Correspondance de Henri Régnault, 1872

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nt:

HENRI REGNAULT


H

a

filé tiré

30 exemplaires numérotés, sur papier de Hollande,

avec deux épreuves de l'eau

chine volant.

— Prix

r.uas. -

lue

:

10

sisios

-

forte avant

la

lettre,

dont une sur

fr.

laçox

n

cour., iul d'uuikt<j,

I.


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CORRESPONDANCE DE

HENRI REGNAULT A .N NOTICE

ET KELUEILLIE

PAR

ARTHUR DUPARC SUIVIE DU

CATALOGUE COMPLET DE L'ŒUVRE DE

II

REGNAULT

cl ornée

D'UN PORTRAIT

PAR

M.

GRAVÉ A L'EAU -FORTS lAGl'Il.LEIUlIK

cimwK.vmcit kt 1*,

libuaiuks-kiiiteuks

QIAI nu

1.01’

V11E,

28

1872

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A

MONSIEUR VICTOR H

F.

M

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F.

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I.’ I

R E (ï N À U L T

NS T ITDT

HOMMAGE RESPECTUEUX ARTHUR DUPARC

!

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CORRESPONDANCE DE

HENRI REGNAULT CHAPITRE PREMIER —

Enfance de Régnault. Ses études. Ses 19 janvier 1871. Concours pour le prix de Rome. débuts dans la peinture. Départ pour Rome.

Le siège de Paris touchait fatalement à son terme. La grande

depuis

ville, investie

bom-

près de cinq mois, épuisée, affamée,

bardée, ne voulait pas se rendre. Elle exigeait

un

dit sa

effort

suprême, désespéré, qui ren-

chute aussi glorieuse que sa

résis-

tance.

Une dernière

sortie eut lieu le

vier. Les bataillons mobilisés

de

la

19 jan-

garde na-

tionale reçurent l’ordre d’attaquer les Prus-

siens retranchés derrière les

murs du parc

de lluzenval. i


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

‘2

En marche depuis

le

milieu de la nuit,

nos soldats improvisés combattirent toute

la

journée, courageusement, inutilement. Le soir venu,

sés,

fallut

il

compta, on

sonner

recueillit les

la retraite

morts

:

on se

et les bles-

on signala des absents.

'Parmi ceux dont

le sort était

inconnu se

trouvait Henri Régnault. Ses amis l’avaient

aperçu restant en arrière au l’ordre de se replier était

vaient appelé

:

moment où

donné

« Le temps de

ils

;

l’a-

brûler mes

dernières cartouches, et je vous rejoins », avait-il

répondu avec calme. Depuis

ne savait rien de

lors

on

lui.

La nouvelle de sa disparition se répandit le

soir

même

menta avec

dans tout Paris. On

anxiété.

On

la

com-

se refusait à croire à

un malheur. Peut-être Régnault

n’avait-il

pu rejoindre à temps son bataillon, peutêtre était-il prisonnier ou recueilli, blessé,

parles Prussiens. Ce dernier bruit prit un instant

tacha

une certaine consistance,

comme

à

et

on

s’y rat-

une chance heureuse

et dé-

sirable.

Georges Clairin

j

le

compagnon

si

lidèle

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

de Régnault pendant

les trois

nées de sa vie, se mit dès

3

dernières an-

lendemain à

le

la

recherche de son ami, avec un infatigable

dévouement. taille,

Il

parcourut

champ de

le

ba-

appelant Henri, retournant les morts,

s’informant de tous côtés, se cramponnant à

une espérance qui

lui

échappait d’heure

en heure, mais à laquelle renoncer.

que

prit

le

il

ne voulait pas

revint le soir à Paris, et ap-

Il

doute

n’était plus possible.

Un

ambulancier avait reconnu Régnault parmi les

morts

gauche, face,

;

foudroyé.

précises,

son

adresse, le à

frappé d’une balle à la tempe

jeune artiste

le

nom,

nom de

était

tombé sur

indications

Les

sa

les

profession,

la

plus

son

son père se trouvaient

l’intérieur de sa tunique. L’ambulancier

avait recueilli aussi quelques objets qui lui

appartenaient, puis le

il

avait

dû abandonner

cadavre pour continuer son

triste

mi-

nistère.

Clairin mit dès lors toute son ardeur à dé-

couvrir

le

corps de son ami. Après bien des

recherches enfin, le

infructueuses,

22 janvier, parmi

il

le

les

retrouva

monceaux

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

4

morts transportés

de

Au moment où tion de ce

étrange

:

malheur,

si

confirma-

un fait murmurer, avait

montré une fermeté

vrai-

au milieu de calamités inouïes,

Paris se sentit faiblir devant '

la

grand nombre de ses défen-

seurs, qui avait virile

Père-Lachaise.

se produisit

il

Paris qui, sans

vu périr un

ment

au

connue

fut

la

perte de cé

homme. Humiliée, absorbée dans une immense douleur patriotique, frémis-

jeune

sant de honte et d’angoisse devant la nécessité

d’une cruelle capitulation,

cité trouva

ses

enfants.

cœur par si

grande

la

encore des larmes pour un de

Chacun

se

sentit

cette mort, à la fois

frappé au si

belle et

affreuse. Elle parut être le dernier rayon

de gloire arraché à notre couronne,

le der-

nier mot. de nos malheurs.

Le service funèbre eut lieu à Saint-Augustin. C’était la veille

que déjà

le

de

la

canon ne

capitulation et lors-

se faisait plus enten-

dre qu’à de rares intervalles. La famille de Régnault, absente, ignorait encore sa mort.

Mais tout ce que Paris renfermait de célébrités s’était joint

spontanément aux amis

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

du jeune peintre,

nef fut trop pe-

et la

pour contenir ceux qui voulaient

tite

lui

rendre un dernier hommage. Ses compa-

gnons d’armes en tenue de campagne, décernèrent

ment

honneurs

les

placé près du cercueil,

que nulle douleur

lait

sacrifice, l’artiste,

et il

lui

enterre-

bouquet de

tandis qu’un

militaire,

lilas blanc,

d’un

révé-

manqué au

n’avait

qu’à la perte du soldat et de joindre

fallait

celle

plus

in-

time et plus poignante encore du fiancé.

Une

indescriptible

tous

les

cœurs

larmes de tous triste

ém#tion elle

;

les

gagné

avait

faisait

des

jaillir

yeux et donnait

à cette

cérémonie un caractère unique

profondément touchant

on eut

:

et

un

dit

deuil public.

Ceux-là

mêmes

qui s’étaient montrés les

plus sévères pour l’artiste se sentirent dé-

sarmés. « Une fatalité

cruelle

si

crime commis par

la

donne

l’idée d’un

mort, écrit M. Paul

de Saint-Victor, qui avait durement les

dernières productions de

qu’il

immole de

traité

l’artiste.

Lors-

pareilles victimes, le

meur-

i.

-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

G

trc inconscient

de

la

guerre

fait

d’un

l’effet

assassinat. »

La critique n’eut qu’une voix 'pour célébrer

le talent, le

généreux dévouement

mort d’Henri Régnault. Les poètes

et la

leur

à

tour voulurent chanter la glorieuse victime

de et,

la

dernière heure et du dernier combat,

dès le 27 janvier, des vers de M. Manuel

furent récités au théâtre français par Coquelin, qui avait été

lié

avec Régnault.

Comment expliquer cependant

cette

émo-

tion passionnée? A, peine quelques œuvres

de Régnault avaient été livrées au public elles avaient

tions.

Il

pussent

et

rencontré de vives contradic-

semblait donc que ses amis seuls avoir

conscience

de sa

valeur,

apprécier sa nature riche et sympathique

On

et

pressentir ses succès futurs.

sa

mort qu’au fond une opinion unanime

lui avait

attribué parmi les artistes

vit

à

une

place qui désormais ne pouvait être remplie.

Pour nous qui l’avons beaucoup connu, c’est-à-dire à

cœur de

profondément aimé, nous avons

le révéler tel qu’il était et

de mon-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. trer, à côté des

tre, l’intelligence d’élite

ble de sentir

7

éminentes qualités du peinqui

puissamment

le

et

rendait capa-

d’exprimer ses

impressions avec un merveilleux talent. Mille fois nous avions eu l’infatigable activité

preuve de

la

de Régnault,

et

pour-

nous avons pu tout ensem-

tant, lorsque

ble voir l’exposition de ses œuvres et par-

courir sa volumineuse correspondance,

nous a été

difficile

ment ce jeune homme sorte, multiplier les

avait su, en quelque

heures,

côté de travaux de peinture

par leur nombre,

il

il

de comprendre com-

s’était

comment si

à

étonnants

créé les loisirs

nécessaires pour tant écrire, .tant raconter.

Pas une observation en effet ne frappe

son esprit ou ne stimule sa curiosité, pas

une émotion

nement

n’atteint son

frivole

àme, pas un évé-

ou sérieux ne se passe de-

vant ses yeux, sans qu’il éprouve

de faire aussitôt partager

amis

le

besoin

à son père et à ses

ses impressions et ses

remarques.

Ces lettres, écrites spontanément et sans

aucune arrière-pensée de

publicité, consti-

tuent donc, pour ainsi parler, le journal de

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

8 •

lui-même, au jour

sa vie, écrit par

jour

le

,

elles

donnent une idée exacte de son carac-

tère,

de son genre d’esprit, de ses tendances

artistiques; elles le représentent, vraiment

ressemblant fantaisie

que

non plus sous

et

lui avaient trop

les traits

souvent

bués des impressions personnelles; le

de

attri-

elles

montrent enfin sous un jour complet.

Nous

le

voyons invariablement enthousiaste

quand

il

commence un

quand

il

l’achève, toujours sévère

même, parce

qu’il reste,

et ses progrès,

tableau, mécontent

pour

malgré ses

lui-

efforts

bien loin encore de son idéal.

Mais, par-dessus tout, en lisant cette cor-

nous sentirons grandir nos

respondance, regrets, parce

certitude

que nous arriverons à une

absolue de l’avenir brillant ré-

servé à Régnault

:

il

devait être

un jour

le

chef de l’École française contemporaine

;

nul doute ne demeure dans l’esprit à ce sujet

quand on

Notre

l’a

tâche,

suivi pas à pas.

en réunissant ces

maté-

riaux épars, est donc bien simple

:

borne à

le

artiste

les

coordonner^ et à laisser

elle se

jeune

lui-même nous dire ce que contenait

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

déjà et ce II.

que promettait

Régnault naquit à Paris,

1845.

était le

Il

second

membre

Régnault,

le

mie

sciences

des

O

sa riche nature. le

de l’Acadé-

illustre

dont

50 octobre

de M. Victor

fils

l’Europe

entière

connaît les travaux, et qui dirigea pendant vingt-cinq ans avec

manufacture

éclat la

nationale de Sèvres.

De bonne heure on positions

Dès sa

première

fut frappé des dis-

du jeune Régnault.

artistiques

crayon et du papier; pis,

il

pour

enfance,

on

tranquille à la maison,

et,

lui

le

tenir

donnait un

couché sur

le ta-

passait des heures entières à dessiner

ce qui l’avait frappé dans ses promenades,

animaux, chevaux

surtout des Plus tard le

il

et

chiens.

demandait constamment qu’on

menât promener au Jardin des plantes;

s’arrêtait

longtemps devant

parcs des animaux, dont

il

les cages,

suivait les

il

les

mou-

vements avec une attention persistante

et

sans qu’il fût possible de l’arracher à l’exa-

men

qu’il

sinait ces

poses où

en

faisait.

Aussitôt rentré,

mêmes animaux dans il

les

avait

vus,

il

des-

toutes les

recommençant


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

10

son travail jusqu’à ce qu’il en fût et sans

satisfait

jamais se décourager. Déjà sa mère

recueillait

avec soin ces essais qui déno-

taient, chez

un enfant de cinq ans, un esune persévérance et des

prit d’observation,

dispositions bien extraordinaires.

que sur

tant

sa

à tout remarquer;

çait à tout voir,

fusait de copier et

c’est

ainsi

Ne comp-

mémoire, Régnault

s’exeril

re-

aucun dessin ou gravure, qu’il

acquérait

seul

les

premières notions de cette admirable connaissance de l’animal dont tard à rendre les

il

excella plus

mouvements

et les

for-

mes.

Encore quelques années rons, ses

et

nous

le ver-

externe au lycée Napoléon, charger

papiers de croquis;

un besoin impérieux,

c’était

irrésistible,

pour

lui

de repro-

duire tout ce qui frappait son esprit. Ces

premiers dessins étaient dès lors recherchés et

précieusement conservés par ses cama-

rades.

A mesure que

l’enfant grandit,

ses des-

sins deviennent plus complets. Dès la classe

de quatrième,

il

profite des jours

de congé

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

pour jeter hardiment sur

dont

historiques fesseurs.

11

papier des es-

rapportant aux sujets

de figures se

sais

le

l’entretenaient

ses

pro-

Ces études avaient pour but les

grands tableaux dre un jour

il

;

qu’il projetait déjà

en

fit,

pendant

de pein-

,

les convales-

cences de ses maladies d’enfant, de grandes esquisses au fusain et au crayon batailles

d’issus, d’Àrbelles

:

celles des

de Rocrov,

et

figuraient à l’exposition de l’École des beauxarts

;

elles

se faisaient

remarquer par

hardiesse de la composition,

le

la

mouvement

des figures, l’audace des raccourcis, autant

de qualités qui dénotaient déjà d’un véritable

artiste.

treize ans qui se jouait

cultés était

le souflle

Un enfant de onze de pareilles

à

diffi-

merveilleusement doué, et on

pouvait pressentir qu’il deviendrait un grand peintre.

En août 1857, un

accident mit en dan-

ger les jours de son père et exigea pen-

dant longtemps

les

soins assidus de toute

sa famille. Henri avait alors douze ans, âge

bruyant

et difficile,

fisent [dus et

où déjà

les

jeux ne suf-

où l’étude n’absorbe pas en-

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COKHKSl’ÜNDANCK DK HKNHI REGNAULT.

12

core.

Pour pouvoir

ture de Sèvres,

cupation. et

il

Il

il

garder à

le

la

manufac-

donner une oc-

fallait lui

eut l'idée de se faire sculpteur

modela en

argile,

de mémoire, un

cheval appartenant à l’Empereur

en temps seulement

;

de temps

dans

allait le voir

il

écuries du château de Saint-Cloud sai

étonna tellement

leur

les artistes,

demande, on en

tira

les

cet es-

:

que, sur

quelques exem-

plaires.

Cette grande facilitéquele jeune Régnault

montrait pour les arts,

la rapidité

de sès

progrès, ne laissaient pas son père sans in-

quiétude.

11

prévoyait bien que,

un cours trop

s’il

donnait

facile à cette vocation, les étu-

des littéraires sérieuses, qui seules pouvaient

modérer

fougue de l’imagina-

et diriger la

tion d’Henri, deviendraient bientôt impossibles.

Il

chercha donc

à

à l’entrainement de son

artistique, et ne lui

çons de dessin

dant

les

;

fit

il

fils

vers la carrière

jamais donner de

mais, à

vacances,

mettre des entraves

la

campagne

et

le-

pen-

lui laissait la liberté

de

se livrer exclusivement à ses études de prédilection.

On peut juger par

le

nombre des

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\

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

dessins faits en des temps

cœur

bien Henri avait à

père

le lui avait

l’art

auquel

il

vou-

savait au reste

11

ses

vœux ne

fin

de ses études classiques

seraient accomplis qu’après

rait acquis le Il

13

com-

courts,

— son formellement déclaré — que

consacrer.

lait se

si

était entré

grade de bachelier ès

dans

la

et lorsqu’il aulettres.

vues de son père et

les

chaque année de nombreuses nominations vinrent affirmer

le

rang distingué qu’il oc-

cupait parmi ses condisciples. -

le

Sa mémoire surtout était étonnante.

11

eut

bonheur, du reste, de rencontrer une cer-

taine

condescendance chez des professeurs

intelligents, qui

ne demandèrent pas à cette

nature d’élite, un peu fantaisiste et mal à l’aise

quand

l’exacte

elle se sentait trop

ples. Ainsi, tout

ment

cours

le

gardait

comprimée,

régularité exigée de ses condisci-

le

en

germe

qui éclatera plus

poursuivant brillam-

de ses

de

Régnault

études, cette

personnalité

tard dans toutes ses œu-

vres. Il

sortit

du

collège en 1859 et

alors de suivre sans entraves son

il

fut libre

goût pour 2

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

14

dessin

le

maître.

;

mais

fallait

il

lui

trouver

un

-

Son père redoutait de

le voir

entrer dans

l’un des grands ateliers de Paris, de le déga-

ger,

si

jeune encore, de cette surveillance

suivie, incessante, qu’il jugeait nécessaire à

son ardente nature. Aussi s’adressa-t-il à

MM. Ingres

et Flandrin,

si

capables tous

deux de comprendre ce que promettaient de tels

débuts.

de dire combien

Inutile

furent frappés

des

dispositions

ils

d’Henri.

Malheureusement Flandrin, qui s’occupait alors exclusivement de ses belles fresques

de

Saint-Germain

prendre

chez

des

lui.

Prés,

D’après

ne son

put

le

conseil,

Régnault fut confié à M. Lamothe, ancien élève de Ingres et qui l’avait aidé dans les

peintures exécutées pierre, chez M. le

au château

M. Lamothe, fidèle à maître, dirigea,

de Dam-

duc de Luynes. la

doctrine de son

comme on

pouvait s’y

at-

tendre, les études de son élève vers la pein-

ture religieuse, et lui

fit

faire des dessins

d’après Raphaël, le Poussin, Ingres, etc., tandis qu’à l’École des beaux-arts Régnault

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

15

étudiait l’académie. Ses progrès en dessin

furent il

put

si

rapides que, peu de temps après,

commencer

ses études de

peinture

à l’huile.

Après y

avoir consacré quelques mois,

Régnault fut admis, en mai 1862, à concourir pour

concours

le

prix de Véturie

était

Rome. Le

sujet

du

aux pieds de son

fils

Coriolan , et venant, avec les dames romaines

en deuil, lui demander de lever le siège de Rome. Le tableau du jeune candidat n’obtint pas le prix

néanmoins son succès

;

grand auprès du jury, qui

lui

accorda

fut

le pre-

mier accessit avec une médaille.

En 1864, cours, mais traits

il

ne se présenta pas au con-

il

exposa au Salon deux por-

jusqu’à mi-corps et de grandeur na-

turelle.

Inscrit à l’atelier de M. Cabanel, Régnault était il

peu assidu à l’École des beaux-arts;

travaillait

tantôt à

lui avait installé

il

tantôt à Paris

atelier,

en avait loué un rue d’Enfer.

entrepris alors la

un

Sèvres où son père

un grand

Il

avait

tableau religieux,

Mise au tombeau du Christ tableau qu’il ,

-


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

10

n’acheva jamais, et qui a été détruit pen-

dant

la

guerre. Une lettre de lui nous dit

sous quelle impression

le

il

commençait

nous montre combien déjà sa sévérité

et

pour vir

œuvres venait heureusement

ses

ser-

de contre-poids à l’enthousiasme de ses

vingt ans. A M. STÉPHANE MALLARMÉ. Jeudi.

commencer mon grand

Je vais

l'Ensevelissement dont tu as vu

tous les croquis d’après nature

fait

avoir

ma

1

,

J’ai

et je vais

dans deux jours. J’entreprends

toile

une oeuvre gigantesque, mais

mon

atteindre

tableau de

une esquisse.

but

;

je sens

je crois pouvoir

en moi une ardeur

une vigueur qui ne me font rien trouver de

et

mon

trop audacieux. Je vois et je le vois

réponde à

que

si je

superbe.

ma

Il

tète. Je

ne

le

ma tète ma main

tableau dans

faut donc

que

montrerai au public

suis entièrement satisfait. Je suis d’avis

qu’on ne doit jamais exposer à

la critique

aulres une chose que soi-même on trouve vaise.

Tant qu’on y découvre des défaillances,

faut les corriger et ne jamais laisser rien n’ait

1

des

mau-

rêvé ainsi.

Catalogue,

n" 168

Je ne

me

il

que l’on

presserai pas, pour

à 178.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

donnera mon jugement progrès que

ma

le

temps de

main, car

c’est la tête qui

diriger, et je crois impossible de s’élever

quand on ne

se trouve pas

dessous de soi-même. Je

monter

doit et

de

beaucoup au-

dans une lutte per-

vis

Temps:

pétuelle contre le

17

faire plus de

c’est triste à dire, je

suis souvent vaincu...

Henri destinait ce grand tableau

tre, incessant,

il

tait et souffrait

était

en retard;

il

le sen-

des moindres instants ar-

rachés à son travail. Écoutons-le A M.

à l’Ex-

malgré un labeur opiniâ-

position. Mais,

:

STÉPHANE HAIXARMÉ. •

2 janvier 1865

Je t’assure bien que je ne t’en veux nullement

de ton silence. De quel châtiment

moi qui, sans

classe, sans

me

punirais-je,

poème dramatique

et

sans enfant, reste des mois entiers sans t’écrire?

Mais

à

quoi servirait noire intimité

si

nous étions

obligés de nous envoyer des cartes an jour de l’an ?

Le seul mot de carte

que

le

nom

journée que froid

de j’ai

Rome

me à

produit

le

même

effet

Annibal. Te dirai-je

la

passée hier en piétinant, par ce

humide qui me

fait

envier

le sort

de

la

mar-

motte, et en m’arrêtant presque à chaque porte


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

18

pour y déposer des cartes pliées? Passer une journée à ne voir que des portiers Et il va !

recommencer aujourd’hui!

falloir

ache-

C’est

ter bien cher les quelques petites étrennes qu’on reçoit.

Ce qui m’attriste le plus,

c’est

que je perds trois

précieuses journées, ce qui est énorme pour moi,

comme

car je suis en retard. Je travaille pourtant

un malheureux, sans relâche, malgré

nuit qui m’environnent. Si

lards et la

aime

la

lumière,

la belle

belle chaleur qui

beau soleil,

le

nous permet de

travailler

la

en

en pantoufles. Nous ne pouvons pas

et

peindre, les pieds dans une chancelière; faut la

poète

nous abhorrons tout ce qui n’est

lumière,

chemise

le

au coin du feu, nous au-

l’hiver, les veillées

tres peintres

pas

les brouil-

liberté de nos

mouvements,

il

Peut-être plus tard, dans

le ciel bleu.

ges, trouverai-je

le

au

(jris! c’est là

un climat

il

nous

nous faut

mes voya-

plus égal que le nôtre,

bleu sera toujours au-dessus de moi. Haine

mon

de guerre.

cri

A M. EMMANUEL DES ESSARTS.

Janvier 1865.

Stéphane a pu de t’écrire excuse à

te

le

1

er

le dire

ou

donner

sonne ne peut

la

le

que

mon

intention était

2 janvier. Je

si je

ne

l’ai

pas

n’ai

qu’une

fait, et

comprendre mieux que

per-

toi. J’ai

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CORRESPONDANCE PE HENRI REGNAULT.

un grand tableau en travaille depuis six

mois

et

core presque autant pour le

20 mars au plus tard

mis

le

ou

vif, je

répit, je

compte

le

il

m’en faudrait en-

finir. Il doit être re!

Néanmoins, mort

terminer. Je n’ai plus de

ne vois plus mes amis.

mener de

19

train pour l’Exposilion. J’y

voulu d’abord

J’ai

front le travail de la journée et la fati-

soirées, mais il me faut y renoncer. Levé tous lesjoursà six heures et demie, je suis éreinté

gue des

le soir

après un travail fébrile de huit ou neuf

heures, et je prends le parti de

monde. ver

C’est grâce à ce

un moment pour causer avec

Le tableau que je

fais

renoncer au

vœu que

dans ce

je puis trou-

toi...

moment

au tombeau dont tu as peut-être vu

Mise-

,

est la

une pre-

mière idée l’année dernière quand tu es venu à Sèvres. J’ai

en projet bien des choses;

un volume pour

te les

sujets des tragédies antiques

en

et j'espère

il

il

me demandera

faudrait

m’ont enthousiasmé

traiter quelques-uns.

d’Héliogabale,

me

narrer toutes. Plusieurs

y a aussi

un

Dans l’histoire

très-beau sujet qui

quelques années de

travail,

mais

dont j’espère faire une bonne chose. Plus je

hommes l’ont

lis

l’antiquité, plus je vois

que deux

seulement, parmi nos contemporains,

comprise

:

c’est Ingres et Delacroix.

Presque

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

20

tous les sujets en ont été traités cent fois chacun

suivant moi

ils

,

sont neufs, et toujours neufs, et

peuvent être présentés maintenant d’une façon

monde.

intéressante pour tout le

beau

C’est si

l’antiquité'!

En 1865, conde

fois

II.

Régnault entre pour

en loge

:

Orphée

Eurydice aux divinités infernales, le sujet

du concours.

la se-

redemandant tel

était

L’artiste, cette

fois,

se laisse emporter par sa haine de la banalité,

extrême désir de produire

par son

quelque chose de nouveau, de saisissant;

il

montre plutôt disciple de Delacroix

se

qu’élève de l’École, et

il

échoue, malgré

les

très-grandes qualités de sa composition. Il

ne nous appartient pas de juger

ici

des

tableaux qui n’ont pas figuré à l’Exposition

des œuvres de Régnault et que le public ne sera plus appelé à voir. Nous nous associe-

rons par notre silence à

la

pensée délicate

de M. Victor Régnault, qui n’a pas voulu, en les

soumettant à

la critique,

comparaisons avec sés ces

mêmes

provoquer des

les tableaux

récompen-

années. Nous nous contente-


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAliLT.

rons de constater qui

portait

le

presse

la

‘2l

courant sympathique et

public vers

le

Régnault, en qui l’on reconnaissait déjà un véritable peintre.

Vaincu pour

la

seconde

Régnault

fois,

prit aussitôt sou tableau de la Mise

re-

au tom-

beau. Le découragement était inconnu à cette

nature pleine de ressort

époque, son

âme

mais, à

:

d’artiste

était

cette

pour ainsi

dire souffrante. Elle subissait la crise inévitable qui atteint toutes les riches organi-

sations au

moment de

sion; elle avait soif de

leur complète éclo-

rompre

les liens qui

l’entravaient, de secouer le joug auquel elle était assujettie,

de prendre son essor, de

vivre enfin de sa propre vie. Déjà, dans son

Orphée , nous avons

donner au dont

il

vu Régnault s’aban-

charme qui

se défiait encore.

mais

l’attirait,

Que de

fois

dans

nos causeries intimes ne m’a-t-il pas ra-

conté et ses luttes intérieures qu'il faisait

pour résister

contre lequel ses maîtres

garde

!

dances

à

et

l’effort

l’entraînement

le

Pour lui-même, ses nouvelles étaient,

'

mettaient en ten-

encore confuses, vagues,

in-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

22

déterminées

;

il

cherchait sa voie dans

demi-obscurité, et

comment en

autrement? Élevé dans

une été

eùt-il

le culte exclusif

de

la ligne,

habitué aux étoffes correctement

drapées,

à

courant qui et la

une couleur toute convention-

comment

nelle,

n’eût-il pas été effrayé

le portait

du

vers la vérité, la vie,

lumière? Laissons-le nous raconter

ses doutes, ses hésitations, l’ardent travail

qui se

fit

loureuse

en son esprit à cette heure dou-

:

A U. STÉPHANE MALLARMÉ.

9 octobre 1865.

Une métamorphose singulière s’opère en moi je suis

devenu rêveur, renfermé. Pourquoi

sais. Je

:

>

Je ne

voudrais être sans cesse entouré de cette

nuée qui rendait Énôe

invisible. Très-souvent

m’est pénible de parler

;

je

moments que ceux qui me sent

?

il

voudrais dans ces

sont chers compris-

mon silence. Je suis alors comme une

chauve-

souris qui s’envole en plein jour et se cogne de toutes

parts. J’éprouve

un grand bonheur

écouter et à ne rien dire; alors seulement

semble que je jouis de toute je serais

ma liberté.

il

à

me

Dieu! que

heureux de vous voir souvent, mes chers

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

amis,

et

23

de passer quelques heures avec vous,

mais loin de tous, dans un désert improvisé,

une chambre au coin du

à-dire dans

feu,

c’est-

ou dans

les bois sous la nuit! Je respirerais alors à pleine

poitrine, je boirais la poésie avec vous et j’oublierais

pendant quelque temps. Mais

la terre

un maniaque.

aussi je suis

Je ne sais

si c’est

cette langue

si

à force d’approfondir l’Art,

riche et infinie, mais je prends en

grippe la langue de tous les jours et de tout le

monde. De tout et

même

que

je vois de la peinture par-

que je découvre des trésors dans un che-

min qui monte, dans une charpente qui tache sur

le ciel,

dans

le

se dé-

bleu du ciel qui se mire

dans un ruisseau d’une sale rue de Paris, etc...,

de même,

je voudrais trouver

pour

etc.,

mon

esprit des sensations aussi variées et aussi char-

mantes, quand mes yeux se reposent et ne regardent pas. Mais alors, je ne vois que prose et

que laideur. et les

Il

faudrait vraiment pour les artistes

poètes des demeures au-dessus des nuages,

où, dans leurs crises de folie,

ils

viendraient tout

oublier et se perdre dans la pureté qui planerait

sur eux. Là* on n’entendrait pas un seul bruit du

monde, on ne

verrait pas

d’en bas. Je

permettrais seulement au son des

cloches de monter

en

une seule fumée partie accords presque insai-


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

24

sissables

bleu et

le

;

compléteraient l’har-

l’infini

moriie.

Que ne vivre

peut-on, de temps en temps, cesser de

pour goûter de ces sensations

fines et trop accablantes

je tâche crois,

Tu

à la fois trop

pour nous vivants

de m’élever dans

l’art;

!

Oui,

mais je suis, je

dans une période de grande impuissance.

l’as

sans doute traversée aussi. C’est

ment où des mondes

un mo-

entiers, cachés jusqu'alors,

se déroulent devant nous,

les

grands nuages

qui couvraient les têtes des montagnes se dissipent, et où les

ombres des abîmes deviennent

lumineuses; c’est un initié

à

moment où

des mystères

inouïs,

l’on

se sent

où, longtemps

aveugle, on voit tout à coup à des distances prodigieuses, où l’on est

comme suffoqué

trop abondant et trop

j’éprouve

:

je

me

par

un

vivifiant. C’est là ce

air

que

sens grandir et m’élever, mais

je découvre trop de choses à la fois, et

mes yeux

ne sont pas encore accoutumés à tant de lumière.

Apartirdeee moment, nous

le

voyons sans

cesse au Louvre, étudiant les œuvres coloristes

;

tantôt c’était

des

du Christ au tom-

beau de Titien qu’il faisait une copie, tantôt

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

des Noces de Cana , de Véronèse.

‘25

avait

Il

une prédilection marquée pour ce tableau et il

rêvait de le copier

Un jour même

ginal.

pour ce gigantesque

dans il

la taille

travail;

était inexécutable et

de

vint prendre

l’ori-

mesure

mais son projet

dut en reconnaître

il

l’impossibilité. 11

copia donc, d’une manière fort remar-

quable, ce tableau sur deux petites toiles

dont

chacune en reproduisait

moitié.

la

Puis, lorsque ce travail fut achevé, treprit toile

il

en-

une copie de l’ensemble sur une

qui avait environ trois mètres de large

sur deux mètres cinquante de haut. Quoiqu’il n’ait pas

eu

loin l’exécution,

le

temps d’en pousser bien

on retrouve dans son ébau-

che un sentiment juste de

la

couleur et une

aptitude merveilleuse à interpréter ce qu’il voulait rendre. Ici

se place

une anecdote que

je ne puis

résister à citer. Installé sur son échelle et

travaillant à sa copie, Régnault causait avec

un ami. Tout à coup bile, sa voix se et,

d’un signe,

sa

main devient immo-

tait, ses il

yeux restent

fixes;

indique à son compas

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

26

gnon une jeune femme arrêtée devant sa copie qu’elle examinait avec attention. Ja-

mais type à

la

fois

beau n’avait frappé

plus étrange

et plus

regards de

l’artiste.

les

Grande, élégante, simple dans sa robe de velours noir, elle semblait être la réalisation

du rêve d’un grand

artiste, l’apparition

beauté idéalisée par

le

ques instants passés devant la

visite le

de loin

sa pensée

11

;

abandonne rien

comme

miration seule

le

la

copie d’Henri,

paisiblement sa

du Louvre. Mais Régnault

charme.

suit

la

femme continua

jeune

de

génie. Après quel-

était sous

ses pinceaux et la

que de respectueux dans dans sa contenance,

l’ad-

pousse. D’où venait cette

créature incomparable? N’était-eile pas des-

cendue d’un des cadres qui l’entouraient? L’artiste et. n’y

cherche en vain dans ses souvenirs

découvre rien d’aussi parfaitement

beau.

Après avoir parcouru nos galeries,

la visi-

teuse traversa de nouveau le salon carré et le

hasard voulut qu’elle

un dernier adieu

s’y arrêtât

pour dire

à la Joconde * près de la-

quelle se trouvait Régnault.


'

^

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Tout à coup,

timidité mêlée d’enthousiasme

madame, belle la femme spirer ainsi un

pas,

pour

la

voyant,

27

une

se découvre et avec

il

« N’est-ce

:

devait

qu’elle

être

bien

qui a eu le pouvoir d’inartiste

première

fois

!

Ah

!

comprends

je

aujourd’hui, en vous

qu’on se sente capable de créer

un chef-d’œuvre.

bonheur de

Si j’avais le

moi aussi

faire votre portrait, j’en suis sûr,

j’arriverais à produire

une œuvre remar-

quable! » Et

il

continuait, emporté malgré lui, cé-

dant à une fascination inconnue, s’excusant

nommant

de son audace,

même,

afin

son père et

lui-

de prévenir toute impression de

défiance chez l’inconnue, et affirmant son respect avec une sincérité qui ne permettait

aucun doute. Elle le

,

comprit

et le

rassura

m’insultez pas, monsieur, en belle la

:

je sais

que

mon, mari que être

« Vous ne

trouvant

je le suis. Étrangère à

France, j’arrive d’Athènes

traverser Paris.

:

me et

ne

fais

que

J’accompagne à Londres

ses affaires y appellent. Peut-

au retour m’arrêterai-je un peu plus

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

28

longtemps. Vous désirez faire

mon

mon

portrait?

mari, sans doute, y consentira volon-

tiers. »

La conversation ainsi engagée continua

quelque temps encore. Régnault conduisit la visiteuse

jour-là,

jusqu’à

ne

il

la

porte du Louvre

travailla plus.

Il

et,

ce

son

rêvait, à

œuvre future. Dans cette anecdote, ce que j’aime, surtout vèle

si

contre

le

sentiment artistique qui

vif et si complet. Incapable

l’admiration

Régnault

,

l’exprime

s’en offenser

Jamais

il

les

un

traits

et

la

l’autorise à

s’affranchir des usages sans que

femme dont

ré-

de lutter

franchement, presque gauchement,

candeur de son enthousiasme

c’est

s’y

la

jeune

captivent puisse

le

instant.

ne sut

le

nom

de l’étrangère

;

elle-même sans doute a oublié celui du jeune peintre, presque enfant,

avec une

si

qui

la

suppliait

naïve éloquence de laisser re-

produire sa merveilleuse beauté.

Pendant ce

même

hiver 1865-1866, Ré-

gnault peignit aussi un grand

nombre

d’é-

tudes de nature morte, gibiers, étoffes, ar-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

mes

,

curiosités

;

puis

20

commença les avait commandés

il

grands panneaux que lui M. Renouard.

Enfin, pour la troisième fois

au concours

et obtint. le prix;

il

se présenta

mais non sans

avoir eu à traverser des heures cruelles de

découragement.

Au début, en

effet,

travaille avec ardeur,

il

manque,

mais bientôt l’entrain

lui

position lui déplaît,

est

et,

il

com-

sa

mécontent de

prévovant un nouvel échec,

il

lui

abandonne

son œuvre inachevée et semble renoncer à la lutte.

Le

concours touchait à sa

quelques jours

et

la

soirée chez

rencontra une jeune expressifs

et

la

;

fille

un ami,

dont

les

Il

lui

en

aussitôt deux croquis et nous le vîmes

devenir pensif. Dès

mit à l’œuvre il

y

traits

physionomie étrange

causèrent une impression profonde. fit

encore

Henri, étant venu

lorsque

sortir de loge,

avec moi passer

fin

concurrents allaient

les

fit

:

le

lendemain

il

se re-

d’une esquisse en hauteur

un tableau en largeur, sans modifier

pourtant sa composition

et

l’arrangement

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

30

des personnages, et donna à sa Thétis le fin

profil

qu’il

avait

deur au tait

et

de

distingué

rencontrée

la

la

travail était fiévreuse;

comme

jeune

fille

Son ar-

veille.

on

sen-

le

oppressé par une vision

inté-

En

rieure qu’il s’efforçait de reproduire.

douze jours, son tableau fut

refait et obtint

le prix.

Si

quelques passages se ressentent de

les rachètent!

dans

cette

la

combien de qualités

rapidité de l’exécution,

Quelle vie, quelle énergie

figure

d’Achille

!

Quelle

no-

blesse, quelle élégance, quelle exquise pu-

reté de lignes dans la Thétis

quelle allure de déesse

!

quelle fierté,

!

Régnault fut heureux de son succès,

et le

laissa voir avec cette simplicité, cette fran-

qui avaient

chise

chez

lui

un

grand

si

charme. Quelques jours après prix,

il

écrivait à

distribution des

la

madame

de Sainbris

:

Vous voyez, madame, que Y audaces fortuna uvat n’est pas un mensonge est

;

vous voyez qu’il

bon d’avoir renconlré mademoiselle

***,

car

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

ma

voyant

mon

tableau...

Et à son ami M. Montfort,

de sa joie en ces termes

Je suis bienheureux de

voilà

mon succès, qui me dé-

donc libre enfin de

d’étudier à

mon

aise,

faisait part

il

:

livre des insipides préoccupations

Me

31

Thétis c’est elle, et vous la reconnaîtrez en

du concours.

travailler

pour moi,

de chercher à m’élever au

contact des maîtres. Je n’ai qu’un regret, c’est de

ne pas vous avoir vu devant

mon

tableau et de

n’avoir pas recueilli, séance tenante, votre im-

pression, à laquelle j’attache tant de prix.

Non-seulement

le jury

nanimité, mais encore

m’a donné

j’ai

la distribution des prix

le prix à l'u-

eu un vrai triomphe à

de Romeetdes médailles

du Salon, qui a eu lieu au Louvre le mardi 14 août. J’ai

bien regretté que

ter ainsi

mon père

n’ait

pu y

assis-

que quelques bons amis, parmi lesquels

je vous compte, et à qui

un pareil succèsauraitfait

bien plaisir, car les applaudissements sont plus agréables aux amis et parents qu’à ceux qui en sont l’objet.

Au commencement de septembre, Re-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

32

gnault partit pour uneexcursion en Bretagne.

Le 30 septembre

il

écrivait à

Sainbris ces quelques lignes

madame de

:

Je suis en Bretagne depuis le 4 de ce mois. Je travaille et suis

exténué de fatigue... Je devrais

être à Paris depuis le 10. Mais

comment

être le

plus fort en face du chaos, en face des merveilles

du sauvage terrible et

et de l’horrible,

en face de cette mer

presque toujours furieuse contre cette

pointe de terre indiscrète qui se permet de s’a-

vancer avec un air menaçant au milieu du brutal

Océan

!

Voilà ce qui m’enchaîne ici...

Ce voyage devait être de peu de durée, et Régnault, allait être arraché à ses enchante-

ments d’une manière aussi cruelle qu’imprévue. Une dépêche le rappela brusque-

ment

à Sèvres,

où sa mère

se

mourait. 10 octobre.

y a quelques heures, rappelé à Sèvres par un télégramme qui m’apprend J'ai

que

quitté Plogoff

ma

il

pauvre mère est au plus mal... Me voilà

dans une chambre d’auberge, attendant que

le

courrier m’emporte cette nuit à trois heures vers

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

33

Quimper. Je n’arriverai que vendredi matin Dieu, .

que

la

Il

vapeur est lente

!...

arriva trop tard.

trine avait emporté

une

rapidité

un nouveau

madame

fluxion de

poi-

avec

foudroyante.

Bientôt après,

frappait cette famille

deuil

:

veuve du célèbre archi-

F. Mazois,

grand’tante d’Henri, succombait

et

tecte,

Une

madame Régnault

21 octobre, après une maladie de plusieurs

le

années. C’est elle que H. Régnault a représentée sur son les

mains

(n°

lit

de mort, un crucifix entre

3 du catalogue).

Le pauvre artiste,

si

aimant

et si cruelle-

ment éprouvé, trouve des accents bien émus pour peindre

sa

douleur

:

A MADAME DE SAINBRIS.

21 octobre 1866.

Ma quand

tante Mazois vient de je l'ai

quittée,

il

paraissait s’être remise avait éprouvées

mourir. Pourtant,

y a quelques heures, elle

un peu des

fatigues qu’elle

dans son transport de Sèvres à

Paris.

Voilà

un mois

d’octobre qui nous a coûté cher!

Ma grand’mère, aveugle,

On

se le

est

seule maintenant. Pauvre

rappellera.

femme!

qu’elle

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

34

doit souffrir

I

Et elle a soixante-dix ans. Son tour

va venir aussi. C’est épouvantable!...

,

k. H,

XALUMftf.

22 octobre 1860.

Que tu

es

bon de tendre

la

qui te laisse ignorer dix jours

main au misérable

un deuil

ma mère;

sais pas

pas

la

je le regrette;

était

ne pensais

je

perdre, je ne m’étais jamais

qu’un jour ou l’autre

elle

nous

aussi pro-

Tu ne connais-

fond, à toi, son frère bien-aimé!

à l’idée

fait

quitterait.

tellement bonne, ses vertus étaient

et si élevées, elle était tout rielle, qu’elle

me

entière

si

immaté-

si

semblait devoir échapper aux

lois

dures qui régissent les hommes. Je

sais

une fête de penser qu’un

jour,

tablirais à Paris, tu trouverais

conde mère pour déjà, parce te

que

toi et ta

elle

projets,

que

fai-

tu t’é-

une

se-

Elle t’aimait

moment où nous

pu trouver une demi-journée les

en

femme.

me

quand

tu m’aimais, et j’attendais

présenter à elle le

Mais

Elle

pures

pour

aurions

à passer ensemble.

deviennent-ils?

Ils

se

changent en regrets, en larmes...

Le 4 septembre,

bientôt

!

»

je partais

pour

la

Bretagne,

ma bonne mère en lui disant « A Elle me recommandait de ne pas rester

'embrassais

:

trop longtemps absent, puisque dans trois [mois e devais partir

pour un long voyage. Là bas, je

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.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

55

recevais presque tous les jours une bonne lettre d’elle.

Le 5 octobre,

elle m’écrivit

une lettre plus

ma sœur m’écrim’apprenant que ma mère avait

courte, elle était fatiguée. Le 7, vait à sa place

de violents lit.

Le 9,

qui

me

en

maux de

je recevais

tête et qu’elle s’était

mise au

une dépêche de mon père

rappelait à Sèvres

!

Arrêté à Nantes par les inondations de la Loire, et obligé

de retourner sur mes pas et de perdre

un jour pour reprendre

la ligne

Paris, j’arrivais à Sèvres

deux heures morte;

pu la

dans

de Qu imper à

la

nuit

du 15,

demie du matin. Ma mcre

et

à

était

elle avait été enterrée la veille. Je n’avais

lui dire adieu, ni l’embrasser, ni la revoir, ni

conduire au cimetière! Hier, notre bonne tante Mazois,qui nous adorait

et sur laquelle

fection

nous avions reporté en partie

l’af-

que nous donnions à notre mère, une

femme hors ligne

aussi, d'une distinction eld’une

bonté inouïes, qui nous avait tous élevés et ne nous avait jamais laissés

un jour sans une preuve de

sa

tendresse et de son dévouement, nous a été enle-

vée brusquement par une crise d’une longue maladie, contre laquelle elle luttait depuis

A

longtemps

cinq heures elle marchait encore, à six heures et

demie

elle étaitmorte. Je l’avais quittée

res auparavant,

deux heu-

heureuxdelavoirmieux portante*


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

30

Gomment

trouves-tu

notre mois

Bon ami, que deviens-tu, que moi une longue

lettre.

Tu

sais

d'octobre

combien

est

il

de se retrouver entouré de ses amis quand des se font dans fauteuils

quand on

la famille,

libres,

deux

lits

deux places vides; quand

!

fais-tu? Écris-

bon

les vi-

voit

deux

inhabités et à table

matin on n’a plus

le

de mère à embrasser à son réveil, plus de mère à embrasser le soir

!

Je vais partir dans

ma mère pour

sa bénédiction? Et

lui

demander

mon

est-ce

retour qu'elle

Qui m’embrassera avec une affection

l’aurait été ?

tendre et

pour

quand je reviendrai, qui

sera aussi heureux de

qui

si

deux mois. Où trouverai-je

lui dire adieu,

si

douce? De qui recevrai-je des let-

tres aussi affectueuses?

Parle-moi de

ta

femme, de

ta petite

et de ton petit nid. J’ai besoin d’être

Geneviève

un peu chez

toi...

*

Régnault avait rapporté

(le

ce trop court

voyage en Bretagne bon nombre de dessins

au crayon noir tes

l

,

facture 1

et plusieurs

études

pein-

dans lesquelles on retrouve, sous une

un

peu

heurtée,

un sentiment

Plusieurs ont figuré à l’exposition des œuvres de Régnault.

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CORRESPON DANCE DE HENIU REGNAULT.

37

exact de la nature sauvage qu’il avait eue

sous les yeux. Mieux que personne fait

pour

saisir

le

il

était

çôté terrible et gran-

diose de ces rochers noirs battus par la mer, et

pour comprendre

et

aimer

la

beauté sim-

ple des horizons arides de la Bretagne.

De retour à Paris, Henri transporte son atelier rue Lafayette.

Là, en collaboration il

achève

lui avait

deman-

avec ses amis,Clairin et Blanchard, les six

grands panneaux que

dés M. Benuuard. Puis

il

fait,

à lui seul,

un tableau de nature morte pour son ami, M. Roger Portalis.

Comment donner une idée du nom qui régnait dans cet

désordre

sans

atelier?

Etoffes précieuses, riches tapis, objets cu-

rieux de toutes sortes, tables couvertes de gibier et de poissons, attendant l’heure où

Régnault

les

transportera sur la toile, tout

cela était confondu dans

un indescriptible

chaos. Et chaque jour voyait se renouveler cette bizarre collection. Si les carpes de

Seine paraissaient trop bourgeoises

et

la

man-

quaient de lumière, d’éclatants poissons de

mer venaient

aussitôt

les

remplacer, et à


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

38

leur

tour les gibiers les plus différents

étalaient à nos yeux leur fourrure ou leur

plumage. L’esprit aussi trouvait là des distractions

variées

l’art

;

y était

aimé

heures

comme

peinture.

la

sous

et cultivé

musique

toutes ses formes, et la

avait ses

Que de

fois

brosses et couleurs furent soudain abandon-

nées quand entrait un ami musicien

nous groupions alors autour du

!

Nous

piano,

écoutant une sonate de Beethoven ou une partition de

Wagner, magistralement exé-

cutées par Saint-Saëns; nous unissions nos voix pour chanter en

scènes de

chœur

V Orphée de Gluck, ou

les

grandes

bien encore

nous nous taisions pour laisser Régnault, de sa voix

si

douce

et si

pénétrante, nous

dire quelque mélodie nouvelle ou quelque

cavatine italienne. L’ouvrage, vite.

il

est vrai, n’en allait pas plus

Mais faut-il

l’esprit

le

regretter? Le

ont besoin d’aliment.

loppaient à artistique,

l’aise

Ils

cœur

et

se déve-

dans cette atmosphère

au milieu de ces jouissances tout

intellectuelles.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

39

Cette vie remplie par le travail et

ne

mitié

pas

faisait

qu’il était attendu à

oublier

l’a-

Régnault

à

Rome; lui-même

eût

désiré s’y rendre sans retard. Mais le cou-

rage

lui

liens

si

manquait pour briser

mille

les

doux que semble resserrer encore

l’approche de toute grande séparation. Puis,

devenu de jour en jour plus sévère pour lui-même, il ne pouvait se décider à signer ses

panneaux tant

qu’il

y découvrait des

imperfections. Les changements à y faire reculaient incessamment l’heure des adieux. Elle

sonna enfin.

Il

partit le

cœur ouvert

à

toutes les nobles émotions, l’esprit impré-

gné encore des souvenirs classiques, moire prête à tout recevoir nir, l’imagination

remplie

des

la

mé-

et à tout rete-

impressionnable à l’excès,

inspirations

de

ses

poètes

aimés, avide de connaître, de goûter de nouvelles

émotions, et de se jeter dans

l’in

connu.

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CHAPITRE

II «

— Retour

Rome.

séjour à

— Portrait de madame

à Paris.

Rome. — Autoraédon. —

Le départ fut

D...

— Second

Départ pour l'Espagne.

au 2 mars, jour où

fixé

M. Hébert quittait Paris pour aller prendre possession de sa place de directeur de l’Aca-

démie de Home. A peine Régnault

a-t-il

quitté Paris, qu’il éprouve le besoin de déverser en quelque sorte dans sa correspon-

dance toutes

les

impressions qu’il reçoit.

11

raconte tour à tour avec une expansion et

un

laisser-aller

charmants, ses voyages, ses

appréciations des maîtres, en qu’il

donne des

lui-même, sur sa les

scènes dont

ûme nous

même

temps

détails pleins d’intérêt sur

sur ses travaux, sur

vie, il

est

est ouverte

témoin. Toute son

dans ces pages émues

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•nsv

l-T T.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Son enthousiasme,

et attrayantes.

alors, y est

communicatif

et

si

41

juvénile

on arrive à

par-

tager jusqu’à cette disposition aimable

et

rare, qui le faisait jouir sans restriction

du

moment présent. A SON PËHE.

4 mars 1867.

Nous sommes arrivés à Marseille avec un tard de

deux heures. Notre nuit en wagon

aussi froide

re-

a été

ma vie je mon pauvre nez était deet j’ai cru un moment qu’il al-

que possible; jamais de

n’ai été aussi

gelé

venu insensible

;

lait

me tomber

ma

retraite de Russie

dans

la

main. Ce voyage-là a été

;

et

pourtant nous avions

des boules d’eau chaude qu’on renouvelait toutes les

deux heures

de bons manteaux pour nous

et

envelopper.

Le s’est la

ciel,

qui avait été très-pur toute

couvert

journée

:

le

la

nuit,

matin et est resté sombre toute fâcheux

c’était

,

car la route est su-

perbe, surtout depuis Avignon. Mais gris sur le désert de la

Crau

le

lui faisait

temps perdre

tout son caractère.

Aussitôt

dans

la

arrivé, je

ville et à

merveille

la divine

me

suis

mis à courir

contempler avant toute autre

Canne bière.

J’ai

longé les bas4.

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!

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

42

sins jusqu’à la nier, puis je

me

suis

un brave pécheur. Nous avons

avec

embarqué

fait

une

belle

tournée en mer. Vers huit heures et demie du soir nous

sommes

six heures, la

une course de

rentrés, après

pendant lesquelles

j’avais bien

ramé

moitié du temps, ce qui m’a donné un appélit

d’enfer.

Aujourd’hui

j’ai

fait

une promenade par un

temps superbe, chaud, lumineux, un d’été. Les côtes voisines

vrai

temps

de Marseille sont splen-

mer bleue comme une pierre précieuse comme un beau velours...... Demain je me lèverai de bonne heure et j’irai

dides, la et

unie

encore quelques lieues en mer. Décidément

faire

je crois que, si je n’étais pas peintre, je serajp»

marin

ou autre chose. A SON FRÈRE. '

Gènes, 9 mars 1807.

Puisque

c’est toi

qui as pris

plume pour me répondre, tient

ma

première

lettre

le

premier

M' la

c’est à toi qu’appar-

de Gènes.

Notre départ de Marseille a été retardé par l’impossibilité

de trouver vendredi malin des

places dans la diligence de Nice à Gênes.

Nous

n’avons donc quitté Marseille que jeudi à midi

et

demi.

Mes deux jours supplémentaires

se sont passés

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

43

à Marseille

en courses fort agréables, par un

beau temps,

très-clair

mais

très-froid.

d’un violent mal de dents, je

Affligé

affronter la

mer par

le mistral. Je

n’ai pas osé

me

suis

donc

contenté d’excursions terrestres, tâchant d’ex-

poser autant que possible au soleil bienfaisant

malade de

côté

ma

le

tète.

Je suis allé à Notre-Dame de la Garde, église

moderne construite avec une grande conscience dans J^fctyle roman. Du haut de

la

plate-forme

j’a^yu tout le panorama de Marseille, qui semble s’étendre excessivement loin dans

grâce à

campagne très-rapprochées, qui continuer

Du

zon.

les

terres,

prodigieuse quantité de maisons de

la

la ville

côté

font l’effet de

jusqu’aux montagnes de

l’hori-

du midi, ces montagnes sont d’un

aspect sévère et grandiose, d’un ton gris et triste

qui doit ressembler aux côtes de la Grèce, moins l’or

d’un

soleil d'Orient. Et

Marseille, lui

môme en hiver,

a

pourtant

un

éclat

voyons jamais chez nous, par

le soleil à

que nous ne

les plus fortes

chaleurs.

De

cette

hauteur on comprend bien

la disposi-

tion des ports, qui ont été considérablement aug-

mentés depuis quelque temps et ne suffiront pourtant bientôt plus. La

mer, d'un bleu féerique

et

inimitable, dessinait les contours des môles et


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

44

des maisons blanches qui se détachaient sur elle.

Par endroits, les chênes verts et par leur verdure sombre

les

les pins

rendaient

maisons de

la ville

encore plus étincelantes.

On

a fait, ces dernières années,

une superbe

promenade qu’on appelle route de c’est

une route qui

Corniche;

la

part des bassins de la Canne-

bière et suit en dehors tous les escarpements de la

côte jusqu’à la base des montagnes

Au milieu de gnes

et les

la baie

derniers escarpements de Marseille,

s’élève la villa

pour en

du sud.

comprise entre ces monta-

faire

Borelli,

que

la

ville

achetée

a

une sorte de bois de Boulogne

:

les

élégants y font la promenade en voilure et reviennent parle Prado. Le mardi gras, pas un masque,

pas un oisif dans les rues. Le mercredi des cendres, les Marseillais font leur

quelques titis, quelques

mes; toutes

Longchamp on voit

hommes

;

habillés en fem-

les voitures sont dehors,

depuis les

plus cossues jusqu’aux plus modestes.

un tour dans la

cette

villa Borelli et

cohue qui occupe

une

J’ai

le

fait

Prado,

partie de la route de la

Corniche; mais je n’ai rien vu d’intéressant

:

le

luxe n’est pas aux chevaux.

Jeudi matin,

j’ai

fait

un croquis

plume

à la

pour remercier M. G... de sa bonne hospitalité, par une attention de bien peu de valeur,

il

est

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,do§I


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. vrai.

45

En somme, ma plus grande impression

Marseille a été celle que

un beau

traversant sur une petite barque, sous ciel étoilé, le

à

ressentie le soir en

j’ai

grand bassin qui conduit à

Can-

la

nebière, au milieu de deux imposantes rangées

de grands navires marchands, dressant de cha-

que côté leurs hautes proues noires, d’ou sortaient des forêts

laissant flotter

de mâts leurs

et

de vergues,

pavillons,

et

uns

les

les

autres

sécher quelques-unes de leurs voiles. Dans le

fond de celte immense et sombre avenue,

la

Cannebière, avec tous ses becs de gaz, étincelait

comme une grande

constellation.

Les navires

n’ont pas le droit d’être éclairés dans le port, par crainte

du

feu, et

comme

la

journée

et

même

la

soirée étaient terminées, on n’entendait plus de bruit, et notre petite nacelle semblait fière d’être

seule vivante et seule à fendre l’eau avec ce petit clapotis,

dont

la

musique

est si

agréable

au milieu du silence. Le jeudi nous avons pris Nice, où nous

après avoir parcouru des

doute par

le

chemin de

fer

pour

sommes arrivés à six heures et demie

le soleil,

sites,

mais que

le

merveilleux sans

temps nous empê-

chait d’apprécier justement... depuis deux heures

il

pleuvait à torrents. Nice n’est pas habituée à

dépareilles inondations et ne prend pas ses pré-


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

46

cautions pour assurer aux piétons

quand

retrouvai

temps la

mon

un

sol

ferme

Le lendemain matin, je

arrive la pluie.

directeur à la diligence, et par

gris et incertain

nous primes

un

route de

la.

Corniche. Cette route est tellement belle, qu elle

résiste

môme

longé

la

au manque de lumière. Nous avons

mer

tout le temps, tantôt à

grande hauteur, tantôt sur

m’amuserai pas

Je ne

une assez

du

les sables

rivage...

à te faire voir de loin des

choses merveilleuses mais indescriptibles. Qu’il te suffise

de savoir que les sites les plus grandio-

ses et variés, les rochers les plus nobles

tons et

ment

comme formes,

les villages les

comme

plus hardi-

plantés sur des escarpements abrupts, s’of-

fraient à

chaque instant à nous,

en extase. La mer

moment

reflétait

le

et

nous tenaient

ciel

gris et

par

prenait des teintes d’un vert tendre ini-

maginable.

Avant d’arriver àMenton (ou aprèsl’avoir quitté, je

ne me rappelle pas bien) nous avons traversé des

bois de palmiers tombant jusqu’à

la

mer

et cou-

ronnés de grandes pentes rocheuses d’une aridité

vraiment

africaine. Si le soleil avait

ter l’illusion

!!!

pu complé-

Nous passions souvent à travers

des bois de citronniers, d’orangers, d’oliviers

dont les troncs noueux et rageurs affectaient des

formes fantastiques;

la

mer

apparaissait par ci


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

par

là et

47

s’harmonisait merveilleusement avec le

ton clair et gris des blonds oliviers.

A

la frontière italienne,

mes d’une

nous avons été

victi-

de messieurs

petite escroquerie

les

douaniers, contre laquelle nous avons réclamé à

Gênes, mais sans grand espoir de pouvoir obtenir justice,

car

il

paraît

que

italien a besoin d’argent et

laisser faire à ses

le

gouvernement

ne redoute pas de

employés quelques petites ca-

nailleries fructifiantes.

Nous sommes arrivés à Gênes matin. La pluie qui avait cédé les

pendant

à huit heures

la

du

place aux étoi-

pas permis au soleil de

la nuit, n’a

se faire voir à nous en costume italien, de sorte

que j’en suis réduit à qu’il est resté

me

Nous avons parcouru beaux palais, dont je ne ils

me

rappeler le soleil,

tel

dans mes souvenirs de Paris. la ville et visité les plus

me rappelle pas les noms

sont sortis delà cervelle pour

clusivement remplie de

mon

la laisser

:

ex-

admiration pour les

chefs-d'œuvre de premier ordre que j’ai vus.

Dans

l’un, le palaisBalbi,je crois, se trouve

chef-d’œuvre incomparable tien,

exécuté avec toute

geur dont

il

la précision

la

:

un

du

portrait

souplesse et

un Ti-

la lar-

est capable, jointes à la fermeté et à

d’un Antonello de Messine

prodigieux. Celte toile nous a rendus

:

c’est

difficiles


CORRESPONDANCE DE HENHI REGNAULT.

48

pour

les autres peintures

ques

salles sont

de ce palais, dont quel-

magnifiquement décorées

nées de très-beaux plafonds

et

et or-

de frises peintes

par des artistes génois inconnus, maisétonnem-

ment

forts

dans

l’art

de

la

grande décoration. Un

marquis de Balbi occupe encore ce

palais, qui n’a

pas cessé d’appartenir à sa famille.

Nous avons caliers

donné

cours et es-

visité les vestibules,

de l’Université, ancien palais Durazzo, à la ville par

un descendant de

cette fa-

mille. C’est d’un aspect original, d’une grâce et

d’une élégance dont rien n’approche. On voudrait voir,

penchées sur

les balustrades qui s’é-

tagent en galeries sur la cour, quelques belles

dames du quinzième ou seizième siècle étalant ces brocards d’or et de soie qui devaient briller avec tant de richesse sur les beaux

marbres blancsde

l’architecture.

Puis nous

sommes

entrés dans

le

palais Du-

razzooù nous avonsadmiréde splendides Van Dyck et

un Ribeira de premier ordre. Au

ancien Balbi, peu de belles choses,

palais Royal, si

ce n’est un

portrait de Philippe IV, par Vélasquez, trait

de

femme

aussi, par

un por-

par Van Dyck et un autre, superbe

Tintoret.

Au

palais Brignole,

nous

avons trouvé quatre magnifiques portraits par

Van Dyck, dont un représentant un marquis de

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

40

.

Brignole à cheval. De Véronèse, une très-belle Judith se préparant à mettre la tête d'Holopherne

dans un sac que

tient

une négresse..., un beau

Rubens...

Nous avons vu

cathédrale de Gênes, San Lo-

la

renzo, construite au douzième siècle avec des

marbres noirs

triste

Le portail est merveil-

et blancs.

leux, la nef et le

chœur d’un

aspect sévère et

qui impose.

Demain nous partons pour

la

Spezzia.

A M. G. CLAIÎUN.

Rome, 15 mars 1867.

Nous sommes arrivés hier du matin. Tout

le

à

Rome

à dix

attendait à la gare pour nous conduire

sement à

la villa Médicis.

pleuvait à torrents

heures

personnel de l'Académie nous

:

pompeu-

Malheureusement

il

nous nous sommes séparés

par petits groupes et avons rempli quelques

fia-

cres.

Je ne te raconterai pas Marseille jusqu'à écrit là dessus te la

mon

une longue

communiquera

si

mon

départ

voyage depuis de Gênes.

lettre à

mon

cela peut le faire plaisir.

Cette chance qui, à ce que lu prétends, suit partout,

J’ai

frère qui

m’a bien mal

servi

cette fois.

me Le

mauvais temps nous a poursuivis dans toutes nos pérégrinations. Nous avons été noyés à Nice, &

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

50

noyés à Gênes, noyés à

la

Spezzia, noyés à

Rome.

Florence seule nous a souri avec bienveillance.

Toute est

la

route splendide de

la

Corniche nous

demeurée presque inconnue. Un brouillard

épais nous entourait, et quand, par hasard, nous sortions des nuages, c’était pour entrer dans

une

pluie tellement forte, qu’on se serait cru sous

une cascade. Je regrette bien de n’avoir pas

connu Gènes

avant de composer l’architecture de nos pan-

neaux

:

j’ai

vu dans certains palais des intérieurs

de cour en marbre blanc qui auraient bien notre affaire

entre autres,

:

fait

cour de l’Univer-

qui y conduit a pour rampes deux

sité. L’escalier

lions,

la

de proportions colossales, qui suivent le

mouvement de bas, en face

l’escalier et

descendent

la tête

en

du spectateur, avec une hardiesse

étonnante. J’ai

admiré

qu’il m’ait été

douzième

à

Gênes

les plus

donné de

siècle,

marbres blancs

est

la

beaux Van Dyck

La cathédrale, du

d’un beau caractère, Ses

et noirs alternés lui

sévérité imposante dans

voir.

donnentune

une harmonie sombre

plus petite note rouge ou violette prend une

puissance incroyable.

Un temps

atroce a fidèlement

tre diligence jusqu’à la Spezzia

accompagné nooù nous devions

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

un jour ou deux pour

rester

51

visiter les environs,

qui, paraît-il, sont superbes.

Il

y a près de là

petit port, Porto Venere, qui est

unique

et

un

qu’on

nous avait bien recommandé. A notre arrivée l’hôtel

de

Croix-de-Malte,

la

œilà travers

ment

les

nuages

et

la

à

lune a montré un

nous avons eu un mo-

d’espoir. Après notre souper, le ciel s’était

en partie découvert,

le

vent était tombé. Nous

avons passé une partie delà nuit à fumer à notre fenêtre, qui donnait sur le petit golfe. La lune s’était

couchée,

les côtes

du fond

se confondaient

avec le ciel; on ne voyait rien que les étoiles à l’extrême horizon, faisaient

une ligne

comme une chose que loin la

glace.

le petit

mer en

deux ou

et,

trois lanternes qui

brillante sur la

mer

On

pas

n’entendait

polie

autre

soupir que rendait de loin en

laissant

dernière petite ride.

Il

mourir sur

faisait

chaud

le sable sa ;

le

parfum

des orangers et des lauriers qui couvraient

le

jardin de l’hôtel nous arrivait par bouffées

je

n’ai

jamais

que cette

si

:

bien entendu le septuor des Troyens

nuit-lù...

Le réveil ne fut pas en rapport avec nos espérances du premier sommeil. Le temps gris

temps gris

tant désiré à la pointe

;

le

du RazÜ Et

qui plus est, une petite pluie fine bien établie

Ce n’était pas

la

î

peine de rester à laSpezzia. Nous

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

52

avons, avec résignation, pris

pour Florence '

ét

et y

demie, par un

le

chemin de

sommes arrivés

fer

heures

à trois

soleil resplendissant.

Les musées étaient fermés, nous n’avions donc rien de

mieux

à faire

que de nous promener. J’ai

été émerveillé de l’aspect puissant et farouche du

Palazzo Vecchio et de presque tous les palais de

Florence. La partie basse des

murs est construite

en grosses pierres brutes à peine sans ornements, sans sculptures

taillées, noires, ;

mais les pro-

portions sont nobles et grandioses. J’ai

vu

de Giotto.

la belle loge

d’Orcagna,

le

Campanile

Quels pygmées semblent

nos plus

grands peintres ou architectes à côté de ces tes-là! c'est

Puis

admirable

;

d’une sauvagerie

et

temps d’une beauté étrange. Rien que et la coiffure

artis-

Persée de Benvenuto Cellini

le

:

en

même

le

casque

du Persée seraient déjà un merveil-

leux chef-d’œuvre; mais, en revanche,

j’ai

trouvé

atroces et le petit David de Michel-Ange, et le Caeus , et je ne sais plus qui de Baccio Bandinelli, et la

grande statue de marbre d’Annamatoau milieu

d’une fontaine entourée de figures de bronze, aussi élégantes et amusantes de la figure

du milieu

mouvements que mal bâtie.

est lourde et

Nous avons vu Florence en deux jours et

pour cela

il

ne faut pas

et

demi,

flâner. Les galeries

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Pilti et

vre

:

ce serait trop long de te

comme des

nommer môme là

des Raphaël

Titien, avec plus

de force peut-

les plus remarquables. J’ai

beaux

53

des Offices sont remplies de chefs-d’œu-

vu

Dans

être et plus de fermeté.

les églises, j’ai été

émerveillé,

renversé par les fresques d’Andréa

del Sarto et

de Masaccio. Celles de Frà Angelico

et

de Ghirlandaio renferment aussi de bien belles

choses. Ce qui est merveilleux dans les

fresques de ces primitifs, c’est le

énormes

charme des

couleurs et cet harmonieux aspect de tapisseries. J’ai fait

dicis.

mon

pèlerinage à la chapelle des Mé-

splendides morceaux

Quels

vivent et remuent

1

de marbre

Mais qu’ils sont mal en-

tourés! Cette architecture qu’on attribue à Mi-

chel-Ange

me

rend furieux. C’est mesquin, dé-

chiqueté, et cela rétrécit et

abîme

les figures.

Ces petits mausolées, ces petites colonnes, petites fenêtres

dans lesquels sont cernées

et

ces

mu-

rées les divines figures du Penseur et de Julien,

m’ont mis dans une colère bleue. J’ai quitté

Florence avec beaucoup de regret.

J’avais la tête brisée

:

quand je fermais

je voyais danser devant

moi

les

les

yeux,

grands marbres

de Michel-Ange couverts de peintures de Ghirlandaio ou autres, ayant pour têtes

du Palais-Vieux

et

le

campanile

pour piédestal des palais tout

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

54

entiers, des églises de J’étais tôt à

marbres noirs

et blancs!

complètement abruti. Je reviendrai bien-

Florence

c’est

:

une mine de

trésors. Et

quelle ville agréable, calme, propre,

de chefs-d’œuvre en plein jardins

!

air,

parsemée

sans grilles, sans

Vous pouvez vous mettre

à

genoux de-

vant Benvenuto: personne ne viendra vous dé-

Mon pantalon

ranger.

à boutons dans le bas, qui

a causé le bonheur des Marseillais, ne faisait pas

retourner un seul Florentin. On le droit

me

de porter ce qui

me reconnaissait plaisait.

Les Flo-

rentins sont d’une politesse et d’une complai-

sance parfaites; leurs qu’à

Rome, où

heures,

j’ai

ne vous importunent pas de

je

offres

ne suis

de service. Tandis

sorti

été assailli par

qui veulent

mes

ils

demandes ou

que deux ou

trois

une troupe de diables

me brosser de force, cirer me forcer à leur donner

souliers,

de force

quelque

chose ou à leur acheter des photographies

on a

:

une escorte de mendiants. Et quelle variété d’infirmes, de difformes

!

Les Romaines ne m’émerveillent pas non plus, les

églises

m’ennuient

je

;

vois

Saint-Sulpice

et Saint-Vincent-de-Paul partout. Si

avait le trois

numéro 111

ou quatre habitants

Je reviens

encore

il

y

(de la rue Lafayette) et ses !

du Vatican. Je me

suis prosterné

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

devant

les

55

peintures delà chapelle Sixtine et de-

vant les Slames. Je suis broyé.. Ce géant de

Michel-Ange m’a laissé à moitié mort

coup

de.

c’est

:

un

foudre que ce plafond. Voilà qui est au-

dessus de tout ce que peut concevoir une imagination de peiptre, de sculpteur et de poète, et

qui ne doit jamais donner de désillusion. J’avoue

qu’en présence de ce plafond, merveilles,

n’ai

je

merveille des

la

pu regarder

Jugement

le

dernier.

Comme disposition générale, comme tournure, ce plafond est monstrueux de beauté colossale

comme

ton,

il

plus doux et puisse rêver

est

le ;

de l’aspect

le

plus puissant à

mais

c’est

un

vrai

la

c’est trop beau. Je n’ai

fois

l’on

ferait

pas plus

pas ressenti après

que vous

cetle visite-là cet entrain, cette verve

donnent généralement

que

cauchemar. En

tombant du cinquième, on ne se mal;

;

plus agréable, le

les maîtres lorsqu’on a

causé avec eux. J’ai

commencé ma

phaël par

la

visite

aux Stanzes de Ra-

Bataille de Constantin

déplu, c’est un fouillis dur et sans

noir

et

blanc désagréable

:

j’y

doute plus lard de belles choses Jules

Romain qui

voit bien,

:

effet,

cela m’a

d’un ton

trouverai sans :

du

reste c’est

a exécuté tout cela, et

quand on

on

le

arrive ensuite devant la


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

50

Messe de Bolsena,

et

1

.

’Héliodore, et YÉcole d’A-

thènes, et Y Attila, et la Dispute

du Saint-Sacre-

ment. Yoilà autre chose que ce que nous connaissons de Raphaël.

Ces œuvres sont d’un ton superbe, excepté certains bleus de YÉcole d’Athèiies, qui ont

passer. Je les mets au-dessous de Michel-Ange,

tiennent encore la tète bien haute, et

mais

elles

c’est

encore un fameux géant que ce Raphaël et

homme

un autre

que celui des Madones

Enfants-Jésus. Voilà le résultat de

ma

et

des

première

tournée à Rome, voilà mes premières imprescrois pas

sions; je ne

qu’elles

modifient

se

beaucoup. Les jardins delà ville sont parfumés, le temps

beau

est

et

chaud

;

comme un

heureux

je suis

dieu J’ai

je

pourtant une

ne pourrai revenir

ma

pension

c’est

:

triste nouvelle à te

à Paris

comme

de tout ça.

Dans

donner;

temps de

le

la crainte

de voir renouveler des abus qui avaient eu lieu l’an passé,

On

on

a pris cette

mesure rigoureuse.

a droit de voyager dans l’univers entier, ex-

cepté en France et surtout à Paris. Je vais écrire à faires,

mais

j’ai

Édouard

la

fameuse

lettre d’af-

besoin que Michel-Ange, Titien,

Raphaël, Masaccio

me

laissent

un peu de Iran-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

pour

quillité

57

m’ennuient à force

réfléchir. Ils

de danser autour de moi! Ah, cher ami, tu Bnfoncé pour

les « effrayant

deux jours plus que

toi

!

es

poussé en

» J’en ai

depuis que tu es au

monde !... A M.

H. CAZA1.IS.

Rome,

Nos amis communs ont dû

mes premières ami

vieil

bon port, bien

embaumé

les lauriers chauffés

les

j’occupe une petite ;

j’ai

par

le ciel

par le soleil ont

sa terrasse et sa chambre. Je ne suis

pas logé dans le palais même, ;

que ton

attristé

mais raccommodé un peu avec

depuis que

parc

mars 1867.

communiquer

lettres. Elles t’ont appris

est arrivé à

la pluie,

cela

18

te

une

et

j’aime mieux

chambre au bout du

petite terrasse d’où je respire tous

partums des bosquets qu’elle domine

:

à

travers les pins, j’aperçois quelques silhouettes

de dômes, puis le

les jardins

du Pincio,

et

au delà,

château Saint-Ange et Saint-Pierre; quelle toile

de fond

1!

A chaque heure du

jour elle revêt des

aspects différents, et le soir, la lune vient grandir encore ces grandes lignes.

Hier, après avoir sanctifié ma matinée

à la

cha-

pelle Sixtine devant le dieu Michel-Ange, j’ai fuit

une longue promenade dans Home. J’ai

visité le Palais des Césars,

ou du moins

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

58

ce qui en reste. Je n’ai trouvé qu’un faible intérêt à tous ces débris

de fondations

et

de salles

souterraines dont on ne saisit pas bien la disposition et la raison d’ôtre.

