Souvenirs d'Eugène Deveria, 1868

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Souvenirs d'Eugène Deveria

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D'EUGÈNE TlEVEIUA

Jeregarde toutes les autres choses comme une perte, en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur. - (PHIL., III, 8/

TARBES DIPRurERIE

DE

J.-A.LESCAMELA.

1868.



SOUVENIRS

D'EUGÈNE DEYÉRIA



SOUVENIRS

D'EUGÈNE DEVÉRIA

Je regarde toutes les autres choses comme une perte, en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur.

III, 8.)

(PUIL.,

TARBES IMPRIMERIEDEJ.-A.LESCÀMELA. 486=8.



Il

y

avait deux ans que nous pleurions De-

véria, et je n'avais encore écrit surlui que quelques vers. Pour une étude suivie, détaillée, j'avais peut-être trop souffert de sa mort. Le départ de mon vieil ami a creusé dans mon existence un vide que je ne veux pas combler il y a laissé l'ombre sacrée d'une douleur empreinte d'espérance, un souvenir que je cultive et que je garde comme l'un de mes meilleurs trésors. Longtemps j'ai préféré ne pas formuler

;

ce que mon cœur nourrissait sous le regard de Dieu.

Nous étions bien près du second anniver-

saire de deuil, lorsque je reçus la visite d'une


jeune et pieuse étrangère qui, sans avoir connu Devéria, écrivait sa biographie. Témoin des regrets qu'il a laissés à Pau, émue des récits qu'elle entendait faire sur l'artiste chré-

tien, elle recueillait avidement toutes les feuilles éparses qui tombaient sous sa main, pour les fondre en un travail dont elle voulait doter la .littérature de sa patrie. Des personnes de ma

plus affectueuse intimité lui avaient dit l'amitié profonde qui m'avait faitpénétrer dans la belle existence d'Eugène

;

Devéria

elle me demandatt

une esquisse de cette existence, quelques notes fournissant de nouveaux matériaux à son œuvre. Pour la première fois alors, j'essayai de condenser en pages rapides-ce qui remplissait ma pensée, aux heures bénies du recueillement. Puis une voix amie vint me stimuler en me biopremière la possible Est-il disant que « graphie de Devéria soit due à une jeune Anglaise qui ne l'a pas connu? Déjà, tu aurais dû l'écrire,

:

cette biographie, et maintenant, pourquoi tarderais-tu encore?»


Dès ce moment, ma décision fut prise. Je con-

sidérai ma rencontre avec celle sympathique étrangère comme une douce manifestation de l'appel de Dieu. Toutefois, l'idée d'une biographie complète effraya mon mince talent et me sembla d'ailleurs fort difficile avec le peu de renseignements que je possédais sur tout ce qui concerne la car-

rière artistique d'Eugène Devéria. Je jugeai qu'il valait mieux rappeler simplement quelques-uns des souvenirs que je rattache à mon respectable ami, cela m'étant plus accessible

et pouvant offrir plus de bien aux âmes qui savent goûter la beauté du christianisme. Quelque temps après, je me mis à l'œuvrc, écrivant avec un abandon familier, comme un cœur qui regrette parle à d'autres cœurs par lesquels il espère être compris.

Lorsque j'eus fini, notre cité béarnaise commençait à se voir déserter par ses hôtes d'hiver; je reçus le conseil d'attendre leur retour, pour publier une œuvre spécialement destinée au


centre dans lequel Devéria vécut ses meilleures années et mourut entouré d'affection et de respect.

Pendant l'été, au retour d'un voyage que je fis à Paris, on me montra, dans la Revue Chrétienne de juillet, uu article anonyme sur Devé-

;

ria

on me faisait l'honneur de me l'attribuer.

En déclarant que je n'en étais pas l'auteur, je gardai lé secret du petit manuscrit que j'avais

préparé. Cet anonyme, fort transparent pour moi, me fit sentir que je n'avais pas été seule à dire au-

:

près de la tombe de notre Devéria

C'est à nous, cette fois, de garder, de défendre, La mort contre l'oubli, son pâle compagnon. C'est à moi, dont ta main serra la main amie, De te dire tout bas Ne crains rien, je suis là !

