Le Pays Basque, 1913

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iS8 PAUL LAFOND CONSERVATEUR DU

MUSÉE

DE

PAU

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BORDEAUX FERET ET FILS, ÉDITEURS 9,

Rue de Grassi, 1913

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PAYS BASQUE FRANÇAIS ET ESPAGNOL



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Paul LAFOND CONSERVATEUR DU MUSÉE DE PAU

LE

PAYS BASQUE FRANÇAIS ET ESPAGNOL

BORDEAUX FERET & FILS Éditeurs, 9, Rue de Grassi, 9 igi3



// a été tiré de cet ouvrage, sur papier de Hollande, 10 exemplaires numérotés à la presse.



Cliché Ducourau

Un chemin dans le Pays Basque

INTRODUCTION

Le Pays Basque; limites du Pays Basque en France et en Espagne; origine des Basques; langue basque, ses différents dialectes ; mentalité basque; l'émigration ; la maison familiale; attachement du Basque à son pays et aux coutumes ancestrales ; comment il faut visiter le Pays Basque.

Une des plus belles régions qui se puissent rêver est assurément le Pays Basque, aussi bien dans sa partie française que dans sa partie espagnole. Aucune n'est plus facile à atteindre, plus aisée à parcourir. Visiter le Pays Basque n'est pas entreprendre un voyage, tout au plus une excursion. Ce coin de terre, servant de frontière à la France et à l'Espagne, blotti entre les derniers contreforts des Pyrénées et cette échancrure de l'Océan, appelée par nos voisins mer de Biscaye, par nous golfe de Gascogne, est privilégié et réunit tous les charmes ; la montagne, la plaine, la mer. Quelle noble et fière race que celle de ses habita?its! Le Basque, à l'âme puissante, généreuse, loyale, dévouée, est tout proche de la nature ; che^ lui, le ressort est violent, la détente subite. Homme de premier mouvement à qui les


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nuances et les complications de sentiment sont étrangères, tout d'une pièce, il ne s'inquiète guère des subtilités raffinées. Au point de pue géographique, les limites du Pays Basque sont asse\ précises. En France, où il comprend le Labourd, la basse Navarre et la Soûle, il est approximativement borné, au nord, par VAdour, au sud, par les Pyrénées, à l'ouest par l'Océan, à l'est par une ligne courbe longeant les cantons béarnais de Sauveterre, Navarrenx, Sainte-Marie d'Oloron et Aramit^. On peut encore dire, toujours pour la France, que la ligne de démarcation du Pays Basque commence au sud de Bayonne, sur les premiers contreforts des Pyrénées, franchit la Nive aux approches de Villefranque, gagne les hauteurs de Saint-Pierre d'Irube, de Mouguerre, descend les pentes des coteaux qui longent la vallée de VAdour, suit le cours inférieur de la Bidou^e dans la région de Bidache, enserre ensuite les cantons de Saint-Palais, de Mauléon, plus loin les villages de Barcus et d'Esquhtle, tout proches d'Oloron et côtoie, en dernier lieu, le ruisseau le Vert, qui le sépare des

L'Orpheline

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populations béarnaises. Voici d'ailleurs la liste des villages basques limitrophes, en partant de l'extrême frontière: Sainte-Engrâce, Montory, EsqIL iu le, l'Hop ital-Saint-B laise, Arrast, Charritte-de-Bas, Aroue, Arbouet, Ilharre, Bergouey, Viellenave, Ayherre, Bardos, Briscous, Lahonce, Bassussary, Bidart. En Espagne, le Payrs Basque, beaucoup plus étendu, comprend théoriquement les trois provinces de Guipu^coa, de Biscaye et d'Alava, ainsi que la plus grande partie de l'ancien royaume de Navarre. En fait, cela n'est pas d'une idéalité rigoureuse, au point de vue linguistique au moins. Chaque année, les populations parlant l'euskarien, c'est-à-dire l'idiome basque, sont refoulées en deçà de leurs frontières. On peut aujourd'hui, tout au plus, assigner comme bornes aux Basques espagnols basconisant, à l'ouest, Bilbao et sa banlieue vers Castro-Urdiales, au sud-est, les vallées des Pyrénées cantabriques, en passant par Vitoria ; puis les vallées de Salvatierra, d'Alsasua, jusqu'à Pampelune, pour, de là, rejoindre la vallée de Roncal et la frontière française. La meilleure indication est encore fournie par la carte dressée, il y a quelques années déjà, par le prince L. Bonaparte, en y introduisant toutefois quelques légères modifications sur la frontière de la Navarre espagnole. Exactement, la langue euskarienne est parlée en France par la plus grande partie des habitants de l'arrondissement de Bayonne et par tous ceux des régions de la Soûle et de la basse Navarre; en Espagne, par les habitants de la bande septentrionale de la province d'Alava, par les trois-quart des Biscayens, par plus de la moitié des Navarrais et par la totalité des Guipu^coans. L'histoire des Basques est encore à écrire. Il existe, il est vrai, de nombreuses monographies savantes et documentées, mais un travail d'ensemble fait défaut. La question du dialecte euskarien qui n'a aucun rapport direct avec une autre langue, aussi bien ancienne que moderne, a seule été fiévreusement étudiée, ajoutons, sans le moindre succès. Cette langue se rattache-t-elle au sanscrit, aux parlers américains ; est-elle présémitique, comme le prétend M. Sayce, ouraloaltaïque, celte, ibère, comme le veulent d'autres savants ? impossible de rien préciser. Ce qui est certain, c'est qu'elle appartient à la famille touranienne. Scaliger l'a dit, c'est une langue mère ; il convient d'ajouter que Scaliger a aussi


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dit des Basques, « qu'ils prétendent se comprendre, mais qu'il n'en croit rien ». De cette boutade de savant, il convient de rapprocher une légende euskarienne faisant une allusion asse\ plaisante à la difficulté pour un étranger d'apprendre la langue : « sept ans», dit elle, « le diable fut à Bilbao pour étudier le basque ; il apprit seulement à nommer le vin, le tabac et les femmes. » La langue basque, selon les philologues se subdivise, suivant les uns, en quatre principaux dialectes : le Biscaïen, le Guipu^coan, le Labourdin, le Souletin et le Bas-Navarrais ; suivant les autres, en huit, en Espagne: en Biscaïen, en Guipu^coan, en Haut-Navarrais du nord, en Haut-Navarrais du midi ; en France : en Souletin, en Labourdin, en Bas-Navarrais oriental et en Bas-Navarrais occidental. Mais aucun de ces dialectes ne correspond exactement au territoire auquel il emprunte son nom. Le Biscaïen sort de la Biscaye pour pénétrer en Guipu^coa ; le Guipu^coan entre en Navarre et, se moquant des frontières d'états, le Souletin, le Bas-Navarrais oriental et occidental franchissent les Pyrénées et se parlent sur les deux versants. Le Basque est avant tout Basque, de caractère et de tempérament. Foncièrement indépendant, il a résisté à toutes les invasions, ne s'est pas laissé soumettre par les Romains ; il a battu Charlemagne, repoussé les Wisigoths, les Arabes, les Castillans. Marin incomparable, des premiers, il a vaincu la mer et s'est montré sous toutes les latitudes. Malgré les révolutions, les bouleversements sociaux, malgré la fièvre de l'industrie qui travaille et perturbe

Cliché Ducourau

Une ferme basque


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toutes les cervelles, le Basque a conservé la tradition de ses pères et ne s'accommode que jusqu'à un certain point aux progrès de la vie moderne. Aussi le Pays Basque est-il une des régions où le foyer est le plus stable, où de temps immémorial le domaine familial est

transféré du père au fils. Pour le

Basque, c'est un titre d'honneur et de noblesse de pouvoir dire que les siens ont occupé sa demeure depuis un nombre de générations qu'il ne peut énumérer. Il est prêt à tous les sacrifices pour la conserver à ses descendants. La maison natale lui est sacrée et s'en éloigner est un sacrifice qu'il n'accomplit, auquel il ne se résigne, qu'avec l'espoir du retour.

cuch* Btnhoud Le joueur de pelote Chiqmto

Très jaloux de la pureté de sa race, le Basque s'allie peu aux étrangers, surtout dans les provinces espagnoles. Il n'est pour lui de plus beaux quartiers de noblesse que de pouvoir citer ses quatre noms euskariens, c'est-à-dire de prouver que ses parents j grands parents sont de souche basque. Après e ses

la dernière guerre carliste, le roi Alphonse XII ayant offert le titre de marquis à un notable habitant de Bilbao, qui s'était particulièrement distingué pendant le siège de cette ville par Don Carlos, reçut cette fière réponse : « Est-il titre plus beau que de porter quatre noms basques inscrits aux tables de Guernica ? » De toute la France, le Pays Basque est la région qui fournit le plus fort contingent à l'émigration. L'habitude des Basques de laisser la propriété à l'aîné des enfants force bien souvent les cadets à s'expatrier. Est-ce un bien, un mal, nous nous garderions de nous prononcer. Ces cadets expatriés, quand la chance les a un peu favorisés, reviennent à la terre natale, élèvent un château à côté de la métairie paternelle ; mais c'est toujours le propriétaire de celle-ci qui reste le chef de famille. Il ne faut pas aller chercher che^ le Basque le confortable dont il n'a cure, du moins le confortable tel qu'il est entendu aujourd'hui; avec quel orgueil néanmoins, la maitresse de maison — Etcheanderia — ouvre-t-elle le coffre de mariage en cœur de chêne, d'un décor asse^ fruste, formé d'oves et de figures géométriques, d'étoiles, de cercles concentriques, aux montants et aux traverses plus ou moins ornées dans le même caractère, les armoires et les bahuts, composés


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de deux corps superposés, renfermant, soigneusement plié, le linge de la famille, les mantes noires, les capes grises, venant des ancêtres, toujours semblables les unes aux autres, immuables déformes et de couleurs. Dans ces vieilles demeures, où les meubles sont peu nombreux, il convient cependant de noter le %u%ulu, ou long canapé, le vaisselier, tous deux en bois, et parmi les objets de moindre vo liane, les picheras, les fuseaux, les creusots, ou lampes primitives à longues mèches; la herrade, ou cruche, également en usage en Béarn, formée d'un tronc de cône en châtaignier, dont les bandes sont disposées comme les douves d'une barrique, reliées entre elles par trois cercles de cuivre parfois décorés de dessins plus ou moins naïfs, qu''accompagne invariablement une longue cuiller de cuivre, adaptée à un manche de bois. Cette cruche, d'après un proverbe, ou plutôt un jeu de mots euskarien, va au puits en chantant, — allusion à la corde qui la descend sèche — et en revient en larmes — avec l'eau dont elle est imprégnée et qui en déborde. N'oublions pas, dans les intérieurs basques, le ^arthana, sorte de poêle cylindrique à long manche, que l'on suspend dans la cheminée, à la crémaillère, pour faire rôtir les châtaignes. Dans le mobilier, surtout dans celui des villes et'bourgades labourdines, il convient défaire entrer les grands plats de cuivre, montrant ^ordinaire, dans leur partie médiane, un sujet religieux accompagné d'une légende en flamand ou en hollandais ; ces plats, sans doute rapportés par les marins des ports d'Anvers ou d'Amsterdam, deviennent chaque jour de plus en plus rares, fort recherchés qu'ils sont par les amateurs de curiosités. Impossible de ne pas dire deux mots du makila, canne et aiguillon à la fois, en bois de néflier agrémenté d'ornements de cuivre à sa poignée et à son extrémité. Les Basques ont un soin particulier des néfliers, auxquels chaque année ils enlèvent les rameaux parasites, en laissant seulement croître une branche centrale qu'ils entaillent en lignes ondulées. Puis, lorsque celle-ci est parvenue au point de croissance voulue, ils la coupent, la sèchent au four et elle devient vite un makila, une fois agrémentée d'une bague de cuivre fourrée de plomb fondu. Sa poignée, d'ordinaire recouverte en cuir historié et coupé en lanière, renferme un long aiguillon des plus aigus. Les us et coutumes des anciens temps, les habitudes ancestrales, ont toujours conservé force de loi che^ les Basques. Aussi sont-ils beaucoup moins


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préoccupés d'être citoyens français ou espagnols que paroissiens de leur église. Leur clocher borne leur horizon. Déjà, il y a cent vingt-cinq ans, même quelque peu davantage, Dominique Garât, le ministre de la Justice de la Convention, écrivait de ses compatriotes : « Autour d'eux, les peuples ont changé vingt fois de langage et de lois ; ils montrent encore leur caractère; ils obéissent encore aux lois ; ils parlent encore la langue qu'ils avaient il y a trois mille ans; che\ eux, tout a résisté aux siècles et l'on dirait que derrière leurs montagnes, ils ont trouvé un asile contre le temps et contre les oppresseurs. » « Rien de plus doux que de voyager seul, » a écrit H. Taine, « en pays inconnu, sans but précis, sans soucis récents ; toutes les petites peines s'effacent; sais-je si ce champ est à Pierre ou Paul..., si l'on se dispute ici sur un projet de canal ou une route ? » C'est ainsi qu'il faut parcourir le Pays Basque. Il ne s'agit pas de franchir rapidement de grandes distances, de boucler les kilomètres en auto; mais tout au contraire, d'aller doucement selon sa fantaisie, de dédaigner


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Samt-Jean-Pied-de-Port. Inscription sur une porte, 1722

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délibérément les itinéraires. Quelle heureuse chance, que la Soûle, les deux Navarre, le haut Labourd, les côtes cantabriques ignorent encore les Palace hôtels; à leur place, ils ont de blanches auberges propres, nettes, accortes où Von est certain de trouver accueil empressé et bon gîte; les maîtres du logis vous y seront serviables. De votre chambre, aux murs d'ordinaire blanchis à la chaux, aux poutrelles du plafond apparentes, vous assisterez aux scènes de la rue, vous prendre^ immédiatement contact avec la population, toujours noble et élégante.


Cliché Ducourau

Environs de Saint-Jean-de-Lu^

LE PAYS BASQUE FRANÇAIS CHAPITRE PREMIER

De Bayonne à Hendaye Bayonne, Saint-Esprit, le pont de pierre, le Réduit, la statue du cardinal Lavigerie; aspect de la ville; la cathédrale; les monuments, le musée, le port; souvenirs de Victor Hugo; les promenades, l'Adour, la barre; le château de Marrac, la reine Marie-Anne de Neubourg, Napoléon et les princes d'Espagne ; la route de Biarrit\, le cacolet, les courriers à cheval; Anglet, le Refuge et les Bernardines, la Chambre d'Amour, le phare ; Biarrit\, ses plages, la villa impériale, Napoléon III et F Impératrice Eugénie; Bidart; Guêthary; Saint-Jeande-Lu{, son port, sa barre, la pêche à la baleine, l'église paroissiale ; souvenirs historiques, le mariage de Louis XIV et de l'Infante Marie-Thérèse d'Autriche ; fureurs de la mer; Ciboure, ses vieilles maisons, son église, Bordagain, les marchands de sardines, les Cascarots, le Socoa, le château d'Urtubie, son histoire; Urrugne, son église, les parties de paume au fronton, au trinquet; Hendaye, ses ruines, sa reconstruction.

L'entrée à Bayonne par sa triste et sordide gare, aux bâtiments lépreux, à la cour infecte, est vraiment attristante ; mais cette mauvaise impression est vite effacée, dès qu'on a dépassé la place de Saint-Esprit, — ancien ghetto bayon-


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nais — et qu'on atteint le pont de pierre qui franchit l'Adour, d'où la vue s'étend de tous côtés sur ses rives charmantes. Il aboutit au point de jonction de l'Adour et de la Nive, tout dernièrement encore occupé par la vieille porte si pittoresque du Réduit et par son bastion, hélas! démolis aujourd'hui et remplacés par un maigre square, dont le milieu est occupé par la statue dominatrice, œuvre de Falguière, du cardinal Lavigerie, maniant la croix patriarcale comme un épieu, pour la planter dans la terre africaine. Après, c'est le pont Mayou, qui enjambe la Nive et dépose à Bayonne le vrai Bayonne. L'attention est de suite appelée droite, par une lourde bâtisse carrée, entourée d'arcades, isolée au milieu d'un vaste terre-plein, que longe la rivière d'un côté et où aboutissent les rues, de l'autre. Cet édifice, bon à tout, c'est-à-dire proBayonne. pre à rien, renferme à la fois la mairie, la douane, le commissariat de police, le théâtre, des cafés, un bureau de tabacs, des magasins — naguère, il abritait en plus le musée; — sous ses arceaux, comme on dit à Bayonne, la foule est compacte à certaines heures; il est vrai qu'on y gèle en hiver, mais qu'en compensation, on y grille en été. Tout cela n'est pas encore Bayonne. Bayonne ce sont ces vieilles rues aux sombres maisons à arcades, sous lesquelles circule sans cesse une foule

Cliché E. Crevaux

La partie de Pelote à

La Cathédrale


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bruyante, jacassante, agitée, devant de sombres boutiques sans jour et presque sans air, qui n'en sont pas moins'~des plus achalandées. Bayonne, c'est la rue de la Salie, c'est la rue d'Espagne, aboutissant à la porte de ce nom, dont l'aspect et le caractère ont déjà quelque chose de tra los montes. Nombre de ces rues passent autour de la cathédrale, sous le vocable de Notre-Dame, qui occupe le point central de la ville. Cette magnifique basilique, commencée en 1213, dans le style gothique d'Outre-Manche, construite sous la domination anglaise, qui dura de 129,5 à 1461, a son porche; accolé de deux tours terminées par des flèches élancées d'une rare élégance, construites par Bœswillwald. Rien de pur et de beau comme le chevet de ce santuaire, donnant sur une petite place et, par cela même, heureusement dégagé. L'intérieur de l'édifice à trois corps, à voûtes très élevées, soutenu par de forts piliers accompagnés de colonnettes, est noble et majestueux. Ses rosaces et ses jours, dont certains offrent des verrières de superbes colorations, sont des plus remarquables. A l'église est accolé, au sud, un des plus beaux cloîtres que l'on puisse imaginer, formant de chacun de ses côtés, six travées, divisées par des colonnettes, en quatre petites ogives surmontées de trois roses. Ce cloître, à la fraîcheur délicieuse, au calme inappréciable, au milieu d'une ville qui n'est qu'une ruche bourdonnante, renferme de curieux tombeaux des XVe et XVIe siècles. Grâce à une rente de trente-cinq mille francs, léguée par un bayonnais, M. Lormand, énamouré de sa cathédrale, sa restauration et son entretien se poursuivent avec suite, avec trop de suite peut-être, car bientôt l'église et le cloître sembleront refaits de fond en comble.


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l'honneur de deux étudiants bayonnais tués à Paris pendant les Trois Journées de la Révolution de Juillet de i83o, portant cette inscription assez violente et d'une justesse des plus relatives : Les révolutions justes sont le châtiment des mauvais rois. Un peu plus loin, se trouve un lourd et insignifiant évôché depuis peu désaffecté. Comment H. Taine a-t-il pu écrire qu'«un joli palais épiscopal, élégant et moderne, enlaidit encore la laide cathédrale»? Quelle aberration chez cet homme d'ordinaire d'esprit et de goût ! Que citer encore? le Château-Vieux, qui date du XIIe siècle, flanqué de quatre grosses tours rondes quelque peu moins anciennes, complètement défiguré par des restaurations successives. C'est au Château-Vieux qu'en 1S2J, le maréchal de Montmorency paya aux envoyés de Charles-Quint les 120.000 écus de la rançon de François Ier. Dans le Petit Bayonne, étranglé entre la Nive et l'Adour, se dresse le Château-Neuf qui de neuf, n'a que le nom, lourde bâtisse adaptée tant bien que mal à l'usage de caserne. Au bas du Château-Neuf, auquel on accède par des escaliers ou des rampes des plus abruptes, se trouve la place des Capucins, — emplacement d'un ancien monastère de religieux de cet ordre, — dont une partie est occupée par l'église de Saint-André, construction moderne de style ogival sans caractère, qui renferme une importante Assomption, peinte par Léon Bonnat. Les diligences basques, moins nombreuses que jadis, depuis l'établissement du chemin de fer de Saint-Jean-Pied-de-Port, s'arrêtent encore sur cette


Bayonne. Les Allées Marines

place des Capucins, devant des auberges toujours fréquentées par les habitants de la Soûle et de la Navarre. C'est dans le Petit Bayonne que se trouvent l'hôpital militaire, l'arsenal et le Musée Bonnat. Cette collection sans pareille, fondée par le maître qui n'a pas oublié qu'il était originaire de Bayonne et que sa ville natale l'avait aidé à ses débuts, renferme des œuvres inappréciables de tous les temps. Dans les écoles anciennes des productions de Piero délia Francesca, Ghirlandajo, Tiepolo, Greco, Ribera, Murillo, Poussin, Rembrandt, Rubens, Van-Dyck, Paul Potter, Goya, Reynolds, Hoppner, Lawrence; dans les peintures des écoles contemporaines, des toiles de David, Géricault, Ingres, Corot, Troyon, Daubigny, Rousseau, Isabey, Degas; une suite de dessins et de sculptures sans prix, mais comment tout citer ? Il faut nous borner. L'enceinte de Bayonne, intacte il y a quelques années encore, comprenait quatre portes ; deux n'existent plus : la porte de France, au Réduit, dont il a déjà été question et celle de la Marine, sur l'Adour, remplacées par des squares. Les deux autres sont : la porte d'Espagne, à l'extrémité sud de la ville et la porte de Mousserolles, à la sortie du Petit Bayonne, donnant accès aux routes du Pays Basque. Sur ces portes, jadis, se trouvait la fière devise de la cité : Nunquam pollata, qu'elle a gardée, quoi qu'elle ne soit pas d'une exactitude absolue, puisqu'en 1451 Dunois la reconquit sur les Anglais, pour le roi de France Charles VII. Le port de Bayonne où étaient, il y a quelques années encore, amarrés entre le pont Mayou et le milieu des Allées Marines, dont nous allons tout à l'heure parler, les bricks, les trois-mâts, les vapeurs et les goélettes, a émigré en partie, de l'autre côté du fleuve, vers le quai F. de Lesseps, où les wagons de la gare, toute proche, viennent charger et décharger, à l'aide de grues, évitant ainsi un transbordement onéreux. Depuis peu, cependant, les travaux considérables


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entrepris par la Chambre de Commerce : dragage du fleuve, aménagement et prolongement des quais, construction d'un embranchement de chemin de fer greffé sur la ligne d'Espagne, ont ramené sur la rive gauche une grande partie des bâtiments qui entrent à Bayonne et peuvent mouiller le long des Allées Marines qu'environnent de nombreux entrepôts. La caractéristique de Bayonne, peuplée de Gascons, de Basques, de Juifs, ces derniers, pour la plupart d'origine portugaise, sillonnée sans cesse de voyageurs de nations différentes, particulièrement d'Espagnols, tous aisément reconnaissables à quelques particularités, est son cosmopolitisme, ou plutôt, son exotisme. Francisque Sarcey, dans un de ses feuilletons, a écrit avec infiniment de justesse, que Bayonne semble « un morceau de grande ville tombé par hasard dans un nid de verdure, auquel de quadruples allées d'ormes et de platanes, font une verte ceinture ». Sur ses glacis ombreux, nous aurions été heureux de retrouver la maison adossée aux remparts, qu'habita Victor Hugo enfant, allant avec sa mère et son frère Abel rejoindre son père à Madrid. « La maison que nous habitions était riante ; je me rappelle ma fenêtre d'où pendaient de belles grappes de maïs mûr » a dit le poète. Quarante ans après il ne put la découvrir. Il nous est encore plus difficile qu'à lui de le faire. Quel dommage ! Impossible de rencontrer plus agréables promenades qu'à Bayonne. La porte de la Marine, ou plutôt le coin ensoleillé qui en occupe aujourd'hui l'emplacement, franchi, se développent le long du fleuve plusieurs rangées de superbes arbres,, qui se continuent, — ou plutôt se continuaient, il y a encore quelques années, — pendant plus d'un kilomètre, jusqu'au pied de la dune de Blanc-Pignon que traverse, sous des pins, un chemin où vous assourdit le clapotement du corselet des cigales. De l'autre côté de l'Adour, c'est le Boucau avec ses barques de pilotes louvoyeurs, ses fonderies aux hautes cheminées vomissant une âcre fumée, et sa population d'ouvriers. Après Blanc-Pignon, on atteint l'embouchure du fleuve, la barre, où, depuis plusieurs siècles, des travaux sont poursuivis sans trêve ni interruption, pour faciliter aux navires l'entrée de Bayonne

et arrêter l'envahissement

des sables qui barrent sans cesse l'estuaire de la rivière. L'embouchure de l'Adour a varié. D'abord à peu près à l'endroit actuel, à la fin du XVe siècle son cours s'est porté plus au nord, entre le Vieux-Boucau et Cap-Breton ; à la fin du siècle suivant, une forte inondation, aidée des digues élevées par l'ingénieur Louis de Foix, ramenèrent les eaux dans leur ancien lit. Ce sont toujours les idées de Louis de Foix que l'on poursuit, mais élargies, à l'aide de moyens


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perfectionnés. Des jetées en pierre, en blocs de béton ont remplacé d'anciennes jetées en chaux vive, des piles tubulaires ont été projetées au loin, dans les flots, tout cela avec un succès relatif, il faut bien en convenir. « La barre de l'Adour, » a écrit, il y a plus d'un demi-siècle, M. de Quatrefages dans ses Souvenirs d'un Naturaliste, « présente sans cesse l'aspect d'une mer en tourmente. Là, l'Océan ne connaît pas de repos. » Aussi gracieuse, aussi enchanteresse que les Allées Marines, mais d'un aspect tout différent, est la route de Bayonne à Biarritz. On prend les Allées Paulmy, plantées d'arbres séculaires, laissant à gauche les remparts et les glacis, dominés par les deux hautes et blanches flèches de la cathédrale, les tours du Château-Vieux et une suite de maisons ; à droite, des villas enfouies dans la verdure, des bosquets, des pépinières, des jardins maraîchers ; naguère, il y avait aussi une corderie des plus pittoresques. Plus loin, à gauche, un chemin mène au cimetière, à l'ancien grand séminaire, aujourd'hui désaffecté, et au lycée occupant l'emplacement du château de Marrac. Ce palais avait été élevé par la reine Marie-Anne de Neubourg, veuve de Charles II d'Espagne, que Philippe V avait été obligé d'éloigner de Madrid et d'exiler à Bayonne où, arrivée le 20 septembre 1706, elle vécut trente-deux ans d'une existence dénuée de préjugés qui ne fut pas sans de nombreux avatars. Nous doutons fort que Charles II lui ait jamais écrit : Madame, il fait grand vent et j'ai tué six loups.

Ce qui est certain, c'est qu'il y a loin de cette politicienne sans scrupules et assez dévergondée — comme nombre de timides Allemandes d'ailleurs, — à la douce et gracieuse souveraine, toute bonté et toute pureté, jusqu'à laquelle Ruy Blas, ce «ver de terre», osa lever les yeux. Il est vrai qu'il resterait à savoir si les vers de terre ont des yeux. Oh ! ces poètes ! Le château de Marrac, pour lequel elle avait dépensé sans compter, était à peine achevé, que Marie-Anne de Neubourg ayant appris qu'une de ses dames d'honneur y avait occupé un appartement avant elle-même, se refusa d'y mettre les pieds et tint sa parole. Le rôle de Marrac n'est cependant pas fini, il commence plutôt. Napoléon entre à Bayonne le Jeudi-Saint 1808; malgré les prescriptions religieuses, les cloches des églises sonnent à toutes volées, tandis que le canon tonne à la citadelle. L'empereur

Cliché Ducourau

Porteuse d'eau

s'installe aussitôt à Marrac; Joséphine, l'y rejoint


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Biarritz;. La grande plage

Cliché Btrihoud

le 27 avril. Le lendemain, Ferdinand VII arrive à son tour; Napoléon va à cheval à -sa rencontre et l'embrasse, aux acclamations de la foule qui les entoure. Charles IV le suit le Ier mai. Le 6 mai, Ferdinand rend la couronne à son père qui en avait la veille disposé en faveur de Napoléon. Le 7 juin, juste un mois après, Joseph Bonaparte, rappelé de Naples, est proclamé roi d'Espagne. Les choses n'avaient pas traîné ; mais si la comédie était finie, le drame allait commencer. Reprenons le chemin de Biarritz qui longe les marais de Pontots, aujourd'hui cultivés, s'étendant des deux côtés de la route ; au loin, à l'ouest, s'aperçoivent les dunes des bords de l'Adour, au midi les campagnes basques de Bassussary, d'Arcangues, et l'on atteint Anglet au quartier connu sous le nom de Saint-Jean. L'église d'Anglet se dresse à droite; c'est un vaste édifice construit en 1583j avec les pierres d'un plus ancien, dédié au vénéré patron de Bayonne, Saint-Léon.

Comme tous les sanctuaires basques, il présente des galeries

intérieures, où les hommes montent pour assister aux offices. Rien de délicieux comme sa façade ombragée de grands arbres. On laisse à gauche la route d'Espagne ; ce ne sont plus que villas et châteaux se succédant les uns aux autres sans interruption ; le chemin, ombragé de hauts platanes, s'élève puis redescend pour passer sous le viaduc du B.-A.-B., c'est-à-dire, du petit chemin de fer qui va de Bayonne à Biarritz par le bas Anglet. Tout à coup, le panorama d'une partie de Biarritz, du phare au rocher de l'Atalaye, se développe féerique ; puis ce sont, tour à tour, une église neuve, des


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villas, l'établissement et l'hôtel des bains salins, la petite chapelle ayant fait partie du domaine impérial, enfin la ville. En plus de la grande voie ferrée et du B.-A.-B., il existe un autre moyen de se rendre de Bayonne à Biarritz, c'est le tramway qui suit à peu près la grande route et s'arrête à l'entrée de la place centrale de la gracieuse station balnéaire. Nous voilà loin de l'époque des diligences si incommodes, toujours bondées, et encore plus de celle des cacolets si pittoresques, abandonnés depuis trois quarts de siècle. Sur de pacifiques chevaux, des mulets pas trop rétifs, étaient posés, de droite et de gauche, deux sièges,

moitié selle,

moitié fauteuil,

fortement san-

glés sous le ventre de l'animal ; plus bas, deux planchettes, main- Cliehê Berthoud tenues par des Biarrit^. L'heure du bain courroies, destinees a supporter les pieds des voyageurs qui s'installaient dos à dos. Le cacolier, ou la cacolière, tenant le licol, marchait à côté de la monture et la dirigeait. Ce n'était peut-être pas un moyen de locomotion bien rapide à mettre en parallèle avec le chemin de fer, l'auto et sans doute, demain, l'aéroplane; on arrivait néammoins. Cependant, à ces époques qui semblent si lointaines, si rétrogrades, les courriers à cheval bayonnais ont accompli des prouesses sans pareilles. Ces courriers, qui portaient de France en Espagne et en Portugal des messages diplomatiques, allaient à une allure dont il est difficile de se faire une idée. Ils conduisaient à la daumont les berlines et les chaises qui relayaient à la poste. «Identifiés par l'habitude avec leur cheval», écrit M. Henry Léon, « ils ne faisaient pour ainsi dire qu'un avec lui revêtus de leur costume d'ordonnance, emboîtés dans leurs grosses bottes de cuir, ils montaient à cheval au départ et n'en descendaient qu'à l'arrivée, poursuivant leur route, toujours au galop, et changeant de monture de relais en relais ;» — on passait alors à la fois, du cheval fourbu sur un cheval frais, la selle et le cavalier. — Un postillon de la poste où avait lieu ce transbordement accompagnait le courrier, pour ramener au relais


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précédent le cheval qui l'avait conduit, et, si la fatigue surprenait ces centaures, solides sur leurs selles, ils s'abandonnaient à l'allure de l'animal et souvent s'endormaient. Certains d'entre eux faisaient le trajet de Bayonne à Madrid d'une traite, en quarante-cinq heures, et même en quarante. Jean-Baptiste Darrigrand, un de ces courriers, alla, en 1845, de Bayonne à Lisbonne par Madrid sans s'arrêter. Le même, en 1846, met quatre-vingt-sept heures pour faire les i3oo kilomètres qui séparent Bayonne de Cadix. En 1847, il revient de Madrid à Bayonne en trente-quatre heures, portant la dépêche annonçant la conclusion du mariage du duc de Montpensier avec l'Infante d'Espagne, sœur de la reine Isabelle. Encore une fois, ces chevauchées ne valent-elles pas les randonnées des autos, les hauts faits de la pédale ? Un des triomphateurs de la bicyclette a fait, sur sa machine, le parcours de Paris à Brest et retour, 1200 kilomètres, en soixante-douze heures. Darrigrand, le voyage de Madrid à Bayonne, 600 kilomètres, en trente-six heures. Le cheval vaut l'instrument, l'égale. Nous avons dit deux mots d'Anglet, pas assez, car pour beaucoup, Anglet, c'est entre la barre de l'Adour et le phare de Biarritz, son couvent de Bernardines, ces religieuses qui, de grèves de sable que le moindre vent soulevait et éparpillait de tous côtés, ont fait un verdoyant oasis où tout croît, pousse et fleurit. Où jadis ce n'était que tristesse et désolation, on ne voit aujourd'hui que champs fertiles et brillantes récoltes; les humbles filles, établies par un saint prêtre, l'abbé Cestac, ont donné la vie à ces solitudes desséchées. D'une visite à leur monastère, on revient avec le vivifiant souvenir de l'effort fructueux. Quelle douce mélancolie ne se dégage-t-elle pas de leur petit cimetière, situé non loin de l'Océan, à l'ombre de quelques pins, où un léger relèvement de sable, en forme de couvercle de cercueil, indique la place où repose l'infatigable ouvrière, après son temps de labeur accompli. Au travail de la terre, ces nobles Bernardines en ont joint un autre, peut-être encore plus dur, plus pénible, celui de recueillir les malheureuses tombées, de les soutenir, de les relever, de les ramener au repentir, à l'expiation morale, au devoir. Ah ! ces religieuses aux robes bleues, au visage caché sous leurs longs voiles blancs, n'a-t-on fait que les entrevoir, on ne les oublie plus. Au-dessous du couvent des Bernardines, finissent les grèves qui frangent l'Océan depuis l'embouchure de la Gironde; les falaises s'élèvent et tout de suite deviennent hautes, hérissées, cahotiques. Celles qui précèdent le phare de Biarritz s'appellent Chambre d'Amour. Ce nom cache une légende, la voici : Laorens, fils d'un riche propriétaire du gros bourg d'Ustaritz dont il sera plus


