LES MAITRES DU LIVRE
L'APPRENTIE IMR
GUSTAVE GEFFROY TEXTE REVU PAR L'AUTEUR
L-^â^BB^'
PARIS
GE
U dVof OT AWA
39003002-199555
b> G?
C\
1/
*\
Digitized by the Internet Archive in
2010 with funding from University of
Ottawa
http://www.archive.org/details/lapprentieOOgeff
L'APPRENTIE
EXEMPLAIRE SUR PAPIER DE RIVES
N°
105
,
-
—
„
,
^/ Çîylùjp*j> Çr w/tW^sh
GUSTAVE GEFFRCH f
L'APPRENTI li TEXTE REVU PAU L'AUTEUR DÉCORÉ DUN FRONTISPICE GRAVÉ A i/EAU-FORTE ET DE XXIII DESSINS ORIGINAUX DE RERNARD NAUDIN GRAVÉS SUR ROIS PAR GEORGES AUHERT
PARIS GEORGES CRÈS ET
C' 9
LES MAITRES DU LIVRE 21,
RUE HAUTEFEUILLE,
MCMX X I
BIBLIOTHECA
2
1
pf
PRÉFACE DE
D AUTEUR
POUR
CETTE NOUVELLE ÉDITION
PRÉFACE DE L'AUTEUR
ON
demande à
même
ce qu
il
la
idée lui en
pense de sa réalisation.
de répondre avec précision à ces
questions précises.
de
t
quelle en est la signification, et peut-
Il est difficile
et
préface d\in auteur [ori-
gine de son livre, comment
est venue,
être
la
Que savons-nous du moment
manière dont
les idées
naissent en nous :
-I— II
y
a toujours
II
-4-
une pari
il inconscient
dans
les
conceptions de l'esprit, et aussi dans leur exécution.
On peut
essayer de définir cette part en pre-
nant exemple du cheminement obscur accompli
pendant
sommeil par nos recherches
le
préoccupations de
na pas
Qui
la veille.
et nos
éprouvé
ce phénomène habituel d'une pensée à létal inquiet
qui se trouve clarifiée
et trouble,
mise à point
comme
s étaient classés,
de
ïa nuit
par
le
sommeil,
ses éléments en désordre
si
ordonnés d'eux-mêmes au cours
reposante ?
Cela se passe ainsi sans doute pendant
comme pendant
le
sommeil, à tous
la veille
les instants
de
notre vie, sans que nous connaissions formellement ce qui s'anime
en nous, en vertu des influences que
nous subissons,
et
par
la
force particulière de
sommes.
l'individu
que
blanche, la
plume en main,
nous
encrier, peut-être la
Devant
la
page
F écrivain tire de son
même façon
de penser, mais
à coup sur une forme, une nuance, un dévelop-
pement différents de ceux
qu'il
en aurait
tirés
autre jour, ou à une autre heure du jour.
un
Com-
bien de pages projetées ont été perdues, combien
-§—
—^-
III
de pages insoupçonnées sont subitement écloses?
ou
(Test une perte
un
mais
il
y a
ï exercice certain d'un pouvoir mystérieux
qui
c'est
'juin,
travaille à noire insu.
ce livre de L'Apprentie, je
Pour
absolument quand
(Unie dire
formulé, car
mcnt
il
il
s'est
a été, pendant des années, vague-
que son héroïne
toutefois,
comment
et
aux songeries de ma
lié
ne sauruis
ferte à moi sous
la
forme
vie.
Je puis dire,
s'est tout
d'abord of-
stricte d'une véritable
apprentie, d'une apprentie de métier, et que je représenter
désirais
râtelier, et en
par
même temps
ï existence de Paris,
V apprentissage
elle
drames
les
répercussions de
et
comédies, sur la
formation d'esprit d une petite c'est ce
fille.
Peu à peu,
second dessein qui a dominé
le
lequel a fini par s'effacer presque
ment. Le
titre
du
pas changé, mais
livre, il
est
et
premier, complète-
qui n'était quexact, n'a
devenu uniquement sym-
bolique de ï apprentissage de la vie.
En dans
dehors de cette évolution qui
mon
s'est
opérée
esprit sous la simple et continue pres-
sion de l'existence, si je cherche quelque raison
changement de direction, je
littéraire de ce net
crois
trop étroite de
de
leurs,
paru au (1
me
avoir voulu
il
Inapplication
théorie, utile et féconde
la
traduction du réel.
stricte
la
soustraire à
pas moins
n'était
une vérité plus large
et
d ail-
Il in a
vrai, et qu'il était
plus
haute,
& aper-
cevoir les événements de la plus obscure vie reliés
à l'ensemble des faits et des choses,
comme
la
substance des plus humbles graminées participe
au mouvement qui régit tout l'univers dans
pace
l'es-
illimité.
C'est ainsi que
la petite
comme
été choisie
famille dont
Cécile
Pommier a
tenant à un groupement de
elle est
inséparable, à la vie sociale
du faubourg de F immense
ville
où
elle est née, et
aux immenses cataclysmes des guerres qui bouleversent
les
les êtres.
dans
la vie
j'y suis
nations et changent
S ai été alors par
la
le
destin de tous
conduit à la faire entrer
sombre porte de 1870, comme
entrémoi-même,
de ses jeunes années
le
et
à décrire
comme
faubourg de
dont je crois connaître
le
La guerre étrangère
et
décor et la
scène
Belleville,
la signification.
guerre
civile
font
voir
flammes
leurs
violentes
en garde
et
font entendre
aux premières pages de
leurs voix
ce livre,
échos jusque
les reflets et les
la
qui fin,
à travers les images des joies de la rue et de la
misère des logis, de l'alcool, de crime. La dédicace que filles
de Paris
forme
(pie
ni
la prostitution,
f ai faite
de ce livre aux
a été parfois reprochée pour
jai cru devoir
On avouera rjuilny a pas
lui
du
lu
donner en 1901.
de raison pour changer
ses termes en 19 18, alors que la barbarie éparse s'est le
les
de nouveau condensée en guerre pour ravager
monde,
que Belleville, défendu en 1870 par
et
canons des forts, bombardé
guerre
civile,
à 19 18
par
et
saigné par
la
a été bombardé et incendié de 1914
les
zeppelins, les gothas et les pièces
à longue portée, inventions dernières de la civili-
sation anti-humaine.
G. G. Paris, a
novembre 191 8.
AUX FILLES DE PARIS EN TÉMOIGNAGE DUNE ÉPOQUE BARBARE
1.
Une
petite
—
fille
LA GUERRE de sept ans erre par
Père-Lachaise, un jour
Toute
menue,
cheminant
presque invisible, suit les détours
les allées
du
de décembre 1870.
doucement,
comme une ombre
du grand cimetière
elle
passe
incertaine,
désert,
assombri
par l'hiver, lumineux déneige, sombre colline dressée au-dessus
de
la
ville,
paysage
dune
mélancolie
farouche
et
glacé,
bile,
n'inspire
impose
grandiose.
Ce monde
cet effrayant
pas
la
toutefois
terreur
un
petite passante,
lui
à la
trouble et
émoi de
du
gris
sombre, Cécile interroge
silence,
reconnaître la
une
la solitude.
gravité, le res-
De
ses
yeux d'un
les choses,
cherchant à
campagne des environs de
Paris qu'elle
vient de quitter.
Son
esprit naissant, à peine ouvert
aux sensations, peut croire à
la
continuation d'une
promenade commencée ailleurs. La
vieille et belle allée
de marronniers, qui coupe transversalement tière,
immos'il
pect
1
silencieux,
domaine des morts,
quelques sentiers de charmes
et
le
cime-
d'ypréaux, cette
prairie plantée d'ifs et de sapins, tous ces aspects
du
cimetière ressemblent à des parcs, à des coins de forêt qu'elle a entrevus autour la belle
Ce
du
village d'Andilly,
pendant
saison, chez sa tante, épicière et aubergiste.
qu'elle n'a jamais vu, ce sont ces routes et ces
ruelles bordées
de tombeaux qu'elle prend pour des
maisonnettes, ces frontons chargés de
noms quelle
essaie
vainement d'épeler, ces bustes qui regardent
tous
vide infini. Certains de ces regards semblent
le
suivre et la poursuivre, et les feuilles
il
la
y a un chuchotement dans
mortes. Elle marche plus vite alors vers
de Lumière qu'elle aperçoit au bout
l'éclal
A
des morts, la
la ville
bien
lui apparaît, et c'était
l'allée.
dénudés, aux tournants, aiu
travers les arbres
carrefours de
<!<•
ville
des vivants
un peu rétendue
qu'elle
avait devant elle, lorsqu'elle quittait la rue d'Andilly
pour
la
route tracée en lisière de
rency. Mais où sont verdures,
les
le
maisons blanches
de brume, couverte d'un \ille
ciel
qui semble prolonger
rizon. Cécile retrouve les
mausolées
et
la foret
ciel bleu, le
le
de Montmo-
soleil d'or,
? Ici, la ville
les
trempée
morne, une singulière cimetière jusqu'à l'ho-
dômes
et les
clochetons des
des sépulcres aux faîtes et aux aiguilles
despalais et des églises. Tout près, sur l'escarpement
de Ménilmontant,
Groix ville,
;
la flèche
de Notre-Dame-de-la-
proche aussi, Saint-Jean-Baptistc de Belle-
Saint-Ambroise
Dame, qui
;
se révèlent
plus loin,
dans
le
le
Panthéon, Notre-
brouillard de décembre,
au-dessus de l'amas indistinct des maisons.
Peu encore,
mer
à peu,
blanc
étale
velit Paris. le
clocher
et
on ne
vit
plus rien. Le ciel s'abaissa
comme un livide
Des
sur
le
suaire, s'étendit en
une
paysage de neige, ense-
vols de corneilles s'en allèrent vers
de Ménilmontant,
et
ce
passage d'oi-
seaux noirs,
un funèbre
c'était tout le
sillage
mouvement de
l'espace,
dans l'atmosphère d'un champ de
bataille.
Tout sud
à coup, dans le
grand
vinrent
silence,
du
et de l'ouest de longues détonations, et des rou-
lements sourds se propagèrent à travers
le ciel.
Le
bruit grondait dans le mystère de l'horizon disparu, se
répercutait en échos étouffés, montait jusqu'à la
colline mortuaire.
eût dit l'ordre des saisons dé-
l'approche d'un cataclysme,
truit,
dans
On
la neige.
Le
petit être, spectateur inconscient
drame, écouta, l'index levé vers tout haut
—
la
de ce grand
tempe,
et
pensa
fit
passer
:
Le tonnerre
Une le
un orage tonnant
!
voix jeune, chantante, rieuse, qui
printemps sur tout cet hiver, sembla répondre
— —
Cécile Ici,
Une hallier
Cécile
!
—
!
où
dit la petite
autre ombre,
comme une
?
ombre.
un peu plus grande,
biche rapide,
Cécile, fut Céline, sa assez pareilles,
es-tu
:
et bientôt,
sœur de douze
au premier abord,
surgit
le
du
près de
ans. Elles sont
visage régulier,
le profil fin,
est
un peu
châtaines de cheveux. Céline, pourtant,
plus blonde, a le visage
contour plus mol,
le
fuyants. Elle n'a pas
sombre de
Cécile,
—
main de
Allons
!
ma
le
non plus
précis,
de
menton Légèrement les
yeux d'un
gris
mais des yeux couleur de bleuets.
Elle prend dans sa nelle, la
front,
moins
main, d'un
l'enfant petite,
mater-
air d'autorité
:
nous allons
rentrer.
Maman
nous attend.
—
—
Voui,
dit l'autre.
Elles restent encore à regarder devant elles, sans rien voir
au delà des arbres noirs que cet abime
blanc, d'où viennent toujours, sans
roulements farouches
— —
Linc
Ce
!
le
une lueur,
les
et solennels.
tonnerre
î
—
dit
encore Cécile.
n'est pas le tonnerre, c'est le canon,
—
dit
Céline, importante.
— Canon? — répète en écho — Oui, canon des Prussiens — explique grande sœur.
la petite
le
forts,
canon des
la
Toutes deux reviennent par tière
et le
sœur.
comme
les
par les rues d'un
chemins du cimevillage.
Chaussées
de galoches, emmaillotées dans des châles, coiffées
de capelines,
semblent
elles
femmes cherchant du
des
petites
bois mort. Elles
se glissent entre les tombes,
parmi
les
bonnes
s'arrêtent,
couronnes de
perles et d'immortelles, les bouquets fanés, les plantes grises et rousses. Cécile voudrait cueillir des fleurs elle
arrache des herbes sèches, des brindilles d'ar-
brisseaux,
rouge de
— Viens
Il
en
une
fait
froid. Céline rit
n'y
a
pas
dans sa petite main
touffe :
de
en hiver,
fleurs
Cécile.
!
Cécile laisse tomber sa
gerbe, l'abandonne avec
regret, s'en va. Enfin, elle rit aussi.
pas de fleurs. Tout est blanc la
:
neige resplendit à travers
et des grillages. Il
et
le
Non,
il
n'y a
noir autour d'elles,
dur
treillis
des arbres
n'y a de roses que sur leurs joues,
de tendres corolles que dans leurs yeux. Seuls, leurs regards palpitent et vivent parmi cette nature glacée,
dans cette mort universelle. Les deux petites par
la
filles
sortent
du Père-Lachaise
rue des Rondeaux, ruelle plutôt que rue, do-
minée de suivent
la
haute muraille grise du cimetière. Elles
un chemin qui
leur est familier
:
au long de
palissades, de terrains vagues, de buttes couvertes de
"•—
9
+
neige, elles gagnent la rue des Partants,
la
pue des
Amandiers. C'est
là
triste logis.
quelles habitent, une
D'un
tique rouge de
triste
côté de la porte,
marchand de
une boutique verte de
fruitier.
vins
Le
;
maison, un
y a une bou-
il
de l'autre coté,
couloir, l'escalier,
sont pauvres et obscurs. C'est au premier. La clef est
sur
la
Céline ouvre.
porte.
La pièce où
entrent est une salle à manger, avec deux
dans
les
angles.
Au
lits
elles
repliés
milieu, une table ronde en noyer
sous une suspension à lampe de porcelaine blanche.
Quelques rayons, sur lesquels sont des
livres entassés
un peu pêle-mêle, des bouquins de tous genres, des romans, des brochures politiques, des livraisons. Le carreau est frais lavé, taches.
On
qui veut
et
le
papier n'a ni déchirures ni
devine des yeux et des mains de
maintient
la
propreté. Cette
femme
femme,
voici, c'est la mère, jeune encore et sans âge
yeux rit
gris pensifs,
une bouche
fine et
:
la
des
amère qui sou-
gentiment. Elle est de race bretonne, acclimatée
à Paris, façonnée par la vie de travail et de soucis.
— core
?
Vous
voilà...
Où
avez-vous été
traîner en-
+-
— —
Au
Au
IO
—
%-
—
Père-Lachaise,
gaiement.
dit Céline,
—
répète Cécile, joyeuse
Il est
presque nuit. Une autre
Père-Laçaize,
aussi.
— fois,
C'est bien loin. n'allez
tiques de la
que jusqu'à
l'église,
et
voir les bou-
Chaussée, ou bien attendez Jean pour
sortir avec lui... Allons, débarrasse ta
sœur de tous
ses fichus, ôte-lui ses souliers, donne-lui des et tu
m'aideras à la cuisine.
La mère où
pièce,
il
et
les
deux
donnent sur
manger
et celle
petite
vieux fauteuil, contre les
le
et,
lit
la rue.
la cuisine
vite les
et
un
La
petit
lit.
Les deux
fenêtre de la salle à
donnent sur une cour. images, blottie dans un
près de la fenêtre, s'écrase
le
visage
carreau, regarde la rue au crépuscule, où
lumières apparaissent, où les silhouettes bougeantes
et les objets
tincts. la
de
abandonne
dans l'autre
petites passent
y a un grand
fenêtres
La
images,
immobiles commencent à devenir
La nuit
mère
vient de
moment où fusils
bonne heure en décembre
et l'aînée, bientôt, à la
achèvent de mettre
le
indis:
lueur d'une chandelle,
couvert sur une nappe,
au
des pas lourds et des chocs de crosses de
s'entendent dans l'escalier.
Le père
et les
deux
-S— fils
n'ont pas à heurter
les trois
hommes
1 1
:
—
§-
la vive
sont entrés.
Le
Céline
a déjà
ouvert,
père, parisien, petit,
maigriot, barbu, d'une physionomie indécise et rieuse
comme de
sa
Céline. Les deux
fille
mère. Tous
la
angle de Justin,
la
l'installe
reuse.
—
Le père Pommier
pièce.
s'assoient,
chambre,
ont du sérieux
et
le fils
dans
l'embrasse, la
saisit Cécile,
aîné,
l'autre
danser,
fait
sur son épaule. La petite s'épanouit, heu-
La mère allume
La soupe, en
la
effet,
lampe
est propre,
et appelle
La soupe
fume sous
soupe de mauvais pain noir
suspension. Pauvre
la
et
de graisse, mais sont
assiettes
les
faïence,
le
:
est sur la table.
la
blanches, les
cuillers et les fourchettes sont bien frottées. la
dans un
fusil
fatigués. Jean va
Finis donc, Jean!
nappe
fils
posent leur
trois
Le
linge,
métal, éclairés de la douce lumière,
paraissent sourire de toutes leurs blancheurs et de tous leurs luisants, et les visages, de
Jean vient.
fait
manger
La mère
pain qui semble
Cécile, qui jacasse.
sert la si
voix lointaine
et
soupe, partage
bon, verse
dehors arrive, pendant la
même,
le
les silences
sourient.
Céline va et le
mauvais
vin et l'eau.
Du
des conversations,
grondante des canons des
forts.
-g— 12 =§-
—
—
Les chiens de garde veillent,
—
dit Justin,
Pruscos ne prendront pas Paris cette nuit
les
— D'abord, nous sommes de garde à Romainville — — Pas moi, — Jean — ce dit
—
Tu
Et
elle
—
la
de
soir, je suis
;
chien
maison.
restes avec
moi, Zan
î
—
dit Cécile.
applaudit de ses petites mains.
Oui,
mon
et je t'endors.
comme
la porte
dit le père.
î
de garde à
!
à
petit,
—
dit Jean.
— Je
couche
te
Je t'apporterai ton café demain matin,
une princesse. Et un autre jour, ce
sera
Justin.
—
Il est
zenti aussi, Zustin.
Les yeux gris
de
la
—
petite
dit Cécile, satisfaite. fille
vont de l'un à
l'autre. Elle est contente,
en parfaite sécurité. Elle
sent confusément
le
grave, son père
que tout
monde
l'aime, sa
bon garçon, Justin qui
l'observe tou-
jours avec tendresse, Jean qui joue avec
un
gosse, et Céline, qu'elle admire
comme
elle
comme
la
grande
sœur, aux jambes plus longues, qui court plus sait
sauter à
la
corde, aller dans
des commissions toute seule sera plus tard.
:
la
mère
rue
et
vite,
faire
l'image de ce qu'elle
-s- i3 -s-
On mange de
riz,
la
minime pitance de
viande, un
pl.it
une tranche de fromnge, on boil un dernier
verre de vin.
Le père fume une pendant que
rettes,
pipe, les
la
mère
fils
Céline emportent
et
nappe sous
verres, les assiettes, retirent la
hommes.
des trois
Cécile
roulent des ciga-
s'est
les
coudes
les
endormie sur
les
genoux de Jean. Les hommes parlent politique, commentent
la situation.
On
a élu les maires.
La Prusse
tion de l'armistice a été agitée. la
demande de
marche de
la
ravitaillement.
Les
La ques-
a repoussé
bataillons
posés de volontaires, de célibataires, de veufs, le faut,
d'hommes mariés âgés de vingt
cinq ans.
En somme,
tout va
betta est plein d'ardeur. fera la trouée,
côté
pour
le
La province
on reconduira
les
et, s'il
à quarante-
mieux.
Gam-
s'organise.
Allemands de
On
l'autre
du Rhin.
—
Oui,
veuillent! frère
de
garde nationale sont enfin formés, com-
si
—
nous avions de
vrais chefs
qui
le
dit Justin, qui écoute son père et son
s'enflammer d'espoir
et se griser
de paroles.
Mais croyez-moi, on perd du temps tous Les approvisionnements sont mal
faits.
les
—
jours.
Les Allemands
-§=»
i4 —§-
sont nombreux, et les choses n'iront pas
que
si vite
ça en province! Gambetta est jeune, c'est vrai, et
il
secouera les gens, fera une espèce d'armée. Tout de
même, depuis que
les
Allemands ont
leurs forces sont disponibles, et
—
Ta
ra ta ta
!
mon
chent pas, nous
les
Blanqui à
la
nous sommes fichus.
— interrompit
jamais content,
fiston... Si
changerons
pris Metz, toutes
:
—
le père, les
tu n'es
mar-
chefs ne
on mettra
le
vieux
place de Trochu, on fera ce qu'il fau-
dra.
—
Il est
que Blanqui vaudrait mieux. Lui
certain
seul voit clair et dit la vérité.
Mais qui
le
croira
? Il
un rouge.
n'est pas militaire,
il
a été en prison, c'est
Jamais l'armée, ni
la
garde nationale des boutiquiers,
ni
même
celle des ouvriers,
ne
lui obéiront.
— Nous l'imposerons, nous en ferons un — proclame Jean berçant — Oui, pour puis on nous Cécile.
teur,
trois jours, et
ou on nous
— Ta
dicta-
fusillera
coffrera avec lui après.
ra ta ta
!
—
dit encore le père,
saurons bien régler nos comptes avec
le
—
nous
gouverne-
ment.
— On
les
réglera plus tard, trop tard,
—
dit
Jus-
-§— tin,
—
—«-
5
1
ne sera pas drôle. Rappelez vous ce que
et ça
— affirme doucement
le
jeune prophète
Le rappel bat dans la rue. Le père
et
Justin se coiffenl
je vous dis,
ouvrier.
de leurs képis, prennent leurs
mère
fusils,
descendent dans
et Céline,
tastiquement éclairée par
la
embrassent
la
rue obscure, fan-
la
neige.
Jean, avec précaution, emporte Cécile endormie
dans l'autre chambre,
maman,
de
approché Il
lit
la
un des
lits,
se
table de son
couche
descendu
et
lit
soit réveillée.
Il
aussi, après avoir la
lampe.
des journaux, des livraisons des Misérables,
pendant que table,
couche sans qu'elle
la
revient, défait
avec des mains
la déshabille
la
mère
et
Céline revenues, assises à
raccommodent, causent à voix
la
basse.
— — au mère. — Non, moi — toujours — Ni Tune, — Jean — des femmes bourru. Vous m'embêtez J'irai
pain, !
dit la
prête à sortir.
dit Céline,
ni l'autre
ton
est à la
affectant le
dit
!
:
maison. C'est moi qui
la place
irai
partout, au pain,
à la viande, au charbon. Je n'ai que ça à faire. Je
ne prends pas
— Tu vas
la
garde demain.
t'éreinter,
mon
garçon.
-#— i6 -*-
— Ça m'amuse de discours, j'excite les
vous coucher,
comme
et
faire la
queue. Je prononce des
femmes
prenez
la
à la résistance... Allez
lumière
ça.
La mère
est
dorme. Elle
heureuse que son Jean se repose et
comme un
du matin,
se dit qu'à quatre heures
dort, elle s'en ira sans bruit. Elle
embrasse
enfant au berceau et
La nuit s'appesantit sur
line.
j'ai assez lu
:
1
s
le gaillard
en va avec Cé-
la ville,
sur les mai-
sons, le logis est perdu dans le noir et le
comme un
s'il
silence
bateau en mer. La canonnade roule à
tous les horizons, fait chanter les vitres. Les heures
sonnent.
A
quatre heures, doucement, doucement, la mère
se lève.
çon
est
Mais dans
elle la
trouve
cuisine qui
trempée d'eau-de-vie,
— Chut pour
!
le lit
de Jean vide. Le gar-
mange une
croûte de pain
et s'en va bientôt.
ne réveille pas
les petites.
Je reviendrai
le café.
Les soirs
et les nuits
de cette famille d'assiégés se
passaient à peu près ainsi. L'un
ou
l'autre des
hommes
manquait, parfois tous étaient dehors ensemble. La mère, avant l'aube, fdait à
la
boulangerie, à la bouche-
—
§-
-s— 17 rie,
ou bien envoyait Céline, Mais
voisine.
une
la petite,
fois
échappait à toute surveillance,
avec
qu'on ne
femmes, aussi
quelque
s'émancipait,
son
riait
frère, criant
moucheronne
se rendrait jamais. « Cette
disaient les
à
rendue à son poste,
comme
garçons, discourait
les
confiait
la
exaltées
et
!
»
guerrières
qu'elle.
C'est le seul métier
du moment,
faire la guerre, et
en parler. Le père, peintre en bâtiments, Justin
et
Jean, mécaniciens, ne travaillent plus de leurs professions, vivent de leurs trente sous
naux,
et
jouent leur rôle en conscience. C'est pour
eux, et pour d'autres,
brusquement
Paris,
transformé en et
le
l'hiver,
de
fer
la
séparé
isolé,
militaire.
fils
domine
marchent
le
du monde,
Depuis
le
la
par
les ciels noirs
les
de
montagne faubou-
de Paris,
le
trois soldats.
père et
les
Leurs cos-
képi de garde national diffère
casquette de l'ouvrier, la bande rouge
talon, le liseré
s'est
4 septembre
l'investissement,
la vallée
comme
depuis que
affaire,
de l'automne, par
tumes ont changé, de
grande
au long des rues de
rienne qui
deux
camp
la
commencement de
ciels gris
de gardes natio-
rouge de
la
du pan-
vareuse sont cousus aux
étoffes
Le
sombres qui remplacent surtout,
fusil,
les
une tragédie
vêtements
d'atelier.
changement survenu,
le
tragédie militaire,
signifie la
comme
marque
même
en
et,
temps,
parallèle, révolutionnaire, qui s'annonce
certaine, fatale.
L'état d'esprit de ces trois
hommes
s'était
décidé
aux dernières années de l'Empire. Le père Pommier avait transmis à ses
deux
fils,
comme
contes d'en-
fance, ses souvenirs de 1848. Mais le réveil complet
de l'énergie populaire se
grande
fête
Pommier
fit
tout de suite après la
furent alors
nions publiques.
Ils
du Paris de
vécurent avec
délire, firent partie des torrents
fiacre
1868 à 1870. Les
de l'Exposition, de
la
rue
les
et des réu-
faubourgs en
humains charriant
le
de quelque journaliste ou de quelque orateur
de violente opposition, des groupes passionnés autour d'une affiche rouge ou d'une lecture de journal à haute voix. Ils furent des parcelles de cet orage en formation
qui emplissait parfois
la ville
électrique, qui se déplaçait
gineux,
le
de sa chaude haleine
comme un
courant verti-
jour, par exemple, des funérailles de Vic-
popu-
tor Noir, qui créa l'image
d'un Paris vidé de
lation, partie tout entière
pour Neuilly, un Paris de
sa
"ù sem-
rues désertes, extraordinairement élargi
résonner bientôt
blait devoir
coups de
bruit crépitant des
le
fusil.
Ces fiévreux liseurs
d'affiches,
visages résolus et menaçants,
hommes
ces
aux
qui apparaissaient au
seuil des couloirs des réunions publiques, ces éner-
giques enthousiastes, qui se précipitaient vers
de l'orateur
du
et
le fiacre
journaliste, c'étaient ceux-là qui
avaient changé leur casquette en képi, et qui étaient
devenus des porteurs de
A
à les entendre,
les voir,
leurs pareils,
fusil. les
Pommier
trois
on ne pouvait douter du
et
désir qui les
animait, et qui était le désir de se battre contre les
Allemands.
Ils
avaient été surpris par la guerre, eux
qui croyaient travailler à une transformation sociale. C'était l'imprévu.
Leur volonté d'action,
exaltée,
accrue, avait donc forcément changé d'objet vrier
de Paris trouvait devant
n'attendait pas
pour l'Allemand
et !
qui
On
lui
était le
trois
Pommier
l'ou-
adversaire qu'il
soldat allemand.
verrait ensuite.
ce lendemain, l'énergie restait la
Les
un
:
En
Va
attendant
même.
étaient ainsi
:
ils
enrageaient
de sentir leur ardeur se consumer inutilement, au-
20 aé-
-§=»
raient voulu se lancer vers l'ennemi, libérer la France,
préparer l'avenir.
Au rant
3i octobre, la
ils
Révolution
sont à l'Hôtel de Ville, espé-
et le salut
forcer les chefs à l'offensive,
public. Ils croyaient
mais
il
semblait que
chefs se refusassent à utiliser ces instruments
les
que
le
destin leur offrait.
—
Ils
ne savent rien,
—
disait Justin.
prennent pour des flemmards voilà tout...
—
Ils
et
Et puis, des gardes nationaux, ça ne
compte pas pour eux. C'est bon pour garder tifs,
nous
et des braillards,
qui ne sont jamais
les for-
Nous sommes
attaqués...
des escargots de remparts, nous ne sommes pas des soldats...
On nous
occupe en nous faisant coucher
dehors, en nous faisant jouer au bivouac... sera fini,
nous nous figurerons que nous avons
guerre... Ils
ne nous connaissent pas
marcher tout droit devant eux, on serait bientôt fait
dans Versailles
Trochu, Vinoy
:
s'ils
et
ce
fait la
voulaient
les suivrait.
de culbuter Guillaume
Et ça
Bismarck
!
Justin traduisait ainsi
un
Quand
et
soir d'octobre
le
sentiment de beaucoup. Si
Ducrot étaient venus tous
les trois,
ou de novembre, rôder incognito
—
*-
-S— 21
par
comme
ville,
la
Nuits,
des califes des
une
auraient découvert une population qu'ils
ils
ont ignorée jusqu'à
la fin,
singulièrement confiante
déterminée à
espérante,
très
militaires.
Parmi
les
l'Allemand dos
la
première
comme on
faire crédit
la possibilité
sortie.
dit, assez
el
aux chefs
ouvriers du faubourg,
manquait pas qui affirmaient
vraiment,
Mille ei
il
n'en
de ebasser
Ces Parisiens sont
contents d'eux-mêmes,
assurés qu'ils viendront facilement à bout de difficiles
besognes toire,
ils
:
ne doutent pas un instant de leur
hommes, femmes,
Dans
enfants.
sombres, aux portes des boulangeries ries, les faces pâles, les
C'est
une force qu'une
possibilité
Pour
les
rues
des bouche-
paroles criées de voix colères
ou gouailleuses, affirment
meurt sur place, car
et
vic-
le
telle
les
triomphe immanquable.
exaltation,
mais cette force
chefs ne croient pas à
la
de l'employer.
ces gens qui s'agitent dans
de décembre, l'agonie a commencé,
le
Paris neigeux
et ils
ne
le
savent
pas. Ils se croient encore vivants, et déjà le froid et l'inertie les
les
gagnent, sans qu'ils
le
sachent.
Ce qui
sauve du doute sur leur sort, ce qui leur
illusion, c'est qu'ils parlent.
Leur besoin
fait
d'agir, leur
11 ardeur patriotique, leur fureur contre l'incapacité,
de
leur méfiance
la
trahison, s'exhalent en mots,
partout, en marche, au corps de garde, au rempart,
au coin des rues, où ter
un journal sous
eux, à table, au
lit,
ils
s'attardent à lire et
la clarté
commen-
d'un réverbère,
et
tout le temps, jusqu'à ce
sommeil vienne enfin apaiser
et
chez
que
le
reposer ces assiégés
fiévreux.
Combien de t-elle
par
trois,
sur
fois la
la vitre l'un
mère, avec ses deux de ses
trois
hommes, ou
reconduits par quelque camarade,
le trottoir
devant
la
filles,
et
épia-
tous les restant
porte de la maison, à gesti-
culer et à pérorer, des quarts d heure et des quarts
d'heure, pendant que la soupe s'épuisait à bouillir, et
que
le fricot brûlait
les appelait. Ils
faisant
sur
!
On
leur faisait des signes,
on
ne voyaient ni n'entendaient, ou bien,
un pas pour
s'en aller,
ils
recommençaient,
un mot, une nouvelle paraphrase, une nouvelle
discussion des nouvelles délirante et crédule,
du
jour, écloses dans la ville
ou apportées sous
l'aile
geon. Alors Céline descendait pour ramener
d'un pile
cau-
seur, et le causeur la prenait par la main, et la retenait à écouter,
bouche béante, yeux
fixes, le récit
de
*tant de
23 es-
drames imaginaires et
réels.
Enfin
les
hommes
remontaient, bousculaient et embrassaient gentiment la
mère, proclamaient
l'affreuse
recommençaient de plus
Ghanzy
et
belle
soupe excellente, à
et
manœuvrer
faire
d'Àurelle de Paladines, Faidherbe et Cre-
mer, à morigéner Trochu, à menacer de Moltke. C'est
parmi ce
de Cécile et ce
fracas de guerre
s'éveillait. Elle
que
l'intelligence
écoutait sans comprendre,
qui parvenait jusqu'à son petit esprit, s'orien-
tant dans
l'obscurité,
contes de fées que lui
lui
faisait
lisait
sa
l'impression
des
sœur, des histoires
merveilleuses que lui apprenait sa mère, ou des jeux
de cache-cache
et
de croquemitaine inventés par Jean.
Elle y croyait et n'y croyait pas, elle éprouvait
une
frayeur qu'elle savait devoir être bientôt dissipée, et c'était
alors, après
le
pâlissement et
la
suspendue de l'angoisse, de grands
respiration
de
rire
nerveux qui ne finissaient plus, pendant qu'elle
frot-
tait
l'une contre l'autre ses
éclats
mains encore
petites
moites de peur délicieuse.
Ces Allemands, dont on entendait parler sans cesse, et
que
jour et nuit
l'on
le
ne voyait jamais,
bruit
et
du tonnerre avec
qui faisaient
leurs canons,
4"- ^4 -€c'étaient
pour
elle
des géants, des monstres à têtes
de loups, des ogres démesurés, marchant par enjambées de sept lieues, là-bas, là-bas, bien loin, dans la
campagne, dans de
la
maison de
le
noir, à Andilly peut-être, autour
« tante » qui n'avait pas
voulu ren-
trer à Paris...
Cécile, elle avait
Mais
si elle
pensait à cela, à la petite maison
passé Tété, éclatait tout à coup en sanglots.
c'était
pour « tante
» qu'elle avait peur, « tante »
qui lui donnait les sucres d'orge de toutes leurs et les pipes en sucre vitrine.
où
Pour elle-même,
ou qu'un mignon
petit
cou-
rouge des bocaux de
elle
la
ne craignait rien. Elle
qu'un pauvre
savait bien qu'elle n'était
les
petit Poucet,
Chaperon Rouge, qui pou-
vait bien devenir la proie
de l'ogre
et
du loup, mais
elle savait bien aussi qu'elle était défendue par sa
mère d'abord, qui et
n'avait qu'à lui lisser les cheveux
qu'à l'embrasser pour
la faire tenir tranquille,
Céline ensuite qui déclarait
aux Prussiens et enfin
trois
!
» et
par son père
hommes
leurs bandes
dont
:
la
et ses
«
par
Moi, je leur dis zut
bravoure l'émerveillait,
deux
frères.
Lorsque
les
revenaient tout de sombre vêtus, avec
rouges
et
leurs képis numérotés,
et
4
-+
-S- 25 <|ii
posaient
ils
du
tous trois,
même mouvement,
leurs lourds fusils dans le coin de
la
chambre,
il
lui
semblait qu'elle voyait entrer des tout-puissants, dos Elle se jetait à
invincibles.
leurs jambes,
à
leurs
mains, se sentait enlevée par leurs bras vigoureux; son anxiété se calmait alors et bientôt,
mangé
ayant
comme par
enebantement,
sa soupe, repue,
heureuse,
confiante, elle s'endormait en rêvant que « tante »
bien cacher
avait su
qu'elle aussi, l'abri
pipes en sucre rouge,
les
dans sa petite boutique, où
comme une
vieille
et
elle était à
fée invisible, elle faisait la
nique aux Allemands géants.
La
petite Cécile,
commence seulement les classer ni les
comme si dans sa
à recevoir des impressions sans
raisonner, assistait donc à ce
elle avait
tête
âge de sept ans, où l'on
à cet
dormi
tout éveillée.
et
soucieux,
les
mots
les
et
qui avaient
Siège...
plaisir.
On
Les
Il
n'est question
affaires
l'air
plus souvent répétés
Guerre — Prussiens — Bismarck — le
restait
enfantine, c'étaient les chuchotements
de ceux qui étaient autour d'elle grave
Ce qui
drame
d'aucun
:
Badinguet —
travail,
d'aucun
vont mal, ou plutôt ne vont pas.
ne s'en occupe plus, d'ailleurs. Lorsque des gens 3
viennent chez si
on
Pommier,
les
c'est
pour redemander
que
a fait des provisions, regretter
et les enfants
n'aient pas quitté Paris,
pour
bombardement,
cas de
le
s'il
les
femmes
s'enquérir,
faudra mettre des
matelas aux fenêtres... Cécile était frappée d'entendre sans cesse répéter
qu'une chose mystérieuse et importante
était
danger, et cette chose, on l'appelait
la
en grand
Patrie,
la
France. Jean, qu'elle interrogea, lui dit que la Patrie, c'était tout
ce qui était près d'elle, tout ce qu'elle
voyait et tout ce qu'il y avait encore dans son pays qu'elle ne voyait pas, c'était tout le la
mère,
diily,
et
parlait
frères,
les
gens de Morlaix,
les
monde,
le
souvent leur mère,
père,
d'An-
voisins, et la tante
les
en Bretagne, dont
et toute
la
terre
qu'on
appelait la France, avec ses villes, ses maisons, ses
champs,
ses
bois,
pour défendre tous ces gens avait fait appel à tous les
de famille, voyait des
et cela
lui
disait que,
et toutes ces
choses, on
ses rivières...
hommes, même aux
enfants
comme qui s'en
pères
donnait des frissons à l'enfant. Elle
mamans comme
le sien
Il
elle,
sa
maman,
des petits
abandonnés par un papa
allait
comme
tomber dans un grand trou
d'on
il
ne revenail
cevait l'idée de
<"ii-
mort.
la
que chaque jour amène
Elle voit encore velle.
que Cécile
pas. C'était ainsi
Les gens se crient par
incompréhensibles pour
la fenêtre
chaudement de cache-nez, de
nou-
des phrases
des batailles, des
la petite,
victoires, des défaites. Parfois, sa
sa
mère
1
habille bien
tricots superposés,
de
gants de laine. Malgré tout, son nez est rouge et ses
mains sont glacées. Elle
dehors avec Jean
s'en va
avec Cécile, quand Jean n'est pas se
promènent sur
là.
;
Les deux sœurs
Chaussée de Ménilmontant, ou
la
s'en vont vers le Père-Lachaise
,
ou suivent
la
rue
des Amandiers jusqu'au boulevard extérieur. Elles
vont aussi prendre font
queue à
cherie.
la
place de leur mère ou de Jean,
porte de la boulangerie ou de
la
reviennent avec
Elles
hérissé de paille,
un pain
un morceau de
grelottantes,
il
demande pour
elles
gris,
du
lard,
de
la
faire
farine,
boîtes de conserve,
vert,
des
fillettes
aux grandes per-
sonnes un tour de faveur. Heureusement,
prévoyante a su
bou-
Le garde
cheval.
national qui surveille le défilé a pitié
la
la
mère
quelques provisions, du des
même
pommes
de
terre,
riz,
des
des œufs dans la sciure
-S= 28 -4-
de bois, mais
prudemment
faut en user
il
cœur
serré de voir des voisins qui
tout, des enfants qui souffrent, et, elle
ne peut se tenir de
si le
siège
La mère a pourtant
continuait, ce serait la famine. le
:
manquent de
de temps en temps,
faire porter
par Cécile quel-
que précieuse rareté aux malheureux ébahis.
Un jour,
avec sa farine,
pain blanc. Elle
mère
le
comme
de le
dit qu'il faut
déjeuner de Cécile, Mais, dans et
la
un morceau de
comme un
La croûte en
touche, on
mie éblouissante temple, on
le soir,
le sert,
toute la famille réunie.
elle a fait
la
est dorée, la
neige.
flaire.
gâteau,
On
le
con-
Quel régal
La
!
en garder un morceau pour le
le
lendemain matin.
maison,
il
y a un
homme
malade,
qui va mourir sans avoir revu du pain blanc
:
il
Ta dit tristement à sa femme. La mère raconte cela, et
personne n'a plus
qui illumine
la
envie de cette clarté
la table.
Le lendemain matin, le
même
morceau qui
reste, le
Cécile, sans rien dire,
prend
met précieusement sur une
assiette.
Elle
monte,
du
premier
l'homme malade. La porte
au
troisième,
chez
est entr'ouverte, elle la
pousse,
pénètre dans
elle
Le
nuit.
est
lit
On
couché dedans. le
recouvre,
le
brûle
sans
là,
chambre
la
Une bougie
sombre.
et
sur
Quelqu'un
rideau.
ne voit pas
le
visage
froide, la petite
fille dit
cette
drap.
chambre
:
maman du
Personne
ne
lui
serviette dessine le
cavité des
qu'on
yeux
et
répond.
s'en
aller,
ment
:
elle
« Si la
j'ai
de
la
Et
n'ose
dure du nez,
la
l'arête
bouche. Cela doit être ce et
c'est
pas.
Elle
première
la
elle est seule
femme du mort
que j'ai
!
pense
craintive-
revenait, elle verrait
me
voyant
me
sauver,
pris quelque chose. » Elle reste lit
ce corps qui s'allonge sous la couverture.
son
fois
Elle voudrait
donc, regardant avec des yeux effrayés ce
fait
déserte.
est
la
peur, ou peut-être,
elle croirait
La pièce
Elle croit deviner, car
masque,
un mort,
appelle
qu'elle en voit un.
la
beau pain blanc.
Cécile craint de bouger.
dule
le
Bonjour, monsieur... Je vous apporte de
part de
que
est
un linge
:
corps est allongé rigide sous
Mors, demi-haut, timidement, dans
—
silencieuse
une table de
tic-tac habituel. Cécile a
blanc sur une table, à côté
blanc,
La pen-
posé son pain
dune soucoupe
remplie 3.
—
-§— 3o d'eau,
§-
— de leau bénite avec un brin de demeure, sans bouger, appuyée
l'enfant
Enfin, la
minutes
femme
buis...
Et
à la muraille.
arrive. Elle ne se doute pas des
que
terrifiantes
petite vient
la
de vivre
là.
Elle remercie de la politesse, découvre le visage de
son mari, en disant qu'il ne mangera plus de pain
maintenant, ni du blanc ni du noir. Cécile a peur davantage, redescend chez elle en
trébuchant dans
escaliers, avec
les
l'épouvante d'y
être poursuivie par le mort.
Décembre devint vant de neige,
le
froid, de la faim. tant,
plus noir,
sol fut
de glace.
La mère
fit
cherchant,
Les
On
souffrit
des prodiges,
de
la
du
fure-
banlieue, fouillant
champs, maraudant, chapardant
dats en
plus bas, cre-
trouvant. Jean et Justin rappor-
taient ce qu'ils pouvaient les
le ciel
comme
des sol-
campagne.
hommes
et les enfants
eurent toujours de la
soupe chaude, du café chaud, du vin chaud. Les
trois
gardes nationaux, amaigris, sont de plus en plus parleurs
véhéments, chacun pourtant conservant son
caractère
:
le
père,
gouailleur;
Justin,
lucide
et
résolu
Jean, tranquille et bon.
;
À
Noël,
une poule clique dont
réveillon, avec
faisait rire les trois
hommes
:
la
ils
firent
provenance
sans doute, une captive
délivrée de quelque basse-cour secrète. Elle eut les
honneurs du cadeaux à capeline,
riz.
Au
mère
la
cr
janvier, Jean distribua des
i
et
aux sœurs
On
une cravate bleue.
année, — meilleure que — Comptons là-dessus — l'autre
un
:
une
fichu,
se souhaita la
bonne
!
dit Justin.
!
—
Nous
de dures. Paris n'en a pas pour un
allons en voir
mois. Enfin, on
hommes
annonça
sortie.
la
On
fit
appel
aux
des bataillons de marche. Le père n'en était
pas, trop vieux, ni Jean, trop jeune. Justin en était.
— Vas-y, Il
soir prêt,
Justin, fonce jusqu'à Versailles
de chez
partit
où
mon
lui,
le
la
générale.
Il
est
son café avalé, un mouchoir propre dans sa
poche,
le
fusil
bien astiqué, des cartouches dans la
giberne, une poignée de
que d'habitude au père tuels
18 janvier, à l'heure du
tambours battirent
les
!
aux
petites
prétexte une
et
sœurs
commission
main un peu plus ferme au et
frère, les baisers habi-
à
la
mère.
qu'elle a oubliée
:
Celle-ci
de l'huile
-§— 32
pour ira
—
lampe, du sucre pour
la
jusqu'au coin de
le café
l'escalier.
du matin... Elle
Justin comprend, ne
la rue...
peut plus parler, l'emmène,
dans
§-
la
main
tenant par la
Les autres sont groupés au haut des
marches.
—
Au
revoir
au revoir
!
Flanque-leur une
!
— — Tiens-toi bien, mon vieux! — — Rapporte-moi quelque chose, —
touille
ta-
dit le père.
!
dit Jean. dit Céline.
Et Cécile appuie sa menotte sur sa bouche
— Au Dans
revoir, Zustin
rue, la
la
mère
marchent, sans rien
Quand tent.
prend
Le sa
fusil
a pris le bras de son fieu. Ils
le
première
fois,
la
n'a
Justin.
dans
la
Il
le soir vieillie,
Pour
vie pénible.
a la révélation des cheveux qui
de
la
bouche
s'attendrit et se gonfle,
visage contracté reste grave.
douloureuse
main de
bat.
s'arrê-
ils
blême, déjà
grisonnent, des yeux meurtris,
Son cœur d'homme
tambour qui
ses bras. Il voit,
marques de il
le
rassemblement,
janvier, la figure
ravinée par les la
dit aussi l'enfant.
tremble dans
mère entre
sombre de
—
dire, vers
aperçoivent
ils
!
:
Le visage de
pâle.
mais son la
pas non plus une larme.
mère Ils
se
-s— 33 -*-
puis
encore,
regardent
bouche, voracement
comme
lorsqu'elle
— Ma — Je Ils
vieille
n'ai pas
ses
pleine
bras
nourrissait.
le
—
à
dans
serre
le
—
dit-il,
mon
peur,
n'aie pas peur.
petit.
s'embrassent encore, en se souriant héroïque-
ment. Pris les
yeux,
sa
face
dune
les
frénésie,
il
lui baise
les
cheveux,
joues, les mains. Elle aussi embrasse
homme,
d'honnête
sa vareuse est
!
;
s'embraseenl
ils
elle
de soldat,
ses
mains d'ouvrier,
son dernier baiser s'égare,
et
pour l'arme de mort,
le
fusil
qu'il
a
mis sur
son épaule.
— —
Jean
est
un bon garçon,
fais attention Ils
Cette
au père.
se quittent avec le
cœur,
ils
fois,
quand
ils
percent
en s'en allant;
dit-il
un regard dont s'en vont sans
sont séparés,
ils
se
ils
se trans-
retourner.
pleurent, lui
silencieusement, à grosses gouttes qui coulent sur ses joues, elle, secouée
marchant
vite
de sanglots,
au long des
tristes
le
dos courbé,
maisons du fau-
bourg.
— Je ne
le verrai
Elle reste
plus,
—
quelque temps
dit-elle.
à
errer par
les
rues,
-*
-*- 34
calmant son émoi raître
et
séchant ses larmes pour repa-
auprès des autres avec un visage apaisé.
Elle le revit, mais elle ne le revit pas vivant. Justin
tomba
une des victimes
à Buzenval, fut
à l'esprit guerrier de la garde nationale.
avec son bataillon de la
la
au pas rapide
matin,
il
et régulier
Prussiens étaient
s'était faite
en chan-
Au
de Buzenval, où
les
embusqués. Une balle au Il
fut rapporté,
comme
gnons morts, au Père-Lachaise. C'est
là
les
deux
sèrent devant la
fdlettes.
rangée des
La mère bières
front
compa-
ses
que
sa
vint le chercher et le reconnaître, Jean avec
père gardait
parti
vieilles troupes.
de
se lança vers le parc
arrêta sa course.
Il était
place de l'Hôtel-de-Ville, et
montée des Champs-Elysées
tant,
offertes
mère
elle.
Le
et le fds pas-
où
les
morts
étaient enveloppés de linceuls, le visage nu. Certains
avaient la
tête
cassée,
méconnaissables.
D'autres
semblaient dormir, tout pâles, et d'autres, les ouverts, semblaient veiller.
yeux
Des jeunes, des vieux,
des physionomies de tous les métiers.
— C'est Jean
lui
!
—
dit la
mère d'une voix
la soutient. Elle se
basse.
penche. Elle voit Justin
+•35-4comme
il
vivant
étail
doux
de cheveux collée
enfant.
Il
car elle
à
la
est tout froid,
lit
blessure...
dans
ses
il
la
Elle
regarde,
touchi
el
pen
les
montée chan-
la
tante des Champs-Elysées, pendant
petil
lui parle,
il
yeux morts toutes
dernières qui furent en lui pendant
el
une mèche
front,
le
reconnall dan- ce cadavre sou
câline,
i
l<
ironique
triste,
el
— avec un Irou noir dans
tendre,
joues,
:
la
gique de Buzenval. Elle lui parle aussi,
montre
tra-
lui dit adieu,
se baisse vers lui, l'embrasse, sans cris, sans larmes,
sans fracas de douleur. Jean, à son tour, embrasse
son aîné,
et,
la
bouche près de son
moment, semble reviennent à
la
sans se rien dire.
lui parler à
oreille,
son tour.
Ils
un long parlent,
maison, serrés l'un contre Ils
rentrent auprès
—
dit la
l'autre,
du père
et
des
fdlettes.
— Je
l'ai
vu,
mère.
—
Ne l'oublions
pas.
Céline s'appuie contre son père. Cécile se blottit sur
les
genoux de Jean. La mère reprend son
de mère, apporte la nuit
la
soupe à ceux qui
cache leurs pleurs, qui
autour du sommeil de Cécile.
se
restent.
font
travail
Puis,
silencieux
-*- 36 -«-
Le lendemain pas sorti
était le
matin de
le
avec les siens,
et
Grève quand tout
état
maison, gardant
était fini,
mobiles
sayaient une
changer
la
le
n'était
le
deuil
qui fut averti trop tard des événe-
rHôlcl de Ville, arriva sur
ments de
entre les
11 janvier. Jean, qui
et
les
tentative
destin.
les
la
place de
coups de feu
tirés
gardes nationaux qui es-
désespérée
Le jeune
et
homme
inutile
pour
revint dans
un
de surexcitation indicible, s'exprimant avec rage
sur ce qui se passait, puis tombant au silence. La
mère l'observa
avec inquiétude, put
difficilement
l'adoucir.
Les jours qui suivirent, l'existence sembla se faire,
malgré l'angoisse de
La mère
et
les
mère cachant
deux
la capitulation
filles
restèrent les
re-
prochaine.
mêmes,
la
ses pensées, Céline distraite par tout
ce qu'elle voyait, tout ce qui l'effleurait, Cécile ayant la
sensation que quelqu'un était absent de la mai-
son,
quelqu'un qui pouvait revenir d'un instant à
l'autre.
—
Il
reviendra, dis,
un matin,
maman
à sa mère.
— Oui, ma
fille,
plus tard.
?
— demanda-t-elle,
— Quand
la
guerre sera
Sa mère la caresse, ger, puis va vers
la distrait.
la fenêtre,
court après un oiseau. Et cente. Mais les
Le père partie de
finie, dis,
La
petite paraît Bou-
s'amuse d'un chien
more
la
sourit à
deux hommes sont vraiment
comme
est inquiet,
s'il
si
placide,
violence concentrée
si
atteints.
avait l'habi-
il
doux, a sur
l'idée fixe lui
<jui
l'inno-
manquait une
lui
lui-même, un support dont
tude. Jean,
maman
visage une
le
barre
le
front,
rend sa bouche mauvaise, sa parole brève.
Tous
:
deux sont moins causeurs, subissent sans en disserter, sans en blaguer, Ils
autrefois.
attendent toujours l'avis de Justin, qui était le
renseigné, est
événements
les
comme
le
donneur
d'avis, le
devineur d'avenir.
Il
maintenant, avec tout ce qu'il savait, toute sa
commune.
sagesse, enfoui dans la terre de la fosse
Jean, pourtant, se souvient de ce qu'il disait sans cesse,
qu'on réglerait
drait bien s'expliquer
comptes après,
qu'il fau-
ensemble quand ce
serait fini
les
avec les Allemands, qu'on avait des fusils et des
canons rouiller,
et
qu'on ne
inutiles.
sur la table.
Il
les
dit
laisserait cela,
un
pas
comme
soir,
Le père crut retrouver son
ça se
en frappant fils
aîné, et
-S- 38 -*-
approuva. La mère, qui se rappelait
le
22 janvier,
tranquille,
travailler,
écouta son cadet avec tristesse.
—
Mieux vaudra
rester
refaire sa vie.
— Alors, —
dit
Jean avec une fureur qu'on ne
avait jamais connue,
—
Paris, qu'ils sauvent la
France
mort pour rien... Enfin,
sera
vengé, et
main de son
fils.
tremblait de fièvre.
Jean se leva,
sortit,
Quand dait.
il
Le
prit
rentra,
ii
un
toi.
enfant.
qu'il vient
bien,
Ton
Qui
sait
de passer
emporter tous
que personne
les
—
Cette
main
surexcité.
seule, qui l'atten-
il
—
Je n'ai
est faible
comme
mère.
ce qui lui arrivera? lui a fait
que je
deux par
n'est
dit la
père est âgé,
vois aussi. Qu'est-ce
les
lui
père, les petites étaient couchés.
— Ecoute-moi plus que
mère
trouva sa
Je
!
la
La mère
comme
vu
tête cassée.
sera
le
il
cela, Justin
tu l'as
moi, dans son cercueil, avec sa ai dit qu'il serait
Sans
!...
lui
ne rendent pas
alors, qu'ils
mal, je
ferai si
le
Tout ce
vois, tu le
vous vous
la colère ?
Je
le sais bien,
calme autour de nous
:
j'entends
gens, et je comprends ce qu'ils disent, je
prends leur rage. Le pauvre
monde
laissez
a été
com-
trompé,
*- 39-* comme Moi
là.
toujours, aussi,
el
il
en veut
comme
suis
je
ceux qui
à
—
ça,
—
l'onl
dit
la
mené
pauvre
CVsi affreui
femme avec un navrant
sourire.
nous rendre, après
de misère, et j'en supporte-
rais
tant
bien encore autant
nous n'y pouvons après
?
Vous
— Tant ferons voir
—
plus,
et
rien.
s'il
Vous vous
Et
révolterez.
avant d'être vaincus nous leur en
Tais-toi, tu vas réveiller tes sœurs...
ton père et
pas dire un autre mot,
temps, peut-être
je le devine.
?
—
jetés
Céline
Et Cécile
est
c'est la pauvreté...
encore rien. assez, c'est
.
me si
—
elle
donnera bien du mal,
Et
la
il
!
Je travaillerai,
pauvreté, ce n'est
pour toujours. C
trop que j'aie perdu parlerait
pouvait parler...
mon
lui
met
la
comme
moi.
— commença Jean,
main sur
la
est
pauvre Justin.
égaré.
Sa mère
n'osa
en prison pour long-
jeune
c'est la tristesse
S'il pouvait parler,
S'il
:
arrêtés,
toi
Qu'est-ce que nous deviendrions,
moi?
petites et
—
Mais
!
— Vois-tu
mais
fallait.
serez vaincus encore.
pis!
La mère continue à voix basse
les
le
<!<•
bouche
:
l'air
- s, €-
-s— 4°
—
Songe à ce que de
lieu
les
enfants,
Calme
je t'ai dit.
exciter. Ils ont
les
gens au
tous des femmes,
des mères, des sœurs.
Ils
des
doivent rester
près d'elles. C'est leur premier devoir. Les autres
devoirs après celui-là.
— ferait
Si
tout
le
monde
disait
comme
toi,
jamais rien, on serait toujours dans
le
on ne
même
malheur.
— Vous ne changerez la
femme du peuple
rien par la violence,
—
dit
qui se force à parler politique
pour convaincre son
—
fils.
Rien ne vous empê-
chera, après, de refaire ce que vous faisiez, de lire les
journaux, de vous réunir, de voter.
—
Pendant que nous avons un
fusil,
nous devons
en profiter.
— Avec Vous
serez
un
fusil,
on
se fait tuer, et voilà tout.
bien avancés.
Et
iront jusqu'au bout! Les exaltés
autres lâcheront, et prie,
mon
te
tu crois
comme
que tous
toi, oui.
Tu
Les
vous dénonceront. Je t'en
enfant, prends la place de ton frère
ne nous quitte pas. tu
même
si
m'aideras à élever
tes
ici,
sœurs,
marieras, tu auras des enfants qui seront peut-
être plus
heureux que nous, un jour.
—
-§
4
—
s-
"
Elle parla longtemps ainsi, dans le éclairé par instant,
l'humble lumière de
on entendait
mot
écoutait sans
Il
dire les
allait
bruits de la rue
le
Justin
marqué d'âge
fripée
vit
et
l'avait
fanée, cette
le*
plié
les violentes
devina sa mère
il
et
si
de douleur qu'il ne
voulut pas contrister la chère femme. vieillie,
cl
visage inquiet qui se penchait vers lui
était tellement
tête
Jean
de son frère
lit
répondre toutes
raisons qui l'oppressaient, mais
anxieuse,
I
pas des patrouilles.
le
paroles de sa mère, regardait le
dans un coin.
pauvre
lampe. A chaque
la
pour
la
vue, au soir
douce
soie
du
première
Il
prit cette
fois,
du départ,
comme
cette
chair
visage maternel,
toute
aux tempes, aux coins de
bouche, ce front
la
creusé de fines et profondes ravines, ces yeux gris
où palpitaient
et
mouraient
les souvenirs.
ces pauvres joues entre ses mains, baisa
ce front, avec
il
—
ces yeux,
ne savait quel inexprimable senti-
ment de mélancolie désespérée.
comme
garda
Il
Justin », se dit
la
«
m'embrasse
Il
pauvre femme.
Je ferai ce que je pourrai,
—
bégaya Jean,
impuissant à retenir ses larmes.
Et
la
mère demeura longtemps,
la tête
sur l'épaule
U
-5— 4^
«=§-
de son enfant de dix-neuf ans, sans plus dire un
mot. Ainsi s'acheva cette
Une
veillée
de janvier.
circonstance vint révéler à
la
mère que Jean
ne pouvait rester insensible aux appels du dehors.
Au
jour où
les
Prussiens obtinrent l'entrée dans
Paris, le 28 février, et les
rues des faubourgs,
gnie.
Il
ne revint que
— Rien
que
la
générale fut battue par
le fils partit
le
avec sa compa-
lendemain, disant
:
à faire. C'aurait été le massacre...
Puis, la vie sembla reprendre son cours. Avec les
jours allongés de mars, ce fut l'animation d'autrefois, la
mar de
rue respira plus à Taise, délivrée du cauchela
canonnade, de l'anxiété
nière, enfermée par
dune
ville
prison-
une armée, privée de nouvelles.
Les victuailles revenues,
c'était
de
montait aux joues des femmes,
la
des
santé qui reenfants.
On
même
tant
oubliait déjà les souffrances de la veille,
de morts accumulées. Jean,
un matin,
s'en alla avec ses
deux sœurs jus-
qu'à Andilly, chez la tante qui avait écrit, qui réclamait
les
petites
agacé d'avoir vu
les
filles. Il
rentra à Paris le soir,
Prussiens logés au village, fra-
ternisant avec l'habitant.
Céline et Cécile restèrent
*-
-*
43
pendant une semaine auprès de les
hourra de
les
fit
à
Ane par
Montmorency. Dans filles,
bonne Femme qui
de beurre, d'oeufs, de
lait,
promener
la
les
de
taillis
la
forêt
<!<•
rue du village, d'autres petites
la
bien rouges, bien grosses, bien rondes, regar-
daient avec étonnement les deux sœurs fêtaient leur arrivée
gros bec
».
en
appelant
les
«
si
pàloti»
Parisiens
Pauvres petites assiégées!... Jean ne
voulut pas retourner à Andilly. Le père firent le
humeur nette,
voyage,
trouvèrent
et belle santé
sous
les
un
souille
paternes
lilas
et la
mère
en bonne
filles
la
maison-
d'hommes de
la
pipe de porcelaine dans
la tête,
barbe rousse. Les
jardins,
leurs
qui jouaient devant
regards
landwchr, béret sur la
volailles,
bourgeonnaient dans
de printemps caressait
les
les visages,
amollissait les rancunes, annonçait le lendemain paisible des horreurs guerrières.
Le père
et
la
mère ne communiquèrent pas
impressions à Jean, mais çaient à raconter leurs tillesses
les petites
promenades
filles
leurs
commen-
et à dire les
gen-
des Prussiens.
— ChutI — murmura
la
mère.
Jean paraissait songer à autre
chose.
Il
deve-
—
-s— 44 nait,
&-
de jour en jour, plus taciturne, plus préoccupé,
lorsqu'il était chez lui.
Au
parmi
les militants, exalté
naux,
les
soirées des
dehors, sa mère
par
lecture des jour-
la
clubs, les parlotes violentes
marchand de
entre camarades, chez quelque la
Chaussée de Ménilmontant ou de
diers.
Il
rentrait
était sobre,
d'un soldat de fusil,
mais
muet, gardant
la
rue des
se grisait
comme
aussi, d'ailleurs. tiers les allures
de paroles,
de
et
les autres les allures
montant
ses factions.
