
comme
dans ses impressions. Plus que jamais
ici,
nous donnerons
la
parole à l’artiste, dont les lettres très-nom15.
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
174
breuses, très-détaillées, racontent avec une singulière puissance de vérité, et les événe-
ments dont
il
est témoin, et les impressions
qu’il reçoit. Grâce
aux documents que nous
publions, nous pourrons suivre Régnault
dans
les
musées, assister à
la
révolution
espagnole, faire connaissance avec les puissants du jour, étudier enfin le caractère et les
mœurs de
brageuses,
si
ces populations gitanes
si
om-
difficilement abordables,
si
exclusives dans leurs coutumes et dans leurs allures, et
que Régnault
de charmer
avait trouvé
moyen
et d’attirer à lui.
Digitized by
CHAPITRE Espagne.
III
— Madrid. — La révolution espagnole. — Portrait du général Prini.
A M.
A.
DUPARC. ?.
.
.
septembre 1808
.
y a bien longtemps que je ne t’ai écrit je suis excusable, parce que tu sais qu’en voyage Il
on
:
n’écrit pas
fatigué,
beaucoup,
et
quand,
le soir, bien
on a griffonné dix ou quinze pages à son
père, on n’a plus qu’une idée, celle de se coucher
avec la pensée et le désir d’écrire aux amis le
lendemain
;
mais
le
lendemain, on n’est pas
toujours bien disposé. Bref,
de
madame
j’ai
fini
de D*** à Plassac dans
Inférieure, puis je
me
suis
la
en
effet
depuis quinze jours.
mençait à s’ennuyer,
il
Charente-
en toute hâte rendu à
Bayonne, où Clairin devait m’attendre dait
le portrait
et m’atten-
Comme il com-
avait quitté
Bayonne pour
Saint-Jean-de-Luz.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
176
A
ne trouvai
Saint-Jean-de-Luz, je
qu’une
m’annonçant
lettre
encore
qu’il était à Yittoria.
Mais j'appris qu’il y avait à Bilbao des fêtes et la reine
quatre combats de taureaux auxquels devait assister. J’y allai, ce qui
attendre l’in-
lit
fortuné Clairin cinq jours de plus... J’arrivai à Bilbao le soir à six heures, ayant
manqué
la
première journée de
mière course... Avant
sommes rendus sur
et la pre-
fêles
nous nous
souper,
le
promenade publique
la
nous avons vu, en très-grand nombre, jolies
femmes qu’on puisse rêver
que toutes sont bien,
les
autres (les plus mal)
:
les
on peut dire
unes ravissantes,
encore pleines
Ce soir nous avons
visité
semble charmante
et
un peu
cl
plus
et 1rs
'de grâce.
qui
la ville,
d’une propreté irrépro-
chable. Les maisons, couvertes de ces sortes de
moucharabis, qu’on appelle, je pays, mirador
,
crois,
dans
le
doivent avoir beaucoup de carac-
tère et présenter
au
soleil
de
jolis effets.
Les Espagnols m’ont paru jusqu’ici d’une politesse et d’une complaisance parfaites. Mais je
comprends l’italien
me
rien à leur langue et je
gêne plutôt
qu’il
crois
ne m’aide...
ne
que
CORRESPONDANCE DE HENRI REf.NAULT. A SON
177
PF.ÏIE.
Lundi
me suis
Aujourd’hui je
heures du
offert, à six
matin, l'arrivée des taureaux et leur entrée dans les écuries. C’est très-amusant. Puis,
ques promenades dans heures, nous
sommes
la ville et le
après quel-
dîner à deux
allés à la course.
Il
y avait
d’une grande beauté. Les deux
six taureaux, tous
derniers l’ont emporté sur les autres par leur vi-
gueur
et la franchise
J'avoue que la très-désagréable
hommes
de leurs attaques.
lutte avec les picadors m’est :
ces chevaux
éventrés,
ces
renversés à chaque instant et qui en tom-
bant courent de grands dangers, tout cela m’a
une impression pénible. Mais
la partie
fait
des mota-
dores, banderilleros, espadados, etc..., est vrai-
ment d’un
joli effet. Il
y avait des costumes mer-
veilleux de richesse et d’originalité dans l’arran-
gement des
tons.
reaux n’ont pas
Malheureusement tous
été bien tués. C'est affreux
les tau-
de voir
ces pauvres bêtes harcelées et complètement étourdies par tous leurs ennemis à cris
de
j’étais
la foule.
manteaux et par les
Tout en trouvant cela
pourtant bien heureux de
tournerai demain. Le taureau
mouvements
et,
parmi
les
le
très-triste,
voir; j’y re-
a parfois
hommes,
sc présentent avec une telle aisance
il
et
de beaux
y en a qui
une
telle
igitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
178
élégance, que, tout
vue moral trouve là
vue
un
en regrettant au point de
humain que
et
cela puisse être,
on
spectacle plein d’intérêt au point de
artistique.
Demain matin, on lâche dans
les rues
reau avec des boules aux cornes. C’est
grand
plaisir
qu’on puisse
offrir
un taule
plus
au peuple, que
celui de se sauver devant le taureau, de se faire
bousculer et de bousculer lui-même.
Comme
le
me
mon
taureau passera sous
me
du premier, je
balcon
payerai ce spectacle. Puis, je
mettrai en route pour Burgos où je trouverai
Clairin
;
nous serons donc enfin réunis
!
A SON PÈRE.
Ce...
Je suis à Burgos depuis hier. J’ai trouvé à la
gare Clairin qui m’attendait, suivant l’habitude qu’il avait prise
voir
mais suis
si j'arrivais. il
depuis quelques jours de venir
Ma
tête pelée l’a bien surpris,
m’a trouvé bonne mine. Le
fait est
que je
mieux portant qu’autrefois; tout mon mau-
vais sang est parti
;
je suis purifié
Quelle merveilleuse cathédrale
nements d’une richesse
et
!
Il y a des ord’une originalité éton!
nantes. Et ce
chœur?
travaillons là
dedans à force. Demain encore,
grande
quelles boiseries! nous
et dernière séance
de cathédrale. Après-
Digitized by
Googl
CORRESPONDANCE
HENRI REGNAULT.
I)E
179
demain, nous allons voir un couvent intéressant
aux environs de Burgos. Dans
la cathédrale
nous voyons d’admirables
mendiants. O Yélasquez
que pas, on
le
on
!
le
pressent à cha-
retrouve, lui et ses tons de vête-
ments marrons, avec des chairs
grises et fines.
y aurait des tableaux à faire partout rues, dans les marchés... Et les combats de taureaux à Bilbao tyrisés
!
Pauvres taureaux
dans
Il
les
J’en ai vu quatre
!
si
braves et
si
mar-
!
un tableau en
J’ai
,
:
combat de taureaux
;
projet
c’est
;
cela paraîtra
une scène de
un jour...
A U. BUTIN. Madrid. Ce ? jeudi soir*
Voilà douze ou quatorze jours que nous nous
sommes réunis
à Burgos, où Clairin m’attendait
depuis quelque temps
déjà.
Nous n’avons
ja-
mais pu voir un groupe de paysans ou d’enfants s’arrangeant
un peu
sans nous écrier là,
il
:
«
et ayant
Ah
!
si
jubilerait et trouverait
que chose de charmant.
quelque caractère
notre cher Butin était
moyen de
Notre première soirée à Burgos parler des amis. petite
qui
noce à
l’ont
la
On m’a
s’est passée à
raconté ton mariage, la
campagne, toutes
suivie,
faire quel-
»
les
aventures
votre installation,
l’enthou-
CORRESPONDANCE DK HENRI REGNAULT.
180
siasme avec lequel blancheur,
sa.
C... appelait Louiselte
sa
:
lumière, son soleil, son étoile,
sa_
planète, sa comète, sa constellation, sa nébuleuse, sa voie lactée, sa lune* sa nuit, sa nuée, sa brise
sa perle, sa bran-
"embaumée, sa vague,
che de corail, sa branche d’aubépine, sa rose, sa marguerite,
sa
Gretchen, sa pervenche, sa
goutte de rosée, sa fontaine bienfaisante, son
ombre douce
et rafraîchissante,
son oasis dans
le
désert, sa violette, sa fraise, sa framboise, sa
turquoise, son
saphir, sa reine des anges, sa
gazelle, sa colombe, sa
fauvette,
sa mésange,
son perce-neige, sa bergeronnette, sa barquette sur l’océan de
la vie, sa
planche de salut, sa ca-
thédrale, son paradis..., etc..., etc. Nousappellc-
rons cela les litanies de sainte Louiselte
et
quand
tu ne seras pas sage, ta pénitence consistera à les réciter
deux cents
fois
de suite sans respirer...
Nous avons passé toute nous
puis, pour
refaire,
la
journée au musée,
nous avons regardé
mille ou douze cents photographies d’après les
tableaux de Madrid.
Que de
»
belles choses
nous voyons depuis que
nous sommes en Espagne! Nous allons de merveille
en merveille. Dans
sommes
les
cathédrales nous
éblouis par les sculptures des grilles,
des tombeaux, des
retables,
des
stalles
des
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
181
chœurs. La renaissance espagnole est bien re-
marquable,
naux
et d’une richesse de détails origi-
et distingués
malgré leur nombre,
qui,
n’arrivent jamais à la surcharge et à
Qui n’a pas vu
la
lourdeur.
tombeau d’Alonzo,
frère d’I-
le
sabelle la Catholique, à la Cartuja de Burgos, et le Saint-François
d’Alono Cano à Tolède, ne
pas ce que c’est que de
Le Saint-François
est
la belle
une de
sait
sculpture. ces
œuvres
di-
vines qui vôus transportent et vous émeuvent
au delà de toute expression. Jamais, jamais
je
n’ai vu ni ne verrai pareille chose. les
sculptures sur bois des chœurs
(sillerias del
coro) de Burgos, d’Avila, de To-
Toutes
comme comme composition, comme comme variété, comme exé-
lède, sont des chefs-d’œuvre, à la fois
sentiment décoratif, originalité d’idées,
cution.
Il
y a
là
des monstres d’une lantaisie
merveilleuse, des torses
d’hommes
et des ligu-
res d’une expression et d’une allure
pas reniées Michel-Ange. Nous avons
nombre de
croquis.
Nous avons
que n’eût
fait là
bon
cultivé la fine
aquarelle, et la gouache vigoureuse et hardie.
Mais
ici,
à Madrid,
nous rappellerons à nos
brosses et à nos couleurs à l’huile qu’elles ne sont que nos esclaves, et qu’elles doivent nous servir avec obéissance à imiter les Vélasquez. 10
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
182
Quel peintre!
Jamais on n’a peint
Dio miol
avant lui,
si
ce n’est Titien et Tintoretto.
Rubens
se
permet à Madrid de nous montrer
de
fort belles
choses de sa façon
d’une toute
et
autre coloration que celle que nous connaissons
de
lui
:
il
plus blond
est ici bien
tingué. C’est
un grand peintre
aussi de jolis Véronèse.
,
plus dis-
aussi.
rions pour plusieurs années de travail faisions tout ce qui
H
y a
En somme, nous en au-
nous tente
si
nous
et tout ce qui
pourrait nous servir d’enseignement. Le Martyre
de saint Barthélemy , par Ribeira, nous a beau-
coup frappés... l’armeria
me
ne
coucherais pas
causer avec
me
toi
;
est fort curieuse... Je
si je
me
demain matin
laissais aller le
à
pion Clairin
donnerait un mauvais point.
Bonsoir donc,
mon lylysse chéri, je t’embrasse
de tout cœur ainsi que Louisette
et les amis.
A SON PÈRE.
Madrid
Nous sommes à Madrid depuis dimanche matin. Descendus d’abord à
l’hôtel
de Paris, nous avons
trouvé que c’était un peu cher (10
fr.
50 par
jour), et nous avons cherché autre chose..
avons
fait
Nous
transporter nos bagages dans une casa
de huespedes , chez un Français nique, où nous
sommes
,
très-bien
nommé Domipour 6 francs
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
par jour, tout compris. Nous avons
bord le
les
fait
courses les plus indispensables
banquier, le musée,
:
183
tout d'ala poste,
le bain...
Le Prado nous a montré quelquesjolies femmes,
mais
j’ai été
moins frappé qu’à Bilbao. Là, toutes
m’avaient paru ravissantes et élégantes de tournure.
m’ont semblé un peu trop bou-
Ici, elles
lottes.
Le jour de
mon
recommençait
la
dimanche dernier,
arrivée,
saison
combats de tau-
des
reaux. Je n’ai pas besoin de te dire que nous y étions. Nous n’avons pas été très-contents, car
maintenant nous sommes des amateurs et exigeants.
Nous ne permettons pas
de mal toucher; fois,
nous
et si
à
difficiles
un picador
l’espadado s’y reprend à deux
ou attend trop longtemps avant de frapper, sifflons,
nous crions
Nous voulons
!
un
nous voulons que
taureau bien planté, bien
fait
ses cornes soient aiguës,
ou bien nous crions
«
Otro toro
!
»
et
;
:
nous agitons nos mouchoirs
vers les autorités.
Nous avons eu quelques émotions. Un des ros, enlevé par le milieu
en
l’air
par
le
taureau,
et,
après
un
saut péril-
leux à une jolie hauteur, est retombé sur Il
s’est relevé,
il
tore-
du ventre, a été lancé
n’avait rien
passées de chaquecôté de la
:
les
taille
le dos.
cornes étaient sans
le blesser.
-
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jCOHltESl'ONDANCE DE 1IENIU REl»NAUl,T.
184
Un autre picador l’air,
:
un cheval
a été bousculé avec
on n’y a vu que du feu
des bras, des chapeaux....
;
et,
;
et
un
des jambes en
des trois cul-
butés, le cheval seul avait été blessé à mort. Le torero avait la poitrine couverte de sang, mais ce n’était
que
sang du cheval. Baudry, que nous
le
plaza de toros ,
avions rencontré et entraîné à
la
a été profondément dégoûté
voulait s’en aller,
mais, malgré tout,
il
La duchesse C*** espagnole jette
;
il
est resté. s’est
montrée digne
d’une république bien pacifique,
passionnée
d’ètre
bien que Suisse de naissance et su-
;
comme nous pour
elle s’est
cet affreux mais
splendide spectacle...
Maintenant que
ment
parlé de choses relative-
j’ai
insignifiantes,
il
faut cfue je te parle de
l’impression
profonde que m’a
de Madrid à
ma
Rubens très-beaux
première et
faite le
visite.
musée
D’abord des
d’un ton blond, puis quel-
ques très-beaux portraits de Tintoretto
et
d’un
peintre peu connu, dont nous avons au Louvre
un portrait de nain avec un chien
:
A. Moro.
Quelques beaux Titien, de belles natures mortes,
deux ou
trois belles toiles
autres ne
me
de Ribeira (car
les
plaisent pas), puis enfin le peintre
par excellence, Vélasquez. Je n’ai jamais
rien vu de comparable à cet
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
185
homme-là. Quelle couleur, quel charme, quel aspect nouveau et original, quelle sùrelé d'exécution
!
C’est
née sans
une peinture jeune, bien portante, sans peine, sans fatigue...
effort,
Quant aux tableaux tant vantés de Raphaël,
musée de Madrid, notamment
qui sont au
le
Spasimo, je t’avoue franchement qu’ils ne m’ont
mets infiniment au-dessus ses
pas séduit. Je
superbes fresques du Vatican. Je
exprimer
mon
opinion
mon
qu’il n’aurait pas été de
Dieu !
avis et m’aurait
pour un frondeur.
pris
ici
n’ai pas osé
devant Baudry, parce
!
que
l’école française est
Quelle piteuse figure elle
fiants
Poussin?
11
fait
mal représentée !
Quels insigni-
n’y a que deux peintres français
du restequi pourraient tenir au musée de Madrid, à côté des
Rubens, Ribeira, Tintorelto, Vélasquez:
c’est Delacroix et Géricault
:
les batailles
ou d’Eylau pourraient aussi
sommes quelque chose. La née avec Gros
et tous les
vaudront jamais
faire voir
d’Aboukir
que nous
peinture française est
Poussin du
monde ne
le plus petit cuirassier
de Géri-
cault ou le Giaour de Delacroix.
Quant à Murillo
et
Goya, je ne
les
admets pas
encore. Nous verrons ce que j’en penserai plus tard.
Je vais probablement copier la Reddition de
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
186
Breda cheval
et faire ,
quelques études du
Fileuses
des
des
,
petit Infant à
Buveurs...
Je
etc...
voudrais avaler Velasquez tout entier. C’est le
premier peintre du monde. Pourquoi appliqué ce merveilleux
pas
n’a-t-il
talent et cette divine
exécution à des sujets plus intéressants? Quelle
impression produirait un sujet dramatique
et
passionnant, exécuté avec cette vérité, cette heu-
reuse naïveté d’attitudes et de colorations, sincère, sans prétention aucune, sans recherche
du
pétard, sans effets forcés, sans sacrifices apparents, sans l’état
aucune des
de règle...
admet qu’on fais
ficelles
etc...
fera de
qui sont passées à
avec lesquelles on
et
bons élèves. Ah
!
si je
ne
pas à Madrid vingt-cinq lieues de progrès, je
me pends Comme
!...
nous n’avons pas encore nos
peindre et notre carte pour
mandons
le
toiles à
musée, nous com-
cela aujourd’hui, puis nous partons
pour
Tolède où nous passerons deux ou trois jours. A SOX PÈRE.
Jeudi
Nous avons Tolède, dont
le
été faire connaissance avec cette
nom
monde. Nous y
est sur les lèvres de tout le
retournerons pour travailler,
quand nous aurons terminé nous comptons y
faire.
à
Madrid ce que
Nous nous sommes fami-
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
187
dont on retrouve
liarisés là avec le style arabe,
des traces partout; d’abord dans le
mode de
construction des maisons, puis dans les églises, fortifications, etc... enfin
dans
les
accessoires,
puits, volets, carrelages, vaisselles
de terre ou
de cuivre. Le
ciel et la
lumière permettaient du reste aux
Arabes de se croire un peu chez eux qu’en France,
meure,
On
ils
s’ils
avaient
retrouve encore çà et
filles et
pu
parmi
les vieilles
type arabe, bien différent
tandis
là,
les
parmi
les
jeunes
femmes, des vestiges du
du type espagnol. Nous
aurons des études intéressantes
ment dans
,
s’y établir à de-
auraient dû changer leurs habitudes.
à faire,
non-seule-
rues et cours intérieures des mai-
sons, mais encore à la cathédrale. Tout le
monde
n’aime pas l’architecture et l’aspect des cathédrales espagnoles. Elles nité
(celles
Avila, Tolède
trouvera finesse voisin,
manquent un peu
d’u-
que je connais, du moins, Burgos, ).
Sur un
pilier gothique,
on
un ornement renaissance d’une grande
une ogive aura pour pendant, ou pour un plein cintre ou un fer à cheval arabe.
;
Une porte renaissance
sera percée et sculptée
richement au milieu d’une muraille du douzième siècle. les
Mais
le
plus grand grief qu’on
ail
églises espagnoles, c’est leur division
contre
de
la
184
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
grande
nef, en capilla
mayor et en coro, division qui
nuit à la grandeur de l’édifice, et arrête mala-
droitement
l’œil. Moi, je
ne déteste pas cela. Je
préfère, quant à l’aspect général, nos grandes et
célèbres cathédrales, mais ces divisions en coro et capilla
mayor donnent matière
à
de beaux
à de beaux motifs d’architecture et de
effets,
sculpture.
merveilleusement travaillées
Des grilles
ferment toujours, ainsi que toutes Ces grilles sont dues pour
époque de
la
plupart à
uns occupant
les
la belle
Renaissance. De magnifiques tom-
la
beaux sont placés dans 'presque toutès pelles,
les
les chapelles.
pelle, les autres placés
le
les
cha-
la
cha-
milieu de
dans des niches. Nous
n’en avons pas vu encore qui approchent
tombeau d’Alonzo,
le
du
frère d’Isabelle la Catho-
lique à la Cartuja, près de Burgos. C’est
du bel
Holbeinen sculpture, d’une grande noblesse d’attitude,
de sentiment,
surabondante librée avec
si elle
et
d’une richesse qui serait
n’était pas distribuée et équi-
un tact et un godtprodigieux.il y a des
ornements sur
le
vêtement d’Alonzo qui sont
telle-
ment bien exécutés et avec une telle sobriété, que, malgré leur nombre, ils n’attirent pas l’œil et laissent
aux
plis leur
grande simplicité.
chef-d’œuvre incomparable,
C'est
un tour de
un
force
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. et
comme Les
exécution
stalles,
ou
et
vous aimez mieux,
si
de Burgos, d’Avila
et
189
comme arrangement. las sillerias ,
de Tolède, sont merveil-
leuses et couvertes de sculptures sur bois, depuis le
haut jusqu’en bas. Ce qui
me
frappe en Es-
pagne, c’est que les ornements, les sculptures, bien qu’entassés en grand nombre, souvent sur
un espace relativement la
surcharge et à
la
petit, n’arrivent
pagnole a peu de réputation, moi,
elle est
çaise et,
jamais à
lourdeur. La renaissance eset
pourtant, suivant
bien l’égale de la renaissance fran-
pour bien des choses, peut marcher de
pair avec la renaissance italienne.
Pour les
grilles,
par exemple, je ne crois pas qu’il soit possible d’en trouver de plus belles que celles que Burgos doit à
Cristobal de Andino, et à tant d’autres
artistes
dont on ne
ils
étaient
sait
nombreux
môme pas au
les
noms,
tant
commencement du
seizième siècle. Les retables sont très-remarquables,
mais,
bien que leur masse dorée produise un bel
vue à une certaine distance,
je
ne
les
effet,
aime pas
en principe. Philippe et Jean de Bourgogne ont laissé,
sculpture sur bois et belles choses
une
comme
en Espagne...
petite église
romane
Il
comme
architecture, de
y a à Avila, dans
située hors de la ville,
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
190
marbre de San Segundo:
une
belle statue en
sais
malheureusement pas le nom du sculpteur...
Les sculptures sur bois du choeur de sont de toute beauté
;
souvent bizarres,
mais toujours
comme
la
ne
cathédrale
elles représentent des choses
intéressantes
motifs de décoration. Chaque figure ou
chaque monstre, pris à part, pourrait à faire la réputation d’un
homme. Tout
science et de sentiment
:
lui seul
est plein
de
Michel-Ange, j’en suis
sûr, n’aurait pas renié grand
neaux.
je
nombre de
ces pan-
Nous en avons dessiné plusieurs,
ainsi
qu’à Burgos, et nous avons encore d’autres croquis
du
môme
genre à faire à Tolède, où
coro, est d’un
être
le chapitre,
arrangement plus original peut-
que les deux précédents
vient prêter à la couleur
;
le
marbre blanc doré
sombre du bois
sa trans-
parence blonde, et les jaspes leurs richesses deton. Berrugueto
et Philippe
de Bourgogne se sont
partagé les sculptures. L’or,
les cuivres
et
les
fers argentés des pupitres, livres, orgues, can-
délabres..., etc..., viennent ajouter à la beauté
de
la
décoration. La capilla
comme
le coro,
mayor
est fermée,
par une grille admirable
faite
par Francisco de Yillapando.
Le retable
est
de Philippe ou de Jean de Bour-
gogne, et jouit d’une grande réputation
ne
le
;
mais je
goûte pas outre mesure.
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
191
Par exemple, chapeau bas! Le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre est
C’est
un
saint François d’ Assise
mal placé dans une
(je crois),
vitrine
du Trésor.
une statue en bois de Alonzo Cano. Le
,
saint,
demi-nature, a les deux mains passées sous les
parements de ses manches, capuchon,
les
entr’ouverte.
la tête
yeux levés vers Il
est impossible
couverte de son
bouche
le ciel et la
de voir au monde
quelque chose de plus beau, d’une vérité, d’un réalisme plus effrayants, d’une vie plus surnaturelle,
d’une expression plus divine et immaté-
rielle. Si
on regardait souvent
cette
œuvre su-
blime, on deviendrait fou. Mais on se garde bien
un
d’en parler dans les guides; on la cache dans
coin où elle est mal éclairée, à une hauteur où on la voit
mal, tandis qué
les places
d’honneur sont
données aux vêtements dont on recouvre tue de la Vierge, le jour de l’Assomption. richesse,
il
est certain
que
c’est
inouï
;
la sta-
Comme tout est
couvert de perles fines, de diamants, de pierres précieuses de tous genres. Mais j’avoue
j’aimerais
mieux
que
voir tous ces millions distribués
aux malheureux qui crèvent de faim dans toute l’Espagne, que de les voir ainsi enfermés dans
une armoire
et l’objet
de
la curiosité des
badauds.
Les perles seraient fausses, que
l’effet serait le
même
les vraies et
:
on pourrait donc vendre
en
.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
192
distribuer le prix aux pauvres.
pour
Puis,
slalue de saint François, par Alonzo Cano,
une chapelle
drait élever
merveille des merveilles
;
il
la
fau-
tout entière. C’est la cela vous arrache les
larmes des yeux! m’étendrai
Je
plus longuement sur Tolède,
quand nous y serons retournés. Le musée de Madrid nous réclame maintenant... A
11.
DUPARC.
Madrid
?
retrouvé Clairin à Burgos où nous
J’ai
avons passé trois jours à travailler dans
la
cathé-
drale pleine de merveilles. Puis vint le tour d’Avila
où nous trouvâmes des choses plus belles
encore qu’à Burgos. Nous y restâmes six jours à faire des éludes plus où moins réussies.
Nous sommes
à
Madrid depuis quinze jours;
nous avons en passé huit à nous promener, à voir tout ce
qui pouvait être intéressant, puis
nous nous sommes mis vigoureusement à vrage dans
le
musée.
Lances de Vélasquez,
J’ai
grandeur de
c’est-à-dire 11 pieds sur C’est
d’une
taille
l’ou-
entrepris la copie des l'original,
15 pieds 2 pouces.
raisonnable.
—
— Je ne t’en ferai
pas cadeau, parce qu’elle pourrait te gêner dans
ton petit cabinet. Je ne sais pas quels cris les pu. ristes
de
l’art
pousseront
l’année
prochaine,
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
quand
193
verront Velasquez mettre un pied dans
ils
sanctuaire de l'École des beaux-arts. Quelle
le
profanation!...
Ah drid
que de merveilles dans ce musée de Ma-
!
mais
je voudrais faire tout,
;
restreindre.
s’embrouiller
ici
;
s'il
y a
du nouveau,
me
Faudra
il
Les choses politiques ont
de
l’air
je t’en par-
lerai.
A SON PÈRE.
24 septembre
i
868.
Si tu lis les journaux, tu dois être inquiet
me
savoir en Espagne, dans
politique. à
un moment de
de
crise
Mais nous ne courons aucun danger
Madrid, et on croit généralement que
se passeront tranquillement.
les
choses
En Andalousie,
c’est
communications sont arrêtées
différent;
les
aussi, la
duchesse
C***, qui
était
partie,
il
:
y
a dix jours, pour une courte excursion à Séville et à
Grenade, est-elle retenue dans ces parages
malgré
elle.
vient n’a
Aucune nouvelle de ce quelle
pu nous parvenir. Hier,
grande revue des troupes de ciers et soldats, ont crié
ne prouve rien,
et
drid que lorsque le forces
on
:
il
la reine.
Tous,
ici
offi-
Vive la reine; mais cela
croit
moment
généralement
à
Ma-
sera venu, toutes les
du royaume se tourneront, d’un
accord,
de-
y a eu
commun
contre le gouvernement actuel, ce qui
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
194
évitera toute effusion de sang
en pareil cas,
car,
;
l’armée et les populations s’entendront parfaite-
ment. ... Je travaille toujours à Si
ma copie des Lances.
nous attendons pour voyager que
ments que
se soient éclaircis,
temps de
j’aurai le
pies. C’est,
Quel
il
est plus
faire
les
événe-
que probable
quelques autres co-
bien intéressant de copier Vélasquez.
maître!
quelle
franchise
dans l’exécu-
tion! quelle vérité, quelle chaleur, quel entrain!
Ce
n’est pas positivement facile à faire,
mais
c’est
passionnant. Nous travaillons tous les jours, de '
huit heures et demie du matin jusqu’à six heures
du
M. Madrazo a eu
soir, car
la
bonté de nous
permettre de travailler avant l’ouverture et après la
fermeture du musée. Nous déjeunons à huit
heures, pour ne plus avoir à nous déranger dans la
journée, de sorte que nous abattons de la beso-
gne.
Il
fait fort vilain
vent. Voilà deux
temps à Madrid, pluie
de taureaux C’est navrant. Et !
qu’il n’y le
et
dimanches de suite sans courses il
est
bien probable
en aura pas non plus dimanche prochain
temps se maintient
;
à la pluie, et, d’autre part,
on craint qu’après les courses,
les esprits
ne soient
surexcités et portés à des manifestations bruyantes....
Tu me demandes
ce qu’il faut faire de
mon
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
195
envoi? Fais-en ce que tu voudras. Je ne suis pas d’avis qu’il qu’il a
eu
la
exposition, parce
beaucoup plus de succès qu’on
ne pouvait espérer ; le laisser
une
reparaisse à
cette fois
serait
il
dormir en paix.
bon maintenant de prudent
C’est plus
;
critique ne pourra jamais en faire des éloges
plus exagérés. Qu’arriverait-il? c’est qu’à position,
on ne verrait plus que
et tout le
monde dirait
:
«
Il
nous ennuie, ce mon-
sieur, avec ses deux grands chevaux,
assez de bruit
comme ça
qu’on
;
l’ex-
les côtés faibles,
les
ont
fait
remette à
l’é-
ils
curie, et qu’on ne les voie plus de longtemps
Ce coup-là frapper
est frappé
:
à
un second mais avec ;
J’aurai dans tous les cas
portrait de si j’ai le
M
me
de
»
!
moi maintenant d’en autre chose...
pour l’exposition
D... et peut-être autre
le
chose,
temps.
A SON PÈRE.
Madrid, mardi, 29 septembre 1868. 11
que
faut
je te raconte notre journée, qui est
bien remplie et vaut la peine d’une mention particulière. Aujourd’hui,
29 septembre 1868, date
mémorable pour l’Espagne, Voilà
une
tion
sage et raisonnable
puis trois ou quatre jours,
comme
le
89 de l’Espagne!
!
révolution modèle, la première révolu-
aspect. Le soir,
qu’il
y
ait
Madrid
eu.
De-
était triste
on se promenait
silen-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
196
cieusement dans
carrera San Geronimo, à la
la
Des groupes de quinze ou
Puerla del Sol seize
personnes s’arrêtaient çà
et là, parlant si-
lencieusement. Les gendarmes qui, avant le 22,
l’épaule et le revolver à
puis lors laissé toute
la
le
arme de côté
tout
et à la
depuis cinq heures jusqu’à sept heures,
cits
Dans
était
Rocha
comme
à
Figaro nous lisions des ré-
insensés: Madrid, à l’entendre, était à feu et
à sang;
lons
le
sur
et erraient çà
somme,
calme; on se promenait au Prado
l’ordinaire.
civita)
fusil
ceinture, avaient de-
avec insouciance. En
et là
(guarda
marchaient avec
erreur, mensonge. Ce matin, nous al-
au musée selon notre louable habitude.
A onze heures, nous voyons un jeune très-pâle, dire quelques
compagnons
et, tout à
mots
peintre,
à l’oreille
coup, toutes
de ses
les boites
fermées; les gardiens ôtent leur costume redingote du pékin.
prennent
la
nutes,
musée
le
concierge
:
est désert
;
est
En quelques mi-
nous allons chez
les portes étaient
apprend que Madrid
sont
et re-
fermées.
en révolution,
et
conseille de rentrer chez nous. Pensant
le
On nous on nous
que cela
durera quelques jours, nous emportons nos boîtes à
couleurs. Nous faisons
un détour en
chez nous, afin de passer par •
la
rentrant
Puerta del Sol,
que nous trouvons entièrement couverte par
la
Digitized
by
m
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. foule.
Nous courons déposer nos
maison,
et
nous redescendons en toute hâte, pour
Au moment où nous
voir ce qui se passe.
vons sur
la place,
peau jaune paroles
:
et
arri-
nous apercevons un grand dra-
rouge, sur lequel sont écrites ces
Viva
pueblo
el
un monsieur
C’est
boites à la
Borbones
abajo los
!
très-bien mis qui le porte,
il
!
est
entouré de fanatiques qui crient, qui gueulent, aboient. La foule se tourne vers ce bruit et suit le
porte-drapeau, en criant à son tour .
blo , abajo los Borbones
!
Toutes
les
:
Fira
el
pue-
rues qui tom-
bent sur la PuertadelSol sont remplies de monde.
On ne
jetterait pas
une épingle sur
la place.
Un
nouveau drapeau rouge et noir apparaît avec ce titre
:
Soberania nacional. Nouveaux vivats, nou-
veaux applaudissements. De tous côtés reina
!
muerte a
los
Borbones
Le drapeau arrive devant Gubernacion. Des le
Fuera
la
le
hommes du
ministère de
la
peuple escaladent
premier étage en portant leur drapeau au nez
et à la
barbe des gendarmes
ligne, qui, l'arme
dans
le palais
de
et des soldats
au bras,
la
s’étaient
de
la
enfermés
Gubernacion. Voyant qu’ils
ne pouvaient rien contre ils
:
abajo la reina.
!
volonté nationale,
la
regardaient par les fenêtres.
A
la
montée du drapeau,
tres et les volets.
On
plante
ils
ferment les fenê-
le
drapeau sur une 17 .
Diqitized
by
y
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
198
des fenêtres du premier. Les cris redoublent « Viva la libertad
En un
!
viva la
:
soberania nacional ! »
instant tous les balcons de la Gubernacion
comme
sont couverts de gens qui grimpent
des
chats le long des pierres et se servent des tuyaux
en plomb
pour
comme
gaz
le
de
nœuds. De nouveaux drapeaux, avec
cordes
les
à
mêmes
devises, arrivent sur la place et sont acclamés
On
par des cris frénétiques. les
chapeaux,
Un
soldat
met
voit voler en l’air
les casquettes, les le
empêcher de grimper lance des cannes et
carreaux éclatent
mouchoirs, etc.
nez à une des fenêtres et veut
et
le
long des pierres. On
même
lui
des parapluies. Les
dégringolent avec fracas. Lè
soldat trouve prudent de rentrer et de refermer les volets.
En quelques minutes, et
les
maisons de
place
la
des rues voisines sont pavoisées, à tous les
étages, de rideaux et de draperies de toutes couleurs. Des échelles sont dressées devant les
iques.
Partout où les mots re
bou-
et reina sont
inscrits sur les enseignes, ils sont détruits avec
rage, à coups de marteau.
Tous
les
écussons
portant des armes royales sont démolis en instant,
ou couverts d’une
qui portaient les
noms de
sont débaptisées en
un
étoffe noire. Les rues
Reina, de Principe , etc.,
une seconde,
et
reçoivent
Digitized by
Googl
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. les
nouveaux noms de Vallin,
calle
etc.,
etc.
calle
Les
Prim ,
i99
calle
hommes du
Dune
,
peuple,
grimpés sur les becs de gaz pour mieux voir, les allument en signe de
Prim
!
joie.
De toutes parts
abajo los Borbones!
décide à arborer
» La
drapeau du peuple
le
:
et à pa-
voiser ses balcons. Triomphe de la foule
redouble ses cris
et ses
« Viva
Gubernacion se
:
elle
applaudissements.
Les gendarmes à cheval, chargés de maintenir l’ordre, arrachent alors leurs épaulettes, leurs
décorations, les jettent au peuple « Viva el pueblo
serrer la
!
»
main en
les
crient
et
On les acclame, on
:
veut leur
embrassant. De tous
les
points de la place on voit arriver des officiers et
des sous-officiers de la marine, de l’artillerie, des chasseurs, de
triomphe sur
la ligne,
les épaules
du génie, portés en
des citoyens.
tous arraché leurs cocardes royale qu’ils
portent sur
le
et
la
collet
Ils
ont
couronne de
leurs
habits.
Quelques garde à
la
fenêtres.
officiers
La
vrir les portes officier,
supérieurs qui étaient de
Gubernacion, se montrent enfin aux foule leur :
ils
demande de
faire ou-
ne répondent pas. Un jeune
d’une distinction parfaite et d’une grande
beauté, monte sur les épaules de deux voyous et, en
gesticulant avec son képi,
il
répète
la
JIligitized
by
COIî RESPONDANCE
2U0
DE HENRI REGNAULT,
On
demande du peuple. Alors
portes.
,
d’ouvrir
refuse
nouvelle escalade
les
on envahit
;
toutes les fenêtres, on brise les vitres du rez-de-
On
chaussée.
graphies de jelte
sur
détruit, à
coups de pierres,
Une
la reine.
porte de côté et la défonce
la
les litho-
'
partie de la foule, se :
celle
du
milieu résiste. Le gouverneur se montre au balcon et
veut haranguer le peuple. Les cris dominent
sa voix
il
;
se retire et paraît à
une autre fenêtre.
Quelques armes pirouettent en le
mur
à
quelques pouces de sa
On frappe
toujours à
la
l’air
tête.
et frappent Il
disparaît.
porte.
Arrive d’une des rues adjacentes
un
lieute-
nant-colonel des troupes révolutionnaires
veau triomphe. On
lui fait escalader le
étage, en lui tendant des
quelles
il
se hisse.
Il
:
nou-
premier
ceintures après les-
annonce l’arrivée prochaine
de deux généraux révoltés, Prim et je ne
sais
plus quel autre. L’image de Prim, à cheval, est attachée sur le drapeau du peuple, fixé au balcon
du milieu. Le gouverneur reparaît peuple, la main sur
La révolution
est
le
et salue le
drapeau.
triomphante
;
la ville
de
Madrid est rendue sans qu’aucune goutte de sang ait été
répandue. La fontaine de
la
Puerta del
Sol, à sec depuis plusieurs semaines, s 3 remplit
de nouveau
;
le jet
d’eau reprend son essor, tout
Digitizcd by
Googl e
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. le
monde
est
heureux, toute l’armée
201
pour
est
la
révolution.
comme
Mais,
crimes
les citoyens
de
la
au milieu de ce désordre,
et les vols se
vont chercher des armes. La défense
propriété et le maintien de l’ordre sont entre
leurs mains.
A
chés ces mots
:
tous les coins de rues sont «
Pena de muertepara
de mort pour
(Peine
des ouvriers, des
affi-
ladron
Les carre-
voleur). »
le
el
fours, les rues sont occupés par des gens ple,
les
trouvent souvent à leur aise,
du peu-
armés de
boutiquiers,
fusils, et
chargés de maintenir l’ordre et de fu-
siller le
premier voleur.
distribue des
armes dans
Dans
quiconque en demande. On
journée, on
la
le palais
de
la reine, à
voit sortir des cours
du palais des hommes de tout âge, de tout cos-
tume, de toute condition, depuis
bourgeois
le
huppé jusqu’au mendiant, avec des sabres de hallebardiers de la reine, des fusils à pierre, à
capsule, à aiguille. Les armes ne tarissent pas
quand
il
n’y en a plus,
il
;
y en a encore. Dans
toutes les rues, les bataillons circulent, musique
en
tête.
Le gendarme est à côté du garçon boucher, Catalan
à côté
l’artilleur.
du Madrilène,
Tout cela
suit
le
gamin
avec ordre
populaire et marche au pas sur
l’air
le
à côté de
le
drapeau
national de
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
202
Diego,
marchent en
abajo
libertad!
tête et crient
Borbones
los
fants ont des bâtons
femmes,
Les
espagnole.
Marseillaise
la
les enfants
Les
!
Viva
:
la
en-
petits
ou des fourreaux de sabre,
ou des baïonnettes, mais tous marchent, tous crient;
heures
la joie est et
A
sur tous les visages.
demie, tout
monde
le
pour dîner. A sept heures
et
six
rentre chez soi
demie on ressort
promenades des drapeaux dans
nouvelles
rues, puis le
calme se
fait
:
les
de nouveau. Les femmes
qui chantaient et battaient des mains s’enferment
hommes
chez elles, et les les rues,
montant chacun
en armes restent dans la
porte.
Nous avons parcouru
sens,
et partout
tranquillité et le
ment par
les cris
garde devant une
la ville
dans tous
nous avons trouvé
même
la
les
même
silence, troublés seule-
de vivala libertad abajo ,
los
Bor-
bones.
Prim arrive demain matin
et
va être porté en
triomphe. Je ne m’attendais pas à voir les choses se passer ainsi. C’est vraiment
semble
et cette
soldats pour
la
beau de trouver
union de tous,
même
voilà qui est bizarre
civils,
cet en-
marins
et
cause. Pas de sang versé
dans une révolution
;
!
pas
de pillage, pas de cruauté. Chaque citoyen, intéressé à maintenir l’ordre,
veille
avec tranquil-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
comme
Pas de pochards
lité.
203
à Paris. Je n’aurais
jamais cru à une pareille dignité. On se donne
main parlout, on s’embrasse, on recommence
la
à vivre
n'y a plus de Bourbons sur le trône
il
:
d’Espagne
Le peuple a mis
!
cela sans faire de victimes
Nous avons nous avons
temps à accomplir
le
œuvre, mais
grande
cette
y est arrivé, Bravo bravo
il I
!
été parlout; nous avons tout vu,
recueilli plusieurs
proclamations
nous pouvons nous vanter d’avoir
et
un des événements
les
rencontrer dans sa
vie.
Ce soir, toute?
La
nuit
les
à
assisté
plus curieux qu’on puisse
maisons
tranquille;
sera
étaient illuminées.
on
veille
Demain, ovation à Prim
les portes.
et
1
à toutes
et fêtes
pen-
dant quelques jours... A SON PÈRE.
Madrid, 4 octobre 1868.
Tout va bien
fermé depuis fermé
tant
Depuis il
le
;
que
la
29 septembre,
musée
est
et qu’il restera
situation ne sera pas éclaircie.
mais sans aucune espèce de gouver-
ajoutons que cela n’en va pas plus mal.
Gavroche
voyou est
le
ce n’est que le
29, nous vivons dans une paix profonde,
est vrai,
nement
ici, si
est
roi,
roi. Il est
police beaucoup
ou
si
lu
aimes mieux,
armé jusqu’aux
dents,
le
fait la
mieux que n’importe quel mou-
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
204
chard parisien décoré, puissamment salarié et ambitieux du grand cordon. Jamais l’ordre n’a
régné dans aucun pays
comme
règne à Madrid
il
depuis six jours. C'est merveilleux
:
chaque Es-
pagnol, en guenilles ou en paletot, avec ou sans se sent de nouveau gentilhomme
souliers,
ca-
ballcro; chaque mendiant a fouillé ses papiers
de famille par
et
s’est découvert une descendance,
femmes ou
les
-le
clergé, d’un grand d’Es-
pagne quelconque. Aussi, au côté,
le fusil
cartouches...
nadier de
Il
monte
la vieille
la
frère,
il
ceinture remplie de
la
garde
garde, et
voleur lasse des siennes
faut le voir, l’épée
il
au bras,
:
il
comme un
gre-
ne faut pas qu’un
fût-il
son
fils
ou son
le fusille à l’instant.
Un voleur
avait
pris
avant-hier la
montre
d’or d’un Anglais, près d'un poste. Le poste est
prévenu,
le
voleur arrêté et fusillé dans la rue
même. On posa sur sur
lui et
on laissa
sa poitrine la
le
montre trouvée
cadavre au milieu de
la
rue
jusqu’à ce que le propriétaire delà mon tre fût venu la
réclamer. Avant-hier, le général Serrano, duc de la Torre,
faisait
son entrée à Madrid avec l’amiral Topete.
Trente mille
hommes du
peuple avaient
le
fusil
sur l’épaule pour recevoir les deux vainqueurs.
Jamais armée n’a marché en pareil ordre,
ni
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. avec plus de calme et de dignité.
On
205
aurait cru
voir trente mille princes déguisés en voyous et
couverts de haillons. .
Le général
un
ont été accueillis avec
et l’amiral
enthousiasme que
tel
du général
le cheval
piétinait sur place saris pouvoir avancer, et la voiture de l’amiral
drer sous
le
que
Topete menaçait de s’effon.
poids des citoyens frénétiques qui
voulaient l’embrasser et lui serrer les mains.
Chaque rayon de roue foule encombrait
portait trois
le toit
hommes
et la
du carrosse. Les maisons plus ou
étaient pavoisées,
couvertes
moins
ou moins décorées d’armoi-
ries.
riches, plus
d’étoffes
Les balcons regorgeaient de femmes char-
mantes qui semblaient avoir orner les maisons
été choisies
donner plus
et
pour
d’éclat à
la
fête.
On
agitait
que sur
des drapeaux, des mouchoirs jus-
les toits,
jusque sur
les
tuyaux des che-
minées! Que sera-ce à l’entrée de Priin, qui
est
bien plus populaire encore?