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loin question, et Saubade, fille d'un pauvre métayer d'Anglet, s'aimaient. Le père de Laorens, fier de sa fortune, ne voulut pas donner son consentement au mariage des jeunes gens qui s'étaient juré d'être l'un à l'autre. Ceux-ci ne purent se résigner à ne plus se voir. Ils allaient pleurer ensemble, loin des regards indiscrets, dans une grotte au pied de la falaise que la mer n'atteignait que par les très gros temps. Un jour, survint une tempête inopinée; les vagues, poussées par le vent, envahirent le refuge des malheureux amants que le lendemain, on retrouva étroitement embrassés, étendus parmi les galets. De là vient à cette grotte, qui n'offre plus guère qu'un éboulis de rochers et de pierrailles, le nom de Chambre d'Amour qui s'est étendu à tout le quartier, quartier élégant, peuplé de villas, avec un petit établissement de bains, en avant des falaises, sorte de faubourg de Biarritz, qui demain ne fera plus qu'un avec la perle de l'Océan. Laissons au Basdecker et au guide Joanne le soin de décrire Biarritz, de célébrer ses trois plages : la grande plage, entre le parc de l'ancienne villa impériale devenu un hôtel et le casino : le Port-Vieux, petite anse qui fait la joie des enfants qui y clapotent, et la tranquillité des parents, qui y jouissent de leurs ébats : la plage de la côte des Basques où les lames prennent une telle ampleur que seuls les nageurs expérimentés peuvent s'y aventurer. Nous ne nous aviserons pas davantage de parler en détail du port qui sert d'abri à quelques barques de pêche et à quelques embarcations de plaisance, pas plus, du promontoire de l'Atalaye où s'élevait jadis un château-fort, percé d'un assez long tunnel, conduisant au rocher creux, dominé par une statue de la Vierge, pèlerinage obligé de tout nouveau venu ; pas davantage, du phare à feu tournant qui domine la falaise à l'ouest, auprès de la Chambre d'Amour, le plus important de la côte, depuis celui qui est placé à l'embouchure de la Gironde. Biarritz est aujourd'hui une ville d'une quinzaine de milles âmes, couverte d'hôtels renfermant tout le confort moderne, de villas plus somptueuses les unes que les autres, répandues partout, de la pointe des promontoires, à la crête des falaises, sur les hauteurs, dans les bas-fonds, au loin dans les terres, le long de toutes les routes, de tous les chemins, partout. La fortune de Biarritz a été prodigieuse. L'humble village de pêcheurs qui au milieu du siècle dernier, recevait les rares visites de quelques bayonnais, voit aujourd'hui circuler dans ses rues, déambuler par ses plages, l'univers entier. Le désert de jadis, sous la baguette d'une fée s'est transformé en une ville bruyante; des passerelles relient ses rochers dominés par des kiosques aux promenades bitumées ; ses falaises ont été percées, munies de rampes et de parapets; des bancs ombragés de tamaris, placés à chaque point de vue; un


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ascenseur dont le modèle a été emprunté à ceux des magasins du Louvre et du Bon Marché, descend de la ville à la mer; des escaliers en pierre ou en bois, invitent à escalader ses buttes ; ses dunes ont été plantées ; des chemins de fer, des tramways amènent à sa place principale, à toute heure du jour, de véritables foules; des automobiles sillonnent ses rues sans trêve ni merci. Tout cela pour donner raison à Victor Hugo — mais les poètes ne sont-ils pas prophètes? — qui avait écrit, en 1843, en parlant du Biarritz d'alors : « Je n'ai qu'une peur, c'est qu'il devienne à la mode. Déjà on y vient de Madrid, bientôt on y viendra de Paris. Alors Biarritz, ce village si agreste, si rustique, si honnête encore, sera pris du mauvais appétit de l'argent — sacra famés, — Biarritz mettra des peupliers sur ses mornes, des rampes à ses dunes, des escaliers à ses précipices, des kiosques à ses rochers, des bancs à ses grottes... ». Malgré tout, malgré la mode, malgré le snobisme, Biarritz reste un lieu enchanté ; ses rocs dentelés, ses falaises abruptes, ses vastes horizons sur l'Océan, les côtes d'Espagne, les sables des Landes, les monts dentelés des Pyrénées sont toujours là; ils lui donnent un charme infini contre lequel rien ne prévaut, et auquel il est impossible de se soustraire. Biarritz, tout comme Paris, a son bois de Boulogne, aux allées ombragées de grands arbres ; un lac aux eaux tranquilles en baigne les dernières pentes, car il se trouve sur un terrain qui descend doucement. Ce lac, connu sous le nom de lac de la Négresse, long de plus d'un kilomètre sur une largeur de cinq à


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Biamtç. Le rocher de la Vierge

six cents mètres n'est pas à dédaigner. Un second, le lac Marion, se trouve, un peu plus à gauche, blotti dans la verdure. Que le nom de Biarritz dérive des mots basques ; Bi-haritz, — les deux chênes — ou Bi-harri, — les deux rochers, nous laissons les savants en décider. Toujours est-il que Biarritz a une histoire; dès le XIe siècle, ses marins étaient réputés parmi les plus hardis à poursuivre les baleines, alors nombreuses dans le golfe de Gascogne; mais, trop vigoureusement traquées, elles abandonnèrent peu à peu ces mers inhospitalières pour aller se réfugier dans celles qui avoisinent le pôle Nord. Ce fut la ruine du pays. Sa résurrection, c'est à Napoléon III, surtout à l'Impératrice Eugénie qu'elle la doit. Rappelée dans ce coin des Pyrénées par ses souvenirs d'enfance, l'Impératrice décida l'Empereur à l'accompagner. Installés d'abord, en juillet 1854, au château de Gramont, propriété d'un notable bayonnais, devenu plus tard député, M. Labat, dans le haut Biarritz, tout près de l'église paroissiale, les souverains décidèrent d'acheter un vaste terrain sur la plage, à la chûte des falaises du phare et d'y faire édifier une résidence d'été. Trois mois plus tard, les travaux étaient entrepris; ils furent menés avec une telle activité que le palais fut occupé par l'Empereur et l'Impératrice dès la saison suivante. L'édifice de style Louis XIII modernisé, où la pierre et la brique se mélangent, consiste en un long bâtiment accompagné de deux ailes en retrait. Dans le parc, d'une quinzaine d'hectares, qui l'entourait, une chapelle dédiée à Notre Dame de la Guadeloupe avait été élevée en 1864.


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Nous n'avons pas à narrer ici les fêtes qui se succédèrent sans interruption dans la résidence impériale jusqu'à la catastrophe de 1870. Le château, inconstance des choses d'ici-bas, est aujourd'hui un caravansérail ouvert à tous, où les allant et venant sont servis dans de la vaisselle au chiffre des souverains, d'ailleurs toujours renouvelée. Ses bâtiments viennent d'être doublés, ce qui leur a enlevé le peu de caractère qu'ils avaient pu avoir. Son parc a été dépecé et des villas, de tout caractère et surtout sans caractère, y occupent la place des allées de tamaris. L'Impératrice, de ce domaine, n'a conservé que la chapelle de Notre Dame de la Guadeloupe. Il est temps de quitter Biarritz et de poursuivre notre chemin vers la frontière espagnole. Le premier village que l'on rencontre alors, c'est Bidart — Bide Arte — entre les chemins. — On s'y rend par la belle route de la Négresse, en remontant vers la voie ferrée, ou par un autre chemin beaucoup plus court, qui se détache des falaises de la Côte des Basques, passe devant la villa pseudo-arabe, construite par une Anglaise, Lady Bruce, atteint ensuite la somptueuse résidence de la reine Nathalie de Serbie, pour rejoindre la grande route quelques mètres avant le village qui s'éparpille sur le versant intérieur d'une haute falaise sur lequel il sème ses blanches maisons, ses bouquets d'arbres, son église, placée au milieu de son petit cimetière aux tombes à croix de pierre aux formes anciennes. De la chapelle de la Madeleine, élevée sur le point culminant de Bidart, la vue s'étend du cap du Figuier à Cap-Breton, développant le golfe en une courbe grandiose. En face de Bidart, se trouve Guéthary, encore il y a quelques années petit échouage, où les barques de ses pêcheurs, à leur retour de la pêche, étaient hissées hors des atteintes des flots à grand renfort de cabestans. Aujourd'hui Guéthary est une plage des plus fréquentées où les villas élégantes poussent comme des champignons. Peut-être manque-t-il un peu d'ombrages, mais qu'importe! L'air y est si pur, la vue si étendue. De Guéthary à Saint-Jean-de-Luz on ne met guère qu'une heure à pied, dix minutes en chemin de fer ou en auto. Quelque route que l'on prenne, le trajet est exquis; la vue s'étend d'un côté sur la montagne, de l'autre sur la mer, apparaissant par intervalles entre deux falaises qui s'abaissent et se courbent. Saint-Jean-de-Luz, comme l'a justement écrit un de ses historiens, M. Léonce Goyetche, est « bâtie sur une langue de sable que la Nivelle borde d'un côté et que l'Océan assiège de l'autre: la ville déploie ses rues en longues lignes uniformes et parallèles à-ses deux rivages; mais quand la marée pleine gagne la hauteur de ses quais, ses édifices baignés de toutes parts semblent autant de


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vaisseaux à l'ancre ». Cette description, si juste il y a encore une vingtaine d'années, ne l'est plus qu'à demi, aujourd'hui que les marais sur lesquels s'épandait la Nivelle sont comblés, transformés en nouveaux quartiers ou en boulevards. Si la ville y a considérablement gagné en salubrité, elle y a néanmoins quelque peu perdu en pittoresque. Saint-Jean-de-Luz s'étend en hémicycle au fond d'une magnifique baie; ses deux points extrêmes sont, au nord les rochers et la digue de Sainte-Barbe, au sud le fort et la digue de Socoa. Au milieu de la baie, sur un fond de rocher appelé l'Arta, a été construit à grand renfort de blocs bétonnés, un puissant brise-lames, laissant entre lui et les deux digues de SainteBarbe et de Socoa, l'intervalle de deux larges passes qui font de cette baie un refuge pour les navires du plus fort tonnage les jours de tempête. Il ne faut pas trop s'y fier cependant; les vagues de l'Océan, dans ses moments de colère, se brisent sur ces digues en terribles ressacs; la longue muraille de granit, deux fois interrompue, tremble sous le choc de ces furibonds assauts ; des infiltrations insidieuses se produisent. La digue de l'Arta consistant, comme nous venons de le dire, en un énorme bloc bétonné ajouté à un rocher, pendant une tempête de ces dernières années, sous l'effort furieux d'une masse d'eau colossale, s'est désagrégée en son milieu et la digue vit une partie d'elle-même glisser dans l'Océan, livrant aux vagues une brèche de plus de dix mètres de haut et de vingt-cinq de large. Il a fallu y remédier; mais pareil fait ne se reproduira-t-il pas un jour ou l'autre? La mer cantabrique ne désarme jamais. Le nom de Saint-Jean-de-Luz — en basque, Don Iban Lohizun — paraît pour la première fois dans le cartulaire de Bayonne en 1186, sous l'appellation de Scindas Johannes de Luk ; puis dans les Rôles Gascons de 1315. La pêche à la baleine a longtemps été la principale industrie des Saint-Jean-de-Luziens. Nous lisons à ce propos ce qui suit dans un mémoire conservé aux archives des Basses-Pyrénées : « Les habitants de Saint-Jean-de-Luz et de Ciboure, sa voisine, ont été les premiers inventeurs de la pêche à la baleine et ils ont eu cet avantage que cent vingt ans avant que Christophe Colomb fît la découverte de l'Ile Atlantique ou les Indes Occidentales, les Basques avaient les îles de Terre-Neuve et la terre ferme de Canada, où ils péchèrent quantité de baleines ; même suivant le rapport de Corneille Wistler et Antoine Magun, auteurs flamands, ce fut un pilote basque qui donna la première connaissance du nouveau monde au dit Colomb. Ce furent aussi les habitants basques de SaintJean-de-Luz et de Ciboure qui envoyèrent quelques vaisseaux, en l'année 1617 pour cette mer glaciale de Groëlland, qui est la demeure ordinaire des baleines


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Saint-Jean-de-Lu^. Vue générale

LE PAYS BASQUE

Cliché Ducourau

pendant le jour perpétuel qu'il y fait six mois de l'année ». Les armes de la ville qui portent « de gueules au navire d'or en chef et trois coquilles d'argent, en pointe », témoignent de ce glorieux passé. Saint-Jean-de-Luz tient une place importante dans les fastes de notre histoire. Louis XI y séjourna en 1463, lorsqu'il fut appelé comme médiateur entre les rois de Castille et d'Aragon ; François Ier y fit halte au retour de sa captivité à Madrid, le 17 mars i52Ô ; Charles IX s'y arrêta en 1565 ; dans la nuit du g novembre 1615 l'Infante Anne d'Autriche y arriva et en repartit en pompe, le jour suivant, avec le duc d'Uceda, pour Bordeaux et de là pour Paris où devait être célébré son mariage avec Louis XIII. Mais une cérémonie pour Saint-Jean-de-Luz prime toutes les autres : le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche qui eut lieu dans ses murs. La reconstitution de ce fait historique est facile à faire sur les lieux; le décor a peu changé. A l'angle de la place de la ville se trouve la maison où descendit Louis XIV, charmant logis de l'époque Louis XIII,-édifié par un riche armateur du nom de Lohobiague, présentant aux deux extrémités de sa façade, au nord, deux exquises tourelles en encorbellement; sur l'autre façade, au sud, sont également deux tourelles, ces dernières, sans caractère, reliées par des arcades assez lourdes.


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LE PAYS BASQUE

Cent pas plus loin, entre la mer et le bassin, se voit la maison Joanoënia où habita Marie-Thérèse. Au-dessus de sa porte, une plaque de marbre porte : L'Infante je reçus l'an mil six cent soixante On m'appelle depuis, le chasteau de l'Infante.

Château si l'on veut, mais néanmoins château quelque peu en désaccord avec l'idée qu'on se fait malgré soi d'une demeure, même temporaire, d'une souveraine telle que Marie-Thérèse d'Autriche, la femme du Roi-Soleil. C'est une massive construction carrée dont la façade qui regarde le midi, c'est-à-dire le bassin, le cours de la Nivelle, les Pyrénées, présente des galeries à jour; badigeonnée de couleurs criardes, elle semble construite d'hier. L'église de Saint-Jean-de-Luz, assez lourde, sans grand caractère, au moins extérieurement, est précédée d'une tour de la fin du XVIe siècle, au premier étage de laquelle conduit un escalier en pierre muni d'une belle rampe de fer forgé de cent ans plus récente. Commencé au XIIIe siècle, l'édifice a été si souvent remanié qu'il est difficile de lui assigner une époque quelconque. Avec

Saint-Jean-de-Lu^. Intérieur de l'église

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ses trois étages de galeries de bois superposées qui entourent sa nef unique, ses orgues volumineux, elle est un des types les plus complets des sanctuaires bascolabourdins. Quand Marie-Thérèse Cliché communiqué par M. Martinet

Saint-Jean-de-Luj. La Maison de l'Infante

d'Autriche

et Louis XIV y reçurent la bénédiction

nuptiale, des mains de Mgr d'Olce, y voyait-on déjà — c'est probable — à gauche, contre le mur de la nef, cette statue de la Mère des douleurs habillée des pieds à la tête, portant une robe de soie noire recouverte d'un manteau également noir, une dentelle sur le front, un mouchoir de baptiste brodé, un missel et un chapelet dans une main, un éventail ouvert dans l'autre ? C'est la première figure de ce genre que nous rencontrions, ce ne sera pas la dernière. De l'autre côté de la frontière, que nous allons bientôt franchir, pas une église, un ermitage, une chapelle, où une Vierge, une sainte quelconque, un Christ couronné d'épines mourant sur la croix ou étendu dans son tombeau, aussi terriblement naturaliste,, disons barbare, n'appelle ou ne force l'attention. Revenons Thérèse.

«Après

à

Louis la

XIV et

journée

du

à Mariemariage»,

écrit Madame de Motteville, « leurs Majestés et Monsieur soupèrent en public, sans

plus

de cérémonie qu'à l'ordinaire et le Roi aussitôt demanda à se coucher. La Reine dit à la Reine sa tante, avec des larmes dans les yeux : — Es muy temprano, — qui fut, depuis qu'elle fut arrivée, le seul moment de chagrin qu'on lui vit et que sa modestie la força de sentir. Mais enfin, comme on

lui dit que

le

Roi

était déshabillé, elle s'assit à la ruelle du lit, sur deux carreaux pour en faire autant... Elle se déshabilla, sans faire mille façons, et, comme on lui eut dit que le Roi l'attendait, elle prononça les mêmes paroles : — Pronto, pronto, el

Cliché communiqué far M. Martinet

Saint-Jean-de-Lu^. La Maison Louis XIV


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LE PAYS BASQUE

ti't

la &

I

Cliché 'Ducourau

Vue générale de Ciboure

Rey me espéra. — Après une obéissance si ponctuelle, qu'on pouvait déjà soupçonner être mêlée de passion, tous deux se couchèrent avec la bénédiction de la Reine, leur mère commune. » Abandonnons à notre tour les souverains, il n'est que temps. Les tristes jours de Saint-Jean-de-Luz s'approchent; moins de trois quarts de siècle plus tard une terrible tempête, sans précédent, dévaste la vieille cité, renversant une douzaine de maisons, obligeant à en abandonner près de deux cents autres minées à la base, dévastant les enclos, les jardins, culbutant les murailles édifiées pour la garantir. Malgré tout, ses marins, ses corsaires restent dignes de leurs valeureux ancêtres. Les Gépé, les Duconte, les Harismendy, ravagent les pêcheries de baleines des Hollandais, dans les mers glaciales; plus tard, leurs fils et neveux, les Labrouche, les Laxague, se montreront aussi terribles pour les flottes anglaises, au temps delà Républiqueetde l'Empire. La mer, cette mer cantabrique sans cesse en fureur, continue ses assauts, à ce point qu'au commencement du XIXe siècle un officier du génie voyant dans une seule nuit emporter la digue qu'il avait fait élever pour protéger la ville s'écriait : «Avant cent ans on péchera des sardines dans l'église de Saint-Jeande-Luz ». Ce prophète de malheur a heureusement été mauvais prophète.


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De l'autre côté du bassin de Saint-Jean-de-Luz, sitôt franchie la petite rivière la Nivelle, se trouve un ancien couvent de Recollets transformé en caserne de douane, dont le milieu du jardin du cloître est occupé par une délicieuse fontaine de style renaissance. Ciboure est la sœur cadette de Saint-Jean-de-Luz. Son quai qui se développe sur le bassin est bordé de logis d'un pittoresque achevé ; ses vieilles rues aux antiques maisons, méritent une visite comme aussi son église à une seule nef, à trois étages de galeries de bois, aux autels surélevés, comme ceux de sa voisine. Signalons dans le chœur, de superbes lutrins en cuivre, dominés par des aigles aux ailes éployées, ainsi qu'une très belle balustrade en fer forgé. Remarquons aussi, non loin de la place publique où se trouve le fronton, une charmante fontaine du XVIe siècle, quelque peu enterrée entre deux hautes maisons. Mais tout cela n'est en réalité qu'un Ciboure relativement moderne. Le vieux Ciboure, détruit par les bombardements des .Espagnols et des Anglais, était sur la haute et dominatrice colline de Bordagain contre laquelle le bourg actuel s'appuie, qu'escaladaient jadis des rues abruptes dont le tracé reste visible et que couronne à son sommet, une église en ruine, accolée d'une haute tour branlante. Sous ces ruines, on a ménagé une humble chapelle qui va, hélas! faire place à une buvette; à l'ombre de son auvent de bois, admirons pendant qu'il est encore temps, tour à tour, les derniers contreforts des Pyrénées, les pans de murs croulants du vieux château de SainteBarbe, dressé par Vauban, le Socoa tout proche, auquel on peut descendre en vingt minutes. Ce petit port, fondé par Henri IV, CUM D ucourau Eglise de Ciboure


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3?

est blotti sous une grosse tour de défense dont on vient d'enlever les canons inutiles; son bassin sert d'abri à quelques embarcations de pêche et son humble quai est bordé d'une dizaine de maisons habitées par des marins et des douaniers. Sur la falaise qui domine le vieux fort, où se trouve un petit phare, une vieille maison des plus pittoresques aux deux étages surplombant l'un sur l'autre et portant la date de 1616, vient d'être jetée bas et remplacée par une navrante villa. Oh! progrès! C'était de Ciboure, de SaintJean-de-Luz que partaient jadis, avant l'établissement du chemin de fer, au débarquement des bateaux de pêche, les marchandes de sardines, qui, jambes nues, les poings sur les hanches, la gorge à demi découverte, un énorme panier sur la tête, enjambaient à des allures invraisemblables, les vingt-cinq kilomètres qui séparent Saint-Jean-de-Luz de Bayonne, dépassant dans leur course folle, les voitures qui faisaient le service de la route. Si ces voitures les distançaient aux descentes,

elles

regagnaient l'avantage aux montées,

reprenaient haleine et s'élançaient de plus belle sur la route ensoleillée. Quelle aubaine, pour celle de ces marchandes qui faisait la première entendre son cri de : « sardina fresca», dans les rues de Bayonne. Les ménagères qui attendaient sur le pas de leur porte, accaparaient sa marchandise,


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vendue alors, un peu ce qu'elle voulait. Quand le gros du peloton avait envahi la ville, c'était un vacarme assourdissant et les échos se renvoyaient les notes suraiguës de leurs voix endiablées. Aujourd'hui les marchandes de poisson prennent le chemin de fer, et de ces belles filles, aux grands yeux noirs, à la taille flexible, dont la plupart appartenaient à la tribu des Cascarots, il ne reste nir. Faut-il mettre plus que le souveau nombre des Cascarots si nomcore une trentaine Jean-de-Luz et

bohémiens, ces breux, il y a end'années, à SaintsurtoutàCiboure? ment de même orileurs ancêtres à déterminé, ils cheurs, sédenà petit, se sont

In contestablegine, séparés de un moment insont devenus pêtaires, puis, petit mêlés à la popuqui, d'ailleurs, n'y De SaintHendave, c'est douzaine de kiloCiboure, quelque montée qui mène

Château d'Urtubie

Ctichc Ducouiwu

lation du pays a rien gagné. Jean-de-Luz à une course d'une mètres ; à deux de peu avant la à Urrugne, se

trouve le château d'Urtubie dans un frais vallon, entouré d'un parc séculaire. La grande porte d'entrée, à pont-levis, est flanquée de deux grosses tours rondes de la fin du XVe siècle, sur lesquelles s'appuie une construction moins ancienne, percée de fenêtres à meneaux. C'est à Urtubie qu'en 1463, Louis XI, rencontra les rois de Castille et d'Aragon, appelé auprès d'eux comme médiateur. C'est toujours à Urtubie qu'en 1814, Soult et Wellington établirent successivement leur quartier général, le premier, la veille, le second, le lendemain de la sanglante bataille d'Urrugne. La voiture fit halte à l'église d'Urrugne, Nom rauque dont le nom à la rime répugne, Mais qui n'en est pas moins un village charmant, Sur un sol montueux, perché bizarrement,

écrit Th. Gautier en i832 Cette église est uni une haute et massive construction du XVe siècle, avec un assez beau porche renaissance décoré de frustes bas-reliefs. Sa vaste nef, entourée


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3g

de trois rangs de galeries en bois, est terminée par une abside hexagonale noble et grandiose, éclairée par d'étroites fenêtres à lancettes que surmonte un oculus. Signalons à l'entrée du temple, un lourd bénitier en pierre, ne manquant pas de caractère. Sur le cadran que porte sa tour, édifiée dans les toutes premières années du XVIIIe siècle, se lit la funèbre inscription que voici, si souvent citée : VULNERANT OMNES,

ULTIMA NECAT.

Hélas ! oui, toutes les heures blessent et la dernière tue. Mais laissons ces lugubres pensées, jetons en passant un coup d'œil sur la mairie d'Urrugne aux colonnes blanches d'un si curieux aspect. Jouissons du grand charme du pays, de sa lumière éblouissante. Auprès de la place publique, bordée des maisons aux boiseries apparentes s'élève le fronton, c'est-à-dire un long mur droit arrondi au sommet, formant l'un des petits côtés d'un long parallélogramme fermé sur les trois autres, par des murs soutenant des bancs de pierre, autrement dit : l'emplacement du Jeu de Paume, l'exercice par excellence des Basques des deux côtés de la frontière, le plus beau qui soit à leur dire, car il demande du souffle, des muscles, du coup d'œil, de l'adresse et de la vigueur. Ils ont raison de tous points, car il n'existe pas de spectacle plus dramatique, plus noble, plus fait pour nous soustraire, quand ce ne serait qu'un moment, aux petitesses de la vie. Ces parties de pelotes, sont l'occasion de véritable luttes épiques pendant lesquelles palpite l'âme de tout un peuple. Quand il s'agit d'une de ces manifestations, rien n'arrête un Basque. En faut-il des exemples, en voici deux bien typiques. Au plus fort de l'époque de la Terreur, un des plus habiles lanceurs de balles, condamné à mort, avait été obligé d'aller chercher un refuge de l'autre côté de la frontière; il apprend qu'une importante partie allait être jouée aux Aldudes; bravant tout, il accourt, remporte la victoire et rentre en Espagne « applaudi et protégé par six mille spectateurs », écrit Germond de Lavigne. Sous le premier Empire, quatorze soldats, rap-

Cliché communiqué par M. Martinet

Eglise d'Urrugne


4o

u,ce uucourau

LE PAYS BASQUE

Hendaye. Château d'Abbadie

porte encore cet écrivain, du même régiment, ayant appris que l'on devait jouer une partie à Saint-Etienne-de-Baigorry, sans autorisation aucune, quittèrent les bords du Rhin, vinrent triompher sur leur fronton et retournèrent à l'armée, juste à temps pour assister à la bataille d'Austerlitz. Les joueurs d'aujourd'hui à la poitrine puissante du lutteur, au dos cambré de l'athlète, aux jambes fines et nerveuses du coureur, sont restés dignes de ceux de ces temps héroïques. Braves et harmonieux, ils sont beaux comme des vainqueurs du stade. Il faut les voir en pleine action, le buste rejeté en arrière, les vertèbres saillantes, les tendons gonflés. Au repos, avec leur prestance naturelle et aisée, ils ont la simplicité inhérente aux races primitives, toute proche des héros d'Homère, si loin de notre allure de citadins étriqués et veules. Mais voici la partie engagée, la balle dure atteint de son heurt sec, le blaid d'une blancheur éclatante ; les joueurs se précipitent au-devant d'elle, la recueillent dans leur chistera et la renvoient à perte de vue, dans le ciel bleu, à coups de bras à démonter l'épaule. Les deux camps sont acharnés, les adversaires, le béret national sur la tête, vêtus du costume traditionnel, en bras de chemise et pantalon blanc, une ceinture rouge pour les uns, bleue pour les autres, serrant les flancs, des sandales de corde tressée aux pieds, s'escriment en pleine fièvre.


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Cliché Ocana

Hendaye. L'Hôtel Eskualduna

Chiquito, fin, souple, élégant, bondit de tous côtés. Arrué, impeccable, surveille la balle et ne la manque jamais ; Ayerstaran est partout à la fois ; Munita se précipite et s'esbroue; tous halètent, la chemise collée au dos, des gouttes de sueur perlent de leur front et tombent de leur visage. La voix monotone du crieur, en une mélopée sauvage et traînante, compte et annonce les coups, insensible aux

chicanes, aux disputes et aux raccommodements. D'ailleurs, des juges n'ont-ils point été institués pour décider des litiges. Aussi jamais de discussions entre les joueurs; la décision du directeur de la partie est irrévocable et sans appel; tous s'y soumettent sans mot dire et cela entretient dans l'arène une atmosphère de courtoisie véritablement remarquable. Lors des grandes parties, aux fêtes patronales et carillonnées, les côtés du fronton sont échafaudés de gradins supplémentaires en bois, sur lesquels se presse, s'écrase et grouille une foule bariolée, frénétique et enfiévrée qui applaudit, se lève, hurle et glapit dans le paroxysme de la surexcitation. Les femmes, mêlées aux hommes, agitent leur mouchoir, cassent leur éventail, aussi intéressées à la lutte, que leurs pères, frères ou maris. Les prêtres ne sont pas moins enthousiastes que leurs ouailles. Il n'est même pas rare, s'il manque par hasard un joueur, de voir un jeune vicaire ou un solide curé, la soutane relevée, descendre dans l'arène et butter aussi bien que pas un. Quoique leur intervention ne soit pas nécessaire, dans ce pays de foi, ce sont ceux-ci, qui, lorsque la partie a lieu le matin, donnent le signal de l'arrêt, au tintement de l'Angelus. Alors, sous la lumière crue et aveuglante de midi, les joueurs, les marqueurs, les juges et le public, tous debouts et découverts, récitent à voix basse, YAve Maria, les yeux fixés audessus du fronton, sur le clocher de l'église, émergeant des frondaisons voisines et se profilant sur le fond de montagnes aux tons d'émeraude passée.

Cliché communiqué par M. Martinet

Hendaye. La maison de Pierre Loti

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A côté du fronton, ne faut-il pas dire au moins deux mots du trinquet. Il se joue dans un bâtiment couvert, à hautes murailles, sorte de parallélogramme allongé et consiste à faire passer la balle par-dessus une corde tendue à hauteur de quatre pieds, avec cette difficulté, que les angles des murs gênent inévitablement les joueurs. Aussi, ceux-ci, obligés de parer à cette difficulté, devant éviter de se rencontrer, de se heurter, de s'embarrasser mutuellement, se montrent-ils dans les poses et les attitudes les plus variées, les plus inattendues, les plus faites pour faire valoir leurs formes. Les joueurs de paume sont chaussés de sandales. Ces sandales ou espadrilles, silencieuses, souples, laissent au pied toute sa liberté, son complet développement. La fabrication de la sandale est une industrie du Pays Basque. L'ouvrier, à califourchon sur un banc qui, en avant, devient une table, y appuie la semelle de corde de chanvre qu'il exécute à l'aide d'une longue aiguille enfilée de ficelle avec laquelle il traverse les tresses dans leur épaisseur et les assujettit en même temps. Une ouvrière cout ensuite à cette semelle la toile qui lui sert de côté et y ajoute des lies ou cordons. Montons à la Croix des Bouquets, d'où la vue s'étend merveilleuse de tous côtés; de là, poussons jusqu'à la chapelle de Sokorri, d'où elle domine les campagnes verdoyantes au sud. Ces lieux qui semblent bénis, ont vu de terribles rencontres, plus meurtrières les unes que les autres, entre les troupes françaises et espagnoles, mais dans ce coin de frontière il en est partout ainsi. Hendaye que voici « Hendaye », écrit M. J. Lacour en 1834, «n'existe réellement que sur la carte, elle n'offre que des décombres,... ses habitants sont dispersés, son industrie tuée... Je vois partout la dévastation, la solitude, le deuil,... Quelques rares maisons s'élèvent à travers ses rues désertes, et au-dessus, » ce ne sont que pans de murailles écroulées. « On croit se promener au milieu des catacombes ». Que cela est changé heureusement ! Hendaye commença à reprendre un peu de vie lors de l'établissement du chemin de fer qui relie Paris à Madrid ; quelques curieux, au nombre desquels le prince de Polignac, séduits par la beauté du site vinrent s'y installer ; plus tard, ce fut P. Loti, alors commandant du stationnaire mouillé dans la Bidassoa sous les premières piles du pont du chemin de fer, qui y écrivit Ramuntcho. Entre temps, Antoine d'Abbadie, le célèbre explorateur de l'Abyssinie, y fait édifier par Violletle-Duc, un superbe castel, qu'en mourant il lègue à l'Institut pour y établir un observatoire astronomique; la Ville de Paris y fonde une maison de


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convalescence pour les enfants déshérités qui y recouvrent immédiatement la santé. Hendaye devient une ville commerçante de quatre mille âmes au moins, qui prospère au détriment de Béhobie située plus haut, en avant du pont international ; une ville industrielle où l'on fabrique une liqueur — la liqueur d'Hendaye qui prétend faire concurrence à la Chartreuse, — une station balnéaire et même hivernale, qui pousse comme par enchantement sur sa plage si merveilleusement située, où s'élève un superbe casino, de nombreux chalets. La distance n'existe plus depuis qu'un tramway électrique y conduit, non seulement du vieil Hendaye, mais aussi de la gare. Sa situation merveilleuse en avant de la pointe de Sainte-Anne, des deux rochers jumeaux sans cesse battus par les flots, en vue du cap du Figuier et de la côte espagnole, n'est-elle pas là pour expliquer son succès ?


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Ascain. Pont sur la Nivelle

Cliché Ducourau

m CHAPITRE II

De Saint-Jean-de-Luz à Ascain, Sare, Espelette et Saint-Pée-sur-Nivelle Ascain, la Nivelle, ascension de la Rhune; Sare, les palomières ; Espelette, son église, château d'Eqveleta, ascension du Mondarrain ; Ainhoa; Saint-Pée-sur-Nivelle.