à son
Le père
Mais celui-ci reprenait plus volon-
de dire son
fait
au gouvernement.
Le 18 mars, quand on annonça dans
tint plus,
Aman-
du flâneur parisien, content de toucher
ses trente sous, et
coup sur
avait essayé son
Montmartre,
vins de
la révolution possible, attentif
à ses cartouches,
que Thiers
le savait
et
que ce coup
les
le
quartier
canons de
avait échoué,
Jean n'y
eut une explosion de joie farouche. Tout
suite, avec
ses
mença de dépaver
compagnons la rue,
habituels,
d'installer
la
en face de
l'église.
la
Chaussée,
Le branle-bas de combat
donné, une armée d'insurgés
était toute
ses cadres et ses chefs d'occasion.
com-
une barricade
rue des Amandiers et de
au coin de
il
était
formée, avec
Les uns occupaient
«- 45-* [)ostes et
les
les
carrefours. Les autres descendaient
sur Paris, prenaient avaient
C'en
enfin
manqué deux
en octobre
fois,
Le siège
était fait.
l'Hôtel de
animée de
l'esprit
d'une revanche où
il
qu'ils
en janvier.
avait sa suite fatale,
une population, déçue dans toire,
Ville, et
foui.
espérances de vic-
ses
de révolte sociale, avide
y aurait
la
préparation de demain,
de
la
la
vengeance d'hier
allait
plus sombre aventure.
qu'aux jours du siège gonflait
Le les
et
courir les risques
même
optimisme
cœurs
et enfiévrait
les cervelles.
« tie
Nous n'aurons jamais
—
disaient-ils
Nous sommes armés
plus belle.
ne
Paris, ce qui
s'est
—
la
par-
maîtres de
et
jamais vu depuis
la
grande
Révolution. Nous serions slupides de ne pas profiter
de l'occasion
!
.
.
.
»
Cette victoire sans bataille
vrement. La troupe
du 18 mars
était partie sans
fut
un
combattre,
enireti-
rée à Versailles. « C'est là
que nous irons
la
chercher,
gardes nationaux, devenus
— disaient —
encore
les
On n'a
pas su nous y mener pour y saisir Guillaume
et
les fédérés.
Bismarck. Nous irons tout seuls y enlever
le
père
—
46
-§=-
§-
ïhiers. Et après, nous saurons bien aussi régler leur
compte aux Allemands Jean disait
comme
Rien ne put sortie,
»
persuader.
le
qui fut une déroute.
ayant en lui ses
!
eux.
la folie
la
tête
mère comprit
même triste
de Duval
de
fendue d'un coup de sabre.
Sa
prévision de la fin.
la
à celle de l'hiver.
un nouveau
même
Il n'était
de marche sur Versailles. C'était la
première
fusillé,
tués,
qu'elle devait gravir
recommençait,
la
revint, noir de poudre,
Il
Sans cesse maintenant,
vaire.
de
du danger, parlant avec rage de
amis capturés ou
Flourens,
Il était
le
cal-
anxiété, la
plus question
siège de Paris qui
canonnade du printemps semblable
La Commune
se défendait, c'était
bien certain, et jamais plus ne pourrait reprendre l'offensive.
La mère,
un
jour, osa
dire
cela
à Jean,
qui
lécouta avec impatience, Elle insista pourtant, lui
montrant
comme
inévitable l'entrée des
— Tant mieux — !
beau
:
la
dit-il.
— Paris
Versaillais.
sera leur
tom-
guerre des rues, voilà notre affaire!
Elle frémit, devina l'avenir.
Par une ironie affreuse,
le Paris d'avril était
char-
niant,
la
population
paraissait
en
revenue à son goût de promenade père montait d'habitude
mena, un après-midi,
la
Champs-Elysées, leur
admirer
place de
la
On
mère
les
et
s'édifiait
Il
nui la
fortifica-
chaque jour.
passait des jours et des nuits sans voir Jean,
toujours aux avant-postes de Neuilly. n'était plus reconnaissable, la
déridés, Il
filles
barricade de
la
Concorde, véritable ouvrage de
Le décor du massacre
tion.
dimanche. Le
<ln
garde place Vendôme.
la
lit
fidèlement
fête,
l'air
homme
d'un
s'adoucissait pourtant,
à la table de famille. autrefois, et
petite,
la
lorsqu'il entrait
son Jean qui et gazouillait
Il
Au
barbe longue,
retour,
les gestes
qui ne veut rien entendre.
une
fois lavé, soigné, servi
jouait avec sa Cécile
comme
qui avait peur du
gaillard
d'un pas lourd, retrouvait bien
lui faisait
de
la
il
des risettes
même
et
vite
des chatouilles,
voix qu'elle,
comme
s'il
avait eu sept ans, lui aussi... Peut-être cette petite le retiendrait-elle,
au jour
Elle ne le retint pas. nait le jeune
des
garçon
décisif.
Une
force invincible entraî-
à la bataille.
En mai,
insurgés se clairsemaient, des
cachés,
qu'il
fallait
découvrir
et
gens
les
rangs
restaient
qui faisaient
la
sourde
D'autres disparaissaient, s'évanouis-
oreille.
pu passer
saient, ayant
veillance.
malgré
les barrières,
La mère demanda
un
à Jean,
jouait avec Cécile sur ses genoux,
s'il
la sur-
soir qu'il
ne voulait pas
essayer de conduire les petites à Andilly. Elle ne
pour
savait pas ce qui allait arriver, elle craignait
Au
elles.
moins,
Quand
peur.
Jean
elle
seraient en
elles
là,
maison avec
garderait la
donné
eut
sûreté. Elle
père. Elle n'avait pas
le
ses
raisons,
alors,
:
— Et
moi, je serai en sûreté aussi à Andilly?...
peux y
Si je c'était
arriver
!...
Tu
parles de ça
Mais supposons que
facile!...
j'y
comme
si
Eh
sois.
bien, et les autres, qu'est-ce qu'ils diront? Il lui
décidés
nomma les gens de sa compagnie, des gars comme lui à faire leur devoir jusqu'au bout.
— Je
suis sûr
que nous serons vainqueurs. Paris
mangera l'armée. Et nous
comme
les
tourneront pour
soldats
au 18 mars.
— Tout de même, — objecta
la
mère,
—
il
y a
plus d'un mois que ça dure...
— Et puis vin est
tiré,
la
il
question n'est pas
faut le boire,
il
là.
Non, non
!
le
faut aller jusqu'au
4- 49 -* bout. Justin serait là qu'il
avec moi. Rappelle-
irait
toi
tout ce qu'il disait. Et rappelle-toi sa mort. Je
l'ai
toujours sur
me
C'est lui qui Il
mère par
cœur, sa
pousse à
me
paroles et sa rage
— Voudrais-tu me comptent sur moi
le
ne répondait pas, d'autre
mère,
sut
que
pâlir et soupirer.
charge aussi
s'isolait
souvent
en un silence entêté,
Le père ne secondait
chose.
ne prévoyait rien,
jour, et bien souvent,
et
prit sa
mes camarades, qui
le soir,
de petits verres.
Il
vivait
au
reparaissait
troublé par ce qu'il avait bu, dans
grands
il
lorsqu'elle était seule avec son Jean.
qu'elle put,
la
fin,
compte sur eux?
je
Elle revint toutefois à la
pas
la
était visi-
:
voir trahir
comme
La pauvre femme ne
parlait
A
Il
épaules, l'effrayant de ses regards fous,
les
ou
rien.
battre.
.proie à l'idée fixe.
lui criant ses
Il
donnée pour
vie
invectiva les Versaillais.
s'exalta,
blement en
le
la
pérorait,
jour
un peu
journée,
de
puis se cou-
chait.
D'ailleurs, Jean venait de
maison,
arrivait, s'en allait,
emporté sans
moins en moins
de plus en plus
arrêt vers le péril.
La mère
à la
fébrile,
se désespé5
de
rait
voir
le
obstiné,
si
si
intraitable. Elle n'en ai-
mait que davantage ce mauvais garçon. Elle voyait bien que c'était faire
un honnête homme,
qu'il
autrement que de marcher vers
le
ne pouvait
rendez -vous
tragique qu'il avait accepté. Elle comprenait bien ce
qui souffrait et s'encolérait en
lui,
car elle avait res-
senti toutes les tristesses qu'il voulait venger.
femme,
elle était
douceur, un les
«
effroi
il
de
y
avait en elle
une grande
la violence. Elle aurait
choses arrangées autrement, sans coups de
Pourvu
—
elle,
perdu
!
qu'il soit
et qu'il
Paris, le
mère
filles
put
prudent, au moins!
sache revenir
ici
quand
— il
voulu fusil.
se disait-
verra tout
»
Lorsque
la
et
Mais
les soldats
de Versailles pénétrèrent dans
dimanche 21 mai, Jean disparut. Le lundi, força le père
et s'en fut à la
à l'attendre avec les petites
recherche de son
fils.
aller bien loin. C'était la solitude, les
Elle ne
boutiques
fermées, les maisons muettes, ou bien c'était la rue barrée par
un bivouac. Le
tocsin sonnait.
Des
fédé-
rés couraient derrière des chefs galonnés, des cantinières à cheval. le
tumulle de
la
Des galops, des piétinements, tout fureur après
le
morne
silence de la
31
mort. Elle ne put découvrir aucune traœ de
pagnie de son
nuer sa route. Elle revint,
On
«
se bat
pour repartir
le
une nuit mortelle, passée
même les
sortir
du
quartier,
par
là
durent,
descendre à
comme
lui
lit-on.
»
ne put
où commençaient à tomber Les
troupe.
la
tous les gens de la maison,
pour
lits
vivre là, avec les voisins, ainsi qu'en terrain.
com-
lendemain mardi, après
cave, dresser des
la
»,
à la fenêtre. Elle
obus de Montmartre occupé par
Pommier
la
Bientôt on l'empêcha de coati
fils.
un
la
nuit,
village sou-
Les gens se faisaient à cette existence, man-
geaient, buvaient, causaient, attendaient la fin. Jean
aurait été avec eux, table.
Le mercredi
revenant de
la
cela aurait été suppor-
de cette façon. Céline,
boulangerie, raconta qu'un obus était
tombé tout près récit
que tout se passa
d'elle. Elle avait à
qu'un autre obus éclata dans
fracas épouvantable, démolit
peine achevé son la
cour avec un
un hangar,
projeta des
pierres et des gravats jusqu'au soupirail de la cave.
Le
jeudi, le vendredi, furent terribles.
seule sortit,
monta
la
Chaussée, sous
La mère
le fracas
obus. Le vendredi, un brouhaha sauvage
subitement
l'air.
Il
y eut
le
piétinement
des
emplit
et les voci-
fé rations
d'une foule en délire, des hommes, des
femmes hurlant
marchant d'un pas ecclésiastiques,
la
mort autour de prisonniers
égal,
gendarmes, gardes de Paris,
à
—
otages que
les
Haxo. La pauvre femme tique pendant
Ton mène rue
reste adossée à
une bou-
que l'ouragan humain passe. Heureu-
sement, Jean ne joue pas de rôle dans ces scènes sanguinaires. Mais elle voit Paris en feu,
allumé sur toute
la
un
brasier
courbe de l'horizon. « Jean
est
là-dedans, » pleure- t-elle.
Le
soir,
on entendit un bruit de pas précipités,
une galopade humaine, était
dans
la folie
de
et
Jean parut subitement.
la bataille,
écouter, envahi tout de
même
Il
incapable de rien
d'une frénésie de ten-
dresse à la vue de ces êtres qui espéraient son retour,
embrassant sa mère, son père, ses sœurs, rudoyant les voisins
les
qui voulaient
le retenir, les
dénoncer, croyant encore à
la
menaçant de
victoire
chimé-
rique, prédisant l'armée engloutie dans les ruines de
Paris en feu, proclamant la vengeance certaine, ra-
contant ou annonçant, on ne savait au juste, des
drames épouvantables, ville réduite
la
fusillade
en cendres par
les
des otages,
la
canons du Père-La-
-s— 53
—
s-
chaise. C'est là qu'il se précipitai! de toute sou ardeur
de combattant. avoir
Il
comme
partit
dans ses bras
pris
la
il
petite
Cécile,
regardée de ses yeux de feu, et remise dans
L'avoir les
tendus de sa mère... Celle-ci est bientôt dans à la
suite
de
Jean, veut
après
était arrivé,
la
bras rue,
vainement rejoindre
le
groupe furieux qui s'en va au pas accéléré en jetant des cris d'appel aux armes. Des marins de
mune, des femmes brandissant des flot
de
monde l'empêche
fusils,
la
Com-
tout
un
d'atteindre la chair de sa
chair qui s'en va vers le carnage. Elle est bousculée, elle
tombe. Le père, qui
l'a
rejointe, la relève et la
console.
— Viens, dra demain garçon,
y
il
les
enfants te réclament... Jean revien-
comme
il
est
revenu aujourd'hui. Ce
faut qu'il aille avec les autres... Je devrais
être aussi...
La mère n'ose protéger, de
le
lui dire
de courir après Jean, de
ramener. Elle ne
Elle voudrait rejoindre son
avec ses
filles.
Elle a encore
Le matin du samedi, dès
fils,
sait
et
il
le
plus que faire. lui faut rester
une nuit sans sommeil.
l'aube, elle
monte au
der-
nier étage de la maison, dont le toit est défoncé par 5.
-s— 54
—
§-
obus. Les projectiles pleuvent, on entend leur
les
sifflement, leur détonation.
Par une lucarne, dans
voit,
temps,
la
sant qui
aux
préparée au cimetière. Sur
fait face à
Montmartre, devant de
les batteries
batteries
et elle voit.
la
le
Commune
sous la
le
Siège, les pièces de
le soleil, le va-et-vient
fumée du coup de
parmi Elle faut
ombres qui
les
été utilisés » éclatantes
Sans doute, son Jean
pour
les soldats,
files,
doigt sur
est
s'agitent autour des pièces. Il
que Cécile
lui dise
qu'elle retourne à son autre
Le bombardement a
annonce
la
sept
les fins
ne peut quitter ce funèbre observatoire.
devoir.
deux
tombeau
des artilleurs, l'éclair et
que Céline vienne la chercher,
a peur, sanglote,
cade
feu.
«
le ver-
répondent
de l'armée régulière. Elle voit
canons de bronze neuf qui n'avaient pas
pendant
Elle
lumière de mai, dans l'ivresse du prin-
la bataille
de Morny,
regarde,
elle
:
bientôt
on
lignards qui s'avancent sur
les
au long des maisons,
la détente. Il
cessé
le fusil
ne se passe rien
en garde, :
la
le
barri-
plus proche n'était pas défendue. La troupe
continue sa route vers
le
Père-Lachaise, pendant que
des postes s'installent, que des patrouilles fouillent
-*- 55 les
ordonnent
maisons,
fenêtres, de
Pommier Tous
pecte, le flaire... la
§-
d'ôter
rideaux
les
rue.
fusils sont
Des hommes sont
parce qu'ils ont
les
du
saisit le fusil
les
père,
I
in^-
amoncelés au
emmi
arrêtés,
mains noires, ou
des
Le cap >nil qui
laisser les volets ouverts.
entre chez les
coin de
—
répondent
qu'ils
mal. Le père Pommier, qui a repris ses babils d'ouvrier,
ne prononce pas un mot,
campagnards
et les soldats, petits
à l'air tranquille, ne disent rien à cette
barbe grise.
Le
quartier est occupé militairement.
silhouettes de cavaliers
qui brillent, des
aux carrefours, des casques
des mousquetons appuyés à
chevaux qui
piaffent.
contemplent sans mot dire ces
fils
de
revêtus de l'uniforme, chargés
vivres
et
de
la vie
semble recommencer. Les gens
cartouches.
qu'au
Le
moment où
ciel est
Pommier
soldats
ouvriers
la terre et
faubourg,
promènent curieusement ou
la cuisse,
Des groupes de
bivouaquent, en tenue de campagne. Les
leurs
y a des
11
du
de leurs
Encore une
fois,
sortent,
se
restent à regarder jus-
leur vient l'ordre
de s'en
aller.
toujours rouge du côté de Paris. Le père et ses
deux
filles
sont
là,
eux
aussi.
A
-*= 56 —§-
chaque instant, on entend des clairons. C'est une nouvelle troupe qui leur,
de
la
marche
blessés sont
enfiévrée
arrive,
et
du combat. Des
de
cha-
la
fatigués, des
prêts à toutes les représailles.
irrités,
Les caractères se montrent dans ce tumulte. Des chefs sont prudents, d'autres provocants.
Un homme la
qui est appuyé contre
la
balustrade de
place de l'église ne peut se tenir pendant le défilé,
crie
subitement
—
A
Un
bas la troupe
!
officier, alors, se
l'homme par jette à terre, l'oreille
deux
le
détache du régiment, prend
cou, d'un
mouvement brusque,
l'aplatit sur le sol, lui
balles
son rang dans a fait
:
la
décharge dans
de son revolver. Puis
troupe qui a continué de
un exemple. Les gens
rentrent chez eux tout
tremble de rage, mais reste muet.
dans la rue.
rejoint
il
défiler. Il
pâles. Céline est nerveuse. Cécile a peur.
se fait
le
Un
Le cadavre reste
Le père
grand silence là,
près des
lignards et de leurs faisceaux.
Le père
et les filles
revenus à
la
maison,
trouvent plus la mère. Elle est sortie. qu'elle a
prévenue,
dit
Une
qu'elle va revenir.
ils
ne
voisine,
Où
est-
—
-s— 57 Elle
cllc ?
cherche son fils
mort.
au
est
Père-Lachaise.
vivant,
fils
s-
Comment
où se
Haletante,
elle a déjà
faufile-t-clle
entre-t-elle? C'est la fin de la bataille.
odeur de poudre saccagées.
Par
flotte les
dans
elle
\u Bon autre .'
Comment
Une
affreuse
Les sépultures sont
l'air.
portes brisées des chapelles, on
aperçoit des fédérés qui s'étaient réfugiés
qui
là, et
ont été tués dans leur cachette. Partout des cadavres,
comme
si les
tombes avaient vomi leurs morts. Par-
La mère va devant
tout des soldats,
— Qu'est-ce C'est
un
qu'elle veut, celle-là?
petit lieutenant,
qui parle. Et, toisant
— C'est une autres
elle.
la
au visage de collégien,
pauvresse
pétroleuse. Allez
:
Au mur,
!
les
!
Son geste indique
le
fond du cimetière où reten-
tissent des détonations précipitées, des feux
La désespérée
—
avec
Oui, avec
se jette vers le lieutenant les
autres,
avec
mon
de
salve.
fils,
mon
:
Jean! Ses gestes sont égarés, sur son visage passe un frisson d'agonie.
— Au mur — !
dit
encore
le
lieutenant.
-s- 58 -*-
Des hommes vont
Un
violents.
moustache
obéir, les
yeux
grise, les
triste
garde
pauvre femme,
tenant
— que
passifs, les autres
capitaine a entendu, grand, maigre, la
grave et la
uns
de soldat
réfléchis et résolus, figure
vieilli et,
dans
Il
re-
d'une voix dure, au lieu-
:
Qu'est-ce que vous faites
c'est...
défends
Pas d'ordres
Vous voyez bien ce
?
comme
enlève
Je vous
le
féroce à qui
on
ça...
!
Le lieutenant eut un visage de chat
un
paisible
—
métier.
le
oiseau.
Le
capitaine, d'une voix redevenue
:
Allez- vous-en,
madame,
votre place n'est pas
ici.
— Mon
fils...
je veux
mon
fils...
je
veux
mon
fils...
—
Allez- vous-en,
madame,
il
le faut.
Personne
ici
ne peut rien pour vous. Allez- vous-en, je vous en prie. Il
la
reconduit lui-même, la renvoie doucement,
toute pleurante, toute trébuchante.
— Navez-vous personne chez vous? — monsieur, mes Si,
petites filles.
#-59-+
— vite
Vos
petites
filles
sont inquiètes.
Allez
aile/.
!
!
Elle s'en va machinalement.
jusqu'à
la
porte
au milieu de
du
ses
la
Il
suit des yeoi
cimetière, revient prendre sa place
hommes,
reste
immobile,
les
mains
appuyées sur son sabre.
Le lendemain, cimetière. verte,
de
la
il
On
surlendemain,
le
n'entrait pas.
la
Quand
n'y avait plus que de
la terre
mère
la
revint au
porte fut ou-
remuée au long
muraille.
Elle retourna chez elle,
voulant sa douleur pour
courageuse,
elle
énergique,
seule. Elle écrivit,
des courses à Paris, à Versailles, pour savoir (ils
n'était pas
Des gens du
parmi
les
si
fit
son
prisonniers. Tout fut inutile.
quartier reçurent des nouvelles de ceux
des leurs qui attendaient leur jugement. Rien de Jean. 11 était
donc tombé dans
de ce frère auquel
il
le
grand cimetière, non
avait parlé bas et fait
loin
une pro-
messe, qu'il avait tenue.
La mère conduisit où
ses
deux
filles
en face du
se trouvaient les traces de la fusillade.
Mais
mur elle
ne parla pas à leur sensibilité, ne leur demanda pas de serments. Elle prit leurs petites mains dans sa
60 «4-
-§=»
main,
s'assit
et Cécile,
sur
un banc,
les
fit
asseoir auprès délie,
étonnée, ne reconnaissait pas en cet endroit
verdoyant, plein de chants d'oiseaux,
le
cimetière
qu'elle avait
vu aux jours de décembre, tout blanc
de neige
tout résonnant
et
canonnade.
i-j^
-mjfô5
'
du grondement de
la
II
IL
La femme se
—
LA MERE
courageuse rassembla
rappela sa
conversation
ses forces. Elle
avec Jean,
vit
clairement qu'elle n'avait plus à compter sur per-
sonne.
Son
homme
avait été visiblement atteint par cette
année de guerre, par ce Siège où l'habitude
du
travail,
par
la perte
il
avait désappris
de ces deux grands
-§— 64 —8lesquels
enfants sur
tranquillement son vieil
homme
Depuis
usé par
l'âge de
le
il
femme,
il
logé,
avait
comme
un
il
il
il
Avec son
avait épousé
sa
avait nourri, habillé,
pu
avait
tout ce monde-là.
faible par le caractère vacillant,
léger incapable de se fixer à l'existence, à
un
des milliers et
travaillait.
il
sa famille,
fait
maintenant
comme
douze ans,
avait eu ses enfants,
éduqué
C'était
C'était
labeur monotone.
des milliers de ses pareils, travail,
reposer naïvement et
faisait
il
avenir.
l'esprit
aucune conception de
aucune pensée grave. Mais, sans avoir
sur la vie d'autre opinion que l'opinion avait fait tout
même
de
de
commune,
vie. Il avait
la
grande armée en marche,
été
il
un
simple soldat de
la
lui aussi, fourni
son étape, obscurément, sans gloire
visible. Il avait les jours.
Quand
sèrent l'espace,
dessus de
jeune
même
la
avait,
plus que sa tâche de tous
les idées d'affranchissement traver-
entendit leur
il
vol,
planant
au-
masse humaine. En 1848, son cœur de
homme
tressaillit,
hymnes
et
chanta
et
vaincu de Juin
service
fait
il
les
d'humble
:
il
et
il
d'espoir. avait
prolétaire.
cria les
grands mots
Vainqueur de Février
cela dans
Et
le
ses
états
de
temps eut beau
—
-$_ 65
s'émuler,
il
niquer à ses
sut garder sa
bien
fini.
rils,
juvénile,
comme
commu-
la
an combat-
vieux, entre les deux jeunes, au*
jours du Siège et de
amaigri, où
foi
se lever encore
(ils,
tant, lui, le déjà
était
«-
Commune.
Maintenant,
il
Gela se voyait à son visage barbu
el
les
la
yeu\ bleus s'ouvraient,
naïfs
el
pué-
cela s'entendait à sa parole souvent incertaine,
bourrue
Que
et enfantine.
pouvait-il attendre encore de l'existence?
ne se posait pas
la question.
Comme
des projets d'avenir.
commencent lesse,
il
Il
avait
fait
tous ceux de Paris qui
à prendre de l'âge et prévoient la vieil-
caressait l'idée de s'en aller
environs de
longtemps
11
construite avec ses
un jour, aux
dans une bicoque qu'il aurait
la ville,
fils,
et
il
aurait vécu là en « bri-
colant », parmi les poules et les lapins.
Ce
rêve s'était
évaporé, et l'ouvrier fatigué ne savait plus trop à quoi se raccrocher. Il avait bien ses filles,
plus la
de
les
même
promener, de
de gâteries, a Tais-toi, Il
chose.
Il était
heureux de
les
les tarabuster, tantôt les
tantôt
grognon
mais ce
les !
n'était
choyer,
comblant
harcelant de réprimandes,
» disait sa
maugréait, finissait par se
femme
taire.
impatientée.
Sa femme, main-
-*- 66 -*tenant que Justin n'y était plus, était l'autorité qui
s'imposait à peintre,
il
Elle lui
lui.
fit
reprendre son métier de
retrouva ses anciens entrepreneurs, qui
avaient gardé un
bon souvenir de
lui et furent
touchés
de ses chagrins. Il
avait été, et était encore,
bon
ouvrier.
sa blouse blanche et coiffé de son petit
rayé de bleu, pareil le
le
pinceau à
pour barboter
la
baquet de colle où broyées.
leurs
main,
peinture à dosait
il
aimait
échelle,
la
détrempe dans
sa besogne,
il
et,
les
cou-
pendant
ne pouvait s'empêcher, malgré les
blicaines qu'il avait gardées en sa les
bonnet blanc
n'avait pas son
savamment
malheurs, de chanter à pleine voix
1848,
il
genoux devant une plinthe, ou juché sur
qu'il était à
une
Il
la
Vêtu de
couplets de Pierre
Les camarades
lui
ses
chansons répu-
mémoire depuis
Dupont
répondaient par
et
de Béranger.
les
refrains
du
jour, recueillis au café-concert et au hasard de la rue.
Malheureusement, de chanter et de peindre, cela donne soif,
et le
père
Pommier
ture pour aller boire
un
quittait
souvent sa pein-
verre de vin en
fumant une
pipe. « C'est le métier qui veut ça», disait-il toujours.
Cette période toutefois fut excellente, autant qu'elle
-+
-*- 67
pouvait
son.
de
restait
Il
pour
l'être,
paie, iiioulra
eu
sa famille.
lui el
la belle
Il
rapporta
humeur pour égayer
la
chonnage
»,
mais
il
était
femme, ayant souci de par
la
bon
et
brave
lui
rendre
le
ion
«
homme,
que
enfant, et c'est ainsi
vieil
mai-
L'habitude de la gouaillerie, qui
lui
tournait parfois maintenant au rabâchage, au
dément un
m
déci-
le traita
sa
logis plaisant
propreté, le couvert bien mis, le fricot cuit à
une chemise bien repassée
point,
chaussettes, sa cravate, son
bien cirés.
souliers
comme
cela.
mais Céline trait aussi
à
Il
mouchoir
En somme,
dimanche,
ses
surveillés, ses
cela pouvait aller
y avait moins d'argent à
allait
un
le
bientôt travailler, la
travail, s'il le fallait.
la
mère
maison, se
met-
On prendrait un
logement moins cher, enfin quoi! on s'arrangerait
du mieux qu'on
pourrait.
Céline inquiétait sa mère. elle.
Mais
elle était
comme
Aucune méchanceté en
absente, toujours distraite,
occupée d'elle-même ou de rien, d'une mouche qui
ou d'un ruban pour
volait, taille.
La coquetterie
s'était
ses
révélée en cette enfant
aussitôt qu'elle s'était aperçue dans
que
ses
mains avaient pu
cheveux, pour sa
saisir
un miroir,
un
aussitôt
objet. Elle était
-s- 68 -glégère desprit
comme
son père, toujours prête à sor-
à courir, à sauter, à danser, à roucouler, ou
tir,
bien boudeuse des heures entières
boudeuse avec un
observation,
de
comme
commencements de
des
toujours
l'air
Ça
drai...
Et
si
de penser
sera
comme
dis rien,
elle
:
gestes.
« Je ferai ce
ça,
on m'embête, on
— Qu'est-ce que — Je ne Et
marqué
elle-même, des hochements
se parlait à
si elle
tête,
ça...
petit front
une
barre de l'entêtement, des lèvres qui remuaient
la
de
elle recevait
si
Elle avait
que je vou-
parce que c'est
comme
verra. »
tu dis, Céline?
maman.
ne disait peut-être rien, en
effet, et elle
ne
pensait pas grand'chose de raisonnable et de bon, très
probablement.
Cécile, rante.
En
si
comme un chose de
jeune qu'elle
elle, sa
double d'elle-même,
la force
autrement rassu-
fût, était
mère reconnaissait
sa et
manière
d'être,
aussi quelque
de résistance, du sérieux tranquille,
qui existaient chez Justin, et
même
chez Jean, avant
son affolement. Les deux pauvres enfants avaient été
emportés par fort
qu'eux
et
le
destin, par quelque chose de plus
qui ressemblait à une tempête chavi-
-s-
barques.
tant les
honnêtement
voir être
veux
n'était
Commune,
Siège et cette fie,
Ce
à
ainsi,
-*
fy
|»a>
Sans ce
leur faut)
auraient
ils
et fièrement.
race à
l'ait
la
Cécile paraissait de-
en croire son front bien
lait.
n'empê-
attentifs, sa tranquillité habituelle, qui
chait pas
un singulier
éveil
de son intelligence, une
vivacité à
comprendre
et à
retenir.
ces promesses
encore
étaient
si
oiseau au nid. « ver, d'en faire
menu,
Pourvu que
une femme
sœur pouvait m'aider Elle
trouvait son
!
!
j'aie le
—
temps de
l'éle-
—
Si bs
pensait-elle.
» difficulté,
homme,
debout dès l'aube, faisant déjeuner son conduisant Céline
sant guère travailler, certes,
du «
travail,
mémère
finissant était
lui
pour
le
— mais
lui
apprendre à
ménage
et
la
i
I
la fai-
l'enfant avait encore lui
donnant
qu'elle
faisant croire lui enseignant
»,
de
—
à
maison, ne
instruisant Cécile des soins de la
de trop petites mains,
de-
qu'un
délicat
courage dans cette
l'expédiant au dehors,
cette
s'effrayait
aussi
fin,
si
que
indécises!
Lanière
petite existence était fragile!
vant cet être
Mais que toutes
à
lire.
était
ourler,
Le
couture,
à
reste les
l'illusion utile
à
trie
du temps
raccommo-
dages,
confection de vêtements, de chemises,
la
le
tricotage de bas, de chaussettes, et les courses, les
commissions à
la
porte de
s'attardait, flânait,
— quel-
Céline à attendre à
faire,
l'école,
—
quefois
un peu de promenade avec
les
deux
car la
gamine
petites filles, le jeudi,
ou avec
Cécile,
pour leur
faire
prendre
l'air.
La mère gouvernait l'œil à tout.
ainsi le logis
Ce type de femme
faubourg, en semaine, reste bien des
il
famille,
et la
n'est pas rare.
y a surtout des femmes.
commerçants à
Il
leurs comptoirs, des
un métier sédentaire. Mais
ouvriers fixés par
Au
le
grand
population a eu lieu, dès
exode journalier de
la
heures
emportant pêle-mêle hommes,
matinales,
femmes, enfants,
d'hommes en
comme
et
il
les
y a eu surtout de longs passages
rangées, en fdes, des marches rythmées
celles des
régiments,
un départ
d'employés, de gens qui s'en vont vers
d'ouvriers, les
ateliers
sans nombre, les industries nécessaires, où les grandes villes
appellent l'effort
du laborieux
et l'aide
du misé-
rable.
La rue les voit,
et la
maison restent donc aux femmes.
aux heures de
la
matinée
et
On
de l'après-midi,
allant et venant
au long des boutiques, stationnant
aux portes des écoles, promenant
Les
mioefa
Celles qui restent ainsi au faubourg
cap dangereux où
la
<>nl
franchi
misère guettait leur jeunesse,
leur ignorance, leur colère, leur envie, tous ti
le
les
sen-
monts violents qui peuvent naître aux cœurs de
vingt ans Il
en
émus par
est,
la vie,
désireux de joie.
en grand nombre, qui sont parties pour
ne plus revenir. Elles ont changé de région, sont devenues des servantes de
Elles ont cru aux
plaisir.
paroles,
aux robes, aux bijoux. Elles n'ont pas su,
ou
n'ont pas pu accepter la vie de résignation,
elles
la lente attente
faction
Pour
d'un bonheur incertain,
du contentement celles
la seule satis-
intérieur.
qui sont restées, qui ont entendu
la
voix avertisseuse les détournant des aventures, des
apparences vaines, des règnes illusoires, ce sont véri-
tablement des êtres admirables, des exemples inouïs
de dévouement rent,
et
de
sacrifice.
Exemples qui
qui s'ignoreront toujours,
s'igno-
hautes vertus qui
auront passé sans avoir connu l'orgueil. Elles ont été,
de
comme
seize ans, exaltées
par
les autres, les gentilles filles
les
humbles atours de
leur
coquetterie en éveil. Elles ont porté fièrement la tête
pour un ruban de feu ou d'azur, enroulé à leur chevelure, elles ont regardé avec complaisance reluire à
leur doigt la
bague en argent
de quatre sous,
musiques des
mance. Plus de toujours.
la foule.
Et tout à coup,
celles-là,
voilà qu'elles ne ressemla fête,
toilettes, des nippes,
La dureté d'une
et finie la role
même
cos-
règle, la rentrée dans
Brusquement, ces jeunesses disparaissent
au profond de jour.
fête.
aux autres. Finie
blent plus
tume
de
aux autres,
toutes pareilles
précieuse
ont frémi aux romances, aux
elles
soirs
et la pierre
soucieuse,
la vie
Elles sont chez elles,
du
travail
installées,
au jour
femmes
le
et
mères, bien ou mal mariées, en bon ou en mauvais
compagnonnage, désormais responsables, tant la responsabilité. C'est les
charmes
et à tous les
de paraître, à toutes
et
accep-
une indifférence à tous
triomphes, à toutes
les satisfactions
les joies
qui font
le tissu
de tant d'existences.
La mère de Céline
et
de Cécile semble ainsi re-
noncer à toute vie personnelle, survit, plutôt qu'elle
voulu,
elle
veut son
ne
vit,
homme
dans
et
de
fait,
les autres.
elle
se
Elle a
content, et que ne veut-
-*- 7 3
pas pour ses
elle
pour
Ah!
ses fils!
filles!
-*
que
ses fils!...
Au
moins,
ce qu'elle a élé pour
ont-ils devine
pas
n'a-t-eile
voulu
ont-ils bu,
eux, par quels
béroïsmes de chaque heure, par quelles privations
de sa part de bonheur, par quels actes de dévoue-
ment farouche, de magie, de
volonté, elle a
d'assurer leur bon départ pour
la
tenté
vie?
Ces existences secrètes perpétuent
la
bonté
et la
force de la race, assurent le recrutement des énergies
pensées de l'avenir.
et des
grandeur, à cette
la
Que
l'on
songe à
pauvre femme oublieuse d'elle-même
Au
logis
où
l'infinie
poésie cachée des jours vécus par
elle
!
séjourne, chaque objet raconte des
jours ajoutés aux jours, des combats, des défaites,
des victoires. Qu'elle passe le
tumulte de
vieille
avant
un monde visage que
au
la rue, cette
le
comme une ombre femme
dans
d'âge incertain,
temps, vêtue de sombre,
elle offre
à deviner par les traits expressifs de son la vie
a sculpté, par la lueur qui palpite
fond de ses yeux clairs.
qu'elle soit, elle porte
Si triste,
si
inconsciemment avec
certitude, elle a fait sa tache, vivant
pour
fatiguée elle
une
les autres,
manifestant une puissance d'âme invincible.
L'ar7
4deur
-*
74
beauté de sa vie intérieure font de cette
et la
créature instinctive
Chacun de
un type d'humanité
ses actes si simples devient important,
prend une signification tendre,
comme
supérieure.
recueillie, auguste,
l'humble femme accomplissait des
si
rites,
Tous
les
matins, avant que personne soit encore sorti du
lit,
célébrait secrètement
elle
va chez
c'est la
le
culte
le
de
la vie.
boulanger. La boutique du boulanger,
boutique importante de
la rue, celle
qui re-
présente la vie de tous, bien plus que l'épicerie et que la
boucherie.
La boutique du marchand de
seule, peut lui faire tains jours
;
mais
si
une concurrence désastreuse,
la
qu'il
femme,
l'homme, au
logis, reste plus long-
ne faudrait devant
elle,
cer-
parfois éreinté, bavard,
s'attarde avant de rentrer
temps
vins,
le
comptoir de
zinc,
n'oublie jamais l'indispensable bou-
langer. C'est son éternel souci, ce pain de quatre livres,
lant,
blanc de farine, doré au feu, tendre, croustil-
parfumé, valant à
monde,
si
trant chez
qu'on
lui seul tous les
beau, lorsqu'elle elle, qu'elle le
a envie
le tient
pose sur
gâteaux du
en ses bras, renla table,
si
beau
de piquer une rose en pleine miche
Elle se souvenait parfois
du temps où
!
Justin et
,
Jean raccompagnaient, accrochés rant
le
voyait
champs de le
l'humble
là
Elevée à
tenec.
jupe
el
dévo-
la
blé, les
et expressif
campagne, moissons,
la
du
pain.
symbole de Te
elle
la
poésie
la
se rappelait les
cadence des fléaux,
grain envoyé au moulin et qui revient en sac de
farine,
le
pétrin,
le
four,
la
huche,
venues autour de tout cela,
et les
montaient
les
la
m
morceau du poids, savoureux comme de
brioche. Elle sentait la nécessité et elle
à
et
descendaient
maison, qui entraient dans
les
et
bonnes odeurs qui par
escaliers, les
allées
toute
chambres, qui
se
jetaient en bouffées au visage, par une porte, par
une
fenêtre,
La
subitement ouvertes.
triste vie
pour
va comme
les petits,
il
elle
peut, mais tout de
même
ne doit pas y avoir que des cha-
grins et des pensées sérieuses chez ces pauvres gens. Il
faut des arrêts de la fatigue, des oasis de
Ton
et
On
fera
le
possible pour distraire
ne peut leur imposer déjà
bien
le
On
temps de savoir célébra
et
de
les soucis
bon repos,
les :
fillettes.
elles
ont
souffrir.
donc leurs anniversaires,
leurs
fêl
leur Noël, leur jour de F An, par des achats de bon-
-s- 76
-=§-
bons, de naïves parures en rapport avec leur coquet-
Aux
terie naissante.
où
les
soirs
et
de janvier,
boutiques des plus humbles rues exhibent
parure des étrennes, on illuminées, les les
de décembre
Le père
et les
mena devant
sapins chargés
ménageries,
cadeaux, à
les
de petites bougies,
basses-cours, les poupées.
les
mère s'ingénient
la
rendre épanouies
Justin et Jean savaient
si
bien
et
à les
amuser de
comme
heureuses,
un brave homme
naïf qui rit tout seul dans les rues, bien qu'il
peu d'argent dans
treize
un
poche
sa
courageux,
de sa vaillance, de
et
le
donnant aux siens qu'il ait le
il
les
maison.
Gomme suffit,
les autres,
pour
être
est,
fut
il
convaincu
comédie du bonheur. Quoi-
la
chagrin d'hier encore vif et que
yeux
ait
y
Il
voir pendant ces jours de fêtes
tude de demain lui fasse
prendre
et à la
d'autres, à la recherche d'objets de
sous pour ses fdles.
être
Le
le faire autrefois.
père Pommier, ces jours-là, est
comme beaucoup
la
les vitrines
le
inquié-
1
front contracté,
riants et le ton enfantin,
il
sait
l'allure
légère et le fredonnement de celui qui apporte des
étrennes à la et
il
rit.
femme
Chargé de
et
aux enfants.
ses
tristes
Il
ouvre
paquets
la
porte
comme
le
+Ixmhomme
Noël
et le
77 -*"
papa Gâteau,
il
rayonne, dans
l'obscure demeure, en magicien inventeur de réjouis-
sances et distributeur de friandises.
Demain,
les
échéances
mier janvier, mais
Le
étrennes,
et
y a aussi
il
après
propriétaire,
et les
le
ennuis.
le
père
le
Pommier
oublier les siens. Le
programme
mieux
servie qu'à
la
table
huit, jour
le
pre-
du terme.
réclame
concierge,
des
Tant pis!
des étrennes considérables.
Pendant un jour
soit
y a
Il
oublie,
et
fait
inexorable veut que l'ordinaire,
et
que
des poupées parlantes, des sucreries, des jouets mécaniques, soient distribués aux petites bonnes
qui
exigent
impérieusement que
la
femmes
tradition
soit
respectée. Aussi, le père de famille harassé montre-t-il
une sublime hypocrisie à jour de l'An. Sa par-dessus
la tête
femme
se
l'en
montrer
le
croyant du
remercie d'un sourire,
des enfants. Après tout,
peut-être aussi, et
il
admire autant que
il
y croit
les gosses,
qui battent des mains, ce morceau de bois à ressort,
de
ce bébé en porcelaine bourré de ouate,
ce jeu
patience, cette boite de fondants, cette
cravate de
soie, le
n'importe quoi de brillant, de grinçant, de
coloré, qui a été acheté
au bazar. Le père s'amuse
avec ses deux
manier
à
filles
vrer les mécaniques, qu'elles,
s'amuse de
il
est
il
la
les
joujoux, à
animé de
même
féerie
la
manœu-
même
joie
enfermée dans
la boîte à surprises. Il
sait aussi les
prendre avec
une à chaque main, lages.
et les
deux,
lui, toutes les
mener
voir les beaux éta-
Dans des mobiliers de marionnettes
riches,
des poupées vêtues par des couturiers traînent des
robes de soie, des manteaux de velours, exhibent des fourrures, des dentelles, des bijoux, des pierres précieuses. Elles se font des visites, tapent sur des
pianos,
prennent du thé,
lisent le dernier
roman.
Elles créent, dans les minuscules appartements tendus
de peluche,
parfumée, arrêtés
une
et elles
aristocratie enfantine
semblent regarder
aux devantures,
comme les
élégante et
les petits
fillettes
pauvres
bien mises
regardent, dans les squares, les déguenillés stupéfiés
qui se sont approchés de leurs toilettes gracieuses et
de leurs jeux distingués.
Les enfants qui ne reçoivent pas ces merveilles d'articulation et de parure
sont tout aussi ébaubis
devant des sujets de distractions plus modestes objets plus
humbles. Pour intéresser
les
et
petits
des
de
+-
79
-*
n'importe quelle catégorie sociale, pas
besoin d'être
compliqués,
très
Une
d'un jouet bien coûteuse.
du
bois
cesse
les
rta
i
ni
La
n'ont
matière
vive enluminure bui
ou sur du carton, des vêtements de prindans
taillés
des
multicolores à bon
étoffes
marché, d'éblouissants
découpés dans du
falbalas
papier doré, c'en est assez pour réjouir les regards
âmes neuves enivrées par
avides d'apparences, les
Aussi
l'illusion.
les
ne sont pas moindres
foules
autour des bazars en plein vent, des éventaires ins-
sous
tallés
les portes,
et
les
admirations s'exaltent
devant l'objet qui coûte un sou
comme Il
l'or et le
et
qui resplendit
diamant.
y avait des attroupements de ce genre
niers soirs de d'hiver,, sur la
décembre 1871, dans
le
les
crépuscule
Ménilmontant.
Chaussée de
der-
Les
enfants sortant des écoles, avec la petite fièvre des veilles
de
la voie
fêtes, s'arrêtaient à
populeuse
et
chaque pas, au long de
bruyante.
Ils
restaient en des
extases silencieuses, puis se manifestaient en longs
bavardages, bantes,
au spectacle des
des soldats de
petites bougies flam-
plomb bleus
et
rouges, des
emboîtages des jeux de patience, des bergeries
tail-
-$- 8o -§-
au couteau, des maisonnettes en bois blanc,
lées
idéale figuration des châteaux en
vert poison,
en
ébouriffées
bébés aux yeux bleus de figurantes de Guignol
Espagne, des forets
chevelures frisées,
ciel,
des
des poupées vêtues en
— tout un univers de rêve où
apparaissent les symboles de nature, de gloire, de
beauté
de joie.
et
Si cette joie est sur les elle
nest pas sur
L'homme l'autre, le
et
la
physionomies enfantines,
les visages
femme
au bord du
des marchands des rues.
sont debout l'un à côté de
trottoir,
un panier devant eux,
panier rempli des jouets en bois
et
en carton.
C'est l'espoir de leurs semaines de travail, de leurs nuits de fatigue,
qui est étalé sur
le trottoir, offert
en tentation à des gens pas plus riches queux, à des inquiets
comme
eux, serrant leur salaire dans leur
main, hésitant, allant
et
venant, avant d'acheter les
étrennes des mioches affolés. Pauvres marchands de rêve,
aux sourcils froncés,
bibelots de
faisant
manœuvrer
les
deux sous, fabriqués en chambre, suppu-
tant leurs gains minuscules. Ils sont aussi sombres,
aussi poussiéreux, aussi ravagés de vétusté
marchandes de gâteaux
fins
comme
que
les
des dentelles,
marchandes annonçant
les
sont
(jiii
el
comme
ridées
le Plaisir
comme
vieilles les
le
par
Temps,
matière des jouets qui
et la vraie
moins
encore
les
décrépites
bonnes femmes des contes
Les enfants, qui ne savent pas voir
fées.
Les rui
faces
la
vraie
<1<
forme
les ravissent, voient
attentives et
anxieuses de
ceux: qui détiennent ces richesses.
Ce nelles,
Lilliput de bébés, pierrots, clowns,
de fermes,
cet
soldats,
paysans, polichi-
animaux de ménageries
univers en carton et en bois,
et
ces
parcs, ces vacheries modèles, ces vaisseaux de haut
bord, chargés de voiles ou marchant à ces
théâtres,
ces
locomotives, ces salons luxueux,
ces cuisines reluisantes, ces belles
du
vapeur,
la
dames qui
thé et des gâteaux à des invitées,
offrent
— Cécile aimait
tout cela. Enveloppée de châles, les pieds chaussés
de galoches, debout dans
main de se
la neige, sa
Céline, de son père
lassait
pas du spectacle,
ou de la
cœur bondissant d'émotion, son froid désignant les choses,
nommant. Sa mère ne partait de
la
main dans
la
sa mère, elle ne
bouche ouverte, petit doigt
le
rouge de
sa voix gazouillante les
savait pas résister,
et
Ton
boutique avec quelque jouet à bon
-*- 82 dé-
marché,
taillé
au couteau,
enluminé,
comme
les
images d'Epinal, de couleurs franches qui poissaient Elle eut des poupées, toute
les doigts et les lèvres.
une
famille,
caractère. Elle eut, tait
nom et d'un comme si elle mon-
chacune pourvue d'un
peu à peu,
péniblement un ménage, des meubles pour
les
chers enfants, pour les bébés qui viennent de naître, et
pour
grandes demoiselles déjà élevées, auxquelles
les
on cherche des maris. Elle eut un service en zinc en faïence, pour
la dînette, et c'est
qu'elle put acquérir le fourneau
seulement ensuite
pour
couleur
crinière droite.
lie
Ce
petit
que
aussi, tout autant
que Polichinelle
de vin,
et
les
naseaux
monstre
Au
la cuisine.
milieu de ce mobilier, un terrible petit cheval à féroce,
et
était
l'air
dilatés, très
la
aimé
LiLie et Lolotte, ses poupées,
Guignol. Lui s'appelait Bichon.
Et quand Cécile l'étreignait de ses petits bras,
elle
appelait cela aller en omnibus.
Ce avec
fut ainsi qu'elle Ja
vie.
De
commença de prendre
contact
grosses émotions lui vinrent des
maladies de ses poupées. Elle geignit des embarras, des charges de ses rires
famille,
de petite
fille
parmi
ses
de huit ans.
amusements
et
-*- 83 -§Elle
connut aussi
bruit et
le
réjouissances populaires. renaître
des deuils. saient à
devant
faut
il
:
joie
les
et la
mouvement
le
passé et se guérir
mère, malgré eux,
deux innocentes,
des
des
Le quartier dévasté sembla
bien oublier
Le père
la
le
parades des saltimbanques
se plai-
épanouies la
et
ronde
des cbevaux de bois.
Les chevaux de bois, surtout, faisaient de Céline
et
de Cécile. C'est
si joli et si
sons d'une musique de danse,
de frénésie! taillés,
De
ils
bonheur
le
tentant.
Aux
tournent avec tant
chevaux de bois, raidement
vrais
sauvagement coloriés de rouge,
la
crinière
courte, l'encolure et la croupe ramassées et arrondies
comme à tort,
dans
les défilés
du Parthénon. On
a inventé
pour remplacer ces bêtes primitives, de gro-
tesques ménageries très inférieures à ces rondes de naïfs coursiers
:
des lions qui semblent des caniches
jaunes, des dromadaires, des éléphants, des autruches, des casoars, garnis de selles et détriers, des
dragons, des hydres, des bêtes d'Apocalypse émouvantes
comme
des colimaçons.
histoire naturelle de
chaises à
On
entremêle cette
porteurs
et
de gon-
doles, de carrosses et de bateaux à voiles, de rideaux
-S— 84
-ef-
Un
frangés d'or et d'étoffes lamées d'argent. se tient
au centre, proche
bandés qui
fait
marcher
le
mécanisme. Mieux valent
vieux petits chevaux de bois, et
les
bruyante
et si
orchestre
cheval blanc aux yeux
le
la
ritournelle
mélancolique de Forgue. Sur
vaux classiques, au son de
un
cette
c'est
assises
en amazones, laissant
joli
que
spectacle
triste,
les
che-
musique sauvage
et
celui des fillettes
flotter leurs robes, pas-
sant avec des gestes maniérés et des yeux langou-
reux, chevauchant dans le rêve et poursuivant l'inviC'est
sible.
un symbole hardi
et
irréfutable
que
celui de cette course effrénée passant toujours par le
même chemin
et
ne conduisant à aucun but. Le
rythme qui chante des commencements de des envolées, des promesses,
scander
routes,
s'épuise sur place à
illusions et souligner d'ironie les faux
les
départs.
Le ne
petit
sait
monde
pas cela, heureusement.
enivrée de tient
qui galope sur
mouvement.
les
Céline est
de sa mère. Et toutes
et
leur
soirée,
reviennent
comme
Cécile ferme les yeux,
solidement à l'encolure, sous
père
chevaux de bois
chez
les
les
se
yeux de son
deux, contentes de
elles
en
bavardant,
s'endorment tout de Puis vint le
les
de
semaine
la
du sépulcre dans
la
une
la
célèbrent à pleins tuyaux
tombale,
éblouissant
rayonnement C'est une
les
de
fête
croyants
neuves,
cierges,
de ce dimanche,
dimanches,
les autres
sa
de
la
le
personne
le
la
morue, Pâques
rôti
doré par
sauce sanglante. Tout
renouveau,
la joie
le
d'espoir.
en
toilettes la belle
De même,
après
réinstalle à la place
le feu,
monde
du
vivante.
femmes arborent des robes de
semaine de
d'honneur
endormis
redevenue
l'église
pierre
la
chair, une reprise
à
orgues
les
Christ écartant
gardiens
ses
rendent
se
vitraux,
les
saison, refleurissent leurs chapeaux. la
scène
des dimanches, où, toutes les portes ouvertes,
divine lumière incendie
Les
les
tendues d'étoffes
flammes des
celle
qui paraît plus dimanche que
mise en
la
les églises
que
fête éclatante
Après
clarté.
sainte,
noires, l'obscurité trouée par les
le roi
éclairé (Tor par
pousses des verdures nou-
de résurrection
ténèbres de
c'est
heureuses.
el
Pâques, synonyme d'allégresse, de carillons
joyeux,
sinistre
fatiguées
beau temps, Pâques,
le
égayé par
soleil,
velles,
suite,
a
fumant dans la
de vivre encore une
sensation fois
la
du
permise, 8
-s- 86 -§• la fin
du Carême, de
la
du
pénitence,
silence,
de
la
musique mortuaire. Ces syllabes du mot de Pâques publient
Une
délivrance.
porte s'ouvre sur
comme
recommence,
l'avis
campagne.
la
de
On
tous les ans, à s'enquérir des
heures de départ des trains, à parler de déjeuners sur l'herbe, d'omelettes, de gibelottes et de vin bleu.
de
vieux souvenirs reviennent hanter vidus, issus de
promenades dans
les
cervelles
la
Les
banlieue
de milliers d'indi-
commis, de boutiquiers, d'ouvriers
qui s'en allaient, eux aussi, autrefois, courir autour
de
la
ville,
d'air et le
de
pour connaître davantage de verdure,
ciel.
L'humeur de
l'ancêtre reparaît chez
Parisien quand naissent les fraises des bois et les
clochettes blanches ciel est
du muguet. Aux
d'un bleu léger,
courage après
les
le soleil est
jours d'hiver.
Il
lilas d'avril, le
doux.
On
reprend
y a partout
la las-
situde qui suit le travail sans récréation, le besoin de flânerie, le désir
de fêter
retour de la chaleur. Les
le
femmes rêvent d'amour, de Les petites
filles
chantent
valses et de
et
promenades.
dansent en rond en se
tenant par la main. Elles chantent les Filles à marier
:
-S- 87 -*-
—
J'ai tant
Que
de
marier
filles à
mon comment
j'en ai tout plein
Hélas
je ne sais
!
grenier faire
Pour en marier tant!
Ma
lille,
— Ma —
ma
p'tite
On
dit
fille,
je parle à vous
maman, que
je fais
p'tite
la
tour, faites-en deux,
est-ce qui passe ici
Compagnons de
Ja
le
mieux
du Guet
Elles chantent le Chevalier
Qui
si
tard,
Marjolaine,
est-ce qui passe ici
si
tard,
Gai, gai,
Dessus ce quai Elles chantent le J suis
?
Romarin
descendue dans
Pour y
vous.
aimez,
Embrassez qui vous aimez
Qui
comme
danse vous entrerez.
un
Faites
.'
que vous aimez d'amour.
— Ma maman, — Puisque l'amour vous Dans
m'voulez-YOUfl
cueillir
:
mon
jardin
du romarin,
Gentil coquelicot, messieurs, Gentil coquelicot, mesdames.
:
!
-§- 88 -*J'avais à peine cueilli trois brins
Qu'un
rossignol vint sur
ma
main.
parlait grec, aussi latin.
Il
Que
disait
Que
les
il
dans son latin
hommes ne
?
valent rien,
Et
les
garçons encore bien moins.
Pour
les
demoiselles n'en dit que
du
bien.
Gentil coquelicot, messieurs, Gentil coquelicot, mesdames.
Le père Pommier, sa
femme, Céline
le
lundi de Pâques,
et Cécile, à la foire
faubourg Saint-Antoine, place de de Vincennes. ceau par
Il
la
Nation, cours
resterait à la fête le soir.
bat des mains, joyeuse, et Cécile tente aussi.
au pain dépices,
a promis qu'on mangerait un mor-
qu'on
là,
emmène
La mère ferme
rit,
Céline
est bien
la porte, et tout le
con-
monde
s'en va. 11 est
jour lorsqu'on arrive. La grande foule n'est
y a des gens du quartier, des
pas encore venue.
Il
promeneurs,
rentiers
des
désœuvrés
autour
des
baraques closes, des coulisses, des théâtres en plein air.
Les
quatre
prennent sur
le
Pommier fait la vie
regardent,
eux
aussi,
des héros de parades et
*- 89-* des étoiles de cirques.
et
deux pièces où
divisées en
les rouloltcs
mangent
Les grandes voitures
dorment, naissent
repos derrière
baraque de
la
hommes
Les
travaillent
ou de planches.
toile
paillons et à
d'homme, Le
soir,
après
le
cœur
fanfreluches
en
nu.
à disloquer leurs
recouvert
costume à
le
d'un
paletot
font la cuisine.
quand
les
repas chez
Pommier le
se retrouvent dehors,
marchand de
venue, roule à pleine rue, remplit tacle
le sol
aux décors, aux charpentes,
tout leur
femmes, en jupe courte,
enfants. Les
forains
l<
meurent, sont au
et
Les chevaux maigres reposent leurs os sur
ou s'appliquent de
vertes,
toile,
saute
dans
les
vin, la foule est
les salles
bals,
de spec-
forme cercle
autour des diseuses de bonne aventure, envahit
les
chevaux
les
de bois,
les
aérostats mécaniques.
par
la
bateaux, les balançoires,
Le vieux faubourg
rumeur joyeuse. L'odeur de miel
du pain
d'épices flotte dans
l'air.
est réjoui
et
de sucre
Les petites bou-
tiques présentent leurs alignements de gâteaux bourrés
d'amandes,
la
symétrie de leurs sucres de
Les boules brillantes où se
reflète
la
pommes.
foule en
une
miniature animée, les découpures de papier rouge
"^
-s— 9°
ou doré, parent
raides marionnettes libets
de
d'un éclat barbare. Les
les étalages
la foule
du jeu de massacre attirent les quo-
frondeuse par leurs costumes d'ar-
chevêques, de moines, de magistrats, de militaires.
— Des
lapins vivants!
—
crie Céline.
Les bêtes peureuses, immobiles sur des
thym
rêvent de à
et
de serpolet parmi
du tourniquet sur
côté
tables,
lampions,
les
lequel va se jouer leur
existence.
Devant les fifres
les
baraques,
les
tambours,
cymbales,
les
font rage. Les chiens savants et les petits
chevaux dansent.
Les pitres rééditent
cinq mille calembours pour
un
de lumière éclairent subitement écoute et
rit.
Le boniment
marches, on s'entasse dans les catégories de places par
les
vingt-
sou. Les projections la foule
fini,
qui regarde,
on escalade
salles, divisées
une corde
:
les
les
en deux
premières
sont éclairées par des quinquets, les deuxièmes, au fond,
sont
presque noires d'ombre.
On
entrevoit
confusément, dans une agitation confuse, des visages pâles et
roses,
des cheveux sombres et clairs,
bonnets blancs, des scintillements de broches boucles d'oreilles. Les chants,
les appels,
des et
de
descendent
-s- 9 et
montent
crécelles
le
long des gradins,
accompagnent
pissements
-*-
1
de
les
les
mirlitons
tambourinades
Drames,
l'orchestre.
les
el
et les gla
vaudevilles,
un quart d'heure. Le public
opéras, sont expédiés en
joue un rôle, intervient à
la
Le père Pommier mène
façon du
chœur
antique.
sa famille voir Geneviève
de Brabant, puis la Pie voleuse. Les petites vivent en pleine féerie, frémissent à
la
vue du
Golo, applaudissent lorsque l'innocence de
filles
traître la
ser-
vante est reconnue.
Les dimanches d'été,
les
Pommier
bonnement avec un panier de
s'en vont tout
vivres, vers les fortifi-
cations, sortent de Paris par la porte de Bagnolet
de Romainville, prennent place sur devant eux
le
le talus,
ou
regardent
paysage de terrains vagues, de buttes
pelées, de gravats, d'ordures, d'écaillés d'huîtres, de
boites
à
mange de
sardines. la friture,
Au
delà,
où
des tonnelles où
l'on boit
ques bicoques de campagne avec la
du vin la
l'on
violet, quel-
cage à poules
cabane à lapins, un jardinet orné d'une boule
et
bril-
lante qui reflète les tournesols, le tuyau d'usine qui
vomit sa noirceur le
et sa
puanteur dans l'atmosphère,
bouge couleur de sang,
la
bande de vauriens qui
*en
rôde
Un On
«
une
quête de
la
9 2 -*vieille
femme
à
assassiner.
jour, le père organisa une grande expédition. ira à
Yincennes, »
affaire, la
à emporter.
journée à passer,
On
resterait
C'était toute
avait-il dit. le
déjeuner
du matin au
et le
dîner
soir sous bois,
à l'ombre, sur l'herbe. Le jour choisi fut un lundi
où le
pas de travail
le peintre n'avait
le
:
dimanche
lundi, le bois de Vincennes est resté le lieu préféré
de ceux qui peinent pendant toute établi,
la
semaine sur un
dans un bureau, derrière un comptoir.
Avec bien
d'autres, le
Pommier non
chemin de
loin des guinguettes
fer déverse et
nade, Céline et Cécile jasant et riant,
panier aux provisions.
clairière avoisinant
le fort,
le
les
des bals qui
font face au donjon. Ils s'en vont d'un pas de
le
et
prome-
père portant
Inutile d'aller loin.
Une
un peu de gazon, quel-
ques mottes de terre où croissent des fleurettes au pied de faisceaux d'arbres maigres, saccagés par les essais d'escalade et les brisements
de branches, c'en
est assez pour s'asseoir en rond.
La
encore nette d'un autre déjeuner.
abandonné, des os sol.
Çà
et là
place n'est pas
Un
litre
et des papiers gras
des «
sociétés »
vide a été
parsèment
le
sont installées, des
amoureux, des ménages, des aux goulots,
familles,
se jettent des boulettes
«jui
boivent
de mie de pain,
fredonnent des romances. Des pantalons rouges, des gants blancs, des plumets d'artilleurs paraissent disparaissent à travers
le feuillage.
et
L'air est plein de
de moineaux.
cris
— Céline, veux-tu aller te
revenir?...
Ab! mâtine,
je vais
chercher!
Céline chante,
fait
semblant de revenir, ne revient
pas, s'écarte de nouveau.
— Attends, lier
va, je vais te
ramener à coups de sou-
!
— Ne brusque pas, — mère. — Céline! — appelle gentiment dit la
la
Cécile.
Céline ne revient que lorsque son père se levé, furieux.
