LES ARTS Revue Mensuelle des Musées, Collections Expositions
QUATRIÈME ANNÉE
-
1905
i*^®^lji
PARIS GOUPIL & C EDITEURS-IMPRIMEURS
MANZI, JOYANT & C% Editeurs-Imprimeurs, Successeurs 34,
BOULKVARD DES CAPUCINES.
34
ERNEST BARRIAS sculpture classique française vient do perdre, cil Krnest Barrias, un de ses reprdseniants les plus <5minenis. Toute sa vie, en efl'et, il demeura tidèle ;uix principes et aux traditions de l'École, cl toutes ses œuvres portent l'empreinte de l'esprit de discipline qui est la base de l'enseignement olticiel des beaux-arts en ailleurs. Se placer à ce point de vue pour étudier A
^"rance et
dignement et si laborieusement remplie de Barrias, ce n'est donc nullement risquer de méconnaître sis mérites; c'est, au contraire, vouloir les moyens de les mettre carrière
la
si
en lumière et de situer sa vraie place
dans
le
la
personnalité de l'artiste disparu à
lutte s'échauffe, on se bat pour des idées nouvelles, les vieux dogmes sont ébranlés, la révolte gronde, l'art, comme tout au monde, subit les lois irrésistibles de l'cvoluiion..., mais lui, perdu dans son rêve, poursuit la route commencée; i!
possède la certitude; comme Tarcisius, il porte la vérité contre son cœur, il souffrirait pour elle, comme Tarcisius, le martyre. Cette sérénité est infiniment touchante... et respectable.
Barrias
sujets, ni
œuvre des programmes qui lui sont im-
surplus, on
peut être cer-
posés, ni dans son exécution ne se trahit une de ces crises décisives dans une carrière d'artiste où, du jour au lendemain, sa conception de l'art, sa vision de ta
tain qu'il n'eût
point déplu
à
l'auteur des Premières Funérailles et de
Mozart enfant de se voir juge selon le code d 'e s t h é-t q u e i
auquel
il
dans
mise en
la
l'art
contemporain.
Au
connut, scmble-t-ii, Barrias fui un anisie heu-
ganisent les tempéraments, épuisent les énergies, émieitent les volontés, on n'en trouve pas de traces dans son œuvre. Au contraire, on le voit toujours égal à lui-même, et. ni dans le choix de ses
mou-
vement de
la
reux. Les indécisions, les doutes, les angoisses qui désor-
se
soumit dès ses débuts, auquel dut tous ses
nature, ses moyens d'ex-
succès, et qu'il
pression, que
enseigna luimême, durant
sais- je? tout change en lui,
plus de dix ans,
tout
avec tant de
leversé, où le voici qui se
il
sincérité, de bienveillance et
de
bou-
conquiericnlin
lui-même et recommence
convic-
tion.
sa vie et
Quelle force,
pour un artiste,
est
son
art!
de con-
Kicn de pachex Er-
server intacte jusqu'à la Hn
nest Barrias;
sa loi en l'ex-
s est
reil
ceHence des doctrines où ses
siblement, selon un rythme tranquille, ci
maîtres
l'instruisirent,
aveugle croyance en supériorité
il
développé sagement, pai-
sa
conformément
la
à SCS facultés innées, à ses
de
vers lequel furent
aspirations
dirigés ses pre-
son tempéra-
l'Idéal
personnelles, à
La
ment. Par na-
vie s'agite au-
ture.d'ailleurs,
miers pas tour de
!
son talent n'est
lui, la l'IuK
Unma, CUawal
f
Ci».