De Saint-Jean-de-Luz, quelle charmante promenade de remonter la Nivelle à l'heure de la marée jusqu'à Ascain, joli village aux maisons blanches, au nombre desquelles il faut signaler celle à la porte ronde, surmontée d'un blason, où naquit Robert de Sossiondo, qui fut évêque de Bayonne de 1566 à 1578. Ducourau

Une ferme à Ascain

C'est d'Ascain qu'il convient de faire l'ascension de la Rhune; elle demande deux bonnes heures. Si nombre d'autres pics la dépassent en altitude, il en est peu d'aussi isolés et qui offrent de leur sommet un aussi beau Cliché Ducourau

La Rhune

ML

spectacle,

un

plus

large


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PAYS

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panorama. De sa plus haute pointe qui sert d'aire aux vautours, les yeux parcourent, tour à tour, les Landes avec leurs forêts de pins, le Béarn, la Navarre, les Pyrénées dentelées couvertes de neiges éternelles et l'immensité de l'Océan. La descente de la Rhune peut se faire — il faut bien varier ses plaisirs, — par des sentiers à peine tracés que sillonnent des bois de chênes, pour aboutir à Olhette après être passé auparavant devant un ermitage en ruines. D'Olhette, quitte à al-

Espelette. Porche de l'église

Cliché

1.7.1e / ar M. Martinet

longer quelque peu le chemin, on gagne Sare. C'est dans les défilés qui avoisinent Sare qu'ont lieu pendant le mois d'octobre, les grandes chasses à la palombe; d'autres se font dans la Soûle. De la couleur d'un beau pigeon domestique, le plumage brillant, bleu ardoisé, les palombes franchissent alors les Pyrénées, après avoir passé la belle saison dans les pays du nord, pour aller hiverner de l'autre côté de la Méditerranée. Elles apparaissent vers la fin septembre, les jours de beau temps, quand soufflent les vents du nord ou du sud, par petits groupes de quinze à vingt; puis, par vols plus importants de cinquante, soixante, pour

arriver à des masses de cent à cinq cents. C'est le grand passage qui va ensuite en diminuant jusqu'à la mi-novembre. Les cols que franchissent les palombes sont toujours les mêmes : le pic Harria, le mont Fague; au-dessous de la Rhune, les rochers qui un peu plus loin, forment la frontière en vue du clocher du village espagnol d'Etchalar, vers lequel elles semblent se diriger. Elles s'engagent en vols serrés par les mêmes gorges, se perchant toujours depuis des siècles, sur les mêmes hêtres. Dans ces passages, les chasseurs suspendent à l'aide de cordes et de poulies à deux maîtres arbres,


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à vingt-cinq ou trente mètres du sol, d'immenses filets à fils verts, à larges mailles, masqués par des branches. Certains d'entre eux se cachent dans le feuillage, armés de leurs fusils; d'autres, postés aussi haut que possible, tiennent dans les mains des raquettes rappelant la forme d'un oiseau de proie. Des guetteurs échelonnés de loin en loin, annoncent l'arrivée du gibier, qu'un rien, un léger bruissement dans l'air, leur fait deviner. Ce bruissement augmente de minute en minute et devient formidable. Une raquette, que dans leur terreur, les palombes prennent pour un épervier, les ailes ouvertes, les jettent à gauche; une seconde, à droite; puis, ce ne sont que raquettes de tous côtés qui contraignent les malheureux volatiles n'en pouvant mais, à s'engager dans la direction où sont les filets; enfin, au moment où les palombes, qui ne s'élèvent jamais à plus de trente ou quarante mètres du sol, vont butter contre ces filets où elles s'ensevelissent sous leurs plis, «les cris redoublent, des coups de feu partent de tous côtés « écrit Germond de Lavigne, « et ceux des pauvres oiseaux que le filet n'a pas arrêtés tombent frappés de mort. » Il est un autre procédé de chasse aux palombes, à l'usage des solitaires; ceux-ci s'établissent dans de simples petites cabanes de feuillages aménagées bien avant l'époque du passage de l'oiseau migrateur; tout proche on répand sur un sol, préparé à l'avance, des graines de blé ou de maïs et non loin, on place une auge remplie d'eau ; à un piquet une palombe plus ou moins apprivoisée est retenue à la patte avec une corde que le chasseur par le son d'un appeau qu'il tient entre ses dents, tranquillise au besoin. Les autres à la vue de leur congénère descendent et se posent sans défiance; un filet se rabat, qui les emprisonnent; si elles l'évitent, s'en échappent, un coup de fusil ne les manque guère. Ces chasses aux palombes sont des fêtes; heureux ceux qui peuvent y prendre part, y sont invités. Il en est question un mois à l'avance, on en parle encore un mois après. De Sare, la route est si engageante qu'il convient de pousser jusqu'à Espelette dont l'église au porche cintré, de style renaissance, à la nef unique, entourée de trois étages de tribunes en bois à balustres tournés et sculptés, occupe une petite éminence. En face de l'église, semblant lui faire une sorte de pendant, se trouve le château, berceau de la famille espagnole d'Ezpeleta, transformé aujourd'hui en bâtiment communal. C'est d'Espelette, que s'entreprend d'ordinaire l'ascension du Mondarrain, couvert presque jusqu'à son point culminant de vieux chênes et de vénérables châtaigniers. De son sommet, autrefois fortifié, la vue s'étend de tous côtés, à


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des distances infinies. Au-delà d'Espelette, au milieu des prairies arrosées par la Nivelle, on découvre, enfoui dans la verdure, le charmant village d'Ainhoa, placé presque sur la ligne de démarcation de la France et de l'Espagne, formée par le ruisseau d'Haiçaguerry et dont le point exact est le milieu du pont de Dancharinéa. Mais revenons sur nos pas, traversons à nouveau Espelette^ gagnons Saint-Pée, bourg des plus pittoresques aux curieuses constructions, à l'église au fastueux retable doré, et rentrons à Saint-Jean-de-Luz ou à Giboure par ces chemins étroits et encaissés, si frais et si verts, dont les hautes frondaisons cachent même parfois le ciel.


Ruines du château de Eidache

CHAPITRE III

De Bayonne à Bidache, Guiche, Saint-Jean-Pied-de-Port, Saint-Etienne-de-Baïgorry et aux Aldudes. Les bords de l'Adour, Lahonce, Urcuit, Urt; Saint-Pierre-de-Mouguerre, la Croix des bouquets; Briscous, Bardos; Bidache, ruines des châteaux de Bidache et de Guiche; la vallée de la Nive, Saint-Pierre-d'Irube, le château de Lissague et la reine Marie-Anne de Neubourg, le chevalier de Bel\unce et le dragon; Villefranque, Pès de Poyanne et le péage du pont de Prandines; Ustarit\, assemblées du Bil\aar, les Garât; Larressore, Cambo; Hasparren et son inscription antique; Itxassou, le trésor de l'église d'Itxassou, le Pas de Roland; Bidarray, la Fête-Dieu à Bidarray; Ossès, Saint-Martin-d'Arossa, approches de-Saint-Jean-Pied-de-Port; Saint-Jean-Pied-de-Port, la ville, ses monuments; les monts d'Aradoy, de Béhorléguy; Ahusquy, Saint-Etienne-de-Baïgorry, les litanies de Saint-Jean à Baïgorry, la sorcellerie, les Aldudes, retour à Bayonne, passage en Espagne.

C'est de Bayonne qu'il convient d'aller visiter la partie du Pays Basque qui longe les bords de l'Adour et s'étend sur les hauteurs environnantes. En bas, après le faubourg de Mousserolles, c'est Lahonce avec son église du XIIe siècle et les ruines d'un couvent de Prémontrés, c'est Urcuit, c'est Urt, où le fleuve large comme la Garonne à Bordeaux, coule paisiblement entre ses deux rives des plus fertiles et des plus cultivées. C'est à Urt que l'on construit ces longues barques plates, appelées gabarres qui occupent les cales des quais de Bayonne, chargées de denrées et de marchandises diverses.

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A la sortie du petit Bayonne, si au lieu de suivre le fleuve, on monte les pentes des coteaux qui l'avoisinent, on rencontre Saint-Pierre-d'Irube, sur lequel nous reviendrons, puis un peu plus loin, Mouguerre. De la Croix des bouquets, petite éminence, plantée de chênes, à deux pas du village, on jouit d'une vue superbe sur le cours de l'Adour, les rives de la Nive, l'Océan et les Pyrénées qui se développent depuis l'extrémité de la Biscaye, jusqu'au pic du Midi d'Ossau, et même au-delà. On passe ensuite à Briscous dont les salines sont renommées, à Bardos et on atteint Bidache, situé sur une crête, dominant la Bidouze, qui, chose rare dans ce pays, court paresseusement et déverse son trop plein dans des terrains bas, bien vite devenus des marécages. Bidache consiste en une longue rue aux maisons blanchies à la chaux, aux toits saillants, aux boiseries peintes de couleurs éclatantes. Son église, de construction récente, est d'un intérêt relatif. Son fastueux château, bâti à l'aurore du règne de Louis XIII, sur l'emplacement d'un plus ancien datant du milieu du XIe siècle, assiégé par l'armée de Charles-Quint en 1523, ne présente plus que des ruines. C'est grand dommage; car il a été un des plus beaux et des plus fastueux monuments du Sud-Ouest. Dans ce qui reste de son porche, au milieu des lierres envahissants, on découvre deux cariatides de femmes, supportant les armes des Gramont, seigneurs de Bidache, qui avaient fait élever cette opulente demeure. | Faut-il dire que la reine MarieAnne de Neubourg séjourna au château de Bidache un certain temps et que c'est là, comme le narre l'Histoire et Généalogie de la maison de Gramont « que se fit sa liaison avec M. de Larretegui qu'elle épousa, dont elle eut deux enfants morts en bas-âge et qu'elle persécuta lorsqu'elle eut cessé de l'aimer, pour qu'il lui rendit l'expédition de leur contrat de mariage et jjgles diamants qu'elle lui avait donnés, valant six cent mille francs. » N'appuyons pas. En 1794, le gouvernement révolutionnaire s'étant emparé du château cikhé George de Bidache, en fit un hôpital militaire, Eglise de Lahonce

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puis bientôt après le siège de l'administration de la guerre dans la région, sous le contrôle d'un gouverneur qui le livra à la dévastation et au pillage. L'autorité trouva que celui-ci allait tout de même un peu trop loin et décida d'envoyer une commission faire une enquête. Le délégué ne trouva alors d'autre solution que de livrer le château aux flammes et de se jeter dans la Bidouze. Une nuit de mars 1796, le feu consuma en moins de six heures, toutes les richesses encore renfermées dans ce vaste et magnifique édifice. Il ne resta debout qu'une tour d'un des pavillons, depuis lors, sans toiture. Un peu plus loin, près de Sames, se dressent les ruines féodales du donjon de Guiche, autre résidence des Gramont qui furent souverains indépendants, ou peu s'en faut. En quittant Bayonne par la porte du Château-Neuf, en avant du faubourg de Mousserolles, une belle route plantée de magnifiques arbres, monte vite à Saint-Pierre-d'Irube où se voient encore le château de Lissague qu'habita MarieAnne de Neubourg, ainsi que son bois plusieurs fois séculaire où la souveraine aimait à se promener. C'est à SaintPierre-d'Irube que se trouve la célèbre fontaine du dragon à trois têtes, qu'en 1407 tua le chevalier Gaston de Belzunce. En souvenir de ce haut fait, qui rendit la tranquillité au pays terrorisé par ce monstre, le roi de Navarre, Charles-leNoble, autorisa les Belzunce à adjoindre un dragon à leurs armes. Après Saint-Pierred'Irube, abandonnant le chemin menant à Mouguerre, on prend à droite, une route plantée de peupliers qui con-

CUM communiqué par M. nutourmer

Fontaine du Dragon à Saint-Pierre-d'Irube


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duit d'abord à une saline, et, un peu plus loin, à Villefranque. On peut encore s'y rendre de Bayonne, par le chemin de halage de la rive gauche de la Nive aux rives verdoyantes, que l'on traverse ensuite en barque. Villefranque est bâtie sur les flancs d'un coteau que domine son château de Miots, de sinistre mémoire. Dans une anse de la rivière se trouvait jadis le pont de Prandines, dont il ne reste plus trace, demeuré néanmoins célèbre par un terrible drame raconté par les anciens chroniqueurs, que narre à son tour H. Taine dans son Voyage aux Pyrénées et dont Albert de Glatigny a tiré un drame lyrique. Impossible à notre tour de le passer sous silence. Du temps de la domination anglaise, la ville de Bayonne prétendait avoir des droits de coutume sur les denrées de consommation destinées au Pays Basque, dont la juridiction s'étendait jusqu'à l'endroit extrême où la marée se fait sentir dans l'Adour et la Nive. Le flux s'arrêtant pour la Nive à Villefranque, le maire de Bayonne, le capitaine de marine Pès de Poyanne avait placé au pont de Prandines des gardes chargés de faire acquitter ces droits. Les Basques ne les reconnaissant pas, précipitèrent ces gardes dans la rivière en leur criant, d'aller voir jusqu'où l'eau montait. Quelques jours plus tard, à la Saint Barthélémy, fête patronale de Villefranque, prévenu par un espion, Pès de Poyanne, à la tête d'une troupe d'hommes déterminés, s'introduisit dans le château de Miots, où se trouvaient réunis de nombreux gentilshommes basques qu'il massacra au milieu de leur sommeil. De ceux-ci cependant, cinq furent épargnés, mais pour subir un supplice plus épouvantable. Au matin, Pès de Poyanne les fit attacher aux piles du pont, en leur disant qu'ils allaient pouvoir, comme ses gardes, se rendre compte du véritable point où atteignait le flot. Des luttes ininterrompues entre Basques et Bayonnais, furent la conséquence de ces sanglantes et barbares tragédies. Elles ne prirent fin qu'à la suite de la médiation du roi d'Angleterre. Les Bayonnais furent condamnés à payer quatre mille écus, qui servirent à fonder dix prébendes pour le repos des âmes des gentilshommes basques, assassinés et noyés d'une si sauvage façon. On pourrait alléguer à la défense des Bayonnais qu'ils avaient été provoqués. Pour Pès de Poyanne, il n'échappa pas à la vengeance de ses ennemis. Il eut beau quitter Bayonne, se réfugier à Bordeaux chez le Prince de Galles, éviter d'ordinaire de sortir de la ville, demeurer toujours cuirassé et accompagné, «un jour», raconte H. Taine, d'après de vénérables documents d'archives, «étant allé voir une vigne qu'il avait achetée, il s'écarta un peu de sa troupe pour relever un gros cep noir qui descendait dans un fossé ; un instant après, ses


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hommes entendirent un petit bruit sec,... et virent Pès de Poyanne mort, avec un couteau long d'une brasse qui était entré sous l'aisselle, au défaut de la cuirasse.» Après Villefranque, au bout de treize kilomètres, la route atteint Ustaritz, composé de deux agglomérations à peu près à un kilomètre l'une de l'autre. Entre les deux, se trouve l'église, de construction moderne, dont le clocher se dresse au-dessus d'ombreux marronniers. C'est dans le château d'Haïtzéa, à Ustaritz, ou plus souvent, dans les bois qui dominent le bourg, portant également le nom d'Haitzéa, que le Bilzaar, l'assemblée des vieillards, se tenait autour d'un rocher, où les membres de ce sénat, appuyés sur leur makila, décidaient des questions qui intéressaient le pays. Les Garât sont originaires d'Ustaritz. Dominique-Joseph Garât, membre de l'Assemblée Constituante, ministre de la Justice sous la Convention, lors de la condamnation du malheureux Louis XVI, plus tard membre de l'Institut, sénateur de l'Empire, etc., y naquit le 8 septembre 1749; l) revint y mourir et est enterré dans son cimetière; son frère ainé, Dominique Garât, avocat au Parlement de Guyenne, député du Labourd à l'Assemblée Nationale de 1798, y était né quatorze ans plus tôt, le 2 décembre 1735. Dominique Garât l'ainé est le père du fameux chanteur Garât, la coqueluche des salons de Trianon, le chef des Incroyables du Directoire. Un peu après Ustaritz, la route descend vers la Nive et passe auprès de la chapelle de Larressore, construite au XVIIe siècle, et des vastes bâtiments de son petit séminaire, en partie de la même époque, dernièrement encore habités par une jeunesse studieuse, pépinière du clergé de la région, aujourd'hui désaffectés et vides, qui ne seront bientôt plus que des ruines. Le chemin remonte ensuite en pente douce les flancs du mont Ursuya, diaprés des mille couleurs des fleurs sauvages, des ajoncs, des genêts et des fougères, puis atteint le haut Cambo. Cambo à joui de tout temps, et jouit encore à juste titre, d'une rare renommée de beauté. La coquette station balnéaire a séduit la reine Marie-Anne de Neubourg, l'abbé de Montesquiou, Napoléon qui rêva d'en faire un second Bagnères. Ces temps derniers, M. Edmond Rostand y a élevé sur un coteau qui domine la Nive, sa belle villa d'Arnaga, aux merveilleux parterres. Si vous êtes un tantinet l'ami du poète, peut-être pourrez vous y admirer les belles choses qu'il y a réunies et surtout, la superbe décoration que vient d'y placer le grand peintre qu'est Mlle Dufau, composée de trois panneaux d'un si grand et si noble caractère, aux figures souples et harmonieuses, à la coloration chatoyante et chaude.


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Cliché 'Bcrthoud

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Vue de Cambo

Cambo se divise en deux agglomérations bien distinctes, le haut et le bas Cambo. Le bas Cambo renferme l'ancien village, le haut Cambo, l'église, des villas et des chalets enfouis dans la verdure, puis le long de la Nive, à l'ombre de vieux chênes, l'établissement thermal et son parc. Sur l'autre bord de la claire et clapotante rivière, s'étagent des prairies qui s'élèvent peu à peu jusqu'au sommet de l'Ursuya. De Cambo, une route assez accidentée va rejoindre Hasparren et de là, Urt et les rives de l'Adour en passant par la Bastide-Clairence dont l'église montre les restes d'un beau portail du gothique le plus flamboyant. On peut encore se rendre à Hasparren et Bayonne, par Saint-Pierre-d'Irube, en traversant Orlopio et les bois de Faldaracon. Hasparren est une grosse commune, presque une ville, de près de 6000 habitants, en grande partie disséminés dans des métairies plus ou moins éloignées du bourg, qui ne compte pas plus du tiers de sa population totale. Hasparren doit en partie sa prospérité à ses manufactures de chaussures qui occupent de nombreux ouvriers.


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Le Pas de Roland à Itxassou

La grande curiosité de l'endroit, c'est la pierre encastrée jadis au-dessus du portail de l'église, aujourd'hui, dans le mur de la sacristie, trouvée en 1660, dans les fondations du maître-autel sur laquelle on lit : FLAMEN, ITEM DVVMVIR, QVAESTOR, PAGIQVE MAGISTER, VERVS, AD AVGVSTVM LEGATO MVNERE FVNCTVS, PRO NOVEM OPTINVIT POPVLIS SEJVNGERE GALLOS URBE REDVX, GENIO PAGI HANC DEDICAT ARAM.

Ce que l'on traduit : « Le prête Verus, duumvir, questeur, président du district, député vers «Auguste, a obtenu la séparation des Neuf-Peuples d'avec les Gaulois. A son « retour de Rome, il dédie cet autel au génie du lieu. » Ces quatre vers, dont deux sont manifestement faux, se rapporteraient d'après certains savants, à l'empereur Auguste, d'après d'autres, non moins savants, au beau Lucius Verus. Que l'inscription soit du IIe, du IIP, ou même


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Cliché Ducourau

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Nive à Bidarray

du IVe siècle, nous n'en savons rien. A d'autres de décider du fait historique dont il s'agit. De Cambo, laissant à gauche le chemin d'Hasparren, gagnons Itxassou, dont l'église carrée, au porche trapu, se montre à droite, au milieu de hauts cyprès. Elle est séparée du Jeu de Paume, — l'église et le fronton, une grande partie de la vie basque, — par un énorme chêne plusieurs fois séculaire. L'église d'Itxassou renferme de splendides ornements du XVIIe siècle, dus à la libéralité d'un enfant du pays Pedro Etchegaray, enrichi en Amérique qui, par suite de circonstances ignorées, mourut à Séville. Ces ornements consistent en une croix, un ostensoir et un ciboire de grandes dimensions, en argent massif, enrichis de pierres précieuses. Il est inutile de dire que ce trésor dans un village frontière a bien souvent tenté la cupidité des malandrins et que pas mal de tentatives de vol ont été faites ; toutes ont été déjouées. Après Itxassou, par de sombres défilés à travers des gorges sauvages, on rejoint la Nive, perdue de vue depuis longtemps, resserrée entre des rochers à pic,


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devenue un torrent impétueux, sauvage, aux eaux écumantes ; puis voici le Pas de Roland, énorme rocher que le neveu de Chaiiemagne, d'un coup de sa Durandal, fendit pour ouvrir un passage à l'armée de l'Empereur à la barbe fleurie. Au-delà de la célèbre brèche, c'est le pont de Laxia qui conduit au village de ce nom, caché au pied d'un coteau boisé. Si d'Itxassou on reprend la grande route, après être passé sur la rive droite de la Nive par un pont suspendu, on atteint bientôt Louhossoa, puis Bidarray situé au milieu d'un cirque de prairies fermé par de verdoyantes montagnes ; le chemin franchit ensuite un vieux pont en dos d'âne, dont l'arche centrale à plein cintre, s'accote aux voûtes ogivales des arches latérales. C'est à Bidarray qu'il faut voir les processions de la Fête-Dieu. Le portecroix ouvre la marche, suivi immédiatement de six sapeurs, une hache sur l'épaule, la tête couverte d'un phénoménal bonnet à poil, qui fait presque complètement disparaître sous sa masse sombre leur face glabre, car les Basques

Le Pont de la Nive à Bidarray

Cliché Ducourau


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sont ordinairement rasés ; ceux-ci sont vêtus d'une large blouse blanche, tombant presque jusqu'aux chevilles et ne laissant apercevoir que le bas du pantalon également blanc ; sur cette blouse, une écharpe bleue traverse la poitrine en sautoir et forme ceinture à la taille pour finir en gros nœud bouffant sur la hanche gauche. Les hommes, jeunes et vieux, s'avancent ensuite, en rangs pressés, le béret à la main ; ils portent la blouse courte du pays, le col de la chemise boutonné, sans cravate, les pieds chaussés d'espadrilles ; puis ce sont des fillettes et des enfants, en robes blanches, marchant deux par deux, les plus petites, les bras croisés, une couronne de fleurs sur la tête, les autres chargées de bannières et d'oriflammes, un long voile cachant la chevelure. Autour de cette théorie, aussi bien comme agents de la force publique que comme gardes d'honneur, armés de longues hallebardes enrubannées, sont échelonnés des jeunes gens en pantalon blanc, la veste Cliché communiqué par M. Martinet chamarrée de galons Saint-Jean-Pied-de-Port. Porche de l'église , . . . blancs, sur la tete, une sorte de haute tiare ornée de fleurs et de verroterie avec de larges rubans multicolores tombant sur les épaules. A quelques pas d'intervalle, trois autres jeunes garçons costumés de même façon, marchent de front, celui du milieu tenant dans la main une baguette flexible, les deux autres, des drapeaux tricolores. Derrière eux, les flûtistes et les tambourinaires, sans lesquels une fête basque ne serait pas complète, jouent de leurs instruments. Puis viennent le suisse,

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habillé comme tous les suisses de campagne, enfin le clergé, les prêtres, précédant le dais porté par les notables du bourg,' sous lequel s'avance le curé tenant l'ostensoir. De temps en temps le cortège s'arrête et des danseurs exécutent devant le Saint-Sacrement leur plus beau Mutchiko ou leur plus brillante Ezpata-Dantza, — danse des épées, — pour la plus grande gloire de Dieu; puis le cortège reprend sa marche, fermé par la foule des gens du pays. Après Bidarray, la Nive se fraie en bruissant un passage entre les rives abruptes qui s'écartent presque aussitôt, pour faire place à une plaine où se montrent les villages et bourgs d'Ossès, Gahardou, Saint-Martin-d'Arrossa, etc., au confluent des deux cours d'eau qui forment la Nive; puis vient Eyharce. Les montagnes se rapprochent de nouveau, la route passe entre les derniers contreforts des monts Jarra et Aradoy jusqu'à l'entrée du bassin de Saint-Jean. De tous côtés, au milieu de ruisseaux, s'éparpillent les communes d'Ascarat, d'Irouléguy, d'Uhart-Cize, dont l'église, des XIVe et XVe siècles, a été restaurée en 1869, d'Ispoure, de Jaxu, d'Anhaux, puis enfin, apparaît Saint-Jean-Pied-dePort, la Dona Johana ou Dan Iban Garaci des Basques, l'ancienne capitale de la Basse-Navarre, devenue ville française à la suite du traité des Pyrénées. Louis XIV se hâta, de la faire fortifier par Vauban ; elle a encore d'ailleurs ses remparts, ses chemins de ronde, sa citadelle. Saint-Jean-Pied-de-Port n'eut primitivement qu'une rue unique conduisant du pont à la citadelle. Des deux côtés de cette rue, se succèdent la vénérable église au porche délabré précédée d'une lourde tour, l'antique prison aux cachots voûtés, des maisons à façade rougeâtre dont certaines remontent au CUM communiqué par M. Martinet Saint-Jean-Pied-de-Port. Rue de la Citadelle


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XVIIe siècle, la plupart de la fin du XVIIIe. Une de ces demeures, la maison Landresena, construite entre ces deux dates, porte sur le linteau de pierre qui lui sert de tympan la curieuse inscription que voici : JOANNES DIRIBERRY ET LOUISE DUHALDE MAITRE ET MAITRESSE DE LA MAISON DE LANDRESENA

722 Saint-Jean-Pied-de-Port s'enveloppe de la ceinture crénelée de ses murailles au pied desquelles un quartier quelque peu plus moderne s'est construit laissant, entre elle et lui, la large place plantée de platanes où se tient le marché et qui aboutit au pont neuf. Cliché Ve'ïsse Fontaine dyAhusquy La ville neuve, presque aussi ancienne que l'autre, se développe sur la rive gauche de la Nive. Comme son aînée, elle est entourée de murs à créneaux qui en font une tête de pont, du côté de l'Espagne. C'est de Saint-Jean-Pied-de-Port, qu'il faut entreprendre l'ascension des pics de l'Aradoy des sommets desquels la vue s'étend sur tout le bassin de la Nive; du Béhorléguy, dont la crête, en forme d'aiguille est composée de rochers grisâtres ; des Escaliers, aux premières pentes couvertes de hêtres. Mais de Saint-Jean-Pied-de-Port, il faut surtout ne pas négliger d'aller à Ahusquy et à la forêt d'Iraty. Entre la forêt des Arbailles, le col d'Aphanicé et les plantureux pâturages d'Esquirassy, à dix kilomètres tout au plus de la frontière d'Espagne, à près de mille mètres d'altitude, se trouve Ahusquy, humble hameau de cinq ou six maisons, dont la fontaine qui jaillit d'une roche calcaire, au milieu des pentes herbeuses, est célèbre dans toute la région pour ses vertus médicales ; n'a-t-elle pas rendu la santé au maréchal Harispe, le vaillant soldat basque? Le site est enchanteur; au midi se dresse le pic d'Orhy à la cîme triangulaire ; en avant celui des Escaliers si fréquenté des contrebandiers ; à l'est, relié au pic d'Orhy par une longue série de sommets, apparaît le pic d'Anie et bien loin, bien loin, le pic du Midi d'Ossau ; à l'ouest, ce sont les crêtes du val de Laurhibar, le mont Altabiscar, rendu célèbre par la Chanson de Roland] au nord, les plaines de Navarre et du I


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Béarn. Au-dessus de la fontaine, la vue est peut-être encore plus étendue et atteint l'Océan. Au nord-ouest du pic d'Orhy, sur la frontière espagnole, sur le torrent d'Iraty tributaire de l'Ebre, s'étend la forêt du même nom, qui monte sur le versant de la montagne, jusqu'à quinze cents mètres. Ses hêtres, ses sapins, d'une hauteur prodigieuse, ses ifs qui au dire des gens compétents, sont les plus beaux du monde, abritent une faune d'une richesse sans pareille. Là, vivent tout en se faisant une guerre acharnée, des ours, des sangliers, des renards, des chats sauvages, des isards, des lièvres, des fouines, des martres, des aigles, des vautours, etc. Quel paradis pour un chasseur! Malheureusement l'accès n'en est pas des plus faciles; s'y installer encore moins commode. Une douzaine de kilomètres séparent Saint-Jean-Pied-de-Port de SaintEtienne-de-Baïgorry. On peut se rendre de la première de ces deux localités, à la seconde, par une route passant par Uhart-Cize, Ascarat, Irouléguy, ou par le chemin de fer, en redescendant jusqu'à Ossès et remontant ensuite jusqu'à Baïgorry par l'embranchement qui passe à Eyhéralde. Le premier de ces itiné-

Forêt d'Iraty en hiver


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Cliché Ducourau

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La Nive à Baïgorry

raires est le plus intéressant. Du col, où la route franchit la ligne de partage des eaux, entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Saint-Etienne-de-Baïgorry, la vue est superbe. Vers l'est, au-dessus des sombres frondaisons d'Iraty, les pics des Escaliers, d'Orhy, d'Anie, s'élancent vers le ciel et quand au soleil couchant, ils se colorent de rose et d'or, le coup d'oeil est féerique. C'est tout près de ce col et de la route, qu'Irouléguy pique sur les flancs du Jarra sa chapelle et ses quelques maisons blanches; les vignobles couvrent les pentes et donnent une vue qui jouit dans la région d'une réputation qui n'a rien d'usurpé. Baïgorry, qui a vu naître le maréchal Harispe, est un joli bourg aux maisons blanchies à la chaux, aux charpentes apparentes peintes en rouge sang de bœuf, aux larges toitures surplombantes; son église, assez vaste est -accotée d'un lourd clocher construit en pierres grises. Un journaliste, Polydore de Labadie, raconte qu'en 185g, aux feux allumés à Baïgorry dans la nuit de la Saint Jean, on chantait autour du bûcher les litanies de la Vierge, en commençant par la fin et à reculons. Ne serait-ce pas là un souvenir du temps où la sorcellerie régnait dans ces régions?


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Aux XVIe et XVIIe siècles, le Pays Basque appartenait aux sorciers et aux sorcières qui y régnaient en maîtres. « Personne n'eut osé leur fermer sa porte, » écrit Michelet, « Un magistrat même, l'assesseur criminel de Bayonne, laissa faire le sabbat chez lui. Le seigneur de Saint-Pée, village du Labourd, Urtubi, fut obligé de faire la fête dans son château. Mais sa tête en fut ébranlée, au point qu'il s'imagina qu'une sorcière lui suçait le sang. La peur lui donna du courage; avec un autre seigneur, il se rendit à Bordeaux, s'adressa au Parlement qui obtint du roi que deux de ses membres, MM. d'Espagnet et de Lancre seraient commis pour juger les sorciers du Pays Basque. » En 1609, de mai à août, d'Espagnet et de Lancre, examinèrent cinq cents sorciers ou sorcières et en firent exécuter soixante ou quatre-vingt. C'est au retour de ces exécutions que l'un de ces deux commissaires, de Lancre, écrivit son fameux livre du Tableau de l'inconstance des mauvais anges et des démons. Laissons ces tristesses et revenons à Baïgorry d'où il convient d'aller visiter les Aldudes qui consistent en une étroite vallée coupée dans sa longueur, du nord au sud, par la Nive. Ses habitants dont les centres de population sont Banca, les Aldudes, leur capitale, et Urepel tout proche de la frontière, à moitié français et espagnols, présentent nécessairement un caractère particulier; mais ils sont avant tout Basques. Le pays est riant, gai, verdoyant. Une ligne de crêtes sert de limites aux deux états. De Baïgorry on peut rejoindre Cambo et par conséquent Bayonne, par Eyhéralde, Eyharce, Saint-Martin-d'Arrossa et Ossès ; on peut encore passer en Espagne par le col d'Ispéguy et redescendre par Errazu et Bergara à Elizondo.

Dans les Aldudes

Cliché Arvieux


Chapelle de Saint-Antoine

Cliché communiqué far M. C. d'Andurain

CHAPITRE IV

De Saint-Jean-Pied-de-Port à Mauléon et Saint-Palais Ispoure, Saint-Jean-le-Vieux, le mont Béhorléguy, château de Lacarre, Gamarthe, Mongélos, Ainhice, Larceveau, Cibits, Saint-Just, le col d'Osquich, les quatre saints basques, Musculdy, Ordiarp, Garindein; Mauléon, ville basse et ville haute, l'hôtel Mdytie-d'Andurain, le château, souvenirs historiques, la vieille église; les trois pignons des églises basques, foires et marchés, fiançailles, les bohémiens, attrait des fêtes pour les Basques, le théâtre basque, les mascarades, légendes religieuses, récits; villages sur la route de SaintPalais, Saint-Palais, Chéraute; de Saint-Palais ou de Mauléon à Pau, Orthe\, Bayonne, par Navarrenx, Sauveterre ou Oloron.

