L'apprentie, 1919

Page 1

LES MAITRES DU LIVRE

L'APPRENTIE IMR

GUSTAVE GEFFROY TEXTE REVU PAR L'AUTEUR

L-^â^BB^'

PARIS

GE

U dVof OT AWA

39003002-199555



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1/

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Ottawa

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L'APPRENTIE


EXEMPLAIRE SUR PAPIER DE RIVES

N°

105



,

-

,

^/ Çîylùjp*j> Çr w/tW^sh


GUSTAVE GEFFRCH f

L'APPRENTI li TEXTE REVU PAU L'AUTEUR DÉCORÉ DUN FRONTISPICE GRAVÉ A i/EAU-FORTE ET DE XXIII DESSINS ORIGINAUX DE RERNARD NAUDIN GRAVÉS SUR ROIS PAR GEORGES AUHERT

PARIS GEORGES CRÈS ET

C' 9

LES MAITRES DU LIVRE 21,

RUE HAUTEFEUILLE,

MCMX X I

BIBLIOTHECA

2

1


pf


PRÉFACE DE

D AUTEUR

POUR

CETTE NOUVELLE ÉDITION



PRÉFACE DE L'AUTEUR

ON

demande à

même

ce qu

il

la

idée lui en

pense de sa réalisation.

de répondre avec précision à ces

questions précises.

de

t

quelle en est la signification, et peut-

Il est difficile

et

préface d\in auteur [ori-

gine de son livre, comment

est venue,

être

la

Que savons-nous du moment

manière dont

les idées

naissent en nous :


-I— II

y

a toujours

II

-4-

une pari

il inconscient

dans

les

conceptions de l'esprit, et aussi dans leur exécution.

On peut

essayer de définir cette part en pre-

nant exemple du cheminement obscur accompli

pendant

sommeil par nos recherches

le

préoccupations de

na pas

Qui

la veille.

et nos

éprouvé

ce phénomène habituel d'une pensée à létal inquiet

qui se trouve clarifiée

et trouble,

mise à point

comme

s étaient classés,

de

ïa nuit

par

le

sommeil,

ses éléments en désordre

si

ordonnés d'eux-mêmes au cours

reposante ?

Cela se passe ainsi sans doute pendant

comme pendant

le

sommeil, à tous

la veille

les instants

de

notre vie, sans que nous connaissions formellement ce qui s'anime

en nous, en vertu des influences que

nous subissons,

et

par

la

force particulière de

sommes.

l'individu

que

blanche, la

plume en main,

nous

encrier, peut-être la

Devant

la

page

F écrivain tire de son

même façon

de penser, mais

à coup sur une forme, une nuance, un dévelop-

pement différents de ceux

qu'il

en aurait

tirés

autre jour, ou à une autre heure du jour.

un

Com-

bien de pages projetées ont été perdues, combien


-§—

—^-

III

de pages insoupçonnées sont subitement écloses?

ou

(Test une perte

un

mais

il

y a

ï exercice certain d'un pouvoir mystérieux

qui

c'est

'juin,

travaille à noire insu.

ce livre de L'Apprentie, je

Pour

absolument quand

(Unie dire

formulé, car

mcnt

il

il

s'est

a été, pendant des années, vague-

que son héroïne

toutefois,

comment

et

aux songeries de ma

lié

ne sauruis

ferte à moi sous

la

forme

vie.

Je puis dire,

s'est tout

d'abord of-

stricte d'une véritable

apprentie, d'une apprentie de métier, et que je représenter

désirais

râtelier, et en

par

même temps

ï existence de Paris,

V apprentissage

elle

drames

les

répercussions de

et

comédies, sur la

formation d'esprit d une petite c'est ce

fille.

Peu à peu,

second dessein qui a dominé

le

lequel a fini par s'effacer presque

ment. Le

titre

du

pas changé, mais

livre, il

est

et

premier, complète-

qui n'était quexact, n'a

devenu uniquement sym-

bolique de ï apprentissage de la vie.

En dans

dehors de cette évolution qui

mon

s'est

opérée

esprit sous la simple et continue pres-

sion de l'existence, si je cherche quelque raison


changement de direction, je

littéraire de ce net

crois

trop étroite de

de

leurs,

paru au (1

me

avoir voulu

il

Inapplication

théorie, utile et féconde

la

traduction du réel.

stricte

la

soustraire à

pas moins

n'était

une vérité plus large

et

d ail-

Il in a

vrai, et qu'il était

plus

haute,

& aper-

cevoir les événements de la plus obscure vie reliés

à l'ensemble des faits et des choses,

comme

la

substance des plus humbles graminées participe

au mouvement qui régit tout l'univers dans

pace

l'es-

illimité.

C'est ainsi que

la petite

comme

été choisie

famille dont

Cécile

Pommier a

tenant à un groupement de

elle est

inséparable, à la vie sociale

du faubourg de F immense

ville

elle est née, et

aux immenses cataclysmes des guerres qui bouleversent

les

les êtres.

dans

la vie

j'y suis

nations et changent

S ai été alors par

la

le

destin de tous

conduit à la faire entrer

sombre porte de 1870, comme

entrémoi-même,

de ses jeunes années

le

et

à décrire

comme

faubourg de

dont je crois connaître

le

La guerre étrangère

et

décor et la

scène

Belleville,

la signification.

guerre

civile

font


voir

flammes

leurs

violentes

en garde

et

font entendre

aux premières pages de

leurs voix

ce livre,

échos jusque

les reflets et les

la

qui fin,

à travers les images des joies de la rue et de la

misère des logis, de l'alcool, de crime. La dédicace que filles

de Paris

forme

(pie

ni

la prostitution,

f ai faite

de ce livre aux

a été parfois reprochée pour

jai cru devoir

On avouera rjuilny a pas

lui

du

lu

donner en 1901.

de raison pour changer

ses termes en 19 18, alors que la barbarie éparse s'est le

les

de nouveau condensée en guerre pour ravager

monde,

que Belleville, défendu en 1870 par

et

canons des forts, bombardé

guerre

civile,

à 19 18

par

et

saigné par

la

a été bombardé et incendié de 1914

les

zeppelins, les gothas et les pièces

à longue portée, inventions dernières de la civili-

sation anti-humaine.

G. G. Paris, a

novembre 191 8.



AUX FILLES DE PARIS EN TÉMOIGNAGE DUNE ÉPOQUE BARBARE





1.

Une

petite

fille

LA GUERRE de sept ans erre par

Père-Lachaise, un jour

Toute

menue,

cheminant

presque invisible, suit les détours

les allées

du

de décembre 1870.

doucement,

comme une ombre

du grand cimetière

elle

passe

incertaine,

désert,

assombri

par l'hiver, lumineux déneige, sombre colline dressée au-dessus

de

la

ville,

paysage

dune

mélancolie


farouche

et

glacé,

bile,

n'inspire

impose

grandiose.

Ce monde

cet effrayant

pas

la

toutefois

terreur

un

petite passante,

lui

à la

trouble et

émoi de

du

gris

sombre, Cécile interroge

silence,

reconnaître la

une

la solitude.

gravité, le res-

De

ses

yeux d'un

les choses,

cherchant à

campagne des environs de

Paris qu'elle

vient de quitter.

Son

esprit naissant, à peine ouvert

aux sensations, peut croire à

la

continuation d'une

promenade commencée ailleurs. La

vieille et belle allée

de marronniers, qui coupe transversalement tière,

immos'il

pect

1

silencieux,

domaine des morts,

quelques sentiers de charmes

et

le

cime-

d'ypréaux, cette

prairie plantée d'ifs et de sapins, tous ces aspects

du

cimetière ressemblent à des parcs, à des coins de forêt qu'elle a entrevus autour la belle

Ce

du

village d'Andilly,

pendant

saison, chez sa tante, épicière et aubergiste.

qu'elle n'a jamais vu, ce sont ces routes et ces

ruelles bordées

de tombeaux qu'elle prend pour des

maisonnettes, ces frontons chargés de

noms quelle

essaie

vainement d'épeler, ces bustes qui regardent

tous

vide infini. Certains de ces regards semblent

le

suivre et la poursuivre, et les feuilles

il

la

y a un chuchotement dans

mortes. Elle marche plus vite alors vers


de Lumière qu'elle aperçoit au bout

l'éclal

A

des morts, la

la ville

bien

lui apparaît, et c'était

l'allée.

dénudés, aux tournants, aiu

travers les arbres

carrefours de

<!<•

ville

des vivants

un peu rétendue

qu'elle

avait devant elle, lorsqu'elle quittait la rue d'Andilly

pour

la

route tracée en lisière de

rency. Mais où sont verdures,

les

le

maisons blanches

de brume, couverte d'un \ille

ciel

qui semble prolonger

rizon. Cécile retrouve les

mausolées

et

la foret

ciel bleu, le

le

de Montmo-

soleil d'or,

? Ici, la ville

les

trempée

morne, une singulière cimetière jusqu'à l'ho-

dômes

et les

clochetons des

des sépulcres aux faîtes et aux aiguilles

despalais et des églises. Tout près, sur l'escarpement

de Ménilmontant,

Groix ville,

;

la flèche

de Notre-Dame-de-la-

proche aussi, Saint-Jean-Baptistc de Belle-

Saint-Ambroise

Dame, qui

;

se révèlent

plus loin,

dans

le

le

Panthéon, Notre-

brouillard de décembre,

au-dessus de l'amas indistinct des maisons.

Peu encore,

mer

à peu,

blanc

étale

velit Paris. le

clocher

et

on ne

vit

plus rien. Le ciel s'abaissa

comme un livide

Des

sur

le

suaire, s'étendit en

une

paysage de neige, ense-

vols de corneilles s'en allèrent vers

de Ménilmontant,

et

ce

passage d'oi-


seaux noirs,

un funèbre

c'était tout le

sillage

mouvement de

l'espace,

dans l'atmosphère d'un champ de

bataille.

Tout sud

à coup, dans le

grand

vinrent

silence,

du

et de l'ouest de longues détonations, et des rou-

lements sourds se propagèrent à travers

le ciel.

Le

bruit grondait dans le mystère de l'horizon disparu, se

répercutait en échos étouffés, montait jusqu'à la

colline mortuaire.

eût dit l'ordre des saisons dé-

l'approche d'un cataclysme,

truit,

dans

On

la neige.

Le

petit être, spectateur inconscient

drame, écouta, l'index levé vers tout haut

la

de ce grand

tempe,

et

pensa

fit

passer

:

Le tonnerre

Une le

un orage tonnant

!

voix jeune, chantante, rieuse, qui

printemps sur tout cet hiver, sembla répondre

— —

Cécile Ici,

Une hallier

Cécile

!

!

dit la petite

autre ombre,

comme une

?

ombre.

un peu plus grande,

biche rapide,

Cécile, fut Céline, sa assez pareilles,

es-tu

:

et bientôt,

sœur de douze

au premier abord,

surgit

le

du

près de

ans. Elles sont

visage régulier,


le profil fin,

est

un peu

châtaines de cheveux. Céline, pourtant,

plus blonde, a le visage

contour plus mol,

le

fuyants. Elle n'a pas

sombre de

Cécile,

main de

Allons

!

ma

le

non plus

précis,

de

menton Légèrement les

yeux d'un

gris

mais des yeux couleur de bleuets.

Elle prend dans sa nelle, la

front,

moins

main, d'un

l'enfant petite,

mater-

air d'autorité

:

nous allons

rentrer.

Maman

nous attend.

Voui,

dit l'autre.

Elles restent encore à regarder devant elles, sans rien voir

au delà des arbres noirs que cet abime

blanc, d'où viennent toujours, sans

roulements farouches

— —

Linc

Ce

!

le

une lueur,

les

et solennels.

tonnerre

î

dit

encore Cécile.

n'est pas le tonnerre, c'est le canon,

dit

Céline, importante.

— Canon? — répète en écho — Oui, canon des Prussiens — explique grande sœur.

la petite

le

forts,

canon des

la

Toutes deux reviennent par tière

et le

sœur.

comme

les

par les rues d'un

chemins du cimevillage.

Chaussées

de galoches, emmaillotées dans des châles, coiffées


de capelines,

semblent

elles

femmes cherchant du

des

petites

bois mort. Elles

se glissent entre les tombes,

parmi

les

bonnes

s'arrêtent,

couronnes de

perles et d'immortelles, les bouquets fanés, les plantes grises et rousses. Cécile voudrait cueillir des fleurs elle

arrache des herbes sèches, des brindilles d'ar-

brisseaux,

rouge de

— Viens

Il

en

une

fait

froid. Céline rit

n'y

a

pas

dans sa petite main

touffe :

de

en hiver,

fleurs

Cécile.

!

Cécile laisse tomber sa

gerbe, l'abandonne avec

regret, s'en va. Enfin, elle rit aussi.

pas de fleurs. Tout est blanc la

:

neige resplendit à travers

et des grillages. Il

et

le

Non,

il

n'y a

noir autour d'elles,

dur

treillis

des arbres

n'y a de roses que sur leurs joues,

de tendres corolles que dans leurs yeux. Seuls, leurs regards palpitent et vivent parmi cette nature glacée,

dans cette mort universelle. Les deux petites par

la

filles

sortent

du Père-Lachaise

rue des Rondeaux, ruelle plutôt que rue, do-

minée de suivent

la

haute muraille grise du cimetière. Elles

un chemin qui

leur est familier

:

au long de

palissades, de terrains vagues, de buttes couvertes de


"•—

9

+

neige, elles gagnent la rue des Partants,

la

pue des

Amandiers. C'est

triste logis.

quelles habitent, une

D'un

tique rouge de

triste

côté de la porte,

marchand de

une boutique verte de

fruitier.

vins

Le

;

maison, un

y a une bou-

il

de l'autre coté,

couloir, l'escalier,

sont pauvres et obscurs. C'est au premier. La clef est

sur

la

Céline ouvre.

porte.

La pièce où

entrent est une salle à manger, avec deux

dans

les

angles.

Au

lits

elles

repliés

milieu, une table ronde en noyer

sous une suspension à lampe de porcelaine blanche.

Quelques rayons, sur lesquels sont des

livres entassés

un peu pêle-mêle, des bouquins de tous genres, des romans, des brochures politiques, des livraisons. Le carreau est frais lavé, taches.

On

qui veut

et

le

papier n'a ni déchirures ni

devine des yeux et des mains de

maintient

la

propreté. Cette

femme

femme,

voici, c'est la mère, jeune encore et sans âge

yeux rit

gris pensifs,

une bouche

fine et

:

la

des

amère qui sou-

gentiment. Elle est de race bretonne, acclimatée

à Paris, façonnée par la vie de travail et de soucis.

— core

?

Vous

voilà...

avez-vous été

traîner en-


+-

— —

Au

Au

IO

%-

Père-Lachaise,

gaiement.

dit Céline,

répète Cécile, joyeuse

Il est

presque nuit. Une autre

Père-Laçaize,

aussi.

— fois,

C'est bien loin. n'allez

tiques de la

que jusqu'à

l'église,

et

voir les bou-

Chaussée, ou bien attendez Jean pour

sortir avec lui... Allons, débarrasse ta

sœur de tous

ses fichus, ôte-lui ses souliers, donne-lui des et tu

m'aideras à la cuisine.

La mère où

pièce,

il

et

les

deux

donnent sur

manger

et celle

petite

vieux fauteuil, contre les

le

et,

lit

la rue.

la cuisine

vite les

et

un

La

petit

lit.

Les deux

fenêtre de la salle à

donnent sur une cour. images, blottie dans un

près de la fenêtre, s'écrase

le

visage

carreau, regarde la rue au crépuscule, où

lumières apparaissent, où les silhouettes bougeantes

et les objets

tincts. la

de

abandonne

dans l'autre

petites passent

y a un grand

fenêtres

La

images,

immobiles commencent à devenir

La nuit

mère

vient de

moment où fusils

bonne heure en décembre

et l'aînée, bientôt, à la

achèvent de mettre

le

indis:

lueur d'une chandelle,

couvert sur une nappe,

au

des pas lourds et des chocs de crosses de

s'entendent dans l'escalier.

Le père

et les

deux


-S— fils

n'ont pas à heurter

les trois

hommes

1 1

:

§-

la vive

sont entrés.

Le

Céline

a déjà

ouvert,

père, parisien, petit,

maigriot, barbu, d'une physionomie indécise et rieuse

comme de

sa

Céline. Les deux

fille

mère. Tous

la

angle de Justin,

la

l'installe

reuse.

Le père Pommier

pièce.

s'assoient,

chambre,

ont du sérieux

et

le fils

dans

l'embrasse, la

saisit Cécile,

aîné,

l'autre

danser,

fait

sur son épaule. La petite s'épanouit, heu-

La mère allume

La soupe, en

la

effet,

lampe

est propre,

et appelle

La soupe

fume sous

soupe de mauvais pain noir

suspension. Pauvre

la

et

de graisse, mais sont

assiettes

les

faïence,

le

:

est sur la table.

la

blanches, les

cuillers et les fourchettes sont bien frottées. la

dans un

fusil

fatigués. Jean va

Finis donc, Jean!

nappe

fils

posent leur

trois

Le

linge,

métal, éclairés de la douce lumière,

paraissent sourire de toutes leurs blancheurs et de tous leurs luisants, et les visages, de

Jean vient.

fait

manger

La mère

pain qui semble

Cécile, qui jacasse.

sert la si

voix lointaine

et

soupe, partage

bon, verse

dehors arrive, pendant la

même,

le

les silences

sourient.

Céline va et le

mauvais

vin et l'eau.

Du

des conversations,

grondante des canons des

forts.


-g— 12 =§-

Les chiens de garde veillent,

dit Justin,

Pruscos ne prendront pas Paris cette nuit

les

— D'abord, nous sommes de garde à Romainville — — Pas moi, — Jean — ce dit

Tu

Et

elle

la

de

soir, je suis

;

chien

maison.

restes avec

moi, Zan

î

dit Cécile.

applaudit de ses petites mains.

Oui,

mon

et je t'endors.

comme

la porte

dit le père.

î

de garde à

!

à

petit,

dit Jean.

— Je

couche

te

Je t'apporterai ton café demain matin,

une princesse. Et un autre jour, ce

sera

Justin.

Il est

zenti aussi, Zustin.

Les yeux gris

de

la

petite

dit Cécile, satisfaite. fille

vont de l'un à

l'autre. Elle est contente,

en parfaite sécurité. Elle

sent confusément

le

grave, son père

que tout

monde

l'aime, sa

bon garçon, Justin qui

l'observe tou-

jours avec tendresse, Jean qui joue avec

un

gosse, et Céline, qu'elle admire

comme

elle

comme

la

grande

sœur, aux jambes plus longues, qui court plus sait

sauter à

la

corde, aller dans

des commissions toute seule sera plus tard.

:

la

mère

rue

et

vite,

faire

l'image de ce qu'elle


-s- i3 -s-

On mange de

riz,

la

minime pitance de

viande, un

pl.it

une tranche de fromnge, on boil un dernier

verre de vin.

Le père fume une pendant que

rettes,

pipe, les

la

mère

fils

Céline emportent

et

nappe sous

verres, les assiettes, retirent la

hommes.

des trois

Cécile

roulent des ciga-

s'est

les

coudes

les

endormie sur

les

genoux de Jean. Les hommes parlent politique, commentent

la situation.

On

a élu les maires.

La Prusse

tion de l'armistice a été agitée. la

demande de

marche de

la

ravitaillement.

Les

La ques-

a repoussé

bataillons

posés de volontaires, de célibataires, de veufs, le faut,

d'hommes mariés âgés de vingt

cinq ans.

En somme,

tout va

betta est plein d'ardeur. fera la trouée,

côté

pour

le

La province

on reconduira

les

et, s'il

à quarante-

mieux.

Gam-

s'organise.

Allemands de

On

l'autre

du Rhin.

Oui,

veuillent! frère

de

garde nationale sont enfin formés, com-

si

nous avions de

vrais chefs

qui

le

dit Justin, qui écoute son père et son

s'enflammer d'espoir

et se griser

de paroles.

Mais croyez-moi, on perd du temps tous Les approvisionnements sont mal

faits.

les

jours.

Les Allemands


-§=»

i4 —§-

sont nombreux, et les choses n'iront pas

que

si vite

ça en province! Gambetta est jeune, c'est vrai, et

il

secouera les gens, fera une espèce d'armée. Tout de

même, depuis que

les

Allemands ont

leurs forces sont disponibles, et

Ta

ra ta ta

!

mon

chent pas, nous

les

Blanqui à

la

nous sommes fichus.

— interrompit

jamais content,

fiston... Si

changerons

pris Metz, toutes

:

le père, les

tu n'es

mar-

chefs ne

on mettra

le

vieux

place de Trochu, on fera ce qu'il fau-

dra.

Il est

que Blanqui vaudrait mieux. Lui

certain

seul voit clair et dit la vérité.

Mais qui

le

croira

? Il

un rouge.

n'est pas militaire,

il

a été en prison, c'est

Jamais l'armée, ni

la

garde nationale des boutiquiers,

ni

même

celle des ouvriers,

ne

lui obéiront.

— Nous l'imposerons, nous en ferons un — proclame Jean berçant — Oui, pour puis on nous Cécile.

teur,

trois jours, et

ou on nous

— Ta

dicta-

fusillera

coffrera avec lui après.

ra ta ta

!

dit encore le père,

saurons bien régler nos comptes avec

le

nous

gouverne-

ment.

— On

les

réglera plus tard, trop tard,

dit

Jus-


-§— tin,

—«-

5

1

ne sera pas drôle. Rappelez vous ce que

et ça

— affirme doucement

le

jeune prophète

Le rappel bat dans la rue. Le père

et

Justin se coiffenl

je vous dis,

ouvrier.

de leurs képis, prennent leurs

mère

fusils,

descendent dans

et Céline,

tastiquement éclairée par

la

embrassent

la

rue obscure, fan-

la

neige.

Jean, avec précaution, emporte Cécile endormie

dans l'autre chambre,

maman,

de

approché Il

lit

la

un des

lits,

se

table de son

couche

descendu

et

lit

soit réveillée.

Il

aussi, après avoir la

lampe.

des journaux, des livraisons des Misérables,

pendant que table,

couche sans qu'elle

la

revient, défait

avec des mains

la déshabille

la

mère

et

Céline revenues, assises à

raccommodent, causent à voix

la

basse.

— — au mère. — Non, moi — toujours — Ni Tune, — Jean — des femmes bourru. Vous m'embêtez J'irai

pain, !

dit la

prête à sortir.

dit Céline,

ni l'autre

ton

est à la

affectant le

dit

!

:

maison. C'est moi qui

la place

irai

partout, au pain,

à la viande, au charbon. Je n'ai que ça à faire. Je

ne prends pas

— Tu vas

la

garde demain.

t'éreinter,

mon

garçon.


-#— i6 -*-

— Ça m'amuse de discours, j'excite les

vous coucher,

comme

et

faire la

queue. Je prononce des

femmes

prenez

la

à la résistance... Allez

lumière

ça.

La mère

est

dorme. Elle

heureuse que son Jean se repose et

comme un

du matin,

se dit qu'à quatre heures

dort, elle s'en ira sans bruit. Elle

embrasse

enfant au berceau et

La nuit s'appesantit sur

line.

j'ai assez lu

:

1

s

le gaillard

en va avec Cé-

la ville,

sur les mai-

sons, le logis est perdu dans le noir et le

comme un

s'il

silence

bateau en mer. La canonnade roule à

tous les horizons, fait chanter les vitres. Les heures

sonnent.

A

quatre heures, doucement, doucement, la mère

se lève.

çon

est

Mais dans

elle la

trouve

cuisine qui

trempée d'eau-de-vie,

— Chut pour

!

le lit

de Jean vide. Le gar-

mange une

croûte de pain

et s'en va bientôt.

ne réveille pas

les petites.

Je reviendrai

le café.

Les soirs

et les nuits

de cette famille d'assiégés se

passaient à peu près ainsi. L'un

ou

l'autre des

hommes

manquait, parfois tous étaient dehors ensemble. La mère, avant l'aube, fdait à

la

boulangerie, à la bouche-


§-

-s— 17 rie,

ou bien envoyait Céline, Mais

voisine.

une

la petite,

fois

échappait à toute surveillance,

avec

qu'on ne

femmes, aussi

quelque

s'émancipait,

son

riait

frère, criant

moucheronne

se rendrait jamais. « Cette

disaient les

à

rendue à son poste,

comme

garçons, discourait

les

confiait

la

exaltées

et

!

»

guerrières

qu'elle.

C'est le seul métier

du moment,

faire la guerre, et

en parler. Le père, peintre en bâtiments, Justin

et

Jean, mécaniciens, ne travaillent plus de leurs professions, vivent de leurs trente sous

naux,

et

jouent leur rôle en conscience. C'est pour

eux, et pour d'autres,

brusquement

Paris,

transformé en et

le

l'hiver,

de

fer

la

séparé

isolé,

militaire.

fils

domine

marchent

le

du monde,

Depuis

le

la

par

les ciels noirs

les

de

montagne faubou-

de Paris,

le

trois soldats.

père et

les

Leurs cos-

képi de garde national diffère

casquette de l'ouvrier, la bande rouge

talon, le liseré

s'est

4 septembre

l'investissement,

la vallée

comme

depuis que

affaire,

de l'automne, par

tumes ont changé, de

grande

au long des rues de

rienne qui

deux

camp

la

commencement de

ciels gris

de gardes natio-

rouge de

la

du pan-

vareuse sont cousus aux


étoffes

Le

sombres qui remplacent surtout,

fusil,

les

une tragédie

vêtements

d'atelier.

changement survenu,

le

tragédie militaire,

signifie la

comme

marque

même

en

et,

temps,

parallèle, révolutionnaire, qui s'annonce

certaine, fatale.

L'état d'esprit de ces trois

hommes

s'était

décidé

aux dernières années de l'Empire. Le père Pommier avait transmis à ses

deux

fils,

comme

contes d'en-

fance, ses souvenirs de 1848. Mais le réveil complet

de l'énergie populaire se

grande

fête

Pommier

fit

tout de suite après la

furent alors

nions publiques.

Ils

du Paris de

vécurent avec

délire, firent partie des torrents

fiacre

1868 à 1870. Les

de l'Exposition, de

la

rue

les

et des réu-

faubourgs en

humains charriant

le

de quelque journaliste ou de quelque orateur

de violente opposition, des groupes passionnés autour d'une affiche rouge ou d'une lecture de journal à haute voix. Ils furent des parcelles de cet orage en formation

qui emplissait parfois

la ville

électrique, qui se déplaçait

gineux,

le

de sa chaude haleine

comme un

courant verti-

jour, par exemple, des funérailles de Vic-

popu-

tor Noir, qui créa l'image

d'un Paris vidé de

lation, partie tout entière

pour Neuilly, un Paris de

sa


"ù sem-

rues désertes, extraordinairement élargi

résonner bientôt

blait devoir

coups de

bruit crépitant des

le

fusil.

Ces fiévreux liseurs

d'affiches,

visages résolus et menaçants,

hommes

ces

aux

qui apparaissaient au

seuil des couloirs des réunions publiques, ces éner-

giques enthousiastes, qui se précipitaient vers

de l'orateur

du

et

le fiacre

journaliste, c'étaient ceux-là qui

avaient changé leur casquette en képi, et qui étaient

devenus des porteurs de

A

à les entendre,

les voir,

leurs pareils,

fusil. les

Pommier

trois

on ne pouvait douter du

et

désir qui les

animait, et qui était le désir de se battre contre les

Allemands.

Ils

avaient été surpris par la guerre, eux

qui croyaient travailler à une transformation sociale. C'était l'imprévu.

Leur volonté d'action,

exaltée,

accrue, avait donc forcément changé d'objet vrier

de Paris trouvait devant

n'attendait pas

pour l'Allemand

et !

qui

On

lui

était le

trois

Pommier

l'ou-

adversaire qu'il

soldat allemand.

verrait ensuite.

ce lendemain, l'énergie restait la

Les

un

:

En

Va

attendant

même.

étaient ainsi

:

ils

enrageaient

de sentir leur ardeur se consumer inutilement, au-


20 aé-

-§=»

raient voulu se lancer vers l'ennemi, libérer la France,

préparer l'avenir.

Au rant

3i octobre, la

ils

Révolution

sont à l'Hôtel de Ville, espé-

et le salut

forcer les chefs à l'offensive,

public. Ils croyaient

mais

il

semblait que

chefs se refusassent à utiliser ces instruments

les

que

le

destin leur offrait.

Ils

ne savent rien,

disait Justin.

prennent pour des flemmards voilà tout...

Ils

et

Et puis, des gardes nationaux, ça ne

compte pas pour eux. C'est bon pour garder tifs,

nous

et des braillards,

qui ne sont jamais

les for-

Nous sommes

attaqués...

des escargots de remparts, nous ne sommes pas des soldats...

On nous

occupe en nous faisant coucher

dehors, en nous faisant jouer au bivouac... sera fini,

nous nous figurerons que nous avons

guerre... Ils

ne nous connaissent pas

marcher tout droit devant eux, on serait bientôt fait

dans Versailles

Trochu, Vinoy

:

s'ils

et

ce

fait la

voulaient

les suivrait.

de culbuter Guillaume

Et ça

Bismarck

!

Justin traduisait ainsi

un

Quand

et

soir d'octobre

le

sentiment de beaucoup. Si

Ducrot étaient venus tous

les trois,

ou de novembre, rôder incognito


*-

-S— 21

par

comme

ville,

la

Nuits,

des califes des

une

auraient découvert une population qu'ils

ils

ont ignorée jusqu'à

la fin,

singulièrement confiante

déterminée à

espérante,

très

militaires.

Parmi

les

l'Allemand dos

la

première

comme on

faire crédit

la possibilité

sortie.

dit, assez

el

aux chefs

ouvriers du faubourg,

manquait pas qui affirmaient

vraiment,

Mille ei

il

n'en

de ebasser

Ces Parisiens sont

contents d'eux-mêmes,

assurés qu'ils viendront facilement à bout de difficiles

besognes toire,

ils

:

ne doutent pas un instant de leur

hommes, femmes,

Dans

enfants.

sombres, aux portes des boulangeries ries, les faces pâles, les

C'est

une force qu'une

possibilité

Pour

les

rues

des bouche-

paroles criées de voix colères

ou gouailleuses, affirment

meurt sur place, car

et

vic-

le

telle

les

triomphe immanquable.

exaltation,

mais cette force

chefs ne croient pas à

la

de l'employer.

ces gens qui s'agitent dans

de décembre, l'agonie a commencé,

le

Paris neigeux

et ils

ne

le

savent

pas. Ils se croient encore vivants, et déjà le froid et l'inertie les

les

gagnent, sans qu'ils

le

sachent.

Ce qui

sauve du doute sur leur sort, ce qui leur

illusion, c'est qu'ils parlent.

Leur besoin

fait

d'agir, leur


11 ardeur patriotique, leur fureur contre l'incapacité,

de

leur méfiance

la

trahison, s'exhalent en mots,

partout, en marche, au corps de garde, au rempart,

au coin des rues, où ter

un journal sous

eux, à table, au

lit,

ils

s'attardent à lire et

la clarté

commen-

d'un réverbère,

et

tout le temps, jusqu'à ce

sommeil vienne enfin apaiser

et

chez

que

le

reposer ces assiégés

fiévreux.

Combien de t-elle

par

trois,

sur

fois la

la vitre l'un

mère, avec ses deux de ses

trois

hommes, ou

reconduits par quelque camarade,

le trottoir

devant

la

filles,

et

épia-

tous les restant

porte de la maison, à gesti-

culer et à pérorer, des quarts d heure et des quarts

d'heure, pendant que la soupe s'épuisait à bouillir, et

que

le fricot brûlait

les appelait. Ils

faisant

sur

!

On

leur faisait des signes,

on

ne voyaient ni n'entendaient, ou bien,

un pas pour

s'en aller,

ils

recommençaient,

un mot, une nouvelle paraphrase, une nouvelle

discussion des nouvelles délirante et crédule,

du

jour, écloses dans la ville

ou apportées sous

l'aile

geon. Alors Céline descendait pour ramener

d'un pile

cau-

seur, et le causeur la prenait par la main, et la retenait à écouter,

bouche béante, yeux

fixes, le récit

de


*tant de

23 es-

drames imaginaires et

réels.

Enfin

les

hommes

remontaient, bousculaient et embrassaient gentiment la

mère, proclamaient

l'affreuse

recommençaient de plus

Ghanzy

et

belle

soupe excellente, à

et

manœuvrer

faire

d'Àurelle de Paladines, Faidherbe et Cre-

mer, à morigéner Trochu, à menacer de Moltke. C'est

parmi ce

de Cécile et ce

fracas de guerre

s'éveillait. Elle

que

l'intelligence

écoutait sans comprendre,

qui parvenait jusqu'à son petit esprit, s'orien-

tant dans

l'obscurité,

contes de fées que lui

lui

faisait

lisait

sa

l'impression

des

sœur, des histoires

merveilleuses que lui apprenait sa mère, ou des jeux

de cache-cache

et

de croquemitaine inventés par Jean.

Elle y croyait et n'y croyait pas, elle éprouvait

une

frayeur qu'elle savait devoir être bientôt dissipée, et c'était

alors, après

le

pâlissement et

la

suspendue de l'angoisse, de grands

respiration

de

rire

nerveux qui ne finissaient plus, pendant qu'elle

frot-

tait

l'une contre l'autre ses

éclats

mains encore

petites

moites de peur délicieuse.

Ces Allemands, dont on entendait parler sans cesse, et

que

jour et nuit

l'on

le

ne voyait jamais,

bruit

et

du tonnerre avec

qui faisaient

leurs canons,


4"- ^4 -€c'étaient

pour

elle

des géants, des monstres à têtes

de loups, des ogres démesurés, marchant par enjambées de sept lieues, là-bas, là-bas, bien loin, dans la

campagne, dans de

la

maison de

le

noir, à Andilly peut-être, autour

« tante » qui n'avait pas

voulu ren-

trer à Paris...

Cécile, elle avait

Mais

si elle

pensait à cela, à la petite maison

passé Tété, éclatait tout à coup en sanglots.

c'était

pour « tante

» qu'elle avait peur, « tante »

qui lui donnait les sucres d'orge de toutes leurs et les pipes en sucre vitrine.

Pour elle-même,

ou qu'un mignon

petit

cou-

rouge des bocaux de

elle

la

ne craignait rien. Elle

qu'un pauvre

savait bien qu'elle n'était

les

petit Poucet,

Chaperon Rouge, qui pou-

vait bien devenir la proie

de l'ogre

et

du loup, mais

elle savait bien aussi qu'elle était défendue par sa

mère d'abord, qui et

n'avait qu'à lui lisser les cheveux

qu'à l'embrasser pour

la faire tenir tranquille,

Céline ensuite qui déclarait

aux Prussiens et enfin

trois

!

» et

par son père

hommes

leurs bandes

dont

:

la

et ses

«

par

Moi, je leur dis zut

bravoure l'émerveillait,

deux

frères.

Lorsque

les

revenaient tout de sombre vêtus, avec

rouges

et

leurs képis numérotés,

et

4


-+

-S- 25 <|ii

posaient

ils

du

tous trois,

même mouvement,

leurs lourds fusils dans le coin de

la

chambre,

il

lui

semblait qu'elle voyait entrer des tout-puissants, dos Elle se jetait à

invincibles.

leurs jambes,

à

leurs

mains, se sentait enlevée par leurs bras vigoureux; son anxiété se calmait alors et bientôt,

mangé

ayant

comme par

enebantement,

sa soupe, repue,

heureuse,

confiante, elle s'endormait en rêvant que « tante »

bien cacher

avait su

qu'elle aussi, l'abri

pipes en sucre rouge,

les

dans sa petite boutique, où

comme une

vieille

et

elle était à

fée invisible, elle faisait la

nique aux Allemands géants.

La

petite Cécile,

commence seulement les classer ni les

comme si dans sa

à recevoir des impressions sans

raisonner, assistait donc à ce

elle avait

tête

âge de sept ans, où l'on

à cet

dormi

tout éveillée.

et

soucieux,

les

mots

les

et

qui avaient

Siège...

plaisir.

On

Les

Il

n'est question

affaires

l'air

plus souvent répétés

Guerre — Prussiens — Bismarck — le

restait

enfantine, c'étaient les chuchotements

de ceux qui étaient autour d'elle grave

Ce qui

drame

d'aucun

:

Badinguet —

travail,

d'aucun

vont mal, ou plutôt ne vont pas.

ne s'en occupe plus, d'ailleurs. Lorsque des gens 3


viennent chez si

on

Pommier,

les

c'est

pour redemander

que

a fait des provisions, regretter

et les enfants

n'aient pas quitté Paris,

pour

bombardement,

cas de

le

s'il

les

femmes

s'enquérir,

faudra mettre des

matelas aux fenêtres... Cécile était frappée d'entendre sans cesse répéter

qu'une chose mystérieuse et importante

était

danger, et cette chose, on l'appelait

la

en grand

Patrie,

la

France. Jean, qu'elle interrogea, lui dit que la Patrie, c'était tout

ce qui était près d'elle, tout ce qu'elle

voyait et tout ce qu'il y avait encore dans son pays qu'elle ne voyait pas, c'était tout le la

mère,

diily,

et

parlait

frères,

les

gens de Morlaix,

les

monde,

le

souvent leur mère,

père,

d'An-

voisins, et la tante

les

en Bretagne, dont

et toute

la

terre

qu'on

appelait la France, avec ses villes, ses maisons, ses

champs,

ses

bois,

pour défendre tous ces gens avait fait appel à tous les

de famille, voyait des

et cela

lui

disait que,

et toutes ces

choses, on

ses rivières...

hommes, même aux

enfants

comme qui s'en

pères

donnait des frissons à l'enfant. Elle

mamans comme

le sien

Il

elle,

sa

maman,

des petits

abandonnés par un papa

allait

comme

tomber dans un grand trou


d'on

il

ne revenail

cevait l'idée de

<"ii-

mort.

la

que chaque jour amène

Elle voit encore velle.

que Cécile

pas. C'était ainsi

Les gens se crient par

incompréhensibles pour

la fenêtre

chaudement de cache-nez, de

nou-

des phrases

des batailles, des

la petite,

victoires, des défaites. Parfois, sa

sa

mère

1

habille bien

tricots superposés,

de

gants de laine. Malgré tout, son nez est rouge et ses

mains sont glacées. Elle

dehors avec Jean

s'en va

avec Cécile, quand Jean n'est pas se

promènent sur

là.

;

Les deux sœurs

Chaussée de Ménilmontant, ou

la

s'en vont vers le Père-Lachaise

,

ou suivent

la

rue

des Amandiers jusqu'au boulevard extérieur. Elles

vont aussi prendre font

queue à

cherie.

la

place de leur mère ou de Jean,

porte de la boulangerie ou de

la

reviennent avec

Elles

hérissé de paille,

un pain

un morceau de

grelottantes,

il

demande pour

elles

gris,

du

lard,

de

la

faire

farine,

boîtes de conserve,

vert,

des

fillettes

aux grandes per-

sonnes un tour de faveur. Heureusement,

prévoyante a su

bou-

Le garde

cheval.

national qui surveille le défilé a pitié

la

la

mère

quelques provisions, du des

même

pommes

de

terre,

riz,

des

des œufs dans la sciure


-S= 28 -4-

de bois, mais

prudemment

faut en user

il

cœur

serré de voir des voisins qui

tout, des enfants qui souffrent, et, elle

ne peut se tenir de

si le

siège

La mère a pourtant

continuait, ce serait la famine. le

:

manquent de

de temps en temps,

faire porter

par Cécile quel-

que précieuse rareté aux malheureux ébahis.

Un jour,

avec sa farine,

pain blanc. Elle

mère

le

comme

de le

dit qu'il faut

déjeuner de Cécile, Mais, dans et

la

un morceau de

comme un

La croûte en

touche, on

mie éblouissante temple, on

le soir,

le sert,

toute la famille réunie.

elle a fait

la

est dorée, la

neige.

flaire.

gâteau,

On

le

con-

Quel régal

La

!

en garder un morceau pour le

le

lendemain matin.

maison,

il

y a un

homme

malade,

qui va mourir sans avoir revu du pain blanc

:

il

Ta dit tristement à sa femme. La mère raconte cela, et

personne n'a plus

qui illumine

la

envie de cette clarté

la table.

Le lendemain matin, le

même

morceau qui

reste, le

Cécile, sans rien dire,

prend

met précieusement sur une

assiette.

Elle

monte,

du

premier

l'homme malade. La porte

au

troisième,

chez

est entr'ouverte, elle la


pousse,

pénètre dans

elle

Le

nuit.

est

lit

On

couché dedans. le

recouvre,

le

brûle

sans

là,

chambre

la

Une bougie

sombre.

et

sur

Quelqu'un

rideau.

ne voit pas

le

visage

froide, la petite

fille dit

cette

drap.

chambre

:

maman du

Personne

ne

lui

serviette dessine le

cavité des

qu'on

yeux

et

répond.

s'en

aller,

ment

:

elle

« Si la

j'ai

de

la

Et

n'ose

dure du nez,

la

l'arête

bouche. Cela doit être ce et

c'est

pas.

Elle

première

la

elle est seule

femme du mort

que j'ai

!

pense

craintive-

revenait, elle verrait

me

voyant

me

sauver,

pris quelque chose. » Elle reste lit

ce corps qui s'allonge sous la couverture.

son

fois

Elle voudrait

donc, regardant avec des yeux effrayés ce

fait

déserte.

est

la

peur, ou peut-être,

elle croirait

La pièce

Elle croit deviner, car

masque,

un mort,

appelle

qu'elle en voit un.

la

beau pain blanc.

Cécile craint de bouger.

dule

le

Bonjour, monsieur... Je vous apporte de

part de

que

est

un linge

:

corps est allongé rigide sous

Mors, demi-haut, timidement, dans

silencieuse

une table de

tic-tac habituel. Cécile a

blanc sur une table, à côté

blanc,

La pen-

posé son pain

dune soucoupe

remplie 3.


-§— 3o d'eau,

§-

— de leau bénite avec un brin de demeure, sans bouger, appuyée

l'enfant

Enfin, la

minutes

femme

buis...

Et

à la muraille.

arrive. Elle ne se doute pas des

que

terrifiantes

petite vient

la

de vivre

là.

Elle remercie de la politesse, découvre le visage de

son mari, en disant qu'il ne mangera plus de pain

maintenant, ni du blanc ni du noir. Cécile a peur davantage, redescend chez elle en

trébuchant dans

escaliers, avec

les

l'épouvante d'y

être poursuivie par le mort.

Décembre devint vant de neige,

le

froid, de la faim. tant,

plus noir,

sol fut

de glace.

La mère

fit

cherchant,

Les

On

souffrit

des prodiges,

de

la

du

fure-

banlieue, fouillant

champs, maraudant, chapardant

dats en

plus bas, cre-

trouvant. Jean et Justin rappor-

taient ce qu'ils pouvaient les

le ciel

comme

des sol-

campagne.

hommes

et les enfants

eurent toujours de la

soupe chaude, du café chaud, du vin chaud. Les

trois

gardes nationaux, amaigris, sont de plus en plus parleurs

véhéments, chacun pourtant conservant son

caractère

:

le

père,

gouailleur;

Justin,

lucide

et


résolu

Jean, tranquille et bon.

;

À

Noël,

une poule clique dont

réveillon, avec

faisait rire les trois

hommes

:

la

ils

firent

provenance

sans doute, une captive

délivrée de quelque basse-cour secrète. Elle eut les

honneurs du cadeaux à capeline,

riz.

Au

mère

la

cr

janvier, Jean distribua des

i

et

aux sœurs

On

une cravate bleue.

année, — meilleure que — Comptons là-dessus — l'autre

un

:

une

fichu,

se souhaita la

bonne

!

dit Justin.

!

Nous

de dures. Paris n'en a pas pour un

allons en voir

mois. Enfin, on

hommes

annonça

sortie.

la

On

fit

appel

aux

des bataillons de marche. Le père n'en était

pas, trop vieux, ni Jean, trop jeune. Justin en était.

— Vas-y, Il

soir prêt,

Justin, fonce jusqu'à Versailles

de chez

partit

mon

lui,

le

la

générale.

Il

est

son café avalé, un mouchoir propre dans sa

poche,

le

fusil

bien astiqué, des cartouches dans la

giberne, une poignée de

que d'habitude au père tuels

18 janvier, à l'heure du

tambours battirent

les

!

aux

petites

prétexte une

et

sœurs

commission

main un peu plus ferme au et

frère, les baisers habi-

à

la

mère.

qu'elle a oubliée

:

Celle-ci

de l'huile


-§— 32

pour ira

lampe, du sucre pour

la

jusqu'au coin de

le café

l'escalier.

du matin... Elle

Justin comprend, ne

la rue...

peut plus parler, l'emmène,

dans

§-

la

main

tenant par la

Les autres sont groupés au haut des

marches.

Au

revoir

au revoir

!

Flanque-leur une

!

— — Tiens-toi bien, mon vieux! — — Rapporte-moi quelque chose, —

touille

ta-

dit le père.

!

dit Jean. dit Céline.

Et Cécile appuie sa menotte sur sa bouche

— Au Dans

revoir, Zustin

rue, la

la

mère

marchent, sans rien

Quand tent.

prend

Le sa

fusil

a pris le bras de son fieu. Ils

le

première

fois,

la

n'a

Justin.

dans

la

Il

le soir vieillie,

Pour

vie pénible.

a la révélation des cheveux qui

de

la

bouche

s'attendrit et se gonfle,

visage contracté reste grave.

douloureuse

main de

bat.

s'arrê-

ils

blême, déjà

grisonnent, des yeux meurtris,

Son cœur d'homme

tambour qui

ses bras. Il voit,

marques de il

le

rassemblement,

janvier, la figure

ravinée par les la

dit aussi l'enfant.

tremble dans

mère entre

sombre de

dire, vers

aperçoivent

ils

!

:

Le visage de

pâle.

mais son la

pas non plus une larme.

mère Ils

se


-s— 33 -*-

puis

encore,

regardent

bouche, voracement

comme

lorsqu'elle

— Ma — Je Ils

vieille

n'ai pas

ses

pleine

bras

nourrissait.

le

à

dans

serre

le

dit-il,

mon

peur,

n'aie pas peur.

petit.

s'embrassent encore, en se souriant héroïque-

ment. Pris les

yeux,

sa

face

dune

les

frénésie,

il

lui baise

les

cheveux,

joues, les mains. Elle aussi embrasse

homme,

d'honnête

sa vareuse est

!

;

s'embraseenl

ils

elle

de soldat,

ses

mains d'ouvrier,

son dernier baiser s'égare,

et

pour l'arme de mort,

le

fusil

qu'il

a

mis sur

son épaule.

— —

Jean

est

un bon garçon,

fais attention Ils

Cette

au père.

se quittent avec le

cœur,

ils

fois,

quand

ils

percent

en s'en allant;

dit-il

un regard dont s'en vont sans

sont séparés,

ils

se

ils

se trans-

retourner.

pleurent, lui

silencieusement, à grosses gouttes qui coulent sur ses joues, elle, secouée

marchant

vite

de sanglots,

au long des

tristes

le

dos courbé,

maisons du fau-

bourg.

— Je ne

le verrai

Elle reste

plus,

quelque temps

dit-elle.

à

errer par

les

rues,


-*

-*- 34

calmant son émoi raître

et

séchant ses larmes pour repa-

auprès des autres avec un visage apaisé.

Elle le revit, mais elle ne le revit pas vivant. Justin

tomba

une des victimes

à Buzenval, fut

à l'esprit guerrier de la garde nationale.

avec son bataillon de la

la

au pas rapide

matin,

il

et régulier

Prussiens étaient

s'était faite

en chan-

Au

de Buzenval, où

les

embusqués. Une balle au Il

fut rapporté,

comme

gnons morts, au Père-Lachaise. C'est

les

deux

sèrent devant la

fdlettes.

rangée des

La mère bières

front

compa-

ses

que

sa

vint le chercher et le reconnaître, Jean avec

père gardait

parti

vieilles troupes.

de

se lança vers le parc

arrêta sa course.

Il était

place de l'Hôtel-de-Ville, et

montée des Champs-Elysées

tant,

offertes

mère

elle.

Le

et le fds pas-

les

morts

étaient enveloppés de linceuls, le visage nu. Certains

avaient la

tête

cassée,

méconnaissables.

D'autres

semblaient dormir, tout pâles, et d'autres, les ouverts, semblaient veiller.

yeux

Des jeunes, des vieux,

des physionomies de tous les métiers.

— C'est Jean

lui

!

dit la

mère d'une voix

la soutient. Elle se

basse.

penche. Elle voit Justin


+•35-4comme

il

vivant

étail

doux

de cheveux collée

enfant.

Il

car elle

à

la

est tout froid,

lit

blessure...

dans

ses

il

la

Elle

regarde,

touchi

el

pen

les

montée chan-

la

tante des Champs-Elysées, pendant

petil

lui parle,

il

yeux morts toutes

dernières qui furent en lui pendant

el

une mèche

front,

le

reconnall dan- ce cadavre sou

câline,

i

l<

ironique

triste,

el

— avec un Irou noir dans

tendre,

joues,

:

la

gique de Buzenval. Elle lui parle aussi,

montre

tra-

lui dit adieu,

se baisse vers lui, l'embrasse, sans cris, sans larmes,

sans fracas de douleur. Jean, à son tour, embrasse

son aîné,

et,

la

bouche près de son

moment, semble reviennent à

la

sans se rien dire.

lui parler à

oreille,

son tour.

Ils

un long parlent,

maison, serrés l'un contre Ils

rentrent auprès

dit la

l'autre,

du père

et

des

fdlettes.

— Je

l'ai

vu,

mère.

Ne l'oublions

pas.

Céline s'appuie contre son père. Cécile se blottit sur

les

genoux de Jean. La mère reprend son

de mère, apporte la nuit

la

soupe à ceux qui

cache leurs pleurs, qui

autour du sommeil de Cécile.

se

restent.

font

travail

Puis,

silencieux


-*- 36 -«-

Le lendemain pas sorti

était le

matin de

le

avec les siens,

et

Grève quand tout

état

maison, gardant

était fini,

mobiles

sayaient une

changer

la

le

n'était

le

deuil

qui fut averti trop tard des événe-

rHôlcl de Ville, arriva sur

ments de

entre les

11 janvier. Jean, qui

et

les

tentative

destin.

les

la

place de

coups de feu

tirés

gardes nationaux qui es-

désespérée

Le jeune

et

homme

inutile

pour

revint dans

un

de surexcitation indicible, s'exprimant avec rage

sur ce qui se passait, puis tombant au silence. La

mère l'observa

avec inquiétude, put

difficilement

l'adoucir.

Les jours qui suivirent, l'existence sembla se faire,

malgré l'angoisse de

La mère

et

les

mère cachant

deux

la capitulation

filles

restèrent les

re-

prochaine.

mêmes,

la

ses pensées, Céline distraite par tout

ce qu'elle voyait, tout ce qui l'effleurait, Cécile ayant la

sensation que quelqu'un était absent de la mai-

son,

quelqu'un qui pouvait revenir d'un instant à

l'autre.

Il

reviendra, dis,

un matin,

maman

à sa mère.

— Oui, ma

fille,

plus tard.

?

— demanda-t-elle,


— Quand

la

guerre sera

Sa mère la caresse, ger, puis va vers

la distrait.

la fenêtre,

court après un oiseau. Et cente. Mais les

Le père partie de

finie, dis,

La

petite paraît Bou-

s'amuse d'un chien

more

la

sourit à

deux hommes sont vraiment

comme

est inquiet,

s'il

si

placide,

violence concentrée

si

atteints.

avait l'habi-

il

doux, a sur

l'idée fixe lui

<jui

l'inno-

manquait une

lui

lui-même, un support dont

tude. Jean,

maman

visage une

le

barre

le

front,

rend sa bouche mauvaise, sa parole brève.

Tous

:

deux sont moins causeurs, subissent sans en disserter, sans en blaguer, Ils

autrefois.

attendent toujours l'avis de Justin, qui était le

renseigné, est

événements

les

comme

le

donneur

d'avis, le

devineur d'avenir.

Il

maintenant, avec tout ce qu'il savait, toute sa

commune.

sagesse, enfoui dans la terre de la fosse

Jean, pourtant, se souvient de ce qu'il disait sans cesse,

qu'on réglerait

drait bien s'expliquer

comptes après,

qu'il fau-

ensemble quand ce

serait fini

les

avec les Allemands, qu'on avait des fusils et des

canons rouiller,

et

qu'on ne

inutiles.

sur la table.

Il

les

dit

laisserait cela,

un

pas

comme

soir,

Le père crut retrouver son

ça se

en frappant fils

aîné, et


-S- 38 -*-

approuva. La mère, qui se rappelait

le

22 janvier,

tranquille,

travailler,

écouta son cadet avec tristesse.

Mieux vaudra

rester

refaire sa vie.

— Alors, —

dit

Jean avec une fureur qu'on ne

avait jamais connue,

Paris, qu'ils sauvent la

France

mort pour rien... Enfin,

sera

vengé, et

main de son

fils.

tremblait de fièvre.

Jean se leva,

sortit,

Quand dait.

il

Le

prit

rentra,

ii

un

toi.

enfant.

qu'il vient

bien,

Ton

Qui

sait

de passer

emporter tous

que personne

les

Cette

main

surexcité.

seule, qui l'atten-

il

Je n'ai

est faible

comme

mère.

ce qui lui arrivera? lui a fait

que je

deux par

n'est

dit la

père est âgé,

vois aussi. Qu'est-ce

les

lui

père, les petites étaient couchés.

— Ecoute-moi plus que

mère

trouva sa

Je

!

la

La mère

comme

vu

tête cassée.

sera

le

il

cela, Justin

tu l'as

moi, dans son cercueil, avec sa ai dit qu'il serait

Sans

!...

lui

ne rendent pas

alors, qu'ils

mal, je

ferai si

le

Tout ce

vois, tu le

vous vous

la colère ?

Je

le sais bien,

calme autour de nous

:

j'entends

gens, et je comprends ce qu'ils disent, je

prends leur rage. Le pauvre

monde

laissez

a été

com-

trompé,


*- 39-* comme Moi

là.

toujours, aussi,

el

il

en veut

comme

suis

je

ceux qui

à

ça,

l'onl

dit

la

mené

pauvre

CVsi affreui

femme avec un navrant

sourire.

nous rendre, après

de misère, et j'en supporte-

rais

tant

bien encore autant

nous n'y pouvons après

?

Vous

— Tant ferons voir

plus,

et

rien.

s'il

Vous vous

Et

révolterez.

avant d'être vaincus nous leur en

Tais-toi, tu vas réveiller tes sœurs...

ton père et

pas dire un autre mot,

temps, peut-être

je le devine.

?

jetés

Céline

Et Cécile

est

c'est la pauvreté...

encore rien. assez, c'est

.

me si

elle

donnera bien du mal,

Et

la

il

!

Je travaillerai,

pauvreté, ce n'est

pour toujours. C

trop que j'aie perdu parlerait

pouvait parler...

mon

lui

met

la

comme

moi.

— commença Jean,

main sur

la

est

pauvre Justin.

égaré.

Sa mère

n'osa

en prison pour long-

jeune

c'est la tristesse

S'il pouvait parler,

S'il

:

arrêtés,

toi

Qu'est-ce que nous deviendrions,

moi?

petites et

Mais

!

— Vois-tu

mais

fallait.

serez vaincus encore.

pis!

La mère continue à voix basse

les

le

<!<•

bouche

:

l'air


- s, €-

-s— 4°

Songe à ce que de

lieu

les

enfants,

Calme

je t'ai dit.

exciter. Ils ont

les

gens au

tous des femmes,

des mères, des sœurs.

Ils

des

doivent rester

près d'elles. C'est leur premier devoir. Les autres

devoirs après celui-là.

— ferait

Si

tout

le

monde

disait

comme

toi,

jamais rien, on serait toujours dans

le

on ne

même

malheur.

— Vous ne changerez la

femme du peuple

rien par la violence,

dit

qui se force à parler politique

pour convaincre son

fils.

Rien ne vous empê-

chera, après, de refaire ce que vous faisiez, de lire les

journaux, de vous réunir, de voter.

Pendant que nous avons un

fusil,

nous devons

en profiter.

— Avec Vous

serez

un

fusil,

on

se fait tuer, et voilà tout.

bien avancés.

Et

iront jusqu'au bout! Les exaltés

autres lâcheront, et prie,

mon

te

tu crois

comme

que tous

toi, oui.

Tu

Les

vous dénonceront. Je t'en

enfant, prends la place de ton frère

ne nous quitte pas. tu

même

si

m'aideras à élever

tes

ici,

sœurs,

marieras, tu auras des enfants qui seront peut-

être plus

heureux que nous, un jour.


4

s-

"

Elle parla longtemps ainsi, dans le éclairé par instant,

l'humble lumière de

on entendait

mot

écoutait sans

Il

dire les

allait

bruits de la rue

le

Justin

marqué d'âge

fripée

vit

et

l'avait

fanée, cette

le*

plié

les violentes

devina sa mère

il

et

si

de douleur qu'il ne

voulut pas contrister la chère femme. vieillie,

cl

visage inquiet qui se penchait vers lui

était tellement

tête

Jean

de son frère

lit

répondre toutes

raisons qui l'oppressaient, mais

anxieuse,

I

pas des patrouilles.

le

paroles de sa mère, regardait le

dans un coin.

pauvre

lampe. A chaque

la

pour

la

vue, au soir

douce

soie

du

première

Il

prit cette

fois,

du départ,

comme

cette

chair

visage maternel,

toute

aux tempes, aux coins de

bouche, ce front

la

creusé de fines et profondes ravines, ces yeux gris

où palpitaient

et

mouraient

les souvenirs.

ces pauvres joues entre ses mains, baisa

ce front, avec

il

ces yeux,

ne savait quel inexprimable senti-

ment de mélancolie désespérée.

comme

garda

Il

Justin », se dit

la

«

m'embrasse

Il

pauvre femme.

Je ferai ce que je pourrai,

bégaya Jean,

impuissant à retenir ses larmes.

Et

la

mère demeura longtemps,

la tête

sur l'épaule

U


-5— 4^

«=§-

de son enfant de dix-neuf ans, sans plus dire un

mot. Ainsi s'acheva cette

Une

veillée

de janvier.

circonstance vint révéler à

la

mère que Jean

ne pouvait rester insensible aux appels du dehors.

Au

jour où

les

Prussiens obtinrent l'entrée dans

Paris, le 28 février, et les

rues des faubourgs,

gnie.

Il

ne revint que

— Rien

que

la

générale fut battue par

le fils partit

le

avec sa compa-

lendemain, disant

:

à faire. C'aurait été le massacre...

Puis, la vie sembla reprendre son cours. Avec les

jours allongés de mars, ce fut l'animation d'autrefois, la

mar de

rue respira plus à Taise, délivrée du cauchela

canonnade, de l'anxiété

nière, enfermée par

dune

ville

prison-

une armée, privée de nouvelles.

Les victuailles revenues,

c'était

de

montait aux joues des femmes,

la

des

santé qui reenfants.

On

même

tant

oubliait déjà les souffrances de la veille,

de morts accumulées. Jean,

un matin,

s'en alla avec ses

deux sœurs jus-

qu'à Andilly, chez la tante qui avait écrit, qui réclamait

les

petites

agacé d'avoir vu

les

filles. Il

rentra à Paris le soir,

Prussiens logés au village, fra-

ternisant avec l'habitant.

Céline et Cécile restèrent


*-

-*

43

pendant une semaine auprès de les

hourra de

les

fit

à

Ane par

Montmorency. Dans filles,

bonne Femme qui

de beurre, d'oeufs, de

lait,

promener

la

les

de

taillis

la

forêt

<!<•

rue du village, d'autres petites

la

bien rouges, bien grosses, bien rondes, regar-

daient avec étonnement les deux sœurs fêtaient leur arrivée

gros bec

».

en

appelant

les

«

si

pàloti»

Parisiens

Pauvres petites assiégées!... Jean ne

voulut pas retourner à Andilly. Le père firent le

humeur nette,

voyage,

trouvèrent

et belle santé

sous

les

un

souille

paternes

lilas

et la

mère

en bonne

filles

la

maison-

d'hommes de

la

pipe de porcelaine dans

la tête,

barbe rousse. Les

jardins,

leurs

qui jouaient devant

regards

landwchr, béret sur la

volailles,

bourgeonnaient dans

de printemps caressait

les

les visages,

amollissait les rancunes, annonçait le lendemain paisible des horreurs guerrières.

Le père

et

la

mère ne communiquèrent pas

impressions à Jean, mais çaient à raconter leurs tillesses

les petites

promenades

filles

leurs

commen-

et à dire les

gen-

des Prussiens.

— ChutI — murmura

la

mère.

Jean paraissait songer à autre

chose.

Il

deve-


-s— 44 nait,

&-

de jour en jour, plus taciturne, plus préoccupé,

lorsqu'il était chez lui.

Au

parmi

les militants, exalté

naux,

les

soirées des

dehors, sa mère

par

lecture des jour-

la

clubs, les parlotes violentes

marchand de

entre camarades, chez quelque la

Chaussée de Ménilmontant ou de

diers.

Il

rentrait

était sobre,

d'un soldat de fusil,

mais

muet, gardant

la

rue des

se grisait

comme

aussi, d'ailleurs. tiers les allures

de paroles,

de

et

les autres les allures

montant

ses factions.

