Joseph, Carle et Horace Vernet correspondance et biographies, 1864

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CORRESPONDANCE ET

BIOGRAPHIES

PAR

AMEDEE DURANDE

à PARIS COLLECTION HETZEL J.

HFTZEL, LIBRAIRE-ÉDITEUR I

8

,

RUE JACOB



JOSEPH, CARLE

HORACE VERNET


PARIS.

— 7,

J.

CLAYE,

IMPRIMEUR

PUE SAINT- BENOIT


JOSEPH, CARLE ET

HORACE VERNET CORRESPONDANCE ET

BIOGRAPHIES

PAR

AMÉDÉE DURANDE

PARIS J.

COLLECTION HETZEL HETZEL, LIBRAIRE-EDITEUR I

8,

RUE JACOB,

Tous

l8

droits réservés.



MM. HORACE ET PHILIPPE

A

DELAROCHE- VERNET

Cher s Amis

En vous votre bien

dédiant cette histoire, je ne :

été détachés

Je

,

les feuillets

dont

elle se

fais

que vous rendre

compose

du Livre d'or de votre famille?

compte sur

l'intérêt

qui s'attache aux

pour

j'ai

essayé de retracer

ma

propre insuffisance; mais, quel que soit

la vie,

à ce travail, je ne le regarderai pas être

n'ont-ils pas

hommes dont

faire oublier

comme

au lecteur

le sort

inutile,

pour vous une preuve de ma très-cordiale

réservé s'il

et très-pro-

fonde affection,

Amédée DURANDE.

Mont-Bauron

,

1^

peut

juillet 1863.

1



AVANT-PROPOS

A

une époque où

l'on a fait

d'une idée, d'une phrase,

même

d'un mot, une propriété que l'on peut revendiquer, judiciairement,

il

faut agir avec

une grande circonspection,

sous peine de s'entendre accuser de plagiat.

Commençons donc par venté les

faits relatés

l'histoire,

et les

partout où

ils

Outre

les

disposition,

déclarer que nous n'avons pas in-

dans ce volume. Cette histoire est de

matériaux qui

la

composent ont

été pris

se trouvaient.

documents inédits que nous avons eus

à.

notre

nous avons dû consulter tout ce qui avait

déjà écrit sur les Vernet.

Nous avons

extrait des travaux

nos prédécesseurs ce qui nous a paru tombé dans

le

été

de

domaine

public, c'est-à-dire les actes; quant à nos jugements, nous

nous sommes efforcé de ne

les

emprunter à pérsonne.

Afin d'épargner au lecteur l'ennui d'abaisser les yeux, à

chaque ligne, jusqu'au bas de

la

page, indiquons

ici

les

sources principales auxquelles nous avons puisé. 11

y a quelques années, M. Léon Lagrange a eu

la

bonne

fortune archéologique de découvrir, à Avignon, une sorte


AVA NT-P ROPOS.

4

A' agenda sur lequel Joseph Vernet inscrivait, jour par jour,

moindres événements de sa vie

les

commandes de

:

payements de fournisseurs, jmenus

tableaux,

frais quotidiens, etc..

Ces notes sont une vraie mine de renseignements précieux pour l'histoire de

accompagné

prendre,

à

leine

1

e

siècle.

pour

lequel

M. Lagrange a

et

il

apparence

a eu raison; mais

aux curieux de

aucun

n'a négligé

il

forcément un travail

est

s'adresse

il

;

xvm

insignifiants en

détail; les plus

son travail

au

texte des manuscrits qu'il a publiés d'un

le

savant commentaire

bons

l'art

lui il

ont semblé

s'ensuit

que

de très-longue hascience,

la

à ceux

qui veulent tout regarder au microscope et qui pensent

qu'en

fait

un ciron vaut parfois un éléphant.

d'histoire

Ces gens-là n'ont peut-être pas

mais

tort;

ils

sont peu

nom-

breux, et composent un public spécial. Nos visées sont plus

modestes

et plus hautes

dédaigné, tes,

les

comme

en

même

anecdotes racontées par

vanche, nous avons laissé de côté la

du

même

le

-

la

plupart des lecteurs.

et

nos doubles recher-

point ne feront pas double emploi. C'était,

reste, le parti le plus

prudent à prendre; car

prétention de

le refaire.

Des

examinant

critiques,

minutieux

les détails trop

même,

de M. Lagrange est trop bien la

nous n'avons pas

contemporains; en re-

les

patience de

Notre but n'est donc pas le

:

devait le faire M. Lagrange, les historiet-

qui eussent fatigué

ches sur

temps

fait,

le travail

pour qu'on puisse avoir

les livres

de comptes de Joseph

Vernet, ont trouvé cette préoccupation quotidienne et

du doit

avoir beaucoup plus digne d'un commerçant ou d'une

ménagère que d'un 1.

Joseph Vernet

et

artiste

la peinture

2 .

On

a dit avec

au xvin e

un

siècle, 1 vol.

certain dé-

de 500 p. in -8°.

Paris, Didier, 1864. 2. Il faudrait,

pour être logique, adresser

le

même

reproche à Michel-


AVANT-PROPOS. dain que Vernet était citoyen,

»

«

bon mari, bon père de

somme un

en

dans

vrai bourgeois,

famille, le

bon

sens peu

qu'on a donné à ce mot, ou mieux un Philistin,,

flatteur

suivant l'expression des étudiants allemands. Mais, grâce à Dieu, le temps est passé où l'on croyait que

une indissoluble

le

désordre et

et

nous ne demandons plus à un écrivain ou

vices

fait

à

alliance,

un peintreJes D'ailleurs,

de ces fantaisistes à outrance qui font de

une vertu nécessaire aux

prodigalité

pour

génie avaient

que nous reprocherions à un autre homme.

reste encore

s'il

la

le

que

les contenter,

le

artistes, ajoutons,

soin avec lequel Joseph Vernet

notait seS dépenses

ne l'empêchait pas de mal équilibrer

son budget. Vers

fin

la

de sa carrière, malgré

fabuleuses qu'il avait gagnées,

dans

gène,

la

Lavoix

1 ,

valier de

il

Langeac

il

trouva plus d'une fois

se

le faisait

exact de toutes

du

mangé mon bien,

mes dépenses,

ma

de

cette profession

si j'ai

par où a passé côté

que

sommes

observer M. Henri

aurait pu emprunter à son contemporain

ruiné; mais,

A

ainsi

et,

les

et je

foi j'ai

naïve

:

«

le

che-

Je suis

tenu un compte

puis dire, sou par sou

'

fortune. »

travail

de M. Lagrange,

il

faut placer les trois

études publiées par M. Charles Blanc sur Joseph, Carie

Horace Vernet; on y retrouve le

les qualités

et

qui distinguent

savant éditeur de la Vie des Peintres. Nous avons ce-

pendant une petite querelle à

faire à

M. Charles Blanc; tout

en rendant justice d'autre part à un très-bon article publié

dans

la

Revue contemporaine

2 ,

il

blâme

l'auteur,

M.

Oli-

Ange dont les Ricordi contiennent beaucoup de détails aussi infimes. Voyez sur ce sujet un très-intéressant article de M. Charles Clément, dans ( le Journal des Débats du 27 mars 1864 ). ,

1.

Moniteur du 25 février 1864.

2.

Livraison du 15 février 1863.


6

AVANT- PROPOS.

vier Merson, d'avoir

demandé des

race Vernet aux divers

détails sur la vie

membres de

sa famille

:

ce

d'Ho-

mode

d'investigalion est dangereux, dit-il, et le critique, en agis-

sant ainsi, perd toute indépendance.

Nous n'avons pas mis-

sion de défendre M. Olivier Merson, mais ce reproche

tombe

par avance sur notre propre travail, puisque nous avons puisé nos renseignements à

pouvons l'accepter en

silence.

pensable de compléter les

moyen de

la

même

source, et nous ne

Nous croyons

faits enregistrés

qu'il est indis-

par l'histoire au

la tradition, cette tradition eût-elle été

conservée

par des personnes intéressées à l'embellir. Maintenant, qu'il y ait certains inconvénients à procéder de

la sorte,

que

l'on

courre risque de se laisser influencer par des motifs de courtoisie ou d'affection étrangers à est hors de doute; mais nul n'a

la

le droit

saine critique, cela

de se targuer d'une

indifférence absolue. Si M. Charles Blanc veut bien faire petit retour sur

lui-même,

être pas tout à fait tres.

Quand

il

il

comprendra

exempt du péché

a étudié la vie et les

qu'il

qu'il n'est

un

peut-

reproche aux au-

œuvres d'Horace Vernet,

ses opinions personnelles n'ont-elles pas égaré son juge-

ment,

et

son peu de sympathie pour

l'homme ne lent

l'a-t-il

le

rôle politique

de

beau

ta-

pas rendu trop sévère pour

le

du peintre?

Horace Vernet a eu un grand nombre de biographes, depuis M. de Loménie jusqu'à M. Jacquot de Mirecourt; toutes les revues, tous les journaux ont publié des articles

sur

lui à

l'époque de sa mort,

versement apprécié,

à

et,

durant sa vie,

il

a été di-

chaque exposition nouvelle, par

écrivains les plus distingués.

Il

suffira

de citer

Paul de Saint-Victor, etc.

H. Delaborde,

noms

MM. MériEdmond About.

d'Alfred de Musset et de Gustave Planche, de

mée, Théophile Gautier,

les

les


AVANT-PROPOS. Parmi

flatté

:

honneurs nécrologiques rendus à

les

du grand

7

artiste,

il

en est un

qui

mémoire

la

particulièrement

l'eût

M. Sainte-Bouve, ce maître mosaïste de

la

critique,

après avoir pris communication d'une partie des papiers

Horace Vernet,

laissés par

charmantes

fines, finies et les fois

lui a 1 ,

consacré une de ces études

dans lesquelles

que son jugement ne se trouve point faussé par des

préoccupations étrangères au sujet qu'il

ment pour nous,

la

matière

le

traite.

Heureuse-

l'espace restreint qu'il avait à sa disposi-

tion n'a pas permis au célèbre

que

excelle, toutes

il

causeur de s'étendre autant

comportait autrement, ;

il

serait impossible

de trouver quelque chose à glaner sur son passage. Les-lecteurs qui ont déjà lu son remarquable travail et qui liront

•dans ce

livre

la

correspondance d'Horace Vernet seront

du

exquis dont

frappés de

la

M. Sainte

Beuve a donné une preuve de plus en

-

sûreté de goût,

a choisi, d'une

constance.

Il

qu'il avait

sous les yeux,

le

main

offert à

dans

infaillible,

dessus du panier,

plus délicates et les plus suaves,

cieux bouquet,

tact littéraire

il

les lettres

les fleurs les

en a composé un déli-

après l'avoir entouré d'un

et,

cette cir-

fil

d'or,

il

l'a

son public, c'est-à-dire au public tout entier.

Nous nous sommes donc aidé des recherches de nos devanciers, et nous n'avons apporté,

que

les traditions

comme

de famille léguées par

élément nouveau, les

Vernet à leurs

descendants. Ces indications nous ont semblé préférables à toute autre,

chaque

fois qu'elles

ne se trouvaient pas dé-

menties par une certitude historique. Mais rêt de ce

volume, son seul intérêt peut-être, consiste dans

nombreux

Voyez

le

les

chapitres où notre rôle s'est borné à celui d'édi-

teur consciencieux.

1.

véritable inté-

le

De

Coyistitutionnel

ces chapitres nous pouvons parler

,

n os dos 18 et 26 mai,

1 er

,

8 et 9 juin 1863.


AVANT - PROPOS.

s

sans crainte, et nous devons dire tout

sommes juge

pensons, puisque nous

Les

bien que nous en

le

non plus

et

partie.

d'Horace Vernet qui ont été publiées dans

lettres

divers recueils ont donné déjà

un avant-goût de ce que

correspondance complète pouvait piquait pas de littérature;

tons-le, fort gêné,

être.

eût été bien surpris, et, ajou-

il

avait pensé

s'il

que

sa prose familière

dût être un jour livrée au public. Aussi y naïveté

même

charme

particuliers

et

vains plus consommés. trotter sa

plume

passe par

la tête

a-t-il

dans cette

dans ce manque d'apprêt une saveur

que

;

était

bride sur

la

et

un

trouve rarement chez des écri-

l'on Il

sa

Notre peintre ne se

de le

bonne école

la

cou;

il

:

il

laisse

dit tout ce qui lui

a sans cesse de ces bonheurs d'expres-

il

de ces audaces, de ces rencontres, de ces hasards de

sions,

mots, que n'osent pas risquer ceux qui font leurs phrases

en vue Il

et

pour

écrivait

ainsi dire sous les

comme

yeux des

lecteurs.

peignait, sans ratures, sans repentirs

il

montrent toutes

et sans retouches. Ses lettres

les facettes

de

son esprit changeant. Les personnes qui l'ont connu seront

peut-être étonnées de

lui

découvrir des mérites qu'elles

n'avaient pas soupçonnés en lui

incompatibles avec son

ment

il

humeur

,

et

qu'on aurait pu croire

prime-sautière.

même un

était gai, vif, voire

nière de ses amis les troupiers; mais qualités

que tout

monde

le

une certaine profondeur

et

peu loustic à il

alliait

seulela

ma-

encore à ces

se plaisait à lui reconnaître

une

ment. Ses appréciations sur

Non

les

parfaite rectitude

hommes

de juge-

qu'il a rencontrés

et

sur les pays qu'il a visités, sont

loin d'être superficielles.

Presque toujours, sous une forme

en courant

le

monde,

légère en apparence

questions qu'il agite feraient

,

;

honneur à un

il

touche d'un mot sûr au fond des

il

a tantôt des aperçus politiques qui

homme

d'État, tantôt des réflexions


AVANT-PROPOS. que ne désavouerait pas un moraliste de profession. Mais c'est surtout

excelle, car

dans il

le

genre descriptif

et

dans

le

portrait qu'il

se retrouve alors sur son véritable terrain,

peut déployer toute sa verve pittoresque, et l'on dirait écrit avec

un pinceau,

tant

personnages ou aux objets Il

et

qu'il

donner de couleur aux

sait

qu'il veut

dépeindre.

y a encore, dans cette correspondance, des tendresses

des gamineries adorables.

Vernet le

il

il

était resté

A cinquante ans passés,

certainement beaucoup plus jeune que ne

nombre de jeunes

sont aujourd'hui

une grâce spéciale

,

l'homme,

sûr, ce défaut chez lettres,

un

artiste

gens. Chez lui, par

mesure

à

touffa point l'enfant; c'est peut-être

Ces

Horace

qu'il grandit, n'é-

un défaut, mais,

ressemble

fort à

une

nous n'en doutons pas, plairont à

à

coup

qualité.

plupart

la

des lecteurs, et elles trouveront une place digne d'elles

dans

la

bibliothèque des gens de goût

de nos maîtres,

soit entre

la

à

œuvres

côté des

correspondance du président

de Brosses et celle de Jacquemont, Orient de Gérard de Nerval et

soit-

entre le

Voyage en

Voyage en Espagne de

le

Théophile Gautier.

Nous voudrions avoir une égale confiance dans de ce livre dont nous devons assumer seul lité;

mais ce qui nous rassure,

rôle, et

oublier

nous osons espérer que la

c'est la le

la

la partie

responsabi-

modestie de notre

charme du tableau

simplicité de son cadre.

L

i

fera



JOSEPH, CARLE ET

HORACE VERNET

I

Antoine "Vernet.

Madame

un peintre des tons. quier.

— Naissance

de Simiane. et

— La

un mât. Pergolèse.

— Un père jaloux de son — Une tempête, et découragement. — L'alphabet

de Joseph.

— Misère — Rivalité

petite -fille

fils.

Départ pour Rome.

d'un cardinal et d'un perru-

d'un archevêque.

François Poisson

,

Livio

et Orazio.

marquis de Marigny.

Les Vernel sont originaires d'Avignon.

Le premier d'entre eux sur lequel on seignements précis

,

ait

quelques ren-

Antoine Vernet, exerçait

de peintre d'attributs, à

la

fin

du xvn

e

la

siècle;

profession il

décorait

des panneaux de voitures et de chaises à porteurs 1 . Plus habile qu'un simple toutefois prétendre

1.

On

Antoine ne pouvait

titre d'artiste, et,

sans

le

bruit qui

conserve au musée Calvet, à Avignon, deux spécimens de son

un Bouquet de fleurs accompagné d'oiseaux au plumage varié un Double Ecusson armorié , supporté par des lions. (N 09 280 et 281. )

savoir-faire, et

au

ouvrier,


JOSEPH, CARLE

12

se

par

fit

autour de son nom, sa modeste person-

la suite

nalité serait à jamais restée

dans l'ombre de l'histoire.

Arrivons donc, sans autre préambule, à son table chef

de

la

le véri-

fils,

dynastie des Vernet.

Joseph naquit à Avignon,

le

4

4 août 4714.

L'enfant annonça de bonne heure ce que devait être

l'homme, porains

1 .

s'il

témoignage de ses contem-

faut en croire lè

Son premier hochet que sa mère

singulier joujou lorsqu'il criait.

On

un pinceau;

fut

lui

était obligé

donnait pour

c'était ce

calmer,

le

de serrer avec soin toute

espèce de crayons; aussitôt qu'il en découvrait un,

musait à retoucher sait ce qu'elles

les

compositions de son père,

il

s'a-

Dieu

'et

devenaient sous ses petits doigts.

Antoine, pour ne pas contrarier ces dispositions précoces

de son

fils,

lui

fit

cadeau, dès qu'il eut atteint sept ou huit

ans, d'une palette et d'un chevalet proportionnés à sa

Mais

il

fallut bientôt

en

plaisir se convertit

taille.

songer à des études sérieuses, travail,

tout en restant

un

et le

plaisir.

Outre son père, Joseph paraît avoir eu pour premiers maîtres

un autre peintre

d'attributs,

d'histoire, Philippe

La

un il

Yiali,

et

un peintre

Sauvan.

famille Vernet était

frères

Jacques

ou sœurs,

si

nombreuse. Joseph avait vingt

l'on en croit la tradition; et

n'y avait jamais trop d'argent à

la

et

comme

maison, chaque enfant,

dès qu'il commençait à être en âge d'utiliser son esprit ou ses bras, devait penser à gagner sa vie.

A

quatorze ans, Joseph exécutait

fort

convenablement des

écrans, des panneaux de voitures ou de chaises à porteurs, voire l'état

1.

p.

même

des trumeaux, enfin tout ce qui concernait

de son père.

Correspondance littéraire,

488 et suiv.

édit.

Furne

et

Ladrange

,

1831,

t.

XIV,


ET HORACE VERNET. Vers

la fin

de 1731,

le

marquis de Caumont

une commande importante.

nir

Aix Phôtel de Simiane. Une Joseph voulut qu'ils

aller

13

Il

fois

s'agissait

fit

de décorer à

sur l'emplacement

Son protecteur n'eut pas

devaient occuper.

obte-

ébauches terminées,

ses

ses tableaux

finir

lui

à

se

repentir de s'être entremis dans cette affaire, car voici ce

que «

lui

écrivait l'aimable petite-fille de

M. Vernet

est content, et

M me

moy beaucoup de

sus de porte sont admirables

;

j'en

une certaine jalousie à son père, finit

»

paraît-il, inspiré

mauvais sentiment

par se manifester d'une façon trop évidente. Voici à

quelle occasion

:

Antoine se

dans ses travaux.

fils

et ce

:

luy. Ses des-

ay pris douze

Les talents précoces de Joseph avaient,

de Sévigné

ensemble

la

salle

Ils

faisait

furent

souvent aider par son

un jour chargés de décorer

d'un hôtel. Lorsque leur double tâche fut

terminée, on ouvrit les portes aux curieux. Parmi les visiteurs se trouvait

un

cardinal, qui, après avoir fort

admiré

panneaux de Joseph, passa sans rien dire devant ceux

les

d'Antoine. Le père ne sut pas dissimuler plus longtemps sa secrète envie; fils,

et celui-ci

il

éclata en reproches violents contre son

dut se retirer dans une mansarde, où

il

tra-

vailla seul.

Le cardinal qui avait su apprécier Joseph continua de s'intéresser à

le talent

lui

:

il

naissant de

vint le voir, et,

ayant trouvé sur un chevalet une esquisse de paysage qui lui plaisait,

il

l'acheta, séance tenante.

Joseph avait vingt ans, lorsqu'il se décida à partir pour l'Italie.

La

triste situation

qu'il devait avoir

désormais au

milieu de sa famille lui permettait d'envisager sans crafnte la

perspective d'un long exil.

1.

Lettre citée par M. Lagrange.

De

plus,

il

éprouvait un vif


JOSEPH,

C A RLE

Rome que

désir de faire ce pèlerinage de

les artistes entre-

prennent toujours avec une véritable dévotion.

ne

lui

frais

de

Il

manquait qu'un peu d'argent pour subvenir à ses

Deux grands seigneurs provençaux qui l'avaient protégé, le marquis de Gaumont et le comte de Quin-

route.

déjà

son, se chargèrent de lever cette. dernière difficulté.

Moyennant une somme modique, Joseph

se

fit

conduire à

un voiturier d'Avignon. Les premières im-

Marseille par

pressions de nature qu'il éprouva pendant ce voyage déci-

dèrent de sa vocation. Lorsqu'il aperçut

la

hors de

s'installa

au pied

du

soleil, et

d'un rocher

qifi le

défendait contre

ne quitta son étude qu'à

mourant de

seulement, voisine.

Le lendemain,

dre

la

violence

tombée de

la

faim,

il

il

il

une

se tint

lieu.

Alors

nuit.

la

gagna l'auberge

se procura

pendant sept jours,

leurs, et,

la

s'élança

il

de son guide ne purent l'arracher de ce

les instances Il

crayons,

voiture, saisit ses

la

mer,

toile et

la

plus

des cou-

enfermé pour pein-

plus détestable marine qu'il ait faite de sa vie,

s'il

faut en croire son propre jugement.

un bâtiment qui

quitta enfin Marseille sur

11

Italie.

Ce

pendant cette traversée que se passa un épi-

fut

sode qui, pour avoir été souvent raconté,

moins

fort suspect.

à la hauteur de il

se. trouvait,

voir

tendit s'écrier

que au

l'île

de Sardaigne,

Joseph se

On

danger

le

lieu

temps

ajoute :

«

est pas

n'en

On prétend qu'une tempête ayant fit

mieux contempler

déchaînés.

se rendait en

la

la

attacher à

assailli

felouque sur laquelle

un mât,

afin

de pou-

sublime horreur des éléments

même

que, plusieurs

Mon Dieu

!

que

c'est

n'était pas bien grand,

fois,

beau

!

»

on l'enIl

paraît

puisque l'équipage,

de s'occuper des manœuvres, pouvait perdre son

à lier

thousiastes.

un passager

et à

écouter ses exclamations en-


HORACE VERNE T.

ET Quoi

qu'il

en

soit,

15

Rome

Joseph arriva à

sain et sauf, au

commencement de l'automne de 1734. avait peu

Il

mais

d'écus dans sa poche,

était riche

il

d'espérance et de jeunesse.

Le marquis de Quinson

seph

Fouque. Jo-

écrivait de lui, après sa première visite

paraît joli garçon;

gens qui puissent

y a moyen de

s'il

lui être utiles, je

de re-

lettre

jésuite, le père

dès son arrivée, et voici ce que

alla le voir

Fouque

donné une

lui avait

commandation pour un savant

le «

:

père

me

Il

l'introduire auprès de

ne

manquerai pas

le

La protection promise n'eut sans doute

1 .

»

au début, de

pas,

très-brillants résultats; car Vernet vécut d'abord

en faisant

des dessins qu'il était trop heureux de vendre un sequin

ou deux. il

et

Il

sa

monnaie à

ceux qui eurent

célèbre

monnaie de peintre;

payait ses fournisseurs en

que

est vrai

lui était

frappée au bon coin,

patience d'attendre qu'il fût devenu

la

donna pour un

une culotte

habit,

et

une

tableau qui depuis se vendit mille écus à

de M. de Julienne. exigences,

si

Il

arriva

il

cardinal

d'argent l'avait

le conseil

fait réfléchir, et la

les

il

deux qui

lui

Le

songeait sérieu-

il

se présenta chez

parurent

le

Il

un

choisit

mieux réus-

porta à l'adresse indiquée. Mais cfuelle ne fut pas

sa tristesse, lorsque, après avoir fait

de longues heures,

1.

même

fortune lui vint en aide.

d'un de ses amis,

parmi ses marines

petit

cependant un jour où ses

qui passait pour un amateur éclairé.

sies, et les

un

Il

célèbre vente

se trouva réduit à la misère.

sement à se rapatrier, lorsque Suivant

veste,

la

modestes qu'elles fussent, ne purent

plus être satisfaites, et

manque

marchés.

n'eurent pas à se repentir de leurs

Lettre publiée par

il

antichambre pendant

se vit obligé de s'en retourner

M. Lagrange.

comme


il

C A RLE

JOSEPH,

16

même

venu, sans

était

expliqua

lui

obtenir

la

moindre audience! On

causes de sa mésaventure.

les

que

sa naïveté provinciale,

des grands est d'or, ou, à tout

le

ignorait, dans

donne accès auprès

clef qui

la

Il

moins, d'argent. Son ami

l'engagea à renouveler l'épreuve, après lui avoir fourni des instructions formelles sur la conduite qu'il devait tenir. alla

donc frapper une seconde

nence

mano

remit la buona

,

avec tous

tôt introduit

fois à la

qui de droit

à

même

Il

Émi-

et fut aussi-

,

égards dus à ses baïoques. Le

les

cardinal examina les tableaux en

acheta sans

porte de Son

en demander

parfait connaisseur, les le prix, et

donna

l'ordre

de compter quatre louis à Joseph. Cette bonne aubaine per-

du moins au jeune peintre de

mettait

temps

Rome,

à

et

rester encore quelque

d'y continuer ses études d'une manière

sérieuse. travailla

Il

successivement dans

de Bernardino

l'atelier

Fergioni et dans celui de Manglard; mais ce fut surtout

Le

nature qui se chargea de son éducation. meilleur, maître des paysagistes.

campagne

explorait la

tout le jour,

objets et

une mémoire

ne

il

infaillible.

l'oubliait jamais.

variés et

si fugitifs

de

la

rendre

les

différentes

disait-il, ce résultat la

du bleu

1.

:

il

peignait ce qu'il

et

1

qu'il avait

regardé une

un compte exact des

teintes

la fin

comment

il

jour,

il

de sa

effets

vie,

il

était arrivé a

de l'atmosphère

aux études minutieuses

campagne de Rome. Un le

Ce

lumière. Vers

racontait à l'un de ses amis

dans

savait bien

se préoccupa surtout de la

Il

coloration et chercha à se rendre si

le

le

Ses yeux avaient une perception très -nette des

voyait.

fois,

Vernet

soleil est

la

:

il

devait,

qu'il avait faites

avait peint

un

ciel

plus transparent, et ses reflets sur tous les objets

Correspondance

littéraire, loc. cit.


17

qui composaient son tableau lui avaient paru d'une scru-

puleuse exactitude.

Il

même

revint, le lendemain, à la

l'horizon était sans nuages

comme

place

la veille, l'air était

:

aussi

limpide; cependant son étude n'avait plus cet accent de vé-

qui l'avait

rité

tous les détails de sa composition

satisfait, et

prenaient un aspect différent de celui qu'il croyait avoir bien

épreuve

saisi. Cette

le fit réfléchir

comprit que

il

:

si

l'effet,

dans

la

nature, est instantané, et que

près

le

rôle d'un kaléidoscope gigantesque dont les verres

le soleil

de couleur forment des combinaisons diverses tourne. Fort de cette découverte

le

tablettes sur lesquelles

différentes de l'azur

de

la

lumière

il

du

notait

ciel,

et ses reflets

,

à

joue à peu

mesure qu'on

Joseph imagina des

non-seulement

mais encore tous

nuances

les les

accidents

sur les mille et un détails du

paysage.

Un ami de

Joseph Yernet

quel était au juste «

Enflammé à

tifs,

le

s'est

chargé de nous apprendre

procédé ingénieux

employait

qu'il

vue de ces tableaux superbes, mais fugi-

la

qui roulent dans les airs au-dessus de nos

net, dit-il,

pour

fixer sur la toile leur

têtes,

livre garni

Yer-

mobile harmonie, in-

venta un alphabet de tons qu'il portait toujours sur

un

*

de plusieurs feuilles blanches;

les

lui

dans

caractères

divers de son alphabet étaient accolés à autant de teintes différentes. S'il voyait, leurs, se lever

ou

s'enfuir,

que

1.

la

le soleil,

ouvrait ses tablettes,

l'on jette dix

toute

chez

il

au milieu des plus brillantes cou-

ou se coucher

ou douze

un orage s'approcher

et,

aussi

promptement

lettres sur le papier,

il

indiquait

gradation des tons du ciel qu'il admirait. Revenu

lui, cet artiste,

qui ne pouvait arrêter dans son atelier

L'Art de peindre. Traduction libre en vers français du

Dufïesnoy, avec notes

,

par Renou.

1

vol. in-8°. Didot.

poëme

latin

de


JOSEPH, CARLE

J8

ce spectacle passager, l'ayant fixé aussi rapidement que

sur ses tablettes,

l'éclair

chiffres, et jouissait

rendait sur la toile d'après ses

le

encore de l'accord parfait des tons et de

justesse des effets qui l'avaient enchanté en contemplant

la

le ciel. »

Joseph Vernet tiste,

travaillait

travaillait à ses

il

beaucoup, mais, en véritable ar-

heures

ne violentait pas l'inspi-

Le père Fouque s'indignait du peu d'empressement

ration.

qu'il mettait à

terminer des tableaux destinés

comte de Quinson,

teur, le

et,

adressait ce compliment

lui

et

croyant

lui faire

vait-il, le

rend lent à produire; ce qu'il

parfait

»

*.

un reproche,

L'idée qu'il a du beau, écri-

«

:

travaille,

Vernet se délassait d'un art par un autre;

mement

forte-piano

une

que

fit

palette, en sorte

les

heureux de

la

moments

inti-

la

accord la

à l'impression

11

les lui

avait

de ses tableaux

douce

et

se croire

disait

cœur,

Les chants de Pergolèse nature idéalisée.

un

un che-

par

la

avaient été les plus

ainsi passés

sa vie,' les plus chers à son

sentiment de

éprouver

veut

atelier, iui

que chacun pouvait

assurait-il, les teintes délicates fait

apporter chez

maison de son ami. Vernet

fitables à son esprit. le

était

il

Le peintre avait, dans son

compositeur

; le

chez soi, dans suite

le

il

avec Pergolèse, eUtous deux travaillaient sou-

lié

vent côte à côte.

valet et

son prolec-

à

plus pro-

donnaient

dû souvent, et leur

suave que

par-

lui faisait

voix de son ami. L'harmonie des sorts avait

pour conséquence naturelle, suivant tons. C'est ainsi

que Vernet

,

lui,

l'harmonie des

tout en continuant à peindre

des Couchers de soleil et des Clairs de lime, assista, jour

par jour, heure par heure, à l'enfantement des chefs-d'œuvre

].

Lettre citée par M. Lagrange.


ET HORACE YERNET. de Pergolèse. Le premier,

Padrona,

la

cantate

intermèdes que réjouissants.

si

le

il

& Orphée,

fut

le

d'entendre la Serva

Stabat

et tous ces petits

,

obtint un grand succès; les con-

en général,

cantate d'Orphée

la

meilleure des cantates italiennes; mais

moins bien

gais,

« si

»

naisseurs considérèrent, la

même

président de Brosses trouvait

La Servante maîtresse

comme

fut à

19

Stabal

écrit très-vite ce

Le musicien avait

accueilli.

le

dernier morceau pour un couvent de religieuses dans lequel

sœur

sa

était tourière.

Il

n'attachait pas,

importance à cet ouvrage,

du

grande

reste,

tout le premier de son

et riait

échec. Mais Vernet se montra plus exigeant et plus juste

que son ami. et,

Il

déclara que c'était

pour ne point en avoir

son" atelier

un

certain

le

,

une œuvre

démenti,

nombre de

tendre ce chant magnifique

excellente,

convoqua dans

il

dilettantes,

et eut la joie

leur

de voir

fit

en-

ratifier

son jugement par tous les gens de goût qu'il avait assemblés.

Se figure-t-on une intimité plus charmante que celle de ces deux

hommes,

tous deux jeunes, tous

de deux muses jumelles, tous deux

deux amoureux

à la poursuite

chimères, et cela, à Rome, c'est-à-dire à

la

des

mêmes

source du beau,

au milieu des éternels chefs-d'œuvre des maîtres, sous le ciel

limpide et bleu

Hélas!

la

était

,

!

La douce vie que ce devait être!

mort vint interrompre ce délicieux rêve. Pergolèse

depuis longtemps, malade de

moment où le d'Olympiade. On a prétendu

l'emporta, au

c'est

tasse de chocolat, la

Une

poitrine.

façon

la

le

crise

public acclamait son opéra qu'il avait été

empoisonné;

une erreur. Désirant achever un Salve Regina ,

sentant très-faible,

de

la

et se

pauvre musicien voulut prendre une

quoique

les

médecins

lui

eussent interdit,

plus formelle, ce genre d'aliment.

ranimé après avoir bu,

il

Un

termina son hymne;

instant

mais ses


JOSEPH, CARLE

20

forces s'épuisèrent dans ce

une hémorragie

après,

Vernet conserva de

du Stabatj qui

suprême

effort, et,

s'étant déclarée,

il

une heure

succomba.

un précieux souvenir, une strophe

lui

composée sur

avait été

le

clavecin de son

atelier.

En 1739, Joseph avait déjà fait trois tableaux pour notre ambassadeur à Rome, le duc de Saint-Aignan qui en de,

mandait immédiatement cinq autres.

A

dater de cette époque

vqgue sans exemple qui la

le

facilité

permit de vendre ses moin-

lui

dres toiles aussi cher qu'il

voulut.

le

prodigieuse,

travail et les plaisirs.

pouvait mener de front

il

On prétend même

penser l'argent encore plus vite qu'il ne s'amusait un peu trop. Tout

monde

le

qu'il savait

aimait passionnément les arts.

Il

dé-

le gagnait, et qu'il

connaît l'histoire de

homme, perruquier de son

son propriétaire. Ce brave

et passait

l'artiste cette

produire sans relâche jusqu'à

le fit

fin*dé ses jours, et qui

Grâce à sa

commença pour

,

état,

venait souvent chez Vernet,

des heures entières, dans une muelte contem-

plation, à le regarder peindre. L'artiste, qui avait volon-

tairement oublié depuis plusieurs mois de payer son terme, attribuait l'assiduité de son hôte à des motifs intéressés, et il

se

résigna un jour à

parler de sa dette. Cet hon-

lui

nête Figaro lui expliqua alors fait à

lui-même

du maître,

il

avait très-envie de posséder

consentirait à lui

,

un tableau

donner contre quittance un de

flatté

du goût

de ce pauvre diable, se mit à

tagème

qu'il s'était

avait laissé s'augmenter sa créance, dans

ses ouvrages. Vernet, licats

raisonnement

que Joseph, pour ne pas débourser une grosse

l'espoir

somme

et

il

:

le

qu'il avait

son compte.

employé,

Mais ce

et lui

n'était pas

et

rire

des procédés dé-

du singulier

stra-

promit de travailler pour tout.

Le perruquier

se


ET HORACE VER NET. montra en outre

très -désireux d'avoir

21

un Point du Jour

qui avait été entièrement peint sous ses yeux, et auquel venait de mettre

l'artiste

également exaucé, se disposait à

dernière touche.

la

homme

et notre

emporter aussitôt son

un troisième personnage, un

vœu

cardinal, pour lequel ce tableau n'avait oublié

léger détail. Le cardinal regarde et paraît enchanté

que ce ;

avoir suffisamment loué et admiré ce chef-d'œuvre,

donne à

ruquier se jette alors aux pieds de Son Éminence, et

un peu

qui avait été d'abord et le cardinal,

la

dissant.

En

il

or-

lui

dé-

perte de son paysage. Joseph, interdit, expliqua l'aventure,

touché du désespoir de son étrange com-

pétiteur, voulut bien renoncer à son droit

Cependant,

après

Le pauvre per-

ses gens de le porter à sa voiture.

clare qu'il ne survivra pas à

fut

la joie,

trésor, lorsque survint

commande. Yernet

avait été fait sur

Ce

au comble de

,

1 .

réputation de Vernet allait toujours gran-

la

1743,

il

avait été'

nommé membre

de l'Académie

romaine de Saint-Luc; deux ans après, l'Académie de Paris l'admit au

nombre de

ses agréés.

En 4745, voyant que

ses affaires prenaient de jour en

jour une meilleure tournure, le

luxe de se marier, et

il

Parker, jeune anglaise dont

ment dans

les galères

il

crut pouvoir se permettre

épousa mademoiselle Virginia père avait un

le

du pape.

La généalogie des Parker pourra sembler bizarre.

Un de

de Cantorbéry, mais

il

composait

Xi

Rome, la

il

,

au premier abord,

leurs ancêtres avait été archevêque s'était fait anglican.

descendants servirent dans se retira à

commande-

la

marine,

y avait au

et,

Plusieurs de ses

lorsque Jacques

nombre des

fidèles

III

dont se

cour du royal exilé un Parker nouvellement

Correspondance

littéraire, loc. cit.


JOSEPH, GARLE

22

converti au catholicisme. C'est à cette branche de

madame

qu'appartenait

A

et

charmante.

quelque temps dans

mena une

vie

d'abord passer avec sa 'femme

alla

Il

vraie patrie des amoureux, à Naples,

la

avait déjà fait plusieurs voyages,

il

famille

Virginia Vernet.

dater du jour de son mariage, Joseph

douce

la

dentes. Puis, aussitôt après leur retour,

les

années précé-

commencèrent

les

excursions, les parties de chasse au tombeau de Néron, à

ïorre di Mezza-via, à Ponte Salaro,

etc.

Chaque journée

nouvelle amenait un nouveau plaisir.

Il

y

a toujours eu à

Rome une

société d'élite

composée d'étrangers. Yernet

était

avec Subleyras, Pannini, Vien, avec d'autres encore.

lié

Leur réunion formait un cercle se préoccupaient des

mêmes

intelligent,

dans lequel tous

intérêts élevés. Joseph Vernet

vivait ainsi, le pinceau à la main, tantôt dans son atelier, à la

douce

clarté

de sa lune de miel, tantôt dans

en compagnie du

soleil,

les

champs,

ce grand ami des paysagistes.

La naissance d'un premier enfant vint compléter heur du jeune ménage. Livio naquit en 1747, après,

madame Vernet

ce second il

fils

bon-

le

et, trois

ans

donnait un frère, Orazio. Mais

lui

n'était destiné à

vivre que peu de temps, et

ne laissa d'autre trace de son existence que son

nom

de

baptême, qui, par un pieux souvenir, est devenu en quelque sorte

patronymique dans

Une haute

influence

sa famille. allait

bientôt faire entrer Joseph

Vernet dans une voie nouvelle. Il

était arrivé à la pleine

maturité de son talent, à l'époque

où M. de Vandières, depuis marquis de Marigny, vint à

Rome. Ce grand seigneur de lité

François Poisson,

était,

madame de Pompadour. et

il

lui

Il

la veille,

qui s'appelait en réa

comme chacun

alla voir

sait, le frère

Joseph dans son

-

de

atelier,

acheta un Bain dp femmes; mais, ce qui

valait


ET HORACE VERNET. mieux,

il

était

charge par sa sœur

vant l'expression

2:;

ordonner

à l'artiste, sui-

du temps, deux tableaux pour Louis XV.

Vernet avait déjà travaillé pour des souverains

:

il

avait fait

une Vue de Caprarola pour 4a reine d'Espagne, Chasse au Lac de Patria pour

le

roi

une

et

des Deux-Siciles.

îl

n'avait plus besoin qu'on mît le sceau à sa réputation, et

pouvait traiter de puissance à puissance avec qui que ce

fût.

Les amateurs de tous les pays s'arrachaient ses moindres toiles, et,

malgré

l'activité

surprenante de ses pinceaux,

il

avait grand'peine à satisfaire les Anglais, les Hollandais, les Italiens et les Français qui

envahissaient son atelier. On.

aura une idée de sa fécondité merveilleuse, lorsqu'on saura qu'en cinq années (1747-1751)

il

termina cent cinquante-

cinq tableaux. Beaucoup de peintres n'ont point autant produit dans tout le cours de leur carrière. est vrai,

la

fait

d'art,

quantité ne prouve rien par elle-même

lorsqu'elle se joint à la qualité, c'est il

En

serait injuste

;

mais

une force de plus,

de n'en point tenir compte.

il

et


24

II

— Commande des Ports — Échange de — Nais— Un parrain baptisé. — Caco-

Retour en France. Réception à l'Académie. de mer.

— Le

centenaire Annibal.

de Carie et d'Emilie.

sance

lettes et troupiole

.

— Tillottes

lettres.

et chalibardons

.

Opinion d'un

manœuvre.

Quelques biographes ont prétendu que Joseph Vernet avait été rappelé en France par le roi pour exécuter la grande série des

mande

Ports de mer. C'est une erreur

a été

pas du moins

le

motif déterminant

qu'il

lieu à

fit

cette

elle

l'Italie

en France avant

Charles Natoire, se rendant à

n'en fut

également

a

beaucoup d'avis contradictoires. La

plusieurs voyages

com-

*.

L'époque à laquelle Vernet quitta

donné

si

:

une conséquence de son retour,

Rome pour

vérité est

de s'y

aller

fixer.

prendre

la

direction de notre Académie, écrivait de Marseille, le 6 oc-

tobre «

4

751, dans

Nous avons

fai

un

patois aussi peu italien

connoissance avec M. Vernet

signora esposa que ver ameute gratiosa. veille

de son départ pour

L'été suivant,

1.

Ce point

Vernet

Rome était

2 .

la

et aussi

encore à Marseille, et

et le suivant se sont trouvés élucidés

Archives de l'Art français,

Il

et

français

soua à

la

c'est

par la publication du •

t.

:

»

Journal de Joseph Vernet. 2.

que

II, p. 262.


ET HORACE VERNET. seulemenf en 1753

placer

qu'il faut

25

date de son retour

la

définitif.

eut grand'peine, on

Il

Rome. Cette

voit, à quitter

le

une singulière influence sur

ville

exerce en

effet

l'habitent

pendant un certain temps. C'est une sorte de

Capoue, mais une Capoue bienfaisante, où s'engourdir, reçoit chaque jour artistes

trouvent

de

l'esprit, loin

un aliment nouveau. Les

comme une

de plus

gens qui

les

seconde patrie.

Vernet aurait pu, à l'exemple de beaucoup d'autres voyageurs, s'y fixer jusqu'à sa mort; mais

de revoir son pays, auquel

il

il

avait

un

jouir pleinement, la consécration de sa célébrité.

cha donc du

sol

de

l'Italie

comme un amoureux

vif désir

devait demander, pour en Il

se déta-

en s'y reprenant à plusieurs

qui abandonnerait malgré

fois,

une

lui

maîtresse adorée.

sympathie

n'eut pas seulement à vaincre sa propre

Il

pour

cette terre enchantée

:

le

pape voulait

à toute force le

montra très-afïligé de son départ.

retenir, et se

môme, assure-t-on, jusqu'à rendre un

Il

alla

édit par lequel

défendait qu'on laissât sortir de ses États

un

il

seul des ta-

bleaux de Vernet.

L'année

même

de son retour (4753), Joseph présentait à

l'Académie de peinture qui

le faisait aussitôt

En

de sculpture un Soleil coudtant,

et

nommer membre de

signe de bienvenue, Louis

tous nos ports de mer, et

mesure d'exécuter avait

1.

donné par

p. 139 et suiv.),

même

il

le

chargea de peindre

dut se mettre sur-le-champ en

commande, pour

laquelle on lui

écrit les instructions les plus détaillées

Ce curieux document nous a

recourir au texte

lot

cette

il

XV

ce corps illustre.

été conservé. Si le lecteur

1 .

ne veut pas

publié 'dans les Archives de l'Art français

(t.

IV,

peut voir les extraits qui en ont été donnés par M. Vil-

dans son catalogue dé V Ecole française. 2


JOSEPH, CARLE

26

Dès

Joseph Vernet mena avec sa famille une vie com-

lors,

plètement nomade.

La longue tournée les

plus importants du

mencer par

Midi,

le

Arrivé dans cette

ville

après,

France devait com-

la

Marseille

qu'il

se rendit

une vue du

golfe

En 4755, il

au commencement d'octobre 1753,

deux premiers tableaux Toulon, et

était à

il

dant quelque temps

travail,

de

à

et c'est

se mit à peindre ses

Un an

littoral

visiter les points

*

d'abord.

il

pour

qu'il avait à faire

habiter pen-

pour prendre

2

nom

.

du long

fatigué

allait

château de Bandol,

le

de ce

il

auquel l'astreignait son

exil

vint passer trois mois à Paris avec sa femme.

marquis de Marigny, directeur général des

«

Le t% août,

«

bâtiments, jardins

«

à S. M., dans les grands appartements (de Versailles),

«

quatre tableaux de M. Vernet, peintre de marine du Roy,

«

l'un des

«

sculpture les plus distingués. Ces

«

mencement de

«

tous les ports du royaume, par ordre de S. M. Les deux

«

premiers représentent

«du

le

arts et

,

manufactures du roy, présenta

membres de l'Académie la collection

Port de Marseille quatrième,

;

le

tableaux sont

que M. Vernet

viios

les

royale de peinture et de

intérieure

troisième,

la

le

com-

doit faire de

et

extérieure

Pêche du thon,

Vue du Port neuf de Toulon. Le Roy

«

et le

«

considéra longtemps ces ouvrages, et donna des marques

«

publiques de sa satisfaction à M. Vernet

1.

la

la

Notice des Tableaux

du Louvre , École

vue prise de la Tête-de-More

membres de sa Annibal Camoux

célèbre,

,

,

il

a

.

»

française, n os 592 et 593.

Joseph Vernet

famille, et

différents,

3

fait le

s'.est

Dans

représenté avec les

portrait d'un centenaire

qui avait déjà à cette époque 117 ans.

2.

Ibid., n° 594.

3.

Journal historique de Verdun. Octobre 1755, p. 309.


ET HORACE VERNET.

27

double succès

qu'il venait d'ob-

Joseph, encouragé par tenir à la cour et

au salon, où

également apprécié tôt

le

la

critique et

le

public avaient

mérite de ses œuvres, repartit bien-

le

pour Toulon. Après avoir terminé ses travaux dans

ville, «

Le port d'Anlibes,

rigny

cette

gagna Antibes.

il

le

18 mars 1756

de Toulon à M. de Ma-

» écrivait-il ,

«

le

un en-

port d'Antibes, étant

relâchent assez souvent les galères, je compte,

«

droit où

«

pour orner ce tableau, y mettre de ces sortes de bâti—

«

mens.

«

de l'occasion pour

«

ne puis

« viie

On va incessamment en armer

des études d'après,

faire

sans

les faire

que

savoir

et,

que

faudroit

il

comme

je

du point de

disposition

la

prendray à iVntibes,

je

icy. Je dois profiler

j'y allasse

études du local

«

au plus

«

.quoy, je reviendrois icy faire les études des parties acces-

«

soires

tôt faire le dessin et les

que

je ne puis trouver ailleurs

Après une excursion à Antibes, besoin une Il

se

curieuses

.

»

et l'étude

dont

il

un échange de

vers cette époque,

entre Vernet et M. de Marigny.

lettres très-

ce que

Voici

notre peintre 'écrivait à son protecteur, le 6 octobre « « je ce

Selon l'itinéraire que vous eûtes dois peindre le

me

guecloc. Je

«

m'y rendre vers que, selon

1.

sera

les

Port de Celte

huit ou

le

Cette lettre

fait partie

la

seph Vernet écrivait avec

756

:

bonté de m'envoyer,

étant

,

4

le

la

seul

du Lan-

belle saison,

de

dix du mois prochain, puis-

ai

vus,

le

plus beau point de

mer. Ainsy, j'auray besoin de

de la belle collectien d'autographes de M. Jules

voulu nous

la

pour l'impression, de respecter

il

le

plans que j'en

du côté de

Boilly, qui a bien

la

propose, pour profiter de

ce

« viie

avait

terminée, Yernet se rendit à Avignon.

fois

fit,

1

après

;

la

communiquer. les fautes

Il

nous a semblé inutile

,

d'orthographe de l'original. Jo-

négligence d'un grand seigneur de son temps;

n'avait pas reçu, d'ailleurs,

une éducation

littéraire très-soignée.


JOSEPH, CARLE

28

«

calme pour en

«

faire

«

vement,

sur

faire les études; j'auray là occasion de devant du tableau une mer un peu en mou-

le

peut-être feray-je une tempête, ce qui produi-

et

« roit

un

« j'ay

à faite pour le Roy, peignant

«

effet

assez rare dans le

rieur des ports, «

me

Il

«

saires

«

de

la

et,

le

ordinairement l'inté-

par conséquent,

semble qu'après avoir

pour

nombre des tableaux que

fait

mer

la

tranquille.

toutes les études néces-

port de Cette, surtout

si

je le prends

du côté

mer, qu'il seroit assez inutile de m'établir dans cette

« petite

méchante

«

y peindre ce tableau,

ma

ville,

mal à

je serois

et, si je vois

que

la

mon

aise

pour

chose n'exige

«

pas

«

à Bordeaux, où je trouverois plus de secours pour les

«

parties accessoires qui doivent orner le tableau de Cette;

«

mais j'attendray vos'ordres là-dessus, ne voulant agir

«

ne

le

résidence sur

devant

faire

le lieu, je

1

que par eux

.

pourrois

l'aller

exécuter

et

»

M. de Marigny répondit à cette humble demande par une

longue

dans laquelle

lettre,

il

se montrait d'abord plein de

courtoisie et juge excellent de la question qui lui était posée

Vos tableaux, écrivait

«

mérites: celui de

«

semblance. Je trouve bien, l'un dans

«

proposez

,

la

-il

beauté pittoresque le

mais je crains que ce ne doute que

:

à Vernet, doivent réunir deux

«

et celui

projet

soit

de

la

res-

que vous

me

aux dépens de

port de Cette, représenté en vue

«

l'autre; et je

«

du côté de

«

ceux qui ne

«

que vous avez dessein d'y ajouter rendroit encore votre

«

tableau moins ressemblant, attendu qu'il est rare de voir

« la « le

1.

la

le

mer, soit reconnu par

l'ont

vu que du côté de

mer, dans un port, agitée de

devant de votre tableau fût

la

la

le

grand nombre de

la terre.

tempête.

Il

pleine mer,

La tempête

faudroitque et,

par con-

Cette lettre et les suivantes ont été publiées -dans les Archives de

l'Art français,

t.

IV, p. 149 et suiv.


ET HORACE VER N ET. «

séquent, que

«

vous empêcheroit de

port fût reculé dans le lointain, ce qui le détailler

Consultez-vous avant

« tique... a

le

29

de.

d'une façon caractéris-

vous décider,

et

surtout

ne perdez pas de vue l'intention du Roy, qui est de voir

« les

du royaume représentés au naturel dans vos

ports

«

tableaux. Je sens bien que votre imagination se trouve

«

par

«

mérite de l'imitation et celui de l'invention

«

avez donné des preuves.

gênée; mais, avec votre talent, on peut réunir

d'un personnage insignifiant,

n'est, au point de

vue de

En

dans

ressemblance

la

qu'il s'agit

un monument ou une

ville,

jours sous les yeux de

la postérité,

titude de la copie.

effet, si

qu'une qualité secondaire,

l'art,

premier rang, dès

elle tient le

vous en

;

»

Ces réflexions étaient parfaitement justes. le portrait

le

parce que

le

de représenter

modèle reste tou-

qui peut contrôler l'exac-

-

Mais M. de Marigny, après avoir montré l'urbanité d'un vrai grand seigneur, reprend, vers la

manières rogues ces mots

«

:

et hautaines

fin

de sa

lettre, les

d'un parvenu, lorsqu'il ajoute

Quelque envie que

j'aie

de vous procurer dans

«

vos travaux tous les agrémens possibles, je ne puis con-

«

sentir

«

ce port, de finir votre tableau à Bordeaux, et je crois devoir

«

vous

«

a exiger de vous

«

au désir que vous avez

faire

possible

« les

,

observer que

et

le

après vos études faites de

,

Roy paye vos tableaux de façon

que vous leur donniez toute

que vous ne sauriez mieux

lieux. Ainsi, je

la

perfection

les finir

que sur

compte que vous achèverez votre

môme,

ta-

d'autant que de

«

bleau du port de Cette à Cette

«

tous les ports

«

ne

«

mois à vous priver des commodités que vous n'y trou-

ce

verez pas.

soit

du royaume

c'est le

seul dont le séjour

pas agréable, et vous n'aurez été que quelques

»

».

2,


JOSEPH, CARLE

30

Vernet ne se courageantes,

mandait

lui

laissa point rebuter et

fût accordée.

Marigny céda sur prendre

insista

il

la ville

le

séjour dans

Dans une seconde

premier point

de Cette du côté de

une tempête; mais la ville,

il

se

tant

instructions à Cette

la

qu'il

de-

M. de

lettre,

permit à Vernet de

mer

de représenter

et

question du

la

que durerait l'exécution du tableau. reçut du

il

même, où

vembre 1756. Durant

il

:

montra inflexible sur

dut se résigner;

L'artiste

par ces paroles peu en-

pour que l'autorisation

il

les trois

reste ces dernières

depuis

était arrivé

le

1

er

années qui venaient de

nos'é-

couler (1753-1756), Vernet avait peint cent seize tableaux,

au jiombre desquels on comptait huit les huit

importantes,

toiles

premiers ports de mer. La prodigieuse activité de

son esprit et

de ses pinceaux

loin,

était

on

le voit,

de se

ralentir.

Au

Salon de 1757, on remarquait sa belle exposition

vues de Toulon

trois

Cette

1

une vue d'Antibes

,

2

et

:

une vue de

3 .

Nous retrouvons Joseph

Bordeaux, vers

la fin

de mai. Pendant les deux années qu'il passa dans cette

ville,

il

installé à

en prit deu,x vues, l'une du Château-Trompette, l'autre

du côté des C'est à

Salinières

Bordeaux,

4

le

Charles-Horace Vernet,

.

14 août 1758, que naquit Antoinecjui

ritage de son père, sous le

En

juillet

1

759

7

devait plus tard recueillir l'hé-

nom

de Carie.

Joseph arrivait

venait le rejoindre trois mois après

1.

2.

Notice des Tableaux Ibid.

Bayonne, où

à ;

et, le

du Louvre, n os 595, 596 n°

598.

599.

600 et 601.

3.

Ibid.

ibid.

A.

Ibid.'

ibid.

n°9

juillet

et 597.

ibid.

no

20

sa famille

1760,


madame Yernet

ET

HORACE VERNET.

lui

donnait une

aurons à raconter plus tard

Émilie, dont nous

fille,

destinée tragique.

la

Vernet avait de singulières idées sur enfants.

Il

31

le

baptême de ses

ne voulait pas imposer à ses amis

les frais et les

charges d'un parrainage. Aussi Carie et Émilie furent-ils tenus sur les fonts par leur frère aîné, Livio, et par une servante,

Rosa Lombelli. Déjà précédemment,

à

Rome,

Joseph avait réclamé, dit -on, ce service d'un jeune Sa-

voyard qui se trouvait à où

le quitta

Saint-Jean, et

sa

la famille

le

baptême de Livio ou pour

Ce Savoyard s'attacha

plus par

On

la suite.

le

bien à lui, qu'il ne

si

baptisa à son tour

du nom de

devint pour ainsi dire l'un des

il

moment

porte d'une église au

y arrivait lui-même pour

il

celui d'Orazio.

de

la

Yernet, au service de laquelle

membres

resta jusqu'à

il

mort Vernet envoya à Paris, au Salon de 1761, deux vues du

il

2

Bayonne

port de

Ce sont deux des tabjeaux dans lesquels

.

mieux donné

a le

nalité.

la

Là, plus que

lui fournissait

mesure de son dans d'autres

talent et

villes, la

de son origi-

couleur locale

des éléments précieux. La population, moitié

espagnole, moitié basque;

les cacoleties,

même

de deux femmes sur un

cheval

;

le

ou chevauchées jeu de

la

trou-

piole^ qui consiste à se lancer une cruche en guise de balle

jusqu'à ce que

vaincu;

tillottes et

1.

le

les

maladroit qui

tomber

la laisse

soit déclaré

espèces de bateaux particulières au pays,

chalibardons:

— tous ces détails pittoresques per-

Cette historiette a été racontée bien des fois à propos du baptême de

erreur.

M. Lagrange a prouvé par les actes Nous avons cru pouvoir donner cà ce

traire

l'explication

Carie.

,

,

que nous

dans la famille Vernet 2. Notice des

,

lui

donnons

,

que

une

qu'il

a cités

fait,

jusqu'à preuve du con-

car

il

,

c'était

a laissé trop de traces

pour être dénué de tout fondement.

Tableaux du Louvre, n os 602 et 603.


32

JOSEPH,

'

CA

RLE

mettaient de donner de l'animation aux figures et de jeter

quelque variété parmi

L'artiste sut profiter

les accessoires.

de ces avantages.

Après un séjour de deux ans de

à la Rochelle, et

de chacune de ces

mille,

il

à Roche'brt;

il

était

de

faut en croire la tradition de sa fa-

s'il

rentra dans

une vue du port

prit

il

14 juillet 4762,

villes, et, le

retour à Paris, où,

Bayonne, Vernet se rendit

à

un carrosse de

la

que

cour,

le roi

avait

envoyé au-devant de son peintre. La tournée que

indiquait son itinéraire officiel était

lui

loin d'être terminée,

mais

à

longue Vernet

la

finissait sans

doute par trouver cette vie de campement ennuyeuse tigante.

De

plus,

il

et fa-

n'y avait pas de compensation suffisante

à ces inconvénients.

Il

souvent, par

s'est plaint

la suite,

du

préjudice que lui avait cau<é, au point de vue pécuniaire, cette 'lourde entreprise.

Le

trésor ne s'acquittait pas vite des

dettes contractées par l'État;

le

prix des tableaux se faisait

attendre, et ces lenteurs usaient

patience

la

de

l'artiste. Il

pu y subvenir sans avait de lourdes charges, et peine en travaillant pour des particuliers. Ainsi du moins aurait

il

expliquait« Ils

il

lui-même

la fin si

brusque de ses voyages

:

ne dévoient leur interruption, écrivait-il plus tard \

qu

a l'épuisement de sa fortune,

le

payement de

ses

non de son

commandes ne

d'une façon définitive qu'en 1775

Quoi

qu'il

en

soit

se trouva

est -il

que

la

En

effet,

ordonnancé

2 .

du véritable motif qui détermina

Joseph Vernet à interrompre ce travail toujours

zèle. »

bien commencé,

si

vue de Dieppe

3

fut

la

dernière

1.

Extrait d'une lettre inédite qui appartient à M. Chambry.

•2.

Archives de l'Empire, Comptes des bâtiments du roi, année 1774,

registre E, 9567. 3.

Notice des Tableaux du' Louvre

,

n° 606.


33

de

la

longue série

dans cette

ville

qu'il

devait encore fournir.

Il

se rendit

pour peindre ses études d'après nature;

il

y passa la fin de septembre et le commencement d'octobre 1763, puis il revint à Paris, et son odyssée se Irouva définitivement terminée.

La suite des Ports de France est versellement connue

peut-être

et

partie la plus uni-

la

la

plus

importante de

l'œuvre de Joseph Vernet. Outre' que ces tableaux nous laissent voir l'artiste

dans

la

pleine maturité de son talent,

on y sent aussi l'ifbmme qui môle sa personnalité aux choses qu'il représente et qui les

Vernet

anime de son propre

successivement incarné dans

s'est

nous a

qu'il a fait poser

devant

mémoires

au courant d'un pinceau

écrits

dérouler sur ses les

lui, et

il

toiles sa vie et celle

souffle.

pays

les différents

de charmants

laissé

facile.

On

voit se

de sa famille pendant

dix années que durèrent leurs pérégrinations. Chaque

étude était

le

prétexte d'une partie de plaisir

jeuner sur l'herbe;

le

repas

fini,

le

:

on

dé-

allait

maître commençait à

peindre, et ses convives lui servaient de modèles. Aussi,

presque toutes

les figures

dont

il

a rempli ses compositions

sont-elles des portraits, qui ont leur intérêt particulier à

côté

du mérite pittoresque de l'ensemble.

Vernet obtint un jour un Tandis

qu'il prenait la

suffrage des

plus flatteurs.

vue d'un port, un manœuvre

dit,

en

parlant de lui à l'un de ses camarades, qu'il serait bien aise

de voir

les

verras-tu?

ouvrages d'un peintre aussi renommé.

lui

répondit l'autre.

— Tout ce que tu vois

« 1 .

Que »

Jamais éloge plus naïf ne trouva mieux son application. 1. t.

Mémoires de Bachaumont , édition John Adamson. Londres, 1784,

XIII.


JOSEPH, CARLE

34

III

— Brevet d'apprentissage de Fran— Obliger — Origine des expositions. — Critiques qui ne critiquent point. — Bonheur et succès de Joseph Vernet.

La colonie des

çois Vernet. nuit..

De

artistes

au Louvre.

Bénéfices d'une initiale complaisante.

retour à Paris, Yernet s'installa dans les galeries du

Louvre, où

le roi lui

avait accordé l'un des logements réser-

vés aux artistes depuis l'ordonnance de Henri IV.

Le marquis de Marigny

bonne nouvelle

cette

à son protégé

grâce que

lui

Roy

«

que

«

accorder. S. M. vous a donné

«

Louvre, que

«

supériorité de votre talent vous a mérité cette

je

vous informe de

« distinction

ce

le

le

vient de vous

logement des galeries du

mort de M. Galloche

la

écrivait-il,

1

a fait

vaquer. La

marque de

du Roy. Jouissez-en aussi longues années que

vous y logerez longtems. Soyez bien persuadé que c'est avec ces sentiments que je suis, Monsieur,

« je

«

la

lui-môme

:

bien du plaisir, Monsieur,

C'est avec

«

se chargea d'annoncer

le désire,

votre très-humble et très-obéissant serviteur. « « 1 er

octobre 1761.

Louis Galloche

1.

démie, dont les

il

finit

(

Marquis de Marigny.

1670-1761

par être

),

peintre médiocre, fut

nommé

:

membre de

l'Aca-

chancelier, après avoir passé par tous

grades honorifiques de cette assemblée.

tableau de réception

»

»

On peut

voir au Louvre son

Hercule rendant Alccsîe à Admète.


ET HORACE VERNE T. Le brevet

officiel suivit

par

fut signé

le roi

Joseph Vernet

de près cette

35

lettre officieuse.

Il

à Versailles, le 28 octobre. se trouver dans son véritable élé-

allait

ment, au milieu d'une colonie d'hommes distingués qui appartenaient tous aux diverses branches de

A

peine

installé,

à travailler

pour des particuliers; car

l'État rapportent plus relief qu'elles

l'art.

se mit à battre monnaie, c'est-à-dire

il

les

commandes de

de gloire que d'argent,

donnent

,

elles

n'était le

et,

grande va-

n'auraient pas

leur.

Cependant Vernet peignit encore plusieurs tableaux pour le roi

ties

fit,

il

:

entre autres, quatre pendants, les Quatre par-

du jour, qui

placés dans

la

figurèrent au Salon de

4

763, avant d'être

bibliothèque du dauphin, à Versailles

Salon suivant,

il

reproduisit les

mômes

Au

sujets dans quatre

dessus de portes destinés au château de Choisy

2 .

Joseph, nous l'avons dit, avait une nombreuse famille ses vingt et

un

frères

ou sœurs

lui

un nom-

avaient donné

bre incalculable de nevejux et de nièces.

Il

;

s'est

montré,

toute sa vie, très-préoccupé des intérêts de ceux qui tenaient à lui par

un

lien

quelconque,

qui bénéficia

lui

le

plus de

et ce

ne

fut

certainement pas

que son

la célébrité

talent lui

avait acquise.

obtint de M. de Marigny qu'on chargeât son beau-frère

11

Guibeit, maître sculpteur à Avignun, d'execuler les cadres

des Porls de France.

En çois,

1764,

prit

avec

lui

un de

ses frères,

qui voulait être peintre, afin de

études.

1.

il

Nous avons retrouvé une

le

nommé

Fran-

diriger dans ses

pièce intéressante, dont

Aujourd'hui au Louvre. École française, n os 609-612.

2. Il

y en a deux au Louvre,

palais de Saint- Cloud.

n°* 613 et 614

;

les

deux autres sont au •


JOSEPH, CARLE

36

quelques citations serviront à montrer quels rapports unissaient à cette

époque

les élèves à leurs

maîtres

1 :

BREVET D'APPRENTISSAGE DE FRANÇOIS VERNET, «

Lequel, pour

son profit et avantage,

faire

mis en

s'est

apprentissage, pour cinq années entières et consécutives à

commencer dudit jour (3 mars 1764), avec Vernet, son frère, peintre ordinaire du Roy; «

Le

S.

Joseph Yernet, à ce présent

Joseph

le S.

et retenant

ledit

François Vernet pour son apprentif, en conséquence du

S.

pouvoir porté aux

du 22 décembre cesseurs «

4

lettres patentes

608, et lettres de confirmation de ses suc-

;

Auquel

il

promet enseigner

ledit art

dant ledit temps et tout ce dont «

d'Henry Quatre en date

il

se

de peinture pen-

mêle eniceluy.

Lequel S. François Vernet, de sa part, s'oblige d'ap-

prendre de son mieux tre, lui

ledit art, servir fidèlement son

obéir en tout ce qu'il lui

commandera de

maî-

licite et

honnête, faire son profit, éviter sa perte et l'en avertir,

si

elle vient à sa connoissance, sans pouvoir s'absenter pen-

dant lesditescinq années, aller travailler ailleurs; auquel cas

d'abence, consent d'être cherché Paris, pour,

seph Vernet,

s'il

à ses frais

est retrouvé, être

afin d'y

achever

le

dans

ramené chez

la ville

de

ledit S. Jo-

temps qui restera

lors à

expirer des présentes, faites sans aucuns deniers déboursés

de part -

«

1.

Le

ni d'autre.

S.

Joseph Vernet sera tenu, aussitôt lesdites cinq

M. Lagrange a cru que

dans son Journal avait été

fait

«

le

contrat d'élève

»

dont Joseph parlait

pour un de ses neveux. La pièce que nous

publions permettra au savant critique de corriger cette petite erreur dans sa prochaine édition.


ET HORACE VER.NET. années accomplies, de donner audit certificat

37

son apprentif, un

S.,

en bonne forme pour pouvoir par

lui se faire

rece-

voir maître, tant en cette ville de Paris qu'en toute autre

du royaume

ville

qu'il

jugera à propos,

comme

s'il

son apprentissage sous les autres maîtres desdites

fait

et sans être astreint

de

faire

aucuns chefs-d'œuvre.

avait villes

»

Joseph ne se contenta pas de rendre ce service à son frère

;

lui

il

bâtiments du

fit

et obtenir,

roi,

commandes

tes

en outre conférer

Presque tous

en cette qualité, d'importan-

x.

les

membres de

rent la carrière des arts, dans

la famille

une

Voici, d'après une note manuscrite, la

1.

Vernet exécuta

çois

de peintre des

titre

le

Vernet embrassè-

spécialité

liste

ou dans une

des travaux que Fran-

:

POUR VERSAILLES. 1764. 17G6.

— —

1769-70. 1770.

Plafond de la chambre à coucher de la reine.

Tribune de la chapelle du

rpi.

Salle d'Opéra.

madame

Cabinet de

la

dauphine.

POUR FONTAINEBLEAU. 1773. 1776.

— —

Cabinet du conseil. Salle de spectacle et cabinet de retraite

du

roi.

pour CHOIS Y. 1776. 1777. 1777. 1774.

On

— Trois tableaux pour la salle de la table mouvante. — Trois autres, — Six tableaux de dessus de portes en bas-reliefs — Cabinet du ,

id.

roi.

connaît en outre de François Vernet

qui sont au

que

id.

musée d'Avignon,

n°s

un Paysage

et

un Vase de

fleurs,

295 et 296, un tableau religieux (?)

également dans cette ville à l'église Saint -Agricol, et panneaux qui décorent la chaise à porteurs de Marie-Antoinette. Ces ouvrages, peu remarquables, montrent que l'artiste avait pris au pied l'on peut voir

enfin les

de

la lettre la clause

de son engagement qui

aucuns chefs-d'œuvre.

lui permettait

de ne

«

faire

»

D'après les registres de l'église paroissiale de Saint- André- des -Arcs François Vernet est mort

le 15 février 1779.

>


JOSEPH CARLE

38

,

autre. L'un des frères de Joseph avait, par

reçu à son baptême

signait ses tableaux talent

un nom dont

/.

:

pouvait donner

l'initiale

méprises en sa faveur.

lieu à des

bonne fortune,

s'appelait Ignace,

Il

Ver net. Mais

et

avait trop peu de

il

pour soutenir ses tentatives de supercherie,

et les

ignorants pouvaient seuls se laisser prendre à cette fausse

marque de

fabrique. Horace

Vernet disait que tous

les

mauvais paysages attribués à son grand -père, dans les différentes galeries de l'Europe, pouvaient être mis sans hésitation

au bilan de son grand-oncle.

La bonté de Joseph

En

famille.

l'Académie

était attachée

Vernet, qui fut

modeste Drouais

comme il

promu

à la place de conseiller à

une pension

fie

six cents francs.

son

Restout vieux et infirme, puis

à

père.

fut

Il

:

cercle de sa

à cette dignité en 1766, céda

traitement le

il

une preuve

voici

du

s'étendait en dehors

du

reste

arrive trop souvent

:

à

récompensé de sa bonté

après

la

mort de ses obligés,

eut toutes les peines imaginables à rentrer en possession

de ses six cents francs; on invoquait contre

lui

la

pres-

cription.

Vernet pouvait

même, dont

et

il

du bien, car

faire

distribuait seulement la

le sort l'avait

comblé.

Il

le

public, dont

La

première

il

était

heureux

lui-

chaque année, de de création ré-

était alors

rester en

rapports constants avec

un des enfants

exposition

était

monnaie des faveurs

obtenait,

nouveaux succès. Le Salon, qui cente, lui permettait de

il

régulière

gâtés.

de peinture

et

çîe

sculpture eut lieu en 1737, grâce à l'initiative d'un ministre des finances, Orry.

aurait

une tous

les ans,

Il

fut

d'abord convenu qu'il y en

mais on s'aperçut

culté qu'il y avait à trouver,

vite

de

la diffi-

dans ce court intervalle de

•temps, des ouvrages nouveaux dignes d'être montrés au


39

public.

La production dans

En

arts

les

développement que nous

atteint ce

lui

n'avait point encore

voyons aujourd'hui.

outre, les artistes molestés par la critique (et ce

forcément

plus

les

nombreux) jetèrent

sont

hauts cris. Le

les

ministre se vit forcé de revenir sur la décision précédem-

ment

prise, et le Salon ne s'ouvrit plus

que tous

deux

les

ans.

Joseph, qui s'était déjà

connaître et apprécier par ses

fait

envois d'Italie depuis 1746, et ensuite par ses Ports de

mer, consolida

sa

réputation avec une série de Clairs de

du

lune, de Couchers ges, etc.,

de Tempêtes, de Naufra-

soleil,

qui eurent tous

honneurs des

les

expositions

jusqu'en 1789. «Diderot,

Grimm, Bachaumont, Marmontel,

blanc, qui étaient à cette d'art,

époque

les maîtres

Le-

l'abbé

de

critique

la

contribuèrent beaucoup à faire apprécier au public

le talent

de Joseph Vernet.

Ils

ne tarissaient pas d'éloges

sur les moindres de ses productions. Vernet, on

le voit,

a eu

l'une des vies de

peintres les

plus brillantes et les plus douces qui se puissent imaginer.

Après avoir surmonté vaillamment tés

de sa jeunesse,

il

n'a plus

les

connu

leurs, les déceptions, toutes ces

premières

les

amertumes

fortune abreuve en général les artistes. .un talent si souple et si

prompt, que

Il

pour

ainsi dire fatalement

entreprenait.

dont

du

la

reste

sérieux ob-

Ce qui, pour

un labeur incessant

plus ardus, devenait pour lui un véritable jeu, et être

dou-

les

enfin,

avait

les plus

stacles n'étaient pas capables de l'arrêter.

d'autres moins favorisés, est

luttes,

difficul-

il

et

tant

des

devait

heureux dans tout ce

qu'il


JOSEPH, CARLE

40

IV

— Enfance

maladive de Carie. — Son pre— L'atelier de Lépicié. — M. madame Chalgrin. — Mot de Voltaire. — Le salon de madame Geof— Grétry, Gluck et Piccini. — La loge des Neuf-Sœurs. — Prix de Rome. — Amour et religion. — Bernardin de Saint-Pierre. Réception de Carie à l'Académie. — Mort de Joseph et naissance

Folie de

madame

mier dessin.

Vernet. Il

aura des bottes

et

!

frin.

d'Horace.

t

Vernet eut cependant, en dehors de son sujets

de

tristesse.

Chez

lui,

ce fut le

d'expier l'heureuse chance de

art,

de grands

cœur qui

se chargea

l'esprit,

équilibre de douleurs et de joies, auquel ici

et

de rétablir cet

la

vie de tout être

bas semble implacablement condamnée. Tandis que son

orgueil et sa vanité trouvaient leur compte légitime dans ses triomphes de

chaque jour,

il

était d'autre part

bien

cruellement éprouvé.

Sa femme avait conservé de son origine britannique des traces évidentes dans toute sa personne tien,

:

dans son main-

dans ses habitudes. Elle avait emporté de son pays

une légère dose de spleen, que encore. Son

humeur

la

nostalgie vint

augmenter

inquiète se changea bientôt en véri-

table folie. Elle était sans cesse poursuivie de l'idée qu'on

en voulait à ses jours, et soupçonnait tout son entourage. Elle n'osait ni

manger

ni boire,

sons et les aliments qu'on

lui

quelque substance vénéneuse.

de crainte que

présentait

ne

les bois-

continssent


ET HORACE VERNET.

41

Joseph, très-inquiet de cet état, crut qu'un changement

remède pour

d'air serait le meilleur il

la

mena passer

plusieurs étés à

ou à Saint-Cloud. tions

Il

imaginables

lui

et

elle toutes les distrac-

faire

faisait

pauvre malade,

campagne, à Meudon

la

cherchaitpour il

:

la

des

excursions

à

Sèvres, à Vincennes, à Auteuil, à Versailles, à Luciennes.

Pendant ces promenades,

qui les gâtait à

ânes, et leur père,

de friandises, de

A

«

douceurs

»

,

la

journée, les comblait

suivant

Ton retrouve souvent sur

sion que

montés sur des

les enfants étaient

Paris, Joseph s'ingéniait à chercher des

Un jour,

expres-

la gentille

ses livres de dépenses.

amusements.

toute la famille Vernet allait dîner chez le suisse des

Tuileries.

Le lendemain,

soirée, soit à la

Comédie

çaise, soit à l'Opéra;

c'était

encore fête

:

ou bien on

on passait

Comédie

italienne, soit à la

la

fran-

simplement des

allait voir

danseurs de corde qui avaient aussi leur charme. La semaine suivante, on soupait en pique-nique avec et

mesdames Vanloo

Coustou; après quoi, on se rendait tantôt chez Cornus,

tantôt chez

Nicolet,

de célèbre mémoire.

madame

Mais

Vernet ne prenait pas toujours sa part de ces plaisirs

que son humeur noire à la maison famille,

,

tandis

menait

la

tourmentait par trop,

que son mari

,

lors-

elle restait

transformé en mère de

les enfants à la foire

procurait quelque autre récréation du

Madame Vernet

;

Saint-Ovide, ou leur

même

genre.

cherchait à s'isoler de plus en plus, à

sure que les années aggravaient son

état.

Tous

me-

les efforts

furent impuissants à conjurer cette horrible maladie;

et,

1774, Joseph dut se résigner à se séparer de sa femme. la

mit en pension dans une maison de Monceaux, où

mena dès

lors

une existence inerte dont

elle

ne

en Il

elle

fut délivrée

qu'après de longues années de souffrances. Joseph, devenu ainsi veuf de sa

femme

vivante,

reporta


12

toute sa tendresse sur ses enfants, et particulièrement sur Carie, qu'il pressentait devoir être son héritier le plus di-

de son talent en

celui

rect,

L'aîné de ses

Du

reste,

nelle

:

entré, en

que pour

sortir

Livio, n'avait

fils,

était

il

même

temps que de son nom.

aucun goût pour

presque toujours loin de au collège de

7625,

4

la

Juilly,

les arts.

maison pateril

ne devait en

faire son droit.

Durant son enfance, Carie Très-jeune encore,

fut

il

d'une

était

sur les yeux, et

fluente qui se porta

santé

délicate.

atteint d'une petite vérole conle

médecin chargé de

soigner déclara un jour au malheureux père qu'il n'y

le

avait plus qu'un

ver

la

moyen,

vue de son

praticable

:

fils

mais ce remède

;

s'agissait

il

encore bien incertain, de sau-

et

était

presque im-

de trouver une personne qui eut

courage d'appliquer ses lèvres sur

le

paupières malades et

les

d'opérer une succion. Joseph n'hésita point un instant à se

charger de cette effroyable cure; aussi Carie tard

que son père

s'il

n'est

pas

lui avait

donné deux

plus beau que celui

disait-il plus

fois la vie.

Ce

trait,

mademoiselle de

de

Sombreuil, est au moins son digne pendant, et Ton aurait

pu

croire qu'une

A fut

femme, une mère en

était seule capable.

cause de sa constitution chétive

pendant

toute

son

enfance

inouïes. Jusqu'à l'âge de et cet

huit ans on le

un jour que Saint-Jean

si,

n'avait pris, .averti

l'objet

malingre,

de

Carie

précautions

mena en

lisière,

de choses aurait pu se prolonger longtemps

état

encore,

et

comme on

dit,

ses

le

conduisait, le

gamin

jambes à son cou. Joseph,

de cette escapade, entra dans une violente colère;

mais l'épreuve n'en favorable,

— aussi

était

pas moins

faite,

elle avait été

Carie fut-il dès lors affranchi de cette

tutelle excessive.

A

défaut de précocité physique,

la

précocité

intellec-


ET HORACE VERNE T. du moins un don commun

tuelle fut

nous en avons vu

cette famille; la

43

preuve pour Joseph,

la

et

biographie d'Horace nous en fournira d'autres exemples.

En

4

762, Joseph donnait déjà à Chariot, c'est ainsi que

baby de quatre

s'appelait alors ce

dessiner.

On

ans, des « carnets

pour

»

raconte que, l'année suivante, Carie obtint son pre-

mier

d#ns

succès d'artiste

Amené

salon de M. d'Angiviller.

le

par son père, et ne pouvant, bien entendu, pren-

dre aucune part à

la

conversation,

s'était

il

mis

cheval sur un méchant morceau de papier qui

main. La tête et

sous

la

mais

il

bes.

Que

ne

le

corps de

à dessiner

lui était

si

peu

tombé

les

faire? notre Raphaël en herbe n'était pas

pour

un

bête étaient tracés,

la

de place pour mettre

restait plus assez

à s'embarrasser il

membres de

à tous les

jam-

homme

en quelques coups de crayon

;

eut bien vite improvisé un lac dans lequel l'animal était

censé

baigner.

se

sauvegardées, et

Ainsi,

Pour apprendre à

proportions

les

écrire, Carie

Traité de peinture. C'était, on

deux

fins.

En

tète

ses devoirs, on

lit

du

un enseignement

le voit,

registre dont

cette phrase

copia tout au long un

il

se servait

Il

paraît

ccesur

:

cahier,

pour

à

faire

:

«Papa m'a promis de m'acheter des prochaine!

trouvaient

se

habilement tournée.

la difficulté

l'année

bottes,

»

que

cette

promesse

si

brillante lui tenait fort au

cette inscription se retrouve plusieurs

tracée

en gros

caractères puérils

fois

sur son

comme

l'idée

qu'ils expriment.

Cependant

il

commençait

à être

temps de donner une

direction sérieuse aux études de l'enfant pour

même

le

mettre à

de devenir un homme.

Joseph

lui choisit,

parmi ses confrères, un excellent pro-


JOSEPH, CARLE

41

Lépicié

fesseur,

xvm

e

Nous avons d'une

l'un des maîtres les plus originaux

,

retrouvé, dans les papiers de Carie,

après son entrée à

de sa rédaction

«

et

Mon

le

brouillon

son père, en 1769, peu de temps

lettre qu'il écrivait à

«

du

continuateur et presque l'émule de Chardin!

siècle, le

l'atelier.

La

voici dans toute la naïveté

de son orthographe

:

très-cher Papa

Je vous écrit pour (vous) informé de la rangement

nous .avons

Gounod

fait,

à huit heures;

soir

le

1

et moi.

que

Nous nous coucheront

le

matin, nous nous lèveront à cinq

heures, pour être chez M. Lépicié à cinq heures et demi.

Nous aurons

le

modèle jusqu'à huit heures. Le

nous dessinerons tantôt d'après

le

du jour,

reste

dessein et tantôt d'après

de grandes estempes pour nous apprendres à composés.

Nous dessinerons une semaine d'après nature d'après

rons six

la :

bosse, mais toujours à

MM.

la

môme

et

une semaine

heure.

Nous

se-

Gounod

Lépicié, Métivier, Godefroy, Colmart,

moi. Sa nous revfendra à trois francs par mois chaqun.

et

M. Lépicié

(dit)

à l'Académie, et

Je suis,

«

que

il

que vous

mon «

si

me le

voyait assez fort pour dessiné vouliez, j'y dessinerez.

très-cher papa

Votre très-humble et très-obéïsant «

Deux ans après son

Carle Yernet.

dite.

Son père

lui

))

installation à l'atelier, Carie fut

digne de passer du simple dessin à

cellier,

fils,

la

jugé

peinture proprement

acheta un chevalet, une palette, un pin-

une boîte à couleurs,

et le

4

4

novembre 4774, notre

rapin commençait sa première académie. 1.

François-Louis

Gounod obtint le second prix de Rome en 1783. S'il lui-même, il a laissé à son fils, l'auteur de

n'est pas très -célèbre par

Faust

,

le soin d'illustrer

son nom.


ET HORACE VERNET. un peu

familiarisé avec le métier, Joseph

avec

des études d'après nature dans

Lorsqu'il fut

l'emmena

faire

lui

les

bois de Meudon.

Mais

la

véritable vocation de Carie se manifesta dès son

enfance, et Ton put vite prévoir, d'après ses goûts de jeunesse,

le

genre dans lequel

A quinze ans, Il faisait,

livres

le

se distinguerait par

il

la suite.

Carie était déjà passionné pour l'équitation.

plus souvent possible, ainsi que le prouvent les

de dépenses de son père, des promenades à cheval,

quelquefois seul,

le

plus souvent avec son camarade Gounod.

Lorsqu'il y avait des courses

rang des curieux,

un

le turf

,

il

était toujours

au premier

qu'un désir, celui de jouer'sur

et n'avait

rôle plus actif.

tenait de son père par sa prodigieuse facilité et par

S'il

ses dispositions

pour

la

peinture, sa

mère

lui avait transmis,

de son côté, sa distinction et son élégance des pieds à

la tête.

:

il

était

de race

Les exercices du corps prenaient une

grande part de son existence;

lorsqu'il se sentait fatigué

de

peindre, l'équitation ou l'escrime étaient ses meilleurs délassements.

Joseph, trop vieux alors pour rien changer à sa manière

de vivre, se contentait de payer tous ces pourtant aimait- à s'égayer; mais

moins

fatigantes.

allait

Tl

Carie à la Râpée, au

menait voir

les

il

Vers fille

était le

souvent, faire

fallait

des joies

des parties avec

Wauxhall ou aux Porcherons;

comédiens de bois

n'abandonnait pas non plus

dont

lui

il

Lui aussi

plaisirs.

et

le théâtre

les

il

fantoccini

;

le il

de son ami Nicolet,

un des plus anciens habitués.

commencement de 1776, Vernet maria

sa jeune

Émilie à l'un de ses confrères de l'Académie, à un ar-

chitecte distingué, Chalgrin, qui devait plus tard construire l'arc

de triomphe de

l'Étoile. .'3.


JOSEPH, CARLE

1(3

Madame

Chalgrin était une charmante femme, pleine de

grâce et d'esprit. Elle

a fait dire à Voltaire

marquis de Bièvre

«

quitte,

:

Chalgrin

partir de cette

nous

qui

nous allons être bien malheureux; car, sans

ne reste que chagrin.

A

madame

Voilà

ce mot digne du

elle,

il

»

époque

Vernet

,

se sentant trop seul

,

chez lui, rechercha encore davantage les distractions de .

tout

genre.

était

il

mérite.

Il

en trouvait de puissantes dans

11

admis sur

d'Egmont, de Pontchartrain

,

Necker, chez

pied d'égalité qui convenait à son

chez mesdames de Boufflers, de Meulan,

allait

de Mazarin

le

le

Provence

la

chez

,

madame

président Molé, chez M. Dupin de Francueil,

George Sand.

l'ancêtre de notre grand poète

son atelier

monde,

le

cour

et

et d'Artois

la

Mesdames

ville.

venaient

lui

ses tableaux avant l'exposition.

Il

recevait dans

les

comtesses de

rendre visite

Si l'on

et

admirer

veut se reporter à

l'époque dont nous parlons, c'est-à-dire avant 89, on com-

prendra que ce tiste

de

n'était point

qui n'était pas né, que d'avoir ainsi conquis son droit

cité

au milieu d'une aristocratie jalouse* de ses préroga-

tives et entichée Il

un mince honneur pour un ar-

de ses préjugés.

est inutile d'ajouter que, si

Vernet trouvait cet accueil *et

des grandes

traité

par ses con-

bienveillant auprès des grands seigneurs

dames,

il

ne se voyait pas moins bien

frères, les artistes et les

gens de

culier, lui faisait fête,

et se mettait

le

en

frais

de style pour

louer dignement.

Vernet

était

des dîners de

tous les convives, Il

Diderot, en parti-

lettres.

il

madame

y payait chaque

Geoffrin, et, fois

comme

son écot d'esprit.

rencontrait, dans ce salon célèbre, ses rivaux et ses amis

Boucher, Carie Vanloo, Latour, chitecte Soufflot,

avec lequel

il

le

comte de Caylus,

s'était lié

à

Rome,

et

:

l'ar-

qui


devait, quelques années après, en

nommant, son exécu-

le

teur testamentaire, lui faire un legs de i 400 livres.

Nous

(

n'en finirions point, illustres à

un

titre

si

nous voulions

citer tous les

quelconque avec lesquels

il

gens

se trouvait

en rapports suivis.

De même que presque

hommes

tous les

célèbres de son

temps, Joseph Vernet fut franc-maçon.

On

une loge appelée

avait fondé à Paris, en 1776,

des Neuf-Sœurs, qui, son

nom

de ses membres, on trouve

lande, Chamfort

,

Houdon, etc.. Ce

loge

l'indique, était à peu près

exclusivement composée d'arlistes liste

la

:

et

d'écrivains.

Sur

la

Voltaire, Franklin, La-

Roucher, de Fontanes, Parny, Greuze, n'était certes pas

déroger que d'entrer

en semblable compagnie. Joseph Vernet fut

initié le

4

6 janvier 1779.

compagnon de baptême Lemierre,

Il

avait

pour

l'auteur d'un poè'me sur

peinture. Le chevalier de Cubières profita de l'association

la

d'idées qui unissait les

promptu suivant

deux néophytes pour composer l'im-

:

Muses, ouvrez-leur votre temple,

A

ces

deux

artistes chéris;

L'un imite Linus, l'autre égale Zeuxis; L'un donne le précepte en ses savants écrits,

Dans

ses brillants tableaux l'autre

Le programme des travaux de comprenait deux objets

hommes,

En

la

:

la

la

donne l'exemple.

loge des Neuf-Sœurs

maçonnerie qui rapproche

les

culture des arts et des sciences qui les éclaire.

outre, les

membres

s'occupaient beaucoup d'actes de

bienfaisance.

Vernet, qui n'était plus jeune, trouva dans ce cercle


JOSEPH, CARLE

48

d'hommes distingués une

société agréable et des occupa-

tions à la fois utiles et douces.

Les nouveaux venus dans cueillis

carrière des arts élaient ac-

la

avec une grande bienveillance par ce glorieux vété-

ran. C'est ainsi qu'il reçut et devina Grétry.

venir s'ajoutait cette

Quelques

traits

bonté naturelle de son cœur.

fois à la

la figure

du jeune musicien,

sa constitution

e(?

surtout plusieurs de ses chants simples et ex-

lui

rappelaient douloureusement son pauvre ami

délicate,

pressifs

de

Un pieux sou-

Pergolèse, dont on ne- pouvait encore à cette époque pro-

noncer

nom

le

devant

vinssent aux yeux

sans qu'aussitôt les larmes ne lui

lui,

1 .

Yernet aimait passionnément

Gluck

connut

et

Piccini

relations avec ces

gluckistes le :

deux rivaux,

parti

auquel

la

est

Il

se lia avec

différence de ses

la

permis de supposer

postérité

pour l'immortel auteur d'Alcesle

Au nombre

et

des amusements dont

de dépenses,

il

est

de concert ou d'Opéra.

Il

que autre

était

ses

il

que toutes

c'est assez dire

ses livres

musique.

dans cette grande querelle entre piccinistes

qu'il prit

cause

;

la

mais, d'après

célébrité.