De Saint-Jean-Pied-de-Port on peut facilement gagner Mauléon. Une bonne route mène de la capitale de la basse Navarre à celle de la Soûle. On franchit d'abord le ruisseau le Laurhibar à Ispoure, pour le remonter jusqu'à Saint-Jean-le-Vieux; puis l'on rencontre le mont Béhorléguy, aux flancs rocheux rayés de longues stries grises; plus loin, on atteint Lacarre, où naquirent Menaud et Gracian d'Aguerre, qui bataillèrent en Lorraine et en Italie dans les troupes de Charles VIII. A l'entrée du village se trouve le château que fit construire le maréchal Harispe, où il se retira pour mourir sur les lieux mômes qui virent ses premiers exploits. On passe ensuite à Gamarthe, on laisse à gauche Mongélos, avec son église du XIVe siècle et son vieux château à tourelles, entouré de profonds fossés, puis Ainhice, qui ne fait plus aujourd'hui, avec Mongélos, qu'une


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Cliché communiqué par M. C. d'Andurain

Vue générale de Mauléon

seule commune. On entre ensuite, après avoir franchi un col, dans la vallée de la Bidouze, dont la source jaillit un peu plus haut, de la grotte de Lamina-silva — le trou du sorcier. — On atteint Larceveau, ancienne place forte dont les remparts n'ont pas encore complètement disparu ; on traverse successivement Cibits, Bunus, Saint-Just, qui montre encore son antique manoir; on gravit la longue et dure montée du col d'Osquich, qui mène à la chapelle de SaintAntoine, un des pèlerinages les plus fréquentés du pays. Quatre saints, ou plutôt deux saints et deux saintes, sont particulièrement vénérés dans la Soûle et la basse Navarre : Saint Grégoire, Saint Antoine, Sainte Barbe et Sainte Marie-Madeleine. Les Basques sont persuadés que tous les quatre se sont réunis et se réunissent encore dans un endroit désigné sous le nom de Zeinhagia — l'endroit où l'on se signe —; ils y ont indiqué l'emplacement où devait être élevé à chacun d'eux un oratoire. Les chapelles, sous les vocables de Saint Grégoire, Sainte Barbe et Sainte Marie-Madeleine, se trouvent assez proches; celle de de cette dernière est à Tardets. Après le col d'Osquich, viennent Musculdy, Ordiarp, avec son château et une chapelle ruinée, Garindein; Mauléon apparaît enfin. Mauléon est divisé en deux quartiers séparés par le Saison', la ville neuve ou ville

Cliché communiqué par M. C. d'Andurain

Mauléon. Château Maytie d'Andurain


65 basse et la ville haute ou vieille ville. Le point central de la ville basse est la belle place dont le milieu est occupé par une délicate colonne de marbre blanc de style Renaissance; bordée d'un côté par le fronton de son Jeu de Paume, abrité sous de beaux arbres, elle présente de l'autre, l'hôtel Maytie d'Andurain, grande et noble demeure seigneuriale du XVIe siècle, d'un caractère superbe. Sa haute toiture, recouverte d'ardoises, fait penser à la coque

Cliché communiqué par M. C d'Andurain

Mauléon. Porte du château Maytie d'Andurain

renversée d'un navire des flottes de Louis XIV. Avec ses trois solides tours d'angle, — la quatrième n'a jamais été construite, — ses fenêtres à meneaux irrégulièrement percées, ses têtes de grotesques sculptées le long de sa façade, son riche portail à colonnettes, ses deux superbes cheminées, son large escalier de pierre, c'est certainement un des plus curieux et des plus pittoresques monuments que l'on puisse imaginer, un type d'architecture véritablement original et parfaitement approprié aux lieux. La ville haute, de l'autre côté de la rivière, que l'on enjambe sur

Cliché communiqué par M. C. d'Andurain

Mauléon. Cheminée du salon du château Maytie d'Andurain

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un vieux pont, agrippe ses vétustés masures sur les pentes d'une éminence au sommet occupé par les imposantes ruines d'une vieille forteresse consistant en une enceinte crénelée, flanquée de tours rondes, dont les pierres couvertes de lierre ont un aspect des plus romantiques. Ce château-fort démantelé, c'était l'antre du mauvais lion, dont le nom, le surnom est resté à la ville bâtie au pied de son repaire. Un de ses descendants, Auger, vicomte de Soûle, dut, avec sa seigneurie, céder son aire, au XIIIe siècle, à Edouard Plantagenest, roi d'Angleterre et duc de Guyenne. Jusqu'au XVe siècle, le château de Mauléon reste au pouvoir des Anglais auxquels Louis XI le reprend, pour plus tard, le rendre aux comtes de Foix. A l'époque où Jeanne d'Albret introduisit de force le protestantisme dans ses états, ce vieux nid d'aigles servit de refuge aux Basques, toujours ardents catholiques, auxquels répugnait cette nouvelle religion. L'église paroissiale de Mauléon est de construction moderne. L'ancienne, assez loin de la ville, est précédée, comme la plupart de celles de la Soûle, d'un clocher à trois pignons, qui consiste en un simple pan de mur à trois pointes formant saillie au-dessus du toit de l'édifice et percé de trois arcades renfermant les cloches. Toutes les églises ainsi construites ne possèdent pas nécessairement les trois cloches; les plus pauvres se contentent d'une seule, sous l'arcade centrale. Un écrivain prétend que quand le vent souffle en tempête, ces cloches sonnent d'elles-mêmes; est-ce bien vrai? Nous en doutons un peu. Toujours est-il que ces pittoresques clochers, symboles de la Sainte Trinité, — trois en un — sont des plus pittoresques. Les églises renferment d'ordinaire des retables à plusieurs corps superposés, en bois doré, contournés et tarabiscotés, la plupart de la fin du XVIIe siècle ou du commencement du XVIIIe. Les plus luxueux appartiennent à la basse Navarre et au Labourd, qui n'ont cependant pas les clochers à trois pignons. Les foires et marchés de Mauléon sont très fréquentés; les Souletins n'y manquent guère. Ils s'y rendent en carriole, en char à bœufs, à cheval, à mulet, à âne, à pied, appuyés sur le makila ; les femmes tenant toujours sous le bras un panier, d'ordinaire plein de denrées à vendre. C'est au marché que tout se décide, que les entrevues de fiançailles ont lieu entre jeunes gens. C'est aux marchés de Mauléon que s'achètent les cadeaux de mariage, les bijoux, la montre, la chaîne; c'est du marché que les futurs époux reviennent, se tenant par le petit doigt et devisant tendrement. Les marchés de Mauléon, comme ceux de Saint-Palais, de Tardets et de


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toute la région, sont infestés de bohémiens, plus nombreux sur ce coin de terre que partout ailleurs, malgré leur expulsion en masse du Pays Basque, en l'an XI de la République, qui fit transporter sur les côtes d'Afrique tous ceux que l'on put arrêter. D'où viennent-ils? On n'en sait rien; ils descendent probablement des gitanos d'Andalousie. On prétend qu'ils n'ont plus d'organisation sociale depuis la grande expulsion en masse dont il vient d'être question. Est-ce bien exact? Sans tradition historique, sans idée religieuse, le bohémien basque ignore ce qui différencie le vice de la vertu ; il est fourbe, lâche, voleur et mendiant. Ennemi du travail, du travail sédentaire surtout, il ne peut rester en place, il court les foires, où il tond les mulets, achète ou vole les ânons malingres et les bêtes fourbues qu'il revend avec bénéfice, après des maquillages dont il a le secret. Au point de vue social, il ne connait que les unions libres, faites et défaites à volonté. Quand un bohémien est en prison — et quel bohémien n'y passe pas peu ou prou ! — sa compagne se joint à un autre, quitte à retourner au premier au moment de sa libération. Le Basque a l'amour du plaisir, le besoin du mouvement. Il fera dix, vingt lieues pour voir une procession, assister à une partie de pelote, à une représentation théâtrale. Il marchera toute une nuit pour arriver à temps et repartira la nuit suivante pour regagner son village, quitte à recommencer à quelque temps de là. Les processions, les fastueuses cérémonies de l'Eglise satisfont son édification ; mais à côté de cette figuration de ce qu'il croit et vénère, le Basque ne ressent pas moins d'attrait pour les spectacles plus profanes. Des tragédies, des comédies, même des farces et des bouffonneries, appelées du nom générique de Pastorales, se jouent dans les principaux centres de la Soûle et de la Navarre. Ces pièces qui rappellent les moralités et les soties du xMoyen-Age, écrites et récitées, bien entendu, en basque, n'ont jamais été imprimées. Le drame basque n'est autre chose que l'éternelle lutte entre le bien et le mal. Il met en scène Dieu le Père, Jésus-Christ, les Anges, les Archanges, les Saints qui y conversent non seulement avec des personnages sacrés tels que David, les Prophètes, les Rois Mages, le Précurseur, mais aussi avec des héros et de simples humains. Il est mêlé de chant et joué en plein air. Comme dans le théâtre grec, le chœur y tient une place prépondérante, mais au lieu d'être l'interprète de la nation, le protagoniste du devoir, il est le représentant de l'esprit du mal, du démon. Les sujets des pièces basques sont des mystères, tels que Moïse, Abraham,


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Mauléon. Le château-fort

Nabuchodonosor, Saint Jean-Baptiste, Sainte Hélène, Sainte Engrâce, des tragédies profanes, telles Œdipe, Alexandre, Clovis, Charlemagne, Roland, les quatre Fils Aymon, le grand Sultan Mustapha, et même, une trilogie moderne sur Napoléon, comprenant le Consulat, l'Empire et Sainte-Hélène ; tantôt des pièces satiriques, telles que la Veuve remariée, l'Homme battu par sa femme et des impromptus se rapportant à quelque scandale récent où la langue basque brave l'honnêteté, plus encore que sa cadette, la latine. Dans le théâtre basque, chaque action a son caractère spécial. Les acteurs qui représentent des personnages vertueux ont des gestes lents et majestueux, la déclamation psalmodique ; ceux qui figurent les méchants, les mouvements vifs et saccadés, la parole rapide et vociférante. Les rôles de femmes sont remplis par de jeunes garçons affublés de vêtements féminins. La scène est élevée en plein vent, sur des tréteaux, au milieu de la place publique. Les acteurs y montent par des échelles. Au-dessus de la scène se trouve d'ordinaire une sorte de poupée en bois que l'on agite à l'aide d'une corde, représentant Mahomet et son rôle, dont elle s'acquitte à l'aide de sauts désordonnés, est de se réjouir des mauvaises actions. En même temps que par les acteurs, les tréteaux sont occupés par l'orchestre, composé de tambourinaires joueurs de flûte, par le souffleur, — qui remplit son office coram


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Mauléon. La vieille église

populo, — par quatre jeunes gens, le fusil sur l'épaule, faisant faction aux angles du théâtre, et par des couturières prêtes à réparer les accrocs qui pourraient survenir aux costumes des acteurs. Ces costumes ne manquent pas de pittoresque. Dans le mystère d'Abraham, le patriarche, coiffé d'un haut bonnet à poil, porte une tunique de gendarme, un pantalon blanc orné d'une bande de velours et des espadrilles ; dans Nabuchodonosor, le roi de Babylone est vêtu d'un habit rouge à épaulettes et à boutons dorés avec la croix de la Légion d'honneur, d'une culotte blanche s'engouffrant dans de larges bottes, la tête abritée sous un chapeau de soie haut de forme. Alexandre et Clovis sont costumés dans le même goût. Tous les personnages de ces pièces ont des gants blancs, à l'exception des diables qui, les mains nues, tiennent une petite baguette enrubannée et sont chaussés de souliers rouges découverts, garnis de sonnettes. Avant la représentation a lieu le passe-rue, c'est-à-dire la promenade de tous les acteurs à travers le bourg. D'abord s'avance un jeune homme tenant le drapeau tri-

Pastorale souleti;


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colore, puis les musiciens, les principaux personnages de la pièce, Abraham, Saint Jean-Baptiste ou Napoléon, à cheval, portant souvent en croupe Saint Michel ou la Vierge; les diables ferment le cortège avec moins d'ordre et de dignité. Enfin, les acteurs, montés sur le théâtre, la représentation commence; chacun d'eux débite son rôle d'une voix grave et monotone, couverte à chaque instant par les glapissements des diables qui dansent devant eux sur l'air de «J'ai du bon tabac dans ma tabatière, Marie trempe ton pain» ou de quelque autre refrain aussi vulgaire. Il est à remarquer que lorsqu'un personnage est condamné à mourir c'est toujours à l'aide d'une arme à feu que la mort lui est donnée, mais qu'il ne tombe jamais avant que des jeunes filles n'aient tendu un drap sur les planches pour éviter que la victime ne salisse ses habits. La pièce se poursuit et s'achève, et bien qu'elle dure plusieurs heures, les spectateurs ne semblent jamais fatigués. Tout n'est cependant pas fini, le théâtre devient un champ clos où les jeunes gens viennent danser le fameux mutchiko, ou Saut Basque, qui s'exécute de deux manières ; dans l'une, le danseur tient au-dessus de sa tête deux makilas, que, tout en chantant, il entrechoque en mesure; dans l'autre, il passe rapidement les pieds dans les espaces compris entre les deux bâtons posés à terre, en croix. Des représentations théâtrales, il convient de passer aux mascarades, espèces de cavalcades particulières à la Soûle, organisées à l'époque du Carnaval par les jeunes gens d'un village, qui, costumés et travestis, se rendent en troupe, dans la commune voisine où la tradition veut qu'ils soient d'abord fort mal accueillis, mais où la tradition veut encore qu'ils finissent par faire une entrée triomphale. En tête viennent les tambourinaires, puis le Cherrero, sorte d'ordonnateur de la cavalcade, coiffé du béret, portant une petite veste, une ceinture agrémentée de grelots, un pantalon blanc et des espadrilles; il agite un long bâton garni d'une crinière de cheval ; après lui vient le Gathia — le chat — costumé de blanc, qui fait des grimaces à tout le monde; ensuite l'Artzaina — le berger — une hache sur l'épaule, conduisant quelques agneaux, que suit PHartza — l'ours — dans l'intention de les dévorer. Voici maintenant le coryphée de la cérémonie, le Zamalzaïn, ou Chibalet, avec une haute coiffure surchargée de verroterie d'où s'échappent des flots de rubans, une veste rouge sur les épaules, le torse engagé dans un corps de cheval ailé en carton ou en osier, sans pattes, muni d'une housse rouge cachant les jambes du pseudo cavalier. Celui-ci qui tient les rênes de sa singulière monture de la main gauche et un fouet qu'il ne cesse de faire claquer, de la main droite, saute, danse, caracole, tourbillonne. On le voit partout


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à la fois. Derrière lui, pirouettent et gambadent les Kukulleroak, au nombre de douze, une baguette enrubannée à la main. Ils sont suivis des Manichalak — maréchaux-ferrants — dont la mission consiste à referrer le cheval du Zamalzaïn ; ils portent le bonnet rouge catalan penché sur l'oreille, une veste de même couleur, un pantalon blanc que recouvre un grand tablier à poche, en cuir jaune, et tiennent dans les mains des tenailles et un marteau ; ensuite, ce sont les Kherestouak — les hongreurs — une large cravate autour du cou, en veste de velours vert et en culotte de même étoffe disparaissant dans de hautes bottes. C'est enfin le tour du seigneur du pays, le Jaona, et de sa femme, l'Anderia, marchant se donnant le bras ; l'homme, coiffé d'un chapeau de soie haut de forme, vêtu d'une redingote, l'épée au côté, une canne à pomme d'or dans la main droite; la femme habillée des défroques d'une châtelaine du voisinage. Ce couple est immédiatement suivi de celui du Laboraria et de la Laborarisa — le paysan et la paysanne — le Laboraria tenant d'une main son makila et de l'autre le drapeau tricolore. A la suite de cette longue théorie court une seconde troupe qui n'en est que la caricature, qui s'ouvre par un nouveau Zamalzaïn, noir, laid, parodiste du premier; puis, derrière lui, se presse tout une tribu de malingreux. Deux minables Chorrot-Chak — gagne-petit — avec leurs meules ébréchées, montées sur deux roues à bout de service, trois Kaouterak — chaudronniers — conduisant leur apocalyptique bourricot pelé, succombant sous une charge de vieux chaudrons ; le Bohame Jaona — le roi des bohémiens —, suivi de ses sujets des deux sexes, calamiteux et dépenaillés. Enfin la cavalcade est fermée par un médecin qui veut guérir les gens bien portants, par un apothicaire offrant ses drogues et par un barbier qui prétend raser tout le monde avec un formidable rasoir de bois ébréché. Dans la Soûle et dans la Navarre, en hiver, où les représentations théâtrales et les mascarades ne peuvent avoir lieu, quand ce ne sont pas des histoires de sorcellerie, ce sont des légendes religieuses qui occupent les longues veillées. Racontons une de ces dernières, autant que possible, comme nous l'avons entendu dire : Au temps où le bon Dieu — Jinko Jaona — et Saint Pierre parcouraient la terre, ils voyaient les pauvres demander l'aumône dans les villes et s'écrier, après l'avoir reçue: «Merci bien, Dieu vous le rendra». Saint Pierre dit alors au bon Dieu : « Seigneur, je ne veux plus aller avec vous, vous avez trop de dettes, tous les mendiants répètent : « Dieu vous le rendra». « Si tu es fatigué de ma compagnie, Pierre, dit le bon Dieu, va de ton côté», et ils se séparèrent; puis aussitôt le bon Dieu monte sur une aubépine, la secoue et fait tomber à


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Vue générale de Saint-Palais

Cliché communiqué par M. C. d'Andurain

terre une pluie d'argent. Saint Pierre, entendant le tintement, revient sur ses pas et se hâte de ramasser les pièces. Le bon Dieu lui dit alors : «Attends Pierre, laisse l'argent, j'en ai besoin pour payer mes dettes». «Vous, Seigneur, réplique Pierre, vous n'aurez pas de peine à payer vos dettes et je veux encore aller avec vous». Voici maintenant le fameux Kukuruku, le dialogue du coq, que les enfants de générations en générations, se redisent entre eux. Qu'as-tu, coq? Qui te l'a fait? Où est le renard ? Où est le fourré? Où est le feu ? Où est l'eau? Où est le bœuf? Où est le maïs? Pourquoi les poules ? Pourquoi des œufs ? Pourquoi les prêtres ? Pourquoi la messe?

Mal à la tête, Le renard, Dans le fourré, Le feu l'a brûlé, L'eau l'a noyé, Le bœuf l'a bue, A semer le maïs, Dans le grenier des poules, Pour pondre des œufs, Pour donner aux prêtres, Pour dire la messe, Pour sauver nos âmes.

De Mauléon, il convient d'aller à Saint-Palais, ancien siège de la monnaie de Navarre. On s'y rend d'ordinaire par une route qui semble une longue rue où les villages succèdent aux villages presque sans interruption, ce sont Viodos et sa vieille église, Abense-de-Bas, Espés-Undurein, Charitte-de-Bas, Aroue, Etcharry, Ithorots-Olhaïby, Domezain-Berraute à l'église fortifiée, BéhasqueLapiste; on laisse à droite, Ghéraute sur lequel nous reviendrons, Moncayolle,


Cliché communiqué par M. C. d'Andurain

Château de Chéraute

Arrast-Larrebieu et Aïciritz, puis on atteint Saint-Palais, où siège aujourd'hui un des plus petits tribunaux de France, quoique ce soit le premier, et même l'unique, de Navarre. La ville, sur la rive gauche de la Bidouze, affluent de l'Adour, renferme tout au plus deux mille âmes. Son charme, c'est sa situation, ce sont ses eaux. En fait de monuments, de vestiges du passé, on voit, à quelque distance, au confluent de la Bidouze et du gave de Lambarre, les ruines du château d'Uhart-Mixe, d'ailleurs assez insignifiantes. De Mauléon, on peut regagner Pau, Orthez, Bayonne, par chemin de fer ou par des routes carrossables plus charmantes les unes que les autres, en passant à Navarrenx, Sauveterre, Oloron, au choix, au gré de la fantaisie. Par Navarrenx, on traverse d'abord Saint-Palais, Chéraute, dont on laisse de côté le château, à l'extrémité d'une superbe allée de chênes; on arrive ensuite par Berrogain à Moncayolle et à Angous, montrant un antique château en ruines, on passe plus loin entre Susmiou et Castetnau-Camblong, qui occupe la place d'un ancien oppidum. Le pays est charmant, des cours d'eau gazouillent et murmurent de tous côtés. Les villages Cliché Veïsse Eglise de l'hôpital Saint-Biaise succèdent aux villages, en-

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fouis dans la verdure, à demi cachés par les arbres. On entre à Navarrenx, enclose de hautes et rébarbatives murailles, entourée de profonds fossés remplis d'eau, par un pont à cinq arches élevé par Henri d'Albret, qui fit aussi dresser la tour Herrère et les portes à échauguettes, seuls restes des anciennes défenses transformées par Vauban. De Mauléon, une belle route ou la voie ferrée, au choix, qui l'une et l'autre suivent le Saison, mènent à .Sauveterre, par Ghéraute, Charritte-de-Bas, Espés-Undurein, Lichos, Charre, Rivehaute, Espiute, Osserain, Guinarthe. Sauveterre — Sauveterre de Béarn — est la lisière centrale de la Navarre et de la Soûle. Bâtie sur un plateau, la petite cité guerrière, qui a repoussé en 1275 l'assaut de Philippe-le-Hardi, reçu Louis XI en 1462, a été assiégée par le prince d'Orange en i523, comme Pau, a sa terrasse que borde ses murailles croulantes, d'où la vue s'étend jusqu'aux cîmes pyrénéennes. A ses pieds, coule le Gave, dont les eaux battent la tour du guet qui s'avance dans le torrent, reliée par une arche gothique aux imposantes ruines de son majestueux château, dont le donjon démantelé, reste fièrement debout. Sauveterre a encore sa superbe église du XIIIe siècle, au porche si délicatement ouvré, au transept et au clocher de style romano-gothique de transition. On se rend de Mauléon à Oloron, par un petit chemin de fer départemental qui fait un long détour par Tardets, Montory, Aramits, Féas, avant d'atteindre Oloron; on peut également y aller par une route carrossable beaucoup plus directe, qui traverse des régions boisées, laissant à droite l'Hôpital Saint-Biaise à la vieille et si caractéristique église à coupole et rejoint ensuite le ruisseau le Vert. pas à parler d'OloNous n'avons du vicomte Cenron, l'antique capitale car peu de villes tulle: c'est dommage, ment situées, plus sont plus pittoresquedeux gaves qui la intéressantes avec les vénérable église ceinturent, avec sa sur une hauteur à Sainte-Croix édifiée rues abruptes aux peu près à pic, ses vétustés maisons, vieilles tours et aux Marie, dans la sa cathédrale SainteXIIe au XIVe sièplaine, construite du roman est des plus cle, dont le porche remarquables.

Cliché communiqué par M. C. d'Andurain

Mauléon. Château Maytie d'Andurain. Pierre sculptée


De Mauléon à Tardets et Sainte-Engrâce Le chemin, Libarrenx, Gotein, Menditte, Sauguis, pèlerinage de la Madeleine ; Troisvilles, château d'Arnaud du Peyrer, capitaine des trois mousquetaires; Sorholus, Tardets, les bois d'Abense, le pic d'Héguia, le mont Abargo, Licq, Atherey, les gorges de VOlhado et de l'Uhayta, Larrau, le pont d'Enfer; légende de Sainte-Engrâce ; Sainte-Engrâce, l'église, Vhotellerie, les gorges d'Alhadibie-Holçartê, forêt d'Holçarté; le Basa Jaona; le curé de Sainte-Engrâce.

La plus belle course à faire dans le Pays Basque français, une des plus intéressantes sans contredit de toute les Pyrénées, est celle de Sainte-Engrâce. Il convient de l'entreprendre de Tardets; d'ailleurs, aller de Mauléon à Tardets est un enchantement. En quittant Mauléon on passe à Libarrenx, à Gotein au clocher à trois pignons, à Saint-Etienne, Sauguis, d'où l'on peut faire un pèlerinage à un des quatre ermitages du pays, la chapelle de la Madeleine, située à quelque distance, à gauche; on laisse à droite Idaux, Menditte, Ossas-Suhare; ensuite on atteint Troisvilles, où se trouve le château bâti par Arnaud du Peyrer, le capitaine du célèbre roman des Trois Mousquetaires. Tout le monde sait aujourd'hui que ces personnages ne sont pas sortis de pied en cap de l'imagination d'Alexandre Dumas, mais qu'il ont existé en chair et en os. Le château de Troisvilles n'est pas une simple bicoque, avec un malheureux pigeonnier, bonne, tout au plus, pour un famélique cadet de Gascogne, mais un véritable château dont les plans sont dûs à François Mansart. Il consiste, du côté de la vallée, en une jolie façade de proportions harmonieuses, se composant d'un rez-de-chaussée surélevé, d'un étage et d'une toiture à deux pans, percée de


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Cliché communiqué par M. C. d Andurain

Vue générale de Tardets

« mansardes » ; du côté des montagnes, d'un corps de logis, de même aspect, accolé de deux ailes en retrait. Les chaînes d'angle, en pierres irréprochablement appareillées, les fenêtres et les portes surmontées de frontons alternés, aux lignes les plus pures, charment par la perfection de leur exécution. A l'intérieur de cette belle résidence, se trouve encore le portrait en pied du capitaine des mousquetaires, sous le harnois, avec les insignes de son grade et de ses dignités. Cette noble demeure, dont le site avait été choisi avec un rare discernement, chose peu commune à cette époque où l'agrément de la nature extérieure était compté pour si peu, appartenait encore hier à un descendant d'Arnaud du Peyrer, le comte de Montréal. Aramis, Porthos et Athos avaient leurs berceaux et leurs résidences familiales dans la même région. Pour d'Artagnan, il vit le jour en pleine Gascogne, au château de Castelmore, près de Mirande. Mais laissons Arnaud du Peyrer et ses compagnons. Après Troisvilles, voici Sorholus et Tardets. La petite ville est charmante avec ses coquettes métairies, sa place aux maisons à arcades, ses bouquets d'arbres disséminés à droite et à gauche. La vue dont on y jouit de tous côtés est délicieuse. Au


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midi, des montagnes, encore modérées, s'infléchissent au premier plan, devant des pics plus orgueilleux, dont les sommets se perdent dans les nuages et servent de limites à la France et à l'Espagne ; au nord, ce sont des plaines fertiles, coupées par le Saison et d'autres cours d'eau, s'étendant à perte de vue, limitées par de basses collines, plantées de place en place, de châtaigniers et de chênes. De Tardets, pour aller à Sainte-Engrâce, le chemin passe à l'ombre des bois d'Abense, au pied du pic d'Héguia, puis à Laguinge, à Lichans, vis-à-vis l'un de l'autre, ce dernier village dominé par l'Abargo, aux flancs verdoyants. Il atteint Licq, en face d'Atherey. La route, qui n'est bientôt plus qu'un chemin muletier — on en établit une qui sera carrossable, mais quand sera-t-elle prête ? — entre dans les gorges de l'Olhaldo et de l'Uhaytça, laissant à droite l'exquis village de Larrau, véritable oasis; elle contourne les flancs de la montagne, tantôt à l'ombre de noueux châtaigniers centenaires, tantôt passant sur des rochers branlants et atteint ensuite l'ancienne caserne des douaniers. Elle continue de monter, tandis qu'en face, sur l'autre côté du ravin, s'élève verticalement une falaise couronnée de pins, de pâturages et au-dessus, de crêtes nei-


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geuses. Ce ne sont partout, qu'abîmes, qu'entailles, que précipices, que fissures, que rocs cahotiques et branlants. Mais, parvenue à cette hauteur, la route redescend par une pente vertigineuse jusqu'au pont d'Enfer, construit, dit la légende, en une nuit par le diable, qui y abandonna, en s'enfuyant au chant du coq, un trésor dont on parle toujours aux veillées d'hiver et que plus d'un Basque aventureux a cherché, hélas! sans le moindre succès, mais sans se décourager cependant, car il faudra bien, n'est-ce-pas, qu'on le découvre un jour ou l'autre. Poursuivons notre course. Le sentier, de plus en plus pénible, de plus en plus rude, se continue entre d'abrupts escarpements, au milieu de rocs et d'éboulis, tandis qu'au-dessous, bien loin, rugit et gronde le torrent, que de tous côtés se creusent des ravins, se dressent les pics; enfin voici Sainte-Engrâce. Dès l'époque carlovingienne, Sainte-Engrâce, qui s'appelait alors Urdaix,

Église de Sainte-Engrâce

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79 située sur une des routes fréquentées par les pèlerins de Compostelle qui y avaient un hôpital, était déjà un lieu vénéré où affluaient les fidèles, grâce à une relique de Sainte-Engrâce qu'elle possédait. Une légende raconte que des voleurs s'étant introduits à Saragosse, dans l'église où reposait le corps de la vierge martyre, voulurent lui ravir les bagues précieuses dont la piété des fidèles avait garni ses doigts, mais que n'ayant pu les en détacher, il coupèrent le bras vénérable et l'emportèrent dans la montagne où ils le cachèrent dans le creux d'un chêne. Plus tard, un taureau faisant partie d'un troupeau que gardait un pâtre, paissant à quelque distance de ce chêne, alla s'agenouiller devant l'arbre, et aussitôt ses cornes se mirent à resplendir et à briller. A ce spectacle, le berger surpris, s'approcha et aperçut un bras fulgurant dans l'intérieur du tronc. Ayant prévenu de ce prodige le clergé du bourg voisin, celui-ci accourut aussitôt et ne tarda pas à apprendre ce qui en était. Une chapelle fut vite érigée à l'endroit témoin du miracle, où dans un reliquaire fut enchâssé, non pas le bras de Sainte Engrâce, — Saragosse l'avait sans doute déjà réclamé, — mais un de ses doigts. Au XIIe siècle, les chanoines réguliers de Saint Augustin remplacèrent cette chapelle par une église plus importante, auprès de laquelle ils construisirent de vastes bâtiments claustraux et un hôpital, ou hôtellerie, à l'usage des pèlerins. Ces bâtiments claustraux ainsi que l'hôtellerie n'existent plus ; mais l'église est toujours debout. C'est un édifice roman, malheureusement inachevé, accolé à une tour sans caractère, à l'abside très pure, dont un délicat portail latéral est en partie caché sous un lourd auvent. L'intérieur est des plus remarquables avec ses voûtes surbaissées, ses colonnes à chapiteaux historiés, sa grille du chœur, de près de trois mètres de hauteur, martelée et hérissée de pointes droites et recourbées. La merveille du pays, ce sont les gorges d'Athadibie-Holçarté, d'où sort


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le gave de Mauléon « l'une de ces féeriques et discrètes merveilles» que nous révèlent les savants. Ces gorges, ou ravin de Cacoueta sont certainement les plus remarquables que renferme la France. C'est, dit l'Illustration du i5 juillet 191 1, un long couloir d'eau de 4400 mètres d'étendue et de 3oo mètres d'encaissement entre des murailles perpendiculaires qui, parfois, ne sont pas éloignées l'une de l'autre de trois mètres. Elles présentent plusieurs cascades de 40 à 5o mètres de hauteur. Tout proche, se trouve une autre merveille, la forêt d'Holçarté, aux arbres plusieurs fois séculaires, inaccessible dans bien des parties. Au dire des Basques, toujours enclins au merveilleux, c'est dans la forêt

Cliché communiqué par M. C. d'Andurain

Sainte-Engrâce. Cascade du ravin de Cacoueta

d'Holçarté que l'on a vu pour la dernière fois le Basa Jaona — le Seigneur sauvage. — C'était par une nuit obscure, le vent soufflait à travers les arbres, le Basa Jaona bondit

du tronc d'un arbre; sa taille est haute, sa force prodigieuse, tout son corps couvert d'un poil lisse qui ressemble à une chevelure, il marche debout comme l'homme, un bâton à la main et surpasse les cerfs en agilité. Voilà ce qu'on raconte par toute la Soûle et la Navarre. Mais il ne se trouve pas seulement dans la forêt d'Holçarté, le Basa Jaona parcourt toute la région. Des gémissements étrangers viennent-ils se mêler au murmure des vents? aux éclats de la foudre? c'est le Basa Jaona. La marche d'un être invisible se fait-elle entendre derrière vous, un pas cadencé accompagne-t-il le vôtre? c'est toujours le Basa Jaona. Ne laissons pas les hauteurs de Sainte-Engrâce sans raconter les prouesses


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du curé qui géra la paroisse de l'époque de la restauration du culte après la Révolution, jusqu'en 1834, date de sa mort, l'abbé Harrichabalet, dont le souvenir est resté légendaire. Excellent prêtre, esprit suffisamment cultivé, taillé en hercule et d'une force peu commune, comme tout Basque il avait le sentiment de sa dignité, n'aimant pas qu'on lui manquât, et de plus, ne se souciant que médiocrement des lois et règlements administratifs qu'il jugeait des entraves à la liberté humaine. On raconte encore aujourd'hui dans sa paroisse nombre de hauts faits dont il fut le héros. Voici une des meilleures histoires que l'on rapporte de lui. Il passait pour se fournir de marchandises de contrebande; aussi les douaniers le surveillaient-ils d'une façon toute particulière. On annonce un jour un décès survenu dans une des maisons les plus proches de la frontière; le curé vient faire la levée du corps et quatre solides montagnards chargent sur leurs épaules le lourd cercueil que les douaniers saluent respectueusement à son passage devant leur poste. Inutile d'ajouter que le cercueil ne renfermait que des denrées et des victuailles pour le presbytère.

Cliché communiqué par M. C. d'Andurain

Chapelle de la Madeleine à Tardets

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Cliché communiqué par M. Martinet

Fontarabie. Vue générale

CHAPITRE VI

D'Hendaye à San Sébastian Traversée de la Bidassoa; Fontarabie, sa situation, la ville, l'église, le vieux château, le faubourg de la Magdalena, commémoration du siège de Fontarabie par Condé en i638, à l'ermitage de Nuestra Senora de Guadalupe, procession du Vendredi-Saint; de Fontarabie à Irun, la ville, souvenirs historiques, la place, l'église, l'Ile des Faisans, Behobia; carabineros et contrebandiers, l'Irrint\ina, le char à roues pleines, les diligences, le paysage, les miquelets, souvenirs des guerres carlistes, la métairie de Gustia-Edera ; Renteria, le sculpteur Felipe de Arismendi; Le\o, Pasajes, le port, les batelières, la maison de Victor Hugo; San Sébastian, ville neuve et ville vieille, églises, monuments, histoire, plages, port, courses de taureaux.