à son

Le père

Mais celui-ci reprenait plus volon-

de dire son

fait

au gouvernement.

Le 18 mars, quand on annonça dans

tint plus,

Aman-

du flâneur parisien, content de toucher

ses trente sous, et

coup sur

avait essayé son

Montmartre,

vins de

la révolution possible, attentif

à ses cartouches,

que Thiers

le savait

et

que ce coup

les

le

quartier

canons de

avait échoué,

Jean n'y

eut une explosion de joie farouche. Tout

suite, avec

ses

mença de dépaver

compagnons la rue,

habituels,

d'installer

la

en face de

l'église.

la

Chaussée,

Le branle-bas de combat

donné, une armée d'insurgés

était toute

ses cadres et ses chefs d'occasion.

com-

une barricade

rue des Amandiers et de

au coin de

il

était

formée, avec

Les uns occupaient


«- 45-* [)ostes et

les

les

carrefours. Les autres descendaient

sur Paris, prenaient avaient

C'en

enfin

manqué deux

en octobre

fois,

Le siège

était fait.

l'Hôtel de

animée de

l'esprit

d'une revanche où

il

qu'ils

en janvier.

avait sa suite fatale,

une population, déçue dans toire,

Ville, et

foui.

espérances de vic-

ses

de révolte sociale, avide

y aurait

la

préparation de demain,

de

la

la

vengeance d'hier

allait

plus sombre aventure.

qu'aux jours du siège gonflait

Le les

et

courir les risques

même

optimisme

cœurs

et enfiévrait

les cervelles.

« tie

Nous n'aurons jamais

disaient-ils

Nous sommes armés

plus belle.

ne

Paris, ce qui

s'est

la

par-

maîtres de

et

jamais vu depuis

la

grande

Révolution. Nous serions slupides de ne pas profiter

de l'occasion

!

.

.

.

»

Cette victoire sans bataille

vrement. La troupe

du 18 mars

était partie sans

fut

un

combattre,

enireti-

rée à Versailles. « C'est là

que nous irons

la

chercher,

gardes nationaux, devenus

— disaient —

encore

les

On n'a

pas su nous y mener pour y saisir Guillaume

et

les fédérés.

Bismarck. Nous irons tout seuls y enlever

le

père


46

-§=-

§-

ïhiers. Et après, nous saurons bien aussi régler leur

compte aux Allemands Jean disait

comme

Rien ne put sortie,

»

persuader.

le

qui fut une déroute.

ayant en lui ses

!

eux.

la folie

la

tête

mère comprit

même triste

de Duval

de

fendue d'un coup de sabre.

Sa

prévision de la fin.

la

à celle de l'hiver.

un nouveau

même

Il n'était

de marche sur Versailles. C'était la

première

fusillé,

tués,

qu'elle devait gravir

recommençait,

la

revint, noir de poudre,

Il

Sans cesse maintenant,

vaire.

de

du danger, parlant avec rage de

amis capturés ou

Flourens,

Il était

le

cal-

anxiété, la

plus question

siège de Paris qui

canonnade du printemps semblable

La Commune

se défendait, c'était

bien certain, et jamais plus ne pourrait reprendre l'offensive.

La mère,

un

jour, osa

dire

cela

à Jean,

qui

lécouta avec impatience, Elle insista pourtant, lui

montrant

comme

inévitable l'entrée des

— Tant mieux — !

beau

:

la

dit-il.

— Paris

Versaillais.

sera leur

tom-

guerre des rues, voilà notre affaire!

Elle frémit, devina l'avenir.

Par une ironie affreuse,

le Paris d'avril était

char-


niant,

la

population

paraissait

en

revenue à son goût de promenade père montait d'habitude

mena, un après-midi,

la

Champs-Elysées, leur

admirer

place de

la

On

mère

les

et

s'édifiait

Il

nui la

fortifica-

chaque jour.

passait des jours et des nuits sans voir Jean,

toujours aux avant-postes de Neuilly. n'était plus reconnaissable, la

déridés, Il

filles

barricade de

la

Concorde, véritable ouvrage de

Le décor du massacre

tion.

dimanche. Le

<ln

garde place Vendôme.

la

lit

fidèlement

fête,

l'air

homme

d'un

s'adoucissait pourtant,

à la table de famille. autrefois, et

petite,

la

lorsqu'il entrait

son Jean qui et gazouillait

Il

Au

barbe longue,

retour,

les gestes

qui ne veut rien entendre.

une

fois lavé, soigné, servi

jouait avec sa Cécile

comme

qui avait peur du

gaillard

d'un pas lourd, retrouvait bien

lui faisait

de

la

il

des risettes

même

et

vite

des chatouilles,

voix qu'elle,

comme

s'il

avait eu sept ans, lui aussi... Peut-être cette petite le retiendrait-elle,

au jour

Elle ne le retint pas. nait le jeune

des

garçon

décisif.

Une

force invincible entraî-

à la bataille.

En mai,

insurgés se clairsemaient, des

cachés,

qu'il

fallait

découvrir

et

gens

les

rangs

restaient

qui faisaient

la


sourde

D'autres disparaissaient, s'évanouis-

oreille.

pu passer

saient, ayant

veillance.

malgré

les barrières,

La mère demanda

un

à Jean,

jouait avec Cécile sur ses genoux,

s'il

la sur-

soir qu'il

ne voulait pas

essayer de conduire les petites à Andilly. Elle ne

pour

savait pas ce qui allait arriver, elle craignait

Au

elles.

moins,

Quand

peur.

Jean

elle

seraient en

elles

là,

maison avec

garderait la

donné

eut

sûreté. Elle

père. Elle n'avait pas

le

ses

raisons,

alors,

:

— Et

moi, je serai en sûreté aussi à Andilly?...

peux y

Si je c'était

arriver

!...

Tu

parles de ça

Mais supposons que

facile!...

j'y

comme

si

Eh

sois.

bien, et les autres, qu'est-ce qu'ils diront? Il lui

décidés

nomma les gens de sa compagnie, des gars comme lui à faire leur devoir jusqu'au bout.

— Je

suis sûr

que nous serons vainqueurs. Paris

mangera l'armée. Et nous

comme

les

tourneront pour

soldats

au 18 mars.

— Tout de même, — objecta

la

mère,

il

y a

plus d'un mois que ça dure...

— Et puis vin est

tiré,

la

il

question n'est pas

faut le boire,

il

là.

Non, non

!

le

faut aller jusqu'au


4- 49 -* bout. Justin serait là qu'il

avec moi. Rappelle-

irait

toi

tout ce qu'il disait. Et rappelle-toi sa mort. Je

l'ai

toujours sur

me

C'est lui qui Il

mère par

cœur, sa

pousse à

me

paroles et sa rage

— Voudrais-tu me comptent sur moi

le

ne répondait pas, d'autre

mère,

sut

que

pâlir et soupirer.

charge aussi

s'isolait

souvent

en un silence entêté,

Le père ne secondait

chose.

ne prévoyait rien,

jour, et bien souvent,

et

prit sa

mes camarades, qui

le soir,

de petits verres.

Il

vivait

au

reparaissait

troublé par ce qu'il avait bu, dans

grands

il

lorsqu'elle était seule avec son Jean.

qu'elle put,

la

fin,

compte sur eux?

je

Elle revint toutefois à la

pas

la

était visi-

:

voir trahir

comme

La pauvre femme ne

parlait

A

Il

épaules, l'effrayant de ses regards fous,

les

ou

rien.

battre.

.proie à l'idée fixe.

lui criant ses

Il

donnée pour

vie

invectiva les Versaillais.

s'exalta,

blement en

le

la

pérorait,

jour

un peu

journée,

de

puis se cou-

chait.

D'ailleurs, Jean venait de

maison,

arrivait, s'en allait,

emporté sans

moins en moins

de plus en plus

arrêt vers le péril.

La mère

à la

fébrile,

se désespé5


de

rait

voir

le

obstiné,

si

si

intraitable. Elle n'en ai-

mait que davantage ce mauvais garçon. Elle voyait bien que c'était faire

un honnête homme,

qu'il

autrement que de marcher vers

le

ne pouvait

rendez -vous

tragique qu'il avait accepté. Elle comprenait bien ce

qui souffrait et s'encolérait en

lui,

car elle avait res-

senti toutes les tristesses qu'il voulait venger.

femme,

elle était

douceur, un les

«

effroi

il

de

y

avait en elle

une grande

la violence. Elle aurait

choses arrangées autrement, sans coups de

Pourvu

elle,

perdu

!

qu'il soit

et qu'il

Paris, le

mère

filles

put

prudent, au moins!

sache revenir

ici

quand

— il

voulu fusil.

se disait-

verra tout

»

Lorsque

la

et

Mais

les soldats

de Versailles pénétrèrent dans

dimanche 21 mai, Jean disparut. Le lundi, força le père

et s'en fut à la

à l'attendre avec les petites

recherche de son

fils.

aller bien loin. C'était la solitude, les

Elle ne

boutiques

fermées, les maisons muettes, ou bien c'était la rue barrée par

un bivouac. Le

tocsin sonnait.

Des

fédé-

rés couraient derrière des chefs galonnés, des cantinières à cheval. le

tumulle de

la

Des galops, des piétinements, tout fureur après

le

morne

silence de la


31

mort. Elle ne put découvrir aucune traœ de

pagnie de son

nuer sa route. Elle revint,

On

«

se bat

pour repartir

le

une nuit mortelle, passée

même les

sortir

du

quartier,

par

durent,

descendre à

comme

lui

lit-on.

»

ne put

où commençaient à tomber Les

troupe.

la

tous les gens de la maison,

pour

lits

vivre là, avec les voisins, ainsi qu'en terrain.

com-

lendemain mardi, après

cave, dresser des

la

»,

à la fenêtre. Elle

obus de Montmartre occupé par

Pommier

la

Bientôt on l'empêcha de coati

fils.

un

la

nuit,

village sou-

Les gens se faisaient à cette existence, man-

geaient, buvaient, causaient, attendaient la fin. Jean

aurait été avec eux, table.

Le mercredi

revenant de

la

cela aurait été suppor-

de cette façon. Céline,

boulangerie, raconta qu'un obus était

tombé tout près récit

que tout se passa

d'elle. Elle avait à

qu'un autre obus éclata dans

fracas épouvantable, démolit

peine achevé son la

cour avec un

un hangar,

projeta des

pierres et des gravats jusqu'au soupirail de la cave.

Le

jeudi, le vendredi, furent terribles.

seule sortit,

monta

la

Chaussée, sous

La mère

le fracas

obus. Le vendredi, un brouhaha sauvage

subitement

l'air.

Il

y eut

le

piétinement

des

emplit

et les voci-


fé rations

d'une foule en délire, des hommes, des

femmes hurlant

marchant d'un pas ecclésiastiques,

la

mort autour de prisonniers

égal,

gendarmes, gardes de Paris,

à

otages que

les

Haxo. La pauvre femme tique pendant

Ton mène rue

reste adossée à

une bou-

que l'ouragan humain passe. Heureu-

sement, Jean ne joue pas de rôle dans ces scènes sanguinaires. Mais elle voit Paris en feu,

allumé sur toute

la

un

brasier

courbe de l'horizon. « Jean

est

là-dedans, » pleure- t-elle.

Le

soir,

on entendit un bruit de pas précipités,

une galopade humaine, était

dans

la folie

de

et

Jean parut subitement.

la bataille,

écouter, envahi tout de

même

Il

incapable de rien

d'une frénésie de ten-

dresse à la vue de ces êtres qui espéraient son retour,

embrassant sa mère, son père, ses sœurs, rudoyant les voisins

les

qui voulaient

le retenir, les

dénoncer, croyant encore à

la

menaçant de

victoire

chimé-

rique, prédisant l'armée engloutie dans les ruines de

Paris en feu, proclamant la vengeance certaine, ra-

contant ou annonçant, on ne savait au juste, des

drames épouvantables, ville réduite

la

fusillade

en cendres par

les

des otages,

la

canons du Père-La-


-s— 53

s-

chaise. C'est là qu'il se précipitai! de toute sou ardeur

de combattant. avoir

Il

comme

partit

dans ses bras

pris

la

il

petite

Cécile,

regardée de ses yeux de feu, et remise dans

L'avoir les

tendus de sa mère... Celle-ci est bientôt dans à la

suite

de

Jean, veut

après

était arrivé,

la

bras rue,

vainement rejoindre

le

groupe furieux qui s'en va au pas accéléré en jetant des cris d'appel aux armes. Des marins de

mune, des femmes brandissant des flot

de

monde l'empêche

fusils,

la

Com-

tout

un

d'atteindre la chair de sa

chair qui s'en va vers le carnage. Elle est bousculée, elle

tombe. Le père, qui

l'a

rejointe, la relève et la

console.

— Viens, dra demain garçon,

y

il

les

enfants te réclament... Jean revien-

comme

il

est

revenu aujourd'hui. Ce

faut qu'il aille avec les autres... Je devrais

être aussi...

La mère n'ose protéger, de

le

lui dire

de courir après Jean, de

ramener. Elle ne

Elle voudrait rejoindre son

avec ses

filles.

Elle a encore

Le matin du samedi, dès

fils,

sait

et

il

le

plus que faire. lui faut rester

une nuit sans sommeil.

l'aube, elle

monte au

der-

nier étage de la maison, dont le toit est défoncé par 5.


-s— 54

§-

obus. Les projectiles pleuvent, on entend leur

les

sifflement, leur détonation.

Par une lucarne, dans

voit,

temps,

la

sant qui

aux

préparée au cimetière. Sur

fait face à

Montmartre, devant de

les batteries

batteries

et elle voit.

la

le

Commune

sous la

le

Siège, les pièces de

le soleil, le va-et-vient

fumée du coup de

parmi Elle faut

ombres qui

les

été utilisés » éclatantes

Sans doute, son Jean

pour

les soldats,

files,

doigt sur

est

s'agitent autour des pièces. Il

que Cécile

lui dise

qu'elle retourne à son autre

Le bombardement a

annonce

la

sept

les fins

ne peut quitter ce funèbre observatoire.

devoir.

deux

tombeau

des artilleurs, l'éclair et

que Céline vienne la chercher,

a peur, sanglote,

cade

feu.

«

le ver-

répondent

de l'armée régulière. Elle voit

canons de bronze neuf qui n'avaient pas

pendant

Elle

lumière de mai, dans l'ivresse du prin-

la bataille

de Morny,

regarde,

elle

:

bientôt

on

lignards qui s'avancent sur

les

au long des maisons,

la détente. Il

cessé

le fusil

ne se passe rien

en garde, :

la

le

barri-

plus proche n'était pas défendue. La troupe

continue sa route vers

le

Père-Lachaise, pendant que

des postes s'installent, que des patrouilles fouillent


-*- 55 les

ordonnent

maisons,

fenêtres, de

Pommier Tous

pecte, le flaire... la

§-

d'ôter

rideaux

les

rue.

fusils sont

Des hommes sont

parce qu'ils ont

les

du

saisit le fusil

les

père,

I

in^-

amoncelés au

emmi

arrêtés,

mains noires, ou

des

Le cap >nil qui

laisser les volets ouverts.

entre chez les

coin de

répondent

qu'ils

mal. Le père Pommier, qui a repris ses babils d'ouvrier,

ne prononce pas un mot,

campagnards

et les soldats, petits

à l'air tranquille, ne disent rien à cette

barbe grise.

Le

quartier est occupé militairement.

silhouettes de cavaliers

qui brillent, des

aux carrefours, des casques

des mousquetons appuyés à

chevaux qui

piaffent.

contemplent sans mot dire ces

fils

de

revêtus de l'uniforme, chargés

vivres

et

de

la vie

semble recommencer. Les gens

cartouches.

qu'au

Le

moment où

ciel est

Pommier

soldats

ouvriers

la terre et

faubourg,

promènent curieusement ou

la cuisse,

Des groupes de

bivouaquent, en tenue de campagne. Les

leurs

y a des

11

du

de leurs

Encore une

fois,

sortent,

se

restent à regarder jus-

leur vient l'ordre

de s'en

aller.

toujours rouge du côté de Paris. Le père et ses

deux

filles

sont

là,

eux

aussi.

A


-*= 56 —§-

chaque instant, on entend des clairons. C'est une nouvelle troupe qui leur,

de

la

marche

blessés sont

enfiévrée

arrive,

et

du combat. Des

de

cha-

la

fatigués, des

prêts à toutes les représailles.

irrités,

Les caractères se montrent dans ce tumulte. Des chefs sont prudents, d'autres provocants.

Un homme la

qui est appuyé contre

la

balustrade de

place de l'église ne peut se tenir pendant le défilé,

crie

subitement

A

Un

bas la troupe

!

officier, alors, se

l'homme par jette à terre, l'oreille

deux

le

détache du régiment, prend

cou, d'un

mouvement brusque,

l'aplatit sur le sol, lui

balles

son rang dans a fait

:

la

décharge dans

de son revolver. Puis

troupe qui a continué de

un exemple. Les gens

rentrent chez eux tout

tremble de rage, mais reste muet.

dans la rue.

rejoint

il

défiler. Il

pâles. Céline est nerveuse. Cécile a peur.

se fait

le

Un

Le cadavre reste

Le père

grand silence là,

près des

lignards et de leurs faisceaux.

Le père

et les filles

revenus à

la

maison,

trouvent plus la mère. Elle est sortie. qu'elle a

prévenue,

dit

Une

qu'elle va revenir.

ils

ne

voisine,

est-


-s— 57 Elle

cllc ?

cherche son fils

mort.

au

est

Père-Lachaise.

vivant,

fils

s-

Comment

où se

Haletante,

elle a déjà

faufile-t-clle

entre-t-elle? C'est la fin de la bataille.

odeur de poudre saccagées.

Par

flotte les

dans

elle

\u Bon autre .'

Comment

Une

affreuse

Les sépultures sont

l'air.

portes brisées des chapelles, on

aperçoit des fédérés qui s'étaient réfugiés

qui

là, et

ont été tués dans leur cachette. Partout des cadavres,

comme

si les

tombes avaient vomi leurs morts. Par-

La mère va devant

tout des soldats,

— Qu'est-ce C'est

un

qu'elle veut, celle-là?

petit lieutenant,

qui parle. Et, toisant

— C'est une autres

elle.

la

au visage de collégien,

pauvresse

pétroleuse. Allez

:

Au mur,

!

les

!

Son geste indique

le

fond du cimetière où reten-

tissent des détonations précipitées, des feux

La désespérée

avec

Oui, avec

se jette vers le lieutenant les

autres,

avec

mon

de

salve.

fils,

mon

:

Jean! Ses gestes sont égarés, sur son visage passe un frisson d'agonie.

— Au mur — !

dit

encore

le

lieutenant.


-s- 58 -*-

Des hommes vont

Un

violents.

moustache

obéir, les

yeux

grise, les

triste

garde

pauvre femme,

tenant

— que

passifs, les autres

capitaine a entendu, grand, maigre, la

grave et la

uns

de soldat

réfléchis et résolus, figure

vieilli et,

dans

Il

re-

d'une voix dure, au lieu-

:

Qu'est-ce que vous faites

c'est...

défends

Pas d'ordres

Vous voyez bien ce

?

comme

enlève

Je vous

le

féroce à qui

on

ça...

!

Le lieutenant eut un visage de chat

un

paisible

métier.

le

oiseau.

Le

capitaine, d'une voix redevenue

:

Allez- vous-en,

madame,

votre place n'est pas

ici.

— Mon

fils...

je veux

mon

fils...

je

veux

mon

fils...

Allez- vous-en,

madame,

il

le faut.

Personne

ici

ne peut rien pour vous. Allez- vous-en, je vous en prie. Il

la

reconduit lui-même, la renvoie doucement,

toute pleurante, toute trébuchante.

— Navez-vous personne chez vous? — monsieur, mes Si,

petites filles.


#-59-+

— vite

Vos

petites

filles

sont inquiètes.

Allez

aile/.

!

!

Elle s'en va machinalement.

jusqu'à

la

porte

au milieu de

du

ses

la

Il

suit des yeoi

cimetière, revient prendre sa place

hommes,

reste

immobile,

les

mains

appuyées sur son sabre.

Le lendemain, cimetière. verte,

de

la

il

On

surlendemain,

le

n'entrait pas.

la

Quand

n'y avait plus que de

la terre

mère

la

revint au

porte fut ou-

remuée au long

muraille.

Elle retourna chez elle,

voulant sa douleur pour

courageuse,

elle

énergique,

seule. Elle écrivit,

des courses à Paris, à Versailles, pour savoir (ils

n'était pas

Des gens du

parmi

les

si

fit

son

prisonniers. Tout fut inutile.

quartier reçurent des nouvelles de ceux

des leurs qui attendaient leur jugement. Rien de Jean. 11 était

donc tombé dans

de ce frère auquel

il

le

grand cimetière, non

avait parlé bas et fait

loin

une pro-

messe, qu'il avait tenue.

La mère conduisit où

ses

deux

filles

en face du

se trouvaient les traces de la fusillade.

Mais

mur elle

ne parla pas à leur sensibilité, ne leur demanda pas de serments. Elle prit leurs petites mains dans sa


60 «4-

-§=»

main,

s'assit

et Cécile,

sur

un banc,

les

fit

asseoir auprès délie,

étonnée, ne reconnaissait pas en cet endroit

verdoyant, plein de chants d'oiseaux,

le

cimetière

qu'elle avait

vu aux jours de décembre, tout blanc

de neige

tout résonnant

et

canonnade.

i-j^

-mjfô5

'

du grondement de

la


II



IL

La femme se

LA MERE

courageuse rassembla

rappela sa

conversation

ses forces. Elle

avec Jean,

vit

clairement qu'elle n'avait plus à compter sur per-

sonne.

Son

homme

avait été visiblement atteint par cette

année de guerre, par ce Siège où l'habitude

du

travail,

par

la perte

il

avait désappris

de ces deux grands


-§— 64 —8lesquels

enfants sur

tranquillement son vieil

homme

Depuis

usé par

l'âge de

le

il

femme,

il

logé,

avait

comme

un

il

il

il

Avec son

avait épousé

sa

avait nourri, habillé,

pu

avait

tout ce monde-là.

faible par le caractère vacillant,

léger incapable de se fixer à l'existence, à

un

des milliers et

travaillait.

il

sa famille,

fait

maintenant

comme

douze ans,

avait eu ses enfants,

éduqué

C'était

C'était

labeur monotone.

des milliers de ses pareils, travail,

reposer naïvement et

faisait

il

avenir.

l'esprit

aucune conception de

aucune pensée grave. Mais, sans avoir

sur la vie d'autre opinion que l'opinion avait fait tout

même

de

de

commune,

vie. Il avait

la

grande armée en marche,

été

il

un

simple soldat de

la

lui aussi, fourni

son étape, obscurément, sans gloire

visible. Il avait les jours.

Quand

sèrent l'espace,

dessus de

jeune

même

la

avait,

plus que sa tâche de tous

les idées d'affranchissement traver-

entendit leur

il

vol,

planant

au-

masse humaine. En 1848, son cœur de

homme

tressaillit,

hymnes

et

chanta

et

vaincu de Juin

service

fait

il

les

d'humble

:

il

et

il

d'espoir. avait

prolétaire.

cria les

grands mots

Vainqueur de Février

cela dans

Et

le

ses

états

de

temps eut beau


-$_ 65

s'émuler,

il

niquer à ses

sut garder sa

bien

fini.

rils,

juvénile,

comme

commu-

la

an combat-

vieux, entre les deux jeunes, au*

jours du Siège et de

amaigri, où

foi

se lever encore

(ils,

tant, lui, le déjà

était

«-

Commune.

Maintenant,

il

Gela se voyait à son visage barbu

el

les

la

yeu\ bleus s'ouvraient,

naïfs

el

pué-

cela s'entendait à sa parole souvent incertaine,

bourrue

Que

et enfantine.

pouvait-il attendre encore de l'existence?

ne se posait pas

la question.

Comme

des projets d'avenir.

commencent lesse,

il

Il

avait

fait

tous ceux de Paris qui

à prendre de l'âge et prévoient la vieil-

caressait l'idée de s'en aller

environs de

longtemps

11

construite avec ses

un jour, aux

dans une bicoque qu'il aurait

la ville,

fils,

et

il

aurait vécu là en « bri-

colant », parmi les poules et les lapins.

Ce

rêve s'était

évaporé, et l'ouvrier fatigué ne savait plus trop à quoi se raccrocher. Il avait bien ses filles,

plus la

de

les

même

promener, de

de gâteries, a Tais-toi, Il

chose.

Il était

heureux de

les

les tarabuster, tantôt les

tantôt

grognon

mais ce

les !

n'était

choyer,

comblant

harcelant de réprimandes,

» disait sa

maugréait, finissait par se

femme

taire.

impatientée.

Sa femme, main-


-*- 66 -*tenant que Justin n'y était plus, était l'autorité qui

s'imposait à peintre,

il

Elle lui

lui.

fit

reprendre son métier de

retrouva ses anciens entrepreneurs, qui

avaient gardé un

bon souvenir de

lui et furent

touchés

de ses chagrins. Il

avait été, et était encore,

bon

ouvrier.

sa blouse blanche et coiffé de son petit

rayé de bleu, pareil le

le

pinceau à

pour barboter

la

baquet de colle où broyées.

leurs

main,

peinture à dosait

il

aimait

échelle,

la

détrempe dans

sa besogne,

il

et,

les

cou-

pendant

ne pouvait s'empêcher, malgré les

blicaines qu'il avait gardées en sa les

bonnet blanc

n'avait pas son

savamment

malheurs, de chanter à pleine voix

1848,

il

genoux devant une plinthe, ou juché sur

qu'il était à

une

Il

la

Vêtu de

couplets de Pierre

Les camarades

lui

ses

chansons répu-

mémoire depuis

Dupont

répondaient par

et

de Béranger.

les

refrains

du

jour, recueillis au café-concert et au hasard de la rue.

Malheureusement, de chanter et de peindre, cela donne soif,

et le

père

Pommier

ture pour aller boire

un

quittait

souvent sa pein-

verre de vin en

fumant une

pipe. « C'est le métier qui veut ça», disait-il toujours.

Cette période toutefois fut excellente, autant qu'elle


-+

-*- 67

pouvait

son.

de

restait

Il

pour

l'être,

paie, iiioulra

eu

sa famille.

lui el

la belle

Il

rapporta

humeur pour égayer

la

chonnage

»,

mais

il

était

femme, ayant souci de par

la

bon

et

brave

lui

rendre

le

ion

«

homme,

que

enfant, et c'est ainsi

vieil

mai-

L'habitude de la gouaillerie, qui

lui

tournait parfois maintenant au rabâchage, au

dément un

m

déci-

le traita

sa

logis plaisant

propreté, le couvert bien mis, le fricot cuit à

une chemise bien repassée

point,

chaussettes, sa cravate, son

bien cirés.

souliers

comme

cela.

mais Céline trait aussi

à

Il

mouchoir

En somme,

dimanche,

ses

surveillés, ses

cela pouvait aller

y avait moins d'argent à

allait

un

le

bientôt travailler, la

travail, s'il le fallait.

la

mère

maison, se

met-

On prendrait un

logement moins cher, enfin quoi! on s'arrangerait

du mieux qu'on

pourrait.

Céline inquiétait sa mère. elle.

Mais

elle était

comme

Aucune méchanceté en

absente, toujours distraite,

occupée d'elle-même ou de rien, d'une mouche qui

ou d'un ruban pour

volait, taille.

La coquetterie

s'était

ses

révélée en cette enfant

aussitôt qu'elle s'était aperçue dans

que

ses

mains avaient pu

cheveux, pour sa

saisir

un miroir,

un

aussitôt

objet. Elle était


-s- 68 -glégère desprit

comme

son père, toujours prête à sor-

à courir, à sauter, à danser, à roucouler, ou

tir,

bien boudeuse des heures entières

boudeuse avec un

observation,

de

comme

commencements de

des

toujours

l'air

Ça

drai...

Et

si

de penser

sera

comme

dis rien,

elle

:

gestes.

« Je ferai ce

ça,

on m'embête, on

— Qu'est-ce que — Je ne Et

marqué

elle-même, des hochements

se parlait à

si elle

tête,

ça...

petit front

une

barre de l'entêtement, des lèvres qui remuaient

la

de

elle recevait

si

Elle avait

que je vou-

parce que c'est

comme

verra. »

tu dis, Céline?

maman.

ne disait peut-être rien, en

effet, et elle

ne

pensait pas grand'chose de raisonnable et de bon, très

probablement.

Cécile, rante.

En

si

comme un chose de

jeune qu'elle

elle, sa

double d'elle-même,

la force

autrement rassu-

fût, était

mère reconnaissait

sa et

manière

d'être,

aussi quelque

de résistance, du sérieux tranquille,

qui existaient chez Justin, et

même

chez Jean, avant

son affolement. Les deux pauvres enfants avaient été

emportés par fort

qu'eux

et

le

destin, par quelque chose de plus

qui ressemblait à une tempête chavi-


-s-

barques.

tant les

honnêtement

voir être

veux

n'était

Commune,

Siège et cette fie,

Ce

à

ainsi,

-*

fy

|»a>

Sans ce

leur faut)

auraient

ils

et fièrement.

race à

l'ait

la

Cécile paraissait de-

en croire son front bien

lait.

n'empê-

attentifs, sa tranquillité habituelle, qui

chait pas

un singulier

éveil

de son intelligence, une

vivacité à

comprendre

et à

retenir.

ces promesses

encore

étaient

si

oiseau au nid. « ver, d'en faire

menu,

Pourvu que

une femme

sœur pouvait m'aider Elle

trouvait son

!

!

j'aie le

temps de

l'éle-

Si bs

pensait-elle.

» difficulté,

homme,

debout dès l'aube, faisant déjeuner son conduisant Céline

sant guère travailler, certes,

du «

travail,

mémère

finissant était

lui

pour

le

— mais

lui

apprendre à

ménage

et

la

i

I

la fai-

l'enfant avait encore lui

donnant

qu'elle

faisant croire lui enseignant

»,

de

à

maison, ne

instruisant Cécile des soins de la

de trop petites mains,

de-

qu'un

délicat

courage dans cette

l'expédiant au dehors,

cette

s'effrayait

aussi

fin,

si

que

indécises!

Lanière

petite existence était fragile!

vant cet être

Mais que toutes

à

lire.

était

ourler,

Le

couture,

à

reste les

l'illusion utile

à

trie

du temps

raccommo-


dages,

confection de vêtements, de chemises,

la

le

tricotage de bas, de chaussettes, et les courses, les

commissions à

la

porte de

s'attardait, flânait,

— quel-

Céline à attendre à

faire,

l'école,

quefois

un peu de promenade avec

les

deux

car la

gamine

petites filles, le jeudi,

ou avec

Cécile,

pour leur

faire

prendre

l'air.

La mère gouvernait l'œil à tout.

ainsi le logis

Ce type de femme

faubourg, en semaine, reste bien des

il

famille,

et la

n'est pas rare.

y a surtout des femmes.

commerçants à

Il

leurs comptoirs, des

un métier sédentaire. Mais

ouvriers fixés par

Au

le

grand

population a eu lieu, dès

exode journalier de

la

heures

emportant pêle-mêle hommes,

matinales,

femmes, enfants,

d'hommes en

comme

et

il

les

y a eu surtout de longs passages

rangées, en fdes, des marches rythmées

celles des

régiments,

un départ

d'employés, de gens qui s'en vont vers

d'ouvriers, les

ateliers

sans nombre, les industries nécessaires, où les grandes villes

appellent l'effort

du laborieux

et l'aide

du misé-

rable.

La rue les voit,

et la

maison restent donc aux femmes.

aux heures de

la

matinée

et

On

de l'après-midi,


allant et venant

au long des boutiques, stationnant

aux portes des écoles, promenant

Les

mioefa

Celles qui restent ainsi au faubourg

cap dangereux où

la

<>nl

franchi

misère guettait leur jeunesse,

leur ignorance, leur colère, leur envie, tous ti

le

les

sen-

monts violents qui peuvent naître aux cœurs de

vingt ans Il

en

émus par

est,

la vie,

désireux de joie.

en grand nombre, qui sont parties pour

ne plus revenir. Elles ont changé de région, sont devenues des servantes de

Elles ont cru aux

plaisir.

paroles,

aux robes, aux bijoux. Elles n'ont pas su,

ou

n'ont pas pu accepter la vie de résignation,

elles

la lente attente

faction

Pour

d'un bonheur incertain,

du contentement celles

la seule satis-

intérieur.

qui sont restées, qui ont entendu

la

voix avertisseuse les détournant des aventures, des

apparences vaines, des règnes illusoires, ce sont véri-

tablement des êtres admirables, des exemples inouïs

de dévouement rent,

et

de

sacrifice.

Exemples qui

qui s'ignoreront toujours,

s'igno-

hautes vertus qui

auront passé sans avoir connu l'orgueil. Elles ont été,

de

comme

seize ans, exaltées

par

les autres, les gentilles filles

les

humbles atours de

leur


coquetterie en éveil. Elles ont porté fièrement la tête

pour un ruban de feu ou d'azur, enroulé à leur chevelure, elles ont regardé avec complaisance reluire à

leur doigt la

bague en argent

de quatre sous,

musiques des

mance. Plus de toujours.

la foule.

Et tout à coup,

celles-là,

voilà qu'elles ne ressemla fête,

toilettes, des nippes,

La dureté d'une

et finie la role

même

cos-

règle, la rentrée dans

Brusquement, ces jeunesses disparaissent

au profond de jour.

fête.

aux autres. Finie

blent plus

tume

de

aux autres,

toutes pareilles

précieuse

ont frémi aux romances, aux

elles

soirs

et la pierre

soucieuse,

la vie

Elles sont chez elles,

du

travail

installées,

au jour

femmes

le

et

mères, bien ou mal mariées, en bon ou en mauvais

compagnonnage, désormais responsables, tant la responsabilité. C'est les

charmes

et à tous les

de paraître, à toutes

et

accep-

une indifférence à tous

triomphes, à toutes

les satisfactions

les joies

qui font

le tissu

de tant d'existences.

La mère de Céline

et

de Cécile semble ainsi re-

noncer à toute vie personnelle, survit, plutôt qu'elle

voulu,

elle

veut son

ne

vit,

homme

dans

et

de

fait,

les autres.

elle

se

Elle a

content, et que ne veut-


-*- 7 3

pas pour ses

elle

pour

Ah!

ses fils!

filles!

-*

que

ses fils!...

Au

moins,

ce qu'elle a élé pour

ont-ils devine

pas

n'a-t-eile

voulu

ont-ils bu,

eux, par quels

béroïsmes de chaque heure, par quelles privations

de sa part de bonheur, par quels actes de dévoue-

ment farouche, de magie, de

volonté, elle a

d'assurer leur bon départ pour

la

tenté

vie?

Ces existences secrètes perpétuent

la

bonté

et la

force de la race, assurent le recrutement des énergies

pensées de l'avenir.

et des

grandeur, à cette

la

Que

l'on

songe à

pauvre femme oublieuse d'elle-même

Au

logis

l'infinie

poésie cachée des jours vécus par

elle

!

séjourne, chaque objet raconte des

jours ajoutés aux jours, des combats, des défaites,

des victoires. Qu'elle passe le

tumulte de

vieille

avant

un monde visage que

au

la rue, cette

le

comme une ombre femme

dans

d'âge incertain,

temps, vêtue de sombre,

elle offre

à deviner par les traits expressifs de son la vie

a sculpté, par la lueur qui palpite

fond de ses yeux clairs.

qu'elle soit, elle porte

Si triste,

si

inconsciemment avec

certitude, elle a fait sa tache, vivant

pour

fatiguée elle

une

les autres,

manifestant une puissance d'âme invincible.

L'ar7


4deur

-*

74

beauté de sa vie intérieure font de cette

et la

créature instinctive

Chacun de

un type d'humanité

ses actes si simples devient important,

prend une signification tendre,

comme

supérieure.

recueillie, auguste,

l'humble femme accomplissait des

si

rites,

Tous

les

matins, avant que personne soit encore sorti du

lit,

célébrait secrètement

elle

va chez

c'est la

le

culte

le

de

la vie.

boulanger. La boutique du boulanger,

boutique importante de

la rue, celle

qui re-

présente la vie de tous, bien plus que l'épicerie et que la

boucherie.

La boutique du marchand de

seule, peut lui faire tains jours

;

mais

si

une concurrence désastreuse,

la

qu'il

femme,

l'homme, au

logis, reste plus long-

ne faudrait devant

elle,

cer-

parfois éreinté, bavard,

s'attarde avant de rentrer

temps

vins,

le

comptoir de

zinc,

n'oublie jamais l'indispensable bou-

langer. C'est son éternel souci, ce pain de quatre livres,

lant,

blanc de farine, doré au feu, tendre, croustil-

parfumé, valant à

monde,

si

trant chez

qu'on

lui seul tous les

beau, lorsqu'elle elle, qu'elle le

a envie

le tient

pose sur

gâteaux du

en ses bras, renla table,

si

beau

de piquer une rose en pleine miche

Elle se souvenait parfois

du temps où

!

Justin et


,

Jean raccompagnaient, accrochés rant

le

voyait

champs de le

l'humble

Elevée à

tenec.

jupe

el

dévo-

la

blé, les

et expressif

campagne, moissons,

la

du

pain.

symbole de Te

elle

la

poésie

la

se rappelait les

cadence des fléaux,

grain envoyé au moulin et qui revient en sac de

farine,

le

pétrin,

le

four,

la

huche,

venues autour de tout cela,

et les

montaient

les

la

m

morceau du poids, savoureux comme de

brioche. Elle sentait la nécessité et elle

à

et

descendaient

maison, qui entraient dans

les

et

bonnes odeurs qui par

escaliers, les

allées

toute

chambres, qui

se

jetaient en bouffées au visage, par une porte, par

une

fenêtre,

La

subitement ouvertes.

triste vie

pour

va comme

les petits,

il

elle

peut, mais tout de

même

ne doit pas y avoir que des cha-

grins et des pensées sérieuses chez ces pauvres gens. Il

faut des arrêts de la fatigue, des oasis de

Ton

et

On

fera

le

possible pour distraire

ne peut leur imposer déjà

bien

le

On

temps de savoir célébra

et

de

les soucis

bon repos,

les :

fillettes.

elles

ont

souffrir.

donc leurs anniversaires,

leurs

fêl

leur Noël, leur jour de F An, par des achats de bon-


-s- 76

-=§-

bons, de naïves parures en rapport avec leur coquet-

Aux

terie naissante.

les

soirs

et

de janvier,

boutiques des plus humbles rues exhibent

parure des étrennes, on illuminées, les les

de décembre

Le père

et les

mena devant

sapins chargés

ménageries,

cadeaux, à

les

de petites bougies,

basses-cours, les poupées.

les

mère s'ingénient

la

rendre épanouies

Justin et Jean savaient

si

bien

et

à les

amuser de

comme

heureuses,

un brave homme

naïf qui rit tout seul dans les rues, bien qu'il

peu d'argent dans

treize

un

poche

sa

courageux,

de sa vaillance, de

et

le

donnant aux siens qu'il ait le

il

les

maison.

Gomme suffit,

les autres,

pour

être

est,

fut

il

convaincu

comédie du bonheur. Quoi-

la

chagrin d'hier encore vif et que

yeux

ait

y

Il

voir pendant ces jours de fêtes

tude de demain lui fasse

prendre

et à la

d'autres, à la recherche d'objets de

sous pour ses fdles.

être

Le

le faire autrefois.

père Pommier, ces jours-là, est

comme beaucoup

la

les vitrines

le

inquié-

1

front contracté,

riants et le ton enfantin,

il

sait

l'allure

légère et le fredonnement de celui qui apporte des

étrennes à la et

il

rit.

femme

Chargé de

et

aux enfants.

ses

tristes

Il

ouvre

paquets

la

porte

comme

le


+Ixmhomme

Noël

et le

77 -*"

papa Gâteau,

il

rayonne, dans

l'obscure demeure, en magicien inventeur de réjouis-

sances et distributeur de friandises.

Demain,

les

échéances

mier janvier, mais

Le

étrennes,

et

y a aussi

il

après

propriétaire,

et les

le

ennuis.

le

père

le

Pommier

oublier les siens. Le

programme

mieux

servie qu'à

la

table

huit, jour

le

pre-

du terme.

réclame

concierge,

des

Tant pis!

des étrennes considérables.

Pendant un jour

soit

y a

Il

oublie,

et

fait

inexorable veut que l'ordinaire,

et

que

des poupées parlantes, des sucreries, des jouets mécaniques, soient distribués aux petites bonnes

qui

exigent

impérieusement que

la

femmes

tradition

soit

respectée. Aussi, le père de famille harassé montre-t-il

une sublime hypocrisie à jour de l'An. Sa par-dessus

la tête

femme

se

l'en

montrer

le

croyant du

remercie d'un sourire,

des enfants. Après tout,

peut-être aussi, et

il

admire autant que

il

y croit

les gosses,

qui battent des mains, ce morceau de bois à ressort,

de

ce bébé en porcelaine bourré de ouate,

ce jeu

patience, cette boite de fondants, cette

cravate de

soie, le

n'importe quoi de brillant, de grinçant, de

coloré, qui a été acheté

au bazar. Le père s'amuse


avec ses deux

manier

à

filles

vrer les mécaniques, qu'elles,

s'amuse de

il

est

il

la

les

joujoux, à

animé de

même

féerie

la

manœu-

même

joie

enfermée dans

la boîte à surprises. Il

sait aussi les

prendre avec

une à chaque main, lages.

et les

deux,

lui, toutes les

mener

voir les beaux éta-

Dans des mobiliers de marionnettes

riches,

des poupées vêtues par des couturiers traînent des

robes de soie, des manteaux de velours, exhibent des fourrures, des dentelles, des bijoux, des pierres précieuses. Elles se font des visites, tapent sur des

pianos,

prennent du thé,

lisent le dernier

roman.

Elles créent, dans les minuscules appartements tendus

de peluche,

parfumée, arrêtés

une

et elles

aristocratie enfantine

semblent regarder

aux devantures,

comme les

élégante et

les petits

fillettes

pauvres

bien mises

regardent, dans les squares, les déguenillés stupéfiés

qui se sont approchés de leurs toilettes gracieuses et

de leurs jeux distingués.

Les enfants qui ne reçoivent pas ces merveilles d'articulation et de parure

sont tout aussi ébaubis

devant des sujets de distractions plus modestes objets plus

humbles. Pour intéresser

les

et

petits

des

de


+-

79

-*

n'importe quelle catégorie sociale, pas

besoin d'être

compliqués,

très

Une

d'un jouet bien coûteuse.

du

bois

cesse

les

rta

i

ni

La

n'ont

matière

vive enluminure bui

ou sur du carton, des vêtements de prindans

taillés

des

multicolores à bon

étoffes

marché, d'éblouissants

découpés dans du

falbalas

papier doré, c'en est assez pour réjouir les regards

âmes neuves enivrées par

avides d'apparences, les

Aussi

l'illusion.

les

ne sont pas moindres

foules

autour des bazars en plein vent, des éventaires ins-

sous

tallés

les portes,

et

les

admirations s'exaltent

devant l'objet qui coûte un sou

comme Il

l'or et le

et

qui resplendit

diamant.

y avait des attroupements de ce genre

niers soirs de d'hiver,, sur la

décembre 1871, dans

le

les

crépuscule

Ménilmontant.

Chaussée de

der-

Les

enfants sortant des écoles, avec la petite fièvre des veilles

de

la voie

fêtes, s'arrêtaient à

populeuse

et

chaque pas, au long de

bruyante.

Ils

restaient en des

extases silencieuses, puis se manifestaient en longs

bavardages, bantes,

au spectacle des

des soldats de

petites bougies flam-

plomb bleus

et

rouges, des

emboîtages des jeux de patience, des bergeries

tail-


-$- 8o -§-

au couteau, des maisonnettes en bois blanc,

lées

idéale figuration des châteaux en

vert poison,

en

ébouriffées

bébés aux yeux bleus de figurantes de Guignol

Espagne, des forets

chevelures frisées,

ciel,

des

des poupées vêtues en

— tout un univers de rêve où

apparaissent les symboles de nature, de gloire, de

beauté

de joie.

et

Si cette joie est sur les elle

nest pas sur

L'homme l'autre, le

et

la

physionomies enfantines,

les visages

femme

au bord du

des marchands des rues.

sont debout l'un à côté de

trottoir,

un panier devant eux,

panier rempli des jouets en bois

et

en carton.

C'est l'espoir de leurs semaines de travail, de leurs nuits de fatigue,

qui est étalé sur

le trottoir, offert

en tentation à des gens pas plus riches queux, à des inquiets

comme

eux, serrant leur salaire dans leur

main, hésitant, allant

et

venant, avant d'acheter les

étrennes des mioches affolés. Pauvres marchands de rêve,

aux sourcils froncés,

bibelots de

faisant

manœuvrer

les

deux sous, fabriqués en chambre, suppu-

tant leurs gains minuscules. Ils sont aussi sombres,

aussi poussiéreux, aussi ravagés de vétusté

marchandes de gâteaux

fins

comme

que

les

des dentelles,


marchandes annonçant

les

sont

(jiii

el

comme

ridées

le Plaisir

comme

vieilles les

le

par

Temps,

matière des jouets qui

et la vraie

moins

encore

les

décrépites

bonnes femmes des contes

Les enfants, qui ne savent pas voir

fées.

Les rui

faces

la

vraie

<1<

forme

les ravissent, voient

attentives et

anxieuses de

ceux: qui détiennent ces richesses.

Ce nelles,

Lilliput de bébés, pierrots, clowns,

de fermes,

cet

soldats,

paysans, polichi-

animaux de ménageries

univers en carton et en bois,

et

ces

parcs, ces vacheries modèles, ces vaisseaux de haut

bord, chargés de voiles ou marchant à ces

théâtres,

ces

locomotives, ces salons luxueux,

ces cuisines reluisantes, ces belles

du

vapeur,

la

dames qui

thé et des gâteaux à des invitées,

offrent

— Cécile aimait

tout cela. Enveloppée de châles, les pieds chaussés

de galoches, debout dans

main de se

la neige, sa

Céline, de son père

lassait

pas du spectacle,

ou de la

cœur bondissant d'émotion, son froid désignant les choses,

nommant. Sa mère ne partait de

la

main dans

la

sa mère, elle ne

bouche ouverte, petit doigt

le

rouge de

sa voix gazouillante les

savait pas résister,

et

Ton

boutique avec quelque jouet à bon


-*- 82 dé-

marché,

taillé

au couteau,

enluminé,

comme

les

images d'Epinal, de couleurs franches qui poissaient Elle eut des poupées, toute

les doigts et les lèvres.

une

famille,

caractère. Elle eut, tait

nom et d'un comme si elle mon-

chacune pourvue d'un

peu à peu,

péniblement un ménage, des meubles pour

les

chers enfants, pour les bébés qui viennent de naître, et

pour

grandes demoiselles déjà élevées, auxquelles

les

on cherche des maris. Elle eut un service en zinc en faïence, pour

la dînette, et c'est

qu'elle put acquérir le fourneau

seulement ensuite

pour

couleur

crinière droite.

lie

Ce

petit

que

aussi, tout autant

que Polichinelle

de vin,

et

les

naseaux

monstre

Au

la cuisine.

milieu de ce mobilier, un terrible petit cheval à féroce,

et

était

l'air

dilatés, très

la

aimé

LiLie et Lolotte, ses poupées,

Guignol. Lui s'appelait Bichon.

Et quand Cécile l'étreignait de ses petits bras,

elle

appelait cela aller en omnibus.

Ce avec

fut ainsi qu'elle Ja

vie.

De

commença de prendre

contact

grosses émotions lui vinrent des

maladies de ses poupées. Elle geignit des embarras, des charges de ses rires

famille,

de petite

fille

parmi

ses

de huit ans.

amusements

et


-*- 83 -§Elle

connut aussi

bruit et

le

réjouissances populaires. renaître

des deuils. saient à

devant

faut

il

:

joie

les

et la

mouvement

le

passé et se guérir

mère, malgré eux,

deux innocentes,

des

des

Le quartier dévasté sembla

bien oublier

Le père

la

le

parades des saltimbanques

se plai-

épanouies la

et

ronde

des cbevaux de bois.

Les chevaux de bois, surtout, faisaient de Céline

et

de Cécile. C'est

si joli et si

sons d'une musique de danse,

de frénésie! taillés,

De

ils

bonheur

le

tentant.

Aux

tournent avec tant

chevaux de bois, raidement

vrais

sauvagement coloriés de rouge,

la

crinière

courte, l'encolure et la croupe ramassées et arrondies

comme à tort,

dans

les défilés

du Parthénon. On

a inventé

pour remplacer ces bêtes primitives, de gro-

tesques ménageries très inférieures à ces rondes de naïfs coursiers

:

des lions qui semblent des caniches

jaunes, des dromadaires, des éléphants, des autruches, des casoars, garnis de selles et détriers, des

dragons, des hydres, des bêtes d'Apocalypse émouvantes

comme

des colimaçons.

histoire naturelle de

chaises à

On

entremêle cette

porteurs

et

de gon-

doles, de carrosses et de bateaux à voiles, de rideaux


-S— 84

-ef-

Un

frangés d'or et d'étoffes lamées d'argent. se tient

au centre, proche

bandés qui

fait

marcher

le

mécanisme. Mieux valent

vieux petits chevaux de bois, et

les

bruyante

et si

orchestre

cheval blanc aux yeux

le

la

ritournelle

mélancolique de Forgue. Sur

vaux classiques, au son de

un

cette

c'est

assises

en amazones, laissant

joli

que

spectacle

triste,

les

che-

musique sauvage

et

celui des fillettes

flotter leurs robes, pas-

sant avec des gestes maniérés et des yeux langou-

reux, chevauchant dans le rêve et poursuivant l'inviC'est

sible.

un symbole hardi

et

irréfutable

que

celui de cette course effrénée passant toujours par le

même chemin

et

ne conduisant à aucun but. Le

rythme qui chante des commencements de des envolées, des promesses,

scander

routes,

s'épuise sur place à

illusions et souligner d'ironie les faux

les

départs.

Le ne

petit

sait

monde

pas cela, heureusement.

enivrée de tient

qui galope sur

mouvement.

les

Céline est

de sa mère. Et toutes

et

leur

soirée,

reviennent

comme

Cécile ferme les yeux,

solidement à l'encolure, sous

père

chevaux de bois

chez

les

les

se

yeux de son

deux, contentes de

elles

en

bavardant,


s'endorment tout de Puis vint le

les

de

semaine

la

du sépulcre dans

la

une

la

célèbrent à pleins tuyaux

tombale,

éblouissant

rayonnement C'est une

les

de

fête

croyants

neuves,

cierges,

de ce dimanche,

dimanches,

les autres

sa

de

la

le

personne

le

la

morue, Pâques

rôti

doré par

sauce sanglante. Tout

renouveau,

la joie

le

d'espoir.

en

toilettes la belle

De même,

après

réinstalle à la place

le feu,

monde

du

vivante.

femmes arborent des robes de

semaine de

d'honneur

endormis

redevenue

l'église

pierre

la

chair, une reprise

à

orgues

les

Christ écartant

gardiens

ses

rendent

se

vitraux,

les

saison, refleurissent leurs chapeaux. la

scène

des dimanches, où, toutes les portes ouvertes,

divine lumière incendie

Les

les

tendues d'étoffes

flammes des

celle

qui paraît plus dimanche que

mise en

la

les églises

que

fête éclatante

Après

clarté.

sainte,

noires, l'obscurité trouée par les

le roi

éclairé (Tor par

pousses des verdures nou-

de résurrection

ténèbres de

c'est

heureuses.

el

Pâques, synonyme d'allégresse, de carillons

joyeux,

sinistre

fatiguées

beau temps, Pâques,

le

égayé par

soleil,

velles,

suite,

a

fumant dans la

de vivre encore une

sensation fois

la

du

permise, 8


-s- 86 -§• la fin

du Carême, de

la

du

pénitence,

silence,

de

la

musique mortuaire. Ces syllabes du mot de Pâques publient

Une

délivrance.

porte s'ouvre sur

comme

recommence,

l'avis

campagne.

la

de

On

tous les ans, à s'enquérir des

heures de départ des trains, à parler de déjeuners sur l'herbe, d'omelettes, de gibelottes et de vin bleu.

de

vieux souvenirs reviennent hanter vidus, issus de

promenades dans

les

cervelles

la

Les

banlieue

de milliers d'indi-

commis, de boutiquiers, d'ouvriers

qui s'en allaient, eux aussi, autrefois, courir autour

de

la

ville,

d'air et le

de

pour connaître davantage de verdure,

ciel.

L'humeur de

l'ancêtre reparaît chez

Parisien quand naissent les fraises des bois et les

clochettes blanches ciel est

du muguet. Aux

d'un bleu léger,

courage après

les

le soleil est

jours d'hiver.

Il

lilas d'avril, le

doux.

On

reprend

y a partout

la las-

situde qui suit le travail sans récréation, le besoin de flânerie, le désir

de fêter

retour de la chaleur. Les

le

femmes rêvent d'amour, de Les petites

filles

chantent

valses et de

et

promenades.

dansent en rond en se

tenant par la main. Elles chantent les Filles à marier

:


-S- 87 -*-

J'ai tant

Que

de

marier

filles à

mon comment

j'en ai tout plein

Hélas

je ne sais

!

grenier faire

Pour en marier tant!

Ma

lille,

— Ma —

ma

p'tite

On

dit

fille,

je parle à vous

maman, que

je fais

p'tite

la

tour, faites-en deux,

est-ce qui passe ici

Compagnons de

Ja

le

mieux

du Guet

Elles chantent le Chevalier

Qui

si

tard,

Marjolaine,

est-ce qui passe ici

si

tard,

Gai, gai,

Dessus ce quai Elles chantent le J suis

?

Romarin

descendue dans

Pour y

vous.

aimez,

Embrassez qui vous aimez

Qui

comme

danse vous entrerez.

un

Faites

.'

que vous aimez d'amour.

— Ma maman, — Puisque l'amour vous Dans

m'voulez-YOUfl

cueillir

:

mon

jardin

du romarin,

Gentil coquelicot, messieurs, Gentil coquelicot, mesdames.

:

!


-§- 88 -*J'avais à peine cueilli trois brins

Qu'un

rossignol vint sur

ma

main.

parlait grec, aussi latin.

Il

Que

disait

Que

les

il

dans son latin

hommes ne

?

valent rien,

Et

les

garçons encore bien moins.

Pour

les

demoiselles n'en dit que

du

bien.

Gentil coquelicot, messieurs, Gentil coquelicot, mesdames.

Le père Pommier, sa

femme, Céline

le

lundi de Pâques,

et Cécile, à la foire

faubourg Saint-Antoine, place de de Vincennes. ceau par

Il

la

Nation, cours

resterait à la fête le soir.

bat des mains, joyeuse, et Cécile tente aussi.

au pain dépices,

a promis qu'on mangerait un mor-

qu'on

là,

emmène

La mère ferme

rit,

Céline

est bien

la porte, et tout le

con-

monde

s'en va. 11 est

jour lorsqu'on arrive. La grande foule n'est

y a des gens du quartier, des

pas encore venue.

Il

promeneurs,

rentiers

des

désœuvrés

autour

des

baraques closes, des coulisses, des théâtres en plein air.

Les

quatre

prennent sur

le

Pommier fait la vie

regardent,

eux

aussi,

des héros de parades et


*- 89-* des étoiles de cirques.

et

deux pièces où

divisées en

les rouloltcs

mangent

Les grandes voitures

dorment, naissent

repos derrière

baraque de

la

hommes

Les

travaillent

ou de planches.

toile

paillons et à

d'homme, Le

soir,

après

le

cœur

fanfreluches

en

nu.

à disloquer leurs

recouvert

costume à

le

d'un

paletot

font la cuisine.

quand

les

repas chez

Pommier le

se retrouvent dehors,

marchand de

venue, roule à pleine rue, remplit tacle

le sol

aux décors, aux charpentes,

tout leur

femmes, en jupe courte,

enfants. Les

forains

l<

meurent, sont au

et

Les chevaux maigres reposent leurs os sur

ou s'appliquent de

vertes,

toile,

saute

dans

les

vin, la foule est

les salles

bals,

de spec-

forme cercle

autour des diseuses de bonne aventure, envahit

les

chevaux

les

de bois,

les

aérostats mécaniques.

par

la

bateaux, les balançoires,

Le vieux faubourg

rumeur joyeuse. L'odeur de miel

du pain

d'épices flotte dans

l'air.

est réjoui

et

de sucre

Les petites bou-

tiques présentent leurs alignements de gâteaux bourrés

d'amandes,

la

symétrie de leurs sucres de

Les boules brillantes où se

reflète

la

pommes.

foule en

une

miniature animée, les découpures de papier rouge


"^

-s— 9°

ou doré, parent

raides marionnettes libets

de

d'un éclat barbare. Les

les étalages

la foule

du jeu de massacre attirent les quo-

frondeuse par leurs costumes d'ar-

chevêques, de moines, de magistrats, de militaires.

— Des

lapins vivants!

crie Céline.

Les bêtes peureuses, immobiles sur des

thym

rêvent de à

et

de serpolet parmi

du tourniquet sur

côté

tables,

lampions,

les

lequel va se jouer leur

existence.

Devant les fifres

les

baraques,

les

tambours,

cymbales,

les

font rage. Les chiens savants et les petits

chevaux dansent.

Les pitres rééditent

cinq mille calembours pour

un

de lumière éclairent subitement écoute et

rit.

Le boniment

marches, on s'entasse dans les catégories de places par

les

vingt-

sou. Les projections la foule

fini,

qui regarde,

on escalade

salles, divisées

une corde

:

les

les

en deux

premières

sont éclairées par des quinquets, les deuxièmes, au fond,

sont

presque noires d'ombre.

On

entrevoit

confusément, dans une agitation confuse, des visages pâles et

roses,

des cheveux sombres et clairs,

bonnets blancs, des scintillements de broches boucles d'oreilles. Les chants,

les appels,

des et

de

descendent


-s- 9 et

montent

crécelles

le

long des gradins,

accompagnent

pissements

-*-

1

de

les

les

mirlitons

tambourinades

Drames,

l'orchestre.

les

el

et les gla

vaudevilles,

un quart d'heure. Le public

opéras, sont expédiés en

joue un rôle, intervient à

la

Le père Pommier mène

façon du

chœur

antique.

sa famille voir Geneviève

de Brabant, puis la Pie voleuse. Les petites vivent en pleine féerie, frémissent à

la

vue du

Golo, applaudissent lorsque l'innocence de

filles

traître la

ser-

vante est reconnue.

Les dimanches d'été,

les

Pommier

bonnement avec un panier de

s'en vont tout

vivres, vers les fortifi-

cations, sortent de Paris par la porte de Bagnolet

de Romainville, prennent place sur devant eux

le

le talus,

ou

regardent

paysage de terrains vagues, de buttes

pelées, de gravats, d'ordures, d'écaillés d'huîtres, de

boites

à

mange de

sardines. la friture,

Au

delà,

des tonnelles où

l'on boit

ques bicoques de campagne avec la

du vin la

l'on

violet, quel-

cage à poules

cabane à lapins, un jardinet orné d'une boule

et

bril-

lante qui reflète les tournesols, le tuyau d'usine qui

vomit sa noirceur le

et sa

puanteur dans l'atmosphère,

bouge couleur de sang,

la

bande de vauriens qui


*en

rôde

Un On

«

une

quête de

la

9 2 -*vieille

femme

à

assassiner.

jour, le père organisa une grande expédition. ira à

Yincennes, »

affaire, la

à emporter.

journée à passer,

On

resterait

C'était toute

avait-il dit. le

déjeuner

du matin au

et le

dîner

soir sous bois,

à l'ombre, sur l'herbe. Le jour choisi fut un lundi

où le

pas de travail

le peintre n'avait

le

:

dimanche

lundi, le bois de Vincennes est resté le lieu préféré

de ceux qui peinent pendant toute établi,

la

semaine sur un

dans un bureau, derrière un comptoir.

Avec bien

d'autres, le

Pommier non

chemin de

loin des guinguettes

fer déverse et

nade, Céline et Cécile jasant et riant,

panier aux provisions.

clairière avoisinant

le fort,

le

les

des bals qui

font face au donjon. Ils s'en vont d'un pas de

le

et

prome-

père portant

Inutile d'aller loin.

Une

un peu de gazon, quel-

ques mottes de terre où croissent des fleurettes au pied de faisceaux d'arbres maigres, saccagés par les essais d'escalade et les brisements

de branches, c'en

est assez pour s'asseoir en rond.

La

encore nette d'un autre déjeuner.

abandonné, des os sol.

Çà

et là

place n'est pas

Un

litre

et des papiers gras

des «

sociétés »

vide a été

parsèment

le

sont installées, des


amoureux, des ménages, des aux goulots,

familles,

se jettent des boulettes

«jui

boivent

de mie de pain,

fredonnent des romances. Des pantalons rouges, des gants blancs, des plumets d'artilleurs paraissent disparaissent à travers

le feuillage.

et

L'air est plein de

de moineaux.

cris

— Céline, veux-tu aller te

revenir?...

Ab! mâtine,

je vais

chercher!