Elle revient des bords de chemins, des coins de talus, des environs
de ruisseaux, où
singulières et inquiétantes figures.
se
Des jeunes gar-
çons, blêmes et gras, aux cheveux trop
jouent au bouchon sol,
fument des
— Hé
!
la
pommadés,
sur la route, ou, vautrés sur
cigarettes.
môme,
tiennent de
— appelle
l'un.
le
*- 94
— Tu —C
bath
es
!
'qu'elle est
-*-
— sourit gironde! — j'te
gobe,
l'autre.
s'extasie
un
troisième.
Céline sourit, minaude, arrache des feuilles aux arbustes, les porte à sa bouche, sa jolie bouchetle à baisers, à ses dents de nacre. Elle
ondule, se rengorge, joue
elle
Vincennes pour
la
la
se sent
admirée,
coquette du bois de
gouape de Paris
de
et
la banlieue,
vêtue de vestons trop courts, de pantalons collants,
de chemises de couleur, la
chaîne et
la
les
montre au
une haute casquette sur
gilet,
la tête,
cher insolemment son vice
Le père ramène
doigts cerclés de bagues,
un
foulard au cou,
— comme pour
la fille
en
la
talochant. Derrière
eux, l'argot ricane, les regards enveloppent la
de
la fille et
que
la
affi-
et sa paresse.
transpercent la
nuque du
père.
taille
Pendant
dispute de famille continue et s'apaise,
il
y a
sous les arbres des gesticulations cyniques, puis
groupement de
— —
il
Tu
vois,
y a eu
voyous
—
de dos d'un conciliabule.
dit le père,
un crime au
comme
à quatorze
têtes et
le
quelques jours après,
bois de Vincennes.
De
sales
ceux de l'autre dimanche se sont mis
pour
violer
des quatre saisons.
une femme, une marchande
Ils lui
ont attaché
les bras, lui
ont
-s— 93 ventre à coups
crevé le
sauvés en mettant
On
le
—
%-
de pierre,
et
lia
feu à ses jupons et à sa chemise.
portée à l'hôpital Saint-Antoine, où
l'a
mourir.
..
Tu
vois, Céline.
On
— Nous n'irons plus, —
en
on
lui racontait
chante
elle
va
a déjà arrêté neuf...
dit la
mère.
Et Céline, quia écouté d'un air incrédule, si
sont
se
comme
exprès une blague, Céline aussitôt
:
Nous n'irons plus au bois Les lauriers sont coupés
La belle que
:
;
voilà
Ira les ramasser...
aucune idée de ce qui
Elle n'a
lui a été raconté,
de ce qui a pu se passer. Son imagination courte, toute à la
minute présente, ne
lui
montre pas
tels
qu'ils sont les rôdeurs et souteneurs qui errent par le bois
au crépuscule, rencontrent une femme,
l'en-
traînent sous les arbres, la ligotent, la violent,
massacrent, l'incendient, glante, brûlée. Elle lui arriver
;
—
et
la
laissent souillée,
san-
ne conçoit pas que cela puisse peut-être, en effet,
arriverait-il pas, l'aventure serait-elle
rente.
la
cela
pour
ne
lui
elle diffé-
9 6-*-
+au contraire,
Cécile,
petite qu'elle soit, devine
si
par son imagination frémissante qu'il se passe quel-
que chose de et
du
par
père.
Elle ne sait pas ce que
violée.
Ce qu'elle comprend,
le
est effrayante,
que personne
marchande des quatre
Désormais, quoique
la
mère préféra Andilly, où si
c'est
c'est
qu'une
que l'histoire
venu défendre
n'est
la
que ces garçons
saisons, et
du mal,
affreux lui ont fait
toujours
la ville
ne comprend pas ce qui a été raconté
bois. Elle
femme
beau décor de
terrible derrière le
si
tant qu'ils ont pu.
course fût plus longue,
la
la tante vieillie les recevait
bien. Gela, c'était gentil et charmant.
— De campagne, — père Pommier. — Quel embêtement qu'on n'y boive que delà la
piquette Il
vraie
disait le
!
se réjouit,
néanmoins, avec
la
maman
et
les
deux gosselines, des promenades dans Fair vibrant et
de
doré des chaudes après-midi, sur la route inondée soleil,
dans
le
sentier
qui
longe un
champ
d'avoine, à la lisière d'un bois. Ici, des faisans sont élevés
dans un enclos de
tent les
forêt
:
à tout instant, par-
beaux oiseaux rougeoyants
clairières sont traversées
et
mordorés,
les
de vols lourds. Ailleurs, on
-*- 97
-*
entend des bruits de branches cassées, on aperçoit, ;i
1
milieu d'un étroit sentier, des chevreuils attentifs
1
immobiles sur leurs pattes coin délicieux où
les fraises
muraille de parc,
une large
semée de
dès
fleurs
;
le
frêles.
Plus loin,
abondent
:
1
un
est
il
au long d'une
voie, verte d'herbe, par-
revers
du
talus, les fraises,
toutes petites, se trahissent autant par leur senteur
sucrée que par
places,
elles
sont
d'un rouge
point
le
rose pâle qui éclaire si
la
verdure des
nombreuses que
criblé d'une pluie de sang.
qu'à
les
c'est le la
jolie
manger
muguet. fleur
Il
va
là faire
ou d'un Par
le sol paraît
n'y a qu'à
à belles dents.
On
vif
feuilles.
les cueillir,
Plus loin encore,
des gros bouquets de
poussée droit entre
les
deux longues
feuilles lisses.
Puis l'automne revint, avec ses tés,
son vent, ses
fut fini
feuilles d'or,
pour toujours d'Andilly
mourut, presque subitement,
mouvemen-
ciels
— puis :
l'hiver.
Et ce
bonne
tante
la
laissant
un
billet
de
mille francs aux Pommier, toutes ses économies.
À
ce
moment, Céline
Cécile fut mise à
une
couturier»'.
C'était chose
important»'
fut confiée à
l'école.
9
pour
Sa mère
elle.
son travail
un peu de
lui avait dit
soumission,
et sa
pour plus
bien-être
capable de comprendre
merçante, jeune rance devant
le
fille
souvent que
elle
selon
pourrait acquérir
tard.
affaires,
les
là,
De
là
on
sortait
com-
caissière,
n'ayant pas à rougir de son igno-
monde. Dans
de l'enfant,
l'esprit
l'ave-
nir glorieux, les situations brillantes, appartenaient à
d'anciennes élèves obéissantes
et
appliquées.
Aussi, dès qu'elle a franchi le seuil de l'école, Cécile prend-elle
un
petit air recueilli.
Plus de
rires,
plus de conversations superflues. Elle s'installe devant
son pupitre, elle.
et
Tout de
suite,
douées qui ont et le
une deuxième
le
elle
petite fdle se révèle
se range
parmi
souci d'arriver. Elle joue
en
les
bien
un
rôle,
joue d'un rare sérieux. Rien n'aurait pu
la dis-
traire de ses devoirs. Elle avait su vite lire et écrire.
A
présent,
elle
apprend par cœur des
étranges qu'elle ne l'esprit
comprend
pas.
Elle
histoires se
torture
pour additionner, soustraire ou diviser mille
sacs de farine
vendus à un marchand, échangés avec
un fermier pour un
prix égal de beurre, etc.
Tous
ces problèmes lui paraissent d'une gravité exceptionnelle, et
son caractère
est modifié
par
la
préoccupa-
99-*
-«lion des
premières places cl des bons points. Qu'une
compagne
ait
à son obligeance
recours
pour
être
aidée ou conseillée, Cécile devient muette et impassible.
Ce
n'est
plus
la
bonne
émue du moindre ebagrin petit être
engagé dans
sensible
et
des
autres,
enfant
un
c'est
voulant conquérir
la lutte et
le prix.
Elle exerce
donc son
bistoires des guerres,
à retenir toutes les
esprit
toutes les dates
qu'elle
croit
indispensables à son avenir. L'arithmétique est pour elle
un cauchemar
inextricable.
Les millions,
milliards, après s'être alignés sous sa
les
plume, hantent
ses rêves. Elle cherche, à travers tous ces zéros, le
« résultat exact »
Un
soir, elle revint tout
n'avait pas elle
remporté
le
la
maîtresse d'école.
en pleurs chez
elle.
ment
la
campagne.
décrit sa dernière
avait
beaucoup
ri
avait été décernée à
Elle
prix de narration sur lequel
comptait. Le sujet du concours avait été
journée à
On
voulu par
»
promenade aux
de sa méprise
une
:
«
Une
Cécile avait tout bonnefortifications.
et la
récompense
autre. Elle ne fut pas con-
vaincue du mérite delà composition couronnée, et son
jeune discernement se révéla par cette obstination
Univer»ftaJ*
BIBLIOTHECA
:
IOO
—
mon
donné âne
—
ait
prix à Madeleine parce qu'elle a vu
un
à
attelé
—
qu'on
Est-ce possible,
disait-elle,
une voiture, des gens qui dansaient
devant un château,
une comtesse qui
et
distribuait
des brioches à des villageois?...
Ce jour-là, mais
Cécile fut
d'ailleurs elle
définitive, car elle
en garderait,
un peu désabusée de
ne pouvait s'en
faire
ne devait guère y
c'était
les
l'école,
une opinion
rester.
Ce qu'elle
quelques livres essentiels,
quelques volumes de prix, dorés sur tranches,
goût de
la lecture,
intelligence et le
ce grand
moyen de
une science, plus
temps. Là, se marqua
se faire
tard, si elle
la différence
et le
une
en avait
avec sa sœur.
Céline, malgré ses quatorze ans, ne voit rien, n'en-
tend
rien,
ne comprend rien. Elle saura coudre,
orner un corsage, et c'est tout. La vraie apprentie, l'apprentie de la vie, c'est l'autre, Cécile, la petite fille
qui va sur ses neuf ans. C'est
elle
qui a
le
don
elle
qui prend contact avec
soir rassemblait tout le
monde, comme autre-
de voir
et
de retenir. C'est
ce qui l'entoure.
Le fois,
autour de
la
lampe, auprès du feu. La famille
apparaissait alors bien réduite.
IO
—
Sans doule, Justin
nous auraient s'ils
Jean
et
—
quittés,
mai
se seraient
disait la
—
mère,
maia
avaient eu de bonnes femmes, nous serions tous
bien ensemble,
restes
chez eux
aurait eu
y
il
des réunions
chez nous, leurs enfants auraient
et
été
gentils...
Elle
se
bon pour
aurait été
comme
filles
le
faisait
le
il
cabaret,
pour songer,
taisait
samedi,
le
se
à écorner sa paie au
parfois, et
bon
aussi pour à
fait
par des exemples de tous
la réalité,
mort
est
—
— ce
fils,
Siège,
la
si
de mère
proches
d'elles.
pour
si
tirer d'affaire.
autour
d'elle,
voyait que pres-
qu'elle connaissait avaient été éprou-
même
perdu leur le
jours,
et
bien mort... Je serai encore satisfaite
que tous ceux
dant
à
qui est passé est passé, ce qui est
regardait
vés de la
les
femme
continuait-elle, laissant le rêve
nous pouvons nous Elle
petites
les
habituées
amusées avec leurs neveux, leurs
nièces, auraient appris la vie de
Enfin,
cela
père, qui ne se serait pas attardé,
qui se seraient tout
famille, se seraient
—
que
disait
façon.
Combien de mères
avaient
combien de femmes leur mari, penpendant
la
Commune
î
Ce jeune
102
homme,
qui avait habité huit jours dans
avait eu son
face,
mari
dans une chapelle du
Jean peut-être... les
maisons de
femme, qui
logeait en
deux
massacrés
ses
fils
Père-Lachaise,
pourtant
la
rue étaient marquées du
guer
trois
comme
un pays
Galédonie, dans
si
mois pour y
leurs
morts,
bonheur. Si Justin ils
tous, le père,
la
aurait travaillé,
envoyés en
ou bien
arriver,
exilés
été
et les
fants.
se serait refait
sait, d'ailleurs,
un jour en France, oh ville
pour
deux
heureux. La patrie, pour
Qui
à
c'était le
Jean avaient été à l'étranger,
et
mère
on
même
éloigné qu'il fallait navi-
seraient arrangés
se
Toutes
!
hommes,
Londres, à Bruxelles, à Genève. Mais cela,
bien sûr
comme
—
étaient
ils
—
Et d'autres, et d'autres
Des femmes n'avaient pas perdu
deuil. et
et
cave,
troupes parce qu'il
avait été fusillé à l'entrée des était soldat réfractaire. Cette
la
î
on
petites filles.
un
elle,
les faire venir
abri,
On
on aurait
c'étaient ses en-
serait peut-être
revenu
pas à Paris, non, c'est une
trop terrible, une ville de misère et de crime,
une mangeuse d'hommes, une tueuse qui tous les moyens,
en arriver à ses
du
fins.
travail et
de
se sert de
la révolution,
pour
Elle
ae
savait
qu'elle s'observât les vivants, elle
ils
io3 -*-
pas
oublier ses
morts,
de ranimer en eu\
les associer à
le
jour des morts, cette année-là et
souvenir. les suivantes,
s'en allèrent, avec la ville entière, vers le
Lachaise, vers
le
bien
et
pour ne pas exaher ou assombrir
ne put s'empêcher de
sa grave tristesse,
Au
-§-
grand spectacle de
mise en scène ingénue du vêtement
et
la
Père-
douleur,
du
la
décor. Les
habits de deuil, les crêpes fixés au chapeau par des les
bijoux de jais, tout dit
à des
mystères spéciaux, de
perles, les longs voiles, qu'il
s'agit d'initiés
par un acte de
fidèles réunis
commune. Dans
foi
grande avenue sablée, gazonnée, s'élèvent pelles élégantes, les fices
les
monuments somptueux,
la
cha-
les édi-
spacieux, abritant des familles sous les pierres
sculptées, derrière les grilles et les entourages curieu-
sement ouvragés. Des noms en dissent
aux frontons, font
richesse sur seignes.
les
C'est
la
restes
lettres d'or resplen-
briller la
auxquels
ils
Chaussée-d'Antin,
Paix, les Champs-Elysées
du
vanité
de
la
servent d'enla
cimetière,
rue le
de
la
triomphe
des financiers et des notables commerçants par delà le
tombeau. Plus
loin,
par
les
allées
ombragées
et
104
-S— solitaires,
monuments
les
Saint-Germain de
ou
statue
la
d'un
politique,
grande fortune, gaires
comme
fois les vivants le
affectent
doublement défuntes
aristocraties
La
«-§-
la
la
morgue des
c'est le
:
faubourg
nécropole.
colonne élevée à
écrivain,
d'un
la
mémoire d'un ou d'une
artiste,
au-dessus des tombes vul-
s'élève
ceux qu'elle célèbre dominaient autre:
sous
la terre
seulement
le
niveau
est
même. Tous
les états sociaux, toutes les naïvetés, tous les
orgueils,
ont acheté ou
monuments, gement
le
loué
le
terrain,
élevé
des
tracé des inscriptions, cherché l'arran-
plus ingénieux,
le
plus tristement gro-
tesque, le plus lamentable. Partout des croix s'élèvent, en granit, en marbre,
carton-pierre, en bois.
A.
en simili-marbre, en
côté de douleurs affreuses,
qui ne se sont pas résignées au silence, des réclames
impudentes
s'étalent sur les bras
de ces croix indi-
catrices.
Les constructions mortuaires se ressentent de collaboration
d'héritiers
en marchandage avec des
marbriers qui savent coter prix.
La
stèle
la
le
chagrin à son juste
grecque, l'obélisque égyptien,
le
cippe
-*-
romain,
la
io5
chapelle gothique à vitraux,
Moyen âge ou Renaissance
besques
et à astragales
les
c
du
tombeau
statue de gisant,
siècle,
les
pierre-
la
i
style rococo des jésuites,
caveaux de famille se dresse un autel cou-
vert de vases, de cierges, fleurs
à
le
incohérence au long des avenues.
avec
s'alignent
Dans
\vm
niche du
coquette
—*-
en papier doré.
qui recouvrent
le
de cadres à devises, de
Sur
les
le
pieds de terre
cadavre, on a raffiné les symboles,
trouvé des effets de décoration,
des croix avec
six
buis, écrit des
sées qui ressemblent à des têtes
taillé les ifs,
mots avec
dessiné
les
pen-
de morts, assemblé
des fleurs qui signifient désespérance avec d'autres
qui parlent d'immortalité.
Le cimetière
La
fosse
trades
a aussi ses faubourgs, ses charniers.
commune
mal
est hérissée
noircies,
de croix, de balus-
délavées par
plantes parasites, les mousses,
les
les
pluies.
Les
ronces y crois-
sent.
La mort, dans règne parfois le
là,
suprême repos,
vie de travaux et
le
calme de campagne déserte qui
pourrait paraître la
ce
qu'elle
est,
conclusion mélancolique d'une
de peines qui n'a nul besoin de
mirages extra-terrestres
Ce pourrait
être le
-*
106
-fs»
et
de fausses consolations.
champ funèbre d'où
se lève la
poésie formidable et mystérieuse de l'infini. Mais la
cohue des morts sortent de la
L'idée d'un
s'y bouscule, des cris,
terre
des plaintes
remuée.
toujours fraîchement
champ de
bataille,
d'une
cité révoltée,
d'un enfer social qui continue, d'une lutte sans s'exhale foule
la
signification
fusillés.
autre manifestation que le silence.
Aucune
couronne à
la
muraille,
sont proscrits,
La
distinctement. Le
La
parole et le cri sont interdits.
la
plus émouvante.
le
aucun drapeau. Les emblèmes
confrontation des vivants
et
des morts n'en est que
foule vient, s'arrête, regarde, voit
mur
est
couvert de cicatrices, d'en-
sanglantes, de noirceurs de poudre. Ces coups
qui ont porté sur et
se précise
mur des
plus tragique encore. C'est devant
tailles
la
des morts.
Encore quelques pas,
Aucune
commune, de
frémissante de la fosse
anonyme
fin,
fait
monde
la
sauter des
écoute
ont
muraille ont traversé des cœurs cervelles.
Des
retenti.
Des
cris
que tout
râles sortent
le
du
silence.
Les Pommier sont au premier rang. Est-ce
là
que
—
-*- io;
Jean a
mère
été fusillé.'
§-
Le père regarde fixement,
yeux, serre plus
clôt les
la
main de
fort la
petites filles.
L'été
fini,
fallut
il
renoncer aux promenades,
simplement un tour dans Chaussée, soleil,
parfois,
et
monter vers
bourg,
les
luisait
au long de
la
et
bizarre
rue de
du
la
où
l'illusion
fauil
y
Chine, jolie
accessible à l'automne.
chantait, donnait
la
un rayon de
dernières maisons
comme
au printemps, encore ruisseau
quand
une région charmante
avait des ruelles,
était
le quartier,
faire
que
Un
la venelle
ouverte à travers la campagne. C'était une ma-
nière de petit
chemin, bordé de haies, de palissades,
par-dessus lesquelles retombaient des plantes grimpantes.
Dans
cette verdure, des maisons,
ou plutôt
des rez-de-chaussée, des cabanes.
Le père Pommier aurait voulu habiter mère, tout en reconnaissant que trouvait aussi
que ce
n'était pas
commissions, que
pour
de tout
»,
monde
ne serait pas rentré. Elle
et qu'elle serait
mais
la
c'était très plaisant,
travail,
les
là,
commode pour
le
c'était « trop loin
trop inquiète faisait
quand son remarquer
>. que
enfin
c'était
l'hiver venu,
108
«-4-
agréable à la belle saison, mais que,
on trouverait moins de charme au
rez-
De
fait,
de-chaussée humide, aux arbres dépouillés.
quand
dans
On
l'hiver vint, tous furent de son avis.
calfeutra vite dans le chez soi bien chaud, la
comme
chambre, autour du poêle,
on
se
se terra
dans une
casemate.
La rue
n'était plus
habitable,
les spectacles
et
qu'on y voyait n'étaient guère réconfortants. C'est
quand
le
mord
vent est âpre et
chairs que les
les
misères renoncent aux apparences et arborent
costumes éloquents
dans les
comme
des drapeaux.
de bonne heure, rentrer tard,
sortir
La
les
faut
Il
faire des courses
journée. Les semblants d'élégance permis par
saisons bienveillantes sont interdits. Impossible à
l'homme de
s'en aller en blouse propre, à l'ouvrière
de
d'une robe légère,
se
vêtir
de se
ruban. Et encore, ceux-là, ce sont travailleurs d'habitude
ont pu, peut-être, se
cache
les
du chantier
coiffer
d'un
les réguliers, les et
de
l'atelier. Ils
pourvoir du gros vêtement qui
pantalons clairs,
robes transparentes. Mais
les
vestes
les autres,
ceux qui cherchent sans cesse
minces,
les
les irréguliers,
le travail
à faire, l'ai-
-S— 109
gent à gagner, le
jour
les
g-
coureurs de
subsistance au jour
la
!
De
ceux-là
interminable
loques.
il
y en a, au long des maisons, un
défilé.
Les gestes resserrés el
au
apparaissent
inquiets
Tout ce qui
Fichus, et
plètent
pardessus,
morceaux de
comme
ils
milieu
tombé sous
est
pris, endossé, entortillé
drap
—
les \i
main
la
caracos,
châles,
morceaux de
Les mains gercées se
peuvent.
cieuse
du morceau de pain
même
son corsage d'un brin de
le
com-
laine, s'amoncellent et se
vivante, sans cesse en révolte contre
sous
été
a
autour des épaules maigres.
femme
cachent dans des manchons de haillons. La si
,
d'inextricables
coup de fouet du
et
le sort,
sou-
fleurissant
quand
violette, se
courbe
froid piquant,
obéit aux
injonctions qui la soufïlètent, perd le souvenir des coquetteries d'hier. Elle s'enveloppe la tête de chiffons, elle fait souffrir son goût de toilette, tinct
de vanité, jusqu'à endosser,
paletot
d'homme au dos
carré,
s'il
le
son insfaut,
le
aux manches trop
longues.
Combien de malheureuses sans poêle, vont vers
l'asile
quittent
de nuit dont
leur la
taudis
lanterne
-5—
rouge s'allume, au
io
i
soir,
<^§-
dans
blafard de la neige,
le
comme une étoile de sang dans un Un matin, à sept heures, un s'en allait à
typographe qui
son imprimerie tomba foudroyé par
congestion à l'angle de la
paysage polaire.
rue des Amandiers
la
Chaussée de Ménilmontant. Une
vieille
la
de
et
de quatre-
vingts ans, qui demeurait impasse Ronce, fut trouvée
morte de
froid,
bienvenu,
avec
qu'il
fit
dans son
lit.
Le dégel
fut
donc
le
son gâchis, ses immondices, lors-
ruisseler les
murs
et qu'il grossit les
ruis-
seaux, lorsqu'il s'augmenta, pendant toute une nuit,
d'une averse torrentielle, d'une pluie oblique, dense,
emporta tout,
à larges gouttes, qui nettoya le pavé,
à l'égout et au fleuve.
Au
moins,
le
temps
Cécile purent mettre plaisir des
ne
pauvres que
s'y produit
c'est la
le
radoucit,
la
vue de
aucun événement,
boutique d'en face,
passante, c'est le pavé. loisir
se
de voir tout
cela.
En
la
rue.
c'est
un
Céline
et
C'est
un
Même
s'il
spectacle,
c'est le passant, c'est la
semaine, on n'a pas
Le dimanche,
longues, et les deux sœurs, une fois et le repas
et
nez à la fenêtre.
de midi pris, restent
la
les le
le
heures sont
ménage
fait
journée le visage
1
écrasé aux carreaux,
1
f
ou accoudées ù
la
barre d'appui.
Après avoir paré leurs corsages bien ajustés
de ruban leur
et
de grappes de fleurs,
après-midi,
inutiles,
elles
vivent ainsi
vaguement
attentives et espérantes, et
sœur Anne de cesse
au loin
le
sa
Elles
qui poudroie
verdoie, et ne voit jamais rien venir...
116
O
sont néan-
chacune devient
propre existence,
soleil
nœuds
désœuvrées,
anxieuses d'elles ne savent quoi.
moins
<l<
\
la
regarde sans et l'herbe
qui
III
—
III.
Au
printemps de
gèrent
tèrent fut pas
TRAGEDIES ET COMEDIES DE FAUBOURG
de maison
i8^3,
Ménilmontant pour long
montant
et
:
le
la traversée
habitèrent,
Pommier chande quartier, quit-
Belleville.
de
parcours de
Là, presque à l'angle de
les
aussi
et
la
la la
Le
trajet
ne
Chaussée de Ménilrue Julien-Lacroix.
rue de
Belleville,
ils
au plus haut d'une haute maison, un
logis
petit et
dominait
qui
montée du faubourg
la
grande étendue claire ou brumeuse de Paris.
la
dune
région de Belleville est
Cette
beauté. Si
Ton
avait le vrai sens de la vie
singulière
de
la foule,
certaines rues, certains carrefours de cette ville puissante,
installée
un
déjà
au-dessus de l'autre
A
aspect historique.
de l'action
et
du sentiment
passants racontent
qui vient.
le
auraient
ville,
chaque pas
le
monde
se lève. Les maisons, les
temps qui
Un résumé humain
s'en va, le
s'inscrit
temps
aux montées
des rues, aux larges boulevards, aux amas de maisons.
La misère
s'exalte
ou
se résigne, aboutit à la
fureur ou au vice. Le travail de tous
une population en force
tient
et
les
jours main-
en espoir.
Une
gaieté subite emplit la rue, refoule les instincts dans
l'ombre. C'est, tout à la effrayant,
varié à
et
doux, révolté, ironique,
C'est reposant et tumultueux,
ne jamais émousser
profond
tacle la
sublime.
fois,
la sensation,
passionnant dont
le
un
spec-
regard effleure
grandeur.
En
réalité, Belleville
avenue par
la
le
commence au Canal,
a
pour
faubourg du Temple, gardé en ce temps-là
caserne de
la Courtille.
-S— Puis, c'est tervalle
i
17
—
5-
haut du faubourg du Temple,
le
du boulevard
extérieur,
I
"in
premier plan de
le
rue de Belleville. Quartier agité, bruyant, ouvrier,
la
commerçant, pendant toute
la
passer entre les fiacres et les
tombereaux,
les
journée.
a peine à
omnibus qui cahotent,
charrettes,
les
On
les
camions,
qui
roulent lourdement. Parfois, la chaussée est défoncée
par
les
fardeaux qui pèsent sur
pavés s'écroulent dans
l'encombrement
est le
le
elle,
Sur
sous-sol.
même. Une
des rangées de le
trottoir
foule défile, sta-
tionne, bavarde, achète, entre les boutiques et les voitures de légumes. C'est l'aspect
d'un marché. Les travail pressé,
allées et
remuant
et le bruit
venues des gens parlent de
d'occupations humbles, d'acceptation
tranquille des charges et des misères de l'existence.
Le
soir,
après la grande montée des ouvriers et
des employés,
rue de Belleville,
le
calme d'une grande rue de
province. L'été, on cause devant il
à toutes
horloges, c'est à peu près, jusqu'à minuit, dans
les la
quand neuf heures ont sonné
y
chez
les portes.
L'hiver,
a des parties de cartes jouées et des pipes fumées les
flambantes
quelques liquoristes protègent
la
dont
veillée
du
les
boutiques
quartier.
Les
-§—
1
18 -*-
contrevents mis, chacun rentré chez soi, tout dort
jusqu'à l'aube, où s'installent sous
C'est l'intérêt
cune de
les
les
du
ses régions,
présente avec
un
vendeurs de soupe
et
de café
portes et au bord des trottoirs. Paris des faubourgs que cha-
chacune de
ses rues presque, se
caractère différent.
La grande rue
Belleville
ne
ressemble ni à Montrouge, ni à
Montmartre,
ni
au
de
Ménilmontant
si
avec leurs salles
faubourg Saint-Antoine, ni à
proche.
Les premières maisons,
de marchands de vins emplies par
l'énormité des comptoirs, leurs concerts, leurs bals, leurs hôtels à transparents, scintillants de gaz,
ces
premières maisons ne font pas songer à une
cité
de
travail,
mais évoquent des dessous nocturnes de
prostitutions et de rixes, tout
un ressouvenir du Car-
de milord l'Arsouille et des descentes de
naval
la
Courtille.
La la
vision est vite abolie.
A
mesure que Ton monte,
rue s'élargit et s'apaise. Les vitrines illuminées
font place à des étalages de petites boutiques provinciales.
Tout un commerce bavardant sur
rez-de-chaussée à l'autre, tion ouvrière entassée
place, d'un
toute une régulière popula-
dans
les
hautes maisons, occu-
-S—
pent
i
—#-
19
rues qui contournent
les
le
coteau raide
à gravir.
Des rentes menues sont dépensées silencieusemenl dans des pavillons Les
Pommier connurent donc
sage de sible,
fragiles, cernés de jardina mail
à Belleville
la vie puissante, la tranquillité de
le
aussi les
du monde du
flux et le reflux
drames de
jouent au bas de
et
soir et tard
la
rue,
dans
et
certaines heures
la nuit, le va-et-vient
du
des fdles
pavé. L'inconscience
guet-apens s'organise.
le
|»;ii
travail,
au boulevard extérieur, au
des souteneurs s'empare
s'étale,
vie
pas-
colère, d'ivresse, de vice, qui se
sommet du faubourg du Temple. A du
la
l<"
Le
samedi,
les
faibles ouvriers qui se sont laissés aller à boire sont
en contact avec
et
les
fainéants qu'ils
au comptoir du bar, sur
méprisent, liquoriste.
drôles
les
A chaque
instant,
le
seuil
du
ce sont des disputes,
des rixes, des mauvais coups reçus par les naïfs. Il
lui
arriva
une
meurtri à
fois
au père Pommier de rentrer chez
la suite
de l'une de ces bagarres.
put jamais savoir, à travers qu'il
ou
donna,
s'il
s'il s'était
avait
Sa femme,
les
les
On
ne
explications confuses
battu pour son propre compte
voulu intervenir dans une discussion. samedis suivants, vint l'attendre, son
-§-»
travail
pour
fini,
s'apercevant que
le
120
ramener
vieil
le
*=§-
à
maison.
la
Puis,
un peu hon-
ouvrier était
teux, devant les camarades, de cette surveillance, la
mère envoya Céline par
—
toutes
deux
se tenant
main, bien gentiment. Le père comprit l'atten-
la
tion,
et Cécile,
en sut gré à sa femme.
promener
C'est pour
les petites,
—
dit-il
aux
autres.
Et
santes,
les
proprement
inventer
assez
s'en allait,
il
montrer avec
content,
attifées.
le
cœur
le
de se
effet,
toujours
La mère,
un programme pour
pas beaucoup
en
deux gosselines,
plai-
d'ailleurs, sut
samedi. Elle n'avait
à la joie, mais
la
pauvre
femme
devinait qu'il faut aux travaux et aux peines la diversion
du
plaisir.
de Belleviile
:
On
elle
habitait à quelques pas
cela,
s'habiller
il
elle affirmait
Le
fallait se
un peu,
théâtre
proposa de s'y rendre tous, presque
toutes les semaines, ce jour dangereux
Pour
du
et,
du samedi.
réunir et dîner de bonne heure, si c'était
de l'argent dépensé,
qu'on y gagnait encore.
théâtre, loin de la ligne étincelante
vard, est au plus abrupt de la montée.
du boule-
La
salle est
caractéristique, et la population qui l'occupe est bien
chez
elle,
cantonnée dans
ses habitudes.
La clientèle
change avec
les
jours. Les ouvriers, les commerçants,
en famille,
la
journée
laite,
y installent une
j<>i<>
calme, une tranquillité bourgeoisantc. D'autres soirs, des silhouettes farouches se dessinent sur
sang de bœuf, des gens velours
bombent des dos
assis
sur
inquiétants.
les
En
les
murs
appuis de tout temps,
des jeunesses en cheveux circulent et fredonnent par les escaliers et les couloirs. Il
y a des animosités, des injures parfois sont
échangées entre
de petite les
ville.
les différentes classes
Le
gens paisibles des fauteuils d'orchestre
baignoires.
Des
toilettes
et
des
trop coquettes horripilent
l'amphithéâtre, d'où tombe alors jectile. et
de cette société
bruit des galeries supérieures agace
un mot ou un pro-
Puis, des silences se font, des exclamations
des rires éclatent avec
un ensemble
extraordinaire,
puis encore, des railleries partent qui blaguent l'émotion des
comédiens
empoignés par
la
et la
sentimentalité des auditeurs,
coupe d'une phrase
tion d'une jeune première.
Un
et la gesticula-
certain esprit gouail-
leur et cynique peut faire diagnostiquer l'influence
du
café-concert.
11
Dans
cette salle
emplie d'une multitude,
dramatiques divisent
le public.
scènes
les
Les paroles violentes
font se tendre et se crisper les visages, s'arrêter les respirations,
cramponner
se
mouchoirs des femmes, mais
un
mains,
les
sortir
les
l'attention se brise sous
quolibet, se perd dans des colloques et des protes-
un mot inattendu cause une
tations. Parfois,
juste
impression unanime de stupeur glacée, sans une fausse note.
Mais où tout état d'esprit,
quand
même
le
monde
est d'accord,
avoue son
son instinctive manière d'être, son désir de
la joie, c'est
tout, pour rire depuis
le
pour
rire,
pour
commencement
rire
chaque occasion, bonne ou mauvaise, qui
fin, à
présente.
Des
significatifs
traits
qui ne sont pas
se
précisément
de gaieté, qui devraient provoquer
l'iro-
humain, font courir de
gais
mur-
joie. C'est ainsi
n'im-
nie et le frisson
mures, éclater des tempêtes de
porte quel soir, que l'on joue Monte Trois Épiciers,
le
man
d'un Jeune
ville
ou
la
de
jusqu'à la
Cristo
Sonneur de Saint- Paul ou
Homme
pauvre,
le
drame,
le
ou le
les
Ro-
vaude-
comédie.
Les spectateurs manifestent, par
là,
une opinion
-s— très
douce sur
le
123
—
«-
fond des choses,
ne soupçonnent
ils
pas un instant que les problèmes de passion puissent se
poser entre des êtres se débattant au milieu
defl
conventions sociales et des tristesses physiologiques.
Ce que
tous viennent chercher, c'est, bien plus que
de Témotion, de il
la
gaieté.
en faut dans toutes
du mélodrame qui c'est
du vaudeville
Il
en faut quand même,
comique
les pièces. C'est le rôle
est le plus
attendu
et le
plus
fêté,
qu'il est parlé à la sortie avec le
plus de satisfaction, surtout par les
femmes
:
même
lorsque leur plaisir aura été contrarié, elles diront,
en s'en
allant,
que
c'est égal, qu'elles
de même. Sûrement
pour cela, pour
elles
le rire
ont bien
ri
tout
ne se sont dérangées que
désiré à travers la vie, et qu'on
ne peut trouver que devant quatre décors éclairés au gaz, dans les gestes et les grimaces d'un acteur.
D'où
vient
éprouvé, et
ce
besoin de
rire,
comment on cherche
pourquoi
il
est
à le satisfaire, cela
apparaît bien clairement au défilé de ces paisibles
braves gens, de ces pauvres qui viennent demander
aux tréteaux de
l'illusion et
du
réconfort.
petit théâtre, la nuit parait plus noire,
plus
triste,
de ce Paris plein d'usines
et
Hors du
et la vision
de casernes,
—
S-
124
-S—
qui loge dans des taudis ceux qui bâtissent ses
numents, qui leur
marché
payer cher
fait
l'absinthe, qui leur
mélodrame sans pensée
pain et bon
le
donne en
mo-
distraction le
sans style, et l'ignominie
et
abondante du café-concert.
Le père Pommier
assistait
à ces spectacles avec
autant de bonheur et de naïveté que ses oubliait vraiment sa vie pour épouser
sonnages,
espérant voir
le
tiers les
l'innocence
crime puni, admirant
testant le traître.
pendant
à
s'intéressant
Il
filles.
Il
per-
la vie des
persécutée,
le
héros, dé-
ne se retrouvait lui-même que
les entr'actes, sa gouaillerie revenant volon-
sur sa crédulité
et
son émotion. Pour
la
mère,
plus sombres drames n'égalaient pas ceux qu'elle
avait
vécus,
mais
parfois
une ressemblance trop
directe entre les péripéties de la scène et les événe-
ments
qu'elle avait subis lui faisait mal, et elle aurait
voulu être
ailleurs. Elle n'en
car elle était une
femme
jamais trop vivement fort
les
montrait rien pourtant,
discrète
:
elle
son être intérieur, ni sa douleur, ni
même
qu'elle
larmes, de
savait presque
même
elle
ne
révélait
sentiments qui agitaient sa joie.
si
De
toujours contenir ses
s'abandonnait rarement au
rire.
-s—
—
125
$-
Sa gaieté, ou plutôt l'espèce de gaieté qu'elle
rire
de ses yeux
veuse,
|»<m
ne se traduisait guère que par un sou
vait éprouver,
et
de sa bouche. C'était une ner-
mais une nerveuse concenlnV, qui pouvait
enfermer au dedans d'elle-même, jusqu'à en souffrir
physiquement, jusqu'à en mourir, sensations qu'elle éprouvait. fois
malade du
Elle
fulgurantes
les
rentra plusieurs
théâtre, sans en rien laisser paraître,
ne voulant pas changer l'agrément des autres en inquiétude.
femmes,
Au
fond, elle était
elle préférait le
comme
plupart des
la
vaudeville au mélodrame,
quoiqu'elle fût aussi éloignée de la farce que de
la
violence.
Quant
à Céline, tout l'amusait de la scène et tout
l'amusait de
la salle.
Ce qui
plaisait à sa nature, tou-
jours sous l'influence de la minute présente, c'était
de se voir au théâtre, dans
coudoyée par l'odeur
les
le bruit, la clarté, d'être
gens, serrée par
d'humanité,
la
d'oranges, d'entendre la
lourde
la foule,
de respirer
chaleur
parfumée
rumeur des conversations,
de croiser son regard avec tant d'autres, pas
elle
qui aurait baissé
les
yeux,
et ce n'était
même
inspections les plus effrontées. Elle était,
devant
parmi
les
cette
-I— iq6
—*
multitude, dans son élément,
et
ne rapportait rien
des leçons qu'elle aurait
pu prendre au
pensant jamais qu'à
ou plutôt ne pensant
pas à
elle,
pu
car elle aurait
elle,
parcelle de
profiter
théâtre,
ne
même
de quelque
bornant seulement à être ce
vérité, se
qu'elle était, sans raisonnement, sans perplexité, sans
scrupule.
au contraire, apprenait sans
Cécile,
Tout
la
touchait,
réflexions
tout l'avertissait,
que son âge rendait
le
vouloir.
l'amenait aux
possibles. Elle regar-
dait de tous ses yeux, écoutait de toutes ses oreilles, vivait,
comme
déroulaient
au
son père, cours
les existences variées
de
la
soirée,
mais
qui se
elle
ne
s'abandonnait pas autant que lui à l'entraînement de l'action, elle petit
gardait par
devers elle une sorte de
jugement des choses qui
planches.
Chaque
fois,
un pays inconnu, y choisissait pas, se succédaient
défilaient
faisait
récoltait
comme devant
elle
sur
les
un voyage dans
du nouveau. Elle ne
sa mère, entre les genres qui elle.
Si elle avait
dû
dire sa
préférence, peut-être est-ce la fine comédie qui aurait
eu son approbation. Elle avait en
elle
quelque chose
de réservé, de mesuré, qui s'accordait fort bien avec
"*
-*— 127
nuances,
les
Mais
elle
la vérité
et
drame
trivialité et le
Le
tapage.
son juste de et l'enflure
passionnait donc autant
la
reste et lui donnait des transes jusqu'à
le
pâlir les joues et lui
chait alors la
subir
la
sous l'exagération des sentiments
des paroles. Le
que
qui fuyait
ne pouvait encore discerner
l'effroi
couper
main de
sa
la respiration. Elle
mère pour
lui
cher-
se rassurer et
des catastrophes qui assombrissaient
la
scène.
Pour
le reste, elle n'avait
dispositions
quand
l'aise
quand
le
que Céline. Elle ne elle était
un coup d'œil
elle craignait
ou de quelqu'un, bruit,
A
les
mêmes
trouvait pas à les couloirs
peine
si elle
ou
se ris-
vers la galerie supérieure,
toujours la chute de quelque chose tant les querelles
y menaient de
dégénérant souvent en batailles effrayantes.
Auprès de ces sauvageries, ne
se
bousculée dans
public était houleux.
quait à jeter
d'où
pas non plus
les
fureurs
du mélodrame
lui paraissaient pas si invraisemblables, les traîtres
les plus traîtres
embusqués
derrière les décors ne se
révélaient pas à elle aussi féroces et dangereux
que
certains individus dont le frôlement lui faisait peur,
qui exhalaient une odeur de vin
et d'absinthe, la
128 dé-
-Scolère de lalcool et
du meurtre.
Elle ne se sentait
rassurée que lorsqu'elle était bien assise entre sa
son père tout proche,
et Céline,
levait
dans
seulement et
le
et
que
la salle
le
rideau se
où résonnait
trémolo prometteur d'émotions, aiguisé
tremblé par
Le
de
le silence attentif
mère
les
violons de l'orchestre.
théâtre, sûrement, eut
une influence profonde
sur l'esprit de la petite Cécile.
Il lui
apprit infiniment
d'actes, de passions, de luttes d'intérêts, qu'elle
connaissait pas,
encore,
il
la força
tacle éclairé
par
de
fit
la vie,
qu'elle
il
ne pouvait pas connaître
à des comparaisons entre
la
rampe
mot
croître en elle
juste. Elle
le
spec-
et les spectacles habituels
une
intelligence mali-
cieuse, qui s'exprimait souvent par la sible et le
ne
remarque
pai-
jugea souvent ce qui se
passait autour d'elle de façon à causer la surprise.
— Elle observe, la
devine
le
monde
!
—
disait
mère.
— Elle Ce et
elle
est rigolote
!
—
disait le père.
fut à cette nature particulière, rassise, prudente,
qui eut son aliment au théâtre, que Cécile dut de
ne pas
souffrir
de l'exaltation religieuse
mystique qui troublent
les petites filles
et
de
la crise
de douze ans.
-$— 129 ~2" Elle
si
fil
Ce
première coniinunion avec tranquillité.
malin-là, dans
monde
fut sur pied
le
logis des
Pommier,
de bonne heure. La
fraîchie de la première
gneusement conservée,
communion
koul
toilette dé-
de Céline,
avait été remise
le
soi
point pour
;«
Cécile. Seuls, les petits souliers étaient neufs. Per-
sonne n'avait beaucoup dormi à
la
maison. La mère
songeait à ce qui lui restait à faire, voulait que toul
Céline était joyeuse de
allât
bien.
allait
étrenneren public. Et Cécile
de
la belle
dans
était
journée qui s'apprêtait pour
Lorsqu'elle revêtit
le
long voile blanc,
même, pendant un
tout de
robe qu'elle
la
lacté séparait le ciel
de
instant,
l'attente
elle. il
lui
sembla
que ce nuage
la terre, et elle se crut, toute
du Paradis, une
timide, toute changée, une élue
de petit ange qui n'appartenait plus au monde,
sorte isolée
qu'elle était des choses par ce voile qui enveloppait
son corps.
Après avoir inspecté mutuellement leurs toutes trois partirent. nie.
A
Le père
s'abstint de la
l'église, Cécile quitta sa
se placer
blanches
au milieu de
comme
la nef,
mère
parmi
des colombes.
et sa
ses
toilettes,
cérémo-
sœur,
alla
compagnes,
—
-S— i3o
§-
Des frappements de canne annoncèrent et les diacres.
les prêtres
Le déploiement luxueux des vêtements
sacerdotaux, la richesse de l'autel paré et fleuri, les
flammes multipliées des
cierges,
Forgue emplissant
nef de ses voix d'allégresse, toute cette poésie reli-
la
gieuse faisait frissonner l'assistance. Les pensées des
jeunes vierges prirent leur essor vers tère sir
de leur union avec Dieu,
de
le
pénétrer. Depuis
l'autel.
un
an,
on
pendant
le
Bien-Aimé
la retraite
on leur
;
;
:
avait enseigné,
des jours précédents, que tout est
lui seul satisfaisait à
de l'âme,
tises
à
arriva.
une, se dirigèrent vers
marchaient doucement,
les
l'esprit.
Les petites fiancées,
le festin nuptial.
yeux mi-clos,
de jeunes mortes allant plutôt vers
beau que vers
genoux côte
la
fête
à côte,
de
du doux
profusion les convoi-
de
les aspirations
Le moment attendu une
dé-
leurs voix
périssable et trompeur ici-bas, hors l'amour
Maître
du
les préparait à
devenir les « dignes épouses » de Jésus avaient glorifié
Le mys-
elles brûlaient
la
Elles
pareilles à
paix du tom-
la vie. Elles s'alignèrent
à
pour prendre leur part du mets
divin. Quelques-unes
manquèrent
défaillir.
Toutes retournèrent à leur place aussi lentement
3
4-
1
t
1
—
§-
qu'elles étaient venues à la sainte table. Elles ne
geaient pas, retenaient leur haleine,
la
divinité ne relevèrent la tête
Maintenant, dans
la
vie,
draient leurs cœurs, mais
possédées
Les deux cents
entières par l'Eucharistie.
qu
t
«
('lues
>u
de
à Vite missa est.
d'autres
elles
bou-
amours pren-
venaient de confesser
le
premier devant une foule endimanchée, accourue
là
en témoignage. Cécile, le voile rejeté sur les cheveux, respirant à
l'air libre
sur
le seuil
sphère de musique
et
de
l'église,
hors de l'atmo-
d'encens, eut une sensation de
délivrance. Elle avait éprouvé l'entraînement sans la
persuasion profonde.
A
présent, elle revoyait clair. Et le premier spec-
qui
tacle
s'offrit
à elle,
sous
le
porche
et
sur les
marches, ce fut celui des pauvresses haillonneuses tendant la main au cortège de la noce mystique. « Ce sont là pourtant aussi des épouses du Christ!
pensa
A les
la petite tête
»
—
de douze ans.
chaque pas, à chaque
instant, les contrastes et
leçons de la vie allaient maintenant s'offrir ainsi
à la vision de la petite
fille.
Sa première communion
faite,
Cécile fut placée
—
-S— l32
auprèsde sa sœur, chez
M
Lacroix, figures.
me
couturière de la rue Julien-
la
Bausse.
g-
connut
Elle
Le monde s'agrandit pour
de
elle.
nouvelles
Elle n'avait
pas à chercher bien loin pour savoir l'existence. Tout venait à récits,
elle,
au-devant
d'elle,
en conversations, en
en actions. Mieux encore que
faubourg
lui
le théâtre,
donna chaque jour, pendant
les
le
années
qui suivirent, ses tragédies et ses comédies.
Le rideau
se lève.
Elle
n'a qu'à regarder, qu'à
écouter, qu'à comprendre.
DÉFILÉ DE CRIMES
Le
soir, le
travaille,
père
lit le
que Céline
journal pendant que sa
a le visage
femme
aux carreaux, sans
cesse attirée par la rue obscure. Cécile est couchée.
On
croit qu'elle dort. Elle a les
yeux fermés. Elle
entend. Elle voit.
La
lecture de son père fait défiler sous ses pau-
pières closes, dans sa jeune cervelle songeuse,
abominables
faits
divers tachés de sang
des agonies bruyantes.
Il
où pleurent
y a des jours où tous sont
même série. Rue Jouye-Rouve, un homme de vingt-quatre ans a reçu plusieurs de
la
les
jeune
coups
i33 -*-
-s-
de poinçon dans
le
cœur
d'amour. Rue
rivalité
:
defl
Martyrs, une demoiselle a vitriolé son amant. Elue
homme
Tiphaine, à Grenelle, un
tué à coups de revolver la
femme
vivre plus longtemps
lui.
femme
a tué
avec
de BOÎxante ;m^
a
qui se refusait
|
Rue Payenne, une
une autre femme dont
elle était ja-
louse.
L'amour
sévit
dans
tous
de
quartiers
les
marque son passage avec une
ville,
férocité
la
ma-
niaque. Il
y a d'autres drames où
c'est
la
misère qui se
débat en une bataille inégale contre l'indifférence et la férocité sociales.
Cécile
pas
apprend que
les
toujours sauvegardés,
solitaires
ne sont
pauvres gens
que
les
vieilles
femmes
peuvent être assassinées par de jeunes ban-
dits.
Au-dessous du monde des pauvres, à
elle voit
peu sentr'ouvrir un autre monde plus
la
de
région rouge du crime, l'enfer abject la
prostitution.
cevoir les silhouettes
Elle
est
cruelles
teneurs rôdant autour des
filles
bien et
à
et
peu
terrible,
criminel
forcée d'aper-
félines
des
sou-
jupons blancs du
-s— i34 -#-
boulevard extérieur,
aux
et elle frémit
récits
de leurs
farouches exploits.
VAGABONDAGE
— Tiens, —
dit le père
Pommier,
— écoutez donc
ce qui est arrivé à Polleux.
Polleux
dant
le
était
un
palefrenier qu'il avait
Siège, dans sa compagnie,
souvent, avait
ri
aux fillettes,
connu pen-
bon géant, qui,
les avait fait sauter
dans
ses bras.
On
écouta
la lecture
du
fait-divers.
Par une nuit
de mauvais temps, Polleux, sans ouvrage, sans domi-
eu
cile, avait
tout
homme
l'idée,
qui doit naturellement venir à
fatigué, privé de
de chercher un refuge contre refuge,
un
tas
lit
le
vent
se coucher,
et la pluie.
Ce
lavait trouvé sous une bâche recouvrant
il
de sacs de plâtre, devant une maison en cons-
truction.
Il
pleuvait. Polleux se dit
bon pour préserver des
et
il
détourna
son emploi, sans toutefois exposer de
mais sur
la
température
le plâtre, et
que ce qui
était
sacs ne serait pas mauvais
pour abriter un homme,
faits
pour
:
il
la
les sacs
bâche de
aux mé-
s'étendit sous la bâche,
vraiment cela ne troubla pas
le
-g—
quartier où arriva
maient dans
les
1
—
35
s-
l'aventure.
chambres
Les
geni
<jui
à coucher des
dor-
maisons
voisines, portes fermées et volets clos, ne furent
|>;»s
en sursaut par une oscillation de Tordre
réveillés
continua de tomber.
social, et la pluie
C'est alors
viennent en
que
la
les lois protectrices
de
la cité inter-
personne de deux gardiens de
la paix,
curieux de savoir quel voluptueux se prélasse dans
Le
cette alcôve.
Au
ment. s'écrie
dise?
contact de l'autorité,
Hola! ho
«
:
M.
palefrenier Polleux dormait profondé-
qu'y
î
se dresse, s'étire,
a-t-il? »
Que veut-on qu'il
Préfet de police lui-même, dans la
le
situation, ne se serait pas
L'un des gardiens de satisfait
il
la
exprimé d'autre manière. paix ne fut pourtant pas
de l'éloquence du palefrenier, car
à son interrogation en lui assénant
sur
la
tête.
Voilà
L'homme auquel on un coup de
ce qu'il y
Il
main
a,
brave
«
répondit
Polleux
!
lait,
sabre à son réveil, essaie pourtant de :
«
Je ne
fais
pas de mal
sent sa tête, son front humides, :
il
un coup de sabre
apporte, au lieu de café au
raisonner doucement il.
même
Vous voyez,
la pluie soit passée. »
il
», dit-
y porte
je suis mouillé, j'attendais
A
la clarté
du
la
que
gaz, les agrès-
-$_ seurs voient que la
1
36 di-
main de
la
victime est rouge de
sang, et Polleux, malgré sa nature conciliante, est forcé de convenir qu'il est blessé.
au poste
:
en
qui y
réalité, c'est lui
ture de police.
annonce, en
Le journal que
effet,
est alors
Il
que l'agent a
le
lit
conduit
mène
la Préfec-
père
Pommier
été révoqué,
mais que
Polleux sera poursuivi pour vagabondage.
— Sacré Polleux — — Pauvre homme —
dit le père.
!
!
dit la
mère.
Céline n'a pas trop écouté. Cécile n'a pas perdu
un mot. Cette
histoire et les autres firent d'elle
être prudent,
petit
comme
la
habile, dans les rues de Paris,
biche dans
les bois, à dépister les fauves.
Personne, mieux qu'elle, ne fuit prestement
dont
la
physionomie
l'aventure
du
un
l'inquiète,
et
les
gens
même, depuis
palefrenier, les gens porteurs de sabres,
les soldats, les
gardiens de
la paix.
Elle s'arrête bien
aux rassemblements, car elle est curieuse, mais elle sait
garder ses distances. Sa physionomie se con-
tracte, et elle entraîne Céline,
qui veut toujours se
fourrer trop avant dans la mêlée. elle
passe vite
si
elle voit se
De
plus en plus,
former un groupe sus-
pect autour d'une dispute, évite de répondre et
même
de regarder lorsqu'elle
est
poursuivie de l'interpella
d'un passant, de l'injure d'un voyou ou d'un
ti<»n
ivrogne. Elle est étonnée de voir
protégé,
et
même, au
rive tout près d'elle, à
quième, vrai
que
dune
récit
n'est pas
mieui
aventure qui ar-
une de leurs voisines du cin-
elle est forcée
les
que Ton
de se demander
pauvres gens sont secourus
si c'est
bien
comme on
le
dit.
ASSISTANCE Cette voisine
du cinquième,
BLIQUE
I'l
laissée
veuve dans un
état de grossesse avancée, sans ressources, s'en va
frapper à la porte de l'hôpital Saint-Antoine.
loque s'engage entre qui est peut-être
un
elle et le
Un col-
premier employé venu,
excellent
homme, un bon
de famille au dehors, mais qui
là n'est plus
père
que
le
représentant boutonné et impassible de l'administration.
seule,
La femme elle
dit
son
état, sa
misère. Elle est
habite rue de Belleville. Ses voisins ne
sont pas plus riches qu'elle. Elle sent que sa faiblesse
augmente, que
Et
elle vient,
ses
flancs deviennent plus pesants.
peureuse
et confiante
à
la
fois,
de-
*mander secours belles
i38 -*dans l'une de ces grandes
et abri
maisons qui ont
été, dit-on,
bâties
pour
et les
pauvres.
L'employé répond des fin
formules,
des
à cette créature douloureuse par
d'imprimé banal, de
phrases
de non-recevoir correcte.
manque en
ce moment, qu'en
dit
Il
que
place
la
tout cas rien ne presse,
qu'il faut aller voir ailleurs.
La porte
se referme.
La malheureuse
de nouveau seule, dans l'obscurité et vers sa fièvre, elle se rappelle tal, et
de
ses pas
tremblants
un
trouve
se
le silence.
autre
nom
elle s'oriente
À
tra-
d'hôpi-
vers cette
autre porte, qui peut-être s'ouvrira.
Hôpital Lariboisière
son fardeau
.
!
C'est là qu'elle va, traînant
Quel chemin
elle
parcourt dans
la
nuit
!
Les longs boulevards extérieurs qui longent Ménil-
montant,
Belleville,
La
min bordé de masures, sinistres,
de
Villette,
La Chapelle, che-
d'hôtels borgnes, de
murs
de becs de gaz qui
éclai-
tristes arbres,
rent à peine les cloaques de boue, les trottoirs sans
pavés. Enfin, elle est arrivée, le petit être qu'elle
chaud,
elle boira.
un
lit
blanc va recevoir
sent tressaillir en elle, elle aura
-*-
i3 9 -*-
Elle frappe rassérénée, heure m
La réponse
est
rejette à l'air froid
la
de
même. Le même
la rue,
dans
Alors elle va au hasard, par
elle
éteint les lumières. Elle
la
boue du ruisseau boulevards
les
pendant qu'on ferme
carrefours,
qu'on
la
soufflet
les
et les
boutiques
ne cherche plus
et
rien,
ne demande plus rien, puisqu'il n'y a pas de
pour
place
elle
dans
les
vastes
logis
une foule de médecins, d'infirmières,
où
y
il
a
de domes-
tiques, chargés par la société de soigner les pauvres.
Elle
marche donc jusqu'à ce que
plus, jusqu'à ce
que
ses
ses
yeux ne voient
jambes ne puissent plus sup-
porter son ventre. Elle s'arrête alors, elle s'effondre plutôt, à l'angle d'une porte cochère du boulevard de Belleville,
venue,
Là,
et
sans qu'elle sache
où
elle
elle se
le
elle
accouche. Son enfant tombe sur
retenir
ou
le
est
y
trouve.
sans qu'elle puisse faire sir, le
comment
le
un mouvement pour
pavé
le sai-
ramasser. Tous deux restent dans
sang, dans la boue.
A
pointe d'aube, les gardiens de
vent cet effroyable groupe agonisante.
On
les
:
la
paix aperçoi-
l'enfant mort, la
mère
emporte au poste. La mère
dit
i4o -4-
-§=»
mots, raconte son histoire, qu'elle
quelques
s'est
présentée à Saint-Antoine, à Lariboisière, donne son adresse, et meurt.
accouchée dans
mène
d'enfant, refu-
nom du
règlement, est
au milieu de
la nuit, et n'a
deux hôpitaux, au
sée dans
trouvé
La femme en mal
un
asile
la rue,
pour mourir qu'au poste où
l'on
voleurs et les ivrognes.
les
EXISTENCE RÉVÉLÉE
Rue Julien-Lacroix, Cécile et de Céline,
un crime
l'épouvante et excita la habitants
du
quartier,
de
tout près
la
maison de
commis qui
fut
curiosité dans
vaguement surpris de
pas mieux défendus par
le
réseau de
lois,
jeta
des
l'esprit
n'être
de règle-
ments, d'obstacles de tous genres, qu'ils subissent
dans
les
moindres circonstances,
et
qui semble dis-
paraître subitement, pendant certaines périodes,
meurtre triomphe, nargue
le
code,
la
où
police,
le
les
juges, la prison, la guillotine, tous les corps constitués, toutes les forces sociales.
C'est
une pauvre demoiselle de soixante-sept ans,
pauvre d'argent, pauvre cette fois, fournit la
d'esprit, Julie
preuve que
le
Roux, qui,
loup est toujours
*dans
le bois, qu'il sait
dans
et entrer
Roux
Julie
4
en
-*-
>
maisons.
les
étranglée,
roder pai
sortir,
Après que
on n'apprit que
M. Blanchet, courtier d'assurances, maison, entendit un puis
la
—
rencontra
tard,
ceci
:
vers neuf heures
cri
chute d'un corps,
plus
'>n
I
c'est
villes
trouva
c'est (jur
locataire
d<-
du
la
soir,
que M. Duricu,
marchand de poissons, rentrant chez heure
les
lui
dans
environ une
l'escalier
deux
jeunes gens de vingt-cinq à trente ans, proprement
chapeaux mous,
vêtus, coiffés de
les
mêmes que
l'on
avait vus, la veille, passer et repasser devant la porte.
Pendant que
agents de
les
la
sûreté relevaient et
suivaient ces pistes, la biographie de l'être disparu se
trouva tout à coup répandue à des milliers et à des millions d'exemplaires sur
de
la terre.
vue, et
un peu de son
quartier, éprouva ainsi
toute
la
surface habitée
Cécile, qui connaissait cette voisine de histoire
une émotion à
par
les
on-dit du
voir cette histoire
imprimée.
Elle dit à Céline, qui la regarda avec étonnement,
que jamais, sans ressé à
De
M
110
fait,
le
crime, personne ne se serait inté-
Roux. qui songe à
la
personnalité chétive, à
la
-3— i42 -«-
manière d
être
qui vont par
de tant de passants
les
comme
rues
et
de passantes
des ombres,
vivent
leur existence cachée dans l'une de ces innombrables
chambres creusées en maisons
Roux
Julie
où
elle
devint
palefrenier
coiffe
un peu
le
massif des
1848, Tannée
en
folle
Vaguement
perdit son fiancé.
guérie depuis lors,
lippe,
dans
alvéoles
?
soignée,
non
un père
divague. Elle a eu
elle
aux Tuileries, du temps de Louis-Phi-
elle
se dit
comme
elle,
cousine de
reine Amélie, se
avec des boucles tire-bouchon-
nées, se fait appeler ritage paternel
la
M me de
consiste
Saint-Jean. Tout l'hé-
en un
secours annuel de
cent francs quelle touche au ministère de l'agriculture
;
son loyer de cent cinquante francs
par une
dame
charitable qui
a
une sœur de Saint-Vincent-de-Paul
mône de
ses voisins,
lumière, —
ceux
ne peut pas
et elle s'affirme
qu'elle rencontre
coud dans
sa
les
très
est
payé
pour intermédiaire ;
elle vit
de
l'au-
même
avoir de la
riche,
fait tâter
à
ronds de cuivre qu'elle
ceinture et qu'elle affirme être des
pièces de cent sous.
Il
couchait plus dans un
y avait des années, qu'elle ne lit,
qu'elle s'endormait dans
—
-5— i43
un
§-
Vers midi, régulièrement, on l'entendait
fauteuil.
chanter.
Dans une maison habitée par des employés, des ouvriers, par des
commères
donc devenue un
montrée au doigt, se
moquant. Avec
s'arrêtant
partie
Hors de avare,
une
ses
sa
pour riche,
vue morte par chercher la
gamins
passait
elle
et
Ton
le
pour
grande
ceux qui
pour
folle,
affirmait qu'elle
le
portait
se sont alar-
trou de la serrure, et qui sont allés
commissaire de police, ceux-là, qui ont
très différente
de ce qu'elle
était.