D'Hendaye, le premier coup d'œil sur l'Espagne est féerique. A droite, la vue s'étend sur la mer, l'estuaire de la Bidassoa, Fontarabie, la colline San Martial, les croupes du Jaizquibel ; à gauche, sur les monts cantabriques qui s'étagent les uns au-dessus des autres, sur la Haya ou Montagne des TroisCouronnes au profil de forteresse crénelée, et sur la Rhune à la cime domi-


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natrice. Pour gagner Fontarabie, pour passer de l'autre côté de la Bidassoa qui se donne ici les allures d'un puissant fleuve, il faut descendre la principale rue d'Hendaye au bas de laquelle dansent de nombreuses barques dont les bateliers attendent les voyageurs pour les conduire sur l'autre rive. Le trajet s'effectue en quelques minutes que la beauté du spectacle fait trouver trop courtes. On débarque en pleins champs, auprès d'un poste de carabineros, gendarmes et douaniers à la fois, dont l'uniforme bleu à parements jaunes est bien différent de celui de nos soldats. D'ailleurs le son d'une guitare, que fait résonner l'un

Cliché communiqué par M. Martinet

Fontarabie. Ecusson de la porte des Remparts

d'eux, nonchalamment assis sur un banc de bois appuyé contre un mur, suffirait à faire comprendre que l'on n'est plus en France. Quoique près de quatre siècles nous séparent du temps de Charles-Quint, Fontarabie n'a guère changé depuis lors. C'est encore aujourd'hui une ville du XVIe siècle, à l'aspect héroïque et guerrier. Vue de la côte française, elle surprend comme une apparition. Enserrée, dominée et protégée par le Jaizquibel, elle se développe sur un de ses contreforts qui se termine en promontoire. Elle en épouse la forme, en décore les flancs de ses mu-


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railles branlantes, étage sur ses pentes ses maisons rébarbatives comme des forteresses, dominées par les murs sombres de son castillo, par le clocher et le chevet de son église. C'est bien là un vestige d'une Espagne à jamais disparue, que rien ne fera revivre, que rien ne rattache au présent. La Bidassoa, qui la baigne et la sépare de la France, semble l'éloigner encore davantage des destinées actives et modernes auxquelles son passé lui défend de prétendre. Ce n'est pas en vain que la vaillante cité a lutté, avec succès, contre François Ier, qu'elle a repoussé un Condé, qu'elle a essayé de résister aux armées de la République française. A l'intérieur, la ville, qui compte au plus trois mille habitants, ne change guère l'impression produite par sa vue lointaine et pour ainsi dire cavalière. Ses portes monumentales, aux pierres effritées et croulantes, ne font que fortifier cette impression. La principale surtout, couronnée de la statue de Notre-Dame de Guadalupe, sa vénérée patronne, surmontée de son fastueux écusson émergeant au milieu de drapeaux qu'accompagne la fière devise en exergue de muy noble, muy leal très loyale et toujours fidèle, — donne accès dans la calle Mayor, bordée de palacios aux gigantesques et pompeuses armoiries sculptées, aux toits qui se rejoignent presque, aux balcons ouvragés, aux fenêtres grillées, aux portes surbaissées et constellées de clous. Son antique château, au patio à arcs ogivaux, bâti par le roi de Navarre, Sancho Abarca, au XIIe siècle, aux murs couverts de lierre, son église couleur d'ocre jaune, au porche gothique épanoui, de la fin du XVe siècle, au clocher ajouré, agrémenté d'aiguilles et de pinacles, dont l'intérieur étonne, ravit et écrase, avec son lourd buffet d'orgues aux tuyaux menaçants projetés en

CUcM t*r M- A/a'""c' Fontarabie. Porte d'une maison. Calle Mayor


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avant, ses chapelles et ses retables peints et dorés, sont les indestructibles chaînons qui la rivent au passé héroïque. Aussi est-ce en vain qu'à ses pieds, du côté de la mer, son faubourg de la Magdalena, habité par de rudes pêcheurs, essaie de lui infuser un sang nouveau, de lui donner une vie commerciale ; en vain que plus loin, plus proche du capduFiguier qui s'avance dans la mer bleue, s'élèvent de gracieuses villas modernes, rien ne fera sortir l'austère cité de son sommeil, rien nel'enlèvera à ses rêves au-dessus de la réalité. Elle se réveille cependant une fois l'an, le jour de la Nativité de la Vierge, le 8 septembre, pour commémorer le fameux siège soutenu en i638 par ses habitants contre l'armée française commandée par le père du grand Condé qui fut obligé de se retirer après plusieurs mois d'investissement. Ce jour là, une procession étrange, qui défile au milieu d'une foule venue de tous côtés, monte à l'ermitage de Guadalupe, édifié derrière Fontarabie, à micôte du Jaizquibel, pour remercier la Vierge dont l'intercession auprès de ■r k-■ son Fils a sauvé la cité. Cliché Bcrthoud Fontarabie. Calle Mayor En tête s'avancent deux musiciens, en béret rouge et en pantalon blanc, la veste noire sur l'épaule, les sandales aux pieds, l'un soufflant dans une flûte à trois minuscules trous, l'autre tapant avec son unique baguette sur un petit tambour et faisant entendre sur ces instruments primitifs l'aigre et criard air de Titi Biliti, au son duquel leurs ancêtres repoussèrent les envahisseurs. Derrière ceux-ci, marche la banda, c'est-à-dire la fanfare municipale, suivie du commandant de place, à cheval, le sabre au poing. Puis c'est un long tambour-major, agitant sans trêve ni repos sa canne enguirlandée, précédant une douzaine d'inénarrables sapeurs aux


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Luche uucourau

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Fontarabie. Procession commémorative du

bonnets à poil indescriptibles, aux longues barbes postiches faites de crin, la hache sur l'épaule, la poitrine et les jambes disparaissant sous un large tablier de cuir blanc; sur leurs talons clopine le cuisinier de la troupe, une sorte de bonnet blanc sur la tête, une marmite au dos. Enfin apparaît le corps de l'armée, divisée en compagnies d'une quarantaine d'hommes chacune, dont une compagnie de marins. Chaque soldat est armé d'un vieux flingot; les officiers, dont le grade se reconnaît à leurs galons de cuivre, tiennent à la main un sabre plus ou moins d'ordonnance; mais le charme de ces troupes, ce sont leurs cantinières en jupon court, le barillet en sautoir, agitant l'inévitable éventail. Le défilé se clôt par un détachement d'artilleurs conduisant deux petites pièces de canon montées sur des affûts que traînent des mules. Après l'armée, l'église. La procession formée dans le vénérable sanctuaire s'ébranle à son tour. Ce sont d'abord les confréries, précédées de leurs bannières, les porte-croix, les enfants de chœur portant de lourds chandeliers,


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siège de la ville par Condé

des prêtres en surplis, d'autres sous d'étincelantes dalmatiques aux reflets lointains de Byzance; enfin voici l'alcade et son ayuntamiento. Le peuple suit en foule désordonnée. Arrivé à la porte ouest de la ville qui donne sur la montagne, sitôt les remparts franchis, l'ordre du cortège se rompt, la procession se disloque. Chacun grimpe comme il l'entend les pentes ardues qui mènent à la chapelle : les uns montent par des raidillons abrupts, les autres par la route aux lacets sans nombre ; les sapeurs, cette fois, leur bonnet sous le bras, leur barbe accrochée à leur hache. Les miliciens fraternisent avec le peuple ; le clergé et l'ayuntamiento s'empilent dans de vétustés guimbardes. De tous côtés ce sont des fourmilières humaines. Les deux musiciens continuent de jouer imperturbablement leur Titi Bilili dont la mélopée criarde et pointue s'entend de loin, assourdie de temps en temps par l'éclat strident d'un coup de fusil tiré par un soldat d'occasion en bonne humeur. Enfin, après une ascension pénible, on atteint la chapelle. La


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grand'messe commence; au moment de l'élévation, chaque compagnie massée sur un étroit terre-plein qui précède le sanctuaire vient, tour à tour, faire une décharge devant la porte ouverte à deux battants ; les deux petits canons grondent en même temps. Le vacarme est assourdissant, la fête n'en est que plus belle. La cérémonie religieuse achevée, tous les assistants gagnent un petit plateau herbeux planté d'arbres, derrière la chapelle, qui domine la mer à l'est, tandis qu'au sud se développent les croupes du Jaizquibel. C'est le moment de prendre un peu de repos, on étale les provisions sur l'herbe, le repas commence, les outres pleines de vin noir circulent; mais bientôt le son des guitares interrompt les dîneurs qui se lèvent prestement pour esquisser quelques mesures de fandango. On entend de loin sonner deux heures à l'église de Fontarabie, il faut songer au retour, d'autant plus que la banda fait résonner ses cuivres. Tout le monde se met donc en mouvement; la descente est heureusement moins dure que la montée. Au bas de la côte, l'ordre se rétablit et la funcion, comme l'on dit là-bas, arrive devant l'église aussi fière et aussi martiale qu'au départ. Alors qu'après avoir fait front à son porche, les miliciens ont tiré un dernier feu de salve assourdissant qui clôt la cérémonie officielle, tous les acteurs de la fête se hâtent d'aller déposer le harnois de guerre pour se rendre à la plaza, pouvant contenir cinq ou six Cliché communiqué par M. Martinet Fontarabie. Clocher de l'église


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Irun. Vue générale

mille spectateurs,, où a lieu la course de taureaux; ce jour-là, elle est littéralement bondée. Disons deux mots, pour mémoire, d'une autre cérémonie, la procession du Vendredi-Saint, que les habitants suivent pieusement, tête nue, un gros cierge dans les mains. La civilisation ne perd jamais ses droits, même à Fontarabie ; du faubourg de la Magdalena, un tramway à vapeur — il y a deux ans, il était à chevaux, — va rejoindre Irun. Il contourne d'abord les murailles du côté de l'est, le Jeu de Paume, une petite promenade plantée de maigres arbres, passe devant un humble et sauvage oratoire ouvert à tous les vents, côtoie les bâtiments d'un vaste couvent d'où partaient encore, il y a quelques années, les religieux destinés à évangéliser les Philippines, puis arrive à Irun. Combien Irun diffère de Fontarabie ; elle n'a rien de la vieille cité féodale et guerrière, c'est une ville commerçante et manufacturière qui tend à se moderniser, possède déjà de vastes boulevards, des maisons casernes, des diligences automobiles, mais ces améliorations n'ont encore conquis que le faubourg qui avoisine la gare; la ville proprement dite a conservé ses rues étroites, ses boutiques sombres, sa place de la Constitution dont un côté


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est bordé par les Casas Consistoriales, assez bel édifice du XVIIe siècle. Qui croirait, aujourd'hui, qu'en 1499 un arrêté royal défendit qu'on éleva à Irun plus de maisons qu'il en existait alors, ordonnant, en outre, que les marchandises et provisions nécessaires à sa subsistance fussent achetées à Fontarabie qui, jalouse de sa juridiction, de ses prérogatives, effrayée même pour son existence, ne voulait pas que ses habitants, enserrés dans ses murailles, érriigrassent dans la cité voisine pouvant s'étendre à l'aise. Comme nous voyons, les temps ont complètement changé et Irun, riche et florissante, renferme environ douze mille habitants. Son église paroissiale, Notre-Dame-des-Joncs, date des premiers jours de la Renaissance; son clocher, élevé en 160g, rappelle celui de Fontarabie, c'est le type de presque tous les clochers de la région; sa nef est vaste et imposante; elle renferme un fastueux retable, dressé en 1647 sur les plans de l'architecte Bernabe Cordero, dont les sculptures, non sans mérite, sont dues à Juan Vascardo, artiste guipuzcoan du XVIIe siècle. Notons encore un bas-relief, en marbre peint, représentant les Ames du Purgatoire, délivrées par l'intercession de la Vierge, dominées par la Cour céleste, d'une impression ressentie. D'Irun, il convient d'aller faire un pèlerinage à l'Ile des Faisans, où fut signé le traité des Pyrénées, entre Don Luis de Haro et le cardinal Mazarin, en 165g, et célébré, par procuration, le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche. Mais ce ne sont pas là les seuls événements mémorables qu'aient vu ce petit îlot. En 1469, Louis XI, roi de France et Henri IV roi de Castille, s'y donnèrent rendez-vous ; en i52Ô, tout près de ses bords, François Ier y fut échangé, dans une barque, contre ses deux fils devenus captifs à sa place; c'est encore dans cet îlot qu'en 1615 Isabelle, fille de notre Henri IV, rencontra Anne d'Autriche, fille de Philippe III, la première, allant épouser Philippe IV, roi d'Espagne, la seconde, Louis XIII, roi de France. De ce lieu qui a vu tant de grands faits historiques, que reste-t-il? Un arpent de sable ombragé de quelques maigres arbres, au milieu duquel s'élève un petit monument de pierre, sorte de mausolée des plus modestes, portant sur ses deux faces, en espagnol et en français, l'inscription que voici : En mémoire des conférences de i65g, dans lesquelles Louis XIV et Philippe IV, par une heureuse alliance, mirent fin à une longue guerre entre les deux nations, Napoléon III, Empereur des Français, et Isabelle, Reine des Espagnes, ont rétabli cette île, l'an 1861. Avec une barque, on peut encore descendre ou remonter la Bidassoa,


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selon les heures de marée, jusqu'au pied du pont international, à l'entrée du faubourg de Behobia, petit hameau empruntant son nom au village français qui lui fait face de l'autre côté de la rivière. On remonte à Irun par un chemin qui n'est qu'une longue rue bordée de tristes masures habitées, en partie, par de rudes contrebandiers. Mais, si la rue est laide, le paysage qui lui sert de cadre est merveilleux. Les montagnes semblent s'écarter et fléchir pour faire place à une ligne de collines basses qui se confondent bientôt avec la plaine où mûrissent les maïs d'un vert brillant; au bord des flaques d'eau, formées çà et là par la mer en se retirant de l'estuaire de la Bidassoa, croissent des roseaux et des ajoncs; à l'ombre d'un bouquet de chênes ou de platanes apparaît, de place en place, une métairie aux murs blanchis à la chaux, couverte de tuiles, aux contrevents et aux fenêtres peintes d'un rouge sang de bœuf. Les champs, au bord de la rivière, sont constamment sillonnés de carabineros ; le jour, on en rencontre tous les deux ou trois cents pas; la nuit, sont-ils encore plus nombreux? On le dit, ce qui n'empêche pas les contrebandiers d'exercer, avec le plus grand succès, leur métier qu'ils considèrent comme parfaitement honnête et avouable. Y a-t-il connivence entre eux et les défenseurs de la loi? Beaucoup moins, croyons-nous, qu'on ne serait disposé à l'admettre; mais à quoi bon s'exposer, pour un carabinero, s'il voit venir une troupe d'hommes qu'il sait bien armés? Un mauvais coup est vite attrapé et si l'Espagne est la patrie de Don Quichotte, elle a aussi vu naître Sancho Panza. Les contrebandiers, des deux côtés de la frontière, dans leurs expéditions nocturnes sur la Bidassoa ou dans les défilés de la montagne, se servent encore de l'ancien cri de guerre de leurs ancêtres, — vestige préhistorique — qu'ils poussent, à des intervalles plus ou moins rapprochés, pour s'appeler et se prévenir. Ce cri, plutôt cette plainte précipitée et déchirante, ce long et angoissant hululement, car il réunit les deux caractères à la fois, qui semble ne jamais s'achever, c'est l'Irrintzina «suraigu, terrifiant,» écrit Loti, «qui remplit le vide et s'en va déchirer les lointains, qui a le mordant de la voix des chacals et garde, quand même, quelque chose d'humain qui fait frémir davantage. Commencé comme un haut braiement d'agonie, voici qu'il s'achève et s'éteint en une sorte de rire sinistrement burlesque, comme le rire des fous. » C'est sur les routes qui avoisinent Irun que l'on peut faire connaissance avec le char à bœufs, aux roues pleines tournant avec leur essieu, dont le « bruit, étrange, inexplicable, enroué, effrayant », avait tant intrigué Th. Gautier à son entrée en Espagne. Tel que le poète l'a rencontré, il y a plus


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de trois-quarts de siècle, tel il existe encore et circule toujours dans les campagnes guipuzcoanes, s'entendant à plus d'une demi-lieue de distance. Après les chars à bœufs, il convient de parler des voitures publiques. Irun a bien ses autobus qui mènent à Elizondo, mais on y rencontre aussi des diligences, et quelles diligences ! Véritablement antédiluviennes, elles consistent en une caisse jaune et noire suspendue, par des essieux rouilles, à des roues qui semblent toujours prêtes à s'en détacher. Traînées par des mules et des chevaux, auxquels on joint aux montées une paire de bœufs que les coups d'aiguillon et les vociférations de leurs conducteurs n'émeuvent guère, elles ne vont d'ordinaire qu'au pas ou au petit trot. Mais, approche-t-on d'un village, le mayoral fouaille ses bêtes et leur fait prendre un galop d'autant plus assourdissant qu'elles sont surchargées de sonnettes. Si le voyage est lent, si les kilomètres ne sont pas rapidement parcourus, tant mieux. Les records de vitesse seraient une profonde erreur dans un pays comme celui-ci. Ne faut-il pas à loisir admirer ces collines vertes, traversées par des ruisseaux qui courent et chantent sur les cailloux; ces échappées sur la mer qui vient battre de ses vagues écumantes de hautes falaises et des rocs formidables; ces villages aux rues étroites, aux maisons aux toits de tuiles, aux portes constellées de clous, aux balcons aux ferronneries ouvragées, s'avançant sur les rues, d'où pendent et sèchent, quelque temps qu'il fasse, des loques multicolores. A l'entrée des plus importants de ces villages se trouve d'ordinaire un poste de miquelets, corps de troupe spécial aux provinces basques et à leur solde; appelées mihones dans la région d'Alava, guardia forai dans celle de Biscaye, ces compagnies, destinées au service d'ordre en temps de paix, sont composées de beaux hommes portant le béret rouge national, une capote bleue à pèlerine et un pantalon rouge comme le béret. Cette région joyeuse, qui sert d'entrée et de frontispice à l'Espagne,


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comme la frontière française, a presque sans interruption servi de champ de bataille à de nombreuses armées. Depuis plus de quatre siècles, les nations s'y sont constamment entre-choquées, quand ce n'étaient pas des frères qui luttaient contre des frères. Sans remonter aux guerres du XVIe et du XVIIe siècles, aux campagnes de la première République, de Napoléon et des Alliés, les Cristinos et les Carlistes, en r 83g, les Carlistes et les Libéraux, en 1874, l'ont constamment dévastée. En quittant Irun, la route royale, la carretera, comme disent les Espagnols, et la voie ferrée se suivent presque parallèlement. Elles sont bordées, à droite et à gauche, de massifs de chênes étêtés, de clos de pommiers à cidre, de champs de blé et de maïs entrecoupés de nombreux ruisseaux qui descendent des collines voisines et des masses sombres du Jaizquibel dont les croupes ondulées portent, de place en place, de petites tours branlantes, vestiges de la première guerre carliste, et aussi des métairies à demi cachées dans la verdure. De ces métairies, certaines ont leur histoire. Celle de Gustia Edera mérite d'être narrée. Sancho Abarca, roi de Navarre, — nous avons déjà parlé de lui — grand chasseur comme tous les princes de son temps, poursuivait un sanglier sur les pentes de la montagne quand, son ardeur l'ayant entraîné loin de sa suite, il arriva auprès d'une source où une jeune fille d'une rare beauté était en train de remplir sa cruche. Il lui demanda alors à boire ; celle-ci se hâta de le désaltérer. « Que vous êtes belle », ne peut-il s'empêcher de lui murmurer à l'oreille en la remerciant. Bien entendu, le souverain voulut revoir celle qui avait fait sur lui une profonde impression; de ces rencontres un enfant naquit, que Sancho Abarca reconnut, à qui il constitua un apanage sur la montagne même témoin de ses amours qui reçut pour nom les mots basques «Gustia Edera» — Tout à fait belle. — Les descendants de la jolie montagnarde habitent toujours la métairie de leur ancêtre, blasonnée de l'écu de Navarre, qui est le leur, avec la devise «Gustia Edera».


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Voici Renteria, dominée par son vieux château du XVe siècle, aux fenêtres grillées et rares, à la porte surbaissée. La petite ville, qui a joué jadis un certain rôle, dont les chantiers ont vu construire des navires de huit cents tonneaux, n'est plus aujourd'hui qu'un bourg de moyenne importance. Elle semble cependant, grâce au commerce de pâtes alimentaires et à l'industrie métallurgique, devoir reconquérir quelque importance. Son église crénelée, dont le clocher aux tonalités chaudes et rousses rappelle ceux des églises d'Irun et de Fontarabie, date du XVIe siècle. Elle montre à l'intérieur de lourdes colonnes cylindriques, un retable dessiné par Ventura Rodriguez et sculpté par Felipe de Arismendi. On doit également à ce dernier, l'ornementation du maître-autel du couvent des religieuses Augustines, situé un peu plus loin. Ce Felipe de Arismendi, né à Adiazabal dans la seconde moitié du XVIIe siècle, dans cette même province de Guipuzcoa, dont on trouve partout des productions, non seulement dans les églises des bourgs et des villages, mais aussi bien à San Sébastian et jusqu'à Bilbao, est un des artistes les plus naturalistes et les plus indisciplinés que l'on puisse imaginer. La plupart de ses statues ont été exécutées d'après des paysans, des ouvriers ou des soldats suisses qu'il faisait énivrer pour obtenir d'eux des expressions plus violentes, des attitudes ou des poses plus outrées. Il mourut de misère, sur un lit d'hôpital à San Sébastian, vers 1725 ou 1727. A la droite de Renteria, dont il n'est séparé que par la rivière d'Oyarzun, est Lezo qui renferme deux églises toutes proches l'ûne de l'autre. L'église paroissiale, vieille bâtisse encore solide, du XVe siècle, couronne le bourg de sa lourde masse. L'intérieur de l'édifice a une seule nef, est froid, nu et sombre, à part le chœur, auquel on accède par une superbe rampe en pierre ouvragée et fouillée, du plus pur style plateresque. Ce chœur est meublé, obstrué pourrait-on plus justement dire, comme celui de la plupart des églises de la région, par un haut retable à plusieurs corps, en bois peint et doré, fouillis inextricable de bas-reliefs, de statues, de médaillons, de pinacles, de volutes, d'ornements de toutes sortes; dessiné, construit et sculpté par Felipe de Arismendi dont nous venons de parler, il n'est pas sans mérite. Sur un des autels latéraux se voit une Vierge, l'Enfant Jésus dans les bras, panneau peint, sans aucun doute, par un élève ou un imitateur de Roger van der Weyden. L'autre église de Lezo, but de pèlerinage des plus fréquentés, renferme un effrayant Christ en croix, recouvert d'une peau bistrée, comme tannée, avec une barbe et des cheveux naturels. Rien de lugubre comme ce fantôme de crucifié.

et

d'impressionnant


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9

De Lezo, on accède à Pasajes par une route âpre et rude qui «court sur la pente de deux montagnes que les bruyères violettes et les genêts jaunes couvrent d'une immense chape de fleurs», écrit Victor Hugo en 1843. Faire ce trajet n'est pas un travail d'Hercule, comme on avait voulu le faire entendre au poète. Depuis lors, le pays n'a pas changé. Le mieux cependant est d'arriver à Pasajes par la carretera ou le chemin de fer. Si la chance permet que ce soit par un beau jour d'été et que la marée soit haute, c'est un spectacle magnifique. Devant les yeux éblouis, tout d'un coup surgit la ville; au fond, les flots bleus de l'océan, frangés d'écume, montent à l'assaut des deux montagnes, par places, dénudées ou couvertes de verdure, qui enserrent la passe; puis c'est son vieux château qui la commandait jadis, aujourd'hui une ruine, aux murailles croulantes; ce sont les navires, les trainières, les barques de pêche qui se balancent dans son port. A droite et à gauche, deux longues rangées de maisons multicolores, aux balcons abrités par le prolongement de leurs toits recouverts de tuiles rouges, se développent en éventail, enserrées et pressées entre les montagnes à pic et les eaux de la baie dans lesquelles elles se mirent et qui viennent battre leurs fondations. Si l'on tourne le dos à la mer, la chaîne dentelée des Pyrénées cantabriques forme à Pasajes un merveilleux horizon. La ville est divisée en deux quartiers distincts et séparés par sa baie ; Pasajes San Juan, du côté de Lezo, à l'est, et Pasajes San Pedro, du côté de San Sébastian, à l'ouest. Dans chaque quartier, une seule rue, ou plutôt une ruelle étroite, toujours tortueuse, tantôt montante, tantôt descendante, qu'enjambent la plupart des maisons, aussi agressives sur la ruelle qu'elles semblent joyeuses sur la baie. On passe, en un instant, d'une obscurité à peu près complète à une clarté aveuglante. Mais la vraie rue, qui fait communiquer les deux Pasajes, c'est le port sillonné de barques dirigées par de robustes bateliers et aussi par de gracieuses batelières qui manient l'aviron avec une hardiesse et une adresse sans égales. Une seule des deux églises de Pasajes mérite une mention, San Juan, lourde et massive construction qu'il faut aller chercher par une ruelle sale et tortueuse et à laquelle on accède par un perron de quelques marches. Comme toutes les églises du pays, elle est surtout intéressante par son immense retable, en bois peint et doré, dont les principales statues — celle de Saint JeanBaptiste, le patron de la paroisse, qui en occupe le milieu, les statues de Saint Pierre et de Saint Paul, posées sur les côtés, et la statue de l'archange Saint Michel placée sur le couronnement, — sont encore l'œuvre de Felipe de Arismendi dont la production est véritablement fabuleuse.


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Faut-il maintenant parler du passé de Pasajes, de ses anciens chantiers d'où sont sortis tant de glorieuses caravelles au XVP siècle, tant de puissants navires au XVIP ? Laissons dormir ces vieux souvenirs et, fiers de nos gloires, faisons un pieux pèlerinage à la maison où Victor Hugo passa quelques jours en 1843,

Pasajes. La Maison de Victor Hugo

transformée en musée en l'honneur du poète, grâce à la noble initiative de deux exilés, Paul Déroulède et Marcel Habert. Sur l'entrée principale de cette demeure qui, par une disposition assez particulière, traverse un premier corps de bâtiments, on a encastré une plaque de marbre portant, en espagnol, en euskarien et en français, l'inscription que voici : EN AQUI VIVIO

1843

ICI VÉCUT

EINEN BIZIZAN

VICTOR HUGO HOMMAGE DE DEUX FRANÇAIS EN

1892

Sur le balcon donnant sur le port, — car la maison a sa principale façade de ce côté — au-dessus de la fenêtre de la chambre qu'avait occupé


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Olympio, on lit sur une seconde plaque de marbre : CASA DE VICTOR HUGO

Faut-il décrire le logis? Le mieux est de laisser la parole au maître : « La maison que j'habite, dit-il, est à la fois une des plus solennelles qui regardent la rue et une des plus gaies qui regardent le golfe... La maison où je suis a deux étages et deux entrées... C'est le monumental rapiécé avec le rustique. C'est une caCliché Ducourau bane mêlée et soudée à Pasajes. Inauguration du médaillon de Victor Hugo un palais. La première entrée est un portail à colonnes du temps de Philippe II, sculpté par les ravissants artistes de la Renaissance, mutilé par le temps et les enfants qui jouent, rongé par les pluies, la lune et le vent de mer... Ce portail est d'une belle couleur chamois.

L'é-

cusson reste, mais les années ont effacé

le

blason. »

L'autre

entrée

est

« un escalier sans

rampes, formé de

grosses

taille,

pierres de

qui

monte

de la rue à la cuisine et va rejoindre d'autres

escaliers

de

pierre

qui

s'en

vont dans la montagne à travers

le

feuillage. » Par de longs détours, par d'abrupts

sentiers

bordés

d'à-

joncs et de fougères, semés de Cliché Ducourau

Pasajes. — Quelques spectateurs à l'inauguration du médaillon de Victor Hugo

Cliché Ducourau

Pasajes. —• Médaillon de Victor Hugo


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«taches d'or», on arrive devant un rocher lisse dans lequel a été encastré le médaillon de notre grand lyrique. Pour se rendre de Pasajes à San Sébastian, on n'a que l'embarras du choix des moyens de locomotion : le chemin de fer, le tramway électrique, la route royale, la mer. Par le chemin de fer, le tramway, la carretera, après avoir laissé à gauche le village d'Alza et, à droite, des fabriques et des usines bâties sur les bords de marais formés par le retrait de la mer, on aperçoit sur les pentes du mont Ulia, d'élégantes villas qui annoncent l'approche de San Sébastian ; la voie de mer est certes la plus agréable et n'est-ce pas charmant de fréter une barque que dirigeront volontiers les petites filles ou petites nièces de Maria Juana, de Maria Andres, des sœurs Pepa et Pépita, de la délicieuse Manuela, les batelières de Victor Hugo ? San Sébastian occupe une admirable position à l'embouchure de la petite rivière de l'Urumea d'un côté, et de l'autre, d'une baie barrée au milieu par l'île de Santa Clara, fermée à l'ouest par le mont Igueldo et à l'est par le mont Urgull que domine le castillo de la Mota. Jadis circonscrite dans une enceinte de murailles occupant un espace carré, au pied du mont Urgull, la ville montrait et montre encore ses deux églises de Santa Maria et de San Vicente; ce sont de parfaits spécimens de ce style lourd et rococo, à l'exhubérante et incohérente fantaisie à la mode en Espagne pendant la seconde partie du XVIIe siècle et tout le XVIIIe, appelé churrigueresque, du nom de l'architecte qui eut le triste honneur de lui servir de parrain, et cependant, des constructeurs de son temps, Churriguera fut peut-être le moins churrigueresque. Quoique la façade de San Vicente soit moins surchargée que celle de Santa Maria, toutes deux sont trop tourmentées, leur décoration est trop contournée pour nos yeux de Français épris de simplicité. L'intérieur de ces églises est digne de leur extérieur par la surcharge de leur ornementation; ce ne sont que pans coupés, frontispices tronqués, frontons, pinacles, cassolettes, flammes, surtout dans leurs hauts retables dorés et tarabiscotés, renfermant maintes et maintes statues, plus hétéroclites les unes que les autres, de ce baroque Felipe de Arismendi dont nous avons déjà eu si souvent l'occasion de parler. Au centre du vieux San Sébastian, à égale distance de ses deux églises qui en occupent les deux extrémités est et ouest, se trouve les Casas Consistoriales, formant un des côtés d'une place carrée à arcades, dont les fenêtres numérotées servaient de loges au temps où se donnaient dans cette enceinte les courses de taureaux.


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Le port, des mieux abrités, accessible aux navires seulement à marée haute par un chenal qui passe entre l'île Santa Clara et le mont Urgull, est couvert par quatre jetées. De l'autre côté du mont Urgull se trouve l'embouchure de l'Urumea. D'abord suffisamment large, la rivière ne tarde guère à se rétrécir. Plusieurs ponts la franchissent; le plus récent, le puente Maria Cristina, présente des pylônes multicolores du goût le plus déplorable, où le marbre, la pierre, le fer et le bronze jouent un grand rôle. Faut-il énumérer les fastes de San Sébastian ? Dès le XIIIe siècle, la ville apparaît dans l'histoire. Les rois de Castille, Alphonse VIII, Alphonse X, Sanche IV, Pierre-le-Cruel, figurent successivement dans ses annales. En i5i2, elle subit un assaut des Français dont elle triomphe; mais en 171g elle est prise par le duc de Berwick, après deux mois de siège. San Sébastian eut beaucoup à souffrir des guerres de l'Indépendance. En 1813, les Anglais et les Portugais, sous les ordres du général Graham, y bloquèrent l'armée française qui s'y était cantonnée et saccagèrent la malheureuse cité qu'ils incendièrent en partie ; enfin, en 1835, la ville fut assiégée par les Carlistes. Qui s'en douterait aujourd'hui, qui y songe, qui s'en souvient? La vieille ville aux rues étroites, sombres, sans air, ne compte plus que comme un curieux et archaïque vestige. En arrière de ses murailles abattues, une nouvelle cité est sortie de terre comme par enchantement, large, aérée, ouverte, avec de spacieuses avenues, des boulevards, des rues dignes d'une capitale moderne, à hautes et élégantes maisons. Dans ce San Sébastian nouveau, en quelques années on a vu s'élever des églises, des chapelles, le palais de la Diputacion provincial, le Musée des Beaux-Arts, un grand et élégant Casino au milieu d'un vaste jardin, entre le port et la Concha qui peut rivaliser avec la rue de Paris de notre Trouville à l'époque de la Grande Semaine, cette Concha bordée de luxueuses villas, de splendides hôtels surplombant la plage avec ses établissements de bains, conduisant par une superbe voie au Palais royal de Miramar, le bien nommé, non pour son importance, — ce n'est qu'une simple villa entourée de jardins — mais par la vue qu'il commande sur la ville, la baie et les côtes environnantes. San Sébastian, aimablement hospitalière, a accueilli tour à tour Gambetta, Paul Déroulède et Marcel Habert. Devenue la station balnéaire la plus à la mode de toute l'Espagne, la gracieuse cité est, de juillet à octobre, le rendezvous de toutes les élégances, de toutes les grandeurs, le séjour de la Cour et prend alors l'animation d'une véritable capitale. Le Gotha des Espagnes y brille


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alors au grand complet. Alphonsistes et Carlistes non seulement se coudoient, se retrouvent au bain, au casino, au théâtre, se saluent, mais se serrent affectueusement la main. Les familles françaises qui villégiaturent à Hendaye, Saint-Jean-de-Luz, Guethary, Biarritz y viennent à leur tour, attirées par cette

mondanité, par les régates, les concours hippiques qui s'y succèdent sans interruption, mais surtout par les courses de taureaux qu'il faut voir dans leur pays d'origine, dans leur cadre naturel, en Espagne. La plaza de San Sébastian est en passe de devenir classique; les plus célèbres toreros tiennent à honneur d'y paraître. Elle en est déjà à son second cirque; l'ancien était derrière la gare, le nouveau se trouve dans la barrio de Gros.


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Quelle curieuse manifestation de la vie que ces courses de taureaux dans le plein air, dans le grandiose du décor, que l'exaltation de tout un peuple qui s'agite, se bouscule, crie, hurle, tréCliché Arvieux , San Sébastian. — Un coin au port pigne dans une lumière éblouissante coupée de grands plans d'ombre; que cette constatation du geste et du mouvement d'hommes en lutte contre une bête brute, où leur vie est en jeu. D'abord parlons du principal protagoniste des courses, le taureau. Haut d'encolure, court de jambes, les poils drus, luisants, frisés par place, sanguin, souple, rapide, avec un crâne de fer, des jarrets d'acier, les articulations accusées, les cornes fortes, pointues et noires aux extrémités, les yeux vifs, il unit une force musculaire prodigieuse à un courage sans égal. Le taureau de cirque provient d'un élevage fait par de grands propriétaires terriens, dans leurs vastes domaines appelés ganaderias, qui consistent en de vastes pâturages avoisinant un cours d'eau, loin de tout village, où vaguent à peu près en liberté des troupeaux de vaches et de taureaux sous la surveillance relative de vaqueros — vachers — commandés par un mayoral ou maître vacher. Au troupeau indocile sont mêlés quelques cabestros, c'est-à-dire quelques bœufs dressés à accompagner les taureaux et leurs compagnes, quand on les fait changer de pâturage ou qu'on les conduit au herradero, à les encadrer, pour ainsi parler, de façon à ce qu'ils ne puissent s'écarter, encore moins s'échapper. Par herradero, il faut entendre le vaste enclos où les vaqueros dirigent, au jour fixé, les génisses et les veaux-de l'année. Là, sous la direction du conocedor, du directeur de l'exploitation, des cavaliers armés de la garrocha, longue lance terminée par un aiguillon triangulaire, qu'ac-

urau

Sébastian

Course de taureaux


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compagnent des hommes à pied, munis de la mante de rigueur, essayent quelques attaques contre les jeunes animaux. Ceux qui fuient sont condamnés à la boucherie ou à la mutilation. Ceux qui se défendent, foncent ou viennent à la rescousse, sont marqués au fer chaud, sur la croupe, du hierro du propriétaire de la ganaderia et sacrés bons pour la lutte, si ce sont des mâles, aptes à la reproduction, si ce sont des femelles. Le torero n'a point d'origine bien définie; il sort presque exclusivement du peuple. C'est un berger de la montagne, un garçon d'abattoir, un maréchalferrant, un apprenti boucher, un palefrenier grisé par les applaudissements qu'il voit prodiguer aux triomphateurs du cirque, entraîné par la gloriole, le bruit, le désir de parader en riche costume, motifs si puissants sur les natures méridionales. Il s'est d'abord essayé dans les herraderos ; il a montré son adresse et son agilité dans des courses de campagnes. Cela suffit pour qu'il entre dans une cuadrilla, d'abord à titre de chulo avant de monter au grade de banderillero et ensuite à la situation d'espada. Le picador se recrute chez les vaqueros, habitués qu'ils sont par leur premier métier à se mesurer avec les taureaux, et dont le second n'est en réalité, qu'une répétition plus élégante, plus théâtrale et plus rénumératrice, il convient aussi d'ajouter, malgré tout, plus dangereuse. Une fois arrêtés pour une corrida, les taureaux sont isolés du reste du troupeau et accompagnés de cabestros, dirigés par des chemins détournés par leurs vaqueros vers les abords des villes où doivent avoir lieu les courses. A San Sébastian, on les mène d'ordinaire par la voie ferrée; on les fait alors entrer de vive force, et non sans de sérieuses difficultés, dans de solides caisses en bois munies de roulettes démontables, que l'on hisse ensuite sur des wagons. La veille de la corrida, la nuit, bien entendu, pour éviter les accidents, on conduit les bêtes de combat, toujours accompagnées de cabestros, qui remplissent en conscience leur rôle de chiens de garde, à la plaza, où on les enferme soigneusement. Le lendemain matin, il s'agit de procéder à l'apartado, c'est-à-dire de faire entrer les taureaux réunis dans la cour intérieure du cirque, chacun séparément, dans un petit local privé de lumière — le chiquero — où il restera jusqu'au moment du combat. N'oublions pas un autre petit local, attenant au cirque, tout proche du toril, dans lequel se trouve en permanence, au moment de la course, un prêtre et un médecin, chapelle et infirmerie à la fois, où sur une table, dans de grossiers chandeliers, brûlent quelques cierges devant une image de la Vierge et qui renferme aussi une civière et divers instruments de chirurgie. Rien de pittoresque comme le paseo, c'est-à-dire l'entrée de la troupe des toreadores, qui précède le spectacle, alors que les galeries sont bondées


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d'amateurs. L'orchestre fait entendre les accords de la marche royale, un alguacil à cheval, en costume du commencement du XVIIe siècle vient solliciter du président de la fête, d'ordinaire l'alcade, à moins que ce ne soit le Roi, l'autorisation de commencer la corrida, ce qu'il se hâte d'ailleurs d'accorder. L'alguacil retourne aussitôt prévenir la cuadrilla qui s'avance incontinent dans la lice, précédée de deux autres alguaciles, également montés; viennent en premier lieu les espadas, puis les banderilleros, les picadores, à cheval bien entendu, les chulos, les employés subalternes, enfin l'attelage de mules destiné à enlever les bêtes mortes. Les membres de la cuadrilla saluent les autorités ; ceux qui ne doivent pas figurer dans la première course, ainsi que les alguaciles, se retirent dès que l'un de ces derniers, à qui les clefs du toril ont été lancées de la loge présidentielle, les a remises au gardien des bêtes de combat, puis celui-ci en ouvre la porte et s'échappe prestement. Les animaux en entrant dans l'arène portent les couleurs de leurs ganaderias sur les rubans de la divisa fixée au garrot à l'aide d'un petit harpon. Quelquefois la divisa est remplacée par la moha, nœud de longs rubans brodés. D'ordinaire une corrida comprend six taureaux; rarement plus de deux espadas et de deux picadores sont présents à la fois sur l'arène. Chaque taureau est poursuivi par deux banderilleros, ce qui fait douze pour une course ; mais assez souvent, la cuadrilla est moins fournie et ses membres se relaient et se remplacent tour à tour. A quoi bon maintenant décrire les différentes péripéties d'une course; trop d'écrivains l'on fait et refait, ce ne serait qu'une oiseuse répétition.