Nous ne perdons pas notre temps rons
les
;
nous cou-
corps de garde, les bivouacs, nous
sons des croquis
et,
esquissons ce qui nous a courses. Madrid, en ce
bleaux superbes
;
la
fai-
rentrés à la maison, nous le
plus frappé dans nos
moment,
est rempli de ta-
variété des costumes, ces 18
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
206
mélanges d’armes
de haillons, les cours,
et
les
rues, souvent très-pittoresques surtout dans le
quartier Mouffetard de Madrid, sont autant de motifs intéressants. Je ne veux plus entendre attaquer les Espa-
gnols
;
se conduisent en
ils
hommes. Pas un sou
lard, dans les rues, pas de vengeances particulières,
pas d’excès, pas d’abus de pouvoir
de bons
dans
fusils
nos faubourgs
les
!
Mettez
mains des Parisiens de
et attendez
seulement une heure
:
tout Paris sera à feu et à sang...
Demain malin, nous calle de Segovia.
sentinelle
semble,
et
du
travaillons dans
Nous avons
dit poste,
un
poste,
une
été présentés à
nous avons trinqué en-
nous trouverons
là
des modèles com-
plaisants. Viva la soberania nacional !!! A
«TV PP RP
Madrid.., Il octobre 1868.
Je n’ai
pu recommencer
à travailler au
musée
que vendredi, mais toutes nos journées ont été bien employées et nous avons eu l’entrée
de
Priin, puis la rentrée des régiments d’Andalousie,
puis des revues, puis des combats de taureaux..., etc...
Depuis dix jours,
de triomphe partout
;
bannières, drapeaux,
maisons,
la ville est
en
fêle.
Arcs
guirlandes de feuillages, banderolles
à toutes
les
et jolies têtes à toutes les fenêtres.
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Prim sensé
;
un enthousiasme
a été accueilli avec il
ronnes,
207
in-
a été couvert de bouquets et de cou-
etc...
Nous avions
peint, la veille de son
entrée, une grande allégorie qui a été portée par
du
les citoyens
district
de
calle
la
de Segovia
au-devant de Prim; elle a eu du succès.
Chez
duchesse
la
nous avons rencon-
C***,
tré le général caballero
Ruv Fernandez de Ro-
das, le comte et la comtesse de B***.
Le général caballero de Rodas ordres de Serrano, duc de
la
était
sous les
Torre, et c’est lui
qui, après avoir gagné la bataille d’Alcolca, fut choisi et
proclamé général,
troupes de Novaliches veille. C’est assez
,
le
lendemain, par
les
qu’il avait vaincues la
curieux.
Mais ce qui est plus curieux encore, c’est que le
comte
et la
en 1866, l’ont voyant que
comtesse de B*** ont sauvé Prim fait
revenir en Espagne en 1867
la révolution
fois encore, l’avaient suivi à
un mois
l’ont
ils
domestique
et
et,
ne pouvait réussir cette Londres, d’où
ramené. Prim les servait
était
avec
un
il y a déguisé en
sang-froid
extraordinaire.
Dans leur première
retraite, parait-il, ils ont
couru de grand s dangers. La Catalogne était pleine d’espions à la recherche de Prim
donné de
le
fusiller là
où on
;
ordre était
le trouverait.
Il
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
•!08
avait coupé sa barbe
comtesse
comme
et servait le
comte
que
n’avait fait
s’il
et
la
cela toute
sa vie.
A
table d’hôte, dans les hôtels,
serviette sur le bras et
une
il
entendait, la
main,
assiette à la
tout ce qu'on disait de lui, et alors on ne parlait
que de
lui. Il savait
toutes les poursuites dont
et de précautions qu’il a
il
de discrétion
était l’objet, et ce n’est qu’à force
pu regagner
fron-
la
tière.
Une
fois
en France,
il
n’était pas sauvé, et ce
n’est qu’à Londres qu’il a été tranquille.
Cette fois encore, gilet
il
avait revêtu la livrée, avec
jaune, et vivait de pair à
son domestique à
lui,
compagnon avec
qui souffrait d’être obligé
de traiter son maître en camarade. La traversée s’est
bien opérée, on croyait toujours Prim à
Londres. Mais, à Gibraltar, on avait des ordres du
gouvernement anglais pour
l’arrêter.
quitta Gibraltar à trois heures
heures on
était à sa poursuite.
sans encombre et après dépouilla son
la
et à six
arriva à Cadix
Il
reddition de la ville,
costume de larbin
contre celui de général. Pour
nommé
Son bateau
du matin
le
ministre de la guerre;
et le
moment, il
il
changea il
est
arrivera plus
haut, sans doute.
Le
peuple l’aime tant qu’il
ne
le
laisse
Digitized
by
GoogI
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. pas dormir.
Toute
la
chœurs, des hymnes régiments viennent
;
lui
nuit on les
lui
Ü09
chante des
musiques de tous
les
jouer des marches triom-
phales sous ses fenêtres. C’est un tapage incesLes cris de viva retentissent à tous
sant.
ments. La Puerla del Sol
et le
mo-
commencement de
lacalle Alcala sont toujours remplis de curieux
qui attendent qu'il se mette à
Il
a pourtant
l’assassinat
vant
rudement secoué
composé que de
et
pareille
si
et
Il
était
peuple après
la liberté
chose recommençait,
comme
il
n’était
morceaux de bêtes
indigne de
Topete partiraient et
débrouiller
le
lui disait qu’il
canailles, de
son mot), qu’il
que
rano
fenêtre ou qu’il
du secrétaire de Gonzalez Bravo, de-
Gubernacion.
la
(c’est
la
pour l’acclamer encore.
sorte,
lui, Ser-
le laisseraient se
voudrait. Sur quoi, on a
applaudi à outrance.
La liberté des cultes est proclamée dans toute l’Espagne.
Prim
mes
et
veillait
a
demandé au peuple de déposer
de se remettre au sur lui et pour
travail,
lui.
les ar-
puisque l’on
Les postes de
ci-
toyens sont dissous presque partout, la ville
va
reprendre son
aspect
habituel.
Peut-être
pourra-t-on dormir maintenant!... Je vais avoir à faire le portrait de Prim, ce qui 18 .
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
210
sera
une bonne fortune pour moi, surtout en ce
moment où
l’Europe a les yeux fixés sur lui
A SON PÈRE.
.... 21 octobre 08.
Je vais consacrer
demain une dernière
séance à mes Lances, puis je les laisserai sécher
pendant quinze jours ou je
les
pour
reprendrai les
J’ai fait
et
trois semaines. Ensuite
une huitaine me
suffira
retoucher et terminer complètement.
sur cette
toile là
de rudes journées de
pioche, de huit heures et demie du matin à six
heures du
ce qui m’a permis de l’enlever
soir,
promptement. Je
crois
que
cette étude
m’a
fait
faire des progrès.
Ce sera une bonne chose maintenant d’avoir à travailler d’après nature.
Prim sera
cela m’intéressera davantage et
pas beaucoup plus de temps. On les facilités possibles.
Ma
ne
à cheval
me
;
prendra
me donne toutes
toile a
dû
être portée
aujourd’hui dans une grande remise, aux écuries
de
Tous
la reine.
disposition
;
il
sont splendides
dont
j’ai fait
les
y en a ;
un
chevaux ont été mis
entr’autres, petit arabe gris
un croquis; jamais
de plus parfait
ma
à
un grand nombre, plusieurs
comme
je n’ai rien
cheval. Mais, dans
vu
mon
m’appliquerai plutôt à
donner au
cheval le caractère andalous, qui
me semble
tableau, je
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. plus approprié à la circonstance.
11
posées d’une façon merveilleuse.
A
211
y a de trèsbeaux andalous dans ces écuries, qui sont dis-
où
droit
où l’on fera manœuvrer
portrait,
ma
les
chevaux devant moi.
monumental
Je compte faire, de ce
coté de l’en-
un grand manège
je travaille, se trouve
et historique
prochaine exposition.
Nous avons passé deux soirées avec Prim (maintenant maréchal)
chez les de B***.
,
très-simple et distingué. péripéties en détail est
un
Il
l’existence de cet il
homme
lui a
fallu
à bien cette grande conspiration
communiquait, nous
est
Il
nous a raconté ses
roman. Quelle tête
vrai
pour mener
;
Il
a-t-il
dit,
!
avec ses
frères de Cadix, Séville, Valence, Madrid, etc.,...
par
le
télégraphe du gouvernement, à ciel ouvert,
et jamais
on n’a
une seule de
saisi
quelle qu’en fût
la
longueur.
eux une langue convenue; lait le collégien, et
tout le temps. Le
lège arrivait
;
peu souffrant,
la révolution s’appe-
le
de
la
Nous sommes au mieux avec possible
que nous
;
rentrée au col-
collégien était encore
un
etc., etc.
del Bosck. C’est soit
ses dépêches,
avaient entre
sur ce thème-là, on brodait
moment
mais
Ils
l’homme
de voir
c’est
un
;
il
le général Milanz
le plus spirituel qu’il
parle français
mieux
type de vrai d’Artagnan.
Il
a
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
‘212
une superbe
basanée;
tôle, sèche,
les sourcils
sont noirs, les cheveux blancs, touffus et dressés
sur
avec rage. D’énormes moustaches
la tète
blanches flottent au-dessous d'un nez dessiné par plans fermes
maigre
et
sur un petit corps
le tout
;
nerveux qui se termine par deux bottes
plus hautes que
jamais porté.
pas d'épée,
lui. Il n’a
Môme
à la guerre
n’est
il
il
n’en a
armé que
d’une badine, et couche avec ses bottes. Que ne qu’il raconte
puis-je te répéter tout ce
avec une
verve et une originalité incroyables!
Le conseil des ministres
une
lettre
homme
a
très-curieuse du
reçu dernièrement sultan
remarquable, à ce que dit
lanz, qui l'a
combattu
et
du Maroc,
le général
Mi-
vaincu autrefois.
Le
sultan demandait à s’asseoir sur le trône d’Espa-
gne, disant que de toute antiquité les Maures et
Espagnols n’avaient formé qu’un uni
et
heureux de
cette union.
fanatisme d'Isabelle
la
Il
peuple, bien
ajoutait
que
sés de la Péninsule, et
que maintenant qu’Isa-
belle était bannie et la liberté des cultes
clamée, raît-il,
il
s’offrait
était
le
Catholique les avait chas-
comme
pro-
roi. Celle lettre, pa-
pleine de noblesse et très-remar-
quable. Différents
grade qui leur
chefs
d’armée ont refusé
était offert
le
comme récompense
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
213
des services rendus par eux à la cause de la révolution.
pondu,
Leur seule récompense,
était
dans
triomphe de
le
la
ont-ils ré-
liberté et
l’expulsion des Bourbons.
Les vainqueurs se montrent du reste très-
généreux envers leur ex-souveraine. Jamais une insulte,
une parole blessante ne sortent de leur
bouche. Tous sont prêts à lui faire accepter un jour, sans la blesser, une pension qui lui per-
mette de vivre honorablement
car les vingt-
;
cinq millions qu’elle a emportés lui suffiront à peine pour deux ans lité pareille à la
;
jamais on n’a vu prodiga-
sienne.
Les anciens domestiques de
la
reine sont tous
restés au palais et reçoivent leurs appointements
comme
auparavant. Prim a donné
au ministère de sa
la
un beau
poste
guerre à celui qui a demandé
mort en 1866. Le gouverneur de Gibraltar
ayant écrit au conseil des ministres pour savoir ce qu’il devait faire des émigrés fidèles à l’ancien gouvernement, le conseil a donné ordre de les laisser rentrer sains et saufs, et
de délivrer
des passe-ports à ceux qui désireraient se rapatrier.
qu’ici,
On ce
dira
ce
qu’on
voudra, mais,
gouvernement provisoire
jus-
se conduit
très-bien. J'aurais
de quoi remplir
des volumes sur
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
214
nos relations avec
grands du jour
les
m’étendais davantage
ma
lettre
;
mais
si je
ne partirait pas.
A M. DUPARC.
5 novembre 1868.
La semaine dernière nous avons emménagé
dans un bel
mois
atelier
que nous louons pour deux
où nous sommes très-bien
et
installés.
Ma
copie des Lances est à peu près finie et deux
ou
trois jours
de travail suffiront pour achever
commence un grand
ce qui reste à faire. Je trait
équestre de Prim
;
il
l’envoyer à l’Exposition.
compte
faire
est
ébauché
Tu
le
verras donc. Je
encore, avant de quitter Madrid, une
copie de l’Ésope de Vélasquez, et petite
que
por-
et j’espère
une autre
(plus
l’original) des Hilanderas (fileuses)
du
dito Vélasquez. C’est le tableau le plus étonnant et le
plus délicieux
sible de rêver.
bon Vélasquez
comme
Tu ne :
te
et
un jour un
tu en jugeras.
petit
gris,
d’une sincérité
d’une exécution facile qui ne sent ni
l’effort ni la fatigue
!
Ses tableaux sont
d’aspect qu’on croirait apercevoir, par
ouverte dans nature.
voyage à
C’est d’une fraîcheur
de tons, d’une finesse, d’un d’effets et
le
ses tableaux sont d’une clarté
merveilleuse. Paye-toi
Madrid
aspect qu’if soit pos-
doutes pas de ce qu’est
la galerie,
si
réels
une fenêtre
une scène vivante de
la
< N
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Nous vivons dans jour.
215
du
l’intimité des grands
Prim, Milanz del Bosck,
le
marquis de
Nisa, caballero Rodaz, nous traitent en amis ils
sont tous adorables.
On
le
demande bête
;
roi, n’en
un par hasard? En ce
connaitrais-tu pas envoie-le-nous.
On cherche un
cas
et laid, nul,
Bref, notre existence à Ma-
sans prétention drid est paradisiaque
!
Les artistes espagnols sont charmants pour
moi
;
grands du jour nous demandent conseil
les
sur les affaires les plus importantes
;
les petits
nous demandent notre protection. Tout va bien. prenait fantaisie de faire
S’il te
à
mon
seras sûr de
atelier.
heureux
;
Tu
une escapade
Madrid, viens m’embrasser à
de quelques jours
je te ferai
me
voir les
rendre bien
Vélasquez, une
course de taureaux et beaucoup de généraux A SON PÈRE.
5 novembre 1868.
Nous sommes dans un grand
installés depuis vendredi
atelier, tlanqué
calle Cervantes, 50, près
de deux chambres,
du musée.
J’étais
dans
de trop mauvaises conditions aux écuries pour faire le
portrait de Prim. Je n’avais trouvé de
jour convenable que dans une- immense remise
où étaient rangées sorte
que
le
les voitures
matin entraient
de service. De
et sortaient les four-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
210
go'ns qui allaient
aux provisions.
a donc fallu
11
se mettre en quête d’un atelier assez grand pour
que nous puissions y travailler trois, sans nous avo»s trouvé parlaitement notre
gêner. Nous affaire
grand
:
atelier,
beau jour, chambres, deux
terrasses dont
une en plein midi, de sorte que
nous pourrons
faire poser nos
modèles en plein
soleil.
La semaine dernière nous avons salle
général Milanz. Clairin
le portrait
nature jusqu’aux genoux, moi j’en
dant ce temps-là,
la
duchesse C***
De
sorte
six
yeux braqués sur
que
le
malheureux
fait
les bottes. faisait
était
lui. C’est
ai
sous
un
le
petit
ce petit général,
si
bon enfant; !
11
est à
peu près ébauché. Demain sera terminée
toi
:
et
dont
;
et
avec cela
l’air
croquer. Prim est à
je
pense que l’ébauche
je la laisserai sécher
pendant que
quelques éludes peintes aux écuries, où
n’ai
je
feu de
homme
pleine de caractère. C’est un bijou que
d’un chat en colère
je ferai
une Pen-
son buste.
maigre, d’une tournure très-amusante, la tète est
du
comme
£rand
le faisait
pochade d’ensemble, y compris
dans une
fai!,
du musée fermée au public,
les
modèles
pris encore
que des croquis. Rassure-
chevaux "sont à et
Sur ma
ma
disposition
comme
non comme montures. toile,
Prim arrive de
la
droite du
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
217
cadre, allant vers la gauche et se présentant de
de gravir une pente
trois quarts. Il vient
au sommet,
arrête court son cheval (à
il
espagnole) et salue à
tent,
mode
sa patrie
permis de revoir, non. plus en pro-
qu’il lui est scrit,
la fois la liberté et
arrivé
;
la
mais presque en maître. Derrière
lui
mon-
mais à un plan plus éloigné, des Catalans
armés et des paysans portant des drapeaux.
Une ligne de montagnes du
poitrail
du
s’aperçoit à la hauteur
cheval, et le reste
du
poitrail se dé-
tache sur un ciel gris avec une trouée claire qui fait
enlever en vigueur le côté dé l’ombre du per-
sonnage. Le costume est amusant, très-simple
tunique bleu noir, culotte
et gilet
noires, ceinture rouge et or,
un galon d’or aux
parements des manches. Prim droite, -sa
:
idem, bottes
tient, à la
main
casquette bleu noir galonnée d’or,
ressemblant aux casquettes de nos
officiers
de
marine. Le cheval est un andalous bai, crins noirs et
jambes noires A SON PÈRE.
Madrid, 16 novembre 1868.
Le froid ne m’a pas permis, ces temps derniers, de faire
mes études de chevaux en
plein air, pour le portrait de Prim. hier.
Après
la pluie
viendra
le
Il
pleut depuis
beau temps et 19
.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
218
une chaleur
peut-être
jour passer
l’autre
relative. J’ai été
chez Prim
la soirée
:
mortel!
c’était
Le général est poursuivi jusque dans sa chambre à coucher, par des gens qui veulent lui parler affaires
quand même, de
profité de
ma
sorte
Prim
visite.
pour
obligé de garder la tête
tout
moment
il
j’ai
bien peu
la fin, et
de faire
du tableau auparavant. En ce
reste
le
que
est exténué. Je serai
lui serait
impossible de poser
y a eu grand meeting qui a permis à Olozaga, Serrano et Prim de développer leurs Hier,
il
idées au sujet d’une monarchie constitutionnelle
Prochainement, grande revue passée
et élective.
par
le
général ministre de
compte A
le voir et l’étudier
la
guerre Prim. Je
un peu
à cheval
SON PERE.
Madrid.
Malgré tout
le plaisir
que j’aurais
tous, cela m’est impossible.
. 4 .
à écrire à vous
Tous nos moments
sont remplis, nous ne flânons pas une minute, je t’en réponds.
Que
n’avoir pas toujours
je
regrette maintenant de
fait
ainsi
!
J'aurais
un
ba-
gage solide et varié, je posséderais à cette heure la force
ou
que
je
trois ans.
moi.
J’ai
ne pourrai acquérir que dans deux Ce serait une rude avance pour
beau mettre
maintenant,
il
les
morceaux
doubles
y a un retard que je ne rattraperai
Digitized
by
Googl
*
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
mal qui
pas. Le
que pour
l'artiste et
est
décidément
de l’homme,
mieux entendue, plus
;
n’y pensons
219
donc
l’éviter à l’avenir.
Le voyage /
est fait est fait
tôt, et
et,
la véritable école si
de
l’éducation était
jeunes gens seraient formés
les
plus tôt sérieux.
La nouveauté des choses qu’on voit vous surexcite et vous
donne une énergie que vous me
pouvez ressentir chez vous, où vous n’avez d’autres spectacles
que ceux auxquels vous êtes habi-
tués depuis votre enfance. Rien ne vous surprend plus
endormez facilement. En
vous vous
et
voyage, au contraire, l’idée du départ plus ou
moins prochain vous préoccupe; vous voyez
temps
fuir
revoir plus lard ce qui vous entoure
ment
;
il
chaque
le
rapidement, vous craignez de ne pas
faut
momentané-
donc observer, retenir, profiter de
instant, de
chaque chose. Vous ne voulez
rien laisser échapper et vous travaillez active-
ment
;
tandis que
la
confiance que donne cette
idée fatale que vous pourrez revoir demain ce
que vous avez aujourd’hui sous vous pourrez vous ne
faites
faire
les
yeux, que
dans un ah ou deux ce que
pas aujourd’hui, ah
!
cela
vous
amollit terriblement.
Je voudrais avaler tout le
voudrais avaler tous
musée de Madrid
les intérieurs
;
je
de posadas de
CORRESPONDANCE DE
‘220
la
rue de Tolède
I1ENR1 lIEGNAL LT.
de Segovia, à Madrid
et
que
je rencontre; et jamais, à Paris,
venu à
l’idée d’avaler le
le retrouverais
pourrais
je
durer
ne m’est
la
même
plaisir longtemps,
le
petite bouchée.
la perspective
de mes quatre
années de pensionnat m’a empêché de voir
rement six à
ma
situation. J’ai perdu à
premiers mois que
un moment
pouvais
je
place et que
bouchée par
et le déguster, petite
A Rome même,
il
Louvre, sachant que
toujours à
faire
tous
;
bonshommes
les mulets, tous les ânes; tous les
j’ai
clai-
peu près
les
passés là-bas, et cela,
où, n’ayant pas d’envoi à faire, je
me meubler
d’une
quantité d’études
intéressantes que je ne ferai plus maintenant,
parce que je n’aurai plus
la
même
liberté
de
pensée. Je serai sans cesse talonné par l’exigence
du règlement
et
ma
de
conscience, qui
me
de-
mandent un envoi, chaque année plus important, pour faire oublier le précédent. L’attention qu’on a apportée à
produit
me
et ainsi
de suite.
Ce qui est certain, verts,
que
c’est
je les écarquille
que j’ouvre
que
afin
,
et je
j’ai les
yeux ou-
pour voir plus
ma mémoire pour
de choses possible
gneusement
mon premier
force à soigner beaucoup le second,
la
clair,
plus y fourrer le
cadenasserai soi-
de ne rien laisser échapper. Je
,
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. rpgretle le temps perdu
hélas! vivre
il
me
Je fort
:
221
voilà qui est clair, et,
y a de quoi regretter. Je me suis laissé longtemps avec insouciance et
trop
,
ne se passera plus
cela
:
comme
juré d'écrire
suis
ça,
carambaü
demain
serment d’ivrogne! Demain
à
je n’aurai
une minute à moi. A huit heures moins
\
Montpas
le quart,
un mendiant pour terminer une étude commencée aujourd’hui
;
à
onze heures et demie,
au Fomento pour voir un beau Goya heure, séance pour
de
madame
le petit
portrait
;
que
visite
à
une
je fais
de B***, en costume espagnol rose
et
noir, ce qui, entre parenthèse, lui va joliment
bien.
A quatre heures, nuit tombante, course
calle de Toledo
cienne
ma
à la
pour voir une mante gitane an-
et l’acheter
sans doute. A cinq heures,
leçon de guitare, pour arriver à gratter pas-
sablement un jaleo ou une malaguena quelconques. Dînera six heures; à sept heures, remodèle
comme ça, et comme ça. Si jeu-
à l’atelier. Et c’est tous les jours
cela aurait toujours
nesse savait s’entend.
Pero
!...
dû
Je suis bien
Au physique
n' importa
être
aussi
vieilli, va,
au moral,
un peu, peut-être.
!
i».
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
222
A
MADAME DE SAINBRIS.
27 novembre 1868.
mon
Depuis
arrivée en
pioché plus que jamais, et
m’aura
fait faire
J’ai à. peu j’ai
fait
sexes,
un grand
mon
Espagne
j’ai
,
séjour à Madrid
pas, je crois.
près terminé une copie des Lances;
plusieurs études d’Espagnols des deux
une masse de croquis d’après nalure, une
assez bonne quantité de projets de tableaux,
une
pochade du général Milanz del Bosck
une
grande ébauche du général Prim voudrais avoir
Madrid, et
Home
Je
faudra partir vers le 10 ou
15 janvier, parce que ver à
à cheval.
ce portrait avant de quitter
fini
me
il
et
avant
mon
la
tin
devoir est de
du
dit
me
le
trou-
mois, au lieu
de courir l’Andalousie, de voir Murcie, Valence, etc
Nous sommes
installés
dans un bel atelier que
nous avons meublé avec un luxe oriental
les
;
circonstances nous y ont forcés. Cette
commande
du
renoncer à
portrait de
Prim nous
toute pérégrination.
Il
a décidés à
n'y a rien à regretter, car
nous aurions vu l’Espagne imparfaitement
nous avions voulu fois...
l'avaler tout entière
Nous aurions emporté plus de
si
en une
regrets
que
de souvenirs. L’existence est très-agréable
ici.
L’Espa-
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
gne n’est pas appréciée
une mine de
pour un peintre,
trésors
en laissant de côté
pays
le
me
maîtres espagnols
223
à sa juste valeur; c’est et
même
et les habitants, les
paraissent être d’un ensei-
pour nous, que des géants
gnement plus
utile
inabordables
comme
Michel-Ange ou Raphaël.
Les maîtres espagnols vous admettent davantage dans leur intimité
ils
;
vous font voir
les
choses avec plus de bonhomie, plus de simplicité. Ils
ne cherchent pas à dissimuler leurs moyens ne demandent pas mieux que de
d’exécution,
vous montrer comment
ont
ils
fait, et
vous per-
mettent de balbutier devant eux, sans vous écraser de leur mépris.
qui éclaire tout les
mendiants
le
Ils
se sont servis
monde
comme
ils
;
de
la
lumière
n’ont pas regardé
indignes de leurs
ceaux, pas plus que les rois.
pin-
Les nains,
les
pouilleux, les enfants, les haillons, les chevaux,
bon
les cuirasses, tout leur est
comme
rien
vil et
grossier
:
à
;
ils
ne rejettent
vous de
faire votre
choix dans tout ce qu’ils vous présentent.
cherchent pas,
comme
poser ce qu’ils ont retiré de
eux
;
en un mot,
fiers, et
ils
Ils
ne
tant d’autres, à vous imla
nature, épurée par
ne sont pas pédants, pas
leur peinture pourrait être faite hier, ou
demain, sans paraître dépaysée parmi nous, sans être passée de
mode.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
224
Pour moi, Velasquez
est le Molière
de
la
pein-
ture; son style est facile sans négligence, fort
sans emphase, sa langue pure sans prétention.
Ah
Vélasquez! Vélasquez!
!
Je
ne vous parlerai pas de notre révolution.
Vous savez aussi bien, ce qui se passe
et
même mieux
Ne prenez pas
ici...
que moi, Espagnols
les
'
trop au sérieux, mais ne les méprisez pas; ce
cœurs qui ne savent pas trop ce
sont de nobles
qu’ils veulent, qui les
ne comprennent pas très-bien
grands mots qu’ils débitent
noms
et
grands
les
qu’ils invoquent.
Le dernier pouilleux a quelque chose de Don Quichotte; quin, et
n’est
il
honoré pour laisser garette à
gens-là;
jamais canaille, jamais mes-
grand d’Espagne ne se
le
croit pas dés-
mendiant allumer
sa ci-
sienne. Moi, j'aime beaucoup ces
la ils
le
sont (l’une politesse exquise, d'une
complaisance inconnue absolument aux Français. Les gens qui ont des affaires commerciales avec
eux prétendent c’est possible,
qu’ils n’ont pas
mais en
affaires,
de bonne
foi
;
on appelle cela
de l'adresse. Ce qu’il y a de certain, c’est que pendant quinze jours la ville a été entre les mains de
la
un
vol, pas
canaille
le disais à
armée jusqu’aux dents
un excès
mon père
:
n’a été
et
commis.
mettez Paris dans
que pas
Comme je les
mêmes
Digitized by
<
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. conditions et vous
me
'225
raconterez ce qui s’y sera
passé. A
PÈRE.
SOI*
Décembre, 1868. *
...
Nous
travaillons toujours régulièrement.
Ces jours-ci, nous avons
fait
quelques aquarelles
d’après des mendiants que nous ramassons dans les rues.
La misère est atroce à Madrid; les rues
sont encombrées de mendiants de tout sexe et df»
tout âge, affligés souvent de difformités hor-
ribles qu’ils étalent
aux yeux du
'public. Les
aveugles abondent en Espagne, et on attribue cela à l’éclat des terrains blancs et des murailles
blanches, au soleil, et à la fraîcheur des nuits sur les plateaux. Ces
malheureux couchent en plein
air, le long des
peuvent contre
manière
vent froid.
à se trouver trois
et à se serrer les
plus chaud. sont vêtus
Il
uns contre
Ils
comme
ils
s’arrangent de
ou quatre ensemble les autres
pour avoir
faut voir de quelles guenilles
ils
!
L’autre soir,
darrama,
portes, s’abritant
le
et
il
soufflait
un vent
glacial
du Gua-
nous étions transis bien qu’envelop-
pés dans nos manteaux. Nous fumes accostés par
un jeune homme de quinze
à seize ans, littérale-
ment nu, n’ayant pour tout vêtement qu’une chemise et une culotte de toile tellement en loques,
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
226
que par
qu’elles n’étaient retenues entre elles
quelques rares lambeaux. Les cuisses, les
et
épaules
vertes; ce
hors
comme
complètement
étaient
malheureux
passer
allait
tous ses collègues.
une aumône, mais,
hélas
la
!
elle
décounuit
la
Nous
poitrine
lui
ne dut pas
de-
fîmes
lui tenir
bien chaud! Jusqu’ici
nous sommes tombés sur de braves
gens. Nous avions aujourd’hui une honnête famille, mari,
femme
une conscience
et enfant,
parfaite, et
qui posaient
av<?c
nous ont témoigné
leur reconnaissance pour les quarante sous que
nous leur avons donnés après là sont
la
séance. Ces gens-
généralement d’une distinction extraor-
dinaire;
ils
n’ont rien de canaille, ni dans leur
manière de parler,
ni
dans leurs gestes
;
ils
sont
polis et discrets, presque talons-rouges.
Hier soir en rentrant, nous nous
un
petit concert à
peu de
frais.
sommes payé
Nous avions ren-
contré après le dîner un aveugle qui accompagnait
sur la guitare des chansons populaires chantées »
par un jeune garçon de quatorzeans, doué d’une voix très-souple et amusante. Nous leur avons dit
de nous suivre
et,
pour un escudo, deux francs
cinquante, nous nous
sommes
fait
chanter force
malaguenas, rondenas , seguedillas... etc., etc. J'étais
étonné des bonnes manières de ces deux
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
227
pauvres troubadours des rues. Aujourd’hui tailleur apportait
une capa
une guitare pendue
à l'ami
à notre
mur,
nous en jouer pendant que nous
un
Roger
;
et s’est
il
le
vu
a
mis à
travaillions;
il
a
vrai talent... . . .
Nous avons
qui a été
été voir hier le
pauvre Madrazo,
dégommé, ainsi que M. Zuloago,
le di-
recteur de l’Armeria. Ce dernier s’était mis (rès-
aimablement à
ma
disposition et m’avait offert
toutes les facilités pour faire quelques études
dans le real Armeria. Je ne
sais
encore par qui
il
est remplacé.
Quant
à Madrazo,
il
est
remplacé par M. Gis-
bert, peintre valencien qui a fait
un
certain ta-
page avec son tableau des Communeros. fait
un
portrait d’Olozaga
;
celui-ci l’a
Il
a aussi
poussé et
si
bien, qu’il’ a la place de Madrazo qui a été ren-
voyé
comme un
domestique, sans aucune forme
de politesse. J’en suis fâché, et pour lui et pour ceux qui
ont
fait cette bêtise.
pareil cas,
Comme
on renvoie
les
il
arrive toujours en
gens qui ont de l’expé-
rience, qui sont au courantde l’adminislralion,et
on met à leur place des gens souvent incapables et qui font sottises
leur affaire.
maintenant,
sur sottises avant de connaître
Que de pauvres employés mis à pied et cela
pour donner des places en
CORRESPONDANCE DE
228
REGNAULT.
I1ENH1
récompense de services rendus aux grands d’aujourd’hui dans leurs tentatives révolutionnaires!
On ne
sait
toujours pas tiop quel régime suc-
cédera à ce gouvernement provisoire. On avait jeté les
yeux sur
d’amener
le
le roi
de Portugal, moyen adroit
Portugal à l'Espagne. Mais les Por-
du coup, ne veulent
tugais, qui se doutent bien
du trône d’Espagne à aucun ...
prix.
Le portraitde Prim n’est qu’ébauché,
laissé sécher ces jours-ci
je le
;
main ou après. Malheureusement, empêché jusqu’ici de
comme
plein air
faire
je l’ai
reprendrai dele froid
m’a
une élude de cheval en
je le voudrais.
A SON PÈRE. ‘27
...
le
décembre 18G8.
Je suis effrayé de la rapidité avec laquelle
mois de janvier arrive,
et je prévois qu’il
ralentira pas sa course pour
Hélas!
il
me
faudra quitter Madrid à
vier; ce sera
ne
faire plaisir.
de jan-
la fin
un gros crève-cœur pour moi J’aime .
il
me
fait
tout
l’Espagne, ses peintres, ses habitants, et faudra quitter tout cela bientôt sans avoir
ce que j’espérais. Avant tout, je veux terminer le portrait de
encore
si
pendra de
Prim
et j’ai fort à faire. Je
je l’enverrai à l’exposition sa réussite.
Au
ne sais pas ;
cela dé-
point de vue de
mes
études, je regrette presque de l’avoir entrepris,
Digitized by
GoogI
CORRESPONDANCE DE 11ESRI REGNAULT. car
il
m’empêche de me
aux études d’après nature. J’aurais
rait le plus,
aussi voulu faire quelques esquisses et
au musée,
229
me tente-
livrer à ce qui
et je
morceaux
ne puis plus prétendre à autre
ma copie des Lances. Jamais me consolerai de ne pas emporter d’ici une
chose qu’à terminer je ne
copie de l’Ésope, une esquisse de l’Infante en rose, une petite copie des Fileuses. Mais il faut y renoncer. La vie est trop courte, les jours aussi;,
temps passe trop
le
vite et
nous peignons trop
lentement. J’emporterai quelques éludes peintes et quel-
ques aquarelles d’après des mendiants, et un
grand nombre de croquis. J’aurais aimé t’envoyer
pour
faites
une étude quelconque
tes étrennes
;
je
ne saurais laquelle t’envoyer
rait celle-là
:
j’ai
ce se-
dont j’aurais besoin.
Si tu voyais la place
C’est merveilleux
ne
mais
;
m’entourer de toutes celles que
Je tiens à
ressemblent
Maÿor depuis une semaine
!
Elle est couverte de tentes qui
I
guère
jour de l’an à Paris
et
à
nos
boutiques
du
qui abritent des monceaux
d’oranges, de limons, de grenades, de raisins, d’olives et de fruits de tous genres. dirait
grandes esquisses de cette le
beau
soleil
De
loin,
on
J’ai
commencé deux
foire,
bien éclairée par
un campement arabe.
dcMadrid. Le temps est très-beau, 20
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
230 et
n’a pas fait froid depuis plus d’un mois. Le
il
resplendissant aujourd’hui
soleil est
et le ciel
plus beau que votre ciel parisien au mois de juillet.
Jusqu’à présent nous avions
fait
de vains efforts
pour avoir des gitanes chez nous. Nous étions parvenus une s’était
fois à
en amener une. Mais elle
contentée de nous dire
la
bonne aventure,
et n’avait jamais voulu consentir à poser. Elle avait promis dé revenir, mais nous ne l’avons
plus revue.
Hier enfin, nous en avons rencontré trois, place
Mayor. Elles ont passé
en avons
fait
la
journée à
une étude
:
l’atelier.
elles sont
Nous
superbes.
L’une d’elle est enceinte; je serai parrain de son petit qui doit naître dans vier
:
tane.
je
Me
le
courant de jan-
suis curieux d’assister à voilà de la famille.
Nos
une
trois
fête gi-
amis d’au-
jourd’hui nous en amèneront deux autres de>
main. J’espère qu’elles nous donneront des lettres de recommandation pour leurs frères d’Andalousie, afin
que nous soyons bien reçus chez eux
l’année prochaine.
Nous
allons
bouge qui la
parfois
le
soir
dans un
petit
doit être le lapin blanc de Madrid, à
plaza de la Cevada, dans la calle de Toledo.
C’est le
rendez-vous des maquignons, bouchers,
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAI) I.T.
à faire peur à un mort
!
mais
231
On y voit des
portefaix, fruitiers et torreros.
il
y a
là
types
une
cer-
taine Dolores qui chante des seguedillas , gitanas
,
rondenas , palos, etc..., avec une voix splendide
de contralto, de ces contraltos
comme on
n’en
entend nulle part; c’est presque un ténor, et quel ténor! Une voix qui baret. Cette
femme est
fait
belle
vibrer tout
comme
même,
statue antique, plus belle
la
le
ca-
plus belle
car elle a des
yeux qui regardent, une bouche et des narines qui respirent,
et
des cheveux ondulés
comme des sommes
serpents et d’un beau noir brillant. Nous
devenus amis
et elle doit
venir chez nous un de
ces jours. Je veux faire d’après elle
pour
ma
ailleurs
Judith.
une
Il
me sera
une étude
impossible de trouver
tête aussi belle ; je
ne crois pas
qu’il
y en ait au monde... A SON FRÈRE.
8 janvier 1869. ...
Le portrait de Prim est arrêté depuis plu-
sieurs semaines. Les personnages accessoires sont à
peu près terminés,
certains
et
dans
le reste
du tableau
morceaux sont assez avancés, d’autres à encore besoin de
l’état
d’ébauche seulement.
faire
quelques bouts d’études aux écuries, où je
n’ai
J’ai
encore pris que des croquis qui ne
fisent plus. Dès
que
le
me
temps se radoucira,
suf-
j’irai
Digilized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
232
faire
deux ou
trois
pochades d'après nature,
afin
d’avoir la place exacte des reflets et des luisants
du
dû pousser plus
poil. J’aurais peut-être
mais
le cavalier,
que
je
éléments dési-
je n’ai pas les
rables pour terminer
compte pour
mon
me
loin
cheval, et c’est sur lui
donner
la
gamme
de tout
le tableau.
Je ne crois pas pouvoir faire poser le général
qui est
si
occupé. On en a
belle photographie qui sait
Ce sera peut-être
!
avec lequel
il
me
fait
heureusement une
me servira le
beaucoup. Qui
seul renseignement
du
faudra exécuter la tête
gé-
néral.
Par bonheur, et
il
me
elle est placée
haut dans
sera permis de la traiter
la toile,
un peu
plus
largement.
Depuis quelques jours nous faisons à des études de gitanos et gitanas, et
plus de temps,
la
bohème
serait par les mains. La très-difficile
nous dire
la
si
l’atelier
nous avions
tout entière nous pas-
première gitana a été
à décider; elle s’est
bonne aventure
contentée de
et rien n’a
pu
la
faire rester.
Un sés à
autre jour, nous nous
un groupe de
sommes
adres-
trois jeunes gitanas qui, par
curiosité, et sans rien dire à leur famille, sont
venues
exactement
le
lendemain. Malgré
l’i-
Digitized by
.CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
233
dée superstitieuse qui leur défend de se faire portraiturer, sous prétexte que
mourir, l’une des
cela
les ferait
Nous avons par-
trois a posé.
tagé avec elles notre modeste déjeuner et elles ont
quand
vu que nous étions de bons garçons
que nous les
traitions
comme
e*
des princesses, elles
ont pris confiance et nous nous sommes quittés
bons amis. Le lendemain
nous avons posé
Le surlendemain
veille.
la
quatre
deux jours après
:
elles
elles étaient
amenaient leurs
frères, puis les grands frères, puis les
petits
maris qui s’extasiaient sur faits.
revenues et
elles sont
poser les deux qui n’avaient pas
fait
Un
jour,
ils
vinrent au
portraits
les
déjà
nombre de douze
Tous voulaient poser, et
ils
!
se disputaient,
chacun prétendant être plus beau que
les autres
voulant se faire retratar en premier.
et
Nous leur avons tions pas des
comprendre que nous
fait
machines
les faire tous à la fois
:
n’é-
et
que nous ne pouvions
ils
viendraient deux par
deux, parce que pour travailler
fallait être
il
tranquille et ne pas entendre de bruit. Depuis lors ils
ne viennent que deux
à
la fois. Ils
sont
fort intelligents et
bons enfants. On les calomnie,
on
en Espagne et on a tort; on
les
ferait
maltraite
mieux de
les utiliser, car ils sont forts et
malins. Quelques-uns sont superbes
;
ils
posent
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
234
comme des mon retour,
à te
nombreuses, dit
à
mon
promets du
.
plaisir, à
montrer mes études qui seront
je continue ainsi. Je crois avoir
si
ma
père, dans
dernière
lettre,
que
d’un petit gitane que
être parrain
j’allais
me
anges. Je
la
senora Franciscana va mettre au monde. Avant-hier
été voir la future
j’ai
mère, sous
conduite de son brave
homme
mené dans
bourgade qu’habitent
la
petite
gitanes, hors de Madrid, près de
Rituan
il
:
faisait nuit.
la
de mari, qui m’a
Chambéry
les
et de
Nous sommes entrés dans
une longue maison, composée d’un seul
rez-de-
chaussée divisé en plusieurs petites chambres.
Chaque famille en occupe une est
allumé au milieu de
même
de
la
;
un feu de braise
la pièce
sur le carreau
chambre. D'un côté sont
lasses sur lesquelles
autour du feu,
ils
dorment.
les enfants sont
Ils
les pail-
sont assis
nus, couverts
seulement d’une petite chemise déguenillée. Les ûnes se promènent dans les chambres et passent de l’une
à l’autre,
mangeant
les brins
de
paille
qu’ils trouvent par terre.
Nous leilles
avions apporté, Clairinet moi, troisbou-
de vin que nous avons distribuées à ces
braves gens. guitare,
quaient
un le
Un beau jeune homme jouait de la autre chantait, les femmes mar-
rhythme en frappant leurs mains et les
CORRESPONDANCE DE
1IENRI REGNAULT.
235
enfants dansaient. Nous étions tous accroupis
dans
ma
plus grande pièce, excepté
la
commère paillasse
;
future
qui était souffrante et étendue sur la la
scène était éclairée par une petite
lampe antique.
On
circuler les bouteilles de vin
fit
trinquent pas
gnols ne
ou une bouteille
et
;
Espa-
les
;
on passe un verre
chacun doit y tremper ses
lèvres à tour de rôle. Ce serait impolitesse de
refuser son tour.
Rien n’est plus curieux que l’intérieur de ces
une grande
familles, où règne le plus souvent
misère. Les
gnons Ils
hommes
sont presques tous maqui-
échanges d’ânes
et font des
ont la réputation
morts
et
et
de mules.
de ressusciter
les
ânes
de faire courir ventre à terre les cada-
vres des mules. La vérité est qu’ils sont très-
bons cavaliers
en disant
Quand
la
savent très-bien faire valoir
et
leur marchandise
;
le jeudi,
famille a fait
les
femmes courent
les
rues
bonne aventure. jour du marché,
une bonne
au logis pendant
affaire,
le reste
de
la
père de
le
on mange un peu semaine mais ce ;
n’est pas tous les jours fête.
Malgré leur pauvreté, presque tous ont des
boutons d’argent à leurs vestes lons, et
il
n’est pas
et à leurs
une femme qui
n’ait
panta-
de belles
Digitized by
Google i
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
230
boucles d’oreilles et de belles chaînes d’argent. attachent une grande importance à l’exlé-,
Ils
rieur et sont généralement très-coquets.
Après un séjour de trois quarts d’heure au milieu de nos braves amis, nous nous som-
mes remis en route sous
la
conduite de deux
beaux gaillards armés de leurs gourdins, qui nous ont accompagnés jusqu’aux portes de Madrid par des chemins fort détrempés. Je suis de la famille et le
Enrique (c’est moi) est dans la
bohème.
tié,
me
me
Ils
font des
senor don
bouche de toute
témoignent une grande ami-
vœux de
me
les fois qu’ils
nom du
la
voient
:
santé et de salut toutes
parlent
ils
comme
grands prêtres avec une certaine emphase gestes très-nobles et majestueux.
souvent
:
«
Ils
me
:
«
Vaya usted con
la
Ou en-
Virgen santisima.
Allez avec la très-sainte Vierge.
Que Dieu
tout danger de votre chemin, que le ciel
nos têtes
des
des
Senor don Enrique vaya usted con Dio
y con salud. Allez avec Dieu et le salut. »
core
et
répètent
s’il
vous arrive malheur
écarte
tombe sur
comme
vous êtes un personnage de mucho merito , de
beaucoup de mérite, que Dieu ne vous fasse jamais mourir, et si
on avait
» etc.,
le
etc. Ils
ne plaisantent pas,
malheur de se moquer d’eux, ou
de les traiter légèrement,
il
n’y aurait rien à en
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
237
faire, car ils sont
d’une
peur de rien.
ont une grande admiration pour
ma
Ils
peinture et
me
mes mouvements marchant sur
fierté
prodigieuse
et
n’ont
trouvent plein de grâce dans je les ai épatés l’autre jour
:
les
mains
et
en
en
deux
sautant
chaises à pieds joints et cinq chaises avec élan '
!
disent qu’ils n’ont jamais vu cela, et depuis ce
Ils
jour-là
ils
m’estiment encore plus
trouvé des gens qui
A
partir de la
me comprennent
semaine prochaine,
me
études de gitanes et je
Prim. Une fois ce portrait
au musée,
je termine
quiere, je fais Ici s’élève
:
j’ai
enfin
!
je cesse
mes
remets au portrait de
fini, je fais
ma grande
ma
rentrée
copie et,
quelques esquisses à
une grande question ?
mon
si
Dios
usage.
