Henri Regnault 1843-1871, 1889

Page 1

8b ND 553 .

R4

L3 1389

HENRI REGNAULT 1845-1871

M D CCC LXXXIX

*



N

4

,



HENRI

REGNAULT




HENRI

REGNAULT 1843-1871 PAR

GUSTAVE LARROUMET DIRECTEUR DES BEAUX-ARTS

mm*

-

PARIS MAISON QUANTIN 7,

rue Saint-Benoît

1889 '

'.U



AVANT -(PCÜOCPOS



,

AVANT-PROPOS

uelques personnes, amies de Vart

français ont

et

d’Henri Régnault

bien voulu penser que les

pages suivantes simple discours de ,

bution de prix, avaient un térêt

distri-

peu plus

d’in-

que des paroles de circonstance

et

méritaient de survivre à celle qui les avait

provoquées l’on

y

.

Elles estiment, en

effet,

que

trouvera quelques renseignements


AVANT-PROPOS.

4

nouveaux sur

du grand

la jeunesse

artiste

circonstances de sa mort.

et les

Je

publie donc avec quelques notes

les

explicatives,

et

d'autant plus

volontiers

que cela m'est surtout un moyen de publier aussi diverses lettres qui m'ont servi à écrire et quiferont le

Ces

lettres

sont

prix de

les'

cet opuscule.

dues à l'obligeance des

anciens maîtres et des premiers camarades

de Régnault. vite,

Le

lecteur appréciera bien

sans que j'y insiste

valeur

sur un

apportés

hommes de talent

de

singulière

prendra,

f espère,

la

témoignages

objet

par

de

mais d'où se dégage

même

impression. Il

y

quelques nouvelles rai-

sons d'estimer cette Université de France riche

en

modeste

excellents

en

d'élite, ,

maîtres

écrivains

comme

,

des

de profession ,

caractère,

néanmoins, une

ces

même

très opposés,

autrement,

aussi

,

en

distingués, la

rare

,

esprits et

si

valeur

morale de quelques amitiés formées par Régnault.


AVANT-PROPOS.

5

Outre ces communications écrites

travaux imprimés que je notes, j'ai

pu longuement

cite

j'avais

de

lui.

procuré

inti-

substance de ces conver-

mon

discours

et

je

lecteur retrouve dans celuiqu'elles

mont

.

,

uniforme

permis de

propriétaire du beau dessin

,

représentant Régnault

m'a

militaire, le faire

fac-similé en

M.

plus

La

le

M. Bréton de M. Bida

le

le

compléter ainsi l'idée que

un peu du vif plaisir

ci

les

et

sations a passé dans

souhaite que

dans

causer du jeune

maître avec ceux qui l'avaient

mement connu

et les

gracieusement

reproduire , et on en voit

du présent

tête

Georges Clair in

cimetière

,

le

travail.

qui avait pris, au

du Père-Lachaise,

du masque sur

en

le

moulage

cadavre rapporté de

Buçenval, a eu l'obligeance, lui aussi, de le

mettre à

un dessin

ma qui,

disposition et d'en autoriser

reproduit

procédé, est l'œuvre de

M.

par

le

même

Joseph Blanc,

ancien camarade de Régnault,

comme

pen-


AVANT-PROPOS.

6

sionnaire

de

/’

Académie de France

à

Rome. Je leur exprime à tous mes sincères remerciements.


HENRI REGNAULT

(DISCOURS PRONONCÉ

A

LA DISTRIBUTION DES PRIX

du lycée Henri IV





(DIS COURS PRONONCÉ

LA DISTRIBUTION DES PRIX

A

du lycée Henri IV

Chers élèves, l

y a cinq ans, à

l’honneur de prendre

j’avais

parole vient

pensée

si

tout dire, d’elle.

anciens

que

à

la

ferme est

Votre amis,

j’avais

place

de vous

d’une inspiration

discours

pareil jour,

et

si

élevée,

la

d’où

un

être adressé

où notre langue,

exaltée

d’une c’est

d’une manière digne

proviseur, avait

même

un

de mes

plus

bien voulu se souvenir

débuté dans l’Université sous sa 2


HENRI REGNAULT.

IO

demander au Ministre de me

protection et confier

Ghantavoine.

mon ami

de

suppléance

la

Henri

donc passé un semestre

J’ai

au milieu de vos maîtres, dans cette famille de Henri IV, une quelles

m’ait été

il

plus aimables aux-

des

donné de

m’affilier.

A la fin

voyais

mes

élèves remporter au concours général les

deux

de cette période trop courte,

je

un mélange

prix d’honneur de rhétorique, avec

de confusion

dissimuler que et,

en

même

moisson

si

de

et

fierté,

car

ne pouvais

je

je réalisais le sic

temps,

j’étais

me

vos non vobis,

heureux que

la

bien préparée n’eût pas séché entre

mes mains. Depuis, des circonstances imprévues qui, elles

répondaient à mes goûts

mes espérances

dépassaient

tieuses, ont fait de

sans rompre

mes

plus chers,

les

les

si

plus ambi-

moi un administrateur,

liens avec l’Université; votre

proviseur a deviné que j’aurais grand plaisir à retourner

troisième délicate

au milieu de vous fois,

amitié,

il

en

m’a

me

désignant

du Ministre pour présider nelle.

et,

témoigné

cette

pour la

la

plus

au choix

séance solen-


DISCOURS. Le moi ce

est toujours haïssable.

préambule;

ma

quer

i

j’étais

Excusez donc

bien obligé de vous expli-

présence, en vous disant quels liens

m’unissent au chef de cette maison, aux collègues dont

retrouvé

j’ai

souvenir constant

le

main tendue, à vous,

et la

successeurs de ceux dont

enfin,

les

dignes

suis fier d’avoir

je

été le maître.

Car

si

j’ai

quitté

Henri IV au milieu d’une

victoire, je le retrouve en plein triomphe.

Vos

concurrents ont eu beau grandir autour

vous

et

amener en

grossissants,

il

ligne des bataillons toujours

ne vous

suffit

pas de maintenir

votre rang; vous avancez encore vers

mier.

plus

Au

le pre-

concours général vous retenez

difficile

de

des victoires, à l’École

la

normale

vous fournissez une large part de sa promotion. Je vous

félicite,

jeunes gens,

et

je

partage

votre joie avec une solidarité cordiale, puisque j’ai

eu l’honneur de combattre avec vous.

Enfin, vers

pardonnez-moi

ce

dernier

retour

mes souvenirs de Henri IV. En songeant

aux paroles que

je

devais vous adresser, un

souhait que j’avais exprimé

ici

me

revenait en

mémoire. Parlant à vos devanciers de leurs


HENRI REGNAULT.

12

anciens,

grandi à l’ombre de fait

un

ceux qui, après avoir

leur citais

je

nom

la

tour de Clovis, s’étaient

illustre, et,

énumération

le

nom

rencontrant dans cette

grand

d’un

peintre,

Henri Régnault, mort à vingt-huit ans sous

murs de Paris en combattant j’exprimais

un

jour,

le

les

l’envahisseur,

souhait que vous puissiez voir

dressé dans une de

vos cours,

le

buste du jeune héros, vous proposant l’image

du premier de vos devoirs, patrie.

le

dévouement à

la

Aujourd’hui, ce m’est une obligation de

rappeler

moi-même

le

vœu que

je

formais

Un

alors sans espoir de réalisation prochaine.

Ministre qui vous connaît et vous estime, car il

a voulu

que son

fils

fût votre

permis de tenir ia promesse m’engageait trefois

avec

la

camarade, m’a

tacite

par laquelle

rencontre de mes paroles d’au-

mes nouvelles

fonctions.

Il

m’a

donc autorisé à vous promettre, en son nom, le

buste d’Henri Régnault,

chaine, vous verrez fière

que

ici

la Jeunesse,

la

et,

à la rentrée pro-

tête

charmante

et

de Chapu, couronne au

fond du cloître de l’Ecole des beaux-arts.

En gnault

attendant, la carrière scolaire de Réet sa

mort glorieuse me fournissent

le


DISCOURS.

mes

sujet de

3

paroles présentes, et

mande la permission de vous ment l’une et l’autre.

vous de-

je

retracer briève-

I

Entre ses maîtres, plusieurs, après avoir enseigné

ici,

sont arrivés aux plus hautes fonc-

tions de l’Université.

grand

Ministre

M. Gréard,

de

M.

et

M.

collègue à

la

impression leur fais

était restée

de

Clairin, qui

dire quelle

d’ici, le

dont

J’ai

à Louis-le-Grand, Georges

suivit de l’École

la

et

M. Jodin, qui

en Espagne, au Maroc, sur

bataille, et

Faculté

que résumer leurs souvenirs.

enseigne près

Tous

me

la

de leur élève,

consulté aussi ses camarades,

arts

excellent

Faculté des lettres,

'Bâillon, le savant professeur

ne

le

publique,

mon

Lenient,

de médecine, ont bien voulu

je

Duruy,

Victor

l’éminent psychologue, l’adminis-

trateur hors de pair,

maître

M.

l’instruction

mort seule

a

s’accordent à peindre des

des le

pu

beaux-

champ de le

séparer.

mêmes

traits


HENRI REGNAULT.