Ce qui est vraiment beau dans ces ruines-là, c’est la

vue qu’on a de

la loggia

d’où les empe-

reurs assistaient aux représentations del circo

Olimpio , dit

rama qui

le cicerone.

leux. J’ai été voirie pitole... etc... Je le

plan de

cas, le

Forum,

le

Colisée, le Ca-

mais cela viendra. sans doute,

même

voir, la

quand

un

tu viendras

impression que celle qui m’a

poursuivi pendant tout le temps de

nade.

pano-

ne comprends pas bien encore

la ville,

Tu éprouveras

me

En tous

se déroule autour de vous est merveil-

ma prome-

On ne peut s’empêcher de marcher avec

respect religieux dans ces rues, dans ces

places où chaque pierre raconte

un meurtre

;

mais

l’on est

un triomphe ou

constamment surpris

des dimensions moyennes de tous ces édifices

auxquels l’imagination prêtait une grandeur en rapport avec

de Titus a

les

souvenirs qu’ils rappellent; l’Arc

l’air

d’un joujou à 'côté de l’Arc de

Titus qu’on s’était construit dans

la tète. Cette

Voie triomphale qui conduit au Capitole par tant

de détours

et suit

des mouvements de terrain

si

brusques, n’étonne que par son peu de largeur

!d

by

Google i


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. et toutes ses sinuosités.

ponde

à notre besoin

que

lisée... Je crois

du

les

59

La seule chose qui récolossal, c’est le Co-

architectures des As-

syriens et des Égyptiens avec leurs immenses ave-

nues de colosses de granit, leurs cours énormes, leurs temples étagés

et'

liers étaient bien plus

précédés de larges esca-

en harmonie avec

la

gran-

deur de ces peuples...

Nous avons, au

comment

contraire, peine à

comprendre

peuple romain, qui commandait

le

à la

moitié de la terre, pouvait se contenter de ce petit

Forum

(rétréci encore par tous les

qui l’entouraient),

et

comment

temples

ces conquérants,

ces héros géants, passaient sans se heurter la tête

sous dé pareils arcs de triomphe,

et

sans écra-

ser contre leurs parois les trophées et les trou-

peaux d’esclaves attachés toi les murailles

à leurs chars. Rappelle-

de Ninive, sur lesquelles vingt-

cinq chars pouvaient marcher de front, et ces vieux temples indiens composés d'une quinzaine d'étages dont

on

n’atteignait le premier qu’aprés

avoir gravi plusieurs terrasses superposées et

d’interminables escaliers... Nous voyons

superbe étalage de magnificence religieuse.

et

un

de pompe

Sur ces centaines de marches des

troupes de prêtres et de sacrificateurs

;

tout au-

tour, des populations entières, occupant pendant

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

80

plusieurs jours, pour assister à ces fêles, des plaines immenses...,

au

Mais je ne vois ni Marius, ni César, monter

Capitole par cette misérable Voie triomphale! Je

ne puis qui,

môme me

de

consoler en voyant Saint-Pierre, aussi grandiose

ne parait pas

près,

qu’il devrait l’être.

grandeur que de

la

On ne juge

bien de sa vraie

campagne romaine, quand on

aperçoit à des distances effrayantes cet

dôme solidement

assis au-dessus

de

énorme

la ville

el

qui ne semble pas diminuer à mesure qu’on s’éloigne.

Mais ce qui est plus grand

et plus

écrasant

que

tout ce qu’on peut imaginer, et ce qui ne doit ja-

mais donner de désillusion, des merveilles,

le

Quel beau tableau

plafond de j’y ai

c’est la merveille la

vu hier

chapelle Sixlinc. :

tous les cardi-

naux en grand costume, avec leurs robes violettes et leurs pèlerines

d’hermine, et ces fumées d’en-

cens qui élevaient encore

nous

le

plafond au-dessus de

1

Malheureusement

la

musique

était

martyrisée

d’une façon indigne. Elle était superbe et d’une étrangeté bien grande el bien sévère, mais quel

massacre

!

!

!

Je t’écris

au milieu d’un concert de

cloches, qui, par leurs différentes et

sonneries, font, en grand,

la

nombreuses

musique des

insectes

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CORRESPONDANCE UE HENRI REGNAULT.

dans un bois, par

Cl

grandes chaleurs de

les plus

l’été...

A

SUN PÈRE.

29 mars 1867. ... J’ai

un

reçu ce matin

nonçait l’arrivée de

que je pouvais

mes

les faire

petit

mot qui m’an-

me

caisses et

prendre

à la

prévenait

douane.

J’y

envoyai de suite quelqu'un, mais on répondit que les

employés avaient congé tous

de carême. neuf jours à

deux

caisses

n’aura donc

11

grande

la !

C’est

vitesse

un peu

les

vendredis

que

fallu

vingt-

pour m’apporter

fort.

Il

paraît que les

objets envoyés par petite vitesse mettent parfois

trarié

à

venir. Je

de ce retard parce que

ront de rai

mois

ou cinq

quatre

les

Romedans quelques jours,

guère

le

suis

con-

W... F... partiet

que je n’au-

temps de terminer qu’un des deux

portraits.

Je ne sais plus ce que je vous dernière lettre cit

:

ai dit

dans

en tout cas, je reprends

interrompu de

ma

vie à

Rome.

me

Si je

ma

le ré-

ré-

pète, vous m’excuserez.

Tous

les jours je vois

quelque chose de nou-

veau et cela sera encore longtemps

ainsi, car si

les Chinois passent toute leur vie à

apprendre à

écrire leur langue, je crois

que peu de Romains

connaissent toutes les richesses de leur pays.

«

A

6

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

62

l’exception

de quelques jours de sirocco qui connaître l’énervement

abrutissant

m’ont

tait

qu’on

éprouve dans ce pays-ci par

d’orage, j'ai eu J’ai fait

un beau

soleil et

les

un beau

temps ciel.

plusieurs promenades à cheval dans la

campagne romaine

:

manière de

c’est la seule

la

parcourir d’une façon à la fois utile et agréable, car on trouve de bons

chevaux, habitués à

chasse à courre et qui résistent bien à

Ce mois-ci

sont très-demandés

ils

et

la

la fatigue.

on

a quel-

quefois de la peine à en trouver; mais après

Pâques, les forestieri disparaîtront; c’est ainsi

que nous autres, vieux Romains, nous appelons les

étrangers, Français, Anglais, Russes, Alle-

mands qui envahissent les hôtels et les écuries de Rome au moment des fêtes de Pâques. *

J’ai visité à

peu près toutes

ville (pas à cheval). Elles

On

est obligé d’avaler

de

la

ne sont pas très-riches.

une masse considérable de

assommants de

ces tableaux

les galeries

la

décadence

ita-

lienne avant de tomber sur des perles rares, telles

que l’Amour :

divin et l'Amour profane ,

Saint Dominique , (vrai bijou), à

du

Titien

la galerie

;

la

du

Titien

;

Danaë, du Gorrége

Borghèse;

le

portrait

d’un doge par Titien, et certains morceaux de

Raphaël dans

la

Vierge au Donataire et dans la

Transfiguration, au

musée du Vatican; unsuperbe

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Velasquez

à

la

Van Dvck

portraits de

Colonna, sole,

et

galerie Doria,

deux ou

deux Irès-beaux

et d’IIolbein, à la galerie

trois petits tableaux

de Fie-

au palais Corsini.

En somme, tous ces musées-là pas les galeries Pitti et des

même

réunis ne feraient

Offices,

de Florence, ni

notre Louvre, dont on médit tant. Je n’ai

pas encore vu, en

de Corrége plus beau

Italie,

que YAntiope, de Léonard supérieur à et à Sainte

la

Joconde

Anne.

Seulement, ce qu’il n’y a nulle part, c’est la chapelle Sixtine et les Stanze. La Transfiguration ne

m’a pas fait grand

plaisir. C’est

dansla Dispute du

Saint-Sacrement qu’il faut voirRaphaëleldanscerlaine partie à'Héliodoreet de la Messe de Bolséna.

Là,

il est

complet en tout

et coloriste

autant que

n’importe qui. Mais il ne faut pas aller aux Stanze

en sortant de dessous

plafond de

le

Sixtine, parce qu’aiors,

il

la

chapelle

n’y a pas à dit e, Ra-

phaël est obligé de descendre d’un échelon. J’ai fait,

ces derniers temps, de belles excur-

sions à cheval sur la voie Labienne et ses envi-

rons, sur

voie Appia, sur la voie Tiburtine.

la

Quelle nature désolée culture,

une

Rome mais ;

fois

à

!

Pas un arbre, pas une

une certaine distance de

d’admirables mouvements de ter-

rains, grands,

sauvages,

et des silhouettes

de


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

04

montagnes d’une variété

et

d’une noblesse prodi-

gieuses.

Lundi dernier, avec quelques amis, nous avons pris le

chemin de

sommes

et le

pour Frascati,

pour

et

de

nous

Ferra ta en traversant une

Nous avons passé quelques heures

très-jolie forêt. à la foire,

fer

allés à Grotla

connaissance avec le caractère

faire

costume des gens de

Mais tout cela se perd; qu’ils conservent

il

avec

merveilleuse saleté.

On

campagne romaine.

la

n’y a qu’une seule chose

entêtement

:

c’est

une

n’a pas idée de cela. Au-

près de ces gens-là, nos Bretons de Plogoff sedes raffinés et des marquis. Quant à cette

raient

beauté, à cette tournure tant vantées, j’avoue ne

pas en avoir trouvé trace.

que quelques

jolies

glaises venues,

admirer

n’y avait à la foire

Il

femmes... c’étaient des An-

comme nous

sans doute, pour

admirable population des environs

celte

de Rome. Que

les

paysannes romaines sont

des belles et grandes Bretonnes de

Baz

et

de

et cette

l'Ilc

de Sein!

loin

pointe

du

est-elle, cette fierté

noblesse des paysans romains en gue-

nilles? Ils

sont ignobles, mendiants et plats, et

cette population jusqu’ici

Nous verrons plus Enfin

la

le soleil, à force

morceaux de

ne m’enchante pas.

tard.

de faire fondre

les

gros

lard à moitié pourri qui couvraient

Digitized by


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Ja foire,

nous

un

invita à chercher

Nous nous assîmes sur un

fect.

lieu

65

moins

in-

pré, au-dessus

d’une fontaine ombragée par deux grands et

beaux platanes chevaux et

et les

on menait boire

et à laquelle

raccommodé avec

la

foire.

En somme, nous

avions passé une excellente journée. Nous

vons terminée par une

ou plutôt

même gravi

à

les

ânes; ce spectacle m’a consolé

visite à

une superbe

un superbe parc, car

l’a-

villa,

la villa elle-

n’a rien de remarquable. Puis nous avons

la

montagne pour

aller voir les ruines de

l’ancienne ville de Tusculum.

Par un chemin charmant nous rivés sur la crête les

débris

ar-

d’un amphithéâtre, d’un palais de

Tibère construit sur une

ne reste plus que des difficile

sommes

du mamelon où se trouvent

de se

faire

villa

de Cicéron. Mais

salles intérieures, et

il

il

est

une idée de ce que pouvait être

ce palais. Ce qui nous a particulièrement intéressés, c’est le théâtre qui a été découvert

un champ, par

les ordres

niers rois de Sardaigne

;

de

il

la fille

est

sous

d'un desder-

parfaitement con-

servé, moins bien cependant que lés théâtres de

Pompéi. La façade la

et le

mur

qui

faisait le

fond de

scène manquent, mais les dallages, les bases

des colonnes, les gradins et les petits escaliers sont très-complets. Vient ensuite une sorte de poro.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

OC

tique ouvert dont les voûtes se sont malheureu-

sement écroulées. Puis on arrive à l’emplacement de

dont

citadelle,

la

il

ne reste plus rien. Aidés

peut-être par cette parole de notre carie

:

Tuscu-

lum ancienne ville pélasgique, nous avions décou,

vert de splendides

murs

mais

pélasgiques,

un

architecte qui nous accompagnait

nous

que nos fameux murs

que dans notre

n’existaient

a

prouvé

imagination et que nous n’avions devant les yeux

que

rocher à

le

l’état

sauvage

!

Cela ne

fait

rien,

mais nous aimons mieux croire que ce sont des

murs pélasgiques. Nous avons

suivi assez

longtemps

la

fameuse

voie Latine dont le dallage est très-hien conservé

aux environs de Tusculum, apparaissent au loin dans

dont

et

traces

les

la vallée albaine.

Ce que nous n’avions plus à notre seconde visite, c’était le

coucher de

soleil,

qui était admira-

ble^ veille. Sur les hauteurs de Tusculum, nous avions en face de nous la campagne et Rome au fond. Un peu à gauche la mer qui étincelait, puis le

mont Cavi

et l’adorable village

de Rocca

di

Papa,

un roc et s’étageant en amphithéâtre flanc de la montagne encore plus à gau-

planté sur

sur

le

che,

la

;

suite des

nous avions tes

les

montagnes albaines. A droite

montagnes de la Sabine, aux arê-

accentuées et termes

comme

de

l’acier.

*

Les

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

07

arbres qui couvraient le mont Cavi ressemblaient à

un velours grenat usé

la

;

plaine était rousse, et

des montagnes dans l’ombre, d'un bleu

la partie

de pierre précieuse. La mer

était

sillonné de grands

c’était splendide. Je

nuages;

le ciel

théâtres devant de

comprends qu’en plaçant leurs semblables merveilles,

en feu,

anciens pouvaient se

les

passer de décors. Les plus riches feraient triste

mine en

magie de

face de celte

bano,

nous avons

et

la

sommes

Après déjeuner, nous

suivi

nature.

pour Al-

partis

une route superbe,

d’abord à travers plaine, puis dans une magnifique forêt, et enfin

qui dominent pied du

mont

éteint. C’était

grand

d’Albano

les crêtes

s’étend au

qui

Cavi dans le cratère d’un volcan

un énorme

bordé

et

nous avons longé

lac

le

cratère, car le lac est

de belles forêts.

Nous

avons

passé successivement à côté de villages trèspittoresques et admirablement situés Castel Gondolfo

pour

l’été.

le

Enfin nous

sommes

une

arrivés

Nous avons renvoyé notre voiture '

«à

et le lac

mont Cavi dans un le lac

Némi,

contre-lort du

situé aussi

l’Ariccia,

au pied du

cratère un peu plus élevé

Albauo, dont

mont

il

villa

Albano.

à Frascali et

nous nous sommes mis en route pour

Genzano

Marino,

:

Pape possède

est séparé par

que

un long

Cavi.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

08

Pendant une heure ou deux, nous avons longé les rives

de ce lac qui, dit-on, a cent soixante

mètres de profondeur. C’est

plus déli-

le lieu le

cieux qu’on puisse voir. De beaux arbres penchés et

presque déracinés par

les

eaux qui tombent des

côtes à pic, s’allongent au-dessus

du lac

et

y

trem-

pent leurs grandes branches. Nous avons vu l’em-

placement d’un temple de Diane dont

il

ne reste

plus que quelques pierres. C’était bien

la

place de

Diane au milieu des bois, auprès d’un

lac

bordé

par endroits de longs roseaux dorés, au pied d’une belle

montagne. Quelle tranquillité, quel mystère!

De toutes parts des côtes boisées. Les anciens mettre un temple de Diane. J’aurais

fait

n’é-

pour y

taient pas si bêtes d’avoir choisi ce lieu

des bas-

sesses pour en être le grand prêtre.

Nous nous sommes reposés oe calme charmant de

la

à l'ombre

devant

nature, et nous avons

grimpéjusqu’à Némi situé à mi-côte, sur la partie ,

la

plus abrupte et

la

plus verticale de

la

mon-

tagne. C’est

une position merveilleuse pour des gens ’

qui veulent se repaître de beaux spectacles ; mais, s’il

faut

que

les

Némicns descendent

et

montent

souvent leur côte pour faire leurs provisions,

je

les plains.

Du sommet, nous avons vu

le

coucher du

soleil

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

69

se refléter d’abord à nos pieds dans le lac, puis

de l’autre côté des montagnes

et

par delà les

plaines du Latium, dans la mer. Je crois que c’était

encore plus beau que ce que nous avions vu

la veille.

Après avoir erré quelque temps dans un bois,

nous avons trouvé un chemin creux

et fantastique

avec des arbres dont les racines, minées par les

eaux, formaient voûte au-dessus. de nos

têtes, et

nous avons regagné Albano avec l’ardeur voyageurs pris par

la

de

nuit et terriblement affa-

més. Le lendemain matin nous voulions aller voir Paluzzuola, petit village construit sur l’emplace-

ment d’Albe

la

Longue. Nous sommes descendus,

en conséquence, sur

nous

faire traverser

gravir

en bateau de

Albe

jusqu’à

bords du lac Albano pour

les

la

l’autre côté et

Longue. Impossible de

trouver une barque. Nous avons pris alors solution de faire le tour

encore bien loin d’Albe

du déjeuner rait tout

et

du lac mais nous

la

un peu de

;

la

ré-

étions

Longue, quand l’heure sirocco qui nous reli-

courage nous engagèrent à rebrousser

chemin jusqu’à Albano. Dans l’après-midi nous avons

visité les jardins

de

la villa

Doria, d’où l’on

a une vue superbe sur les plaines du Latium, la forêt

Laurentium

et la

mer. Nous avons vu, delà


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

70

terrasse, les ruines de la ville antique de Bovillæ,

l’ancienne ville deNumitor,je crois, legrand’père

de Romulus. Puis nous avons parcouru Albano

pour y trouver .un certain amphithéâtre de Donatien, dont il reste encore quelque chose, dit-on, près d’un couvent de capucins. Nous n’avons

jamais pu

Nous n’avons pas aperçu

le trouver.

non plus ces

belles Albanaises dont

on parle tant

C’était

pourtant l’heure où elles allaient à

taine

desAlbanaises,

:

il

la

!

fon-

y en avait, mais de belles,

point.

Nous sommes revenus dîner demain

je suis allé

à

Rome. Le

len-

au palais Barberini voir un

admirable plafond de Pietro de Cortone. Voilà un

homme

dont nous n'avons

mauvais tableaux

une énorme

comme

au Louvre que de

qui a peint à fresque, dans

un plafond vraiment mer-

salle,

comme

veilleux

et

comme

effet et

y a là dedans

un mou-

composition,

aspect de ton.

Il

vement, une fougue, une harmonie, une vigueur «ui m’ont bien étonné.

Ce matin j’ai val,

fait

une grande promenade

-traversé le Tibre, à Ponte Mole, et

mes engagés dans sans

à che-

avec des amis, au nord de Rome. Nous avons

fin,

la

campagne

nous nous som-

à travers des prés

où paissent de grands troupeaux de

bœufs etde chevaux sauvages. Nous nous sommes

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•'

Google


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

71

un peu égarés, maisle dôme de Saint-Pierre qu’on voit

de

si

loin, et

de presque partout, nous a remis

dans notre direction. La pluie nous a trempés loin de

et,

comme nous étions

Rome, nous avons dû prendre une

plus rapide.

Une dizaine de

allure

ces molosses énor-

mes qui gardent

les

troupeaux dans la campagne

nous donnaient

la

chasse avec des airs féroces.

Il

ne doit pas

est à pied.

de

En

faire

bon

tout cas,

les avoir fait

les

ils

rencontrer quand on

peuvent nous reprocher

rudement courir.

Demain nous partons, au nombre de sept,

pour une excursion

à cheval à Ponte

tano, le long de Teverone,

jusqu’aux

Aquæ Albulæ

ou

nous pousserons

(eaux sulfureuses), où

les anciens avaient établi la reine

et

six

Nomen-

des bains qu’embellit

Zénobie pendant sa captivité... Dimanche

nous repartirons encore, toujours explorer une autre partie de

quelques jours Voilà,

mon

la

à cheval,

pour

campagne... Dans

j’irai à Tivoli.

cher père,commenlj’emploie

mon

temps. J’espère pouvoir

me

E... lundi prochain.

.

mettre aux portraits W..


.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

72

A SON PERE.

2 ...

Mes

avril 1867.

mais

caisses sont arrivées, c'est vrai,

je ne les ai pas encore. Elles sont en

une

c’est toute

pour

histoire

les

en

douane et

faire sortii

M. llébert a attendu les siennes quinze jours, et

comme

je

ne suis pas M. Hébert,

tendre encore plus que livrer,

il

me suffirait

francs, mais je

je crains d’at-

Pour

lui.

me

les faire

de débourser soixante-deux

m’y refuse, car

violent de débourser pareille

ques livres, quelques

je trouve

un peu

somme pour

effets et

quel-

un rouleau de pa-

pier blanc.

Ce retard pourtant W... F... vont partir

me

cause du

Les

tort.

pu

et je n’aurai

finir

un

seul des portraits. Si j’avais prévu tous ces en-

nuis, j’aurais voyagé avec

mes

caisses.

gage n’eût pas été bien considérable

Mon ba-

et j’aurais

pu, au moins, faire un portrait. Si

Léon se décide

sainte

,

à venir

recommande-lui

on doive user avec soient et

casquettes

les

passer

le

seul

ici la

employés quels qu’ils

quelques galons qu’ils aient :

c’est

quarante sous dans

semaine

moyen dont à

leurs

de leur glisser une pièce de la

main. Avec cela on en

fait

ce qu’on veut. Si j’avais su, j’aurais usé plus

souvent de ce moyen. Pour

les

bagages

à

Digitized

la

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.

-

1 ”

UUIfTB-’.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

douane,

c’est

même

suffit

souverain

souvent; on regarde

le

on vous laisse tranquille...

caisse et

un prince ou

affaire à

donnez-lui cent sous qu’il vous

On

plaira.

un

à

et

15

de vingt sous

la pièce

;

dessus de Si

la

vous avez

liant fonctionnaire,

vous obtiendrez tout ce d’agir loyalement

tort

a

avec ces fripons. De tous ces impôts prélevés aux

douanes

et ailleurs, le

pauvre pape ne touche

pas un centime. Tout cela passe dans des employés supérieurs, et

s’ari’ôte

la

poche

aux ministres

ne va pas plus loin.

Mon

atelier

encore réparé,

pas

n’étant

continue mes pérégrinations à travers

je

la ville

campagne. Nous en causerons une autre

et la fois...

A fA CIUSD’hÊRE.

10 avril 1867.

Ma chère bonne maman, y a bien longtemps

Il

tendresses de ton

pas à

mon

je

veux l’envoyer les

petit-fils et filleul. Si je

ne

l’ai

encore, c’est que les lettres écrites soit

fait

tous

que

père, soit aux autres, étaient pour vous

que chacun de vous pouvait mettre son

et

nom à

l’en-tôte.

aime,

il

est

Quand on

bien

difficile

sans penser à tous en

est loin des

gens qu’on

de penser à l’un d’eux

même temps, et chaque comme une bombe de

baiser qu’on envoie est

7

Digitizad by

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

74

un

feu d’artifice qui monte en

pare ensuite en une vingtaine

seul trait et se séd'étoiles.

que

Cette fois, c’est toi que je vise, c’est toi

j’embrasse

première et qui seras chargée d’em-

la

brasser les autres de

ma

ses d’ailleurs n'auraient

cho-

part. Bien des

pour d’autres qu'un

bien faible intérêt et je puis le les écrire, à toi qui te tourmentes toujours et qui aimes à connaître les choses en détail. Je suis sûr

que tu

es mécontente de ne pas savoir quelle est règle de vie et

de suite

me

et

mon

après tu

me

laisseras dire ce

Pour ne pas ternir

maux de

me

fort

mon

récit par

que j’ai mis

tristes

fin à

mes

dents par l’extraction d’une molaire qui

martyrisera plus et qui m’a été enlevée

des dentistes français envoie-t-elle à

Rome en

Français et adroit.

part ce fâcheux incident,

mais été plus

Rome un

dentisterie? je l’ignore, mais

le fait est qu’il est

A

de

habilement par un jeunedentiste. La société

prix de

,se

que bon

semblera.

détails, je te dirai d’abord

ne

ma

hygiène. Je vais te contenter

ma

florissante. J’espère

santé n’a ja-

que cet

état

mainliendra longtemps. Je

me

temps

je

lève de

bonne heure

et la plupart

du

commence ma journée par une grande

promenade

à

cheval. Après déjeuner je vais voir

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

qu’au dîner

et le soir je

me

heure. Tu vois qu’il n’y a pas

75

me promène jus-

des galeries et des églises. Je

couche de bonne

de quoi se rendre

malade.

Nous prenons nos repas tous ensemble dans

un grand traits

réfectoire

de tous

les

les por-

où sont accrochés

pensionnaires peintres, scul-

pteurs, graveurs, architectes et musiciens depuis le

commencement de

ce siècle jusqu’à nos jours.

La cuisine n’est pas mauvaise

nement mieux que

celle

des

vaut

et

certai-

restaurants

de

Rome. Nous dînons

à l'Ave Maria, c’est-à-dire

puscule, à l’apparition de ciel et

la

première

à

onze heures

dîner à sept. Plus tard, dans quinze jours,

chaque repas sera retardé d’un quart d’heure ainsi de suite jusqu’en

midi

au

nous déjeunons huit heures avant. Ainsi,

maintenant noire déjeuner a lieu et le

au cré-

étoile

et

on dîne

mai

;

et

alors on déjeune à

à huit heures.

Je suis entouré de bons camarades, très-ai-

mables pour moi,

et très-unis,

contrairement à

ce qu’on croit à Paris. Je les connaissais

du

reste

presque tous, car je suis un vieux concurrent

mes premières armes Nous avons

à l’École datent

à l’Académie le

qu’on puisse rêver

et

et

de loin.

plus beau parc

dans ce moment surtout


.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

76

y est

l’air

lais

embaumé: nous

que nous envie

Le directeur

dimanches

il

est

habitons

un beau pa-

Fambassade de France.

.

charmant pour moi. Tous les

reçoit les pensionnaires et les ar-

tistes français et

Nous

fort

étrangers qui lui sont présentés.

faisons de la musique.

existence est ravissante et

si

En somme, notre

quelques regrets et

souvenirs ne venaient de temps en temps nous assaillir,

on

serait

Jeudi dernier,

une

pleinement heureux.

j’ai fait

petite excursion

il

avec deux camarades

Nous avons eu

Tivoli.

le

plus beau temps qu’ort puisse rêver et, depuis la sortie des

murs de Rome, nous avons

roulé au

milieu de sites et d’horizons merveilleux.

Nous avons

visité la villa

Adriana, dont les

grandes ruines sont d’un aspect splendide au milieu des grands cyprès et des pins parasols qui

ombragent ses beaux parcs. Nous avons traversé

un bois superbe

d’oliviers poussant sur

une mon-'

tagne rocheuse et nous avons déjeuné à Tivoli

dans

le petit

le spectacle

tagnes.

temple antique de

Nous avons étudié toutes

naturelles de ce coin

si

devant

la Sibylle,

admirable des cascades

étrange

et

des

mon-

les merveilles et

si

beau,

la

grotte de Neptune, la grotte de la Sirène, les Cascatelles, etc., etc..., et la ville d'Este dont la dis-

position et la situation sont vraiment

charman-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

77

Nous recommencerons au mois prochain cette

tes.

excursion

;

seulement nous pousserons plus loin,

jusqu’à Subiaco et Cervara. J’ai visité aussi les belles

de Rome,

tuées aux portes

qui sont

villas

Pamphili, Borghèse, etc., etc...

On

a,

montagnes de

Les chênes verts ces parcs

la

Sabine

et les

de presque

campagne

toutes, des vues magnifiques sur la les

si-

villas Albani,

les

et

monts albains.

et les pins parasols

un aspect de grandeur

donnent à

et d’étrangeté

qui a bien son charme. Et puis, partout des fontaines. des jets d'eau. à

Rome. Que

main, alors que tous l’eau

des montagnes

grand nombre dans

la

On ne marchande pas

l’eau

devait-ce être sous l'empire ro-

et

les

on en

campagne.

aqueducs y amenaient Ils étaient en

voisines?

voit partout des ruines

y en a encore trois ou

Il

quatre en bon état qui servent à alimenter les fontaines et les réservoirs. A l’Académie, l’eau est excellente

elle

;

nous

est fournie

par Pâque-

duc de l’Aqua Felice. Il

est

demain sais

un peu

tard, et

à six heures,

que ce

il

si je

faut

veux être sur pied

que

je

dorme. Je

n’est pas toi qui te plaindras de ce

que je demande encore écrire

à

la

me coucher. Du

reste, je saurai

semaine prochaine

et

ne man-

querai pas de choses à vous dire,.. 7.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

78

A SOX PÈRE.

10 avril 1807.

Je suis encore obligé de

commencer ma

par ces paroles éternellement répétées

lettre

Je n’ai

:

pas encore

mes

ai palpées,

touchées, mais je ne les ai pas fait

caisses

sortir des magasins.

Il

m’en veulent

me

comme fois,

et

!

!

faut croire

que les douanes

poursuivent

On me

fait

fatalement

le

passage libre de mes af-

de vrais comptes d’apothicaire,

on ne veut diminuer mes tiers, si

ser 45

Je les ai vues, je les

des harpies. J’y suis allé hier encore une

pensant obtenir

faires.

!

frais d’entrée

que d’un

bien que je vais être obligé de débour-

fr.

75 pour des caisses ne renfermant que

des objets de travail. Je ne peux pas attendre in-

définiment ni faire de nouvelles démarches qui

amèneraient des pourparlers sans pendant

la

caisses et je vais payer ce qu’on

mais je conserverai toute rible contre la

libre

fin,

surtout

semaine sainte. Or j’ai besoin de mes

échange

Quand donc

!

douane

ma

et les

vie

me demande une haine

douaniers

0

!

;

ter!

le

Plus de douane ni de douaniers!

verrai-je arriver ce

temps heureux,

cet âge d’or?

Les W... F... sont partis hier

Tu me

parles de

me

I...

mettre à l’ouvrage

ce que je ferai peu à

peu.

Mais

j’ai

:

c’est

encore

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

beaucoup

quelques-uns de mes camarades

mes prédécesseurs

79

comme

ne veux pas agir

à voir. Je

et

surtout de

qui arrivaient à

Rome pour

s’enfermer dans leurs ateliers, d’où

ils

sortaient

cinq ans après sans connaître seulement

de Saint-Pierre ou

la

chapelle Sixtine

la ;

cour

autant

rester à Paris. Le voyage ne peut être instructif

que

s’il

vous montre des choses nouvelles qui

ouvrent dans

mées.

S’il

la

cervelle des cases encore fer-

ne consiste que dans un changement

bon se déranger? Du reste, je vais commencer quelques études dans la campagne

d’atelier, à quoi

d’abord, maintenant

que

la

douce encore; plus tard quand

température est la

saison devien-

dra chaude, je travaillerai dans les églises et les

musées.

comme

Il

arrive,

dans

musées de Rome

les

partout, que les belles toiles dont on au-

rait intérêt à

garder un souvenir sont occupées

par des copistes plus ou moins forts d’inscriptions sont souvent vais m’inscrire dès

nombre de choses

;

fort

;

les

listes

longues et je

maintenant pour un certain je

ne sais pas quand je pour-

rai les faire.

Cette lettre étant joins

aucun

rait.

J’écris à

lettre...

purement

d’affaires, je

détail pittoresque...

n’y

cela détonne-

bonne maman. Demande-lui ma

N’oublie pas de m’envoyer les portraits

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

80

de famille. Tu

sais

que

je n’en ai pas

ma

de

mère. A H. BÜ5SINF,

25 J’ai

avril,

1867.

mor-

porté dernièrement chez Lislz le

ceau de Camille

et

il

Ta reçu ainsi que son por-

teur avec une amabilité charmante. J’avais

peu peur en tirant

le

cordon de

bien qu’amené par un de àListz,

mon cœur

battait

sonnette, et,

mes amis

déjà présenté

comme

commencé par

dentiste. J’ai

un

la

à la porte

balbutier des

d’un

Mon-

seigneur, Monsignor, Monsieur l’abbé, maestro, etc... si

Mais

ber

mon

m’a mis

il

simple et

à

mon

aise par

bienveillant que

si

effroi et n’ai

un accueil

j’ai laissé

plus vu, dans cet

tom-

homme

noir à grands cheveux, qu’un artiste chaud et

passionné,

un ami dévoué de Camille.

parlé de lui avec très-sincère.

Il

Veni Creator s’arrêtant à style, la

Il

m’a

une admiration qui m’a paru a déchiffré

que

je

venais

séance tenante

de

lui

chaque instant pour en louer

coupe savante

le

remettre,

et originale. Puis

le

beau

il

nous

a joué, avec cette puissance et cette énergie fan-

tastiques que vous lui connaissez, des

morceaux

de ses symphonies de Dante et de saint François à le venir voir le

vendredi quand

je voudrais. Je le croyais poseur.,

mais je suis re-

et

m’a engagé

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

venu de

8t

cetle idée-là et suis sorti de chez lui pro-

fondément impressionné par son jeu, son aménité, et sa belle tête.

En

de musique, je n’ai entendu

fait

deux messes pendant

la

à la chapelle Sixtine et

semaine sainte.

peu de talent des chanteurs rable dont

ils

de

que

choqué du

J'ai été

et

ici

des Miserere

façon déplo-

la

étaient conduits. La maîtrise de la

chapelle Sixtine est bien tombée, et pourtant elle a

de bien belles choses à exécuter. Dans cette

salle merveilleuse, sous ce

plafond

Jugement dernier qui vous élèvent

et si

devant ce

haut que

le

moindre chant viendrait compléter l’harmonie et s’embellirait

on

du voisinage du géant Michel-Ange,

serait disposé à

religieux.

Au

admirer n’importe quel chœur

lieu de cela les chanteurs vous ar-

rachent à votre contemplation par des timbres plus que

criards et désagréables, des accords

douteux, des rentrées mal faites, des

trilles tou-

jours manqués, des miaulements dont sien

peut seul avoir idée,

quième étage sous des

s’il

toits

un

Pari-

a habité au cin-

fréquentés par des

troupes de chats amoureux. Je ne puis trouver d’autre comparaison pour vous faire comprendre ce

que

j’ai souffert

,

en entendant écorcher ainsi

de belles fugues et de beaux motels. Une fois, pourtant,

ils

ont bien chanté un chœur superbe


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

82

el ont produit des effets et

de sonorité intéressants

étrangement puissants. Mais, en général,

cultivent la fausse note et le cri avec

ils

une persis-

tance désastreuse. J’ai assisté

dimanche

à la bénédiction

pape donne chaque année, haut de

la

le

que

le

jour de Pâques, du

Loggia , au peuple agenouillé en foule

sur l’immense place de Saint-Pierre. C’était un

merveilleux spectacle, bien émouvant et d’une

grandeur imposante. La voix du pape résonnait dans toute l’étendue de

la place, et

son geste

noble se voyait de partout. Cela m’a rappelé le récit

Je

du Tannhàuser.

me

vocaux

:

suis remis ces jours-ci à cela

me

fera

mes

du bien, car ma

exercices voix était

devenue d’une lourdeur désespérante. Quant à la

peinture, je n’en

mieux regarder

et

pas

ai

fait

encore. J’aime

comprendre que de me mettre

immédiatement au

travail. J'espère

de quelques mois

me

pera en moi et, je

le

fera

que

du bien

sens artistique.

J’ai

cet arrêt

et dévelop-

beaucoup vu

pense, beaucoup appris. C’est ce que l’ave-

nir nous apprendra.

vous espérer

Je n’ose pas

ici,

et

pourtant

une séparation de quatre ans, savez-vous que c’est bien

long

1

Soyons philosophes. Car,

temps semble long pour

le fils et

si

pour l’ami,

le il

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. passera encore trop vite pour

83

le peintre. J’ai tant

si

peu en quatre ans!

Toutefois, j’aime à croire

que vous ne rougirez

on

à apprendre et

pas de moi,

et je

fait

compte beaucoup sur

née de voyage pour

me

cette an-

transformer et

m’in-

struire A SON PÈRE.

25 avril 1867.

Voilà trop longtemps que je ne

mon

breuses durant

de

faire

dre

le

la

t’ai

écrit,

mais

mes occupations nom-

excuse est dans

semaine sainte.

J’ai été

queue pendant des heures,

obligé

afin d’enten-

Miserere à la Sixtine. J’ai assisté aux gran-

des processions qui se sont faites à Saint-Pierre, à l’occasion de l’anniversaire du retour deGaële,

puis le jeudi saint et

le

dimanche de Pâques.

C’est superbe.

Je suis bien revenu sur le Pierre, qui ne m’avait pas les

premières

depuis

à le

fois que. je le

compte de

énorme

et, à

visitai; j’ai

certains

qui, au

Saint-

grande impression

connaître et à l’aimer. J’y

merveilleux effets basilique

fait

ai

appris

vu de

moments,

premier

cette

abord

ne

semble pas très-religieuse, prend un aspect mystérieux et imposant, que viennent grandir encore les

fumées de l’encens

et les

grandes ombres des

voûtes*

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

8t

Le jour de Pâques surtout, sous

le vestibule,

c’était inouï. J’étais

au moment où

grandes

les

portes du milieu se sont ouvertes, laissant aper cevoir

le

fond de

l’église

-

dans une sorte de

brouillard lumineux, au milieu duquel se profilait

le

monte

grand dais à colonnes torses qui sur-

l’autel.

rayons de

Grâce aux fumées d’encens

soleil qui les traversaient, la

de Saint-Pierre

était plus que. triplée.

près de nous était un peu sombre

de

la

et

aux

profondeur La nef plus

et,

au milieu

porte, la procession des cardinaux, des évê-

ques de tous pays, avec leurs grandes mitres blanches, arrivait sur nous, dominée par le pape,

porté sous un dais rouge et couronnant ce splendide tableau

si

merveilleusement encadré. De

ma

vie je n’ai vu chose plus belle et plus grandiose.

Quelques inslants après, dans toute tendue de rouge, sous

grande loge

la

un immense vélum

qui mettait dans une ombre transparente pres-

que toute

la

façade de Saint-Pierre,

]

e saint-pèr e

apparaisssait porté sur son trône, sous

accompagné de deux énormes

de paons blancs, et d’une voix forte donnait la bénédiction à tout

couvrant

la

un

dais,

éventails en queues

le

et

peuple

sonore à

place entière. C’était le speclacle

plus grand et

le

il

genoux le

plus émouvant qu’on puisse

rêver. Debout sur le pavois, les bras étendus sur

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CORRESPONDANCE DE HENRI REf.NAULT. la foule, le saint-père se voyait

de toute

85 la

place

et sa voix s’en allait au loin, au milieu d’un

lène^ incroyable. Le centre de

cupé par l'armée

si-

place était oc-

la

que

pontificale, tant fantassins

cavaliers. Après la bénédiction, le peuple a poussé

des

cris

de

Viva

:

il

santo padre

des mouchoirs.

re! en agitant

,

des palmes

et

cette scène

une impression profonde, aucun pays

crois pas qu’en

il

J’ai

et

au point

la fois

au point de vue artistique.

Je n’ai eu qu'une désillusion

rapport de

;

c’est

sous

musique. La maîtrise de

la

ne

et je

puisse y avoir rien

d’aussi beau et imposant, tout à

de vue moral

remporté de

la

le

cha-

pelle Sixtine n’est pas brillante; elle écorche trop

souvent de

splendides

conviens, d’une

motets.

difficulté

Ils

sont,

j’en

prodigieuse, surtout

sans aucun accompagnement qui guide les exécutants; mais ceux-ci pourraient chanter moins

faux

et

avec

des

timbres moins criards

et

moins désagréables. Et puis à Saint-Pierre, au lieu

d’une vingtaine de chanteurs,

il

faudrait

des doubles chœurs de cent ou deux cents voix

au moins. C’est d’une maigreur déplorable, est impossible

sont,

faute

avec le l’effet

d’être

ému

de puissance,

grandiose

et

il

par des chants qui si

peu en rapport

déployé partout.

d’un géant de vingt pieds, qui

Cela

fait

aurai.t

une

8

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

80

tôle grosse

voix de

comme un

une

poing d’enfant ou

cricri

A H. MALLARMÉ.

25 avril 1867.

...Tu ne te figures pas combien je suis

heureux

mon

assiette!

de trouver une lettre de France sur

Et ce plaisir ne m’arrive pas aussi souvent

ma

je le voudrais. Si elle

me

que

pauvre mère vivait encore,

gâterait sous ce rapport-là; je suis

sûr

qu’elle ne serait pas avare de ce cadeau si pré-

cieux pour

l’exilé.

Je n’ai jamais autant senti le

vide que sa mort m’a laissé que depuis

mon

dé-

part de France.

Et pourtant

que possible

;

mes journées je vois

sont aussi remplies

du nouveau presque tous

ma vie dans des enthousiasmes mon sac d’admiration se remplit à

les jours, je passe

continuels et

mesure que

j’en dépense. La

est merveilleuse le plus

;

c’est elle

campagne romaine

qui m’impressionne

vivement. C’est ce que

j’ai

plus écrasant. Et la chapelle Sixtine il

jamais vu de !

! !

n’y aurait pas besoin d’autre chose à

chapelle Sixtine

et la

campagne!!!

11

ya

Pour moi,

Rome. La là

de quoi

émouvoir, de quoi inspirer, de quoi élever l’âme del’artiste, sans jamais la lasser.

On resterait vingt

ans ici que la vingtième année on serait encore plus passionné pour ces merveilles, auxquelles

il

ne

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

87

peut exister nulle part rien de comparable. Je serais bien heureux de voir ton enthousiasme de-

vant ce qui m’émeut tant tous les jours.

Lundi je vais chercher un autre genre d’émotion, plus doux, plus calme

:

je vais passer trois

semaines ou un mois à Naples. Ce beau mois de

mai donnera au pays un aspect plus jeune encore heureux. Et puis je travaillerai, à

et plus

mon

retour. A SON PÈRE.

Jeudi, 2 mai 1867.

Rome

Je suis parti de

nepveu,

lundi matin avec Le-

et le soir vers sept

à Naples, après

un

trajet

heures nous étions

en chemin de

fer

de

toute beauté, à travers des montagnes admirables auxquelles le ciel chargé de nuages orageux

donnait

les effets

leil

dramatiques et

les

sommes entrés, au

so-

les plus

plus sauvages. Puis, nous

couchant, dans cette riante campagne de Na-

ples,

au milieu de vergers d’ormeaux

et d’oliviers

réunis entre eux par des festons de vigne. Cela a

un

air de fête qui

rend heureux

Le musée de Naples n’est pas riche en peintures. Je n’y ai

de Titien

et

remarqué que deux ou

trois toiles

de Ribeira. Mais en revanche

il

pos-

sède quelques bronzes merveilleux, dont je ne

connais d’équivalents dans aucun musée. Les


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

88

peintures de

Pompéi réunies dans deux ou mais je

salles sont très-intéressantes,

core eu

temps de

le

n’ai

trois

pas en-

les étudier avec assez

de re-

cueillement. Mercredi, nous avons passé

la

rente. C'est le paradis terrestre Il

y a là des

journée à Sor-

!

hommes, des femmes,

et surtout

des enfants magnifiques. Nous allons nous y in-

pour quelque temps,

staller vailler,

me

et là, je

compte tra-

livrer au croquis et à l’aquarelle

avec

une ardeur digne des merveilles que j’aurai sous les veux %t

K

SON PÈRE.

H

Je suis au paradis!

Tu ne peux

idée de Sorrente. Ah! quelles

mai 18G7. faire

te

une

matinées, quel-

journées et quelles nuits surtout! Si lu sa-

les

vais

ce

que

c’est

que

mer de

la

Naples, reflétant la lune et silhouette

du Vésuve dans

baie

la

les étoiles,

le

de

avec la

fond! Et ce calme,

ce silence, interrompus toutes les trois ou quatre

secondes par rir

le

doucement

Depuis

ma

soupir de à

la

mer, qui vient mou-

nos pieds sous

dernière lettre,

la terrasse

j'ai fait

!

bien des

choses. J’ai

d’abord été

vent d’où

le

à

San Marlino, un ancien cou-

noble Victor-Emmanuel, ce grand ioi,

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

n chassé

les

moines,

dans presque toute

comme

il

l’a fait,

89

du

reste,

Ce grand monarque

l’Italie.

libéral qui veut la liberté de l’Italie,

ne permet

pas à un malheureux moine de vivre tranquille-

ment, loin du monde, dans convient. les

Il

sa cellule, si cela lui

trouve plus convenable de convertir

couvents en casernes. Cinq ou six moines

sont laissés pour

le service

de

la chapelle, les

autres sont priés de changer de costume et de s’en retourner chez eux. Cela m’a fait

beaucoup

de peine de voir à Florence ces pauvres couvents de Dominicains, que Ficsole avait couverts de merveilleuses, complètement

déserts

maintenant, ces pauvres cloîtres vides,

les cor-

fresques

ridors des cellules et les cellules complètement

nus. Enfin, bref, de San Marlino on a une vue splendide; on domine toute la baie de Naples,

Dieu

sait

ce que c’est que la baie de Naples.

et

Il

y

a là aussi de très-beaux Ribeira.

Puis,

j’ai

passé une journée à Pompéi;

mon

pauvre oncle Mazois serait bien heureux de voir

Pompéi maintenant. On y

travaille toujours et

a découvert bien des choses depuis parlerai de

Pompéi plus

sans doute, quand j’effleure

un peu

j

lui.

on

Je te

tard, l’année prochaine

v travaillerai. Cette année

tout,

mais

temps de m’arrêter quelque

je n’ai

guère

le

part. .

8.

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COHRESl 0 .NUANCE

90

Le lendemain et

E HENRI REGNAULT.

i

j'ai fait

l’ascension

du Vésuve

une descenle dans Herculanum.

semble

Les fouilles sont très-peu avancées, on

môme avoir renoncé à les continuer. Ilerculanum est enfoui sous 80 pieds de lave, et Portici et

Résina sont bâties dessus. Les travaux dans

cette lave si

dure sont excessivement coûteux

on n’a guère retrouvé que

le théâtre,

:

qui est fort

grand, et dans lequel on a découvert une grande quantité de statues de marbre et de bronze. Cela

donnerait vraiment envie de pousser plus loin les recherches.

Herculanum,

grandeur de son théâtre tres de

si

compare

l’on

à celle des

la

deux théâ-

Pompéi, devait être infiniment plus con-

sidérable

que Pompéi. Les plus beaux bronzes

du musée de Naples proviennent presque tous d’Herculanum,

et le théâtre seul

a été fouillé!

Quelles richesses incomparables on trouverait,

une

fois

arrivé au

L’ascension

Forum

du Vésuve

et

aux temples!

est

très-intéressante.

On chemine pendant une heure dans l’éruption de 1858

formes

les

ou 1859. Ces

les laves

de

laves affectent les

plus fantastiques. Dans certains en-

droits elles sont tordues

comme

d’autres on croirait voir

des cordes, dans

un champ de

bataille

avec des cadavres enlacés et amoncelés en monta-

gne, Plus loin on croirait voir une

mer

furieuse

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

uns contre dans

moment où

au

solidifiée

les autres.

le cratère,

une le

Nous sommes descendus

moment

où par

leur épouvantable,

91

ses flols luttaient les

il

fait

une cha-

où l’on est suffoqué par

et

violente odeur de soufre. Mais en ce moment,

Vésuve

est sage et

ne lance que quelques pe-

tites bouffées

de fumée qui ne font pas grand’

peur. Ce qui

est

vraiment curieux,

c’est

cette

marmite immense dans laquelle sont entassées pêle-mêle, des masses de pierres et de laves à

moitié refroidies, affectant les formes les plus bizarres et revêtues des tons les plus étranges... Puis,

au cap Misène, où j’ai vu l’empla-

été

j'ai

cement de

que tous

les

gens bien posés de l’empire romain avaient

fait

cette multitude de villas

construire sur cette côte, à cause des eaux de toute espèce et de toutes vertus qui sourdent

du

pied des montagnes volcaniques du pays.

Depuis

mon

séjour à Sorrente, je circule à âne les environs. C’est à devenir fou,

ou à pied dans tant c’est beau

!

On

respire à pleins

parfum des citronniers tent

leurs

fleurs

en

et

poumons

le

des orangers qui por-

même

temps

fruits...

Mais en voilà assez:

chanter

les

si

que leurs

me mets à il me faudra

je

charmes de Sorrente

écrire vingt-cinq mille vers...

Nous irons prochainement

à Capri, à Amalfî, à

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

02

Païenne, à Pæstum

de choses à voir

nous ne posons point.

;

et à

un

Je passerai certainement ges.

de

Que

admirer dans ce pays idéal été

!

dans ces para-

y a beaucoup à faire et, au point de vue nature humaine, on peut trouver ici, bien

Il

la

mieux qu a Rome, des types très-beaux,

et

d’un

caractère original et sauvage... A SON PÈRE.

Sorrente, vendredi 15 mai 1867.

Je

bon

ne parti

tirerai

que

mon

je croyais de

à Sorrente.

et

malheureusement pas un aussi voyage à Naples

Depuis six joursje suis souffrant,

maux de tète et d’estomac. Je ne quitte mon lit et, malgré un traitement vigoureux,

pris de

pas

Dans

je suis bien faible.

la

crainte que cela

ne

dure encore quelques jours, nous partons ce soir

pour Naples

et

demain pour Rome.

C’est désolant de

tronquer un

si

beau voyage...

A SON PÈRE.

Rome, 29 mai 1807.

Je suis revenu de Naples

voyage, mais depuis,

j’ai

un peu

eu

le

fatigué par le

temps de

me

re-

mettre complètement. Je suis un peu maigri, c’est vrai,

mais on ne reste pas impunément neuf

jours sans manger. Je vais reprendre peu à peu

mes. forces et commencer voyage d’étude dans

le

le

mois prochain un

nord de

l’Italie.

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Goo


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Tu me

de ces excursions, que tu comptes à

de l’automne. Je ne

la fin

tout

le

93

parles de t’attendre pour quelques-unes

monde

Il

est

moi

faire avec

conseille pas, et

de venir à

te le dira,

le milieu d’octobre.

le

Rome

connu que

avant

les

mois

précédents ne sont vraiment pas bons à passer à

Rome, surtout pour quelqu’un qui n’est pas acclimaté. Du reste, les gens du pays sont encore plus éprouvés par

le

climat que Jes étrangers.

Les fièvres minent peu à peu ces peuples du La-

tium pendant presque tout

rend

cette race

si

pauvre

Je ne passerai pas l’été à et je n’y reviendrai

d’octobre. et

Du

les

premiers jours

reste M. Hébert s’absentera aussi

ne reviendra guère qu’à ce momenl-là.

Après mure réflexion pas pu faire,

qui

peu vigoureuse.

Rome, bien entendu,

que vers

inutile de s’exposer à ces

le

l’été. C’est là ce

et si

comme

maudites

j’ai

Il

est

fièvres.

décidé que, n’ayant

font tous les prix de

Rome,

voyage d’ensemble du nord de l’Italie, au mois

de décembre avant de se rendre à la fin

de janvier,

j’ai

d’une façon plus lente là cet été,

comme qu’ils profit

au lieu de

ils le

Rome pour

décidé, dis-je, que je ferais et

plus complète ce voyage-

le faire

font d’habitude,

en simple touriste,

vu

le

peu de temps

peuvent y dépenser. Je compte en tirer un immédiat. Restant assez longtemps dans


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

9i

chaque

me

je

ville et

surtout à Florence et à Venise, des

livrerai à

études sérieuses qui

ne

m’empêcheront pas de mûrir mon Envoi, auquel

me

je

mettrai complètement au mois d’octobre.

Je ne crois pas que ce soit trop

comme

d’agir

cela.

manière de voir en

Tu

me

presser

combien de

sais

art s’est modifiée, et

fois

que

ma

combien

de nouveaux horizons, qui m’étaient longtemps restés cachés, se sont

moi. Je

n’ai plus le

niment

à

ce

ment

peu près toute

ma

première année, connaî-

pour

l’Italie

années suivantes

et

chaque nouvelle tournée:

«

les

du

système de changement, ou

moins, je veux, dès tre à

peu à peu ouverts devant

temps de m’abonner indéfi-

me

guider sûre-

ne pas m’écrier à

Ah

1

si

j’avais

vu

cela l’année dernière, je n'aurais pas fait ceci, je

me serais détourné

de

cela.

. .

etc. » Je

veux savoir

dès maintenant vers quoi je suis vraiment

le

plus

porté, où je devrai revenir de préférence, quelles

sont les œuvres dont l’étude pourra développer

en moi

les qualités

et celles qui

que

j’ai

à

l’état

soupçonne pas en moi Cette lettre est

les

germes.

un peu une réponse

Montfort, et je te prierai de la lui

puisqu’en causant avec lui

d'embryon

m’en donneront d’autres dont je ne

toi,

à celle de

communiquer

je trouve l’occasion

de

répondre sur certains points où nous ne som-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. ines pas tout à

instant que je suis à Sèvres,

dîne avec nous,

et

95

d’accord. Supposons donc

fait

un

un jour que Montfort

qu’après dîner nous discutons

tous les trois.

Dans sa laquelle

lettre si affectueuse, si

me donne

il

bonne

dans

et

d’excellents conseils,

m’écrit une phrase qui va

me

il

servir de thème, et

qui me permettra de vous développer

mon opinion

si toutefois

vous voulez bien ailacher quelque

importance

à

mes

les soutenir par ce

idées, bien

que

ne puisse

je

grand tuteur qu’on nous jette

toujours à la tête, à nous autres jeunes gens l'expérience .

:

Mot sublime qu’on nous présente

comme la tête de Gorgone. Ma foi, tant pis je ne me laisse pas pétrifier par la fameuse Gorgone et !

je pars, convaincu

un instant que

rience infuse. Oui, criez; c’est

Montfort

dans sa

me

lettre,

disait

j’ai

comme

ça

!

l 'expé-

...

donc entre autres choses,

que je ne devrais pas accumuler

voyage sur voyage et excursion sur excursion, mais, au contraire, les espacer et m’arranger de façon à ne voyager que pour travail fait à

Rome. Voilà

me

le point

reposer d’un

sur lequel nous

ne sommes pas d’accord. Les années suivantes je ferai cette année,

il

comme

est de toute nécessité

cela

que

;

mais

j’aie

une

*dée générale sur l’art italien, et cela pour ga»

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m

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

gner du temps,

et, je te le disais tout à

l’heure,

pour pouvoir plus tard,

à

chose dont j’aurai besoin

comme on cherche dans

un

coup sûr, chercher la

dictionnaire que l’on connait bien.

Je regarde

comme une chose presque mauvaise Rome avant de connaître à fond

qu’on arrive à cette

çon

longue histoire de

l'art

qu’on

lit

d'une fa-

complète déjà à Florence et dont on doit

si

combler

par

les lacunes

la

de Milan, de

visite

Padoue, de Parme, de Sienne, de Fisc, de Venise, etc...

Que voulez-vous qu’on

fasse

quand de but

en blanc on se trouve en face de ce formidable géant de

devant

la

lui,

chapelle Sixtine?

quand

à

chaque

Que peut-on oser

visite

on

est écrasé

sous un double sentiment d’étonnement et d’admiration, tellement étrange, qu’on se demande

si

ce n’est pas de la peur? Pour moi, Michel-Ange est

un dieu auquel on n’ose pas toucher

:

on

craindrait qu’il n’en sortit du feu.

Pour l’instant du moins, je

me

sens pas

le

même qu’il me me contente

je

platif.

n’ai pasenvie, je

courage de l’aborder; ferait

de

je

ne

pressens

plus de mol que de bien et

lui

rendre un culte contem-

Mais quant -à l’attaquer

main, j’avoue que

je

les

armes

à la

ne m’en sens pas encore

la

force.

Et

pourtant j’en comprends bien, je crois,

Dîgïtizea by

GlJUÿk;


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. toute

la

grandeur, toute

pour l'ensemble de

l’art.

pourrait supporter

un

un

97

beauté écrasante

la

Rien évidemment ne

parallèle avec lui

:

c’est

colosse qui écrase tout ce qui l'approche.

Yoilà pourquoi je n’ai pas encore travaillé à la

chapelle Sixtine, voilà

mieux

pourquoi,

si

j’avais été

portant, j’aurais fait des études d’après

nature aux environs de Naples, voilà pourquoi, la saison était

à

Rome,

et

moins chaude

si j’étais

si

qu’elle ne l’est déjà

imprudent,

j’irais faire

des

éludes dans la campagne romaine où je connais tant de paysages d’un caractère

dont

si fier et

les

aspects variés et toujours grandioses m’émerveillent sans cesse

voilà pourquoi, enfin,

;

aller étudier des maîtres qui

me

font

je vais

moins peur

que Michel-Ange. Je

demanderai quelques conseils

fresques que

musées Pitti de

toiles

j’ai

et

vues à Florence

des Offices,

j’ai

dans

les

noté bon nombre

qui m’instruiront beaucoup, sans que

je craigne d’ôtre entraîné par

mense

à certaines et,

(et

une force trop im-

contre laquelle je ne pourrais rien),

à

devenir un diminutif de Vasari, exagérant encore les charges qu’il fait

sible

autrement

nelle que arts.

Tous

:

de son maître. C’est impos-

c’est

la

l’on retrouve à

loi

immuable

et éter-

chaque pas dans

les génies qui ont porté

les

une branche 9

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.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

'J8

quelconque

pour ainsi

(le l’art

à son

sommet, qui ont épuisé,

que ce

dire, tout ce

filon

pouvait don-

ner, sont des culs-de-sac. Après eux n’arrivent

que des élèves difformes qui vont contre lç fond dudit cul-de-sac. nouilles et veulent égaler le ils

en crèvent.

Ils

se casser le

Ils

nez

sont des gre-

bœuf en grosseur

:

veulent aller plus loin que le

maître, oubliant qu’ils viennent trop tard et qu’il n’y a plus rien à tenter dans cette voie-là, et

tombent dans

la caricature

;

une admiration béate pour un génie prennent à peine, mais devant lequel la tête, ils

Ils

ne sont rien devant leur enseignement

veilleux

moins encore pendant que

qu’ils

il

Pour

com-

reconnaissent qu’ils

fétiche et,

malgré

mer-

le

n’auraient été en venant

artiste

moitié chemin et que

faisait

progresser l’école

sortait.

faire

de

(langage

un peu

pensée)

il

;

l’art,

il

trivial

faut se monter

le

coup ,

mais qui rend bien

ma

faut croire qu’on va faire faire à l’Art

un pas nouveau. Sans tant de

com-

courbent

qu’ils ont reçu, ils sont

l’art était à

chaque nouvel d’où

qu’ils ils

n’osent plus rien, et deviennent

plètement impuissants.

ils

ou bien, châtrés par

mal ?.

cela, à quoi

bon

se

donner

.

Bref, pour mettre fin à tout ce bavardage, je

suis persuadé

que

mon

voyage de cet été va

me


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

90

développer énormément. Je vais exploiter de

Rome

vrais trésors, et je rapporterai à

des et des impressions qui faire enfin

de

découvrirai

la

des étu-

permettront de

peinture dans ia voie que je

et

me

je

me

tâcherai de

me

fortifier le

plus possible. Je ne sais ce

que

je pars,

malgré

que je reviendrai

ne sachant rien

;

mais je sais ce plein d'espoir

et

cela.

com-

Je suis décidé à étudier beaucoup, pour

mencer,

les

maîtres qui ont

les Titien, les

Léonard à être ce

pas que je croie qu’ils

un

Titien,

la fois;

amené

me

un Léonard

les Raphaël,

qu’ils sont.

Non

rendront un Raphaël, et

un Véronèse

tout à

non, je n’ai pas tant d’ambition. Mais,

dans leur sentiment naïf et profond

et les

grandes

qualités de couleur qui m’ont frappé chez beau-

coup(je ne parle que deceque

on peut

lire

j’ai

vu

à Florence),

plus clairement que chez les maîtres

arrivés qui sont plus retors et cachent

leur jeu. Ce qui ne

mieux

m’empêchera pas de frapper

quelquefois à la porte deYéronèse, de Titien,

du

Tintoret, d’André del Sarte et autres, et de causer

un peu avec eux pour rapporter quelque chose de leurs bonnes leçons. Je vous demande pardon de vous ennuyer

si

longtemps de mes idées que

vous ne partagerez peut-être pas;

j’ai

voulu

me

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

100

confesser, et, comme cela ne m’arrive pas souvent, il

y en a eu long....

Lés impressions vaient-elles

du jeune

artiste

pou-

plus fidèlement

se refléter

et

avec une vérité plus sympathique que dans ces pages émues? Il y laisse voir une âme ardente, pénétréejusque dans ses plus intimes replis par l’admiration

des maîtres,

une

intelligence éclairée et raisonnée de l’art, et

une défiance de lui-même qui

dans

la

pour

les

profondeur

même

œuvres sublimes

yeux. Non-seulement il

leur voue

et s’il n’ose

loin, si

une

il

les

a sa source

de son respect qu’il a sous les

comprend, mais

sorte de culte passionné,

encore les contempler que de

dès l’abord

il

n’essaye pas de les

copier, c’est qu’il a peur de porter sur elles

une main

sacrilège.

à rencontrer, unie

modestie

si

Sommes-nous habitués à

tant

de talent, une

pleine de grandeur et de sin-

cérité? Et cependant on a cru

que Régnault

était

chefs-d’œuvre des

resté

pouvoir avancer indifférent

maîtres,

froid

aux

devant

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. la beauté divine qui s’y révèle

Florence, ditM. Charles Blanc,

Rome ne

et

après avoir reconnu les

le

101

« L’austère

le séduisit

lui plut jamais. » Et

Régnault par

peu

M. Mantz,

charme exercé sur

aspects

côtés anecdotiques de

les

:

pittoresques

et

Rome, ajoute

:

« Mais, pour lesgrandes créations de Michel-

Ange

et

de Raphaël, pour

les

l’antiquité, ce fut autre chose

maturité de

cœur

l’esprit,

un

:

prodiges de

une certaine

du

certain trouble

sont nécessaires à qui veut sentir ces

nobles inventions. L’heure n’était pas venue

pour frir,

lui

le

de savourer, au point d’en souf-

charme

rieure de

ces

victorieux, l’émotion inté-

œuvres

grandioses et ex-

quises. »

Cette appréciation tout imaginaire et fantaisiste s’évanouit

les lettres

à

une toutes

lui,

en

d’elle-même quand on

de Régnault. les

Il

affirmations. Nul plus

ner pour Michel-Ange, nul plus que

comme

que

de nature à se passion-

effet, n’était

s’est senti

lit

en contredit une

écrasé par

cet

lui

ne

incom-

parable génie. Ce n’est donc pas par indifférence, mais par

une

sorte de terreur respec9.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

102

tueuse, qu’il s’éloigne du colosse dont

la

crainte le poursuivra toute sa vie.

L’étude de bait ni tés.

peinture, au reste, n’absor-

la

tout son temps ni toutes ses facul-

Merveilleusement doué pour

ardent et curieux, à

un goût ou

à

un

il

les arts,

ne se restreignait pas

travail exclusifs

nous le

;

voyons rester Parisien tout en vivant à Rome,

au mouvement intellectuel

s’associer de loin

et artistique, s’intéresser à tous

ceux qu’il

avait aimés et quittés, et chercher en de-

de

hors

la

peinture les distractions

riées et sérieuses

complète. parfois sa

mantes,

Il

va-

que réclamait sa nature

si

avait le goût des lettres, laissait

plume

tracer des

et cultivait

stances char-

surtout l’intimité de

Musset, de Byron, de Victor Hugo et des autres poètes qu’on peut appeler les coloristes et

de

la littérature.

Excellent musicien

secondé par une voix délicieuse,

tait

il

chan-

chaque semaine aux réunions de M.

directeur de l’Académie.

Il

le

étudiait attenti-

vement toutes

les

les appréciait

avec un jugement à

productions musicales et la fois

raisonné et passionné.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Cependant l’Exposition

1867 venait d’ouvrir elle les artistes

ses

de tous les pays. D’autre

grande violence, Médicis

de

portes et attirait à

Rome

part, le choléra sévissant à

villa

103

universelle

avec une

pensionnaires de

les

obtinrent l’autorisation

la

de

venir à Paris. Cette mesure exceptionnelle

renverse tous les plans de Régnault. Adieu

voyages

adieu galeries, musées,

projetés,

études artistiques d’après les maîtres liens. Et pourtant,

ter

comment ne

de cette occasion unique qui,

début, rompait un

exil

ita-

pas profi-

dès

le

de quatre ans,

et

permettait au jeune artiste de se retrouver

au milieu des siens?

Il

n’y résista pas, mais,

pour tout concilier,

il

résolut de voir rapi-

dement

l’Exposition, de ne passer

de temps à Paris,

et

que peu

de réaliser ensuite son

désir de visiter le nord de l’Italie, avant de

retourner

à

Rome.

Nous

verrons

quelle

suite de circonstances vint entraver encore

ces combinaisons et le priver de ce voyage

ardemment ambitionné,

et

que jamais

il

si

ne

devait faire.

La première œuvre’importante tentée par

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

104

.

Régnault fut commencée pendant ce séjour à Paris, de juin à décembre 1867 parler du portrait de

madame

:

D**\

je Il

veux eut à

passer par des phases bien diverses, et

me

motif personnel

trême intérêt bit.

les

fit

suivre avec

un

un ex-

transformations qu’il su-

Je crois qu’il ne sera pas sans utilité,

pour

l’art

naître la

comme pour la critique, de consomme de travail dépensée dans

œuvre, d’un aspect

cette

facile et si li-

si

bre, et d’assister tour à tour aux découra-

gements profonds, puis aux retours de confiance qui se succédèrent dans l’esprit

jeune

Au commencement de me faire un

Régnault de la Il

du

artiste.

jeune

fille

qui allait devenir

n’était question alors

sans importance,

devant être

juillet,

petit

le

je priai

portrait

de

ma femme.

que d’un médaillon

nombre des séances

fort limité.

Régnault se mit à

l’œuvre. Mais lorsqu’il dut adopter une pose

pour

les

mains,

il

chercha vainement à les

placer d’une manière qui le

satisfit,

dans un

cadre aussi restreint. La toile fut donc agrandie une première fois, etla composition chan-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

gée.

Madame

I)...,

105

assise d’abord, fut repré-

sentée debout. Malgré cette modification,

mouvement tain.

le

des bras restait toujours incer-

Régnault eût voulu trouver quelque

chose qui échappât au domaine de

rou-

la

tine.

Un jour

il

prit

un fusain,

l’écrasa

surune

feuille de papier, et y traça fiévreusement le portrait tel qu’il devait être.

La composi-

tion qu’il cherchait vainement depuis quel-

ques jours venait de

lui apparaître.

Il

se

me montra son esquisse, m’entendant me récrier sur la dimension

tourna vers moi, et

très-considérable qu’il faudrait nécessaire-

ment donner au

portrait,

lui laisser toute latitude

qu’il concevait et

comme

il

me

supplia de

de reproduire ce il

le

concevait

se sentait sûr

de

sais libre,

incapable de réussir

et

;

il

lui, disait-il, si je le laissi

je le

forçais à réduire les proportions et le caractère

de ce tableau...

bonnes raisons je

dus céder à

et se

Il

accumula tant de

montra

si

inflexible

que

la fin.

Son séjour à Paris se trouva par

même

prolongé et ses projets renversés une seconde

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

100 fois. il

Du mois d’août au mois de décembre,

travailla à cette toile, sauf pendant lestrois

semaines qu’il vint passer à

campagne

la

avec moi.

pendant ces mois que furent

C’est aussi

exécutés presque tous ces merveilleux portraits

au crayon, au nombre d’une vingtaine,

un des plus sûrs

qui seront

titres

de gloire

d’Henri Régnault et que l’exposition

thume de

œuvres a

ses

que tous pour

première

la

pinceau de

Si le

fait

pos-

connaître pres-

fois.

l’artiste avait

encore des

doutes, des hésitations, on n’en peut à coup

sûr dire autant de son crayon; tour à tour savant et ferme, audacieux et doux, rêveur

ou accentué, suivant

le

savait se modifier à l’infini,

il

modèle

qu’il représentait et avec

lequel sa manière semblait s’identifier.

Régnault, du reste, avait conscience de sa supériorité en ce genre et sait

:

«

Ah

!

si

un jour

je savais peindre

sais dessiner, je serais bien

il me dicomme je

heureux! Cela

viendra peut-être, en travaillant beaucoup. »

Au commencement de décembre, gnault reprit

le

Ré-

chemin de Rome. Le por-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAI

1

ment fond

faits

était

que

n’y avait de vrai-

la tête et le

bras gauche. Le

encore indécis, la robe et

mettre

le lévrier

Rome que nous

inachevés, et c’est à l’artiste

10 7

LT.

Il

trait n’était pas terminé.

verrons

dernière main à cette

la

toile.

Tout en travaillant à ce portrait, bien souvent

le

peintre avait pensé au tableau qu’il

comme

composerait

envoi de première an-

née. Son sujet était choisi, c’était Judith au

moment où

elle va,

par un meurtre, accom-

plir la délivrance d’Israël. Déjà Régnault en avait fixé sur le papier plusieurs esquisses. Il

rapportait

même

de Paris quelques étu-

des très-serrées faites d’après modèle, et à

peine arrivé à Rome, à l’œuvre. Mais

mande de M.

il

se mit sérieusement

presque aussitôt, à

Hébert,

il

la

de-

dut renoncer à son

projet. Laissons, selon notre habitude, la pa-

role à l’artiste

:


à

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

108

» SON PKBE.

Rome,

7

décembre 1867.

Nous sommes arrivés hier au

soir à l’Aca-

démie après un voyage assez agréable; pour

ma

part je n'étais pas fatigué!

Nous nous sommes embarqués mercredi six

heures: mais

la

soir.

mer était trop mauvaise pour

nous permettre de sortir du port. Nous avons dû passer la nuit en rade. Le lendemain malin à

demie, nous avons été réveillés par

six

heures

les

craquements du bateau

violentes

;

et

et des secousses assez

nous étions en mer.

Nous nous sommes levés sur le pont;

le

temps

était

assez frais, et le crépuscule

On

et

sommes montés

beau malgré un vent

commençait

à rosir.

entendait déjà dans les cabines des cris d’en-

fants, des hauts de

qui se fermaient,

mes,

etc., etc....

cœur formidables, des portes des geignements

en somme, toute

la

de

fem-

musique qui

accompagne un bâtiment en marche. La journée a été

mer

superbe,

s’est

le soleil

calmée vers

s’est levé

nous avons dû su ivre les côtes au le large, car les

brillant et la

les dix heures.

lieu

Cependant de prendre

lames étaient encore trop vio-

lentes.

La seconde journée a élé moins agréable. La pluie n’a pas cessé, et,

ce matin, elle

tombe

en-.

-Oigitizedby-Goegle


CORRESPONDANCE DE HEN1U REGNAULT. core. La voilà installée pour

un mois,

109

disent les

habitants du pays A SON PÈRE.

14 décembre 1867.

Je voulais t’écrire tais sur

ma

une longue lettre

devoirsd’italien m’ont pris plus de

pensais, et,

mes

temps que je ne

à onze heures, j’étais trop fatigué

pour commencer une

lettre, d’autant

modèle ce matin à sept heures

j’avais

comp-

et je

soirée d’hier pour le faire, mais

Je te donnerai

plus que et

demie.

donc seulement quelques aper-

mon genre de vie. Rome une paix profonde

çus rapides sur 11

règne à

rapport avec ce qu’on

en

On ne

naux.

de Rome,

le

pont Salara

les zouaves

et

eu

Rome

le

est

eu des

pays à deux milles

coupé

et

témoigne

une des dernières

affaires.

Les

sont précédées de postes fortifiés

de buttes en terre, ce qui l’idée

bien peu les jour-

ont dû, par ce moyen, protéger

leur retraite dans

portes de

dans

se douterait pas qu’il y a

événements politiques. Dans

que

lit

de défendre

Sans ces témoins muets de

fait croire

qu’on a

contre une attaque.

la ville

la tentative garibal-

dienne, on ne pourrait pas s’imaginer qu’il passé quelque chose à

Rome

s’est

depuis l’année der-

nière.

Je

me

suis mis à étudier l’italien avec la

ferme

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

110

volonté de le savoir bientôt je prends trois leçons :

par semaine.

J’ai fait aussi

quelques tournées

Vatican et dans les galeries que je préfère

Dans mes moments perdus j’exerce

et Borghèse.

Prim,

mon

au saut.

lévrier,

J’attends prochainement Lagraine ai

pas offert

le

Pérou, mais

destes auxquelles je l’engage il

me

sais

ici.

lui

Il

que de

n’y a

petits

moins mous

à Paris. Elle

ne

seul

modèle

On ne trouve plus

ou

maigres. Je voudrais bien avoir

claire

:

j'ai

oublié d’en acheter

une

m’est indispensable pour des études

d’architecture que

peu près ce

Rome un

lui, je

mon Holo-

jeunes gens efféminés,

et

une chambre

pas à

puissant et souple.

fait,

i

mo-

conviennent et

vraiment pas comment je ferais

pherne.

Je ne lu

les conditions

rendra de grands services. Sans

d’homme

au

Doria

:

qu’il

j’ai

commencées.

me

faut

J’ai

comme

trouvé à

nature de

femme pour ma Judith A SON PÈRE.

Rome, 20 décembre 1867.

Ta lettre m’a jeté dans une bien vive inquiétude.

Comment! ma pauvre grand’mère, qui

jusqu’ici avait tenu bon, faiblit à son tour

!

J’ai

bien peur que cette crise ne soit fatale pour nous tous. Elle

ne mange plus depuis

je

ne

sais

bien de temps, ne sort plus, pleure toute

la

comjour-

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M

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

née

et

ne parvient pas à se réchauffer. Cela ne

pouvait pas durer éternellement... Ah! avez de cruels

que, de

mon

moments

si

vous

à Paris, je vous assure

côté, j’ai des

heures d’angoisse, ne

sachant les nouvelles qu’avec

un

retard de plu-

sieurs jours et ne pouvant jamais être sûr que

miens sont en bonne santé

les

;

me disant chaque

jour qu’il se passe peut-être de pénibles choses

que

je

ne sais pas encore

un

y a

Il

!

du moins, sur lequel

point

tu

ne pas avoir d’inquiétude. Tout va bien travaille depuis

cès

:

peux

ici.