Serai-je forcé
me rendre à Rome sans avoir fini ma copie, pour me mettre à mon envoi de seconde année, de
que je ne pourrai
faire consciencieusement,
si
je
commence pas bientôt? Vais-je couper brusquement une série d études intéressantes pour ne
le
me
retourner d’un autre côté
Madrid au
moment où
il
me
? vais-je
quitter
serait si utile d’y
rester ?
Un peu
plus familiarisé avec les maîtres espa-
gnols, avec la
que où
nature qu’ils ont reproduite
je viens d’étudier
il
me
serait si utile
et
moi-même, au moment de
faire
quelques copies
Digitized
by
m
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
au musée, voir
si
je vais
je pourrai
mes
interrompre
vais
me
dépayser
Et
!
môme d’en me reste une
plus à Il
mon
serait
lueur d’espoir. Pourquoi ne
envoi de seconde année
cette année.
?
me
qui
c’est
est
me
faire
quitter
perdre un an.
faire
si
la
Madrid jusqu’à
j’envoie la copie des Lances et celle des Fileuses
Rome
vante
et,
Rome,
je vais
que
je
mois
ail-
B***, qui
la fin
lui de-
répond
S’il
du mois,
une autre
avec,
par exemple. Puis je retourne
mon envoi au moment où l’été
préparer
la
maintenant
M. de
chose est possible.
oui, je travaille à
à
six
Madrid
grand ami de M. de Nieuwerkerke,
mandera
pour
à Madrid, ce
que
serait plus profitable
Me
lèurs.
'
Ma copie
et,
De cette façon, je pourrais
un mois ou deux de plus
rester
où
tirer tout le fruit désirable!
troisième année, j’enverrais le tableau dois
sa-
où je suis
et
une inversion d’envoi
ferait-on pas
sans
travaux, à l’heure
deviennent plus intéressants’
ils
,
jamais revenir à Madrid* je
*
Jpour l’année sui-
devient mauvais à
en Espagne ou ailleurs, réunir de
nouveaux matériaux pour plus tard. Si
on
me
refuse ce changement et
si
on
me
force à partir, je quitte Madrid en février, je fais à
Rome mon
l’été
envoi, puis je reviens en
Espagne
prochain. Mais je suis alors obligé de m’ar-
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
239
rêter encore à Madrid, ce qui raccourcit de beau-
coup mon voyage en Andalousie,
et
m’empêche
sans doute de passer en Maroc au mois d’octoEnfin nous verrons
bre
comme
Prim,
tu le sais, est aujourd’hui mi-
nistre de la guerre et pour ainsi dire chef sou-
verain d’Espagne, position qui lui nuit
on trouve il
qu’il fait
payera peut-être cher. Mais
hommes
pas de juger les
il
ne m’appartient
suffira
fini
pour laquelle
la tête
assez [bonne photographie
homme me
pour
;
lui
il
;
j’ai
une
une séance du grand
lui
donner
la
dernière
touche. Je ne crois pas pouvoir le faire poser, est trop
dans
occupé
la toile et
;
il
:
d’État.
Le portrait de Prim est presque
manque encore
un peu
des maladresses, qu’un jour
par bonheur
me
la
tête est
il
haute
sera permis de la faire
un
peu plus largement A
SON PÈRE.
4 février 1869.
Je serai en
plus tard,
si
mesure de je suis
partir le
payé
;
20 ou
le
25 au
car sans cela je serai
retenu prisonnier à Madrid. Le
marchand de
couleurs sera millionnaire à notre départ
!
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
2 il)
K SOM PÈRE.
12 février 1869.
Depuis
le
commencement de
avons eu un temps idéal,
dans tous
les autres pays
pour
nous
février,
comme on
en rêverait
mois de mai.
le
Cela a ajouté beaucoup de gaieté au carnaval, qui,
pourtant, au dire des Madrilènes, a été inférieur
comprend
à ceux des années précédentes. Cela se
après une crise
comme
celle
que
l’on vient
de
traverser et avec les inquiétudes que l’on a pour l’avenir
Quoi le
!
qu’il en. soit,
Prado
pour nous autres étrangers,
était délicieux
tout rempli de
femmes
sous ce beau soleil,
On
ravissantes.
qu’une fée de bon goût avait choisi sur toute terre les plus jolis minois pour
les
et
aurait dit la
réunir au
Prado. Les masques n’en paraissaient que plus
grotesques et plus fantastiques.
Ce qu’il y a d’agréable
ici, c’est
que
ne vient pas salir l’aspect de ces
du moins, pour ne pas timité.
elle
la
fêtes,
canaille
ou que,
a assez de tenue et d’élégance
les déparer. Cela
La haute bourgeoisie
permet plus et la
d’in-
noblesse ne
craignent pas alors de prendre part à toutes ces réjouissances publiques, où elles sont certaines
de ne pas être assaillies d’insultes retés.
et
de grossiè-
Le costume des femmes comme il faut, étant
Digitized by
CORRESPONDANCE DE UENRI REGNAULT.
'241
très-simple, et la petite ouvrière ou la manola,
sachant
avec la
le porter
môme aisance et la même
distinction naturelles, elles
se coudoyer sans
môme
peuven t
disparate, et
il
c
un habitant de Madrid, de
à
mêler
et
est permis, les
con-
fondre.
Tout
du Prado adossé
le côté
à la colline
du
Retiro et deux terrains qui avoisinent la porte d’Alcala sont couverts de plusieurs rangées de
chaises et ressemblent à
où
éclatantes,
gaies
les
un
parterre de fleurs
ombrelles aux couleurs les plus
pressées pêle-mêle
sont
et
se touchent
presque, sans offrir un aspect discordant. Sous
chacun de ces
brillants
champignons, on
voit
luire dans la demi-teinte des yeux noirs, presque
toujours jolis, désirer.
A
ce beau
teint
gué
et
même quand leur entourage laisse à
Madrid,
plus
il
y a peu de
femmes privées de
mat, qui parait encore plus distin-
fin
dans l’ombre,
et
auquel
le voisi-
nage d’aucune couleur ne peut nuire. Néanmoins la mantille noire lui sied
mieux que tout, et, grâce
femmes sont
assez coquettes pour ne
à Dieu, les
pas renier encore cette mode ancienne. Par-ci, par-là, cependant,
mouche ou
l’aile
on voit pointer déjà l’oiseaude faisan de vos petits cha-
peaux parisiens. Devant
et
derrière cette ravissante pépinière 21
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
242
circulent les
guent
les
hommes. Beaucoup, masqués,
femmes,
et,
quand on a un masque
fausset qui est de rigueur
sur
figure, ils déclinent
la
verbe connaître
me
tu ne je t’ai
connais pas, tu ne
me
connue, je voudrais bien
Puis, de chaque côté
une
imperturbablement
« Je te connais, tu
:
de voilures,
file
intri-
avec cette petite voix de
me
connaîtras pas, te connaître
et,
entre les deux
costumes assez drôles.
femmes
!
»
du Prado, avance lentement files,
galo-
pent des cavaliers revêtus pour la plupart
voitures les
le
connais,
de
cherchent dans les
Ils
qu'ils connaissent
pour aller
leur dévoiler leurs petits secrets, ou leur poser
des questions indiscrètes. Les masques piétons sautent derrière les calèches, ou s’introduisent
dans
les voilures
fermées
et
entament des con-
versations pleines d’intérêt, où le te connais, et le
ti
ti
conosco , je
quiero , je t’aime, doivent être
répétés.
En somme,
tout cela est très-gai, et
si
les Es-
pagnols avaient l’entrain parisien, avec leur beau soleil et leur liberté, ils
s’amuseraient bien plus
encore.
De temps en temps, on entend dans
une musique de guitares, bas, tambours de basque
peu
et
on
le lointain
flûtes, violons, :
elle
pander-
approche peu à
voit défiler des troupes d’étudiants, les
Digitizad by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
uns en costume de Grecs modernes, dans
le véritable
243
les autres
costume des étudiants du temps
de Goya, chapeau claque noir, posé en travers,
et
ayant, en guise de cocarde, une cuiller et une fourchette de bois, soutanelle, culotte courte,
bas noirs, petite cape noire rejetée sur l’épaule
gauche, afin de laisser au bras droit
l’agilité suffi-
sante pour manier la pandereta ou
la
guitare.
Les étudiants ont conservé l’usage ancien des
sérénades dans les rues. Autrefois,
ils
se répan-
daient en bandes de trente ou quarante, jouant guitare, flûte,
mandoline,
et
précédés d’un nom-
nommés
bre égal de
postulants,
qu’ils étaient
chargés de demander l’aumône aux
ainsi
monter par
passants, de
parce
fenêtres grillées
les
jusqu’aux balcons des premiers et seconds étages, et d’arracher la
musique y
quelques sous aux belles dames que avait attirées.
Cet argent-là leur permettait de payer leurs
cours et de faire durer leurs études aussi long-
temps
qu’il le fallait. C’est cet
conservé
et
naval. Avant ils
usage qu’ils ont
mettent en pratique pendant
que
le
monde
soit
le
car-
réuni au Prado,
parcourent les rues, jouant leurs sérénades
ou plutôt leurs aubades (car l’argent qu'ils recueillent
bons dîners aux jours gras
c’est le matin), et
leur
paye quelques
et le prix
de leurs cos-
Digitized by
244
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
tûmes. Leur musique remplace avantageusement
du carnaval qu’on entend rugir
l’horrible corne
jour et nuit à Paris jusqu’au mercredi desCendres.
Dans une rue écartée, nous avons vu danser à des Gallegos la
la
danse du bâton
:
c’est
danse des nègres d’Afrique.
prunter aux noirs, et
ils
Ils
exactement
ont dû l’em-
font bien de la garder,
car elle est fort originale.
Le mardi gras, à
nous nous prépa-
l’atelier,
rions à sortir pour aller au Prado
était
il
;
quatre
heures. Tout à coup, quatre ou cinq masques
épouvantables s’introduisent
chez nous,
nous
donnant des poignées demain à tout rompre. Un affreux marquis
du
siècle dernier, qui avait des
jambes superbes, nous
tapait dans
le
dos en
poussant des cris effrayants. Au bout de quelques instants,
il
retira son
masque:
c’était Lola, la
belle et incomparable Dolores, notre chanteuse à la tête antique de la place
nou$ rendait
visite
père, son cousin et
avec le
de
Après quelques copias de atelier
Cebada. Elle
son
cousin de son cousin.
Nous ne nous attendions plus
dans notre
la
son guitarero,
à pareille faveur.
jaleo, qui résonnaient
comme dans une
église, et
quelques pas de danses espagnoles, nous nous
sommes rendus au Prado,
puis nous avons dîné
ensemble.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Après dîner, nous avons parcouru
245
les
petits
cafés des bas quartiers, du côté de la rue de Tolède. Le
belle
marquis
que jamais;
a
chanté avec une voix plus
du guitarero
les doigts
plus agiles que d’ordinaire
des pas
faisait
et
;
le
étaient
danseur Miguel
des trépignements fantastiques
qui feraient pâlir votre beau Mérante.
Vers minuit, nous
sommes revenus
à notre
place de
Cebada.
boui-boui ordinaire de
la
la
Nous y avons trouvé de beaux toreros et entre autres, le dieu des picadores (el Francés), l’incom-
parable Domingues, en l’honneur de qui Lola improvisa des copias au milieu de ses jugnetas.
La
alors, a
fête,
toreros,
si
leur pantalon soie,
recommencé.
élégants dans collarit et
beaux
Ces
veste de majo,
leur
leur belle ceinture de
ont chanté et dansé, s’accompagnant de
battements de mains, de castagnettes,
etc.
marquis Lola
se reposait
danse
c’était inouï.
Le plus étonnant,
du chant par
ces gens-là ne sont canailles;
eux des tournées de
comme
le feraient
une grâce franche
des
c’est
la
ils s’offrent
rhum ou
Le ;
que jamais entre
d ’aguardieiite,
grands seigneurs, avec
et loyale.
Ah
!
le
beau peuple!
Et dire qu’on n’en sait pas tirer parti
!...
Le mercredi des cendres, nous sommes
allés
près du canal, sur les bords du Manzanarès, 21.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
•240
voir
l'enterrement de la sardine.
un
drid,
petit
un épisode de Tout
tableau de Goya qui représente
on danse,
les
là
hors la
mascarades circulent. De
petites bières sur lesquelles sont croisées
on chante des chants funèbres en
ses têtes. Puis
terre
madame
Sardine, et
le soir,
pour de bon... dans son estomac
sur toute
deux
masques aux gros-
sardines, sont portées par des
suivant feu
On
ville.
sur l’herbe, près du
passe toute l’après-midi fleuve;
peut-
as
cette grande fête populaire.
peuple se rend
le
Tu
Fernando, à Ma-
êlre vu à l’Académie de San
la ligne. C’est alors
se servent de leurs cuillers
que
:
on
l’en-
ripaille
les étudiants
en bois et dévorent,
assis par terre, poissons et pucheros, le tout ar-
rosé de val dePenas.
Une scène qui au fond et qui fut
n’avait rien de drôle,
du plus haut comique,
gras à six heures du soir.
se passa le
En Espagne
mardi (à
Ma-
drid du moins), lorsqu’on porte les derniers sa-
crements à un malade, fiacre et se fait
rant par des
le
prêtre
accompagner
hommes
monte dans un
maison du mou-
qui tiennent des torches
secouent des clochettes. la foule quittait le
à la
Il
faisait
et
presque nuit;
Prado en descendant
la
San Geronimo
alla calle d'Alcala,
le tintement
des clochettes. Le cortège
carrera
lorsque retentit décrit
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
plus haut vint à passer au
même
hommes
l’usage espagnol, les
247
instant. Selon
et les
femmes
se
mirent à genoux. Rien ne se peut imaginer de plus grotesque que ces masques à têtes de cha-
meaux
de siuges
,
,
de diables, à grosses tètes
d’Anglais en carton, se précipitant pieusement à
genoux.
Mon est
C’était
peu imposant.
portrait de
Prim
est fini, sauf la tête qui
suffisamment avancée pour être terminée en
deux
petites séances d’après nature,
que j’espère
obtenir bientôt... A H. CAZAL1S.
16 février 1869.
Laisse-moi t’emmener avec nous, à onze heu-
demie du
res et calle
soir,
dans ces
quentés par
les
gens du peuple
sieds-toi avec nous; accepte ce
chement et
et
de
Ils ;
ils
et
la
fré-
des torreros. As-
que
t’offrent fran-
de bon cœur ces braves gens élégants
beaux avec leurs foulards
majo. verre
petits trous
de Toledo, sortes de cabarets espagnols
te
et leurs vestes
de
passent leur verre, bois dans leur
seront heureux après t’avoir
fait cet
honneur, d’y tremper aussi leurs lèvres. Écoute la belle Lola,
écoute-la chanter avec son beau
contralto tendre, ces longues complaintes gita-
nas, ou ces juguetas interrompues par de grands
soupirs
tilés
sur
les
sons graves, pendant que la
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
248
un
guitare brode, avec une grâce exquise, sur
rhvthme toujours on ne
le
môme,
où. Puis,
sait
qui vous emporte
On
holà, holà, holà!
s’a-
nime, on claque des mains en mesure. Puis on entend sur
le
plancher
trépignements d'un
les
beau picador, qui danse en montrant ses dents blanches, et en agitant de droite à gauche avec
un mouvement
circulaire son bassin étroit, serré
par une large ceinture de
soie, sur laquelle re-
tombent deux grosses chaînes
d’or.
Lola en-
jambe un banc ou une
table, et,
beaux cheveux tordus,
elle baisse la tête
renverse en arrière, et tre le
même
du ventre,
commence
déroulant ses
ou
la
en face de l’au-
tortillement électrique! Car la danse
danse en Orient, est
la
vraie danse espagnole, et c’est là certainement
un
celle qu’on
souvenir de l’occupation maure... J’ai
bien
fa illi ,
ces jours-ci , mourir empoisonné.
Un de ces matins, pressé par la faim (et la soif du travail), je mange un morceau de pain, ayant mes pinceaux à la main je le coupe avec mon couteau ;
à palette, et le soir, je suis pris
de douleurs horribles
tords, je fais le saut de carpe « J’étais
de convulsions et
dans l’estomac
;
je
me
du singe tracassé
:
empoisonné! » Fort heureusement, je
vais bien
maintenant; mais
mourrai de mort
violente.
il
est écrit
que
je
— CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
A
24»
SOS PÈRE.
15 février 1869. .
J’ai
. .
passé deux heures et demie avec Prim,
dans son cabinet, il y a trois jours. J’ai pris quelques notes d’après lesquelles j’ai dû le terminer. Les personnes qui l’ont vu
le
trouvent
très-ressemblant.
Tu
trouveras peut-être l’exécution
chée. Mais
j’ai
en cherchant
me
fait
lâ-
pousser plus loin. Demain, je
à
Nous avons un temps
pars.
un peu
craint de perdre la ressemblance
d’été splendide, qui
espérer une bonne traversée 17 février 1869.
Je
ne suie pas encore
parti.
On meprometune
Prim pour jeudi
petite séance de
!
A SOS PÈRE.
20 février. J’ai
eu bon nez de changer
Jusqu’à présent,
môme
place,
j’y
toile
de place.
avais travaillé toujours à la
au fond de
fisamment de reculée.
l'atelier,
pour avoir suf-
J'ai
changé
la
lumière
rapprochant un peu de
rant du côté opposé. Cela m’a ciel était pâle,
ma
froid, sans
fallu le refaire. Je suis bien
l’effet,
et
en
fait voir
en
la
l’éclai-
que mon
consistance.
Il
m’a
heureux de m’aper-
cevoir de cela à temps...
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
250
Des ennuis beaucoup plus graves étaient réservés à Régnault. Le général, qui ne connaissait pas
son portrait, ne vint
qu’au dernier moment;
le
voir
n’en fut pas sa-
ne cacha pas son mécontentement.
tisfait, et
Était-ce,
il
comme
il
le disait, la
ressemblance
qui faisait défaut? Ne se sentait-il pas plutôt
mal
à l’aise
au milieu de cette foule bigarrée,
de ces généraux
qu’il
songeait dès lors
abandonner? Peu importe. Toujours
que
à
est-il
ses observations, faites d’un ton sec et
hautain, lurent très-pénibles à Régnault. Celui-ci
ne répondit
même jour,
rien, quitta
et écrivit à
Nous ne citerons pas
cette lettre,
lement un passage de
même
en
Ma de
la
que
mais
ne sort pas des limites elle prévient le
maréchal
aucun change-
tableau, et que, ne voulant pas le con-
d’un
supplice de se voir sans cesse sous les
homme indécent
la figure (ce sont
retirer,
mais seu-
celle qu’il adressa
suis décidé à ne faire
damner au traits
écrit-il,
politesse,
ment au
le
temps à son père.
lettre,
je
Madrid
Prim de Barcelone.
qui ne s’est pas lavé
ses propres
en changeant sa coiffure,
expressions), ni le côté
héroïque
Digitlzed by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. et légendaire
que
cherché à
j’ai
lui
prie de vouloir bien oublier son portrait
un mauvais
‘251
donner, je
le
comme
rêve...
...Son intention
me
paraît
évidemment
être
de reléguer ce portrait dans un grenier quelcon-
que. Or, grenier pour
au sien. Je souhaite plus de chance à ceux qui
mien
gi*enier, je préfère le et
de succès
auront l’honneur insigne de
le repré-
mon
senter, et je termine en le priant de croire à
regret de n’avoir pu le contenter... J’oubliais de te dire
que bon nombre de per-
sonnes sont venues voir
le portrait;
connaissent bien l’original
le
celles qui
trouvent très-bien,
d’une ressemblance frappante et prise du bon côté.
Quelques artistes espagnols qui
trouvent aussi très-bien/et
ils
l’ont
semblent
vu
le
le dire
bien franchement.
Tu
vois
que ce
portrait ne
m’a pas donné beau-
coup d’agrément, j’espère que dans mon pays on sera plus aimable pour moi...
Nous repartons demain pour Marseille où nous arriverons jeudi. Peut-être pourrons-nous repren-
dre
le
bateau
Rome samedi
le
même jour. Nous
serons donc à
soir.
Nous avons
suivi Régnault pas à pas,
dans
ses émotions, dans ses études, dans ses plai-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
252
même.
sirs
miner
quer combien les
nous reste,
Il
avant de
ter-
de ce voyage, à faire remar-
le récit
est
grande la différence entre
impressions reçues
alors en
Espagne
par le jeune artiste et celles qu’il avait pré-
cédemment
ressenties à
Rome.
Là c’était la beauté de la l’avait séduit,
le
campagne qui de
spectacle
la
nature
qui l’avaient ému, mais les maîtres l’avaient effrayé, et
n’avait pas osé les aborder.
il
À Madrid, au
contraire,
il
s’éprend avec
passion des types ou des costumes natio-
naux
et surtout
espagnols,
et
il
de
la
peinture des maîtres
désire avec
une ardeur en-
thousiaste faire d’après eux une suite d’é-
tudes et de copies aussi intéressantes qu’utiles
pour son avenir.
Mais
le
temps
lui
qu’il devait exécuter
règlement
l’y
malgré son
travail
Rome
son second envoi et
appelait.
nombreuses études près nature
manquait. C’est à
11
partit à regret
continuel,
malgré
le :
les
qu’il avait peintes d’a-
et d’après les maîtres,
il
ne
croyait pas avoir tiré de son séjour à Madrid
tout le profit qu’il s’en était promis.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
253
Nul retard n’était possible cependant, car le
temps qui
sant pour
lui
mener
restait était à peine su (lià bien
un Envoi
tel qu’il le
méditait.
22
Digitized by
CHAPITRE Troisième séjour à Home.
—
Grenade.
IV
— Judith. — Salomé. — Départ pour L’Alhambra.
Régnault arriva à
— Tanger.
Rome dans
les
pre-
miers jours de mars, après une traversée longue et pénible. En lequel
de
il
avait
toiles
et
route, lui
AM.
A.
sur
ses frais
couleurs et ses dépenses de
Prim ayant
avait fait défaut,
refusé d’accepter feon portrait et l’artiste
l’argent
effet,
compté pour payer
tel qu’il était,
ne voulant pas le retoucher.. DU PARC.
Rome, mars 1869.
Je suis à vers Il
la fin
Rome
depuis quelques jours.
des ennuis avec
n’était pas content
le portrait
J’ai
eu
de Prim.
de sa pose, se trouvait dé-
peigné, indécent, etc... Bref,
j’ai
gardé
le por-
Digitized by
GoogI
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. trait
pour moi
et
arrivera à Paris
il
255
17 ou
le
le
18 mars.
Tu 11
m’a
ne suis pas né pour
le vois, je
fallu revenir
de Madrid
fa i re
fortune.
comme un
pouil-
leux, regrettant qu’il n’y eût pas de sixième
chemins de
classe dans les
un vent
sièmes!!! par
fer et sur les
me
à vapeur, et obligé de
un
et
bateaux
contenter des troifroid horribles.
Quant aux deux aquarelles que
je t’avais pro-
mises, j’hésite bien à te les envoyer et je ne m'y déciderai que
si je
me
vois dans l’impossibilité
d’en faire de meilleures.
journée chez Fortuny jambes.
Il
J’ai
passé avant-hier la
et cela
m’a cassé bras et
est étonnant ce gaillard-là
merveilles chez lui Si tu voyais les
!
C’est notre
deux ou
mine en ce moment
!
Il
a des
maître à tous.
trois tableaux qu’il ter-
et les aquarelles qu’il a fai-
qui
me
dé-
Je vais faire avec quelques variantes
ma
Ju-
tes ces derniers
temps
!
!
!
C'est ça
goûte des miennes!
dith pour l’exposition des Envois.
La voix commence à à Madrid,
j’ai
me
revenir
un peu
;
mais,
bien cru qu’elle était partie pour
toujours. Je suis resté deux mois avec
une
ex-
tinction de voix complète, ne pouvant plus pro-
férer
une seule
taine de
parole. J’avais négligé
rhumes accumulés
une
tren-
et cela tournait à la
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
256
bronchite chronique, à
la laryngite, etc. J'ai pris
des potions homœopathiques, mais elle ne m’ont rien
fait
;
nature et j’ai
:
me
suis laissé traiter par
commencé
j’ai
consulté
sait-on
me
alors je
à aller
un médecin espagnol
bref, en quatre jours
mon
leurs, mais aussi
deux jours
;
très-fort, di-
enrouement, s’est
et je suis
dame enfin,
m’a guéri en (c’est
perdu forces
J’ai
enchantement. Mon teint pris en
il
de l’eau de Loeches
faisant boire
source près de Madrid).
rose. Je
mieux
une
et cou-
comme
par
éclairci, j'ai re-
maintenant
frais et
ne puis pas encore chanter, mais
la
voix
revient.
Nous devons
repartir
Je finis
ma
Maroc!
C’est-là
pour l’Espagne en juin.
copie; puis en avant vers le sud et le
que nous allons nous perfection-
ner dans l’aquarelle. Ah! Fortuny, tu m’empêches de dormir
A
!...
peine revenu,
il
ardeur, et
reprend
précédente,
il
mande de M.
avait
se
met
la
toile
à l’œuvre avec
que, l’année
abandonnée sur
Hébert. Le 25 mars,
il
la de-
pouvait
déjà écrire:
Digitlzed by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
257
h SON PÈRE.
Rome, 22 mars 1869.
à peu près ébauché
J’ai fait
mencé une étude d’une a
mon
envoi, auquel j’ai
de nombreuses modifications
une vraie
peu
puis
;
de faunesse. Je compte
tête
j’ai
com-
Chauchardc qui finir
sous
corsage et la dentelle du portrait de ma-
le
dame
petite
deD... qui m’est arrivé en parfait état, pas
jauni et pas noirci, et en retoucher le fond. J’ai
fait
un
aussi
portrait au crayon de la du-
chesse de M..., et tous ceux qui l'ont vu l’ont trouvé très-bien.
Prim
a
répondu à
ma
lettre
de Barcelone
par une lettre excessivement polie, s’excusant de ses manières un revoir à
du tout pas que
mon s’il
peu brusques,
etc... Il
retour à Madrid, mais ne
prend
le bruit
le portrait. Je
de
ma
se répandit trop, et
il
ne voudrais donc
mésaventure pécuniaire serait fâcheux
que ami maladroit, pour me racontât ou
fit
espère me me dit pas
que quelmousser,
faire
raconter l’affaire par
quelque
écrivassier de petit journal, toujours en quête
de cancans,
et
qui s’empresserait de profiter de
l'occasion d’éreinter
Prim ou de plaisanter sur
son caractère. Cela pourrait
de
tort,
me
faire
beaucoup
car on croirait là-bas que j’en suis
l’in-
stigateur... 22.
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
258
Malgré son ardeur au travail, Régnault n’avait plus retrouvé à
Rome
siasmes du premier séjour.
terminer son envoi
et
Il
ses enthouavait hâte
de
de se sentir libre de
nouveau.
A M. BUSSINE.
Rome Je suis
voyage
;
impatient
Rome ne me
me
de
1869.
remettre en
convient pas, je ne m’y sens
pas respirer à pleins poumons.
J’ai
touché à des
pays nouveaux, je dois aller passer quelques mois
au Maroc
et je suis
a vu chez
un
comme le
pâtissier
petit
tissant et qui, rentré chez lui,
morceau de pain n’ai pas
train à
gourmand qui
un beau gâteau bien appé-
rassis à
ne trouve qu’un
manger.
J’ai
faim
ici et
de quoi manger. Vrai, je n’ai pas d’en-
Rome
;
l’Italie est
trop connue et trop ex-
y a trop de mendiants dressés à demander un sou pour acheter du macaroni, ce qui
ploitée,
il
ne manque pas de
faire rire les
trop d’étrangers, trop de guides. je quitterais volontiers tout
de
la terre
voile vert
dames
;
il
y a
certains jours
pour chercher un coin
où je sois frappé
aussitôt refroidi par la
A
et
ému, sans
être
vue d’un parasol, d’un
ou d’un chapeau de
feutre.
Je travaille pourtant ferme et dru pour
me
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
sauver plus vite
;
259
mais je ne suis pas suffisam-
ment empoigné par ce que
comme un pensum
!
un peu
je fais; c’est
Voilà ce
que
c’est
que de ne
pas être entièrement libre et d’être obligé de faire
une chose pour une époque où
pour moi
que le
me
je voudrais
fixe,
dans un
moment
consacrer à des études serrées
seul, à des études partielles de choses
je voudrais tirer
au
clair,
même
de
que pour
chant on consacrerait quelques jours à étudier
le trille
Eh
ou
bien,
le
groupetto pour en triompher.
non
!
je dois terminer
un tableau pour
le 8 juin, tableau qui m’arrête, je suis sûr, les
dans
progrès que je pourrais faire, bien qu’il s’y
Ah on
trouve de beaux motifs d’étude.
I
devrait
être libre, absolument libre, et avoir la certitudê
de vivre tant d’années bien portant pour pouvoir diviser son temps et ne pas trop se hâter.
Une
idée qui
me
poursuit et
me
navre, c’est la
crainte de claquer en voyage, avant d’avoir vu tout ce que je veux voir et surtout avant d’avoir
pu
tirer parti de ce
que
j’aurai vu. Cela
me
dé-
sole de ne pouvoir lire dans l’avenir et de ne pas
avoir la certitude que le temps ne défaut pour
mener à bon terme
faire. Si je
pouvais
me
dire
:
me
fera pas
ce que je veux «
Dans
trois
ou
quatre ans tu reviendras chargé de matériaux, tu sauras pas
mal de choses,
et tu
auras encore
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
260
vingt-cinq ans pour les exprimer. Oh! alors tout irait
bien
mais mourir en route,
;
voilà qui
me
chiffonne. Enfin! nous verrons...
Que dire de vant un
ces tristes pensées poursui-
homme
jeune,
si
si
ardent,
de vie? Ne serait-on pas tenté de
les
si
plein
prendre
pour un vague pressentiment? Quoi qu’il en
Rome
soit,
Régnault, revenu à
à contre-cœur, songe*' à préparer son
prochain
gement,
voyage.
Il
chasse
le
découra-
rudes journées de
et retrouve les
labeur auxquelles nous avons assisté en Es-
reprend
pagne. D’abord
il
portrait de son
ami Pessard, puis
de faunesse » dont et
il
la
Judith , puis
le
« Tête
parlait tout à l’heure
qui deviendra Salomé. Enfin,
la suite
la
il
continue
de bois qu’il destine au beau livre de
M. Francis Wey et consacre ses loisirs du soir à les termimer. A H. MONTFORT. *
j’ai été
mon
Rome, 15 '
avril 18G9.
content de ce que vous m’avez dit de
mon cher Montfort, mon dernier mot, et je vous prépare moment quelque chose qui vaudra mieux.
tableau de Prim. Mais,
ce n’est pas
en ce
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Ce sera plus serré tingué
2G1
et plus dis-
comme couleur. Pourvu que rien ne m’arOutre mon envoi (la Judith), qui
en route
rête
comme exécution,
marche
!
assez bien, je fais
une
petite figure gran-
deur nature: une Herodiade assise, tenant sur ses
genoux
le
sabre qui va décoller saint Jean et
jusqu’au cou dans les têtes coupées
!
Mes études d’Espagne me dégoûtent trouve détestables maintenant pas perdu
mon
un grand progrès,
une
illusion et
Mon départ
;
que
je ne
est fixé
à
moins que ce ne
me
mes de
copie, puis
n’ai j’ai
soit
juge pas sainement.
aux premiers jours de
Je ferai de nouveau voile vers l’Espagne
mine ma
je les
;
néanmoins je
temps, car je m’aperçois que
fait
le
Vous voyez que je suis
plat qui recevra sa tête.
nous parcourons
:
juin.
là je ter-
les
royau-
Valence, de Murcie, d’Andalousie, et le l Pr
octobre nous débarquons à Tanger. Après trois
mois passés au Maroc, nous regagnons Rome où je fais
mon
dernier envoi. Voilà
mon
plan de
conduite jusqu’au 1 er février 1870. J
avoue que
l’Italie,
après l’Espagne,
me
parait
bien terne, bien connue, bien exploitée. Les liens et les Italiennes
Ita-
m’ennuient je trouve leurs ;
costumes noirs, fades ou criards sans harmonie. Quelle différence avec l’Espagne qui, pourtant, n’est
qu’un marchepied
I
C’est l’Orient
que
j’ap-.
Digitized by
262
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAÜLT.
.
que
pelle,
demande, que
je
je
veux
!
Là seule-
ment, je crois, je
me
chose. Ce que
peint jusqu’ici, je n’en fais au-
cun
j’ai
cas. Cela ne
compte pas.
arrangé une installation de lampes dans
J’ai
mon
sentirai vraiment quelque
atelier et je puis travailler le soir
dément
commo-
mon modèle. Seulement ma manière de dessiner les bois.
bien éclairer
et
je vais changer
Je les ferai davantage en croquis et à la plume.
Cela ils
me
coûtera moins de temps
d’autre part,
;
seront moins abîmés par le graveur et, en
somme, auront plus de cachet moins
que tout
à ce
le
et
ressembleront
monde peut
arriver à faire
avec de la patience..... • A
M.
A.
DUPARC.
15
Je n’ai pu
répondre plus
te.
avril 1869.
tôt
parce que je
voulais de donner quelques nouvelles de
—
travaux.
soin avec lequel tu as regardé
Haro
:
on
Je fais
voit bien
ma
mes
Et d’abord je te remercie bien
que
Judith
et
toi
mon
du
enfant chez
aussi tu es père.
Holopherne avec ardeur,
plus une petite Hérodiade, grandeur nature, plus le portrait
cela est
de Pessard en robe de chambre
en train
et
:
tout
jusqu’à présent ne va pas
mal; espérons
qu’il n’y aura pas d’anicroche,
car, advienne
que pourra,
je
m’embarquerai
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. le
1
er
Je voudrais
juin.
mes
Je vais vendre, je pense,
trois
vaises études d’Espagne. Tout ce
205
au Maroc II
déjà être
moins mau-
que
j'ai
peint
jusqu’à présent ne compte pas. C’est ce que je
commencer
ferai dorénavant qui va à partir de
mon
à compter,
Hérodiade. Je fais de rudes
journées de pioche maintenant. Plus d’amour, plus d’ivresse, plus de cheval, plus de gymnastique, plus de ture.
Du
musique
!
Plus rien que de
dame nature
reste,
tirer les motifs
se plaît à
la
pein-
me
re-
de distraction. Je n’ai plus de
voix....
Tout découragé que je suis par
les aquarelles
de Fortuny, je vais t’en envoyer quelques-unes de
moi,
afin
vendre
le
sou, et
mon
il
que
tu
me rendes le
service de les fairê
plus cher possible, car je suis sans
me
le
faut absolument de l’argent pour
revoyage d’Espagne. Ne garde pour
cune de ces aquarellcs-là, je
au-
toi
t’en enverrai
de
beaucoup meilleures.... A M. FRANCIS WEY.
Rome, %25
avril 1869*
Cher monsieur,
Mon
intention
infidèle.
mon
Par
retour,
j’ai fait
le
n’est pas
fait je
j’ai
mis
ne
six
du tout de vous
le suis pas,
être
car depuis
ou huit bois en train, et
serment de travailler pour vous tous
les
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
204
de
ma
Seulement je change un peu
soirs.
manière
faire.
Voici les explications que vous
quant au bois de C’est
la voiture
une scène que
de gala
me demandez et
du
cortège.
vue l’année dernière, au
j’ai
mois de mars pour
la fête
pape se rend à
Minerve. Cette procession se
la
de l’Annonciation. Le
répète à la fête de la Nativité, à celle de saint Philippe de Néri et à celle de la
et
que
Madone
del Popolo.
une étourderie de ma part (que
C’est
je déplore,
trop tard) d’avoir
mais dont
je
tourner
tait
me la
je regrette
suis aperçu
procession à
gauche. Vous pourrez mettre cela en note.
Malheureusement
à
Rome je
suis toujours trop
pressé de besogne pour pouvoir
me mettre la
première année de
pu prévoir que je
mon
séjour à
celui-là, j’aurais pris (n’ayant
j’ai fait
perdu
pendant
à
me
faire)
et de croquis, ce
lieu de cela,
me promener en amateur
mois. Je regrette bien den’avoirpas,
à ce moment-là, rempli des
qui
j’avais
en Espagne, et ce que je ferai encore
mon temps
six
Rome,
pasd’Envoià
au Maroc l'automne prochain. Au j’ai
et
serais chargé d’un Ira vail comme
une grande quantité de notes que
me promener
à l’affût des scènes intéressantes. Si,
seraient
si utiles
albums de croquis
maintenant,
et
me
per-
mettraient de dessiner des bois qui auraient bien
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNADLT.
265
plus de cachet et plus de variété... Enfin, je ferai ce que je pourrai pour que ces bois soient vrais et
ne vous ennuient pas trop... Je suis en train de terminer quelques bois sur le carnaval.
Quand
les enverrai
;
les
la
série sera complète, je vous
j’en fais aussi sur le Ghetto et sur
bords du Tibre... A M.
BRÉTON.
Home, 40 mai 1869.
Depuis douze ans était
la fête
des Allemands
suspendue; cette année on Ta reprise
Tous
ai assisté.
les
et j’y
Allemands habitant Rome se
réunissent à la Porta Maggiore à neuf heures du er
mai, pour clore
la saison. Ils
partent
matin,
le 1
de
revêtus de costumes de toute sorte plus
là,
ou moins ridicules
vaux ornés de
et
feuilles
grotesques, sur des che-
de
lierre,
sur des ânes, sur
des chars couverts de feuillage et traînés par des
bœufs blancs dont les cornes sont dorées. Un grand
nombre de
bannières, aux couleurs très-harmo-
nieuses, flottent dans tout le cortège, et,
en
tète,
où l’on
musique
on se rend d’abord à Torre dc'Schiavi,
fait
une légère collation. Après avoir offert
à boire à chacun des invités dans une coupe an-
cienne et fort belle en bronze
prononce un discours, part dans
et
ciselé, le président
donne
le signal
du dé-
un grand porte-voix, qu’un jeune
sei-
23
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
266
gneur supporte sur une de ses épaules. Puis on aux grottes de
se rend
la Cervara,
du côté de
la
un pays superbe
et pit-
toresque, à peu près à moitié route entre
Rome
vallée de Larghezza, dans
et Tivoli.
L'entrée des grottes est d’un effet magique que j’aurai bien de
l’encre sur
Dans
du
peine à reproduire avec de
la
bois.
les grottes, discours
du président; puis
diner, chœurs, rediscours, lecture de vers. Vien-
nent alors
les
jeux olympiques
le javelot,
:
qui
consiste à crever, avec des roseaux qu’on lance
de son mieux, un carton représentant d’art
;
ensuite c’est
course des ânes
Sur un des grottes,
et
la
course en sacs
la
des chevaux.
piliers naturels qui soutiennent les
on grave au ciseau
du président. La
fête se
l’olyiftpiade et le
la
la divinité
nom
termine par une scène
comico-mélodramatique, dans laquelle dent évoque
critique
et enfin la
le prési-
qui habite les grottes de
Cervara, lui jure fidélité et lui donne rendez-
vous pour l’année suivante, après avoir ler
fait
brû-
dans une marmite, par des sorcières vraiment
très-drôles, des papiers sur lesquels sont écrits les
noms
des fléaux de la société
:
le billard, les
cartes, la poésie, etc...
*
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
267
Cette lettre est datée du mois de niai,
époque
à laquelle
position.
quelques instants et
s’ouvrait
Nous laisserons
Paris l’Ex-
à
donc pendant
l’artiste
à
son
nous nous reporterons devant
travail
le portrait
du général Prim. L’effet produit, dès son apparition,
cette
œuvre étrange
uns par une sorte de trouble ment, chez
par
se traduisit chez les et
d’étonne-
par une franche
les autres
et
profonde admiration. L’indifférence seule fut impossible.
La peinture de Régnault, audacieuse fière,
ressent,
se
l’abord,
et
nous en convenons dès
du passage de
l’artiste
en Espagne
et
de l’étude qu’il vient de faire de Vélasquez
et
de Goya. Mais
nérale, Il
il
s’il
a subi leur influence gé-
n’a rien perdu de son originalité.
reste lui-même, tout en ayant grandi dans
une atmosphère chaude ne saurait, sans
et généreuse, et
injustice,
voir
on
un pastiche
dans son œuvre. Qu’on se rappelle
don
faits
les
chevaux de YÀiitomé-
cependant avant
le
voyage en Es-
pagne. N’y trouve-t-on pas déjà,
comme
dans
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
2'i8
du général Prim, une vigueur exubé-
celui
rante et jusqu’aux coquetteries de mouve-
ment qui nous frappent dans
ce grand por-
trait?
Mais laissons
la
parole à M. Théophile
œuvre avec
Gautier, qui nous décrira cette
amour, car
cette peinture
avait rajeuni son
âme
neuve
et
hardie
:
Juan Prim 8 octobre 1868, tel est le titre que donne M. Régnault ù sa toile, qui est en même temps un portrait et un tableau d’histoire. Le général est ,
représenté à cheval, nu-tête collé sur son front ses et
;
il
est pâle; le vent a
cheveux un peu rares déjà,
sur sa figure qu’il s’efforce de rendre calme, on
lit la
joie et le souci
déchaînés,
ils
les faire rentrer
perbe,
et
pour
du triomphe. Les vents sont
soufflent furieusement
le
dans l’outre?
;
qui pourrait
Ce masque
est su-
peindre, nous ne craignons pas de
un artiste de génie. Juan Prim vient d’arrêler brusquement sa monture en retirant les le dire,
il
guides à
fallait
lui.
Le cheval, magnifique andalous à
la
robe noire où frissonnent des lueurs de satin, les
jambes de devant tendues, l’arrière-main un peu abaissée, la tète encapuchonnée et repliée sur son col renflé en gorge de pigeon, secouant sa crinière,
longue
comme une
chevelure de femme, couvrant
son mors d’écume, semble impatient de reprendre sa course.
Et
s’il
obéit, c’est
en esclave frémissant
Digitlzed by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. et
méditant
la
révolte.
que M. Régnault
est
En le voyant, on un hardi cavalier,
2 0O
devinerait
si on ne par son envoi de Rome ayant pour suAutomédon, dont les chevaux pleins de fougue révélaient un peintre équestre de la 1
avait appris
jet
race des Géricault, des Vernet et des Delacroix. Nous avons en tendu critiquer ce cheval qui, en effet, peut sembler étrange aux yeux habitués à la maigre finesse du pur-sang anglais, mais qui n’en
est pas moins vrai pour cela Un court voyage en Espagne convaincrait incrédules. N avons-nous pas trouvé en Algérie ces chevaux bleus et roses qui
les
étonnaient si°fort revue de l’empereur du Maroc, Abderrhaqu'on croyait un produit fantastique de 1 imagination de l’artiste ? Mais Juan Prim n’est pas seul dans sa toile. Une foule tumultueuse se rue, crie et
dans
man,
la
et
gesticule derrière
lui,
mêlant aux uniformes ses vestes à
jetees
sur l’épaule,
la
marseillaise
agitant des
drapeaux, lançant brandissant des armes improvisées, dans un fourmillement lumineux où le jeune peintre a, d’une, brosse rapide, ébauché avec un déguenilleinent pittoresque les ses chapeaux en
l’air,
types et les costumes 1 Espagne. Rien de plus vivant, de plus fiévreux, de plus emporte par le tourbillon qui
populaires de
passe, que cette multitude courant sur les pas du général sérieux et songeur dans son ivresse. Si Juan Prim est révolution-
naire
il
est aussi
Castillejos, et ses
comte de Reuss
et
marquis de
habitudes d élégance peuvent souf-
nr de ^contact trop passionné du peuple. Nous savons mieux que personne
toutes les objec23 .
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
270
tions qu’ou peut faire à l'œuvre de M. Régnault
l’emphase,
l'incorrection,
mais tres
la vie.
dre le rayon sur
chaude et
animer
sait
Il
;
les figures, faire descen-
envelopper d’une couleur
elles, les
et brillante, leur
entraîner dans le
les
:
qui prime toutes les au-
l’artiste a la qualité
:
exagérée
hardiesse
la
communiquer sa fougue mouvement de son esprit.
Quoiqu’il dérive visiblement de Vélasquez, de Goya et
de Delacroix, lui
n’hésite
il
est original.
il
impute
caractère
jamais
parti pris adopté.
La décision de son
un cachet
Nous aimons ces
deux qui ne craignent pas de franchir un obstacle
car
individuel,
à pousser jusqu’à
l’outrance le
hasar-
artistes
chute, lorsqu’il s’agit
la
difficile
ou d’atteindre quel-
que âpre sommet.