Il

moments perdus,

souvent

allait

a

et

donné gain de

ses préférences étaient

d'Orphée. il

inscrivait le prix sur

fait

mention de

billets

applaudir Philidor ou quel-

lui-même un peu musicien

et pinçait

de

la

à

guitare, instrument

qui n'était pas encore ridicule à cette époque.

Cependant

le plaisir

ne nuisait pas au travail,

artiste continuait à mériter

la

et notre

faveur du public, à chaque

exposition nouvelle. Depuis son retour définitif à Paris, avait produit sans relâche, et sa

nuer. Pour ne citer que les

1.

Correspondance

vogue

était loin

commandes des

littéraire, loc. cit.

il

de dimi-

souverains, l'im-


ET HORACE VER N ET.

49

pératrice et le grand-duc de Russie, les rois de

Danemark,

de Suède et de Pologne, l'électeur palatin et

prince des

le

Asturies voulurent tous avoir dans leurs palais des tableaux

En France, il continuait Madame Du Barry avait reconcernait, l'héritage de madame

de notre grand peintre de marine. de

à jouir

même

pris,

faveur royale.

la

en ce qui

le

de Pompadour,

et ce

aux intérêts de

l'artiste.

De son

côté,

la

carrière;

ils

ont appris, dès

b c du métier; à force d'avoir vu

l'a

A

de peintres marchent en général plus

fils

que d'autres dans

berceau,

n'avait pas nui

Carie faisait des progrès très-notables.

leurs débuts, les vite

changement de reine

le

travailler,

d'avoir joué avec des crayons et trempé leurs doigts dans

de

couleur,

la

d'une

facilité

ils

savent déjà quelque chose et font preuve

souvent trompeuse. Aussi

faut-il attendre

peu, pour apprécier à sa juste valeur

Joseph encourageait son

«

une

fut

il

par tous les moyens;

vaux.

son premier acquéreur

tête peinte, »

l'admettait

à

fils

non-seulement de ses conseils

bourse;

Ils

sérieux de leur

*

vocation.

dait

le

un

même

et

,

:

il

l'ai-

mais encore de sa il

paya six

lui

livres

un peu plus cher une esquisse.

parfois à l'honneur

Il

de partager ses tra-

vivaient ainsi en parfaite intelligence, et formaient

eux deux un de ces charmants ménages

camaraderie ajoute à

la

d'artistes,

la

tendresse, sans rien enlever au res-

pect des enfants pour leurs pères.

Au

mois de

juillet

1778, Joseph éprouva

le

retremper son, talent aux sources vives de partit

pour

la Suisse.

Carie était

quelque temps à Genève, chez quoi,

ils

firent

les

le

besoin d'aller la

nature, et

il

du voyage. Us passèrent docteur Tronchin; après

excursions de rigueur à Lausanne, à

Berne, à Évian, à Schaffouse, etc.. Leur absence dura en


JOSEPH, CARLE

ôO

tout six semaines.

Il

ne

fallait

point songer à faire des étu-

des de paysage dans ce merveilleux pays que Dieu semble avoir créé pour

le

bonheur des poètes, mais pour

déses-

le

poir des peintres. Vernet comprit que vouloir transporter

sur sa

ces montagnes, ces torrents, ces cascades, ces

toile

roches gigantesques sorte d'impiété, et

il

ces

et

immenses

vallées,

une

serait

ne tenta pas une épreuve impossible.

L'année suivante (1779), Carie se présenta au concours de Rome,

et

fut

il

admis

monter en

à

ne fut pas décerné, mais était

il

une jeune

moment,

voyages

à

la

campagne,

un

comme

fallait

il

sa

femme

en

1

redoubla

la

main de

avait

prodigue.

dû peindre

:

Au

déjà

la

il

dont

il

voulait faire

obtint le grand prix, la

parabole

concours précédent, voici ce '

de

qu'il

Abigaïl apaise la colère de David en

spécialité des sujets intéressants;

resle lui rendre

la

Carie

partit

M. Charles Blanc se trompe,

lorsqu'il dit

en

du

changé

.

;

mais à

que Carie Vernet obtint son était parti pour

premier. David

1"Î75.

Ces lignes étaient écrites au

nise à

le

faut

2

donc en qualité de pensionnaire

second prix l'année où David reçut

Rome

il

justice de dire qu'elle n'a pas

son répertoire depuis cette époque

2.

de se

apportant des présents. L'Académie des beaux-arts

avait

1.

celle

d'efforts, et

l'était

Rome. Cependant,

782, avec un tableau qui représentait

l'Enfant

lui

il

,

mériter

il

secret déplaisir la per-

spective de s'exiler pendant cinq ans à

comme

à dater de ce

et,

Nogent-les-Vierges absorbèrent une

devait entrevoir avec

il

le

d'une belle passion pour

grande partie de ses journées. Désireux, marier,

Ce succès

*.

l'amour n'était venu

si

s'éprit

qui habitait

fille

les

Il

Le premier prix

obtint le second

de nature à l'encouragër,

distraire de ses travaux.

loge.

nouveau

l'École des

moment où a paru le décret qui orgaarts. On a tout lieu d'espérer que l'an-

beaux -

cien ordre de choses va s'écrouler de fond en comble. L'excellent choix du


51

peine était-il installé à Rome, que, l'amour aidant, gie s'empara de son esprit et de son cœur. et,

quelques mois après son départ,

nostal-

la

tomba malade,

Il

il

revint brusquement

la

jeune

à Paris.

Une grande déception mait

l'attendait,

fille

qu'il ai-

était mariée.

Joseph, voyant sa tristesse, lui

offrit

toutes les distractions

possibles. Quoique, à cette époque, sa fortune fût sensible-

ment diminuée, grâce aux saignées fréquentes que

membres de

férents

bourse,

il

ment,

fit

il

sa

nombreuse

famille avaient faites à sa

acheta cependant un cheval pour son

l'économie d'un domestique spécial

soin de cette bête au palefrenier

les dif-

Seule-

fils.

et confia

le

du duc de Chartres.

Mais Carie, à qui sa mère avait légué son humeur inquiète et chagrine,

voulut chercher un refuge dans

se mit à étudier

homme fit

la Bible.

prendre

de

point

de tact

comprendre

et

On

même

Heureusement, son

l'habit.

de sens,

qu'il

assure

la religion.

le

Il

qu'il fut sur te

directeur,

dissuada de ce projet;

il

lui

n'y avait pas en lui l'étoffe d'un bon

prêtre, et lui conseilla de chercher plutôt à devenir

un pein-

tre distingué.

Carie se laissa convaincre et reprit sa vie normale. Peu à peu,

il

se réhabitua

aux

cle, l'escrime, les bals

qu'il

plaisirs et l'équitation, le specta-

de l'Opéra se partagèrent

ne consacrait pas au

Sa préoccupation dominante, en

du cheval.

11

examinait

Van der Meulen ne

les

fait d'art, était

compositions des Le Brun

pas;

il

et

des

cherchait et entrevoyait déjà un

nouveau genre à créer. En attendant que M. Robert

l'étude

leur interprétation peu fidèle de la nature

;

le satisfaisait

directeur,

temps

le

travail.

-

la

double matu-

Fleury, est une garantie suffisante des efforts qui

seront tentés pour lancer les jeunes gens dans une voie plus large.


JOSEPH, CARLE rité

de son esprit et de son talent

réforme,

faisait

il

lui

permît de tenter une

encore quelques concessions au goût de

ses maîtres, et s'occupait d'un vaste tableau qui devait re-

présenter

Triomphe de Paul-Emile. Paul-Émile

le

et tous

personnages étaient-là pour répondre aux exigences de

les

l'école;

mais

le

quadrige qui traînait

pensation du peintre,

le

d'un pinceau amoureux,

et

morceau

le

héros

était la

com-

pouvait caresser

qu'il

dans lequel devaient se révéler

ses tendances personnelles.

Sur ces

entrefaites, Carie, ayant enfin oublié l'objet de son

premier amour, épousa

la fille

de Moreau

jeune, ce mer-

le

veilleux dessinateur auquel on doit les illustrations de tous les livres élégants

du

faitement assortie, et

siècle dernier. C'était l'art

une union par-

ne pouvait que gagner à ce croi-

sement de deux races également nobles Joseph produisait toujours,

et, si l'on

et fécondes.

en juge d'après

les

critiques de l'époque, son talent n'était point par trop en

décadence. Malgré ses soixante-treize ans,

il

envoya douze

tableaux au Salon de 1787. De toutes les brochures publiées

sur cette exposition, une seule, Lanlaire au Salon acadé-

mique,

se

permet d'attaquer

insignifiant

le vieil artiste

dans un couplet

:

Après

s'être fait

admirer,

Vernet devait briser ses pinceaux, sa palette;

L'homme parvenu jusqu'au Quand Mais pour qu'on

il

le

veut

le franchir,

faîte,

s'expose à retomber.

consolerde ce reproche, un classique prédit

le verra...

Longtemps encore unir Le pinceau de Minerve au trident de Neptune *. ...

1.

Les grandes prophéties

du grand Nostradamus, sur

le

grand Salon de


ET HORACE VERNE T. Parmi

un

les éloges,

seul mérite d'être rapporté

peint la nature

l'Idalie, il

Vernet,

:

du Tempé, dans

dit-on, « vole sur les bords fleuris

quets enchantés de

53

1

Ce der-

»

.

bos-

les

nier trait n'est-il point charmant, et ne s'accorde-t-ii pas à

merveille avec

règne de

la

phrase qui

On

précède?

le

madame de Pompadour

que

sent

le

n'est pas fini depuis long-

temps, et que son influence dure encore.

Cependant Vernet ne méritait pas ce compliment qui ressemble tant à un blâme;

comme

elle doit être

son expression

la

comprenait

il

aimée

et aimait la nature

plus élevée. Loin de sacrifier au genre

faux et maniéré que Boucher avait mis à sissait

avec un goût sévère ce qui, dans

se plier

dans

et comprise, c'est-à-dire

aux exigences de son

mode,

la

il

choi-

pouvait

la réalité,

art.

Grand ami du paysage comme

il

l'était,

Yernet devait ap-

précier Bernardin de Saint-Pierre et être apprécié par lui

que

aussi est-ce à leur collaboration

ginie.

En

jour à

la

4

l'on doit

Paul

et Vir-

787, Bernardin de Saint -Pierre vint frapper

porte de l'atelier du vieux peintre.

connu encore à

écrivain, peu

cette

:

un

Le célèbre

époque, bien

qu'il

ne fût

déjà plus très-jeune, paraissait désolé, et son hôte, étonné

de sa mine piteuse,

lui

Bernardin venait de

lire,

roman sur

demanda dans

succès duquel

le

le

quelle en était la cause. salon de

Mme

Necker, un

fondait les plus belles espé-

il

rances; mais l'impression produite sur ses auditeurs n'était

pas de nature à l'encourager: Buffon n'avait

peinture de

Van

de grâce 1787 , etc

;

.

.

.

le

tout dicté

que regar-

fait

par

prophète à

le

Jean Lait-par-Mil. 1.

Promenades d'un observateur au Salon de 1787 Les autres brochures .

qui ont paru sur cette exposition sont intitulées coq de Micille

,

Merlin,

etc., etc.

:

Tarare

,

la

Le lecteur n'ignore pas que

Plume du

cette

forme

burlesque, complètement démodée aujourd'hui, était celle dont se servaient le

plus volontiers les critiques du

xvm e

siècle.


JOSEPH, CARLE

54

der sa montre,

Thomas

s'était

endormi, quelques femmes,

plus humaines, se sentaient disposées à pleurer, mais rire sarcastique

du maître de

de leur faiblesse

et elles avaient retenu leurs

il

maison leur avait

la

le

larmes

sou-

honte

fait 1

Bref,

.

voyait bien, ajouta-t-il, qu'il s'était trompé et qu'il ne

restait plus qu'à jeter

son manuscrit au

posait à faire, séance tenante

dre, lui dit Vernet, lisez-moi

rons

s'il

:

«

feu, ce qu'il se dis-

Pendant que

donc votre

moyen de

n'y aurait pas

je vais pein-

histoire;

nous ver-

réviser l'arrêt de vos

terribles juges. » Cette proposition, dernière planche

avec joie par

fut acceptée s'installa

le

devant son chevalet,

saisi

de

salut,

pauvre auteur naufragé. Vernet et la

lecture

A

commença.

mesure que Bernardin de Saint-Pierre tournait Vernet,

lui

les feuillets,

par l'intérêt croissant de cet adorable chef-

d'œuvre, se détachait peu à peu de son propre lorsque l'auteur eut

fini,

de ne pas se laisser

lui conseilla

il

travail, et,

décourager par des critiques ou envieuses ou inintelligentes, l'exhorta vivement à publier son livre, et lui prédit un trèsi

grand succès en dépit de tous ses amis

les

beaux esprits

qui n'y entendaient goutte, assurait-il. Personne n'ignore suite

de

l'histoire;

mais ce que tout

le

monde ne

pas,

sait

c'est que Vernet voulut aussitôt illustrer ce livre dont était

en quelque sorte

parrain.

le

l'épisode qui convenait le

mieux

Il

choisit

comme

la

il

sujet

à la nature de son talent,

Naufrage de Virginie. Malheureusement, son pinceau

le

sénile

trahit

ses intentions, et le peintre resta fort au-des-

sous du poëte.

Le Salon de 1789 reçut tandis que

le

Paul-Êmile, 1.

les

derniers tableaux de Joseph,

premier tableau de Carie, lui

le

Triomphe de

ouvrait les portes de l'Académie

Aimé Martin, Mi moires sur

Saint-Pierre. In-8°, Paris

,

1826.

la vie et les

:

il

fut

ouvrages de Bernardin de


55

nommé •

agréé. La réception se faisait encore à cette époque

avec un certain cérémonial. Le récipiendaire

successivement par un huissier à tous faisait à

chacun d'eux un profond

riva devant Joseph, jeta

dans

les bras

il

les

salut.

était

présenté

membres,

et

il

Lorsque Carie ar-

oublia les lois de l'étiquette et se

de son père. Tous leurs confrères applau-

dirent à cet élan de cœur.

Joseph mourut peu de mois après, bre 1789. petit-fils,

Il

avait

le

jeudi 3 décem-

pu du moins embrasser au berceau son

qui était né

le

30 juin de cette

même année.

C'est

ce qui permettait plus tard à Horace Vernet de dire en plaisantant qu'il avait connu son grand'père.


JOSEPH, CARLE

y

10 août.

Projets d'émigration.

Civisme de David.

sang.

Sous

chy.

siècle.

arts.

Jugement de madame Chalgrin.

L'auréole de

Vainqueur au Champ-de-Mars.

Dessins à vingt-quatre sous.

Deux

— La barrière de Cli— Voyage à pied. — Intérieur d'ate— Lettres de Carie d'Horace.

Mariage d'Horace.— 1814.

— Médaillé et décoré. — Départ pour

lier.

Déjà

Assassin par négligence.

le Directoire.

Commencement du croix en une.

l'Italie.

et

temps commençait à devenir mauvais pour

le

Les esprits étaient occupés

ailleurs.

Tout cédait

les

pas

le

à la politique.

Pendant l'attaque des Tuileries,

le

40 août 1792,

la

famille

Vernet eut sa large part des émotions de cette terrible journée. siège

du château,

populace que

les galeries

Après la

le

de refuge

à

le

du Louvre servaient de

habités par les artistes. et

Carie

tandis que de son côté

enfant,

la petite

Louvre Moreau.

,

et

les vitres

des appartements

comprend l'imminence du

veut soustraire sa jeune famille aux violences

d'une invasion probable.

fardeaux

lieu

quelques Suisses échappés au massacre; aussitôt

des balles font voler en éclats

danger

bruit s'était répandu parmi

ils

Il

saisit

HoracQ dans ses bras,

madame Vernet prend

son second

Camille. Ainsi chargés de leurs précieux

s'élancent à travers les corridors

gagnent

le

plus vite qu'ils peuvent

,

la

sortent

du

maison de


ET HORACE VERNET. Cette course haletante

Comme

mentable.

faillit

se terminer d'une façon la-

touchaient au port,

ils

07

les fugitifs

à essuyer une décharge de mousqueterie

aucune

eurent

heureusement

;

balle n'atteignit son but, et ils en furent quittes

pour

recevoir une pluie de plâtras que les projectiles avaient détachés de la muraille en venant s'aplatir contre elle.

Par 11

les relations

de son père, Carie Vernet tenait au passé,

avait été bien accueilli, depuis son enfance, par toute cette

aristocratie qui se trouvait alors en butte à

l'explosion de

haines lentement amoncelées. Aussi son jugement un peu faussé ne lui permettait-il pas de

de

réaction

la

;

il

était

Il

De bien

la légitimité

n'en voyait que les cruautés

saisir le véritable sens et sans

sociale.

comprendre

donc injuste

en apprécier

et songeait à déserter

tristes circonstances l'obligèrent à

sans en

,

haute portée

la

son pays.

abandonner ses

projets d'expatriation.

Son beau-frère Chalgrin, architecte du comte de Provence,

femme

avait suivi le prince à Bruxelles, laissant sa

Une accusation ciliaire

fit

n'y avait

troublée, le

chiffre et

là rien

moindre

contre elle, et une visite domi-

découvrir dans son appartement des bougies

marquées au Il

fut lancée

à Paris.

la

fait

aux armes du protecteur de son mari.

que de très-naturel

;

mais à

cette

peur s'exaspérait souvent jusqu'à

époque

la férocité,

prêtant au soupçon prenait des proportions

incalculables. Les jalousies, les haines, les rancunes privées

se servaient de

la

politique

comme

d'une arme meurtrière,

et faisaient de nombreuses victimes.

déclarée suspecte.

Dès

qu'il

Accuser,

c'était

Madame

Chalgrin fut

presque condamner.

eut appris cette fatale nouvelle

,

Carie

Vernet

courut chez David, son camarade et son ami. Le peintre

de Marat jouissait d'un grand crédit auprès des puissants

du

jour. Malheureusement,

il

avait été fort épris de

madame


I

m

JOSEPH, CAR'LK femme

Chalgrin, et cette honnête tion à lui.

De

aucune atten-

n'avait fait

un sentiment de rancune qui

dicta à David

une réponse bien digne de son républicanisme poncif

comme

drapé à l'antique,

«J'ai peint Brutus, dit-il, je

me

ne saurais

sœur

tribunal est juste; ta

le

dérangerai pas pour

Romains de

les

A

elle. »

tableaux

ses

solliciter

une

est

et :

Robespierre;

aristocrate

ne

et je

,

force de prières

,

Carie

parvint cependant à émouvoir un peu ce stoïque féroce et ridicule, qui devait plus tard se changer en plat courtisan.

David

fit

quelques démarches,

tant souhaitée.

et obtint sans peine la grâce

Mais, par une distraction inqualifiable,

il

garda pendant plusieurs jours dans sa poche l'ordre d'élargissement qui il

n'était plus

lui

avait été remis, et, lorsqu'il

y songea,

temps. Les morts allaient vite, et l'échafaud

On a de madame

Vernet, un

n'attendit pas.

conservé, dans

portrait

Chalgrin, ébauché par David. La tête

seule est terminée;

donne

l'idée

elle

la famille

est très-fine,

très-distinguée, et

d'une femme extrêmement séduisante. Par un

un pres-

singulier hasard, qui pourrait presque passer pour

sentiment,

le

peintre avait préparé

le

fond de sa

des tons d'un rouge foncé, qui encadrent

toile

avec

visage de son

le

modèle dans une sanglante auréole. Ces douloureux événements n'arrêtèrent pas tout à les

travaux de Carie.

que tout eût du

Il

s'effacer

diennes: on trouve son

Sous

le

exposa à une époque où devant

nom

sur

les

le

gigantesque

du Salon de 1793.

moins sombre. La France,

effort qu'elle venait

soulever dix siècles qui pesaient sur

elle

de faire pour

de tout

éprouvait

de

l'arbitraire et

se

reposer un instant et de reprendre haleine.

Tallien devenait à

des privilèges

la

mode.

Il

semble

préoccupations quoti-

le livret

Directoire, le ciel devint

épuisée par

il

fait

,

v avait dans

le

l'air

le

poids

besoin de

Madame une

folle


HORACE VERNE T.

ET de

réaction

qui ramenait les choses au point où

plaisir,

en étaient sous

elles

Régence

la

sous Louis

et

Carie Vernet se laissa entraîner dans Il

mêla

se

à ses

et mettre ses

dans

la

59

XV.

tourbillon général.

le

contemporains pour étudier leurs ridicules

crayons au service de

satire.

la

Il

ses lithographies, défiler la

collection de

faut voir,

grotesque

procession des Merveilleuses et des Incroyables. Jamais caricature ne rentra mieux, ni plus avant, dans l'art.

toutes les qualités d'esprit et de dessin qui

domaine de

le

Carie a excellé dans ce genre secondaire

la

il

;

y a mis

sont indis-

lui

pensables pour élever son niveau. Carie Vernet était bien du reste l'homme de ce temps étrange, et jusqu'à la fin de sa vie

un

reflet

tingué de visage, ayant dans il

comme

en a conservé

les traits

aimait de passion les chevaux,

beaucoup de

finesse,

mondaine

vie

la

un gentleman dans toute

C'était

cile.

il

sur toute sa personne. Élégant de tournure, dis-

du terme.

force

la

et fa-

Tel nous l'ont dépeint tous ceux qui l'ont connu, et

peut

le

voir encore dans

Lefèvre a laissé de

jockey,

tel

on

Robert

lui.

Carie était très-adroit et très-leste.

comme un

que

beau portrait

le

et,

montait à cheval

Il

contre l'habitude des

cavaliers,

il

passait pour un des meilleurs marcheurs de' son temps.

On

raconte qu'à

la

d'une

suite

gageure

courut au

il

Champ-de-Mars dans une de ces courses renouvelées du stade antique, et qu'il remporta tant,

Laréveillère-Lepeaux

Vernet, votre

Cependant,

nom

lui

le

En

prix.

aurait dit

:

«

remet-

Monsieur

est habitué à tous les triomphes. »

les plaisirs

cessèrent, et

caractère de

le

nation redevint sérieux pour se mettre .

le lui

à

la

la

hauteur des

graves événements que préparait un avenir prochain.

La guerre,

cette

ennemie. des

arts,

commença

régner sur l'Europe en maîtresse absolue.

On

bientôt à

n'eut plus ni

-


JOSEPH, C A RLE

60

le

goût, ni

le

de venir admirer paisiblement, entre

loisir

déux combats,

les

tableaux exposés au Salon. Seulement,

nos soldats préparaient des sujets nouveaux pour ceux-ci

tres;

moins héroïque mais plus moderne,

l'artiste

mieux

au

qu'on pouvait

tirer,

Horace Vernet, très-jeune encore,

rope

;

reçut

il

le

la lutte

brûlante

comme

;

il

il

;

s'enivra de

tous les

profit

de

la

pein-

jour par jour,

assista,

les

émotions qui se

vécut dans cette atmosphère

de gloire

poudre,

hommes de

et

de fumée

sa génération. C'est à ces pre-

mières années de sa vie qu'il faut demander compte de nature de son talent

c'est là qu'il

;

humeur

incontestable de cette

compagne jusqu'à

En

et

la

faut chercher l'origine

guerrière qui fut sa fidèle

sa mort.

attendant l'âge ou

lui-même

le

engagée parla France contre l'Eu-

contre-coup de toutes

succédaient sans relâche

qui comprit

de ses contemporains.

ture, des actions éclatantes

aux péripéties de

pein-

gloire à

un sentiment

exploiter. Carie Yernet fut, après Gros, avec

le parti

les

un champ de

avoir tout

allaient

lui serait

il

permis de produire par

de vivre sur son propre fonds,

il

étudiait.

Son

éducation première fut pourtant assez négligée. Le temps

ne comportait pas de travaux suivis. plus, dans les

On

se préoccupait

lycées, de la politique quotidienne

littérature classique

ou

d'histoire.

La vie

que de

se concentrait

tout entière dans le présent.

Au

collège des Quatre-Nations, Horace fut

diocre. le

Il

jouissait à été

servir

hommes que

et

à autre chose qu'à dessiner.

Il

les

plumes,

A

les

cette précocité qui avait déjà

de Carie. Enfant,

son grand -père Moreau

quatre sous pièce.

méet

un haut degré de

un don de Joseph

élève

crayons

ne comprenait pas que

papier pussent

un

il

lui

faisait

des bons-

achetait vingt-

douze ans, chacune de ses composi-


ET HORACE

VERNE T.

61

tions lui était payée

douze francs. Tels furent

modestes de

qui devait gagner à

pinceaux

l'artiste

fortune

la

débuts

les

pointe de ses

la

plus considérable qu'un peintre ait

la

peut-être jamais possédée. Quelques jours avant sa mort,

sommes qui

additionnait les

mains,

— passer

lui

mot propre,

est le

par

il

étaient

passées

arrivait au total

et

il

les

fabuleux de cinq millions.

d'Horace fut aussi négligée que

L'éducation artistique

son éducation les

littéraire.

Il

pommiers donnent des pommes. Né sur un

mirablemént préparé,

dans des

ateliers,

terrain ad-

n'eut qu'à se laisser grandir pour

il

un beau jour, un homme de

être,

comme

des tableaux un peu

fit

Sa vie se passait

talent.

chez son père, chez son grand-père Mo-

reau, chez son oncle Chalgrin.

Carie s'était d'abord mépris sur la véritable vocation de

son

fils.

Il

lorsqu'il

songeait a

vit

en faire un graveur

qu'Horace avait tout ce

devenir un bon peintre,

ami

et

douce, mais

Matin de croix de

pour

de prendre

\

808, Carie obtint

pour

direction de son

la

cette

lui

tâche

un grand succès avec

la bataille d' Amterlitz la

.

Légion d'honneur. En

propres mains, Napoléon

voilà

mit sous

fallait

si

si difficile.

Salon de

êtes ici

le

qu'il

cependant,

camarade Vincent. La crainte de l'aveuglement

paternel l'empêcha

Au

il

;'

comme

comment

lui dit

:

Ce tableau la lui

«

valut

lui

le la

remettant de ses

Monsieur Vernet, vous

Bayard, sans peur et sans reproche. Tenez je

récompense

le

mérite. »

ajouta à ce premier compliment ces mots gracieux

sont deux croix en une;

il

est

des

hommes

grand nom, vous, monsieur, vous portez

Horace continuait ses études classiques cent, Vincent était alors, avec

David

et

,

L'Impératrice :

«

Ce

qui traînent un

le vôtre. »

de Vin-

à l'atelier

Regnault, 4

le

chef


JOSEPH, CAR LE

62

d'un des trois ateliers qui se disputaient, chaque année, les prix de l'École des beaux-arts.

Horace dessinait d'après

En

mies.

810*

4

son très-jeune

de

Concours de Rome, où

peu orthodoxe pour

talent, fort

la petite église

bosse et faisait des acadé-

la

se présenta au

il

chargée d'apprécier

Il

renonça dès lors à

la

la fin

il

une détermination qui

au célibat

les

Horace

M

lle

se maria,

il

:

il

de séve, de

lui

prit à cette époque,

même

que

et l'on sait

en

qu'il le

eût

éprouvé

règlement astreint

pensionnaires de Rome.

Yernet

épousa

une

charmante

Louise Pujol, qu'il avait rencontrée dans

bey, et dont

comme

empêché de recommencer

l'aurait

concours, en admettant

te'désir

aurait sans doute ob-

y avait en

jeunesse et d'originalité. D'ailleurs,

effet.

récompense,

de sa trentième année, après avoir,

tant d'autres, épuisé tout ce qu'il

le

échoua en

il

poursuite de cette

que, pour son plus grand malheur, tenue, vers

mérite des con-

le

currents, devait le faire échouer, et où

membres

les

il

avait

jeune le

fille

,

salon d'Isa-

toutes les qualités aima-

pu apprécier

bles et sérieuses.

Le jour de ses noces, Horace quarante sous dans sa poche, rien, les

mais

étaient

riches

4

814,

portrait

du

8 000 francs

il

roi

obtint,

sa

et

d'amour

années devaient monnayer par

En

la

ils

femme ne

de Westphalie. plus,

tout,

possédait

que

et d'espérances,

la suite.

grâce à Gérard,

du prince. De

pour

avait, en tout et

Il il

la

commande d'un

réussit à souhait et reçut

envoya au salon de

4

84 2

Prise d'un camp retranché près de Glalz, tableau im-

portant qui lui valut une première médaille.

vingt-deux ans,

et déjà

dépendamment de par son

nom deux

la

il

était célèbre

Il

n'avait

que

par lui-même, in-

réputation qui lui était faite d'avance

fois illustre.


ET HORACE VERNET.

Un moment, Horace

fut soldat

comme

quoique son mariage l'exemptât de on

était

en

concourut sous

il

fense de

Avec

fusil.

plus tard,

et,

impressions qu'il

les

toile

la

monde,

le

Charlet,

ordres du maréchal Moncey à

les

barrière Clichy

la

porter sur

tout

conscription; mais

la

chacun prenait un

81 4, et

1

63

la

dé-

n'eut qu'à re-

il

avait ressenties

pendant cette terrible journée pour produire un de ses meilleurs tableaux, un de ceux la

il

fut

comme

tenait plus à

dont

il

fut

cette

politique de

simple et grandiose.

première distinction qu'à toutes celles la suite.

était arrivé

il

la

le plus-juste,

soldat qu'Horace Vernet reçut la croix, et

comblé par

Cependant,

note est

la

même temps

composition est en

Ce

France

:

un revirement dans

la

de

les princes revenaient

fortune l'exil.

Carie était toujours resté fidèle au souvenir des Bourbons, et il

accueillit

avec joie leur restauration. Aussi

en quelque sorte qu'on

le

peintre officiel de

la

nommé

nouvelle cour, lors-

chargea de peindre l'entrée de Louis XYIII à Paris

et le portrait ral

le

fut-il

du duc de Berry en costume de colonel géné-

des chevau-légers.

Ses opinions politiques n'avaient point cependant empêché Carie* de travailler pour

les

puissants de

La

la veille.

peinture est un terrain neutre; toutes les couleurs se trou-

vent sur le droit

la

palette, et l'artiste a, jusqu'à

certain point,

de ne pas toujours être conséquent avec l'homme.

Carie avait représenté successivement

Madrid,

un

les batailles

le

bombardement de

de Rivoli, d'Austerlitz, de

Wagram

et

de Marengo. Napoléon, ayant été à

pendant

les

même

de revoir ce dernier tableau

Cent-Jours, en fut très -frappé,

M. de Montalivet d'envoyer sur-le-champ gratification

de 6 000 francs.

et

il

chargea

à l'auteur

une


JOSEPH, CARLE

64

Par un arrêté ministériel en date du 31 mai 1816, décidé que l'église de

il

Madeleine serait ornée de sept

la

fut

fres-

ques immenses, dont l'exécution devait être confiée à Gros, Guérin, Meynier, Carie Vernet, Prud'hon, Gérard et Girodet.

On

eût travaillé

le voit, Carie

en bonne compagnie.

Mais on ne donna pas suite à ce projet,

peintres per-

et les

dirent une belle occasion de montrer au public toutes les

ressources de leur talent

Tandis que son père

i .

par ces promes-

était retenu à Paris

ses de travaux, Horace partait à pied, le sac sur le dos,

avec son ami ainsi le

comte de Pontécoulant.

le

Dauphiné

et la Suisse. C'était

une agréable préface aux longs voyages prendre par

A

atelier

riosité.

de

la

se mit de

il

la

2

était

à l'œuvre.

une véritable cula

physionomie

gravure a popularisé.

Jamais on ne se serait douté que

gens qui se trouvaient

les

réunis pour travailler.

Horace Vernet, main,

nouveau

rue des Martyrs

dans un tableau que

là étaient

artiste

qu'il devait entre-

a pris soin de nous en conserver

11

jeune

le

la suite.

peine de retour,

Son

parcoururent

Ils

pour

faisait

la

cigarette

aux dents

et

la palette

à la

des armes avec un ancien officier de l'Empire,

M. Ledieu, aujourd'hui directeur du mont-de-piété. M. Amédée de Beauplan jouait du piano, M. Eugène Lami

dans une trompette, de

et,

à côté de lui,

battait

la caisse. 11

y avait ensuite

L'église

1.

M. Thiers

le

groupe deâ causeurs

approuva; mais au dernier moment,

2.

11.

:

le

général

de la Madeleine a toujours eu du malheur. Plus tard,

reprit l'idée de son prédécesseur, et

l'exécuter. Toutes les esquisses furent faites et les

soufflait

M. Montcarville

chargea Paul Delaroche de montrées au ministre

l'affaire

avorta encore.

,

qui


ET HORACE VERNET. Boyer, M. de Lionne, le

baron Athalin, M. de Lariboissière,

le

célèbre graveur Jazet, M. Couturier de Sainte-Claire,

deux

lonel Bro, et les

madame

frères de

Vernet,

Ladurner se promenait avec un singe sur

M. Guyot, tout en

feuilletant

dogue en arrêt devant Régent,

et.

le

duc d'Orléans à Ho-

police, lisait le journal

sans doute aux magnifiques panoramas qu'il

nous a montrés depuis. Le d r Hérault tenait à de mort

et l'examinait.

MM.

peintres,

M. Duchesne

du poêle

boxer que l'assaut de leur maître

un jeune

de ce tohu-bohu;

homme

y avait encore dans

lecteur s'en souvient

l'Académie,

,

nus jusqu'à

et attendaient

pour

obstinément au milieu

le fruit

l'atelier

deux

2

de son application objets de curiosité

.

:

ce grand tableau qui, le

avait ouvert à Carie les portes de

un très-beau buste de* Joseph,

et

la

fût terminé.

travaillait

Triomphe de Panl-Émile ,

le

main une

M. .Robert-Fleury, qui depuis, dans

c'était

sa brillante carrière, a recueilli Il

la

faisait l'exercice.

Montfort et Lehoux,

ceinture, se chauffaient près

Seul,

et

.

Le colonel Langlois, en bonnet de

Deux

l'épaule,

1

race Vernet, servait de modèle

tête

Pujol.

cheval que l'on appelait le

qui avait été donné par

et rêvait déjà

co-

un album, agaçait un boule-

Un

lui.

MM.

le

coiffé le plus

souvent d'un shako polonais. Il

ne faudrait pas croire cependant qu'Horace Vernet flânait

toujours; non, mais

tempérament.

Il

le travail

allait et

suivi ne convenait pas à son

venait, faisait une botte avec l'un,

bavardait avec l'autre, regardait l'ouvrage de. ses élèves,

d'un coup d'œil sûr, voyait

les

retouches à faire, qu'il in-

diquait d'une façon très-nette; puis,

1.

L'atelier était

2.

Nous devons

et,

il

revenait à son che-

au rez-de-chaussée.

les indications qui

précèdent à l'extrême obligeance de

M. Montfort, l'un des premiers élèves d'Horace Veinet. 4.


JOSEPH, CARLE

66

en se jouant,

valet, peignait

à la fin de

et,

trouvait avoir accompli sa tâche

la

mieux que

journée,

il

se

tout autre.

Cette fantaisie serait fatale à ériger en principe; mais

la

facilité

prestigieuse d'Horace Vernet lui servait d'excuse.

Chacun

a le droit

La

fin justifie

maxime,

de choisir

moyens;

les

lâche et

si

mode de

le

en

c'est

travail qui lui plaît.

d'art

fait

que

cette

fausse d'ordinaire, trouve sa véritable

si

application. Qu'importe au public la manière dont un chef-

d'œuvre a

Le temps ne

«

rien à l'affaire,

fait

un sens

juste dans

pourvu que ce chef-d'œuvre existe?

été créé,

que- dans

rapidité de l'exécution ni

la

c'est

seulement à

si elle

est

Horace

l'effet

l'autre;

un mérite,

obtenu

s'était

ni

une excuse,

qu'il appartient

de démontrer

l'esprit.

n'avait pas les

il

la

le

mêmes

raisons d'âge

retour des Bourbons.

Révolution, élevé au bruit du canon qui

balayait peuples et rois d'un bout de l'Europe à l'autre,

âme au nouvel

appartenait corps et était

et

moins rapproché que son père du gouver-

de reconnaissance pour saluer

Né au début de

un axiome aussi ne faut voir dans

il

un défaut ou une qualité de

nement restauré; et

est

»

ordre de choses

,

il

et

très-imbu des idées progressistes qui commençaient à

germer en France. Cependant,

il

son père, qui cherchait en revanche tous les

nifeste avec

moyens de lui il

ne voulait pas se mettre en opposition ma-

le

convertir à ses propres idées.

amenait dans son atelier le

faisait inviter

obligé d'inventer

le

Un

jour, Carie

duc de Berry; un autre jour,

aux chasses du prince. Horace

chaque

fois

était

un prétexte nouveau pour

décliner ces honneurs.

Sur ces entrefaites, pour

l'Italie.

le

père et

le

fils

partirent ensemble

Carie voulait sans doute soustraire Horace aux

influences qui pesaient sur son esprit, et qui pouvaient,


ET

compromettre son avenir.

craignait-il,

jeune

Us

A

Il

67

n'y avait pas, en

de meilleur complément d'éducation pour un

cas,

tout

HORACE VERNE T.

artiste.

se mirent en route

au commencement de 1820.

peine arrivé à Rome, Horace écrivait à son oncle Livio

une

dont nous citerons de longs extraits, non-seu-

lettre

lement parce qu'elle donne des renseignements sur

la

jeu-

nesse de l'artiste, mais parce qu'elle montre en outre quel était le

courant de ses idées, à cette époque de transition

où l'homme commençait à paraître en

«

Mon «

que

nous as adressée à

heureux, quand on

Rome,

mars 1820.

le 3

1

cher Oncle

,

Que de remerciements ne tu

lui.

te

Rome

!

tu sais

combien on

tu dois juger

;

se trouve

de recevoir des nouvelles

est éloigné,

des personnes qu'on aime

dois-je pas pour la lettre

de

mon bonheur

en recevant des tiennes. Nous faisons un charmant voyage, et, ce qu'il

y

a de très-remarquable,

que mon père

c'est

que nous sommes en très-bonne

n'est pas trop exigeant, et

que rien ne

intelligence. Ainsi, tu vois

me

manquerait,

si

vous étiez tous avec nous... «

Je vais

me

mettre à peindre. J'en

ai

grand besoin! Tu

penses que, dans ce beau pays qui a inspiré tant de peintres, je ne puis rester sans en ressentir l'influence

que mon premier

essai

massa, ou, autrement

1.

Le

fils

me

,

le

en 1789

,

au moment de

la

sivement directeur des vivres de

,

était

la

nom

italien

de

receveur général du tabac à Avi-

mort de son père. Depuis la

faire

départ des chevaux aux

aîné de Joseph Vernet, qui avait renoncé à son

Livio pour se faire appeler Louis

gnon

compte

réussira. Je

dit,

et j'espère

,

marine à Brest

équipages des vivres des armées du Nord

et

,

et

,

il

fut succes-

agent en chef des

de Sambre-et-Meuse.


JOSEPH, CARLE

6a

A

courses du carnaval. eu un bien

propos de carnaval, vous en avez

Nous n'en avons appris en a été foudroyé. Tu

1 !

mon

père

sais quelles étaient ses liaisons

avec

nouvelle qu'à Naples

la

prince, et tu juges de

le

Quelle affreuse catastrophe

triste à Paris.

l'effet

:

qu'a dû produire sur lui un

pareil malheur...

Nous avons

«

assisté

Louis-des-Français

au service qui a eu

lieu à Saint-

cérémonie peut être bonne pour

cette

:

du malheureux défunt, mais, pour ceux qui y assistent, elle est du plus grand ridicule, surtout en Italie, où

l'âme

ça a plus l'air d'une fête

que d'une cérémonie funèbre.

Quand serons-nous assez philosophes pour pleurer sans musique?

tentation et sans mettre nos regrets en «

J'espère tirer

lement sous sance que

le

j'ai

un grand

fruit

de

os-

mon voyage, non-seu-

mais aussi pour

la

connais-

acquise de moi-même. C'est dans

le

choc des

rapport de

l'art,

passions qu'on définit celles qui doivent vous mener à bien,

ou

vous maintenir dans une fausse route.

celles qui doivent

Je fais là-dessus

bon

mes observations

parti. D'ailleurs,

il

est

car l'âge arrive sans qu'on faire

un

manquent

effort

pour

compte en

et je

tirer

sen doute

devenir

,

meilleur,

et lorsqu'on les

forces

veut

vous

ne peut pas plus se redresser que

et l'âme

un

temps de penser sérieusement,

les

reins... «

Nous avons

fait

plusieurs courses pour voir les maisons

que mon grand-père a habitées,

celle

où tu es né

et l'église

où tu as été baptisé. Toutes ces choses ont un grand charme pour moi. Je regrette de ne pouvoir mais

ma mauvaise

1.

L'assassinat

le faire

partager,

me refuse le moyen d'exprimer termes me manquent, et quand par

éducation

ce que je sens. Les

te

du duc de Berry.


ET HORACE VERNE T. hasard Alors

mes vis

arrivent, souvent je ne sais

ils

me

dépit

le

actions

que pour eux,

je m'aperçois

et

comment

plume,

la

le

cœur

,

que mon plus grand bonheur

a besoin de se vider quand si j'ai

choisi le tien

mon bon

est

je ne

quand

aussi je

sait;

mais tu sais

;

est trop plein.

il

pour recevoir

la

potée...

oncle. Je n'ai pas besoin de te dire

combien tu m'es cher;

monde

remets à

et je

qu'on n'y est pas indifférent...

Pardonne-moi,

Adieu

les écrire.

que j'aime que

Voici une longue lettre bien ennuyeuse

«

que

«

prend, je quitte

soin de prouver à ceux

le

•69

c'est

me

une

vieille

chose que tout

le

em-

bornerai à t'envoyer une

brassade de trois cent soixante lieues de long. «

Ce premier voyage d'Horace pas longtemps. Dès

le

madame Lecomte, pour «

Sa Sainteté,

dit-il,

pour louer une le

rieux de

la vie

reconnu toutes (c'était

les

choses dont expression).

découvert

la

faite à Tivoli

mon

père

« J'y ai

faisait ses

Nous avons

grotte de

:

appris

Neptune

On nous

;

fils

choux là

avant

que lui

a fait voir l'ar-

Cette lettre fait partie de la magnifique collection d'autographes de

M. Chambry. M. Chambry, dont

le sort est

n'est pas jaloux de ses richesses, et

une bonne grâce 2.

»

de Joseph Vernet. Voici ce que dit son

personne n'avait osé y descendre.

1.

fille,

contient, entre autres choses, -un détail cu-

son

c'est lui qui a

ne dura

à sa

écrivait

culotte, attendu qu'on ne

pape en pantalon.

en racontant une promenade qu'il a

gras

Italie

nou§ recevra demain au Quirinaî. Je

viens de courir

Cette lettre

»

.

annoncer leur prochain retour.

peut entrer chez 2

Vernet en

8 avril, Carie lui

i

Horace Verne t

il

envié par tous les amateurs,

en

faire profiter les autres

avec

parfaite.

Cdtalogue des AutograpJies de M.

det, 1852.

sait

le

baron de Trémont. Paris , Laver-


JOSEPH,

70

bre

auquel

il

C A RLE

s'est fait attacher

d'une hardiesse surprenante. Les deux Vernet

Rome, où, grâce

pour y

parvenir;

c'est

»

avaient

été

à Joseph, leur

admirablement reçus à

nom

était

populaire depuis

près d'un siècle.

Horace mit son séjour à M. de Blacas

homme lèche,

lui

profit.

Il

peignit

paya 4000 francs;

à faire des économies, et

dans laquelle

il

revint

flânant tout le long de la route.

à

il

mais

un tableau que il

n'était

pas

acheta aussitôt une ca-

Paris avec son père,

en


71

VI

Le duc d'Orléans

et le

et de Géricault.

homme

Vogue Une

politique.

l'Institut.

En

de

815,

soleil.

de l'École de Rome.

par

duc d'Orléans. Chargé, vers

le

son portrait,

faire

il

forme de colonel de dragons, peau,

dans

cocarde tricolore au chails

étaient restés

bourgeoisement

la

prince en train de

le

barbe devant une fenêtre.

pouvait l'apercevoir du jardin, où quelques tionnaient dans ce but. Le duc d'Orléans, l'artiste, lui

tâchent de la ils

dit

lire

:

sur

«

Ces gens qui

mon

visage

naissance d'un héritier de verraient que je n'en suis

rizon

me On

la

me

l'effet

couronne.

aucunement

il

badauds

les

4.

On sta-

montrant à

regardent

.que

semble bien noir depuis 184

cher Horace, dans vingt ans trône.

ensemble

duc de Bordeaux, Vernet,

naissance du

la

rendu au Palais-Royal, trouva

se faire

en uni-

meilleurs termes.

les

Le jour de s'étant

l'avait représenté

la

depuis cette époque,

et,

*

mécontent politique, Horace Vernet,

était très-bien accueilli 4

et entraînement.

— Directeur

qualité de

sa

— Intimité d'Horace Vernet — 1822. — Horace, — Membre* de gracieuseté du

duc de Bordeaux.

me

raser

produit sur moi S'ils le

pouvaient,

affecté,

car l'ho-

Voyez-vous,

n'y aura plus

un

roi

mon

sur un

prétend que je suis une planche pourrie;

non,


JOSEPH,

^2

RLE

CA

ma

seulement je ne veux pas porter

comme mon malheureux

père

1 .

tète

sur l'échafaud

»

Mais revenons trouver notre peintre au milieu de ses relations plus intimes.

A

l'atelier

de Carie Yernet, où

études, Géricault s'était

lié

il

avec Horace. Jeunes tous deux,

amoureux de

tous deux ardents, enthousiastes, épris de

de séve

gloire, pleins

chevaux avec

la

même

leur art et

confiants dans l'avenir,

et

commune.

vivaient d'une vie à peu près

ils

avait fait ses premières

Ils

aimaient les

ensem-

passion, et faisaient souvent

pendant lesquelles

ble de longues courses,

se livraient

ils

à mille folies.

Lorsque Géricault s'en

en Angleterre pour tâcher de

alla

vendre son chef-d'œuvre dont on n'avait pas France, Horace et

lui

au courant de ce

qu'ils faisaient,

maître qui venait de signer écrivait de Londres, le 6

Smalah, une longue «

j'ai

lettre

Vous ne douterez ressenti

du

vu

;

il

Naufrage de

côté.

Le

Méduse

la

mai 1824, au futur auteur de la dont voici un fragment

du

:

plaisir

que

succès de votre dernier ouvrage; mais à

vous

me semble que

artistes et amis;

le

chacun de son

pas, disait Géricault,

cependant je remettrai j'aurai

voulu en

n'en continuèrent pas moins à se tenir

faire c'est

mon compliment quand la

seule manière entre

vous n'avez que trop déjà de ces louan-

geurs insipides, qui répètent plus qu'ils ne peuvent et qui dégoûteraient

presque de

sentir,

faire bien

par leur inca-

mon

père qu'il ne

pacité à le découvrir.' « Je disais,

il

y a quelques jours, à

manquait qu'une chose à l'école anglaise 1.

de

;

à votre talent

et je

Horace Vernet, qui avait

les noter.

vous

le

:

c'était d'être

trempé

que

je sais

répète, parce

été très-frappé de ces paroles, a pris soin


HORACE VERNET.

ET que vous avez estimé

que vous avez vu

peu

le

73

d'eux.

L'Exposition qui vient de s'ouvrir m'a plus confirmé encore qu'ici seulement on connaît et l'effet.

Il

.

.

l'on sent la

couleur

ne faut point rougir de retourner à

l'école;

on ne peut arriver au beau dans paraisons

1

les arts

que par des com-

... »

Mais alors Horace

dentée de sa vie

âge auquel

le

en événements

homme

jeune

:

il

atteignait cet

qui sent venir à

un peu entraîner par

abandonne au hasard

les

arrivait à la période la plus acci-

Il

si fertile

se laisse

pas très-disposé à écouter

n'était

conseils de Géricault.

du public

ou

faveur

lui la

courant, et

le

soin de- diriger ses actions. Bien

le

habiles et bien forts sont ceux qui résistent à ce premier

enivrement de à

la

fita

commune

la

renommée

faiblesse

Horace

'ne

sut pas échapper

succès était pour

le

:

!

lui

,

et

pro-

il

sans réserve et sans scrupule de l'engouement que son 1

talent excitait partout !

Plusieurs raisons motivaient cette vogue. Outre incontestable de l'artiste,

l'homme qui séduisait le

il

avait la tenue

y

il

En

comme

un

devint, pendant

vrière de l'opposition.

politique de

ses juges. Lui qui aimait le pouvoir,

galon et tous les hochets dorés

les joujoux,

mérite

le

effet,

instant,

la cheville

malgré sa vanité,

une grande indépendance de caractère.

aiment

les enfants

C'est là

il

ou-

avait

un point

qui, selon nous, a été très-mal apprécié par ses biographes.

Les uns ont voulu les autres l'ont

faire

de

un

lui

héros,

un chef de

;

accusé de défaillances perpétuelles et d'im-

pardonnables faiblesses.

Il

ne méritait*

Ni cet excès d'honneur ni cette indignité

î.

parti

Archives de l'Art français,

t.

II

,

p. 189.


JOSEPH, CARLE et la

vérité

nous paraît être entre

Horace Yernet

était très-Français,

et

deux extrêmes.

les

encore plus Parisien

avait les qualités et les défauts de son origine.

il

pendant toute sa vie à qui voulait l'entendre publicain;

il

n'était

gouvernements qui

ment du voulu

siècle;

que frondeur.

croyait avoir,

il

a eu

foi

a dit

qu'il était ré-

dans tous

mais aussitôt qu'un pouvoir quelconque a

s'est

aux idées

actes contraires

redressé dans sa

qu'il

n'a jamais

fierté et

Nous en verrons de nombreux exemples dans

transigé.

les

commence-

se sont succédé depuis le

imposer des

lui

Il

Il

;

cours de sa vie. Le premier fut Restauration, son atelier devint volte. Voici quel fut le motif qui

le

plus éclatant,

un

Sous

le la

véritable foyer de ré-

provoqua, de sa part, ces

allures séditieuses.

En

4822, Horace Yernet avait représenté plusieurs épi-

sodes des guerres de l'Empire. Le roi

combien

savait

trône à peine relevé était encore peu solide, et

il

le

craignait

tout ce qui pouvait être de nature à ljébranler.

Horace envoya ses tableaux au Salon;

par ordre, ou du moins on

fit

entendre à

furent refusés

ils

l'artiste

que,

s'il

consentait à remplacer les cocardes tricolores de ses héros

par des cocardes blanches,

le

veto dont

il

était

l'objet

serait levé.

Horace

était trop

fin

pour

laisser se refermer cette porte

à propos devant lui.

Il

répondit

qu'il était peintre d'histoire, et refusa d'opérer le

change-

que

la

popularité ouvrait

si

ment qu'on demandait. Cette petite querelle

entendu,

fait et

fit

du

bruit.

Le public

prit,

bien

causej)Our Vernet, et lorsque celui-ci ouvrit

son exposition particulière, l'afïluence y fut plus grande

que dans les

les galeries

du Louvre, où

œuvres admises sous

le

l'on voyait

contrôle de l'autorité.

seulement


ET HORACE VERNET.

75

Horace sut admirablement exploiter l'occasion qui était offerte.

Il

invita les amateurs à venir voir dans son

une quarantaine de tableaux, dont MM. Jay

atejier

lui

de

et

Jouy, alors au premier rang des critiques d'art, publièrent

un catalogue

très-élogieux.

Rien n'avait été négligé pour

mise en scène. Un petit

la

Tombeau de Napoléon

tableau représentant le

touré d'un crêpe. Aussi était-ce devenu

nage quotidien pour tous les débris de

Le

un

local

attrait

dans lequel cette exposition

le

la

de plus. Le Parisien aime à pénétrer chez

Horace Vernet avait su toucher

public: aux vieux grognards,

duction de leurs glorieux

bourgeoises qui aiment le

et

semble chacun prenait qu'en s'adressant classes de curieux

la

est

tiste les

Au de

l'hos-

un

fait

avec une adresse mer-

il

avait montré la repro-

;

artistes et

il

il

avait

aux amateurs

Défense de la barrière de Cli-

deux

toiles

qui sont restées au

jamais signées. De cet en-

part qui lui revenait, et c'est ainsi

arriva d'un seul

bond

les différentes

à la popularité.

pénible à constater dans l'histoire des arts:

par

le

succès d'un autre.

Il

public de faire expier à un arsemblerait en vérité que l'ad-

miration est un sentiment qui répugne à

que

gens

d'armes; aux bonnes âmes

aux

qu'il ait la

,

simultanément à toutes

c'est l'habitude prise

et

les

épigrammes,

sentimentalisme militaire,

le

VAtelier du peintre,

nombre des meilleures

Il

faits

Soldat laboureur

sérieux étaient destinés

chy

donnait

de cet être multiple qu'on appelle

veilleuse, toutes les fibres

dédié

but d'un pèleri-

d'un instant qu'il a reçue.

pitalité

le

en-

grande armée.

était faite lui

célèbres, quitte à payer ensuite, par des

était

les supériorités

la

nature humaine

nous humilient.

début de sa carrière, Horace Vernet avait été accusé

faire

peindre ses tableaux par son père; quand on

vit


JOSEPH, CARLE

76

qu'il avait

un

changea ses

talent personnel

incontestable,

batteries, et ce fut Carie

que

signer des tableaux composés par son

En

la

l'on

fils.

823, Horace continua son opposition;

4

malveillance

soupçonna de

il

envoya au

Salon deux portraits de l'Empereur et la Dernière car-

La cour sut

touche.

profiter

de

la

précédente, et n'apporta

rience qu'elle avait faite l'année

plus aucune entrave à l'action

En

malencontreuse expé-

du

peintre.

raison de cette tolérance, et aussi,

faut l'avouer, à

il

cause de l'extrême mobilité de ses idées, Horace Yernet, à dater de cette époque, transigea tant soit peu avec

première de ses convictions politiques pour concilier

rocité

souvenirs du passé avec les intérêts du présent.

les

la fé-

ainsi qu'en

824

4

il

C'est,

exposa un Portrait du duc d'Angou-

lême. Le gouvernement sut du reste reconnaître sa bonne volonté le

:

on

le

même jour

nomma

officier

(15 janvier

4

825)

don de Saint-Michel. Charles

de ,

X

la

Légion d'honneur,

Carie était

fait

leur remit lui-même leurs

décorations, dans cette séance publique dont tableau de

En à

4

M. Heim a perpétué

le

un charmant

souvenir.

826, l'Athénée de Vaucluse, voulant rendre

l'une

des gloires de

la

et

grand-cor-

hommage

Provence, mit au concours un

éloge en vers de Joseph Vernet. Carie et Horace furent invités à se

rendre à Avignon pour cette solennité.

d'emblée membres de l'Athénée

en patois

et

;

soleil,

on

les

un astronome du pays

peine d'observer que

du

;

le

1

On

les reçut

chanta en français

se

octobre, jour de

donna

même

la fête, les

la

taches

pour s'associer sans doute à cette manifestation

patriotique, figuraient

un V très-bien

dessiné, d'une lon-

gueur de vingt-quatre mille huit cents lieues K Voilà une

1.

Etienne Parrocel, Annales de la peinture,

1

vol. in-8°, p. 295.


ET HORACE VERNET., initiale

comme peu de

une! Mais Vernet, C'est

la

également en

membre de

souverains pourraient s'en procurer

ne devait -il pas cet honneur à Joseph

le soleil

peintre de

le

1

lumière?

et

il

nommé MM. Heim

826 qu'Horace Vernet fut

l'Institut. Il avait

et Blondel,

77

eu pour concurrents

une

remplaçait Le Barbier,

célébrité de

l'Empire tombée dans l'oubli. Si

Horace recevait de bonne heure son bâton de maréchal,

du moins

il

l'avait

comte de Forbin,

bien gagné. «Pour les Vernet, disait le fauteuil

académique

est

le

un meuble de

famille. »

Loin de se ralentir, Horace travailla avec une nouvelle ardeur, et, pendant les deux années qui suivirent, duisit sans relâche.

Qu'il

nous

suffise

de

il

pro-

citer Jules II,

Philippe- Auguste avant la bataille de Bouvines, V Arrestation des princes... Il

fut

interrompu tout à coup dans ses travaux par un

événement important, qui devait marquer une nouvelle phase de sa vie à

Rome

:

on

le

chargea, vers

la fin

remplacer Pierre Guérin dans

l'École française.

de le

\

828, d'aller

directorat

de


JOSEPH, CARLE

78

VII

Rome. — Les Glorieuses. — Horace Vernet ambas— Ses rapports avec M. Guizot. •— F. Mendelssolm à la villa Médicis. — La cocarde tricolore. — Lettre au comte de For— Polémique avec M. Thiers. — Premier voyage d'Afrique. — Une expédition avec Jusuf. — Le cœur d'un garde national. — Avenir de l'Algérie. — Paul Delaroche. — Mariage de mademoi-

Un

provincial à

,

sadeur.

biti.

selle

semble au premier abord que pour Horace Vernet

II

séjour de

Rome

jeune encore, ne

refait

donc

se

dût

parvenu à

demander

,

et

bon

à

Italie. Il est allé

s'est

il

On me

la

France

contraire.

pouvait

recueillerait

lui-même au-devant de

chargé d'y répondre dans une

:

dira, écrit-il,

m'ètre d'une grande

il

l'on

général Atthalin, peu de temps après

lettre qu'il adressait au.

avoir quitté

quel fruit

droit

On

le

très-

un âge où

pas volontiers son éducation première.

cette question

le

peu d'avantages. Quoique

offrir

l'artiste était déjà

de son voyage en

«

Louise Vernet.

que

utilité,

le

mais

séjour de je

Rome

ne peut

vous dirai que je pense

L'habitude de vivre au milieu

de

chefs-

d'œuvre qui tous sont empreints du caractère de leur temps et

de

l'esprit

qui dominait alors, tout en vous montrant à

quel degré d'élévation peut aller l'imagination humaine, loin

de vous engager à

les imiter,

avec de belles formes et

la

vous

fait

voir

comment,

noblesse. des expressions,

il

est


ET HORACE VERNET.

79

possible de représenter les grandes actions de tous les

que toutes

ainsi

La colonne Trajane,

les passions.

Raphaël, Michel -Ange, tous parlent

époque la

ie

avec des caractères particuliers

même

comme

Forum,

langage de leur

mais tous disent

,

une forme

chose. Les arts donnent

le

temps

à la pensée,

de l'élévation au discours. Je ne renonce

le style

pourtant pas à retourner en France; mais auparavant je

veux tacher, autant

vant à Rome,

pouvoir, de prendre

bonne société; car, en

la

telle suffisance

mon

en

qu'il sera

pour ainsi dire l'usage de

arri-

qu'on puisse avoir, on ne peut

s'empêcher de se comparer à un provincial qui entre pour la

première est

11

fois

dans un salon.

»

impossible de rendre en meilleurs termes justice

aux maîtres,

et surtout

de mieux préciser

de leurs œuvres. Quoi qu'on en

tirer

le parti

ait dit,

écrivait ces lignes comprenait aussi bien soit les beautés, la noblesse

et la

qu'on doit

l'homme qui

que qui que ce

grandeur de

l'art

il

:

se

mettait au vrai point de vue, en dehors de toute convention classique. Il

y avait à peine un an qu'Horace Vernet était installé

à la villa Médicis, lorsqu'il se trouva dans

plus délicates. Aussitôt que

une situation des

nouvelle de

la

la

révolution

de 1830 parvint à Rome, notre ambassadeur se retira à Naples, et

le

directeur de l'Académie resta seul représentant

de

la

France auprès du saint-siége.

officiel

Les circonstances étaient graves. Le fanatisme politique n'a pas d'alliée plus dangereuse

réfugié dans la ville où

tait-il

leur

accueil.

pénétré dans

gendarmes. fois

de

la

D'autre part les

il

,

que

idées

États pontificaux

Il fallait

prudence

agir avec

et

de

la

aussi s'é-

sûr de trouver

était

les

la religion;

,

nouvelles

le

meil-

avaient

malgré douaniers et

un grand

tact,

montrer

à la

fermeté. Horace Vernet fut à

la


JOSEPH, CARLE

80

la situation.

On

en trouve

la

dépêche que M. Guizot

lui

adressait,

deux mois après

hauteur de

preuve dans cette les

journées de juillet.

«

Monsieur

«

le

Directeur,

j'ai

Paris

,

le

13 septembre 1830.

reçu votre

20 août dernier, par laquelle vous

me

lettre

en date du

faites part'

des me-

sures que vous avez prises dans l'intérêt de l'Académie de

France à Rome, à

la

nouvelle des événements qui ont dé-

terminé notre heureuse révolution. Je ne puis que donner

mon

approbation

la

plus complète à

la

prudence

et à la fer-

meté que vous avez montrées dans un moment où

du corps diplomatique

MM. titués

les

français

laissait

les

la retraite

nationaux

,

et

pensionnaires de l'Académie en particulier, des-

de toute protection. Je ne doute pas que l'attitude que

vous avez prise aussitôt vis-à-vis du gouvernement pontifical n'ait

contribué très-efficacement à

l'Académie et

les

Français résidant à

la tranquillité

Rome

sement joui jusqu'à ce jour. Je vous invite avec persévérance dans .cultiver avec soin les

la

môme

à

dont

ont heureu-

vous maintenir

ligne de conduite, et à

relations directes

que l'absence de

tout pouvoir diplomatique vous a obligé d'établir avec le

gouvernement

pontifical. J'ai lieu d'espérer

nement du

en renouvelant avec

lations

roi,

la

que

cour de

momentanément interrompues, vous

le

gouver-

Rome

les re-

délivrera bientôt

'du poids d'une responsabilité dont vous vous êtes montré si

digne

,

et

pour l'exercice de laquelle

je

vous

fais

en

mon

particulier les plus sincères remercîments. «

Agréez... «

Guizot.

))

Horace Vernet, que ses idées libérales avaient depuis


ET HORACE VERNET. longtemps mis en rapport avec

velle

de l'avènement du

battait des

le

impunément me

dans

à la

nou-

jour est venu où tous les

de

les faits glorieux

temps peuvent se peindre

les

était

mains

roi Louis-Philippe.

pour but de représenter

France dans tous

puis

duc d'Orléans,

le

il

Maintenant, écrivait-il, que

«

sujets qui ont la

Rome

de

son droit, lorsque

SI

et

,

que je

servir de toutes les couleurs de

ma

que ce

boîte, sans encourir le risque d'être nuisible à quoi

soit (chose à laquelle, malgré tout, j'ai fait peu attention),

me

je vais

livrer

suadé que dans

aux beaux souvenirs de

les arts rien

ma

jeunesse, per-

ne saurait être bon,

si le

prin-

cipe qui nous dirige n'est pas puisé dans notre goût do-

minant.

))

Toutes ses

sa satisfaction.

Il

de

Permettez -moi

ma

joie

de

elle n'a fait, à

me

nouvelle reine

la

madame

,

:

comtesse, de vous parler

la

sentir sur la tête la cocarde tricolore

bien dire, que changer de place; je

toujours cachée au fond de la

dans ce sens à l'une des

écrivait encore

dames d'honneur de «

de cette époque témoignent de

lettres datées

Saint-Jemmapes, à

la

mon cœur;

les jours

et qu'elle est belle et

assez vives pour

la

ma

brillante!

fête, à

son aise,

l'air à

que son auréole

peindre. la

Il

est pure!

comme un homme fini, et je

représenter sur

qui

prendre

faut cependant en la toile

tain tableau de la patrie en danger, auquel

Enfin, tout est

gardais

palette, je n'y trouve plus de couleurs

son parti, et essayer de

vaillais

la

de

Saint-Montmira.il, etc., j'en laissais

passer un bout; mais aujourd'hui elle prend

Lorsque je regarde

;

fait

un crime;

dans cer-

naguère je tracar, à

Rome!...

puis passer ouvertement de

la

place

du Palais-Royal au jardin, retrouver Camille Desmoulins, qui a bien eu aussi son mérite. J'espère qu'avant

la fin 5.

de


JOSEPH, CARLE

82

mes deux barbouillages seront

l'année roi

que

le

voudra bien ne pas changer leur destination pour

la

galerie

où déjà leur frère a reçu

,

à Paris, et

en était

l'hospitalité. S'il

autrement, je sens que je ne serais pas maître d'un mou-

vement de désespoir; mais duc d'Orléans

que

les injures.

me

D'ailleurs, je

rappeler à son souvenir.

Horace Vernet se Cependant,

naçante, qui, d'un

gereuse pour

ma

donc tout entier à

Rome une

y avait à

moment

à l'autre,

On

inquiétait les esprits.

un certain point responsables, de nos idées

lettres

anonymes, de

qu'il les recevait; il

plaindre, au

On

le

me-

Le mou-

ville.

lieu

dans

les États

nous en rendait jusqu'à

et jeta

mais

il

alla

nom de

était

contagion

le

rôle

trouver la

il

au feu ces papiers à mesure

remarqua

il

accablé de pamphlets,

de toute sorte. D'abord

libelles

comprit alors

cette affaire, et

nité.

fermentation

libérales.

ne s'en inquiéta pas,

cachetés;

l'espoir et à

et l'on craignait la

Chaque jour, Horace Vernet de

me

pouvait devenir dan-

vement révolutionnaire qui venait d'avoir

du pape

de quelques

»

livrait il

soit tapissé

façon, qui sauront bien

Français établis dans cette

les

le

charge de ne pas laisser

un coin de mur en Europe qui ne sujets nationaux traités à

la joie.

bon que

n'oubliera pas aussi facilement les peintres

il

:

le roi doit être aussi

le

qu'ils lui arrivaient dé-

que jouait

la

police dans

cardinal Albani pour se

France, d'une semblable importu-

voit, l'artiste était obligé de se plier aux cir-

constances, et de se changer parfois en diplomate.

On torat

n'a point encore oublié à

de Vernet. Lorsque

furent

les

Rome

les

années du direc-

préoccupations politiques se

un peu apaisées, on ne songea plus qu'au

Jamais

la villa

Vernet

et sa fille faisaient les

Médicis n'avait été

à pareille fête;

honneurs de

la

plaisir.

madame

maison. Attirés


ET HORACE VERNET. par

le

double charme du talent et de

la

83

beauté

colonie française pour entourer

qui il

la présidait.

s'en est trouvé

Parmi

tous les

l'homme justement

les hôtes

un qui

,

membres de

étrangers de distinction se joignaient aux

la

illustre

de ce salon exceptionnel

a pris soin de nous en conserver

physionomie vivante. Nous voulons parler de F. Men-

la

delssohn, ce doux génie que le Songe d'une nuit d'été et

commencent à rendre populaire

vingt autres chefs-d'œuvre

en France. Voici tous fin et

les

passages des lettres de cet Allemand

naïf qui se rapportent à notre sujet

«

«... J'étais

Rome

,

1 ,

20 décembre 1830.

au bal chez Torlonia, ne connaissant aucune

femme, ne dansant point par conséquent, Tout à coup «

on

me

frappe

sur l'épaule.

le conseiller

Vous admi-

d'État Thorwaldsen, qui se tenait dans la

A

porte et ne pouvait rassasier ses regards. fini,

a

«

rez aussi cette belle Anglaise? j'en suis ébahi. » C'était

M.

«

et regardant.

peine avait-il

que j'entends derrière moi un tourbillon de paroles:

Mais où est- elle donc,

femme m'a envoyé pour

la regarder,

per Bacco

ce petit, Français maigrichon, avec ses cheveux

mêlés et son ruban de Vernet,

il

la

Légion d'honneur,

n'y avait pas à en douter.

Il

Ma

Anglaise?

cette petite

2 !

»

gris fût

Que

em-

Horace

se mit à s'entretenir

tout à fait sérieusement et scientifiquement de cette beauté

avec Thorwaldsen. Je voir ces

1.

çais

me

sentais

deux vieux maîtres

3

heureux dans l'âme de devant cette jeune

Cette intéressante correspondance a été

par M. A. Rolland.

1

récemment

fille

traduite en fran-

vol. Collection tfetzel.

2.

Les mots soulignés sont en français ou en

3.

Horace Vernet avait

italien

alors à peine quarante ans

qui n'en avait que vingt, le regardait naturellement

;

dans

l'original.

mais Mendelssohn

comme un

,

vieillard.


J.OSEPH, C A RLE

84

eux admirant

dissertant, tandis

et

sans se douter de ce qu'on disait

que

l'enfant dansait,

d'elle... »

Rome,

«

le 17 janvier 1831.

Je veux, chère mère, te raconter, parce que tu y pren-

«

dras part, une grande,

cemment. Je suis

pour

allé avant-hier

j'ai

eue ré-

première

la

en

fois

comité chez Horace Vernet, et on m'a prié de jouer.

petit

Vernet m'avait

Or,

très-grande joie que

Juan

la

la

Cette

me

disposition

Don

quelques jours, que

y a

le

touchât véritablement

scène du duel et l'apparition du

surtout fin.

il

musique qui

seule

était la

dit,

commandeur

beaucoup en

plaisant

à

lui,

comme je voulais préluder au concerto de Weber, et que je me laissais aller sans m'en douter à improviser une fantaisie, je me dis que je lui ferais plaisir si je pouvais en venir à ces deux thèmes, et je les travaillai en

reusement pendant grand tant

plaisir,

ma

à

de suite de

je n'ai guère

musique,

et

me

un échange; moi

lui

un

fit

nous trouvâmes être

nous

dit à l'oreille

vigou-

effet

si

vu personne en prendre au-

vieilles connaissances.

cha de moi et «

que

quelques minutes. Cela

Un peu

« Il

:

il

s'appro-

que nous fassions

faut

aussi, j'improvise. »

après,

tout

Et

,

comme

j'étais

naturellement très-curieux de savoir ce qu'il voulait dire, il

me répondit que

enfant

ne put

il

:

c'était le

m'emmena dans

j'avais

du temps

prête,

il

ajouta-t-il,

l'autre

à perdre.

y

comme

secret; mais

garder un

donc,

voulait

un

faire

Il

est

comme un

quart d'heure.

pièce, et

avait

mon

il

une

Il

revint

me demanda

toile

portrait; je

tendue

et toute

garderais cela,

souvenir de cette soirée, j'en ferais un

paquet, et je vous l'enverrais ou je l'emporterais à choix.

Je dis

vous exprimer

si

naturellement la joie

très-fort oui, et je

que j'eus de voir

mon

ne puis

qu'il avait pris


ET HORACE VERNET. vraiment tant de goût

Au

et

de

mon

plaisir à

une soirée charmante. Quand

reste, ce fut

une seule fenêtre

d'en bas, on entendait de et le son produisait

un

la

était

je montai la

dans

colline, tout était si tranquille, si paisible; villa noire

improvisation.

la

grande

splendidement éclairée

musique, des accords au milieu de

effet ravissant

;

isolés,

nuit

la

sombre. Dans l'antichambre, deux jeunes peintres faisaient l'exercice;

tenant, et fort

1

au

piano;

,

un troisième

remplissait les fonctions de lieu-

commandait; dans

qui a eu ses

chœur, mais

camarades l'entouraient

cela allait très-mal.

qu'un de chanter avec eux; ne savait pas chanter «

:

«

comme

Bah

!

aussi, et

la sal ta relie

répondit-on,

Alors, je

m'en

vous vissiez Louise Vernet

ma

les

mains,

et se

le

grand tambourin,

mit à taper sur

un beau tableau. Sa mère

est la plus

aimable femme du

(celui qui peint si bien

chevaux) dansa ce soir- là une contredanse;

léger,

faisait

de

si

beaux entrechats

deux chevaux par

72 ans.

Il

un peu,

et, le soir,

il

des pas

et

qu'on ne pouvait regretter qu'une chose fatigue

:

il

Il est

était si

si

variés

à savoir qu'il ait

jour, peint et dessine

faut qu'il soit dans le monde... »

nom que nous avons vu figurer dans V Atelier mort très-jeune, après avoir donné plusieurs opéras-

Frère du peintre de ce

d'Horace Vernet.

l'in-

j'aurais voulu être peintre, cela aurait

foi!

monde. Le grand-père Carie Yernet

1.

est-ce que

nous releva de notre emploi, au moment où nous ne

strument;

les

»

qu

avec son père. Elle fut obligée de se

pouvions plus remuer

fait

objectait qu'il

celui-ci

reposer un instant; prenant aussitôt elle

chantaient en

et

nous nous amusâmes beaucoup. Plus tard, on

dansa, et j'aurais voulu que

danser

était

demandèrent à quel-

Ils

ça fait? cest toujours une voix de plus.

mis

mon ami Mont-

pièce à côté,

musique au Conservatoire,

prix de

le

la

comiques qui permettaient de

lui

prédire une brillante carrière.


JOSEPH, CARLE

86

Rome,

«

au

Les plus à plaindre

«...

1

toires

ce

,

sont

les

le 1er raars \ssi.

milieu de toutes ces his-

dames Vernet,

qui

trouvent

se

vraiment dans une situation fâcheuse. La haine de toute populace romaine est tournée assez singulièrement con-

la

tre les pensionnaires

eux tout seuls

On

révolution. pleines de

son atelier un

nant, à

pourraient facilement mener à bout une

ils

a envoyé à Vernet plusieurs lettres

menaces

voyant qu'il

de l'École française; on prétend qu'à

;

il

a

même

allait

ces

la villa,

chercher son

dames sont

grande inquiétude dans cette allemands,

ils

sont plus

non-seulement

moustaches

ils

trouvé dernièrement devant

armé,

Trasteverin

qui

fusil

;

a pris et

il

en

mainte-

règne une

Quant aux peintres

que

pitoyables

la fuite

comme

toutes seules,

famille...

ne puis dire

je

coupé leurs barbes,

ont tous

et royales,

anonymes

en avouant tout net qu'ils

:

favoris,

les laisse-

ront repousser, une fois le danger passé, mais encore ces

grands gaillards robustes ne rentrent nuit, se glissent

puis,

ils

traitent

Barbe-bleue), et

dans leurs maisons

chez

et s'y

eux qu'à

la

barricadent. Et

Horace Vernet de Bramarbas (matamore, cependant

c'est

un autre homme que ces

me

pauvres diables; ces histoires

font positivement

les

prendre en dégoût. «...

Tu me demandes des

Je crois pouvoir dire lui, et

que tout

le

que

monde

nouvelles d'Horace Vernet...

j'ai

appris

qu'il voit

fait,

et,

1

.

une figure qui

lui

même dit

les États

du pape.

lorsqu'il travaille.

quelque chose,il

pendant que nous autres nous

La révolution dans

chose de

peut-être pourrait en faire au-

tant. C'est la légèreté et l'aisance

Dès

quelque

discutons

la

pour


ET HORACE VERNET. savoir

on peut appeler cela beau,

si

blâmer,

y

il

longtemps

a

prendre cette fécondité

ne

qu'il a fini autre chose.

On ne

moment

maintenant, au

au

a

une

des

des

petite maison,

bien un air joué sur ;

c'est là

l'on

loin

:

Maubourg

,

Judith,

Le plus beau désordre y chasse, un requin, des

murs

V Inauguration

les

la

chasse

ou

de

tableaux achevés ou

de la cocarde tricolore

me

du

plaît pas

tout), dés

quelques chevaux le portrait

,

l'esquisse et les études de

du pape, des

têtes

de Mores, des

piffe-

des soldats pontificaux, votre humble serviteur, Caïn

et Abel,

dans

y

toujours un bruit quel-

commencés de Thorwaldsen, Eynard, Latour-

portraits

rari,

il

,

un cor de

(une composition bizarre qui ne

la

qui

verts,

des cris ou des querelles, ou

l'atelier.

fusils,

lapins morts; partout sur les faits.

ne

exhalent un parfum

fleurs,

fait

et

qui

travail

que rien

trésors-

une couple de lièvres tués à

moitié

du

trompette, ou bien des abois de

la

qu'est

règne partout. Des palettes,

à

fraîcheur

la

milieu des massifs du jardin Médicis

conque qui s'entend de

chien

peut pas ap-

d'arbres toujours

allées

dérange

Il

principe est excellent,

le

^ont

jamais,

Dans des

compense.

exquis,

mais

,

joyeuse qui en vient,

fatigue

se

à louer ou à

si" c'est

tout à fait nos mesures esthétiques.

la facilité

87

enfin l'atelier

l'atelier.

portraits

lui-même,

Dernièrement,

commandés

à faire

;

il

il

le

le

appendu

mains pleines de

un de ces

voit dans la rue

paysans de la Campagna, qui, pour

dans Rome, armés par

tout cela est

avait les

moment, chevauchent

gouvernement. Le costume sin-

gulier l'amuse; le lendemain, voilà

un tableau commencé

qui représente un de ces campagnards, par un mauvais

temps,

à cheval

pour envoyer une petit corps

dans

la

campagne,

balle à quelqu'un,

de troupe

saisissant

— dans

son

fusil

le lointain,

et la vaste plaine déserte.

un

Les menus


88

où perce toujours

détails des armes,

harnachement misérable,

vais cheval avec son

de tout cela

ensemble

et

mau-

le

malaise

le

flegme italien de ce gaillard barbu, cet

le

un

fait

paysan,

le

petit tableau

charmant;

quand on

et

voit

y travaille, quand on le voit se promener sur ce bout de toile, ajouter ici un petit ruisseau, avec quel plaisir

il

quelques soldats, puis un bouton à

en vert

manteau du bonhomme, vraiment on

de l'envier. Aussi tout première séance, les

unes après

s'est

il

La comtesse

reste

de

lorsque

le

ne

saurait

ma

avait désiré

quand

affamé sur

la

non

comme

plus,

je

vous

vieux Carie parle de son père Joseph,

on se sent du respect pour ces gens-là... Rien

est tenté

voir; à

revenir d'étonnement. JLe

famille n'est pas mal

la

et

E***

comme un

peintre tomber dessus

le

le

préparation de ce tableau;

nourriture, elle ne pouvait en

l'ai dit,

vient pour

présenté au moins vingt personnes

les autres.

assister à la première elle vit

monde

le

doubler

et

la selle,

mieux

»

dans

entrer

faire

l'intimité

d'Horace Yernet que ces confidences du grand musicien, et le lecteur

Vers

4

excusera sans peine cette longue citation.

831,

beaux-arts et

s'éleva

il

le

un

conflit entre

directeur de l'École de

l'Académie des

Rome

relativement

aux envois annuels des pensionnaires. La discussion une tournure n'était

sa

pas

la

telle

nant

lettre

Vernet,

dont

la

patience

qualité dominante, crut nécessaire d'envoyer

au

démission

longue

qu'Horace

prit

ministre.

dans laquelle

la susceptibilité

de

il

M. Guizot disait

l'artiste,

il

lui

répondit

une

que, tout en compre-

ne pouvait accéder à

ses désirs.

Yernet ne demandait qu'à se laisser resta à

convaincre,

et

il

Rome.

Son enthousiasme

polir la politique nouvelle

de son pays


ET HORACE VERNET.

89

ne l'empêchait pas de s'insurger dès qu'il croyait qu'on s'écartait

du programme

promis par

libéral

son avènement au trône. Nous en trouvons

le roi, lors

une

lettre qu'il adressait

après

de jours

preuve dans

la

au comte de Forbin, en

l'ouverture

de

de

4

831,

Le

l'exposition.

peu

lecteur

n'aura pas grand'peine à découvrir dans cette longue causerie le point qu'il importait le plus à l'artiste tTéclaircir; le reste n'est là

qu'à titre d'accessoire, et ne sert qu'à en-

velopper, pour la déguiser autant

dominante «

En

que possible

,

sa pensée

:

recevant une lettre de moi, cher Directeur

allez dire

«Voilà un

:

homme comme

les autres,

1

vous

,

qui resterait

«toute sa vie sans écrire à ses amis, à moins qu'un intérêt «

personnel ne

l'y

pousse!

»

Eh bien!

ce n'est pas cela; c'est

pour vous plaindre de l'embarras qu'a dû vous donner

rangement de votre Salon; car des

fois

et je

,

vous

je

vu

ai

l'ar-

à l'œuvre bien

puis apprécier tous les tourments que don-

nent l'amour-propre et les prétentions de deux mille Raphaël s qui tous veulent avoir la meilleure place à l'Exposition. Je compatis, je

vous assure, de tout

mon cœur

à tout

ce que vous avez dû endurer. Le Dante, dans son Enfer, a oublié ce genre de tourment qui ne serait pas

le

moins

fort,

vous plains de toute

mon

âme: j'espère qu'aujourd'hui vous en êtes débarrassé,

et je

n'est-ce pas? Je vous le répète,

je*

respire pour vous. « Déjà,

les

journaux nous entretiennent de

l'effet

que

produit cette agglomération de toiles peintes qui encom-

brent

le

Louvre.

Comme

éloges et les critiques

1.

Le comte de Forbin

chargé, à ce

;

à l'ordinaire,

rien n'est

changé

ils

et

était directeur général des

titre, d'organiser les expositions.

distribuent les

ne peut changer

Musées royaux,

et


90

dans ce bas monde.

naux de

mieux

comme on nous

Si,

le fait

craindre

ici,

sont prohibées, je prendrai les jour-

les feuilles françaises

dernière exposition; je supprimerai, ou, pour

la

dire, j'habillerai la Religion

je mettrai à

en figure de

chaque héros une cocarde

Liberté,

la

tricolore, et je

trouverai avoir là tout ce qu'on aura dit.

A

me

propos de co-

carde, est-ce qu'on est aussi bête après les grandes jour-

nées que pendant

ma

Restauration? Personne ne

la

Bataille de Fontenoy

?

me

parle de

Si elle n'est pas exposée,

vous

avouerez qu'il y a pusillanimité et qu'on pourrait appliquer à ceux qui l'auraient répudiée tout ce qu'ils disaient eux-

mêmes

lorsqu'on refusait

Jemmapes,

que j'eusse à regretter sous il

m'aurait

du

fait plaisir

public.

que

rapport de

le

cet

Ce

etc.. la

n'est pas

gloriole;

ouvrage passât entre

les

mais

mains

Les avis particuliers sont, selon moi, plus ou

moins dictés par

les

passions

;

il

n'appartient qu'à

de donner de bonnes leçons. Les peintres sont

la

masse

comme

les

rois à cet

égard; l'opinion générale, voilà ce qu'il faut con-

sulter, et

on doit

Si

un ouvrage

laisser

est

de côté

les

systèmes de

mauvais, c'est justement celui

montrer, pour peu que vous vouliez échapper à

tel

ou

tel.

qu'il faut la

banalité

homme que l'amour-propre n'égare critiques même les plus acerbes. Je

des compliments. Tout

pas doit profiter des

crois pouvoir être juge dans ce cas. Personne plus

peut-être n'a été à

même

que moi

de s'endormir sur l'édredon de

la

louange; c'est pourquoi je m'en méfie plus qu'un autre. Je

que mon

ta-

bleau ne soit pas au Salon) n'aura pas été consulté; car

lui,

pense bien que

le roi

(toujours en supposant

qui blâmait ci-devant^ ne tombera pas aujourd'hui dans une si

lourde faute.

à quoi «

m'en

Au

surplus,

si

vous

tenir. D'ailleurs, je

me

répondez, je saurai

m'en inquiète peu.

Nous avons su par madame Burton que vous

aviez plu-


ET HORACE VERNET. sieursLeaux

9]

bons tableaux. Je voudrais bien

et

les voir,

mais

Rome! Plaignez- moi à votre tour.

je suis prisonnier dans

La vexation de ne point

aller à Paris jouir de'

vos succès

que ce désappointement

est d'autant plus poignante,

est sans

compensation. Les Français sont plus mal vus que jamais.

Pour

être

comme

toléré

dans

la société,

faudrait dire et faire

il

groupe de mécontents qui a

le

venir organiser trop

ma

que

je puisse

ici

fui la

France pour

un Coblentz apostolique. Vous connaissez

façon de penser et

rudesse de mes opinions pour

la

m'arranger d'un semblable ordre de choses.

Aussi ne vais-je pas dans tion, quelquefois

monde,

le

en quittant

cacher dans les forêts.

Il

mon

pour toute distrac-

et,

atelier, je

en existe une

(je

ne

cours vite sais si

me

vous

la

connaissez) entre Ardea et Nettuno; je n'ai jamais rien vu

de plus majestueux. Là, jamais

de

la

nature

;

les

qui n'appartient qu'à le

homme

n'a troublé l'ordre

arbres vivent et meurent avec une variété la liberté

dont

ils

jouissent. Si jamais

souvenir de Versailles pouvait vous suivre en un

tel lieu,

naturellement, on reporterait ses idées sur les humains, et quelles réflexions ne ferait-on pas! Si je m'en croyais, au

moment où

je

ma

nêtre, je laisserais pousser

m'en

irais,

ma

vous parle, je jetterais

comme

le

barbe

et

culotte par la fe-

mes cheveux,

et je

sauvage de l'Aveyron, vivre dans

le

creux d'un vieux chêne, tant je suis dégoûté de notre espèce.

Vous

allez

rire

en pensant que je vous écris toutes

ces belles phrases de l'enceinte il

ne reste plus rien, pas

jourd'hui

il

pleut, le

même

temps

du le

palais de Lucullus, dont

cuisinier; n'importe, au-

est triste, et je

veux

faire

j'ai

déjà

de

la

philosophie... « Je

bavardé fait

vois à la lassitude ;

le plaisir

de

ma main que

trop

que j'éprouve à causer avec vous m'a

oublier que depuis longtemps

ma

prose doit vous en-


JOSEPH, CARLE

92

Adieu

nuyer.

donc;

ami Granet. Je

dis

sont les nôtres, et

:

ami, car les amis de nos amis

notre

si,

dans ce monde, un véritable sen-

du retour de

timent attend

bonnes choses à notre

dites mille

la

part de celui qui

en est

m'aimer bien tendre-

collègue Granet doit

l'objet, notre

ment. affection de votre vieil

Veuillez croire à l'inviolable

«

ami

Horace Vernet.

«

Horace ne transigeait pas facilement avec

quand

croyait avoir

il

comme preuve

bon droit de son

le

le

»

pouvoir,

côté.

Voici,

que nous avançons, quel-

à l'appui de ce

ques détails sur un épisode de son séjour à Rome.

Lorsque Sigalon cuter

sa copie

fut

chargé par

du Jugement

gouvernement d'exé-

le

dernier,

il

s'engagea à ce

propos une sorte de polémique épistolaire entre teur de l'École et M.

direc-

Thiers, alors ministre des travaux

publics. Horace Vernet regardait cette inutile, à

le

commande comme

cause des difficultés insurmontables qu'elle pré-

dans une

sentait, et,

adressée au ministre,

lettre

il

lui avait

soumis ses observations, tout en cherchant à sauvegarder autant que possible les intérêts de Sigalon, son collègue et

son ami.

Il

avait eu déjà, paraît-il, maille à partir avec

M. Thiers, car voici

«

c

qu'il reçut

cher monsieur Vernet

êtes

un grand

Vous

lettre

réponse

Mon

teur, c'est la

la

artiste

et

:

point

un administra-

pourquoi je ne prends point en mauvaise part

que vous m'avez

renoncer à administrer,

si

écrite

le

3

août.

Il

faudrait

nous ne pouvions relever une


ET HORACE VERNET.

93

erreur ou une irrégularité, sans que nos subordonnés se

crussent

ou humiliés ou maltraités. D'ailleurs

sen-

les

timents que je vous porte devraient vous rassurer sur

le

sens d'une lettre tout administrative, et qui ne portait que

sur des détails peu importants. Je tiens donc vos plaintes

comme non «

avenues.

Maintenant je vais parler peinture. Je

suis fâché de

vous voir dans dépareilles dispositions à l'égard de

l'en-

treprise confiée à Sigalon. Je ne suis pas peintre, mais j'en sais assez

pour être certain que,

une copie

si

littérale n'est

pas possible, une traduction libre est parfaitement exécutable et serait très -utile. faites

raisonnements que

Les

sur une copie de Michel-Ange ont été

traductions d'Homère et de Virgile.

qu'on

particulièrement

Shakspeare

,

ni

été traduits, et lien, et

ne pouvait

pas du tout l'anglais et

le

;

les

Dante

le

cependant

moi qui

leur traduction, à

sur

entendu dire

traduire

Aristophane

surtout

faits

J'ai lu et

vous

mal

sais

,

ont

ils

l'ita-

un

plaisir

telle

quelle

grec, m'a fait

profond. Je veux donc absolument une

copie

du Jugement dernier. Je vous

infiniment obligé

serai

de ne pas communiquer votre sentiment à Sigalon; ce serait

pour son entreprise.

désastreux

lettre

qu'une

n'était

complicité

Si

cependant votre

amicale avec

lui

,

s'il

vous avait chargé de

me

sonder pour m'engager

dre sa liberté, je

lui

rendrais sur-le-champ, car je ne

fais travailler

la

aucun' artiste malgré

lui.

à lui

ren-

Je le rappellerais à

Paris; je lui payerais indemnité de voyage, de séjour,

temps perdu, etc.. plus hardi que

lui.

même, dites-moi

Rome un

et j'enverrais à

de

traducteur

Ainsi je vous en prie, dans son intérêt

la vérité

gouvernement papal;

la

plus vraie. J'ai

je vais faire intervenir

Maubourg. Je ne négligerai

ni soins

,

fait,

écrire au

M. de Latour-

ni argent,

pour aider


94

Sigalon

moi sur ce

sujet la réalité

même...

Adieu, je vous renouvelle l'assurance de

«

mon

de

sinon lui, un autre au moins. Ainsi, écrivez-

et;

,

Horace Yernet, piqué au

attendre

longtemps

réponse que

le

»

un peu

lettre

de sa valeur, ne

Nous ne

réplique.

la

A. Thiers.

par cette

vif

homme

administrative pour un

«

estime et

attachement, «

litige

mon

fragment qui touche à

trop...

laissa

citerons

pas

de sa

question d'art en

la

:

Quant

à

du Jugement dernier,

l'affaire

c'est autre

chose. Sur ce terrain, je ne suis plus un subordonné. 4°.