H

cette figure héroïque.

Henri Régnault

êtes,

Sur

bancs où vous

les

plus aimable et

était le

le

plus gai des enfants de Paris, l’intelligence

la

plus prompte

généreux,

et la

plus vive,

caractère

le

le

le

cœur

plus loyal

le

plus

et le

plus

germe toutes

droit; être d’élite offrant en

les

qualités essentielles qui promettent chez l’en-

un

fant

homme

Dès qu’il

fut

de premier ordre.

en âge de voir et de comprendre,

futur peintre éclatait en lui et toutes ses

le

facultés étaient tournées vers

observer

nature

la

et

présent

et

des

et

le

choses,

saisir les

que ses maîtres

Peu

épris,

mâles

pour Homère lectures

voyage;

la

passé, fixer

Dans

les

au-

lui expliquaient,

ses

façonne.

et

aux plus

au contraire, de vérité

de grandeur, son admiration

ses

dans

sensible aux gentillesses de forme

ou de pensée,

les esprits

:

derrière les formes la

goûts allaient aux plus simples forts.

but

surtout pénétrer l’àme des êtres

cause intérieure qui teurs

même

vie, les saisir

la

leur vérité complète, évoquer le

un

et

fermes

et la Bible,

favorites

et

:

il

le

et

portait vers

se passionnait

qui devaient rester ses

noble mélancolie

bréviaires et

de

l’épicurisme


DISCOURS. stoïque de Lucrèce

le

15

transportaient;

s’in-

il

quiétait de la source de cette pensée profonde et

demandait avec insistance comment un

poète

tel

formé.

s’était

Entre tous

les exercices scolaires, celui qu’il

préférait, c’était l’explication, la lecture directe

des auteurs.

Quand

même

cusait,

il

prenait la plume,

involontairement,

tout ce qui est terne et banal

posé ne

lui disait rien, si

dédain de

le

si le

:

ac-

il

sujet pro-

son cœur ou son ima-

gination n’étaient pas touchés,

était stérile et

il

sec; avait-il saisi et compris, l’idée jaillissait, la

forme

se colorait et plusieurs

d’enfant

ou de jeune

de ces exercices

homme

une

offraient

ampleur de développement que

l’un

de ses

maîtres n’hésite pas à qualifier de « superbe L’artiste

pur

dans

se montrait déjà

férences que lui inspirait

tel

ou

tel

les pré-

exercice

scolaire et les succès qu’il leur devait.

n’aimez plus guère et

je

crois

que vous avez

aimait beaucoup.

mot

les vers latins,

tort;

La recherche

juste, la nécessité

me

».

Vous

dit-on,

Régnault

les

patiente du

de faire entrer

le

plus

de sens possible dans une forme limitée, conduite ingénieuse du développement

et

la

de


HENRI REGNAULT.

i6

la

phrase, les efforts auxquels oblige

honnêtement pratiqué,

latin

les

le

vers

qualités qu’il

exige ou qu’il développe expliquent le goût de

Régnault torique,

et

il

condamnent vos dédains. En rhé-

obtenait un prix dans cette faculté,

avec un petit chef-d’œuvre de couleur

Charmeur de

souplesse, le

serpents

ou

et

de

l’élé-

gance effrayante de ses modèles, l’enroulement des anneaux,

le

chatoiement des écailles, étaient

rendus avec

la

vigueur d’un peintre

et la pré-

cision d’un poète. Il

une

montrait enfin dans ses exercices classiques faculté maîtresse, qui n’est pas plus

mune chez le

les artistes

que chez

sentiment des ensembles

la partie

au tout,

pour lui-même;

le

com-

les littérateurs,

subordination de

la

dédain du détail caressé

savait composer.

il

Ainsi, sentiment personnel, observation directe, science

de

la

composition, voilà ce que

Régnault développait en classique, avec la

plume

dessinait déjà beaucoup.

ans,

l’avait

rence

reproduisait

il

lui et

le

Tout

sur

le

par l’éducation crayon, car

il

enfant, à cinq

papier

ce

qui

frappé dans ses promenades, de préféles

animaux,

qu’il observait

avec uneat-


DISCOURS. tention pénétrante,

Externe

et libre

comme

de ses

17

Géricault à son âge.

loisirs,

passait de

il

longues heures au Jardin des plantes, devant les

cages des fauves, ne se contentant pas de

les

copier et combinant

déjà leurs attitudes

avec un mélange surprenant de vérité

un

vention, jetant

chiens

sur un cerf,

l’effort

du

tigre

Pendant

travail.

et,

un cheval, des

attelant des

étudiait le chenil de

Saint-Cloud,

sur

Meudon

et d’in-

les

bœufs dans vacances,

et les

il

écuries de

dans son désir de serrer

les

formes de plus près, modelait en terre glaise

un cheval dont frappé.

Au

marges de

la belle

lycée,

il

l’avait

chargeait de croquis les

ou dessinait,

avant de

devait traiter.

Beaucoup

ses livres

l’écrire, le sujet qu’il

construction

de ces essais sont malheureusement perdus;

nous

reste,

cependant, de grandes

il

esquisses

au fusain des batailles d’issus, d’Arbelles

et

de Rocroi, mêlées furieuses de cavalerie, qui promettaient un grand peintre d’histoire, avec

d’un

l’énergie

dessin que

le

Delacroix

et

un scrupule de

grand romantique n’a malheu-

reusement pas connu. Après une lecture de Tacite,

il

remettait à

M. Victor Duruy une 3


HENRI REGNAULT.

l8

Mort de modèle

Vitellius qui n’était pas indigne et

que

le

du

professeur s’empressait d’en-

voyer au père, «en prophétisant,

répète ses

je

expressions, qu’un grand artiste nous était né».

Messieurs, on accuse parfois notre éducation universitaire de

d’imposer la

même

tant été

un

manquer de

même moule

le

souplesse,

à tous les esprits et

règle à toutes les natures. Voici pour-

élève assez fantaisiste, qui n’a guère

gêné dans son développement.

arrivait

Il

quelquefois à Régnault de remplacer un devoir

par un dessin

;

cela ne l’empêchait pas, en fin

d’année, de remporter sa large part de récompenses,

et

pas trop travail. tait le

avisé;

ses professeurs ne lui en voulaient

de quelques

L’un

se contentait

un

autre, à

d’espérance corrigeait

la et

comme M.

il

et

le

met-

était fort

Victor Duruy,

avec

famille,

dans

de sourire

dessin en lieu sûr, en quoi

l’envoyait

tail

irrégularités

une

marque

de sympathie; un troisième

un anachronisme ou

relevait

un dé-

risqué; aucun d’eux ne songeait à contra-

rier cette vocation naissante.

du génie, mes chers amis,

et

Ayez seulement

vous verrez comme

vos maîtres seront accommodants.


DISCOURS.

19

Celui dont l’antiquité inspirait ainsi

les pre-

miers essais devait, cependant, être surtout un

de vie moderne, d’impression per-

artiste épris

sonnelle, de choses vues directement. L’édu-

ne tue donc pas

cation classique

comme on

le

toujours,

dit volontiers, l’originalité et le

sens du réel au profit de l’esprit d’imitation.

Nombre

piquent aujourd’hui de

d’artistes se

s’interdire toute évocation

d’imagination;

le

du passé, tout

effort

d’après

eux,

vrai peintre,

ne saurait que copier. D’autres estiment, au contraire,

porains

moyen, crois

que

même

dans

les sujets

ne

l’observation

l’invention restant

doit le

contemqu’un

être

but suprême. Je

que ceux-ci ont raison. L’humanité,

lon une belle parole, se

se-

compose de plus de

morts que de vivants; jouir du présent ne suffit

pas,

il

faut

embrasser toute

chacun taires

remonter dans la vie

;

humaine.

Il

y

a,

dans

de nous, assez d’influences hérédi-

pour nous permettre de supposer, sans

mensonge, ce qu’ont fois

passé pour

le

fait les

hommes

d’autre-

ce pouvoir de résurrection est le plus

noble privilège de notre nature, souvenir, sans

le

sentiment de

et,

sans

le

la solidarité


HENRI REGNAULT.

20

humaine

à travers les âges,

nous tomberions

de plus d’un degré.

Régnault emportait donc du lycée, Messieurs, cette forte éducation

classique

goût de l’antiquité sans lesquels avoir, je le reconnais,* de grands

de grands

artistes,

peut y

il

hommes

sinon de susciter vait

mais qui, jusqu’à présent,

le

talent

ou

quelques années après

le :

génie. «

Plus

vois que deux

seulement,

parmi nos contemporains,

comprise

ont été traités cent

vant moi,

peuvent

ils

beau,

l’ont

être

présentés

l’antiquité! »

ici lui

fois

chacun;

sui-

sont neufs et toujours neufs, et

maintenant

façon intéressante pour tout

reçue

lis

Ingres et Delacroix. Presque tous

:

les sujets

je

hommes

plus

je

écri-

Il

l’antiquité,

il

et

encore un des plus sûrs moyens d’aider,

est

si

ce

et

le

d’une

monde. C’est

L’éducation qu’il avait

permettait cette profession de foi;

n’avait pas besoin d’ériger l’ignorance en

esthétique.