Céline chante,

fait

semblant de revenir, ne revient

pas, s'écarte de nouveau.

— Attends, lier

va, je vais te

ramener à coups de sou-

!

— Ne brusque pas, — mère. — Céline! — appelle gentiment dit la

la

Cécile.

Céline ne revient que lorsque son père se levé, furieux.

Elle revient des bords de chemins, des coins de talus, des environs

de ruisseaux, où

singulières et inquiétantes figures.

se

Des jeunes gar-

çons, blêmes et gras, aux cheveux trop

jouent au bouchon sol,

fument des

— Hé

!

la

pommadés,

sur la route, ou, vautrés sur

cigarettes.

môme,

tiennent de

— appelle

l'un.

le


*- 94

— Tu —C

bath

es

!

'qu'elle est

-*-

— sourit gironde! — j'te

gobe,

l'autre.

s'extasie

un

troisième.

Céline sourit, minaude, arrache des feuilles aux arbustes, les porte à sa bouche, sa jolie bouchetle à baisers, à ses dents de nacre. Elle

ondule, se rengorge, joue

elle

Vincennes pour

la

la

se sent

admirée,

coquette du bois de

gouape de Paris

de

et

la banlieue,

vêtue de vestons trop courts, de pantalons collants,

de chemises de couleur, la

chaîne et

la

les

montre au

une haute casquette sur

gilet,

la tête,

cher insolemment son vice

Le père ramène

doigts cerclés de bagues,

un

foulard au cou,

— comme pour

la fille

en

la

talochant. Derrière

eux, l'argot ricane, les regards enveloppent la

de

la fille et

que

la

affi-

et sa paresse.

transpercent la

nuque du

père.

taille

Pendant

dispute de famille continue et s'apaise,

il

y a

sous les arbres des gesticulations cyniques, puis

groupement de

— —

il

Tu

vois,

y a eu

voyous

de dos d'un conciliabule.

dit le père,

un crime au

comme

à quatorze

têtes et

le

quelques jours après,

bois de Vincennes.

De

sales

ceux de l'autre dimanche se sont mis

pour

violer

des quatre saisons.

une femme, une marchande

Ils lui

ont attaché

les bras, lui

ont


-s— 93 ventre à coups

crevé le

sauvés en mettant

On

le

%-

de pierre,

et

lia

feu à ses jupons et à sa chemise.

portée à l'hôpital Saint-Antoine, où

l'a

mourir.

..

Tu

vois, Céline.

On

— Nous n'irons plus, —

en

on

lui racontait

chante

elle

va

a déjà arrêté neuf...

dit la

mère.

Et Céline, quia écouté d'un air incrédule, si

sont

se

comme

exprès une blague, Céline aussitôt

:

Nous n'irons plus au bois Les lauriers sont coupés

La belle que

:

;

voilà

Ira les ramasser...

aucune idée de ce qui

Elle n'a

lui a été raconté,

de ce qui a pu se passer. Son imagination courte, toute à la

minute présente, ne

lui

montre pas

tels

qu'ils sont les rôdeurs et souteneurs qui errent par le bois

au crépuscule, rencontrent une femme,

l'en-

traînent sous les arbres, la ligotent, la violent,

massacrent, l'incendient, glante, brûlée. Elle lui arriver

;

et

la

laissent souillée,

san-

ne conçoit pas que cela puisse peut-être, en effet,

arriverait-il pas, l'aventure serait-elle

rente.

la

cela

pour

ne

lui

elle diffé-


9 6-*-

+au contraire,

Cécile,

petite qu'elle soit, devine

si

par son imagination frémissante qu'il se passe quel-

que chose de et

du

par

père.

Elle ne sait pas ce que

violée.

Ce qu'elle comprend,

le

est effrayante,

que personne

marchande des quatre

Désormais, quoique

la

mère préféra Andilly, où si

c'est

c'est

qu'une

que l'histoire

venu défendre

n'est

la

que ces garçons

saisons, et

du mal,

affreux lui ont fait

toujours

la ville

ne comprend pas ce qui a été raconté

bois. Elle

femme

beau décor de

terrible derrière le

si

tant qu'ils ont pu.

course fût plus longue,

la

la tante vieillie les recevait

bien. Gela, c'était gentil et charmant.

— De campagne, — père Pommier. — Quel embêtement qu'on n'y boive que delà la

piquette Il

vraie

disait le

!

se réjouit,

néanmoins, avec

la

maman

et

les

deux gosselines, des promenades dans Fair vibrant et

de

doré des chaudes après-midi, sur la route inondée soleil,

dans

le

sentier

qui

longe un

champ

d'avoine, à la lisière d'un bois. Ici, des faisans sont élevés

dans un enclos de

tent les

forêt

:

à tout instant, par-

beaux oiseaux rougeoyants

clairières sont traversées

et

mordorés,

les

de vols lourds. Ailleurs, on


-*- 97

-*

entend des bruits de branches cassées, on aperçoit, ;i

1

milieu d'un étroit sentier, des chevreuils attentifs

1

immobiles sur leurs pattes coin délicieux où

les fraises

muraille de parc,

une large

semée de

dès

fleurs

;

le

frêles.

Plus loin,

abondent

:

1

un

est

il

au long d'une

voie, verte d'herbe, par-

revers

du

talus, les fraises,

toutes petites, se trahissent autant par leur senteur

sucrée que par

places,

elles

sont

d'un rouge

point

le

rose pâle qui éclaire si

la

verdure des

nombreuses que

criblé d'une pluie de sang.

qu'à

les

c'est le la

jolie

manger

muguet. fleur

Il

va

là faire

ou d'un Par

le sol paraît

n'y a qu'à

à belles dents.

On

vif

feuilles.

les cueillir,

Plus loin encore,

des gros bouquets de

poussée droit entre

les

deux longues

feuilles lisses.

Puis l'automne revint, avec ses tés,

son vent, ses

fut fini

feuilles d'or,

pour toujours d'Andilly

mourut, presque subitement,

mouvemen-

ciels

— puis :

l'hiver.

Et ce

bonne

tante

la

laissant

un

billet

de

mille francs aux Pommier, toutes ses économies.

À

ce

moment, Céline

Cécile fut mise à

une

couturier»'.

C'était chose

important»'

fut confiée à

l'école.

9


pour

Sa mère

elle.

son travail

un peu de

lui avait dit

soumission,

et sa

pour plus

bien-être

capable de comprendre

merçante, jeune rance devant

le

fille

souvent que

elle

selon

pourrait acquérir

tard.

affaires,

les

là,

De

on

sortait

com-

caissière,

n'ayant pas à rougir de son igno-

monde. Dans

de l'enfant,

l'esprit

l'ave-

nir glorieux, les situations brillantes, appartenaient à

d'anciennes élèves obéissantes

et

appliquées.

Aussi, dès qu'elle a franchi le seuil de l'école, Cécile prend-elle

un

petit air recueilli.

Plus de

rires,

plus de conversations superflues. Elle s'installe devant

son pupitre, elle.

et

Tout de

suite,

douées qui ont et le

une deuxième

le

elle

petite fdle se révèle

se range

parmi

souci d'arriver. Elle joue

en

les

bien

un

rôle,

joue d'un rare sérieux. Rien n'aurait pu

la dis-

traire de ses devoirs. Elle avait su vite lire et écrire.

A

présent,

elle

apprend par cœur des

étranges qu'elle ne l'esprit

comprend

pas.

Elle

histoires se

torture

pour additionner, soustraire ou diviser mille

sacs de farine

vendus à un marchand, échangés avec

un fermier pour un

prix égal de beurre, etc.

Tous

ces problèmes lui paraissent d'une gravité exceptionnelle, et

son caractère

est modifié

par

la

préoccupa-


99-*

-«lion des

premières places cl des bons points. Qu'une

compagne

ait

à son obligeance

recours

pour

être

aidée ou conseillée, Cécile devient muette et impassible.

Ce

n'est

plus

la

bonne

émue du moindre ebagrin petit être

engagé dans

sensible

et

des

autres,

enfant

un

c'est

voulant conquérir

la lutte et

le prix.

Elle exerce

donc son

bistoires des guerres,

à retenir toutes les

esprit

toutes les dates

qu'elle

croit

indispensables à son avenir. L'arithmétique est pour elle

un cauchemar

inextricable.

Les millions,

milliards, après s'être alignés sous sa

les

plume, hantent

ses rêves. Elle cherche, à travers tous ces zéros, le

« résultat exact »

Un

soir, elle revint tout

n'avait pas elle

remporté

le

la

maîtresse d'école.

en pleurs chez

elle.

ment

la

campagne.

décrit sa dernière

avait

beaucoup

ri

avait été décernée à

Elle

prix de narration sur lequel

comptait. Le sujet du concours avait été

journée à

On

voulu par

»

promenade aux

de sa méprise

une

:

«

Une

Cécile avait tout bonnefortifications.

et la

récompense

autre. Elle ne fut pas con-

vaincue du mérite delà composition couronnée, et son

jeune discernement se révéla par cette obstination

Univer»ftaJ*

BIBLIOTHECA

:


IOO

mon

donné âne

ait

prix à Madeleine parce qu'elle a vu

un

à

attelé

qu'on

Est-ce possible,

disait-elle,

une voiture, des gens qui dansaient

devant un château,

une comtesse qui

et

distribuait

des brioches à des villageois?...

Ce jour-là, mais

Cécile fut

d'ailleurs elle

définitive, car elle

en garderait,

un peu désabusée de

ne pouvait s'en

faire

ne devait guère y

c'était

les

l'école,

une opinion

rester.

Ce qu'elle

quelques livres essentiels,

quelques volumes de prix, dorés sur tranches,

goût de

la lecture,

intelligence et le

ce grand

moyen de

une science, plus

temps. Là, se marqua

se faire

tard, si elle

la différence

et le

une

en avait

avec sa sœur.

Céline, malgré ses quatorze ans, ne voit rien, n'en-

tend

rien,

ne comprend rien. Elle saura coudre,

orner un corsage, et c'est tout. La vraie apprentie, l'apprentie de la vie, c'est l'autre, Cécile, la petite fille

qui va sur ses neuf ans. C'est

elle

qui a

le

don

elle

qui prend contact avec

soir rassemblait tout le

monde, comme autre-

de voir

et

de retenir. C'est

ce qui l'entoure.

Le fois,

autour de

la

lampe, auprès du feu. La famille

apparaissait alors bien réduite.


IO

Sans doule, Justin

nous auraient s'ils

Jean

et

quittés,

mai

se seraient

disait la

mère,

maia

avaient eu de bonnes femmes, nous serions tous

bien ensemble,

restes

chez eux

aurait eu

y

il

des réunions

chez nous, leurs enfants auraient

et

été

gentils...

Elle

se

bon pour

aurait été

comme

filles

le

faisait

le

il

cabaret,

pour songer,

taisait

samedi,

le

se

à écorner sa paie au

parfois, et

bon

aussi pour à

fait

par des exemples de tous

la réalité,

mort

est

— ce

fils,

Siège,

la

si

de mère

proches

d'elles.

pour

si

tirer d'affaire.

autour

d'elle,

voyait que pres-

qu'elle connaissait avaient été éprou-

même

perdu leur le

jours,

et

bien mort... Je serai encore satisfaite

que tous ceux

dant

à

qui est passé est passé, ce qui est

regardait

vés de la

les

femme

continuait-elle, laissant le rêve

nous pouvons nous Elle

petites

les

habituées

amusées avec leurs neveux, leurs

nièces, auraient appris la vie de

Enfin,

cela

père, qui ne se serait pas attardé,

qui se seraient tout

famille, se seraient

que

disait

façon.

Combien de mères

avaient

combien de femmes leur mari, penpendant

la

Commune

î

Ce jeune


102

homme,

qui avait habité huit jours dans

avait eu son

face,

mari

dans une chapelle du

Jean peut-être... les

maisons de

femme, qui

logeait en

deux

massacrés

ses

fils

Père-Lachaise,

pourtant

la

rue étaient marquées du

guer

trois

comme

un pays

Galédonie, dans

si

mois pour y

leurs

morts,

bonheur. Si Justin ils

tous, le père,

la

aurait travaillé,

envoyés en

ou bien

arriver,

exilés

été

et les

fants.

se serait refait

sait, d'ailleurs,

un jour en France, oh ville

pour

deux

heureux. La patrie, pour

Qui

à

c'était le

Jean avaient été à l'étranger,

et

mère

on

même

éloigné qu'il fallait navi-

seraient arrangés

se

Toutes

!

hommes,

Londres, à Bruxelles, à Genève. Mais cela,

bien sûr

comme

étaient

ils

Et d'autres, et d'autres

Des femmes n'avaient pas perdu

deuil. et

et

cave,

troupes parce qu'il

avait été fusillé à l'entrée des était soldat réfractaire. Cette

la

î

on

petites filles.

un

elle,

les faire venir

abri,

On

on aurait

c'étaient ses en-

serait peut-être

revenu

pas à Paris, non, c'est une

trop terrible, une ville de misère et de crime,

une mangeuse d'hommes, une tueuse qui tous les moyens,

en arriver à ses

du

fins.

travail et

de

se sert de

la révolution,

pour


Elle

ae

savait

qu'elle s'observât les vivants, elle

ils

io3 -*-

pas

oublier ses

morts,

de ranimer en eu\

les associer à

le

jour des morts, cette année-là et

souvenir. les suivantes,

s'en allèrent, avec la ville entière, vers le

Lachaise, vers

le

bien

et

pour ne pas exaher ou assombrir

ne put s'empêcher de

sa grave tristesse,

Au

-§-

grand spectacle de

mise en scène ingénue du vêtement

et

la

Père-

douleur,

du

la

décor. Les

habits de deuil, les crêpes fixés au chapeau par des les

bijoux de jais, tout dit

à des

mystères spéciaux, de

perles, les longs voiles, qu'il

s'agit d'initiés

par un acte de

fidèles réunis

commune. Dans

foi

grande avenue sablée, gazonnée, s'élèvent pelles élégantes, les fices

les

monuments somptueux,

la

cha-

les édi-

spacieux, abritant des familles sous les pierres

sculptées, derrière les grilles et les entourages curieu-

sement ouvragés. Des noms en dissent

aux frontons, font

richesse sur seignes.

les

C'est

la

restes

lettres d'or resplen-

briller la

auxquels

ils

Chaussée-d'Antin,

Paix, les Champs-Elysées

du

vanité

de

la

servent d'enla

cimetière,

rue le

de

la

triomphe

des financiers et des notables commerçants par delà le

tombeau. Plus

loin,

par

les

allées

ombragées

et


104

-S— solitaires,

monuments

les

Saint-Germain de

ou

statue

la

d'un

politique,

grande fortune, gaires

comme

fois les vivants le

affectent

doublement défuntes

aristocraties

La

«-§-

la

la

morgue des

c'est le

:

faubourg

nécropole.

colonne élevée à

écrivain,

d'un

la

mémoire d'un ou d'une

artiste,

au-dessus des tombes vul-

s'élève

ceux qu'elle célèbre dominaient autre:

sous

la terre

seulement

le

niveau

est

même. Tous

les états sociaux, toutes les naïvetés, tous les

orgueils,

ont acheté ou

monuments, gement

le

loué

le

terrain,

élevé

des

tracé des inscriptions, cherché l'arran-

plus ingénieux,

le

plus tristement gro-

tesque, le plus lamentable. Partout des croix s'élèvent, en granit, en marbre,

carton-pierre, en bois.

A.

en simili-marbre, en

côté de douleurs affreuses,

qui ne se sont pas résignées au silence, des réclames

impudentes

s'étalent sur les bras

de ces croix indi-

catrices.

Les constructions mortuaires se ressentent de collaboration

d'héritiers

en marchandage avec des

marbriers qui savent coter prix.

La

stèle

la

le

chagrin à son juste

grecque, l'obélisque égyptien,

le

cippe


-*-

romain,

la

io5

chapelle gothique à vitraux,

Moyen âge ou Renaissance

besques

et à astragales

les

c

du

tombeau

statue de gisant,

siècle,

les

pierre-

la

i

style rococo des jésuites,

caveaux de famille se dresse un autel cou-

vert de vases, de cierges, fleurs

à

le

incohérence au long des avenues.

avec

s'alignent

Dans

\vm

niche du

coquette

—*-

en papier doré.

qui recouvrent

le

de cadres à devises, de

Sur

les

le

pieds de terre

cadavre, on a raffiné les symboles,

trouvé des effets de décoration,

des croix avec

six

buis, écrit des

sées qui ressemblent à des têtes

taillé les ifs,

mots avec

dessiné

les

pen-

de morts, assemblé

des fleurs qui signifient désespérance avec d'autres

qui parlent d'immortalité.

Le cimetière

La

fosse

trades

a aussi ses faubourgs, ses charniers.

commune

mal

est hérissée

noircies,

de croix, de balus-

délavées par

plantes parasites, les mousses,

les

les

pluies.

Les

ronces y crois-

sent.

La mort, dans règne parfois le

là,

suprême repos,

vie de travaux et

le

calme de campagne déserte qui

pourrait paraître la

ce

qu'elle

est,

conclusion mélancolique d'une

de peines qui n'a nul besoin de


mirages extra-terrestres

Ce pourrait

être le

-*

106

-fs»

et

de fausses consolations.

champ funèbre d'où

se lève la

poésie formidable et mystérieuse de l'infini. Mais la

cohue des morts sortent de la

L'idée d'un

s'y bouscule, des cris,

terre

des plaintes

remuée.

toujours fraîchement

champ de

bataille,

d'une

cité révoltée,

d'un enfer social qui continue, d'une lutte sans s'exhale foule

la

signification

fusillés.

autre manifestation que le silence.

Aucune

couronne à

la

muraille,

sont proscrits,

La

distinctement. Le

La

parole et le cri sont interdits.

la

plus émouvante.

le

aucun drapeau. Les emblèmes

confrontation des vivants

et

des morts n'en est que

foule vient, s'arrête, regarde, voit

mur

est

couvert de cicatrices, d'en-

sanglantes, de noirceurs de poudre. Ces coups

qui ont porté sur et

se précise

mur des

plus tragique encore. C'est devant

tailles

la

des morts.

Encore quelques pas,

Aucune

commune, de

frémissante de la fosse

anonyme

fin,

fait

monde

la

sauter des

écoute

ont

muraille ont traversé des cœurs cervelles.

Des

retenti.

Des

cris

que tout

râles sortent

le

du

silence.

Les Pommier sont au premier rang. Est-ce

que


-*- io;

Jean a

mère

été fusillé.'

§-

Le père regarde fixement,

yeux, serre plus

clôt les

la

main de

fort la

petites filles.

L'été

fini,

fallut

il

renoncer aux promenades,

simplement un tour dans Chaussée, soleil,

parfois,

et

monter vers

bourg,

les

luisait

au long de

la

et

bizarre

rue de

du

la

l'illusion

fauil

y

Chine, jolie

accessible à l'automne.

chantait, donnait

la

un rayon de

dernières maisons

comme

au printemps, encore ruisseau

quand

une région charmante

avait des ruelles,

était

le quartier,

faire

que

Un

la venelle

ouverte à travers la campagne. C'était une ma-

nière de petit

chemin, bordé de haies, de palissades,

par-dessus lesquelles retombaient des plantes grimpantes.

Dans

cette verdure, des maisons,

ou plutôt

des rez-de-chaussée, des cabanes.

Le père Pommier aurait voulu habiter mère, tout en reconnaissant que trouvait aussi

que ce

n'était pas

commissions, que

pour

de tout

»,

monde

ne serait pas rentré. Elle

et qu'elle serait

mais

la

c'était très plaisant,

travail,

les

là,

commode pour

le

c'était « trop loin

trop inquiète faisait

quand son remarquer


>. que

enfin

c'était

l'hiver venu,

108

«-4-

agréable à la belle saison, mais que,

on trouverait moins de charme au

rez-

De

fait,

de-chaussée humide, aux arbres dépouillés.

quand

dans

On

l'hiver vint, tous furent de son avis.

calfeutra vite dans le chez soi bien chaud, la

comme

chambre, autour du poêle,

on

se

se terra

dans une

casemate.

La rue

n'était plus

habitable,

les spectacles

et

qu'on y voyait n'étaient guère réconfortants. C'est

quand

le

mord

vent est âpre et

chairs que les

les

misères renoncent aux apparences et arborent

costumes éloquents

dans les

comme

des drapeaux.

de bonne heure, rentrer tard,

sortir

La

les

faut

Il

faire des courses

journée. Les semblants d'élégance permis par

saisons bienveillantes sont interdits. Impossible à

l'homme de

s'en aller en blouse propre, à l'ouvrière

de

d'une robe légère,

se

vêtir

de se

ruban. Et encore, ceux-là, ce sont travailleurs d'habitude

ont pu, peut-être, se

cache

les

du chantier

coiffer

d'un

les réguliers, les et

de

l'atelier. Ils

pourvoir du gros vêtement qui

pantalons clairs,

robes transparentes. Mais

les

vestes

les autres,

ceux qui cherchent sans cesse

minces,

les

les irréguliers,

le travail

à faire, l'ai-


-S— 109

gent à gagner, le

jour

les

g-

coureurs de

subsistance au jour

la

!

De

ceux-là

interminable

loques.

il

y en a, au long des maisons, un

défilé.

Les gestes resserrés el

au

apparaissent

inquiets

Tout ce qui

Fichus, et

plètent

pardessus,

morceaux de

comme

ils

milieu

tombé sous

est

pris, endossé, entortillé

drap

les \i

main

la

caracos,

châles,

morceaux de

Les mains gercées se

peuvent.

cieuse

du morceau de pain

même

son corsage d'un brin de

le

com-

laine, s'amoncellent et se

vivante, sans cesse en révolte contre

sous

été

a

autour des épaules maigres.

femme

cachent dans des manchons de haillons. La si

,

d'inextricables

coup de fouet du

et

le sort,

sou-

fleurissant

quand

violette, se

courbe

froid piquant,

obéit aux

injonctions qui la soufïlètent, perd le souvenir des coquetteries d'hier. Elle s'enveloppe la tête de chiffons, elle fait souffrir son goût de toilette, tinct

de vanité, jusqu'à endosser,

paletot

d'homme au dos

carré,

s'il

le

son insfaut,

le

aux manches trop

longues.

Combien de malheureuses sans poêle, vont vers

l'asile

quittent

de nuit dont

leur la

taudis

lanterne


-5—

rouge s'allume, au

io

i

soir,

<^§-

dans

blafard de la neige,

le

comme une étoile de sang dans un Un matin, à sept heures, un s'en allait à

typographe qui

son imprimerie tomba foudroyé par

congestion à l'angle de la

paysage polaire.

rue des Amandiers

la

Chaussée de Ménilmontant. Une

vieille

la

de

et

de quatre-

vingts ans, qui demeurait impasse Ronce, fut trouvée

morte de

froid,

bienvenu,

avec

qu'il

fit

dans son

lit.

Le dégel

fut

donc

le

son gâchis, ses immondices, lors-

ruisseler les

murs

et qu'il grossit les

ruis-

seaux, lorsqu'il s'augmenta, pendant toute une nuit,

d'une averse torrentielle, d'une pluie oblique, dense,

emporta tout,

à larges gouttes, qui nettoya le pavé,

à l'égout et au fleuve.

Au

moins,

le

temps

Cécile purent mettre plaisir des

ne

pauvres que

s'y produit

c'est la

le

radoucit,

la

vue de

aucun événement,

boutique d'en face,

passante, c'est le pavé. loisir

se

de voir tout

cela.

En

la

rue.

c'est

un

Céline

et

C'est

un

Même

s'il

spectacle,

c'est le passant, c'est la

semaine, on n'a pas

Le dimanche,

longues, et les deux sœurs, une fois et le repas

et

nez à la fenêtre.

de midi pris, restent

la

les le

le

heures sont

ménage

fait

journée le visage


1

écrasé aux carreaux,

1

f

ou accoudées ù

la

barre d'appui.

Après avoir paré leurs corsages bien ajustés

de ruban leur

et

de grappes de fleurs,

après-midi,

inutiles,

elles

vivent ainsi

vaguement

attentives et espérantes, et

sœur Anne de cesse

au loin

le

sa

Elles

qui poudroie

verdoie, et ne voit jamais rien venir...

116

O

sont néan-

chacune devient

propre existence,

soleil

nœuds

désœuvrées,

anxieuses d'elles ne savent quoi.

moins

<l<

\

la

regarde sans et l'herbe

qui



III



III.

Au

printemps de

gèrent

tèrent fut pas

TRAGEDIES ET COMEDIES DE FAUBOURG

de maison

i8^3,

Ménilmontant pour long

montant

et

:

le

la traversée

habitèrent,

Pommier chande quartier, quit-

Belleville.

de

parcours de

Là, presque à l'angle de

les

aussi

et

la

la la

Le

trajet

ne

Chaussée de Ménilrue Julien-Lacroix.

rue de

Belleville,

ils

au plus haut d'une haute maison, un


logis

petit et

dominait

qui

montée du faubourg

la

grande étendue claire ou brumeuse de Paris.

la

dune

région de Belleville est

Cette

beauté. Si

Ton

avait le vrai sens de la vie

singulière

de

la foule,

certaines rues, certains carrefours de cette ville puissante,

installée

un

déjà

au-dessus de l'autre

A

aspect historique.

de l'action

et

du sentiment

passants racontent

qui vient.

le

auraient

ville,

chaque pas

le

monde

se lève. Les maisons, les

temps qui

Un résumé humain

s'en va, le

s'inscrit

temps

aux montées

des rues, aux larges boulevards, aux amas de maisons.

La misère

s'exalte

ou

se résigne, aboutit à la

fureur ou au vice. Le travail de tous

une population en force

tient

et

les

jours main-

en espoir.

Une

gaieté subite emplit la rue, refoule les instincts dans

l'ombre. C'est, tout à la effrayant,

varié à

et

doux, révolté, ironique,

C'est reposant et tumultueux,

ne jamais émousser

profond

tacle la

sublime.

fois,

la sensation,

passionnant dont

le

un

spec-

regard effleure

grandeur.

En

réalité, Belleville

avenue par

la

le

commence au Canal,

a

pour

faubourg du Temple, gardé en ce temps-là

caserne de

la Courtille.


-S— Puis, c'est tervalle

i

17

5-

haut du faubourg du Temple,

le

du boulevard

extérieur,

I

"in

premier plan de

le

rue de Belleville. Quartier agité, bruyant, ouvrier,

la

commerçant, pendant toute

la

passer entre les fiacres et les

tombereaux,

les

journée.

a peine à

omnibus qui cahotent,

charrettes,

les

On

les

camions,

qui

roulent lourdement. Parfois, la chaussée est défoncée

par

les

fardeaux qui pèsent sur

pavés s'écroulent dans

l'encombrement

est le

le

elle,

Sur

sous-sol.

même. Une

des rangées de le

trottoir

foule défile, sta-

tionne, bavarde, achète, entre les boutiques et les voitures de légumes. C'est l'aspect

d'un marché. Les travail pressé,

allées et

remuant

et le bruit

venues des gens parlent de

d'occupations humbles, d'acceptation

tranquille des charges et des misères de l'existence.

Le

soir,

après la grande montée des ouvriers et

des employés,

rue de Belleville,

le

calme d'une grande rue de

province. L'été, on cause devant il

à toutes

horloges, c'est à peu près, jusqu'à minuit, dans

les la

quand neuf heures ont sonné

y

chez

les portes.

L'hiver,

a des parties de cartes jouées et des pipes fumées les

flambantes

quelques liquoristes protègent

la

dont

veillée

du

les

boutiques

quartier.

Les


-§—

1

18 -*-

contrevents mis, chacun rentré chez soi, tout dort

jusqu'à l'aube, où s'installent sous

C'est l'intérêt

cune de

les

les

du

ses régions,

présente avec

un

vendeurs de soupe

et

de café

portes et au bord des trottoirs. Paris des faubourgs que cha-

chacune de

ses rues presque, se

caractère différent.

La grande rue

Belleville

ne

ressemble ni à Montrouge, ni à

Montmartre,

ni

au

de

Ménilmontant

si

avec leurs salles

faubourg Saint-Antoine, ni à

proche.

Les premières maisons,

de marchands de vins emplies par

l'énormité des comptoirs, leurs concerts, leurs bals, leurs hôtels à transparents, scintillants de gaz,

ces

premières maisons ne font pas songer à une

cité

de

travail,

mais évoquent des dessous nocturnes de

prostitutions et de rixes, tout

un ressouvenir du Car-

de milord l'Arsouille et des descentes de

naval

la

Courtille.

La la

vision est vite abolie.

A

mesure que Ton monte,

rue s'élargit et s'apaise. Les vitrines illuminées

font place à des étalages de petites boutiques provinciales.

Tout un commerce bavardant sur

rez-de-chaussée à l'autre, tion ouvrière entassée

place, d'un

toute une régulière popula-

dans

les

hautes maisons, occu-


-S—

pent

i

—#-

19

rues qui contournent

les

le

coteau raide

à gravir.

Des rentes menues sont dépensées silencieusemenl dans des pavillons Les

Pommier connurent donc

sage de sible,

fragiles, cernés de jardina mail

à Belleville

la vie puissante, la tranquillité de

le

aussi les

du monde du

flux et le reflux

drames de

jouent au bas de

et

soir et tard

la

rue,

dans

et

certaines heures

la nuit, le va-et-vient

du

des fdles

pavé. L'inconscience

guet-apens s'organise.

le

|»;ii

travail,

au boulevard extérieur, au

des souteneurs s'empare

s'étale,

vie

pas-

colère, d'ivresse, de vice, qui se

sommet du faubourg du Temple. A du

la

l<"

Le

samedi,

les

faibles ouvriers qui se sont laissés aller à boire sont

en contact avec

et

les

fainéants qu'ils

au comptoir du bar, sur

méprisent, liquoriste.

drôles

les

A chaque

instant,

le

seuil

du

ce sont des disputes,

des rixes, des mauvais coups reçus par les naïfs. Il

lui

arriva

une

meurtri à

fois

au père Pommier de rentrer chez

la suite

de l'une de ces bagarres.

put jamais savoir, à travers qu'il

ou

donna,

s'il

s'il s'était

avait

Sa femme,

les

les

On

ne

explications confuses

battu pour son propre compte

voulu intervenir dans une discussion. samedis suivants, vint l'attendre, son


-§-»

travail

pour

fini,

s'apercevant que

le

120

ramener

vieil

le

*=§-

à

maison.

la

Puis,

un peu hon-

ouvrier était

teux, devant les camarades, de cette surveillance, la

mère envoya Céline par

toutes

deux

se tenant

main, bien gentiment. Le père comprit l'atten-

la

tion,

et Cécile,

en sut gré à sa femme.

promener

C'est pour

les petites,

dit-il

aux

autres.

Et

santes,

les

proprement

inventer

assez

s'en allait,

il

montrer avec

content,

attifées.

le

cœur

le

de se

effet,

toujours

La mère,

un programme pour

pas beaucoup

en

deux gosselines,

plai-

d'ailleurs, sut

samedi. Elle n'avait

à la joie, mais

la

pauvre

femme

devinait qu'il faut aux travaux et aux peines la diversion

du

plaisir.

de Belleviile

:

On

elle

habitait à quelques pas

cela,

s'habiller

il

elle affirmait

Le

fallait se

un peu,

théâtre

proposa de s'y rendre tous, presque

toutes les semaines, ce jour dangereux

Pour

du

et,

du samedi.

réunir et dîner de bonne heure, si c'était

de l'argent dépensé,

qu'on y gagnait encore.

théâtre, loin de la ligne étincelante

vard, est au plus abrupt de la montée.

du boule-

La

salle est

caractéristique, et la population qui l'occupe est bien


chez

elle,

cantonnée dans

ses habitudes.

La clientèle

change avec

les

jours. Les ouvriers, les commerçants,

en famille,

la

journée

laite,

y installent une

j<>i<>

calme, une tranquillité bourgeoisantc. D'autres soirs, des silhouettes farouches se dessinent sur

sang de bœuf, des gens velours

bombent des dos

assis

sur

inquiétants.

les

En

les

murs

appuis de tout temps,

des jeunesses en cheveux circulent et fredonnent par les escaliers et les couloirs. Il

y a des animosités, des injures parfois sont

échangées entre

de petite les

ville.

les différentes classes

Le

gens paisibles des fauteuils d'orchestre

baignoires.

Des

toilettes

et

des

trop coquettes horripilent

l'amphithéâtre, d'où tombe alors jectile. et

de cette société

bruit des galeries supérieures agace

un mot ou un pro-

Puis, des silences se font, des exclamations

des rires éclatent avec

un ensemble

extraordinaire,

puis encore, des railleries partent qui blaguent l'émotion des

comédiens

empoignés par

la

et la

sentimentalité des auditeurs,

coupe d'une phrase

tion d'une jeune première.

Un

et la gesticula-

certain esprit gouail-

leur et cynique peut faire diagnostiquer l'influence

du

café-concert.


11

Dans

cette salle

emplie d'une multitude,

dramatiques divisent

le public.

scènes

les

Les paroles violentes

font se tendre et se crisper les visages, s'arrêter les respirations,

cramponner

se

mouchoirs des femmes, mais

un

mains,

les

sortir

les

l'attention se brise sous

quolibet, se perd dans des colloques et des protes-

un mot inattendu cause une

tations. Parfois,

juste

impression unanime de stupeur glacée, sans une fausse note.

Mais où tout état d'esprit,

quand

même

le

monde

est d'accord,

avoue son

son instinctive manière d'être, son désir de

la joie, c'est

tout, pour rire depuis

le

pour

rire,

pour

commencement

rire

chaque occasion, bonne ou mauvaise, qui

fin, à

présente.

Des

significatifs

traits

qui ne sont pas

se

précisément

de gaieté, qui devraient provoquer

l'iro-

humain, font courir de

gais

mur-

joie. C'est ainsi

n'im-

nie et le frisson

mures, éclater des tempêtes de

porte quel soir, que l'on joue Monte Trois Épiciers,

le

man

d'un Jeune

ville

ou

la

de

jusqu'à la

Cristo

Sonneur de Saint- Paul ou

Homme

pauvre,

le

drame,

le

ou le

les

Ro-

vaude-

comédie.

Les spectateurs manifestent, par

là,

une opinion


-s— très

douce sur

le

123

«-

fond des choses,

ne soupçonnent

ils

pas un instant que les problèmes de passion puissent se

poser entre des êtres se débattant au milieu

defl

conventions sociales et des tristesses physiologiques.

Ce que

tous viennent chercher, c'est, bien plus que

de Témotion, de il

la

gaieté.

en faut dans toutes

du mélodrame qui c'est

du vaudeville

Il

en faut quand même,

comique

les pièces. C'est le rôle

est le plus

attendu

et le

plus

fêté,

qu'il est parlé à la sortie avec le

plus de satisfaction, surtout par les

femmes

:

même

lorsque leur plaisir aura été contrarié, elles diront,

en s'en

allant,

que

c'est égal, qu'elles

de même. Sûrement

pour cela, pour

elles

le rire

ont bien

ri

tout

ne se sont dérangées que

désiré à travers la vie, et qu'on

ne peut trouver que devant quatre décors éclairés au gaz, dans les gestes et les grimaces d'un acteur.

D'où

vient

éprouvé, et

ce

besoin de

rire,

comment on cherche

pourquoi

il

est

à le satisfaire, cela

apparaît bien clairement au défilé de ces paisibles

braves gens, de ces pauvres qui viennent demander

aux tréteaux de

l'illusion et

du

réconfort.

petit théâtre, la nuit parait plus noire,

plus

triste,

de ce Paris plein d'usines

et

Hors du

et la vision

de casernes,


S-

124

-S—

qui loge dans des taudis ceux qui bâtissent ses

numents, qui leur

marché

payer cher

fait

l'absinthe, qui leur

mélodrame sans pensée

pain et bon

le

donne en

mo-

distraction le

sans style, et l'ignominie

et

abondante du café-concert.

Le père Pommier

assistait

à ces spectacles avec

autant de bonheur et de naïveté que ses oubliait vraiment sa vie pour épouser

sonnages,

espérant voir

le

tiers les

l'innocence

crime puni, admirant

testant le traître.

pendant

à

s'intéressant

Il

filles.

Il

per-

la vie des

persécutée,

le

héros, dé-

ne se retrouvait lui-même que

les entr'actes, sa gouaillerie revenant volon-

sur sa crédulité

et

son émotion. Pour

la

mère,

plus sombres drames n'égalaient pas ceux qu'elle

avait

vécus,

mais

parfois

une ressemblance trop

directe entre les péripéties de la scène et les événe-

ments

qu'elle avait subis lui faisait mal, et elle aurait

voulu être

ailleurs. Elle n'en

car elle était une

femme

jamais trop vivement fort

les

montrait rien pourtant,

discrète

:

elle

son être intérieur, ni sa douleur, ni

même

qu'elle

larmes, de

savait presque

même

elle

ne

révélait

sentiments qui agitaient sa joie.

si

De

toujours contenir ses

s'abandonnait rarement au

rire.


-s—

125

$-

Sa gaieté, ou plutôt l'espèce de gaieté qu'elle

rire

de ses yeux

veuse,

|»<m

ne se traduisait guère que par un sou

vait éprouver,

et

de sa bouche. C'était une ner-

mais une nerveuse concenlnV, qui pouvait

enfermer au dedans d'elle-même, jusqu'à en souffrir

physiquement, jusqu'à en mourir, sensations qu'elle éprouvait. fois

malade du

Elle

fulgurantes

les

rentra plusieurs

théâtre, sans en rien laisser paraître,

ne voulant pas changer l'agrément des autres en inquiétude.

femmes,

Au

fond, elle était

elle préférait le

comme

plupart des

la

vaudeville au mélodrame,

quoiqu'elle fût aussi éloignée de la farce que de

la

violence.

Quant

à Céline, tout l'amusait de la scène et tout

l'amusait de

la salle.

Ce qui

plaisait à sa nature, tou-

jours sous l'influence de la minute présente, c'était

de se voir au théâtre, dans

coudoyée par l'odeur

les

le bruit, la clarté, d'être

gens, serrée par

d'humanité,

la

d'oranges, d'entendre la

lourde

la foule,

de respirer

chaleur

parfumée

rumeur des conversations,

de croiser son regard avec tant d'autres, pas

elle

qui aurait baissé

les

yeux,

et ce n'était

même

inspections les plus effrontées. Elle était,

devant

parmi

les

cette


-I— iq6

—*

multitude, dans son élément,

et

ne rapportait rien

des leçons qu'elle aurait

pu prendre au

pensant jamais qu'à

ou plutôt ne pensant

pas à

elle,

pu

car elle aurait

elle,

parcelle de

profiter

théâtre,

ne

même

de quelque

bornant seulement à être ce

vérité, se

qu'elle était, sans raisonnement, sans perplexité, sans

scrupule.

au contraire, apprenait sans

Cécile,

Tout

la

touchait,

réflexions

tout l'avertissait,

que son âge rendait

le

vouloir.

l'amenait aux

possibles. Elle regar-

dait de tous ses yeux, écoutait de toutes ses oreilles, vivait,

comme

déroulaient

au

son père, cours

les existences variées

de

la

soirée,

mais

qui se

elle

ne

s'abandonnait pas autant que lui à l'entraînement de l'action, elle petit

gardait par

devers elle une sorte de

jugement des choses qui

planches.

Chaque

fois,

un pays inconnu, y choisissait pas, se succédaient

défilaient

faisait

récoltait

comme devant

elle

sur

les

un voyage dans

du nouveau. Elle ne

sa mère, entre les genres qui elle.

Si elle avait

dire sa

préférence, peut-être est-ce la fine comédie qui aurait

eu son approbation. Elle avait en

elle

quelque chose

de réservé, de mesuré, qui s'accordait fort bien avec




"*

-*— 127

nuances,

les

Mais

elle

la vérité

et

drame

trivialité et le

Le

tapage.

son juste de et l'enflure

passionnait donc autant

la

reste et lui donnait des transes jusqu'à

le

pâlir les joues et lui

chait alors la

subir

la

sous l'exagération des sentiments

des paroles. Le

que

qui fuyait

ne pouvait encore discerner

l'effroi

couper

main de

sa

la respiration. Elle

mère pour

lui

cher-

se rassurer et

des catastrophes qui assombrissaient

la

scène.

Pour

le reste, elle n'avait

dispositions

quand

l'aise

quand

le

que Céline. Elle ne elle était

un coup d'œil

elle craignait

ou de quelqu'un, bruit,

A

les

mêmes

trouvait pas à les couloirs

peine

si elle

ou

se ris-

vers la galerie supérieure,

toujours la chute de quelque chose tant les querelles

y menaient de

dégénérant souvent en batailles effrayantes.

Auprès de ces sauvageries, ne

se

bousculée dans

public était houleux.

quait à jeter

d'où

pas non plus

les

fureurs

du mélodrame

lui paraissaient pas si invraisemblables, les traîtres

les plus traîtres

embusqués

derrière les décors ne se

révélaient pas à elle aussi féroces et dangereux

que

certains individus dont le frôlement lui faisait peur,

qui exhalaient une odeur de vin

et d'absinthe, la


128 dé-

-Scolère de lalcool et

du meurtre.

Elle ne se sentait

rassurée que lorsqu'elle était bien assise entre sa

son père tout proche,

et Céline,

levait

dans

seulement et

le

et

que

la salle

le

rideau se

où résonnait

trémolo prometteur d'émotions, aiguisé

tremblé par

Le

de

le silence attentif

mère

les

violons de l'orchestre.

théâtre, sûrement, eut

une influence profonde

sur l'esprit de la petite Cécile.

Il lui

apprit infiniment

d'actes, de passions, de luttes d'intérêts, qu'elle

connaissait pas,

encore,

il

la força

tacle éclairé

par

de

fit

la vie,

qu'elle

il

ne pouvait pas connaître

à des comparaisons entre

la

rampe

mot

croître en elle

juste. Elle

le

spec-

et les spectacles habituels

une

intelligence mali-

cieuse, qui s'exprimait souvent par la sible et le

ne

remarque

pai-

jugea souvent ce qui se

passait autour d'elle de façon à causer la surprise.

— Elle observe, la

devine

le

monde

!

disait

mère.

— Elle Ce et

elle

est rigolote

!

disait le père.

fut à cette nature particulière, rassise, prudente,

qui eut son aliment au théâtre, que Cécile dut de

ne pas

souffrir

de l'exaltation religieuse

mystique qui troublent

les petites filles

et

de

la crise

de douze ans.


-$— 129 ~2" Elle

si

fil

Ce

première coniinunion avec tranquillité.

malin-là, dans

monde

fut sur pied

le

logis des

Pommier,

de bonne heure. La

fraîchie de la première

gneusement conservée,

communion

koul

toilette dé-

de Céline,

avait été remise

le

soi

point pour

Cécile. Seuls, les petits souliers étaient neufs. Per-

sonne n'avait beaucoup dormi à

la

maison. La mère

songeait à ce qui lui restait à faire, voulait que toul

Céline était joyeuse de

allât

bien.

allait

étrenneren public. Et Cécile

de

la belle

dans

était

journée qui s'apprêtait pour

Lorsqu'elle revêtit

le

long voile blanc,

même, pendant un

tout de

robe qu'elle

la

lacté séparait le ciel

de

instant,

l'attente

elle. il

lui

sembla

que ce nuage

la terre, et elle se crut, toute

du Paradis, une

timide, toute changée, une élue

de petit ange qui n'appartenait plus au monde,

sorte isolée

qu'elle était des choses par ce voile qui enveloppait

son corps.

Après avoir inspecté mutuellement leurs toutes trois partirent. nie.

A

Le père

s'abstint de la

l'église, Cécile quitta sa

se placer

blanches

au milieu de

comme

la nef,

mère

parmi

des colombes.

et sa

ses

toilettes,

cérémo-

sœur,

alla

compagnes,


-S— i3o

§-

Des frappements de canne annoncèrent et les diacres.

les prêtres

Le déploiement luxueux des vêtements

sacerdotaux, la richesse de l'autel paré et fleuri, les

flammes multipliées des

cierges,

Forgue emplissant

nef de ses voix d'allégresse, toute cette poésie reli-

la

gieuse faisait frissonner l'assistance. Les pensées des

jeunes vierges prirent leur essor vers tère sir

de leur union avec Dieu,

de

le

pénétrer. Depuis

l'autel.

un

an,

on

pendant

le

Bien-Aimé

la retraite

on leur

;

;

:

avait enseigné,

des jours précédents, que tout est

lui seul satisfaisait à

de l'âme,

tises

à

arriva.

une, se dirigèrent vers

marchaient doucement,

les

l'esprit.

Les petites fiancées,

le festin nuptial.

yeux mi-clos,

de jeunes mortes allant plutôt vers

beau que vers

genoux côte

la

fête

à côte,

de

du doux

profusion les convoi-

de

les aspirations

Le moment attendu une

dé-

leurs voix

périssable et trompeur ici-bas, hors l'amour

Maître

du

les préparait à

devenir les « dignes épouses » de Jésus avaient glorifié

Le mys-

elles brûlaient

la

Elles

pareilles à

paix du tom-

la vie. Elles s'alignèrent

à

pour prendre leur part du mets

divin. Quelques-unes

manquèrent

défaillir.

Toutes retournèrent à leur place aussi lentement


3

4-

1

t

1

§-

qu'elles étaient venues à la sainte table. Elles ne

geaient pas, retenaient leur haleine,

la

divinité ne relevèrent la tête

Maintenant, dans

la

vie,

draient leurs cœurs, mais

possédées

Les deux cents

entières par l'Eucharistie.

qu

t

«

('lues

>u

de

à Vite missa est.

d'autres

elles

bou-

amours pren-

venaient de confesser

le

premier devant une foule endimanchée, accourue

en témoignage. Cécile, le voile rejeté sur les cheveux, respirant à

l'air libre

sur

le seuil

sphère de musique

et

de

l'église,

hors de l'atmo-

d'encens, eut une sensation de

délivrance. Elle avait éprouvé l'entraînement sans la

persuasion profonde.

A

présent, elle revoyait clair. Et le premier spec-

qui

tacle

s'offrit

à elle,

sous

le

porche

et

sur les

marches, ce fut celui des pauvresses haillonneuses tendant la main au cortège de la noce mystique. « Ce sont là pourtant aussi des épouses du Christ!

pensa

A les

la petite tête

»

de douze ans.

chaque pas, à chaque

instant, les contrastes et

leçons de la vie allaient maintenant s'offrir ainsi

à la vision de la petite

fille.

Sa première communion

faite,

Cécile fut placée


-S— l32

auprèsde sa sœur, chez

M

Lacroix, figures.

me

couturière de la rue Julien-

la

Bausse.

g-

connut

Elle

Le monde s'agrandit pour

de

elle.

nouvelles

Elle n'avait

pas à chercher bien loin pour savoir l'existence. Tout venait à récits,

elle,

au-devant

d'elle,

en conversations, en

en actions. Mieux encore que

faubourg

lui

le théâtre,

donna chaque jour, pendant

les

le

années

qui suivirent, ses tragédies et ses comédies.

Le rideau

se lève.

Elle

n'a qu'à regarder, qu'à

écouter, qu'à comprendre.

DÉFILÉ DE CRIMES

Le

soir, le

travaille,

père

lit le

que Céline

journal pendant que sa

a le visage

femme

aux carreaux, sans

cesse attirée par la rue obscure. Cécile est couchée.

On

croit qu'elle dort. Elle a les

yeux fermés. Elle

entend. Elle voit.

La

lecture de son père fait défiler sous ses pau-

pières closes, dans sa jeune cervelle songeuse,

abominables

faits

divers tachés de sang

des agonies bruyantes.

Il

où pleurent

y a des jours où tous sont

même série. Rue Jouye-Rouve, un homme de vingt-quatre ans a reçu plusieurs de

la

les

jeune

coups


i33 -*-

-s-

de poinçon dans

le

cœur

d'amour. Rue

rivalité

:

defl

Martyrs, une demoiselle a vitriolé son amant. Elue

homme

Tiphaine, à Grenelle, un

tué à coups de revolver la

femme

vivre plus longtemps

lui.

femme

a tué

avec

de BOÎxante ;m^

a

qui se refusait

|

Rue Payenne, une

une autre femme dont

elle était ja-

louse.

L'amour

sévit

dans

tous

de

quartiers

les

marque son passage avec une

ville,

férocité

la

ma-

niaque. Il

y a d'autres drames où

c'est

la

misère qui se

débat en une bataille inégale contre l'indifférence et la férocité sociales.

Cécile

pas

apprend que

les

toujours sauvegardés,

solitaires

ne sont

pauvres gens

que

les

vieilles

femmes

peuvent être assassinées par de jeunes ban-

dits.

Au-dessous du monde des pauvres, à

elle voit

peu sentr'ouvrir un autre monde plus

la

de

région rouge du crime, l'enfer abject la

prostitution.

cevoir les silhouettes

Elle

est

cruelles

teneurs rôdant autour des

filles

bien et

à

et

peu

terrible,

criminel

forcée d'aper-

félines

des

sou-

jupons blancs du


-s— i34 -#-

boulevard extérieur,

aux

et elle frémit

récits

de leurs

farouches exploits.

VAGABONDAGE

— Tiens, —

dit le père

Pommier,

— écoutez donc

ce qui est arrivé à Polleux.

Polleux

dant

le

était

un

palefrenier qu'il avait

Siège, dans sa compagnie,

souvent, avait

ri

aux fillettes,

connu pen-

bon géant, qui,

les avait fait sauter

dans

ses bras.

On

écouta

la lecture

du

fait-divers.

Par une nuit

de mauvais temps, Polleux, sans ouvrage, sans domi-

eu

cile, avait

tout

homme

l'idée,

qui doit naturellement venir à

fatigué, privé de

de chercher un refuge contre refuge,

un

tas

lit

le

vent

se coucher,

et la pluie.

Ce

lavait trouvé sous une bâche recouvrant

il

de sacs de plâtre, devant une maison en cons-

truction.

Il

pleuvait. Polleux se dit

bon pour préserver des

et

il

détourna

son emploi, sans toutefois exposer de

mais sur

la

température

le plâtre, et

que ce qui

était

sacs ne serait pas mauvais

pour abriter un homme,

faits

pour

:

il

la

les sacs

bâche de

aux mé-

s'étendit sous la bâche,

vraiment cela ne troubla pas

le


-g—

quartier où arriva

maient dans

les

1

35

s-

l'aventure.

chambres

Les

geni

<jui

à coucher des

dor-

maisons

voisines, portes fermées et volets clos, ne furent

|>;»s

en sursaut par une oscillation de Tordre

réveillés

continua de tomber.

social, et la pluie

C'est alors

viennent en

que

la

les lois protectrices

de

la cité inter-

personne de deux gardiens de

la paix,

curieux de savoir quel voluptueux se prélasse dans

Le

cette alcôve.

Au

ment. s'écrie

dise?

contact de l'autorité,

Hola! ho

«

:

M.

palefrenier Polleux dormait profondé-

qu'y

î

se dresse, s'étire,

a-t-il? »

Que veut-on qu'il

Préfet de police lui-même, dans la

le

situation, ne se serait pas

L'un des gardiens de satisfait

il

la

exprimé d'autre manière. paix ne fut pourtant pas

de l'éloquence du palefrenier, car

à son interrogation en lui assénant

sur

la

tête.

Voilà

L'homme auquel on un coup de

ce qu'il y

Il

main

a,

brave

«

répondit

Polleux

!

lait,

sabre à son réveil, essaie pourtant de :

«

Je ne

fais

pas de mal

sent sa tête, son front humides, :

il

un coup de sabre

apporte, au lieu de café au

raisonner doucement il.

même

Vous voyez,

la pluie soit passée. »

il

», dit-

y porte

je suis mouillé, j'attendais

A

la clarté

du

la

que

gaz, les agrès-


-$_ seurs voient que la

1

36 di-

main de

la

victime est rouge de

sang, et Polleux, malgré sa nature conciliante, est forcé de convenir qu'il est blessé.

au poste

:

en

qui y

réalité, c'est lui

ture de police.

annonce, en

Le journal que

effet,

est alors

Il

que l'agent a

le

lit

conduit

mène

la Préfec-

père

Pommier

été révoqué,

mais que

Polleux sera poursuivi pour vagabondage.

— Sacré Polleux — — Pauvre homme —

dit le père.

!

!

dit la

mère.

Céline n'a pas trop écouté. Cécile n'a pas perdu

un mot. Cette

histoire et les autres firent d'elle

être prudent,

petit

comme

la

habile, dans les rues de Paris,

biche dans

les bois, à dépister les fauves.

Personne, mieux qu'elle, ne fuit prestement

dont

la

physionomie

l'aventure

du

un

l'inquiète,

et

les

gens

même, depuis

palefrenier, les gens porteurs de sabres,

les soldats, les

gardiens de

la paix.

Elle s'arrête bien

aux rassemblements, car elle est curieuse, mais elle sait

garder ses distances. Sa physionomie se con-

tracte, et elle entraîne Céline,

qui veut toujours se

fourrer trop avant dans la mêlée. elle

passe vite

si

elle voit se

De

plus en plus,

former un groupe sus-

pect autour d'une dispute, évite de répondre et

même


de regarder lorsqu'elle

est

poursuivie de l'interpella

d'un passant, de l'injure d'un voyou ou d'un

ti<»n

ivrogne. Elle est étonnée de voir

protégé,

et

même, au

rive tout près d'elle, à

quième, vrai

que

dune

récit

n'est pas

mieui

aventure qui ar-

une de leurs voisines du cin-

elle est forcée

les

que Ton

de se demander

pauvres gens sont secourus

si c'est

bien

comme on

le

dit.

ASSISTANCE Cette voisine

du cinquième,

BLIQUE

I'l

laissée

veuve dans un

état de grossesse avancée, sans ressources, s'en va

frapper à la porte de l'hôpital Saint-Antoine.

loque s'engage entre qui est peut-être

un

elle et le

Un col-

premier employé venu,

excellent

homme, un bon

de famille au dehors, mais qui

là n'est plus

père

que

le

représentant boutonné et impassible de l'administration.

seule,

La femme elle

dit

son

état, sa

misère. Elle est

habite rue de Belleville. Ses voisins ne

sont pas plus riches qu'elle. Elle sent que sa faiblesse

augmente, que

Et

elle vient,

ses

flancs deviennent plus pesants.

peureuse

et confiante

à

la

fois,

de-


*mander secours belles

i38 -*dans l'une de ces grandes

et abri

maisons qui ont

été, dit-on,

bâties

pour

et les

pauvres.

L'employé répond des fin

formules,

des

à cette créature douloureuse par

d'imprimé banal, de

phrases

de non-recevoir correcte.

manque en

ce moment, qu'en

dit

Il

que

place

la

tout cas rien ne presse,

qu'il faut aller voir ailleurs.

La porte

se referme.

La malheureuse

de nouveau seule, dans l'obscurité et vers sa fièvre, elle se rappelle tal, et

de

ses pas

tremblants

un

trouve

se

le silence.

autre

nom

elle s'oriente

À

tra-

d'hôpi-

vers cette

autre porte, qui peut-être s'ouvrira.

Hôpital Lariboisière

son fardeau

.

!

C'est là qu'elle va, traînant

Quel chemin

elle

parcourt dans

la

nuit

!

Les longs boulevards extérieurs qui longent Ménil-

montant,

Belleville,

La

min bordé de masures, sinistres,

de

Villette,

La Chapelle, che-

d'hôtels borgnes, de

murs

de becs de gaz qui

éclai-

tristes arbres,

rent à peine les cloaques de boue, les trottoirs sans

pavés. Enfin, elle est arrivée, le petit être qu'elle

chaud,

elle boira.

un

lit

blanc va recevoir

sent tressaillir en elle, elle aura


-*-

i3 9 -*-

Elle frappe rassérénée, heure m

La réponse

est

rejette à l'air froid

la

de

même. Le même

la rue,

dans

Alors elle va au hasard, par

elle

éteint les lumières. Elle

la

boue du ruisseau boulevards

les

pendant qu'on ferme

carrefours,

qu'on

la

soufflet

les

et les

boutiques

ne cherche plus

et

rien,

ne demande plus rien, puisqu'il n'y a pas de

pour

place

elle

dans

les

vastes

logis

une foule de médecins, d'infirmières,

y

il

a

de domes-

tiques, chargés par la société de soigner les pauvres.

Elle

marche donc jusqu'à ce que

plus, jusqu'à ce

que

ses

ses

yeux ne voient

jambes ne puissent plus sup-

porter son ventre. Elle s'arrête alors, elle s'effondre plutôt, à l'angle d'une porte cochère du boulevard de Belleville,

venue,

Là,

et

sans qu'elle sache

elle

elle se

le

elle

accouche. Son enfant tombe sur

retenir

ou

le

est

y

trouve.

sans qu'elle puisse faire sir, le

comment

le

un mouvement pour

pavé

le sai-

ramasser. Tous deux restent dans

sang, dans la boue.

A

pointe d'aube, les gardiens de

vent cet effroyable groupe agonisante.

On

les

:

la

paix aperçoi-

l'enfant mort, la

mère

emporte au poste. La mère

dit


i4o -4-

-§=»

mots, raconte son histoire, qu'elle

quelques

s'est

présentée à Saint-Antoine, à Lariboisière, donne son adresse, et meurt.

accouchée dans

mène

d'enfant, refu-

nom du

règlement, est

au milieu de

la nuit, et n'a

deux hôpitaux, au

sée dans

trouvé

La femme en mal

un

asile

la rue,

pour mourir qu'au poste où

l'on

voleurs et les ivrognes.

les

EXISTENCE RÉVÉLÉE

Rue Julien-Lacroix, Cécile et de Céline,

un crime

l'épouvante et excita la habitants

du

quartier,

de

tout près

la

maison de

commis qui

fut

curiosité dans

vaguement surpris de

pas mieux défendus par

le

réseau de

lois,

jeta

des

l'esprit

n'être

de règle-

ments, d'obstacles de tous genres, qu'ils subissent

dans

les

moindres circonstances,

et

qui semble dis-

paraître subitement, pendant certaines périodes,

meurtre triomphe, nargue

le

code,

la

police,

le

les

juges, la prison, la guillotine, tous les corps constitués, toutes les forces sociales.

C'est

une pauvre demoiselle de soixante-sept ans,

pauvre d'argent, pauvre cette fois, fournit la

d'esprit, Julie

preuve que

le

Roux, qui,

loup est toujours


*dans

le bois, qu'il sait

dans

et entrer

Roux

Julie

4

en

-*-

>

maisons.

les

étranglée,

roder pai

sortir,

Après que

on n'apprit que

M. Blanchet, courtier d'assurances, maison, entendit un puis

la

rencontra

tard,

ceci

:

vers neuf heures

cri

chute d'un corps,

plus

'>n

I

c'est

villes

trouva

c'est (jur

locataire

d<-

du

la

soir,

que M. Duricu,

marchand de poissons, rentrant chez heure

les

lui

dans

environ une

l'escalier

deux

jeunes gens de vingt-cinq à trente ans, proprement

chapeaux mous,

vêtus, coiffés de

les

mêmes que

l'on

avait vus, la veille, passer et repasser devant la porte.

Pendant que

agents de

les

la

sûreté relevaient et

suivaient ces pistes, la biographie de l'être disparu se

trouva tout à coup répandue à des milliers et à des millions d'exemplaires sur

de

la terre.

vue, et

un peu de son

quartier, éprouva ainsi

toute

la

surface habitée

Cécile, qui connaissait cette voisine de histoire

une émotion à

par

les

on-dit du

voir cette histoire

imprimée.

Elle dit à Céline, qui la regarda avec étonnement,

que jamais, sans ressé à

De

M

110

fait,

le

crime, personne ne se serait inté-

Roux. qui songe à

la

personnalité chétive, à

la


-3— i42 -«-

manière d

être

qui vont par

de tant de passants

les

comme

rues

et

de passantes

des ombres,

vivent

leur existence cachée dans l'une de ces innombrables

chambres creusées en maisons

Roux

Julie

elle

devint

palefrenier

coiffe

un peu

le

massif des

1848, Tannée

en

folle

Vaguement

perdit son fiancé.

guérie depuis lors,

lippe,

dans

alvéoles

?

soignée,

non

un père

divague. Elle a eu

elle

aux Tuileries, du temps de Louis-Phi-

elle

se dit

comme

elle,

cousine de

reine Amélie, se

avec des boucles tire-bouchon-

nées, se fait appeler ritage paternel

la

M me de

consiste

Saint-Jean. Tout l'hé-

en un

secours annuel de

cent francs quelle touche au ministère de l'agriculture

;

son loyer de cent cinquante francs

par une

dame

charitable qui

a

une sœur de Saint-Vincent-de-Paul

mône de

ses voisins,

lumière, —

ceux

ne peut pas

et elle s'affirme

qu'elle rencontre

coud dans

sa

les

très

est

payé

pour intermédiaire ;

elle vit

de

l'au-

même

avoir de la

riche,

fait tâter

à

ronds de cuivre qu'elle

ceinture et qu'elle affirme être des

pièces de cent sous.

Il

couchait plus dans un

y avait des années, qu'elle ne lit,

qu'elle s'endormait dans


-5— i43

un

§-

Vers midi, régulièrement, on l'entendait

fauteuil.

chanter.