Il

n'y a jamais eu connivence entre moi et Sigalon

;

il

est plus

impatient que jamais de

2°.

Loin de

remplir sa mission.

comme

chercher à diminuer son ardeur

semble

le

craindre, je

les difficultés sans

l'ai

nombre que

chaque jour. Cependant

du gouvernement,

aidé de toutes

si,

la

autant que

il

émettre une opinion sur

dont

il

cour de

dont

l'inutilité

cette expression) de livrer à

il

en l'améliorant

j'estime

pour (si

les arts

j'ose

ainsi

(si

le

ma

talent

me

du

travail

servir de

la

telle

ta-

réputation de

qu'on doit

du Jugement dernier met

copiste dans l'obligation d'en rétablir

même

les intentions

y a certains prestiges

respecter. L'état de dégradation le

lui suscite

une nouvelle postérité un

bleau tout neuf, de compromettre Il

Rome

ne s'ensuit pas que je ne puisse

est chargé, et l'immoralité

son premier auteur.

forces à aplanir

par respect pour

confrère

personne,

mes

mets pas à découvert toute

je ne

pensée vis-à-vis d'un la

Votre Excellence

une grande

partie;

chose était possible), jamais

ne pourra donner qu'une idée fausse de ce chef-d'œuvre

à ceux qui ne l'auront pas vu, et ceux qui le connaîtront


95

retrouveront pas. Permettez-moi de

ne

le

le

ministre

,

une copie

une traduction

une erreur

est

le dire,

pas faisable

n'est

:

;

monsieur

comparer à

la

on n'interprète plus lors-

qu'on est obligé de créer. Vouloir remplacer dans un ou-

vrage de Michel-Ange ce que trois siècles en ont

des auteurs grecs

et

que des fragments. prévoyait

le

de refaire

antique l'auteur

,

les

devait

qu'il

bras de

Vénus

la

courir un jour, et

et

de

fois

s'il

refusait

de restaurer

de trente

qu'il avait dessinés plus

du Moïse

ne nous est parvenu

il

-Ange lui-même, comme

Michel

danger

dont

latins,

le

Torse

et c'est

;

chapelle des Médicis qui donnait

la

cette leçon de respect et de modestie «

effacé,

vouloir remplir dans leur propre langue les lacunes

c'est

!

Je pense qu'on peut profiter de la circonstance pour

faire

exécuter consciencieusement ce qui est resté intact*

dans

la

bel

chapelle entière.

ouvrage qui

naître,

recueillir

squelette, et

non

Il

faut sauver

ait illustré

le

grand

scrupuleusement le

les

du plus

restes

les

qui

l'a

vu

fragments

de

ce

siècle

peindre en couleur de chair pour

le

rajeunir. »

Ce débat, dans lequel Horace Vernet nous semble avoir apporté des arguments plus forts que ceux de son éloquent adversaire, se termina,

de

la

beaux

comme chacun

mauvaise copie que -arts.

Mais que nous

l'on

sait,

par l'exécution

peut voir

sommes

gny

!

Les rapports de grand

changés

et

homme

des

du temps où

loin

Joseph Yernet écrivait avec tant d'humilité

l'École

à

à

M. de Mari-

à ministre sont bien

changes en bien, depuis un

siècle.

La Révolution

a donné une partie de ses fruits.

Horace Vernet, avec son humeur inconstante ne pouvait pas rester longtemps à plusieurs de ses lettres intimes,

il

la

même

se plaint

et

nomade,

place.

Dans

de son inter-


JOSEPH,

96

nement grand

à

C A RLE

Rome, comme un prisonnier qui aspire après

air.

On commençait

justement, à cette époque,

conquête de l'Algérie, qui semble avoir été tention. cette

Il

terre

désirs;

et,

éprouvait un vif

sentiment de

promise de son

au mois de mars

4

833,

nistre de la marine, mettait à la

brick

la

Comète, sur lequel

le

son in-

curiosité

comte de Rigny, mi-

disposition de Vernet le

s'embarqua.

il

éprouver sa première excursion en Afrique, dans une adressée au général Atthalin

Me

«

de

voici

voyage du plus grand Maintenant que

«

bouger

rien

fit

lettre

cher

après un

général,

intérêt.

me

voici

sur une chaise

,

certain de

longtemps, je vais vous raconter mes

de

aventures, afin que, et vu,

lui

:

mon

retour,

pour

se rendit à ses

roi

lai-même rendu compte des impressions que

a

Il

Le

talent.

faite à

le

la

si le roi

vous soyez en état de

que

désirait savoir ce lui

donner

j'ai

fait

les explications

que

Sa Majesté pourrait vous demander. «

joli •

Je

me

suis

embarqué

6

bâtiment de seize canons,

mable homme, M. «

le

Nous fîmes

le

voile

mai sur

le

brick

commmandé

la

Comète,

par un fort ai-

lieutenant de vaisseau Allègre.

pour Bone. Le vent nous ayant man-

qué, et sachant qu'il y aurait quelque difficulté à nous pro-

curer de l'eau dans cette serait

bon d'en

le

,

faire à Cagïiari.

d'ancre dans ce port,

d'observer

ville

pays

le

et,

le

capitaine trouva qu'il

Nous donnâmes un pied

pendant deux jours, j'eus

plus curieux de

arrêté au quinzième siècle. Les

l'Italie

hommes,

;

il

les

l'occasion'

semble

s'être

costumes

,

les

mœurs, tout a un caractère unique, sans compter que la végétation et l'éclat du ciel annoncent déjà un nouveau climat. C'est, pour ainsi dire, l'antichambre de l'Afrique.

Dix-sept heures après nous être remis en route, nous étions


ET HORACE V E R NET. dans une autre partie du monde. C'était

91

que

tant

d'émo-

tions m'attendaient.

cinq heures du

« Il était

lorsque je mis pied à terre.

soir,

Mes yeux cherchaient avec

avidité ces Arabes, ces chevaux,

ces minarets, après lesquels je soupirais depuis longtemps.

Rien de tout

cela.

Au

milieu de baraques en décombres, je

qu'enseignes de marchands de

ne voyais de tous côtés

vin à droite, chandelles à sept sous «

Au Rendez-vous

Marine;

des Bourguignons,

Grand café de

la

de gamins; enfin, tout ce que nous voyons aux

soldats,

environs de Paris. J'avoue que « Il

gauche;

remplis de femmes, de

partout des cabarets

»

la livre à

me

ne

fut

pas

difficile

j'ai été fort

de savoir

le colonel- X***. Il était sorti.

mes amis,

nuit, n'osant

me

désappointé.

demeure d'un de

la

Je l'attendis jusqu'à

risquer dans les rues, au milieu des soldats

delà légion étrangère, qui regardaient ma face blême

mon

petit habit

Après

me

dit

«

:

me faire croire qu'ils dans ma poche. Bref, X***

première effusion d'une reconnaissance,

Vous arrivez une

cette nuit

cheval et

la

un

à

temps pour venir avec nous

petite excursion

de

»

;

f....,

en guêtres, en

j'étais

j'accepte, et, à trois heures la

nuit la plus noire.

devait être pour moi le lever de le

faire

je vous donnerai un bon

Sans considérer que

nous voila sortis par

sure que

il

sabre, et je vous ferai voir quelque chose qui

vous amusera. petit habit

et

bourgeois d'un œil à

désiraient savoir ce que j'avais rentra.

la

crépuscule

la toile

me permettait

du matin,

Le lever du

au

théâtre.

de distinguer

soleil

A me-

les objets

qui m'entouraient, j'apercevais de grands fantômes blancs passant

comme

des ombres

;

chevaux qui marchaient sur montrer que

j'étais

on n'entendait

pas

les

me

au milieu de

cent Turcs, armés de longs

même

l'herbe. Enfin, le jour vint

fusils,

trois cents

de

Arabes

et

de

pistolets, etc., et suivi


JOSEPH CARLE

98

,

de deux escadrons du 3 e chasseurs. Non, jamais

éprouvé de semblable. Les montagnes de

une

belle rivière

de l'autre;

et quels éclaireurs!

la

nouvelles et

au centre, une tribu marchant en

et,

A la vue

pittoresques,

j'ai

de tant de choses

cru que

ma

tête éclate-

Je n'étais point au bout.

rait. «

si

d'un côté;

l'Atlas,

plaine couverte d'éclaireurs,

groupe, portant tous ses bagages. si

je n'ai rien

Après huit heures de marche,

plat et les herbes

moins hautes

,

le

pays étant devenu plus

coup l'horizon

à"

tout

se

couvre d'une volée d'Arabes, faisant feu de toutes leurs armes. Chacun se prépare à

mon cœur

jusqu'à

les recevoir;

de garde national qui bouillait d'une ardeur guerrière!... disgrâce! toutes ces démonstrations n'étaient qu'une nière de se dire bonjour,

de

lait et

change, rière

et, loin

de verser du sang,

c'était

de miel que nous devions nous abreuver. La scène et

nous voilà dans

le pastoral

ces guerriers qui nous avaient voici

les oreilles,

si

bien

dresser

fait

et

de

nous remercier d'avoir escorté leurs

camarades. C'était tout à fit

jusqu'au cou. Der-

une troupe de femmes, d'enfants

vieillards qui viennent

liqueuse

ma-

fait

touchant, et

mon humeur

bel-

bientôt place à des sentiments tout bibliques.

Ce sabre, qui

brillait

un

instant auparavant dans

ma

main, se transforma en un bâton de pasteur, sous d'une cravache. C'était à qui s'en mêlerait

:

la

terrible

la

forme

barbe du

farouche sapeur, imbibée de lait, luttait par sa blancheur

avec celles des patriarches qui nous congratulaient. Chateaubriand! où étais-tu pour faire du pathos? Néanmoins, rien n'était plus beau et plus

imposant que

la

simplicité

froide et bienveillante qui présidait à cette cérémonie. Rien

ne peut mieux donner une idée de nos pères dans

de Chanaan. C'était Jacob d'histoire,

comme

et toute la

j'en connais,

les plaines

Genèse. Si un peintre

pouvait voir cela! bu

si


99

beau tableau on pour-

j'avais le talent d'en tirer parti, quel rait faire!

que

je

Mais, pour en revenir à

Depuis

le

bout du nez. Je

qui ne

,

faut

mon homme

plus que de voir

Arabes vinrent nous

les

au-dessus de

siffler leurs balles

pas seulement

lui laissait

prenais pour un interprète

le

moment où

Mais, au

lade.

il

jour, je marchais près d'un cavalier

enveloppé d'un burnous le

description,

vous parle d'un certain personnage qui n'est point

indifférent.

voir

ma

la tête

mafaire

rien ne m'étonna

,

se débarrasser de son

man-

teau, sauter légèrement sur un grand cheval blanc équipé

magnifiquement,

les

bras nus jusqu'aux épaules, cou-

— des yeux étince-

vert d'or, d'argent et d'armes brillantes, lants,

un beau

encore fraîche

en tête de

la

:

jeune visage, sillonné d'une blessure

et

en un instant, se trouva

c'était Jusuf, qui,

colonne, escorté de huit ou dix Turcs, aux

moustaches ébouriffées, aux bras nerveux poils.

Cette fois, je crus

qu'une crainte,

rêver

c'était celle

de

Je ne courais

réveiller.

d'autre danger que celui de devenir fou. Dès ce

mon

je n'ai plus quitté

héros.

de

debout; je n'avais

tout

me

et couverts

Si j'avais

vertu aurait couru de grands risques. Aussi

moment,

femme, ma

été

l'ai-je

dessiné

par devant, par derrière, par-dessus, par- dessous, enfin de toutes les manières. Sur-le-champ, nous nous

venu; jusqu'à voilà

amis à

auxquels

une et

mon

la vie

,

départ je ne

nature n'a rien refusé

la

belle tête, tantôt

rageuse

;

brave

:

plus quitté, et nous

l'ai

à la mort. C'est

un de ces

bien

fait,

comme

la

bravoure

Avec

fait.

comme vous

est jalousé

pensez

Mais, n'importe! un d'aller loin.

êtres doués

sans être grand

;

d'une expression douce, tantôt animée

gracieux dans tout ce qu'il le

sommes con-

,

il

homme comme

Ses chefs l'estiment,

même,

de bien des gens.

lui

et le

et adroit et

tous ces avantages,

ne peut manquer

sage général d'Uzer


JOSEPH, CARLE

100

en

fait le

A

plus grand cas.

pas l'honneur de

le

propos de ce dernier, je n'avais

connaître, et je m'estime heureux d'a-

même de l'apprécier. affaire comme militaire,

voir été à

Non-seulement

de son

mais encore

du pays. Déjà,

ses soins à l'administration

indigènes ont dans sa justice

les

lui

il

la

s'occupe

il

donne tous

confiance que

a soumis plus de vingt

tribus, dont les otages forment presque entièrement l'es-

cadron de Jusuf. La partie des possessions françaises que ce général gouverne est celle qui, évidemment, est

la

mieux

disposée à se soumettre à l'influence européenne. Le pays est

admirable sous tous

être dirai

une idée de que

le foin

la

les rapports.

Vous vous

force de la végétation

,

ferez peut-

quand

a plus de six pieds de haut, et qu'un

je

vous

homme

à cheval y est entièrement caché. Les environs d'Alger, sans avoir peut-être autant d'avantages, et sans présenter les

mêmes

ressources, en possèdent cependant quelques autres

qui ont aussi leur mérite.

Somme

de trouver une colonie qui

offre plus

rité, et,

totale,

il

est impossible

de chances de prospé-

sans vouloir pénétrer dans les secrets des gouver-

nements, je crois que, tirer parti

,

si

on voulait ou

si

on pouvait en

mine d'or pour

l'Afrique serait une

la

France.

Vous pensez que je dis tout cela sous l'influence d'un pre-

comme

mier aperçu. J'en juge l'esprit

d'un homme, sur

nitive

voici ce qui

les

et

,

la

le

docteur Gall

le ferait

forme de son crâne. En

m'a frappé

:

le

pays est beau

de

défi-

et riche

;

indigènes ne demandent pas mieux que de nous aimer

de trafiquer avec nous; mais

des relations amicales

pour

la

,

tant

il

sera impossible d'établir

que l'armée sera composée

plus grande partie, de l'écume des nations étran-

gères, des compagnies de discipline de notre armée, qui

frappent, qui volent, qui violent et qui sabrent journellement les habitants.

Il

faudrait

que

les chefs

de l'administration


ET HORACE VERNET. civile n'eussent pas à frémir à l'idée

101

de regarder l'épaule

de leurs employés subalternes (propre terme de l'intendant

La conquête une

civil).

cœurs à subjuguer,

y a les

pas avec du vinaigre.

du

sorti

force des armes,

la

mouches ne

et les

Pardon,

pour un instant

si

domaine de

il

prennent

se

je suis

cercle dans lequel je roule depuis trente ans

rentre bien vite dans le

;

je

peinture.

la

Je suis resté dix jours à Alger, et ne suis pas allé plus

«

loin. J'ai

taine

est la prise

d'Armandy

de

main

Arabes

trois

la

et Jusuf; le

lieutenant-colonel

le

me conviennent à

trouvé trois sujets qui

Le premier

par

fois faite

et

du

Kasbah de Bone par

le capi-

combat du

24 avril,

second,

le

3 e chasseurs tua

où Jusuf reçut une

balle

l'artillerie, l'infanterie, la cavalerie, tout fut

du

disposition

Le troisième

serait le

la tête;

engagé,

et la

les

ordres

réuni tous les documents néces-

sur-le-champ à en

ferai passer

sa propre

dans

combat près d'Alger, sous

J'ai

pour représenter l'une de ces

me mettre

de

terrain prête excessivement au pittoresque.

du duc de Rovigo. saires

merveille.

faire

trois actions. Je vais

des esquisses, que je vous

dans l'espérance que vous

mettrez sous les

les

En

yeux de Sa Majesté, afin qu'elle veuille bien choisir.

attendant, je vais piocher à Anvers. J'aurais besoin d'un plan

du siège pour placer exactement dans «

le

les batteries

qui se trouvent

fond. J'espère qu'il vous sera facile de

me

Quant à ce qui me regarde particulièrement, depuis

quelque temps mes affections ont été des pertes douloureuses dans

ma femme,

il

profondément

y en a une qui :

c'est

celle

ma

fort

éprouvées. Après

famille et dans celle de

se prépare et qui m'affligera

bon

de ce

,

de cet excellent

M. Guérin. Sa mort prochaine paraît inévitable, ne se hâte pas de tenir de

l'envoyer.

lui

donner

la

la

promesse

croix d'officier,

il

qu'il

n'est

et si le roi

vous avait

faite

que trop certain 6.


102

r

un tombeau. Ce

qu'elle sera placée sur

serait le seul des-

cinq peintres qui, pendant un beau temps, ont illustré les arts en

France, qui aurait terminé sa carrière sans avoir

obtenu cette marque de distinction.

demandée pour

ses amis seuls l'ont

Dès demain

«

la

reprends

je

,

bonder sur une

est vrai

de dire que

lui.

la palette. J'ai

me

de

toile, et

Il

besoin de dé-

rendre compte,

brosse à

la

main, de quelques-unes de mes idées. Je termine

«

ici la

longue narration d'une petite course

qui ne peut avoir d'intérêt que pour moi. Cet intérêt a été si vif,

Quoi

comme

que j'ai agi qu'il

en

soit, je

reconnaissant pour

me

Sa Majesté, en

la

«

j'aie

mettant à

Adieu,

mon

cher général

retour à

Rome, Horace

il

et

il

avait

restait

du

reste l'emploi

le

soir,

agréable des sociétés. Sa

tracé.

Le jour,

visitait l'atelier

des pen-

de sa vie tout

fille

l'œuvre

effet à

directorat.

dans son salon

trouvait

il

»

put ainsi passer, sans ennui,

devant son chevalet ou

sionnaires, et,

H. Vernet.

remit en

se

deux dernières années de son

Il

partager.

jamais entrepris.

avec une nouvelle ardeur, les

le

môme d'exécuter un admirable dans ma pensée comme le plus

«

De

devait

faveur qu'a bien voulu m'accorder

voyage, qui restera gravé

beau que

monde

tout le

si

n'en resterai pas moins profondément

faisait

de

la

la

musique,

plus

et les

heures s'écoulaient, délicieuses et rapides, dans une intelligente causerie

,

de temps en temps interrompue par

harmonieux accords des Mozart C'est à

et

Rome que mademoiselle

un mari digne de son choix

,

en

la

les

des Cimarosa.

Louise Yernet rencontra

personne de Paul Dela-

roche. Héritière de tant de gloire, elle ne pouvait, sous


ET HORACE VERNET.

nom que

peine de mésalliance, échanger son

d'un grand

103

contre celui

artiste.

Cette union, dont le terme devait être, hélas!

commença joyeusement. Dans une

lettre

annoncer cette heureuse nouvelle,

Biett',

traçait le

il

prompt,

qu'Horace Yernet

décembre 1834, au docteur

écrivait, le 28

si

pour

lui

mot bonheur

en gros caractères, voulant, disait-il, que son ami fût tout

de suite mis au courant de ce qui se passait ans de peinture dans

la famille

et

:

Deux cents

«

un croisement de races

qui relèvera l'espèce, voilà, ajoutait-il, du passé et de venir est

:

le

premier pas trop mauvais

permis de

le croire. Je

en cœur je suis heureux ;

chant sur tage

le tout, je

ma joie...

Le mariage

1

et

et l'autre

puis dire

:

j'ai

mon ami

bouche

Biett qui par-

»

fut célébré

à

Rome,

le

l'école entre les

28 janvier la

mains de M. Ingres, qui avait

à lui succéder.

1.

la

il

heureux, puisque, bro-

fois

Quelques jours après, Horace Vernet remettait de

superbe,

puis mourir à présent

deux

l'a-

Catalogue des autographes de M. de Trémont.

4

835.

direction

été appelé


JOSEPH, CARLE

104

VIII

— Premier voyage en Russie. — Singularités de Carie. — Sa mort. — Départ d'Horace pour l'Algérie. — Rabadabla. — Le bagne maison d'éducation.— Le César du couscoussou. — Portraits et croquis. — Histoires touchantes d'un — De Bone à Constantine. — Retour pinson et d'une petite

Horace se brouille avec Louis-Philippe.

,

fille.

en France.

L'année qui suivit sa rentrée à Paris, Horace Vernet se

remarquer au Salon par une exposition

fit

envoyé simultanément

brillante

:

il

avait

quatre batailles de Fontenoy,

les

Wagram,

ftlêna, de Friedlcmd et de

qui sont aujourd'hui

au Musée de Versailles. Mais

ne pouvait pas rester bien longtemps de suite à

il

la

même

le

monde;

place;

il

ne désirait qu'un prétexte pour courir

gouvernement

le

se chargea de lui fournir

une

excellente raison.

On un

lui avait

commandé

le

Siège de Valenciennes Dans .

entretien qu'il eut avec Louis-Philippe, au sujet de ce

tableau, le roi lui expliqua ses vues fût représenté

de

l'action.

C'est

une

la

Horace Vernet

s'étaient pas «

en tête de

:il

voulait

que Louis XIV

colonne d'assaut fit

remarquer que

au plus

,

fort

les choses

ne

précisément passées de cette façon héroïque.

tradition de famille, objecta Louis-Philippe.

Soit, répondit Vernet,

dit positivement

mais

c'est

une légende,

que Louis XIV se

et l'histoire

tenait à plusieurs lieues


ET HORACE VERNET. de

la

brèche.

Un de

»

vent toujours

On ne me paye

pas pour mentir,

de jours après,

Russie. Pour

avouer 11

fut

il

le roi.

répliqua Vernet, et

»

se mettait

un homme qui

qu'il choisissait

du

conversation, et dit au peintre

la

qui vous paye, faites ce que veut

« C'est le roi

la

ces personnages zélés qui se trou-

point pour flagorner les puissants

là à

jour intervint dans

retira. Peu'

105

en route

admirablement reçu par

se

il

gagnait

et

avait soif de liberté,

une singulière

:

il

faut

direction.

qui ne demandait

le tzar,

pas mieux que d'acclimater dans son empire une de nos cé-

mais

lébrités les plus incontestables;

sans l'humeur vagabonde de visité

Horace, après avoir

l'artiste.

songea à retourner en France, où

revint

souverain comptait

en quelques semaines Saint-Pétersbourg et Moscou,

cœur

chers à son faibli

le

:

il

par l'âge, et sa

donc

le

le

rappelaient des intérêts

avait laissé à Paris son vieux père affille

sur

le

point de devenir mère.

plus vite possible, et

à une mort et à une naissance

Il

arriva pour assister

il

i ,

Carie venait d'entrer dans sa soixante-dix-huitième année. Depuis longtemps déjà, quoique vert encore,

il

presque complètement renoncé à l'exercice de son était,

de sa nature, très-paresseux,

moins possible. Toute sa vie

amour pour son

fils,

amour

et

s'était

ne

travaillait

avait art. Il

que

le

concentrée dans son

inquiet, exigeant, jaloux

celui d'une maîtresse. Horace, et ce n'est point là

comme

un de

ses

moindres mérites, répondit toujours à cette affection par

1.

Horace Vernet ne revint pas cependant sans avoir

L'empereur Nicolas

le pria

utilisé

son voyage.

de peindre à son intention une Revue de la

garde impériale par Napoléon Ier , dans la cour des Tuileries. Ce tableau était destiné à rester

sa

commande

:

«

dans son cabinet. Le tzar dit à

Je veux avoir toujours sous

parce qu'elle nous a battus.

»

les

l'artiste

yeux

la

en

lui faisant

garde impériale,


JOSEPH, CARLE

10G

une

de sa carrière

fin

la

au moins égale. Et pourtant, Carie

affection

chaient presque à vient

germe de son

Rome

à son mari elle

c'est

,

«

:

on s'en sou-

,

sans doute légué

lui avait

folle, et

effroyable

mère

Sa

(1833),

le

Jamais Horace ne se

maladie.

par les plus dures épreuves. Dans une

laissa rebuter

datée de

des manies incroyables qui tou-

démence.

la

morte

était

,

,

avait, sur

madame Vernet rend

lettre

ainsi justice

Laisser Horace seul avec son

père

,

écrit-

absolument abandonner une victime à son op-

presseur. Les exigences de ce pauvre vieillard sont inouïes;

eh bien, toute

il

y faut céder. Horace

se

soumet avec une piété

filiale. »

Cette

ne se démentit pas une seule

piété

fois

jusqu'au

dernier moment, malgré les rudes épreuves qu'elle eut à subir.

Quelques exemples en pourront

Vernet

allait

tous les dimanches à

sortant de Saint-Roch, fidèles, disant qui

chercher son père dans

de passer ses soirées,

et

jour, en

prétendant que sa famille Il

le

est difficile d'expliquer

Horace

aberration. Vers minuit,

pareille

d'aller

était et

Un

messe.

la

Carie

demander l'aumône aux

se mit à

dans un dénûment absolu.

laissait

une

il

il

faire juger.

le café

de payer pour

il

était obligé

avait l'habitude

lui,

Carie répétant

sans cesse qu'il n'avait pas d'argent et qu'on ne voulait pas lui

en donner.

Il

son

faut rendre justice à chacun. fils,

En

recevant les soins de

Carie ne faisait que recueillir les fruijs de

dresse dont

il

lui

avait donné mainte preuve,

esprit était resté sain. Mais

que de gens, à

tant la

la ten-

que son

place d'Ho-

race, se seraient laissé entraîner par les séductions de tout

genre qui viennent journellement

âge

et

assaillir

de sa réputation! Horace ne

sa tâche.

faillit

un homme de son pas une minute à


107

A

son retour de Russie,

valide; et rien,

il

trouva son père encore très-

ce n'est toutefois ses soixante-dix-huit

si

ans, ne pouvait faire prévoir sa fin rut presque subitement, le

Horace ment,

fut

parrain; et

en proie à une

si

son

affliction profonde.

un

Heureuse-

petit -fils dont

cœur ne put

du moins

consolé,

être

était le

il

l'amour de cet enfant remplit dans son existence

que

mort venait d'y

la

Il

sa

de

santé

la

place

la

laisser vide.

trouva une autre distraction puissante dans

qui fut toujours

mou-

prochaine. Carie

M novembre 1836.

venait de lui naître

il

si

son esprit et

le travail,

de

joie

la

vie.

La création du Musée de

Versailles et la conquête de l'Al-

nouveaux

gérie lui ouvraient des horizons d'explorer. Aussi,

peu de temps après

tine, voulut-il aller voir

chose à faire

pour un

par lui-même

qu'il avait hâte

la prise

s'il

peintre, après ce

de Gonstan-

y avait

quelque

que notre armée

avait fait. Il

pris soin

a

voyage. Voici cevait

de

noter

les lettres

impressions

ses

durant

que sa femme re-

intéressantes

:

«

« J'arrive

Toulon, 31 octobre 1837.

à l'instant, chère amie. J'ai déjà vu

le

préfet

maritime, qui n'aura de bateau que pour dimanche. reste, j'ai fait très-bon «

son

Tout

voyage

et je

me

porte à merveille.

est fini à Gonstantine; j'irai là

Gloud. Quelle vexation! Ce qui

me

Du

fait

comme

à Saint-

prendre cette nou-

velle avec résignation, c'est qu'elle te tirera d'inquiétude;

car ce ne sera qu'une promenade, crains de

manquer la

la

poste. Je termine

canne à

donc ce

la

main. Je

petit

mot en


JOSEPH, CAR LE

108

vous disant à tous que je vous aime de tout

rabadabla

fait

1

mon cœur qui

en pensant à vous. Je serai bien long-

temps sans avoir de vos nouvelles, mais qu'y faire? est tiré,

vin

faut le boire.

il

Adieu. Avant de m'embarquer, je vous écrirai encore.

«

«

ville,

ce serait une distraction.

tion, j'éprouverais

ser le temps!

une

Tu me

diras

doute, je les ai déjà vus

A

;

choléra existait

moindre indisposi-

ça m'aiderait à pas-

N'as-tu pas les galériens? Sans

:

ce plaisir est

;

si le

la

émotion

petite

»

Toulon, jeudi 2 novembre.

Trois jours à passer ici! Encore

((

en

le

vif, si vif

même que je

craindrais d'y prendre goût et de rester au bagne. Je ne dis

pas que

Rabadabla

si

ne prisse ce parti; mais

je

m'y

voulait venir

commencer son éducation,

encore bien jeune pour

est

il

tenir compagnie,

et je craindrais

que ce ne

temps perdu, ou une fatigue préjudiciable à sa santé. leurs,

pour prendre un

mille.

Nous reviendrons

parti

je serai à bord

comme

Cocodrille, fameux bateau qui fend l'eau fend tie

l'air.

Cinquante heures,

et

me

Il

me

toutes celles lettes,

il

que

j'ai laissées à

charme

boutiques de

la

Paris; oui,

je

me

rue Vivienne et

me

:

pigeon

une autre parvous reverrai

me

faire oublier

mes chères pou-

Trouverai-je dans

le

gazouillement de Raba-

console en pensant que dans peu

de temps je retrouverai tout cela qu'il avait

dis

le

du

de la société parisienne, et les brillantes

dabla? Non, non. Je

Surnom

je

pour

faut toutes vos grâces

y a des instants où

Je désert le

1.

voilà dans

du monde! Ah! mes chers Bédouins,

donc!

D'ail-

plus tard sur ce sujet.

Dimanche, à dix heures du matin,

«

du

faut nous consulter en fa-

il

,

fût

donné à son

et

petit-fils

que

,

j'aurai

dans

Horace Delaroche.

la tête


ET HORACE VERNE T.

109

En décrivant

quantité de nouvelles choses.

du moins j'oublie mon désappointement de

ses,

mes

bêli-

rester

qua-

toutes

me ronger. Floueur de M. de Bondy! comme un dératé, le tout pour perdre mon temps dans une auberge. Je dis perdre mon temps, ce Toulon, à

tre jours à

me

qui

fait

pas

n'est

courir

le

mot, car à moi tout seul je fais des discours,

de Jusuf

je deviens l'avocat

:

je

pour gouverner l'Afrique, que africain, le César

démontre le fils

du couscoussou

du

effet.

comme dans

merle placé sous

ma

de l'enrhumer; mais

cher

mieux, malgré

l'air

mon

ce n'est un gredin

si

fenêtre et qui crie

Je lui ai déjà vidé l'eau de

ces

que mon

seul, je crains

N'importe, je passe

temps, n'ayant pas autre chose à tuer, .de

nous don-

est seul apte à

je suis tout

influence ne fasse pas grand

lui

Numide

désert, le

ner une véritable prépondérance. Mais,

moments d'éloquence

que

qu'il n'y a

:

«

Vive

le roi

!

»

ma

cuvette sur la tête pour tâ-

le

misérable n'en chante que

piteux que

lui

a procuré

mon

ablu-

tion. «

Ne

va pas croire, chère amie, que je t'écris

ment parce que car

ma porte

est assaillie par

de mieux à

la

etc., le

tout

la

grandeur de

mon

me

me

destinent. Alors, on

pour obtenir de

ventre, et

Je vous

embrasse tous

et

«

fois à

Bone,

Je rouvre

ma

et j'espère lettre,

la

ils

sont

nourriture

laisse tranquille.

de bien bon cœur en atten-

dant de vos nouvelles, car vous aurez

deux

tout,

de ma-

d'officiers

convaincus qu'il ne pourrait contenir toute

«

du

faveur de manger. Je leur montre, pour toute ex-

cuse de mes refus,

qu'ils

longue-

si

faire; pas

une quantité

de receveurs généraux,

rine,

moi

je n'ai rien

le

temps de m'écrire

que vous n'y manquerez pas.

chère amie, pour

te dire

que

je

pars demain matin à bord d'un vaisseau de quatre-vingts canons.

Tu juges de ma

joie d'être à

même

de

faire

une


JOSEPH, CARLE

110

Ma bonne

aussi belle navigation.

ramènera bientôt près de vous tous. «

A

fait partir

me

»

bord du Diadème

Ton bien embêté mari, chère amie,

«

me

étoile qui

,

9 novembre.

de son ma-

t'écrit

gnifique palais de bois, victime involontaire des vicissitudes

des voyages par eau. Ce perfide élément nous tient depuis six jours

dans toutes

«

beau temps

/... »

Infâme Grétry

les alternatives.

tes chansons: ((Mais enfin,

Nous

le

après Vorage,

avec

!

voit venir le

tenons ce beau temps, mais

il

nous

depuis trois jours, nous ne bougeons pas.

tient aussi, car,

Voici notre histoire

:

nous mettons sous voile samedi der-

au petit jour, vent arrière, grand

nier,

On

en trente-six

frais;

heures nous arrivons en vue de Bone; un brouillard nous

prend;

la

mer devient

affreuse

impossible de débarquer;

:

un coup de vent nous emporte en quelques heures quante lieues,

et

nous

de l'autre côté de

laisse là,

gne, en face de Cagliari, où nous

sommes pour

combien de temps. L'homme propose «

et

la

je

à

cin-

Sardai-

ne sais

Dieu dispose.

Je te dirai que je suis à bord d'un beau et bon vais-

seau avec 800 hommes. C'est véritablement une chose ad-

mirable que de voir et d'y être aussi

manœuvrer une

aussi grande machine

en sûreté, au milieu de tous

les

déchaînés, que rue Saint-Lazare. Pour rien au

ne voudrais avoir

que peut

l'esprit

admiration.

que

Tu

me

si

humain. Je ne

dirais avec

je sens et je

ogre et je

manqué une

m'y

tiens.

t'en dis pas plus sur

m'aimer. Delaroche, sa

reste, je

pluriel,

femme

et

je

mon

je blague. Je sais ce

porte à ravir, voilà ce

vous sachiez. Je parle au

monde

belle occasion de voir ce

X*** que

Du

éléments

car

mange comme un que

je

veux

que

tu n'es pas seule à

quelques autres ont bien

aussi de rattachement pour moi. Je ne dis rien de

Raba-


ET HORACE VERNET. dabla:

coquin m'aimera à son tour

le

il

;

111

n'est pas encore

assez sage pour m'apprécier; ça viendra. Dans ce

un vrai cours de philosophie

je fais

faut en avoir

il

désespoir une position stagnante

pour ne pas prendre en

comme

car

,

moment

nôtre; c'est-à-dire que je voudrais que les élé-

la

ments se déchaînassent

Du reste, il est sommes ici. Le

pourvu que nous

,

fissions route.

impossible d'être mieux que nous ne capitaine de vaisseau qui

commande

le

est

un vieux marin de l'Empire, décoré à Boulogne, brave ganache qui

boit

terre, crainte

du

vin,

ne craint pas l'eau, mais

de s'y perdre,

au centre de le 4

la

que

et je crois

dix mille obus à porter à Bone,

fuit la

n'avait pas

s'il

resterait éternellement

il

Méditerrannée, dans

la

crainte de se casser

nez à terre. Le reste de l'état-major, qui se compose de

8 officiers, est fort aimable,

voire

même

le

chirurgien-

major, qui a une tête d'oiseau et qui ne croit pas au sys-

tème de Gall par conséquent. Nous disputons

comme

chiffonniers qui n'ont pas autre chose à faire,

car,

route que nous faisons, on

dans

rue. Bref,

la

les

jours

allonge passent cependant,

attendons

le

«

et les

sur

la

de tas d'ordures

nuits que l'impatience

de minute en minute nous

et

vent qui semble avoir fermé sa bouche pour

toujours, à en juger par

de vent

trouve peu

des

le

calme qui nous entoure. Coquin

!...

Gomme

t'écrivais

je

ma

commandement de

dernière phrase,

j'ai

en-

J'ai

cru

tendu

le

que

vent était sensible à mes reproches; je suis monté

le

bien vite; mais, rien!

ment

et

mon

émouvoir un

l'officier

les voiles

tombent perpendiculaire-

gros soupir en les voyant instant. Je reprends

pour continuer

à

causer avec

sement pour votre sexe,

les

de quart.

toi

si

plates n'a

donc tristement ;

la

pu

les

plume

car voilà, malheureu-

avantages

du mariage: un


JOSEPH, CARLE

112

mari trouve du

mieux

rien de

plaisir à

ennuyer sa 'femme,

:

le

n'a

à faire, et puis va se coucher. C'est ce qui

m'arrivera dans cinq minules jourd'hui

lorsqu'il

nez de

ma

pour au-

car je te quitte

,

bougie s'allonge,

la

flamme

est

dans

la

bobèche; un peu plus, je serais forcé de regagner

mon

lit

à tâtons. »

«

«

Encore un jour de passé,

qu'un échelon de rapidement,

l'échelle

Une

noire route, et

l'espoir

nouveau venu auquel pauvre pinson que

main dessus;

les

nous conduit droit dans

jouis précédents,

les

donné

j'ai

l'hospitalité

donner

qué

les

chat.

a

Il

manqué

un

c'est

un

J'ai

mis

la

manger; mais devine

à

ce qu'il a préféré? C'est de se précipiter dans

eau pour boire.

:

me

à

grâce

autans nous ont apporté. lui

si

que demain nous

croire

fait

nous revient. Aujourd'hui, je

voulu

j'ai

nous n'avons remonté

et

petite brise

moins embêté que

suis

10.

que nous avons descendue

mais tout nous

serons à terre.

Ce

s'y noyer,

mon

pot à

ce qui m'a expli-

gens qui trouvent ce genre de mort dans un cra-

On

des

fait

danger, puis

la

pour braver un grand

inouïs

efforts

gourmandise vous

petit.

Trêve de réflexions!

pour

lui

donner

la liberté

je

fait

soigne

quand

il

succomber dans un

mon

petit oiseau,

sera bien remis de ses

.privations et de sa fatigue. Si j'avais le temps de lui don-

ner de l'éducation, je

lui

blabadablablabla, pour délicieux

jour tous

refiv.in, -les

sur

apprendrais à chanter rabada-

enseigner à

ma

terre

échos puissent

mes semblables ce

d'Afrique,

nous

le

et afin

répéter

qu'un

ensemble.

Cette idée, toute bete qu'elle est, ne laisse pas que de

procurer une bonne petite émotion.

»

me


ET HORACE VER NE T.

113

«

«

Je

demain avec deux

me

bataillons.

«

« «

Depuis hier je suis Voici

comment

11.

vu encore personne que

suis dans Boue. Je n'ai

gouverneur. Je suis chez Jusuf. Je Je pars

Ce

Bone

,

le

porte à merveille.

»

ce 12 novembre 1837.

chez Jusuf.

installé

je suis organisé

pour

mon voyage

:

six

mon bagage, mes .tentes, etc. deux chevaux pour moi et mon domestique; quatre chasseurs et un brigadier comme ordonnances, et huit cents hommes mules pour porter

d'escorte.

Déjà

;

Charles, notre* neveu, est parti

avec

le

même nombre d'hommes pour m'attendre à moitié chemin, et le gouverneur me donne Tordre qui doit l'attacher auprès de moi pendant la durée de ma petite expédition, jusqu'au retour à Bone. table personnage. te

donne ces

Ce

détails

Tu

vois que je suis traité en véri-

que ça me touche, mais

n'est pas

pour que

tant de précautions sont

inutiles, la

correspondance

hommes

seulement. Ce-

se faisant journellement avec huit

pendant j'accepte

comme bon me pour «

tout,

sans inquiétude, car

lu sois

même

pour être à

semblera sur

la

même

de m'arrêter

roule, et de m'en écarter

visiter certaines localités intéressantes.

Le temps

par terre.

mieux.

11

y

est a

superbe en

l'air,

la

donc compensation;

boue

est

magnifique

alors, tout est

pour

le

»

«Ce «

je

Je ne

pars

que ce matin

et

13.

que demain, n'ayant trouvé un cuisinier n'ayant pas

le

temps d'acheter mes pro-

visions. «

Je te dirai que je suis arrivé

ici le

lendemain du départ


JOSEPH, CAR LE

114

me le comment me

des princes; c'est contrariant, mais cependant ce qui fait

moins

regretter,

que

c'est

loger; et grâce à Jusuf, je

chose

me

je n'aurais su

comme un

suis

que mon arrivée

fâche, c'est

femme qui

sa maison, jusqu'à sa

ses gens, chez son père, en

me

Une

roi.

s'est transportée,

bourrent des pipes et m'abreuvent de café toute 11

faudrait

que

mac, pour avaler toutes

Du

les

elle et

deux fait as qui

laissant

ammirabUe me

j'eusse la piscina

seule

déplacé dans

a tout

1

décoctions qui

journée.

la

dans

l'esto-

sont offertes.

reste, je suis accueilli à merveille par tout le

trouve jusqu'à des amis que je n'ai jamais vus

me

;

monde. Je n'importe,

je prends de toutes mains, sauf à payer les services désin-

téressés avec de la reconnaissance, et les autres avec, de

l'argent; ce qui remplira

bourse de cieuse.;

l'autre.

mon cœur

Je conserverai

me

donc

la

et

Je me suis surpris, le me promenant dans ma chambre

de pleurer

Sois sans

comme une

inquiétude sur

choléra n'existe plus.

seulement

comme

beau chat de Jusuf sur

notre air favori... Si l'animal m'avait mis j'étais fichu

vieux

commencent ne

ceux qui

!...

l'épaule,

«

les

sont pas moins chers. Pauvre petit Rabadabla!

je l'aime

ma

part la plus pré-

en vieillissant, j'apprécie de plus en plus

bons sentiments d'amitié,

et

d'un côté, videra

dans

les

Il

en chantant

patte en avant,

la

bête.

l'état

sanitaire

du pays. Le

n'y a que des fièvres, qui régnent

hôpitaux;

le

froid

coupé court

a

à

toutes les maladies. » «

«

Je ne pars

Ce

que demain. Le gouverneur voulait

d'une pierre deux coups

et profiter

de

mon

La grande

citerne de Pouzzoles.

faire

escorte pour

général Négrier, qui arrive d'Alger pour aller |.

14.

le

commander


ET HORACE VERNET. Tu

vois qu'il

y aura encore une sécurité de

pour moi,

quoiqu'il

n'y ait rien

Gonstantine. plus

115

craindre sur

à

la

route; car maintenant les courriers arrivent seuls en trois jours. «

Mustapha-Ben-Karim

neveu.

Voici,

ce

à

en

est

prison,

une

sujet,

que son

ainsi

assez

petite histoire

pi-

quante. Le maréchal des logis de gendarmerie vient appe-

un

ler

homme

certain

qui

rie

répondit pas

Mustapha, persuadé qu'on demandait cet

Mais

pour

c'était

distributeur de

On

les reçut".

il

homme pour

code), le pauvre

partie de notre

fait

n'en est pas moins sur

comme

reste ici

voir qui vient de tomber

neur n'avait pas été Je

tiens

le

il

;

il

le

aux honnêtes gens.

fait

n'y a qu'une voix

il

bon Dieu punit

notre

superbe, et les réparations qu'il

Du

retirer, et

ventre, jusqu'à ce qu'il puisse se

le

dos. Voilà

beau punir

eut

diable avait les coups; impossible de les lui

le

le

française (car maintenant ce

justice

la

genre de correction

mettre sur

neveu de

donner 200 coups de bâton.

lui

Malgré ses réclamations, le

le

s'empressa de se mettre en son lieu et

mettre en liberté, place.

:

sur Timpéritie du pou-

est certain

que

si

le

gouver-

tué, Gonstantine n'aurait pas été prise.

du général

Lamoricière et de tous

en

chef

lui-même, du colonel

les officiers et soldats

qui m'en ont

parlé. «

On

attend

général Valée.

ici 11

ont mérité. Tout nel

Combe

« Je

;

il

les

récompenses demandées

y en aura le

monde

regrette la

pense bien à vous tous

verrait, par

,

car

par

le

beaucoup en

mort du brave colo-

a été héroïque.

vous revoir. Si Delaroche

que

beaucoup

ma

était

et là,

au

plaisir

que de

que

j'aurai à

belles choses

il

fenêtre seulement! Rien n'est plus admirable

cette foule d'Arabes, de Turcs, tous drapés si pittores-


ne quement. vieux,

ou pour mieux dire moins

Si j'étais plus jeune,

ma

tête n'y tiendrait pas. J'ai

dans

ma poche

d'emmener Charles Burton partout avec moi. Ce

mes moyens de subsistance pour ma caravane

Voici

un

une

pour ce bon garçon.

petite récréation «

l'ordre

sera

de 10 francs,

pâté

:

une barrique de vin contenant

25 bouteilles, 15 poulets vivants, 6 bouteilles d'eau-de-vie, 36 livres de sucre, 10 livres de roni,

1

riz,

5 de café, 10 de n.aca-

-jambon, % saucissons, 10 livres de lard et 2 vessies

de graisse blanche, 10 merluches, du fromage, des

Tu

que nous ne pourrons pas mou-

de

terre, etc., etc.

rir

de faim sans y mettre de

dant

le

vois

pommes

la

bonne volonté. En atten-

comme

départ, je fais des têtes de soldats

pleuvait; elles doivent figurer parmi les héros, car a dans toutes les classes de l'armée plus leurs, et j'ai le

en

s'il il

y en

que partout

ail-

bonheur de n'avoir que des faces bien ca-

ractérisées. »

«

«

le

Ce

Je viens de recevoir l'ordre de partir demain, quoique

général Négrier ne soit point encore arrivé.

choses a

à faire,

que

je ne t'écris

que ce

petit

J'ai tant

A

de

mot.

Je vous embrasse. Soigne-toi et tout ira bien.

«

«

15.

»

bord du Vautour, ce 29 novembre 1837.

Chère amie, je viens de recevoir toutes vos

Je ne puis te dire le plaisir que j'ai

de vos nouvelles; car, depuis

mon

lettres.

éprouvé en trouvant

départ, je ne savais rien

qui vous regardât. Enfin je sais que jusqu'au 14 vous étiez bien. C'est à moi maintenant à vous rassurer et à rire de

vos inquiétudes craindre

;

mon

;

car je

t'assure

qu'il

n'y avait rien

étoile est toujours brillante.

à


ET HORACE VERNET. Je ne sais

«

tu auras reçu des

si

117

mots que

petits

donnés à des Arabes pendant notre marche. Je

j'ai

voudrais,

le

d'abord parce qu'ils vous auraient porté de mes nouvelles, et puis parce que, si

dirait

de

que

ma

tout, « Je

je suis

ma

correspondance avait manqué, X***

Au

un blagueur.

la

consolerais

conscience étant satisfaite.

t'écris

au crayon, par

la

raison que

tenir en place dans le bâtiment et

dans

me

reste, je

que mon

cabine, sans que je puisse mettre

Nous sommes

partis ce matin

;

le

temps

ne peut

rien

écritoire court

main dessus.

la

est tellement

mau-

que nous sommes forcés de revenir mouiller au grand

vais

Caroubier, ou pour mieux dire au Fort-Génois. Le vent

de nord -est est leurs mâts et

comme

ser

si

violent

que tous

les

que nous sommes sur nos

bâtiments ont calé

un peu d'orgueil

porte! tu prendras ça

comme

tu voudras.

pense à vous, et que je vais vous donner course

à

avec

mon

un convoi revenant chanté de

le

la veille.

allé

de

les détails

je

ma

novembre

'16

lui

Je

l'ai

rattrapée au

camp

trouvé Charles Burton avec

j'ai

mon

séjour en Afrique. J'étais en-

procurer une bonne occasion de voir Constan-

amateur; mais ce pauvre garçon

pour prendre goût

à

la

désir de coucher dans un

sité.

que

fait est

à Bone. J'avais l'ordre qui le mettait à

disposition pendant

lisé

Le

n'im-

;

escadron de chasseurs, pour rejoindre l'infanterie

de Dréan. Chemin faisant,

tine en

peut-être

a

t'écrire

tu le sais déjà, je suis parti le

qui s'était mise en route

ma

y

Constantine.

Comme

«

Il

moment pour

à choisir ce

ancres à dan-

trois

toutes les Taglioni de l'Opéra.

démora-

est trop

moindre partie de

plaisir, et

emporté sur

la

curio-

Nous nous sommes donc séparés. De Dréan,

je suis

à Guelma, coucher; de

Hamar, où

lit

l'a

je suis parti

je suis arrivé à dix heures

pour Medjez-

du matin;

la

colonne


JOSEPH, CARLE

118

1

,

du 26 e ayant

pris l'avance,

Sidi-Tamtam,

le

pas

le

nom,

et le

nous avons pu

un endroit dont

19 à

je

aller

ne

si

la

même

sommes

Pavant-

peine. Le retour s'est opéré

la

manière; seulement, au

Guelma^, nous nous

fusil à

peu de monde que vérita-

loin et sur si

blement ça n'en valait pas de

rappelle

20 à Constantine. Le dernier jour seule-

ment, nous avons échangé quelques coups de garde, mais de

coucher à

me

lieu

de coucher à

Medjez-Hamar. Nous

arrêtés à

n'avons pas été aussi tiQureux pendant notre retour, car

nous avons perdu un soldat

Du

du

un soldat du 17 e léger; un

officier et

une

train s'est fait mettre

reste, jamais je

organisé, que je ne

me

ne

me

suis

balle

mieux

dans

le

derrière.

porté. J'étais

suis aperçu de la fatigue

si

bien

qu'aune

faim dévorante dont je ne suis point encore guéri, et que je vais satisfaire, le

cuisinier aura

On

s'il

pu

est possible; car je

temps que nous avons.

s'en tirer avec le

m'appelle. Adieu pour aujourd'hui.

«

<(

plus près de vous,

demain

et, si le

Maintenant,

mon voyage

il

du

faut

t'ennuie, ne

toi.

Ce sera bien assez que les

autres dans

De Bone

avoir passé

même

la

que

terre.

si

à

le

voilà

Ce sera pour

je pars sans peine,

je te parle de Constantine et

en général. Je vais commencer le lis

Me

du

plaisir.

que

S'il

mettre

à onze heures

temps continue à être aussi bon,

joie, car tu sais

je reviens avec bien

«

2 décembre, à midi.

cinquante-cinq lieues.

fait

nous serons sur

soir

moi une grande

«

»

Nous nous sommes mis en route hier

matin, et nous avons

ne sais comment

pas, et,

la

si

tu le

tu juges

lis,

le

de

bavardage.

que ce

soit

pour

de mes bêtises, sans

confidence.

Medjez-Hamar Raz-el-Akba,

le

rien d'intéressant. Mais, après

pays, dépouillé d'arbres, de-


ET HORACE VERNE T. un vaste désert coupé de ravins profonds

vient

de vastes montagnes pelées dans la pluie Il

119

nous a rendu

nous a

fallu

genre de Radicofani;

le

dans ces lieux épouvantables.

visite

coucher dans

la

boue

mais, heureusement,

;

mauvais temps n'a duré que deux jours. Rien intéressant pour et

en partant

le

mules

sur

la

et les

musique

chevaux que nous laissions derrière nous

ma

chère amie

de pouvoir

les

comme

fois

parler

une

animaux qu'on abanon

:

assomme

les

tombés, c'est

tant

d'eux.

fini

une idée sans en

faire

Mais brisons là-dessus,

que du pittoresque. Je

sévérité admirable.

te faire

sur tant d'autres, c'est un gaspillage

dans l'armée dont on ne saurait se avoir été témoin.

peux

tu ne

,

nourrir

peuvent se soutenir; une

Sur ce point

dans l'ombre

et se disputaient

idée de la quantité de ces pauvres

qu'ils

soir

le

matin. Les lions, les hyènes et les chacals

route; car,

donne, faute

le

n'était plus

moi que ces bivouacs, en arrivant

se chargeaient de la les

entouré

et

Il

ne

te disais

s'y trouve,

je

que

le

en

fait

ne veux

te

pays est d'une de trace hu-

maine, que quelques pierres, restes de monuments antiques

qu'on suppose des

fortifications. Je

pour

Il

la

généralité.

tombeaux de

la

ne suis pas de cet avis

me paraissent des même construction

y en a certains qui

même forme

et

de

la

que ceux de Corneto, moins soignés cependant, mais se-

més

çà et là le long d'une voie romaine, sur

espace,

deux

se trouve

De ce

un tombeau monumental dont

Somma, où

j'ai fait le

croquis.

point, on aperçoit Gonstantine à trois lieues de dis-

tance. Je et le

un assez long

lieues environ avant d'arriver à

tf

avoue que

but de

mon

le

cœur m'a

battu en voyant le terme

voyage. Les plus hautes montagnes du

grand Atlas se développent devant

deux heures de l'après-midi, quait pour

la

le

spectateur.

le soleil brillait,

Il

rien ne

était

man-

splendeur du tableau. Je t'assure que dès ce


JOSEPH, CARLE

120

moment je les

plus pensé qu'au bonheur de joindre à tous

n'ai

souvenirs que

j'ai

déjà dans la tête une nouvelle collec-

de matériaux d'un caractère tout particulier. Je ne

tion ferai

pas

de Constantine,

description

la

ici

te

de ses ra-

vins, etc., toutes choses dont tu as déjà entendu parler. Il

me

de dire que je

suffira

vu dans aucun de mes

n'ai rien

voyages qui m'ait autant frappé. Cette de terre ressemble plutôt à

celles des

que nous connaissons du

littoral

après moi quand je l'a fait

la

peindrai

Abruzzes qu'à tout ce

de l'Afrique. On va crier

telle qu'elle est,

ma verdure; cependant

après

toute couleur

ville

comme

on

L'inté-

je serai vrai.

rieur des rues est très-sombre et d'une puanteur abomi-

nable. Les cadavres qui sont encore sous les décombres ne

contribuent pas peu à augmenter ce que les ordures, les diarrhées générales de l'armée émanent de miasmes pestilentiels;

Montfaucon

boutique de Lubin en compa-

est la

raison. Aussi nos pauvres soldats

mouches. Dès peut croire

la ville,

on ne

qu'il soit possible d'y rester; puis, tout à

coup,

le

premier pas qu'on

nous entrons dans toi

mouraient-ilscomme des

le

du bey

palais

dans

fait

tout change. Figure-

;

une délicieuse décoration d'Opéra tout de marbre blanc

et des peintures des couleurs les plus vives

d'un goût char-

mant, des eaux coulant de fontaines ombragées d'orangers,

de mvrtes,

etc.,

enfin

un rêve des Mille

une Nuits.

et

Certes, j'étais loin de m'attend re à des sensations

rentes dans un n'étais pas

si

si

diffé-

court espace de temps, et cependant je

au bout. Figure-toi que

la

suite

du prince

a

tout dévasté et qu'il ne reste rien, mais rien, dans l'intérieur.

Tout a été emporté, jusqu'aux oiseaux

rouges.

On a

fait

des trous dans tous

cher des cachettes; enfin tou les barbares!

Du

reste, j'ai

est sens

les

et

aux poissons

murs pour

dessus dessous.

reçu dans ce palais

le

cher-

Ah

!

meilleur


ET HORACE VERNE T. du général Bernelle;

accueil

chambre dans

belle

lices, car

laquelle

du moins

passés à courir

il

m'a donné une ci-devant

j'ai

couché par terre avec dé-

Mes

j'étais à sec.

la ville et les

de tableaux à

ne puis attendre pour

une

petite

fille

à élever.

du haut duquel

les

taient? Représente-

Il

Tu

ou achevaient

gent et un soldat du

un pauvre

petit être

mère morte.

J'ai

4

te valoir

as entendu parler d'un rocher fuir,

se

précipi-

monceau de plus de cent

sur un

Kabyles dépouil-

les

lorsqu'ils respiraient e

apporte une

manqué

femmes, en voulant toi,

lui

y en a un surtout qui

te le raconter) a

cadavres de femmes et d'enfants que laient

une fameuse ré-

j'ai fait

Dis à Jazet que je

faire.

vigoureuse collection de sujets. (je

trois jours se sont

environs, dessinant autant que

possible les points intéressants, et colte

121

encore, un ser-

armes à

leur disputant, les

la

main,

de quatre ans attaché au corps de sa

retrouvé cette petite

fille

au camp de Med-

jez-Hamar. Elle est très-gentille, mais que deviendra-t-elle?

On

la

nomme

Constantine, ne

nom. Le régiment

la

lui

connaissant pas d'autre

garde; mais, encore une

viendra-t-elle? C'est justement parce qu'il

doute sur

le

malheureux

sort qui l'attend

fois,

n'y a

que

que depas de

je voulais la

prendre. Je n'aurais pas balancé à t'apporter cet embarras,

une autre idée ne m'était venue

c'est d'en parler à

:

si

Madame

Adélaïde. Ce serait digne d'elle de faire élever un enfant pris sur

le

champ de

général.

bataille

où son neveu a été

Nous parlerons de ça

mon

à

renseignements imaginables sur ce «

et recueilli

lieutenant

arrivée. J'ai tous les

fait.

Pour en revenir au but de mon voyage

d'une part

fait

,

j'ai

dessiné

de l'autre tout ce dont j'aurai besoin

pour

mon grand

faire

un tableau aussi intéressant

tableau. Jamais on n'a eu

aussi fallait-il voiries lieux, car

il

une occasion de

et aussi pittoresque.

Mais

n'y a pas de description,


JOSEPH, CARLE

122

de dessin, de croquis qui puisse donner une idée de ginalité

de

la

scène. Ça ne ressemblera à rien de ce qui a

été peint, et ce ne sera

que

vrai.

d'Afrique: ce n'est plus ni

la

faut avoir

Il

République,

ni

c'est l'armée d'Afrique, c'est-à-dire la réunion,

bataille, de toutes les vertus militaires, et

sauf quelques

veux pas écrire tout ce que «

((

le

la

vu l'armée l'Empire;

un jour de

lendemain...

hommes

exceptions chez de certains

bien trempés pour ne pas résister à je ne

l'ori-

trop

contagion!... Tiens,

je pense. »

Lazaret de Toulon, le 4 décembre 1837.

nous voici en France, chère amie, après cinq

Enfin,

me voilà pris jusqu'à dimanche! Je me comme un charme, encore mieux aujourd'hui, puisque

jours de mer, et porte

je sais au juste le

moment où

attendant, c'est sur

je

vous embrasserai tous. En

Rabadabla que

je

concentre tous mes

baisers, puisque c'est lui qui réunit toutes nos affections.

Ma première

lettre sera

pour

lui.

Dis à Delaroche que je n'ai rien pu trouver à

«

rap-

lui

porter, les voleurs ayant passé partout. «

Lorsque cette

déjà annoncé

lettre te

mon débarquement.

perdre une minute pour

pour

vite «

la

parviendra,

télégraphe t'aura

Pourtant je ne veux pas

la faire partir,

bien

et je te quitte

fermer.

Tout à vous tous, «

A

le

Horace Vernet.

peine de retour, Horace Vernet était chargé par

de peindre pour sodes de Berlin, au

la prise

le

Musée de

Il

arriva chez lui

leux qui lui confirmait

la

le roi

Versailles les différents épi-

de Constantine.

moment où

»

venait de partir pour la lettre

commande de

de M. de Cail-

ces importants


ET HORACE VERNET. travaux. et

Il

se hâta de revenir, se mit aussitôt à l'ouvrage,

en moins d'un an

lesquelles

123

il

il

couvrit les trois grandes toiles sur

a retracé les exploits

de nos soldats durant

J

ce

siège

mémorable. L Assaut est peut-être son chef-

d'œuvre. Dans aucune de ses compositions

il

d'entrain, plus de verve, plus de crânerie.

Ce tableau

le

digne pendant de l'action qu : il représente

comme

avec une furie toute française, par

la

colonne d'attaque sous

les

:

n'a

il

mis plus est

est enlevé

la ville l'avait été

ordres du colonel de La-

moricière. Il

envoya ses

1839,

On

aurait

trois tableaux

pu croire

de Gonstantine au Salon de

qu'il

allait

prendre un peu de

suite de ce prodigieux effort;

repos à

la

homme

à sentir la fatigue, et

il

repartit

de se préparer une moisson nouvelle.

mais

il

n'était pas

pour l'Orient

afin


JOSEPH, CARLE

124

IX

l'Orient. — Malte. — Une singulière friture. — Alexan— Méhémet-Ali. — Le Caire. — Marché aux esclaves. — La mosquée des fous. — Les Pyramides. — Le désert d'El-Arisch. — Palmiers-plumeaux. — Portraits et caricatures. — Gaza. — Bethléem. — Jérusalem. — Saint-Jean-d'Acre. — Sidon. — Damas. — chandelles. Beyrouth. — Smyrne. — Constantinople. — Tourtes — France! — Le Musée de Versailles. — Difficultés avec la civile. — Horace Vernet publiciste. — Le droit de gravure.

Départ pour drie.

et

liste

Horace Yernet s'embarqua à Marseille,

deux compagnons de route

avait

Il

Burton,

et

:

nom du

tel est le

1

839.

son neveu, M. Charles

un peintre, M. Goupil-Fesquet

Le Scamandre,

octobre

le 21

1 .

bâtiment sur lequel

ils

avaient pris passage, les conduisit par Livourne, Givita-

Vecchia, Malte

De

et Jes rives

que des notes

2

cœur un peu

,

t.

Voyez

XII

le

Empruntons

quelques-uns de ces fragments, dont les

yeux. Ces

montrer que notre voyageur partait

gros, mais

le

l'esprit content.

M. Goupil-Fesquet a publié

littéraire 2.

Grèce jusqu'en Egypte.

originaux ne nous ont point passé sous

citations serviront à

1.

la

Horace n'envoyait à sa famille

jetées au .hasard sur le papier.

à M. Sainte-Beuve les

de

ces différentes étapes,

la relation

de son voyage dans la Fronce

et XIII.

Constitutionnel du lundi

1 er

juin 1864.


ET HORACE VERNET.

«

Voilà

«

en route,

grand

le

le soleil

ma bonne

avec

moment

Marseille

arrivé.

,

21 octobre 1839.

Dans quelques minutes

en avant! bras dessus, bras dessous,

étoile!

Un beau jour

sera aussi celui

cette dernière quittera son camarade pour

de vous. Alors

du

naît la route

des

elle

125

me ramener

près

sera plus brillante que jamais. .Elle con-

n° 58

*,

comme

où nous nous embrasserons

pauvres... »

«

...Allons, chère amie,

il

faut finir;

mais ce ne sera

pas sans vous embrasser tous et sans faire des amitiés à tous nos vieux et bons amis, blancs,

vieux et jeunes mariés, çons, etc.

gris,

blonds,

noirs,

débarrassés, embarrassés,

gar-

»

La vue de Malte produit sur son cœur patriotique une fâcheuse impression

Les Anglais,

«

:

dit-il,

y font

la

pluie et le beau temps, et

exercent de ce point une influence effroyable. tout gros d'avoir vu leurs soldats! Rien n'est et

est impossible

il

J'ai le

cœur

mieux tenu,

de voir de plus beaux hommes. Mais bri-

sons là-dessus. Si notre armée, par comparaison, a

l'air

d'une

bande de galériens, sous nos simples habits bat une fameuse âme. Vive

Pour

la

France!

se venger,

il

»

compare Malte

à «

une

belle

maison

encombrée de meubles dans laquelle on ne peut pas entrer, » et

il

ajoute que c'est « un rocher imprenable, gâté

par des fortifications qui demandent quarante mille

pour

A 1.

les

défendre.

partir

»

du moment où

Rue Saint-Lazare.

hommes

il

a mis

le

pied sur

la

terre


JOSEPH, CARLE

126

d'Égypte, sa correspondance devient régulière, suivre pour ainsi dire pas à pas.

le

«

Nous sommes depuis

«

de notre joie

,

et

»

Alexandrie, 6 novembre 1839 K

en Égypte. Tu juges

trois jours

surtout d'y être arrivés

comme

par enchan-

tement. Jamais traversée n'a été plus heureuse

comme une nous

a

:

mer

la

glace; abord, une société fort aimable; rien ne

manqué.

En

«

on peut

nous avons cheminé vers Syra,

quittant Malte,

du

toutes les îles de l'Archipel, depuis la pointe

travers

Péloponèse,

le

à

cap Matapan, jusqu'à Candie. Quelle aridité!

Mais quels beaux noms jours et une nuit. Pour

Nous sommes

!

première

la

restés à Syra

fois, je

me

deux

trouvais au

milieu des Grecs, de leurs femmes, de leurs enfants. Enfin, tout était nouveau et été d'autant plus à

du plus

même

irrand intérêt

de bien

voir,

pour moi.

que

J'ai

j'avais fait la

conquête d'une charmante Grecque qui a bien voulu nous conduire partout. Nos deux jours se sont donc passés rapidement. Nous nous sommes rembarqués, e{

le 4,

au petit

jour, nous nous sommes trouvés devant Alexandrie, au

milieu de cette flotte qui ravit

les

curieux

comme

fait

trembler

nous.

En

les

diplomatie et qui

effet,

imposant que ces gros monstres marins

que

la

rien n'est plus

à écailles

Anglais voudraient bien mettre dans

de canons

la friture.

A

huit heures du matin, notre bâtiment a mouillé au milieu d'eux. Le

commandant m'a conduit

de Wurtemberg, que

le

à terre avec le prince

comte de Modène

est

venu pren-

dre dans sa voiture. J'étais tout vexé de ne pouvoir pas

1.

D'importants fragments de ces lettres ont été publiés dans

tration, n os des 5 et 12 avril 1856.

l'Illus-


ET HORACE VERNET. dévorer à

mon

aise le spectacle qui

127

se déroulait devant

moi.

Notre première journée a été employée à courir

«

environs, à voir

colonne de Pompée,

la

à faire des visites,

etc.

à porter nosJettres, etc.; et, ce matin,

grande présentation au pacha, de chez lequel

comme

prends

je

,

A

aller

demandé

car j'avais

à

en

arabes

:

chez

être

montés

uniforme,

les le

tambour

la

Nous étions huit,

sur de

battait

jeunes

très- beaux chevaux

ouvraient

marche: puis,

la

aux champs. Arrivés au

la ville,

garde nous a rendu

la

sommes

Méhémet, qui nous a

fait

café, et s'est mis*à fini

Nézib

4 ,

et,

le

un

fameux

asseoir à ses côtés, nous a offert

tableau de il

la

bataille

me donnera

seulement des firmans, mais en outre une les

qui est

mômes hon-

sur ses talons

pour assurer notre route,

pour que

le

bavarder pendant plus d'une heure.

me demander un

par

palais, les

entrés au divan, où, dans

coin, nous avons trouvé assis

lière

trois

route, les postes prenaient les armes, et

neurs. Bref, nous

a

les

janissaires sort venus

consul.

accompagné par

les janissaires et saïs

au bout de

11

donner

excellence à droite du consul; derrière, venait l'état-

major. Sur

du

je sors. Vite, te

qui vont en Abyssinie. Nous étions

officiers d'état-major

mon

plume pour

neuf heures du matin,

nous chercher pour

tous

la

de notre entrevue.

détails «

vois

tu

seconde,

la

;

les

non-

lettre particu-

pachas mettent des troupes. à

position, afin que je puisse parcourir avec

de

la

ma

dis-

plus grande

sécurité tous les pays que je voudrai visiter. «

1.

Nous quittons Alexandrie après-demain. Au Caire,

Victoire remportée le 24 juin 1839 sur l'armée turque,

par Hafiz-Pacha.

commandée


JOSEPH, CARIE

128

nous retrouverons

supérieur du Saint-Sépulcre

le

avec

,

lequel nous ferons route jusqu'à Jérusalem.

Nous daguerréotypifions comme des

«

a que

lions. Ici,

il

n'y

peu de choses. Cependant, demain matin, nous

allons expérimenter devant le pacha qui désire connaître les résultats

d'une découverte dont

avait déjà entendu

il

parler.

Notre visite de ce matin

«

Le pacha

est petit,

peau tannée,

chement

la

visage brun,

le

mouvements prompts,

la

l'air spi-

parole brève, et riant très-fran-

les

que

fois

la

conversation tournait à

politique, et surtout lorsque le consul insistait pour le

départ de

la

«

qui savent

«

que de

« j'ai «

la

intérêt.

lâché un petit sarcasme, plaisir qu'il

lorsqu'il a

donné toutes

s'est

d'un grand

barbe blanche,

la

l'œil vif, les

rituel et très- malin,

était

la

flotte

:

ne reconnais plus

« Je

bien faire

si

la

guerre et qui ne parlent plus

paix; je ne parle pas de

la

France; car

entendu ses applaudissements, quand

mes succès de Nézib.

lui, je

»

Demain,

compte bien remettre

reste tout

semble arrangé,

la

et

Français,

les

comme

a

elle

d'ici

connu

je serai seul avec

conversation sur ce sujet. il

est positif

que

la

Du

France

veut soutenir l'indépendance de TÉgypte. «

Trois mois sans vous voir!

c'est

long.

Mais aussi,

quel plaisir de se revoir, de retrouver notre Rabadabla!

Baise-le

beaucoup pour grand'père, qui a manqué

acheter un petit

nègre de 75 francs;

mais

j'ai

lui

eu peur

d'être grondé. «

Je

ne vois rien qui

Delaroche. «

Que

me semble beau

sans penser à

je voudrais qu'il fût là!

Adieu, je vous embrasse de tout

mon cœur.

»


ET HORACE VERNET.

Le Caire, 16 novembre

«

Nous avons encore

«

129

1839.

bonne route, chère amie

fait

lement, nous avons mis plus de temps que nous ne sions, par

la

que

raison

Depuis

seu-

pen-

manqué pour

vent nous a

le

;

le

re-

cependant, nous courons

monter

le Nil.

comme

des dératés, et nous avons vu bien des choses. Je

que

n'ai

sommes devant voilà

faire

de

trois jours,

te

tu sais trop

;

les

yeux

dans quel

dire

que pour mon compte ce que

était le

au delà de toute expression.

Rien ne pourrait exprimer ce que de dix lieues

Pyramides

les

je suis invulnérable «

j'ai

but de mes plus vifs désirs. Les

et j'en jouis

satisfaits,

enthousiasme nous

;

j'ai

j'ai

éprouvé, en voyant

pu supporter cette émotion

;

!...

Je ne te ferai pas une description de la ville, ce serait

me

bien inutile; je

Hier, à

frappé.

visité les

la

bornerai

à te dire ce qui

m'a

le

faveur de nos habits turcs, nous avons

mosquées,

les palais

du pacha,

etc. C'est,

en plus

grand, Alger, seulement encore plus misérable. Par tervention des janissaires que sition

pendant

chose du sortions

le

monde

plus

temps que

qui m'a

le

le

consul a mis à

je resterai ici

,

plus frappé dans

du marché aux esclaves, où de

j'ai

ma

ma

l'in-

dispo-

pu voir vie.

la

Nous

petits négrillons

mâles et femelles sont assemblés par paquets sur un mau-

comme des pommes à compter les hommes et les femmes

vais carré de toile, sou, sans

leur qu'on tient dans des lieu, où,

comme

des

rois,

d'infâmes voleurs trafiquent delà

cheuses réflexions, lorsque

dans

la

mosquée des

de toute cou-

trous tout autour de cet infâme

chair humaine. Je sortais donc

trer

cinq pour un

le

fous.

le

cœur

janissaire C'est là

tacle horrible m'attendait. Figure- toi

tout gros de fâ-

me

proposa. d'en-

qu'un autre spec-

une cour de quarante


JOSEPH, CARLE

130

pieds carrés, environnée de murailles d'une hauteur pro-

digieuse qui

une

petite

laissent, à

peine entrer

porte de trois pieds de

le

jour; dans l'angle,

haut,

barricadée de

chaînes à travers lesquelles on passe avec peine. côté, les

normes sur

murs sont percés de

grilles

de

petites niches garnies d'é-

dedans, sans vêtements, assis

fer; et là

que leurs ordures

pierre, sans autre paillasse

la

De chaque

et

une

épaisse couche de poussière, sont les malheureux privés de leur raison,

une double

et

lourde chaîne au cou, dont

les

extrémités viennent s'attacher à de gros anneaux extérieurs, et

dont

le

frottement perpétuel sur

de deux pieds. Joins au tableau

les

la

pierre Fa creusée à plus

rugissements des furieux,

les accents pitoyables d'un amoureux, et les deux yeux fixes

d'un nègre silencieux qui vous regarde

de nuit, et tu ne

qu'une

te feras

avons vu. De toute

la

comme un

faible idée

oiseau

de ce que nous

journée, nous n'avons pas pu avoir

d'autre sujet de conversation. «

Depuis douze jours que je suis dans ce pays,

avoir d'idées sur lui; mais,

impressions, je pense que

comme

grès

civilisation se

s'organise n'est tisme, pour

les

le

si

j'en crois

je

ne puis

mes premières

gens qui y attendent des pro-

trompent lourdement. Ce qui

autre chose que

l'ordre

dans

le

despo-

rendre plus également pesant et de manière

que rien ne puisse

s'en affranchir;

les

lumières, que

le

pacha va soi-disant chercher au milieu de nos institutions philanthropiques ne sont que des armes qu'il aiguise, et

pour ainsi dire qu'un rasoir

qu'il fait repasser

pour tondre

de plus près. «

A

nous

propos de tondu, nous n'avons plus un cheveu. Ça

fait

les

plus drôles de boules qu'on puisse imaginer.

Nous avons besoin de nous regarder pour faire oublier notre triste

scène d'hier.

rire et

pour nous


131

«Dans quelques révérend issi me

instants, nous allons en visite chez

supérieur de Jérusalem,

sans doute précédés de janissaires

et

,

le

le

consul en tête,

qui feront une large

distribution de coups de bâton sur les braves gens qui au-

ront

la

que

curiosité de nous regarder. Voilà les tristes honneurs

l'on

rend aux membres de

promener comme

le

bœuf

gras.

l'Institut,

qu'on se plaît à

Dans quelques jours nous

serons quittes de toutes ces fastidieuses politesses, dont on accable les pauvres diables, non pour leur faire plaisir, mais

pour

faire dire

reste,

de soi qu'on sait apprécier les hommes.

nous ne trouvons que cordialité partout de

des inconnus, et amitié du côté des connaissances. «

((

trois jours.

Jamais

a derrière

ces

temps n'a passé

le

si

monuments ne m'aient

vite

,

Du part

»

Ce 21.

Nous arrivons des Pyramides!... Nous y sommes

commencement y

la

restés

quoiqu'au

point étonné.

eux ce grand coquin de désert qui

11

est autre-

ment imposant que ces masses de pierres qui ne frappent véritablement que par l'idée des difficultés qu'il y a eu à vaincre et les quarante siècles dont Bonaparte a

si

ingé-

nieusement parlé. «

Nous nous mettons en route demain pour Jérusalem

avec nos

lettres

du pacha,

jusqu'à une journée du

et

,

un cheikh qui nous conduit

saint lieu. »

A

M.

M ONT FOR T. «

« Il

y a vingt-cinq ans,

mon

Du

désert d'El-Arisch.

cher ami, que vous étiez

mon élève pardonnez-moi de continuer à vous parler comme si vous l'étiez encore. Tout ce que je vous dis, vous ;


JOSEPH, CARLË

132

le

Regardez ce que je vous écris

savez déjà.

conversation

où seulement notre langue

,

d'une plume. Ah! détails qui

comme une bout

au

est

nous étions ensemble, de combien de

si

m'échappent ne causerions-nous pas

!

Hier en-

core, en arrivant à Katych, j'aurais voulu vous tenir

de ce puits, où toutes ces

filles

cher de l'eau. C'étaient les

arabes viennent

compagnes; que sais-je? Je

n'étais plus

cher-

le soir

de Jethro, Rebecca

filles

près

là,

et ses

l'homme de

rue

la

Saint-Lazare, en les voyant remplir leurs cruches et ensuite les

auges, pour que

rafraîchir,

le

voyageur

n'a pas de corde

s'il

et sa

monture puissent

se

pour descendre son outre.

Là, plus que dans d'autres circonstances, nous avons pu

Pour

observer.

première

la

depuis notre départ du

fois,

Caire, nous pouvions faire notre toilette sans économie de liquide; père.

Force

petit

mur qui

le soleil et

ne

laissait

apercevoir que nos têtes brûlées par

nos crânes rasés. L'humilité de notre position ne

aucune inquiétude, ces

bien découplées,

animée, pour que

commérages de pas moins

notre premier

de cacher nos corps blancs derrière un

était

leur donnant si

comme

nous étions presque vêtus

le

se livraient à

je puisse

belles

filles, si

grandes,

une conversation assez

supposer qu'elles parlaient des

leur tribu. N'importe; elles n'en formaient

tableau

le

décrites dans l'Écriture.

sans goût d'école; circulait sous la

plus admirable des

mœurs

était vrai, celui-là,

Il

le ciel était

bien

si

sans système,

bleu, le sable jaune, le

sang

peau bronzée de ces bras qui soulevaient

ces lourdes cruches pour les placer sur l'épaule. Combien, ce spectacle réfléchir!

si

frappant et

Rentré sous

tant j'étais préoccupé.

la

si

nouveau ne m'a-t-il pas

tente,

L'Italie,

je

ne

pouvais

l'Allemagne,

la

fait

dormir, Russie,

jusqu'à l'Angleterre, Réapparaissaient avec toutes les peintures qu'elles possèdent.

Mon

imagination réunissait tous


ET HORACE VERNE T. les

chefs-d'œuvre dont

a conservé

elle

133

mémoire;

la

j'ad-

mirais avec quel art nos grands maîtres sont arrivés, chacun

dans sa spécialité,

si

me demandais

près du sublime, et je

:

«

Mais pourquoi donc ne cesse-t-on de nous dire, quand

«

nous sommes élèves, que

« tible

avec

« tériels? »

la

grandeur du

incompa-

style est

ma-

représentation scrupuleuse des objets

la

Rien

n'était

cependant plus noble que

la

scène

qui venait de se dérouler devant nos yeux; l'action que je lui prêtais,

en

me

changeait rien à

la

reportant à deux mille ans en arrière, ne

forme. Je suis loin de dire qu'il ne

faille

pas faire un choix dans la nature; mais c'est cela seul que

nous devons chercher chez nos devanciers pour abréger route,

sans imiter ce qui constitue

talent.

Chaque peintre perçoit

ticulier,

de ses

Tous

en raison de

la

caractère de

le

tendance de son

esprit,

ne se plaisent pas dans

fréquentent pas les

mêmes

leur

nature sous un aspect par-

la

mœurs ou du dévergondage de

les artistes

la

lieux.

de l'austérité

son imagination.

la

môme

Chacun

a

voie et ne

donc une di-

homme qui vient pour cultiver dire comme la voix d'un chanteur

rection. L'esprit d'un jeune les arts est

que

le

dique,

grand

pour ainsi

maître développe dans s'il

le

sens que

la

nature

lui

in-

est ténor ou basse-taille. David, qui, avec un

talent,

a rempli

la

condition

la

plus élevée de

la

peinture héroïque, s'est montré dans son école supérieur à tant de maîtres qui n'ont fait

propres facultés.

que des imitateurs de leurs

David, qui, malgré ses

efforts, n'a

pu exé-

cuter qu'une partie de ce que son œil percevait devant

la

nature, a été plus grand maître que grand peintre. Girodet,

Gérard, Gros, Isabey, Granet, Ingres, etc., sont

sortis

de

son atelier, entiers de leurs facultés naturelles et éclairés sur seul

le

bon emploi qu'ils devaient en

faire.

Aussi est-ce

le

exemple de l'existence d'une école sous l'influence d'un 8


JOSEPH,

134

grand maître, qui «

mon

Pardon,

pas été suivie d'une décadence.

n'ait

cher ami

une digression qui

Vous

ici.

quand vous connaîtrez

traîné

;

de

mon

Ah! nous sommes

suis laissé entraîner à

le

les

trouverez toute natu-

la

sentiment qui m'y a en-

infériorité. »

Jérusalem

«

«

me

p?u en rapport avec toutes

relle,

c'est celui

je

si

,

est bien

émotions que j'éprouve

C ATI LE

,

décembre

11

1839.

à Jérusalem! oui, chère Louise, nous

y sommes, et déjà j'ai entre les mains des souvenirs pour vous, car nous sommes allés à Bethléem j'ai dans ma po:

che des pierres du rocher sur lequel et

de celui sur lequel

la

Vierge

ges sont venus pour adorer pas des chapelets, etc.,

le

le

le

berceau, était placé,

était assise

lorsque les Ma-

divin Enfant. Je ne te parle

tout bénit devant moi sur les

places consacrées.

raconter notre voyage, qui a

« J'ai à te

heureux

dinaire, des plus

été,

et fort pittoresque.

comme à l'orVu la guerre,

nous n'avons pu trouver, pour nous mener à un certain lage qui est situé à

vil-

deux jours de marche au delà de Gaza,

qu'un vieux cheikh du mont Sinaï.

Il

ne voulait pas

aller

nomme Dâri, dans la crainte ennemie. On nous assurait que

plus loin que ce bourg qui se

de rencpntrer une tribu c'était le

trouver

chemin

le

plus court, et qu'il nous serait facile de

des moyens de transport pour Jérusalem, qui

demi, de marche. Nous voilà donc en

n'est qu'à

un jour

route par

le

faisant

conduite jusqu'à deux lieues.

la

et

désert, le consul

et

plusieurs Français nous

Le moment des

adieux avait quelque chose de grave, au milieu des tom-

beaux des

kalifes,

et n'ayant,

ne voyant plus devant nous que du sable

dans cette mer de sable, d'autre boussole que

l'intelligence

de notre vieux cheikh, qui, depuis l'expédi-


ET HORACE VERNE T. tion des Français à

Saint-Jean d'Acre, n'avait pas revu

caravane se

pays. Notre

composait:

drogman n'ayant qu'une

2° d'un

135

le

d'un cuisinier; de Figaro

oreille, espèce

faisant de la chirurgie, parlant toutes les langues, certaine-

ment

renégat,

comme

et,

ces gens-là, ami de tout

le

monde,

vidant tous les restes de bouteilles, brisant par hasard celles qu'il a

bues, mais du reste intrépide, bon garçon et

Au

sant bien son métier de conducteur.

lieu d'aller par

Suez, nous avons pris par Salhich, afin de suivre l'armée française. térêt

à

longer

Il

la

route de

pour trouver de

faut des souvenirs

fai-

l'in-

Delta, qui n'offre pour toute ressource

le

que de temps en temps quelques bouquets de palmiers, sous lesquels habitent de misérables

de

terre, où,

fellahs,

dans des huttes

par philanthropie, nous ne mettrions pas nos co-

chons. Ces misérables n'ont qu'une qualité, celle de voler fort

adroitement

nions-nous de

les

voyageurs. Aussi chaque soir pre-

savantes dispositions, et arrangions-nous

nos armes, de manière à nous en servir promptement. «

Pour arriver

à El-Arisch,

nous n'avons pendant douze

jours rencontré qu'un seul groupe d'Arabes à cheval, qui

sans doute nous ont trouvés trop imposants et qui se sont contentés de nous suivre pendant deux lieues à peu près. «

En

arrivant à El-Arisch,

caractérisé.

Ce

n'est plus

le

pays prend un aspect bien

que du sable amoncelé par buttes,

sur l'une desquelles se trouve une oetite forteresse envi-

ronnée de quelques mauvaises maisons.

Au

une centaine de palmiers, semblables

des plumeaux, qui

ont

l'air

de dire

:

«

à

Venez vous épousseter

milieu s'élèvent

ici.

on en a grand besoin; mais je t'avouerai que nière chose à laquelle on pense.

De

fraîche! Voilà ce qu'on cherche.

On en

c'est-à-dire

l'eau!

»

En

c'est la

effet,

der-

de l'eau! de l'eau

trouve d'assez bonne,

on en trouve qui n'a pas

été battue

dans des


JOSEPH,

J36

En voyageurs

outres.

C A RLE

intelligents,

(pour nous rendre compte de

chez

le

la

notre première visite

position militaire) a été

gouverneur, gros Turc louche, assis dans une es-

pèce de lieu où

les

paysans en France font

Au-

la lessive.

près de lui, se trouvait un soi-disant secrétaire en cire jaune, louche aussi, mais tous deux très-aimables et trou-

qu'un mouton énorme que nous venions d'acheter

vant 4

5 francs n'était pas trop payé. Quant a moi, malgré

plaisir

d'avoir vu égorger l'animal à nos pieds,

comme

l'aurait fait le

j'ai

déjoui

fameux d'Aigrofeuilleen mangeant une

tranche de gigot, car je commençais à renâcler sur «

le

D'El-Arisch à Gaza,

le

la

poule.

pays change de figure. Le sable

commence

se couvre de petits buissons; puis on

à rencon-

puis des troupeaux; enfin, on entend un

trer des pierres,

peu de bruit. Le silence

encore une chose qui

est

fait

une

véritable impression; on cherche pendant longtemps ce qui

manque

à

vie, et tout à coup

la

le

moindre

deur de l'abîme! C'est donc pour cela que pied

le

comme

l'éponge,

qui n'a pas

«

Jamais l'orage ne troublera

«

pide? «

»

[Château pas tout

Ne va pas

Charles

avait trouvé lours,

,

vêtu à

la

si

turque

et

que

la

gravité des pensées

grandes circonstances a

le

le

plus purement possible,

un bonnet de coton;

pour ne point effrayer

les gazelles,

sale, afin d'être

seul

et,

il

brochant sur

passait de

temps

aperçu de moins

Nous nous en sommes donné de rirejusqu le

source lim-

bon de joindre à son costume une veste de ve-

en temps une chemise

avoir lieu

la

:

altéré notre gaieté.

une cravate

le tout,

profon-

dromadaire a

a fait brillant.)

inspirées à nos esprits par de

«

!

droit de dire

le

pureté de

la

croire cependant

moins du monde

le

vent

petit

Oh

vous révèle le grand mystère de l'isolement.

a Gaza,

loin.

où devait

événement fâcheux de notre voyage.


ET HORACE VERNET. «

Avant de

te

dire de quoi

il

retourne, je veux te donner

une description de cette fameuse les portes.

tu as

Si

de

la

m'as connu, sans barbe

ville

mémoire,

dont Sàmson a enlevé

que

tu te rappelles

grise. J'en ai

nant; je suis donc changé.

137

Gaza a

tu

une superbe maintefait

de môme. Pour

éviter le renouvellement de fâcheux souvenirs, les maisons

ne sont pas fermées,

par mesure de santé, nous avons

et,

cru devoir planter nos tentes dans

milieu de

le

grande

la

malgré de gros nuages suspendus sur nos

place,

Après avoir

fait

un bon souper du

reste de notre

têtes.

mouton

d'El-Arisch, après nous être bien couchés sur nos tartelettes

de

lits,

après nous être laissés aller au plus délicieux som-

meil, tout à

Un

par l'eau.

minutes

coup nous nous réveillons

flottant et soulevés

orage affreux venait d'éclater

,

charmant que nous avions

le lieu

et

en quelques

malgré

choisi,

quelques charognes qui en faisaient l'ornement, se trans-

forma en une espèce

sommes

sortis

laissé tous

nos

de

naumachie,

quant à nos personnes, mais où nous avons effets,

qui ont pris une leçon de natation.

onze heures du soir à six heures du matin, dre.

la

peste qui a enlevé

«

a fallu atten-

y a trois mois les deux

il

des habitants, nous avons trouvé de

beaux, sur lesquels nous jour.

il

De

Heureusement, nous étions à côté du cimetière, où,

grâce à tiers

nous

de laquelle

«

temps.

sommes

très-jolis

restés perchés jusqu'au

Mais enfin , après V orage, On voit venir ))

[Tableau parlant.) En

même moment un

tom-

effet, le soleil

le

beau

parut, et au

long nez, au bout duquel se trouvait un

visage; ce visage étaii jsous un parapluie jaune et noir, et

surmontait un grand corps pris dans une petite redingote.

L'ange Gabriel ne nous eût pas

fait

plus de plaisir avec ses

formes divines, que cette espèce de Sangrado, quand apparut.

Nous courûmes

à lui. C'était

il

nous

un Napolitain, agent 8.


JOSEPH, CARLE

138

sanitaire, remplissant

fonctions de médecin et venant

les

nous demander de guérir son enfant, qui avait mal aux yeux. Vite, je cie.

son.

lui offre

mes

services; je porte

En une minute, nos bagages encombrent Nos chameliers s'emparent de tous

voilà maîtres

du

logis.

pour des prunes. H

ma pharma-

toute sa mai-

les

coins.

Nous

Notre Pulcinella n'avait pas un nez

sentit tout

de suite qu'il y avait de

l'ar-

gent à gagner et du macaroni à avaler. Aussi nous donna-t-il l'hospitalité,

au bout de quelques heures, nous étions

et,

séchés, réchauffés et prêts à repartir. Cependant, nous avons

trouvé plus sage de faire une bonne nuit à couvert

nous sommes mis en route que «

De Gaza

léndemain matin.

de remarquable qu'une nouvelle

à Dâri, rien

nature; car, du

le

ne

et

moment où on

entre en Syrie, c'est un tout

autre aspect. Le pays devient montagneux, sans cependant être plus fertile.

Dâri

est

un

village arabe par lequel ne

passent que certaines caravanes, mais jamais de voyageurs.

Rien n'est comparable à ce repaire de brigands. trop à dire sur ce sujet, tu sauras seulement

Il

y aurait

que nous avons

retenus un jour et demi parmi les gens les plus pitto-

été

resques du monde. Tandis que ceux d'entre nous qui dor-

maient étaient en sécurité, pistolet «

au poing ou

le

les

sabre à

autres faisaient la

Après avoir payé d'avance

garde,

la

le

main. le

prix de six

chameaux

que nous avions pu obtenir avec peine pour nous conduire ici,

à

trois

heures du matin nous nous

sommes mis en

route par des montagnes pierreuses, descendant perpendi-

culairement ou montant

comme

des 'échelles. L'inquiétude

de nos conducteurs nous paraissait singulière. quinze heures de marche,

tout

une

prairie,

bout de

nous a été expliqué.

tournant d'un petit chemin nous nous à coup dans

Au

sommes

Au

trouvés tout

au bout de laquelle sont ce qu'on


ET HORACE VERNE T. appelle les vasques de

chose que

trois

Salomon. Ces vasques ne sont autre

immenses bassins

taillés

fournissent de l'eau, à neuf lieues de

Une

taines de Jérusalem.