On
se souvient
du splendide
Portrait
de femme
en robe dé velours rouge exposé par M. Régnault l’année
dernière,
une magnifique protestation
de
coloriste contre la froideur grise qui envahit de jour
en jour notre école, trop sage depuis
la
mort des
grands romantiques. M. Régnault a un vigoureux
tempérament de peintre, mais cieux et coquet lorsque cela faut d’autre témoin la
baronne de
que
B...,
dentelle noire, se
il
lui
sait
aussi être gra-
fait plaisir
le petit Portrait
en robe rose
et
de
n’en
il
en mantille de
détachant d’un fond d’appartequi est un vrai bi-
ment tendu de
vieille tapisserie,
jou et forme
plus parfait contraste avec
le
;
madame
le
Juan
Prim.
Le succès fut grand et
il
était mérité.
On
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
signala bien
271
quelques incorrections ou exa-
gérations; mais artistes et critiques furent
unanimes
à reconnaître la fougue et la har-
diesse des mouvements, la puissance et l’au-
dace de
ne se
la
couleur. M. Xavier Aubryet, qui
laisse pas facilement aller à l’enthou-
siasme, s’écriait:
Le plus éclatant début du salon de 1869 aura été certainement les deux
Juan Prim
de M. Henri Régnault.
toiles
et le portrait
B... Toute la furie
Madame
de
la
comtesse de
romantique de 1850 respire dans
ce tableau d’histoire contemporaine
:
le
général est
représenté à cheval, nu-tête et arrêtant brusquement sa monture à la fois soumise et révoltée; la peinture
équestre n’a pas de plus saisi
dans sa fougue
Prim
rière Juan
et
modèle que ce coursier
fier
dans son frémissement
s’agite
;
der-
une foule tumultueuse mê-
lant aux uniformes la bizarrerie de ses costumes, agitant des drapeaux,
brandissant des armes
impro-
visées.
Une vie extraordinaire se dégage de ce fourmillement humain et l’on sent presque l’odeur du génie ;
dans cette explosion de jeunesse
et
d’audace.
Le Portrait delà comtesse de B... avec cette peinture d’orage
;
fait
contraste
sur un fond qui a
d’une ébauche d’aquarelle, se détache d’un
un
d’étoffe
daillon
;
l’air
fouillis
fini comme un méune miniature de déesse dans un
délicieux visage fin et
on
dirait
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
272
nuage de dentelles ; comment peut-on à la fois faire si majestueux et si mignon? Mais dans l’aigle qui se transforme en colibri, on reconnaît
même
la
puis-
sance de talent.
que tout
Tandis Régnault,
il
était
cessé de
pas
Paris
nous prouvent
mais ses
lui,
qu’il n’était pas
dangereux
au
sible
de
Le bruit de son
travailler.
succès était venu jusqu’à tres
s’occupait
demeuré à Rome, et n’avait
enivrement
let-
acces-
de
la
louange. A M.
CAZALIS.
Rome,
Tu
3i
mai 1869.
trouves que je ne produis pas assez. Mais,
malheureux! crois-tu que ce que sous les yeux soit tout le'travail de tout ce que je fais pour
moi? Et
que je prends à droite
et
je
toutes ces notes
à gauche,
études, tous ces essais, tout cela se
pendant que
Tu
je
as peur
vous jette
mon année? Et toutes ces fait-il
que
je sois soûl de
mon triomphe?
Non, je ne suis plus d’âge à éprouver une faction béate devant tel telle
que
ou
telle lettre
cela. Je
maître,
me
donc
dors?
ou
tel article
satis-
de journal,
de félicitation. Je vaux mieux
veux que M. Henri Régnault, mon
puisse dire
un jour
:
Allons, drôle, je
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. suis content de vous
et je désire
!
273
cependant que
ce moment-là fuie longtemps devant moi, car je
commencerai à décliner du jour où tisfait
...Je voudrais être nis. Je vieillis ici
éclairée par leil...
je serai sa-
de moi...
au Maroc, en Algérie,
à
Tu-
Home maintenant me semble
;
une veilleuse.
me
Il
faut plus de so-
Pourquoi ne veux-tu pas? Enfin n’y pen-
sons plus. Nous nous embrasserons sur les Pyra-
mides ou dans quelque temple indien, en haut de ces escaliers de marbre qui conduisent à
tra-
vers les lianes et les grandes feuilles odorantes
aux piscines
sacrées...
La Judith se terminait;
devenue et déjà
la
Salomé ,
était
Régnault songeait
l’Espagne et
le
trois
en
frais
études
tées d’Espagne, et
aquarelles
faunesse,
presque achevée, à
son départ pour
Maroc.
Pour parer aux vendit
la petite
me
amateurs disposés
de son voyage,
qu’il il
avait
il
rappor-
m’envoya quelques
priant de trouver
des
à les lui acheter. C’était
peu de temps avant l’ouverture du Salon
;
le
succès n’avait pas encore attaché son prestige au
nom du
jeune
artiste, et ces
aqua-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
27*
relies
qu’aujourd’hui l’on se dispute à de
si
hauts prix, durent être cédées à de bien modestes conditions.
une
place
se
Ici
sur
ee
d’argent
besoin
Régnault; ses lettres
la
il
explication nécessaire
au point de vue artistique
et intéressante
qui
poursuivait
donne lui-même dans une de
:
A SON PÈRE. %
Bien que tu t’efforces de nie prouver que je
n’ai pas besoin de
beaucoup d’argent pour
voyager, je tâche cependant d’en réunir le plus possible,
non pas
qu’il
me
faille
sommes
des
considérables pour le voyage proprement dit et
mon
entretien, mais je ne veux pas, étant à court
d’argent,
payer,
me
trouver dans l’impossibilité de
non des
bibelots inutiles et de luxe,
des objets que je regarde à
un
peintre, tels
que
Rien ne s’invente,
comme
étoffes,
me
mais
indispensables
armes, costumes.
et ce n’est
pas avec un man-
teau de flanelle gris jaune et une tunique anti-
que de
toile écrue,
qu’on arrive à
faire
des ajus-
tements intéressants et originaux.
On
arrive à faire des apôtres, l’un avec
un man-
teau gris, l’autre avec manteau d’un sale ton, et
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
dans lequel
le
‘275
rapport de l’ombre au clair est
entièrement faux. C’est en s’entourant de choses riches et harmonieuses, en les transformant, en
assemblant avec intelligence
les
d’après nature, qu’on
fait
et
en
les copiant
des choses vraies et sé-
duisantes. Ce n’est pas chez Babin ou chez Eude,
à dix francs par mois, qu'on trouve des motifs saisissants.
gamme
Un bout
de
mon
la
Hérodiade
et
ma
Judith sortent
la
un peu
banalité, elles le doivent avant tout à
superbe
étoffe chinoise
j’ai
eue
On ne
fait
une écharpe indienne
là aussi et à trois
draperies que
j’ai
ou quatre autres
rapportées d’Espagne.
bien en
d’après nature et
une
que j’ai achetée 500 francs
à l’Exposition universelle, à
que
donner
dépend d’une loque.
tout entier de l’œuvre Si
peut
d’étoffe
de tout un tableau, et souvent l’aspect
un
somme que
accessoire
ce qu’on
fait
mal exécuté peut
couler un tableau. Retire aux Noces de Cana de
Véronèse leurs belles étoffes vénitiennes, place-les
grand honneur chez bien des peintres,
que
et
rem-
par des manteaux de flanelle, en
les Noces de
et tu
Cana sueront l’ennui.
Je suis bien content d’avoir
pu rapporter d’Es-
pagne quelques beaux costumes de torreros de piccadores. Ce sont des notes dont de s’entourer
si
verras
et j’aimerais
il
est
et
bon
mieux crever de faim
Digitized by
27G
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
que de
résister à la tentation d’acheter
une
selle
arabe ou de belles armes marocaines...
Le travail excessif auquel Régnault se
Rome
depuis son retour à
vrait
éprouvé.
li-
l’avait
.
A SON PÈRE.
Je n’ai pas
la
force de t’écrire longuement. Le
temps passe avec une rapidité qui m’effraye: les quinzaines passent j’ai
encore bien à
comble de maux, à travailler
que
en huit jours
c’est
je
et
pourtant
faire. Je suis fatigué, et
au moment où
me sens
j’ai le
pour plus
faiblir. J’aurais vrai-
ment besoin de quelques jours de repos
et je
ne
puis le prendre encore.
La semaine suivante J'ai été forcé
il
ajoutait
d’interrompre
les
parce que je craignais de trop yeux. faits
;
l’effet
Ma foi,
si
on ne
les
bois, le soir,
me
fatiguer les
trouve pas assez
mais Doré se contente bien d’indiquer avec quelques teintes
de gouache
gnocher de J’ai
tant pis
:
et je
ne
me
petits dessins
tant et tant de
et
quelques touches
sens pas en train de pi-
en ce moment.
choses à terminer avant
Digitized by
.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
mon
départ que c’est effrayant
ne puis rester
ici
!
indéfiniment sous peine d’être
mon
obligé de tronquer
voyage, et de ne pas en
tirer tout le parti possible, ce
que
je trouverais
plus fâcheux qu’un bras plus ou moins
un de mes
Je n’enverrai décidément pas
prochain salon.
Tu
mon
que
sais
petite figure soit
veux pas
la
montrer,
Hérodiade à
je la réserverai
:
je
pour
le
ne suis pas parti-
san des choses exposées plusieurs
ma
dans
fait
tableaux.
l’exposition des envois
que
277
Et pourtant je
bien
fois et,
presque terminée, je ne toute
afin qu’elle arrive
neuve à l’Exposition A SON l'ÈRE.
Rome, 50 juin 18G9.
Les semaines passent sans que je m’en douie.
.
Je suis surchargé de besogne et n’ai plus le temps
de prendre
la
me
Clairin
plume.
demain matin
quitte
:
il
va passer
quelques jours à Paris. J’aurais bien voulu
compagner
et
obligé de rester
du moins Quant
le
à
ici
pour achever
l’ac-
mais je suis
t’embrasser,
aller
mon
Envoi, ou
rendre présentable.
ma petite
Hérodiade, à laquelle
pourtant bien peu à tendre pour
la
faire, je serai
il
reste
obligé d’at-
terminer. Je n’ai plus l’esprit
assez calme pour finir quelque chose. Cet Envoi 24
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
278
me
qui
talonne, ce désir constant de partir qui
me poursuit,
tout cela fait que je ne sais pas trop
où donner de Je t’envoie
que née
comme
à
la tête.
ma petite
Rome,
chienne Phœbéqui, bien
Tu verras
souffre de la chaleur.
elle est gentille
de formes et de caractère,
douce, intelligente, attachée et docile.
du départ de
fité
Rome où
pour
Clairin,
je craindrais
pour
J’ai
pro-
lui faire quitter
elle la fin
de
l’été
:
Lagraine aura assez de Prim à soigner. Prim a
une santé de
fer,
il
est fort
ne craint rien. Sa petite
comme un fille
Comme
toute fine et toute délicate.
peu de chaleur à
Je
compte sur
mange deux
***
fois
deux ou
:
Du
n’est p3s
tu
la vie
don-
soin. Elle
reste, je
ne suis pas
l’aimeras autant que
comme
chasseur, c’est une petite
aime bien
eu un
lui
deBaréges.
pour en avoir bien
inquiet de son sort
Phœbô
trois bains
et
est
par jour et a besoin d’une nour-
riture assez fortifiante...
Fox.
elle a
Usera bon de
la peau,
ner, à son arrivée,
taureau
au contraire
Prim, un grand
femme
d’intérieur qui
de famille....
A SON PÈRE.
13 J’ai fini
parler, car
coup à
mon il
tableau
:
fini est
juillet.
une manière de
y aurait encore à faire et surtout beaupour cela il ne s’agirait plus
refaire. Mais
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
279
de prolonger mon séjour de quelques jours, drait
un mois pour
Ce qui m’arrôle
et
il
fau-
laisser sécher et reprendre.
me
force à
abandonner dès au-
jourd’hui ce travail en faisant le serment de ne plus y toucher demain, c’est que ma toile doit que je crains les accidents si la
être roulée et
peinture est trop fraîche. J’aurais mieux aimé re-
noncer à ce tableau que de pareille précipitation.
On est
le
terminer avec une
plus indulgent pour
une chose visiblement inachevée que pour qui a
celle
prétention de l’être et qui réellement ne
la
l’est pas
du
tout.
Je ne suis pas mécontent de l’aspect général
du
tableau, qui est, je crois, assez dramatique
comme
effet
;
mais que de choses mal
faites
!
Cela ne vaut rien décidément, de travailler ainsi
en train express. Je suis parfois honteux à sée que les gens qui verront gineront que je
l’ai
laissé
mon
pen-
la
tableau s’ima-
dans cet état-là de
plein gré et parce que je n’ai pas vu ce qui
mon
man-
quait. Je le vois, hélas, trop bien et c’est là ce qui
me rattraperai à l’Exposition avec ma petite Hérodiade, que je terminerai avec calme m’effraye. Je
et qui
pourra montrer que je ne demande pas
mieux que de pousser l’exécution quand
cela m’est possible.
assez
Fais des
loin,
bassesses
pour qu’on mette non terminé sous mon Envoi.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
280
Quoi
en
qu’il
soit,
je n’ai pas l’intention d’y
retoucher plus tard ou de l’exposer aux ChampsÉlysées. y aurait trop à y refaire et cela pour un résultat médiocre, et il vaut mieux se livrer Il
dans autre chose
et
chercher à faire un nou-
veau-né que de retaper
pour ne pas
lui
un bossu ou un bancal
diminuer beaucoup sa bosse ou
courbure de ses jambes. Je suis d’avis que les
la
maladies incurables font moins souffrir
le
ma-
lade quand on les laisse suivre leur cours sans trop vigoureusement contre
lutter
pour moi,
maladie dont
la
elles.
je *suis affecté
Or,
main-
mon tableau. C’est un me ronge, et je préfère coumembre gangrené que cher-
tenant, c'est le dégoût de véritable cancer qui
per sans hésiter
cher à
le
guérir peu à peu.
le
Après avoir
fini
monHolopherne,
recommencer entièrement parce
du
tout
:
il
est vrai
il
m’a fallu
le
qu’il n’allait pas
que maintenant
il
ne va
guère mieux. Son seul mérite est de ne pas avoir l’air
cherché, mais en revanche on peut lui ren-
dre cette justice qu’il n’est pas trouvé
Je recevais aussi vers la
une
lettre
de
l’impression
de juillet
fin
que Régnault, toujours inquiet
m’écrivait au
future
de
son
moment même de
tableau,
son départ.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
raconte et explique son œuvre
Il
281
en ces
termes. A U. DUPARC.
Je reprends la
plume après vingt jours de com-
silence pendant lesquels je voyais cette lettre
mencée rôder sur les palettes, sous les brosses, dans fini
d'un atelier en désordre.
J’ai
Envoi ces jours-ci, c’est-à-dire que
j’ai
la poussière
mon
cessé d’y travailler depuis trois ou quatre jours.
Ce n’est certes pas que je ne voie plus rien à y faire, mais il faut que la peinture soità peu près sèche pour être roulée
et
envoyée
une
se-
mon
ta-
d’ici à
maine. Je ne sais pas
du
tout
si j’ai
dit
dans
bleau ce que je voulais dire. Je crains qu’on ne
comprenne pas bien ciles à
exprimer
certaines choses assez
où
et
L’aspect général
tableau fait, je pense,
’,du
assez
bien
drame
effrayant, et le noir qui
deviner
tableau, malgré
un
répand sur toute la
qu’il
va
se
passer
domine dans
La Judith
toile
une
s’est glissée lit,
un le
certain]étalage de richesses,
sorte dévoilé de
qui, je crois, sautera aux yeux de tout le
tente, derrière le
diffi-
je crois être insuffisant.
sous
les
mort
monde.
rideaux de
la
avec précaution, pour ne pas
réveiller le schah qui dort. Elle est
accompagnée 24.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
282
de sa servante, qui en écartant
lui fait le
retomber sur
elle
ou sur
passage plus facile
en l’empêchant de
la tapisserie et
le lit
du
dit
schah. Elle
arrive enfin au bon endroit, à celui qui lui pro-
met
le
plus de facilité pour accomplir son saint
crime. Delà
main gauche,
elle écarte
un peu l’ou-
verture de la tente, pour laisser venir la lumière
du matin sur
main
(comme on coup
le col
de sa future victime; dans la
droite, elle tient,
non pas un grand sabre
le fait toujours)
et lui jouerait
qui la gênerait beau-
sans doute un mauvais tour,
en s'embarrassant dans dans les draperies de
la
le
nez de sa voisine, ou
lente
un poignard tranchant. Tout Orient on coupe les têtes Elle va faire un pas
de lever
la
ou du
lit;
elle tient
monde sait qu’en avec un petit couteau. le
en avant, mais, au moment
main droite surHolopherne,
elle a
une
seconde d’hésitation. Le poids de son corps se reporte sur le pied droit qui allait se lever et se
poser plus loin, et
sivement
la
la
main gauche serre convul-
draperie qu’elle écarte pour éclairer
sa victime, et
semble s’appuyer dessus pour
re-
trouver la force qu’elle sent lui échapper. C’est l’affaire
d’un instant, sa résolution reprend
dessus et C’est
elle fait ce
donc
féminin que
que vous
cet éclair
j’ai
le
savez.
de sentiment humain
et
cherché à rendre avec beaucoup
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
de réserve, ne voulant pas pression du visage, que
qui n’a pas eu
le
le
283
peindre par l’ex-
j’ai laissé
impassible et
temps encore d’exprimer ce que
Judith ne ressent qu’un instant. C’est
donc dans un
je
ne sais quel serrement
de gorge, dans un léger soulèvement des épaules, et
une crispation de
mettre. Ce n’est pas
ne sais
si
main que
la
commode en
vous comprendrez ce que
j’ai
voulu tout
peinture et je j’ai
voulu dire.
Enfin, maintenant que vous avez l’explication,
pardonnez-moi. J’ai
cherché à donnera l’Ilolopherne un mou-
vement très-simple qui sente nuit d’orgie et d’amour.
Une
la lassitude
d’une
sorte de sourire n’a
pas quitté ses lèvres sensuelles et semble être un
souvenir des bons
moments
qui ont précédé son
sommeil. C’est une nature vigoureuse mais sèche. J’ai cherché à donner à ses traits quelque
chose du satyre
et
du faune en
qu’un type oriental, pour bien
que
c’est sa paillardise
même
faire
temps
comprendre
qui va lui coûter la vie.
Ses tempes sont rasées et ses longs cheveux noirs
retombent sur
les coussins
Sous cette plaisanterie apparente Régnault cachait une inquiétude réelle. vait pas rassuré
Il
ne se trou-
en envoyant ses œuvres et
Digilized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
284 il
redoutait beaucoup
un
insuccès, non par
un noble désir
vanité, mais parce qu’il avait et surtout parce
que ses tableaux
étaient toujours" inférieurs
à ce qu’il eût
de faire bien
souhaité.
craignait
Il
tellement que
ses
amis ne reçussent une impression défavorable qu’il ajoutait dans la lettre citée plus
haut
:
Je vous prie,
loi
ou tout autre, de ne pas
voir déballer le tableau et d’attendre qu’il soit
sur son châssis, nettoyé et éclairé. Cela donne une si mauvaise impression devoir un tableau détendu et par terre Ce n’est pas la I
peine que vous vous dégoûtiez de
mon œuvre
avant de l’avoir vue.
Il
écrivait aussi de Barcelone à M.
en ces termes Il
s’agit
Haro
:
de soigner
et
laver
un pauvre
ta-
bleau, peut-être malade d’un voyage prématuré.
La cure est terminée déjà peut-être, vos bons soins,
ma
des amidons
des papiers,
,
Dans ce dernier
et,
grâce à
toile est sortie saine et
cas,
sauve
des embus, etc...
je vous remercie. Mais si
vous ne l’avez pas touchée encore,
je
vous re-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
commande de ne la faire voir à et surtout à mon père avant que ,
283
même
personne, la
guérison soit
complète.
Nous avons notre
petite coquetterie et
nous
tenons à nous en servir, surtout quand notre enfant n’est pas tout à fait bien venu et qu’il faut que
du
l’art
coiffeur,
mêlé à
tien, fasse valoir les
celui
du maître de main-
quelques qualités
qu’il
peut
avoir, et dissimule habilement les défauts trop ap-
parents.
Sur ce, plein de confiance en votre bonne volonté, je vous dis au revoir.
Quand ? Je n’en
sais
une parole qui vaut toujours
rien. Mais c’est
mieux qu’adieu. «
La
dans
Judith fut exposée les salles
au mois d’août
de l’École des beaux-arts.
Régnault eût été heureux de voir
les
mots
non terminé placés selon son désir sous ,
tableau. Il
y avait bien
lui-même si
le
un peu de coquetterie
reconnaît
— dans ce
—
désir, car
l’œuvre n’était pas aussi poussée que
tiste l’eût
:
le
l’ar-
voulu, néanmoins elle était fort
belle et fut très-remarquée. Le succès de
Prim
avait attiré sur le jeune artiste l’atten-
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
280
tion et les sympathies
du public,
un
et
vif
intérêt se mêlait à la curiosité qui accueil-
nouvelle œuvre. J’avoue cependant
lait sa
que
la
composition du tableau ne
pas complètement
me
paraît
que
satisfaisante, et
partie gauche, perdue dans
üombre
la
devrait
être plus étudiée.
Mais en revanche, quel charme et quelle
puissance dans toute cette figure de qui est parée pour le saint crime
pour une geste, quel
fête!
quelle
harmonieux
Judith
comme
noblesse dans éclat
dans
leur, quelle merveilleuse souplesse
étoffes
la
dans
Des éloges exagérés
et
des critiques bien
œu-
La peinture de Régnault semblait avoir
le privilège d’exciter
nés
les
!
sévères accueillirent l’arrivée de cette vre.
le
cou-
la
;
des jugements passion-
on ne pouvait l’analyser avec calme
elle excluait
;
pour ainsi dire l’impartialité,
et les opinions les plus contraires se
heur-
tèrent dans les appréciations qu’on en
fit.
Je
mettrai seulement en regard M.Th. Gautier et M. P.
de Saint-Victor. L’un fera ressortir,
avec un enthousiasme non contenu, toutes
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. les brillantes
du tableau
qualités
287
l’autre
;
“semblera prendre à tâche, au contraire, d’en
découvrir les imperfections. La Judith et Ilolopherne de M. Régnault, bien qu’il n’ait
que vingt-deux ou vingt-trois ans
qu’à sa seconde année de séjour à la
et n’en soit villa
maître.
On
n’est plus
portrait de la
1
dame en robe de
portrait équestre
Mèdicis,
comme une œuvre de un élève quand on a exposé le
doit être considérée et jugée
velours rouge et le
du général Prim. Nous ne disons
pas cela pour gonfler outre mesure par une louange
imprudente l’amour-propre du jeune
artiste,
mais
il
est certain que, dès à présent, ses qualités et ses dé-
fauts
ne relèvent que de
n’y peut plus rien
^.il
est
lui.
La discipline de lecole
perdu ou sauvé.
C’est
un de
ces tempéraments indomptables, sensibles à l'éperon, rebelles au mors, qui se cabrent éperdûrnent au milieu de l’art, échevelés, battant l’air
de leurs sabots,
secouant leur écume et franchissant les obstacles, quels qu'ils soient, au risque de se casser les reins.
Mais ne croyez pas queM. Régnault cherche à éblouir la foule
par des étrangetés voulues à
Courbet
et
la
façon de MM.
Manet; nullement.il s’abandonne à sa na-
ture, qui est celle d’un peintre de race.
sans effort, parce qu’il
Le sentiment qu’on éprouve
non achevé,
et qui
produit ainsi tout
11
est original
lui-même.
est
devant ce tableau
ne gagnerait pas à
l’effet qu'il
l’être,
car
il
peut produire, est celui
d’une surprise profonde. L’artiste, en quelques coups
de brosse, a réalisé son
l
ève et vous introduit dans
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
288
un monde nouveau, dans une
antiquité assyrienne et
biblique qui ne doit rien à l’archéologie et qui a la véritéintense d’une hallucination. Holopherne, étendu
sur des peaux de lion et de riches tapis orientaux, dort d'un sommeil lourd, la tête à demi renversée et
comme
tendant complaisamment
un de
sur
ses bras,
le col
au couteau
;
abandonnés négligemment, on
distingue des tatouages bleus de barbare et d’idolâ-
Son type de figure à bouche épaisse, à barbe types de guerriers des bas-reliefs
tre.
frisée, rappelle les
Dans l’ombre, au fond, sous les
ninivites. tente,
étincellent
plis
de
la
vaguement des armes qui ne dé-
fendront pas leur maître, ivre de vin
et
de volupté.
Judith se tient debout, près de l’entrée de la tente,
dont
elle
soulève
le
pan de
main gauche,
la
et à sa
main droite pendanlele long de sa cuisse brille sourdement un kandjar, attaché à son poignet par des cordons, pour mieux assurer le coup. Elle est belle d’une beauté presque spectrale, avec sa blancheur fardée noyée dans le clair-obscur, ses opulents che-
veux plus noirs que toiles
la nuit, et
comme
elle
piqués d’é-
de pierreries. Une robe de velours noir mon-
tant jusqu’aux hanches, une chemise à demi plissée, d’étoffe transparente, et
une large ceinture de gaze
orientale pailletée d’or, enveloppant la taille,
compo-
sent son costume étrange et splendide. Sur cette cein-
ture passe feu,
un rayon de lumière
pour ainsi
dire, et
en
frisante qui y met le fait pétiller les fanfrelu-
ches d’or avec un éclat éblouissant. Jamais feu d'artifice
de palette plus étincelant ne fut tiré dans un
bleau. Mais
il
n’a rien de trop brusque.
brillants, des reflets, des
ta-
Des points
chatoiements d’armes ou de
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
289
bijoux habilement mélangés, répondent à cet appel
de lumière. Les mains de Judith sont chargées de bagues, elle en a jusqu’aux doigts de pied,
dame
Tallien. C’est l’exagération
comme ma-
d’unehonnêle femme
en aventure galante.
Mais qui veut la fin veut les
moyens,
de Bèthulie n’a rien négligé
et l’héroïne
pour séduire
le
général assyrien, dont
mort
la
doit
sauver Israël. «
Le
ter.
moment
d’agir est venu, et Judith semble hési-
Peut-être se dit-elle
ou tout simplement celte
gorge coupée
la
c’estune
;
du sang qui va
jaillir
!
»
de
dégoûte; sa servante attend avec
une impatience cruelle dans son sac
Pauvre Ilolopherne
«
:
l’idée
la
fille
mettre
tête qu’elle doit
sèche, hâve, à mine basse,
comme
à teint de mulâtresse, coiffée,
d’un foulard,
d’un bout d’étoffe jaune d’un ton superbe qui garde
un
tout son éclat dans l’ombre,
mais exécuté au bout de
la
vrai tour de force,
brosse et sans
moindre
la
peine, en grand maître coloriste.
y a chez M. Régnault du Delacroix, du Goya, du Diaz môme, du Gainsborough et du Reynolds, « Il
mais dans d’un
si
bien assimilés qu’on ne les distingue pas plus
le talent
homme
du jeune peintre, que dans
les
aliments dont
il
s’est
la
nourri
:
chair il
est
maintenant, M. Régnault, reconnaissable jusque dans les
pastiches qu’il lui plaît de faire d’après
maître. Personne, ayant vu
n’oubliera villa
tableau du jeune
le
Médicis
mera sur
sa
Holopherne
;
qu’il lui plaise
tel
et
ou
tel
Judith ,
pensionnaire de la
ou non,
il
s’impri-
mémoire comme un cachet sur de
la
cire. »
Digitlzed by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
290
une contre-partie à ment d’un enthousiasme sans Il
cet épanche-
fallait
restriction
;
écoutons M. P. de Saint-Victor. <r
Après YAulomédon que M. Régnault envoyait l’an
passé à l’exposition de l’École portrait équestre
de Rome, après
le
du général Prim, qui a remporté, si grand succès, nous atten-
au dernier Salon, un
dions de lui mieux que sa Judith sous la lente d'Iloloplierne,
en
tableau d’histoire traité
tableau
de
genre, tragédie sacrée costumée en lurqucrie fantaisiste,
orgie brillante de couleur dont la verve ne peut
recouvrir «
le
défaut de goût et de style.
L’histoire de Judith n’est guère édifiante,
parmi
quoi-
de
la
veuve de Manassé se glissant traîtreusement dans
le
qu’elle figure
les livres sacrés. L’exploit
du chef assyrien pour l’égorger pendant son sommeil, comme un taureau d’holocauste, nous parait aujourd’hui d’un héroïsme douteux. Eu fait de politique sacrée et de meurtres théocratiques la conscience moderne est moins large que celle d’autrefois. A l’heure qu’il est, nous ne sommes point éloigné de partager l’avis de ce brave spectateur du dix-septième
lit
,
siècle raillé par Racine,
qui, assistant à la tragédie
de Boyer, Pleurait, hélas! sur ce pauvre lloloplierne Si
«
à
la
Mais
méchamment mis à mort l’art
par Judith.
n’a pas de scrupules
:
moralité des actions humaines
mande que de
lui offrir
il
;
est indiffci eut il
ne leur de-
de grandes lignes, de beaux
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Googt<
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
291
aspects ou des expressions saisissantes. Aussi Judith a-t-elle été,
dans toutes les écoles, un des types de
prédilection de la grande peinture. Celte toilette
ries
femme en
de courtisane, écartant d’une main
les
drape-
d’une tente magnifique, levant de l’autre son
glaive sur
un géantendormi, ou portant
sa tête qu’elle
vient de trancher; ce pavillon entr’ouvert qui laisse voir Holopherne couché sur son divan oriental loin,
dans l’ombre,
la vieille
groupe pittoresque de encore
faut-il
terrifier celte
que
la plus sinistre
«
beauté. Mais
pathétique vienne émouvoir ou
le
scène de meurtre, que
que l’expression l’ennoblisse.
môme
plus
comme
d’une chasse nocturne, tout cela compose un
le filet
et
;
servante aux yeux rusés,
au sourire féroce, tendant son sac funèbre,
Il
le style la relève
ne faut pas jouer,
en art, avec la hache du bourreau.
C’est pourtant ce qu’a
grande
toile qu’il
fait
M. Régnault dans
la
envoie deRoine.il s’est amusé du
sujet terrible qu’il avait à rendre;
prétexte à luire scintiller des
il
n’y a
bijoux,
vu qu’un
miroiter des
étoffes et contraster
des carnations de couleurs di-
verses. L’idée et
sentiment disparaissent sous ce
le
clinquant de palette. Cela tient à
d’Horace Yernet et des
Femmes
la fois
de
la
Judith
d’Alger d’Eugène De-
lacroix. De la tente tragique d’Holopherne, l’artiste a fait
quelque chose de
comme
gai,
l’intérieur d’un
Sa Judith debout,
le
de bizarre et de bigarré
harem ou d’un bazar
turc.
—
cimeterre au poing, dans l’angle
du pavillon dont elle écarte les plis, ne s'élève pas audessus du type d’une aimée de café mauresque. Aucun éclair de haine, aucun rayon d’enthousiasme n’animent son froid visage empreint d’une morgue apa-
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232
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
lliique.
Ses cheveux noirs plaqués et compliqués sur
son front ont
ragoût presque vicieux d’une coiffure
le
de théâtre. #
On
se
demande
si elle
pherne ou danser devant
va couper la tête d’Holo-
pas des poignards, i
lui le «
Les épaules et la poitrine sont d’un ton
mince
très-fin,
et transparent à outrance. C'est
chair que de la moire
la
éclairé.
Je
ou de l'albâtre
louerais fort l’étonnant travail de l’écharpe
d’argent qui s’enlace autour de sa
mais
moins de
taille, si
d’or et
ce rendu
excessif ne tirait les yeux jusqu’à les distraire de la figure
même.
L’étoffe l’emporte sur l’héroïne; elle
est éclipsée par
de
style, sa
un
—
accessoire.
servante
manque de
Si Judith
caractère.
manque Avec ses
dents blanches, reluisantes sur son visage sombre et le
mouchoir jaune noué en marmotte autour de sa d’une nourrice mulâtre penchée sur
tête, elle a l’air
le
— Mais
berceau d’un enfant créole.
méprise du tableau l’artiste
a fait
la
plus étrange
est la figure d’Holopherne,
un Kabyle aux jambes
dont
grêles, aux bras
tatoués, aux tempes rases, laissant flotter sur l’oreiller cette touffe saisit les
de cheveux par laquelle
musulmans qui
ment, plus aigu qu’un faux,
même
l
ange Azraël
traversent le pont du Jugefil
de rasoir. Rien de plus
historiquement, que ce trompe-l’œil de
couleur locale. Si M. Régnault avait sérieusement re-
cherché l’exactitude ethnographique, ce n’est pas sous les traits d’un Arabe moderne qu'il aurait dû représenter
le
général assyrien, mais sous la forme
imposante d’un de ces guerriers figurent sur les
attentivement
monuments de
le texte
biblique,
à
barbe tressée qui
Ninive. il
En
lisant plus
se serait aussi bien
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
293
gardé de lui prêter cette physionomie vulgaire et
rouche de Bédouin en Judith, traité de
de
jettent
d 'Esther, dans cadence
roman pieux par
la Bible,
le style
d’Israël,
affreux barbare.
ne
Il
fa-
de
livre
qui
les juifs
comme
écrit
Le
d’ivresse.
état
le
re-
ceux de Tobie
tempéré qui caractérise
la
et
dé-
pas du tout d'Holopherne un
fait
y parait, au contraire, singulièreune courloisie majestueuse
ment
raffiné.
qu’il
accueille Judith lorsqu’elle se présente à lui
comme une bannissez
jamais
C’est avec
suppliante
la crainte
fait
—
:
Ayez bon courage et
«
de votre cœur, parce que je n’ai
de mal à quiconque veut servir le roi Na» Le texte dit encore que « les sanda-
buchodonosor. les
de Judith
lui
plurent
runtei; ce qui est un
:
»
Et sandalia ejus placuede sensualité
trait
Ailleurs, ses soldats s’écrient à la «
Qui mépriserait
belles
!
les
Elles méritent bien que,
leur fassions la guerre.
»
Ne
pour
Ceci dit,
si
nous un propos
une
ville d’Italie
«Ilest honteux chez
:
qu’une femme se moque d’un homme,
et qu’elle sorte de chez lui «
—
loin, je lis ce verset qui sent sa /{e-
gence ninivite ou babylonienne les assyriens
:
les avoir,
dirait-on pas
galant d’offieiirs français assiégeant
ou d’Espagne? Plus
délicate.
vue de Judith
Hébreux qui ont des femmes
il
comme
elle est
venue.
»
faut reconnaître les brillantes et vives
qualités que M. Régnault a gaspillées, en prodigue,
dans ce tableau mal venu. Sa brosse
est
d’une verve, d’une adresse, d’une
surprenante;
mais
la
manière
le
si
.
toujours
gagne, son dessin se relâche, sa
couleur tourne au bariolage. talent
facilité
Il
serait
fâcheux que ce
précoce s’épuisât, avant de mûrir, dans les
débauches de l’exéculion.
»
25
.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
‘29i
Pour
ma
part, je
ne puis m’empêcher de
trouver ce jugement sévère à l’excès. Lors-
que lecritique, par exemple, écrit: «L’idée et le
sentiment disparaissent sous ce clin-
me semble que c’est
lui
qui accorde à l’exécution du tableau, à
la
quant de palette,»
il
richesse des accessoires une attention exagérée, qu’il oublied’étudierl’expression de la figure ou qu’il ne la saisit pas; l’hésitation
momentanée de la Judith, son apparente impassibilité
démentie par son geste, toutes ces
émotions intérieures que
l’artiste a
cherché
à exprimer et qu’il nous a dépeintes dans sa lettre,
n’ont
pu cependant
échapper
à
M. P. de Saint-Victof.
Non,
l’étoffe
ne l’emporte pas sur
roïne qui garde toute sa éclipsée par
ment émue
aucun accessoire. Elle et
sa
l’hé-
valeur et n’est est vrai-
pose digne et calme est
pleine de noblesse. Les chairs nacrées sont
d’une
achevé
merveilleuse et
finesse,
d’un modelé
charmantes dans leur pâleur. Et
quant au reproche
fait
à
l’artiste
d’avoir
paré sa Judith à l’excès, nous ne pouvons l’accepter. C’est volontairement, c’est
pour
Digitizad by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
2J5
rester dans l’exacte vérité de son sujet
Régnault a agi ainsi qu’il l’a fait
Voici ce
que
nous devons ajouter
et
presque avec sobriété.
que disent, en
saints à ce sujet
effet, les livres
:
« Judith se parfuma de
orna sa chevelure
et
myrrhe précieuse,
mit sur sa
tête
une
mitre magnifique. Elle se revêtit d’habits de joie,
mit des sandales à ses pieds,
prit des
bracelets, des lys, des pendants d’oreilles,
des anneaux et se para de tous ses orne-
ments. Dieu
même augmenta
sa beauté,
parce que toute cette parure n’avait pas pour principe 11
est
la
un
passion, mais
la
vertu. »
point cependant sur lequel on
pourrait plus sérieusement attaquer la conception
de cette œuvre;
l’éclaire est
la
lumière qui
bien évidemment celle du jour,
tandis qu’il est constant que Judith était de
retour à Béthulie avant
le
lever
du
soleil.
L’exactitude rigoureuse aurait donc voulu
que et
la
scène se passât au milieu de
la
nuit
que la lueur douteuse d’une torche ou d’un
flambeau éclairât seule Mais
l’artiste
le
— nous en
drame. avons
la
preuve
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
206
dans sa foi,
lettre
—
puisqu’il dit
écarte
un peu
s’est ici :
« De la
trompé de bonne
main gauche,
elle
l'ouverture de la tente pour
laisservenir la lumière du matin sur le col de sa future victime.
Au commencementd’août, Henri Régnault adieu à cette Rome qu’il avait
avait dit
tant
admirée autrefois
voyage en Espagne,
sombre, à cette
depuis son
et qui,
lui paraissait
triste
Rome qu’il ne devait
et
plus re-
Il toucha terre à Marseille et dut y passer quelques jours en attendant le départ
voir.
d’un bateau pour Barcelone. le sol
espagnol
le
Il
arriva sur
9 août.
SON PÈRE.
Alicante, 25 ou 26 août.
Nous ne comptions rester à Alicante qu’un jour, mais le pays est
si
beau, les environs ont
tant de caractère que nous nous y sommes arrêtés et que nous le quitterons bien à regret. Nous travaillons beaucoup,
partageant
notre temps
entre la peinture et la photographie.
Malheureusement nos premiers essais dans ce dernier art ont peu réussi.
En
vain nos glaces
restaient dans le bain 35 ou 40 minutes
:
aucune
trace ne se manifestait sur le collodion et pour-
Digitized by
[CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAl'LT.
297
tant nous suivions de point en point tes instruc-
Nous étions décidés à
tions.
demander
et à te
s’il
renvoyer nos notes
te
n’y manquait pas quelque
mot important, quand un photographe nous indiqué
le
Nous employions l’hôtel
a
motif de nos insuccès. l’eau qu’on
pour nous laver
les
nous donne à
mains. Or cette eau est
détestable. Le photographe nous a conseillé de
prendre de l’eau qu’on boit qui qui coûte loin.
un
Nos épreuves de
magnifiquement
Nous menons tin à six
avec
est très-pure,
mais
certain prix, parce qu’elle vient de la
journée sont venues
1
l’existence
que j’aime. Le ma-
heures nous nous mettons en route
un guide
et
un ûne chargé de nos
ap-
de peinture et de photographie. Nous
pareils
restons dehors toute la journée, et je t’en réponds.
Le
soir,
à
il
fait
chaud,
neuf heures, nous
rentrons à Alicante, nous allons nous plonger
dans
nous
la
mer
et
revenons souper à
Puis,
l’hôtel.
montons développer nos épreuves dans
notre chambre.
Ce pays est superbe, c’est l’Afrique, l’Égypte. Des terrains arides d’une forme
et
d’une couleur
une lumière éblouissante
merveilleuses
,
silhouettes de
montagnes d'un
,
des
style grandiose et
sauvage, des palmiers, des nopals, des figuiers
!
Digitlzed by
2 II
COHUES PON DANCE DE HENRI REGNAULT.
18
y
aurait de quoi travailler pendant dix ans sans
deux
s'éloigner de
lieues autour d'Alicante.
ce, je te quille, car je
A
lî.
tombe de
CAZALIS.
D’Elche
C’est
Sur
fatigue
1 er
:
septembre 18G9.
dans un bois de palmiers que je
Qu’il y faisait
bon
cette nuit!
Tous
nous nous baignons en mer sous gards de Phœbé, quand
elle
les
l’écris.
soirs
les
blonds re-
veut bien nous faire
l’honneur de paraître. Maintenant plus de lune,
mais
la
mer
est
phosphorescente, de sorte que
chacun de nos mouvements y constellations
;
il
y a des
fait
naître des
moments où
je crois
nager en pleine voie lactée. Le beau pays
!
C’est
l’Afrique déjà. Les nopals nous sont familiers et
depuis trois semaines nous nous nourrissons de fruits délicieux qui doivent
descendre en droite
ligne de ceux de la terre promise
A
SON PÈRE.
Elche,
Je reviens de la poste
de ne pas trouver de
où
1" septembre j’ai été
lettres.
comptes, Clairin a retrouvé une par moi à ina sœur
et
En
1869.
bien étonné faisant nos
lettre
adressée
dans laquelle je te priais
do ne m’écrire qu’à Elche. Je regrette bien cet oubli de
ma
lettre qui a
dû vous donner de
l’in-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE
209
I1ENRI REGNAUI.T.
quiétude et qui m’a empêche de trouver
ici
de
vos nouvelles.
Nous sommes
restés 11 jours à Alicante et
nous
aurions bien voulu y rester davantage il y avait là des trésors pour nous, et nous y avons fait ;
bon nombre de dessins. Ce pays-ci (Elche) peu
petit; c’est
Des
quantités
grands
et assez
est original,
un peu
mais
c’est
un
l’Orient d’opéra-comique.
prodigieuses de palmiers assez
beaux, mais qui ne semblent pas
bien à leur aise. Je ne sais...,
il
y a dans tout
cela quelque chose qui n’a pas l'air bien franc et qui le
ne m’empoigne pas. Cela nous a
môme effet. En
nade
fait à
tous
avant donc, en roule pour Gre-
!
A SOX riRE.
Murcie, G septembre 18G9.
Nous venons de passer quatre jours
à Murcie.
Demain nous repartons en diligence pour Lorca.
De
là
nous gagnerons Grenade... je ne
ment, car
il
sais
com-
n’y a pas de route praticable, ni
aucun service de
voiture.
Nous nous sommes débarrassés de tout bagage gônant, ne gardant avec nous que deux sacs et
nos carions
à dessins.
Nous traverserons
tantôt à pied, tantôt à mule, sans le sou,
ainsi,
un pays
superbe, sauvage et peu habité.
_Digitized
by
CORRESPONDANCE
500
I)E
HENRI REGNAULT.
Nous aurions pu prendre un chemin plus péditif et
nous embarquer
Malaga
de
et
là aller à
à
ex-
Carthagène pour
Grenade
;
mais nous au-
rions laissé de côté la plus belle partie de l’Andalousie, sans y jeter
un coup
d'œil, et cela nous
aurait coûté trop cher.
Or nous avons 300 réaux, c’est-à-dire à peine 70 francs, pour faire 260 kilomètres en six jours, quatre! Tu vois que nous mangeons plus
et à
souvent du pain sec
et
des figues qu’autre chose.
Mais nous trouverons de l’argent à Grenade...
»
A SON PÈRE.
Grenade, 12 septembre 1869.
Notre voyage à travers les montagnes
s’est
bien passé. Grâce à une carriole qui ne nous coûtait
pas trop cher, nous avons pu faire en quatre
jours et demi
la
tournée. Nous, avons vu des
choses merveilleuses, d’une grandeur, d’une nouveauté incroyables.
de Baya
et
Guadix
Il
!!!.
y a à revenir par là
C’est inscrit
dans
!
Cullar
ma
tête.
Je ne trouverai jamais, j’en suis sûr, dans aucun
pays, pas
même
en Afrique et en Syrie, quelque
chose de plus imposant, de plus beau à tous points de vue. Quel pays, grand Dieu! Les habitants
ne sont pas remarquables, mais
le pays, le
pays!!!
A
force de privations,
ne couchant que par
Digitized by
Googje
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
301
terre et enveloppés dans nos manteaux, nous
sommes reste.
arrivés à Grenade avec 18 francs de
Combien de
fois j’ai
maudit
voyage à
le
Mayorquc qui nous a coulé tant d’argent, tant de temps
et cela
pour
rien. Si
nous avions pu
disposer de ce temps-là et l’employer à Guadix, à Cular de Baya ou à Alicante fallait
!
Mais non,
il
nous
passer devant tout cela en nous conten-
tant de points d’exclamations!
Tout ce voyage avait profondément impressionné Régnault,
comme
nous
le
prou-
vent scs lettres, mais rien n’égale l’enthou-
siasme où rois
le jette
l’ancienne capitale des
maures. Tout ce qu’il a vu jusque-là
semble s’effacer de sa mémoire;
il
ne peut
plus s’arracher à l’Alhambra qui le captive, il
y passe les journées à travailler dans et incessant ravissement.
un
inexprimable * SOS PtRE.