ERNEST BARKIAS
LES ARTS
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d'un violent, ni d'un tourmenté; les dons de grâce, de délicatesse, d'expression fine et tendre dominent en lui, soutenus et affermis par une science entière de son métier et le plus louable souci de perfection, grâce à la sévère discipline qui lui fut imposée dès ses débuts et e^u'il s'imposa toujours à ni
lui-même. « Quand j'entrai, à l'âge de treize ans (il était né en 1841), au sortir de l'école communale, chez Cavelier, racontait-il un jour à M. Marius Vachon, je fus mis à la besogne pénible et diverse de l'appreniissage, tel qu'on le comprenait et qu'on le pratiquait traditionnellement en ce temps-là. Le premier arrivé, dès six heures du matin, je devais scier le bois, allumer le poêle et balayer; dans la journée, je faisais les courses. Bien que mon patron fût le meilleur des hommes, je recevais de lui et des praticiens plus de reproches et de bourrades que de caresses et de compliments. Je n'en apprenais pas moins, très sérieusement, le métier, en observant avec soin ce qui se faisait autour de moi et en travaillant avec acharnement. Au bout de trois ans, mon apprentissage terminé, Cavelier me conseillait d'entrer chez Jouffroy, qui avait organisé un atelier de professeur et recevait de nombreux élèves. J'étais le plus petit de tous
et
je
à l'École des Beaux-Arts
1897, et il recevait en 1900, à l'occasion de l'Exposition Universelle, la cravate de commandeur de la Légion d'honneur. Parmi ses principales œuvres, en s'en tenant à l'ordre chronologique, il faut citer la Fondation de Marseille, bas-relief (i865); la Guerre, le Commerce, la Pèche, frise décorative (i865); Jeune Fille de Mégare 18-0) le Serment de Spartacus et la Fortune et l'Amour 1872); la Religion, la Charité (18-31; la Comptabilité 11878); les Premières Funérailles (1878] la Défense de Paris, monu:
1
;
ment érigé à Courbevoie Bernard Palissy (1880); > ( I
la
Sainte Sophie 88 8 Défense de Saint-Quentin 1
)
1
( 1
;
j
;
[i88i); Mo:{artenfant{iS8'i); le
la
Chant,
la
Musique
(1888);
(1889);
Jeune
Chasse
Bon-Saada (1890); Anatole de La Forge (1893; le Monumentd'Emile Fille de
;
Augier[i8<jyj; le Monument de Victor Schœlcher '1896); Virgile, le
Printemps
r Expédition de
(
1
897)
;
Madagascar
le Monument de Lavoisier (1898); la Nature se dévoilant {i8gg); la grande horloge de la Bibliothèque nationale, à l'angle de la rue Montyon et de la rue Vi vienne (1901); le Monument de Victor Hugo (1902) Jeanne d'Arc prisonnière (i9o3p et nombre de bustes, dont ceux de Jules Favre, de Munkacsy, de Cave-
(1897);
le moins moins déluré.
paraissais
instruit et le
comme chef d'aielier de sculpture, en
remplacement de son maître Cavelier; enfin, il était nommé vice-président de l'Académie des Beaux -Arts pour l'année
Quels ne furent pas l'éton-
;
nementet la jalousie de mes Dès le second camarades jour, constatant que le petit !
apprenti de chez Cavelier en savait plus que ses élèves, Jouffroy le chargeait des travaux les plus difficiles et les plus délicats. C'est qu'en en avaient beaueffet, ils coup moins appris dans leur cours que moi dans mon apprentissage, tout en sciant du bois et en allumant le feu des poêles, grâce à l'instruction technique manuelle que m'avait donnée mon premier patron. A seize ans, en 1857, j'étais admis à l'École des Beaux- Arts, et en 1861, je
lier, etc.
Toutes
promesses de au cours
les
ses débuts, Barrias,
de sa longue
et
laborieuse
carrière, les a tenues, et de
Jeune Fille de Mégare du Salon de 1870, où la délicatesse du sentiment s'unissait la
à
compréhension
une
souple
si
de la grâce, à la Nature se dévoilant du Salon de 1899, on et
si
raffinée
comprend que n'ait fait
sa
renommée
que grandir.
possédait, en
Il
effet, les
partais
pour Rome, comme pensionnaire de l'Académie
dons qui charment, une
de France. » Depuis, Barrias, on peut
vrerie, savait dire les
sensibilité
dire,
mièmélan-
sans
colies,
les tendresses, les fraîcheurs des gestes féminins; il possédait les plus puissants moyens de séduction l'amour du joli, du tendre, de l'émouvant, l'art de la mesure, une étonnante habileté d'exécution, le
connu que le succès. Aux Salons, ses œuvres lui valurent toutes
le
qui,
n'a
récompenses; en 1878, médaille d'honneur était décernée à ses Premières Funérailles; en 1884, il entrait à l'Institut, et en 894
les
:
la
souci du
1
ERNEST BARRIAS. Statue,
LA NATURE SE DEVOILANT
marbre poly chrome
et
onyx d'Algérie
fini,
de l'achevé,
ERNEST BARRI AS
3i
l'effet. Revoyez ses Premières Funérailles : tout Barrias est là. La douleur d'Adam et d'Eve, portant le cadavre d'Abel, ne ddsharmonisc pas leurs traits, ne con tracte pas les muscles de leurs corps nus; c'est pourtant leur premier contact avec la mort mais Abcl lui-même n'est qu'endormi, la différence n'est pas sensible entre les chairs vivantes et celles d'où s'est retirée la vie. Le geste est heureux et juste, et très attendrissant cependant, par lequel Eve soutient la tôte de son fils et abaisse son visage vers elle, et le masque farouche, muré par la souffrance d'Adam, ne manque ni de caractère, ni de grandeur. Mais rien de désordonné, d'excessif dans cette figuration de la douleur; tout demeure
l'entente de
;
harmonieux
et serein,
sagement.