139

dans ,

jolie forteresse

le roc, et

qui

à toutes les fon-

arabe d'un style

original s'élève au pied de la montagne. Rien n'est plus

inattendu

que

complétait

le

camp de

commandé

lem, et disposé à marcher

qu'on

bœufs

le

par

le

gouverneur de Jérusa-

lendemain contre Dâri

et ses

châtier pour quelques peccadilles,

allait

comme, par exemple, volé 80

mais ce qui

;

tableau d'une manière mirobolante, c'était un

cavalerie

habitants,

décoration

délicieuse

cette

d'avoir assassiné plusieurs officiers,

40 chameaux, etc.. Nos conducteurs vou-

et

lurent passer bien vite, mais le gouverneur nous

fît

inviter

très-poliment à ne pas aller plus loin et nous pria de vounuit auprès de lui. Juge de

loir

bien rester

me

trouver au milieu d'un bivouac semblable

la

:

ma

joie

de

des lances

emplumées, plantées au milieu des chevaux, des Arabes, des Turcs couchés à droite et à gauche, faisceaux devant fin tout

Quoique

les

drapeaux en

grande tente noire du commandant, en-

la

ce qui pouvait compléter une scène de mélodrame. fort

poliment arrêtés, nous ne savions pas trop

à quelle sauce

manger

le

marché franchement vers cier de l'invitation qu'on

poisson. Cependant nous avons le

quartier général, pour remer-

nous avait

si

gracieusement en-

voyée. Le gouverneur nous accueillit à merveille, nous dit

que n'étant pas voulait

à

Jérusalem

manquer

pas

pour nous

l'occasion

recevoir

il

ne

de faire notre connais-

sance, êtc... Par ses ordres, on apporta un mouton pour

nos gens, et lui.

il

exigea que nous restassions à souper avec

Ce souper est

n'est point

la

chose

la

plus bizarre

du monde; ce

un repas, mais une vraie curée. Après

et le café, et

encore

le

café et la pipe,

chacun

la

pipe

est allé

dor-


JOSEPH, CARLE

140

mir.

Au

un grand coquin d'Albanais nous

petit jour,

a ap-

porté des tartelettes au beurre, qu'on appelle foutir. fallu

recommencer

café et

le

spection de nos armes: nos tout a été regardé, admiré.

bonnes, et

j'ai

eu

la gloire

la

a

pipe; puis est venue l'in-

fusils, Il

Il

nos pistolets, nos sabres,

a fallu

prouver qu'elles étaient

de briser une pierre d'une balle

à cinquante pas. Cette petite circonstance n'a pas nui à

la

considération que notre tenue guerrière avait déjà inspirée,

pour terminer

et,

gracieusement

choses d'une façon convenable,

les

j'ai

au gouverneur une petite longue-vue,

offert

qui a été acceptée avec reconnaissance. «

Nous avons

repris rîos montures, et

deux heures après

nous étions dans Bethléem! Voilà, chère amie, de ces évé-

nements qui donnent aux voyages

tant de charmes: à peine

une émotion passée, une autre toute différente commence.

En

arrivant sur

le

haut d'une montagne, on voit tout à coup

Bethléem, de l'autre côté d'un ravin profond. Le cours de

mes

idées a changé avec autant de rapidité que

fermé un volume pour en ouvrir un autre. Je

que des bergers, des mages, de pauvres égorgés

et

un berceau, duquel

devait changer

du monde. Ce

la face

qu'on se trouve sur

est sorti

théâtre de

le

une

si

j'avais

n'ai plus

petits

vu

enfants

législation qui

n'est pas

impunément

grands événements. Ce

si

qui doit élever l'âme ne perd pas à être vu de près, et ce petit village

en ruine parle bien plus au cœur que ces

grandes pyramides qui n'étonnent que avoir tout visité dans

le

couvent,

les

yeux. Après

nous sommes repartis

pour Jérusalem, où nous sommes arrivés au chant, malheureusement du côté par lequel sente de

la

manière

la

moins avantageuse.

nous nous sommes enfournés dans Arrivés au couvent,

le

la

A

soleil ville se

coupré-

peine entrés,

de vilaines petites rues.

supérieur, pour lequel j'avais une


ET HORACE VERNET. lettre

J41

de recommandation du révérendissime, nous a

donner

souper, et tout de suite nous nous

à

dans nos

lits, plaisir

sommes

fait

fourrés

que nous n'avions pas goûté depuis

dix-huit jours. a

Tu

crois

peut-être que je vais commencer

description; pas du tout,

la suite

demain, c'est-à-dire à

à

semaine prochaine, car demain nous partons pour

la

mer Morte, de retour, «

le

etc. Dans

Jourdain,

et j'ai besoin

trois jours

ma

de reprendre

respiration.

Adieu, chère amie. Voilà bien du papier barbouillé,

sant qui que ce soit lire ce bavardage

thographe de cuisinière

combien

Au

!

style et

pourvu que

reste,

que Delaroche

je t'aime,

un

:

et sa

femme

«

Tu

vois par

le lieu

que nous avons quitté côté de la mer.

Pacha est

Sidon.

à

Le détour

En

est

Il

Acre

route de

m'importait de

peu de chose. Dans

lettre,

Damas pour

voici la raison

lais-

une or-

tu saches

le

reste?

»

26 décembre 1839.

,

d'où je date cette la

et

soient per-

suadés qu'ils sont tout pour moi, que m'importe

«

la

nous serons

comment?... J'en suis honteux; ne m'humilie pas en

à

une

ici

:

le

chère amie, revenir du

fameux Soliman-

voir avant Ibrahim.

le

trois jours

nous serons

Beyrouth. «

Je

jours.

t'ai

quittée à Jérusalem.

J'avoue que je ne

me

Nous y sommes

restés neuf

croyais pas susceptible de

prendre tant d'intérêt à des lieux dont on a

lait

tant de

descriptions. C'est bien pour la partie matérielle; mais

y a

une impression individuelle qui vient toujours

proviste vous surprendre au

tendez «

le

à

moment où vous vous

l'

il

im-

y at-

moins...

Nos muletiers viennent de me déranger, pour me

qu'il fallait

nous mettre en

route...

Adieu.

»

dire


JOSEPH, CAR LE

142

«

Notre voyage se

«

fait

toujours

Cependant, de Saint-Jean-d' Acre tourné

le

dos

et le

,

Sidori, 5 janvier 1840.

comme ici

beau temps nous

le

,

sur des roulettes.

mauvais a bien repris

sa

a

revanche.

Malgré tout, nous n'en sommes pas moins bien portants,

comme

gais

comme

des pinsons, et mangeant

des loups

les

fameux dîners de Soliman-Pacha, chez lequel nous sommes retenus par

le

de passer. Le

débordement d'une

nous empêche

rivière qui

soleil est brillant ce

matin

;

demain sans

et

doute nous pourrons nous remettre en route pour Damas.

Le premier janvier, nous nous sommes embrassés, en

«

pensant chacun à ceux qu'il aime. Tandis que nous étions étendus parterre, mouillés jusqu'aux

os,

nos esprits étaient

au milieu de vous. Quant à vous, je vous voyais; nous nous baisions

comme

des pauvres, et Rabadabla, cher petit!...

deux mois, toutes ces

Allons, courage! dans

des

fictions seront

réalités. «

Adieu.

A

«

M.

MONTFORT. «

a J'ai

passé une bonne journée, car

choses et beaucoup de en se réunissant dans

but auquel je

de

la «

me

j'ai

vu beaucoup de

choses différentes, qui,

ma

tète,

Damas.

malgré

cela,

deviennent homogènes par

rattache sans cesse

le

celui de voir partout

:

peinture.

Ce pays -ci

n'a

pas d'époque.

Transportez -vous de

quelques milliers d'années en arrière, c'est toujours

la

même

Que

le

canon

physionomie que vous avez devant

les

yeux.

chasse devant lui des populations entières

,

qu'il les exter-


ET HORACE VERN E T. mine

ce n'est que

,

le

moyen

Pharaon poursuivant

chose.

chariot, soulevait la

même

qui a changé

Ce matin

d'artillerie

,

,

on nous a

poussière dans

l'une de

la

fait

pièces de la

de

la ligne,

avec des mulets

blanche, et

toile

ni

,

le

;

mieux

mômes.

les

du

En voyant il

me

de

la

que

c'est

,

et celles

,

sont

tarbouch rouge. Le matériel est à

et

elle

si lestes et

la

manœuvre

une intelligence

correction qu'on cherche dans

ces évolutions

les

L'uniforme est de

Gribeauval. Cette troupe est fort exercée;

lui tient lieu

La seule

hommes ne

reste, les

choisis.

batteries

la ligne.

deux corps

avec une promptitude extraordinaire qui

la

désert que

garde sont attelées avec des chevaux

plus instruits

ni

le

manœuvrer deux

garde, l'autre de

différence qui exisîe entre ces

mais non

,

Hébreux, monté sur son

les

Méhémet-Ali. Les Arabes sont toujours «

143

le

Nord.

ces gens raser la terre,

semblait lire Habacuc. Vous allez rire de voir Gri-

beauval

et

Habacuc contemporanisés par moi

;

riez tant qu'il

vous plaira; puis, songez qu'il y avait des curieux autour

de moi, des femmes, des enfants, regardant avec attention aussi,

mais ne voyant dans ce que nous admirions du méca-

nisme de ces machines de guerre qu'une nouvelle volonté de Dieu, qu'un fléau d'une autre forme envoyé par les

éprouver de nouveau. Que ce

ou

à

coups de canon que

le résultat est le

qu'il leur faut

même

les

soit a

lui

pour

coups de trompette

murs de Jéricho

soient tombés,

pour ces braves gens. Voilà tout ce

pour attendre avec patience un nouvel ordre

de choses. Cette confiance dans l'avenir donne aux Arabes

une expression calme, qui ne disparaît quelquefois que dans

la

discussion d'intérêts privés. Autrement,

ils

écoutent,

ne répondent qu'après avoir jugé, et regardent attentivement leur interlocuteur ou ce qui se passe sous leurs yeux. L'é-

tonnement ne paraît jamais sur leur visage, ce qui explique


JOSEPH, CARLE

144

ordres froidement cruels donnés par Moïse

les

ponctuellement, sans que qui

Après

manœuvre, nous sommes revenus dîner chez là, autre tableau de mœurs. Notre domestique

la

colonel;

fut

victimes se doutassent du sort

les

les attendait.

« le

et exécutés

,

convié au repas et placé a côté de moi. Tout

nous n'avons été servis que par rieurs)

temps,

le

(môme supé-

les officiers

du régiment. Le vin qui coulait à plein bord pour

nous autres mécréants circoncis;

ils

soi-disant goûté par nos hôtes

était

en ont goûté

à tel point, qu'ils ont oublié notre

cliiennerie chrétienne pour nous proposer de venir chez

eux voir, en cachette, des danseuses: chose

difficile et

dan-

gereuse dans ce pays où une indiscrétion entraîne des résultats terribles!

Bref, rendez-vous fut pris

pour

le

jour

môme.

Un

«

officier vint 1113

projetée.

Me

voici

chercher

le soir,

pour

faire la partie

donc en route avec mon conducteur,

ma

mon

interprète et quelques personnes de

était

venue. Nous parcourûmes bien des rues, revenant sou-

vent sur nos pas. Enfin, je fus tout étonné de à

caserne où nous étions

la

le

on me donna un cheval dont il

faisait

me

retrouver

matin. Là, on prit je n'ai pas

vu

La nuit

suite.

la

ma

mule,

couleur, tant

sombre. Nous fîmes une longue marche

le

long des

murs extérieurs, puis nous recommençâmes notre promenade

à travers les rues. Enfin

trer,

il

fallait

baisser

la

une porte s'ouvre. Pour en-

tete et lever le pied.

On

desselle

nos chevaux, pour qu'ils puissent y passer et qu'on ne les voie pas dans la rue. Au fond d'un jardin, nous trouvons

unepeti e maison occupée par un adjudant de chasseurs, qui avait bien voulu se prêter à

la

circonstance. Toutes ces

précautions étaient prises pour éviter

que

je trouvai déjà

installé sur

la police, et le

colonel

son divan, vis-à-vis d'une


ET HORACE VERNET. immense «

bouteille d'eau-de-vie blanche

trop tard

arrivez

les

,

regardant

de

J'essayai

délicieuse décoration de

la

me

dit

me

la salle

Vous

«

:

danseuses sont parties.

mon désappointement.

de

,

145

»

Jugez

consoler en éclairée par

,

quatre énormes bougies de cire incrustée de paillon de diverses couleurs. Autour, sur

divan, une vingtaine d'of-

le

avaient pris place, et chacun se taisait, ne pensant

ficiers

qu'à regarder tantôt par

que par

la

les

la

fumée de pipe

par

sortir tantôt

bouche de son voisin. Ce calme

sons aigus d'une petite flûte et

le

nez

n'était troublé

bourdonne-

le

ment de deux gros Turcs, formant une harmonie semblable à celle d'un orchestre de bastringue qui accorde pêle-mêle ses instruments...

»

«

«

Le mauvais temps dans

la

Damas, 21 janvier

montagne nous

1840.

retient

ici

chère et bonne Louise. «

Je voudrais pouvoir vous donner quelques nouvelles

mais

il

n'y en a pas; on ne sait

qui se passent à une dire ne serait

que

lieue.

même

rien des

le résultat

de mes observations sur

choses en général, qui, au fond, se bornent à

que Méhémet-Àli

n'a

événements

Tout ce que je pourrais vous

de force que

la

les

conviction

celle qu'il tient

de l'em-

barras qu'il donne aux grandes puissances. Quant au pays qu'il

gouverne, rien n'est moins certain

car

y est exécré. Le pays est ruiné;

il

qu'il le

les terres

conserve,

sont incultes

par l'absence des paysans qui fuient à l'approche des agents

du pacha;

les insurrections se multiplient

un revers éprouvé par l'armée

de toute part, et

serait le signal

d'un sou-

lèvement général non-seulement en Syrie, mais encore en Égypte, où l'on souffre des «

Voici

maux

un simple exemple

:

insupportables.

lorsqu'un village ne peut pas 9


JOSEPH, CARLG payer

le

miri

1

pacha s'en empare. Alors, chaque paysan

le

1

devient ouvrier sur son propre terrain pour

On

par jour.

sols

la

solde de cinq

désigne l'un d'eux pour conduire

les tra-

vaux. Voilà ce qu'on appelle admettre les Arabes dans l'ad-

Le nouveau chef

ministration municipale.

usure tous

pour

les

coups de bâton

restitue

a reçus dans sa vie

qu'il

faire sentir sa supériorité et plaire à l'autorité; et,

demeurant,

le

malheureux

travailleur

coups, car les cinq sols qu'on

des bons sur

l'État,

que

étant arriérée de

au juste

situation des

la

tement de l'armée se

lui doit

ne reçoit que

,

au les

sont représentés par

celui-ci ne peut acquitter, l'armée

elle-même

fait

près d'une année. Telle est

habitants de l'Egypte. Le recru-

comme

Des soldats se répandent sur

presse en Angleterre.

la

les lieux

où on doit l'exécuter

un coup de canon, chaque homme s'empare de son

à

avec

;

voisin,

sans considération d'âge. Aussi voit-on des conscrits de trente ans à côté d'enfants de douze. iuifs seuls « Si je tails

te

devais, chère amie, entrer dans de plus longs dé-

sur ce qui se passe

vient à l'appui de ce le

que

la

Un

élève de

faudrait un volume. Je ne

je

la

relation d'un fait qui

t'écrivais

du

Caire, à savoir

rasoirs.

M. Jomart, Mahmoud-Bey,

la

investi de toute

française. L'administration a été changée,

employés remplacés, moins un

les fonctions

vieillard qui remplissait

d'écrivain depuis plus de quarante ans aux

finances, et qui était reconnu

1.

il

confiance de son souverain, a voulu, soi-disant, orga-

niser les choses à les

ici,

pacha n'envoyait en France des jeunes gens que pour

apprendre à aiguiser des «

les

sont renvoyés.

donnerai plus aujourd'hui que

que

Les chrétiens et

comme

Impôt foncier que payent au sultan

les

parfait

honnête homme.

vassaux de l'empire ottoman.


ET HORACE VERNET.

147

Bientôt les dilapidations reprirent leur cours, les vols re-

commencèrent,

compte dans

et

Mahmoud,

Un

caisse publique.

la

pour son

tout le premier, prit

inspecteur arriva;

le

receveur s'enfuit, laissant ses livres. Le bey y était tout au long pour 10,000 piastres. Le vieillard fut accusé; la

vérité;

Mahmoud

On

a placé

deux pierres de chaque

pondit n'avoir écrit que mettre à

et

question.

la

malheureux

côté de la tète de ce huit ans

;

on

les a fixées

des pointes d'aiguilles qu'il

mentée pour

En

outre,

n'a cessé lui faire

de

par

l'affaire ,

avouer qu'elle

même

«

martyrisé,

aussitôt après son rétablissement,

Nous verrons comment

lieu.

Voilà seulement

un

tous

collier

avec

et

de façon

neuf jours,

que quelques heures d'être tour-

même du

le fils

un

et,

tête relevée

lui tenait la

dilapidation des fonds. Enfin, le pacha de

la

et

de soixante-dix-

ne pût dormir. Pendant quatre mois

cette victime

à

vieillard

prendre

le fit

par un cercle de fer a vis,

jours, on serrait un peu plus.

les

ré-

il

fait

la

avait participé

Damas,

l'a fait

instruit

venir

ici,

une instruction aura

chose se terminera.

qui indique

comment

les

Turcs

font usage de l'éducation qu'ils viennent chercher en France, et

comment

loin

savent profiter de notre civilisation 1

ils

de penser que

les

;

mais

la

Je suis

Arabes puissent être gouvernés comme

nous autres. Nous avons Afrique

.

la

preuve du contraire chez nous, en

mission des

hommes

devrait être d'appliquer les peines,

élevés dans notre pays telles

sévères qu'elles

puissent être, avec honnêteté et justice. Qu'importe qu'on

coupe

la tête

celui qui

si

à

l'a

un homme pour avoir mangé une pomme,

condamné n'en

perdra Méhémet-Ali la force

1.

par

En le

,

a pas eu

la

moitié? Ce qui

c'est l'application qu'il

veut faire de

de nos institutions avec l'arbitraire nécessaire dans

1826, quarante-quatre jeunes Égyptiens furent envoyés à Paris gouvernement de leur pays pour étudier lès éléments des sciences,


JOSEPH, CARLE

148

un pays où ment

n'y a pas d'intermédiaire entre l'asservisse-

et l'insurrection.

Du

«

il

mauvais usage qu'on peut

reste, le

vient de chez nous

tachement que

Syriens portent à

les

Malgré toutes

çais.

nous mettions

ne détruit rien de

les

L'émir Béchir, prince de

le sol et tout la

tienne. Quoiqu'il soit de l'intérêt

du Liban, sans

le

et

aux Fran-

et étrangères,

que

sera en révolution.

montagne, commande à plus de

cent mille chrétiens, qui souffrent de

habitants

France

la

de ce qui

vivacité de l'at-

la

armées indigènes

pied sur

le

faire

la

domination égyp-

du pacha de ménager

secours desquels

mais pu se maintenir pendant

la

n'aurait ja-

il

guerre avec

les

les

Turcs, ce

souverain souffre de l'espèce de soumission dans laquelle

on

le tient;

car

est

il

chargé

armée du pays. Celui qui venu, la

et,

lui

plus qu'un autre,

il

pour

dire de

ainsi

rendra sa liberté sera

nous désire, par

Russie, sous prétexte de soutenir

le

bien-

raison que

religion

la

schismatique, répand beaucoup d'argent,

moyen beaucoup de

la

police

la

grecque

et obtient par ce

privilèges aux dépens des catholiques,

dontl'influence diminue tous les jours. La Russie agit direc-

tement sur ses coreligionnaires, tandis que

Rome

catholiques n'agissent qu'indirectement, d'intermédiaire.

en résulte que

Il

les

les intérêts

puissances

leur servant

du saint-siége

n'étant aucunement en rapport avec les besoins de

la poli-

tique, les couvents, qui, dans l'occasion, pourraient servir

de très-belles teresses, et

au

et

bonnes places d'armes

tombent en ruine;

lieu d'être

dront pour

les

ils

et

même

de for-

sont envahis par les Grecs,

une ressource pour

la

France,

ils

devien-

Russes un moyen de s'établir solidement,

et

de placer en Syrie leur avant-garde, lorsqu'ils seront maîtres

de Constantinople. «

Je vous embrasse tous de tout cœur. »


ET HORACE YERNET.

«

voyage

février 1810.

"7

donc ce fameux voyage de Syrie terminé, ce

Voilà

<(

Smyrnr!,

149

dangereux pour ceux qui

si

feu, d'après

le récit

à Saint-Cloud

,

vrai

c'est

moindres précautions

,

mais je

est

il

Rome à Naples. . « En quatre-vingts

moins

ici

rendre compte de tout ce que

que j'ai

fique et de nouveau. C'est pour intéressante.

Au

confiseurs

marchands

diable

qu'avec

t'assure

que

difficile

les

celui de

heures, nous voilà à plus de cent

lieues de Beyrouth. C'est

,

font au coin de leur

le

des écrivains. Ce n'est pas un voyage

le

le

commence

je

me

à bien

vu de curieux, de magnicoup que

Chateaubriand,

d'esprit qui

le

la

Bible devient

Forbin

et autres

n'ont su s'exalter

que

sur des restes de pierres, et qui n'ont pas compris que

les

scènes qui se passaient à chaque minute devant leurs yeux étaient

la

représentation vivante de l'Ancien

Testament. Lorsqu'une

fois la

et si

et

du Nouveau

pensée est dominée par

besoin de faire des rapprochements entre

mœurs

et

des habitudes des Arabes, et

la

l'état actuel

description

si

le

des

vraie

simple que nous donne l'Écriture des coutumes des

Hébreux, surtout lorsque cette pensée quelle

mine

à exploiter! voilà le

est celle d'un peintre,

moyen de

faire

du nouveau

sans bizarrerie. C'est avec Delaroche que nous causerons

sur ce sujet.

J'ai

quelques croquis qui

lui feront plaisir,

mais qu'est-ce qu'un croquis? «

Nos derniers jours en Syrie ont

Soliman-Pacha nous Enfin, nous nous

des pauvres.

Il

mer; car

il

la

a

été très-amusants.

comblés de présents, d'amitié,

sommes

quittés nous embrassant

nous a accompagnés jusque sur était

le

etc.

comme bord de

venu de Saïda pour ne nous quitter

qu'au dernier moment. Outre un magnifique sabre et une


JOSEPH, CARLE

150

délicieuse giberne

d'accepter

brodée par

pachatte

la

un admirable cheval arabe

m'enverra à Marseille par

,

9

il

m'a forcé

tout équipé, qu'il

première occasion. Je ne

la

te

parlerai pas des pipes, des coffrets de Jérusalem, etc. Enfin,

m'a comblé!

il

quelques armes

dans c'est

jouer un grand rôle

lui

qui

gagnée. Quant à sa personne et

l'a

de nos vieux soldats de

figure-toi le type

,

Révolution, resté hussard malgré ses deux queues, ne

la

pensant qu'à

la

républicains du

guerre et

struction, dont

comme

se sert

il

comme ceux

frappait

si

juste

,

eux,

la

République.

s'est fait

il

comme Il

nos

est vrai

une espèce d'in-

avec beaucoup de bon sens. Nous

même

avons été souvent à ,

faisant par instinct,

la

commencement de

de dire aussi que,

et

lui faire

de Nézib, chose toute naturelle, puisque

évidemment

à son caractère

de

et l'assurance

bataille

la

riposté par son portrait à l'huile, par

J'ai

de

de Sancho

le ,

voir la mettre en œuvre,

chacun de ses jugements

que quelquefois

je croyais

relire

Don

Quichotte. «

Adieu;

je

t'aime, tu

m'aimes, nous nous aimons

et

nous nous embrasserons bientôt. «

Ton

vieillard

de mari à barbe blanche. «

«

Tu

Smyrne

,

»

à bord du Santi-Petri , 14 février.

vois que le bonheur

me

sert

admirablement. Le

vaisseau que je dois peindre

Santi- Pétri est justement

le

dans

Le capitaine Suin, qui

la

prise de Lisbonne.

mande, sachant que

j'étais à

bord du bateau

le

com-

autrichien, est

venu, avec son canot, nous enlever au moment où nous allions

prendre pratique,

et n'a pas

voulu nous laisser tou-

cher terre. Nous voilà donc dans une auberge de quatrevingt-quatre canons, traités avec toute

la

cordialité ima-

ginable, plantés au milieu d'une flotte française et anglaise,


151

qui forme une armée de dix-neuf bâtiments de guerre, sur lesquels

j'ai

retrouvé bon nombre d'amis et de connais-

sances. Si je devais te dire

Tu

tu ne pourrais le croire.

suis reçu partout,

sauras seulement qu'un roi ne

pas l'objet d'une plus grande attention. Les visites

serait

me

comment je

pleuvent. Le gros et beau Turc, gouverneur de Smyrne,

s'est

lui-même rendu auprès de moi

,

ce qui a coûté au

gouvernement dix-neuf coups de canon, qu'on le saluer.

propre

;

Mais trêve de

part,

homme charmant

,

et ravissant

de

Lisbonne, m'a

combat

à

dans

feu,

j'avais à représenter. serait impossible

de

amour pour tableau de

à notre bord,

la

les arts,

prise de

un branle -bas de

conditions voulues pour ce que

les

Quand même te

l'a-

par ses manières d'une

commandé un

fait faire,

que

fadaises, c'est

l'autre par son

sachant qu'on m'avait

pour

a tirés

mes jouissances d'amour-

mieux que ces

ce qui vaut

miral Lalande

détails sur

il

me

donner une idée de tout ce que

j'ai

éprouvé dans cette grande boite

à

je saurais écrire,

quintessence de mort, lan-,

çant de toutes parts sur l'eau ses mille langues de feu, et

obscurcissant

le

beau

ciel

fumée. Dans ce moment,

bleu d'Orient par des tourbillons de il

n'y a pas de Jérusalem, de Bible,

d'Évangile, de Jacob et d'Arabe avec ses moutons qui soient

me trotter dans la tête. J'étais dans l'enfer, et, vois comme je suis perverti! je m'y trouvais bien. Cependant,au moment où je t'écris, malgré mon enthousiasme guerrier, venus

j'ai le

les

coeur gros. Figure-toi 'que deux canonniers

bras emportés. C'est un événement qui arrive, dit-on,

à chaque manœuvre de ce genre. Je

parler de ce fatal accident avant et

ont eu

que

la

me

que mon admiration pour tout ce dont

témoin ne fasse place à

la triste et

dépèche de

raison

me

te

revienne

je viens

d'être

funeste pensée que (in-

volontairement sans doute) je suis cause de

la

mutilation


JOSEPH, CARLE

152

de ces malheureux. Tiens, chère amie, voilà tout ce que j'avais à te dire qui s'échappe;

ne vois plus que ces

je

pauvres diables.,. Tâchons de parler d'autre chose... « Si

tu trouves l'occasion de faire dire au roi

cupe de Versailles tout en courant ça ne pourra pas mal

«

pour

monde,

je pense

;

elles

S'il

tous,

— cela

étoile, qui est

je

si

grande qu'elle vous protège

me

impose de

lui

vous embrasse,

et je te

comp-

tout,

parce que vous êtes nécessaires à

heur, et que je

feront

pouvait en être

autrement, je ne jouirais de rien, et je jouis de

mon

me

car j'espère qu'elles seront bonnes,

plaisir;

très-bonnes, excessivement bonnes.

tant sur

que

le dire.

Je trouverai bienlôt de vos nouvelles

beaucoup de

m'oc-

je

d'autant que rien n'est plus

faire,

vrai: le Saiiti-Pelri est

le

que

mon bon-

rendre heureux. Or, donc,

charge de baiser notre

petit-fils

pour grand-père qui revient de Jérusalem avec des joujoux. «

»

19 février 1840. Constantinople.

%

«

Nous sommes donc dans

fameuse

cette

ville

chère

,

amie. Je suis désappointé. Le plus beau point du monde, à ce qu'on dit,

me

joue

comme

De

la

glace.

le

mauvais tour de me

fenêtre de notre auberge, à Péra, je vois

me

toute cette grande villace. J'ai beau

pour m'enthousiasmer, maisons de bois

et

laisser froid

impossible

;

je

battre les flancs

ne vois que des

des espèces de grosses tourtes entourées

plus ou moins de chandelles

,

qu'on appelle mosquées et

minarets, mais rien de ce pittoresque, rien de cette originalité

de

la

belle Syrie, rien de cette brutalité de

qui donne du charme et lisation.

Tout

fait ressortir les

est rond, tout

pensée. Enfin, je

me

est

mou;

sens énervé, et

il

l'homme

œuvres de

la civi-

c'est le sérail

de

la

ne faudrait pas long-

temps pour que mes idées prissent du ventre comme tous


ET HORACE VERNET. Turcs que je rencontre dans

les vilains

153

Oh!

les rues.

les

gueusards infâmes!... Je suis indigné. Chers Arabes! voire pou, votre puce, quoique souvent incommodes, valent encore mieux que les

parfums de vos indignes ennemis.

Mais, assez d'injures... Adieu.

«

Bosphore. Impossible de mettre

soi. Je suis

et

Constantinople

,

24 février 1840.

un temps affreux, chère amie. Nous devions

« Il fait ici

visiter le

»

ma

donc dans

petite

nez hors de chez

le

chambre bien chaudement,

pour mieux jouir du moment de repos auquel

forcé, c'est avec toi

pas de ce que

j'ai

que

vu

;

il

m'a passé tant de choses sous

yeux; que je commence à

les

plein

:

il

me

Nous ne parlerons

je vais causer.

car

je suis

me

fatiguer;

mon

sac est

larde d'arriver à Malte pour peindre, et encore

du

plus d'arriver à Paris pour jouir

vrai

bonheur, celui

de satisfaire son goût dominant au milieu des gens qu'on aime. « D'ici

mon «

,

j'arrange

mes journées

à partir

du moment de

arrivée.

Nous serons de retour

cement

d'avril

installation à

:

la belle

à la fin

de mars ou au commen-

saison commencera. Vois

Versailles ne serait pas

toute manière,

il

me

faudra prendre ce parti tôt ou tard,

chambres m'empêchant de me mettre

les

Séchan. Je ne ferais donc pas mal d'avancer

du

roi; celui-ci n'en

Quant

à

notre

une bonne chose. De

les

elle?

si

à l'ouvrage

avec

tableaux

les

serait pas fâché. Cette idée te sourit-

moi, je n'éprouve qu'un seul besoin,

celui de peindre. Je viens de faire

une

récolte

telle,

c'est

que,

pour plus de vingt ans, je suis muni de matériaux qui suffiraient à faire la

réputation d'un

homme.

Certes

,

j'aurai

plus appris pendant les quinze mois qui viennent de s'écou9.


JOSEPH, CARLE qu'en six ans à Rome. Qu'est-ce que de

1er

la

peinture et

'des grands maîtres, lorsqu'on traite directement avec la

nature, et une nature toute divine, toute poétique? Quel

pays

m'a

j'ai

fait

parcouru! Plus je reviens sur

émotions

les

éprouver, plus elles prennent de force, et je

qu'il

me

sens

tout jeune. » «

trouvé

« J'ai

que

sir

ici

un

tas

de

lettres

Malte

,

15 mars 1840.

de vous. Te dire

le plai-

éprouvé en recevant de vos nouvelles, ce

j'ai

vous parler de ce que vous avez miennes. Vos cœurs ont battu, forcés de vous moucher,

nous voici dans

la

Il

en recevant des

mien aussi

et pour cause, —

nous sommes tous contents. de nous embrasser,

le

senti

serait

;

vous avez été

moi

aussi. Bref,

ne nous manque plus que

ce sera bientôt, car, maintenant,

et

banlieue

:

500 lieues ne sont plus qu'une

plaisanterie.

Dès en entrant dans notre prison, où nous sommes en

«

quarantaine,

pris la palette et je travaille ferme à

j'ai

tableau biblique

:

grandes figures, costumes arabes...

Le 26, nous reprenons

«

bien, elle nous a

femme

la

mer. Elle qui nous

un

1

traitait si

donné une danse, première qualité! Jamais

grosse n'a été

si

grosse qu'elle et n'a eu de plus

Heureusement,

vent par derrière et

mauvaises

fantaisies.

mon

en avant nous ont portés dans Malte en quatre

étoile

le

jours, tandis que les misérables bateaux qui venaient en

sens contraire ont été forcés de relâcher dans tous les coins

de

la

Méditerranée. Aujourd'hui, nous n'avons plus rien à

craindre; l'équinoxe est passé et les zéphyrs seuls se char-

geront de

1.

Juda

et

te

ramener

Thamar.

le

grand-père des amours, c'est-à-dire


ET HORACE VERNE T.

155

bon papa de Capidon Rabadabla. Dis-lui que

le

un fameux sabre de

porte

la

je lui rap-

A

part de Soliman-Pacha.

pro-

qu'il m'avait

comblé

de présents? Bientôt, sans doute, Marseille recevra

le bâti-

pos de ce héros égyptien,

ment porteur de

t'ai-je

dit

toutes ces merveilles qu'Abdallah (jusqu'à

présent simple sais, mais transformé pour

en ambassadeur près déposer à

tes pieds.

cour de

1a

mon

circonstance

la

écurie)

Abdallah est un grand ami de Brigan-

Ce dernier, au dire de mes compagnons,

det.

des domestiques. Ce qui ne

que

c'est

le

doit venir

te

est la perle

touchera pas médiocrement,

brave garçon t'arrivera toutes

les parties

du

corps tatouées aux signes des douleurs que Notre-Seigneur a souffertes pour nous racheter de nos crimes. tenant

comme

pour de

«

est

certains sauvages qui se montrent à

l'argent. J'espère, cependant qu'il te

rien les parties de son individu que tra

Il

la

main-

la foire

montrera pour

pudeur

lui

permet-

de découvrir. Je vous embrasse tendrement.

»

« 1er

avril

(

sans poisson).

«Dans quelques minutes, chère amie, nous touchons Civita-Vecchia et réunis.

Mon cœur

ritable Vestris.

Il

la

bonne

fait

terre

où bientôt nous serons tous

des culbutes et bondit

est six

heures du matin,

comme un

et,

vé-

depuis deux

heures déjà, je suis sur

le

pont pour regarder de loin ce pays

où nous avons passé de

si

bons instants. Ce soir nous arrive-

rons

à

Rome,

et le 9 avril

nous nous embarquerons pour

Marseille, et puis, Paris «

Nous

allons débarquer.

Adieu pour aujourd'hui. «

Ton fameux -époux.

»


JOSEPH, ÇA RLE

lôtî

Marseille

«

En

France! France!

«

blablabadabla

avant

les enfants

,

13 avril 1840.

de

Nous venons de mettre pied

!

Rabla-

la joie!

à terre, chère

amie.

Nous nous portons comme des charmes. Pourvu que

«

l'impatience ne nous fasse pas maigrir! J'en serais désolé, car nous

sommes

A

très-beaux.

Rome, nous avons eu

sorte de succès. Ingres nous a reçus

toute

admirablement, ami-

calement.

Nous n'avons pas

a

Dieu

comment

sait

cheval fourbu,

s'il

d'autre ressource

elle

vous serrer contre N'allez pas, par

la

diligence.

marchera. Le vent ne serait qu'un

voulait

nous enlever lui-même

mon

porter près de vous, tant est grande

me

que

mon cœur.

d'ici

pour

impatience de

Allons, du calme, l'ami!

un emportement blâmable, détruire en un

instant votre réputation de vertueux voyageur. «

Adieu pour ce

un fameux «

lit,

et je

soir; j'écrirais bien encore,

mais

je vois

ne résiste pas..

Je vous embrasse tous. «

Revenu

à Paris,

Horace Vernet.

Horace Vernet continua

la série

,

exécuta successivement pour

il

sailles la

Prise de Bougie

la Sickak, de Y Entrée de

Somah,

les

,

Y Attaque

de ta-

De

bleaux qu'il avait commencée avant son départ. à 1841

»

les galeries

840

4

de Ver-

Combats de VHabrah

,

de

de la citadelle d'Anvers,

Vannée française en Belgique,

la

Prise du

J

fort de Sai?it-Jean-d Ulloa 11

s'était

engagé

travaux que

à

,

etc.

terminer avant

le roi l'avait

le

1

er

842

les

la Salle

de

janvier

chargé d'exécuter dans

4

Constantine. Pour les sept tableaux et les sept dessus de portes qui

lui

avaient été commandés,

il

reçut 200,000 francs.


ET HORACE VERNEÏ. eut, par lettres, à

Il

157

propos de ces payements, une discus-

sion désagréable avec l'intendant général de la liste civile,

M. de Montalivet.

Horace Vernet

toujours très-soucieux de sa dignité, re-

,

leva vivement les phrases un peu sèches de l'administrateur, et se sentit blessé

J'avoue, écrivait-il à ce propos, que cette assimilation

«

de

de ce% qu'on marchandait ses tableaux.

au métier de

l'art

fiant

peinture a quelque chose de morti-

la

c'est le réduire à sa partie

:

matérielle. Je croyais,

depuis trente ans, avoir rempli une mission plus élevée et avoir mérité une, autre récompense de patriotiques travaux.

mes nombreux

et

»

Déjà, dans une précédente lettre adressée à M. de Montalivet,

il

avait fait sa profession de foi au point de

•lui

des intérêts pécuniaires. n'est rien par

Pour moi, disait-

«

lui-même, mais

il

il,

vue

l'argent

devient tout lorsqu'il est

mon ouvrage comparé à celui ajoutait « Ma ligne de conduite

signe de l'appréciation de

le

d'aulres artistes. » Et

il

:

m'est tracée par

la

considération que je dois au

mon grand-père

et

de

aussi à la réputation

mon

nom de

père, et par celle que je dois

que trente ans de travaux assidus ont

pu m'acquérir. Je veux m'éviter quelque mortification

me

réserver

me

voudra

le droit

d'accepter ou de refuser

homme fois

rang qu'on

faire prendre. »

Ces susceptibilités, légitimes du reste de

de

le

la

part d'un

aussi éminent, se renouvelèrent un grand

dans

ment en l'intérêt

le

le

concernait. Rien de ce qui

ou à l'honneur de Il

nombre

cours de sa carrière, et ce n'était pas seule-

ce qui

indifférent.

et

en donna

l'art et

la

des artistes ne

touchait à le laissait

preuve dans une circonstance

importante.

Le

projet de loi sur la propriété littéraire et artistique


JOSEPH, CARLE

158

adopté par

la

Chambre des

Chambre des députés en

4

pairs en 1839 et présenté à la

841 par M. Villemain, alors

nistre de l'instruction publique, contenait

aux

très -préjudiciable

à l'acquéreur d'une

artistes.

œuvre

plaisir.

et les sculpteurs

s'émurent de cette innova-

Horace Vernet, plus

tion qui portait atteinte à leurs droits.

indigné ou plus

prendre

la

fort

13 transmettait

article

d'art le droit de la reproduire

de toute façon, selon son bon Les peintres

Son

mi-

une disposition

que d'autres, éprouva

le

même

défense de ses confrères en

besoin de

temps que

la

sienne propre.

un

avait à son service

Il

esprit net,

plume, sinon très-expérimentée, du moins preste. Une seule chose l'embarrassait

dans

les

questions de législation.

sulte émérite,

pour

lui, le

M. de Vatimesnil

Code

,

Il

incisif,

vif,

:

— une

très-affilée et très-

il

n'était pas versé

un juriscon-

s'adressa à

qui se chargea d'élucider

à la main, les points de droit

en

litige.

Aidé de ces précieux conseils, Vernet rédigea un excellent qui, après avoir été

commission dont tie, fut

son

le

nom au

sait à cette

et serrée

*

conclusion

:

«

possession du tableau;

la

est,

comme

«

il

«

parce qu'il a pour base des

ne suit pas

1.

Du

même

la

1 .

et

du

il

est inhérent à

travail

de l'au-

disent les jurisconsultes, incorporel;

teur;

personne

envoyé en

Le droit de gravure ne dérive

«

«

et-

d'Horace Vernet aboutis-

création qui procède du talent il

par une

ministre de l'instruction publique.

nullement de

« la

et

à l'Institut

M. Rossi faisaient par-

approuvé par l'Académie tout entière

L'argumentation forte

«

examiné

comte Siméon

travail

chose,

il

reste attaché à la personne,, faits

qui sont compris dans

la

»

droit des peintres et des sculpteurs sur leurs ouvrages, par

Horace

Vernet, brochure in-8°. Paris, Edouard Proux, 1841. (Voyez p. 9.)


ET HORACE V E II N ET. La

de, 1793 avait laissé dans

loi

159

vague ce point de

le

droit; mais la jurisprudence l'avait toujours décidé, jusqu'en 4

842, dans

À

cette

le

sens équitable qu'Horace Vernet

époque,

qui plus d'une

la

fois

Cour de cassation, par un depuis

a troublé la

gistrats et qui fait sentir le besoin

dans

le texte

de

la loi, a

lui

donnait.

arrêt célèbre

ma-

conscience des

d'une prompte réforme

décidé que

le droit

de reproduc-

tion était transmis à l'acquéreur d'un objet d'art par la ces-

sion

même

de cet objet, à moins de réserves contraires

stipulées au profit de l'artiste dans l'acte de vente.

La théorie soutenue par Horace Vernet ne triompha point époque, mais

à cette l'autre

elle

devait reparaître un jour ou

parce qu'elle est conforme à l'équité. Aussi a-t-elle

,

été reprise par la

commission de

la

propriété littéraire et

artistique réunie au ministère d'État en dit l'article 9 «

Au

du projet de

loi

:

reux, d'une statue ou d'un tableau,

«

tion est réservé à l'auteur, à

« traire,

on.

du tableau puisse

le droit

moins de

sans que, dans aucun cas,

statue ou

« si

863. Voici ce que

cas de disposition, à titre gratuit ou à titre oné-

«

«

4

le

de reproduc-

stipulation

con-

propriétaire de

être troublé

la

dans sa posses-

»

On le yoit, cette décision est tout à fait conforme aux vœux exprimés dès 1841 par Horace Vernet. Il est mort trop tôt pour recueillir artistes lui

fruit

de ses efforts, mais

les

sauront toujours gré d'avoir plaidé aussi cha-

leureusement leur cause fense.

le

et pris

en main leur

commune

dé-


JOSEPH, CARLE

160

X

LA RUSSIE PEINTE PAR HORACE VERNET.

— Traversée. —

Second voyage en Russie. bourg.

— L'empereur

Nicolas.

Arrivée à Saint-Péters-

Histoire lamentable

d'une prin-

— Bal à la cour. — Tsarskoë— Réflexions politiques. — La

cesse qui aimait trop les cornichons.

Selo.

Grandes manœuvres. fête du

czar.

En novembre 1836, Horace Vernet ses amis de Saint-Pétersbourg refrain

:

«

dont voici

le

Revenez-nous; je n'entends de toute part que

cette question

Vernet revient-il?

:

Cette invitation était arrivée au se disposait à partir fut

une

avait reçu d'un de lettre

»

moment où

notre peintre

pour Constantine. Le voyage de Russie

donc ajourné forcément

pro-

et diverses circonstances

longèrent encore ce retard.

Enfin Vernet se mit en route, et, écrivait

un mot d'adieu

à sa famille,

le

1

er

juin 4842,

il

peu d'instants avant

de s'embarquer au Havre.

Nous sommes de

1.

lui laisser la

Des

extraits

trop heureux, pour

le

lecteur et pour nous,

plume jusqu'à l'époque de son retour 1 de

cette

années, dans la Presse,

n 09

correspondance ont

paru,

des 8, 9, 10 et 11 avril 18

il

.

y a quelques


ET HORACE VERNET.

«

«

Nous

Copenhague

chemin, ayant

voilà à moitié

101

,

fait

5 juin 1842

».

un bon voyage.

Nous avons eu très-beau temps, mais mauvaise mer pendant quarante -huit heures, ce qui a un peu dérangé société.

Chacun vomissait

à qui

la

mieux mieux. Nous

n'étions

que

je serai

que deux sur pied. «

Quant à moi,

sois sans inquiétude. Je vois

bien reçu par tout ce que

me

disent les Russes avec lesquels

je fais route. «

Aussitôt

mon

arrivée à Pétersbourg, je t'écrirai afin

que nous sachions comment arranger notre existence jusqu'au

moment où nous prendrons nos

quartiers d'hiver,

chacun dans une ganache, à Versailles. Je commence à sentir le besoin" de rester en place près de toi,

au milieu de

nos enfants et de nos amis. «

Adieu, chère amie; nous allons prendre terre. Je vais

courir porter cette lettre à

la

poste pour revenir à bord,

beau temps engage

le

capitaine à repartir sur-le-

car

le

champ. Je vous embrasse donc tous bien «

«

fait

Me

voilà

à

Saint-Pétersbourg, 11 juin 1842.

Saint-Pétersbourg,

une bonne traversée avec de

gnons. Nous

sommes

:

d'intéressant

la

1.

Toutes

les lettres

Tort aimables

ce matin,

compaj'ai

fait

police, etc., etc..

le

Du

encore. L'empereur est allé au-

devant du prince d'Orange; je ne

sont adressées à

bien portant, ayant

à l'ambassade de France, chez

comte Beckendorf, ministre de reste, rien

arrivés hier, et,

des visites importantes

vite. »

le

verrai

que dans quel-

auxquelles nous ne mettons pas de suscription

madame Horace

Vernet.


JOSEPH, CARLE

1G2

ques jours. Alors seulement,

de mes

je pourrai te parler

projets.

Je t'écris aujourd'hui pour ne rien dire, mais pour

«

tu saches

que

je

me

porte bien et que le vent

toujours du bon côté, car

encore une

Adieu,

«

moi

j'ai.

me

que

pousse

tout lieu de devoir réussir

fois.

je

vous embrasse tous. Portez-vous bien,

et

aussi.

P. S.

«

— Tous

velle croix

les

de Prusse

journaux 1 .

d'ici

me donnent une nou-

» «

Je croyais, chère amie,

«

d'hui; ce ne sera

que ma

que demain.

J'ai

lettre

donc

Ce

12.

partait aujour-

temps de

le

t'écrire

encore un mot. L'empereur est toujours en route. Depuis

de rien. Je t'avoue que ça

trois jours, je n'entends parler

me semble extraordinaire. Tout le monde me reçoit avec la même cordialité que la première fois c'est à qui m'invitera. Ferzen me donne jusqu'à une charmante petite mai;

son de campagne avec cuisinier, chevaux,

ne vois rien arriver de plus haut. Je

je

X***

tures.

'a

laissé ici

une

pourrait bien se faire qu'on Voilà ce qui

me

ferait

si

etc., fais

etc.,

des conjec-

singulière réputation qu'il

me mesurât

à la

une véritable peine

même

et ce

rendra, encore plus circonspect dans l'expression

désir de revoir l'empereur. lés;

toise.

qui

me

de mon

n'y a que deux jours d'écou-

n'y a donc pas de temps perdu; mais, entre nous,

il

l'état d'équilibriste

de

Il

mais

me

dans lequel je suis placé

est tout près

vexer. D'ici à quelques jours, je saurai à quoi m'en

tenir. »

1.

La

gères

,

croix

du Mérite,

la plus flatteuse»

de toutes

les décorations étran-

parce qu'elle n'est accordée qu'à un très-petit nombre

d'artistes.


ET HORACE VERNET.

163

Ce

«

ment

était prêt à

Péterhof

contraire,

il

paraît

et qu'il m'attendait

,

que jamais

la

!

peu de jours

à

en faveur.

15 juin 1842.

je pourrai savoir à

tournure que doit prendre

par tout ce qu'on

me témoigne

mon

d'affection,

n'a pas changé

quoi m'en tenir

voyage. Si j'en juge

ma

depuis

à-vis de

la

visite en

ce pays. J'espère qu'il en sera de

du

au

pars demain pour aller trouver l'empereur. Ainsi,

« Je

la

bien

:

»

a

d'ici

avec impa-

sorte

je n'ai été plus-

avant, les enfants de la joie

sur

que mon apparte-

faire dire

de m'ébouriffer de

tience. J'avais tort

En

me

L'empereur vient de

<(

13.

soleil.

vous plus

société

position vis-

ma première môme auprès

pourrait bien se faire que je retournasse vers

11

tôt

que je ne

voir entreprendre

la

pensais, car je ne crois pas pou-

le

grande tournée;

que

celle

je

ferai,

quoique plus courte, n'en sera pas moins intéressante.

Comme

rien n'est

prochaine «

Tu

les

fait,

je

ne puis

serais fièrement contente de moi,

Adieu pour aujourd'hui.

J'arrive

la

semaine

comme

si

tu voyais avec

je suis civilisé.

»

Saint-Pétersbourg, 17 juin 1842.

«

«

A

conclusions!

quel soin je rends les visites et «

te rien dire.

de Péterhof, chère amie. Tout s'arrange

je le désirais, sauf la tournée

du Caucase, où

les

comme

choses ne

sont sans doute pas bonnes à laisser voir. L'empereur m'a

reçu admirablement bien. ver

hie.r

dans un

Il

petit port,

m'avait

il

me

fait

dire de

me

trou-

prendrait, pour, de

là,


161

une tournée en mer

faire

appartement

je

n'ai

pas

manqué

L'empereur, en descendant de voiture, est venu à moi,

«

les bras ouverts,

m'a embrassé deux

joues, puis m'a dit

Pour

cher Vernet, ètes-vous a moi?

les

ce cas, je vous cela plus tard.

moment, ne pensons qu'aux

le

le

fêtes qui

moins possible.

»

pour quelque temps, mais

j'ai

à Péterhof,

donc

voilà

mes

pris par

été

j'ai

Pierre Wolkonski, qui tient les cordons de

première question, après

demander

si

la

alênes,

tudes de colporter

prince

le

bourse. Sa

la

politesse d'usage, a été

j'apportais quelque chose

répondu que non,

lui ai

Me

vont avoir

jours de repos, j'espère m'en servir utilement.

En arrivant

«

En

à la patte

fil

et,

Mon

sur mes fraîches

fois

pour longtemps. Nous causerons de

Quittez- moi

« lieu.

un

«

:

Je suis libre, lui ai-je répondu.

« tiens «

mon

revenir au château, où

rendez-vous.

le

«

et

Tu penses que

était prêt.

pour Sa Majesté. Je

n'était pas

qu'il

me

de

dans mes habi-

ma marchandise, que mon voyage

en

Russie n'avait d'autre but que celui de témoigner à l'em-

pereur

ma

mettant à sa diposition

même de

lui

me

reconnaissance pour toutes ses bontés en ,

que

je le priais d'en

l'assurance à Sa Majesté, dans faire croire le

contraire.

Me

pour détourner. toute interprétation certains autres, dont

la

conduite

ici

le

donner

lui-

cas où on tenterait

voilà

donc en mesure

qui m'assimilerait

a laissé

à

de fâcheux sou-

venirs, etc., etc. Dis à Delaroche

«

tures de

pour

vail «

la

Quant

mais

si

que rien

n'est arrêté

grande église, que ce

serait

pour

les

pein-

un admirable

tra-

lui.

à

nos petits, embrasse -les bien tendrement,

tendrement que Philippe lui-même, malgré

grande jeunesse, en

soit

ému.

sa très-


ET HORACE VERNET. Depuis que je vous

«

165

me compare

ai quittés, je

ayant perdu sa jambe de bois. N'importe!

tel

tiré,

il

faut le boire,

manque

que

tu sais

et

Adieu, chère amie.

«

P. S.

Encore adieu. Je t'aime,

aime, nous nous aimons.

Je suis installé

par

Péterhof

l'impératrice charmante d'amabilité

m'être

attendre

fait

les soupers, les

si

vous

,

23 juin 1842.

depuis six jours, parfaitement bien

ici

passé; l'empereur bon et

le

je

»

«

me

ne

Je quitte Saint-Pétersbourg aujourd'hui pour

m'installer chez Ferzen.

((

Brechvin est

pas.

«

comme

volonté

la

à

le

longtemps; —

le

,

môme affectueux; me reprochant de

spectacle, les dîners,

— je suis de

manœuvres,

tout.

Logé comme

un seigneur, une voiture, des chevaux, rien ne manque. Voilà pour l'orgueil et

encore rien de

fait

seulement que il

y

a

pour

personnelle; mais

satisfaction

la

les travaux.

L'empereur m'a

nous en parlerions plus

quinze jours que je suis arrivé,

tard.

et

voudrais connaître à quoi je suis destiné.

dit

Cependant

j'avoue que je Il

n'y a cepen-

dant pas de temps de perdu, surtout quand je pense à tous chiens que l'empereur

les

réceptions;

il

est tout simple

mise de côté; plus tard, pas, et

ma

significative «

doit avoir à fesser.

nouveaux princes arrivent

jours, de

première

que

que

lance.

Ah!

je si

;

la

Tous

les

temps se passe en

peinture soit un peu

aura son tour, je n'en doute sera,

sous ce rapport,

plus

— Parlons de nous.

loisirs,

songer que j'en suis fants

lettre

celle-ci.

Pendant mes

elle

que

le

si loin.

je

me

transporte à Paris, sans

Je n'entends pas des voix d'en-

ne m'attende à voir entrer Horace avec sa je le tenais ici, s'amuserait-il!... Dis-lui

que


JOSEPH, CARLE

166

je fais

pour «

une fameuse

collection d'histoires. J'en ai au

Je ne

me

sens pas

le

me promener

courage de

projets de tournée;

il

est

même

probable que je ne

mettrai à exécution que Tannée prochaine. si

tout

une grande démangeaison d'effectuer

seul, aussi n'ai-je pas

mes

moins

six mois.

l'empereur voyage dans l'intérieur,

les

Peut-être que

me

ne

il;

sera pas

possible d'éviter une course; mais, de toute façon, elle ne

mon

pourra pas être assez complète pour remplir je

me

même

trouverais de

obligé de courir

partie la plus intéressante sous et des

progrès de

nant, mais

pays dans

le

la

rapport du pittoresque

le

civilisation. Je le ferais bien

sans échanger une pensée, car

tout dire qu'à «

la

but, et

mainte-

on ne peut

ici

un ami.

If faut que je

te

raconte l'histoire qui est arrivée, pen-

dant notre traversée, à une pauvre princesse mais mariée à un prince

née russe,

,

Figure-toi que

italien.

la

malheu-

reuse femme, après trois jours de vomissements, a voulu rassurer son

cœur

à force

de cornichons, moyen qu'elle

vu quelle

trouvait sans cloute le meilleur, dité effrayante,

cornichons

lui

malgré ses vingt-huit ans. Les mâtins do

ont

fait

un ravage

que bâbord

tel

ont ouvert leur feu au beau milieu de

moment, passagers, matelots, tous, excepté elle,

plaintes déchirantes, et

le

la

Au

premier

chaudière avait sauté.

bruit qui

était

accompagné de

que trouvons-nous? Notre immense

princesse dérobant par sa masse

qui venait

la nuit.

et tribord

capitaines, cuisinier, etc., etc.;

ont cru que

Nous courons tous vers

faïence

d'une roton-

est

d'éclater sous

Paixhans ne sont que de petites

les

éclats

elle.

flûtes

de l'obus de

Les canons

à

la

auprès du mortier

monstre qui venait de ravager plus d'un arpent de chair.

Le docteur

Florio,

que son nom, son nez

et

sa qualité

de


1(57

médecin d'armée ont

investi

du

droit de constater le dégât,

eu occasion de considérer un désordre

dit n'avoir jamais

semblable... Les choses pourtant ne devaient pas en rester là

:

aux malencontreux cornichons un verre de rhum a

substitué, puis deux, etc., fait rire a

disparu, car

le

etc.

été

Alors, ce qui nous avait

danger a commencé. Dès en dé-

barquant, on a porté notre princesse dans une auberge.

deux jours après,

J'ai fait

demander de

n'allait

pas mieux. Enfin j'envoie Charles,

jours;

il

ses nouvelles

me

rentre, en

«

la

canalise?

— Oui,

y a quatre

disant qu'il venait de voir

cesse sur une table et qu'on « la

il

la

« Gomment on comme une pierre,

La malheureuse

à ce qu'on prétend. »

prin-

la

canalisait.

ce soir elle sera

et

elle

,

morte, et on

était

man-

gannalisait. La morale est qu'il ne faut pas trop

ger de cornichons. «

«

Le bateau

est

arrivé hier, chère amie.

j'aurai quelques lettres

que

la

,

mais

ici

une

c'est

distribution en soit faite. Je ne

aller

moi-même

Sans

doute

histoire avant

pourrai sans doute

pas, avant de terminer ceci, répondre à ce

devant

Ce samedi.

que

tu

me

diras,

à Gronstadt, afin de ne pas laisser

ce que j'écris entre les mains de ceux qui ne seraient pas fâchés de savoir ce que je te dis, d'autant plus qu'il y a du

nouveau. Hier, au bal, je suis resté plus de deux heures à causer avec l'empereur.

mencer ma

me

y aura de quoi

à discuter; j'irai

si

je devais exécuter toutes les

me dans ma

con-

propose. J'en prendrai ce qui

viendra. Le reste, je

d'hiver. Là,

y aurait pour moi de quoi recom-

vie tout entière,

peintures qu'il

il

Il

le laisserai

faire

aux

autres, et,

une fortune. Les

avec Sa Majesté voir

part,

sujets sont encore

les places

au Palais

nous conviendrons de tout; mon sort sera

fixé


JOSEPH, CARLE

1S8

pour quelques campagnes artistiques. Véritablement,

homme

impossible d'agir envers un

mon

égard pendant

naissance de

la

On

le bal d'hier.

pas autrement. Dans

lui ai

fait

de

son

traité

fils

mains,

qu'il

ne

me me

sertrai-

bien des sujets. Jusqu'à

L'empereur ne

effet!

recommandé de

les

courant de nos conversations,

le

que nous avons

Bible qui a

l'a fait

troisième grande duchesse. L'empereur ne

rant dans ses bras; enfin, je serais son

tu penses

ne

célébrait le jour

m'a pas quitté un instant, me prenant

terait

est

avec plus de distinc-

tion, d'affection, et, je puis dire, d'amitié, qu'il

à

il

jamais

l'a

se faire lire Habacuc,

Baruch

la

lue. Je

et l'Ec-

clésiaste. «

Demain, nous entrons en campagne pour suivre des

manœuvres qui dureront quatre a

jours.

L'empereur m'a beaucoup parlé de Delaroche.

Il

a

toutes ses gravures. «

dire

Je

me

comme

porte toujours

à l'ordinaire,

scandaleusement bien. J'aurais

content,

si

je pouvais vous croire

qui console d'une

telle

le

cœur

c'est-à-

tout à fait

tout près de moi.

Ce

séparation, c'est le bien qui doit en

résulter. «

Adieu, chère

et

bonne Louise. Je vous embrasse tous

du meilleur de mon cœur.

»

«

«

Hier,

j'ai été invité à

Majesté l'Impératrice. sonnes. Malgré

la

Il

un

souper de famille chez Sa

petit

n'y avait d'admis que trois per-

simplicité de la réception qui leur a été

et la cordiale liberté qui régnait

dans

ces Allemands ne peuvent digérer avalée.

Il

faut

26 juin 1842.

avouer que

les

de sociabilité que toutes ces

la

la

fai te

conversation, tous

barre de fer qu'ils ont

Russes ont plus d'abandon

têtes carrées. Je

me

suis

et

amusé


169

causer avec les jeunes princesses, qui sont charmantes.

La troisième a moi,

la

de grands progrès en beauté

fait

mais, pour

;

grande duchesse Olga exerce toujours son influence

mon cœur; c'est Louise, pas comme comme je voudrais la voir, c'est Louise sur

tranche de lard. Quant à

la tête,

il

elle est,

mais

avec une belle

y a identité, sans

com-

plaisance de papa.

Ma

«

position

est

ici

charmante. L'empereur est d'une

me

confiance et d'un laisser aller qui

mon

mettent à

aise.

me sens le besoin de peindre. Le comte Wome demande le portrait de sa femme à cheval comme

Cependant, je ronzof

celui de

princesse Wickenstein.

la

25,000 francs;

serait

plus que

la

femme

Nous partons

«

le

est jolie

drogman.

peine, d'autant

n'y aura donc que deux

Il

Charles est toujours

:

soixante-dix mille

coups de canon si le ciel

comme

,

»

Ce

29. Tsarskoë-Selo.

Nous arrivons des manœuvres, chère amie;

superbes

meilleur

le

dû en prendre un second

J'ai

ce*

pour de grandes manœuvres

«

«

la

le faire;

nous verrons.

;

cette nuit

la tente est là.

des serviteurs.

envie de

morceau en vaut

qui doivent durer trois jours. bivouacs, et

J'ai

comme

fondait!

»11

s'il

hommes sous

les

en pleuvait, et de

elles

ont été

armes, et des

la

pluie

comme

n'y a que des Russes pour supporter,

sans grogner, de semblables plaisanteries. Les malheureux! je

n'en

ai

mon

dans

pas moins profité de leur triste sort pour mettre sac les effets les plus admirables de fumée pro-

duits par ce

combat perpétuel du

l'épreuve que

si

Tune mouillait,

car nous avons eu «

un

froid

feu et de l'eau

;

j'ai fait

l'autre ne réchauffait pas,

de tous

les diables.

Je pars d'ici pour Saint-Pétersbourg, où je passerai 10


JOSEPH, CARLE

no

quelques jours à prendre mes arrangements pour

portrait

Je

en question. «

Je renonce, pour cette année, à

moment «

grande tournée. Le

peu opportun, surtout pour

serait

le

Caucase.

Les choses ne semblent pas s'y passer de façon qu'on enchanté de

soit

grande la

la

les faire

La nouvelle d'une

connaître.

On ne On donne

bataille vient d'arriver.

victoire a été remportée.

Ainsi,

tués.

d'officiers

il

dit pas

de quel côté

nom

de beaucoup

le

n'est pas difficile d'apprécier le

résultat.

Je

«

renonce donc à

sens

«J'en

mon grand voyage pour

démangeaison; ce sera un

la

En

plaisir.

piocher.

avant,

la

joie! «

Adieu,

je

vous embrasse tous du meilleur de mon

cœur. Je me porte mieux que jamais. Je suis jourd'hui que

mander

j'ai

cinquante-trois ans, que

à l'empereur d'entrer dans

«

Voici encore

«

Je n'ai rien de

minute plus

les

lettre

si

1 er

hommes

tués,

d'officiers. IL est

laissera pas faire

juillet.

ce n'est qu'à chaque II

y a eu

parmi lesquels se trouvant

donc très-probable qu'on ne

un voyage qui

»

par Hambourg.

je t'adresse

te dire,

envie de de-

corps des cadets.

Saint-Pétersbourg,

que

nouveau à

j'ai

jeune, au-

nouvelles du Caucase se confirment.

de mille

beaucoup

la

une

«

le

si

me mettrait

à

même

me

de voir

déconfiture. « Je

me

borne maintenant à observer

qui ont eu lieu

ici

depuis

mon premier

de singuliers, entre autres celui qui de notre

roi

dans

la

les

changements

voyage.

s'est

Il

y en a

opéré en faveur

noblesse, ce qui explique peut-être

la

mauvaise humeur de l'empereur. Je ne serais pas étonné qu'il se

mitonnât quelques farces à la façon de Barbari.


ET HORACE VERNET.

amortir le

en deux, sans intermédiaire qui puisse

est partagé

Ce pays-ci

l'effet

171

du marteau sur l'enclume. Jusqu'à- présent

marteau a été

fort,

mais

petit à petit le

manche

s'use,

noblesse abuse, et déjà bien

les esclaves s'enrichissent, la

des seigneurs n'osent plus aller dans leurs terres; dans fond, la

n'y a pas une très-grande différence entre

il

On

Russie et celui du peuple de Méhémet-Ali.

comme

l'état

le

de

est ici,

en Égypte, sur une boursouflure qui, tôt ou tard, ne

pourra plus soutenir

la

pesanteur de ses obligations. Cette

demandera un jour à combattre autre

formidable armée

chose que des Russes; plus

elle fera

de conquêtes, plus

elle

prendra son pays en horreur. Je viens d'assister à de grandes

manœuvres

on ne peut se

;

qu'ont éprouvées les bois étaient

dans

malheureux

les

soldats.

Le second jour,

jonchés de ces pauvres misérables, couchés

boue sans pouvoir agir de leurs membres. Les of-

la

ficiers

une idée des souffrances

faire

eux-mêmes,

plus ou moins pris par

la

diarrhée,

de l'obéissance passive.

offraient le spectacle le plus triste

Pas un murmure; mais que ne voyait-on pas sur leurs visages!

faut

11

de

ou de l'argent pour que des

la gloire

hommes acceptent momentanément une et pense-t-on

prendre leur

qu'ils

liberté,

pensation aux

semblable existence;

résistent

longtemps au désir de re-

quand

n'ont à espérer aucune

maux dont

ils

ils

me

sont accablés? Pour

mettre du spectacle de toutes ces misères,

j'ai

comre-

voulu voir

quelques-uns des établissements fondés parle gouvernement

dans

le

but d'instruire des forestiers, des laboureurs,

Rien n'est plus beau que il

le

principe

y a boursouflure, et rien dessous

une administration de bâtons d'aucune

,

des

utilité

;

:

mais

là,

comme

en tout,

des bâtiments énormes,

nombreuse, une discipline de

résultats

pour

la

passables

masse

,

etc.

,

fer et

mais qui ne sont

les privilèges

de

la

cou-


JOSEPH, CARLE ronne anéantissant sur-le-champ

le

pour son compte

rait tirer, si la liberté d'en profiter

Les besoins de

l'État sont tels

que du jour où

industrie ne lui rapportera rien,

Ce qui

la

existait.

plus petite

culbute sera inévitable.

la

force de la France

fait la

bénéfice qu'on en pour-

champ ouvert

c'est le

,

à

toutes les capacités pour tirer parti d'elles-mêmes à leur profit. «

Je ne voulais écrire qu'un mot, et

sième

Mais que veux -tu? c'est

feuille.

bavardage que

j'ai

ce matin avec

eu

sommes pas entièrement du môme Russes,

que

et

que

croit

il

la

que tous

terre est faite

les

avis.

hommes

ma

voilà à

troi-

la suite

d'un long

Ferzen.

Nous ne

Comme

tous les

ne se ressemblent pas

pour être balayée par

autres s'y promènent.

les

me

les

Un jour viendra où

uns, ils

afin

seront

détrompés. «

Demain,

je

retourne à Péterhof

me

relancer dans

le

tourbillon. J'y trouverai sans doute le roi de Prusse. J'irai

remercier de sa fameuse croix, car

le

m'a confirmé norable,

surtout

ma

j'en

si ici

,

juge par

l'effet

qu'elle produit

«

P. S.

J'ai

commence

qu'on ne

monde,

lettre

sait

!

»

Péterhof, 6 juillet 1842.

à t'écrire aujourd'hui, afin de t'avoir écrit

par

le

bateau prochain, ou peut-être avant

par l'ambassade. La vie qu'on mène

j'ai

le

ho-

»

eu cinquante-trois ans hier

«

une longue

dans

fort

car je suis accablé de félicitations.

Adieu, chère Louise. Je t'embrasse.

Je

prince Guillaume

nomination. C'est une distinction

«

«

le

jamais

si

ici est

tellement hachée,

on aura quelques minutes à

bien des choses à te dire sur

mes

soi, et

projets et sur

mon

retour, qui sera sans doute plus prompt que nous ne

le


ET HORACE VERNE T. Décidément,

pensions.

année; je prends

que,

et

inutile

le

pas

fais

prétexte que

la

faire .que la moitié.

grand voyage cette

le

saison est trop avancée,

ne pouvant visiter

d'ailleurs,

de n'en

ne

je

173

Caucase,

le

serait

il

L'empereur me demande

seulement, pour cette année, un portrait en pied et à cheval

de l'impératrice. Avec celui dont je

moins pour 50,000

les

terminerai tous deux

ici

,

qu'un.

Tu peux décider

de

promptitude avec laquelle

la

parlé, en voilà au

Trois mois suffiront pour leur

francs.

exécution. L'affaire est donc bonne; je

t'ai

tout est de savoir

le

ou bien

mon

là-dessus, car la

si

si

je n'en ferai

retour dépendra

maison de Delaroche

sera mise en état d'être habitée. Consultez-vous à ce sujet.

Pendant

temps qui s'écoulera jusqu'à ce que

le

une réponse, j'avancerai prendre

parti

tel

les

choses de manière à pouvoir

que vous aurez jugé convenable, sans que

Ma

nos intérêts en souffrent.

position

ici est telle,

puis avoir une volonté. L'empereur est

premier

qu'il sera le

je reçoive

à

me

que

laisser faire tout ce qui

me

viendra. Pendant huit jours que les fêtes vont durer,

aura pas moyen de

me

mettre au travail

;

Ladurner

ici.

1

me donne un

il

mon

n'y ,

jo

ap-

coin de son atelier,

chez Ferzen, ce qui sera une grande économie

et je logerai

une façon de conserver mes

et

con

mais après

retourne à Saint-Pétersbourg, tout en conservant

partement

je

bon pour moi

si

relations avec la société dans

laquelle je suis aussi haut placé qu'il est possible de l'être.

Le

frère

de

la

princesse Wickenstein, dont

j'ai fait

autrefois

un bout de

portrait,

de toute

Russie, avec un petit droschki. Voilà pour

matériel.

1.

Élève

la

Pour

la

m*a donné un des plus beaux trotteurs

gloriole,

tout va croissant. Les princes,

d'Horace Vernet, mort en 1856 à Saint-Pétersbourg,

habitait depuis

Nicolas, dont

il

1829.

Ladurner a beaucoup

était le peintre

en

le

travaillé

qu'il

pour l'empereur

titre.

10.


JOSEPH CARLE

174

,

me

les rois, etc.,

du

role

nation de

La première pa-

traitent avec distinction.

me

de Prusse a été pour

roi

ma nomi-

confirmer

commandeur du nouvel ordre

qu'il

vient de

fonder.

La

fête

de l'empereur a

demain. Tout est encombré.

lieu

mêmes du palais sont transformées en bivouacs. dans ma propre chambre un aide de camp de Sa Ma-

Les cours J'ai

jesté auquel je n'ai «

en

Tu ne peux donnant

te

pu refuser

te faire

la

l'hospitalité.

une idée du

plaisir

que j'éprouve

nouvelle que je ne ferai pas

mon grand

voyage. Je vois sans regrets ce projet s'évanouir pour

moment, parla pensée que

moins inquiète,

tu seras

vous rejoindrai, sinon plus

la

chute de notre petite maison. Ce malheur

bon cœur que

si j'étais

tôt,

temps

me

fait rire

un de nos ouvriers. L'agran-

dissement de l'appartement de Louise

mon âme un

que

du moins ayant réparé

je

d'aussi

et

le

disparaître de

fait

diable de nuage qui obscurcissait de temps en

l'espoir d'un avenir semblable

aux

belles années

que

nous avons passées. Nous verrons donc grandir nos bons petits-enfants,

leurs progrès.

et,

à

chaque

nous pourrons jouir de

instant,

Cette délicieuse distraction nous rendra

pente qui nous entraîne moins sensible.

En

la

voyant

les

monter, nous oublierons que nous descendons. Les quelques

coups de brosse que

je devrai

mage ne me coûteront «

pour

pas, tu

donner pour réparer

dîner au palais. Adieu

vieux t'embrasse bien tendrement.

Il

faut

ma

,

pluie

aujourd'hui

la

tombe affreusement.

fameuse Il

me pomponner

pauvre

vieille.

Ton

»

«

« C'est

dom-

en es aussi certaine que moi.

Je te quitte pour aujourd'hui. aller

le

Ce 13

juillet.

de Péterhof,

et la

y a eu messe, baise-main,

etc. »

fête


ET HORACE VERNET.

]75

Ce

13

au

,

soir.

«

La

«

Véritablement, rien n'est aussi singulier que ce mélange

fête est terminée.

de peuple

cela tourbillonnant

dans toutes

est naturellement puant, et,

que ça peut-être. Ah! «

si

,

maine.

du

les salles

avec

la

Le Russe

chaleur, tu juges de ce

te dis mille

tendresses pour

!

toi,

à

peindre à

la fin

de cètle se-

»

«Saint-Pétersbourg, aux

«

palais.

etc..

compte commencer

« Je

rois, tout

et

ton, pauvre nez s'était trouvé là

Adieu, chère amie. Je

nos enfants

de

de grands seigneurs, d'esclaves

et

Mes,

10 juillet 1842.

Je reçois à l'instant cinq lettres de Paris qui

me

coûtent

vingt-cinq roubles, c'est-à-dire près de trente francs. Ce

ne serait rion

,

si

toutes étaient de

toi

,

de Montfort ou

d'Eugène Lami; mais des mâtins qui m'écrivent pour

me

charger de prier l'empereur d'acheter leur brochure Sur la

Propagation de V espèce chevaline,

aussi je vais répondre à

papier, etc., etc.

qu'il faut

sances de cœur;

mon

mon

le

le

courage est

temps que

chacun de ces messieurs sur gros

:

ce n'est que

échanger contre de véritables jouisbras n'est pas encore trop

même.

je m'étais

l'aise

et

;

affaibli et

Je prendrai quelques mois sur

donné pour

me

reposer, et

sera bouché. Ainsi, ne te mets en peine de rien est matériel

fort;

Parlons de choses plus intéressantes:

ne pense que médiocrement à notre maison

de l'argent

trop

c'est

le

trou

de ce qui

songe que nos petits-enfants seront plus à

que nous

les

verrons encore longtemps près de

nous; quel bonheur! M. Perrier, qui est rappelé en France, se chargera de porter plusieurs petites choses pour Horace,


JOSEPH, CARLE

176

des armes et des costumes. Je ne suis pas fâché du départ

de notre représentant

ma

:

position sera moins difficile.

penses qu'étant traité tout autrement que être et

souvent embarrassé. Je

mes rapports ont

de politesse que

lui

,

je devais

cependant pas balancé,

été avec l'ambassade plus recherchés elle

si

n'ai

Tu

avait été en meilleure condition.

J'espère que l'arrivée d'un autre chargé d'affaires simplifiera

ma

du

position;

reste, je, puis te dire qu'elle n'en est

pas moins bonne. Le comte de

Woyna, ambassadeur d'Au-

m'a rapporté une longue conversation que l'empe-

triche,

mon compte avec

reur avait eue sur laquelle

il

tère et de

avait fait l'éloge la

fermeté de

«

pas toujours du

«

hommes

même

le

le roi

de Prusse, dans

plus flatteur de

mes opinions avis, c'est

francs sont rares. »

:

«

mon

carac-

Nous ne sommes

pourquoi je l'estime;

Cette conversation

les

m'est

revenue depuis par plusieurs personnes. «

Nous venons de

mais, cette

fois,

temps

le

première journée,

il

taire, c'est-à-dire la

encore trois jours de campngne;

faire

était

admirable.

lant s'est «

la

de tout ce qui

« faire

état-major,

de

la

les régale. Ici

de l'attention générale. L'empereur,

main pendant longtemps en me par-

s'était

retourné, et a dit

mon

fin

réunion de tous les officiers supérieurs

j'ai été l'objet

après m'avoir tenu

la

y a eu ce qu'on appelle un thé mili-

dans un jardin rustique, où l'impératrice encore,

A

:

et je

tout ce que bon

«

passé pendant les manœuvres,

Messieurs, Vernet

mets à l'ordre

lui

fait partie

de

qu'il sera libre

de

semblera dans

le

camp.

»

Aussi

y passer huit jours, ce qui ne sera pas du temps perdu. Avant, nous aurons la fête de Péterhof, et les

irai-je

grandes réjouissances s'arrêteront

pour quelque temps.

commencer

les portraits

dont

répète, je puis

les faire ici

ou à

Je profiterai de ce repos pour je t'ai déjà parlé. Je te le


ET HORACE VERNET.

comme

Paris,

sons.

ça l'arrangera

la

la

De mon

Chambre des députés,

ici.

Je laisse

mon

et

hiver libre pour terminer

de discuter en famille ce qui

pour notre avenir. Et moi

que Delaroche trouvât

ici

aussi,

une compensa-

aux dégoûts dont on l'abreuve en France; pour

tion

filer

dans l'impossibilité de rien com-

cette année, d'avoir

sera le plus avantageux

il

combinai-

que possible de prendre des engage-

belle saison, afin d'être

je voudrais bien

tes

à cet égard.

pour de grands travaux

définitifs

mencer

mieux pour

Réponds- moi franchement

côté, j'élude autant

ments

le

177

cela,

faudrait être sur les lieux. L'église d'ïsaac est entière-

ment

à peindre,

mais comment savoir

les

si

conditions de

forme, de lumière, de sujet s'arrangeront avec les idées de

Delaroche? Le d'engagement,

faire

et

venir exprès

un refus de

une espèce

serait déjà

sa part,

une humiliation pour

un monument auquel l'empereur attache son amour-propre.

Un voyage de dant,

si

que

je

ne

la laisserais

Remercie Nepveu de

dre mes intérêts; je amitié. dire

lui

de tenir

Dans que

ma

le

si j'ai

parole,

la

pas échapper.

complaisance

qu'il

met

n'attendais pas moins de

cas où

obligations, et qu'à

le

cru de

lui parlerait

roi

mon

devoir

pren-

à

sa franche

de moi,

il

peut

d'homme d'honneur

l'homme de cœur n'oubliera jamais

mon âge

mentir sa conduite de toute «

Gepen-

l'occasion se présentait d'arranger tout sans cela,

tu penses «

curiosité serait le meilleur prétexte.

il

la

vie.

Adieu, je t'embrasse ainsi que nos enfants. *

ses

n'est plus permis de dé-

«

Horacp: Yernet.

»


JOSEPH, CARLE

178

XI

LA RUSSIE PEINTE PAR HORACE VERNET

(suite).

— Horace Vernet ambassadeur. — Voyage — Moscou. — Toula. — Poltava et Waterloo. — Le métier d'hirondelle. — Varsovie. — Installation à PétersboUrg. — M. Ingres. — Coup d'œil sur l'état de la Russie en 1842. — Les Juifs. — Enfantillages et tendresses.

Mort du duc d'Orléans. avec

le

,

czar.

Quelques jours après l'envoi de cette dernière nouvelle de

bourg. Ce sait, le

la

triste

lettre,

la

mort du duc d'Orléans arrivait à Péters-

événement avait eu

lieu

comme chacun

,

13 juillet 4842.

Horace Vernet résolut aussitôt de se rendre en France. Il

lui-même tous

a raconté

passa au grand palais, «

par

main

nêtre, et «

la veille

L'empereur, traversant la

il

:

il

m'a

les détails

de

la soirée qu'il

de son départ 1 .

la foule,

est

venu

me

prendre

m'a emmené dans une embrasure de dit

:

«

fe-

Yoilà encore votre malheureux roi

éprouvé par un coup plus terrible que tous ceux qu'on a

« tirés

sur

lui.

La mort du duc d'Orléans

est

une perte

«

énorme, non-seulement pour son père

a

mais encore pour nous tous. Est-il possible de compter sur

«

une régence qui 1.

peut, s'établir

et

pour

la

France,

au moment où rien ne sera

Les renseignements qui suivent sont extraits d'un registre sur lequel

Horace Vernet a noté quelques-uns de

ses souvenirs.


ny «encore préparé? Car, comment préparer une chose qui «

dépendra des circonstances dans lesquelles

ce

sentera ?

»

pré-

elle se

Je lui ai répondu que je m'entendais fort peu

en politique, mais qu'il

de ces choses qui mettaient

était

sujets sur le

les souverains et les

même

terrain;

que

môme cœur

et

que

épargné devait secours à celui que

le

sort déchirait;

pères avaient tous

le

nul ne pouvait savoir

lendemain

si le

le

les

celui qui était

que

consolateur n'au-

pas besoin de consolation; que je demandais donc

rait

Sa Majesté de remettre

un mois de me donner une séance

à

me

pour son portrait; que mon devoir d'homme à Paris pour roi,

me

il

que du moins,

je

si

rieurs d'une vive émotion

homme

:

tête

signes exté-

les

vous ferez ce qu'un

Allez,

«

devant son infor-

avec tous

dit alors

rappelait

ne pouvais approcher du

ma

vît de loin découvrir

L'empereur m'a

tune.

à

doit faire. Si vous voyez le roi des Français,

«

galant

«

assurez-le que je partage tout son malheur; dites-lui tout

«

ce qui pourra lui faire comprendre l'estime que

a ses

grandes vertus

et

L'empereur me*tenait

pour

la

la

main

j'ai

pour

fermeté de son caractère.

;

nous avions

les

»

larmes aux

yeux; nous sommes restés quelques minutes sans prononcer une parole. Lorsque

-

j'ai

pu

parler,

je

lui

ai

demandé

s'il

m'autorisait à répéter entièrement cette conversation,

et^

sans hésiter,

me

il

«

y autorise, mais

je

il

n'a pas achevé.

Tout

qui

a

répondit

«

que «

Non -seulement

le

monde

était

si

je

vous

d'autres choses,.. »

témoin de cette scène

duré plus de vingt minutes. Enfin l'impératrice,

«

:

la

Et moi aussi,

France déplore.

Gomme

devait

«

vous en charge;

voyant l'empereur s'essuyer disant

:

si

je

lui

je

les

yeux,

s'est

avancée en

me

prends bien part au malheur

»

parlais de la douleur d'une

bien comprendre

,

elle

me

répondit

:

mère «

qu'elle

Mais vous


JOSEPH, CARLE

180

ne parlez pas de celle d'une femme;

«

et, là-dessus, elle

»

a regardé son mari avec une expression

tendre,

si

suis reproché de n'avoir pas deviné plus

reur

voyager.

allait

que je me

que l'empe-

tôt

»

Quelques jours après, Horace Vernet se mettait en route, peine arrivé à Paris,

et, à

ongue entrevue à

avait avec Louis-Philippe line

il

laquelle nous

pouvons également

assis-

grâce aux notes qu'il écrivit dès qu'il fut rentré chez

ter,

lui. «

a Je suis allé

son cabinet,

chez

cents lieues, roi !...

tions sur

miennes

la

s'étaient

dû répandre.

le

fatal

pu

le sujet

parler de

permis de jouer dans

le roi

«

vicissitudes qui ont

«

comme

« la «

le roi est

j'étais

rôle qu'il

:

mon

J'ai

m'est

au

dit

que d'une réponse con-

porteur. Après m'avoir ap-

« Dites

accompagné ma

prince, ont mis

;

entré dans des con-

dehors du

en

m'a répondu

prévisions

d'une longue lamentation

je ne voulais me, charger

forme aux paroles dont

toutes* les

circonstance présente.

la

la

commission dont l'empereur

la

sidérations diplomatiques

prouvé,

le

question politique est arrivée;

la

règne glorieux évanoui,

m'avait chargé. Sur ce point,

roi

m'a semblé brisé sous

11

événement, de regrets exprimés avec

d'avenir brisées ont été

que

amassées depuis huit

douleur. Après. un quart d'heure de récrimina-

l'espoir d'un

j'ai

entrant dans

bien qu'elles sortissent; mais celles

plus touchante éloquence,

alors

En

Je regrettais de les avoir provoquées après toutes

celles qu'il avait

poids de

qui m'a reçu.

le roi,

fallait

il

9 août 1842.

,

larmes nous ont suffoqués pendant plu-

les

sieurs minutes. Les

du

Paris

à l'empereur vie,

que

les

comme homme

et

caractère à l'abri d'éprouver

moindre rancune contre ceux qui ont pu méconnaître

mes

intentions. Si les siennes changent à

mon

égard, dites-


ET HORACE VEliNET. que

« lui

est

181

je suis prêt à lui rendre affeclion

absurde de croire que

pour

affection,

force de caractère consiste

a

II

«

à ne pas revenir sur des opinions émises à une époque

«

quand

«

modifiées par les circonstances.

«

bon

«

peut

la

cœur

le

a

la

la

S'il

lumière qui en

le

roi constitutionnel, je

«

mutisme

et je lui répondrai. S'il

« et

jaillit?

me

je suis prêt à

aime mieux

rendre où bon

à faire tout ce qui pourra réunir

« l'alliance est inévitable

par

la suite, et

«

depuis longtemps, aurait rendu

«

prévenu tout

«

gner entre nous a

« race,

Un

le

mal que fait à

l'empereur m'a

la

me

lui

qui,

mésintelligence qui semble ré-

la

mon cher Ho mon malheureux

l'ordre social; car,

fait

bien du mal et

que

preuve du contraire arrivât, lui

de

la

France, de

le rôle

ambassadeur la

il

fallait

lorsqu'il n'était plus

l'entendre... »

Vernet devait donc jouer à côté de notre

existait

politique plus simple et

«

temps pour

parler,

semblera

si elle

enfant est mort persuadé qu'il en était exécré; la

;

deux peuples dont

«

i<

quoi

autocrate

ne suis pas condamné au

pour être

que

était ainsi, à

peut pas. Qu'il consente donc à m'écrire

a

« dites-lui

en

ce qu'il veut à ses ministres, un roi con-

faire dire

ne

,

conviction que ces opinions ont dû être

discussion et

« stitutionnel

la

part de

la

d'ambassadeur officieux

officiel et

tâcher d'obtenir pour

Russie, des égards auxquels,

depuis trop longtemps déjà, on ne s'astreignait plus à SaintPétersbourg. Il

quitta bientôt Paris.

comment

La

suite

de ses

lettres

montrera

ses négociations avortèrent par la force des cir-

constances. «

«

Copenhague 20 août ,

1842.

Voici encore une traversée scandaleuse de bonheur.

Tu ne

te fais

pas idée, chère amie, d'un temps semblable

n

:


t.-

-

-

.

-

-

.

-

...

.

-

Joseph, carle

184

pas plus de

mouvement que dans

soleil brillant et

A

.

la

rue de Richelieu, un

Un bon zéphyr pour diminuer

chaleur.

la

bord, nous ne sommes que six voyageurs, dont trois

femmes soir^

de

fort gracieuses, faisant

la

musique du matin au

de vraies lionnes, fumant, riant, ne refusant pas un

verre de vin, enfin tout ce qui peut égayer un voyage tout

en conservant ce qu'il faut pour

constituer

une

société

aimable et décente, mais bien juste pour l'éducation d'une

jeune princesse russe qui voyage avec son père. Le temps

semble vouloir nous conduire jusqu'à Saint-Pétersbourg sans changer.

S'il

en

mardi prochain, de grand

est ainsi,

matin, nous serons rendus à notre destination. Malgré toutes ces chances heureuses,

j'ai

toujours

gros de vous avoir quittés.

tenons ferme! D'après

faut

Il

que

la lettre

le

cœur un

petit

peu

du courage. Allons,

j'ai

reçue de Louise au

Havre, je pense que bientôt vous serez tous réunis. Alors,

Vous serez heureux. seul, bienloin^

Il

n'y aura que moi qui piocherai tout

bien loin! Ouf! encore une fois, allons! une

bonne pensée me soutiendra

:

celle

monde pour arranger une bonne «

Adieu, chère amie.

«

Me

voici

villace.

J'ai

cordialité.

comment ne

elle

fois

été courte.

Il

la

la

grande

même

m'a demandé

Son intérêt pour

pas refroidi; néanmoins, je n'ai pas cru convela

grande explication tout de suite,

Malheureusement,

;

mais, ces jours-ci,

le

elle'

je n'aurai peut-être pas l'occa-

sion aussi belle qu'aujourd'hui. «

dans

réinstallé

j'avais laissé la famille royale.

prince Pierre Wolkonski étant lieu.

fin.

vu l'empereur, qui m'a reçu avec

La conversation a

s'est

au

tout

»

encore une

nable d'attaquer

aura

d'avoir fait

Qu'y

faire?

Je pars avec l'empereur dans les premiers jours de sep-

tembre pour parcourir 1,500 lieues de pays en sept se-


m

ET HORACE VERNE T.

maines. Nos plus longues courses sans arrêter seront de quarante-huit heures.

Nous avons douze

séjours. Ainsi, tu

vois qu'il n'y aura pas de grandes fatigues. J'ai pour

une bonne calèche. Voici

seul le

général Orlof ,

ne

je

te

toutes

la

quantité

Hhook

Ce que nous aurons

à voir,

d'aides qui

directions,

lês

moi

maître,

le

,

dirai pas; c'est encore un mystère. Si on en

le

juge par

est choisie.

le

:

général

général d'Adlerberg

le

La société

et moi.

voyageurs

les

se

il

n'aurai pas la satisfaction

d'avance

partent

passera bien des

dans

choses. Je

de t'en rendre compte à me-

sure, car... N'importe! tu auras toujours des nouvelles de

ma «

me

santé.

Mon

retour

prompt a étonné

si

ici.

Ce que

la société

de questions annonce bien l'inquiétude où

fait

elle est

sur l'avenir de ce pays. Depuis quelque temps, dans l'arméô

comme

dans l'administration,

affreux.

Il

y

il

se

commet des

a quelques jours, le frère

sous-ministre des finances, a eu

la

assassinats

du prince Gagarin,

cervelle brûlée par

un

employé. Le criminel a été condamné à 6,000 coups de baguette;

il

n'en a reçu que 1,200, puis

tenant, on a découvert

que

commettre ce crime par raison de

la

le

il

Il

Main-

désespoir d'avoir été chassée en

déclaration qu'elle avait

faire

mis par de grands personnages. La vérité tard.

est mort.

cette victime avait été portée à

des vols com-

est arrivée trori

en résulte une grande fermentation dans

moyenne qui ne trouve aucune

la classe

protection contre les sei-

gneurs. « Èri arrivant ici

je n'etisse rien de

,

celui de

trouvé toutes vos

:

elles

je

Quoique

les ai lues

ont continué nos conversations

Mon voyage commence par un

me

lettres.

nouveau à y apprendre,

avec bien du plaisir

de Pàris.

j'ai

tenir éloigné de tout ce

sacrifice

énorme,

que j'aime au monde.