Ce
sont
deux assassins qui auront dévoilé au monde
anonyme. On
près ce qu'elle pouvait être lorsqu'on
un
dehors, la
l'entendre chanter à midi, qui l'ont
l'existence de cette presque
les
riant et
toujours
connaître, ne l'ont pas connue, puisqu'ils l'ont
supposée les
les
marché du boulevard.
journées au
cotte de mailles. Ainsi,
més de ne pas
pu
suivie par
cela, bavarde,
maison
vieille
sujet de conversations,
pour parler à tout venant, passant
de
n'en faut
il
imaginations. La
pas plus pour occuper les folle était
curieuses,
jambes
l'a
a su à peu
retrouvée,
ligotées, les bras attachés derrière le dos,
bâillon dans la bouche, étranglée.
-s- i44
Ce cadavre de dans rapide
que
ce
pauvre
le
—
vieille fdle,
§-
découvert un malin
brusquement
logis,
éclairé
par
la
brutale publicité des journaux, c'est tout
et
de l'immense
la foule
ville
aura su de l'obs-
cure existence enfouie au plus profond des couches
humaines.
organisme qui végétait ainsi
que
même,
cette foule
là
drame,
tel
qu'il
l'assassinat, était
se plaindre et
mort,
la
est
depuis tant d'années. C'est
sans solidarité s'apprend
en
elle,
meurt sans un
mort
elle-
somme
de ce qui souffre sans cri,
—
c'est ainsi
que
seule, devient révélatrice de la vie.
TROIS FRANCS
La semaine
le
l'humble
s'aperçoit parfois avec stupeur de la
de malheur qui
la
le
pour montrer
divers
fait
aura fallu
Il
PAU SEMAINE
suivante, plus haut dans le quartier,
vers la région coupée de jardinets qui avoisine l'église
veuve Bazire, née Jeanne Petit-Klein,
de Belleville,
la
fut assassinée
de
la
même
manière que
la
demoiselle
Roux. Cette nouvelle victime habitait depuis ans
le
même
maison de élait
la
logement, au
trente
deuxième étage d'une
rue Compans, entre cour et jardin. Elle
entrée dans sa quatre-vingt-unième année,
et
-#— 145 -*• ellc était titulaire
quante francs.
d'une rente viagère
Comme Julie
Roux,
<!<'
elle
son quartier [)our être fort avare, et qu'elle
parvenait
des
faire
à
sepl cenl cinpassait
dans
bruit courait
le
économies
considé-
rables.
Non seulement elle avait
menus
Grucifiv saints
des économies, mais
réuni une collection dans sa chambre à
coucher. Très dévote, les
faisait
elle
objets
elle
aimait à s'entourer de tous
vendus sous
en bois
avec
noir
les
porches des églises.
un Christ de
cuivre,
Josephs en plâtre, Vierges en albâtre, images
découpées qui laissent apercevoir des anges sous
les
fleurs, chapelets à gros grains, scapulaires, médailles, elle
vraisemblablement,
avait,
amulettes en cours dans
le
amassé
toutes
les
catholicisme. Elle vivait
tranquillement, béatement, dans cette chambre parée
comme une que pour
chapelle de village,
l'église.
Tous
les
qu'elle ne quittait
matins à
la
messe
et
s'attardant sur son prie-Dieu. Rentrée chez elle, elle
retrouvait à
peu près
bibelots, époussetait sa
chargées de fétiches,
de
l'autel.
le
même
commode
comme
décor, rangeait ses et sa
cheminée sur-
si elle faisait
la toilette
Ses journées se passaient ainsi, et sans i3
-§—
doute
elle trouvait
1
46
—
§-
encore un certain charme à
l'exis-
tence.
De mœurs
semblait ne devoir gêner personne. laisser à
veuve
paisibles, de cervelle étroite, la
On
pu
aurait
la
son humble logis, à sa messe, à son musée
de crucifix
et
de vierges.
On
moquait
se
dans
mais doucement, à cause de son âge,
le quartier,
qu'on souriait un peu de
c'est-à-dire
d'elle
ses habitudes
méticuleuses, en la félicitant pour ses rentes et ses
économies. Si quelqu'un pouvait se croire sûr
calme
fin
de
vie,
dune
agonie naturelle,
être inoffensif qui tenait si
peu de bruit dans
le
vieille a été étranglée
jours de sa
;
monde.
de cause célèbre.
personne ne
On Chez
n'en a rien
le
été.
La
L'existence res-
les
devenue une héroïne
monde
discute, cherche,
sait.
ne connaissait pas un ennemi à elle,
faisait
qui cheminait tous
à l'église, est
Tout
on a retrouvé
qu'aucun meuble n'avait seule,
Il
et
terminée brusquement par
la dévote,
chambre
c'était cet
peu de place
comme l'autre.
treinte, si régulière, s'est
une catastrophe
si
dune
a disparu.
veuve Bazire.
montre, on a constaté
sa été
Le voleur
la
ouvert.
a-t-il
La pendule,
perdu
la tête,
ou
-*- «47 -*bien s'agit-il d'un
crime, un était
la
redingote, portant une sacoche,
victime. Les voisins l'ont vu,
ont affirmé avoir revu peau
mou qui
les
ont étranglé
c'est qu'il s'est trouvé
deux jeunes gens en cha-
M" c Roux. Le
fait
trois francs tel
vivait avec
par semaine. Trois francs par semaine!
budget ne met pas à
férocité,
certain,
quelqu'un pour supprimer une
bonne femme de quatre-vingts ans, qui
un
comme
toujours clans ces sortes d'histoires. D'autres
\<>ienl
ils
homme en
venu chez
maniaque? Le jour du
assassin
du crime,
la
l'abri
de l'envie, de
créature qui joue
insignifiant dans la civilisation,
la
un
la
rôle aussi
femme
qui n'a
plus que quelques années, quelques mois à vivre.
ÉPOUX COTT
On
en avait à peine
fini
avec
eut l'émoi d'un double suicide.
dure,
les
les
1/
crimes, qu'il y
Quand
la vie est
trop
malheureux démissionnent. Le réchaud pauvres
las
de l'existence. Les époux
Cottaz moururent par
la
raison toule simple qu'ils
brûle chez
les
ne pouvaient plus vivre. Ils étaient
négociant
concierges chez
en vins
et
M. Bernardin,
liqueurs.
L'homme,
le
gros
infirme,
La
forcé à l'immobilité, âgé de soixante-cinq ans.
femme, soixante ans. Cette dernière besogne. Elle nettoyait
maison,
la
faisait toute la
cour, les bu-
la
reaux du propriétaire, remplaçait partout l'impotent
auquel
elle
s'ingéniait
à faire
la
vie
douce.
Elle
gagnait vingt-cinq francs par mois, trois cents francs
par an. Les vêtements
un
tel
budget,
il
et le
reste à
chauffage prélevés sur
peu près de quoi manger
du pain un jour sur deux. Cette existence dura cinq ans, cinq ans de martyre se
pour l'homme incapable de
remuer, souffrant de voir son héroïque bonne
femme
se tuer à la besogne, le
martyre moral ajouté
au martyre matériel.
M mo
Cottaz, qui cherchait à avait fini par trouver,
sources,
ménage
augmenter
non
loin,
ses
un
res-
petit
à tenir. Elle acceptait avec joie ce surcroît
de labeur. Quinze francs par mois de plus, inespéré, c'était pour ces misérables
Le
fortune.
un
c'était
sourire de la
propriétaire ne l'entendit pas ainsi.
Il
trouvait sa concierge suffisamment occupée par sa
maison
et
ses
bureaux,
et
il
la trouvait
doute, suffisamment appointée. mollesse,
ou de quelque
hâte,
Il
aussi, sans
eut peur de quelque
dans l'accomplisse-
-*—
!
"*
4o
menl des fonctions importantes qu'il cinq francs par mois.
Il
rétribuai! vingt-
on
avait, scmble-l-il,
parti
bien simple à prendre, celait de donner aui Cottaz ces quinze francs tant désirés.
ne songea pas à ce
Il
procédé trop simple.
Les deux vieux concierges alors, plus jamais, éprouvèrent sur lesquels
la désillusion.
comptaient,
ils
miner paisiblement leur affaires, le
nouveau,
de
le
de
honneur
faire
aucun espoir de reconquérir une
ter-
à leurs à
pareille
soixante ans, les occasions de débuter ne
se présentent pas tous les jours.
donc
Ces quinze francs,
c'était l'espoir
vie,
que
grand mot du peuple. Tout s'écroulait
et
A
félicité.
fort
réchaud à son mari
M mc
Cottaz indiqua
comme suprême
res-
source, et Tinfirme consentit sans peine à prendre la
même
résolution que prenait sa courageuse
bout de courage. Le réchaud fut allumé,
employés de M.
les
fermée saire ils
et
du
trouvèrent
sur Il
le lit,
y
M
quand
le
commis-
pénétrèrent avec lui dans la loge,
et
me
et
à
Bernardin, inquiets de la porte
silence, allèrent chercher
de police
femme
Cottaz dans
un fauteuil,
et
M. Cottaz
morts tous deux.
avait
une
lettre
sur
la table.
On
lut ceci i3.
:
-S— i5o «
Avec
les
§-
vingt-cinq francs que nous avons touchés
payé quelques
hier, j'ai
—
En
petites dettes.
vendant
notre modeste mobilier, on trouvera de quoi payer notre enterrement. » Et encore
monsieur
le
:
Pardonnez-nous,
«
commissaire de police, l'embarras que
nous vous causons par notre suicide, mais
la vie était
vraiment impossible pour nous... Nous avons tenu bien
peu de place sur
deux dans
même
la
tage dessous
;
et,
fosse
la terre,
mettez-nous
pour n'en pas
je vous en supplie, ne
tenir
tous
davan-
nous exposez
pas aux regards des curieux, » Ainsi se manifestaient la discrétion, la politesse, souci après
du quen-dira-t-on, de mort,
la
elle
la
pauvre femme.
reste craintive,
elle
le
Même
demande
pardon d'occuper tant de gens de sa personne. Elle a payé
ses dettes,
ment que
la
vente
s'excuse auprès
un peu plus taire
s'inquiète
des
frais
du mobilier pourra
d'enterre-
couvrir,
du commissaire de mourir de faim,
elle
s'humilierait devant son proprié-
qui ne lui a pas laissé gagner
les
malheureux
quinze francs, devant la société qui met au rebut vieillards
les
qui l'ont servie.
Avant de mettre
le
feu au charbon, les époux Gottaz
-*—
I
D
I
—*-
se sont revêtus de leurs meilleurs habits, de tous Les
de parures de leur vie de travailleurs économes.
restes
La
d'oreiller
taie
par
écrite
blanche,
femme demandait que
la
mis dans
était toute
cercueil sous la tête
le
fière et résignée,
et
la
Lettre
cet oreiller lut
du mari.
G'esl
La
trop résignée, race des pauvres, de
«cuv qui ne se révoltent pas, qui acceptent, qui n'ont pas une parole de récrimination avant de s'endormir
du dernier sommeil. Tout
quartier suivit les deux cercueils, et
le
même
avait la
il
y
soumission chez ceux qui marchaient
derrière le corbillard
que chez ceux qui
s'en allaient,
inertes,
au dernier repos. M. Bernardin ne parut pas,
mais
envoya une
il
telles et fait les
de violettes,
très belle et
couronne d'immor-
on trouva
qu'il avait bien
choses.
SOUTENEURS Ainsi
la vie,
qu'elle la
peu à peu,
se
comprenne. La rue
montre à crie
ses
Cécile, sans
mystères
et
ses hontes.
Voici
les tristes allées et
venues des malheureuses
de vingt ans, de dix-huit ans, plus jeunes encore, qui, dès cinq heures
mal
du
vont par
soir, s'en
un ruban
velues, les cheveux sur le dos,
au col
et
dans
leur jeune
les
cheveux, l'œil maladif
chair déjà
d'un
trottoir,
amants.
Ils
éclatant
et brillant,
avec
elles,
sont
au coin
dans une encoignure, un cabinet obs-
cur de bistro,
mains
Derrière
flétrie.
descendent leurs
elles,
les rues,
couloir d'un
le
hôtel borgne,
dans les poches, leur pantalon
moulant
les
leurs
formes équivoques, une casquette de soie sur leurs
cheveux pommadés, des accroche-cœurs aux tempes,
une
cigarette
pendue
à
Le cou tendu,
lèvre.
la
tous les traits de leur face grasse et
blême
une
épient leur asso-
attente brutale et inquiète,
ils
ciée abordant le passant. Ils ont de
avec
elle
un rapide
seils et lui
fixés
dans
temps à autre
colloque, lui donnent des con-
prennent son argent.
La nuit venue,
les
mêmes
scènes se jouent avec
plus de violence, sous la clarté des becs de gaz. Les
souteneurs suivent leurs compagnes à la piste, assistent à leurs débats de prix, les attendent à la porte
de
la
maison suspecte,
de coups lorsque
les
détroussent et les rouent
la recette
est
en baisse. Chaque
même
soir, à la
ses chenils, se Il
heure, cette meute affamée sort de
met en
chasse.
y a des batailles de souteneurs dans
rues
les
<lc
Paris et des batailles qui ne sont pas sculeimnl dé
mise en scène passants,
et d'apparat,
pour l'amusement de
Grelu se sont battus sur
A
Ménilmontant. d'abord. finir,
pour
trottoir
coups de poing
moment où
Jusqu'au
une bonne
le
fois, a
récréation
la
des
la galerie. Nicaise et
et à
du boulevard coups de pied
Grelu, voulant en
donné un coup de couteau
à
Nicaise, en pleine poitrine. Nicaise est tombé, Grelu
On
s'est enfui.
macie, où
il
a transporté le blessé dans
a presque
une phar-
immédiatement rendu
le
der-
nier soupir.
Autre drame, rue d'Allemagne. Les gardiens de paix en tournée ont trouvé,
de
la
chaussée,
pantalon de
toile,
la tête coiffée
La blessure,
le
d'un
tricot à
manches de
lustrine,
de l'emblématique casquette de
très large et très
ans,
au beau milieu
cadavre d'un individu vêtu d'un
Le corps baignait dans vingt-six
la nuit,
la
habitait
avait eu dans la nuit
le
profonde,
était à la
sang Celui-là
les
était
soie.
gorge.
âgé de
Prés-Saint-Gervais,
une querelle avec
la fille
et
Momon
qui a établi son quartier général amoureux sur rond-point de
On
souteneur. les
la Yillette.
motifs de
Elle a été arrêtée avec son
peut reconstituer la
le
retrouver
la scène,
dispute, pénétrer les
instincts en
présence. Il
excessivement simples,
s'agit d'êtres
rusés
et
sournois quelquefois, mais d'une ruse et d'une sourfacilement visibles.
noiserie
Les sentiments qu'ils
éprouvent sont forcément restreints et on a tout de suite
fait
tour de leurs existences. Leur faculté
le
un pouvoir de
maîtresse est Ils
ont trouvé,
faire
de
Ils
comme personne,
le
moyen de ne rien
la journée.
dorment
ment chez d'hôtel
fainéantise extraordinaire.
où
grasse matinée, déjeunent longue-
marchand de
le ils
la
font
monter
vins,
ou dans
la
chambre
les huîtres et les côtelettes.
Leurs après-midi se traînent devant un mazagran lentement absorbé, avec verres,
partie le
les
cigarettes
de cartes,
dîner.
Il suffit
voir assis à
personnes,
la suite
une le
voluptueusement
l'apéritif
de
multicolore des petits
les voir passer,
table
grillées,
la
redoublé pour attendre
pour deviner
désœuvrement de
la
ou de
les
aperce-
paresse de leurs
leurs
menues
cer-
Le
vcllcs.
inquiétude.
la
jeu
dîner,
:
partie- de
café,
Les réjouissances B'aggravenl toutefois d'une
billard.
et
même
soir,
Il
femme
la
bienveillante
qui travaille au carrefour, au
maternelle rue, qui
faut surveiller
va
vient,
et
L'ombre
scrute
coin de
chasse
el
l'homme. Si le souteneur n'était pas astreint à cette surveil-
lance,
il
absolument rien à
n'aurait
lui arrive,
de temps en temps,
entraîner à
attendrissement
maniement de
il
mal aux
pieds,
à
en parle pen-
il
regarde avec
calus de ses mains blessées par
les
la
a
il
rame. Mais
le soir, c'est
le
son travail
régulier, ponctuel et forcé, travail qui entraîne
qui-vive perpétuel, des
il
laisseï
campagne,
la
quelque partie de canot sur la Marne, dant quinze jours,
de se
l'été,
quelque course dans
Quand
faire.
sorties violentes hors de
un la
boutique du marchand de vins, des en-avant audacieux vers l'ennemi qui peut apparaître sur plein
du boulevard
extérieur.
son rôle au sérieux.
Il
Le souteneur,
là,
prend
n'est pas de bureaucrate plus
exact, d'ouvrier plus acharné à sa besogne, d'affaires plus perspicace. Il
boire,
le terre-
d'homme
défend son manger, son
son vêtement, son lover, son tabac, tout
le
-#_ nécessaire tout sait
que
—
56
s-
toute la distraction de sa vie.
et
pour
le il
1
le
la
Il
joue
tout/ il est courageux et impitoyable,
femme
sous
les
son couteau en réserve
si
yeux de laquelle
une reculade,
bat ne lui pardonnerait pas
ses bras et si
et
il
il
se
tient
son cœur
fai-
blissent.
C'est en tion de la
somme,
révérence parler, et avec l'abjec-
grande ville
du
et
amoureux de l'ancienne aussi se battent pour les n'est pas
ruisseau,
chevalerie.
dames
et
un ressouvenir Les souteneurs
devant
elles.
Ce
absolument pour leurs beaux yeux, pour
conquérir une fleur, un brassard, un ruban d'épée. C'est la lutte
Qui
pour
la vie
dans
sait, d'ailleurs, si les
sa plus
rude acception.
raisons d'orgueil et de sen-
timentalité ne tiennent pas chez eux plus de place
qu'on ne
croit, et si les chevaliers d'autrefois étaient
que
le
disent les romances
peut remarquer
la
fréquence ou
aussi désintéressés
On
attaques nocturnes, selon les saisons.
Il
la rareté
neurs. les
A.
ces
les
profes-
escarpes, grinches, fdous, soute-
moments, quand
appels de la
des
y a des crises
analogues aux crises commerciales dans sions de rôdeurs,
?
le client est rare,
que
Vénus des carrefours sont inentendus,
-§_ i5^ —§-
souteneur surgit dans
le
violemment ce qui sion.
Ce
n'est pas
pour son
ces besognes brutales. il
essaie de prendre
habituellement lâche
est
Il
nécessité
seule
de
fait
tures. Il lui faut ses
loueur du garni.
veut
il
61
d'aven-
ses litres, sa partir
être
en
avec
règle
donc forcé de
est
Il
courir sus à l'ennemi
,'i
d'i\resse.
l'état
un coureur
lui
deux repas,
son tabac,
de cartes,
persua-
la
plaisir <|u'il se résout
ne cherche pas de querelles hors
La
le
rue,
la
n'a pas été obtenu par
sortir,
de
après avoir administré une
correction à celle qui n'a pas su garantir sa
solide
remet en équilibre
le
Octobre, cette année-là, fut un de ces mois où
le
quiétude.
Il
sort
donc,
et
il
budget de son ménage.
souteneur doit savoir donner de sa personne. Boule-
vard deMénilmontant, un comptable attaqué mit en fuite ses agresseurs,
mais
il
reçut
le
lendemain, rue
du Chemin-Vert, un coup de couteau de fuyards
de
Lachaise,
la
veille.
Au
un forgeron,
long du
l'un des
mur du
Père-
gars solide pourtant, fut a
moitié étranglé, et sa montre en argent lui fut volée.
Rue Étienne-Dolet, un employé de commerce affaire
à
une dizaine d'individus,
et
il
•
eul
de
sortit 4
la
i58
-s-
rencontre blessé à Tourtille,
dune
tête
et
aux genoux. Rue de
un passant qui voulut prendre
femme contre deux assommeurs, deux hommes
Les
de coups. recherchés dit
la
-*
la
défense
roué
fut
reconnus,
ont été
Louis, dit le Bouledogue, et Ludovic,
:
La Chaleur.
A
deux
Belleville encore, rue Piat,
habitants de la villa Ottoz durent lutter contre neuf
souteneurs.
Ils
en firent arrêter
trois.
où l'un comparaissait pour
nelle,
l'autre
pour
la
huitième
aux deux attaqués,
cinquième
comme
témoins,
laient des
menaces. Après ces combats,
accalmie.
On
revit les
correction-
montraient
fois, ils
cités
la
En
il
le
fois,
poing
grommey eut une
mauvais garçons évoluer par
escadres nonchalantes, faisant escale aux comptoirs
des bars, guignant travail et
du
trottoir.
du coin de Ils
Toeil les
femmes au
sont encombrants, cyniques
insolents aussitôt qu'ils sont en
nombre, discu-
tent leurs affaires et règlent leurs différends dans le
cercle de lumière des becs de gaz.
FILLE PAUVRE
La
fdle
publique assassinée pendant
la
nuit d'un
samedi à un dimanche, Marguerite-Marie Guillaume,
âgée de vingt-cinq ans, dite teint
jaune et ses yeux
était
une
était
Si
minces
Longs,
une affreuse maison, de
l'ivrognerie, à la prostitution,
de
Chinoise, pour son
lamentable pauvresse. Klle
proche du boulevard
ruelle
la
ceux qui entrent dans de
el
habitai!
La
extérieur.
celles qui font
au crime, à
par
la
couleur des murs
la
une
nuis.
songer
mi
à
misère.
réduits n'étaient pas
tels
pitoyables êtres aveugles et sourds,
traient,
reli
et
par
le
ils
connaî-
langage que
parlent les pierres, le sort inévitable qui va être
ici
leur sort. Les existences des locataires de ces taudis
sont écrites d'avance dans il
comme une
y a
vétusté et dans la crasse,
la
loyauté
décors de guet-apens.
Ici,
à
qu'un rez-de-chaussée, sur
tique de
bœuf.
marchand de
Un
ces
l'intérieur, les choses
étaient en accord logique avec la façade.
n'avait
dans
d'enseigne
La maison
la rue,
une bou-
vins peinte en rouge sang de
couloir conduisait à une cour exiguë but
laquelle s'ouvraient les quatre portes de quatre cabi-
nets loués
un
franc par jour à des prostituées. L'ameu-
blement de ces cabinets chaise,
—
les
:
un
murs blanchis
lit,
une commode, une
à la chaux.
Les pensées qui pouvaient éclore dans l'obscure
->. 160 —$-
Marie Guillaume, échouée en une
cervelle de
ne pouvaient pas ressembler à de légers
résidence, papillons,
telle
joyeux
et colorés,
couleur de rose
et
cou-
leur de soleil. S'il fallait trouver des comparaisons
pour
les
embryons de raisonnements
mal venus de d'ombre
et
cet
obscur
et les desseins
dans
intellect, c'est
de poussière qu'il faudrait
parmi tout ce qui va
et vient,
les
les bêtes
chercher,
s'embusque
et
som-
meille, dans la nuit des caves et l'humidité des bâtisses
sordides. Il
n'y a pas à s'étonner que
la fille
tudes d'ivrognerie et de dispute.
même, où on spéciale,
Dans son milieu
jugeait d'après le code d'une morale
la
comme
n'avait pas très
eût des habi-
en comportent tous
bonne réputation. Elle
qui se montrent grincheuses avec
le
les états, était
elle
de celles
client, s'ingé-
nient à le tromper, à lui extorquer son argent, à lui refuser,
après paiement,
le
fanée. Elle poussait loin la
don de
leur personne
trahison de ses devoirs
professionnels, puisqu'elle s'oubliait jusqu'à voler les
porte-monnaie dans
les
poches, après que
les
con-
ventions de prix et de plaisir avaient été fixées.
Les jours qui suivirent
le
crime,
les
camarades de
-*— 161 «gl'assassimV. rassemblées dans rarrière-boutique de
crémerie, ou groupées au coin du
la
boulevard,
L morl
discutèrent les causes de
le
réverbère,
la
Chinoise, et toutes, Constance Ledouarnin, dite
la
Boiteuse,
Agathe Buisson,
et
que des surnoms, lombe,
la
d'autres errantes
et
et celles
Borgnesse,
cela devait lui arriver, et
qui n'avaient
Brunettc,
la
Co-
la
encore, convinrent que
qu'on
le lui
avait bien dit,
qu'elle n'avait jamais rien voulu écouter,
devenait de jour en jour plus hardie
charger. Quoi d'étonnant
et qu'elle
et plus
dente. Faut faire son métier honnêtement, s'en
<!<•
impru-
ou ne pas
le terrassier
si
dont
parlent les journaux, à qui Marie Guillaume avait
demandé se
sauver ensuite, quoi d'étonnant
s'est
une
elle n'a
ficelle
plus remué, ce n'est pas pour
carte et les seuls trois
Dans
les
tiroirs
de
la
qu'un cahier de papier à jamais eu que
cela.
le
et
homme
cet
autour du cou jusqu'au
bien sûr, puisqu'on a retrouvé dans sa
si
fâché et a voulu se venger de cette voleuse.
lui a serré
où
une bougie,
vingt sous pour acheter
S'il
moment la voler,
bas de la morte
francs qu'elle possédait.
commode, on ne mais
il
n'y avait
elle a été
étranglée
cigarettes,
Non, non,
découvrit
par ce passant furieux dont
elle s'était
avait juré de la retrouver, qui
ment, sans
reconnu
être
moquée, qui
la abordée hypocrite-
d'elle, et
qui a assouvi sa
colère de brute.
MARIUS TUA LÉ A Marius tua Léa un matin de printemps, à l'heure
où passent
les petites voitures
de primevères
et
de
lilas,
chargées de violettes,
dans l'une des « rues
chaudes » du quartier. L'épouvante en a duré long-
temps parmi
des
gargotes
dans
population féminine qui loge dans
la
prend
les garnis,
lequel
ses repas
environs. la
dans
Jamais
prostituée se
crémeries
les
l'état
trouve
de
et les
sujétion
vis-à-vis
du
souteneur n'était apparu aussi nettement que dans
phases
les il
y
de
ce
drame
Véritablement,
atroce.
avait de quoi rendre mélancoliques, au
pour un
soir,
les
insouciantes
fillettes
anciennes expérimentées qui parlaient de
ment, sur
le trottoir,
avec
flux
des
dans
de paroles
l'ombre et
des
du
moins et
les
l'événe-
carrefour,
hochements
de
tête. Il
ne
s'agissait pas, cette fois,
de l'assassinat ordi-
«lu
oaire,
l'ail
—
i63
-s—
s-
de
divers habituel,
mauvaise ren
la
contre avec un hôte de passage. Cela, habituel. vie
A
au jour
bataille, et
la le
guerre jour,
comme à
la créature doit
gardé son amant assez près
risque
champ
y a L'imprévu du
il
compter avec
mal dévisagé un monsieur, ou
Elle a
la
c'esl le
guerre. Dans cette
la
<!<•
le
hasard.
elle
n'a pas
d'elle. L'assassin B'en
va,
police le cherche. Et voilà toute l'histoire. Mais
choses ne se sont pas passées de cette façon,
ici, les
et tout est
d'une précision
pauvre Léa
terrible. Celle
a été tuée par Marius parce qu'elle s'est refusée à nourrir, parce qu'elle n'a pas accepté
le
vol de ses
le
bijoux.
Au
début delà liaison,
entre la
fille et le
il
y avait eu un malentendu
L'homme
souteneur.
régularité dans les écritures.
matin, empocher toute
admis dans son monde. et les fluctuations des
rades,
il
nouer calculs
les
il
de
somme on
prévoyait
deux bouts de l'année,
faits, le
budget
la veille.
connaissait la
appointements de
savait sur quelle
compter par mois,
Il
prétendait,
Il
la recette
voulait de la
Cela
était
moyenne ses
cama-
peut à peu près
qu'il et
établi, cette
chaque
arriverait à
voilà que, ses
Léa
se refuse à
-§—
164
-*
entrer dans la combinaison, à rendre des comptes aussi rigoureux.
L'étonnement, tout d'abord, ne fut pas chez Marius.
connaissait ce genre de résistance,
Il
vaincre des hésitations
savait qu'il
faut parfois
dompter des
colères. Il recourut
usités en pareils cas,
assomma
il
sa maîtresse à plu-
poing
coups de pied solidement appliqués. Aucun le
la recette.
même
communiquer
Marius s'ingénia alors
moyens pour les
refus de
réduire cette rebelle,
boucles d'oreilles,
s'en alla les vendre.
Léa,
de
et
résultat,
de
le total
à trouver d'autres il
rafla les
colliers, les
les
il
et
donc aux arguments
sieurs reprises, la bleuissant de coups de
toujours
grand
très
bagues,
vêtements,
rageuse, se
et
au
plaignit
commissaire de police. Marius,
ici,
jamais vu
les
ouvrit des yeux énormes.
hommes
sortes d'affaires. il
Il
de
loi
intervenir
Il
n'avait
dans ces
fut indigné après avoir été ébahi,
raconta l'histoire à d'autres, à de très anciens mar-
lous, et ceux-ci eurent
venirs,
ils
semblable. plus
beau
fouiller
dans leurs sou-
ne parvinrent pas à trouver trace d'un
grave
Il
fait
n'y avait pas à en douter, c'était
manquement au
devoir
le
professionnel
i65 -*-
-*-
qu'on
ait
jamais eu à enregistrer. Dana
du métier, transmises oralement, exemple d'un Marius ne
tel
annales pat
avait
\
refus de solidarité.
pas refusé à un supplément de
s'était
donner de
travail. Il était prêt à
grandes occasions de chômage semblait qu'une
u
il
les
sa personne dans
les
de misère.
lui
et
acceptation de
telle
la vie
Il
commune,
avec ses dangers, ses avaries possibles, valait bien
une réciprocité de confiance entière de petit
homme
chéri.
sacrifices et
de bons soins, une
la petite
femme aimée
Tout
clan consulté opina de
le
envers
le
la casquette.
Aussi l'indignation
que Marius
fut
arrêté,
damné quelques
jours
comble
à son
fut-elle
conduit au Dépôt, après par
le
lors-
et
con-
tribunal
cor-
rectionnel à quatre mois de prison, pour vol, coups et blessures.
La fureur du prisonnier
pendant ces quatre mois.
Il
les
passa à chercher,
à inventer, à couver sa vengeance.
de
cellule,
Léa
était,
dans son
alla croissant
Lorsqu'il sortit
esprit,
condamnée
à
mort.
Marius rencontre Léa,
il
la prévient,
il
lui dit
son
sort avec la voix mauvaise, les dents serrées, les re-
-*— 166
-re-
gards fous, de l'homme décidé à tuer.
Il
au rez-de-chaussée de
la fille,
liquoriste
où
Une porte
vitrée fait
la
maison de de
la prostitution
la
communiquer
va s'installer chez
le
rue se rassemble. l'
arrière-boutique
avec l'escalier. C'est cette porte qui est regardée sans cesse par le souteneur en proie à l'idée fixe, à
frayant dépit
amoureux de l'amant auquel on
l'ef-
a re-
fusé son tabac, ses petits verres, ses pantoufles et son
argent de poche,
Par deux
croît!
et
que
fois,
l'on a fait coffrer par sur-
Marius ouvre
l'escalier.
monter,
La
Ces deux
le tient
troisième
trompée, quatre.
l'agile
la
fois,
concierge l'empêche de
un matin,
Marius monte
!
Il
va vers
surveillance est
marches quatre à
sa Léa,
elle
ne
lui
échap-
avec l'élan instinc-
décision de muscles de la bête fauve sûre de
La
fille
entr'ouvre l'huis. La porte
poussée d'un coup d'épaule,
la porte
à la
la
les
Son ancienne maîtresse,
sa proie. Il sonne. est
de
en respect avec un revolver.
pera sûrement pas tif,
fois, le
cette porte
premières marches de
l'arrière-boutique, gravit les
d'une autre poussée.
Un
le lit est jeté
couteau de cuisine
main, l'homme effrayant tombe sur
aux yeux agrandis,
à la
contre
bouche ouverte
et
la
femme
muette.
Il
—
-5— 167 par
la saisit
coup
tranche
lui
Un
cheveux,
les
la jette à terre,
voisin, qui n'ose pas entrer sur la
est terminé.
Pendant
de tuer, a pris
cheveux
ricane, la il
la tète
la
agents. Mais
l<»ul
venues, Marina l'a
attachée par
persienne, et
la
il
a
les
montre
appelle la foule sous la fenêtre,
il
fait le
coupée,
menace d'un
boniment affreux de l'amour
vengeance. Puis, quand enfin on enfonce
il
de
el
la porte,
se brûle la cervelle.
On ture.
parle passionnément de cette effroyable aven-
Le souvenir de
revient il
il
los
les allées et
poignée de
à la
aux passants,
d'un Beul
el
la tête.
coup de revolver, va chercher
fini
«-
cette boucherie et
comme une menace
de cet
étal
à travers les reproches,
transparaît dans les larmes, faisant naître la crainte
et le
pressentiment dans l'âme
fataliste
de
la fille,
il
passe rapidement dans les regards troubles échangés
pendant
les
basses discussions et les lourdes ivresses.
Et presque tous, approbation est
applaudi
et
il
et
femmes, donnent leur
leur admiration à l'assassin. Marius
comme un
sur l'échafaud. sauvé,
hommes
Il
ne
criminel qui est bien mort
s'est
pas caché,
il
ne
n'a pas essayé de disputer sa vie à
s'est
pas
un jury.
-S- 168 -*Il
a seulement voulu qu'on sache qu'il tuait et pour-
quoi
tuait,
il
a puni de sang-froid
il
une rupture du contrat. Pour Léa,
parole, insultée
pour avoir
la
arrêter son
fait
avoir causé sa mort. errent
un manque de
Aucune des
amant,
la fenêtre
de
la
et
maison,
pour
les
qui
yeux vers
cette tête crispée et pâle,
dégouttante de sang, qui a été
de l'affreux
et
tristes larves
au carrefour ne songe, en levant
chambre du crime, que
elle est
c'est
un jour accrochée
à
l'enseigne symbolique
martyrisant métier.
Après Léa, une autre.
LA FEMME TATOUÉE
On
trouva aussi
le
cadavre d'une
mansarde d'un hôtel meublé de
chambre sans sans feu, se
le
la
femme dans
la
Gourtille, triste
fenêtre et sans cheminée, sans air et
jour entrant par deux lucarnes. Le logeur
moque de
ce qui peut se passer dans
toujours payé d'avance, à la semaine
Aucun choix de
clients.
Nul renseignement
On
n'est
ou
à
tel
réduit
à la journée.
prend ce qui
demandé
un
se présente.
l'homme qui
déclare s'installer pour quinze jours et qui inscrit
sur
le
registre ce
nom,
cet âge et cette profession
:
*-
169 -*-
Ernest Dufour, quarante deui ans, camionneur. paye,
et
l'on ne s'est plus
occupé
lui
<l<-
et
on trouve sous
demi
le
un corps de femme,
lit
cou noirs,
yeux couverts d'une mousse
les
une
mal jointe, on entre,
la porte
putréfié, la tête et le
1
pendant
quinze jours. Les quinze jours écoulés, on seul
mauvaise odeur à travers
Il
la
au,
bouche
;»
et
verte.
Les vêtements disparus, une boucle d'oreille en or
doublé oubliée dans une coupe, cliairs
qui empêche de constater
lences,
une large
corruption des traces de vio-
au bras gauche, ce
entaille faite
sont les détails de ce
la
les
drame joué dans
le
plus banal
et le
plus lamentable des décors. L'assassinée
fille
de vingt ans, aux mains calleuses,
étranglée, étouffée
esl
une
a
été
elle
peut-être sous l'oreiller que ses
dents ont déchiré. Son signalement se libelle ainsi
dans l'enquête de police
cbeveux châtain
:
taille
1
m.
clair, oreilles petites,
54, sourcils et
dents proémi-
nentes. C'est par le
gauche de identité.
la
On
morceau de chair qui manque au bras victime que l'on parvient à fixer son
crut d'abord à une trace de vésicatoire
ou à des morsures de
rats acharnés, puis
on
se
douta
i5
—
-s— 170
que
l'entaille avait été faite
§-
pour supprimer un signe
particulier. C'était la juste hypothèse. l'assassinée vint, reconnut la place senti
au début d'une
était tracé
liaison.
Ce
du tatouage contatouage, dit-elle,
en arabesques compliquées, avec des encres
roses et bleues, rouges et vertes.
Des branches de Au-dessus, un
laurier s'entrelaçaient en couronnes.
pigeon voyageait avec une disait la vie
un prénom !
»
La sœur de
nom
Le
déclaration
et
:
de
la
Berthe
avait installé Berthe
au bec. Une légende
lettre
un serment
femme
Sentier.
« Emile, à toi
:
pour
tatouée signait cette
Emile,
mécanicien,
dans ses meubles,
recon-
et la
naissance de Berthe s'était manifestée par ces piqûres
un
artiste
du
Des sentiments rudimentaires
et
au bras, dessinées par
quartier.
des
mœurs
de
sauvages s'affirmaient par ce symbole. C'est ainsi que
dans Paris, en creusant
couche formée par tions morales,
anciennes à
la
le tuf,
en allant au delà de
les lois acceptées,
on ramène lumière.
Ce
par
les vestiges
avec
frappants de la ressemblance de
l'homme qui
conven-
des coutumes
tatouage qui figure sur tant
de poitrines, de dos, de jambes, de bras, traits
les
la
est
un des
l'homme
actuel
habitait le sol de ce pays à l'époque
-s— 171
des forets et des
marécages,
peuplades qui ignorent
dans
flèches
mentalités.
les
Chez
les
de
les
batailles.
lancent des
et
Mêmes moyens, mêmes embléma-
Indiens, chez les Sandwichiens, chea
chez l'habitante du quartier
Pas plus que
fait inscrire ses victoires
qui
fait
nom
tracer sur son bras le
france qu'elle éprouve. Elle
dans
volonté porter elle se
fait
enguirla
met son honneur veut
de
souf-
à rester
toute
la
douleur.
le
signe de l'abandon de sa personne,
Elle
marquer d'une manière
devient une propriété,
comme
les
de leur
général,
de
la
sa
indélébile, elle
esclaves
soldats qui portaient sur le corps le
maître,
le
sur son visage,
landé de son amant ne révèle par un cri
stoïque
peaux,
les
traits
Belleville, l'incision est pareille.
femme
L'homme des
avec
et
vêtements
ou jaunes, de ces
comme
Zélandais,
guerrier qui la
les
«-
La même opération marque
blanches, noires tiques.
—
nom
divinité
et
les
de leur de leur
pays.
On
cause de l'assassinat de
la
femme
tatouée à
l'une de ces veillées d'été qui se prolongent en pleine rue, pendant
un des longs crépuscules
d'août. Les
gens, rue de Belleville, sont assis au seuil des portes
-s— 172
ou sur
le
bord des
—
§-
trottoirs, les
Pommier comme
les
autres.
— Heureusement, — C'est un Garello. — Salauds — a bras avec un pour enlever l'assassin est arrêté.
Italien,
il
s'appelle
d'Italiens!
Il
lui
taillé le
stylet
l'image. Se figure-t-on
une chose
— ont toujours leur — Les femmes à leur — Mais non pas
!
stylet sur eux.
Ils
aussi,
jarretière.
Les Espagnoles,
les Italiennes.
!
oui
pareille
!
— Eh bien! quand on veut blond
y a de quoi être ébaubi
vrai, alors,
leur ta ter le mollet
!
—
plaisante
un
frisé.
— Vous n'a pas pour — Pourquoi? — disent plusieurs — jaloux du tatouage. — Pas — Vrai comme vous savez,
tué
il
voler.
voix.
Il était
possible!
je
juge. aussi, tête
Il il
de
le dis!
un
femme
et
marque de
Fa raconté au l'autre...
Lui
tatouage, sur le bras gauche,
une
voulait effacer la avait
Il
une
fleur.
Quelques-uns des causeurs écartent leur chemise
.
-s— 173
—
s-
sur leur poitrail, retroussent leur
manche
but
leur
bras,
anciens soldats, anciens marins, anciens amou-
reux,
ils
sont tatoués d'attributs militaires,
de canons, de forteresses, de noms de de
n;i\ires,
sabres,
d<
batailles,
noms de femmes, de cœurs
<!<•
percés
<l<
flèches.
Céline aussi retrousse sa manche.
un peu
sur son bras potelé, aux poignets lets,
il
n'y a
11
n'y a que la blancheur et
le
rien
grassouil-
rose de
nesse, et le lacis joli des veines bleues. Tout
la
le
jeu-
monde
rit.
—
—
Si tu veux,
blond
dit le
frisé,
—
je te
mè-
nerai chez l'artiste. Elle se rebiffe
— Où
:
J'irai bien toute seule,
ou avec qui
je
voudrai
!
.
.
demeure-t-il?
Tout la porte.
le
monde
On
rit
encore, dans le groupe devant
blague Céline, aimablement
et gaillar-
dement. Elle se trémousse, surexcitée. Ses parents, fâchés,
obtiennent enfin
Cécile est auprès de sa elle.
qu'elle
maman,
garde
le
silence.
bien serrée contre
Elle ne rit pas, mais elle sourit, elle ouvre tout
grands ses yeux dans
la
nuit claire, pour tâcher de i5.
-§— 174 -*-
mieux voir quoi
les
et
de mieux comprendre, de deviner pour-
hommes
femmes veulent
et les
s'appartenir
et croient aux mots à jamais tracés dans la chair
vivante, et pourquoi
qui est
s'entretuent pour effacer ce
ils
écrit.
Sa mère
doucement
la sent inquiète et les
cheveux
sure, et Cécile baise cette la
femme
tatouée,
curieuse et lui caresse
et la joue, la flatte et la ras-
bonne main
câline, oublie
va s'assoupir, quand on raconte
d'autres aventures qui la réveillent.
— Oui,
les Italiens
sont des salauds!
même voix péremptoire. le
journal, ce Farnieri,
Et
il
un
sale souteneur?...
amant de
découvrit qu'un client avait payé la Il
lui fait
—Y
son
a pas
fille
la Finette,
d'une pièce
court après l'homme,
trape au tournaut de la rue, il
la
— Vous n'avez pas vu, dans
narre que ce Farnieri,
de vingt sous fausse.
— affirme
et,
le rat-
en quelques instants,
affaire.
que
sont des salauds!
les Italiens... tous les
—
dit
souteneurs
une voix sage.
avez-vu?... place Maubert...
—
Vous
un nommé Marcelin?
Et Cécile frémit d'un nouveau crime.
,
75
/
Ce tiers la
i i
HHElnNNE
l
Marcelin, se promenant avec six copains, ren-
comme
lie
lui,
pari de jeter dans
fait le
Aline-Françoise Lcvot, dite
jeu est
un champoreau,
avec du
rhum
comme
il
la
Le
soir,
il
mixture de café chaud le
sous
les
sur
pont
le
bras,
Saint-Michel.
d'une seule poussée l'envoie dans ensuite allé boire
Il
d'un seul mouvement
et,
ambu-
la
son champoreau,
prend
la
l'enlève,
Seine.
félicité
berge au
la
moment où
Il est
par ses
camarades qui ont payé sans rechigner, puis revenu sur
fait
s'approche de Françoise
Levot, qui exerce machinalement son métier latoire
Seine
Bretonne. L'en-
de l'absinthe. Et Marcelin
et
le dit.
la
la
il
est
l'on retirait le
cadavre de la Bretonne, morte sans savoir pourquoi. Cécile frissonne de la elle
frissonne encore
raconteur dit
ment dans crime.
le
un
triste
du monstre,
d'une autre émotion,
ment douce, qui mouille le
brutalité
trait
ses
et
infini-
yeux enfantins, quand
de sensibilité éclos subite-
monde de
misère, de vice et de
—§
-s— 176
Une amie de
nommée
prostituée,
la
Marie,
de
s'approche
prostituée la
mariniers viennent de déposer sur
penche
bon
et
morte que le
Marie reçoit sur
d'avertissement qui
la
nuque un coup de
amène
fait
une
entaille
jamais tu vends Bretonne. »
De
a fallu dix le
j'te
meil de petite
«
Tu
sais, si
comme
la
y a dix mois, fût arrêté.
sur Cécile l'impression vrai-
à troubler de
cauchemars son som-
à la rendre prudente
fille,
drame
fit
:
il
mois pour que Marcelin
drame qui
coup
temps qu'une
refroidis
cela s'est passé
fait,
ment angoissante,
sa vie, ce
mèche,
la
petit
de rien du tout
même
peu de sang, en
très
un
voix de crapule lui coule dans l'oreille
Mais
infiniment
miséricordieux donné par la pauvresse à la
charogne,
il
les
pavé, elle se
et l'embrasse. Aussitôt ce baiser
couteau, un petit coup de couteau,
et
aussi,
fut celui
où joua un
pour toute
rôle le
nommé
Joseph Leroy.
JOSEPH LEROY C'est le vrai assassin.
sous
l'oreiller
de
M
mo
per la gorge de la
Pour prendre neuf francs
Pierre,
il
n'a pas hésité à cou-
femme endormie.
A-t-il
même
-s- 177 -§-
voulu tuer pour voler? Ce n'est pas bien BÛr.
pour
le plaisir
qu'il a fait
animée du
cette chair paisible,
piration.
pour
a tué
Il
une
I
dans
entailli
va-et-vient
tuer, parce qu'il
<1<
aime
res-
l,i
à tor-
turer la chair, à la meurtrir, à la saigner, parce qu'il
aime
à faire
du mal.
aurait mis plus
L'être né seulement voleur
de précautions perfides.
Il
v
aurait
assourdi son pas, retenu son souffle, glissé sa main
pour les
dans
saisir
pauvre
le
lit la
pièce de cent sous et
pièces de vingt sous. Lui, n'y a pas mis tant de
façons. Cette tète le gênait pour arriver à l'argent,
a essayé de couper la tête.
il
né assassin, incons-
Il est
cient et farouche.
Leroy a très
seize ans.
malade,
est à l'hôpital.
un pauvre diable pitié la
Sa mère
Des
morte. Son père,
voisins d'hôtel garni,
d'ébéniste et sa
du gamin,
l'ont
maladie du père.
ans, n'importe,
est
ils
Ils
gardé ont déjà
femme, ont eu
avec
eux
logé chez eux, rue de Belleville,
l'ont vêtu.
trois
ont pris sous leur protection
gringalet de faubourg, qui leur faisait pitié.
un cabinet proche
pendant
un enfant de
leur chambre,
ils
ils
le
Ils l'ont
ont loué pour
lui
l'ont nourri,
ils
-*-
C
est cette
Leroy, le
le
M me
178 -§-
Pierre, la bienfaitrice,
protégé, a
commencé
mari parti pour son
que
crié,
que des gens sont venus.
le
chambre,
couteau coupait mal, que
se
faufiler
l'hôtel. C'est vers
non
arrêté,
M me A
parmi
midi que
loin de la
Il
a
les
a
quitter la
de
agents apostés l'ont
maison où pleurait
et saignait
Pierre. l'interrogatoire, l'apprenti tueur a dit en termes
une sorte de prurit
lui,
qu'une chose,
coup à
la
répond ans est
c'est
adressée sur
le
le
sanguinaire,
domestiques,
les
question d'usage
La
cervelle
de férocité
intelligence. Il n'y a en
la perversité
la
cynisme
il
bourreau ingénu qui martyrise
maux
A
son repentir possible,
besoin
maladie incurable. Malgré
aucune
emparé
d'assassinat. Il ne regrette
qu'il s'en fout pas mal.
détraquée,
s était
de n'avoir pas porté un second
malheureuse femme.
qui lui est
de
la blessée
pu
les arrivants, sortir
grossiers quel violent désir de frapper
de
un matin,
n'a pas réussi,
S'il
travail.
c'est
que Joseph
d'égorger
il
de
seize
est
une
et la vivacité,
Joseph Leroy que
est
l'enfant cruel, le
les insectes, les
ani-
enfants plus petits que lui.
Tortureur aux regards naïfs
et
aux joues roses,
il
a
-+
-5- 179
an masque «l'innocence velouté yeux
clairs qui on!
bouche de sang coule
et
qu'une voix dans
le
«le
fin
sans
vie
toute
petit chat-tigre,
tinct agit alors le félin
reflété
la
duvet,
des
voir,
une
l,i
réjouie
se plaint.
quand du
L'être
décor de civilisation
<l
ins-
comme
griffeur et suceur de sang s'adjugeanf
des
proies effarées dans les rocs et sous les arbres. Leroj recelé
en
lui
une âme dangereuse comme un
voi-
sinage d'animal féroce.
Devenu homme,
il
ne se distrait plus à estropier
des chiens, des oiseaux ou des grenouilles. C'est gibier
humain
La première victime qui charitable qui
pas à
s'avance
cade
et
il
s'offre
recueilli.
l'a
regarder
à lui est la
Tant
pis.
Il
ne
femme s'arrête
dormir de son bon sommeil de
fatigue la vaillante il
le
qu'il veut faire crier sous le couteau.
ménagère qui prend
comme une
lui saute à la
soin de
bete qui sort de son
lui,
embus-
gorge avec une frénésie imbé-
cile.
LA BELLE P
Le tableau de mœurs ne manquent pas pour
est
varié,
éveiller la
1
TISSIÈRE
et
les
motifs
malice de Cécile
_^ et
ïSo -*-
son sourire. Entre deux drames se
faire naître
joue une comédie.
La rue de
Belleville est longue,
contournée, spacieuse faite
pour
pourtant,
les
on y peut
bouchers,
peine circuler,
à
geant de victuailles et
petit
de faubourg
grands passages de foule. Le matin,
voitures l'encombrent.
cutiers,
vraie rue
la
:
montante, large,
Malgré
boutiques regor-
épiciers,
fruitiers,
monde ambulant
petites
achalandées, des char-
très
a
les
les
sa
clientèle,
crémiers,
chacun
le fait
ses affaires.
L'après-midi,
la
chaussée est plus calme. C'est
seulement à cinq heures refont
les
une entrée triomphale, aussi
du matin, parmi Voilà
De
que
le
le
chœur
petites fière
voitures
que
celle
jacassant des acheteuses.
milieu où règne
la Belle Pâtissière.
toutes les boutiques de la rue, la sienne est la
plus alléchante. Derrière la vitre, des pâtés croustillants, de grosses
brioches piquées d'une rose
artificielle
ou du
du jour, de massifs gâteaux de Savoie, des les quartiers
de pomme,
saint
tartes
les abricots, les fraises
où
sont
bien en ordre, de juteux babas au rhum, de majes-
-5— 18
semblent des plateaux de
saint- honorés qui
hieux
montagnes couverts de Devant sement
porte, sur
la
rang»'.s
—£-
1
neige.
une
soigneu-
table, des plais
présentent des écrevisses bordelaises,
des fricandeaux: hérissés de lardons, des terrines de des poulets rôtis ruisselants de sauce,
tripes,
homards
des langoustes découpées
l'américaine,
à
par tranches sur
la
des
carapace intacte, des gelées de
faisan, des salmis de bécasse, des nichées d'alouettes,
tout cela « à emporter », tout cela cuit, prêt à être
mangé.
On
La boutique
entre.
qui se mirent dans les
ornée de petits gâteaux
les glaces.
y en a sur toutes
Il
rangés symétriquement,
étagères,
variétés
est
pour tous
les goûts.
jusqu'au voluptueux
Le gourmand
« puits
entre,
et
toutes les
Depuis l'austère biscuit
d'amour
»
!
mange, puis s'approche du
comptoir pour payer.
—
Oh!
le
beau gâteau!
—
s'écrie-t-il,
aperçoit tout de suite que ce beau gâteau,
de tous,
est
un beau gâteau,
c'est aussi et
si
le
l'on veut,
avant tout une belle
mais
il
plus beau
mais que
femme immobile,
qui daigne s'animer légèrement pour recevoir son du. 16
4II
la
main
si
jolie
donner deux sous
repas,
il
n'ose,
il
la
porte.
pas.
a
déjà
Elle
!
Il
d'une
si
La
jolie
a envie de
promet de
se
cherchant
elle
consommé
a honte, alors, d'avoir «
Déranger lui
182 =4-
revenir, et
son
si
peu.
recommencer son
jolie pâtissière
repris
»
personne pour
attitude
il
ne
salue en le salue
décorative,
au-dessus de son comptoir de
est impassible
marbre, devant sa glace, parmi ses compotiers ses liqueurs,
blanche
et
comme un chou
rose
crème qui aurait fréquenté une Le matin,
s'il fait
beau,
tarte
elle sort
aux
et
à la
fraises.
de bonne heure,
rentre pour la vente. L'après-midi, pendant les repos, assise bien droite les doigts,
rire, elle
sur sa chaise, bougeant à peine
ne bougeant guère
use
le
les
yeux, sans un sou-
temps à crocheter quelques
frivoles
dentelles.
Elle est vraiment magnifique, la poitrine en avant,
—
et elle l'a belle,
soie brillante qui la
— enfermée dans un moule
corsage de
et serre sa taille
au-dessous de sa gorge double
et
de guêpe
opulente. Grande,
grasse à point, et blonde, dans tout l'épanouissement
de ses lignes
et
de ses formes, de mine saine, forte
de sa beauté, reine de ses gâteaux,
elle fait
loucher
i83 -s-
-sles
hommes,
Pour
femmes, enrager
sourire jaune les
commerçants des dire
la
pas aimée dans
gloire
vérité, cette le
les
alentours.
du quartier
quartier. Sa beauté ne se
n'est
fait
pas
excuser par L'amabilité. Elle vend ses petits gâteaux, les
vendre parce qu'ils sont
mais
chose,
ailleurs.
elle
la
elle
pense à
monnaie en regardant
Les méchantes langues ont interprété cette
indifférence
compte de
cette
et
distraction,
la Belle Pâtissière.
épouvantables
toujours belle
compte pour
et
réglé
vite
Des choses absurdes,
importe, pourvu qu'elle soit
lui
Sa beauté,
!
c'est la seule
chose qui
elle.
lui a fait
des niches de toutes sortes, on lui
même
a envoyé des cadeaux grotesques qu'elle n'a
pas regardés, on
même
pas lus.
manque un
A
le
Elle n'en sait rien, elle n'en saura
!
Que
jamais rien.
On
rend
de
font envie
là, et qu'ils
aux gens. Elle ne s'y intéresse pas, autre
elle a l'air
On
lui
se
a écrit des billets qu'elle n'a
chuchote maintenant qu'il
sein, d'autres affirment qu'elle
entendre ce qui se
dit,
des chauves-souris, sur
le
au crépuscule,
en a à
pas des portes, cette
lui
trois.
l'heure
femme
184 -4-
-S-
qui vit dans plus
la
crème
extraordinaire
et la
monstre à mener dans Il
que
paraît aussi
croûte de pâté serait
phénomène de
maison n'a pas de
sa
la
disent qu'on ne doit pas se fournir chez légère, les ses
femmes
hommes
une femme
disent qu'elle est jolie, mais que
gâteaux sont mauvais.
Tout tain,
cela n'est
c'est
réalité,
que
tout le
comme
nent
d'apprendre
que paroles. Ce
la
pâtisserie
monde
les
s'y fournit,
autres
le secret
qu'il
fait
de
:
les
ses
la beauté, les
qui ne vous regarde pas, c'est
affaires.
la
En
ceux qui débitâcher
hommes pour
du goût
Manger un gâteau en regardant
vue.
y a de cer-
femmes pour
avoir à la fois les deux plaisirs
la
clientèle
Seuls entrent
fuit.
simples passants, qui ne savent pas. Les
les
le
un
les foires.
que tout son voisinage
fixe,
création,
la
la
et
de
la
pâtissière
meilleure halte de
journée. Il
est
toutefois vrai
que
pas toujours aussi empesée raît
la Belle
Pâtissière n'est
et lointaine qu'elle
dans sa boutique.
Trois, quatre fois par an, elle disparaît.
Où
va-t-elle
?
Où est-elle ?
appa-
-*
-s- i85 Elle
n'est
dans son
est toujours
pas loin. Elle
quartier.
Mais
elle quitte
réellement
boutique aux gâteaux. Les tout de
même, non
de quoi payer maison.
le
foyer conjugal et
le
petits
gâteaux se vendent
pas autant, mais suffisamment,
loyer.
Rien
changé dans
n'est
y a une employée à
Il
la
la
la
place de la pa-
tronne, voilà tout, une de celles qui font les extras.
Le seul incident,
c'est
ment d'un
qui
client
quelquefois
demande
désappointe-
le
des nouvelles
de
Madame.
Madame ou ne
passe parfois devant chez
voit pas sa boutique, et
semble ne pas
elle
la reconnaître.
rassasiée de petits gâteaux, se
même,
régaler et paierait
elle.
Elle voit
si elle la
voit,
Si elle n'était pas
sûrement
elle
indifféremment
à
entrerait
son
inté-
rim.
Après quelques jours d'absence, place, achève
chet.
elle
reprend sa
ou recommence une dentelle au cro-
Elle ne dit rien à personne. Et personne ne
lui dit rien.
Son mari,
comme
car elle en a un, tout habillé de blanc
Pierrot,
reprend
sa
femme Colombine, 16.
-§—
comme on
1
reprendrait
commerce que
—#-
86
avec
plaisir
un fonds de
qui est sûr.
l'on connaît,
Il
n'est
jamais question de la sortie dernière, ni de la rentrée d'aujourd'hui, ni
En somme,
les
si
de
la sortie
future.
absences sont fréquentes,
les
retours aussi sont fréquents.
Des ducs, des princes,
d'en face,
le cor-
marchand de marrons
d'à
ont eu, paraît-il, l'honneur d'un règne
de
donnier d'à gauche, droite
le voisin
le
quelques jours. place habituelle en
Ceux-ci sont revenus à leur
même
temps que
la
marchande de gâteaux. Les
princes, eux, ont quitté le quartier.
Aucun sur
n'a,
d'ailleurs,
défectuosités
les
jamais éclairé
physiques
imaginées par
malignité publique. Seule la marchande de
de terre
frites
a
donné
la
clé
curieux
les
pommes
du mystère.
Elle a
affirmé à tous ceux qui ont voulu l'entendre que Belle Pâtissière était froide
comme
le
la
la
marbre de
son comptoir.
Non
loin de la Belle Pâtissière, la
volailles.
Marchande de
LA U [RCH
Dès cinq heures du pendant
aussi
volailles part
dune
même
fera,
pour
a été
d'ici
D'autres
la
bon pour de
fin
ce
rer
la
:
Il
le soir la
aux gens pressés rôtie,
pons
et
à la
fait
la
elle
Le
satisfait.
pressent qu'elle
un beau
bénéfice.
un peu hargneux.
fermes que
même
il
la
bons
veille,
la
faut se rassu-
marchande
clients qui l'aideront à
hausse du matin.
Belleville,
s'approvisionnent
et
est belle, et déjà la
y a vingt ans qu'elle
volailles à
elle
que pour un moment. Les
Tout de
voit dans sa pensée les
supporter
:
journée,
plus
marchandise
ans
heureux elle
la
n'est
volaille a renchéri.
temps, et
marchande de
route, et elle rentre,
reparaît l'air
prix ont été tenus
la
vingt
même
l'air
fois, elle
Mais, baste!
au
en revient vers huit heures,
Depuis
lasse.
III
hem
Halles avec sa voiture attelée
les
toujours,
marché
SDB DB VOL
mauvaise saison,
la
corvée, suit la
presque
l
S-
malin,
vieille rosse. Elle
nullement
—
187
-S—
est établie
en une spacieuse boutique où
les friands
les
marchande de
du
quartier. Elle
morceaux de
volaille
vend toute
petite cuisinière bourgeoise ses cha-
fins et ses
poulardes grasses.
-s-
188 -§-
Elle n'a nullement l'aspect de la boutiquière ave-
nante
et
souriante.
sergent fumant
la
comme
petits et futés,
et la
pipe ou mâchant la chique, des
— des yeux de
en avant
tout rôtisseur
tient
et
celles
dun
Elle a été veuve, mais
quarante ans,
elle
elle
comme un Il
pour embêter
:
sa
que son dos.
ne Test plus.
épousa son
Un
beau
quatrième
ans, rougeaud, de l'œil
il
devint patron.
marchand de vin
voisin avec des
Il
il
rentrait régulièrement assez
les clients, sa
mis, jusqu'à ce que bien doucement
à
Ses journées se
compères de hasard. gris
que
le resta.
avait été paresseux, le
sanglier
bouche avancée en spatule
la
bec. D'employé,
perdaient chez
du
oreilles
les
une physionomie de canard,
rond toujours virant,
yeux
fourreau de cachemire
commis, un gars de vingt-quatre petite taille, avec
—
honneur d'accrocher
à
noir, et sa poitrine est aussi plate
à
des
aux aguets, des
rat
trompeur,
comme
porte. Elle est habillée
jour,
os-
bouche d'un vieux
des épaules de mouton,
yeux de marchand rusé rabattues
un homme. Grande,
moustaches
seuse, elle a les
mains
C'est
la
patronne
femme le prît
et ses
par
le
combras
+-
—
mon
Allons,
fatigué S'il
-+
i8 9
chéri, va
faire
un somme,
tu es
surprenait
dans
!
on
pas fatigué,
n'était
le
femme
tous les coins lutinant les bonnes, et sa
amusait elle-même en l'appelant
Quand par hasard
sa
de
femme
de
se mêler
qu'il voulait
«
grand gosse
occupée
était
réussir
«
b'cd ».
»
aussi
et
une
avec les acheleuses,
il
risquait des propos galants en se tordant de rire
si
vente,
faisait
il
l'esprit
fort qu'il s'en congestionnait.
A
morceau
était
pour
particulier, son
fourchette
sa
argent
de sa sin.
:
«
petit et
qui servait. Le meilleur
gros bêta ».
pain anglais à
Il
avait son vin
lui.
Sa
cuiller,
son rond de serviette étaient en
des cadeaux qu'il avait reçus d'elle aux jours
fête.
dégustait
Il
Le perdreau ou
pour «
femme
table, c'était sa
les truffes
le faisan le
de « son » maga-
mieux
à point était
lui, s'il le convoitait.