Cliché communiqué par M. Martinet

Guetaria. Vue générale

CHAPITRE VII

De San Sébastian à Bilbao par la côte. Environs de Bilbao Villages et petits ports ; Lasarte, Zubieta, Usurbil, Aguinaga, Orio, Idia^abal, Alpaga, Zaldivia, Gain\a, Arama, Isasondo, Legorreta, Ame\queia, Zàraw{, Guetaria ; le navigateur Elcano; un enterrement à Guetaria; route de Guetaria à Zumaya; église de Zumaya; Deva, Motrico, le marin Cosme Churruca; Ondarroa, aspect du pays; Marquina, Lequeitio; caps, petits golfes, baies; Puebla de Ea, Elanchove, Pedernales; Bermeo, son histoire, un de ses privilèges ; débarquement du poisson ; approches de Bilbao, château de Butron ; Bilbao; le Nervion, le Desierto, Gadamas; petits ports et plages à l'embouchure du Nervion, Somorrostro, Portugalete, Santurce, las Arenas, Algorta, Plencia, ermitage de San Juan de Gastelugache; fêtes patronales, processions, danses, corridas de Novillos, toros de fuego.

Quelle exquise excursion que celle de San Sébastian à Bilbao. Elle peut se faire de deux façons : par une belle route large et bien entretenue, la plupart


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du temps côtoyant ou dominant la mer; par le chemin de fer de la costa, tantôt en vue de l'Océan, tantôt s'enfonçant dans les terres. Des deux façons c'est un enchantement. Les villages, les ports se succèdent les uns aux autres. En voici de suspendus sur les pentes des coteaux, d'autres aplatis au fond des gorges; ceux-ci dispersés dans la plaine, ceux-là groupés à l'entrée de petites baies ou huchés à la pointe extrême d'étroits promontoires. Du milieu de ces villages, de lourds clochers Renaissance, ajourés d'ordinaire au sommet et de couleur safran, piquent l'azur du ciel. De petites rivières descendent avec fracas des montagnes et s'épandent dans les prairies avant d'aller se perdre dans les sables des plages. Le paysage est tour à tour doux et gracieux, sombre et triste, mais plus rarement. Voici un pueblo suspendu à un roc, une vallée qui n'est autre chose qu'une large fissure entre deux montagnes, semblable à une longue muraille de forteresse, dominée par les coupoles sombres des arbres des forêts qui la défendent; puis, ce sont des terres fortes et rougeâtres, profondes et riches, des vergers plantés de pommiers ployant sous le faix de leurs fruits; des sentiers qui se perdent de côté et d'autre, à travers les chênes et les châtaigniers; des champs de maïs, des landes aux bruyères violettes, aux genêts aux fleurs jaunes. A l'ouest, de temps en temps, entre deux falaises échancrées, c'est la mer d'un bleu glauque bordant le sable d'une légère frange d'écume. Les coteaux montent, s'abaissent; les ruisseaux, qu'une bande de sable écarte de l'Océan, s'étalent en estuaire. Le spectacle varie comme dans un cinématographe. En quittant San Sébastian, on traverse d'abord Lasarte, Zubieta, Usurbil, Aguinaga, puis on atteint le petit port d'Orio, à l'embouchure de la rivière de l'Oria, qui prend sa source au lieu dit de la Pierre percée, — la Peha horadada — célèbre dans la région, qui baigne ensuite le bourg d'Idiazabal, arrose Alzaga, Zaldivia, Gainza, Arama, Isasondo, Legorreta, Amezqueta, où le cours d'eau commence à être navigable. Aux XVIe et XVIIe siècles, on contruisait à Orio de nombreux vaisseaux pour les flottes castillannes. Ces beaux temps sont finis; depuis longtemps le port est ensablé et tout au plus quelques pauvres pêcheurs y végètent-ils encore. Un kilomètre plus loin c'est Zarauz, à l'extrémité d'une petite baie dont la superbe plage attire de nombreux baigneurs en été et dont le vieux château, du XIVe siècle, bâti en pierre de taille, décoré d'un joli escalier extérieur, voit dans les hautes marées ses assises battues par les flots. C'est à Zarauz que


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villégiaturait la reine Isabelle, avec ses enfants et sa cour, en septembre 1868, quand éclata à Cadix la révolution qui renversa son trône. Une merveille, c'est la route en corniche qui va de Zarauz à Zumaya suspendue aux rochers que la mer bat sans trêve ni repos. Elle contourne la montagne San Antonio d'où, à son point le plus avancé, se détache une presqu'île à laquelle on n'accède que par une étroite bande de terre occupée par Guetaria, placée au centre de la baie dont le cap du Figuier à l'est et celui du Machichaco à l'ouest forment les deux extrémités. Agrippée sur les pentes de la montagne d'un côté, descendant jusqu'à la plage de l'autre, Guetaria est une des villes basques des plus étranges, des plus pittoresques et de la plus haute antiquité; ses murailles, en partie écroulées, datent d'Alphonse-le-Noble. Son église, de style gothique, sombre, noire, à laquelle on accède par une voûte, sorte d'entrée de forteresse, fait grande impression; l'intérieur, à trois nefs, ne manque pas de caractère. Près de son porche, extérieurement, une pierre tombale appelle l'attention, car elle porte l'inscription que voici : ESTA ES LA SEPULTURA DEL INSIGNE CAPITAN JUAN SEBASTIAN ELCANO

Plus loin, sur le môle, se dresse la statue — ah! bien médiocre — du grand navigateur qui accompagna Magellan aux Philippines et ramena en Europe la dernière des cinq caravelles de l'expédition, la Vitoria. Sur les Guetaria. — Les rochers


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PAYS

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BASQUE

Le port de Zumaya

soixante hommes partis des Moluques, il ne restait que dix-huit Européens et quelques Indiens. A Guetaria, nous assistons à l'enterrement d'un vieux pêcheur. Il est quatre heures de l'après-midi. Les prières dites à la maison mortuaire, le cortège se met en marche pour le cimetière perché au haut de la falaise, en vue de la mer. En avant, le clergé; puis le cercueil, porté par quatre rudes marins, suivi de deux longues théories d'assistants, tous un cierge dans la main droite; d'abord les hommes, recouverts d'un long et lourd manteau, puis les femmes, cachées sous leurs capes noires qui leur couvrent le visage jusqu'aux yeux et tombent jusqu'aux pieds. Le corps est mis dans la terre quand le prêtre a dit les dernières paroles. Rien de fantastique, à la nuit venue, comme cette procession d'ombres, qui en face de l'Océan, s'en revient vers le port, et semble ramener vers les logis déserts de rouges petites âmes vacillantes. La messe est célébrée le lendemain dans l'église obscure; devant chaque affligé et affligée, à genoux sur un drap noir étendu sur le sol, brûle un long cierge éclairant sa tête pieusement inclinée. Le dallage du temple disparait sous ces draps, la nef s'éclaire faiblement sous le clignotement de ces lumières tremblotantes; rien de plus impressionnant. Gomme Fontarabie et Biarritz, Guetaria porte une baleine dans ses armes. La mer a toujours été l'élément de ses habitants. La cité lui dut sa prospérité d'antan et aussi un partie de ses infortunes; à la fin du XVIe siècle, une escadre espagnole brûlait son port; quelques années plus tôt, en I5Q7, elle avait été en partie détruite par un incendie, mais les désastres continuèrent à s'abattre sur elle. Ravagée lors de la guerre de l'Indépendance, prise, perdue, reprise par les Carlistes en 1836, elle n'eut plus, bientôt après, une seule maison intacte. Quelque peu rebâtie aujourd'hui, elle ne présente guère néanmoins, de toutes parts, que


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La plage à Deva

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Cliché Dueourau

ruines, éboulis, murailles croulantes et décombres. N'importe, Guetaria est un des points les plus captivants du Pays Basque. De Guetaria à Zumaya, la côte rocheuse se poursuit. Les falaises succèdent aux falaises, parfois se dressant comme des murailles rébarbatives, couvertes à leur sommet de chênes rabougris poussés à travers les bruyères; parfois écroulées en un chaos de rocs de toutes couleurs et de toutes formes, bordés de goémons et de lichens verts foncés ou glauques, parfois encore semblant dans le lointain s'infléchir, prêtes à disparaître dans la mer bleue. 11 faut faire cette course, comme nous l'avons si souvent faite, aux dernières heures du jour, alors que la mer brille et s'opalise dans les lumières d'un soleil couchant empourpré; des clartés d'or et d'argent éclaboussent de tous côtés; L'Océan, reflétant les dernières lueurs du jour, comme un miroir poli, passe par toutes les couleurs : il est vert, il est bleu, il est rouge ; dans ses eaux scintillent les émeraudes, les ors, les rubis, les topazes. Tout dans cette immensité n'est que lumière. Zumaya, dans une merveilleuse situation, au pied de la montagne de Santa Clara, sur la rivière de l'Urola, n'est qu'un petit port de cabotage qu'une


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barre terrible rend souvent impraticable. Son église, du XVIe siècle, mérite une visite. Intérieurement, elle montre une seule voûte à élégantes nervures; le grand retable offre de remarquables sculptures consacrées à la vie du patron de la paroisse, Saint Pierre; dans la chapelle de droite se trouve sur l'autel un curieux tableau de l'école rhénane primitive, d'ordinaire caché sous un rideau. De Zumaya, le chemin de fer rentre dans les terres et passe aux bains de Cestona, souverains, paraît-il, pour les maladies de l'estomac et du foie, puis à Iciar, avant, d'atteindre Deva qui, par la falaise, est tout proche de Zumaya. Deva est situé à l'embouchure d'une petite rivière — el rio de Deva — dont les rives sont bientôt charmantes, mais dont la barre n'est pas des plus commodes ; l'entrée du petit port est toujours pénible et parfois périlleuse. En été Deva est une station balnéaire fort fréquentée où les baigneurs viennent en grand nombre, non seulement de la Navarre et de l'Aragon, mais même des deux Castilles. Un peu plus loin, c'est Motrico, suspendu aux flancs d'une colline,


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Motrico. — Vue de la baie

avec ses antiques et noirs palacios d'Idiaquez, de Montablet, sa haute et massive tour de Barrencoles, sa lourde et sombre église qui se vante de renfermer un tableau de Murillo — le Christ à l'agonie — et deux toiles de Van Dyck; c'est peut-être de la présomption. Motrico a vu naître le fameux Cosme Churruca qui, à Trafalgar, soutint pendant quatre heures l'assaut de cinq bâtiments anglais, à bord de son vaisseau le San Juan. La cuisse emportée par un boulet, il ne cessa d'encourager son équipage et mourut sans avoir assisté à la capitulation de son vaisseau. La région de Deva et de Motrico, qui forme pour ainsi dire le centre d'un arc de cercle dont Fontarabie et Bermeo sont les deux pointes extrêmes, ne montre, en avant, en arrière, de droite et de gauche, que longs promontoires, découpures Cliché Ducourau

Ondarroa. Vue générale


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constantes, bandes de sable jaune alternées d'autres bandes sombres de schiste que battent et couvrent les vagues, à marée haute. De place en place, lorsque les falaises éboulées ont laissé quelques coins de terre végétale, ce ne sont qu'arbousiers émergeant au milieu de bruyères, de genêts, d'ajoncs, que bois de pins, que chênes verts, qu'oliviers et qu'eucalyptus même, que le flot éclabousse presque. Ondarroa, que l'on atteint ensuite, appartient à la Biscaye ; ses marins passent pour les meilleurs de la région. Sa sombre église, surélevée sur d'immenses arcades, semble une sorte de Léviathan de pierres noires. Tous ces nids d'aigles se ressemblent; tous, ou à peu près tous, bâtis sur le penchant d'une falaise, montrent des rues aux pentes d'une raideur dont on ne peut se faire une idée, enchevêtrées de passages voûtés, d'escaliers branlants. Les maisons qui bordent ces rues, superposées de telle façon que le seuil de la supérieure semble au niveau des toits de celle qui la précède, paraissent n'avoir qu'un désir, se hisser au-dessus les unes des autres. De chacune on voit la mer et de son embarcation, au retour de la pêche, le marin aperçoit les fenêtres de sa demeure.

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Ondarroa. Intérieur de la ville


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Vue de Lequeitio

Chacun de ces ports de la côte cantabrique témoigne encore d'un autre caractère que l'on rencontre d'ailleurs bien fréquemment en Espagne : il semble à la fois une ville en ruines et une ville en construction. Dans la partie haute ce ne sont que masures qui s'écroulent, pans de murs qui tombent, palacios démantelés, églises de couvents désertes; dans la partie basse, maisons à trois ou quatre étages, avenues rectilignes, marchés couverts, le tout à peine achevé. Non loin d'Ondorroa est Marquina, gros bourg situé au confluent de deux cours d'eau, dont la sacristie de l'église paroissiale renferme un retable qui passe pour avoir appartenu à Charles-Quint. Après Ondarroa se trouve Lequeitio, à l'embouchure de la rivière du même nom qu'enjambe un joli pont, encore entourée de murailles; son église de Nuestra Sehora de la Asuncion date du XIIe siècle et possède un fort remarquable retable en bois sculpté. La côte continue à être des plus découpées. Ce ne sont que petits caps, petits golfes, petites baies dans lesquels de petites rivières descendues des montagnes voisines déversent leurs eaux avant d'être navigables même à une simple barque. Les falaises, hautes ici, s'abaissent un peu plus loin. Puebla de Ea mérite-t-il d'être cité? C'est une si humble agglomération de chaumières. Elanchove, accroché à une montagne à pic, vient ensuite, avec son unique rue plus raide qu'une corde à puits, ses antiques maisons qui semblent prêtes à tomber dans le vide; en bas se trouve son port minuscule, si peu sûr. Pour les habitants de ce nid de mouettes, l'Océan peut déferler, lancer contre son roc ses vagues monstres, ils n'ont rien à craindre de ses colères et de ses furies. Voici Pedernales, si merveilleusement situé au fond d'une longue et étroite baie qui semble l'embouchure d'un fleuve; son église est tout au bout du village que les flots ceinturent de trois côtés; voilà Chacharamendy, Mun-


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daca, Bermeo, honoré par Ferdinand-le-Catholique du titre de Cabeza de Biscaya — Tête de la Biscaye. — La ville renferme entre 8 et 10,000 habitants ; c'est une des plus importantes de la côte. Son petit port, peu profond, ensablé, est défendu par trois fortins munis de canons, fortins et canons bien inutiles. Sa vieille église de Santa Eufemia était une de celles appelées Juraderas, où chaque nouveau seigneur de Biscaye, à son avènement, était tenu de jurer le maintien des fueros. Les habitants de Bermeo jouissaient de privilèges particuliers dont un des plus curieux était celui d'obliger les autres députés basques, aux assemblées de Guernica, de se lever lorsque les leurs prenaient la parole. Bermeo a vu naître le poète Alonso de Ercilla, l'auteur du poème épique de VAraucania; à une des extrémités de la ville se trouve encore une tour carrée ayant fait partie du palacio de sa famille. Rien de curieux comme l'arrivée des bateaux de pêche, à Bermeo comme d'ailleurs dans tous les autres ports de la côte, pleins bien" souvent à couler. Les femmes qui, sur les quais, attendent leurs pères, maris ou frères, les aident à débarquer leur butin qu'elles empilent hâtivement dans de larges corbeilles et transportent ensuite le poisson aux fabriques de conserves, au chemin de fer ou courent le vendre par les rues. i5


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Bermeo est pour ainsi dire adossé au cap Machichaco, le point extrême de la côte basque, d'où l'on peut, à la rigueur, par la falaise, en traversant Banquio de Bagino, Lemoniz et Gorliz, atteindre Piencia. De Bermeo, le meilleur moyen de se rendre à Bilbao est de prendre la route des plus pittoresques qui, rentrant dans les terres, parcourt une délicieuse vallée et passe par Munguia, dominé par le château de Butron. Cette forteresse, démantelée au XIIIe siècle par ordre des rois de Castille, longtemps en ruines, naguère encore réduite au rôle d'humble métairie, vient d'être complètement restaurée par son propriétaire, le marquis de Torrecilla, duc de Ciudad Real, majordome d'Alphonse XIII, qui en a fait un véritable Pierrefonds basque, dont on aperçoit de tous côtés les tours, les bastions et le donjon. La route passe ensuite à Laucarez, Derio, traverse la cordillère en miniature de Santo Domingo et atteint Begoha, véritable faubourg de Bilbao, où se tiennent d'importants marchés de bestiaux. Bilbao des flots couverts Jette une pelouse verte Sur ses murs noirs et caducs,

a écrit Victor Hugo dans son Orientale de Grenade. Ce n'est peut-être pas d'une exactitude scrupuleuse. Bilbao n'a jamais été couverte par les flots, elle est trop loin de la mer pour cela et n'a jamais eu de murailles bien redoutables. Fondée


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en i3oo par un seigneur de Biscaye, Don Diego Lopez de Haro, elle passa sans laisser de grandes traces dans l'histoire, jusqu'à l'époque des luttes de l'Indépendance dont elle eut beaucoup à souffrir; pendant les guerres carlistes, elle fut trois fois assiégée; deux fois pendant la première, en 1834 et 1836, une troisième fois, pendant la seconde, en 1873; les prétendants ne parvinrent cependant pas à s'en rendre maîtres. La ville, entourée de montagnes, se trouve au fond d'un grand V dont deux lignes de collines forment les montants. Un étroit goulot, à l'extrémité de ce V, entre des parois rocheuses, laisse passer la rivière, la route et la voie ferrée. Les vieux quartiers, sombres et revêches, aux rues étroites, aux maisons noires, sont pressés sur la rive droite du Nervion; les quartiers neufs, aux larges avenues, aux constructions riches et élégantes, se répandent sur la rive gauche. Les édifices de Bilbao n'ont rien qui puisse longtemps retenir, même son monumental palais de la Diputacion provincial construit il y a une vingtaine d'années. Quand nous aurons signalé l'église Santiago, bâtie au XIVe siècle, mais dont la façade et le clocher sont modernes, celle de San Antonio, au XVe, dans ce style gothique et renaissance dont on trouve tant de spécimens plus ou moins heureux en Espagne, nous en aurons à peu près fini avec ses curiosités archéologiques. Faut-il, pour être l -" —» ~. complet, au bout de la ville, citer, au-delà du Campo Volantin, le colCliché communiqué par M. Martinet

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Bilbao.

Porche de l'église San Antonio


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Bilbao. — Le Nervion et ses quais

lège si florissant des Jésuites et, auprès de la colline de Miravilla, l'inévitable plaza de toros? Bilbao se pique d'être un centre artistique; en cela, peut-être a-t-elle raison? Elle ouvre des expositions de peinture; au point de vue de la musique, elle a fait en 1909 une tentative des plus méritoires : elle a donné sur un de ses théâtres la représentation d'une pastorale labourdine en deux actes, Maitena, paroles de Decrept, musique de Ch. Colin, interprêtée par des jeunes filles et des jeunes gens du pays, qui a eu un tel succès qu'on l'a reprise depuis. Ce qui fait de Bilbao une ville à part, ce qui lui donne un caractère spécial, c'est sa rivière, le Nervion qui jusqu'à la mer, pendant quatorze kilomètres, forme la rue la plus vivante, la plus encombrée, la plus bruyante que l'on puisse imaginer. Le fleuve est couvert de bâtiments de tous tonnages, steamers, bricks, trois-mâts, sloops, chargés de minerai, de bateaux de pêche, de barques et d'embarcations de toutes sortes; ses deux rives forment pour ainsi dire les trottoirs de cette rue qui marche. Des faubourgs succèdent à d'autres faubourgs, aux quais ininterrompus, se poursuivant jusqu'à ce que


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Bilbao.

Le Désert

le fleuve, devenant estuaire, entre Portugalete et las Arenas, confonde ses eaux avec celles de l'Océan. Sur la rive droite, on ne voit que vergers, jardins potagers, villas, auberges, tiendas de vino toujours remplies de marins, d'ouvriers, de gens du port; sur la rive gauche se succèdent des usines qui croissent en nombre et en importance en se rapprochant du Desierto, qui n'a rien de commun avec son nom, quoiqu'il le portât déjà au

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Moyen-Age, à moins que l'on n'appelle l'endroit un désert, vu le minerai qui l'occupe de tous côtés, l'encombre et arrête toute végétation. Dans ces parages, on ne respire que poussière de fer ou de charbon. Ce ne sont que hauts fourneaux flamboyants sous les coulées de laves en fusion, fumées âcres vomies par des cheminées qui percent le ciel, chemins de fer suspendus descendant dans tous les sens, apportant aux navires amarrés aux quais le précieux butin que livrent sans relâche les flancs déchirés des montagnes rouges. Tout est rouge au Desierto : le terrain, les bâtiments, les ouvriers. A côté du Desierto, c'est Galdamas, avec sa montagne naturellement rouge, sapée à coups de pioche, attaquée par la mine, complètement désagrégée. Résultat étrange et paradoxal : dans ce coin de pays, les montagnes deviennent des vallées et les vallées des montagnes, car les scories du minerai jetées dans les bas-fonds font vite des éminences, tandis que les montagnes abattues se transforment en vallées. Du même côté, se trouve Somorrostro, célèbre par la victoire remportée en mars 1874 par les Carlistes sur les troupes libérales qui y perdirent plus de quatre mille hommes. Somorrostro, comme Galdamas, est le centre d'une importante exploitation minière appelée Triano ; les voies ferrées aériennes s'y croisent en tous sens, l'activité industrielle y est portée à son comble. Il ne faudrait pas s'attarder à ces visions de Newcastle ou de Manchester; elles ne sont que. passagères, ne durent qu'un instant et s'évanouissent devant la splendeur du ciel, la beauté du paysage, la majesté de l'Océan que l'on retrouve bien vite.


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Aller de Bilbao à Portugalete, par le Nervion, tout en jetant un coup d'œil au besoin sur le Desierto, Galdamas et Somorrostro est une exquise promenade. Portugalete s'annonce par sa longue jetée et son phare, mais se devine encore de plus loin par la montagne de Sarrantes, au dôme en pain de sucre, surmontée d'une grosse tour, qui domine la gracieuse petite plage aux villas élégantes, où tout Bilbao se donne rendez-vous l'été. A gauche de Portugalete, un peu plus loin, se trouve Santurce, dégringolant jusqu'à la mer, des dernières pentes du pic de Sarrantes. Le petit port beaucoup plus humble que la plage voisine, montre bien quelques villas, mais surtout de petites maisons blanches, qu'habitent des jardiniers et des pêcheurs, encloses dans des jardins potagers fermés par des tamaris rabougris. Rien de plus facile, de Portugalete, que de se rendre à las Arenas, autre station balnéaire située sur la rive droite du Nervion, par le pont transbordeur qui les met en communication. Nous ne dirons pas que cette carcasse gigantesque d'arc de triomphe, comme l'a écrit un journaliste avisé, soit des plus pittoresques et ajoute au charme du paysage; mais il faut bien avouer que ce moyen de se rendre d'un endroit à un autre est au moins commode et rapide. Las Arenas vaut Portugalete, avec ses constructions aux toits gris d'ardoises, ou rouges de tuiles, avec son horizon de coteaux diapré de bruyères, piqué de tamaris et d'ajoncs. De las Arenas, il faut aller à Plencia, en passant par Algorta aux maisons blotties dans une énorme échancrure de rocher, qui, de loin, ressemble à un nid de goélands. La route par Urduliz, à travers la verdure, est délicieuse.


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Plencia, située sur une étroite bande de terre qui s'avance dans l'Océan à l'embouchure d'une petite rivière que franchit un vieux pont de pierres à neuf arches, est bien déchue de son ancienne splendeur. En 1780, elle possédait 160 bâtiments; elle ne possède même plus aujourd'hui une barque de pêche, son port est complètement ensablé. Non loin de Plencia, au sommet d'un pic dont la vague vient fouetter la la base, se trouve l'ermitage, célèbre dans tout le pays, de San Juan de Gastelugache, construit sur l'emplacement et les ruines d'une forteresse qui, à son époque, devait être imprenable. Ce qu'il faut voir dans ces ports qui occupent la côte entre Fontarabie et Bilbao, et aussi bien dans les villages plus ou moins éloignés de la mer, ce sont les fêtes patronales. Dès la veille au soir, sur les places publiques, dans les rues, les jeunes gens et les jeunes filles, au son de la flûte et du long tambourin dont il a déjà été question à plusieurs reprises, dansent des jotas et des fandangos ; à leurs côtés, les enfants les imitent de leur mieux avec d'exquises mimiques. Le lendemain, dès l'aurore, les cloches sonnent à toute volée. A l'église, la messe célébrée, une procession interminable parcourt le pueblo ; ce sont d'abord de longues théories de membres de confréries, cachés sous de rudes frocs de bure aux capuchons abaissés sur le front, ou aux cagoules percées à la hauteur des yeux, précédés de leur bannière, les uns, des cierges allumés dans les mains, les autres, égrenant leur chapelet. Derrière eux viennent les enfants de chœur et le clergé entourant la statue du patron de la paroisse, porté par quatre rudes et solides gaillards que suit l'ayuntamiento, alcade en tête. Le cortège officiel est fermé par les alguaciles en costume suranné des plus pittoresques. La foule des fidèles se précipite ensuite, en rangs pressés, composée d'hommes, de femmes, surtout de femmes. Les provinces basques renferment un nombre étonnant de vieilles femmes, si ridées, si ratatinées que selon l'expression de l'écrivain belge Verhaereen, elles semblent avoir assisté à l'agonie du Christ. La procession rentrée à l'église, la bénédiction donnée, les danses reprennent de tous côtés. Mais, en ce jour solennel, les honneurs sont pour l'aurescu, la danse classique, mythique et quasi religieuse, pourrions-nous presque dire, à laquelle les hommes et les femmes prennent part séparément. Les jeunes gens dansent d'abord, à tour de rôle, puis ensemble; un chef de file se détache ensuite du groupe et vient sauter devant une des jeunes filles, qu'il amène à l'aide d'un mouchoir tenu bout à bout; les autres danseurs agissent de la même façon, puis, chaque danseur ayant sa danseuse, la cérémonie se termine par un fandango.


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Santurce

Mais voici l'heure de la corrida, sans laquelle, de l'autre côté de la Bidassoa, aucune fête ne serait complète. Une véritable course avec accompagnement obligatoire de taureaux et de chevaux à sacrifier coûte cher, c'est un luxe que beaucoup de villages ne peuvent s'offrir; de là les Novilladas, plus simples, plus économiques, où les taureaux sont d'ordinaire remplacés par des bovillons. La cuadrilla est moins élégante que dans les villes, les diestros moins habiles, l'enthousiasme n'en est pas moindre pour cela et au moment où la bête, dans les funciones classiques doit être mise à mort, sur un signe du président de la fête, l'animal est entraîné hors de l'enceinte, au grand bonheur de l'entrepreneur de la course, qui ne cesse de craindre qu'il ne soit plus ou moins écharpé. Puis la cérémonie se poursuit, se termine invariablement par l'entrée dans le cirque d'une vache, les cornes munies de boules, et tout le monde descend dans l'arène pour lui courir sus. Gare à l'imprudent qui l'approche de trop près, il est bien souvent renversé, piétiné; mais d'ordinaire il se relève prestement en se frottant les côtes et en essayant de garantir des regards moqueurs le fond de sa culotte déchirée. Les danses se renouvellent le soir et la fête se clôt par la course du toro de fuego. Le toro de fuego consiste en une armature de bois sur laquelle est appliquée la peau et la tête d'un taureau, piquées de chandelles romaines.


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Trois hommes chargent ce mannequin sur leurs épaules et se précipitent avec leur fardeau sur la foule qui les entoure. Les fusées éclatent, projetant leurs lumières de tous côtés. Plus le bruit est grand, plus la bousculade est forte, mieux cela vaut. Le toro de fuego est une institution de la plus haute antiquité. Lors de la visite de Charles IX à Bayonne, les habitants de la ville avaient emprunté ce divertissement à leurs voisins espagnols qui le pratiquaient déjà depuis nombre d'années.

M. de Bu^on, pinxt.

Paysan biscayen

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CHAPITRE VIII

De Deva à Durango, Onate et Guernica Elgoibar, Mal^aga; Eibar, ses fabriques d'armes, son ermitage d'Arrieta; Ermna, Zaldivar; Durango, ses églises, ses curiosités; Abadiano, Elorrio, sa croix de pierre; Vergara, le général Espartero et le cabecilla Marato, l'église San Pedro et le Christ en croix, sculpture de Montanes; Onate, son université, son église, procession de la fête-Dieu; Amorebieta; Guernica; le chêne des libertés basques; le château d'Arteaga.

C'est de Deva qu'il convient de faire le pèlerinage obligatoire de Guernica d'autant plus qu'un embranchement de chemin de fer y conduit aussi bien qu'une route carrossable; mais celle-ci est beaucoup plus longue et beaucoup moins directe. La voie de fer après avoir quitté Deva atteint Elgoibar, Malzaga, puis Eibar, siège de la plus importante fabrique d'armes à feu du nord de l'Espagne, où l'on est littéralement assourdi par le bruit des marteaux. La solide église d'Eibar, édifiée au XVIIe siècle, est noble et pleine de caractère ; au-dessus de la ville qui compte près de 7.000 habitants, sur les pentes boisées de la montagne d'Arrieta se trouve un pittoresque ermitage, but d'un pèlerinage qui y amène dans la première semaine de septembre une foule nombreuse. Enfin Eibar est le pays d'origine des ZuDurango. — Le calvaire


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loaga, cette dynastie d'artistes en tous genres qui y habitaient naguère un délicieux palacio du XVIe siècle. On gagne ensuite Ermua, où se trouve un vieux manoir, propriété des marquis del Val de Espina; Zaldivar situé dans un site des plus pittoresques, qui possède un assez primitif établissement de bains salins ; et l'on arrive à Durango, petite ville de 4500 habitants, au fond d'un bassin que dominent de hautes montagnes. Si Durango n'a plus ses vieilles murailles, elle a encore les quatre portes de son ancienne enceinte, son église de San Pedro de Tavira et sa croix de pierre sculptée, monument vénérable s'il en fut. Durango renferme un autre vestige des temps plus reculés encore, une sorte de rhinocéros taillé dans un énorme bloc de pierre, un globe à ses pieds, surchargé d'inscriptions et de figures que personne, jusqu'à présent, n'est parvenu à déchiffrer. De Durango, par la route, on peut, en faisant un crochet et revenant vers le nord, se rendre à Vergara en passant par Abadiano aux palacios à fastueux écussons, puis par Elorrio, situé au fond d'une petite vallée entre les montagnes de Campazar et d'Urdaliz, arrosé par un modeste cours d'eau qui actionne de nombreux moulins. A l'entrée du village, se dresse un curieux calvaire de pierre — moins intéressant néanmoins que celui de Durango — montrant d'un côté le Divin supplicié et de l'autre, la Vierge, le corps de son fils sur les genoux; au-dessous dans les arcatures, sont placées des statuettes de saints. Vergara est un charmant pueblo, célèbre depuis le convenio signé en 183g par le général Espartero et le cabecilla Maroto — considéré comme un traître par ses soldats — qui mit fin à la première guerre carliste et contraignit le Prétendant à se réfugier en France. Le pueblo a l'aspect d'un village suisse, avec ses ruisseaux qui coulent de tous côtés. L'église San Pedro, lourde et massive, renferme dans une de ses chapelles un très beau Christ agonisant en bois, du célèbre Martinez Montahes et, dans son collège, un Saint Ignace de Loyola, également taillé en bois à la fin du XVIe siècle, par Gregorio Fernandez. Au sud-est de Vergara se trouve Onate, que l'on gagne par une route suivant d'abord les bords de la petite rivière de la Deva et ensuite ceux d'un de ses affluents, en passant par Zubillaga. On peut encore s'y rendre du chemin de fer d'Irun à Madrid en descendant à la station d'Ormaiztegui et en prenant là une voiture qui vous y conduira par une route quelque peu rude, franchissant la sierra de las Vénéras. Onate qui compte plus de ô.coo habitants, a été le siège d'une vénérable université créée en 1541 par Rodrigo Sanches de Mercado, évêque d'Avila, complètement tombée depuis longtemps. Alors qu'il occupait les provinces


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Onate.