Dans une maison habitée par des employés, des ouvriers, par des

commères

donc devenue un

montrée au doigt, se

moquant. Avec

s'arrêtant

partie

Hors de avare,

une

ses

sa

pour riche,

vue morte par chercher la

gamins

passait

elle

et

Ton

le

pour

grande

ceux qui

pour

folle,

affirmait qu'elle

le

portait

se sont alar-

trou de la serrure, et qui sont allés

commissaire de police, ceux-là, qui ont

très différente

de ce qu'elle

était.

Ce

sont

deux assassins qui auront dévoilé au monde

anonyme. On

près ce qu'elle pouvait être lorsqu'on

un

dehors, la

l'entendre chanter à midi, qui l'ont

l'existence de cette presque

les

riant et

toujours

connaître, ne l'ont pas connue, puisqu'ils l'ont

supposée les

les

marché du boulevard.

journées au

cotte de mailles. Ainsi,

més de ne pas

pu

suivie par

cela, bavarde,

maison

vieille

sujet de conversations,

pour parler à tout venant, passant

de

n'en faut

il

imaginations. La

pas plus pour occuper les folle était

curieuses,

jambes

l'a

a su à peu

retrouvée,

ligotées, les bras attachés derrière le dos,

bâillon dans la bouche, étranglée.


-s- i44

Ce cadavre de dans rapide

que

ce

pauvre

le

vieille fdle,

§-

découvert un malin

brusquement

logis,

éclairé

par

la

brutale publicité des journaux, c'est tout

et

de l'immense

la foule

ville

aura su de l'obs-

cure existence enfouie au plus profond des couches

humaines.

organisme qui végétait ainsi

que

même,

cette foule

drame,

tel

qu'il

l'assassinat, était

se plaindre et

mort,

la

est

depuis tant d'années. C'est

sans solidarité s'apprend

en

elle,

meurt sans un

mort

elle-

somme

de ce qui souffre sans cri,

c'est ainsi

que

seule, devient révélatrice de la vie.

TROIS FRANCS

La semaine

le

l'humble

s'aperçoit parfois avec stupeur de la

de malheur qui

la

le

pour montrer

divers

fait

aura fallu

Il

PAU SEMAINE

suivante, plus haut dans le quartier,

vers la région coupée de jardinets qui avoisine l'église

veuve Bazire, née Jeanne Petit-Klein,

de Belleville,

la

fut assassinée

de

la

même

manière que

la

demoiselle

Roux. Cette nouvelle victime habitait depuis ans

le

même

maison de élait

la

logement, au

trente

deuxième étage d'une

rue Compans, entre cour et jardin. Elle

entrée dans sa quatre-vingt-unième année,

et


-#— 145 -*• ellc était titulaire

quante francs.

d'une rente viagère

Comme Julie

Roux,

<!<'

elle

son quartier [)our être fort avare, et qu'elle

parvenait

des

faire

à

sepl cenl cinpassait

dans

bruit courait

le

économies

considé-

rables.

Non seulement elle avait

menus

Grucifiv saints

des économies, mais

réuni une collection dans sa chambre à

coucher. Très dévote, les

faisait

elle

objets

elle

aimait à s'entourer de tous

vendus sous

en bois

avec

noir

les

porches des églises.

un Christ de

cuivre,

Josephs en plâtre, Vierges en albâtre, images

découpées qui laissent apercevoir des anges sous

les

fleurs, chapelets à gros grains, scapulaires, médailles, elle

vraisemblablement,

avait,

amulettes en cours dans

le

amassé

toutes

les

catholicisme. Elle vivait

tranquillement, béatement, dans cette chambre parée

comme une que pour

chapelle de village,

l'église.

Tous

les

qu'elle ne quittait

matins à

la

messe

et

s'attardant sur son prie-Dieu. Rentrée chez elle, elle

retrouvait à

peu près

bibelots, époussetait sa

chargées de fétiches,

de

l'autel.

le

même

commode

comme

décor, rangeait ses et sa

cheminée sur-

si elle faisait

la toilette

Ses journées se passaient ainsi, et sans i3


-§—

doute

elle trouvait

1

46

§-

encore un certain charme à

l'exis-

tence.

De mœurs

semblait ne devoir gêner personne. laisser à

veuve

paisibles, de cervelle étroite, la

On

pu

aurait

la

son humble logis, à sa messe, à son musée

de crucifix

et

de vierges.

On

moquait

se

dans

mais doucement, à cause de son âge,

le quartier,

qu'on souriait un peu de

c'est-à-dire

d'elle

ses habitudes

méticuleuses, en la félicitant pour ses rentes et ses

économies. Si quelqu'un pouvait se croire sûr

calme

fin

de

vie,

dune

agonie naturelle,

être inoffensif qui tenait si

peu de bruit dans

le

vieille a été étranglée

jours de sa

;

monde.

de cause célèbre.

personne ne

On Chez

n'en a rien

le

été.

La

L'existence res-

les

devenue une héroïne

monde

discute, cherche,

sait.

ne connaissait pas un ennemi à elle,

faisait

qui cheminait tous

à l'église, est

Tout

on a retrouvé

qu'aucun meuble n'avait seule,

Il

et

terminée brusquement par

la dévote,

chambre

c'était cet

peu de place

comme l'autre.

treinte, si régulière, s'est

une catastrophe

si

dune

a disparu.

veuve Bazire.

montre, on a constaté

sa été

Le voleur

la

ouvert.

a-t-il

La pendule,

perdu

la tête,

ou


-*- «47 -*bien s'agit-il d'un

crime, un était

la

redingote, portant une sacoche,

victime. Les voisins l'ont vu,

ont affirmé avoir revu peau

mou qui

les

ont étranglé

c'est qu'il s'est trouvé

deux jeunes gens en cha-

M" c Roux. Le

fait

trois francs tel

vivait avec

par semaine. Trois francs par semaine!

budget ne met pas à

férocité,

certain,

quelqu'un pour supprimer une

bonne femme de quatre-vingts ans, qui

un

comme

toujours clans ces sortes d'histoires. D'autres

\<>ienl

ils

homme en

venu chez

maniaque? Le jour du

assassin

du crime,

la

l'abri

de l'envie, de

créature qui joue

insignifiant dans la civilisation,

la

un

la

rôle aussi

femme

qui n'a

plus que quelques années, quelques mois à vivre.

ÉPOUX COTT

On

en avait à peine

fini

avec

eut l'émoi d'un double suicide.

dure,

les

les

1/

crimes, qu'il y

Quand

la vie est

trop

malheureux démissionnent. Le réchaud pauvres

las

de l'existence. Les époux

Cottaz moururent par

la

raison toule simple qu'ils

brûle chez

les

ne pouvaient plus vivre. Ils étaient

négociant

concierges chez

en vins

et

M. Bernardin,

liqueurs.

L'homme,

le

gros

infirme,


La

forcé à l'immobilité, âgé de soixante-cinq ans.

femme, soixante ans. Cette dernière besogne. Elle nettoyait

maison,

la

faisait toute la

cour, les bu-

la

reaux du propriétaire, remplaçait partout l'impotent

auquel

elle

s'ingéniait

à faire

la

vie

douce.

Elle

gagnait vingt-cinq francs par mois, trois cents francs

par an. Les vêtements

un

tel

budget,

il

et le

reste à

chauffage prélevés sur

peu près de quoi manger

du pain un jour sur deux. Cette existence dura cinq ans, cinq ans de martyre se

pour l'homme incapable de

remuer, souffrant de voir son héroïque bonne

femme

se tuer à la besogne, le

martyre moral ajouté

au martyre matériel.

M mo

Cottaz, qui cherchait à avait fini par trouver,

sources,

ménage

augmenter

non

loin,

ses

un

res-

petit

à tenir. Elle acceptait avec joie ce surcroît

de labeur. Quinze francs par mois de plus, inespéré, c'était pour ces misérables

Le

fortune.

un

c'était

sourire de la

propriétaire ne l'entendit pas ainsi.

Il

trouvait sa concierge suffisamment occupée par sa

maison

et

ses

bureaux,

et

il

la trouvait

doute, suffisamment appointée. mollesse,

ou de quelque

hâte,

Il

aussi, sans

eut peur de quelque

dans l'accomplisse-


-*—

!

"*

4o

menl des fonctions importantes qu'il cinq francs par mois.

Il

rétribuai! vingt-

on

avait, scmble-l-il,

parti

bien simple à prendre, celait de donner aui Cottaz ces quinze francs tant désirés.

ne songea pas à ce

Il

procédé trop simple.

Les deux vieux concierges alors, plus jamais, éprouvèrent sur lesquels

la désillusion.

comptaient,

ils

miner paisiblement leur affaires, le

nouveau,

de

le

de

honneur

faire

aucun espoir de reconquérir une

ter-

à leurs à

pareille

soixante ans, les occasions de débuter ne

se présentent pas tous les jours.

donc

Ces quinze francs,

c'était l'espoir

vie,

que

grand mot du peuple. Tout s'écroulait

et

A

félicité.

fort

réchaud à son mari

M mc

Cottaz indiqua

comme suprême

res-

source, et Tinfirme consentit sans peine à prendre la

même

résolution que prenait sa courageuse

bout de courage. Le réchaud fut allumé,

employés de M.

les

fermée saire ils

et

du

trouvèrent

sur Il

le lit,

y

M

quand

le

commis-

pénétrèrent avec lui dans la loge,

et

me

et

à

Bernardin, inquiets de la porte

silence, allèrent chercher

de police

femme

Cottaz dans

un fauteuil,

et

M. Cottaz

morts tous deux.

avait

une

lettre

sur

la table.

On

lut ceci i3.

:


-S— i5o «

Avec

les

§-

vingt-cinq francs que nous avons touchés

payé quelques

hier, j'ai

En

petites dettes.

vendant

notre modeste mobilier, on trouvera de quoi payer notre enterrement. » Et encore

monsieur

le

:

Pardonnez-nous,

«

commissaire de police, l'embarras que

nous vous causons par notre suicide, mais

la vie était

vraiment impossible pour nous... Nous avons tenu bien

peu de place sur

deux dans

même

la

tage dessous

;

et,

fosse

la terre,

mettez-nous

pour n'en pas

je vous en supplie, ne

tenir

tous

davan-

nous exposez

pas aux regards des curieux, » Ainsi se manifestaient la discrétion, la politesse, souci après

du quen-dira-t-on, de mort,

la

elle

la

pauvre femme.

reste craintive,

elle

le

Même

demande

pardon d'occuper tant de gens de sa personne. Elle a payé

ses dettes,

ment que

la

vente

s'excuse auprès

un peu plus taire

s'inquiète

des

frais

du mobilier pourra

d'enterre-

couvrir,

du commissaire de mourir de faim,

elle

s'humilierait devant son proprié-

qui ne lui a pas laissé gagner

les

malheureux

quinze francs, devant la société qui met au rebut vieillards

les

qui l'ont servie.

Avant de mettre

le

feu au charbon, les époux Gottaz


-*—

I

D

I

—*-

se sont revêtus de leurs meilleurs habits, de tous Les

de parures de leur vie de travailleurs économes.

restes

La

d'oreiller

taie

par

écrite

blanche,

femme demandait que

la

mis dans

était toute

cercueil sous la tête

le

fière et résignée,

et

la

Lettre

cet oreiller lut

du mari.

G'esl

La

trop résignée, race des pauvres, de

«cuv qui ne se révoltent pas, qui acceptent, qui n'ont pas une parole de récrimination avant de s'endormir

du dernier sommeil. Tout

quartier suivit les deux cercueils, et

le

même

avait la

il

y

soumission chez ceux qui marchaient

derrière le corbillard

que chez ceux qui

s'en allaient,

inertes,

au dernier repos. M. Bernardin ne parut pas,

mais

envoya une

il

telles et fait les

de violettes,

très belle et

couronne d'immor-

on trouva

qu'il avait bien

choses.

SOUTENEURS Ainsi

la vie,

qu'elle la

peu à peu,

se

comprenne. La rue

montre à crie

ses

Cécile, sans

mystères

et

ses hontes.

Voici

les tristes allées et

venues des malheureuses


de vingt ans, de dix-huit ans, plus jeunes encore, qui, dès cinq heures

mal

du

vont par

soir, s'en

un ruban

velues, les cheveux sur le dos,

au col

et

dans

leur jeune

les

cheveux, l'œil maladif

chair déjà

d'un

trottoir,

amants.

Ils

éclatant

et brillant,

avec

elles,

sont

au coin

dans une encoignure, un cabinet obs-

cur de bistro,

mains

Derrière

flétrie.

descendent leurs

elles,

les rues,

couloir d'un

le

hôtel borgne,

dans les poches, leur pantalon

moulant

les

leurs

formes équivoques, une casquette de soie sur leurs

cheveux pommadés, des accroche-cœurs aux tempes,

une

cigarette

pendue

à

Le cou tendu,

lèvre.

la

tous les traits de leur face grasse et

blême

une

épient leur asso-

attente brutale et inquiète,

ils

ciée abordant le passant. Ils ont de

avec

elle

un rapide

seils et lui

fixés

dans

temps à autre

colloque, lui donnent des con-

prennent son argent.

La nuit venue,

les

mêmes

scènes se jouent avec

plus de violence, sous la clarté des becs de gaz. Les

souteneurs suivent leurs compagnes à la piste, assistent à leurs débats de prix, les attendent à la porte

de

la

maison suspecte,

de coups lorsque

les

détroussent et les rouent

la recette

est

en baisse. Chaque


même

soir, à la

ses chenils, se Il

heure, cette meute affamée sort de

met en

chasse.

y a des batailles de souteneurs dans

rues

les

<lc

Paris et des batailles qui ne sont pas sculeimnl dé

mise en scène passants,

et d'apparat,

pour l'amusement de

Grelu se sont battus sur

A

Ménilmontant. d'abord. finir,

pour

trottoir

coups de poing

moment où

Jusqu'au

une bonne

le

fois, a

récréation

la

des

la galerie. Nicaise et

et à

du boulevard coups de pied

Grelu, voulant en

donné un coup de couteau

à

Nicaise, en pleine poitrine. Nicaise est tombé, Grelu

On

s'est enfui.

macie, où

il

a transporté le blessé dans

a presque

une phar-

immédiatement rendu

le

der-

nier soupir.

Autre drame, rue d'Allemagne. Les gardiens de paix en tournée ont trouvé,

de

la

chaussée,

pantalon de

toile,

la tête coiffée

La blessure,

le

d'un

tricot à

manches de

lustrine,

de l'emblématique casquette de

très large et très

ans,

au beau milieu

cadavre d'un individu vêtu d'un

Le corps baignait dans vingt-six

la nuit,

la

habitait

avait eu dans la nuit

le

profonde,

était à la

sang Celui-là

les

était

soie.

gorge.

âgé de

Prés-Saint-Gervais,

une querelle avec

la fille

et

Momon


qui a établi son quartier général amoureux sur rond-point de

On

souteneur. les

la Yillette.

motifs de

Elle a été arrêtée avec son

peut reconstituer la

le

retrouver

la scène,

dispute, pénétrer les

instincts en

présence. Il

excessivement simples,

s'agit d'êtres

rusés

et

sournois quelquefois, mais d'une ruse et d'une sourfacilement visibles.

noiserie

Les sentiments qu'ils

éprouvent sont forcément restreints et on a tout de suite

fait

tour de leurs existences. Leur faculté

le

un pouvoir de

maîtresse est Ils

ont trouvé,

faire

de

Ils

comme personne,

le

moyen de ne rien

la journée.

dorment

ment chez d'hôtel

fainéantise extraordinaire.

grasse matinée, déjeunent longue-

marchand de

le ils

la

font

monter

vins,

ou dans

la

chambre

les huîtres et les côtelettes.

Leurs après-midi se traînent devant un mazagran lentement absorbé, avec verres,

partie le

les

cigarettes

de cartes,

dîner.

Il suffit

voir assis à

personnes,

la suite

une le

voluptueusement

l'apéritif

de

multicolore des petits

les voir passer,

table

grillées,

la

redoublé pour attendre

pour deviner

désœuvrement de

la

ou de

les

aperce-

paresse de leurs

leurs

menues

cer-


Le

vcllcs.

inquiétude.

la

jeu

dîner,

:

partie- de

café,

Les réjouissances B'aggravenl toutefois d'une

billard.

et

même

soir,

Il

femme

la

bienveillante

qui travaille au carrefour, au

maternelle rue, qui

faut surveiller

va

vient,

et

L'ombre

scrute

coin de

chasse

el

l'homme. Si le souteneur n'était pas astreint à cette surveil-

lance,

il

absolument rien à

n'aurait

lui arrive,

de temps en temps,

entraîner à

attendrissement

maniement de

il

mal aux

pieds,

à

en parle pen-

il

regarde avec

calus de ses mains blessées par

les

la

a

il

rame. Mais

le soir, c'est

le

son travail

régulier, ponctuel et forcé, travail qui entraîne

qui-vive perpétuel, des

il

laisseï

campagne,

la

quelque partie de canot sur la Marne, dant quinze jours,

de se

l'été,

quelque course dans

Quand

faire.

sorties violentes hors de

un la

boutique du marchand de vins, des en-avant audacieux vers l'ennemi qui peut apparaître sur plein

du boulevard

extérieur.

son rôle au sérieux.

Il

Le souteneur,

là,

prend

n'est pas de bureaucrate plus

exact, d'ouvrier plus acharné à sa besogne, d'affaires plus perspicace. Il

boire,

le terre-

d'homme

défend son manger, son

son vêtement, son lover, son tabac, tout

le


-#_ nécessaire tout sait

que

56

s-

toute la distraction de sa vie.

et

pour

le il

1

le

la

Il

joue

tout/ il est courageux et impitoyable,

femme

sous

les

son couteau en réserve

si

yeux de laquelle

une reculade,

bat ne lui pardonnerait pas

ses bras et si

et

il

il

se

tient

son cœur

fai-

blissent.

C'est en tion de la

somme,

révérence parler, et avec l'abjec-

grande ville

du

et

amoureux de l'ancienne aussi se battent pour les n'est pas

ruisseau,

chevalerie.

dames

et

un ressouvenir Les souteneurs

devant

elles.

Ce

absolument pour leurs beaux yeux, pour

conquérir une fleur, un brassard, un ruban d'épée. C'est la lutte

Qui

pour

la vie

dans

sait, d'ailleurs, si les

sa plus

rude acception.

raisons d'orgueil et de sen-

timentalité ne tiennent pas chez eux plus de place

qu'on ne

croit, et si les chevaliers d'autrefois étaient

que

le

disent les romances

peut remarquer

la

fréquence ou

aussi désintéressés

On

attaques nocturnes, selon les saisons.

Il

la rareté

neurs. les

A.

ces

les

profes-

escarpes, grinches, fdous, soute-

moments, quand

appels de la

des

y a des crises

analogues aux crises commerciales dans sions de rôdeurs,

?

le client est rare,

que

Vénus des carrefours sont inentendus,


-§_ i5^ —§-

souteneur surgit dans

le

violemment ce qui sion.

Ce

n'est pas

pour son

ces besognes brutales. il

essaie de prendre

habituellement lâche

est

Il

nécessité

seule

de

fait

tures. Il lui faut ses

loueur du garni.

veut

il

61

d'aven-

ses litres, sa partir

être

en

avec

règle

donc forcé de

est

Il

courir sus à l'ennemi

,'i

d'i\resse.

l'état

un coureur

lui

deux repas,

son tabac,

de cartes,

persua-

la

plaisir <|u'il se résout

ne cherche pas de querelles hors

La

le

rue,

la

n'a pas été obtenu par

sortir,

de

après avoir administré une

correction à celle qui n'a pas su garantir sa

solide

remet en équilibre

le

Octobre, cette année-là, fut un de ces mois où

le

quiétude.

Il

sort

donc,

et

il

budget de son ménage.

souteneur doit savoir donner de sa personne. Boule-

vard deMénilmontant, un comptable attaqué mit en fuite ses agresseurs,

mais

il

reçut

le

lendemain, rue

du Chemin-Vert, un coup de couteau de fuyards

de

Lachaise,

la

veille.

Au

un forgeron,

long du

l'un des

mur du

Père-

gars solide pourtant, fut a

moitié étranglé, et sa montre en argent lui fut volée.

Rue Étienne-Dolet, un employé de commerce affaire

à

une dizaine d'individus,

et

il

eul

de

sortit 4

la


i58

-s-

rencontre blessé à Tourtille,

dune

tête

et

aux genoux. Rue de

un passant qui voulut prendre

femme contre deux assommeurs, deux hommes

Les

de coups. recherchés dit

la

-*

la

défense

roué

fut

reconnus,

ont été

Louis, dit le Bouledogue, et Ludovic,

:

La Chaleur.

A

deux

Belleville encore, rue Piat,

habitants de la villa Ottoz durent lutter contre neuf

souteneurs.

Ils

en firent arrêter

trois.

où l'un comparaissait pour

nelle,

l'autre

pour

la

huitième

aux deux attaqués,

cinquième

comme

témoins,

laient des

menaces. Après ces combats,

accalmie.

On

revit les

correction-

montraient

fois, ils

cités

la

En

il

le

fois,

poing

grommey eut une

mauvais garçons évoluer par

escadres nonchalantes, faisant escale aux comptoirs

des bars, guignant travail et

du

trottoir.

du coin de Ils

Toeil les

femmes au

sont encombrants, cyniques

insolents aussitôt qu'ils sont en

nombre, discu-

tent leurs affaires et règlent leurs différends dans le

cercle de lumière des becs de gaz.

FILLE PAUVRE

La

fdle

publique assassinée pendant

la

nuit d'un

samedi à un dimanche, Marguerite-Marie Guillaume,


âgée de vingt-cinq ans, dite teint

jaune et ses yeux

était

une

était

Si

minces

Longs,

une affreuse maison, de

l'ivrognerie, à la prostitution,

de

Chinoise, pour son

lamentable pauvresse. Klle

proche du boulevard

ruelle

la

ceux qui entrent dans de

el

habitai!

La

extérieur.

celles qui font

au crime, à

par

la

couleur des murs

la

une

nuis.

songer

mi

à

misère.

réduits n'étaient pas

tels

pitoyables êtres aveugles et sourds,

traient,

reli

et

par

le

ils

connaî-

langage que

parlent les pierres, le sort inévitable qui va être

ici

leur sort. Les existences des locataires de ces taudis

sont écrites d'avance dans il

comme une

y a

vétusté et dans la crasse,

la

loyauté

décors de guet-apens.

Ici,

à

qu'un rez-de-chaussée, sur

tique de

bœuf.

marchand de

Un

ces

l'intérieur, les choses

étaient en accord logique avec la façade.

n'avait

dans

d'enseigne

La maison

la rue,

une bou-

vins peinte en rouge sang de

couloir conduisait à une cour exiguë but

laquelle s'ouvraient les quatre portes de quatre cabi-

nets loués

un

franc par jour à des prostituées. L'ameu-

blement de ces cabinets chaise,

les

:

un

murs blanchis

lit,

une commode, une

à la chaux.

Les pensées qui pouvaient éclore dans l'obscure


->. 160 —$-

Marie Guillaume, échouée en une

cervelle de

ne pouvaient pas ressembler à de légers

résidence, papillons,

telle

joyeux

et colorés,

couleur de rose

et

cou-

leur de soleil. S'il fallait trouver des comparaisons

pour

les

embryons de raisonnements

mal venus de d'ombre

et

cet

obscur

et les desseins

dans

intellect, c'est

de poussière qu'il faudrait

parmi tout ce qui va

et vient,

les

les bêtes

chercher,

s'embusque

et

som-

meille, dans la nuit des caves et l'humidité des bâtisses

sordides. Il

n'y a pas à s'étonner que

la fille

tudes d'ivrognerie et de dispute.

même, où on spéciale,

Dans son milieu

jugeait d'après le code d'une morale

la

comme

n'avait pas très

eût des habi-

en comportent tous

bonne réputation. Elle

qui se montrent grincheuses avec

le

les états, était

elle

de celles

client, s'ingé-

nient à le tromper, à lui extorquer son argent, à lui refuser,

après paiement,

le

fanée. Elle poussait loin la

don de

leur personne

trahison de ses devoirs

professionnels, puisqu'elle s'oubliait jusqu'à voler les

porte-monnaie dans

les

poches, après que

les

con-

ventions de prix et de plaisir avaient été fixées.

Les jours qui suivirent

le

crime,

les

camarades de


-*— 161 «gl'assassimV. rassemblées dans rarrière-boutique de

crémerie, ou groupées au coin du

la

boulevard,

L morl

discutèrent les causes de

le

réverbère,

la

Chinoise, et toutes, Constance Ledouarnin, dite

la

Boiteuse,

Agathe Buisson,

et

que des surnoms, lombe,

la

d'autres errantes

et

et celles

Borgnesse,

cela devait lui arriver, et

qui n'avaient

Brunettc,

la

Co-

la

encore, convinrent que

qu'on

le lui

avait bien dit,

qu'elle n'avait jamais rien voulu écouter,

devenait de jour en jour plus hardie

charger. Quoi d'étonnant

et qu'elle

et plus

dente. Faut faire son métier honnêtement, s'en

<!<•

impru-

ou ne pas

le terrassier

si

dont

parlent les journaux, à qui Marie Guillaume avait

demandé se

sauver ensuite, quoi d'étonnant

s'est

une

elle n'a

ficelle

plus remué, ce n'est pas pour

carte et les seuls trois

Dans

les

tiroirs

de

la

qu'un cahier de papier à jamais eu que

cela.

le

et

homme

cet

autour du cou jusqu'au

bien sûr, puisqu'on a retrouvé dans sa

si

fâché et a voulu se venger de cette voleuse.

lui a serré

une bougie,

vingt sous pour acheter

S'il

moment la voler,

bas de la morte

francs qu'elle possédait.

commode, on ne mais

il

n'y avait

elle a été

étranglée

cigarettes,

Non, non,

découvrit


par ce passant furieux dont

elle s'était

avait juré de la retrouver, qui

ment, sans

reconnu

être

moquée, qui

la abordée hypocrite-

d'elle, et

qui a assouvi sa

colère de brute.

MARIUS TUA LÉ A Marius tua Léa un matin de printemps, à l'heure

où passent

les petites voitures

de primevères

et

de

lilas,

chargées de violettes,

dans l'une des « rues

chaudes » du quartier. L'épouvante en a duré long-

temps parmi

des

gargotes

dans

population féminine qui loge dans

la

prend

les garnis,

lequel

ses repas

environs. la

dans

Jamais

prostituée se

crémeries

les

l'état

trouve

de

et les

sujétion

vis-à-vis

du

souteneur n'était apparu aussi nettement que dans

phases

les il

y

de

ce

drame

Véritablement,

atroce.

avait de quoi rendre mélancoliques, au

pour un

soir,

les

insouciantes

fillettes

anciennes expérimentées qui parlaient de

ment, sur

le trottoir,

avec

flux

des

dans

de paroles

l'ombre et

des

du

moins et

les

l'événe-

carrefour,

hochements

de

tête. Il

ne

s'agissait pas, cette fois,

de l'assassinat ordi-


«lu

oaire,

l'ail

i63

-s—

s-

de

divers habituel,

mauvaise ren

la

contre avec un hôte de passage. Cela, habituel. vie

A

au jour

bataille, et

la le

guerre jour,

comme à

la créature doit

gardé son amant assez près

risque

champ

y a L'imprévu du

il

compter avec

mal dévisagé un monsieur, ou

Elle a

la

c'esl le

guerre. Dans cette

la

<!<•

le

hasard.

elle

n'a pas

d'elle. L'assassin B'en

va,

police le cherche. Et voilà toute l'histoire. Mais

choses ne se sont pas passées de cette façon,

ici, les

et tout est

d'une précision

pauvre Léa

terrible. Celle

a été tuée par Marius parce qu'elle s'est refusée à nourrir, parce qu'elle n'a pas accepté

le

vol de ses

le

bijoux.

Au

début delà liaison,

entre la

fille et le

il

y avait eu un malentendu

L'homme

souteneur.

régularité dans les écritures.

matin, empocher toute

admis dans son monde. et les fluctuations des

rades,

il

nouer calculs

les

il

de

somme on

prévoyait

deux bouts de l'année,

faits, le

budget

la veille.

connaissait la

appointements de

savait sur quelle

compter par mois,

Il

prétendait,

Il

la recette

voulait de la

Cela

était

moyenne ses

cama-

peut à peu près

qu'il et

établi, cette

chaque

arriverait à

voilà que, ses

Léa

se refuse à


-§—

164

-*

entrer dans la combinaison, à rendre des comptes aussi rigoureux.

L'étonnement, tout d'abord, ne fut pas chez Marius.

connaissait ce genre de résistance,

Il

vaincre des hésitations

savait qu'il

faut parfois

dompter des

colères. Il recourut

usités en pareils cas,

assomma

il

sa maîtresse à plu-

poing

coups de pied solidement appliqués. Aucun le

la recette.

même

communiquer

Marius s'ingénia alors

moyens pour les

refus de

réduire cette rebelle,

boucles d'oreilles,

s'en alla les vendre.

Léa,

de

et

résultat,

de

le total

à trouver d'autres il

rafla les

colliers, les

les

il

et

donc aux arguments

sieurs reprises, la bleuissant de coups de

toujours

grand

très

bagues,

vêtements,

rageuse, se

et

au

plaignit

commissaire de police. Marius,

ici,

jamais vu

les

ouvrit des yeux énormes.

hommes

sortes d'affaires. il

Il

de

loi

intervenir

Il

n'avait

dans ces

fut indigné après avoir été ébahi,

raconta l'histoire à d'autres, à de très anciens mar-

lous, et ceux-ci eurent

venirs,

ils

semblable. plus

beau

fouiller

dans leurs sou-

ne parvinrent pas à trouver trace d'un

grave

Il

fait

n'y avait pas à en douter, c'était

manquement au

devoir

le

professionnel


i65 -*-

-*-

qu'on

ait

jamais eu à enregistrer. Dana

du métier, transmises oralement, exemple d'un Marius ne

tel

annales pat

avait

\

refus de solidarité.

pas refusé à un supplément de

s'était

donner de

travail. Il était prêt à

grandes occasions de chômage semblait qu'une

u

il

les

sa personne dans

les

de misère.

lui

et

acceptation de

telle

la vie

Il

commune,

avec ses dangers, ses avaries possibles, valait bien

une réciprocité de confiance entière de petit

homme

chéri.

sacrifices et

de bons soins, une

la petite

femme aimée

Tout

clan consulté opina de

le

envers

le

la casquette.

Aussi l'indignation

que Marius

fut

arrêté,

damné quelques

jours

comble

à son

fut-elle

conduit au Dépôt, après par

le

lors-

et

con-

tribunal

cor-

rectionnel à quatre mois de prison, pour vol, coups et blessures.

La fureur du prisonnier

pendant ces quatre mois.

Il

les

passa à chercher,

à inventer, à couver sa vengeance.

de

cellule,

Léa

était,

dans son

alla croissant

Lorsqu'il sortit

esprit,

condamnée

à

mort.

Marius rencontre Léa,

il

la prévient,

il

lui dit

son

sort avec la voix mauvaise, les dents serrées, les re-


-*— 166

-re-

gards fous, de l'homme décidé à tuer.

Il

au rez-de-chaussée de

la fille,

liquoriste

Une porte

vitrée fait

la

maison de de

la prostitution

la

communiquer

va s'installer chez

le

rue se rassemble. l'

arrière-boutique

avec l'escalier. C'est cette porte qui est regardée sans cesse par le souteneur en proie à l'idée fixe, à

frayant dépit

amoureux de l'amant auquel on

l'ef-

a re-

fusé son tabac, ses petits verres, ses pantoufles et son

argent de poche,

Par deux

croît!

et

que

fois,

l'on a fait coffrer par sur-

Marius ouvre

l'escalier.

monter,

La

Ces deux

le tient

troisième

trompée, quatre.

l'agile

la

fois,

concierge l'empêche de

un matin,

Marius monte

!

Il

va vers

surveillance est

marches quatre à

sa Léa,

elle

ne

lui

échap-

avec l'élan instinc-

décision de muscles de la bête fauve sûre de

La

fille

entr'ouvre l'huis. La porte

poussée d'un coup d'épaule,

la porte

à la

la

les

Son ancienne maîtresse,

sa proie. Il sonne. est

de

en respect avec un revolver.

pera sûrement pas tif,

fois, le

cette porte

premières marches de

l'arrière-boutique, gravit les

d'une autre poussée.

Un

le lit est jeté

couteau de cuisine

main, l'homme effrayant tombe sur

aux yeux agrandis,

à la

contre

bouche ouverte

et

la

femme

muette.

Il


-5— 167 par

la saisit

coup

tranche

lui

Un

cheveux,

les

la jette à terre,

voisin, qui n'ose pas entrer sur la

est terminé.

Pendant

de tuer, a pris

cheveux

ricane, la il

la tète

la

agents. Mais

l<»ul

venues, Marina l'a

attachée par

persienne, et

la

il

a

les

montre

appelle la foule sous la fenêtre,

il

fait le

coupée,

menace d'un

boniment affreux de l'amour

vengeance. Puis, quand enfin on enfonce

il

de

el

la porte,

se brûle la cervelle.

On ture.

parle passionnément de cette effroyable aven-

Le souvenir de

revient il

il

los

les allées et

poignée de

à la

aux passants,

d'un Beul

el

la tête.

coup de revolver, va chercher

fini

«-

cette boucherie et

comme une menace

de cet

étal

à travers les reproches,

transparaît dans les larmes, faisant naître la crainte

et le

pressentiment dans l'âme

fataliste

de

la fille,

il

passe rapidement dans les regards troubles échangés

pendant

les

basses discussions et les lourdes ivresses.

Et presque tous, approbation est

applaudi

et

il

et

femmes, donnent leur

leur admiration à l'assassin. Marius

comme un

sur l'échafaud. sauvé,

hommes

Il

ne

criminel qui est bien mort

s'est

pas caché,

il

ne

n'a pas essayé de disputer sa vie à

s'est

pas

un jury.


-S- 168 -*Il

a seulement voulu qu'on sache qu'il tuait et pour-

quoi

tuait,

il

a puni de sang-froid

il

une rupture du contrat. Pour Léa,

parole, insultée

pour avoir

la

arrêter son

fait

avoir causé sa mort. errent

un manque de

Aucune des

amant,

la fenêtre

de

la

et

maison,

pour

les

qui

yeux vers

cette tête crispée et pâle,

dégouttante de sang, qui a été

de l'affreux

et

tristes larves

au carrefour ne songe, en levant

chambre du crime, que

elle est

c'est

un jour accrochée

à

l'enseigne symbolique

martyrisant métier.

Après Léa, une autre.

LA FEMME TATOUÉE

On

trouva aussi

le

cadavre d'une

mansarde d'un hôtel meublé de

chambre sans sans feu, se

le

la

femme dans

la

Gourtille, triste

fenêtre et sans cheminée, sans air et

jour entrant par deux lucarnes. Le logeur

moque de

ce qui peut se passer dans

toujours payé d'avance, à la semaine

Aucun choix de

clients.

Nul renseignement

On

n'est

ou

à

tel

réduit

à la journée.

prend ce qui

demandé

un

se présente.

l'homme qui

déclare s'installer pour quinze jours et qui inscrit

sur

le

registre ce

nom,

cet âge et cette profession

:


*-

169 -*-

Ernest Dufour, quarante deui ans, camionneur. paye,

et

l'on ne s'est plus

occupé

lui

<l<-

et

on trouve sous

demi

le

un corps de femme,

lit

cou noirs,

yeux couverts d'une mousse

les

une

mal jointe, on entre,

la porte

putréfié, la tête et le

1

pendant

quinze jours. Les quinze jours écoulés, on seul

mauvaise odeur à travers

Il

la

au,

bouche

et

verte.

Les vêtements disparus, une boucle d'oreille en or

doublé oubliée dans une coupe, cliairs

qui empêche de constater

lences,

une large

corruption des traces de vio-

au bras gauche, ce

entaille faite

sont les détails de ce

la

les

drame joué dans

le

plus banal

et le

plus lamentable des décors. L'assassinée

fille

de vingt ans, aux mains calleuses,

étranglée, étouffée

esl

une

a

été

elle

peut-être sous l'oreiller que ses

dents ont déchiré. Son signalement se libelle ainsi

dans l'enquête de police

cbeveux châtain

:

taille

1

m.

clair, oreilles petites,

54, sourcils et

dents proémi-

nentes. C'est par le

gauche de identité.

la

On

morceau de chair qui manque au bras victime que l'on parvient à fixer son

crut d'abord à une trace de vésicatoire

ou à des morsures de

rats acharnés, puis

on

se

douta

i5


-s— 170

que

l'entaille avait été faite

§-

pour supprimer un signe

particulier. C'était la juste hypothèse. l'assassinée vint, reconnut la place senti

au début d'une

était tracé

liaison.

Ce

du tatouage contatouage, dit-elle,

en arabesques compliquées, avec des encres

roses et bleues, rouges et vertes.

Des branches de Au-dessus, un

laurier s'entrelaçaient en couronnes.

pigeon voyageait avec une disait la vie

un prénom !

»

La sœur de

nom

Le

déclaration

et

:

de

la

Berthe

avait installé Berthe

au bec. Une légende

lettre

un serment

femme

Sentier.

« Emile, à toi

:

pour

tatouée signait cette

Emile,

mécanicien,

dans ses meubles,

recon-

et la

naissance de Berthe s'était manifestée par ces piqûres

un

artiste

du

Des sentiments rudimentaires

et

au bras, dessinées par

quartier.

des

mœurs

de

sauvages s'affirmaient par ce symbole. C'est ainsi que

dans Paris, en creusant

couche formée par tions morales,

anciennes à

la

le tuf,

en allant au delà de

les lois acceptées,

on ramène lumière.

Ce

par

les vestiges

avec

frappants de la ressemblance de

l'homme qui

conven-

des coutumes

tatouage qui figure sur tant

de poitrines, de dos, de jambes, de bras, traits

les

la

est

un des

l'homme

actuel

habitait le sol de ce pays à l'époque


-s— 171

des forets et des

marécages,

peuplades qui ignorent

dans

flèches

mentalités.

les

Chez

les

de

les

batailles.

lancent des

et

Mêmes moyens, mêmes embléma-

Indiens, chez les Sandwichiens, chea

chez l'habitante du quartier

Pas plus que

fait inscrire ses victoires

qui

fait

nom

tracer sur son bras le

france qu'elle éprouve. Elle

dans

volonté porter elle se

fait

enguirla

met son honneur veut

de

souf-

à rester

toute

la

douleur.

le

signe de l'abandon de sa personne,

Elle

marquer d'une manière

devient une propriété,

comme

les

de leur

général,

de

la

sa

indélébile, elle

esclaves

soldats qui portaient sur le corps le

maître,

le

sur son visage,

landé de son amant ne révèle par un cri

stoïque

peaux,

les

traits

Belleville, l'incision est pareille.

femme

L'homme des

avec

et

vêtements

ou jaunes, de ces

comme

Zélandais,

guerrier qui la

les

«-

La même opération marque

blanches, noires tiques.

nom

divinité

et

les

de leur de leur

pays.

On

cause de l'assassinat de

la

femme

tatouée à

l'une de ces veillées d'été qui se prolongent en pleine rue, pendant

un des longs crépuscules

d'août. Les

gens, rue de Belleville, sont assis au seuil des portes


-s— 172

ou sur

le

bord des

§-

trottoirs, les

Pommier comme

les

autres.

— Heureusement, — C'est un Garello. — Salauds — a bras avec un pour enlever l'assassin est arrêté.

Italien,

il

s'appelle

d'Italiens!

Il

lui

taillé le

stylet

l'image. Se figure-t-on

une chose

— ont toujours leur — Les femmes à leur — Mais non pas

!

stylet sur eux.

Ils

aussi,

jarretière.

Les Espagnoles,

les Italiennes.

!

oui

pareille

!

— Eh bien! quand on veut blond

y a de quoi être ébaubi

vrai, alors,

leur ta ter le mollet

!

plaisante

un

frisé.

— Vous n'a pas pour — Pourquoi? — disent plusieurs — jaloux du tatouage. — Pas — Vrai comme vous savez,

tué

il

voler.

voix.

Il était

possible!

je

juge. aussi, tête

Il il

de

le dis!

un

femme

et

marque de

Fa raconté au l'autre...

Lui

tatouage, sur le bras gauche,

une

voulait effacer la avait

Il

une

fleur.

Quelques-uns des causeurs écartent leur chemise


.

-s— 173

s-

sur leur poitrail, retroussent leur

manche

but

leur

bras,

anciens soldats, anciens marins, anciens amou-

reux,

ils

sont tatoués d'attributs militaires,

de canons, de forteresses, de noms de de

n;i\ires,

sabres,

d<

batailles,

noms de femmes, de cœurs

<!<•

percés

<l<

flèches.

Céline aussi retrousse sa manche.

un peu

sur son bras potelé, aux poignets lets,

il

n'y a

11

n'y a que la blancheur et

le

rien

grassouil-

rose de

nesse, et le lacis joli des veines bleues. Tout

la

le

jeu-

monde

rit.

Si tu veux,

blond

dit le

frisé,

je te

mè-

nerai chez l'artiste. Elle se rebiffe

— Où

:

J'irai bien toute seule,

ou avec qui

je

voudrai

!

.

.

demeure-t-il?

Tout la porte.

le

monde

On

rit

encore, dans le groupe devant

blague Céline, aimablement

et gaillar-

dement. Elle se trémousse, surexcitée. Ses parents, fâchés,

obtiennent enfin

Cécile est auprès de sa elle.

qu'elle

maman,

garde

le

silence.

bien serrée contre

Elle ne rit pas, mais elle sourit, elle ouvre tout

grands ses yeux dans

la

nuit claire, pour tâcher de i5.


-§— 174 -*-

mieux voir quoi

les

et

de mieux comprendre, de deviner pour-

hommes

femmes veulent

et les

s'appartenir

et croient aux mots à jamais tracés dans la chair

vivante, et pourquoi

qui est

s'entretuent pour effacer ce

ils

écrit.

Sa mère

doucement

la sent inquiète et les

cheveux

sure, et Cécile baise cette la

femme

tatouée,

curieuse et lui caresse

et la joue, la flatte et la ras-

bonne main

câline, oublie

va s'assoupir, quand on raconte

d'autres aventures qui la réveillent.

— Oui,

les Italiens

sont des salauds!

même voix péremptoire. le

journal, ce Farnieri,

Et

il

un

sale souteneur?...

amant de

découvrit qu'un client avait payé la Il

lui fait

—Y

son

a pas

fille

la Finette,

d'une pièce

court après l'homme,

trape au tournaut de la rue, il

la

— Vous n'avez pas vu, dans

narre que ce Farnieri,

de vingt sous fausse.

— affirme

et,

le rat-

en quelques instants,

affaire.

que

sont des salauds!

les Italiens... tous les

dit

souteneurs

une voix sage.

avez-vu?... place Maubert...

Vous

un nommé Marcelin?

Et Cécile frémit d'un nouveau crime.


,

75

/

Ce tiers la

i i

HHElnNNE

l

Marcelin, se promenant avec six copains, ren-

comme

lie

lui,

pari de jeter dans

fait le

Aline-Françoise Lcvot, dite

jeu est

un champoreau,

avec du

rhum

comme

il

la

Le

soir,

il

mixture de café chaud le

sous

les

sur

pont

le

bras,

Saint-Michel.

d'une seule poussée l'envoie dans ensuite allé boire

Il

d'un seul mouvement

et,

ambu-

la

son champoreau,

prend

la

l'enlève,

Seine.

félicité

berge au

la

moment où

Il est

par ses

camarades qui ont payé sans rechigner, puis revenu sur

fait

s'approche de Françoise

Levot, qui exerce machinalement son métier latoire

Seine

Bretonne. L'en-

de l'absinthe. Et Marcelin

et

le dit.

la

la

il

est

l'on retirait le

cadavre de la Bretonne, morte sans savoir pourquoi. Cécile frissonne de la elle

frissonne encore

raconteur dit

ment dans crime.

le

un

triste

du monstre,

d'une autre émotion,

ment douce, qui mouille le

brutalité

trait

ses

et

infini-

yeux enfantins, quand

de sensibilité éclos subite-

monde de

misère, de vice et de


—§

-s— 176

Une amie de

nommée

prostituée,

la

Marie,

de

s'approche

prostituée la

mariniers viennent de déposer sur

penche

bon

et

morte que le

Marie reçoit sur

d'avertissement qui

la

nuque un coup de

amène

fait

une

entaille

jamais tu vends Bretonne. »

De

a fallu dix le

j'te

meil de petite

«

Tu

sais, si

comme

la

y a dix mois, fût arrêté.

sur Cécile l'impression vrai-

à troubler de

cauchemars son som-

à la rendre prudente

fille,

drame

fit

:

il

mois pour que Marcelin

drame qui

coup

temps qu'une

refroidis

cela s'est passé

fait,

ment angoissante,

sa vie, ce

mèche,

la

petit

de rien du tout

même

peu de sang, en

très

un

voix de crapule lui coule dans l'oreille

Mais

infiniment

miséricordieux donné par la pauvresse à la

charogne,

il

les

pavé, elle se

et l'embrasse. Aussitôt ce baiser

couteau, un petit coup de couteau,

et

aussi,

fut celui

où joua un

pour toute

rôle le

nommé

Joseph Leroy.

JOSEPH LEROY C'est le vrai assassin.

sous

l'oreiller

de

M

mo

per la gorge de la

Pour prendre neuf francs

Pierre,

il

n'a pas hésité à cou-

femme endormie.

A-t-il

même


-s- 177 -§-

voulu tuer pour voler? Ce n'est pas bien BÛr.

pour

le plaisir

qu'il a fait

animée du

cette chair paisible,

piration.

pour

a tué

Il

une

I

dans

entailli

va-et-vient

tuer, parce qu'il

<1<

aime

res-

l,i

à tor-

turer la chair, à la meurtrir, à la saigner, parce qu'il

aime

à faire

du mal.

aurait mis plus

L'être né seulement voleur

de précautions perfides.

Il

v

aurait

assourdi son pas, retenu son souffle, glissé sa main

pour les

dans

saisir

pauvre

le

lit la

pièce de cent sous et

pièces de vingt sous. Lui, n'y a pas mis tant de

façons. Cette tète le gênait pour arriver à l'argent,

a essayé de couper la tête.

il

né assassin, incons-

Il est

cient et farouche.

Leroy a très

seize ans.

malade,

est à l'hôpital.

un pauvre diable pitié la

Sa mère

Des

morte. Son père,

voisins d'hôtel garni,

d'ébéniste et sa

du gamin,

l'ont

maladie du père.

ans, n'importe,

est

ils

Ils

gardé ont déjà

femme, ont eu

avec

eux

logé chez eux, rue de Belleville,

l'ont vêtu.

trois

ont pris sous leur protection

gringalet de faubourg, qui leur faisait pitié.

un cabinet proche

pendant

un enfant de

leur chambre,

ils

ils

le

Ils l'ont

ont loué pour

lui

l'ont nourri,

ils


-*-

C

est cette

Leroy, le

le

M me

178 -§-

Pierre, la bienfaitrice,

protégé, a

commencé

mari parti pour son

que

crié,

que des gens sont venus.

le

chambre,

couteau coupait mal, que

se

faufiler

l'hôtel. C'est vers

non

arrêté,

M me A

parmi

midi que

loin de la

Il

a

les

a

quitter la

de

agents apostés l'ont

maison où pleurait

et saignait

Pierre. l'interrogatoire, l'apprenti tueur a dit en termes

une sorte de prurit

lui,

qu'une chose,

coup à

la

répond ans est

c'est

adressée sur

le

le

sanguinaire,

domestiques,

les

question d'usage

La

cervelle

de férocité

intelligence. Il n'y a en

la perversité

la

cynisme

il

bourreau ingénu qui martyrise

maux

A

son repentir possible,

besoin

maladie incurable. Malgré

aucune

emparé

d'assassinat. Il ne regrette

qu'il s'en fout pas mal.

détraquée,

s était

de n'avoir pas porté un second

malheureuse femme.

qui lui est

de

la blessée

pu

les arrivants, sortir

grossiers quel violent désir de frapper

de

un matin,

n'a pas réussi,

S'il

travail.

c'est

que Joseph

d'égorger

il

de

seize

est

une

et la vivacité,

Joseph Leroy que

est

l'enfant cruel, le

les insectes, les

ani-

enfants plus petits que lui.

Tortureur aux regards naïfs

et

aux joues roses,

il

a


-+

-5- 179

an masque «l'innocence velouté yeux

clairs qui on!

bouche de sang coule

et

qu'une voix dans

le

«le

fin

sans

vie

toute

petit chat-tigre,

tinct agit alors le félin

reflété

la

duvet,

des

voir,

une

l,i

réjouie

se plaint.

quand du

L'être

décor de civilisation

<l

ins-

comme

griffeur et suceur de sang s'adjugeanf

des

proies effarées dans les rocs et sous les arbres. Leroj recelé

en

lui

une âme dangereuse comme un

voi-

sinage d'animal féroce.

Devenu homme,

il

ne se distrait plus à estropier

des chiens, des oiseaux ou des grenouilles. C'est gibier

humain

La première victime qui charitable qui

pas à

s'avance

cade

et

il

s'offre

recueilli.

l'a

regarder

à lui est la

Tant

pis.

Il

ne

femme s'arrête

dormir de son bon sommeil de

fatigue la vaillante il

le

qu'il veut faire crier sous le couteau.

ménagère qui prend

comme une

lui saute à la

soin de

bete qui sort de son

lui,

embus-

gorge avec une frénésie imbé-

cile.

LA BELLE P

Le tableau de mœurs ne manquent pas pour

est

varié,

éveiller la

1

TISSIÈRE

et

les

motifs

malice de Cécile


_^ et

ïSo -*-

son sourire. Entre deux drames se

faire naître

joue une comédie.

La rue de

Belleville est longue,

contournée, spacieuse faite

pour

pourtant,

les

on y peut

bouchers,

peine circuler,

à

geant de victuailles et

petit

de faubourg

grands passages de foule. Le matin,

voitures l'encombrent.

cutiers,

vraie rue

la

:

montante, large,

Malgré

boutiques regor-

épiciers,

fruitiers,

monde ambulant

petites

achalandées, des char-

très

a

les

les

sa

clientèle,

crémiers,

chacun

le fait

ses affaires.

L'après-midi,

la

chaussée est plus calme. C'est

seulement à cinq heures refont

les

une entrée triomphale, aussi

du matin, parmi Voilà

De

que

le

le

chœur

petites fière

voitures

que

celle

jacassant des acheteuses.

milieu où règne

la Belle Pâtissière.

toutes les boutiques de la rue, la sienne est la

plus alléchante. Derrière la vitre, des pâtés croustillants, de grosses

brioches piquées d'une rose

artificielle

ou du

du jour, de massifs gâteaux de Savoie, des les quartiers

de pomme,

saint

tartes

les abricots, les fraises

sont

bien en ordre, de juteux babas au rhum, de majes-


-5— 18

semblent des plateaux de

saint- honorés qui

hieux

montagnes couverts de Devant sement

porte, sur

la

rang»'.s

—£-

1

neige.

une

soigneu-

table, des plais

présentent des écrevisses bordelaises,

des fricandeaux: hérissés de lardons, des terrines de des poulets rôtis ruisselants de sauce,

tripes,

homards

des langoustes découpées

l'américaine,

à

par tranches sur

la

des

carapace intacte, des gelées de

faisan, des salmis de bécasse, des nichées d'alouettes,

tout cela « à emporter », tout cela cuit, prêt à être

mangé.

On

La boutique

entre.

qui se mirent dans les

ornée de petits gâteaux

les glaces.

y en a sur toutes

Il

rangés symétriquement,

étagères,

variétés

est

pour tous

les goûts.

jusqu'au voluptueux

Le gourmand

« puits

entre,

et

toutes les

Depuis l'austère biscuit

d'amour

»

!

mange, puis s'approche du

comptoir pour payer.

Oh!

le

beau gâteau!

s'écrie-t-il,

aperçoit tout de suite que ce beau gâteau,

de tous,

est

un beau gâteau,

c'est aussi et

si

le

l'on veut,

avant tout une belle

mais

il

plus beau

mais que

femme immobile,

qui daigne s'animer légèrement pour recevoir son du. 16


4II

la

main

si

jolie

donner deux sous

repas,

il

n'ose,

il

la

porte.

pas.

a

déjà

Elle

!

Il

d'une

si

La

jolie

a envie de

promet de

se

cherchant

elle

consommé

a honte, alors, d'avoir «

Déranger lui

182 =4-

revenir, et

son

si

peu.

recommencer son

jolie pâtissière

repris

»

personne pour

attitude

il

ne

salue en le salue

décorative,

au-dessus de son comptoir de

est impassible

marbre, devant sa glace, parmi ses compotiers ses liqueurs,

blanche

et

comme un chou

rose

crème qui aurait fréquenté une Le matin,

s'il fait

beau,

tarte

elle sort

aux

et

à la

fraises.

de bonne heure,

rentre pour la vente. L'après-midi, pendant les repos, assise bien droite les doigts,

rire, elle

sur sa chaise, bougeant à peine

ne bougeant guère

use

le

les

yeux, sans un sou-

temps à crocheter quelques

frivoles

dentelles.

Elle est vraiment magnifique, la poitrine en avant,

et elle l'a belle,

soie brillante qui la

— enfermée dans un moule

corsage de

et serre sa taille

au-dessous de sa gorge double

et

de guêpe

opulente. Grande,

grasse à point, et blonde, dans tout l'épanouissement

de ses lignes

et

de ses formes, de mine saine, forte

de sa beauté, reine de ses gâteaux,

elle fait

loucher


i83 -s-

-sles

hommes,

Pour

femmes, enrager

sourire jaune les

commerçants des dire

la

pas aimée dans

gloire

vérité, cette le

les

alentours.

du quartier

quartier. Sa beauté ne se

n'est

fait

pas

excuser par L'amabilité. Elle vend ses petits gâteaux, les

vendre parce qu'ils sont

mais

chose,

ailleurs.

elle

la

elle

pense à

monnaie en regardant

Les méchantes langues ont interprété cette

indifférence

compte de

cette

et

distraction,

la Belle Pâtissière.

épouvantables

toujours belle

compte pour

et

réglé

vite

Des choses absurdes,

importe, pourvu qu'elle soit

lui

Sa beauté,

!

c'est la seule

chose qui

elle.

lui a fait

des niches de toutes sortes, on lui

même

a envoyé des cadeaux grotesques qu'elle n'a

pas regardés, on

même

pas lus.

manque un

A

le

Elle n'en sait rien, elle n'en saura

!

Que

jamais rien.

On

rend

de

font envie

là, et qu'ils

aux gens. Elle ne s'y intéresse pas, autre

elle a l'air

On

lui

se

a écrit des billets qu'elle n'a

chuchote maintenant qu'il

sein, d'autres affirment qu'elle

entendre ce qui se

dit,

des chauves-souris, sur

le

au crépuscule,

en a à

pas des portes, cette

lui

trois.

l'heure

femme


184 -4-

-S-

qui vit dans plus

la

crème

extraordinaire

et la

monstre à mener dans Il

que

paraît aussi

croûte de pâté serait

phénomène de

maison n'a pas de

sa

la

disent qu'on ne doit pas se fournir chez légère, les ses

femmes

hommes

une femme

disent qu'elle est jolie, mais que

gâteaux sont mauvais.

Tout tain,

cela n'est

c'est

réalité,

que

tout le

comme

nent

d'apprendre

que paroles. Ce

la

pâtisserie

monde

les

s'y fournit,

autres

le secret

qu'il

fait

de

:

les

ses

la beauté, les

qui ne vous regarde pas, c'est

affaires.

la

En

ceux qui débitâcher

hommes pour

du goût

Manger un gâteau en regardant

vue.

y a de cer-

femmes pour

avoir à la fois les deux plaisirs

la

clientèle

Seuls entrent

fuit.

simples passants, qui ne savent pas. Les

les

le

un

les foires.

que tout son voisinage

fixe,

création,

la

la

et

de

la

pâtissière

meilleure halte de

journée. Il

est

toutefois vrai

que

pas toujours aussi empesée raît

la Belle

Pâtissière n'est

et lointaine qu'elle

dans sa boutique.

Trois, quatre fois par an, elle disparaît.

va-t-elle

?

Où est-elle ?

appa-


-*

-s- i85 Elle

n'est

dans son

est toujours

pas loin. Elle

quartier.

Mais

elle quitte

réellement

boutique aux gâteaux. Les tout de

même, non

de quoi payer maison.

le

foyer conjugal et

le

petits

gâteaux se vendent

pas autant, mais suffisamment,

loyer.

Rien

changé dans

n'est

y a une employée à

Il

la

la

la

place de la pa-

tronne, voilà tout, une de celles qui font les extras.

Le seul incident,

c'est

ment d'un

qui

client

quelquefois

demande

désappointe-

le

des nouvelles

de

Madame.

Madame ou ne

passe parfois devant chez

voit pas sa boutique, et

semble ne pas

elle

la reconnaître.

rassasiée de petits gâteaux, se

même,

régaler et paierait

elle.

Elle voit

si elle la

voit,

Si elle n'était pas

sûrement

elle

indifféremment

à

entrerait

son

inté-

rim.

Après quelques jours d'absence, place, achève

chet.

elle

reprend sa

ou recommence une dentelle au cro-

Elle ne dit rien à personne. Et personne ne

lui dit rien.

Son mari,

comme

car elle en a un, tout habillé de blanc

Pierrot,

reprend

sa

femme Colombine, 16.


-§—

comme on

1

reprendrait

commerce que

—#-

86

avec

plaisir

un fonds de

qui est sûr.

l'on connaît,

Il

n'est

jamais question de la sortie dernière, ni de la rentrée d'aujourd'hui, ni

En somme,

les

si

de

la sortie

future.

absences sont fréquentes,

les

retours aussi sont fréquents.

Des ducs, des princes,

d'en face,

le cor-

marchand de marrons

d'à

ont eu, paraît-il, l'honneur d'un règne

de

donnier d'à gauche, droite

le voisin

le

quelques jours. place habituelle en

Ceux-ci sont revenus à leur

même

temps que

la

marchande de gâteaux. Les

princes, eux, ont quitté le quartier.

Aucun sur

n'a,

d'ailleurs,

défectuosités

les

jamais éclairé

physiques

imaginées par

malignité publique. Seule la marchande de

de terre

frites

a

donné

la

clé

curieux

les

pommes

du mystère.

Elle a

affirmé à tous ceux qui ont voulu l'entendre que Belle Pâtissière était froide

comme

le

la

la

marbre de

son comptoir.

Non

loin de la Belle Pâtissière, la

volailles.

Marchande de


LA U [RCH

Dès cinq heures du pendant

aussi

volailles part

dune

même

fera,

pour

a été

d'ici

D'autres

la

bon pour de

fin

ce

rer

la

:

Il

le soir la

aux gens pressés rôtie,

pons

et

à la

fait

la

elle

Le

satisfait.

pressent qu'elle

un beau

bénéfice.

un peu hargneux.

fermes que

même

il

la

bons

veille,

la

faut se rassu-

marchande

clients qui l'aideront à

hausse du matin.

Belleville,

s'approvisionnent

et

est belle, et déjà la

y a vingt ans qu'elle

volailles à

elle

que pour un moment. Les

Tout de

voit dans sa pensée les

supporter

:

journée,

plus

marchandise

ans

heureux elle

la

n'est

volaille a renchéri.

temps, et

marchande de

route, et elle rentre,

reparaît l'air

prix ont été tenus

la

vingt

même

l'air

fois, elle

Mais, baste!

au

en revient vers huit heures,

Depuis

lasse.

III

hem

Halles avec sa voiture attelée

les

toujours,

marché

SDB DB VOL

mauvaise saison,

la

corvée, suit la

presque

l

S-

malin,

vieille rosse. Elle

nullement

187

-S—

est établie

en une spacieuse boutique où

les friands

les

marchande de

du

quartier. Elle

morceaux de

volaille

vend toute

petite cuisinière bourgeoise ses cha-

fins et ses

poulardes grasses.


-s-

188 -§-

Elle n'a nullement l'aspect de la boutiquière ave-

nante

et

souriante.

sergent fumant

la

comme

petits et futés,

et la

pipe ou mâchant la chique, des

— des yeux de

en avant

tout rôtisseur

tient

et

celles

dun

Elle a été veuve, mais

quarante ans,

elle

elle

comme un Il

pour embêter

:

sa

que son dos.

ne Test plus.

épousa son

Un

beau

quatrième

ans, rougeaud, de l'œil

il

devint patron.

marchand de vin

voisin avec des

Il

il

rentrait régulièrement assez

les clients, sa

mis, jusqu'à ce que bien doucement

à

Ses journées se

compères de hasard. gris

que

le resta.

avait été paresseux, le

sanglier

bouche avancée en spatule

la

bec. D'employé,

perdaient chez

du

oreilles

les

une physionomie de canard,

rond toujours virant,

yeux

fourreau de cachemire

commis, un gars de vingt-quatre petite taille, avec

honneur d'accrocher

à

noir, et sa poitrine est aussi plate

à

des

aux aguets, des

rat

trompeur,

comme

porte. Elle est habillée

jour,

os-

bouche d'un vieux

des épaules de mouton,

yeux de marchand rusé rabattues

un homme. Grande,

moustaches

seuse, elle a les

mains

C'est

la

patronne

femme le prît

et ses

par

le

combras


+-

mon

Allons,

fatigué S'il

-+

i8 9

chéri, va

faire

un somme,

tu es

surprenait

dans

!

on

pas fatigué,

n'était

le

femme

tous les coins lutinant les bonnes, et sa

amusait elle-même en l'appelant

Quand par hasard

sa

de

femme

de

se mêler

qu'il voulait

«

grand gosse

occupée

était

réussir

«

b'cd ».