184

A ai

peine ai-je rempli des obligations

(la

satisfaction

que

un éloignement de

retirée avait été achetée par

j'en

trois

années), j'en contracte une nouvelle dont les conditions sont dures pour rage,

le résultat

le

présent, mais que j'accepte avec cou-

devant être bon pour tous. J'arriverai au

bout, parce que je

le

Ma récompense

veux.

sera d'autant

plus douce, que personne n'aura eu autant à en souffrir que

moi. Quant à ton

cœur

ma bonne

toi,

ressentira de

Louise, je sais tout ce que

tiraillements; je sais

m'aimes, comment tu aimes tous

comment nous

sais aussi

môme que reste

que

dans

le

corps lorsque

qu'il

la

te

tu seras triste, cours

dans «

rêt.

loin.

de nous, depuis

le

l'âme

Songe

mariage

mois qui vont s'écouler,

Quand

feront passer de bons instants.

de

vite les baiser

que

ma

part. Je te

tu feras

en

donne

mon nom.

de ce genre

bourse.

Le voyage que Pendant

je vais entreprendre est d'un

six semaines, je ne quitterai pas Y

je le verrai à toutes les minutes.

de longues tamerai

comme

retour, j'aurai encore bien des fonds

ma

Tu

es la moitié de moi-

pensée est bien

les six

carte blanche pour la dépense

A mon

tu

importe pour nos vieux jours de

conserver compacte. Pendant

nos petits-enfants

Tu

de nos enfants,

je te confie le lien qui a fait

de Louise, un tout

les tiens et les nôtres.

t'aimons.

je laisse auprès

comment

le

grand

inté-

Homme

4 ;

Nous aurons sans doute

et fréquentes conversations

dans lesquelles j'en-

rapprochement que nous désirons tous.

J'ai

bon

espoir, car l'opinion générale est toute préparée et chacun

désire voir la France liée avec ce pays.

pereur à vaincre, c'est-à-dire

prendre qu'une plus longue

1.

L'empereur Nicolas.

il

Il

n'y a que l'em-

n'y a qu'à lui faire

com-

résistance passerait vis-à-vis


ET

HORACE VER NET.

du monde entier pour de l'entêtement. Avec roi,

que

l'espoir «

me

je

garderai bien de donner toutes à

de mener

la

du

paroles

les

la fois, j'ai

chose à bonne On.

La famille impériale a quitté Péterhof pour se rendre pour venir

à Tsarskoë-Selo. J'ai profité de la circonstance

passer trois jours en ville, afin d'acheter quelques petites

choses dont

j'ai

besoin pour

mon

voyage,

en cuir, sac pour mes livres de croquis, l'empereur a

fait

demander

si

je suis

que coussin

telles

malade

et

Déjà,

etc.

etc., si

je revien-

drai demain. Je ne suis pas fâché de la circonstance

me prouve «

qu'il a

Voici une longue lettre, et je ne

de ce que je voulais

Ma

chère amie,

temps que certain.

1

la

moitié

»

Saint-Pétersbourg, 10 septembre 1842.

j'ai

mes arrangements pour

fait

je dois passer ici.

Lemaire

pas dit

t'ai

dire; mais adieu.

te

«

«

qui

besoin de moi.

Tu m'approuveras,

le

j'en

suis

part; je prends son établissement

pour

100 roubles par mois; l'appartement est très-simple, mais parfaitement

commode

:

j'ai

cuisine, écurie, etc., dans un

beau quartier, tout près de Y Ermitage lier

mirobolant. Voici au juste

45 roubles pour

pour

ma

pour

russe, 35

j'ai

un ate-

compte de mes dépenses 45 pour

cuisinière,

mon domestique

val; total,

le

>

la

mon

:

cocher, 100

nourriture du che-

225 roubles par mois. Je n'aurai d'autre dépense,

en outre, que

ma

nourriture, celle de Charles et le

marchand

1. M. Lemaire, membre de l'Institut avait été appelé à Saint-Pétersbourg par l'empereur Nicolas pour décorer de sculptures la grande église ,

d'Isaac. C'est le succès

obtenu en France par

le

fronton de la Madeleine

qui avait désigné- notre compatriote à l'attention du czar. artistes français

à l'étranger.)

(

Dussieux, Les


JOSEPH, CARLE

186

de couleurs. Avec mille francs par mois, j'aurai plus

me

ne

faudra, argent de poche compris.

Nous partons demain. On vient de m'envoyer une sa-

«

coche d'argent pour

Tu

vois

moi

pourboires que j'aurai

les

comment l'empereur

à Taise. Cette sacoche, n'étant pas à la

s'y prend

maison

Le bateau arrive,

me

soir, et

me

voilà

et

ainsi

lettre

11

l'eau.

de

pour moi

!

doit

sans doute

elle n'est

Je pars ce le

si

gronder de

te

Tu auras

combinaison; dans ce cas,

septembre.

deux mois sans nouvelles, juge

bec dans

le

gens

»

pas de

paraîtra long. J'ai envie

les

laissé la clef,

lorsqu'elle est arrivée,

«

«

donner.

à

pour mettre

dont on n'a pas

contenir une fameuse somme.

me

qu'il

me

temps laisser

quelque

fait

pas heureuse, mais je

pendrais que je n'en resterais pas moins sans nouvelles

et je n'aurais plus l'espoir d'en recevoir plus tard. Ainsi, je

me « le

décide à vivre. si

ce n'est que demain j'entame

Embrasse tous nos chers

enfants. Je devrais bien n'en

Je n'ai rien à te dire,

grand voyage. «

pas faire aussi.

autant pour toi, mais n'importe! je t'embrasse

»

«

«

Me

voilà

donc encore une

chances de bonheur

me

Moscou, 15 septembre 1842. fois

suivent.

Quant aux commodités de voyage, serais prince

du sang que

en route. Les

Le temps je ne

est

mêmes

superbe.

t'en parle pas. Je

je ne serais pas

mieux

installé.

«

Je suis monté en voiture six heures avant l'empereur

afin

de pouvoir m'arrêter à Novgorod, où je voulais voir

une

église pittoresque qui date

de 900. Les portes sont en


VERNE T.

ET HORACE

187

bronze sculpté venant de Constantinople. est curieuse elle n'a

Cette antiquité

Du

parle mélange de sacré et de profane.

reste,

de remarquable. Les peintures grecques de

rien

l'intérieur sont très-bien conservées; mais, ce qui distingue l'église, c'est d-e

son aspect bizarre

:

elle

semble être construite

tubes, les uns creux, les autres pleins,

manière que

superposés de

vides s'appuient sur les solides. Là, l'em-

les

Nous nous sommes arrêtés au delà de pour voir manœuvrer quatre régiments de cavalerie,

pereur m'a rejoint. Toula,

et le soir

nous étions à Moscou.

« Jusqu'ici,

il

n'y a rienjde très-piquant. Cependant, nous

avons eu unépisode dans une auberge. Nous courions le

vent. Tout à

chon,

et,

coup l'empereur

s'arrête, entre

au bout de cinq minutes, nous

dîner. Figure-toi

une

petite

chambre de

fait

comme

dans un boudire de venir

bois,

une

table,

quatre chaises, deux chandelles, un autocrate, deux généraux et

un peintre mangeant

soupe aux choux, tout en causant

la

familièrement. Constantinople, à

Moscou, dont

Syrie, l'entrée des Français

le

trentième anniversaire

le

fond de

c'était

d'autres choses ont

la

fait

la

,

et bien

conversation. Je t'as-

sure que c'était d'un très-grand intérêt. Si je n'avais pas été acteur, je

me

serais cru

au spectacle. Aujourd'hui, après

un

palais qu'il

construire au milieu du Kremlin. C'est un

monument

l'adoration des images, l'empereur a visité fait

gigantesque de style byzantin, parfaitement bien compris, et

en rapport avec

rent.

Du

moins,

ici,

reste des constructions qui l'entou-

le

voilà

de l'architecture nationale, car

il

y a aussi un peu de tartare dans les détails; ça n'en fait que mieux, par la raison que l'exécution barbare a disparu et a fait place à tout ce

que

les

progrès de

la

civilisation

ont apporté d'améliorations dans les arts. Enfin, selon moi, c'est

un pas

fait,

vers

le

but que tout artiste devrait s'effor-


JOSEPH, CARLE

388

cer d'atteindre, qui consiste à joindre

par «

Après

promenade,

cette

liberté, et je suis à

l'avenir

t'

y a eu une revue, puis un

il

s'est retiré.

me

resque, car

le sol est si

richesse;

France quand

la

qu'ondulée

bon qne

comme

c'est

livrerai

»

passe d'admiration

je

ce n'est pas sous

la terre n'est

sa

Koursk, septembre 1842.

Depuis Moscou, chère Louise, Ici,

me

coucher. Bonsoir.

«

en admiration.

Chacun a repris

auquel je ne

écrire, plaisir

pas longtemps, car je vais

mais

mieux.

le

grand dîner. L'empereur

«

passé

le

le

rapport du pitto-

et dépouillée d'arbres

;

récoltes sont fabuleuses de

les

dans nos plus belles provinces de

population est assez considérable

cultiver avec plus de soin. Je ne

sais' si

dans

le

pour

monde on

pourrait trouver une contrée semblable. Pour m'avoir frappé, il

faut

que ce

remarquable, car tu sais que je suis

soit fort

peu sensible à ce genre de beauté.

Il

y en

a d'autres qui

me touchent bien autrement, et j'ai l'occasion de satisfaire mon goût pour les soldats. Figure-toi que je suis au beau milieu d'une colonie militaire

de dragons ont

défilé ce

me

chant pour l'arme, je Il

faut dire aussi

que

:

matin

c'est

J'ai

le

!

Malgré

vois forcé de

mon peu de penrendre justice.

lui

une nouvelle organisation qu'on

doit au génie de l'empereur;

qu'on puisse trouver

quatre-vingt deux escadrons

mais

il

n'y a qu'en

moyen de monter une

vu plus de dix mille chevaux ce matin.

Russie

telle cavalerie.

n'y en a pas un

Il

qui ne passerait chez nous pour un très-beau cheval d'officier. Je brise sur les éloges,

car,

si

je voulais tout dire, je

n'en finirais pas, et je te connais assez pour savoir que tu

trouves plus à ton gré que je te parle de moi. porte à ravir.

Nous avons un temps du mois

Eh

bien, je

me

d'août. Lorsque


ET HORACE VERNE T.

comme

nous ne courons pas de

très-jolies villes, toujours

dies ne leur laissent guère

calamité, mais feu,

il

comme

vent, nous stationnons

presque neuves, car

temps de

le

vieillir;

les

dans

incen-

une

c'est

tout est en bois et qu'il faut faire

que

est tout simple

le

189

les

du

sinistres se multiplient. Ce-

pendant, à Toula, l'empereur a visité d'admirables constructions en brique et fer, destinées à la

d'armes qui avait été détruite

même

ne connais pas,

il

fameuse manufacture

y a plusieurs années. Je

en Angleterre, d'établissement aussi

considérable et surtout aussi beau. Les ingénieurs sont des

gens de mérite incontestablement; mais aussi quelles ressources l'empereur met à leur disposition!

L'empereur est pour moi ce

«

bonté parfaite. Qu'ai-je

me

comme

traite

l'égal

de toutes

me

s'il

pour

lui ?

devait de

la

Rien encore,

Quant

à

me

peux donc m'en

me

croire. Je te répète :

c'est

au-

qu'en

du caractère de Sa Majesté.

voue une respectueuse admiration.

lûi

Nous passons

«

il

connais assez pour savoir que j'y

a l'idée la plus injuste

moi, je

et

reconnaissance et à

jourd'hui ce que je soutiens depuis longtemps

Europe on

d'une

personnes qui l'entourent. Je ne

les

laisse pas aveugler; tu

vois assez juste; tu

fait

qu'il a toujours été,

après quoi, nous nous

trois jours ici;

remettons en route.

Il

me

tarde bien d'arriver à Varsovie,

car je suis et serai sans nouvelles jusque-là.

«Un

courrier part d'ici cette nuit. Le général d'Adlerberg.

qui est mille fois bon pour moi, se charge de mettre cette lettre «

de

1,

dans

le

paquet

1 .

Adieu, chère amie, je vous embrasse tous du meilleur

mon cœur. Il est

en

»

effet facile

de voir, au ton de cette lettre, qu'HoraCe Ver-

net ne se sert pas d'une voie dont

il

soit

absolument

sûr.

La note

thousiasme est certainement un peu forcée. 11.

d'en-


JOSEPH,

190

Élizavetgrad, 30 septembre 1842.

«

«

C A RLE

Je passe, chère amie, de surprise en surprise. Vérita-

blement, on n'a aucune idée en France de Russie que je traverse maintenant. Je

dorure

,

qui

en raison de

,

la

la

partie de la

fais la part

de

la

présence de l'empereur, re-

couvre bien des misères; mais

pour moi

la

il

n'en résulte pas moins

conviction que toutes les institutions du gou-

vernement tendent aux progrès

civilisateurs dans

qui, sans rien détruire de l'obéissance dont

veau a besoin, doit développer

un ordre

un pays nou-

l'intelligence

de ceux qui

jusqu'à présent étaient restés dans l'esclavage. C'est par l'armée que et ses

la liberté est

introduite.

Tout soldat

enfants reçoivent une éducation

est libre,

qui les place de

droit au rang de sous-officiers. Plus de six mille sortent

par année des colonies militaires, sans compter des cadets qui fournissent

le

même nombre

les écoles

d'officiers.

Les

établissements destinés à ceux-ci sont admirables, non-seu-

lement par

la

force des études qu'ils doivent faire, mais

aussi par le comfortable et les soins dont chaque individu

que

est l'objet. C'est-à-dire

si

l'abnégation entière de toute vo-

lonté individuelle n'en était le principe.

réunion de toutes

les volontés

est

Il

est impossible qu'il

tributaires les

a sa place,

que veut une seule vo-

mais

le

chaos se débrouille;

l'affinité

qui doit les rendre

uns des autres n'existe pas encore Une vo-

lonté supérieure peut seule avancer ce

persuadé que

c'est la

faits; ici,

en soit autrement. La Russie

pour ainsi dire au moment où

chaque élément

Pour nous,

qui accomplit les

tout doit concourir à exécuter ce lonté.

une minute

chers petits-enfants au système

à confier le sort de nos

d'éducation en usage,

je n'hésiterais pas

c'est à ce

moment,

et je suis

grand œuvre que l'empereur tra-


ET HORACE VERNET. Ce que

vaille.

je vois tous les jours

191

m'en donne l'assurance.

ma réputation d'homme léger, j'ai vu tant de choses que mon coup d'œil me trompe rarement. Tu diras que Malgré

de l'orgueil; n'importe!

c'est

comme

qui ne parle pas, tude. Si je

me

c'est l'opinion d'un peintre,

Fénelon

Bossuet

et

,

multi-

à la

trompe, nous en serons quittes pour en rire

plus tard, lorsque nous cracherons sur nos tisons. «

faut

Il

que

je te parle aussi

Depuis Moscou jusqu'ici, je

du pays que

je parcours.

vu que de grandes plaines

n'ai

toutes plates et coupées de distance en distance par de pro-

fonds ravins, où coulent des ruisseaux, des rivières et des

comme

le

d'exubérant sur

la

fleuves,

Volga,

le

surface de

Dnieper,

etc.

etc.,

tumuluSj qui se chargent de dire aux passants: «s'est battu. »

Vainqueurs

même herbe croît

La

d'un Suédois ou d'un Cosaque.

tée d'une

bondir

ne

Russie vive, ainsi que

« et

le

le

Il

votre prospérité.

la

cœur

;

écrit

ombres sont venues se présenter

à

foi,

a

champs de

été brisées. Ici,

paix!

»

bataille,

du moins,

une même couche de mais

terre

le

moi

:

Charles

vaincre les Français! les

XII

et

mon pauvre

la

où deux grandes gloires ont

mort a réuni

comme

ennemis sous

les

voulant dire

:

«

Après nous,

champ de Waterloo couvert de monu-

ments qui revendiquent

la

votre gloire

éprouvé une douloureuse sensation en rapprochant

ces deux

« la

Quant

«

mots, deux grandes

Napoléon, Poltava et Waterloo!... Chère amie,

cœur

:

pourvu que

tient pas à la vie,

lisant ces

surmon-

celle-là est

pureté de votre

En

»

même

le

y a cependant une de

grande croix sur laquelle on voit

Pierre, sachez qu'il

« à «

fait

sur

on

corps d'un Tatar, d'un Polo-

trou. nais,

ces buttes qui m'a

« Là,

vaincus, tous sont dans

et

n'y a

Il

terre qu'une multitude de

la

la

S'ils

nôtres sont morts,

part de gloire que chacun a eue à

ont refusé de marquer c'est

qu'elle était trop

la

place

grande


JOSEPH, CARLE

192

sans doute. Alors,

sous

ils

ont bien fait;

stérile

poids de leurs trophées de fer; celle qui couvre nos

le

soldats suit les lois de la nature, etc., je fais

gémit

terre

la

du pathos

etc., car

voilà

que de

à la d'Arlincourt, plutôt

te

que

parler

de tout ce que je vois d'intéressant.

sommes dans un pays qui présente un nouveau caractère, et les Juifs commencent à se montrer en nombre considérable. Ma Bible à la main je les retrouve Déjà nous

«

,

tels qu'ils

sont partout

:

bas,

sales, les

yeux malades,

riches sans doute, mais toujours rampants.

Le costume turc

commence

et,

à se

serons sur

la

montrer parmi

femmes,

les

lorsque nous

frontière de la Moldavie, je retrouverai toutes

habitudes de mes chers Orientaux que j'apprécie chaque

les

jour de plus en plus. Plus je

vieillis,

nécessaire, car l'avenir devient

si

plus

court!

Il

passé m'est

le

faut le faire le

meilleur possible. «

Bientôt je serai à Varsovie; j'aurai de tes nouvelles, de

celles

me

de nos enfants. Cette idée

aussi heureux

que lorsque, plus

rend pour

le

moment

tard, je reverrai les tours

Notre-Dame. «

Je ne voulais te dire qu'un simple

saches que je

me

mot pour que

comme un charme, que comme à vingt ans, et que,

porte

métier d'hirondelle

départ de Saint-Pétersbourg,

tu

mon depuis mon je fais

déjà vu deux cent quatre-

j'ai

vingt-quatre escadrons! «

Adieu.

»

«

«

faire

Varsovie, 11 octobre 1842.

Chère amie, nous n'avons plus que deux cents lieues

pour avoir terminé notre tournée,

jours nous serons rentrés en

jambes

et je

me

fixe

ville.

et

Alors, je

à

dans quelques

me coupe

devant mon chevalet. La rage de

les la


ET HORACE VERNET. commence

peinture

193

me faire sentir son despotisme. Je ma veste grise. Ce matin, je suis

à

n'aspire qu'à reprendre allé voir

chez Sucodabsky quelques-uns de ses tableaux.

voulu

J'ai

n'ai pas

donner des conseils. Sa palette

lui

pu y

l'exemple.

m'en suis emparé

tenir, je

et j'ai

un bonheur que

barbouillé avec

J'ai

était là

prêché par je

ne puis

un dessin.

d'écrire, je ferais «

me

L'accueil que

j'ai

reçu

flatterait, si je n'étais

Ah! quel

blable partout.

c'est à

de

ici

la

part de tout le

monde

habitué à en recevoir un sem-

orgueil!...

mon mérite que

ce n'est point à

Non, non, chère amie,

j'attribue tant d'honneur,

ma bonne étoile que je dois la belle position me trouve. Je n'ai d'autre avantage sur les

dans gens

laquelle je

moins favorisés que de

moyens

diriger par des «

Quoique

le

l'avoir laissée faire sans vouloir la factices...

temps me presse,

à vous et que

me ramènera

Je

le

même

sentiment qui m'a

plus tôt possible

,

pas

Ma moins du monde

plaindre encore.

le

battent de «

l'aile,

à

Cependant, je

et

ma

et,

sens

Tsarskoë-Selo, 18 octobre 1842.

De Varsovie faire

ici,

nous n'avons

258 lieues. Pas

le

santé toujours robuste. Je vais

prendre congé de l'empereur, comble,

me

»

mis que cinquante-huit heures pour

me

la

n'ai point

commencer par l'empereur.

est terminé.

moindre accident,

vous quitter

fatigué, et j'en vois d'autres qui

Adieu, tout à vous tous.

Mon voyage

fait

parole d'honneur, je ne

«

«

dire,

je pense bien

car je sens vivement que

vieillesse a besoin d'être soutenue.

me

veux encore vous

je

que moi aussi

à vous tous qui pensez à moi,

il

je

rendre. Tiens, je ne veux plus y penser, car, au lieu

te

à

;

le

remercier des faveurs dont

deux heures aprôs,

je serai à Pétersbourg,


JOSEPH, CARLE

191

quitte la cape et l'épée pour réprendre

je

peintre et ne

la

la

veste

du

plus quitter de longtemps, c'est-à-dire jusqu'à

ce que j'aie terminé les travaux que je vais entreprendre.

Plus tard, je

«

une description entière de mon

te ferai

voyage; aujourd'hui,

il

ne sera question que de

du beau temps, qui justement

départ, m'a conseillé d'emporter il

s'est

une

je n'en avais

chargé de m'en envoyer une. En

effet, elle est

ma

pelisse

200 roubles. Aux premiers froids, je

me

mots sur mon dos, pour

:

la

rendre chez l'empereur. Tout

fourrure, je ne la quitte qu'au

d'entrer dans le salon; mais figure-toi

ment

la sai-

;

arrivée, coûtant

glorieux de

pluie et

un de mes amis, au moment de mon

son. Heureusement,

pas;

la

pour

est déjà affreux

tous les poils étaient sur tous

mon

moment

désappointe-

mes membres. Ésau

avec sa toison n'était qu'un oiseau plumé auprès de moi.

Grâce

à

ma

pelisse, dont la doublure pourrait maintenant

bocaux de cornichons,

servir à couvrir des

de

telle

infini

me redonner parties de mon

pour

quelques nal.

a fallu

qu'il

sorte,

Cependant ce qui

m'étriller

figure

pendant un temps

humaine

restait

encore de velu à

prendre aux cheveux avec

rendre semblable à

et faire ressortir

noble uniforme de garde natio-

singe m'a rendu quelques services pendant à force de se

j'étais ébouriffé

la tête

la

mon

cul

de

route. Charles,

lui, a fini

par

le

d'un teigneux; mais, du moins,

ce qui reste est solidement attaché et a résisté à une foule

de coups de bâton.

»

«

«

Je suis installé dans

Saint-Pétersbourg, 19 octobre 1842.

un appartement assez commode,

mais d'une tristesse affreuse, entre deux cours hideuses de malpropreté. je

Comme

m'en moque.

je

ne passe pas

mon temps

à la fenêtre,


ET HORACE VERNE T.

195

Avant mon départ de Tsarskoë-Selo

ci

venir dans son cabinet.

fait

m'a

11

mon

content de

rendez-vous avec

J'ai

voir les places de

mes tableaux

mon mieux

puis

me

dissimuler que

l'empereur arme une

affaire

ment,

le

et j'espère

Adieu.

Je suis

mon

atelier. Ainsi,

plus à penser qu'à peindre

me

faut

il

tenir ferme. Je ne

je

l'ai

fait

que

vie, je ferai

la

part qui

me

sera faite n'aura pas à

de diminution.

»

si

Saint-Pétersbourg, 22 octobre 1842.

heureux d'avoir reçu de

tes nouvelles, chère

que

je vais

mener maintenant que

me mélancoliser un dans mon magnifique

peu.

au travail

atelier.

train, tu sais

que

je fuis le

de vaincre cette mauvaise habitude

ver

les relations

bonne mine

j'ai

contractées.

et, je puis le dire,

ingrat si, de

mon

je

me

côté, j'avais l'air

joie.

La

en

ville

me

mets

Lorsque je suis

monde. Cependant

rai

que

ma

je suis

Demain

pourrait bien

en

ma

ceux que

ma

toute

Louise, que je veux t'écrire sous l'influence de triste vie

dans

faveur dont je jouis auprès de

la

«

«

Il

plus simplement possible, consciencieuse-

souffrir plus tard «

réponse.

je suis parti.

et choisir les sujets. Je vais

terrible artillerie chez

Gomme

position inquiète.

mon

car

;

si

demain, au Palais d'hiver, pour

lui

trois jours je n'aurai

et à faire de

ma

Après quoi,

le soir.

aujourd'hui chez M. Labinski pour

deux ou

je lui eusse dit

voyage. Tu devines

m'a engagé à dîner pour

ne voulait pas

dit qu'il

que nous nous quittassions, sans que j'étais

l'empereur m'a

,

,

afin

Chacun

je tâche-

de conserici

me

fait

recherche. Je serais un

de ne pas y être sen-

sible. «

un

Me

voici installé

vilain escalier,

un

dans

mon

nouvel appartement.

véritable casse-cou.

Le reste

J'ai

n'est pas


JOSEPH, CAR LE

196

me

mal. D'ailleurs, je retards de

la

pour

notre

lire

poste.

trouve bien de tout, excepté des

ne faut cependant pas grand temps

Il

correspondance,

qu'ont-ils

et

ap-

à y

prendre?... «

Ma maison

quelques jours, je « J'écrirai

ma

montée,

est te

dépense

donnerai des détails

dans

est fixée;

positifs.

directement à Delaroche sur une exposition

publique des beaux-arts, où Ingres joue un rôle qui ne ferait

que

pas

rire.

pas partagé l'enthousiasme

je n'aie

cette peinture a excité à Paris, j'ai toujours soutenu le

l'homme. Son école peut être

talent de

pas moins

est

Quoique

vrai

que Ingres

est lui,

tions qu'il pille chez les anciens.

tion

le

du goût dominant qui

homme

le

Il

fatale;

mais

malgré

les inspira-

n'a jamais fait

n'en

il

abnéga-

caractérise, ce qui en fait

un

inimitable, non par ses perfections, mais par sa per-

sonnalité.

Dans ce

champion

sens, je suis son

ici,

la

plupart des Académiciens sont des gens sans qualité individuelle

plus ou moins imbibés des écoles italienne

,

ou

allemande, et qui ne jugent du mérite d'un peintre que sur la

du maître

perfection de l'imitation

que

dire aussi

en courant

les

la société

qui

qu'il a adopté.

son éducation artistique

fait

d'où

il

s'ensuit qu'on ne fait

du

talent, à

moins

aux choses du moment

et à ce

qui

cas de l'individualité

Pour mon compte,

aucun

qu'elle ne s'applique

flatte

l'amour-propre

j'en suis ravi, c'est

mon

affaire;

mais cette position particulière ne m'empêche pas de tous

mes

faut

pays étrangers rapporte des souvenirs que

cette imitation ravive;

national.

11

efforts

pour qu'on rende justice

à

faire

un homme

supérieur. «

Pour

la

première

quante-trois ans,

fois

me voici

de

ma

vie,

seul, forcé

n'attendant de secours que de

la

chère amie, à cin-

de m'occuper de

tout,

part des gens que je paye.


ET C'est toute

une éducation nouvelle;

mais ce ne sera pas, je

mon

fications à

HORACE VERNET.

le

il

197

faut qu'elle se fasse;

crains, sans apporter quelques

caractère;

modi-

pourvu que ce soit en bien! Pendant

cinq mois que je viens d'employer à faire 3,400 lieues,

les

sans avoir eu l'occasion, pour ainsi dire, d'échanger une parole avec un ami,

j'ai

eu

le

temps de creuser mes idées

sur l'avenir. Je vais faire l'application d'une nouvelle existence dont

par

ma

la

gravité ne m'effraye pas trop.

la solitude,

où je

me

trouvais

suis préparé

fréquemment pendant

si

ma

dernière course. Tout seul dans

JV

ma

voiture ou dans

chambre, quand nous logions quelque part,

je ne pouvais

échanger une parole qu'au dîner. Le reste du temps se passait en

de

la

manœuvres, au milieu du

bruit,

de

fumée du canon, d'inspection d'écoles

civiles, d'hôpitaux, etc.,

etc..

Il

n'y avait que matière à

sans échange de pensées. Je n'ai donc qu'à

observation,

continuer avec l'avantage d'avoir

mettre en œuvre quel en sera

le

le fruit

résultat.

,

libre arbitre et

Sous certain rapport, :

je n'ai point

de

je

ne doute

encore oublié de

mené ma barque que par

peindre; mais jusqu'ici je n'ai

pour ainsi dire

mon

de mes réflexions. Nous verrons

pas qu'il ne soit satisfaisant

instinct

poussière,

la

militaires ou

ayant sans cesse sous les yeux les

besoins de ceux auxquels j'étais nécessaire, besoins auxquels je pouvais faire instantanément l'application

sources.

Il

n'en est pas de

même

être calculé, approfondi, et sur

de mes res-

maintenant; tout doit

moi seul roule toute

ponsabilité d'une année plus ou

la

res-

moins bien employée,

et

de laquelle peut dépendre une nouvelle existence pour nous. «

Le froid

s'établit

solidement dans ce moment; mes

doigts en savent quelque chose. «

Je pense que voilà

la

dernière occasion de t'écrire d'une

manière sûre. J'en profite pour

te

donner

le

résultat

de


JOSEPH, CARLE

198

mes observations sur mes yeux. Comme

tout ce qui vient de se dérouler sous

je te

déjà dit,

l'ai

j'ai

vu des choses

admirables, dont on n'a aucune idée en France. Tout ce

qui n'a pas besoin du concours de l'opinion du pays, et qui

peut se faiiepar

volonté d'un seul, est merveilleusement

la

organisé. Ainsi, l'armée, les établissements pour l'instruction,

pour

les

hôpitaux, pour tout ce qu'il y a d'utile et de

philanthropique, sont sur un pied extraordinaire d'ordre et

même

de luxe. Je n'en dirai pas autant sur d'autres points.

La justice surtout,

y a de moins bien

paraît-il, est ce qu'il

organisé. Sur les milliers de pétitions qui ont été remises à

l'empereur pendant son voyage, plus des trois quarts

pour réclamer auprès de

étaient adressées

jugements prononcés par l'empereur ne peut tout

contre les

tribunaux. Peine perdue, car

les

lire.

lui

lui

Chaque

un rapport général. Ce rapport

soir,

était fait

on

lui présentait

dans l'opinion du

rédacteur. Le plus souvent, ce rédacteur, accablé de fati-

môme

gue, ne prenait

pas

peine de

la

jusqu'au bout, et cependant

l'affaire

dernier ressort. Trop heureux quand

pour rien! Qui trop embrasse mal

lire la

supplique

se trouvait jugée en la.

vénalité n'y était

étreint. Voilà

où en

l'emperenr, qui veut être l'arbitre de tout ce qui se

dans son empire. Plus

le

pays tend à se

est fait

civiliser, plus les

questions se multiplient et plus l'esprit du peuple cherche à

éluder

la loi.

voir, parce

raison «

cou la

Aussi

que

la

partie civile échappe-t-elle au

bonne

du peu de Chance

Mon voyage, :

la

à partir

de

le

n'est plus

qu'une duperie en

qu'elle a de trouver protection.

chère amie, ne commençait que de Moslà,

je voyais

nature est presque

chant vers

foi

pou-

Midi,

la

les

du nouveau. Jusqu'à Toula,

même;

mais, de ce point en mar-

arbres deviennent rares; puis on

n'en voit pour ainsi dire plus jusqu'à ce qu'on remonte


ET HORACE VERNET. donne

vers la Pologne. Je te

lesquels nous avons passé

la liste

Moldavie

et la

des gouvernements par

Toula, Orlov, Koursk, Ukraine,

:

un coin de

Ékaterinoslav, Tauride, Kherson;

pour voir Bender

190

;

grand-duché de Varsovie, Grodno

hynie,

verras sur

que

la carte

c'est

Bessarabie

la

rentrée en Podolie, Vol-

Tu

et Vilna, etc.

une promenade assez longue.

Je n'ai pas tenu à voir Odessa, qui n'a

rien d'intéressant

pour un peintre. «

Gomme

je crois te l'avoir dit,

calèche, six chevaux, Charles à côté de

tique parlant russe, sur

nécessaires fermant à

le

siège;

clef;

une très-bonne

j'avais

moi

un domes-

et

mes bagages dans de bons

une cantine qu'on

garnissait

chaque jour au moment où nous nous arrêtions pour dîner afin d'avoir à grignoter

faisions

qu'un seul repas. L'empereur

mange que de

la

est très-sobre

soupe aux choux, dans

concombres

laquelle

:

y

il

il

ne

a

du

un peu de gibier ou de poisson, de

lard et de la viande, petits

jusqu'au lendemain, car nous ne

salés, et

il

ne boit que de

l'eau.

Pour

le

liquide, j'agissais autrement; quant au reste, je m'en ac-

commodais était

nous séjournions,

très-bien. Lorsque

la

cuisine

recherchée; on se piquait de nous faire manger tout

ce que

le

pays produit de plus délicat

de

sterlet et l'outarde,

l'élan, etc.,

tout à fait aussi heureux

une

arrêtions pas dans

pour

ville;

etc.

le gîte,

et

de plus rare,

Nous

le

n'étions pas

lorsque nous ne nous

mais, pour peu qu'il se trouvât

quelques maisons réunies, on nous logeait militairement chez

le

bourgeois. Alors-,

suffisait d'être

de

en particulier,

la

gros bonnet), par tout et

que

« le

suite

j'étais la

il

n'y avait rien d'assez bon;

pour qu'on mît tout en

toujours

raison que

le

moi

mieux partagé (sauf

mon nom

célèbre Horace Vernet

curiosité générale,

l'air;

était

il

le

connu par-

» était l'objet

sans compter qu'il était aussi

le

de

la

point


JOSEPH, CARLE

200

de mire de tout ce qui

est resté

de prisonniers français. Li

plupart sont instituteurs ou Font été, de sorte qu'il n'y en

un qui ne m'arrivât avec une bande de jeunes

avait pas

me

gens. Les uns «

gros;

Enfin

me

autres: «Je

» les

me

Monsieur, je vous croyais

«

:

que vous

figurais

étiez grand.»

passé à l'inspection de tous les marmousets de

j'ai

grande

disaient

et

de

la

Cependant, j'aurais

petite Russie.

la

de

tort

plaindre; à part ces ennuis, presque toujours j'avais un

m3

personnage désigné par

l'autorité,

trimbaler partout où

y avait des curiosités. C'est ainsi

il

champ de

qui se chargeait de

que

j'ai si

t'ai

parlé, et tant d'autres choses, dont

bien vu

le

peut pas trouver place «

ici;

bataille

mon égard

la

description ne

ce serait trop long.

Pour en revenir à l'empereur,

veillance à

de Poltava, dont je

je te dirai

ne se dément pas

jours avec une véritable affection.

il

:

Comme

que

me

sa bien-

traite tou-

bien tu penses,

nous avons eu ensemble de longues conversations; mais n'ai pas

par

jugé à propos d'entamer

grande question à fond,

raison qu'il n'y avait pas de jour qu'il ne reçût de

la

rapport sur

la

manière dont notre chargé

d'affaires se

vis-à-vis des plus hauts personnages de

duisait

L'empereur là

la

s'en piquait,

mais,

comme

il

la

concour.

y avait toujours

quelqu'un de trop, je n'aurais pas pu tout dire.

lait

je

Il

ne

fal-

pas énerver par des demi-confidences ce qui peut avoir

de grandes conséquences,

dit entièrement et en

temps op-

portun. «

j'ai

Pour rentrer dans mon

remarqué une très-grande différence entre

qu'on a

l'église; il

faite à

Majesté a

Sa

y

sujet," je te dirai

a

l'empereur en fait

4

836

en cinq minutes

tandis qu'il lui avait fallu

six

ans.

A

et celle

Koursk

et à

le

qu'à Moscou la

réception

de cette année.

trajet

du

palais

à

plus d'une demi-heure,

Karkov,

il

y a eu quelque


ET ÎÎOÎtACÈ VÈRNET.

201

enthousiasme, surtout dans cette dernière

qui

ville

a

pros-

péré d'une manière étonnante depuis quinze ans. Le nombre

des habitants

s'est élevé

mille. C'est là

qu'on

de quinze mille à cinquante-deux

de tous

traite

laine qui sortent par Odessa. c'est le seul point

j'aie

marchés de blé

les

Dans tout

comme

mais,

la

et

moitié de

aux

population;

la

de

cours du voyage,

trouvé un air de prospérité.

vrai qu'à partir de là le pays est livré

ment plus de

le

Juifs

Il

est

qui for-

,

sont riches,

ils

dans tous les pays despotiques,

ont bien

ils

soin de cacher leur fortune afin de participer le moins pos-

aux impôts. Malgré leur

sible

n'en sont pas moins beaux;

saleté et leur air maladif,

y a des

il

têtes

magnifiques

ils

et

des femmes superbes. J'aurais bien voulu tenir Delaroche;

que d'études

eût désiré faire

il

Cette ville est par elle-même elle

ressemble

tifications

à

Constantine

pour

l'iman disait Il

comme

la

11

prière. Rien n'est si singulier

a

très-tolérants; celui-ci

garde!

la

que

cet

amal

les habitants

les prétentions

du pape

s'est manifestée.

Jus-

à

ce système.

dragonnades n'assurent pas

La voie dans laquelle

il

de

étei-

Russie s'étaient montrés

semble vouloir renoncer les

appar-

commandé qu'on

mauvaise humeur qui

qu'à présent, les souverains de

trônes.

il

que

gnît les illuminations. Je pense la

elle

et la chaire est l'endroit d'où

cette ville, car, dès en arrivant,

Qu'il prenne

vingt ans,

que l'empereur n'aime pas

paraît

contribuent à

position, mais les fora

y

:

Le couvent des dominicains a

une mosquée,

église

gamé.

on ne peut plus pittoresque

en sont magnifiques.

encore aux Turcs.

tenait

surtout à Kamenetz-Podolsk.

!

entre longe un précipice,

les s'il

n'y aboutit pas, et les dominicains ont une terrible réputation. «

que

Le couvent des frontières de Galicie sera

le prétexte.

Je m'aperçois, chère amie, que je bavarde sans songer je dois

me

coucher. Adieu pour aujourd'hui.

»


JOSEPH, CARLE

202

Ce

«

Cette lettre, chère Louise, sera la plus drôle de chose

«

que

tu aies jamais reçue

tons rompus. Voilà ce

de ton époux. Je

que

c'est

que

le

t'écris tout à

passer

première,

la

foule se presse à

de spectacle où

le

l'on crie

comme tu voudras. mon atelier; range tout toi

:

«

Au

comme

à sa place; alors

il

s'agit

du verbe avoir

futur

le

sallé

Figure-toi que tu remets en ordre

parler sérieusement;

minera

d'une

la

feu! ». N'importe, arrange*

il

est probable

ce que je t'écris deviendra intelligible, car te

chacune veut

:

bec d'une plume n'est pas large,

porte pour sortir,

la

bâ-

combat de plusieurs

idées dominantes dans une tête de peintre

de

28.

que

l'intention

j'ai

du présent qui déter-

à devenir l'infinitif...

Ah!

quelle belle manière d'exprimer une pensée!... »

«

«

Je travaille ferme depuis trois jours.

une idée de

que j'éprouve

la joie

D'être rentré dans

à

Ce

Tu ne

remanier de

29.

te fais pas la

couleur.

mes habitudes semble m'avoir rappro-

ché de vous. Jusqu'à l'heure du dîner, ça va bien; mais^

quand

faut se mettre à table tout seul, le diable reprend

il

ses droits; aussi irai-je dîner en ville le plus souvent possible; ce

ne seront pas

mais ce sera main,

dans le

j'ai

le

le

lés invitations

courage de m'habiller.

commencé un

désert

1 ;

me manqueront, Pour me remettre la

qui

petit tableau

ce n'est point

un

de notre caravane

sujet de courtisan; donc,

prix qu'on m'en donnera fera planche pour

je saurai

au juste

la

valeur de

ter ici.

I.

Pendant son voyage en Crient,

la

mine que

je

le reste, et

veux exploi-


203

«

Dis à Louise que je

qu'elle

me donne

la

remercie de tous

sur nos chers petits-enfants;

détails

les elle

me

fait

vivre avec eux; je les vois se promenant bras dessus, bras

dessous, en costume de cochers, et s'embrassant

deux

frères qu'ils sont. Je ne

un qui ne

puisqu'il y en a sait si

comment on

bien

me

figure pas la conversation,

parle pas. Pourquoi Horace qui

ne se charge-t-il pas

s'y prend,

d'une éducation que lui-même

Oh! Gall!

s'est

donnée

lippe, sans qu'il se

cogne; mais ne va pas

si

facilement?

mon

venir une bosse au front de

fais

comme

petit Phi-

tromper

te

placer sur le dos; ce serait une mauvaise charge.

lui

au moins,

s'il

tournure.

Amen

«

muet, s'en

reste

par

le

à ce qu'on dit, dans

la

tirer

et la

doit

Il

charme de

sa

!

Nous sommes

saison, et jamais

ici,

on n'a

dit

si

vrai.

On

plus mauvai; e

n'est pas entre

deux

eaux, mais entre deux boues. Le ciel est couleur de crotte

ne sont pas couleur de rose.

et les rues

de mettre droschki,

est impossible'

pied à terré, et nous autres, pauvres gens a

le si

Il

nos bottes sont propres, nos visages ne

sont

guère, car^ dans ce genre de char, on est justement placé

pour recevoir

les éclaboussures, et

Dieu

sait

comment

les

chevaux se chargent de vous en envoyer! Dans un mois, nous aurons « J'ai

le

s'y réjouissait la

traînage; on dit que c'est mirobolant.

dîné hier à l'ambassade en très-petit comité;

Russie. Je

me

sais

bon gré de

voyage, et de n'avoir pas d'après ce qui se

que notre bon

ori

des articles du Journal des Débats contre

fait ici

roi a

tout

ma dit;

retenue pendant

mon

car véritablement,^

par ordre supérieur, je crois que

voulu se fiche de moi en

me

chargeant

de belles paroles; je ne puis douter que d'un autre côté

il

n'agisse autrement... ft

Je n'ai plus de papier. D'ailleurs, en voilà bien assez!


JOSEPH, CARLË qu'en dis-tu, pauvre lire

femme? Auras-tu

huit cents lieues de longueur,

ils

finir

par de

quoiqu'ils aient

n'en sont pas moins bons.

le dire. «

P. S.

J'oubliais

d'œil. Je prends

car

et,

me

Sans adieu. Je vous aime tous plus que je ne saurais

vous

«

courage de

jusqu'au bout? Oui, car tu sais que je dois

tendres embrassements pour vous tous,

«

le

de

même du

mes pantalons sont

te

Horace Vernet.

dire

»

que j'engraisse

à

vue

ventre, ce qui ne m'arrange pas,

justes et refusent de

le

contenir.

»


ET

HORACK VERNE T.

205

XII

HORACE VERNET

LA RUSSIE PEINTE PAR

(suite).

grand-papa. — Horace Vernet étudie la gram— Portrait du czar. — L'hiver et le traînage. — Défense de — Les salons M. Ingres. — Toute vérité n'est pas bonne de Saint-Pétersbourg. — Découragement. — Société mêlée. — La Saint-Nicolas. — Les Mystères de Paris et un roman russe. — La Bible. — Une Niobé porcine. — Intérieur de famille. — Chronique scandaleuse. — Utilité de la critique. — Tristesse dans un bal. — Théorie des nez. — Avenir de la Russie et nécessité d'une révo-

Sages conseils d'un maire.

lire.

à...

lution.

A

MONSIEUR HORACE DELAROCHE, Colonel du Royal-Gamin, à Paris. *

«

Cher

« «

petit-fils,

Je viens de voir

grandeurs

ët

Saint-Pétersbourg, 29 octobre 1842.

fameusement de soldats de toutes

de toutes

les couleurs, et

sur de fameux che-

vaux qui n'étaient pas de bois; mais ce qui amusé,

c'est

un régiment

mirobolants avec leur leurs pistolets!

leur sabre,

s'ils

étaient â pied

qu'ils ont avec

bien

leur

poignard et

Figure-toi qu'ils se servent de toutes leurs

armes debout sur leur cheval, bien que

t'aurait

Ah! ceux-là, en voilà de

turc.

fusil,

les

eux leurs

;

et qu'ils tirent

mais ce qui

petits

te

au but aussi

ravirait, c'est

garçons qui font

la

12

même


JOSEPH, CARLE

206

chose que leurs pères.

Il

a,

y

en outre, un régiment tatar;

ceux-là sont aussi bien bons, mais dans un autre genre;

ont des lances

comme

visent aux yeux. J'espère qu'à

ils

mon

adroit qu'eux et que je trouverai

notre connaissance,

Songe bien à que

les

cette

s'en servent,

retour tu seras aussi

toutes les personnes de

ce n'est aveugles, au moins borgnes.

si

— J'oubliais de

recommandation.

te dire

chevaux des Turcs ont des robes de chambre en

ton cheval de bois avec

plus belle robe de ta mère. Lala

la

choisira sans rien dire, et lorsqu'on

la bète, ta

mère

Adieu, cher

«

ils

magnifique. Je te conseille d'en faire faire une à

étoffe

la

quand

la tienne, et,

ils

te

verra monté sur

sera dans l'enchantement, je petit-fils.

connais.

la

Suis toujours les conseils de ton

vieux grand-père. Sa longue expérience se voue entière-

ment à diriger toutes

plus belle robë de ta

maman pour

mais ne touche jamais à mes sir

de

«

que

Il

les travailler à

faut

ma

ménager ton

affaires

le

;

et

de choisir

couvrir ton cheval je

me

réserve

le

plai-

façon.

petit frère Philippe.

Tu

es plus grand

Aime-le bien, car

lui; tu lui dois protection.

dans

j'ai

vu

journal qu'il t'aimait tendrement. Ëmbrasse-le pour

grand-père, qui vous aime tous deux bête, puisque «

donc pas d'aveu-

ou au moins d'éborgner tous nos amis,

gler la

tes actions. N'oublie

de ne pas vous voir

Adieu, cher

petit. Sois

comme une

lui fait tant

de chagrin.

heureux autant que nous

sirons tous. «

vieille

Horace Vernet.

»

le

dé^


ET HORACE VERNET

207

MADAME HORACE VERNET.

A

«

Ce 31 octobre

1842.

Après mon factum d'avant-hier, tu crois peut-être que

«

je n'ai plus rien à te dire?

Pas du tout.

J'ai

ma manière

des détails à te donner, sur

encore bien

de vivre par

exemple. Je suis dans l'appartement de X***. Je ne pourrai

y

rester.

viennent

Je ne suis pas difficile; mais pour les gens qui

me

voir, ça a trop

mauvaise mine

dormir. Je suis entre deux cours

donne sur toute

la

la

ma chambre

;

à coucher

plus petite, où sont les écuries, de sorte que,

nuit, les voitures

qui rentrent, les chevaux qu'on lave,

cochers qui se battent, les coqs qui chantent, tout cela

les fait

une musique sur laquelle deux voisins, mâle

mettent des paroles; car qui le

et je n'y puis

me

sépare du couple.

jour, car toute

s'ils

il

n'y a qu'une porte très-mince

Il

faut

le

qu'on

me

comte N***, dont Marie. J'aurai

même

le

Je n'ai

comme

parbleu pas besoin

russe pour savoir ce qu'ils se disent!...

Je dois donc déserter, et je plaisir

que ces gueux-là dorment

nuit je les entends bavarder

ma chambre-

étaient dans

de comprendre

la

et femelle,

le

fais

avec d'autant plus de

prête un délicieux appartement chez

voyage avec

le frère

la

grande-duchesse

double avantage d'avoir dans

une société charmante,

le

ma maison de mon

et d'être tout près

atelier. «

La famille impériale

en

n'est pas

ville,

de sorte

qu'il

n'y a pas encore de maisons ouvertes. Je reste donc souvent

chez moi. Devine à quoi je passe

une grammaire de Noël,

quand

mon temps?

et j'étudie

je fais attention, je

mais, lorsque je cours après

me le

mes

J'ai

acheté

participes. Déjà,

sens d'une certaine force;

sujet ou le régime, voilà

mes


JOSEPH, CARLE

2.8

idées qui fichent le camp. Aussi, avec

toi,

serai-je plus cou-

lant, dussé-je te faire crisper.

Je suis toujours prêt à te redire combien notre vieille

«

affection

me

devient de plus en plus chère

de l'âme, jusqu'à ce que

c'est la fortune

:

nous fasse banqueroute,

la vie

ma pauvre femme, nous sommes du même nous n'aura pas à souffrir longtemps de seul... «

Tu

vas dire

Mes amis, ne

te le

pas

de

âge, et l'un de

misère d'être

la

tendresse de Monte-au-ciel

la

manquez pas!

»

Eh

bien,

j'ai raison.

:

Pour

prouver, nous ne nous quitterons plus.

Quoi que

«

le

voilà

:

et,

telle

que

tu en dises,

tu

le

ma

passion pour l'empereur n'est

penses. Je lui rends justice; ce n'est pas

un homme ordinaire, mais

loin

est

il

d'être parfait.

Il

a

tout ce qu'il faut pour se faire aimer des gens qui n'ont pas

besoin de lui; mais, pour peu qu'il

moindre autorité,

la

mais rencontré. il

lui est

Il

c'est

l'homme

est vrai

le

ait à

de dire qu'en

la crainte

paresse

qui puisse les maintenir.

ne tremble pas, c'est est placé sous le

ici

de discipline

fait

impossible d'agir autrement. Les Russes de toutes

les classes sont tellement enclins à la

que

exercer sur vous

plus dur que j'aie ja-

le

qu'il

,

n'y a

Quand un Russe

plus lâche de tous les

hommes. Tout

régime militaire, depuis

cuisinier

le

jusqu'au grand juge; de sorte que l'habitude de prononcer

constamment des

damné de

arrêts,

quitter la

sans qu'il

position

l'empereur une rudesse dont

mente à mesure que perdra,

le

jour où

permis au con-

du port d'armes, il

a

donné à

ne s'aperçoit pas, qui aug-

autres s'y accoutument, et qui

le

fatigue et l'inertie remplaceront

la

les la

soit

terreur qu'il inspire. a

Toutes ces admirables institutions, dont je

dans mes

lettres, n'existent

splendide.

On

nulle part sur

dirait qu'elles sont fondées

t'ai

parlé

un pied aussi

pour

le

bonheur


ET HORACE YERNET.

209

de tous. Mais non, l'éducation, qui développe cette foule

cela;

ils

peuvent

de jeunes gens, ne

sont au

monde pour

les

de

pousse pas plus loin pour

rester dans leur classe

redescendre.

ni s'élever, ni

l'esprit

S'ils

sont

fils

:

ils

ne

de soldats,

ne seront jamais que sous-officiers. Alors, à quoi bon

ils

les instruire et leur

mais

satisfaire,

et

donner des goûts

qu'ils

ne pourront ja-

des lumières qu'ils ne pourront pas ré-

pandre? Déjà, on a

senti les funestes effets d'un tel ordre

de choses. Une colonie entière d'infanterie

s'est

Pas un

égorgés froide-

seul officier n'est resté, tous ont été

ment. Les soldats, conduits par à leurs chefs

«

:

« êtes officiers, «

nous devons vous

nous reviendrons après.

comme

»

tuer. Finissez votre pipe,

Et, en

effet, ils

On

On

sont revenus.

car on ne

terrible,

régiments ont été licenciés.

tout est en Russie.

récoltera.

disaient

sous-officiers,

Nous ne vous en voulons pas; mais vous

La punition a sans doute été pas... les

les

insurgée.

la

connaît

— Voilà, chère amie,

laboure, sans savoir ce qu'on

accroche des oranges à un sapin

et l'on croit

avoir des fruits. La noblesse donne tout ce qu'elle possède

de bon cœur, plutôt que l'ai

d'aller

déjà dit, ce pays-ci est sur

en Sibérie.

Comme

je te

une boursouflure qui s'en-

foncera indubitablement, et tout ce qui ne porte point barbe sera exterminé.

voyages,

etc.

!

mon cœur, me

Que

le

Plutôt

diable emporte les empereurs, les

que de

voilà à faire*

te parler

de l'eau

«

«

sera «

Je travaille à

un

une manière de

de tout ce qui va à

claire... »

Ce

l er

novembre

1842.

petit tableau qui sera bientôt fini; ce

tâter le pouls

Je jouis toujours de la

même

aux amateurs. faveur, quoique je vive

maintenant un peu éloigné du grand chef. Je sais souvent de moi avec éloge

et qu'il dit

qu'il parle

m'aimer d'une vé12.


JOSEPH, C A RLE

210

ritable affection.

Tout

cela est

me donnant de pour mon ami.

prouve en trai «

l'argent. Voilà

il

me

faut qu'il

le

je le reconnaî-

Adieu, je vous embrasse tous de bon cœur, mais de 1

bien loin

»

!...

Saint-Pétersbourg

«

((

bon; mais

Nous

7 novembre 1842.

en hiver, chère amie. La Neva est prise

voici

nous jouissons du traînage, ce qui cieuse chose du monde. hier soir,

,

est bien la plus déli-

La neige a commencé à tomber

ce matin, plus de voitures. Toute

et,

tion semble être

et

tombée sur

le

popula-

la

dos. Sauf les chevaux, per-

sonne n'est sur ses jambes. Tout

glisse sans faire le

moin-

comme si le diable l'emportait. Pour mon compte, je suis comme un enfant; je ne puis me rassasier de voler ainsi. Mon trotteur fait l'admiration d'un chacun; ne me manque que toi pour me voir passer je dre bruit, et chacun va

il

:

dois être bien séduisant! « S'il n'y avait ici

1.

ton

,

que ces avantages qui appartiennent

Le 2 novembre, Horace Vernet une

lettre plaisante

naître quelques passages

Un bon

dont

le

écrivait à sa belle-sœur,

madame Bur-

Catalogue de la vente Trémont a

fait

con-

:

souvenir des personnes qu'on aime rapproche

,

dit-il

,

pour un

instant les esprits; c'est une petite tromperie qu'on aime à se faire à soi-

même,

et

il

a entièrement joui de cette illusion en lisant les doléances

de sa belle-sœur sur la similitude de leurs extraits de baptême « «

crovais vous entendre, ajoute l'artiste

rapprocher

mon

,

mais malheureusement

j'ai

:

«

Je

voulu

visage du vôtre pour comparer lequel des deux était le

«

de mon éloignement est venue me Peu s'en est fallu que je n'en tombasse sur mon derrière; pour vous, un semblable événement n'eût été qu'une plaisanterie mais moi qui ne suis pas joufflu de ce côté-là, je pouvais me le briser comme verre. Et à mon retour, comment avouer mon cas ? comment remplir mon fauteuil académique n'ayant que des tessons dans ma

«

culotte? etc.

« « «

« «

plus détendu

fixer à

ma

,

et la cruelle réalité

place!...

;

,

,

»


ET HORACE VERNET.

211

au pays, combien je regretterais que tu ne fusses pas venue avec moi! mais plus je vais

me

plus je

,

félicite

d'avoir à

supporter seul tous les ennuis de cette province de l'Europe.

Dans

monde

tout le

la belle saison,

de sorte

est dispersé,

que les cancans ne peuvent se joindre; mais, depuis qu'on rentre en ville, ah

,

mon

Dieu

que de bavardage

!

croyais bon cheval de trompette

:

je

!

me

Je

ne suis qu'un timide

auditeur, en attendant que je prenne

ma

place parmi les

victimes. Maintenant, n'étant point encore le but, je suis le fouet dont on se sert

sant

tels)

dire

que

pour fustiger

qui ont exposé. je

Mon

tour viendra.

mon

pas dissimulé

n'ai

(ou soi-di-

les peintres

est vrai

Il

opinion sur ces mes-

peu de courtoisie vis-à-vis des

sieurs, sur leur

étrangers qui sont venus se mesurer avec eux

ma

de

artistes

mais

;

c'est

en face que je leur

ai

égard, et devant

tableau d'Ingres, en les plaignant de

le

craché

ne pas en savoir assez pour

mieux de

ferais

façon de penser à cet

comprendre. Je

le

laisser sans les défendre

n'ont pas besoin de

mon secours; mais

la

sais

me

de

retenir. J'en suis fâché

des

et

Je vais dans

«

le

monde,

que

pour eux, je tape

ma longue expérience donner du poids à mon opinion. que possible

fort

car, dînant

je

fourberie orgueil-

leuse de quelques individus m'irrite tellement,

puis

que

talents qui

ne

laisse

je ne aussi'

pas que

presque tous

ne m'en coûte pas plus, une

les

pomponné,

jours en

ville,

de

des visites. Déjà, je juge des maisons que je pren-

faire

il

La société

drai l'habitude de fréquenter.

même qui,

partout; c'est

ici,

tocratie.

se trouve au

comme

à

la

est à

sauf

suprême degré dans

le

peu près

matinée. J'éviterai

les

j'irai

me

la

comfortable

la

Puisque je suis en position de choisir,

ses bons fauteuils que, le soir,

de

Rome,

fois

haute arisc'est

dans

reposer des fatigues

inconvénients qu'il y aurait à


212

voir co qu'on appelle la

colonie française. Cette colonie se

compose de très-braves gens sans doute. Cependant, elle n'est

dans cette réunion de compatriotes, facile

comme

reçue nulle part, en raison du mélange qui existe

en ne

la

voyant pas du

tivement, je quitte

mon

tout.

ma

position sera plus

Pour trancher plus posi-

appartement, dont

les

anciens habi-

tués commençaient à reprendre possession malgré moi, acteurs, le vétérinaire, le serrurier,

etc.,

les

sans compter les

inconvénients que je découvre de jour en jour. « J'ai

commencé

le portrait

de l'impératrice.

Il

est tracé.

J'attends le retour de la cour en ville pour peindre l'étude

d'après nature.

En

attendant, je fais un portrait du duc

d'Orléans et un tableau de

mon voyage d'Égypte. «

Ce

»

17.

«

Je viens de passer trois jours à Tsarskoe-Selo.

«

Ici,

on n'entend parler que de départs pour

Je n'espère rien de bon, pour le

sance que

les

France.

connais-

Russes viennent faire avec notre civilisation.

Leur orgueil en sera loir

moment, de

la

la

nous rendre

rien qui ne soit c'est alors qu'ils

blessé.

Ils

en profiteront, sans vou-

justice. Je les vois d'avance ne

mieux chez eux. Je nous apprécieront,

prendront ce qui leur manque

et

les

trouvant

attends au retour

:

com-

c'est alors qu'ils

qu'ils ne peuvent rencon-

trer nulle part les ressources que nous leur présentons. «

Dans quelques jours,

ville.

la

famille impériale

rentre en

Voilà encore une nouvelle émotion pour la société de

Saint-Pétersbourg. L'ordre de choses qui va s'établir durera

du moins quelque temps,

j'en suis enchanté pour

mon

compte, car je commence à en avoir assez de toutes ces courses.

Ce

n'est pourtant pas qu'elles

La dernière a

été

manquent

d'intérêt.

charmante en ce qu'elle a été parsemée


ET HORACE VER NET. de circonstances singulières, piquantes même. Voici, pour

donner un exemple, ce qui

t'en

chez l'impératrice.

sonnes. Chacun travaillait;

vieux prince Wolkonski

le

moi nous dessinions, tandis que Le comte X***

un roman

lisait

les

une apologie complète de uns des autres,

les

L'empereur n'a

le

tout

reste,

l'égalité

du

des

hommes

appuyé sur des idées ;

homme

lecteur,

roman

était

souveraineté absolue

la

aucune observation

fait

sant, c'était la figure

et

dames brodaient, etc..

français, et ce

une diatribe épouvantable contre et

passé à une soirée

s'est

n'y avait que quatre ou cinq per-

Il

vrs-à-vis

religieuses.

ce qui était

amudu

très-spirituel

mais encore plus courtisan, qui se trouvait obligé de à brûle-pourpoint,

dire à la face de son souverain,

les

choses les plus dures et les plus personnelles. Voilà une de ces circonstances où

n'en a pas trop la

il

faut

vraiment du toupet. Le comte X***

manqué pour

l'expression

du visage, mais

voix trahissait l'émotion intérieure. Jamais

être aussi

mal à son aise

aussi malencontreux.

miner lait

les

avoir

travaux. l'air

et plus

Le souper

On

est

a été d'autant plus jovial qu'on

de n'avoir

fait

«

est,

l'idée

de

les

que

la

vou-

lecture m'avait

honneurs de

la soirée.

Adieu, chère Louise. Soigne-toi; songe que à elle seule, la plus

ter-

un mau-

attention à rien, et

eu tous

faire a

n'a

maudire un auteur

venu heur'eurement

vais petit croquis de Napoléon à cheval

donné

homme

la

santé

grande partie de l'harmonie des

familles. «

'

«

«

Ton vieux

mari.

»

Saint-Pétersbourg, 26 novembre 1842.

Vingt heures de nuit, quatre heures de jour malade,

voilà,

chère amie, à quoi on en est réduit

peindre ?

comment

vivre?

ici!

Gomment

comment ne pas mourir d'ennui?


JOSEPH, CARLE

214

Avec

dix degrés de froid, et l'espoir de voir bientôt

ça,

doubler

dose.

la

du pays;

petit des inconvénients

souffre;

du

reste,

la

rigueur de l'hiver. Je n'ai de vraie

jouissance que celle du traîneau; mais,

mon bonheur

nuit,

d'une maison à

ville; puis, le soir, je vais

ne dure que

dans

le

même

la

moindre variété: qui a vu un salon

le

le

monde,

la

a

comme

ne sors

je

temps

d'aller

Je dîne presque tous les jours en

l'autre.

chose! C'est au pied de

mangé un dîner connaît

une conversation

c'est le plus

n'y a que le nez qui en

il

on a chaud partout, tant on a l'habitude

de se préserver de

que de

que

faut dire, à la vérité,

Il

et tous es jours

la lettre,

les

car

il

n'y a pas

connaît tous; qui

toutes les cuisines; qui a entendu

n'a plus rien à attendre

de nouveau pour

lendemain. La manie des fauteuils est poussée à l'extrême

dans toutes faut

maisons. Dès en entrant dans un salon,

les

commencer

à évoluer

il

pour arriver jusqu'aux maîtres,

passant par-dessus toutes les jambes qui se croisent dans tous les sens,

et,

une

fois

bloqué dans un coin, c'est

diable pour en sortir. Peu de gens se tiennent debout. n'y a pas de cheminée, vir

comme

le Il

chez nous, qui puisse ser-

de point de direction. C'est un méli-mélo de dos

et

de

visages qui rend impossible de parler à d'autres personnes

qu'à celle qui vous regarde. Si c'est une jolie femme, pour lui plaire,

il

faut dire

ou entendre dire du mal des autres.

monde

Si elle est laide, c'est le

n'y a que l'éloge.

la famille

entier qui

ne vaut rien.

La conversation

n'est autre

chose qu'un cancan

perpétuel, sans couleur, sans rien de piquant, par

que tous

même

les

Russes ont

la

même

la

raison

éducation, poussée au

degré, et que leur indolence naturelle ne va jamais

au delà de

du

II

impériale dont on fasse constamment

monde.

la

dose voulue pour ce qu'on appelle

Tu juges

qu'on a bientôt assez

les

gens

d'une sem-


Et HORACE VERNET. blable nourriture, c'est

même

une

uniformité, qu'il n'y a

telle

pas matière à observation.

La première

est la der-

nière sans qu'il soit possible d'y ajouter une nuance. Quel-

quefois je

me

portes plus

«

«

trigues de

les

«

C'est

que tu es vieux

une part active dans

d'hommes de tous

les âges,

!

menton,

et

mais

il

que

des diplomates

de

On

avait

a dix

si c'était

et ça se

amants,

une seule passion.

une multitude de

n'arrive

au

l'air

mœurs

on croit avoir des

Paris, cette année, quantité de ces qu'il

les petites in-

profit

Quand une femme si elle

toi

y a ici tout autant de catins qu'ailleurs.

y attache moins d'importance, aller.

de

pays; personne n'a d'animation; chacun à

parce qu'on n'a aucun sens. Encore, vertu

que tu ne

société.» Mais non, je vois beaucoup de

la

d'être gelé jusqu'au

la

et

intérêt à ce qui se passe autour

tu prenais

officiers,

de tous

:

même

le

«que lorsque jeunes

dis

de laisser

qualifie

c'est la

Comme

même

chose

vous avez à

dames, je ne doute pas qui

faits

me

donneront

raison. «

L'impératrice est un f)eu malade, de sorte que je ne

travaille

pas à son portrait. Je termine un petit tableau qui représente

Sans prétention,

notre

caravane dans

le

désert. «

à

Il

mon

y a des instants où je suis prêt à prendre, mes jambes cou, bar, au bout du compte, ce que je ferai

pourraisile faire à Paris; mais quitter

reur, qui est

si

bon pour moi,

tude. Je t'assure qu'il

me

serait

brusquement

ma chambre

tous,

faut toute l'importance

dans

d'embrasser nos

mon

petits,

atelier et d'en sortir

si

que

j'at-

heureux

de passer de

pour trouver à

échanger quelques paroles avec quelqu'un qui saurait

comprendre;

même quand

je

l'ernpe-

presque de l'ingrati-

tache à cette pensée, pour ne pas fuir. Je serais

de vous revoir

ici,

me

ce serait pour m'entendre dire


216

que

je ne suis

qu'une bête. Dans ce pays, on

cette dernière ressource; l'orgueil,

même

n*a

on vous loue, lorsque vous

ou l'apathie vous

laisse sans

pas

flattez

réponse à toutes

les

questions que vous pouvez adresser. «

Avant, tout était mouvement. Maintenant, ce n'est plus

comme

qu'une platitude uniforme et décolorée

Que

qui couvre tout autour de moi.

neige

la

diable emporte

le

le

Nord

et les

Moujiks! où sont donc mes chers Arabes et

beau

soleil

qui les noircit ?

Du

moins,

leur peau tannée; ici, ce n'est que les veines.

Je

rentrer à «

Ne

la

me

voudrais avoir à

chose; j'éprouverais un autre

qui coule dans

de quelque

plaindre

sentiment que

le

bout; seulement, je mettrai joie de retrouver

la

moment

moindre influence sur

conduirai jusqu'au

les

mon courage

ma récompense

ma bonne

en double, et

à

mon

Pétersbourg

Je commencerai par te dire que

»

5 décembre 1842.

,

le portrait

de

madame

comtesse de Woronzof n'est pas commencé. Je veux celui de l'impératrice avant tout. Je viens petits tableaux. L'un

est

je

veux

lui

Saint-Nicolas. L'autre est à vendre

« J'ai

leur

le

donner il

:

la

finir

de terminer deux

un présent pour l'empereur

un Napoléon à cheval que

caravane dans

la

retour.

Louise. Je vous embrasse tous.

t

la

de-

l'ac-

un autre ordre de choses sera d'autant

plus grande; ce sera

Adieu,

désir de

maison.

complissement de mes projets. Je

«

lait

va pas croire cependant que ce petit

découragement puisse avoir

«

du

le

sang circule sous

le

le

:

c'est

jour de

représente notre

désert.

reçu une lettre de Ferzen.

du tableau de Delaroche.

horski d'en dire un

mot

Il

Il

me

a chargé

à l'impératrice

;

parle avec chale

comte Wiel-

ce qui sera

fait

ces


ET HORACE VERNET. heureux

jours-ci. Je serais fort

un grand pas de

serait

compter que ça

grands travaux, sans

les

d'une manière positive

commencée seulement par

déjà

tion

chose réussissait; ce

si la

pour

fait

établirait

217

la

réputa-

l'opinion publique. Je

ne suis pas fâché que par un autre que moi l'occasion se présente de faire faire

la

j'ai

je pourrai

ma

,

Gomme

comparaison avec Ingres.

défendu ce dernier avant

qu'il

ne fut question de rien

,

sans être soupçonné d'intérêt de famille, dire

mon

façon de penser tout à

bleau; mais je sais

cle

quoi

vu

aise. Je n'ai pas

gendre est capable,

le

ta-

le

et je

puis m'avancer sans craindre de désappointement.

Tu

«

as sans doute reçu

je te parlais

moment,

une

un peu comme un ne puis

je

le

nier,

lettre

de moi, dans laquelle

homme

sous

j'étais

désordre d'un changement d'habitudes;

mon cœur me une

C'est la

me

turbulente ne

et

chanson de

:

l'influence

ma

vie

le

du

vagabonde

permettait pas d'écouter tout ce que

disait sur le

fois rentré

découragé. Dans

bonheur de

de famille.

la vie

dans une chambre, dite

la

mienne, que

OusqiCon peut être mieux? etc.,

est

venue

me faire comprendre que toutës les branches manquaient à mon vieux tronc. J'ai été quelques instants sous une fatale influence. Je ne me croyais plus bon à rien. Le soleil de sculpture et

le

ciel

de terre glaise

moindre des sujets de

tristesse

qui

d'ici n'étaient

me

voyais luire cependant, au fond de toutes le

que

m'y

ragaillardir

me

est

courage. Le comte N*** m'a enlevé de

tement pour m' installer chez nôtre est

:

et

tourmentait fameuse-

ment; mais une circonstance heureuse

mon

mes lourdes

le

Je

n° 56 de la rue Saint-Lazare. J'avoue

pénibles pensées, l'idée d'aller

pas

travaillaient.

lui.

venue remonter

mon

triste

Sa famille est

appar-

comme

la

père, mère, enfants, gendre et petits-enfants, tout

dans

la

même

boîte.

L'aspect de tant de gens heureux 13


JOSEPH, CARLE

218

m'a rappelé tout

le

bonheur dont

poir d'en jouir encore

me a

après avoir rempli

,

monde

le

ma

Du

part.

gens heureux

je

où nous nous baiserons tous

comme

des

me

quoique a tâtons,

je fais

pas trop mauvaise pour

me

«

ma bête, et, ne me semble

peinture qui

la

temps

regarde pas

remonté sur

voilà

de

Je

moment

le

pauvres, et je

reprends courage. Ainsi, chère Louise, ne

d'un œil trop pitoyable;

n'y

de cette réunion de

force d'attendre

la

il

ne sois pas appelé à

reste, le tableau

me donnera

enfant de la

danse, s'embrasse;

chante,

que ce dernier exercice dont

prendre

but que je

le

comme un

suis imposé d'atteindre. Je suis

maison. Tout

joui, et rendu l'es-

j'ai

qu'il fait.

Depuis quelques jours succèdent aux ennuyeux cercles,

dont je

donné une

t'ai

de très-beaux

idée,

ont plus d'esprit dans les jambes que dans

moins

il

mouvement dans

y a du

Les Russes

bals.

tète,

la

les salons.

et

du

La débâcle a

commencé. a le

Je suis allé trois fois chez Z***. Sa marson est bien

plus singulier qu'on puisse trouver dans

La maîtresse du

le

monde

xvn

e

de couturières huppées

siècle, enrichies

et

de

compose

et fait

chose;

m

il

catins

du

des cuirs. Pour

les

Tout ça infecte

hommes,

c'est

le

tout autre

y a mélange: les ambassadeurs, l?s princes, les

lires d'armes,

dechirabia, est

vieilles

aux dépens des boyards qui se sont

ruinés pour faire les petits Richelieu.

musc

entier*

danseuse de chez Fran-

logis, ci-devant

coni, prime sur sa bande d'amies femelles qui se d'actrices,

le lieu

les

mêlé avec

de danse, de langue française, anglaise, ou peintres d'histoire, de décoration, etc., tout

les acteurs,

les avocats,

chandelles et autres confitures,

le tout

gnon, et

comme

tenant leur sérieux

M. Guizot. Du moins, lorsqu'on

les

marchands de

compère s'ils

et

compa-

étaient

s'encanaille,

chez

devrait-on


ET HORACE VERNET. s'amuser.

On

très-gais;

nous verrons.

pourtant que certains bals déguisés sont

au moment d'écrire a Ingres de proposer au

« J'ai été

grand-duc

dit

219

héritier de lui faire

une autre vierge. Quant à ne jamais voir

celle qu'il a faite, elle est destinée à

en raison de son latinisme

K

le

jour,

Si Delaroche voulait sonder

notre collègue à ce sujet, selon la disposition dans laquelle il

le

entamer

trouverait, je pourrais

bien que, l'argent et

la

négociation.

Je sais

mon compte, j'aimerais mieux rendre reprendre mon tableau que de le laisser dans pour

un pays aussi fanatique que celui-ci en matière de

reli-

gion.

«J'avais oublié de petite

te

que

dire

la

comtesse Salahoë a une

d'un an et que cette enfant m'adore. Je ne

fille

la

prends pas dans mes bras que nos chers petits ne viennent

me

traverser

quand les

la

larmes

pensée.

Il

me semble

les

me

viennent aux yeux, non par

j'éprouve, mais par

le

de ces messieurs. Tu

souvenir qui

me

fais

bien de

me la

J'attends

le gros,

une

l'honneur de

sur

les

lettre lui

je ne

de

lui

vois pas ^

adresser.

douleur que

la

reste des caresses

peine en

qu'Horace tient mal sa plume. Cependant,

mieux que

embrasser, et

de petites mains empoigner mes moustaches,

je sens

qu'il

me

y

ait

disant

est

si le fin

plus

grand mal.

en réponse à celle que

j'ai

eu

Dis à sa mère, qui est à cheval

devoirs des enfants et sur

le

respect qu'ils doivent

à leurs grands parents, qu'elle l'invite à ne pas oublier les

convenances. Pour Philippe, naît pas encore.

1.

Il

ne

sait

le

pauvre chéri ne

pas que loin de

Vierge à l'hostie , peinte en 1841 pour Alexandre

est peut-être le

Horace Vernet: peine à

le

chef-d'œuvre de M. Ingres, a subi il

est enfoui

découvrir.

dans une galerie où

lui

II.

le sort

les

il

me

con-

y a quel

-

Ce tableau, qui que

lui prédisait

amateurs ont grand'-


JOSEPH, CARLE

220

qu'un qui l'aime tendrement.

Quand

irai-je

donc

lui

le

apprendre?... Parlons d'autre chose.

Vois ce que c'est que

«

comme

la

renommée, comme

elle vole,

Les bontés que l'empereur a

pénètre partout!

elle

pour moi font tant de bruit dans

monde, que je viens de

le

recevoir une supplique signée d'une famille entière pour

me demander ma d'obtenir

protection auprès de Sa Majesté.

Il

s'agit

permission d'introduire en Russie quarante-

la

quatre bêtes, dont quarante chevaux, deux femmes et deux

hommes, Les femmes désirent montrer devant

et leur derrière,

hommes,

les

la tète

le

leur joli visage, leur

tout en équilibre sur

leur force et leur adresse,

en bas;

et les

les

un pied;

jambes en

animaux, comment M. Baucher

l'air,

déve-

a

loppé leur intelligence par des procédés moraux. Enfin c'est la famille

Lejars tout entière qui vient

lettre dictée et écrite

.Me voilà

donc

banques près

morceau de

cour de Russie.

foire à

Comme

tion.

la

tu

solliciter

par je ne sais lequel de toute

chargé d'affaires de

le

me

manger,

dois

le

si

Il

fais

de

la

me comme

penser, je

dans

« Il est

lette et

fait

dix heures;

discrétion est de

la

les

Vois

indiscré-

comme

le

jour vient, Je vais prendre

la

jouer à colin-maillard avec mes brosses. Adieu.

Je reçois une

amie. Chaque jour,

me

négocia-

pa»

Pétersbourg, 19 décembre 1842.

bonne grande le

je

de prudence.

«

«

ma

joli

mettrai en quatre

poste, et je ne répondrai pas.

des progrès en

bande.

y aura peut-être un

première nécessité en diplomatie, je craindrais tions

la

reine des saltim-

la

je réussis

pour ouvrir. un protocole; mais,

dans une

lettre

de Louise, chère

bonheur de recevoir de vos nouvelles

devient plus précieux; car, chaque jour, je sens plus

vivement combien

il

est pénible

d'être loin de toutes ses


ET HORACE V E R NET. affections. Jusqu'à la peinture qui

près de deux mois, nous vivons

comme un

me

ici

fait

22

1

faux bondi Depuis

à tâtons. Le soleil brille

paquet de chandelles dans du papier gris, et

gredin a cependant assez de chaleur pour liquéfier tous

le

les

matins deux pieds de neige... «

Le délicieux traînage a disparu. On ne

naviguer dans une espèce de granito à

ne vous permet

la

plus que

fait

napolitaine, qui

pas d'éviter les trous et les bosses d'un

effroyable pavé défoncé de partout. J'ai les reins cassés des

culbutes et des soubresauts que je

mets

nez dans

le

que

venir,

la rue.

le ciel alors

On

dit

sera

que

fais toutes les fois

que

clair.

les

je

grandes gelées vont

Que

ce

donc! En attendant, nous venons d'avoir

moment

arrive

les fêtes

de

la

Saint-Nicolas. C'est fabuleux de luxe et de magnificence.

La messe

et le

baise-main sont d'une somptuosité dont rien

n'approche nulle part. Tout est argent, or et diamant. Le

nouveau Palais d'hiver ne

pu

le

cède en rien à tout ce que

voir. Je connais toutes les

ment

j'ai

cours de l'Europe. Certaine-

celle-ci l'emporte sous tous les rapports, c'est-à-dire

pour ce qui frappe « J'ai fait

pour

les

yeux.

la fête

de l'empereur un

petit

Napoléon

à cheval qui a eu du succès.

Comme

été l'objet d'une attention toute

particulière de la part de

Sa Majesté, qui

La

me

famille impériale

Enfin, ce matin,

j'ai

à

place toujours parmi son état-majpr.

me comble

d'affectueuses distinctions.

vu arriver un admirable trotteur

à un comfortable traîneau en peau d'ours,

de

Saint-Nicolas.

la

l'ordinaire j'ai

J'ai

comme

ce n'est rien; mais l'embarras est de savoir

placer

le

dans

le

comment

a des choses plus difficiles à arranger

y monde. Ainsi, réjouissons-nous; vive Il

souvenir

dû donner cent roubles de bonne

main;

présent.

attelé

mettons des lampions!

la

— Je me sens plus en joie

nation! qu'il

y a


222

deux jours, par que

et

raison que nous avons 18 degrés de froid

la

venu montrer son npz

le soleil est

comme un homme dans

fois

bien loin; n'importe, je

donc pas mort

n'est

qui vient regarder de

la foule,

vu éclairant

l'ai

a

il

:

a l'horizon, toute-

cheminées;

les

dû être bien malade, car

il

il

était

les

con-

pâle.

Les Mystères de Paris sont

«

le sujet

de toutes

versations. Ces ordures charment les russes;

Quant

se réchauffer à ce foyer d'horreur. lu

qu'une très-petite

Une

histoire

ici

elle est

;

et j'en

partie,

ai

à

semblent

ils

moi

je n'en ai

,

eu bientôt assez.

beaucoup plus intéressante vient de

se passer

Un jeune seigneur

simple, quoique dramatique.

des environs de Moscou est devenu éperdument amoureux

d'une jeune bohémienne. Sa passion

était telle qu'il voulait

l'épouser, malgré les représentations de son père.

trouva

moyen

le

d'éloigner son

pondant cette absence, épouser

à

fit

enlever

son cocher, auquel

gent. La nuit

pagne

il

une

et disparut

la

donna

il

jeune la

le

fille,

liberté et

fois passée, elle sortit,

pour tout

Ce dernier

pour quelques jours,

fils

regagna

et,

qu'il

de la

fit

l'ar-

cam-

monde, sauf pour son amant

qui feignit de l'avoir oubliée et prit du service dans les gardes.

Pendant cinq ans,

sans qu'on sût que nui ts.

femme mari,

se maria

11

môme

homme

venait

pour donner

légitime, tourmentée de

fit

cachée dans une cabane,

elle resta

jeune

le

la

le

la

voir toutes les

change; mais enfin,

vie mystérieuse de son

tant qu'elle découvrit l'intrigue et fut se jeter

aux

pieds de l'empereur pour obtenir vengeance du perfide.

enleva fut

de

la

pauvre réfugiée pour

même

de ses

la

trois enfants

la

mettre à l'hôpital;

dont

elle

il

On en

n'entendit plus

parler; et, pendant quatre ans, elle souffrit toutes les 'douleurs et tous les genres d'humiliation sans se plaindre, don-

nant l'exemple de

la

résignation

la

plus

douce dans

la


HORACE VERNET.

ET

enfermée. Quant à l'amoureux, on

maison où

elle était

partir tout

de Fuite pour

dant tout

le

temps qui

s'est

n'a

pu

récemment de l'armée,

a trouvé le la

dans

était le seul obstacle

l'exilé.

blier; la

puis,

elle

la

arrive

parler à la

lui dire qu'elle

Dès chez

priver d'un mari

lors,

son parli

légitime

la

lui

devait

qu'elle

malheureuse, n'avait pas pu l'ou-

si

alla

deux

les

officier,

moyen de

fut pris. Elle parvint à s'échapper, fut

aimer, puisque elle,

en Ire

conversation, de

au retour de

demander pardon de

fit

Pen-

est encore.

il

s'établir

pauvre recluse,

et,

le

écoulé depuis leur séparation,

peu de jours, un

a

y

il

Caucase, où

le

aucune correspondance amants. Pourtant,

223

se précipiter dans

un trou

dans

fait

y est encore. On raconte femme de son amant il paraît qu'elle

glace sur l'un des canaux; elle

ce qu'elle a dit à

la

;

a été admirable de simplicité et tout à la fois d'exaltation. Elle était tellement jolie qu'on la cachait lorsque des étran-

gers visitaient l'établissement où elle était enfermée.

encore une foule de détails que je ne puis qui rendent l'histoire très-touchante.

11

Ce

30.

veux

Je

amie;

qu'elle

elle te sera

vous

remise

le

premier jan-

mes vœux de bonne

porte

année. Vous aurez pensé à moi, je n'en doute pas. trois

ans, j'étais éloigné de

vous

à

moins, à minuit, quoique au fond de

qu'un

ici et

part un courrier aujourd'hui. Je termine bien vite

cette lettre, chère vier.

y a

»

«

«

donner

te

Il

à

même

epo

jue.

y

a

Du

Syrie, j'a\ai> quel-

la

embrasser. Avec ce cher Charles, nous pouvions

prononcer

les

noms de ceux que

dre parla pensée, mais partager

la

Il

mes

ici!...

notre

rien.

regrets de n'être pas

cœur

allait

rejoin-

Personne ne saurait

pour jouir en famille

de cette union de sentiments réciproques qui est

le

bonheur


JOSEPH, CARLE

•2-24

du présent

grands et

aime de toutes

les

rendent

Adieu.

les

forces de

la pareille

ma

de

part.

» 14 janvier 1843,

«

«

Ce que

tu

me

du dernier tableau de Delaroche mo

dis

grande joie; ce n'est pas que

fait

mon âme,

tous jusqu'à t'en user les lèvres

petits, baise-les

et qu'ils te «

de l'avenir. Chère amie, dis-leur

et la sécurité

bien que je

nouveaux succès pour

mais

lui,

je ne m'attendisse à

je suis

heureux de

de

les voir

se multiplier dans sa nouvelle manière. Je ne sais quel Grec a dit «

:

«

peuse

La vie et le

est courte, Fart est

jugement

notre gendre

,

long

quand

difficile. » Il faut

dans toute

,

la

,

l'expérience trom-

donc se réjouir pour

force de son talent, le

problème se trouve résolu. C'est ce qui arrive. Quanta moi,

m'en sens tout glorieux,

je

seulement, mais pour «

Un

homme

succès

l'art

célèbre doit aussi

que de

à

la

l'effet

la

,

La fomme

l'autre.

dans son genre, se fait

son devoir.

qu'elle a produit chez

Il

faire

M. Apponij. Hier, la

tous ceux qui avaient reçu des nouvelles de Paris. fait

une pluie sous bées.

à nous

serais redressé,

part de

S'il il

avait

tombait

laquelle toutes les échines restaient cour-

— avec

le tien

sans doute

jouissait

d'avoir produit

deux une semblable perfection.

Je pense à ce

que

tu m'as dit de

rence de son savoir-faire avec

amie,

mais

Néanmoins, mon orgueilleux cœur de père

dans son coin

«

me

d'un

remar-

n'est question

revue, j'étais l'objet de mille félicitations, de

plus beau temps, je

famille

en général.

ne va pas sans

quer. Aussi Louise a-t-elle ici

ne dis pas pour

je

elle est

grande. Parce qu'il

pas une raison pour que je fasse avoir moins de blé et

le

le

et

de

mien. Certes,

fait

le

X***

la

la diffé-

ma

chère

tabatière, ce n'est

mouchoir. J'aime mieux

récolter sans ivraie.


ET HORACE VE RN ET. une haute bévue en passant

« J'ai fait

de

J'étais loin

vaux du repos

me

douter que j'y serais condamné aux tra-

ma

tête,

Mes vieux membres

forcé.

mes bas de

midité, qui traverse

sur

que défendent mal

dans

l'esprit et

prend

la

se rouillent à l'hu-

Le

soie. le

tombe

froid qui

me

peu de cheveux qui

que

restent, refoule vers l'estomac tout ce tiel

l'hiver en Russie.

de substan-

j'ai

place de la nourriture que je

suis appelé à partager chaque jour chez les Lucullus gastro-

nomes de Saint-Pétersbourg.

mange pas

;

j'ai

Bref, je ne travaille pas, je ne

des croix pendues au cou et

dans des escarpins

et je

,

les

pieds gelés

ne dors pas beaucoup. Quant au

dernier inconvénient, je m'en moque. Peut-être ai-je

par

des obligations

la

;

toi,

secours. Je

me

de nos enfants,

et c'est le seul

délecte en lisant les

«

«

mon

évangiles. — Bètas de

chameau!

vêtu d'un habit de poils de chameau et

une ceinture de cuir autour des

reins. »

Les bergers kurdes,

druses, les Arabes, les Syriens de toutes ainsi; c'est

temps

vient à

peintres qui faites saint Jean vêtu d'une peau de

Saint Matthieu dit:

lui

,

passe agréablement. La Bible aussi

je

même

mon lit je me transporte Je me crois dans ma cham-

dans

pensée au milieu de vous.

bre verte, près de

que

car,

ïabbaïa

,

ce vêtement

les religions

primitif et

si

si

sont

beau.

Notre mangeur de sauterelles n'en portait pas d'autre (car il

n'est pas question

Jourdain lavant

la

de culotte)

tête à tout

;

je le vois sur les

un chacun. Ah

quoique fanatico-garde-national, biblico-pittoresco-régénérateur

chère amie,

me

déclare émeutier

vrai

pour ce qui re-

je

du

!

bords du

garde risraëlico-vestimento, etc.. en o de l'écriture... «

je

On

est

dommage; je

venu me déranger dans

le

ne saurai plus comment reprendre

me

car je

me

plus beau

ma

moment

;

narration. C'est

sentais inspiré par le Saint-Esprit et

mettais en verve, Yoilà

comme

les

plus belles choses 13.


JOSEPH, CARIE

226

manqué de

ont peut-être

M.D***, la

ler. le

le

main à

magnétiseur;

la

Enfin,

le

le

coquin n'a pas besoin de mettre

voilà parti, et,

notre causerie.

coup

Le tout pour recevoir

pâte pour endormir; on n'a qu'à

somnambulisme auquel

pas.

naître.

Nous

Ce pouvait

au risque de

communiquer

te

je viens d'échapper, je reprends

disions donc que...

être de la pluie

sûr, ce n'était pas

par-

le laisser

ma

foi,

je

ne

sais

que nous parlions; mais,

du beau temps, car

le

à

bon Dieu de

ce pays-ci ne juge pas à propos de nous en donner;

il

n'y a

plus de neige; les rues sont lavées par une petite pluie fine

qui ne discontinue pas. C'est une calamité pour

Saint-Pétersbourg traînage,

et,

le

ne s'approvisionne

l'hiver

le

peuple.

que par

le

jour de Noël, tous les marchés sont encom-

brés de viande, de poissons et de volailles gelés, au

moyen

de quoi ces denrées se conservent jusqu'au carême. Par malheur, un dégel vient de fondre à l'improviste sur nos en

têtes, et

même temps

sur tous

les

comestibles, qui ne

sont plus que des charognes; c'est une véritable désolation.

Le premier jour, rien

n'était, si

nelle; j'y suis resté toute

curieux que cette foire char-

une matinée. Figure-toi des rues

formées de bœufs, de moutons

uns sur lit

les autres,

roides

quand

le

ventre d'un

vient

bœuf ou

bois, et qu'on

C'est un la

s'éclairent avec des chandelles;

dans

de cochons empilés

comme du

à grands coups de hache.

bizarres, surtout

et

sur

les

démo-

spectacle des plus

nuit; tous ces corps morts les le

marchands sont

assis

dos d'un porc; chacun

d'eux vous agrippe par votre habit, pour vous vendre sa

marchandise.

Ils

crient tous à la fois; dans ce tumulte, j'ai

été pris regardant avec

un

air d'intérêt

environnée de toute sa famille, qui, pavé.