Je ne puis répondre à ta bonne lettre aussi
longuement que
je le souhaiterais.
Je repars
pour l’Alhambra où nous avons commencé des études qui nous retiendront
ici
quelque temps
encore.
Quelle féerie! quelle merveille! Nous aurons 26
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
302
bien de
la
peine à rendre cette lumière rosée
qui remplit ce palais enchanté et les reflets dorés
dans
ombres!
les
C'est
passionnant.
plus étrange, de plus exquis
!
Rien de
Nous [ne quittons
pas l’Alhambra...
A M.
BUTIX.
Je suis
abandonné de
nature entière.
la
Depuis que je suis en Espagne, je n’ai pas reçu
une Et
lettre d’ami, rien.
j’ai écrit
partout où
Une seule de mon passé
j’ai
:
père.
ce malin en-
core, six letires, ce soir, quatre. Je ne puis pour-
tant faire mieux! Je suis furieux contre le ciel,
contre dins-là
les ,
hommes; ne
mon
exemple. Console-moi Ali!
mon ami,
Depuis que je je ne
fais
pas
comme
l’ai
si
!
tu avais vu l’Alhambra
!
vue, celte féerie, ce rêve, ce...,
peux plus que soupirer. Rien
n’est beau,
rien n’est délirant, rien n’est enivrant cela.
ces gre-
ami;' ne suis pas leur mauvais
comme
Nous avions traversé de bien beaux pays
pour venir
ici.
Mais toutes nos émotions précé-
dentes, tous nos anciens enthousiasmes, tout a été elfacé par cette Fils toi
Alhambra Au nom du Père, du I
du Saint-Esprit. Ainsi
soit-il.
Ah! Mahomet,
seul es grand, loi seul es Dieu, qui as inspiré
une œuvre comme
celle-là.
Nous sommes, à côté
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
des artistes qui ont
fuit
>03
cela, des barbares, des
sauvages, des monstres. Si tu voyais le palais
queCharles-Quint a osé faire construire sur l’em-
placement d’une partie du palais arabe! Tu hausserais les épaules, tu voudrais ressusciter Charles-
Quinf , lui cracher à
la figure. Il a
démoli
la
moitié
de l’Alhambra pour y placer, quoi? Son ordure, son immondice! Ah! Mahomet, mon Dieu, mon prophète, ne lui pardonne pas! El
âme damnée,
fais
sur sa sale
autant de dessins, de zigzags, d'or-
nements compliqués que
tu en as
que tu as eu
cette merveille,
la
entassé sur
bonté de nous
lais-
ser voir ce matin
Et pensant
sommes «
Que
à
toi
aux amis
et
nous nous
,
regardés, Clairin et moi, en disant la
terre
tombent, que
ne tourne plus, que
les villes s’écroulent,
:
les étoiles
que
les
mon-
tagnes deviennent vallées, que nous importe,
pourvu que l’Alhambra amis puissent
soit
Je m’enfonce, pour le relles fantastiques
de
Grenade au
et
que nos
ciel
de
moment, dans des aqua-
difficulté.
que je pense de Grenade, la
épargnée,
la voir....»
la
Tu dois savoir ce
plus belle des belles,
lapis,
aux tours et
forte-
resses rosées, à l’Alhambra en or, argent, dia-
mant, enfin, en
tout ce qu’il y a de plus riche au inonde. Je fus, pendant plusieurs jours, sans
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
504
pouvoir travailler
je n’y voyais
:
que du
feu.
mauresque
Cette lumière étourdissante, cet art
me paralyAh! mon cher
m’étaient complètement inconnus, et saient la tète et la il
nant,
me voilà
y a
remis un peu sur
commence à me Je ne
hambra ridicule
main gauche!
eu bien du démontage! Mainte-
ami,
bon pour
:
tu sais
;
loin de ce
que
chanteur.
J’ai
l’Al-
Entre nous
c’est
la famille.
combien ma description
j’ai
vira le café,
acheté beaucoup de photographies
une
installés tout à côté
belle allée d’arbres
— feuillages,
douce chaleur, le rêve
ta fillette
nous causerons de tout
Nous sommes :
serait
ressenti devant ce palais en-
d’un bon feu, pendant que
bra
bête, et je
une description de
quelques aquarelles. Plus tard, au coin
et je fais
chemin
ma
débrouiller.
vais pas te faire
soleil
nous ser-
cela.
de l’Alham-
nous en montre
le
verdure de toute espèce, ardent et ciel bleu. Enfin,
du bonheur, un conte des mille
et
une
nuits!
Je tâche d’initier le papier torchon aux mystères de la couleur de l'Alhambra, car je suis
privé de
mes
difficile; j’ai
boites et de
pourtant
mes
fait ,
toiles. C’est
je crois,
bien
quelques
bonnes aquarelles.. Quel ennui, pour nous, de ne pouvoir être
là
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
au baptême de besoin de
Il
sa naissance
,
elle n’y
et
n’y a pas de retard dans nos
tre affection
305
Mais nous n’avons pas
I
pour l’aimer; déjà nous
la voir
mions avant rien.
ta fillette
ne manque jamais
nous reviendrons à Paris
,
cœurs; no-
le train.
Quand
Georgette-IIenrietle
aura déjà de petits mouvements de femme,
nous voyant pour
la
l’ai-
perdra
première
et
en
fois elle se jettera
au cou de ses parrains, qu’elle connaîtra déjà en photographie.
Puisque nous sommes deux parrains, Clairin et
moi, je propose qu’on
lui
donne
diminutif
le
Elte , qui ne rendra jaloux ni lui, ni moi, puis-
que ce sera nous
lui
la
terminaison des deux
noms que
donnerons.
Et puis, Clairin et moi, nous à avoir la vie courte. Nous
sommes
menons une
destinés
existence
trop vagabonde, nous nous donnons trop de mal,
nous avons trop d’ambition, trop de désirs pour vivre vieux.
Nous ne mourrons pas probablement
tous deux ensemble. Or le jour où l’un de nous
deux mourra, perdra que vois-tu,
la
mon
la petite
Eh
bien,
ami, j’aime mieux cela que d’élre
père. Nous aurons bien, et
un papa
Tout
donc pour
est
Georgette-Uenrielte ne
moitié de son parrain.
et
une
fille
que nous aimerons
une maman de plus
à aimer.
le mieux..... 20.
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COURESI'ONDANCE DE 1IENRI RE'JNAULT.
500
A MAD. LA DUCHESSE
COLOSSU 52 octobre 1869.
Si
sons
vous saviez les merveilles dont nous jouisici,
éloignés du
monde, du tapage des
des distractions de toute sorte,
villes,
même des courses
de taureaux, que nous ne regrettons pas au milieu
du rêve enchanté qui nous berce dans l’Alham* bra
!
Nous habitons dans un bon
(dont
hôtel
la
patronne est fort belle, ce qui ne gâte rien), bâti sur à
le territoire
même
de l’Alhambra
une des murailles du château arabe.
à 5 ou
400 mètres au-dessus de
et
11
adossé
se trouve
la ville, isolé
milieu d’une oasis de peupliers et d’ormes gantesques, toujours verts
comme au
et
printemps,
qui tombent
à cause des courants d’eau claire
en cascades de tous côtés
au gi-
répandent une
fraî-
cheur délicieuse sous ces quinconces.
Tous
les
matins nous allons
à
quelques pas de
chez nous dans l'Alcazar, dans la divine Alham-
bra où et
les
de roses
murs le
sont des dentelles d'améthystes
malin, de diamant
vert et de cuivre
Nous restons nous
voir, et
là
midi
et d’or
rouge au coucher du
soleil.
jusqu’à ce que
quand
elle
la
lune vienne
nous a envoyé quelques
baisers et qu’elle a endormi les et
à
ombres des
fées
des génies qui ont ciselé ce palais merveilleux,
Digitized by
Googh
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
507
nous nous en allons à regret, nous retournant à
chaque pas sans pouvoir arracher nos yeux de
ces colonnes de
moment,
d’une déesse,
bonheur tout
Comment
marbre rosé, qui prennent, par
couleurs nacrées du corps satiné
les
et
sont notre désespoir cl notre
à la fois.
? Il y a dans les salles, des plafonds formés de stalactites qui, réunies et
partir d’ici
superposées, s’élèvent en forme de coupole
et
des-
sinent des étoiles, des figures géométriques qui s’entre-croisent, et dont l'effet
que
moral ou physi-
une sorte de vertige en hauteur, qui vous
est
aspire et qui vous
pompe
et
peu s'en faut qu’on
ne se sente enlever de terre.
Comment briser
le
qu’on
voulez-vous
charme
et
condamne
se
à
qu’on puisse se contenter,
plus tard,- de plafonds blancs avec des
amours
peints en rose et des colombes qui se becquélent?
Ma
divine maîtresse
l’Alhambra m’appelle;
elle
m’a envoyé un de ses amants,
me
prévenir qu’elle a
elle est belle et prèle à
faire
le soleil,
fait sa toilette, et
me
pour
que déjà
recevoir. Je ne
peux
autrement que de vous quitter.
Allah
!
tu es
mon Dieu!
et toi,
si
veilles. Je t’aime, parce
que tu es
chère
et
adorée Alhambra
Mahomet,
sois
incomparables mer
béni, qui as inspiré de
!
le
père de
ma
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
508
A SON PÈRE.
28 septembre 1869.
Depuis dix-sept jours que nous
Dans
sommes
la crainte
de ne pas trouver, parfois, d’au-
moyens que nos jambes, nous
tres
les avions
abandonnés, n’emportant avec nous que de carions
nos boites d’aquarelle,
et
ment de rechange. vons doit
ici,
et
C’est là-dessus
que nous
nous apporter enfin, de quoi nous
vi-
livrer à
photographie.
Malgré cela, nous n’avons pas perdu
pris
petits
pas un vête-
attendant de jour en jour la galère qui
la peinture à l’huile et à la
temps.
in-
nous attendons encore nos bagages.
stallés ici,
J’ai fait
bon nombre de noies
décalqué en outre
ornements
notre
quelques études à l’aquarelle
,
et
renseignements.
en cachette,
la
et
J’ai
plupart des
et motifs d’inscriptions des salles de
l’Àlhambra et des azulcjos les plus intéressants. Les azulejos sont les faïences
qui couvrent
le
murs jusqu’à une hauteur d’environ 4 ou
bas des
5 pieds. J’ai
parcouru l’ancienne
et j’y ai trouvé
ville
arabe, l’Albaycin,
des motifs charmants dans des
maisons mauresques plus ou moins bien conservées
et,
tées, car
on
des trésors.
surtout, plus ou moins bien respeca
démoli
et
on démolit tous
les
jours
On recouvre indéfiniment de couches
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
500
de blanc de chaux, des murs chargés d’inscriptions et
d’ornements, de sorte que, peu à peu, les trous
se bouchent et les dessins se perdent. Puis, quel-
ques amateurs d’antiquités arabes ont
bon moment
et
saisi le
ont acheté, pour peu de chose,
ou enlevé de l’Albaycin,
les choses
qui pou-
vaient s’emporter et être facilement enlevées des
murs,
telles
que azulcjos, portes, fermetures des
fenêtres, babuchiros et et arcs
A l’Alhambra un
môme
poutres sculptées
de portes.
portier qui,
il
y avait,
pour de
il
y a quelques années,
l’argent, a nettoyé tous
les greniers et débarras de l’Alhambra en ven-
dant aux visiteurs, anglais ou autres, des mor-
ceaux qui pouvaient un jour retrouver leur place
dans
le palais,
ou au moins servir de renseigne-
ments aux restaurateurs... On ne trouve plus de faïences ou débris de faïences; tout a été
vendu
avant l’arrivée de M. Contreras, le restaurateur de
l’Alhambra.
11
ne reste plus que
l'Alhambra, auquel et
il
le
grand vase de
manque une anse,
emportée, dit-on, par un visiteur. J’en
élude que je t’enverrai, ainsi que
Tu tâcheras
les
cassée
ferai
une
décalques.
d’en faire quelques épreuves pho-
tographiques, mais je crains que cela ne vienne très-
et
mal. Beaucoup d’entre eux sont peu marqués
demanderaient un
travail
de révision pour re-
510
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
uiellre
un peu de fermeté par endroit
quer ailleurs des détails confus
et
et expli-
même
pas
venus du tout. Je n’aurai probablement pas
temps de
Du
reste, je
commence
ornementation,
me
le
faire ce travail.
suffisent à
et telles
à avoir la clef
de cette
quelles sont, mes notes
peu près.
J’aurai aussi quelques renseignements à
donner sur
te
les azulejos.
Les plus anciens sont composés de petits mor-
ceaux, chacun d’une seule couleur
;
les
couleurs
noires, jaunes, vertes, bleues, blanches, verdâtres et laiteuses sont à
peu près
les seules
em-
bien aussi un violet et deux nuances
ployées.
Il
y a
de bleu
:
bleu turquoise verdacé et bleu plus
foncé et plus froid.
Les noirs et les verts sont admirables d’éclat et
de puissance
;
ils
sont d’une vigueur dont on
ne peut se faire une idée,
et les
blancs ont des ten-
dresses de demi-ions qui sont adorables. Les azulejos
anciens ne sont donc, à vrai dire, que des
mosaïques de faïence. Tous
les
morceaux sont
réunis entre eux par un peu de ciment ou de terre
pas cuite, se durcissant
après avoir été mis.
Ces morceaux sont souvent très-petits, très-minces et affectant
quées;
des formes contournées et compli-
notamment dans
certaines inscriptions de
Digitized by
1
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
31
faïences où les leltres noires et les points et ac-
cents sont des morceaux séparés, s’ajustant à merveille
avec les petits morceaux blancs qui forment
le fond.
Plus tard, on
fit
des carreaux sur lesquels se
trouvaient des parties de dessin qui se complétaient par le voisinage des autres carreaux; mais
ceux-là sont moins brillants de couleur et moins puissants.
Plus tard encore on imita, en peinture, sur la faïence, le les
système de mosaïque employé dans
premiers temps. Mais les premières restent
toujours les plus belles. Je t’en reparlerai une
autre fois; je vais tâcher de réunir quelques do-
cuments. Depuis que nous sommes
vu un vapeur
à
beau bleu intense du ici, tout
ici,
nous n’avons pas
l’horizon, rien qui ternisse le
autre qu’en
ciel.
La lumière a un éclat
Italie, et
il
parait qu'elle est
plus belle qu’en Afrique et en Syrie à cause de
pureté extrême de
l’air et
la
de l’élévation de Gre-
nade, qui est située à 800 mètres au-dessus du
niveau de
la
mer.
L’Alhambraest toujours aussi splendide, aussi resplendissante. Le soir, je déchiffre les traductions des
poèmes
et versets
du Coran
écrits
en
tous sens sur scs murs.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
31 ‘2
Nous n’avons pas encore nos bagages, nous
les
profiter
aurons nous ne pourrons partir
un peu de nos couleurs à
l’huile
et
quand sans
d’ici
pour faire
quelques études que nous nous sommes réservées. Notre départ est donc retardé A
SON
TÈIIE.
Octobre 1869.
Nous sommes toujours
de plus en plus
ici,
heureux, car tous les jours l’Alhambra nous
offre
de nouvelles beautés avec lesquelles nous nous
que nous parvenons
familiarisons peu à peu, et à
mieux rendre, quoique ce
difficile.
par
les
soit
toujours bien
Ce séjour-là nous aura été très-utile
études que nous y aurons
Nous sommes, du
dans
reste,
conditions possibles. Dans
un
faites.
les meilleures
hôtel situé à deux
pas de la porte de l’Alhambra, ce qui nous évite
de perdre du temps en
dons jamais dans
trajets.
la ville, et
Nous ne descen-
aucune distraction
ne vient nous déranger de notre
travail et
nous
fatiguer.
Comme, le
d’autre part, le pays est en révolution,
gouvernement ne s’occupe pasdel’Alhambra;
n’y a plus de
gouvernement en ce moment,
ne pense guère
à
en
nommer un
et
il
on
autre. Grâce à
celte vacance, nous sommes les maîtres de l’Alham-
bra depuis le matin jusqu’au
soir.
Nous n’en
sor-
*•
Digitized by
G
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Ions que
nous en longeons
et alors
allée
313
quand la nuit est complètement tombée, le
mur, dans une
belle
d’arbres magnifiques, pour rentrer dans
notre hôtel où nous
gens charmants
et
sommes
très-bien, chez des
complètement
seuls, car
n’y
il
a pas de voyageurs par ces temps de troubles politiques.
Nous sommes décidés encore
;
à rester quelque
temps
nos bagages arrivent demain. Nous allons
donc enfin ouvrir
et joindre à
la boîte à l’huile
nos dessins, gouaches et aquarelles, quelques études plus importantes.
Depuis que nous fait
du
un temps paradis.
sommes en Espagne,
il
à faire crever d’envie tous les saints
Pas un nuage, mais une lumière
éblouissante qui nous donne du fila retordre. Les
arbres sont verts dans toute
comme
au printemps.
11
la villeel les
fait
chaud
chaleur douce et agréable. Bref,
pays
comme
Grenade, ou plutôt
bra, car, pour nous, c’est tout.
il
,
environs
mais une
n’y a pas de
comme
l’Alham-
Une bonne
créé pour nous ce palais enchanté
et, si je
fée a
ne
fai-
sais pasdepeinlure, je mccroirais Âbu-Abdil-lah, roi
maure de Grenade
27
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
3)1
SON PÈRE.
A
Octobre 1869. J’ai
reçu hier
naux que
la lettre et les
!
Ils
!
mais je n’en
sont fous ces Parisiens de s’occu-
per ainsi de moi. chose à
Ah çà
tu m’as adressés.
reviens pas
articles de jour-
faire. Je
il
faut qu’ils aient bien peu de
ne leur en suis pas moins recon-
naissant; mais vrai, je trouve qu’ils vont un peu trop loin dans leurs éloges.
Je vais m’occuper pour le vase
toi
des questions sur
de l’Alhambra. J’en ferai une photogra-
phie, mais ne
la
colorierai pas, ce serait trop
petit. Je diviserai le vase
fractions,
ments, je
et,
en un certain nombre de
après avoir calqué tous les orne-
les rejoindrai et
vous verrez ce que
Vous ne devez pas vous en douter. qu’aux bavures de l’émail
(ce
c’est.
J’imiterai jus-
que vous méprisez
peut-être souverainement au point de vue de fabrication),
mais ce qui
fait
joliment bien
la
comme
couleur. Je vous ai déjà dit qu’aucun détail ne se répète
d’une face à l’autre c’est
;
tout est varié et on voit que
enlevé lestement aubouldu pinceau avec une
adresse qui devrait faire pâmer d’envie tous les
céramistes d’aujourd’hui.
coup de soin creux
les
dans sa
J’ai
regardé avec beau-
bords jaunes dont parlait M. Riolettre.
Ils
ne sont pas en or
Digitized
et
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. n’ont pas de reflets métalliques
mon
de
Dans
fort
315
je les imiterai
mieux. les azulejos des plinthes,
les galeries, irisées,
:
il
dans
les salles et
y a beaucoup de couleurs qui sont
notamment
les noirs
que
je
soupçonne
de n’êlre que des bleus de Prusse poussés à
leur dernière puissance.
incroyable
cl,
Ils
ont une profondeur
au jour frisant, offrent les
irisations violettes laqueuses qu’on
mêmes
remarque sur
un morceau de bleu de Prusse avant
qu’il n’ait
élé broyé.
Je demanderai où peuvent exister les fragments
d’un autre vase de l’Alhambra. Le col se trouve je crois, chez M. Contreras.
ne peut guère
Malheureusement on
se fier à la science des
modernes, qui sont
si
Espagnols
ignorants des choses de
leur pays. Ainsi, j’étudie le soir les inscriptions de l’Al-
hambra dans tara n’ai
Je
l’ouvrage de Emilio Lafuenle Alça-
ne
sais
pourquoi je
pas confiance dans
ses
me
méfie. Je
traductions.
Non
pas qu’elles ne soient parfaitement en rapport avec les idées et j’ai
le
style
des Orientaux, mais
confronté les vers en caractères africains tels
qu’ils sont sculptés sur les
murs, avec
les
mêmes
vers transcrits par Lafuente Alçatara,
et il y a des erreurs; beaucoup de points et d’accents
Dgitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
316
omis
des lettres
;
même manquent,
déformées. Un jour de pluie
nous en préserve
et
je
!)
copier exactement
me
en regard je mettrai
le
d'autres sont
envient... Dieu
payerai
fantaisie de
la
une inscription de l’Alhambra donné par La-
le texte
me
fuente, et je te prierai de
par
(s’il
la faire
traduire
meilleur arabisant de l’Institut. Je serais
curieux de savoir
si
Lafuente a raison, ou
si
mes
préventions et doutes sont justifiés. J’ai
malheureusement
tre à l’Alhambra,
que
tant à faire
je
comme pein-
ne pourrai pas trouver
des loisirs pour étudier l’arabe, d’autant plus que le travail
mais
il
grand
que je vais
faire
sur
le vase sera
long
sera complet, exact et, je pense, offrira
;
un
intérêt.
Notre bagage joue de malheur. Les communications sont coupées en ce
moment
entre Cadix et
Grenade, à cause des partidas et de
la
chasse que
l’on fait à la troupe.
Dans notre beau palais de l’Alhambra, où nous vivons
si
heureux
mes même pas tions.
Nous
et tranquilles,
troublés par
laissons les
gouvernements, lutter
les
le
hommes
nous découvrons tous
discuter les
uns contre
nous nous agenouillons devant res,
nous ne som-
bruit des révolu-
le
les autres
;
génie des Mau-
les jours
de nouvelles
splendeurs, des combinaisons plus incroyables,
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
517
plus insondables dans le dessin des porlcs et des
Quelle imagination
plafonds.
ments dont
je croyais
nombre. Je n’en centième
C’est
!
ai
avoir
pas
le
dans
ees orne-
calqué
un grand
cinquantième, pas
un labyrinthe où
le
l’on se perd.
Et pourtant eux s’y retrouvaient
!
Et ces aper-
çus par chaque porte, par chaque fenêtre; et ces
montagnes- splendides en panorama tout autour. Et cette l'infini
immense et
I
temps!
et
plaine de la Vega qui s’étend à
ces arbres
verts
comme
au prin-
de l’eau partout, partout des sources.
A
gauche, au dessous des murs de l’Alhambra,
le
Darro, qui roule de l’or dans ses eaux; à droite,
le Genil,
qui roule de l’argent
!
Quel pays!
Et ces abrutis d'Espagnols ne se doutent pas
de ce que
les
Maures avaient
si
bien apprécié, en
choisissant Grenade pour siège de leur
royaume
d’Espagne. Je comprends qu’Abu-Abdil-Iah ait pleuré toutes ses larmes en quittant sa chère
Alhambra pour
fuir devant les
armées des rois
catholiques.
Quand je pense que Charles-Quint lir
une partie de l’Alhambra, tout
ver,
pour construire
à
la
a fait
démo-
le palais d’hi-
place une affreuse
grande caserne, lourde, de mauvais goût! O sauvage
le
!
Et les Espagnols s’imaginent qu’ils sont plus 27 .
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
518
civilisés
aujourd'hui
1
sont pourtant
Ils
heureux de se servir du système par
laissé
Maures
les
et qui est resté tel qu’ils
dans
l’avaient établi
bien
d’irrigation
provinces
les
de Murcie,
d’Alicante, de Grenade, de Valence et dans toutes les parties
du midi de l'Espagne qui produisent
quelque chose. parlerai dans
ne
Si tu
ma
le
connais pas, je
t’en
prochaine lettre; c’est merveil-
leux de simplicité, et je ne comprends pas com-
ment
Eh
il
n’est pas établi partout.
bien! c’est au huitième ou neuvième siècle,
peut-être plus cela
en
que
tôt,
Espagne;
travailleurs
11
!
les
voilà
vrai
est
Maures ont
installé
des gens civilisés
que
depuis
et
ont
ils
baissé A SON PÈRE.
Grenade, octobre 1809.
Je ne réponds pas encore à tes questions sur les azulejos
:
je veux auparavant réunir des infor-
mations certaines
que
et
des documents
je puis te dire à ce sujet,
c'est
sûrs. Ce
que
je
me
rappelle très-bien les azulejos de Tolède dont lu
me
parles; je les ai vus
Tan dernier,
aucun rapport avec ceux de qu’on retrouve dans
hambra, dans
la
la torre
aucune restauration
la
belle
et ils
n’ont
époque arabe
plus grande partie de l’Al-
de et
la Cautiva qui n’a
subi
où Ton découvre jus-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
qu’aux colorations primitives d’or quelques cipales
filets
le
;
rouges (ce sont
les
bleu n’y arrive que
accident).
coin d’une frise
de faïence qui est d’un ton superbe. Elle est
en mosaïque
comme
et
couleurs prin-
comme
un
Je te copierai exactement
319
de noir
et
les belles faïences
faite
arabes
;
certains morceaux, d'un bleu verdâtre vraiment
prodigieux, qui rappelle celui que vous obtenez à Sèvres,
en imitant
laines tendres: C’est
il
absolument
le
bleu ancien de vos porce-
est encore plus joli, je crois.
comme
des turquoises un peu
verdies, mais d’un éclat et d’une harmonie déli-
cieux, avec des bleus plus violacés, des noirs
puissants et des verts très-profonds et riches. Le
un fond blanc
tout placé sur
dâtre, qui
laiteux,
donne infiniment
un peu
ver-
d’éclat à toutes les
autres couleurs. Les faïences de ce dessin et de cette couleur n’existent la
que
là
dans
la torre
de
Cautina.
Dans
les
autres parties de l'Alhambra elles ont
une harmonie plus foncée Je tâcherai d’avoir
ce vert
et
du noir
et
moins distinguée.
un échantillon de ce ,
et
je
te
bleu, de
les enverrai.
Les
jaunes sont beaux, mais plus faciles je crois à obtenir. .11
y aurait
à Sèvres,
un véritable
soit
intérêt à chercher cela
en l’appliquant à des productions
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
320
d’un aulre caractère, soit en faisant (ce que je croirais intéressant
un musée
quand
comme
et
ce
ne
que pour
serait
tour de force), en faisant,
une imitation de quelques azulejos et sur-
dis-je,
du vase de PAlhambra, sur lequel
tout
je vous
enverrai renseignements et imitations aussi justes
que
cela
me
sera possible. Mois ne
manquez pas
ne cherchez pas trop
d’être fidèles copistes, et
à
corriger certains accidents et certaines imperfec-
mon
tions qui, à
vase.
Il
sens, ajoutent au
en est de cela
louche un peu, ou qui
comme a la
charme du
femme
qui
bouche un peu de
tra-
d’une
moins
vers, et qui pourtant serait
jolie
si
on
lui
retirait ses défauts, lui affinant le nez, lui redres-
sant les yeux et la bouche, lui raccourcissant
menton,
On sent que
etc...
est fait par
le
un ou plusieurs
le
vase de l’Alhambra artistes et
gulièrement et bêtement copié par des
non
ré-
manœu
vres qui chercheraient froidement la symétrie et la
pureté parfaites. Il
faudra charger de cet ouvrage,
tentez,
un garçon
si
vous
tre essayé et s’être fait la
main sur quelques
sons, enlèvera
la
quand
même
ment régulier
ensuite
cela et
le
artiste et hardi qui, après s’ê-
chose
avec
tes-
liberté,
ne devrait pas être parfaite-
correct. Ceci dit, passons a
un
autre sujet.
Dioili?ed by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Tu me demandes
renonce
si je
à
321
envoyer
ma
Judith au Salon prochain. Oui. Je suis absolument
décidé à ne pas l'exposer. Et cela pour plusieurs raisons
1°
:
vue dans de moins
serait
Elle
bonnes conditions d’éclairage
surtout, l’œil
et,
par les tableaux voisins, de genres
serait distrait
trop différents; 2° le premier étonnement étant passé, l’effet serait
éloge
de
si
mon
moindre
5°
on en a
;
fait
un
insensé, que je descendrais certainement l’on pouvait regarder
piédestal. Si
mon
tableau pendant six semaines de suite, au lieu de huit jours
on aurait
,
des défauts
et
le
temps d’y découvrir bien
de se blaser sur certaines quali-
pas
tés; 4° je n’aurais
le
car je tiens, en rentrant à
médiatement ma
petite
temps d’y retoucher,
Rome,
(Hérodiade, l’esclave favorite,
doba) le toile
nom
que
je
ne
fait
à terminer im-
femme au fond jaune la
poetassa de Cor-
rien à l'affaire. C’est sur cette
fonde mes espérances et je crois
qu’elle sera bien supérieure à la Judith.
J’aime mieux vendre ville
ma
Judith à
la
bonne
de Marseille qui m’a donné quelques espé-
rances à ce sujet. Avant tout, je veux éviter de
en somme,
lasser les gens avec
mon
public qui s’occupe
un peu des choses de
tableau
:
le
l’art,
amateurs, artistes, critiques, tous l’ont vu et
jugé avec plus ou moins de bienveillance.
Si je
Digitized by
Googli
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
521
réexpose,
le
bons bourgeois de y a quelques le verront pour la
il
Quimper et de Montélimar qui première est de
fois.
Mais que m’importe
ne pas détruire
l’effet
!
Le principal
produit. Attends
petite toile caressée et chérie, et tu verras
ma que
j’ai
raison de l’envoyer seule au Salon, ou de ne
lui
donner pour compagnes,
l’occasion s’en
si
présente, que quelques aquarelles ou un dessin.
Envoie donc à Marseille mes deux dith et Prim, et espérons
en bonne compagnie dans
seul. Je serai
monument
et
musée
il
Notre bagage n’est pas arrivé.
Guadix quand survenus
le
y a quelques bonnes toiles en tout cas est superbe.
de Marseille, où le
toiles, Ju-
que Prim reviendra
les
ont jeté
Il
se trouvait à
événements politiques sont le
trouble dans la province.
Lcspartidas se sont répandus dans
donnent
les soldats leur
la
la
campagne;
chasse. L’endroit le
plus en feu est justement du côté de Guadix est
:
et
il
probable que l’administration aura trouvé
prudent de ne pas mettre en route
les voitures,
avant que les environs ne soient plus sûrs. Nous attendrons donc encore avec une seule chemise
de
flanelle,
un
seul pantalon,
d’espadrilles, quatre
mouchoirs
une seule paire et
deux paires de
chaussettes. Pendant ce temps-là, nous abattons
de
la
besogne
et
achevons des études que nous
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
3‘23
ne pourrions faire ailleurs, ni dans de meilleures
Maroc se trouvera
conditions. Notre voyage au
seulement un peu retardé A SON PÈRE.
Grenade, 17 octobre 1809.
Nous nageons en pleine peinture avant les grandes éludes
!
En
à l’huile.
un jour de
J’attends
moins beau temps pour m’occuper du grand vase de l’Alhambra. C’est de
la terre
rougeâtre avec
émail,
comme
petits
échantillons d’azulejos, pas
tu le crois. J’ai
malheureusement. On les enverrai
Je rêve
fait
chippé quelques très-beaux
ce qu’on peut
:
je le
prochainement...
un voyage au Maroc.
Il
est de toute
nécessité que j’y aille. Voici en abrégé les raisons
qui m’y poussent. 1° Je
veux étudier
les types qui se sont assez
bien conservés, vu qu’après
la
conquête de Gre-
nade, les Maures s’y sont en grande partie réfugiés. 2° Voir le palais
de Fez, palais d’hiver
construit à peu près dans le
même dit-on,
par Abu-Abdil-lah
méro), dernier 5°
même
et d’été,
style et
plan que l’Alhambra, puisqu’il a été
roi
(je
ne
sais quel
le
bâti,
nu-
maure de Grenade.
Voir les armes,
chevaux, étoffes, tapis,
chiens, etc., etc., usages, etc... etc.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
524
Sans cela tout ce que
me
de rien
servirait
j’ai fait à
l’Alhambra ne
ne pourrais pas
et je
l'appli-
quer. Il
que Il
me
me
une recommandation plus puissante
faut
que
celle
faut
j’ai
Je suis
culerai devant rien
dans
travailler
les
ambassades du Maroc.
même ce serait pour homme de confiance
Maroc, quand
femme.
pour
une mission auprès de l’Empereur du
pour obtenir
affaire de et
ne
re-
faculté de
la
de l’empereur du Maroc,
le palais
dans ses écuries, dans son harem au besoin. Il
que je voie
est de toute utilité
choses de
les
près, surtout dans la haute classe marocaine, là
où
il
ciens,
peut y avoir quelques souvenirs des andans les trésors, galeries de palais,
comme
armes,
etc.
Je ne
demande pas
d’argenl, mais soit une
mission, soit une recommandation puissante, qui
me
permette d’obtenir une escorte et le droit de
travailler
où
sent, je te prie de l’être X..,
ou
peut-être,
tel
Nous ne sommes
je voudrai.
gants ni l’un ni l’autre
:
mais dans
le
intri-
cas pré-
un peu.
autre artiste à
que
le
Maroc
la
n’est
mode,
te diront
pas intéressant
:
du contraire. Forluny y a passé deux mois, lors de l’expédition du Maroc par Prim et O'Donnell et il a rapporté des éludes ex-
j’ai la
certitude
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
cessivement intéressantes.
325
y a certains coins de l’Espagne que je tiens à garder pour moi.
Pour ceux-là,
je dirais volontiers à tout le
sont laids,
qu’ils
Il
monde
très-dangereux à habiter, et
qu’on n’y peut travailler, etc *
Le 31 octobre Régnault part pour Madrid. voulait terminer sa copie et prendre à
Il
l’Àrmçria quelques notes qui devaient lui servir plus tard. Mais,
de côté
cette fois,
« La vie
étant courte,
il
faut
Il
lire
trouva sa copie noircie, couverte de il
se sentit découragé.
quelques jours de reprit le
il
les fati-
de stupides journaux. »
poussière, et
un
laisse
peindre tant
qu’on a des yeux. Donc on ne doit pas
guer à
il
la politique.
travail, le
Après
18 novembre,
chemin de Grenade,
laissant à
peintre de sa connaissance le soin de
terminer quelques parties inachevées de son tableau
Je
:
les bottes et le cheval.
suis trop
dégoûté
pour
me
remettre à
l’œuvre. Ce n’est pas du reste une copie qui
fait
28
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
326
la réputation
faire voir
homme
d’un
voi bien faible,
;
je joindrai à cet en-
quelque chose de
au public que
je
mon
cru pour
ne suis pas tout à
fait
ramolli. Je dois t’annoncer aussi que le ministère espagnol
m’a
nommé commendador
de
la
distinguidad orden de Carlos tercero
pendant ce séjour à Madrid
C’est
qu’il
vendit la Salomé quatorze mille francs à un
marchand qui ne l’avait pas vue. Après une courte visite à Cordoue, ville et à
braltar.
Là devait
rejoindre son fidèle
le
serviteur Lagraine,
Rome
à Sé-
Guadix, Régnault se rendit à Gi-
qui
lui
apportait de
son Ilérodiade presque achevée
et
tout ce qui pouvait être utile à ses projets.
Arrivé à Gibraltar
le
22 novembre, Ré-
gnault parcourt le pays en suivant les chasses des officiers anglais qui le reçoivent à
bras ouverts. A SON
MUE. Gibraltar, 8
décembre 18G9.
Je suis allé passer quelques jours à Madrid, et j’ai trouvé les
gés. Puis j’ai
hommes
fait
et les
choses bien chan-
une tournée rapide par Cor-
doue, Séville, Guadix. Je suis à Gibraltar depuis
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
327
dix ou douze jours, jouissant de l’hospitalité anglaise
sante
faut toujours
il
connais
Je
charmante, mais trop nourris-
elle est
;
;
manger
et
toujours boire.
plusieurs officiers
surtout des
,
charmants jeunes gens de très-bonne
Écossais,
famille. Je passe le
temps assez gaiement avec
eux en attendant que
mon
domestique Lagraine
arrive et m’apporte ce dont
j’ai
besoin.
11
ne doit
pas tarder, et je serai bien aise de retourner à
Grenade ici,
et
me remettre au
de
travail, car je flâne
toujours à chevalet en chasse.
Mon
installation à
établi
mon
quand
le
Grenade
me
plaît.
J’y
ai
quartier général pour cet hiver, et
printemps se fera pressentir je
me
re-
mettrai en campagne. Ne crois pas cependant que l'hiver dans ces parages
ressemble
à celui
Allemagne. Grenade est très-élevée dans
Nevada nées
et
assez près des neiges
;
et les nuits sont-elles froides
montré
le soleil s’est
printemps.
cembre,
A
j’ai
fait
:
mais dès que
une température de
la
mois de dé-
me
baigne
mer. Je plains bien
les ha-
chaud au
soleil et je
du Nord. Comment
à Paris? Je
aussi les mati-
Gibraltar, bien qu’au
trop
tous les jours dans bitants
il
de ton
la Sierra
passerai-je
un hiver
ne pourrai plus m’habituer à cet
horrible climat.
Ce qui
me
fait
choisir
Grenade plutôt que
528
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Séville
pour quartier d’hiver,
hambra qui
est
pour nous;
c’est
c’est
d’abord
une raine inépuisable de ensuite
solitude
la
l'Al-
trésors
dans
la-
quelle nous y vivons, Clairin et moi, dans un excellent hôtel où nous ne verrons personne de
où nous sommes séparés de
l’hiver et
la ville par
de magnifiques quinconces de grands arbres qui revêtent la colline sur laquelle est bâtie
hambra
et
hommes,
On
citadelle.
la
sent
se
l’Al-
des
loin
car on a peu d’occasions d’en voir
là-
haut, loin du bruit des rues, et on est sûr d’y jouir de la paix nécessaire à Séville,
au contraire,
est
gaie, réjouie, bruyante, et,
un
une
travail suivi.
de
ville
comme
l’Alcazar de Séville est d’un style
plaisir,
architecture,
moins pur que
l’Alhambra, et trop restauré. La cathédrale, d’un
beau gothique, la
est
d’un
effet grandiose,
majs
je
trouve moins extraordinaire que celle de Cor-
doue qui
n’est autre chose
que
la
mosquée des
Maures d’Espagne, dans laquelle on capilla
mayor
tement dans d’arcs
et
un coro qui
a placé
cette forêt de colonnes de
mauresques entrelacés
C’est d’un effet
magique
;
une
se perdent complè-
et
rien ne
marbre
et
enchevêtrés.
m’a
fait
autant
d’impression que cela. Je compte passer trois ou quatre jours à Tan-
ger avant de retourner à Grenade. Je partirai
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
329
»
d’Espagne au printemps, rempli d’admiration
pour ce que grande
les
Maures y ont
civilisation.
Il
laissé... C’était
une
faut parcourir les provinces
de Valence, Alicante, Murcie, Grenade,
Séville,
Cordoue, pour apprécier les immenses services qu’elle a qu’il y a
rendus à
la terre
d’Espagne. Tout ce
de bien en Espagne date de
cette
époque-
comme système de culture, comme industrie, comme administration. Et que de souvenirs prélà,
cieux on a dû détruire dans les siècles de fana-
tisme religieux qui ont suivi
Maures
l’expulsion des
!
C’est depuis lors
pour arriver
que l’Espagne a
à l’état pileux
où
été à reculons
elle est
nant, et d'où je ne vois pas pour elle se relever, à
pour
moins qu’elle ne
ainsi dire,
une autre
soit
mainte-
moyen de conquise,
par un souverain
fois
par un
homme
que Charles-Quint, qui
force le
étranger, Anglais par aussi ambitieux
le
pays à accepter traite l’Espagne
les
exemple
progrès
comme
;
faits ailleurs
qui
,
sa chose, sans la ruiner,
et qui ait intérêt à la faire valoir et à la faire
produire. Elle n’est pas digne encore
constitutionnel
;
il
faut
du gouvernement
une main de
fer qui fasse
son éducation avantqu’elle puisse comprendre
mot de liberté.
Il
n’y a pas au
le
monde un plus beau 28.
.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
550
pays,
un
plus beau climat,
et pourtant
un plus beau peuple,
l’Espagne est aujourd’hui
des nations, au-dessous
C’est alors
même
de
la
dernière
l'Italie
qu’une circonstance fortuite
vint changer les projets d’Henri Régnault.
Lagraine, son domestique, qui devait arriver à Gibraltar vers les
premiers jours de décem-
bre ne donnait pas signe de vie. Ce silence était
pour Régnault
inquiétude.
11
faisait
le
d’une vive
sujet
en vain jouer
graphe aucune réponse certaine :
Écoutons-le
le télé-
n’arrivait.
raconter lui-même
per-
ses
plexités. A SON PÈBK.
Tanger, 21 décembre 1869. J’ai été si
occupé,
j’ai
passé par de
lentes émotions que les jours se
sans que
je
D’après
si vio-
sont succédé
m’en doutasse...
un télégramme peu
clair
que
j’avais
reçu, je m'étais imaginé que Lagraine avait dû partir de Marseille le 25 novembre. Je l’attendais donc vers le l
pasvenir
,
j’avais
6f
décembre,
laquelle je reçus cette réponse le 3.
Vers
et
ne
le
voyant
envoyé une seconde dépêche à
le 10, je
:
Partira le 2 ou
courus tous les bureaux de
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
531
Gibraltar pour savoir quel était le bateau parti
de Marseille à l’époque indiquée dans pêche. La réponse fut unanime
:
la
c’était le
dé-
Sone-
Comme la mer avait été assez mauvaise, me disait que probablement le bateau avait
rah.
on
relâché sur
côte d’Espagne, ce qui causait le
la
retard. Impatienté d’attendre, j’avais l’œil bra-
qué sur
le
sémaphore dans
l’espoir d'y voir si-
gnaler un bateau, pavillon français, venant de l’est.
Mais les heures se passaient, des nuages
couvraient par
moment
le
sommet du rocher de
Gibraltar où est placé le sémaphore. Alors j’allais
au port, puis
à la jetée, puis
au phare
:
Hélas
I
après deux jours de ce manège, pas de Sonerah! Je pris alors
le
bateau pour Tanger.
La nouveauté orientale de
la ville,
cette vie
différente de la nôtre, ces types magnifiques, ces
costumes
si
nouveaux pour moi, tout cela
distrayait et m’aidait à patienter
me
deux jours de
plus.
Je fus très-bien reçu chez le baron d’Aquin,
chez M. Diosdado, de
M. Scovasso de
dans
la
la
la légation
conversation,
me
dit tout à
savez que M. Berger a perdu qu’il avait fait faire
soir
d’Espagne, chez
légation d’Italie. Ce dernier,
coup
:
«
Vous
un beau vapeur
en Angleterre.
une dépêche m’annonçant que
J’ai
reçu ce
le
Sonerah
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
332 s’était
perdu corps
et
Celte nouvelle fut
pour moi. En
bien dans
le golfe
comme un coup
effet, le
du Lion.
»
de foudre
retard de Lagraine était
expliqué d’une façon terrible. Le Sonerah avait coulé avec tout ce qu’il portait et pas
un malheu-
reux n’avait échappé pour donner télégraphique-
ment
nouvelle à son consignataire.
la
J’avais quitté Gibraltar le
le relard
et le consignataire
de son bateau. Et M. Scovasso ajoutait
pour embellir Cela
13
aucune dépêche concernant
n’avait encore reçu
me
la chose,
perdu corps
et biens.
paraissait si vraisemblable
que
je
n’avais plus
aucun espoir de revoir mon pauvre
Lagraine, ni
mon
chien, ni
affaires; tout était
Je passai
perdu
une nuit
comme un remords
mon
tableau, ni
mes
!
terrible, agitée.
J’avais
d’avoir fait venir de
Rome
ce pauvre garçon, pour le faire périr aussi misé-
rablement. Je pensais aux derniers moments de cet être qui
m’aimait tant
et qui avait
souffrir à la pensée de ne plus
me revoir,
traîner avec lui ce qui lui avait été et confié. Peut-être était-ce
caisse de
mon
dû
tant
et d'en-
recommandé
en voulant sauver
la
tableau qu’il avait perdu le temps
de sauter dans
la
chaloupe! Je
drame horrible dans ma pauvre Le matin, Tanger
me
me
faisais
un
cervelle.
paraissait
moins intéres-
Digitized by
Googli
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. sant;
j
'ôtais
impatient de
353
me rembarquer pour
Gibraltar, afin d’y savoir les détails qui avaient
pu arriver dans
la
nuit et surtout afin de télégra-
phier de tous côtés pour qu’on recherchât
mon
homme, qu’on
était
donnât de l’argent
lui
encore vivant, ou qu’on m’envoyât
s’il
la
nouvelle
certaine de sa mort. Je pris donc le bateau à onze heures et à trois
heures et demie j’arrivais au port de Gibraltar.
En approchant de
homme
terre, je vis
et semblait s’adresser à effet, savait à
moi. Tout
monde, en
le
Gibraltar que j’attendais le Sonerah
comme le Messie.
Les uns voulaient voir
bleau, les autres faire courir
nard à
un grand bon-
qui gesticulait avec une figure enjouée
mon chien,
on
et
un
lièvre
s’intéressait à
mon
ou un
mon
ta-
re-
mal-
heur.