»

aussi

et

une

avec les acheleuses,

il

risquait des propos galants en se tordant de rire

si

vente,

faisait

il

l'esprit

fort qu'il s'en congestionnait.

A

morceau

était

pour

particulier, son

fourchette

sa

argent

de sa sin.

:

«

petit et

qui servait. Le meilleur

gros bêta ».

pain anglais à

Il

avait son vin

lui.

Sa

cuiller,

son rond de serviette étaient en

des cadeaux qu'il avait reçus d'elle aux jours

fête.

dégustait

Il

Le perdreau ou

pour «

femme

table, c'était sa

les truffes

le faisan le

de « son » maga-

mieux

à point était

lui, s'il le convoitait.

Gros bêta

frères,

trois

»

fit

sœurs,

venir son père, sa mère, deux et les

deux enfants d'un

mort. Toute cette famille logea

comme

son

belle-fille,

fils,

les

la

là.

Le père

mère gueulait après

sœurs couchaient avec

frère

se saoulait

les

sa vieille

commis,


frères avec

les

d'ailleurs

que

les

-s- 190

-*

bonnes,

et ces

cela à faire, car

ils

n'avaient

frères

étaient sans métiers,

partant, sans places. Les deux mioches étaient

et,

toujours à se traîner parmi

plumes de

les

les détritus

d'intestins,

peaux de lapins

volailles et les

on

:

marchait dessus à journée entière.

La patronne, au milieu de ce remue-ménage, une femme

glorifiait

d'être

Tous

ans, elle faisait

lait

les

dans ses

passés, elle

se

aimée de son mari.

un marmot.

moustaches.

était

très

à

Elle,

Elle en rigo-

quarante

ans

encore meilleure poule que bien

des jeunesses!

Heureusement vrage de dix, elle

et

et

qu'elle travaillait dur, faisant l'ou-

même

ferme avec

le

qu'elle se permettait,

seules

!

client.

pour

Elle était avare

La

seule distraction

c'était d'avoir ses

gosses

;

ses

vacances, les réglementaires huit jours de

couches, toute

plus

et

encore

l'embarrasser,

Quand on

!

elle se

tienne et répondait

Dieu bénit

Un

jour,

la

les

une de

lui

objectait

que

sur ses bras devait quelquefois

cette famille

rappelait

qu'elle

bouche en cœur

était

chré-

:

nombreuses familles

!

ses servantes vint lui dire qu'elle


-S— 191

grosse de monsieur,

était

refusait

lui

accoucher,

— la

l'argent

volailles,

de

faire ce

grand enfant qui

qui

lui

en

Pourquoi

Tiens, parbleu l'a

avail

fille,

celui-ci

promis

pour

dans

le

lui

répliqua

est chez lui,

il

il

lui plaît.

aime son mari

fait

est-elle

vous n'êtes qu'une

et

Tant qu'à monsieur,

!

C'est assez dire qu'elle

qu'elle

lui

du toupet, ma

avez

marchande de

est libre

comme

que,

et

elle s'adressait à elle.

Vous

cochonne

qu'il

fr-

comme un

tous les ans de plus petits.

— ça — répond Céline, —

comme

!

dit Cécile.

?

parce

sang.

LE BEL HORLOGER

La la

petite rue, étroite et courte,

grande rue du faubourg. Elle

ne conduit pas à

est

perdue parmi

foule de ses pareilles, et ne possède ros.

Presque personne n'y passe.

Il

que dix numé-

faut

y demeurer

pour y venir, ou flâner pour s'apercevoir de tence de cet

Sur et

les

c'est

embryon de

la

l'exis-

rue.

dix maisons, deux boutiques seulement,

bien assez,

et

c'est

bien trop pour

rue pareille, aussi délaissée, aussi nulle.

une


IQ2 -4-

-§*-

L/une de ces boutiques

vend peu de

de

la petite

le

fruitier,

à

le

temps de cou-

grande rue, au marché en

la

du boulevard,

plein vent

chez

l'une des ménagères

rue est pressée, n'a pas

aux voitures de

rir

qui

fruitier

vieux fromages,

terre, des

Quand

des boîtes de conserves.

de

un

mais des légumes fanés, des

fruits,

pommes

choux, des

est louée à

lui

se résigne

elle

acheter

ses

à entrer

poireaux, son

gruyère, ses sardines. L'autre boutique est toujours « à louer ». Plu-

commerçants sont déjà venus

sieurs petits

de

sort, essayer

vie.

faire

bien tourner

Tentatives inutiles.

Au

hasard de

bout de trois mois,

de nouveau clos,

volets étaient

le

tenter le

et la

la

les

boutique encore

« à louer ».

Pourtant,

jour, cette boutique endormie a

réveiller. Elle respire,

de se

coquette.

nant

un

Un

l'air

soupire, sourit, fait la

peintre en bâtiment, tout en fredon-

:

A

C'est l'amant

d

C'est l'amant

d'A

C'est l'amant

d'Amanda,

peint la devanture en noir, égayé ce deuil de

filets


193

-s—

$-

jaunes, puis, installe sur son échelle, donne l'essor à son répertoire de romances. Il

chante des chansons patriotiques

Donne/ en

:

paix, donne/, soldats,

L'œil au guet, l'oreille tendue,

Quelqu'un pour vous

veille là-bas,

C'est la sentinelle perdu-e

Puis

les

romances

Par

:

les sentiers

remplis d ivresse

Marchons ensemble Je veux

t'otTrir,

ô

à petits pas,

ma

maîtresse,

Le premier bouquet de

Tout en chantant ture

au fronton

de

!

il

!

de sa plus belle écri-

écrit la

lilas

porte

:

horloger-bijou-

tier.

Les

voisines,

de

lettres, épellent les

leurs

fenêtres,

syllabes, à

mesure que

dorées sont tracées par la main l'inscription dessinée, elles

si

du

les

les lignes

ténor.

À

peine

sont déjà reconnaissantes

l'heureuse idée de venir égayer leur

à celui qui eut

rue par une

nomment

belle

boutique

et

par un commerce

si

distingué.

Les passants

et

les boutiquiers des

autres •7

rues


+-

iq4 -t-

qui viennent voir pour se rendre compte, hochent

gravement

et

ironiquement la

— Encore un, —

tête.

ou

pensent-ils.

disent-ils,

qui va manger ses quatre sous.

Le lendemain matin,

derrière

le

petit

comptoir

de bois noir qui lui sert aussi de table de

travail,

paraît lhorloger-bijoutier. Il

blond,

est

la

Gapoul, distingué

Tout de a pris

moustache

comme

cirée,

coiffé

à

la

son commerce!

commence

suite, la clientèle

à venir.

Il

toute la rue le premier jour, et les jours sui-

rues voisines.

vants,

les

mois,

et les

horloges, les pendules,

montres à

réveils, les

n'est

Il

«

que depuis un les

coucous,

les

arranger » s'alignent sur

les

planches. C'est à croire qu'il y a une épidémie sur tous les objets qui servent à

marquer l'heure dans

tous

sont détraqués.

quartier

bagues,

:

les

à la fois

se

broches, les croix,

vogue pour souhaiter

aussi la

les

le

Les

cœurs connaissent

les fêtes

du moment

et célébrer les anniversaires.

Lhorloger-bijoutier

mois,

un

si

a

fort

à

faire.

Dans deux

cela continue, et cela continuera,

aide à

demeure. Lui,

fera

les

il

prendra

courses, ira s'ap-


provisionner dans

remonter

clientèle, trer le

en

à sept. loger

les

est Il

du

les

\\>\\<

pendules à domicile, mon-

nouveau bijou qui va

heures pour Il

maisons de gros,

Les

faire fureur.

aura

Il

consultations clans sa boutique.

désormais ainsi.

On

trouve de quatre

le

n'est plus l'horloger de la rue,

quartier.

Il

achète le

Les jolies pièces anciennes,

il

est l'hor-

vieil or, le vieil

les

argent.

souvenirs de famille

vénérables, les beaux couverts usés avec lesquels les

enfants et les vieillards ont leurs dernières soupes, lités

à la

mode du

il

jour.

mangé

leurs premières et

transforme tout cela en Il

est fier

futi-

de son ouvrage,

et la clientèle est ravie.

Les ménagères du quartier font désormais des éco-

nomies pour

les

désirent plus

un dessus de

porter au

bel horloger. lit

Elles ne

au crochet, ni une

armoire à glace, ni une suspension, pour leurs étrennes.

Non,

c'est

un

bijou,

mais un bijou de chez lhor-

loger-bijoutier. Il

«

n'a pas de ménagère, lui.

garçon

plats

«

».

Ce beau garçon

Aussi lui apporte-ton de bons

pour goûter

», des

saucisses,

viennent « du pays où on a tué

le

du

lard,

cochon

est

petits

»,

qui des


-#— 196

du

fruits,

vin,

§-

qui viennent aussi, en provenance

grand'mère ou

directe, de chez la

la tante

de

la

dona-

trice.

On

que tout

Donc

soit il

sa

et

Tout à gagner

rien

vend

les

faut

:

il

il

répare

lui.

presque rien dépenser,

bons prix modérés qui

La paix de

chambre pour

en ordre chez

vit sans

pendules

les

même

lui fait

et

bijoux au comptant, à de

de sérieux bénéfices.

lui font

et rien à perdre.

la petite

rue

béatitude de l'horlo-

et la

ger-bijoutier sont quelquefois troublées par la dispute,

devant

la

boutique, de deux

disent « leurs

n'aime

les

vérités

».

femmes

Mais l'horloger-bijoutier

rassemblements que pour voir

admirer sa dernière création. Sur ii

jalouses qui se

paraît lorsqu'il

diapason de

la

y

a

du

«

le

et

entendre

pas de sa porte,

bruit », et aussitôt le

dispute baisse,

les

voix s'éloignent,

deviennent sourdes et lointaines, vont s'enfouir dans

un

corridor Il

du

voisinage.

y eut une première alerte.

pris

Céline

comme bonne

soir, la petite très

Puis,

un autre

allumée,

jour, elle

On

amie. le

affirma qu'il avait

On

avait vu,

visage collé à

était

un

la vitre.

entrée acheter une


-*-

!

-*•

97

bague de dix sous, en argent, avec une pierre bleue.

Le

bel horloger la lui avait passée

au doigt, en

riant.

Depuisonanirmaitqu'ilss'étaientpronienésenscnililc, qu'ils avaient fait

un

tour de valse à l'Elyaée-Ménil-

montant, qu'ils avaient été encore vus

au tournant d'une rue, après quoi on

le

lendemain

avait

perdu

leur trace.

— Est-ce — On

possible

?

n'a pas idée d'une traînée pareille

Et sa pauvre mère

— Et

lui,

qui avait

!

l'air si

Le quartier frémissait de vide se

autour de

fit

!

la

sérieux! ces exclamations.

Un

boutique. Le bel horloger

apprit que l'on ne tolérait pas son inconduite, s'observa,

ne

sortit plus le soir.

La

clientèle rétive lui

revint en partie.

Soudain,

le

quartier fut de nouveau en émoi.

nouvelle a couru dans

l'air,

Une

rasé le sol, est entrée

les couloirs, les loges

de concierges, a monté

les étages, fait tressaillir les

cœurs, de l'entresol aux

dans

mansardes. Puis

elle s'est précisée, et c'a été

un tremblement de

terre

comme

ébranlant les pavés, les

maisons. 17.


-s- 198 -*-

Quelqu'un,

— on ne

sait

plus qui,

personne sans doute qui avait rencontré

— quelqu'un

çon avec Céline, dit

que

le bel

Un grand comme

:

Mesdames, quand

«

émo-

non une noce, mais

l'on attendait,

si

vous fera

il

»

. . .

En deux jours,

c'était

boutique, autour de face

a affirmé qu'on lui avait

horloger voulait se marier.

un enterrement !

même

la

beau gar-

silence s'est fait après la première

tion,

plaisir

le

commençait

la

de nouveau boutique,

le désert

au milieu de

à ricaner

de terre du temps de Parmentier

dans

et le fruitier

et

ses

la

d'en

pommes

de ses sardines

antédiluviennes.

L'horloger-bijoutier voulut

Partout,

clientèle.

Aucune

porte

tâter

close

envie de la croix de

ou

ma mère

le

pouls de sa visage

glacé.

ni de la

bague

de fiancée.

Le

joli

garçon comprit immédiatement

la

muette

leçon des gens, frissonna de l'hostilité des choses.

Son mariage,

pour

c'était

magasin désachalandé,

les

lui la ruine assurée, le

bijoux au clou, les billets

protestés, la clef sous la porte.

Tout de

suite

il

fit

volte-face.


-s- «99 -*-

— Jalousie de boutiquiers, —

dit-il

aui unes

et

aux

autres rencontrées à propos.

La rue

respira.

Aussitôt, la clientèle féminine de revenir à ses pre-

mières amours, les

et les

pendules de se détraquer,

el

doigts de s'oiïrir aux bagues, et les cols aux col-

liers.

— Vous vrai. est

On

savez,

disent-elles,

du mal.

lui voulait

comme

beau

lui,

n'était pas

ce

D'ailleurs,

quand on

vous comprenez, on a toujours

des envieux.

Et

les

rassemblements pacifiques de se reformer

pour voir

travailler le cbéri

boule d'eau,

pendules

la

et les

de

loupe vissée à

par

la rue, éclairé

qui taquine

l'œil,

la

les

montres, en jouant discrètement de

son œil libre vers

groupe dont

le

il

est la

Si jamais le bel horloger se marie,

il

coqueluche. fera bien de

faire fortune avant.

La

vie régulière,

même,

l'irrégulière, plus

encore

lui est interdite.

— Eh bien — —

à sa place, Il

comme

!

vrai

!

ce que je les enverrais promener,

dit Céline furieuse.

faut qu'il reste en vitrine,

dit Cécile,

amu-


-§— 200

par cette comédie

sée

§-

comme

elle avait

si

au

été

théâtre.

L'EMPRUNT Il

y avait bien d'autres singuliers types au fau-

bourg, près des Pommier, dans leur rue, dans leur

maison. Des joueurs aux courses, des maniaques de loteries, des habituées

de

la caisse

d'épargne, des sous-

cripteurs aux emprunts, des économes, des avares.

Céline ne dit-elle pas,

un

soir,

que

le

père Chau-

dron, à qui l'on donnait parfois de vieux souliers ou

un morceau de rie

pain, était parti faire queue à la mai-

pour souscrire à l'emprunt de

Stupéfait, le père

Pommier alla

la Ville

voir,

avec lui pour la distraire. C'était vrai. père Chaudron parmi

pour toute

Il

comme un

monde enchanté de

aperçut

compte,

et

le

le

guichet

l'espoir. Certains gardaient

étaient présents

père

le

rideau de théâtre, sur le

places, représentaient plus capitalistes qu'eux.

beaucoup d'autres

?

Cécile

gens qui étaient debout,

attendant l'instant où

la nuit,

doit se lever,

les

de Paris

emmenant

des

Mais

pour leur propre

Chaudron parmi

ceux-là.

Et

pourtant, lui et d'autres faisaient venir à l'esprit les


M)

I

idées de misère, de besoin, de charité, plus

<|u«

Les

idées d'épargne, d'argent, décapitai, d'intérêt, â croire

pour

qu'ils étaient plutôt réunis

soupe, à

distribution de la

la

porte d'une caserne ou d'un restaurant.

la

Au-dessus des visages épuisés, des physionomies inquiètes, se à la mairie

pour

:

lit

l'inscription

Secours aux

cette foule d'éclopés

demain.

Il

s'agit bien,

du poste de

de

police établi

enseigne ironique

blessés,

du

la vie, incertains

malgré

tout,

de rentiers

len-

et

désireux de rentes. L'ardeur à faire des économies

de et

à les placer s'empare d'une quantité de pauvres gens. Ils

rognent sur

tiles,

l'essentiel Jouissent

de trouvailles sub-

de privations ingénieuses, arrivent enfin à l'une

de ces dates bienheureuses où

ils

pourront, après

avoir passé debout une partie de la nuit et de la journée, échanger leur précieux argent contre

de papier féconde en intérêts

Le lendemain,

le

et

en gros

une

feuille

lots.

père Chaudron vint chez

les

Pom-

mier.

— Eh bien, Pommier, —

vieux père Chaudron,

je t'ai

vu à

rentier maintenant?...

gations ?

la

mairie.

Combien que

Tu

dit le père

fais

donc

le

t'as pris d'obli-


-f^ 202

— Oh

!

le

&-

quart d'une seulement

Et je

!

n'ai plus

le sou.

— Tiens, parbleu

Tu

!

pouvais nous payer à dîner

à tous, ce soir, et tu fiches ton argent à la mairie

— Je

jure que je n'ai plus

te

pas de quoi

manger

le

sou, et que je n'ai

ce soir.

Laisse-le tranquille,

ce qu'il veut,

fait

!...

hein, avoue-le?

Il t'en reste,

dit la

ou plutôt ce

mère,

— chacun

qu'il peut. C'est vrai

que vous n'avez rien à manger, père Chaudron Asseyez-vous près du poêle

:

je vais

?

vous tremper un

bol de soupe.

— C'est

ça, Marie, donne-lui

d'autres économies

gation!

dit

de

la

soupe

:

il

pour ravoir un autre quart

Pommier, bon garçon

et

refera

d'obli-

taquin.

Et donnes-y aussi un verre de vin, à ce sacré rentier.

Je trinquerai avec

lui.

LA LOTERIE

La concierge,

M m0

Bénard, demandait

la joie

au

hasard, le réconfort à la chimère. Personne n'était

au courant des ter

dans

les

loteries

comme

journaux,

elle.

Toujours à fure-

de ses yeux

chaussés

de


-$— 203 luncttes

;

s-

toujours, aux instants qu'elle avait libres, à

courir vers les bureaux de tabac enguirlandés de bil-

blancs et bleus, à inspecter

lets

brutalement sur tous figurent quatre

murs

les

ou cinq

les

affiches offrant

L'appât de

nombres où

zéros, feux d'artifice d'or et

d'argent où resplendissent les gros lots de cinquante mille francs, de cent mille francs.

Il

que

rable à l'énormité des espérances risques.

n'y a de la

compa-

modicité des

Qui veut un demi-million pour vingt sous?

Qui veut opérer dans son existence un changement vue de

comme

la

les désirs se

M

il

y en a dans

médiocrité, de

mo

la

Qui veut passer

les féeries ?

misère, à la vie fastueuse où

transforment en réalités?

Bénard voulait bien. Elle croyait au talisman

et elle l'achetait, ce chiffon et parafé.

C'était

les millions,

pour

que l'on

elle

de papier imprimé, timbré

que l'on

créait des

faisait

pour lier

Le prospec-

où vingt sous valent cent mille francs l'ouvrier qui trime

du matin au

bruyant des coups de

sifflet

miroiter

bonnes œuvres, que

l'on instituait des entreprises nationales.

tus

de

soir

la

est lancé

dans

vapeur

grincement des machines, sur l'échafaudage où

mord

à

la

nuque, où

le soleil cuit le

l'ate-

et

du

le froid

crâne, pour l'em-


-S— 204 em-

ployé qui rêve de repos dans

de sa besogne ennuyeuse

le

mécanisme

fdle qui voudrait se marier,

pour

la

vient pas à nourrir ses enfants. Et

pour

ses

M

de plafond,

cette petite loge étroite, basse

Bénard n'a jamais

somme

un chat

genoux.

ment que cent mille telle

par-

est rédigé aussi

il

y avait une lueur, une chance de corriger me

jeune

femme qui ne

un placard et surveille son fricot avec

rouge sur

Dans

la

concierge qui habite une loge grande

la vieille

comme

abêtissant

pour

et sans lin,

si elle

réfléchi à ce

que

il

le sort.

c'est réelle-

francs, ni à ce qu'elle ferait d'une

tombait tout à coup dans son pot-

au-feu ou son ragoût de mouton. Elle n'a pas pensé

davantage que sa chance n'était qu'un millionième

ou un dix-millionième de chance. Elle que de

saisir l'occasion

tueuse que possible. billet qu'elle

et

S'il se

de

la

n'est anxieuse

rendre aussi fruc-

peut, ce n'est donc pas

un

prendra, c'est deux, c'est cinq, c'est dix.

Elle se frappe elle-même de l'impôt le plus élevé possible,

se prive

fugitive,

passer.

pour

de tout pour profiter de se jeter à la tête de la

La Fortune

comme un

astre,

reste lointaine

mais

la

possession

la

minute

Fortune qui va et

du

éblouissante billet

de

lote-


-S— 200 rie

donno

à la

—*-

bonne femme toutes

les joies

Pendant des jours, des mois, jusqu'au croit en possession

du gros

du

tirage, elle se

lot convoité, elle devient

double, une autre vie se greffe sur son existence

Tout en geignant sur son jniise. Elle a

sa

à

main du les la

tirage.

Sa

tant.

réelle.

BOrt, elle construit l'avenir

bien un mauvais réveil au lende-

Quand

elle

passe et repasse en revue

bons numéros sans y trouver

déception et

le sien, elle

connaît

l'amertume. Cela ne dure qu'un

loi est

rêve.

ins-

trop robuste. Elle ajourne ses espé-

rances au prochain tirage,

recommence

à vivre sa vie

d'illusions.

LES COURSES

Le plus de

la

Siège,

drôle,

que Paterneau, un

locataire

maison qui avait connu Pommier pendant

tous

compagnie, railleries était

c'est

pour

deux gardes nationaux dans

la

le

même

Paterneau, qui n'avait pas assez de

de loterie de

les billets

la

concierge,

un fanatiquedes courses. Clairvoyant pourautrui,

aveugle pour lui-même,

il

l'Empire, du Siège et de qu'il exprimait avec

avait conservé, la

Commune,

véhémence

de

la fin

de

des opinions

lorsqu'il s'agissait

de


-§— 206 «gqualifier la conduite

du

voisin, et qu'il ignorait

moments où

se faire la leçon à

il

— Oui, —

aurait

de s'en remettre à C'est plus facile

changer déluge

que

chance du

la

Chacun pour

!

Sans compter que

c'est la

bande des hommes

de vos vingt sous, Crois-moi,

c'est

et s'en fait

mon

père

une

fonder une

donc

tes

ta

avec les amis

:

tu

le

d'affaires

qui profite

des millions contre vous. n'entre dans les ta pipe. Si tu

camarades pour

Garde

l'autoriserait pas.

viens boire une bouteille

y gagneras encore

!

bien discouru, Paterneau s'en

si

aux courses.

— Ce pas mier, — expliquait n'est

du

Après moi

!

un métier de gogo,

loterie avec les

môme, ou

qu'il avait

allait parier

c'est

pour

vingt sous, fais-en n'importe quoi, achète

une poupée à

Après

loterie...

les autres

soi

Pommier,

on ne

usine,

de

billet

bureaux de tabac que pour y allumer voulais organiser

lui-même.

du pur égoïsme

c'est

que de marcher avec

la société

. . .

!

déclamait-il,

aux

travail.

une

industrie,

sur

le

la

Ça

même

le

chose,

mon

rhéteur ouvrier.

existe,

un

père

Pom-

— Le

pari,

cheval. C'est

comme

un commerce. En jouant mon

cheval, c'est

comme

si

je fabriquais

argent

ou

si


-*— 207

quelque

j 'achetais

prends-tu,

Mon

«

mon

chose pour

père

Pommier

Pommier

père

S-

le

revendre.

ne comprend pas

»

bien, quoique Paterneau ait raison sur les

courses, pour

fait

partie

lui,

un

sont sûrement

parmi

milliers

les

les

et

milliers

très

un point travail.

du personnel qui enlève d'assaut

tures, fiacres, chars-à-bancs, tapissières, est

Com-

'.'...

:

Il

les voi-

wagons,

il

d'individus

ou riant fébrilement,

moroses,

graves,

soucieux,

tous,

face contractée, en proie à l'idée fixe, qui

la

s'en vont

au pas accéléré vers

le

champ de

comme vers un champ de bataille. A voir cette cohue marchant dans on

avec la hâte d'arriver,

croirait

le

courses

même

sens,

une bande de

manifestants, très disciplinés, très résolus, montrant

pacifiquement nette

volonté.

la

Mais pourquoi

ainsi? Ils

vont-ils

ferme résolution,

plus

n'ont pas

bannière qui porte en

sont-ils

la

réunis

plus ?

de drapeau, pas de

lettres éclatantes la

formule

d'une réforme ardemment désirée. Se sont-ils massés

pour rendre un

hommage

un mort

un jour

illustre,

tombe de

solennel à une idée ou à

d'anniversaire

savant, de poète,

d'homme

?

Vers quelle

d'Etat, préci-


-£- 208 ainsi

pitent-ils

leurs rangs

§-

à

Iraient-ils

?

la

ren-

contre d'un orateur populaire ou d'un général victo-

rieux?

échangent parfois

Ils

des mots d'ordre,

inscrits

presque toujours des qui

résonnent dans

Albion... Le

nom

ils

noms l'air

sont

parlent, et ce

sont

des billets

glorieux et significatifs

Bayard, Vercingétorix,

:

d'Albion revient souvent dans

les

phrases échangées. Cette foule paraît animée de

la

haine de l'Angleterre. C'est ainsi que ce peuple de vive

humeur,

d'his-

mouvementée, d'annales héroïques, emploie

toire

force d'humanité aux jeux de la cote et

pour améliorer

lations des éleveurs,

La

lutte

de vitesse qui se

livre le

sa

aux spécu-

la race chevaline.

dimanche occupe

aussi la semaine, est l'objet des conversations dans les endroits

publics et privés, à

cabaret, dans la rue, dans la

Les

noms

partout

le

chambre de

café,

au

l'ouvrier.

des chevaux sont prononcés partout, de prix

du

labeur,

la

pièce d'argent opiniâ-

trement gagnée, s'en va, là-bas, vers de courses où galopent

devenues

au

l'atelier,

les fétiches

de

les

longues

l'attirant

champ

fines

bêtes,

et

la ville.

Paterneau s'habitue ainsi à tabler sur

les

aubaines


->- 20C)

du Bport,

esl

«le

le

le

turf

comme

la

concierge,

le

Il

comme

seul labeur désormais digne de sa personne.

devenu, exactement la

meilleur emploi de son

le

considérer sa présence sur

à

a la con-

Il

plus juste rémunération de ses peines.

et la

en vient

gaina alléchants,

bons rendements*

viction d'avoir découvert

temps

$-

par quelques

ébloui

quelques périodes

est

Il

joueur à

passion inquiète, qui ne peut plus vivre que par

fièvre tcuil

du

jeu, et c'est à tort,

ou de Longchamp,

qu'il jette

supériorité méprisante vers

classement de ses Il est

billets,

bien pareil à

lorsqu'il revient

M

uu

un coup

des

d'oeil

de

Bénard, occupée au

au pointage de ses numéros.

elle.

/.

Une

la

d'Au-

meilleures

comédies

devant Cécile fut la noce de Julia,

1

NOCE jouèrent

qui

se

fille

d'une blan-

chisseuse de l'impasse Ronce, rue des Amandiers. Julia avait été à l'école avec Céline, était restée l'amie

des deux sœurs, et ne

cérémonie

et

manqua pas de

les inviter

à la

au déjeuner de son mariage. La mère,

après quelque hésitation, consentit à cette journée

de plaisir tant désirée par

les petites. 18.


-S— 2IO —§-

Céline

et

samedi-là,

Cécile,

yeux impatients

rue bruyante du avec

chevaux conduits par un cocher accoutré

en postillon, s'arrêta devant fillettes

la

Enfin, une grande tapissière,

réveil matinal. forts

ce

guettaient l'arrivée de la voiture, fouil-

lant de leurs

trois

depuis une longue heure,

la

maison. Les deux

descendirent vite l'escalier, répondant à peine

aux dernières recommandations de leur mère. Déjà, devant la porte,

ment du

y avait un rassemblerempli de commères

couloir était

et l'étroit

avides de contempler les demoiselles

voisinage,

Pommier

il

partant pour la noce en grandes toilettes.

Les deux sœurs étaient habillées de même, un foulard léger, gros bleu, à pois blancs,

un chapeau de

paille

blanche avec des roses. Quoiqu'elles fussent unifor-

mément

vêtues toutes deux,

Céline paraissait être

plus à la mode, mieux ornée, avec les bouts de dentelle qu'elle avait l'air

d'aller à

la

cousus çà

et

noce. Cécile,

petite fille qui va à

là.

Elle avait bien

elle,

semblait

une distribution de

une

prix.

Elles passèrent vite devant les curieux, montèrent

dans

la voiture,

mations.

En

au milieu des bonjours

et

des excla-

escaladant le marchepied, Céline voulut


-*— 2

I

prouver au quartier que dessous

comme

et coquette,

pas assez, la

dessus,

—£-

sa

et,

toilette

en petite femme vaniteuse

de ses jupons. La cheville les

— Beau brin de — Et du toupet

bas bien fille,

parfaite

était

fièrement, plutôt

elle releva

le flot

jambe ronde,

I

trop

que

était fine,

tirés.

dit

une des commères.

!

De

sa

fenêtre,

la

mère

assistait

au départ. Son

regard se croisa avec celui de Cécile. Céline triomphait, sière

ne voyait qu'elle-même, emportée par

comme

faisait

par

un char de triomphe. Le

la tapis-

postillon

claquer son fouet. Les chevaux trottaient. Les

deux sœurs convenu

étaient seules dans la voiture.

Il

avait été

qu'elles seraient cueillies les premières,

dans

leur rue de Belleville.

— Où allons-nous? — interrogea Céline. — Chez marne Friquet, Chaussée Ménilmontant. La

voiture

bourgeoise.

On

s'arrêta

bientôt

devant une

attendit assez longtemps. Enfin sortit

une dame empanachée de plumes enfermée

maison

comme

grises et

mauves,

dans une armure par une robe de

soie grise ornée de perles

en acier. Une grande chaîne

d'or dite « chenille » lui contournait le col, la poi-


-

212 trine et le ventre. Elle avait exhibé

pour

la

circons-

tance toute sa parure de grenats sertis d'or, bagues, bracelets, boucles d'oreilles et broche. Elle salua d'un

bon gros sourire

les

deux sœurs,

élevée, leur souhaita ainsi le

Nous sommes

et,

en personne bien

bonjour

:

mesdemoiselles,

destinées,

à

passer ensemble la journée d'aujourd'hui... Je vous salue bien, mesdemoiselles

!

— dirent

Bonjour, madame,

les

deux

fillettes,

d'une seule voix.

— Avez-vous mante et

fille

!

vu, hier, la mariée

Quelle char-

son père aussi. Ce sont de bien honnêtes gens,

qui méritent

vous de

le

bonheur qui leur

mon chapeau?

Très

locataires qui est

moi.

trouvais

Je

le

arrive...

joli, n'est-ce

une de mes

«

?

Je fréquente sa mère depuis vingt ans

venue

un peu jeune.

Voyons, madame Friquet, vous

quante-neuf ans, vous

vieillir

C'est la propriétaire,

déjà

Que

dites

pas? C'est

le choisir

Elle

m'a

avec dit

:

n'allez pas, à cin!

»

souffla Céline,

impres-

sionnée, à Cécile.

Ou

méfiante.

la

concierge,

murmura

Cécile, plus


On

ne pouvait pas savoir, en

comme

au faubourg les

rent

La

mêmes

La

effet.

ailleurs, toutes les

falbalas

comment

:

mode règne

femmes arbo-

s'y reconnaître?

voiture roulait de nouveau, atteignit,

Delaître,

|>;n

rue des Panoyaux, stationna devant une

la

boutique de marchand de vins charbonnier. petite

avec

femme le

remuer

Une

toute rose, toute ronde, toute poupine,

en accent

nez clans

sa

circonflexe, osant

robe de soie brochée,

comme

tremblotante voiture.

rue

la

de

Un chapeau

peine

poitrine

la

se hissa

la gélatine,

de

à

dans

la

Rembrandt

velours à la

l'ombrageait d'une longue plume noire. Les mains

immaculé.

étaient gantées d'un blanc

Le cocher

— fort

allait repartir.

Attendez Chantagnac accent auvergnat,

î

il

Eh! Chantagnac,

\a venir...

lui dit-elle

ferme les

la

dames

un dernier coup d'œil aux

à côté de sa

de forme,

homme

clef à la

volets,

monta

femme. Redingote, chapeauté d'un haut

la

moustache

rasée,

avec

barbe noire, des anneaux d'or aux

un

il

t'attendent.

Chantagnac, après un dernier tour de serrure et

avec un

boutique...

réservé qui

un

collier

oreilles,

de

c'était

ne disait pas un mot,

et


-s- 214 -§-

du dimanche. Sa

paraissait gêné dans ses vêtements

femme,

penchait sans cesse vers lui pour lui

elle, se

dire bien haut

:

— Je chuis bien contente, Ghantagnac, beau temps, pour une

fois

qu'il fâche

que nous chortons enchem-

ble!...

Enfin

rue des Amandiers, à

voiture parvint,

la

l'entrée de l'impasse

Ronce. C'est

là qu'habitait la

mariée. Des marchands des quatre saisons bouchaient le

Que

passage.

faire?

Mais gens du peuple

traident quand c'est pour la rigolade, et voitures s'en allèrent

stationner

ailleurs.

voisins étaient aux fenêtres. D'abord, parce

une noce pathique.

vue petite

ensuite, parce

;

que

Elle était née dans et

on

l'avait

la

mariée

l'impasse,

vue grandir

:

elle

s'en-

les petites

Tous

les

que

c'était

était

sym-

on

l'avait

appartenait

au quartier presque autant qu'à sa maman. C'était

une valait

fille

de

bonne conduite,

même mieux

travailleuse,

que sa mère, puisqu'elle

pas gueularde et cancanière

comme

la

et

qui

n'était

rude blan-

chisseuse, taillée en lutteur de foire, le verbe haut, la répartie vive et la

main

leste.

Si celle-ci n'était pas aimée,

elle était respectée,


.

—$

-5— 2ii>

On

parce qu'elle était crainte.

lui

fit

place

d.'s

qu'elle

surgit devant sa boutique, avec L'allure d'une ancienne reine de

Mi-Carême qui

— Et — Zut!

votre

fille ?

Elle n'en finit pas, c't'empotéc-là

Personne n'osa

dans

la voiture,

prise de travers. Elle

Chantagnac

:

monta

reçut le bonjour de Céline et Cécile

embrassa

invitées par sa fdle, les

!

piper », risquer une parole

«

l'aurait peut-être

elle

a gardé son autorité.

:

ne

elle

les

M mo

Friquet, inspecta

connaissait pas. Ceux-là

avaient été convoqués par le marié, n'étaient pas de

A

sa rue. et

côté d'elle, vint se placer son mari, vieux

robuste garçon de café.

— Mets-toi place.

Tu

sais,

là,

lui

tu y as

Les autres, c'étaient

dit-elle,

droit le «

eux des yeux à

roulait vers

comme

côté »

prends

ta

les autres.

du marié,

faire

les

et

et elle

Ses

trembler.

invités, à elle, arrivaient aussi, ouvriers, ouvrières,

employés, commerçants. Ce furent des bécotements, des

:

«

Mon

Gros lapin

petit

!

.

.

Ma

petite

!

.

.

.

Grosse chérie

!

.

.

!... »

Une femme ayant dernière.

.

le

Celle-là fut

profil

saluée

d'une assiette parut

du nom de

«

la

petit


.

-$- 2l6

loup

— Et Jasmin?... Toutes M"'

e

§-

Elle paraissait être la choyée de la bande.

»

!

les

est-il,

ton Jasmin?...

femmes réclamaient son Jasmin.

Friquet insinua avec courtoisie qu'il y en

On

aurait sur la route, chez la première bouquetière. la

avec dédain.

toisa

pas dans

— Le

le

Elle

comprit qu'elle

n'était

mouvement.

voilà

Au même

!

le voilà

!

.

.

instant voltigeait sur le marchepied

gros monsieur blond, trop bien vêtu, une fleur à

un la

boutonnière.

— Jasmin, mon gros Jasmin mon adoré, mon béguin — dirent plusieurs voix de femmes. — !

Ici

!

ici

!

à côté de

On

M

auprès de

les

Chantagnac,

la

se plaça

de lui-même

nouvelle, qu'il trou-

fait

des traits!

— pleurni-

femmes. lui, rigolait

dans son

n'es pas jalouse

poussée à une

Le

Jasmin

Jasmin nous

Jasmin,

— Tu

mc

doute de son goût.

— Ah! chèrent

!

l'arrachait.

se

vait sans

moi

!

femme que

profil d'assiette fit

triple

menton.

que ton mari tu n'as

fasse de la

jamais vue?

son aimable

:


— Tiens!... un jour de noces

!...

Et

moi

je

m'en

fiche, je le retrouverai ce soir.

Grâce à Jasmin,

gua plus

le «

côté »

la

glace se fondit, on ne distin-

du marié de

celui de la mariée.

furent bientôt tous copains.

Ils

— La mariée

!

la

mariée

!

— scanda-t-on sur

l'air

des lampions.

— Bon dit la finit

Dieu

ne se décidera donc pas,

elle

!

mère, suant à grosses gouttes.

pas de bavarder avec son futur

et ses

Elle n'en

demoiselles

d'honneur!... Père, va donc voir.

La mariée fille

saine

se

montra

enfin. Elle était jolie

du peuple, des yeux bruns limpides,

:

une

naïfs,

mais résolus. Vingt ans qui en valaient vingt-cinq. Elle entrait dans la vie,

comme elle

descendait dans

la

rue, la connaissant déjà. Elle avait travaillé et peiné.

D'aspect,

elle

Fépreuve de visage, la

paraissait la

bouche

femme,

maternité. était

toute prête pour

Malgré

la

douceur du

douloureuse, réfléchie, prête

à la riposte sceptique, l'arc et les flèches, les

de

la

armes

femme.

— Vive

la

mariée

!

Elle monta, prit la place d'honneur,

qu'on

lui


-t— 2l8 —§offrait,

marié près

le

agréable

d'elle.

Il

quelconque

était

:

banal jeune ouvrier déjà stigmatisé par

et

l'existence.

Les voix du quartier honorèrent encore

au départ de

— Vive Au

la

mariée

trot vers

fut la

mariée

!

mairie. Mais, deux cents mètres

la

plus loin, toute la voiture

Ce

la

la tapissière.

mère de

commença

d'avoir soif.

mariée qui ressentit

la

pre-

les

mières atteintes du fléau.

pépie

J'ai la

Le mal

se

apporta des vin rouge.

gagna Les

mastroquet.

!

dit-elle.

vite.

invités

litres et

On ne

fit

halte devant

bougèrent

On

pas.

des verres dans la voiture.

La mariée

seule refusa

:

elle

un

Du

ne buvait

jamais que de l'eau.

— Poule mouillée — !

dit sa

mère,

sacré canard!... C'est pas étonnant si

si

— ou plutôt t'as les lèvres

blanches.

A

la

mairie, toute neuve, place des Pyrénées, la

foule était compacte. Les premiers rangs seulement

entendirent les phrases du maire

On

défila, et

Ton

se précipita

et les

deux

« oui ».

au comptoir d'en

face,


219

-s— reboire à

La

—s-

santé des nouveaux époux. Les libations

auraient pu durer Longtemps;

les

mençaient déjà à déclamer

et à

chanter

ramener quelques-uns de

force,

revenues dans

la

voiture et

pitié ces invités incapables

Après

la

ne vint pas tout de

— Le Le

fallut

il

dames

auprès des

qui

en

regardaient avec

de se tenir en société.

le

curé en surplis

suite.

On

riait,

et

le

en

on jasait.

Chut! chut!

v'ià...

curé

;

mairie, descente sur l'église. Après

maire en écharpe tricolore, étole. Il

émus com-

plus

prestement

traversa

pénétra

F église,

dans une petite chapelle du côté droit, dédiée à saint

Sébastien,

le

martyr, en plâtre colorié,

hérissé de dards.

s'élirait,

donnée

:

le

La bénédiction

fut vite

curé avait à multiplier cette bénédiction,

de chapelle en chapelle, où de modestes couples attendaient que l'Église consentît à leur union.

peu de

latin, la

quête sur un plat d'argent, quelques

coups de canne du bedeau sur

monie pas taurant

!

Un

chère. C'était

fini.

les dalles

En

:

une

route pour

céré-

le res-

Midi sonnait.

Cette fois, chacun, dans la voiture, s'installa à sa guise

:

on

avait

eu

le

temps de

faire connais-


220 —§-

-a— sance.

Néanmoins, toutes

les

dames voulaient

être

auprès de Jasmin. Ses petits yeux gris, son gros ventre, sa forte corpulence, son assurance à dire,

en clignant de

conquis tous la

l'œil, « qu'il s'y entendait », avaient

cœurs.

les

fallut

Il

mariée pour rétablir Tordre.

l'intervention de

Celles qui durent

battre en retraite poussèrent des soupirs de regret,

de petits cris pleurards,

des bêlements d'agneaux

séparés de leur mère. Elles se consolèrent en cajolant la

On

femme de Jasmin arriva chez

dont

Belleville,

l'immense

l'enseigne

table,

ne

la

çon

«

Aux

festin,

Cent devant

une embrassade générale. beauté de

et l'honnêteté

la

du marié,

Les dames demandèrent au gar-

à se laver les

puant capharnaùm, cheveux,

du

:

la toilette, sur la

bonne mine

tarissaient pas.

du boulevard de

portait

salle

la

ce fut

Les exclamations sur mariée, sur

qui, elle, possédait Jasmin.

restaurateur

Dans

couverts.

mille

un

mains se

elles

»

.

Dans un

faisaient

étroit et

mousser

les

visage de poudre de riz

se plâtraient le

grasse et musquée, remontaient leurs jarretières, tout

en se complimentant sur Céline était sûrement

le la

goût de leur

toilette.

plus gentille, mais

elle


221

ne se trouva pas parfaite, car

elle

allumette, souffla dessus, épointa

fit

flamber une

bout dans ses

le

doigts, s'approcha de la glace, allongea ses yeux,

Le crayon rouge eut

noircit ses cils et ses sourcils.

son tour

:

délicatement,

elle le

passa sur sa bouche,

aviva de deux touches la lèvre supérieure, et remit

dans sa

l'étui

poche.

Puis

houppe adoucit

la

le

maquillage.

— Cette mâtine — dirent !

Dun

air

de contentement, Céline se tapa sur

croupe, cambra sa était

pour

taille,

faire savoir

la

quelle

accomplie en tout point. Marne Friquet, qui

n'était

nir

dames.

les

pas souvent de noce,

son

qui ne savait conte-

exubérance, s'extasia devant

trouva cette conclusion

— Ah

et

ma

!

la

fillette,

et

:

belle, ce qui vous

manque

à vous, ce

sont des rentes.

La longue mentation,

table

n'était

fleur naturelle.

n'avait

pas

égayée de

Rien que

moindre orne-

la la

parure d'aucune

de

les fleurs d'oranger

la

mariée dans un vase en porcelaine bleue, tenu en réserve par

mariées.

la

Les

maison pour tous assiettes

épaisses

et

les les

bouquets de gros

verres •y-


4— s

222 —$-

alignaient pour ces naïfs, qui faisaient de meilleurs

un luxe

était

noce

chez eux, mais l'idée d'être à la

repas

Les sardines,

suffisant.

leur

ronds de

les

saucisson, les radis, que c'était chic, tout cela le

grisâtre

Quelques-uns

î

mander, mais

il

en avait plus. La mère de

n'y

bué trop mesquinement,

prudemment de

La mariée, de temps son mari, placé en

face d'elle. Ses

gifles

envoyées brutalement par

femme

patron

en

:

celui-

la

furie.

yeux sur

yeux bruns

d'une vie nouvelle

la joie

trop souvent changée la

vin était distri-

à autre, levait les

disaient

de

le

la

paraître.

doux

cris

le

appeler

fit

Et

en rede-

se hasardèrent à

mariée se plaignit alors parce que

ci s'abstint

!

avec une sauce

en portions,

poisson distribué

:

main de

sa mère,

Les reproches,

jalouse de son bel

si

plus de

homme,

les

dégé-

néraient en brutalités hystériques. Le père de Julia était

de

bon pour mégère.

sa

elle,

mais

faible

devant

échapperait

Julia

à

les

fureurs

tout

cela,

ne pleurerait plus de tristesse des heures entières. Il

y aurait

ménage, par

!

la

difficulté

c'est vrai,

Du

travail,

des

commencements

de

mais tant d'autres en passaient de

la santé,

des petits à élever,


un brave

—*-

>-

223

et

elle,

homme,

ouvrière, c'était son rêve

une sage

si

:

on ne devient pas riche

on peut du moins joindre

ainsi,

Lui, nulle

la

idée

éveillait

la

d'avenir convoitise

soir.

Toutes

pour

sa vie d'ouvrier,

ses

tôt ses tribulations

Cécile regardait.

aux

et

:

;

nels entre eux, et !

mais sans seule

:

sur cette

il

les avait faites

le

lendemain

femme

s'y le

utile

avant de

la

apporterait assez

inutile d'y songer d'avance.

mêlée aux

Elle ne s'était pas joies.

On

lui

sœurs

appris

avait et

ses frères,

bien qu'ils n'étaient pas

elle devinait

que de différences

que mais

tous fraterelle

s'avisait

Elle voyait la mariée courant à l'essai

du bonheur, mais son mari peu et

esprit

du jeune marié attendant

toutes et tous étaient ses

de découvrir

son

réflexions

demander en mariage

bavardages

deux boul>.

les

guignait parfois en souriant,

dans

économe

et

fait

pour

la suivre,

dans sa jeune tête venait la pensée que la desti-

née se charge de classer

les

êtres,

que

la

plupart

obéissent au sort sans rien discuter ni rien vouloir.

On

apporta

les

gigots de

mouton

:

ils

étaient

superbes, dorés, croustillants. Leur apparition fut

acclamée d'un ban, puis

ils

retournèrent à

l'office


pour de

découpés

être

chair

pâle

et

Heureusement,

il

:

*

224

-S—

l'accompagnement de

y eut

salade, relevée de « chapons ».

vie.

Puis

Le bruit augmenta. Chacune pour chanter

voiserie,

couplets d'opérette.

:

au souvenir de sa jeunesse tête.

D'autres

mélodies langoureuses,

M me

et

d'eau-de-

débridées

une

l'école. le

la

attendries

d'autres

prétentieusement, balançant

dune

et

chacun eurent

et

marquait

étaient

de bergère apprise autrefois à

paroles

la

Friquet pleurait

allusions égrillardes. Cécile chanta

les

fromage

complainte, romance, gri-

leur tour

avec sa

le

le café, les flacons

frangipane,

la tarte à la

sans saveur.

tiède et

violacée,

morceaux

en

revinrent

ils

par

les

par

petite

les

ronde

Céline susurra

col et

valse lente qui

mesure

les

faisait

hanches, fureur au

faubourg. Presque toutes, après leur chanson, enva-

femmes inventèrent de

hissaient Jasmin. Puis les

prêter leurs

se

hommes, pour des jeux innocents qui finis-

saient par des baisers, des a bécots » prolongés. Les

yeux semblaient

rire

pour cacher leur émoi.

Si la

limite était excédée, les voix sages rappelaient à l'ordre,

on prenait à témoin

choyé. Cécile

s'était assise

la

femme du mari

dans un

trop

coin. Céline, in té-


-§— 22t) ressée

avide, aurait bien voulu être de

et

L'heure du départ sonna, cée. Les

les

faire la conduite.

de

la

mère de

Il

avaient servis, le patron vint

dut enfin subir

de vin dans un repas à tant la noce était

trois francs

faisaient plus qu'une, formidable.

boulevards

extérieurs, ce

brun rencontré,

femmes les

blonde qui traversait

du

réprimande

la

par

manque

tète.

Pour-

suffisamment abreuvée.

Les chevaux n'allaient pas assez

continuelles, les

annon-

des poignées de main

mariée, qui se plaignit du

la

partie.

la

la tapissière fut

hommes donnèrent

garçons qui

.m \

J-

furent

vite.

Les voix n'en

Tout au long des des

plaisanteries

jetant des baisers

hommes la rue.

criant

une

au beau

invite à la

Enfin, on fut à la porte

Bois. C'était le délire, c'était bien la « noce ».

Des camelots montèrent sur tapissière,

blanche

offrirent

et or

avec

piqué au centre ralliement.

Aux

:

pour

le petit

accord

:

marchepieds de sous

bouton de

la

la

cocarde

fleur d'oranger

chacun voulut avoir ce signe de

Acacias, fut croisée une autre voi-

ture de noce toute pareille.

mun

les

deux

On

s'arrêta,

en une enjambée, on

à l'autre, se féliciter,

fraterniser,

alla

d'un com-

d'une voiture

échanger

les

co-


226

-S—

-si-

Des voitures de maîtres

cardes.

une lenteur d'enterrement.

défilèrent ensuite, avec

Un

coupé passa,

attelé

de deux magnifiques chevaux fringants, mené par un cocher à double menton, qui tenait un fouet garni

dun

bouquet

petit

et

d'un

Ceux de la

sèrent

un regard et la

!

une chic

!

tapissière lancèrent des cocardes par

la

glace ouverte

rienne

de rubans blancs.

flot

— Vlà une autre mariée

du coupé. Les deux mariées

croi-

rapide, se comparèrent, la faubou-

bourgeoise, animées du

même sentiment

d'orgueil féminin.

— — Oh ce — Et l'équipage!... Bravo pour qu'elle est jolie

!

mariée!

la

La mariée chic avait détourné

chœur.

reprit le

!

le

visage d'un air

embarrassé, pendant que son mari relevait brusque-

ment

la glace.

— Oh! quel fourneau!... — une clama panne — Tiens, en encore une là

là!

v'ià

mince

!

Mais

F

n'en

manque

pas

cette mariée-là,

cée qu'elle était tillée

Eh

va donc!

voix.

!

dans son

dans

le

!

Vive

on ne

la

la

autre...

mariée

Ben!

!

voyait pas, enfon-

fond de sa voiture, entor-

voile. Seul, le

marié trouva

la ren-


contre drôle, et voulut bien, en jeune viveur aimable, se

prêter à

circonstance.

la

Il

envoya, do sa main

gantée de blanc, des petits gestes protecteurs à ces braves gens, qui se figurèrent avoir été salués an

de Boulogne par un monsieur de

La

tapissière franchit

le

haute.

la

pont de Saint-Cloud.

Les grands cafés de

fallut reboire.

lois

I

la

Il

place ne furent

pas abordés, on alla à la découverte d'un mastroquet.

Les uns burent sur tables.

Ceux qui

se servir

comptoir,

le

aux

avaient de l'entrain firent

petites

mine de

eux-mêmes, sans laide du patron.

— Non, messieurs

avec ce genre-là, je fermerais

:

boutique dans huit jours

On

les autres

entra dans

le

!

Sous

parc.

tente d'un

la

café

installé en plein air, l'absorption de l'apéritif se célé-

brait par de la lons.

En une

la

seconde,

Devant

cavaliers.

de

musique. La noce courut vers

la

les

les vio-

danseuses choisirent leurs

foule

attablée,

au beau milieu

route poussiéreuse et sans ombre,

les

couples

valsèrent. Ils n'avaient jamais eu telle aubaine

orchestre!

et juste!...

promenade dans moindre

le

fleur avait

La danse

parc.

On

fit

fut

suivie

:

d'une

des bouquets.

une valeur pour ces

un

La

habitués


du pavé de

On

Paris.

prit d'assaut

un manège de

chevaux de bois. L'enthousiasme fut à son comble.

La noce tourna éperdument, croyant de pur sang pour une galopade en

Tout soleil.

une

a

On

comme par

:

se sépara

montant, en s'oublier

fin

:

se

on

s'être

emparée

forêt.

on dut repartir au coucher du au bas de

la

Chaussée de Ménil-

jurant de se revoir, de ne jamais

était

amis pour

la vie.

Céline et Cécile,

tous les invités, furent reconduites chez elles

pendant que

la voiture,

les

mariés, bras dessus,

bras dessous, se dirigeaient vers

commencer pour eux que vivent tous

le

le

logis

drame humble

et

allait

profond

les êtres.

APBÈS LA NOCE Cécile ne revit Julia que deux ans après, qu'elle

M

me

fête.

comme

voulut,

ses

Bausse, sa patronne,

La

du jour

sainte

compagnes,

un pot de

se révélait

fleurs

un jour offrir

à

pour

sa

aux passants par

des petites voitures, des kiosques garnis de fleurs, des ardoises

le

nom

chaque pas, des

de Louise

était tracé à la craie.

rosiers, des fuchsias, des

A

géraniums,


.

-S— 229 arbustes verts et fleuris,

vendeuse en quête

d' «

s-

amoncelés autour d'une

une bonne journée

Beau

».

coup, nullement du métier, mais ouvrières sans vail,

tra-

avaient acheté leurs marchandises de quelques

sous économisés ou empruntés. Cécile chercha les

un pot de

fleurs les plus

verveine. Ses

fraîches, avisa

yeux interrogeaient

la

mar-

chande.

— Tiens, — Vous voyez,

Julia

!

Que

Cécile

faites-vous ici? !

— Vous n'êtes donc plus blanchisseuse — Oh! que mais ça ne marche pas

?

si,

bien.

Il

nagent

y a tant de concurrence

si

souvent

toujours

et les clients

démé-

Et d'autres qui liardent, qui paient

!

mal, ou pas du tout... J'ai acheté un petit fonds de blanchisseuse

mon

mari

:

est

— Pauvre

c'est

dur pour

le

payer, surtout que

souvent sans ouvrage.

Julia

!

voilà

deux ans que

je

ne vous

ai

vue, vous m'excuserez de ne pas vous avoir rendu visite

après votre noce. Mais, je suis bien prise aussi.

Je quitte

l'atelier tard.

Quand

ou deux heures en plus, qui dimanche,

c'est

le

je peux, je fais

me

.

une

sont payées. Le

grand nettoyage à

la

maison,


-§— 230 =§-

peine

à

j'ai

Ah

temps de coudre un peu pour moi.

comme on mon mari se

tout ne va pas

!

pas, Cécile?

heure,

le

Aux

fêtes,

bonne

va aux Halles m'acheter des fleurs. Les

il

journées sont bonnes quand le

veut, n'est-ce lève de

ne pleut pas. Je gagne

il

double qu'à rester chez moi,

une journée, rattrape

— ne vend pas avec vous — Non, vend près Il

tout

il

et

semaine de

sa

Auguste, dans

relieur...

?

d'ici,

sur

le

boulevard

extérieur. C'est lui qui se charge des plantes vertes c'est

plus lourd à manier. Le bénéfice est plus

— Vous

êtes

affectueusement

— Oui, bien.

Il

heureuse en ménage, Julia?

vailleur, faut

est

mais on a beau

de l'ouvrage.

métier de blanchisseuse. n'a rien à faire,

ouvrage,

et

dit

un bon garçon qui m'aime

travailleur,

Il

partout, à Paris, maintenant

il

la fdlette.

Auguste

est

:

fort.

il

vient tant d'ouvriers de

Je lui

!

Que

m'aide.

être tra-

ai

appris

voulez-vous? Il

me

prépare

mon

Quand le

gros

nous repassons ensemble.

— Vous avez des enfants — Un mignon comme ?

seul. Il est

belle-mère qui

le

garde pour

le

tout. C'est

moment.

ma


.

—*-

-s— 23i

— Et — Nous

votre

ménage

mère

.'...

sommes

fâchées.

nie faire des scènes...

comme

des claques,

Ta prise par

les

si j'étais

épaules

et

KM»-

Un

dans

venait

mon

jour, elle m'a fichu

encore

à

elle,

Ta flanquée

Auguste

à la porte.

— toujours dure — Pas dure, nerveuse, mais ne vaut guère mieux — Votre santé bonne vous avez en Juin. — Ce passé par pas ma Elle a

été

?

ça

est

forci,

:

faute, allez, car j'ai

n'est

bien des soucis!... Nous avons eu un enfant avant celui-là

monde

un garçon

:

:

aussi. Il est

sage-femme

la

s'y était

mort en venant au

mal

prise...

bien de la peine. Nous étions

a fait

J'avais préparé sa layette, et

M

me

si

Ça nous

contents

!

Friquet, vous vous

rappelez? m'avait donné bien des choses qu'elle avait

d'une locataire. C'était pas neuf, mais dentelles.

m'avait

Et maman,

fait

cadeau de

qui la

devait

robe,

il

y avait des

être

marraine,

une

belle robe

cachemire blanc toute soutachée... Pauvre

Quand

j'ai

parce qu'il

dans

mon

demandé était lit,

à le voir, on ne voulait pas,

mort, mais je

jusqu'au

au cimetière. Quand

de

petit!...

l'ai

eu près de moi,

moment où on

l'a

emporté

la petite boite est arrivée,

on

l'a


couché sur

mon

oreiller,

qu'il devait porter à seul...

de

mon

— Pauvre — Oui !

que

c'est le

lui a

son baptême,

personne derrière

faire

on

lui

:

mon

mis

la

et

est parti tout

il

mari

belle

était

robe

obligé

ouvrage pendant mes couches. Julia

!

enfin,

vous en avez un autre.

et tout le portrait

même

— Peut-être,

du premier

:

on

!

Julia.

Et Cécile s'en va avec son pot de verveine.

dirait


AVB"ERT.i

c



IV



IV.

La

LATELIER ET LA RUE

patronne chez qui Céline toutes

turière «

à

deux leur apprentissage

Cécile faisaient était

une cou-

façon » de la rue Julien-Lacroix. La

mère, en présentant ses bienveillance et

M mc

et

un

filles,

Bausse avait promis l'une

Le logement

avait

demandé de

sérieux enseignement

était

la

du métier.

et l'autre.

modeste. La cuisine,

l'atelier


-§« 236 —§-

ouvraient leurs fenêtres sur la cour. Seule, la chambre

M m0

de

Elle

Bausse

de sa mère donnait sur

et

en

servait

même

L'armoire à glace obligatoire

du

majestueuse, auprès Céline

vite

s'était

M mo Poulain et M première

la «

»,

llc

lit

liée

M

lle

reluisante et

s'élevait,

d'acajou.

avec deux des ouvrières,

Mélanie, mais non avec

M

1,e

Rose,

désignée ainsi parce que, entrée

apprentie dans la maison, elle

devenue

d'assiduité,

la rue.

temps de salon d'essayage.

«

était,

après huit ans

main

première

Rose, âgée de vingt-deux ans, ne

»

aussi

:

riait

jamais

avec ses apprêteuses. Sa figure plate et peu avenante, ses

yeux sans regard ni couleur

la familiarité.

M mc

Céline lui préférait

Poulain, pendant

ment, venait donner reste

tait, le

qu'un

vieil

rant. Cette désirait

en

le «

rares

et

le fort

coup de

M me

de

la

ami,

disait-elle, lui avait

femme, qui paraître

jaunes, filet

Poulain. saison seule-

collier ». Elle vivo-

du temps, d'une modique

rente viagère

léguée en

mou-

portait soixante-cinq ans et

modestement

s'appliquait à conserver

comme un

n'incitaient guère à

quarante -cinq,

une allure jeune. Ses cheveux

son teint citron,

ses rides

jetées

sur son visage émacié et macabre, ses


237

dents longues, ses yeux bleu pâle, fatigués lorés, surprenaient les jeunes

filles

histoires sentimentales de son

et

hommes

que tous

étaient fous d'elle. Elle ne pouvait faire

un pas dans

la

rue sans qu'ils fussent à ses trousses.

L'un d'eux, même,

«

pour

qu'elle

l'indifférence

voulut » se tuer de désespoir,

avaient sacrifié leur avenir,

pour

le

riche,

autre ensuite,

pour

elle,

jamais,

D'autres

compromis leur

situation,

un mot

d'elle. Elle

en

mais malheureusement poitrinaire.

Un

mais marié. Celui-là abandonna tout

mais

sa

famille

veillait

il

:

disparut à

— enfermé, empoisonné, poignardé peut-être

Les ouvrières

regardaient

la

née aux aventures, triste fin la

montrait.

lui

seul espoir d'obtenir

aima un,

les

existence. Elle avait

été « si ravissante, tellement merveilleuse », les

déco-

qui (roulaient

de vie

:

la

comme une

plaignaient de sa banale et

— une

si

belle

décrépitude et n'ayant plus que

regret de ses

!

prédesti-

amours passées

!

femme, le

arrivée à

souvenir et

le

Parfois, sceptiques et

ironiques, elles plaisantaient ce vétéran, toujours à

radoter ses victoires anciennes.

M Uo Mélanie

était la fille

d'un accordeur de pianos

qui gagnait suffisamment sa

vie.

On

l'avait confiée à


+m

M me

Bausse avec toutes

sibles.

2 38 les

§-

recommandations pos-

Elle habitait à trois maisons de

même les

six heures,

son dé, ses ciseaux, mettait son chapeau chez

pour

elle.