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Le cloître.

Cliché communiqué par M. Martinet

basques, Don Carlos voulut la rétablir et y fonda des chaires de théologie, de jurisprudence, de droit canon et de philosophie; la reprise des cours eut lieu le 17 décembre 1874 et l'Université fonctionna tant que le Prétendant fut dans le pays. Le palais de l'Université, fermé de nouveau, est un monument de l'époque de la Renaissance, composé de deux corps de bâtiments carrés, orné de colonnes cannelées, agrémentées à leur base de chimères et de centaures ; dans des niches percées dans les murailles s'alignent des statues de saints; sous un large cintre au-dessus de l'entrée, une figuration du fondateur agenouillé, les mains jointes. L'escalier intérieur, qui donne accès à l'étage principal, est dominé par un plafond en bois de châtaignier des plus délicatement ouvragé. Néanmoins ce qu'il y a encore de plus intéressant à Onate, c'est son antique église avec son superbe retable aux innombrables sculptures et le curieux cloître qui l'entoure. « Bâti » écrit M. Lange, « au-dessus d'un petit affluent de la Deva qui arrose la ville, il est suspendu entre ciel et terre et cette position singulière, la vue des eaux que l'on domine comme d'une terrasse, leur léger murmure en fuyant le long des piliers, l'humidité qui s'en dégage et


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retombe en pluie sur les dalles, donnent au lieu tranquille et solitaire, je ne sais quel charme, quelle poésie pénétrante. ». Chaque année, on célèbre à Onate la Fête-Dieu avec une grande solennité. Dans la procession figurent Notre Seigneur et les douze apôtres, précédés de l'archange Saint Michel. Inutile d'ajouter que cette cérémonie attire une affluence considérable. Après Durango, où il nous faut revenir, la voie descend la vallée et atteint Amorebieta — d'Amorebieta, après avoir traversé Zugastieta et Mugica un embranchement conduit à Bilbao, par Lemona; — quinze kilomètres plus loin, c'est Guernica, la cité sainte des Basques, où se trouve le fameux chêne sous lequel, de tout temps, était prêté par les députés euskariens le serment d'obéissance aux fueros. Le vieil arbre mort est enfermé dans une cage de fer vitrée et un plus jeune a été planté tout près, pour le remplacer. Cet arbre célébré par Jean-Jacques Rousseau, glorifié par Tirso de Molina, salué par nos armées

lors

des

cam-

pagnes de la République Française

en

Espagne

comme le premier arbre de la liberté, n'est plus hélas !

qu'un " symbole,

l'allégorie

des

libertés

des trois provinces. C'éOnatC. - Extérieur de l'église

Cliché communiqué ;ur M. Martinet

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à leurs souverains le droit de les protéger : « Nous qui voulons » leur disaient-ils «et qui pouvons plus que vous, nous vous faisons notre seigneur, pour que vous nous protégiez et que vous nous conserviez nos fueros, sinon, non. » Guernica, non pas une ville, pas même un bourg de moyenne importance, n'est qu'un humble village de cinq cents habitants; mais, à côté de son vieux chêne, du jeune qui est destiné à le remplacer, son palais — oh, si pauvre palais ! — renferme les archives où se trouvent les fueros, et sa vieille, église Santa Maria, bâtie au XVe siècle, avec sa vénérable statue de la Vierge, demeure le sanctuaire vénéré entre tous par les Basques; c'est sous ses voûtes que se tiennent les congrès de leurs représentants. Jadis on y voyait la collection des portraits en pied des seigneurs de Biscaye, accrochés aujourd'hui dans le palais dont il vient dJêtre question. Inutile de revenir sur l'hymne d'Iparaguirre, Guernicako arbola, nous en avons suffisamment parlé. Tout proche de Guernica s'élève au milieu d'un beau parc le château d'Arteaga accointé d'un donjon crénelé, que l'on découvre de plusieurs lieues à la ronde. Ce castillo édifié en 914, détruit en 1358 par le roi Pierre le Cruel, reconstruit au XVIIIe siècle et alors muni de canons, rasé une seconde fois, a été, il y a une soixantaine d'années, Cliché communiai que fc M. Martinet restauré ou plutôt reconRetable de l'église Onate.

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struit par deux architectes français, Gouvrechef et Ancelet, dans le style gothique avec des adjonctions delà Renaissance accommodées aux exigences modernes. Voici à quelle occasion; la Junte de Guernica, se souvenant lors du mariage de l'empereur Napoléon III avec Dona Eugenia de Montijo, que celle-ci, par sa mère, descendait des Arteaga, décida le 17 juillet 1856, de donner au prince impérial, LouisNapoléon, le titre de citoyen basque. L'Empereur et l'Impératrice reçurent avec bienveillance les députés des provinces euskariennes chargés de leur apporter ce décret, et voulant leur accorder un témoignage de leur gratitude, décidèrent la restauration de l'ancienne proCliché Ducourau priété des Arteaga. Hélas ! celui Guernica. — Le chêne des libertés basques ... . . qui devait en être le propriétaire, qui sans doute, de temps en temps, serait venu y passer quelques jours est disparu dans un guet-apens, à l'extrémité du continent africain. La demeure seigneuriale endeuillée est seulement habitée ou, pour parler exactement, surveillée — elle n'est même pas meublée, — par un intendant qui loge dans un petit pavillon tout proche. De Guernica, on peut, à son choix, par le chemin de fer de la côte, continuer jusqu'à Pedernales, rejoindre Bilbao ou San Sébastian, ou même Zumarraga sur la ligne d'Irun à Madrid. Maintenant si l'on préfère faire l'excursion de Vergara, Durango et Guernica, à pied, en voiture ou en automobile, une route de Deva qui suit la rivière par Elgoibar et Placencia mène à Vergara, —inutile de revenir sur la. course à Onate, — de Vergara, par Elgueta, Elorrio et Abadiano, à Durango, de Durango à travers des régions boisées où courent de nombreux ruisseaux, à Guernica. Enfin de Guernica, un bon chemin conduit à Bilbao par Mugica, Amorebieta et Lemona.


Cliché Ducourau

V Urumea à la sortie de San Sébastian

CHAPITRE IX

De San Sébastian à Vitoria; de Vitoria à Bilbao et à Durango. De San Sébastian à Ernani; Ernani, la grande rue, la place, l'Ayuntamiento, l'église, tombeau de Juan de Urbiela; Andoain; Tolosa, cérémonie funèbre dans im couvent de femmes, statues naturalistes; Alegria, prospérité du Guipu\coa; Isasondo; Beasain, institution municipale de danse; vallée d'Ormai\tegui; Zumaraga; Villarreal, statue de José Maria Iparraguirre, le barde Iparraguirre et son chant de Guernicako Arbola; vallée de Laga\pia, gorges de San Adrian, vallée de Borunda; Alsasua, Ala\agutia, villages de la province d'Alava; Salvatierra, Alegria, plaines de l'Alava; Vitoria, la ville, son aspect, ses monuments, œuvres d'art, le machete vitoriano; églises romanes d'Armentia, d'Estibali\; de Vitoria à Bilbao par Arriaga, Zaitegui, Murguia, les monts cantabriques et Amurrio; par Villarreal de Alava, la sierra de Gorbea, Ubidea, Cianuri, Villaro et Lemona; à Durango par le col d'Ochandiano ; de Vitoria à Bilbao par Miranda de Ebro, la vallée de Bayas, Pobes, I\arra, Gujuli, Le\ama, Orduiïa, Malato, Arrieta, los Dos Caminos.

De San Sébastian, la première course à faire est une excursion à Ernani. Un tramway électrique y conduit, aucune excuse pour ne point le prendre. Après avoir traversé les quartiers neufs de la perle de l'Océan, il atteint les bords de l'Urumea, qu'il côtoie un certain temps; la rivière tantôt large, tantôt


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étroite, selon les heures de marée, borne d'un côté, des coteaux verdoyants et de l'autre, des plaines ensemensées de maïs. Ça et là, apparaissent quelques métairies. On traverse de courts tunnels et à chacune de leurs sorties, la vue s'étend de plus en plus belle, montant de la plaine aux sommets déchiquetés des monts cantabriques, s'arrôtant à mi-chemin sur les bois, les futaies piquées de place en place de joyeuses maisons basques. Le tramway s'arrête souvent à la rencontre d'humbles hameaux, passe et repasse l'Urumea qu'égaient des groupes de laveuses dans l'eau jusqu'à la ceinture et qui n'en jacassent pas moins pour cela; il côtoie des usines, assez nombreuses dans cette région métallurgique, rejoint ensuite la carretera, que couvre de poussière, une de ces vieilles pataches antédiluviennes, dont le bruit des grelots des mules arrive aux oreilles des voyageurs du tramway. La voie monte ensuite jusqu'à Ernani dont la silhouette se profile sur la hauteur, à gauche. On est arrivé ; de gare, il n'y en a pas, ou si peu ! Immédiatement, on se trouve dans la calle Mayor, qui rappelle par bien des côtés, celle de Fontarabie, avec ses hautes et rébarbatives maisons de pierre, aux toits avancés, aux balcons de fer ouvré, aux fenêtres grillées, aux lourds et fastueux écussons à lambrequins énormes, dont les rez-de-chaussées, sombres et mornes, n'offrent qu'une large porte surbaissée. Au bas de la calle Mayor, dont la déclivité est grande, sur une petite place, se dresse un couvent à porche gothique, surmonté d'un clocheton à Ernani. - Calle Mayor Cliché communiqué far M. Martinet . h pans

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une place plus vaste, bordée de maisons d'assez belle apparence, peintes en blanc et en bleu, se trouve l'Ayuntamiento à prétentions monumentales avec ses arcades, ses balcons à balustres de pierre tournés, ses fenêtres à fronton, ses pinacles et ses cassolettes ; tout contre, c'est l'église, couleur jaune safran, accolée à droite de son clocher. Sa façade montre un porche orné de colonnes, d'un frontispice et de trois statues, dont celle de Saint Jean-Baptiste, le patron de la paroisse, sur le tympan. L'intérieur de l'édifice, vaste, haut et assez sombre, ne laisse qu'entrevoir à droite et à gauche, des chapelles décorées de hauts retables, et au milieu, celui du chœur, à trois corps, tous peints et dorés. Dans le mur de gauche de la nef, une sorte de cadre en pierre sculptée, domine le tombeau de Juan de Urbieta, qui aurait fait François Ier prisonnier à la bataille de Pavie. On peut y lire une longue et hyperbolique inscription en l'honneur de ce valeureux chevalier « la terreur des Français ». De San Sébastian à Tolosa — que le trajet se fasse en chemin de fer ou par la route, — des deux façons il est charmant ; mais néanmoins bien préférable par la route ; — on longe d'abord la Concha, cette baie délicieuse, avant d'entrer dans un petit vallon où coule l'Oria; on atteint ensuite successivement Lasarte, Andoain agripé sur les pentes verdoyantes d'une colline dont l'église domine tout le pays environnant, au-dessus du confluent du Leizaran et de l'Oria. On laisse ensuite à droite Soravilla, Aduna, Cizurquil, on traverse Villabona, Irura, Anceta, toujours côtoyant l'Oria aux flots clairs et babillards et Cliché communiqué par M. Martinet l'on atteint Tolosa. Eglise et Casas Consistoriales Ernani.


Cliché communiqué par Don Tirso de Ola-zabal

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lolosa, 1 ancienne capitale du Guipuzcoa, attachée à ses fueros, carliste par amour de la liberté, est située sur la rive gauche de l'Oria dans une verdoyante vallée, formée par les monts Izazcun et Montescue. La ville, nette, propre, bien tenue, malgré ses rues étroites aux hautes maisons, plait et donne, sans doute à cause des villas qui la ceinturent, une sensation de bien-être que l'on ressent rarement dans les cités espagnoles. Si vous traversez la rivière, entrez dans la vaste et sombre église que vous trouverez tout de suite après le pont, à votre gauche, sur le chemin de la Navarre. Si le hasard veut que ce soit un jour de fête de la communauté, — l'église appartient à un couvent de clarisses — vous y verrez une de ces figurations terribles auxquelles se complait la dévotion espagnole, plus accessible aux sens qu'aux idées. Sur une table, dressée au haut de la nef, une planche pour mieux dire, soutenue sur deux tréteaux, recouverte d'un drap noir, entourée de six cierges de droite et de gauche, est étendue une robe de religieuse à plis rigides, avec la ceinture de corde à nœuds et le rosaire à gros grains, le capuchon rabattu sur une tête de mort. Un tel spectacle n'a rien d'étonnant en Espagne, et le Basque est bien Espagnol de ce côté. Dans les statues et les autres figurations qui remplissent ses églises et ses chapelles, il témoigne des plus pures aspirations spiritualistes, combinées avec le terre.à terre de l'existence et le prosaïsme de la vie; ce qui le

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3 Beasain. — La procession à Vermitage de San Martin de Sainaç

Cliché communiqué par Don Tirso de Olaçabal

frappe, ce sont les images palpables, parlant à tous : le Christ pantelant sur le gibet, un saint déchiré par ses bourreaux. Toute scène d'agonie aura toujours pour cette race primitive, un attrait particulier. Après avoir quitté Tolosa, la carretera gagne Alegria que la voie ferrée laisse à gauche, florissant village où l'industrie a établi une papeterie et. une fonderie. Depuis quelques années, des fabriques, se sont établies de tous côtés dans le Pays Basque pour le plus grand avantage de la région. Le Guipuzcoa, qui en 1877, renfermait tout au plus 167,000 habitants, en compte aujourd'hui au moins 200,000, soit 63 par kilomètre. Ce ne sont partout que chûtes d'eau captées, hautes cheminées d'usines, belles routes que sillonnent des véhicules de toutes sortes, des cavaliers, des piétons ; rivières enjambées par des ponts solides. A tout instant apparaissent des blanches fermes, de gaies métairies entourées de vergers plantés de pommiers, de champs de blé ou de maïs. C'en est fini de l'époque où les routes n'étaient que des sentiers défoncés, les terres,


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des landes incultes, où les chemins de fer ne partaient qu'avec une irrégularité désespérante et n'arrivaient qu'après des heures et des heures de retard. Tout cela n'est plus que de la légende. Après Alegria, la voie traverse de nombreux tunnels succédant les uns aux autres, sans trêve ni interruption, avant d'atteindre Beasain. Pour la carretera, côtoyant la rivière, elle passe à Icazteguieta Legorreta, Isasondo à la curieuse maison peinte extérieurement à fresques, Villafranca, encore entourée de ses vieilles murailles; Beasain apparaît ensuite avec ses deux vastes églises et ses trois ermitages. Ce bourg, comme nombre d'autres environnants, Andoain, Beris, etc., entretient un maître de danse, — car la danse n'est pas moins en honneur dans le Pays Basque espagnol que dans le Pays Basque français — chargé de former parmi la jeunesse du village, des danseurs modèles qui figurent dans les cérémonies religieuses, les processions, les fêtes patronales, les anniversaires patriotiques, Après Beasain, c'est la vallée et le bourg d'Ormaiztegui qui a vu naître dans son palacio d'Iriarte Eudicoa, le général carliste, le valeureux Zumalacarregui. Voici Zumarraga dont la massive église est en partie enclose dans un intéressant cloître à préau couvert. On y accède par un beau portail; à l'intérieur, elle offre de hautes colonnes, de riches et luxueux retables. Zumarraga n'est séparée de Villarreal que par la petite rivière de l'Urola. Villarreal bâtie sur les pentes de l'Irimeo, est dominée par la curieuse et lourde maison de l'ancienne famille des Ipiharrieta, édifiée en 1602, par Cristobal de Ipinarrieta, chevalier de Calatrava, secrétaire particulier de Philippe III. Son église renferme une relique des plus vénérées, le corps de Sainte Anastasie, vierge et martyre, née à Jativa dans la province de Valence. Sur la place de Villarreal, s'élève le monument élevé à José Maria Iparraguirre, l'auteur de l'hymne de Guernicako Arbola. Il consiste en une statue, œuvre de Don Francisco Front, dressée sur un socle de pierre, représentant debout, le barde Basque, les cheveux au vent, la main appuyée sur sa guitare. Inaugurée en septembre 1890, elle porte l'inscription que voici : JOSE MARIA YPARRAGUIRRERI BERE JAYOTERRIAK EUSKAL-ERRI GUZTIAK BAITA ERE ERBESTEETAN SAKABANATUTAKO ESKEINTZEN DIOTE OROIPEN AU MDCCCLXXXX.


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Ce qui peut se traduire : « A José Maria Iparraguirre, Sa ville natale, Le Pays Basque tout entier, Et « les Basques dispersés à l'étranger, ont dédié ce monument, MDCCCLXXXX.» Sur le côté droit du socle, on lit : EUSKAL-ERRIAHEN OROIPENA

c'est-à-dire : « Souvenir du Pays Basque. » « Iparraguirre, pauvre berger dans une humble ferme de Zumarraga », écrit Don Pedro de Egana, « était parti pour la guerre — dans les troupes carlistes — dès le début de la campagne ; grièvement blessé et incapable de tout service actif, il dut prendre rang dans le corps des hallebardiers de Don Carlos. Le convenio survenu, il refusa d'y adhérer et pendant plus de vingt ans demeura en exil...» De retour dans les provinces, il se fit musicien ambulant, parcourut le pays en chantant des chansons sur les fueros dont il était l'auteur, qui suscitèrent l'enthousiasme général. Cet enthousiasme effraya le gouvernement; pour la seconde fois, il expulsa le malheureux Iparraguirre qui alla mourir de misère à Montevideo. Son hymne de Guernicako Arbola a reçu dans maints combats le baptême du feu. Pour les carlistes, il est devenu le symbole de leurs libertés, il représente l'esprit de leur race, le culte de leurs traditions séculaires. En sortant de Villarreal, on entre dans la vallée verdoyante de Legazpia, puis on traverse Brincola, Cegama, dont l'église paroissiale renferme les restes de Zumalacarregui, le héros des premières guerres carlistes, dont la mort survenue à la suite d'une blessure reçue au siège de Bilbao, en 1835, fut une perte irréparable pour son parti. De Cegama, on peut se rendre à la gorge de San Adrian, enserrée entre deux murailles de rochers. En avant d'une autre paroi verticale de près de 80 mètres de hauteur, s'ouvre une caverne longue de 85 mètres, traversant la montagne de part en part et conduisant à l'ermitage du même nom, construit au sommet d'un pic de plus de i5oo mètres. De cet ermitage, la vue est superbe ; elle l'est encore davantage, d'un peu plus haut, s'étendant sur la Navarre, l'Alava, atteignant Vitoria, les bords de l'Ebre, jusqu'aux défilés même de Pancorbo, dans la Vieille Castille. Le pays devient de plus en plus accidenté. Ce ne sont que hautes montagnes, vallées étroites, torrents furibonds ; les crêtes couvertes de neige aux


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lignes tantôt raides, tantôt ondulées, se montrent de tous côtés. On monte, on descend par des courbes continuelles, à travers des pentes boisées, hérissées de rochers auxquels s'accrochent de loin en loin, quelques misérables masures. Bientôt la carretera et la voie ferrée, franchissent la ligne de séparation de la province de Guipuzcoa et de l'ancien royaume de Navarre, descendant dans la vallée de Borunda, où elles atteignent Alsasua, gros bourg, entouré d'arbres et de prairies. On passe ensuite à Olazagutia, dominé par sa haute et massive église carrée, sans fenêtres. A Giordia, les deux voies quittent la Navarre pour entrer dans la province d'Alava. Les premiers villages que l'on rencontre sont Eguino, au pied du mont Olano, Harguren, Andoain, Albeniz, Araya où, après avoir franchi le rio Borunda, on accède dans la vallée de Zadorra. Après Zadorra, apparait Salvatierra, aux murailles démantelées pendant les guerres carlistes ; Alegria, petite ville d'origine romaine où passait la voie antique d'Astorga à Burgos. La plaine a remplacé les défilés de la montagne; des plus étendues et des plus fertiles, malgré le manque d'arbres, elle est bornée, à droite, par les derniers contreforts de la vallée de Arlaban, qui laissent apercevoir dans le lointain, les ruines d'un château-fort, construit au XVe siècle, sur le modèle, dit-on, du palais Saint-Ange de Rome, détruit en 183g par les carlistes, et, sur une autre éminence, les reste d'une forteresse ayant appartenu aux comtes de Salvatierra. Mais voici Vitoria. Nous ne sommes pas un guide, nous ne décrirons donc pas Vitoria par le menu. Comme nombre de cités espagnoles, elle se divise en ville vieille et en ville neuve. La vieille ville, bâtie sur une éminence, aux rues étroites et raides, renferme diverses églises intéressantes : San Miguel, en partie du XIIIe siècle, dont le grand retable échafaudé et sculpté par Juan Vazquez et Gregorio Fernandez est des plus remarquables ; la cathédrale Santa Maria, du XIVe ; une troisième église, dont le nom nous échappe, au beau porche latéral gothique, renfermant un tombeau du XVIe siècle, dont le couvercle supporte la statue couchée en bronze d'un gentilhomme sous le harnois de guerre, d'un très beau travail. La ville neuve, aux larges rues tirées au cordeau, bordées de constructions à quatre ou cinq étages, garnies de miradores — il est impossible, croyonsnous de rencontrer nulle part un plus grand nombre de ces balcons — offre une place de la Constitution enfermée dans un quadrilatère de maisons à arcades d'un bon aspect. Vitoria sera bientôt dotée d'une nouvelle cathédrale, de proportions grandioses, construite dans le style gothique des Rois Catholiques, dont la nécessité ne semblait pas impérieuse ici, où l'on rencontre pas mal d'édifices


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religieux désaffectés, témoin le remarquable vaisseau ogival croulant, qu'il aurait été si facile de restaurer, dans le bas de l'ancienne ville. Vitoria, ce qui n'a rien d'étonnant, n'a pas de musée. Le palais de la Deputacion provincial montre quelques toiles, un Saint Pierre, un Saint Paul et un Christ en croix de Ribera. C'est peu, mais si la chance vous permet d'être reçu chez le marquis de la Alamada, vous admirerez dans le grand salon de son palacio, un Saint Pierre pénitent du Greco et surtout un portrait en pied, de chasseur, par Murillo, une des plus exquises et des plus complètes productions du maître. Vitoria renferme, chose rare en Espagne, — il est vrai que nous sommes

Cliché communiqué par Don J. Veraslcgui

Armentia. — Sculpture de l'église

encore dans le Pays Basque — d'ombreuses promenades ; une même, la Florida, au centre de la ville, des mieux entretenues, plantée d'arbres superbes et décorée de beaux massifs de fleurs. Faut-il parler maintenant du fameux machete vitoriano, le glaive victorien conservé religieusement dans les Casas Consistoriales, sur lequel le gouverneur de la cité jurait jadis de remplir sa charge d'après les règlements édictés par les fueros, sous peine d'avoir la tête tranchée par ce même machete? Faut-il également rappeler que dans la plaine qui entoure Vitoria, le 21 juin I8I3, Wellington infligea une sanglante défaite aux armées françaises?


Beasa in

A trois ou quatre kilomètres tout au plus de la ville, se trouve Armentia, jadis cité importante, alors que Vitoria n'existait pas encore; Armentia qui compta, paraît-il, plus de 20.000 habitants et n'est plus aujourd'hui qu'un misérable hameau, renferme toujours sa superbe basilique Cliché communiqué par Don Tirso de Olaçabal romane. Malheureusement, comme dans la seconde partie e du XVII siècle, le monument menaçait ruine, en 1676, on entreprit de le restaurer, naturellement on l'outragea odieusement. N'importe! Tel quel, le vénérable sanctuaire montre encore aujourd'hui des parties du VIIIe et du XIIe siècle, d'un intérêt capital, particulièrement son porche, avec ses sculptures de caractère byzantin. Plus délabrée, plus misérable, plus abandonnée que l'église d'Armentia, est celle d'Estibaliz, quelque peu plus éloignée de Vitoria, du côté opposé, au sommet d'une éminence. Il n'en reste pour ainsi dire que des ruines, ruines grandioses d'une église ayant fait partie d'un monastère de bénédictins, appartenant à la première et aussi à la dernière période du style roman, comme d'ailleurs la basilique d'Armentia. L'église de Villafranca, petit bourg situé un peu plus loin, au sud, montre dans une niche, percée au-dessus de son autel, une statue de la Vierge, en mar-

Cliché communiqué par Don J. Veraslegui

Estibalij. — Porte de l'église

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bre, provenant du sanctuaire d'Estibaliz, qui est, paraît-il, un spécimen des plus curieux de la statuaire du Moyen Age dans ces régions. Mais, comment en juger, recouverte qu'elle est de vêtements de soie et de velours, qui cachent complètement ses formes ? De Vitoria, des routes plus ou moins bonnes, conduisent à Bilbao et à Durango. Pour Bilbao, on a le choix entre deux et même trois, si nous comptons la voie ferrée de Miranda à la capitale de la Biscaye, dont nous allons parler tout à l'heure. La première passe par Arriaga, Zaitegui, Murguia, escalade la cordilière cantabrique, qui sert de ligne de partage aux eaux qui se jettent dans l'Océan ou laMéditerrannée et aboutit à Amurrio, où l'on peut, soit prendre le chemin de fer, soit suivre la carretera de Saragosse à Bilbao, qui se côtoient pour ainsi dire. La seconde route, en quittant Vitoria traverse des plaines des mieux cultivées, franchit le rio Zadorra, passe à Gamarra Mayor, enjambe à plusieurs reprises le rio Urquiola et arrive au gros bourg de Villarreal de Alava ; elle monte ensuite au sommet de la sierra de Gorbea qu'elle franchit au col de Barasar, redescend — nous ne comptons plus les petites rivières qu'elle traverse — à Ubidea, Gianuri, Villaro, Lemona, laisse à droite Galdacano et arrive à Bilbao. La route de Durango, jusqu'en vue de Villarreal de Alava, est la même que celle de Bilbao, elle bifurque alors à droite, remonte le cours du rio Urquiola, traverse la montagne par le col assez rude d'Ochandiano, descend dans la vallée de Maharia, des mieux arrosées et des plus fertiles, laissant à droite Durango. Pour aller de Vitoria à Bilbao en chemin de fer, il faut d'abord emprunter la ligne del Norte jusqu'à Miranda de Ebro, puis, de là, prendre la ligne de Saragosse à Bilbao. Ce moyen, plus rapide que les autres, n'en est pas pour cela moins pittoresque. A partir de Miranda, la voie s'engage dans la vallée du Bayas, qui emprunte son nom à un petit torrent se frayant un passage à travers les rochers. La ligne laisse à gauche l'antique castillo de San Pelayo, atteint Pobes, où l'arrière garde de l'armée française fut vaincue par Wellington en juin 1813 ; elle franchit le Bayas dont elle suit ensuite les sinuosités, laisse à droite Apricano dominant un énorme cirque, passe devant Catadiano et Anda, aux églises fortifiées ; monte à Izarra, d'Izarra à Gujuli où la ligne atteint son point culminant, Ô25 mètres, pour redescendre au milieu des pins, des chênes, et des châtaigniers, en traversant d'incessants tunnels jusqu'à Lezama, dont les hameaux dispersés, sont à demi cachés sous les arbres. Après d'innombrables rampes, on arrive à Orduha que l'on aperçoit depuis un temps infini, dont on s'approche


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et s'éloigne tour à tour, à des hauteurs sans cesse diminuant. Ordurïa n'est plus qu'une ville morte, son mur d'enceinte n'a plus sa raison d'être, plus rien à défendre; au fond de son cirque, que des hauteurs commandent de tous côtés, elle achève de mourir. La voie continue de descendre, passe à Amurrio, sur le Nervion, que le chemin de fer franchit à Luyando, tout proche du fameux arbre Malato, où devaient s'arrêter les troupes castillanes auxquelles il était interdit d'aller plus loin, depuis la victoire remportée au IXe siècle, par les Basques sur les Espagnols à Arrigorriaga, où l'on arrive ensuite et dont l'église fut bâtie en commémoration de cette mémorable victoire ; à Arrieta à la porte triomphale décorée d'écussons, surmontée à son milieu d'un Christ en croix, accompagné sur ses côtés des statues de la Vierge et de la Madeleine. Un peu plus loin, c'est le bourg de Zaratamo. Le paysage continue d'être des plus accidentés, des plus pittoresques, peuplé de maisons de campagne, de villas, annonçant les approches d'une grande ville. On atteint enfin Dos Caminos, que l'on peut presque considérer comme un faubourg de Bilbao.


CHAPITRE X

De Villarreal à Azpeitia; d'Azpeitia à San Sébastian et Bilbao Route d'Azpeitia; la ville, les fabricants de sandales; les vieilles maisons, église San Sébastian où fut baptise' Saint Ignace de Loyola, église Nuestra Senora de la Soledad, église et monastère de Loyola, maison natale de Saint Ignace de Loyola, fête du saint le 28 juillet; retour d'Azpeitia à San Sébastian ou Bilbao.

C'est ordinairement de Villarreal que l'on se rend à Azpeitia qui a vu naître Saint Ignace de Loyola. La route s'engage dans une gorge sauvage creusée par l'Urola, occupée par des champs de maïs, des bois de chênes, parsemée de métairies aux murs noirs et aux toits bas. Au bout de moins d'une vingtaine de kilomètres, après de nombreux détours, le défilé s'ouvre et l'on arrive à Azpeitia. La ville, qui compte à peu près 7000 habitants pour la plupart fabricants de sandales, que l'on voit travailler sur le pas de leur porte, n'a plus l'importance dont elle a joui jadis. Ses murailles, ses quatre portes ont disparu ; ses anciennes Casas Consistoriales ont été transformées en Un c,iM "mmumqui v» M. Mar,i"" Sanctuaire'de Loyola. - Vue extérieure


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Cliché communiqué par M. Martinet

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Sanctuaire de Loyola. — Vue intérieure

vulgaire grenier public; elle a néanmoins conservé ses antiques maisons à portes surmontées d'écussons et à fenêtres à meneaux ; ses deux églises. La première, San Sébastian de Sareasu, de style gothique, mais avec un portique classique du au célèbre architecte Ventura Rodriguez, à l'intérieur à trois nefs, séparées par des piliers élancés en marbre, montre-un retable des plus riches et des plus importants, le sarcophage d'un évêque de Tuy, et surtout les fonts baptismaux sur lesquels Saint Ignace reçut le baptême, comme en témoigne l'inscription que voici : EMENCHEN BATIATUBA NAIZ

« C'est ici que j'ai été baptisé » La seconde église d'Azpeitia, Nuestra Senora de la Soledad, renferme le curieux tombeau de Don Nicolas Saenz de Elola son fondateur. Mais hâtons-nous d'arriver à la Santa Casa; une route traversant l'Urola sur un des trois ponts qui relient Azpeitia à Azcoitia, dont il va être question plus loin, y conduit. C'est une affaire de quelques minutes.


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La merveille du Guipuzcoa, comme on la nomme, élevée en 1683, par ordre de Marie-Anne d'Autriche, veuve de Philippe IV, par le fameux architecte italien Fontana, appelé à cet effet, étonne plus qu'elle ne conquiert. L'édifice consiste en un vaste parallélogramme rectangulaire, accolé de deux ailes, de ce lourd et fastueux style romain, affectant plus ou moins, en perspective cavalière, la forme d'un aigle. L'église construite en rotonde, dominée par une coupole soutenue par huit colonnes en pierres de 21 mètres de diamètre et éclairée par autant de fenêtres, atteint 56 mètres d'élévation. Malgré son luxe, sa richesse, ses dorures, ses marbres, malgré les chérubins joufflus, les têtes d'anges cravatés d'ailes, les palmes, les flammes, les volutes, les cassolettes, les urnes, répétés à profusion, à tout propos et hors de propos, l'intérieur de ce temple émeut encore moins que son extérieur. Tout au contraire, il déroute et trouble, n'inspirant guère le recueillement et la piété. La partie la plus intéressante de la Santa Casa est incontestablement la maison natale du saint, où il fut transporté après avoir été blessé au siège de Pampelune. Enfermée dans les bâtiments construits par Fontana, elle consiste en un ancien castillo démantelé sous Henri IV de Castille, formé de larges assises grises jusqu'au premier étage, reconstruit ensuite en briques rouges en

Sanctuaire de Loyola. — Les degrés de l'escalier.

Cliché communiqué par M. Martinet


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forme de losanges réguliers, ses quatre angles flanqués de petites tourelles en encorbellement. Au-dessous de l'ogive de la porte d'entrée sont sculptées les armes des Loyola : deux lions affrontés, séparés par un vase en forme de

chaudière, suspendu

au

bout d'une chaîne tombant au bas de l'écu. Au dessous on lit : CASA SOLAR DE LOYOLA AQUI NACIO SAN IGNACIO EN

1491

AQUI VISITADO POR SAN PEDRO Y LA SANTISIMA VIRGEN SE ENTREGO A DIOS EN I

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Ce qui peut se traduire : « Maison de la famille Loyola, Ici naquit Saint Ignace en 1491, Il y fut visité par Saint Pierre, Et la très La Santa Casa

Cliché communiqué par M. Martinet

Sainte Vierge, Il s'y consacra à Dieu en 152i. »

Au second étage de la tour qui accointe la maison, se trouve la chambre où vit le jour le fondateur de la compagnie de Jésus, transformée en chapelle. Cette pièce, au plafond excessivement bas, est divisée en deux parties par une grille dorée; d'un côté, l'autel surmonté de la statue du saint, représenté revêtu de la dalmatique des diacres, la tête inclinée, les yeux extatiques; de l'autre, la place réservée aux fidèles. Le sol de la partie où se trouve l'autel est toujours couvert de pièces d'or, d'argent ou de cuivre jetées sans arrêt par de pieux fidèles C'est surtout le 3i juillet, jour de la fête de Saint Ignace qu'il faut venir à Azpeitia, le Pays Basque y accourt en foule, le saint est si populaire et si vénéré. Il est vrai qu'Ignace de Loyola, ce conducteur d'hommes sans


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pareil, qui a créé d'austères milices obéissant perinde ac cadaver, âme inflexible et volontaire, est bien l'expression de sa race, de ce peuple énergique, concentré, primitif et barbare jusqu'à un certain point, chez lequel le tragique est la dominante de la sensation. Plus accessible aux actes qu'aux idées, il va d'abord au fait. D'Azpeitia, on peut rejoindre le chemin de fer de la côte, soit en descendant l'Urola, par une route qui côtoie la petite rivière, jusqu'aux bains de Cestona, sorte de Vichy espagnol, et de là, en prenant le train pour San Sébastian; soit en remontant le cours de l'Urola, en passant par la petite ville d'Azcoitia, joliment située au pied du mont Itzaritz, pour atteindre ensuite Elgoibar et par la voie ferrée, gagner Bilbao.