Les facultés dont nous venons de constater l'eveil, l’École

des beaux-arts et

l’atelier

développèrent .avec une rapidité dont

je

les

ne

connais pas d’exemple aussi surprenant dans


DISCOURS. l’histoire

21

des maîtres les plus précoces.

portraits, ses natures

Ses

mortes ou vivantes, ses

paysages, ses études historiques de ce tempssont plus que des essais; plusieurs sont des

œuvres de

et

du

couleur

la

poète,

La

définitives.

s’était éveillée

aime

écrit-il,

passion de

en

lumière

la

lui

Si

«

:

le

au coin

l’hiver, les veillées

nous autres peintres nous abhorrons

feu,

tout ce qui n’est pas la lumière, la belle lumière, le

beau

soleil, la belle

chaleur qui nous permet

de travailler en chemise

et

ne pouvons pas peindre, chancelière;

mouvements,

il

être plus tard,

un climat plus sera toujours

gris

nous faut

il

nous faut

en pantoufles. Nous les

pieds dans une

la

liberté

le

Peut-

ciel bleu.

dans mes voyages, trouverai-je égal que le nôtre,

le

bleu

au-dessus de moi. Haine au

mon cri de guerre. » comme vous, Messieurs,

C’est là

J’admire

cette pro-

fession de foi pleine d’élan. Pourtant,

tenté de discuter final.

nos

de

A

s’égarer.

le

un peu

le « cri

je

serais

de guerre

»

mal comprendre, on risquerait de

Régnault voulait dire que

doivent être colorés,

et

il

les

tableaux

avait raison;

ne faut pas proscrire absolument

le

mais

gris.

il

Ce


HENRI REGNAULT.

22

peut être une

Sans

services.

couleur

jolie

en

elle,

et

effet,

peinture;

il

n’y a ni demi-

double charme de

teintes, ni clair-obscur, ce la

capable de grands

n’y a pas davantage de modelé

il

énergique, car

le relief

s’obtient par la grada-

tion des valeurs, l’opposition des

de

la

lumière,

cela c’est

la distinction

du

La

gris.

mande de

la

la délicatesse et

vigueur. Or,

complètement

le talent

si

couleur

et la

manqué

charme; soyons

je serais

le relief et la

parfois.

le gris,

forts, si

de-

lui

per-

Aimons

lumière, qui sont la vie de

mais ne détestons pas le

risque

j’avais à apprécier

de Régnault,

bien obligé de vous dire que spective lui ont

des plans, et tout

brutalité lorsqu’on

la

et

palette d’où le gris est

absent ne connaît guère

de fournir de

ombres

la

l’art,

qui peut en être

nous pouvons, mais

tâchons d’être fins; sans cela, nous ne serions qu’à moitié Français.

Mais

je

ne veux pas discuter, Messieurs;

ne songe pas

même

glorieuse carrière

je

à vous dire ce que fut la

de

votre camarade, avec

quelle fécondité et quelle force, en quatre ans,

de l’École des beaux-arts au champ de bataille

de

Buzenval,

il

obéit

aux

trois

inspi-


DISCOURS.

23

rations qui se partagèrent la direction de son talent

l’antiquité, avec

:

Véturie et Coriolan,

Orphée aux enfers , Thétis

Auto-

et Achille,

contem-

médon, Judith

et

Holopherne;

la vie

avec

le

Portrait de

M me

Duparc

Toréador

Juan

Prim

poraine, la

Madrilène,

le

l’Orient, avec Salomé, le

.

Départ pour

pacha. Après Ingres espérer que cette

la fan-

la

Sortie du

et Delacroix,

on pouvait

Y Exécution à Grenade,

tasia,

,

succession d’œuvres, dont

plusieurs sont des chefs-d’œuvre,, allait inau-

gurer une nouvelle école de

français; ce

l’art

qui était certain, c’est qu’il y avait là un génie déjà maître de lui-même, possédant au su-

prême degré lumière,

de

la

la vie

le

sens de

la

couleur

et

de

la

science de la composition, l’amour

et

de

la vérité,

qualités

communes

en tout temps chez nos peintres, mais auxquelles

il

joignait l’originalité profonde qui fait

novateurs. Si vous voulez bien connaître

les

Régnault, adressez-vous aux maîtres qui ont jugé chacune de ses tion

et

aux écrivains

figure; et puissc-je le

œuvres dès attirés

leur appari-

par cette noble

simplement vous inspirer

désir de l’étudier avec eux.


HENRI REGNAULT.

2\

II

me

ne

Il

reste

donc plus qu’à vous dire

comment

il

fatale le

surprit en Afrique, à Tanger,

est

mort. La nouvelle de

la

guerre

il

comptait passer de longs mois avec Georges méditant

Clairin*,

et

préparant de grands tra-

vaux. Exempté du service militaire par

de

Rome,

il

n’a plus qu’une pensée

au secours de est

pas

revers jours; «

fidèle. la

il

:

quelle

courir lui

série

de

fortune nous réservait en quelques les

pressent et se prépare au départ:

Je voudrais bien être à

et, si les

choses vont mal,

dernier!

Un

mon je

poste, écrit-il,

n’y serai pas le

être inutile à son

pays ne doit

plus se rencontrer en France, sous aucun Il

est

tenir

prix

ne

la patrie, si la victoire

Vous savez

le

du devoir de tous de marcher honorablement son

qui ne doit pas devenir

de lâcheté, de mollesse.

titre

et

toit.

de sou-

de Français,

synonyme d’égoïsme, »


DISCOURS. Quelques jours après Paris et s’engage dans

25

cette

lettre,

il

est à

de marche.

les bataillons

Tandis que

ses camarades, soldats improvisés

comme

apprennent leur métier à

lui,

la

hâte,

cette attente est trop longue pour son impa-

tience;

il

brûle de voir l’ennemi de près.

passe donc dans tireurs et fait le

coup de feu aux avant-postes;

puis, lorsque ses premiers

au milieu d’eux

place lui est

compagnons d’armes

d’entrer en ligne,

sont en état

offert

:

«

et

effet,

faire

un bon

un

reprend sa

il

refuse

grade qui

le

Vous avez en moi un bon

soldat, dit-il à son capitaine,

pour en

Il

une compagnie de francs-

officier

ne

perdez pas

le

médiocre.

»

C’est, en

soldat, acceptant tout, besognes,

fatigues et dangers, tantôt avec

une résignation

stoïque, lorsque l’inutilité de l’effort lui apparaît

dans une heure de clairvoyance,

souvent avec

la

bravoure insouciante

bonne humeur de notre fiance obstinée et

le

plus et

la

race, avec cette con-

que nous avions tous au cœur

qui nous défendait de mettre en

doute

les

destinées de la patrie.

et

Le

siège se prolonge, au milieu de la neige

du

froid;

Régnault couche dans

la

tranchée, 4


HENRI REGNAULT.

26

avec ses camarades que l’on relève gelés. Dans les intervalles

des combats,

court à Paris et

il

reprend ses pinceaux pour exécuter de merveilleuses aquarelles

cation de l’Orient livide

dans

et

où du

qui pèse sur sa

les

soleil,

d’oublier

mur

qui vomit

monte

il

feu

le

et,

de Clairin. Le jour passe,

la

position n’est pas emportée.

cependant, pourrait assurer

que

la retraite

descendre,

sans recu-

il

nuit tombe, et la

Un

dernier effort,

la victoire, et voilà

sonne au bas du coteau;

faut

abandonner

reste inutile.

fice

ne veut pas suivre obéir,

cependant,

la retraite;

et

il

à Clairin

dit

:

A

lueur des derniers coups de feu,

je la

brûle et

fonce dans l’ombre grandissante

le sacri-

et

je

« Il

champ de

et

et

me

reviens. » il

on ne

que mort, frappé d’une balle au

le

con-

se résigne à

une cartouche,

Pendant un jour

faut

Régnault pleure de rage

reste la

il

le terrain

quis, fouler aux pieds nos morts dont

rut

à l’as-

d’un pas, combat sous Buzenval, aux côtés

ler

vit

le ciel

un matin,

Puis,

tête.

brouillards de janvier,

saut d’un

par l’évo-

s’efforce,

il

s’enle re-

front.

une nuit Clairin parcou-

bataille,

retournant

les

morts,

explorant les fossés et refusant de croire à la


DISCOURS. nouvelle qui circulait dans

main,

le

camp. Le lende-

ne pouvait plus douter

il

un peintre promis

et

27

:

un écrivain

à une belle carrière et

qui, eux aussi, faisaient alors leur devoir de soldat,

MM.

avaient vu

Jules Claretie et Carolus Duran,

le

cadavre. Enfin, cinq jours après,

retrouvait au Père-Lachaise et fai-

Clairin

le

sait

dernière toilette de son ami,

la

encore

couvert des feuilles mortes sur lesquelles était

tombé

et

de

la

il

boue sanglante du champ

de bataille; puis, au son des tambours voilés

d’une marche funèbre de Saint-Saëns com-

et

posée pour bat,

lui

lui, ses

camarades, en tenue de com-

rendaient les

honneurs

militaires,

tandis qu’à

Rome

coup de

nouvelle qui consternait

la

le

sculpteur Mercié, sous les

pen-

sionnaires de l’Académie de France, faisait

de

lir

la glaise l’esquisse

le

jail-

de son Gloria victis

.