Je

quelques jours, mais sans suc-

je cherche, en modifiant

un peu mon Holo-

pherne, à combler l’immense vide qui est au-dessus, sans être arrivé à quelque chose de bon.

Je

tourne et retourne, j’élève et j’abaisse, je

rogne de

la toile et j’en

remets. Je n’ai pas encore

trouvé ce qui sera mieux, ou bien

;

j’attends La-

graine pour résoudre enfin le problème de

pherne,

et

bien ennuyé de ne

de

mon

l’IIolo-

mon installation. Je suis pas me tirer glorieusement

terminer

affaire,

il

faudra pourtant bien vaincre

la difficulté...

A SON PÈHE.

2 janvier 1868. ...

J’ai

du nouveau

à t’annoncer. M. Hébert a

appris que dans le rapport

du

conseil supérieur


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

112

sur les Envois, on se plaignait amèrement de voir

ne pas se conformer à ce que le

les pensionnaires

règlement leur demandait.

coup à ce que, dès tion,

Il

tient

donc beau-

première année de sa direc-

la

on ne puisse pas

reprocher de laisser

lui

les choses aller à leur guise. Il

m’a supplié de garder ma Judith pour l’année

prochaine et d’envoyer, cette année, simplement

une ligure nue, très-eherchée comme exécution. Après avoir résisté un peu,

donc de côté

ma

j’ai

cédé. Je laisserai

Judith. L’IIolopherne, bien

que

nu, est d’un effet trop soumis au reste du ta-

comme

bleau pour compter

envoi de première

année. J’y travaillerai piano, piano, et

il

n’en sera

que meilleur comme second envoi. Je ferai donc cet hiver d'après Lagraine qui n’est pas

encore arrivé, une figure nue, très-

éludiée je ne sais pas encore quel ;

pose je lui donnerai

;

nom

ni quelle

je cherche cela en ce

mo-

ment. Puisque ces messieurs veulent un morceau d’exécution, je tâcherai de les satisfaire... A SON PÈRE.

5 janvier 1868.

me froisser de tous les bons me donnes, je t’en remercie

Loin de

que tu

cœur, mais je ne

te

promets pas de

les

conseils

de

tout

suivre en

tous points.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Tu

que je veux donner

à

ma

ment n’admet que des

Judith, que le règle-

suivre éternellement la

en hauteur le

quand

de

croirait obligé

môme

en largeur,

et

rectangulaires. Je

toiles

ne vois pas pourquoi on se

pas

113

m'objecles au sujet de la forme cintrée

routine des toiles

pourquoi on n’aurait

et

courage d’abattre les coins d’un tableau cela

permet d’avoir

heureuses, des mouvements

des plus

plus

lignes

développés.

Cette forme cintrée peut encadrer votre sujet

dans un motif d’architecture qui, par le

détail,

fera valoir

suppose que

le

beaucoup

tableau

occupe un rinceau , je

la

le ton,

par

peinture.

On

partie d’une salle et

fait

crois,

— je ne sais

pas

le

terme d’architecture.

Du

reste,

il

ment puisque

ne

Je vais faire

s’agit pas

de cela pour le mo-

remets ce tableau à plus tard.

je

une seule

Un

ligure cette fois.

jeune Grec, Automéilon , par exemple, ramenant des pâturages qui bordent leScamandre,les che-

vaux divins d’Achille, ces chevaux aux crinières d’or,

jeune

tombant jusqu'à

terre. J’ai trouvé

homme un mouvement

admirable. court vers

Il

est

pour

mon

où Lagraine

au milieu des deux chevaux

le spectateur

est et

en tenant un cheval de

chaque main. Les chevaux se présentent presque de face: l’un se cabre

et l’autre jette la tête

10

de

.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

114

côté pour tâcher de se débarrasser de la le tient.

assez heureux, à la fois

main qui

un arrangement

Je crois avoir trouvé

comme masse et comme

ligne.

Le jeune

homme

un morceau superbe

est

à

peindre et les chevaux sont dans des mouvements assez amusants.

Il

faut qu’ils aient

et

de

la férocité

fougue

la

de leur maître Achille. Si je n’a-

peur de retarder encore le départ de cette

vais pas

lettre, je te ferais

Ma

une anima-

quelque chose de

tion extraordinaire,

toile est

un

petit calque

commandée

et

de mon dessin.

aura des propor-

tions encore assez considérables

:

dix de hauteur sur deux mètres

mètres

trois

soixante-dix

me prendra moins mon llolopherne les

de largeur. Malgré tout, cela

de temps que n’aurait

animaux

fait

se font plus vite

Je vois bien nettement

:

que

les

hommes.

mon but et j’ai déjà réuni

quelques études pour ce tableau. Je possède bien,

ma

je crois (toujours dans

cheval que je veux peindre n’ai qu’à copier.

tête), la et,

nature de

quant au nu, je

Mon modèle me donne des mor-

ceaux admirables Les bois que m’a apportés Lagraine sont bien

pour moi, mais temps. cis

Ils

Wey

ils

ne

me

sont destinés à

feront perdre

aucun

un ouvrage de M. Fran-

sur Rome. Je n’y travaillerai que

le soir,

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

115

d’après quelques croquis dessinés d’après nature

dans mes moments de nades.

loisir et

dans mes prome-

représenteront quelques scènes de

Ils

la vie

romaine chez

les

Transtévérins et les Contadini,

etc., etc. Loin

de

me causer le moindre tort, ils me

feront faire des croquis pittoresques

où je pourrai

trouver quelquefois un bon enseignement. A. M. A. Dl’PARC.

0 janvier 1868.

Si j’ai attendu si c’est

que

longtemps avant de

t’écrire,

je voulais te donner des nouvelles de

ton portrait. Malheureusement, bien que nous

soyons aujourd’hui soit arrivé le 1

la caisse

de

er ,

le

ü janvier

je n’ai pas

et

que Lagraine

encore pu

faire sortir

la douane...

Comme cette

il y a des fêtes tous les deux jours semaine, on ne peut avoir ni ouvriers, ni

hommes dans t’inquiéterais

les

bureaux.

J’ai

pensé que

en ne recevant pas de

lettre

tu

qui

t’annonçât le déballage du portrait, et voilà pour-

quoi je t’écris, bien que je n’aie pas d’autres détails à te

La

donner.

toile est

arrivée à bon port, sans accroc et sans

écorchure. Dans l’atelier, quand elle sera tendue, je verrai si elle n’est pas

rayée ou égratignée.

Espérons que non. L’observation que tu

me

fais

dans

ta lettre

sur


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

116 la

ma

ressemblance de

Judith avec

ma

Thétis

ne m’effraie pas. Le mouvement a quelque rapmais

port, c’est vrai, différent.

n’a aucune

pas

tableau exécuté, et

il

pour arriver

piller

composition

la

avec l’autre. Et

similitude

considère

ne

je

produit sera bien

l’effet

La ligne générale de

puis,

mon prix comme un me serait indifférent d’v quelque

à

chose de

sé-

rieux.

Du

reste, ce tableau est

remis à l'année pro-

chaine. M. Hébert veut que je suive qui ne

demande qu’une

Comme

non pas un tableau.

le

j’ai

année une figure de jeune

près Lagraine. Mais ce que ne sait pas c’est

règlement

temps

querait pour bien faire ce tableau, fais celle

le

figure nue, d’étude, et

me mancédé, et je

homme le

d’a-

directeur,

que cette figure nue sera entre deux che-

vaux grands

comme

Le règlement se

nature.

plaindra certainement encore, mais je m’arroge le droit

me

de représenter des mastodontes

si

cela

fait plaisir.

J’ai

trouvé des

mouvements de chevaux qui

sont assez amusants, je crois, et quant au jeune

Grec qui

les tient,

ceaux à peindre

et

il

présente de superbes mor-

une tournure assez

reste plus qu’à faire hic... D’autant plus

(1ère. 11

une bonne peinture

que

là,

il

n’y a pas

:

ne

c’est le

moyen de

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U7

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

se jeler sur c’est

le

sentiment ou sur l’intérêt du sujet

:

une chôse purement d’exécution A SON PÈRE.

Janvier, lundi soir, 1868.

«

Nous avons

lu

mercredi soir dans l'Osser-

vatore romano que l’éruption du Vésuve faisait

beaucoup de progrès,

lendemain, nous

et dès le

nous mettions en route au nombre de douze... Le temps

laissait fort à désirer

;

le ciel était

très-chargé, la pluie tombait par instants, mais les

augures romains nous avaient prédit que

temps changerait

et

le

nous l’espérions de toutes

nos forces. Vers les cinq heures ou cinq heures et demie, c’est-à-dire

deux heures environ avant d’arriver

à Naples, celui de nous qui était le plus près de la

fenêtre cria, non pas le

Vésuve!

coiffé

»

En

:

effet,

Terre il

!

mais

de son panache rouge

flanc étincelant

:

« Le

Vésuve!

apparaissait à l’horizon, et

montrant son

de lave. Bien entendu, à ce

toutes les têtes se sont mises

aux portières

nous n’avons plus quitté de vue

le dit

cri,

et

Vésuve

jusqu’à notre arrivée en gare.

Nous sommes descendus au quai Santa-Lucia, à la les

Casa Combi, qui de toute antiquité a abrité

pensionnaires qui viennent

tres

de

la

à

Naples. Des fenê-

Casa Combi on a la plus belle vue qu’on


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

118

puisse imaginer; le golfe tout entier lieu le Vésuve.

Le temps

et,

au mi-

un

lune bordait d’argent les nuages et faisait contraste merveilleux tres

et les

reflétaient

avec les lueurs rougeâ-

traînées de feu

dans

la

La

débrouillé.

s’était

mer.

du Vésuve qui se

C’était

un superbe spec-

tacle.

Après nous être suffisamment disputés avec nos cochers qui, selon leur louable habitude,

nous réclamaient

le triple

et prétendaient tous

de ce qui leur

discussion s’est ouverte pour savoir vions nous rendre le soir

sina et de

là,

môme à

tenter l’ascension

nous attendrions

le

était

avoir oublié leur tarif, la

nous deRé-

du Vésuve, ou

lendemain. Moi,

de partir tout de suite, parce que

si

Portici et à

le

si

j’étais d’avis

temps pouvait

se gâter et qu’au milieu d’une ondée l’ascension

manquer de charme.

pouvait

L’avis contraire

prévalut.

Le lendemain matin, vers partions en

omnibus pour

charmant,

le

gnâmes

soleil

les dix heures,

Portici.

légèrement

nous

Le temps était

voilé.

Nous ga-

à pied Résina, qui touche à Portici, nous

prîmes un guide

et

un porteur que nous chargeâ-

mes de nos douze manteaux

et d’un panier con-

tenant quelques provisions de bouche, et nous

gravîmes les premières pentes du Vésuve.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Nous traversâmes successivement

119

les laves

de

1862, 1857, 1858 et 1859, au milieu des aspects les plus

fantastiques. Ces laves couvrent toute

montagne de monceaux aux formes étranges,

la

tantôt semblables à des rouleaux de câbles tordus, tantôt à des troncs d’arbres broyés et calcinés.

Ailleurs on se croirait sur

un champ de

bataille

où des géants entassés entrelaceraient leurs

membres

brisés. Ce n’est pas

cela ressemble par

moment

vres gigantesques et

une

plaisanterie

à des tas

;

de cada-

on trouve des formes de

jambes, de bras, de dos,

etc.

Tout cela produi-

sant de belles lignes sauvages et d’un effet lu-

gubre, navrant.

Vers deux heures et demie, nous arrivions à l’Ermitage, situé au milieu delà montagne. Après

avoir

bu quelques

bouteilles de vin pour nous

donner des forces, nous avons commencé tie

la par-

sérieuse de l'ascension au milieu des laves

refroidies de la

changent en

semaine précédente. Les courants

effet fort

Lèvent commençait heur,

il

souvent de direction. à fraîchir, mais, par bon-

chassait les vapeurs et la

fumée du côté

de Pompéi, de sorte que nous pouvions avancer en toute sécurité, sans crainte d’être aveuglés par

la

cendre ou axphyxiés par

les

vapeurs sul-

fureuses.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

120

Par

instants

crevasses

de

il

qui

se

lave et des

la

sortait

des fentes

trouvaient

des

et

nos pieds

sous

de chaleur suffo-

bouffées

cantes.

Après une heure de marche, nous arrivâmes au pied du cône. Là, cinq de nos camarades nous

abandonnèrent; bes et

la

ils

n’en pouvaient plus; les

jam-

respiration leur faisaient à la fois dé-

faut, et s’ils avaient persisté à

nous suivre, nous

aurions été contraints de ralentir notre marche.

Le guide nous pressait; nous n’avions pas de torches et

nous

il

fallait

grimper

à

travers

les

scories vomies les jours précédents. Les sentiers

avaient été entièrement recouverts, et le guide,

qui cherchait

comme nous

son chemin au mi-

lieu de cette nouvelle croûte, craignait

de nous

voir surpris par la nuit.

Nous grimpons donc au nombre de ment,

et

sept seule-

avec beaucoup de peine; les scories à

peine refroidies se détachent

sous les pieds et

roulent derrière nous. Figurez-vous une ascension dans

une

boite à coke avec

une pente

très-

roide.

A

moitié route,

de fatigue

et

un de nos camarades, épuisé

complètement démoralisé,

s’arrêta,

ne pouvant aller plus loin. Nous ne pouvions laisser seul

en cet

état, car

il

le

n’aurait pas eu la

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

121

On le laissa souffler on fit du bien à tout le monde,

force de redescendre.

but du rhum, ce qui

,

et le guide, à l’aide d’une forte ceinture, se char-

gea de hisser jusqu’en haut

Le courage

le

pauvre éreinté.

peu à peu, à mesure que

lui revint

nous approchions du sommet

et

que

les

détona-

la lave,

au cou-

tions devenaient plus terribles.

Nous atteignîmes cher du

soleil.

la

Tout

source de

s’était bien

passé sans

le

moindre accident. Pour nous récompenser de nos fatigues, nous étions devant

un

spectacle vraiment infernal. La

lave sortait en bouillonnant d'une sorte de tunnel, et coulait

comme un torrent,

métal fondu, rougi à blanc. Par

avec l’éclat d'un

moments

elle ra-

lentissait sa course, se soulevait à plusieurs re-

prises

comme

chaque

la poitrine

foislaissait

d’un géant essoufflé et

échapper

pir de vapeurs sulfureuses

comme un gros souque

le

vent chassait

loin de nous.

Nous étions sur

le sol

de l’ancien cratère que

j’avais piétiné l’année dernière. Alors

creux; mais au

moment de

il

l’éruption,

était il

en

s’est

gonflé, gonflé encore, s’est soulevé en dos d’âne,

puis a crevé, et c’est de là quesortent les jets de

fumée

et de

projectiles.

Ceux-ci, en retombant

avecla cendre, ont formé un second cône qui s’est il

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

122

élevé peu à peu et couronne maintenant le

som-

met du grand cône. Nous étions au pied de ce nouveau cône, sur la partie de l’ancien cratère encore à

découvert,

d’ou sort le torrent de lave qui se divise ensuite

en deux ou trois bras pour se réunir plus bas et

ne plus

faire

qu’un seul courant.

Celui-ci se divise de

nouveau en deux branches

qui se dirigent, l'une vers Résina, l’autre vers

Torre del Greco. Au-dessus de nos tètes s’étendait

nache de vapeur éclairé par la lave.

rouges de

Toutes les dix ou quinze secondes,

tère vomissait

qui s’élevait bait

un grand pa-

les reflets

comme un

arbre colossal et retom-

en cendres. Du milieu de ce

taient des pierres

jet noir sau-

enflammées qui montaient à

une assez grande hauteur lant sur les flancs

un bouquet de

le cra-

un immense plumet noir foncé

du

petit

retombaient en rou-

et

cône

;

c’était

en grand

feu d’artifice partant avec

carme proportionné

un va-

à sa taille.

Nous sommes restés

là à

peu près une demi-

heure, jusqu’à ce que la nuit fût venue. Nos bâtons, trempés dans la lave, flambaient immédiate-

ment comme des allumettes, si

rapide qu’il entraînait

la

et le

courant

était

pointe des bâtons

sans qu’il fût possible de résister à sa force.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Il

pée dans un mouchoir

et la

figure cachée der-

rière son chapeau, on ne pouvait rester

ou quatre secondes aussi près du

Nous avons

pris quelques

que

trois

feu.

moulages de pièces

de monnaie dans des gouttes de lave que faisait sauter

125

main envelop-

va sans dire que, bien que la

le

hors du courant. Nous avons

guide

mangé

des œufs cuits en quelques minutes sur le sol où

nous marchions, puis nous nous sommes remis en route pour descendre.

Un courant de

lave sorti

nouvellement d’un point plus élevé que nous, et descendant tranquillement du côté par lequel

nous étions montés quelques moments auparavant, nous barra le chemin. Si nous nous étions

un peu plus

attardés,

rés et enfermés dans difficile

peu

à

de

sortir.

nous aurions

une

île

d’où

été entouil

eût été

Nous avons, en appuyant un

gauche, pu passer avant l’arrivée de

la lave,

puis nous avons gagné, à notre droite, la partie

de

la

montagne où

la

cendre n’était pas encore

recouverte. Une fois dans la cendre, nous n’a-

vions plus qu’à nous laisser glisser et

le

chemin

devenait très-facile.

Arrivés au bas du cône, nous nous trouvés dans le cratère, primitif, la

sommes Somma, d’où

s’échappèrent les laves qui engloutirent Hercula-

num

et

les

cendres qui engloutirent Pompéi.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

124

Nous avions devant nous d’immenses murailles de roc à pic, aux arêtes fermes

aux contours sauvages

et

découpées,

et

terribles. Les reflets

rouges, renvoyés par la traînée de vapeurs qui suit le cours de la lave

mets on se :

en éclairaient

les

som-

serait cru en enfer.

Nous avons

suivi la

Somma

dans

la

direction

de l’Ermitage, et après une demi-heure de che, ou plutôt

maroù

de course dans des chemins

vingt fois nous aurions

nous arrivâmes sur un

dû nous casser les jambes, petit

monticule d’où l’on

voyait l’ensemble de l'éruption et des différents

courants.

retrouvâmes ceux de nos

nous

camarades qui nous avaient quittés sion du cône.

Nous fûmes reçus

à l’ascen-

à bras ouverts

par nos compagnons qui commençaient à s’inquiéter et qui nous embrassaient

comme

avions couru de grands dangers, ou

si

si

nous

nous reve-

nions d'une bataille meurtrière...

Nous allâmes tous ensemble à l’Ermitage casser la croûte

chées le

le

de l’amitié et

tortiller

en quelques bou-

gigot apporté de Naples. Puis

coup de

l’étrier et

nous bûmes

reprîmes notre pas de course

pour descendre. Nous arrivâmes à Résina vers neuf heures

et

demie.

Laisse-moi te raconter un

de

la

trait assez

amusant

fourberie napolitaine. Des voituriers qui

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

125

nous avaient vus passer et entrer dans la cour des omnibus vinrent nous trouver au assurèrent qu’ils venaient de

café, et

la part

nous

du directeur

des omnibus nous proposer deux voitures pour

le

môme

le

soir.

prix,

aucun omnibus n’élant

Nous nous sommes doutés

quelque chose là-dessous

promener de sont allés à

la

la belle

et les

libre

pour

qu’il

y avait

avons envoyés

façon. Pour se venger,

ducteur que nous étions partis sans l’attendre

que nous avions massier,

ils

rencontre de l’omnibus, dire au conet

pris d’autres voitures. Mais notre

homme

de tète et qui connaît

les

litains, sortit du. café et arriva assez tôt

Napo-

pour dé-

mentir ce que venaient dire ces gredins de

voi-

turiers.

Nous montâmes donc en omnibus. Mais au bout de vingt-cinq pas, l’un des chevaux, qui n’avait peut-être pas

mangé depuis deux

jours, a refusé

d'avancer, et ni coups de fouet ni caresses ne purent lui faire faire

un

pas.

Nous avons

rnis pied à

terre et pris pédestrement la route de Naples,

nous arrivâmes après minuit en

trois

bandes.

Les plus fatigués traînaient la patte par derrière. Ils

nous rejoignirent pourtant au café de l’Eu-

rope

et la

journée se termina par une forte soupe

à l’oignon,

que nous dévorâmes avec un appétit

de naufragés.

H.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

120

Le lendemain nous apprîmes que

la

de

coulée

lave, qui se dirigeait vers Résina, s’était arrêtée,

que

et

la

prendre

coulée qui, la

le

près de deux

commençait à

veille,

chemin de Torre

del Greco avait fait

pendant

kilomètres

la

A

nuit.

l’heure qu’il est, Torre del Greco doit brûler, à

moins que, par un nouveau caprice fait

un crochet

et

ne se

soit

la lave n’ait

répandue plus loin, ce

qui m’étonnerait. Je suis bien heureux d’avoir

vu

le

Vésuve en éruption.

C’est

vraiment

splendide spectacle. Je regretterais toute

ma

un vie

de ne pas en avoir joui.

Nous employâmes

la

journée du samedi à

courir dans Naples et surtout dans les vieux quartiers, dans celui

des chaudronniers entre

autres. Le soir, nous avons été à salle est belle,

San Carlo. La

ou plutôt, grande, mais on ne peut

imaginer à quel point sont ridicules les

costumes

faire

et les

une charge,

chanteurs. qu’ils

les

décors,

auraient voulu

ne seraient pas arrivés à

y avait surtout un ballet avec des figures, des costumes, des

être plus mauvais.

pantomime

Ils

Il

tournures d’un grotesque qu’on ne peut inventer....

Il

faut voir cela

Le dimanche

chemin de

!....

matin

fer, et à huit

Rome. Aussitôt après

nous avons

repris

le

heures nous étions à

dîner,

j’ai

endossé

l’habit

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. été

et j’ai

Voilà,

127

passer la soirée chez le directeur.

mon

cher père,

le récit

ma fugue

de

Naples. Ce petit voyage ne m’aura pas

dre de temps, car

la toile

de

fait

madame D...

à

per-

est en-

core en douane, et celle que j’ai commandée pour

mon

envoi ne m’est pas encore livrée. A SON PÈRE.

.

Rome, 12

février 1868.

Notre nouvel architecte, Bénard, a

fait

son entrée jeudi dernier, d’une façon tout à

fait

opposée aux traditions... Les

nouveaux arrivaient ordinairement en

voiture et les pensionnaires allaient au-devant

d’eux jusqu’à

la

Storta,à une quinzaine de milles

de Rome. Là, on déjeunait

ensemble pour

la

et

première

on rompait

fois.

on

cheval, les autres dans des voitures, la voiture

le

pain

Puis, les uns à escortait

des arrivants jusqu’à l’Académie, en

entrant dans

Rome

par

la

Porte du Peuple et

Pincio, ce qui pouvait déjà leur

le

donner une idée

d’un des beaux endroits de Rome. Grâce aux perfectionnements de

Bénard

est arrivé

la

circulation

en chemin de

contraire aux usages. Puis,

moderne,

fer, ce

comme il

prévenu de son arrivée, on n’a pu

qui est

n’avait pas

lui faire les

charges ordinaires, fort innocentes du reste.. Elles consistaient

généralement dans

l'étalage

de

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

128 la

chambres

plus grande misère, soit dans les

qu’on avait démeublées à cet

On

nière de vivre.

effet, soit

dans

dînait

la

dans

la

ma-

plus vilaine

de l’Académie et sur une table ignoble en-

salle

tourée de chaises cassées, éclairée par de sales chandelles plantées dans les bouteilles. geait dans des

On man-

assiettes cassées avec des four-

chettes d'étain tordues et ébréchées, on

dans des tasses dentelées,

misérablement vêtus,

les

les

buvait

domestiques étaient

yeux en

compote.

Les pensionnaires se disputaient pendant tout le dîner

haines

pour

faire croire

les plus invétérées

on en venait

même

;

à des voies de fait simulées.

Puis on présentait

qu’on leur servait

aux nouveaux que les régnaient parmi eux

les

nouveaux au jardinier,

comme

vrai directeur leur était

étant le directeur. Le

montré comme le menui-

sier ivrogne de l’Académie.

Un des pensionnaires

déguisé en moine faisait pendant lectures en italien

le

repas des

aussi ennuyeuses

que pos-

sible, etc., etc...

cela n’a eu lieu. Les Cette année rien de tout A

traditions s’en vont. C’est triste. A M. A. DUPA RC.

Home, lundi

Je suis très-touché

mort

;

je suis

soir.

du chagrin que t’a causé

ma

heureux de voir que mes amis tien-


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

lévrier noir

suivre

mon

— ne sera pas

caniche fidèle à

le seul

convoi. Tout cela

liO

— mon

ncnl encore à moi, et de penser que Prim

me

flatte

plus que je n’ai jamais été moins mort

d’aulanl et

moins

assassiné que maintenant, et je ne vois point

le

motif qui pourrait entraîner les honnêtes gens

à

m’assassiner, à moins que les sept sous qui restent

mon

pour finir

mois ne viennent

Quant aux jalousies des maris,

ter.

et

me

à les ten-

aux ven-

geances des frères et des pères, je ne les crains pas, car je ne me doute pas encore qu’ily ait un sexe

féminin en

un

Italie. 11

faudrait qu’on m’eut pris pour

autre, et je ne souhaite à personne de

sembler. Ce que j’en dis soit

par modestie

;

j’ai

là,

me res-

ne crois pas que ce

voulu dire que je n’avais

nulle envie de ressembler à un individu capable d’être assassiné.

dépêche, je ne tât le

Quand Lenepveu me montra

me

De Profundis sur moi,

et je fus fort

quand, deux jours après, M. Hébert

une

ta

doutais pas qu’à Paris on chan-

étonné

me montra

dépêche qui lui arrivait de Paris, avec

gnature de Blanchard. Elle « Bruits persistants

était ainsi

la si-

conçue:

à Paris que Régnault

est

as-

sassiné; répondez au plus vite. » S’il en était arrivé

une troisième, j’aurais

fini

par

le croire

moi-

mème. Je vous

demande pardon, mes amis, de la peine

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

130

que

je vous ai

sans

faite,

bien que je trouve

le vouloir,

croyez

et

plaisanterie mauvaise. Je la,

la

trouverais bien plus mauvaise encore,

le

si

bruit

avait été fondé.

Enfin, n’y pensons plus; consolons-nous à la

pensée

qu’il

y a, dans ce

moment,

à

Saint-Gaë-

un pen-

tan, au fond des jardins de l’Académie,

sionnaire qui ressemble beaucoup au Régnault

auprès

tant pleuré, et qui pourra le remplacer

de ses amis.

Le spectre de Régnault la veille

ne

l’a

du jour où

il

t’avait écrit

une

lettre,

mais

a reçu ta dépêche,

il

pas envoyée. Elle t’apprenait où en était le

portrait

;

mais

comme

gnements qu’elle

te

le

lendemain

ledit spectre a préféré brûler la lettre et

une autre quand

rensei-

les

donnait étaient devenus faux,

en écrire avancé.

le portrait serait plus

Je le dirai qu’au déballage (le déballage est funeste)

il

ne croyais J’ai la

m’a profondément désillusionné. Je pas^ qu’il

me

commencé par

robe

dégoûterait autant.

glacer le fond, puis j’ai fait

et j’ai ainsi repris

un peu

d’espoir. J’ai

repeint le chien en entier et cette fois, je crois

;

sa tète qui était

il

est bien,

mal dessinée

et

mal

peinte est réussie maintenant. La robe aussi s’est

engraissée

comme peinture me désolait.

de carton qui

et a

perdu cet aspect

Mais alors c’était

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

fond qui qui

me

brave

n’allait plus

;

il

était d’un ton

soulevait le cœur. J’ai pris

et

l’ai

131

monotone

un

parti

de

repréparé en grisaille parce que

jamais je n’aurais pu

accumulés.

sortir des glacis

Sur une bonne préparation, variée de ton, plus chaude en certains endroits, plus argentée

dans d’autres, je

par glacis, des

vais obtenir,

rouges harmonieux et variés

Tu que

rirais bien si je te disais, ce qui est vrai,

remplace par un fauteuil Louis XIV,

sais. Je la

couvert (dans la nature) d'une qui

que tu connais-

tu ne reverras pas la chaise

fait

teuil, je

étoffe

valoir tout ce qui l’entoure. jette

charmante Sur ce fau-

une fourrure en léopard sur

quelle se détache la partie inférieure

puis je transforme le motif de

la

la-

du chien,

draperie du

tond. Il

me

reposer

reste le tapis à faire;

puis je laisserai

avant de glacer définitivement

le tout,

le

fond, mais je ne toucherai pas à la tête.

Hier

j’ai fait,

sans pluie heureusement, une

magnifique promenade avec l’ami Machard. Nous

nous sommes perdus

et

heures à cheval nous ne

au lieu de rester

trois

sommes revenus qu’au

bout de dix heures. Nous avons vu des choses merveilleuses.

Au

retour,

Prim a étranglé un

mouton, ce qui m’a été très-désagréable

et aurait


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

132

pu

m’attirer

une mauvaise

n’avait pas

sionomie

mon

eu peur de

était

neuf heures

affaire

un brave homme

n’avait pas été

berger

le

si

et

surtout s’il

phy-

chien, dont la

devenue féroce. Et pourtant après

et

demie de course,

fatigué et adouci

:

j’espère

aurait

il

que cela ne

dû être

lui arri-

vera plus. J’ai

fait

une superbe ascension au Vésuve

pour plus amples

détails, va

Collège de France, et lettre

Ce

où je

raconte

lui

mon

serait trop long à écrire

;

un de ces soirs au

demande

à

mon

père la

escapade à Naples.

une seconde

fois.

Je dessine, en effet, quelques bois pour la

maison Hachette, mais ce

pas pour une

n’est

illustration ordinaire. Je fais des scènes

pitto-

resques d'après nature, pour un ouvrage

Rome, de M. Francis Wey. H y

sur

a loin de là à

des pignochages de chic

Ma

lettre n’a ni

pas pour cela

;

queue ni

je

suppose que lu ne de

tète;

réponds à

ne m’en veuille

les questions et je

me demandes

pas une page

style.

A SON PÈRE.

Rome

La

triste

nouvelle

consterné, bien que

j’y

que

tu

...

m’apprends

ma

fusse préparé.

Dès la première lettre où tu m’annonçais

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CORRESPONDANCE DE HENRI REüNAULT.

ma

maladie de

pauvre grand’mère,

mauvais côté des choses d’illusion. Pourtant, le

et je

cœur

ne

me

153

vu

j’ai

le

suis pas fait

se refuse toujours

à croire ce qu’il craint, et peu à peu, encouragé

par de meilleures nouvelles, je m’étais habitué

ma

de nouveau à penser que je reverrais encore grand’mère,

et

que sa

pherait du mal.

forte constitution triom-

On peut

une maladie de cœur. Je

vivre longtemps avec suis effrayé de la rapi-

dité avec laquelle notre famille, si

heureuse en-

y a deux ans, s’est décimée. Quelle confiance peut-on avoir maintenant?

core

il

Combien

ma

je regrette d’avoir

grand’mère pendant

Pourquoi

faut-il

que

ma

mon

si

peu

de

profité

séjour à Paris!

vie se passe à regretter

sans cesse, et que je ne songe jamais à éviter ce qui

me donnera

des regrets plus tard? Ah! je

voudrais bien racheter les heures sottement ployées, les soirées passées loin de vous

em-

quand

je

pouvais rester auprès de vous. Maintenant que je

ne peux plus vous voir, elles seraient

je sens de quel prix

pour moi. Une chose qui

sole aussi, c’est de n’avoir pas

bonne maman. Et dix fois. Je ne

fait

me

dé-

un dessin de

j’en aurais bien eu le

comprends pas comment

temps il

ne

m’est pas venu dans l’idée de le faire à Sèvres. Il

faut

que

j’aie le

cerveau

à

l’envers

pour ne i-i

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

134

jamais faire

choses à leur heure el ne ja-

les

mais prévoir. Je

vis

au jour

jour, sans re-

le

garder en avant. Que veux-tu?. mon père, je le sens bien, et dans la solitude j’en souffre.

Malheureusement une traîné dans

tourner

et

fois à Paris, je suis

en-

une espèce de tourbillon qui me

fait

me

retire tout raisonnement. Je n’ai

plus le temps de penser je suis pris d’une sorte :

d’agitation qui

m’empêche de

ne suis pas plutôt être à la Madeleine

;

tenir en place. Je

à la Bastille

que je voudrais

je voudrais,

en

même temps,

courir à cheval, sauter d’un trapèze à l’autre,

peindre des chefs-d’œuvre, etc., sens pas vivre

me semble loisir

;

je suis

le

calme, je

que

me

et l’emploi

de

paraît singulier quand, rentré

me

représente

Je voudrais bien avoir l’étude

ne

étrangère à la mienne. Je n’ai pas le

de réfléchir avec tranquillité,

mon temps me dans

etc. Je

animé par une âme qui

j’ai faite

de

mon passé.

une photographie de

ma

tante Mazois el

épreuve du dessin que Montfort a

fait

de

une

ma pau-

vre mère... J’ai travaillé,

madame est

U....

tous ces jours-ci, au portrait de

Le chien que j’ai repeint en entier

devenu bien. La robe

depuis qu’elle

me

semble assez grasse

est retravaillée.

complètement remanié

Le fond a été

comme arrangement

et

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

135

me donne bon espoir. commence mon Envoi. Ma toile me paraît

repréparé d’une façon qui Je

énorme

c’est

;

que j’ai un cheval qui se cabre,

et

cela tient de la place en hauteur.

Le bruit que

j’étais assassiné

été jusqu’à toi, car

M. Hébert

sais

aura sans doute

a couru dans tout Paris.

reçu bon nombre de dépêches,

a

demandant

il

si

lui

cette nouvelle était fondée. Je ne

vraiment pas d’où a pu venir ce bruit-là, n’a

pu

lui fournir le

et

moindre motif. Gela

rien

ici

s’est

répandu avec une rapidité surprenante, car

plusieurs de

mes camarades de l’Académie ont

même

reçu, en

temps, des

lettres

de Paris, de

sources bien différentes, et toutes prononçaient

mon

oraison funèbre et demandaient des détails

sur cet horrible accident. crainte, c’est

qu’à

toi

,

Je

n’avais

qu’une

que ce canard ne fût arrivé jus-

et n’eût ajouté

encore à

tes inquié-

tudes.

Allons,

mon pauvre

père, le vide s’agrandit

autour de nous, espérons qu’il ne gagnera pas

de longtemps, mais nous ne sommes pas payés

pour espérer, depuis tant de catastrophes. L’Institut s’était

ému

à la nouvelle de

ruption du Vésuve, et les discussions taient engagées pour savoir de quel

l’é-

s’é-

côté

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

130

avait

la lave

lettre

son chemin.

fait

que nous avons

Comme

la

citée répondait à ces

doutes d’une manière formelle, M. Régnault père

communiqua

la

lendemain

à ses confrères, et le

insérée en

fut

elle

au

partie

Moniteur.

Le numéro où

d’Henri. Celui-ci

réclame,

très-contrarié

fut

mains

les

ennemi juré

,

tombait

avait paru

elle

quelques jours plus tard entre

de

toute

de cet inci-

dent. J’aime à Croire, m’écrivait-il, que ce n’est pas

de

toi

qui as

une

mettre au Moniteur une partie

j’ai

adressée à

une charge,

jour. Si c’est si c’est

fait

que

la lettre

mon

père l’autre

je la trouve

mauvaise,

sérieusement, je

sottise faite

la

trouve

pommée! Il

écrivait

Comment

en

se

même

fait-il,

l’Académie je voie dans «

Nous empruntons

temps

à son père

le

à

Moniteur

une

lettre

:

de M. Henri

Régnault, premier prix de peinture, n’écris pas de lettres à

:

qu'en rentrant au salon de

etc. »

mes parents pour

soient publiées, et je ne

Je

qu’elles

comprends pas qu’on

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CORRESPOND \NCE DE HENRI REGNAUI.T.

137

fasse pareille sottise. Ce n’est certainement pas toi.

Qui alors? Je suis furieux. Je ne vois pas quel

intérêt on peut avoir à jeter le ridicule sur quel-

qu’un qui ne plus que cela

le !

cherche pas.

Me

me manquait

ne

11

voilà journaliste

!

D’autres journaux vont s’empresser de répéter l’article

du Moniteur;

occuper

monde de moi

le

j’aurai l’air de vouloir et

nombre de gens

bienveillants trouveront charmant de dire c’est

ma

moi qui déjà

ai

fait

mort, pour faire parler de moi

l’attention sur ce

que

courir le bruit de et

attirer

que j’enverrai à l’Exposition ou

ailleurs.

Et

voilà

que pour

les

confirmer dans

opinion, on voit, imprimée dans relation

qu’on

le

celle

Moniteur , une

croira adressée avec intention

aux journaux, quand

c’est tout

récit sans prétention,

cherchant à communiquer

à quelques intimes

Je ne

mes propres

peux pas dire

simplement un

impressions....

à quel point je suis désolé

de te voir ainsi assailli de tous côtés par tant de

malheurs, à un

moment où

tu avais besoin de

repos et de paix, pour te remettre un peu de tes fatigues accumulées.

Quant à moi, je

dame

D....

quis de

travaille.

louche à sa

chevaux qui

Le portrait de ma-

tin. J'ai fait

me

quelques cro-

serviront. Je continue 12.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

138

mes études

me

vais

Mon

l’espagnol, je

m’a demandé, dimanche

petit directeur

dernier, de lui rendre

me

commence

d’italien, je

remettre à l’anglais.

un

service, qui, je l’avoue,

coûtait beaucoup, et ne s’accordait pas

la disposition d’esprit

vais.

Il

dans laquelle je

avait invité à

me

avec trou-

dîner l’ambassadeur de

France, des princesses, des comtesses, etc., et devait leur servir, le soir,

de

la

musique de cham-

bre exécutée par les meilleurs artistes de Mais

ils

furent obligés d’aller, le soir

une répétition au théâtre d’Apollo dans sa détresse bâiller la

dans

et la crainte

le salon,

me

Rome. même, à

M. Hébert,

;

de voir ses invités

pria de faire les frais de

soirée et de remplacer les

instrumentistes.

Bien que je ne fusse guère disposé à paraître en public, j’ait fait

démon mieux pour ne pas faire mon directeur. On a été satis-

rater la soirée de fait.

Excuse-moi,

mon

père, de t’écrire

si

peu

et si

mal, mais mes journées et mes soirées sont bien employées... AM.

A,

DUP ARC.

Rome, 4

février 1868.

Le portrait se termine tout doucement. Hélas je sens

mes

illusions s’envoler

sure que j’approche de

une

la fin et

que

à

!

une à me-

je vois cha-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

que morceau tais

loin de l’idéal

si

139

que je m’é-

proposé.

Quand la

rester

je reçus ta lettre, je venais de

peau de léopard,

sortie

et

de

changer

remplacer par une

la

de bal, doublée d’une fourrure grise assez

heureuse

comme

Te voyant blâmer mapcau

ton.

de léopard, j’avais par esprit de contradiction presque envie de rure grise

fait

la remettre.

Cependant

Notre loi à nous, ce n’est pas la fantaisie et, si

bien, je

ne

le

bon sens , mais

une chose absurde

doit faire

vois pas pourquoi on se garderait de

mettre cette chose absurde. peinture, grand Dieu

!

Si

on raisonnait en

on n’oserait rien

raisonnement ne sert qu’à entraver Si tu

la four-

bien mieux.

veux raisonner devant

tres, tu trouveras

les

faire.

Le

et à refroidir.

œuvres des maî-

bon nombre de choses qui

n’ont pas de raison d’être et qui sont là où elles sont, parce qu’elles y font bien. Voilà tout.

Et

pourquoi nous, qui à côté de ces géants-là ne

sommes que

des pygmées, pourquoi nous pri-

verions-nous de ressources qu'ils ont

employées pour réussir?... sentiment avant tout,

et

si

souvent

L’art .doit obéir

au

ne pas craindre de bra-

ver l’exactitude, la raison, etc... Ç’a a été

prendre

la

un grand chagrin

pour'

moi d’ap-

mort de ma pauvre grand’mére, qui

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

140

m’avait élevé et que j'aimais tendrement. Je

ne

y a un mois et demi, lui dire adieu pour la dernière fois. Ma croyais pas en

quittant,

la

famille se décime avec et

une

est bien pénible d’être

il

il

.effrayante rapidité loin des siens

dans

de pareilles crises... AM.

A. Dl'PARC.

Depuis que je n’y travaille plus, je n’ai pas sur

ma

toile la

Tantôt

me

elle

même opinion deux jours de suite. me désole, me désespère tantôt elle ;

satisfait à

peu près. Je puis pourtant

quelle a beaucoup gagné. le

visage;

j’ai refait

je crois être arrivé

J’ai

deux ou

certifier

tout repris, excepté trois fois le

fond et

au résultat que je cherchais.

Bien des chaises et des fauteuils se sont succédé sur cette

toile, à

Rome comme

à Paris; plusieurs

fourrures ont été jetées dessus, et en tout a disparu

;

il

rures, et l’unique draperie bilier

somme,

n’y a plus ni meubles ni four-

du fond cache un mo-

qui pourrait remplir de grands apparte-

ments Le directeur paraît ravi et me promet un succès. Il

prétend que cela fera honneur à l’Académie.

Les camarades sont généralement contents.

Un

seul, garçon très-franc et très-artiste, n’est con-

tent

que de

la

robe

et

du chien,

et

me

fait

sur le

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. reste des observations que je

me

fais à

141

moi-môme.

J’en conclus qu’il a raison puisqu’il pense

comme

moi. Mais je souhaite que

le

notre avis et qu’il trouve

le portrait très-bien.

Du

reste, j’ai fait ce

tout ce qui

me

que

public ne soit pas de

j’ai

pu;

déplaisait et tout a

j’ai

remanié

monté d'un

degré. Malheureusement cela ne suffit pas. Si j’avais

du temps devant moi, que de choses

j'é-

baucherais de nouveau pour tâcher de les amener

au point où

je voudrais les voir

!

A K. BUTIN.

0 mars ...

Ces jours derniers,

j’ai été

J’avais à finir

auquel

pu

je n’ai

i8f»8 #

t’écrire, car

occupé de choses diverses.

j’ai

commencé

fait

d’abord

mon grand

des changements

et

portrait,

dont

j’ai re-

certaines parties. Puis nous faisions à

cinq ou six un grand char pour

le

carnaval, et

il

y fallait mettre force estampages, force peinture et force sculpture.

De plus ténor de à

la

je préparais

ma

voix pour les soli de

messe de Requiem , exécutée avant-hier

Saint-Louis des Français pour l’inauguration

du monument élevé dans

ladite église à la

mé-

moire de notre camarade Deschamps, mort à Naples, l’été dernier.

Les premiers chanteurs et les plus forts in-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

142

strumentistes de il

s’agissait

Rome prêtaient leur concours

et

de ne pas faire rougir l’Académie de

son ténor. L’église

était

nombre mar-

remplie, et bon

d’étrangers avaient été conviés. Tout a bien

ché,

dit-on.

Nous nous sommes couverts de

gloire. j’ai dû faire de nomRome pour trouver des aux bois qui me sont com-

Outre ces occupations, breuses excursions dans fonds que je destine

mandés pour l’ouvrage de M. Francis Wey. Mes projets de vie monacale ne sont pas faciles à exécuter.

J’ai

eu beau promettre de n’aller

nulle part, je suis obligé de retirer bien des soi-

rées à la destination que je leur avais donnée, c’est-à-dire J’ai

au dessin

et à l’étude

de

l’italien.

acheté une grammaire espagnole pour

familiariser

un peu avec

me

celte langue-là et jen’ai

pas eu le temps d’y mettre encore le nez.

Indépendamment de de

ma cheminée une

tout cela,

j'ai

rangée de pipes

âu-dessus qu’il faut

que j’entretienne tour à tour, ce qui prend plus de temps qu’on ne pense. Je ne veux pas qu’Aglaé soit jalouse

de Catherine

et,

pour que ces

belles

maîtresses ne se brûlent pas, je suis forcé de les laisser reposer

ma

de temps à autre pour reporter

faveur sur les autres pipes de

Fatma

mon harem.

a des exigences, Gertrude veut être

fumée

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. aussi.

de

Tu

vois

la terre

que je suis l’homme

romaine pleurer et

143

occupé

!

Je ne puis pas

maine,

le plus

il

non plus

mon

campagne

laisser la

absence plus d’une se-

faut que j’accorde

aux juments

Yi-

pera, Pomposina, Turchetta et autres, l’honneur

de m’y porter

le

dimanche matin

et

me

de

faire

sauter quelques barrières. Parlons un peu politique maintenant. Le car-

naval à

Rome

n’a pas été très-gai cette année;

notre char était

mains

le seul

patriotes allaient

dans

le

Corso

bouder dans

:

le

les Ro-

Pincio,

tandis que les étrangers, Américains, Anglais,

Français, Russes, etc... tâchaient

d’égayer

le

carnaval et se battaient à coups de confettis et

de bouquets. Notre char a eu un grand succès, et nous avons

eu des applaudissements

et

des bouquets en

grand nombre, envoyés par de petites mains d’Anglaises et d’Américaines qui, presque toutes, étaient jolies

comme

Mais tout cela est

des cœurs.

fini et

me

voilà prêt mainte*

nant à entamer vigoureusement

mon fougueux

envoi.....

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t

CORRESPONDANCE ÜE HENRI REGNAULT.

141

A

A.

il.

DU'AllC.

Rome,

Tu dois

être

1

mars 1808.

1

dans des transes mortelles; ma

réputation d’inexactitude doit t’effrayer et je

sûr que tu

le

demandes

pour l’Exposition.

J’ai

si

déjà

le portrait

manqué

la

suis

arrivera

première

occasion de l’envoyer; aujourd’hui je manque la

seconde. Que veux-tu? je découvre tous

les

jours des choses nouvelles et Irés-imporlanles faire

sur cette maudite

toile.

En somme

gagne à chaque retouche, surtout au point vue de mais

il

à

elle

de

Le détail y perd quelquefois, doit rester subordonné à l’effet général... l’aspect.

Les bijoux en particulier sont maladroitement peints. J’ai refait le bracelet aujourd’hui parce,

que de

loin

loin

ne

il

les chairs

mais

on

fait

le

voyait à peine

;

maintenant

de

pas mal, mais de près... huml...

ne sont pas assez variées

comme

tons,

je n’ose

temps.

Il

y retoucher, toujours faute de y aurait encore beaucoup à faire pour

aviver à bien... Quoiqu’il en soit, M. Hébert est portrait qu'il

m’amène

si

ravi de

tous les jours

de femmes de haut rang

et

un

mon

cortège

souvent de grande

beauté.

Mes modestes appartements

pensionnaire

ne désemplissent pas et mes simples chaises de

r

'M


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

145

paille ont l’honneur de porter princesses polo-

naises en ska,

princesse de Sc..., comtesse de

marquise de No...,

G...,

femmes de Rome et de

Les plus jolies

etc.

l’étranger (de l’Amérique

surtout) défilent devant ce portrait. Ce public

me

enchanteur

répéterai pas; la tête

fait

ils

des compliments que je ne te vois

de ton ami qui, bien que préférant

complimenis aux injures, ne nance

Tu

sont par trop exagérés.

devant des admirations

faire

me

trêmes. Je

ies

sait quelle conte-

aussi ex-

contente de rougir virginalement.

Vrai, je suis parfois fort embarrassé et gêné.

que

crains

Je

mes retouches

tou tés

centes ne soient pas très-sèches

madame mari.

ma

Zamacoïs emportera

un charmant

serve avec

J’ai été

le

petit

de con-

toile,

tableau de

du couvent de SanfOnofrio nent. C’est très-réussi

comme

Zamacoïs

son

voir ce tableau cette après-midi

:

les

comme

:

manger

cela représente l’intérieur d'une salle à

tuel

ré-

15, jour où

moines ^jeû-

effet et

trè^piri-

altitude. s’est installé

dansTatelier de For-

tuny. J’ai vu là des études de Fortuny, qui sont

prodigieuses de couleur et de hardiesse de peinture.

Ah

!

qu’il est peintre ce garçon-là

aussi des eaux-fortes

ravissantes

élève, Simonetti, qui travaille

de

!

J’ai

lui.

dans cet

vu

Son

atelier, 13


CORRESPONDANCE DE HENRI REONAULT.

146

m’a montré des choses charmantes en train. Il m’a fait voir un petit tableau qui sera un pechet-d’œuvre

tit

termine

le

s’il

commencé. Malheureusement

comme n’ai

je

année à

tableau de Simonetti qui figure cette l’Exposition

:

je te

recommande

est

il

pu voir le

d’y faire atten-

tion.

Voila deux gaillards qui vont joliment bien

Quelle habileté 1! quelle couleur amusante esprit et quelle justesse

On

sait

dans

la

1

!

quel

touche!

avec quelle sévère promptitude

sont jugées, en général, les premières œuvres

des jeunes artistes et combien succès au

d’expliquer leur

grand mot pondre à

:

la facilité

;

il

est

fréquent

moyen de ce

mot qui semble

tout, et à l’aide

ré-

duquel on refuse

à l’artiste ces travaux lents et sérieux, cette

recherche persévérante du bien ou du mieux, nécessaires à toute

œuvre vraiment remar-

quable. C’est pour répondre à cette objection trop souvent faite au sujet de Régnault, j’ai

tenu, je le répète, à

que

énumérer toutes

les

phases par lesquelles ont passé successive*

ment

les

diverses parties

nous occupe.

4

du tableau qui


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Non sans doute que merveilleuse

facilité.

peinture auquel

il

ment exécuté. Mais

147

Henri sa

je conteste à

Chaque morceau de

travaillait était rapideil

n’en était que plus sé-

vère pour lui-même et sacrifiait, sans hési-

d’un travail considérable,

ter, le résultat

entrevoyait

un

?

plus heureux effet.

tait

s’il

qu un changement pût produire

Longuement

son œuvre, longuement

la perfectionnait

sans calculer

le

avant de

temps

il

il

médi-

l’étudiait et

la livrer

au public,

qu’il y employait,

sans tenir compte de sa peine. C’est qu’il avait reçu de la nature, outre son rare talent,

une conscience scrupuleuse

sévérance infatigable qui ne

et

lui

taient jamais d’être satisfait de ses

toujours

il

une perpermet-

œuvres

;

resta au-dessous de ses légitimes

ambitions.

Le portrait de seul

madame

occupé Régnault. Déjà

D... il

n’avait pas

avait

ébauché

son Automêdon , fait quelques études de che-

vaux en vue de ce tableau, et employé ses soirées à dessiner ces

ornent l’ouvrage cis

si

bois charmants qui

intéressant de M. Fran-

Wey.

Digitized by

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,

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

148

Tandis que Régnault prépare son envoi tout en s’occupant de divers travaux qui intéressent

nature

sa

un

quittons- le

ardente

instant,

Paris à l’Exposition de

et

pour

curieuse, assister

à

1868, qui vient de

s’ouvrir.

Le portrait de

temps

madame

D... était arrivé à

sans avoir subi d’avaries. Placé

et

beaucoup trop haut pour obtint cependant

un

être bien jugé,

des amateurs éclairés.

des artistes et laisse la parole à

il

véritable succès auprès

Je

M. Théophile Gautier, qui

dès cette première œuvre, devient

le

plus

ardent et le plus éloquent des admirateurs

de Régnault

:

par M. Réy a dans le portrait de madame I)..., gnault, des qualités supérieures et une hardiesse de «

Il

ton de plus en plus rare aujourd'hui.

Madame

l>

décolletée, les bras nus, vêtue d'une opulente robe

de velours

cerise,

debout, dans une pose aisée et na-

turelle, se détache d’un

ou draperie, qui

fait

fond rouge sombre, tenture

ressortir la

lumineuse blan-

cheur de ses chairs. La tète vit et respire et l’on ne sent nullement dans l’attitude du corps cet air de contrainte que donne l’immobilité de la pose. Cette belle peinture, dont la fougue n’exclut pas la délicatesse et l’élégance, rappelle la

manière

libre des por-


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. traitistes anglais, sir

et sir «

140

Joshua Reynolds, Gainsborough

Thomas Lawrence.

Assurément,

seignements

ni

le

jeune

demandé

artiste n’a

ni ren-

conseils à la photographie et a peint

ad vivum. Nous aimons

cette

manière grande

et

ma-

gistrale d'entendre le portrait. Outre qu’elle repré-

sente

madame

D..., la toile

de M. Régnault est un

tableau qu’on regarderait avec plaisir dans une galerie,

mérite qui

manque

souvent à des portraits fort

estimables et que possèdent Holbein, van Dyk, Titien et, à

un degré moindre sans doute, mais encore

très-

éminent, les peintres de l’école anglaise dont nous parlions tout à l’heure.

»

Et M. Paul de Saint-Victor

:

Un portrait d’une grande tournure et d’un aspect romanesque est celui de madame D..., par d

M. Régnault.

Madame D.

. .

est représentée debout,

en robe rouge,

sur un rideau écarlate, caressant du revers de

main

le

cou d'un grand

lèvier. Cette fanfare

la

de cou-

leur donne à la ligure quelque chose d’étrange et de

triomphal. Les bras nus sont d’un jet superbe et d’un ton vivant. Mais la lête ne

domine pas

splendeur du vêtement éclipse un peu qu’il est, ce

le

costume,

le visage.

grand portrait, exécuté avec une

hardie et brillante et dont

le

la

Tel

facilité

parti pris frise le tour

de force, est un des remarqubles morceaux de peinture de l’Exposition.

»

J’emprunte enfin à

titre

de curiosité ces 45.


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

150

quelques lignes à un journal qui ne vécut

que peu de temps «

:

M. Régnault, quoique élève de Cabanel, a un vé-

ritable talent. Les draperies sont parfaitement

com-

prises et largement traitées; les accessoires sont im-

portants sans nuire au sujet principal, la couleùr est

chaude

sans criaillerie, l’harmonie du ton est

et vive

bien soutenue

;

mais, car

celui-ci n’est pas

mince,

il

y a toujours

madame

D...

un mais

et

pose trop, ses

chairs sont de l’ivoire et non de la chair et l’harmonie universelle

du ton

est

blanches que sa poitrine

rompue par des taches bras font dans

et ses

bleau. Le lévrier est fort beau.

Sans facilement comprendre

une harmonie peut

le ta-

»

être à la

comment

fois bien sou-

tenue et rompue par des taches, nous regrettons néanmoins que le trop célèbre général

Cluseret ne se soit pas contenté de livrer des

combats aussi pacifiques. Personne ne songea à contester l’éclatant

début de Régnault. Les connaisseurs y applaudirent, le public en fut frappé, les critiques mirent à discuter le talent et les ten-

dances du jeune artiste cette ardeur qui ne fait

jamais défaut lorsqu’il

s’agit

d’une œu-

vre audacieuse et inattendue. Le jury seul

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. se maintint dans

à

refusa

151

une prudente réserve

et

une médaille que

la

Régnault

voix publique lui avait décernée sans hésiter.

Cette sévérité inattendue (j’allais dire cette

une

injustice), causa

cette

véritable surprise, car

œuvre savamment étudiée, exécutée

d’une manière à

sage et magistrale,

la fois

ne heurtait, malgré sa personnalité, aucune des traditions de l’École. Cette

deux

même

portraits

ferme

année,

Régnault exposait

au crayon noir d’un dessin

et irréprochable,

remplis de vie et de

caractère. Enfin, à la gravure, des dessins

de

lui,

veur,

quoique bien défigurés par permettaient

de constater

le gra-

la

sou-

plesse de son talent.

Chose étrange! tandis que Régnault,

le

dessinateur des bois, ne recevait aucune

récompense, Il

était

le

graveur obtenait

la

médaille

!

pourtant demeuré bien au-dessous

de sa tâche,

et ces dessins, si fins et si spiri-

tuels sous le crayon de Régnault, étaient de-

venus lourds

et vulgaires sous le

burin qui

les avait traduits,

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CORNESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

152

Régnault, mis au sévère

fait à ses

pas perdu

courage.

et laborieuse

courant de l’accueil

envois par le jury, n’avait

A

de sa vie,

époque calme

cette il

lement, de temps à autre,

écrivait il

peu

;

seu-

envoyait de ses

nouvelles à sa famille ou à ses amis etc’està

de rares intervalles que nous retrouverons

dans sa correspondance quelques-unes de ces longues et intéressantes lettres auxquelles

il

A

nous avait précédemment habitués. SON PÈRE.

Nous sommes

partis

dans

la

nuit de diman-

che à lundi, à trois heures du malin, munis de vivres et de munitions el nous à Ostie vers six heures,

petit jour

sommes

arrivés

complètement gelés. Au

nous nous sommes mis en roule pour

les étangs.

Nous étions chacun dans

un

petit

baleau.

Noire expédition n’a pas été très-brillante parce

que

les canards, chassés

continuellement par les

braconniers du pays, sont devenus très-roués... Mais

si

notre chasse n’a pas été exterminatrice,

nous avons du moins passé une journée délicieuse dans un pays merveilleux

et

par un temps admi-

rable.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Je

sur

me

les lacs

et l'éclat

153

suis cru plus d’une fois sur le Nil

du

de l’Afrique, tant la pureté de donnaient à

soleil

la

ou

l’air

nature un aspect

oriental.

Les étangs s’étendent très-loin dans de vastes

montagnes

plaines, bornées à l’horizon par les

de

la

Sabine et

monts Albains d’un

les

côté, et

de l’autre par de grandes forêts de pins para-

mer. Rien

sols qui vont jusqu’à la

plus

n’est

beau que ces grands bois sombres, formant de lignes, sévères et

belles

dans une eau calme

du

le bleu

ciel

en

fermes

,

se reflétant

et éclatante qui réfléchissait lui prêtant le brillant

pierres précieuses. Jamais de

ma

vie je

ne

du monde connu, plus

suis cru plus loin

des

me

isolé,

qu’au milieu de ces grands roseaux qui enfer-

ment

les

étangs dans un cercle d’or. L’aspect

primitif de nos pirogues, l’air sauvage et misé-

rable de nos rameurs ajoutaient encore à

l’illu-

sion.

Les montagnes du fond, encore couvertes de neige, paraissaient belles arêtes

énormes

comme le ciel d’Orient. tout ce

et dessinaient leurs

sur un ciel lumineux C’était

que vous voudrez,

tistiques ont bien

pu me

et

vibrant

magique, féerique,

et ces distractions ar-

faire

manquer quelques

bêles. Qu’importe?... Cette journée restera dans

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

154

mes souvenirs de voyage comme une des plus belles et des plus remplies d’impressions

pro-

fondes...

A SON PÈRE.

...

Je suis toujours attaché à

que je veux

vois assez clairement ce

avec audace. Et quand

un peu

et j’y

cours

passé une journée à

j'ai

monter sur mon escabeau suis

mon grand tableau

m’a pas donné trop d’ennui. Je

qui, jusqu’ici, ne

en descendre,

et à

fatigué et n’ai plus

môme

le

je

courage

d’écrire le soir...

Nous sommes bien

tristes à l’Académie.

Nous

avons perdu dans la nuit de dimanche à lundi (21 avril 1868),

un de nos meilleurs camarades,

Dutert, architecte qui avait eu le prix la

année que

le

pauvre Deschamps.

Il

même

était poitri-

naire, et quoiqu’il eût fort bien supporté l’hiver, il

n’a

pu

résister à

une courte

malade que dix heures était gai et plaisantait ...

corps lui..

.

;

de sa mort

il

Nous nous sommes relayés auprès de son et,

ce matin, on a célébré

une messe pour

Rome

rude et trop iné-

Le climat de

gal pour des poitrinaires. la

crise. Il n’a été

la veille

avec nous...

est trop

Au

milieu de

la

plus chaude, un changement de vent

brusquement un

journée

amène

froid glacial. Je n’ai jamais

vu

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«V

'-A-ï

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

155

nulle part d’ouragans aussi violents qu’ici. Par-

que non-seulement

fois le vent est tel,

et

les

les portes

détachent et frappent contre

volets se

murs avec une

les

force extraordinaire, mais

encore les vitrages de nos ateliers, qui sont construits avec des barres

voiles d’un navire.

sons

et

le

fer, plient

comme

les

mai-

les

surtout dans nos pavillons, qui ne sont

nullement

mat où

de

Tout tremble dans

Ce n’est vraiment pas un

abrités.

moyen de

les

cli-

envoyer des poitrinaires; c’est

l’on doive

achever promptement

A SON PÈRE.

14 juin 18G8.

L’Exposition

ouverte dimanche der-

s’est

ici

nier et fermera demain. Je n’en suis pas fâché

me

parce que je pourrai exécuter enfin

ma

figure

remettre à l’œuvre et

que

j’ai

réébauchée en-

tièrement la veille de l’Exposition, préférant

mon-

qu’une chose mal

faite.

trer

une chose pas

Ma pauvre rible

faite,

toile a fait,

du haut du

toit

était trop fraîche et

que, d’autre part,

du de

reste,

une chute

ter-

Comme

elle

l’atelier.

ne pouvait pas se rouler,

la fenêtre

et

de l’atelier n’était pas

assez grande pour la laisser passer toute tendue, il

le

a fallu la retirer

haut et

le

du châssis,

bas de

la toile

et

clouer seulement

sur deux traverses

indépendantes, de façon à replier un peu

la toile

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CORRESPONDANCE DK HENRI REGNAULT,

150

sur elle-même et

une

fois

sur

au moyen de cordes, fier

à

par la fenêtre

la faire sortir

par

le toit, la tenir

la laisser

descendre

deux hommes placés dans

;

traverse, puis

la

cour

la

et

con-

le

soin

de tirer bien droit-la traverse du bas, pour em-

pêcher la

la toile

de se plisser

gouttière. Mais

il

faisait

romains sont détestables

mes

placés en

et

de frotter contre

du vent

et les clous

peut-être les

:

bas ont-ils tiré trop

fort.

homBref,

les clous qui retenaient la toile à la traverse

haut se sont

étêtés,

malheureuse

place, et la

du

ont déchiré la toile par est

tombée d’un

fort

second au-dessus de l’entresol, en se repliant sur elle-même

et

en

se

tordant

comme un

chiffon.

La figure était fraîche

!

Je te laisse à penser ce

qu’elle était

devenue après cet accident. Le plus

triste, c’est

que

s’était fait ...

Une

retendue,

la

peinture s’était éraillée, qu’il

de grandes fissures. fois la toile arrivée j’ai

mages les plus visibles. Mais l'état

sous

le

vestibule et

réparé tant bien que mal les dom-

clic se trouvait

vrai

!

l’avoir

vue dans

après sa chute et avant

d’être retendue, ce n’était pas encourageant, et

à ce moment-là, j’aurais préféré cent fois

complètement déchirée ...

Mon

et irréparable

la

voir

!

envoi ne sera pas ce que j’aurais voulu,

Piniti/o ri


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

mais néanmoins j’espère qu’on y

157

découvrira

quelques qualités.

Tu

verras à l’Exposilion

au mois d’août à

l’École,

un bien beau morceau de sculpture de

lliolle,

un

11

aura

y

mourant

Narcisse

une

aussi

par Barrias. Puis, en peinture, périeure d’une

Nymphe de

de Filense partie

su-

Maillard, d'un

mo-

trop souple

delé très-souple,

superbe.

c’est

;

figure

jolie

la

môme

:

c’en est

mou. Machard recommence sa figure pour la sixième fois.

Dieu veuille qu’il ne

la

septième, parce qu’alors

pour ne pas être prêt chée aux rochers pect.

aurait des chances

une Angélique

joli ton,

ici,

les Parisiens

comme

cela aurait

que ce qu’on

Mar sy as des Monchablon

les

le

;

;

malheureu-

verront pas, car cela ne'

Envoi, et c’est fâcheux, parce

pu donner de Layraud une autre

que idée

danslecou,

ne

une

de notre jardinier

un beau morceau de peinture

sement

atta-

distinguée d’as-

entre autres choses,

tôle d’après la fille

compte pas

a

C'est

!

d’un

Layraud avait

élude de c’est

,

recommence pas une

il

a vu de lui jusqu’il présent.

brasel

le

Il

y

haut delapoitrinedcson

parties très-fermes et bien exécutées. a

un grand

tableau,

un peu dans

la

manière allemande, mais qui ne manque pas de grandeur; c’est Y Ensevelissement

(le

Moïse;

le

11

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT

158

Moïse est beau, les anges moins

intéressants

selon moi.

Somme rieure à

toute, je crois cette exposition supé-

la

même

dernière et

à quelques autres

précédentes. Nous verrons ce qu’on en dira

même c’est

chose sans doute que tous les ans

;

la

que

:

mauvais, mauvais, mauvais, que l’Académie

devrait être supprimée, qu’il n’est pas nécessaire

d’envoyer des peintres en

venu

est pas

Michel-Ange

comme

et

comme

que Manet n’y

Italie,

que néanmoins

est bien près

il

dessin

couleur.

Quant au jury chargé de rédiger sur les Envois, je vois tableau

:

que je

n’ai

d’ici

les

rapports

mon

ce qu’il dira de

que de l’aplomb,

de l’aplomb, que j’aurais mieux filière

de

de Velasquez

et

fait

et rien

que

de suivre la

idyllique d'Émile Lévy et d’étudier avec

amour un Aslec de douze ans mode) que j’aurais

très à la

endormi

,

(cet-

intitulé

la grenouille ,

ou l 'Enfant à

au lézard , ou YEnfant à

la

puce

âge devient

Jeune pêcheur

ou YEnfant

!...

A SON PÈRE.

Rome, 4

Depuis que je

t’ai

écrit *

juillet 1868.

nous avons eu

la

fête de Saint-Pierre, la plus belle après celle de

Pâques.

Quel merveilleux tableau que

la

procession

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

dans Saint-Pierre!

C’est

159

d’une couleur extraordi-

naire qui réunit toutes les qualités imaginables

de richesse de tons, de vigueur, d’harmonie et de composition. Quel fond que cette abside de SaintPierre où s’élève

un immense

dais de velours

grenat aux franges d’or, qui se détache sur le

grand

couleur d’or représentant

vitrail

Esprit, vitrail

rayons d’or,

le tout

la

le Saint-

entouré de nuages

au milieu de

la

et

de

pierre grise,

une lumière étincelante

qu’illumine

par

ovale

,

adoucie

fumée de l’encens.

Et ces grandes colonnes torses, en bronze, du

grand autel, faisant une silhouette sombre C’est !

étonnant!

La statue de bronze de saint Pierre gnifiquement décorée pour tête est coiffée

verle de

est

d’une superbe tiare toute recou-

pierreries.

Une grande draperie de

brocart or et rouge violacé enveloppe tue, derrière

or

et

ma-

la circonstance; la

laquelle est

la

sta-

un fond de brocart

rouge aussi, mais d’un autre rouge plus

chaud.

Au-dessous du dais en velours grenat à franges d’or, et devant la statue,

de magnifiques candé-

labres avec des pieds ciselés, dit-on, par Benve-

nutto Cellini C’est une magnifique idole indienne .

cette figure et cette

main de bronze

noir,

;

au mi-


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

100

lieu

de ces draperies

pierreries font

si

riches et de toutes ces

penser à une divinité de l’Inde.

Indien ou Romain, toujours

est-il

que

c'est ad-

mirable. Il

ya

s’arrête et

un moment dans au

de

milieu

la

procession

cardinaux

la fête

monsignors portant toutes

du saint-père,

les

l’église, les

les tiares et mitres

gentilshommes des cardinaux

vêtus de soie noire avec épée d’acier au côté, les

gardes suisses en cuirasses damasquinées portant la Miséricorde à

deux mains. Les évêques

étrangers et orientaux sont dans leurs plus beaux

costumes, et or,

les gardes

nobles en grande tenue rouge

casque en tête

et culotte de peau.

Tout cela

s’arrête subitement et se retourne vers le pape,

porté sous son dais de velours par des gentils-

hommes, couverts de costumes du seizième siècle en velours cl soie rouge, et entouré de ses grands éventails en

plumes de paons blancs

et

en plumes

d’autruches blanches. Le pape alors proclame un

manifeste quelconque, proteste contre les enne-

mis de

la

foi..., etc.

Cette scène est

unique de

beauté, et on ne peut avoir idée de pareille gran-

deur

et

Cette

de pareille pompe.

semaine aussi je suis

situé dans un fort bel

allô

au camp.

emplacement qui

n’a

inconvénient, c’est de se trouver juste à

Il

est

qu’un

la

hau-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

teur

101

orages qui, cette année, se succèdent

(les

plusieurs fois par jour. Il

est situé

presque au sommet du mont Cavi,

sur un plateau assez étendu qui tère.

Celte

plaine s’appelle

le

fui jadis un cracamp d’Annibal,

parce que la tradition rapporte que ce grand

Rome.

général s’y établit lorsqu’il arriva devant C’est C’est

en

une

effet

belle position pour

un camp.

un plateau bien plan, en forme de demi-

cercle, dont le diamètre est entièrement et a

vue sur toute

la

campagne,

et

dégagé dont

la

partie circulaire est bordée d’un amphithéâtre

de collines boisées. On est

mense

fauteuil.

heureux, car

les

Cette

année

comme dans un imle

choix n’est pas

malheureux soldats sont tou-

jours dans les nuages, et cinq ou six fois par jour il

pleut sur

le

camp.

Le pape venait y dire la messe en plein air, devant les soldats, auxquels il a donné sa bénédiction, après les avoir fait fort

beau

messe,

s’il

et si

manœuvrer. C’eut

un camérier

été

temps de

n’avait pas plu tout le

n’avait pas tenu

la

un pa-

rapluie au-dessus de la tète du pape, ce qui relirait tout le caractère sérieux

L’Exposition

de

Rome

repiit en sous-œuvre son

de

la

finie

cérémonie...

,

Régnault

Automédon ,

et

il

h.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

1G2

venait de le terminer, lorsqu’une horrible le força à

chute de cheval

un repos complet.

me fut

Le premier récit de cet accident

en-

voyé par lui dès qu’il se sentit un peu remis,

mais avec prière de garder à-vis

le silence vis-

de sa famille. A M. A.

DUPARC.

Rome,

Je ne puis te faire en ce

11 juillet, 18G8.

moment

de moi que je t’ai promis. Ma sentable dans l’état où elle est

rebouche. Tu

me

trouveras,

une noble

reverrons,

le portrait

tête n’est pas pré;

faut qu’elle se

il

quand nous nous

cicatrice à la tête.

pas que ce soit à Montana que je

Ne

crois

l’aie reçue, ni

dans un duel contre un mari jaloux, ou contre le

honorable enfant. Non

d’une

père

;

c’est

moins dramatique.

Un failli

fort joli cheval, le

tuer le

sure', son cavalier.

dans

ma

jour delà Fête-Dieu, avait

commandant de zouaves de Trous-

sagesse

:

Il

Ce que voyant, faut

que je

saye, je le trouve charmant

lendemain cile,

Tué

un peu

un prix de à la bataille

;

vif,

me

suis dit

charmant encore

comme un cœur,

joli

gracieux,

points

1

;

je

l’essaye. Je l’esle

élégant, do-

mais méritant de tous

sagesse.

de Patay,

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

163

Le surlendemain, après avoir été de plus en plus charmant à

Borghèse, monsieur re-

la villa

fuse d’aller à l’Aqua Acetosa.

Rome parla porte du Peuple et un i. Je

lutte et

Il

veut rentrer à

droitcomme

pointe

veux aller à l’Aqua Acetosa. Mon-

sieur refuse et repointe au moins

Après une demi-heure de

lutte,

trente fois.

nous rentrons

à

l’écurie* Mais je voulais avoir le dernier mot, et

je redemande le cheval le lendemain. 11

vient

porte le

me

prendre devant l’Académie, maisla

du Peuple une

manège de

dure encore

fois

passée,

il

recommence

la veille et cette petite plaisanterie

trois quarts d'heure. J’étais

sur la route à Ponte Molle par M. et D..., avec qui je devais faire la

A

force d’éperons, je finis par

val de rentrer à

de

promenade.

empêcher

Rome mais alors ;

attendu

madame

il

le

che-

enfila la via

Flaminia avec une allure de course plate. J’évite la

première voiture que nous rencontrons, mais

pour tomber sur

la

seconde, qui était un tombe-

reau plein de sable, pièce de résistance. Mon cheval s’aplatit là-dessus, et moi, je vais étudier

de près crit

le

une

cours des astres

jolie parabole, je

première, en plein sur

ment je ne

puis après avoir dé-

me

plante, la tête la

crâne. Fort heureuse-

le

pris pas racine

;

;

je fus étourdi et aveu-

glé par le sang qui coulait sur

ma figure, je passai

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

lot

comme du me

quarante-huit heures dans la glace,

champagne frappé,

et

quatre jours après je

levais. Je

ne suis pas encore fermé,

mon

peu d’idées ne se sauve par

que

Mon père n’en

chut!! pour la chute! je

n’en

ai

parlé

personne .qu’à

à

et crains là

Chut

!

sait rien

à

et

toi

!

;

Jadin...

La seconde

lettre fut adressée

deux mois

plus tard à son père, qui avait appris cident et lui avait

demandé des

l’ac-

détails.

A SON l'ÈRE.

Tu me demandes des et

mon

détails sur

accident. Si cela peut te faire le

moindre

plaisir

surtout pour que les choses ne se grossissent

pas avec la distance,, les voilà. J'avais eu pen-

dant tout

le

mois de juin un cheval

idéal. C’était

certainement l'âme d’un saint, qui

s’était réfu-

giée dans le corps de celte

hôte. Je

bonne

conduisais ce cheval qu'à la parole intelligent,

que

je pouvais lire

et qu’il s’arrangeait de façon à les

mauvais pas,

les

tures, etc.... Jamais

en

ai fait

faire

;

au grand trot,

me

faix*e

mauvais chemins, il

ne

ne

était si

il

éviter

les voi-

se fatiguait, et je lui

de rudes, pourtant! Jamais

ne m’a rien refusé, ni fossé, ni

il

barrière

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.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

1Gj

Trouvant l’existence monotone avec une bêle de

bonne composition

si

d’un

caractère

plus

adressé à un fort

,

joli

que

me

et qui

avait

celte bête avait des passions ardentes.