Cliché Ducourau

La Bidassoa à Biriatou

CHAPITRE XI

De Behobie à Elizondo par la vallée de la Bidassoa et le col d'Ibardain ; rentrée en France par le col de Maya. Biriatou; hauteurs de San Martial, Andarla\a; le cabecilla Sa?ita Cru\; Olhette, le col d'Ibardain, Vera; cours de la Bidassoa; Lesaca, Yanci, Aràna%, Sumbilla, Narvarte, Santesteban; bassin duBa\tan; Marcarte, Arrayo\, églises navarraises; Irurita, Eli\ondo; rentrée en France par Ari\cun, le col de Maya, Urdax, le ruisseau d'Hàiçaguerry à Landibar.

A peine le pont de Béhobie dépassé, l'estuaire de la Bidassoa s'étrangle et la rivière devenue tout d'un coup torrent bruyant, se fraie avec fracas un passage entre des collines servant de contreforts à de plus hautes montagnes. Sur la rive française, c'est la Rhune dont nous avons déjà parlé et à ses pieds, 19


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les maisons blanches, à poutrelles apparentes, de Biriatou; sur la rive espagnole, les croupes de la hauteur de San Martial, d'où les carlistes bombardèrent Irun, dominées par de vieux châtaigniers cachant un ermitage, élevé au XVIe siècle, en commémoration d'une victoire remportée par les armées espagnoles sur les troupes françaises commandées par l'amiral Bonnivet. La gorge se rétrécit encore pour s'élargir de temps à autre. La route passe à Andarlaza Cliché Ducourau

Entrée Biriatou et Vera

où se trouve, un poste de carabineros, des plus pittoresquement situé, puis un peu plus loin, apparaissent les bâtiments d'une ancienne mine abandonnée, qui semblent des constructions cyclopéennes à l'aspect des plus sinistres. Audelà, sur la hauteur se voit une sorte de petit bastion qui servit parait-il de redoute au cabecilla Santa Cruz. En a-t-on assez raconté sur le malheureux curé dont la cruauté est passée à l'état de légende ! Au dire de ceux qui l'ont connu, qui ont servi sous ses ordres, les massacres de femmes, d'enfants, les fusillades de soldats pris

La Bidassoa après Biriatou

Cliché Ducourau

I


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Cliché Ducourau

Vera. — Vue générale

sur l'ennemi sont de sinistres inventions, de macabres fantaisies. Revenons à la Bidassoa de plus en plus enserrée ; mais pas pour longtemps, car la vallée de Vera s'ouvre : « l'église de Vera située sur le point culminant du bourg», écrit X. de Cardaillac, dans ses Propos gascons «avec ses murailles en pierre de taille, sans jours, son haut clocher cubique, aux ouvertures en arc tudor, a du servir autrefois de forteresse. » Sans doute Vera, Vera de la Montana, comme on dit de l'autre côté de la frontière, a vu maints et maints combats. C'est à Vera, que Mina subit une terrible défaite en i83o. La ville est aujourd'hui un centre minier et industriel des plus florissants, oublieux de son passé batailleur. On peut encore rejoindre Vera par Olhette, en venant d'Ascain ou de Saint-Jean-de-Luz, en franchissant le col d'Ibardain, aux pentes parsemées de chênes et de châtaigniers; le long Cliché Ducourau

Une fête à Vera



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des lacets de la montée, les échappées sur la mer et la côte sont superbes. Arrivé au sommet du col, un poste de carabineros vous avertit que vous êtes en Espagne. Le versant espagnol n'est pas moins verdoyant, moins frais et moins planté que le versant français; au lieu que ce soit sur l'Océan et ses falaises, la vue s'étend sur des monts qui s'étagent les uns au-dessus des autres, sur de plantureuses et fertiles vallées. Vera dépassée, la Bidassoa suit les sinuosités de la montagne, la route court à à ses côtés, laissant à droite, sur l'autre rive, Lesaca, Yanci, Aranaz; à gauche, Cliché Arvieux Elizondo. ■— L'église Echalar que l'on devine de loin dans une sorte de cirque; elle atteint ensuite Sumbilla, également sur le bord opposé du torrent. La route fait alors un coude brusque à gauche, avant de passer à Narvarte. Sur la rive droite de la Bidassoa, qu'elle va abandonner pour suivre le cours de son tributaire, le Baztan, elle laisse Santesteban aux rues étroites, à la haute église, au débouché d'une petite vallée très arrosée, puis Legasa. Elle traverse ensuite Marcarte, Oronoz, Arrayoz bourgs plus verdoyants les uns que les autres, aux maisons antiques groupées autour de leur église. Comme l'a remarqué Auguste Chaho, les églises navarraises, sont presque toujours bâties sur des hauteurs. Ne fallait-il pas qu'elles fussent vues de loin, n'étaientelles pas le point de ralliement, de réunion, la maison de tous ? Deux kilomètres avant d'atteindre Elizondo, on traverse Irurita, un des plus avenants de ces riches villages, et enfin Lecaroz. Elizondo, la capitale de la vallée de Baztan, pendant la dernière guerre carliste servit longtemps de résidence au Prétendant. Cliché Arvieux Elizondo. — Une rite La ville séparée de son faubourg par le Baztan


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que deux ponts enjambent, est avenante et gaie; ses rues montrent d'antiques maisons ornées d'écussons, aux fenêtres grillées ; elle possède un curieux palacio du XVIe siècle à noble et majestueuse entrée; son église, sans presque d'ouvertures, avec sa tour carrée terminée en coupole, n'est pas sans caractère; mais le grand charme d'Elizondo c'est son cadre, sa campagne verdoyante, ses eaux qui serpentent de tous côtés. Après Elizondo, la vallée toujours d'une richesse prodigieuse continue à être semée de villages, puis la route traverse Elvetea et atteint Arizcun pour monter ensuite à travers des lacets sans nombre jusqu'à près de mille mètres, au milieu de chênes dont les pieds sont cachés sous les bruyères; de tous les côtés, la vue s'étend sur des vallonnements. C'est le col de Maya. Par de nouveaux lacets, l'on redescend sur le versant opposé; au fond de la gorge, blotti dans la verdure, apparait Urdax, dont les maisons enserrent l'église massive du XVe siècle, avoisinée d'un beau cloître du XVIIe. Au bas de la côte, c'est Landibar, traversé parle ruisseau d'Haïçaguerry, qui sépare la France de l'Espagne.

Cliché Arvieux

Santesteban. — Une Rue


Cliché Altadill

Près de Pampelune

CHAPITRE XII

D'Elizondo à Pampelune Mugairi; le port de Velate; le col de Malacolo; Arrai\, Olagiie, Osti{, Villaba; Pampelune, son histoire, ses monuments, sà cathédrale.

Sorauren,

D'Elizondo, une route accidentée, des plus pittoresques, conduit à Pampelune, passant par le gros bourg de Mugairi. Elle remonte ensuite le cours du rio Marin, qu'elle passe sur un pont en marbre à trois arches de 20 mètres de hauteur, puis, après avoir dépassé Almandoz, traverse de superbes forêts de hêtres et atteint presque goo mètres au port de Velate. Viennent ensuite le col de Matacola, les villages d'Arraiz, de Lanz, quelque peu à gauche, d'Orquen, d'Olagûe, d'Etulain, de Burutain, d'Ostiz où l'on rejoint le rio Ulzama que l'on franchira à plusieurs reprises; ce sont ensuite les bourgs de Sorauren, où en 1813, l'armée française battue, perdit plus de trois mille hommes, d'Oricain, d'Arre, de Villaba sur une hauteur, avec son ancien monastère roman en ruines. De ce point, on jouit d'une vue superbe sur la plaine de Pampelune; on traverse ensuite Burlada et l'on est aux portes de la capitale de la Navarre.


LE

PAYS

BASQUE

Pampelune se dresse avec ses innombrables flèches et clochers au sommet d'une éminence. Les historiens espagnols que rien n'arrêtent, attribuent sa fondation à Pompée, d'où, son nom de Pompaelo. C'est peut-être un peu trop Ferme navarraise ambitieux. Ce qui est certain c'est que la ville existait déjà en 466 ; successivement sous la domination franque et gothe, elle fut en 738, conquise par les Maures, auxquels, douze ans après, elle fut reprise par les Navarrais ; Charlemagne la ravagea lors de sa marche sur Saragosse, ce qui fut sans doute la raison de la déroute de son arrière-garde à Ronceveaux lors du retour de son armée en France. Ensuite, capitale du comté de Navarre érigé en royaume par Sancho Abarca en go5, elle se développa assez tranquillement depuis lors. En 1512, Ferdinand le Catholique la prit après deux jours de siège, à Jean d'Albret qui vint mourir de douleur de sa perte, dans sa vicomté de Béarn. En I8I3, Joseph Bonaparte s'y réfugia quelque temps, puis laissa la ville sous le commandement du général Cassin qui y soutint un siège de près de quatre mois, avant de se rendre. On n'entre dans la capitale du vieux royaume de Navarre, enserrée dans ses murailles et munie d'un château-fort, que par des portes à pontlevis. Ses rues sont étroites, sombres; comme il sied à toute ville espagnole, elle a sa plaza de la Constitucion à maisons à arceaux obligatoires, avec son

Cliché Veisse

Pampelune.

Intérieur du cloître de la cathédrale


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non moins obligatoire palacio de la Deputacion, sa plaza de toros, dont les courses amènent un surcroit formidable de population, lors des fêtes de la ville, la San Firmin; elle a son théâtre, sa citadelle, une chapelle érigée sur l'emplacement où Saint Ignace fut blessé au siège de la ville, en i5i2; ses curieuses églises de San Nicolas, du XIIe siècle et de San Saturnino, en partie de la même époque; mais la gloire de Pampelune c'est sa vénérable cathédrale — Nuestra Senora del Sagrario, — un des plus beaux édifices gothiques de l'Espagne. Bâtie par Charles le Noble, roi de Navarre au XVe siècle, son entrée à malheureusement été défigurée au XVIIIe siècle par une malencontreuse façade des plus plates. En forme de croix latine, elle est à cinq nefs. Le chœur qui obstrue comme d'ordinaire, dans les cathédrales espagnoles, la plus grande partie de la nef centrale, est fermé par une superbe grille renaissance datée de i5o7, signée du maître forgeron Guilhermo Croenat; il renferme de très belles stalles taillées en plein bois de chêne d'Angleterre, dans les dernières années du XVIe siècle, par un sculpteur navarrais, Miguel de Ancheta, qui consistent en deux séries de sièges, dont les hauts dossiers sont occupés par des person-

Pampelune. — Extérieur du cloître de la cathédrale

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LE PAYS BASQUE

nages en demi relief, figurant des patriarches et des saints. De ce même Miguel de Ancheta, la basilique possède un émotionnant Christ en croix. Le cloître attenant à la cathédrale, dont la plus grande partie fut édifiée au XIVe siècle, par l'évêque Barbazan, dans le plus pur style gothique, est une merveille. Sur une de ses portes donnant dans la sacristie, se voient de fort intéressants bas-reliefs. On y trouve encore les tombeaux de Don Leonel de Navarre, bâtard de Charles le Mauvais et de sa femme Doha Epifania. Audessus de ces tombeaux est placé un très beau bas-relief de la Crucifixion. Près de l'angle sud-est du cloître, se trouve la célèbre porte désignée sous le nom de la Preciosa, non pas, comme on pourrait le croire, à cause de sa valeur d'art, mais du cantique : Preciosa in conspectu tuo, que les chanoines entonnaient en passant dessous. Les Cortes Navarrais la franchissaient également en se rendant à leurs assemblées. Tout proche, est une chapelle fermée par une grille forgée avec les chaines conquises à la fameuse bataille de las Navas deTolosa, qui entouraient la tente de Mohammed-Aboû-Abd-Allâh. Enfin, dans les anciennes cuisines du chapitre, véritablement des plus importantes, a été transporté le superbe tombeau de Charles III de Navarre et de sa femme Leonor de Castille, avec leurs statues gisantes. Chose étrange, Pampelune dont les habitants sont presque tous carlistes, ayant pour la plupart, servi dans les armées des deux prétendants, n'a jamais été en leur pouvoir. Enfin, disons que dans un somptueux tombeau de marbre, au cimetière de la ville, a été inhumé Pablo Sarasate, le célèbre violoniste qui, né dans la capitale de la Navarre, a voulu reposer au milieu de ses compatriotes.


Roncevaux. — L'abbaye

CHAPITRE XIII

De Pampelune à Roncevaux Villaba, Zabaldica, Anchori\, Zuriain, Larrasoaûa, Ordani^, BnrgueLe; Aoi\, Zandueta, Roncevaux; le monastère, l'église, la procession du mercredi qui précède la Pentecôte, reliques conservées dans l'église de Roncevaux, la chapelle de Roland; retour en France par Saint-Jean-Pied-de-Port.

De Pampelune, on peut se rendre à Roncevaux en suivant assez longtemps le cours du petit torrent l'Arga. On prend jusqu'à Villaba, la route d'Elizondo, que l'on quitte pour un chemin assez mauvais, bordé de nombreux villages. On rencontre d'abord Burlada, Olaz, Villaba, le gros bourg d'Huarte, où l'on oblique à gauche, puis Arleta, Zabaldica, Iroz, Anchoriz, Zuriain, Larrasoaha, presqu'une ville, Ordaniz, Esquiroz, Zubiri, Saigos. Ici, l'on abandonne l'Arga pour un chemin se dirigeant vers la droite, aux rampes


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rudes, abruptes, inhospitalières, qui descend parfois, monte plus souvent et mène à Burguete, par Erro, Linzoain, Viscarret et Espinal. De Burguete, on a vite fait de gagner Roncevaux. Une autre voie, meilleure mais presque deux fois plus longue, mène de Pampelune à Roncevaux par Espès, Urroz, Villaveta, Aoiz, d'où, en ligne droite, en suivant le rio Urrobi, en passant par Itoiz, Zandueta, Villanueva, on rejoint Burguete et, de là, on atteint la célèbre abbaye. Roncevaux, situé dans un vallon boisé, arrosé par un ruisseau descendu du pic d'Altobiscar, n'est plus qu'une bourgade d'un millier d'habitants tout au plus. En fait de monuments, le village, car ce n'est qu'un humble village, ne renferme que son célèbre couvent, consistant en deux tours carrées flanquées à leurs angles d'énormes contreforts, en un long bâtiment aux rares ouvertures, aux murs décrépits, en une église délabrée, et c'est tout. « La royale et insigne collégiale de Roncevaux, qui prenait immédiatement rang après Jérusalem, Rome et Compostelle» est misérablement desservie aujourd'hui par un prieur et quatre chanoines. Roncevaux ne reprend vie aujourd'hui que le mercredi qui précède la Pentecôte. Les habitants des régions voisines ne manqueraient de s'y montrer pour rien au monde. On y vient de toute la Navarre, surtout des environs d'Ochagavia, d'Aria, d'Orbaiceta, d'Erro, de Villanueva, de Burguete, de Valcarlos, d'Arneguy, d'Urepel, de Saint-Jean-Pied-de-Port. Dès la veille, ainsi que la nuit, qui précède la solennité, tous les chemins de la montagne sont sillonnés de pèlerins. La procession s'organise dès l'aurore; elle consiste en une double file de pénitents, chaussés d'espadrilles, les visages cachés sous une cagoule noire, revêtus d'une tunique également noire leur tombant au-dessous des genoux, serrée sur les hanches par une ceinture de corde, à laquelle pend un rosaire ; chacun

d'eux

tient

ap-

Roncevaux. — La procession (première partie)


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puyé sur la nuque et maintenue le plus haut possible par les bras raidis, une croix grossière formée de deux troncs d'arbres non équarris. Entre ces deux rangées de pénitents, marchent les alcades et les ayutamientos des bourgs voisins, tête-nue, sous leur lourd manteau à amples collets. Après une rude montée, la longue théorie s'arrête en face du moRoncevaux. — La Procession (deuxième partie) nastère, les croix sont dressées devant les fidèles agenouillés, les cloches carillonnent et la bénédiction des prêtres ployant sous leurs lourdes et luxueuses dalmatiques étincellantes de pierreries, tombe sur les fidèles. Ceux-ci vont ensuite vénérer la célèbre image de la Vierge, les fragments des chaines conquises à la bataille de las Navas de Tolosa, la chape brodée en fil d'or par Sainte Elisabeth de Portugal. Dans une autre partie de Roncevaux se trouve la chapelle del Santo Spiritu, que les vrais Basques se garderaient bien d'oublier, ouverte seulement à partir du mois de mai, où des messes sont dites pour le repos de l'âme de Roland et des douze pairs, construite, dit la légende, sur la fosse où furent inhumés les preux du grand Empereur. Comme l'a écrit Fr. Michel : « La défaite de l'arrière-garde de Charlemagne à Roncevaux et la mort de Roland et des autres pairs de France, furent pour le Moyen-Age, ce que le siège de Troie fut pour l'antiquité, une source féconde de chants épiques ». De Roncevaux, on peut rentrer en France et gagner facilement SaintJean-Pied-de-Port, qui n'en est distant que d'une trentaine de kilomètres. Il faut d'abord longer les monts d'Altobiscar du Doray et du haut de Caïndela, franchir le col d'Ibaneta, descendre ensuite les lacets des défilés de Valcarlos. Après Valcarlos, gros bourg d'au moins un millier d'habitants, On traverse la Nive, qui sert ici de délimitation à la France et à l'Espagne; c'est de suite le village d'Arneguy, puis huit kilomètres plus loin, Saint-Jean-Pied-de-Port.


CHAPITRE XIV

De Pampelune à Tafalla, Olite et Estella et retour à Pampelune ou à Alsasua. Château de Tiebas; siei~ra de Alai\; Tafalla, Olite, leu?~s monuments; Javier, patrie de Saint François-Xavier ; Leire, panthéon des anciens souverains de Navarre; route d'Estella; Artajona, Mendigorria; Puente la Reina, son église ; Estella, capitale du carlisme, ses monuments, monastère d'Irache, église des templiers de Eunate; route d"1 Alsasua, tunnel Li\arraga ; Echarri-Arana\; oratoire de San Miguel in Excelsis.

De Pampelune, il ne faut pas négliger de faire une rapide excursion à Tafalla, Olite et Estella. Que l'on ne nous chicane pas sur la nationalité de ces villes, si elle ne sont pas absolument basques, elles le sont tout au moins par une partie de leurs habitants et confrontent au Pays Basque. De Pampelune, le chemin de fer, ou la route qui traversent tous deux les rios Eloiz et Arga, mènent à Tafalla et Olite. La voie ferrée laisse d'abord à gauche l'aqueduc qui fournit l'eau potable à la capitale de la Navarre, passe ensuite à Noa'in, devant le vieux château de Tiebas, à Biurrun, franchit la sierra de Alaiz, atteint Garinoain, s'arrête à Tafalla et, cinq kilomètres plus loin, à Olite. La voie de terre, suit le même parcours, à peu de chose près, traversant en plus des villages que nous venons de citer, Ruines du château d'Olite


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Oriez, Tiebas, Muruarte, Unzué, à plus de 2000 mètres d'altitude, mais déjà sur la pente qui s'accentue avant d'atteindre Barasoain et après, Tafalla. Tafalla et Olite, ces deux antiques boulevards du royaume de Navarre ne montrent ciuhé Roida,, et fiis plus aujourd'hui que La campagne entre Pampelune et Estella . . , les ruines des châteaux qu'au commencement du XVe siècle, Charles III y fit construire. A Tafalla, reste un vieux donjon démantelé, à Olite, des tours croulantes, un puits sans fond, une chapelle à deux nefs superposées, du style de la Sainte Chapelle de Paris. Sous ces tours et les murailles qui les relient, s'abrite la ville avec ses rues sombres, son église Santa Maria, au portail si fin, si délicat, où autour de la Vierge s'épanouissent dans les voussures, des fleurs et des feuillages aux charmantes dentelures. Il est bien difficile de venir à Tafalla et à Olite sans faire un pèlerinage au berceau de Saint François-Xavier. Son castel natal, situé au village de Javier, à quelques lieues plus à l'est, en remontant dans la direction de la petite ville de Sangûeza, reconstruit dernièrement, ainsi que sa chapelle, grâce à la générosité de la duchesse de Villahermosa sont bien un peu trop neufs. On a néanmoins respecté ce que l'on a pu de l'ancien castillo, qui datait du XIIIe siècle et avait été démantelé par ordre du fameux cardinal Cisneros. Dans l'église paroissiale, se trouvent encore les fonts baptismaux où l'évangélisateur de Mozambique, de Melenda et de Goa reçut l'eau lustrale. Comme Saint Ignace de Loyola, Saint François-Xavier est une des plus remarquables personnalités de la race euskarienne. Son père, Jean de Jasso, vint au monde vers le milieu du XVe siècle, dans la maison Sala, de la paroisse de Saint-Saturnin de Jassou, aujourd'hui Jaxou, à une faible distance de Saint-Jean-Pied-de-Port. A Pampelune, où il avait été se fixer, Jean de Jasso devint premier président du conseil du royaume de Navarre et épousa une héritière de la région, Maria d'Azpicuelta y Javier — sans doute une déformation du nom d'Etcheverry. — Le ménage eut six enfants. Javier — Xavier — naquit le 6 avril i5o6. Le 2 décembre, fête du saint, la population de Sangûeza et des villages environnants, se transporte au


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château de Javier. Peu de mémoires sont restées aussi populaires que la sienne. Il est vrai que ce n'est que justice. A quelques lieues de Javier, se trouvent les ruines du monastère de Leire panthéon des anciens souverains de Navarre. Douze rois et sept reines y ont été inhumées. Réunis dans un même cercueil, leurs ossements, leur poussière, serait-il plus exact de dire, reposent aujourd'hui dans l'église voisine de l'humble village de Yesa. De Tafalla, il faut aller à Estella. Un mauvais chemin qui ne manque cependant pas de pittoresque, montant et descendant sans discontinuer, au milieu de bois, mène d'abord, par Artajona et Mendigorria, où la route devient meilleure, à Puente la Reina. Puente la Reina est un gros bourg à l'église au porche richement sculpté qui renferme en outre les ruines du palais d'un connétable de Navarre et d'une maison de Templiers dont la façade est encore debout. De Puente la Reina, la route passe à Maneru, Cirauqui, Lorca, Villatuerta et atteint Estella.

Estella. — Eglise San Pedro de la Rua


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Estella. — Palais des ducs de Granada y Egea

Estella, chef-lieu d'un des cinq districts de la province de Navarre, l'arche sainte du carlisme, qui dans la dernière guerre, sur une population d'à peine 6000 âmes, fournit 800 hommes à l'armée du Prétendant, est remplie de vieux palacios aux grands écussons, aux balcons de fer ouvragés, aux corniches de bois avancées. Tous appellent l'attention. Le plus intéressant, néanmoins, est sans contredit, l'antique demeure du duc de Granada y Egea, de caractère roman ; sa façade montre deux splendides chapiteaux historiés, dont l'un représente un chevalier combattant un maure. Les églises d'Estella sont dignes d'une visite. L'église San Pedro de la Rua a un portail du plus pur style roman caractérisé par la dentelure de son arc intérieur, des cloîtres aux curieux chapiteaux ; son trésor possède une crosse pastorale, un fragment de chasuble, des burettes, un coffret et un reliquaire de Saint André, ayant appartenu à un évêqué de Patras, venu mourir, on ne sait trop pourquoi, à Estella au XIIIe siècle; l'église San Sepulcro, au riche porche gothique, offre sur sa façade une suite de statues de saints placées dans des niches; l'église San Miguel montre sur son portail, un grand bas-relief du Christ, assis dans un quadrilobe, entouré des Evanei


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gélistes et de leurs symboles, puis de chaque côté, cinq colonnes supportant des voussures décorées de statues de nombreux personnages. Deux autres églises gothiques, San Juan et San Lazaro, mériteraient quelques mots, mais contentons-nous d'aller de la terrasse de cette dernière, admirer la vue qui s'étend sur la ville et l'exquise vallée qui l'entoure. Tout proche d'Estella, se trouve le village de Irache qui possède un ancien monastère de Bénédictins, vaste édifice de la Renaissance, aux beaux cloîtres et à l'église de style de transition. Encore dans le voisinage, c'est Eunate, dont l'église de forme octogonale avec une abside pentagonale et un cloître circulaire, est une ancienne fondation de Templiers. D'Estella, on peut revenir à Alsasua, à la grande ligne de chemin de fer d'Irun à Madrid, en regagnant d'abord Pampelune, par Puente la Reina et de Pampelune par la voie ferrée, Alsasua. Mais combien est-il préférable de prendre la vieille route aboutissant par Echarri-Aranaz, à la carretera de Pampelune, aux confins du Guipuzcoa et de l'Alava, à quelques kilomètres du point où elle joint la route royale de Madrid à la frontière française. Cette antique voie qui, laissant à gauche Bearin, passe par Abarzuza, Iruhela, Ibiricu, etc., traverse des régions boisées et sauvages, s'élève dans la montagne dont-les sommets se dressent superbes et altiers. A droite, elle longe constamment une gorge profonde, hérissée de rochers où s'agrippent des chênes et des châtaigniers. Elle traverse ensuite le long tunnel de Lizarraga pour déboucher devant un merveilleux panorama de sommets et de vallées, puis descend par d'interminables lacets à travers des rocs surplombant des précipices. Enfin, en bas, c'est Echarri-Aranaz, et d'Echarri à Alsasua, la distance est courte. Impossible, d'Echarri, de ne pas monter à Huarte Araquil, de là, à l'humble oratoire de San Miguel de Excelsis, qui renferme un chef-d'œuvre inappréciable, un devant d'autel limousin, superbe émail aux figures hiératiques, où se mêle, selon les expressions de dom Roulin, l'or aux pierreries, pour en former un ensemble sans pareil; Cette pièce, pour ainsi dire unique, mesure deux mètres de largeur, sur un peu plus d'un mètre de hauteur. Bien d'autres courses, bien d'autres excursions pourraient être entreprises dans le Pays Basque, sur ses deux versants français et espagnol. Le temps et la place nous manquent pour parler plus en détail de cette région enchanteresse. Notre but a été d'essayer de la faire apprécier comme elle mérite de l'être. Nous serons satisfaits, si dans notre faible mesure, nous y sommes parvenus.


TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION CHAPITRE PREMIER. CHAPITRE

9

— De Bayonne à Hendaye

17

II. — De Saint-Jean-de-Luz à Ascain, Sare, Espelette et Saint-Pée-sur-

Nivelle CHAPITRE

44

III. — De Bayonne à Bidache, Guiche, Saint-Jean-Pied-de-Port, Saint-

Etienne-de-Baïgorry et aux Aldudes

48

CHAPITRE

IV. — De Saint-Jean-Pied-de-Port à Mauléon et Saint-Palais

....

CHAPITRE

V. — De Mauléon à Tardets et Sainte-Engrâce

73

CHAPITRE

VI. — D'Hendaye à San Sébastian

82

CHAPITRE

VII. — De San Sébastian à Bilbao par la côte. Environs de Bilbao .

CHAPITRE

VIII. •— De Deva à Durango, Onate et Guernica

122

CHAPITRE

IX. — De San Sébastian à Vitoria ; de Vitoria à Bilbao et à Durango .

128

CHAPITRE

X. ■—■ De Villarreal à Azpeitia ; d'Azpeitia à San Sébastian et Bilbao.

140

CHAPITRE

XI. — De Behobie à Elizondo par la vallée de la Bidassoa et le col

d'Ibardain; rentrée en France par le col de Maya

.

.

63

104

145

CHAPITRE

XII. — D'Elizondo à Pampelune

I5I

CHAPITRE

XIII. — De Pampelune à Roncevaux

155

CHAPITRE

XIV. — De Pampelune à Tafalla, Olite et Estella et retour à Pampe-

lune ou à Alsasua

158


TABLE DES ILLUSTRATIONS

Un chemin dans le Pays Basque .... 9 L'Orpheline (peinture de M. W. Laparra) . 10 Sandaliers basques 11 Une fefrne basque 12 Le joueur de pelote Chiquito i3 La Banda 14 La mer à Hendaye i5 Saint-Jean-Pied-de-Port. Inscription sur une porte, 1722 16 Environs de Saint-Jean-de-Luz .... 17 Bayonne. La Cathédrale 18 La partie de Pelote à Urrugne (peinture de M>1= C. H. Dufau) — Musée de Pau . 18 et 19 Bayonne. Quai de la Nive 20 Bayonne. Les Allées Marines 21 Porteuse d'eau . 23 Biarritz. La grande plage 24 Biarritz. L'heure du bain 25 Biarritz. Le Port-Vieux 28 Biarritz. Le rocher de la Vierge .... 29 Saint-Jean-de-Luz. Vue générale .... 32 Saint Jean-de-Luz. Intérieur de l'église . . 33 Saint-Jean-de-Luz. La Maison de l'Infante '. 34 Saint-Jean-de-Luz. La Maison Louis XIV . 34 Vue générale de Ciboure 35 Eglise de Ciboure 36 Le Socoa • 37 Château d'Urtubie 38 Eglise d'Urrugne . 3g Hendaye. Château d'Abbadie 40 Hendaye. L'Hôtel Eskualduna 41 Hendaye. La maison de Pierre Loti ... 41

Ascain. Pont sur la Nivelle . Une ferme à Ascain . La Rhune Espelette. Porche de l'église Ruines du château de Bidache Eglise de Lahonce. Fontaine du Dragon à Saint-Pierre-d'Irube . Vue de Cambo Le Pas de Roland à Itxassou La Nive à Bidarray . Le pont de la Nive à Bidarray Saint-Jean-Pied-de-Port. Porche de l'église Saint-Jean-Pied-de-Port. Rue delà Citadelle Fontaine d'Ahusquy Forêt d'Iraty en hiver La Nive à Baïgorry • Dans les Aldudes Chapelle de Saint-Antoine .... Vue générale de Mauléon .... Mauléon. Château Maytie d'Andurain Mauléon. Porte du château Maytie d'Andurain Mauléon. Cheminée du salon du château Maytie d'Andurain Mauléon. Le château-fort Mauléon. La vieille église Pastorale souletine Vue générale de Saint-Palais Château de Chéraute Eglise de l'hôpital Saint-Biaise .... Mauléon. Château Maytie d'Andurain. Pierre sculptée Château de Troisvilles

5 5

5 5 5 5

5 6 6 6


LE

PAYS

Vue générale de Tardets

76

Chemin de Sainte-Engrâce ....

77 78

Eglise de Sainte-Engrâce

....

Sainte-Engrâce. Moulin à l'entrée du ravin de Cacoueta Sainte-Engrâce.

Chapelle de la Madeleine à Tardets

.

Guernica. Le chêne des libertés basques .

80 81 82

Ernani. Calle Mayor

L'Urumea à la sortie de San Sébastian

Fontarabie. Ecusson de laporte des Remparts

83

84

Fontarabie. Calle Mayor 85 Fontarabie. Procession commémorative du siège de la ville par Condé 86 et 87 Fontarabie. Clocher de l'église . 88

Pasajes. La Maison de Victor Hugo .

89 92 93 96

Pasajes. Inauguration du médaillon de Victor Hugo Pasajes.

Quelques

Onate. Extérieur de l'église

79

Fontarabie. Porte d'une maison. Calle Mayor

Pasajes. Côté est

122 124 125 126 127 128 129

Onate. Le cloître Onate. Retable de l'église

Cascade du ravin de Ca-

coueta

i65

BASQUE

Ernani. Eglise et Casas Consistoriales Beasain.

. .

i3o

La procession sortant de l'église

paroissiale

i3i

Beasain. La procession à l'ermitage de San Martin de Sainaz

l32 i36

Beasain. Vue générale

i37

Estibaliz. Porte de l'église Sanctuaire de Loyola. Vue extérieure.

.

Sanctuaire de Loyola. Vue intérieure. Sanctuaire de Loyola. Les degrés de l'escalier La Santa Casa La Bidassoa à Biriatou

97 spectateurs à l'inaugu-

ration du médaillon de Victor Hugo

Vue de Lequeitio

97 97 [00 101 [01 [04 to6 107 to8 [09 [ 10 110 111 112

Vue de Pedernales

n3

Vue de Chacharamendy

iJ4 tiS

Pasajes. Médaillon de Victor Hugo

.

San Sébastian. Eglise Santa Maria San Sébastian. Un coin du port

.

San Sébastian. Course de taureaux Guetaria. Vue générale Guetaria. Les rochers Le port de Zumaya La plage à Deva Motrico. Vue de la ville Motrico. Vue de la baie Ondarroa. Intérieur de la ville .

Bilbao. Porche de l'église San Antonio Bilbao. Le Nervion et ses quais Bilbao. Le Désert Portugalete Paysan biscayen (peinture de M. M. de Buzon)

[16. [17 [18 [20 [21

Vera. Vue générale

:37 140 141 142 143 i45 146 146 '47 147 148

Une fête à Vera Lesaca. Pont sur la Bidassoa Un pont sur la Bidassoa, en avant de Sumbilla

148 149 149 i5o 151 l52

Elizondo. Une rue Santesteban. Une rue Ferme navarraise Pampelune. Intérieur du cloître de la cathédrale

l52

Pampelune. Extérieur du cloître de la cathédrale

i53 Ï55

Roncevaux. La procession (première partie)

i56

Roncevaux. La procession (deuxième partie)

i57

Ruines du château d'Olite La campagne entre Pampelune et Estella

i58 .

Estella. Eglise San Pedro de la Rua . Estella. Palais des ducs de Granada y Egea

i59 160 161


IMPRIMÉ SUR LES PRESSES DE S.A.D.A.G. (SOCIÉTÉ ANONYME DES ARTS GRAPHIQUES) BELLEGARDE (Ain) ET GENÈVE MARS 1913


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