Je n’ajoute rien, Messieurs, à ce récit d’une belle vie et d’une les

commentant,

je

mort plus

belle encore.

ne pourrais qu’en

En

affaiblir

l’impression. J’emprunte donc à Régnault lui-

même

la

leçon que nous devons en

tirer.

Plu-

sieurs fois, au cours d’une jeunesse ardente,

pleine de force et d’espoir,

il

avait eu la pensée


HENRI REGNAULT.

28

d’une

que

fin

prématurée

« Il est écrit,

:

mourrai de mort violente.

je

disait-il,

dant, avec une volonté libre et forte, tait la

il

destinée, quelle qu’elle fût, et

combat avec une

au

Cepen-

»

Peu de

tranquillité

jours avant Buzenval,

il

beaucoup d’hommes;

il

meilleurs et plus forts. vir.

Ne

avait écrit sur

il

La

foi

La

pour

vie

Il était,

il

y

qui

Nous avons perdu

«

faut

les

refaire

et

leçon doit nous ser-

nous laissons pas amollir par des

sirs faciles.

permise.

:

allait

souriante.

son carnet militaire une profession de devait être son testament

accep-

soi seul

plai-

n’est plus

quelque temps, d’usage

a

de ne plus croire à rien qu’à

la

jouissance et

à toutes les passions mauvaises. L’égoïsme doit fuir et

emmener

avec

lui cette fatale

de mépriser tout ce qui Aujourd’hui,

la

était

honnête

gloriole et bon...

République nous commande

à tous la vie pure, honorable, sérieuse, et nous

devons tous payer à la patrie, à

la patrie et,

l’humanité libre,

corps et de notre âme.

Jeunes gens, maîtres, que

c’est ici,

au-dessus de

le tribut

de notre

»

dans

les

leçons de ses

Régnault a puisé l’inspiration

de ces nobles paroles. Notre Université est


DISCOURS. une conseillère de patriotisme

29

et

de grandeur

d’âme; elle aime profondément la France

apprend à l’aimer;

c’est

et

vous

son premier devoir

sa plus constante préoccupation.

Il

et

songeait à

l’avenir, le jeune héros, lorsqu’il écrivait cette

page suprême, où passe

comme un

Tyrtée; page digne d’une

âme

écho de

Spartiate

ou

athénienne, digne d’un Vauvenargues ou d'un

Alfred de Vigny, de tous ceux qui ont eu culte de

sionné de il

l’honneur militaire la patrie

et

l’amour pas-

en armes; par conséquent,

.songeait à vous, ses futurs camarades, qui

continuerez notre œuvre

une France

et

achèverez de faire

libre, forte et glorieuse.

nières lignes qu’il ait écrites vous sont je

le

vous

les

rappelle et

je

vous

Ces der-

un

les confie.

legs

;



APPENDICE



NOTE COMMUNIQUÉE PAR LOUIS-LE.- GRAND,

M. JODIN,

ANCIEN

PROFESSEUR AU LYCEE

D’HENRI

CONDISCIPLE

REGNAULT AU LYCÉE NAPOLÉON

enri Régnault avait

un

caractère très

gai et très ouvert. Excellent camarade,

espiègle souvent, jamais mauvais plaisant.

Lé sculpteur Degeorge, qui

a exécuté

son

buste pour l'Ecole des beaux-arts, a donné à sa

physionomie une expression un peu trop dure, ce qu’il

me

à

semble. L’expression véritable était

beaucoup plus douce mais les beaux yeux bleus n’en étaient pas moins intelligents. ;

I. Le lycée Henri IV a reçu alternativement Napoléon, Corneille et Henri IV.

noms de

les

5


HENRI REGNAULT.

34

Dès son entrée au de

cahiers

ses

sixième,

il

lycée,

il

Quand

brouillons.

venait

parfois

aimait à illustrer

en

j’étais

aux récréations qui

avaient lieu en étude et nous montrait des che-

bonshommes coiffés de casques, sans De Viris, qu’il expliquait avec son professeur, M. Balmelle. Déjà, avec notre

vaux

et

doute

des

les

héros du

importance d’élèves de sixième, nous

lui prédi-

sions de hautes destinées; mais, à cette époque, il

savait déjà qu’il serait peintre et le disait

ou i85q, peut-être

ai-je

fait

(

1

85

une erreur d’une

année).

En

rhétorique

vétéran

— (M.

il

était

nouveau comme

Lenient, rhétorique latine;

dier, rhétorique française). Il était lier,

mais

sinon très appliqué; sa

pensée

la

Un

graveur à l’eau-

qu’il faisait à cette

Périclès réveillant Alcibiade (je

bon élève, régubonnes places,

doute fort cher une foule de

plume

bras d’Aspasie

Di-

avait de

était ailleurs.

forte payerait sans

dessins à

il

j’étais

M.

me

époque

endormi entre

:

les

rappelle ce sujet parce que

j’avais protesté contre l’inexactitude historique), et

toute

une

série d’illustrations sur les Elégies

notamment sur la Lampe vu du reste peu de ces dessins* M. Didier en confisqua un jour quelques-uns, se fâcha Camille était trop peu vêtue mais il garda, d’André

Chénier,

(xxxvii).

J’ai

:

;

je crois, les dessins.

se gênait pas

pour

dire

sont-ils?

Du

reste,

que Henri Régnault

il

ne

était


APPENDICE. un peu amateur,

excusable d’être

bon

élève.

«

35

supérieur à beaucoup

sera très

Il

empruntent

d’autres peintres qui

tout en étant

à l’antiquité les

sujets de leurs tableaux et ne la connaissent

par des traductions,

et

encore quand

Paroles presque textuelles de Cette

un

sur

même

M.

ils

en

que

lisent. »

Didier.

année, j’avais tout lieu de compter

prix de vers latins

(le

second, car notre

M. Lenient nous Charmeur de serpents.

premier, Filon, était invincible).

donna comme Régnault

fit

sujet

une

dérouler

les

convolvit

terga)

:

le

pièce

;

et

sais,

me Il

le

fut-il

mais

rejeta

il

le

bon,

fut-il

des

écailles

bien rendu. Si

le

M. Lenient

premier,

savait

il

enrouler (lubrica

était très

avait été

avait pas été nuisible.

Régnault

les

chatoiement

le

de différentes couleurs le versificateur

ne

charmante;

serpents et

peintre ne lui fut enchanté. le

second? Je

eut le second prix des

nouveaux

au premier accessit des vétérans.

échoua plusieurs années au concours pour

prix de

Rome

œuvre jugée

qu’il finit par obtenir avec

alors

celui-ci,- je crois

:

remarquable;

le

sujet

une était

Thétis apportant à Achille de

nouvelles armes.

'3

©00

'


NOTE COMMUNIQUÉE PAR

GRÉARD, DE L’ACADÉMIE

M.

FRANÇAISE, VICE-RECTEUR DE l’aCADEMIE DE PARIS,

ANCIEN PROFESSEUR AU LYCÉE NAPOLÉON.

enri Régnault réussissait surtout en version et dans les devoirs d’imagination.

Mais

que

fallait

il

texte de traduction trop il

s’y laissait

aller

le sujet lui plût.

aisé

ne

que ne com-

à des erreurs

mettaient pas ses plus médiocres camarades; contraire, pour peu ficulté,

il

rare. De.

un vers

Un

lui disait rien;

au

qu’il fût stimulé par la dif-

avait des intuitions d’une pénétration

même pour

les

vers latins qu’il aimait

plat chez lui était

presque toujours mar-

qué d’une faute de quantité; dès veine, l'idée

jaillissait,

:

l’épithète

qu’il était

en

se colorait, la

période se développait avec une ampleur superbe.

Heureux ou non dans

le détail,

toujours par des mérites d’ordre il

savait composer.

classe,

l’explication

le plus.

Lorsqu’il

Quand

c’était le

De

tous

les

celui

était

se distinguait

il

et

exercices de

qui

la dirigeait, il s’y

tour des autres,

des distractions prolongées

:

d’ensemble

il

:

la

l’attachait

passionnait. avait parfois

à son regard absorbé


APPENDICE. on devinait que son

esprit

37

s’était

une

arrêté à

pensée qu’il suivait. Je l’ai rarement vu prendre la plume ou le crayon; mais, le soir ou le len-

demain,

apportait quelques croquis qui

il

duisaient sa

rêverie.