On

une immense

comme

elle, gisait

truie

sur

le

a sans doute supposé que je voulais faire emplette

de cette Niobé. Sur-le-champ

j'ai

été entouré d'une foule


ET HORACE Y EU NET,

227

de compagnons de saint Antoine qu'on m'offrait d'acheter,

comme

en faisant valoir leur beauté

la

mon

en faisant bonne contenance, jusqu'à

retiré,

Mais

eussent été de

s'ils

me

Cupidons. Ne pouvant pas m'expliquer, je

petits

succomber;

je devais

là,

suis

traîneau.

je n'y suis pas rentré seul

:

malheureuse truie m'avait suivi bon gré, mal gré, mise k

mon

côté et abandonnée par son propriétaire sans réclama-

tion

de payement. Tu juges de

mon embarras;

de m'expliquer avec un gendarme qui

dû prendre

J'ai

Arrive bule.

à la

C

je flânais

me

fai

!

maison, tout

était le

dans

fils

de m'en

parti

le

le

monde

pour

police.

m'attendait dans

le

vesti-

un de

dit à

ses paysans de

e cadeau de cet intéressant animal. La plaisanterie

n'était pas

mauvaise de me

faire

voyager côte à côte avec

une grande bête qui me dominait de plus d'un «

la

avec ma compagne.

aller

N***qui, m'ayant découvert tandis que

marché, avait

le

était là

impossible

La famille dans laquelle je trouve une

talité est

dans

comme deux

joie d'un

la

pour Lune des

bonne hospi-

mariage qui vient de s'arranger

Le promis

filles.

si

pied...

et

promise s'aiment

la

tourtereaux. C'est un vrai plaisir pour moi de

voir des gens heureux les uns par les autres, moi qui suis si

isolé!

Tu ne peux

règne entre eux;

Le père

est

vivent

ils

un homme

grand seigneur est

te faire

et

une passionnée en

elle

comme nous

fort instruit,

en communauté.

organisé pour tout,

bon vivant. La mère, qui a été délicieuse,

vouer à l'éducation dévote; mais

une idée de l'harmonie qui

retraite, qui,

de ses

depuis qu'elle a dû se est

filles,

devenue sévère

et

n'en conserve pas moins ce qu'il fdut de

l'ancienne chaleur de son

âme pour aimer tendrement

siens et pour s'en faire aimer.

La

fille

cadette est mariée

d puis deux ans; celle-là est blonde, assez

malgré ça nourrissant son enfant

,

les

jolie, scrofuleuse.

faisant de la

musique


228

et

delà peinture, n'allant pas au spectacle par principe,

ne lisant de

moderne que ce que son mari

littérature

la

Celui-ci

écrit.

un grand jeune homme

est

mais déprimée, jouant assez

bon gentilhomme, ne

et

fort

sans avoir de

que de ce

riant

à grosse tête,

qu'il dit.

fortune,

Les autres

sœurs sont brunes, plus ardentes, promettant davantage de payer un jour leur tribut à sent fermes dans

la

qu'une honnête femme puisse tion.

société; mais jusqu'à pré-

voie du Seigneur et ne supposant pas

la

Le plus jeune de toute

lire

autre chose que l'Imita-

bande, c'est un

la

grand

frère,

et

beau garçon, visage

et

d'une douceur angéliques, scrofuleux et par suite boiteux.

frais, esprit très-cultivé,

C'est l'héritier, l'aîné des

compose

qui complète

verneurs les livres,

et

et son

pour

table

la

jouent de

dîner, est formé par les

le

la flûte et

de

Petit- Poucet,

quitterais

je

quelle mâchoire

disait

la

ici

;

comte K***, gros

maison.

si j'ai

Oh!

la

gaillarde!

Ce

H

janvier

181').

vu mademoiselle de R***. Certes.

comme

chanteuse chez

elle a été

engagée

homme à

lunettes vertes, puant très-fort,

mais richissime, ayant une musique à à faux dans les

y a une Alle-

»

!...

Tu me demandes

Elle est arrivée

il

à faire trembler. Si j'étais

«

dans

(comme

l'autre, Polonaise, est

comte de Forbin) un torchon pastoral poussant

mande qui mange, mais mange

le

Des secondes,

la clarinette.

des soupirs à renverser les meubles; puis

<(

gou-

du temps de Clarisse avec ses lunettes

chapeau gris; le

Le reste du personnel,

gouvernantes. Les premiers, heureux de quitter

l'une, Anglaise, est

défunt

étant mort. Voilà de quoi se

fils

matériel des maîtres.

le

d'une bonté

lui et battant la

mesure

morceaux d'ensemble, sans dou te plus heureux

les duos, car

mademoiselle de R*** est devenue grosse


ET

veuve d'un

et

HORACE VERNE T.

pour de

qu'elle, qui,

nouveau veau,

en Afrique. Maintenant,

officier tué

d'épouser pour de vrai un

fruit

petit

commis allemand charge de

l'argent, se

voix, transposé, dit-on, par

un jeune l'histoire.

lui, afin

de

mon

donner au

le

comme

roi

n'a

vache et d'un

naturel à trois

do ma-

ferai

précéder par

souvenir de moi.

l'eau. C'est

une saison dont

jamais eu d'exemple; c'est une désolation générale.

Pourquoi «

vient

n'est pas terminé,

il

me

retour. Je

Nous sommes toujours sous

«

on

sera avant

le

il

elle

plus jeune

Italien sur le

Quant au portrait du duc d'Orléans,

mais

la

mi

d'un nocturne en

jeur du susdit comte. Voilà «

220

que

faut-il

Adieu

,

je

je sois

tombé sur ce phénomène!...

mon cœur.

vous embrasse de tout

gros aujourd'hui

,

y a place pour tout

qu'il

le

est si

Il

monde.

»

«Saint-Pétersbourg, 24 janvier 1843. «

Tout ce que

mencement de

1

tu

me

sur

dis

et

de

fin

4

842 et

les

vœux

et les souvenirs

côté. Je pensais à vous, tout seul, la

pour compagne

ma lampe,

qui veillait

plume à

comme

pouvais pas boire du vin de Champagne avec

moins gai que vous, mais tion

combien

je

com-

le

843 ne pouvait rien m'apprendre de nou-

veau quant à ce qui regarde

mon

la

je sentais

de

main,

la

moi. Je ne

elle.

du moins sans

J'étais

distrac-

vous aime tous. Les regrets de ne pas être

réunis étant égaux des deux côtés, je veux croire que

ma

part était la meilleure. «

Les jours allongent et je puis travailler six heures.

Aussi,

la

toile se

couvre et je commence à renaître. Mes

membres reprennent de de nouveau vers

le

la

ciel,

souplesse et

,

mes

idées s'élancent

mes yeux ne creusent

plus

tristement la terre que le soleil semblait avoir abandonnée. Il

n'y a pas eu d'hiver

ici.

Jamais, de mémoire d'ours, on


230

n'a

vu une semblable saison dans leur

On ne peut

tout est— il défoncé.

belle patrie. Aussi,

d'aucune façon, sans

sortir

courir risque de se noyer ou de se rompre les os. Ah! malédiction des malédictions

!

Pourquoi

dans ce pays, justement quand

même,

dévoyé!... Ce matin trer sa mine.

que

faut-il

l'astre

du jour

que

venu mon-

est

Le crapaud a remué ses pattes engourdies sous

son ventre pour s'élancer de nouveau dans

mois de mai

le

tombé

enrhumé, grippé,

est

il

je sois

n'ait

apporté des

la prairie.

feuilles, le

Avant

Boissec des

peintres aura son retour de jeunesse... «

Voilà

que

je

ne pense pas que 11

me le

temps

vont

et le papier

me manquer.

vaut cependant mieux s'égayer que de faire du Jérémie.

Je n'ai tions,

que trop de temps

ni tète, c'est

comme

ce genre d'occupa-

à

plaisir

que je

des prisonniers auxquels on ouvre les autres,

que

la

porte.

c'est celle

Il

yen

de vous resi

ça dé-

»

«

Saint-Pétersbourg, 6 février 1843.

Enfin je suis heureux, chère amie

heures! Je rentre de l'atelier, où la

queue

sortir à la fois,

de vous embrasser, de ne vous plus quitter,

crois — de

je puisse

te dis n'a ni

que toutes mes idées veulent

pend de moi. Adieu.

«

employer

t'écrire. Si ce

une qui domine toutes

voir,

à

pour ne pas profiter du seul vrai

éprouver, celui de

a

des bêtises, et je

laisse aller à te dire

:

je puis peindre six

j'ai

fait

à ce

que

bonne besogne. Je chante maintenant tous

vieux airs d'opéras;

il

me manque que

ne

je les

vous pour avoir

retrouvé mes beaux et bons jours. Je jouis de voir mes

mains barbouillées de couleur; ce pendant je n'ose pas

aller

dans

le

n'est pas

monde

de

la saleté,

ce-

sans les laver; les

ours ne sont pas encore assez civilisés pour comprendre ce qu'il

y

a d'honorable dans

la

malpropreté du travailleur.


231

me livre aux plaisirs mondains; je vole de l'un à comme un oiseau sur un cerisier. Si j'avais vinst

Je

«

l'autre

ans de moins, je serais l'homme à il

que

j'aie

perdu

ma

Le vinaigre que

«

tu

me

il

fait le

mode. Pourquoi

m'as envoyé est

jours envie d'en mettre dans tanné,

la

faut-

fraîcheur!

môme

bon, que

salade; car, sur

la

effet

si

tou-

j'ai

mon

visage

qu'un cautère sur une jambe

de bois. «

S'il

en est temps, expose

mon

tableau. Parce qu'il

vaudra peut-être quelques mauvaises lignes dans

les

me

jour-

naux, ce n'est pas une raison pour que je sois un ingrat envers

Salon

le

connaître. Je

succès;

ils

sans lequel je ne

,

me

me serais

peut-être pas

fait

souviens des jouissances de mes premiers

m'ont encouragé,

et je dois à

la

mémoire des

Gros, des Gérard, des Girodet, etc., dont les exemples doublaient

même

mon courage pour

Tu vas

service à ceux qui doivent nous succéder.

que

dire

rivaliser avec eux, de rendre le

c'est

payer. Si

de l'orgueil? Non. c'est une dette que je veux

Thamar ne

remplit pas toutes les conditions de

peinture, ce n'est pas du moins un tableau sans aucun

la

mérite. D'ailleurs, ses défauts peuvent servir de leçon. Les

Confessions de et elles

ont

Napoléon

fait

Rousseau n'ont

J.-J.

du bien

serait resté plus

— Je retourne

à

de

tort qu'à lui,

à tant de gens qui les ont lues!

longtemps sur

pris l'avis de la multitude... Halte- là! thos.

fait

mon mouton,

me

le

trône,

voilà

s'il

dans

c'est-à-dire à

avait

le

pa-

toi,

ma

pauvre amie. «

Je savais par les journaux l'histoire tragique de l'élève

de Delaroche

1,

1 .

Ce que

Malheureux jeune

tu

m'en dis me rassure pour

homme mort

rades d'atelier lui avaient

fait subir.

l'opi-

des suites d'i^ne charge que ses cama-


232

monde en conservera; mais, connaissant

nion que

le

sensibilité

du cœur de notre gendre,

je suis bien aise d'ap-

comme

prendre que, dans cette circonstance

montré

la

malveillance. Certes,

il

d'autres,

d'école,

ront

a

il

il

la

dans

tant

fermeté nécessaire pour arrêter regretter

est à

comme

que,

la

chef

renonce à faire des élèves; mais ses œuvres se-

là et

doctrines.

se chargeront de

Tous

les peintres

propager

les vraies et saines

sont élèves

du Poussin. Au

demeurant, dis à Paul que je partage ses angoisses, mais

que

je le félicite d'avoir repris sa liberté;

mauvais sang dans

concours.

Je te quitte pour aller au bal

«

rier, et je

aurai

j'y

les

;

c'est

demain jour de cour-

veux conserver un peu de place pour

fait

te

dire

si

quelques victimes avec mes mollets qui bril-

dans mes bas de soie blancs aussi bien qu'autre chose

lent

dans une lanterne.

» «

«

moins de

fera

il

Le

bal était magnifique.

Ce

L'empereur a été

7.

fort

aimable;

nous avons causé longtemps ensemble, mais de choses indifférentes.

Je vais partir pour aller peindre

cheval que j'espère ne pas manquer.

une

Tu ne peux

tête te

de

faire

une idée du bonheur que j'éprouve d'avoir repris mes habitudes laborieuses. Le temps semble voler maintenant.

»

«Saint-Pétersbourg, 12 février 1843. 4

«

En6n M. R***

est arrivé avec des lettres et des

Ce ne sont pas ces derniers qui ont agi sens,

comme

tu le penses bien.

Paris a réveillé en moi de sentir tous près de moi;

bien

le

si

le

plus sur

mes

Cependant, leur odeur de

doux souvenirs; elle

parfums!

je crois

vous

pouvait m'apporter aussi

son d'une de vos voix!... Mais non,

j'ai

beau ouvrir


ET les oreilles,

tard,

pour

vaille,

OR

yeux

tympan.

et le

me semble que

il

je

et

cœur

bonne

me

suis

et

nez; à plus

le

Maintenant que je tra-

mis en route pour vous

coup de brosse me rapproche;

rejoindre et que chaque

douce

C E V E R N E T.

A

n'y en a que 'pour le

il

les

II

que

illusion,

comme mon

je soigne

meil-

leur ami... Enfin, viendra le jour delà réalité... «

de

Malgré lire

peu

de

le

désir

ma

vu

plus laconique; car,

portraits la

que

de

j'ai

te

donner souvent

le plaisir

prose, je serai forcé maintenant d'être

me manquera pour par

que

écrire. Je

sur

j'ai

les

jours qui allongent,

le

veux avoir terminé

les

un

temps

deux

chantier, afin d'être libre de partir

le

première navigation. L'empereur

J'emporte-

le sait.

rai avec moi les documents nécessaires pour faire en France

plusieurs grands tableaux.

«Hier seulement l'empereur ferrand J'ai

pour

la

a signé les projets

de Mont-

décoration intérieure de l'église d'Isaac.

me condamner au mutisme jusqu'à présent, mon avis relativement à l'exécution des pein-

cru devoir

et réserver

tures. Je serai consulté, je n'en

doute pas. Tu connais mes

opinions à l'égard de l'unité dans un monument, et j'espère

que mes conseils seront entendus d'autant mieux, que suis désintéressé. C'est

question

d'art

que

purement

je

et

j'y

simplement une grande

puis traiter avec connaissance de

cause. Je ne serais pas fâché que Delaroche m'écrivît son

opinion à ce sujet. et je serais aise le

Nous devons penser

cas échéait. Prie-le de

ture monumentale, qu'il «

me

le

si

me

a,

je crois,

ma

détendu

sien, si la

pein-

santé? Elle est

vient pas, et

agaçant. Quant au visage, Fceil est bon,

mais l'humidité

du

avis

largement.

détails sur

ventre ne

peu près de même,

mon

formuler ses idées sur

comprend

Tu me demandes des

toujours de fer;

à

de pouvoir corroborer

la

la

le

mollet reste

moustache

frise;

peau; un coup de


•234

soleil là-dessus, et elle se

bour. «

11

comme

retendra

ne manque pas Un clou au soufflet

Delaroche rouvre son atelier;

il

le

d'un tam-

celle l .

devait.

ne pouvait

Tl

pas laisser planer sur une masse de jeunes gens une inculpation aussi grave.

y a des circonstances qui dominent

Il

nos volontés et auxquelles

faut céder.

il

Amen! «

« J'arrive

d'un bal chez

longue conversation avec seur. Je lui ai

l'empereur.

sur Isnac.

lui

Ce

J'ai

que

la

profes-

faudrait donc qu'un seul

que vingt ou trente tache

y aura là

Il

homme n'y suffirait même tout retoucher. Il

vie entière d'un

devait tout exécuter, ou

tours. Cette

eu une très-

exprimé mon opinion sur l'homogénéité né-

tant de peinture, s'il

13.

J'ai fait le

cessaire dans l'ordonnance des compositions.

pas,

»

génie se chargeât des cartons, et

de talent remplissent

artistes

serait facile à accomplir,

les

con-

sans qu'il y

eût disparate, les sujets devant être peints sur des plaques

de cuivre dorées au

Avec de

feu.

caractère étant plus dans

le

pareilles conditions,

contour que dans

le

modelé,

le il

y aurait plus de certitude d'harmonie dans l'aspect. Pour n'avoir pas nel, j'ai

l'air

d'exprimer ces idées dans un but person-

citer plusieurs

lius et Delaroche. J'ai J'ai

voulu, pour

la

p*u

noms

d'artistes

:

Ingres, Corné-

insisté; c'est partie à reprendre.

première

qu'en général. D'ailleurs, à

la

ne parler de

fois,

j'étais

fin,

plusieurs reprises

:

comme

qu'on devait mettre à terminer

le

il

chose

dominé par une

préoccupation venant de quelques mots échappés jesté à

la

s'agissait

à

Sa Ma-

du temps

monument, l'empereur

Le lecteur n'a pas besoin qu'on lui traduise cette locution qui a un moins pittoresque dans la langue des gamins de Paris bouder aux dominos, » c'est-à-dire, être brèche-dent. 1.

équivalent non «

;


HORACE VERNET.

ET m'a dit:

«que

je travaille

:

en cinq ans. Je sais bien

soit fini

qu'une messe

je n'y entendrai

que

« fils

que ce

faut

« Il

et

que

pour mon

c'est

je ne dois pas vivre longtemps. » Cette

appréhension d'une mort prochaine, manifestée au milieu d'un bal, et exprimée d'une manière simple, de

la

homme

santé, avait

dans toute

quelque chose de

la

si

vigueur de lage

la

solution

souvenir de 1

côté

du problème

scène qui

la

,

Mais

passée dans

la

de dégel,

me

et

,

me

les

à

pa-

de de

faiblesses

lui.

Enfin,

j'ai

quantité d'idées

croyais susceptible d'avoir que seul, un jour

bloqué dans

le

fond de

ma chambre. Au

grain et de placer

de

mes

résultat,

empoché de semer mon

toutes ces pensées ne m'ont point

ma gravure

chambre

mort épargne dans

monde par une

été pris, au milieu de ce

ne

la

et le

alors, j'ai senti tout ce qu'il fallait

sa personne, tandis qu'elle frappe autour de

je

difficile à

grand événement devait

l'humanité. Je pensais à notre roi, que

que

effort

du pays

situation

la

d'âme à un souverain pour dominer

force

un

Malheureuse-

n'a pas été bien

s'était

la possibilité d'un

raître probable.

la

possibilité.

la

Avec mes idées sur

trouver.

de

contradictoire, qu'il m'a fallu

d'esprit pour m'en expliquer

ment,

et

part d'un

pions. J'ai obtenu que tu adressasses

Thamar

directement à l'empereur. Tu peux

y joindre la Jument aux loups, et je crois qu'il ne serait pas mal d'introduire dans le rouleau la Sainte Cécile de Delaroche. Le genre de cet ouvrage est plus en rapport

avec

].

les

travaux à faire

,

Allusion à la mort de Paul

et

I<>

r ,

son arrivée

:

«Voyez le

n'est

il

(

1836), Nicolas lui avait dit

ces gens qui nous regardent lorsque nous nous mettons

à la fenêtre, ce ne sont pas eux qui ont tué

nous aiment:

,

qui fut étranglé en 1801. Pendant le

premier voyage d'Horace Vernet en Russie

un jour

ici

danger que nous courons

est

mon malheureux

père

dans l'antichambre.

»

,

ils

Et en

prononçant ces derniers mots, l'empereur montrait la porte du salon où se tenaient ses favoris.


JOSEPH, CARLE

236

pas connu, viendra corroborer ce que

déjà préparé.

j'ai

Voilà une lettre d'affaires; maintenant, en avant

«

timent!

Avec

ment où, sans

sortir

te faire rougir,

quand ne

mon

ce sera

X*** pourra

mo-

habit de salon,

sur

l'article toilette;

n'importe,

d'en avoir une avec

Adieu. Tout à

a

Mon ami

même

pour

les

s'en offusquer, car je le sais méticu-

dira pourquoi. La seule concession

«

plus? Dussé-je

te quitterai-je

ou

faire, c'est

le

de chez nous, je jouirai de nos petits

leux il

sen-

quelle impatience ne vois-je pas venir

enfants. Chère veste!

samedis.

le

toi.

la

il

ma

avalera

que

broderie de

veste

je puisse lui l'Institut.

»

intime, Radziwill,

meilleur de tous les

le

princes, se charge de te remettre cette lettre; elle te portera

quelques observations que je

fais

sur

le

pays et que je ne

ma

serais pas enchanté qu'on lût à la police:

façon de pen-

ser est peut-être absurde; n'importe, parlons d'autre chose.

La vie que je mène

«

ici est la

plus usante qu'on puisse

mon

imaginer. Les jours se passent dans

pas de trop mauvaise peinture (tu sais que je

fais

et

atelier,

le

nuits,

portrait de l'impératrice

dans

le

monde où

qu'on appelle ces gens, sent un vide

comme

s'il

sera

je ne

une bonne chose);

je fais partie de la

les

masse compacte

et qui, lorsqu'ils n'y sont pas, lais-

manquait une touche à un piano.

Je vis le double que je n'en ai l'habitude. Ça ne pas, et j'y

méjuge,

gagne de ne pas creuser

la triste

me

fatigue

pensée d'être

séparé de vous,par un passé de quatre mois. «

Une nouvelle

distraction

m'est venue en aide.

Il

est

arrivé une troupe de bohémiens pur sang avec le prince

Wiozenski

;

nous

les

poursuivons dans

chements de leurs habitudes privées.

les Il

derniers retran-

y a véritablement

chez eux des choses inconcevables de tradition physique et


ET HORACE VERNE T.

237

morale; c'est de l'Égypte au visage de bronze, avec ses serpents droits sur Je suis

queue, ses mystères

la

comme un

et ses superstitions.

ivrogne qui découvre un bouchon

;

aussi-

que je vois moyen de me raccrocher aux souvenirs d'un

tôt

pays où

n'est pas

soleil

le

comme

ici

une orange enve-

loppée de papier gris, je m'en donne à gogo. Je puis d'autant

mieux l'avouer

que de vertueux dans

qu'il n'y a rien

comme

nos recherches. Je deviens philosophe profond

devenu maître d'école;

crisse

tention

que

temps que

lui.

Je

m'amuse seulement pour

ne puis employer à

je

droite et à gauche; je fourre

mou

Jo-

mets pas plus de pré-

je n'y

faire couler le

peinture. Je flaire à

la

nez partout où je peux,

sans m'occuper de ce que j'entends de l'opinion des autres

bavards; car, chère amie, plus je

que

nez est l'organe

le

humaine;

il

le

vis, plus je suis

plus important de notre machine

perçoit tout. Épluche-t-on des oignons,

pleurer les yeux. Prend-il du tabac,

au cerveau

et

vous secoue tout

éternuments que tu exécutes

le si

les

mauvaises odeurs font battre

Un

nez busqué, retroussé, ou

l'expression

dans

le

du

Paradis jusqu'à

la

Nous avons

les

il

donne de

il

fait

l'énergie

système par ces fameux solidement. Les bonnes, le

même

visage. Enfin, depuis

cœur ou

soulèvent.

le

de mie de pain, change le

premier nez d'Adam

descente d'Énée aux enfers (vieux

calembour), c'est toujours par duit.

convaincu

le

nez que

yeux trop près de

le

sort

cette

nous con-

exubérance

pour bien juger, sans loucher, comment nous sommes empoignés; mais nous avons

nous voyons conduire de

la

prétention de juger ceux que

loin. Je

m'amuse donc

ici,

faute

de mieux, à juger des différentes directions que prennent tous les nez. Dans aucun pays aussi

du monde,

il

n'en existe une

grande variété. Depuis l'Arménie jusqu'au

chatka,

ils

Kam-

vont toujours en diminuant. Aussi l'attelage est-


JOSEPH, CARLE

•238

il

différent

:

courts (par

on

les

la

pousse. Moi qui connais

moyen

serait

«que

gîte, et

songe...

«

que pour

«

te faire

rire,

que

que

celles

déjà bien vu l'armée;

le

manoeuvre. faut res-

il

l'on

ne

je croirais

n'avoir pas

observations seront

de d'Arlincourt.

maintenant, c'est

le

peuple

L'empereur, j'en suis convaincu, ne désire rien tant

tion

où en sont venues

la leur

liberté

pour

mais, dans

les serfs;

choses,

les

l'état

de déprava-

y a impossibilité de

il

donner. La vie d'un paysan est tellement au rebours

mœurs l'y faire

habitudes;

qui constituent

faire le

et

moins

Russes

qu'il est impossible

la société,

entrer avant une régénération complète de ses

comment y

arriver,

d'honneur n'agit sur son esprit,

les

la

pays,

dans son esclavage.

je cherche

la

de

plus

comme

en un gîte à moins que

Au demeurant, mes

que

des

de

à juger

de courir

faire

tout aussi intéressantes « J'ai

les tire; les

creux ou non? Voilà ce à quoi je tâche; ce ne

perdu mon temps.

que

on

grand cocher de cette

le

commence

messagerie royale, je

au

comme

raison qu'il y a moins de prise) vont

Puisqu'il n'y a plus ter

vont

les plus longs

lorsqu'aucun sentiment et

que son but

est

possible, la paresse et l'indolence étant parfait bonheur,

le

depuis

le

de

pour

prince jusqu'au

moujik? «

Déjà plusieurs

lois

sont venues réprimer quelques abus

monstrueux que l'absence

d'état civil bien tenu avait lais-

sés s'introduire au profit des

ne consistait pas dans le

la

que

les

femmes ne

père mariait son geait de faire

fils

à l'âge

lui-même

lès enfants existe;

,

dont

la

richesse

valeur de leurs terres, mais dans

nombre des paysans qui

qu'afin

seigneurs

la

cultivent.

Il

arrivait

donc

restassent pas sans produire^ le

de dix ou douze ans,

les enfants.

et se

char-

La défense de marier

mais combien de temps faudra-t-il pour


HORACE VER NET.

ET domine

qu'elle

d'une part,

cupidité

la

239

débauche de

la

l'autre?

Les femmes ne comptant pas,

«

trafic

il

un singulier

s'en fait

relativement au mariage et au recrutement.

du mélange d'enfants dont

souvent, par suite te parler,

que dans un

village

degré de parenté) que

eux; on échange alors

il

n'y a plus

le

arri\e

moyen

(vu le

habitants puissent s'unir entre

les

les filles

mau-

contre deux ou trois

vais sujets dont on ne peut rien

garde pour

îl

je viens de

on

les

recrutement; on les engraisse afin qu'on

les

trouve bons pour

faire,

le service, et voilà

et ceux-là,

en grande partie de

quoi l'armée se compose. Je te laisse à penser tout ce qu'il peut s'introduire de

«

mauvaises passions dans

comment

l'esclave, et

donner

les

mêmes

comme

pas

choses établi

ici,

rapports entre

tout d'un coup on pourrait égaliser et

la

même

espèce.

et alors qui sait ce et divisé

j'ai

n'y a qu'une révo-

une idée

que peut devenir un

fixe à cheval

si

mon

nez sent de loin^

dessus; mais je ne pense

pas que ce soit avec une armée seulement qu'elle

discipline

les

cœur

malgré

et

nombreuse

réduite à l'état d'automate par la

les

principes

moraux

qu'il puise

La révolution domine

La crainte

lui a

fait

ses meilleures inten-

endosser un uniforme régulier

qui- dissimule à l'extérieur toutes ses difformités; n'eil existent

que

la

dans

dans ses propres vertus, malgré son désir dé

propager.

tions.

(si

que l'empereur puisse maintenir longtemps

)

l'équilibre,

son

et surtout

soit,

l'ordre de

par des différences de langage,

de religion, de climat? Je ne sais si

Il

amener un changement dans

pays aussi immense

ou

maître et

le

droits à des gens qui ne se considèrent

étant de

lution qui puisse

les

mais

elles

pas moins et ne cesseront pas d'exister tant

Russie ne basera pas son avenir sur autre chose que


JOSEPH, CARLE

240

sur des apparences de force

me semble

l'ai dit, elle

dont

de prospérité

et

Comme

!

Du moment

croûte s'enfoncera un jour ou l'autre,

la

je te

sur une boursouflure de civilisation,

que l'armée délibérera,

trouvera quarante millions de

elle

barbas qui ne demandent pas mieux que de s'emparer des terres dont

par

la

comme

se regardent déjà

ils

les propriétaires,

raison toute simple que ces terres n'ayant aucune

autre valeur que celle des paysans qui lui appartiennent,

que l'impôt se payant eu égard à leur nombre,

et

eu égard à l'étendue de

on ne leur

persuadera jamais que

Depuis

4

vendu qu'avec 600, époque

clavage des Russes

de

intérêts

pas partie de leur indi-

fait

liberté.

un paysan ne possède plus rien; esclave,

fois libre,

ne peut' être «

ne

le sol

aucun d'eux ne veut prendre sa

vidu. Voilà pourquoi

Une

terre qu'ils cultivent,

la

non pas

à laquelle

\ qui

il

terre qui doit le nourrir.

la

Godounof a

établi l'es-

jusqu'alors avaient été libres, les

changé de nature. Les guerres qui

l'État ont

dépeuplaient

le

pays ont un autre but, celui de l'enrichir et

d'augmenter

la

population.

peaux; maintenant, vice. Lorsqu'ils

un;

Un

fait

soldat mourait sous les dra-

plus que quatorze ans de ser-

en faisaient vingt, sur mille

charge n'était pas lourde pour

la

lesquels

réformés

ces

nombre en

est

devient non

-

la

se

retiraient.

les

en restait

il

villages

Aujourd'hui

dans

que

le

considérable, vu les congés illimités, ça

seulement un nouvel impôt, mais un grand

embarras pour acquis

ne

il

les propriétaires.

liberté à ces

hommes,

Le service militaire ayant ils

retournent dans leurs

familles avec des idées nouvelles. S'ils travaillent pour le

compte du seigneur, 1.

Boris

après avoir fut

il

est obligé

Godunow ou Godounof, fait périr le

de

les

payer

;,

sinon,

ils

Tartare d'origine, usurpa le -trône,

czar Fédor Iwanowitch et son héritier, Dmitri.

lui-même empoisonné (1605).

Il


ET HORACE VERNET.

241

s'emparent d'un terrain qu'ils font valoir selon leur

intelli-

gence. Voilà donc une propriété établie dans une autre propriété.

Le jour des contestations arrivera. Cette classe de dont

prolétaires inconnus jusqu'ici,

population se sera

la

enrichie, ne se dessaisira pas volontiers d'un bien qu'elle

comme

regardera

rapportant rien à

récompense de ses services. Ce bien ne

la

l'État,

il

faudra donc l'imposer;

ne peut être que générale, leversé. s'est

me

qui sépare deux précipices

pas doit faire tomber.

Il

nez de l'empereur

le

fait l'effet d'être ,

mesure

de ce moment, tout est bou-

et,

Voilà dans quelle route

engagé. Cette route

la

dans lesquels

me semble

sur une crête,

le

moindre faux

qu'il vaudrait

mieux

descendre franchement d'un côté ou de l'autre avant d'y être poussé

mais je suis convaincu que déjà

;

n'existe plus.

Du moment

aura cessé de se

faire voir

où sur

le

sommet,

tôt nivelé, et la force brutale disparaîtra

-obligée d'obtenir des concessions des

trer en ligne. Cette classe elle

nomme

une certaine somme à

ses magistrats l'État;

à l'index. On compte parmi

mais ;

;

elle

etc.,) est

ment séparées de

(la

n'est

aucunement

pour ainsi

dire,

du temps

plupart

bientôt dissipée parle

fils,

par

la société, la

la rai-

débauche

il

retombe

n'y a donc que deux classes entière-

position, d'intérêts, de

aux dépens l'une de

elle

à l'élection et paye

elle

et l'ivrognerie sont sa seule ressource, et bientôt Il

;

des millionnaires, mais

son que, n'occupant aucun rang dans

dans l'abjection.

la fois,

car la bourgeoisie

elle vit,

fortune qu'un père a pu acquérir

par l'astuce,

dès qu'elle sera

,

ne peut acquérir de terres

représentée dans l'administration

la

pays sera bien-

grand nombre pour qu'elle puisse en-

n'existe pas en assez

;

le

deux parties à

c'est-à-dire des nobles et des paysans

vit isolée

chemin

le

prestige de la force brutale

le

mœurs,

l'autre cependant. Cet ordre

et vivant

de choses

H


JOSEPH, CARLE ne peut pas durer longtemps

;

la

balance n'est pas égale.

Déjà, les seigneurs sont obligés de faire de grands sacrifices

pour prévenir

Un

les révoltés

que

moindre

la

disette provoque.

jour viendra où les revenus ne suffiront plus, et où,

malgré eux

,

paysans seront forcés de se

les

suffire à

eux-

mêmes. «

Je viens de relire

mon bavardage

pas moi-même. Je sais bien ce que

;

ne

je

le

comprends

voulu dire, mais

j'ai

ce n'est intelligible que pour moi. Je te l'envoie toujours; tu

me

le

« J'ai

comme

garderas

renseignement.

hier à l'enterrement

assisté

pape des Grecs. Je

n'ai rien

non -seulement

costume

le

mais ces longues barbes lées

tombant sur

serait trop long

de vive voix à

les

de

mon

te

vu de

si

Je

beau que ce cierge

est magnifique

et ces

comme

;

forme,

immenses chevelures ondu-

épaules font un

donner

du métropolitain,

merveilleux.

effet

les détails

;

nous en causerons

retour.

«

11

Horace

\

eknet.

»


ET HORACE VERNET.

243

XIII

],\

RUSSIE PETNTE PAR HORACE VERNET (suite et fin).

— Un palais de — Le carnaval. — Lucullus et madame Gibou. — Réjouissances et déguisements. — Un mariage aristocratique. — Le public et les coteries. — Céladon fripé. — Rubini. — L'église d'Isaac et la peinture décorative. — Voyage sur mer en traîneau. — Carême et jeûnes. — Les fêtes de Pâques. — L'hospice dos enRussie. fants trouvés. — Ral à la cour. — Adieux à

La Saint-Martin de

— L'empereur

la palette.

cristal.

au bal masqué.

la

«

«

12 février 1S43.

,

Tu ne recevras de moi que quelques

amie; .voilà ce que le

Pétersbourg

monde

les nuits

Lorsque

!

je

que

vie d'un

la

lettres.

Martin de

homme

ne pouvais travailler, que

ne faisaient qu'un, que

réveiller chez

longues

c'est

le

Aujourd'hui je a

ramené

qui court

les

jours et

carnaval n'était pas venu

moi un retour do succès,

la palette

lignes, chère

n'ai plus le

celle

de

je t'écrivais

de

temps. La Saint-

mon

été passé.

Le

matin, les couleurs les plus brillantes à l'empire du génie; le

soir, les

sont

le

lis

et les roses

des

visages les plus éclatants

jouet des faveurs que je veux bien distribuer. Je ne

rentrejamais sans chanter:

«

mais

il

sois sans inquiétude,

Enfant chéri des dames, etc.;» y a à côté cinquante-trois ans

qui chantent aussi sur un air moins audacieux avec des pa-


244

conjugales;

rôles

nais

Pour changer de conversation,

«

avons l'hiver

recon-

briller

dans

l'air

comme

vent sur

le

les traîneaux,

mer. Le

la

poudre de diamant,

les Juifs

et

soleil fait la

rues sont encombrées de traî-

les

enlevaient

moujiks détruisent

le

que,

dirait

bronze du colosse de Rhodes, d'une

le palais

les

Ce sont des masses

fée.

de roche qu'on charrie dans tous

cristal

chose

des parcelles de glace qui semblent de

neaux portant d'énormes blocs de glace. On

comme

nous

je te dirai qu'enfin

depuis dix jours. Enfin

ici

délicieuse! filent

de

me

vertueux; tu

bref, je reste

là.

les sens.

faut

Il

vraiment se bien persuader que tout ce qu'on voit dans ce pays n'est que de Teau claire, pour ne pas se laisser aller à

de trop belles

dans

ma

pour

le

illusions.

vie, que,

Heureusement,

j'ai

moment, mon œil

mon cœur

mais

tant

quoiqu'un peu emporté par

est planté;

où rien ne

rue Saint-Lazare,

la

peut emporter

la tète

c'est toujours là le centre, et,

de choses tourbillon

le

reste fixé sur le point

tourne, où tout est réel, sur le pivot de

vu

dans

trois

le

reste;

mois, je

le

reprendrai avec sa gravité; car, tout en te disant des bê-

pour

tises

te faire

rire, je

deviens plus sérieux que tu ne

penses, et je lutterai avec Delaroche pour froid.

En

attendant, je jouis de

à nos petits-enfants que

mon

le

reste

calme

et le

sang-

pour ne rapporter

mûri de mes observations.

le fruit

Chers petits!... que j'aurai de plaisir à faire parler et à

me

faire écouter

dis,

ils

ont chacun des facultés tout à

m'en réjouis; « est «

car

muet,

»

il

par l'autre

que de dire ce que Piron

me

faut

Woronzof, où

me

vêtir

toute

la

pour

me

distinctes. Je

fait

vaut mieux qu'Horace dise

Je vais te quitter jusqu'à il

;

l'un,

car, d'après ce que tu

:

disait

«

du

Mon

frère

sien.

demain matin, chère amie,

aller

au bal chez

famille impériale se

le

comte de

trouvera.

Ah!


ET HORACE VERNE T.

me

lorsque je

souviens de

t'écrivais sur la table

callao

1 :

j'étais

la

soirée de Jérusalem,

maigre, fatigué; mais

me

différente de celle qui

la

raison était bien

la

Bible et tout ce

Avec

blêmit.

mon

comme

que

je voyais, je remplissais

fait

provision de nourriture pour l'avenir.

traire

:

c'est le vide qui

pens. Heureusement,

sac

la

bourse ne suit pas

ment perdu;

fourmi qui

à

con-

mes dé-

mouvement,

le

ronde que mes joues. Je

travaille

mon ouvrage. Je

sens que

ferme, et je suis Irès-content de

long repos auquel

la

Ici, c'est le

m'entoure que je remplis

et je la rapporterai plus

le

où je

du couvent, après un repas de ba-

j'ai été

je repars avec

condamné

mon

n'a pas élé totale-

énergie

d'il

y a vingt ans

d'une longue existence laborieuse. Je

et l'expérience

me

sens plus capable que jamais de produire encore de grands

ouvrages, et l'occasion ne

pour

faire

le reste

de

ma

me manquera

vie, si je

veux.

pas, car j'en ai à »

«

« J'ai

passé une soirée

et brillante

comme

comme

13.

tant d'autres, fort agréable

Rien n'est

le soleil.

Ce

si

beau que ces

réunions; mais que j'aimerais mieux notre petit coin! Ce

que

je

gagne

bonheur de ne plus détails sur

le quitter.

un mariage

de songer au

donnerai bientôt des

te

témoin

et

figurais

n'est sans doute

Mot espagnol le

nom

ma correspondance

que pour m'encourager

que j'éprouve. Quand

sèche sous

à

pas besoin de ça. C'est

toi; tu n'avais

1.

Je

et

à la cour, dont j'ai été le

comme tel. Ce que tu me dis relativement

je «

de l'apprécier

à tout ceci, c'est

je

me

vois

qui signifie merluche.

la

à bavarder avec

seule véritable joie

un grand papier devant

Nos marins désignent

de bacalïau. 14.

la

morue


246

moi, je commence hasard

ma plume

mon cœur comme on met

vide

elle

:

à jouir; je laisse

courir au

son argent sur

sa cheminée en rentrant chez soi. J'écris sans compter.

de

je te fasse rire

pitié

ou par mes bêtises,

passer quelques bons

te fais

mon amour-propre «

Adieu.

«

Nous sommes

instants,

.le

je

Que

pense que je

suis content, et

n'en souffre pas.

»

dans

ici

du carnaval

les joies

on ne

:

pense à rien autre chose qu'à transformer sa nature dans toute

du terme. Ah! mesdames

l'extension

vous n'y

comme

allez pas

mal!

mascarades vous émoustillent

les

femmes arabes, vous couvrez

les

Russes,

les

votre visage avec

devant de votre chemise, et un masque noir sur

le

remplace pour ainsi dire celui de votre blême

vous; voici

belles,

des oies

carême qui va commencer; jouissez de votre

le

comme

neuf mois

!

Rien n'est

si

curieux, chère amie, que ces

réunions

nocturnes à l'instar de nos anciens bals de l'Opéra. a

deux par semaine

la salle

de

la

11

y en

l'une au Grand-Théatre, l'autre dans

:

noblesse.

peut y entrer; les

nez

le

et indolente

amusez-vous, trémoussez-

au risque de marcher pendant

reste,

«

mes

Allons,

froideur.

;

c'est le

Pour

le

môme

môme monde

prix

tout le

,

monde

qui s'y trouve, et tous

rangs son intervertis. Une musique militaire à fendre

une

tête fossile

l'oreille les

pour

tient

uns des autres

dans

comme

la

nécessité de parler à

à confesse.

Chacun

est là

soi, depuis l'empereur jusqu'au dernier cabotin;

n'existe

aucune distance; on

autres sans la tête.

telet

vous

Les

la

se frotte les

moindre considération de rang,

officiers

uns contre le

il

les

chapeau sur

ont sur leur uniforme un petit man-

de soie ou de dentelle noire. Dans cette cohue, rien


247

n'est

si

singulier,

pour nous autres Français, que de ren-

contrer à chaque pas

comme de

les

princes de

la

famille impériale

simples bourgeois qui s'amusent. Sa Majesté, qui

porte avec une grâce remarquable son petit manteau retroussé sous le bras, et dont si

bien

noblesse de

la

accompagne

l'air affable et gai

la taille, est

continuellement assaillie

par une foule de dominos de toute extraction, s'accrochant à son bras pour lui dire tout ce qui leur passe par Il

de belles,

doit quelquefois en entendre

j'en

si

la tête.

juge par

certaines tournures qui l'accostent. Pour moi, je suis tou-

de voir un souverain absolu plus

jours dans l'admiration libre et plus familier

avec ses sujets qu'un roi ou une reine

constitutionnels, qui ne peuvent se montrer au travers des vitres

de leur palais sans qu'on leur tire sus. De tels exemples,

je l'avoue, bouleversent les idées, et je n'ai pas forte

Ce

me

n'est pas

«

d'un

sembleraient devoir être dans le

fait

moment de

yen

ïl

a eu

comte Woronzof.

était

faire ici

de

la

le

sens inverse.

philosophie.

qui est certainement unique dans

Les bals particuliers se succèdent

les jours. le

assez

pour me rendre raison de semblables contradictions.

Les choses

s'agit

la tête

:

il

le

y en a un tous

un d'une splendeur inconcevable chez

Au

souper,

la

table de l'impératrice

couverte d'un surtout arrivant d'Angleterre,

près d'un million de France.

Il

mestiques poudrés, pommadés,

y

madame Gibou,

galonnés,

Il

valant

avait plus de cent do-

d'Apollon chez Lucullus ne devait être,

qu'un thé chez

Il

monde.

etc.

Le salon

en comparaison,

est impossible d'étaler

plus de luxe et d'entasser plus de frivolités, sans cependant

perdre l'harmonie et n'avoir rien

monde que «

Hier,

le

bon goût. Enfin,

je puis

t'assurer

vu de semblable dans aucun des coins du

j'ai

parcourus.

chez Demidof,

il

y a eu un bal costumé. L'em-


JOSEPH, CARLE

•248

pereur

que

princes y assistaient.

et les

la

grande-duchesse Michel

très-beau. Les

n'y avait de princesses

et ses filles.

régiments d'Aubeterre

comme

d'Indiens ayant un peu trop

seul quadrille

permis-

les

,

les gardes-françaises,

de Vermandois;

et

était aussi

Il

femmes en poudre abondaient

sions de dix heures pleuvaient les

Il

y avait un

il

du pays;

l'air

puis des costumes variés, parmi lesquels se distinguait

un

chasseur d'Afrique au visage cuivré, au regard menaçant,

non dépourvu d'une grâce particu-

à l'aspect grêle, mais lière; tu le reconnais

ne rend pas plus

mari que ce dernier succès

oui, tendre

perdre

de

épouse, ton époux

de ses

simplicité

la

partout les insignes de sa nationalité.

se trouvera à semblable fêle à la cour.

Alors

reparaîtra en vainqueur de Constantine, en simple zouave,

il

armé comme un jour de

paqueté, «

il

Oui,

fier»

et portant

Vendredi,

c'est ton

sans rien

a fait fureur,

mœurs,

:

Voilà, voilà, voilà

les détails

tesse

!

»

:

Je te donnerai

après l'action.

Je pense

«

soldat franoê

le vrai

chantant

victoire,

que

Apolline

je t'en dois sur le

Wielhorski,

mariage de

la

madame

maintenant

com-

Vinivi-

tinof.

La cérémonie

«

soir.

La mariée

a

eu

lieu

est partie la

du

à sept heures

à la cour,

première pour se rendre

chez l'impératrice, qui est dans l'usage en pareille circonstance de

la

coitfer

Nous sommes

le

reste

de

la

avec

arrivés,

famille.

les

diamants de

comme

témoins, avec

L'empereur, donnant

jeune personne, va processionnellement à

couronne;

la

le

la

marié et

main à

la

le

la chapelle,

clergé les reçoit avec les cérémonies d'usage; puis

sique commence, c'est-à-dire

les

On

d'étoffe

étale par terre

laquelle les

une bande

la

mu-

chants, les prières, etc.

couleur de rose, sur

époux doivent se placer. Soi-disant,

celui qui


249

s'y place

le

premier doit mener

des deux ferait ils

ont levé

à qui

l'a

nent tout

le

leur

se disputent

ils

Deux garçons de noce

premier.

le

temps deux couronnes fermées sur

même

boire du vin dans une

fait

fait faire le

leur tienla tète.

passe dans les appartements;

coupe, puis

là,

la

bénédiction,

doivent boire en entier. soient vidées pour

que

Il

le

faut

le suit;

mariage

soit

femme

heureux. Après, l'em-

logement des époux; il

et

que plus de deux bouteilles

pereur, qui joue le rôle de père assis (c'est le

on

on donne à chacun un

grand verre de vin de Champagne, qu'homme

La noce

Le

tour d'un pupitre sur lequel est l'Évangile.

La cérémonie dure une heure. Après

d'avance pour

qui

c'était à

Superstitieusement,

pied ensemble, et maintenant

le

posé

prêtre leur

ménage;

le

politesse à l'autre.

la

il

terme), part

le

y porte les images.

attend à la porte de l'appartement l'ar-

rivée des mariés, qui, avant d'entrer, se prosternent jusqu'à terre.

Ensuite

le

vin de

Champagne

reparaît encore, et on

distribue à chacun des cornets remplis de bonbons, glaces, etc. Voilà la

partie morale,

donner

la

sa

matériel de

le

Un de

resque,

cérémonie; quanta

une circonstance inattendue

est

serment solennel qu'elle

traversa

le lui

petit signe

allait

toute

remit sans

la

me

mariée

le

tenait

sa galanterie

dans

chevale-

chapelle pour

l'en

débarrasser.

regarder et sans

lui

faire le plus

la

le

venue

prêter devant

ses bracelets s'étant détaché, elle

main gauche; l'empereur, avec

Elle

la

mesure de l'importance religieuse que

attachait au

Dieu.

pour

de

de remercîment. Ce

manque

de courtoisie a été

apprécié dans son véritable sens par tous les assistants, et tu es trop religieuse pour ne pas

le

comprendre. Voilà tout

ce que j'avais à te dire sur ce petit épisode de ici, si

mon

séjour

ce n'est qu'en raison de l'acte, qui était entièrement

civil, je

m'étais revêtu de l'honorable habit de l'Institut.

»


JOSEPH, CARLE

•250

«

Chère amie,

><

comme

tu

bavarder avec

me remercies de mon exactitude à f écrire,

un devoir,

si c'était

toi et

et

non un bonheur pour moi de

d'échanger mutuellement

sions des sentiments qui nous unissent

qu'un

même

Ce 3 mars.

si fort;

cœur, puisque nous aimons

les

nous n'avons

mômes

les

expres-

choses;

nous ne nous apprenons rien de nouveau; mais ce trans-

videment

d'idées

s'éclaircit et

moi, je

te

comme du

est

d'autre.

Il

dépote

n'y a de fâcheux que

la

Comme

toi, je

chante

paraisse aussi long

cuivre,

part

et

distance qui nous sépare;

de

affaires

« Joli

:

pendant, je ne puis dire que

la

main

le

Depuis que

temps semble avoir déployé ses

ailes;

il

Ce-

me me

je travaille,

vole

la

temps

mois de mai...

maintenant

à

»

que dans ces jours de nuit qui

pesaient sur l'âme, cet hiver.

il

:

or pur,

ma grosse monnaie de la somme est égale de

mais bientôt nous traiterons de nos main.

qu'on

rembourse avec

au bout du compte,

et,

vin

Tu me payes en

devient meilleur.

comme un

épervier qui poursuit une colombe. Je m'explique ce ragail-

lardissement par l'idée que chaque coup de brosse est un

pas

fait

comme un homme

vers vous. Je suis

coin de sa rue et qui voit sa maison.

qui tourne

le

Il

se croit déjà arrivé;

:

parlons peu et par-

mais, trêve de figures métaphoriques lons bien.

%

«

Tu

dis

donc que

laroche a raison •

retenue, mais

tu as

envoyé Thamar au Salon. De-

de dire que, l'année dernière, je

la salle

de Constantine

était là.

l'avais

Cette année,

je cours les risques des observations qu'on pourra faire sur le

sujet, et je

que si

je

dois,

ne

me soumets

d'avance aux critiques. Fais ce

advienne que pourra! Je veux être critiqué, moi

l'avais été, je

ne

me

connaîtrais pas. Juste,

la

;

cri-


ET HORACE VERNET. tique m'a

Ne

forces.

donné des leçons; suis-je

Quand

contre elle?

ne

je

rai tout à fait. Je sais

ce qu'il

y

le

oreilles; c'est

m'a donné des

elle

pourrai plus, alors

me défendre je me cache-

que de fermer boutique à temps

l'homme dont

a de plus difficile pour

merci du public. Son orgueil

est à la

tion

injuste,

donc plus assez robuste pour

dans cette circonstance que

les

paraître; leur désapprobation est plus utile

la

est

réputa-

bouche ses amis doivent

quand on

baisse

que leurs compliments lorsqu'on monte. Dans ce dernier cas,

n'y a de profitable que le jugement de

il

la

multitude;

n'ayant d'affection que pour l'objet qui lui procure des jouissances, elle parle juste parce qu'elle n'est jamais domi-

née par un sentiment individuel. La multitude, au juge-

ment de que le

laquelle on en a appelé, conserve, plus longtemps

les coteries, la

reconnaissance qu'elle nous doit pour

que vous avez mis

soin

Le mot coterie vient

à lui plaire.

de m'ëchapper, mais je ne saurais qualifier autrement un certain

nombre d'individus qui vous entourent, uniquement

parce que vous leur plaisez et qu'ils vous trouvent supérieur.

Ce n

est

donc qu'une fraction de ce qui

publique. J'appelle ça une coterie;

peut obtenir par ce

même

moyen peut

être utile à des

spécialité

hommes

le

fait

l'opinion

genre de succès qu'on

suffire

par exemple, et

qui ne remplissent qu'une

dans Fart qu'ils professent;

ils

n'ont besoin que

d'un certain nombre de braillards pour faire grand bruit

dans leur coin... Mais je m'aperçois que j'entre dans des divagations... Halte-là «

Tout sera pour

pour rentrer dans

comme une (•'est

l'âge

le

mon

mieux quand nid, le bout

araignée depuis

ou

tous les deux à

la

raison qui

la fois;

si

du

j'aurai repeiotonne, fil

auquel je pends

longtemps. Je ne sais

si

chemine; peut- être sont-ce

mais ce qui est certain:

c'est

que

je


JOSEPH, CARLE

252

me

pense plus sérieusement que je ne

de

le faire, et

que

gravité. C'est à

me

tu ne

Dans ce sur

la

tel

je fais

de grands progrès du côté de

point que

j'ai la

trouves ennuyeux par cas, je

croyais susceptible

compte sur

les

mon

crainte qu'à

solennel

l'air

que

la

retour

je prends.

bouffonneries d'Horace et

pantomime de Philippe pour dérider mon pédan-

tisme.

Adieu. Je vous embrasse tous du meilleur de

<*

mon

coeur.

Ton Céladon

«

fripé. » «

Enfin, voilà

«

le

Ce G mars.

carnaval terminé! Le carême va renaître.

D'aujourd'hui, nous rentrons dans

voie du Seigneur;

la

il

en est temps, car je suis certain que, encore quelques jours, et la

moitié de

grande route de «

Rubini est

a rapporté,

la

société de Saint-Pétersbourg enfilait

l'autre ici. Il

monde. donné un premier concert qui

a

l'ont

amateurs ont su l'apprécier.

Enfin

je puis

le

pas tous goûté, mais les vrais »

MONSIEUR PAUL DE LAROCHE. «

«

lui

tous frais faits, plus de 50,000 roubles. Les

sauvages de ce pays ne

A

la

moment

est

venu;

vous entretenir de

pereur vient d'accepter

Saint-Pétersbourg, 16 mars 1843.

la

j'ai le

grande

les plans

pied dans

l'étrier, et

affaire d'Isaac.

L'em-

de M. de Montferrand.

Jl

ne

s'agit plus

que des moyens d'exécution. Sur ce point, tout

est à faire.

Voici

la

chose, et où elle eh est

deux millions de peinture;

:

il

les peintres russes

y aura pour

demandent

à


ET HORACE VERNE T. en être chargés

253

on leur donne quatre ans pour avoir ter-

:

miné, condition qu'ils peuvent accepter, mais que je défie

de remplir, sans compter

rien faire de bon. Hier,

décoration de l'église; seul

j'ai

Naturellement,

Majesté.

homme

forment

le

impossible de

dîné en petit comité chez Sa

conversation est tombée sur

la

j'ai

qu'il leur est

les

donné mon

avis, et le voici

:

la

un

doit être chargé des diverses compositions qui

tout de la décoration,

faire les cartons coloriés;

puis suivre l'exécution qui serait confiée à quelques peintres russes ou autres, ainsi qu'à des faiseurs d'images, qui ont

une intelligence particulière pour grecque dont

ils

conservent

espèces d'ouvriers seraient

ce genre de

la tradition.

très-utiles

peinture

Je pense

comme

imitateurs

La plus grande partie des peintures de

fidèles.

supérieure du

une sorte de

monument qui en

frise

que ces

la partie

sont sur fond d'or; en bas, règne tour; elle est entièrement

fait le

consacrée aux sujets de l'Évangile, les cinq dômes

uniquement

à l'apothéose

grosso modo, de quoi je

vous donnerai

je n'ai

les détails.

Pour

cher par

la

«

Je" serais

ce

roche. »

mon

dans quelques jours,

faire valoir

et je

l'étant

cher ami,

mon

opinion,

pense avoir été com-

encore qu'un seul homme, de nos jours,

capable de mener à bonne

prise, mais j'ai dit

«

est question;

pas manqué d'exemples,

pris. Je n'ai pas dit était

il

des saints. Voilà,

fin

une semblable entre-

que vous pourriez bien venir me cher-

première navigation. L'empereur a répondu

heureux de

faire la

:

connaissance de M. Déla-

Maintenant, relativement à vous, je pense que jamais

artiste n'aurait

eu une semblable occasion de développer

son talent et de faire fortune en peu d'années. Vous connaissez parlerai

ma

façon d'agir sous ce dernier rappprt; je ne vous

donc

ici

que de

gloire et

de réputation nationale 15


JOSEPH, ÇA RLE et individuelle.

Venez voir

possible que votre

vant un

âme

:

il

est

im-

de joie de-

grand champ de bataille, dont vous

bel et si

si

chose elle-même

la

d'artiste ne bondisse pas

pouvez vous rendre maître. Quant

à moi, je voudrais vous

voir parcourir.

le

Gomme

a

vous

je

connaissance.

En vous un

fait

votre

faire

rendant à ce désir, vous ne contractez

aucun engagement, vous vous aurez

l'empereur désire

dit,

l'ai

restez libre.

Dans

voyage intéressant;

petit

tous les cas,

par

et,

le fait,

vous vous trouverez en relation avec un souverain que vous serez heureux de connaître.

précie

comme homme. Personne

que

je l'observe

mentir; la vie.

et,

le

vois, plus je l'ap-

ne comprend mieux que

d'une àme honnête. Depuis une année bien-

lui l'exaltation

tôt

Plus je

de très-près, jamais

je

ne

vu se dé-

l'ai

croyez -moi, l'approcher est une époque dans

Vous serez bien

reçu, et qu'est-ce qu'un mois

quand

ce mois de repos vous laisse des souvenirs? «

Ferzen est de retour

tout ce

que m'avait

Sainte Famille. C'est je ne

d'Italie.

Il

vient de nie confirmer

ma femme sur votre admirable un homme d'un goût très- fin, et que

dit

peux supposer, vis-à-vis de vous, sous

l'influence

d'aucune affection exclusive. Son jugement est celui du public. Je

m'en rapporte donc

semble un chef-d'œuvre. Je

éprouvé un vrai

plaisir à

à temps pour en juger

me

et

le

à lui, et votre

tableau lui

croyais bien déjà; mais

j'ai

l'entendre dire. J'espère arriver

en jouir par moi-même.

»

AU MEME. «

«

Cher ami, je suis au

meux monument. En

fait

Pétersbourg, 27 mars 1848.

de tout ce qui regarde

voici les détails, afin

le fa-

que vous sachiez


ET HORACE VERNET. à quoi vous en tenir,

que

je

vous entreprenez

si

vous conseille de

faire,

malgré

255

petite course

la

tout.

y a 222 tableaux à exécuter en deux ans;

« Il

le

tout,

pour environ deux millions de roubles. L'opinion que émise est qu'on pourrait charger un seul

homme

j'ai

de toute

la

direction, afin qu'une seule pensée dominât, et qu'un seul style régnât les

dans l'exécution de tant de sujets religieux, dont

compositions doivent être homogènes

elle-même.

Il

comme

religion

la

ne s'agirait donc que de dessiner des cartons,

espèces de patrons que des faiseurs d'images rempliraient

comme

à la façon byzantine,

a été d'usage

il

de

le faire

jusqu'à nos jours, dans les églises grecques. J'appuie

opinion sur ce

qu'un lieu consacré à

cueillement ne doit hors de

goûté

aucun

pensée qui vous y

la

mais un

;

offrir

homme

la

prière et au

mon re-

sujet de distraction en de-

Cet avis a été très-

attire.

pourrait-il suffire? Voilà la question.

Alors, une autre combinaison se présente. « L'église se divise

des autres

:

en six parties indépendantes

les

unes

cinq coupoles avec leurs accessoires qu'on ne

peut voir que successivement, et ce qu'on appelle Ticonostase, espèce

de séparation qui renferme

Cette dernière partie est

l'autel.

nument

:

le

sanctuaire et

un monument dans

tout y est métal et pierres précieuses;

il

le

mo-

y a dix

colonnes de malachite de 48 pieds de hauteur, et valant

chacune

trois cent

quarante mille roubles; trois portes en ar-

gent massif, et quarante et un tableaux qui représentent des

images de saints sur fond nant

la

d'or, des

groupes d'anges soute-

Religion, vêtue de lames d'or émaillé, etc., etc. Je ne

puis vous donner

ici

une description entière;

il

faudrait voir

par vous-même. Bref, dans cette seconde combinaison, cet iconostase vous serait réservé pour

quatre cent mille roubles.

On

la

bâtirait

somme de un

atelier,

trois à

où vous


C A RLE

JOSEPH,

256

seriez chauffé,

Quant

«

éclairé, etc.

si le

à moi, je pense avoir raison

moyens également bons

comme

Voyez

car,

;

le

même

comme

simplifiant

dans

premier

cas,

le

dit.

de trouver ces deux

l'autre

principe,

d'exécution

remplissant

et

cœur vous en

but, l'un

les

moyens

composer, tracer et

faire exécuter

222 tableaux, dont plusieurs ont 60 pieds,

les plus petits

12 et 14,

humaines; dans

le

me

semblerait au-dessus des forces

second, chacun aurait son

part, et le vôtre primerait le

l'âme de

la

tout, étant

monument

répète pas

dit sur la possibilité

pour ainsi dire

ici

tout ce

pour vous de

que

faire

je

le

vous

voyage

déjà

ai

et sur

avantages que vous pourriez y trouver.

les

Ma femme

«

m'écrit que vous n'avez pas exposé

:

vous

avez sans doute de bonnes raisons pour agir ainsi. Si fait le

contraire, je pense

autre chose que

me

ne à

à

chose.

Je ne vous

«

et

la suite

j'ai

que vous ne verrez dans ce

d'une

vieille

fait

habitude, à laquelle je

crois pas le droit de renoncer, avant de faiblir tout

fait.

J'attends avec impatience

«

A

une réponse

Je

me

Pétersbourg

je suis plus bête

que jamais de

reçu que quatre cents

Rubini gagne

.

»

,

27 mars 1843.

souviens très-bien, chère amie, du petit dessin

qui vient d'être vendu quatre mille francs.

1

.

MADAME HORACE VERNET. «

«

i

ici

;

me

que veux-tu

Tu

vas dire que

réjouir de n'en avoir ? je suis fait

comme

ça.

cinquante mille francs par soirée; mais

Paul Delaroche n'accepta point les propositions de son beau-père.

recula devant l'idée d'un aussi long exil.

il

Il


ET HORACE VERNET. n'a pas le plaisir de voir courir après

papier qui

porte

son nom. Quand

il

mon cœur!

Il

votre serviteur de tout

257

un a

morceau de

petit

fermé

bouche,

la

ne laisse qu'un sou-

venir bien fugitif dans l'esprit de ceux qui l'ont entendu et rien qui lui survive. « J'écris à

Delarocbe de nouveaux détails sur Isaac. Yoilà

un champ de

bataille

pour passer à

la

postérité! Je sais

bien qu'à sa place je ne refuserais pas l'occasion, puisque

son talent, ses goûts et

la

tendance de son esprit

vers ce noble genre de peinture.

geasse de ces travaux

:

ne

me

On

le

me

voulait que je

sentant pas

fait

pour

cru devoir refuser. Je pense avoir bien agi pour

portent

char-

cela, j'a

les autres

pour moi.

et

«

Nous sommes en carême, chère amie;

le

carnaval n'a

changé que de forme. Le maigre, qui a remplacé n'est

le gras,

qu'un prétexte pour manger plus qu'à l'ordinaire,

pour boire idem. Les lions se grisent

et les lionnes leur

nent du thé. Les concerts remplacent

les bals.

et

don-

Les jambes

se reposent, mais l'ouragan qui. a entraîné tant de

cœurs

dans son tourbillon continue jusqu'à ce qu'ils se soient échappés deux à deux par

la

tangente pour jouir du calme

d'un amour heureux. Quant à moi, je

travaille, je vais à la

parade et je cours avec l'empereur passer des revues. Nous

sommes

allés ces jours derniers à

Cronstadt. Ce voyage,

qui a duré deux jours, m'a ravi; s'en aller à dix lieues en

mer en

traîneau, c'est la chose

C'est

perruquier du désert en habit de poudre. Pendant

les

le

différents dégels

du monde

la

qui se sont succédé

vent ont sans doute refoulé

la

plus originale.

des coups de

,

mer, qui, en superposant

les

blocs de glace les uns sur les autres, a produit des chaînes

de collines de plusieurs lieues de longueur formes

les

plus singulières.

Les chevaux

et

ayant

vont ventre

les

à


JOSEPH, CARLE terre; Je vent

par

vous coupe

qui se couvre de glace

le visage,

larmes qui malgré votre admiration s'échappent

les

de vos yeux, tandis que votre corps

est bouillant sous les

peaux d'ours dont vous êtes

tapis et les

de ce qu'on

bout de dix minutes on croit rêver,

perdu

croit avoir la

et

plantées d'arbres verts;

même

si

promenade,

on a

canon

tiré le

l'hôpital,

le

il

y

comme

sur des routes

recommencé,

je croirais avoir été fou fait

le

pendant

manœuvrer des troupes

cèdent en rien aux troupes de terre;

à boulets,

Puis, nous avons visité

etc.

deux mille

a

qu'en arrivant on

je n'avais pas

quelques heures. L'empereur a de marine qui ne

L'aspect

font qu'au

Figure-toi des gens qui courent

la tète.

poste entre des vaisseaux de ligne,

soir, la

affublé.

mouvement

voit, les contrastes et le

Celui-là vient d'être

lits.

construit avec tout Le luxe d'un palais. Jusqu'aux malades,

qui

y*

rir si

sont magnifiques!

ils

proprement. Tout est

doivent avoir du plaisir à si

bien fourbi,

si

mou-

clair, si

pa-

queté, qu'il ne doit pas leur être permis de passer dans

«

tambour

n'ait battu la retraite.

que quatre pour

cette petite excursion.

inonde avant que

l'autre

Nous

n'étions

le

Nous sommes revenus dîner à Péterhof golfe

de Finlande;

Pétersbourg, où «

Voilà,

j'ai

et,

dans

repris

chère amie,

la

i

en traversant

nous étions

nuit,

dame de d'aussi

Il

que

tout ce

j'ai à te

se passe ici des choses

Je te citerai

comte Wielhorski a étaient repoussés,

que sept

si

fois

fait

vœu

tout le

pendant

le

un

seul

en

4

question

singulières

que ma-

pu rien inventer

exemple

812

,

conter pour la

Genlis, avec sa bizarrerie, n'a

fort.

à Saint-

mes travaux.

aujourd'hui. Dans quelques jours, j'entamerai religieuse.

le

que,

:

la

si les

tante

du

Français

reste de sa vie elle ne mangerait

carême,

et, jusqu'à présent, elle a

tenu parole. Je vois souvent cette brave dame;

elle se

porte


ET HORACE VERNE T.

comme un charme. Ce

250

qui m'étonne, c'est que tous les

jeudis, jour de bâfre, elle s'en fiche une dose

un Limousin en

place

crèverait.

ne dégliitait pas mieux; c'est-à-dire que capable d'engloutir

de

est pas

même

le

n'en

Il

des pauvres moujiks, qui ne mangent pen-

vécu

ait

ni rien

de cuit;

ils

pour toute nourriture, que des champignons conser-

n'ont,

vés dans de l'eau de

sel, et

encore ont-ils plusieurs jeûnes

par semaine; aussi l'époque de à Pâques.

paraît qu'alors ce

Il

trembler. Ce sera

le

moment où

grande mortalité

la

je ferai

mes

!

l'homme sage

se

montrera à

observations.

le dis

l'orient et la parabole

en

vérité:

de l'Évan-

son exécution...

Donne-moi des

détails-

sur

le

Salon.

Tu

peux me parler franchement de ce qu'on compte.

est-elle

sont des ripailles à faire

vous tous qui m'écouterez je vous

à

gile recevra «

qu'à sa

gaillarde serait

la

cétacé avec son prisonnier.

dant sept semaines rien qui

Gare

telle

La baleine qui avala Jonas

Je

ta te

en résultera.

le

sais

que tu

mon

sur

dit

Nous verrons ce qui

pouls à l'opinion.

» «

«J'ai reçu ta longue lettre, elle est

un peu

9 avril.

flatteuse

:

elle

me dit que les miennes t'amusent. J'en suis content, et de mon côté j'éprouve du plaisir à t'écrire. Quand j'ai la plume à la main, je me crois plus près de vous. Je suis comme un homme qui a faim et qui sent l'odeur d'un gigot qui tourne à gigot a

..

broche... Bientôt, je

le

mangerai ce fameux

.

Ge que

grand «

!

la

tu

me

dis des succès de Robert Fleury

me

fait

plaisir.

Je travaille ferme;

mon

tableau avance, mais

encore bien vingt-cinq jours pour

en route!..,

le

il

me

faut

terminer; et après,


JOSEPH, CARLE

260

((

une fameuse catseveïka

Je t'apporterai

recevras sans doute

tu

courrier qui partira

En

1 .

un jambon d'ours par

d'ici. Je

ne

attendant,

premier

le

pas tué, mais

l'ai

j'étais à

chasse.

la

«

Adieu.

»

Pétersbourg, 17

«

a

Voici bientôt

temps, chère amie, où je n'aurai plus

le

besoin de voltiger du pinceau à

que

je

vous aime

dage de part

comme tience

plume pour vous

la

pinceau et

me

prend, et

les

vit

dans

la

travail passent

nuit venue, l'impa-

heures ne finissent pas; d'autant

sommes dans

que chacun

dire

langue, grand bavar-

la

Les journées de

des secondes; mais, une fois

plus que nous et

le

:

d'autre.

et

avril.

la

la

dernière semaine du carême

retraite.

Les ailes d'un moulin

ne s'amusent pas à tourner, mais je suis certain qu'elles s'ennuient quand je n'agis pas,

moment où

me semble que

il

je

n'y a pas de vent. J'en suis

il

là ;

quand

je n'avance plus vers le

vous rejoindrai. Heureusement, toutes ces

bêtes d'idées ne changent rien au

fait

qui s'accomplira mal-

gré tout. «

Mon grand

portrait

commence

J'en suis content.

Le repos que

de jeunesse dans

les

idées,

une route trop battue; Dès mon arrivée

une tournure.

eu m'a redonné un peu ne pense pas être dans

faiblesse de vieillard peut-être! ce-

pendant, je ne crois pas «

j'ai

et je

à prendre

me

ici,

tromper.

Montferrand est venu

me

propo-

ser l'exécution des peintures de l'église d'Isaac; chose je devais refuser. Mes pieds ne sont pas

que parcourent les

1.

les

faits

pour

le

que pavé

dieux; je marche avec les soldats sur

bas côtés; je m'en trouve bien. Je suis dans l'âge des Espèce de mante ou de camisole que portent

les

paysannes russes.


ET fiascos le

HORACE VERNET

faut se contenler

: il

de tendre

261

sans courir

le jarret,

risque de montrer qu'on n'a plus que ça de bon. J'appelle

cette façon d'agir, de la raison; ai-je tort?

accoucher d'une grande

« Il faut

mes chevaux.

affaire;

de

Dois-je les donner avant de partir? (quant à

emmener?

vendre, impossible) ou dois-je les

les

c'est celle

Si ce der-

nier parti est celui que je prends, attends-toi à ne te pro-

mener qu'avec des coquins qui vont comme pas longtemps,

et

vent, mais

le

ne peuvent être conduits qu'à

qui

la

russe par un Tartare à grosses pommettes, à barbe rare, à

épaules carrées et ne mangeant que de

A

cette proposition, je vois

blanchir, rougir,

la

viande de cheval.

monsieur ton nez se retrousser,

etc.; mais, comment faire?

11

ne

me

reste

d'autre parti à prendre pour te calmer que de te peindre les jouissances

Mon

que

de

tu auras à user

tes

nouveaux amis.

Tatar ne sait pas un mot de français; moi, pas un mot

de russe. Nous serons condamnés à parler par signes; ça

te

rappellera l'enfance de Philippe. Sauf la jeunesse, Nicolaye

pourra

te faire illusion;

t'invitera à c'est

une

le

il

battre de

est pétri

d'une grâce stupide qui

temps à autre. Pour

petite voiture à quatre

droschki,

le

roues, basse

comme un

tabouret, mais très-propre à la digestion par la roideur de ses ressorts.

Ah! une

fois

que

tu auras

de ce traînage, tu mépriseras cocher

:

Padi, padi, padi

tiche, stoï;

na prava,

,

la

goûté de

citadine. Et le

dourak

1 .

la vélocité

ramage du

Alors tu

?ia lieva^, etc.. Je

me

lui diras

:

réserve de

de vive voix; car en russe, je suis fort

t'apprendre

le reste

comme un

Turc. Seulement

,

je

n'ai

pas encore pu ap-

prendre à dire bonjour; mais ça viendra, quand j'aurai dit bonsoir.

»

1.

Va, va, va, imbécile!

2.

Doucement, arrête; à droite, à gauche, 15,


202

20 avril 1843.

«

L'empereur vient de

«

sa fête, je lui avais

pour lequel

il

me

donné un

m'avait envoyé

Tu

combler.

le

pour

sais que,

Napoléon à cheval,

petit

traîneau. Figure-loi que le

jour de Pâques on m'a appelé à l'exposition des présents

que Sa Majesté

fait

même

copie de ce

à cette époque

tableau sur

que

trouvé

là la

un magnifique vase de

trois

et

,

j'ai

pieds de haut, forme Médicis, imitation de Sèvres, et, sur l'autre face

,

dans un

cartel

orné des armes de Sa Majesté

«

A

«

admirable talent.» Tu juges de

:

M. Horace Vernet, en témoignage d'estime pour son

sur moi un

hommage

si

délicat et

qu'a dû produire

l'effet si

Ce sont de ces

flatteur.

présents qui ne se font qu'à des souverains. J'étais confus. Je suis allé tout de suite chez

mon

d'être

soir au Palais

ce serait

la

reconnaissance.

pour assister à

der. Ceci était et-

la

Il

m'a

dit

de

me

cérémonie de

prier

trouver

l'église,

le

que

la

haute distinction qu'il daignait m'accor-

encore une faveur, car l'ambassadeur d'Au-

moi étions

les

seuls

étrangers présents.

cérémonie est une des plus curieuses que s'y

le

meilleure manière de montrer à l'empereur com-

bien j'appréciais

triche

prince Wolkonsky,

interprète auprès de l'empereur et de lui témoi-

ma

gner toute

le

trouve que

les

personnes attachées à

putation de tous les officiers de

forme un tout de deux à

la

vues.

j'aie

la

Cette Il

ne

cour et une dé-

garde, ce qui cependant

trois mille

personnes.

la famille impériale entre dans la chapelle.

A

minuit,

Après l'Évangile,

chaque individu se présente devant l'empereur, qui vous dit «

il

«

:

Jésus-Christ est ressuscité!

est ressuscité! »

»

On

lui

Et on l'embrasse sur

répond les

:

«

Oui,

deux joues.

L'impératrice donne sa main à baiser; tu juges combien de

bave

il

y

a à recevoir pour l'une

,

et

combien

il

y en a à


263

essuyer pour

Malgré

les autres.

tout,

y

il

de singulier dans cet usage. Mais ce qui est qu'après

c'est

la

mière personne

messe

dite l'empereur

baisa

dit

et lui

répondit

lui

«

:

:

«

Non!

»

— C'était un Juif.

un dans l'armée de des

A

«

terre. Voilà à

le

*,

Le soldat

»

il

quoi tient

n'y en a plus ici la

destinée

!

propos

cle

moment, mettent

destinée des tout le

hommes,

monde

les

femmes, en ce

administratif en

parlé de l'établissement des enfants trouvés,

t'ai

s'adresse

Depuis ce jour,

marine;

la

pre-

y a quelques années,

Jésus-Christ est ressuscité!

tous les Juifs ont été mis dans

hommes

ïl

il

la

un grenadier du régiment Préobragenski

s'adressa à

il

porte.

la

plus curieux,

le

embrasse

Ordinairement,

qu'il rencontre.

à la sentinelle qu'il trouve à

quelque chose

a

l'air.

Je

composé de

25,000 individus pour Saint-Pétersbourg. Dans

la

section

des nourrices, qui compte 3,000 individus (700 employés compris), un cas de mortalité

subitement présenté,

le

Le comte Wielhorski en étant l'administrateur

jeudi saint.

nous y sommes

a été averti sur-le-champ, et

suite,

s'est

moi comme curieux,

allés tout

de

tu penses bien. Voici le fait

:

ont été prises, dans l'espace d'une heure,

sept nourrices

par une légère affection de larynx, ^une grande pr'ostration

de

forces, des

vomissemenls, de

ment des extrémités, puis les

de

les

pau-

était

tout,

l'étouffement et

la

mort. Tandis

cinq premières exécutaient cette manœuvre, onze

autres étaient à l'exercice,

merie

lourdeur dans

une grande dilatation des pupilles, l'engourdisse-

pières,

que

la

au complet

en fut

le-champ.

Il

1. C'est-à-dire le

à minuit, le poste de l'infir-

cle seize.

instruit, et

s'agissait

et,

L'empereur, qu'on avertit

un de ses médecins arriva sur-

de savoir ce que

c'était

régiment de la Transfiguration.

qu'un acci-


JOSEPH, CARLE

264

dent aussi effrayant. Les médecins, les premiers, ont com-

mencé

à perdre la tête et à se disputer sur

maladie. Chacun prit une malade,

la

toutes moururent; là-dessus,

ils

le

caractère de

à sa façon, et

la traita

sont tombés d'accord. Le

lendemain, au petit jour, vingt médecins se trouvèrent rassemblés. Us firent de beaux discours pour soutenir que c'était

une maladie inconnue. Pendant

deux autres nourrices

cela,

mouraient couvertes de sinapismes, ou l'émétique dans

coin «

«

:

Ces femmes sont empoisonnées par un végétal nar-

cotique!

lourde,

la

»

de son bord

J'étais

avaient été employés contre

On

mmédiate des cadavres, solution. Alors on le foie, le

changer «

etc.

-on l'a

la

fit

cependant un

moyens connus

les

maladie, mais que

maladie

la

L'empereur, furieux, ordonna l'ouverture

inconnue.

mons,

cœur Il

voulut que

et

l'autopsie

fit

désorganisés,

fallut

il

:

la

science donnât

on trouva

les

Voilà où en sont

en revenir au poison, mais pour

ici les

savants.

En

pareille circonstance,

Faculté serait restée

la

à observer, à

questionner les malades, à écouter pour ainsi dire la

mais

nature;

ici,

propres. Pourvu que les soit

beau,

les

rien lits

malades sont

criminels pour si

pou-

y avait inflammation

supposé animal.

chez nous, toute

de

tête

entendre au milieu

faire

qui déclarait que tous

procès -verbal

du larynx,

la

pupille dilatée, l'abdomen dans son état normal

en disaient assez. Impossible de se

une

nez pincé,

le

:

des personnalités qui se débitaient.

était

le

Seul, un jeune médecin polonais disait dans son

ventre.

on regardait

les

soient alignés et faits

la guillotine.

les avis

qu'une dispute d'amours-

que

l'hôpital

pour y mourir comme

les

Figure-toi que c'était à peine

organes de ces pauvres cadavres qu'on

ouvrait; on n'a pas seulement pensé à analyser les matières et le sang, qui présentaient

cependant des caractères parti-


ET HORACE VERNET. culiers par leur noirceur d'une part

de

l'autre.

bien

décomposition

me

contente d'avoir

m'a donné

occa'sion de bien

penses; je

tu

suivi cette petite clinique, qui

voir dans ses plus petits détails

appris qu'en 38 jours

j'ai

et leur

,

Maintenant, on va écrire des volumes; je ne les

comme

pas,

lirai

2GÔ

hôpital intéressant, et

y avait eu

il

33,000 couches, sans compter Je désirerais que

un

à la blanchisseuse,

,

les langes, les

bonnets, etc..

une maison semblable;

tu visses

tu

ne

voudrais plus en sortir; c'est d'un luxe, d'une coquetterie

d'une propreté admirables; toutes

et

uniformes galonnés,

les

les nourrices sont

en

rideaux sont de gaze, les cuisines

plus simples, et la nourriture grossière. Yoilà,

ma

chère

amie, ce que c'est que l'hospice des enfants trouvés, dans la section.

me

Je

«

du bas âge. suis laissé aller à te parler de choses qui te sont

indifférentes, tandis

de ne

me

rien dire

que

j'aurais

pu

te faire

du Salon. Est-ce que

tu craindrais de

m'avertir que je n'y joue pas un beau rôle?

vous la

ai

pas donné

critique.

S'il

le

droit de

:

«

Mon

bon « la

Nous n'avons plus de neige;

homme!

»

les

le

pensais.

traîneaux sont sous

remise; mais, pour cela, nous n'en avons pas moins une

fameuse gelée de 8 degrés; les

me-

ne m'en dédis pas, ce sera

mais je suis plus long que je ne

;

ta

avec une petite plume

vous êtes un fameux

je fais ici, je

je ne

croire incapable d'entendre

et dis-moi,

petit mari,

Quant à ce que

Madame,

en est autrement, passe-moi donc

notte sous le menton, flûtée

me

des reproches

premiers jours de mai. «

Adieu, chère amie.

»

la

Néva ne débâclera pas avant


JOSEPH, CARLE

Pétérsbourg, 3 mai 1843.

«

Nous avons chômé

«

une

la

fête

du

Tout

roi.

borné à

s'est

messe chantée par quatre dominicains. Personne

petite

n'y est venu, sauf quelques Français. Véritablement,

honteux d'être représenté de

mon

celui-ci;

sorte dans

la

même

église,

aux 'obsèques du

assisté

j'ai

comte Salahoë. Pour un simple seigneur,

d'un

pompe

la

musique magnifique, tandis que, pour

la

on n'a

roi,

est

un pays comme

orgueil nalional en était humilié. Aujourd'hui,

j'arrive de la

imposante,

il

fait

compatriotes, car

aucuns

frais,

même un

pas

la fête

dîner entre

dîné seul à l'ambassade.

j'ai

était

Il

y a sans

doute là-dessous des raisons que je ne puis juger, mais,

chaque jour, y

j'ai

mauvaise

a

preuve que

la

volonté

,

et

c'est

surtout

de notre part qu'il

bêtise dans

la

façon

d'agir.

Quant aux critiques dont

a

que

Dans

j'en fais.

cune attaque contre

la

tu

me

parles, lu sais le cas

circonstance actuelle, je ne vois au-

l'art.

Que m'importe

le

choix du sujet?

que M. *** ou une gourgandine tombe sur son immoralité, je

me

trouve en assez bonne société parmi

les

gens qui,

avant moi, en ont traité de bien plus libidineux. Je ne ferai

pas

ici la

nomenclature de tout ce que

la

te

Bible a fourni

d'occasions aux peintres de représenter des scènes ana-

logues sans offusquer

Le but que ne semble nir

que

je

chercher.

me les

est fâcheux

gaillards de

qu'on

seulement pour l'ave-

sa force. Mais

gros bonnets, persuadés de

mes observations, me Alors, j'aurai

Il

est placé tout autre part

propose de n'être encore compris que par

un Schopin ou des viendra où

conscience timorée des folliculaires.

veux remplir

je

le

la

prêteront

le

la

le

temps

vérité de

secours de leur talent.

raison; en attendant,

je

regarde en riant


ET HORACE VERNE T. ce qui se passe

,

vais

et

267

mon bonhomme de

tout droit

chemin. «

Adieu pour aujourd'hui.

»

«

«

Rubini chante,

me

cinquante-quatre ans bien mieux

la

part

ma chambre,

:

c'est

que

loge, et

regarderaient peut-être avec in-

ô Ecclésiaste! Mais sois sans inquiétude;

térêt,

dans

8 mai 1843.

,

une bonne place dans une

j'ai

de grands yeux bleus

Pétersbourg

je

la

me

j'ai

Russie des passions. J'aime

de rester ce soir seul

fais

à t'écrire.

«Je ne puis partir aussitôt que je semble reculer à mesure que des changements, et les têtes

le désirais.

Mon

J'ai

mon

laisser après

part qu'un seul ouvrage important, je dois mettre

quatre, d'autant plus que

ma

l'obligation de faire

tableau

dû y faire surtout me donnent beaucoup j'y travaille.

de peine. Tu penses que, ne devant

met dans

bientôt

le

fil

position exceptionnelle

de

mon mieux. Mais

ne peut être que d'une quinzaine de jours;

dé-

en

me

ce retard

ainsi,

quinze

jours de plus sur trois cents et tant ne font pas une grande différence. J'arrêterai

puis; fais

ce sera

la

le

battement de

comme moi, et, même chose que

mon cœur,

« Il

l'objet

je le

lorsque nous nous rejoindrons, si j'étais

arrivé à jour fixe. Seu-

lement, nous mourrons deux semaines plus

compte

si

Yoilà un

tôt.

fait.

paraît

que l'immoralité de mon

des critiques. J'en

Quand chacun dévore

les

ris,

et ça

Thamar

sujet de

me donne

Mystères de Paris

de ,

fait

l'orgueil.

que puis-je

penser d'une semblable pudibonderie? Voici ce dont je suis

persuadé: depuis plusieurs années, taine réputation n'exposent plus;

on ne veut pas

les

les artistes

d'une cer-

on leur conserve rancune;

dégoûter d'y revenir en attaquant

le ta-


JOSEPH,

268

lent.

On

se rue

donc sur

Horace Verne t,

je

C'A

RLE on épanche sa

le sujet;

bile.

Moi,

heureux d'avoir osé présenter

suis

un devoir

poitrine, en remplissant

ma

en payant une dette

et

de reconnaissance au public, devant lequel on n'ose pas

ma

encore attaquer

voudra de moi,

me

pourquoi

ment, ce sera l'hôtel; mais, foule, j'y «

Tu

peinture. Tant que ce

moi de juger

tant

que

je serai vieux,

si

je dois

ou non sortir de

me

ferme dans

je pourrai

tenir

la

marcherai.

vas dire que je

fais le

rodomont,

et d'autres le di-

s'ils lisaient cette lettre.

me

confierais-je tout ce qui si

public

moins qu'un Invalide? Seule-

respecterait-il à

raient sans doute,

cœur,

Quand

je serai sur la brèche.

même

passe par

la

Cependant à qui dans

tète et

ce n'est à toi? Je te permets de rire, mais à

le toi

seule; garde ceci, d'autant plus que je serais désolé d'avoir l'air

de faire

la

critique d'Ingres et de notre gendre, qui

ont sans doute aussi de bonnes raisons pour penser autre-

ment. Je respecte leur conviction

:

fais

ce que dois, advienne

que pourra! «

Tu me demandes où

ce qu'il en est

mon grand fait

rai,

d'ici à

peinture; voici

dix ou douze jours, j'aurai terminé

un Saint Antoine qu'a

dame

polonaise; je termine-

vieille

en'quelques heures,

portrait

comme

portrait; je retoucherai

pour son pays une

commencé

mon

:

j'en suis

le

cet hiver; puis

,

petit

tableau syrien que

en huit jours, je

de l'empereur, qui ne

lui

veux

faire

j'ai

un

sera montré qu'après

départ et que j'exécuterai en secret. Ce sera

le

remer-

cîment du vase. J'emporte en France plusieurs tableaux à faire d'après les esquisses la

approuvées, et l'étude de

madame

comtessse de Woronzof, qui viendra elle-même, au mois

d'août, à Paris. {<

Je vais

donc quitter bientôt

la

Russie, où je suis resté


ET HORACE VERNET. longtemps, sans

j'ai fait

comme

travailleur,

mais

(peut-être un peu tardivement) l'expérience de

mes propres

ma

grand'chose

faire

269

vie, j'ai

forces,

puisque

pour

là,

première

la

fois

de

vécu sans tuteur, ou, pour mieux dire, sans

être sous l'influence de l'opinion des autres et sans leur se-

Les voyages forment

cours.

pas

la vieillesse,

jeunesse et ne déforment

la

heureusement, car

plus mauvais qu'avant

mon

ne crois pas revenir

je

me

départ. Je

tables amis dans la classe la plus grave

gravité

que

je dois

sieurs observations

me

que j'ai pu

il

fallait

employer

bien

j'em-

gaieté naturelle

j'ai

affaires;

à suivre plu-

Tu vas me

mais, chère amie,

dû passer

à

avec Listz, qui a

le

temps que

le

mis

faire sur le pays.

mes

et

créer une petite réputation de

aux soins que

dire que ce ne sont pas

du pays,

Ma

porterai leur estime, j'en suis certain.

ne m'a pas empêché de

suis fait de véri-

j'ai

tâtons.

Dis à Louise que je

«

me

suis

lié

plus vif désir de lui être présenté. Si

«

avec

la

vous avez du beau temps, nous sommes encore neige et plusieurs degrés de froid,

d'ordinaire après

le

carême,

la

faire place «

Adieu.

le

médecin

les

expédie

aux autres.

» «

«

ici

Comme

mortalité est énorme; les

hôpitaux regorgent de malades, et

pour

la nuit.

18 mai 1843.

Jour de Dieu! quelle tartine à propos de mes chevaux

!

Je suis heureux, chère Louise, de t'avoir fourni l'occasion

de suivre, de développer une idée, cette

belle

éducation

reçue

chez

le

et toujours

le

sarcasme,

bon

sens.

la

la

plaisanterie

Nous

de

faire

usage de

madame Gampan. Tes

phrases arrondies distillent. la raison quelquefois

et

voilà

plus économique, la

plus piquante,

donc d'accord; mais,


'270

ô malédiction!

il

te

tentrional. Je ne te

faudra recevoir en riant

groupe sep-

le

permets qu'une seule chose

:

ce sera de

dire auTartare toutes les invectives qui te passeront par

pourras

tète; tu

même

le

battre

prendra rien, d'une part,

et,

comme

plâtre.

de l'autre,

la

ne com-

îl

se croira dans

il

son pays. D'ailleurs, tes coups tomberont sur son touloupe (ce qui veut dire en français peau de mouton), et, malgré tes fureurs

tu ne lui feras pas grand mal.

,

«J'avais bien pensé à faire toute triste

pacotille;

la

mais réduire un cheval

condition d'isvoçhtchik

1

vendre. J'emmène en France

impérial 2

25 kopecks

à

Non, non, jamais. J'aime mieux porter le

mon cocher de

présent a

le

à

la

course!

la

tout à Paris, pour

plus bel équipage qu'on

le

puisse trouver en Russie; j'embête une bête aussi bête que

moi de mes

bêtes. Reste le cocher. Si

barrassés, nous le

viendra

sur

n'y arrive

la

frontière de Chine, et

que rarement. Du

reste, le

que

français, et,

malgré

ma

le

fond de

la petite

la

poste

malheureux sera con-

damné au mutisme pendant longtemps, un mot de

personne ne

est jeune, et

il

réclamer, vu que sa mère est dans

le

ïartarie,

mangerons;

nous en sommes em-

car

facilité

il

ne

sait

pas

bien connue pour

langues étrangères, je n'ai pu apprendre un mot de

les

russe. Philippe, qui parle

si

bien

me

par signes,

servira

d'interprète. «

Je ne voulais te dire qu'un

peu de sérieux, morbleu «

Je travaille

mot sur ma

comme un

cheval (pardon de

.