Gros bêta
frères,
trois
»
fit
sœurs,
venir son père, sa mère, deux et les
deux enfants d'un
mort. Toute cette famille logea
comme
son
belle-fille,
fils,
les
la
là.
Le père
mère gueulait après
sœurs couchaient avec
frère
se saoulait
les
sa vieille
commis,
frères avec
les
d'ailleurs
que
les
-s- 190
-*
bonnes,
et ces
cela à faire, car
ils
n'avaient
frères
étaient sans métiers,
partant, sans places. Les deux mioches étaient
et,
toujours à se traîner parmi
plumes de
les
les détritus
d'intestins,
peaux de lapins
volailles et les
on
:
marchait dessus à journée entière.
La patronne, au milieu de ce remue-ménage, une femme
glorifiait
d'être
Tous
ans, elle faisait
lait
les
dans ses
passés, elle
se
aimée de son mari.
un marmot.
moustaches.
était
très
à
Elle,
Elle en rigo-
quarante
ans
encore meilleure poule que bien
des jeunesses!
Heureusement vrage de dix, elle
et
et
qu'elle travaillait dur, faisant l'ou-
même
ferme avec
le
qu'elle se permettait,
seules
!
client.
pour
Elle était avare
La
seule distraction
c'était d'avoir ses
gosses
;
ses
vacances, les réglementaires huit jours de
couches, toute
plus
et
encore
l'embarrasser,
Quand on
!
elle se
tienne et répondait
—
Dieu bénit
Un
jour,
la
les
une de
lui
objectait
que
sur ses bras devait quelquefois
cette famille
rappelait
qu'elle
bouche en cœur
était
chré-
:
nombreuses familles
!
ses servantes vint lui dire qu'elle
—
-S— 191
grosse de monsieur,
était
refusait
lui
accoucher,
— la
l'argent
volailles,
de
faire ce
grand enfant qui
qui
lui
en
—
Pourquoi
—
Tiens, parbleu l'a
avail
—
fille,
celui-ci
promis
pour
dans
le
lui
répliqua
est chez lui,
il
il
lui plaît.
aime son mari
fait
est-elle
—
vous n'êtes qu'une
et
Tant qu'à monsieur,
!
C'est assez dire qu'elle
qu'elle
lui
du toupet, ma
avez
marchande de
est libre
comme
que,
et
elle s'adressait à elle.
Vous
cochonne
qu'il
fr-
comme un
tous les ans de plus petits.
— ça — répond Céline, —
comme
!
dit Cécile.
?
parce
sang.
LE BEL HORLOGER
La la
petite rue, étroite et courte,
grande rue du faubourg. Elle
ne conduit pas à
est
perdue parmi
foule de ses pareilles, et ne possède ros.
Presque personne n'y passe.
Il
que dix numé-
faut
y demeurer
pour y venir, ou flâner pour s'apercevoir de tence de cet
Sur et
les
c'est
embryon de
la
l'exis-
rue.
dix maisons, deux boutiques seulement,
bien assez,
et
c'est
bien trop pour
rue pareille, aussi délaissée, aussi nulle.
une
IQ2 -4-
-§*-
L/une de ces boutiques
vend peu de
de
la petite
le
fruitier,
à
le
temps de cou-
grande rue, au marché en
la
du boulevard,
plein vent
chez
l'une des ménagères
rue est pressée, n'a pas
aux voitures de
rir
qui
fruitier
vieux fromages,
terre, des
Quand
des boîtes de conserves.
de
un
mais des légumes fanés, des
fruits,
pommes
choux, des
est louée à
lui
se résigne
elle
acheter
ses
à entrer
poireaux, son
gruyère, ses sardines. L'autre boutique est toujours « à louer ». Plu-
commerçants sont déjà venus
sieurs petits
de
sort, essayer
vie.
faire
bien tourner
Tentatives inutiles.
Au
hasard de
bout de trois mois,
de nouveau clos,
volets étaient
le
tenter le
et la
la
les
boutique encore
« à louer ».
Pourtant,
jour, cette boutique endormie a
réveiller. Elle respire,
de se
coquette.
nant
un
Un
l'air
soupire, sourit, fait la
peintre en bâtiment, tout en fredon-
:
A
C'est l'amant
d
C'est l'amant
d'A
C'est l'amant
d'Amanda,
peint la devanture en noir, égayé ce deuil de
filets
193
-s—
—
$-
jaunes, puis, installe sur son échelle, donne l'essor à son répertoire de romances. Il
chante des chansons patriotiques
Donne/ en
:
paix, donne/, soldats,
L'œil au guet, l'oreille tendue,
Quelqu'un pour vous
veille là-bas,
C'est la sentinelle perdu-e
Puis
les
romances
Par
:
les sentiers
remplis d ivresse
Marchons ensemble Je veux
t'otTrir,
ô
à petits pas,
ma
maîtresse,
Le premier bouquet de
Tout en chantant ture
au fronton
de
!
il
!
de sa plus belle écri-
écrit la
lilas
porte
:
horloger-bijou-
tier.
Les
voisines,
de
lettres, épellent les
leurs
fenêtres,
syllabes, à
mesure que
dorées sont tracées par la main l'inscription dessinée, elles
si
du
les
les lignes
ténor.
À
peine
sont déjà reconnaissantes
l'heureuse idée de venir égayer leur
à celui qui eut
rue par une
nomment
belle
boutique
et
par un commerce
si
distingué.
Les passants
et
les boutiquiers des
autres •7
rues
+-
iq4 -t-
qui viennent voir pour se rendre compte, hochent
gravement
et
ironiquement la
— Encore un, —
tête.
ou
pensent-ils.
—
disent-ils,
qui va manger ses quatre sous.
Le lendemain matin,
derrière
le
petit
comptoir
de bois noir qui lui sert aussi de table de
travail,
paraît lhorloger-bijoutier. Il
blond,
est
la
Gapoul, distingué
Tout de a pris
moustache
comme
cirée,
coiffé
à
la
son commerce!
commence
suite, la clientèle
à venir.
Il
toute la rue le premier jour, et les jours sui-
rues voisines.
vants,
les
mois,
et les
là
horloges, les pendules,
montres à
réveils, les
n'est
Il
«
que depuis un les
coucous,
les
arranger » s'alignent sur
les
planches. C'est à croire qu'il y a une épidémie sur tous les objets qui servent à
marquer l'heure dans
tous
sont détraqués.
quartier
bagues,
:
les
à la fois
se
broches, les croix,
vogue pour souhaiter
aussi la
les
le
Les
cœurs connaissent
les fêtes
du moment
et célébrer les anniversaires.
Lhorloger-bijoutier
mois,
un
si
a
fort
à
faire.
Dans deux
cela continue, et cela continuera,
aide à
demeure. Lui,
fera
les
il
prendra
courses, ira s'ap-
provisionner dans
remonter
clientèle, trer le
en
à sept. loger
les
est Il
du
les
\\>\\<
pendules à domicile, mon-
nouveau bijou qui va
heures pour Il
maisons de gros,
Les
faire fureur.
aura
Il
consultations clans sa boutique.
désormais ainsi.
On
trouve de quatre
le
n'est plus l'horloger de la rue,
quartier.
Il
achète le
Les jolies pièces anciennes,
il
est l'hor-
vieil or, le vieil
les
argent.
souvenirs de famille
vénérables, les beaux couverts usés avec lesquels les
enfants et les vieillards ont leurs dernières soupes, lités
à la
mode du
il
jour.
mangé
leurs premières et
transforme tout cela en Il
est fier
futi-
de son ouvrage,
et la clientèle est ravie.
Les ménagères du quartier font désormais des éco-
nomies pour
les
désirent plus
un dessus de
porter au
bel horloger. lit
Elles ne
au crochet, ni une
armoire à glace, ni une suspension, pour leurs étrennes.
Non,
c'est
un
bijou,
mais un bijou de chez lhor-
loger-bijoutier. Il
«
n'a pas de ménagère, lui.
garçon
plats
«
».
Ce beau garçon
Aussi lui apporte-ton de bons
pour goûter
», des
saucisses,
viennent « du pays où on a tué
le
du
lard,
cochon
est
petits
»,
qui des
-#— 196
du
fruits,
vin,
—
§-
qui viennent aussi, en provenance
grand'mère ou
directe, de chez la
la tante
de
la
dona-
trice.
On
que tout
Donc
soit il
sa
et
Tout à gagner
rien
vend
les
faut
:
il
il
répare
lui.
presque rien dépenser,
bons prix modérés qui
La paix de
chambre pour
en ordre chez
vit sans
pendules
les
même
lui fait
et
bijoux au comptant, à de
de sérieux bénéfices.
lui font
et rien à perdre.
la petite
rue
béatitude de l'horlo-
et la
ger-bijoutier sont quelquefois troublées par la dispute,
devant
la
boutique, de deux
disent « leurs
n'aime
les
vérités
».
femmes
Mais l'horloger-bijoutier
rassemblements que pour voir
admirer sa dernière création. Sur ii
jalouses qui se
paraît lorsqu'il
diapason de
la
y
a
du
«
le
et
entendre
pas de sa porte,
bruit », et aussitôt le
dispute baisse,
les
voix s'éloignent,
deviennent sourdes et lointaines, vont s'enfouir dans
un
corridor Il
du
voisinage.
y eut une première alerte.
pris
Céline
comme bonne
soir, la petite très
Puis,
un autre
allumée,
jour, elle
On
amie. le
affirma qu'il avait
On
avait vu,
visage collé à
était
un
la vitre.
entrée acheter une
-*-
!
-*•
97
bague de dix sous, en argent, avec une pierre bleue.
Le
bel horloger la lui avait passée
au doigt, en
riant.
Depuisonanirmaitqu'ilss'étaientpronienésenscnililc, qu'ils avaient fait
un
tour de valse à l'Elyaée-Ménil-
montant, qu'ils avaient été encore vus
au tournant d'une rue, après quoi on
le
lendemain
avait
perdu
leur trace.
— Est-ce — On
possible
?
n'a pas idée d'une traînée pareille
—
Et sa pauvre mère
— Et
lui,
qui avait
!
l'air si
Le quartier frémissait de vide se
autour de
fit
!
la
sérieux! ces exclamations.
Un
boutique. Le bel horloger
apprit que l'on ne tolérait pas son inconduite, s'observa,
ne
sortit plus le soir.
La
clientèle rétive lui
revint en partie.
Soudain,
le
quartier fut de nouveau en émoi.
nouvelle a couru dans
l'air,
Une
rasé le sol, est entrée
les couloirs, les loges
de concierges, a monté
les étages, fait tressaillir les
cœurs, de l'entresol aux
dans
mansardes. Puis
elle s'est précisée, et c'a été
un tremblement de
terre
comme
ébranlant les pavés, les
maisons. 17.
-s- 198 -*-
Quelqu'un,
— on ne
sait
—
plus qui,
personne sans doute qui avait rencontré
— quelqu'un
çon avec Céline, dit
que
le bel
Un grand comme
—
:
Mesdames, quand
«
émo-
non une noce, mais
l'on attendait,
si
vous fera
il
»
. . .
En deux jours,
c'était
boutique, autour de face
a affirmé qu'on lui avait
horloger voulait se marier.
un enterrement !
même
la
beau gar-
silence s'est fait après la première
tion,
plaisir
le
commençait
la
de nouveau boutique,
le désert
au milieu de
à ricaner
de terre du temps de Parmentier
dans
et le fruitier
et
ses
la
d'en
pommes
de ses sardines
antédiluviennes.
L'horloger-bijoutier voulut
Partout,
clientèle.
Aucune
porte
tâter
close
envie de la croix de
ou
ma mère
le
pouls de sa visage
glacé.
ni de la
bague
de fiancée.
Le
joli
garçon comprit immédiatement
la
muette
leçon des gens, frissonna de l'hostilité des choses.
Son mariage,
pour
c'était
magasin désachalandé,
les
lui la ruine assurée, le
bijoux au clou, les billets
protestés, la clef sous la porte.
Tout de
suite
il
fit
volte-face.
-s- «99 -*-
— Jalousie de boutiquiers, —
dit-il
aui unes
et
aux
autres rencontrées à propos.
La rue
respira.
Aussitôt, la clientèle féminine de revenir à ses pre-
mières amours, les
et les
pendules de se détraquer,
el
doigts de s'oiïrir aux bagues, et les cols aux col-
liers.
— Vous vrai. est
On
savez,
disent-elles,
du mal.
lui voulait
comme
beau
—
lui,
—
n'était pas
ce
D'ailleurs,
quand on
vous comprenez, on a toujours
des envieux.
Et
les
rassemblements pacifiques de se reformer
pour voir
travailler le cbéri
boule d'eau,
pendules
la
et les
de
loupe vissée à
par
la rue, éclairé
qui taquine
l'œil,
la
les
montres, en jouant discrètement de
son œil libre vers
groupe dont
le
il
est la
Si jamais le bel horloger se marie,
il
coqueluche. fera bien de
faire fortune avant.
La
vie régulière,
même,
l'irrégulière, plus
encore
lui est interdite.
— Eh bien — —
à sa place, Il
comme
!
vrai
!
ce que je les enverrais promener,
dit Céline furieuse.
faut qu'il reste en vitrine,
—
dit Cécile,
amu-
-§— 200
par cette comédie
sée
—
§-
comme
elle avait
si
au
été
théâtre.
L'EMPRUNT Il
y avait bien d'autres singuliers types au fau-
bourg, près des Pommier, dans leur rue, dans leur
maison. Des joueurs aux courses, des maniaques de loteries, des habituées
de
la caisse
d'épargne, des sous-
cripteurs aux emprunts, des économes, des avares.
Céline ne dit-elle pas,
un
soir,
que
le
père Chau-
dron, à qui l'on donnait parfois de vieux souliers ou
un morceau de rie
pain, était parti faire queue à la mai-
pour souscrire à l'emprunt de
Stupéfait, le père
Pommier alla
la Ville
voir,
avec lui pour la distraire. C'était vrai. père Chaudron parmi
pour toute
Il
comme un
monde enchanté de
aperçut
compte,
et
le
le
guichet
l'espoir. Certains gardaient
étaient présents
père
le
rideau de théâtre, sur le
places, représentaient plus capitalistes qu'eux.
beaucoup d'autres
?
Cécile
gens qui étaient debout,
attendant l'instant où
la nuit,
doit se lever,
les
de Paris
emmenant
des
Mais
pour leur propre
Chaudron parmi
ceux-là.
Et
pourtant, lui et d'autres faisaient venir à l'esprit les
M)
I
idées de misère, de besoin, de charité, plus
<|u«
Les
idées d'épargne, d'argent, décapitai, d'intérêt, â croire
pour
qu'ils étaient plutôt réunis
soupe, à
distribution de la
la
porte d'une caserne ou d'un restaurant.
la
Au-dessus des visages épuisés, des physionomies inquiètes, se à la mairie
pour
:
lit
l'inscription
Secours aux
cette foule d'éclopés
demain.
Il
s'agit bien,
du poste de
de
police établi
enseigne ironique
blessés,
du
la vie, incertains
malgré
tout,
de rentiers
len-
et
désireux de rentes. L'ardeur à faire des économies
de et
à les placer s'empare d'une quantité de pauvres gens. Ils
rognent sur
tiles,
l'essentiel Jouissent
de trouvailles sub-
de privations ingénieuses, arrivent enfin à l'une
de ces dates bienheureuses où
ils
pourront, après
avoir passé debout une partie de la nuit et de la journée, échanger leur précieux argent contre
de papier féconde en intérêts
Le lendemain,
le
et
en gros
une
feuille
lots.
père Chaudron vint chez
les
Pom-
mier.
— Eh bien, Pommier, —
vieux père Chaudron,
je t'ai
vu à
rentier maintenant?...
gations ?
la
mairie.
Combien que
—
Tu
dit le père
fais
donc
le
t'as pris d'obli-
—
-f^ 202
— Oh
!
le
&-
quart d'une seulement
Et je
!
n'ai plus
le sou.
— Tiens, parbleu
Tu
!
pouvais nous payer à dîner
à tous, ce soir, et tu fiches ton argent à la mairie
— Je
jure que je n'ai plus
te
pas de quoi
—
manger
le
sou, et que je n'ai
ce soir.
Laisse-le tranquille,
ce qu'il veut,
fait
!...
hein, avoue-le?
Il t'en reste,
—
dit la
ou plutôt ce
mère,
— chacun
qu'il peut. C'est vrai
que vous n'avez rien à manger, père Chaudron Asseyez-vous près du poêle
:
je vais
?
vous tremper un
bol de soupe.
— C'est
ça, Marie, donne-lui
d'autres économies
gation!
—
dit
de
la
soupe
:
il
pour ravoir un autre quart
Pommier, bon garçon
et
refera
d'obli-
taquin.
—
Et donnes-y aussi un verre de vin, à ce sacré rentier.
Je trinquerai avec
lui.
LA LOTERIE
La concierge,
M m0
Bénard, demandait
la joie
au
hasard, le réconfort à la chimère. Personne n'était
au courant des ter
dans
les
loteries
comme
journaux,
elle.
Toujours à fure-
de ses yeux
chaussés
de
-$— 203 luncttes
;
—
s-
toujours, aux instants qu'elle avait libres, à
courir vers les bureaux de tabac enguirlandés de bil-
blancs et bleus, à inspecter
lets
brutalement sur tous figurent quatre
murs
les
ou cinq
les
affiches offrant
L'appât de
nombres où
zéros, feux d'artifice d'or et
d'argent où resplendissent les gros lots de cinquante mille francs, de cent mille francs.
Il
que
rable à l'énormité des espérances risques.
n'y a de la
compa-
modicité des
Qui veut un demi-million pour vingt sous?
Qui veut opérer dans son existence un changement vue de
comme
la
les désirs se
M
il
y en a dans
médiocrité, de
mo
la
Qui veut passer
les féeries ?
misère, à la vie fastueuse où
transforment en réalités?
Bénard voulait bien. Elle croyait au talisman
et elle l'achetait, ce chiffon et parafé.
C'était
les millions,
pour
que l'on
elle
de papier imprimé, timbré
que l'on
créait des
faisait
pour lier
Le prospec-
où vingt sous valent cent mille francs l'ouvrier qui trime
du matin au
bruyant des coups de
sifflet
miroiter
bonnes œuvres, que
l'on instituait des entreprises nationales.
tus
de
soir
la
est lancé
dans
vapeur
grincement des machines, sur l'échafaudage où
mord
à
la
nuque, où
le soleil cuit le
l'ate-
et
du
le froid
crâne, pour l'em-
-S— 204 em-
ployé qui rêve de repos dans
de sa besogne ennuyeuse
le
mécanisme
fdle qui voudrait se marier,
pour
la
vient pas à nourrir ses enfants. Et
pour
ses
M
de plafond,
cette petite loge étroite, basse
Bénard n'a jamais
somme
un chat
genoux.
ment que cent mille telle
par-
est rédigé aussi
il
y avait une lueur, une chance de corriger me
jeune
femme qui ne
un placard et surveille son fricot avec
rouge sur
Dans
la
concierge qui habite une loge grande
la vieille
comme
abêtissant
pour
et sans lin,
si elle
réfléchi à ce
que
il
le sort.
c'est réelle-
francs, ni à ce qu'elle ferait d'une
tombait tout à coup dans son pot-
au-feu ou son ragoût de mouton. Elle n'a pas pensé
davantage que sa chance n'était qu'un millionième
ou un dix-millionième de chance. Elle que de
saisir l'occasion
tueuse que possible. billet qu'elle
et
S'il se
de
la
n'est anxieuse
rendre aussi fruc-
peut, ce n'est donc pas
un
prendra, c'est deux, c'est cinq, c'est dix.
Elle se frappe elle-même de l'impôt le plus élevé possible,
se prive
fugitive,
passer.
pour
de tout pour profiter de se jeter à la tête de la
La Fortune
comme un
astre,
reste lointaine
mais
la
possession
la
minute
Fortune qui va et
du
éblouissante billet
de
lote-
-S— 200 rie
donno
à la
—*-
bonne femme toutes
les joies
Pendant des jours, des mois, jusqu'au croit en possession
du gros
du
tirage, elle se
lot convoité, elle devient
double, une autre vie se greffe sur son existence
Tout en geignant sur son jniise. Elle a
sa
à
main du les la
tirage.
Sa
tant.
réelle.
BOrt, elle construit l'avenir
bien un mauvais réveil au lende-
Quand
elle
passe et repasse en revue
bons numéros sans y trouver
déception et
le sien, elle
connaît
l'amertume. Cela ne dure qu'un
loi est
rêve.
ins-
trop robuste. Elle ajourne ses espé-
rances au prochain tirage,
recommence
à vivre sa vie
d'illusions.
LES COURSES
Le plus de
la
Siège,
drôle,
que Paterneau, un
locataire
maison qui avait connu Pommier pendant
—
tous
compagnie, railleries était
c'est
—
pour
deux gardes nationaux dans
la
le
même
Paterneau, qui n'avait pas assez de
de loterie de
les billets
la
concierge,
un fanatiquedes courses. Clairvoyant pourautrui,
aveugle pour lui-même,
il
l'Empire, du Siège et de qu'il exprimait avec
avait conservé, la
Commune,
véhémence
de
la fin
de
des opinions
lorsqu'il s'agissait
de
-§— 206 «gqualifier la conduite
du
voisin, et qu'il ignorait
moments où
dû
se faire la leçon à
il
— Oui, —
aurait
de s'en remettre à C'est plus facile
changer déluge
que
chance du
la
Chacun pour
!
Sans compter que
c'est la
bande des hommes
de vos vingt sous, Crois-moi,
c'est
et s'en fait
mon
père
une
fonder une
donc
tes
ta
avec les amis
:
tu
le
d'affaires
qui profite
des millions contre vous. n'entre dans les ta pipe. Si tu
camarades pour
Garde
l'autoriserait pas.
viens boire une bouteille
y gagneras encore
!
bien discouru, Paterneau s'en
si
aux courses.
— Ce pas mier, — expliquait n'est
du
Après moi
!
un métier de gogo,
loterie avec les
môme, ou
qu'il avait
allait parier
c'est
pour
vingt sous, fais-en n'importe quoi, achète
une poupée à
Après
loterie...
les autres
soi
Pommier,
on ne
usine,
de
billet
bureaux de tabac que pour y allumer voulais organiser
lui-même.
du pur égoïsme
c'est
que de marcher avec
la société
. . .
!
—
déclamait-il,
aux
travail.
une
industrie,
sur
le
la
Ça
même
le
chose,
mon
rhéteur ouvrier.
existe,
un
père
Pom-
— Le
pari,
cheval. C'est
comme
un commerce. En jouant mon
cheval, c'est
comme
si
je fabriquais
argent
ou
si
—
-*— 207
quelque
j 'achetais
prends-tu,
Mon
«
mon
chose pour
père
Pommier
Pommier
père
S-
le
revendre.
ne comprend pas
»
bien, quoique Paterneau ait raison sur les
courses, pour
fait
partie
lui,
un
sont sûrement
parmi
milliers
les
les
et
milliers
très
un point travail.
du personnel qui enlève d'assaut
tures, fiacres, chars-à-bancs, tapissières, est
Com-
'.'...
:
Il
les voi-
wagons,
il
d'individus
ou riant fébrilement,
moroses,
graves,
soucieux,
tous,
face contractée, en proie à l'idée fixe, qui
la
s'en vont
au pas accéléré vers
le
champ de
comme vers un champ de bataille. A voir cette cohue marchant dans on
avec la hâte d'arriver,
croirait
le
courses
même
sens,
une bande de
manifestants, très disciplinés, très résolus, montrant
pacifiquement nette
volonté.
la
Mais pourquoi
ainsi? Ils
vont-ils
ferme résolution,
plus
n'ont pas
bannière qui porte en
sont-ils
la
réunis
plus ?
où
de drapeau, pas de
lettres éclatantes la
formule
d'une réforme ardemment désirée. Se sont-ils massés
pour rendre un
hommage
un mort
un jour
illustre,
tombe de
solennel à une idée ou à
d'anniversaire
savant, de poète,
d'homme
?
Vers quelle
d'Etat, préci-
—
-£- 208 ainsi
pitent-ils
leurs rangs
§-
à
Iraient-ils
?
la
ren-
contre d'un orateur populaire ou d'un général victo-
rieux?
échangent parfois
Ils
des mots d'ordre,
inscrits
presque toujours des qui
résonnent dans
Albion... Le
nom
ils
noms l'air
où
sont
parlent, et ce
sont
des billets
glorieux et significatifs
Bayard, Vercingétorix,
:
d'Albion revient souvent dans
les
phrases échangées. Cette foule paraît animée de
la
haine de l'Angleterre. C'est ainsi que ce peuple de vive
humeur,
d'his-
mouvementée, d'annales héroïques, emploie
toire
force d'humanité aux jeux de la cote et
pour améliorer
lations des éleveurs,
La
lutte
de vitesse qui se
livre le
sa
aux spécu-
la race chevaline.
dimanche occupe
aussi la semaine, est l'objet des conversations dans les endroits
publics et privés, à
cabaret, dans la rue, dans la
Les
noms
partout
le
chambre de
café,
au
l'ouvrier.
des chevaux sont prononcés partout, de prix
du
labeur,
la
pièce d'argent opiniâ-
trement gagnée, s'en va, là-bas, vers de courses où galopent
devenues
au
l'atelier,
les fétiches
de
les
longues
l'attirant
champ
fines
bêtes,
et
la ville.
Paterneau s'habitue ainsi à tabler sur
les
aubaines
->- 20C)
du Bport,
esl
«le
le
le
turf
comme
la
concierge,
le
Il
comme
seul labeur désormais digne de sa personne.
devenu, exactement la
meilleur emploi de son
le
considérer sa présence sur
à
a la con-
Il
plus juste rémunération de ses peines.
et la
en vient
gaina alléchants,
bons rendements*
viction d'avoir découvert
temps
$-
par quelques
ébloui
quelques périodes
—
est
Il
joueur à
passion inquiète, qui ne peut plus vivre que par
fièvre tcuil
du
jeu, et c'est à tort,
ou de Longchamp,
qu'il jette
supériorité méprisante vers
classement de ses Il est
billets,
bien pareil à
lorsqu'il revient
M
uu
un coup
des
d'oeil
de
Bénard, occupée au
au pointage de ses numéros.
elle.
/.
Une
la
d'Au-
meilleures
comédies
devant Cécile fut la noce de Julia,
1
NOCE jouèrent
qui
se
fille
d'une blan-
chisseuse de l'impasse Ronce, rue des Amandiers. Julia avait été à l'école avec Céline, était restée l'amie
des deux sœurs, et ne
cérémonie
et
manqua pas de
les inviter
à la
au déjeuner de son mariage. La mère,
après quelque hésitation, consentit à cette journée
de plaisir tant désirée par
les petites. 18.
-S— 2IO —§-
Céline
et
samedi-là,
Cécile,
yeux impatients
rue bruyante du avec
chevaux conduits par un cocher accoutré
en postillon, s'arrêta devant fillettes
la
Enfin, une grande tapissière,
réveil matinal. forts
ce
guettaient l'arrivée de la voiture, fouil-
lant de leurs
trois
depuis une longue heure,
la
maison. Les deux
descendirent vite l'escalier, répondant à peine
aux dernières recommandations de leur mère. Déjà, devant la porte,
ment du
y avait un rassemblerempli de commères
couloir était
et l'étroit
avides de contempler les demoiselles
voisinage,
Pommier
il
partant pour la noce en grandes toilettes.
Les deux sœurs étaient habillées de même, un foulard léger, gros bleu, à pois blancs,
un chapeau de
paille
blanche avec des roses. Quoiqu'elles fussent unifor-
mément
vêtues toutes deux,
Céline paraissait être
plus à la mode, mieux ornée, avec les bouts de dentelle qu'elle avait l'air
d'aller à
la
cousus çà
et
noce. Cécile,
petite fille qui va à
là.
Elle avait bien
elle,
semblait
une distribution de
une
prix.
Elles passèrent vite devant les curieux, montèrent
dans
la voiture,
mations.
En
au milieu des bonjours
et
des excla-
escaladant le marchepied, Céline voulut
-*— 2
I
prouver au quartier que dessous
comme
et coquette,
pas assez, la
dessus,
—£-
sa
et,
toilette
en petite femme vaniteuse
de ses jupons. La cheville les
— Beau brin de — Et du toupet
bas bien fille,
parfaite
était
fièrement, plutôt
elle releva
le flot
jambe ronde,
I
—
trop
que
était fine,
tirés.
dit
une des commères.
!
De
sa
fenêtre,
la
mère
assistait
au départ. Son
regard se croisa avec celui de Cécile. Céline triomphait, sière
ne voyait qu'elle-même, emportée par
comme
faisait
par
un char de triomphe. Le
la tapis-
postillon
claquer son fouet. Les chevaux trottaient. Les
deux sœurs convenu
étaient seules dans la voiture.
Il
avait été
qu'elles seraient cueillies les premières,
dans
leur rue de Belleville.
— Où allons-nous? — interrogea Céline. — Chez marne Friquet, Chaussée Ménilmontant. La
voiture
bourgeoise.
On
s'arrêta
bientôt
devant une
attendit assez longtemps. Enfin sortit
une dame empanachée de plumes enfermée
maison
comme
grises et
mauves,
dans une armure par une robe de
soie grise ornée de perles
en acier. Une grande chaîne
d'or dite « chenille » lui contournait le col, la poi-
-
212 trine et le ventre. Elle avait exhibé
pour
la
circons-
tance toute sa parure de grenats sertis d'or, bagues, bracelets, boucles d'oreilles et broche. Elle salua d'un
bon gros sourire
les
deux sœurs,
élevée, leur souhaita ainsi le
—
Nous sommes
et,
en personne bien
bonjour
:
mesdemoiselles,
destinées,
à
passer ensemble la journée d'aujourd'hui... Je vous salue bien, mesdemoiselles
—
!
— dirent
Bonjour, madame,
les
deux
fillettes,
d'une seule voix.
— Avez-vous mante et
fille
!
vu, hier, la mariée
Quelle char-
son père aussi. Ce sont de bien honnêtes gens,
qui méritent
vous de
le
bonheur qui leur
mon chapeau?
Très
locataires qui est
moi.
trouvais
Je
le
arrive...
joli, n'est-ce
une de mes
«
?
Je fréquente sa mère depuis vingt ans
venue
un peu jeune.
Voyons, madame Friquet, vous
quante-neuf ans, vous
—
vieillir
C'est la propriétaire,
—
déjà
Que
dites
pas? C'est
le choisir
Elle
m'a
avec dit
:
n'allez pas, à cin!
»
souffla Céline,
impres-
sionnée, à Cécile.
—
Ou
méfiante.
la
concierge,
—
murmura
Cécile, plus
On
ne pouvait pas savoir, en
comme
au faubourg les
rent
La
mêmes
La
effet.
ailleurs, toutes les
falbalas
comment
:
mode règne
femmes arbo-
s'y reconnaître?
voiture roulait de nouveau, atteignit,
Delaître,
|>;n
rue des Panoyaux, stationna devant une
la
boutique de marchand de vins charbonnier. petite
avec
femme le
remuer
Une
toute rose, toute ronde, toute poupine,
en accent
nez clans
sa
circonflexe, osant
robe de soie brochée,
comme
tremblotante voiture.
rue
la
de
Un chapeau
peine
poitrine
la
se hissa
la gélatine,
de
à
dans
la
Rembrandt
velours à la
l'ombrageait d'une longue plume noire. Les mains
immaculé.
étaient gantées d'un blanc
Le cocher
— fort
allait repartir.
Attendez Chantagnac accent auvergnat,
—
î
il
Eh! Chantagnac,
\a venir...
—
lui dit-elle
ferme les
la
dames
un dernier coup d'œil aux
à côté de sa
de forme,
homme
clef à la
volets,
monta
femme. Redingote, chapeauté d'un haut
la
moustache
rasée,
avec
barbe noire, des anneaux d'or aux
un
il
t'attendent.
Chantagnac, après un dernier tour de serrure et
avec un
boutique...
réservé qui
un
collier
oreilles,
de
c'était
ne disait pas un mot,
et
-s- 214 -§-
du dimanche. Sa
paraissait gêné dans ses vêtements
femme,
penchait sans cesse vers lui pour lui
elle, se
dire bien haut
:
— Je chuis bien contente, Ghantagnac, beau temps, pour une
fois
qu'il fâche
que nous chortons enchem-
ble!...
Enfin
rue des Amandiers, à
voiture parvint,
la
l'entrée de l'impasse
Ronce. C'est
là qu'habitait la
mariée. Des marchands des quatre saisons bouchaient le
Que
passage.
faire?
Mais gens du peuple
traident quand c'est pour la rigolade, et voitures s'en allèrent
stationner
ailleurs.
voisins étaient aux fenêtres. D'abord, parce
une noce pathique.
vue petite
ensuite, parce
;
que
Elle était née dans et
on
l'avait
la
mariée
l'impasse,
vue grandir
:
elle
s'en-
les petites
Tous
les
que
c'était
était
sym-
on
l'avait
appartenait
au quartier presque autant qu'à sa maman. C'était
une valait
fille
de
bonne conduite,
même mieux
travailleuse,
que sa mère, puisqu'elle
pas gueularde et cancanière
comme
la
et
qui
n'était
rude blan-
chisseuse, taillée en lutteur de foire, le verbe haut, la répartie vive et la
main
leste.
Si celle-ci n'était pas aimée,
elle était respectée,
.
—$
-5— 2ii>
On
parce qu'elle était crainte.
lui
fit
place
d.'s
qu'elle
surgit devant sa boutique, avec L'allure d'une ancienne reine de
Mi-Carême qui
— Et — Zut!
votre
fille ?
Elle n'en finit pas, c't'empotéc-là
Personne n'osa
dans
la voiture,
prise de travers. Elle
Chantagnac
:
monta
reçut le bonjour de Céline et Cécile
embrassa
invitées par sa fdle, les
!
piper », risquer une parole
«
l'aurait peut-être
elle
a gardé son autorité.
:
ne
elle
les
M mo
Friquet, inspecta
connaissait pas. Ceux-là
avaient été convoqués par le marié, n'étaient pas de
A
sa rue. et
côté d'elle, vint se placer son mari, vieux
robuste garçon de café.
— Mets-toi place.
Tu
sais,
—
là,
lui
tu y as
Les autres, c'étaient
dit-elle,
droit le «
eux des yeux à
roulait vers
—
comme
côté »
prends
ta
les autres.
du marié,
faire
les
et
et elle
Ses
trembler.
invités, à elle, arrivaient aussi, ouvriers, ouvrières,
employés, commerçants. Ce furent des bécotements, des
:
«
Mon
Gros lapin
petit
!
.
.
Ma
petite
!
.
.
.
Grosse chérie
!
.
.
!... »
Une femme ayant dernière.
.
le
Celle-là fut
profil
saluée
d'une assiette parut
du nom de
«
la
petit
.
-$- 2l6
loup
— Et Jasmin?... Toutes M"'
e
§-
Elle paraissait être la choyée de la bande.
»
!
—
les
Où
est-il,
ton Jasmin?...
femmes réclamaient son Jasmin.
Friquet insinua avec courtoisie qu'il y en
On
aurait sur la route, chez la première bouquetière. la
avec dédain.
toisa
pas dans
— Le
le
Elle
comprit qu'elle
n'était
mouvement.
voilà
Au même
!
le voilà
!
.
.
instant voltigeait sur le marchepied
gros monsieur blond, trop bien vêtu, une fleur à
un la
boutonnière.
— Jasmin, mon gros Jasmin mon adoré, mon béguin — dirent plusieurs voix de femmes. — !
Ici
!
ici
!
à côté de
On
M
auprès de
les
Chantagnac,
la
se plaça
de lui-même
nouvelle, qu'il trou-
fait
des traits!
— pleurni-
femmes. lui, rigolait
dans son
n'es pas jalouse
poussée à une
Le
Jasmin
Jasmin nous
Jasmin,
— Tu
mc
doute de son goût.
— Ah! chèrent
!
l'arrachait.
se
vait sans
moi
!
femme que
profil d'assiette fit
triple
menton.
que ton mari tu n'as
fasse de la
jamais vue?
son aimable
:
— Tiens!... un jour de noces
!...
Et
moi
je
m'en
fiche, je le retrouverai ce soir.
Grâce à Jasmin,
gua plus
le «
côté »
la
glace se fondit, on ne distin-
du marié de
celui de la mariée.
furent bientôt tous copains.
Ils
— La mariée
!
la
mariée
!
— scanda-t-on sur
l'air
des lampions.
— Bon dit la finit
Dieu
ne se décidera donc pas,
elle
!
mère, suant à grosses gouttes.
pas de bavarder avec son futur
—
et ses
—
Elle n'en
demoiselles
d'honneur!... Père, va donc voir.
La mariée fille
saine
se
montra
enfin. Elle était jolie
du peuple, des yeux bruns limpides,
:
une
naïfs,
mais résolus. Vingt ans qui en valaient vingt-cinq. Elle entrait dans la vie,
comme elle
descendait dans
la
rue, la connaissant déjà. Elle avait travaillé et peiné.
D'aspect,
elle
Fépreuve de visage, la
paraissait la
bouche
femme,
maternité. était
toute prête pour
Malgré
la
douceur du
douloureuse, réfléchie, prête
à la riposte sceptique, l'arc et les flèches, les
de
la
armes
femme.
— Vive
la
mariée
!
Elle monta, prit la place d'honneur,
qu'on
lui
-t— 2l8 —§offrait,
marié près
le
agréable
d'elle.
Il
quelconque
était
:
banal jeune ouvrier déjà stigmatisé par
et
l'existence.
Les voix du quartier honorèrent encore
au départ de
— Vive Au
la
mariée
trot vers
fut la
mariée
!
mairie. Mais, deux cents mètres
la
plus loin, toute la voiture
Ce
la
la tapissière.
mère de
commença
d'avoir soif.
mariée qui ressentit
la
pre-
les
mières atteintes du fléau.
—
pépie
J'ai la
Le mal
se
apporta des vin rouge.
—
gagna Les
mastroquet.
!
dit-elle.
vite.
invités
litres et
On ne
fit
halte devant
bougèrent
On
pas.
des verres dans la voiture.
La mariée
seule refusa
:
elle
un
Du
ne buvait
jamais que de l'eau.
— Poule mouillée — !
dit sa
mère,
sacré canard!... C'est pas étonnant si
si
— ou plutôt t'as les lèvres
blanches.
A
la
mairie, toute neuve, place des Pyrénées, la
foule était compacte. Les premiers rangs seulement
entendirent les phrases du maire
On
défila, et
Ton
se précipita
et les
deux
« oui ».
au comptoir d'en
face,
219
-s— reboire à
La
—s-
santé des nouveaux époux. Les libations
auraient pu durer Longtemps;
les
mençaient déjà à déclamer
et à
chanter
ramener quelques-uns de
force,
revenues dans
la
voiture et
pitié ces invités incapables
Après
la
ne vint pas tout de
— Le Le
fallut
il
dames
auprès des
qui
en
regardaient avec
de se tenir en société.
le
curé en surplis
suite.
On
riait,
et
le
en
on jasait.
Chut! chut!
v'ià...
curé
;
mairie, descente sur l'église. Après
maire en écharpe tricolore, étole. Il
émus com-
plus
prestement
traversa
pénétra
F église,
dans une petite chapelle du côté droit, dédiée à saint
Sébastien,
le
martyr, en plâtre colorié,
hérissé de dards.
s'élirait,
donnée
où
:
le
La bénédiction
fut vite
curé avait à multiplier cette bénédiction,
de chapelle en chapelle, où de modestes couples attendaient que l'Église consentît à leur union.
peu de
latin, la
quête sur un plat d'argent, quelques
coups de canne du bedeau sur
monie pas taurant
!
Un
chère. C'était
fini.
les dalles
En
:
une
route pour
céré-
le res-
Midi sonnait.
Cette fois, chacun, dans la voiture, s'installa à sa guise
:
on
avait
eu
le
temps de
faire connais-
220 —§-
-a— sance.
Néanmoins, toutes
les
dames voulaient
être
auprès de Jasmin. Ses petits yeux gris, son gros ventre, sa forte corpulence, son assurance à dire,
en clignant de
conquis tous la
l'œil, « qu'il s'y entendait », avaient
cœurs.
les
fallut
Il
mariée pour rétablir Tordre.
l'intervention de
Celles qui durent
battre en retraite poussèrent des soupirs de regret,
de petits cris pleurards,
des bêlements d'agneaux
séparés de leur mère. Elles se consolèrent en cajolant la
On
femme de Jasmin arriva chez
dont
Belleville,
l'immense
l'enseigne
table,
ne
la
çon
«
Aux
festin,
Cent devant
une embrassade générale. beauté de
et l'honnêteté
la
du marié,
Les dames demandèrent au gar-
à se laver les
puant capharnaùm, cheveux,
du
:
la toilette, sur la
bonne mine
tarissaient pas.
du boulevard de
portait
salle
la
ce fut
Les exclamations sur mariée, sur
qui, elle, possédait Jasmin.
restaurateur
Dans
couverts.
mille
un
mains se
elles
»
.
Dans un
faisaient
étroit et
mousser
les
visage de poudre de riz
se plâtraient le
grasse et musquée, remontaient leurs jarretières, tout
en se complimentant sur Céline était sûrement
le la
goût de leur
toilette.
plus gentille, mais
elle
221
ne se trouva pas parfaite, car
elle
allumette, souffla dessus, épointa
fit
flamber une
bout dans ses
le
doigts, s'approcha de la glace, allongea ses yeux,
Le crayon rouge eut
noircit ses cils et ses sourcils.
son tour
:
délicatement,
elle le
passa sur sa bouche,
aviva de deux touches la lèvre supérieure, et remit
dans sa
l'étui
poche.
Puis
houppe adoucit
la
le
maquillage.
— Cette mâtine — dirent !
Dun
air
de contentement, Céline se tapa sur
croupe, cambra sa était
pour
taille,
faire savoir
la
quelle
accomplie en tout point. Marne Friquet, qui
n'était
nir
dames.
les
pas souvent de noce,
son
qui ne savait conte-
exubérance, s'extasia devant
trouva cette conclusion
— Ah
et
ma
!
la
fillette,
et
:
belle, ce qui vous
manque
à vous, ce
sont des rentes.
La longue mentation,
table
n'était
fleur naturelle.
n'avait
pas
égayée de
Rien que
moindre orne-
la la
parure d'aucune
de
les fleurs d'oranger
la
mariée dans un vase en porcelaine bleue, tenu en réserve par
mariées.
la
Les
maison pour tous assiettes
épaisses
et
les les
bouquets de gros
verres •y-
4— s
222 —$-
alignaient pour ces naïfs, qui faisaient de meilleurs
un luxe
était
noce
chez eux, mais l'idée d'être à la
repas
Les sardines,
suffisant.
leur
ronds de
les
saucisson, les radis, que c'était chic, tout cela le
grisâtre
Quelques-uns
î
mander, mais
il
en avait plus. La mère de
n'y
bué trop mesquinement,
prudemment de
La mariée, de temps son mari, placé en
face d'elle. Ses
gifles
envoyées brutalement par
femme
patron
en
:
celui-
la
furie.
yeux sur
yeux bruns
d'une vie nouvelle
la joie
trop souvent changée la
vin était distri-
à autre, levait les
disaient
de
le
la
paraître.
doux
cris
le
appeler
fit
Et
en rede-
se hasardèrent à
mariée se plaignit alors parce que
ci s'abstint
!
avec une sauce
en portions,
poisson distribué
:
main de
sa mère,
Les reproches,
jalouse de son bel
si
plus de
homme,
les
dégé-
néraient en brutalités hystériques. Le père de Julia était
de
bon pour mégère.
sa
elle,
mais
faible
devant
échapperait
Julia
à
les
fureurs
tout
cela,
ne pleurerait plus de tristesse des heures entières. Il
y aurait
ménage, par
là
!
la
difficulté
c'est vrai,
Du
travail,
des
commencements
de
mais tant d'autres en passaient de
la santé,
des petits à élever,
un brave
—*-
>-
223
et
elle,
homme,
ouvrière, c'était son rêve
une sage
si
:
on ne devient pas riche
on peut du moins joindre
ainsi,
Lui, nulle
la
idée
éveillait
la
d'avenir convoitise
soir.
Toutes
pour
sa vie d'ouvrier,
ses
tôt ses tribulations
Cécile regardait.
aux
et
:
;
nels entre eux, et !
mais sans seule
:
sur cette
il
les avait faites
le
lendemain
femme
s'y le
utile
avant de
la
apporterait assez
inutile d'y songer d'avance.
mêlée aux
Elle ne s'était pas joies.
On
lui
sœurs
appris
avait et
ses frères,
bien qu'ils n'étaient pas
elle devinait
que de différences
que mais
tous fraterelle
s'avisait
Elle voyait la mariée courant à l'essai
du bonheur, mais son mari peu et
esprit
du jeune marié attendant
toutes et tous étaient ses
de découvrir
son
réflexions
demander en mariage
bavardages
deux boul>.
les
guignait parfois en souriant,
dans
économe
et
fait
pour
la suivre,
dans sa jeune tête venait la pensée que la desti-
née se charge de classer
les
êtres,
que
la
plupart
obéissent au sort sans rien discuter ni rien vouloir.
On
apporta
les
gigots de
mouton
:
ils
étaient
superbes, dorés, croustillants. Leur apparition fut
acclamée d'un ban, puis
ils
retournèrent à
l'office
pour de
découpés
être
chair
pâle
et
Heureusement,
il
:
*
224
-S—
l'accompagnement de
y eut
salade, relevée de « chapons ».
vie.
Puis
Le bruit augmenta. Chacune pour chanter
voiserie,
couplets d'opérette.
:
au souvenir de sa jeunesse tête.
D'autres
mélodies langoureuses,
M me
et
d'eau-de-
débridées
une
l'école. le
la
attendries
d'autres
prétentieusement, balançant
dune
et
chacun eurent
et
marquait
étaient
de bergère apprise autrefois à
paroles
la
Friquet pleurait
allusions égrillardes. Cécile chanta
les
fromage
complainte, romance, gri-
leur tour
avec sa
le
le café, les flacons
frangipane,
la tarte à la
sans saveur.
tiède et
violacée,
morceaux
en
revinrent
ils
par
les
par
petite
les
ronde
Céline susurra
col et
valse lente qui
mesure
les
faisait
hanches, fureur au
faubourg. Presque toutes, après leur chanson, enva-
femmes inventèrent de
hissaient Jasmin. Puis les
prêter leurs
se
hommes, pour des jeux innocents qui finis-
saient par des baisers, des a bécots » prolongés. Les
yeux semblaient
rire
pour cacher leur émoi.
Si la
limite était excédée, les voix sages rappelaient à l'ordre,
on prenait à témoin
choyé. Cécile
s'était assise
la
femme du mari
dans un
trop
coin. Céline, in té-
—
-§— 22t) ressée
avide, aurait bien voulu être de
et
L'heure du départ sonna, cée. Les
les
faire la conduite.
de
la
mère de
Il
avaient servis, le patron vint
dut enfin subir
de vin dans un repas à tant la noce était
trois francs
faisaient plus qu'une, formidable.
boulevards
extérieurs, ce
brun rencontré,
femmes les
blonde qui traversait
du
réprimande
la
par
manque
tète.
Pour-
suffisamment abreuvée.
Les chevaux n'allaient pas assez
continuelles, les
annon-
des poignées de main
mariée, qui se plaignit du
la
partie.
la
la tapissière fut
hommes donnèrent
garçons qui
.m \
J-
furent
vite.
Les voix n'en
Tout au long des des
plaisanteries
jetant des baisers
hommes la rue.
criant
une
au beau
invite à la
Enfin, on fut à la porte
Bois. C'était le délire, c'était bien la « noce ».
Des camelots montèrent sur tapissière,
blanche
offrirent
et or
avec
piqué au centre ralliement.
Aux
:
pour
le petit
accord
:
marchepieds de sous
bouton de
la
la
cocarde
fleur d'oranger
chacun voulut avoir ce signe de
Acacias, fut croisée une autre voi-
ture de noce toute pareille.
mun
les
deux
On
s'arrêta,
en une enjambée, on
à l'autre, se féliciter,
fraterniser,
alla
d'un com-
d'une voiture
échanger
les
co-
226
-S—
-si-
Des voitures de maîtres
cardes.
une lenteur d'enterrement.
défilèrent ensuite, avec
Un
coupé passa,
attelé
de deux magnifiques chevaux fringants, mené par un cocher à double menton, qui tenait un fouet garni
dun
bouquet
petit
et
d'un
Ceux de la
sèrent
un regard et la
!
une chic
!
tapissière lancèrent des cocardes par
la
glace ouverte
rienne
de rubans blancs.
flot
— Vlà une autre mariée
du coupé. Les deux mariées
croi-
rapide, se comparèrent, la faubou-
bourgeoise, animées du
même sentiment
d'orgueil féminin.
— — Oh ce — Et l'équipage!... Bravo pour qu'elle est jolie
!
mariée!
la
La mariée chic avait détourné
chœur.
reprit le
!
le
visage d'un air
embarrassé, pendant que son mari relevait brusque-
ment
la glace.
— Oh! quel fourneau!... — une clama panne — Tiens, en encore une là
là!
v'ià
mince
!
Mais
F
n'en
manque
pas
cette mariée-là,
cée qu'elle était tillée
Eh
va donc!
voix.
!
dans son
dans
le
!
Vive
on ne
la
la
autre...
mariée
Ben!
!
voyait pas, enfon-
fond de sa voiture, entor-
voile. Seul, le
marié trouva
la ren-
contre drôle, et voulut bien, en jeune viveur aimable, se
prêter à
circonstance.
la
Il
envoya, do sa main
gantée de blanc, des petits gestes protecteurs à ces braves gens, qui se figurèrent avoir été salués an
de Boulogne par un monsieur de
La
tapissière franchit
le
haute.
la
pont de Saint-Cloud.
Les grands cafés de
fallut reboire.
lois
I
la
Il
place ne furent
pas abordés, on alla à la découverte d'un mastroquet.
Les uns burent sur tables.
Ceux qui
se servir
comptoir,
le
aux
avaient de l'entrain firent
petites
mine de
eux-mêmes, sans laide du patron.
— Non, messieurs
avec ce genre-là, je fermerais
:
boutique dans huit jours
On
les autres
entra dans
le
!
Sous
parc.
tente d'un
la
café
installé en plein air, l'absorption de l'apéritif se célé-
brait par de la lons.
En une
la
seconde,
Devant
cavaliers.
de
musique. La noce courut vers
la
les
les vio-
danseuses choisirent leurs
foule
attablée,
au beau milieu
route poussiéreuse et sans ombre,
les
couples
valsèrent. Ils n'avaient jamais eu telle aubaine
orchestre!
et juste!...
promenade dans moindre
le
fleur avait
La danse
parc.
On
fit
fut
suivie
:
d'une
des bouquets.
une valeur pour ces
un
La
habitués
du pavé de
On
Paris.
prit d'assaut
un manège de
chevaux de bois. L'enthousiasme fut à son comble.
La noce tourna éperdument, croyant de pur sang pour une galopade en
Tout soleil.
une
a
On
comme par
:
se sépara
montant, en s'oublier
fin
:
se
on
s'être
emparée
forêt.
on dut repartir au coucher du au bas de
la
Chaussée de Ménil-
jurant de se revoir, de ne jamais
était
amis pour
la vie.
Céline et Cécile,
tous les invités, furent reconduites chez elles
pendant que
la voiture,
les
mariés, bras dessus,
bras dessous, se dirigeaient vers
commencer pour eux que vivent tous
le
le
logis
drame humble
et
où
allait
profond
les êtres.
APBÈS LA NOCE Cécile ne revit Julia que deux ans après, qu'elle
M
me
fête.
comme
voulut,
ses
Bausse, sa patronne,
La
du jour
sainte
compagnes,
un pot de
se révélait
fleurs
un jour offrir
à
pour
sa
aux passants par
des petites voitures, des kiosques garnis de fleurs, des ardoises
où
le
nom
chaque pas, des
de Louise
était tracé à la craie.
rosiers, des fuchsias, des
A
géraniums,
.
-S— 229 arbustes verts et fleuris,
vendeuse en quête
d' «
—
s-
amoncelés autour d'une
une bonne journée
Beau
».
coup, nullement du métier, mais ouvrières sans vail,
tra-
avaient acheté leurs marchandises de quelques
sous économisés ou empruntés. Cécile chercha les
un pot de
fleurs les plus
verveine. Ses
fraîches, avisa
yeux interrogeaient
la
mar-
chande.
— Tiens, — Vous voyez,
Julia
!
Que
Cécile
faites-vous ici? !
— Vous n'êtes donc plus blanchisseuse — Oh! que mais ça ne marche pas
?
si,
bien.
Il
nagent
y a tant de concurrence
si
souvent
toujours
et les clients
démé-
Et d'autres qui liardent, qui paient
!
mal, ou pas du tout... J'ai acheté un petit fonds de blanchisseuse
mon
mari
:
est
— Pauvre
c'est
dur pour
le
payer, surtout que
souvent sans ouvrage.
Julia
!
voilà
deux ans que
je
ne vous
ai
vue, vous m'excuserez de ne pas vous avoir rendu visite
après votre noce. Mais, je suis bien prise aussi.
Je quitte
l'atelier tard.
Quand
ou deux heures en plus, qui dimanche,
c'est
le
je peux, je fais
me
.
une
sont payées. Le
grand nettoyage à
la
maison,
-§— 230 =§-
peine
à
j'ai
—
Ah
temps de coudre un peu pour moi.
comme on mon mari se
tout ne va pas
!
pas, Cécile?
heure,
le
Aux
fêtes,
bonne
va aux Halles m'acheter des fleurs. Les
il
journées sont bonnes quand le
veut, n'est-ce lève de
ne pleut pas. Je gagne
il
double qu'à rester chez moi,
une journée, rattrape
— ne vend pas avec vous — Non, vend près Il
tout
il
et
semaine de
sa
Auguste, dans
relieur...
?
d'ici,
sur
le
boulevard
extérieur. C'est lui qui se charge des plantes vertes c'est
plus lourd à manier. Le bénéfice est plus
— Vous
êtes
affectueusement
— Oui, bien.
Il
heureuse en ménage, Julia?
vailleur, faut
est
mais on a beau
de l'ouvrage.
métier de blanchisseuse. n'a rien à faire,
ouvrage,
et
dit
un bon garçon qui m'aime
travailleur,
Il
partout, à Paris, maintenant
il
—
la fdlette.
Auguste
est
:
fort.
il
vient tant d'ouvriers de
Je lui
!
Que
m'aide.
être tra-
ai
appris
voulez-vous? Il
me
prépare
mon
Quand le
gros
nous repassons ensemble.
— Vous avez des enfants — Un mignon comme ?
seul. Il est
belle-mère qui
le
garde pour
le
tout. C'est
moment.
ma
.
—*-
-s— 23i
— Et — Nous
votre
ménage
mère
.'...
sommes
fâchées.
nie faire des scènes...
comme
des claques,
Ta prise par
les
si j'étais
épaules
et
KM»-
Un
dans
venait
mon
jour, elle m'a fichu
encore
à
elle,
Ta flanquée
Auguste
à la porte.
— toujours dure — Pas dure, nerveuse, mais ne vaut guère mieux — Votre santé bonne vous avez en Juin. — Ce passé par pas ma Elle a
été
?
ça
est
forci,
:
faute, allez, car j'ai
n'est
bien des soucis!... Nous avons eu un enfant avant celui-là
monde
un garçon
:
:
aussi. Il est
sage-femme
la
s'y était
mort en venant au
mal
prise...
bien de la peine. Nous étions
a fait
J'avais préparé sa layette, et
M
me
si
Ça nous
contents
!
Friquet, vous vous
rappelez? m'avait donné bien des choses qu'elle avait
d'une locataire. C'était pas neuf, mais dentelles.
m'avait
Et maman,
fait
cadeau de
qui la
devait
robe,
il
y avait des
être
marraine,
une
belle robe
cachemire blanc toute soutachée... Pauvre
Quand
j'ai
parce qu'il
dans
mon
demandé était lit,
à le voir, on ne voulait pas,
mort, mais je
jusqu'au
au cimetière. Quand
de
petit!...
l'ai
eu près de moi,
moment où on
l'a
emporté
la petite boite est arrivée,
on
l'a
couché sur
mon
oreiller,
qu'il devait porter à seul...
de
mon
— Pauvre — Oui !
que
c'est le
lui a
son baptême,
personne derrière
faire
on
lui
:
mon
mis
la
et
est parti tout
il
mari
belle
était
robe
obligé
ouvrage pendant mes couches. Julia
!
enfin,
vous en avez un autre.
et tout le portrait
même
— Peut-être,
du premier
:
on
!
Julia.
Et Cécile s'en va avec son pot de verveine.
dirait
AVB"ERT.i
c
IV
IV.
La
—
LATELIER ET LA RUE
patronne chez qui Céline toutes
turière «
à
deux leur apprentissage
Cécile faisaient était
une cou-
façon » de la rue Julien-Lacroix. La
mère, en présentant ses bienveillance et
M mc
et
un
filles,
Bausse avait promis l'une
Le logement
avait
demandé de
sérieux enseignement
était
la
du métier.
et l'autre.
modeste. La cuisine,
l'atelier
-§« 236 —§-
ouvraient leurs fenêtres sur la cour. Seule, la chambre
M m0
de
Elle
Bausse
de sa mère donnait sur
et
en
servait
même
L'armoire à glace obligatoire
du
majestueuse, auprès Céline
vite
s'était
M mo Poulain et M première
la «
»,
llc
lit
liée
M
lle
reluisante et
s'élevait,
d'acajou.
avec deux des ouvrières,
Mélanie, mais non avec
M
1,e
Rose,
désignée ainsi parce que, entrée
apprentie dans la maison, elle
devenue
d'assiduité,
la rue.
temps de salon d'essayage.
«
était,
après huit ans
main
première
Rose, âgée de vingt-deux ans, ne
»
aussi
:
riait
jamais
avec ses apprêteuses. Sa figure plate et peu avenante, ses
yeux sans regard ni couleur
la familiarité.
M mc
Céline lui préférait
Poulain, pendant
ment, venait donner reste
tait, le
qu'un
vieil
rant. Cette désirait
en
le «
rares
et
le fort
coup de
M me
de
la
ami,
disait-elle, lui avait
femme, qui paraître
jaunes, filet
Poulain. saison seule-
collier ». Elle vivo-
du temps, d'une modique
rente viagère
léguée en
mou-
portait soixante-cinq ans et
modestement
s'appliquait à conserver
comme un
n'incitaient guère à
quarante -cinq,
une allure jeune. Ses cheveux
son teint citron,
ses rides
jetées
sur son visage émacié et macabre, ses
237
dents longues, ses yeux bleu pâle, fatigués lorés, surprenaient les jeunes
filles
histoires sentimentales de son
et
hommes
que tous
étaient fous d'elle. Elle ne pouvait faire
un pas dans
la
rue sans qu'ils fussent à ses trousses.
L'un d'eux, même,
«
pour
qu'elle
l'indifférence
voulut » se tuer de désespoir,
avaient sacrifié leur avenir,
pour
le
riche,
autre ensuite,
pour
elle,
jamais,
D'autres
compromis leur
situation,
un mot
d'elle. Elle
en
mais malheureusement poitrinaire.
Un
mais marié. Celui-là abandonna tout
mais
sa
famille
veillait
il
:
disparut à
— enfermé, empoisonné, poignardé peut-être
Les ouvrières
regardaient
la
née aux aventures, triste fin la
montrait.
lui
seul espoir d'obtenir
aima un,
les
existence. Elle avait
été « si ravissante, tellement merveilleuse », les
déco-
qui (roulaient
de vie
:
la
comme une
plaignaient de sa banale et
— une
si
belle
décrépitude et n'ayant plus que
regret de ses
!
prédesti-
amours passées
!
femme, le
arrivée à
souvenir et
le
Parfois, sceptiques et
ironiques, elles plaisantaient ce vétéran, toujours à
radoter ses victoires anciennes.
M Uo Mélanie
était la fille
d'un accordeur de pianos
qui gagnait suffisamment sa
vie.
On
l'avait confiée à
+m
M me
Bausse avec toutes
sibles.
—
2 38 les
§-
recommandations pos-
Elle habitait à trois maisons de
même les
six heures,
son dé, ses ciseaux, mettait son chapeau chez
pour
elle.
Sa mère préférait son
la voir
revenir plus
tôt.
pendant qu'elle descendait
allait vers la fenêtre
six heures son-
M me
Bausse,
patronne
l'escalier, la
de sa chambre, surveillait
l'in-
porte de sa maison. Cette
génue bien gardée jusqu'à
la
Mélanie, à seize ans, avait
l'air
convient à la
et rentrait
salaire plus restreint
Donc, à
nant, Mélanie se levait, disait bonsoir à et,
Mais, à
là.
jours de presse, Mélanie serrait
réservé et sournois qui
d'un père ponctuel, intransigeant
fille
sur l'éducation des jeunes personnes, et
mesquin, simplement
desprit étriqué et
vivre chez elle en faisant son
dune mère satisfaite
ménage. Mais
de
ou
le vice
femme,
se lisait
aux yeux trop hardis, dans l'expression de
la petite
plutôt l'instinct, l'envie de devenir
figure banalement
mère prudente chants de sa
régulière.
La mère
fille,
mais
la
mère
bonnes apparences, soucieuse tance entre sa « demoiselle » et L'été, et
n'était
pas
et avertie, attentive à corriger les
même
infatuée, férue des
qu'il 1'
la
pen-
y eût une
dis-
« ouvrière ».
aux beaux jours d'hiver,
la fenêtre
—s-
-s— 239
de
l'atelier restait
maison vivaient vacarme de
M
mo
ouverte sur ainsi
paroles.
en
pêle-mêle, C'était
Bausse ne pouvait
de temps en temps,
cour. Les gens de
la
la
gênant
se fâcher
avec
un perpétuel parfois.