C’est

d’une explication de Tacite

Mort de modèle

:

Vitellius je l’ai

qui

ainsi

qu’à

il

un jour une

n’était

fit

la

suite

du

pas indigne

conservée. Après la classe,

mait à causer de ce qui

tra-

l’avait frappé.

il

ai-

Sa conver-

sation était charmante, pleine d’imprévu, très gaie

plus souvent, semée quelquefois de réflexions

le

comme

graves, presque

tristes,

un nuage.

longtemps conservé un caractère

Il

a

qui

jeune, et dès quinze ans L’esprit était

moins.

le

dans

la

il

avait le

le

touchait

pour Lucrèce. Quelle avait

source de cette poésie profonde?

comment Lucrèce

s’était-il

bien des fois cette question.

formé? Il lisait

Bible pour son plaisir, sans suite, il

jugement mûr.

choses ce qui

goûtait Virgile plus qu’Horace. Ses

Il

préférences étaient été

les

la traversaient

Il

et

m’a posé

Homère

et la

un peu comme

mais en y revenant toujamais pardonné à Lamartine d’avoir

faisait toutes choses,

jours.

Il

n’a

mal parlé de La Fontaine. Certaines pages de Victor

Hugo

le

transportaient:

tout haut à lui-même; j’en les

oreilles,

le

cœur

il

se les récitait

ai, disait-il,

tout pleins.

les

yeux,


LETTRE DE

M. H. BAILLON,

DE MÉDECINE

PROFESSEUR A LA FACULTE

DE PARIS, ANCIEN PROFESSEUR

AU

LYCÉE NAPOLÉON.

Paris, le 15 juillet 1889.

Monsieur, en

’ai,

effet,

Napoléon,

le

beaucoup connu, au lycée jeune Henri Régnault, re-

marquable par son intelligence et son un peu léger, rieur et

heureux caractère. Gai, franc,

il

ne considérait guère l’étude des sciences

que comme un passe-temps. rences étaient déjà pour

Toutes

remplaçait un devoir par un croquis, faisait déjà tés.

Quand

de très curieux il

tion, et cela

ne savait pas

de

très

très

des

la

dessiner.

circonstances,

croquis fantaisistes

et

préfé-

et

il

il

en

mouvemen-

bien sa composi-

lui arrivait quelquefois,

risais volontiers à

dans bien

et

ses

Souvent

dessin.

le

Et

je

c’était

l’autoalors,

un amalgame de

de contours dans lesquels

on reconnaissait déjà une certaine fermeté de lignes et un grand désir d’arriver à l’originalité.


APPENDICE.

Mon

39

préparateur avait recueilli quelques-uns

de ces essais, qui auraient aujourd’hui un certain

de

intérêt

curiosité

valeur.

Mais

l’élève,

hélas!

le

probablement quelque

et

préparateur

MM.

X...

et Z...,

connus aujourd’hui, ont Régnault

;

ils

mort comme

est

peintres bien

de

été les condisciples

partageaient ses goûts, mais, dès lors,

on pouvait deviner qu’il leur serait supérieur. L’allure du cheval de Prim était déjà pressentie dans quelques-uns de ses croquis de chevaux, qu’il aimait à représenter

peu

difficiles et

J’ai

jeune

dans des postures un

cherchées.

plusieurs fois, depuis lors, rencontré artiste.

La dernière

fois, c’était

le

au Théâtre-

Français, vers l’époque du plébiscite qui devait lui être, indirectement, si funeste.

jours sa

langage

de manières.

semble de

Il

sa carrière.

de Grenade. a

Il

libre

se traçait alors et

de

un plan

même pour

l’en-

Vous savez son enthou-

siasme de coloriste pour

y

avait tou-

bonne humeur, devenu plus et

de travail pour ses voyages

Il

Il

restes

les

mauresques

voulait continuer ces études...

un homme qui

a été,

comme

fesseur de Henri Régnault à

moi,

le

pro-

et

qui

Napoléon

Vous en pourriez tirer quelques renseignements. Je parle de M. V. Duruy, l’aimait beaucoup.

ancien ministre de l’instruction publique.

En

fait d’histoire

laissé, je crois,

naturelle^

Henri Régnault n’a

que des dessins de géologie.

Il s’é-


HENRI REGNAULT.

4ô tait

appliqué à reproduire

tées des

les

roches

mouvemen-

environs d’Alicante. Vous en trouveriez

un beau spécimen dans la galerie de minéralogie du Muséum d’histoire naturelle. Agréez, Monsieur,

etc.

H. Bâillon.

-o@§s<g><>


LETTRE

DE

PROFESSEUR

LENIENT,

CH.

M.

LA

A

FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS, ANCIEN PROFESSEUR AU LYCÉE NAPOLÉON.

Paris, 25 juillet 1889.

Mon

cher ami,

e n’ai vraiment ni le loisir ni la liberté

pour vous fournir au indications que vous me

d’esprit nécessaires

complet

les

demandez. Tout ce que Régnault, que

j’ai

je puis vous dire d’Henri beaucoup connu en effet et

beaucoup aimé, comme un de dont s’éprennent parfois qu’il était bien le taisie,

fils

de

les la

ces enfants gâtés

vieux maîtres,

jeunesse et de

la

c’est

fan-

nature vive, pétulante, prime-sautière, avec

des frasques d’artiste et de poète cultivant

le

vers

latin

Alfred de Musset sur

un peu gamin,

comme avait fait les mêmes bancs,

jadis trai-

tant volontiers en dessin le sujet donné, avant de le

mettre en vers.

Il

obtenait,

en rhétorique, 6


HENRI REGNAULT.

le 2

e

nouveaux dans

prix des

plaisait à

cette

faculté qui

son imagination.

Charmant

et

cher

enfant!

Je le vois encore

avec ses cheveux blonds et bouclés, venant me montrer l’esquisse de son concours pour le prix

de

Rome, me

parlant avec enthousiasme du der-

nier tableau d’Ingres

:

resté classique d’esprit

Jésus parmi

les

docteurs

malgré tout ce qu’il avait

d’indépendant, de lougueux

et

de moderne,

me

disant qu’il partait pour l’Italie avec la Bible et

Homère,

ses

deux compagnons de voyage.

vrai qu’il en rencontrait d’autres en chemin.

Recevez,

mon

cher ami,

etc.,

C.

Lenient.

Il est


LETTRE DE

VICTOR DURUY, DE L’ACADÉMIE FRAN-

M.

ÇAISE, ANCIEN MINISTRE

DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE,

ANCIEN PROFESSEUR AU LYCÉE NAPOLÉON.

16 juillet 1889.

Villeneuve Saint-Georges (Seine-et-Oise),

Mon

cher Directeur,

egnault

fut,

en

effet,

mon

élève et je

mais beaucoup, quoiqu’il ne

l’ai-

fût pas

de

ceux qui marchent régulièrement dans le

rang.

rédaction, sait

Souvent

me

remit,

au

lieu

quelque scène historique racontée

Je le vois encore

de

il

Tacite lue

me

la veille.

présentant après une page

en classe,

retracée déjà avec

la

Mort de

Vitellius

une verve endiablée. Le

empereur, entouré d’une foule traîné

d’une

un dessin au crayon qui reprodui-

hurlante,

triste

était

aux gémonies, une épée attachée sur

la

poitrine et dont la pointe lui perçait le menton,

pour

qu’il fût contraint de lever les

voir SQU supplice avant de

yeux

et

de

le souffrir. C’était

un


HENRI REGNAULT.

44

vrai tableau

que j’envoyai

à son père, en lui pro-

phétisant qu’un véritable artiste nous était né.

Le grand physicien

eut la sagesse de ne pas

contrarier cette vocation.

Son

puis au Maroc, en Espagne,

fils

alla

le

durant

retrouvai à Paris

M

me

de rempart,

qui

le

les

yeux!

siège; son

un dessin de moi, en

dernier coup de crayon fut soldat

Rome,

Régnault revint

et

de ces pays du Midi avec du soleil dans Je

à

doit

se

Bréton-Hachette ou chez sa

trouver chez

fille,

M me

Vau-

doyer. Quelques jours après eut lieu l’inutile sortie

de Buzenval, artiste,

et

un

soldat allemand tua le grand

qui en tombant aurait pu dire avec vérité:

Qualis artifex pereo, J’assistai en larmes à ses funérailles qui, au milieu de leurs, furent

pour

la patrie

nos suprêmes dou-

un deuil de

Y.

plus...

Duruy.


LETTRE DE

M.

GEORGES CLAIRIN.

Mon

cher ami,

oici,

sans phrases ni

récit

grands

mots,

que vous me demandez. et

nous

voyages, avec

tous

...Nous avions vingt-sept ans

menions une

le

belle vie de

ses côtés pittoresques

et

son imprévu

arrivées,

:

départs, installations, emballages, déballages, etc.

Survient

la

guerre.

mant de grands

Nous

projets de

vivre plusieurs mois dans

même un

acheté

vrai

atelier

nouvelles plus tard; soleil et

comme taire;

un

étions à Tanger, for-

terrain

travail

pays.

le

pour y

nous font remettre

mauvaises

construction à

nous disons au revoir au pays du

nous voilà de retour

il

à Paris.