Cheval de

fendre

le

la

comparai-

cœur). Mon

mal. La faveur de

fiacre.

Centième partie du rouble

ron 4 centimes.

te

me donne du

tableau va bien, mais je

1

Un

!

son qui vient sans doute encore

2.

cavalerie.

;

cette petite pièce de

monnaie vaut envi-


2~l

me

l'empereur

me me

crée des ennemis jusque dans sa famille.

faut donc faire

mieux que

Il

je n'ai jamais fait, et rien ne

coûte pour y arriver.

«

La Néva charrie. Nous sommes sous

me

neige. Pour

la

consoler, chacun dit que ça ne s'est jamais vu. Quant à

moi,

je voudrais

ne pas

comme un charme. Tu que jamais. Je ne présent,

connais

quand

sais

l'âge se fera sentir. Jusqu'à

en est de mes cinquante-quatre ans

il

Le bal d'hier

était

magnifique.

puisse étaler tant de richesses; à

de diamants. Les

hommes

et les

Il

se brisaient, et, à les rubis.

la lettre,

femmes en

Rien

vu ça, pour

admirable que tout,

n'était

lants de jeunesse et

de joie

qui les entouraient

et

beauté

Non

individuelle.

reste a

le

,

un

les

de santé

air

étaient couverts. foule, les

,

et

parures

les perles et

croire; mais, ce qui

et princesses,

dépassant de écrasant

la tête

bril-

tous ceux

par l'éclat

cle

leur

rien n'est comparable à cette

Sauf l'impératrice, qui est

famille.

faisait litière

c'était la famille impériale.

beau que ces princes

si

la

on

chaque pas, on marchait sur

faut avoir

Il

un peu maigre,

de prospérité qui ajoute à

splendeur de leur rang. Quant à moi, pour ce qui est l'extérieur, je suis sous le tisan, et « Je

mencer

Dieu

me

si

n'y a qu'ici que l'on

Soit en dansant, soit en se frottant dans

était plus

comme

comptaient pour moi!

les autres les «

Du reste, je me porte mon énergie; j'en ai plus

voir.

le

sait

que ce

défends contre

l'article

charme comme n'est pas là le

mon

si

j'étais

le la cle

un cour-

faible.

besoin que j'éprouve de com-

des tendresses. Si je vous disais à tous com-

bien je vous aime et pourquoi je vous aime,

ma feuille de me confie,

papier serait aussi longue que d'ici à Paris. Je

pour vous

le faire sentir,

au fluide magnétique. Nous nous

touchons, sans nous voir et sans nous sentir. Nous nous


JOSEPH, CARLE

272

comprenons

chaque minute,

à

me

dant, je ne

malgré

et

la

contente pas de ces jouissances à

Ce sont de bons baisers en nature que

gliostro.

vous donner,

vous

et bientôt je

Voici sans doute

rai

ce sera

;

midi de

le

la

donné assez de temps aux devoirs

curiosité

travaux.

!

me

Je

suis mis en

L'empereur

mon

Dès

manœuvres, puis par

tournée dans

la

veux

je

30 mai 1843.

ma campagne.

résumé de

en France, par J'avais

Ca-

dernière lettre sérieuse que je t'écri-

la

été pris par les

j'ai

ici,

le

la

les porterai. »

«

«

distance. Cepen-

le

arrivée

voyage

Russie, etc. ainsi qu'à la

demeure de commencer mes

tombé malade, l'impératrice a

est

Bref un mois s'est passé sans pouvoir rien

été souffrante.

entamer; puis,

la

nuit est venue, et

pendant plus de six mois. Depuis

j'ai

trois

perdu

mon temps

mois seulement

il

m'est possible de peindre. Voilà près d'une année perdue c'est

un malheur, mais

mon mieux

de

je reste à

:

songer à

faut

il

mon

atelier

le

:

réparer. Je fais

douze

et

quatorze

heures. «

Je ne

te

parle pas de la partie morale

métier de courir après Je suis loin d'être

c'est

l'eau

que

claire,

le

mais enfin

et le

c'est si

,

un

statisticien, et ce-

serai le plus occupé. Vois ce

désœuvrement

Poussin n'aurait pas été

l'homme

me

mon

ce n'est pas

qui ne se peignent pas.

un économiste

pendant, voilà de quoi je

que

mœurs

les

:

;

pour moi

encore de

grand

,

s'il

,

la

c'est

peindre à

n'avait pas

fond de son âme. Tout ce que

j'ai

connu

pu ap-

mon

prendre n'est donc peut-être pas perdu. Je considère séjour

ici

comme

Le

peinture.

un événement fâcheux, indépendant des

prévisions humaines,

comme un

duel qui vous tombe,

où vous cherchiez autre chose. Enfin,

le

vin était tiré

,

là il

a


ET HORACE VERNE T. bu

fallu le boire. Je l'ai

j'en suis gris; mais,

;

me

ne

l'ivresse, plus tard je

273

comme

dans

souviendrai que de mes rêves

sans penser à ce qu'ils m'auront coûté; car, chère amie,

brouhaha de

tout ce et

gloriole est bien triste sans affections,

comment en trouver

raison de leur vieillesse? Je

temps où, lorsque il

«

elles

le sais

ne sont bonnes qu'en

maintenant,

corps se transporle,

le

se trouve bien, et

à l'âge

le

mien ne vous

la ville. Il

la

sent

pays

le

Tout

Neva ne charrie

je regrette de ne pas être ours et la

le

dans ce vilain coin de

«

te

ma

me

du fond

Je travaille

:

me

ils

dorment

six

Non,

faire ici?

ne pourra s'établir

que

;

,

si elle

et voilà

que de bavardages; du moins je

ne

relis j'ai

trouve-le,

comme un

si

je le

jamais ce que j'écris, et

commencé. N'importe,

je

tu peux. »

12 juin 1843.

cheval, et je ne puis arracher

queue de mon tableau. Je me ments, je

!

pédantesquement

«

((

depuis

et,

Oh combien

chère amie. Je l'avais commencée

rappelle plus par où

suis certain

a quitté

terre; c'est tout au plus

la

lettre,

crains, car tu sais

ne

la civilisation

parler sérieusement,

qu'elle n'est remplie

je

fa-

semblant d'y être pendant quelque temps.

Je termine

pour

La

ici.

patte, et vivent six autres sans arrêter.

non, mille fois non, jamais

faire

voilà des êtres qui connais-

!

Mais nous, race humaine, que venons-nous

pourra

reste

monde

plus.

manière de s'en servir

mois en suçant leur

un

cœur

le

n'y a pas encore une feuille aux arbres,

deux jours seulement,

vient

a pas quittés.

Je n'ai rien à te dire sur ce qui se passe

mille impériale est à Tsarskoë-Selo.

il

la

suis lancé dans les change-

suis embrouillé. J'ai des instants de désespoir.

La maladie du pays me prend avec une dans certains moments,

j'ai

telle

violence, que,

envie de tout planter

là et

de


JOSEPH, CARLE

274

Je sens que je suis bien vieux

partir.

peuvent plus m'étourdir sur

les affections

besoin. Les honneurs dont je suis comblé

l'empereur, je dirai

même

son amitié

distractions ne

les

;

,

mon cœur

dont

bontés de

les

ici,

a

ne sont pas une

compensation à mes regrets d'être encore retenu. Chaque jour qui s'écoule reste

me

semble être anticipé sur ce

de temps à vivre,

me

qu'il

perdu à jamais. C'est l'amour-

et

me

propre de laisser en Russie une bonne chose qui ne

permet pas de secouer

le

moi tous

ne crains pas leur peinture

les peintres, je

de misère.

collier

armes sont de meilleure trempe que veux leur

laisser

que

le

contre

J'ai

mais

les leurs,

mes

;

je

ne

moins de place possible pour me

mordre.

Tout

«

le

monde

est parti

pour

campagne

la

impériale étant elle-même à Péterhof.

tombé dans

qui,

cette solitude

y a

il

,

la famille

Je suis donc re-

mois, m'avait

six

tellement noirci les idées. Maintenant, ce ne sont plus les

me

nuits perpétuelles qui

que

fin

faiblesse de la

la

désolent, ce sont ces jours sans

machine humaine ne permet pas

d'employer. L'excès d'un travail de quatorze à quinze heures est peut-être «'ai pas le

j'arrive à

cause de l'embrouillamini de

courage de

mon

reposer.

atelier, j'ai l'espoir

j'ai fait la veille, et les «

me

mon

tableau. Je

Chaque matin, quand

de raccommoder ce que

semaines s'écoulent.

Je n'aspire plus qu'à

un

seul bonheur, celui de

me

re-

trouver dans mes vieilles habitudes, avec de vieux amis,

dans une

de vin

,

donnant un

avec notre vieux cousin

fants, qui

1.

vieille veste,

doivent avoir de

la

1

soufflet à et

un vieux verre

nos vieux petits-en-

barbe depuis

le

temps que je

M. Huguet, actuellement trésorier de l'École des arts et métiers. M. Huguet dés

Profitons de l'occasion qui nous est offerte pour remercier

précieux renseignements qu'il a bien voulu nous fournir.


ET HORACE VERNET. ne

les ai vus.

encore que

Quant

à Louise

canne

la

275

son mari,

et à

ils

ne portent

plus tard, nous leur laisserons nos

;

béquilles. » 23 juin 1843.

«

Chère Louise, que

« J'ai

beau

me

le

temps

me semble long

raisonner, je sens que

maintenant!

mon

dépensé tout

j'ai

courage, ou qu'il est déjà à bord du bateau à m'attendre. Oui, c'est

que

semblera voir

Mon

«

le

je le retrouverai

clocher de

tableau ést

raccommodé, mais faire

pour

une

;

mon

fois

embarqué,

il

me

village.

dire fini;

ainsi

il

assez

s'est

eu du mal. Quand je commence à

j'ai

des changements, je m'embarbouille et je ne sais plus

comment en

sortir. Voilà ce

qui m'est arrivé.

m'aurait sans doute arrêté; mais de qui

N'importe; ce qui est

fait est fait.

secouer mes plumes; je quitte

une branche où

je pourrai

« J'avais

déjà lu avec

et

si j'étais

un

recevoir ici?

le

cage pour sauter sur

mon

aise avec

que maintenant

tel fait

je

ma ne

empaillé.

vif intérêt les détails

delà Smalah. Oui, oui, voilà un tableau à pour représenter un

conseil

Je suis libre; je puis

gazouiller à

bonne perruche qui m'y attend, veux pas plus quitter que

ma

Un bon

d'armes,

il

de

la

prise

mais*

faire;

faudrait l'avoir vu,

car ça devait avoir un caractère tout particulier. Cepen-

un bon

dant, avec «

Adieu!

récit,

on pourrait s'en

» «

« la

Il

y a deux jours que je t'écrivais, et

plume à

passage de

de

la

tirer.

la

main

ta lettre

;

25 juin 1843.

me

voici encore

mais je n'y tiens plus, chère amie; un

me tourmente;

celui

où tu

santé de Louise. Elle-même semble vouloir

nir contre

me me

parles

préve-

une impression fâcheuse que je devrais éprouver


JOSEPH, CARLE

216

en

la

revoyant; et

doucement

me

à

depuis quelques mois, tu arrives

toi,

dire

Quand

«

:

je la considère,

mes yeux

se remplissent de larmes. » Je rapproche toutes vos pa-

«

roles,

et

Me

en résulte pour moi une vive inquiétude.

il

cachez-vous quelque chose, ou n'est-ce qu'une petite co-

me

de

quetterie afin

préparer à un

qui

fait

n'a

d'autre

importance qu'un peu plus ou moins de beauté? Dans ce dernier cas, je ne vous l'autre.

juges-tu pas de

mon cœur

d'une

frappée

est

pardonnerais ni à l'une ni à

donc craindre. Ah! Louise, comment ne

faut

Il

le

par

tien? Si notre chère

le

maladie quelconque,

pourquoi

fille

me

le

cacher? Son âge, son bon tempérament ne sont-ils pas de

des gages

Pourquoi

guérison?

Je

me

des larmes parce que

sa beauté?

Est-ce un

notre

fille

conjectures.

perdu de

a

grand malheur, pour

si

nécessaire de prévenir

perds en

un

qu'il

soit

désappointement par

petit

les

vague inquiétude, d'autant plus affreuse que.

tortures d'une

ne reposant sur rien de précis,

la

pensée ne peut s'arrêter

sur une idée consolante? et je suis à huit cents lieues!... Tiens, chère amie, j'aime

mieux

t'en vouloir, t'accabler

de

reproches. Je viens de relire vos lettres, surtout celle de

Delaroche a

:

ne

il

me

mes appréhensions.

aura mal compris pas moins. la

la

dit rien qui ait l'air

Je ne suis peut-être qu'une bête qui

chose, mais

En décrivant

commun

:

la

pauvre bête n'en souffre

tout ceci, je te fais peut-être de

peine. Pardonne-le-moi.

être

de se rapporter

Dans un bon ménage, tout

tu pleures à Paris;

mes yeux

se remplissent

de larmes à Pétersbourg. Quinze jours après, ront peut-être de joie. Oh! oui, de joie;

compte, ne rien savoir de

positif n'est pas

doit

car,

elles

coule-

au bout du

une raison pour

désespérer de tout. Allons, du courage! mais, chère amie,

ne

me

laisse

pas m'embarquer sans m' écrire ce que je dois


ET HORACE VERNET.

277

craindre ou espérer... Ta lettre m'apportera du calme, je l'espère, car j'y chercherai la vérité. Toi qui la sais, si elle est

vœux de mon cœur, regarde tout ce que comme non avenu, et comme l'aberration d'une

conforme aux

je dis

ici

imagination frappée.

»

30 juin 1843.

«

des manœuvres,

« J'arrive

jours.

où je viens de passer

trois

repos et surlout de distraction.

J'avais besoin de

J'arrive moins tourmenté; L'empereur, auquel je dis tout,

a bien compris

mes inquiétudes; mais

m'a

il

fait

de

si

bons

raisonnements avec tant d'affection, qu'au bout du compte

ne vois pas pourquoi je chercherais plus loin que ce

je

que tu

me

dis.

Heureusement, dans quinze

jours, je serai

en route. Ouf!

cinquante-quatre ans aujourd'hui, chère amie; ça

« J'ai

commence

à sonner mal à

l'oreille.

Cependant, je n'en suis

pas plus infirme aujourd'hui qu'hier. Loin de là; je voudrais être plus- vieux de quelques jours, pour avoir enfin

terminé cette longue séparation. «

n'ai plus à faire fini.

Ce

que

je ne le

que quelques retouches,

que

je

m'a

que

moins

à

y piocher

pensais. C'est tout simple; j'étais

tellement

petit repos

fatigué, «

mon atelier. Je et mon tableau sera

Je te quitte, chère amie, pour aller à

fait voir

j'ai

ne jugeais plus.

Adieu. Je commence mes emballages... Pourvu que je

vous trouve tous en malgré

tous

bonne

santé!... Tiens, chère

mes raisonnements,

je

ne

suis

amie,

pas tran-

quille. » «

«

Me

revoilà encore à

jouis de

la

ma

3 juillet 1843.

table, écrivant, chère amie. Je

pensée que bientôt je n'aurai plus besoin de 16


278

plume

Ah! depuis plus d'une année,

ni d'encre.

la

m'a-t-elle occupé! Je n'aurais pas l'assurance d'un

que

intérieur, qui est le vrai,

n'avoir

bonnes lettres? Ce les siens.

être

pour vous

serais-je

devenu sans

y a de plus simple,

qu'il

Cependant,

c'est

comme ces mouches qui vous poursuivent me chasser que je m'entêterais à me promener ;

me

veux

où m'a plongé

me

jours de

rattraper

ta

j'aime

si

de tous mes ennuis. L'incertitude

dernière lettre

mettre dans

la

Non, non,

bien*

me

corrigerait

je

la

santé de ceux que

ne veux plus être à

d'une phrase plus ou moins ambiguë; ç&

fait

La raison vient après,

mais

émotion est

si

chaque minute

jours,

j'en ai la preuve^

pénible!

me

pour tou-

position de ne pouvoir juger,

moi-même, de

tout de suite et par

n'en

parlons plus.

merci

la

trop de mal. la

première

Dans douze

rapprochera du poulailler. Quoique

ne sois plus qu'un pauvre coq, faute de mieux,

chan-

j'y

comme un autre. Je ne veux plus quitter ma me laver les mains; la couleur n'est pas mal-

tout

terai

de rester

bout de votre nez. Je vous serai insupportable; tant

le

pis! je

je

tes

Aussi, je ne vous quitte plus, je serai peut-

vous voudriez sur

je

bonheur

réjouirais encore de

correspondance.

du voyageur. Que

c'est le soutien

avec

ma

penser à

plus à

me

poste

veste, ni

propre. Je veux peindre; et après, vous considérër tous,

vdus bien regarder, j'aurai

au moins

Allons, voilà

me «

ma

et,

ld

quand

plaisir

me

tu

couperas

la parole;

dé vous dévorer des yeux.

lètequi se monte;, et

mds douze jours vont

sembler plus longs. Halte-là!...

Pour

la

dernière

fois,

j'ai

encdre quelque chose de ca-

ractéristique à te cdnter sur le pays. côte,

dans

d'usage que filles

plus grande partie de

la

les

dans uh

gens de

lieu

la

classe

la

Le jour de

la

Pente-

vieille Russie,

marchande mènent

public pour les montrer,

il

est

leur*

afin qu'il

se


HORACE VERNE T.

ET présente des maris.

A

Saint-Pétersbourg,

plus que pour la forme,

c'est-à-dire

la

chose ne se

comme

nous allons à

Longchamps; ce n'en est pas moins très-curieux. foule

énorme qui

musique,

se porte

et toutes les

au Jardin d'été; on

femmes

et filles

y a une

Il

fait

«

Chère amie, je continue cette

que

lettre

lement que je pars

et

temps

ne vous embrasse

qu'elle... Je

pour

Ce

la

même

»

12.

te dire seu-

je serai à Paris presque pas...

en

même

Ah! quel

bonheur!.,, «

de

de marchands vien-

nent y étaler tout ce qu'elles possèdent de richesses.

((

fait

Horace Yernet.

»


JOSEPH, CAR LE

280

XIV

— Phénicien David et la Passion de Notre- Seigneur — Voyage au Maroc. — Gibraltar. — Cadix. — Jugement paradoxal sur Murillo. — La critique et les critiques. — Tanger. — Les Français en Algérie. — La parenté d'un homme célèbre, — Mort de madame Paul Delaroclie. — Bataille d'Isïy,

La Smâlah. Enfantin.

La longue absence d'Horace semble parfois

Vernet.

ne

pas

fait

pour

les

l'avait

avantage

oublier.

Il

hommes

célèbres à s'exiler au plus fort de leurs succès.

qu'il

y

ait

L'admiration est un sentiment de courte durée, et

expose ceux qui en sont revanches.

est

Il

l'objet à

de promptes

elle

et cruelles

donc habile de savoir se soustraire aux

éloges qu'on a mérités, afin de se les faire pardonner et de

pouvoir en recueillir de nouveaux. Aussitôt après son retour, Horace fut chargé de décorer

deux

salles

du palais de Versailles. Cette commande

se

composait de treize tableaux qui devaient être commencés

sur-le-champ

De

et

terminés dans un bref délai.

tous les travaux que Vernet exécuta pendant cette pé-

riode de sa vie,

le

plus important sans contredit est

de la Smâlah. Notre

artiste, on se le rappelle

de suite vu dans ce glorieux mettre en relief

X

les

fait

1 ,

h Prise

avait tout

d'armes un sujet propre à

diverses qualités de son talent.

Voir la lettre qu'il écrivait de Russie, p. 27ô,


ET HORACE VERNET. Il

serait inutile

que tout

le

de donner

monde

connaît.

281

description d'un tableau

ici la

Nous nous bornerons donc

à re-

lever une critique qui a été souvent faite et qui nous paraît

dénuée de fondement. On a tort

qu'Horace Vernet avait eu

dit

de ne point ramener à l'unité cette vaste composition,

en portant

l'intérêt sur

un point central auquel

différents épisodes

rattachés les

semble juste quand on regarde réduite

du

l'original,

du combat. Ce reproche la

gravure ou une copie

embrasse à

tableau, parce qu'alors l'œil

l'ensemble de

scène; mais,

la

si

se seraient

la fois

se transporte devant

l'on

on comprendra que l'auteur ne se trouvait pas

dans les conditions habituelles de son art

,

et qu'il a obéi à

des exigences d'une nature particulière. Cette toile aux proportions gigantesques serait bien vide,

si elle

n'était divi-

sée en trois ou quatre parties, que l'on peut admirer tour à tour. C'est

une sorte de panorama qui se déroule devant

nous à mesure que nous avançons,

et

faudrait prendre

il

une trop grande reculée pour en embrasser tous dans un

même coup

rendu compte de ce

d'œil.

Horace Vernet

qu'il faisait, et

il

a

s'est

les détails

sans doute

eu raison de trans-

gresser des règles dont l'application, excellente en général,

eût été une faute en pareil cas.

On

a raconté

s'était toile

trouvé pour

blanche.

En

nute, et aussitôt Il

que

avait

il

l'artiste avait la

première

tout cas, son se mit

légèrement

fois

devant cette immense

émotion ne dura qu'une mi-

bravement à l'œuvre.

une singulière manière de

travailler; jamais

ne se servait d'une esquisse préparatoire

de nos

batailles algériennes

qu'il mettait

pâli, lorsqu'il

:

il

tous ses tableaux

sont faits d'après

un dessin

au carreau. Cette opération terminée,

il

pei-

comme

la

plupart des peintres. Convaincu que l'on doit attaquer

le

gnait au premier coup, sans se servir de dessous

16.


JOSEPH, CARLE

282

taureau par les cornes, sition par le milieu

il

commençait souvent une compo-

ou par un coin, puis

en suivant son pinceau jusqu'à ce que sa

toujours

allait

il

trouvât

toile se

couverte.

La Smalah

fut

terminée

croyable. Le ciel, qui est

jour par

le

si

une promptitude in-

avec

un

a été peint en

vaste,

maître et par huit de ses élèves

:

on

seul

étalait le

bleu avec des sabres. Les petits nuages blancs qui rom-

pent un peu

monotonie de cet océan d'azur ont

la

ajoutés après coup. Horace Vernet avait

de peindre ses ciels avec cette rapidité ner plus de fondu.

de leur don-

procéder de

Géricault ,

et cet

la

exemple

de nature à l'encourager.

était

peine Horace Vernet avait-il terminé laSmâlah, que

la bataille d'Isly

dant. lait

avait vu

reste l'habitude

afin

,

pour son Naufrage de la Méduse

sorte

A

Il

du

été

Il

partit

un superbe pen-

vint à point lui fournir

au mois de mars

4

845 pour l'Algérie.

se pénétrer de la couleur locale, et visiter le

bataille tout

Il

vou-

champ de

fumant encore du sang qui venait d'y

versé. Les lettres qu'il écrivit à sa

être

femme permettent de

le

suivre durant ce voyage.

«

«

Rien n'est changé, chère amie, dans

sommes

Au comme «

qui

arrivés à

débotté

commande

loge

mon

Nous

nous sont tombées

Nous avons dîné chez Sainte-Aldegonde,

ici.

Ce qui m'a la

le

plus amusé, c'est d'être

musique de Phénicien David dans

du très-révérend père Enfantin, qui m'a si

étoile.

Lyon comme des amours. les lettres d'invitation

entendre

mours comme J'ai

,

la grêle.

allé, le soir,

la

Lyon, 20 mars 1845.

je devais,

soutenu avec fermeté

la

un

fait

jour, lui servir la

ma-

des

messe.

puissance de son regard

,

vu


m'a

qu'il

reste,

fait

ET HORACE VERNET.

283

de celui d'un

Du

l'effet

gros perroquet.

met de gros pieds

porte des gants jaunes, et

il

dans de petits souliers, car

il

plaignait de ses oignons.

se

Voilà tout ce que je peux te dire sur les souffrances de la

Passion de Notre-Seigneur Enfantin

tres rapports

nom que

avec son

la

qui n'a plus d'au-

,

frisure de ses longs che-

veux.

Adieu,

a

ma bonne

chère femme. Je serai demain à

et

Marseille. » Marseille

«

Toujours

((

lait

dans

le

moi tout

ma

port

belle étoile

en avant

comme nous

seul, et, lundi matin,

noxe, qui se

fait

!

,

21 mars.

Le Lavoisier mouil-

entrions en

ville.

Je

pour

l'ai

en route pour Oran. L'équi-

sentir depuis quatre jours,

semble se dépê-

cher pour nous laisser beau temps. Le baromètre remonte et le soleil brille. » «

«

Je n'ai

pu continuer

vent, et la

mer comme une

veillance particulière

glace.

Il

22.

dérangé par des

hier, ayant été

Ce matin, un temps ravissant

visites.

Ce

pas un souffle de

:

y a là-dessous une bien-

du Très-Haut, que

je dois sans

doute

à tes prières. «

Adieu. Je t'embrasse en vieux mari.

»

«

«

Nous

voilà

ai

vu

« J'ai

tière,

,

27 mars.

mouillés à Mers-el-Kebir après soixante-

quatorze heures de route, et par un temps n'en

Oran

comme

jamais je

à la mer.

trouvé

où tout

le

est

général de

arrangé

pays est tranquille et

les

La

Riie revenant de

la

fron-

comme la France le désirait. Le hommes voyagent seuls comme


JOSEPH, CARLE

284

dans

mes

affaires.

Ce sera

me

piloter.

de

monde

le

demain ou après pour

partirons

gera

Tout

plaine de Gonesse.

la

Nous

est enchanté.

lsly,

j'irai

général Cavaignac qui

le

Tu juges que

je

suis

faire

se char-

bonnes

en

mains. a

M. Lambinet est un vrai recrue, qui semble voir pour

première fois;

la

il

vert pour respirer

:

est

heureux;

semble avoir tout ou-

il

sjs yeux, ses narines, sa bouche, tout

semble pomper pour absorber ré qui l'entoure:

homme

vives émotions à un jeune

thousiasme; je luT crois du talent, tite

promenade

avenir.

qu'il fait

si

et je

susceptible d'en-

pense que

fallait

il

Oran

et.

me mets «

en route

dire sur ce que

ma disposition. Ainsi, demain comme un pacha.

j'ai

vu,

si

ce n'est que

encore perdu plus qu'Alger sous

a

est

Adieu.

le

Ce

une

intéressant à te la ville

d'Oran a

moderne. »

n'est pas

un poisson que

chère amie, mais une lettre qui

me

matin,

rapport du pittoresque.

«

«

je le quitte à

en un instant, mulets, chevaux, chasseurs,

Jusqu'à présent, je n'ai rien de bien

Tout y

28.

être sur les lieux.

escorte, tout a été à je

,

pour terminer nos

car,

ici,

Le général Lamoricière vient d'arriver;

minute

la

pe-

aura une bonne influence sur son

Je suis venu m'installer

affaires, «

la

» «

((

une

pour moi d'avoir contribué à procurer de

véritable joie si

c'est

porte à merveille, que vieille pipe,

et

que

du

,

1 er

avril.

je t'envoie aujourd'hui,

te dira,

le soleil

tout va

Tlemcen

m'a

pour vrai, que

déjà culotté

je

comme

reste sur des roulettes


ET HORACE VER NET.

comme

au temps de

partout, et

j'ai

Terre Promise.

la

aspect semble

me

car tout

un caractère

de

ici a

pars demain pour

faire la

vu

mais son

la ville,

;

particulier.

Tsly, afin

de tâcher de voir

le

champ

encore une question.

Tu penses que

que nos

petits-enfants,

trop envie de t'embrasser, ainsi

pour

bien reçu

promettre de belles émotions pittoresques

bataille, ce qui est

j'ai

On m'a

parcouru un pays admirable. Nous sommes

arrivés hier soir. Je n'ai point encore

« Je

285

moindre imprudence.

D'ailleurs je le voudrais,

que l'armée d'Afrique m'en empêcherait. L'amour-propre qui

la

domine

gré lui,

s'il

lui ferait

avait

la

conserver son peintre,

de trouver

faiblesse

la

môme vie

mal-

indiffé-

rente. «

Adieu, chère Louise;

y aura,

il

trente-quatre ans que nous serons mariés.

pas?

bler, n'est-ce

du courant,

nous faut dou-

II

»

«

«

15

le

Je viens de terminer

ma

G avril.

A

bord du Lavoisier.

première course dans

l'inté-

rieur. J'ai rempli, autant

que possible, ma mission avec

prudence

les

et je

rapporte

documents nécessaires pour

faire la bataille

d'Isly avec toute la vérité

mettre dans

représentation de nos

la

que

pu y avoir un

parle de prudence; ce n'est pas qu'il aurait

danger personnel à pousser mes investigations dans rait

le

Maroc, mais

amener une

la

moindre

collision entre

petite

nous

je tiens h

de guerre. Je

faits

fort

avant

inconséquence pouret les

agents d'Abd-

el-Kader, que nous avions en avant et en arrière; chose

qui aurait mis à Rlie, qui n'est

l'aise la

venu

diplomatie de M.

faire ici

le

général de

la

qu'une démonstration de comé-

die avec des limites impossibles à poser. Le fait est que, de

toutes ces belles démonstrations,

il

n'en restera

qu'une


JOSEPH, CARLE

286

tartine qu'on

l'empêcher de parler, ayant

mis sur «

De

Chambre des députés pour

fera avaler à la

mon compte

la

la

bouche

rupture de

on aurait

pleine, et

la paix.

l'Alla-Magrinia, extrême avant-poste, nous

revenus vers

sommes

mer, à Djemmâu-el-Ghrazaouer, où j'avais

la

donné rendez-vous à mon bateau pour hier matin, samedi.

Nous y sommes

arrivés vendredi soir, c'est-à-dire un jour

plus tard que nous ne l'espérions. Bien m'en a pris, car

un grand embarras,

évité

lante. L'arc

celui d'une

et la

rieur.

le

les

camp comme un simple

au grand désappointement du commandant supé-

Mais hier, au moment de

pu éviter

n'était

garnison n'était pas sous

armes. Je suis donc entré dans particulier,

réception mirobo-

de triomphe sous lequel je devais passer

encore qu'en planches,

j'ai

les

mon embarquement, je

n'ai

honneurs rendus par l'armée à son peintre;

été forcé de passer devant la troupe au port d'armes et

j'ai

de recevoir quatre coups de canon auxquels répondu. Du flatte pas,

il

reste, je

te fera rire

t'envoie l'ordre

Lavoisier a

du jour

:

s'il

ne

te

^

ARMÉE D'AFRIQUE.

1.

le

ORDRE SUPÉRIEUR.

M, Horace Vernet, notre grand peintre de

batailles, arrive

demain à

Djemmâu-el-Ghrazaouer. L'armée ne peut rester froide en présence de l'homme de génie qui a fait

revivre, sous son pinceau magique, les fastes de notre gloire mili-

taire.

M. Horace Vernet recevra donc

Toutes

les

en bataille sur la place les

les

honneurs de la guerre.

troupes de la garnison prendront les armes et se formeront ,

en avant du pavillon

;

elles porteront les

tambours rappelleront. Les postes sortiront

Une compagnie de garde d'honneur

MM.

les officiers

Vernet une

visite

et porteront les

armes

et

armes.

lui sera fournie.

de tous les corps se tiendront prêts à faire à M. Horace

de corps.

Des ordres seront donnés ultérieurement pour l'heure de Djemmâu-el-Ghrazaouer,

la prise d'armes.

le 4 avril 1845.

Le lieutenant-colonel, commandant supérieur, De Montagnac.


ET «

HORACE VERNET.

Je ne te parle pas des chances heureuses de

mon voyage

;

sont telles que tu croirais que je veux te tromper en

elles

Nous avons eu cependant

les embellissant.

terribles fatigues,

si

la

à supporter

mes compagnons qui

j'en juge par

échinés; quant à moi, et

287

lame de

de

sont

fleuret est toujours droite

ne se rouille pas. «

Comme

il

que

est probable

le

voyage actuel

nier que j'entreprendrai, je tâche de sible

et

de ramasser

regret par

la suite

les

miettes,

et d'avoir

nécessaire pour achever

le

dans

pomper

est le

le

der-

plus pos-

de n'avoir aucun

afin

mon

sac tout le butin

bout d'existence qui nous reste

dans notre solitude de Versailles. Cette solitude augmentera tous lés jours; car, à nos âges, les jeunes se séparent de

nous

vieux disparaissent dans un grand trou, où cha-

et les

cun va se

faire oublier.

Tâchons cependant, chère amie, de

vivre le plus longtemps possible, et songe qu'il te faut aller

aux eaux,

afin que, lorsque la terre

nous manquera sous

les

pieds, nous fassions la culbute ensemble. »

«

ce

Nous sommes

ici

Gibraltar, ce S.

depuis hier. Sir Robert Wilson,

sauveur de notre ami Lavalette, est gouverneur. en raison du passé. Ses chevaux sont à

pour voir

le

ma

sous un sombre aspect; le soleil brille

«

Adieu.

»

m'a reçu

disposition

rocher, car ce n'est point autre chose; mais

quelle importance n'a-t-il pas!... Hier, je ne

notre départ.

II

le

,

le

temps

comme pour

Nous

était affreux.

l'ai

vu que

Aujourd'hui

se préparer à éclairer

demain

ferons route sur Cadix, d'où je t'écrirai.


JOSEPH, CARLE

288

«

« Si

la

Méditerranée

Cadix

,

12 avril.

montrée gracieuse à notre

s'est

égard, l'Océan est un bien grossier personnage. Le coquin

nous a

fait

une réception que

je n'oublierai

Figure-toi, chère amie, que nous nous étions 9,

au

de

devait nous porter à Mogador; mais tout à coup est

venu nous prendre debout,

bourlinguer dans

détroit par

le

pouvoir reconnaître par

Enfin, embêtés de

fais

que «

par

les courants, et battus

sommes venus

le

la

et

vent

le

nous voilà à

une brume épaisse, sans

droite ni à gauche, entraînés

la terre à

plaisir à venir sur le

de nous casser

vie.

par un bon temps et une bonne brise qui

petit jour,

a sauté,

ma

embarqués

la

mer, qui semblait prendre

pont regarder ce que nous y faisions.

cachucha que nous dansions, au risque

nez contre les rochers marocains, nous

le

relâcher

ici

pour attendre

le

beau temps. Je

contre fortune bon cœur, et je jouis du nouveau pays je vois.

Cadix est une

ville

toute blanche, d'une propreté re-

marquable. Les maisons ont de grands balcons, peints en rouge, jaune et vert, sur lesquels se trouvent des figures noires, laissant voir,

du

qui regardent les étrangers avec curiosité. qu'il Il

ne serait pas

difficile

y aurait danger,

à regarder en l'abri

l'air,

même si la

yeux

visage, seulement de grands

de

les faire

pour

les

On peut

croire

changer d'expression.

vieux cuirs

comme

moi,

quantité ne venait vous mettre à

de toute séduction de ce genre. Le mauvais temps em-

pêche ces belles Andalouses de se promener aujourd'hui. En attendant, je viens d'en voir quelques-unes au spectacle, jouait

un mauvais mélodrame traduit du

Tu juges que,

n'y comprenant rien, je suis resté

d'où je sors. français.

On

bien froid, lorsque, au contraire, tous les Espagnols se tor-


ET HORACE VERNET. quand

daient de joie. Mais,

danses ont commencé,

les

Rien de plus

rôles ont changé.

plus animé; j'étais dans

le

289

les

de plus gracieux, de

joli,

ravissement. Les Napolitains et

Romains ne sont que des paysans lourdauds auprès de

les

ces gazelles bondissantes. si

et

avec

elles.

de

tent

la

!

chère amie

pourquoi suis-

,

comme

je n'y tiendrais pas; je bondirais

vieux?

je

Ah

Ne

va pas t'alarmer

cinquante-six ans met-

:

glu sous les pieds, et je

le

temps dans

ma

sation n'a peut-être pas peu contribué à

choses plus belles qu'elles ne

la

faculté

Ce haut degré de

loge.

ma

pu user pour

n'ai

jouissance personnelle à ce spectacle que de

fumer tout

elles

me

de

civili-

faire trouver les

sont véritablement. N'im-

le

porte; je n'en suis pas moins fou du boléro.)) «

«

L'Andalousie a un vrai caractère

;

que Murillo

est mort. J'ai

pas son plus beau.

n'est

Il

13.

n'y do-

les épiciers

minent pas encore, heureusement pour ici

Ce

peintres. C'est

les

vu son dernier ouvrage, qui

rompre

a bien fait de se

en tombant de son échafaudage. Je ne connais pas

les os

l'histoire

de ce grand artiste, mais à juger de sa vie privée par ses

œuvres de

il

ne devait pas avoir

l'assurance

gante

plaisait à

représenter m'en donne

en général,

l'espèce est belle et élé-

nature qu'il se

la

;

car

ici,

l'exception

;

goûts fort élevés. Le choix

les

se

trouve au

cherchait sans doute ses

là qu'il

coin

des rues,

modèles;

ils

et

c'est

sont encore

identiques aux pouilleux, aux galeux, aux teigneux dont fourmillent nos galeries. Dis-moi qui tu hantes, je

qui tu es en peinture.

vu

un

la

Ici,

tout

le

monde

est

te dirai

pauvre, mais,

similtitude des costumes, chacun se ressemble et a

air

d'aisance que

la

chemise

sale

qu'on ne voit pas

pourrait seule démentir. Quant aux femmes, je ne dis pas qu'elles aient

ni

qu'elles .puissent inspirer des têtes de

n


JOSEPH,

290

comme on pourrait

vierges,

mais

;

démarche

ont tant de fermeté dans l'expression, une

elles si

distinguée, une

de comprendre

suffire

pour

en trouver dans d'autres pays;

sont trop brunes, leur regard est trop brillant pour

elles

cela

C A RLE

taille

si

souple, qu'il devait

nature dans ce qu'elle a d'élevé

la

traduire en peinture de manière à laisser dans la

la

pensée du reg ardeur quelque chose de noble reux. Tout

ici

respire

Pourquoi Murillo

Dans

«

a-t-il choisi

seul petit

le

mot que

me

contre les journaux qui

Que m'importent raison

qu'y

,

Quant à moi, atelier

pour

comme

la

personne, et

dormir.

reposer, je

plus belle

les lauriers

Que les cris des

vent donc pas

!

faire

vermine.

?

tu fulminais

— disais-tu. et, s'ils

que de baisser

la

tête?

le

fais

la

conscience

pure,

pu donner que

n'a

n'être sur la route de

de Miltiade ne m'empêchent pas de

rabaisseurs de réputation ne t'émeu-

ne troublons pas notre

laisse-les dire et

quiétude intérieure en faisant attention à ces braillards;

me

font l'effet

quatre ans que nous

rue.

la

fait

voici en

tout ce

A

seize,

Tanger

est

nous fête-

»

bord du Lavoisicr, 17 avril 1845.

route pour Alger, chère amie,

que nous devions

nous n'avons aperçu qu'à travers «

y aura trente-

cinquantaine! Serons-nous gentils!...

Nous

avoir

il

sommes mariés; dans

«

«

la

Adieu, chère amie. Après-demain,

rons

ils

de chiens qui cherchent à mordre les roues

d'un cabriolet qui passe dans «

ont

mieux. Lorsque je quitte mon

bonheur de

le

toi,

ont tort?

du monde qui

fille

J'ai

s'ils

la

borne

la

reçu de

travaillaient ferme,

mon

de

coin de

j'aie

de mieux à

je fais

ce qu'elle avait.

le

leurs injures,

a-t-il

me

ou se roule dans

la fierté

de géné-

et

une assez vilaine

faire,

les

après

sauf Mogador, que

brumes.

ville, à

peu près dans

la


ET HORACE VERNET.

291

position d'Alger, mais cependant plus pittoresque.

mier soin a été de remplir J'ai

donc relevé

tous

mes documents.

qu'il

peut informer

mencer

et

la

pre-

^mission dont j'étais chargé.

du combat,

différents points

les

Mon

et j'ai

Si tu vois le général Atthalin, dis-lui

que rien ne

le roi

terminer mes tableaux

,

me manque pour com-

mais que ça n'a pas été

sans peine»

«Pour en revenir

les

à Tanger, j'y ai passé

deux jours et demi,

ma

vie par leur origi-

plus intéressants peut-être de

nalité et la variété des

épisodes» D'abord

nous avons été

,

reçus à terre par M* Château, notre consul.

nous

Il

meilleur accueil et nous a mis tout de suite au

a fait le

de

fait

ma-

la

nière dont nous devions nous conduire avec les Marocains,

ma-

qui sont excessivement soupçonneux. Je voulais voir

nœuvrer

les pièces

vaient rendre

de l'intérieur de

le salut.

Pour ce

faire,

toute sorte de précautions. Enfin

bon pourboire, tête

il

,

la il

forteresse, qui de-

nous a

fallu

prendre

grâce à des juifs et à un

y en a un qui nous a permis de passer

la

par-dessus sa terrasse pour regarder, au risque de re-

cevoir pour sa complaisance une centaine de coups de bâton

mais, pour de l'argent, que ne ferait un juif?

mis de bien

sales paletots et

l'air

;

Nous avions

de mauvaises casquettes, pour avoir

de méchants marchands de lorgnettes. Enfin

,

j'ai

obtenu de voir ce qu'il m'importait de connaître» «

En

de notre bouge, je suis

sortant

petite batterie à

une demi-lieue de

mer, d'où je prendrai

mon

la ville

allé visiter

sur

nous avons repris nos uniformes,

sommes promenés ostensiblement sonne nous

fit

d'avanies.

la

sommes Le commandant du

bateau m'y attendait avec impatience. Une ,

bord de

point de vue, et nous

revenus sans encombre au consulat.

seignés

le

une

fois

et

bien ren-

nous nous

partout, sans que per-


JOSEPH, GARLE

292

Le pacha qui commande en chef

«

Larache

est à

et le

,

sous-gouverneur était en course pour châtier des tribus voi-

Comme

sines.

surtout un

et

un

m'importait cependant de voir

il

camp

le

,

courrier, pour lui

distinction

consul

lui a,

demander de

les troupes,

sur-le-champ, expédié

la

part de voyageurs de

faveur de lui être présentés. Dans ce pays,

la

chevaux n'ont pas des jambes, mais des

les

Huit

ailes.

heures après, nous avions une réponse qui nous annonçait

que

le

sous-gouverneur, ayant

même,

fini sa

razzia, viendrait lui-

lendemain, nous recevoir. Nous sommes donc

le

restés à l'attendre

,

et

noce juive qui nous a

de plus beau que

le

nous avons passé noire temps à une fort intéressés. Je n'ai

jamais rien vu

type des femmes; elles sont plus fortes

qu'à Alger, et bien plus jolies. Leur costume est magnifi-

que. J'en

mes que «

ai

fait

un croquis,

explications. D'ailleurs

vu

j'ai

le

il

t'en

dira plus

me' tarde de

il

raconter ce

lendemain.

Le sous- gouverneur devait donc

armée. Nous sommes partis

nous trouver

te

que toutes

comme

le

rentrer

avec son

matin de bonne heure, pour

par hasard sur son passage, ce qui

nous a parfaitement réussi. Nous avons vu venir de sur

le

sable, des fantassins

et

quelques cavaliers

,

loin,

suivis

d'une arrière-garde. Nous

de troupeaux, de prisonniers

et

nous sommes mis à courir,

et

nous sommes arrivés à temps

pour voir entrer en

cortège singulier.

«

Ben-Abou

est

une mule blanche,

ville ce

un homme superbe. et

pages de l'empereur,

Il

monté sur

environné d'une vingtaine déjeunes le fusil

haut, la tète découverte,

longue tresse de cheveux leur pendant sur et vêtus

était

de robes de toutes couleurs

;

les

l'oreille

une

gauche,

chevaux riche-

ment

équipés. Le tout formait un groupe éclatant. Le reste

de

troupe était occupé à conduire un troupeau de bœufs,

la


293

qui semblaient se révolter d'être

que

les

hommes

prisonniers, tandis

faits

qui se trouvaient dans

chaient tristement,

la

baissée,

tête

le

comme

même

cas mar-

attendant et se

préparant aux coups qui devaient bientôt les faire rouler

dans

poussière.

la

Il

y avait quelque chose de

imposant

fort

dans ce cortège, qui marchait avec une grande rapidité,

comme

s'il

un ennemi.

craignait d'être rattrapé par

Aussitôt rentré en ville

«

Ben-Abou nous

,

nous recevrait le lendemain, à neuf heures

Après avoir dîné chez

«

à bord, passer

une bonne

le consul,

nuit.

A

pour

comme

rendre clair

le

joli, la

la

dire qu'il

fit

du matin.

nous sommes revenus

cinq heures du matin,

propreté est venue nous réveiller

bien

et

:

on bringeait

le

la

pont,

table de notre cuisine. C'est

propreté, j'en conviens, mais lorsqu'elle n'em-

pêche pas de dormir. Enfin, nous nous sommes habillés,

comme

beaux

faits

des soleils et rendus chez M. Château,

qui, de son côté, s'était paré de sa grande tenue.

A

«

neuf heures moins un quart, notre cortège

en marche vers térieur,

sant

la

la

Kasbah, chaous en

nous avons trouvé haie,

jour,

me

militaire,

Arrivés dans

l'in-

les

accroupi

était

armes, le

fai-

long du

inconnue pour moi jusqu'à ce

semblait toute bizarre.

par un gros Marocain, toute

mis

garnison sous

la

mais chaque soldat

mur. Cette position

tête.

s'est

la

A

un commandement

fait

troupe s'est relevée, a porté

armes, et nous avons continué notre marche jusqu'à un

les

péristyle où nous attendait

Ben-Abou

dont

,

le

visage noir

prenait une nouvelle intensité de couleur au milieu des haïcks

blancs dans lesquels «

Après

les

il

était entortillé

des pieds à

poignées de main d'usage,

duits dans l'enceinte de son palais. Là,

il

félicitations auxquelles

nous

a intro-

nous avons trouvé

des chaises européennes, et lui-même, assis

commencé des

la tête.

comme

nous, a

nous avons répondu


JOSEPH,

•294

CARLÛ

par l'intermédiaire d'un grand juif borgne, ayant sur les épaules le

mauvais paletot avec lequel

le

jour précédent, pour ressembler

portance. Puis

nous

point été rendus

canaille sans

im-

conversation a tourné et est arrivée à

la

faire savoir

je m'étais déguisé

une

à

que

comme

Mogador

prisonniers de

les

le traité le stipulait, et

n'avaient

que, faute

de son accomplissement immédiat, l'empereur pourrait regarder toutes

les

comme non

conventions

penses que personne n'a songé

sommes

semblable; nous nous

à

levés de

embarrassée possible pour reprendre

En

môme

sortant,

cérémonial

avenues.

Tu

répondre sur une matière

manière

la

la

moins

route de chez nous.

la

troupe accroupie, puis au

:

port d'armes.

Nous sommes remontés

ment,

heures après nous étions en Europe, à Gi-

et trois

moment où

au

braltar,

comme

chevaux

cette fête,

le

et,

à

les

Anglais faisaient des courses de

Epsom. On nous

soir,

immédiate-

à bord

nous avons

a fait les honneurs de

assisté à

un très-grand

où une multitude de jolies femmes nous ont

bal,

mamours.

A minuit, comme

Cendrillon, nous nous

fait

des

sommes

évadés, et à une heure du matin nous étions en route pour Alger, où, vu

au matin.

le

beau temps, nous serons sans doute

me

Nous arrivons. Je trouve de porte bien.

tage.

tes nouvelles.

Dans quelques jours

Nous ne partons pour

Adieu.

$0

»

«

«

le

t'en

je

l'expédition

Ce

20.

Sache que dirai

que

le

je

davan1 er mai.

» «

«

Me

«

Nous ne partons

Alger, 22 avril.

voici débarqué, chère amie. .

d'ici

que

le %

;

nous ferons une petite

campagne de demoiselle pour promener

le

prince, qui ne


ET HORACE VERNET. peut être venu pour rien. Nous ferons ménage avec Jusuf,

comme

qui vient avec nous sans troupe, et

major.

Notre excursion ne durera

pas

attaché à l'état-

de quinze

plus

jours.

Ce que

«

me

tu

dis

du Salon me

entendu parler, ayant toujours marché

je n'en avais pas

plus vite que les journaux, qui, intéressé

que médiocrement; car

du

reste,

tu sais

ne m'auraient

combien tout ce

peuvent dire m'est parfaitement indifférent. J'estime

qu'ils

seulement celui

jusqu'ici

fait plaisir;

le

succès que

qu'on doit

bon sens vous accorde,

le

des coteries.

à

Il

en est de

même

non

et

des cri-

tiques, qui n'atteignent pas le but lorsqu'elles le dépassent.

Quant

de Thiers,

à l'éloge

sentiment qui

l'a

il

provoqué,

est fort aimable; j'apprécie le et je le

prends

comme un

re-

tour à des idées moins absolues en peinture que celles qui lui

ont

fait

produire sa monstrueuse Madeleine.

«

«

»

Ce

24.

Les affaires s'embrouillent dans l'ouest. Le maréchal va

demain

à Cherchell

;

moi,

je reste.

Avant

semaine pro-

la

chaine, nous saurons à quoi nous en tenir. Si on n'entre

pas en campagne tout de suite, tu seras exposée à

me

voir

arriver bien plus tôt que tu ne le penses; car je n'ai pas

mon temps pour ne rien voir de ce qui m'intéresse, et à berlander comme un gant jaune sur la place du gouvernement. En vérité, il est difficile de se envie de perdre

rendre compte de ce qu'on veut faire de l'Algérie. Je vais tacher de «

tion,

fix<er

mes

idées sur ce point.

Le gouvernement anglais,

mène

lorsqu'il a pris

ses affaires jusqu'au bout

tergiverser vis-à-vis de

la

nation, et,

arrêté, chaque Anglais contribue,

une résolu-

franchement, sans

une

même

fois*

un

parti

contre son inté-


JOSEPH, CARLE

296

rêt personnel, à faire réussir les projets

mais aussi, laisse pas

le

aller à

sacrifier,

d'amour-propre individuel,

Quant aux choses

«

sent la

du gouvernement;

gouvernement joue cartes sur

du moins,

table et ne se

pour de

puériles

de

la nation.

l'intérêt

telles qu'elles

je ne vois d'autres

conquête entière ou l'abandon

sont

questions

jusqu'à pré-

ici,

moyens d'en

total.

sortir

que

Les Espagnols, dira-

t-on, conservent quelques points sur la côte; mais de l'Es-

pagne à ces points tion, et toute

du côté de

n'y a

que quatre heures de naviga-

communication avec

même

que

interdite

il

les fenêtres

des maisons sont murées

Pourrions-nous occuper, à de

campagne.

la

l'intérieur est tellement

semblables conditions, Alger et

d'un

les autres ports

litto-

prolongé que celui qui va des frontières de Tunis

ral aussi

au Maroc? La France veut de l'Algérie parce qu'elle peut lui être utile.

On

vât tout entière,

ne Tévacuerait pas sans qu'elle se souleet les

ministres, qui refusent sous-main,

qui n'agissent pas franchement vis-à-vis d'une armée aussi

dévouée que à

mon

avis,

au milieu de laquelle je

celle

me

trouve, sont,

de grands coupables. La France, par exemple,

doit-elle être

le

jouet des mauvaises nuits du maréchal

Soult?... «

Adieu, chère amie.

»

«

«

Je n'ai que

«

Abd-el-Kader

le

temps de est

qui fera sans doute de affaire

t'écrire

entré la

un

Alger, 30 avril

seul mot.

chez nous par l'ouest, ce

promenade du maréchal une

importante, car, tout se

lève

sur

le

passage de

l'émir. « Si cot

événement prend de

campagne; sinon,

je pars

la

consistance, je ferai

pour Paris.

»

la


ET HORACE VERNET.

«

m'accompagne

n'a été plus aimable

jours de notre navigation.

sommes

arrivés à

Palma

le

xMarseille

que jamais

Figure-toi, chère amie,

«

297

Partis,

que dans le

1

6 mai.

bonheur qui

le

er

,

derniers

les

nous

d'Alger,

,

lendemain; rembarqués quelques

heures après, nous avons longé

la

côte d'Espagne, visitant

depuis Malaga jusqu'à Barcelone par un temps admirable,

voyant une multitude de choses du plus haut intérêt.

et

Une

fois arrivés

comme un

au Cap Rose,

enlevés, et nous voilà partis

nous prenait seille,

mistral nous

comme

a

empoignés

sommes

instant nous

ce coquin de vent qui

traîtreusement, sans pouvoir attraper Mar-

trop heureux de crocher par Toulon, où nous

et

sommes

si

le

En un

furieux qu'il est.

entrés bourlinguant, au milieu des rafales qui sem-

blaient jouer au volant avec notre gros bâtiment qui leur

présentait toujours son nez pointu. C'était beau de voir

le

génie de l'homme aux prises avec deux terribles éléments, les

dominer,

d'entendre gronder sous nos pieds

corps de l'homme est petit en raison de sa tête «

me

Bref,

thode, par «

A

la

voici

en route pour Paris par

le

passé.

Il

me tombe

Les uns sont boulangers, ils

!

vieille

mé-

veulent tous

me

les

Avignon, ce 9 mai 1845.

et déjà le

ici,

bien long; car notre bonne ville

Bref,

comme

malle-poste.

Depuis hier je suis

que par

la

en-

bientôt. » «

«

les

de feu du Lavoisier. Dans ces circonstances,

trailles le

et

temps

me

amusante

n'est pas plus

de tous

les côtés

semble

des Vernet.

autres tout ce que tu voudras.

faire leur héritier, et

me demandent,

en attendant, de leur procurer une petite place pour vivre. Ainsi, tu vois qu'un jour nous devons être riches. 17-


JOSEPH, CABLE

298

a il

Listz est

n'a

mon

voisin.

soir;

eu qu'un médiocre succès. Voilà ce qui s'appelle se-

mer des perles devant «

donné un concert hier

a

Il

pourceaux.

les

Enfin, demain, je prends la route de Paris. Je vais donc

vous embrasser tous; quel bonheur! «

Un grand Sa

retour.

et irréparable

du

soleil

ments que

»

à son

deuil attendait l'artiste

depuis longtemps affaiblie par de vives

fille,

souffrances, n'avait

leur

Horace Yernet.

pu retrouver

ses forces à

de Rome. On se rappelle de

les lettres

la

douce cha-

les tristes pressenti-

madame Horace Vernet

avaient

inspirés à son mari, durant les derniers mois de son séjour

en Russie;

ment

ils

ne devaient être, hélas! que trop prompte-

justifiés.

La pauvre malade

s'éteignit le 18

bre 1845. Les regrets unanimes laissés par

Delarochc

,

tant

dans

une des femmes parmi

les

monde

le

les

d'élite

décem-

madame

Paul

qui perdait en

elle-

plus charmantes de ce siècle, que

pauvres, dont

elle

était la

tendre et infatigable

bienfaitrice, donnèrent à sa famille les seules consolations

qui puissent adoucir de

telles

douleurs.

Horace Vernet se réfugia dans

le

pour se sous-

travail,

traire

un peu aux pensées trop cruelles qui obsédaient son

cœur.

Il

exécuta sa vaste composition de

qui fut exposée en son ami

ils

4

Soliman -Pacha pour

firent

Bataille d'Isly,

la

Relgique

il

partit

et la

la tète

qu'il avait hâte d'exécuter;

avec

Hollande,

une tournée de quelques jours; puis

s'installer à Versailles,

lent fécond

la

846. Le Salon terminé,

il

revint

pleine de projets nouveaux

car l'inaction était pour ce ta-

une véritable souffrance,


ET

HORACE VERNET.

200

XV — Un garde national — Siège de Rome. — Lettres diverses. — Expédition de Kabylie. — Le frère Hermann. — Guerre de Crimée. — Exposition universelle. — Creux et bosse. — Philosophie chrétienne. — .Une vieille maîtresse. — Quatorze lustres dans une tête. — Vieillesse d'Horace Vernet. — Sa mort. — Ses derde Louis-Philippe.

Illusions

convaincu.

24 Février.

Journées de Juin.

nières volontés.

Le 24 février 1848, Horace Vernet écrivait ces qui ont un grand intérêt historique

Le

«

roi

perte.

Ma

les

dernière entrevue avec

que

la

laise sous les fenêtres

mardi malin, m'avait

sans cependant que j'eusse

portrait n'est

mon

le roi

me

dit

je ferai

«

la

conversation la

peur des Chambres. Quant à moi,

«

qu'Abd-el -Kader puisse me donner

ils

je suis trop fort la

,

promesse

Mes ministres sont des poltrons:

de

«

d'Abd-

Partez demain;

honneur a

«

fils.

la Marseil-

portrait

le :

qu'un prétexte. Dans

Abd-el-Kader que cher

midi;

était

des Tuileries. Le roi m'avait

venir pour m' envoyer à Toulon faire

« dites à

Il

Le peuple chantait

mêmes

el-Kader. Dès en arrivant, « le

force

étaient assemblées, et l'accusation des mi-

nistres devait être présentée.

fait

lui,

catastrophe fût aussi immédiate.

Chambres

la

qu'il était évident qu'il courait à sa

confirmé dans cette opinion, l'idée

:

s'abusait tellement sur sa position, sur

de son gouvernement,

lignes,

ont

pour

moindre crainte,


JOSEPH, CARLE

300

même

« lors

qu'il serait à Saint-Jean-d'Acre.

ramener daus nos possessions d'Afrique

«

ne pourraient

«

sans que ce ne fut une déclaration de

le

ma

ce

sonne, sans

«

mine

«

comme un

<r

à la majorité de nos

«

que

«

Bonne-Espérance, de

« ira

répéter

ma

ment

les

te

enfant. Cependant,

Chambres.

à

la

Mecque

leçon, et ajouta

«

Si

choses vont se passer

ici

voyage n'eut pas Dès que

la

par ses lettres

les

et tout le

,

le

cap de

Djeddah,

à

Le

libre. »

roi

qu'il

me

fit

vous voulez voir com,

ne partez que jeudi.

monde

sait

»

pourquoi son

lieu.

fit

avait toujours eu

pays

:

tour par

République eut été proclamée,

Versailles et se

à la

et qu'il sera

joue

donc dire à l'émir

faut le

le

une concession

faut faire 11

Je do-

là.

Guizot

:

débarqué

et qu'il sera

Horace Vernet attendit,

forme

il

l'embarquerai, qu'il fera

je

guerre, et per-

permission, ne peut en venir

mauvais vouloir de Palmerston

le

Les Anglais

réélire colonel

un qu'il

faible

de

la

pour cette

était allé

Il

retourna

garde nationale.

institution.

On

à Il

a vu,

montrer son glorieux uni-

cour des souverains étrangers

plus lointains.

il

jusque dans

,

les

semblait convaincu de l'impor-

tance de son rôle, et prenait au sérieux les moindres détails

du et

service.

Il

aimait à s'occuper du maniement des armes

de l'équipement des troupes, à parader sur un cheval

fringant et à passer des revues.

Il

n'aurait peut-être pas

récité l'Annuaire d'un bout à l'autre (encore n'en jurerions-

nous point), mais à coup sûr la

il

était

grande question du bouton de guêtre,

que pas un

officier quelle est la

eu plus d'une

des

hommes

fois à ce sujet

et

savait mieux-

il

nuance exacte de

ou du pantalon d'ordonnance dans a

de première force sur

tel

ou

tel

la

tunique

régiment.

Il

de graves discussions avec

spéciaux, et c'était toujours

tion faite, se trouvait avoir raison. Bref,

lui il

qui, vérifica-

y avait dans so


ET HORACE VERNET.

301

caractère tout un côté troupier qui demandait à se mani-

d'une façon ou d'une autre,

fester

dat,

se

il

sol-

garde national.

fit...

pour être juste, qu'alors cette institution

faut dire,

Il

ne pouvant être

et,

avait sa raison d'être; en plus d'une circonstance doulou-

reuse

,

donné des preuves de son

elle a

Tous

utilité.

ont vu Horace Vernet à

les Parisiens

de sa

tête

la

légion, en grand uniforme et couvert de décorations qui

,

à

chaque mouvement un peu trop saccadé de son cheval, sautaient sur sa poitrine avec

un bruit de

ferraille.

Quelques jours avant l'insurrection du mois de juin, voici ce qu'il écrivait à son gendre, Paul Delaroche

:

«Versailles, 18 juin 1848.

«... Les

monde

nière, tout le

restera

s'il

compliquent d'une furieuse ma-

affaires se

même

les

est prêt à combattre, et je

deux queues sur

tant les partis sont animés.

Depuis

esta son comble. Faites donc de repris

j'ai

pourrai

le

mon

tableau

*,

la

je verrai si je

Dieu fera c

le

me

et,

une

je les

de placer un

petit

mot

dans

aime de toute mon àme, d'elle;

mais

elle n'a

queue pour s'exprimer, »et dans une

pays,

le

alors,

que

lettre

et

ses il

me

prier

yeux

et

n'y a pas

d'introduire ce genre d'éloquence. Embrassez bien

tendrement pour moi ces chers

1.

fois

regarde, semble deviner que je vais dire

que

pour

je

le reste.

à vos enfants

sa

un mois

porter à l'empereur. Je

m'y trouve encore bien. Alors comme

Diane, qui

moyen

bataille,

peinture!... Cependant,

et-je pense qu'en

terminer assez pour

ne sais pas

champ de

trois jours l'effervescence

déjà écrit à Saint-Pétersbourg,

l'ai

le

ma

petits, et léchez leurs

bête...

La Bataille de Wola

,

commencée en

1847.

mains


JOSEPH, CARLE

302

«Adieu,

que moi

mon

cher ami. Soyez certain que personne plus

n'a envie

unes sur

facultés se recourbent les

faut tendre

le

A mon

de tranquillité.

dépenser en

ne doit pas perdre

inutilités. «

Horace Yernet.

Aussitôt que l'insurrection eut éclaté, sailles

accourut à Paris.

part à la répression

Si elle

hommes depuis

de l'émeute, ce

coup de

l'Institut

la

»

légion de Ver-

ne prit pas une très-grande faute des cir-

fut la

constances, et non celle de son chef:

resta prêt à

les

les autres, et, lorsqu'il

jarret pour les redresser, on

ses forces et les

âge, toutes

il

avait échelonné ses

jusqu'au pont Saint-Michel,

marcher jusqu'à ce qu'on eût

tiré

le

et

il

dernier

fusil.

Revenu

à

Versailles, Horace Vernet organisa

militaire des plus actifs

pour

sécurifé de

la

envoya de nombreuses patrouilles explorer

la

un service

la ville,

et

il

campagne. Les

émeutiers qui avaient pu se sauver de Paris se cachaientdans les bois et

dans

les blés.

Pendant un mois,

nale de Versailles opéra ainsi bon

nombre

la

garde natio-

d'arrestations.

Tandis que Vernet s'occupait de ses devoirs civiques, son atelier chômait.

grand tableau de l'empereur

Bataille

Russie

de

25,000 roubles

la

(

moyen de finir son de Wola , et il l'envoya à

trouva pourtant

Il

,

qui

lui

fit

remettre

en échange

99,000 francs).

Le siège de Rome devait fournir au

talent

d'Horace Vernet

des éléments nouveaux. Le souvenir de ce glorieux d'armes, pendant lequel on

gnage, l'armée suspendre

vit*,

les

fait

suivant un illustre témoi-

coups qui pouvaient porter

la

dévastation au milieu des chefs-d'œuvre de tous les temps et

de tous 1,

Voir

les

peuples

le discours

1 ,

ce souvenir méritait plus encore

prononcé par

le

maréchal Vaillant à

la séance solen-


803

que d'autres d'être perpétué par de en quelque sorte

c'était

de

et

que

les

personne ne pouvait

charger qu'Horace Vernet, un des maréchaux

s'en

peinture. Aussi cette importante

la

savants pinceaux;

tribut de reconnaissance

payer aux soldats,

artistes avaient à

mieux

un

elle confiée, et

commande

lui fut-

partit au mois de janvier 1850, pour aller

il

prendre sur place

les

croquis et les notes qui

lui

étaient

écrivait à Paul Delaroche le

résumé

nécessaires.

A

peine de retour,

de ses impressions «

...

Mon voyage

il

:

à

Rome

heureux; mais

a été fort

j'en ai

rapporté un fonds de tristesse qui se trouve en rapport avec les douloureux,

j'ai

été

si

souvenirs que j'y

La conduite plus que

gouvernement

le

mon

heureux, semble avoir suivi

s'y écroule à la fois.

père,

retrouvés. Cette

ai

inerte qui

absence, portent un coup

falal

ville,

Tout

sort!

faible

du

saint-

remplace pendant son

le

au prestige de

la religion.

désertée par ceux qui devaient savoir mériter

L'Église,

palme du martyre se relever qu'un

comme

juif lui

la

l'archevêque de Paris, attend pour

en fournisse

le

moyen, quand nous

avons une belle et noble armée qui vient de verser son sang

pour

rendre

lui

la liberté, et

qui offre de

au prix de nouveaux sacrifices que

y a de ferait

la

la

la

France s'imposera.

des Romains une ingratitude

part

maintenir

telle,

n'en tomberont pas moins,

et

exemple donné au monde, au moment où

les

ils

se régénérer, ont tant besoin de patriotisme

Malgré

je trouve

qu'on

les

ce

serait

du 7

et

de vertu.

menaces de destruction de mon œuvre que

dans quelques journaux, je n'en

juillet,

un

peuples, pour

ferai

pas moins

nelle de la distribution des récompenses, après l'exposition de 1863.

niteur

Il

bien de les abandonner à leur propre corruption; tôt

ou tard

«

lui

)

(/î/o-


JOSEPH, CARLE

304

mon

tableau. Jamais l'armée n'a été plus digne d'être repré-

sentée que dans cette dernière circonstance, où, ayant à

venger d'une abominable trahison,

se

dangers,

s'imposer les

que d'entrer de vive force

en quelques heures, pour

et

éviter les représailles légitimes

prise d'assaut; et, après

ville

succédé à

a consenti à

elle

d'un long siège, plutôt

les fatigues

qui s'exercent dans une la

quel calme a

victoire,

de son intrépide valeur! Nos soldats,

l'élan

plupart venant d'Afrique

où certainement

,

la

n'ont pas

ils

reçu une éducation toute philanthropique, ont un respect religieux pour

aux

et,

arts;

le

moindre objet qui touche au

malgré

le

mauvais vouloir de

culte ou

population

la

qui leur reproche d'être venus pour l'asservir de nouveau

au régime clérical, rien ne

les fait sortir

pourrait prendre pour du mépris,

trouver a

le

caractère de

s'il

de ce calme qu'on ne valait mieux y

la force.

Le premier tableau dont je m'occuperai sera

du bastion n° verra

le

Rien n'est plus beau que

#.

dôme de

le

grands pas,

Prise

fond où Ton

Saint-Pierre, dont l'illumination s'éteignant

en partie semblera prophétiser la ruine vers laquelle à

la

sur

et,

le

il

marche

devant, je mettrai tout ce qu'une

mêlée de combattants acharnés, joint au sang-froid des vailleurs

Cette

du

fois,

tra-

génie, peut donner d'épisodes intéressants...

»

Horace Vernet ne se mit pas à l'œuvre avec

cet entrain qui l'avait toujours distingué dans l'exécution

de ses précédents travaux. La politique quotidienne, ses fonctions de colonel, etc., la

préoccupaient

et lui

prenaient

meilleure partie de son temps. Pendant les journées de

décembre 1851, ne

le

il

fut obligé

fût pas lacérée, et

il

Ton mit à sa disposition

la

de cacher sa fit

toile

pour

qu'elle

transporter à Versailles, où

la salle

du Jeu de Paume, qui

avait déjà servi d'atelier à diverses reprises.

Il

lui

n'avançait


ET HORACE VERNET.

305

9

donc que très-lentement C'est sans doute

de pinceau si

on

le

moins

à

vieillesse qu'à ces hésitations

la

qu'il faut attribuer l'infériorité

compare

de sa tâche.

clans l'accomplissement

de cet ouvrage,

ceux qui l'avaient précédé.

à tous

La couleur de ce tableau lui, car la composition en

est ce

qui choque

mais

est habile,

elle

le

plus en

se trouve

noyée dans une tonalité bleuâtre, désagréable à voir. Vers

époque, M. X***, chargé de peindre un plafond aux

cette

Tuileries, était accusé par le ministre de n'avoir pas fait

son

ciel assez

bleu

«

:

Excellence, répondit-il,

de bleu; M. Horace Vernet

a

,

Le Siège de

exposé au salon de ISo^, n'obtint qu'un demi-suc-

Horace Vernet ne se

cès.

n'y a plus

employé pour son bas-

tout

tion n° 8.)) Cette critique plaisante était juste.

Rome

il

relatif, ainsi

que

le

laissa point abattre par cet

prouve cette belle

échec

lettre qu'il écrivait à

son gendre, pris, de son côté, d'une de ces défaillances fréquentes dans

la vie

«

«

Ce que vous

me

si

des artistes.

dites de votre

15 avril 1852.

découragement,

mon

cher Delaroche, est trop en rapport avec ce que j'éprouve

moi-même, pour que ce ne

soit

laquelle je réponde. L'exemple et

de Gérard n'a rien à

les a

faire

épuisés; nous n'en

première chose à

la

que vous

avec nous

sommes pas

crois pas. La peinture est

en main sans jamais

pas

:

là,

me

citez

de Gros

l'envie, la jalousie

du moins

je ne le

une maîtresse qui passe de main

vieillir;

avec un peu de jugement, on

doit s'en éloigner avant qu'elle ne vous joue de mauvais

tours; s'agit

mon

du

reste, c'est le secret de la vie tout entière.

donc que d'en

faire l'application

Il

ne

en son temps. Pour

compte, je viens de subir une rude épreuve contre

laquelle je

me

roidissais depuis bien

longtemps;

elle

m'a


JOSEPH, CARLE

306

confirmé dans

la

pensée que rien n'est plus

que son éloignement de

monde

la

même

pensée dominante; son sommeil

cesse;

ne

compte,

il

finit

par ne plus savoir où

de comparaison d'une part,

il

de

et

en

sa

lui

procure plus

le

domine sans au bout du

l'use et l'énervé à force d'y songer, et,

il

artiste

aucun repos à

moindre délassement; une seule idée

le

un

multitude et du froissement du

l'isolement ne laisse prendre

:

fatal à

est, faute d'objets

l'autre parce

qu'il

ne

rencontre plus sur sa route cet imprévu qui donne à chacun

de nous «

la

connaissance de sa force.

mon

Je suis convaincu,

dans lequel je suis tombé

cher ami, que l'affaiblissement

est

été possible de soutenir plus

prématuré,

serve

mon

d'avis,

si

rang que mes

triste

exemple vous

cher Delaroche! vous avez bien des

années de moins que moi, vous êtes dans les

succès vous abondent

n'est pas

m'aurait

le

longtemps

travaux m'avaient assigné. Qu'un

et qu'il

;

V'air

force de l'âge;

la

qui nourrit l'imaginalion

dans un fromage, au fond d'une cave,

c'est à ciel

hommes, qu'on

Vous avez

ouvert, et parmi les

le

respire.

des enfants qui vous rattachent au monde, puisque vous

avez à y guider leurs premiers pas; comme père, vous ne pouvez renoncer à remplir ce devoir. C'est donc avec un

profond regret que

j'ai

vu encore

de vos ouvrages. Mais, voir autre part.

chand? Là,

le

me

cette

année

direz-vous,

doit-il aller les

le

Salon veuf

le

public peut les

chercher? Chez un mar-

charlatanisme du négociant vous est imputé

par ceux qui se nourrissent du grain que vous avez semé ils

ne manquent pas de répandre

croiser le fer vous retient, tandis

le

bruit que

;

crainte de

que des étrangers viennent

se pavaner à notre exposition, sur la route

avez tracée.

la

Mon ami, venez donc

les

que vous leur

écraser d'un seul

coup. Aujourd'hui, l'école est une armée qui

manque de


ET HORACE VERNE T. Une main comme

chef...

socialisme du haillon

risme un «

vôtre peut seule arracher au

la

ou à

débat contre ses ennemis mortels...

art qui se

tableau, qui remplit

doute

considérant,

lui-même pas mal de ces conditions, qui attire

celui

fâcheuse. Je sens que bientôt flétri

par

la vieillesse,

plombé du Salon, mon

et

n'éborgne pas,

il

plus les regards; en

le

et

on

ou d'ennui

je vais les faire.

vieille

dique plus ce que je voudrais

Horace Vernet devait être

comme

il

avait été celui

peu

mença

importait

lui

le

mais

le

:

autrement

cadran n'in-

comprendre.

»

peintre du nouvel

Empire

du premier. Ses pinceaux n'avaient

le

équestre du Président de

la

nom du

France se battit quelque général en chef.

République

la

un

et par

un

Il

com-

portrait

portrait

Vaillant.

L'expédition de Kabylie militaires.

rien

nouvelle série de tableaux par

cette

du maréchal

La montre marche tou-

là,

faire

pas d'opinion, et, pourvu que part,

avant que,

finir,

marquent plus encore

triture est

quitte sans émotion

la boutique. J'ai promis encore

quelques tableaux,

ma

le

et par anticipation, la triste

fernwr

jours, mais les aiguilles ne

le

faudra en

il

solitude ne vienne

dit,

pompadou-

mignardise du

la

Grâce à l'aspect boueux

est sans

307

Ce

fut

fournit ses premiers sujets

lui

encore pour

prétexte d'un voyage

lui le

en Afrique, et nous donnerons, pour terminer dignement sa

correspondance,

quelques fragments des

lettres

qu'il

écrivit alors.

«

« ...

Il

venu

20 mai 1853.

Un jeune carme

à

moi en

le

ba-

s'y trouvait;

mon attention, lorsque tout à coup me disant « Ne me reconnaissez-vous

son air inspiré attirait est

,

m'est arrivé une singulière rencontre sur

teau de Valence à Avignon.

il

Cette

:


JOSEPH,

308

«

pas? Je suis Je suis

« juif.

allé

élève de Listz,

«

embrasser.

»

comme deux gagée

une tion

de

!

Et nous voilà dans les bras l'un de l'autre

tourné à

religion.

la

m'adressait

pensées

que

le

bien vite en-

s'est

Jamais je

a

il

monde Le

les plus chrétiennes...

je crois vrai, c'est

en toutes choses disposent

parlé de l'influence

F écoutait, et pendant

frère

Hermann

que l'harmonie

le

cœur

à

«

Le beau temps

montagnes

si

décrire sans

grandiose

et

belles et

rester

est

si

et la

aimer

que de nobles pensées en portant l'âme vers

« ....

entendu

n'ai

noble inspira-

si

d'exhorter son auditoire à former

n'a cessé

il

parole,

la

sur les arts; tout

cinq heures

ceci,

il

jeune Cahen,

le

ami de Thalberg. Permettez-moi de vous

éloquence accompagnée d'une

Comme

la foi

les

Hermann, ci-devant

pauvres. La conversation

et elle a

telle

bien des fois chez vous, lorsque j'étais

le frère

«

C A RLE

Kabylie

,

et n'inspirent le ciel... »

12 juin 1853.

revenu; nous parcourons des

variées qu'il est impossible de les

au-dessous de

la

C'est d'un

réalité.

d'une sévérité qui dépassent tout ce que

vu dans mes voyages. Ces vastes solitudes inspirent pect.

Le peu de gourbis qu'on rencontre sont

témoins qui attestent

menses le

disait

mélodie

le

passage de l'homme dans

forêts; des oiseaux, des

res-

le

les

j'ai

seuls

ces-

im-

rossignols, etc., chantent

jour, et les bêtes féroces rugissent la nuit; ces délicieux

concerts, remplacés par des hurlements qui font frémir les

échos, partagent l'âme en

quatre heures, l'esprit

comme

le

deux sections toutes jour et

la

nuit.

Il

le

la

uature;

jour dure,

ce ne sont que maehines de guerre qui gravissent les

tagnes pour les redescendre

comme

vingt-

appartient à

de l'homme d'intervertir cet ordre de

car en vérité que faisons-nous ici? Tant que

les

mon-

des ruisseaux de feu


ET HORACE VERNET. brillant

au

soleil

;

309

chacun retrouve

et la nuit,

cœur

clans son

souvenir de ses affections et l'espérance dans l'avenir.

le

Voici donc ce que nous faisons

nous pour se retirer chez

ici

Kabyles fuient devant

les

:

Beni-Affer;

les

là,

il

y aura sans

doute ce qu'ils appellent une journée de poudre, pour

l'ac-

quit de leur conscience; mais ce ne sera pas grand'chose

vivres,

Nous regorgeons de

faites d'avance.

soumissions sont

les

magnifique de santé

et l'armée est

;

et d'entrain... »

Voici une lettre curieuse, parce qu'on y trouve la pre-

mière pensée, et, en quelque sorte,

commentaire d'un

le

des derniers tableaux exposés par Horace Vernet,

la

Messe

en Kabylie. «

«...

Juki 1853.

La pluie tombe avec fureur; nous sommes dans

jusqu'au ventre; nos tentes ne sont plus un abri brûle pas; heureusement,

il

ne

pas de malades, et tout est gai

fait

pas froid

comme

si

,

;

le

l'eau

bois ne

nous n'avons

le soleil

brillait.

Dans notre dernière marche, douze mulets ont roulé à plus de

trois cents

les imiter.

mètres; un seul

a jugé à propos de

Les soldats du génie sont admirables d'énergie;

travaillent à réparer les routes

ils

lent de toutes parts;

supporter de

Trappe a

dit la

il

:

en corniche qui s'écrou-

faut être plus

fatigues.

telles

très- beau spectacle la

homme

que des hommes pour

Dimanche, nous avons eu un

après l'investiture des caïds,

messe en plein

air sur

un

bours, surmonté d'une croix de bois rustique,

qué

à

l'

R. P. de

autel de le

tam-

tout fabri-

improviste parles soldais et orné d'une multitude de

fleurs plus belles et plus variées les

l'élévation, le vent cette scène, ce qui tée sur des nuages. sie

le

rabattait la lui

unes que

A

fumée de canon sur toute

donnait par instants

On ne

les autres.

l'air d'être

peut se faire une idée de

de cette réunion de choses hétérogènes, dans

por-

la

poé-

le

plus


JOSEPH, CARLE

310

beau pays de montagnes qu'on puisse imaginer, avec

mer pour

L'année suivante, Horace Vernet partait pour l'Orient. passa les mois de juin, de juillet et d'août

avec notre armée; mais

1

11

854, à Yarna,

n'avait plus cet entrain qui jadis

il

supporter gaiement les fatigues de

lui faisait

la

horizon... »

la

vie militaire.

Les lenteurs forcées du siège de Sébastopol usèrent bientôt sa patience, et

il

revint en France.

Voici ce qu'il écrivait le lendemain de la bataille d'Inker-

mann

:

Ces pauvres Anglais se sdnt-ils

«

africain)! cela* siste

il

Il

fait

esquinter (terme

nous faut toujours venir à leur secours; sans

n'en resterait peut-être pas un. La guerre ne con-

pas à se faire tuer courageusement; l'intelligence doit

dominer pour gagner des

batailles.

ne se connaissent pas,

les soldats

Lorsque

les

uns

les officiers et

et les autres

vent faire leur devoir individuellement, niais

peu-

les résultats

sont des pertes énormes sans autre succès que de rester sur la place.

Dans l'armée

française, les officiers sont l'esprit

des soldats qu'ils commandent, avec lesquels cesse, avec lesquels les

mêmes

ils

souffrances...

partagent

les

ils

mêmes

vivent sans

privations et

»

L'Exposition universelle de 1855 fut pour Horace Yernet le

couronnement de sa vie

d'artiste.

tous ses meilleurs tableaux et obtint

son nom. le

11

fut

même désigné

premier d'entre eux,

mière récompense,

mieux

comme

l'école française

entra en lice avec

un succès digne de

d'abord par ses rivaux

on voulait

et

Il

lui

décerner

comme la

pre-

au peintre qui représentait

dans cette grande

et

le

noble lutte des

nations entre elles. Mais on pensa avec raison qu'il y avait

dans et

on

l'art finit

contemporain des notoriétés égales à par mettre sur

la

même

la

ligne, tous les

sienne,

hommes,


ET HORACE VERNET. qui,

des

à

311

divers, avaient pris rang de maîtres.

titres

Vernet écrivait alors à propos d'un de ses collègues ces

quelques phrases, où l'on retrouve

de son esprit «

tournure habituelle

la

:

X*** vient d'avoir un coup de sang, tant

rir,

il

a

manqué mou-

Que

est inquiet de son exposition.

il

ces pauvres

gens sont à plaindre avec leur orgueil! Que gagnent-ils à leur charlatanisme? petites bêtes je

se faire mettre des sinapismes et des

ne sais où. Pour moi, je ne suis pas

puis m'asseoir sans douleur à

lin, et je

la

ma-

si

place qui m'a été

»

faite...

On

De

aurait tort de prendre au pied de

blants de modestie.

Gomme

la lettre

ces sem-

tous les grands artistes, Horace

Vernet se préoccupait beaucoup des impressions du public à son égard. Cependant, sur la fin arrivé à

il

en

était

une certaine philosophie chrétienne qui

lui

per-

de sa

vie,

mettait de voir et de juger les choses de plus haut. Il

revenu de

était

Nous n'avons pas

loin.

discuter ses opinions religieuses ;

comme

sa tombe.

de

citer

laquelle sujet

:

«

la

un creux.

nade d'incrédulité qui qu'il était

en

soit,

même

désavouée

par

rester

murée

y a bien longtemps, de ce grave

il

Que voulez- vous? j'ai

doit

nos

que rapporte une personne avec

lui

s'entretenait,

bosse, moi,

homme

de

l'intention

ce ne sont point

Mais nous ne saurions résister au désir

un mot de il

d'un

conscience

affaires

;

la

le

disait-il,

» C'était

les autres ont

une

peut-être une fanfaron-^

poussait à parler de la sorte. Quoi

suite,

le

creux avait été rempli, et

il

poussé à sa place une bosse que n'eussent pas les chrétiens les plus fervents.

Ayant perdu

sa première

Venue à se consoler de

la

femme, qui

n'était

jamais par-

mort de leur charmante

avait épousé ën secondes noces

fille,

il

une veuve jeune encore,


JOSEPH,

312

C A RLE

madame de

Boisricheux, qui

vouement

une abnégation sans bornes pendant

et

soigné avec un entier dé-

l'a

sa dernière

maladie. L'âge, et partant l'expérience, qui en est le triste fruit,

avaient donné à son esprit une teinte plus sombre. Dans

que

ses dernières lettres, on trouve souvent la preuve

pensées suivaient

la

pente des années.

ses

se plaisait à phi-

Jl

losopher doucement, d'une façon plutôt résignée que douloureuse. «

A

deux, écrivait- il, on est plus

plus heureux dans «

joie!

la

Un ivrogne

boit tout seul est indigne de vivre.

de

dit-on. Je suis

«

disait

et

«Celui qui

:

La vérité dans

»

le vin,

mort

la

»

Les tiraillements entre amis ne laissent que des lam-

beaux qui ne profitent qu'aux chiffonniers... «

mal

le

de l'ivrogne. L'égoïsme est

l'avis

du cœur...

civile

fort contre

II

est bien vrai

qu'on aime plutôt

pour eux. Voilà ce que à sentiments qui

sans songer que

c'est

gens pour

que

soi

que de nous! Pauvre machine

marche devant le

les

»

elle

comme une

convoi de toutes

les

locomotive,

misères de

la vie

est accroché derrière elle, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien

pour

la faire

mouvoir!

Il

faut

donc

se dire

que

n'est autre chose

que

pour ce qui nous

est plus cher encore, jusqu'à ce

vienne arrêter

âme 11

les

bien

faire le

de ce qui nous est cher

le sacrifice

mouvements de notre cœur

que

et

la

mort

que notre

s'élève vers son Créateur... »

ne faudrait pas croire cependant qu'il eût tout à

perdu ce vieux fonds de gaieté qui tinctifs

était l'un

de son caractère. Non, mais

ses élans,

et

cherchait,

éviter tout ce qui aurait vieille tète

comme pu

il

il

traits dis-

se reprochait parfois

le disait

paraître «

des

fait

plaisamment, à

trop jeune dans

illuminée par quatorze lustres.

»

une


HORACE

ET Il

priété

charmante

Là,

travaillait

il

dès qu'il n'était pas malade.

de mars 1858,

ma

ma

Toute racornie

sac

lui fais sa toilette

M. Yvon

écrivait à

il

mon

palette.

aux environs d'Hyères.

qu'il avait achetée

porté dans

vieille

Deux ans de ses

après,

petits-fils,

me

M

il

dit,

disait

dans une

lettre

Philippe Delaroche

:

m'amuse comme un

roi.

sou-

le soir, je vais

moindre de ses

la

comme

matin,

le

«

me

faveurs... »

adressée à l'un

Depuis quelques

suis remis à peindre. Je fais des

nature, ce qui

ap-

« J'ai

et toute déjetée qu'elle soit, je

de temps en temps,

coucher sans avoir obtenu

:

autrement

maîtresse,

venir du passé; mais malheureusement,

jours, je

313

une grande partie de l'année à Bonnettes, pro-

passait

Au mois

VER.NET.

En

bœufs d'après raison

de mes

yeux, je ne serai peut-être pas plus heureux que Louis XIV,

quand

il

faisait

comme un

des vers; n'importe! je jouis

enfant, lorsque je patauge dans

Ses derniers ouvrages furent

Zouave trappiste,

de :

les Portraits

couleur...

la

la

»

Bataille de l'Aima, le

des maréchaux Pélissier,

Ganrobert, etc. C'est ainsi qu'il arriva lentement, par des alternatives de

repos forcé et de joyeux travail, au terme de sa glorieuse carrière.

Il

s'éteignit le

M janvier 1863,

après une terrible

agonie, que surent du moins adoucir les tendres soins de ses petits-fils et la «

de tout son entourage.

vie qu'une seule chose,

Mourir dans

bien

la

mon

lit

la

comme un

peine d'avoir tant aimé

ne regrettait de

Il

manière dont

la

épicier,

marine

il

la

quittait

:

disait-il, c'est

et l'armée! »

Ses dernières volontés étonnèrent tous ceux qui l'avaient

connu. Peu de jours avant sa mort,

qu'on ne il

lui rendit

il

aucun des honneurs funèbres auxquels

avait droit. Lui qui s'était toujours

passionné de

la

exigea de sa famille

montré un amant

gloire et de ses hochets,

il

si

avait fini par se 18

,


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

314

sentir las de toutes les distinctions

accorder 1

aux

vie,

avait vu

En

.

outre,

funérailles

que ces

que

avait assisté,

il

les

hommes peuvent

dans

le

de bien des personnages

tristes

cours de sa

illustres, et

cérémonies dégénèrent

le

plus sou-

vent en une espèce de fête publique, où l'ostentation et curiosité convient la plupart des assistants.

il

la

Pour épargner

à ses cendres les larmes hypocrites et les discours apprêtés, il

ordonna qu'aucun signe extérieur ne pût révéler son

nom aux rait

passants qui croiseraient son convoi. Mais

su empêcher

la

il

n'au-

manifestation spontanée qui a eu lieu

:

ses amis et ses admirateurs ont formé autour de son cercueil

un immense cortège,

jusqu'au

champ du

justement

repos

1.

Il était

membre de

tions connues. officier

une

de la

lettre

ils

la

trente

ont tenu à accompagner

dernier représentant d'un

illustre, l'artiste le plus

peintre national de

le

le

et

populaire du xix

e

nom

siècle*

France, académies,

et

il

avait toutes les décora-

Pendant sa dernière maladie, il reçut la croix de grandLégion d'hdnneUr, que l'Empereur lui avait envoyée avec

autographe.


APPENDICE

ESSAI DE CRITIQUE SUK

L

OEUVRE

DES TROIS VERNE T.

Le lecteur a peut-être remarqué avec quel soin récit

long

le

qui précède avait été dégagé de toute dissertation cri-

Pour ne point entraver

tique.

la

marche des événements,

nous avons mieux aimé consacrer un chapitre spécial cette Si,

à

partie de notre sujet.

d'un coup

cl'

œil,

on embrasse l'œuvre des

trois Vernet,

on y distingue tout d'abord certaines qualités qui, sont de famille pour ainsi dire une extrême souplesse de pinceau, :

une fécondité prodigieuse, une touche très-fine,

une entente peu commune des accessoires

grande science du l'amour de les

trois

très-spirituelle

la

détail. Dirigés

par

les

mêmes

vérité et la haine de la routine,

atteint le

même

but

:

la

reproduction

et

et

une

principes,

ils

ont tous

fidèle

de

la

nature.

La parenté qui aussi entre

leurs

les

relie les

talents;

uns aux autres existe donc-

néanmoins, chacun d'eux

a su


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

316

conserver, sous cette apparente uniformité, son caractère individuel, et C'est ce

il

est indispensable de les étudier séparément.

que nous allons essayer de

De son

faire.

vivant, Joseph Yernet a eu

la

rare fortune de ne

trouver que des admirateurs. Les critiques du xvnr° siècle lui

rendirent

pleine justice;

d'une appréciation saine

parfois,

mesure

la

Diderot met-

et impartiale. Ainsi,

paysages de Yernet au-dessus des chefs-d'œuvre

du Lorrain, sans lait à

même

jusqu'à outre-passer à son profit

avouons-le,

tait les

allèrent

ils

se douter

qu'un pareil jugement équiva-

un véritable blasphème.