Il

deux attachés d’ambassade

il

avait

et fait

clown à M. de Troussure, com-

faire l’exercice de

mandant des zouaves, taire

la

œil d'un vif et d’un noir qui prouvait

jeté par terre

la loge

suis

arabe qui m’avait servi

un peu quinteux. D’abord,

réputation d’être

un

je

et

,

de modèle pour mes chevaux,

avait

voulu goûter

j’ai

épineux

le

jour de Pâques, devant

des autorités. D'un autre côté, un secré-

d’ambassade de France

un mois,

et

eu pendant

l’avait

en avait été très-content. Je

monté quatre jours de

l’ai

un rêve que

suite; c’était

ce cheval, d’une légèreté et d’une souplesse merveilleuses. Mais,

menade, chai,

le

il

au retour de

chercha

à

la

détournant du chemin de l’écurie pour

lui laisser le

temps de

se calmer.

à essayer d’un exercice tout à

que; sur

il

les

s’enlevait droit

tiré

un

et sur l’encolure,

commençait

il

«

digne du ciri

et

marchait

manqué de

si j’avais

tant soit peu sur la

bouche

se renversait sur moi.

à s’amasser, cela

nous reprîmes donc

se mit alors

Il

fait

comme un

pieds de derrière;

souplesse ou

foule

quatrième pro-

s’emballer. Je l’en empê-

le

chemin de

La

m’ennuyait

la

maison,

;

et

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNADLT.

106

le cheval,

content de m’avoir

fait

rebrousser che-

min, rentra tranquillement à Rome. Le lende*

main, je devais faire une promenade à cheval avec M.

et

madame de

D.

vers six heures,

après

..

la

séance, c’est-à-dire

heures

six

et

demie.

toujours notre heure de promenade. Je dai

mon

C’était

deman-

cheval devant l’Académie. J’arrivai

peu en retard à

porte du

la

un

Peuple, lieu du

rendez-vous. Ne voyant pas les deux autres che-

vaux et

me

croyant en avance, j’attendis quel-

ques minutes. Le précepteur du

petit

de D...

m’annonça qu’on

vint alors à passer

et

pris les devants, à

cause des voitures qui in-

avait

quiétaient les chevaux, et qu’on m’attendait à

Ponte-Molle

gens chic de

c’était l’heure

;

Rome

les

les

voitures des

conduisent à la

villa

Bor-

ghèse. Je voulus alors piquer des deux et aller rejoindre

mon

mes compagnons de promenade, mais

cheval, qui venait de passer quelques mi-

nutes en face

commode de

la

porte

rentrer à

du Peuple

et

l’écurie après

trouvait

une

si

courte promenade, refusa de marcher, et se rappelant qu’il m’avait

fait

céder

la veille,

mença son manège de pointage J'avais beau, avec les

maintenir dans faire

prendre et

la le

jambes

direction

recom-

et

de ruades.

et les

éperons, le

que

je voulais lui

pousser en avant,

il

s’enlevait

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. tout droit,

tour de valse, qui

167

sur ses pieds de derrière un

faisait,

mettait en face de la porte du

le

une ruade.

Peuple, puis lançait

Cette lutte dura

plus d’une demi-heure; je renversai une boutique d’aquafresca et orangeade, je manquai d’écraser

gendarmes

et passants.

rêtées et encombraient

Les voitures s’étaient arle

à chaque instant à voir

passage. Je m’attendais

mon

cheval retomber les

deux pieds de devant dans une calèche décou-

une de nos charmantes prin-

verte, et écraser

cesses.

Bien que tu prétendes que je n’ai pas de dispositions équestres,

serait pas resté

il

en

y a plus d’un cavalier qui ne

selle

pendant toute

cette

gym-

nastique du cheval. Enfin, furieux, hors de se décida

le cheval partit et

min que

je lui demandais.

mières voitures, prit

le

Il

à

suivre

le

lui,

che-

évita bien les pre-

mors aux dents,

et,

lancé

à fond de train, sans qu’aucune secousse sur le

mors pût

l’arrêter,

un tombereau de

il

alla

donner du

éviter. Alors je fermai les yeux,

en

l’air

me

poitrail sur

sable que je ne pus lui taire

comme une

me

sentis enlever

flèche, et fus tout étonné de

retrouver aux pieds du cheval du tombereau*

et planté

Voilà.

d’aplomb sur

ma

tête

Fort heureusement

heure avant, sans

de l’autre côté. il

cela, j’avais le

avait plu

une

crâne fracassé


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

168

ma

et

cervelle giglait sur les

murs

!

Maintenant

que tout va bien, nous pouvons en rire des bossus. Je sance;

me relevai

avec toute

ma

comme

connais-

sang m’aveugla bientôt. Le précepteur

le

vu voler dans

qui, de loin, m’avait

les airs au-

dessus des voitures, accourut immédiatement et

me

trouva entre les mains de braves gens qui

pansaient

et

me

me

mettaient vinaigre et arnica. Fort

heureusement, je perdis beaucoup de sang. On

me ramena Lagraine revenir.

en voiture à l’Académie. Le pauvre

faillit

tète et l’épine dorsale.

De et

la

me

pansa,

Bravo! rien de cassé!...

glace autour de la tête, et renouvelée nuit

jour pour empêcher

pansement deux et

me voyant me sonda la

trouver mal en

se

Le médecin

fois

congestion. Charpie,

la

par jour... Soins incessants

dévoués de Lagraine, vraie sœur de Charité,

bonté des camarades, du directeur. Mieux au

bout de

trois jours.

me trouve

sur

mon

Épatement du médecin qui

séant

bout de huit ou dix jours,

On me Il

croyait mort.

salubre, où

aller il

il

le

crie

au miracle. Au

malade

est sur pied.

Prompt rétablissement...

était indispensable

Rome pour

;

que Régnault quittât

chercher un climat plus

n’eût plus à

redouter les

fièvres qui l’épuisaient et constituaient

pour


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. lui,

dans son état de

faiblesse,

un

160

véritable

danger. partit le 6 août

11

pour Marseille. Mais,

avant de raccompagner dans

le

voyage qu’il

entreprend, revenons à son Àutomédon , que

nous connaissons peu, quoique nous nous en soyons déjà tant occupés, et laissons l’artiste

lui-même nous décrire son œuvre.

A H. CAZAL1S.

Tu voi

l’es

effrayé

du

de cette année

grec à

ma

sujet anlique de

mais rassure-toi,

;

mon En-

j’ai fait

Automédon pourra

être tout ce

que lu voudras,

cherché dans mes chevaux, non pas

et j’ai

du

manière. C’est une traduction libre.

la

coupe de crinière des chevaux lhessaliens, mais ce qu’il y a de plus noble et de plus effrayant

dans

le cheval,

ce qui pouvait en faire

le

cheval

historique, le cheval qui parlait, le cheval qui

prévoyait la mort de son maître Achille.

Le

ciel

est

surchargé d’orages, une mer de

plomb commence qu’à

la

à

s’agiter

sourdement, bien

surface elle semble encore endormie.

Un

rayon de soleil triste éclaire à l’horizon d’une lueur blafarde une côte rocheuse

et aride.

Les

chevaux, sachant que leur maître les mènera au 15

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

170

combat, que ce combat sera coûtera

la vie, se

le

dernier et lui

débattent et luttent contre le

serviteur qui est venu les prendre au pâturage.

L’un d’eux, bai brun, se dresse

comme un

fantôme sombre et se silhouette sur voulu donner dans

le

tableau

comme un

goût d’événement sinistre. Mais

que

tout ce

Tu

je voulais

as raison

un

;

grand

le ciel. J’ai

ai-je

avant-

bien dit

?

artiste doit se laisser aller

aux impressions diverses

qu’il ressent devant la

nature, et ne doit pas rejeter et mépriser la moi-

de ses bons mouvements

tié

comme

acceptés par l’école ou la secte dont

il

n’étant pas fait partie.

Oui, la nature, le vrai, l’ému et l’émouvant, vie

ou

la

la

mort, mais la vraie mort sans mouve-

ment, horrible ou sereine, voilà ce qu’il faut chercher.

beaucoup

J’ai

travaillé cet hiver sans

résultat. Mais toutes et plus tard,

il

grand

mes observations s’amassent

sortira peut-être

quelque chose

de ce chaos.

mes chevaux fougueux , mes ciels ma mer sinistre j’ai voulu rendre d’une chair de femme et les éclairs dorés

Après d’orage l’éclat

,

,

d’une chevelure américaine* bien

J’ai

bien travaillé)

cherché, mais je n’ai pas trouvé encore.

Qui sait? cela viendra peut-être...;.


,

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. A M.

171

DUPARC.

A.

Rome, 5 août 1808,

Je quitte cin, et je dois.

Rome demain

ne t’envoie pas

Ta femme aurait

celui de te fâcher

Voilà

sur l’ordre du méde-

si

les dessins

le droit

je

le

et toi

ne sortais de maladie.

un mois à peu près que, pour m’être cru

trop bien remis de

ma

avec une fièvre de cheval

chute, je suis malade, toute couverte

et la tête

d’abcès, etc. Depuis dix jours je

premiers jours

mon

que je

de sourire

fauteuil,

il

me

lève; les

m’était impossible d’atteindre

mais, grâce au bon appétit,

j’ai

repris assez vite des forces.

Je suis, j’espère, en état de gagner Marseille, et

comme

il

est probable

guera quelque peu,

que

le

me fatime repo-

voyage

j’ai l’intention

de

ser à Marseille jusqu’à ce que je sois de force à

gagner Bayonne, où Clairin m’attend. Je ne puis vraisemblablement pas t’envoyer

un

croquis de moi dans ce

moment

:

tu ne

me

reconnaîtrais pas. Outre que tout travail et toute application

me

sont interdits, je n’ai presque plus

de sourcils, je suis vidé, je n’ai plus de cheveux. Je ne puis

me

toucher

la tête

ber trois mille d’un coup,

sans en faire tomet,

comme depuis me toucher

huit jours je n’ai pu m’empêcher de la tête,

ou d’y déposer un chapeau qui se couvre

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

172

immédiatement de crins comme nid de fauvette,

ma

lement éclaircie, que Mais rassure-toi

tu

peux m’envoyer

mon

j’ai

une bonne phote faire le

retour, car c’est plus

une

c’est

dette conlracléc et

moment

d’un

les huissiers

nous irons revoir l’endroit ensemble, dessin se fera pendant ton séjour Voilà,

mon pauvre

fait

:

«

Demain

ton dessin? » C’est ce jour-là que

me

que

sentis

m’engourdir

je faisais à la j’ai

tenir

que

et

le

j’ai à t’ari-

de ce que je

ma derme mets à

promis. Te rappelles-tu que dans

nière lettre je te disais

que

à

ici.

ami, tout ce que

noncer, c’est que je n’ai rien

Je

tel-

Quant au dessin des bœufs, j’espère que

l'autre.

l’avais

d'un

peau apparaît parlout.

Envoi je pourrai

dessin que je te dois à

qu’une promesse,

la

comme

:

mon

tographie de

l’intérieur

pauvre toison se trouve

eu toutes

,

je

été pris.

j’ai

pendant une

visite

duchesse Colonna, au point

les peines

du monde

à

me con-

dans une posture convenable pendant une

demi-heure. Puis, je suis rentré à casa vers cinq heures, exténué de fatigue, déjà gagné par fièvre. Je

me

pu prendre

suis étendu sur

et la nuit a

mon

lit, je

commencé mon

accès de fièvre qui m’a tenu

si

la

n’ai rien

violent

longtemps. On

l’a

coupé avec des doses formidables de quinine, qui m’ont rendu sourd pendant

trois

ou quatre jours.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Mais

docteur craint

le

le

au moindre refroidissement,

retour de et

il

me

173

fièvre

!a

prie de

me

m’embarque donc de-

lancer dans l’espace. Je

main malin.

Régnault supporta osé

n’aurait

passés à Marseille,

madame huit

mencé

au

pour cette

Espagne

pas, mais vers attrait.

sistible tait le

et

y

il

en

pendant

travailla

com-

avait

se remit

en route

ne connaissait

qu’il

laquelle l’appelait

un

On eût

pressen-

dit

charme sous lequel

ver. Là,

jours

trois

au château de

portrait qu’il

Rome. Puis

à

Après

se rendit

il

de D...

jours

voyage mieux qu’on

le

l'espérer.

effet,

il

il

qu’il

irré-

allait se trou-

rencontrera des maîtres

qui « l’effrayeront » moins que .Michel-Ange là aussi la

nature sera pour

lui pleine

de

;

sé-

ductions encore inconnues, et son enthou-

siasme laissera loin derrière

lui les

enchan-

tements de sa chère campagne romaine la feront pâlir

dans ses souvenirs

et

comme

dans ses impressions. Plus que jamais

ici,

nous donnerons

la

parole à l’artiste, dont les lettres très-nom15.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

174

breuses, très-détaillées, racontent avec une singulière puissance de vérité, et les événe-

ments dont

il

est témoin, et les impressions

qu’il reçoit. Grâce

aux documents que nous

publions, nous pourrons suivre Régnault

dans

les

musées, assister à

la

révolution

espagnole, faire connaissance avec les puissants du jour, étudier enfin le caractère et les

mœurs de

brageuses,

si

ces populations gitanes

si

om-

difficilement abordables,

si

exclusives dans leurs coutumes et dans leurs allures, et

que Régnault

de charmer

avait trouvé

moyen

et d’attirer à lui.

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CHAPITRE Espagne.

III

— Madrid. — La révolution espagnole. — Portrait du général Prini.

A M.

A.

DUPARC. ?.

.

.

septembre 1808

.

y a bien longtemps que je ne t’ai écrit je suis excusable, parce que tu sais qu’en voyage Il

on

:

n’écrit pas

fatigué,

beaucoup,

et

quand,

le soir, bien

on a griffonné dix ou quinze pages à son

père, on n’a plus qu’une idée, celle de se coucher

avec la pensée et le désir d’écrire aux amis le

lendemain

;

mais

le

lendemain, on n’est pas

toujours bien disposé. Bref,

de

madame

j’ai

fini

de D*** à Plassac dans

Inférieure, puis je

me

suis

la

en

effet

depuis quinze jours.

mençait à s’ennuyer,

il

Charente-

en toute hâte rendu à

Bayonne, où Clairin devait m’attendre dait

le portrait

et m’atten-

Comme il com-

avait quitté

Bayonne pour

Saint-Jean-de-Luz.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

176

A

ne trouvai

Saint-Jean-de-Luz, je

qu’une

m’annonçant

lettre

encore

qu’il était à Yittoria.

Mais j'appris qu’il y avait à Bilbao des fêtes et la reine

quatre combats de taureaux auxquels devait assister. J’y allai, ce qui

attendre l’in-

lit

fortuné Clairin cinq jours de plus... J’arrivai à Bilbao le soir à six heures, ayant

manqué

la

première journée de

mière course... Avant

sommes rendus sur

et la pre-

fêles

nous nous

souper,

le

promenade publique

la

nous avons vu, en très-grand nombre, jolies

femmes qu’on puisse rêver

que toutes sont bien,

les

autres (les plus mal)

:

les

on peut dire

unes ravissantes,

encore pleines

Ce soir nous avons

visité

semble charmante

et

un peu

cl

plus

et 1rs

'de grâce.

qui

la ville,

d’une propreté irrépro-

chable. Les maisons, couvertes de ces sortes de

moucharabis, qu’on appelle, je pays, mirador

,

crois,

dans

le

doivent avoir beaucoup de carac-

tère et présenter

au

soleil

de

jolis effets.

Les Espagnols m’ont paru jusqu’ici d’une politesse et d’une complaisance parfaites. Mais je

comprends l’italien

me

rien à leur langue et je

gêne plutôt

qu’il

crois

ne m’aide...

ne

que


CORRESPONDANCE DE HENRI REf.NAULT. A SON

177

PF.ÏIE.

Lundi

me suis

Aujourd’hui je

heures du

offert, à six

matin, l'arrivée des taureaux et leur entrée dans les écuries. C’est très-amusant. Puis,

ques promenades dans heures, nous

sommes

la ville et le

après quel-

dîner à deux

allés à la course.

Il

y avait

d’une grande beauté. Les deux

six taureaux, tous

derniers l’ont emporté sur les autres par leur vi-

gueur

et la franchise

J'avoue que la très-désagréable

hommes

de leurs attaques.

lutte avec les picadors m’est :

ces chevaux

éventrés,

ces

renversés à chaque instant et qui en tom-

bant courent de grands dangers, tout cela m’a

une impression pénible. Mais

la partie

fait

des mota-

dores, banderilleros, espadados, etc..., est vrai-

ment d’un

joli effet. Il

y avait des costumes mer-

veilleux de richesse et d’originalité dans l’arran-

gement des

tons.

reaux n’ont pas

Malheureusement tous

été bien tués. C'est affreux

les tau-

de voir

ces pauvres bêtes harcelées et complètement étourdies par tous leurs ennemis à cris

de

j’étais

la foule.

manteaux et par les

Tout en trouvant cela

pourtant bien heureux de

tournerai demain. Le taureau

mouvements

et,

parmi

les

le

très-triste,

voir; j’y re-

a parfois

hommes,

sc présentent avec une telle aisance

il

et

de beaux

y en a qui

une

telle

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

178

élégance, que, tout

vue moral trouve là

vue

un

en regrettant au point de

humain que

et

cela puisse être,

on

spectacle plein d’intérêt au point de

artistique.

Demain matin, on lâche dans

les rues

reau avec des boules aux cornes. C’est

grand

plaisir

qu’on puisse

offrir

un taule

plus

au peuple, que

celui de se sauver devant le taureau, de se faire

bousculer et de bousculer lui-même.

Comme

le

me

mon

taureau passera sous

me

du premier, je

balcon

payerai ce spectacle. Puis, je

mettrai en route pour Burgos où je trouverai

Clairin

;

nous serons donc enfin réunis

!

A SON PÈRE.

Ce...

Je suis à Burgos depuis hier. J’ai trouvé à la

gare Clairin qui m’attendait, suivant l’habitude qu’il avait prise

voir

mais suis

si j'arrivais. il

depuis quelques jours de venir

Ma

tête pelée l’a bien surpris,

m’a trouvé bonne mine. Le

fait est

que je

mieux portant qu’autrefois; tout mon mau-

vais sang est parti

;

je suis purifié

Quelle merveilleuse cathédrale

nements d’une richesse

et

!

Il y a des ord’une originalité éton!

nantes. Et ce

chœur?

travaillons là

dedans à force. Demain encore,

grande

quelles boiseries! nous

et dernière séance

de cathédrale. Après-

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CORRESPONDANCE

HENRI REGNAULT.

I)E

179

demain, nous allons voir un couvent intéressant

aux environs de Burgos. Dans

la cathédrale

nous voyons d’admirables

mendiants. O Yélasquez

que pas, on

le

on

!

le

pressent à cha-

retrouve, lui et ses tons de vête-

ments marrons, avec des chairs

grises et fines.

y aurait des tableaux à faire partout rues, dans les marchés... Et les combats de taureaux à Bilbao tyrisés

!

Pauvres taureaux

dans

Il

les

J’en ai vu quatre

!

si

braves et

si

mar-

!

un tableau en

J’ai

,

:

combat de taureaux

;

projet

c’est

;

cela paraîtra

une scène de

un jour...

A U. BUTIN. Madrid. Ce ? jeudi soir*

Voilà douze ou quatorze jours que nous nous

sommes réunis

à Burgos, où Clairin m’attendait

depuis quelque temps

déjà.

Nous n’avons

ja-

mais pu voir un groupe de paysans ou d’enfants s’arrangeant

un peu

sans nous écrier là,

il

:

«

et ayant

Ah

!

si

jubilerait et trouverait

que chose de charmant.

quelque caractère

notre cher Butin était

moyen de

Notre première soirée à Burgos parler des amis. petite

qui

noce à

l’ont

la

On m’a

s’est passée à

raconté ton mariage, la

campagne, toutes

suivie,

faire quel-

»

les

aventures

votre installation,

l’enthou-


CORRESPONDANCE DK HENRI REGNAULT.

180

siasme avec lequel blancheur,

sa.

C... appelait Louiselte

sa

:

lumière, son soleil, son étoile,

sa_

planète, sa comète, sa constellation, sa nébuleuse, sa voie lactée, sa lune* sa nuit, sa nuée, sa brise

sa perle, sa bran-

"embaumée, sa vague,

che de corail, sa branche d’aubépine, sa rose, sa marguerite,

sa

Gretchen, sa pervenche, sa

goutte de rosée, sa fontaine bienfaisante, son

ombre douce

et rafraîchissante,

son oasis dans

le

désert, sa violette, sa fraise, sa framboise, sa

turquoise, son

saphir, sa reine des anges, sa

gazelle, sa colombe, sa

fauvette,

sa mésange,

son perce-neige, sa bergeronnette, sa barquette sur l’océan de

la vie, sa

planche de salut, sa ca-

thédrale, son paradis..., etc..., etc. Nousappellc-

rons cela les litanies de sainte Louiselte

et

quand

tu ne seras pas sage, ta pénitence consistera à les réciter

deux cents

fois

de suite sans respirer...

Nous avons passé toute nous

puis, pour

refaire,

la

journée au musée,

nous avons regardé

mille ou douze cents photographies d’après les

tableaux de Madrid.

Que de

»

belles choses

nous voyons depuis que

nous sommes en Espagne! Nous allons de merveille

en merveille. Dans

sommes

les

cathédrales nous

éblouis par les sculptures des grilles,

des tombeaux, des

retables,

des

stalles

des

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

181

chœurs. La renaissance espagnole est bien re-

marquable,

naux

et d’une richesse de détails origi-

et distingués

malgré leur nombre,

qui,

n’arrivent jamais à la surcharge et à

Qui n’a pas vu

la

lourdeur.

tombeau d’Alonzo,

frère d’I-

le

sabelle la Catholique, à la Cartuja de Burgos, et le Saint-François

d’Alono Cano à Tolède, ne

pas ce que c’est que de

Le Saint-François

est

la belle

une de

sait

sculpture. ces

œuvres

di-

vines qui vôus transportent et vous émeuvent

au delà de toute expression. Jamais, jamais

je

n’ai vu ni ne verrai pareille chose. les

sculptures sur bois des chœurs

(sillerias del

coro) de Burgos, d’Avila, de To-

Toutes

comme comme composition, comme comme variété, comme exé-

lède, sont des chefs-d’œuvre, à la fois

sentiment décoratif, originalité d’idées,

cution.

Il

y a

des monstres d’une lantaisie

merveilleuse, des torses

d’hommes

et des ligu-

res d’une expression et d’une allure

pas reniées Michel-Ange. Nous avons

nombre de

croquis.

Nous avons

que n’eût

fait là

bon

cultivé la fine

aquarelle, et la gouache vigoureuse et hardie.

Mais

ici,

à Madrid,

nous rappellerons à nos

brosses et à nos couleurs à l’huile qu’elles ne sont que nos esclaves, et qu’elles doivent nous servir avec obéissance à imiter les Vélasquez. 10

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

182

Quel peintre!

Jamais on n’a peint

Dio miol

avant lui,

si

ce n’est Titien et Tintoretto.

Rubens

se

permet à Madrid de nous montrer

de

fort belles

choses de sa façon

d’une toute

et

autre coloration que celle que nous connaissons

de

lui

:

il

plus blond

est ici bien

tingué. C’est

un grand peintre

aussi de jolis Véronèse.

,

plus dis-

aussi.

rions pour plusieurs années de travail faisions tout ce qui

H

y a

En somme, nous en au-

nous tente

si

nous

et tout ce qui

pourrait nous servir d’enseignement. Le Martyre

de saint Barthélemy , par Ribeira, nous a beau-

coup frappés... l’armeria

me

ne

coucherais pas

causer avec

me

toi

;

est fort curieuse... Je

si je

me

demain matin

laissais aller le

à

pion Clairin

donnerait un mauvais point.

Bonsoir donc,

mon lylysse chéri, je t’embrasse

de tout cœur ainsi que Louisette

et les amis.

A SON PÈRE.

Madrid

Nous sommes à Madrid depuis dimanche matin. Descendus d’abord à

l’hôtel

de Paris, nous avons

trouvé que c’était un peu cher (10

fr.

50 par

jour), et nous avons cherché autre chose..

avons

fait

Nous

transporter nos bagages dans une casa

de huespedes , chez un Français nique, où nous

sommes

,

très-bien

nommé Domipour 6 francs

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

par jour, tout compris. Nous avons

bord le

les

fait

courses les plus indispensables

banquier, le musée,

:

183

tout d'ala poste,

le bain...

Le Prado nous a montré quelquesjolies femmes,

mais

j’ai été

moins frappé qu’à Bilbao. Là, toutes

m’avaient paru ravissantes et élégantes de tournure.

m’ont semblé un peu trop bou-

Ici, elles

lottes.

Le jour de

mon

recommençait

la

dimanche dernier,

arrivée,

saison

combats de tau-

des

reaux. Je n’ai pas besoin de te dire que nous y étions. Nous n’avons pas été très-contents, car

maintenant nous sommes des amateurs et exigeants.

Nous ne permettons pas

de mal toucher; fois,

nous

et si

à

difficiles

un picador

l’espadado s’y reprend à deux

ou attend trop longtemps avant de frapper, sifflons,

nous crions

Nous voulons

!

un

nous voulons que

taureau bien planté, bien

fait

ses cornes soient aiguës,

ou bien nous crions

«

Otro toro

!

»

et

;

:

nous agitons nos mouchoirs

vers les autorités.

Nous avons eu quelques émotions. Un des ros, enlevé par le milieu

en

l’air

par

le

taureau,

et,

après

un

saut péril-

leux à une jolie hauteur, est retombé sur Il

s’est relevé,

il

tore-

du ventre, a été lancé

n’avait rien

passées de chaquecôté de la

:

les

taille

le dos.

cornes étaient sans

le blesser.

-

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jCOHltESl'ONDANCE DE 1IENIU REl»NAUl,T.

184

Un autre picador l’air,

:

un cheval

a été bousculé avec

on n’y a vu que du feu

des bras, des chapeaux....

;

et,

;

et

un

des jambes en

des trois cul-

butés, le cheval seul avait été blessé à mort. Le torero avait la poitrine couverte de sang, mais ce n’était

que

sang du cheval. Baudry, que nous

le

plaza de toros ,

avions rencontré et entraîné à

la

a été profondément dégoûté

voulait s’en aller,

mais, malgré tout,

il

La duchesse C*** espagnole jette

;

il

est resté. s’est

montrée digne

d’une république bien pacifique,

passionnée

d’ètre

bien que Suisse de naissance et su-

;

comme nous pour

elle s’est

cet affreux mais

splendide spectacle...

Maintenant que

ment

parlé de choses relative-

j’ai

insignifiantes,

il

faut cfue je te parle de

l’impression

profonde que m’a

de Madrid à

ma

Rubens très-beaux

première et

faite le

visite.

musée

D’abord des

d’un ton blond, puis quel-

ques très-beaux portraits de Tintoretto

et

d’un

peintre peu connu, dont nous avons au Louvre

un portrait de nain avec un chien

:

A. Moro.

Quelques beaux Titien, de belles natures mortes,

deux ou

trois belles toiles

autres ne

me

de Ribeira (car

les

plaisent pas), puis enfin le peintre

par excellence, Vélasquez. Je n’ai jamais

rien vu de comparable à cet


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

185

homme-là. Quelle couleur, quel charme, quel aspect nouveau et original, quelle sùrelé d'exécution

!

C’est

née sans

une peinture jeune, bien portante, sans peine, sans fatigue...

effort,

Quant aux tableaux tant vantés de Raphaël,

musée de Madrid, notamment

qui sont au

le

Spasimo, je t’avoue franchement qu’ils ne m’ont

mets infiniment au-dessus ses

pas séduit. Je

superbes fresques du Vatican. Je

exprimer

mon

opinion

mon

qu’il n’aurait pas été de

Dieu !

avis et m’aurait

pour un frondeur.

pris

ici

n’ai pas osé

devant Baudry, parce

!

que

l’école française est

Quelle piteuse figure elle

fiants

Poussin?

11

fait

mal représentée !

Quels insigni-

n’y a que deux peintres français

du restequi pourraient tenir au musée de Madrid, à côté des

Rubens, Ribeira, Tintorelto, Vélasquez:

c’est Delacroix et Géricault

:

les batailles

ou d’Eylau pourraient aussi

sommes quelque chose. La née avec Gros

et tous les

vaudront jamais

faire voir

d’Aboukir

que nous

peinture française est

Poussin du

monde ne

le plus petit cuirassier

de Géri-

cault ou le Giaour de Delacroix.

Quant à Murillo

et

Goya, je ne

les

admets pas

encore. Nous verrons ce que j’en penserai plus tard.

Je vais probablement copier la Reddition de


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

186

Breda cheval

et faire ,

quelques études du

Fileuses

des

des

,

petit Infant à

Buveurs...

Je

etc...

voudrais avaler Velasquez tout entier. C’est le

premier peintre du monde. Pourquoi appliqué ce merveilleux

pas

n’a-t-il

talent et cette divine

exécution à des sujets plus intéressants? Quelle

impression produirait un sujet dramatique

et

passionnant, exécuté avec cette vérité, cette heu-

reuse naïveté d’attitudes et de colorations, sincère, sans prétention aucune, sans recherche

du

pétard, sans effets forcés, sans sacrifices apparents, sans l’état

aucune des

de règle...

admet qu’on fais

ficelles

etc...

fera de

qui sont passées à

avec lesquelles on

et

bons élèves. Ah

!

si je

ne

pas à Madrid vingt-cinq lieues de progrès, je

me pends Comme

!...

nous n’avons pas encore nos

peindre et notre carte pour

mandons

le

toiles à

musée, nous com-

cela aujourd’hui, puis nous partons

pour

Tolède où nous passerons deux ou trois jours. A SOX PÈRE.

Jeudi

Nous avons Tolède, dont

le

été faire connaissance avec cette

nom

monde. Nous y

est sur les lèvres de tout le

retournerons pour travailler,

quand nous aurons terminé nous comptons y

faire.

à

Madrid ce que

Nous nous sommes fami-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

187

dont on retrouve

liarisés là avec le style arabe,

des traces partout; d’abord dans le

mode de

construction des maisons, puis dans les églises, fortifications, etc... enfin

dans

les

accessoires,

puits, volets, carrelages, vaisselles

de terre ou

de cuivre. Le

ciel et la

lumière permettaient du reste aux

Arabes de se croire un peu chez eux qu’en France,

meure,

On

ils

s’ils

avaient

retrouve encore çà et

filles et

pu

parmi

les vieilles

type arabe, bien différent

tandis

là,

les

parmi

les

jeunes

femmes, des vestiges du

du type espagnol. Nous

aurons des études intéressantes

ment dans

,

s’y établir à de-

auraient dû changer leurs habitudes.

à faire,

non-seule-

rues et cours intérieures des mai-

sons, mais encore à la cathédrale. Tout le

monde

n’aime pas l’architecture et l’aspect des cathédrales espagnoles. Elles nité

(celles

Avila, Tolède

trouvera finesse voisin,

manquent un peu

d’u-

que je connais, du moins, Burgos, ).

Sur un

pilier gothique,

on

un ornement renaissance d’une grande

une ogive aura pour pendant, ou pour un plein cintre ou un fer à cheval arabe.

;

Une porte renaissance

sera percée et sculptée

richement au milieu d’une muraille du douzième siècle. les

Mais

le

plus grand grief qu’on

ail

églises espagnoles, c’est leur division

contre

de

la


184

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

grande

nef, en capilla

mayor et en coro, division qui

nuit à la grandeur de l’édifice, et arrête mala-

droitement

l’œil. Moi, je

ne déteste pas cela. Je

préfère, quant à l’aspect général, nos grandes et

célèbres cathédrales, mais ces divisions en coro et capilla

mayor donnent matière

à

de beaux

à de beaux motifs d’architecture et de

effets,

sculpture.

merveilleusement travaillées

Des grilles

ferment toujours, ainsi que toutes Ces grilles sont dues pour

époque de

la

plupart à

uns occupant

les

la belle

Renaissance. De magnifiques tom-

la

beaux sont placés dans 'presque toutès pelles,

les

les chapelles.

pelle, les autres placés

le

les

cha-

la

cha-

milieu de

dans des niches. Nous

n’en avons pas vu encore qui approchent

tombeau d’Alonzo,

le

du

frère d’Isabelle la Catho-

lique à la Cartuja, près de Burgos. C’est

du bel

Holbeinen sculpture, d’une grande noblesse d’attitude,

de sentiment,

surabondante librée avec

si elle

et

d’une richesse qui serait

n’était pas distribuée et équi-

un tact et un godtprodigieux.il y a des

ornements sur

le

vêtement d’Alonzo qui sont

telle-

ment bien exécutés et avec une telle sobriété, que, malgré leur nombre, ils n’attirent pas l’œil et laissent

aux

plis leur

grande simplicité.

chef-d’œuvre incomparable,

C'est

un tour de

un

force


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. et

comme Les

exécution

stalles,

ou

et

vous aimez mieux,

si

de Burgos, d’Avila

et

189

comme arrangement. las sillerias ,

de Tolède, sont merveil-

leuses et couvertes de sculptures sur bois, depuis le

haut jusqu’en bas. Ce qui

me

frappe en Es-

pagne, c’est que les ornements, les sculptures, bien qu’entassés en grand nombre, souvent sur

un espace relativement la

surcharge et à

la

petit, n’arrivent

pagnole a peu de réputation, moi,

elle est

çaise et,

jamais à

lourdeur. La renaissance eset

pourtant, suivant

bien l’égale de la renaissance fran-

pour bien des choses, peut marcher de

pair avec la renaissance italienne.

Pour les

grilles,

par exemple, je ne crois pas qu’il soit possible d’en trouver de plus belles que celles que Burgos doit à

Cristobal de Andino, et à tant d’autres

artistes

dont on ne

ils

étaient

sait

nombreux

môme pas au

les

noms,

tant

commencement du

seizième siècle. Les retables sont très-remarquables,

mais,

bien que leur masse dorée produise un bel

vue à une certaine distance,

je

ne

les

effet,

aime pas

en principe. Philippe et Jean de Bourgogne ont laissé,

sculpture sur bois et belles choses

une

comme

en Espagne...

petite église

romane

Il

comme

architecture, de

y a à Avila, dans

située hors de la ville,

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

190

marbre de San Segundo:

une

belle statue en

sais

malheureusement pas le nom du sculpteur...

Les sculptures sur bois du choeur de sont de toute beauté

;

souvent bizarres,

mais toujours

comme

la

ne

cathédrale

elles représentent des choses

intéressantes

motifs de décoration. Chaque figure ou

chaque monstre, pris à part, pourrait à faire la réputation d’un

homme. Tout

science et de sentiment

:

lui seul

est plein

de

Michel-Ange, j’en suis

sûr, n’aurait pas renié grand

neaux.

je

nombre de

ces pan-

Nous en avons dessiné plusieurs,

ainsi

qu’à Burgos, et nous avons encore d’autres croquis

du

môme

genre à faire à Tolède, où

coro, est d’un

être

le chapitre,

arrangement plus original peut-

que les deux précédents

vient prêter à la couleur

;

le

marbre blanc doré

sombre du bois

sa trans-

parence blonde, et les jaspes leurs richesses deton. Berrugueto

et Philippe

de Bourgogne se sont

partagé les sculptures. L’or,

les cuivres

et

les

fers argentés des pupitres, livres, orgues, can-

délabres..., etc..., viennent ajouter à la beauté

de

la

décoration. La capilla

comme

le coro,

mayor

est fermée,

par une grille admirable

faite

par Francisco de Yillapando.

Le retable

est

de Philippe ou de Jean de Bour-

gogne, et jouit d’une grande réputation

ne

le

;

mais je

goûte pas outre mesure.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

191

Par exemple, chapeau bas! Le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre est

C’est

un

saint François d’ Assise

mal placé dans une

(je crois),

vitrine

du Trésor.

une statue en bois de Alonzo Cano. Le

,

saint,

demi-nature, a les deux mains passées sous les

parements de ses manches, capuchon,

les

entr’ouverte.

la tête

yeux levés vers Il

est impossible

couverte de son

bouche

le ciel et la

de voir au monde

quelque chose de plus beau, d’une vérité, d’un réalisme plus effrayants, d’une vie plus surnaturelle,

d’une expression plus divine et immaté-

rielle. Si

on regardait souvent

cette

œuvre su-

blime, on deviendrait fou. Mais on se garde bien

un

d’en parler dans les guides; on la cache dans

coin où elle est mal éclairée, à une hauteur où on la voit

mal, tandis qué

les places

d’honneur sont

données aux vêtements dont on recouvre tue de la Vierge, le jour de l’Assomption. richesse,

il

est certain

que

c’est

inouï

;

la sta-

Comme tout est

couvert de perles fines, de diamants, de pierres précieuses de tous genres. Mais j’avoue

j’aimerais

mieux

que

voir tous ces millions distribués

aux malheureux qui crèvent de faim dans toute l’Espagne, que de les voir ainsi enfermés dans

une armoire

et l’objet

de

la curiosité des

badauds.

Les perles seraient fausses, que

l’effet serait le

même

les vraies et

:

on pourrait donc vendre

en

.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

192

distribuer le prix aux pauvres.

pour

Puis,

slalue de saint François, par Alonzo Cano,

une chapelle

drait élever

merveille des merveilles

;

il

la

fau-

tout entière. C’est la cela vous arrache les

larmes des yeux! m’étendrai

Je

plus longuement sur Tolède,

quand nous y serons retournés. Le musée de Madrid nous réclame maintenant... A

11.

DUPARC.

Madrid

?

retrouvé Clairin à Burgos où nous

J’ai

avons passé trois jours à travailler dans

la

cathé-

drale pleine de merveilles. Puis vint le tour d’Avila

où nous trouvâmes des choses plus belles

encore qu’à Burgos. Nous y restâmes six jours à faire des éludes plus où moins réussies.

Nous sommes

à

Madrid depuis quinze jours;

nous avons en passé huit à nous promener, à voir tout ce

qui pouvait être intéressant, puis

nous nous sommes mis vigoureusement à vrage dans

le

musée.

Lances de Vélasquez,

J’ai

grandeur de

c’est-à-dire 11 pieds sur C’est

d’une

taille

l’ou-

entrepris la copie des l'original,

15 pieds 2 pouces.

raisonnable.

— Je ne t’en ferai

pas cadeau, parce qu’elle pourrait te gêner dans

ton petit cabinet. Je ne sais pas quels cris les pu. ristes

de

l’art

pousseront

l’année

prochaine,

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

quand

193

verront Velasquez mettre un pied dans

ils

sanctuaire de l'École des beaux-arts. Quelle

le

profanation!...

Ah drid

que de merveilles dans ce musée de Ma-

!

mais

je voudrais faire tout,

;

restreindre.

s’embrouiller

ici

;

s'il

y a

du nouveau,

me

Faudra

il

Les choses politiques ont

de

l’air

je t’en par-

lerai.

A SON PÈRE.

24 septembre

i

868.

Si tu lis les journaux, tu dois être inquiet

me

savoir en Espagne, dans

politique. à

un moment de

de

crise

Mais nous ne courons aucun danger

Madrid, et on croit généralement que

se passeront tranquillement.

les

choses

En Andalousie,

c’est

communications sont arrêtées

différent;

les

aussi, la

duchesse

C***, qui

était

partie,

il

:

y

a dix jours, pour une courte excursion à Séville et à

Grenade, est-elle retenue dans ces parages

malgré

elle.

vient n’a

Aucune nouvelle de ce quelle

pu nous parvenir. Hier,

grande revue des troupes de ciers et soldats, ont crié

ne prouve rien,

et

drid que lorsque le forces

on

:

il

la reine.

Tous,

ici

offi-

Vive la reine; mais cela

croit

moment

généralement

à

Ma-

sera venu, toutes les

du royaume se tourneront, d’un

accord,

de-

y a eu

commun

contre le gouvernement actuel, ce qui


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

194

évitera toute effusion de sang

en pareil cas,

car,

;

l’armée et les populations s’entendront parfaite-

ment. ... Je travaille toujours à Si

ma copie des Lances.

nous attendons pour voyager que

ments que

se soient éclaircis,

temps de

j’aurai le

pies. C’est,

Quel

il

est plus

faire

les

événe-

que probable

quelques autres co-

bien intéressant de copier Vélasquez.

maître!

quelle

franchise

dans l’exécu-

tion! quelle vérité, quelle chaleur, quel entrain!

Ce

n’est pas positivement facile à faire,

mais

c’est

passionnant. Nous travaillons tous les jours, de '

huit heures et demie du matin jusqu’à six heures

du

M. Madrazo a eu

soir, car

la

bonté de nous

permettre de travailler avant l’ouverture et après la

fermeture du musée. Nous déjeunons à huit

heures, pour ne plus avoir à nous déranger dans la

journée, de sorte que nous abattons de la beso-

gne.

Il

fait fort vilain

vent. Voilà deux

temps à Madrid, pluie

de taureaux C’est navrant. Et !

qu’il n’y le

et

dimanches de suite sans courses il

est

bien probable

en aura pas non plus dimanche prochain

temps se maintient

;

à la pluie, et, d’autre part,

on craint qu’après les courses,

les esprits

ne soient

surexcités et portés à des manifestations bruyantes....

Tu me demandes

ce qu’il faut faire de

mon

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

195

envoi? Fais-en ce que tu voudras. Je ne suis pas d’avis qu’il qu’il a

eu

la

exposition, parce

beaucoup plus de succès qu’on

ne pouvait espérer ; le laisser

une

reparaisse à

cette fois

serait

il

dormir en paix.

bon maintenant de prudent

C’est plus

;

critique ne pourra jamais en faire des éloges

plus exagérés. Qu’arriverait-il? c’est qu’à position,

on ne verrait plus que

et tout le

monde dirait

:

«

Il

nous ennuie, ce mon-

sieur, avec ses deux grands chevaux,

assez de bruit

comme ça

qu’on

;

l’ex-

les côtés faibles,

les

ont

fait

remette à

l’é-

ils

curie, et qu’on ne les voie plus de longtemps

Ce coup-là frapper

est frappé

:

à

un second mais avec ;

J’aurai dans tous les cas

portrait de si j’ai le

M

me

de

»

!

moi maintenant d’en autre chose...

pour l’exposition

D... et peut-être autre

le

chose,

temps.

A SON PÈRE.

Madrid, mardi, 29 septembre 1868. 11

que

faut

je te raconte notre journée, qui est

bien remplie et vaut la peine d’une mention particulière. Aujourd’hui,

29 septembre 1868, date

mémorable pour l’Espagne, Voilà

une

tion

sage et raisonnable

puis trois ou quatre jours,

comme

le

89 de l’Espagne!

!

révolution modèle, la première révolu-

aspect. Le soir,

qu’il

y

ait

Madrid

eu.

De-

était triste

on se promenait

silen-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

196

cieusement dans

carrera San Geronimo, à la

la

Des groupes de quinze ou

Puerla del Sol seize

personnes s’arrêtaient çà

et là, parlant si-

lencieusement. Les gendarmes qui, avant le 22,

l’épaule et le revolver à

puis lors laissé toute

la

le

arme de côté

tout

et à la

depuis cinq heures jusqu’à sept heures,

cits

Dans

était

Rocha

comme

à

Figaro nous lisions des ré-

insensés: Madrid, à l’entendre, était à feu et

à sang;

lons

le

sur

et erraient çà

somme,

calme; on se promenait au Prado

l’ordinaire.

civita)

fusil

ceinture, avaient de-

avec insouciance. En

et là

(guarda

marchaient avec

erreur, mensonge. Ce matin, nous al-

au musée selon notre louable habitude.

A onze heures, nous voyons un jeune très-pâle, dire quelques

compagnons

et, tout à

mots

peintre,

à l’oreille

coup, toutes

de ses

les boites

fermées; les gardiens ôtent leur costume redingote du pékin.

prennent

la

nutes,

musée

le

concierge

:

est désert

;

est

En quelques mi-

nous allons chez

les portes étaient

apprend que Madrid

sont

et re-

fermées.

en révolution,

et

conseille de rentrer chez nous. Pensant

le

On nous on nous

que cela

durera quelques jours, nous emportons nos boîtes à

couleurs. Nous faisons

un détour en

chez nous, afin de passer par •

la

rentrant

Puerta del Sol,

que nous trouvons entièrement couverte par

la

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m

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. foule.

Nous courons déposer nos

maison,

et

nous redescendons en toute hâte, pour

Au moment où nous

voir ce qui se passe.

vons sur

la place,

peau jaune paroles

:

et

arri-

nous apercevons un grand dra-

rouge, sur lequel sont écrites ces

Viva

pueblo

el

un monsieur

C’est

boites à la

Borbones

abajo los

!

très-bien mis qui le porte,

il

!

est

entouré de fanatiques qui crient, qui gueulent, aboient. La foule se tourne vers ce bruit et suit le

porte-drapeau, en criant à son tour .

blo , abajo los Borbones

!

Toutes

les

:

Fira

el

pue-

rues qui tom-

bent sur la PuertadelSol sont remplies de monde.

On ne

jetterait pas

une épingle sur

la place.

Un

nouveau drapeau rouge et noir apparaît avec ce titre

:

Soberania nacional. Nouveaux vivats, nou-

veaux applaudissements. De tous côtés reina

!

muerte a

los

Borbones

Le drapeau arrive devant Gubernacion. Des le

Fuera

la

le

hommes du

ministère de

la

peuple escaladent

premier étage en portant leur drapeau au nez

et à la

barbe des gendarmes

ligne, qui, l'arme

dans

le palais

de

et des soldats

au bras,

la

s’étaient

de

la

enfermés

Gubernacion. Voyant qu’ils

ne pouvaient rien contre ils

:

abajo la reina.

!

volonté nationale,

la

regardaient par les fenêtres.

A

la

montée du drapeau,

tres et les volets.

On

plante

ils

ferment les fenê-

le

drapeau sur une 17 .

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y

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

198

des fenêtres du premier. Les cris redoublent « Viva la libertad

En un

!

viva la

:

soberania nacional ! »

instant tous les balcons de la Gubernacion

comme

sont couverts de gens qui grimpent

des

chats le long des pierres et se servent des tuyaux

en plomb

pour

comme

gaz

le

de

nœuds. De nouveaux drapeaux, avec

cordes

les

à

mêmes

devises, arrivent sur la place et sont acclamés

On

par des cris frénétiques. les

chapeaux,

Un

soldat

met

voit voler en l’air

les casquettes, les le

empêcher de grimper lance des cannes et

carreaux éclatent

mouchoirs, etc.

nez à une des fenêtres et veut

et

le

long des pierres. On

même

lui

des parapluies. Les

dégringolent avec fracas. Lè

soldat trouve prudent de rentrer et de refermer les volets.

En quelques minutes, et

les

maisons de

place

la

des rues voisines sont pavoisées, à tous les

étages, de rideaux et de draperies de toutes couleurs. Des échelles sont dressées devant les

iques.

Partout où les mots re

bou-

et reina sont

inscrits sur les enseignes, ils sont détruits avec

rage, à coups de marteau.

Tous

les

écussons

portant des armes royales sont démolis en instant,

ou couverts d’une

qui portaient les

noms de

sont débaptisées en

un

étoffe noire. Les rues

Reina, de Principe , etc.,

une seconde,

et

reçoivent

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. les

nouveaux noms de Vallin,

calle

etc.,

etc.

calle

Les

Prim ,

i99

calle

hommes du

Dune

,

peuple,

grimpés sur les becs de gaz pour mieux voir, les allument en signe de

Prim

!

joie.

De toutes parts

abajo los Borbones!

décide à arborer

» La

drapeau du peuple

le

:

et à pa-

voiser ses balcons. Triomphe de la foule

redouble ses cris

et ses

« Viva

Gubernacion se

:

elle

applaudissements.

Les gendarmes à cheval, chargés de maintenir l’ordre, arrachent alors leurs épaulettes, leurs

décorations, les jettent au peuple « Viva el pueblo

serrer la

!

»

main en

les

crient

et

On les acclame, on

:

veut leur

embrassant. De tous

les

points de la place on voit arriver des officiers et

des sous-officiers de la marine, de l’artillerie, des chasseurs, de

triomphe sur

la ligne,

les épaules

du génie, portés en

des citoyens.

tous arraché leurs cocardes royale qu’ils

portent sur

le

et

la

collet

Ils

ont

couronne de

leurs

habits.

Quelques garde à

la

fenêtres.

officiers

La

vrir les portes officier,

supérieurs qui étaient de

Gubernacion, se montrent enfin aux foule leur :

ils

demande de

faire ou-

ne répondent pas. Un jeune

d’une distinction parfaite et d’une grande

beauté, monte sur les épaules de deux voyous et, en

gesticulant avec son képi,

il

répète

la

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COIî RESPONDANCE

2U0

DE HENRI REGNAULT,

On

demande du peuple. Alors

portes.

,

d’ouvrir

refuse

nouvelle escalade

les

on envahit

;

toutes les fenêtres, on brise les vitres du rez-de-

On

chaussée.

graphies de jelte

sur

détruit, à

coups de pierres,

Une

la reine.

porte de côté et la défonce

la

les litho-

'

partie de la foule, se :

celle

du

milieu résiste. Le gouverneur se montre au balcon et

veut haranguer le peuple. Les cris dominent

sa voix

il

;

se retire et paraît à

une autre fenêtre.

Quelques armes pirouettent en le

mur

à

quelques pouces de sa

On frappe

toujours à

la

l’air

tête.

et frappent Il

disparaît.

porte.

Arrive d’une des rues adjacentes

un

lieute-

nant-colonel des troupes révolutionnaires

veau triomphe. On

lui fait escalader le

étage, en lui tendant des

quelles

il

se hisse.

Il

:

nou-

premier

ceintures après les-

annonce l’arrivée prochaine

de deux généraux révoltés, Prim et je ne

sais

plus quel autre. L’image de Prim, à cheval, est attachée sur le drapeau du peuple, fixé au balcon

du milieu. Le gouverneur reparaît peuple, la main sur

La révolution

est

le

et salue le

drapeau.

triomphante

;

la ville

de

Madrid est rendue sans qu’aucune goutte de sang ait été

répandue. La fontaine de

la

Puerta del

Sol, à sec depuis plusieurs semaines, s 3 remplit

de nouveau

;

le jet

d’eau reprend son essor, tout

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. le

monde

est

heureux, toute l’armée

201

pour

est

la

révolution.

comme

Mais,

crimes

les citoyens

de

la

au milieu de ce désordre,

et les vols se

vont chercher des armes. La défense

propriété et le maintien de l’ordre sont entre

leurs mains.

A

chés ces mots

:

tous les coins de rues sont «

Pena de muertepara

de mort pour

(Peine

des ouvriers, des

affi-

ladron

Les carre-

voleur). »

le

el

fours, les rues sont occupés par des gens ple,

les

trouvent souvent à leur aise,

du peu-

armés de

boutiquiers,

fusils, et

chargés de maintenir l’ordre et de fu-

siller le

premier voleur.

distribue des

armes dans

Dans

quiconque en demande. On

journée, on

la

le palais

de

la reine, à

voit sortir des cours

du palais des hommes de tout âge, de tout cos-

tume, de toute condition, depuis

bourgeois

le

huppé jusqu’au mendiant, avec des sabres de hallebardiers de la reine, des fusils à pierre, à

capsule, à aiguille. Les armes ne tarissent pas

quand

il

n’y en a plus,

il

;

y en a encore. Dans

toutes les rues, les bataillons circulent, musique

en

tête.

Le gendarme est à côté du garçon boucher, Catalan

à côté

l’artilleur.

du Madrilène,

Tout cela

suit

le

gamin

avec ordre

populaire et marche au pas sur

l’air

le

à côté de

le

drapeau

national de

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

202

Diego,

marchent en

abajo

libertad!

tête et crient

Borbones

los

fants ont des bâtons

femmes,

Les

espagnole.

Marseillaise

la

les enfants

Les

!

Viva

:

la

en-

petits

ou des fourreaux de sabre,

ou des baïonnettes, mais tous marchent, tous crient;

heures

la joie est et

A

sur tous les visages.

demie, tout

monde

le

pour dîner. A sept heures

et

six

rentre chez soi

demie on ressort

promenades des drapeaux dans

nouvelles

rues, puis le

calme se

fait

:

les

de nouveau. Les femmes

qui chantaient et battaient des mains s’enferment

hommes

chez elles, et les les rues,

montant chacun

en armes restent dans la

porte.

Nous avons parcouru

sens,

et partout

tranquillité et le

ment par

les cris

garde devant une

la ville

dans tous

nous avons trouvé

même

la

les

même

silence, troublés seule-

de vivala libertad abajo ,

los

Bor-

bones.

Prim arrive demain matin

et

va être porté en

triomphe. Je ne m’attendais pas à voir les choses se passer ainsi. C’est vraiment

semble

et cette

soldats pour

la

beau de trouver

union de tous,

même

voilà qui est bizarre

civils,

cet en-

marins

et

cause. Pas de sang versé

dans une révolution

;

!

pas

de pillage, pas de cruauté. Chaque citoyen, intéressé à maintenir l’ordre,

veille

avec tranquil-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

comme

Pas de pochards

lité.

203

à Paris. Je n’aurais

jamais cru à une pareille dignité. On se donne

main parlout, on s’embrasse, on recommence

la

à vivre

n'y a plus de Bourbons sur le trône

il

:

d’Espagne

Le peuple a mis

!

cela sans faire de victimes

Nous avons nous avons

temps à accomplir

le

œuvre, mais

grande

cette

y est arrivé, Bravo bravo

il I

!

été parlout; nous avons tout vu,

recueilli plusieurs

proclamations

nous pouvons nous vanter d’avoir

et

un des événements

les

rencontrer dans sa

vie.

Ce soir, toute?

La

nuit

les

à

assisté

plus curieux qu’on puisse

maisons

tranquille;

sera

étaient illuminées.

on

veille

Demain, ovation à Prim

les portes.

et

1

à toutes

et fêtes

pen-

dant quelques jours... A SON PÈRE.

Madrid, 4 octobre 1868.

Tout va bien

fermé depuis fermé

tant

Depuis il

le

;

que

la

29 septembre,

musée

est

et qu’il restera

situation ne sera pas éclaircie.

mais sans aucune espèce de gouver-

ajoutons que cela n’en va pas plus mal.

Gavroche

voyou est

le

ce n’est que le

29, nous vivons dans une paix profonde,

est vrai,

nement

ici, si

est

roi,

roi. Il est

police beaucoup

ou

si

lu

aimes mieux,

armé jusqu’aux

dents,

le

fait la

mieux que n’importe quel mou-


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

204

chard parisien décoré, puissamment salarié et ambitieux du grand cordon. Jamais l’ordre n’a

régné dans aucun pays

comme

règne à Madrid

il

depuis six jours. C'est merveilleux

:

chaque Es-

pagnol, en guenilles ou en paletot, avec ou sans se sent de nouveau gentilhomme

souliers,

ca-

ballcro; chaque mendiant a fouillé ses papiers

de famille par

et

s’est découvert une descendance,

femmes ou

les

-le

clergé, d’un grand d’Es-

pagne quelconque. Aussi, au côté,

le fusil

cartouches...

nadier de

Il

monte

la vieille

la

frère,

il

ceinture remplie de

la

garde

garde, et

voleur lasse des siennes

faut le voir, l’épée

il

au bras,

:

il

comme un

gre-

ne faut pas qu’un

fût-il

son

fils

ou son

le fusille à l’instant.

Un voleur

avait

pris

avant-hier la

montre

d’or d’un Anglais, près d'un poste. Le poste est

prévenu,

le

voleur arrêté et fusillé dans la rue

même. On posa sur sur

lui et

on laissa

sa poitrine la

le

montre trouvée

cadavre au milieu de

la

rue

jusqu’à ce que le propriétaire delà mon tre fût venu la

réclamer. Avant-hier, le général Serrano, duc de la Torre,

faisait

son entrée à Madrid avec l’amiral Topete.

Trente mille

hommes du

peuple avaient

le

fusil

sur l’épaule pour recevoir les deux vainqueurs.

Jamais armée n’a marché en pareil ordre,

ni

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. avec plus de calme et de dignité.

On

205

aurait cru

voir trente mille princes déguisés en voyous et

couverts de haillons. .

Le général

un

ont été accueillis avec

et l’amiral

enthousiasme que

tel

du général

le cheval

piétinait sur place saris pouvoir avancer, et la voiture de l’amiral

drer sous

le

que

Topete menaçait de s’effon.

poids des citoyens frénétiques qui

voulaient l’embrasser et lui serrer les mains.

Chaque rayon de roue foule encombrait

portait trois

le toit

hommes

et la

du carrosse. Les maisons plus ou

étaient pavoisées,

couvertes

moins

ou moins décorées d’armoi-

ries.

riches, plus

d’étoffes

Les balcons regorgeaient de femmes char-

mantes qui semblaient avoir orner les maisons

été choisies

donner plus

et

pour

d’éclat à

la

fête.

On

agitait

que sur

des drapeaux, des mouchoirs jus-

les toits,

jusque sur

les

tuyaux des che-

minées! Que sera-ce à l’entrée de Priin, qui

est

bien plus populaire encore?

Nous ne perdons pas notre temps rons

les

;

nous cou-

corps de garde, les bivouacs, nous

sons des croquis

et,

esquissons ce qui nous a courses. Madrid, en ce

bleaux superbes

;

la

fai-

rentrés à la maison, nous le

plus frappé dans nos

moment,

est rempli de ta-

variété des costumes, ces 18

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

206

mélanges d’armes

de haillons, les cours,

et

les

rues, souvent très-pittoresques surtout dans le

quartier Mouffetard de Madrid, sont autant de motifs intéressants. Je ne veux plus entendre attaquer les Espa-

gnols

;

se conduisent en

ils

hommes. Pas un sou

lard, dans les rues, pas de vengeances particulières,

pas d’excès, pas d’abus de pouvoir

de bons

dans

fusils

nos faubourgs

les

!

Mettez

mains des Parisiens de

et attendez

seulement une heure

:

tout Paris sera à feu et à sang...

Demain malin, nous calle de Segovia.

sentinelle

semble,

et

du

travaillons dans

Nous avons

dit poste,

un

poste,

une

été présentés à

nous avons trinqué en-

nous trouverons

des modèles com-

plaisants. Viva la soberania nacional !!! A

«TV PP RP

Madrid.., Il octobre 1868.

Je n’ai

pu recommencer

à travailler au

musée

que vendredi, mais toutes nos journées ont été bien employées et nous avons eu l’entrée

de

Priin, puis la rentrée des régiments d’Andalousie,

puis des revues, puis des combats de taureaux..., etc...

Depuis dix jours,

de triomphe partout

;

bannières, drapeaux,

maisons,

la ville est

en

fêle.

Arcs

guirlandes de feuillages, banderolles

à toutes

les

et jolies têtes à toutes les fenêtres.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Prim sensé

;

un enthousiasme

a été accueilli avec il

ronnes,

207

in-

a été couvert de bouquets et de cou-

etc...

Nous avions

peint, la veille de son

entrée, une grande allégorie qui a été portée par

du

les citoyens

district

de

calle

la

de Segovia

au-devant de Prim; elle a eu du succès.

Chez

duchesse

la

nous avons rencon-

C***,

tré le général caballero

Ruv Fernandez de Ro-

das, le comte et la comtesse de B***.

Le général caballero de Rodas ordres de Serrano, duc de

la

était

sous les

Torre, et c’est lui

qui, après avoir gagné la bataille d’Alcolca, fut choisi et

proclamé général,

troupes de Novaliches veille. C’est assez

,

le

lendemain, par

les

qu’il avait vaincues la

curieux.

Mais ce qui est plus curieux encore, c’est que le

comte

et la

en 1866, l’ont voyant que

comtesse de B*** ont sauvé Prim fait

revenir en Espagne en 1867

la révolution

fois encore, l’avaient suivi à

un mois

l’ont

ils

domestique

et

et,

ne pouvait réussir cette Londres, d’où

ramené. Prim les servait

était

avec

un

il y a déguisé en

sang-froid

extraordinaire.

Dans leur première

retraite, parait-il, ils ont

couru de grand s dangers. La Catalogne était pleine d’espions à la recherche de Prim

donné de

le

fusiller là

où on

;

ordre était

le trouverait.

Il

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

•!08

avait coupé sa barbe

comtesse

comme

et servait le

comte

que

n’avait fait

s’il

et

la

cela toute

sa vie.

A

table d’hôte, dans les hôtels,

serviette sur le bras et

une

il

entendait, la

main,

assiette à la

tout ce qu'on disait de lui, et alors on ne parlait

que de

lui. Il savait

toutes les poursuites dont

et de précautions qu’il a

il

de discrétion

était l’objet, et ce n’est qu’à force

pu regagner

fron-

la

tière.

Une

fois

en France,

il

n’était pas sauvé, et ce

n’est qu’à Londres qu’il a été tranquille.

Cette fois encore, gilet

il

avait revêtu la livrée, avec

jaune, et vivait de pair à

son domestique à

lui,

compagnon avec

qui souffrait d’être obligé

de traiter son maître en camarade. La traversée s’est

bien opérée, on croyait toujours Prim à

Londres. Mais, à Gibraltar, on avait des ordres du

gouvernement anglais pour

l’arrêter.

quitta Gibraltar à trois heures

heures on

était à sa poursuite.

sans encombre et après dépouilla son

la

et à six

arriva à Cadix

Il

reddition de la ville,

costume de larbin

contre celui de général. Pour

nommé

Son bateau

du matin

le

ministre de la guerre;

et le

moment, il

il

changea il

est

arrivera plus

haut, sans doute.

Le

peuple l’aime tant qu’il

ne

le

laisse

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. pas dormir.

Toute

la

chœurs, des hymnes régiments viennent

;

lui

nuit on les

lui

Ü09

chante des

musiques de tous

les

jouer des marches triom-

phales sous ses fenêtres. C’est un tapage incesLes cris de viva retentissent à tous

sant.

ments. La Puerla del Sol

et le

mo-

commencement de

lacalle Alcala sont toujours remplis de curieux

qui attendent qu'il se mette à

Il

a pourtant

l’assassinat

vant

rudement secoué

composé que de

et

pareille

si

et

Il

était

peuple après

la liberté

chose recommençait,

comme

il

n’était

morceaux de bêtes

indigne de

Topete partiraient et

débrouiller

le

lui disait qu’il

canailles, de

son mot), qu’il

que

rano

fenêtre ou qu’il

du secrétaire de Gonzalez Bravo, de-

Gubernacion.

la

(c’est

la

pour l’acclamer encore.

sorte,

lui, Ser-

le laisseraient se

voudrait. Sur quoi, on a

applaudi à outrance.

La liberté des cultes est proclamée dans toute l’Espagne.

Prim

mes

et

veillait

a

demandé au peuple de déposer

de se remettre au sur lui et pour

travail,

lui.

les ar-

puisque l’on

Les postes de

ci-

toyens sont dissous presque partout, la ville

va

reprendre son

aspect

habituel.

Peut-être

pourra-t-on dormir maintenant!... Je vais avoir à faire le portrait de Prim, ce qui 18 .

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

210

sera

une bonne fortune pour moi, surtout en ce

moment où

l’Europe a les yeux fixés sur lui

A SON PÈRE.

.... 21 octobre 08.

Je vais consacrer

demain une dernière

séance à mes Lances, puis je les laisserai sécher

pendant quinze jours ou je

les

pour

reprendrai les

J’ai fait

et

trois semaines. Ensuite

une huitaine me

suffira

retoucher et terminer complètement.

sur cette

toile là

de rudes journées de

pioche, de huit heures et demie du matin à six

heures du

ce qui m’a permis de l’enlever

soir,

promptement. Je

crois

que

cette étude

m’a

fait

faire des progrès.

Ce sera une bonne chose maintenant d’avoir à travailler d’après nature.

Prim sera

cela m’intéressera davantage et

pas beaucoup plus de temps. On les facilités possibles.

Ma

ne

à cheval

me

;

prendra

me donne toutes

toile a

être portée

aujourd’hui dans une grande remise, aux écuries

de

Tous

la reine.

disposition

;

il

sont splendides

dont

j’ai fait

les

y en a ;

un

chevaux ont été mis

entr’autres, petit arabe gris

un croquis; jamais

de plus parfait

ma

à

un grand nombre, plusieurs

comme

je n’ai rien

cheval. Mais, dans

vu

mon

m’appliquerai plutôt à

donner au

cheval le caractère andalous, qui

me semble

tableau, je

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. plus approprié à la circonstance.

11

posées d’une façon merveilleuse.

A

211

y a de trèsbeaux andalous dans ces écuries, qui sont dis-

droit

où l’on fera manœuvrer

portrait,

ma

les

chevaux devant moi.

monumental

Je compte faire, de ce

coté de l’en-

un grand manège

je travaille, se trouve

et historique

prochaine exposition.

Nous avons passé deux soirées avec Prim (maintenant maréchal)

chez les de B***.

,

très-simple et distingué. péripéties en détail est

un

Il

l’existence de cet il

homme

lui a

fallu

à bien cette grande conspiration

communiquait, nous

est

Il

nous a raconté ses

roman. Quelle tête

vrai

pour mener

;

Il

a-t-il

dit,

!

avec ses

frères de Cadix, Séville, Valence, Madrid, etc.,...

par

le

télégraphe du gouvernement, à ciel ouvert,

et jamais

on n’a

une seule de

saisi

quelle qu’en fût

la

longueur.

eux une langue convenue; lait le collégien, et

tout le temps. Le

lège arrivait

;

peu souffrant,

la révolution s’appe-

le

de

la

Nous sommes au mieux avec possible

que nous

;

rentrée au col-

collégien était encore

un

etc., etc.

del Bosck. C’est soit

ses dépêches,

avaient entre

sur ce thème-là, on brodait

moment

mais

Ils

l’homme

de voir

c’est

un

;

il

le général Milanz

le plus spirituel qu’il

parle français

mieux

type de vrai d’Artagnan.

Il

a

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

‘212

une superbe

basanée;

tôle, sèche,

les sourcils

sont noirs, les cheveux blancs, touffus et dressés

sur

avec rage. D’énormes moustaches

la tète

blanches flottent au-dessous d'un nez dessiné par plans fermes

maigre

et

sur un petit corps

le tout

;

nerveux qui se termine par deux bottes

plus hautes que

jamais porté.

pas d'épée,

lui. Il n’a

Môme

à la guerre

n’est

il

il

n’en a

armé que

d’une badine, et couche avec ses bottes. Que ne qu’il raconte

puis-je te répéter tout ce

avec une

verve et une originalité incroyables!

Le conseil des ministres

une

lettre

homme

a

très-curieuse du

reçu dernièrement sultan

remarquable, à ce que dit

lanz, qui l'a

combattu

et

du Maroc,

le général

Mi-

vaincu autrefois.

Le

sultan demandait à s’asseoir sur le trône d’Espa-

gne, disant que de toute antiquité les Maures et

Espagnols n’avaient formé qu’un uni

et

heureux de

cette union.

fanatisme d'Isabelle

la

Il

peuple, bien

ajoutait

que

sés de la Péninsule, et

que maintenant qu’Isa-

belle était bannie et la liberté des cultes

clamée, raît-il,

il

s’offrait

était

le

Catholique les avait chas-

comme

pro-

roi. Celle lettre, pa-

pleine de noblesse et très-remar-

quable. Différents

grade qui leur

chefs

d’armée ont refusé

était offert

le

comme récompense

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

213

des services rendus par eux à la cause de la révolution.

pondu,

Leur seule récompense,

était

dans

triomphe de

le

la

ont-ils ré-

liberté et

l’expulsion des Bourbons.

Les vainqueurs se montrent du reste très-

généreux envers leur ex-souveraine. Jamais une insulte,

une parole blessante ne sortent de leur

bouche. Tous sont prêts à lui faire accepter un jour, sans la blesser, une pension qui lui per-

mette de vivre honorablement

car les vingt-

;

cinq millions qu’elle a emportés lui suffiront à peine pour deux ans lité pareille à la

;

jamais on n’a vu prodiga-

sienne.

Les anciens domestiques de

la

reine sont tous

restés au palais et reçoivent leurs appointements

comme

auparavant. Prim a donné

au ministère de sa

la

un beau

poste

guerre à celui qui a demandé

mort en 1866. Le gouverneur de Gibraltar

ayant écrit au conseil des ministres pour savoir ce qu’il devait faire des émigrés fidèles à l’ancien gouvernement, le conseil a donné ordre de les laisser rentrer sains et saufs, et

de délivrer

des passe-ports à ceux qui désireraient se rapatrier.

qu’ici,

On ce

dira

ce

qu’on

voudra, mais,

gouvernement provisoire

jus-

se conduit

très-bien. J'aurais

de quoi remplir

des volumes sur


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

214

nos relations avec

grands du jour

les

m’étendais davantage

ma

lettre

;

mais

si je

ne partirait pas.

A M. DUPARC.

5 novembre 1868.

La semaine dernière nous avons emménagé

dans un bel

mois

atelier

que nous louons pour deux

où nous sommes très-bien

et

installés.

Ma

copie des Lances est à peu près finie et deux

ou

trois jours

de travail suffiront pour achever

commence un grand

ce qui reste à faire. Je trait

équestre de Prim

;

il

l’envoyer à l’Exposition.

compte

faire

est

ébauché

Tu

le

verras donc. Je

encore, avant de quitter Madrid, une

copie de l’Ésope de Vélasquez, et petite

que

por-

et j’espère

une autre

(plus

l’original) des Hilanderas (fileuses)

du

dito Vélasquez. C’est le tableau le plus étonnant et le

plus délicieux

sible de rêver.

bon Vélasquez

comme

Tu ne :

te

et

un jour un

tu en jugeras.

petit

gris,

d’une sincérité

d’une exécution facile qui ne sent ni

l’effort ni la fatigue

!

Ses tableaux sont

d’aspect qu’on croirait apercevoir, par

ouverte dans nature.

voyage à

C’est d’une fraîcheur

de tons, d’une finesse, d’un d’effets et

le

ses tableaux sont d’une clarté

merveilleuse. Paye-toi

Madrid

aspect qu’if soit pos-

doutes pas de ce qu’est

la galerie,

si

réels

une fenêtre

une scène vivante de

la


< N

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Nous vivons dans jour.

215

du

l’intimité des grands

Prim, Milanz del Bosck,

le

marquis de

Nisa, caballero Rodaz, nous traitent en amis ils

sont tous adorables.

On

le

demande bête

;

roi, n’en

un par hasard? En ce

connaitrais-tu pas envoie-le-nous.

On cherche un

cas

et laid, nul,

Bref, notre existence à Ma-

sans prétention drid est paradisiaque

!

Les artistes espagnols sont charmants pour

moi

;

grands du jour nous demandent conseil

les

sur les affaires les plus importantes

;

les petits

nous demandent notre protection. Tout va bien. prenait fantaisie de faire

S’il te

à

mon

seras sûr de

atelier.

heureux

;

Tu

une escapade

Madrid, viens m’embrasser à

de quelques jours

je te ferai

me

voir les

rendre bien

Vélasquez, une

course de taureaux et beaucoup de généraux A SON PÈRE.

5 novembre 1868.

Nous sommes dans un grand

installés depuis vendredi

atelier, tlanqué

calle Cervantes, 50, près

de deux chambres,

du musée.

J’étais

dans

de trop mauvaises conditions aux écuries pour faire le

portrait de Prim. Je n’avais trouvé de

jour convenable que dans une- immense remise

où étaient rangées sorte

que

le

les voitures

matin entraient

de service. De

et sortaient les four-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

210

go'ns qui allaient

aux provisions.

a donc fallu

11

se mettre en quête d’un atelier assez grand pour

que nous puissions y travailler trois, sans nous avo»s trouvé parlaitement notre

gêner. Nous affaire

grand

:

atelier,

beau jour, chambres, deux

terrasses dont

une en plein midi, de sorte que

nous pourrons

faire poser nos

modèles en plein

soleil.

La semaine dernière nous avons salle

général Milanz. Clairin

le portrait

nature jusqu’aux genoux, moi j’en

dant ce temps-là,

la

duchesse C***

De

sorte

six

yeux braqués sur

que

le

malheureux

fait

les bottes. faisait

était

lui. C’est

ai

sous

un

le

petit

ce petit général,

si

bon enfant; !

11

est à

peu près ébauché. Demain sera terminée

toi

:

et

dont

;

et

avec cela

l’air

croquer. Prim est à

je

pense que l’ébauche

je la laisserai sécher

pendant que

quelques éludes peintes aux écuries, où

n’ai

je

feu de

homme

pleine de caractère. C’est un bijou que

d’un chat en colère

je ferai

une Pen-

son buste.

maigre, d’une tournure très-amusante, la tète est

du

comme

£rand

le faisait

pochade d’ensemble, y compris

dans une

fai!,

du musée fermée au public,

les

modèles

pris encore

que des croquis. Rassure-

chevaux "sont à et

Sur ma

ma

disposition

comme

non comme montures. toile,

Prim arrive de

la

droite du

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

217

cadre, allant vers la gauche et se présentant de

de gravir une pente

trois quarts. Il vient

au sommet,

arrête court son cheval (à

il

espagnole) et salue à

tent,

mode

sa patrie

permis de revoir, non. plus en pro-

qu’il lui est scrit,

la fois la liberté et

arrivé

;

la

mais presque en maître. Derrière

lui

mon-

mais à un plan plus éloigné, des Catalans

armés et des paysans portant des drapeaux.

Une ligne de montagnes du

poitrail

du

s’aperçoit à la hauteur

cheval, et le reste

du

poitrail se dé-

tache sur un ciel gris avec une trouée claire qui fait

enlever en vigueur le côté dé l’ombre du per-

sonnage. Le costume est amusant, très-simple

tunique bleu noir, culotte

et gilet

noires, ceinture rouge et or,

un galon d’or aux

parements des manches. Prim droite, -sa

:

idem, bottes

tient, à la

main

casquette bleu noir galonnée d’or,

ressemblant aux casquettes de nos

officiers

de

marine. Le cheval est un andalous bai, crins noirs et

jambes noires A SON PÈRE.