Mais
les voisins, et,
conversation s'engageait. Le
bruit des bavardages n'était rien, toutefois, auprès
gammes, études
charivari de
la
<lu
morceaux, mené
et
du
pendant des heures entières par
les
sième, une famille de tziganes,
composée du père,
de
la
mère
et
jour, vers six heures,
De
les trois vers Paris.
ses
même temps
et
aînés.
leur logement tombaient des
que s'entassaient sur
aux grondements
la
barre d'appui les
de pain dépices, aux yeux noirs
des pruneaux. La mère ne cessait pas de
rigéner
ces
débraillés,
l'autre, talochant
un
molestant
la
charcuterie froide,
et
l'un,
Le père
troisième.
provisions, qui étaient simples
que de
fils
aux miaulements du violon, en
petites têtes couleur
comme
deux
s'en allaient tous
ils
paroles, des cris, des rires, mêlés
du tympanon
troi-
de huit enfants.
Le père jouait dans un bal avec
Chaque
voisins
:
le
ils
mo-
fouettant allait
aux
ne mangeaient
couvert était vile
enlevé, les papiers gras disparaissaient par
la
fenêtre,
-§— ^4° "*"
avec tous
les détritus.
cierge, qui
Aux
observations de
monta poliment plusieurs
demander un peu plus de
con-
la
pour leur
fois
tenue, la tzigane répondait
invariablement par des injures effrayantes
et
un cha-
rabia de mots plus gras encore que les papiers de sa charcuterie. Ils avaient donc reçu leur congé, profitaient et ne se gênaient plus.
pas
faits
pour habiter un
ils
en
Ces gens n'étaient
logis sans air,
étage d'une maison de faubourg.
Ils
au troisième
n'auraient été
vraiment chez eux que dehors, au bord d'une route, la
marmite cuisant sur un feu de branches,
se vautrant
dans
la poussière,
les enfants
hommes
les
roulant
des yeux en faisant grincer et pleurer leurs violons.
En face de l'atelier demeurait unménage tranquille et posé, qui ne se
ployé à la mairie de
liait
;
la
avec personne
femme,
la Ville. C'étaient,
tous les deux, de
vaient
ils
le
et fort laids
avec
et ils vivaient
de leur lune de miel.
Ils se
déjeuner et
trou-
la sieste,
aspiraient l'air de la cour de leurs
visages congestionnés, et la serrait
monsieur, em-
quoique déjà âgés
souvent réunis pour
après quoi
le
auxiliaire dans les écoles
nouveaux mariés,
zèle tous les quartiers
:
femme,
tout énamourée,
de près son compagnon de table
et
de
lit.
—
-s— 241
&-
Célinc les reluquait, aurait accepté jusqu'à leur laideur pour être à leur place.
M
,uo
Bausse,
tardif et
mari
convoitait
aussi,
elle
ce
l'avait laissée
au bon moment de
sa pleine ar-
deur. Après la tristesse de la séparation et
réglementaire du deuil, il
était
bonheur
peu enviable. Veuve à vingt-six ans, son
M"
10
cruel d'être veuve,
la solitude
lui
temps
Bausse sentit combien
jeune
si
rappeler sa
fit
le
Son ennui de
!
mère auprès
délie,
pour attendre l'occasion d'un renouvellement de joie conjugale.
grande
Ses
déjà,
jours s'usèrent dans l'attente.
elle
maigreur. Selon l'expression de sa mère, dait ».
Très
parut plus grande encore par
Sa robe semblait accrochée
à
elle «
la
fon-
une perche.
Ses yeux couleur loutre, qui se cernèrent, prirent la
douceur des yeux des
pour dire
la
chose
la
gazelles,
plus
futile,
sa voix roucoula
un besoin de
ten-
dresse et de soumission se prouva dans ses moindres paroles, ses
moindres
mal
gestes. Elle languissait,
réconfortée par les constantes infusions de tisane que sa
mère
lui
offrait
à toute
heure. Aussi était-elle
patiente et pacifique avec ses ouvrières.
du surmenage, quelquefois,
Dans
elle s'oubliait
à
le
feu
com-
-§— ^4a -4-
mander sèchement, mais «
douleur de
sa
souvenait
se
elle
de
bonté naturelle,
vie », et sa
la
son
esprit passif réapparaissaient aussitôt sur son visage.
Un jour,
ses
yeux loutres
s'éclaircirent.
Le matin,
lorsque les ouvrières se mirent à l'ouvrage, elle leur
annonça
nouvelle
la
:
le soir,
elle
allait
au théâtre
de
maison, un monsieur veuf «
la
enfants ».
!
Elle était invitée par
La robe de grenadine
lendemain de
dînait dehors et
ses noces, fut retirée
un
locataire
très bien et sans
du
noire, toilette
delà malle, impré-
gnée de Fodeur pharmaceutique du camphre.
On
y
ajouta des petits lisérés de velours émeraude, et la
veuve
s'envola,
les
belle robe, coiffée
réticule
traits
illuminés, revêtue de la
du chapeau
à
plumes
en filigrane doré. Les
et
portant
demoiselles
le
suivi-
rent la patronne des yeux, lui envoyant des adieux
M m0
de leurs mains. La mère de narquois
air
et
entendu. Toutes se retirèrent de
croisée après avoir ture et
—
y
faire
M" e
Rose.
vu
monter
Gomme
Tant mieux
Bausse prenait un
!...
elle
va
le «
voisin » héler
la
une voi-
M me Bausse. s'amuser,
la
patronne!...
Elle qui ne sort jamais
!
—
dit
-w
— Et bien,
le
puis,
— a
les
Il
autant que
monsieur! Gela
madame,
—
243
s-
j'ai
pu
voir,
il
on excellent mari pour
fera
— appuya M Poulain avec conviction. pas mal, — avoua Mélanie, — mais mc
n'est
il
mains trop rouges.
Céline lui expliqua que c'étaient des gants, gants à la mode, encore
Les
M
1
"
très
esl
demoiselles
Bausse,
remontait
—
les
Tiens,
et
des
!
partirent.
Quelle
surprise
son chapeau de
essoufflée,
!
travers,
marches deux par deux.
madame
!
—
dirent-elles
toutes
en-
semble.
je
— Ah!
le
vous en
prie, mesdemoiselles.
Dans et
grossier! le malappris!...
M mo
l'atelier,
Bausse
Remontez,
se jeta sur
une chaise
disait l'une.
— Qu'est-
pleura à chaudes larmes.
— Qu'est-ce que — ce y qu'il
a
c'est?
—
disait l'autre.
?
Enfin, parmi ses sanglots,
M me
Bausse eut
le
cou-
rage de s'expliquer.
— propre
Ah !...
!
il
m'a prise pour quelque chose de
Vous me
moiselles, je suis
connaissez, n'est-ce pas? mesde-
une honnête femme. Eh bien, à
>-
—
244
m a dit
&-
1
peine en voiture,
nous
théâtre,
il
insolent
!
d'aller
au
suite à l'hôtel?...
»
forcé le cocher à s'arrêter, et
j'ai
Malotru
au lieu
« Si,
allions tout de
Vous devinez que
me voilà...
:
— hoquetait
!
l'infor-
tunée.
M mc
Poulain eut alors une idée bienfaisante
— Eh A
bien,
on joue
Belleville,
dière
qui
on va y
fait
aller
la
quand
Tour de Nesle. C'est Laclain-
Buridan.
Il
fabuleux.
est
y
demoiselles iront prévenir leurs mères,
un morceau ensemble, Toutes, y compris l'escalier, et,
:
même au théâtre!
et
on mangera
on louera une avant-scène.
madame
cette fois,
Ces
mère, redescendirent
en groupe,
elles
goûtèrent
sans encombre les délices des émotions amoureuses, criminelles et sanglantes.
Ce rière, lite
fut
un
soir, leur
journée
chez la coutu-
finie
que Cécile s'aperçut de quelque chose d'inso-
chez Céline.
Il
jeunes garçons sur
arrivait à le
l'aînée
chemin du
avec eux un regard, de s'attarder
retour, d'échanger
même
répondre à un mot. Cécile, timide, pas, attendait sa
sœur qui
de croiser de
parfois
faisait
la rejoignait.
pour
quelques
-*— 9-45 -*-
— Qui — me
est-ce?... Qu'est-ce qu'il te disait?...
Il
bonjour
disait
c'est le
:
d'une de
frère
mes amies.
— Quelle amie? — Tu ne connais la
d'avant
La
la
petite sentait bien
en dire plus,
Au
logis,
que
elle se taisait
encore chez
taisait
pas
une amie
:
d'école,
guerre. sa
sœur ne
voulait pas
jusqu'à leur porte,
et se
elle.
Céline ne tenait plus guère en place,
cherchait tous les prétextes pour sortir, se chargeait
de toutes d'acheter
les
du
commissions, fil
ou des
avait
aiguilles,
toujours oublié et
n'en finissait
plus de rentrer. Alors qu'il lui aurait fallu cinq ou dix minutes, elle prenait une heure, parfois davantage, était reçue par la gronderie affectueuse de sa
mère,
les
Très
bourrades de son père.
bonhomme, malgré ces brusqueries
peu fréquentes,
le
père
distraire les fillettes, par
Pommier une
sortie,
savait
d'ailleurs
choyer
et
par un cadeau,
par une prévenance où se révélait son cœur de
vieil
homme
sur-
sensible.
Un
tout à Cécile qui avait
des plaisirs qu'il leur
mieux que
sa
sœur
le
fit,
goût de
-&— la
maison,
de leur
fut
—
246
s-
dune
présent
faire
petite
chatte blanche qu'il avait trouvée miaulant au coin
dune
Ce
rue déserte.
de
gâté
l'enfant
lamentable,
la
fut Blanchette,
se réjouit
et
et gra-
de ses mille
comme une
Blanchette s'amusait
tours.
avec
folle
bobines, les bouchons, se précipitait d'un bout
les
chambre
la
pait
la
jouait
!
F autre en deux ou
des oiseaux
et
même,
à
cache-cache,
un
lit,
se
moment du
De
malicieuse
le
griffes.
immobile
du père Pommier,
ravi
le
de
Blanchette
au
quéman-
bras ou sur l'épaule la
familiarité
égaya
Pommier par
sa gracieuse
mouvements,
ses expressions, ses «
l'on découvrait
et silen-
se faisait câline
repas, levant son petit nez rose,
bête.
Elle
monde par un bond
elle
dant sa part, s'installant sur
mignonne
la
posés au rebord
menues
tenait
fois,
dans un placard, dans une boîte,
coup surprenait tout
prodigieux.
trois sauts, attra-
plusieurs
imprudemment
fenêtre, trop près de ses
cieuse sous tout à
à
mouches,
des
cruelle
de
filles,
devint
décharnée
ne tarda pas à devenir souple
elle
cieuse, et le père, avec ses
de
Toute
famille.
elle
et
de
Fintérieur
la
des
et fine vie animale, ses
manières » où
des pensées, des projets, des ruses,
-§- ?47 -*-
immaculé,
des farces. Elle plaisait par son pelage
yeux bleus
ses
comme
les
yeux purs d'un enfant
qui commencent à se réjouir de
la
L'existence se déroulait ainsi, et
Pommier une saules d
les
Lumière.
y eut chez
il
les
période paisible, à peine troublée par
humeur
et
les
allures inquiétantes de
Céline.
son père qu'il entrât quelque-
Celle-ci obtint de
avec
fois
de
la
elle et
Cécile dans
un
café-concert au bas
rue de Belleville. Ce n'était pas qu'elle raffolât
beaucoup de ce qu'on y chantait. Cela peu près
égal. Elle écoutait avec la
mie absente
la
forte
lui était à
même
physiono-
chanteuse qui déclamait
couplets nés de la défaite et
le
les
ténor qui soupirait
amours prin tanières.
les
C'était la leine
romance lorraine des Noces de Made-
:
Un
éclair sillonna la plaine
:
Marcel debout tomba sans peur,
Et
le
sang rosé de son cœur
S'en alla rougir une Heur
Du Et
bouquet blanc de Madeleine
tant d'autres
du
même
genre
:
!
la
Taverne
-§— 248
prussienne, le
combat,
— —
le
-*
Fils de l'Allemand,
perdue.
la Sentinelle
Le père Pommier, qui
— l'Appel après
vu
avait
la
guerre, et qui
en avait des souvenirs différents de ces rengaines, n'aimait pas beaucoup, au fond, ces déclamations, et
il
non sans
croyait,
patriotique
mal
célébré.
raison,
un
assister à
préférait encore les chan-
Il
sons d'amour, malgré leur sirop trop sucré. rait les
saison
office
Il
na
strophes doucereuses de l'Amour
savou-
pas de
:
Mais que
les
bran-ches
Soient toutes blan-ches
Ou
qu'au printemps verdisse
le
ga-zon,
Rose, je t'aime
Toujours de même,
Car en amour Il
Sous
il
n'est pas
de sai-son
!
applaudissait au défilé de Brise des nuits, les roses,
—
la Folle
par amour,
—
—
tout le
répertoire des ivresses amoureuses, qui alternait avec le
répertoire des ardeurs guerrières.
Céline écoutait vaguement, voix au refrain,
accompagnait de
mais sa pensée semblait
jours ailleurs. Elle goûtait
le
être
la
tou-
café-concert pour lui-
-H- 249 -*-
même, pour son atmosphère chaude, pour de tabac
et
même
de
d'alcool,
romans-feuilletons affreux,
sou de
quelle
lisait
les
tous les jours pour
un
de mystère
viol, d'assassinat,
sou odeur
de violence.
et
Cécile, par nature, avait horreur de cette littérature.
Elle tenta
sœur,
elle
de
le feuilleton
lire
n'y parvint pas
cela sans
:
que
de
Ce
commença vraiment de ses frères, laissa
de côté
fut à ce
lire.
les
amoureux
moment
brochures politiques,
mort des deux jeunes hommes. Mais
det, s'intéressa aussi
les
rangea soi-
les
gneusement, respectant ce qui avait été
les
qu'elle
Elle prit les livres de
œuvres dépareillées de Proudhon,
émotion violente avec
sa
grand mérite,
car ces sottises rebutaient son esprit net, vérité sans le savoir.
lisait
la vie et la
elle
eut une
Misérables, Eugénie Gran-
aux imaginations du,Juif Errant
et
des Mystères de Paris. Désormais, chaque soir,
il
lui fallut sa
séance de lecture, jusqu'à l'heure où
se fermaient ses
yeux fatigués d'ouvrière.
Le père Pommier, plusieurs entra
avec ses
filles
montèrent jusqu'au
à
fois,
le
dimanche,
quelque bal-guinguette.
lac Saint-Fargeau,
Ils
où de hauts
peupliers ombragent l'eau paisible d'une mare.
—
-§— 25o Ils
—
aux bals de leur ancien quartier
flânèrent
Barreaux-Verts
les
s-
de
la
Chaussée, l'Elysée-
Ménilmontant, rue Julien-Lacroix. assez particulier
un
:
un
Ici l'endroit était
jardin de beaux marronniers,
asile quasi-familial.
Les honnêtes traditions s'y
étaient en partie maintenues, le public et les
n'y
étaient pas les
;
mêmes que dans
boulevards extérieurs. Des
fillettes
les
mœurs
bals des
descendues dans
Paris avaient la nostalgie de cette verdure, de cette
musique, de ce décor des premiers aveux premières révélations,
et certains jours,
et des
on y voyait
revenir les demoiselles huppées des magasins de la
rue de
la
Paix
et
du
quartier de la Madeleine.
Céline ne s'amusait pas beaucoup
agréments les
:
le
père Pommier, en
recommandations
ses filles
une minute.
faites
malgré ces
là,
effet,
se rappelant
au départ, ne quittait pas
Si par hasard,
il
s'oubliait à
quelque table avec des amis rencontrés, bien Céline
filait
à l'autre bout de la salle, dansait
une enragée. Elle revenait,
!
qu'il
ser ailleurs
!...
comme
essoufflée, en nage.
— Que je mâtine — mier. — Et surtout, ne te voie,
vite,
disait le
t'arrive
père
Pom-
pas d'aller dan-
Si jamais tu te permettais d'entrer à
-s— 35 la salle
Xavier, où
-*-
1
n'y a quelles gouapes, lu aurais
il
moi.
a lia ire à
Céline ne répondait pas, souriait, ou
La singulière bagues liers
en bois imitant les
ces parages.
y avait en
elle
une
sang
de vin.
de
lie
corail,
le
à
moue.
elle,
et
de
de col-
regardait
elle
sans doute
:
qui aurait préféré s'ébattre
aux murs couleur de
sordide,
Son temps d'apprentissage
rait
mais
était tout autre,
folie
salle
lui avait
faisait la
coquetterie
princesses de la couture égarées dans
Son goût
dans quelque et
sa
de rubans, de broebes en acier
et
sans envie
il
avait
fille
fini, elle
annonça qu'on
indiqué une nouvelle patronne qui demeu-
au bas du faubourg du Temple. Sa mère
alla se
renseigner, fut satisfaite, et désormais Céline, déli-
vrée de
la
compagnie de
aise, rentrer tard,
rades, se elle,
Cécile, put
musarder
veiller. Elle dit avoir
à
son
des cama-
promena avec de jeunes ouvrières comme
obtint de sortir quelquefois le soir
ou
les
jours
de congé.
Son visage ebangeait. fraîcbe à la
bouche
rose,
C'était encore
mais
il
une
fillette
y avait en
elle
quelque chose de fatigué, un léger creusement des
un assombrissement des yeux
joues, lité
impatiente du geste.
mais
c'était
elle parlait
comme
si
présent,
était
comme
si
Elle ne s'in-
elle chantait.
personne des siens, ni à rien de ce
téressait plus à
qui se disait
Son corps
tout. Ses lèvres remuaient
ou
une fébri-
bleus,
et se
faisait
chez
elle.
Elle était d'une
gaieté bruyante qui remuait tout, cassait tout, ou
d'une
tristesse
impossible à dissiper, taciturne, dure,
renfrognée, faisant tête aux observations.
qu'une
sentait
séparation,
qu'elle
ne
Sa sœur
comprenait
pas très bien, se faisait entre elles.
Par
la faute
de Céline,
vinrent plus rares dataire.
Le père
:
fit
le
Jes
samedi,
comme
soirées de théâtre deelle fut
elle,
souvent retar-
traîna de son côté.
Les deux sœurs n'eurent plus guère de distractions
communes. La grande, émancipée,
avide de vivre, coureuse
des soirs et des dimanches, adolescente qui devenait
femme, souvent
éreintée et parfois désabusée,
avait
des heures de lassitude ou d'ennui, ou de désespoir,
répondant aux réprimandes par des bouderies, subissant les reproches avec des sourcils froncés.
yeux mauvais
et
des
-s— 253
La
§-
petite, ponctuelle,
peureuse d'aventures, toute
un peu
hermine de faubourg crain-
blanche tive
—
el
rose,
du ruisseau de boue, regardait
brusque, furtive tante et fanée,
gardait
le
La
joyeuse,
la
et la
partir sa sœur,
voyait revenir hale-
des lueurs dans les prunelles. Elle
pendant
silence
embrouillés, fuses et
et
les
racontars,
les récits
gêne l'envahissait aux paroles con-
aux mouvements gauches du mensonge.
fdlette
ne retrouvait son aînée que parfois, aux
longues heures des crépuscules d'été, pendant certains
des
après-midi de dimanches occupés à retoucher
costumes, à enrubanner
écoutaient ensemble les airs
langoureux
nait tout à
la
des chapeaux. Elles
musique du joueur d'orgue,
et énervants.
coup dans
la
Si
Forgue réson-
cour, une gaieté spéciale
entrait par la fenêtre, et Cécile et Céline se retrou-
vaient subitement joyeuses et heureuses
temps où
comme
au
elles étaient petites.
L'orgue, c'est
la
voix des pavés et des terrains
vagues, de la rue travailleuse, des jardinets maigres, des cours mélancoliques. Ses fausses notes, ses notes rapides,
ses
notes
langoureuses,
ivresses et des tristesses,
sautillant
chantant
des
en saccades ou
+-
254 -#-
tournoyant plaintivement, cage grossière où
main qui
elles
ont
bref sans
et
nuances. Mais, qu'elles soient emportées dans tiède d'avril,
brumeux les
ou
et glacé
l'air
qu'elles agonisent
dans un lointain
de décembre,
expriment, pour
âmes simples qui
commencent ou des
elles
des espoirs qui
les écoutent,
regrets qui s'apaisent.
mentalité de romance flotte dans pâlottes adolescentes.
l'air
Une
et
senti-
grise les
L'amour aux champs s'évoque
par une langueur de ritournelle. sistible
la
sont enfermées, sous la rude
un accent rauque
les broie,
dans
peut-être,
Un entraînement irré-
de passion se marque aux mesures d'une valse.
Pour Céline,
c'est l'excitation
qui conduit
nesses aux gaietés sans lendemain
les
jeu-
des bals publics.
C'est aussi l'évocation d'un passé d'il y a six mois,
ou
d'hier, et déjà peut-être la douleur
venir.
La
cervelle, les
fillette
amère du sou-
déjà grande, à l'évaporée et puérile
qui entend ces
airs, et
qui
a,
à la fois,
en
écoutant, de vagues sourires et des colères toutes
proches, serait bien embarrassée de dire la confuse et
mystérieuse sensation qu'elle éprouve. Elle balance
sa fine tête pâlie, son souple buste, se livrait
aux bras du danseur qui
l'a
comme
si elle
emportée avec
-s— 255
elle se
pâmait sur l'épaule de celui qui
vers les barrières au soir
Le plus souvent, les
et
l'aiguille,
bout de
d'un
&-
comme
un grisant orage de bastringue,
dans
lin
—
et
chambre
la
promenée
l'a
du dimanche.
elle se lève,
rubans
si
les
à
laisse là l'étoffe et
Elle
fleurs.
saute
dansante
l'autre,
et
valsante, les bras arrondis, les jupes tournoyantes,
accompagnant des notes, Cécile,
l'air
comme
de sa voix blessée où
en place,
restait
elle,
de
héroïque
italienne,
que
chanson plaintive
Céline
finissait
s'arrêtait
de respirer
l'aînée éclatait
de
et
et
mélodie,
amoureuse. Pendant
davantage
par gesticuler et
la
triomphale bouffonnerie
d'opéra,
s'excitait
en plus
plus
immobile, à mesure que se développait chant
manque
il
dans le registre de l'orgue.
au
mouvement,
rougir de plaisir, Cécile
fermait les yeux, et
rire, la petite était toute
quand
en proie à
l'attendrissement silencieux.
La pauvre mélodie, sans faisait
cœur quand
qu'elle s'en rendît
éclore la restreinte et touchante vie
ignorant. le
grandes
La voix
compte, de son
éreintée de l'orgue est triste
crépuscule tombe en voile de crêpe sur villes, et
que
la
les
musique lamentable chante
-ï— 256
ironiquement
les
s-
sentiments défunts, évoque
temps disparus, dévide et
—
les
prin-
les
souvenirs des inconscients
des vaincus. Mais, pour l'enfant, malgré l'appré-
hension du dehors avait
et
et
musique énervante. Malgré fêtes
rêvait
et
journalière,
tristesse
la
de l'enchantement
il
de l'espoir dans elle
elle,
y
cette
supposait des
vaguement de tendresse mystérieuse
selon les cadences éclatantes
ou séductrices, son
esprit
rêvassait à vouloir de l'inconnu devant les mirages
dont s'agrandissait Elle fut
et s'illuminait
un jour
l'humble chambre.
plus nerveuse, plus entraînée que
de coutume, consentit à sortir en cachette avec sa
sœur. Cécile suivit Céline, folle, la petite fille fille
aux sens en
chaine.
Au
derrière la
la craintive
au cœur agité derrière
liberté.
L'expérience
la
grande pro-
s'offrit
premier détour de rue, des jeunes gens
semblaient exacts à un rendez- vous. Immédiatement, Cécile connut l'effroi
— devant
démarche, leurs corps bles,
—
leurs
d'assassins,
Son
—
lents,
le
dandinement de leur
—
leurs
mâchoires de fauves, leurs
yeux de vice
et
mains
—
terri-
leurs faces
de calcul.
destin n'était pas là, car elle s'arrêta, frémis-
sante, et vile courut, rentra, voulant encore entendre
-§— 257 "*" hollc ritournelle
l;i
de mensonge du joueur d'orgue.
Céline rentra cette fois
comme
prise peut-être d'un émoi, en
par
elle
au piège de
la
Cécile, avec Cécile,
voyant sa sœur menée
rue où elle s'était déjà prise.
— N'aie donc pas peur, bête — !
dit-elle
en voyant
Cécile toute tremblante.
— Oh!
Céline!
—
disait l'autre.
Toutes deux restèrent ce soir-là auprès de leur mère,
la petite
heureuse de croire son aînée adoucie,
subitement calmée. Cette
tressaillante
vée
Cécile,
petite
apprentie de quatorze ans,
de troubles
du joueur
et
d'orgue,
de songeries
connaissait
à l'arri-
encore une
musique où son âme enfantine
et
féminine s'abreuvait longuement. C'était toujours
la
autre source de
musique de
la rue,
celle qu'elle
pouvait connaître,
—
qu'elle trouvait sur son passage,
la
murmure
et chante.
Le
la plainte, la rêverie et le cri, sortent
du
particulier, la rue de Paris et
et le
un apaisement
violon en plein air. Certains soirs, dans
soupir
chanson
pavé, courent à ras
du
sol,
montent aux maisons.
semble à celui qui écoute dans carrefours,
que
la
dure chaussée
le
Il
crépuscule des
et les tristes façades
—%-
-§_ 2 58
exhalent
rythmées,
confidences
des
aveux
des
inconscients, des chuchotements d'amoureuses.
Le marchand de romances terre-plein
d'un
boulevard,
à
s'est installé
sur
une extrémité
le
de
faubourg, à l'entrée d'une impasse, ou simplement
au milieu d'une rue dépavée, défendue aux voitures. Il
a dressé des tréteaux, étalé ses cahiers, ses pape-
rasses, ses vignettes, pincé les cordes
De
partout sont alors venues,
au miroir,
les
comme
d'un violon. les alouettes
passantes rapides et les langoureuses
retardataires, les gaies et les tristes filles qui regagnent les
logis ouvriers, leur journée faite. C'est le défilé
de tout ce qui
vit
de
l'aiguille,
de tout ce qui coupe de
brode des gants,
fait
des ciseaux,
l'étoffe,
du crochet,
coud des
ourlets,
envoler des rubans sur les
chapeaux, enroule au laiton les feuilles de papier, accélère
du pied une machine à coudre.
Les modistes et les fleuristes,
et les couturières, les
brunisseuses
sont sorties des magasins à l'heure
où l'horizon monte devant
le soleil,
où
les
lumières
s'allument une à une dans l'atmosphère violette, dans la
pourpre rose du
soir.
Au
cours de la monotone
journée, du chemin parcouru tous les jours, elles ont
-S— 209
—
$-
entendu une vibration d'archet, une ritournelle chan-
Leur
tante.
désir
informulé de rêverie, de
grâce, d'inconnu, a
fait
rire,
de
frissonner leur poitrine, a
parcouru leurs veines en violente sève, donné
l'as-
saut de son flux à leur cerveau ingénu. Les isolées
sont venues, et celles qui vont par deux, toutes se sont
approchées du festin de hasard, de mots qui leur est servi dans et déjà
répète
ombrée de
nuit.
et
de sons,
rue tiède encore de
la
L'industriel
le refrain, s'arrête, fait le
soleil
chante, racle,
tour de l'auditoire,
vend aux écouteuses pour deux sous de poésie mélodie.
A
Cécile
et
de
leur tour, elles vont chanter.
et
Céline
chantent avec ces
compagnes
inconnues.
Choeur faubourien, ignorante maîtrise, cantique intime évaporé dans et
l'air
!
Il n'est
pas de plus joli
de plus mélancolique spectacle. La nuit a tout à ravin de grande ville que surplombent
fait
envahi
les
maisons de
comme
le
six
les collines
C'est seulement
nière lueur
au
étages, massives et indistinctes
abruptes
et les falaises des océans.
loin dans le ciel
blême du jour disparu
flamme remuante de bec de
gaz,
que traîne
la der-
à l'occident.
une flamme
Une
vacil-
-§—
—
260
§-
lanle de bougie entourée de papier, c'est l'illumination de cette fête de coin de rue.
pour
faire
remuer,
ombres, pour
s'allonger,
faire vivre,
Clarté suffisante
raccourcir
se
par saccades,
les
demi-cercle
le
attentif des visages sérieux.
Toutes droites, en cheveux ou en chapeaux, robes montantes,
tailles fragiles, les seins
petites se tiennent fixes, les
contre,
comme
des
auprès d'un piano, frérie,
dans une
yeux sur
les
chef de ren-
le
qui
cantatrices
comme
haut nichés,
vont
chanter
des demoiselles de con-
église.
Céline et Cécile, pas plus que les autres, ne connaissent les notes
points noirs, elles
langage
ces
de
qu'elles
barres,
ont sous ces
mystère
yeux. Ces
les
signes,
c'est
comme un
pour
alphabet
incompréhensible, ou ces creusements d'hiérogly-
phes dans
la pierre, qu'elles
ont vus
et
touchés
jour dans une salle basse du Louvre. Elles lisent paroles, écoutent la traînante voix
du
un les
professeur, et
ce sont les syllabes qui deviennent les notes.
Toutes chantent faiblement, d'abord, en une sourdine qui vibre à peine aux lèvres,
recommencent, suivent d'instinct
elles se
trompent,
la leçon.
L'homme
-£— 26
emploie sans impatience
apprennent à les
la
—
§-
méthode
de ceux qui
des airs aux canaris.
couplets, n'oublie jamais
mencement t<
silller
1
le refrain,
Il
chante tous
revient au
com-
aussitôt qu'il est arrivé à la fin. Les réci-
uses s'habituent à la mélopée, obéissent à d'inex-
mnémotechnies. Elles savent maintenant,
plicables
osent
élèvent la voix,
les
vivacités d'attaques,
les
lentes expirations, les inflexions sentimentales.
Les petites figures expressives s'animent dans une cendre
poussière
de
neuse. La
flamme de
inférieures, les
d'or,
et la
dessous du menton, croise
les
les
lumi-
grisaille
bougie éclaire
fines narines,
les fronts levés, des
une
les
paupières
dents menues,
le
regards brillants. Sur
ombres passent en coups
d'ailes
d'oiseaux de nuit. Les mains frêles, les feuilles des
romances, sont de pâles taches tremblantes. Dans l'obscurité, le
groupe des robes noires
est
mystérieux
et attirant.
En même temps que
les détails se
manières
d'être
précisent, les
s'affirment.
caractères,
les
humbles
des timides qui veulent oser,
et
voix
Des
telles
Des que
amoureuses
Cécile,
chantent
comme
Céline rient et se pâment. Des fières suivent
à
basse.
—
-3— 262
des yeux,
la
§-
bouche durement fermée,
avec des
condescendances de mondaines. Des violentes se manifestent à pleine voix insolente.
soupirent et expirent. Des
compréhension lent avec
blent
difficile,
tristes,
Des langoureuses des maladroites, de
cherchent, s'entêtent,
de brusques petits
cris
modu-
de gosier qui sem-
accompagner des sauts d'oiseaux
Des
blessés.
bouches ouvertes, des lèvres avancées, des prunelles qui bougent, lisant
des gorges enflées et rou-
les vers,
coulantes, des faces blanches, des nuques brunes, des
mains qui s'appuient
et battent des
mesures sur
les
épaules des amies, des têtes qui s'inclinent ou se renversent,
de tous ces jeunes corps qui
s'élancent,
—
dégage
se
instinctive et de la
musique de
Qu'importent
paroles
peuvent être dans
les
la
tressaillent et
symbole de
le
!
la
poésie
la rue.
Elles sont ce qu'elles
langue des romances. Elles célè-
brent les sentiers des bois, les premiers lilas, les roses fanées,
les
robes blanches,
les baisers et les ivresses
sous
les
roulades d'oiseaux,
les tonnelles, les valses
des bals publics, les déchirements des ruptures, les
bonheurs des réconciliations. Ce sont les lamentables invocations à l'amant inconnu, frisé au petit
fer,
—
-S— 2 63
§-
sensible et godailleur, celui qui est là sur l'image, en
chapeau de
tenant des
paille,
pleurant dans
un
La
verre.
bien vite, ce désiré
du cœur,
de promenades,
d'amour
lithographies ne
le
et
mains de femme ou réalité
le
transformera
compagnon
cet idéal
de sommeil, mais
représenteront jamais en
les
homme
qui abandonne ou en brutal qui frappe.
Qu'importe aussi
la
musique Phrases !
usées, notes
mécaniques, rythmes insipides, enroulements ber-
cœurs
ceurs, toute cette convention fait battre ces inquiets, verse à ces cervelles avides
ou
ment,
repose
par
vie, leur
la
nerveuse, et
en
exalte ces
donne
l'oubli,
le
la
un
petites,
tranquillité,
désir,
les
vin d'enivredéjà
lassées
l'excitation
sentiments
cruels qu'elles ignorent, qu'elles sentent elles
comme
des forces inconnues.
doux
monter
Ces chants
aigus, ces chants bas, ces vocalises fines, ces réso-
nances graves, déjà meurtries, ces désaccords, ces notes fausses, et parfois ces purs unissons, c'est la
voix navrée et mystique des pierres
du sexe pubère, des
travail sans espoir,
dus dans
du faubourg, du faibles per-
les foules.
Toujours, dans
la ville
de tumulte, sur
les
îlots
-§— 264 "§-
qui divisent les vagues humaines, s'arrêteront,
entendre
soirs lourds de l'été,
aux
âmes
permanent
de Paris
donneront à
et les
balbutiants
de pauvresses, chants des chlo-
sirènes anémiques. Frêle groupe,
roses, appels des
cesse
de leurs voix
les plaintes
secrets de leurs
les filles
et vivace,
une nouvelle
auquel vient s'adjoindre sans
fillette,
souffrante des inquiétudes
qu'elle garde, et qui se hâte de dire à haute voix, en
pleine rue, son chagrin et sa joie sans raison. fut l'occasion des confidences
premières de
au son de ce violon
Cécile. Elle s'arrêta
Ce
la petite
triste,
parmi
ces camarades de rencontre, prit la romance de ses
mains tremblantes, avec
elle dit,
confia à l'air
les
du
et
d'une voix qui tremblait aussi,
autres, ses
soir, à la
craintifs espoirs, elle
rue accueillante,
les
vagues
aveux de son cœur.
Pour Céline, cendre
la
père, ni elle
ne pouvait plus
pente rapide où
même sa
elle s'était
s'arrêter de des-
engagée. Ni son
mère, ne soupçonnèrent quel usage
pouvait faire de ses instants de liberté.
avait toujours
Son
elle
Elle
quelque motif plausible à alléguer.
intelligence était appliquée
au mensonge, son
énergie employée à courir où son destin l'appelait.
-s— 265
—
%-
Elle forma, avec l'un, avec l'autre, le couple qui
donne sans souci Ils
nent
spectacle de ses amours.
le
passent enlacés au long des avenues, station-
dans
sous
l'ombre,
repartent lentement,
indifférents à
proches, extasiés Ils
vard,
la
comme
Faust
mains
taille
tout
des
infléchie,
l'extérieur,
branches, visages
les
sérieux
et
Marguerite au jardin.
un banc de square ou de boule-
sont assis sur les
et
l'abri
liées,
immobiles, perdus, autant que
dans un sommeil d'alcôve. Ils
dansent sur
le
plancher d'un bal public, droits
l'un devant l'autre, se tenant à pleins bras,
de leurs corps emporté au rythme de
le
duo
la valse.
Souvent, rien d'anormal n'arrête l'attention. Parfois aussi
un
aspect étrange apparaît, et la réunion
des deux silhouettes se résout en monstruosité. C'est lorsque l'amoureuse Céline dresse sa fine stature, lève vers
l'amant un visage de chair lumineuse,
des yeux en fleur, une bouche dessinée en sourire ravi, c'est lorsqu'il
lueur et
émane de
un parfum,
et qu'il
cette créature naissante
la
charmante
fille
une
y a pour partenaire à
un bandit aux yeux
sanglants,
aux poings de tueur, quelque bête basse effroyable23
-§— 266
ment machoirée,
Une
et
qui a
idée de liaison
—
§-
fait sa
proie de l'enfant.
contre nature, de différence
d'essence, de race, vient à l'esprit.
de
la
Belle et la Bête s'incarne à nouveau.
mal aux lourdes vers
Le vieux mythe
sa
avenues
pattes, à la gueule féroce,
tanière la petite et
des squares.
nymphe
Un
ani-
emporte
inconsciente des
V.
Pendant
—
L'ALCOOL
que Céline
Pommier
se
se brûlait à d'autres
Insensiblement, depuis pris
goût à
consumait
la
boisson
:
les
ainsi, le père
flammes.
jours du Siège,
il
avait
à toutes les boissons, le
verre de vin avalé au hasard, l'apéritif de n'importe quelle
couleur.
La mort de
aussi quelque chose en lui,
ses la
fils
faible
devait
tuer
volonté qui 23.
-g— 270 vacillait
—
&-
au gré de l'occasion. Autrefois,
ramené par Justin, par Jean, comme un ce temps-là,
verre
le
cédait,
il
enfant.
bu aux minutes de repos
En
n'était
jamais suivi d'un autre.
— la
Viens donc, vieux père,
le
vin est meilleur à
maison...
Maintenant
succombait chaque
il
fois.
L'invite et le piège étaient fréquents. Les décors et les scènes le vieil
du drame de
ouvrier,
l'alcool se multipliaient,
peu à peu, y eut son
figurant et d'acteur, à son grand
Ce jour
soir-là, et la
dans
la
du faubourg,
soleil,
extérieur
fin
du
ce fut au bas
à l'intersection de la rue
du boulevard
de
dommage.
lourde chaleur de la
lumière dernière du
rôle
ombragé de
montante
platanes.
et
La
foule affluait au vaste carrefour, montait incessam-
ment de Paris entrevu dans marche de tous
flâne,
vapeur du
soir.
La
ces gens, qui revenaient de leur tra-
vail, avait le caractère
possession
la
du chez
d'un assaut, d'une reprise de
soi,
de l'endroit de repos, de
de plaisir familier. Des nuances infinies pou-
vaient s'observer dans les
mouvements
et
dans
les
expressions de ceux qui regagnaient ainsi leur gîte.
—*-
-*— 271
Les fatigues
et
comme
souiller
gravir
découragements étaient
qui restaient un instant
chez certains,
pour
les
une dernière
et forts,
immobiles
des chevaux harassés avant de
Chez
côte.
mouvement de marche d'allégresse.
visibles
Ces allures
avait
le
grand nombre,
un aspect de
hommes
libres, ces
le
force et
souples
de tous aspects, de toutes races, ces femmes
à la figure courageuse, ces fillettes à tailles fines, ces
guirlandes d'enfants, tout exprimait
la joie
de vivre,
de posséder
la rue, les arbres, le ciel rose, la
et la clarté
de
avait
un
arrêt
ment, où
A
se
Pourtant,
l'été.
où
se
chaleur
à ce carrefour,
il
y
diminuait cette force en mouve-
compromettait
l'avenir.
l'un des coins s'ouvrait
un
petit café à façade
blanche, mais, aux trois autres coins,
un immense
établissement, le bar de genre nouveau, alignait son
comptoir, ses tables, ses appareils de distillation, boutiques barbares, propres, étincelantes de cuivres, d'étains,
de verres, de glaces, où
la
soif est régie
administrativement. Les trois façades, rouge et or,
flamboyaient sous et
les
chiffres
merveilleuses.
les
rayons du couchant,
énormes
les lettres
affichaient leurs promesses
Un patron,
juché sur une haute chaise,
-^ au-dessus du
—#-
272
comptoir massif,
figurait
le
prêtre
et l'idole
dominant
en nefs
en bas côtés, avec des aspects d'églises,
et
et
même, dans
offices
l'un
un orgue
dressait
de
Les
l'autel.
des
prêt à
mugir
rangs serrés
les
tumultes, toutes
Le
le
et
chaque
trottoir,
comme au
les
salle vide.
une
Dans
aussi.
aux
clientèle
théâtre, tous les
les gesticulations, toutes les
béatitudes
les
l'absinthe
rythmer
à
la clientèle restait dehors,
envahissant
petites tables
toutes
et
se
la boisson.
Par ce beau temps,
et
établissements,
trois
L'orgue, toutefois, fut muet,
énorme,
salles se creusaient
les
paresses verres,
embaumait l'atmosphère de son parfum.
spectacle,
malgré tout, gardait sa douceur,
son charme, sa vie épanouie. Ce n'étaient pas
sombres le
les
types, les rangées d'abrutis, debout devant
comptoir, ou assis sur de hautes chaises, ne quit-
tant pas des
yeux
machinalement gens,
dehors,
versation,
bonne
un
halte.
remuant
la liqueur ensorceleuse,
la cuiller
dans l'opale trouble. Les
gardaient rire. Ils
une
vivacité,
une con-
connaissaient la minute de
Ceux qui devaient
saient le pas, stationnaient
un
s'arrêter
la
ralentis-
instant sur le refuge,
—
-s— 273
sous
branches du candélabre, pour jeter autour
les
un regard, choisir
d'eux
coin, aller vers
une
table.
leur place,
Ce ne
maniaques de l'absinthe
des
s-
guigner leur
sont pas des isolés, ils
:
commencent,
n'en pas douter, leur apprentissage du poison, trouvent
la
çon,
ils
s'assoient.
suite, les verres sont sur la table, et le gar-
d'une main experte, dose l'oubli
La boisson
est servie,
non dans
d habitude, mais dans de
verres
y
saveur charmante, l'appât délicieux.
Par groupes d'amis, ou en famille,
Tout de
ils
à
les
et la joie.
gros et grands
petits verres à pied,
des verres à bordeaux. Prise ainsi, l'absinthe semble
perdre de son importance
:
on ne boit pas, on goûte
dans ces menus verres qui sont vraiment des verres d'enfants.
Simple
illusion,
malice de l'industriel.
d'ailleurs,
La
créée par la
petite absinthe
grande, on en prend deux plus facilement,
moins d'eau à
Le
et
il
la
y a
ajouter, voilà tout.
calcul est bon, car le gentil petit verre à pied
attire,
de sa couleur pâle
femmes devant
en
vaut
effet,
qui
reculeraient
l'immense
de sa fine odeur,
et
gobelet
sont nombreuses,
peut-être à et
tarir.
tout
Les
les
d'abord
femmes,
toutes boivent
leur
—
-3— 274 absinthe,
petite
comme
des
&-
hommes.
Certaines
comme
ont de menues hésitations, des minauderies
autour d'un fruit défendu. Elles avancent
les lèvres,
dégustent en chattes gourmandes, leurs yeux brillent
amoureusement.
Au
premier rang, un
Pommier,
père Chaudron
La mère
de braves gens,
lot
femme, Cécile
sa
et
et la
autres aussi
père :
le
Paterneau. fillette
boivent une boisson quel-
conque, apportée avec mépris par les
le
deux voisins
et
se
le
garçon
et
dont
moquent. Bientôt Céline vint
rejoindre le groupe, ses beaux cheveux en torsade, les
yeux bleus, d'un bleu de bleuets,
velours de pêche,
légèrement Elle
un corsage
marécage
rose
où
joues d'un
se sculptaient
jeunes seins.
goûta l'absinthe dans
bleuets
les
les
les
le
verre de son père,
de ses yeux se mirèrent dans
le petit
vert.
Le père Pommier, s'adressa à sa
à ce
femme,
moment, prenant
lui expliquant ce
la parole,
que
c'était
qu'une bonne absinthe.
—
Sais-tu
comment
qu'une absinthe ne
fasse
il
faut s'y
prendre, pour
pas de mal?
—*-
-S— 27a Il
môme
y eut une attention. Tout de
bien précieux,
n'est-il
pas vrai
cela serait
de pouvoir
?
être
assuré de l'impunité.
— Eh bien — !
dit le
bon type pendant que tous
regardent son visage épanoui, écoutent ses amicales paroles, faire.
— eh bien
!
mes
enfants, voici ce qu'il faut
Vous en prenez beaucoup, un bon demi-verre.
Vous ajoutez l'eau minutes.
Il
tout doucement, unegoutte toutes les
faut être patient.
Vous êtes là, bien
installé,
à l'ombre sous les arbres, vous regardez les passants en
une heure,
surveillant votre mélange. Prenez faut,
pour bien préparer votre
— Alors Tous
les
affaire.
s'il le
Et alors...
?
visages attentifs
sont tendus vers son
visage hilare.
— et
...
Quand
c'est fini,
vous prenez votre verre
vous foutez l'absinthe par terre
qu'elle Il
ne vous
rit
fera pas
:
vous êtes sûr
de mal.
jovialement, lampa la fin de son verre
:
tous rirent avec lui de la farce, et tous aussi achevèrent de boire leur absinthe de bon cœur.
Ce
fut le
commencement pour
le
père Pommier,
cette petite absinthe prise sous les arbres. Il revint
-3— 2j(y -4. seul,
but à sa
ne fut pas à
ne
ivre,
comme
peu près
Rica ne put
soif.
devint pas
d'habitude,
l'arrêter.
Mais
il
méchant, mangea
quoiqu'il se plaignît
parfois de n'avoir pas d'appétit et allât se coucher
de bonne heure. Sa
gué par son l'alcool,
Le
travail, alors
comme
le
croyait seulement fati-
que peu à peu
l'envahissait
tout le quartier, d'ailleurs.
façade blanche était
à la
petit café
minet dont
femme
l'installation
remontait pour
le
un
esta-
moins au
temps de Louis-Philippe. La vétusté de son aspect, le
suranné de son enseigne
le vieillot
et
de son ornementation,
de toute sa physionomie, faisaient de
un anachronisme
indiscutable parmi
les
ments environnants. La façade blanche réellement
mais
blanche,
manière d'une épreuve de
grisâtre,
vieille
établissen'était pas
jaunie,
à
de l'enseigne, étaient vert-de-grisées par
humides. Les chambranles des portes le
vieux
de chaussée craquait
et
la
et
d'or
les saisons
des fenêtres
visage s'écaillait,
le rez-
geignait sous le poids de
maison, au tassement visible par
du fronton de
boutique.
la
gravure. Les bandes
d'or qui encadraient les panneaux, les lettres
se disjoignaient,
lui
la
la ligne infléchie
Ã&#x2030;A
-s— 277
f-
harmonie avec
L'intérieur était en
murs
—
blancs aussi, et maintenant d'une cou-
jadis
leur de vieux cuir par trente ans de
Des glaces an\ cadres démodés. La séparée de
ouvertures
la
dont
écoinçons
les
limonadière,
Amélie,
On
anglaises tire-bouchonnées
propos galants d'un
Aux
petites tables
de billard,
étaient
à
trois
peints
de
cherchait au comptoir une
vêtue
un bonnet
avec
fumée de tabac. salle
un portique
pièce d'entrée par
scènes mythologiques. belle
Des
l'extérieur.
comme à
reine Marie-
la
rubans de
feu,
aux tempes, écoutant
officier
de
la
de marbre, on
des les
garde nationale.
croyait trouver de
rusés commerçants d'Henry Monnier jouant au trictrac
ou au
Dau-
reversis avec d'épiques bourgeois de
mier, et Ton craignait de déranger quelque profond politique de quartier occupé à sonder le bulletin Constitutionnel. Rien de tout cela. difficile
de dire par quoi cela
billard
n'avait attiré
était
Mais
il
du
paraissait
remplacé.
Si le
quelques amateurs, que Ton
voyait ramper, guetter, bondir, à travers les arches
du portique, Tout
hommes
à
le
coup
et les
vieux café aurait toujours été vide. il
disparut, s'en
choses dont
il
alla
rejoindre les
devenait l'inutile
et in-
24
-S- 278 -*-
vraisemblable survivant. Pendant quinze jours, étayé, enveloppé de palissades.
Un
immense, sur
la
prime
toile,
à tous les
annonçait
jeudi,
consommateurs qui
fut
fut
il
affiche
réouverture
une
et
se présenteraient.
Le surlendemain, samedi, jour de
ment nouveau
une
paie, l'établisse-
inauguré au milieu d'une cohue
de révolution ou de
fête.
Plus de trace du petit café blanc
et or.
La devan-
ture est toute en vitres avec des encadrements rouges.
On
voit d'un regard tout l'intérieur.
primé, dans toute
la
Le portique sup-
longueur du café
c'est
un long
comptoir en étain luisant, garni de fontaines bassins.
Sur
le
sétagent des bouteilles de toutes les couleurs verres de toutes les formes. des,
En
la
place
du
et
face, des tables
en zinc, des chaises de jardin,
fond, à
et
de
mur, une immense glace contre laquelle
petit billard,
en
fer.
des
ron-
Au
un alambic de
cuivre.
Derrière
tabliers noirs
agiles,
sent
comptoir, une armée de garçons en
le
de sommeliers, funèbres personnages,
comme des Arlequins, accomplisbesogne comme s'ils se livraient à des
prestes
leur
exercices de prestidigitation. Ils saisissent au vol les
+mots que leur emplit
la
jette la foule des
boutique,
se retourner
du même
»79 -*"
pour
ils
étendent
saisir
une
consommateurs qui
la
main sans presque
bouteille sur les rayons,
un
geste sûr qui prend
livre sur les
rayons
d'une bibliothèque. Pas un instant d'hésitation dans leur manipulation et leur dosage des poisons variés, verts,
rouges,
sombres,
versent à la ronde.
clairs,
Ils jettent
fond du verre, précipitent carafe d'eau, s'emparent
trempent au bassin,
les
toujours
et
sans
étincelants,
qu'ils
quantité obligée au
mélange, installent
la
aussitôt des verres vidés,
les
cesse
le
la
placent sur l'égouttoir, et
recommencent
les
mêmes
opérations avec une fougue semblable. C'est à croire
que
les instants
sont comptés, que les minutes sont
précieuses, qu'il s'agit de sauver des angoisses de la soif
une malheureuse population desséchée
et avide.
Réellement, l'affluence explique une pareille précipitation mécanique.
dehors que dedans,
la
Il
queue d'un théâtre un jour de
représentation populaire. service d'ordre et l'attraction
est
y a autant de monde au
On
aurait
pu
organiser
un
donner des numéros. C'est que
grande.
Les
consommations sont
d'un sou moins chères que dans
les
établissements
28o connus pour vendre
le
meilleur marché. C'est une
révolution dans le régime des boissons, l'alcoolisme facilité
aux
mis à
la
classes nécessiteuses, le delirium tremens
portée de toutes les bourses. Les gens qui
s'écrasent à la porte semblent
d'un
bienfait et font ce qu'ils peuvent
tel
une
à
prêter
telle
propagande
Leurs faces sont anxieuses, lité le
comprendre l'étendue
moment où
ils
ils
pour
se
philanthropique.
attendent avec fébri-
pourront réclamer à leur tour,
aux noirs sommeliers, leur part de poison. Et
la
Oh
!
prime?
la
surprise? l'encouragement?
bien simple, et l'inventeur n'a eu,
c'est
ici,
qu'à se laisser aller aux impulsions de son génie naturel.
aura
La prime,
droit,
guration celle-là,
!
c'est
que
tout
aujourd'hui seulement à
!
consommateur jour de l'inau-
une seconde consommation qui
absolument gratuite, qui
établira,
on
sera, l'es-
père, des liens de gratitude et d'amitié entre le pas-
sant et le comptoir de zinc. telle largesse,
et le
seille.
là
oublier
une
jour fameux où l'on a pu prendre
deux absinthes pour qui entrent
Gomment
le
prix d'une seule
!
Car ceux
ne demandent pas du sirop de gro-
C'est l'absinthe qu'il leur faut, c'est son par-
>. fum sauvage,
28
-4-
r
c'est sa force
Et
brûlante.
c'est l'ab-
sinthe, en effet, qui remplit les verres, les bouches,
yeux,
les
cerveaux, de sa couleur trouble, de sa
les
vase, de son ivresse cruelle.
Au des
visages
attendaient leur double ration, et leurs
avaient
mendiants à sortis,
la
l'expression
fixe
porte d'une église. D'autres qui étaient
possesseurs enfin de
prime, se disputaient
la
voit à Sainte-Anne, et tout à
les
où
les
machinale des
et
avec de grands gestes incohérents
rixe
Des hommes,
soir, la foule avait grossi encore.
femmes
têtes
s'expliquer
!
coup
sonnaient sur »
tels
que Ion en
se ruaient
le
en une
pavé. « Laissez-
criaient des voix folles
pendant
que des femmes dansaient autour des combattants. Et ce
fut ainsi toute la soirée,
flambèrent, d'étain, féerie
illuminèrent
les
verres,
les
lorsque
l'alambic, les
fioles,
de lumières que regardait
la
les
le
lumières
comptoir
glaces,
une
sombre
foule de
soir-là
avec une
la rue.
Le père Pommier rentra encore ce meurtrissure au visage dit-il,
:
un coup
qu'il avait reçu,
en voulant séparer deux combattants.
autre jour,
il
était
manifestement
Un
ivre, parlait trop, 24.
-§— 282 —5la
langue embarrassée, répétait dix
Sa femme voulut
histoires.
honte devant ses
ne plus
s'arrêter
sa promesse,
résolu, les
filles, et le
le
fois
sauver
brave
homme
au maudit comptoir.
mais
il
revit
devant
yeux impératifs de
sa
mêmes
les
lui
elle
:
Il
promit de
manqua
lui
et
à
visage
le
femme,
fit
il
parut
d'abord se soumettre. devint bientôt hypocrite, sut tromper la surveil-
Il
L'heure verte sonne partout
lance.
sonne dans tous vard
de
les quartiers
la fois.
à
Elle
au boule-
la ville,
au faubourg, à l'horloge du café élégant, à
et
l'œil-de-bœuf de la boutique du marchand de vin.
Mais
le
bonhomme Pommier
décor qui exprime
humaine, l'illusion.
la
le
mieux
va tout droit vers
recherche farouche de
C'est peut-être
un peu
la
est
moment
seul par les
de chez il
à l'intérieur de Paris, rues,
a
du
et
revenant fatigué,
vaguement sur son existence laborieuse, sur
du monde
et
fatigue
la
diversion et de
loin
au bas du faubourg du Temple, mais en ce
de
la halte
le
lui,
travail
quand
il
rêvassant la
misère
sur ses chagrins personnels, son atten-
drissement sur lui-même ou sa révolte contre
le sort
se traduisent invariablement par la soif. L'établisse-
-s- 283 -3-
ment sauveur
se
enchantement,
et
présente alors à lui
comme un d'eau
et la
par
entre.
il
C'est à l'endroit
comme
où
la
longue rue en pente passe
pont au-dessus du canal, où
chemin
le
chaussée de pierre se coupent, créent un
carrefour. L'eau jaillit des écluses, le niveau monte,
une
lente navigation de gros bateaux, de lourds cha-
du
quai.
délicieux.
Les
lands, s'établit sur la surface paisible à ras
Le calme miroir
réfléchit
le
ciel
bateaux sont suspendus dans l'espace, dessus des nuages. La lumière rose du
dans
la verte
errent ausoleil fleurit
étendue.
D'où vient que
la
foule qui
marche ne
s'arrête pas
au parapet pour jouir des adieux du jour, de beauté de l'eau, de vient
la fuite légère
que nul ne veut regarder
bateaux,
si
des nuages
hauts
les
doucement posés sur
cette
et
?
la
D'où
massifs
clarté
de
mirage, que nul ne s'intéresse à ce glissement régulier,
à ces
mâts
nul ne jouit de
fiers,
la
à ce labeur pacifique,
— que
minute exquise qui ne reviendra
plus, à peine née, déjà évanouie?
Tout
le
monde
tinement de
va du
même pas,
troupeau qui
tient
contribue au piéla
largeur de
la
—
-s— 284
Presque
chaussée.
de
refléter
tous
§-
yeux qui pourraient
les
lumière sont baissés vers
la
le sol, et ces
regards qui ne voient pas, ces regards perdus, tom-
bent dans
la
poussière ou dans la boue. Ces passants
aux pieds traînants, vont
vers
chaude eux,
les
et
les
las, la tête basse, s'en
bras
nourriture et
la
vers le sommeil.
vers la
soupe
le
gîte,
La
poésie qu'ils ont en
révoltés et les résignés, les réfléchis et les
indifférents,
—
c'est
de continuer à vivre,
c'est
de
réparer, de retrouver les forces perdues d'aujourd'hui,
pour recommencer demain. Beaucoup, pourtant, de ceux qui arrivent ainsi au carrefour, montrent
une inquiétude
et
une habitude.
Ceux-là s'arrêtent, mais ce n'est pas pour regarder le ciel
renversé dans
nuées. Ils ont le
l'eau,
les
barques mêlées aux
mouvement tournant
et
des chevaux qui entrent à l'écurie le soir ils
tournent, et
Ce
ils
eux aussi
entrent.
n'est ni le café, ni la
de vin, et
:
machinal
boutique du marchand
c'est à la fois l'un et l'autre. C'est l'en-
droit spécial
où Ton boit
l'absinthe,
—
où l'heure
verte sonne dans sa plénitude, sa solennité.
A
l'extérieur,
un long
et
haut rez-de-chaussée aux
—
-s— 285 cloisons blanches,
scène de rectitude
aux et
*-
une mi-
vitres claires,
de propreté. Quelque chose de
bourgeois et d'administratif de cossu et de sérieux. ,
est évident, dès le dehors,
que pour accepter une
1
qu'on ne peut entrer
règle,
Il
là
accomplir une fonction.
L'intérieur est en accord avec ce premier aspect.
Les choses sont correctes, d'une propreté d'un luxe froid.
Ici aussi, le
comptoir d'étain où l'on
pourrait s'accouder à cent, et derrière la
les
brillante,
le
comptoir,
glace, les rayons de verres et les bouteilles. Entre
portes-fenêtres, partout
où
il
y a une place, des
tonneaux énormes, à robinet de métal.
À
chaque
bout du comptoir, l'alambic de cuivre.
On devant
ne boit que de l'absinthe. La rangée de verres, les
consommateurs,
est verte,
du
vert opalin,
sans transparence, aux
remous opaques. Un parfum
terrible, déjà enivrant,
règne dans
la salle,
asservit
immédiatement ceux qui entrent. C'est une odeur de nature, de
forêt
au
soleil,
d'herbes
mystérieuses,
cachées au lointain des halliers, des clairières inconnues, une poussée de plantes dangereuses, mortelle-
ment épanouies dans
De temps en
la
chaleur torride.
temps, une main
saisit
une
carafe,
-S— 286
—«Le nuage
se
forme, s'élève, tournoie. La main se crispe sur
le
glacée goutte h goutte.
fait filtrer l'eau
verre,
on
renverse,
la
voit
monter, on voit une
une bouche qui
boit, des
tête
qui se
yeux qui
se fer-
ment.
L'homme il
avale l'oubli.
Il
se
change magiquement,
donne d'autres yeux, une autre pensée.
se
L'heure verte la déraison. Il
est
pour
lui l'heure
de
la féerie,
ne voit rien, ne veut rien voir de
de la
rue, de l'eau, des nuages, des passants ses semblables,
qui
le frôlent,
travail et
auxquels
nuage trouble,
il
ne
il
le dit pas. Il
la
même
loi
de
voit ce qu'il veut, et ce qu'il voit,
scintille et palpite
ce goût incendiaire,
fées
par
garde pour lui tout
parfum inconnu, à
les
est lié
de misère. Mais dans ce verre-là, empli par
le
qui
il
le petit
monde
en son esprit, à l'appel de ce
la sensation
où
il
de ce goût de
feu,
de
semble que tout brûle, que
herbes vénéneuses flambent.
Il
en robe de gaze qui rasent
la
garde pour surface
lui les
du maré-
cage, de cette bourbe amassée en ce verre, tenu par la
main
crispée. Il garde
pour
lui les lutins cruels
qui se précipitentparson gosier, l'envahissent, dansent
frénétiquement dans son cœur et dans son cerveau,
-S— 387 -*-
parcourent
lui
les veines, les bras, 1rs
mains, viennent
jusqu'au bout de ses doigts fébriles. Rien,
il
ne dit rien. Le buveur de vin
buveur d'absinthe
pour
lui seul, ses
est silencieux. Il
décors
irréels, ses
Les buveurs d'absinthe sont des
un
rite,
est
bavard,
le
veut jalousement,
songes, ses abîmes.
fidèles
absorbés par
des croyants moroses en proie au charme
endormeur.
Ils
sont debout les uns auprès des autres.
Presque tous des
isolés.
parlent. Ils boivent, font
Peu
se connaissent,
un signe pour
peu
se
qu'il leur soit
versé une autre ration, puis une autre...
Ils sortent.
Cet enfer a ses cercles. Sans cesse l'homme devenu la
proie de l'alcool devient
tesse s'aggrave,
un autre homme. Sa
sa fureur va naître.
boivent, debout contre
pas encore pareils.
Il
le
tris-
Tous ceux qui
comptoir d'étain, ne sont
y a des gestes doux, des figures
jeunes, éveillées, plaisantes. Certains ne font que goûter
au poison, s'observent, croient ne prendre qu'un
réconfort.
Auprès d'eux, gner
la
la
brusquerie apparaît.