Régnault,

exempté du service milin’admet pas cette excuse, et nous

grand prix,

mais

la

voulant

faire construire

Les

d’orientaliste.

et

Nous avions

était

.entrons dans les bataillons de marche.

Un faisait

beau jour,

il

disparaît

:

trouvant qu’on ne

pas assez de besogne chez nous,

il

s’était


46

HENRI REGNAULT.

engagé dans

les francs-tireurs.

temps. Je crois que, là encore,

vous dire d’abord,

faut

mon

siez bien

temps de paix,

monde,

afin

avant-postes.

que vous connais-

pauvre Régnault, que

plus charmant toqué qui fût au

le

un besoin

insatiable de vie

d’émotion, ne prenant au sérieux que son

Avec

l’homme

guerre,

la

sans pose, avec beaucoup de simplicité feu,

il

montrait

le

C’est alors qu’il

belles,

dans un

fit

atelier

le faisait

il

et

Il

de gaieté.

calme d’un vieux soldat.

Lorsqu’il avait quelques heures à lait.

art.

transformé.

s’était

voulait faire son devoir, très bien, mais

Au

en

c’était,

faisant toutes les excentricités, plein de

sève et d’ardeur, avec et

y resta peu de

eut quelques dés-

Enfin, nous voilà aux

illusions. 11

Il il

lui, il

travail-

quelques aquarelles,

que

très

lui avait prêté Albert

Goupil.

La

bataille de

comme vous

Buzenval dura tout un jour,

savez.

Nous ne comprenions pas

grand’chose à ce qu’on nous

nous

faisait faire,

mais

tirions avec conviction, plusieurs fois lancés

contre

le

mur du

parc,

mais ne pouvant arriver

jusque-là. Vers cinq heures du soir,

on nous

fit

redescendre près du château. Regnaultétaitfurieux, d’autant plus que la position était mauvaise

qu’on nous tuait du monde inutilement. dait des ordres qui

;

je

Au bout d’un me reste encore

ne venaient pas.

moment, Régnault me une cartouche

et

On atten-

dit

:

«

Il

ne veux pas rentrer avec une


APPENDICE.

ma giberne,

balle dans

47

par

je vais

là et je reviens. »

Je ne le revis plus.

Ce qui se passa depuis, mon cher ami, mes faits et gestes; inutile de vous en Régnault

même

était

mort.

Il

voici tout ce

;

emportait

que

je

la

ce sont parler.

moitié de moi-

puis vous dire.

Six jours d’angoisse, pendant lesquels

pour

toutes les démarches possibles Il

avait été porté au Père-Lachaise, dans

Que

longe. tures,

j’en ai

vu passer de

je

fis

retrouver.

le

une pro-

ces horribles voi-

semblables à ces charrettes de boucher qui

membres

laissent pendre des

de Régnault

où on devait

était écrit le

dans

sanglants! Le

nom

sa capote, avec l’adresse

transporter, en cas d’accident.

Le

troisième jour après Buzenval, un médecin par-

courant

le

champ de

bataille avait

de garde national de marche, tas

de feuilles mortes,

le

la face

vu un cadavre

tombée sur un

corps roulé dans

le fossé

d’une route. Les mains fines du mort, sa chevelure, sa jeunesse, l’avaient frappé.

avait

vu une

long de tempe.

Il

la

Il l’avait

superbe, avec un

tête

joue

une balle

:

retourné

et

de s'ang

le

filet

l’avait

frappé

à

la

avait ouvert la capote, cherché dans les

vêtements quelque indice pour

le

reconnaître

et

trouvé au cou une petite médaille suspendue à

une chaînette d’or puis l’indication connaissait le

un cadeau de sa fiancée), écrite que je viens de vous dire. Il (c’était

nom

de Régnault.

médaille, le képi, l’adresse

et

vint

Il

prit

donc

la

nous apprendre


HENRI REGNAULT.

48

que Régnault

était

mort.

Nous avions cru

qu’il

que blessé ou prisonnier. Revenons au Père-Lachaise. Pendant plusieurs heures, j’y cherchai le cadavre dans une sorte de grange qui servait de resserre pour les outils n’était

des jardiniers.

Les

horrible.

Que de morts

dedans

!

C’était

pauvres cadavres ressemblaient

à des sacs boueux, jetés les uns sur les autres.

un coin le bois blanc d’une un paquet de vêtements à côté. Je fais

Enfin, j’aperçois dans bière, avec

glisser le couvercle et je vois

mon

pauvre ami,

tout nu, la figure couverte de terre et de feuilles

mortes. Je

moule sa tête, aidé de Nous venions à peine de nous respirions un peu d’air pur sur

le

lave

et

je

Barrias le sculpteur.

terminer, la porte

et

de

la

grange, lorsque nous aperçûmes sa

fiancée, qui montait la côte

du cimetière, au bras

de son père...

Nous

le

transportâmes à

service religieux.

Tous

la

Trinité,

pour

le

ses amis, tous les survi-

vants de sa compagnie s’y trouvaient. Saint-Saëns,

un de ses intimes, tenait l’orgue et joua une « Marche funèbre pour l’enterrement d’un soldat », page superbe qu’il avait composée pour Régnault* La famille était absente M. Régnault :

père

était

enfermé à Strasbourg, avec

le reste

de

sa famille.

Voilà, était

mon

un grand

cher ami, mes souvenirs. Régnault peintre; et

que de dons avec

cela

!


APPENDICE. Il

49

il était bon musicien. Par-dessus un grand cœur et une âme généne pouvait voir un malheureux sans lui

écrivait bien

tout,

reuse.

c’était Il

donner tout ce

qu’il pouvait. Je

ne crois pas que,

de tous ceux qui l’ont connu, un seul

ait

chose à en dire que du bien...

Georges Clairin

7

autre


.


^aj©>

‘®®3Éir^€^Ï5

PRIX ET ACCESSITS Obtenus par Henri Régnault au lycée Napoléon

REGNAULT Né

(Alexandre-Georges-Henri)

à Paris le 3 o octobre 1843

1853- Élève du lycée Napoléon de

54.

Septième.

1

à 1860

85

Professeur

:

M. Bal-

MELLE.

1854-

2e i

I

er er

2e

55.

Prix d’histoire et géographie. Accessit de

— —

grammaire

française.

de récitation. de

latin.

— Sixième. — Professeur

:

M. Barroux.

2e

Prix de récitation.

2e

Accessit d’histoire et géographie.

4

4

e

e

— —

de grammaire française. de

latin.


HENRI REGNAULT.

52

i855-56.

— Cinquième. — Professeur er

i

— — —

4e 5e

MM. 1

er

3e

4

e

6e

En

de thème

latin.

de français.

Professeurs

Brosselard

et

:

Phjlippon.

Prix de récitation. Accessit de

3e »

de grec.

Quatrième.

2e

M. Verien.

Accessit de récitation.

2e

[856-57.

:

'

— — —

thème

latin.

de version latine. d’histoire et géographie.

de version grecque.

de grammaire comparée

outre, au concours général des lycées et collèges de

Paris, le 5 e accessit de

i857-58.

thème

Troisième.

MM.

latin.

Professeurs

Bâillon, Eudes.

2e i

cr

2e 3 3

e

e

Prix de version latine. Accessit de version grecque.

— — —

:

Pessonneaux père, V. Duruy,

de vers latins.

de thème grec. de récitation.


PRIX ET ACCESSITS. 1858 - 59

Seconde.

.

MM.

Professeurs

Gréard,

53

:

Dreyss,

Bâillon,

Garcet. er

i

cr

i

2e

2e cr

i

Prix de narration latine.

— — —

— — —

e

6e

1859-60.

de thème grec.

Accessit de version latine.

2e

4

de récitation. de version grecque.

de cosmographie. d’histoire et géographie.

de chimie.

Rhétorique.

MM.

Professeurs

:

Lenient, Didier, V. Duruy,

Bâillon, Elwall. cr i

2e

Prix de version latine.

de vers

latins.

e 4 Accessit d’anglais.

Le Proviseur du

lycée

Henri IV,

Inspecteur d' académie honoraire

L.

Grenier.



JJ OTES



JVOTES

I

un discours d’une inspiration

P. 9. «...

si éle-

vée... »

Cent

ans d'histoire de

discours prononcé

par

la

langue française, 1789-1889,

M. Monceaux,

professeur de rhé-

torique.

II

P.

12. «

Il

en son nom,

m’a donc autorisé à vous promettre,

le

buste d’Henri Régnault..,

»

Par arrêté nistre

en date du 19 août 1889, M. A. Fallières, mide l’instruction publique et des beaux-arts, a dé8


HENRI REGNAULT.

58

M.

cidé qu’un buste d’Henri Régnault, exécuté par Ion, d’après celui

au lycée Henri

placé

Sur

IV.

M. L. Grenier, proviseur du tembre 1889 a misa le

J.