Madrid, 16 novembre 1868.

Le froid ne m’a pas permis, ces temps derniers, de faire

mes études de chevaux en

plein air, pour le portrait de Prim. hier.

Après

la pluie

viendra

le

Il

pleut depuis

beau temps et 19


.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

218

une chaleur

peut-être

jour passer

l’autre

relative. J’ai été

chez Prim

la soirée

:

mortel!

c’était

Le général est poursuivi jusque dans sa chambre à coucher, par des gens qui veulent lui parler affaires

quand même, de

profité de

ma

sorte

Prim

visite.

pour

obligé de garder la tête

tout

moment

il

j’ai

bien peu

la fin, et

de faire

du tableau auparavant. En ce

reste

le

que

est exténué. Je serai

lui serait

impossible de poser

y a eu grand meeting qui a permis à Olozaga, Serrano et Prim de développer leurs Hier,

il

idées au sujet d’une monarchie constitutionnelle

Prochainement, grande revue passée

et élective.

par

le

général ministre de

compte A

le voir et l’étudier

la

guerre Prim. Je

un peu

à cheval

SON PERE.

Madrid.

Malgré tout

le plaisir

que j’aurais

tous, cela m’est impossible.

. 4 .

à écrire à vous

Tous nos moments

sont remplis, nous ne flânons pas une minute, je t’en réponds.

Que

n’avoir pas toujours

je

regrette maintenant de

fait

ainsi

!

J'aurais

un

ba-

gage solide et varié, je posséderais à cette heure la force

ou

que

je

trois ans.

moi.

J’ai

ne pourrai acquérir que dans deux Ce serait une rude avance pour

beau mettre

maintenant,

il

les

morceaux

doubles

y a un retard que je ne rattraperai

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*

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

mal qui

pas. Le

que pour

l'artiste et

est

décidément

de l’homme,

mieux entendue, plus

;

n’y pensons

219

donc

l’éviter à l’avenir.

Le voyage /

est fait est fait

tôt, et

et,

la véritable école si

de

l’éducation était

jeunes gens seraient formés

les

plus tôt sérieux.

La nouveauté des choses qu’on voit vous surexcite et vous

donne une énergie que vous me

pouvez ressentir chez vous, où vous n’avez d’autres spectacles

que ceux auxquels vous êtes habi-

tués depuis votre enfance. Rien ne vous surprend plus

endormez facilement. En

vous vous

et

voyage, au contraire, l’idée du départ plus ou

moins prochain vous préoccupe; vous voyez

temps

fuir

revoir plus lard ce qui vous entoure

ment

;

il

chaque

le

rapidement, vous craignez de ne pas

faut

momentané-

donc observer, retenir, profiter de

instant, de

chaque chose. Vous ne voulez

rien laisser échapper et vous travaillez active-

ment

;

tandis que

la

confiance que donne cette

idée fatale que vous pourrez revoir demain ce

que vous avez aujourd’hui sous vous pourrez vous ne

faites

faire

les

yeux, que

dans un ah ou deux ce que

pas aujourd’hui, ah

!

cela

vous

amollit terriblement.

Je voudrais avaler tout le

voudrais avaler tous

musée de Madrid

les intérieurs

;

je

de posadas de


CORRESPONDANCE DE

‘220

la

rue de Tolède

I1ENR1 lIEGNAL LT.

de Segovia, à Madrid

et

que

je rencontre; et jamais, à Paris,

venu à

l’idée d’avaler le

le retrouverais

pourrais

je

durer

ne m’est

la

même

plaisir longtemps,

le

petite bouchée.

la perspective

de mes quatre

années de pensionnat m’a empêché de voir

rement six à

ma

situation. J’ai perdu à

premiers mois que

un moment

pouvais

je

place et que

bouchée par

et le déguster, petite

A Rome même,

il

Louvre, sachant que

toujours à

faire

tous

;

bonshommes

les mulets, tous les ânes; tous les

j’ai

clai-

peu près

les

passés là-bas, et cela,

où, n’ayant pas d’envoi à faire, je

me meubler

d’une

quantité d’études

intéressantes que je ne ferai plus maintenant,

parce que je n’aurai plus

la

même

liberté

de

pensée. Je serai sans cesse talonné par l’exigence

du règlement

et

ma

de

conscience, qui

me

de-

mandent un envoi, chaque année plus important, pour faire oublier le précédent. L’attention qu’on a apportée à

produit

me

et ainsi

de suite.

Ce qui est certain, verts,

que

c’est

je les écarquille

que j’ouvre

que

afin

,

et je

j’ai les

yeux ou-

pour voir plus

ma mémoire pour

de choses possible

gneusement

mon premier

force à soigner beaucoup le second,

la

clair,

plus y fourrer le

cadenasserai soi-

de ne rien laisser échapper. Je


,

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. rpgretle le temps perdu

hélas! vivre

il

me

Je fort

:

221

voilà qui est clair, et,

y a de quoi regretter. Je me suis laissé longtemps avec insouciance et

trop

,

ne se passera plus

cela

:

comme

juré d'écrire

suis

ça,

carambaü

demain

serment d’ivrogne! Demain

à

je n’aurai

une minute à moi. A huit heures moins

\

Montpas

le quart,

un mendiant pour terminer une étude commencée aujourd’hui

;

à

onze heures et demie,

au Fomento pour voir un beau Goya heure, séance pour

de

madame

le petit

portrait

;

que

visite

à

une

je fais

de B***, en costume espagnol rose

et

noir, ce qui, entre parenthèse, lui va joliment

bien.

A quatre heures, nuit tombante, course

calle de Toledo

cienne

ma

à la

pour voir une mante gitane an-

et l’acheter

sans doute. A cinq heures,

leçon de guitare, pour arriver à gratter pas-

sablement un jaleo ou une malaguena quelconques. Dînera six heures; à sept heures, remodèle

comme ça, et comme ça. Si jeu-

à l’atelier. Et c’est tous les jours

cela aurait toujours

nesse savait s’entend.

Pero

!...

Je suis bien

Au physique

n' importa

être

aussi

vieilli, va,

au moral,

un peu, peut-être.

!

i».

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

222

A

MADAME DE SAINBRIS.

27 novembre 1868.

mon

Depuis

arrivée en

pioché plus que jamais, et

m’aura

fait faire

J’ai à. peu j’ai

fait

sexes,

un grand

mon

Espagne

j’ai

,

séjour à Madrid

pas, je crois.

près terminé une copie des Lances;

plusieurs études d’Espagnols des deux

une masse de croquis d’après nalure, une

assez bonne quantité de projets de tableaux,

une

pochade du général Milanz del Bosck

une

grande ébauche du général Prim voudrais avoir

Madrid, et

Home

Je

faudra partir vers le 10 ou

15 janvier, parce que ver à

à cheval.

ce portrait avant de quitter

fini

me

il

et

avant

mon

la

tin

devoir est de

du

dit

me

le

trou-

mois, au lieu

de courir l’Andalousie, de voir Murcie, Valence, etc

Nous sommes

installés

dans un bel atelier que

nous avons meublé avec un luxe oriental

les

;

circonstances nous y ont forcés. Cette

commande

du

renoncer à

portrait de

Prim nous

toute pérégrination.

Il

a décidés à

n'y a rien à regretter, car

nous aurions vu l’Espagne imparfaitement

nous avions voulu fois...

l'avaler tout entière

Nous aurions emporté plus de

si

en une

regrets

que

de souvenirs. L’existence est très-agréable

ici.

L’Espa-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

gne n’est pas appréciée

une mine de

pour un peintre,

trésors

en laissant de côté

pays

le

me

maîtres espagnols

223

à sa juste valeur; c’est et

même

et les habitants, les

paraissent être d’un ensei-

pour nous, que des géants

gnement plus

utile

inabordables

comme

Michel-Ange ou Raphaël.

Les maîtres espagnols vous admettent davantage dans leur intimité

ils

;

vous font voir

les

choses avec plus de bonhomie, plus de simplicité. Ils

ne cherchent pas à dissimuler leurs moyens ne demandent pas mieux que de

d’exécution,

vous montrer comment

ont

ils

fait, et

vous per-

mettent de balbutier devant eux, sans vous écraser de leur mépris.

qui éclaire tout les

mendiants

le

Ils

se sont servis

monde

comme

ils

;

de

la

lumière

n’ont pas regardé

indignes de leurs

ceaux, pas plus que les rois.

pin-

Les nains,

les

pouilleux, les enfants, les haillons, les chevaux,

bon

les cuirasses, tout leur est

comme

rien

vil et

grossier

:

à

;

ils

ne rejettent

vous de

faire votre

choix dans tout ce qu’ils vous présentent.

cherchent pas,

comme

poser ce qu’ils ont retiré de

eux

;

en un mot,

fiers, et

ils

Ils

ne

tant d’autres, à vous imla

nature, épurée par

ne sont pas pédants, pas

leur peinture pourrait être faite hier, ou

demain, sans paraître dépaysée parmi nous, sans être passée de

mode.


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

224

Pour moi, Velasquez

est le Molière

de

la

pein-

ture; son style est facile sans négligence, fort

sans emphase, sa langue pure sans prétention.

Ah

Vélasquez! Vélasquez!

!

Je

ne vous parlerai pas de notre révolution.

Vous savez aussi bien, ce qui se passe

et

même mieux

Ne prenez pas

ici...

que moi, Espagnols

les

'

trop au sérieux, mais ne les méprisez pas; ce

cœurs qui ne savent pas trop ce

sont de nobles

qu’ils veulent, qui les

ne comprennent pas très-bien

grands mots qu’ils débitent

noms

et

grands

les

qu’ils invoquent.

Le dernier pouilleux a quelque chose de Don Quichotte; quin, et

n’est

il

honoré pour laisser garette à

gens-là;

jamais canaille, jamais mes-

grand d’Espagne ne se

le

croit pas dés-

mendiant allumer

sa ci-

sienne. Moi, j'aime beaucoup ces

la ils

le

sont (l’une politesse exquise, d'une

complaisance inconnue absolument aux Français. Les gens qui ont des affaires commerciales avec

eux prétendent c’est possible,

qu’ils n’ont pas

mais en

affaires,

de bonne

foi

;

on appelle cela

de l'adresse. Ce qu’il y a de certain, c’est que pendant quinze jours la ville a été entre les mains de

la

un

vol, pas

canaille

le disais à

armée jusqu’aux dents

un excès

mon père

:

n’a été

et

commis.

mettez Paris dans

que pas

Comme je les

mêmes

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. conditions et vous

me

'225

raconterez ce qui s’y sera

passé. A

PÈRE.

SOI*

Décembre, 1868. *

...

Nous

travaillons toujours régulièrement.

Ces jours-ci, nous avons

fait

quelques aquarelles

d’après des mendiants que nous ramassons dans les rues.

La misère est atroce à Madrid; les rues

sont encombrées de mendiants de tout sexe et df»

tout âge, affligés souvent de difformités hor-

ribles qu’ils étalent

aux yeux du

'public. Les

aveugles abondent en Espagne, et on attribue cela à l’éclat des terrains blancs et des murailles

blanches, au soleil, et à la fraîcheur des nuits sur les plateaux. Ces

malheureux couchent en plein

air, le long des

peuvent contre

manière

vent froid.

à se trouver trois

et à se serrer les

plus chaud. sont vêtus

Il

uns contre

Ils

comme

ils

s’arrangent de

ou quatre ensemble les autres

pour avoir

faut voir de quelles guenilles

ils

!

L’autre soir,

darrama,

portes, s’abritant

le

et

il

soufflait

un vent

glacial

du Gua-

nous étions transis bien qu’envelop-

pés dans nos manteaux. Nous fumes accostés par

un jeune homme de quinze

à seize ans, littérale-

ment nu, n’ayant pour tout vêtement qu’une chemise et une culotte de toile tellement en loques,


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

226

que par

qu’elles n’étaient retenues entre elles

quelques rares lambeaux. Les cuisses, les

et

épaules

vertes; ce

hors

comme

complètement

étaient

malheureux

passer

allait

tous ses collègues.

une aumône, mais,

hélas

la

!

elle

décounuit

la

Nous

poitrine

lui

ne dut pas

de-

fîmes

lui tenir

bien chaud! Jusqu’ici

nous sommes tombés sur de braves

gens. Nous avions aujourd’hui une honnête famille, mari,

femme

une conscience

et enfant,

parfaite, et

qui posaient

av<?c

nous ont témoigné

leur reconnaissance pour les quarante sous que

nous leur avons donnés après là sont

la

séance. Ces gens-

généralement d’une distinction extraor-

dinaire;

ils

n’ont rien de canaille, ni dans leur

manière de parler,

ni

dans leurs gestes

;

ils

sont

polis et discrets, presque talons-rouges.

Hier soir en rentrant, nous nous

un

petit concert à

peu de

frais.

sommes payé

Nous avions ren-

contré après le dîner un aveugle qui accompagnait

sur la guitare des chansons populaires chantées »

par un jeune garçon de quatorzeans, doué d’une voix très-souple et amusante. Nous leur avons dit

de nous suivre

et,

pour un escudo, deux francs

cinquante, nous nous

sommes

fait

chanter force

malaguenas, rondenas , seguedillas... etc., etc. J'étais

étonné des bonnes manières de ces deux

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

227

pauvres troubadours des rues. Aujourd’hui tailleur apportait

une capa

une guitare pendue

à l'ami

à notre

mur,

nous en jouer pendant que nous

un

Roger

;

et s’est

il

le

vu

a

mis à

travaillions;

il

a

vrai talent... . . .

Nous avons

qui a été

été voir hier le

pauvre Madrazo,

dégommé, ainsi que M. Zuloago,

le di-

recteur de l’Armeria. Ce dernier s’était mis (rès-

aimablement à

ma

disposition et m’avait offert

toutes les facilités pour faire quelques études

dans le real Armeria. Je ne

sais

encore par qui

il

est remplacé.

Quant

à Madrazo,

il

est

remplacé par M. Gis-

bert, peintre valencien qui a fait

un

certain ta-

page avec son tableau des Communeros. fait

un

portrait d’Olozaga

;

celui-ci l’a

Il

a aussi

poussé et

si

bien, qu’il’ a la place de Madrazo qui a été ren-

voyé

comme un

domestique, sans aucune forme

de politesse. J’en suis fâché, et pour lui et pour ceux qui

ont

fait cette bêtise.

pareil cas,

Comme

on renvoie

les

il

arrive toujours en

gens qui ont de l’expé-

rience, qui sont au courantde l’adminislralion,et

on met à leur place des gens souvent incapables et qui font sottises

leur affaire.

maintenant,

sur sottises avant de connaître

Que de pauvres employés mis à pied et cela

pour donner des places en


CORRESPONDANCE DE

228

REGNAULT.

I1ENH1

récompense de services rendus aux grands d’aujourd’hui dans leurs tentatives révolutionnaires!

On ne

sait

toujours pas tiop quel régime suc-

cédera à ce gouvernement provisoire. On avait jeté les

yeux sur

d’amener

le

le roi

de Portugal, moyen adroit

Portugal à l'Espagne. Mais les Por-

du coup, ne veulent

tugais, qui se doutent bien

du trône d’Espagne à aucun ...

prix.

Le portraitde Prim n’est qu’ébauché,

laissé sécher ces jours-ci

je le

;

main ou après. Malheureusement, empêché jusqu’ici de

comme

plein air

faire

je l’ai

reprendrai dele froid

m’a

une élude de cheval en

je le voudrais.

A SON PÈRE. ‘27

...

le

décembre 18G8.

Je suis effrayé de la rapidité avec laquelle

mois de janvier arrive,

et je prévois qu’il

ralentira pas sa course pour

Hélas!

il

me

faudra quitter Madrid à

vier; ce sera

ne

faire plaisir.

de jan-

la fin

un gros crève-cœur pour moi J’aime .

il

me

fait

tout

l’Espagne, ses peintres, ses habitants, et faudra quitter tout cela bientôt sans avoir

ce que j’espérais. Avant tout, je veux terminer le portrait de

encore

si

pendra de

Prim

et j’ai fort à faire. Je

je l’enverrai à l’exposition sa réussite.

Au

ne sais pas ;

cela dé-

point de vue de

mes

études, je regrette presque de l’avoir entrepris,

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CORRESPONDANCE DE 11ESRI REGNAULT. car

il

m’empêche de me

aux études d’après nature. J’aurais

rait le plus,

aussi voulu faire quelques esquisses et

au musée,

229

me tente-

livrer à ce qui

et je

morceaux

ne puis plus prétendre à autre

ma copie des Lances. Jamais me consolerai de ne pas emporter d’ici une

chose qu’à terminer je ne

copie de l’Ésope, une esquisse de l’Infante en rose, une petite copie des Fileuses. Mais il faut y renoncer. La vie est trop courte, les jours aussi;,

temps passe trop

le

vite et

nous peignons trop

lentement. J’emporterai quelques éludes peintes et quel-

ques aquarelles d’après des mendiants, et un

grand nombre de croquis. J’aurais aimé t’envoyer

pour

faites

une étude quelconque

tes étrennes

;

je

ne saurais laquelle t’envoyer

rait celle-là

:

j’ai

ce se-

dont j’aurais besoin.

Si tu voyais la place

C’est merveilleux

ne

mais

;

m’entourer de toutes celles que

Je tiens à

ressemblent

Maÿor depuis une semaine

!

Elle est couverte de tentes qui

I

guère

jour de l’an à Paris

et

à

nos

boutiques

du

qui abritent des monceaux

d’oranges, de limons, de grenades, de raisins, d’olives et de fruits de tous genres. dirait

grandes esquisses de cette le

beau

soleil

De

loin,

on

J’ai

commencé deux

foire,

bien éclairée par

un campement arabe.

dcMadrid. Le temps est très-beau, 20

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

230 et

n’a pas fait froid depuis plus d’un mois. Le

il

resplendissant aujourd’hui

soleil est

et le ciel

plus beau que votre ciel parisien au mois de juillet.

Jusqu’à présent nous avions

fait

de vains efforts

pour avoir des gitanes chez nous. Nous étions parvenus une s’était

fois à

en amener une. Mais elle

contentée de nous dire

la

bonne aventure,

et n’avait jamais voulu consentir à poser. Elle avait promis dé revenir, mais nous ne l’avons

plus revue.

Hier enfin, nous en avons rencontré trois, place

Mayor. Elles ont passé

en avons

fait

la

journée à

une étude

:

l’atelier.

elles sont

Nous

superbes.

L’une d’elle est enceinte; je serai parrain de son petit qui doit naître dans vier

:

tane.

je

Me

le

courant de jan-

suis curieux d’assister à voilà de la famille.

Nos

une

trois

fête gi-

amis d’au-

jourd’hui nous en amèneront deux autres de>

main. J’espère qu’elles nous donneront des lettres de recommandation pour leurs frères d’Andalousie, afin

que nous soyons bien reçus chez eux

l’année prochaine.

Nous

allons

bouge qui la

parfois

le

soir

dans un

petit

doit être le lapin blanc de Madrid, à

plaza de la Cevada, dans la calle de Toledo.

C’est le

rendez-vous des maquignons, bouchers,

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAI) I.T.

à faire peur à un mort

!

mais

231

On y voit des

portefaix, fruitiers et torreros.

il

y a

types

une

cer-

taine Dolores qui chante des seguedillas , gitanas

,

rondenas , palos, etc..., avec une voix splendide

de contralto, de ces contraltos

comme on

n’en

entend nulle part; c’est presque un ténor, et quel ténor! Une voix qui baret. Cette

femme est

fait

belle

vibrer tout

comme

même,

statue antique, plus belle

la

le

ca-

plus belle

car elle a des

yeux qui regardent, une bouche et des narines qui respirent,

et

des cheveux ondulés

comme des sommes

serpents et d’un beau noir brillant. Nous

devenus amis

et elle doit

venir chez nous un de

ces jours. Je veux faire d’après elle

pour

ma

ailleurs

Judith.

une

Il

me sera

une étude

impossible de trouver

tête aussi belle ; je

ne crois pas

qu’il

y en ait au monde... A SON FRÈRE.

8 janvier 1869. ...

Le portrait de Prim est arrêté depuis plu-

sieurs semaines. Les personnages accessoires sont à

peu près terminés,

certains

et

dans

le reste

du tableau

morceaux sont assez avancés, d’autres à encore besoin de

l’état

d’ébauche seulement.

faire

quelques bouts d’études aux écuries, où je

n’ai

J’ai

encore pris que des croquis qui ne

fisent plus. Dès

que

le

me

temps se radoucira,

suf-

j’irai

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

232

faire

deux ou

trois

pochades d'après nature,

afin

d’avoir la place exacte des reflets et des luisants

du

dû pousser plus

poil. J’aurais peut-être

mais

le cavalier,

que

je

éléments dési-

je n’ai pas les

rables pour terminer

compte pour

mon

me

loin

cheval, et c’est sur lui

donner

la

gamme

de tout

le tableau.

Je ne crois pas pouvoir faire poser le général

qui est

si

occupé. On en a

belle photographie qui sait

Ce sera peut-être

!

avec lequel

il

me

fait

heureusement une

me servira le

beaucoup. Qui

seul renseignement

du

faudra exécuter la tête

gé-

néral.

Par bonheur, et

il

me

elle est placée

haut dans

sera permis de la traiter

la toile,

un peu

plus

largement.

Depuis quelques jours nous faisons à des études de gitanos et gitanas, et

plus de temps,

la

bohème

serait par les mains. La très-difficile

nous dire

la

si

l’atelier

nous avions

tout entière nous pas-

première gitana a été

à décider; elle s’est

bonne aventure

contentée de

et rien n’a

pu

la

faire rester.

Un sés à

autre jour, nous nous

un groupe de

sommes

adres-

trois jeunes gitanas qui, par

curiosité, et sans rien dire à leur famille, sont

venues

exactement

le

lendemain. Malgré

l’i-

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.CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

233

dée superstitieuse qui leur défend de se faire portraiturer, sous prétexte que

mourir, l’une des

cela

les ferait

Nous avons par-

trois a posé.

tagé avec elles notre modeste déjeuner et elles ont

quand

vu que nous étions de bons garçons

que nous les

traitions

comme

e*

des princesses, elles

ont pris confiance et nous nous sommes quittés

bons amis. Le lendemain

nous avons posé

Le surlendemain

veille.

la

quatre

deux jours après

:

elles

elles étaient

amenaient leurs

frères, puis les grands frères, puis les

petits

maris qui s’extasiaient sur faits.

revenues et

elles sont

poser les deux qui n’avaient pas

fait

Un

jour,

ils

vinrent au

portraits

les

déjà

nombre de douze

Tous voulaient poser, et

ils

!

se disputaient,

chacun prétendant être plus beau que

les autres

voulant se faire retratar en premier.

et

Nous leur avons tions pas des

comprendre que nous

fait

machines

les faire tous à la fois

:

n’é-

et

que nous ne pouvions

ils

viendraient deux par

deux, parce que pour travailler

fallait être

il

tranquille et ne pas entendre de bruit. Depuis lors ils

ne viennent que deux

à

la fois. Ils

sont

fort intelligents et

bons enfants. On les calomnie,

on

en Espagne et on a tort; on

les

ferait

maltraite

mieux de

les utiliser, car ils sont forts et

malins. Quelques-uns sont superbes

;

ils

posent


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

234

comme des mon retour,

à te

nombreuses, dit

à

mon

promets du

.

plaisir, à

montrer mes études qui seront

je continue ainsi. Je crois avoir

si

ma

père, dans

dernière

lettre,

que

d’un petit gitane que

être parrain

j’allais

me

anges. Je

la

senora Franciscana va mettre au monde. Avant-hier

été voir la future

j’ai

mère, sous

conduite de son brave

homme

mené dans

bourgade qu’habitent

la

petite

gitanes, hors de Madrid, près de

Rituan

il

:

faisait nuit.

la

de mari, qui m’a

Chambéry

les

et de

Nous sommes entrés dans

une longue maison, composée d’un seul

rez-de-

chaussée divisé en plusieurs petites chambres.

Chaque famille en occupe une est

allumé au milieu de

même

de

la

;

un feu de braise

la pièce

sur le carreau

chambre. D'un côté sont

lasses sur lesquelles

autour du feu,

ils

dorment.

les enfants sont

Ils

les pail-

sont assis

nus, couverts

seulement d’une petite chemise déguenillée. Les ûnes se promènent dans les chambres et passent de l’une

à l’autre,

mangeant

les brins

de

paille

qu’ils trouvent par terre.

Nous leilles

avions apporté, Clairinet moi, troisbou-

de vin que nous avons distribuées à ces

braves gens. guitare,

quaient

un le

Un beau jeune homme jouait de la autre chantait, les femmes mar-

rhythme en frappant leurs mains et les


CORRESPONDANCE DE

1IENRI REGNAULT.

235

enfants dansaient. Nous étions tous accroupis

dans

ma

plus grande pièce, excepté

la

commère paillasse

;

future

qui était souffrante et étendue sur la la

scène était éclairée par une petite

lampe antique.

On

circuler les bouteilles de vin

fit

trinquent pas

gnols ne

ou une bouteille

et

;

Espa-

les

;

on passe un verre

chacun doit y tremper ses

lèvres à tour de rôle. Ce serait impolitesse de

refuser son tour.

Rien n’est plus curieux que l’intérieur de ces

une grande

familles, où règne le plus souvent

misère. Les

gnons Ils

hommes

sont presques tous maqui-

échanges d’ânes

et font des

ont la réputation

morts

et

et

de mules.

de ressusciter

les

ânes

de faire courir ventre à terre les cada-

vres des mules. La vérité est qu’ils sont très-

bons cavaliers

en disant

Quand

la

savent très-bien faire valoir

et

leur marchandise

;

le jeudi,

famille a fait

les

femmes courent

les

rues

bonne aventure. jour du marché,

une bonne

au logis pendant

affaire,

le reste

de

la

père de

le

on mange un peu semaine mais ce ;

n’est pas tous les jours fête.

Malgré leur pauvreté, presque tous ont des

boutons d’argent à leurs vestes lons, et

il

n’est pas

et à leurs

une femme qui

n’ait

panta-

de belles

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

230

boucles d’oreilles et de belles chaînes d’argent. attachent une grande importance à l’exlé-,

Ils

rieur et sont généralement très-coquets.

Après un séjour de trois quarts d’heure au milieu de nos braves amis, nous nous som-

mes remis en route sous

la

conduite de deux

beaux gaillards armés de leurs gourdins, qui nous ont accompagnés jusqu’aux portes de Madrid par des chemins fort détrempés. Je suis de la famille et le

Enrique (c’est moi) est dans la

bohème.

tié,

me

me

Ils

font des

senor don

bouche de toute

témoignent une grande ami-

vœux de

me

les fois qu’ils

nom du

la

voient

:

santé et de salut toutes

parlent

ils

comme

grands prêtres avec une certaine emphase gestes très-nobles et majestueux.

souvent

:

«

Ils

me

:

«

Vaya usted con

la

Ou en-

Virgen santisima.

Allez avec la très-sainte Vierge.

Que Dieu

tout danger de votre chemin, que le ciel

nos têtes

des

des

Senor don Enrique vaya usted con Dio

y con salud. Allez avec Dieu et le salut. »

core

et

répètent

s’il

vous arrive malheur

écarte

tombe sur

comme

vous êtes un personnage de mucho merito , de

beaucoup de mérite, que Dieu ne vous fasse jamais mourir, et si

on avait

» etc.,

le

etc. Ils

ne plaisantent pas,

malheur de se moquer d’eux, ou

de les traiter légèrement,

il

n’y aurait rien à en


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

237

faire, car ils sont

d’une

peur de rien.

ont une grande admiration pour

ma

Ils

peinture et

me

mes mouvements marchant sur

fierté

prodigieuse

et

n’ont

trouvent plein de grâce dans je les ai épatés l’autre jour

:

les

mains

et

en

en

deux

sautant

chaises à pieds joints et cinq chaises avec élan '

!

disent qu’ils n’ont jamais vu cela, et depuis ce

Ils

jour-là

ils

m’estiment encore plus

trouvé des gens qui

A

partir de la

me comprennent

semaine prochaine,

me

études de gitanes et je

Prim. Une fois ce portrait

au musée,

je termine

quiere, je fais Ici s’élève

:

j’ai

enfin

!

je cesse

mes

remets au portrait de

fini, je fais

ma grande

ma

rentrée

copie et,

quelques esquisses à

une grande question ?

mon

si

Dios

usage.

Serai-je forcé

me rendre à Rome sans avoir fini ma copie, pour me mettre à mon envoi de seconde année, de

que je ne pourrai

faire consciencieusement,

si

je

commence pas bientôt? Vais-je couper brusquement une série d études intéressantes pour ne

le

me

retourner d’un autre côté

Madrid au

moment où

il

me

? vais-je

quitter

serait si utile d’y

rester ?

Un peu

plus familiarisé avec les maîtres espa-

gnols, avec la

que où

nature qu’ils ont reproduite

je viens d’étudier

il

me

serait si utile

et

moi-même, au moment de

faire

quelques copies

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m

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

au musée, voir

si

je vais

je pourrai

mes

interrompre

vais

me

dépayser

Et

!

môme d’en me reste une

plus à Il

mon

serait

lueur d’espoir. Pourquoi ne

envoi de seconde année

cette année.

?

me

qui

c’est

est

me

faire

quitter

perdre un an.

faire

si

la

Madrid jusqu’à

j’envoie la copie des Lances et celle des Fileuses

Rome

vante

et,

Rome,

je vais

que

je

mois

ail-

B***, qui

la fin

lui de-

répond

S’il

du mois,

une autre

avec,

par exemple. Puis je retourne

mon envoi au moment où l’été

préparer

la

maintenant

M. de

chose est possible.

oui, je travaille à

à

six

Madrid

grand ami de M. de Nieuwerkerke,

mandera

pour

à Madrid, ce

que

serait plus profitable

Me

lèurs.

'

Ma copie

et,

De cette façon, je pourrais

un mois ou deux de plus

rester

tirer tout le fruit désirable!

troisième année, j’enverrais le tableau dois

sa-

où je suis

et

une inversion d’envoi

ferait-on pas

sans

travaux, à l’heure

deviennent plus intéressants’

ils

,

jamais revenir à Madrid* je

*

Jpour l’année sui-

devient mauvais à

en Espagne ou ailleurs, réunir de

nouveaux matériaux pour plus tard. Si

on

me

refuse ce changement et

si

on

me

force à partir, je quitte Madrid en février, je fais à

Rome mon

l’été

envoi, puis je reviens en

Espagne

prochain. Mais je suis alors obligé de m’ar-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

239

rêter encore à Madrid, ce qui raccourcit de beau-

coup mon voyage en Andalousie,

et

m’empêche

sans doute de passer en Maroc au mois d’octoEnfin nous verrons

bre

comme

Prim,

tu le sais, est aujourd’hui mi-

nistre de la guerre et pour ainsi dire chef sou-

verain d’Espagne, position qui lui nuit

on trouve il

qu’il fait

payera peut-être cher. Mais

hommes

pas de juger les

il

ne m’appartient

suffira

fini

pour laquelle

la tête

assez [bonne photographie

homme me

pour

;

lui

il

;

j’ai

une

une séance du grand

lui

donner

la

dernière

touche. Je ne crois pas pouvoir le faire poser, est trop

dans

occupé

la toile et

;

il

:

d’État.

Le portrait de Prim est presque

manque encore

un peu

des maladresses, qu’un jour

par bonheur

me

la

tête est

il

haute

sera permis de la faire

un

peu plus largement A

SON PÈRE.

4 février 1869.

Je serai en

plus tard,

si

mesure de je suis

partir le

payé

;

20 ou

le

25 au

car sans cela je serai

retenu prisonnier à Madrid. Le

marchand de

couleurs sera millionnaire à notre départ

!

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

2 il)

K SOM PÈRE.

12 février 1869.

Depuis

le

commencement de

avons eu un temps idéal,

dans tous

les autres pays

pour

nous

février,

comme on

en rêverait

mois de mai.

le

Cela a ajouté beaucoup de gaieté au carnaval, qui,

pourtant, au dire des Madrilènes, a été inférieur

comprend

à ceux des années précédentes. Cela se

après une crise

comme

celle

que

l’on vient

de

traverser et avec les inquiétudes que l’on a pour l’avenir

Quoi le

!

qu’il en. soit,

Prado

pour nous autres étrangers,

était délicieux

tout rempli de

femmes

sous ce beau soleil,

On

ravissantes.

qu’une fée de bon goût avait choisi sur toute terre les plus jolis minois pour

les

et

aurait dit la

réunir au

Prado. Les masques n’en paraissaient que plus

grotesques et plus fantastiques.

Ce qu’il y a d’agréable

ici, c’est

que

ne vient pas salir l’aspect de ces

du moins, pour ne pas timité.

elle

la

fêtes,

canaille

ou que,

a assez de tenue et d’élégance

les déparer. Cela

La haute bourgeoisie

permet plus et la

d’in-

noblesse ne

craignent pas alors de prendre part à toutes ces réjouissances publiques, où elles sont certaines

de ne pas être assaillies d’insultes retés.

et

de grossiè-

Le costume des femmes comme il faut, étant

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CORRESPONDANCE DE UENRI REGNAULT.

'241

très-simple, et la petite ouvrière ou la manola,

sachant

avec la

le porter

môme aisance et la même

distinction naturelles, elles

se coudoyer sans

môme

peuven t

disparate, et

il

c

un habitant de Madrid, de

à

mêler

et

est permis, les

con-

fondre.

Tout

du Prado adossé

le côté

à la colline

du

Retiro et deux terrains qui avoisinent la porte d’Alcala sont couverts de plusieurs rangées de

chaises et ressemblent à

éclatantes,

gaies

les

un

parterre de fleurs

ombrelles aux couleurs les plus

pressées pêle-mêle

sont

et

se touchent

presque, sans offrir un aspect discordant. Sous

chacun de ces

brillants

champignons, on

voit

luire dans la demi-teinte des yeux noirs, presque

toujours jolis, désirer.

A

ce beau

teint

gué

et

même quand leur entourage laisse à

Madrid,

plus

il

y a peu de

femmes privées de

mat, qui parait encore plus distin-

fin

dans l’ombre,

et

auquel

le voisi-

nage d’aucune couleur ne peut nuire. Néanmoins la mantille noire lui sied

mieux que tout, et, grâce

femmes sont

assez coquettes pour ne

à Dieu, les

pas renier encore cette mode ancienne. Par-ci, par-là, cependant,

mouche ou

l’aile

on voit pointer déjà l’oiseaude faisan de vos petits cha-

peaux parisiens. Devant

et

derrière cette ravissante pépinière 21

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

242

circulent les

guent

les

hommes. Beaucoup, masqués,

femmes,

et,

quand on a un masque

fausset qui est de rigueur

sur

figure, ils déclinent

la

verbe connaître

me

tu ne je t’ai

connais pas, tu ne

me

connue, je voudrais bien

Puis, de chaque côté

une

imperturbablement

« Je te connais, tu

:

de voilures,

file

intri-

avec cette petite voix de

me

connaîtras pas, te connaître

et,

entre les deux

costumes assez drôles.

femmes

!

»

du Prado, avance lentement files,

galo-

pent des cavaliers revêtus pour la plupart

voitures les

le

connais,

de

cherchent dans les

Ils

qu'ils connaissent

pour aller

leur dévoiler leurs petits secrets, ou leur poser

des questions indiscrètes. Les masques piétons sautent derrière les calèches, ou s’introduisent

dans

les voilures

fermées

et

entament des con-

versations pleines d’intérêt, où le te connais, et le

ti

ti

conosco , je

quiero , je t’aime, doivent être

répétés.

En somme,

tout cela est très-gai, et

si

les Es-

pagnols avaient l’entrain parisien, avec leur beau soleil et leur liberté, ils

s’amuseraient bien plus

encore.

De temps en temps, on entend dans

une musique de guitares, bas, tambours de basque

peu

et

on

le lointain

flûtes, violons, :

elle

pander-

approche peu à

voit défiler des troupes d’étudiants, les

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

uns en costume de Grecs modernes, dans

le véritable

243

les autres

costume des étudiants du temps

de Goya, chapeau claque noir, posé en travers,

et

ayant, en guise de cocarde, une cuiller et une fourchette de bois, soutanelle, culotte courte,

bas noirs, petite cape noire rejetée sur l’épaule

gauche, afin de laisser au bras droit

l’agilité suffi-

sante pour manier la pandereta ou

la

guitare.

Les étudiants ont conservé l’usage ancien des

sérénades dans les rues. Autrefois,

ils

se répan-

daient en bandes de trente ou quarante, jouant guitare, flûte,

mandoline,

et

précédés d’un nom-

nommés

bre égal de

postulants,

qu’ils étaient

chargés de demander l’aumône aux

ainsi

monter par

passants, de

parce

fenêtres grillées

les

jusqu’aux balcons des premiers et seconds étages, et d’arracher la

musique y

quelques sous aux belles dames que avait attirées.

Cet argent-là leur permettait de payer leurs

cours et de faire durer leurs études aussi long-

temps

qu’il le fallait. C’est cet

conservé

et

naval. Avant ils

usage qu’ils ont

mettent en pratique pendant

que

le

monde

soit

le

car-

réuni au Prado,

parcourent les rues, jouant leurs sérénades

ou plutôt leurs aubades (car l’argent qu'ils recueillent

bons dîners aux jours gras

c’est le matin), et

leur

paye quelques

et le prix

de leurs cos-

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244

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

tûmes. Leur musique remplace avantageusement

du carnaval qu’on entend rugir

l’horrible corne

jour et nuit à Paris jusqu’au mercredi desCendres.

Dans une rue écartée, nous avons vu danser à des Gallegos la

la

danse du bâton

:

c’est

danse des nègres d’Afrique.

prunter aux noirs, et

ils

Ils

exactement

ont dû l’em-

font bien de la garder,

car elle est fort originale.

Le mardi gras, à

nous nous prépa-

l’atelier,

rions à sortir pour aller au Prado

était

il

;

quatre

heures. Tout à coup, quatre ou cinq masques

épouvantables s’introduisent

chez nous,

nous

donnant des poignées demain à tout rompre. Un affreux marquis

du

siècle dernier, qui avait des

jambes superbes, nous

tapait dans

le

dos en

poussant des cris effrayants. Au bout de quelques instants,

il

retira son

masque:

c’était Lola, la

belle et incomparable Dolores, notre chanteuse à la tête antique de la place

nou$ rendait

visite

père, son cousin et

avec le

de

Après quelques copias de atelier

Cebada. Elle

son

cousin de son cousin.

Nous ne nous attendions plus

dans notre

la

son guitarero,

à pareille faveur.

jaleo, qui résonnaient

comme dans une

église, et

quelques pas de danses espagnoles, nous nous

sommes rendus au Prado,

puis nous avons dîné

ensemble.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Après dîner, nous avons parcouru

245

les

petits

cafés des bas quartiers, du côté de la rue de Tolède. Le

belle

marquis

que jamais;

a

chanté avec une voix plus

du guitarero

les doigts

plus agiles que d’ordinaire

des pas

faisait

et

;

le

étaient

danseur Miguel

des trépignements fantastiques

qui feraient pâlir votre beau Mérante.

Vers minuit, nous

sommes revenus

à notre

place de

Cebada.

boui-boui ordinaire de

la

la

Nous y avons trouvé de beaux toreros et entre autres, le dieu des picadores (el Francés), l’incom-

parable Domingues, en l’honneur de qui Lola improvisa des copias au milieu de ses jugnetas.

La

alors, a

fête,

toreros,

si

leur pantalon soie,

recommencé.

élégants dans collarit et

beaux

Ces

veste de majo,

leur

leur belle ceinture de

ont chanté et dansé, s’accompagnant de

battements de mains, de castagnettes,

etc.

marquis Lola

se reposait

danse

c’était inouï.

Le plus étonnant,

du chant par

ces gens-là ne sont canailles;

eux des tournées de

comme

le feraient

une grâce franche

des

c’est

la

ils s’offrent

rhum ou

Le ;

que jamais entre

d ’aguardieiite,

grands seigneurs, avec

et loyale.

Ah

!

le

beau peuple!

Et dire qu’on n’en sait pas tirer parti

!...

Le mercredi des cendres, nous sommes

allés

près du canal, sur les bords du Manzanarès, 21.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

•240

voir

l'enterrement de la sardine.

un

drid,

petit

un épisode de Tout

tableau de Goya qui représente

on danse,

les

hors la

mascarades circulent. De

petites bières sur lesquelles sont croisées

on chante des chants funèbres en

ses têtes. Puis

terre

madame

Sardine, et

le soir,

pour de bon... dans son estomac

sur toute

deux

masques aux gros-

sardines, sont portées par des

suivant feu

On

ville.

sur l’herbe, près du

passe toute l’après-midi fleuve;

peut-

as

cette grande fête populaire.

peuple se rend

le

Tu

Fernando, à Ma-

êlre vu à l’Académie de San

la ligne. C’est alors

se servent de leurs cuillers

que

:

on

l’en-

ripaille

les étudiants

en bois et dévorent,

assis par terre, poissons et pucheros, le tout ar-

rosé de val dePenas.

Une scène qui au fond et qui fut

n’avait rien de drôle,

du plus haut comique,

gras à six heures du soir.

se passa le

En Espagne

mardi (à

Ma-

drid du moins), lorsqu’on porte les derniers sa-

crements à un malade, fiacre et se fait

rant par des

le

prêtre

accompagner

hommes

monte dans un

maison du mou-

qui tiennent des torches

secouent des clochettes. la foule quittait le

à la

Il

faisait

et

presque nuit;

Prado en descendant

la

San Geronimo

alla calle d'Alcala,

le tintement

des clochettes. Le cortège

carrera

lorsque retentit décrit

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

plus haut vint à passer au

même

hommes

l’usage espagnol, les

247

instant. Selon

et les

femmes

se

mirent à genoux. Rien ne se peut imaginer de plus grotesque que ces masques à têtes de cha-

meaux

de siuges

,

,

de diables, à grosses tètes

d’Anglais en carton, se précipitant pieusement à

genoux.

Mon est

C’était

peu imposant.

portrait de

Prim

est fini, sauf la tête qui

suffisamment avancée pour être terminée en

deux

petites séances d’après nature,

que j’espère

obtenir bientôt... A H. CAZAL1S.

16 février 1869.

Laisse-moi t’emmener avec nous, à onze heu-

demie du

res et calle

soir,

dans ces

quentés par

les

gens du peuple

sieds-toi avec nous; accepte ce

chement et

et

de

Ils ;

ils

et

la

fré-

des torreros. As-

que

t’offrent fran-

de bon cœur ces braves gens élégants

beaux avec leurs foulards

majo. verre

petits trous

de Toledo, sortes de cabarets espagnols

te

et leurs vestes

de

passent leur verre, bois dans leur

seront heureux après t’avoir

fait cet

honneur, d’y tremper aussi leurs lèvres. Écoute la belle Lola,

écoute-la chanter avec son beau

contralto tendre, ces longues complaintes gita-

nas, ou ces juguetas interrompues par de grands

soupirs

tilés

sur

les

sons graves, pendant que la

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

248

un

guitare brode, avec une grâce exquise, sur

rhvthme toujours on ne

le

môme,

où. Puis,

sait

qui vous emporte

On

holà, holà, holà!

s’a-

nime, on claque des mains en mesure. Puis on entend sur

le

plancher

trépignements d'un

les

beau picador, qui danse en montrant ses dents blanches, et en agitant de droite à gauche avec

un mouvement

circulaire son bassin étroit, serré

par une large ceinture de

soie, sur laquelle re-

tombent deux grosses chaînes

d’or.

Lola en-

jambe un banc ou une

table, et,

beaux cheveux tordus,

elle baisse la tête

renverse en arrière, et tre le

même

du ventre,

commence

déroulant ses

ou

la

en face de l’au-

tortillement électrique! Car la danse

danse en Orient, est

la

vraie danse espagnole, et c’est là certainement

un

celle qu’on

souvenir de l’occupation maure... J’ai

bien

fa illi ,

ces jours-ci , mourir empoisonné.

Un de ces matins, pressé par la faim (et la soif du travail), je mange un morceau de pain, ayant mes pinceaux à la main je le coupe avec mon couteau ;

à palette, et le soir, je suis pris

de douleurs horribles

tords, je fais le saut de carpe « J’étais

de convulsions et

dans l’estomac

;

je

me

du singe tracassé

:

empoisonné! » Fort heureusement, je

vais bien

maintenant; mais

mourrai de mort

violente.

il

est écrit

que

je


— CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

A

24»

SOS PÈRE.

15 février 1869. .

J’ai

. .

passé deux heures et demie avec Prim,

dans son cabinet, il y a trois jours. J’ai pris quelques notes d’après lesquelles j’ai dû le terminer. Les personnes qui l’ont vu

le

trouvent

très-ressemblant.

Tu

trouveras peut-être l’exécution

chée. Mais

j’ai

en cherchant

me

fait

lâ-

pousser plus loin. Demain, je

à

Nous avons un temps

pars.

un peu

craint de perdre la ressemblance

d’été splendide, qui

espérer une bonne traversée 17 février 1869.

Je

ne suie pas encore

parti.

On meprometune

Prim pour jeudi

petite séance de

!

A SOS PÈRE.

20 février. J’ai

eu bon nez de changer

Jusqu’à présent,

môme

place,

j’y

toile

de place.

avais travaillé toujours à la

au fond de

fisamment de reculée.

l'atelier,

pour avoir suf-

J'ai

changé

la

lumière

rapprochant un peu de

rant du côté opposé. Cela m’a ciel était pâle,

ma

froid, sans

fallu le refaire. Je suis bien

l’effet,

et

en

fait voir

en

la

l’éclai-

que mon

consistance.

Il

m’a

heureux de m’aper-

cevoir de cela à temps...

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

250

Des ennuis beaucoup plus graves étaient réservés à Régnault. Le général, qui ne connaissait pas

son portrait, ne vint

qu’au dernier moment;

le

voir

n’en fut pas sa-

ne cacha pas son mécontentement.

tisfait, et

Était-ce,

il

comme

il

le disait, la

ressemblance

qui faisait défaut? Ne se sentait-il pas plutôt

mal

à l’aise

au milieu de cette foule bigarrée,

de ces généraux

qu’il

songeait dès lors

abandonner? Peu importe. Toujours

que

à

est-il

ses observations, faites d’un ton sec et

hautain, lurent très-pénibles à Régnault. Celui-ci

ne répondit

même jour,

rien, quitta

et écrivit à

Nous ne citerons pas

cette lettre,

lement un passage de

même

en

Ma de

la

que

mais

ne sort pas des limites elle prévient le

maréchal

aucun change-

tableau, et que, ne voulant pas le con-

d’un

supplice de se voir sans cesse sous les

homme indécent

la figure (ce sont

retirer,

mais seu-

celle qu’il adressa

suis décidé à ne faire

damner au traits

écrit-il,

politesse,

ment au

le

temps à son père.

lettre,

je

Madrid

Prim de Barcelone.

qui ne s’est pas lavé

ses propres

en changeant sa coiffure,

expressions), ni le côté

héroïque

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. et légendaire

que

cherché à

j’ai

lui

prie de vouloir bien oublier son portrait

un mauvais

‘251

donner, je

le

comme

rêve...

...Son intention

me

paraît

évidemment

être

de reléguer ce portrait dans un grenier quelcon-

que. Or, grenier pour

au sien. Je souhaite plus de chance à ceux qui

mien

gi*enier, je préfère le et

de succès

auront l’honneur insigne de

le repré-

mon

senter, et je termine en le priant de croire à

regret de n’avoir pu le contenter... J’oubliais de te dire

que bon nombre de per-

sonnes sont venues voir

le portrait;

connaissent bien l’original

le

celles qui

trouvent très-bien,

d’une ressemblance frappante et prise du bon côté.

Quelques artistes espagnols qui

trouvent aussi très-bien/et

ils

l’ont

semblent

vu

le

le dire

bien franchement.

Tu

vois

que ce

portrait ne

m’a pas donné beau-

coup d’agrément, j’espère que dans mon pays on sera plus aimable pour moi...

Nous repartons demain pour Marseille où nous arriverons jeudi. Peut-être pourrons-nous repren-

dre

le

bateau

Rome samedi

le

même jour. Nous

serons donc à

soir.

Nous avons

suivi Régnault pas à pas,

dans

ses émotions, dans ses études, dans ses plai-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

252

même.

sirs

miner

quer combien les

nous reste,

Il

avant de

ter-

de ce voyage, à faire remar-

le récit

est

grande la différence entre

impressions reçues

alors en

Espagne

par le jeune artiste et celles qu’il avait pré-

cédemment

ressenties à

Rome.

Là c’était la beauté de la l’avait séduit,

le

campagne qui de

spectacle

la

nature

qui l’avaient ému, mais les maîtres l’avaient effrayé, et

n’avait pas osé les aborder.

il

À Madrid, au

contraire,

il

s’éprend avec

passion des types ou des costumes natio-

naux

et surtout

espagnols,

et

il

de

la

peinture des maîtres

désire avec

une ardeur en-

thousiaste faire d’après eux une suite d’é-

tudes et de copies aussi intéressantes qu’utiles

pour son avenir.

Mais

le

temps

lui

qu’il devait exécuter

règlement

l’y

malgré son

travail

Rome

son second envoi et

appelait.

nombreuses études près nature

manquait. C’est à

11

partit à regret

continuel,

malgré

le :

les

qu’il avait peintes d’a-

et d’après les maîtres,

il

ne

croyait pas avoir tiré de son séjour à Madrid

tout le profit qu’il s’en était promis.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

253

Nul retard n’était possible cependant, car le

temps qui

sant pour

lui

mener

restait était à peine su (lià bien

un Envoi

tel qu’il le

méditait.

22

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CHAPITRE Troisième séjour à Home.

Grenade.

IV

— Judith. — Salomé. — Départ pour L’Alhambra.

Régnault arriva à

— Tanger.

Rome dans

les

pre-

miers jours de mars, après une traversée longue et pénible. En lequel

de

il

avait

toiles

et

route, lui

AM.

A.

sur

ses frais

couleurs et ses dépenses de

Prim ayant

avait fait défaut,

refusé d’accepter feon portrait et l’artiste

l’argent

effet,

compté pour payer

tel qu’il était,

ne voulant pas le retoucher.. DU PARC.

Rome, mars 1869.

Je suis à vers Il

la fin

Rome

depuis quelques jours.

des ennuis avec

n’était pas content

le portrait

J’ai

eu

de Prim.

de sa pose, se trouvait dé-

peigné, indécent, etc... Bref,

j’ai

gardé

le por-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. trait

pour moi

et

arrivera à Paris

il

255

17 ou

le

le

18 mars.

Tu 11

m’a

ne suis pas né pour

le vois, je

fallu revenir

de Madrid

fa i re

fortune.

comme un

pouil-

leux, regrettant qu’il n’y eût pas de sixième

chemins de

classe dans les

un vent

sièmes!!! par

fer et sur les

me

à vapeur, et obligé de

un

et

bateaux

contenter des troifroid horribles.

Quant aux deux aquarelles que

je t’avais pro-

mises, j’hésite bien à te les envoyer et je ne m'y déciderai que

si je

me

vois dans l’impossibilité

d’en faire de meilleures.

journée chez Fortuny jambes.

Il

J’ai

passé avant-hier la

et cela

m’a cassé bras et

est étonnant ce gaillard-là

merveilles chez lui Si tu voyais les

!

C’est notre

deux ou

mine en ce moment

!

Il

a des

maître à tous.

trois tableaux qu’il ter-

et les aquarelles qu’il a fai-

qui

me

dé-

Je vais faire avec quelques variantes

ma

Ju-

tes ces derniers

temps

!

!

!

C'est ça

goûte des miennes!

dith pour l’exposition des Envois.

La voix commence à à Madrid,

j’ai

me

revenir

un peu

;

mais,

bien cru qu’elle était partie pour

toujours. Je suis resté deux mois avec

une

ex-

tinction de voix complète, ne pouvant plus pro-

férer

une seule

taine de

parole. J’avais négligé

rhumes accumulés

une

tren-

et cela tournait à la

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

256

bronchite chronique, à

la laryngite, etc. J'ai pris

des potions homœopathiques, mais elle ne m’ont rien

fait

;

nature et j’ai

:

me

suis laissé traiter par

commencé

j’ai

consulté

sait-on

me

alors je

à aller

un médecin espagnol

bref, en quatre jours

mon

leurs, mais aussi

deux jours

;

très-fort, di-

enrouement, s’est

et je suis

dame enfin,

m’a guéri en (c’est

perdu forces

J’ai

enchantement. Mon teint pris en

il

de l’eau de Loeches

faisant boire

source près de Madrid).

rose. Je

mieux

une

et cou-

comme

par

éclairci, j'ai re-

maintenant

frais et

ne puis pas encore chanter, mais

la

voix

revient.

Nous devons

repartir

Je finis

ma

Maroc!

C’est-là

pour l’Espagne en juin.

copie; puis en avant vers le sud et le

que nous allons nous perfection-

ner dans l’aquarelle. Ah! Fortuny, tu m’empêches de dormir

A

!...

peine revenu,

il

ardeur, et

reprend

précédente,

il

mande de M.

avait

se

met

la

toile

à l’œuvre avec

que, l’année

abandonnée sur

Hébert. Le 25 mars,

il

la de-

pouvait

déjà écrire:

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

257

h SON PÈRE.

Rome, 22 mars 1869.

à peu près ébauché

J’ai fait

mencé une étude d’une a

mon

envoi, auquel j’ai

de nombreuses modifications

une vraie

peu

puis

;

de faunesse. Je compte

tête

j’ai

com-

Chauchardc qui finir

sous

corsage et la dentelle du portrait de ma-

le

dame

petite

deD... qui m’est arrivé en parfait état, pas

jauni et pas noirci, et en retoucher le fond. J’ai

fait

un

aussi

portrait au crayon de la du-

chesse de M..., et tous ceux qui l'ont vu l’ont trouvé très-bien.

Prim

a

répondu à

ma

lettre

de Barcelone

par une lettre excessivement polie, s’excusant de ses manières un revoir à

du tout pas que

mon s’il

peu brusques,

etc... Il

retour à Madrid, mais ne

prend

le bruit

le portrait. Je

de

ma

se répandit trop, et

il

ne voudrais donc

mésaventure pécuniaire serait fâcheux

que ami maladroit, pour me racontât ou

fit

espère me me dit pas

que quelmousser,

faire

raconter l’affaire par

quelque

écrivassier de petit journal, toujours en quête

de cancans,

et

qui s’empresserait de profiter de

l'occasion d’éreinter

Prim ou de plaisanter sur

son caractère. Cela pourrait

de

tort,

me

faire

beaucoup

car on croirait là-bas que j’en suis

l’in-

stigateur... 22.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

258

Malgré son ardeur au travail, Régnault n’avait plus retrouvé à

Rome

siasmes du premier séjour.

terminer son envoi

et

Il

ses enthouavait hâte

de

de se sentir libre de

nouveau.

A M. BUSSINE.

Rome Je suis

voyage

;

impatient

Rome ne me

me

de

1869.

remettre en

convient pas, je ne m’y sens

pas respirer à pleins poumons.

J’ai

touché à des

pays nouveaux, je dois aller passer quelques mois

au Maroc

et je suis

a vu chez

un

comme le

pâtissier

petit

tissant et qui, rentré chez lui,

morceau de pain n’ai pas

train à

gourmand qui

un beau gâteau bien appé-

rassis à

ne trouve qu’un

manger.

J’ai

faim

ici et

de quoi manger. Vrai, je n’ai pas d’en-

Rome

;

l’Italie est

trop connue et trop ex-

y a trop de mendiants dressés à demander un sou pour acheter du macaroni, ce qui

ploitée,

il

ne manque pas de

faire rire les

trop d’étrangers, trop de guides. je quitterais volontiers tout

de

la terre

voile vert

dames

;

il

y a

certains jours

pour chercher un coin

où je sois frappé

aussitôt refroidi par la

A

et

ému, sans

être

vue d’un parasol, d’un

ou d’un chapeau de

feutre.

Je travaille pourtant ferme et dru pour

me

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

sauver plus vite

;

259

mais je ne suis pas suffisam-

ment empoigné par ce que

comme un pensum

!

un peu

je fais; c’est

Voilà ce

que

c’est

que de ne

pas être entièrement libre et d’être obligé de faire

une chose pour une époque où

pour moi

que le

me

je voudrais

fixe,

dans un

moment

consacrer à des études serrées

seul, à des études partielles de choses

je voudrais tirer

au

clair,

même

de

que pour

chant on consacrerait quelques jours à étudier

le trille

Eh

ou

bien,

le

groupetto pour en triompher.

non

!

je dois terminer

un tableau pour

le 8 juin, tableau qui m’arrête, je suis sûr, les

dans

progrès que je pourrais faire, bien qu’il s’y

Ah on

trouve de beaux motifs d’étude.

I

devrait

être libre, absolument libre, et avoir la certitudê

de vivre tant d’années bien portant pour pouvoir diviser son temps et ne pas trop se hâter.

Une

idée qui

me

poursuit et

me

navre, c’est la

crainte de claquer en voyage, avant d’avoir vu tout ce que je veux voir et surtout avant d’avoir

pu

tirer parti de ce

que

j’aurai vu. Cela

me

dé-

sole de ne pouvoir lire dans l’avenir et de ne pas

avoir la certitude que le temps ne défaut pour

mener à bon terme

faire. Si je

pouvais

me

dire

:

me

fera pas

ce que je veux «

Dans

trois

ou

quatre ans tu reviendras chargé de matériaux, tu sauras pas

mal de choses,

et tu

auras encore


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

260

vingt-cinq ans pour les exprimer. Oh! alors tout irait

bien

mais mourir en route,

;

voilà qui

me

chiffonne. Enfin! nous verrons...

Que dire de vant un

ces tristes pensées poursui-

homme

jeune,

si

si

ardent,

de vie? Ne serait-on pas tenté de

les

si

plein

prendre

pour un vague pressentiment? Quoi qu’il en

Rome

soit,

Régnault, revenu à

à contre-cœur, songe*' à préparer son

prochain

gement,

voyage.

Il

chasse

le

découra-

rudes journées de

et retrouve les

labeur auxquelles nous avons assisté en Es-

reprend

pagne. D’abord

il

portrait de son

ami Pessard, puis

de faunesse » dont et

il

la

Judith , puis

le

« Tête

parlait tout à l’heure

qui deviendra Salomé. Enfin,

la suite

la

il

continue

de bois qu’il destine au beau livre de

M. Francis Wey et consacre ses loisirs du soir à les termimer. A H. MONTFORT. *

j’ai été

mon

Rome, 15 '

avril 18G9.

content de ce que vous m’avez dit de

mon cher Montfort, mon dernier mot, et je vous prépare moment quelque chose qui vaudra mieux.

tableau de Prim. Mais,

ce n’est pas

en ce

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Ce sera plus serré tingué

2G1

et plus dis-

comme couleur. Pourvu que rien ne m’arOutre mon envoi (la Judith), qui

en route

rête

comme exécution,

marche

!

assez bien, je fais

une

petite figure gran-

deur nature: une Herodiade assise, tenant sur ses

genoux

le

sabre qui va décoller saint Jean et

jusqu’au cou dans les têtes coupées

!

Mes études d’Espagne me dégoûtent trouve détestables maintenant pas perdu

mon

un grand progrès,

une

illusion et

Mon départ

;

que

je ne

est fixé

à

moins que ce ne

me

mes de

copie, puis

n’ai j’ai

soit

juge pas sainement.

aux premiers jours de

Je ferai de nouveau voile vers l’Espagne

mine ma

je les

;

néanmoins je

temps, car je m’aperçois que

fait

le

Vous voyez que je suis

plat qui recevra sa tête.

nous parcourons

:

juin.

là je ter-

les

royau-

Valence, de Murcie, d’Andalousie, et le l Pr

octobre nous débarquons à Tanger. Après trois

mois passés au Maroc, nous regagnons Rome où je fais

mon

dernier envoi. Voilà

mon

plan de

conduite jusqu’au 1 er février 1870. J

avoue que

l’Italie,

après l’Espagne,

me

parait

bien terne, bien connue, bien exploitée. Les liens et les Italiennes

Ita-

m’ennuient je trouve leurs ;

costumes noirs, fades ou criards sans harmonie. Quelle différence avec l’Espagne qui, pourtant, n’est

qu’un marchepied

I

C’est l’Orient

que

j’ap-.

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262

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAÜLT.

.

que

pelle,

demande, que

je

je

veux

!

Là seule-

ment, je crois, je

me

chose. Ce que

peint jusqu’ici, je n’en fais au-

cun

j’ai

cas. Cela ne

compte pas.

arrangé une installation de lampes dans

J’ai

mon

sentirai vraiment quelque

atelier et je puis travailler le soir

dément

commo-

mon modèle. Seulement ma manière de dessiner les bois.

bien éclairer

et

je vais changer

Je les ferai davantage en croquis et à la plume.

Cela ils

me

coûtera moins de temps

d’autre part,

;

seront moins abîmés par le graveur et, en

somme, auront plus de cachet moins

que tout

à ce

le

et

ressembleront

monde peut

arriver à faire

avec de la patience..... • A

M.

A.

DUPARC.

15

Je n’ai pu

répondre plus

te.

avril 1869.

tôt

parce que je

voulais de donner quelques nouvelles de

travaux.

soin avec lequel tu as regardé

Haro

:

on

Je fais

voit bien

ma

mes

Et d’abord je te remercie bien

que

Judith

et

toi

mon

du

enfant chez

aussi tu es père.

Holopherne avec ardeur,

plus une petite Hérodiade, grandeur nature, plus le portrait

cela est

de Pessard en robe de chambre

en train

et

:

tout

jusqu’à présent ne va pas

mal; espérons

qu’il n’y aura pas d’anicroche,

car, advienne

que pourra,

je

m’embarquerai

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. le

1

er

Je voudrais

juin.

mes

Je vais vendre, je pense,

trois

vaises études d’Espagne. Tout ce

205

au Maroc II

déjà être

moins mau-

que

j'ai

peint

jusqu’à présent ne compte pas. C’est ce que je

commencer

ferai dorénavant qui va à partir de

mon

à compter,

Hérodiade. Je fais de rudes

journées de pioche maintenant. Plus d’amour, plus d’ivresse, plus de cheval, plus de gymnastique, plus de ture.

Du

musique

!

Plus rien que de

dame nature

reste,

tirer les motifs

se plaît à

la

pein-

me

re-

de distraction. Je n’ai plus de

voix....

Tout découragé que je suis par

les aquarelles

de Fortuny, je vais t’en envoyer quelques-unes de

moi,

afin

vendre

le

sou, et

mon

il

que

tu

me rendes le

service de les fairê

plus cher possible, car je suis sans

me

le

faut absolument de l’argent pour

revoyage d’Espagne. Ne garde pour

cune de ces aquarellcs-là, je

au-

toi

t’en enverrai

de

beaucoup meilleures.... A M. FRANCIS WEY.

Rome, %25

avril 1869*

Cher monsieur,

Mon

intention

infidèle.

mon

Par

retour,

j’ai fait

le

n’est pas

fait je

j’ai

mis

ne

six

du tout de vous

le suis pas,

être

car depuis

ou huit bois en train, et

serment de travailler pour vous tous

les

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

204

de

ma

Seulement je change un peu

soirs.

manière

faire.

Voici les explications que vous

quant au bois de C’est

la voiture

une scène que

de gala

me demandez et

du

cortège.

vue l’année dernière, au

j’ai

mois de mars pour

la fête

pape se rend à

Minerve. Cette procession se

la

de l’Annonciation. Le

répète à la fête de la Nativité, à celle de saint Philippe de Néri et à celle de la

et

que

Madone

del Popolo.

une étourderie de ma part (que

C’est

je déplore,

trop tard) d’avoir

mais dont

je

tourner

tait

me la

je regrette

suis aperçu

procession à

gauche. Vous pourrez mettre cela en note.

Malheureusement

à

Rome je

suis toujours trop

pressé de besogne pour pouvoir

me mettre la

première année de

pu prévoir que je

mon

séjour à

celui-là, j’aurais pris (n’ayant

j’ai fait

perdu

pendant

à

me

faire)

et de croquis, ce

lieu de cela,

me promener en amateur

mois. Je regrette bien den’avoirpas,

à ce moment-là, rempli des

qui

j’avais

en Espagne, et ce que je ferai encore

mon temps

six

Rome,

pasd’Envoià

au Maroc l'automne prochain. Au j’ai

et

serais chargé d’un Ira vail comme

une grande quantité de notes que

me promener

à l’affût des scènes intéressantes. Si,

seraient

si utiles

albums de croquis

maintenant,

et

me

per-

mettraient de dessiner des bois qui auraient bien

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNADLT.

265

plus de cachet et plus de variété... Enfin, je ferai ce que je pourrai pour que ces bois soient vrais et

ne vous ennuient pas trop... Je suis en train de terminer quelques bois sur le carnaval.

Quand

les enverrai

;

les

la

série sera complète, je vous

j’en fais aussi sur le Ghetto et sur

bords du Tibre... A M.

BRÉTON.

Home, 40 mai 1869.

Depuis douze ans était

la fête

des Allemands

suspendue; cette année on Ta reprise

Tous

ai assisté.

les

et j’y

Allemands habitant Rome se

réunissent à la Porta Maggiore à neuf heures du er

mai, pour clore

la saison. Ils

partent

matin,

le 1

de

revêtus de costumes de toute sorte plus

là,

ou moins ridicules

vaux ornés de

et

feuilles

grotesques, sur des che-

de

lierre,

sur des ânes, sur

des chars couverts de feuillage et traînés par des

bœufs blancs dont les cornes sont dorées. Un grand

nombre de

bannières, aux couleurs très-harmo-

nieuses, flottent dans tout le cortège, et,

en

tète,

où l’on

musique

on se rend d’abord à Torre dc'Schiavi,

fait

une légère collation. Après avoir offert

à boire à chacun des invités dans une coupe an-

cienne et fort belle en bronze

prononce un discours, part dans

et

ciselé, le président

donne

le signal

du dé-

un grand porte-voix, qu’un jeune

sei-

23

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

266

gneur supporte sur une de ses épaules. Puis on aux grottes de

se rend

la Cervara,

du côté de

la

un pays superbe

et pit-

toresque, à peu près à moitié route entre

Rome

vallée de Larghezza, dans

et Tivoli.

L'entrée des grottes est d’un effet magique que j’aurai bien de

l’encre sur

Dans

du

peine à reproduire avec de

la

bois.

les grottes, discours

du président; puis

diner, chœurs, rediscours, lecture de vers. Vien-

nent alors

les

jeux olympiques

le javelot,

:

qui

consiste à crever, avec des roseaux qu’on lance

de son mieux, un carton représentant d’art

;

ensuite c’est

course des ânes

Sur un des grottes,

et

la

course en sacs

la

des chevaux.

piliers naturels qui soutiennent les

on grave au ciseau

du président. La

fête se

l’olyiftpiade et le

la

la divinité

nom

termine par une scène

comico-mélodramatique, dans laquelle dent évoque

critique

et enfin la

le prési-

qui habite les grottes de

Cervara, lui jure fidélité et lui donne rendez-

vous pour l’année suivante, après avoir ler

fait

brû-

dans une marmite, par des sorcières vraiment

très-drôles, des papiers sur lesquels sont écrits les

noms

des fléaux de la société

:

le billard, les

cartes, la poésie, etc...

*

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

267

Cette lettre est datée du mois de niai,

époque

à laquelle

position.

quelques instants et

s’ouvrait

Nous laisserons

Paris l’Ex-

à

donc pendant

l’artiste

à

son

nous nous reporterons devant

travail

le portrait

du général Prim. L’effet produit, dès son apparition,

cette

œuvre étrange

uns par une sorte de trouble ment, chez

par

se traduisit chez les et

d’étonne-

par une franche

les autres

et

profonde admiration. L’indifférence seule fut impossible.

La peinture de Régnault, audacieuse fière,

ressent,

se

l’abord,

et

nous en convenons dès

du passage de

l’artiste

en Espagne

et

de l’étude qu’il vient de faire de Vélasquez

et

de Goya. Mais

nérale, Il

il

s’il

a subi leur influence gé-

n’a rien perdu de son originalité.

reste lui-même, tout en ayant grandi dans

une atmosphère chaude ne saurait, sans

et généreuse, et

injustice,

voir

on

un pastiche

dans son œuvre. Qu’on se rappelle

don

faits

les

chevaux de YÀiitomé-

cependant avant

le

voyage en Es-

pagne. N’y trouve-t-on pas déjà,

comme

dans

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

2'i8

du général Prim, une vigueur exubé-

celui

rante et jusqu’aux coquetteries de mouve-

ment qui nous frappent dans

ce grand por-

trait?

Mais laissons

la

parole à M. Théophile

œuvre avec

Gautier, qui nous décrira cette

amour, car

cette peinture

avait rajeuni son

âme

neuve

et

hardie

:

Juan Prim 8 octobre 1868, tel est le titre que donne M. Régnault ù sa toile, qui est en même temps un portrait et un tableau d’histoire. Le général est ,

représenté à cheval, nu-tête collé sur son front ses et

;

il

est pâle; le vent a

cheveux un peu rares déjà,

sur sa figure qu’il s’efforce de rendre calme, on

lit la

joie et le souci

déchaînés,

ils

les faire rentrer

perbe,

et

pour

du triomphe. Les vents sont

soufflent furieusement

le

dans l’outre?

;

qui pourrait

Ce masque

est su-

peindre, nous ne craignons pas de

un artiste de génie. Juan Prim vient d’arrêler brusquement sa monture en retirant les le dire,

il

guides à

fallait

lui.

Le cheval, magnifique andalous à

la

robe noire où frissonnent des lueurs de satin, les

jambes de devant tendues, l’arrière-main un peu abaissée, la tète encapuchonnée et repliée sur son col renflé en gorge de pigeon, secouant sa crinière,

longue

comme une

chevelure de femme, couvrant

son mors d’écume, semble impatient de reprendre sa course.

Et

s’il

obéit, c’est

en esclave frémissant

Digitlzed by

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. et

méditant

la

révolte.

que M. Régnault

est

En le voyant, on un hardi cavalier,

2 0O

devinerait

si on ne par son envoi de Rome ayant pour suAutomédon, dont les chevaux pleins de fougue révélaient un peintre équestre de la 1

avait appris

jet

race des Géricault, des Vernet et des Delacroix. Nous avons en tendu critiquer ce cheval qui, en effet, peut sembler étrange aux yeux habitués à la maigre finesse du pur-sang anglais, mais qui n’en

est pas moins vrai pour cela Un court voyage en Espagne convaincrait incrédules. N avons-nous pas trouvé en Algérie ces chevaux bleus et roses qui

les

étonnaient si°fort revue de l’empereur du Maroc, Abderrhaqu'on croyait un produit fantastique de 1 imagination de l’artiste ? Mais Juan Prim n’est pas seul dans sa toile. Une foule tumultueuse se rue, crie et

dans

man,

la

et

gesticule derrière

lui,

mêlant aux uniformes ses vestes à

jetees

sur l’épaule,

la

marseillaise

agitant des

drapeaux, lançant brandissant des armes improvisées, dans un fourmillement lumineux où le jeune peintre a, d’une, brosse rapide, ébauché avec un déguenilleinent pittoresque les ses chapeaux en

l’air,

types et les costumes 1 Espagne. Rien de plus vivant, de plus fiévreux, de plus emporte par le tourbillon qui

populaires de

passe, que cette multitude courant sur les pas du général sérieux et songeur dans son ivresse. Si Juan Prim est révolution-

naire

il

est aussi

Castillejos, et ses

comte de Reuss

et

marquis de

habitudes d élégance peuvent souf-

nr de ^contact trop passionné du peuple. Nous savons mieux que personne

toutes les objec23 .


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

270

tions qu’ou peut faire à l'œuvre de M. Régnault

l’emphase,

l'incorrection,

mais tres

la vie.

dre le rayon sur

chaude et

animer

sait

Il

;

les figures, faire descen-

envelopper d’une couleur

elles, les

et brillante, leur

entraîner dans le

les

:

qui prime toutes les au-

l’artiste a la qualité

:

exagérée

hardiesse

la

communiquer sa fougue mouvement de son esprit.

Quoiqu’il dérive visiblement de Vélasquez, de Goya et

de Delacroix, lui

n’hésite

il

est original.

il

impute

caractère

jamais

parti pris adopté.

La décision de son

un cachet

Nous aimons ces

deux qui ne craignent pas de franchir un obstacle

car

individuel,

à pousser jusqu’à

l’outrance le

hasar-

artistes

chute, lorsqu’il s’agit

la

difficile

ou d’atteindre quel-

que âpre sommet.

On

se souvient

du splendide

Portrait

de femme

en robe dé velours rouge exposé par M. Régnault l’année

dernière,

une magnifique protestation

de

coloriste contre la froideur grise qui envahit de jour

en jour notre école, trop sage depuis

la

mort des

grands romantiques. M. Régnault a un vigoureux

tempérament de peintre, mais cieux et coquet lorsque cela faut d’autre témoin la

baronne de

que

B...,

dentelle noire, se

il

lui

sait

aussi être gra-

fait plaisir

le petit Portrait

en robe rose

et

de

n’en

il

en mantille de

détachant d’un fond d’appartequi est un vrai bi-

ment tendu de

vieille tapisserie,

jou et forme

plus parfait contraste avec

le

;

madame

le

Juan

Prim.

Le succès fut grand et

il

était mérité.

On

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

signala bien

271

quelques incorrections ou exa-

gérations; mais artistes et critiques furent

unanimes

à reconnaître la fougue et la har-

diesse des mouvements, la puissance et l’au-

dace de

ne se

la

couleur. M. Xavier Aubryet, qui

laisse pas facilement aller à l’enthou-

siasme, s’écriait:

Le plus éclatant début du salon de 1869 aura été certainement les deux

Juan Prim

de M. Henri Régnault.

toiles

et le portrait

B... Toute la furie

Madame

de

la

comtesse de

romantique de 1850 respire dans

ce tableau d’histoire contemporaine

:

le

général est

représenté à cheval, nu-tête et arrêtant brusquement sa monture à la fois soumise et révoltée; la peinture

équestre n’a pas de plus saisi

dans sa fougue

Prim

rière Juan

et

modèle que ce coursier

fier

dans son frémissement

s’agite

;

der-

une foule tumultueuse mê-

lant aux uniformes la bizarrerie de ses costumes, agitant des drapeaux,

brandissant des armes

impro-

visées.