:

Je ne crus pas devoir renoncer à publier mon modeste travail à cause de cet article; mon étude, quoique abrégée, a plus d'extension, et, destinée surtout aux anciens amis d'Eugène Devéria, elle peut leur rappeler quelques dé-


tails intimes auxquels ils attacheront duprix.

D'ailleurs, une revue n'a pas le même genre de diffusion qu'une brochure, qui, peut pénétrer dans quelques centres où n'arriverait pas aussi facilement un article inséré parmi les matériaux divers d'un journal. Il m'a donc semblé que le mieux était de produire en toute simplicité mon travail tel qu'il existait déjà. Je veux même le faire précéder des lignes que je lui avais primitivement données pour préface, car elles expli<

quent ma pensée.



PRÉFACE

Depuis qu'Eugène Devéria a été retiré du milieu de nous, personne n'a écrit sa biographie complète. Dès qu'il nous eut quittés, la pieuse main d'un ami lui rendit hommage en rédigeant rapidement une notice qui fat insérée dans plusieurs journaux religieux. Un élève de talent du maître regretté voulut lui consacrer un article dans le journal de la ville qui l'avait vu mourir, mais il lui était impossible de donner une idée exacte de la vie de Devéria sans mentionner sa conversion religieuse, et, pour ce motif, on lui refusa les colonnes de ce journal. Aucune étude développée, approfondie, n'a encore été faite sur cette vie si riche en enseignements, en exemples. Le grand centre littéraire, Paris, avait peu connu Devéria depuis qu'il s'était rangé sous la bannière de l'Évangile; quand il mourut, les


journaux artistiques, en faisant sa nécrologie, ne rappelèrent que le peintre célèbre, et les écrivains religieux pensèrent, sans doute, qu'ils devaient laisser à ses amis les plus intimes le soin de conserver la mémoire de ce grand serviteur de Dieu mais dans le Béarn, où Devéria

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passa ses dernières années, personne n'a paru se croire spécialement appelé à écrire la biographie de l'ami bienfaisant, regretté de nous tous. Après avoir attendu jusqu'à ce jour, pensant que ce travail serait entrepris par quelqu'un de mieux qualifié que moi, je crois devoir enfin l'aborder. Si mon œuvre modeste renferme beau-

coup d'imperfections, puisse-t-on se souvenir, pour les excuser, que la crainte de ces imperfections m'a retenue pendant deux ans de rendre un témoignage d'affection et de regret à notre Devéria.

J'écris ces lignes par une vraie conviction de devoir ; mais je laisse à d'autres la rédaction d'une biographie proprement dite d'Eugène Devéria. Mon intention est de rappeler surtout Je moi-même. entendu j'ai et par vu que ce note seulement quelques dates et trace quelques


esquisses des événements qui marquèrent dans l'existence de Devéria, avant l'époque où j'entrai en relation- avec lui. A partir du moment où j'ai pu l'écouter, le voir, le suivre dans la vie, je donnerai les détails que j'ai bien connus. C'est pourquoi mon petit écrit est intitulé, non Biographie » mais « Souvenirs d'Eugène « _,

Devéria. » Ces souvenirs, je les dédie à tous ceux qui

ont aimé Devéria ; j'ai l'espérance de trouver un écho dans leur âme. Ils passeront, je veux le croire, avec indulgence, sur ce qu'il y aura d'incomplet, de faible dans cette notice,- pour me savoir gré de les remettre quelques instants en présence de celui dont la société leur était chère. Si les pages suivantes sont lues par ceux qui

n'ont pas connu notre ami, ne puis-je espérer d'éveiller chez eux, comme chez nous tous, le désir d'imiter Devéria dans son noble et charitable dévouement

?

Je ne crois pas nécessaire de dire ici que mon but n'est aucunement de glorifier celui dont je rappelle la mémoire pour être fidèle

;


à ses enseignements, à son

esprit, c'est son

Dieu Sauveur que nous devons seul glorifier, en parlant du serviteur qu'il éclaira, consola et bénit.