Sa mère préférait son

la voir

revenir plus

tôt.

pendant qu'elle descendait

allait vers la fenêtre

six heures son-

M me

Bausse,

patronne

l'escalier, la

de sa chambre, surveillait

l'in-

porte de sa maison. Cette

génue bien gardée jusqu'à

la

Mélanie, à seize ans, avait

l'air

convient à la

et rentrait

salaire plus restreint

Donc, à

nant, Mélanie se levait, disait bonsoir à et,

Mais, à

là.

jours de presse, Mélanie serrait

réservé et sournois qui

d'un père ponctuel, intransigeant

fille

sur l'éducation des jeunes personnes, et

mesquin, simplement

desprit étriqué et

vivre chez elle en faisant son

dune mère satisfaite

ménage. Mais

de

ou

le vice

femme,

se lisait

aux yeux trop hardis, dans l'expression de

la petite

plutôt l'instinct, l'envie de devenir

figure banalement

mère prudente chants de sa

régulière.

La mère

fille,

mais

la

mère

bonnes apparences, soucieuse tance entre sa « demoiselle » et L'été, et

n'était

pas

et avertie, attentive à corriger les

même

infatuée, férue des

qu'il 1'

la

pen-

y eût une

dis-

« ouvrière ».

aux beaux jours d'hiver,

la fenêtre


—s-

-s— 239

de

l'atelier restait

maison vivaient vacarme de

M

mo

ouverte sur ainsi

paroles.

en

pêle-mêle, C'était

Bausse ne pouvait

de temps en temps,

cour. Les gens de

la

la

gênant

se fâcher

avec

un perpétuel parfois.

Mais

les voisins, et,

conversation s'engageait. Le

bruit des bavardages n'était rien, toutefois, auprès

gammes, études

charivari de

la

<lu

morceaux, mené

et

du

pendant des heures entières par

les

sième, une famille de tziganes,

composée du père,

de

la

mère

et

jour, vers six heures,

De

les trois vers Paris.

ses

même temps

et

aînés.

leur logement tombaient des

que s'entassaient sur

aux grondements

la

barre d'appui les

de pain dépices, aux yeux noirs

des pruneaux. La mère ne cessait pas de

rigéner

ces

débraillés,

l'autre, talochant

un

molestant

la

charcuterie froide,

et

l'un,

Le père

troisième.

provisions, qui étaient simples

que de

fils

aux miaulements du violon, en

petites têtes couleur

comme

deux

s'en allaient tous

ils

paroles, des cris, des rires, mêlés

du tympanon

troi-

de huit enfants.

Le père jouait dans un bal avec

Chaque

voisins

:

le

ils

mo-

fouettant allait

aux

ne mangeaient

couvert était vile

enlevé, les papiers gras disparaissaient par

la

fenêtre,


-§— ^4° "*"

avec tous

les détritus.

cierge, qui

Aux

observations de

monta poliment plusieurs

demander un peu plus de

con-

la

pour leur

fois

tenue, la tzigane répondait

invariablement par des injures effrayantes

et

un cha-

rabia de mots plus gras encore que les papiers de sa charcuterie. Ils avaient donc reçu leur congé, profitaient et ne se gênaient plus.

pas

faits

pour habiter un

ils

en

Ces gens n'étaient

logis sans air,

étage d'une maison de faubourg.

Ils

au troisième

n'auraient été

vraiment chez eux que dehors, au bord d'une route, la

marmite cuisant sur un feu de branches,

se vautrant

dans

la poussière,

les enfants

hommes

les

roulant

des yeux en faisant grincer et pleurer leurs violons.

En face de l'atelier demeurait unménage tranquille et posé, qui ne se

ployé à la mairie de

liait

;

la

avec personne

femme,

la Ville. C'étaient,

tous les deux, de

vaient

ils

le

et fort laids

avec

et ils vivaient

de leur lune de miel.

Ils se

déjeuner et

trou-

la sieste,

aspiraient l'air de la cour de leurs

visages congestionnés, et la serrait

monsieur, em-

quoique déjà âgés

souvent réunis pour

après quoi

le

auxiliaire dans les écoles

nouveaux mariés,

zèle tous les quartiers

:

femme,

tout énamourée,

de près son compagnon de table

et

de

lit.


-s— 241

&-

Célinc les reluquait, aurait accepté jusqu'à leur laideur pour être à leur place.

M

,uo

Bausse,

tardif et

mari

convoitait

aussi,

elle

ce

l'avait laissée

au bon moment de

sa pleine ar-

deur. Après la tristesse de la séparation et

réglementaire du deuil, il

était

bonheur

peu enviable. Veuve à vingt-six ans, son

M"

10

cruel d'être veuve,

la solitude

lui

temps

Bausse sentit combien

jeune

si

rappeler sa

fit

le

Son ennui de

!

mère auprès

délie,

pour attendre l'occasion d'un renouvellement de joie conjugale.

grande

Ses

déjà,

jours s'usèrent dans l'attente.

elle

maigreur. Selon l'expression de sa mère, dait ».

Très

parut plus grande encore par

Sa robe semblait accrochée

à

elle «

la

fon-

une perche.

Ses yeux couleur loutre, qui se cernèrent, prirent la

douceur des yeux des

pour dire

la

chose

la

gazelles,

plus

futile,

sa voix roucoula

un besoin de

ten-

dresse et de soumission se prouva dans ses moindres paroles, ses

moindres

mal

gestes. Elle languissait,

réconfortée par les constantes infusions de tisane que sa

mère

lui

offrait

à toute

heure. Aussi était-elle

patiente et pacifique avec ses ouvrières.

du surmenage, quelquefois,

Dans

elle s'oubliait

à

le

feu

com-


-§— ^4a -4-

mander sèchement, mais «

douleur de

sa

souvenait

se

elle

de

bonté naturelle,

vie », et sa

la

son

esprit passif réapparaissaient aussitôt sur son visage.

Un jour,

ses

yeux loutres

s'éclaircirent.

Le matin,

lorsque les ouvrières se mirent à l'ouvrage, elle leur

annonça

nouvelle

la

:

le soir,

elle

allait

au théâtre

de

maison, un monsieur veuf «

la

enfants ».

!

Elle était invitée par

La robe de grenadine

lendemain de

dînait dehors et

ses noces, fut retirée

un

locataire

très bien et sans

du

noire, toilette

delà malle, impré-

gnée de Fodeur pharmaceutique du camphre.

On

y

ajouta des petits lisérés de velours émeraude, et la

veuve

s'envola,

les

belle robe, coiffée

réticule

traits

illuminés, revêtue de la

du chapeau

à

plumes

en filigrane doré. Les

et

portant

demoiselles

le

suivi-

rent la patronne des yeux, lui envoyant des adieux

M m0

de leurs mains. La mère de narquois

air

et

entendu. Toutes se retirèrent de

croisée après avoir ture et

y

faire

M" e

Rose.

vu

monter

Gomme

Tant mieux

Bausse prenait un

!...

elle

va

le «

voisin » héler

la

une voi-

M me Bausse. s'amuser,

la

patronne!...

Elle qui ne sort jamais

!

dit


-w

— Et bien,

le

puis,

— a

les

Il

autant que

monsieur! Gela

madame,

243

s-

j'ai

pu

voir,

il

on excellent mari pour

fera

— appuya M Poulain avec conviction. pas mal, — avoua Mélanie, — mais mc

n'est

il

mains trop rouges.

Céline lui expliqua que c'étaient des gants, gants à la mode, encore

Les

M

1

"

très

esl

demoiselles

Bausse,

remontait

les

Tiens,

et

des

!

partirent.

Quelle

surprise

son chapeau de

essoufflée,

!

travers,

marches deux par deux.

madame

!

dirent-elles

toutes

en-

semble.

je

— Ah!

le

vous en

prie, mesdemoiselles.

Dans et

grossier! le malappris!...

M mo

l'atelier,

Bausse

Remontez,

se jeta sur

une chaise

disait l'une.

— Qu'est-

pleura à chaudes larmes.

— Qu'est-ce que — ce y qu'il

a

c'est?

disait l'autre.

?

Enfin, parmi ses sanglots,

M me

Bausse eut

le

cou-

rage de s'expliquer.

— propre

Ah !...

!

il

m'a prise pour quelque chose de

Vous me

moiselles, je suis

connaissez, n'est-ce pas? mesde-

une honnête femme. Eh bien, à


>-

244

m a dit

&-

1

peine en voiture,

nous

théâtre,

il

insolent

!

d'aller

au

suite à l'hôtel?...

»

forcé le cocher à s'arrêter, et

j'ai

Malotru

au lieu

« Si,

allions tout de

Vous devinez que

me voilà...

:

— hoquetait

!

l'infor-

tunée.

M mc

Poulain eut alors une idée bienfaisante

— Eh A

bien,

on joue

Belleville,

dière

qui

on va y

fait

aller

la

quand

Tour de Nesle. C'est Laclain-

Buridan.

Il

fabuleux.

est

y

demoiselles iront prévenir leurs mères,

un morceau ensemble, Toutes, y compris l'escalier, et,

:

même au théâtre!

et

on mangera

on louera une avant-scène.

madame

cette fois,

Ces

mère, redescendirent

en groupe,

elles

goûtèrent

sans encombre les délices des émotions amoureuses, criminelles et sanglantes.

Ce rière, lite

fut

un

soir, leur

journée

chez la coutu-

finie

que Cécile s'aperçut de quelque chose d'inso-

chez Céline.

Il

jeunes garçons sur

arrivait à le

l'aînée

chemin du

avec eux un regard, de s'attarder

retour, d'échanger

même

répondre à un mot. Cécile, timide, pas, attendait sa

sœur qui

de croiser de

parfois

faisait

la rejoignait.

pour

quelques


-*— 9-45 -*-

— Qui — me

est-ce?... Qu'est-ce qu'il te disait?...

Il

bonjour

disait

c'est le

:

d'une de

frère

mes amies.

— Quelle amie? — Tu ne connais la

d'avant

La

la

petite sentait bien

en dire plus,

Au

logis,

que

elle se taisait

encore chez

taisait

pas

une amie

:

d'école,

guerre. sa

sœur ne

voulait pas

jusqu'à leur porte,

et se

elle.

Céline ne tenait plus guère en place,

cherchait tous les prétextes pour sortir, se chargeait

de toutes d'acheter

les

du

commissions, fil

ou des

avait

aiguilles,

toujours oublié et

n'en finissait

plus de rentrer. Alors qu'il lui aurait fallu cinq ou dix minutes, elle prenait une heure, parfois davantage, était reçue par la gronderie affectueuse de sa

mère,

les

Très

bourrades de son père.

bonhomme, malgré ces brusqueries

peu fréquentes,

le

père

distraire les fillettes, par

Pommier une

sortie,

savait

d'ailleurs

choyer

et

par un cadeau,

par une prévenance où se révélait son cœur de

vieil

homme

sur-

sensible.

Un

tout à Cécile qui avait

des plaisirs qu'il leur

mieux que

sa

sœur

le

fit,

goût de


-&— la

maison,

de leur

fut

246

s-

dune

présent

faire

petite

chatte blanche qu'il avait trouvée miaulant au coin

dune

Ce

rue déserte.

de

gâté

l'enfant

lamentable,

la

fut Blanchette,

se réjouit

et

et gra-

de ses mille

comme une

Blanchette s'amusait

tours.

avec

folle

bobines, les bouchons, se précipitait d'un bout

les

chambre

la

pait

la

jouait

!

F autre en deux ou

des oiseaux

et

même,

à

cache-cache,

un

lit,

se

moment du

De

malicieuse

le

griffes.

immobile

du père Pommier,

ravi

le

de

Blanchette

au

quéman-

bras ou sur l'épaule la

familiarité

égaya

Pommier par

sa gracieuse

mouvements,

ses expressions, ses «

l'on découvrait

et silen-

se faisait câline

repas, levant son petit nez rose,

bête.

Elle

monde par un bond

elle

dant sa part, s'installant sur

mignonne

la

posés au rebord

menues

tenait

fois,

dans un placard, dans une boîte,

coup surprenait tout

prodigieux.

trois sauts, attra-

plusieurs

imprudemment

fenêtre, trop près de ses

cieuse sous tout à

à

mouches,

des

cruelle

de

filles,

devint

décharnée

ne tarda pas à devenir souple

elle

cieuse, et le père, avec ses

de

Toute

famille.

elle

et

de

Fintérieur

la

des

et fine vie animale, ses

manières » où

des pensées, des projets, des ruses,


-§- ?47 -*-

immaculé,

des farces. Elle plaisait par son pelage

yeux bleus

ses

comme

les

yeux purs d'un enfant

qui commencent à se réjouir de

la

L'existence se déroulait ainsi, et

Pommier une saules d

les

Lumière.

y eut chez

il

les

période paisible, à peine troublée par

humeur

et

les

allures inquiétantes de

Céline.

son père qu'il entrât quelque-

Celle-ci obtint de

avec

fois

de

la

elle et

Cécile dans

un

café-concert au bas

rue de Belleville. Ce n'était pas qu'elle raffolât

beaucoup de ce qu'on y chantait. Cela peu près

égal. Elle écoutait avec la

mie absente

la

forte

lui était à

même

physiono-

chanteuse qui déclamait

couplets nés de la défaite et

le

les

ténor qui soupirait

amours prin tanières.

les

C'était la leine

romance lorraine des Noces de Made-

:

Un

éclair sillonna la plaine

:

Marcel debout tomba sans peur,

Et

le

sang rosé de son cœur

S'en alla rougir une Heur

Du Et

bouquet blanc de Madeleine

tant d'autres

du

même

genre

:

!

la

Taverne


-§— 248

prussienne, le

combat,

— —

le

-*

Fils de l'Allemand,

perdue.

la Sentinelle

Le père Pommier, qui

— l'Appel après

vu

avait

la

guerre, et qui

en avait des souvenirs différents de ces rengaines, n'aimait pas beaucoup, au fond, ces déclamations, et

il

non sans

croyait,

patriotique

mal

célébré.

raison,

un

assister à

préférait encore les chan-

Il

sons d'amour, malgré leur sirop trop sucré. rait les

saison

office

Il

na

strophes doucereuses de l'Amour

savou-

pas de

:

Mais que

les

bran-ches

Soient toutes blan-ches

Ou

qu'au printemps verdisse

le

ga-zon,

Rose, je t'aime

Toujours de même,

Car en amour Il

Sous

il

n'est pas

de sai-son

!

applaudissait au défilé de Brise des nuits, les roses,

la Folle

par amour,

tout le

répertoire des ivresses amoureuses, qui alternait avec le

répertoire des ardeurs guerrières.

Céline écoutait vaguement, voix au refrain,

accompagnait de

mais sa pensée semblait

jours ailleurs. Elle goûtait

le

être

la

tou-

café-concert pour lui-


-H- 249 -*-

même, pour son atmosphère chaude, pour de tabac

et

même

de

d'alcool,

romans-feuilletons affreux,

sou de

quelle

lisait

les

tous les jours pour

un

de mystère

viol, d'assassinat,

sou odeur

de violence.

et

Cécile, par nature, avait horreur de cette littérature.

Elle tenta

sœur,

elle

de

le feuilleton

lire

n'y parvint pas

cela sans

:

que

de

Ce

commença vraiment de ses frères, laissa

de côté

fut à ce

lire.

les

amoureux

moment

brochures politiques,

mort des deux jeunes hommes. Mais

det, s'intéressa aussi

les

rangea soi-

les

gneusement, respectant ce qui avait été

les

qu'elle

Elle prit les livres de

œuvres dépareillées de Proudhon,

émotion violente avec

sa

grand mérite,

car ces sottises rebutaient son esprit net, vérité sans le savoir.

lisait

la vie et la

elle

eut une

Misérables, Eugénie Gran-

aux imaginations du,Juif Errant

et

des Mystères de Paris. Désormais, chaque soir,

il

lui fallut sa

séance de lecture, jusqu'à l'heure où

se fermaient ses

yeux fatigués d'ouvrière.

Le père Pommier, plusieurs entra

avec ses

filles

montèrent jusqu'au

à

fois,

le

dimanche,

quelque bal-guinguette.

lac Saint-Fargeau,

Ils

où de hauts

peupliers ombragent l'eau paisible d'une mare.


-§— 25o Ils

aux bals de leur ancien quartier

flânèrent

Barreaux-Verts

les

s-

de

la

Chaussée, l'Elysée-

Ménilmontant, rue Julien-Lacroix. assez particulier

un

:

un

Ici l'endroit était

jardin de beaux marronniers,

asile quasi-familial.

Les honnêtes traditions s'y

étaient en partie maintenues, le public et les

n'y

étaient pas les

;

mêmes que dans

boulevards extérieurs. Des

fillettes

les

mœurs

bals des

descendues dans

Paris avaient la nostalgie de cette verdure, de cette

musique, de ce décor des premiers aveux premières révélations,

et certains jours,

et des

on y voyait

revenir les demoiselles huppées des magasins de la

rue de

la

Paix

et

du

quartier de la Madeleine.

Céline ne s'amusait pas beaucoup

agréments les

:

le

père Pommier, en

recommandations

ses filles

une minute.

faites

malgré ces

là,

effet,

se rappelant

au départ, ne quittait pas

Si par hasard,

il

s'oubliait à

quelque table avec des amis rencontrés, bien Céline

filait

à l'autre bout de la salle, dansait

une enragée. Elle revenait,

!

qu'il

ser ailleurs

!...

comme

essoufflée, en nage.

— Que je mâtine — mier. — Et surtout, ne te voie,

vite,

disait le

t'arrive

père

Pom-

pas d'aller dan-

Si jamais tu te permettais d'entrer à


-s— 35 la salle

Xavier, où

-*-

1

n'y a quelles gouapes, lu aurais

il

moi.

a lia ire à

Céline ne répondait pas, souriait, ou

La singulière bagues liers

en bois imitant les

ces parages.

y avait en

elle

une

sang

de vin.

de

lie

corail,

le

à

moue.

elle,

et

de

de col-

regardait

elle

sans doute

:

qui aurait préféré s'ébattre

aux murs couleur de

sordide,

Son temps d'apprentissage

rait

mais

était tout autre,

folie

salle

lui avait

faisait la

coquetterie

princesses de la couture égarées dans

Son goût

dans quelque et

sa

de rubans, de broebes en acier

et

sans envie

il

avait

fille

fini, elle

annonça qu'on

indiqué une nouvelle patronne qui demeu-

au bas du faubourg du Temple. Sa mère

alla se

renseigner, fut satisfaite, et désormais Céline, déli-

vrée de

la

compagnie de

aise, rentrer tard,

rades, se elle,

Cécile, put

musarder

veiller. Elle dit avoir

à

son

des cama-

promena avec de jeunes ouvrières comme

obtint de sortir quelquefois le soir

ou

les

jours

de congé.

Son visage ebangeait. fraîcbe à la

bouche

rose,

C'était encore

mais

il

une

fillette

y avait en

elle

quelque chose de fatigué, un léger creusement des


un assombrissement des yeux

joues, lité

impatiente du geste.

mais

c'était

elle parlait

comme

si

présent,

était

comme

si

Elle ne s'in-

elle chantait.

personne des siens, ni à rien de ce

téressait plus à

qui se disait

Son corps

tout. Ses lèvres remuaient

ou

une fébri-

bleus,

et se

faisait

chez

elle.

Elle était d'une

gaieté bruyante qui remuait tout, cassait tout, ou

d'une

tristesse

impossible à dissiper, taciturne, dure,

renfrognée, faisant tête aux observations.

qu'une

sentait

séparation,

qu'elle

ne

Sa sœur

comprenait

pas très bien, se faisait entre elles.

Par

la faute

de Céline,

vinrent plus rares dataire.

Le père

:

fit

le

Jes

samedi,

comme

soirées de théâtre deelle fut

elle,

souvent retar-

traîna de son côté.

Les deux sœurs n'eurent plus guère de distractions

communes. La grande, émancipée,

avide de vivre, coureuse

des soirs et des dimanches, adolescente qui devenait

femme, souvent

éreintée et parfois désabusée,

avait

des heures de lassitude ou d'ennui, ou de désespoir,

répondant aux réprimandes par des bouderies, subissant les reproches avec des sourcils froncés.

yeux mauvais

et

des


-s— 253

La

§-

petite, ponctuelle,

peureuse d'aventures, toute

un peu

hermine de faubourg crain-

blanche tive

el

rose,

du ruisseau de boue, regardait

brusque, furtive tante et fanée,

gardait

le

La

joyeuse,

la

et la

partir sa sœur,

voyait revenir hale-

des lueurs dans les prunelles. Elle

pendant

silence

embrouillés, fuses et

et

les

racontars,

les récits

gêne l'envahissait aux paroles con-

aux mouvements gauches du mensonge.

fdlette

ne retrouvait son aînée que parfois, aux

longues heures des crépuscules d'été, pendant certains

des

après-midi de dimanches occupés à retoucher

costumes, à enrubanner

écoutaient ensemble les airs

langoureux

nait tout à

la

des chapeaux. Elles

musique du joueur d'orgue,

et énervants.

coup dans

la

Si

Forgue réson-

cour, une gaieté spéciale

entrait par la fenêtre, et Cécile et Céline se retrou-

vaient subitement joyeuses et heureuses

temps où

comme

au

elles étaient petites.

L'orgue, c'est

la

voix des pavés et des terrains

vagues, de la rue travailleuse, des jardinets maigres, des cours mélancoliques. Ses fausses notes, ses notes rapides,

ses

notes

langoureuses,

ivresses et des tristesses,

sautillant

chantant

des

en saccades ou


+-

254 -#-

tournoyant plaintivement, cage grossière où

main qui

elles

ont

bref sans

et

nuances. Mais, qu'elles soient emportées dans tiède d'avril,

brumeux les

ou

et glacé

l'air

qu'elles agonisent

dans un lointain

de décembre,

expriment, pour

âmes simples qui

commencent ou des

elles

des espoirs qui

les écoutent,

regrets qui s'apaisent.

mentalité de romance flotte dans pâlottes adolescentes.

l'air

Une

et

senti-

grise les

L'amour aux champs s'évoque

par une langueur de ritournelle. sistible

la

sont enfermées, sous la rude

un accent rauque

les broie,

dans

peut-être,

Un entraînement irré-

de passion se marque aux mesures d'une valse.

Pour Céline,

c'est l'excitation

qui conduit

nesses aux gaietés sans lendemain

les

jeu-

des bals publics.

C'est aussi l'évocation d'un passé d'il y a six mois,

ou

d'hier, et déjà peut-être la douleur

venir.

La

cervelle, les

fillette

amère du sou-

déjà grande, à l'évaporée et puérile

qui entend ces

airs, et

qui

a,

à la fois,

en

écoutant, de vagues sourires et des colères toutes

proches, serait bien embarrassée de dire la confuse et

mystérieuse sensation qu'elle éprouve. Elle balance

sa fine tête pâlie, son souple buste, se livrait

aux bras du danseur qui

l'a

comme

si elle

emportée avec


-s— 255

elle se

pâmait sur l'épaule de celui qui

vers les barrières au soir

Le plus souvent, les

et

l'aiguille,

bout de

d'un

&-

comme

un grisant orage de bastringue,

dans

lin

et

chambre

la

promenée

l'a

du dimanche.

elle se lève,

rubans

si

les

à

laisse là l'étoffe et

Elle

fleurs.

saute

dansante

l'autre,

et

valsante, les bras arrondis, les jupes tournoyantes,

accompagnant des notes, Cécile,

l'air

comme

de sa voix blessée où

en place,

restait

elle,

de

héroïque

italienne,

que

chanson plaintive

Céline

finissait

s'arrêtait

de respirer

l'aînée éclatait

de

et

et

mélodie,

amoureuse. Pendant

davantage

par gesticuler et

la

triomphale bouffonnerie

d'opéra,

s'excitait

en plus

plus

immobile, à mesure que se développait chant

manque

il

dans le registre de l'orgue.

au

mouvement,

rougir de plaisir, Cécile

fermait les yeux, et

rire, la petite était toute

quand

en proie à

l'attendrissement silencieux.

La pauvre mélodie, sans faisait

cœur quand

qu'elle s'en rendît

éclore la restreinte et touchante vie

ignorant. le

grandes

La voix

compte, de son

éreintée de l'orgue est triste

crépuscule tombe en voile de crêpe sur villes, et

que

la

les

musique lamentable chante


-ï— 256

ironiquement

les

s-

sentiments défunts, évoque

temps disparus, dévide et

les

prin-

les

souvenirs des inconscients

des vaincus. Mais, pour l'enfant, malgré l'appré-

hension du dehors avait

et

et

musique énervante. Malgré fêtes

rêvait

et

journalière,

tristesse

la

de l'enchantement

il

de l'espoir dans elle

elle,

y

cette

supposait des

vaguement de tendresse mystérieuse

selon les cadences éclatantes

ou séductrices, son

esprit

rêvassait à vouloir de l'inconnu devant les mirages

dont s'agrandissait Elle fut

et s'illuminait

un jour

l'humble chambre.

plus nerveuse, plus entraînée que

de coutume, consentit à sortir en cachette avec sa

sœur. Cécile suivit Céline, folle, la petite fille fille

aux sens en

chaine.

Au

derrière la

la craintive

au cœur agité derrière

liberté.

L'expérience

la

grande pro-

s'offrit

premier détour de rue, des jeunes gens

semblaient exacts à un rendez- vous. Immédiatement, Cécile connut l'effroi

— devant

démarche, leurs corps bles,

leurs

d'assassins,

Son

lents,

le

dandinement de leur

leurs

mâchoires de fauves, leurs

yeux de vice

et

mains

terri-

leurs faces

de calcul.

destin n'était pas là, car elle s'arrêta, frémis-

sante, et vile courut, rentra, voulant encore entendre


-§— 257 "*" hollc ritournelle

l;i

de mensonge du joueur d'orgue.

Céline rentra cette fois

comme

prise peut-être d'un émoi, en

par

elle

au piège de

la

Cécile, avec Cécile,

voyant sa sœur menée

rue où elle s'était déjà prise.

— N'aie donc pas peur, bête — !

dit-elle

en voyant

Cécile toute tremblante.

— Oh!

Céline!

disait l'autre.

Toutes deux restèrent ce soir-là auprès de leur mère,

la petite

heureuse de croire son aînée adoucie,

subitement calmée. Cette

tressaillante

vée

Cécile,

petite

apprentie de quatorze ans,

de troubles

du joueur

et

d'orgue,

de songeries

connaissait

à l'arri-

encore une

musique où son âme enfantine

et

féminine s'abreuvait longuement. C'était toujours

la

autre source de

musique de

la rue,

celle qu'elle

pouvait connaître,

qu'elle trouvait sur son passage,

la

murmure

et chante.

Le

la plainte, la rêverie et le cri, sortent

du

particulier, la rue de Paris et

et le

un apaisement

violon en plein air. Certains soirs, dans

soupir

chanson

pavé, courent à ras

du

sol,

montent aux maisons.

semble à celui qui écoute dans carrefours,

que

la

dure chaussée

le

Il

crépuscule des

et les tristes façades


—%-

-§_ 2 58

exhalent

rythmées,

confidences

des

aveux

des

inconscients, des chuchotements d'amoureuses.

Le marchand de romances terre-plein

d'un

boulevard,

à

s'est installé

sur

une extrémité

le

de

faubourg, à l'entrée d'une impasse, ou simplement

au milieu d'une rue dépavée, défendue aux voitures. Il

a dressé des tréteaux, étalé ses cahiers, ses pape-

rasses, ses vignettes, pincé les cordes

De

partout sont alors venues,

au miroir,

les

comme

d'un violon. les alouettes

passantes rapides et les langoureuses

retardataires, les gaies et les tristes filles qui regagnent les

logis ouvriers, leur journée faite. C'est le défilé

de tout ce qui

vit

de

l'aiguille,

de tout ce qui coupe de

brode des gants,

fait

des ciseaux,

l'étoffe,

du crochet,

coud des

ourlets,

envoler des rubans sur les

chapeaux, enroule au laiton les feuilles de papier, accélère

du pied une machine à coudre.

Les modistes et les fleuristes,

et les couturières, les

brunisseuses

sont sorties des magasins à l'heure

où l'horizon monte devant

le soleil,

les

lumières

s'allument une à une dans l'atmosphère violette, dans la

pourpre rose du

soir.

Au

cours de la monotone

journée, du chemin parcouru tous les jours, elles ont


-S— 209

$-

entendu une vibration d'archet, une ritournelle chan-

Leur

tante.

désir

informulé de rêverie, de

grâce, d'inconnu, a

fait

rire,

de

frissonner leur poitrine, a

parcouru leurs veines en violente sève, donné

l'as-

saut de son flux à leur cerveau ingénu. Les isolées

sont venues, et celles qui vont par deux, toutes se sont

approchées du festin de hasard, de mots qui leur est servi dans et déjà

répète

ombrée de

nuit.

et

de sons,

rue tiède encore de

la

L'industriel

le refrain, s'arrête, fait le

soleil

chante, racle,

tour de l'auditoire,

vend aux écouteuses pour deux sous de poésie mélodie.

A

Cécile

et

de

leur tour, elles vont chanter.

et

Céline

chantent avec ces

compagnes

inconnues.

Choeur faubourien, ignorante maîtrise, cantique intime évaporé dans et

l'air

!

Il n'est

pas de plus joli

de plus mélancolique spectacle. La nuit a tout à ravin de grande ville que surplombent

fait

envahi

les

maisons de

comme

le

six

les collines

C'est seulement

nière lueur

au

étages, massives et indistinctes

abruptes

et les falaises des océans.

loin dans le ciel

blême du jour disparu

flamme remuante de bec de

gaz,

que traîne

la der-

à l'occident.

une flamme

Une

vacil-


-§—

260

§-

lanle de bougie entourée de papier, c'est l'illumination de cette fête de coin de rue.

pour

faire

remuer,

ombres, pour

s'allonger,

faire vivre,

Clarté suffisante

raccourcir

se

par saccades,

les

demi-cercle

le

attentif des visages sérieux.

Toutes droites, en cheveux ou en chapeaux, robes montantes,

tailles fragiles, les seins

petites se tiennent fixes, les

contre,

comme

des

auprès d'un piano, frérie,

dans une

yeux sur

les

chef de ren-

le

qui

cantatrices

comme

haut nichés,

vont

chanter

des demoiselles de con-

église.

Céline et Cécile, pas plus que les autres, ne connaissent les notes

points noirs, elles

langage

ces

de

qu'elles

barres,

ont sous ces

mystère

yeux. Ces

les

signes,

c'est

comme un

pour

alphabet

incompréhensible, ou ces creusements d'hiérogly-

phes dans

la pierre, qu'elles

ont vus

et

touchés

jour dans une salle basse du Louvre. Elles lisent paroles, écoutent la traînante voix

du

un les

professeur, et

ce sont les syllabes qui deviennent les notes.

Toutes chantent faiblement, d'abord, en une sourdine qui vibre à peine aux lèvres,

recommencent, suivent d'instinct

elles se

trompent,

la leçon.

L'homme


-£— 26

emploie sans impatience

apprennent à les

la

§-

méthode

de ceux qui

des airs aux canaris.

couplets, n'oublie jamais

mencement t<

silller

1

le refrain,

Il

chante tous

revient au

com-

aussitôt qu'il est arrivé à la fin. Les réci-

uses s'habituent à la mélopée, obéissent à d'inex-

mnémotechnies. Elles savent maintenant,

plicables

osent

élèvent la voix,

les

vivacités d'attaques,

les

lentes expirations, les inflexions sentimentales.

Les petites figures expressives s'animent dans une cendre

poussière

de

neuse. La

flamme de

inférieures, les

d'or,

et la

dessous du menton, croise

les

les

lumi-

grisaille

bougie éclaire

fines narines,

les fronts levés, des

une

les

paupières

dents menues,

le

regards brillants. Sur

ombres passent en coups

d'ailes

d'oiseaux de nuit. Les mains frêles, les feuilles des

romances, sont de pâles taches tremblantes. Dans l'obscurité, le

groupe des robes noires

est

mystérieux

et attirant.

En même temps que

les détails se

manières

d'être

précisent, les

s'affirment.

caractères,

les

humbles

des timides qui veulent oser,

et

voix

Des

telles

Des que

amoureuses

Cécile,

chantent

comme

Céline rient et se pâment. Des fières suivent

à

basse.


-3— 262

des yeux,

la

§-

bouche durement fermée,

avec des

condescendances de mondaines. Des violentes se manifestent à pleine voix insolente.

soupirent et expirent. Des

compréhension lent avec

blent

difficile,

tristes,

Des langoureuses des maladroites, de

cherchent, s'entêtent,

de brusques petits

cris

modu-

de gosier qui sem-

accompagner des sauts d'oiseaux

Des

blessés.

bouches ouvertes, des lèvres avancées, des prunelles qui bougent, lisant

des gorges enflées et rou-

les vers,

coulantes, des faces blanches, des nuques brunes, des

mains qui s'appuient

et battent des

mesures sur

les

épaules des amies, des têtes qui s'inclinent ou se renversent,

de tous ces jeunes corps qui

s'élancent,

dégage

se

instinctive et de la

musique de

Qu'importent

paroles

peuvent être dans

les

la

tressaillent et

symbole de

le

!

la

poésie

la rue.

Elles sont ce qu'elles

langue des romances. Elles célè-

brent les sentiers des bois, les premiers lilas, les roses fanées,

les

robes blanches,

les baisers et les ivresses

sous

les

roulades d'oiseaux,

les tonnelles, les valses

des bals publics, les déchirements des ruptures, les

bonheurs des réconciliations. Ce sont les lamentables invocations à l'amant inconnu, frisé au petit

fer,


-S— 2 63

§-

sensible et godailleur, celui qui est là sur l'image, en

chapeau de

tenant des

paille,

pleurant dans

un

La

verre.

bien vite, ce désiré

du cœur,

de promenades,

d'amour

lithographies ne

le

et

mains de femme ou réalité

le

transformera

compagnon

cet idéal

de sommeil, mais

représenteront jamais en

les

homme

qui abandonne ou en brutal qui frappe.

Qu'importe aussi

la

musique Phrases !

usées, notes

mécaniques, rythmes insipides, enroulements ber-

cœurs

ceurs, toute cette convention fait battre ces inquiets, verse à ces cervelles avides

ou

ment,

repose

par

vie, leur

la

nerveuse, et

en

exalte ces

donne

l'oubli,

le

la

un

petites,

tranquillité,

désir,

les

vin d'enivredéjà

lassées

l'excitation

sentiments

cruels qu'elles ignorent, qu'elles sentent elles

comme

des forces inconnues.

doux

monter

Ces chants

aigus, ces chants bas, ces vocalises fines, ces réso-

nances graves, déjà meurtries, ces désaccords, ces notes fausses, et parfois ces purs unissons, c'est la

voix navrée et mystique des pierres

du sexe pubère, des

travail sans espoir,

dus dans

du faubourg, du faibles per-

les foules.

Toujours, dans

la ville

de tumulte, sur

les

îlots


-§— 264 "§-

qui divisent les vagues humaines, s'arrêteront,

entendre

soirs lourds de l'été,

aux

âmes

permanent

de Paris

donneront à

et les

balbutiants

de pauvresses, chants des chlo-

sirènes anémiques. Frêle groupe,

roses, appels des

cesse

de leurs voix

les plaintes

secrets de leurs

les filles

et vivace,

une nouvelle

auquel vient s'adjoindre sans

fillette,

souffrante des inquiétudes

qu'elle garde, et qui se hâte de dire à haute voix, en

pleine rue, son chagrin et sa joie sans raison. fut l'occasion des confidences

premières de

au son de ce violon

Cécile. Elle s'arrêta

Ce

la petite

triste,

parmi

ces camarades de rencontre, prit la romance de ses

mains tremblantes, avec

elle dit,

confia à l'air

les

du

et

d'une voix qui tremblait aussi,

autres, ses

soir, à la

craintifs espoirs, elle

rue accueillante,

les

vagues

aveux de son cœur.

Pour Céline, cendre

la

père, ni elle

ne pouvait plus

pente rapide où

même sa

elle s'était

s'arrêter de des-

engagée. Ni son

mère, ne soupçonnèrent quel usage

pouvait faire de ses instants de liberté.

avait toujours

Son

elle

Elle

quelque motif plausible à alléguer.

intelligence était appliquée

au mensonge, son

énergie employée à courir où son destin l'appelait.


-s— 265

%-

Elle forma, avec l'un, avec l'autre, le couple qui

donne sans souci Ils

nent

spectacle de ses amours.

le

passent enlacés au long des avenues, station-

dans

sous

l'ombre,

repartent lentement,

indifférents à

proches, extasiés Ils

vard,

la

comme

Faust

mains

taille

tout

des

infléchie,

l'extérieur,

branches, visages

les

sérieux

et

Marguerite au jardin.

un banc de square ou de boule-

sont assis sur les

et

l'abri

liées,

immobiles, perdus, autant que

dans un sommeil d'alcôve. Ils

dansent sur

le

plancher d'un bal public, droits

l'un devant l'autre, se tenant à pleins bras,

de leurs corps emporté au rythme de

le

duo

la valse.

Souvent, rien d'anormal n'arrête l'attention. Parfois aussi

un

aspect étrange apparaît, et la réunion

des deux silhouettes se résout en monstruosité. C'est lorsque l'amoureuse Céline dresse sa fine stature, lève vers

l'amant un visage de chair lumineuse,

des yeux en fleur, une bouche dessinée en sourire ravi, c'est lorsqu'il

lueur et

émane de

un parfum,

et qu'il

cette créature naissante

la

charmante

fille

une

y a pour partenaire à

un bandit aux yeux

sanglants,

aux poings de tueur, quelque bête basse effroyable23


-§— 266

ment machoirée,

Une

et

qui a

idée de liaison

§-

fait sa

proie de l'enfant.

contre nature, de différence

d'essence, de race, vient à l'esprit.

de

la

Belle et la Bête s'incarne à nouveau.

mal aux lourdes vers

Le vieux mythe

sa

avenues

pattes, à la gueule féroce,

tanière la petite et

des squares.

nymphe

Un

ani-

emporte

inconsciente des




V.

Pendant

L'ALCOOL

que Céline

Pommier

se

se brûlait à d'autres

Insensiblement, depuis pris

goût à

consumait

la

boisson

:

les

ainsi, le père

flammes.

jours du Siège,

il

avait

à toutes les boissons, le

verre de vin avalé au hasard, l'apéritif de n'importe quelle

couleur.

La mort de

aussi quelque chose en lui,

ses la

fils

faible

devait

tuer

volonté qui 23.


-g— 270 vacillait

&-

au gré de l'occasion. Autrefois,

ramené par Justin, par Jean, comme un ce temps-là,

verre

le

cédait,

il

enfant.

bu aux minutes de repos

En

n'était

jamais suivi d'un autre.

— la

Viens donc, vieux père,

le

vin est meilleur à

maison...

Maintenant

succombait chaque

il

fois.

L'invite et le piège étaient fréquents. Les décors et les scènes le vieil

du drame de

ouvrier,

l'alcool se multipliaient,

peu à peu, y eut son

figurant et d'acteur, à son grand

Ce jour

soir-là, et la

dans

la

du faubourg,

soleil,

extérieur

fin

du

ce fut au bas

à l'intersection de la rue

du boulevard

de

dommage.

lourde chaleur de la

lumière dernière du

rôle

ombragé de

montante

platanes.

et

La

foule affluait au vaste carrefour, montait incessam-

ment de Paris entrevu dans marche de tous

flâne,

vapeur du

soir.

La

ces gens, qui revenaient de leur tra-

vail, avait le caractère

possession

la

du chez

d'un assaut, d'une reprise de

soi,

de l'endroit de repos, de

de plaisir familier. Des nuances infinies pou-

vaient s'observer dans les

mouvements

et

dans

les

expressions de ceux qui regagnaient ainsi leur gîte.


—*-

-*— 271

Les fatigues

et

comme

souiller

gravir

découragements étaient

qui restaient un instant

chez certains,

pour

les

une dernière

et forts,

immobiles

des chevaux harassés avant de

Chez

côte.

mouvement de marche d'allégresse.

visibles

Ces allures

avait

le

grand nombre,

un aspect de

hommes

libres, ces

le

force et

souples

de tous aspects, de toutes races, ces femmes

à la figure courageuse, ces fillettes à tailles fines, ces

guirlandes d'enfants, tout exprimait

la joie

de vivre,

de posséder

la rue, les arbres, le ciel rose, la

et la clarté

de

avait

un

arrêt

ment, où

A

se

Pourtant,

l'été.

se

chaleur

à ce carrefour,

il

y

diminuait cette force en mouve-

compromettait

l'avenir.

l'un des coins s'ouvrait

un

petit café à façade

blanche, mais, aux trois autres coins,

un immense

établissement, le bar de genre nouveau, alignait son

comptoir, ses tables, ses appareils de distillation, boutiques barbares, propres, étincelantes de cuivres, d'étains,

de verres, de glaces, où

la

soif est régie

administrativement. Les trois façades, rouge et or,

flamboyaient sous et

les

chiffres

merveilleuses.

les

rayons du couchant,

énormes

les lettres

affichaient leurs promesses

Un patron,

juché sur une haute chaise,


-^ au-dessus du

—#-

272

comptoir massif,

figurait

le

prêtre

et l'idole

dominant

en nefs

en bas côtés, avec des aspects d'églises,

et

et

même, dans

offices

l'un

un orgue

dressait

de

Les

l'autel.

des

prêt à

mugir

rangs serrés

les

tumultes, toutes

Le

le

et

chaque

trottoir,

comme au

les

salle vide.

une

Dans

aussi.

aux

clientèle

théâtre, tous les

les gesticulations, toutes les

béatitudes

les

l'absinthe

rythmer

à

la clientèle restait dehors,

envahissant

petites tables

toutes

et

se

la boisson.

Par ce beau temps,

et

établissements,

trois

L'orgue, toutefois, fut muet,

énorme,

salles se creusaient

les

paresses verres,

embaumait l'atmosphère de son parfum.

spectacle,

malgré tout, gardait sa douceur,

son charme, sa vie épanouie. Ce n'étaient pas

sombres le

les

types, les rangées d'abrutis, debout devant

comptoir, ou assis sur de hautes chaises, ne quit-

tant pas des

yeux

machinalement gens,

dehors,

versation,

bonne

un

halte.

remuant

la liqueur ensorceleuse,

la cuiller

dans l'opale trouble. Les

gardaient rire. Ils

une

vivacité,

une con-

connaissaient la minute de

Ceux qui devaient

saient le pas, stationnaient

un

s'arrêter

la

ralentis-

instant sur le refuge,


-s— 273

sous

branches du candélabre, pour jeter autour

les

un regard, choisir

d'eux

coin, aller vers

une

table.

leur place,

Ce ne

maniaques de l'absinthe

des

s-

guigner leur

sont pas des isolés, ils

:

commencent,

n'en pas douter, leur apprentissage du poison, trouvent

la

çon,

ils

s'assoient.

suite, les verres sont sur la table, et le gar-

d'une main experte, dose l'oubli

La boisson

est servie,

non dans

d habitude, mais dans de

verres

y

saveur charmante, l'appât délicieux.

Par groupes d'amis, ou en famille,

Tout de

ils

à

les

et la joie.

gros et grands

petits verres à pied,

des verres à bordeaux. Prise ainsi, l'absinthe semble

perdre de son importance

:

on ne boit pas, on goûte

dans ces menus verres qui sont vraiment des verres d'enfants.

Simple

illusion,

malice de l'industriel.

d'ailleurs,

La

créée par la

petite absinthe

grande, on en prend deux plus facilement,

moins d'eau à

Le

et

il

la

y a

ajouter, voilà tout.

calcul est bon, car le gentil petit verre à pied

attire,

de sa couleur pâle

femmes devant

en

vaut

effet,

qui

reculeraient

l'immense

de sa fine odeur,

et

gobelet

sont nombreuses,

peut-être à et

tarir.

tout

Les

les

d'abord

femmes,

toutes boivent

leur


-3— 274 absinthe,

petite

comme

des

&-

hommes.

Certaines

comme

ont de menues hésitations, des minauderies

autour d'un fruit défendu. Elles avancent

les lèvres,

dégustent en chattes gourmandes, leurs yeux brillent

amoureusement.

Au

premier rang, un

Pommier,

père Chaudron

La mère

de braves gens,

lot

femme, Cécile

sa

et

et la

autres aussi

père :

le

Paterneau. fillette

boivent une boisson quel-

conque, apportée avec mépris par les

le

deux voisins

et

se

le

garçon

et

dont

moquent. Bientôt Céline vint

rejoindre le groupe, ses beaux cheveux en torsade, les

yeux bleus, d'un bleu de bleuets,

velours de pêche,

légèrement Elle

un corsage

marécage

rose

joues d'un

se sculptaient

jeunes seins.

goûta l'absinthe dans

bleuets

les

les

les

le

verre de son père,

de ses yeux se mirèrent dans

le petit

vert.

Le père Pommier, s'adressa à sa

à ce

femme,

moment, prenant

lui expliquant ce

la parole,

que

c'était

qu'une bonne absinthe.

Sais-tu

comment

qu'une absinthe ne

fasse

il

faut s'y

prendre, pour

pas de mal?


—*-

-S— 27a Il

môme

y eut une attention. Tout de

bien précieux,

n'est-il

pas vrai

cela serait

de pouvoir

?

être

assuré de l'impunité.

— Eh bien — !

dit le

bon type pendant que tous

regardent son visage épanoui, écoutent ses amicales paroles, faire.

— eh bien

!

mes

enfants, voici ce qu'il faut

Vous en prenez beaucoup, un bon demi-verre.

Vous ajoutez l'eau minutes.

Il

tout doucement, unegoutte toutes les

faut être patient.

Vous êtes là, bien

installé,

à l'ombre sous les arbres, vous regardez les passants en

une heure,

surveillant votre mélange. Prenez faut,

pour bien préparer votre

— Alors Tous

les

affaire.

s'il le

Et alors...

?

visages attentifs

sont tendus vers son

visage hilare.

— et

...

Quand

c'est fini,

vous prenez votre verre

vous foutez l'absinthe par terre

qu'elle Il

ne vous

rit

fera pas

:

vous êtes sûr

de mal.

jovialement, lampa la fin de son verre

:

tous rirent avec lui de la farce, et tous aussi achevèrent de boire leur absinthe de bon cœur.

Ce

fut le

commencement pour

le

père Pommier,

cette petite absinthe prise sous les arbres. Il revint


-3— 2j(y -4. seul,

but à sa

ne fut pas à

ne

ivre,

comme

peu près

Rica ne put

soif.

devint pas

d'habitude,

l'arrêter.

Mais

il

méchant, mangea

quoiqu'il se plaignît

parfois de n'avoir pas d'appétit et allât se coucher

de bonne heure. Sa

gué par son l'alcool,

Le

travail, alors

comme

le

croyait seulement fati-

que peu à peu

l'envahissait

tout le quartier, d'ailleurs.

façade blanche était

à la

petit café

minet dont

femme

l'installation

remontait pour

le

un

esta-

moins au

temps de Louis-Philippe. La vétusté de son aspect, le

suranné de son enseigne

le vieillot

et

de son ornementation,

de toute sa physionomie, faisaient de

un anachronisme

indiscutable parmi

les

ments environnants. La façade blanche réellement

mais

blanche,

manière d'une épreuve de

grisâtre,

vieille

établissen'était pas

jaunie,

à

de l'enseigne, étaient vert-de-grisées par

humides. Les chambranles des portes le

vieux

de chaussée craquait

et

la

et

d'or

les saisons

des fenêtres

visage s'écaillait,

le rez-

geignait sous le poids de

maison, au tassement visible par

du fronton de

boutique.

la

gravure. Les bandes

d'or qui encadraient les panneaux, les lettres

se disjoignaient,

lui

la

la ligne infléchie


ÉA



-s— 277

f-

harmonie avec

L'intérieur était en

murs

blancs aussi, et maintenant d'une cou-

jadis

leur de vieux cuir par trente ans de

Des glaces an\ cadres démodés. La séparée de

ouvertures

la

dont

écoinçons

les

limonadière,

Amélie,

On

anglaises tire-bouchonnées

propos galants d'un

Aux

petites tables

de billard,

étaient

à

trois

peints

de

cherchait au comptoir une

vêtue

un bonnet

avec

fumée de tabac. salle

un portique

pièce d'entrée par

scènes mythologiques. belle

Des

l'extérieur.

comme à

reine Marie-

la

rubans de

feu,

aux tempes, écoutant

officier

de

la

de marbre, on

des les

garde nationale.

croyait trouver de

rusés commerçants d'Henry Monnier jouant au trictrac

ou au

Dau-

reversis avec d'épiques bourgeois de

mier, et Ton craignait de déranger quelque profond politique de quartier occupé à sonder le bulletin Constitutionnel. Rien de tout cela. difficile

de dire par quoi cela

billard

n'avait attiré

était

Mais

il

du

paraissait

remplacé.

Si le

quelques amateurs, que Ton

voyait ramper, guetter, bondir, à travers les arches

du portique, Tout

hommes

à

le

coup

et les

vieux café aurait toujours été vide. il

disparut, s'en

choses dont

il

alla

rejoindre les

devenait l'inutile

et in-

24


-S- 278 -*-

vraisemblable survivant. Pendant quinze jours, étayé, enveloppé de palissades.

Un

immense, sur

la

prime

toile,

à tous les

annonçait

jeudi,

consommateurs qui

fut

fut

il

affiche

réouverture

une

et

se présenteraient.

Le surlendemain, samedi, jour de

ment nouveau

une

paie, l'établisse-

inauguré au milieu d'une cohue

de révolution ou de

fête.

Plus de trace du petit café blanc

et or.

La devan-

ture est toute en vitres avec des encadrements rouges.

On

voit d'un regard tout l'intérieur.

primé, dans toute

la

Le portique sup-

longueur du café

c'est

un long

comptoir en étain luisant, garni de fontaines bassins.

Sur

le

sétagent des bouteilles de toutes les couleurs verres de toutes les formes. des,

En

la

place

du

et

face, des tables

en zinc, des chaises de jardin,

fond, à

et

de

mur, une immense glace contre laquelle

petit billard,

en

fer.

des

ron-

Au

un alambic de

cuivre.

Derrière

tabliers noirs

agiles,

sent

comptoir, une armée de garçons en

le

de sommeliers, funèbres personnages,

comme des Arlequins, accomplisbesogne comme s'ils se livraient à des

prestes

leur

exercices de prestidigitation. Ils saisissent au vol les


+mots que leur emplit

la

jette la foule des

boutique,

se retourner

du même

»79 -*"

pour

ils

étendent

saisir

une

consommateurs qui

la

main sans presque

bouteille sur les rayons,

un

geste sûr qui prend

livre sur les

rayons

d'une bibliothèque. Pas un instant d'hésitation dans leur manipulation et leur dosage des poisons variés, verts,

rouges,

sombres,

versent à la ronde.

clairs,

Ils jettent

fond du verre, précipitent carafe d'eau, s'emparent

trempent au bassin,

les

toujours

et

sans

étincelants,

qu'ils

quantité obligée au

mélange, installent

la

aussitôt des verres vidés,

les

cesse

le

la

placent sur l'égouttoir, et

recommencent

les

mêmes

opérations avec une fougue semblable. C'est à croire

que

les instants

sont comptés, que les minutes sont

précieuses, qu'il s'agit de sauver des angoisses de la soif

une malheureuse population desséchée

et avide.

Réellement, l'affluence explique une pareille précipitation mécanique.

dehors que dedans,

la

Il

queue d'un théâtre un jour de

représentation populaire. service d'ordre et l'attraction

est

y a autant de monde au

On

aurait

pu

organiser

un

donner des numéros. C'est que

grande.

Les

consommations sont

d'un sou moins chères que dans

les

établissements


28o connus pour vendre

le

meilleur marché. C'est une

révolution dans le régime des boissons, l'alcoolisme facilité

aux

mis à

la

classes nécessiteuses, le delirium tremens

portée de toutes les bourses. Les gens qui

s'écrasent à la porte semblent

d'un

bienfait et font ce qu'ils peuvent

tel

une

à

prêter

telle

propagande

Leurs faces sont anxieuses, lité le

comprendre l'étendue

moment où

ils

ils

pour

se

philanthropique.

attendent avec fébri-

pourront réclamer à leur tour,

aux noirs sommeliers, leur part de poison. Et

la

Oh

!

prime?

la

surprise? l'encouragement?

bien simple, et l'inventeur n'a eu,

c'est

ici,

qu'à se laisser aller aux impulsions de son génie naturel.

aura

La prime,

droit,

guration celle-là,

!

c'est

que

tout

aujourd'hui seulement à

!

consommateur jour de l'inau-

une seconde consommation qui

absolument gratuite, qui

établira,

on

sera, l'es-

père, des liens de gratitude et d'amitié entre le pas-

sant et le comptoir de zinc. telle largesse,

et le

seille.

oublier

une

jour fameux où l'on a pu prendre

deux absinthes pour qui entrent

Gomment

le

prix d'une seule

!

Car ceux

ne demandent pas du sirop de gro-

C'est l'absinthe qu'il leur faut, c'est son par-


>. fum sauvage,

28

-4-

r

c'est sa force

Et

brûlante.

c'est l'ab-

sinthe, en effet, qui remplit les verres, les bouches,

yeux,

les

cerveaux, de sa couleur trouble, de sa

les

vase, de son ivresse cruelle.

Au des

visages

attendaient leur double ration, et leurs

avaient

mendiants à sortis,

la

l'expression

fixe

porte d'une église. D'autres qui étaient

possesseurs enfin de

prime, se disputaient

la

voit à Sainte-Anne, et tout à

les

les

machinale des

et

avec de grands gestes incohérents

rixe

Des hommes,

soir, la foule avait grossi encore.

femmes

têtes

s'expliquer

!

coup

sonnaient sur »

tels

que Ion en

se ruaient

le

en une

pavé. « Laissez-

criaient des voix folles

pendant

que des femmes dansaient autour des combattants. Et ce

fut ainsi toute la soirée,

flambèrent, d'étain, féerie

illuminèrent

les

verres,

les

lorsque

l'alambic, les

fioles,

de lumières que regardait

la

les

le

lumières

comptoir

glaces,

une

sombre

foule de

soir-là

avec une

la rue.

Le père Pommier rentra encore ce meurtrissure au visage dit-il,

:

un coup

qu'il avait reçu,

en voulant séparer deux combattants.

autre jour,

il

était

manifestement

Un

ivre, parlait trop, 24.


-§— 282 —5la

langue embarrassée, répétait dix

Sa femme voulut

histoires.

honte devant ses

ne plus

s'arrêter

sa promesse,

résolu, les

filles, et le

le

fois

sauver

brave

homme

au maudit comptoir.

mais

il

revit

devant

yeux impératifs de

sa

mêmes

les

lui

elle

:

Il

promit de

manqua

lui

et

à

visage

le

femme,

fit

il

parut

d'abord se soumettre. devint bientôt hypocrite, sut tromper la surveil-

Il

L'heure verte sonne partout

lance.

sonne dans tous vard

de

les quartiers

la fois.

à

Elle

au boule-

la ville,

au faubourg, à l'horloge du café élégant, à

et

l'œil-de-bœuf de la boutique du marchand de vin.

Mais

le

bonhomme Pommier

décor qui exprime

humaine, l'illusion.

la

le

mieux

va tout droit vers

recherche farouche de

C'est peut-être

un peu

la

est

moment

seul par les

de chez il

à l'intérieur de Paris, rues,

a

du

et

revenant fatigué,

vaguement sur son existence laborieuse, sur

du monde

et

fatigue

la

diversion et de

loin

au bas du faubourg du Temple, mais en ce

de

la halte

le

lui,

travail

quand

il

rêvassant la

misère

sur ses chagrins personnels, son atten-

drissement sur lui-même ou sa révolte contre

le sort

se traduisent invariablement par la soif. L'établisse-


-s- 283 -3-

ment sauveur

se

enchantement,

et

présente alors à lui

comme un d'eau

et la

par

entre.

il

C'est à l'endroit

comme

la

longue rue en pente passe

pont au-dessus du canal, où

chemin

le

chaussée de pierre se coupent, créent un

carrefour. L'eau jaillit des écluses, le niveau monte,

une

lente navigation de gros bateaux, de lourds cha-

du

quai.

délicieux.

Les

lands, s'établit sur la surface paisible à ras

Le calme miroir

réfléchit

le

ciel

bateaux sont suspendus dans l'espace, dessus des nuages. La lumière rose du

dans

la verte

errent ausoleil fleurit

étendue.

D'où vient que

la

foule qui

marche ne

s'arrête pas

au parapet pour jouir des adieux du jour, de beauté de l'eau, de vient

la fuite légère

que nul ne veut regarder

bateaux,

si

des nuages

hauts

les

doucement posés sur

cette

et

?

la

D'où

massifs

clarté

de

mirage, que nul ne s'intéresse à ce glissement régulier,

à ces

mâts

nul ne jouit de

fiers,

la

à ce labeur pacifique,

— que

minute exquise qui ne reviendra

plus, à peine née, déjà évanouie?

Tout

le

monde

tinement de

va du

même pas,

troupeau qui

tient

contribue au piéla

largeur de

la


-s— 284

Presque

chaussée.

de

refléter

tous

§-

yeux qui pourraient

les

lumière sont baissés vers

la

le sol, et ces

regards qui ne voient pas, ces regards perdus, tom-

bent dans

la

poussière ou dans la boue. Ces passants

aux pieds traînants, vont

vers

chaude eux,

les

et

les

las, la tête basse, s'en

bras

nourriture et

la

vers le sommeil.

vers la

soupe

le

gîte,

La

poésie qu'ils ont en

révoltés et les résignés, les réfléchis et les

indifférents,

c'est

de continuer à vivre,

c'est

de

réparer, de retrouver les forces perdues d'aujourd'hui,

pour recommencer demain. Beaucoup, pourtant, de ceux qui arrivent ainsi au carrefour, montrent

une inquiétude

et

une habitude.

Ceux-là s'arrêtent, mais ce n'est pas pour regarder le ciel

renversé dans

nuées. Ils ont le

l'eau,

les

barques mêlées aux

mouvement tournant

et

des chevaux qui entrent à l'écurie le soir ils

tournent, et

Ce

ils

eux aussi

entrent.

n'est ni le café, ni la

de vin, et

:

machinal

boutique du marchand

c'est à la fois l'un et l'autre. C'est l'en-

droit spécial

où Ton boit

l'absinthe,

où l'heure

verte sonne dans sa plénitude, sa solennité.

A

l'extérieur,

un long

et

haut rez-de-chaussée aux


-s— 285 cloisons blanches,

scène de rectitude

aux et

*-

une mi-

vitres claires,

de propreté. Quelque chose de

bourgeois et d'administratif de cossu et de sérieux. ,

est évident, dès le dehors,

que pour accepter une

1

qu'on ne peut entrer

règle,

Il

accomplir une fonction.

L'intérieur est en accord avec ce premier aspect.

Les choses sont correctes, d'une propreté d'un luxe froid.

Ici aussi, le

comptoir d'étain où l'on

pourrait s'accouder à cent, et derrière la

les

brillante,

le

comptoir,

glace, les rayons de verres et les bouteilles. Entre

portes-fenêtres, partout

il

y a une place, des

tonneaux énormes, à robinet de métal.

À

chaque

bout du comptoir, l'alambic de cuivre.

On devant

ne boit que de l'absinthe. La rangée de verres, les

consommateurs,

est verte,

du

vert opalin,

sans transparence, aux

remous opaques. Un parfum

terrible, déjà enivrant,

règne dans

la salle,

asservit

immédiatement ceux qui entrent. C'est une odeur de nature, de

forêt

au

soleil,

d'herbes

mystérieuses,

cachées au lointain des halliers, des clairières inconnues, une poussée de plantes dangereuses, mortelle-

ment épanouies dans

De temps en

la

chaleur torride.

temps, une main

saisit

une

carafe,


-S— 286

—«Le nuage

se

forme, s'élève, tournoie. La main se crispe sur

le

glacée goutte h goutte.

fait filtrer l'eau

verre,

on

renverse,

la

voit

monter, on voit une

une bouche qui

boit, des

tête

qui se

yeux qui

se fer-

ment.

L'homme il

avale l'oubli.

Il

se

change magiquement,

donne d'autres yeux, une autre pensée.

se

L'heure verte la déraison. Il

est

pour

lui l'heure

de

la féerie,

ne voit rien, ne veut rien voir de

de la

rue, de l'eau, des nuages, des passants ses semblables,

qui

le frôlent,

travail et

auxquels

nuage trouble,

il

ne

il

le dit pas. Il

la

même

loi

de

voit ce qu'il veut, et ce qu'il voit,

scintille et palpite

ce goût incendiaire,

fées

par

garde pour lui tout

parfum inconnu, à

les

est lié

de misère. Mais dans ce verre-là, empli par

le

qui

il

le petit

monde

en son esprit, à l'appel de ce

la sensation

il

de ce goût de

feu,

de

semble que tout brûle, que

herbes vénéneuses flambent.

Il

en robe de gaze qui rasent

la

garde pour surface

lui les

du maré-

cage, de cette bourbe amassée en ce verre, tenu par la

main

crispée. Il garde

pour

lui les lutins cruels

qui se précipitentparson gosier, l'envahissent, dansent

frénétiquement dans son cœur et dans son cerveau,


-S— 387 -*-

parcourent

lui

les veines, les bras, 1rs

mains, viennent

jusqu'au bout de ses doigts fébriles. Rien,

il

ne dit rien. Le buveur de vin

buveur d'absinthe

pour

lui seul, ses

est silencieux. Il

décors

irréels, ses

Les buveurs d'absinthe sont des

un

rite,

est

bavard,

le

veut jalousement,

songes, ses abîmes.

fidèles

absorbés par

des croyants moroses en proie au charme

endormeur.