Une vie extraordinaire se dégage de ce fourmillement humain et l’on sent presque l’odeur du génie ;

dans cette explosion de jeunesse

et

d’audace.

Le Portrait delà comtesse de B... avec cette peinture d’orage

;

fait

contraste

sur un fond qui a

d’une ébauche d’aquarelle, se détache d’un

un

d’étoffe

daillon

;

l’air

fouillis

fini comme un méune miniature de déesse dans un

délicieux visage fin et

on

dirait

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

272

nuage de dentelles ; comment peut-on à la fois faire si majestueux et si mignon? Mais dans l’aigle qui se transforme en colibri, on reconnaît

même

la

puis-

sance de talent.

que tout

Tandis Régnault,

il

était

cessé de

pas

Paris

nous prouvent

mais ses

lui,

qu’il n’était pas

dangereux

au

sible

de

Le bruit de son

travailler.

succès était venu jusqu’à tres

s’occupait

demeuré à Rome, et n’avait

enivrement

let-

acces-

de

la

louange. A M.

CAZALIS.

Rome,

Tu

3i

mai 1869.

trouves que je ne produis pas assez. Mais,

malheureux! crois-tu que ce que sous les yeux soit tout le'travail de tout ce que je fais pour

moi? Et

que je prends à droite

et

je

toutes ces notes

à gauche,

études, tous ces essais, tout cela se

pendant que

Tu

je

as peur

vous jette

mon année? Et toutes ces fait-il

que

je sois soûl de

mon triomphe?

Non, je ne suis plus d’âge à éprouver une faction béate devant tel telle

que

ou

telle lettre

cela. Je

maître,

me

donc

dors?

ou

tel article

satis-

de journal,

de félicitation. Je vaux mieux

veux que M. Henri Régnault, mon

puisse dire

un jour

:

Allons, drôle, je

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. suis content de vous

et je désire

!

273

cependant que

ce moment-là fuie longtemps devant moi, car je

commencerai à décliner du jour où tisfait

...Je voudrais être nis. Je vieillis ici

éclairée par leil...

je serai sa-

de moi...

au Maroc, en Algérie,

à

Tu-

Home maintenant me semble

;

une veilleuse.

me

Il

faut plus de so-

Pourquoi ne veux-tu pas? Enfin n’y pen-

sons plus. Nous nous embrasserons sur les Pyra-

mides ou dans quelque temple indien, en haut de ces escaliers de marbre qui conduisent à

tra-

vers les lianes et les grandes feuilles odorantes

aux piscines

sacrées...

La Judith se terminait;

devenue et déjà

la

Salomé ,

était

Régnault songeait

l’Espagne et

le

trois

en

frais

études

tées d’Espagne, et

aquarelles

faunesse,

presque achevée, à

son départ pour

Maroc.

Pour parer aux vendit

la petite

me

amateurs disposés

de son voyage,

qu’il il

avait

il

rappor-

m’envoya quelques

priant de trouver

des

à les lui acheter. C’était

peu de temps avant l’ouverture du Salon

;

le

succès n’avait pas encore attaché son prestige au

nom du

jeune

artiste, et ces

aqua-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

27*

relies

qu’aujourd’hui l’on se dispute à de

si

hauts prix, durent être cédées à de bien modestes conditions.

une

place

se

Ici

sur

ee

d’argent

besoin

Régnault; ses lettres

la

il

explication nécessaire

au point de vue artistique

et intéressante

qui

poursuivait

donne lui-même dans une de

:

A SON PÈRE. %

Bien que tu t’efforces de nie prouver que je

n’ai pas besoin de

beaucoup d’argent pour

voyager, je tâche cependant d’en réunir le plus possible,

non pas

qu’il

me

faille

sommes

des

considérables pour le voyage proprement dit et

mon

entretien, mais je ne veux pas, étant à court

d’argent,

payer,

me

trouver dans l’impossibilité de

non des

bibelots inutiles et de luxe,

des objets que je regarde à

un

peintre, tels

que

Rien ne s’invente,

comme

étoffes,

me

mais

indispensables

armes, costumes.

et ce n’est

pas avec un man-

teau de flanelle gris jaune et une tunique anti-

que de

toile écrue,

qu’on arrive à

faire

des ajus-

tements intéressants et originaux.

On

arrive à faire des apôtres, l’un avec

un man-

teau gris, l’autre avec manteau d’un sale ton, et

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

dans lequel

le

‘275

rapport de l’ombre au clair est

entièrement faux. C’est en s’entourant de choses riches et harmonieuses, en les transformant, en

assemblant avec intelligence

les

d’après nature, qu’on

fait

et

en

les copiant

des choses vraies et sé-

duisantes. Ce n’est pas chez Babin ou chez Eude,

à dix francs par mois, qu'on trouve des motifs saisissants.

gamme

Un bout

de

mon

la

Hérodiade

et

ma

Judith sortent

la

un peu

banalité, elles le doivent avant tout à

superbe

étoffe chinoise

j’ai

eue

On ne

fait

une écharpe indienne

là aussi et à trois

draperies que

j’ai

ou quatre autres

rapportées d’Espagne.

bien en

d’après nature et

une

que j’ai achetée 500 francs

à l’Exposition universelle, à

que

donner

dépend d’une loque.

tout entier de l’œuvre Si

peut

d’étoffe

de tout un tableau, et souvent l’aspect

un

somme que

accessoire

ce qu’on

fait

mal exécuté peut

couler un tableau. Retire aux Noces de Cana de

Véronèse leurs belles étoffes vénitiennes, place-les

grand honneur chez bien des peintres,

que

et

rem-

par des manteaux de flanelle, en

les Noces de

et tu

Cana sueront l’ennui.

Je suis bien content d’avoir

pu rapporter d’Es-

pagne quelques beaux costumes de torreros de piccadores. Ce sont des notes dont de s’entourer

si

verras

et j’aimerais

il

est

et

bon

mieux crever de faim

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27G

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

que de

résister à la tentation d’acheter

une

selle

arabe ou de belles armes marocaines...

Le travail excessif auquel Régnault se

Rome

depuis son retour à

vrait

éprouvé.

li-

l’avait

.

A SON PÈRE.

Je n’ai pas

la

force de t’écrire longuement. Le

temps passe avec une rapidité qui m’effraye: les quinzaines passent j’ai

encore bien à

comble de maux, à travailler

que

en huit jours

c’est

je

et

pourtant

faire. Je suis fatigué, et

au moment où

me sens

j’ai le

pour plus

faiblir. J’aurais vrai-

ment besoin de quelques jours de repos

et je

ne

puis le prendre encore.

La semaine suivante J'ai été forcé

il

ajoutait

d’interrompre

les

parce que je craignais de trop yeux. faits

;

l’effet

Ma foi,

si

on ne

les

bois, le soir,

me

fatiguer les

trouve pas assez

mais Doré se contente bien d’indiquer avec quelques teintes

de gouache

gnocher de J’ai

tant pis

:

et je

ne

me

petits dessins

tant et tant de

et

quelques touches

sens pas en train de pi-

en ce moment.

choses à terminer avant

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.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

mon

départ que c’est effrayant

ne puis rester

ici

!

indéfiniment sous peine d’être

mon

obligé de tronquer

voyage, et de ne pas en

tirer tout le parti possible, ce

que

je trouverais

plus fâcheux qu’un bras plus ou moins

un de mes

Je n’enverrai décidément pas

prochain salon.

Tu

mon

que

sais

petite figure soit

veux pas

la

montrer,

Hérodiade à

je la réserverai

:

je

pour

le

ne suis pas parti-

san des choses exposées plusieurs

ma

dans

fait

tableaux.

l’exposition des envois

que

277

Et pourtant je

bien

fois et,

presque terminée, je ne toute

afin qu’elle arrive

neuve à l’Exposition A SON l'ÈRE.

Rome, 50 juin 18G9.

Les semaines passent sans que je m’en douie.

.

Je suis surchargé de besogne et n’ai plus le temps

de prendre

la

me

Clairin

plume.

demain matin

quitte

:

il

va passer

quelques jours à Paris. J’aurais bien voulu

compagner

et

obligé de rester

du moins Quant

le

à

ici

pour achever

l’ac-

mais je suis

t’embrasser,

aller

mon

Envoi, ou

rendre présentable.

ma petite

Hérodiade, à laquelle

pourtant bien peu à tendre pour

la

faire, je serai

il

reste

obligé d’at-

terminer. Je n’ai plus l’esprit

assez calme pour finir quelque chose. Cet Envoi 24

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

278

me

qui

talonne, ce désir constant de partir qui

me poursuit,

tout cela fait que je ne sais pas trop

où donner de Je t’envoie

que née

comme

à

la tête.

ma petite

Rome,

chienne Phœbéqui, bien

Tu verras

souffre de la chaleur.

elle est gentille

de formes et de caractère,

douce, intelligente, attachée et docile.

du départ de

fité

Rome où

pour

Clairin,

je craindrais

pour

J’ai

pro-

lui faire quitter

elle la fin

de

l’été

:

Lagraine aura assez de Prim à soigner. Prim a

une santé de

fer,

il

est fort

ne craint rien. Sa petite

comme un fille

Comme

toute fine et toute délicate.

peu de chaleur à

Je

compte sur

mange deux

***

fois

deux ou

:

Du

n’est p3s

tu

la vie

don-

soin. Elle

reste, je

ne suis pas

l’aimeras autant que

comme

chasseur, c’est une petite

aime bien

eu un

lui

deBaréges.

pour en avoir bien

inquiet de son sort

Phœbô

trois bains

et

est

par jour et a besoin d’une nour-

riture assez fortifiante...

Fox.

elle a

Usera bon de

la peau,

ner, à son arrivée,

taureau

au contraire

Prim, un grand

femme

d’intérieur qui

de famille....

A SON PÈRE.

13 J’ai fini

parler, car

coup à

mon il

tableau

:

fini est

juillet.

une manière de

y aurait encore à faire et surtout beaupour cela il ne s’agirait plus

refaire. Mais

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

279

de prolonger mon séjour de quelques jours, drait

un mois pour

Ce qui m’arrôle

et

il

fau-

laisser sécher et reprendre.

me

force à

abandonner dès au-

jourd’hui ce travail en faisant le serment de ne plus y toucher demain, c’est que ma toile doit que je crains les accidents si la

être roulée et

peinture est trop fraîche. J’aurais mieux aimé re-

noncer à ce tableau que de pareille précipitation.

On est

le

terminer avec une

plus indulgent pour

une chose visiblement inachevée que pour qui a

celle

prétention de l’être et qui réellement ne

la

l’est pas

du

tout.

Je ne suis pas mécontent de l’aspect général

du

tableau, qui est, je crois, assez dramatique

comme

effet

;

mais que de choses mal

faites

!

Cela ne vaut rien décidément, de travailler ainsi

en train express. Je suis parfois honteux à sée que les gens qui verront gineront que je

l’ai

laissé

mon

pen-

la

tableau s’ima-

dans cet état-là de

plein gré et parce que je n’ai pas vu ce qui

mon

man-

quait. Je le vois, hélas, trop bien et c’est là ce qui

me rattraperai à l’Exposition avec ma petite Hérodiade, que je terminerai avec calme m’effraye. Je

et qui

pourra montrer que je ne demande pas

mieux que de pousser l’exécution quand

cela m’est possible.

assez

Fais des

loin,

bassesses

pour qu’on mette non terminé sous mon Envoi.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

280

Quoi

en

qu’il

soit,

je n’ai pas l’intention d’y

retoucher plus tard ou de l’exposer aux ChampsÉlysées. y aurait trop à y refaire et cela pour un résultat médiocre, et il vaut mieux se livrer Il

dans autre chose

et

chercher à faire un nou-

veau-né que de retaper

pour ne pas

lui

un bossu ou un bancal

diminuer beaucoup sa bosse ou

courbure de ses jambes. Je suis d’avis que les

la

maladies incurables font moins souffrir

le

ma-

lade quand on les laisse suivre leur cours sans trop vigoureusement contre

lutter

pour moi,

maladie dont

la

elles.

je *suis affecté

Or,

main-

mon tableau. C’est un me ronge, et je préfère coumembre gangrené que cher-

tenant, c'est le dégoût de véritable cancer qui

per sans hésiter

cher à

le

guérir peu à peu.

le

Après avoir

fini

monHolopherne,

recommencer entièrement parce

du

tout

:

il

est vrai

il

m’a fallu

le

qu’il n’allait pas

que maintenant

il

ne va

guère mieux. Son seul mérite est de ne pas avoir l’air

cherché, mais en revanche on peut lui ren-

dre cette justice qu’il n’est pas trouvé

Je recevais aussi vers la

une

lettre

de

l’impression

de juillet

fin

que Régnault, toujours inquiet

m’écrivait au

future

de

son

moment même de

tableau,

son départ.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

raconte et explique son œuvre

Il

281

en ces

termes. A U. DUPARC.

Je reprends la

plume après vingt jours de com-

silence pendant lesquels je voyais cette lettre

mencée rôder sur les palettes, sous les brosses, dans fini

d'un atelier en désordre.

J’ai

Envoi ces jours-ci, c’est-à-dire que

j’ai

la poussière

mon

cessé d’y travailler depuis trois ou quatre jours.

Ce n’est certes pas que je ne voie plus rien à y faire, mais il faut que la peinture soità peu près sèche pour être roulée

et

envoyée

une

se-

mon

ta-

d’ici à

maine. Je ne sais pas

du

tout

si j’ai

dit

dans

bleau ce que je voulais dire. Je crains qu’on ne

comprenne pas bien ciles à

exprimer

certaines choses assez

et

L’aspect général

tableau fait, je pense,

’,du

assez

bien

drame

effrayant, et le noir qui

deviner

tableau, malgré

un

répand sur toute la

qu’il

va

se

passer

domine dans

La Judith

toile

une

s’est glissée lit,

un le

certain]étalage de richesses,

sorte dévoilé de

qui, je crois, sautera aux yeux de tout le

tente, derrière le

diffi-

je crois être insuffisant.

sous

les

mort

monde.

rideaux de

la

avec précaution, pour ne pas

réveiller le schah qui dort. Elle est

accompagnée 24.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

282

de sa servante, qui en écartant

lui fait le

retomber sur

elle

ou sur

passage plus facile

en l’empêchant de

la tapisserie et

le lit

du

dit

schah. Elle

arrive enfin au bon endroit, à celui qui lui pro-

met

le

plus de facilité pour accomplir son saint

crime. Delà

main gauche,

elle écarte

un peu l’ou-

verture de la tente, pour laisser venir la lumière

du matin sur

main

(comme on coup

le col

de sa future victime; dans la

droite, elle tient,

non pas un grand sabre

le fait toujours)

et lui jouerait

qui la gênerait beau-

sans doute un mauvais tour,

en s'embarrassant dans dans les draperies de

la

le

nez de sa voisine, ou

lente

un poignard tranchant. Tout Orient on coupe les têtes Elle va faire un pas

de lever

la

ou du

lit;

elle tient

monde sait qu’en avec un petit couteau. le

en avant, mais, au moment

main droite surHolopherne,

elle a

une

seconde d’hésitation. Le poids de son corps se reporte sur le pied droit qui allait se lever et se

poser plus loin, et

sivement

la

la

main gauche serre convul-

draperie qu’elle écarte pour éclairer

sa victime, et

semble s’appuyer dessus pour

re-

trouver la force qu’elle sent lui échapper. C’est l’affaire

d’un instant, sa résolution reprend

dessus et C’est

elle fait ce

donc

féminin que

que vous

cet éclair

j’ai

le

savez.

de sentiment humain

et

cherché à rendre avec beaucoup


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

de réserve, ne voulant pas pression du visage, que

qui n’a pas eu

le

le

283

peindre par l’ex-

j’ai laissé

impassible et

temps encore d’exprimer ce que

Judith ne ressent qu’un instant. C’est

donc dans un

je

ne sais quel serrement

de gorge, dans un léger soulèvement des épaules, et

une crispation de

mettre. Ce n’est pas

ne sais

si

main que

la

commode en

vous comprendrez ce que

j’ai

voulu tout

peinture et je j’ai

voulu dire.

Enfin, maintenant que vous avez l’explication,

pardonnez-moi. J’ai

cherché à donnera l’Ilolopherne un mou-

vement très-simple qui sente nuit d’orgie et d’amour.

Une

la lassitude

d’une

sorte de sourire n’a

pas quitté ses lèvres sensuelles et semble être un

souvenir des bons

moments

qui ont précédé son

sommeil. C’est une nature vigoureuse mais sèche. J’ai cherché à donner à ses traits quelque

chose du satyre

et

du faune en

qu’un type oriental, pour bien

que

c’est sa paillardise

même

faire

temps

comprendre

qui va lui coûter la vie.

Ses tempes sont rasées et ses longs cheveux noirs

retombent sur

les coussins

Sous cette plaisanterie apparente Régnault cachait une inquiétude réelle. vait pas rassuré

Il

ne se trou-

en envoyant ses œuvres et

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

284 il

redoutait beaucoup

un

insuccès, non par

un noble désir

vanité, mais parce qu’il avait et surtout parce

que ses tableaux

étaient toujours" inférieurs

à ce qu’il eût

de faire bien

souhaité.

craignait

Il

tellement que

ses

amis ne reçussent une impression défavorable qu’il ajoutait dans la lettre citée plus

haut

:

Je vous prie,

loi

ou tout autre, de ne pas

voir déballer le tableau et d’attendre qu’il soit

sur son châssis, nettoyé et éclairé. Cela donne une si mauvaise impression devoir un tableau détendu et par terre Ce n’est pas la I

peine que vous vous dégoûtiez de

mon œuvre

avant de l’avoir vue.

Il

écrivait aussi de Barcelone à M.

en ces termes Il

s’agit

Haro

:

de soigner

et

laver

un pauvre

ta-

bleau, peut-être malade d’un voyage prématuré.

La cure est terminée déjà peut-être, vos bons soins,

ma

des amidons

des papiers,

,

Dans ce dernier

et,

grâce à

toile est sortie saine et

cas,

sauve

des embus, etc...

je vous remercie. Mais si

vous ne l’avez pas touchée encore,

je

vous re-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

commande de ne la faire voir à et surtout à mon père avant que ,

283

même

personne, la

guérison soit

complète.

Nous avons notre

petite coquetterie et

nous

tenons à nous en servir, surtout quand notre enfant n’est pas tout à fait bien venu et qu’il faut que

du

l’art

coiffeur,

mêlé à

tien, fasse valoir les

celui

du maître de main-

quelques qualités

qu’il

peut

avoir, et dissimule habilement les défauts trop ap-

parents.

Sur ce, plein de confiance en votre bonne volonté, je vous dis au revoir.

Quand ? Je n’en

sais

une parole qui vaut toujours

rien. Mais c’est

mieux qu’adieu. «

La

dans

Judith fut exposée les salles

au mois d’août

de l’École des beaux-arts.

Régnault eût été heureux de voir

les

mots

non terminé placés selon son désir sous ,

tableau. Il

y avait bien

lui-même si

le

un peu de coquetterie

reconnaît

— dans ce

désir, car

l’œuvre n’était pas aussi poussée que

tiste l’eût

:

le

l’ar-

voulu, néanmoins elle était fort

belle et fut très-remarquée. Le succès de

Prim

avait attiré sur le jeune artiste l’atten-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

280

tion et les sympathies

du public,

un

et

vif

intérêt se mêlait à la curiosité qui accueil-

nouvelle œuvre. J’avoue cependant

lait sa

que

la

composition du tableau ne

pas complètement

me

paraît

que

satisfaisante, et

partie gauche, perdue dans

üombre

la

devrait

être plus étudiée.

Mais en revanche, quel charme et quelle

puissance dans toute cette figure de qui est parée pour le saint crime

pour une geste, quel

fête!

quelle

harmonieux

Judith

comme

noblesse dans éclat

dans

leur, quelle merveilleuse souplesse

étoffes

la

dans

Des éloges exagérés

et

des critiques bien

œu-

La peinture de Régnault semblait avoir

le privilège d’exciter

nés

les

!

sévères accueillirent l’arrivée de cette vre.

le

cou-

la

;

des jugements passion-

on ne pouvait l’analyser avec calme

elle excluait

;

pour ainsi dire l’impartialité,

et les opinions les plus contraires se

heur-

tèrent dans les appréciations qu’on en

fit.

Je

mettrai seulement en regard M.Th. Gautier et M. P.

de Saint-Victor. L’un fera ressortir,

avec un enthousiasme non contenu, toutes

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. les brillantes

du tableau

qualités

287

l’autre

;

“semblera prendre à tâche, au contraire, d’en

découvrir les imperfections. La Judith et Ilolopherne de M. Régnault, bien qu’il n’ait

que vingt-deux ou vingt-trois ans

qu’à sa seconde année de séjour à la

et n’en soit villa

maître.

On

n’est plus

portrait de la

1

dame en robe de

portrait équestre

Mèdicis,

comme une œuvre de un élève quand on a exposé le

doit être considérée et jugée

velours rouge et le

du général Prim. Nous ne disons

pas cela pour gonfler outre mesure par une louange

imprudente l’amour-propre du jeune

artiste,

mais

il

est certain que, dès à présent, ses qualités et ses dé-

fauts

ne relèvent que de

n’y peut plus rien

^.il

est

lui.

La discipline de lecole

perdu ou sauvé.

C’est

un de

ces tempéraments indomptables, sensibles à l'éperon, rebelles au mors, qui se cabrent éperdûrnent au milieu de l’art, échevelés, battant l’air

de leurs sabots,

secouant leur écume et franchissant les obstacles, quels qu'ils soient, au risque de se casser les reins.

Mais ne croyez pas queM. Régnault cherche à éblouir la foule

par des étrangetés voulues à

Courbet

et

la

façon de MM.

Manet; nullement.il s’abandonne à sa na-

ture, qui est celle d’un peintre de race.

sans effort, parce qu’il

Le sentiment qu’on éprouve

non achevé,

et qui

produit ainsi tout

11

est original

lui-même.

est

devant ce tableau

ne gagnerait pas à

l’effet qu'il

l’être,

car

il

peut produire, est celui

d’une surprise profonde. L’artiste, en quelques coups

de brosse, a réalisé son

l

ève et vous introduit dans


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

288

un monde nouveau, dans une

antiquité assyrienne et

biblique qui ne doit rien à l’archéologie et qui a la véritéintense d’une hallucination. Holopherne, étendu

sur des peaux de lion et de riches tapis orientaux, dort d'un sommeil lourd, la tête à demi renversée et

comme

tendant complaisamment

un de

sur

ses bras,

le col

au couteau

;

abandonnés négligemment, on

distingue des tatouages bleus de barbare et d’idolâ-

Son type de figure à bouche épaisse, à barbe types de guerriers des bas-reliefs

tre.

frisée, rappelle les

Dans l’ombre, au fond, sous les

ninivites. tente,

étincellent

plis

de

la

vaguement des armes qui ne dé-

fendront pas leur maître, ivre de vin

et

de volupté.

Judith se tient debout, près de l’entrée de la tente,

dont

elle

soulève

le

pan de

main gauche,

la

et à sa

main droite pendanlele long de sa cuisse brille sourdement un kandjar, attaché à son poignet par des cordons, pour mieux assurer le coup. Elle est belle d’une beauté presque spectrale, avec sa blancheur fardée noyée dans le clair-obscur, ses opulents che-

veux plus noirs que toiles

la nuit, et

comme

elle

piqués d’é-

de pierreries. Une robe de velours noir mon-

tant jusqu’aux hanches, une chemise à demi plissée, d’étoffe transparente, et

une large ceinture de gaze

orientale pailletée d’or, enveloppant la taille,

compo-

sent son costume étrange et splendide. Sur cette cein-

ture passe feu,

un rayon de lumière

pour ainsi

dire, et

en

frisante qui y met le fait pétiller les fanfrelu-

ches d’or avec un éclat éblouissant. Jamais feu d'artifice

de palette plus étincelant ne fut tiré dans un

bleau. Mais

il

n’a rien de trop brusque.

brillants, des reflets, des

ta-

Des points

chatoiements d’armes ou de

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

289

bijoux habilement mélangés, répondent à cet appel

de lumière. Les mains de Judith sont chargées de bagues, elle en a jusqu’aux doigts de pied,

dame

Tallien. C’est l’exagération

comme ma-

d’unehonnêle femme

en aventure galante.

Mais qui veut la fin veut les

moyens,

de Bèthulie n’a rien négligé

et l’héroïne

pour séduire

le

général assyrien, dont

mort

la

doit

sauver Israël. «

Le

ter.

moment

d’agir est venu, et Judith semble hési-

Peut-être se dit-elle

ou tout simplement celte

gorge coupée

la

c’estune

;

du sang qui va

jaillir

!

»

de

dégoûte; sa servante attend avec

une impatience cruelle dans son sac

Pauvre Ilolopherne

«

:

l’idée

la

fille

mettre

tête qu’elle doit

sèche, hâve, à mine basse,

comme

à teint de mulâtresse, coiffée,

d’un foulard,

d’un bout d’étoffe jaune d’un ton superbe qui garde

un

tout son éclat dans l’ombre,

mais exécuté au bout de

la

vrai tour de force,

brosse et sans

moindre

la

peine, en grand maître coloriste.

y a chez M. Régnault du Delacroix, du Goya, du Diaz môme, du Gainsborough et du Reynolds, « Il

mais dans d’un

si

bien assimilés qu’on ne les distingue pas plus

le talent

homme

du jeune peintre, que dans

les

aliments dont

il

s’est

la

nourri

:

chair il

est

maintenant, M. Régnault, reconnaissable jusque dans les

pastiches qu’il lui plaît de faire d’après

maître. Personne, ayant vu

n’oubliera villa

tableau du jeune

le

Médicis

mera sur

sa

Holopherne

;

qu’il lui plaise

tel

et

ou

tel

Judith ,

pensionnaire de la

ou non,

il

s’impri-

mémoire comme un cachet sur de

la

cire. »

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

290

une contre-partie à ment d’un enthousiasme sans Il

cet épanche-

fallait

restriction

;

écoutons M. P. de Saint-Victor. <r

Après YAulomédon que M. Régnault envoyait l’an

passé à l’exposition de l’École portrait équestre

de Rome, après

le

du général Prim, qui a remporté, si grand succès, nous atten-

au dernier Salon, un

dions de lui mieux que sa Judith sous la lente d'Iloloplierne,

en

tableau d’histoire traité

tableau

de

genre, tragédie sacrée costumée en lurqucrie fantaisiste,

orgie brillante de couleur dont la verve ne peut

recouvrir «

le

défaut de goût et de style.

L’histoire de Judith n’est guère édifiante,

parmi

quoi-

de

la

veuve de Manassé se glissant traîtreusement dans

le

qu’elle figure

les livres sacrés. L’exploit

du chef assyrien pour l’égorger pendant son sommeil, comme un taureau d’holocauste, nous parait aujourd’hui d’un héroïsme douteux. Eu fait de politique sacrée et de meurtres théocratiques la conscience moderne est moins large que celle d’autrefois. A l’heure qu’il est, nous ne sommes point éloigné de partager l’avis de ce brave spectateur du dix-septième

lit

,

siècle raillé par Racine,

qui, assistant à la tragédie

de Boyer, Pleurait, hélas! sur ce pauvre lloloplierne Si

«

à

la

Mais

méchamment mis à mort l’art

par Judith.

n’a pas de scrupules

:

moralité des actions humaines

mande que de

lui offrir

il

;

est indiffci eut il

ne leur de-

de grandes lignes, de beaux

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

291

aspects ou des expressions saisissantes. Aussi Judith a-t-elle été,

dans toutes les écoles, un des types de

prédilection de la grande peinture. Celte toilette

ries

femme en

de courtisane, écartant d’une main

les

drape-

d’une tente magnifique, levant de l’autre son

glaive sur

un géantendormi, ou portant

sa tête qu’elle

vient de trancher; ce pavillon entr’ouvert qui laisse voir Holopherne couché sur son divan oriental loin,

dans l’ombre,

la vieille

groupe pittoresque de encore

faut-il

terrifier celte

que

la plus sinistre

«

beauté. Mais

pathétique vienne émouvoir ou

le

scène de meurtre, que

que l’expression l’ennoblisse.

môme

plus

comme

d’une chasse nocturne, tout cela compose un

le filet

et

;

servante aux yeux rusés,

au sourire féroce, tendant son sac funèbre,

Il

le style la relève

ne faut pas jouer,

en art, avec la hache du bourreau.

C’est pourtant ce qu’a

grande

toile qu’il

fait

M. Régnault dans

la

envoie deRoine.il s’est amusé du

sujet terrible qu’il avait à rendre;

prétexte à luire scintiller des

il

n’y a

bijoux,

vu qu’un

miroiter des

étoffes et contraster

des carnations de couleurs di-

verses. L’idée et

sentiment disparaissent sous ce

le

clinquant de palette. Cela tient à

d’Horace Yernet et des

Femmes

la fois

de

la

Judith

d’Alger d’Eugène De-

lacroix. De la tente tragique d’Holopherne, l’artiste a fait

quelque chose de

comme

gai,

l’intérieur d’un

Sa Judith debout,

le

de bizarre et de bigarré

harem ou d’un bazar

turc.

cimeterre au poing, dans l’angle

du pavillon dont elle écarte les plis, ne s'élève pas audessus du type d’une aimée de café mauresque. Aucun éclair de haine, aucun rayon d’enthousiasme n’animent son froid visage empreint d’une morgue apa-

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232

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

lliique.

Ses cheveux noirs plaqués et compliqués sur

son front ont

ragoût presque vicieux d’une coiffure

le

de théâtre. #

On

se

demande

si elle

pherne ou danser devant

va couper la tête d’Holo-

pas des poignards, i

lui le «

Les épaules et la poitrine sont d’un ton

mince

très-fin,

et transparent à outrance. C'est

chair que de la moire

la

éclairé.

Je

ou de l'albâtre

louerais fort l’étonnant travail de l’écharpe

d’argent qui s’enlace autour de sa

mais

moins de

taille, si

d’or et

ce rendu

excessif ne tirait les yeux jusqu’à les distraire de la figure

même.

L’étoffe l’emporte sur l’héroïne; elle

est éclipsée par

de

style, sa

un

accessoire.

servante

manque de

Si Judith

caractère.

manque Avec ses

dents blanches, reluisantes sur son visage sombre et le

mouchoir jaune noué en marmotte autour de sa d’une nourrice mulâtre penchée sur

tête, elle a l’air

le

— Mais

berceau d’un enfant créole.

méprise du tableau l’artiste

a fait

la

plus étrange

est la figure d’Holopherne,

un Kabyle aux jambes

dont

grêles, aux bras

tatoués, aux tempes rases, laissant flotter sur l’oreiller cette touffe saisit les

de cheveux par laquelle

musulmans qui

ment, plus aigu qu’un faux,

même

l

ange Azraël

traversent le pont du Jugefil

de rasoir. Rien de plus

historiquement, que ce trompe-l’œil de

couleur locale. Si M. Régnault avait sérieusement re-

cherché l’exactitude ethnographique, ce n’est pas sous les traits d’un Arabe moderne qu'il aurait dû représenter

le

général assyrien, mais sous la forme

imposante d’un de ces guerriers figurent sur les

attentivement

monuments de

le texte

biblique,

à

barbe tressée qui

Ninive. il

En

lisant plus

se serait aussi bien

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

293

gardé de lui prêter cette physionomie vulgaire et

rouche de Bédouin en Judith, traité de

de

jettent

d 'Esther, dans cadence

roman pieux par

la Bible,

le style

d’Israël,

affreux barbare.

ne

Il

fa-

de

livre

qui

les juifs

comme

écrit

Le

d’ivresse.

état

le

re-

ceux de Tobie

tempéré qui caractérise

la

et

dé-

pas du tout d'Holopherne un

fait

y parait, au contraire, singulièreune courloisie majestueuse

ment

raffiné.

qu’il

accueille Judith lorsqu’elle se présente à lui

comme une bannissez

jamais

C’est avec

suppliante

la crainte

fait

:

Ayez bon courage et

«

de votre cœur, parce que je n’ai

de mal à quiconque veut servir le roi Na» Le texte dit encore que « les sanda-

buchodonosor. les

de Judith

lui

plurent

runtei; ce qui est un

:

»

Et sandalia ejus placuede sensualité

trait

Ailleurs, ses soldats s’écrient à la «

Qui mépriserait

belles

!

les

Elles méritent bien que,

leur fassions la guerre.

»

Ne

pour

Ceci dit,

si

nous un propos

une

ville d’Italie

«Ilest honteux chez

:

qu’une femme se moque d’un homme,

et qu’elle sorte de chez lui «

loin, je lis ce verset qui sent sa /{e-

gence ninivite ou babylonienne les assyriens

:

les avoir,

dirait-on pas

galant d’offieiirs français assiégeant

ou d’Espagne? Plus

délicate.

vue de Judith

Hébreux qui ont des femmes

il

comme

elle est

venue.

»

faut reconnaître les brillantes et vives

qualités que M. Régnault a gaspillées, en prodigue,

dans ce tableau mal venu. Sa brosse

est

d’une verve, d’une adresse, d’une

surprenante;

mais

la

manière

le

si

.

toujours

gagne, son dessin se relâche, sa

couleur tourne au bariolage. talent

facilité

Il

serait

fâcheux que ce

précoce s’épuisât, avant de mûrir, dans les

débauches de l’exéculion.

»

25

.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

‘29i

Pour

ma

part, je

ne puis m’empêcher de

trouver ce jugement sévère à l’excès. Lors-

que lecritique, par exemple, écrit: «L’idée et le

sentiment disparaissent sous ce clin-

me semble que c’est

lui

qui accorde à l’exécution du tableau, à

la

quant de palette,»

il

richesse des accessoires une attention exagérée, qu’il oublied’étudierl’expression de la figure ou qu’il ne la saisit pas; l’hésitation

momentanée de la Judith, son apparente impassibilité

démentie par son geste, toutes ces

émotions intérieures que

l’artiste a

cherché

à exprimer et qu’il nous a dépeintes dans sa lettre,

n’ont

pu cependant

échapper

à

M. P. de Saint-Victof.

Non,

l’étoffe

ne l’emporte pas sur

roïne qui garde toute sa éclipsée par

ment émue

aucun accessoire. Elle et

sa

l’hé-

valeur et n’est est vrai-

pose digne et calme est

pleine de noblesse. Les chairs nacrées sont

d’une

achevé

merveilleuse et

finesse,

d’un modelé

charmantes dans leur pâleur. Et

quant au reproche

fait

à

l’artiste

d’avoir

paré sa Judith à l’excès, nous ne pouvons l’accepter. C’est volontairement, c’est

pour

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

2J5

rester dans l’exacte vérité de son sujet

Régnault a agi ainsi qu’il l’a fait

Voici ce

que

nous devons ajouter

et

presque avec sobriété.

que disent, en

saints à ce sujet

effet, les livres

:

« Judith se parfuma de

orna sa chevelure

et

myrrhe précieuse,

mit sur sa

tête

une

mitre magnifique. Elle se revêtit d’habits de joie,

mit des sandales à ses pieds,

prit des

bracelets, des lys, des pendants d’oreilles,

des anneaux et se para de tous ses orne-

ments. Dieu

même augmenta

sa beauté,

parce que toute cette parure n’avait pas pour principe 11

est

la

un

passion, mais

la

vertu. »

point cependant sur lequel on

pourrait plus sérieusement attaquer la conception

de cette œuvre;

l’éclaire est

la

lumière qui

bien évidemment celle du jour,

tandis qu’il est constant que Judith était de

retour à Béthulie avant

le

lever

du

soleil.

L’exactitude rigoureuse aurait donc voulu

que et

la

scène se passât au milieu de

la

nuit

que la lueur douteuse d’une torche ou d’un

flambeau éclairât seule Mais

l’artiste

le

— nous en

drame. avons

la

preuve

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

206

dans sa foi,

lettre

puisqu’il dit

écarte

un peu

s’est ici :

« De la

trompé de bonne

main gauche,

elle

l'ouverture de la tente pour

laisservenir la lumière du matin sur le col de sa future victime.

Au commencementd’août, Henri Régnault adieu à cette Rome qu’il avait

avait dit

tant

admirée autrefois

voyage en Espagne,

sombre, à cette

depuis son

et qui,

lui paraissait

triste

Rome qu’il ne devait

et

plus re-

Il toucha terre à Marseille et dut y passer quelques jours en attendant le départ

voir.

d’un bateau pour Barcelone. le sol

espagnol

le

Il

arriva sur

9 août.

SON PÈRE.

Alicante, 25 ou 26 août.

Nous ne comptions rester à Alicante qu’un jour, mais le pays est

si

beau, les environs ont

tant de caractère que nous nous y sommes arrêtés et que nous le quitterons bien à regret. Nous travaillons beaucoup,

partageant

notre temps

entre la peinture et la photographie.

Malheureusement nos premiers essais dans ce dernier art ont peu réussi.

En

vain nos glaces

restaient dans le bain 35 ou 40 minutes

:

aucune

trace ne se manifestait sur le collodion et pour-

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[CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAl'LT.

297

tant nous suivions de point en point tes instruc-

Nous étions décidés à

tions.

demander

et à te

s’il

renvoyer nos notes

te

n’y manquait pas quelque

mot important, quand un photographe nous indiqué

le

Nous employions l’hôtel

a

motif de nos insuccès. l’eau qu’on

pour nous laver

les

nous donne à

mains. Or cette eau est

détestable. Le photographe nous a conseillé de

prendre de l’eau qu’on boit qui qui coûte loin.

un

Nos épreuves de

magnifiquement

Nous menons tin à six

avec

est très-pure,

mais

certain prix, parce qu’elle vient de la

journée sont venues

1

l’existence

que j’aime. Le ma-

heures nous nous mettons en route

un guide

et

un ûne chargé de nos

ap-

de peinture et de photographie. Nous

pareils

restons dehors toute la journée, et je t’en réponds.

Le

soir,

à

il

fait

chaud,

neuf heures, nous

rentrons à Alicante, nous allons nous plonger

dans

nous

la

mer

et

revenons souper à

Puis,

l’hôtel.

montons développer nos épreuves dans

notre chambre.

Ce pays est superbe, c’est l’Afrique, l’Égypte. Des terrains arides d’une forme

et

d’une couleur

une lumière éblouissante

merveilleuses

,

silhouettes de

montagnes d'un

,

des

style grandiose et

sauvage, des palmiers, des nopals, des figuiers

!

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2 II

COHUES PON DANCE DE HENRI REGNAULT.

18

y

aurait de quoi travailler pendant dix ans sans

deux

s'éloigner de

lieues autour d'Alicante.

ce, je te quille, car je

A

lî.

tombe de

CAZALIS.

D’Elche

C’est

Sur

fatigue

1 er

:

septembre 18G9.

dans un bois de palmiers que je

Qu’il y faisait

bon

cette nuit!

Tous

nous nous baignons en mer sous gards de Phœbé, quand

elle

les

l’écris.

soirs

les

blonds re-

veut bien nous faire

l’honneur de paraître. Maintenant plus de lune,

mais

la

mer

est

phosphorescente, de sorte que

chacun de nos mouvements y constellations

;

il

y a des

fait

naître des

moments où

je crois

nager en pleine voie lactée. Le beau pays

!

C’est

l’Afrique déjà. Les nopals nous sont familiers et

depuis trois semaines nous nous nourrissons de fruits délicieux qui doivent

descendre en droite

ligne de ceux de la terre promise

A

SON PÈRE.

Elche,

Je reviens de la poste

de ne pas trouver de

1" septembre j’ai été

lettres.

comptes, Clairin a retrouvé une par moi à ina sœur

et

En

1869.

bien étonné faisant nos

lettre

adressée

dans laquelle je te priais

do ne m’écrire qu’à Elche. Je regrette bien cet oubli de

ma

lettre qui a

dû vous donner de

l’in-

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CORRESPONDANCE DE

209

I1ENRI REGNAUI.T.

quiétude et qui m’a empêche de trouver

ici

de

vos nouvelles.

Nous sommes

restés 11 jours à Alicante et

nous

aurions bien voulu y rester davantage il y avait là des trésors pour nous, et nous y avons fait ;

bon nombre de dessins. Ce pays-ci (Elche) peu

petit; c’est

Des

quantités

grands

et assez

est original,

un peu

mais

c’est

un

l’Orient d’opéra-comique.

prodigieuses de palmiers assez

beaux, mais qui ne semblent pas

bien à leur aise. Je ne sais...,

il

y a dans tout

cela quelque chose qui n’a pas l'air bien franc et qui le

ne m’empoigne pas. Cela nous a

môme effet. En

nade

fait à

tous

avant donc, en roule pour Gre-

!

A SOX riRE.

Murcie, G septembre 18G9.

Nous venons de passer quatre jours

à Murcie.

Demain nous repartons en diligence pour Lorca.

De

nous gagnerons Grenade... je ne

ment, car

il

sais

com-

n’y a pas de route praticable, ni

aucun service de

voiture.

Nous nous sommes débarrassés de tout bagage gônant, ne gardant avec nous que deux sacs et

nos carions

à dessins.

Nous traverserons

tantôt à pied, tantôt à mule, sans le sou,

ainsi,

un pays

superbe, sauvage et peu habité.

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CORRESPONDANCE

500

I)E

HENRI REGNAULT.

Nous aurions pu prendre un chemin plus péditif et

nous embarquer

Malaga

de

et

là aller à

à

ex-

Carthagène pour

Grenade

;

mais nous au-

rions laissé de côté la plus belle partie de l’Andalousie, sans y jeter

un coup

d'œil, et cela nous

aurait coûté trop cher.

Or nous avons 300 réaux, c’est-à-dire à peine 70 francs, pour faire 260 kilomètres en six jours, quatre! Tu vois que nous mangeons plus

et à

souvent du pain sec

et

des figues qu’autre chose.

Mais nous trouverons de l’argent à Grenade...

»

A SON PÈRE.

Grenade, 12 septembre 1869.

Notre voyage à travers les montagnes

s’est

bien passé. Grâce à une carriole qui ne nous coûtait

pas trop cher, nous avons pu faire en quatre

jours et demi

la

tournée. Nous, avons vu des

choses merveilleuses, d’une grandeur, d’une nouveauté incroyables.

de Baya

et

Guadix

Il

!!!.

y a à revenir par là

C’est inscrit

dans

!

Cullar

ma

tête.

Je ne trouverai jamais, j’en suis sûr, dans aucun

pays, pas

même

en Afrique et en Syrie, quelque

chose de plus imposant, de plus beau à tous points de vue. Quel pays, grand Dieu! Les habitants

ne sont pas remarquables, mais

le pays, le

pays!!!

A

force de privations,

ne couchant que par

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

301

terre et enveloppés dans nos manteaux, nous

sommes reste.

arrivés à Grenade avec 18 francs de

Combien de

fois j’ai

maudit

voyage à

le

Mayorquc qui nous a coulé tant d’argent, tant de temps

et cela

pour

rien. Si

nous avions pu

disposer de ce temps-là et l’employer à Guadix, à Cular de Baya ou à Alicante fallait

!

Mais non,

il

nous

passer devant tout cela en nous conten-

tant de points d’exclamations!

Tout ce voyage avait profondément impressionné Régnault,

comme

nous

le

prou-

vent scs lettres, mais rien n’égale l’enthou-

siasme où rois

le jette

l’ancienne capitale des

maures. Tout ce qu’il a vu jusque-là

semble s’effacer de sa mémoire;

il

ne peut

plus s’arracher à l’Alhambra qui le captive, il

y passe les journées à travailler dans et incessant ravissement.

un

inexprimable * SOS PtRE.

Je ne puis répondre à ta bonne lettre aussi

longuement que

je le souhaiterais.

Je repars

pour l’Alhambra où nous avons commencé des études qui nous retiendront

ici

quelque temps

encore.

Quelle féerie! quelle merveille! Nous aurons 26

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

302

bien de

la

peine à rendre cette lumière rosée

qui remplit ce palais enchanté et les reflets dorés

dans

ombres!

les

C'est

passionnant.

plus étrange, de plus exquis

!

Rien de

Nous [ne quittons

pas l’Alhambra...

A M.

BUTIX.

Je suis

abandonné de

nature entière.

la

Depuis que je suis en Espagne, je n’ai pas reçu

une Et

lettre d’ami, rien.

j’ai écrit

partout où

Une seule de mon passé

j’ai

:

père.

ce malin en-

core, six letires, ce soir, quatre. Je ne puis pour-

tant faire mieux! Je suis furieux contre le ciel,

contre dins-là

les ,

hommes; ne

mon

exemple. Console-moi Ali!

mon ami,

Depuis que je je ne

fais

pas

comme

l’ai

si

!

tu avais vu l’Alhambra

!

vue, celte féerie, ce rêve, ce...,

peux plus que soupirer. Rien

n’est beau,

rien n’est délirant, rien n’est enivrant cela.

ces gre-

ami;' ne suis pas leur mauvais

comme

Nous avions traversé de bien beaux pays

pour venir

ici.

Mais toutes nos émotions précé-

dentes, tous nos anciens enthousiasmes, tout a été elfacé par cette Fils toi

Alhambra Au nom du Père, du I

du Saint-Esprit. Ainsi

soit-il.

Ah! Mahomet,

seul es grand, loi seul es Dieu, qui as inspiré

une œuvre comme

celle-là.

Nous sommes, à côté

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

des artistes qui ont

fuit

>03

cela, des barbares, des

sauvages, des monstres. Si tu voyais le palais

queCharles-Quint a osé faire construire sur l’em-

placement d’une partie du palais arabe! Tu hausserais les épaules, tu voudrais ressusciter Charles-

Quinf , lui cracher à

la figure. Il a

démoli

la

moitié

de l’Alhambra pour y placer, quoi? Son ordure, son immondice! Ah! Mahomet, mon Dieu, mon prophète, ne lui pardonne pas! El

âme damnée,

fais

sur sa sale

autant de dessins, de zigzags, d'or-

nements compliqués que

tu en as

que tu as eu

cette merveille,

la

entassé sur

bonté de nous

lais-

ser voir ce matin

Et pensant

sommes «

Que

à

toi

aux amis

et

nous nous

,

regardés, Clairin et moi, en disant la

terre

tombent, que

ne tourne plus, que

les villes s’écroulent,

:

les étoiles

que

les

mon-

tagnes deviennent vallées, que nous importe,

pourvu que l’Alhambra amis puissent

soit

Je m’enfonce, pour le relles fantastiques

de

Grenade au

et

que nos

ciel

de

moment, dans des aqua-

difficulté.

que je pense de Grenade, la

épargnée,

la voir....»

la

Tu dois savoir ce

plus belle des belles,

lapis,

aux tours et

forte-

resses rosées, à l’Alhambra en or, argent, dia-

mant, enfin, en

tout ce qu’il y a de plus riche au inonde. Je fus, pendant plusieurs jours, sans


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

504

pouvoir travailler

je n’y voyais

:

que du

feu.

mauresque

Cette lumière étourdissante, cet art

me paralyAh! mon cher

m’étaient complètement inconnus, et saient la tète et la il

nant,

me voilà

y a

remis un peu sur

commence à me Je ne

hambra ridicule

main gauche!

eu bien du démontage! Mainte-

ami,

bon pour

:

tu sais

;

loin de ce

que

chanteur.

J’ai

l’Al-

Entre nous

c’est

la famille.

combien ma description

j’ai

vira le café,

acheté beaucoup de photographies

une

installés tout à côté

belle allée d’arbres

— feuillages,

douce chaleur, le rêve

ta fillette

nous causerons de tout

Nous sommes :

serait

ressenti devant ce palais en-

d’un bon feu, pendant que

bra

bête, et je

une description de

quelques aquarelles. Plus tard, au coin

et je fais

chemin

ma

débrouiller.

vais pas te faire

soleil

nous ser-

cela.

de l’Alham-

nous en montre

le

verdure de toute espèce, ardent et ciel bleu. Enfin,

du bonheur, un conte des mille

et

une

nuits!

Je tâche d’initier le papier torchon aux mystères de la couleur de l'Alhambra, car je suis

privé de

mes

difficile; j’ai

boites et de

pourtant

mes

fait ,

toiles. C’est

je crois,

bien

quelques

bonnes aquarelles.. Quel ennui, pour nous, de ne pouvoir être

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

au baptême de besoin de

Il

sa naissance

,

elle n’y

et

n’y a pas de retard dans nos

tre affection

305

Mais nous n’avons pas

I

pour l’aimer; déjà nous

la voir

mions avant rien.

ta fillette

ne manque jamais

nous reviendrons à Paris

,

cœurs; no-

le train.

Quand

Georgette-IIenrietle

aura déjà de petits mouvements de femme,

nous voyant pour

la

l’ai-

perdra

première

et

en

fois elle se jettera

au cou de ses parrains, qu’elle connaîtra déjà en photographie.

Puisque nous sommes deux parrains, Clairin et

moi, je propose qu’on

lui

donne

diminutif

le

Elte , qui ne rendra jaloux ni lui, ni moi, puis-

que ce sera nous

lui

la

terminaison des deux

noms que

donnerons.

Et puis, Clairin et moi, nous à avoir la vie courte. Nous

sommes

menons une

destinés

existence

trop vagabonde, nous nous donnons trop de mal,

nous avons trop d’ambition, trop de désirs pour vivre vieux.

Nous ne mourrons pas probablement

tous deux ensemble. Or le jour où l’un de nous

deux mourra, perdra que vois-tu,

la

mon

la petite

Eh

bien,

ami, j’aime mieux cela que d’élre

père. Nous aurons bien, et

un papa

Tout

donc pour

est

Georgette-Uenrielte ne

moitié de son parrain.

et

une

fille

que nous aimerons

une maman de plus

à aimer.

le mieux..... 20.

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COURESI'ONDANCE DE 1IENRI RE'JNAULT.

500

A MAD. LA DUCHESSE

COLOSSU 52 octobre 1869.

Si

sons

vous saviez les merveilles dont nous jouisici,

éloignés du

monde, du tapage des

des distractions de toute sorte,

villes,

même des courses

de taureaux, que nous ne regrettons pas au milieu

du rêve enchanté qui nous berce dans l’Alham* bra

!

Nous habitons dans un bon

(dont

hôtel

la

patronne est fort belle, ce qui ne gâte rien), bâti sur à

le territoire

même

de l’Alhambra

une des murailles du château arabe.

à 5 ou

400 mètres au-dessus de

et

11

adossé

se trouve

la ville, isolé

milieu d’une oasis de peupliers et d’ormes gantesques, toujours verts

comme au

et

printemps,

qui tombent

à cause des courants d’eau claire

en cascades de tous côtés

au gi-

répandent une

fraî-

cheur délicieuse sous ces quinconces.

Tous

les

matins nous allons

à

quelques pas de

chez nous dans l'Alcazar, dans la divine Alham-

bra où et

les

de roses

murs le

sont des dentelles d'améthystes

malin, de diamant

vert et de cuivre

Nous restons nous

voir, et

midi

et d’or

rouge au coucher du

soleil.

jusqu’à ce que

quand

elle

la

lune vienne

nous a envoyé quelques

baisers et qu’elle a endormi les et

à

ombres des

fées

des génies qui ont ciselé ce palais merveilleux,

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

507

nous nous en allons à regret, nous retournant à

chaque pas sans pouvoir arracher nos yeux de

ces colonnes de

moment,

d’une déesse,

bonheur tout

Comment

marbre rosé, qui prennent, par

couleurs nacrées du corps satiné

les

et

sont notre désespoir cl notre

à la fois.

? Il y a dans les salles, des plafonds formés de stalactites qui, réunies et

partir d’ici

superposées, s’élèvent en forme de coupole

et

des-

sinent des étoiles, des figures géométriques qui s’entre-croisent, et dont l'effet

que

moral ou physi-

une sorte de vertige en hauteur, qui vous

est

aspire et qui vous

pompe

et

peu s'en faut qu’on

ne se sente enlever de terre.

Comment briser

le

qu’on

voulez-vous

charme

et

condamne

se

à

qu’on puisse se contenter,

plus tard,- de plafonds blancs avec des

amours

peints en rose et des colombes qui se becquélent?

Ma

divine maîtresse

l’Alhambra m’appelle;

elle

m’a envoyé un de ses amants,

me

prévenir qu’elle a

elle est belle et prèle à

faire

le soleil,

fait sa toilette, et

me

pour

que déjà

recevoir. Je ne

peux

autrement que de vous quitter.

Allah

!

tu es

mon Dieu!

et toi,

si

veilles. Je t’aime, parce

que tu es

chère

et

adorée Alhambra

Mahomet,

sois

incomparables mer

béni, qui as inspiré de

!

le

père de

ma


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

508

A SON PÈRE.

28 septembre 1869.

Depuis dix-sept jours que nous

Dans

sommes

la crainte

de ne pas trouver, parfois, d’au-

moyens que nos jambes, nous

tres

les avions

abandonnés, n’emportant avec nous que de carions

nos boites d’aquarelle,

et

ment de rechange. vons doit

ici,

et

C’est là-dessus

que nous

nous apporter enfin, de quoi nous

vi-

livrer à

photographie.

Malgré cela, nous n’avons pas perdu

pris

petits

pas un vête-

attendant de jour en jour la galère qui

la peinture à l’huile et à la

temps.

in-

nous attendons encore nos bagages.

stallés ici,

J’ai fait

bon nombre de noies

décalqué en outre

ornements

notre

quelques études à l’aquarelle

,

et

renseignements.

en cachette,

la

et

J’ai

plupart des

et motifs d’inscriptions des salles de

l’Àlhambra et des azulcjos les plus intéressants. Les azulejos sont les faïences

qui couvrent

le

murs jusqu’à une hauteur d’environ 4 ou

bas des

5 pieds. J’ai

parcouru l’ancienne

et j’y ai trouvé

ville

arabe, l’Albaycin,

des motifs charmants dans des

maisons mauresques plus ou moins bien conservées

et,

tées, car

on

des trésors.

surtout, plus ou moins bien respeca

démoli

et

on démolit tous

les

jours

On recouvre indéfiniment de couches

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

500

de blanc de chaux, des murs chargés d’inscriptions et

d’ornements, de sorte que, peu à peu, les trous

se bouchent et les dessins se perdent. Puis, quel-

ques amateurs d’antiquités arabes ont

bon moment

et

saisi le

ont acheté, pour peu de chose,

ou enlevé de l’Albaycin,

les choses

qui pou-

vaient s’emporter et être facilement enlevées des

murs,

telles

que azulcjos, portes, fermetures des

fenêtres, babuchiros et et arcs

A l’Alhambra un

môme

poutres sculptées

de portes.

portier qui,

il

y avait,

pour de

il

y a quelques années,

l’argent, a nettoyé tous

les greniers et débarras de l’Alhambra en ven-

dant aux visiteurs, anglais ou autres, des mor-

ceaux qui pouvaient un jour retrouver leur place

dans

le palais,

ou au moins servir de renseigne-

ments aux restaurateurs... On ne trouve plus de faïences ou débris de faïences; tout a été

vendu

avant l’arrivée de M. Contreras, le restaurateur de

l’Alhambra.

11

ne reste plus que

l'Alhambra, auquel et

il

le

grand vase de

manque une anse,

emportée, dit-on, par un visiteur. J’en

élude que je t’enverrai, ainsi que

Tu tâcheras

les

cassée

ferai

une

décalques.

d’en faire quelques épreuves pho-

tographiques, mais je crains que cela ne vienne très-

et

mal. Beaucoup d’entre eux sont peu marqués

demanderaient un

travail

de révision pour re-


510

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

uiellre

un peu de fermeté par endroit

quer ailleurs des détails confus

et

et expli-

même

pas

venus du tout. Je n’aurai probablement pas

temps de

Du

reste, je

commence

ornementation,

me

le

faire ce travail.

suffisent à

et telles

à avoir la clef

de cette

quelles sont, mes notes

peu près.

J’aurai aussi quelques renseignements à

donner sur

te

les azulejos.

Les plus anciens sont composés de petits mor-

ceaux, chacun d’une seule couleur

;

les

couleurs

noires, jaunes, vertes, bleues, blanches, verdâtres et laiteuses sont à

peu près

les seules

em-

bien aussi un violet et deux nuances

ployées.

Il

y a

de bleu

:

bleu turquoise verdacé et bleu plus

foncé et plus froid.

Les noirs et les verts sont admirables d’éclat et

de puissance

;

ils

sont d’une vigueur dont on

ne peut se faire une idée,

et les

blancs ont des ten-

dresses de demi-ions qui sont adorables. Les azulejos

anciens ne sont donc, à vrai dire, que des

mosaïques de faïence. Tous

les

morceaux sont

réunis entre eux par un peu de ciment ou de terre

pas cuite, se durcissant

après avoir été mis.

Ces morceaux sont souvent très-petits, très-minces et affectant

quées;

des formes contournées et compli-

notamment dans

certaines inscriptions de

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1

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

31

faïences où les leltres noires et les points et ac-

cents sont des morceaux séparés, s’ajustant à merveille

avec les petits morceaux blancs qui forment

le fond.

Plus tard, on

fit

des carreaux sur lesquels se

trouvaient des parties de dessin qui se complétaient par le voisinage des autres carreaux; mais

ceux-là sont moins brillants de couleur et moins puissants.

Plus tard encore on imita, en peinture, sur la faïence, le les

système de mosaïque employé dans

premiers temps. Mais les premières restent

toujours les plus belles. Je t’en reparlerai une

autre fois; je vais tâcher de réunir quelques do-

cuments. Depuis que nous sommes

vu un vapeur

à

beau bleu intense du ici, tout

ici,

nous n’avons pas

l’horizon, rien qui ternisse le

autre qu’en

ciel.

La lumière a un éclat

Italie, et

il

parait qu'elle est

plus belle qu’en Afrique et en Syrie à cause de

pureté extrême de

l’air et

la

de l’élévation de Gre-

nade, qui est située à 800 mètres au-dessus du

niveau de

la

mer.

L’Alhambraest toujours aussi splendide, aussi resplendissante. Le soir, je déchiffre les traductions des

poèmes

et versets

du Coran

écrits

en

tous sens sur scs murs.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

31 ‘2

Nous n’avons pas encore nos bagages, nous

les

profiter

aurons nous ne pourrons partir

un peu de nos couleurs à

l’huile

et

quand sans

d’ici

pour faire

quelques études que nous nous sommes réservées. Notre départ est donc retardé A

SON

TÈIIE.

Octobre 1869.

Nous sommes toujours

de plus en plus

ici,

heureux, car tous les jours l’Alhambra nous

offre

de nouvelles beautés avec lesquelles nous nous

que nous parvenons

familiarisons peu à peu, et à

mieux rendre, quoique ce

difficile.

par

les

soit

toujours bien

Ce séjour-là nous aura été très-utile

études que nous y aurons

Nous sommes, du

dans

reste,

conditions possibles. Dans

un

faites.

les meilleures

hôtel situé à deux

pas de la porte de l’Alhambra, ce qui nous évite

de perdre du temps en

dons jamais dans

trajets.

la ville, et

Nous ne descen-

aucune distraction

ne vient nous déranger de notre

travail et

nous

fatiguer.

Comme, le

d’autre part, le pays est en révolution,

gouvernement ne s’occupe pasdel’Alhambra;

n’y a plus de

gouvernement en ce moment,

ne pense guère

à

en

nommer un

et

il

on

autre. Grâce à

celte vacance, nous sommes les maîtres de l’Alham-

bra depuis le matin jusqu’au

soir.

Nous n’en

sor-

*•

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G


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Ions que

nous en longeons

et alors

allée

313

quand la nuit est complètement tombée, le

mur, dans une

belle

d’arbres magnifiques, pour rentrer dans

notre hôtel où nous

gens charmants

et

sommes

très-bien, chez des

complètement

seuls, car

n’y

il

a pas de voyageurs par ces temps de troubles politiques.

Nous sommes décidés encore

;

à rester quelque

temps

nos bagages arrivent demain. Nous allons

donc enfin ouvrir

et joindre à

la boîte à l’huile

nos dessins, gouaches et aquarelles, quelques études plus importantes.

Depuis que nous fait

du

un temps paradis.

sommes en Espagne,

il

à faire crever d’envie tous les saints

Pas un nuage, mais une lumière

éblouissante qui nous donne du fila retordre. Les

arbres sont verts dans toute

comme

au printemps.

11

la villeel les

fait

chaud

chaleur douce et agréable. Bref,

pays

comme

Grenade, ou plutôt

bra, car, pour nous, c’est tout.

il

,

environs

mais une

n’y a pas de

comme

l’Alham-

Une bonne

créé pour nous ce palais enchanté

et, si je

fée a

ne

fai-

sais pasdepeinlure, je mccroirais Âbu-Abdil-lah, roi

maure de Grenade

27

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

3)1

SON PÈRE.

A

Octobre 1869. J’ai

reçu hier

naux que

la lettre et les

!

Ils

!

mais je n’en

sont fous ces Parisiens de s’occu-

per ainsi de moi. chose à

Ah çà

tu m’as adressés.

reviens pas

articles de jour-

faire. Je

il

faut qu’ils aient bien peu de

ne leur en suis pas moins recon-

naissant; mais vrai, je trouve qu’ils vont un peu trop loin dans leurs éloges.

Je vais m’occuper pour le vase

toi

des questions sur

de l’Alhambra. J’en ferai une photogra-

phie, mais ne

la

colorierai pas, ce serait trop

petit. Je diviserai le vase

fractions,

ments, je

et,

en un certain nombre de

après avoir calqué tous les orne-

les rejoindrai et

vous verrez ce que

Vous ne devez pas vous en douter. qu’aux bavures de l’émail

(ce

c’est.

J’imiterai jus-

que vous méprisez

peut-être souverainement au point de vue de fabrication),

mais ce qui

fait

joliment bien

la

comme

couleur. Je vous ai déjà dit qu’aucun détail ne se répète

d’une face à l’autre c’est

;

tout est varié et on voit que

enlevé lestement aubouldu pinceau avec une

adresse qui devrait faire pâmer d’envie tous les

céramistes d’aujourd’hui.

coup de soin creux

les

dans sa

J’ai

regardé avec beau-

bords jaunes dont parlait M. Riolettre.

Ils

ne sont pas en or

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et

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. n’ont pas de reflets métalliques

mon

de

Dans

fort

315

je les imiterai

mieux. les azulejos des plinthes,

les galeries, irisées,

:

il

dans

les salles et

y a beaucoup de couleurs qui sont

notamment

les noirs

que

je

soupçonne

de n’êlre que des bleus de Prusse poussés à

leur dernière puissance.

incroyable

cl,

Ils

ont une profondeur

au jour frisant, offrent les

irisations violettes laqueuses qu’on

mêmes

remarque sur

un morceau de bleu de Prusse avant

qu’il n’ait

élé broyé.

Je demanderai où peuvent exister les fragments

d’un autre vase de l’Alhambra. Le col se trouve je crois, chez M. Contreras.

ne peut guère

Malheureusement on

se fier à la science des

modernes, qui sont

si

Espagnols

ignorants des choses de

leur pays. Ainsi, j’étudie le soir les inscriptions de l’Al-

hambra dans tara n’ai

Je

l’ouvrage de Emilio Lafuenle Alça-

ne

sais

pourquoi je

pas confiance dans

ses

me

méfie. Je

traductions.

Non

pas qu’elles ne soient parfaitement en rapport avec les idées et j’ai

le

style

des Orientaux, mais

confronté les vers en caractères africains tels

qu’ils sont sculptés sur les

murs, avec

les

mêmes

vers transcrits par Lafuente Alçatara,

et il y a des erreurs; beaucoup de points et d’accents

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

316

omis

des lettres

;

même manquent,

déformées. Un jour de pluie

nous en préserve

et

je

!)

copier exactement

me

en regard je mettrai

le

d'autres sont

envient... Dieu

payerai

fantaisie de

la

une inscription de l’Alhambra donné par La-

le texte

me

fuente, et je te prierai de

par

(s’il

la faire

traduire

meilleur arabisant de l’Institut. Je serais

curieux de savoir

si

Lafuente a raison, ou

si

mes

préventions et doutes sont justifiés. J’ai

malheureusement

tre à l’Alhambra,

que

tant à faire

je

comme pein-

ne pourrai pas trouver

des loisirs pour étudier l’arabe, d’autant plus que le travail

mais

il

grand

que je vais

faire

sur

le vase sera

long

sera complet, exact et, je pense, offrira

;

un

intérêt.

Notre bagage joue de malheur. Les communications sont coupées en ce

moment

entre Cadix et

Grenade, à cause des partidas et de

la

chasse que

l’on fait à la troupe.

Dans notre beau palais de l’Alhambra, où nous vivons

si

heureux

mes même pas tions.

Nous

et tranquilles,

troublés par

laissons les

gouvernements, lutter

les

le

hommes

nous découvrons tous

discuter les

uns contre

nous nous agenouillons devant res,

nous ne som-

bruit des révolu-

le

les autres

;

génie des Mau-

les jours

de nouvelles

splendeurs, des combinaisons plus incroyables,

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

517

plus insondables dans le dessin des porlcs et des

Quelle imagination

plafonds.

ments dont

je croyais

nombre. Je n’en centième

C’est

!

ai

avoir

pas

le

dans

ees orne-

calqué

un grand

cinquantième, pas

un labyrinthe où

le

l’on se perd.

Et pourtant eux s’y retrouvaient

!

Et ces aper-

çus par chaque porte, par chaque fenêtre; et ces

montagnes- splendides en panorama tout autour. Et cette l'infini

immense et

I

temps!

et

plaine de la Vega qui s’étend à

ces arbres

verts

comme

au prin-

de l’eau partout, partout des sources.

A

gauche, au dessous des murs de l’Alhambra,

le

Darro, qui roule de l’or dans ses eaux; à droite,

le Genil,

qui roule de l’argent

!

Quel pays!

Et ces abrutis d'Espagnols ne se doutent pas

de ce que

les

Maures avaient

si

bien apprécié, en

choisissant Grenade pour siège de leur

royaume

d’Espagne. Je comprends qu’Abu-Abdil-Iah ait pleuré toutes ses larmes en quittant sa chère

Alhambra pour

fuir devant les

armées des rois

catholiques.

Quand je pense que Charles-Quint lir

une partie de l’Alhambra, tout

ver,

pour construire

à

la

a fait

démo-

le palais d’hi-

place une affreuse

grande caserne, lourde, de mauvais goût! O sauvage

le

!

Et les Espagnols s’imaginent qu’ils sont plus 27 .

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

518

civilisés

aujourd'hui

1

sont pourtant

Ils

heureux de se servir du système par

laissé

Maures

les

et qui est resté tel qu’ils

dans

l’avaient établi

bien

d’irrigation

provinces

les

de Murcie,

d’Alicante, de Grenade, de Valence et dans toutes les parties

du midi de l'Espagne qui produisent

quelque chose. parlerai dans

ne

Si tu

ma

le

connais pas, je

t’en

prochaine lettre; c’est merveil-

leux de simplicité, et je ne comprends pas com-

ment

Eh

il

n’est pas établi partout.

bien! c’est au huitième ou neuvième siècle,

peut-être plus cela

en

que

tôt,

Espagne;

travailleurs

11

!

les

voilà

vrai

est

Maures ont

installé

des gens civilisés

que

depuis

et

ont

ils

baissé A SON PÈRE.

Grenade, octobre 1809.

Je ne réponds pas encore à tes questions sur les azulejos

:

je veux auparavant réunir des infor-

mations certaines

que

et

des documents

je puis te dire à ce sujet,

c'est

sûrs. Ce

que

je

me

rappelle très-bien les azulejos de Tolède dont lu

me

parles; je les ai vus

Tan dernier,

aucun rapport avec ceux de qu’on retrouve dans

hambra, dans

la

la torre

aucune restauration

la

belle

et ils

n’ont

époque arabe

plus grande partie de l’Al-

de et

la Cautiva qui n’a

subi

où Ton découvre jus-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

qu’aux colorations primitives d’or quelques cipales

filets

le

;

rouges (ce sont

les

bleu n’y arrive que

accident).

coin d’une frise

de faïence qui est d’un ton superbe. Elle est

en mosaïque

comme

et

couleurs prin-

comme

un

Je te copierai exactement

319

de noir

et

les belles faïences

faite

arabes

;

certains morceaux, d'un bleu verdâtre vraiment

prodigieux, qui rappelle celui que vous obtenez à Sèvres,

en imitant

laines tendres: C’est

il

absolument

le

bleu ancien de vos porce-

est encore plus joli, je crois.

comme

des turquoises un peu

verdies, mais d’un éclat et d’une harmonie déli-

cieux, avec des bleus plus violacés, des noirs

puissants et des verts très-profonds et riches. Le

un fond blanc

tout placé sur

dâtre, qui

laiteux,

donne infiniment

un peu

ver-

d’éclat à toutes les

autres couleurs. Les faïences de ce dessin et de cette couleur n’existent la

que

dans

la torre

de

Cautina.

Dans

les

autres parties de l'Alhambra elles ont

une harmonie plus foncée Je tâcherai d’avoir

ce vert

et

du noir

et

moins distinguée.

un échantillon de ce ,

et

je

te

bleu, de

les enverrai.

Les

jaunes sont beaux, mais plus faciles je crois à obtenir. .11

y aurait

à Sèvres,

un véritable

soit

intérêt à chercher cela

en l’appliquant à des productions


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

320

d’un aulre caractère, soit en faisant (ce que je croirais intéressant

un musée

quand

comme

et

ce

ne

que pour

serait

tour de force), en faisant,

une imitation de quelques azulejos et sur-

dis-je,

du vase de PAlhambra, sur lequel

tout

je vous

enverrai renseignements et imitations aussi justes

que

cela

me

sera possible. Mois ne

manquez pas

ne cherchez pas trop

d’être fidèles copistes, et

à

corriger certains accidents et certaines imperfec-

mon

tions qui, à

vase.

Il

sens, ajoutent au

en est de cela

louche un peu, ou qui

comme a la

charme du

femme

qui

bouche un peu de

tra-

d’une

moins

vers, et qui pourtant serait

jolie

si

on

lui

retirait ses défauts, lui affinant le nez, lui redres-

sant les yeux et la bouche, lui raccourcissant

menton,

On sent que

etc...

est fait par

le

un ou plusieurs

le

vase de l’Alhambra artistes et

gulièrement et bêtement copié par des

non

ré-

manœu

vres qui chercheraient froidement la symétrie et la

pureté parfaites. Il

faudra charger de cet ouvrage,

tentez,

un garçon

si

vous

tre essayé et s’être fait la

main sur quelques

sons, enlèvera

la

quand

même

ment régulier

ensuite

cela et

le

artiste et hardi qui, après s’ê-

chose

avec

tes-

liberté,

ne devrait pas être parfaite-

correct. Ceci dit, passons a

un

autre sujet.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Tu me demandes

renonce

si je

à

321

envoyer

ma

Judith au Salon prochain. Oui. Je suis absolument

décidé à ne pas l'exposer. Et cela pour plusieurs raisons

:

vue dans de moins

serait

Elle

bonnes conditions d’éclairage

surtout, l’œil

et,

par les tableaux voisins, de genres

serait distrait

trop différents; 2° le premier étonnement étant passé, l’effet serait

éloge

de

si

mon

moindre

on en a

;

fait

un

insensé, que je descendrais certainement l’on pouvait regarder

piédestal. Si

mon

tableau pendant six semaines de suite, au lieu de huit jours

on aurait

,

des défauts

et

le

temps d’y découvrir bien

de se blaser sur certaines quali-

pas

tés; 4° je n’aurais

le

car je tiens, en rentrant à

médiatement ma

petite

temps d’y retoucher,

Rome,

(Hérodiade, l’esclave favorite,

doba) le toile

nom

que

je

ne

fait

à terminer im-

femme au fond jaune la

poetassa de Cor-

rien à l'affaire. C’est sur cette

fonde mes espérances et je crois

qu’elle sera bien supérieure à la Judith.

J’aime mieux vendre ville

ma

Judith à

la

bonne

de Marseille qui m’a donné quelques espé-

rances à ce sujet. Avant tout, je veux éviter de

en somme,

lasser les gens avec

mon

public qui s’occupe

un peu des choses de

tableau

:

le

l’art,

amateurs, artistes, critiques, tous l’ont vu et

jugé avec plus ou moins de bienveillance.

Si je

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

521

réexpose,

le

bons bourgeois de y a quelques le verront pour la

il

Quimper et de Montélimar qui première est de

fois.

Mais que m’importe

ne pas détruire

l’effet

!

Le principal

produit. Attends

petite toile caressée et chérie, et tu verras

ma que

j’ai

raison de l’envoyer seule au Salon, ou de ne

lui

donner pour compagnes,

l’occasion s’en

si

présente, que quelques aquarelles ou un dessin.

Envoie donc à Marseille mes deux dith et Prim, et espérons

en bonne compagnie dans

seul. Je serai

monument

et

musée

il

Notre bagage n’est pas arrivé.

Guadix quand survenus

le

y a quelques bonnes toiles en tout cas est superbe.

de Marseille, où le

toiles, Ju-

que Prim reviendra

les

ont jeté

Il

se trouvait à

événements politiques sont le

trouble dans la province.

Lcspartidas se sont répandus dans

donnent

les soldats leur

la

la

campagne;

chasse. L’endroit le

plus en feu est justement du côté de Guadix est

:

et

il

probable que l’administration aura trouvé

prudent de ne pas mettre en route

les voitures,

avant que les environs ne soient plus sûrs. Nous attendrons donc encore avec une seule chemise

de

flanelle,

un

seul pantalon,

d’espadrilles, quatre

mouchoirs

une seule paire et

deux paires de

chaussettes. Pendant ce temps-là, nous abattons

de

la

besogne

et

achevons des études que nous

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

3‘23

ne pourrions faire ailleurs, ni dans de meilleures

Maroc se trouvera

conditions. Notre voyage au

seulement un peu retardé A SON PÈRE.

Grenade, 17 octobre 1809.