Cou-

de M. Degeorge (voir ci-après), serait

la

le

lycée,

disposition

désir exprimé par un arrêté du 25 sep-

du

même

établissement

buste d’un autre de ses anciens élèves, Alfred de Musset,

en a confié l'exécution à M.

et

celui

Sul-Abadie, d’après

J.

de Mezzara, qui se trouve au foyer de

la

Comédie-

Française. Ces deux bustes ont été érigés, en face l’un de

dans

l’autre,

la

cour d’honneur, par

les soins

de M. Manjot

de Dammartin, architecte du lycée.

III

P.

12.

fière...

«

Vous verrez

ici la

charmante

tête

et

»

Ceux

qui ont le mieux connu Régnault me disent deux bustes, l’un par M. Degeorge, l’autre par M. Barrias, tous deux très beaux comme œuvres d'art, ne donnent pas et ne pouvaient guère donner une idée tout

que

ses

à fait exacte de sa physionomie. On a vu cette réserve expressément marquée plus haut dans la note de M. Jodin, et elle est implicitement contenue dans la lettre de

M. Lenient. L’expression dominante dans l’autre des

deux bustes est

encore accentuée par

'

le

l’énergie

mâle

bronze, dont

la

l’un

et

dans

dure du soldat,

et

matière et

l’as-

pect ne se prêtent guère aux effets de douceur. Régnault

yeux bleu douce et musicale,

avait les

moyenne

clair et les la

et l’élément

main

cheveux châtains, la voix était de taille il

très fine

;

nerveux dominait chez

lui,

plutôt


NOTES. que

l’appareil

59

musculaire. L'aspect général donnait une

impression de force, mais surtout d'élégance et de finesse. plutôt Il aimait passionnément les exercices du corps, ceux qui exigent de la souplesse et du courage que ceux où la vigueur physique se déploie sans danger ainsi l’équitation, comme on le voit dans- ses lettres de Rome, où il montait des chevaux très difficiles, les recherchant et abandonnant pour eux les mieux dressés, qu’il trouvait ;

trop dociles.

Le buste exécuté par M. Degeorge surmonte le monument élevé dans la cour dite du Mûrier à l’Ecole des beaux-arts, en mémoire des élèves de l’école tués pendant la guerre de 1870-1871. Ce monument est le résultat d’une souscription ouverte avec tration

des

beaux-arts,

le

concours de l’Adminis-

sur l’initiative

Guillaume, alors directeur de

l’école.

de M.

Le motif

Eugène

d’architec-

M. Pascal; la Jeunesse, de M. Chapu, charmante figure, devenue immédiatement célèbre, dépose au pied du buste une branche <je laurier. Le buste exécuté par M. Barrias surmonte une pyramide tronquée, élevée dans une allée du parc de Buzenval, à l’endroit même où Régnault fut tué, c’est-à-dire à trente mètres environ du mur fameux où se brisèrent les assauts du 19 janvier. ture est de

IV P.

17.

ce

II

passaitde longues heures au Jardin

des plantes, devant les cages des fauves...

I

l conserva cette habitude et

amusante, d’où

il

se

tira

lui

»

dut une aventure

avec beaucoup de sang-froid,


HENRI REGNAULT.

6o

mais qui raconte

pu mal

aurait

M. Georges

finir.

dans une autre lettre

ainsi,

du présent discours un matin, à l’heure où l’on

m’adresser, après lecture «

arrivait

Il

...

devant

sépare

les

pousser des et

braillait

lui

assis,

le

de

!

la

grande

éperdument

La

le

passage grillé qui

entend

lorsqu’il

allée,

une porte ouverte Prenez garde à vous

avait laissé «

:

!

lâchée. »

tigresse est

lève la tête et voit, en

fait la toi-

son chevalet à sa place habi-

ménagerie, dans

Le gardien

cris.

Allez-vous-en

jolie,

la

cages

la

:

lette des fauves, et installait tuelle,

Clairin

bien voulu

qu’il a

une

effet,

qui venait de s’engager dans

Régnault, déjà

tigresse,

jeune et

le couloir. Il se dit

plus prudent est encore de ne pas bouger et

il

que

attend.

Vous saurez que Régnault, avec ses cheveux bruns frisés, avait un regard étrange des yeux bleu clair sous une arcade sourcilière très profonde. La tigresse fait :

deux ou devant

l’homme la

bonds de gaieté dans le passage et arrive Régnault ne fait pas un geste, et voilà

trois lui.

et la bête qui se regardent, face à face. Bientôt,

bête soulève sa large patte,

l’homme, puis la

la

tigresse lui

retire.

la

Régnault

pose encore

la

pose fait

sur le bras de

mine de

dessiner,

patte sur le bras, et ce

manège recommence toutes les fois que Régnault indique même mouvement. Enfin, elle se couche près de lui.

le

Ils

restèrent assez longtemps ainsi, tandis que le gardien,

armé de son

balai, attendait le

-

moment

d’intervenir, sans

trop de hâte. Cependant, Régnault sentait sa jambe s’en-

gourdir

;

il

essaye de se lever,

la

tigresse

donne un coup de patte assez vigoureux pour ler à terre et

s’effraye, le faire

lui

rou-

court d’elle-même se réfugier dans sa cage,

tandis que Régnault ramassait sa boîte à couleurs et son chevalet... »


NOTES.

61

V

P.

«

17.

marges de

Au

lycée,

chargeait de croquis les

ses livres. »

Charles Blanc temps, 1876, p. 349) si

il

écrit à ce sujet {les Artistes de

connues, que ses camarades

pour

qu’il

m’a

cité

de poing, qui avait

dit,

apportaient leurs cahiers

le petit

un

lycéen, fort en

fait interfolier

thème

et

en coups

ses livres de classe, et

Régnault, sous peine de recevoir une

roulée, à illustrer les fables

On

lui

dessinât sur les marges tout ce qu’il imagine-

rait, et l’on

qui forçait

mon

« Ses dispositions étaient si heureuses,

:

de La Fontaine ou \eDc

Viris. »

peut exprimer un doute sur l’exactitude de cet on-

où je verrais, avec une histoire innocemment imaginée

sur une banalité conventionnelle de la vie de collège, une faute de goût plus regrettable. D’abord,

que

le

De

Viris et le

La Fontaine

il

est probable

interfoliés avec tant

de

prévoyance par le lycéen collectionneur auraient laissé quelque trace, et il n’en existe aucune dans le catalogue de l’œuvre de Régnault, {Henri Régnault, sa vie

Du parc

dressé par et ses

MM.

œuvres,

Henri Cazalis

1872) et Arthur

{Correspondance de Henri Régnault, 1872).

sans vouloir faire de Régnault enfant

En

outre,

un Du Guesclin

in-

trépide et batailleur, on éprouverait quelque répugnance

à trouver dans le futur

soldat de Buzenval

un

collégien

aussi docile à satisfaire, par crainte d’une roulée, les exigen-

ces d’un camarade brutal. J’ai les condisciples

donc consulté à ce sujet

de Régnault au lycée Napoléon

:

d’après


HENRI REGNAULT.

62

eux,

il

avait, dès la

première jeunesse, une énergie, un

courage et une volonté tout à

fait

extraordinaires

;

ils

n’ont

aucun souvenir du camarade en question.

VI

P. 20.

((

Plus

je lis l’antiquité.... »

(-> e fragment de lettre et ceux qui vont suivre sont em-

pruntés à l’ouvrage de M. Arthur Duparc, Correspondance de

Henri Regnanli annotée

Emmanuel Mallarmé, p.

2

19 (à M. M. Stéphane

et recueillie, 1872, p.

des Essarts, janvier 1865 janvier 1865), p. 384

),

p. 18 (à

son père, 12 août 1870),

399 (au capitaine Steinmetz, 18 janvier 1871), p. 248

(à son père, 16 février 1869), p. 398 (note écrite sur son carnet ).

VII

P. 20.

« ...

l’Ecole des beaux-arts et l’atelier...

»

Son

premier maître de peinture fut Lamothe, mort en 1869, lui-même élève d’Ingres et de Flandrin. Peintre religieux,

Lamothe a rempli

les

églises

parisiennes de

médiocres compositions dans

conciencieuses

et

de ses maîtres,

c’est à dire

dénotant

le respect

le

goût

du dessin

et la crainte des colorations trop vives, sans le talent supé-

rieur

qui

Régnault

domine

l’insuffisance

le respectait,

des théories exclusives.

s’en plaignait quelquefois et finit


NOTES.

63

par se dégager de son influence, après avoir reçu de tout ce qu’un

tel

lui

maître pouvait donner.

Les registres de l’École des beaux-arts portent qu’il fut admis dans la section de peinture, le I er avril 1 86 1, trentecinquième sur quatre-vingts. Le 23 novembre delà même année, tive.

il

Le

obtenait une mention au concours de perspec-

logiste, à

Rome;

mai 1862,

17

septembre suivant,

le 17

avec ce sujet survint

comme

cours pour

le

sa mère.