On
voit ga-
pâleur verdâtre sur les visages, s'affirmer les
gestes de bras cassés, de
mains malades. Aux. coins
sombres, des vieux avant l'âge se sont
installés
pour
288
-I—
—
§-
savourer longuement l'ivresse brûlante. Des visages
en proie à
terribles surgissent,
de
la
au délire
l'idée fixe,
Des mâchoires remuent, des bouches
persécution.
grommellent des menaces en dedans, des doigls reux tremblent,
l'effroi
va surgir. L'heure verte,
la colère
hommes
pour ces pauvres suicide,
un
lui,
père
du
Pommier but
soir.
loin de chez
du faubourg du Temple
à l'un des angles
au
Les bateaux continueront de
à l'homicide.
le
jour, sonnera
l'appel forcé à la folie,
passer lentement dans la féerie ignorée C'est ainsi que
ter-
passe dans des yeux chagrins,
et
du
canal. Il fut la victime de ce guet-apens de l'absinthe installé à l'entrée
jour où éclatant.
il
du faubourg.
gêne de
Un calcul
droit
dans
venue la
y tomba
passa devant la vitre claire et lui
d'entrer et de boire
subir la
Il
:
fit
il
la foule
comptoir
prendre sa décision brusque
se dit que, là,
douce autorité qui et
le
premier
il
ne pouvait
reproche muet de sa femme,
et le
dangereux
le
l'aurait détaché
ramené comme en
de
laisse.
la
l'en-
Caché
des buveurs qu'il ne connaissait pas,
il
était tranquille, isolé
de tout, égaré, perdu dans un
pays délicieux, dans
la forêt verte
senteurs capiteuses.
de l'absinthe aux
*-
Comme
les autres,
savoure maintenant
chaude il
Il
le
boit et
breuvage subtil
il
se croit rajeuni. est
ne
vin
Quand
rentre,
il
n'en est encore qu'à
la
période de légère
du ménage
est-il fini qu'il est Il
parfum d'absinthe
si le
le croire
Labattement
enjoué.
et
dormir.
sort, la tète
ne morigène per-
agréable faconde.
Le
il
il
dénonçait pas, on pourrait
le
:
boire. Il
à
aimable,
surexcitation, très légère, et
jovial
apprend
il
il
et active,
se tient droit,
sonne.
il
289 -*•
Il
mange
lui
simplement
succède
à
cette
sans faim, en se forçant.
semble fade,
et
à peine le repas
en proie à une invincible envie de
se couche,
tombe
aussitôt
au lourd som-
meil.
Un jour,
buvant devant
vement machinal aimant, ses
deux
faute, sa
et
il
comme
le
s'il était
découvre au carreau
filles. Il
attiré les
main tremblote en posant
fait
un mou-
par quelque
frimousses de
il
le verre, et,
les fait entrer,
pour
malgré
refus de Cécile, les accable de plaisanteries et de
gentillesses, les
il
a l'air interdit d'un enfant pris en
dissimuler son embêtement, le
comptoir,
ne
sait
plus ce qu'il dit ni ce qu'il
fait,
oblige à boire une absinthe à elles deux. Elles
reviennent avec lui, grises
comme
des oiseaux qui
4—
Devant
sortent d'une vigne.
*
29°
la
mère au
visage boule-
versé, le père essaie de plaisanter, Céline rit, Cécile
pleure.
—
Ben quoi
nous avons
!
pris la « verte » tous les
trois.
La mère
fait
coucher ses
sournoise, Cécile désolée, père,
parle
lui
net,
filles, les
—
comme
elle
et
:
est
elle le laisse se
un dimanche,
versation ajournée la veille. très conciliant,
il
ils
ont
Le père Pommier
écoute,
il
la
— C'est
le
métier qui veut ça
même
il
con-
est très
répond par
nelle raison des buveurs de toutes professions
Tout de
Elle
parler.
sait
le
dormir.
Le lendemain, qui
doux,
—Céline
retourne vers
et elle
s'aperçoit vite qu'il entend à peine
coucher
endort,
l'éter:
!
semble comprendre,
et, elle,
vou-
lant profiter de ses avantages, lui dit qu'il a l'air fati-
gué, qu'il a changé,
vieilli, qu'il ferait
bien de boire,
au moins pendant quelque temps, de l'eau rougie à ses repas, et se
ou du
cabre
— Mais,
lait, s'il
veut.
Le père Pommier
rigole
:
ma
n'est pas ça qui
pauvre femme, de
me
l'eau,
donnera des forces
!
du
lait,
ce
-*— 291
— Des dans
forces, tu vois bien
—* que
tu n en trou nos pas
vin et l'absinthe.
le
— Tu
crois, toi!
vous remonter un
n'y a que ça, pourtant, pour
Il
homme.
Elle ne se décourage pas, insiste tant et finit
par consentir à
l'eau
si
bien qu'il
s'engage
rougie,
ne
à
rien prendre en dehors de ses repas.
Pendant
les
jours qui suivent,
un exemple de
le
père
Pommier
est
revient sur l'impériale
de
l'omnibus pour ne pas être retardé en route par
les
sobriété,
copains, rentre plus
tôt,
apporte des semaines qui
n'ont pas été écornées chez
le liquoriste.
Cependant, l'absinthe, qui avait d'abord
servi
de
prétexte pour trinquer avec les camarades, était deve-
nue une
même,
utilité
pour
préparer l'appétit
«
».
Bientôt
toute explication mise de côté, elle allait être
une maîtresse impérieuse. Le père Pommier « pris » lait,
sa
était
au deuxième verre. Son cerveau se brouil-
main
tremblait à la besogne, ses jambes vacil-
laient sur l'échelle, ses
yeux clignotaient,
et
il
res-
sentait des nausées qui le faisaient blaguer par les
autres, plus aguerris.
son compte dans
les
En
six mois,
maisons où
il
il
reçut deux fois
travaillait.
Cela
-*- 2 9 2 -*était
dur pour
lui-même, le «
lui, et
il
reconnaissait bien, au fond de
qu'il n'avait pas
de plus cruel ennemi que
sacré perroquet », ainsi qu'à l'atelier
ils
appe-
laient familièrement la terrible verte.
Aussi cachait-il chez
lui la véritable raison
de son
chômage.
— Je
suis sûre,
—
lui disait sa
femme,
— que
le
patron a su que tu buvais.
— Mais non,
—
mais non,
répondait-il noncha-
lamment.
— Tu Fichet
et
es pourtant aussi
bon ouvrier que Sauton,
Malin... Pourtant, on ne les renvoie pas,
eux!
— Leur tour viendra comme verras Il
et
il
à moi, tu verras, lu
!
en avait été quitte pour chercher du avait
été
assez heureux, jusque-là,
travail,
pour en
trouver.
Un samedi
soir, à six heures,
— Voilà
père
le
dit la concierge à
Pommier une de
il
rentra chez lui.
encore sans ouvrage,
ses locataires.
—
— Une m'a
pas dit bonjour en passant, c'est qu'il est embêté,
vous verrez que demain
il
sera encore en vacances,
si
-s— 293
on peut appeler dire
sa
femme
?
<;a
—
s-
des vacances. Qu'es! ce «pie va
D'autant que sa
fille
aînée
cause aussi, des ennuis, dans un autre genre
— Quand
— répondit pour
les
est-ce
que
dames
hommes
les
Sa femme vint
lui ouvrir. ?
tu
Pommier haussa
prit
es
donc pas
ta clef ?
malade
?
tu as
bu
?
épaules sans répondre, entra
les
petite salle à
un journal
n'as
bégaya-.t-il.
si...
la
?
paradis
le
l'escalier, frappait à sa
— Pourquoi frappes-tu Tu — Ah! — — Qu'est-ce que as? Tu dans
!
î
Le père Pommier montait porte.
en
ne boiront plus
— ce sera alors
la locataire,
lui
manger, décrocha une pipe,
qu'il avait
dans sa blouse
mit
et se
à lire silencieusement.
Sa femme, après un tour à
la
cuisine,
vint
le
rejoindre.
— Tu
as ta
semaine
?
— demanda-t-elle anxieuse-
ment.
Tout en continuant dans sa poche
et
sa lecture,
posa sur
la table,
pièces blanches et des sous. d'oeil, vit qu'il
Pommier en deux
fouilla
fois,
des
Sa femme, d'un coup
ne manquait rien. 25.
-S- 294 -§-
— On
payé pour
a
toi,
ce soir, alors,
—
dit-elle,
— car
tu sens l'absinthe. Je croyais pourtant
c'était
fini,
tu m'avais juré de ne pas
que
devenir un
ivrogne.
— Ivrogne
un peu. Je ne
De
fait,
tu as le
!
suis pas
était très
il
devint plus douce
— Tu
même éméché
a trinqué
!
calme. La voix de sa
femme
:
n'as pas été chercher Cécile à la sortie de son
va
la
Je n'y
ai
atelier, ça
—
mot dur parce qu'on
mettre en souci. pas pensé,
—
répond-il distraite-
ment.
Le lundi matin, Pommier retourna comme de coutume
à son travail, et le soir
à l'heure habituelle. lait
Il
il
rentra chez lui
semblait préoccupé, ne par-
pas, et de temps à autre poussait de longs soupirs.
— Qu'as— Rien. Le
tu,
jeudi, la
mier,
vieux?
—
lui
demanda sa femme.
mère eut des pressentiments. Pom-
quoique toujours ponctuel,
était
de plus en
plus abattu et morose. « Il t-elle.
y a quelque chose, sûrement
»,
—
pensa-
Le
rencontra un des camarades d'atelier
soir, elle
de Pommier.
— Bonjour, — Eh bien
monsieur Malin.
madame Pommier,
!
a-t-il enfin
homme
votre
— ditbonassement
trouvé à s'embaucher?
l'ouvrier.
— Oui, quoi
la
Elle
—
oui,
répondit sans trop savoir pour-
femme
qui se sentait défaillir.
revint
chez
gorge serrée,
la
elle,
les
mains
assis,
lisant
moites.
Pommier encore
et
devancée.
l'avait
était
Il
toujours machinalement
le
journal.
Elle le regarda, ses traits étaient tirés,
son visage
battus,
eut pitié de lui. « et
il
Il
me
voyait
me
là,
dire,
affalé,
il
cache qu'il
mes
comme
poids de son mensonge. « Pauvre
enfant
—
!
» Elle
donne-moi
la
—
Il
n'a le
écrasé sous
homme ce n'est comme un !
tremblant ainsi,
s'approcha de
Je sais tout,
ouvrage
reproches. » Elle
n'osant bouger,
et
est sans
pour en retrouver.
a craint
pas gai d'être craintif
yeux
d'une grande fatigue. Elle
doit courir partout
rien osé
le
las
ses
lui
main, je ne
lui.
dit-elle
t'en
doucement,
veux pas
si
—
tu essayes
296
-fr—
encore vraiment de
—
s-
corriger.
te
Songe à nos
tris-
Quand
tesses passées,
à nos soucis de maintenant.
tu prendras le
maudit poison, pense que dans ton
mes larmes,
verre tu bois tu le
si
peux
et
ose t'en enivrer après,
!
Le père Pommier raconta lui-même une effroyable qui aurait
dû
le faire
réfléchir,
histoire
avait
s'il
été
encore capable de réflexion, l'histoire du père
du
fils
Rouillard.
Le père
était
un vieux soûlard
buvait de tout, sans préférence. Sa
vu de dures avec âgé
fils,
fureur,
il
lui
de vingt
:
il
ans,
et
H
son
de
cassait tout ce qui se trouvait sous sa il
travaillait, les
Il
avait
au paroxysme
ouvrage, volait sa femme, vidait fils.
incorrigible.
femme en
la battait, battait aussi
dépensait sa paye quand
Il
et
la
main. sans
et
poches de son
couchait une partie des nuits au poste, ou sur
un banc du boulevard
extérieur.
Il
en
était
arrivé
à n'avoir plus la force de la besogne, et c'est à peine s'il
pouvait se traîner jusqu'au comptoir
A et
travers les vitres, ses
charitablement,
secours, lui
l'un
offrait le
du
bar.
camarades l'apercevaient, d'entre eux venait à
son
bras jusqu'à la chaise d'où
-*- 297 il
se
levail
Son
iils.
quelques
-*
heures après, morne,
femme, venaient
sa
hébété.
quelque-lois le cher-
cher.
La femme ne
—
savait
Viens, allons
honte dans Si le
fils
!
que supplier
:
me
viens, rentre, ne
pas
fais
la rue.
venait, c'étaient alors
deux hommes en
présence.
Le
un rangé, un ouvrier
était
fils
sérieux, âpre au
gain, ne plaisantant pas avec ce qui pouvait alléger sa bourse.
devenu
Le
père,
—
l'ogre,
pour
lui,
peu à peu,
l'ogre installé dans le
était
ménage.
Il
ne buvait pas, écœuré dès l'enfance par l'odeur acre et
Une
pourrie qui émanait de son père.
cœur.
faisait lever le
Il
aimait
la
absinthe
mère pour
lui
sa con-
duite de
bonne ménagère martyre,
pour
désordre, la gêne, la déconsidération, qu'il
le
apportait chez lui. le
« soûlot
»,
Ce
il
haïssait le père
n'était plus le « père »,
pour ce
fils
sérieux
mais
peu chari-
et
table.
— à sa
S'il
pouvait crever une bonne
mère qui ne répondait
de tristesse
et
de dégoût.
fois
!
—
disait-il
rien, fatiguée de cette vie
*Un
soir, le fils alla
Pommier
troquet.
Rouillard
il
s'approcha
fils
—
Eh
ivrogne
— le
fils,
298 -*-
chercher
père chez
Je
était là aussi.
Quand
le
mas-
vit entrer
il
prévint tout bas Rouillard père.
Le
:
bien
saoul
es-tu
!
content,
as-tu ton
?
?
Fous
le
camp, ou
je t'assomme,
—
vociféra
père Rouillard en levant une carafe.
Pommier
ment amorti par son bras Le
fils
levé.
parut ne s'apercevoir de rien
— Une — veut
verte, et carabinée
Il
faire
mauvais exemple
comme
î
—
heureuse-
reçut le coup,
s'interposa,
!
—
dit-il
:
au patron.
son père. Voilà bien
dirent
les
le
buveurs autour
d'eux.
On
apporta l'absinthe. Le verre du père
— Tiens, le fils
bois
changeant
Le père avala
donc
ma
celle-là à
était vide.
santé,
—
dit
les verres.
l'épais
breuvage par petites gorgées
gloutonnes.
— J'vas fils.
trinquer avec
Une absinthe
des deux verres
et
il fit
un
toi,
bitter,
maintenant,
—
dit le
— commanda-t-il,
un mélange
:
et
-*- 299 —*-
—
Tiens, goûte ça
!
ça
te fera
Le père but encore pendant que placidement,
et
le
— Tu ne bois son verre
— Mais
si
le fils,
—
pas,
dit le père Rouillard vidant
par-dessus
fils
le
père,
mal
à Taise, reposait son
vieux visage violacé entre ses mains, le
bord.
le
je bois.
!
Et pendant que
encore
froidement
regardait.
regardant son
et
du bien.
le fils
remplit
verre vide.
— Allons ton — Tiens — ricana !
finis
!
verre, qu'on parte. le
père,
— quand y en a
plus,
y en a encore. Il
avala le reste.
tomba. Le garçon,
—
Qu'allons-nous
patron regardant
— pour Et lui
il
Quand
il
voulut
patron voulurent
en
faire ?
—
se
lever,
il
le relever.
interrogea
le
le terrible fils.
Flanquez-le à
la rue, elle n'est
pas
faite
que
les chiens. il
sortit sans vouloir rien écouter, rentra
en disant
—
le
chez
:
J'ai trouvé le
bon moyen pour guérir
le
père
:
ne nous embêtera plus.
On
déposa avec précaution
le
père Rouillard contre
4— 3oo un bec de la
où
gaz,
paix, et porté
homme
cet
—
il
ramassé par
fut
les
gardiens de
au poste voisin. Les passants, voyant
tenu par
pieds et par la
les
un homme qui
C'est
-4-
tête,
disaient
:
vient de mourir dans la
rue.
Le père Rouillard Le
fallait
mourut
pour
quand
ne
Plus de scènes,
Il
avait
purées vertes,
s'en
la
il
y
chez
Aussi
lui.
le
avait de l'argent de côté.
soupe toujours chaude
et grasse.
était enfin tranquille, et le fils attendait la
n'attendit
comme une la
les
plus
rentrait
ménage redevint propre,
fin.
en
lui
l'autre était ivre-mort.
L'ivrogne
La mère
qu'il
sa chère boisson, l'accompagnait souvent
au bar, préparait lui-même allait
» ainsi plusieurs fois.
donnait de l'argent autant
lui
fils
«
pas
longtemps.
Le père tomba
masse, foudroyé, un soir où
payé quatre absinthes,
le fils lui
et lui offrait filialement
cinquième.
Le père Pommier brutales de ce
femme être, lui
dit
drame dont
fut terrifiée, eut
une
inconsciemment
faisait,
dit-elle,
scènes
tout le quartier parlait. Sa
pour
colère, contre ce
les
la
fils
première
fois,
peut-
monstre de vertu, qui
plus horreur que
le
père.
Ce
— s-
-s— 3oi
i
n'étaient pas Justin et Jean qui auraient agi ainsi.
que son pauvre
Elle espéra
dans
pieds
les
les
homme
ne remettrait plus
où
endroits
se
commettaient
d'aussi abominables crimes.
y eut malheureusement encore des arrêts dans
Il
son
travail,
Il fallut
des mortes-saisons, des jours de maladie.
toucher plusieurs
du
des vêtements,
boucher
le
s'épuisa,
et
fois
pour payer
tante d'Andilly
le
linge,
boulanger. Peu à
de
la
—
et
et
sa
mémoire
l'air
retrouvait toujours
Blanchette aussi lui
de Jean.
prendre que loin,
et
la petite chatte il
s'il
la
reçu câli-
sérieux et content de Cécile,
toutes sortes de démonstrations.
de
lui, d'être
regard accueillant de sa femme, par
neriede Céline, par
où
s'ennuyait
gagné sa journée,
était heureux de se retrouver chez le
Pommier
grâce aussi à l'éco-
n'avait rien à faire. Lorsqu'il avait
par
les
somme
la
mère.
Le père Pommier maugréait
il
peu
mais grâce à ces mille francs,
la vigilance
la
terme, pour acheter
pour solder des notes chez
ne connurent pas la misère, nomie, à
aux mille francs de
le
un peu de Justin faisait Il
blanche
fête,
avec
était ravi d'aple sentait
l'entendait miauler derrière
la
26
venir
porte
302
-*—
avant qu'il eût tourné
—
§-
la clef. Sitôt qu'il entrait, elle
se jetait sur lui, se frottait à ses jambes
en ronronnant,
grimpait aux épaules, câline
contournée, lui
lui
et
devenant un col de fourrure vivant. faisait sauter
comme
il
sant happer de bons
pendant
le
Mais,
pour achever ce qui
il
lui
il
ne
répugnait
effort visible
n'y arrivant pas
lui était servi,
toujours. Après le repas, et sa
un
lui fallait
il
assiette. Il
buvait peu,
s'il
mangeait guère non plus. La nourriture
chaque jour davantage,
ses petites
dîner, la lais-
morceaux dans son
paraissait alors satisfait.
prenait, la
de
faisait autrefois
l'appelait près de lui
filles,
Il la
retombait à
la
tristesse,
femme remarqua qu'il changeait réellement,
qu'il
maigrissait. Plusieurs fois aussi, elle s'aperçut qu'il était
congestionné, qu'il avait
Un
soir,
il
— Tu ne Il la
dit
brusquement
vois pas
yeux tout
drôles.
:
que Blanchette
est
malade
?
prend, l'observe.
— Mais oui — !
— —
dit-il,
— A quoi penses-tu? regardant Blanchette
La
les
et
à
enragée
femme,
!
surprise,
son mari.
chatte ronronnait
homme, fermant
elle est
dit la
demi
dans ses
les
mains du
yeux bleus.
bon-
—*
-s— 3o3
— Oui,
—
oui,
—
dit-il
elle est
enragée
:
faut
il
la tuer.
Elle lui retira l'animal des mains. attention, se mit au
Au
matin,
dinaire
— la
la
Il
n'y
pas
fit
lit.
mère
revint sur cette lubie extraor-
:
donc
Pourquoi
chatte
voulais-tu,
malade,
fût
hier
pourquoi
et
que
soir,
voulais-tu
la
tuer? Il
ne se souvenait de rien,
alla
comme
d'habitude
à son travail, puis les fillettes partirent pour l'atelier, la
mère
resta
— Oui, —
la fin
dit-il,
reposer... J'irai à le
Elle fut étonnée de voir son
seule.
mari rentrer avant
—
de sa journée.
j'ai
mal
à la tête. Je vais
mon travail demain
matin, quoique
patron m'ait bien recommandé de
de ne pas
me
tracasser
rien, j'irai tout Il
de
pour
ma
me
me
besogne.
soigner et
Ça ne
fait
même.
dort, en effet, jusqu'au soir, puis
il
se
lève
avec une physionomie bizarre. C'était en décembre, il
faisait très froid
se chauffait auprès pattes.
:
du
la petite chatte
poêle, son fin
roulée en boule
museau
entre ses
.
—
-a— 3o4
Pommier
la
— Tu ne
vois
enragée
!
le
l'en
donc pas, Marie, que
femme
sa
empêcher,
cou, l'assomme
inerte, sans réveiller.
:
la
chatte est
. .
Avant que pour
regarde
§-
que
Puis
ait
pu seulement
dun coup
de poing,
la petite bête ait
il
sort,
s'est passé,
non plus ne ne
dit
eu
le
la
un pas
fait
pas où
il
rejette
temps de
ne veut rien écouter...
retour, assez avant dans la soirée, dire, et lui
faire
se baisse, saisit la chatte par
il
A
on n'ose rien
se
son lui
aucune allusion à ce qui est allé.
Plusieurs jours se suivent, sans rien de particulier
dans
les allures
du père Pommier. Un
très gai, dit qu'il a fait
tout le nuit, les
monde,
il
avoir fait parfois il
parle.
filles,
Il
rentre
dîne, se couche, s'endort. Vers mi-
se réveille, pleurant à
leur mariage,
il
une bonne journée, embrasse
mains de sa femme,
heure
soir,
du mal,
Toute sa la
lui
chaudes larmes, prend
demande pardon de et
lui
pendant plus d'une
vie repasse
dans ses paroles
naissance de leurs
fils,
:
de leurs
leurs années de travail, de chagrin, de joie...
revoit les jours
du Siège
et
de la
Commune,
la
mort de Justin à Buzenval, de Jean au Père-La-
>. chaise
dit qu'il faudra bien veiller sur Céline,
il
;
que Cécile
une bonne
est
Sa femme liser
—*
3o5
est
petite fille...
navrée et inquiète, veut
le
tranquil-
:
— Mais supporté,
mon
oui, et
pauvre
homme, nous avons
nous sommes encore
me
tout
Et nous pou-
là...
vons encore être heureux avec nos quoi
et
Pour-
fdles...
dis- tu tout cela ?
— J'aurais
bien voulu être heureux avec vous.
campagne, dans
J'aurais voulu nous retirer tous à la
une maison avec un jardin.
On
des poules.
aurait
On
respiré
aurait eu des lapins,
un autre
air
qu'à
Paris.
— Mais —
dit sa
oui,
nous nous retirerons à
femme.
— Allons,
la
campagne,
ne pense plus à tout
cela, dors tranquille. Il
continue, lui dit qu'il l'aime bien, qu'il a tou-
jours
douce
— —
fait
son possible pour qu'elle eût
la vie la
plus
et la meilleure.
Si
je
t'ai
répète-t-il
fait
sans cesse,
J'ai été entraîné, je
promettais
de
toujours
la
—
pardonne-moi,
peine, c'était
sans le vouloir.
ne pouvais pas
résister.
Je
de ne plus recommencer, 26.
me et
3o6
-§—
—
g-
toujours je retournais à ce sacré comptoir. Je ne sais pas ce qui
me
me
menait
comme une
c'était
:
force qui
poussait. Bien des fois, à la porte, je voulais
sauver, mais
ma main
me
prenait la poignée, et j'entrais
sans savoir ce que je faisais.
Et
recommençait
il
:
— Je
t'aime bien, pardonne-moi...
Et
l'embrassait
il
comme du bon
put s'empêcher de pleurer avec Il
se
tait,
elle le croit
lui.
calmé, quand tout à coup
se lève, frémissant, dégoûté, s'écriant
plein de punaises. Sa fait il
femme allume
voir qu'il se trompe.
va, vient, se
—
Regarde
pain. Elle ne
Il
passé
a
que la
il
lit
est
lampe,
lui
le
un pantalon,
démène. î
—
s'écrie-t-il.
couverts... Elles sortent
— Les draps en sont
du plafond, descendent
le
long du mur. Tout en est noir... Il
veut les tuer, se précipite. Ses
viennent.
Il
ouvre
la
porte
criant qu'il va à son travail. Sa rière lui,
tend
la
filles, réveillées,
du logement,
se sauve
femme descend
en
der-
ne peut suivre sa course dégringolante, en-
porte de la rue s'ouvrir et se refermer. Les
deux sœurs, qui
se sont
mises à
la fenêtre,
ne voient
—
-*- 307
*-
qu'une silhouette gesticulante qui perd dans
tôt se
s'enfuit, et bien-
nuit glaciale.
la
Elles rejoignent leur mère,
courent avec
ne
elle,
savent quelle direction suivre, rentrent, espérant que lui aussi est revenu.
leurs recherches,
quartier,
Au matin lettre
le
Rien!... Elles recommencent
vont chez
chemin qui
seulement,
elles
est à l'asile
sont épouvantées par une fait
que,
fiévreux et hagard, n'ont
que
il
a pleuré
son
femmes apprennent
père
Du il
au quai de
aucune réponse de il
a été pris
Dépôt,
n'a
pu
On le
a
dû
d'un l'at-
médecin
l'a
être maîtrisé que
A travers ses cris nom et son adresse.
camisole de force.
la
le
paix l'ont arrêté,
la
tirer
voulu tout saccager.
envoyé à Sainte-Anne, où
pés,
pu
conduit au poste, où
tacher, le garder à vue.
par
savoir
très loin,
l'Hôtel-de- Ville, les gardiens de
délire furieux, a
le
Sainte-Anne.
lui est arrivé ceci
lui. Ils l'ont
battent
son chemin chaque jour.
administrative qui leur
Pommier Il
était
patron,
le
entrecou-
Les
trois
cela à l'hôpital.
— Maintenant, où — On va vous mener est-il ?
Il
est là.
cédé dans un accès de delirium.
vers lui.
Il
est dé-
—
-§— 3o8
On
guide
les trois
§-
malheureuses, pâles
par des couloirs, on ouvre des portes,
et
et muettes,
subitement,
sur une dalle d'amphithéâtre, elles voient
père les
Pommier,
yeux
clos.
Son visage
est
d'une
Elles l'embrassent et sanglotent.
comme un
pauvre
tristesse indicible. Il est
dur
et froid
marbre.
Le lendemain, toutes
le
tout blême, la barbe presque blanche,
elles
viennent l'enterrer,
trois le cercueil,
un bouquet de
suivent
sur lequel elles ont déposé
violettes, et elles rentrent...
Elles restèrent toute la fin de la journée sans trou-
ver rien à se dire, hébétées par la catastrophe, ayant la
sensation qu'une
abattue sur
la
main
violente et irrésistible s'était
maison, avait
raflé le
en un instant. Tout à l'heure
il
était là,
il
n'y est plus. Machinalement, on
le
trouve pas.
dra jamais.
Il s'est
évanoui,
La mère songe
il
père
le
Pommier
maintenant
cherche, on ne
a disparu,
à ce vieux
il
ne revien-
compagnon
d'existence qu'elle avait aimé aux jours de nesse,
et
qui
était
devenu peu à peu
enfant parmi ses enfants. était
comme un
Son sentiment pour
un sentiment maternel,
tutelle, s'habituant
sa jeu-
il
lui
avait accepté cette
facilement à s'en remettre à elle
,
-s- 3og -5-
de tous
les détails
de
sa
et
sur
elles,
oh
plutôt qu'un porc,
!
faiblement,
l'autorité
femme, mais bien
dont
Aussi toutes trois éprouvent-elles
glots,
sa
légère,
mère
et
si
la
ne se
il
plaisant
gré tout, sachant distraire et faire rire
si
pour
été
qui criait parfois et se fâchait, exerçant
servait pas envers sa
Céline,
observa-
Bea
avail
il
un bon camarade
Cécile
un camarade
craignanl
De même
tions et ses reproches.
Céline
vie,
mal-
les fillettes.
même
douleur.
insensible, pleure à gros san-
Cécile doivent la
caresser et la
calmer. Et toutes trois reprennent machinalement travaux habituels de
les
Immédiatement, leur situation.
la
la
le
sens
femme presque
brillants et scrutateurs
où toute
les
chose
de
fu-
yeux
la vie est réfugiée.
face d'elle, Céline et ses vingt ans, jolie, les
veloutés, la
La
finie.
montre son visage creusé en masque
nèbre, une poussière d'argent aux cheveux,
En
de
exact
Elle se voit soudain, avec ses qua-
rante-huit ans, une vieille glace lui
maison.
mère a
yeux
bouche rose entr'ou verte, avec quelque
flétri,
d'incompréhensible,
fatigue de sa jeunesse,
—
et Cécile
une
subite
avec ses quinze
ans, Cécile qui n'est pas jolie et affriolante
comme
sa
-*. 3io
^-
sœur, mais qui rayonne d'un doux mystère en
elle
la
beauté de
pensée en
la
formation,
lumière semble émaner de son front bien
yeux
la
fait,
y a
une
de ses
gris, attentifs et spirituels.
Tous de
il
:
les
hommes
vie va
de
la famille partis, le
problème
maintenant se poser de façon plus
gorique devant
les trois
femmes
en cette veillée silencieuse.
caté-
réunies, ce soir-là,
VI
4V£S/0-"3- c
VI.
—
Désormais,
CÉLINE ET CÉCILE
les trois
prévision de la
femmes sont
seules.
La
triste
mère aux jours du Siège de
Paris s'est réalisée point par point.
Le chef de famille
ne
tombé,
lui a été
comme
ses
d'aucun secours, fils,
est
sous les coups d'on ne
lui aussi, sait quelle
secrète fatalité, avec cette différence qu'il a, le dire,
cherché son
sort. Justin et
on peut
Jean, au con>7
*-
3i4
-*
ont obéi à une puissance plus forte que leur
traire,
volonté,
à
un ensemble de
circonstances
qu'ils
n'avaient pas créées, qui disposaient d'eux, malgré
eux, malgré tout.
avaient gardé l'idée qu'ils rem-
Ils
plissaient leur devoir en obéissant
pauvre père Pommier, et vaincre
!
Un
verre après
toute son histoire.
au destin. Mais
s'était-il laissé assez
un
le
opprimer
autre verre,
c'était
La vapeur corrosive qui montait
tous les jours à son cerveau avait fini par faire
le
trou d'où s'étaient enfuies sa raison et sa vie. Était-ce possible
!
S'abandonner de ne pas
se défendre davantage,
même
la sorte,
essayer de résis-
C'était à croire qu'il l'avait fait
ter!
exprès, qu'il
d'abandon-
avait décidé de se détruire, de s'en aller,
ner
non
là
sa
femme
on voyait bien
!
qu'il subissait
de se
Ne
si
le il
instinct,
dit-il
se
!
Et pourtant, sort,
qu'il enrageait
qu'il était
pas à
sa
impuissant
femme, pen-
mit tout à coup à parler avec
extraordinaire lucidité
peine visible du malheureux
nageur qui perd pied,
filles
ne voulait pas son
qu'il
du mal, mais
dant cette nuit où
une
deux
un mauvais
faire ainsi
à se corriger.
ses
et
ne pas
il
?
Elle se rappelait la
homme.
Pareil à
un
se sentait entraîné par le
—
-§— 3i5
courant, incapable
Son
désarroi
('tait
§-
d'aucun certain,
effort
pour
sauver.
se
se jugeait avec clair-
il
voyance, pleurant sa faiblesse, se sachant incapable
de guérir,
comme
et
du dénouement prochain
averti
que plus rien maintenant ne pouvait empêcher.
La femme d'un
si
vaillante ne
comprenait pas
raison
la
lâche abandon de soi-même et d'une
si
épou-
vantable destinée. C'était probablement une maladie
qui s'emparait des pauvres gens et qui avait raison
même. Combien
d'eux quand
étaient
se
atteints,
débattaient plus ou moins, mais finissaient par suc-
comber! Et ceux qui vivaient près d'eux,
leurs
femmes,
La
leurs enfants, se trouvaient atteints par contre-coup. voilà seule aujourd'hui, et avec
deux filles
Jean, seulement, avait voulu l'entendre,
jour
il
ne
s'était
trouver la mort parmi les morts il
remplacerait
le
les
mêmes « Allons
les prières...
souvenirs et les !
—
si
la
devait
avec
père disparu. Elle lui
mais
il
était resté
Elle ressassait toujours
mêmes
se disait-elle,
il
!... Il serait là,
avait dit et prédit ce qui arriverait,
sourd à toutes
!
dernier
pas enfui loin d'elle, emporté par
fureur du combat vers ce Père-Lachaise où
elles trois,
Ah
!...
si le
—
regrets.
laissons cela, regar-
.
-g— 3i6
dons devant nous, filles,
tâchons
femmes
!...
et
de
non en faire
ami-
deux
?
monde
durera.
Il
faudrait
Ma
sans
vie,
un mari qui boira.
que
.
tout le temps
Et ce sera toujours ainsi pour tous, le
Deux
femmes...
mais quel sera leur avenir
doute. Des enfants qui mourront,
que
de mes deux
arrière, et,
gens devien-
les
nent raisonnables, sachent se contenter de peu,
et se
plaire chez eux, et puis qu'il n'y ait plus de boule-
versements, plus de guerres, plus de misères, plus de
comptoirs où l'on boit du poison... » Elle faisait ces réflexions, et parfois elle les
muniquait à et
comme
ignorante
tant de
deux
ses filles,
maux.
elle était,
comme
être n'y avait-il d'autre se bien
était
celle-ci
lui
savait,
découvrir
elle, et,
le
pauvre
remède à
demander aux après tout, peut-
remède à tous
une
les
malheurs
joie qui la consolait
comprise par Cécile,
un peu,
et les paroles
que
répondait brièvement lui prouvaient sa
bonne volonté
et sa droite nature.
Oh
!
celle-là
ne
pas de phrases. Elle ne disait que quelques
faisait
mots
ne
conduire soi-même.
Elle voyait, avec qu'elle
elle
Elle ne pouvait que
fillettes d'être
que de
mais
com-
:
-*— 317
— ne
Sois
—
s-
maman!...
tranquille,
Mlons,
maman,
d'une
telle voix,
tourmente pas!...
te
Mais ces quelques mots étaient certifies
Oui,
de
regards, qu'ils inspiraient
tels
on devait
celle-là,
dits
le
croire,
la sécurité.
sage
serait
et
prudente.
Mais Céline! La mère n'avait jamais su, savait
moins que jamais, quelle conduite
Tous
folle.
tenir avec cette
de persuasion échouaient, se
efforts
les
heurtaient à ce front
obstiné,
derrière lequel diva-
guait la cervelle la plus légère. Elle ne semblait
pas entendre. n'en
On
tirait rien
charmante
:
avait
beau
lui parler, la presser,
yeux semblaient
ses jolis
tête vivait
En
sans pensée.
du
s'agissait plus
avoir
d'un
morts
une enfant
mère
père, son
son manque de résolution. Et
homme, mais d'une faible
chair tendre, sans volonté... ainsi faite
?
et la vivante, étaient
Comment Les si
il
ne
fille,
de
avait-elle
trois autres, les
sérieux
!
on
vides, sa
elle, la
retrouvait la gentillesse et l'inconscience esprit à Tévent,
même
pu
deux
Sûrement,
Justin et Jean ne se seraient pas mis à boire. Sûre-
ment, Cécile ne tournerait pas mal.
La mère ne
cessait
d'agiter
ces
craintes 27.
en
.
*- 3i8 elle-même, ou bien
elle les
avec Cécile,
seule
de plus de raison
sa
fille
A
la
Nous avons eu
d'avoir
!...
exprimait lorsqu'elle
conclusion ce
tout
une heure du matin, Cécile
et sa
:
possible
est
sommeil de
sa
mère entendi-
doucement dans
Céline rentrait. Elle crut, sans doute,
mère
et
elle avait
vu que tous
les
raisonnements,
la
les
Il
avait déjà
y
A
mère
du
la façon
avait bien
douces ou dures
paroles étaient inutiles. Elle aimait encore voir revenir tard que pas
:
ne pas troubler
de sa sœur.
reçu les observations,
serrure
la
plusieurs semaines que cela durait ainsi.
dont
même
était la
qu'il
de
fille
Que peut-il nous arriver encore?..
rent la clef tourner
le
était
de quinze ans, pourvue
de prévoyance que sa
et
vingt ans. Et toujours
—
-*-
tout, livrée à
mieux
la
elle-même,
perdue dans l'immensité de Paris. Les premières fois, la
mère, confiante, croyait aux « heures supplé-
mentaires » de Fatelier, au bout de conduite
compagne, au l
'accident
Un
à une
une amie malade, à
d'omnibus aux encombrements de voitures
jour, le
n'était
service rendu à
fait
,
voile
tomba,
que prétextes
et
la
vérité
mensonges
:
la
apparut,
mère
tout
surprit sa
-§— 3if)
—
ûlle aînée on conversation avec
s'éloigna en ricanant.
veut
Il
*-
un mauvais drôle qui
à la
maison des remon-
trances, des pleurs, des drames. Céline fut surveillée.
Mais on ne put obtenir délie vagues à toutes fois
quelle
le
que des réponses
La mère
questions.
les
attendre la sortie de
put,
chaque
alla,
l'atelier.
Céline, fréquemment, trompa sa vigilance. Et cela
ne servit qu'à
la
rendre maussade, hargneuse, inso-
lente, fougueuse. Puis elle jouait l'indifférence, muette
ou chantonnant entre
La mère
ses dents.
n'était pas
une timide, mais
pourtant subir cet entêtement
il
lui fallut
et cette force d'inertie.
Elle supporta ces avanies, anxieuse et farouche,
peu rassurée par Cécile, aussi,
le
avait essayé de
Elle n'avait obtenu, ses
un
retour de Céline chaque soir.
comme
sa
convaincre sa sœur.
mère, en échange de
bonnes intentions, que bourrades ou haussements
d'épaules, avec des railleries en plus.
ne nous arrive pas pis
!
—
— Pourvu
disait toujours la
qu'il
mère,
sans formuler autrement ses appréhensions. Cécile n'osait pas l'interroger,
devinait ses réti-
cences, craignait tout de Céline.
Ce
soir-là,
comme
d'habitude,
le
silence
régna
320 -*-
-§*-
pendant que Céline
gagna
bientôt, en effet,
Brusquement, avait
dans l'obscurité, espé-
se dévêtait
l'attention de personne.
rant n'attirer
perçu un
la
les trois
mère
Le sommeil,
femmes.
fut réveillée
en sursaut. Elle
bruit singulier. Elle écouta... Rien...
Elle resta inquiète et attentive. Elle entendit encore,
au bout d'un
instant, le
même
bruit, semblable à
un
étouffé de petit chat.
miaulement
— Cécile! —
cria-t-elle fébrilement,
Cécile, de
même,
—
un chat qui
C'est
Céline... Céline
!
— entends-tu?
écoutait.
dû
a
faufiler derrière
se
Céline! es-tu éveillée?
Céline dormait, puisqu'elle ne répondit pas.
Les petits
cris
recommencèrent. Sans cesse,
miaulements
mêmes
étouffés.
La mère sauta hors de son delle, et,
les
lit,
alluma une chan-
pieds nus, courut directement à l'endroit
d'où partait
le
bruit
:
— au
lit
de Céline.
Elle paraissait dormir, toute pâle. Instinctivement, la
mère
fut avertie
verture de sa
se
la vérité. Elle
arracha la cou-
fille.
La douleur Cécile
de
et
l'effroi
leva, vint
près
lui firent jeter
un
appel.
de sa mère. Céline
était
-s— 321
immobile, étendue sur
—
%-
le dos.
Contre
elle,
un
petit
être remuait.
— Tu accouches —
se lamentait la
!
(
tourna
Séline
la
La mère
Cécile sanglotait. froid,
—
vers le
tête
mania doucement
affolée.
mur, sans un mot.
un peu de sang-
reprit
une
le petit être,
—
cru que tu lavais tuée!
J'ai
mère,
petite
fille.
dit-elle.
Et à Cécile qu'elle voyait toute tremblante, presque défaillante.
— Tu ne peux Comment
faire
de Céline,
sortir,
aller
chez
la
sage-femme...
Allons, je vais y aller. Reste près
?. ..
et n'aie
pas peur!...
Elle s'en alla, vêtue à la hâte, tâtonnant dans
l'es-
calier.
Cécile alors retint ses larmes, sa
mère à dominer
serra sa
sa douleur, se tint près
main brûlante, baisa son
— Tu
souffres,
ma
— Tu
as
une
petite
du
— Aie confiance
Céline alors retourna
yeux s'abaissèrent sur
?
—
silence de sa
fille,
—
comme
de Céline,
front moite.
pauvre Céline
Elle insista, épeurée
sement.
s'obligea,
lui dit-elle.
sœur
:
dit-elle avec attendris-
en moi la tête,
:
je l'aimerai bien.
remua
le bras,
l'enfant, qui continuait à
ses
bou-
ger et à vagir, puis elle regarda sa
le
—
J'ai
La
sueur, en
sœur
et lui dit
:
chaud. efiet,
coulait en grosses gouttes sur
visage, sur les bras de l'accouchée.
Cécile alla entr'ouvrir la fenêtre,
essuya
bouche,
le front, la
l'accouchée. Elle avait saillait là,
La
un
linge,
gorge, les épaules de
la
fillette était
prit
silencieuse et attentive.
un peu de frayeur de
cette chose qui tres-
sur le drap, mais elle voulut se forcer à
la tranquillité
énergique de sa mère. Céline se plai-
gnit encore de la chaleur.
—
J'ai soif,
Cécile lui
—
dit-elle.
donna
à boire.
Céline ne se plaignit plus, ne s'agita plus. L'enfant
aussi resta
mieux. dans sa et
chez
comme cette petites
tranquille.
Son cœur
qui,
vie, cet enfant
leur
elle,
ému.
était
osa
Cécile
l'examiner
du nouveau
C'était
naissant chez sa
appartiendrait
mère
nul doute,
sans
à Céline. Elle associa son avenir à celui de
nouvelle venue, se robes,
elle s'entendit
« tantine »,
la
vit
lui confectionnant
menant promener
appeler «
ma
— comme
la
tante »,
—
le
de
dimanche
« tante »,
;
—
bonne femme d'Andilly.
—
-s— 323
&-
Revenue au sentiment de elle
comprit aussi que
qui entrait dans la
désespoir pour sa mère déjà
sur
elles
si
perdu,
tant d'autres,
éprouvée,
la
le
honte
quolibets et les médisances de
les
trois,
— l'honneur
:
comme
abandonnée,
fille-mère
immédiate,
réalité
un nouveau malheur
c'était
maison
la
la
tout le quartier. «
Pauvre Céline
Nous
!...
rage... Mais voudra-t-elle
Des pas. La mère
lui
donnerons du cou-
nous écouter?
»
guidant une jeune
revient,
femme. L'étrangère ôte son chapeau, son manteau, réclame du linge, de l'eau tiède, vient près du
de
lit
Céline.
—
Allons,
madame, du courage
!
—
à
dit-elle
l'accouchée.
Quelques instants ordre,
couché
bébé
le
après,
emmailloté
auprès de
qu'elle reviendrait
sa mère.
dans
le
avec
des
serviettes,
La sage-femme
matinée; que
la
remis en
était
lit
si
on
dit
avait
besoin d'elle avant, ce qu'elle ne croyait pas, on trouverait laisser
;
que, pour
le
moment,
dormir Céline. Elle
saires à l'enfant, et partit.
il
la
n'y avait qu'à
dit aussi les
soins néces-
4—
324 -4-
Céline dormit peut-être, mais les deux autres ne
dormirent guère, attendirent
jour.
le
La mère,
alors,
vint au chevet de Céline.
— Qui ment
est-ce, le père
— demanda-
?
à l'accouchée, qu'elle vit
t-elle
un peu
briève-
reposée, res-
pirant régulièrement, regardant avec des yeux calmes.
— Allons
dis
!
Ce
n'est pas long,
Céline avait clos de nouveau
les
un nom
!
yeux, qui viraient
sous les paupières, et celles-ci ne se descellèrent pas.
— Voyons, — Tu ne connais
allons!...
le
pas,
—
dit enfin Céline, sèche-
ment.
— Mais tu aller le
C'est
connais, toi!... Nomme-le... Je vais
chercher.
Il
ne reniera pas sa
fille,
je pense!
— — Vous vous aimez
un honnête homme, un brave garçon,
mait-elle
Tu
le
pour
n'es pas
mariée. Je proches... Céline,
se rassurer.
la seule te
Tu
ait
sais
ma petite
range maintenant,
te faire
bien que tu es toujours
fille,
comme
toi, être si
tu
!...
eu un enfant sans être
promets de ne jamais
bien souffrir pour
s'oubliera.
qui
affir-
Cécile...
faire
petite
Ta mère veut
humiliée... et
veux
ma
de re-
si
cela s'ar-
ton devoir, tout
Céline ne répondit pas, n'ouvrit pas les yeux, ne vit
pas
le
visage de sa mère, aussi éloquent que
son de sa
voix.
Le front de
l'entêtée
le
crispa,
se
ses traits eurent l'aspect de l'agacement, de l'irritation.
—
Il
marié, alors
est
vérité, j'ai besoin
de
la
!
.
.
.
Voyons,
dis-moi
peine de plus ou de moins après celle-là!
—
la
Une
savoir, je préfère ça...
dit-elle
en montrant l'enfant. face dure,
Céline, la
ne
sortit
mu-
pas de son
tisme.
—
Laisse-la, mère, encore
est lasse, et cela lui fait
pour ce matin
mal, tu vois,
—
:
elle
dit Cécile,
secourable à sa sœur.
—
Soit
!
Mais tout de même, Céline, tu savais
bien que tu étais enceinte
qui caches
si
bien
—
dit
les
:
dis-moi, au moins,
choses,
si
tu as préparé
toi
une
layette.
—
Non.
Cécile et sa tallèrent
laconiquement Céline.
mère
quittèrent cette insensible, s'ins-
dans l'autre chambre, retrouvant des
vêtements anciens,
taillant,
petits
cousant, passant ainsi
la
journée, venant à chaque instant voir Céline, appor28
-*- 326 -4-
du
tant
à l'enfant, parlant à voix basse de ce
lait
drame inattendu.
— Dire que —
s'écriait la
je
ne m'en suis pas
mère.
— Je
l'ai
même
mince,
était
elle
comme
car
cela ne la transforme,
il
pour
que cela
!
elle,
faire
du
est
et
même
On clabaude quand il n'y
sera, alors ?
— Que veux-tu, il
Une de
plus à nour-
mais j'en doute!... Quel
pour moi,
pas sans avoir tous
sérieuse
!
fille
bien.
pour
a rien
qu'est-ce
:
Nous ne pourrons plus
les
faire
fester
un
yeux sur nous.
mère
!
le
de quinze ans;
Aimons
dans
toi,
mal
—
l'enfant
:
est fait,
il
s'il
—
dit la
faut tacher d'en n'a pas de père,
toujours de Céline, et Céline est ta
fille.
L'enfant fut déclaré de père inconnu, reçut
nom
ne
ne faut pas compter sur Céline... à moins
rir,
que
maison
taille
si vite l'escalier!... Il
nous manquait plus que cela
la
d'habitude. Sa
couleurs sur les joues...
avait ses
hier encore, elle descendait
affront
î
mes ques-
quelquefois, mais elle esquivait toujours tions... Elle a été rouée,
aperçue
trouvée bien fatiguée
le
pré-
de Yictorine. Céline ne parla que pour manison désir de l'appeler ainsi.
La convalescence de Céline
fut courte. Plusieurs
-s— 327 -*fut interrogée sur le père. Elle
fois elle
qu'une
sœur
fois à sa
— Ce
n'est pas ton affaire.
Huit jours après
naissance,
la
un malin,
et
Cécile ne trouvèrent plus Céline
le
lit
que
Sur
l'enfant.
un morceau de
:
il
:
mère
n'y avait dans
table, à côté la
la
du biberon,
fuyarde avait écrit deux
:
Ne me cherchez
Je vous ennuie
la
où
papier,
lignes au crayon «
ne répondit
:
je
pas. Je suis bien maintenant.
m'en
vais.
Maman
soignera mieu\
Victorine que moi. »
— Malheureuse — !
dit Cécile.
Elle souleva l'enfant, le serra dans ses jeunes bras,
comme baisant
si
le
— Je
elle
doux
serai ta
prenait à front
témoin l'avenir,
du nouveau-né
en
:
maman.
Mais bientôt l'enfant languit si
et dit
et
mourut,
son inconsciente mère avait emporté sa
un grand chagrin pour
Cécile. Les
comme
vie.
Ce
deux femmes
fut
sui-
virent le léger cercueil, s'en revinrent, serrées l'une
contre l'autre, dans leur
triste logis
qui leur parut un
désert.
Elles
explorèrent
les
alentours
avec
la crainte
328 -*-
.§_ secrète d'une
affreuse
en vain. Puis,
elles se
rencontre.
attendirent
Elles
résolurent à quitter la maison.
Malgré tant de malheurs qui leur étaient arrivés folie
du
alcoolique
Céline,
accouchement
père,
mort de Victorine,
là
et fuite
elles seraient restées.
:
de
Leur
histoire était banale, après tout, et les pauvres gens
sont habitués à ces catastrophes.
jours pour cela bienveillants souvent, sans
et
Ils
ne sont pas tou-
humains,
et
une
raison, les voisins font
guerre aux vaincus de l'existence. Toutefois,
Les deux femmes avaient
fut pas ainsi.
gens qui ne s'occupèrent pas qui
les estimaient,
attitude
si
d'elles,
si
terrible il
n'en
affaire à des
ou à d'autres
qui respectaient leur deuil
réservée,
bien
et leur
convenable. La concierge,
toute à ses billets de loterie, n'était pas une mauvaise
langue,
et les locataires étaient
quilles, ouvriers,
trant
le
temps de
soir,
employés, partant
sortant
s'attendrir
déménageait
et
des personnes tran-
le
le
matin
et
ren-
dimanche, n'ayant pas
ou de débiner
:
d'ailleurs,
le
on
on emménageait fréquemment dans
la
maison. Le père Chaudron
la
mort du père Pommier
;
n'était plus
Paterneau,
courses, avait changé de quartier,
venu depuis
le
joueur aux
et les
nouveaux
-*—
329
—
*-
habitants ne s'étaient pas enquis de ces deux
femmes
qu'on n'apercevait guère.
Ce
fut la nécessite qui força la
mère
cher,
un logement plus
donner Il
Belleville
petit
ou trop
où
et la
un
fille
moins
s'établir sans
aban-
s'en éloigner.
y avait encore un autre motif à leur changement
M me
Cécile se séparait de
ne gagnait passa
Bausse, chez laquelle
vie. Elle avait découvert,
des affiches manuscrites collées sur les
magasin de
la
à
loyer
déguerpir, elles aussi. Elles voulurent
:
elle
au hasard
murs, un
rue Lafayette qui « demandait des
ouvrières » et elle suggéra à sa mère l'idée de se
rapprocher des Buttes-Chaumont. Si près
du parc,
elles
elles habitaient
auraient bon air et belle lumière,
une promenade toute proche,
et
elles
pourraient
essayer de revivre. Elles cherchèrent ensemble,
de
la
rue Lafayette, trouvèrent
un la
soir,
en revenant
rue Secrétan, qui
montait tout droit aux Buttes Ghaumont. Elles s'établirent là
Cette rue Secrétan, étroite et
sombre, a
démolie en partie.
un peu
été,
En
à la hâte.
dont l'ouverture
était alors
depuis, assainie, modifiée,
cette année-là, la partie 28.
com-
—*-
33o
•#—
prise entre le boulevard de la Villette et la rue Boli-
var était
un des plus
cheminé
la
tristes
entrepreneurs
de mise en scène,
maisons
au
et
du pittoresque
lodramatique par
Le banal
seul
sinistre, quelle
C'est
aspect
jamais
commandé
l'agencement des
les
et les
avaient
qui convient à
travail sans espoir.
n'avait
et
cet
même
non plus ne donnait
rien
ait
sans songer à aucun effet
décor
le
pauvreté besogneuse
tion des
de
responsables
réalisé, sans le vouloir et
souci
où
couloirs
misère de Paris. Les propriétaires
construc-
boutiques,
du faubourg mé-
l'idée
procédés
la
usités
au
théâtre.
triomphait, mais avec quelle beauté
douloureuse éloquence
une invincible
avait fait rassembler ces
loi,
sortie
!
des
choses, qui
maisons sans âge, ces bâtisses
qui prenaient immédiatement, en s'élevant du les
apparences non illusoires de
vétusté. Les pierres elles
un
une
se
maladie
et
de
la
lèpre.
Les
lettres badi-
aux murs coulaient immédiatement en
salissures noires, de la teinte
terrement.
la
sol,
employées avaient apporté avec
effritement et
geonnées
la
Aucun
du noir des
lettres d'en-
Les couleurs employées aux devantures
décomposaient en jaunes
et
en verts morbides,
le
-*- 33i -Hh
rouge des façades des marchands de vin se coagulait et noircissait
assassinat. sait
en flaques de sang oubliées d'un
La
tristesse
naturellement
des bas-fonds sociaux surgis-
librement.
et
Est-ce l'orientation de la rue qui Il
vieil
voulait ainsi
le
?
semblait qu'il y eut toujours une humidité et une
fraîcheur dans
que
lumière du
la
que
l'air,
l'eau des ruisseaux stagnât,
soleil
pouvoir entrer dans
rodât dans
la rue,
que
le
le
quartier sans
pavé fût toujours
gras.
Même
nait,
une brume obscurcissait l'atmosphère
doute tait
elle
lorsque le
montait du
ciel
se pavoisait et s'illumi-
de l'amas en fermentation des
gîte est
la
sans
sol et des ruisseaux, elle sor-
des arrière-cours, des entrées d'hôtels
Car
:
garnis,
victuailles.
rue où Cécile et sa mère ont trouvé leur
une rue où
la
nourriture abonde. Les vitrines
ouvertes crevaient, débordaient, versaient leur trop plein de mangeaille sur le trottoir
boucherie les
et
de
veaux pâles,
comme
charcuterie, les les
gigots de
:
les
viandes de
bœufs saignants,
mouton enveloppés
des bouquets dans des papiers découpés et
ajourés en broderies, les moitiés de porc épais de lard, les guirlandes
de saucisses,
les
mous
roses et
-*
-$— 332 violets,
foies
les
tous
les
suifs
tous les gras-
et
doubles, tout ce qui, chez les tripiers, colle aux tables
de marbre
et
trempe dans
baquets.
les
aux
charnier offert aux fatigues,
appétits,
C'était
le
aux faims
terriblement gagnées.
Tout
poignant on ne
cela,
comme
maisons,
les
fruits,
les
sait
pourquoi,
l'atmosphère. Les légumes, les
dans
fromages,
rez-de-chaussée
les
pauvres cassines, ou vendus au panier, sur
du
avaient la
trottoir,
comme
même
le
des
bord
apparence de nourri-
ture de hasard, faisaient songer à des restes dédai-
gnés. C'était la
pauvreté qui essayait de vivre de
la
pauvreté.
Ces
petits
marchands, pour
inquiets et misérables, autant taient
comme
ils
plupart,
étaient
que ceux-là qui
aux éventaires. Le boucher,
marchand de
les
la
le
s'arrê-
boulanger,
le
vins, dispensateurs de la vie, luttaient
pouvaient contre
pratiques habituelles
les
du négoce
quées partout, au passage de
Mais l'homme a
si
mauvaises payes, étaient
et
embus-
la foule.
bien accepté la vie, dans n'im-
porte quelles conditions,
il
s'est fait
une
telle
habi-
*- 333
-*-
mêmes
hide des événements toujours les jour,
que ce passage
sinistre partie le
stationnement de foule
et ce
pas plus sinistres qu'ailleurs,
n'étaient
de
rond-point de
ces pavés qui
barricade,
la la
rue
chaque
<!<•
cette
comprise entre
Secrétan,
Villette et
dans
rue Bolivar. Sur
la
semblaient promis à quelque future
dans
rue
cette
sement de drapeau étaient joyeux, les
noir,
pour un
faite les
surgis-
enfants des pauvres
physionomies des
hommes
étaient
joviales.
Debout sur le le
le
pas des portes, ou descendant vers
boulevard, ou montant, aux jours de répit, vers
paysage des Buttes-Chaumont,
leur allure de bons
compagnons,
une pipe de bon tabac Les femmes,
un
et
elles, étaient
mâles gardaient
les
vite déridés
par
verre de mauvais vin.
comme
toutes les
femmes
de faubourg, pensives, ou stupéfiées, bu soucieuses avec des yeux ardents.
prendre
le
drame
social
Une
telle
rue faisait com-
en suspens,
la révolte possibles, et aussi la triste
ceptation, la longue sérénité
de terre,
la
pauvre
joies qui s'achètent
les
désespoir et
beauté de l'ac-
du cheminement à
ras
égayée par
les
vie matérielle,
dans
le
boutiques.
—
-*— 334
ny
Il
a
Sh
aucun blâme. Chômage, misère,
ici
inquiétude du lendemain, ne sont pas des vices.
du
sont les injustices
Le
tion. le
lendemain
le
la
la
foule qui
qui affiche un
En
haut,
nomie de
la
il
avait
énergique,
gaieté
rue
Cette
non pour
donne une
tel viril
y
belle signification par
meilleur.
d'autres sont admirables,
pour
une
spectacle prend
labeur sans trêve,
pour
Ce
sort et les tares de la civilisa-
telle
l'effort
et
bien
leur aspect, mais
leçon de courage,
espoir.
un élargissement. La physio-
rue changeait après
traversée de la
la
rue Bolivar. C'était alors une rue des quartiers neufs
de Paris, bordée de terrains, de maisons en construction, de
—
maisons neuves,
les
maisons ordi-
naires, à façades sculptées, à balcons, à vestibules.
A
gauche, derrière un remblai de
chiffonniers. les
A
droite, entre
mouvements de
seuses, terre
verdies
dessinées
d'herbe
brillent
laiteries.
en
une
cité
de
bâtisses nouvelles,
terrains de buttes incultes, glai-
Quelques coins de
rare.
de pousse plus drue où paissent
de vaches des sons
deux
terre,
Sur
les
plein ciel,
aux moindres feux de
troupeaux
les
sommets, des maiet
dont
l'espace.
les
En
vitres
contre-
-s- 335 -§bas,
clocher
le
de
d'un presbytère en et
un
l'église
camp
Saint-Georges,
volant,
accolé
un rez-de-chaussée
premier étage à galerie de bois.
L'étendue aperçue évoquait une banlieue de maritime, sur
les
dont
crêtes
et
les
dernières maisons
dans
les
replis
perdent
se
d'une
paysage suggéré vient
Dans
au
jaillissent, les
moment où
flammes de gaz
les
scintillent
réel.
lumières
comme
feux des jetées, les jets de lumière s'élancent les projections
Un
falaise.
s'ajouter au paysage
ces parages, le soir,
ville
les
comme
des phares.
Enfin, plus loin, c'est la féerie des Buttes-Chau-
mont.
La rue conduit au jardin de arbres,
repos, aux fleurs, aux
aux bancs, aux pelouses, toute une grande
étendue de nuées et d'éther au-dessus des vertes collines.
Malgré ce voisinage, Cécile rent
pas
rester
dans
la
et sa
rue
mère ne voulu-
tumultueuse.
Elles
n'avaient que trop vu ces décors violemment animés
par
le
drame de
de repos,
la vie.
Toutes deux avaient besoin ce
repos
complet.
A
il
leur
fallait
peine installées,
elles
donnèrent congé, cherchèrent
et
4- 336 -* encore, ne virent rien pour
haute
bourgeoise de
et
la
sèrent alors de l'autre côté
elles
dans
la
partie
rue Secrétan. Elles pas-
du
parc, se retrouvèrent
à Belleville, explorèrent la rue de la Yillette, se déci-
dèrent pour une petite rue, la rue Louvain, entre
rue de
la Villette et la
la
rue Lassus qui longe l'église
de Belleville. Elles louèrent
une chambre
une
et
cuisine, avec
du grand
des fenêtres ouvrant sur la rue, en face jardin inculte d'un ancien pensionnat. les arbrisseaux, les fleurs, les
liberté. Il allée,
Les arbres,
herbes y croissaient en
y avait un jeu de boules dans une large
mur
à l'ombre d'un vieux
En somme,
contreforts.
soutenu par des
elles habitaient,
là aussi, à
dix minutes des Buttes-Chaumont, que Cécile traversait presque tous les jours
pour
aller
prendre
rapporter son ouvrage, et la mère et la vaient, s'asseoir
à leurs instants de répit,
dans
le
oasis de la ville
Comme
beau jardin,
de
travail et
le
voies de la
promener
se
et
pouet
parc enchanteur,
de misère.
dans
les rues,
passages des alentours, dans
les larges
tous ceux qui habitent
les ruelles, les
fille
Yillette
ou dans
la
là,
petite province de
-*- 337 Belleville, elles
se
domaine inattendu,
—
s-
trouvèrent
les
propriétaires d'un
surent en goûter la sur-
elles
prise et la douceur. Les jardiniers qui ont
employé
ces accidents de terrain, dessiné ces pelouses, planté ces arbres, ont été des fournisseurs d'illusions les
Au
passants.
d'un
nom
pente, à gilité
gré de l'esprit et des yeux, selon
l'atmosphère et l'heure,
saison,
décors,
d'allée.
la
on peut nommer
préféré le paysage aperçu au
un tournant
de
pour
bas d'une
Nature de théâtre,
fra-
Normandie,
des
maquettes
de
Vosges ou du Jura, de Suisse ou de Bretagne, mais
même un
c'est tout
de
et d'autres
verdures, et
qui sont
ici
et
départ vers d'autres pierre nostalgie de tous ces gens,
la
qui sont nés ailleurs, peut trouver
dans cette nature factice
l'enchantement du sou-
venir.