L’homme
qui gesticulait était
un
interprète
du
club House hôtel, et dès que je fus à portée de sa voix j’entendis
:
«
n’est pas perdu,
Il
il
a pris le
bateau à vapeur pour Tanger ce matin. » Je ne Mais, quand je
voulais pas y croire. j’ai été
fus à terre,
rassuré. Le Sonerah était en effet perdu,
mais Lagraine avait pris un autre bateau des Messageries qui avait
manqué
dance pour Tanger
plus quatre à Malaga
à
Oran
la
correspon-
D’où huit jours de retard,
:
!
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
334
respirai
Je
enfin.
Je
mon
revis
tableau
arrivé en parfait état, et pour la première fois, j’en fus content, je le trouvai quitté,
l’avais
je
Lagraine
Mon chien
plage.
Lagraine tait
mon
et
me
chien
pour Tanger.
brisa la
m’attendaient sur
me
faillit
main
guère du danger
sement
mieux que quand
et je repartis
dévorer de joie
d’amitié.
ne se dou-
Il
heureu-
qu’il avait évité si
et avait appris à
la
et
Tanger dans quel
état
d’inquiétude j’étais parti. Je
me
trouvais
heureux
si
qu’il
me
fut
impos-
sible de songer à quitter l’Afrique. J’ai loué petite
une
maison mauresque pour vingt francs par
mois, avec trois chambres et un petit patio qui
peut
une
me
servir d’atelier avec jour d’en haut, et
où
terrasse
soleil.
La vue
je pourrai faire des éludes au
est ravissante
sur Tanger, la Casba,
La graine pourra s’y livrer à
la mer..., etc.
tographie... J’ai écrit à Clairin
ma car
nouvelle décision il
fait froid
à
pour
et l’engager à
lui
me
laisserai
un mois pour mencé. De
finir
ici
mon
rejoindre,
ici
Au
installation
mon
prin-
pendant
à Grenade ce que j’y ai
celle façon
J’ébaucherai
pho-
Grenade maintenant, tandis
qu’ici je jouis d’une tiédeur délicieuse.
temps je
la
annoncer
com-
rêve sera réalisél
quelques scènes, puis
j’irai
à
l’Alhambra peindre les morceaux d’architecture
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
335
qui y rentreront et je reviendrai ici mettre la dernière main aux figures. Tout s’arrange pour le
mieux. Je vais dès à présent terminer
ma
petite
Ilérodiade A SON PÈRE.
Tanger, ce 17 janvier 1870.
Je suis de plus en plus ravi de Tanger et de
plus en plus décidé à y fixer ver. J’y serai très-bien
nonce pas pour cela
quand
les
vers la
fin d’avril.
Je leb.
à
pour
mos
quartiers d’hi-
ne re-
travailler. Je
Grenade où
je retournerai
neiges y seront fondues, c’est-à-dire
commence
des leçons d’arabe avec un Tha-
Nous avons eu, ces jours-ci,
Rhamadan, processions, sias, etc...,
sortie
les fêtes
du pacha,
musique arabe, danse de nègres.
a de quoi faire deux cents tableaux
du
fantaIl
y
I
A SON PÈRE.
Tanger, 19 janvier 1870.
Je n’ai pas encore eu le ler
temps de
de notre installation à Tanger
nous menons
Dans
les
le par-
et de la vie
que
ici.
premiers jours de janvier nous avons
loué une maison charmante, construite à
la
mau-
resque, ancienne, et parfaitement disposée pour les besoins
de notre métier.
Premier point. Quartier assez central
et
pour-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
335
tant assez retiré, ce qui est de la plus haute im-
portance, car les Marocains sont très-fanatiques
pour rien au monde ne voudraient être vus
et
un
entrant chez
femmes
!
chrétien.
À
plus forte raison les
Une femme rencontrée parlant
à
un
chrétien, ou sortant de sa maison, serait empoi-
gnée, conduite à la Casba, et régalée de deux ou
coups de bâton. Grâce à
trois cents
la position
heureuse de notre entrée, dissimulée dans un cul-de-sac donnant d’une manière indirecte, avec
coudes, dans une rue exclusivement fréquentée
par les Juifs
(c’est la
rue des Synagogues), nous,
avons, de temps en temps, des Mauresques chez
nous, blanches
et
noires, et nous en aurons tant
que nous voudrons. Je prévois de travailler d’après
facile les
les
hommes. Leur costume dans
(car dehors toutes, riches
tues du
même
parti
;
sera plus
d’après
leur intérieur
ou pauvres sont revê-
haïck de laine) offre des ajuste-
ments ravissants dont
je
compte
tirer
un grand
puis elles sont plus coulantes en matière
de religion, le
qu’il
femmes que
et
ne demandent qu’à être soustraites
plus souvent possible à l'existence pénible
et
renfermée qu’on leur impose.
Deuxième qui nous
point.
fait
un
Nous avons un charmant
atelier délicieux,
avec
patio
un jour
splendide venant d’en haut, sans qu’aucune mai-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
son puisse envoyer de
337
Nous avons couvert
reflets.
notre patio d'un vitrage très-bien conditionné qui
peut s’enlever quand on veut
et
qui nous rend de
grands services en ce moment, car depuis trois
semaines
il
pleut presque continuellement.
Nous avons décoré notre
patio dans le
style
arabe, nous avons peint nos corniches, nos portes,
ornements de l’Alhambra nous ont
et les
d’heureux motifs. Nous avons perdu nes à ce ra va il-là, I
c’est vrai,
patio ravissant dont
fait
moins
vail est d’autant
Sans
employé
à ce tra-
que
la saison
à regretter
pluvieuse et ne permettait pas de songer à
fuire des études
ou des croquis dehors.
Je suis bien décidé à exécuter voi
un tableau et
les faces.
de chez nous, nous pouvons faire des cen-
taines de tableaux. Le temps
était
offert
semai-
mais nousavonsun
chaque coin
que je compte exploiter sous toutes sortir
trois
ici.
J’y serai vingt fois
mon
dernier En-
mieux qu’à Rome
j’aurai sans cesse l’œil réveillé par toutes les veilles
et
mer-
qu’on rencontre à chaque pas, au lieu de
pourrir souàun cl Italiennes
ciel fétide,
en face de ces Italiens
d’opéra-comique, ou de ces chau-
chardsau chapeau pointu dont
le
souvenir
me
soulève le cœur.
Notre chambre est toute tendue de tapis posés par-dessus des paillassons et des nattes. Nous 20
Digitized by
Googl
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
338
ayons pris l'habitude des Maures trons jamais dans notre
babouches à
les
l’établissement;
la porte.
toute
et
nous n’en-
chambre sans
•
quitter
Point de chaises dans
laideur européenne est
prohibée.
Sur deux autres faces du patio donnent deux autres chambres assez grandes tée
;
l’une est affec-
aux ustensiles de peinture, l’autre occupée
par Lagraine, les costumes, les étoffes précieuses, et les
vêlements européens, car nous conservons
notre prestige grâce à nos pantalons l’air
;
sans cela on pourrait nous
respect
et
pet-en-
manquer de
tandis que l’Européen peut aller sans
:
rien craindre dans tous les coins de la ville et de la
campagne, à toute heure du jour
et
de
la
nuit.
Sur
quatrième
le
mur du
patio donnent cui-
sine, citerne, escalier des terrasses, etc...
tre partie de la
duisant
une
à
L’au-
maison contient un corridor consalle
où je transporterai
cuisine, puis à l’écurie où peuvent tenir
ma trois
chevaux.
Pour
le
moment
doux, intelligent
j’ai
un amour de
et fort...
petit cheval
Puis des poules pour
avoir des œufs et de quoi remplir notre estomac lorsqu'il n’y a pas autre chose
;
enfin
une paire
de lévriers.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
339
Noire personnel se compose de Lagraine, exclusivement occupé de la photographie, menuiserie, soin des châssis, toiles, couleurs et
femme d’un
de famille,
ex-consul tombé à peu
mon
de Ali-Pala,
près -dans
la
nier, petit
bonhomme de 50
misère
;
comp-
bonne mère
tes; de Nana, cuisinière chrétienne,
palelre-
ans, monstrueuse-
ment laid, haut de 4 pieds, un vrai Triboulet, doué d’une originalité charmante, d’une grande intelligence et, par-dessus le marché, d’une élô-
phantiasis qui a
à
la
gonfler
fait
une de
ses
jambes
grosseur de son corps, tandis que l’autre est
complètement ridée qu’une
plus grosse
n’est pas
et
fine allumette.
Ce personnage grotesque m’a été présenté par le ministre,
M. d’Aquin, qui
comme une
perle.
D’abord, terprète
;
il
me
l’a
recommandé
parle bien l’espagnol et sert d’in-
puis
il
est réputé le meilleur cavalier
de Tanger, malgré sa difformité.
Nous comptons encore parmi nous
Khadder qui
fait les
commissions
çon honnête et dévoué
et
achète
;
la victuaille,
etc.
Tchama, charmante 18 ans, qui
vit
avec
le
qui lave
le
jeune
matin, garla
maison,
enfin la jeune Aïscha-
petite
Mauresque de 17 ou
nous, s’occupe de notre
linge, blanchissage, aide la cuisinière à
raecom-
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
510
moder,
amène
etc.
De plus
elle
ses petites amies,
pose pour nous, nous
pour que nous
travail-
lions d’après elles.
Enfin voi,
un
je vais pouvoir faire
!
mon
dernier En-
tableau que j’avais rêvé à Grenade
dont l’exécution
me
sera facile
et
ici.
Tout cela ne nous coûte pas cher
et
nous
vi-
vons économiquement, dépensant moins à nous tous que
Clairin
et moi à l’hôtel de Grenade.
Voilà le palais où, j’espère, tu viendras
l’automne prochain vers
Tu pourras
:
douzaine de lièvres
le
!
me
voir
mois de septembre.
y faire de la photographie avec La-
graine, et chasser
de clichés
le
le soir, tu et
rapporteras une
perdreaux
et
une douzaine
Je ne m’absenterai d’ici que pendant
mois de juin
et peut-être juillet,
pour
finir à
Grenade ce qui est commencé... Je t’envoie
m’en
un
échantillon de toile pour que tu
fasses acheter
une pièce de 20 mètres sur
ra 2 ,50 ou 3 mètres de large
même
si c’est
possible, de
qualité. Si la pièce contient
25 mètres,
ou plus, envoie-la tout de même. La
toile n’est
la
jamais perdue et nous avons besoin d’en couvrir
beaucoup
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
341
A M. CAZALIS.
Tanger, 25 février 1870.
...Comment
temps sans une parole, Allah
et
que
se fait-il
Mahomet
savent
le
je le laisse si long-
un serrement de main?
ni
!
Nous habitons,
tu
dansunemaison mauresque, dans un petit des Mitle et une nuits. Nous avons entassé
le sais,
palais
sur nos portes, sur
les solives
ornements de l’Alhambra,
de notre patio , des
et tu verras
prochaine-
ment un tableau commencé depuis
quelques
jours, patio
un Gynécée mauresque, qui représente notre
même
au fond,
et,
la
porte de notre
cham-
bre à coucher...
Chaque
fois
rasse, nous ville
la
que nous montons sur notre
sommes
ter-
éblouis par l’éclat de cette
de neige, qui sous nos pieds descend jusqu'à
mer,
comme un grand
escalier de
marbre
blanc ou une nichée de mouettes blanches. Sur
une tapis
terrasse voisine, des négresses étalent des
pour
les
exposer au
soleil,
ou des Maures-
ques disposent sur des cordes leurs haïcks
et leur
linge pour les faire sécher, kaftans de drap jaune
avec broderies d’argent, de soie rose ou vert tendre, foulards d’or, etc... Nos yeux, enfin, voient
donc
l’Orient.
Je crois, Dieu
me
vous éclaire n’est pas
pardonne, que le
même que le
le soleil
qui
nôtre, et je 29.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE IIENRI REGNAULT.
5(2
vois de loin, avec terreur, le
moment où il
faudra
reconlempler, en Europe, l'aspect lugubre des
maisons
et des foules.
Mais, avant d’y rentrer, je veux faire revivre les vrais
Maures, riches
voluptueux à
dans
la fois,
le passé.
et
grands, terribles
ceux qu’on ne
voit plus
et
que
Puis Tunis, puis l’Égypte, puis
l’Inde!...
Je monterai d’enthousiasme en enthousiasme, je m’enivrerai
de merveilles, jusqu’à ce que
complètement halluciné, je puisse retomber dans
monde morne
notre
mes yeux perdent pendant deux ou
et banal,
la
sans craindre que
lumière qu’ils auront bue
trois ans.
Quand, de retour à
Paris, je voudrai voir clair, je n’aurai qu’à fermer les yeux, et alors
Mauresques, Fellahs, Hindous, éléphants de marbre blanc,
colosses de granit,
palais enchantés, plaines d’or, lac de lapis, villes
de diamants, tout l’Orient m’apparaîtra de nouveau...
Ohl quelle
ivresse, lalumiôre...
A SOS PÈRE.
Tanger, 3 mars 1870.
ma
Le Spahis emporte J’ai hésité
pour
la
me
décider
voie de. mer.
Le mois de mars ranée.
Salomé aujourd’hui.
très-longtemps avant de
J’ai
est
demandé
mauvais dans
la
Méditer-
conseil à des gens
compé-
i
bv
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. tents et
même à
d’accord qu’il
mer en courroux
Je voulais t’envoyer la notice pour
me
qu’à
un
fer espagnol.
mais je m’aperçois au moment de ne
une
fallait plutôt confier la toile à
coquille de noix sur la
chemin de
343
des Espagnols. Tous sont tombés
rappelle pas bien le
fait.
mon
tableau,
l’écrire
que
je
Consulte à ce su-
jet les livres saints...
Salomé dansa pendant un nière
si
que
Hèrode,
festin
d’une ma-
merveilleuse devant son père adoptif
promit de lui accorder
celui-ci
comme récompense La mère de la jeune
tout ce qu’elle demanderait. fille,
qui détestait saint Jean,
à cause des reproches que celui-ci faisait à Hé-
rode sur son union incestueuse avec sa
fille
de demander
Voilà ce
et
supplia
elle,
de saint Jean.
qu’il faudrait rédiger
moins filandreuse je tiens
la tôle
d’une façon
moins embrouillée, mais
beaucoup à ce qu’on insiste sur
la
parce que cela expliquera l’ébouriffage de velure et
l’étoffe
danse , la
che-
transparentê qui laisse voir les
cuisses pour rendre la danse plus voluptueuse.
N’oublie pas que je suis gaucher et que, pour
regarder
ma
peinture
il
faut qu’elle soit éclairée
d’en haut, de droite à gauche, le contraire des autres
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
544
La Salomé une
fois partie
pour Paris, Ré-
gnault pouvait se livrer sans préoccupation à la pensée de la grande
comme
tait
tains
œuvre
qu’il
médi-
Envoi de dernière année. Cer-
matériaux
manquant encore,
lui
il
résolut de retourner pour quelque temps en
Espagne
afin
même
en
de
les recueillir et
de terminer
temps quelques études commen-
cées à Grenade.
Ces préliminaires complétés,
il
comptait
nouveau à Tanger et y faire son grand tableau en toute liberté d’esprit et se rendre de
sans crainte d’y être dérangé par aucun obstacle imprévu.
se mit
Il
donc en règle
avec l’Académie. A SON PÈRE.
Tanger, 8 mars 1870.
mes
pro-
ne disant que ce que je voulais dire
et le
J’ai écrit à
jets,
M. Hébert
et lui ai exposé
priant de vouloir bien cacher au ministère ce qu’il savait
ou devinait,
et
arranger
les
choses
pour le mieux, de manière à ce que je puisse ici
tranquillement J’ajoutais
que
mon
faire
dernier Envoi.
j’avais ici sous la
main tous
les
éléments nécessaires pour faire une œuvre sérieuse et nouvelle et que j’irais la finir à
Rome
;
je
ne
et ce
peu
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
345
mon
retour,
fixais
pas d'époque positive
vague discret
pour
Rome
me
mes
et d’arriver à
mon
avec
à
permettra de traîner un
fins, c’est-à-dire
Envoi
fini,
de partir
au commence-
ment de 1871. Le premier point pour bien travailler est de se plaire dans l’endroit où l’on travaille et de se sentir soutenu partout ce qu’on a sous les yeux.
Or
je suis bien ici
;
donc
j’y reste...
A M. A. DFP ARC.
Tanger, 8 mars 1870.
J’étais si
honteux de n’avoir pas tenu
messes que je
t’ai
que
faites,
t’écrire sans joindre à
ma
lettre
une ou deux
bonnes aquarelles. Or, en Espagne, laisser captiver par les
mauresque Je sais
les pro-
ne voulais pas
je
je
me
suis
charmes de l’architcclure aucune étude de
et je n’ai fait
figure.
que lu aimcias mieux un ou deux person-
nages intéressants dans une aquarelle que dix colonnes, et du reste je ne veux vendre à aucun prix toutes les éludes à l’huile ou à l’aquarelle
que
j’ai faites à
grande
utilité
mes promesses
Grenade
et
mon
elles
me
seront d'une
mes premières aquarelles
ressantes seront pour
depuis
:
plus tard. D’ailleurs je tiendrai
toi.
arrivée au Maroc, je
exclusivement de
finir
inté-
Je dis seront parce que
ma
me
suis occupé
figure d'Ilérodiade,
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
3J6
puis, de la
décoration de notre
chaque coin
est
un
ébauché un certain nombre de
pour ne pas
maison dont
tableau ravissant. J’ai aussi petits tableaux
laisser échapper de
quelques scènes que
j’ai
ma mémoire
vues dans les rues de
Tanger. Je n’ai pas fait encore d’étude de
bonshommes
d’après nature, vu la grande difficulté d’avoir
des modèles. Les maures du Maroc sont les plus fanatiques de tous les Musulmans;
ils
observent
avec beaucoup plus de sévérité
leur religion
qu’en aucun autre lieu. Nul œil chrétien ou juif
ne peut pénétrer dans leurs mosquées ou dans leurs maisons la rue, les
comme
;
quand on prend un croquis dans
gens qui se croient regardés se sauvent
s’ils
avaient la peste à leurs trousses. Peu
à peu (à condition de rester longtemps dans le pays et d’étre installés
dans un
puisse les voir entrer dans
lieu écarté la
où nul ne
maison chrétienne)
nous pourrons en apprivoiser quelques-uns. Les femmes sont plus accessibles. Nous avons
pour servante une petite Mauresque qui ne de-
mande
pas mieux que de poser et de nous ame-
ner des amies. Quelques-unes sont déjà venues, et
nous
les
réception.
avons encouragées par une bonne
En nè hâtant pas
trop les choses
nous
pourrons nous en servir. Plus tard, à l’aide de
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
quelques ruses viendront
les
hommes,
nous sommes bien décidés ici,
nous
en
finirons par
à
e(,
347
comme
rester longtemps
que nous vou-
faire ce
drons.
Ne perds donç pas
que
l’espoir
tu as gardé
si
longtemps de recevoir quelque chose de moi.
Au premier moment,
tu
le
sais,
on
est
trop
étourdi par tout ce que l’on voit de nouveau, pour se mettre à l’ouvrage.
mencer. Mais une
fois
On ne
sait
par où com-
qu’on est pris par l’engre-
nage, tout va bien, et chaque chose défile à son tour. J'en suis là
maintenant et mes plans sont
Il y a des toiles sur le chantier, des tableaux en train. Les aquarelles et les études
bien arrêtés.
vont se ranger au fur et à mesure dans les cartons, et les messageries impériales emporteront les meilleures vers les rivages
aimés de
la
France.
Ce n’est décidément pas en voyage qu’on peut produire
:
on ne peut que
faire des études,
pren-
dre des renseignements, des notes, dont on ne saurait ensuite se dessaisir.
une
fois fixé
les autres et
Une
pour
Dis à M. G...
Durand-Ruel
installé,
soi....
qu’aucun marchand ne verra
couleur de mes aquarelles avant
,
fois
sur un point, on peut travailler pour
et
Brame pour mes
lui. Je
la
garderai
tableaux. Leur
exposition de la rue Laffile est excellente. Or
Digitized by
348
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
comme
tout ce
que j’enverrai à Paris sera soigné
et étudié je n’aurai
pas de honte à le montrer
En
je ne tiens pas à vendre à Imis-clos.
quarelles je ne suis pas fier
:
Fortuny
:
fait d'a-
me
fait
une peur bleue. A SON PÈRE.
Tanger, 13 mars 1870.
Je termine deux
ou
trois petites
des que je traîne depuis longtemps,
comman-
et, le
29 de
ce mois nous nous rembarquons pour l'Espagne.
Nous allons à
Séville, à
Cordoue pour y
faire quel-
ques études rapides qui pourront nous rendre de grands services
ici,
puis nous regagnons Gre-
nade où nous finissons quelques éludes commencées
et,
vers
ger. Alors,
la fin
de mai, nous revenons à Tan-
muni de
tous les matériaux dont je
puis avoir besoin, je
me
mets à
mon
dernier
Envoi. 11
est préférable
de faire maintenant celte tour-
née d’Espagne, nous aurons ensuite plus de calme
pour entreprendre un
travail
de longue haleine
dans notre petit alcazar de Tanger où nous som-
mes bien de
la
installés
pour passer
l’été sans souffrir
chaleur.
Aujourd’hui, pour les Maures, grande
fète,
Pascua del carnero. On égorge un mouton sur le
tombeau d’un saint en dehors de
la ville,
on
Digitized by
.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. le
place sur les épaules d’un
homme
349
qu’on
fait
courir le plus vite possible en le fouettant, en
une mosquée située
lui jetant des pierres, jusqu’à
en bas de
bonhomme
Le pauvre
la ville.
donc traverser toute
la ville
doit
en courant au milieu
mouton
de cette foule hurlant
et frappant. Si le
remue encore quand
arrive à la mosquée, c’est
il
signe que la récolte sera bonne et on pousse des cris
de joie
si,
;
au contraire,
le
mouton
arrive
tout à fait mort, l’année sera mauvaise.
Parfois
l’homme qui porte
lui-même avant d’avoir
homme
alors ramasse le
tour. Je crois a
le
mouton meurt
atteint le but
mouton
que l’année sera bonne
remué encore une
patte
;
un autre
et court à ;
quand on
le
son
mouton
l’a
déposé
sur le seuil de la mosquée.
Dans
la
journée, fantasia, etc., etc. Demain
refantasia... le
A
notre retour, en juin, nous aurons
Haissah Mali, autre grande
fête..
A SON PÈRE.
Cordoue, 5 avril 1870. ...
Nous avons
quitté
nous sommes arrivés
à
Tanger
le
30 mars
et
Guadix après une bonne
traversée...
Nous avons reçu avant de photographie, couleurs, le
etc.
temps de regarder tout
partir les caisses de ;
mais je
cela à
mon
n’ai pas
eu
aise, car
il
30
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
350
s’occuper des bagages et des comptes
fallait
gler.
Un maître de maison
quand
part pour
il
un voyage de deux mois
faut régler le passé et songer la
à ré-
a toujours fort à faire ;
il
au futur, pour que
maison ne chôme pas jusqu’au retour.
Deux jours avant notre départ, nous avons cédéà l’évasion de notre car,
nous partis,
ger. Toute
elle
ne pouvait pas rester à Tan-
de ses jours
et à
cent, cent cinquante ou
ton, à
moins
racheter
pacha
maison
à la prison
pour
quelques dégelées de
deux cents coups de bâ-
qu’elle n’ait assez d'argent
et le
:
la
dès qu’on le peut, par
saisie,
du pacha, condamnée
les soldats
pro-
Haïscha-Tchama,
Mauresque qui a vécu dans
d’un chrétien est
le reste
petite
pour se
est parfois bien exigeant.
Or, dernièrement, Hai'scha était allée au bain
enveloppée dans son haïck et
la
figure cachée.
Malgré cela, des indiscrets l’avaient vendue
et
quatre soldats étaient à sa poursuite. L’un d’eux
par son haïck. Elle parvint
l'atteignit et la saisit
haïck entre ses
à s’échapper en laissant son
mains
et se jeta
gagna
la terrasse. Sautant ainsi
terrasse,
dans une maison juive dont
comme un chat,
elle est
elle
de terrasse en
venue nous
re-
trouver.
Chez nous départ,
la
elle était
première
en sûreté mais après notre
fois
;
qu’elle eût
mis
le nez
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
35)
dehors, elle eût été pincée. Nous avons donc
em-
ployé tous les subterfuges possibles pour tromper la
police marocai ne et la faire partir pour Tétouan,
où personne ne
la connaissait
et
où
elle n’avait
plus rien à craindre. Après avoir cousu son argent
dans sa ceinture, de vêtements,
elle
et, à
changea de babouches
huit heures
arriero juif (porteur de blé), et
et
du matin, avec un accompagnée de
son beau-frère, armé jusqu’aux dents, qui suivait par derrière pour surveiller,
elle se
mit en route
sur une mule. Nous passions à cheval sur
min de Tétouan, comme par hasard,
le che-
nous
et
avons recueilli son dernier regard d’adieu
et
son
dernier geste d’affection.
La pauvre
ne trouvera pas là-bas
petite
l’exis-
tence quelle avait chez nous. Mais tout vaut mieux
pour elle que
une
lettre
pourra
la
la tirer
Voilà
prison perpétuelle. On lui adonné
pour un Maure bon enfant
et aisé qui
d’embarras.
comment
se termine le premier acte
de
notre séjour à Tanger. Nous ne prendrons pro-
bablement plus de
petites
Mauresques
à
demeure
chez nous, parce que cela peut leur faire payer trop cher
que
je
le plaisir
de notre compagnie, çt parce
ne voudrais pas avoir sur
les quatre cents
la
conscience
coups de bâton qui pourraient
résulter de celle petite fantaisie.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
552
Mon
cheval est au vert et ne
sou jusqu’à
mon
retour.
me
Prim
coûte plus un
et Nini continue-
ront à s’aimer tendrement sous les regards protecteurs et maternels de notre cuisinière Nana,
qui occupera
la
maison en notre absence,
maintiendra en bon
et la
état.
A SON PÈRE. Séville,
...
J’ai
Nous sommes
13
avril 1870.
depuis
le
10 avril.
reçu une lettre de M. Hébert, qui est char-
mant pour moi et
à Séville
et
m’autorise à rester en Espagne
au Maroc tant que
je voudrai.
Aujourd’hui, mercredi saint,
il
y a une cérémo-
nie très-intéressante, à laquelle je ne veux pas
manquer, aussi ne
t’enverrai-je
que quelques
mots. 11
y a
ici
Ce Murillo, qui
des Murillo qui m’ont passionné.
me
m’a enthousiasmé
laissait
complètement
froid,
à Séville, et maintenant j’affir-
merai que tout ce que nous avons à Paris n’est pas de la
lui,
ou qu’alors
quand
il
il
a voulu se
moquer de
produisant de pareilles œuvres,
peinture, en
capable de faire aussi puissant,
était
aussi vigoureux, fort et voulu, ferme et solide
que ce
ou
qu’il a
au musée de Séville
et
dans deux
trois églises. Il
nous sera
difficile
de travailler cette semaine
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. à l’Alcazar, à cause des fêtes
et
355
des visiteurs
qu’elles ont amenés. Mais bientôt, après Pâques,
nous nous y mettrons carrément
À
cette époque, les artistes organisèrent
à Paris une vente en
Lamothe
,
veuve du
faveur de
peintre
Régnault avait travaillé,
madame
chez lequel
comme nous l’avons
vu. Celui-ci ne voulut pas
manquer de payer
sa dette de reconnaissance, et de Séville
écrivait
il
:
A SON PÈRE.
Séville, 17 avril 1870. ...
Je n’ai pas la moindre aquarelle à envoyer et
je n’ai pas le
suis de
temps d’en
mes études à
faire ici,
occupé que je
l’Alcazar.
Comme je dois être un des premiers madame Lamothe dans son malheur, qu’il y avait
un moyen de
écrit de Paris,
il
à secourir j'ai
le faire. B...
pensé
m’avait
y a deux ou trois mois, pour
me
demander de lui céder l’élude de chevreuil mort que j’ai faite autrefois et qu'il avait vue à Sèvres. Je lui avais répondu que je n’avais pas l’intention
de
la
vendre. Mais maintenant qu’il s’agit d’un
devoir de reconnaissance à remplir, je suis tout
disposé à revenir sur ce que j’ai
dit.
Je peux donc 30 .
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
354
moyennant mille
très-bien céder cette étude, francs que tu remettras à
madame Lamothe
A SON PÈRE. Séville,
23
avril
1870.
Ce n’est malheureusement pas encore au-
....
jourd’hui que je peux t’écrire une longue lettre.
Nous quittons Séville après-demain 25, avec
l’in-
tention d’y revenir plus tard, parce que nous n’y
avons pas y
fait
encore ce que nous avons inlérêtà
L’Alcazar vaut
faire.
moment où
un voyage
spécial, à
Séville sera plus calme,
moins d’étrangers, de
fêtes,
où
il
un
y aura
de dérangements
de toute sorte.
Nous sommes pressés de retourner pour y
finir les
à
Grenade
études commencées. J’y ferai les
observations que tu inedemandes sur les faïences et je t’enverrai
des échantillons
si
je puis. Je
m’occuperai de cela autant que mes autres études
me
le
permettront
A SON PÈRE.
Grenade, 23
Nous sommes arrivés
à
avril 1870.
Grenade avant-hier soir
26. Par malheur, le beau temps qui nous avait
pendant tout notre voyage nous a aban-
suivis
donnés tomber.
;
depuis deux jours Il
y a
la
pluie ne cesse de
beaucoup de neige encore sur
la
Sierra Nevada, et aux premières chaleurs, les
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
nuages se forment sur
la
montagne
et
555
crèvent
avant de partir pour d’autres pays. Si cela
dure nous quitterons Grenade pendant
une quinzaine de jours pour gagner Cullar de Baya, à vingt-cinq ou trente lieues de Grenade, plus bas dans les plaines, et où
il
y a les plus
beaux paysages que l’on puisse rêver. Nous serons
le
beau temps se consolider
lais-
Grenade, et
à
nous rapporterons, j’espère, des éludes intéressantes qui
me
paysage pour
permettront de faire un grand
le
salon prochain.
Mon intention, en
mon
effet, est
de concentrer sur
dernier Envoi tous mes efforts de peintre
d’histoire, et
d’envoyer à l’exposition un grand
paysage avec une ou deux figures assez impôrtantes,
mais laissant jouer
le rôle principal
au
paysage. Et où trouverai-je plus beau que ces déserts inconnus, situés à l’est de Grenade,
montagnes, formes ple et
les ravins, les terrains
les plus
un que
fermes
je n’ai
et belles,
vu que
où
prennent
avec
les les
un ton sim-
là.
On ne pourra me reprocher de me répéter dans et de me spécialiser. En môme temps
mes tableaux
je serai à l’abri des distractions trop longues, et je
pourrai consacrer tout à
mon
mon automne et mon hiver
Envoi
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
556
A SON rÈRE.
Guadix, 8 mai 1870.
Nous avons quilté Grenade
le
neuf heures à cheval sous la
neige
et
le
nous
vent,
5 mai, et après
la grêle, la
sommes
pluie,
arrivés
à
Guadix, de l'autre côté delà sierra Nevada. C’est plus beau que jamais pays n’a pu être
sommes mis de à faire
c’est trop
;
De tous
nous nous
:
suite à l’ouvrage. Mais
beau
il
y a trop
!
les côtés c’est
beau
à Tanger, tu pourras voir
;
quand
tu viendras
mes croquis
et
études
peintes
Dominé par
cette profonde émotion, Ré-
gnault dessine une suite de paysages d’un
grand et
effet,
dont
la
facture étopne et frappe,
qui sont tous remarquables de puissance,
de style
et
de vérité. Sous son crayon les
horizons s’éloignent, les plans s’établissent
nettement, les terrains se modèlent fermes et
vigoureux, les ciels eux-mêmes prennent
vie et semblent s’agiter.
Decamps
seul
pourrait
Régnault. Commelui,
il a le
ici
sionner avec de belles lignes dessin
manque de
lutter
avec
talent d’impres;
mais son
cette précision qui carac-
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
557
térise celui de Régnault et qui dénote en lui
un
artiste tout à fait supérieur.
Laissons-le pour
un temps,
à ses études,
reportons-nous à Paris où l’Exposition
et
vient de s’ouvrir.
Qui de nous n’a présente à l’esprit l’impression extraordinaire produite par cette
Salomé au type
inqualifiable, à la chevelure
inculte et luxuriante, au regard sensuel, au
sourire demi-sauvage, au costume éblouissant
?
Tous nous avons ressenti à
sa
vue ce
sentiment inexprimable que produit une création neuve.
a
Il
d’appréciation sur le les
uns
l’ont
pu
y avoir diversité
charme de cette figure;
aimée sans
restriction, les au-
leurs réserves; mais nul n’a
tres ont fait
nié le talent original et audacieux qui a pu
produire un
si
merveilleux résultat.
La composition est presque nulle,
c’est
purement une œuvre d’exécution. Non pas que l’expression le sourire
yeux
et la
fasse défaut,
« férocité caressante
C’est
une
—
de Salomé laissent deviner que
sorte
les
est le fond de sa nature.
de panthère
noire,
apprivoi-
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
358
mais toujours
sée,
sauvage
et
Mais n’allons pas au delà de l’artiste.
Ce qu’il a cherché,
la
cruelle.
—
pensée de
c’est plus
un
type d’une étrangeté toute nouvelle qu’une
personnification absolue. Salomé,
écrivait-il, n'est
bizarre, je voudrais
pas
un nom
assez
un nom que personne ne
pût prononcer.
Et
le livret
eût désigné ce tableau sous
tout autre titre, qu’il lui eût laissé toutes ses qualités.
Le succès
en
fut
immense,
et toute la presse
retentit.
Je citerai encore ici M. Th. Gautier, qui reste fidèle
à
son admiration presque fa-
natique pour Régnault. «
L’événement du salon est
gnault.
Ne vous
est-il
la
Salomé de M. Ré,
pas arrivé,
l’été,
dans une chambre dont on a abaissé fermé
les
les
d’entrer stores,
persiennes pour que l’obscurité y amenât Tout est baigné d’une ombre dormante,
la fraîcheur ?
où
les
sent.
formes
s’effacent,
où
les
Cependant un rayon de
glisser par
une fente,
et
couleurs s’assoupis-
soleil est
parvenu à se
darde son jet aigu sur un
Di
dby
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
que,
le tableau
étincelle,
il
prend une
resplendit,
559
A ce contact magi-
tableau suspendu à la muraille.
de vie étrange,
intensité
il
se fond avec la lumière, et
il
donne presque des éblouissements. Dans la salle où elle est exposée, la Salomé de M. Régnault produit cet effet. Seulement, quand le rayon s’en va, le tableau
dont
ordinaire;
nous
reprend son
parlions
s’éteint
il
et
aspect
ne se distingue plus des
autres peintures, tandis que l’œuvre du jeune artiste
conserve toujours son éclat. Sa
née d’un
y
toile n’est
reflet fugitif; elle s’éclaire
a longtemps qu’une
produite au Salon, et
œuvre de si l’on
demande
ce que pourra faire
du général Prim, Judith
et
on se
villa Médicis,
un
Dame
sera maître à son tour. La
tel
élève lorsqu’il
en rouge,
Holopherne
portrait
le
et la
Salomé
répondent que, dès aujourd’hui, M. Régnault l’individualité
génération
la
remarquable
plus
d’artistes;
le
modernes semble devoir est
emparé
«
Il
songe que M. Régnault
encore pensionnaire de la
est
pas illumi-
d’elle-même.
cette valeurne s’était
de
la
premier rang parmi
lui appartenir, s’il
est
jeune les
ne s’en
déjà.
Ce qui nous plaît dans M. Régnault, c’est une
originalité profonde
— naturelle
et
voulue
—
nous
Aux époques de civilisation extrême comme la nôtre, le don inconscient n’est plus possible. Chaque artiste recèle en lui un
insistons sur ce dernier point.
critique;
sait
il
caractéristique;
avec
un
il
trouver sa faculté dominante ou la
dégage,
la cultive, la
développe
soin particulier. C’est dans ce sens-là qu’il
s’affirmera désormais route, plus
il
:
plus
se débarrassera
il
avancera dans sa
du bagage
inutile,
ne
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
300
gardant que ce qui est véritablement à
de
la
volonté sur l’instinct n’a lieu,
lui.
Ce travail
bien entendu,
que chez les natures supérieures, qui se rendent compte d’elles-mêmes, et M. Régnault est évidemment une de ces natures. Doué d’un merveilleux tempérament de peintre, il ne cherche pas à bien
en mâter
les énergies
bile
pour
les réduire à
des allures
monte comme un cavalier haun cheval fougueux, sûr que, malgré les hennis-
régulières, mais
sements,
il
le
les ruades, les sauts des
galops à plein vol de sa monture,
quatre pieds et les
il
ne sera pas désar-
çonné. La science de l’écuyer répond
de
tout, et
il
n’échangera pas cet intraitable pur-sang contre un
hack paisible. « Il
n’y a pas,
heureusement, chez M. Régnault, ce
que les philosophes et les critiques appellent « une pensée » il n’a que des idées de peintre, et non des :
idées de littérateur, chose bien différente. Le sujetau
point de vue dramatique, historique, anecdotique, le
préoccupe extrêmement peu, attirer l’intérêt par des tes.
et
il
ne cherche pas à
mises en scène attendrissan-
Ses effets sont des effets de peinture, des con-
trastes et des combinaisons
de couleur,
des jeux
d’ombre et de lumière, des surprises et des ravissements des yeux; il vous donne ces sensations, ces voluptés et ces joies qui sont et
du pur domaine de
la
vue
qu’aucun autre art nepeutfaire naître. Nousavouons
humblement, dussions-nous être méprisé par les faiseurs d'esthétique, que nous aimons assez la peinture qui n’a d’autre but que la peinture. «
Un
poète de nos amis
fit
autrefois
une pièce de
vers intitulée Symphonie en blanc majeur, où chaque :
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
une comparaison ou une image blanche. On strophe ramenait
M. Régnault, en
301
idée,
une
dirait
que
obligatoirement
composant son tableau de Salomé,
une intention de, ce genre. La seule différence, adopté pour dominante
qu’il a
draperie de
remplit s’agit
le
de
satin
fond de
le
bouton d’or de la toile.
développer
et
Voilà
de
le
a
c'est
note jaune. Une
la
l’éclat le plus
le
thème posé;
vif il
varier sans manquer à
l’harmonie, et jamais coloriste ne s’en est choisi
un
plus difficile. «
Saloinè
d’après
le
vient
d’achever sa
danse lascive,
et
conseil d’Ilérodiade, sa mère, elle réclame
pour récompense la tête de saint Jean Baptiste. Le
blâmé l’union inceslueused’Hérode-Anlipas femme ne pardonne n’y a d’autre figure dans la toile que celle de d’Ilérodiade. Elle est assise sur un de ces ta-
saint avait et
de sa belle-sœur, et rancune de
pas.
Il
la fille
bourets incrustés qui servent, en Orient, à poser les
donné une physionomie d’un
plateaux. L’artiste lui a
caractère étrange, qui
que
et
encore moins
pagne on
muy
la
rappelle pas le type hébraï-
Eu Es-
régularité grecqui*.
peindrait d’un
mot en disant
qu’elle est
gitana, ce qui signifie douée d’une grâce bizarre
et sauvage,
tion
11e
la
d’un attrait dangereux et d’une fascina-
diaboliquement
pointe de laideur, car
irrésistible, la
d’un noir d’enfer, crépu, enterre
le.
même
beauté correcte
nécessaire à ces charmeuses.
Une
forêt
d’un ébouriffement visage de Salomé
et
avec une n’est pas
de cheveux rebelle
et
retombe en
boucles torses jusque sur ses épaules. Cette note noire,
violemment plaquée au centre du tableau, maintient et domine toute la gamme des jaunes, et l’artiste l’a •
51
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
562
appuyée avec beaucoup d’adresse par
baguettes
les
d’ébène du cadre. y a dans celte chevelure excessive quelque chose de farouche, de barbdre et de bestial, qui con«
Il
traste avec les traits délicats et
masque
presque enfantins du
coloré, sous sa pâleur d’ambre, d’un
nuage rose. La bouche a
léger
un peu un pas ra-
sourire vague et
le
haletant de la danseuse, qui s’arrête après
pide. Les yeux, d’une volupté cruelle et tranquille,
regardent devant eux et semblent attendre un signe d’acquiescement. Salomé tient sur ses genoux un grand bassin en cuivre repoussé, où est posé un kandjar à
manche
d’ivoire, à fourreau
de velours rouge, avec
des ciselures d’argent et des cordons de soie noire
agrémentés d’or. Ce bassin, où doit tomber une est
pour
elle
cueille les
comme
le
tête,
tambour de basque qui
monnaies après
la
re-
danse, et jamais l’insou-
humaine
mieux peinte que dans cette jeune fille, dont une main joue nvcc le manche du kandjar, tandis que l’autre s’appuie ciance orientale pour la vie
n’a été
à la hanche. «
Le costume de Salomé
que, aucun pays
peut l’arranger
:
le
il
est
11e
rappelle aucune épo-
de fantaisie pure et
tel
que
caprice d’une danseuse, qui veut
plaire et faire tourner la tête à son public.
Une
tuni-
que jaune de Naples s’agrafe à l’épaule droite par un médaillon d’argentet d'ivoire, laissant
la
poitrinenue
jusqu’à la naissance des seins. Un bracelet
d’émail
une vipère aux veux de rubis, cercle le bras, délicat et rond, mais un peu grêle de contour encore, comme il convient à une très-jeune
vert, représentant
fille
Sur l’autre épaule
est jetée
une écharpe d’un
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
365
rose tendre, dont la nuance se confond presque avec celle
de
la chair.
noue autour des taire avec le
Une ceinture reins,
noir des cheveux d’or de
la
le
violette à larges plis, se
formant l'accord complémen-
jaune paille de
la tunique,
comme
le
formait avec le jaune bouton
draperie servant de fond. Une jupe de gaze
d’or, égratignée de pétillements lumineux,
un bur-
nous blanc bordé d’or et rejeté en arrière, complètent cette
toilette
folle
de courtisane
et
de dauseuse. La
jupe d’or est ourlée d’un léger liséré rose, fils
et
quelques
d'un vert prasin se glissent dans sa trame pour
rompre
le
ton avec le
fin
sentiment d’harmonie des
é'offes orientales. «
Ce liséré rose
charpe
et sert
est,
en outre, un rappel de
l’é-
de soutien aux notes rosées des joues.
Les babouches, violettes, doublées de rouge, dansent au bout de ses pieds nerveux et cambrés, l’une d’elles
presque échappée, l’orteil
et l’autre
qui se rebrousse.
dessinés
retenue seulement par
Ces pieds,
délicieusement
d’une naïveté de pose charmante, portent
et
sur une peau de tigre, continuant l’accord contrasté
d’orange
et
de noir, et recouvrant à demi un tapis
turc bariolé de jaune et
de bleu, de vert
et d’o-
la gamme. Vous voyez que le mené d'un bout à l’autre, sans ou-
range pour maintenir jeune
artiste a
blier son
majeur,
thème un
et
il
en
instant, sa
est résulté
symphonie en jaune
un tableau de
l’aspect le
plus éclatant et le plus harmonieux, malgré des rap-
prochements de tons qu’on
n’est pas habitué à voir
ensemble. «
bien, dans
l’art,
ne rappelle cette manière d’une
nouveauté paradoxale, d’une originalité absolue
et
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
56 i
d’une outrance qui no semble
charme; science
pouvoir être
pas
Chose rare, cette étrangeté
dépassée.
elle
étonne,
mais
est pleine
choque
ne
de
Une une
pas.
réelle justifie ces audaces, servie par
exécution merveilleuse. M. Régnault est un coloriste
de premier ordre, ce qui ne l’empêche pas de bien dessiner.
Il
non-seulement
voit,
fin, exquis,
ton rare,
qu’aux privilégiés, il
et
le ton juste,
brandt, ni à Velasquez, ni à Delacroix appartient
;
il
la
ne ressemble
:
Rem-
sa palette lui
charge de couleurs spéciales, qu’on
ne connaissait pas avant effets
Il
Véronèse, ni à Rubens, ni à
ni à Titien, ni à
le
du contraste de deux nuances
des éblouissements.
sait faire jaillir
mais
ne se révèle
qui
inattendu,
et
lui,
il
en obtient des
qu’on n’aurait pas cru possibles,
si
on ne
les
voyait réalisés avec une aisance prodigieuse. «
Ce qui nous frappe dans cette peinture,
qu’elle
essentiellement
est
ne s’attache
pas
choses actuelles
à
Gavarni, pour qui existé. Elle
la
moderne,
reproduction
moderne comme
:
l'antiquité
quoiqu’elle
exacte
Balzac,
des
comme
semble ne pas avoir
procède d’un esprit affranchi de
tion, et se joue librement
c’est
dans
la
tradi-
milieu qui l’envi-
le
ronne. Avec son air fantasque et romanesque, l’artiste arrive à la vérité
de Prim,
comme
c’est toute
en se jquant. Le portrait
l’Espagne
;
Salomè,
c’est tout
l'Orient. »
A
côté de ces louanges
si
chaleureuses,
écoulons les blâmes que certains critiques
mêlent
à
leurs éloges. M.