De
toutes les compositions à plusieurs personnages de Barrias, celle-ci est, sans aucun doute, la meilleure, et les
ERNEST BARRIAS.
— itatAKT mrAjn
IMmtit eu Lmxeimhmrff
qualités de groupement, de mise en œuvre qui en font le mérite ne se retrouvent point, à un égal degré, du moins dans les monuments qu'il signa, la Défense de Paris, l'Expédition de Madagascar, VEmile Augier, qui s'élève devant le théâtre de l'Odéon, cnrin le Monument de Victor Hugo,
noio
fliVoii.loK.
ERNEST (
IlAnniAS.
— BlîR!»Ano
En revanche, nous le retrouverons encore tout entier, avec ses dons de fine tendresse, de fraîcheur souriante, de grâce délicate et mélancolique, de sage fantaisie même, dans ses figures isolées. Le Mozart enfant n'est-îl pas. dans son genre, un petit chef-d'œuvre, et la Jeune Fille de Bou-SaaJa, jetant des ticurs, qui orne la tombe de l'orientaliste Guillaumct, une charmante chose et des mieux venues : Mais l'œuvre où Barrias parait s'être le plus complètePAUSST
Sijuari Saint-Gtrmain-itt-tritl
LES ARTS
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ment exprimé, ne serait-ce pas la statue qu'il exposait au Salon de 1899, où elle fut si remarquée, et que possède aujourd'hui le musée du Luxembourg la Nature se dévoilant. Par l'emploi de matériaux précieux de différentes couleurs, marbre, onyx, ivoire, combinés et associés avec le goût le plus sûr, elle exerce un attrait irrésistible, et l'effet est vraiment délicieux de cette suave poitrine, de ces belles épaules émergeant du somptueux peplos veiné d'or, de ces doux bras soulevant le voile sous lequel la tète pensive apparaît dans une tendre pénombre pleine de mystère. Est-ce vraiment la Nature se dévoilant ? Je ne sais, et peu m'importe, car l'allégorie me laisse en elle-même assez froid, mais c'est là une belle œuvre, et vraiment digne de demeurer, car elle témoigne d'un sens de la Beauté, sinon entièrement personnel, si expressif, du moins, de rêves et de pensées communes à tant d'hommes, qu'elle provoquera longtemps, dans l'esprit et le cœur de ceux qui la :
ERNEST
BARltlAS.
—
la ciiAniTii
statue, plSlre
contempleront, un sentiment ému de terveur et d'attendrissement. Il est, certes, dans le cycle de la sculpture française du xix"^ siècle, des personnalités plus puissantes, plus originales que celle d'Ernest Barrias; pour ne parler que des modernes, Falguière avec sa sensualité fiévreuse, Dalou avec sa verve ardente, Rodin avec sa passion formidable de vie, seront placés plus haut par l'admiration des âges à venir, mais aux côtés de Mercié, de Chapu, de Paul Dubois, de Frémiet, Ernest Barrias mérite un rang d'honneur. Ce fut un artiste convaincu et sincère, soucieux de la perfection de son art, et d'une conscience droite et sereine. « Il lui est arrivé de se tromper, écrivait l'autre jour un critique, il ne lui est jamais arrivé de déchoir. »
ERNEST BABRIAS.
DireeUar
:
M. MANZI.
—
GABRIEL MOUREY. groupe pour ux tombeau
Imprimerie Makii, Jotant
&
C», Asnières.
Le Gérant
:
G.
BLONDIN.
LES ARTS
Vh9t9 GliflfrfoN.
ERNEST BARRIAS. —
L^iLSCTRiciTÉ