SOUVENIRS

D'EUGÈNE DEVÉRIA

I. Réveille-toi, toi qui dors, et te relève d'entre les morts, et Christ t'éclairera. (EPH.,V.14.)

Eugène Devéria naquit à Paris en 1805. Orphelin dès ses premières années, il trouva un second père dans son frère aîné, Achille, pour lequel il professa toujours un respect et un amour profonds. A quatorze ans, il commença son éducation artistique dans l'atelier de ce frère déjà maître habile. Voici ce qu'il nous a raconté sur ses débuts, pendant une soirée qu'il passait dans notre salon Les trois premières années, je dessinai, je « peignis, seulement parsoumission envers Achille, et bien persuadé que je ne serais jamais qu'un

:


copiste. A dix-sept ans, je fus un jour vivement impressionné par ces vers de Béranger : «

Près du rouet de sa fille chérie, Le vieux sergent se distrait de ses maux, Et d'une main que la balle a meurtrie Berce en riant deux petits fils jumeaux Assis tranquille au seuil du toit champêtre, Son seul refuge après tant de combats, Il dit parfois Ce n'est pas tout de naître, Dieu, mes enfants, vous donne un beau trépas

;

:

!

Cette description, si touchante dans sa simplicité et si complète en quelques vers, fit soudain surgir un tableau dans mon imagination. Ce jour-là, je découvris que j'étais artiste, et bientôt je produisis ma première composition : Le vieux sergent. » Que d'artistes, que de poètes, ont été ainsi révélés à eux-mêmes, eu se sentant l'écho d'un «

! Il

yadans le autre artiste, d'un autre poète courant des âges une chaîne sympathique dont tous les anneaux se font vibrer tour à tour. A dix-neuf ans, Eugène Devéria exposait La naissance de Henri IV, et devenait, par cette œuvremagistrale, undes chefs de l'école romantique. Sa jeune célébrité attira sur lui l'attention du roi il reçut des commandes importantes pour le Louvre et pour Versailles. Je citerai entre autres Le Puget présentant

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:

à Louis XIV la morl de Milon de Crolonc,


Le serment de Louis-Philippe, Botzaris a Mis-

solonghi. Il exposa La mort des fils de Clodomir, et fut fait à cette occasion chevalier de la Légiond'Honneur. Bientôt, Louis-Philippe lui confia les peintures de la chapelle des papes à Avignon. Devéria, en rappelant cette phase de sa vie, m'a dit que jamais il ne s'était cru plus certain de la fortune. Jeune, fort, actif, lancé dans un travail qui devait être largement rétribué et accroître la célébrité de son nom, il voyait alors tout lui sourire. Et c'était à cette époque même que sa destinée allait être soudain bouleversée, et qu'une direction inattendue allait être imprimée à sa route, par un incident bien simple en lui-même et bien fréquent dans la vie humaine: la maladie. Aprèsavoirété pendant quelques moiséprouvé par une fièvre venant probablement de l'air du pays, il eut une fluxion de poitrine, et bientôt les médecins constatèrent chez lui tous les caractères de la pulmonie. On lui ordonna les Eàux-Bonnes il y vint seul et ressentit si promptement les heureux effets de la source bienfaisante, qu'après trois semaines de séjour il put reprendre ses pinceaux. Il passa tout l'été dans les montagnes le mieux était réel, mais la guérison encore incertaine. Le docteur Darralde,