C'est l'apothéose
mensonge, une fait
du
factice,
sorte de
La grâce
et traversée
minutes
à
vue qui
et d'usines,
bruyante
subite de ce beau jardin agit sur
libres.
se
de fumées. l'intelli-
fut retenue là
dans
Elle préférait rester sur la
hau-
gence attentive de Cécile, ses
règne d'un doux
changement
dans cette région de négoce
de machines
le
elle
*9
*- 338
-*-
teur plutôt
que de descendre vers Paris, dans
du
Gomme
cirque.
en semaine,
les autres,
le
fond
elle était
bien forcée de dégringoler la côte pour s'en aller
chercher sa subsistance. elle avait
un jour à
elle
Au
moins, par
son quartier, pour apprendre sait si vite, les autres jours,
casanier,
ce sentiment
petites villes
dans
la
le
dimanche,
pour connaître son séjour, les
rues qu'elle traver-
matin
du chez
grande.
crée ainsi des
soi,
Que
Ce goût
et soir.
l'on sache bien
qu'à Bagnolet, à Montreuil, aux portes de Paris, contre la barrière,
il
y a des bonnes femmes qui
n'ont jamais franchi l'enceinte des fortifications, qui n'ont jamais eu la curiosité de l'autre côté.
De même, dans
ce quartier
vards extérieurs, la
mère de
au delà des boule-
Cécile,
comme
quantité
de femmes tranquilles, très travailleuses chez
peu enclines à
sortir,
que ce qu'elle en voyait à l'horizon de
toits,
:
un découpage
de monuments, de clochers, dans un amas
de fumées. Pour
d'un jardin fait
elles,
ne connaissait guère de Paris
tel
celle-là et ses pareilles, la création
que
les
Buttes- Chaumont est
un
bien-
qui ne sera jamais assez célébré. C'est là que
mère, en promenade avec Cécile,
allait
au
la
soir cher-
339 -*-
-s—
cher son pays de Bretagne, son souvenir d'enfance.
La
grotte, la cascade, le lac ne disaient pas grand'
chose à son esprit, pouvaient l'étonner
comme une
nature de théâtre, mais une chanson de campagne était
lui
pierres,
chantée par ce ruisselet courant sur
les
où venaient boire
les
ce
ruisselet
clair
merles, où se reflétaient les sapins.
Et
les autres,
ceux qui ne sont d'aucun pays, qui
sont nés dans une rue démolie, qui déménagent de
maison en maison, depuis leur naissance?
Pour ceux-là, avec un peu de conversations écoutées,
après
quelques lectures retenues, la
traversée
tous les lointains voyages. la
peuvent croire,
ils
du parc minuscule,
avoir accompli
La montagne,
la terrasse,
lande, la muraille granitique brodée de lichens,
apparaissent à la fois dans l'étroit espace. Les plantes les
plus différentes croissent, la nature se transforme
et se déguise. Cécile était ainsi,
minute,
une
rapide
minute,
avait la
pendant une
sensation
Pendant une
de
la
grand'route
en
minute
descendait un sentier rocailleux perdu
dans
elle
la solitude.
argent,
un
pleine
forêt.
Une eau
autre
courait en zigzag de vif-
torrent sautait sur des pierres usées,
une
-s— 3zjo
cascade tombait dans
le
—s-
clair-obscur verdâtre d'une
une mare subitement
grotte,
se
dessinait
en
des
proportions de lac.
Tout
est ajusté,
place possible.
façonné, pour tenir
C'est
une
le
moins de
série d'échantillons,
mais
les
arrangeurs de ce jardin ont admirablement pro-
fité
de sa disposition naturelle. Ce qu'ils n'avaient
pas en étendue,
su
pour
des
servir
se
ils
l'avaient en hauteur, et
collines
et
des
ils
ont
vallonnements
dans ce coin de Paris, cette contrée
créer,
Les descentes
pittoresque.
et
les
montées ont
été
propices à la variété de visions cherchées. Et c'est ainsi
que
le
noir Montfaucon a été transformé, vêtu
de verdures, parfumé de fleurs, ouvert sur des scènes multiples,
nature,
des
changements à vue de
— un univers en
vie
et
de
raccourci.
Cécile connut
le
jardin, ses alentours, et connut
vu de loin
et
de haut.
Paris,
A
tout instant, de chaque tournant de rue, sur la
colline de Belleville,
Paris se révélait à
elle,
gran-
diose et bruissant, au bas des chaussées qui plongent
en son océan.
sommet, de
De
tel
telle
seuil
rue courant en lacet à quelque
d'une maisonnette dressée en
—
-s— 341 plein ciel,
trois la
c'est
cam-
lointaine
du haut des Butles-Chaumont, de
points différents, que
la fillette avait
la
vision
plus étendue.
Par à
ville apparaissait, et la
la
pagne. Mais
§-
la
droite
rue Botzaris qui longe des
le
parc, elle laissait
des cahutes entourées de
palissades,
tournesols et de roses trémières, des hôtels meublés,
un immense vieux
cheval,
dominé par ville.
A
vague où
terrain
les
terrain
de
encadré
deux clochers de
gauche, par
percée d'une allée,
les grilles, elle le gris
le feuillage, et enfin
espace,
errait toujours
et
la
maisonnettes,
l'église
de Belle-
voyait le jardin,
la
bleu de l'horizon à travers
une subite
de
découvert
d'une balustrade
quelque
éclaircie,
l'immense
maintenant bordée
rue,
suspendue au-dessus de
la cas-
cade.
De
là, les
petites,
un
Buttes-Chaumont
îlot
se
découvrent toutes
verdoyant perdu dans l'espace. Elles
sont enserrées de toutes parts, bloquées par
de pierre,
les rues,
les
maisons,
les usines.
la ville
Ce qui
apparaît, c'est que la nature a conquis à grand'peine
ce
peu de
miracle
la
terrain, et qu'elle
ne déploie
fantasmagorie subite des
ici
pins
que par et 29-
des
-s— 342
—
s-
mélèzes, des peupliers et des sycomores, des bou-
leaux et des trembles, des saules et des osiers, des fleurs, des rochers, des eaux.
On
décor fragile s'évanouir, on a
menace, d'une le
lutte
craint de voir ce
la
d'une
sensation
aux alentours. Mais on n'a pas
temps de définir son impression, car immédiate-
ment on
est distrait
de tout par
la
beauté de Mont-
martre, par la colline finement dessinée, modelée en justes proportions, qui s'enlève d'une grâce
si
légère
au-dessus des frondaisons des Buttes-Chaumont.
Montmartre, à l'horizon, au delà des marronniers et
des frênes, dresse ses pentes de gazon, ses mai-
sons, ses murailles blanches, ses échafaudages. le soleil
vienne illuminer ces pierres, que
de
minuscule
la
vapeur
d'or,
montagne
l'imagination
la silhouette
poudroie s'en
va
Que
dans
aux
une
collines
sacrées et aux temples de la Grèce apparus au-dessus
d'un rideau de verdure. Descendez, plongez au ravin de
au labyrinthe de
la
rue Bolivar, de
là
feuilles,
montez
première colline, au-dessus de
Montmartre changera
la
d'aspect,
entouré de maisons, de sillons de pierres qui dessi-
nent
les
mouvements de
terrains,
montent
comme
-s- 343 -«-
des vagues à Tassaul d'un haut rocher. C'est une
de tempête où
mer
émergent en mâts de navires
aiguilles des clochers, les fins
Toutes proches,
maisons des faubourgs dégrin-
les
golent les descentes, vont se jeter au gouffre. voici que,
par une image visible,
au passé
relier
:
la
de
plan,
le
Et
présent va se
vue s'en va, tout naturellement,
sans solution de continuité,
du premier
les
tuyaux des fabriques.
de ces
ces nettes
de
toits
tuile
de
façades,
ces
fenêtres ouvertes, de ces vitres qui étincellent, vers le
décor qui surgit aux crêtes des vagues durcies,
vers
le
Paris
dans
la
brume
historique dressé en mirage
fumeux
colorée, le vaisseau initial de la Cité,
Notre-Dame massive,
la
montagne Sainte-Geneviève
aérienne, le Panthéon dressé en cime.
Le jardin encore suivis,
traversé,
le
dessin des sentiers
au bord des creux où fleurissent
de rouges géraniums, au-dessus de jaillit
une
toufie
d'hortensias,
la
les corbeilles
cascade d'où
au long des
allées
ombragées, des rangées de bancs où causent des vieux, où chuchotent des femmes,
hommes
éreintés,
du Belvédère,
—
où dorment des
et ce sera la courte
la vision
ascension
complète du Paris immense
—
-*- 344 et
brumeux, océan
*-
hérissé de navires, et de la plaine
industrielle.
La
Villette,
bervilliers,
la
Pantin,
Prés -Saint-Ger vais, Au-
les
Plaine des Vertus,
le
promontoir de
Romainville, c'est l'aspect nouveau qui s'ajoute au Paris ancien.
Les abattoirs,
les four-
les fabriques,
les usines,
neaux,
les
tuyaux, un amas formidable se dresse,
proche
les
jardins suspendus, les rochers artificiels,
On
l'eau sillonnée de cygnes.
sons, environné de fumées,
jamais dans
le
est
cerné par
les
mai-
et la vision s'installe
à
souvenir.
C'est, finalement,
un énorme champ de
bataille,
étendu jusqu'aux collines qui ferment l'horizon. Ces fumées, qui sortent des blent se répondre et
comme On
les
de bâtisses,
les foules,
si
loin,
mais
des incendies.
et
manœuvrer
elles
y
sont,
dans ces
défilés
les
on
une humanité haletante court entre terrains,
qui sem-
et
combattre, sont tragiques
se
fumées des canonnades
ne voit pas, de
passer
îlots
troupes et
les
ces
devine
replis
de hautes maisons.
De
:
de ce
belvédère, de ce haut observatoire social dressé sur Paris,
on aperçoit distinctement, sous
le ciel, l'agi-
-*- 345 -*tation
de l'énorme
faubourgs fait là,
et
violemment
que par
le
fumées,
—
en travail,
\ill«'
Une
de sa banlieue.
lo
labeur de ses
histoire nouvelle se
sourdement, qui ne
et
bruit des machines
un peuple
et
se forme,
l'essor
se révèle
lent des
s'agrège, s'agglo-
mère, créé de forces venues de partout.
On
voit
mon-
insensiblement sa vie, on entend sa rumeur, sa
ter
voix, à travers le bruit
du
fer retentissant,
des
ma-
tériaux déchargés, des voitures, des locomotives, des sifflets
stridents
et
des
grondements colères des
usines.
Désormais
l'oasis
de verdure perd son caractère
d'isolement, apparaît entourée de multitudes,
din de repos est traversé de voix qui
qui crient
:
«
Pas de repos
Les jours d'hiver, traversait tout elle.
de
une
le
tôt,
Cécile
jardin pour rentrer chez
vaste allée, bien éclairée,
rant le spectacle et craignant les était
et
»
un peu, en regardant autour
Le spectacle
murmurent
nuit venue plus
même
Elle passait par
se hâtant
la
!
le jar-
d'elle,
admi-
ombres rôdeuses.
beau. Le soir, c'est l'effacement de
tous les aspects particuliers, l'installation d'une ré-
gion de rêve à
la
place des prairies
et
des sapinières.
-*-
Sous
la clarté
bleue de
dorée du gaz
la nuit,
nouit, les
346 -s-
dans
la
dissolvent,
taillis se
sous la froide clarté
et
brume
d'hiver, tout s'éva-
un
linceul flotte sur
toutes choses, les eaux luisent en miroirs mystérieux.
C'est
une fantasmagorie, un surgissement de
Nord, où de
clair
les froides fées
de lune, vont entrer, glissantes
Mais ce ne sont pas
forêt
du
vêtues de glace, de neige et
les fées
et silencieuses.
qui entrent, qui tour-
noient en ballets rythmiques et lents dans cette ouate
atmosphérique trouée d'ors de
la
et
de saphirs.
Aux jours
mauvaise saison, de noires silhouettes,
et rapides, traversent le jardin, se
furtives
hâtant vers quelque
subsistance, vers quelque feu incertain. Elles sortent
des voiles blancs et bleus, de la
mière,
apparaissent
un
instant
brume
et
éclairées
de
la lu-
par
une
lueur, et disparaissent, s'en vont aussi vite qu'elles
sont venues.
Ce
sont les
mêmes
fillettes
qui s'attar-
dent dans l'ombre aux soirs de printemps
et
aux
soirs d'été, qui respirent l'ivresse passagère des fins
de jours, les
les
arômes envolés des parterres.
promeneuses sont changées en passantes,
et les
cœurs sont
longent vite
glacés,
la lisière
et
les
En
les fronts
peureuses
de ce bois neigeux
et
hiver,
fillettes
farouche
•*
-H- 34 7
où
pourrait y avoir des loups, et pis encore. Des
il
ombres sont inquiétantes, semblent
guetter,
embus-
Cécile eut une aventure qui l'épouvanta.
Comme
quées dans
toutes les
le
brouillard.
fillettes,
les
jeunes
filles,
les
femmes qui
sont obligées de se lancer seules parmi les dangers
de
la rue,
vent
elle fut
murmurer
teries,
souvent
entendit sou-
à son oreille des invites, des plaisan-
des paroles ordurières.
beaucoup d'autres, prenait entrait
abordée,
Elle faisait
l'autre côté
de
comme la
rue,
dans quelque boutique, décourageant d'une
manière quelconque l'obstination du poursuivant. Elle n'eut d'effroi
un
que d'un
seul, qui paraissait plus
malfaiteur qu'un amoureux.
Un voyou
lui
em-
boîta le pas, et ne cessa, pendant le parcours des
Buttes, de lui tenir des propos cyniques. silence de la petite prise.
Deux
fois encore. et,
pour
jours après,
le faire il
Il fallut le
renoncer à son entre-
reparut, et
une troisième
L'intervention d'un passant, certain soir,
un autre
libérer Cécile
soir,
la
présence d'un gardien durent
de l'odieuse voix
et
de l'affreux contact.
L'être était vraiment abominable
:
une bouche mauvaise qui montrait
un les
visage bas,
dents, des
348 -g-
•*-
yeux pervers
Céline
!
»
qui espéraient une proie.
et féroces
« C'est sans
doute un
pareil à celui-là qui a
perdu
songeait Cécile.
Cette pensée lui rendit sa vaillance. Elle se vit plus forte
que
malgré
bandit,
le
le
devina rampant
sa grossière parole.
A chaque
rencontre,
il
blême
vient à elle,
nois, ricaneur et lâche, et redit son refrain
— Tu
as
beau
faire,
tu y passeras
Il finit
et sour:
!
Elle s'arrête, le regarde, sans baisser les
— Justement,
yeux
:
je n'y passerai pas.
par se lasser, reconnut qu'elle n'était pas
née pour l'emploi qu'il lui destinait. et
cœur
elle
lui battît bien vite,
son chemin.
restait
Il
il
y avait en
elle le
continuait de suivre
en place, l'invectivant. Elle
beau modifier son parcours,
sans cesse, mais
Il
de décidé. Quoique
quelque chose de paisible
avait
couard,
et
elle le retrouvait
perdait de son acharnement.
Un
jour, elle ne le revit plus et respira.
Désormais, les silhouettes
elle évite
avec plus de soin que jamais
de ce genre, pressent à de longues
distances les figures suspectes, va plus vite, à l'abri de quelque sérieux
compagnon de
marche
route, sans
*que
celui-ci se
doute
349 -*-
même
de
honnête calcul, est
l
pleinement en sécurité dès qu'elle atteint rue de
même
humbles boutiques. Elle
ses
la Villette,
contentement chaque
coin de
la
l'étroite
a le
tourné
lois qu'elle a
rue Louvain, qu'elle a gagné
]<
petite
la
porte de la petite maison, embrassé sa mère, et revu
par
la
fenêtre
le
vieux
donné, de verdure
si
mur
d'en face,
le
jardin aban-
tendre au printemps, mainte-
de
nant tout rempli de neige. Des vols de pigeons
et
corneilles s'en vont sous le ciel bas. Les heures
tom-
bent des hauts clochers de l'église de Belleville. nuit vient.
De temps en temps, un
pas,
une
La
voix,
C'est
presque
le
Les beaux jours revenus, l'année des
seize ans
de
roulement de
quelque
voiture.
silence, et c'est enfin la paix.
Cécile, elle et sa
décor
des
liberté.
mère vécurent, dans
Buttes -Chaumont,
Sa mère
n'était
leurs
moments de
pas malade, ou du moins ne
Tétait pas d'une façon précise,
mais
quoi
elle
sait.
Les cheveux de cette
souffrait,
l'accueillant
elle
n'aurait
pu
dire de
changeait, s'affaiblis-
femme de cinquante
étaient presque blancs, de la
blancheur grise du
argent, son teint était d'une pâleur extrême
ans vieil
où te
vi-
-s— 35o
—«-
vaient seuls les regards acérés et la ligne sinueuse de la
bouche. L'accouchement
et le
départ de Céline
avaient enfin épuisé ce cœur énergique,
et,
sans doute,
renonçait à combattre, puisque tout était détruit
elle
autour
d'elle
et
qu'elle se sentait en sécurité avec
Cécile.
quelque banc, à l'ombre d'un
Celle-ci, assise sur
bel arbre,
recouvrer
auprès de sa mère qu'elle espérait voir la
santé et la force, croyait deviner que
pauvre mère
cette
toute
fut
ingénue. Ce qu'elle avait fdles,
une créature
vie
pour élever
pour sauvegarder son homme,
tout naturellement, par
en
fait
sa
elle,
l'instinct
ses fils, ses
elle l'avait fait
de vivre qui
était
subissant les événements sans trop y rien
comprendre que son devoir immédiat, absolument
comme la mère
oiselle
qui défend son nid
ses oisillons, épie leur sort fragile avec si vive.
Elle aurait eu probablement
sereine, heureuse, elle avait
vu tout ce
prendre gentiment
elle avait
si
petit
et
protège
une
vieillesse
accompli sa tâche,
monde
la vie existait, si elle n'avait
si
qu'elle avait couvé
fortement sa volée
faire des nids ailleurs. Elle se serait à
que
et
une inquiétude
et s'en aller
peine aperçue
pas connu
le
mal-
-*— 35i heur. La peine et
—
«-
misère n'auraient pas coin pli
la
Elle aurait eu alors l'apparence tranquille, satisfaite, indifférente, des heureuses. ainsi, et
Mais
n'en avait pas été
il
devait être jusqu'à
elle
une mère
fin
la
angoisseusc et douloureuse. Son visage était devenu tragique et admirable.
— Je
n'ai pas
eu de chance,
cile,
un
tout
pour vivre contents,
soir
de doux
—
disait-elle à
soleil
et peut-être
sans
tout se serait-il arrangé autrement. C'est
Je pense toujours que,
si tes
ton père n'aurait pas bu... serait-elle bien
y
avait
Cé-
couchant. — Nous avions
deux
le
une
Siège
fatalité
Mais Céline! Céline se
conduite? Cela, je ne
le crois pas. Il
quelque chose d'incompréhensible dans cette
malheureuse... Et puis, je n'ai peut-être pas su remettre dans
que
je
!
frères avaient vécu,
m'en
le droit
chemin. Elle
sois doutée.
plus que pour
elle,
s'est
perdue sans
Pour votre père,
mais chez
lui
la
j'ai lutté
on voyait
le
mal,
chez Céline on ne voyait rien, ou bien j'étais aveugle...
Et je n'ai pas su, d'ailleurs, empêcher l'un plus que l'autre... Alors,
vie
!...
tu es
c'est
encore une
Enfin, je ne dois pas
une brave
fille et
me
que tu
fatalité,
c'est
la
plaindre, puisque toi
resteras ce
que tu
es.
—$
-*— 35s Elle n'exprimait pas le
moindre doute en parlant
demanda même pas une
ainsi à Cécile, elle ne lui
affirmation.
—
—
Vois- tu,
continua-t-elle,
nous représentes tous. Je ne et je
ne
sais
pense tout de
je
mais comment
marier...
c'est
pour
même
être heureux.
homme
comment
deviner
comment
me
a eue
C'était
!
un bon ouvrier!
un
Alors,
?
— Nous avons Je
fille il
pourtant, et
te
marie
se
bien?... J'étais mariée, moi, et tu as vu
honnête
qui
que tu dois
qu'on
être sûre
votre père a fini, et quelle
toi
pas ce que tu feras,
sais plus ce qu'il faut faire
Malgré tout,
—
temps,
le
maman,
marierai peut-être, mais je
te
et
puis tu es
là.
garderai toujours
auprès de moi.
— Tiens, —
dit la
mère sans répondre,
comme étais. Je me
des pierres et de la bruyère Il
m'a semblé que
mins
il
y a
cela en Bretagne.
rappelle des che-
et des villages, que j'ai vus autrefois, entre
Morlaix
et
Roscoff!... la
j'y
—
Saint-Pol-de-Léon. Il
y a
la
mer
c'était joli!...
à Roscoff.
mer!... J'aurais voulu voir
c'est trop loin et
Que
la
Que
c'est
mer avec
toi,
Et
beau,
mais
nous ne sommes pas assez riches...
-l- 353 -#Peut-être
aurions-nous dû partir
guerre. Mais
il
au bord de
et
ris...
la
aux champs
comme
rues de Pa-
mer,
la
dans
les
Tous mes souvenirs me reviennent aujourd'hui,
ne
je
après
là-bas
y a de la misère partout,
pourquoi... Jetais bien jeune quand
sais pas
Mes parents
pays.
j'ai quitté le
étaient morts, et la
tante d'Andilly m'avait fait venir... C'était tout petit,
Andilly, dans ce temps-là, quelques maisons seule-
ment,
et la foret était
bien belle!... C'est
que j'ai
là
rencontré ton père, qui travaillait dans un château
monde
du
pays... Qu'il y a longtemps
!...
est
mort maintenant,
ton père, et la tante
d'Andilly aussi. là...
ne
le
sommes
n'y a plus que nous qui
Il
Et Céline, où
rai jamais?...
tes frères,
Tout
est-elle? Est-ce
Mais
il
que
ne
je
la rever-
vaut mieux, peut-être, que je
la revoie plus.
— Allons, maman,
le soleil est
couché. Ne prends
pas froid. Elles se levèrent, se
parmi
les
s'éteignait.
promenèrent par
groupes d'enfants. Le
Sa chaleur
s'attardait
soleil,
au
les allées,
en
sol,
effet,
autour
des massifs d'arbres, au-dessus des parterres fleuris.
Les belles-de-nuit s'ouvraient,
les papillons
nocturnes 3o.
3— commençaient Mais Cécile
-*
354
leurs vols étourdis. C'était délicieux.
était
mélancolique, sentant chez sa mère
une gravité inconnue. L'impression de
Presque tous
raître.
tomne,
pelouses, au long
la
les
musique
ruisseau, vers
cygnes. Le dimanche,
du
pas s'approcher, voir
du Père-Lachaise
scènes
tournants la rive elles
des
du
lac
écoutèrent
des phrases sonores et mélodieuses qui
:
s'envolaient dans l'air lait
jours de cet été, et de l'au-
les
du
pour repa-
fille s'effaça,
deux revinrent aux
toutes
où nagent
jeune
la
soir. les
La mère ne vou-
soldats.
Toujours en
se ravivaient
elle,
les
avec
l'odeur de la poudre, les mains noires sur les fusils, le petit
au mur,
la jeter
menée
lieutenant féroce qui avait donné l'ordre de
si
qu'elle
vieux
et triste
doucement vers
n'avait jamais
frémissant, allaient
le
emmena
interrompre
le
la porte. Elle
dit.
sa
capitaine qui l'avait
et
mère,
raconta cela,
Cécile l'entendit en
comme
si
ces soldats
concert paisible, se précipiter
sur elles, les entraîner vers quelque muraille sinistre.
La
nervosité
en
elles, elles
du Siège
et
de
la
Commune
était restée
avaient hérité de leurs morts.
Par fragments,
la vie
de
la
mère
se reconstitua
-s— ainsi devant
calmes
la
—
355
§-
comme
C'étaient
fille.
des
leçons
anières qui s'identifiaient aux événements,
et
sans démonstration, sans moralité, sans conclusion. « C'est la fatalité... c'est la vie », répétait toujours la
femme
vieillie
avant l'âge. « Fais bien attention! »
ajoutait-elle encore,
songeant
aux
seize
ans de sa
Cécile mûrit vite sous l'action de ces simples
fille.
récits.
Tout en écoutant,
elle
regardait autour
d'elle.
Elle voyait les gens, les scrutait, devinait chez tous
des drames pareils, plus ou moins ressentis, classait les
physionomies,
débonnaires,
insouciantes,
cha-
grines, dures, désespérées. Elle devinait bien l'instinct
de toutes
les
mères,
quel lien
les
unissait à
leurs gosses qui se roulaient dans le sable. Parfois,
quand l'homme venait rejoindre petits, elle
avait
mine
se réjouissait
réfléchie
ou
ou
la
femme
et
s'alarmait, selon
frivole, l'air sérieux
ou
les
qu'il soif-
fard. L'air sérieux, conscient, volontaire, était rare.
Certains pouvaient tromper au premier aspect, mais l'observation aiguë de la jeune tare, et
fille
découvrait quelque
quelque signe équivoque. Brutal ou sournois,
souvent
les
deux
ensemble, voilà
les
étiquettes
356 -4-
-§—
quelle distribuait presque toujours. Pour
amoureux,
lui faisaient
ils
les
couples
A
chaque
souvent peur.
instant, chez l'amoureuse, elle croyait revoir Céline,
sa sottise étourdie, son
abandon stupide, son corps
contourné de valseuse; chez Famoureux, un menteur et
un
rapace.
Elle eut
un éloignement, une horreur des
jeunes gens plus coquets et poseurs que était révoltée
de leur
air fat
son esprit la
clair,
était
solide. Elle avait
veillait
troublé
tête
bien
faite et
le sien
n'était
pas
là.
Peut-être ne le rencontrerait-elle jamais. sa pitié ne
et
les tristes hères, si
encore de trouver vait
senti-
beau en regarder passer, des amou-
Sa gentillesse devant
un moment
dans sa
reux, elle était bien sûre que
Où
La
bien disparue. Ses yeux gris voyaient
pensée
était-il?
les filles, elle
et imbécile.
mentalité de romance qui avait
petits
un
lui revenaient
que
minables, qui essayaient
attrait à l'existence. Elle obser-
avec complaisance un type à face d'homme-
chien,
bon
et
barbu, un peu hagard,
comme
s'il
était
traqué, qui tournait le dos au chemin, et qui buvait
avec ravissement, à et
de vin.
Un
même
le litre,
un mélange d'eau
autre s'était assis sur
un banc, qui
—
*-
-s— 357
mangeail un gros morceau
<!<•
pain et des débris de
charcuterie, et avec quelle ardeur de sa face maigre il
dévorait
les
!
avec quelle rage
encore un peu de misérable vie
un vieux, un
très vieux, se
il
Et cet autre encore,
!
tenant juste debout, tout
réduit, tout ratatiné, couvert d'un
verdâtre, coiffé d'un chapeau
détachés,
là-dessous,
et,
de reprendre
tentait
mauvais paletot
melon aux bords presque
une pauvre figure
à peine
vivante, et qui tire de toutes ses dernières forces sur
un
cigare d'un sou,
qu'il tient
un
!
Et
il
aspire, et
vouloir goûter
A
bordeaux
» infumable,
dans sa bouche de ses deux mains,
deux mains blêmes
mort
« petit
un
et il
—
ses
des mains de
tremblantes, s'applique, et
il
s'acharne à
plaisir infini.
une porte des Buttes, rue Bolivar, une mar-
chande de chansons
se dressa
singulière, dramatique.
dune
étoffe noire aussi,
faisant songer à
une
De
un jour,
noir vêtue,
le
saisissante,
front serré
une besace en bandoulière,
religieuse et à
une mendiante,
à quelque béguine arrachée à sa retraite. Elle chantait
comme
si elle était
yeux perdus,
la
seule, la face impassible, les
voix rauque. Elle acceptait l'argent
sans rien dire, et s'en allait d'un pas
d'homme,
la
*— besace au flanc, pèlerinage sans
358
un bâton
fin.
Cécile
—
s-
à la main, poursuivant
un
accompagna longtemps du
regard cette pauvresse pathétique,
elle aurait
voulu
savoir le secret de son existence, le pourquoi de sa
marche
errante, poussée droit devant elle, et qui était
peut-être sans raison et sans but.
L'hiver, c'en fut bait de
fini
des promenades. Le soir tom-
bonne heure. Les dimanches n'avaient pas
toujours de soleil. Et, précisément, cet hiver fut terrible, rappela l'hiver
du
Siège, par la
tombée de
la
neige, son amoncellement en talus au bord des trottoirs,
par
la
durée de
la glace.
Autre malheur, l'ouvrage manqua la vraie rie,
:
la
misère
sévit,
misère. Les deux femmes, cachant leur pénu-
eurent faim et froid. Elles subirent des journées
sans feu et sans pain dans leur logis carrelé de briques. Cécile alla au mont-de-piété, mais les objets à
engager étaient peu nombreux. Elle obtint quelque travail lait,
de couture dans
le quartier,
acheta
un peu de
de bouillon, de viande. Elle sut mieux alors
drame du dénûment, dont
le
elle avait deviné des phases
sur tant de visages torturés.
Enfin
le travail avait repris.
Mais
la
mère
avait
359 "*-
-s—
dût
souffert,
s'aliter.
Cécile faisait ses courses hâti-
vement. Elle demanda déplaisant
bonhomme
le
médecin de
parut,
la
médecin des pauvres
d'un pauvre, mais qui sentait
qui avait
l'air
son, qui
nota pas son chapeau, examina
la
Un
mairie.
la
bois-
tout juste
malade, l'interpella en bougonnant, en l'injuriant,
la traitant
de fainéante,
lui disant
que sa
fille
était
plus malade qu'elle. Cécile,
du premier mouvement de
eût eu de sa
vie, alla
ouvrir
violence qu'elle
la porte. Elle se vit res-
ponsable, chargée par la nécessité de prendre cisions,
en
elle
ressuscitèrent
ouvriers de ses frères
—
Foutez-moi
homme
le
les
dé-
verbe
l'esprit
et
dit-elle
au mauvais
le
:
campl
—
qui disparut en grommelant sans avoir rédigé
d'ordonnance. Elle referma la
porte,
apaisa sa
ramena bientôt un autre médecin,
mère étonnée, bienveillant
et
de l'anémie,
—
attentif celui-là.
—
Il
n'y a que de
la
faiblesse,
dit-il. Il
prescrivit
ture, si
du
possible,
repos,
un peu de bonne nourri-
quelques remèdes reconstituants,
*- 36o -* réchauffants
;
discrètement
après quoi, le
il
ou plutôt ajourna
refusa,
prix de sa consultation, se retira en
prononçant des paroles rassurantes. se remit sur pied,
effet, la
put aider de nouveau sa
un
leur fallait faire
En
effort,
mère
fille.
Il
calculer strictement les
dépenses, pour ne pas souffrir à nouveau de la gêne.
Puis un peu de chance vint à Cécile. Elle
était habile
ouvrière, gagna de meilleures journées, trouva dans le
quartier des robes, des costumes à faire, sur les-
quels elle peinait elle
dimanche.
le
gent, d'or. Elle se tranquillisa
En décembre,
force d'économie,
taniers.
un peu.
le froid s'aggrava,
leur de fer, les arbres blancs
la
A
parvint à mettre de côté quelques pièces d'ar-
on
comme
vit le ciel
cou-
aux jours prin-
Ces apparences fleuries rappelaient tristement
douceur
et le
parfum de
la jolie
délicieux pour l'œil, à distance,
comme
saison.
C'est
aussi la vitre
peinte de fins cristaux, brodée de dentelles dures.
La
mère
les
et la fille ignoraient les joies
considéraient
comme
si
du monde, ou
lointaines qu'elles en deve-
naient irréalisables, chimériques.
Elles s'estimaient
suffisamment heureuses d'avoir leur chez soi bien avec de
la
soupe sur
la table,
un
clos,
feu de coke dans le
-§-
-*- 36i
un peu de viande
poêle, sur Lequel mitonnait
et
légumes pendant que des pommes cuisaient au
Le vieux
aussi était excellent.
fauteuil
asseyait pour coudre, pour
de sa journée,
veillait le
poêle,
four.
Cécile s'y se délasser
d'un
pas
allait, venait,
sur-
mère,
sa
maintenant,
fatigué
visiblement
que
pendant
ou pour
lire,
de
disposait le couvert
sur la nappe
blanche.
Au
dehors,
le grésil tinte,
puis
la
neige tombe en
tourbillons, le vent soufflette les passants. Les
femmes, dans à
coup
la tiédeur
deux
de leur humble logis, tout
frissonnent.
Céline? où est Céline?
Que
fait-elle,
à
cette
heure? Elles songent, n'osent pas parler. Les larmes
montent à leurs yeux,
elles
n'osent pas
Elles se cachent l'une de l'autre. fois,
à
quand
ils
ceux qui
comme on
étaient tous réunis,
étaient dehors
Ah! ils
pleurer.
certes, autre-
pensaient bien
par des froids pareils,
pense, pendant les bourrasques, aux gens
qui sont en mer.
Combien doivent
pour disputer leur
vie
!
sortir,
Des vieux qui ont
trimer
la
barbe
hérissée déglaçons, des grelottants de tout âge, sous
des blouses trouées
;
d'autres, couverts de redingotes •3i
4— dont
le
papier
par
drap noir
rouges
mince
est
Quelles lamentables
!
faubourg
le
362 —§-
et
comme une
feuille
de
femmes on rencontre
quelles figures de misère aux nez
!
aux joues vertes
Mais aujourd'hui,
!
c'est
Céline, Céline seule qui
est dehors, c'est Céline seule
se disent pas leurs réflexions,
qui a froid... Elles ne
mais
se regardent, et
l'entente de leurs esprits est telle qu'elles
prennent, sanglotent dans
les
com-
se
bras l'une de l'autre.
Puis, tout de suite, elles se raidissent, rappellent leur énergie, la
femme
affaiblie
comme
la
jeune
fille
cou-
rageuse.
Le lendemain, froid
Le
au dehors,
ont
ciel et le sol
surlendemain, c'est
le la
même un
ruisseaux sont rigides
femmes
les
même
pareil aspect implacable, les
comme
un mot, puis
disent
pas de la rue,
le
scène muette au dedans.
les trottoirs.
Les deux
se taisent, écoutent les
pas de l'escalier, les passants qui
passent, les voisins qui rentrent.
Un et
de ces pas s'arrête à
frappe
la porte,
une main
froisse
le bois.
Cécile ouvre
:
c'est Céline.
C'est plutôt l'ombre de Céline, sur le seuil, dans
*noir,
le
une
face
363 -*-
pâle aux
pommettes Inique, des
yeux de bêle traquée. Elle s'avance d'un mouvement hésitant.
— On
C'est moi... J'en
ai
eu du mal
A
voua retrouver!
ne Bavait pas bien votre nouvelle adresse, chez
nous...
Sa voix
était
méconnaissable,
éraiilée.
Céline n'a
plus son air d'enfant léger d'aulrcfois. Sa restée assise,
immobile. Cécile
Céline. Sans doute les
est
mère
est
debout auprès de
deux sœurs
vont-elles s'em-
brasser, mais Cécile voit Céline pâlir et fléchir. Elle la soutient.
La mère
revenante vers
se lève.
le fauteuil.
Toutes deux aident
la
Elles l'aperçoivent alors,
pitoyable, sous la clarté de la lampe. Elle est nutête.
Ses cheveux blonds sont poudrés de neige. Sa
robe est une loque. Elle a autour du cou une sorte
de fourrure râpée, miteuse. Ses bottines informes, ses
vêtements sordides sont trempés d'eau
et
tachés
de boue. Elle s'est évanouie, puis reprend sens,
mais
elle est
peu à peu
toujours inerte, l'œil atone.
— Elle n'en peut plus! — D'où vient-elle?
ses
-s- 364 -s-
— —
faut la changer, la coucher.
Il
Elle a faim, peut-être.
Cécile pousse la table près de sa sœur, bol de
bouillon devant
du pain, du
elle,
restant de ragoût encore chaud, et la fille
met un vin,
un
malheureuse
se jette sur la pitance, avale vite et sans cesse,
semble insatiable. Cécile se souvient des pauvres bougres qu'elle a vus, aux Buttes-Chaumont, boire à
même
descend
les litres, et
vite,
mordre
même
rapporte des œufs,
du fromage. L'autre mange qu'elle
à
se dilate à la
voit qu'elle ne peut
d'un œil vague sa
—
confitures,
encore, sans savoir ce elle s'affaisse
bonne chaleur du
On
poêle.
prononcer un mot. Elle regarde
mère
vieillie, sa
— Tu ne me demandes pas où dit la
miches. Elle
un pot de
mange, sans rien goûter. Repue,
un peu,
—
les
sœur grandie. est ta petite fille,
mère.
Eh
bien!
ma
petite
fille?
—
dit
la
voix
rauque.
— Elle — Ah!
est
morte quinze jours après ton départ.
Céline est bouche béante, sans a
un
frisson.
un
pleur, puis elle
-s- 365 -*-
— Attends — !
dit Cécile.
Elle s'agenouille, lui ôte ses bottines, collées à ses
pieds par l'eau de neige, ses bas effilochés, sa robe.
Céline n'a laine
rien dessous
qu'un mauvais jupon de
une chemise de grosse
et
toile.
Sa chemise
ouverte dévoile un corps amaigri, meurtri, délabré. Elle chancelle. Cécile la conduit à son glisse sous ses pieds glacés
une
lit, la
couche,
bouteille d'eau bouil-
lante enveloppée d'un chiffon de laine, l'embrasse.
La mère
vient l'embrasser aussi, et,
machinal qu'autrefois,
la
du
borde, étale
même
la
geste
couverture
sur ses épaules, l'édredon sur ses jambes. Déjà Céline dort,
au
on entend son
tombé
gîte,
deux
Les paroles,
souffle d'animal exténué, rentré
l'abîme
à
femmes
à voix basse,
du sommeil. que
n'échangent
pour
se
quelques
communiquer
leur
navrement.
— Je ne t'ai
bien
C'est
—
la
dit,
reconnais plus,
un
—
dit la
jour, que ce n'était pas
une créature des rues. D'où
Tâchons de
— Et ne — Elle ne
Cécile.
la
lui
ma
fille
ï
sort-elle?
garder tout de
demandons
— Je
mère.
même,
—
dit
rien.
dirait rien, d'ailleurs.
Elle a changé, 3i.
-+
-s- 366
mais
elle a
toujours
même
le
sûre qu'il n'y a rien à en
mieux ne
Tu peux
air têtu.
être
D'ailleurs, j'aime
tirer.
rien savoir.
Toutes deux se couchent dans Elles dormirent
peu
cette nuit-là,
de
le lit
la
mère.
écoutèrent jusqu'à
l'aube la respiration épuisée de Céline.
Le lendemain, au jour, on restée jolie,
mais
elle était
la vit
mieux. Elle
était
devenue effrayante. Non
pas seulement par la teinte maladive de sa chair, le
bleuissement de ses paupières, la marque d'un coup qu'elle avait à la tempe,
mais aussi par l'expression
de cynisme, de jeunesse
finie,
égarés, à la
bouche
du pain
lait,
et
défaite.
qui se
On
du beurre.
lisait
lui servit
Elle
aux yeux
du
café
au
mangea, eut un
soupir de satisfaction, s'allongea de nouveau dans
comme
chaud. Cécile,
le lit
son magasin. La mère près de la croisée, fille,
fit
mais ne
ménage, dit
pas
prit sa place
un mot
à
sa
attendit d'elle quelque chose qui ne vint pas.
Au
retour de Cécile, Céline était encore couchée.
La jeune sœur donna à liers,
le
d'habitude, partit pour
un jupon, une
alla se laver, se coiffer
l'aînée des bas,
camisole.
Il était
dans un coin,
de bons soumidi. Céline
et toutes
trois
-s- :w : s'attablèrenl autour
du pot-au-feu qui embaumail
chambre. Puis Céline dehors,
neige,
la
le
se traîna à
fenêtre, regarda
grand jardin.
— — — Mais non, — répliqua mère de répondre. — Ce cher C'est triste,
la
la
dit-elle.
ici,
vite Cécile,
sa
pour empé
jardin, c'est
comme
un
bois.
et,
au printemps, toutes sortes d'autres oiseaux qui
chantent
quand
—
il
Il
:
y a plein d'oiseaux, des pierrots en hiver,
des rossignols, des merles. Je t'assure,
y a du
Etait-ce
soleil, c'est
mieux où
bien beau.
tu étais
?
— interrogea
la
mère. Céline n'eut qu'une espèce de rire nerveux.
— Comment trouves-tu? avec moi? — encore — Je mieux... te
intervint
Veux-tu
travailler
Cécile.
Vrai, j'étais vannée, à patau-
vais
ger dans la neige. J'en ai eu du mal à venir
ici !...
Oui, je veux bien travailler.
— Alors, installons-nous
ici,
Les deux sœurs se placent l'une de l'autre, et la
mère
près de la fenêtre.
comme
jadis,
en face
a l'illusion de revoir ses
enfants d'autrefois. Mais les doigts de Céline sont
désormais inhabiles.
Ils
ne sont plus piqués par
l'ai-
*mais jaunis par
guille,
coud lentement, dans
vitre,
368 -#-
dans
]a rue,
Et puis,
la cigarette.
elle
si
regarde à toute minute par
si elle
le jardin,
où
il
la
n'y a rien à
voir pour elle, c'est qu'elle s'ennuie. Elle bâille, elle étire
son corps aveuli,
a les reins cassés, et ses
elle
pieds ont des tressaillements convulsifs.
Au dans
soir, le
propose de venir avec
elle
La jeune voudrait amadouer
cette
Cécile lui
quartier.
aînée sauvage et rebelle.
commande un
Elle l'emmène
à la rôtisserie,
poulet rôti, pour qu'elle
dîner. Elle a pris
un peu
l'emmène aussi
au bazar en face de
ait
un bon
d'or dans sa bourse, et elle l'église,
au
magasin de confections, près la rue des Pyrénées, lui achète
un
petit
manteau ouaté, une toque.
Céline se laisse choyer, connaît sir à fouiller
parmi
les
tourbillonne toujours parapluie,
bras
:
rubans, elles
dessus,
un
instant de plai-
les étoffes.
reviennent sous
bras
dessous.
La neige le
même
Cécile
a
quelque espoir de persuader cette grande sœur qu'elle sent
si lasse, si
brisée, auprès d'elle qui
marche d'un
pas vif, d'une allure décidée.
— Combien gagnes-tu donc? — Céline. — Ça dépend. Trois, quatre francs par jour. dit
*- 369 -* Cinq,
six francs
travail
avec
maman, quand
il
y a assez de
pour nous deux.
— Ah!... Et t'amuses? — Je ne m'ennuie tu
pas. J'ai toujours à faire. Et.
j'ai
Il
maman. y eut un silence.
— Et
toi?
—
reprit Cécile.
— Tu
n'avais pas l'air
de quelqu'un qui s'amuse, hier, quand tu
es venue.
Qu'est-ce que tu as fait? Qu'est-ce que tu fais? dit-elle
doucement.
— Tout, — répond farouchement — Pauvre Céline!... Est-ce que recommencer
— Ah! le
—
à vivre avec nous,
ne m'embête pas,
bras de sa sœur,
— ou
—
Céline. tu ne
veux pas
maintenant? dit l'autre, lâchant
camp
je fiche le
tout de
suite.
Elles étaient arrivées à l'église, n'avaient plus qu'à
tourner
la
rue Lassus pour regagner
— Non, fais
pas
la
la
rue Louvain.
je ne t'embêterai pas. Allons, viens, ne
mauvaise
commandé un
tète.
Tu
ne voudrais pas que
j'aie
poulet pour rien!
Céline suivit alors Cécile. Et
voracement que
la veille, la
elle
soupe,
le
mangea, aussi poulet, le des-
-#— 370 -4-
comme
sert. Et,
coucha, mais avec
la veille, elle se
une figure meilleure,
pour dormir d'un sommeil
et
plus paisible.
Le lendemain matin,
voulut accompagner
elle
Cécile au magasin de la rue Lafayette.
—
Au
comme
revoir,
m'man,
lorsqu'elle était petite
Sa mère
lui rendit
de sa sœur contre Allaient-elles, toutes
sentiments de
perdue
—
la
fille.
son baiser. Cécile le
visage
vieilli
deux, retrouver
maternité oubliée
vit le visage
de sa mère.
les gestes et les et
de l'enfance
?
Les deux sœurs traversèrent
Un
en partant,
dit-elle
rayon de
verts, les
soleil éclairait
branches dénudées,
Cécile dit ses
remarque
Buttes-Ghaumont.
furtivement
les
sapins
collines neigeuses.
les
promenades avec
qui les a intéressées, les gens...
les
sa mère, et tout ce
les arbres, les fleurs, les oiseaux,
Céline l'écoute, l'interrompt par quelque futile.
Bientôt elles ont atteint
la
rue
Secrétan, le canal, elles sont rue Lafayette. C'est là tout près.
— Tu viens avec moi — — J'aime mieux — ?
dit la jeune.
t'attendre,
dit f aînée.
-s- 371 -*-
Et avec une hésitation
— As-tu
:
encore un peu d'argent
drai, sois tranquille.
Mais
j'ai
Je
?
(e
le
ren-
quelque chose à m'a-
cheter.
Cécile
comprend que
sa
sœur ne veut pas
sans argent, revenir les mains vides où
repartir
elle est atten-
due.
L'honnête révolte
un mouvement d'indignation, de
a
fille
:
— Mais
j'ai
besoin de
mon argent
!
.
. .
pas bien portante. Je dois la soigner...
moi,
travaille, reste
Maman n'est Fais comme
avec nous.
— Enfin ne veux pas — Tu une sans-cœur, Céline. !
tu
?
es
Mais
l'autre, toujours à
— Alors, Cécile,
c'est
son idée
fixe
:
non?
tristement,
donne un peu d'argent
à sa
sœur.
— Tu vas — Mais non A — Adieu —
t'en aller, n'est-ce !
!
tout à l'heure
!
dit l'autre.
Elle a deviné juste. n'est pas là.
pas?
Quand
elle
redescend, Céline
Elle patiente quelques minutes en vain.
—
-s— 372
mère
Elle revient seule. Sa
répond non d'un signe de L'hiver
les
examen
tête.
plus
parut
regardant Cécile à
nant
l'interroge des yeux, elle
Céline ne revint pas.
finit.
davantage,
faiblit
§-
la
La mère
souvent
s'af-
soucieuse,
dérobée, longuement, détour-
regards lorsque sa
fille
et venait l'embrasser.
s'apercevait de son
Elle faisait effort
pour
ne pas s'attendrir, causait, s'occupait, parfois devait interrompre son travail
comme
sur le coup d'une
douleur subite.
— Qu'as-tu, — Rien,
maman ?
cela va passer.
Ce sortit
en
fut enfin le
printemps. La mère sembla renaître,
de nouveau avec sa Cécile, puis, un jour d'été,
juillet, se sentit
plus mal.
Cécile va chercher le médecin. la tête,
donne
Le docteur hoche
ses instructions, dit qu'il reviendra.
Cécile le suit sur
— Votre mère
le palier.
est
bien fatiguée,
mon
enfant, bien
usée.
—
Elle
a eu tant de chagrin,
monsieur
!
autant
qu'on peut en avoir!... Mais elle se remettra, n'estce pas?
-3— 373 -*-
—
faudra beaucoup
Il
<le
—
soins,
élude
— demain. Comptez sur — Qu'est-ce que médecin — Que mieux demain, maman. — Mais, ne
decin.
le
mé-
m«>i.
A.
t'a dit le
?
cela irait
vois-tu, Cécile,
Peut-être.
m'en
se faire d'illusions. Je
ne t'effraye pas,
—
bouleversé de sa
lille.
pour tout de
suite.
j'ai à te dire,
lera plus jamais.
faut pas
sens. Allons,
en voyant
le
visage
Je ne dis pas que
c'est
Je peux aller longtemps encore.
Mais, vois-tu, tout de
que
vais, je le
dit-elle,
—
il
même,
une bonne
il
faut
fois.
Non, jamais!
que
je te dise ce
Après on n'en par-
—
dit-elle,
après
un
silence.
Elle s'exprimait d'une voix
coupée. Cécile s'appuya au
— Ecoute-moi donc. ma
tu le sais, et je
vie,
ne
aller si je
de
te
t'avais pas.
laisser
ment vas-tu tu, si je
seule.
faire?...
m'en
que Céline nous te
perdre.
allais ait
un peu
basse, entre-
lit.
J'ai
eu bien de
la
peine dans
ne regretterais pas de m'en
Ma
Tu
plus grande peine, c'est
as dix-sept ans...
Je veux dire
:
comment
Comferais-
maintenant?... J'aime mieux
encore quittées... Elle aurait pu
-s- 3 7 4 -*-
— Oh —
maman C'est vrai, ma Cécile, j'ai tort. Pardonne-moi. dit la pauvre femme, Tu me fais du bien, mais comme tu vas être... comme tu seras embar!
!
—
—
Et
rassée!... dire,
quoi
te
dire
:
toi-même rien...
ça,
Va là, ou
«
:
que
pire, c'est
C'est
te conseiller.
comme
laisser
le
tu n'as
mon
ici.
.
.
» Il faudra
personne que
courageuse
et
te
Te
renseigner,
te
que tu
te
gardes
ne
tu
toi,
Mais promets-moi d'être toujours
petite fille
quoi
sais
tourment...
ne pas pouvoir
et
va
ne
je
sais
ma
chère
ses
yeux
honnête.
Quelques grosses larmes coulèrent de durcis au feu de la vie,
s'arrêtèrent sur ses joues
livides.
but ces larmes de
Cécile l'embrassa,
la
terrible
agonie cachée qui torturait ce cœur de mère. Pleurante aussi,
mais raffermissant sa voix,
avec une énergie singulière
— Ne
crains rien,
Jamais tu ne
la quitteras.
sais rien
:
je sais tout.
que moi
:
cela
me
Tu
suffit.
parla
:
maman. Tu
vivras.
jour où tu ne seras plus, tu seras tout de ta fille.
elle
dis
Tu
que
Je saurai
même
dis
je n'ai
me
Mais,
que
le
avec je
ne
personne
garder. Re-
prends ton courage
pour moi. Moi aller...
Allons,
tes forces
et
je n'ai
maman,
fut
tout
réchauffé et
Sa force, en
joie. tête
lueur
leur
et les
le
voir t'en
ta fille.
mère
sa
visage émacié
la
lumière de
la
lui revint
pour serrer
la
de Cécile dans ses bras. Alors
>a tête grise sur l'épaule
en
te
yeux de
vivante,
éclairé par
effet,
pas peur
n'aie
aie confiance
L'héroïque enfant sourit, retrouvèrent
et
peur de rien que de
jeune
et
elle laissa
aller
ferme, et ne bougea
plus.
Un
instant elles furent ainsi, puis Cécile s'étonna
de n'entendre plus de parole, ni de respiration. Elle défit
de son col
les
bras de sa
inertes. Elle regarda verts,
mais
cire. Elle
fixes,
le
visage
mère :
les
:
ils
fléchirent,
yeux étaient ou-
dune blancheur
la chair était
voulut redresser sa mère
:
le
de
corps s'écroula
tout d'une pièce.
—
Maman! maman!
Et ce furent des sanglots et les
et
des larmes sur
la
figure
mains insensibles, mais rien ne répondit à
l'ap-
pel désespéré.
Vite chez
la voisine, et vite le
du vinaigre Tout est inutile, !
médecin...
et le
De l'eau,
médecin, accouru.
376 -4-
-§-
de fermer
dit à la fillette
beaux yeux
les
gris qui
regardent sans voir.
— Maman! La
pauvre
maman!
voisine offre ses soins. Cécile les accepte, elles
font toutes
deux
la toilette
de
une bougie allumée,
réglé,
jeune
ma
dit
fille
la
morte, puis, tout courses
les
faites,
la
simplement qu'elle n'a plus besoin de
personne, qu'elle veillera seule. Elle s'assoit dans
grand
prend
fauteuil,
heures de
les
ment avec
la
main
la nuit, elle
exténuée, sa tête retombe sur la
Bien
main
qu'elle
toujours et elle s'endort contre sa mère, encore,
la
dernière
fois,
comme un
Elle se réveille dans la
vient de tout devant la
chambre
Le lendemain,
lient
une
fois
glaciale, se sou-
le lit
Cécile prépare
tard,
tout petit enfant.
flamme mourante de
morte blanche dans
gie, revoit la
pendant
froide, et là,
pense. Elle cause muette-
qui ne l'entend plus.
celle
le
la
bou-
blanc.
hâtivement
ses
vêtements de deuil. La compatissante voisine passe la
nuit avec elle, bavarde, tente d'occuper l'esprit de
la
jeune
dit
que
fille,
de
la distraire
c'est le i4 juillet le
i4 juillet de
la
de sa douleur. Elle
lendemain,
République. Cécile
—
le
lui
premier
l'avait oublié.
Le
-3— 377 —*"
avant dans
soir, et assez
la
nuit, elles entendent des
détonations de pétards, des ritournelles de
l»als.
peu après minuit, Cécile s'allonge sur son semblant de dormir. De temps en temps,
La voisine dort dans
Au
matin, Cécile
puis vers
suit
le
colline funèbre
la
siens, et tant d'autres aussi.
de drapeaux, boit sur les fait
de
un
la
arrêt
jeune
où sont déjà Le quartier
L'église,
tant des
est pavoisé
liesse,
mange Il
du bruit au passage du corbillard
suivi
et
fini.
Cécile rentre, remet
met son couvert
obéit à la disparue. se perd
dans
se
des gens de sa maison. la
chambre en
ordre, pleure encore en rangeant les vêtements, linge,
et
tables qui couvrent les trottoirs.
fille
C'est vite
lisse ses
le fauteuil.
cercueil vers
population est en
la
fait
lit,
elle se lève,
va vers sa mère, touche ses mains, son front, cheveux: blancs.
Un
Le
et
le
dîne, avec l'idée qu'elle
soir, elle sort
machinalement,
la foule.
Les banderoles flottent au haut des mâts, rue de Belleville,
rue des Pyrénées, autour de
fête foraine
la mairie.
bat ses grosses caisses rue Sorbier.
La Le
spectacle est charmant, dans cette large rue bordée
de jardins montants, au sommet desquels se dessi3a.
-5- 3 7 8 -§-
nent sur
le
ciel
des maisons bariolées de lanternes
vénitiennes. Lesconcerts en plein ventmêlentlesairsde
danse aux chants patriotiques. Devant
les estrades
gar-
nies de feuillage, sur lesquelles résonnent les cuivres et
soupirent
les violons, la foule
chante avec
truments. Les airs de danses mettent en
les ins-
mouvement
couples décorés de fleurs tricolores. Les rythmes
les
s'envolent
comme
des bandes d'oiseaux joyeux. Les
gens stationnent, écoutent un morceau, puis s'en vont, font place à de nouveaux venus, se répandent
par pés,
les rues,
fleuris,
passent sous les arcs de triomphe draenguirlandés,
ornés
d'inscriptions et
d'affirmations républicaines, admirent les ingénieuses
décorations des fenêtres, les merveilles en papier doré
de
l'art parisien, les
tableaux symboliques, les devises
formées par des fleurs entrelacées,
les verroteries, les
transparents de couleurs. Gela flamboie aux feux gaz,
du
des lanternes vénitiennes, s'éclaire de lueurs
multicolores.
Aux
autels des carrefours
se
Républiques, chargées de lauriers
comme
des Cérès.
On
dressent de fières et d'épis,
opulentes
chante, autour de ces déesses
pacifiques, des chansons guerrières.
+-
3 79 -*-
Tout chante, tout semble chanter,
cabarets, les bouts de rues, les ruelles, étroits,
les
impasses,
les
cités
paves, les
les
les
ouvrières,
passages les
cours
misérables, les bâtisses les plus sordides de ce Paris
Chez
lointain.
nationale.
habitants des taudis,
les
Sur
humides
pierres
les
et
y a
fétc
grises,
aux
il
croisées
sans rideaux,
Sous
portes, dans les couloirs, des berceaux de
les
éclatent les
couleurs.
trois
verdure abritent un buste de République. Les humbles
maisons piquent à leur front ridé
et
soucieux
l'étoile
d'une illumination.
Les drapeaux,
les
lanternes, les
danses ne s'arrêtent qu'au
De
sa ligne rigide
Cécile parvint
de
la fête.
jour de danse revit le
errait
là,
barre
la
route à
et les
Père-Lachaise. la joie.
toute enveloppée des
rumeurs
Elle songea à tout ce qui s'était passé dans
comme
sa vie,
il
mur du
musiques
dans
et
la vie
de tant de gens, avant ce
de chant, de festin
temps de
l'hiver guerrier
et
de
Elle
folie.
de 1870, où
elle
au long des avenues blanches de neige de ce
Père-Lachaise,
conduite par
la
main de
sa
sœur
Céline. Elle crut réentendre, avec les pétards et les fusées de la fête, les sourdes détonations des canons
—
38o
-§=»
g-
qui grondaient sur Paris. Elle eut un sanglot pour
son frère Justin, et
grave et sérieux, tué à Buzenval,
si
que leur mère douloureuse
parmi
naître
soldats,
les
pour son
venue
était
cadavres encore rangés frère Jean, si bon,
imaginait abattu contre
le
mur du
si
là
recon-
comme
des
tendre, qu'elle
fond,
comme un
chien enragé. Les spectres passaient en fresque ani-
mée
sur la muraille obscure, défilaient devant elle
son père, son pauvre brave s'était
homme
femme
sauvé loin de sa
et
:
de père, qui
de ses deux
filles,
sans les reconnaître, et qui était mort enfermé dans
une camisole de fou aller
sa
;
mère, qui venait de s'en
au grand repos, après sa vie énergique,
silen-
cieuse et résignée, de combattante et de martyre
;
sa
sœur, son aînée, Céline, tombée on ne savait où, à la fois
A
vivante et morte.
regarder ainsi dans
subitement grandie
et
le
passé, Cécile se trouva
changée. Pour
encore une mêlée de foule où figures distinctes.
s'évoqua
apercevait
des
Elle vit qu'elle n'était plus
une
petite fille, la petite apprentie allait être
elle
une femme
elle
de l'existence, qu'elle
et qu'il lui faudrait
part de bonheur et de douleur.
prendre sa
-*- 38i -*Ellc quitta <
nuhrcs
devant
sans elle,
la
sombre muraille,
regards
essuya
les
et
sans
dil
voix
larmes qui
adieu
<pii
avaient
aux
passaient
coulé en
ruissellement de pluie sur ses joues. La Lumière, bruit,
la
cœur que Cécile
de
foule des pauvres, les
disaient à
son
Le
triste
jours de joie et de misère continuaient.
Pommier, pensive
et résolue,
la vie.
tàXWMMn
•'tas
BIBLIOTHECA
reprit la route
TABLE
g -a;
Préface de
l'
Auteur
i
La Mère
III.
— — —
Tragédies et Comédies de Fauboi rg.
ii3
IV.
—
L'Atelier et la Rue
233
L'Alcool
267
Céline et Cécile
3n
I.
II.
V. VI.
— —
La Guerre
i
61
33
LE SOIXANTE-CINQUII Ml
LIVRE,
(I
l>l
COLLECTION DES MAITRES DU LIVRE,
A
I
l
A
II'
ÉTABLI PAU AD. VAN BEVER. TIRÉ A MILLE IO EXEMNEUF CENT QUATRE-VINGT-DIX EXEMPLAIRES, SOIT PLAIRES SUR VIEUX JAPON IMPÉRIAL, NUMÉROTÉS DE I A IOJ EX] M12 EXEMPLAIRES SUR CHINE, NUMÉROTÉS DE II A 22 '.
J
PLAIRES
JAPON
SUR
IMPÉRIAL
(DONT
8
HORS
^
COMMERCE),
26 EXEMPLAIRES NI MIKOTÉS DE 23 A 56 ET DE 5"] A 64 SUR GRAND VÉLIN DES MANUFACTURES DE RIVES, NUMÉROTÉS DE *,
65 A 90
TURES
ET
;
DE
I9OO EXEMPLAIRES SUR PAPIER DES MANUFAC-
RIVES
(DONT
IOO HORS COMMERCE),
NUMÉROTÉS
DE 91 A 189O ET DE 1 89 1 A I99O, LE PRÉSENT OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ DIMPRIMER, EN CARACTÈRES NÉO-DIDOT, PAR PAUL HBRIS8BY, A ÉVREUX, LE XXXI DÉCEMBRE MCMXIX. LE FRONTISPICE A ÉTÉ DESSINÉ ET GRAVÉ A l'eAU-FORTE PAR BERNARD NAUDIN. LES
EN-TÈTES ET CULS-DE-LAMPE DÉCORATIFS
ONT ÉTÉ DESSINÉS PAR BERNARD NAUDIN ET GRAVÉS SUR BOIS PAR GEORGES AUBERT.
228 )( 3 500
La Bibliothèque
The
Université d'Ottawa
University of
Échéance
n
1
AVR.
9QB
T
Library
Ottawa
Date due
a
PQ L
390
3
2260
2 * 9 9 5 5
_5
b
.C32P75
19 19
PPPREMTZ
2260 .G32A75 1919 COO GFFFRCVt GUS ^APPRENTIE ACC# 1222841 CE PQ
30
fr.