Nous nageons en pleine peinture avant les grandes éludes

!

En

à l’huile.

un jour de

J’attends

moins beau temps pour m’occuper du grand vase de l’Alhambra. C’est de

la terre

rougeâtre avec

émail,

comme

petits

échantillons d’azulejos, pas

tu le crois. J’ai

malheureusement. On les enverrai

Je rêve

fait

chippé quelques très-beaux

ce qu’on peut

:

je le

prochainement...

un voyage au Maroc.

Il

est de toute

nécessité que j’y aille. Voici en abrégé les raisons

qui m’y poussent. 1° Je

veux étudier

les types qui se sont assez

bien conservés, vu qu’après

la

conquête de Gre-

nade, les Maures s’y sont en grande partie réfugiés. 2° Voir le palais

de Fez, palais d’hiver

construit à peu près dans le

même dit-on,

par Abu-Abdil-lah

méro), dernier 5°

même

et d’été,

style et

plan que l’Alhambra, puisqu’il a été

roi

(je

ne

sais quel

le

bâti,

nu-

maure de Grenade.

Voir les armes,

chevaux, étoffes, tapis,

chiens, etc., etc., usages, etc... etc.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

524

Sans cela tout ce que

me

de rien

servirait

j’ai fait à

l’Alhambra ne

ne pourrais pas

et je

l'appli-

quer. Il

que Il

me

me

une recommandation plus puissante

faut

que

celle

faut

j’ai

Je suis

culerai devant rien

dans

travailler

les

ambassades du Maroc.

même ce serait pour homme de confiance

Maroc, quand

femme.

pour

une mission auprès de l’Empereur du

pour obtenir

affaire de et

ne

re-

faculté de

la

de l’empereur du Maroc,

le palais

dans ses écuries, dans son harem au besoin. Il

que je voie

est de toute utilité

choses de

les

près, surtout dans la haute classe marocaine, là

il

ciens,

peut y avoir quelques souvenirs des andans les trésors, galeries de palais,

comme

armes,

etc.

Je ne

demande pas

d’argenl, mais soit une

mission, soit une recommandation puissante, qui

me

permette d’obtenir une escorte et le droit de

travailler

sent, je te prie de l’être X..,

ou

peut-être,

tel

Nous ne sommes

je voudrai.

gants ni l’un ni l’autre

:

mais dans

le

intri-

cas pré-

un peu.

autre artiste à

que

le

Maroc

la

n’est

mode,

te diront

pas intéressant

:

du contraire. Forluny y a passé deux mois, lors de l’expédition du Maroc par Prim et O'Donnell et il a rapporté des éludes ex-

j’ai la

certitude


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

cessivement intéressantes.

325

y a certains coins de l’Espagne que je tiens à garder pour moi.

Pour ceux-là,

je dirais volontiers à tout le

sont laids,

qu’ils

Il

monde

très-dangereux à habiter, et

qu’on n’y peut travailler, etc *

Le 31 octobre Régnault part pour Madrid. voulait terminer sa copie et prendre à

Il

l’Àrmçria quelques notes qui devaient lui servir plus tard. Mais,

de côté

cette fois,

« La vie

étant courte,

il

faut

Il

lire

trouva sa copie noircie, couverte de il

se sentit découragé.

quelques jours de reprit le

il

les fati-

de stupides journaux. »

poussière, et

un

laisse

peindre tant

qu’on a des yeux. Donc on ne doit pas

guer à

il

la politique.

travail, le

Après

18 novembre,

chemin de Grenade,

laissant à

peintre de sa connaissance le soin de

terminer quelques parties inachevées de son tableau

Je

:

les bottes et le cheval.

suis trop

dégoûté

pour

me

remettre à

l’œuvre. Ce n’est pas du reste une copie qui

fait

28

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

326

la réputation

faire voir

homme

d’un

voi bien faible,

;

je joindrai à cet en-

quelque chose de

au public que

je

mon

cru pour

ne suis pas tout à

fait

ramolli. Je dois t’annoncer aussi que le ministère espagnol

m’a

nommé commendador

de

la

distinguidad orden de Carlos tercero

pendant ce séjour à Madrid

C’est

qu’il

vendit la Salomé quatorze mille francs à un

marchand qui ne l’avait pas vue. Après une courte visite à Cordoue, ville et à

braltar.

Là devait

rejoindre son fidèle

le

serviteur Lagraine,

Rome

à Sé-

Guadix, Régnault se rendit à Gi-

qui

lui

apportait de

son Ilérodiade presque achevée

et

tout ce qui pouvait être utile à ses projets.

Arrivé à Gibraltar

le

22 novembre, Ré-

gnault parcourt le pays en suivant les chasses des officiers anglais qui le reçoivent à

bras ouverts. A SON

MUE. Gibraltar, 8

décembre 18G9.

Je suis allé passer quelques jours à Madrid, et j’ai trouvé les

gés. Puis j’ai

hommes

fait

et les

choses bien chan-

une tournée rapide par Cor-

doue, Séville, Guadix. Je suis à Gibraltar depuis

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

327

dix ou douze jours, jouissant de l’hospitalité anglaise

sante

faut toujours

il

connais

Je

charmante, mais trop nourris-

elle est

;

;

manger

et

toujours boire.

plusieurs officiers

surtout des

,

charmants jeunes gens de très-bonne

Écossais,

famille. Je passe le

temps assez gaiement avec

eux en attendant que

mon

domestique Lagraine

arrive et m’apporte ce dont

j’ai

besoin.

11

ne doit

pas tarder, et je serai bien aise de retourner à

Grenade ici,

et

me remettre au

de

travail, car je flâne

toujours à chevalet en chasse.

Mon

installation à

établi

mon

quand

le

Grenade

me

plaît.

J’y

ai

quartier général pour cet hiver, et

printemps se fera pressentir je

me

re-

mettrai en campagne. Ne crois pas cependant que l'hiver dans ces parages

ressemble

à celui

Allemagne. Grenade est très-élevée dans

Nevada nées

et

assez près des neiges

;

et les nuits sont-elles froides

montré

le soleil s’est

printemps.

cembre,

A

j’ai

fait

:

mais dès que

une température de

la

mois de dé-

me

baigne

mer. Je plains bien

les ha-

chaud au

soleil et je

du Nord. Comment

à Paris? Je

aussi les mati-

Gibraltar, bien qu’au

trop

tous les jours dans bitants

il

de ton

la Sierra

passerai-je

un hiver

ne pourrai plus m’habituer à cet

horrible climat.

Ce qui

me

fait

choisir

Grenade plutôt que


528

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Séville

pour quartier d’hiver,

hambra qui

est

pour nous;

c’est

c’est

d’abord

une raine inépuisable de ensuite

solitude

la

l'Al-

trésors

dans

la-

quelle nous y vivons, Clairin et moi, dans un excellent hôtel où nous ne verrons personne de

où nous sommes séparés de

l’hiver et

la ville par

de magnifiques quinconces de grands arbres qui revêtent la colline sur laquelle est bâtie

hambra

et

hommes,

On

citadelle.

la

sent

se

l’Al-

des

loin

car on a peu d’occasions d’en voir

là-

haut, loin du bruit des rues, et on est sûr d’y jouir de la paix nécessaire à Séville,

au contraire,

est

gaie, réjouie, bruyante, et,

un

une

travail suivi.

de

ville

comme

l’Alcazar de Séville est d’un style

plaisir,

architecture,

moins pur que

l’Alhambra, et trop restauré. La cathédrale, d’un

beau gothique, la

est

d’un

effet grandiose,

majs

je

trouve moins extraordinaire que celle de Cor-

doue qui

n’est autre chose

que

la

mosquée des

Maures d’Espagne, dans laquelle on capilla

mayor

tement dans d’arcs

et

un coro qui

a placé

cette forêt de colonnes de

mauresques entrelacés

C’est d’un effet

magique

;

une

se perdent complè-

et

rien ne

marbre

et

enchevêtrés.

m’a

fait

autant

d’impression que cela. Je compte passer trois ou quatre jours à Tan-

ger avant de retourner à Grenade. Je partirai


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

329

»

d’Espagne au printemps, rempli d’admiration

pour ce que grande

les

Maures y ont

civilisation.

Il

laissé... C’était

une

faut parcourir les provinces

de Valence, Alicante, Murcie, Grenade,

Séville,

Cordoue, pour apprécier les immenses services qu’elle a qu’il y a

rendus à

la terre

d’Espagne. Tout ce

de bien en Espagne date de

cette

époque-

comme système de culture, comme industrie, comme administration. Et que de souvenirs prélà,

cieux on a dû détruire dans les siècles de fana-

tisme religieux qui ont suivi

Maures

l’expulsion des

!

C’est depuis lors

pour arriver

que l’Espagne a

à l’état pileux

été à reculons

elle est

nant, et d'où je ne vois pas pour elle se relever, à

pour

moins qu’elle ne

ainsi dire,

une autre

soit

mainte-

moyen de conquise,

par un souverain

fois

par un

homme

que Charles-Quint, qui

force le

étranger, Anglais par aussi ambitieux

le

pays à accepter traite l’Espagne

les

exemple

progrès

comme

;

faits ailleurs

qui

,

sa chose, sans la ruiner,

et qui ait intérêt à la faire valoir et à la faire

produire. Elle n’est pas digne encore

constitutionnel

;

il

faut

du gouvernement

une main de

fer qui fasse

son éducation avantqu’elle puisse comprendre

mot de liberté.

Il

n’y a pas au

le

monde un plus beau 28.

.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

550

pays,

un

plus beau climat,

et pourtant

un plus beau peuple,

l’Espagne est aujourd’hui

des nations, au-dessous

C’est alors

même

de

la

dernière

l'Italie

qu’une circonstance fortuite

vint changer les projets d’Henri Régnault.

Lagraine, son domestique, qui devait arriver à Gibraltar vers les

premiers jours de décem-

bre ne donnait pas signe de vie. Ce silence était

pour Régnault

inquiétude.

11

faisait

le

d’une vive

sujet

en vain jouer

graphe aucune réponse certaine :

Écoutons-le

le télé-

n’arrivait.

raconter lui-même

per-

ses

plexités. A SON PÈBK.

Tanger, 21 décembre 1869. J’ai été si

occupé,

j’ai

passé par de

lentes émotions que les jours se

sans que

je

D’après

si vio-

sont succédé

m’en doutasse...

un télégramme peu

clair

que

j’avais

reçu, je m'étais imaginé que Lagraine avait dû partir de Marseille le 25 novembre. Je l’attendais donc vers le l

pasvenir

,

j’avais

6f

décembre,

laquelle je reçus cette réponse le 3.

Vers

et

ne

le

voyant

envoyé une seconde dépêche à

le 10, je

:

Partira le 2 ou

courus tous les bureaux de

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

531

Gibraltar pour savoir quel était le bateau parti

de Marseille à l’époque indiquée dans pêche. La réponse fut unanime

:

la

c’était le

dé-

Sone-

Comme la mer avait été assez mauvaise, me disait que probablement le bateau avait

rah.

on

relâché sur

côte d’Espagne, ce qui causait le

la

retard. Impatienté d’attendre, j’avais l’œil bra-

qué sur

le

sémaphore dans

l’espoir d'y voir si-

gnaler un bateau, pavillon français, venant de l’est.

Mais les heures se passaient, des nuages

couvraient par

moment

le

sommet du rocher de

Gibraltar où est placé le sémaphore. Alors j’allais

au port, puis

à la jetée, puis

au phare

:

Hélas

I

après deux jours de ce manège, pas de Sonerah! Je pris alors

le

bateau pour Tanger.

La nouveauté orientale de

la ville,

cette vie

différente de la nôtre, ces types magnifiques, ces

costumes

si

nouveaux pour moi, tout cela

distrayait et m’aidait à patienter

me

deux jours de

plus.

Je fus très-bien reçu chez le baron d’Aquin,

chez M. Diosdado, de

M. Scovasso de

dans

la

la

la légation

conversation,

me

dit tout à

savez que M. Berger a perdu qu’il avait fait faire

soir

d’Espagne, chez

légation d’Italie. Ce dernier,

coup

:

«

Vous

un beau vapeur

en Angleterre.

une dépêche m’annonçant que

J’ai

reçu ce

le

Sonerah

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

332 s’était

perdu corps

et

Celte nouvelle fut

pour moi. En

bien dans

le golfe

comme un coup

effet, le

du Lion.

»

de foudre

retard de Lagraine était

expliqué d’une façon terrible. Le Sonerah avait coulé avec tout ce qu’il portait et pas

un malheu-

reux n’avait échappé pour donner télégraphique-

ment

nouvelle à son consignataire.

la

J’avais quitté Gibraltar le

le relard

et le consignataire

de son bateau. Et M. Scovasso ajoutait

pour embellir Cela

13

aucune dépêche concernant

n’avait encore reçu

me

la chose,

perdu corps

et biens.

paraissait si vraisemblable

que

je

n’avais plus

aucun espoir de revoir mon pauvre

Lagraine, ni

mon

chien, ni

affaires; tout était

Je passai

perdu

une nuit

comme un remords

mon

tableau, ni

mes

!

terrible, agitée.

J’avais

d’avoir fait venir de

Rome

ce pauvre garçon, pour le faire périr aussi misé-

rablement. Je pensais aux derniers moments de cet être qui

m’aimait tant

et qui avait

souffrir à la pensée de ne plus

me revoir,

traîner avec lui ce qui lui avait été et confié. Peut-être était-ce

caisse de

mon

tant

et d'en-

recommandé

en voulant sauver

la

tableau qu’il avait perdu le temps

de sauter dans

la

chaloupe! Je

drame horrible dans ma pauvre Le matin, Tanger

me

me

faisais

un

cervelle.

paraissait

moins intéres-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. sant;

j

'ôtais

impatient de

353

me rembarquer pour

Gibraltar, afin d’y savoir les détails qui avaient

pu arriver dans

la

nuit et surtout afin de télégra-

phier de tous côtés pour qu’on recherchât

mon

homme, qu’on

était

donnât de l’argent

lui

encore vivant, ou qu’on m’envoyât

s’il

la

nouvelle

certaine de sa mort. Je pris donc le bateau à onze heures et à trois

heures et demie j’arrivais au port de Gibraltar.

En approchant de

homme

terre, je vis

et semblait s’adresser à effet, savait à

moi. Tout

monde, en

le

Gibraltar que j’attendais le Sonerah

comme le Messie.

Les uns voulaient voir

bleau, les autres faire courir

nard à

un grand bon-

qui gesticulait avec une figure enjouée

mon chien,

on

et

un

lièvre

s’intéressait à

mon

ou un

mon

ta-

re-

mal-

heur.

L’homme

qui gesticulait était

un

interprète

du

club House hôtel, et dès que je fus à portée de sa voix j’entendis

:

«

n’est pas perdu,

Il

il

a pris le

bateau à vapeur pour Tanger ce matin. » Je ne Mais, quand je

voulais pas y croire. j’ai été

fus à terre,

rassuré. Le Sonerah était en effet perdu,

mais Lagraine avait pris un autre bateau des Messageries qui avait

manqué

dance pour Tanger

plus quatre à Malaga

à

Oran

la

correspon-

D’où huit jours de retard,

:

!


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

334

respirai

Je

enfin.

Je

mon

revis

tableau

arrivé en parfait état, et pour la première fois, j’en fus content, je le trouvai quitté,

l’avais

je

Lagraine

Mon chien

plage.

Lagraine tait

mon

et

me

chien

pour Tanger.

brisa la

m’attendaient sur

me

faillit

main

guère du danger

sement

mieux que quand

et je repartis

dévorer de joie

d’amitié.

ne se dou-

Il

heureu-

qu’il avait évité si

et avait appris à

la

et

Tanger dans quel

état

d’inquiétude j’étais parti. Je

me

trouvais

heureux

si

qu’il

me

fut

impos-

sible de songer à quitter l’Afrique. J’ai loué petite

une

maison mauresque pour vingt francs par

mois, avec trois chambres et un petit patio qui

peut

une

me

servir d’atelier avec jour d’en haut, et

terrasse

soleil.

La vue

je pourrai faire des éludes au

est ravissante

sur Tanger, la Casba,

La graine pourra s’y livrer à

la mer..., etc.

tographie... J’ai écrit à Clairin

ma car

nouvelle décision il

fait froid

à

pour

et l’engager à

lui

me

laisserai

un mois pour mencé. De

finir

ici

mon

rejoindre,

ici

Au

installation

mon

prin-

pendant

à Grenade ce que j’y ai

celle façon

J’ébaucherai

pho-

Grenade maintenant, tandis

qu’ici je jouis d’une tiédeur délicieuse.

temps je

la

annoncer

com-

rêve sera réalisél

quelques scènes, puis

j’irai

à

l’Alhambra peindre les morceaux d’architecture

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

335

qui y rentreront et je reviendrai ici mettre la dernière main aux figures. Tout s’arrange pour le

mieux. Je vais dès à présent terminer

ma

petite

Ilérodiade A SON PÈRE.

Tanger, ce 17 janvier 1870.

Je suis de plus en plus ravi de Tanger et de

plus en plus décidé à y fixer ver. J’y serai très-bien

nonce pas pour cela

quand

les

vers la

fin d’avril.

Je leb.

à

pour

mos

quartiers d’hi-

ne re-

travailler. Je

Grenade où

je retournerai

neiges y seront fondues, c’est-à-dire

commence

des leçons d’arabe avec un Tha-

Nous avons eu, ces jours-ci,

Rhamadan, processions, sias, etc...,

sortie

les fêtes

du pacha,

musique arabe, danse de nègres.

a de quoi faire deux cents tableaux

du

fantaIl

y

I

A SON PÈRE.

Tanger, 19 janvier 1870.

Je n’ai pas encore eu le ler

temps de

de notre installation à Tanger

nous menons

Dans

les

le par-

et de la vie

que

ici.

premiers jours de janvier nous avons

loué une maison charmante, construite à

la

mau-

resque, ancienne, et parfaitement disposée pour les besoins

de notre métier.

Premier point. Quartier assez central

et

pour-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

335

tant assez retiré, ce qui est de la plus haute im-

portance, car les Marocains sont très-fanatiques

pour rien au monde ne voudraient être vus

et

un

entrant chez

femmes

!

chrétien.

À

plus forte raison les

Une femme rencontrée parlant

à

un

chrétien, ou sortant de sa maison, serait empoi-

gnée, conduite à la Casba, et régalée de deux ou

coups de bâton. Grâce à

trois cents

la position

heureuse de notre entrée, dissimulée dans un cul-de-sac donnant d’une manière indirecte, avec

coudes, dans une rue exclusivement fréquentée

par les Juifs

(c’est la

rue des Synagogues), nous,

avons, de temps en temps, des Mauresques chez

nous, blanches

et

noires, et nous en aurons tant

que nous voudrons. Je prévois de travailler d’après

facile les

les

hommes. Leur costume dans

(car dehors toutes, riches

tues du

même

parti

;

sera plus

d’après

leur intérieur

ou pauvres sont revê-

haïck de laine) offre des ajuste-

ments ravissants dont

je

compte

tirer

un grand

puis elles sont plus coulantes en matière

de religion, le

qu’il

femmes que

et

ne demandent qu’à être soustraites

plus souvent possible à l'existence pénible

et

renfermée qu’on leur impose.

Deuxième qui nous

point.

fait

un

Nous avons un charmant

atelier délicieux,

avec

patio

un jour

splendide venant d’en haut, sans qu’aucune mai-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

son puisse envoyer de

337

Nous avons couvert

reflets.

notre patio d'un vitrage très-bien conditionné qui

peut s’enlever quand on veut

et

qui nous rend de

grands services en ce moment, car depuis trois

semaines

il

pleut presque continuellement.

Nous avons décoré notre

patio dans le

style

arabe, nous avons peint nos corniches, nos portes,

ornements de l’Alhambra nous ont

et les

d’heureux motifs. Nous avons perdu nes à ce ra va il-là, I

c’est vrai,

patio ravissant dont

fait

moins

vail est d’autant

Sans

employé

à ce tra-

que

la saison

à regretter

pluvieuse et ne permettait pas de songer à

fuire des études

ou des croquis dehors.

Je suis bien décidé à exécuter voi

un tableau et

les faces.

de chez nous, nous pouvons faire des cen-

taines de tableaux. Le temps

était

offert

semai-

mais nousavonsun

chaque coin

que je compte exploiter sous toutes sortir

trois

ici.

J’y serai vingt fois

mon

dernier En-

mieux qu’à Rome

j’aurai sans cesse l’œil réveillé par toutes les veilles

et

mer-

qu’on rencontre à chaque pas, au lieu de

pourrir souàun cl Italiennes

ciel fétide,

en face de ces Italiens

d’opéra-comique, ou de ces chau-

chardsau chapeau pointu dont

le

souvenir

me

soulève le cœur.

Notre chambre est toute tendue de tapis posés par-dessus des paillassons et des nattes. Nous 20

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

338

ayons pris l'habitude des Maures trons jamais dans notre

babouches à

les

l’établissement;

la porte.

toute

et

nous n’en-

chambre sans

quitter

Point de chaises dans

laideur européenne est

prohibée.

Sur deux autres faces du patio donnent deux autres chambres assez grandes tée

;

l’une est affec-

aux ustensiles de peinture, l’autre occupée

par Lagraine, les costumes, les étoffes précieuses, et les

vêlements européens, car nous conservons

notre prestige grâce à nos pantalons l’air

;

sans cela on pourrait nous

respect

et

pet-en-

manquer de

tandis que l’Européen peut aller sans

:

rien craindre dans tous les coins de la ville et de la

campagne, à toute heure du jour

et

de

la

nuit.

Sur

quatrième

le

mur du

patio donnent cui-

sine, citerne, escalier des terrasses, etc...

tre partie de la

duisant

une

à

L’au-

maison contient un corridor consalle

où je transporterai

cuisine, puis à l’écurie où peuvent tenir

ma trois

chevaux.

Pour

le

moment

doux, intelligent

j’ai

un amour de

et fort...

petit cheval

Puis des poules pour

avoir des œufs et de quoi remplir notre estomac lorsqu'il n’y a pas autre chose

;

enfin

une paire

de lévriers.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

339

Noire personnel se compose de Lagraine, exclusivement occupé de la photographie, menuiserie, soin des châssis, toiles, couleurs et

femme d’un

de famille,

ex-consul tombé à peu

mon

de Ali-Pala,

près -dans

la

nier, petit

bonhomme de 50

misère

;

comp-

bonne mère

tes; de Nana, cuisinière chrétienne,

palelre-

ans, monstrueuse-

ment laid, haut de 4 pieds, un vrai Triboulet, doué d’une originalité charmante, d’une grande intelligence et, par-dessus le marché, d’une élô-

phantiasis qui a

à

la

gonfler

fait

une de

ses

jambes

grosseur de son corps, tandis que l’autre est

complètement ridée qu’une

plus grosse

n’est pas

et

fine allumette.

Ce personnage grotesque m’a été présenté par le ministre,

M. d’Aquin, qui

comme une

perle.

D’abord, terprète

;

il

me

l’a

recommandé

parle bien l’espagnol et sert d’in-

puis

il

est réputé le meilleur cavalier

de Tanger, malgré sa difformité.

Nous comptons encore parmi nous

Khadder qui

fait les

commissions

çon honnête et dévoué

et

achète

;

la victuaille,

etc.

Tchama, charmante 18 ans, qui

vit

avec

le

qui lave

le

jeune

matin, garla

maison,

enfin la jeune Aïscha-

petite

Mauresque de 17 ou

nous, s’occupe de notre

linge, blanchissage, aide la cuisinière à

raecom-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

510

moder,

amène

etc.

De plus

elle

ses petites amies,

pose pour nous, nous

pour que nous

travail-

lions d’après elles.

Enfin voi,

un

je vais pouvoir faire

!

mon

dernier En-

tableau que j’avais rêvé à Grenade

dont l’exécution

me

sera facile

et

ici.

Tout cela ne nous coûte pas cher

et

nous

vi-

vons économiquement, dépensant moins à nous tous que

Clairin

et moi à l’hôtel de Grenade.

Voilà le palais où, j’espère, tu viendras

l’automne prochain vers

Tu pourras

:

douzaine de lièvres

le

!

me

voir

mois de septembre.

y faire de la photographie avec La-

graine, et chasser

de clichés

le

le soir, tu et

rapporteras une

perdreaux

et

une douzaine

Je ne m’absenterai d’ici que pendant

mois de juin

et peut-être juillet,

pour

finir à

Grenade ce qui est commencé... Je t’envoie

m’en

un

échantillon de toile pour que tu

fasses acheter

une pièce de 20 mètres sur

ra 2 ,50 ou 3 mètres de large

même

si c’est

possible, de

qualité. Si la pièce contient

25 mètres,

ou plus, envoie-la tout de même. La

toile n’est

la

jamais perdue et nous avons besoin d’en couvrir

beaucoup


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

341

A M. CAZALIS.

Tanger, 25 février 1870.

...Comment

temps sans une parole, Allah

et

que

se fait-il

Mahomet

savent

le

je le laisse si long-

un serrement de main?

ni

!

Nous habitons,

tu

dansunemaison mauresque, dans un petit des Mitle et une nuits. Nous avons entassé

le sais,

palais

sur nos portes, sur

les solives

ornements de l’Alhambra,

de notre patio , des

et tu verras

prochaine-

ment un tableau commencé depuis

quelques

jours, patio

un Gynécée mauresque, qui représente notre

même

au fond,

et,

la

porte de notre

cham-

bre à coucher...

Chaque

fois

rasse, nous ville

la

que nous montons sur notre

sommes

ter-

éblouis par l’éclat de cette

de neige, qui sous nos pieds descend jusqu'à

mer,

comme un grand

escalier de

marbre

blanc ou une nichée de mouettes blanches. Sur

une tapis

terrasse voisine, des négresses étalent des

pour

les

exposer au

soleil,

ou des Maures-

ques disposent sur des cordes leurs haïcks

et leur

linge pour les faire sécher, kaftans de drap jaune

avec broderies d’argent, de soie rose ou vert tendre, foulards d’or, etc... Nos yeux, enfin, voient

donc

l’Orient.

Je crois, Dieu

me

vous éclaire n’est pas

pardonne, que le

même que le

le soleil

qui

nôtre, et je 29.

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CORRESPONDANCE DE IIENRI REGNAULT.

5(2

vois de loin, avec terreur, le

moment où il

faudra

reconlempler, en Europe, l'aspect lugubre des

maisons

et des foules.

Mais, avant d’y rentrer, je veux faire revivre les vrais

Maures, riches

voluptueux à

dans

la fois,

le passé.

et

grands, terribles

ceux qu’on ne

voit plus

et

que

Puis Tunis, puis l’Égypte, puis

l’Inde!...

Je monterai d’enthousiasme en enthousiasme, je m’enivrerai

de merveilles, jusqu’à ce que

complètement halluciné, je puisse retomber dans

monde morne

notre

mes yeux perdent pendant deux ou

et banal,

la

sans craindre que

lumière qu’ils auront bue

trois ans.

Quand, de retour à

Paris, je voudrai voir clair, je n’aurai qu’à fermer les yeux, et alors

Mauresques, Fellahs, Hindous, éléphants de marbre blanc,

colosses de granit,

palais enchantés, plaines d’or, lac de lapis, villes

de diamants, tout l’Orient m’apparaîtra de nouveau...

Ohl quelle

ivresse, lalumiôre...

A SOS PÈRE.

Tanger, 3 mars 1870.

ma

Le Spahis emporte J’ai hésité

pour

la

me

décider

voie de. mer.

Le mois de mars ranée.

Salomé aujourd’hui.

très-longtemps avant de

J’ai

est

demandé

mauvais dans

la

Méditer-

conseil à des gens

compé-

i

bv

Google


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. tents et

même à

d’accord qu’il

mer en courroux

Je voulais t’envoyer la notice pour

me

qu’à

un

fer espagnol.

mais je m’aperçois au moment de ne

une

fallait plutôt confier la toile à

coquille de noix sur la

chemin de

343

des Espagnols. Tous sont tombés

rappelle pas bien le

fait.

mon

tableau,

l’écrire

que

je

Consulte à ce su-

jet les livres saints...

Salomé dansa pendant un nière

si

que

Hèrode,

festin

d’une ma-

merveilleuse devant son père adoptif

promit de lui accorder

celui-ci

comme récompense La mère de la jeune

tout ce qu’elle demanderait. fille,

qui détestait saint Jean,

à cause des reproches que celui-ci faisait à Hé-

rode sur son union incestueuse avec sa

fille

de demander

Voilà ce

et

supplia

elle,

de saint Jean.

qu’il faudrait rédiger

moins filandreuse je tiens

la tôle

d’une façon

moins embrouillée, mais

beaucoup à ce qu’on insiste sur

la

parce que cela expliquera l’ébouriffage de velure et

l’étoffe

danse , la

che-

transparentê qui laisse voir les

cuisses pour rendre la danse plus voluptueuse.

N’oublie pas que je suis gaucher et que, pour

regarder

ma

peinture

il

faut qu’elle soit éclairée

d’en haut, de droite à gauche, le contraire des autres

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

544

La Salomé une

fois partie

pour Paris, Ré-

gnault pouvait se livrer sans préoccupation à la pensée de la grande

comme

tait

tains

œuvre

qu’il

médi-

Envoi de dernière année. Cer-

matériaux

manquant encore,

lui

il

résolut de retourner pour quelque temps en

Espagne

afin

même

en

de

les recueillir et

de terminer

temps quelques études commen-

cées à Grenade.

Ces préliminaires complétés,

il

comptait

nouveau à Tanger et y faire son grand tableau en toute liberté d’esprit et se rendre de

sans crainte d’y être dérangé par aucun obstacle imprévu.

se mit

Il

donc en règle

avec l’Académie. A SON PÈRE.

Tanger, 8 mars 1870.

mes

pro-

ne disant que ce que je voulais dire

et le

J’ai écrit à

jets,

M. Hébert

et lui ai exposé

priant de vouloir bien cacher au ministère ce qu’il savait

ou devinait,

et

arranger

les

choses

pour le mieux, de manière à ce que je puisse ici

tranquillement J’ajoutais

que

mon

faire

dernier Envoi.

j’avais ici sous la

main tous

les

éléments nécessaires pour faire une œuvre sérieuse et nouvelle et que j’irais la finir à

Rome

;


je

ne

et ce

peu

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

345

mon

retour,

fixais

pas d'époque positive

vague discret

pour

Rome

me

mes

et d’arriver à

mon

avec

à

permettra de traîner un

fins, c’est-à-dire

Envoi

fini,

de partir

au commence-

ment de 1871. Le premier point pour bien travailler est de se plaire dans l’endroit où l’on travaille et de se sentir soutenu partout ce qu’on a sous les yeux.

Or

je suis bien ici

;

donc

j’y reste...

A M. A. DFP ARC.

Tanger, 8 mars 1870.

J’étais si

honteux de n’avoir pas tenu

messes que je

t’ai

que

faites,

t’écrire sans joindre à

ma

lettre

une ou deux

bonnes aquarelles. Or, en Espagne, laisser captiver par les

mauresque Je sais

les pro-

ne voulais pas

je

je

me

suis

charmes de l’architcclure aucune étude de

et je n’ai fait

figure.

que lu aimcias mieux un ou deux person-

nages intéressants dans une aquarelle que dix colonnes, et du reste je ne veux vendre à aucun prix toutes les éludes à l’huile ou à l’aquarelle

que

j’ai faites à

grande

utilité

mes promesses

Grenade

et

mon

elles

me

seront d'une

mes premières aquarelles

ressantes seront pour

depuis

:

plus tard. D’ailleurs je tiendrai

toi.

arrivée au Maroc, je

exclusivement de

finir

inté-

Je dis seront parce que

ma

me

suis occupé

figure d'Ilérodiade,

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

3J6

puis, de la

décoration de notre

chaque coin

est

un

ébauché un certain nombre de

pour ne pas

maison dont

tableau ravissant. J’ai aussi petits tableaux

laisser échapper de

quelques scènes que

j’ai

ma mémoire

vues dans les rues de

Tanger. Je n’ai pas fait encore d’étude de

bonshommes

d’après nature, vu la grande difficulté d’avoir

des modèles. Les maures du Maroc sont les plus fanatiques de tous les Musulmans;

ils

observent

avec beaucoup plus de sévérité

leur religion

qu’en aucun autre lieu. Nul œil chrétien ou juif

ne peut pénétrer dans leurs mosquées ou dans leurs maisons la rue, les

comme

;

quand on prend un croquis dans

gens qui se croient regardés se sauvent

s’ils

avaient la peste à leurs trousses. Peu

à peu (à condition de rester longtemps dans le pays et d’étre installés

dans un

puisse les voir entrer dans

lieu écarté la

où nul ne

maison chrétienne)

nous pourrons en apprivoiser quelques-uns. Les femmes sont plus accessibles. Nous avons

pour servante une petite Mauresque qui ne de-

mande

pas mieux que de poser et de nous ame-

ner des amies. Quelques-unes sont déjà venues, et

nous

les

réception.

avons encouragées par une bonne

En nè hâtant pas

trop les choses

nous

pourrons nous en servir. Plus tard, à l’aide de

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

quelques ruses viendront

les

hommes,

nous sommes bien décidés ici,

nous

en

finirons par

à

e(,

347

comme

rester longtemps

que nous vou-

faire ce

drons.

Ne perds donç pas

que

l’espoir

tu as gardé

si

longtemps de recevoir quelque chose de moi.

Au premier moment,

tu

le

sais,

on

est

trop

étourdi par tout ce que l’on voit de nouveau, pour se mettre à l’ouvrage.

mencer. Mais une

fois

On ne

sait

par où com-

qu’on est pris par l’engre-

nage, tout va bien, et chaque chose défile à son tour. J'en suis là

maintenant et mes plans sont

Il y a des toiles sur le chantier, des tableaux en train. Les aquarelles et les études

bien arrêtés.

vont se ranger au fur et à mesure dans les cartons, et les messageries impériales emporteront les meilleures vers les rivages

aimés de

la

France.

Ce n’est décidément pas en voyage qu’on peut produire

:

on ne peut que

faire des études,

pren-

dre des renseignements, des notes, dont on ne saurait ensuite se dessaisir.

une

fois fixé

les autres et

Une

pour

Dis à M. G...

Durand-Ruel

installé,

soi....

qu’aucun marchand ne verra

couleur de mes aquarelles avant

,

fois

sur un point, on peut travailler pour

et

Brame pour mes

lui. Je

la

garderai

tableaux. Leur

exposition de la rue Laffile est excellente. Or

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348

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

comme

tout ce

que j’enverrai à Paris sera soigné

et étudié je n’aurai

pas de honte à le montrer

En

je ne tiens pas à vendre à Imis-clos.

quarelles je ne suis pas fier

:

Fortuny

:

fait d'a-

me

fait

une peur bleue. A SON PÈRE.

Tanger, 13 mars 1870.

Je termine deux

ou

trois petites

des que je traîne depuis longtemps,

comman-

et, le

29 de

ce mois nous nous rembarquons pour l'Espagne.

Nous allons à

Séville, à

Cordoue pour y

faire quel-

ques études rapides qui pourront nous rendre de grands services

ici,

puis nous regagnons Gre-

nade où nous finissons quelques éludes commencées

et,

vers

ger. Alors,

la fin

de mai, nous revenons à Tan-

muni de

tous les matériaux dont je

puis avoir besoin, je

me

mets à

mon

dernier

Envoi. 11

est préférable

de faire maintenant celte tour-

née d’Espagne, nous aurons ensuite plus de calme

pour entreprendre un

travail

de longue haleine

dans notre petit alcazar de Tanger où nous som-

mes bien de

la

installés

pour passer

l’été sans souffrir

chaleur.

Aujourd’hui, pour les Maures, grande

fète,

Pascua del carnero. On égorge un mouton sur le

tombeau d’un saint en dehors de

la ville,

on

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.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. le

place sur les épaules d’un

homme

349

qu’on

fait

courir le plus vite possible en le fouettant, en

une mosquée située

lui jetant des pierres, jusqu’à

en bas de

bonhomme

Le pauvre

la ville.

donc traverser toute

la ville

doit

en courant au milieu

mouton

de cette foule hurlant

et frappant. Si le

remue encore quand

arrive à la mosquée, c’est

il

signe que la récolte sera bonne et on pousse des cris

de joie

si,

;

au contraire,

le

mouton

arrive

tout à fait mort, l’année sera mauvaise.

Parfois

l’homme qui porte

lui-même avant d’avoir

homme

alors ramasse le

tour. Je crois a

le

mouton meurt

atteint le but

mouton

que l’année sera bonne

remué encore une

patte

;

un autre

et court à ;

quand on

le

son

mouton

l’a

déposé

sur le seuil de la mosquée.

Dans

la

journée, fantasia, etc., etc. Demain

refantasia... le

A

notre retour, en juin, nous aurons

Haissah Mali, autre grande

fête..

A SON PÈRE.

Cordoue, 5 avril 1870. ...

Nous avons

quitté

nous sommes arrivés

à

Tanger

le

30 mars

et

Guadix après une bonne

traversée...

Nous avons reçu avant de photographie, couleurs, le

etc.

temps de regarder tout

partir les caisses de ;

mais je

cela à

mon

n’ai pas

eu

aise, car

il

30

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

350

s’occuper des bagages et des comptes

fallait

gler.

Un maître de maison

quand

part pour

il

un voyage de deux mois

faut régler le passé et songer la

à ré-

a toujours fort à faire ;

il

au futur, pour que

maison ne chôme pas jusqu’au retour.

Deux jours avant notre départ, nous avons cédéà l’évasion de notre car,

nous partis,

ger. Toute

elle

ne pouvait pas rester à Tan-

de ses jours

et à

cent, cent cinquante ou

ton, à

moins

racheter

pacha

maison

à la prison

pour

quelques dégelées de

deux cents coups de bâ-

qu’elle n’ait assez d'argent

et le

:

la

dès qu’on le peut, par

saisie,

du pacha, condamnée

les soldats

pro-

Haïscha-Tchama,

Mauresque qui a vécu dans

d’un chrétien est

le reste

petite

pour se

est parfois bien exigeant.

Or, dernièrement, Hai'scha était allée au bain

enveloppée dans son haïck et

la

figure cachée.

Malgré cela, des indiscrets l’avaient vendue

et

quatre soldats étaient à sa poursuite. L’un d’eux

par son haïck. Elle parvint

l'atteignit et la saisit

haïck entre ses

à s’échapper en laissant son

mains

et se jeta

gagna

la terrasse. Sautant ainsi

terrasse,

dans une maison juive dont

comme un chat,

elle est

elle

de terrasse en

venue nous

re-

trouver.

Chez nous départ,

la

elle était

première

en sûreté mais après notre

fois

;

qu’elle eût

mis

le nez

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

35)

dehors, elle eût été pincée. Nous avons donc

em-

ployé tous les subterfuges possibles pour tromper la

police marocai ne et la faire partir pour Tétouan,

où personne ne

la connaissait

et

elle n’avait

plus rien à craindre. Après avoir cousu son argent

dans sa ceinture, de vêtements,

elle

et, à

changea de babouches

huit heures

arriero juif (porteur de blé), et

et

du matin, avec un accompagnée de

son beau-frère, armé jusqu’aux dents, qui suivait par derrière pour surveiller,

elle se

mit en route

sur une mule. Nous passions à cheval sur

min de Tétouan, comme par hasard,

le che-

nous

et

avons recueilli son dernier regard d’adieu

et

son

dernier geste d’affection.

La pauvre

ne trouvera pas là-bas

petite

l’exis-

tence quelle avait chez nous. Mais tout vaut mieux

pour elle que

une

lettre

pourra

la

la tirer

Voilà

prison perpétuelle. On lui adonné

pour un Maure bon enfant

et aisé qui

d’embarras.

comment

se termine le premier acte

de

notre séjour à Tanger. Nous ne prendrons pro-

bablement plus de

petites

Mauresques

à

demeure

chez nous, parce que cela peut leur faire payer trop cher

que

je

le plaisir

de notre compagnie, çt parce

ne voudrais pas avoir sur

les quatre cents

la

conscience

coups de bâton qui pourraient

résulter de celle petite fantaisie.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

552

Mon

cheval est au vert et ne

sou jusqu’à

mon

retour.

me

Prim

coûte plus un

et Nini continue-

ront à s’aimer tendrement sous les regards protecteurs et maternels de notre cuisinière Nana,

qui occupera

la

maison en notre absence,

maintiendra en bon

et la

état.

A SON PÈRE. Séville,

...

J’ai

Nous sommes

13

avril 1870.

depuis

le

10 avril.

reçu une lettre de M. Hébert, qui est char-

mant pour moi et

à Séville

et

m’autorise à rester en Espagne

au Maroc tant que

je voudrai.

Aujourd’hui, mercredi saint,

il

y a une cérémo-

nie très-intéressante, à laquelle je ne veux pas

manquer, aussi ne

t’enverrai-je

que quelques

mots. 11

y a

ici

Ce Murillo, qui

des Murillo qui m’ont passionné.

me

m’a enthousiasmé

laissait

complètement

froid,

à Séville, et maintenant j’affir-

merai que tout ce que nous avons à Paris n’est pas de la

lui,

ou qu’alors

quand

il

il

a voulu se

moquer de

produisant de pareilles œuvres,

peinture, en

capable de faire aussi puissant,

était

aussi vigoureux, fort et voulu, ferme et solide

que ce

ou

qu’il a

au musée de Séville

et

dans deux

trois églises. Il

nous sera

difficile

de travailler cette semaine


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. à l’Alcazar, à cause des fêtes

et

355

des visiteurs

qu’elles ont amenés. Mais bientôt, après Pâques,

nous nous y mettrons carrément

À

cette époque, les artistes organisèrent

à Paris une vente en

Lamothe

,

veuve du

faveur de

peintre

Régnault avait travaillé,

madame

chez lequel

comme nous l’avons

vu. Celui-ci ne voulut pas

manquer de payer

sa dette de reconnaissance, et de Séville

écrivait

il

:

A SON PÈRE.

Séville, 17 avril 1870. ...

Je n’ai pas la moindre aquarelle à envoyer et

je n’ai pas le

suis de

temps d’en

mes études à

faire ici,

occupé que je

l’Alcazar.

Comme je dois être un des premiers madame Lamothe dans son malheur, qu’il y avait

un moyen de

écrit de Paris,

il

à secourir j'ai

le faire. B...

pensé

m’avait

y a deux ou trois mois, pour

me

demander de lui céder l’élude de chevreuil mort que j’ai faite autrefois et qu'il avait vue à Sèvres. Je lui avais répondu que je n’avais pas l’intention

de

la

vendre. Mais maintenant qu’il s’agit d’un

devoir de reconnaissance à remplir, je suis tout

disposé à revenir sur ce que j’ai

dit.

Je peux donc 30 .


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

354

moyennant mille

très-bien céder cette étude, francs que tu remettras à

madame Lamothe

A SON PÈRE. Séville,

23

avril

1870.

Ce n’est malheureusement pas encore au-

....

jourd’hui que je peux t’écrire une longue lettre.

Nous quittons Séville après-demain 25, avec

l’in-

tention d’y revenir plus tard, parce que nous n’y

avons pas y

fait

encore ce que nous avons inlérêtà

L’Alcazar vaut

faire.

moment où

un voyage

spécial, à

Séville sera plus calme,

moins d’étrangers, de

fêtes,

il

un

y aura

de dérangements

de toute sorte.

Nous sommes pressés de retourner pour y

finir les

à

Grenade

études commencées. J’y ferai les

observations que tu inedemandes sur les faïences et je t’enverrai

des échantillons

si

je puis. Je

m’occuperai de cela autant que mes autres études

me

le

permettront

A SON PÈRE.

Grenade, 23

Nous sommes arrivés

à

avril 1870.

Grenade avant-hier soir

26. Par malheur, le beau temps qui nous avait

pendant tout notre voyage nous a aban-

suivis

donnés tomber.

;

depuis deux jours Il

y a

la

pluie ne cesse de

beaucoup de neige encore sur

la

Sierra Nevada, et aux premières chaleurs, les


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

nuages se forment sur

la

montagne

et

555

crèvent

avant de partir pour d’autres pays. Si cela

dure nous quitterons Grenade pendant

une quinzaine de jours pour gagner Cullar de Baya, à vingt-cinq ou trente lieues de Grenade, plus bas dans les plaines, et où

il

y a les plus

beaux paysages que l’on puisse rêver. Nous serons

le

beau temps se consolider

lais-

Grenade, et

à

nous rapporterons, j’espère, des éludes intéressantes qui

me

paysage pour

permettront de faire un grand

le

salon prochain.

Mon intention, en

mon

effet, est

de concentrer sur

dernier Envoi tous mes efforts de peintre

d’histoire, et

d’envoyer à l’exposition un grand

paysage avec une ou deux figures assez impôrtantes,

mais laissant jouer

le rôle principal

au

paysage. Et où trouverai-je plus beau que ces déserts inconnus, situés à l’est de Grenade,

montagnes, formes ple et

les ravins, les terrains

les plus

un que

fermes

je n’ai

et belles,

vu que

prennent

avec

les les

un ton sim-

là.

On ne pourra me reprocher de me répéter dans et de me spécialiser. En môme temps

mes tableaux

je serai à l’abri des distractions trop longues, et je

pourrai consacrer tout à

mon

mon automne et mon hiver

Envoi

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

556

A SON rÈRE.

Guadix, 8 mai 1870.

Nous avons quilté Grenade

le

neuf heures à cheval sous la

neige

et

le

nous

vent,

5 mai, et après

la grêle, la

sommes

pluie,

arrivés

à

Guadix, de l'autre côté delà sierra Nevada. C’est plus beau que jamais pays n’a pu être

sommes mis de à faire

c’est trop

;

De tous

nous nous

:

suite à l’ouvrage. Mais

beau

il

y a trop

!

les côtés c’est

beau

à Tanger, tu pourras voir

;

quand

tu viendras

mes croquis

et

études

peintes

Dominé par

cette profonde émotion, Ré-

gnault dessine une suite de paysages d’un

grand et

effet,

dont

la

facture étopne et frappe,

qui sont tous remarquables de puissance,

de style

et

de vérité. Sous son crayon les

horizons s’éloignent, les plans s’établissent

nettement, les terrains se modèlent fermes et

vigoureux, les ciels eux-mêmes prennent

vie et semblent s’agiter.

Decamps

seul

pourrait

Régnault. Commelui,

il a le

ici

sionner avec de belles lignes dessin

manque de

lutter

avec

talent d’impres;

mais son

cette précision qui carac-


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

557

térise celui de Régnault et qui dénote en lui

un

artiste tout à fait supérieur.

Laissons-le pour

un temps,

à ses études,

reportons-nous à Paris où l’Exposition

et

vient de s’ouvrir.

Qui de nous n’a présente à l’esprit l’impression extraordinaire produite par cette

Salomé au type

inqualifiable, à la chevelure

inculte et luxuriante, au regard sensuel, au

sourire demi-sauvage, au costume éblouissant

?

Tous nous avons ressenti à

sa

vue ce

sentiment inexprimable que produit une création neuve.

a

Il

d’appréciation sur le les

uns

l’ont

pu

y avoir diversité

charme de cette figure;

aimée sans

restriction, les au-

leurs réserves; mais nul n’a

tres ont fait

nié le talent original et audacieux qui a pu

produire un

si

merveilleux résultat.

La composition est presque nulle,

c’est

purement une œuvre d’exécution. Non pas que l’expression le sourire

yeux

et la

fasse défaut,

« férocité caressante

C’est

une

de Salomé laissent deviner que

sorte

les

est le fond de sa nature.

de panthère

noire,

apprivoi-


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

358

mais toujours

sée,

sauvage

et

Mais n’allons pas au delà de l’artiste.

Ce qu’il a cherché,

la

cruelle.

pensée de

c’est plus

un

type d’une étrangeté toute nouvelle qu’une

personnification absolue. Salomé,

écrivait-il, n'est

bizarre, je voudrais

pas

un nom

assez

un nom que personne ne

pût prononcer.

Et

le livret

eût désigné ce tableau sous

tout autre titre, qu’il lui eût laissé toutes ses qualités.

Le succès

en

fut

immense,

et toute la presse

retentit.

Je citerai encore ici M. Th. Gautier, qui reste fidèle

à

son admiration presque fa-

natique pour Régnault. «

L’événement du salon est

gnault.

Ne vous

est-il

la

Salomé de M. Ré,

pas arrivé,

l’été,

dans une chambre dont on a abaissé fermé

les

les

d’entrer stores,

persiennes pour que l’obscurité y amenât Tout est baigné d’une ombre dormante,

la fraîcheur ?

les

sent.

formes

s’effacent,

les

Cependant un rayon de

glisser par

une fente,

et

couleurs s’assoupis-

soleil est

parvenu à se

darde son jet aigu sur un

Di

dby


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

que,

le tableau

étincelle,

il

prend une

resplendit,

559

A ce contact magi-

tableau suspendu à la muraille.

de vie étrange,

intensité

il

se fond avec la lumière, et

il

donne presque des éblouissements. Dans la salle où elle est exposée, la Salomé de M. Régnault produit cet effet. Seulement, quand le rayon s’en va, le tableau

dont

ordinaire;

nous

reprend son

parlions

s’éteint

il

et

aspect

ne se distingue plus des

autres peintures, tandis que l’œuvre du jeune artiste

conserve toujours son éclat. Sa

née d’un

y

toile n’est

reflet fugitif; elle s’éclaire

a longtemps qu’une

produite au Salon, et

œuvre de si l’on

demande

ce que pourra faire

du général Prim, Judith

et

on se

villa Médicis,

un

Dame

sera maître à son tour. La

tel

élève lorsqu’il

en rouge,

Holopherne

portrait

le

et la

Salomé

répondent que, dès aujourd’hui, M. Régnault l’individualité

génération

la

remarquable

plus

d’artistes;

le

modernes semble devoir est

emparé

«

Il

songe que M. Régnault

encore pensionnaire de la

est

pas illumi-

d’elle-même.

cette valeurne s’était

de

la

premier rang parmi

lui appartenir, s’il

est

jeune les

ne s’en

déjà.

Ce qui nous plaît dans M. Régnault, c’est une

originalité profonde

— naturelle

et

voulue

nous

Aux époques de civilisation extrême comme la nôtre, le don inconscient n’est plus possible. Chaque artiste recèle en lui un

insistons sur ce dernier point.

critique;

sait

il

caractéristique;

avec

un

il

trouver sa faculté dominante ou la

dégage,

la cultive, la

développe

soin particulier. C’est dans ce sens-là qu’il

s’affirmera désormais route, plus

il

:

plus

se débarrassera

il

avancera dans sa

du bagage

inutile,

ne

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

300

gardant que ce qui est véritablement à

de

la

volonté sur l’instinct n’a lieu,

lui.

Ce travail

bien entendu,

que chez les natures supérieures, qui se rendent compte d’elles-mêmes, et M. Régnault est évidemment une de ces natures. Doué d’un merveilleux tempérament de peintre, il ne cherche pas à bien

en mâter

les énergies

bile

pour

les réduire à

des allures

monte comme un cavalier haun cheval fougueux, sûr que, malgré les hennis-

régulières, mais

sements,

il

le

les ruades, les sauts des

galops à plein vol de sa monture,

quatre pieds et les

il

ne sera pas désar-

çonné. La science de l’écuyer répond

de

tout, et

il

n’échangera pas cet intraitable pur-sang contre un

hack paisible. « Il

n’y a pas,

heureusement, chez M. Régnault, ce

que les philosophes et les critiques appellent « une pensée » il n’a que des idées de peintre, et non des :

idées de littérateur, chose bien différente. Le sujetau

point de vue dramatique, historique, anecdotique, le

préoccupe extrêmement peu, attirer l’intérêt par des tes.

et

il

ne cherche pas à

mises en scène attendrissan-

Ses effets sont des effets de peinture, des con-

trastes et des combinaisons

de couleur,

des jeux

d’ombre et de lumière, des surprises et des ravissements des yeux; il vous donne ces sensations, ces voluptés et ces joies qui sont et

du pur domaine de

la

vue

qu’aucun autre art nepeutfaire naître. Nousavouons

humblement, dussions-nous être méprisé par les faiseurs d'esthétique, que nous aimons assez la peinture qui n’a d’autre but que la peinture. «

Un

poète de nos amis

fit

autrefois

une pièce de

vers intitulée Symphonie en blanc majeur, où chaque :

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

une comparaison ou une image blanche. On strophe ramenait

M. Régnault, en

301

idée,

une

dirait

que

obligatoirement

composant son tableau de Salomé,

une intention de, ce genre. La seule différence, adopté pour dominante

qu’il a

draperie de

remplit s’agit

le

de

satin

fond de

le

bouton d’or de la toile.

développer

et

Voilà

de

le

a

c'est

note jaune. Une

la

l’éclat le plus

le

thème posé;

vif il

varier sans manquer à

l’harmonie, et jamais coloriste ne s’en est choisi

un

plus difficile. «

Saloinè

d’après

le

vient

d’achever sa

danse lascive,

et

conseil d’Ilérodiade, sa mère, elle réclame

pour récompense la tête de saint Jean Baptiste. Le

blâmé l’union inceslueused’Hérode-Anlipas femme ne pardonne n’y a d’autre figure dans la toile que celle de d’Ilérodiade. Elle est assise sur un de ces ta-

saint avait et

de sa belle-sœur, et rancune de

pas.

Il

la fille

bourets incrustés qui servent, en Orient, à poser les

donné une physionomie d’un

plateaux. L’artiste lui a

caractère étrange, qui

que

et

encore moins

pagne on

muy

la

rappelle pas le type hébraï-

Eu Es-

régularité grecqui*.

peindrait d’un

mot en disant

qu’elle est

gitana, ce qui signifie douée d’une grâce bizarre

et sauvage,

tion

11e

la

d’un attrait dangereux et d’une fascina-

diaboliquement

pointe de laideur, car

irrésistible, la

d’un noir d’enfer, crépu, enterre

le.

même

beauté correcte

nécessaire à ces charmeuses.

Une

forêt

d’un ébouriffement visage de Salomé

et

avec une n’est pas

de cheveux rebelle

et

retombe en

boucles torses jusque sur ses épaules. Cette note noire,

violemment plaquée au centre du tableau, maintient et domine toute la gamme des jaunes, et l’artiste l’a •

51


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

562

appuyée avec beaucoup d’adresse par

baguettes

les

d’ébène du cadre. y a dans celte chevelure excessive quelque chose de farouche, de barbdre et de bestial, qui con«

Il

traste avec les traits délicats et

masque

presque enfantins du

coloré, sous sa pâleur d’ambre, d’un

nuage rose. La bouche a

léger

un peu un pas ra-

sourire vague et

le

haletant de la danseuse, qui s’arrête après

pide. Les yeux, d’une volupté cruelle et tranquille,

regardent devant eux et semblent attendre un signe d’acquiescement. Salomé tient sur ses genoux un grand bassin en cuivre repoussé, où est posé un kandjar à

manche

d’ivoire, à fourreau

de velours rouge, avec

des ciselures d’argent et des cordons de soie noire

agrémentés d’or. Ce bassin, où doit tomber une est

pour

elle

cueille les

comme

le

tête,

tambour de basque qui

monnaies après

la

re-

danse, et jamais l’insou-

humaine

mieux peinte que dans cette jeune fille, dont une main joue nvcc le manche du kandjar, tandis que l’autre s’appuie ciance orientale pour la vie

n’a été

à la hanche. «

Le costume de Salomé

que, aucun pays

peut l’arranger

:

le

il

est

11e

rappelle aucune épo-

de fantaisie pure et

tel

que

caprice d’une danseuse, qui veut

plaire et faire tourner la tête à son public.

Une

tuni-

que jaune de Naples s’agrafe à l’épaule droite par un médaillon d’argentet d'ivoire, laissant

la

poitrinenue

jusqu’à la naissance des seins. Un bracelet

d’émail

une vipère aux veux de rubis, cercle le bras, délicat et rond, mais un peu grêle de contour encore, comme il convient à une très-jeune

vert, représentant

fille

Sur l’autre épaule

est jetée

une écharpe d’un

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

365

rose tendre, dont la nuance se confond presque avec celle

de

la chair.

noue autour des taire avec le

Une ceinture reins,

noir des cheveux d’or de

la

le

violette à larges plis, se

formant l'accord complémen-

jaune paille de

la tunique,

comme

le

formait avec le jaune bouton

draperie servant de fond. Une jupe de gaze

d’or, égratignée de pétillements lumineux,

un bur-

nous blanc bordé d’or et rejeté en arrière, complètent cette

toilette

folle

de courtisane

et

de dauseuse. La

jupe d’or est ourlée d’un léger liséré rose, fils

et

quelques

d'un vert prasin se glissent dans sa trame pour

rompre

le

ton avec le

fin

sentiment d’harmonie des

é'offes orientales. «

Ce liséré rose

charpe

et sert

est,

en outre, un rappel de

l’é-

de soutien aux notes rosées des joues.

Les babouches, violettes, doublées de rouge, dansent au bout de ses pieds nerveux et cambrés, l’une d’elles

presque échappée, l’orteil

et l’autre

qui se rebrousse.

dessinés

retenue seulement par

Ces pieds,

délicieusement

d’une naïveté de pose charmante, portent

et

sur une peau de tigre, continuant l’accord contrasté

d’orange

et

de noir, et recouvrant à demi un tapis

turc bariolé de jaune et

de bleu, de vert

et d’o-

la gamme. Vous voyez que le mené d'un bout à l’autre, sans ou-

range pour maintenir jeune

artiste a

blier son

majeur,

thème un

et

il

en

instant, sa

est résulté

symphonie en jaune

un tableau de

l’aspect le

plus éclatant et le plus harmonieux, malgré des rap-

prochements de tons qu’on

n’est pas habitué à voir

ensemble. «

bien, dans

l’art,

ne rappelle cette manière d’une

nouveauté paradoxale, d’une originalité absolue

et


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

56 i

d’une outrance qui no semble

charme; science

pouvoir être

pas

Chose rare, cette étrangeté

dépassée.

elle

étonne,

mais

est pleine

choque

ne

de

Une une

pas.

réelle justifie ces audaces, servie par

exécution merveilleuse. M. Régnault est un coloriste

de premier ordre, ce qui ne l’empêche pas de bien dessiner.

Il

non-seulement

voit,

fin, exquis,

ton rare,

qu’aux privilégiés, il

et

le ton juste,

brandt, ni à Velasquez, ni à Delacroix appartient

;

il

la

ne ressemble

:

Rem-

sa palette lui

charge de couleurs spéciales, qu’on

ne connaissait pas avant effets

Il

Véronèse, ni à Rubens, ni à

ni à Titien, ni à

le

du contraste de deux nuances

des éblouissements.

sait faire jaillir

mais

ne se révèle

qui

inattendu,

et

lui,

il

en obtient des

qu’on n’aurait pas cru possibles,

si

on ne

les

voyait réalisés avec une aisance prodigieuse. «

Ce qui nous frappe dans cette peinture,

qu’elle

essentiellement

est

ne s’attache

pas

choses actuelles

à

Gavarni, pour qui existé. Elle

la

moderne,

reproduction

moderne comme

:

l'antiquité

quoiqu’elle

exacte

Balzac,

des

comme

semble ne pas avoir

procède d’un esprit affranchi de

tion, et se joue librement

c’est

dans

la

tradi-

milieu qui l’envi-

le

ronne. Avec son air fantasque et romanesque, l’artiste arrive à la vérité

de Prim,

comme

c’est toute

en se jquant. Le portrait

l’Espagne

;

Salomè,

c’est tout

l'Orient. »

A

côté de ces louanges

si

chaleureuses,

écoulons les blâmes que certains critiques

mêlent

à

leurs éloges. M.

Paul

de Saint-

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.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. Victor, entre autres,

3G5

reste froid pour Ré-

gnault. Le succès prodigieux, étourdissant

de

la

Salomé semble

lui déplaire

:

se tient

il

en garde contre un enthousiasme auquel

ne veut pas céder,

il

cherche des défauts,

veut en trouver. Déjà nous l’avons vu

quer

à la

Judith

;

Salomé,

à

il il

s’atta-

son tour, va subir

sa sévère appréciation <t

Allons tout droit à la

yeux

comme

Salomé de M. Régnault;

les

lampe c’est Son titre le tableau le plus voyant de l'Exposition. est un sobriquet de pure fantaisie: ce baptême de y

courent

les papillons à la

:

sang n’est qu’un ragoût de plus à celte figure épicée.

— Cette belle assise sur

un

fille

au

colfret

rire lascif,

ciselé,

n’est

aux yeux fous, qui,

de nacre, lient sur ses genoux,

dans un bassin de cuivre,

le

manche d'un yatagan

qu’une aimée mauresque rapportée de

quelque bazar oriental. Elle se détache en

clair sur

un immense rideau jaune, comme sur une toile d’apothéose. C’est un vrai tour de magie blanche obtenu par un visible artifice. Pour faire ressortir cette tête

lumineuse sur un fond radieux,

l’artiste l’a

paquetée dans une toison de négresse. Mais

le

em-

relief

s’arrête au buste qui, privé de ce repoussoir, parait

mince

et vide

en comparaison. Tout est caprice, d'ail-

leurs, vision et prestige, dans la

Salomé deM. Régnault.

Scs chairs lactées et diaphanes ne sont pas celles de ses cheveux d’encre et de son type barbaresque. dirait

On

une gitana déguisée sous une peau d’Anglaise. 31


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

ÔÜG

— L'exécution est d'une verve

rare. L’intelligence peut

protester contre cette peinture d'effet à outrance; mais les

yeux sont

pris. Quelle fleur

de tons,

que de

fins

passages dans ces carnations transparentes La cein!

ture violette qui serre la danseuse, lecimeterrequ’elle tient, le bracelet qui

enroule à son bras ses

nœuds de

serpent, sont des bijoux de couleur. Et la jupe de gaze

rayée d’or qui voile ses jambes nues!... on entend

son tissu féerique.

craquer

et bruire

mais

faut aussi redouter

il

ceau dans un

si

jeune

une

Il

faut admirer,

rouerie de pin-

telle

homme. Dès son premier début

que nous avons salué avec enthousiasme, M. Régnault promettait d’être le grand peintre de

la

générationqui

se lève. Qu’il prenne garde de n’en devenir lant et fantastique il

ce talent

si

que le bril-

amuseur. Pour respecter son art,

ne faut pas trop jouer avec lui.

Il

serait fâcheux que

précoce se corrompit, avant de mûrir,

dans les excès de l’exécution.

un

Régnault,

brillant

amuseur 1 Comment M. à

s’cffraie-t-il

ser

une étude

dans

le cliQix

ce point

et

fantastique

P. de Saint-Victor

de

le

voir expo-

saisissante et bizarre

?

Rien

de ce sujet n’indiquait que

Régnault fût incapable d’une vaste position historique

:

l’effet

com-

produit au pré-

cédent Salon par le portrait du général Prim, cette

œuvre

donc déjà

si

émue,

effacé

si

bien sentie,

était-il

*1

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

Soyons juste, et donnons à

la

307

Salomé toute

l'admiration qu’elle mérite, sans lui deman-

der plus ou autre chose que ce que

l’artiste

a voulu exprimer.

Régnault eut une médaille pour cette

œuvre. À coup sûr,

si la

médaille d’honneur

eût été décernée au tableau naire, le plus

obtenue. n’était

Mais

pas

nous

,

plus extraordi-

le

du Salon,

original

il

une* composition,

n’ayant aucun doute sur

et

l’eût

Salomé

le répétons,

jury,

le

avenir

le brillant

réservé à Régnault, accorda, non sans avoir hésité, cette

récompense exceptionnelle à un

tableau plus sage, mais qui

son importance et par

la

méritait par

l’effort qu’il

déno-

tait.

Avant de suivre devant à

la

la

foule qui se pressait

Salomé nous avons laissé Régnault ,

Guadix travaillant avec ardeur, d’après

natufe, et dessinant une foule d’études en

vue de son tableau futur. La pensée de ce dernier Envoi ne tait

pas;

il

composition,

le quit-

en rêvait l’arrangement il

et la

mûrissait peu à peu ce vaste

projet dans son imagination.

Un

jour,

il

en

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

368

eut

comme une

vision:

modifia aussitôt

il

tous ses projets, et subitement repartit pour

Tanger. A

11.

CAZALIS.

Grenade, 22 mai 1870.

Je prends encore et rosée

connu

dans

un bain de lumière dorée

divine Alhambra.

la

ne sera peut-être pas plus que dans

ou un

Quand on

a

celle féerie délicieuse on y retourne et ce

palais

mon

dernière fois. D'autant

la

prochain tableau, T Alhambra,

du même genre,

un

doit jouer

rôle

important. Je voudrais au moins, avant de mourir, avoir créé une œuvre importante et sérieuse, que je

rêve en ce

moment, et où

je lutterais avec toutes

les dilficultés qui m’excitent. Quelle

être l’issue de celte bataille, à

la

me

Tanger, lu

immense, où

je

que puisse

quand tu viendras

trouveras en face d'une toile

veux peindre tout

le

domination arabe en Espagne, et

caractère de les puissants

Maures d’autrefois, ceux qui avaient encore à leur tête le vrai sang

de Mahomet à

la

troi-

sième, quatrième, cinquième et sixième génétion...

J’espère bien rencontrer dans les histoires des

Maures un

fait

historique ou

un nom qui

se rap-

portera à ce que je veux faire et contentera tout

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

monde. Je commencerai toujours,

le

trouve 5 baptiser

mon

mieux

quitte, tant

ÔG9 et si je

me

tableau, avant qu’il

sinon j’invente et je renvoie

;

au chapitre 59,999 d’une histoire

les critiques

arabe indiscutée, mais détruite dans l’incendie

ou

sac d’une

le

ville.

Les deux immenses portes bleu

et

or de la Salle

des ambassadeurs viennent de s’ouvrir sur une galerie dont les gradins sont baignés fleuve

mon

ou un

palais

lac,

;

sur

les

par un

bords duquel est bâti

je détourne la critique

en ne

faisant ni l’Alhambra, ni l’Alcazar de Séville;

mais un palais qui

n’est pas

entouré d’eau n’est

pas un palais pour moi...

Le roi maure parait entre ces deux immenses battants de porte, armé, et recouvert de ses plus •

fins tissus, il

le

sur un cheval richement caparaçonné

est impassible, et

sphinx

regarde on ne

d’Égypte

comme un

ou

élu enfin,

une

sait

idole

où,

un descendant du

phète,

un

plutôt

aux pieds de son cheval,

A

être adoré, encensé.

;

comme

indienne, pro-

ses pieds,

ou

un héros,

le

général en chef de ses armées, est humblement

prosterné rir à

et

dépose son épée.

l’offre à Celui

et à

11

vient de conqué-

son maître une province ou une

ville, et

qu’on ne regarde qu’on tremblant

genoux.

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.

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

370

Les inscriplions de l’Alhambra sont pleines

de lilanies ou les salles; litres les

Sur

les

nom du

roi

qui en a

fait

construire

lumière du monde, sont les

soleil,

plus modestes qui

lui sont

adressés.

marches de marbre blanc, où sont jetés

de somptueux tapis, sont échelonnés des guerriers (les plus les

beaux des

officiers), qui

drapeaux pris à l’ennemi,

tienne, celle

du général ou du

et

roi chrétien

barques sont attachées aux marches descendent

le

général

rapportent

une épée chré-

:

;

deux

de l’une

sa suite; dans l’autre,

et

de beaux nègres gardent un groupe de femmes captives, les plus belles chrétiennes de la

pro-

vince conquise; elles seront présentées au roi

drapeaux

offertes après les

;

celles

sur qui

et

son

regard daignera descendre seront conduites au

harem. A

la

proue d’une des barques, une

coupée sera clouée,

la tête

tête

Tout

est or, étoffes merveilleuses, tout est élé-

gant

et

précieux

ries, chairs

:

architecture, armes, pierre-

de femme,

et

au milieu

:

le

despo-

tisme, l'indifférence, l’insouciancemahométans.

Le

roi

regarde à peine le général vainqueur

les portes

une

idole

de son tabernacle s’écartent,

enfermée

est là, objet

*

d’un chef chrétien.

et

dont

le

et,

.

:

comme

temple s’ouvre,

il

d’adoration...

Puis les portes se refermeront,

il

se couchera

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

de nouveau sur des coussins

:

571

une lionne appri-

voisée léchera ses pieds; ses deux esclaves favo-

allumeront des parfums,

rites

§aura plus

môme

s’il

a

provinces de plus...

et, le soir,

il

ne

reçu en présent quelques Il

aura quelques chairs

nouvelles près de la sienne, voilà tout...

Le mépris pour

indiquer aussi

les chrétiens à

:

on ne rapporte pour tout butin qu’une épée, des loques, des drapeaux

et

des femmes. Mais pas

de cassettes ni de richesses chrétiennes

bon?

ils

Leur

;

à quoi

n’ont nul besoin de l'or des chiens.

civilisation est

rendue par l’élégance

tistique de tout ce qui les entoure

;

ils

ont

ar-

même

(j’en ai vu à

YArmeria de Madrid) des armures

plus belles

plus élégantes que celles des chré-

cl

tiens d’alors, et toutes recouvertes d’étoffes précieuses.

La

cruauté

comme un

:

une

trophée à

tête la

coupée est clouée

barque

;

mais

les tôles

des guerriers obscurs ont été tranchées et clouées

aux murs

et

aux portes de

femmes seront demi-nues, tues

par

il

:

faut

l’éclat

que

les

la

ville

elles se

prise. Les

sont débat-

yeux du maître soient

des chairs blanches

et

attirés

jeunes, etc....

Mais je suis fou de t'écrire un tableau, tu

le

verras. Il

faut enfin que ce soit

une œuvre; puis

je

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

372

mon

pourrai reprendre etSiva

!

Mais avant

il

sac et aller adorer Brahma

faut que j’aie créé

une chose

importante. ...N’oublie pas l’Inde faut revenir

c’est

:

de

là qu’il

nous

hommes... Jusqu’à présent je

n'ai

appris qu’à marcher, à manger... Sois prêt pour

automne 1871. Partons jeunes pour

1

pour pouvoir nous assimiler supporter

l’éclat

cire

émus,

et boire le soleil,

des marbres, des étoffes, et re-

venons jeunes pour créer avec force.

..

A SON PÈRE.

Grenade, 23 mai 4870.

demain de Grenade

Je pars

Tanger. Je

me

et je

suis décidé pour le sujet

regagne

de

mon

dernier Envoi qui, malheureusement, prendra des proportions plus importantes voulu. Mais

roule par fais

il

n’y a pas à dire

la tête

que je n’aurais :

le

tableau

me

depuis quinze jours. Si je ne le

pas maintenant, je ne

le ferai

peut-être ja-

mais, parce que j’aurai vu d’autres choses qui

me

feront oublier celle-là. Aussi, dès aujour-

d'hui, je ferme les yeux devant tout ce qui se

présente devant moi, et je cours m’ enfermer à

Tanger.

Pour

le sujet

de

pas à l’écrire deux

que

mon fois,

tableau, afin que je n’aie

demande à Càzalis

la lettre

je lui ai envoyée. Je lui ai écrit hier soir, tout

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CORRESPONDANCE DE

mon

plein de

mois

1IENRI

REGNAULT.

373

sujet; j’y rêve depuis plusieurs

et je suis

bien fixé depuis quinze jours

seulement. J’ai

peut

mon

raconté

le faire

d’œuvre

;

avec

mais

futur tableau autant qu’on

la

plume. C’est une diablesse

comme mon *

je

le

Luxembourg,

veux y être noblement représenté. J’ai laissé des études inachevées à Grenade;

mais je

de

dernier Envoi doit

pour

être acheté par le ministère

la

faut

n’ai pas

rage de

que

de temps

mon

à perdre. Je suis

tableau,

faut

il

pris-

que je parle,

il

commence

je

A SON PÈRE.

Tanger, 5 juin 1870.

Je suis propriétaire!

Tanger

J’ai

et j’y fuis construire

acheté un terrain à

un immense

atelier

pour y exécuter

mon grand

cet atelier sera

terminé dans deux mois, grâce

tableau. Je pense que

aux troupes d’ouvriers Maures que suis pressé et je cogne.

Quand travail, je

petit

l’atelier sera

On

fait les

pour y vivre

ville africaine,

il

que

le

construire

y avoir

et

bitation d’été, car le climat de

points plus agréable

emploie. Je

terminé, que je serai au

continuerai à faire

palais

j’y

fondations.

Tanger

mon est

nôtre, et,

qui est

ha-

en tous

*

comme

est impossible d’en trouver

plus près de l'Europe, ce

mon

une

un grand 52

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

374

point pour y travailler. En deux heures on est à Gibrallar où l’on trouve à peu près lout ce dont

on a besoin. dans

Je pourrai, trois

la suite,

venir passer deux ou

mois à Paris, puis je retournerai à

ma maison

de campagne des environs de Tanger où je trouliberté et la tranquillité nécessaires

verai la

çais et ces journées

à midi

et

il

faut

allumer

les

lampes

demi. Quelle belle lumière, quels beaux

bonshommes et de

au

plus à rager contre le ciel fran^

travail. Je n’aurai

ici,

au lieu de tous nos petits crevés

nos affreux bourgeois

maintenant

passer

!

Je ne pourrai plus

une saison de

six

mois

à

Paris! A SON PÈRE.

Tanger, 5 juin 1870*

Je ne sais faire

une

toile

si

je vais avoir le

temps de

intéressante pour le Salon pro-

chain car je vais

me

livrer tout entier a

mon

dernier Envoi. Il

être à

doit être

que

une œuvre

capitale;

la

seule peut-

je ferai jamais dans ces proportions-là,

moins que, pour un monument public on ne de grands tableaux ou de grandes

me commande décorations.

Il

s’agit

pour moi d’être représenté

au Luxembourg d’une façon remarquable. Or*

il

peux faire mainy a un tableau que je

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. tenant

et

mais dans de meilleures conditions La

mon

sujet.

tous les types, les caractères des têtes,

éléments de costumes, d’étoffes,

les

ja-

qu’ici.

de Cazalis t’aura indiqué

lettre

J’ai ici

la

373

pour l’exécution duquel je no serai

les gestes,

lumière surtout. Voisin de Grenade et de Sé-

ville j’y trouverai tous les détails d’arcliilcclurc

qui

me seront

J’ai

utiles.

des photographies innombrables

acheté

de tout ce qu’il y a de mauresque en Espagne, tant comme armures que comme monuments. J’ai

mes études de l’Alhambra

et

de Séville

:

mes

souvenirs, en outre, sont tout frais.