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qui dirigeait son traitement, lui montr-a la nécessité de se fixer à Pau pour l'hiver et de recommencer l'été suivant une cure aux EauxBonnes. Devéria fit alors venir sa famille auprès de lui et s'établit dans la cité béarnaise, qui devait être sa résidence jusqu'à la fin de sa vie. Ainsi, le beau travail d'Avignon fut abandonné, et avec lui les perspectives d'un brillant avenir. Mais l'heure était venue où Dieu voulait donner à Eugène Devéria quelque chose de meilleur que la fortune. Devéria, dans sa maladie, avait cru voir le présage certain d'une mort prochaine; en face des réalités imposantes de l'éternité, il eut de vives angoisses pour le salut de son âme. Il pouvait être là, tout près de lui, ce monde invisible auquel il n'avait jamais sérieusement songé. Que devait-il craindre Que pouvait-il Qui lui dévoilerait la vérité sur la espérer justice et la miséricorde divines? _Né dans l'Église romaine, il recourut tout d'abord à un prêtre de cette Église pour éclaircir les graves questions qui le préoccupaient. Ce prêtre lui dit qu'il n'était pas dans ses attributions de s'occuper d'un cas tel que le sien, et l'adressa à un autre ecclésiastique, dont les paroles ne satisfirent point Devéria il le quitta

?

?

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sans avoir trouvé la lumière et la paix dont il était altéré. Il écrivit alors à un évêque qu'il avait connu dans sa jeunesse, lui exposant les doutes qui le travaillaient, les points qu'il souhaitait étudier dans la doctrine chrétienne, ajoutantqu'il se croyait près de mourir et que son âme avait soif de paix et de certitude pour l'éternité. Le prélat auquel il s'était ainsi adressé lui répondit brièvement que les nombreuses objections soulevées dans sa lettre nepouvaient se traiter par correspondance, et qu'il préférait ajourner l'étude des dogmes religieux au moment où il devait faire un voyage dans les Pyrénées, six mois plus tard, persuadé qu'en peu d'heures de conversation il ferait plus qu'avec bien des lettres. Ce fut une grande déception pour Devéria que cette insouciance à l'égard de son salut chez un homme qui proféssait cependant d'avoir charge d'âmes. Etait-il donc sûr de vivre dans six mois Et, s'il vivait, devait-il passer encore six mois dans l'angoisse sur son sort éternel J'ai eu ces détails par Devéria lui-même. Il eut alors l'idée de s'adresser à un protestant pieux qu'il avait connu, et lui écrivit une lettre semblable à celle qu'il avait fait parvenir à l'évêque. La réponse qu'il reçut exprimait

?

?


;

une charitable sollicitude pour son âme et témoignait d'une foi vive et profonde les objections qu'il avait exposées étaient étudiées avec soin, et l'ami qui lui écrivait terminait.en lui conseillant la lecture 'et la méditation de l'Evangile. Devéria suivit ce conseil son âme alors mise : en contact avec la révélation directe de Dieu, reçut les lumières de la vérité; humble dans sa foi naissante, il voulut se faire instruire comme un simple catéchumène, et s'adressa au pasteur qui desservait avec zèle et dévouement l'Eglise évangélique de Pau. Devéria porta dans son étude du christianisme une grande droiture; il examina simultanément lesdogmes romains et ceux de la réformation; il comprit la sublimité de l'Evangile; il l'accepta comme la révélation du Saint-Esprit; il crut eu Jésus-Christ comme en son Dieu Sauveur, et se donna franchement à Lui. Il alla 'passer quelque temps à Orlhez, chez un pasteur qui s'était livré à des études approfondies sur les prophéties de la révélation divine Devéria puisa dans ces études une lumière qui devait, dans toute la suite de sa vie, resplendir sur ses discours comme en ses pensées intimes. Après cinq ans, passés l'hiver à Pau, l'été

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aux Eaux-Bonnes, Devéria élait parfaitement guéri il avait repris cette sauté robuste qu'il conserva jusqu'à la fin il avait recouvré sa belle voix de ténor; ilétait pleinement rendu à l'activité de la vie. Mais ses convictions nouvelles fermaient devant lui la voie de bien des commandes gouvernementales, entre autres des tableaux d'église; il ne devait plus songer à peindre lachapelle des papes d'Avignon. Et puis, la nécessité de résiderencore par prudence dans un climat méridional le retirait du grand courant artistique; ce fut là pour Devéria une épreuve dont il triompha par l'humble accepta-

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tion de la volonté de Dieu. Toutefois, s'il n'entretenait plus que des rapports éloignés avec le foyer des arts, la célébrité de son nom attirait sur lui le regard des souverains. 11 fut appelé à Milan, par l'empereur d'Autriche, et j'ai souvent regardé avec lui les croquis faits par ordre du césar allemand; mais les tableaux commandés alors ne s'exécutèrent pas, à cause de l'abdication de l'empereur. Le roi de Hollande le manda à sa cour. Devéria passa tout un hiver à La Haye, fit deux portraits de la reine, et reçut[une décoration -

du

roi.