Ils

sont debout les uns auprès des autres.

Presque tous des

isolés.

parlent. Ils boivent, font

Peu

se connaissent,

un signe pour

peu

se

qu'il leur soit

versé une autre ration, puis une autre...

Ils sortent.

Cet enfer a ses cercles. Sans cesse l'homme devenu la

proie de l'alcool devient

tesse s'aggrave,

un autre homme. Sa

sa fureur va naître.

boivent, debout contre

pas encore pareils.

Il

le

tris-

Tous ceux qui

comptoir d'étain, ne sont

y a des gestes doux, des figures

jeunes, éveillées, plaisantes. Certains ne font que goûter

au poison, s'observent, croient ne prendre qu'un

réconfort.

Auprès d'eux, gner

la

la

brusquerie apparaît.

On

voit ga-

pâleur verdâtre sur les visages, s'affirmer les

gestes de bras cassés, de

mains malades. Aux. coins

sombres, des vieux avant l'âge se sont

installés

pour


288

-I—

§-

savourer longuement l'ivresse brûlante. Des visages

en proie à

terribles surgissent,

de

la

au délire

l'idée fixe,

Des mâchoires remuent, des bouches

persécution.

grommellent des menaces en dedans, des doigls reux tremblent,

l'effroi

va surgir. L'heure verte,

la colère

hommes

pour ces pauvres suicide,

un

lui,

père

du

Pommier but

soir.

loin de chez

du faubourg du Temple

à l'un des angles

au

Les bateaux continueront de

à l'homicide.

le

jour, sonnera

l'appel forcé à la folie,

passer lentement dans la féerie ignorée C'est ainsi que

ter-

passe dans des yeux chagrins,

et

du

canal. Il fut la victime de ce guet-apens de l'absinthe installé à l'entrée

jour où éclatant.

il

du faubourg.

gêne de

Un calcul

droit

dans

venue la

y tomba

passa devant la vitre claire et lui

d'entrer et de boire

subir la

Il

:

fit

il

la foule

comptoir

prendre sa décision brusque

se dit que, là,

douce autorité qui et

le

premier

il

ne pouvait

reproche muet de sa femme,

et le

dangereux

le

l'aurait détaché

ramené comme en

de

laisse.

la

l'en-

Caché

des buveurs qu'il ne connaissait pas,

il

était tranquille, isolé

de tout, égaré, perdu dans un

pays délicieux, dans

la forêt verte

senteurs capiteuses.

de l'absinthe aux


*-

Comme

les autres,

savoure maintenant

chaude il

Il

le

boit et

breuvage subtil

il

se croit rajeuni. est

ne

vin

Quand

rentre,

il

n'en est encore qu'à

la

période de légère

du ménage

est-il fini qu'il est Il

parfum d'absinthe

si le

le croire

Labattement

enjoué.

et

dormir.

sort, la tète

ne morigène per-

agréable faconde.

Le

il

il

dénonçait pas, on pourrait

le

:

boire. Il

à

aimable,

surexcitation, très légère, et

jovial

apprend

il

il

et active,

se tient droit,

sonne.

il

289 -*•

Il

mange

lui

simplement

succède

à

cette

sans faim, en se forçant.

semble fade,

et

à peine le repas

en proie à une invincible envie de

se couche,

tombe

aussitôt

au lourd som-

meil.

Un jour,

buvant devant

vement machinal aimant, ses

deux

faute, sa

et

il

comme

le

s'il était

découvre au carreau

filles. Il

attiré les

main tremblote en posant

fait

un mou-

par quelque

frimousses de

il

le verre, et,

les fait entrer,

pour

malgré

refus de Cécile, les accable de plaisanteries et de

gentillesses, les

il

a l'air interdit d'un enfant pris en

dissimuler son embêtement, le

comptoir,

ne

sait

plus ce qu'il dit ni ce qu'il

fait,

oblige à boire une absinthe à elles deux. Elles

reviennent avec lui, grises

comme

des oiseaux qui


4—

Devant

sortent d'une vigne.

*

29°

la

mère au

visage boule-

versé, le père essaie de plaisanter, Céline rit, Cécile

pleure.

Ben quoi

nous avons

!

pris la « verte » tous les

trois.

La mère

fait

coucher ses

sournoise, Cécile désolée, père,

parle

lui

net,

filles, les

comme

elle

et

:

est

elle le laisse se

un dimanche,

versation ajournée la veille. très conciliant,

il

ils

ont

Le père Pommier

écoute,

il

la

— C'est

le

métier qui veut ça

même

il

con-

est très

répond par

nelle raison des buveurs de toutes professions

Tout de

Elle

parler.

sait

le

dormir.

Le lendemain, qui

doux,

—Céline

retourne vers

et elle

s'aperçoit vite qu'il entend à peine

coucher

endort,

l'éter:

!

semble comprendre,

et, elle,

vou-

lant profiter de ses avantages, lui dit qu'il a l'air fati-

gué, qu'il a changé,

vieilli, qu'il ferait

bien de boire,

au moins pendant quelque temps, de l'eau rougie à ses repas, et se

ou du

cabre

— Mais,

lait, s'il

veut.

Le père Pommier

rigole

:

ma

n'est pas ça qui

pauvre femme, de

me

l'eau,

donnera des forces

!

du

lait,

ce


-*— 291

— Des dans

forces, tu vois bien

—* que

tu n en trou nos pas

vin et l'absinthe.

le

— Tu

crois, toi!

vous remonter un

n'y a que ça, pourtant, pour

Il

homme.

Elle ne se décourage pas, insiste tant et finit

par consentir à

l'eau

si

bien qu'il

s'engage

rougie,

ne

à

rien prendre en dehors de ses repas.

Pendant

les

jours qui suivent,

un exemple de

le

père

Pommier

est

revient sur l'impériale

de

l'omnibus pour ne pas être retardé en route par

les

sobriété,

copains, rentre plus

tôt,

apporte des semaines qui

n'ont pas été écornées chez

le liquoriste.

Cependant, l'absinthe, qui avait d'abord

servi

de

prétexte pour trinquer avec les camarades, était deve-

nue une

même,

utilité

pour

préparer l'appétit

«

».

Bientôt

toute explication mise de côté, elle allait être

une maîtresse impérieuse. Le père Pommier « pris » lait,

sa

était

au deuxième verre. Son cerveau se brouil-

main

tremblait à la besogne, ses jambes vacil-

laient sur l'échelle, ses

yeux clignotaient,

et

il

res-

sentait des nausées qui le faisaient blaguer par les

autres, plus aguerris.

son compte dans

les

En

six mois,

maisons où

il

il

reçut deux fois

travaillait.

Cela


-*- 2 9 2 -*était

dur pour

lui-même, le «

lui, et

il

reconnaissait bien, au fond de

qu'il n'avait pas

de plus cruel ennemi que

sacré perroquet », ainsi qu'à l'atelier

ils

appe-

laient familièrement la terrible verte.

Aussi cachait-il chez

lui la véritable raison

de son

chômage.

— Je

suis sûre,

lui disait sa

femme,

— que

le

patron a su que tu buvais.

— Mais non,

mais non,

répondait-il noncha-

lamment.

— Tu Fichet

et

es pourtant aussi

bon ouvrier que Sauton,

Malin... Pourtant, on ne les renvoie pas,

eux!

— Leur tour viendra comme verras Il

et

il

à moi, tu verras, lu

!

en avait été quitte pour chercher du avait

été

assez heureux, jusque-là,

travail,

pour en

trouver.

Un samedi

soir, à six heures,

— Voilà

père

le

dit la concierge à

Pommier une de

il

rentra chez lui.

encore sans ouvrage,

ses locataires.

— Une m'a

pas dit bonjour en passant, c'est qu'il est embêté,

vous verrez que demain

il

sera encore en vacances,

si


-s— 293

on peut appeler dire

sa

femme

?

<;a

s-

des vacances. Qu'es! ce «pie va

D'autant que sa

fille

aînée

cause aussi, des ennuis, dans un autre genre

— Quand

— répondit pour

les

est-ce

que

dames

hommes

les

Sa femme vint

lui ouvrir. ?

tu

Pommier haussa

prit

es

donc pas

ta clef ?

malade

?

tu as

bu

?

épaules sans répondre, entra

les

petite salle à

un journal

n'as

bégaya-.t-il.

si...

la

?

paradis

le

l'escalier, frappait à sa

— Pourquoi frappes-tu Tu — Ah! — — Qu'est-ce que as? Tu dans

!

î

Le père Pommier montait porte.

en

ne boiront plus

— ce sera alors

la locataire,

lui

manger, décrocha une pipe,

qu'il avait

dans sa blouse

mit

et se

à lire silencieusement.

Sa femme, après un tour à

la

cuisine,

vint

le

rejoindre.

— Tu

as ta

semaine

?

— demanda-t-elle anxieuse-

ment.

Tout en continuant dans sa poche

et

sa lecture,

posa sur

la table,

pièces blanches et des sous. d'oeil, vit qu'il

Pommier en deux

fouilla

fois,

des

Sa femme, d'un coup

ne manquait rien. 25.


-S- 294 -§-

— On

payé pour

a

toi,

ce soir, alors,

dit-elle,

— car

tu sens l'absinthe. Je croyais pourtant

c'était

fini,

tu m'avais juré de ne pas

que

devenir un

ivrogne.

— Ivrogne

un peu. Je ne

De

fait,

tu as le

!

suis pas

était très

il

devint plus douce

— Tu

même éméché

a trinqué

!

calme. La voix de sa

femme

:

n'as pas été chercher Cécile à la sortie de son

va

la

Je n'y

ai

atelier, ça

mot dur parce qu'on

mettre en souci. pas pensé,

répond-il distraite-

ment.

Le lundi matin, Pommier retourna comme de coutume

à son travail, et le soir

à l'heure habituelle. lait

Il

il

rentra chez lui

semblait préoccupé, ne par-

pas, et de temps à autre poussait de longs soupirs.

— Qu'as— Rien. Le

tu,

jeudi, la

mier,

vieux?

lui

demanda sa femme.

mère eut des pressentiments. Pom-

quoique toujours ponctuel,

était

de plus en

plus abattu et morose. « Il t-elle.

y a quelque chose, sûrement

»,

pensa-


Le

rencontra un des camarades d'atelier

soir, elle

de Pommier.

— Bonjour, — Eh bien

monsieur Malin.

madame Pommier,

!

a-t-il enfin

homme

votre

— ditbonassement

trouvé à s'embaucher?

l'ouvrier.

— Oui, quoi

la

Elle

oui,

répondit sans trop savoir pour-

femme

qui se sentait défaillir.

revint

chez

gorge serrée,

la

elle,

les

mains

assis,

lisant

moites.

Pommier encore

et

devancée.

l'avait

était

Il

toujours machinalement

le

journal.

Elle le regarda, ses traits étaient tirés,

son visage

battus,

eut pitié de lui. « et

il

Il

me

voyait

me

là,

dire,

affalé,

il

cache qu'il

mes

comme

poids de son mensonge. « Pauvre

enfant

!

» Elle

donne-moi

la

Il

n'a le

écrasé sous

homme ce n'est comme un !

tremblant ainsi,

s'approcha de

Je sais tout,

ouvrage

reproches. » Elle

n'osant bouger,

et

est sans

pour en retrouver.

a craint

pas gai d'être craintif

yeux

d'une grande fatigue. Elle

doit courir partout

rien osé

le

las

ses

lui

main, je ne

lui.

dit-elle

t'en

doucement,

veux pas

si

tu essayes


296

-fr—

encore vraiment de

s-

corriger.

te

Songe à nos

tris-

Quand

tesses passées,

à nos soucis de maintenant.

tu prendras le

maudit poison, pense que dans ton

mes larmes,

verre tu bois tu le

si

peux

et

ose t'en enivrer après,

!

Le père Pommier raconta lui-même une effroyable qui aurait

le faire

réfléchir,

histoire

avait

s'il

été

encore capable de réflexion, l'histoire du père

du

fils

Rouillard.

Le père

était

un vieux soûlard

buvait de tout, sans préférence. Sa

vu de dures avec âgé

fils,

fureur,

il

lui

de vingt

:

il

ans,

et

H

son

de

cassait tout ce qui se trouvait sous sa il

travaillait, les

Il

avait

au paroxysme

ouvrage, volait sa femme, vidait fils.

incorrigible.

femme en

la battait, battait aussi

dépensait sa paye quand

Il

et

la

main. sans

et

poches de son

couchait une partie des nuits au poste, ou sur

un banc du boulevard

extérieur.

Il

en

était

arrivé

à n'avoir plus la force de la besogne, et c'est à peine s'il

pouvait se traîner jusqu'au comptoir

A et

travers les vitres, ses

charitablement,

secours, lui

l'un

offrait le

du

bar.

camarades l'apercevaient, d'entre eux venait à

son

bras jusqu'à la chaise d'où


-*- 297 il

se

levail

Son

iils.

quelques

-*

heures après, morne,

femme, venaient

sa

hébété.

quelque-lois le cher-

cher.

La femme ne

savait

Viens, allons

honte dans Si le

fils

!

que supplier

:

me

viens, rentre, ne

pas

fais

la rue.

venait, c'étaient alors

deux hommes en

présence.

Le

un rangé, un ouvrier

était

fils

sérieux, âpre au

gain, ne plaisantant pas avec ce qui pouvait alléger sa bourse.

devenu

Le

père,

l'ogre,

pour

lui,

peu à peu,

l'ogre installé dans le

était

ménage.

Il

ne buvait pas, écœuré dès l'enfance par l'odeur acre et

Une

pourrie qui émanait de son père.

cœur.

faisait lever le

Il

aimait

la

absinthe

mère pour

lui

sa con-

duite de

bonne ménagère martyre,

pour

désordre, la gêne, la déconsidération, qu'il

le

apportait chez lui. le

« soûlot

»,

Ce

il

haïssait le père

n'était plus le « père »,

pour ce

fils

sérieux

mais

peu chari-

et

table.

— à sa

S'il

pouvait crever une bonne

mère qui ne répondait

de tristesse

et

de dégoût.

fois

!

disait-il

rien, fatiguée de cette vie


*Un

soir, le fils alla

Pommier

troquet.

Rouillard

il

s'approcha

fils

Eh

ivrogne

— le

fils,

298 -*-

chercher

père chez

Je

était là aussi.

Quand

le

mas-

vit entrer

il

prévint tout bas Rouillard père.

Le

:

bien

saoul

es-tu

!

content,

as-tu ton

?

?

Fous

le

camp, ou

je t'assomme,

vociféra

père Rouillard en levant une carafe.

Pommier

ment amorti par son bras Le

fils

levé.

parut ne s'apercevoir de rien

— Une — veut

verte, et carabinée

Il

faire

mauvais exemple

comme

î

heureuse-

reçut le coup,

s'interposa,

!

dit-il

:

au patron.

son père. Voilà bien

dirent

les

le

buveurs autour

d'eux.

On

apporta l'absinthe. Le verre du père

— Tiens, le fils

bois

changeant

Le père avala

donc

ma

celle-là à

était vide.

santé,

dit

les verres.

l'épais

breuvage par petites gorgées

gloutonnes.

— J'vas fils.

trinquer avec

Une absinthe

des deux verres

et

il fit

un

toi,

bitter,

maintenant,

dit le

— commanda-t-il,

un mélange

:

et


-*- 299 —*-

Tiens, goûte ça

!

ça

te fera

Le père but encore pendant que placidement,

et

le

— Tu ne bois son verre

— Mais

si

le fils,

pas,

dit le père Rouillard vidant

par-dessus

fils

le

père,

mal

à Taise, reposait son

vieux visage violacé entre ses mains, le

bord.

le

je bois.

!

Et pendant que

encore

froidement

regardait.

regardant son

et

du bien.

le fils

remplit

verre vide.

— Allons ton — Tiens — ricana !

finis

!

verre, qu'on parte. le

père,

— quand y en a

plus,

y en a encore. Il

avala le reste.

tomba. Le garçon,

Qu'allons-nous

patron regardant

— pour Et lui

il

Quand

il

voulut

patron voulurent

en

faire ?

se

lever,

il

le relever.

interrogea

le

le terrible fils.

Flanquez-le à

la rue, elle n'est

pas

faite

que

les chiens. il

sortit sans vouloir rien écouter, rentra

en disant

le

chez

:

J'ai trouvé le

bon moyen pour guérir

le

père

:

ne nous embêtera plus.

On

déposa avec précaution

le

père Rouillard contre


4— 3oo un bec de la

gaz,

paix, et porté

homme

cet

il

ramassé par

fut

les

gardiens de

au poste voisin. Les passants, voyant

tenu par

pieds et par la

les

un homme qui

C'est

-4-

tête,

disaient

:

vient de mourir dans la

rue.

Le père Rouillard Le

fallait

mourut

pour

quand

ne

Plus de scènes,

Il

avait

purées vertes,

s'en

la

il

y

chez

Aussi

lui.

le

avait de l'argent de côté.

soupe toujours chaude

et grasse.

était enfin tranquille, et le fils attendait la

n'attendit

comme une la

les

plus

rentrait

ménage redevint propre,

fin.

en

lui

l'autre était ivre-mort.

L'ivrogne

La mère

qu'il

sa chère boisson, l'accompagnait souvent

au bar, préparait lui-même allait

» ainsi plusieurs fois.

donnait de l'argent autant

lui

fils

«

pas

longtemps.

Le père tomba

masse, foudroyé, un soir où

payé quatre absinthes,

le fils lui

et lui offrait filialement

cinquième.

Le père Pommier brutales de ce

femme être, lui

dit

drame dont

fut terrifiée, eut

une

inconsciemment

faisait,

dit-elle,

scènes

tout le quartier parlait. Sa

pour

colère, contre ce

les

la

fils

première

fois,

peut-

monstre de vertu, qui

plus horreur que

le

père.

Ce


— s-

-s— 3oi

i

n'étaient pas Justin et Jean qui auraient agi ainsi.

que son pauvre

Elle espéra

dans

pieds

les

les

homme

ne remettrait plus

endroits

se

commettaient

d'aussi abominables crimes.

y eut malheureusement encore des arrêts dans

Il

son

travail,

Il fallut

des mortes-saisons, des jours de maladie.

toucher plusieurs

du

des vêtements,

boucher

le

s'épuisa,

et

fois

pour payer

tante d'Andilly

le

linge,

boulanger. Peu à

de

la

et

et

sa

mémoire

l'air

retrouvait toujours

Blanchette aussi lui

de Jean.

prendre que loin,

et

la petite chatte il

s'il

la

reçu câli-

sérieux et content de Cécile,

toutes sortes de démonstrations.

de

lui, d'être

regard accueillant de sa femme, par

neriede Céline, par

s'ennuyait

gagné sa journée,

était heureux de se retrouver chez le

Pommier

grâce aussi à l'éco-

n'avait rien à faire. Lorsqu'il avait

par

les

somme

la

mère.

Le père Pommier maugréait

il

peu

mais grâce à ces mille francs,

la vigilance

la

terme, pour acheter

pour solder des notes chez

ne connurent pas la misère, nomie, à

aux mille francs de

le

un peu de Justin faisait Il

blanche

fête,

avec

était ravi d'aple sentait

l'entendait miauler derrière

la

26

venir

porte


302

-*—

avant qu'il eût tourné

§-

la clef. Sitôt qu'il entrait, elle

se jetait sur lui, se frottait à ses jambes

en ronronnant,

grimpait aux épaules, câline

contournée, lui

lui

et

devenant un col de fourrure vivant. faisait sauter

comme

il

sant happer de bons

pendant

le

Mais,

pour achever ce qui

il

lui

il

ne

répugnait

effort visible

n'y arrivant pas

lui était servi,

toujours. Après le repas, et sa

un

lui fallait

il

assiette. Il

buvait peu,

s'il

mangeait guère non plus. La nourriture

chaque jour davantage,

ses petites

dîner, la lais-

morceaux dans son

paraissait alors satisfait.

prenait, la

de

faisait autrefois

l'appelait près de lui

filles,

Il la

retombait à

la

tristesse,

femme remarqua qu'il changeait réellement,

qu'il

maigrissait. Plusieurs fois aussi, elle s'aperçut qu'il était

congestionné, qu'il avait

Un

soir,

il

— Tu ne Il la

dit

brusquement

vois pas

yeux tout

drôles.

:

que Blanchette

est

malade

?

prend, l'observe.

— Mais oui — !

— —

dit-il,

— A quoi penses-tu? regardant Blanchette

La

les

et

à

enragée

femme,

!

surprise,

son mari.

chatte ronronnait

homme, fermant

elle est

dit la

demi

dans ses

les

mains du

yeux bleus.

bon-


—*

-s— 3o3

— Oui,

oui,

dit-il

elle est

enragée

:

faut

il

la tuer.

Elle lui retira l'animal des mains. attention, se mit au

Au

matin,

dinaire

— la

la

Il

n'y

pas

fit

lit.

mère

revint sur cette lubie extraor-

:

donc

Pourquoi

chatte

voulais-tu,

malade,

fût

hier

pourquoi

et

que

soir,

voulais-tu

la

tuer? Il

ne se souvenait de rien,

alla

comme

d'habitude

à son travail, puis les fillettes partirent pour l'atelier, la

mère

resta

— Oui, —

la fin

dit-il,

reposer... J'irai à le

Elle fut étonnée de voir son

seule.

mari rentrer avant

de sa journée.

j'ai

mal

à la tête. Je vais

mon travail demain

matin, quoique

patron m'ait bien recommandé de

de ne pas

me

tracasser

rien, j'irai tout Il

de

pour

ma

me

me

besogne.

soigner et

Ça ne

fait

même.

dort, en effet, jusqu'au soir, puis

il

se

lève

avec une physionomie bizarre. C'était en décembre, il

faisait très froid

se chauffait auprès pattes.

:

du

la petite chatte

poêle, son fin

roulée en boule

museau

entre ses


.

-a— 3o4

Pommier

la

— Tu ne

vois

enragée

!

le

l'en

donc pas, Marie, que

femme

sa

empêcher,

cou, l'assomme

inerte, sans réveiller.

:

la

chatte est

. .

Avant que pour

regarde

§-

que

Puis

ait

pu seulement

dun coup

de poing,

la petite bête ait

il

sort,

s'est passé,

non plus ne ne

dit

eu

le

la

un pas

fait

pas où

il

rejette

temps de

ne veut rien écouter...

retour, assez avant dans la soirée, dire, et lui

faire

se baisse, saisit la chatte par

il

A

on n'ose rien

se

son lui

aucune allusion à ce qui est allé.

Plusieurs jours se suivent, sans rien de particulier

dans

les allures

du père Pommier. Un

très gai, dit qu'il a fait

tout le nuit, les

monde,

il

avoir fait parfois il

parle.

filles,

Il

rentre

dîne, se couche, s'endort. Vers mi-

se réveille, pleurant à

leur mariage,

il

une bonne journée, embrasse

mains de sa femme,

heure

soir,

du mal,

Toute sa la

lui

chaudes larmes, prend

demande pardon de et

lui

pendant plus d'une

vie repasse

dans ses paroles

naissance de leurs

fils,

:

de leurs

leurs années de travail, de chagrin, de joie...

revoit les jours

du Siège

et

de la

Commune,

la

mort de Justin à Buzenval, de Jean au Père-La-


>. chaise

dit qu'il faudra bien veiller sur Céline,

il

;

que Cécile

une bonne

est

Sa femme liser

—*

3o5

est

petite fille...

navrée et inquiète, veut

le

tranquil-

:

— Mais supporté,

mon

oui, et

pauvre

homme, nous avons

nous sommes encore

me

tout

Et nous pou-

là...

vons encore être heureux avec nos quoi

et

Pour-

fdles...

dis- tu tout cela ?

— J'aurais

bien voulu être heureux avec vous.

campagne, dans

J'aurais voulu nous retirer tous à la

une maison avec un jardin.

On

des poules.

aurait

On

respiré

aurait eu des lapins,

un autre

air

qu'à

Paris.

— Mais —

dit sa

oui,

nous nous retirerons à

femme.

— Allons,

la

campagne,

ne pense plus à tout

cela, dors tranquille. Il

continue, lui dit qu'il l'aime bien, qu'il a tou-

jours

douce

— —

fait

son possible pour qu'elle eût

la vie la

plus

et la meilleure.

Si

je

t'ai

répète-t-il

fait

sans cesse,

J'ai été entraîné, je

promettais

de

toujours

la

pardonne-moi,

peine, c'était

sans le vouloir.

ne pouvais pas

résister.

Je

de ne plus recommencer, 26.

me et


3o6

-§—

g-

toujours je retournais à ce sacré comptoir. Je ne sais pas ce qui

me

me

menait

comme une

c'était

:

force qui

poussait. Bien des fois, à la porte, je voulais

sauver, mais

ma main

me

prenait la poignée, et j'entrais

sans savoir ce que je faisais.

Et

recommençait

il

:

— Je

t'aime bien, pardonne-moi...

Et

l'embrassait

il

comme du bon

put s'empêcher de pleurer avec Il

se

tait,

elle le croit

lui.

calmé, quand tout à coup

se lève, frémissant, dégoûté, s'écriant

plein de punaises. Sa fait il

femme allume

voir qu'il se trompe.

va, vient, se

Regarde

pain. Elle ne

Il

passé

a

que la

il

lit

est

lampe,

lui

le

un pantalon,

démène. î

s'écrie-t-il.

couverts... Elles sortent

— Les draps en sont

du plafond, descendent

le

long du mur. Tout en est noir... Il

veut les tuer, se précipite. Ses

viennent.

Il

ouvre

la

porte

criant qu'il va à son travail. Sa rière lui,

tend

la

filles, réveillées,

du logement,

se sauve

femme descend

en

der-

ne peut suivre sa course dégringolante, en-

porte de la rue s'ouvrir et se refermer. Les

deux sœurs, qui

se sont

mises à

la fenêtre,

ne voient


-*- 307

*-

qu'une silhouette gesticulante qui perd dans

tôt se

s'enfuit, et bien-

nuit glaciale.

la

Elles rejoignent leur mère,

courent avec

ne

elle,

savent quelle direction suivre, rentrent, espérant que lui aussi est revenu.

leurs recherches,

quartier,

Au matin lettre

le

Rien!... Elles recommencent

vont chez

chemin qui

seulement,

elles

est à l'asile

sont épouvantées par une fait

que,

fiévreux et hagard, n'ont

que

il

a pleuré

son

femmes apprennent

père

Du il

au quai de

aucune réponse de il

a été pris

Dépôt,

n'a

pu

On le

a

d'un l'at-

médecin

l'a

être maîtrisé que

A travers ses cris nom et son adresse.

camisole de force.

la

le

paix l'ont arrêté,

la

tirer

voulu tout saccager.

envoyé à Sainte-Anne, où

pés,

pu

conduit au poste, où

tacher, le garder à vue.

par

savoir

très loin,

l'Hôtel-de- Ville, les gardiens de

délire furieux, a

le

Sainte-Anne.

lui est arrivé ceci

lui. Ils l'ont

battent

son chemin chaque jour.

administrative qui leur

Pommier Il

était

patron,

le

entrecou-

Les

trois

cela à l'hôpital.

— Maintenant, où — On va vous mener est-il ?

Il

est là.

cédé dans un accès de delirium.

vers lui.

Il

est dé-


-§— 3o8

On

guide

les trois

§-

malheureuses, pâles

par des couloirs, on ouvre des portes,

et

et muettes,

subitement,

sur une dalle d'amphithéâtre, elles voient

père les

Pommier,

yeux

clos.

Son visage

est

d'une

Elles l'embrassent et sanglotent.

comme un

pauvre

tristesse indicible. Il est

dur

et froid

marbre.

Le lendemain, toutes

le

tout blême, la barbe presque blanche,

elles

viennent l'enterrer,

trois le cercueil,

un bouquet de

suivent

sur lequel elles ont déposé

violettes, et elles rentrent...

Elles restèrent toute la fin de la journée sans trou-

ver rien à se dire, hébétées par la catastrophe, ayant la

sensation qu'une

abattue sur

la

main

violente et irrésistible s'était

maison, avait

raflé le

en un instant. Tout à l'heure

il

était là,

il

n'y est plus. Machinalement, on

le

trouve pas.

dra jamais.

Il s'est

évanoui,

La mère songe

il

père

le

Pommier

maintenant

cherche, on ne

a disparu,

à ce vieux

il

ne revien-

compagnon

d'existence qu'elle avait aimé aux jours de nesse,

et

qui

était

devenu peu à peu

enfant parmi ses enfants. était

comme un

Son sentiment pour

un sentiment maternel,

tutelle, s'habituant

sa jeu-

il

lui

avait accepté cette

facilement à s'en remettre à elle

,


-s- 3og -5-

de tous

les détails

de

sa

et

sur

elles,

oh

plutôt qu'un porc,

!

faiblement,

l'autorité

femme, mais bien

dont

Aussi toutes trois éprouvent-elles

glots,

sa

légère,

mère

et

si

la

ne se

il

plaisant

gré tout, sachant distraire et faire rire

si

pour

été

qui criait parfois et se fâchait, exerçant

servait pas envers sa

Céline,

observa-

Bea

avail

il

un bon camarade

Cécile

un camarade

craignanl

De même

tions et ses reproches.

Céline

vie,

mal-

les fillettes.

même

douleur.

insensible, pleure à gros san-

Cécile doivent la

caresser et la

calmer. Et toutes trois reprennent machinalement travaux habituels de

les

Immédiatement, leur situation.

la

la

le

sens

femme presque

brillants et scrutateurs

où toute

les

chose

de

fu-

yeux

la vie est réfugiée.

face d'elle, Céline et ses vingt ans, jolie, les

veloutés, la

La

finie.

montre son visage creusé en masque

nèbre, une poussière d'argent aux cheveux,

En

de

exact

Elle se voit soudain, avec ses qua-

rante-huit ans, une vieille glace lui

maison.

mère a

yeux

bouche rose entr'ou verte, avec quelque

flétri,

d'incompréhensible,

fatigue de sa jeunesse,

et Cécile

une

subite

avec ses quinze

ans, Cécile qui n'est pas jolie et affriolante

comme

sa


-*. 3io

^-

sœur, mais qui rayonne d'un doux mystère en

elle

la

beauté de

pensée en

la

formation,

lumière semble émaner de son front bien

yeux

la

fait,

y a

une

de ses

gris, attentifs et spirituels.

Tous de

il

:

les

hommes

vie va

de

la famille partis, le

problème

maintenant se poser de façon plus

gorique devant

les trois

femmes

en cette veillée silencieuse.

caté-

réunies, ce soir-là,


VI



4V£S/0-"3- c

VI.

Désormais,

CÉLINE ET CÉCILE

les trois

prévision de la

femmes sont

seules.

La

triste

mère aux jours du Siège de

Paris s'est réalisée point par point.

Le chef de famille

ne

tombé,

lui a été

comme

ses

d'aucun secours, fils,

est

sous les coups d'on ne

lui aussi, sait quelle

secrète fatalité, avec cette différence qu'il a, le dire,

cherché son

sort. Justin et

on peut

Jean, au con>7


*-

3i4

-*

ont obéi à une puissance plus forte que leur

traire,

volonté,

à

un ensemble de

circonstances

qu'ils

n'avaient pas créées, qui disposaient d'eux, malgré

eux, malgré tout.

avaient gardé l'idée qu'ils rem-

Ils

plissaient leur devoir en obéissant

pauvre père Pommier, et vaincre

!

Un

verre après

toute son histoire.

au destin. Mais

s'était-il laissé assez

un

le

opprimer

autre verre,

c'était

La vapeur corrosive qui montait

tous les jours à son cerveau avait fini par faire

le

trou d'où s'étaient enfuies sa raison et sa vie. Était-ce possible

!

S'abandonner de ne pas

se défendre davantage,

même

la sorte,

essayer de résis-

C'était à croire qu'il l'avait fait

ter!

exprès, qu'il

d'abandon-

avait décidé de se détruire, de s'en aller,

ner

non

sa

femme

on voyait bien

!

qu'il subissait

de se

Ne

si

le il

instinct,

dit-il

se

!

Et pourtant, sort,

qu'il enrageait

qu'il était

pas à

sa

impuissant

femme, pen-

mit tout à coup à parler avec

extraordinaire lucidité

peine visible du malheureux

nageur qui perd pied,

filles

ne voulait pas son

qu'il

du mal, mais

dant cette nuit où

une

deux

un mauvais

faire ainsi

à se corriger.

ses

et

ne pas

il

?

Elle se rappelait la

homme.

Pareil à

un

se sentait entraîné par le


-§— 3i5

courant, incapable

Son

désarroi

('tait

§-

d'aucun certain,

effort

pour

sauver.

se

se jugeait avec clair-

il

voyance, pleurant sa faiblesse, se sachant incapable

de guérir,

comme

et

du dénouement prochain

averti

que plus rien maintenant ne pouvait empêcher.

La femme d'un

si

vaillante ne

comprenait pas

raison

la

lâche abandon de soi-même et d'une

si

épou-

vantable destinée. C'était probablement une maladie

qui s'emparait des pauvres gens et qui avait raison

même. Combien

d'eux quand

étaient

se

atteints,

débattaient plus ou moins, mais finissaient par suc-

comber! Et ceux qui vivaient près d'eux,

leurs

femmes,

La

leurs enfants, se trouvaient atteints par contre-coup. voilà seule aujourd'hui, et avec

deux filles

Jean, seulement, avait voulu l'entendre,

jour

il

ne

s'était

trouver la mort parmi les morts il

remplacerait

le

les

mêmes « Allons

les prières...

souvenirs et les !

si

la

devait

avec

père disparu. Elle lui

mais

il

était resté

Elle ressassait toujours

mêmes

se disait-elle,

il

!... Il serait là,

avait dit et prédit ce qui arriverait,

sourd à toutes

!

dernier

pas enfui loin d'elle, emporté par

fureur du combat vers ce Père-Lachaise où

elles trois,

Ah

!...

si le

regrets.

laissons cela, regar-


.

-g— 3i6

dons devant nous, filles,

tâchons

femmes

!...

et

de

non en faire

ami-

deux

?

monde

durera.

Il

faudrait

Ma

sans

vie,

un mari qui boira.

que

.

tout le temps

Et ce sera toujours ainsi pour tous, le

Deux

femmes...

mais quel sera leur avenir

doute. Des enfants qui mourront,

que

de mes deux

arrière, et,

gens devien-

les

nent raisonnables, sachent se contenter de peu,

et se

plaire chez eux, et puis qu'il n'y ait plus de boule-

versements, plus de guerres, plus de misères, plus de

comptoirs où l'on boit du poison... » Elle faisait ces réflexions, et parfois elle les

muniquait à et

comme

ignorante

tant de

deux

ses filles,

maux.

elle était,

comme

être n'y avait-il d'autre se bien

était

celle-ci

lui

savait,

découvrir

elle, et,

le

pauvre

remède à

demander aux après tout, peut-

remède à tous

une

les

malheurs

joie qui la consolait

comprise par Cécile,

un peu,

et les paroles

que

répondait brièvement lui prouvaient sa

bonne volonté

et sa droite nature.

Oh

!

celle-là

ne

pas de phrases. Elle ne disait que quelques

faisait

mots

ne

conduire soi-même.

Elle voyait, avec qu'elle

elle

Elle ne pouvait que

fillettes d'être

que de

mais

com-

:


-*— 317

— ne

Sois

s-

maman!...

tranquille,

Mlons,

maman,

d'une

telle voix,

tourmente pas!...

te

Mais ces quelques mots étaient certifies

Oui,

de

regards, qu'ils inspiraient

tels

on devait

celle-là,

dits

le

croire,

la sécurité.

sage

serait

et

prudente.

Mais Céline! La mère n'avait jamais su, savait

moins que jamais, quelle conduite

Tous

folle.

tenir avec cette

de persuasion échouaient, se

efforts

les

heurtaient à ce front

obstiné,

derrière lequel diva-

guait la cervelle la plus légère. Elle ne semblait

pas entendre. n'en

On

tirait rien

charmante

:

avait

beau

lui parler, la presser,

yeux semblaient

ses jolis

tête vivait

En

sans pensée.

du

s'agissait plus

avoir

d'un

morts

une enfant

mère

père, son

son manque de résolution. Et

homme, mais d'une faible

chair tendre, sans volonté... ainsi faite

?

et la vivante, étaient

Comment Les si

il

ne

fille,

de

avait-elle

trois autres, les

sérieux

!

on

vides, sa

elle, la

retrouvait la gentillesse et l'inconscience esprit à Tévent,

même

pu

deux

Sûrement,

Justin et Jean ne se seraient pas mis à boire. Sûre-

ment, Cécile ne tournerait pas mal.

La mère ne

cessait

d'agiter

ces

craintes 27.

en


.

*- 3i8 elle-même, ou bien

elle les

avec Cécile,

seule

de plus de raison

sa

fille

A

la

Nous avons eu

d'avoir

!...

exprimait lorsqu'elle

conclusion ce

tout

une heure du matin, Cécile

et sa

:

possible

est

sommeil de

sa

mère entendi-

doucement dans

Céline rentrait. Elle crut, sans doute,

mère

et

elle avait

vu que tous

les

raisonnements,

la

les

Il

avait déjà

y

A

mère

du

la façon

avait bien

douces ou dures

paroles étaient inutiles. Elle aimait encore voir revenir tard que pas

:

ne pas troubler

de sa sœur.

reçu les observations,

serrure

la

plusieurs semaines que cela durait ainsi.

dont

même

était la

qu'il

de

fille

Que peut-il nous arriver encore?..

rent la clef tourner

le

était

de quinze ans, pourvue

de prévoyance que sa

et

vingt ans. Et toujours

-*-

tout, livrée à

mieux

la

elle-même,

perdue dans l'immensité de Paris. Les premières fois, la

mère, confiante, croyait aux « heures supplé-

mentaires » de Fatelier, au bout de conduite

compagne, au l

'accident

Un

à une

une amie malade, à

d'omnibus aux encombrements de voitures

jour, le

n'était

service rendu à

fait

,

voile

tomba,

que prétextes

et

la

vérité

mensonges

:

la

apparut,

mère

tout

surprit sa


-§— 3if)

ûlle aînée on conversation avec

s'éloigna en ricanant.

veut

Il

*-

un mauvais drôle qui

à la

maison des remon-

trances, des pleurs, des drames. Céline fut surveillée.

Mais on ne put obtenir délie vagues à toutes fois

quelle

le

que des réponses

La mère

questions.

les

attendre la sortie de

put,

chaque

alla,

l'atelier.

Céline, fréquemment, trompa sa vigilance. Et cela

ne servit qu'à

la

rendre maussade, hargneuse, inso-

lente, fougueuse. Puis elle jouait l'indifférence, muette

ou chantonnant entre

La mère

ses dents.

n'était pas

une timide, mais

pourtant subir cet entêtement

il

lui fallut

et cette force d'inertie.

Elle supporta ces avanies, anxieuse et farouche,

peu rassurée par Cécile, aussi,

le

avait essayé de

Elle n'avait obtenu, ses

un

retour de Céline chaque soir.

comme

sa

convaincre sa sœur.

mère, en échange de

bonnes intentions, que bourrades ou haussements

d'épaules, avec des railleries en plus.

ne nous arrive pas pis

!

— Pourvu

disait toujours la

qu'il

mère,

sans formuler autrement ses appréhensions. Cécile n'osait pas l'interroger,

devinait ses réti-

cences, craignait tout de Céline.

Ce

soir-là,

comme

d'habitude,

le

silence

régna


320 -*-

-§*-

pendant que Céline

gagna

bientôt, en effet,

Brusquement, avait

dans l'obscurité, espé-

se dévêtait

l'attention de personne.

rant n'attirer

perçu un

la

les trois

mère

Le sommeil,

femmes.

fut réveillée

en sursaut. Elle

bruit singulier. Elle écouta... Rien...

Elle resta inquiète et attentive. Elle entendit encore,

au bout d'un

instant, le

même

bruit, semblable à

un

étouffé de petit chat.

miaulement

— Cécile! —

cria-t-elle fébrilement,

Cécile, de

même,

un chat qui

C'est

Céline... Céline

!

— entends-tu?

écoutait.

a

faufiler derrière

se

Céline! es-tu éveillée?

Céline dormait, puisqu'elle ne répondit pas.

Les petits

cris

recommencèrent. Sans cesse,

miaulements

mêmes

étouffés.

La mère sauta hors de son delle, et,

les

lit,

alluma une chan-

pieds nus, courut directement à l'endroit

d'où partait

le

bruit

:

— au

lit

de Céline.

Elle paraissait dormir, toute pâle. Instinctivement, la

mère

fut avertie

verture de sa

se

la vérité. Elle

arracha la cou-

fille.

La douleur Cécile

de

et

l'effroi

leva, vint

près

lui firent jeter

un

appel.

de sa mère. Céline

était


-s— 321

immobile, étendue sur

%-

le dos.

Contre

elle,

un

petit

être remuait.

— Tu accouches —

se lamentait la

!

(

tourna

Séline

la

La mère

Cécile sanglotait. froid,

vers le

tête

mania doucement

affolée.

mur, sans un mot.

un peu de sang-

reprit

une

le petit être,

cru que tu lavais tuée!

J'ai

mère,

petite

fille.

dit-elle.

Et à Cécile qu'elle voyait toute tremblante, presque défaillante.

— Tu ne peux Comment

faire

de Céline,

sortir,

aller

chez

la

sage-femme...

Allons, je vais y aller. Reste près

?. ..

et n'aie

pas peur!...

Elle s'en alla, vêtue à la hâte, tâtonnant dans

l'es-

calier.

Cécile alors retint ses larmes, sa

mère à dominer

serra sa

sa douleur, se tint près

main brûlante, baisa son

— Tu

souffres,

ma

— Tu

as

une

petite

du

— Aie confiance

Céline alors retourna

yeux s'abaissèrent sur

?

silence de sa

fille,

comme

de Céline,

front moite.

pauvre Céline

Elle insista, épeurée

sement.

s'obligea,

lui dit-elle.

sœur

:

dit-elle avec attendris-

en moi la tête,

:

je l'aimerai bien.

remua

le bras,

l'enfant, qui continuait à

ses

bou-


ger et à vagir, puis elle regarda sa

le

J'ai

La

sueur, en

sœur

et lui dit

:

chaud. efiet,

coulait en grosses gouttes sur

visage, sur les bras de l'accouchée.

Cécile alla entr'ouvrir la fenêtre,

essuya

bouche,

le front, la

l'accouchée. Elle avait saillait là,

La

un

linge,

gorge, les épaules de

la

fillette était

prit

silencieuse et attentive.

un peu de frayeur de

cette chose qui tres-

sur le drap, mais elle voulut se forcer à

la tranquillité

énergique de sa mère. Céline se plai-

gnit encore de la chaleur.

J'ai soif,

Cécile lui

dit-elle.

donna

à boire.

Céline ne se plaignit plus, ne s'agita plus. L'enfant

aussi resta

mieux. dans sa et

chez

comme cette petites

tranquille.

Son cœur

qui,

vie, cet enfant

leur

elle,

ému.

était

osa

Cécile

l'examiner

du nouveau

C'était

naissant chez sa

appartiendrait

mère

nul doute,

sans

à Céline. Elle associa son avenir à celui de

nouvelle venue, se robes,

elle s'entendit

« tantine »,

la

vit

lui confectionnant

menant promener

appeler «

ma

— comme

la

tante »,

le

de

dimanche

« tante »,

;

bonne femme d'Andilly.


-s— 323

&-

Revenue au sentiment de elle

comprit aussi que

qui entrait dans la

désespoir pour sa mère déjà

sur

elles

si

perdu,

tant d'autres,

éprouvée,

la

le

honte

quolibets et les médisances de

les

trois,

— l'honneur

:

comme

abandonnée,

fille-mère

immédiate,

réalité

un nouveau malheur

c'était

maison

la

la

tout le quartier. «

Pauvre Céline

Nous

!...

rage... Mais voudra-t-elle

Des pas. La mère

lui

donnerons du cou-

nous écouter?

»

guidant une jeune

revient,

femme. L'étrangère ôte son chapeau, son manteau, réclame du linge, de l'eau tiède, vient près du

de

lit

Céline.

Allons,

madame, du courage

!

à

dit-elle

l'accouchée.

Quelques instants ordre,

couché

bébé

le

après,

emmailloté

auprès de

qu'elle reviendrait

sa mère.

dans

le

avec

des

serviettes,

La sage-femme

matinée; que

la

remis en

était

lit

si

on

dit

avait

besoin d'elle avant, ce qu'elle ne croyait pas, on trouverait laisser

;

que, pour

le

moment,

dormir Céline. Elle

saires à l'enfant, et partit.

il

la

n'y avait qu'à

dit aussi les

soins néces-


4—

324 -4-

Céline dormit peut-être, mais les deux autres ne

dormirent guère, attendirent

jour.

le

La mère,

alors,

vint au chevet de Céline.

— Qui ment

est-ce, le père

— demanda-

?

à l'accouchée, qu'elle vit

t-elle

un peu

briève-

reposée, res-

pirant régulièrement, regardant avec des yeux calmes.

— Allons

dis

!

Ce

n'est pas long,

Céline avait clos de nouveau

les

un nom

!

yeux, qui viraient

sous les paupières, et celles-ci ne se descellèrent pas.

— Voyons, — Tu ne connais

allons!...

le

pas,

dit enfin Céline, sèche-

ment.

— Mais tu aller le

C'est

connais, toi!... Nomme-le... Je vais

chercher.

Il

ne reniera pas sa

fille,

je pense!

— — Vous vous aimez

un honnête homme, un brave garçon,

mait-elle

Tu

le

pour

n'es pas

mariée. Je proches... Céline,

se rassurer.

la seule te

Tu

ait

sais

ma petite

range maintenant,

te faire

bien que tu es toujours

fille,

comme

toi, être si

tu

!...

eu un enfant sans être

promets de ne jamais

bien souffrir pour

s'oubliera.

qui

affir-

Cécile...

faire

petite

Ta mère veut

humiliée... et

veux

ma

de re-

si

cela s'ar-

ton devoir, tout


Céline ne répondit pas, n'ouvrit pas les yeux, ne vit

pas

le

visage de sa mère, aussi éloquent que

son de sa

voix.

Le front de

l'entêtée

le

crispa,

se

ses traits eurent l'aspect de l'agacement, de l'irritation.

Il

marié, alors

est

vérité, j'ai besoin

de

la

!

.

.

.

Voyons,

dis-moi

peine de plus ou de moins après celle-là!

la

Une

savoir, je préfère ça...

dit-elle

en montrant l'enfant. face dure,

Céline, la

ne

sortit

mu-

pas de son

tisme.

Laisse-la, mère, encore

est lasse, et cela lui fait

pour ce matin

mal, tu vois,

:

elle

dit Cécile,

secourable à sa sœur.

Soit

!

Mais tout de même, Céline, tu savais

bien que tu étais enceinte

qui caches

si

bien

dit

les

:

dis-moi, au moins,

choses,

si

tu as préparé

toi

une

layette.

Non.

Cécile et sa tallèrent

laconiquement Céline.

mère

quittèrent cette insensible, s'ins-

dans l'autre chambre, retrouvant des

vêtements anciens,

taillant,

petits

cousant, passant ainsi

la

journée, venant à chaque instant voir Céline, appor28


-*- 326 -4-

du

tant

à l'enfant, parlant à voix basse de ce

lait

drame inattendu.

— Dire que —

s'écriait la

je

ne m'en suis pas

mère.

— Je

l'ai

même

mince,

était

elle

comme

car

cela ne la transforme,

il

pour

que cela

!

elle,

faire

du

est

et

même

On clabaude quand il n'y

sera, alors ?

— Que veux-tu, il

Une de

plus à nour-

mais j'en doute!... Quel

pour moi,

pas sans avoir tous

sérieuse

!

fille

bien.

pour

a rien

qu'est-ce

:

Nous ne pourrons plus

les

faire

fester

un

yeux sur nous.

mère

!

le

de quinze ans;

Aimons

dans

toi,

mal

l'enfant

:

est fait,

il

s'il

dit la

faut tacher d'en n'a pas de père,

toujours de Céline, et Céline est ta

fille.

L'enfant fut déclaré de père inconnu, reçut

nom

ne

ne faut pas compter sur Céline... à moins

rir,

que

maison

taille

si vite l'escalier!... Il

nous manquait plus que cela

la

d'habitude. Sa

couleurs sur les joues...

avait ses

hier encore, elle descendait

affront

î

mes ques-

quelquefois, mais elle esquivait toujours tions... Elle a été rouée,

aperçue

trouvée bien fatiguée

le

pré-

de Yictorine. Céline ne parla que pour manison désir de l'appeler ainsi.

La convalescence de Céline

fut courte. Plusieurs


-s— 327 -*fut interrogée sur le père. Elle

fois elle

qu'une

sœur

fois à sa

— Ce

n'est pas ton affaire.

Huit jours après

naissance,

la

un malin,

et

Cécile ne trouvèrent plus Céline

le

lit

que

Sur

l'enfant.

un morceau de

:

il

:

mère

n'y avait dans

table, à côté la

la

du biberon,

fuyarde avait écrit deux

:

Ne me cherchez

Je vous ennuie

la

papier,

lignes au crayon «

ne répondit

:

je

pas. Je suis bien maintenant.

m'en

vais.

Maman

soignera mieu\

Victorine que moi. »

— Malheureuse — !

dit Cécile.

Elle souleva l'enfant, le serra dans ses jeunes bras,

comme baisant

si

le

— Je

elle

doux

serai ta

prenait à front

témoin l'avenir,

du nouveau-né

en

:

maman.

Mais bientôt l'enfant languit si

et dit

et

mourut,

son inconsciente mère avait emporté sa

un grand chagrin pour

Cécile. Les

comme

vie.

Ce

deux femmes

fut

sui-

virent le léger cercueil, s'en revinrent, serrées l'une

contre l'autre, dans leur

triste logis

qui leur parut un

désert.

Elles

explorèrent

les

alentours

avec

la crainte


328 -*-

.§_ secrète d'une

affreuse

en vain. Puis,

elles se

rencontre.

attendirent

Elles

résolurent à quitter la maison.

Malgré tant de malheurs qui leur étaient arrivés folie

du

alcoolique

Céline,

accouchement

père,

mort de Victorine,

et fuite

elles seraient restées.

:

de

Leur

histoire était banale, après tout, et les pauvres gens

sont habitués à ces catastrophes.

jours pour cela bienveillants souvent, sans

et

Ils

ne sont pas tou-

humains,

et

une

raison, les voisins font

guerre aux vaincus de l'existence. Toutefois,

Les deux femmes avaient

fut pas ainsi.

gens qui ne s'occupèrent pas qui

les estimaient,

attitude

si

d'elles,

si

terrible il

n'en

affaire à des

ou à d'autres

qui respectaient leur deuil

réservée,

bien

et leur

convenable. La concierge,

toute à ses billets de loterie, n'était pas une mauvaise

langue,

et les locataires étaient

quilles, ouvriers,

trant

le

temps de

soir,

employés, partant

sortant

s'attendrir

déménageait

et

des personnes tran-

le

le

matin

et

ren-

dimanche, n'ayant pas

ou de débiner

:

d'ailleurs,

le

on

on emménageait fréquemment dans

la

maison. Le père Chaudron

la

mort du père Pommier

;

n'était plus

Paterneau,

courses, avait changé de quartier,

venu depuis

le

joueur aux

et les

nouveaux


-*—

329

*-

habitants ne s'étaient pas enquis de ces deux

femmes

qu'on n'apercevait guère.

Ce

fut la nécessite qui força la

mère

cher,

un logement plus

donner Il

Belleville

petit

ou trop

et la

un

fille

moins

s'établir sans

aban-

s'en éloigner.

y avait encore un autre motif à leur changement

M me

Cécile se séparait de

ne gagnait passa

Bausse, chez laquelle

vie. Elle avait découvert,

des affiches manuscrites collées sur les

magasin de

la

à

loyer

déguerpir, elles aussi. Elles voulurent

:

elle

au hasard

murs, un

rue Lafayette qui « demandait des

ouvrières » et elle suggéra à sa mère l'idée de se

rapprocher des Buttes-Chaumont. Si près

du parc,

elles

elles habitaient

auraient bon air et belle lumière,

une promenade toute proche,

et

elles

pourraient

essayer de revivre. Elles cherchèrent ensemble,

de

la

rue Lafayette, trouvèrent

un la

soir,

en revenant

rue Secrétan, qui

montait tout droit aux Buttes Ghaumont. Elles s'établirent là

Cette rue Secrétan, étroite et

sombre, a

démolie en partie.

un peu

été,

En

à la hâte.

dont l'ouverture

était alors

depuis, assainie, modifiée,

cette année-là, la partie 28.

com-


—*-

33o

•#—

prise entre le boulevard de la Villette et la rue Boli-

var était

un des plus

cheminé

la

tristes

entrepreneurs

de mise en scène,

maisons

au

et

du pittoresque

lodramatique par

Le banal

seul

sinistre, quelle

C'est

aspect

jamais

commandé

l'agencement des

les

et les

avaient

qui convient à

travail sans espoir.

n'avait

et

cet

même

non plus ne donnait

rien

ait

sans songer à aucun effet

décor

le

pauvreté besogneuse

tion des

de

responsables

réalisé, sans le vouloir et

souci

couloirs

misère de Paris. Les propriétaires

construc-

boutiques,

du faubourg mé-

l'idée

procédés

la

usités

au

théâtre.

triomphait, mais avec quelle beauté

douloureuse éloquence

une invincible

avait fait rassembler ces

loi,

sortie

!

des

choses, qui

maisons sans âge, ces bâtisses

qui prenaient immédiatement, en s'élevant du les

apparences non illusoires de

vétusté. Les pierres elles

un

une

se

maladie

et

de

la

lèpre.

Les

lettres badi-

aux murs coulaient immédiatement en

salissures noires, de la teinte

terrement.

la

sol,

employées avaient apporté avec

effritement et

geonnées

la

Aucun

du noir des

lettres d'en-

Les couleurs employées aux devantures

décomposaient en jaunes

et

en verts morbides,

le


-*- 33i -Hh

rouge des façades des marchands de vin se coagulait et noircissait

assassinat. sait

en flaques de sang oubliées d'un

La

tristesse

naturellement

des bas-fonds sociaux surgis-

librement.

et

Est-ce l'orientation de la rue qui Il

vieil

voulait ainsi

le

?

semblait qu'il y eut toujours une humidité et une

fraîcheur dans

que

lumière du

la

que

l'air,

l'eau des ruisseaux stagnât,

soleil

pouvoir entrer dans

rodât dans

la rue,

que

le

le

quartier sans

pavé fût toujours

gras.

Même

nait,

une brume obscurcissait l'atmosphère

doute tait

elle

lorsque le

montait du

ciel

se pavoisait et s'illumi-

de l'amas en fermentation des

gîte est

la

sans

sol et des ruisseaux, elle sor-

des arrière-cours, des entrées d'hôtels

Car

:

garnis,

victuailles.

rue où Cécile et sa mère ont trouvé leur

une rue où

la

nourriture abonde. Les vitrines

ouvertes crevaient, débordaient, versaient leur trop plein de mangeaille sur le trottoir

boucherie les

et

de

veaux pâles,

comme

charcuterie, les les

gigots de

:

les

viandes de

bœufs saignants,

mouton enveloppés

des bouquets dans des papiers découpés et

ajourés en broderies, les moitiés de porc épais de lard, les guirlandes

de saucisses,

les

mous

roses et


-*

-$— 332 violets,

foies

les

tous

les

suifs

tous les gras-

et

doubles, tout ce qui, chez les tripiers, colle aux tables

de marbre

et

trempe dans

baquets.

les

aux

charnier offert aux fatigues,

appétits,

C'était

le

aux faims

terriblement gagnées.

Tout

poignant on ne

cela,

comme

maisons,

les

fruits,

les

sait

pourquoi,

l'atmosphère. Les légumes, les

dans

fromages,

rez-de-chaussée

les

pauvres cassines, ou vendus au panier, sur

du

avaient la

trottoir,

comme

même

le

des

bord

apparence de nourri-

ture de hasard, faisaient songer à des restes dédai-

gnés. C'était la

pauvreté qui essayait de vivre de

la

pauvreté.

Ces

petits

marchands, pour

inquiets et misérables, autant taient

comme

ils

plupart,

étaient

que ceux-là qui

aux éventaires. Le boucher,

marchand de

les

la

le

s'arrê-

boulanger,

le

vins, dispensateurs de la vie, luttaient

pouvaient contre

pratiques habituelles

les

du négoce

quées partout, au passage de

Mais l'homme a

si

mauvaises payes, étaient

et

embus-

la foule.

bien accepté la vie, dans n'im-

porte quelles conditions,

il

s'est fait

une

telle

habi-


*- 333

-*-

mêmes

hide des événements toujours les jour,

que ce passage

sinistre partie le

stationnement de foule

et ce

pas plus sinistres qu'ailleurs,

n'étaient

de

rond-point de

ces pavés qui

barricade,

la la

rue

chaque

<!<•

cette

comprise entre

Secrétan,

Villette et

dans

rue Bolivar. Sur

la

semblaient promis à quelque future

dans

rue

cette

sement de drapeau étaient joyeux, les

noir,

pour un

faite les

surgis-

enfants des pauvres

physionomies des

hommes

étaient

joviales.

Debout sur le le

le

pas des portes, ou descendant vers

boulevard, ou montant, aux jours de répit, vers

paysage des Buttes-Chaumont,

leur allure de bons

compagnons,

une pipe de bon tabac Les femmes,

un

et

elles, étaient

mâles gardaient

les

vite déridés

par

verre de mauvais vin.

comme

toutes les

femmes

de faubourg, pensives, ou stupéfiées, bu soucieuses avec des yeux ardents.

prendre

le

drame

social

Une

telle

rue faisait com-

en suspens,

la révolte possibles, et aussi la triste

ceptation, la longue sérénité

de terre,

la

pauvre

joies qui s'achètent

les

désespoir et

beauté de l'ac-

du cheminement à

ras

égayée par

les

vie matérielle,

dans

le

boutiques.


-*— 334

ny

Il

a

Sh

aucun blâme. Chômage, misère,

ici

inquiétude du lendemain, ne sont pas des vices.

du

sont les injustices

Le

tion. le

lendemain

le

la

la

foule qui

qui affiche un

En

haut,

nomie de

la

il

avait

énergique,

gaieté

rue

Cette

non pour

donne une

tel viril

y

belle signification par

meilleur.

d'autres sont admirables,

pour

une

spectacle prend

labeur sans trêve,

pour

Ce

sort et les tares de la civilisa-

telle

l'effort

et

bien

leur aspect, mais

leçon de courage,

espoir.

un élargissement. La physio-

rue changeait après

traversée de la

la

rue Bolivar. C'était alors une rue des quartiers neufs

de Paris, bordée de terrains, de maisons en construction, de

maisons neuves,

les

maisons ordi-

naires, à façades sculptées, à balcons, à vestibules.

A

gauche, derrière un remblai de

chiffonniers. les

A

droite, entre

mouvements de

seuses, terre

verdies

dessinées

d'herbe

brillent

laiteries.

en

une

cité

de

bâtisses nouvelles,

terrains de buttes incultes, glai-

Quelques coins de

rare.

de pousse plus drue où paissent

de vaches des sons

deux

terre,

Sur

les

plein ciel,

aux moindres feux de

troupeaux

les

sommets, des maiet

dont

l'espace.

les

En

vitres

contre-


-s- 335 -§bas,

clocher

le

de

d'un presbytère en et

un

l'église

camp

Saint-Georges,

volant,

accolé

un rez-de-chaussée

premier étage à galerie de bois.

L'étendue aperçue évoquait une banlieue de maritime, sur

les

dont

crêtes

et

les

dernières maisons

dans

les

replis

perdent

se

d'une

paysage suggéré vient

Dans

au

jaillissent, les

moment où

flammes de gaz

les

scintillent

réel.

lumières

comme

feux des jetées, les jets de lumière s'élancent les projections

Un

falaise.

s'ajouter au paysage

ces parages, le soir,

ville

les

comme

des phares.

Enfin, plus loin, c'est la féerie des Buttes-Chau-

mont.

La rue conduit au jardin de arbres,

repos, aux fleurs, aux

aux bancs, aux pelouses, toute une grande

étendue de nuées et d'éther au-dessus des vertes collines.

Malgré ce voisinage, Cécile rent

pas

rester

dans

la

et sa

rue

mère ne voulu-

tumultueuse.

Elles

n'avaient que trop vu ces décors violemment animés

par

le

drame de

de repos,

la vie.

Toutes deux avaient besoin ce

repos

complet.