Paul
de Saint-
Digitized
by
Googt
.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Victor, entre autres,
3G5
reste froid pour Ré-
gnault. Le succès prodigieux, étourdissant
de
la
Salomé semble
lui déplaire
:
se tient
il
en garde contre un enthousiasme auquel
ne veut pas céder,
il
cherche des défauts,
veut en trouver. Déjà nous l’avons vu
quer
à la
Judith
;
Salomé,
à
il il
s’atta-
son tour, va subir
sa sévère appréciation <t
Allons tout droit à la
yeux
comme
Salomé de M. Régnault;
les
lampe c’est Son titre le tableau le plus voyant de l'Exposition. est un sobriquet de pure fantaisie: ce baptême de y
courent
les papillons à la
:
—
sang n’est qu’un ragoût de plus à celte figure épicée.
— Cette belle assise sur
un
fille
au
colfret
rire lascif,
ciselé,
n’est
aux yeux fous, qui,
de nacre, lient sur ses genoux,
dans un bassin de cuivre,
le
manche d'un yatagan
qu’une aimée mauresque rapportée de
quelque bazar oriental. Elle se détache en
clair sur
un immense rideau jaune, comme sur une toile d’apothéose. C’est un vrai tour de magie blanche obtenu par un visible artifice. Pour faire ressortir cette tête
lumineuse sur un fond radieux,
l’artiste l’a
paquetée dans une toison de négresse. Mais
le
em-
relief
s’arrête au buste qui, privé de ce repoussoir, parait
mince
et vide
en comparaison. Tout est caprice, d'ail-
leurs, vision et prestige, dans la
Salomé deM. Régnault.
Scs chairs lactées et diaphanes ne sont pas celles de ses cheveux d’encre et de son type barbaresque. dirait
On
une gitana déguisée sous une peau d’Anglaise. 31
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
ÔÜG
— L'exécution est d'une verve
rare. L’intelligence peut
protester contre cette peinture d'effet à outrance; mais les
yeux sont
pris. Quelle fleur
de tons,
que de
fins
passages dans ces carnations transparentes La cein!
ture violette qui serre la danseuse, lecimeterrequ’elle tient, le bracelet qui
enroule à son bras ses
nœuds de
serpent, sont des bijoux de couleur. Et la jupe de gaze
rayée d’or qui voile ses jambes nues!... on entend
son tissu féerique.
craquer
et bruire
mais
faut aussi redouter
il
ceau dans un
si
jeune
une
Il
faut admirer,
rouerie de pin-
telle
homme. Dès son premier début
que nous avons salué avec enthousiasme, M. Régnault promettait d’être le grand peintre de
la
générationqui
se lève. Qu’il prenne garde de n’en devenir lant et fantastique il
ce talent
si
que le bril-
amuseur. Pour respecter son art,
ne faut pas trop jouer avec lui.
Il
serait fâcheux que
précoce se corrompit, avant de mûrir,
dans les excès de l’exécution.
un
Régnault,
brillant
amuseur 1 Comment M. à
s’cffraie-t-il
ser
une étude
dans
le cliQix
ce point
et
fantastique
P. de Saint-Victor
de
le
voir expo-
saisissante et bizarre
?
Rien
de ce sujet n’indiquait que
Régnault fût incapable d’une vaste position historique
:
l’effet
com-
produit au pré-
cédent Salon par le portrait du général Prim, cette
œuvre
donc déjà
si
émue,
effacé
si
bien sentie,
était-il
*1
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
Soyons juste, et donnons à
la
307
Salomé toute
l'admiration qu’elle mérite, sans lui deman-
der plus ou autre chose que ce que
l’artiste
a voulu exprimer.
Régnault eut une médaille pour cette
œuvre. À coup sûr,
si la
médaille d’honneur
eût été décernée au tableau naire, le plus
obtenue. n’était
Mais
pas
nous
,
plus extraordi-
le
du Salon,
original
il
une* composition,
n’ayant aucun doute sur
et
l’eût
Salomé
le répétons,
jury,
le
avenir
le brillant
réservé à Régnault, accorda, non sans avoir hésité, cette
récompense exceptionnelle à un
tableau plus sage, mais qui
son importance et par
la
méritait par
l’effort qu’il
déno-
tait.
Avant de suivre devant à
la
la
foule qui se pressait
Salomé nous avons laissé Régnault ,
Guadix travaillant avec ardeur, d’après
natufe, et dessinant une foule d’études en
vue de son tableau futur. La pensée de ce dernier Envoi ne tait
pas;
il
composition,
le quit-
en rêvait l’arrangement il
et la
mûrissait peu à peu ce vaste
projet dans son imagination.
Un
jour,
il
en
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
368
eut
comme une
vision:
modifia aussitôt
il
tous ses projets, et subitement repartit pour
Tanger. A
11.
CAZALIS.
Grenade, 22 mai 1870.
Je prends encore et rosée
connu
dans
un bain de lumière dorée
divine Alhambra.
la
ne sera peut-être pas plus que dans
ou un
Quand on
a
celle féerie délicieuse on y retourne et ce
palais
mon
dernière fois. D'autant
la
prochain tableau, T Alhambra,
du même genre,
un
doit jouer
rôle
important. Je voudrais au moins, avant de mourir, avoir créé une œuvre importante et sérieuse, que je
rêve en ce
moment, et où
je lutterais avec toutes
les dilficultés qui m’excitent. Quelle
être l’issue de celte bataille, à
la
me
Tanger, lu
immense, où
je
que puisse
quand tu viendras
trouveras en face d'une toile
veux peindre tout
le
domination arabe en Espagne, et
caractère de les puissants
Maures d’autrefois, ceux qui avaient encore à leur tête le vrai sang
de Mahomet à
la
troi-
sième, quatrième, cinquième et sixième génétion...
J’espère bien rencontrer dans les histoires des
Maures un
fait
historique ou
un nom qui
se rap-
portera à ce que je veux faire et contentera tout
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
monde. Je commencerai toujours,
le
trouve 5 baptiser
mon
mieux
quitte, tant
ÔG9 et si je
me
tableau, avant qu’il
sinon j’invente et je renvoie
;
au chapitre 59,999 d’une histoire
les critiques
arabe indiscutée, mais détruite dans l’incendie
ou
sac d’une
le
ville.
Les deux immenses portes bleu
et
or de la Salle
des ambassadeurs viennent de s’ouvrir sur une galerie dont les gradins sont baignés fleuve
mon
ou un
palais
lac,
—
;
sur
les
par un
bords duquel est bâti
je détourne la critique
en ne
faisant ni l’Alhambra, ni l’Alcazar de Séville;
mais un palais qui
n’est pas
entouré d’eau n’est
pas un palais pour moi...
Le roi maure parait entre ces deux immenses battants de porte, armé, et recouvert de ses plus •
fins tissus, il
le
sur un cheval richement caparaçonné
est impassible, et
sphinx
regarde on ne
d’Égypte
comme un
ou
élu enfin,
une
sait
idole
où,
un descendant du
phète,
un
plutôt
aux pieds de son cheval,
A
être adoré, encensé.
;
comme
indienne, pro-
ses pieds,
ou
un héros,
le
général en chef de ses armées, est humblement
prosterné rir à
et
dépose son épée.
l’offre à Celui
et à
11
vient de conqué-
son maître une province ou une
ville, et
qu’on ne regarde qu’on tremblant
genoux.
Digitized by
.
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
370
—
Les inscriplions de l’Alhambra sont pleines
de lilanies ou les salles; litres les
Sur
les
nom du
roi
qui en a
fait
construire
lumière du monde, sont les
soleil,
plus modestes qui
lui sont
adressés.
—
marches de marbre blanc, où sont jetés
de somptueux tapis, sont échelonnés des guerriers (les plus les
beaux des
officiers), qui
drapeaux pris à l’ennemi,
tienne, celle
du général ou du
et
roi chrétien
barques sont attachées aux marches descendent
le
général
rapportent
une épée chré-
:
;
deux
de l’une
sa suite; dans l’autre,
et
de beaux nègres gardent un groupe de femmes captives, les plus belles chrétiennes de la
pro-
vince conquise; elles seront présentées au roi
drapeaux
offertes après les
;
celles
sur qui
et
son
regard daignera descendre seront conduites au
harem. A
la
proue d’une des barques, une
coupée sera clouée,
la tête
tête
Tout
est or, étoffes merveilleuses, tout est élé-
gant
et
précieux
ries, chairs
:
architecture, armes, pierre-
de femme,
et
au milieu
:
le
despo-
tisme, l'indifférence, l’insouciancemahométans.
Le
roi
regarde à peine le général vainqueur
les portes
une
idole
de son tabernacle s’écartent,
enfermée
est là, objet
*
d’un chef chrétien.
et
dont
le
et,
.
:
comme
temple s’ouvre,
il
d’adoration...
Puis les portes se refermeront,
il
se couchera
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
de nouveau sur des coussins
:
571
une lionne appri-
voisée léchera ses pieds; ses deux esclaves favo-
allumeront des parfums,
rites
§aura plus
môme
s’il
a
provinces de plus...
et, le soir,
il
ne
reçu en présent quelques Il
aura quelques chairs
nouvelles près de la sienne, voilà tout...
Le mépris pour
indiquer aussi
les chrétiens à
:
on ne rapporte pour tout butin qu’une épée, des loques, des drapeaux
et
des femmes. Mais pas
de cassettes ni de richesses chrétiennes
bon?
ils
Leur
;
à quoi
n’ont nul besoin de l'or des chiens.
civilisation est
rendue par l’élégance
tistique de tout ce qui les entoure
;
ils
ont
ar-
même
(j’en ai vu à
YArmeria de Madrid) des armures
plus belles
plus élégantes que celles des chré-
cl
tiens d’alors, et toutes recouvertes d’étoffes précieuses.
La
cruauté
comme un
:
une
trophée à
tête la
coupée est clouée
barque
;
mais
les tôles
des guerriers obscurs ont été tranchées et clouées
aux murs
et
aux portes de
femmes seront demi-nues, tues
par
il
:
faut
l’éclat
que
les
la
ville
elles se
prise. Les
sont débat-
yeux du maître soient
des chairs blanches
et
attirés
jeunes, etc....
Mais je suis fou de t'écrire un tableau, tu
le
verras. Il
faut enfin que ce soit
une œuvre; puis
je
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
372
mon
pourrai reprendre etSiva
!
Mais avant
il
sac et aller adorer Brahma
faut que j’aie créé
une chose
importante. ...N’oublie pas l’Inde faut revenir
c’est
:
de
là qu’il
nous
hommes... Jusqu’à présent je
n'ai
appris qu’à marcher, à manger... Sois prêt pour
automne 1871. Partons jeunes pour
1
pour pouvoir nous assimiler supporter
l’éclat
cire
émus,
et boire le soleil,
des marbres, des étoffes, et re-
venons jeunes pour créer avec force.
..
A SON PÈRE.
Grenade, 23 mai 4870.
demain de Grenade
Je pars
Tanger. Je
me
et je
suis décidé pour le sujet
regagne
de
mon
dernier Envoi qui, malheureusement, prendra des proportions plus importantes voulu. Mais
roule par fais
il
n’y a pas à dire
la tête
que je n’aurais :
le
tableau
me
depuis quinze jours. Si je ne le
pas maintenant, je ne
le ferai
peut-être ja-
mais, parce que j’aurai vu d’autres choses qui
me
feront oublier celle-là. Aussi, dès aujour-
d'hui, je ferme les yeux devant tout ce qui se
présente devant moi, et je cours m’ enfermer à
Tanger.
Pour
le sujet
de
pas à l’écrire deux
que
mon fois,
tableau, afin que je n’aie
demande à Càzalis
la lettre
je lui ai envoyée. Je lui ai écrit hier soir, tout
Digitized by
CORRESPONDANCE DE
mon
plein de
mois
1IENRI
REGNAULT.
373
sujet; j’y rêve depuis plusieurs
et je suis
bien fixé depuis quinze jours
seulement. J’ai
peut
mon
raconté
le faire
d’œuvre
;
avec
mais
futur tableau autant qu’on
la
plume. C’est une diablesse
comme mon *
je
le
Luxembourg,
veux y être noblement représenté. J’ai laissé des études inachevées à Grenade;
mais je
de
dernier Envoi doit
pour
être acheté par le ministère
la
faut
n’ai pas
rage de
que
de temps
mon
à perdre. Je suis
tableau,
faut
il
pris-
que je parle,
il
commence
je
A SON PÈRE.
Tanger, 5 juin 1870.
Je suis propriétaire!
Tanger
J’ai
et j’y fuis construire
acheté un terrain à
un immense
atelier
pour y exécuter
mon grand
cet atelier sera
terminé dans deux mois, grâce
tableau. Je pense que
aux troupes d’ouvriers Maures que suis pressé et je cogne.
Quand travail, je
petit
l’atelier sera
On
fait les
pour y vivre
ville africaine,
il
que
le
construire
y avoir
et
bitation d’été, car le climat de
points plus agréable
emploie. Je
terminé, que je serai au
continuerai à faire
palais
j’y
fondations.
Tanger
mon est
nôtre, et,
qui est
ha-
en tous
*
comme
est impossible d’en trouver
plus près de l'Europe, ce
mon
une
un grand 52
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
374
point pour y travailler. En deux heures on est à Gibrallar où l’on trouve à peu près lout ce dont
on a besoin. dans
Je pourrai, trois
la suite,
venir passer deux ou
mois à Paris, puis je retournerai à
ma maison
de campagne des environs de Tanger où je trouliberté et la tranquillité nécessaires
verai la
où
çais et ces journées
à midi
et
il
faut
allumer
les
lampes
demi. Quelle belle lumière, quels beaux
bonshommes et de
au
plus à rager contre le ciel fran^
travail. Je n’aurai
ici,
au lieu de tous nos petits crevés
nos affreux bourgeois
maintenant
passer
!
Je ne pourrai plus
une saison de
six
mois
à
Paris! A SON PÈRE.
Tanger, 5 juin 1870*
Je ne sais faire
une
toile
si
je vais avoir le
temps de
intéressante pour le Salon pro-
chain car je vais
me
livrer tout entier a
mon
dernier Envoi. Il
être à
doit être
que
une œuvre
capitale;
la
seule peut-
je ferai jamais dans ces proportions-là,
moins que, pour un monument public on ne de grands tableaux ou de grandes
me commande décorations.
Il
s’agit
pour moi d’être représenté
au Luxembourg d’une façon remarquable. Or*
il
peux faire mainy a un tableau que je
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. tenant
et
mais dans de meilleures conditions La
mon
sujet.
tous les types, les caractères des têtes,
éléments de costumes, d’étoffes,
les
ja-
qu’ici.
de Cazalis t’aura indiqué
lettre
J’ai ici
la
373
pour l’exécution duquel je no serai
les gestes,
lumière surtout. Voisin de Grenade et de Sé-
ville j’y trouverai tous les détails d’arcliilcclurc
qui
me seront
J’ai
utiles.
des photographies innombrables
acheté
de tout ce qu’il y a de mauresque en Espagne, tant comme armures que comme monuments. J’ai
mes études de l’Alhambra
et
de Séville
:
mes
souvenirs, en outre, sont tout frais.
Plus tard, d’autres idées m’auront traversé
/
la
cervelle
et je
ne
serai plus
dans des conditions
aussi favorables...
un
Je viens d’acheter
terrain aux
portes de
Tanger, à deux pas du Socko (marché maure) hors de
la ville,
sur
la
roule de Fez.
de meilleur emplacement pour moi la ville,
et
:
du marché, passage de tous
Il
n’y a pas
voisinage de les
paysans
gens de l’intérieur, caravanes de chameaux,
tout ce qu’il y a de plus intéressant au là.
De
(la citadelle),
et
passe par
sain
;
il
y
a
dans
Maroc
plus, superbe vue sur la Cazba
sur
ma
le
détroit.
L’endroit
est
propriété deux citernes qui
ne tarissent jamais,
plus
quelques
figuiers
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
370
grenadiers...
cl
Je
me
de
maison
un superbe ni
de long sur 10 ,50
mètres
16
pas
et
construire
fais
voisine. atelier
de
de large, et
10 mètres de haut. Jour en plein nord, aucun rellct à
Une
craindre.
fois l’atelier construit, je
poursuis mes travaux tout en peignant,
un
fais bâtir
petit cottage
mon atelier,
de
et je
me
dans ma propriété à côté
avec écuries, parc pour les chiens,
cour pour les poules
et les
canards
me
;
voilà
fermier.
Plus tard, quand je reviendrai à Paris, au lieu d’y prendre
un grand
atelier qui
me
coûterait
4,000 francs de loyer, j’aurai un simple pied à
pour mes œuvres importantes
terre, et
j’irai
m’enfermer dans mes terres africaines où
je
jouirai d’une tranquillité parfaite, d’un bien-être
agréable à bon marché, sous
un climat
où l’on ne souffre jamais ni de froid, et
où jamais
Joignez
à
la
lumière ne
tous
cela
la
les
fait
défaut.
éléments possibles
pour exécuter de belles choses. belles formes, de
délicieux,
chaleur ni du
Toujours de
beaux tons, d’intéressants grou-
pes sous les yeux
!
On ne peut mettre
porte sans voir des tableaux tout
le
nez à sa
faits.
J’aime autant cela que vos révolutionnaires parisiens. les
Ici,
nous ne faisons pas de politique;
Maures se contentent du bâton que
le
Pacha
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. leur
fait
femmes
bestiaux, leurs
vent cela
et leur argent. Ils trou-
naturel que les révolutions ne vien-
si
diont pas nous troubler
ici
de
tôt.
si
encore quelques voyages à faire, plus
J’ai
tard,
ôl"
distribuer pendant qu’il leur vole leurs
quand
j’aurai apporté
mon
Paris. Entre
chacun d’eux,
deux ou
mois à Paris, puis
trois
Tanger. Voilà
ma
dernier Envoi à passer
je viendrai
je retournerai à
vie bien réglée.
Parlons, maintenant de choses horriblement sérieuses.
11
me
faut
une
toile
de
7
mètres 50 de
haut sur 5 mètres 50 de large. Compte six mètres
pour prévenir tous
possibles
et
n’élre
tringles de bois
agrandissements
les
pas obligé de rajouter des
ou des bouts de
Quand
toile.
pourrai-je avoir cela? Il
faut la
commander,
pas au prix,
il
faut
n’esl-ce pas?
que ce
soit
beau
Ne regarde
et
bon pour
peindre, et solide. Mais pas de gros grain, afin
que
je
ne sois pas obligé de dépenser 20,000
de couleurs pour bouclier
les trous
de
la
fr.
toile.
Qu’elle soit en coutil croisé, très-fort, très-serré et très-beau. Fais des bassesses
auprès des meil-
leurs fabricants pour obtenir cette dimension et
lâche que
la toile
mois.
Mon
parera
ma
puisse m’élrecnvoyécd
atelier sera fini alors
ici
deux
clLagraine pré-
toile. ‘
5 2.
Digitlzed
by
,
"8
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
Tu joindras
à cel envoi
une
dans
pelile caisse
laquelle lu mcltras huit livres de plâtre de doreur
tout ce qu’il y a de plus blanc et de plus tin, et deux livres décollé de poisson blanche en feuilles
de
la
meilleure qualité. Qu’elle soit bien souple,
bien transparente et sans coloration. 11
me
leurs
faudra ensuite des cargaisons de cou-
mais je
;
t’en reparlerai plus tard
:
plus
le
pressé, c’est la toile.
Alors
en avant
,
échelles, et à l’assaut la
les !
grandes
S’ils
ne
brosses
les
,
me donnent
pas
médaille d’honneur pour cette campagne-là,
je ne sais pas ce qu’il leur faudra.
Je termine en ce la Sortie
grande
comme
pie, puis je
petit tableau
je fais
une étude,
nature, que je joindrai à
ma
co-
termine deux autres tableaux moyens,
commencés; avant
moment un
du pacha à Tanger;
alors la
grande
toile arrive et
en
!
A SOX
l'ÈRE.
Tanger, 27 juin 1870.
Tu
n’as pas bien compris peut-être
fonnage
primé
à Cazalis,
ma
babiller
mon
grif-
ou peut-être aurai-je mal ex-
pensée. Mais jamais je n’ai songé à
mes
captives de soie et d’étoffes d’or, ni
mes Maures de mousselines rares avec broderies exagérées. J’ai toujours pensé que les guerriers
Digitized by
Googl
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAELT.
comme armures,
devaient avoir, soit
soit
étoffes, des choses sévères et solides,
que
claves noirs devaient être presque nus, soleil et tout l’éclat
sur
la
personne de
soit.
les es-
que
le
imaginable devaient briller
mon
Quant au paysage, quoi que ce
5:9
comme
Souverain. n’en ferai
je
apparaître
La scène se passe dans une
cour intérieure du palais avec colonnades, galeries, etc.,
échappée sur une seconde cour où je
laisserai entrevoir la
Cour des
Les proportions de à
fait celles
que
pouvoir faire place vide de
je
ma
lions.
ne sont pas tout
toile
demande... mais
il
me
des changements. Souvent
deux doigts sur
un trou de deux mètres dans
faut
une
l’esquisse, devient le
tableau et recule
trop les personnages... Il
bleau
y en aura pour tous les goûts dans ce ta;
du sévère
clatant et
rieure;
du
et
du dramatique,
à côté
de
l’é-
riant aspect de l'architecture inté-
cor dans
les
palais
arabes
les
murs
extérieurs et les cours seules sont d’un aspect
sauvage, tout l’intérieur est riant
un
et ciselé
comme
bijou.
Sois c’est
sans inquiétude
simplement de
J’envoie avec
ma
la
,
on
ne dira pas que
décoration.
copie une ligure grandeur
nature qui ne sera peut-être pas assez
faite
parce
-
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
»S0
que j'ai peu de temp^, mais comme
demande une tisferai
esquisse,
il
me
règlement
le
semble que
je sa-
amplement aux conditions posées.
A SON P EUE,
Tanger, 3 juillet 1870. .... J’ai
et je
oublié de
te
demander de
couleur
la
une pénurie désespérante quant
suis dans
certains tons. Le blanc , par exemple, dont
faudrait
il
à
me
une provision qui puisse durer long-
temps... Envoie-le en pot et non en tubes. Ce sera plus leur
commode
comme
à chercher
conservation...
.
de
ma
n’ai
pot de
»
15
«Je
et meil-
Un énorme
Envoie 20 livres de blanc au
blanc! et vile!
moins!...
pour moi,
que
grande
le
juillet 1870.
temps de t’annoncer
toile
:
je dis
grande
!
le
départ
elle est
pour-
tant relativement petite, 5 mètres de haut sur l‘",50 de large.
J’espère qu’elle te plaira,
m’accuser cette rateur. la
En
fois
bien
tout cas, ce n’est pas
décoration est le vrai but de
n’a pas été inventée
promener J’espère
les
qu’on
puisse
encore d’ôtre un peu déco-
une
la
insulte, car
peinture; elle
pour autre chose. Envoie
mécontents quand même.
que Montfortne me
fera plus lerepro-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. clic d’être
bien,
ma
si
mon
creux, dans
je suis creux encore celle fois-ci, je
démission
ment que
c’est
;
que
les aulrcs el
j’ai les
que
3Si
prochain Envoi, ou
yeux
fails
donne aulrc-
je n’y vois plus goulle.
Le malheur, c’cst que jamais je ne vois à une
Expositionceque et cela
je fais
au milieû de murs blancs,
m’empêche de me rendre compte de mes
défauts...
J'envoie par le prochain spahis
un tableau
M. Léon Freyssinet 1 , de Marseille,
M
c
et
un autre
à à
Àllou*, avocat à Paris.
Fai sur
le
chantier trois autres tableaux, dont
un assez grand (deux
fois
en surface
comme
la
Sulomé). J’aurai le temps de les terminer avant
que
grande
la
toile arrive et
que
l’atelier soit
prêt.
Tu
vois
A
M.
que
je
ne perds pas
*
Mon cher Il
15 juillet 1870.
Montforl,
y a bien longtemps que je m’en veux de ne
pas vous avoir encore ...
mon temps
MONTFORT.
écrit...
depuis un an!
Je vous remercie de vos bonnes lettres et
des impressions que vous m’envoyez sur
ma
peinture. J’ai plus de confiance dans votre juge1
1
Défait pour la fantasia. La sentinelle marocaine.
f*
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
-.82
ment que dans celui de n’importe qui, et si vous dites que ma peinture creuse, c’est que c'est vrai. Je vous avoue que je ne le vois pas, et cela m’af-
Ma parole d'honneur, chez moi,
flige.
de
la
les chairs
Salomé ne creusaient pas.
Voilà en quoi je regrette de ne pas voir
mes
tableaux aux Expositions, car alors mes défauts
me
sauteraient aux yeux. Tandis que réduit à ne
voir je
que ma peinture
et
dans
mon
seul intérieur,
ne m’en aperçois pas autant. Je vous
que je
modelé quand même je
fuis le
,
du noir. Ce sont nos sales leurs
murs
ateliers
gris, vert foncé
nous ont gâté
dirai
fuis l’abus
de Paris, avec
ou brun rouge, qui
yeux et nous font voir des om-
les
bres insensées qui appellent forcément un delé exagéré. Depuis que je voyage et les choses
mo-
je vois
par moi-méme, sans être entraîné de
droite et de
gauche par
impressions de aller
que
tel
naïvement
à
ou
les
conversations et les
tel artiste, je
mes impressions
me suis
laissé
personnelles.
Croyez bien que je ne cherche pas l’originalité à tout prix,
comme
cherche pas du tout
on se à
à l’aveugler. Ce serait
que vous ne
me
chercher dans
la
plaît à le
révolutionner
dire. Je
ne
le public, ni
un but stupide,
et je
pense
croyez pas assez béte pour ne
peinture que quelque chose d'é-
trange... Je fais ce qui
me
passe par la tète, des
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
583
choses qui me semblent toutes naturelles et toutes
On
simples.
constant vers
veut y voir une tension, le bizarre; tant pis.
un
effort
Songez que je suis livré à moi-même, que depuis longtemps je ne vois la peinture de personne et
là où me pousma manière de voir person-
queje m’en vais tranquillement
mon
sent
sentiment et
nels. J’observe, je travaille d’après ce
avoir bien observé, mais je
me
que
j’ai
cru
peux parfaitement
ficher dedans.
Ainsi, je vous serai obligé si vous voulez bien
m’écrire par quoi pèche la toile que je vais en-
voyer à Paris. C’est un grandservice à J’ai ici,
me
rendre.
tâché de ne pas faire creux. Pour moi, cl
habitué à voir des figures d’un seul ton au
milieu de
murs
reflétées, se
blancs, par conséquent toujours
détachant beaucoup plus par
la va-
leur plaquée et presque sans modelé que par les effets
mes
d’ombre
chairs
ne
et
me
de lumière, pour moi,
dis-je,
paraissent pas creuses. Mais je
he réponds pas qu’à Paris, à côté d’autres peintures, elles Diles-le
ne puissent manquer de
solidité.
moi bien franchement
A SON PÈRE.
Tanger, 3 août 18*0.
...J’ai
à
ma
envoyé hier
la
grande
copie... C'est loin d’être
toile
que je joins
un chef-d’œuvre, et
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
38i
cc serait bien plus exécuté privé de blanc
si
si je
n’avais pas été
longtemps. Je tâcherai de faire
mieux une autre
fois'.
Pas de nouvelles de
la
guerre! C'est désolant.
mon tableau
Je ne viens pas à Paris avec
que
je serais capable
de partir pour
la
parce
Prusse.
Je voudrais arvoir les émotions
du
traînements de
enivrements de
victoire!... Je toi et
la bataille, les
me
connais...
pour moi que
soldat, les enla
vaut mieux pour
Il
Tanger
je reste à
A SON PÈRE.
Tanger, 12 août 1870.
Depuis tous ces événements tète sont
plus
si
ma vie
el
ma
tellement bouleversées que je ne sais
je t’ai écrit...
Quelle série de fausses nouvelles désolantes
nous recevons
ici
par Londres, Lisbonne, Madrid.
démenties
lendemain, confirmées
le
surlendemain. Que croire! Quel ennui d'être
si
Elles sont
loin
le
dans de pareils moments
Nous n’avons guère
le
!
cœur
à peindre;
on
at-
tend chaque bateau de Gibraltar, on se jette sur les
journaux, sur
tion croyant les caries,
les lettres,
on court à
la
léga-
apprendre une nouvelle. On consulte
on discute
stratégiques,
les probabilités
on confronte
de marches
les différentes sorles
de dépêches. Bref, nous sommes bien agités.
i
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
385
Laisse donc Eugène aller à son poste. Je vou-
drais bien y être aussi, moi et mal, je n’y serai pas le dernier! !
si
les choses
Un
vont
être inutile à
son pays ne doit plus se rencontrer en France, sous aucun
cher
et
toit.
11
est
du devoir de tous de mar-
de soutenir honorablement son
litre
de
Français qui ne doit pas devenir synonyme d’é-
goïsme, de lôcheté, de mollesse. Je serai très-heureux
camp... au feu,
s’il le
de savoir Eugène au
faut.
En somme on en revient! Toute n’est pas abattue.
U faut
tôle
en ligne
avoir foi dans son étoile,
ou dans tout ce que lu voudras. J'attends par le prochain Spahis nos engins de peintre.
Nous
les
laisserons
peut-être reposer
pendant que nous en emploierons d’autres tout
nouveaux pour nous. Labrosse
et la palette
sembleront plus légères au retour... Adieu, cher père, à bientôt peut-être
nous
CHAPITRE Retour à Paris.
— Le siège. —
V
Exposition des oeuvres de Henri
Régnault.
Au moment même où les nouvelles terribles
sastres,
arrivaient à Paris
de nos premiers dé-
l’exposition des
Rome
Envois de
avait lieu à l’École des beaux-arts.
Pour se
conformer au règlement, Régnault y avait envoyé une copie, celle du tableau des Lances,
à laquelle
Madrid
ment ,
nous l’avons vu travailler à
y avait joint Y Execution sans Jugedont il nous a parlé dans ses lettres ;
il
de Tanger. Rien peu de personnes virent alors ces
œuvres; de trop graves préoccupations agitaient nos esprits pour nous laisser le loisir
de nous intéresser aux choses de
l’art.
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
comme
Mais,
587
depuis lors nous avons pu étu-
dier Y Exécution sans jugement à l’Exposition
des œuvres de Ueguault, je donnerai encore cette fois,
comme
jugements
si
de Saint-Victor
et P.
«
je
fait jusqu’ici,
l’ai
Une rénovation
:
se fait dans la peinture, et c’est
M. Régnault, l’auteur du portrait de Prim, Judith et de
la
Salomé, qui ouvre à
nul pied n’a foulé encore. tableau d’une originalité
nom
de maître
et
a
Il
si
éblouissante, d’un imprévu
luer du
do
la
que
l'art celte voie
envoyé de Tanger un
haute, d’une lumière
si
si
complet, qu’il faut sa-
môme
de grand maître
lève capable de pareilles œuvres.
renferme une
les
opposés, de MM. Th. Gautier
toile analogue. M.
l’é-
Aucun musée ne
Régnault a une ma-
nière à lui de concevoir un sujet, de
le traiter,
d’en
un effet inattendu il voit la nature sous un angle d’incidence particulier qui lui donne des asfaire jaillir
;
colorations auxquels personne n’avait
pects et des
songé.
Il
découvre, ce qui est
le
propre du génie,
une physionomie inconnue des choses. Ce tableau, le plus étonnant peut-être que nous ayons vu, a pour titre
:
Exécution sans jugement sous
les rois
maures
de Grenade. «
Un
forme la
escalier de
le
premier plan de
largeur.
dans dos
marbre blanc de quelques marches
Il
le style
la toile
dont
il
occupe toute
conduit à une salle d’architecture arabe
de
Hermanas
A
la
salle
des Abencerragcs ou de las
l^lhambra de Grenade!
et
couverte
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
3S8
d’une voùle découpée en stalactites et en gâteau d’abeilles. reflet
Tout ce fond est frappé d’une lumière de
indiquant au dehors un vif soleil et une ardente
chaleur.
semble
11
dans ce
lieu
qu'il se fasse un grand silence charmant où vient de s’accomplir une
action sinistre
mystère de
il
;
y
règne
également ignorés, quand
emporté
le
comme une
Le crime
sérail.
cadavre
et le
esclaves
les
épongé
et
solitude et
un
châtiment resteront
muets auront
sang. Nul œil n’a vu,
le
nulle oreille n’a entendu. La victime et le bourreau étaient seuls. être
a
le
La
tète qui vient
de tomber
était peut-
une des quatorze tètes que le chef des croyants droit de couper par jour, sans en donner
aucune raison
:
celle d’un
ou d’un sacrilège dont
traître,
le forfait
d’un
assassin
ne doit pas être ré-
vélé. «
Sur
marches
les
a roulé
la tète
séparée du corps
crispé par les dernières convulsions, et se présentant
en raccourci. Auprès du cadavre quelques degrés plus haut, se tient l’exécuteur essuyant la lame de son sabre. Voici en quelques lignes le croquis de la position. a
Le justicier, car
le
convenir à celte noble
Maure très-basané, le
com-
.
nom et
de bourreau ne saurait
majestueuse figure, est un
coiffé d’un fez
bord d’une calotte blanche,
rouge que dépasse
et n’ayant d'autre vête-
ment qu’une gandourah ou longue robe d’un rose éteint, décoloré, rompu, d’un rofee mort comme celui d’une feuille sèche et d’une harmonie extraordinaire. La gandourah, ouverte par eu haut, laisse voir une forte ossature de poitrine et
de larges pectoraux qui
indiquent une grande vigueur. D’un
mouvement
su-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. perbe,
pan
à
demi relevé de sa robe, qu’un
dessous
et teint
dessine
le
bas deses jambes brunes
vre abattu,
le
reflet éclaire au-
d’une lueur orangée sur laquelle se
tournant un peu
gneux
389
passe lentement le damas de sa flittah sur
il
la télé, il jette
un regard
et
nerveuses. Dé-
de haut, sur
le
cada-
indéfinissable à la fois dédai-
et mélancolique, d’une férocité douce et rê-
veuse, et empreint du fatalisme oriental
:
c’était écrit
!
Nulle colère, nulle indignation.
La rage impuissante,
«
contraire, dans
haine furieuse se lisent, au
regard que la tête coupée renvoie à La bouche se tord convulsivement,
le
tête vivant?.
la
la
se contractent d’une façon hideuse, et les
les traits
tons bleuâtres du crâne rasé donnent à ce chef un as-
pect étrange et fantastique. Le corps du supplicié a glissé sur les
marches
et ses
bras renversés cachent à
demi le moignon du col d’où le sang jaillit et se répand en flaques rouges sur la blancheur du marbre. Celte tache de pourpre, d’une incroyable richesse de
couleur, est
la
note tonique,
la
dominante du
ta-
bleau. Là le sang a cinglé avec force, éclaboussant les
degrés; il
ici
il
s’étale plus
coule en longs
ses
;
que
filets
largement répandu. Plus loin
ou se coagule en gouttes épais-
cela est d’une vérité qui ne se devine pas. le
jeune artiste
ait
Il
faut
vu à Tanger quelque décapita-
tion à l’yatagan, et l’on pourrait c’est ce spectacle qui lui a
même
croire que
suggéré l’idée de sa com-
position. «
C’est
un parti
au milieu d’une
mais
ici
de l’art,
pris d'une rare
toile cette
audace d’avoir placé
grande plaque sanglante;
Au point de vue En regardant ces tons splendides,
l’horreur n’est pas le dégoût. il
y a beauté.
33.
"90
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
nous songions à coulant d’ivoire
la
comparaison homérique du sang
comme des écheveaux de pourpre
sur la cuisse
de Mènélas. Le vers d’Alfred de Musset
Et taché de leur sang, tes marbres, ô Paros
:
!
nous revenait en mémoire de môme que le geste superbe du justicier nous avait rappelé l'ange vengeur ;
-«
essuyant son épée aux nuées,
dans
»
le
dènoùment
de Uatbert. Ce rouge, qui semble pris à la palette de
Rubens avec des tons de flamme
et
complémentaire,
dait sa couleur
de rubis, demanen harmoniste
et,
habile, M. Régnault a vêtu d’un doliman et d'un pantalon,
à la turque, verts,
faisant jouer à la
le
corps de son supplicié,
manière orientale
les
nuances de
la
même couleur. «
Ainsi le pantalon a le vert sombre, presque noir,
du velours, la veste le vert mat du drap, le revers des manches le vert lustré et plus blond du satin, et pour que toute
la
gamme
un ornement
soit épuisée,
en losange d’un vert prasin se découpe au coude bras qui n’est pas engagé sous
le
corps. Mais
il
du
faut
rattacher cette valeur verte à la valeur rosée du ta-
bleau, et une ceinture rose s’enroule autour du cadavre.
La coupole moresque,
de points de
criblée
lumière qui pétillent à travers
le
délicat fenestrage
des baies, est baignée d’une atmosphère rosâtre que réchauffent des tous orangés.
Un
luisant miroite sur
l’émail des azulejos, revêtant à hauteur
d’homme
la
paroi desmurailles, et parmi les irradiations se distin-
guent quelques jetsde sang, rappel de
la
plaque rouge
centrale.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. «
Il
de construire avec un
est difficile
symphonie de
une
savant
éprouve-t-il
une
couleurs.
complète
satisfaction
301
artifice
plus
Aussi
l’œil
devant
ce
tableau, dont l’éclat éblouissant ne détruit pas l’har-
monie. La peinture de
Régnault est tellement
SI.
pénétrée de lumière quelle produit à côté des autres tableaux
l’effet
d’un
décoloré et
rait
vitrail
terreux
traversé de soleil. Tout pa-
quand on
l'a
Tandis que M. Gautier reste admiration,
la critique
de M.
regardée.
fidèle à
P.
#
son
,
de Saint-
Victor devient au contraire de plus en plus
acerbe a
:
M. Régnault est décidément dans une voie mau-
vaise
;
son talent se corrompt dans les orgies du pin-
ceau. Le voilà voué aux
pompes
et
au chic de
la pein-
ture orientale, à ses tintamarres de palettes, à scs bariolages de bazar. Sa
Salomc du dernier salon, sa
Judith de la dernière exposition des Envois de accusaient déjà les oripeaux, à
une tendance à
ne voir dans
Rome,
étouffer l’idée sous
les sujets
sanglants qu'il
se plaît à peindre, qu'un prétexte à faire miroiter des étoffes et scintiller des bijoux.
cette
sa couleur s’y
le titre
la
qu’il envoie
charge
:
l’or
de
change en clinquant. — Une exécution
sans jugement, sous
tes rois
maures de Grenade,
c’est
de sa nouvelle turqueric. Un bourreau maure
vient de trancher, tête
Le tableau
année pousse ce parti pris à
dans un vestibule del’Alhambra,
d'un condamné qui rouleà ses pieds.
cimeterre au pan de sa robe.
11
11
la
essuie son
n’y a personne sous
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
592
saumonnée d’un ton douteux
cette robe le
corps est absent
et brouillé;
ce n’est qu’une draperie vide,
:
accrochée à une télé de Turc. Ses bras nus tendent des biceps
et
ont un
joli
mot pour
souflés
par
le
stranieri,
patient,
«
des deltoïdes fantastiques. Les Italiens définir ces reliefs factices bour-
faux dessin.
l’homme
sortir.
»
Aussi bien que son
est d'ailleurs tué par le fond gaufré,
doré, guilloohé sur lequel
jet,
appellent: Muscoli
Ils les
muscles étrangers.
se plaque sans en res-
il
Le raccourci du cadavre a de
gard
le
re-
plus attentif ne parvient pas à débrouiller ce
paquet de membres enchevêtrés au qui
verve et du
la
mais ce n’est qu’une fougueuse ébauche. Le
suffirait,
du
reste, à gâter ce
de
c’est le trompe-l’œil
au bas sur
hasard.
— Ce
tableau manqué,
tache de sang qui s’épate
la
les dalles. C’est
avec un coutelas de bou-
cher plutôt qu’avec un couteau de palette qu’elle
semble appliquée sur fois horrible
L’illusion en est à la
la toile.
et puérile.
pleines de sang de
rappelle ces vessies
Cela
bœuf que
crevaient autrefois sur leur
les tyrans
draperie,
de tragédie
en se frap-
pant, au cinquième acte, de leur poignard en fer
blanc. «
Aucune pensée, aucun sentiment ne se dégagent
d’ailleurs
de ce réalisme brutal.
J’ajouterai
»
tout de suite que Régnault,
ayant revu quelque temps après son tableau à Paris, éclairé
de côté et dans des condi-
tions bien différentes
de
celles
où
il
l’avait
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
peint, n’cn fut pas satisfait.
ami M. Montfort
alors les critiques de son et
comprit
le
T>93
s’expliqua
Il
danger de travailler sous une
lumière perpendiculaire aussi intense que dont
celle
son
Tanger
de
atelier
était
inondé.
Vers
le
milieu de septembre, Régnault,
accompagné de son ami Paris
Clairin, arrivait à
en toute bâte, car
trouver
tremblait de
il
capitale déjà investie et de ne
la
pouvoir y entrer pour prendre part à sa défense. Tous ceux qui avaient connu
Régnault trois ans auparavant furent frap-
changement qui
pés du lui et
que
reflétait sa
sa conversation.
d’un jeune plein de
On
en
homme
ardent, sympathique,
charme, mais dont
lui la
tenue par
la
même
comme
avait gardé le souvenir
la
nature trop
riche avait besoin de s’équilibrer. vait
opéré en
s’était
physionomie
On
retrou-
ardeur, dominée et con-
volonté, le
même
charme, ren-
du plus puissant et plus communicatif encore par le progrès moral qui
dans son âme tait
s’était
accompli
et
dans son cœur. On se sen-
en face d’un
homme fait, sérieux, ayant
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAI' ET.
391
placé haut scs pensées et ses affections et
au-dessus de ces affections elles-mêmes, son devoir et son honneur. 11
la
était
France
accouru de Tanger parce que déjà éprouvée
était
lui apportait
et
malheureuse.
Comme
sans ambition, sans arrière pensée.
grand prix de Rome,
était
il
dispensé de
tout service militaire; nul ne l’eût s’il
fut resté
Il
son dévouement simplement,
au
loin. Mais sa
blâmé
modestie comme
son patriotisme lui défendaient de rester inactif au jour de nos désastres.
Engagé d’abord francs-tireurs,
stances de ses
il
dans un
bataillon de
céda peu après aux in-
amis,
dans
s’enrôla
et
la
garde nationale sédentaire; bientôt après, il
voulut faire
des
partie
bataillons
de
marche. La certitude du devoir accompli
lui
don-
nait cette confiance naïve et sublime qui a
soutenu jusqu’au bout ris. Il
tourner à Tanger, et lier
les
défenseurs de Pa-
n’en était pas moins impatient de re-
abandonné
à la
le
souci de son ate-
hâte ne
le quittait ja-
mais, Dix-sept jours avant sa mort,
il
écri-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. vait
du cantonnement de Colombes,
ami de Gibraltar A
305
à
un
:
M. BONNET.
2 janvier 1871.
Mon cher M. Je ne sais
vous
si
ai écrite
J'étais
sur
le
Bonnet,
vous avez reçu
la
leltrc
que
je
parballon monté, il y asix semaines. point de partir avec Clairin dans
e
le
G0 bataillon de guerre. Voilà plus d’un mois
que nous faisons aux avant-postes, grand’gardes, couchant dans
la
1
le service
neige sur
de
la terre
,
ou nageant dans
gelée
le dégel,
manquant de
pain quelquefois le lendemain, marchant toute la
journée
douceurs
le sac
de
au dos, goûtant enfin toutes l’état
les
dans une rude
militaire,
campagne d’hiver. Nous avons couché sous
mont
Valéi ien,
la tente
au pied du
à la Folie-Nanterre, exposés
au
vent le plus violent et le plus glacial pendant les trois nuits les plus froides
momètre marquait, 15
de l'année,
à 17
le ther-
degrés au-dessous
de zéro. Il
y a eu ces nuils-là dans l’armée plusieurs
cas de congélation. C’était pour nous une épreuve
un peu rude, pour moi surtout
qui
avais passé
quatre hivers de suite dans les pays chauds. Es-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,
596
péronsquetous ces
sacrifices-là, servirontà quel-
que chose. Nous sommes pour
moment
le
can-
tonnés à Colombes, nous souffrons moins, excepte les nuits
que nous passons en faction dans
les
tranchées à 200 mètres des Prussiens qui nous tiennent, en éveil par le
sifflement des balles.
commencé
les forts.
Ils
ont
bombarder
à
Voilà
longtemps que nous n’avons aucune nouvelle de la
province. Est-ce bon, est-ce mauvais signe?