Ce fut alors qu'il se lia d'amitié avec le docteur Capadose, juif portugais, converti à l'Évan-


gile en Hollande, vieillard respecté dans toutes nos Eglises, et dont la conversion, racontée par lui-même, forme un des livres les plusréellement édifiants que je connaisse. Devéria fut aussi appelé en Ecosse par les Douglas et passa deuxhivers dans leurs châteaux. Ce séjour dans le nord fut marqué par un évènement bien doux à l'âme fervente d'Eugène Devéria. Il rencontra à Edimbourg un jeune Béarnais, professeur de littérature, très instruit, très intelligent, et dont l'âme droite et sincèrement religieuse se détachait des erreurs de Rome et se rapprochait "de l'Evangile, sans bien discerner encore les détails de la nouvelle voie où ses pas s'engageaient. Devéria fut pour lui à là fois un guide et un modèle; il lui tendit la main et le conduisit jusqu'au sanctuaire de la foi évangélique. Le jeune professeur ressentit dès lors une affection reconnaissante et respectueuse pour le frère aîné dont la voix lui avait parlé de paix et de salut par Jésus-Christ. Heureux dans sa foi, il allait bientôt être soumis à une épreuve qui devait manifester la puissance des consolations divines il devint aveugle. La lumière qui éclairait son âme brilla d'un plus vif éclat, lorsque le soleil de nos cieux lui eut été caché. Revenu dans ses montagnes, arraché

:


aux travaux, à la société qu'il avait aimés, il eut du moins la douce joie de recevoir quelquefois la visite de son ami Devéria. J'eus plus tard le privilége de faire la connaissance de ce disciple de Jésus-Christ et de lui entendre raconter tous les détails de sa conversion. Il me dit, je m'en souviens, que lui et plusieurs de ses amis catholiques, cherchant un aliment sérieux dans la religion, s'étaient affranchis de beaucoup de dogmes et de rites romains et s'étaient fait un christianisme plus spirituel que celui de leur Eglise en se nourrissant de Pascal et des autres jansénistes. Ses compagnons de jeunesse s'en étaient tenus là, tandis que lui, embrassant dans toute sa simplicité et dans toutes ses conséquences la doctrine évangélique, avait pu connaître, avec les pleurs de joie de Pascal, la pleine délivrance du joug romain. Comme il aimait à me parler de Devéria Comme Devéria aimait à me parler de lui Peut-être dans la retraite qu'il habite au sein de l'une de nos belles vallées, entendra-t-il un jour la voix d'un ami lui lire ces lignes que j'ai il m'a fait quelquefois transmettre ses tracées souvenirs qu'il trouve ici en retour l'expression de ma fraternelle sympathie. Devéria consacrait toujours l'été aux EauxBonnes, continuant à boire de sa chère source,

!

;;

!


faisant les portraits de quelques étrangers, heureux de profiter de sa présence pour acquérir une œuvre d'art puis, dans les hivers qu'il passait à Pau, il peignait aussi quelques portraits et travaillait à destableaux dont les plus remarquables furent La Légende des QuatreHenri, Catherine d'Aragon et Wolsey, Le Retour de Christophe Colomb et La Mortde JaneSeymour. Il fit aussi cette époque de charmantes études sur des types montagnards; laplus belleest: La Jeune Ossalaise pliant son capulet. Je dirai quelque chose de- ces tableaux qui pour moifurent de vrais amis, quand je rappellerai mes propres souvenirs. Jusqu'ici, je parle d'un temps où je n'avais pas vu Devéria. Dès cette époque, le fervent néophyte avait commencé d'exprimer sa foi par des discours qu'il était souvent invité à prononcer dans les réunions religieuses de Pau. Il y a là uu fait très remarquable dans la vie d'Eugène Devéria. Pendant sa jeunesse d'artiste, de poète, il s'était sans doute exercé à la déclamation, à cette prononciation pure, à ces inflexions harmonieuéloà beauté de donnèrent qui tant son ses, n'avaitjamais il évidemment, mais, eu quence; l'occasion de s'exercer d'une manière suivie à l'improvisation de grands discours. Il avait bien, sijenenietrompe, quarante ans, lorsqu'il débuta