A

il

leur

fallait

peine installées,

elles

donnèrent congé, cherchèrent

et


4- 336 -* encore, ne virent rien pour

haute

bourgeoise de

et

la

sèrent alors de l'autre côté

elles

dans

la

partie

rue Secrétan. Elles pas-

du

parc, se retrouvèrent

à Belleville, explorèrent la rue de la Yillette, se déci-

dèrent pour une petite rue, la rue Louvain, entre

rue de

la Villette et la

la

rue Lassus qui longe l'église

de Belleville. Elles louèrent

une chambre

une

et

cuisine, avec

du grand

des fenêtres ouvrant sur la rue, en face jardin inculte d'un ancien pensionnat. les arbrisseaux, les fleurs, les

liberté. Il allée,

Les arbres,

herbes y croissaient en

y avait un jeu de boules dans une large

mur

à l'ombre d'un vieux

En somme,

contreforts.

soutenu par des

elles habitaient,

là aussi, à

dix minutes des Buttes-Chaumont, que Cécile traversait presque tous les jours

pour

aller

prendre

rapporter son ouvrage, et la mère et la vaient, s'asseoir

à leurs instants de répit,

dans

le

oasis de la ville

Comme

beau jardin,

de

travail et

le

voies de la

promener

se

et

pouet

parc enchanteur,

de misère.

dans

les rues,

passages des alentours, dans

les larges

tous ceux qui habitent

les ruelles, les

fille

Yillette

ou dans

la

là,

petite province de


-*- 337 Belleville, elles

se

domaine inattendu,

s-

trouvèrent

les

propriétaires d'un

surent en goûter la sur-

elles

prise et la douceur. Les jardiniers qui ont

employé

ces accidents de terrain, dessiné ces pelouses, planté ces arbres, ont été des fournisseurs d'illusions les

Au

passants.

d'un

nom

pente, à gilité

gré de l'esprit et des yeux, selon

l'atmosphère et l'heure,

saison,

décors,

d'allée.

la

on peut nommer

préféré le paysage aperçu au

un tournant

de

pour

bas d'une

Nature de théâtre,

fra-

Normandie,

des

maquettes

de

Vosges ou du Jura, de Suisse ou de Bretagne, mais

même un

c'est tout

de

et d'autres

verdures, et

qui sont

ici

et

départ vers d'autres pierre nostalgie de tous ces gens,

la

qui sont nés ailleurs, peut trouver

dans cette nature factice

l'enchantement du sou-

venir.

C'est l'apothéose

mensonge, une fait

du

factice,

sorte de

La grâce

et traversée

minutes

à

vue qui

et d'usines,

bruyante

subite de ce beau jardin agit sur

libres.

se

de fumées. l'intelli-

fut retenue là

dans

Elle préférait rester sur la

hau-

gence attentive de Cécile, ses

règne d'un doux

changement

dans cette région de négoce

de machines

le

elle

*9


*- 338

-*-

teur plutôt

que de descendre vers Paris, dans

du

Gomme

cirque.

en semaine,

les autres,

le

fond

elle était

bien forcée de dégringoler la côte pour s'en aller

chercher sa subsistance. elle avait

un jour à

elle

Au

moins, par

son quartier, pour apprendre sait si vite, les autres jours,

casanier,

ce sentiment

petites villes

dans

la

le

dimanche,

pour connaître son séjour, les

rues qu'elle traver-

matin

du chez

grande.

crée ainsi des

soi,

Que

Ce goût

et soir.

l'on sache bien

qu'à Bagnolet, à Montreuil, aux portes de Paris, contre la barrière,

il

y a des bonnes femmes qui

n'ont jamais franchi l'enceinte des fortifications, qui n'ont jamais eu la curiosité de l'autre côté.

De même, dans

ce quartier

vards extérieurs, la

mère de

au delà des boule-

Cécile,

comme

quantité

de femmes tranquilles, très travailleuses chez

peu enclines à

sortir,

que ce qu'elle en voyait à l'horizon de

toits,

:

un découpage

de monuments, de clochers, dans un amas

de fumées. Pour

d'un jardin fait

elles,

ne connaissait guère de Paris

tel

celle-là et ses pareilles, la création

que

les

Buttes- Chaumont est

un

bien-

qui ne sera jamais assez célébré. C'est là que

mère, en promenade avec Cécile,

allait

au

la

soir cher-


339 -*-

-s—

cher son pays de Bretagne, son souvenir d'enfance.

La

grotte, la cascade, le lac ne disaient pas grand'

chose à son esprit, pouvaient l'étonner

comme une

nature de théâtre, mais une chanson de campagne était

lui

pierres,

chantée par ce ruisselet courant sur

les

où venaient boire

les

ce

ruisselet

clair

merles, où se reflétaient les sapins.

Et

les autres,

ceux qui ne sont d'aucun pays, qui

sont nés dans une rue démolie, qui déménagent de

maison en maison, depuis leur naissance?

Pour ceux-là, avec un peu de conversations écoutées,

après

quelques lectures retenues, la

traversée

tous les lointains voyages. la

peuvent croire,

ils

du parc minuscule,

avoir accompli

La montagne,

la terrasse,

lande, la muraille granitique brodée de lichens,

apparaissent à la fois dans l'étroit espace. Les plantes les

plus différentes croissent, la nature se transforme

et se déguise. Cécile était ainsi,

minute,

une

rapide

minute,

avait la

pendant une

sensation

Pendant une

de

la

grand'route

en

minute

descendait un sentier rocailleux perdu

dans

elle

la solitude.

argent,

un

pleine

forêt.

Une eau

autre

courait en zigzag de vif-

torrent sautait sur des pierres usées,

une


-s— 3zjo

cascade tombait dans

le

—s-

clair-obscur verdâtre d'une

une mare subitement

grotte,

se

dessinait

en

des

proportions de lac.

Tout

est ajusté,

place possible.

façonné, pour tenir

C'est

une

le

moins de

série d'échantillons,

mais

les

arrangeurs de ce jardin ont admirablement pro-

fité

de sa disposition naturelle. Ce qu'ils n'avaient

pas en étendue,

su

pour

des

servir

se

ils

l'avaient en hauteur, et

collines

et

des

ils

ont

vallonnements

dans ce coin de Paris, cette contrée

créer,

Les descentes

pittoresque.

et

les

montées ont

été

propices à la variété de visions cherchées. Et c'est ainsi

que

le

noir Montfaucon a été transformé, vêtu

de verdures, parfumé de fleurs, ouvert sur des scènes multiples,

nature,

des

changements à vue de

— un univers en

vie

et

de

raccourci.

Cécile connut

le

jardin, ses alentours, et connut

vu de loin

et

de haut.

Paris,

A

tout instant, de chaque tournant de rue, sur la

colline de Belleville,

Paris se révélait à

elle,

gran-

diose et bruissant, au bas des chaussées qui plongent

en son océan.

sommet, de

De

tel

telle

seuil

rue courant en lacet à quelque

d'une maisonnette dressée en


-s— 341 plein ciel,

trois la

c'est

cam-

lointaine

du haut des Butles-Chaumont, de

points différents, que

la fillette avait

la

vision

plus étendue.

Par à

ville apparaissait, et la

la

pagne. Mais

§-

la

droite

rue Botzaris qui longe des

le

parc, elle laissait

des cahutes entourées de

palissades,

tournesols et de roses trémières, des hôtels meublés,

un immense vieux

cheval,

dominé par ville.

A

vague où

terrain

les

terrain

de

encadré

deux clochers de

gauche, par

percée d'une allée,

les grilles, elle le gris

le feuillage, et enfin

espace,

errait toujours

et

la

maisonnettes,

l'église

de Belle-

voyait le jardin,

la

bleu de l'horizon à travers

une subite

de

découvert

d'une balustrade

quelque

éclaircie,

l'immense

maintenant bordée

rue,

suspendue au-dessus de

la cas-

cade.

De

là, les

petites,

un

Buttes-Chaumont

îlot

se

découvrent toutes

verdoyant perdu dans l'espace. Elles

sont enserrées de toutes parts, bloquées par

de pierre,

les rues,

les

maisons,

les usines.

la ville

Ce qui

apparaît, c'est que la nature a conquis à grand'peine

ce

peu de

miracle

la

terrain, et qu'elle

ne déploie

fantasmagorie subite des

ici

pins

que par et 29-

des


-s— 342

s-

mélèzes, des peupliers et des sycomores, des bou-

leaux et des trembles, des saules et des osiers, des fleurs, des rochers, des eaux.

On

décor fragile s'évanouir, on a

menace, d'une le

lutte

craint de voir ce

la

d'une

sensation

aux alentours. Mais on n'a pas

temps de définir son impression, car immédiate-

ment on

est distrait

de tout par

la

beauté de Mont-

martre, par la colline finement dessinée, modelée en justes proportions, qui s'enlève d'une grâce

si

légère

au-dessus des frondaisons des Buttes-Chaumont.

Montmartre, à l'horizon, au delà des marronniers et

des frênes, dresse ses pentes de gazon, ses mai-

sons, ses murailles blanches, ses échafaudages. le soleil

vienne illuminer ces pierres, que

de

minuscule

la

vapeur

d'or,

montagne

l'imagination

la silhouette

poudroie s'en

va

Que

dans

aux

une

collines

sacrées et aux temples de la Grèce apparus au-dessus

d'un rideau de verdure. Descendez, plongez au ravin de

au labyrinthe de

la

rue Bolivar, de

feuilles,

montez

première colline, au-dessus de

Montmartre changera

la

d'aspect,

entouré de maisons, de sillons de pierres qui dessi-

nent

les

mouvements de

terrains,

montent

comme


-s- 343 -«-

des vagues à Tassaul d'un haut rocher. C'est une

de tempête où

mer

émergent en mâts de navires

aiguilles des clochers, les fins

Toutes proches,

maisons des faubourgs dégrin-

les

golent les descentes, vont se jeter au gouffre. voici que,

par une image visible,

au passé

relier

:

la

de

plan,

le

Et

présent va se

vue s'en va, tout naturellement,

sans solution de continuité,

du premier

les

tuyaux des fabriques.

de ces

ces nettes

de

toits

tuile

de

façades,

ces

fenêtres ouvertes, de ces vitres qui étincellent, vers le

décor qui surgit aux crêtes des vagues durcies,

vers

le

Paris

dans

la

brume

historique dressé en mirage

fumeux

colorée, le vaisseau initial de la Cité,

Notre-Dame massive,

la

montagne Sainte-Geneviève

aérienne, le Panthéon dressé en cime.

Le jardin encore suivis,

traversé,

le

dessin des sentiers

au bord des creux où fleurissent

de rouges géraniums, au-dessus de jaillit

une

toufie

d'hortensias,

la

les corbeilles

cascade d'où

au long des

allées

ombragées, des rangées de bancs où causent des vieux, où chuchotent des femmes,

hommes

éreintés,

du Belvédère,

où dorment des

et ce sera la courte

la vision

ascension

complète du Paris immense


-*- 344 et

brumeux, océan

*-

hérissé de navires, et de la plaine

industrielle.

La

Villette,

bervilliers,

la

Pantin,

Prés -Saint-Ger vais, Au-

les

Plaine des Vertus,

le

promontoir de

Romainville, c'est l'aspect nouveau qui s'ajoute au Paris ancien.

Les abattoirs,

les four-

les fabriques,

les usines,

neaux,

les

tuyaux, un amas formidable se dresse,

proche

les

jardins suspendus, les rochers artificiels,

On

l'eau sillonnée de cygnes.

sons, environné de fumées,

jamais dans

le

est

cerné par

les

mai-

et la vision s'installe

à

souvenir.

C'est, finalement,

un énorme champ de

bataille,

étendu jusqu'aux collines qui ferment l'horizon. Ces fumées, qui sortent des blent se répondre et

comme On

les

de bâtisses,

les foules,

si

loin,

mais

des incendies.

et

manœuvrer

elles

y

sont,

dans ces

défilés

les

on

une humanité haletante court entre terrains,

qui sem-

et

combattre, sont tragiques

se

fumées des canonnades

ne voit pas, de

passer

îlots

troupes et

les

ces

devine

replis

de hautes maisons.

De

:

de ce

belvédère, de ce haut observatoire social dressé sur Paris,

on aperçoit distinctement, sous

le ciel, l'agi-


-*- 345 -*tation

de l'énorme

faubourgs fait là,

et

violemment

que par

le

fumées,

en travail,

\ill«'

Une

de sa banlieue.

lo

labeur de ses

histoire nouvelle se

sourdement, qui ne

et

bruit des machines

un peuple

et

se forme,

l'essor

se révèle

lent des

s'agrège, s'agglo-

mère, créé de forces venues de partout.

On

voit

mon-

insensiblement sa vie, on entend sa rumeur, sa

ter

voix, à travers le bruit

du

fer retentissant,

des

ma-

tériaux déchargés, des voitures, des locomotives, des sifflets

stridents

et

des

grondements colères des

usines.

Désormais

l'oasis

de verdure perd son caractère

d'isolement, apparaît entourée de multitudes,

din de repos est traversé de voix qui

qui crient

:

«

Pas de repos

Les jours d'hiver, traversait tout elle.

de

une

le

tôt,

Cécile

jardin pour rentrer chez

vaste allée, bien éclairée,

rant le spectacle et craignant les était

et

»

un peu, en regardant autour

Le spectacle

murmurent

nuit venue plus

même

Elle passait par

se hâtant

la

!

le jar-

d'elle,

admi-

ombres rôdeuses.

beau. Le soir, c'est l'effacement de

tous les aspects particuliers, l'installation d'une ré-

gion de rêve à

la

place des prairies

et

des sapinières.


-*-

Sous

la clarté

bleue de

dorée du gaz

la nuit,

nouit, les

346 -s-

dans

la

dissolvent,

taillis se

sous la froide clarté

et

brume

d'hiver, tout s'éva-

un

linceul flotte sur

toutes choses, les eaux luisent en miroirs mystérieux.

C'est

une fantasmagorie, un surgissement de

Nord, où de

clair

les froides fées

de lune, vont entrer, glissantes

Mais ce ne sont pas

forêt

du

vêtues de glace, de neige et

les fées

et silencieuses.

qui entrent, qui tour-

noient en ballets rythmiques et lents dans cette ouate

atmosphérique trouée d'ors de

la

et

de saphirs.

Aux jours

mauvaise saison, de noires silhouettes,

et rapides, traversent le jardin, se

furtives

hâtant vers quelque

subsistance, vers quelque feu incertain. Elles sortent

des voiles blancs et bleus, de la

mière,

apparaissent

un

instant

brume

et

éclairées

de

la lu-

par

une

lueur, et disparaissent, s'en vont aussi vite qu'elles

sont venues.

Ce

sont les

mêmes

fillettes

qui s'attar-

dent dans l'ombre aux soirs de printemps

et

aux

soirs d'été, qui respirent l'ivresse passagère des fins

de jours, les

les

arômes envolés des parterres.

promeneuses sont changées en passantes,

et les

cœurs sont

longent vite

glacés,

la lisière

et

les

En

les fronts

peureuses

de ce bois neigeux

et

hiver,

fillettes

farouche


•*

-H- 34 7

pourrait y avoir des loups, et pis encore. Des

il

ombres sont inquiétantes, semblent

guetter,

embus-

Cécile eut une aventure qui l'épouvanta.

Comme

quées dans

toutes les

le

brouillard.

fillettes,

les

jeunes

filles,

les

femmes qui

sont obligées de se lancer seules parmi les dangers

de

la rue,

vent

elle fut

murmurer

teries,

souvent

entendit sou-

à son oreille des invites, des plaisan-

des paroles ordurières.

beaucoup d'autres, prenait entrait

abordée,

Elle faisait

l'autre côté

de

comme la

rue,

dans quelque boutique, décourageant d'une

manière quelconque l'obstination du poursuivant. Elle n'eut d'effroi

un

que d'un

seul, qui paraissait plus

malfaiteur qu'un amoureux.

Un voyou

lui

em-

boîta le pas, et ne cessa, pendant le parcours des

Buttes, de lui tenir des propos cyniques. silence de la petite prise.

Deux

fois encore. et,

pour

jours après,

le faire il

Il fallut le

renoncer à son entre-

reparut, et

une troisième

L'intervention d'un passant, certain soir,

un autre

libérer Cécile

soir,

la

présence d'un gardien durent

de l'odieuse voix

et

de l'affreux contact.

L'être était vraiment abominable

:

une bouche mauvaise qui montrait

un les

visage bas,

dents, des


348 -g-

•*-

yeux pervers

Céline

!

»

qui espéraient une proie.

et féroces

« C'est sans

doute un

pareil à celui-là qui a

perdu

songeait Cécile.

Cette pensée lui rendit sa vaillance. Elle se vit plus forte

que

malgré

bandit,

le

le

devina rampant

sa grossière parole.

A chaque

rencontre,

il

blême

vient à elle,

nois, ricaneur et lâche, et redit son refrain

— Tu

as

beau

faire,

tu y passeras

Il finit

et sour:

!

Elle s'arrête, le regarde, sans baisser les

— Justement,

yeux

:

je n'y passerai pas.

par se lasser, reconnut qu'elle n'était pas

née pour l'emploi qu'il lui destinait. et

cœur

elle

lui battît bien vite,

son chemin.

restait

Il

il

y avait en

elle le

continuait de suivre

en place, l'invectivant. Elle

beau modifier son parcours,

sans cesse, mais

Il

de décidé. Quoique

quelque chose de paisible

avait

couard,

et

elle le retrouvait

perdait de son acharnement.

Un

jour, elle ne le revit plus et respira.

Désormais, les silhouettes

elle évite

avec plus de soin que jamais

de ce genre, pressent à de longues

distances les figures suspectes, va plus vite, à l'abri de quelque sérieux

compagnon de

marche

route, sans


*que

celui-ci se

doute

349 -*-

même

de

honnête calcul, est

l

pleinement en sécurité dès qu'elle atteint rue de

même

humbles boutiques. Elle

ses

la Villette,

contentement chaque

coin de

la

l'étroite

a le

tourné

lois qu'elle a

rue Louvain, qu'elle a gagné

]<

petite

la

porte de la petite maison, embrassé sa mère, et revu

par

la

fenêtre

le

vieux

donné, de verdure

si

mur

d'en face,

le

jardin aban-

tendre au printemps, mainte-

de

nant tout rempli de neige. Des vols de pigeons

et

corneilles s'en vont sous le ciel bas. Les heures

tom-

bent des hauts clochers de l'église de Belleville. nuit vient.

De temps en temps, un

pas,

une

La

voix,

C'est

presque

le

Les beaux jours revenus, l'année des

seize ans

de

roulement de

quelque

voiture.

silence, et c'est enfin la paix.

Cécile, elle et sa

décor

des

liberté.

mère vécurent, dans

Buttes -Chaumont,

Sa mère

n'était

leurs

moments de

pas malade, ou du moins ne

Tétait pas d'une façon précise,

mais

quoi

elle

sait.

Les cheveux de cette

souffrait,

l'accueillant

elle

n'aurait

pu

dire de

changeait, s'affaiblis-

femme de cinquante

étaient presque blancs, de la

blancheur grise du

argent, son teint était d'une pâleur extrême

ans vieil

où te

vi-


-s— 35o

—«-

vaient seuls les regards acérés et la ligne sinueuse de la

bouche. L'accouchement

et le

départ de Céline

avaient enfin épuisé ce cœur énergique,

et,

sans doute,

renonçait à combattre, puisque tout était détruit

elle

autour

d'elle

et

qu'elle se sentait en sécurité avec

Cécile.

quelque banc, à l'ombre d'un

Celle-ci, assise sur

bel arbre,

recouvrer

auprès de sa mère qu'elle espérait voir la

santé et la force, croyait deviner que

pauvre mère

cette

toute

fut

ingénue. Ce qu'elle avait fdles,

une créature

vie

pour élever

pour sauvegarder son homme,

tout naturellement, par

en

fait

sa

elle,

l'instinct

ses fils, ses

elle l'avait fait

de vivre qui

était

subissant les événements sans trop y rien

comprendre que son devoir immédiat, absolument

comme la mère

oiselle

qui défend son nid

ses oisillons, épie leur sort fragile avec si vive.

Elle aurait eu probablement

sereine, heureuse, elle avait

vu tout ce

prendre gentiment

elle avait

si

petit

et

protège

une

vieillesse

accompli sa tâche,

monde

la vie existait, si elle n'avait

si

qu'elle avait couvé

fortement sa volée

faire des nids ailleurs. Elle se serait à

que

et

une inquiétude

et s'en aller

peine aperçue

pas connu

le

mal-


-*— 35i heur. La peine et

«-

misère n'auraient pas coin pli

la

Elle aurait eu alors l'apparence tranquille, satisfaite, indifférente, des heureuses. ainsi, et

Mais

n'en avait pas été

il

devait être jusqu'à

elle

une mère

fin

la

angoisseusc et douloureuse. Son visage était devenu tragique et admirable.

— Je

n'ai pas

eu de chance,

cile,

un

tout

pour vivre contents,

soir

de doux

disait-elle à

soleil

et peut-être

sans

tout se serait-il arrangé autrement. C'est

Je pense toujours que,

si tes

ton père n'aurait pas bu... serait-elle bien

y

avait

Cé-

couchant. — Nous avions

deux

le

une

Siège

fatalité

Mais Céline! Céline se

conduite? Cela, je ne

le crois pas. Il

quelque chose d'incompréhensible dans cette

malheureuse... Et puis, je n'ai peut-être pas su remettre dans

que

je

!

frères avaient vécu,

m'en

le droit

chemin. Elle

sois doutée.

plus que pour

elle,

s'est

perdue sans

Pour votre père,

mais chez

lui

la

j'ai lutté

on voyait

le

mal,

chez Céline on ne voyait rien, ou bien j'étais aveugle...

Et je n'ai pas su, d'ailleurs, empêcher l'un plus que l'autre... Alors,

vie

!...

tu es

c'est

encore une

Enfin, je ne dois pas

une brave

fille et

me

que tu

fatalité,

c'est

la

plaindre, puisque toi

resteras ce

que tu

es.


—$

-*— 35s Elle n'exprimait pas le

moindre doute en parlant

demanda même pas une

ainsi à Cécile, elle ne lui

affirmation.

Vois- tu,

continua-t-elle,

nous représentes tous. Je ne et je

ne

sais

pense tout de

je

mais comment

marier...

c'est

pour

même

être heureux.

homme

comment

deviner

comment

me

a eue

C'était

!

un bon ouvrier!

un

Alors,

?

— Nous avons Je

fille il

pourtant, et

te

marie

se

bien?... J'étais mariée, moi, et tu as vu

honnête

qui

que tu dois

qu'on

être sûre

votre père a fini, et quelle

toi

pas ce que tu feras,

sais plus ce qu'il faut faire

Malgré tout,

temps,

le

maman,

marierai peut-être, mais je

te

et

puis tu es

là.

garderai toujours

auprès de moi.

— Tiens, —

dit la

mère sans répondre,

comme étais. Je me

des pierres et de la bruyère Il

m'a semblé que

mins

il

y a

cela en Bretagne.

rappelle des che-

et des villages, que j'ai vus autrefois, entre

Morlaix

et

Roscoff!... la

j'y

Saint-Pol-de-Léon. Il

y a

la

mer

c'était joli!...

à Roscoff.

mer!... J'aurais voulu voir

c'est trop loin et

Que

la

Que

c'est

mer avec

toi,

Et

beau,

mais

nous ne sommes pas assez riches...


-l- 353 -#Peut-être

aurions-nous dû partir

guerre. Mais

il

au bord de

et

ris...

la

aux champs

comme

rues de Pa-

mer,

la

dans

les

Tous mes souvenirs me reviennent aujourd'hui,

ne

je

après

là-bas

y a de la misère partout,

pourquoi... Jetais bien jeune quand

sais pas

Mes parents

pays.

j'ai quitté le

étaient morts, et la

tante d'Andilly m'avait fait venir... C'était tout petit,

Andilly, dans ce temps-là, quelques maisons seule-

ment,

et la foret était

bien belle!... C'est

que j'ai

rencontré ton père, qui travaillait dans un château

monde

du

pays... Qu'il y a longtemps

!...

est

mort maintenant,

ton père, et la tante

d'Andilly aussi. là...

ne

le

sommes

n'y a plus que nous qui

Il

Et Céline, où

rai jamais?...

tes frères,

Tout

est-elle? Est-ce

Mais

il

que

ne

je

la rever-

vaut mieux, peut-être, que je

la revoie plus.

— Allons, maman,

le soleil est

couché. Ne prends

pas froid. Elles se levèrent, se

parmi

les

s'éteignait.

promenèrent par

groupes d'enfants. Le

Sa chaleur

s'attardait

soleil,

au

les allées,

en

sol,

effet,

autour

des massifs d'arbres, au-dessus des parterres fleuris.

Les belles-de-nuit s'ouvraient,

les papillons

nocturnes 3o.


3— commençaient Mais Cécile

-*

354

leurs vols étourdis. C'était délicieux.

était

mélancolique, sentant chez sa mère

une gravité inconnue. L'impression de

Presque tous

raître.

tomne,

pelouses, au long

la

les

musique

ruisseau, vers

cygnes. Le dimanche,

du

pas s'approcher, voir

du Père-Lachaise

scènes

tournants la rive elles

des

du

lac

écoutèrent

des phrases sonores et mélodieuses qui

:

s'envolaient dans l'air lait

jours de cet été, et de l'au-

les

du

pour repa-

fille s'effaça,

deux revinrent aux

toutes

où nagent

jeune

la

soir. les

La mère ne vou-

soldats.

Toujours en

se ravivaient

elle,

les

avec

l'odeur de la poudre, les mains noires sur les fusils, le petit

au mur,

la jeter

menée

lieutenant féroce qui avait donné l'ordre de

si

qu'elle

vieux

et triste

doucement vers

n'avait jamais

frémissant, allaient

le

emmena

interrompre

le

la porte. Elle

dit.

sa

capitaine qui l'avait

et

mère,

raconta cela,

Cécile l'entendit en

comme

si

ces soldats

concert paisible, se précipiter

sur elles, les entraîner vers quelque muraille sinistre.

La

nervosité

en

elles, elles

du Siège

et

de

la

Commune

était restée

avaient hérité de leurs morts.

Par fragments,

la vie

de

la

mère

se reconstitua


-s— ainsi devant

calmes

la

355

§-

comme

C'étaient

fille.

des

leçons

anières qui s'identifiaient aux événements,

et

sans démonstration, sans moralité, sans conclusion. « C'est la fatalité... c'est la vie », répétait toujours la

femme

vieillie

avant l'âge. « Fais bien attention! »

ajoutait-elle encore,

songeant

aux

seize

ans de sa

Cécile mûrit vite sous l'action de ces simples

fille.

récits.

Tout en écoutant,

elle

regardait autour

d'elle.

Elle voyait les gens, les scrutait, devinait chez tous

des drames pareils, plus ou moins ressentis, classait les

physionomies,

débonnaires,

insouciantes,

cha-

grines, dures, désespérées. Elle devinait bien l'instinct

de toutes

les

mères,

quel lien

les

unissait à

leurs gosses qui se roulaient dans le sable. Parfois,

quand l'homme venait rejoindre petits, elle

avait

mine

se réjouissait

réfléchie

ou

ou

la

femme

et

s'alarmait, selon

frivole, l'air sérieux

ou

les

qu'il soif-

fard. L'air sérieux, conscient, volontaire, était rare.

Certains pouvaient tromper au premier aspect, mais l'observation aiguë de la jeune tare, et

fille

découvrait quelque

quelque signe équivoque. Brutal ou sournois,

souvent

les

deux

ensemble, voilà

les

étiquettes


356 -4-

-§—

quelle distribuait presque toujours. Pour

amoureux,

lui faisaient

ils

les

couples

A

chaque

souvent peur.

instant, chez l'amoureuse, elle croyait revoir Céline,

sa sottise étourdie, son

abandon stupide, son corps

contourné de valseuse; chez Famoureux, un menteur et

un

rapace.

Elle eut

un éloignement, une horreur des

jeunes gens plus coquets et poseurs que était révoltée

de leur

air fat

son esprit la

clair,

était

solide. Elle avait

veillait

troublé

tête

bien

faite et

le sien

n'était

pas

là.

Peut-être ne le rencontrerait-elle jamais. sa pitié ne

et

les tristes hères, si

encore de trouver vait

senti-

beau en regarder passer, des amou-

Sa gentillesse devant

un moment

dans sa

reux, elle était bien sûre que

La

bien disparue. Ses yeux gris voyaient

pensée

était-il?

les filles, elle

et imbécile.

mentalité de romance qui avait

petits

un

lui revenaient

que

minables, qui essayaient

attrait à l'existence. Elle obser-

avec complaisance un type à face d'homme-

chien,

bon

et

barbu, un peu hagard,

comme

s'il

était

traqué, qui tournait le dos au chemin, et qui buvait

avec ravissement, à et

de vin.

Un

même

le litre,

un mélange d'eau

autre s'était assis sur

un banc, qui


*-

-s— 357

mangeail un gros morceau

<!<•

pain et des débris de

charcuterie, et avec quelle ardeur de sa face maigre il

dévorait

les

!

avec quelle rage

encore un peu de misérable vie

un vieux, un

très vieux, se

il

Et cet autre encore,

!

tenant juste debout, tout

réduit, tout ratatiné, couvert d'un

verdâtre, coiffé d'un chapeau

détachés,

là-dessous,

et,

de reprendre

tentait

mauvais paletot

melon aux bords presque

une pauvre figure

à peine

vivante, et qui tire de toutes ses dernières forces sur

un

cigare d'un sou,

qu'il tient

un

!

Et

il

aspire, et

vouloir goûter

A

bordeaux

» infumable,

dans sa bouche de ses deux mains,

deux mains blêmes

mort

« petit

un

et il

ses

des mains de

tremblantes, s'applique, et

il

s'acharne à

plaisir infini.

une porte des Buttes, rue Bolivar, une mar-

chande de chansons

se dressa

singulière, dramatique.

dune

étoffe noire aussi,

faisant songer à

une

De

un jour,

noir vêtue,

le

saisissante,

front serré

une besace en bandoulière,

religieuse et à

une mendiante,

à quelque béguine arrachée à sa retraite. Elle chantait

comme

si elle était

yeux perdus,

la

seule, la face impassible, les

voix rauque. Elle acceptait l'argent

sans rien dire, et s'en allait d'un pas

d'homme,

la


*— besace au flanc, pèlerinage sans

358

un bâton

fin.

Cécile

s-

à la main, poursuivant

un

accompagna longtemps du

regard cette pauvresse pathétique,

elle aurait

voulu

savoir le secret de son existence, le pourquoi de sa

marche

errante, poussée droit devant elle, et qui était

peut-être sans raison et sans but.

L'hiver, c'en fut bait de

fini

des promenades. Le soir tom-

bonne heure. Les dimanches n'avaient pas

toujours de soleil. Et, précisément, cet hiver fut terrible, rappela l'hiver

du

Siège, par la

tombée de

la

neige, son amoncellement en talus au bord des trottoirs,

par

la

durée de

la glace.

Autre malheur, l'ouvrage manqua la vraie rie,

:

la

misère

sévit,

misère. Les deux femmes, cachant leur pénu-

eurent faim et froid. Elles subirent des journées

sans feu et sans pain dans leur logis carrelé de briques. Cécile alla au mont-de-piété, mais les objets à

engager étaient peu nombreux. Elle obtint quelque travail lait,

de couture dans

le quartier,

acheta

un peu de

de bouillon, de viande. Elle sut mieux alors

drame du dénûment, dont

le

elle avait deviné des phases

sur tant de visages torturés.

Enfin

le travail avait repris.

Mais

la

mère

avait


359 "*-

-s—

dût

souffert,

s'aliter.

Cécile faisait ses courses hâti-

vement. Elle demanda déplaisant

bonhomme

le

médecin de

parut,

la

médecin des pauvres

d'un pauvre, mais qui sentait

qui avait

l'air

son, qui

nota pas son chapeau, examina

la

Un

mairie.

la

bois-

tout juste

malade, l'interpella en bougonnant, en l'injuriant,

la traitant

de fainéante,

lui disant

que sa

fille

était

plus malade qu'elle. Cécile,

du premier mouvement de

eût eu de sa

vie, alla

ouvrir

violence qu'elle

la porte. Elle se vit res-

ponsable, chargée par la nécessité de prendre cisions,

en

elle

ressuscitèrent

ouvriers de ses frères

Foutez-moi

homme

le

les

dé-

verbe

l'esprit

et

dit-elle

au mauvais

le

:

campl

qui disparut en grommelant sans avoir rédigé

d'ordonnance. Elle referma la

porte,

apaisa sa

ramena bientôt un autre médecin,

mère étonnée, bienveillant

et

de l'anémie,

attentif celui-là.

Il

n'y a que de

la

faiblesse,

dit-il. Il

prescrivit

ture, si

du

possible,

repos,

un peu de bonne nourri-

quelques remèdes reconstituants,


*- 36o -* réchauffants

;

discrètement

après quoi, le

il

ou plutôt ajourna

refusa,

prix de sa consultation, se retira en

prononçant des paroles rassurantes. se remit sur pied,

effet, la

put aider de nouveau sa

un

leur fallait faire

En

effort,

mère

fille.

Il

calculer strictement les

dépenses, pour ne pas souffrir à nouveau de la gêne.

Puis un peu de chance vint à Cécile. Elle

était habile

ouvrière, gagna de meilleures journées, trouva dans le

quartier des robes, des costumes à faire, sur les-

quels elle peinait elle

dimanche.

le

gent, d'or. Elle se tranquillisa

En décembre,

force d'économie,

taniers.

un peu.

le froid s'aggrava,

leur de fer, les arbres blancs

la

A

parvint à mettre de côté quelques pièces d'ar-

on

comme

vit le ciel

cou-

aux jours prin-

Ces apparences fleuries rappelaient tristement

douceur

et le

parfum de

la jolie

délicieux pour l'œil, à distance,

comme

saison.

C'est

aussi la vitre

peinte de fins cristaux, brodée de dentelles dures.

La

mère

les

et la fille ignoraient les joies

considéraient

comme

si

du monde, ou

lointaines qu'elles en deve-

naient irréalisables, chimériques.

Elles s'estimaient

suffisamment heureuses d'avoir leur chez soi bien avec de

la

soupe sur

la table,

un

clos,

feu de coke dans le


-§-

-*- 36i

un peu de viande

poêle, sur Lequel mitonnait

et

légumes pendant que des pommes cuisaient au

Le vieux

aussi était excellent.

fauteuil

asseyait pour coudre, pour

de sa journée,

veillait le

poêle,

four.

Cécile s'y se délasser

d'un

pas

allait, venait,

sur-

mère,

sa

maintenant,

fatigué

visiblement

que

pendant

ou pour

lire,

de

disposait le couvert

sur la nappe

blanche.

Au

dehors,

le grésil tinte,

puis

la

neige tombe en

tourbillons, le vent soufflette les passants. Les

femmes, dans à

coup

la tiédeur

deux

de leur humble logis, tout

frissonnent.

Céline? où est Céline?

Que

fait-elle,

à

cette

heure? Elles songent, n'osent pas parler. Les larmes

montent à leurs yeux,

elles

n'osent pas

Elles se cachent l'une de l'autre. fois,

à

quand

ils

ceux qui

comme on

étaient tous réunis,

étaient dehors

Ah! ils

pleurer.

certes, autre-

pensaient bien

par des froids pareils,

pense, pendant les bourrasques, aux gens

qui sont en mer.

Combien doivent

pour disputer leur

vie

!

sortir,

Des vieux qui ont

trimer

la

barbe

hérissée déglaçons, des grelottants de tout âge, sous

des blouses trouées

;

d'autres, couverts de redingotes •3i


4— dont

le

papier

par

drap noir

rouges

mince

est

Quelles lamentables

!

faubourg

le

362 —§-

et

comme une

feuille

de

femmes on rencontre

quelles figures de misère aux nez

!

aux joues vertes

Mais aujourd'hui,

!

c'est

Céline, Céline seule qui

est dehors, c'est Céline seule

se disent pas leurs réflexions,

qui a froid... Elles ne

mais

se regardent, et

l'entente de leurs esprits est telle qu'elles

prennent, sanglotent dans

les

com-

se

bras l'une de l'autre.

Puis, tout de suite, elles se raidissent, rappellent leur énergie, la

femme

affaiblie

comme

la

jeune

fille

cou-

rageuse.

Le lendemain, froid

Le

au dehors,

ont

ciel et le sol

surlendemain, c'est

le la

même un

ruisseaux sont rigides

femmes

les

même

pareil aspect implacable, les

comme

un mot, puis

disent

pas de la rue,

le

scène muette au dedans.

les trottoirs.

Les deux

se taisent, écoutent les

pas de l'escalier, les passants qui

passent, les voisins qui rentrent.

Un et

de ces pas s'arrête à

frappe

la porte,

une main

froisse

le bois.

Cécile ouvre

:

c'est Céline.

C'est plutôt l'ombre de Céline, sur le seuil, dans


*noir,

le

une

face

363 -*-

pâle aux

pommettes Inique, des

yeux de bêle traquée. Elle s'avance d'un mouvement hésitant.

— On

C'est moi... J'en

ai

eu du mal

A

voua retrouver!

ne Bavait pas bien votre nouvelle adresse, chez

nous...

Sa voix

était

méconnaissable,

éraiilée.

Céline n'a

plus son air d'enfant léger d'aulrcfois. Sa restée assise,

immobile. Cécile

Céline. Sans doute les

est

mère

est

debout auprès de

deux sœurs

vont-elles s'em-

brasser, mais Cécile voit Céline pâlir et fléchir. Elle la soutient.

La mère

revenante vers

se lève.

le fauteuil.

Toutes deux aident

la

Elles l'aperçoivent alors,

pitoyable, sous la clarté de la lampe. Elle est nutête.

Ses cheveux blonds sont poudrés de neige. Sa

robe est une loque. Elle a autour du cou une sorte

de fourrure râpée, miteuse. Ses bottines informes, ses

vêtements sordides sont trempés d'eau

et

tachés

de boue. Elle s'est évanouie, puis reprend sens,

mais

elle est

peu à peu

toujours inerte, l'œil atone.

— Elle n'en peut plus! — D'où vient-elle?

ses


-s- 364 -s-

— —

faut la changer, la coucher.

Il

Elle a faim, peut-être.

Cécile pousse la table près de sa sœur, bol de

bouillon devant

du pain, du

elle,

restant de ragoût encore chaud, et la fille

met un vin,

un

malheureuse

se jette sur la pitance, avale vite et sans cesse,

semble insatiable. Cécile se souvient des pauvres bougres qu'elle a vus, aux Buttes-Chaumont, boire à

même

descend

les litres, et

vite,

mordre

même

rapporte des œufs,

du fromage. L'autre mange qu'elle

à

se dilate à la

voit qu'elle ne peut

d'un œil vague sa

confitures,

encore, sans savoir ce elle s'affaisse

bonne chaleur du

On

poêle.

prononcer un mot. Elle regarde

mère

vieillie, sa

— Tu ne me demandes pas où dit la

miches. Elle

un pot de

mange, sans rien goûter. Repue,

un peu,

les

sœur grandie. est ta petite fille,

mère.

Eh

bien!

ma

petite

fille?

dit

la

voix

rauque.

— Elle — Ah!

est

morte quinze jours après ton départ.

Céline est bouche béante, sans a

un

frisson.

un

pleur, puis elle


-s- 365 -*-

— Attends — !

dit Cécile.

Elle s'agenouille, lui ôte ses bottines, collées à ses

pieds par l'eau de neige, ses bas effilochés, sa robe.

Céline n'a laine

rien dessous

qu'un mauvais jupon de

une chemise de grosse

et

toile.

Sa chemise

ouverte dévoile un corps amaigri, meurtri, délabré. Elle chancelle. Cécile la conduit à son glisse sous ses pieds glacés

une

lit, la

couche,

bouteille d'eau bouil-

lante enveloppée d'un chiffon de laine, l'embrasse.

La mère

vient l'embrasser aussi, et,

machinal qu'autrefois,

la

du

borde, étale

même

la

geste

couverture

sur ses épaules, l'édredon sur ses jambes. Déjà Céline dort,

au

on entend son

tombé

gîte,

deux

Les paroles,

souffle d'animal exténué, rentré

l'abîme

à

femmes

à voix basse,

du sommeil. que

n'échangent

pour

se

quelques

communiquer

leur

navrement.

— Je ne t'ai

bien

C'est

la

dit,

reconnais plus,

un

dit la

jour, que ce n'était pas

une créature des rues. D'où

Tâchons de

— Et ne — Elle ne

Cécile.

la

lui

ma

fille

ï

sort-elle?

garder tout de

demandons

— Je

mère.

même,

dit

rien.

dirait rien, d'ailleurs.

Elle a changé, 3i.


-+

-s- 366

mais

elle a

toujours

même

le

sûre qu'il n'y a rien à en

mieux ne

Tu peux

air têtu.

être

D'ailleurs, j'aime

tirer.

rien savoir.

Toutes deux se couchent dans Elles dormirent

peu

cette nuit-là,

de

le lit

la

mère.

écoutèrent jusqu'à

l'aube la respiration épuisée de Céline.

Le lendemain, au jour, on restée jolie,

mais

elle était

la vit

mieux. Elle

était

devenue effrayante. Non

pas seulement par la teinte maladive de sa chair, le

bleuissement de ses paupières, la marque d'un coup qu'elle avait à la tempe,

mais aussi par l'expression

de cynisme, de jeunesse

finie,

égarés, à la

bouche

du pain

lait,

et

défaite.

qui se

On

du beurre.

lisait

lui servit

Elle

aux yeux

du

café

au

mangea, eut un

soupir de satisfaction, s'allongea de nouveau dans

comme

chaud. Cécile,

le lit

son magasin. La mère près de la croisée, fille,

fit

mais ne

ménage, dit

pas

prit sa place

un mot

à

sa

attendit d'elle quelque chose qui ne vint pas.

Au

retour de Cécile, Céline était encore couchée.

La jeune sœur donna à liers,

le

d'habitude, partit pour

un jupon, une

alla se laver, se coiffer

l'aînée des bas,

camisole.

Il était

dans un coin,

de bons soumidi. Céline

et toutes

trois


-s- :w : s'attablèrenl autour

du pot-au-feu qui embaumail

chambre. Puis Céline dehors,

neige,

la

le

se traîna à

fenêtre, regarda

grand jardin.

— — — Mais non, — répliqua mère de répondre. — Ce cher C'est triste,

la

la

dit-elle.

ici,

vite Cécile,

sa

pour empé

jardin, c'est

comme

un

bois.

et,

au printemps, toutes sortes d'autres oiseaux qui

chantent

quand

il

Il

:

y a plein d'oiseaux, des pierrots en hiver,

des rossignols, des merles. Je t'assure,

y a du

Etait-ce

soleil, c'est

mieux où

bien beau.

tu étais

?

— interrogea

la

mère. Céline n'eut qu'une espèce de rire nerveux.

— Comment trouves-tu? avec moi? — encore — Je mieux... te

intervint

Veux-tu

travailler

Cécile.

Vrai, j'étais vannée, à patau-

vais

ger dans la neige. J'en ai eu du mal à venir

ici !...

Oui, je veux bien travailler.

— Alors, installons-nous

ici,

Les deux sœurs se placent l'une de l'autre, et la

mère

près de la fenêtre.

comme

jadis,

en face

a l'illusion de revoir ses

enfants d'autrefois. Mais les doigts de Céline sont

désormais inhabiles.

Ils

ne sont plus piqués par

l'ai-


*mais jaunis par

guille,

coud lentement, dans

vitre,

368 -#-

dans

]a rue,

Et puis,

la cigarette.

elle

si

regarde à toute minute par

si elle

le jardin,

il

la

n'y a rien à

voir pour elle, c'est qu'elle s'ennuie. Elle bâille, elle étire

son corps aveuli,

a les reins cassés, et ses

elle

pieds ont des tressaillements convulsifs.

Au dans

soir, le

propose de venir avec

elle

La jeune voudrait amadouer

cette

Cécile lui

quartier.

aînée sauvage et rebelle.

commande un

Elle l'emmène

à la rôtisserie,

poulet rôti, pour qu'elle

dîner. Elle a pris

un peu

l'emmène aussi

au bazar en face de

ait

un bon

d'or dans sa bourse, et elle l'église,

au

magasin de confections, près la rue des Pyrénées, lui achète

un

petit

manteau ouaté, une toque.

Céline se laisse choyer, connaît sir à fouiller

parmi

les

tourbillonne toujours parapluie,

bras

:

rubans, elles

dessus,

un

instant de plai-

les étoffes.

reviennent sous

bras

dessous.

La neige le

même

Cécile

a

quelque espoir de persuader cette grande sœur qu'elle sent

si lasse, si

brisée, auprès d'elle qui

marche d'un

pas vif, d'une allure décidée.

— Combien gagnes-tu donc? — Céline. — Ça dépend. Trois, quatre francs par jour. dit


*- 369 -* Cinq,

six francs

travail

avec

maman, quand

il

y a assez de

pour nous deux.

— Ah!... Et t'amuses? — Je ne m'ennuie tu

pas. J'ai toujours à faire. Et.

j'ai

Il

maman. y eut un silence.

— Et

toi?

reprit Cécile.

— Tu

n'avais pas l'air

de quelqu'un qui s'amuse, hier, quand tu

es venue.

Qu'est-ce que tu as fait? Qu'est-ce que tu fais? dit-elle

doucement.

— Tout, — répond farouchement — Pauvre Céline!... Est-ce que recommencer

— Ah! le

à vivre avec nous,

ne m'embête pas,

bras de sa sœur,

— ou

Céline. tu ne

veux pas

maintenant? dit l'autre, lâchant

camp

je fiche le

tout de

suite.

Elles étaient arrivées à l'église, n'avaient plus qu'à

tourner

la

rue Lassus pour regagner

— Non, fais

pas

la

la

rue Louvain.

je ne t'embêterai pas. Allons, viens, ne

mauvaise

commandé un

tète.

Tu

ne voudrais pas que

j'aie

poulet pour rien!

Céline suivit alors Cécile. Et

voracement que

la veille, la

elle

soupe,

le

mangea, aussi poulet, le des-


-#— 370 -4-

comme

sert. Et,

coucha, mais avec

la veille, elle se

une figure meilleure,

pour dormir d'un sommeil

et

plus paisible.

Le lendemain matin,

voulut accompagner

elle

Cécile au magasin de la rue Lafayette.

Au

comme

revoir,

m'man,

lorsqu'elle était petite

Sa mère

lui rendit

de sa sœur contre Allaient-elles, toutes

sentiments de

perdue

la

fille.

son baiser. Cécile le

visage

vieilli

deux, retrouver

maternité oubliée

vit le visage

de sa mère.

les gestes et les et

de l'enfance

?

Les deux sœurs traversèrent

Un

en partant,

dit-elle

rayon de

verts, les

soleil éclairait

branches dénudées,

Cécile dit ses

remarque

Buttes-Ghaumont.

furtivement

les

sapins

collines neigeuses.

les

promenades avec

qui les a intéressées, les gens...

les

sa mère, et tout ce

les arbres, les fleurs, les oiseaux,

Céline l'écoute, l'interrompt par quelque futile.

Bientôt elles ont atteint

la

rue

Secrétan, le canal, elles sont rue Lafayette. C'est là tout près.

— Tu viens avec moi — — J'aime mieux — ?

dit la jeune.

t'attendre,

dit f aînée.


-s- 371 -*-

Et avec une hésitation

— As-tu

:

encore un peu d'argent

drai, sois tranquille.

Mais

j'ai

Je

?

(e

le

ren-

quelque chose à m'a-

cheter.

Cécile

comprend que

sa

sœur ne veut pas

sans argent, revenir les mains vides où

repartir

elle est atten-

due.

L'honnête révolte

un mouvement d'indignation, de

a

fille

:

— Mais

j'ai

besoin de

mon argent

!

.

. .

pas bien portante. Je dois la soigner...

moi,

travaille, reste

Maman n'est Fais comme

avec nous.

— Enfin ne veux pas — Tu une sans-cœur, Céline. !

tu

?

es

Mais

l'autre, toujours à

— Alors, Cécile,

c'est

son idée

fixe

:

non?

tristement,

donne un peu d'argent

à sa

sœur.

— Tu vas — Mais non A — Adieu —

t'en aller, n'est-ce !

!

tout à l'heure

!

dit l'autre.

Elle a deviné juste. n'est pas là.

pas?

Quand

elle

redescend, Céline

Elle patiente quelques minutes en vain.


-s— 372

mère

Elle revient seule. Sa

répond non d'un signe de L'hiver

les

examen

tête.

plus

parut

regardant Cécile à

nant

l'interroge des yeux, elle

Céline ne revint pas.

finit.

davantage,

faiblit

§-

la

La mère

souvent

s'af-

soucieuse,

dérobée, longuement, détour-

regards lorsque sa

fille

et venait l'embrasser.

s'apercevait de son

Elle faisait effort

pour

ne pas s'attendrir, causait, s'occupait, parfois devait interrompre son travail

comme

sur le coup d'une

douleur subite.

— Qu'as-tu, — Rien,

maman ?

cela va passer.

Ce sortit

en

fut enfin le

printemps. La mère sembla renaître,

de nouveau avec sa Cécile, puis, un jour d'été,

juillet, se sentit

plus mal.

Cécile va chercher le médecin. la tête,

donne

Le docteur hoche

ses instructions, dit qu'il reviendra.

Cécile le suit sur

— Votre mère

le palier.

est

bien fatiguée,

mon

enfant, bien

usée.

Elle

a eu tant de chagrin,

monsieur

!

autant

qu'on peut en avoir!... Mais elle se remettra, n'estce pas?


-3— 373 -*-

faudra beaucoup

Il

<le

soins,

élude

— demain. Comptez sur — Qu'est-ce que médecin — Que mieux demain, maman. — Mais, ne

decin.

le

mé-

m«>i.

A.

t'a dit le

?

cela irait

vois-tu, Cécile,

Peut-être.

m'en

se faire d'illusions. Je

ne t'effraye pas,

bouleversé de sa

lille.

pour tout de

suite.

j'ai à te dire,

lera plus jamais.

faut pas

sens. Allons,

en voyant

le

visage

Je ne dis pas que

c'est

Je peux aller longtemps encore.

Mais, vois-tu, tout de

que

vais, je le

dit-elle,

il

même,

une bonne

il

faut

fois.

Non, jamais!

que

je te dise ce

Après on n'en par-

dit-elle,

après

un

silence.

Elle s'exprimait d'une voix

coupée. Cécile s'appuya au

— Ecoute-moi donc. ma

tu le sais, et je

vie,

ne

aller si je

de

te

t'avais pas.

laisser

ment vas-tu tu, si je

seule.

faire?...

m'en

que Céline nous te

perdre.

allais ait

un peu

basse, entre-

lit.

J'ai

eu bien de

la

peine dans

ne regretterais pas de m'en

Ma

Tu

plus grande peine, c'est

as dix-sept ans...

Je veux dire

:

comment

Comferais-

maintenant?... J'aime mieux

encore quittées... Elle aurait pu


-s- 3 7 4 -*-

— Oh —

maman C'est vrai, ma Cécile, j'ai tort. Pardonne-moi. dit la pauvre femme, Tu me fais du bien, mais comme tu vas être... comme tu seras embar!

!

Et

rassée!... dire,

quoi

te

dire

:

toi-même rien...

ça,

Va là, ou

«

:

que

pire, c'est

C'est

te conseiller.

comme

laisser

le

tu n'as

mon

ici.

.

.

» Il faudra

personne que

courageuse

et

te

Te

renseigner,

te

que tu

te

gardes

ne

tu

toi,

Mais promets-moi d'être toujours

petite fille

quoi

sais

tourment...

ne pas pouvoir

et

va

ne

je

sais

ma

chère

ses

yeux

honnête.

Quelques grosses larmes coulèrent de durcis au feu de la vie,

s'arrêtèrent sur ses joues

livides.

but ces larmes de

Cécile l'embrassa,

la

terrible

agonie cachée qui torturait ce cœur de mère. Pleurante aussi,

mais raffermissant sa voix,

avec une énergie singulière

— Ne

crains rien,

Jamais tu ne

la quitteras.

sais rien

:

je sais tout.

que moi

:

cela

me

Tu

suffit.

parla

:

maman. Tu

vivras.

jour où tu ne seras plus, tu seras tout de ta fille.

elle

dis

Tu

que

Je saurai

même

dis

je n'ai

me

Mais,

que

le

avec je

ne

personne

garder. Re-


prends ton courage

pour moi. Moi aller...

Allons,

tes forces

et

je n'ai

maman,

fut

tout

réchauffé et

Sa force, en

joie. tête

lueur

leur

et les

le

voir t'en

ta fille.

mère

sa

visage émacié

la

lumière de

la

lui revint

pour serrer

la

de Cécile dans ses bras. Alors

>a tête grise sur l'épaule

en

te

yeux de

vivante,

éclairé par

effet,

pas peur

n'aie

aie confiance

L'héroïque enfant sourit, retrouvèrent

et

peur de rien que de

jeune

et

elle laissa

aller

ferme, et ne bougea

plus.

Un

instant elles furent ainsi, puis Cécile s'étonna

de n'entendre plus de parole, ni de respiration. Elle défit

de son col

les

bras de sa

inertes. Elle regarda verts,

mais

cire. Elle

fixes,

le

visage

mère :

les

:

ils

fléchirent,

yeux étaient ou-

dune blancheur

la chair était

voulut redresser sa mère

:

le

de

corps s'écroula

tout d'une pièce.

Maman! maman!

Et ce furent des sanglots et les

et

des larmes sur

la

figure

mains insensibles, mais rien ne répondit à

l'ap-

pel désespéré.

Vite chez

la voisine, et vite le

du vinaigre Tout est inutile, !

médecin...

et le

De l'eau,

médecin, accouru.


376 -4-

-§-

de fermer

dit à la fillette

beaux yeux

les

gris qui

regardent sans voir.

— Maman! La

pauvre

maman!

voisine offre ses soins. Cécile les accepte, elles

font toutes

deux

la toilette

de

une bougie allumée,

réglé,

jeune

ma

dit

fille

la

morte, puis, tout courses

les

faites,

la

simplement qu'elle n'a plus besoin de

personne, qu'elle veillera seule. Elle s'assoit dans

grand

prend

fauteuil,

heures de

les

ment avec

la

main

la nuit, elle

exténuée, sa tête retombe sur la

Bien

main

qu'elle

toujours et elle s'endort contre sa mère, encore,

la

dernière

fois,

comme un

Elle se réveille dans la

vient de tout devant la

chambre

Le lendemain,

lient

une

fois

glaciale, se sou-

le lit

Cécile prépare

tard,

tout petit enfant.

flamme mourante de

morte blanche dans

gie, revoit la

pendant

froide, et là,

pense. Elle cause muette-

qui ne l'entend plus.

celle

le

la

bou-

blanc.

hâtivement

ses

vêtements de deuil. La compatissante voisine passe la

nuit avec elle, bavarde, tente d'occuper l'esprit de

la

jeune

dit

que

fille,

de

la distraire

c'est le i4 juillet le

i4 juillet de

la

de sa douleur. Elle

lendemain,

République. Cécile

le

lui

premier

l'avait oublié.

Le


-3— 377 —*"

avant dans

soir, et assez

la

nuit, elles entendent des

détonations de pétards, des ritournelles de

l»als.

peu après minuit, Cécile s'allonge sur son semblant de dormir. De temps en temps,

La voisine dort dans

Au

matin, Cécile

puis vers

suit

le

colline funèbre

la

siens, et tant d'autres aussi.

de drapeaux, boit sur les fait

de

un

la

arrêt

jeune

où sont déjà Le quartier

L'église,

tant des

est pavoisé

liesse,

mange Il

du bruit au passage du corbillard

suivi

et

fini.

Cécile rentre, remet

met son couvert

obéit à la disparue. se perd

dans

se

des gens de sa maison. la

chambre en

ordre, pleure encore en rangeant les vêtements, linge,

et

tables qui couvrent les trottoirs.

fille

C'est vite

lisse ses

le fauteuil.

cercueil vers

population est en

la

fait

lit,

elle se lève,

va vers sa mère, touche ses mains, son front, cheveux: blancs.

Un

Le

et

le

dîne, avec l'idée qu'elle

soir, elle sort

machinalement,

la foule.

Les banderoles flottent au haut des mâts, rue de Belleville,

rue des Pyrénées, autour de

fête foraine

la mairie.

bat ses grosses caisses rue Sorbier.

La Le

spectacle est charmant, dans cette large rue bordée

de jardins montants, au sommet desquels se dessi3a.


-5- 3 7 8 -§-

nent sur

le

ciel

des maisons bariolées de lanternes

vénitiennes. Lesconcerts en plein ventmêlentlesairsde

danse aux chants patriotiques. Devant

les estrades

gar-

nies de feuillage, sur lesquelles résonnent les cuivres et

soupirent

les violons, la foule

chante avec

truments. Les airs de danses mettent en

les ins-

mouvement

couples décorés de fleurs tricolores. Les rythmes

les

s'envolent

comme

des bandes d'oiseaux joyeux. Les

gens stationnent, écoutent un morceau, puis s'en vont, font place à de nouveaux venus, se répandent

par pés,

les rues,

fleuris,

passent sous les arcs de triomphe draenguirlandés,

ornés

d'inscriptions et

d'affirmations républicaines, admirent les ingénieuses

décorations des fenêtres, les merveilles en papier doré

de

l'art parisien, les

tableaux symboliques, les devises

formées par des fleurs entrelacées,

les verroteries, les

transparents de couleurs. Gela flamboie aux feux gaz,

du

des lanternes vénitiennes, s'éclaire de lueurs

multicolores.

Aux

autels des carrefours

se

Républiques, chargées de lauriers

comme

des Cérès.

On

dressent de fières et d'épis,

opulentes

chante, autour de ces déesses

pacifiques, des chansons guerrières.


+-

3 79 -*-

Tout chante, tout semble chanter,

cabarets, les bouts de rues, les ruelles, étroits,

les

impasses,

les

cités

paves, les

les

les

ouvrières,

passages les

cours

misérables, les bâtisses les plus sordides de ce Paris

Chez

lointain.

nationale.

habitants des taudis,

les

Sur

humides

pierres

les

et

y a

fétc

grises,

aux

il

croisées

sans rideaux,

Sous

portes, dans les couloirs, des berceaux de

les

éclatent les

couleurs.

trois

verdure abritent un buste de République. Les humbles

maisons piquent à leur front ridé

et

soucieux

l'étoile

d'une illumination.

Les drapeaux,

les

lanternes, les

danses ne s'arrêtent qu'au

De

sa ligne rigide

Cécile parvint

de

la fête.

jour de danse revit le

errait

là,

barre

la

route à

et les

Père-Lachaise. la joie.

toute enveloppée des

rumeurs

Elle songea à tout ce qui s'était passé dans

comme

sa vie,

il

mur du

musiques

dans

et

la vie

de tant de gens, avant ce

de chant, de festin

temps de

l'hiver guerrier

et

de

Elle

folie.

de 1870, où

elle

au long des avenues blanches de neige de ce

Père-Lachaise,

conduite par

la

main de

sa

sœur

Céline. Elle crut réentendre, avec les pétards et les fusées de la fête, les sourdes détonations des canons


38o

-§=»

g-

qui grondaient sur Paris. Elle eut un sanglot pour

son frère Justin, et

grave et sérieux, tué à Buzenval,

si

que leur mère douloureuse

parmi

naître

soldats,

les

pour son

venue

était

cadavres encore rangés frère Jean, si bon,

imaginait abattu contre

le

mur du

si

recon-

comme

des

tendre, qu'elle

fond,

comme un

chien enragé. Les spectres passaient en fresque ani-

mée

sur la muraille obscure, défilaient devant elle

son père, son pauvre brave s'était

homme

femme

sauvé loin de sa

et

:

de père, qui

de ses deux

filles,

sans les reconnaître, et qui était mort enfermé dans

une camisole de fou aller

sa

;

mère, qui venait de s'en

au grand repos, après sa vie énergique,

silen-

cieuse et résignée, de combattante et de martyre

;

sa

sœur, son aînée, Céline, tombée on ne savait où, à la fois

A

vivante et morte.

regarder ainsi dans

subitement grandie

et

le

passé, Cécile se trouva

changée. Pour

encore une mêlée de foule où figures distinctes.

s'évoqua

apercevait

des

Elle vit qu'elle n'était plus

une

petite fille, la petite apprentie allait être

elle

une femme

elle

de l'existence, qu'elle

et qu'il lui faudrait

part de bonheur et de douleur.

prendre sa


-*- 38i -*Ellc quitta <

nuhrcs

devant

sans elle,

la

sombre muraille,

regards

essuya

les

et

sans

dil

voix

larmes qui

adieu

<pii

avaient

aux

passaient

coulé en

ruissellement de pluie sur ses joues. La Lumière, bruit,

la

cœur que Cécile

de

foule des pauvres, les

disaient à

son

Le

triste

jours de joie et de misère continuaient.

Pommier, pensive

et résolue,

la vie.

tàXWMMn

•'tas

BIBLIOTHECA

reprit la route



TABLE



g -a;

Préface de

l'

Auteur

i

La Mère

III.

— — —

Tragédies et Comédies de Fauboi rg.

ii3

IV.

L'Atelier et la Rue

233

L'Alcool

267

Céline et Cécile

3n

I.

II.

V. VI.

— —

La Guerre

i

61

33



LE SOIXANTE-CINQUII Ml

LIVRE,

(I

l>l

COLLECTION DES MAITRES DU LIVRE,

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Université d'Ottawa

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Échéance

n

1

AVR.

9QB

T

Library

Ottawa

Date due


a

PQ L

390

3

2260

2 * 9 9 5 5

_5

b

.C32P75

19 19

PPPREMTZ

2260 .G32A75 1919 COO GFFFRCVt GUS ^APPRENTIE ACC# 1222841 CE PQ


30

fr.


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