Plus tard, d’autres idées m’auront traversé

/

la

cervelle

et je

ne

serai plus

dans des conditions

aussi favorables...

un

Je viens d’acheter

terrain aux

portes de

Tanger, à deux pas du Socko (marché maure) hors de

la ville,

sur

la

roule de Fez.

de meilleur emplacement pour moi la ville,

et

:

du marché, passage de tous

Il

n’y a pas

voisinage de les

paysans

gens de l’intérieur, caravanes de chameaux,

tout ce qu’il y a de plus intéressant au là.

De

(la citadelle),

et

passe par

sain

;

il

y

a

dans

Maroc

plus, superbe vue sur la Cazba

sur

ma

le

détroit.

L’endroit

est

propriété deux citernes qui

ne tarissent jamais,

plus

quelques

figuiers

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

370

grenadiers...

cl

Je

me

de

maison

un superbe ni

de long sur 10 ,50

mètres

16

pas

et

construire

fais

voisine. atelier

de

de large, et

10 mètres de haut. Jour en plein nord, aucun rellct à

Une

craindre.

fois l’atelier construit, je

poursuis mes travaux tout en peignant,

un

fais bâtir

petit cottage

mon atelier,

de

et je

me

dans ma propriété à côté

avec écuries, parc pour les chiens,

cour pour les poules

et les

canards

me

;

voilà

fermier.

Plus tard, quand je reviendrai à Paris, au lieu d’y prendre

un grand

atelier qui

me

coûterait

4,000 francs de loyer, j’aurai un simple pied à

pour mes œuvres importantes

terre, et

j’irai

m’enfermer dans mes terres africaines où

je

jouirai d’une tranquillité parfaite, d’un bien-être

agréable à bon marché, sous

un climat

où l’on ne souffre jamais ni de froid, et

où jamais

Joignez

à

la

lumière ne

tous

cela

la

les

fait

défaut.

éléments possibles

pour exécuter de belles choses. belles formes, de

délicieux,

chaleur ni du

Toujours de

beaux tons, d’intéressants grou-

pes sous les yeux

!

On ne peut mettre

porte sans voir des tableaux tout

le

nez à sa

faits.

J’aime autant cela que vos révolutionnaires parisiens. les

Ici,

nous ne faisons pas de politique;

Maures se contentent du bâton que

le

Pacha

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. leur

fait

femmes

bestiaux, leurs

vent cela

et leur argent. Ils trou-

naturel que les révolutions ne vien-

si

diont pas nous troubler

ici

de

tôt.

si

encore quelques voyages à faire, plus

J’ai

tard,

ôl"

distribuer pendant qu’il leur vole leurs

quand

j’aurai apporté

mon

Paris. Entre

chacun d’eux,

deux ou

mois à Paris, puis

trois

Tanger. Voilà

ma

dernier Envoi à passer

je viendrai

je retournerai à

vie bien réglée.

Parlons, maintenant de choses horriblement sérieuses.

11

me

faut

une

toile

de

7

mètres 50 de

haut sur 5 mètres 50 de large. Compte six mètres

pour prévenir tous

possibles

et

n’élre

tringles de bois

agrandissements

les

pas obligé de rajouter des

ou des bouts de

Quand

toile.

pourrai-je avoir cela? Il

faut la

commander,

pas au prix,

il

faut

n’esl-ce pas?

que ce

soit

beau

Ne regarde

et

bon pour

peindre, et solide. Mais pas de gros grain, afin

que

je

ne sois pas obligé de dépenser 20,000

de couleurs pour bouclier

les trous

de

la

fr.

toile.

Qu’elle soit en coutil croisé, très-fort, très-serré et très-beau. Fais des bassesses

auprès des meil-

leurs fabricants pour obtenir cette dimension et

lâche que

la toile

mois.

Mon

parera

ma

puisse m’élrecnvoyécd

atelier sera fini alors

ici

deux

clLagraine pré-

toile. ‘

5 2.

Digitlzed

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,

"8

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

Tu joindras

à cel envoi

une

dans

pelile caisse

laquelle lu mcltras huit livres de plâtre de doreur

tout ce qu’il y a de plus blanc et de plus tin, et deux livres décollé de poisson blanche en feuilles

de

la

meilleure qualité. Qu’elle soit bien souple,

bien transparente et sans coloration. 11

me

leurs

faudra ensuite des cargaisons de cou-

mais je

;

t’en reparlerai plus tard

:

plus

le

pressé, c’est la toile.

Alors

en avant

,

échelles, et à l’assaut la

les !

grandes

S’ils

ne

brosses

les

,

me donnent

pas

médaille d’honneur pour cette campagne-là,

je ne sais pas ce qu’il leur faudra.

Je termine en ce la Sortie

grande

comme

pie, puis je

petit tableau

je fais

une étude,

nature, que je joindrai à

ma

co-

termine deux autres tableaux moyens,

commencés; avant

moment un

du pacha à Tanger;

alors la

grande

toile arrive et

en

!

A SOX

l'ÈRE.

Tanger, 27 juin 1870.

Tu

n’as pas bien compris peut-être

fonnage

primé

à Cazalis,

ma

babiller

mon

grif-

ou peut-être aurai-je mal ex-

pensée. Mais jamais je n’ai songé à

mes

captives de soie et d’étoffes d’or, ni

mes Maures de mousselines rares avec broderies exagérées. J’ai toujours pensé que les guerriers

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAELT.

comme armures,

devaient avoir, soit

soit

étoffes, des choses sévères et solides,

que

claves noirs devaient être presque nus, soleil et tout l’éclat

sur

la

personne de

soit.

les es-

que

le

imaginable devaient briller

mon

Quant au paysage, quoi que ce

5:9

comme

Souverain. n’en ferai

je

apparaître

La scène se passe dans une

cour intérieure du palais avec colonnades, galeries, etc.,

échappée sur une seconde cour où je

laisserai entrevoir la

Cour des

Les proportions de à

fait celles

que

pouvoir faire place vide de

je

ma

lions.

ne sont pas tout

toile

demande... mais

il

me

des changements. Souvent

deux doigts sur

un trou de deux mètres dans

faut

une

l’esquisse, devient le

tableau et recule

trop les personnages... Il

bleau

y en aura pour tous les goûts dans ce ta;

du sévère

clatant et

rieure;

du

et

du dramatique,

à côté

de

l’é-

riant aspect de l'architecture inté-

cor dans

les

palais

arabes

les

murs

extérieurs et les cours seules sont d’un aspect

sauvage, tout l’intérieur est riant

un

et ciselé

comme

bijou.

Sois c’est

sans inquiétude

simplement de

J’envoie avec

ma

la

,

on

ne dira pas que

décoration.

copie une ligure grandeur

nature qui ne sera peut-être pas assez

faite

parce

-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

»S0

que j'ai peu de temp^, mais comme

demande une tisferai

esquisse,

il

me

règlement

le

semble que

je sa-

amplement aux conditions posées.

A SON P EUE,

Tanger, 3 juillet 1870. .... J’ai

et je

oublié de

te

demander de

couleur

la

une pénurie désespérante quant

suis dans

certains tons. Le blanc , par exemple, dont

faudrait

il

à

me

une provision qui puisse durer long-

temps... Envoie-le en pot et non en tubes. Ce sera plus leur

commode

comme

à chercher

conservation...

.

de

ma

n’ai

pot de

»

15

«Je

et meil-

Un énorme

Envoie 20 livres de blanc au

blanc! et vile!

moins!...

pour moi,

que

grande

le

juillet 1870.

temps de t’annoncer

toile

:

je dis

grande

!

le

départ

elle est

pour-

tant relativement petite, 5 mètres de haut sur l‘",50 de large.

J’espère qu’elle te plaira,

m’accuser cette rateur. la

En

fois

bien

tout cas, ce n’est pas

décoration est le vrai but de

n’a pas été inventée

promener J’espère

les

qu’on

puisse

encore d’ôtre un peu déco-

une

la

insulte, car

peinture; elle

pour autre chose. Envoie

mécontents quand même.

que Montfortne me

fera plus lerepro-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. clic d’être

bien,

ma

si

mon

creux, dans

je suis creux encore celle fois-ci, je

démission

ment que

c’est

;

que

les aulrcs el

j’ai les

que

3Si

prochain Envoi, ou

yeux

fails

donne aulrc-

je n’y vois plus goulle.

Le malheur, c’cst que jamais je ne vois à une

Expositionceque et cela

je fais

au milieû de murs blancs,

m’empêche de me rendre compte de mes

défauts...

J'envoie par le prochain spahis

un tableau

M. Léon Freyssinet 1 , de Marseille,

M

c

et

un autre

à à

Àllou*, avocat à Paris.

Fai sur

le

chantier trois autres tableaux, dont

un assez grand (deux

fois

en surface

comme

la

Sulomé). J’aurai le temps de les terminer avant

que

grande

la

toile arrive et

que

l’atelier soit

prêt.

Tu

vois

A

M.

que

je

ne perds pas

*

Mon cher Il

15 juillet 1870.

Montforl,

y a bien longtemps que je m’en veux de ne

pas vous avoir encore ...

mon temps

MONTFORT.

écrit...

depuis un an!

Je vous remercie de vos bonnes lettres et

des impressions que vous m’envoyez sur

ma

peinture. J’ai plus de confiance dans votre juge1

1

Défait pour la fantasia. La sentinelle marocaine.

f*

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

-.82

ment que dans celui de n’importe qui, et si vous dites que ma peinture creuse, c’est que c'est vrai. Je vous avoue que je ne le vois pas, et cela m’af-

Ma parole d'honneur, chez moi,

flige.

de

la

les chairs

Salomé ne creusaient pas.

Voilà en quoi je regrette de ne pas voir

mes

tableaux aux Expositions, car alors mes défauts

me

sauteraient aux yeux. Tandis que réduit à ne

voir je

que ma peinture

et

dans

mon

seul intérieur,

ne m’en aperçois pas autant. Je vous

que je

modelé quand même je

fuis le

,

du noir. Ce sont nos sales leurs

murs

ateliers

gris, vert foncé

nous ont gâté

dirai

fuis l’abus

de Paris, avec

ou brun rouge, qui

yeux et nous font voir des om-

les

bres insensées qui appellent forcément un delé exagéré. Depuis que je voyage et les choses

mo-

je vois

par moi-méme, sans être entraîné de

droite et de

gauche par

impressions de aller

que

tel

naïvement

à

ou

les

conversations et les

tel artiste, je

mes impressions

me suis

laissé

personnelles.

Croyez bien que je ne cherche pas l’originalité à tout prix,

comme

cherche pas du tout

on se à

à l’aveugler. Ce serait

que vous ne

me

chercher dans

la

plaît à le

révolutionner

dire. Je

ne

le public, ni

un but stupide,

et je

pense

croyez pas assez béte pour ne

peinture que quelque chose d'é-

trange... Je fais ce qui

me

passe par la tète, des


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

583

choses qui me semblent toutes naturelles et toutes

On

simples.

constant vers

veut y voir une tension, le bizarre; tant pis.

un

effort

Songez que je suis livré à moi-même, que depuis longtemps je ne vois la peinture de personne et

là où me pousma manière de voir person-

queje m’en vais tranquillement

mon

sent

sentiment et

nels. J’observe, je travaille d’après ce

avoir bien observé, mais je

me

que

j’ai

cru

peux parfaitement

ficher dedans.

Ainsi, je vous serai obligé si vous voulez bien

m’écrire par quoi pèche la toile que je vais en-

voyer à Paris. C’est un grandservice à J’ai ici,

me

rendre.

tâché de ne pas faire creux. Pour moi, cl

habitué à voir des figures d’un seul ton au

milieu de

murs

reflétées, se

blancs, par conséquent toujours

détachant beaucoup plus par

la va-

leur plaquée et presque sans modelé que par les effets

mes

d’ombre

chairs

ne

et

me

de lumière, pour moi,

dis-je,

paraissent pas creuses. Mais je

he réponds pas qu’à Paris, à côté d’autres peintures, elles Diles-le

ne puissent manquer de

solidité.

moi bien franchement

A SON PÈRE.

Tanger, 3 août 18*0.

...J’ai

à

ma

envoyé hier

la

grande

copie... C'est loin d’être

toile

que je joins

un chef-d’œuvre, et

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

38i

cc serait bien plus exécuté privé de blanc

si

si je

n’avais pas été

longtemps. Je tâcherai de faire

mieux une autre

fois'.

Pas de nouvelles de

la

guerre! C'est désolant.

mon tableau

Je ne viens pas à Paris avec

que

je serais capable

de partir pour

la

parce

Prusse.

Je voudrais arvoir les émotions

du

traînements de

enivrements de

victoire!... Je toi et

la bataille, les

me

connais...

pour moi que

soldat, les enla

vaut mieux pour

Il

Tanger

je reste à

A SON PÈRE.

Tanger, 12 août 1870.

Depuis tous ces événements tète sont

plus

si

ma vie

el

ma

tellement bouleversées que je ne sais

je t’ai écrit...

Quelle série de fausses nouvelles désolantes

nous recevons

ici

par Londres, Lisbonne, Madrid.

démenties

lendemain, confirmées

le

surlendemain. Que croire! Quel ennui d'être

si

Elles sont

loin

le

dans de pareils moments

Nous n’avons guère

le

!

cœur

à peindre;

on

at-

tend chaque bateau de Gibraltar, on se jette sur les

journaux, sur

tion croyant les caries,

les lettres,

on court à

la

léga-

apprendre une nouvelle. On consulte

on discute

stratégiques,

les probabilités

on confronte

de marches

les différentes sorles

de dépêches. Bref, nous sommes bien agités.

i

Google


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

385

Laisse donc Eugène aller à son poste. Je vou-

drais bien y être aussi, moi et mal, je n’y serai pas le dernier! !

si

les choses

Un

vont

être inutile à

son pays ne doit plus se rencontrer en France, sous aucun

cher

et

toit.

11

est

du devoir de tous de mar-

de soutenir honorablement son

litre

de

Français qui ne doit pas devenir synonyme d’é-

goïsme, de lôcheté, de mollesse. Je serai très-heureux

camp... au feu,

s’il le

de savoir Eugène au

faut.

En somme on en revient! Toute n’est pas abattue.

U faut

tôle

en ligne

avoir foi dans son étoile,

ou dans tout ce que lu voudras. J'attends par le prochain Spahis nos engins de peintre.

Nous

les

laisserons

peut-être reposer

pendant que nous en emploierons d’autres tout

nouveaux pour nous. Labrosse

et la palette

sembleront plus légères au retour... Adieu, cher père, à bientôt peut-être

nous


CHAPITRE Retour à Paris.

— Le siège. —

V

Exposition des oeuvres de Henri

Régnault.

Au moment même où les nouvelles terribles

sastres,

arrivaient à Paris

de nos premiers dé-

l’exposition des

Rome

Envois de

avait lieu à l’École des beaux-arts.

Pour se

conformer au règlement, Régnault y avait envoyé une copie, celle du tableau des Lances,

à laquelle

Madrid

ment ,

nous l’avons vu travailler à

y avait joint Y Execution sans Jugedont il nous a parlé dans ses lettres ;

il

de Tanger. Rien peu de personnes virent alors ces

œuvres; de trop graves préoccupations agitaient nos esprits pour nous laisser le loisir

de nous intéresser aux choses de

l’art.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

comme

Mais,

587

depuis lors nous avons pu étu-

dier Y Exécution sans jugement à l’Exposition

des œuvres de Ueguault, je donnerai encore cette fois,

comme

jugements

si

de Saint-Victor

et P.

«

je

fait jusqu’ici,

l’ai

Une rénovation

:

se fait dans la peinture, et c’est

M. Régnault, l’auteur du portrait de Prim, Judith et de

la

Salomé, qui ouvre à

nul pied n’a foulé encore. tableau d’une originalité

nom

de maître

et

a

Il

si

éblouissante, d’un imprévu

luer du

do

la

que

l'art celte voie

envoyé de Tanger un

haute, d’une lumière

si

si

complet, qu’il faut sa-

môme

de grand maître

lève capable de pareilles œuvres.

renferme une

les

opposés, de MM. Th. Gautier

toile analogue. M.

l’é-

Aucun musée ne

Régnault a une ma-

nière à lui de concevoir un sujet, de

le traiter,

d’en

un effet inattendu il voit la nature sous un angle d’incidence particulier qui lui donne des asfaire jaillir

;

colorations auxquels personne n’avait

pects et des

songé.

Il

découvre, ce qui est

le

propre du génie,

une physionomie inconnue des choses. Ce tableau, le plus étonnant peut-être que nous ayons vu, a pour titre

:

Exécution sans jugement sous

les rois

maures

de Grenade. «

Un

forme la

escalier de

le

premier plan de

largeur.

dans dos

marbre blanc de quelques marches

Il

le style

la toile

dont

il

occupe toute

conduit à une salle d’architecture arabe

de

Hermanas

A

la

salle

des Abencerragcs ou de las

l^lhambra de Grenade!

et

couverte


CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

3S8

d’une voùle découpée en stalactites et en gâteau d’abeilles. reflet

Tout ce fond est frappé d’une lumière de

indiquant au dehors un vif soleil et une ardente

chaleur.

semble

11

dans ce

lieu

qu'il se fasse un grand silence charmant où vient de s’accomplir une

action sinistre

mystère de

il

;

y

règne

également ignorés, quand

emporté

le

comme une

Le crime

sérail.

cadavre

et le

esclaves

les

épongé

et

solitude et

un

châtiment resteront

muets auront

sang. Nul œil n’a vu,

le

nulle oreille n’a entendu. La victime et le bourreau étaient seuls. être

a

le

La

tète qui vient

de tomber

était peut-

une des quatorze tètes que le chef des croyants droit de couper par jour, sans en donner

aucune raison

:

celle d’un

ou d’un sacrilège dont

traître,

le forfait

d’un

assassin

ne doit pas être ré-

vélé. «

Sur

marches

les

a roulé

la tète

séparée du corps

crispé par les dernières convulsions, et se présentant

en raccourci. Auprès du cadavre quelques degrés plus haut, se tient l’exécuteur essuyant la lame de son sabre. Voici en quelques lignes le croquis de la position. a

Le justicier, car

le

convenir à celte noble

Maure très-basané, le

com-

.

nom et

de bourreau ne saurait

majestueuse figure, est un

coiffé d’un fez

bord d’une calotte blanche,

rouge que dépasse

et n’ayant d'autre vête-

ment qu’une gandourah ou longue robe d’un rose éteint, décoloré, rompu, d’un rofee mort comme celui d’une feuille sèche et d’une harmonie extraordinaire. La gandourah, ouverte par eu haut, laisse voir une forte ossature de poitrine et

de larges pectoraux qui

indiquent une grande vigueur. D’un

mouvement

su-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. perbe,

pan

à

demi relevé de sa robe, qu’un

dessous

et teint

dessine

le

bas deses jambes brunes

vre abattu,

le

reflet éclaire au-

d’une lueur orangée sur laquelle se

tournant un peu

gneux

389

passe lentement le damas de sa flittah sur

il

la télé, il jette

un regard

et

nerveuses. Dé-

de haut, sur

le

cada-

indéfinissable à la fois dédai-

et mélancolique, d’une férocité douce et rê-

veuse, et empreint du fatalisme oriental

:

c’était écrit

!

Nulle colère, nulle indignation.

La rage impuissante,

«

contraire, dans

haine furieuse se lisent, au

regard que la tête coupée renvoie à La bouche se tord convulsivement,

le

tête vivant?.

la

la

se contractent d’une façon hideuse, et les

les traits

tons bleuâtres du crâne rasé donnent à ce chef un as-

pect étrange et fantastique. Le corps du supplicié a glissé sur les

marches

et ses

bras renversés cachent à

demi le moignon du col d’où le sang jaillit et se répand en flaques rouges sur la blancheur du marbre. Celte tache de pourpre, d’une incroyable richesse de

couleur, est

la

note tonique,

la

dominante du

ta-

bleau. Là le sang a cinglé avec force, éclaboussant les

degrés; il

ici

il

s’étale plus

coule en longs

ses

;

que

filets

largement répandu. Plus loin

ou se coagule en gouttes épais-

cela est d’une vérité qui ne se devine pas. le

jeune artiste

ait

Il

faut

vu à Tanger quelque décapita-

tion à l’yatagan, et l’on pourrait c’est ce spectacle qui lui a

même

croire que

suggéré l’idée de sa com-

position. «

C’est

un parti

au milieu d’une

mais

ici

de l’art,

pris d'une rare

toile cette

audace d’avoir placé

grande plaque sanglante;

Au point de vue En regardant ces tons splendides,

l’horreur n’est pas le dégoût. il

y a beauté.

33.


"90

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

nous songions à coulant d’ivoire

la

comparaison homérique du sang

comme des écheveaux de pourpre

sur la cuisse

de Mènélas. Le vers d’Alfred de Musset

Et taché de leur sang, tes marbres, ô Paros

:

!

nous revenait en mémoire de môme que le geste superbe du justicier nous avait rappelé l'ange vengeur ;

essuyant son épée aux nuées,

dans

»

le

dènoùment

de Uatbert. Ce rouge, qui semble pris à la palette de

Rubens avec des tons de flamme

et

complémentaire,

dait sa couleur

de rubis, demanen harmoniste

et,

habile, M. Régnault a vêtu d’un doliman et d'un pantalon,

à la turque, verts,

faisant jouer à la

le

corps de son supplicié,

manière orientale

les

nuances de

la

même couleur. «

Ainsi le pantalon a le vert sombre, presque noir,

du velours, la veste le vert mat du drap, le revers des manches le vert lustré et plus blond du satin, et pour que toute

la

gamme

un ornement

soit épuisée,

en losange d’un vert prasin se découpe au coude bras qui n’est pas engagé sous

le

corps. Mais

il

du

faut

rattacher cette valeur verte à la valeur rosée du ta-

bleau, et une ceinture rose s’enroule autour du cadavre.

La coupole moresque,

de points de

criblée

lumière qui pétillent à travers

le

délicat fenestrage

des baies, est baignée d’une atmosphère rosâtre que réchauffent des tous orangés.

Un

luisant miroite sur

l’émail des azulejos, revêtant à hauteur

d’homme

la

paroi desmurailles, et parmi les irradiations se distin-

guent quelques jetsde sang, rappel de

la

plaque rouge

centrale.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. «

Il

de construire avec un

est difficile

symphonie de

une

savant

éprouve-t-il

une

couleurs.

complète

satisfaction

301

artifice

plus

Aussi

l’œil

devant

ce

tableau, dont l’éclat éblouissant ne détruit pas l’har-

monie. La peinture de

Régnault est tellement

SI.

pénétrée de lumière quelle produit à côté des autres tableaux

l’effet

d’un

décoloré et

rait

vitrail

terreux

traversé de soleil. Tout pa-

quand on

l'a

Tandis que M. Gautier reste admiration,

la critique

de M.

regardée.

fidèle à

P.

#

son

,

de Saint-

Victor devient au contraire de plus en plus

acerbe a

:

M. Régnault est décidément dans une voie mau-

vaise

;

son talent se corrompt dans les orgies du pin-

ceau. Le voilà voué aux

pompes

et

au chic de

la pein-

ture orientale, à ses tintamarres de palettes, à scs bariolages de bazar. Sa

Salomc du dernier salon, sa

Judith de la dernière exposition des Envois de accusaient déjà les oripeaux, à

une tendance à

ne voir dans

Rome,

étouffer l’idée sous

les sujets

sanglants qu'il

se plaît à peindre, qu'un prétexte à faire miroiter des étoffes et scintiller des bijoux.

cette

sa couleur s’y

le titre

la

qu’il envoie

charge

:

l’or

de

change en clinquant. — Une exécution

sans jugement, sous

tes rois

maures de Grenade,

c’est

de sa nouvelle turqueric. Un bourreau maure

vient de trancher, tête

Le tableau

année pousse ce parti pris à

dans un vestibule del’Alhambra,

d'un condamné qui rouleà ses pieds.

cimeterre au pan de sa robe.

11

11

la

essuie son

n’y a personne sous

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

592

saumonnée d’un ton douteux

cette robe le

corps est absent

et brouillé;

ce n’est qu’une draperie vide,

:

accrochée à une télé de Turc. Ses bras nus tendent des biceps

et

ont un

joli

mot pour

souflés

par

le

stranieri,

patient,

«

des deltoïdes fantastiques. Les Italiens définir ces reliefs factices bour-

faux dessin.

l’homme

sortir.

»

Aussi bien que son

est d'ailleurs tué par le fond gaufré,

doré, guilloohé sur lequel

jet,

appellent: Muscoli

Ils les

muscles étrangers.

se plaque sans en res-

il

Le raccourci du cadavre a de

gard

le

re-

plus attentif ne parvient pas à débrouiller ce

paquet de membres enchevêtrés au qui

verve et du

la

mais ce n’est qu’une fougueuse ébauche. Le

suffirait,

du

reste, à gâter ce

de

c’est le trompe-l’œil

au bas sur

hasard.

— Ce

tableau manqué,

tache de sang qui s’épate

la

les dalles. C’est

avec un coutelas de bou-

cher plutôt qu’avec un couteau de palette qu’elle

semble appliquée sur fois horrible

L’illusion en est à la

la toile.

et puérile.

pleines de sang de

rappelle ces vessies

Cela

bœuf que

crevaient autrefois sur leur

les tyrans

draperie,

de tragédie

en se frap-

pant, au cinquième acte, de leur poignard en fer

blanc. «

Aucune pensée, aucun sentiment ne se dégagent

d’ailleurs

de ce réalisme brutal.

J’ajouterai

»

tout de suite que Régnault,

ayant revu quelque temps après son tableau à Paris, éclairé

de côté et dans des condi-

tions bien différentes

de

celles

il

l’avait

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

peint, n’cn fut pas satisfait.

ami M. Montfort

alors les critiques de son et

comprit

le

T>93

s’expliqua

Il

danger de travailler sous une

lumière perpendiculaire aussi intense que dont

celle

son

Tanger

de

atelier

était

inondé.

Vers

le

milieu de septembre, Régnault,

accompagné de son ami Paris

Clairin, arrivait à

en toute bâte, car

trouver

tremblait de

il

capitale déjà investie et de ne

la

pouvoir y entrer pour prendre part à sa défense. Tous ceux qui avaient connu

Régnault trois ans auparavant furent frap-

changement qui

pés du lui et

que

reflétait sa

sa conversation.

d’un jeune plein de

On

en

homme

ardent, sympathique,

charme, mais dont

lui la

tenue par

la

même

comme

avait gardé le souvenir

la

nature trop

riche avait besoin de s’équilibrer. vait

opéré en

s’était

physionomie

On

retrou-

ardeur, dominée et con-

volonté, le

même

charme, ren-

du plus puissant et plus communicatif encore par le progrès moral qui

dans son âme tait

s’était

accompli

et

dans son cœur. On se sen-

en face d’un

homme fait, sérieux, ayant

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAI' ET.

391

placé haut scs pensées et ses affections et

au-dessus de ces affections elles-mêmes, son devoir et son honneur. 11

la

était

France

accouru de Tanger parce que déjà éprouvée

était

lui apportait

et

malheureuse.

Comme

sans ambition, sans arrière pensée.

grand prix de Rome,

était

il

dispensé de

tout service militaire; nul ne l’eût s’il

fut resté

Il

son dévouement simplement,

au

loin. Mais sa

blâmé

modestie comme

son patriotisme lui défendaient de rester inactif au jour de nos désastres.

Engagé d’abord francs-tireurs,

stances de ses

il

dans un

bataillon de

céda peu après aux in-

amis,

dans

s’enrôla

et

la

garde nationale sédentaire; bientôt après, il

voulut faire

des

partie

bataillons

de

marche. La certitude du devoir accompli

lui

don-

nait cette confiance naïve et sublime qui a

soutenu jusqu’au bout ris. Il

tourner à Tanger, et lier

les

défenseurs de Pa-

n’en était pas moins impatient de re-

abandonné

à la

le

souci de son ate-

hâte ne

le quittait ja-

mais, Dix-sept jours avant sa mort,

il

écri-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. vait

du cantonnement de Colombes,

ami de Gibraltar A

305

à

un

:

M. BONNET.

2 janvier 1871.

Mon cher M. Je ne sais

vous

si

ai écrite

J'étais

sur

le

Bonnet,

vous avez reçu

la

leltrc

que

je

parballon monté, il y asix semaines. point de partir avec Clairin dans

e

le

G0 bataillon de guerre. Voilà plus d’un mois

que nous faisons aux avant-postes, grand’gardes, couchant dans

la

1

le service

neige sur

de

la terre

,

ou nageant dans

gelée

le dégel,

manquant de

pain quelquefois le lendemain, marchant toute la

journée

douceurs

le sac

de

au dos, goûtant enfin toutes l’état

les

dans une rude

militaire,

campagne d’hiver. Nous avons couché sous

mont

Valéi ien,

la tente

au pied du

à la Folie-Nanterre, exposés

au

vent le plus violent et le plus glacial pendant les trois nuits les plus froides

momètre marquait, 15

de l'année,

à 17

le ther-

degrés au-dessous

de zéro. Il

y a eu ces nuils-là dans l’armée plusieurs

cas de congélation. C’était pour nous une épreuve

un peu rude, pour moi surtout

qui

avais passé

quatre hivers de suite dans les pays chauds. Es-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT,

596

péronsquetous ces

sacrifices-là, servirontà quel-

que chose. Nous sommes pour

moment

le

can-

tonnés à Colombes, nous souffrons moins, excepte les nuits

que nous passons en faction dans

les

tranchées à 200 mètres des Prussiens qui nous tiennent, en éveil par le

sifflement des balles.

commencé

les forts.

Ils

ont

bombarder

à

Voilà

longtemps que nous n’avons aucune nouvelle de la

province. Est-ce bon, est-ce mauvais signe?

Nous n’osons plus croire n’osons plus faire

nous a trompés tant de

Mon père ment du depuis

le

à

aucun

bruit,

fois!

est prisonnier

siège, et je n’ai

depuis

le

commence-

aucune nouvelle de

lui

19 septembre. La population de Paris

est très calme, elle supporte assez bien le

que de

nous

moindre conjecture; on

la

man-

tout.

durer encore un

Si cet état de choses peut

mois nous sommes sauvés. Hier, pour notre premier de

moi

;

l’an,

nous ôtions de corvée, Clairin

et

nous avons passé notre matinée à balayer

tes escaliers

du cantonnement

les sortes d’endroits

cher du bois dans

les

;

puis

et à nettoyer tou-

l’a près

midi

à cher-

environs, à le fendre, à

scier, etc... Voilà nos élrenncs.

le

Malgré tout cela

nous ne nous plaignons pas. Nous y sommes faits nous ne demandons comme récompense qu'une

et

*.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

bonne nouvelle de province,

et la joie

3m7

de prendre

part à l’aclion définitive qui délivrera Paris.

Soyez assez bon,

mon

cher ami pour vous oc-

cuper un peu deLagraine;

suffire

est-il

les chiens et

aux autres dépenses? Je ne voudrais

pas que le pauvre garçon

grande misère, nous

ment cernés. et

encore à Tanger?

pour nourrir

A-t-il assez d’argent

fut

dans une trop

ne serons pas

vous rendre ce que vous aurez eu

lui

indéfini-

J’espère avant deux mois vous voir

donner pour moi.

Si

la

bonté de

Lagraine n’est plus à Tan-

ger, qui s’occupe de la maison? Vous savez qu’il

y a là pas mal d’études et de costumes que je ne voudrais pas savoir être à la merci du premier

venu. Dans le cas où je mourrais dans cette guerre, M. Clairin,

le

un papier où sont

écrites

et aurait la

père de Georges, posséderait

mes

dernières volontés

charge de rembourser

les

dépenses

avancées pour moi soit par vous, soit par d’autres.

Prêt au sacrifice,

il

eût pourtant voulu

vivre; l’avenir lui apparaissait rayonnant, plein

de promesses et de

Un mariage que

ses

douces

joies.

vœux appelaient depuis

longtemps, venait d’être décidé pour

lui, et

entre les rudes journées que réclamait son 34


399

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

tous la vie pure, honorable, sérieuse, et nous de-

vons tous payer à

la patrie, et

au-dessus de

la

patrie, à l’humanité libre, le tribut de notre corps et

de notre âme.

Ce que

nous

le

les

deux peuvent produire ensemble, Toutes nos forces doivent

leur devons.

concourir au bien de

quant nous-mêmes,

la

grande famille, en pratien développant chez

les

autres, les sentiments d’honneur et l’amour

du

et

travail...

Simple soldat

,

Régnault n’avait reculé

devant aucun des ennuis du service. Son capitaine, frappé de son zèle, de son intelli-

gence, de son

courage, lui

offrit

donner un grade. Régnault déclina neur

et

de

lui

cet hon-

motiva son refus dans une lettre

admirable de simplicité

et

de patriotisme

:

AC CAPITAINE STE1N1IETZ. IG*

régiment de guerre CD* bataillon, 1'* compagnie.

18 janvier 1871.

Mon cher Capitaine, Je vous écris alin de

raisons qui m’ont flexion,

dans

fait

mieux vous exposer

persévérer, après

ma ferme

les

mûre ré-

résolution de rester sim-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAI' LT.

400

garde. Je vous remercie neanmoins de vos

pie

bonnes intentions à mon égard, de

la

mon

Je crois pouvoir la mériter par

menl

et je suis

heureux

confiance dont vous voulez bien m’honorer.

et

ma

parfaite

entier dévou-

soumission, aussi bien en

restant simple soldat, qu’en devenant votre souslieutenant. Je sais que les qualités de sang-froid et de res-

pect du devoirque vous fait

me

reconnaissez auraient

de moi en peu de temps, grâce à votre bonne

un

direction,

mon peu

officier passable.

Mais je crains que

d’expérience dans le service militaire

ne m’expose à recevoir, de temps en temps, des leçons de ceux qui, sous officiers et et qui,

mes

ordres

sous beaucoup de rapports, seraient plus

dignes et aussi capables de remplir

vous

comme sous-

caporaux, en sauraient plus que moi,

me

le

grade que

proposez.

Ensuite, je suis certain que je pourrai vous

écouler encore mieux en restant simple garde.

Mon exemple

peut rendre plus de services que

mon commandement. broncher,

les

Décidé à supporter, sans

fatigues et les ennuis

sans en éviter aucun, à être

le

du métier,

premier aux cor-

vées et le premier au feu, j’espère entraîner à suite ceux de

mes camarades

à se plaindre et à hésiter.

ma

qui seraient portés

Nous sommes plusieurs

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAELT.

dans

le

môme cas,

401

animés des mômes sentiments,

mais nous ne serons jamais assez nombreux, Croyez-vous que la résignation et

la

bonne volonté

de M. Belhmont n’aient pas été d’un grand vis-à-vis

elïel

de beaucoup d’entre nous?

Je n’ai pas la prétention de le valoir, ni d’ôlrc

doué d’une parole assez entraînante pour converen bons

tir

jeune,

j’ai

les

mauvais. Seulement je suis plus

meilleure santé, autant

autant de patriotisme que

lui, et le

de courage, respect de la

discipline.

Vous avez en moi un bon soldat pas pour en faire un

pourtant

Et

officier

;

ne

métier de soldat était

le

parfois bien pénible dans cet hiver

reux

;

une

fiancée,

lettre

nous

perdez

le

médiocre...

rigou-

si

que Régnault adresse

à sa

quelques-unes

laisse entrevoir

des fatigues qu’il avait à supporter.

A MADEMOISELLE G. BnÉrOX.

...

Enfin! cette nuit interminable est finicl

ma pauvre pas

me

0

amie, c’était horrible Mais je ne veux !

plaindre, parce qu’il y en a qui auront

souffert plus que

moi Nous avons dans .

levé et posé trois fois le

la

journée

camp. Les autres 34

batail-

.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

4')2

Ions étaient partis en reconnaissance avec M. de

Brancion

et

nous avaient laissés à

avant-postes. Les factions de nuit,

immobiles

quand 'ver.

1

enfin

Un

la

garde des

— six

heures

nous échoir de nouveau,

allaient

une compagnie

est

venue nous

rele-

vent glacial menaçait à chaque instant de

nous enlever de nos lentes. Nous étions entière-

ment exposés lait

à cette tempête de glace; tout ge-

dans nos bidons;

insensibles.

devenus

les pieds étaient

Dans une tente voisine de

nôtre,

la

on entendait geindre un de nos pauvres camara-

tombé

des, Nourrisset, carrière, à Il

à minuit et

demi dans

mais n’en vaut guère

n'est pas encore mort,

mieux. La

veille,

pendant que nous gelions sur

Port-aux-Anglais,

un autre homme de notre

taillon était déjà

tombé

s’était brisé le

On côté

:

va nous

môme

place et

— Nuit horrible!

fémur.

emmener,

je l’espère, d’un autre

découvert, et

accidents encore

si l’on

parler sciemment

du

une nuit sur

bise glaciale.

:

on

il

arrivera quelques

ne décampe. Oh froid,

la terre

Quatre

dont un sergent la vie.

à cette

le

ba-

nous sommes de toute part entourés de

carrières à

qu’est

la

une profondeur de quatre-vingts pieds.

et sais

chez nous gelés,

parvenu à

Assez là-dessus. Je

je puis

dure, exposé à une

hommes est

!

ce matin ce

les

rendre à

me réchaufferai

à

votre

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. foyer. Je vous aime, j’aime

mon

403

me

pays et cela

soutient. Adieu...

Pour arracher Régnault l’envahissait,

ses

reprendre ses pinceaux. sirs, quoiqu’il

à la tristesse

amis voulurent Il

céda à leurs dé-

ne se sentit aucun goût pour

ces travaux faits entre deux gardes parts. Mais

il

qui

lui faire

posa une condition

:

aux rem-

on

le dis-

penserait de toute labeur.de l’esprit, on préparerait tous lesobjetsqu’ilauraità représenter, et

il

L’atelier

ferait

simplement acte de

copiste.

de M. A. Goupil fut orné pour

lui

de riches tentures orientales, de soieries éclatantes, de tapis

variées trois

aux couleurs vives

Régnault se mit

;

à

l’œuvre et

et

ces

fit

merveilleuses aquarelles que tout

monde que où

a

admirées d’abord au Cercle

elles

furent exposées pour

le

artistila

pre-

mièrefois, et ensuite à l’École des beaux-arts.

Ceux qui ne faire

les

ont pas vues, ne sauraient se

une idée de

la hardiesse,

de

la

puis-

sance, de l’éclat et de l’harmonie de ces

aquarelles auxquelles rien de ce qui a été fait

en ce genre ne saurait être comparé.

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

404

«C’est en plein Orient, écrit M. Th. Gautier, que

nous transportent ces splendides aquarelles, qu’on croirait

non sous ce

triste dais

pendant

qui recouvrait Paris siège.

l’immuable azur

exécutées sous

d’Afrique, et

les

du

ciel

de brouillard

mois d’hiver

du

La première représente une jeune femme cou-

chée sur un divan dans un costume où dominent ces étoffes aux blancheurs transparentes traversées de

mates

raies

;

ces blancheurs font

l’effet

du camélia

entouré de fleurs variées qu'on place au milieu des

bouquets de bal mière,

;

elles attirent et concentrent la lu-

et leur éclat se

répand par douces ondulations

sur les teintes fraîches qui l'environnent. La

femme

à

demi-allongée dans une pose assouplie par les lan-

gueurs du kief rappelle celle délicieuse Ilaoua dont

Fromentin, dans Une année au Sahel, trace un

si

déli-

une plume qui vaut son pinceau. trop admirer l’étonnante harmonie de

cieux portrait avec

On ne

saurait

ces étoffes, de ces tapis, de ces accessoires, de ces

couleurs disparates en apparence, mais dont les contrastes

se

résolvent en un accord parfait. Depuis d'Alger, d’Eugène Delacroix, aucun mieux su baigner d’une ombre limpide le

Femmes

les

peintre n’a

chatoiement d’un riche intérieur moresque. «

La seconde de ces aquarelles a pour sujet un inté-

rieur encore, mais d’une signification et d’une valeur toutes différentes.

Sur un divan encombré de car-

reaux de brocart, de soie ou de maroquin, est assis ou plutôt accroupi ture,

homme nu jusqu’à la ceincomme un mulâtre, et le bras

un jeune

basané presque

s’appuyant au genou avec un

mouvement

plein de

science et de hardiesse. C’est une figure étrange. Une

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. espèce de turban négligemment enroulé le front

de ses larges

plis et projette

lui

405

recouvre

sur ses yeux une

un Manfred ou un don connu une autre civilisation et ayant voulu changer de blasement. En regardant ce corps maigri et nerveux, consumé d'ar-

ombre mystérieuse. On Juan

dirait

oriental ayant peut-être

deur, nous pensions au héros

deNamouna,

à cet

Has-

san, d’Alfred de Musset, qui s’élait en allé réchauffer

son scepticisme au pays du Soleil, quittant

pour

le

cigare

haschich. Le peintre n’a probablement pas eu

celte idée, la

le

mais son aquarelle

la

suggère

:

l’ennui de

volupté, le désir de l’inconnu, la fatigue des para-

dis artificiels,

comme

les appelle Baudelaire, se lisent

sur ce visage amaigri, mais jeune encore malgré les excès. «

Sur les épais

une jeune femme

tapis qui

jonchent

le sol est

étendue

qui, les épaules adossées au divan,

enveloppée d’une gandourah noire à capuchon, entr’ouverle à la poitrine, dont la blancheur ressemble à

lune sortant d’un nuage sombre, laisse errer nonchalamment ses doigts teints de henné sur les cordes d une guzladont elle s’accompagne. Le chant s’exhale comme un soupir de ses lèvres distraites. Elle sent la

qu’elle n’est pas écoutée et suit son rêve. Rien

déplus

séparé que ces deux êtres, tous deux jeunes et beaux, placés aux deux bouts d’un divan. «

Le luxe qui les entoure a une richessesourde,unc

ardeur sombre,

et

comme une

gravité funèbre mal-

gré la violence des tons conservés dans l’ombre avec

une superbe maestria de deaux

coloris.

et portières d’étoffes

l’Orient,

Ce ne sont que s'est épuisé

l’art

ri-

de

que tissus magnifiques, que tapis de Smyrne,

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

400

do Kabylie ou de Turquie, tableaux

incrustés de

nacre, armes constellées de pierreries, narghilés du y a quelque chose de tragique sous cet amoncellement de splendeurs. Cette

Khorassan, et cependant

chambre pourrait

il

servir de fond à quelque scène de

jalousie et de meurtre. Le

sang ne

ferait

pas tache

sur ces lapis d’une pourpre sombre. n

La troisième aquarelle n’est qu’un simple bouquet

de palette, un selam de couleurs orientales épanouies

dans un rayon de lumière.

Elle représente

une ca-

dine ou une odalisque se tenant debout au milieu de sa

chambre

et

comme

ravie de sa beauté et

costume chatoyant. Tout cela

fait

de son

au premier coup

avec une fraîcheur et une limpidité incomparables. Le peintre, tout en maintenant sa volonté, a su profiter

admirablement des heureux hasards de

l’aquarelle. »

Peu de jours après, Régnault dessinait portraits de

MM. Rida

de gardes nationaux

et

les

Duruy en costume

ce furent ses der-

:

nières œuvres.

Nous savons

déjà

comment

mourut, victime de son devoir le

10 janvier, atteint par

de

fusil peut-être

de Paris.

dernier coup

qui fut tiré sous les

murs

,

Une année néfaste,

le

Régnault

à Buzenval,

s’écoule à partir de cette date

année

terrible,

maudite, souillée

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT;

de hontes

et

Paris qui tour à

pourtant,

sionne et oublie

vite,

si

réputations que pour

de

le plaisir

se

tour se

qui

ne

Régnault.

pas-

fait

des

donner aussitôt

les détruire, Paris avait

son cœur

vivant au fond de

de

407

de crimes sans exemple. Et

le

gardé

souvenir

Quant aux amis du jeune

peintre, leur douleur était restée aussi vive

qu’au lendemain de sa mort. Depuis long-

temps

ils

se promettaient de consacrer sa

jeune gloire par une exposition complète de ses

œuvres

;

mais

un peu partout, lut

elles étaient

à

du temps pour

Rome,

disséminées

à Tanger

;

il

fal-

les faire revenir, et ce fut

au mois de mars 1872 seulement qu’on put voir,

dans

trois

du

les salles d’exposition

des Reaux-Arls,

ce qu’avait

palais

accompli,

en

années, un artiste épris de son art,

fanatique du progrès,

nouveau

et fou

de

la

avide du

toujours

lumière.

On

s’étonna

de ce travail immense, et cependant plusieurs

œuvres importantes qu’on avait admi-

rées dans cette

même

VAutomédon

vendu

,

salle faisaient défaut.

en Amérique

pouvait être rapporté de

si loin

;

,

ne

la Judith ,

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C0RRESP0N DANCE DE HENRI REGNAULT.

408

achetée par sée

par

Musée de Marseille,

le

fut refu-

Conseil municipal, malgré des

le

instances réitérées et malgré le sentiment

presque patriotique qui aurait du commander l’envoi de cette et dessins

tion

;

D’autres tableaux

toile.

encore manquaient à

c’étaient d’abord

la collec-

des études

espa-

gnoles que Régnault avait vendues à Rome,

1809

et qui, m’a-t-on dit, ont figuré en

à

l’Exposition de Rordeaux. C’étaient encore

de nombreux portraits au crayon noir, des études dessinées pour ses tableaux, et enfin

une

a disparu

toile qui

Tanger

dans

le

à Paris, et qui représentait

trajet

de

un Arabe

tenant en laisse deux lévriers sur les sables

blancs d’un pays aride. L’Exposition resta ouverte 11

e se doutait jusque-là

un mois. Nul

du prodigieux

travail

de Henri Régnault pendant ses voyages. Il

ble

nous révèle un Orient nouveau avoir

Sauf

peindre. intitulés

inventé

:

la

des

deux

les

sem-

petits

le

tableaux

Sentinelle marocaine , et le Dé-

part pour la fantasia

en ce genre

et

couleurs pour

11

e se

,

tout ce qui fut exposé

composait que d’études

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT

ou de projets de tableaux

409

mais toutes ces

;

œuvres portaient l’empreinte d’un

talent

désormais sûr de lui;

toutes

elles étaient

inondées de cette lumière que s’était

Régnault

juré de reproduire et dans laquelle,

pour ainsi

dire,

il

était

parvenu

à

tremper

son pinceau. Les aquarelles rivalisaient de vigueur avec l’huile; jamais

la

blancheur des

murailles n’avait été exprimée avec une intensité, jamais les rayons

du

telle

cou-

soleil

chant n’avaient embrasé de teintes plus dorées les murailles de l’Alhambra.

Une merveille entre toutes trait le talent

encore inconnu. Dans effet, les

les

autres

mon-

de Régnault sous un aspect la Sortie

personnages hauts

à

du

paclui en

peine de quel

ques centimètres, irréprochables comme dessin, conservent cette

tournure élevée, cette

noblesse de formes qui semblent réservées

aux tableaux d’histoire. Le coloriste d’autre part semble avoir pris à tâche de surmonter d’invincibles difficultés. Les blancs les plus violents luttent entre eux sans heurter l’har-

monie,

le soleil

railles et

sur

éclate partout, sur les la

mu-

foule; les ombres elles35

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

iio

mêmes

restent claires et lumineuses dans

ce chef-d’œuvre incomparable.

Haine au gris!

Régnault en

s’était écrié

sortant de l’atelier de M.

Lamothe

et

il

Le succès de l'Exposition fut immense,

il

s’était

;

tenu parole.

dépassa toutes les prévisions, toutes les espérances. Jamais foule aussi nombreuse, aussi

sympathique, ne se rendit

à

un appel de

ce

genre.

Pour nous, ce fut dans notre douleur

une grande consolation, presque une

joie,

de voir l’empressement, l’enthousiasme du public, et surtout de constater l’unanimité

avec laquelle les artistes et

la

critique clas-

sèrent les œuvres de notre cher Henri,

parmi

celles

qui assurent à

leur auteur

l’immortalité.

Et maintenant

me

ma

livrerai pas à

tâche est finie je ne une étude du talent de ;

Régnault; je n’examinerai pas

ici

ce qu’on

pouvait attendre ou redouter de son influence sur les jeunes artistes. Après avoir pris la

plume

le

plus rarement possible, et

seulement pour guider

le lecteur à travers

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT. les lettres elles, je

que

me

411

je publie et les relier entre

souviendrai jusqu’à la dernière

ligne que ce livre n’est pas le mien, mais

seulement celui d’Henri Régnault. L’Exposition de ses œuvres a eu pour résultat de rassurer ceux qui redoutaient sa

soupçonner par quel

facilité, sans

sérieux, constant, ardu,

immense

contre les dangers de son naturel.

existait

S’il

incrédules,

la

travail

se prémunissait

il

talent

encore à ce sujet des

lecture de ses lettres les aura

convertis, je l’espère, en leur prouvant avec

quelle réflexion, quelle maturité d’esprit,

quel respect de

l’art et

des maîtres le jeune

artiste travaillait et préparait son avenir.

On

accusé de chercher des

l’a

bruyants et de mauvais aloi

pensée ne sous

lui

est venue.

:

suffit

11

quelles impressions

succès

jamais cette de

lire

se mettait à

il

l’œuvre pour comprendre que,

non-seule-

ment

mais

il

ne

forçait pas la note,

restait au-dessous

Un doute d’une dans

l’esprit

qu’il

de ce qu’il avait entrevu.

autre nature

du lecteur

:

a

pu naître

ne semble-t-il

pas au premier abord que l’ardent enthou-

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CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

4)'2

siasme de Régnault fluence de

la

les

subi

l’Espagne et l’Afrique,

L’Italie,

Ange

parfois

ait

mobilité de son caractère

et Velasquez, la

le

Michel-

campagne romaine,

monuments moresques

lumière de Tanger

l'in?

et l’étincelante

passionnent tour à

tour avec une vivacité qui grandit chaque

Mais ne sent-on pas que

fois.

môme

sion

succes-

la

des circonstances qui le condui-

sent dans ces divers pays répond aux aspirations de son

âme

ot produit tout naturel-

lement cette admiration croissante? Peut-on s’étonner

si le ciel

de

l’Italie

devant celui de l’Andalousie; deurs du

soleil africain,

Régnault,

le font

Orient? price,

si les

splen-

tout en ravissant

rêver à celles de l’extrême

n’y a là ni contradiction, ni ca-

Il

mais une initiation de plus en plus

complète à

la

et qui est la Si ses

nie.

semble pâlir

lumière que cherchait

marque

l’artiste

distinctive de son gé-

jugements se modifient,

c’est

que des horizons encore inconnus s’ouvrent devant lui sentir,

il

;

son intelligence se dilate pour

comprendre, goûter le

rencontre;

il

le

beau partout

marche sans cesse

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CORRESPONDANCE DE HENRI

REC. N AU LT.

413

vers son but en s’affermissant, en progres-

nous

sant, et

voyons constater lui-même,

le

avec une candeur charmante, les transformations par lesquelles passe son talent, et d’où il

sort toujours plus grand et plus achevé.

me

Qu’il

nom

soit

permis, en

de ceux qui ont eu,

bonheur d’être de réclamer

les

mon nom et au comme moi, le

amis d’Henri Régnault,

dernier mot de cette publi-

le

cation, de dire ce que sa correspondance a

peut-être laissé entrevoir

était

en

:

lui et qu’il exerçait

irrésistible

le

charme qui

d’une manière

dans nos causeries intimes, alors

qu’il s’abandonnait sans contrainte

son

à

intarissable entrain et à l’expansion aussi

affectueuse que spontanée de ses impressions.

L’instruction

solide

et

variée qui

donnait tant de poids à ses appréciations, l’intérêt qu’il savait

répandre sur

tions les plus diverses,

son originalité, exerçaient

sur nous une

véritable séduction. Avant qu’il eût

des

preuves

irrécusables

nous tous qui conçu pour

lui

le

ques-

les

sa verve naturelle,

de

son

donné génie,

connaissions, nous avions

une admiration presque

in-

35.

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41

CORRESPONDANCE DE HENRI REGNAULT.

i

consciente encore, mais inébranlable, car

source dans sa nature

elle avait sa

complètement

attrayante et

si

ses succès,

avait conservé

si

Malgré

une simplicité

un désintéressement, une modes-

parfaite, tie,

il

même,

belle.

une bienveillance qui l’empêchaient de

jamais parler de ses travaux ou de ses projets, tandis fa i re

qu’on

le trouvait

service

avec

une

obligeance infatigable.

sympathique

C’est à ce caractère

attribuer le tiés

toujours prêt à

valoir ses camarades et à leur rendre

nombre

et l’intensité

qui l’entouraient

Nul ne

l’a senti

et si je m'efforce

qu’il faut

des ami-

?

plus vivement que moi,

aujourd’hui de faire appré-

cier et regretter autant qu’il le mérite celui

qui fut

mon

ami, c’est à coup sûr un hom-

mage que je rends triotisme,

dette de

mais

à son talent et à son pa-

c’est par-dessus

tout

une

cœur que j’acquitte.

FIN

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CATALOGUE COMPLET DE

I/OEUVUE DE HENRI REGNAULT

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.

CATALOGUE COMPLET DK

L’OEUVRE DE HENRI REGNAULT

854— <866

«

PEINTURES -

1861

Régnault (Henri), son portrait peint par lui-même.

- E.

n° 1.

madame

Portrait de l'artiste.

Régnault, mère

Victor

de

— Non exposé.

Portrait de M.

Portrait de feu M. Riocreux, conservateur

Léon Régnault, frère de

l’artiste.

Non exposé. Appartiennent

sée céramique de

A M. Yietor llegnault.

du Mumanufacture de Sèvres.

la

E. n° 2.

Entrée des carrières de

Six études.

— E.

la

manufacture de Sèvres.

n° 17.

Environs de Sèvres.

Non ex-

posées.

1862

1863

— —

— —

Appartiennent à M. Victor Kegnault. Portrait de M. Biot,

quisse.)

membre de

l’Institut.

— E. n° 21. —

Etude de tigres.

Étude de

tigre.

Étude de

lions.

(Es-

E. n° 30.

— E. — E.

n° 31 n’ 29.

Cinq études peintes au Jardin des Plantes.

— Non

exposées. Appartiennent à M. Victor Hegnault.


CATALOGUE COMPLET

418

1865

— (Haras de —

Cheval arabe.

Meudon.)

E. n' 22.

Appartient à M. Delagarde.

— —

Non exposées. Six études de chevaux. Appartiennent à M. Victor Régnault. Véturie aux pieds de son

de concours.

— Tableau — Non

Coriolan.

fils

Obtint une médaille.

exposé. Appartient

1864

_

Portrait de M.

1804.

le

— E. n”

baron R.

à

M. Victor Régnault.

Portalis.

Salon de

4.

Appartient à M.

le

baron

R. Portalis.

— Salon de

Portrait de mademoiselle G. F***.

— —

E. n° 16._ Environs de Bourganeuf. Creuse. Vues de la Creuse à l’École Dix tableaux.

— Non exposé.

1

864.

— Non exposés. — E. n° 25. Chien de chasse. — E. n° 25. des beaux-arts

Appartiennent à M. Victor Régnault.

1865

Hallali

du

cerf.

Appartient à M. Jaeot.

Watch, chien courant du chenil de Meudon. E. n“ 26. Appartient à M. Arthur de Rothschild.

— E. n° 24. M. Appartient — Inachevée. —

Étude de chien.

Copie des noces de Cana.

è

Lefebvre.

Non

exposée. Appartient à M. Georges Clairin.

~

Copie de la moitié des Noces de Cana.

— Non exposée. Appartient Orphée aux enfers. — Tableau

Partie

gauche.

à M. Victor Régnault.

de concours.

Non exposé. Appartient à M. Victor Régnault.

1866

Thétis apporte à Achille

les

armes forgées par

— Prix de Rome. — E. n“ 5. des Appartient Plage de Veulcs. — E. n° 15. Vulcain.

à l’Ecole

beaux-arts.

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.

.

DE L’ŒUVRE DE HENRI REGNAULT. 1806

Environs de Veules.

— 'Quatre

419

éludes.

Une

seule a été exposée sous le n° 7 Appartiennent à M. Victor Régnault.

Falaise de Veules.

— E. n° 12.

— E. n° — E. n\ 14. — E. n° 15. couchant en Bretagne. — E. n° 11. Rochers sur côtes du Finistère. — E. n° Environs de Douarnenez. — E. n° Huit études en Bretagne. — Non exposées. Le trou du diable près Douarnenez.

— — — — —

Environs de

la

8.

pointe du Raz.

Environs de Douarnenez.

Soleil

10.

les

6.

— —

faites

Appartiennent à M. Victor Régnault.

Pêcheur breton sur un rocher au bord de

la

mer.

E. n» 18.

Portrait de

madame

veuve Mazois, grand’tante de

Henri Régnault, sur son

lil

de mort.

E.

n° 5.

— — — —

— —

Appartient

*

M. Victor Régnault.

à

— n* 20. — Non exposée. — Non exposée. Appartiennent Décoration, nature morte. — E. n' 28. Nature morte et accessoires. — E n 47 baron de Deux panneaux décoratifs. — Salon de 1807. — Étude de paon.

Étude de

E.

faisan.

Étude de perroquets.

à M. Victor Régnault.

Appartient à M. Bréton. 4

.

Appartient à M.

Villars.

le

E. n° 19.

Appartiennent à M. G. Renouard.

Panneau décoratif pour

salle

à

manger.

E.

n» 9.

Appartient

à

M. G. de Rothschild.

Les académies peintes par Henri Régnault des beaux-arts, ou chez M.

pendant

la

I

à l'École

amollie ont disparu

guerre, ainsi qu’un tableau repré-

sentant la Vierge et l’Enfant-Jésus.

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CATALOGUE COMPLET

•420

AQUARELLES Tète de soldat mort.

1864

(

Grâce.

— E. n° 80.

Étude

faite ail

Val-de-

Appartient à M. Georges Clairin.

1866

Brûleuses de varedis sur

la

du

côte

Finistère.

E. n° 81. Appartient à M. E. Jadin.

Environs de

pointe

la

du Raz.

— E.

n° 82.

DESSINS 1854 1855 1856

-

Bataille d’issus.

Bataille d’Arbeiles.

Bataille

de Rocrov.

E. n°

— F.

130. n° 131.

— E. n° 132.

Appartiennent à mademoiselle G. Erélon.

1858

-

Étude de cheval. Chèvres.

— E.

n° 167.

E. n" 143.

Bœufs d’Auvergne.

— E.

n° 144.

1859 1860

— -

1862

-

Portrait de M. Biot,

1863

-

Dix études d’animaux divers.

Labour avec des chevaux. Attelage de

— E. n° 145.

chevaux rentrant

les

moissons.

E. n° 146.

lit

de mort.

Portrait

de

— E.

membre de n° 190.

l’Institut,

sur son

E. n M 133 à 142. mademoiselle A. Régnault sœur de

l’artiste.

1864

-

Appartient i M. Victor Régnault.

Deux éludes de lions

et

de tigres.

— E.

n° 147

à 158.

Onze études au crayon pour un grand tableau la mise au Tombeau du Christ. E. n" 168 à 178. :

1865

-

Portrait de mademoiselle A. L*‘*.

Huit dessins à

la

mine de plomb.

Éludes

faites

d’après les chiens de chasse à courre du chenil

de Meudon.

Ë. n°

159

à

166.

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DE L'ŒUVRE DE HENRI REGNAULT.

— —

1865 1866

421

Adieux de Germanicus. E. n° 191. Paysan breton. E. n° 192.

Portrait au crayon

d’un paysan breton.

,

E.

n° 180.

Vues prises sur nenez et

les côtes

la Pointe

au crayon noir.

du

Finistère, entre Douar-

du Raz.

— E.

n°'

Dix grandes études 179 à 188.

Appartiennent à mademoiselle G. Bréton.

— Non exposé. —

Portrait

Portrait de mademoiselle A. liolmès.

de mademoiselle B***. Mine de plomb. posé.

Appartiennent A

Portrait

— Mine de plomb. de mademoiselle A.

madame

Non ex-

de Sainbris.

Non exposé.

lloltnès.

Dessin à la plume. Appartient à mademoiselle A. liolmès.

E. n° 276. Arabe à cheval. Dessin à la plume. E. Arabe à chameau. Dessin à la plume.

n" 277.

Appartiennent à

madame de

Sainbris.

Cheval arabe auprès du corps de son maître. Dessin à

la

plume.

Non exposé.

Appartient

à

H. Arthur Dtiparc.

Monsieur Victor Régnault possède un grand nombre de dessins qui n’ont pas été exposés et que l’on peut classer ainsi

1866

— —

:

Trente études de paysage d’après

les

environs de

1856 à 1862. deux cents dessins d'animaux d’après nature. 1862 à 1866. Environ cent études d’animaux et de paysages de Normandie. Six éludes au crayon. Plage d’Élrelat. Environ soixante dessins se rapportant au tableau de la Mise au tombeau du Christ. Sèvres.

Environ

MM. Henri Rendu, Tito Nicora, Briand,

"Albert

Rogat,

Henri Baillière, A. de Sainbris, R. Portalis et Jules Noël, pos."0

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CATALOGUE COUPLET

422 sédent aussi de

nombreux

dessins d’Henri Régnault, datés

de 1857 à 1860.

1869

PEINTURES 1867

Portrait

de madame A. F. D***.

— E. n° 42. Portrait de

Salon de 1868.

Appartient à M. Arthur Duparc. madame ’**. médaillon. Non

exposé.

DESSINS Portrait de

madame

A. F. D***.

E. n° 197.

D**\

Portrait de M. A. F.

— Mine de plomb

Mine de plomb.

Crayon noir.

E. n° 196. Portrait

de M. Ch. F. D***

— B.

n° 195. Portrait de

madame

— Crayon

Ch. F. D***.

E. n° 194. Portrait de

madame

L***.

Crayon noir.

n° 193.

Portrait de M. A. H’**.

noir,

— E.

Crayon noir.

Non

exposé. Appartiennent

Portrait de M. A.

II***.

M. Arthur Duparc.

fl

E.

Crayon noir.

Crayon noir.

n° 199.

Portrait

de madame A. H***;

E. n» 198. Appartiennent à M. Albert Huet.

Portrait noir.

de madame L***, à cheval.

Crayon

— Non exposé.

Appartient à

madame

Lepic.

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DE L’ŒUVRE DE HENRI REGNAULT. 1867

E. n“ 203.

Portrait

Portrait de mademoiselle P. B***.

Portrait

de mademoiselle G.

Crayon noir.

423

— Crayon noir.

mademoiselle G. B***.

Portrait de

B***,

— E. n” 201.

E. n° 200.

de M. L. B***.

à cheval.

— Crayon noir. —

Crayon noir.

E.

n“ 204.

Portrait

Portrait de M. Bida, dessinant.

mademoiselle

de

Crayon noir.

Jacquemart.

N.

E. n° 205. Appartient à

la

famille Bréton.

— Crayon noir. —

E. n* 200.

Portrait de M. Bida.

Portrait de M.

— Crayon noir. — E. n° 202. Appartiennent à M. Bida.

II.

Bussine.

Non exposé.

Portrait

de madame R. B***.

Crayon noir.

— Crayon noir. —

Non exposé. Appartiennent à M. B. Bussine.

1808

PEINTURES 1808

Automédon domptant

chille.

les

chevaux fougueux d’A-

Envoi de première année.

Non

exposé. Appartient à M. Horion.

Automédon. forme ovale.

Réduction

— E.

du

grand

tableau;

n° 06.

Appartient au cercle des Phocéens.

— Élude décorative. — Non exposé.

Paon.

Portrait

Appartient à M. Laguillermie.

de madame

terminé.

la

vicomtesse de D**\

— E. n° 44.

— Non

Appartient à M. le vicomte de Dampierre.

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425

DE L’ŒUVRE DE HENRI REGNAULT. 1868

Intérieur de

la

— E. n° 89.

cathédrale de Burgos.

Appartient à H. Cahen d'Anvers.

Jubé de

la cathédrale

— E. n° 90.

de Burgos.

Appartient à M. Rouley.

Madame de

— — — — — — — —

B***.

— E.

n° 86. Appartient au Musée du Louvre.

v

Portail

d église à Avila.

— E.

n” 99.

Appartient à M. G. de Rothschild.

— E. n” 87.

Aguador de Madrid.

Appartient à M. R. Portalis.

— E. n° 88. Manchégo. — Non exposé.

Manchégo.

Appartient à M. Marmontel.

Appartient

E. n. 83.

Paysan d’Aragon. Paysanne espagnole.

A

M. Gauchez.

.

— Non cataloguée. Appartient à M. Dreyfus.

Paysan

espagnol

,

paysanne

Non catalogué. Homme du peuple à Madrid.

et

leur enfant.

Non

catalogué.

DESSINS

— —

Portrait de

plomb. —

madame

la

princesse G.

E. n° 207.

Portrait de M. d’Épinay.

Mine de

Mine de plomb. E.

n° 208. Appartient à M. d’Épinay.

Berger

italien

Pifferaro de la

campagne romaine

sur bois

Dessins

Non ca-

— E.

n° 219.

appuyé sur son bâton.

talogué.

pour l’ouvrage de M. Francis

Wey Rome. :

— — —

— E. n° 246. — E. n° 247.

Élude de draperies. Pifferari.

Femme du

Transtévèrc.

— E.

Joueur de mora.

— E. n° 217.

Le chapitre de

la

n° 218.

cathédrale de Burgos.

E.

n° 213.

56

.

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CATALOGUE COMPLET

42G

1868

— — —

L’Espagne délivrée.

— E.

n° 210.

Intérieur d’une fonda espagnole.

— E. n° 209.

Groupe d'insurgés espagnols. E. n° 220. Sentinelle pendant la révolution. Effet de nuit.

— E. n° 215.

— —

E. n° 21fL Élude de gitane. Intérieur d’une cour à Madrid.

— —

Intérieur d’une posada. E. n- 225,

plume.

— E.

n° 225.

Environs de Madrid.

— — Dessin à

n° 226.

Dessin à la

la

plume.

E.

Dessin à la plume. ,

— —

— E. n° 214. — Dessin à plume. —

Route montant à

— —

plume. E. n° 221. Intérieur d’une posada espagnole pendant

Petit guitariste espagnol. Avila.

la

E. n° 222. Avila.

— Croquis à

volution.

la

— E. n* 2JLL

la

ré-

1869

PEINTURES 1869

Arrivée du général Prim

devant Madrid, le 8 octobre 1868, avec l’armée révolutionnaire es-

pagnole.

— — Ébauche. — E.

Salon de 1869. E. il 34. Appartient au Musée du Luxembourg.

Le maréchal Milans del Bosck. n° 35.

— —

Appartient à

madame

Portrait de

— E.

la

duchesse de Castiglione-Colonna.

madame de

B***.

Salon de 1869.

n° 4îL

Toréador.

Appartient à M. le comte de Barck.

E. n° 36. Appartient à M. Cahcn d’Anvers.

Judith et Holophcrne. née.

— Non

— Envoi de deuxième an-

exposé. •

Appartient au Musée de Marseille.

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DE L’ŒUVRE DE HENRI REGNAULT. 1869

Alhambra de Grenade. Entrée de E. n“ 57. Deux-Sœurs.

427 la salle

Appartient A M. Calien d’Anvers.

Alhambra de Grenade.

Salle des bains.

des

E. n° 54.

Alhambra de Grenade.

— E. n° 58.

Appartient à M. Bréton.

Salle des

Deux-Sœurs.

Appartient A M. G. de Bollischild.

Alhambra de Grenade. lions.

— E.

— Colonnade du

patio des

n* 59.

Appartient A mademoiselle G. Bréton.

AQUARELLES Bain des

femmes

à l’Alhambra

de Grenade.

E. n° 91.

— Non exposée. Alhambra de Grenade. — Entrée de des Deux-Sœurs. — E. n° 95. au Musée du Alhambra de Grenade. — des Abencerrages avec cour des Lions. — E. n° 92. de Alhambra de Grenade. — Patio des —

Alhambra de Grenade.

Appartient A M. Clairin. la

Appartient

salle

Louvre.

Salle

la

Appartient A M. G.

Rothschild.

lions.

E. n° 93. Appartient A M. Redit.

Alhambra de Grenade.

— Intérieur et mirador de — — — E.

la salle des Deux-Sœurs. E. n° 90. Alhambra de Grenade. Cour des lions.

n° 97.

— E. n° ICO. — Étude. — E. n° 107. Appartient madame Normans. Alhambra de Grenade. — Porte intérieure. — E. Fontaine de P Alhambra de Grenade.

Appartient à M. A. de Rothschild.

Alhambra de Grenade.

A

n° 101. Appartient à M. Calien d’Anvers.

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CATALOGUE COMPLET

428

1869

Cour mauresque avec un

laurier rose.

— E. n° 94.

— Grenade.

madame Nathaniel de Rothschild. Lavoir mauresque à Grenade. E. n° 98. Appartient à madame Nathaniel de Rothschild. Lavoir mauresque à Grenade. E. n° 100. Appartient à madame Nathaniel de Rothschild. Appartient 4

DESSINS madame

Portrait de

de plomb.

la

duchesse de M**\

Appartient

Portrait de noir.

madame

la

à H. le

Mine

duc de Mouchy.

comtesse de S***.

E. n* 230.

madame de

Portrait de

E. n° 228.

L***.

— Crayon

— Crayon noir. —

E. n° 229.

Barcelone.

- E.

—Cour du Palais de justice. —

Crayon.

n° 227.

Intérieur de la cathédrale de Barcelone.

E.

n° 21,2.

Alhambra de Grenade.

— E.

Patio des lions.

Mirador de Lindaraja.

n° 232.

Alhambra de Grenade.

— E.

n" 233.

Première cour de

l’

Alhambra de Grenade.

— E.

n° 231.

Chapiteau de colonne à P Alhambra. Croquis

plomb.

— — E. n° 239.

de

figures.

Espagne.

Croquis de maisons et d’intérieurs.

— E. n° 224. — Mine de —

Espagne.

E. n» 238.

— Espagne. — E. n° 236. Croquis de figures. — Espagne. — E. n° 237. Croquis d'albums réunis, avec indications — non catalogués. Intérieur de maison espagnole. — Non catalogué. Croquis de figures.

écrites.

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.

DE L’ŒUVRE DE HENRI REGNAULT. 1869

— — —

429

mosquée de Cordoue. — E. n° 249. — 3 dessins. — E. n° 250, 251, 254. Paquita. — Deux dessins. — E. n° 265, 266. Alicante. — Onze dessins. — E. n° 252, 253, 257, Étude de

la

Majorque.

259, 260, 262, 267, 272, 273, 274, 275.

— Deux dessins. — Non catalogués.

Alicante.

«890

PEINTURES 1870

— — —

Salomé.

— Salon de 1870. — E. n° 55. Appartient à

Le départ pour

la fantasia, à

madame de Tanger.

Cassin.

— E. n° G1

Appartient à M. Fressinet, de Marseille.

La sentinelle marocaine.

— E. n“ 60.

Appartient à M.

Exécution

Grenade.

le

sans jugement

Envoi de

baron de Rothschild.

sous

les

califes

troisième année.

de E.

n° 64.

— — — — —

Appartient au Musée du Luxembourg.

— E. n° 63. — E. n° 50. 62. Patio à Tanger. — E. — E. n° 41. Étude dans de de madame — Galerie porte de de Intérieur d'un

harem marocain.

Appartient à M. Baron.

Sortie

du pacha à Tanger. ji“

Séville.

l’alcazar

Appartient à

G.

Rothschild.

Séville.

l’alcazar

et

E.

n° 53.

Négresse dansant.

Appartient à M. Fouret.

Ébauche.

— Non exposée.

Appartient à mademoiselle G. Bréton.

AQUARELLES Citadelle d’Alicante.

— E. n° 102.

Lavoir aux environs d’Alicante.

— E. n° 103.

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CATALOGUE COMPLET.

430 1

870

— — — r—

Environs d’Alicante.

E. n* 104. Appartiennent à M. Ad. Fould.

— E. n° 105. Baron. — E. n" 110. n* 109. llaoua. — Intérieur de harem. — Namouna. — E.nMOS. Hassan Étude à l’alcazar de Séville.

Appartient A M.

Intérieur de harem.

E.

et

Appartiennent à mademoiselle G. Bréton.

DESSINS Alcazar de Séville.

— Sept dessins. — E. n” 240 à

245, 248. Dix dessins. Guadix.

261

,

E. n° 255, 256,

258

263, 264, 268, 269, 270, 271. M. A. Bida, en garde national.

Portrait de

E. n° 234. Appartient à mademoiselle G. Bréton.

Portrait de M. Victor Duruy, en garde national.

E. n* 235. Appartient à mademoiselle G. Bréton.

FIN

DO CATAIOGCE-

i

I

»»n

X4i7

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TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE PREMIER.

Enfance de Régnault. 19 janvier 1871. débuts dans la peinture. Concours pour Départ pour Rome

CHAPITRE Rome.

Ses études. le prix

Ses

de Rome.

— 1

II.

— Portrait de madame — Se— Automédon. — Départ pour l’Es-

Retour à Paris. cond séjour à Rome.

D...

pagne

40

CHAPITRE

Espagne. Madrid. général Prim

— La révolution espagnole. — Portrait du 175

CHAPITRE

IV.

— Judith. — Salomé. — Départ pour

Troisième séjour à Rome. Grenade. L’Alhambra.

— Tanger,. .......

CHAPITRE Retour à Paris. Régnault

III.

254

— Le Siège. — Exposition des œuvres de Henri 380

Catalogue couplet pe l’ieuvue de Henri Régnault

AMS.

.

V.

ntr. S1HOH

RAÇOH BT coup., hue D’jülFUitTH,

415

1.

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