;

:

à


dans sa carrière d'improvisateur, et, que je le dise tout de suite, de prédicateur, car c'estlà le mot qui convient à la chose. Et ce fut dans cet art éclos de l'élan d'une nouvelle vie, que Devéria excella pardessus tout. Comme peintre, comme poète, il a été égalé, surpassé; comme orateur, de l'avis général des connaisseurs d'élite, il ne fut pas surpassé;on se demande même s'il fut égalé. Il y eut donc dans la nouvelle création opérée en son âme par le SaintEsprit, le germe du plus beau fleuron qui devait orner sa couronne de célébrité. L'amour de Jésus-Christ est une source vive, rafraîchissante, qui rajeunit l'intelligence et le cœur, en faisant naître l'âme à la sainteté, à l'espoir céleste; sous son influence, l'homme de quarante ans sent en lui la sève d'une seconde adolescence, et sa pensée prend un bienheureux essor vers les sphères de l'éternelle et pure félicilé. Dès lors aussi, Devéria avait compris le devoir du chrétien envers les pauvres et les malades il devint l'ami dévoué des affligés, des indigents la souffrance l'attira et fut adoucie par lui. Il réalisa ces beaux vers d'Alexandre Yinet

;;

:

Mourut-il avec Christ au rocher du Calvaire, L'amour pieux et tendre, asile du malheur? Non, l'amour y naquit, et dès lors sur la terre, Comme on cherche un trésor, il cherche la douleur.


Mais

je dois maintenant parler du moment

où j'eus le privilége de connaître par moi-même Eugène Devéria.


II.

Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de belles perles, et qui, ayant trouvé une perle de grand prix, s'en va et vend tout ce qu'il a, et l'achète. (MATT.,XIII,;45,46.)

;

C'était dans l'hiver de 54 à 55: j'étais à Pau depuis peu de temps Devéria revenait de son dernier séjour en Ecosse. Bien qu'il eût à peine cinquante ans, je le crus un vieillard, et cela, non seulement parce que la jeunesse s'exagère toujours l'âge des personnes qui ont atteint l'automne de la vie, mais parce que son aspect était déjà celui des vieillards bibliques il y avait dans sa physionomie quelque chose d'antique et d'inspiré ses cheveux blancs retombaient longs et épais sur ses épaules sa barbe, épaisse aussi, mais courte et moins blanche que ses cheveux, accentuait fortement son visage. Peu de temps après, cet aspect se modifia pour

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;

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s'arrêter au type que la photographie nous a conservé. Là, nous voyons Eugène Devéria, les cheveux courts comme uu puritain, le front chauve, la barbe tout-à-fait blanche et longue comme celle du Moïse traditionnel. Devéria avait les yeux noirs, le regard vif et profond sa taille était très élevée tout en lui annonçait une grande force physique, une grande énergie morale. Ses manières étaient d'une distinction parfaite, sa pose majestueuse, son langage noble sans effort. Au premier abord, je le trouvai très imposant, il me causa un étonnement extrême, car je n'avais jamais rencontré un type analogue au sien; mais je m'aperçus bien vite que les enfants n'étaient jamais intimidés avec lui, et j'entendis ses amis l'appeler « le bon Monsieur Devéria ; cela me fit espérer que moi aussi, un jour, je cesserais d'être intimidée auprès de lui. J'eus d'abord l'occasion de le voir-et de l'entendre dans des réunions religieuses - il arrivait parmi nous très enthousiasmé de l'Église d'Écosse et cherchait"à stimuler le zèle autour de lui. Tandis que j'admirais son incomparable éloquence, un trait me parut remarquable dans l'ardent désir de glorifier Dieu, son caractère Un jour, une demoiselle, avancée bien plus que moi en années eten expérience chrétienne, me