Les littérateurs aiment surtout quoi qu'on fasse, on reste orfèvre

la :

peinture littéraire;

c'est ce

qui, joint à la

valeur incontestable des œuvres de Joseph Vernef, explique

Les critiques y trouvaient des

exceptionnel.

leur succès

De

qualités d'esprit bien dignes de les charmer. sujets choisis

par

l'artiste leur

thèmes sur lesquels les

ils

Salons de Diderot

les

fournissaient d'excellents

pouvaient disserter à

Lisez

loisir.

modèles du

qui sont restés les

*,

plus,

genre, vous verrez qu'à chaque exposition nouvelle l'écrivain réserve ses éloges les plus chaleureux et ses meilleures

pages pour

les

Tempêtes de son ami.

Il fait

lui-même des

tableaux d'après les tableaux qu'il a sous les yeux, et le

sinistre réel

s'apitoie sur le sort des naufragés;

;

il

il

nouille à côté des vivantes épaves

que

la

mer

il

tendrit de phrase en phrase,

pleure de vraies larmes, sentation

I.

comme

à la fin s'il

s'age-

rejette sur le

rivage, son imagination s'allume, sa pitié s'exalte; et,

il

choisies de Diderot,

t.

s'at-

de sa période,

assistait à

il

une repré-

du Père de famille ou du Fils naturel.

OEnvrcs

ks

croit être témoin d'un

pousse au noir

plus possible;

il

II, p. 135 et suiy. Paris, ]847.


APPENDICE. De

tous les objets d'art qui ornent sa chambre, celui au-

quel Diderot tient lui a

donnée.

Dieu

«

11

Tempête que son ami

plus, c'est la

de ce chef-d'œuvre

t'abandonne tout (ce que

je

!

le

faut l'entendre parler

prends tout; oui,

tout,

Vernet! Ce n'est pas

le

317

excepté

j'ai

qui

re-

Res-

l'as fait.

Vois ce phare

tien.

ie

;

Yernet. Ah! laisse-moi

le

l'artiste, c'est toi

pecte l'ouvrage de l'amitié et

chez moi)

:

;

vois

cette tour adjacente qui s'élève à droite; vois ce vieil arbre

que

vents ont déchiré.

les

cette terrasse inégale, qui

mer

la

:

c'est l'image

Que

masse

cette

descend du pied des rochers vers

des dégradations que tu as permis au

monde

choses du

temps d'exercer sur

les

Ton

autrement éclairée

soleil l'aurait-il

cet

tis

ouvrage de

Prends en

pitié les

l'art,

celui-là,

Vois

la

plus solides.

les

Dieu!

?

si

tu anéan-

on dira que tu es un Dieu jaloux.

malheureux épars sur

prière de celui-ci

la

est belle!... Vois

qui

te

cette rive...

Aide

remercie.

les

Écoute

efforts

de

qui rassemble les tristes restes de sa fortune... terreur que tu as inspirée à cette

rend grâce du mal que tu ne

as pas

lui

femme.

fait.

Elle te

Cependant,

son enfant, trop jeune pour savoir à quel péril tu l'avais exposé,

lui,

son père et sa mère, s'occupe du fidèle com-

pagnon de son voyage Dieu! reconnais

les

:

sombres nuages que

les

plu de dissiper! Déjà la

rattache

ils

tu

le collier

tu

le

cet horizon la

mer

de son chien...

as créées!... Reconnais

avais assemblés, et qu'il

se séparent,

lueur de l'astre du jour renaît sur

présage

à

il

eaux que

ils

t'a

s'éloignent; déjà

face des eaux; je

la

calme, à cet horizon rôugeâtre. Qu'il est loin, !

il

ne confine pas avec

sa tranquillité.

Permets

le ciel

:

achève de rendre

à ces matelots

de remettre

à flot leur navire échoué; seconde leur travail; donne-leur

des forces, et laisse-moi la

mon

tableau

!

Laisse-le-moi

comme

verge dont tu châtieras l'homme vain. Déjà, ce n'est plus 18.


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

318

moi qu'on

qu'on vient entendre;

visite,

Vernet qu'on

admirer chez moi. Le peintre a humilié

vient

sophe

philo-

le

»

Grimm, Bachaumont, donnée par

sion

c'est

tout entier

le

d'autres encore suivirent l'impul-

chef des encyclopédistes, et

public

le

marcha derrière eux.

Aujourd'hui,

la

postérité a établi le niveau de son juge-

ment. Sans avoir laissé notre artiste au rang suprême que lui avait

assigné l'enthousiasme de ses contemporains, elle

ne la cependant pas trop abaissé.

En somme, Joseph Vernet de

la

est le meilleur

peinture de marine dans l'école

,

ses Clairs de lune, ses

pandus aujourd'hui

sut

Il

Cou-

distingué, tout en restant vrai. Ses

être original et

chers de soleil

représentant

française.

Naufrages, ré-

profusion dans les différents musées

à

de l'Europe, sont empreints d'une poésie douce

péné-

et

trante.

dessinait bien,

Il

composait mieux encore,

pas un coloriste dans toute leur n'a

la

force

du moins rien de choquant;

harmonieuse, très- fondue

et

s'il

n'est

sa

cou-

même

très-

et,

du terme, elle est

manque seulement un peu

d'éclat.

Lorsque dans

le

veut trouver des rivaux à Joseph Vernet

l'on

genre où

il

est passé maître,

il

aux écoles étrangères.

que Van den Velde

Bakhuysen; mais

et

faut les

demander

n'est peut-être pas aussi correct

Il

il

a embrassé un

horizon plus vaste que celui des peintres hollandais ou

mands, Il

et ses tableaux laissent plus à

penser que

fla-

les leurs.

n'a pas la fantaisie merveilleuse de Turner, mais son ta-

lent est plus clair, plus gai, plus net, et,

1.

Regrets sur

ma

vieille

robe de chambre,

de

Œuvres

même que

choisies,

t, I

,

l'un

p. 247.


APPENDICE. du génie britannique,

est l'expression fidèle

l'autre

répond

à merveille aux divers besoins du génie français.

Joseph savait, du

reste, à

quoi s'en tenir sur son propre

mérite.

Diderot, qui a destie, cite ce

demandez

-

naïveté ou

la

jugement

vous

malice de louer sa mo-

qu'il portait sur

je fais

si

la

ciels

les

vous répondrai que non;

les

figures

vous répondrai que non;

les

arbres

lui-même

:

«

Me

comme tel maître? Je comme tel autre? je et le paysage comme

même réponse; les eaux, les comme celui-là? même réponse

celui-ci?

brouillards, les va-

peurs

encore

chacun d'eux dans une les autres.

» Tl

on

avait,

partie, je les le voit,

:

inférieur à

surpasse dans toutes

conscience de sa valeur, et

possédait cette dose d'orgueil qui est peut-être indispen-

aux

sable faisait

artistes

pour se soutenir dans

lui-même, avec tant de bonhomie,

la lutte.

les

Mais

il

honneurs de

son péché mignon, qu'il faudrait être bien rigide pour ne absoudre. Écoutez-le plutôt répondre aux com-

l'en point

pliments d'un de ses correspondants qui

argent de tout,

fait

tout ce

dit-il, fait

que vous venez de

me

:

«

Mon amour-propre,

aussi ses choux gras de

dire de flatteur. C'est

donc

pour égayer votre cabinet que vous avez placé mon tableau parmi il

les

Paul Potter,

les

Ruysdael, les Van den Yelde, où

doit jouer le rôle de paillasse... Sans

mon amour-propre, me

qui tourne tout en bien, j'aurois pris tout ce que vous dites

À

pour un persiflage tout prendre,

il

»

s'admirait dans de certaines limites

qu'à sa place beaucoup de ses confrères eussent dépassées «

Je pense, avouait-il

croire,

1.

que

je suis le

Lettre publiée par

friches,

un

jour, et

premier dans

le

public

mon

me

genre,

:

force de le

que nul ne

M, Dumesnil dans son Étude sur Thomas Des^


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

320

fait

mieux que moi, mais

On

est

K

persuadé

je sois

»

encore plus surpris du grand nombre de tableaux

remarquables conditions

qn'il a produits, travaillait.

il

quand on

qui

lui

les difficultés qu'il a

a fia ire à

dans quelles

sait

faut lire le registre sur lequel

Il

commandes

inscrivait les

comprendre

ment

que

s'en faut

il

qu'on ne puisse mieux faire

2

étaient faites

surmontées.

pour bien

,

Il

avait rare-

des amateurs assez intelligents pour

maître du sujet

devait traiter.

qu'il

On

le laisser

dans

entrait

il

les plus

minutieux détails; on convenait d'avance des proportions. L'un voulait

«

une

te

m prie

avec une grande montagne dans

fond, obscurcie par l'ombre d'un nuage;

le

plus explicite encore;

il

un autre

»

était

demandait «un tableau de 3 pieds

7 pouces et demi de large sur % pieds 6 pouces de haut,

devant représenter un

chauds de

couchant dans un jour des plus

soleil

avec un quai orné de superbes édifices, de

l'été,

toute sorte de bâtiments maritimes, et beaucoup de figures;

de l'autre côté, de grands arbres touffus sur un terrain

et,

qui avance dans

mer où sont abordés quelques bateaux,

la

des baigneuses sous

et

Celui-ci désirait

«

la

fraîcheur desdits arbres, etc..

un couchant avec des

singuliers, et l'arc-en-ciel dans le fond;

tempête dans un le fond,

il

y

lieu

le

:

une

«

devant qui ont fait naufrage,

une ou deux femmes qu'on

vieillard qui

celui-là

sauvage avec quelque bout de ruine dans

des figures sur ait

de lumière

effets »

»

rend grâce au

ciel d'être

autres choses convenables au sujet.

»

retire

de

l'eau,

un

sauvé, un chien et

Un Anglais

exige

«

un

pays agreste avec rocher, hautes montagnes, torrents, cascades, troncs d'arbres,

du mouvement dans les

Voyez un

article nécrologique publié le 6

zette nationale

ou Moniteur universel, n° 106.

1.

%.

Ce

figures, etc. ..»

décembre

registre fait partie des manuscrits publiés par

1789, dans la

M. Lagrange,

Ga-


A

Nous n'en

finirions pas,

commandations

PPENDICE.

si

321

nous voulions dont

ridicules

citer toutes les re-

amateurs accablent

les

le

pauvre peintre, qui paye bien cher leurs faveurs.

Une

autre plaie de

à

l'art

époque

cette

,

manie

c'est la

des pendants. Vernet fut l'une des victimes de cette préoccupation bourgeoise qui

meuble plus ou moins le

joli et

calme

et

si

lui

une tempête, un soir

bon

celui-ci était

commandait pas deux ou

livrer

fallait

11

un clair de lune, un lever pis

d'un tableau un

commandait une ou deux

lui

de paysages assortis.

faire

plus ou moins facile a placer

On ne

long d'une muraille.

quatre paysages, on

consiste à

et

en

môme

un matin, un midi

et

un coucher de

et

paires

temps un

Tant

soleil.

mauvais;

celui-là

et

séparés,

ils

n'avaient plus aucun prix pour ces féroces amateurs de vulgaires antithèses.

On

est saisi

fonde à l'endroit de fois

il

a

dû peindre

d'un sentiment de pitié prolorsqu'on voit combien de

l'artiste,

les

quatre parties du jour.

Et cependant Joseph Vernet détestait

du moment.

rapportait volontiers à l'inspiration

donc tout avantage à

lui laisser carte

demandait un tableau.

Si

l'on

les entraves; Il

s'en

il

y avait

blanche, lorsqu'on lui

veut savoir quelle était au

juste sa manière de procéder, on n'a qu'à lire cette lettre écrite par lui à

M.

un amateur de

G

ses

amis

IRARDOT DE MARIGNY. «

«

mes

...

Paris, ce 6

Je ne suis pas habitué à faire

tableaux, et je n'en

composer sur

la toile

ai

jamais

du tableau que

;

d'ailleurs, l'espace

me

mai 1765.

des esquisses pour

Ma coutume

fait.

est

je dois faire et

peindre tout de suite pour profiter de imagination

:

fait

la

chaleur de

de

de le

mon

voir tout d'un coup


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

322

ce que je dois y faire et

me

mais je suis assuré que

composer en conséquence

fait

une

je faisois

si

;

petite esquisse,

non-seulement je n'y mettrois pas ce qui pourroit être dans le

mon

tableau, mais j'y jetterois tout

tableau en grand en deviendroit froid

une espèce de copie qui

alors

gêné

si

me

j'avois

cuter en grand,

ce seroit aussi faire

;

gêneroit. Je serois aussi

douteux que, lorsque

me

il

changements que

je

voudrois l'exé-

viendroit dans la tête d'y faire des

je n'oserois hasarder,

crainte qu'ils ne

fussent pas

du goût des personnes pour qui

tableau...

fout qu'on

me

laisse

lorsque je suis gêné par

la

que

ordinaire,

»

les entraves, et

aux jeunes gens qu'on envoyait

chait

mon

moindre chose

détestait autant la routine

je ferois le

L'expérience m'a

libre...

appris que je fais toujours plus mal qu'à

Il

sûr, le

donné une esquisse qu'on eût approuvée,

puisqu'il n'est pas

Il

coup

feu, et, à

à

Rome

il

repro-

d'apprendre

à faire de vieux tableaux en copiant les maîtres. II

vait

connaissait à merveille les ressources de son art,

au juste où s'arrête

Lorsqu'on

parlait

lui

le

impossible de rendre sur à s'incliner alors,

don de créer accordé

de cet éclat de la

toile, et

humblement devant

disait-il,

peut monter.

la

à l'artiste.

lumière

qu'il

est

qui force les peintres

leur divin

qu'il faut savoir

et sa-

modèle

:

«

C'est

descendre, puisqu'on ne

»

Joseph Vernet n'a jamais été mieux jugé que par un peintre très-médiocre, devenu,

un très-bon

comme

cela se voit parfois,

critique d'art: « L'ordonnance de ses ouvrages, 2 ,

a

une unité

1.

Cabinet de l'amateur

et

de l'antiquaire

2.

Observations sur quelques grands peintres

écrivait Taillasson

devant Académie de peinture. Livre excellent et trop peu

1

lu.

parfaite,

si

,

t.

qu'on ne pour-

II, 1843. ,

par Taillasson

,

de la

ci-

vol. in-8°. Paris, 1807, v. p. 122 et suiv.

On

conserve au Louvre

le

tableau peint


APPENDICE. en ôter

rait

moindre partie sans leur nuire;

la

que par

fait les figures,

et

manière dont

la

a

il

elles sont

bien

si

composées

par celle dont elles sont peintes elles contribuent tou-

jours beaucoup à saisi

général de ses tableaux...

l'effet

l'ensemble des tons que

du jour;

rentes heures

nombre de

faits

comme

noblesse des vaisseaux; leurs cordages,

a bien

nature présente aux diffé-

peut en

nommer beaucoup que

lui... Il a

bien rendu l'imposante ont donné tous

d'autres leur

si

lui seul leur

autre touche autant que

la

Il

admirable aussi dans un grand

est

il

détails, et l'on

personne n'a

la

323

a donné toute leur âme. Quel

en

lui,

les

peignant tourmentés par

fureur des vents et des flots? Leurs agrès, leurs mâts

brisés,

leurs voiles déchirées, leurs tristes débris ont l'in-

térêt le plus attachant...

Ce qui

fait

»

surtout aujourd'hui la réputation de Joseph Ver-

net, et ce qui constitue peut-être

sérieux pour

la postérité,

tant d'originalité

même

en

temps,

harmonieuses

il

a

titre

de gloire

le

plus

ce sont les Ports de France .11 est

surprenant que dans une *. Il

son

commande

officielle

ait

il

montré

a fait des portraits de villes exacts,

et,

composé de beaux tableaux aux lignes

et savantes.

a toujours choisi son point de

Il

Vue avec un goût très-sûr,

et,

lorsque

vait représenter ne lui plaisait qu'à

modèle

le

demi

,

il

l'a

qu'il

de-

relégué au

second plan, pour placer au premier des accessoires, des navires, des groupes de personnages traités avec

beaucoup

un véritable tour de

force que

d'esprit et

de

finesse. C'était

l'artiste avait à

accomplir, et

il

s'en est tiré à son plus

par Taillasson pour sa réception à FAcadémie levant à Phîlôctète ï.

Il

faut dire

les flèches

:

Ulysse

et

grand

Néoptolème en-

d'Hercule.

que jamais commande ne

fut plus intelligemment faite.

Les instructions que M. de Marigny avait données à Joseph Vernet avant son départ étaient précises sans être gênantes. les

On

cadres, mais on lui laissait le soin de les remplir.

fournissait à l'artiste


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

324

honneur sans que rien dans son œuvre tigue, la

gène ou

«A père

prodigue,

de donner une

fasse sentir la fa-

l'effort. fils

avare

»

!

— Carie Vernet s'est chargé

de plus raison au proverbe. Autant

fois

Joseph était laborieux, autant Carie se montra économe de son travail,

dant,

s'il

est

aussi,

lui

permis de parler

une très-grande

Téloignaient de son art, et

il

tableau de lui au Louvre;

puis très-longtemps. Son le livret

ainsi.

facilité;

Il

mais ses goûts

a peu produit.

Versailles

11

n'y a qu'un

encore n'est-il pas exposé de-

nom

ne figure que rarement sur

des principales galeries de l'Europe.

Musée de

avait cepen-

11

au

faut aller

pour retrouver quelques-uns de ses

ouvrages qui permettent d'apprécier l'ensemble de sa carrière. C'est ce lui

un nom

;

qui explique

comment

de

est surtout resté

il

beaucoup de personnes savent

un

qu'il fut

peintre distingué, sans connaître aucune de ses œuvres. a eu pourtant des qualités très-sérieuses et

une influence

incontestable sur les écoles nouvelles. Le premier pit

en visière avec

il

les traditions classiques, et sut

des sentiers où depuis lors d'autres ont

Il

romtracer

marché glorieuse-

ment.

La principale innovation de Carie Vernet consiste dans la

manière dont

il

traita les

tableaux de batailles, à une

époque où Gros composait ses magnifiques épopées.

Il

ne

voulut copier ni les mêlées fougueuses et corps à corps du

Bourguignon, d'Aniello Falcone ou de Salvalor Rosa, portraits

royaux de Van der Meulen qui servent de pre-

miers plans à d'immenses cartes stratégiques. la

ni ces

convention pour ne chercher que

commencé une réforme que son mieux encore. Grâce à

fils

Il

abandonna

la vérité, et

s'est

il

a bien

chargé de terminer

leurs doubles efforts, nous assistons

maintenant à des combats

réels,

où tous, chefs

et

soldats,


APPENDICE. jouent leurs rôles; nous voyons

guerre

la

,

telle qu'elle se fait

la

325

représentation exacte de

depuis

le

commencement du

siècle.

La manière dont Carie Vernet a compris

et interprété les

formes du cheval tranche très-nettement aussi sur celle de prédécesseurs

ses

II

a renoncé au noble

coursier (cette

expression prétentieuse peut seule donner une juste idée

de l'animal qui a servi de type à certains peintres),

ou flamands.

Il

consacra ses pinceaux à l'étude de

qu'en habile écuyer juré des pur sang.

et

il

a

gros chevaux des maîtres hollandais

laissé à l'écurie les

Il

il

préférait, et

poussa

il

se

même un peu

fit

la

race

le portraitiste

trop loin l'amour

eu raison de

de

ces bètes fines et élégantes; car

les

prendre pour modèles dans ses steeple ou dans ses

chasses à courre,

il

mieux

eût

s'il

a

d'en choisir d'autres

fait

pour ses batailles. Dans l'étude du cheval, surpassé par

mais

le

c'est déjà

plus illustre de ses élèves, par Géricault;

un mérite que d'ouvrir

à léguer à ses successeurs

nombre

la

vraie voie, quitte

soin de l'élargir.

le

Si Carie Vernet a produit

a laissé un

devait être

il

peu de tableaux

,

du moins

il

très- considérable de lithographies. Ce

genre de travail convenait mieux à sa nature paresseuse; il

utilisait ainsi

sans geine les qualités prime-sautières de

son esprit et improvisait en

se jouant

mantes, qui n'exigeaient pas de qu'eussent demandés D'ailleurs,

grisâtre de

il

la

n'était

les

rien

mille et

lui

un

la

des scènes charsuite et le

détails

moins que

de

la

soin

peinture.

coloriste, et la teinte

pierre ne choquait pas ses yeux.

Il

avait

donc

tout profit à se servir d'un procédé qui, en lui laissant ses qualités, lui enlevait le plus saillant 1.

L'œuvre lithographié de Carie Vernet

in-folio.

de ses défauts se

1 .

compose de neuf volumes

Cabinet des estampes. DC. 29-34. 19


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

326

A

partir

du moment où Horace Vernet eut obtenu

premiers succès, Carie ne produisit plus que

envoya seulement de Salon.

en

loin

loin

quelques tableaux au

même

avait le sentiment de son infériorité, et

11

se l'exagérait. C'est ce qui lui a fait dire, sur son

mort, ce mot touchant de tendresse paternelle et «

Je ressemble au grand dauphin

jamais

roi

!

fils

:

père de

:

roi,

juger d'après

fière

devise

«

:

Malgré

constamment heureuse.

serait injuste, disons plus,

homme

roi,

de

filiale

lancé au destin était inutile; jamais

ce défi

carrière d'artiste ne fut plus Il

de

lit

il

»

Horace Vernet avait pris cette tout! » Mais

ses

peu, et

fort

il

serait puéril

de vouloir

principes éternels du Beau l'œuvre d'un

les

profession de ne rien

com-

prendre aux spéculations plus ou moins profondes de

l'es-

qui, toute sa vie, a

thétique.

fait

Ce qu'Horace Vernet recherchait avant tout dans non pas

les arts, c'était la vérité,

la

de ce qui est laid et repoussant, choisis avec goût.

cipes

:

comme comme

«

Moi,

Il

reproduction brutale

mais l'image d'objets

a fait souvent sa déclaration de prin-

disait-il à

qui voulait l'entendre, je peins

comme je vois; que les voient et comme ils sentent.

je sens, ils

autres peignent »

La meilleure

leçon que, suivant lui, un artiste pût recevoir, devait lui être

donnée par

la

nature.

Il

conseillait à ses

élèves de

se mettre à la fenêtre et de regarder.

On comprend systèmes, qui

qu'avec cette négation de toute espèce de

finissait,

dans son genre,

il

il

est vrai, par constituer

un système

ne devait s'enrôler sous aucune ban-

nière et ne pouvait suivre les errements d'aucune école.

Aussi resta-t-il à peu près étranger à

la

grande

classiques et des romantiques, pour devenir

le

lutte

des

chef d'un

tiers-parti analogue. à celui qu'on a appelé en politique le


APPENDICE.

327

centre gauche. Plutôt porté par son tempérament vers les élans

nouveaux que disposé

passé, mais ayant en

pour imiter

prit

les

à rester le servile imitateur

même temps

du

trop de bon sens et d'es-

extravagances de ceux-ci ou pour co-

pier les vieux poncifs de ceux-là,

chercha à s'assimiler

il

ce qu'il y avait de meilleur dans les deux camps. Son antipathie pour les idées préconçues en matière d'art le rendit

très-heureux de voir son

gendre, Paul Delaroche, rallier

autour de

du juste milieu,

et

le

lui les partisans

décharger d'une responsabilité

assumée de son plein donnée. dire

qu'il

mais que

gré,

les éclectiques,

n'aurait jamais

sa position lui avait

redevint avec joie ce qu'il devait être, c'est-à-

Il

un simple

marchant en dehors des sentiers

volontaire,

battus et n'agissant qu'à sa guise.

comme

Horace Vernet, d'abord

fait

modèles

à

Dans

des pastiches,

plupart

la

en bon

et,

débutants,

des

fils,

il

a emprunté ses

son père.

on trouve déjà en germe ces

ses premiers tableaux

qualités d'esprit et d'arrangement qui furent au ses

dons

pour

les

les

plus précieux;

et mièvre.

rait

:

il

cru que

la

avait

beaucoup à progres-

sa couleur était sèche,

Un homme moins

engourdir par

intelligent

les éloges

bienveillance

qu'on

D'un bout

à l'autre

que

terne

lui se serait

lui prodiguait, et

du public

chercher à se délivrer de ses défauts. écueil.

nombre de

n'eut que peu d'efforts à faire

il

développer; mais

ser sous d'autres rapports

laissé

a

le Il

au-

dispensait de sut

éviter cet

de sa carrière, son talent a tou-

jours suivi une marche ascendante qui est l'indice certain

d'une volonté ferme et d'un incessant labeur. Regardez à côté l'un de l'autre X Assaut

de Valmy, ou deux portraits (celte pierre

de Constantine faits à

et la

Bataille

vingt ans de distance

de touche est encore plus sûre), celui du ma-


JOSEPH, CARLE ET HORACE YERNET.

328

réchal Suchet et celui

de

la

sa peinture a acquis

:

elle est

D'après rait tenté

le

un certain

devenue plus solide

la

éclat, et

et plus

de

palette

même

en

ample.

catalogue des œuvres d'Horace Yernet, on se-

comme beaucoup de peintres, il a manières. On se tromperait. 11 était né peintre

de croire que,

eu plusieurs de

vous serez étonné

frère Philippe,

transformation qui s'est opérée dans

l'artiste

temps

du

batailles, et tel

il

est resté jusqu'à la fin

de sa

vie.

Les

tentatives qu'il a faites à diverses reprises pour sortir de sa spécialité ne sont difié

la

que des accidents qui n'ont en rien mo-

nature de son talent. Le gui n'est pas

même, dans

l'arbre qui le porte; de

fruit

le

de

les arts, certaines pro-

ductions restent parfaitement indépendantes de leurs auteurs.

Avant de formuler un jugement

Yernet,

la

commencera

postérité

définitif sur

Horace

sans doute par émonder

pousses parasites qui ne font point partie inté-

toutes les

grante de son œuvre, et qui, faute de séve,

commencent

déjà à se dessécher.

Entraîné par

le

mouvement

d'abord séduire par

général,

Maryam,

et

s'est laissé

ardeurs du romantisme.

les

Edith au col de cygne cherchant Jsmaïl

Horace

le

En

effet,

corps d'Harold,

Prêtresse druidique improvisant

la

aux sons d'une harpe, le Giaour, et même le Massacre des Mameluks sont autant de concessions faites aux tendances de

la

jeune école; mais ces essais ossianesques et

byroniens ne furent pas assez heureux pour encourager l'artiste à

persévérer dans une voie qui n'était pas

Le séjour d'Horace Vernet en torat de l'École de

du grand

art

Rome,

proprement

datent de cette

époque

Raphaël au Vatican

,

,

le

Italie,

la sienne.

pendant son direc-

poussa ensuite dans

le

sens -

dit.

Ses tableaux classiques qui

par exemple Michel - Ange et ne

sauraient accroître

la

répu-


PPENDICE.

A tation qu'il

s'est

justement acquise à d'autres

si

y a encore, dans

Il

et

titres.

de notre peintre, une troisième

la vie

phase bien caractérisée

temps que

329

dont l'influence a duré plus long-

des deux périodes précédentes, sans pro-

celle

duire des résultats plus satisfaisants.

Durant ses divers séjours en Orient, Horace Vernet, on avait été très-frappé de ce

se le rappelle les

époques

été

condamné

reculées

les plus

à

une immobilité absolue, à une sorte de pé-

trification matérielle et

plet.

Il

morale.

germa dans

Cette idée

condensa

et finit

par

du peintre, y mûrit, se base d'un système com-

l'esprit

fournir

lui

rédigea un long

tent entre le

que depuis

fait,

peuple arabe devait avoir

le

la

mémoire sur

rapports qui exis-

les

costume des anciens Hébreux

Arabes modernes >

et

il

et celui

des

plaida lui-même, dans une séance

de l'Académie des beaux-arts,

la

cause qu'il avait prise en

main.

Après avoir donné,

comme

nion, les témoignages de

preuves à l'appui de son opi-

Dom

Calmet

qui font autorité en pareille matière,

son expérience personnelle

:

«

Un

et il

de tous

apportait

les

savants

le fruit

de

jour, raconte-t-il, pen-

dant une expédition contre certaines tribus des environs

de Bone, je becca à

lisais

dans

la fontaine,

le

fond de

ma

tente le sujet de

che, et la laissant glisser sur son bras droit pour

boire à Éliezer. Ce

comprendre;

ment le

l'acte

mouvement me parut

je levai les

femme donnant

Ré-

portant sa cruche sur son épaule gau-

à boire à

donner

à

assez difficile à

yeux, et que vis-je?... Une jeune

un

soldat et reproduisant exacte-

dont je cherchais à

me

rendre compte.

»

Tel fut

point de départ d'observations qu'Horace Vernet voulut

1.

Voyez

ses lettres,

pages 98, 132,-142,

etc.


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

330

poursuivre jusque dans

tume

les

plus minutieux

détails

du cos-

des coutumes.

et

Les critiques s'émurent des idées

nouvelles qui leur

étaient soumises, et l'artiste rencontra

un grand nombre de

contradicteurs.

Horace Vernet avait cependant mille

fois raison

cher à réagir contre cette doctrine puérile qui tend à donner force de L'art doit suivre les progrès

de

modernes

les

moutonnière

et

aux erreurs des maîtres.

loi

aujourd'hui d'un artiste qui

de cher-

science.

la

Que

penserait-on

en personnages

travestirait

convives des noces de Cana?

On

finirait

sans

doute par rendre justice aux éminentes qualités du peintre, s'il

mais on commencerait par

s'appelait Paul Véronèse,

de son idée bizarre,

rire

genre,

il

et,

à

la

seconde épreuve de ce

malmené par

courrait risque d'être

Pourrait-on conserver son sérieux,

si

l'on voyait

le

public.

Cinna ou

Andromaque joués par des acteurs en perruques Louis XIV? Le cas est le môme. Que

l'on

à

la

ne nous accuse pas de lèse-génie. Les grands

hommes de la Renaissance ne savaient pas ce que tout le monde sait aujourd'hui, et leur ignorance ne les a pas empêchés de faire des chefs-d'œuvre. Mais Titien étaient appelés à revivre,

il

si

est hors

Raphaël ou

le

de doute qu'ils

mettraient à profit les découvertes de leurs .successeurs et qu'ils tiendraient

Vernet posait ainsi «

le

compte de la

la

vérité historique. Horace

question a propos du costume arabe

Croit-on, demandait-il dans son

:

Mémoire, croit-on que

Poussin eût repoussé ce nouvel auxiliaire? Pourquoi, de

nos jours, n'en profiterions-nous pas, fait

des vases étrusques, de

dailles, traité

et

la

comme nous

l'avons

colonne Trajane, des

ne consulterions-nous pas

les

mé-

auteurs qui ont

spécialement de l'histoire des Hébreux,

comme nous


APPENDICE. faisons,

le

Montfaucon,

chaque jour, etc.,

compulsant Winckelmann,

en

etc.? Mais

routine est

la

commode, au regard perdu, qui tout faits, qui absout

se

cet être

là,

repose dans les

lits

paresse, qui rend la médiocrité

la

importante, qui gonfle les petites choses en étouffant

grandes

la

;

routine qui n'accepte rien

rester sous son la

édredon

terre tournât autour

tait

:

«

,

du

de nouveau pour

ne voulait

et qui

soleil!... » Et,

Ceux qui cherchent à rétrograder,

profiter des connaissances acquises,

les

même

pas que

plus tard, et qui

il

ajou-

renoncent à

ne sont que des infirmes

qui cachent sous une robe empruntée ce qu'ils ont d'incomplet.

»

Le système proposé par Horace Vernet avait encore avantage inestimable de rajeunir des sujets tant de traités

qu'il

cet fois

presque impossible maintenant pour un

est

peintre de les aborder, sans retomber aussitôt dans l'ornière creusée par ses devanciers.

Ces idées,

si

vivement attaquées d'abord, ont depuis

leur chemin, et leur influence a

composait toutes l'Orient actuel;

la

ses

fini

par prévaloir.

scènes bibliques

dans

fait

Decamps

l'esprit

noblesse magistrale de son style et

de le

merveilleux éclat de sa couleur ont empêché de remarquer ce qu'il y avait d'insolite dans

le

costume de ses person-

nages.

Les deux grands* dessinateurs qui s'occupent en ce

ment

d'illustrer les saintes Écritures,

mo-

MM. Gustave Doré

et

Bida, ont également laissé de côté les doctrines conventionnelles

de leurs prédécesseurs pour ne chercher que

D'où vient que ce qui a été blâmé chez un

la vérité.

artiste tourne

à l'avantage de certains autres? Le public aurait-il deux

poids et deux mesures? Non,

il

faut bien l'avouer,

Horace

Vernet a été l'insuffisant apôtre d'une doctrine excellente.


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

332

mieux que personne ce qui manquait

savait pourtant

Il

son talent pour qu'il le disait

lui-même, avec son rare bon sens, dans une

Dans

de

de l'innovation ou, pour mieux

l'intérêt

:

dire,

mon

réforme que je voudrais introduire, je dois, à

la

Il

lettre

son élève et ami, M. Montfort

qu'il adressait d'Orient à « ...

permis d'appliquer ses idées.

lui fut

à

grand regret, m'abstenir d'essayer de prêcher par l'exemple.

La direction que m'ont imprimée

ma

de

les

peu en rapport avec

qu'il

celle

me

convaincre par l'élévation du style

d'une vérité que

la

révéler, sans qu'il

par

premières impressions

jeunesse m'a entraîné dans une route qui se trouve

hasard

le

gronder ments,

le

me

permis de

soit

au milieu

pour

les

et la

pureté du dessin

la

de circonstances soit

dû peindre;

dominer ma

et

me

reproduire. Jeté

qui faisaient

pour briser ses monu-

ébranler en annonçant des victoires,

c'est l'image de la guerre avec ses tourbillons de j'ai

pour

présence seule des choses a pu

canon dans Paris,

soit

faudrait suivre

comment,

à

mon

fumée que

âge, tenterais-je

de

spécialité?... »

Horace ne sut pas persévérer dans ses sages projets d'abstention

,

et les efforts

qu'il

fit

pour moderniser

la

Bible

n'ont pas été couronnés de succès. Judith et Holopherne,

Jada ritain

De

et 1 ,

Thamar, Rébecca à etc.,

Bon Sama-

sont plutôt des vignettes que des tableaux.

pareils sujets exigent

Éliézer,

la fontaine, le

Holopherne

une pureté de

et leurs

style irréprochable.

compagnons,

tels

que nous

les

montre Horace Vernet, ressemblent par trop à de simples Bédouins pour qu'on puisse reconnaître la

et respecter

en eux

dignité de l'histoire.

1.

Le paysage de ce tableau

est

entièrement peint d'après nature;

représente le chemin qui conduit de Jéricho à Jérusalem.

il


APPENDICE.

333

Le grand mérite d'Horace Yernet, sous ce rapport,

donc d'avoir acquis à

la

le

est

premier formulé un principe désormais

science et aux arts. Peu importe que ses tenta-

tives personnelles aient

échoué

il

:

était trop artiste

pour ne

pas se réjouir du triomphe de ses rivaux sur son propre terrain, et

il

était assez riche

pour pouvoir

laisser à d'autres

même

une partie de ses conquêtes. D'ailleurs, l'Orient devait-il pas lui fournir les

ne

moyens de prendre plus d'une

éclatante revanche?

Horace Vernet a admirablement compris Fart à notre époque, et

il

la

mission de

a su donner une forme vivante

aux événements contemporains. C'est dans la reproduction des glorieux faits d'armes de

nos troupes en Algérie qu'il a surtout excellé.

au musée de Versailles tous tion qui

On y

On

retrouve

épisodes de cette expédi-

les

nous a valu une de nos plus précieuses conquêtes.

voit aussi les portraits de la plupart des

hommes

qui,

depuis une trentaine d'années, ont joué un rôle important

dans

l'histoire politique

ou militaire de notre pays. Jamais

Horace Vernet n'a montré plus de verve, plus de souplesse, plus d'esprit que pour remplir cette tâche;

pas de course des kilomètres de le

pinceau a

la

main,

s'il

est

nette et la

:

style

la

mieux caractérisée de son

La critique elle lui a

a suivi nos soldats

permis de parler

épreuves multiples se dégage

ces

il

a couvert au

et a fait aussitôt le portrait

cune de leurs victoires,

net

toile,

il

de cha-

ainsi.

physionomie

la

De

plus

talent.

n'a pas toujours été favorable à

Horace Ver-

souvent reproché de ne pas soigner assez

le

de ses compositions, de ne pas se préoccuper davan-

tage de l'harmonie des couleurs, etc..

Sans nous associer à ces reproches, nous ne saurions nous en étonner; mais où

les critiques

commencent, selon nous, 19.


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNE T.

334

à sortir des limites de leurs droits, c'est lorsque les imper-

du

fections

d'Horace

talent

empêchent de rendre justice

les

à ses qualités, et surtout lorsqu'ils blâment l'artiste d'avoir

pour lequel

cultivé le genre

mier ne produit pas de pêches, fruits soient à Il il

y

faut

qu'il a

De

était né.

il

dédaigner.

commencer par rechercher voulu faire

,

l'artiste a

si

Occupez-vous donc d'abord de savoir

un pêcher,

à

et,

On

si tel

ce

se de-

fait.

On

hommes.

si

vous avez

lui

antinaturelle, mais contentez- vous de dire

aux pommes,

:

affaire

lorsque vous serez fixé

sur l'espèce de l'arbre, n'exigez pas de

férez les pêches

d'art fait

,

eu raison de faire ce qu'il a

doit juger les genres après avoir jugé les

un pommier ou

bien

puis, ce premier point éclairci

l'artiste a

si

pom-

ne s'ensuit pas que ses

il

deux degrés dans l'appréciation des œuvres

a

mander

à

ce qu'un

une production que vous pré-

est votre goût.

n'a pas toujours suivi cette règle élémentaire en étu-

diant les

œuvres d'Horace Vernet on :

ce qui ne s'y

a quelquefois cherché

trouvait pas, et on n'a pas voulu voir lés

excellentes qualités qu'il

y

avait mises.

Les explorations que tenta Horace Vernet dans un do-

maine qui

n'était

pas

le sien

ne furent pas assez heureuses

pour qu'on dût l'encourager à fait

sortir

de sa sphère.

un très-mauvais élève des maîtres,

et c'est

Il

eût

parce qu'il

a conservé intacte son originalité native, qu'il est

devenu

lui-même un maître.

Ce qui assurera c'est la

sa gloire

manière dont

national;

il

patriotique.

a su

Tout

notre pays, et

la

il

pendant très-longtemps encore,

a compris et

mieux que personne le

monde

est plus

rendu

le

sentiment

faire vibrer la

corde

ou moins chauvin dans

représentation de nos succès procurera

toujours d'agréables émotions au public.


335

Horace Vernet a un autre mérite qui gner

c'est

:

un Français de

de Gaulois. Son esprit

de clarté

yeux

le

de précision

et

mot net et

n'est pas à dédai-

bonne souche avec une pointe

son talent sont restés fidèles à son

et

Le génie de notre

origine.

la

patrie, :

dans

compose

les arts, se

faut à notre esprit

il

bref, le trait fin et délié.

ou à nos

— Horace Vernet

s'entend mieux que personne à disposer une scène ou à

grouper des personnages;

il

est audacieux, adroit, plein

Que veut-on de

crânerie, d'esprit, de naturel et de gaieté.

immense réputation?

plus pour justifier son a

S'il

ou par

pu quelquefois

de douces

se sentir attristé par la malveillance

de certains critiques,

l'injustice

les

grand compte de son œuvre

Entre tous la

les

il

a eu, en revanche,

compensations. Nous ne savons pas

et glorieuses

un peintre de valeur, parmi

une des organisations

de

et

.es plus

jugements

contemporains, qui ne tienne

ne considère

l'artiste

comme

étonnantes de ce siècle.

flatteurs

dont

il

a été l'objet de

part des écrivains, nous nous bornerons à en rapporter

trois,

ceux de

trois maîtres.

Voici ce qu'Alfred de Musset disait de lui en 1836, c'està-dire lorsqu'il n'avait encore fourni que carrière, à

stantine

une époque où la Smâlah pas

n'étaient

M. Vernet, lorsque les qualités

qui

qu'on puisse

le

lui

je

encore peints

la

et le :

moitié de sa

Siège de ConJe

«

critiquerai

ne trouverai plus dans ses œuvres

distinguent et que je ne comprends pas disputer;

mais tant que je verrai cette

verve, cette adresse et cette vigueur, je ne chercherai pas les

ombres de ces précieux rayons de lumière.

»

M. Théophile Gautier, dont l'opinion emprunte une double autorité au talent de l'écrivain et à la science lui a

rendu plus d'un témoignage analogue

«Bien

qu'il n'attire l'œil

du

critique,

:

par aucune bizarrerie, personne.


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNKT.

336

plus original qu'Horace Yernet.

dit-il, n'est

à l'antiquité;

avoir existé pour « Il

Grecs

les

Il

ne doit rien

Romains semblent ne pas

et les

lui,..

possédait une qualité bien rare dont les pédants font

peu de cas

:

vision des choses modernes. Rien ne semble

la

plus aisé que de peindre ce qu'on a perpétuellement sous les

yeux.

Eh

bien! c'est

une erreur que démontre une

simple promenade dans une galerie de tableaux... Enfin,

la

»

d'Horace Vernet n'a jamais été plus

cause

chaleureusement plaidée que dans cette belle péroraison des articles de M. Sainte-Beuve

un pays

teras France,

te laisse

France, tant que tu res-

une patrie, ne répudie

les plus naturels, les plus légi-

pas aller à en décourager

dédaignant. De ce que tu

vue, de ce que tu

«

distinct et

jamais tes enfants sincères, times; ne

:

te

race en

la

reconnais en eux à première

aimes d'instinct, de ce que,

les

la

toi et

eux, vous vous entendez sans apprentissage et sans effort,

de ce

de

qu'ils sont

une raison pour

les

dans ton estime.

que

ciels,

,

moins considérer

ce n'est pas du tout et les faire

Fortifie-toi sans doute,

manquent; aspire

peut, des dons qui te tion

maison enfin

la

tu n'as pas; acquiers, acquiers:

descendre

orne-toi,

s'il

se

à toute l'imagina-

fais-toi

des seconds

des ciels d'Homère ou dès ciels de Dante, des lueurs

étranges à l'horizon, des visions et des visées plus hautes,

des profondeurs en tous sens

mieux

!

tu n'en seras

léger, flatte- toi

que plus

même

d'être

as pris assez de peine pour

dénature pas tielle,

;

ne

sacrifie

fondamentale,

chez Voltaire quand

ta il

y

:

si

tu

peux y atteindre, tant

forte et plus honorée.

Peuple

devenu un peuple grave;

tu

réussir. Mais, de grâce, ne te

jamais

ta fibre

première, essen-

corde sensible, celle qui vibrait

écrivait ses charmants vers sur le

siège de Philisbourg. Qu'il ne vienne jamais ce temps pré-


APPENDICE sagé par de tristes prophètes, où Ton chercherait vaine-

ment des

talents français

en France. Pas trop de poètes ou

de peintres métaphysiques, je t'en conjure; pas trop de messieurs de Fempyrée, ni d'abstracteurs de quintessence

deux ou

par génération,

trois,

en haut lieu pour

et

pour

tes

et

semblables,

tes

rareté et pour la montre,

grands dimanches; mais,

heureuse encore de

la

les

:

mets-les à part

suffisent;

garde-les

jours ouvrables, sois

contente de retrouver de tes favoris et

de ces talents ou de ces génies

faciles

qui, de tout temps, t'ont défrayée et charmée, qui te parlent

ton langage et t'y entretiennent,

non pas

tes plus agréables heures, et

en

t'offrant à

qui

moins

les

toi-même en spectacle sous

coup d'œil net

et

humeur

fine,

comme

lippe,

la

l'artiste

qui

Y Assaut de Constantine,

Défense de la barrière Clichy,

les

brillante,

on ne saurait

que

rien ajouter, et le lecteur restera convaincu

des œuvres

crânerie, hé-

»

Après une page d'une éloquence aussi

a signé

:

audace

légère,

bon sens pratique.

salutaires,

tes mille aspects

vivants, avec tes qualités et défauts divers

roïsme, gaieté, sentiment,

font passer

te

le

Bataille de Montmirail ,

la

Portrait dit frère Phi-

VAtelier du peintre

et

vignettes de Y Histoire de Napoléon, pour ne citer que

ses titres les plus incontestables, doit être tion

au nombre des grands maîtres de

En résumé, à l'histoire de

Chacun d'eux

les trois l'art,

le

l'école française.

Vernet appartiennent non-seulement

mais encore à

est le représentant

nous en conserver

mis sans hésita-

reflet

sur

la

l'histoire

d'une époque, et a su toile.

Aussi leur nom,

consacré bientôt par deux siècles de gloire, redouter des rigueurs de l'avenir.

de notre pays.

n'a-t-il rien à


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

338

II

VERNETI ANA.

La physionomie de nos plète,

si

trois

modèles resterait incom-

nous ne consacrions quelques pages aux bons

mots

qu'ils ont dits

dont

ils

ou qu'on leur prête,

sont les héros.

et

aux anecdotes

Nous ne promettons pas au

lecteur

d'épuiser cette matière; un volume entier n'y suffirait pas et pourrait

lons

sembler ou fastidieux ou

frivole.

Nous ne vou-

que poser une simple pierre d'attente pour

listes

qui se chargeront,

les

nouvel-

plus tard, de rédiger les anas du

xix e siècle.

Les Vernet ne sont pas seulement de grands peintres chez eux il

fut

l'esprit était à la

aux autres en

comme

lui,

qu'ils se transmirent les

uns

hauteur du

une sorte de patrimoine

talent, et,

l'accroissant.

Joseph vivait à Paris dans une société choisie; l'hôte assidu cle,

dont

le

:

des meilleurs salons, de ces salons du

souvenir seul est resté en France.

parfaitement sa place et avait sa grosse

monnaie courante qui

fait la

était

il

xvm 11

y

e

siè-

tenait

somme de

cette

fortune d'un causeur dans

monde. Chaque époque change

l'effigie

le

de ces pièces de

convention selon son caprice; aussitôt que cette substitution a eu lieu, ce qui avait

du prix hier ne vaut plus

rien

aujourd'hui, et est remplacé par quelque chose qui ne vau-


APPENDICE. rïra

plus rien demain.

tonner

339

n'y a donc point trop lieu de s'é-

Il

Joseph Yernet, tout en ayant laissé une réputation

si

ne semble plus très-spirituel aux

d'esprit,

hommes de

notre

temps.

Le calembour

du

jouissait d'une grande faveur à la fin

Joseph excellait dans cette jonglerie de

siècle dernier.

phrase: mais les traits de

que

lui

biographes ont pris

les

la la

peine de conserver donnent une piètre idée de son talent

en ce genre, et

témoignage de ses contemporains

faut le

il

pour permettre de croire qu'ils obtenaient quelque succès, à

une époque où

pouvait entendre causer Voltaire,

l'on

Chamfort ou Rivarol. Yoici ce que Bachaumont écrivait dans ses Mémoires à date

du

mars 4779

31

mode; nos beaux

l'autre jour

de pain «

peint.

avec

«

esprits

Le grand

gulières.

:

faiseur,

«

:

on

le

marquis de Bièvre, soupant

le peintre,

l'enfance de

le voit,

l'art.

il

surtout

effets

si le

était d'autant

soir, et,

de son cru,

calembour peut

lorsqu'il

est

im-

quand on l'imprime.

avec préméditation.

du

bief)

devient insupportable de prétention dès qu'on

Joseph Vernet sait

qui est

Nous nous dispen-

dans une conversation intime,

être drôle

l'écrit, et

voilà

ce n'est qu'une croûte. »

serons de citer d'autres exemples; car

provisé,

des découvertes sin-

Monsieur Vernet,

— Cela, répond

C'était,

même

y font

la

la

peintre Vernet, lui présente un morceau

le

et lui dit

Les calembours sont toujours à

il

Il

moins excusable,

préparait dans

non content de ce

achetait des mots.

fectionneur habituel

,

recevait

chaque calembour nouveau

Son

la

qu'il

agis-

journée ses

qu'il pouvait fournir

fils,

qui était son con-

un écu de

qu'il apportait.

six

livres

pour

Souvent Carie,

en proie à une double disette d'esprit et d'argent, profita

de ce que son père, qui se

faisait

vieux, n'avait plus


JOSEPH, CARLE ET .HORACE VERNE T.

310

grande mémoire, pour

lui

revendre

mêmes

les

plaisanteries.

Le bon Joseph leur donnait de confiance une seconde édition qui, naturellement, réussissait il

à

s'apercevait,

dont

avait, été victime, et

il

comiques à son les

froideur

la

fils

;

moins que

du public, de faisait,

la

première

;

supercherie

au retour, des scènes

mais celui-ci n'en conservait pas moins

beaux deniers paternels.

Joseph, qui était

même,

bienveillance

la

bec et ongles pour se défendre lorsqu'on C'est ainsi

dont quels

il

accola au

qu'il

nom de

avait cependant

contraignait.

l'y

certains personnages

croyait avoir à se plaindre des qualificatifs sous les-

ils

restèrent connus dans

Pour ne «

la

citer

monde où

le

que deux exemples,

l'eunuque du sérail,

»

»

salon de

madame

vivaient.

appelait Marmontei

il

peintre Pierre «

et le

Ces sobriquets faisaient

pétrifiée.

ils

rire

les

la

bûche'

habitués du

Geoffrin, qui pouvaient en apprécier

la

justesse.

• Le plus là n'a

joli trait

du moins

que

les

et celui-

rien perdu en vieillissant, c'est sa fameuse

réponse au roi Louis « Sire,

de Joseph Vernet,

l'on cite

hommes

devenir des sots

;

il

XV

qui

lui

proposait de l'anoblir

:

que trop d'occasions de

n'ont déjà

ne faut pas leur en fournir de nou-

velles. »

Ce

n'est point

impunément que Carie

sa verve trahissait son origine.

Il

était

poussait

la

lembour jusqu'à sa plus extrême limite; aussi longtemps

comme

l'héritier et

marquis de Bièvre, mais

il

ils

le

;

manie du ca-

l'a-t-on

regardé

digne émule du

arriva pour lui ce qui est arrivé

pour son père. Ses mots, que

que où

comme

né à Bordeaux

l'on répétait à l'envi à l'épo-

furent dits, sont presque tous démonétisés, parce

qu'ils étaient frappés

au coin de

la

mode;

et, s'ils

ne sont

pas devenus inintelligibles par eux-mêmes, on a du moins


APPENDICE.

341

grand' peine à comprendre maintenant

succès qu'ils ob-

le

tenaient jadis.

Les contemporains de Carie Vernet se rappellent encore avec bonheur

joyeuses soirées qu'ils

les

l'écouter au café de

Foy

;

ils

racontent qu'il faisait de longues

préfaces à ses bouffonneries

:

il

commençait par noyer

auditeurs dans un déluge de phrases, puis final,

ont passées à

il

qui d'ordinaire amenait une explosion de

lons;

s'ils

rires.

parmi ses calembours, quelques échantil-

Choisissons,

moins

ses

lançait le trait

ne semblent pas très-drôles,

à justifier ce

que nous avons

serviront du

ils

dit plus haut.

que Gros

Carié, étant allé voir au Panthéon les peintures

venait d'y exécuter, regardait sans rien dire

coupole du

la

temple. Gros, étonné et mortifié de son silence, se décide à lui

demander

n'est pas satisfait

s'il

bien, répond Vernet,

Une

autre

mais

discours qui a trop

jours avec soleil,

:

«

»

l'air

d'avoir été ou préparé, ou arrangé

ce sera en cadastre;

Nous

au docteur Véron

la

Hàtons-nous de

dit-il, et porte-le

pleut, ce sera en cadeau

toi. S'il

d'un petit

utile présent

Prends ce parapluie,

sera en can... »

gros que nature.

Carie donnant à Horace encore enfant son

fois,

premier parapluie, accompagna cet

après coup

«C'est très-bien, très-

:

c'est plus

s'il

ne

laisserons,

peine

le dire,

fait

il

beau

ni

vous

si

et le plaisir

;

le

s'il

y a du

ni laid, ce

voulez bien,

de deviner

serait injuste

tou-

le reste.

de jugé*

l'esprit

de Carie d'après de semblables spécimens. Sa réputation était Il

beaucoup mieux méritée

lement,

comme

il

Le prince venait lier, et Tl

à d'autres titres.

avait commencé un tableau pour

s'étonnait

était

le

le

très-paresseux,

duc de Berry il

y

;

seu-

travaillait peu.

voir de temps en temps dans son ate-

que

la toile

ne se couvrît pas davantage.

yavait seulement une petite maison dans

le

coin de droite

:


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNE T.

342

a

et,

chaque

môme

état.

visite,

Au

le

duc de Berry

retrouvait dans

la

bout de longs mois d'attente,

finit

il

s'impatienter, et pria l'artiste de vouloir bien fixer

auquel «

il

comptait livrer son tableau

le

par

terme

le

:

J'y travaille, répondit Carie.

Mais vous en êtes toujours au

n'avez encore

fait

que

cette

maison qui

Elle fumait,

On après

pas tout

sait

de rien.

n'a l'air

viendrais jamais à bout de

— Comment cela

point,

et

vous

cette bicoque!

Oh! Votre Altesse ne

donné

même

la

mal que m'a

le

cru que je ne

J'ai

cheminée.

?

Monseigneur.»

connaît aussi son compliment à Alexandre Duval,

première représentation de Maison à vendre. Le

la

célèbre librettiste, ravi du beau succès qu'il venait d'obtenir de la

compte a demi avec Dalayrac, rencontre Carie dans

du chanteur Chenard,

loge

point satisfait ? tu es

encore

et lui

seul de

le

dit

:

«

Tu

n'es

mes amis qui ne

donc

m'ait pas

félicité.

— Que veux-tu!

répond Carie, tu

Maison à vendre , Le jour où

emportée à

la

d'apprendre à Paris

comme on

le sait,

bataille d'Essling,

rencontrant Carie,

lui

mettre sur l'affiche

ne trouve qu'une pièce à louer.

et je

l'on venait

réchal Lannes, qui,

fais

dit

:

vous allez, je suppose, nous

la

faire

»

mort du ma-

avait eu une

un chansonnier

«Eh

jambe

célèbre,

bien, monsieur Vernet,

de

jolis

calembours sur

l'événement du moment. Tenez, je vous donne ^exemple si

Lannes

avait survécu

:

à sa blessure,

il

n'aurait

:

porté

qu'un bas.

— Monsieur, répliqua mots de pays.

»

la

le

peintre,

si

j'aime à jouer sur les

langue, je ne joue jamais avec les

maux de mon


APPENDICE.

Un

des plus grands bonheurs de Carie consistait à mys-

gens en face desquels

tifier les

Un une

jour, étant à dîner chez

le

hasard

en

If était

une

même

temps

les fonctions

ne

l'artiste,

lui

et acteur, remplis-

cette diatribe

pour

que sa vanité, insépapermettait pas de sup-

poser que personne ignorât son nom. lorsque son hôte se pencha vers

fît

de directeur de l'Odéon.

donc assez en droit de prendre

compagne de

il

contemporain. Picard

dramatique

personnalité blessante, d'autant

rable

le plaçait.

banquier Perregaux,

le

sortie violente contre le théâtre

se trouvait là. Picard, auteur sait

343

Il

allait

lui, et lui dit

:

se fâcher, «

Ne

faites

pas attention aux radotages de ce vieillard; c'est un grandoncle à moi

il

;

arrive de province;

fance. » Carie entend ces mots,

sérieux et

joue jusqu'à

le

la fin

il

est à

peu près en en-

prend aussitôt son de

la

soirée avec

rôle

au

un sang-

froid imperturbable.

A

quelque temps de

boulevard

:

«

là,

Picard rencontre Vernet sur

Tiens, pense-t-il, l'oncle de M. Perregaux, se

sera sans doute échappé de chez lui,

sans qu'on s'en soit

aperçu; ses parents doivent être très-inquiets, je le leur

«

il

faut

que

ramène.»

En même temps, connu, se

Je

fait

il

un malin

s'approche de Carie qui plaisir

Vous vous promenez

? lui

de continuer

demande

la

,

l'ayant re-

mystification.

l'auteur de la Petite

Ville.

— Non,

répond

le

peintre du ton le plus sérieux,

je

cherche un polichinelle.

— Alors,

retournez chez votre neveu; je sais qu'il en a

acheté un bien beau à votre intention.

— Je

polichinelle tout de suite, reprend l'ar-

en frappant du pied

tiste

veux mon

'

comme un

Venez avec moi, nous

enfant mutin.

allons entrer chez le premier


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

344

marchand de jouets,

continue Picard avec douceur...

»

Cependant, à Paris,

badauds ne pouvaient perdre une

les

un attroupement

aussi beile occasion de s'arrêter;

déjà formé autour de ces

deux hommes d'un âge mûr, qui

parlaient gravement de pantins. naît

:

s'était

Un ami de

Carie le recon-

«Allons, Vernet, lui crie-t-il, voilà encore une de tes

charges!

»

Ces mots furent, bien entendu, une révélation pour pauvre Picard, qui

proches, Carie répondit: vrai

!

mal

prit fort

plaisanterie.

la

Brisons

«

là!

dû me moquer

je n'aurais pas

eu

j'ai

ainsi

d'un

A

le

ses re-

tort, c'est

homme

de

votre talent: je vous dois une réparation. Je suis donc à vos

Vous

ordres.

êtes l'offensé

rain, votre heure...

Picard s'en «

Mes armes,

fourchettes; cale, et Il

tira

mon

mon

est

choisissez vos armes, votre ter-

»

en

si

:

homme

vous

voulez bien,

le

terrain,

d'esprit.

heure... tout de suite.

que

que

deux adversaires

bras dessous, déjeuner

Patinant un jour sur

le

le

»

cette

d'ajouter

les

seront des

un cabinet du Rocher de Can-

inutile

ceptée, et

dit-il,

proposition

ac-

fut

s'en furent, bras dessus

plus amicalement

du monde.

canal Saint-Martin, Carie s'ap-

proche d'un bon bourgeois qui s'essayait timidement à marcher sur

la

glace, et lui dit avec

beaucoup de gravité

trouvez-vous pas, monsieur, qu'il y à

ici

:

«Ne

un affreux courant

d'air? Soyez donc assez aimable pour vouloir bien fermer la

porte Saint-Denis!

loin avant

viné

le

que

Et, d'une glissade,

il

esl

déjà très-

pautfre diable ainsi pris à partie ait de-

le

sens de

»

la

phrase qui vient de

lui être

adressée.

Les charges qu'il voulait faire ne réussissaient pas toujours selon ses devint mystifié.

désirs, et quelquefois de mystificateur

En

voici la preuve

:

il


APPENDICE. On pour

sait qu'il était très-fier

agilité à la course, et

que,

exercices du corps primaient tous les autres.

lui, les

Comme

de son

345

revenait de Marseille a Paris en

il

avise parmi ses

diligence,

il

compagnons de route un monsieur dont

l'extrême corpulence n'annonçait pas une grande légèreté, à

et,

la

première montée, lorsque tous

descendus,

ri

que vous ne sautez pas ce

— Que

homme

dit à ce gros

«

:

les

voyageurs sont

Parions, monsieur,

fossé, et

que moi

demande

l'autre

parions -nous?

je le saute!

sans se décon-

certer.

— Notre — Soit.

déjeuner. »

Et voilà ce colosse qui s'élance et qui franchit l'obstacle proposé.

Arrivé à l'auberge carte; mais

la

que

le

il

la

plus voisine, Carie s'exécute et paye

ne se tient pas pour battu,

moment de prendre

sa revanche.

la

trouve un fossé plus large et recommence son

il

fois, c'est le

dîner qui sert d'enjeu.

Même

de

journée

défi.

Cette

succès.

Cette plaisanterie dura cinq jours, autant

que

Je

voyage

Marseille à Paris à cette époque, et Vernet eut

la

douleur

d'offrir Ils

et n'attend

Dans

dix repas à son très-gros, mais très-leste compagnon.

en étaient arrivés à sauter,

tous deux, un

nombre de

pieds invraisemblable. Carie était essoufflé, époumonné, sur les dents.

Avant de

se séparer, celui qui avait été ainsi

tout le Ions: de

la

hébergé

route sans bourse délier remercia cour-

toisement Vernet d'avoir bien voulu

le

nourrir

pour

de chose. On s'expliqua. Le peintre avait eu

peu

si

affaire à

un

clown de profession, qui venait exercer ses petits talents dans «la capitale.

»

Carie fut ravi

d'avoir été vaincu par

:

il

avait

un acrobate,

du moins et

la

consolation

l'honneur était sauf.


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

346

Lorsqu'un tableau se vend très-cher,

manque jamais de

ne

la

peu de temps

se récrier sur le

pour gagner une aussi

fallu à l'artiste

compte pour

gros du public

le

somme

forte

qu'il a :

on ne

rien les longues études préparatoires et toute

période d'incubation qui a précédé l'éclosion de l'œuvre

dont

il

une

s'agit. Voici

petite histoire à l'adresse des

gens qui s'imaginent que

Une dame

une amusette.

l'art est

très-riche tourmentait Carie depuis longtemps

pour avoir un

de

petit tableau

nière sommation,

il

met

à l'œuvre sur

il

séance,

improvise sous

se

Enfin, après

lui.

les

le

De combien vous

«

champ

:

suis-je redevable? demande-t-elle.

vous voulez

!

trois

de bonnes journées

faire

que

des voleurs

:

la

La Bourse

bout de c'est

de

peintre,

il

y a

l'esprit d'à-propos.

Il

est,

le

un haut degré

»

l'auteur de cette réponse à l'invitation classique

-on,

«

heures? Vous

!

je travaille à votre tableau.

Carie possédait à dit

trois

Eh! mon Dieu, madame, répliqua

trente ans

une

francs pour

mille

pochade qui vous a pris à peine deux ou

dans sa

trois mille francs.

— Comment devez

et,

,

yeux de sa visiteuse une scène

charmante. La dame paraît enchantée

— De

une der-

se décide à exaucer ce désir; se sentant

en verve, il

bonnes

la

rue

filer

est ce ;

et

la vie

la vie, celui

vite, si

L'esprit

que

je

vous donne,

vous ne voulez pas que je vous

»

finirions pas,

l'on prête à Carie,

mots que

!

grand monument qui se trouve au

quant à

au plus

casse les reins.

Nous n'en

bourse ou

s'il

nous

fallait

citer

tous les

en sa qualité de riche.

du dernier Vernet a sur

celui

de son père

et

de

son grand-père cet avantage d'être resté compréhensible

pour

les

gens de notre temps. Soit qu'il

fût

de meilleur

aloi,


A PPENDICE. soit

que

la

mode

n'ait

347

pas beaucoup varié, sous ce rapport,

depuis une cinquantaine d'années,

que

les traits

l'on cite

d'Horace ont conservé tout leur prix.

Horace Vernet aimait en raconter.

plaisait à

histoires rabelaisiennes et se

les

de

serait assez difficile

Il

suivre

le

sur ce terrain et d'écrire tout ce qu'il disait. Plusieurs de ses lettres ont

mais,

pu donner une idée de son

plume

la

main,

à la

il

talent en ce genre;

moyen de

atténuait et trouvait

faire passer les situations et les paroles les plus scabreuses,

tandis que, dans ses discours, puisqu'il est

appelait

il

convenu, depuis Boileau, que

de s'exprimer est

le

cette

manière

comble de l'héroïsme.

Parmi ses très-nombreuses anecdotes tant loises, voici la plus racontable

Dans son enfance, Horace

,

soit

peu gau-

:

était

un baby d'une beauté

merveilleuse, et sa bonne était fière de

meneurs

— un chat,

un chat

des Tuileries; elle allait

le

montrer aux pro-

même, dans

son orgueil

quasi maternel, jusqu'à ne rien cacher de son intéressante petite personne.

A

l'âge

de quatorze ans environ, Horace,

certain de se faire plaisir à lui-même, crut en outre faire

honneur à

cette brave

femme qui

était

devenue

pâtissière,

en allant manger des gâteaux dans sa boutique; mais reçut

un

accueil assez froid de la marchande, dont

la

il

vanité

avait changé d'objet, et qui avait alors pris en horreur tout

ce qui pouvait rappeler sa condition plus modeste d'autrefois. «

Horace, piqué au

vif, se .

vengea par cette épigramme

Vous ne me reconnaissez peut-être

que

A

ne vous montre que

je

ma

aussi,

l'esprit

pas, lui dit-il, parce

figure? »

côté de sa verve joyeuse, à un haut degré, ce

:

Horace Vernet possédait

tact et cette délicatesse

qui sont

du cœur.

Souvent de jeunes

artistes lui apportaient leurs esquisses


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

318

et le priaient

de leur donner quelques conseils.

général,

prenait ses pinceaux et se mettait à faire des retouches,

il

trouvant que

la

de

Il

la

théorie.

pratique était

et,

en s'en allant,

qui avait sa valeur.

les

meilleure démonstration

la

en mainte occurrence

lui arriva ainsi,

repeindre entièrement

de

,

ébauches informes de ces rapins,

emportaient un véritable objet d'art

ils

paya leur premier ouvrage à plusieurs

Il

ses élèves pour les encourager à travailler et les aider

de

L'un d'eux

à vivre.

conscription,

donna dès tre

avant

,

peignit en

il

un tableau,

secret

pour

qu'il fut terminé,

vendre

le

même,

avec Lagrenée,

était très-lié

nom. Lagrenée,

lèbre peintre de ce

pour gagner sa

dessinait,

de tapis qu'il plaçait dans

livré

à la

qu'il

et lui

lui

permet-

qui ont

le

l'art

le

tâche insignifiante.

de voyage, va frapper à

Un la

distingué lui-

des modèles d'étoffes

d'Aubusson des chefs-

et

jour,

niveau du goût public

le

ce qui n'est point une

Horace Vernet, revenant

porte de son ami; on

lui

répond

que Lagrenée vient de partir pour Lyon, où patrons ouvriers donnent

surlendemain une grande

le

a

II

compte au nombre des hommes

l'industrie,

à

descendant du cé-

artiste

vie,

plus contribué à élever

appliqué

le

grandes manufactures.

les

aux fabricants de Lyon

d'œuvre en ce genre. On

par

un mauvais numéro

tiré

de se racheter.

Horace

et

En

doit être le héros. Vernet a aussitôt

fête

et

dont

une bonne inspiration

il

;

il

court chez un personnage influent, sollicite une croix de

la

Légion d'honneur,

et arrive à

son ami.

Lyon

Au

de savoir

monte en chaise de

poste, part

juste à temps pour assister au banquet de

dessert,

qui fut accueilli cile

l'obtient,

il

comme

allier

tira

de sa poche son

vous pensez.

Il

est,

petit cadeau,

en

effet,

diffi-

plus de délicatesse à plus de bonté.

Durant l'un de ses nombreux séjours à Versailles

,

un


A

troupier vient un matin

il

répond

»

La séance

aussitôt à l'œuvre.

demande de

pas, ajoute- 1-

ne veut

«Ça va!

ner plus de trente sous.

met

trouver, et lui

le

image; seulement,

son

PPENDICE.

rades, en leur disant

mais

une

j'ai fait

bêtise, je

marchandé, j'aurais pu se repentit bientôt

de

il

il

se

notre pioiipiou

finie,

et spirituelle-

montre aux cama-

la

payé ça un franc cinquante

« J'ai

:

don-

il;

l'artiste, et

emporte une charmante pochade, prestement

ment enlevée; arrivé au quartier,

faire

suis sûr

que

si

pour vingt sous.

l'avoir

;

un peu

j'avais

Horace

»

s'être laissé séduire par la naïveté

de

fut chez lui

une

véritable procession de troupiers, qui, alléchés par le

bon

son modèle; pendant quelques jours, ce

marché, voulaient avait mis

faire faire

bon ordre, toute

la

leurs portraits, et;

s'il

n'y

garnison de Versailles aurait

passé par son atelier.

Une

autre

fois,

un chasseur d'Afrique, étant venu poser

pour la Smâlah, se mit infortunes

:

avait privé.

il

a

à Horace Vernet ses

raconter

méritait la croix

mais un passe-droit

,

homme

Le malheur de ce brave

peintre une idée

ingénieuse.

Gomme

il

devait justement

recevoir, le lendemain, la visite de Louis-Philippe,

gnit une superbe décoration bien voyante sur

de son modèle; puis, lorsque sa toile j'ai

le roi fut là,

il

la

;

je croyais

que ce pauvre

a des états de service magnifiques, qu'il n'en est rien. C'est

dommage,

joliment bien à cet endroit-là.

»

était

roi

:

pei-

poitrine

«

Tiens,

soldat, qui

décoré;

cette tache

Le

il

s'approcha de

en disant avec une expression de regret

commis une erreur

l'en

suggéra au

il

paraît

rouge

faisait

comprit

:

« N'effa-

cez pas cette croix, répondit -il, elle est à sa place, et je

vous en enverrai une véritable pour que vous

vous-même

la

remettiez

à votre protégé. »

Un jour qu'Horace

passait en voiture dans la rue 20

Dau-


JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

350

plrine,

Un

accroche et verse.

il

à décorer

peintre d'attributs, occupé

boutique d'un charcutier, voit l'accident, re-

la

connaît dans

victime un de ses confrères,

la

son échelle assez à temps pour glisser

dans

main une pièce

la

connaissance

,

mais

le

Horace veut

relever.

le

lui

en témoignage de re-

d'or,

pauvre diable refuse. Alors

souvenant que son aïeul Antoine

artiste, se

descend de

et

et

l'illustre

son grand-

père Joseph ont été eux-mêmes peintres, d'attributs, monte

commencées.

à l'échelle et finit les guirlandes de cervelas

Lorsqu'il

redescendu,

fut

le

homme

brave

dont

venait

il

ainsi de parfaire la tâche lui dit, en la modifiant à son usage, la

phrase célèbre d'Henry Monnier

pinceaux sont trai

comme

Après

le

plus beau jour de

:

ma

Cette palette et ces

«

vie

je les transmet-

;

des reliques à mes descendants.

grandes inondations de

les

charitables avaient organisé

une

des personnes

la Loire,

loterie

aux nombreuses victimes de ce

»

pour venir en aide

sinistre

on pria Horace

:

Vernet de vouloir bien donner un bout de croquis,

la

moindre esquisse, en un mot n'importe quoi qui portât

sa signature.

Il

gnit tout exprès

plus noblement les choses

fit

un

vrai tableau

des rats. Le sort assigna ce

dame qui

s'occupait

se souciait

,

lot

précieux à une

madame,

lui dit le peintre

consentiriez -vous à me

vous en

500 francs?

offrais

— Mon

je

la

dame, non sans un certain embarras

faire

mon

«

Consen-

mon

,

Dieu!

il

tableau,

répondit

votre tableau est

cher monsieur, mais que d'heureux on peut

avec 500 francs

vous approuvez

:

qui savait à qui

laisser

si

charmant,

vieille

Elle vint cepen-

dant chez Horace Yernet pour retirer son gain

avait affaire,

pei-

beaucoup de bonnes œuvres, mais qui

médiocrement des beaux-arts.

tiriez-vous,

il

:

un Zouave épluchant

la

!

liberté

Alors,

que

j'ai

madame, prise de

reprit Vernet le

vendre

hier,


APPENDICE.

351

pauvres vont être aussi contents que vous de cette

et vos

bonne aubaine. tefeuille

une

teuse, en

M. Goupil

En môme temps,

»

de 14,000 francs

traite

qu'il

remit à sa visi-

priant de passer au bureau de l'acquéreur,

la

somme

où cette

,

de son porte-

tirait

il

que cet argent a

fructifié

:

il

serait

lui

comptée. Ajoutons

a servi à fonder,

aux environs

de Tours, un orphelinat aujourd'hui en pleine prospérité.

Tout

le

monde

au Palais - Royal à ce propos

a

vu

,

et

bien des légendes courent

Horace Yernet avait l'habitude

du

sortant

spectacle ou

moment où

l'on

dans laquelle amis.

Il

il

met

se

était

du

bal.

Il

monde

authentique

origine

d'aller

le

:

prendre du punch en

arrive

un

soir

au

en train.de repeindre à neuf

café,

au

la salle

d'ordinaire avec Carie et leurs

se tenait

à causer, puis tout à

pinceau qui se trouvait noir, et le lance

son

quelle est

voici

;

fameuse hirondelle du café de Foy,

la

à terre,

le

coup

il

ramasse un

trempe dans un pot de

au plafond. Les peintres, ne sachant point

commencent

à

gronder. Alors, Horace grimpe à l'échelle, et transforme

la

qui

il

est,

prennent mal

la plaisanterie

et

tache en une gracieuse hirondelle, que Parisiens et provin-

ciaux admirent encore de confiance, quoique, depuis elle ait été

neurs.

lors,

repeinte à diverses reprises par des badigeon-

— Dans sa jeunesse, après un déjeuner de campagne,

Carie avait également peint une enseigne dans un cabaret,

pour payer sa note chez Leduc de lèbre Yernet.

Une autre

;

et

beaucoup de gens sont

Montmorency

voir

le

allés jadis

cheval blanc du

«

cé-

»

histoire,

que

l'on a

souvent racontée de diverses

manières, c'est celle 'du fameux portrait du frère Philippe.

Un ami «

Mon

d'Horace, étant un jour dans son atelier,

cher, je vais de ce pas

devriez m'accompagner.

Il

y a

lui dit

:

à l'école chrétienne; vous là

un brave

homme

qui

fait


352

un assez médiocre Horace se

portrait, mais son

laisse séduire.

On

modèle

est superbe.

»

montre en grande pompe

lui

l'œuvre de Tlgnorantin, qui semblait tenir à honneur de

— du

justifier ce titre,

moins en

fait

de peinture.'

Horace regarde, trouve effectivement... fique, et, après avoir finit

le

modèle magni-

donné quelques conseils

à l'artiste,

il

par l'inviter à venir travailler dans son atelier.

Le lendemain matin, Le maître

Pendant

arrive avec sa toile.

son nouvel élève se mettent à l'ouvrage,

et

chacun de son

le frère

côté.

journée, Horace quittait de temps en temps

la

son chevalet pour aller donner quelques indications à son

pouvant plus se

voisin. Enfin, ne

samment avec des mots, «

Tenez,

lette; ce

au

dit-il

que vous avez

suffi-

se décide à prêcher d'exemple:

il

frère,

comprendre

faire

prêtez-moi un instant votre pa-

fait n'est

pas mal

;

mais

il

y

a,

dans

physionomie de votre modèle, un certain je ne sais quoi

la

que vous ne me paraissez pas bien Le

voilà

donc qui

en retouche,

finit

se

met

saisir. »

par refaire entièrement l'ébauche com-

mencée. Lorsqu'il rendit ses pinceaux à lui

répondit

«

:

de retouche

à l'œuvre, et qui,

celui-ci

l'artiste,

J'aurais peur de gâter votre ouvrage; soyez

assez bon pour y mettre

vous-même

Horace eut beau s'en défendre,

il

fois

dans son

dernière main.

ne put vaincre

gente obstination de son collègue

poser deux ou trois

la

;

le

l'intelli-

frère Philippe vint

atelier; et c'est ainsi

fut peint l'un des meilleurs portraits

»

que

de notre époque.

Horace Vernet avait une mémoire prodigieuse. Géricault disait

de

lui

:

«

Sa tète est un meuble à tiroirs;

regarde et trouve chaque souvenir à sa place.

il

ouvre,

»

Ce don précieux contribuait beaucoup à entretenir chez lui cette

merveilleuse

facilité

de travail dont on

a si

sou-


APPENDICE. vent parlé. Voici, du

un

reste,

fait

353

.

certain qui prouve

que

tout ce qu'on a pu raconter à ce sujet n'était pas entaché

d'exagération.

Le capitaine X*** avait ramené d'Afrique un magnifique cheval arabe. Horace, ayant eu occasion de voir cette bête, désira l'acheter; mais son propriétaire ne voulut pas la lui

A

céder.

encore

diverses reprises, des offres avantageuses furent

par

faites

l'artiste,

stances de

madame

mais sans plus de succès. Enfin,

X***

au mois de juin 1851, M.

se laissa toucher par les in-

Vernet, dont

le

mari venait de

faire

une

chute effroyable à Satory.

M. X*** demanda 4,000 francs de son cheval; seulement,

comme

ce prix était loin de représenter sa valeur réelle,

joignit

une condition au

veux bien vous céder mon arabe,

Je

«

mais

C'est

même

me

que vous

faut

il

convenu

,

je

son portrait

laissiez

vous

au peintre;

:

son portrait,

ferai

celui de votre cuisinière,

dit-il

si

vous

le vôtre,

le désirez,

et

répon-

gaiement Horace.

dit

Quant au

ma

portrait de

cuisinière, je vous en dis-

pense, car je n'en ai pas; mais j'accepte pour j'oserai

mon il

il

traité.

même

père est

pût avoir

le

la

— Topez

î

le

mien, et

vous adresser une dernière prière. La

fête

de

24 décembre; je voudrais que, ce jour-là

surprise de ce beau cadeau.

entendu

c'est

cier partit, laissant

;

»

fit

l'artiste

;

et le

jeune

offi-

son cheval.

Plusieurs mois s'étaient déjà écoulés xlepuis que cette

conversation avait eu

de loin en lui

loin,

lieu, et le capitaine avait

rencontré,

Horace Yernet, sans que jamais celui-c;

eût reparlé de leurs conventions.

Enfin, vers le milieu de novembre, M. X*** se décida à

rappeler à

l'artiste la

promesse

qu'il lui avait faite. 20.


354

JOSEPH, CARLE ET HORACE VERNET.

.

«Je

me

qu'une parole, répondit Horace; mais,

n'ai

trompe,

de monsieur

fête

la

père

votre

je

ne

tombe

le

si

24 décembre?

— Oui. — Eh bien

alors,

nous avons encore du temps devant

nous, et je n'ai pas besoin de penser

si

compose en ce moment un grand

diable de tableau qui

m'absorbe beaucoup

me

moi. Venez

revoir

commencer avant le

qui ne

et

me

tôt à votre affaire. Je

laisse pas

une minute à

22 décembre; je ne pourrai pas

le

votre portrait; mais soyez sans crainte,

matin du jour en question vous raccrocherez au clou que

vous

lui destinez. »

Le capitaine revint à l'échéance, sans toutefois compter

beaucoup sur

Vernet l'attendait

quelques instants;

fut bientôt «

Bon!

sais ce

Souty, suite

que

en

un

besoin de vous voir l'un sur l'autre. l'arabe devant la maison, et M.

Ayez

à faire.

encadreur,

et

le

le cavalier;

Effectivement,

l'obligeance

toile

vous

me

le 24,

je

de passer chez

il

ne restera plus

donnerez une séance,

et je

vous

»

M. X*** portait à son

une simple ébauche, mais un

non point

père,

petit tableau très-fini.

Voyageant en Suisse, Horace s'amusait un jour des croquis sur les bords du lac de Genève.

à prendre

De jeunes An-

glaises dessinaient à quelques pas de l'endroit où

L'une

X***

de vingt, puis, revenez

cheval sera terminé;

aurai bien vite expédié.

arrêté.

»

priez -le de m'envoyer tout de

cadre pour une

demain matin; que

j'ai

et

devant moi pendant

Horace au bout de quelques minutes,

j'ai

joli

qu'il avait reçue.

selle.

dit

mon

promesse

le faire travailler

amena

palefrenier

la

Tenez, dit -il, montez notre cheval,

«

:

ayez l'obligeance de

Un

de

la réalisation

d'elles s'approche,

regarde ce qu'il

il

s'était

fait, et

se


APPENDICE. met,

tout en l'encourageant

355

donner quelques con-

à lui

,

monde

plus gravement du

seils.

Le

et la

remercie avec une parfaite courtoisie. Le lendemain,

vieil artiste l'écoute le

s'embarque pour Lausanne

il

fesseur de

la veille

,

et

il

retrouve son petit pro-

qui accourt vers lui

,

en

lui disant

:

Monsieur, vous qui êtes Français, vous devez connaître

«

Horace Vernet; on prétend

me

donc assez bon pour

— Vous tenez — Oh! oui.

— Eh

qu'il est

beaucoup à

le

le

bateau; soyez

voir?

bien, miss, c'est lui qui a eu l'honneur de rece-

une leçon de vous, hier matin,

voir

sur

montrer.

le

On devine

sans peine

la

»

répondit-t-il en riant.

confusion de

pauvre

la

fille,

en

entendant ces mots.

Horace Vernet

était

d'une grande bienveillance pour

jeunes gens qui s'adressaient à somption, et

le

der avec simplicité.

peu suffisant, de

moyen de

meilleur

lui

Un

mais

lui,

lui plaire était

de l'abor-

rapin, qui lui avait paru tant soit

apporta un jour deux dessins et

en donner son avis très-sincère. Horace prit

lui

mier, l'examina pendant quelque temps, puis, sans jeter

un regard sur

simples mots

lui,

il

dit avec

le pria le

pre-

même

un sourire ces

:

J'aime mieux

«

Suivant

second,

le

les

détestait la pré-

il

l'.âutre. »

un paysagiste célèbre de ce temps ne mettait

pas assez d'air dans ses tableaux. Voyant un jour arriver les

envois de cet artiste devant

ouvrir Il

jury,

il

se leva et alla

la fenêtre.

avait,

lettres,

le

comme on

une façon nette

a

pu

s'en rendre

et juste

de dire

définition pittoresque qu'il donnait à

«Qu'est-ce qu'un chien?

compte par ses

les choses.

Voici

la

un peintre d'animaux

:

— Un train de derrière et un train


353

de devant qui ne vont pas ensemble.

»

Regardez

premier caniche que vous rencontrerez,

et

trotter le

vous serez de

cet avis.

On

s'en souvient,

Horace avait ses coudées franches

cour de l'empereur Nicolas; qui lui venait à

la

souvent à des tirades

despotisme.

suite d'une sortie de ce genre, le czar lui

en riant «

le

la

en profitait pour dire tout ce

l'esprit, et se livrait

énergiques contre

A

il

à

demanda

:

Alors,

mon

cher Vernet, avec vos idées libérales,

si

vous priais de représenter une victoire des Russes sur

je les

Polonais, vous refuseriez?

— Pourquoi donc,

sire? répondit aussitôt l'artiste; n'ai-je

pas déjà dû plusieurs fois dans

croix?

ma

vie peindre le Christ en

»

Afin de laisser sur une impression favorable

le

lecteur

qui nous a patiemment suivi d un bout à l'autre de ce long

volume, nous tenions à réserver pour mot, qui a

le

la

dernière page ce

double mérite d'être beau en lui-même

d'avoir conservé, hélas! à vingt ans de distance,

de

triste actualité.

un

et

intérêt


TABLE DES MATIÈRES

Page

A MM. Horace

et Philippe

Delaroche -Vernet

Avant-Propos

I.

— Naissance de Joseph. — Un père jaloux de — Madame de Simiane. — Départ pour Rome. — Une* tempête un peintre et un mât. — Misère et découragement. — L'alphabet des — Pergolèse. — Rivalité d'un cardinal et d'un perruquier. — La petite-fille d'un archevêque. — Livio et Orazio. — François Poisson, marquis de Marigny

Antoine Vernet.

son

fils.

,

tons..

M.

— Réception à l'Académie. — Commande — Le centenaire Annibal. — Échange de — Naissance de Carie et d'Émilie. — Un parrain baptisé. — Cacolettes et troupiole. — Tillottes et chalibardons. — Opinion

Retour en France.

des Ports de mer.

let-

tres.

d'un

III.

manœuvre La colonie des

artistes

de François Vernet.

Obliger nuit. tiquent point.

I

V.

Folie de

au Louvre.

— Bénéfices

— Brevet d'apprentissage

d'une initiale complaisante.

— Origine des expositions. — Critiques qui ne cri— Bonheur et succès de Joseph Vernet

madame

Vernet.

— Enfance

maladive de Carie.

Son premier dessin. Il aura des bottes Lépicié. Mot de M. et madame Chalgrin. salon de madame Geoffrin. Grétry, Gluck et

!

L'atelier

Voltaire. Piccini.

— de

— Le — La


TABLE DES MATIÈRES.

358

Pages.

loge des Neuf-Sœurs.

— Bernardin — Mort

mie.

V.

Prix de Rome.

de Saint-Pierre.

Amour

et religion.

Réception de Carie à l'Acadé-

de Joseph et naissance d'Horace

40

— 10 août. — Projets d'émigration. — Jugement de madame Chal—

— L'au— Vainqueur au Champde-Mars. — Commencement du siècle. — Dessins à vingt-quatre sous. — Deux croix en une. — Mariage d'Horace. — 1814. — La barrière de Clichy. — Médaillé et décoré — Voyage à pied. — Lettres de Carie Intérieur d'atelier. — Départ pour grin.

Civisme de David.

réole de sang.

— Sous

Assassin par négligence.

le Directoire.

.

l'Italie.

d'Horace

et

VI.

56

Le duc d'Orléans

et le

Vernet et de Géricault.

Horace

,

homme

Membre de

duc de Bordeaux.

— — Directeur

politique.

l'Institut.

— Intimité d'Horace — 1822. — —

Vogue et entraînement. Une gracieuseté du de l'École de

— Les

soleil.

Rome

71

— Horace Ver— F. Men— delssohn à la villa Médicis. La cocarde tricolore. — Lettre au comte de Forbin. — Polémique avec M. Thiers. — Premier voyage d'Afrique. — Une expédition avec Jusuf. — Le cœur

VII.

net

,

Un

provincial à

ambassadeur.

Rome.

— Ses

Glorieuses.

rapports avec

M.

Guizot.

78

— Premier voyage — Sa mort. — Départ d'Horace pour l'Algérie. — Rabadabla. — Le bagne maison d'éducation. — Le César du couscoussou. — Portraits et croquis. — Histoires touchantes d'un pinson et d'une petite — De Bone à Constantine. — Retour en France

VIII.

Horace se brouille avec Louis-Philippe.

en Russie.

Singularités

de

Carie.

,

fille.

IX.

104

— Départ pour l'Orient. — Malte. — Une singulière friture. — Alexandrie. — Méhémet-Ali. — Le Caire. — Marché aux esclaves. — La mosquée des fous. — Les Pyramides. — Le désert d'El-Arisch. — Palmiers-plumeaux. — Portraits et caricatures. — Gaza. — Bethléem. — Jérusalem. — Saint-Jean-d'Acre. — Sidon. — Damas. — Beyrouth. — Smyrne. — Constantinople. — Tourtes et chandelles. — France! — Le Musée de Versailles. — Difficultés avec la — Horace Vernet publiciste. liste -civile.

Le

droit de gravure

124


TABLE DES MATIÈRES.

359 Pages.

X.

La Russie peinte par Horace Vernet.

Second voyage

— Arrivée à Saint-Pétersbourg. — — Histoire lamentable d'une princesse qui aimait trop les cornichons. — Bal à la cour. — Tsarskoë-Selo. — Grandes manœuvres — Réflexions politiques. — La fête du en

Russie.

Traversée.

L'empereur Nicolas.

Czar

XI.

160

(suite). — Mort du — Horace Vernet ambassadeur. — Voyage avec le czar. — Moscou. — Toula. — Poltava et Waterloo. — Le métier d'hirondelle. — Varsovie. — Installation à Pétersbourg. — M. Ingres. — Coup d'œil sur de la Russie en 1842. — Les Juifs. — Enfantillages et tendresses

La Russie peinte par Horace Vernet

duc d'Orléans.

,

l'état

17;

suite). — Sages — Horace Vernet étudie la grammaire. — Portrait du czar. — L'hiver et le traînage. — Défense — Les de M. Ingres. — Toute vérité n'est pas bonne

XII.

La Russie peinte par Horace Vernet

(

d'un grand-papa.

conseils

à...

salons de Saint-Pétersbourg.

lire.

Découragement. —- Société mê-

La Saint-Nicolas. — Les Mystères de Paris et un roman — La Bible. — Une Niobé porcine. — Intérieur de famille. — Chronique scandaleuse. — Utilité de la critique. — Tristesse dans un bal. — Théorie des nez. — Avenir de la lée.

russe.

Russie et nécessité d'une révolution

205

La Russie peinte par Horace Vernet (suite et Un palais de cristal. La Saint-Martin de la palette.

XIII.

carnaval.

L'empereur au bal masqué.

fin).

Le

Lucullus et ma-

— Réjouissances et déguisements. — Un mariage — Le public et les coteries. — Céladon fripé. — Rubini. — L'église d'Isaac et la peinture décorative. — Voyage sur mer en traîneau. — Carême et jeûnes. — Les fêtes de Pâques. — L'hospice des enfants trouvés. — Bal à la cour. — Adieux à la Russie dame Gibou.

aristocratique.

XIV.

La Smâlah.

Seigneur Cadix. les

parenté d'un

Phénicien David et la Passion de Notre-

Voyage au Maroc. Jugement paradoxal sur Murillo.

critiques.

roche.

Enfantin.

Tanger.

homme

243

célèbre.

Bataille d'Isly

Les

— —

Gibraltar.

La

-

critique et

Français en Algérie.

La

Mort de madame Paul Dela•

280


'

TABLE DES MATIÈRES.

360

Pages.

XV.

Illusions

de Louis

-

Philippe.

24 Février.

Un

garde

— Journées de Juin. — Siège "de Rome. — Expédition .de Kabylie. — Le frère Hermann. — Guerre de Crimée. — Exposition universelle. — Creux et bosse. — Philosophie chrétienne. — Une vieille maîtresse. — Quatorze lustres dans une tête. — Vieillesse d'Horace Vernet. — Sa mort. — Ses dernières volontés national

convaincu.

Lettres

diverses.

299

APPEN DICE. h

Essai de critique sur l'Œuvre des trois Vernet

315

II.

Vernetiana. ...

338

FIN

PARIS.

J.

DE LA TABLE DES MATIÈRES.

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