Nous n’osons plus croire n’osons plus faire
nous a trompés tant de
Mon père ment du depuis
le
à
aucun
bruit,
fois!
est prisonnier
siège, et je n’ai
depuis
le
commence-
aucune nouvelle de
lui
19 septembre. La population de Paris
est très calme, elle supporte assez bien le
que de
nous
moindre conjecture; on
la
man-
tout.
durer encore un
Si cet état de choses peut
mois nous sommes sauvés. Hier, pour notre premier de
moi
;
l’an,
nous ôtions de corvée, Clairin
et
nous avons passé notre matinée à balayer
tes escaliers
du cantonnement
les sortes d’endroits
cher du bois dans
les
;
puis
et à nettoyer tou-
l’a près
midi
à cher-
environs, à le fendre, à
scier, etc... Voilà nos élrenncs.
le
Malgré tout cela
nous ne nous plaignons pas. Nous y sommes faits nous ne demandons comme récompense qu'une
et
*.
•
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
bonne nouvelle de province,
et la joie
3m7
de prendre
part à l’aclion définitive qui délivrera Paris.
Soyez assez bon,
mon
cher ami pour vous oc-
cuper un peu deLagraine;
suffire
est-il
les chiens et
aux autres dépenses? Je ne voudrais
pas que le pauvre garçon
grande misère, nous
ment cernés. et
encore à Tanger?
pour nourrir
A-t-il assez d’argent
fut
dans une trop
ne serons pas
vous rendre ce que vous aurez eu
lui
indéfini-
J’espère avant deux mois vous voir
donner pour moi.
Si
la
bonté de
Lagraine n’est plus à Tan-
ger, qui s’occupe de la maison? Vous savez qu’il
y a là pas mal d’études et de costumes que je ne voudrais pas savoir être à la merci du premier
venu. Dans le cas où je mourrais dans cette guerre, M. Clairin,
le
un papier où sont
écrites
et aurait la
père de Georges, posséderait
mes
dernières volontés
charge de rembourser
les
dépenses
avancées pour moi soit par vous, soit par d’autres.
Prêt au sacrifice,
il
eût pourtant voulu
vivre; l’avenir lui apparaissait rayonnant, plein
de promesses et de
Un mariage que
ses
douces
joies.
vœux appelaient depuis
longtemps, venait d’être décidé pour
lui, et
entre les rudes journées que réclamait son 34
399
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
tous la vie pure, honorable, sérieuse, et nous de-
vons tous payer à
la patrie, et
au-dessus de
la
patrie, à l’humanité libre, le tribut de notre corps et
de notre âme.
Ce que
nous
le
les
deux peuvent produire ensemble, Toutes nos forces doivent
leur devons.
concourir au bien de
quant nous-mêmes,
la
grande famille, en pratien développant chez
les
autres, les sentiments d’honneur et l’amour
du
et
travail...
Simple soldat
,
Régnault n’avait reculé
devant aucun des ennuis du service. Son capitaine, frappé de son zèle, de son intelli-
gence, de son
courage, lui
offrit
donner un grade. Régnault déclina neur
et
de
lui
cet hon-
motiva son refus dans une lettre
admirable de simplicité
et
de patriotisme
:
AC CAPITAINE STE1N1IETZ. IG*
régiment de guerre CD* bataillon, 1'* compagnie.
18 janvier 1871.
Mon cher Capitaine, Je vous écris alin de
raisons qui m’ont flexion,
dans
fait
mieux vous exposer
persévérer, après
ma ferme
les
mûre ré-
résolution de rester sim-
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAI' LT.
400
garde. Je vous remercie neanmoins de vos
pie
bonnes intentions à mon égard, de
la
mon
Je crois pouvoir la mériter par
menl
et je suis
heureux
confiance dont vous voulez bien m’honorer.
et
ma
parfaite
entier dévou-
soumission, aussi bien en
restant simple soldat, qu’en devenant votre souslieutenant. Je sais que les qualités de sang-froid et de res-
pect du devoirque vous fait
me
reconnaissez auraient
de moi en peu de temps, grâce à votre bonne
un
direction,
mon peu
officier passable.
Mais je crains que
d’expérience dans le service militaire
ne m’expose à recevoir, de temps en temps, des leçons de ceux qui, sous officiers et et qui,
mes
ordres
sous beaucoup de rapports, seraient plus
dignes et aussi capables de remplir
vous
comme sous-
caporaux, en sauraient plus que moi,
me
le
grade que
proposez.
Ensuite, je suis certain que je pourrai vous
écouler encore mieux en restant simple garde.
Mon exemple
peut rendre plus de services que
mon commandement. broncher,
les
Décidé à supporter, sans
fatigues et les ennuis
sans en éviter aucun, à être
le
du métier,
premier aux cor-
vées et le premier au feu, j’espère entraîner à suite ceux de
mes camarades
à se plaindre et à hésiter.
ma
qui seraient portés
Nous sommes plusieurs
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAELT.
dans
le
môme cas,
401
animés des mômes sentiments,
mais nous ne serons jamais assez nombreux, Croyez-vous que la résignation et
la
bonne volonté
de M. Belhmont n’aient pas été d’un grand vis-à-vis
elïel
de beaucoup d’entre nous?
Je n’ai pas la prétention de le valoir, ni d’ôlrc
doué d’une parole assez entraînante pour converen bons
tir
jeune,
j’ai
les
mauvais. Seulement je suis plus
meilleure santé, autant
autant de patriotisme que
lui, et le
de courage, respect de la
discipline.
Vous avez en moi un bon soldat pas pour en faire un
pourtant
Et
officier
;
ne
métier de soldat était
le
parfois bien pénible dans cet hiver
reux
;
une
fiancée,
lettre
nous
perdez
le
médiocre...
rigou-
si
que Régnault adresse
à sa
quelques-unes
laisse entrevoir
des fatigues qu’il avait à supporter.
A MADEMOISELLE G. BnÉrOX.
...
Enfin! cette nuit interminable est finicl
ma pauvre pas
me
0
amie, c’était horrible Mais je ne veux !
plaindre, parce qu’il y en a qui auront
souffert plus que
moi Nous avons dans .
levé et posé trois fois le
la
journée
camp. Les autres 34
batail-
.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
4')2
Ions étaient partis en reconnaissance avec M. de
Brancion
et
nous avaient laissés à
avant-postes. Les factions de nuit,
immobiles
quand 'ver.
1
enfin
Un
—
la
garde des
— six
heures
nous échoir de nouveau,
allaient
une compagnie
est
venue nous
rele-
vent glacial menaçait à chaque instant de
nous enlever de nos lentes. Nous étions entière-
ment exposés lait
à cette tempête de glace; tout ge-
dans nos bidons;
insensibles.
devenus
les pieds étaient
Dans une tente voisine de
nôtre,
la
on entendait geindre un de nos pauvres camara-
tombé
des, Nourrisset, carrière, à Il
à minuit et
demi dans
mais n’en vaut guère
n'est pas encore mort,
mieux. La
veille,
pendant que nous gelions sur
Port-aux-Anglais,
un autre homme de notre
taillon était déjà
tombé
s’était brisé le
On côté
:
va nous
môme
place et
— Nuit horrible!
fémur.
emmener,
je l’espère, d’un autre
découvert, et
accidents encore
si l’on
parler sciemment
du
une nuit sur
bise glaciale.
:
on
il
arrivera quelques
ne décampe. Oh froid,
la terre
Quatre
dont un sergent la vie.
à cette
le
ba-
nous sommes de toute part entourés de
carrières à
qu’est
la
une profondeur de quatre-vingts pieds.
et sais
chez nous gelés,
parvenu à
Assez là-dessus. Je
je puis
dure, exposé à une
hommes est
!
ce matin ce
les
rendre à
me réchaufferai
à
votre
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. foyer. Je vous aime, j’aime
mon
403
me
pays et cela
soutient. Adieu...
Pour arracher Régnault l’envahissait,
ses
reprendre ses pinceaux. sirs, quoiqu’il
à la tristesse
amis voulurent Il
céda à leurs dé-
ne se sentit aucun goût pour
ces travaux faits entre deux gardes parts. Mais
il
qui
lui faire
posa une condition
:
aux rem-
on
le dis-
penserait de toute labeur.de l’esprit, on préparerait tous lesobjetsqu’ilauraità représenter, et
il
L’atelier
ferait
simplement acte de
copiste.
de M. A. Goupil fut orné pour
lui
de riches tentures orientales, de soieries éclatantes, de tapis
variées trois
aux couleurs vives
Régnault se mit
;
à
l’œuvre et
et
ces
fit
merveilleuses aquarelles que tout
monde que où
a
admirées d’abord au Cercle
elles
furent exposées pour
le
artistila
pre-
mièrefois, et ensuite à l’École des beaux-arts.
Ceux qui ne faire
les
ont pas vues, ne sauraient se
une idée de
la hardiesse,
de
la
puis-
sance, de l’éclat et de l’harmonie de ces
aquarelles auxquelles rien de ce qui a été fait
en ce genre ne saurait être comparé.
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
404
«C’est en plein Orient, écrit M. Th. Gautier, que
nous transportent ces splendides aquarelles, qu’on croirait
non sous ce
triste dais
pendant
qui recouvrait Paris siège.
l’immuable azur
exécutées sous
d’Afrique, et
les
du
ciel
de brouillard
mois d’hiver
du
La première représente une jeune femme cou-
chée sur un divan dans un costume où dominent ces étoffes aux blancheurs transparentes traversées de
mates
raies
;
ces blancheurs font
l’effet
du camélia
entouré de fleurs variées qu'on place au milieu des
bouquets de bal mière,
;
elles attirent et concentrent la lu-
et leur éclat se
répand par douces ondulations
sur les teintes fraîches qui l'environnent. La
femme
à
demi-allongée dans une pose assouplie par les lan-
gueurs du kief rappelle celle délicieuse Ilaoua dont
Fromentin, dans Une année au Sahel, trace un
si
déli-
une plume qui vaut son pinceau. trop admirer l’étonnante harmonie de
cieux portrait avec
On ne
saurait
ces étoffes, de ces tapis, de ces accessoires, de ces
couleurs disparates en apparence, mais dont les contrastes
se
résolvent en un accord parfait. Depuis d'Alger, d’Eugène Delacroix, aucun mieux su baigner d’une ombre limpide le
Femmes
les
peintre n’a
chatoiement d’un riche intérieur moresque. «
La seconde de ces aquarelles a pour sujet un inté-
rieur encore, mais d’une signification et d’une valeur toutes différentes.
Sur un divan encombré de car-
reaux de brocart, de soie ou de maroquin, est assis ou plutôt accroupi ture,
homme nu jusqu’à la ceincomme un mulâtre, et le bras
un jeune
basané presque
s’appuyant au genou avec un
mouvement
plein de
science et de hardiesse. C’est une figure étrange. Une
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. espèce de turban négligemment enroulé le front
de ses larges
plis et projette
lui
405
recouvre
sur ses yeux une
un Manfred ou un don connu une autre civilisation et ayant voulu changer de blasement. En regardant ce corps maigri et nerveux, consumé d'ar-
ombre mystérieuse. On Juan
dirait
oriental ayant peut-être
deur, nous pensions au héros
deNamouna,
à cet
Has-
san, d’Alfred de Musset, qui s’élait en allé réchauffer
son scepticisme au pays du Soleil, quittant
pour
le
cigare
haschich. Le peintre n’a probablement pas eu
celte idée, la
le
mais son aquarelle
la
suggère
:
l’ennui de
volupté, le désir de l’inconnu, la fatigue des para-
dis artificiels,
comme
les appelle Baudelaire, se lisent
sur ce visage amaigri, mais jeune encore malgré les excès. «
Sur les épais
une jeune femme
tapis qui
jonchent
le sol est
étendue
qui, les épaules adossées au divan,
enveloppée d’une gandourah noire à capuchon, entr’ouverle à la poitrine, dont la blancheur ressemble à
lune sortant d’un nuage sombre, laisse errer nonchalamment ses doigts teints de henné sur les cordes d une guzladont elle s’accompagne. Le chant s’exhale comme un soupir de ses lèvres distraites. Elle sent la
qu’elle n’est pas écoutée et suit son rêve. Rien
déplus
séparé que ces deux êtres, tous deux jeunes et beaux, placés aux deux bouts d’un divan. «
Le luxe qui les entoure a une richessesourde,unc
ardeur sombre,
et
comme une
gravité funèbre mal-
gré la violence des tons conservés dans l’ombre avec
une superbe maestria de deaux
coloris.
et portières d’étoffes
l’Orient,
où
Ce ne sont que s'est épuisé
l’art
ri-
de
que tissus magnifiques, que tapis de Smyrne,
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
400
do Kabylie ou de Turquie, tableaux
incrustés de
nacre, armes constellées de pierreries, narghilés du y a quelque chose de tragique sous cet amoncellement de splendeurs. Cette
Khorassan, et cependant
chambre pourrait
il
servir de fond à quelque scène de
jalousie et de meurtre. Le
sang ne
ferait
pas tache
sur ces lapis d’une pourpre sombre. n
La troisième aquarelle n’est qu’un simple bouquet
de palette, un selam de couleurs orientales épanouies
dans un rayon de lumière.
Elle représente
une ca-
dine ou une odalisque se tenant debout au milieu de sa
chambre
et
comme
ravie de sa beauté et
costume chatoyant. Tout cela
fait
de son
au premier coup
avec une fraîcheur et une limpidité incomparables. Le peintre, tout en maintenant sa volonté, a su profiter
admirablement des heureux hasards de
l’aquarelle. »
Peu de jours après, Régnault dessinait portraits de
MM. Rida
de gardes nationaux
et
les
Duruy en costume
ce furent ses der-
:
nières œuvres.
Nous savons
déjà
comment
mourut, victime de son devoir le
10 janvier, atteint par
de
fusil peut-être
de Paris.
dernier coup
qui fut tiré sous les
murs
,
Une année néfaste,
le
Régnault
à Buzenval,
s’écoule à partir de cette date
année
terrible,
maudite, souillée
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT;
de hontes
et
Paris qui tour à
pourtant,
sionne et oublie
vite,
si
réputations que pour
de
le plaisir
se
tour se
qui
ne
Régnault.
pas-
fait
des
donner aussitôt
les détruire, Paris avait
son cœur
vivant au fond de
de
407
de crimes sans exemple. Et
le
gardé
souvenir
Quant aux amis du jeune
peintre, leur douleur était restée aussi vive
qu’au lendemain de sa mort. Depuis long-
temps
ils
se promettaient de consacrer sa
jeune gloire par une exposition complète de ses
œuvres
;
mais
un peu partout, lut
elles étaient
à
du temps pour
Rome,
disséminées
à Tanger
;
il
fal-
les faire revenir, et ce fut
au mois de mars 1872 seulement qu’on put voir,
dans
trois
du
les salles d’exposition
des Reaux-Arls,
ce qu’avait
palais
accompli,
en
années, un artiste épris de son art,
fanatique du progrès,
nouveau
et fou
de
la
avide du
toujours
lumière.
On
s’étonna
de ce travail immense, et cependant plusieurs
œuvres importantes qu’on avait admi-
rées dans cette
même
VAutomédon
vendu
,
salle faisaient défaut.
en Amérique
pouvait être rapporté de
si loin
;
,
ne
la Judith ,
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by
C0RRESP0N DANCE DE HENRI REGNAULT.
408
achetée par sée
par
Musée de Marseille,
le
fut refu-
Conseil municipal, malgré des
le
instances réitérées et malgré le sentiment
presque patriotique qui aurait du commander l’envoi de cette et dessins
tion
;
D’autres tableaux
toile.
encore manquaient à
c’étaient d’abord
la collec-
des études
espa-
gnoles que Régnault avait vendues à Rome,
1809
et qui, m’a-t-on dit, ont figuré en
à
l’Exposition de Rordeaux. C’étaient encore
de nombreux portraits au crayon noir, des études dessinées pour ses tableaux, et enfin
une
a disparu
toile qui
Tanger
dans
le
à Paris, et qui représentait
trajet
de
un Arabe
tenant en laisse deux lévriers sur les sables
blancs d’un pays aride. L’Exposition resta ouverte 11
e se doutait jusque-là
un mois. Nul
du prodigieux
travail
de Henri Régnault pendant ses voyages. Il
ble
nous révèle un Orient nouveau avoir
Sauf
peindre. intitulés
inventé
:
la
des
deux
les
sem-
petits
le
tableaux
Sentinelle marocaine , et le Dé-
part pour la fantasia
en ce genre
et
couleurs pour
11
e se
,
tout ce qui fut exposé
composait que d’études
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT
ou de projets de tableaux
409
mais toutes ces
;
œuvres portaient l’empreinte d’un
talent
désormais sûr de lui;
toutes
elles étaient
inondées de cette lumière que s’était
Régnault
juré de reproduire et dans laquelle,
pour ainsi
dire,
il
était
parvenu
à
tremper
son pinceau. Les aquarelles rivalisaient de vigueur avec l’huile; jamais
la
blancheur des
murailles n’avait été exprimée avec une intensité, jamais les rayons
du
telle
cou-
soleil
chant n’avaient embrasé de teintes plus dorées les murailles de l’Alhambra.
Une merveille entre toutes trait le talent
encore inconnu. Dans effet, les
les
autres
mon-
de Régnault sous un aspect la Sortie
personnages hauts
à
du
paclui en
peine de quel
ques centimètres, irréprochables comme dessin, conservent cette
tournure élevée, cette
noblesse de formes qui semblent réservées
aux tableaux d’histoire. Le coloriste d’autre part semble avoir pris à tâche de surmonter d’invincibles difficultés. Les blancs les plus violents luttent entre eux sans heurter l’har-
monie,
le soleil
railles et
sur
éclate partout, sur les la
mu-
foule; les ombres elles35
Digitized
by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
iio
mêmes
restent claires et lumineuses dans
ce chef-d’œuvre incomparable.
Haine au gris!
Régnault en
s’était écrié
sortant de l’atelier de M.
Lamothe
et
il
Le succès de l'Exposition fut immense,
il
s’était
;
tenu parole.
dépassa toutes les prévisions, toutes les espérances. Jamais foule aussi nombreuse, aussi
sympathique, ne se rendit
à
un appel de
ce
genre.
Pour nous, ce fut dans notre douleur
une grande consolation, presque une
joie,
de voir l’empressement, l’enthousiasme du public, et surtout de constater l’unanimité
avec laquelle les artistes et
la
critique clas-
sèrent les œuvres de notre cher Henri,
parmi
celles
qui assurent à
leur auteur
l’immortalité.
Et maintenant
me
ma
livrerai pas à
tâche est finie je ne une étude du talent de ;
Régnault; je n’examinerai pas
ici
ce qu’on
pouvait attendre ou redouter de son influence sur les jeunes artistes. Après avoir pris la
plume
le
plus rarement possible, et
seulement pour guider
le lecteur à travers
Digitized by
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. les lettres elles, je
que
me
411
je publie et les relier entre
souviendrai jusqu’à la dernière
ligne que ce livre n’est pas le mien, mais
seulement celui d’Henri Régnault. L’Exposition de ses œuvres a eu pour résultat de rassurer ceux qui redoutaient sa
soupçonner par quel
facilité, sans
sérieux, constant, ardu,
immense
contre les dangers de son naturel.
existait
S’il
incrédules,
la
travail
se prémunissait
il
talent
encore à ce sujet des
lecture de ses lettres les aura
convertis, je l’espère, en leur prouvant avec
quelle réflexion, quelle maturité d’esprit,
quel respect de
l’art et
des maîtres le jeune
artiste travaillait et préparait son avenir.
On
accusé de chercher des
l’a
bruyants et de mauvais aloi
pensée ne sous
lui
est venue.
:
suffit
11
quelles impressions
succès
jamais cette de
lire
se mettait à
il
l’œuvre pour comprendre que,
non-seule-
ment
mais
il
ne
forçait pas la note,
restait au-dessous
Un doute d’une dans
l’esprit
qu’il
de ce qu’il avait entrevu.
autre nature
du lecteur
:
a
pu naître
ne semble-t-il
pas au premier abord que l’ardent enthou-
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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
4)'2
siasme de Régnault fluence de
la
les
subi
l’Espagne et l’Afrique,
L’Italie,
Ange
parfois
ait
mobilité de son caractère
et Velasquez, la
le
Michel-
campagne romaine,
monuments moresques
lumière de Tanger
l'in?
et l’étincelante
passionnent tour à
tour avec une vivacité qui grandit chaque
Mais ne sent-on pas que
fois.
môme
sion
succes-
la
des circonstances qui le condui-
sent dans ces divers pays répond aux aspirations de son
âme
ot produit tout naturel-
lement cette admiration croissante? Peut-on s’étonner
si le ciel
de
l’Italie
devant celui de l’Andalousie; deurs du
soleil africain,
Régnault,
le font
Orient? price,
si les
splen-
tout en ravissant
rêver à celles de l’extrême
n’y a là ni contradiction, ni ca-
Il
mais une initiation de plus en plus
complète à
la
et qui est la Si ses
nie.
semble pâlir
lumière que cherchait
marque
l’artiste
distinctive de son gé-
jugements se modifient,
c’est
que des horizons encore inconnus s’ouvrent devant lui sentir,
où
il
;
son intelligence se dilate pour
comprendre, goûter le
rencontre;
il
le
beau partout
marche sans cesse
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CORRESPONDANCE DE HENRI
REC. N AU LT.
413
vers son but en s’affermissant, en progres-
nous
sant, et
voyons constater lui-même,
le
avec une candeur charmante, les transformations par lesquelles passe son talent, et d’où il
sort toujours plus grand et plus achevé.
me
Qu’il
nom
soit
permis, en
de ceux qui ont eu,
bonheur d’être de réclamer
les
mon nom et au comme moi, le
amis d’Henri Régnault,
dernier mot de cette publi-
le
cation, de dire ce que sa correspondance a
peut-être laissé entrevoir
était
en
:
lui et qu’il exerçait
irrésistible
le
charme qui
d’une manière
dans nos causeries intimes, alors
qu’il s’abandonnait sans contrainte
son
à
intarissable entrain et à l’expansion aussi
affectueuse que spontanée de ses impressions.
L’instruction
solide
et
variée qui
donnait tant de poids à ses appréciations, l’intérêt qu’il savait
répandre sur
tions les plus diverses,
son originalité, exerçaient
sur nous une
véritable séduction. Avant qu’il eût
des
preuves
irrécusables
nous tous qui conçu pour
lui
le
ques-
les
sa verve naturelle,
de
son
donné génie,
connaissions, nous avions
une admiration presque
in-
35.
Digitized by
41
CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.
i
consciente encore, mais inébranlable, car
source dans sa nature
elle avait sa
complètement
attrayante et
si
ses succès,
avait conservé
si
Malgré
une simplicité
un désintéressement, une modes-
parfaite, tie,
il
même,
belle.
une bienveillance qui l’empêchaient de
jamais parler de ses travaux ou de ses projets, tandis fa i re
qu’on
le trouvait
service
avec
une
obligeance infatigable.
sympathique
C’est à ce caractère
attribuer le tiés
toujours prêt à
valoir ses camarades et à leur rendre
nombre
et l’intensité
qui l’entouraient
Nul ne
l’a senti
et si je m'efforce
qu’il faut
des ami-
?
plus vivement que moi,
aujourd’hui de faire appré-
cier et regretter autant qu’il le mérite celui
qui fut
mon
ami, c’est à coup sûr un hom-
mage que je rends triotisme,
dette de
mais
à son talent et à son pa-
c’est par-dessus
tout
une
cœur que j’acquitte.
FIN
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by
CATALOGUE COMPLET DE
I/OEUVUE DE HENRI REGNAULT
Digitized by
.
CATALOGUE COMPLET DK
L’OEUVRE DE HENRI REGNAULT
854— <866
«
PEINTURES -
1861
—
Régnault (Henri), son portrait peint par lui-même.
- E.
„
n° 1.
madame
Portrait de l'artiste.
Régnault, mère
Victor
de
— Non exposé.
—
Portrait de M.
—
Portrait de feu M. Riocreux, conservateur
Léon Régnault, frère de
l’artiste.
—
Non exposé. Appartiennent
sée céramique de
A M. Yietor llegnault.
du Mumanufacture de Sèvres.
la
—
E. n° 2.
—
Entrée des carrières de
—
Six études.
— E.
la
manufacture de Sèvres.
n° 17.
—
Environs de Sèvres.
—
Non ex-
posées.
1862
1863
— —
— —
Appartiennent à M. Victor Kegnault. Portrait de M. Biot,
quisse.)
membre de
l’Institut.
— E. n° 21. —
Etude de tigres.
Étude de
tigre.
Étude de
lions.
—
(Es-
E. n° 30.
— E. — E.
n° 31 n’ 29.
Cinq études peintes au Jardin des Plantes.
— Non
exposées. Appartiennent à M. Victor Hegnault.
CATALOGUE COMPLET
418
1865
—
— (Haras de —
Cheval arabe.
Meudon.)
—
E. n' 22.
Appartient à M. Delagarde.
— —
Non exposées. Six études de chevaux. Appartiennent à M. Victor Régnault. Véturie aux pieds de son
—
de concours.
— Tableau — Non
Coriolan.
fils
Obtint une médaille.
exposé. Appartient
1864
_
Portrait de M.
1804.
le
— E. n”
baron R.
à
M. Victor Régnault.
Portalis.
—
Salon de
4.
Appartient à M.
le
baron
R. Portalis.
— Salon de
—
Portrait de mademoiselle G. F***.
— —
E. n° 16._ Environs de Bourganeuf. Creuse. Vues de la Creuse à l’École Dix tableaux.
— Non exposé.
1
864.
—
—
— Non exposés. — E. n° 25. Chien de chasse. — E. n° 25. des beaux-arts
Appartiennent à M. Victor Régnault.
1865
—
—
Hallali
du
cerf.
Appartient à M. Jaeot.
—
—
Watch, chien courant du chenil de Meudon. E. n“ 26. Appartient à M. Arthur de Rothschild.
— E. n° 24. M. Appartient — Inachevée. —
—
Étude de chien.
—
Copie des noces de Cana.
è
Lefebvre.
Non
exposée. Appartient à M. Georges Clairin.
~
Copie de la moitié des Noces de Cana.
— Non exposée. Appartient Orphée aux enfers. — Tableau
—
Partie
gauche.
à M. Victor Régnault.
—
de concours.
—
Non exposé. Appartient à M. Victor Régnault.
1866
—
Thétis apporte à Achille
les
armes forgées par
— Prix de Rome. — E. n“ 5. des Appartient Plage de Veulcs. — E. n° 15. Vulcain.
à l’Ecole
—
beaux-arts.
Digitized
by
.
.
DE L’ŒUVRE DE HENRI REGNAULT. 1806
—
Environs de Veules.
— 'Quatre
419
—
éludes.
Une
seule a été exposée sous le n° 7 Appartiennent à M. Victor Régnault.
—
Falaise de Veules.
—
— E. n° 12.
— E. n° — E. n\ 14. — E. n° 15. couchant en Bretagne. — E. n° 11. Rochers sur côtes du Finistère. — E. n° Environs de Douarnenez. — E. n° Huit études en Bretagne. — Non exposées. Le trou du diable près Douarnenez.
— — — — —
Environs de
la
8.
pointe du Raz.
Environs de Douarnenez.
Soleil
10.
les
6.
— —
faites
Appartiennent à M. Victor Régnault.
Pêcheur breton sur un rocher au bord de
la
mer.
E. n» 18.
—
Portrait de
madame
veuve Mazois, grand’tante de
Henri Régnault, sur son
lil
de mort.
—
E.
n° 5.
— — — —
— —
Appartient
*
M. Victor Régnault.
à
— n* 20. — Non exposée. — Non exposée. Appartiennent Décoration, nature morte. — E. n' 28. Nature morte et accessoires. — E n 47 baron de Deux panneaux décoratifs. — Salon de 1807. — Étude de paon.
Étude de
E.
faisan.
Étude de perroquets.
à M. Victor Régnault.
Appartient à M. Bréton. 4
.
Appartient à M.
Villars.
le
E. n° 19.
—
Appartiennent à M. G. Renouard.
Panneau décoratif pour
salle
à
manger.
—
E.
n» 9.
—
Appartient
à
M. G. de Rothschild.
Les académies peintes par Henri Régnault des beaux-arts, ou chez M.
pendant
la
I
à l'École
amollie ont disparu
guerre, ainsi qu’un tableau repré-
sentant la Vierge et l’Enfant-Jésus.
Digitized by
CATALOGUE COMPLET
•420
AQUARELLES Tète de soldat mort.
1864
(
Grâce.
— E. n° 80.
—
Étude
faite ail
Val-de-
Appartient à M. Georges Clairin.
1866
Brûleuses de varedis sur
la
du
côte
—
Finistère.
E. n° 81. Appartient à M. E. Jadin.
Environs de
pointe
la
du Raz.
— E.
n° 82.
DESSINS 1854 1855 1856
-
—
Bataille d’issus.
—
Bataille d’Arbeiles.
Bataille
de Rocrov.
E. n°
— F.
130. n° 131.
— E. n° 132.
Appartiennent à mademoiselle G. Erélon.
1858
-
Étude de cheval. Chèvres.
—
— E.
n° 167.
E. n" 143.
Bœufs d’Auvergne.
— E.
n° 144.
1859 1860
— -
1862
-
Portrait de M. Biot,
1863
-
Dix études d’animaux divers.
Labour avec des chevaux. Attelage de
— E. n° 145.
chevaux rentrant
les
—
moissons.
E. n° 146.
lit
de mort.
Portrait
de
— E.
membre de n° 190.
l’Institut,
sur son
—
E. n M 133 à 142. mademoiselle A. Régnault sœur de
l’artiste.
1864
-
Appartient i M. Victor Régnault.
Deux éludes de lions
et
de tigres.
— E.
n° 147
à 158.
Onze études au crayon pour un grand tableau la mise au Tombeau du Christ. E. n" 168 à 178. :
—
1865
-
Portrait de mademoiselle A. L*‘*.
Huit dessins à
la
mine de plomb.
—
Éludes
faites
d’après les chiens de chasse à courre du chenil
de Meudon.
—
Ë. n°
159
à
166.
Digitized by
DE L'ŒUVRE DE HENRI REGNAULT.
— —
1865 1866
—
421
—
Adieux de Germanicus. E. n° 191. Paysan breton. E. n° 192.
—
Portrait au crayon
d’un paysan breton.
,
—
E.
n° 180.
—
Vues prises sur nenez et
les côtes
la Pointe
au crayon noir.
du
Finistère, entre Douar-
du Raz.
— E.
n°'
—
Dix grandes études 179 à 188.
Appartiennent à mademoiselle G. Bréton.
— Non exposé. —
—
Portrait
—
Portrait de mademoiselle A. liolmès.
de mademoiselle B***. Mine de plomb. posé.
Appartiennent A
—
Portrait
—
— Mine de plomb. de mademoiselle A.
madame
Non ex-
de Sainbris.
Non exposé.
lloltnès.
Dessin à la plume. Appartient à mademoiselle A. liolmès.
—
—
E. n° 276. Arabe à cheval. Dessin à la plume. E. Arabe à chameau. Dessin à la plume.
—
—
—
n" 277.
Appartiennent à
—
madame de
Sainbris.
Cheval arabe auprès du corps de son maître. Dessin à
la
plume.
—
—
Non exposé.
Appartient
à
H. Arthur Dtiparc.
Monsieur Victor Régnault possède un grand nombre de dessins qui n’ont pas été exposés et que l’on peut classer ainsi
1866
— —
—
—
:
—
Trente études de paysage d’après
les
environs de
—
1856 à 1862. deux cents dessins d'animaux d’après nature. 1862 à 1866. Environ cent études d’animaux et de paysages de Normandie. Six éludes au crayon. Plage d’Élrelat. Environ soixante dessins se rapportant au tableau de la Mise au tombeau du Christ. Sèvres.
Environ
—
—
MM. Henri Rendu, Tito Nicora, Briand,
"Albert
Rogat,
Henri Baillière, A. de Sainbris, R. Portalis et Jules Noël, pos."0
Digitized by
CATALOGUE COUPLET
422 sédent aussi de
nombreux
dessins d’Henri Régnault, datés
de 1857 à 1860.
1869
PEINTURES 1867
—
—
Portrait
de madame A. F. D***.
—
— E. n° 42. Portrait de
Salon de 1868.
Appartient à M. Arthur Duparc. madame ’**. médaillon. Non
—
—
exposé.
DESSINS Portrait de
madame
A. F. D***.
E. n° 197.
D**\
Portrait de M. A. F.
— Mine de plomb
—
Mine de plomb.
—
Crayon noir.
E. n° 196. Portrait
de M. Ch. F. D***
—
— B.
n° 195. Portrait de
madame
— Crayon
Ch. F. D***.
E. n° 194. Portrait de
madame
—
L***.
Crayon noir.
n° 193.
Portrait de M. A. H’**.
—
noir,
— E.
—
Crayon noir.
Non
exposé. Appartiennent
Portrait de M. A.
II***.
—
M. Arthur Duparc.
fl
—
E.
Crayon noir.
—
Crayon noir.
n° 199.
Portrait
de madame A. H***;
—
E. n» 198. Appartiennent à M. Albert Huet.
Portrait noir.
de madame L***, à cheval.
—
Crayon
— Non exposé.
Appartient à
madame
Lepic.
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DE L’ŒUVRE DE HENRI REGNAULT. 1867
—
—
E. n“ 203.
—
Portrait
—
Portrait de mademoiselle P. B***.
—
Portrait
de mademoiselle G.
Crayon noir.
—
423
— Crayon noir.
mademoiselle G. B***.
Portrait de
B***,
— E. n” 201.
E. n° 200.
de M. L. B***.
—
à cheval.
—
— Crayon noir. —
Crayon noir.
E.
n“ 204.
—
Portrait
—
Portrait de M. Bida, dessinant.
mademoiselle
de
Crayon noir.
—
—
Jacquemart.
N.
E. n° 205. Appartient à
la
famille Bréton.
— Crayon noir. —
E. n* 200.
—
Portrait de M. Bida.
—
Portrait de M.
— Crayon noir. — E. n° 202. Appartiennent à M. Bida.
II.
Bussine.
Non exposé.
—
Portrait
de madame R. B***.
—
—
Crayon noir.
— Crayon noir. —
Non exposé. Appartiennent à M. B. Bussine.
1808
PEINTURES 1808
—
Automédon domptant
—
chille.
les
chevaux fougueux d’A-
Envoi de première année.
—
Non
exposé. Appartient à M. Horion.
—
—
Automédon. forme ovale.
Réduction
— E.
du
grand
tableau;
n° 06.
Appartient au cercle des Phocéens.
— Élude décorative. — Non exposé.
—
Paon.
—
Portrait
Appartient à M. Laguillermie.
de madame
terminé.
la
vicomtesse de D**\
— E. n° 44.
— Non
Appartient à M. le vicomte de Dampierre.
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425
DE L’ŒUVRE DE HENRI REGNAULT. 1868
—
Intérieur de
la
— E. n° 89.
cathédrale de Burgos.
Appartient à H. Cahen d'Anvers.
—
Jubé de
la cathédrale
— E. n° 90.
de Burgos.
Appartient à M. Rouley.
Madame de
— — — — — — — —
B***.
— E.
n° 86. Appartient au Musée du Louvre.
v
Portail
d église à Avila.
— E.
n” 99.
Appartient à M. G. de Rothschild.
— E. n” 87.
Aguador de Madrid.
Appartient à M. R. Portalis.
— E. n° 88. Manchégo. — Non exposé.
Manchégo.
Appartient à M. Marmontel.
Appartient
—
E. n. 83.
Paysan d’Aragon. Paysanne espagnole.
A
M. Gauchez.
.
— Non cataloguée. Appartient à M. Dreyfus.
Paysan
espagnol
,
paysanne
Non catalogué. Homme du peuple à Madrid.
et
—
leur enfant.
Non
catalogué.
DESSINS
— —
Portrait de
plomb. —
madame
la
princesse G.
E. n° 207.
Portrait de M. d’Épinay.
—
—
Mine de
Mine de plomb. E.
n° 208. Appartient à M. d’Épinay.
—
—
Berger
italien
Pifferaro de la
campagne romaine
sur bois
Dessins
—
Non ca-
— E.
n° 219.
appuyé sur son bâton.
talogué.
pour l’ouvrage de M. Francis
Wey Rome. :
—
— — —
—
— E. n° 246. — E. n° 247.
Élude de draperies. Pifferari.
Femme du
Transtévèrc.
— E.
Joueur de mora.
— E. n° 217.
Le chapitre de
la
n° 218.
cathédrale de Burgos.
—
E.
n° 213.
56
.
Digitized by
CATALOGUE COMPLET
42G
1868
— — —
—
L’Espagne délivrée.
— E.
n° 210.
Intérieur d’une fonda espagnole.
—
— E. n° 209.
Groupe d'insurgés espagnols. E. n° 220. Sentinelle pendant la révolution. Effet de nuit.
—
— E. n° 215.
— —
E. n° 21fL Élude de gitane. Intérieur d’une cour à Madrid.
— —
Intérieur d’une posada. E. n- 225,
—
plume.
— E.
n° 225.
Environs de Madrid.
— — Dessin à
—
n° 226.
Dessin à la
la
plume.
—
—
E.
Dessin à la plume. ,
— —
— E. n° 214. — Dessin à plume. —
Route montant à
— —
plume. E. n° 221. Intérieur d’une posada espagnole pendant
Petit guitariste espagnol. Avila.
la
E. n° 222. Avila.
— Croquis à
volution.
—
la
— E. n* 2JLL
la
ré-
1869
PEINTURES 1869
—
Arrivée du général Prim
devant Madrid, le 8 octobre 1868, avec l’armée révolutionnaire es-
—
pagnole.
—
— — Ébauche. — E.
Salon de 1869. E. il 34. Appartient au Musée du Luxembourg.
Le maréchal Milans del Bosck. n° 35.
— —
Appartient à
madame
Portrait de
— E.
la
duchesse de Castiglione-Colonna.
madame de
B***.
—
Salon de 1869.
n° 4îL
Toréador.
—
Appartient à M. le comte de Barck.
E. n° 36. Appartient à M. Cahcn d’Anvers.
Judith et Holophcrne. née.
— Non
— Envoi de deuxième an-
exposé. •
Appartient au Musée de Marseille.
HiQiiized by
DE L’ŒUVRE DE HENRI REGNAULT. 1869
—
—
—
Alhambra de Grenade. Entrée de E. n“ 57. Deux-Sœurs.
—
427 la salle
Appartient A M. Calien d’Anvers.
Alhambra de Grenade.
—
Salle des bains.
des
—
E. n° 54.
—
—
Alhambra de Grenade.
— E. n° 58.
—
Appartient à M. Bréton.
Salle des
Deux-Sœurs.
Appartient A M. G. de Bollischild.
Alhambra de Grenade. lions.
— E.
— Colonnade du
patio des
n* 59.
Appartient A mademoiselle G. Bréton.
AQUARELLES Bain des
femmes
à l’Alhambra
de Grenade.
—
E. n° 91.
— Non exposée. Alhambra de Grenade. — Entrée de des Deux-Sœurs. — E. n° 95. au Musée du Alhambra de Grenade. — des Abencerrages avec cour des Lions. — E. n° 92. de Alhambra de Grenade. — Patio des —
Alhambra de Grenade.
Appartient A M. Clairin. la
Appartient
salle
Louvre.
Salle
la
Appartient A M. G.
Rothschild.
lions.
E. n° 93. Appartient A M. Redit.
Alhambra de Grenade.
— Intérieur et mirador de — — — E.
la salle des Deux-Sœurs. E. n° 90. Alhambra de Grenade. Cour des lions.
n° 97.
— E. n° ICO. — Étude. — E. n° 107. Appartient madame Normans. Alhambra de Grenade. — Porte intérieure. — E. Fontaine de P Alhambra de Grenade.
Appartient à M. A. de Rothschild.
Alhambra de Grenade.
A
n° 101. Appartient à M. Calien d’Anvers.
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CATALOGUE COMPLET
428
1869
—
—
Cour mauresque avec un
laurier rose.
— E. n° 94.
— Grenade.
madame Nathaniel de Rothschild. Lavoir mauresque à Grenade. E. n° 98. Appartient à madame Nathaniel de Rothschild. Lavoir mauresque à Grenade. E. n° 100. Appartient à madame Nathaniel de Rothschild. Appartient 4
—
—
DESSINS madame
Portrait de
de plomb.
—
la
duchesse de M**\
Appartient
Portrait de noir.
—
madame
la
à H. le
Mine
duc de Mouchy.
comtesse de S***.
E. n* 230.
madame de
Portrait de
—
E. n° 228.
L***.
— Crayon
— Crayon noir. —
E. n° 229.
Barcelone.
- E.
—Cour du Palais de justice. —
Crayon.
n° 227.
Intérieur de la cathédrale de Barcelone.
—
E.
n° 21,2.
Alhambra de Grenade.
— E.
—
Patio des lions.
—
Mirador de Lindaraja.
n° 232.
Alhambra de Grenade.
— E.
n" 233.
Première cour de
l’
Alhambra de Grenade.
— E.
n° 231.
Chapiteau de colonne à P Alhambra. Croquis
plomb.
— — E. n° 239.
de
figures.
Espagne.
Croquis de maisons et d’intérieurs.
— E. n° 224. — Mine de —
Espagne.
E. n» 238.
— Espagne. — E. n° 236. Croquis de figures. — Espagne. — E. n° 237. Croquis d'albums réunis, avec indications — non catalogués. Intérieur de maison espagnole. — Non catalogué. Croquis de figures.
écrites.
lilj^d
by
.
DE L’ŒUVRE DE HENRI REGNAULT. 1869
— — —
—
429
mosquée de Cordoue. — E. n° 249. — 3 dessins. — E. n° 250, 251, 254. Paquita. — Deux dessins. — E. n° 265, 266. Alicante. — Onze dessins. — E. n° 252, 253, 257, Étude de
la
Majorque.
259, 260, 262, 267, 272, 273, 274, 275.
— Deux dessins. — Non catalogués.
Alicante.
«890
PEINTURES 1870
— — —
—
Salomé.
— Salon de 1870. — E. n° 55. Appartient à
Le départ pour
la fantasia, à
madame de Tanger.
Cassin.
— E. n° G1
Appartient à M. Fressinet, de Marseille.
La sentinelle marocaine.
— E. n“ 60.
Appartient à M.
Exécution
Grenade.
le
sans jugement
—
Envoi de
baron de Rothschild.
sous
les
califes
troisième année.
—
de E.
n° 64.
— — — — —
Appartient au Musée du Luxembourg.
— E. n° 63. — E. n° 50. 62. Patio à Tanger. — E. — E. n° 41. Étude dans de de madame — Galerie porte de de Intérieur d'un
harem marocain.
Appartient à M. Baron.
Sortie
du pacha à Tanger. ji“
Séville.
l’alcazar
Appartient à
G.
Rothschild.
Séville.
l’alcazar
et
E.
n° 53.
—
Négresse dansant.
—
Appartient à M. Fouret.
Ébauche.
— Non exposée.
Appartient à mademoiselle G. Bréton.
AQUARELLES Citadelle d’Alicante.
— E. n° 102.
Lavoir aux environs d’Alicante.
— E. n° 103.
Digitized by
CATALOGUE COMPLET.
430 1
870
— — — r—
—
Environs d’Alicante.
—
E. n* 104. Appartiennent à M. Ad. Fould.
— E. n° 105. Baron. — E. n" 110. n* 109. llaoua. — Intérieur de harem. — Namouna. — E.nMOS. Hassan Étude à l’alcazar de Séville.
Appartient A M.
Intérieur de harem.
E.
et
Appartiennent à mademoiselle G. Bréton.
DESSINS Alcazar de Séville.
— Sept dessins. — E. n” 240 à
245, 248. Dix dessins. Guadix.
—
261
,
—
E. n° 255, 256,
258
263, 264, 268, 269, 270, 271. M. A. Bida, en garde national.
Portrait de
—
E. n° 234. Appartient à mademoiselle G. Bréton.
Portrait de M. Victor Duruy, en garde national.
—
E. n* 235. Appartient à mademoiselle G. Bréton.
FIN
DO CATAIOGCE-
i
I
»»n
X4i7
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TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE PREMIER.
—
—
Enfance de Régnault. 19 janvier 1871. débuts dans la peinture. Concours pour Départ pour Rome
—
CHAPITRE Rome.
Ses études. le prix
—
Ses
de Rome.
— 1
II.
— Portrait de madame — Se— Automédon. — Départ pour l’Es-
—
Retour à Paris. cond séjour à Rome.
D...
pagne
40
CHAPITRE
—
Espagne. Madrid. général Prim
— La révolution espagnole. — Portrait du 175
CHAPITRE
IV.
— Judith. — Salomé. — Départ pour
Troisième séjour à Rome. Grenade. L’Alhambra.
—
— Tanger,. .......
CHAPITRE Retour à Paris. Régnault
III.
—
254
— Le Siège. — Exposition des œuvres de Henri 380
Catalogue couplet pe l’ieuvue de Henri Régnault
AMS.
.
V.
ntr. S1HOH
RAÇOH BT coup., hue D’jülFUitTH,
415
1.
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Google _
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