Quand

instituant

des

Régnault entra dans celui de Cabanel.

premier

logiste, le

grand prix,

il

21 avril 1865, au con-

n’obtint

pour un Orphée aux enfers. Le 20 part au concours comme neuvième premier grand prix,

le

quatrième

grand prix de

obtenait une mention

aux prières de novembre 1863,

décret du 13

le

il

le

Coriolan cède

:

ateliers à l’école,

Admis,

comme

était admis,

il

prendre part au concours pour

Thètis apporte à Achille

le 11

les

aucune récompense

avril

1866,

il

prenait

logiste, et remportait

août suivant, avec ce sujet:

armesforgées par Vulcain.

Ses premiers envois au Salon annuel, deux portraits, l’un

d’homme, l’autre de jeune du livret.

fille,

sont de 1864, n os 1609

et 1610

VIII P. 22. talent de

Je

Si j’avais à apprécier

accompagnent.

me

complètement

le

»

n’y songe pas plus dans ces notes

qu’elles j’ai

«

Régnault

Il

me

suffira

que dans

de préciser

les ici

pages

ce que

contenter d’indiquer plus haut.

Régnault

fut

un peintre de premier

ordre, qui n’eut

pas le temps de donner toute sa mesure, avec des qualités

éminentes qui auraient grandi encore et d’assez graves


HENRI REGNAULT.

64

défauts qu’une plus longue pratique de son art eût certai-

nement portait cole,

il

suivie,

atténués, peut-être corrigés complètement. Il apune note nouvelle et, s’il ne fut pas un chef d’éindiqua, du moins, une direction que d’autres ont

en allant plus avant.

Son plus grand mérite, ce fut d’être en même temps un dessinateur et un coloriste; dessinateur très consciencieux et très habile, servi par un œil et une main également bien doués coloriste épris de la lumière et de l’éclat, profondément ému par ce qu’il voyait et sachant faire passer toute son émotion sur la toile. A ces dons il joignait une imagination dramatique, féconde, puissante, à la ;

fois artiste

et lettré,

observateur philosophe qui savait

mettre une âme dans une physionomie, un temps et une race dans une scène, un pays dans un paysage. Rien de plus injuste que de classer parmi les tableaux anecdotiques

son Execution à Grenade, par exemple;

mais je comprends que

les

c’est

de

l’histoire,

simples faiseurs ou amateurs

de morceaux soient impatientés par une pareille toile gêne dans leurs préférences ou leurs théories.

elle les

La rançon d’une de la

ses principales qualités, l’amour

couleur, ce fut d’être ébloui par

de au point de ne

elle,

voir qu’elle, crue, violente, étalée par plaques, sans transitions, par suite sans

modelé.

En un mot

il

lui

manquait

le

sens des valeurs, c’est-à-dire de l’importance plus ou moins

grande que gagnent ou perdent les couleurs par leur juxtaposition. Il n’avait pas encore reconnu cette vérité que les plus

grands coloristes,

nous ont

laissé

comme

Véronèse, par exemple,

des tableaux dont l’aspect général est écla-

sans que chaque couleur examinée à part soit très (On peut voir les raisons scientifiques et esthétiques de ce fait dans le travail fameux de Chevreul, De la loi

tant,

vive.

du

contraste simultané des couleurs et de

M.

assortiment des

l’

1839; et dans la Philosophie de l'art par H. Taine, 1881, troisième partie, 1, 3, et septième par-

objets

colores


NOTES. tie, ni,

3.)

L’œil en effet

65

procède d’abord par synthèse

l’analyse ne vient qu’après;

il

ne voit

qu’après

le détail

l’ensemble et ne peut juger celui-là que par rapport à

Régnault suivait la marche opposée, ou, du moins, une forte tendance à la suivre. De là l’impression que produisirent d’abord ses meilleurs,

celui-ci. avait-il

tableaux sur de bons juges et qu’ils ont produite de plus

en plus la

:

ils

manquaient de

relief et

de perspective,

comme

Salomè, qui, assise devant une tenture jaune, semble

appliquée contre cette tenture;

comme

cution à Grenade dont la jupe blanche

viner

En

la

nègre de X Exe-

le

ne

guère de-

laisse

continuation des jambes nerveuses qui en sortent.

outre, ses vives couleurs se sont éteintes avec le

temps; et certains de ses tableaux, au relieront perdu

le

peu

qu’ils avaient,

lieu

de gagner du

comme

il

arrive tou-

où les valeurs ne sont pas exactement étudiées et dont le coloris a été surtout obtenu par des moyens matériels. Régnault, en effet, ne trouvait jamais assez éclatantes les couleurs que lui offrait le commerce; il achetait les plus vigoureuses et au lieu de consulter son

jours

à ceux

père, l’éminent chimiste, qui l’eût certainement

garde contre

les

graves dangers que les progrès de

mis en la chi-

mie font courir à la peinture contemporaine en lui offrant une vaste série de couleurs décevantes, et sans solidité, qui ternissent, s’altèrent, se pénètrent mutuellement et il chercondamnent les tableaux à une courte durée

chait au hasard, partout, en France, à l’étranger, des couleurs

immédiatement

brillantes.

Mais ces réserves théoriques et ce déchet matériel n’empêchent pas Régnault de garder dans l’école française un rang très voisin du premier comme valeur propre de l’artiste, et comme novateur de marquer sa place en tête des progrès qui ont préparé l’évolution

contemporaine.

Il

a

aimé

delà peinture

et observé la vérité

;

il

a

grand en faisant vrai. 9

fait


IIENRI REGNAULT.

65

IX P. 23.

«

...

Adressez-vous aux maîtres qui ont

jugé chacune de ses œuvres dès leur apparition et

aux écrivains

En

par cette noble figure...

attirés

dehors des œuvres, dont

la

»

plus grande partie est

restée dans les musées de France (École des beaux-arts,

Louvre, Luxembourg, Marseille,

Lille,

maison de

la

Légion

d’honneur, à Saint-Denis), on ne saurait trop conseiller lecture du livre que

de Régnault et

M. Arthur Duparc modestement

qu’il a

dance de Henri Régnault, annotée

intitulé

et recueillie

,

Correspon-

:

1872. Régnault

écrivait à sa famille et à ses amis de longues

son

caractère,

impressions de

l’idée

se

qu’il

Rome, d’Espagne

lettres

de son

faisait

la

a tiré des lettres

ses

art,

et d’Afrique se retrou-

vent avec une vigueur et un éclat dignes d’un écrivain de il profession. Ce n’est pas du Fromentin y a de la sura:

bondance, un excès de fougue juvénile, des à peu près de pensée et d’expression au demeurant, ce sont des docu;

ments de premier ordre, où d’un

histoire

de

la

dangereuse chute de cheval, révolution espagnole en 1868,

charmants par

la vérité et la

bonne humeur du récit, devine que M. Duparc forme de ces c’était,

lettres,

forme vaut

tableaux,

ses

le

le

l’aspect etc.,

fond. Telle

le

double récit d’une extérieur de

vivacité de l’impression, la

choix des détails topiques.

a dû,

la

sont des morceaux

plusieurs

en atténuant, élaguant,

sans doute, une nécessité inévitable.

Il

On

modifier la

fois,

y

etc.;

mais

a joint

un

texte qui est plus qu’un commentaire, et qui formerait à lui seul

un

petit livre très

qui l’inspire,

l’élégante

remarquable par

simplicité de

le

sentiment

sa forme

et

son


NOTES.

67

absence d’engouement, d’hyperbole ou de prétention, très rare en de pareils sujets.

Au

fur et à

mesure que paraissaient

les divers

tableaux

de Régnault, Théophile Gautier et Paul de Saint-Victor les appréciaient

inspirait

avec beaucoup d'attention et de

au premier un enthousiasme croissant;

détail. 11 le

second

tantôt exprimant de

se montrait de plus en plus froid,

légitimes réserves, tantôt sévère jusqu’à l’injustice et au

dénigrement.

Après sa mort, à l’occasion de l’exposition de ses œuvres ou de l’inauguration du monument de l’École des beaux-arts, Charles Blanc et Louis

Veuillot,

MM.

Paul

Mantz, Jules Claretie, Timbal, Ph. Burty, Roger Ballu,

Henri de Chennevières, René Delorme, Frantz

Jour-

ou notices plus ou qui ont tous leur intérêt. MM. Henri

dain, etc., lui consacraient des articles

moins étendus et Baillière, Henri Cazalis, Angellier,

On

trouvera

le relevé

allaient jusqu’au livre.

des plus importants entre ces divers

la fin de l’exacte et complète étude de M. Roger Marx, Henri Régnault, récemment publiée (1886).

travaux à



TABLE

Pages.

Avant-propos

.

3

.

Discours prononcé

à la distribution

des prix du lycée

Henri IV

9

Note communiquée par M. Jodin

33

Note communiquée par M. Gréard

36

Lettre de M. H. Bâillon.

38

.

Lettre de M. Ch. Lenient

Lettre de M. Victor

41

Duruy

.

Lettre de M. Georges Clairin

43 45

Prix et accessits obtenus par Henri Régnault au lycée •

Napoléon. Notes.

5 .

.

.

.

.

«

«s

i

57






I

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tK-.Okü


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