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demandait quelle impression me produisait Devéria. l'Eternel, jaloux C'est homme pour un * « lui dis-je. Elle sourit et me dit «C'est vrai. » Ce qui me frappa aussi chez Devéria, ce fut son extrême franchise. Toute dissimulation lui était évidemment inconnue, impossible; il parlait de lui, il parlait aux autres, comme on le fait rarement ; et sa physionomie mobile laissait transparaître jusqu'aux moindres nuances de sa pensée. Je le rencontrais plusieurs fois chaque semaine et l'entendais fort souvent parler. L'Église de Pau, longtemps effacée par les persécutions, avait été relevée depuis environ vingt ans parla Société Évangélique. Le pasteur qui était venu comme agent de cette société dans la capitale béarnaise, avait vu des fruits bénis de son ministère, et la congrégation réunie par lui, ayant pris consistance, s'était organisée en Église; pasteur et troupeau avaient préféré la forme indépendante de l'Etal l'assemblée protestante de P-au était entrée dans l'Union des Églises libres de France. Cette organisation ecclésiastique accorde généralement beaucoup d'action aux laïques, etM. Devéria, grâce à ses dons spéciaux, prenait une large part à l'évangélisation.

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Dès cette époque, le pasteur commençait à souffrir des violents maux de tête qui devaient bientôt l'obliger à quitter le ministère actif auquel il s'était consacré il arrivait très fréquemment que M. Devéria était subitement appelé à le remplacer, au moment où l'on était rassemblé dans la salle d'école, pour des réunions d'édification intime qui avaient lieu le vendredi soir. Devéria montrait alors une admirable facilité d'improvisation. Venu - pour écouter, n'ayant même pas de sujet choisi, sur l'appel de l'assemblée, il ouvrait la Bible, la feuilletait quelques instants, s'arrêtait sur un chapitre, le lisait, priait, et puis développait le sujet du fragment sacré qu'il venait de lire, avec une richesse d'arguments, un plan suivi, une liaison claire et logique de la pensée, qui se trouvent rarement, même dans les discours préparés avec le plus de soin. Le tour facile de

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la phrase, la justesse, le bonheur de l'expression,

brillaient dans ces improvisations rapides avec plus d'éclat que dans un style étudié. Le dimanche aussi, lorsque le pasteur était souffrant, il faisait prier M. Devéria de prêcher à sa place. Devéria montait en chaire et faisait de vrais sermons. Un tel ordre de choses était très nouveau pour moi et pour bien d'autres ; mais la ferveur, la solennité, le talent du peintre


orateur, donnaient bien vite une toute autre impression que celle de l'étonnement. Des-personnes d'un caractère sérieux, appartenant à diverses nations, s'accordaient à voir en Devéria un serviteur d'élite choisi par le Seigneur, pour annoncer son Evangile. J'entendais dire de lui c'est un Apollos. » « Dès lors, il s'occupait aussi beaucoup de l'École du Dimanche le pasteur eu conservait direction générale mais M. Devéria la encore y faisait une classe, et peu de temps après, la santé du pasteur s'étant encore plus altérée, M. Devéria prit la direction de cette École, qui devait être jusqu'à la fin de sa vie un de ses centres d'activité et d'amour chrétien. Il y avait alors à Pau un Révérend irlandais, atteint d'une maladie au larynx qui lui interdisait la prédication c'était un homme sympathique, doux, d'une piété spirituelle et communicative il eut l'aimable idée de tenir une réunion religieuse dans son salon, tous les jeudis, entre une et deux heures il y invitait toutes les personnes qui pouvaient comprendre l'anglais, car le français lui était peu familier. Il commençait par lire une portion de la parole de Dieu, faisait une courte méditation, toujours substantielle, onctueuse, puis demandait aux divers pasteurs, réunis autour de lui, d'ajouter

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quelques réflexions ; il y avait aussi des prières. M. Devéria parlait dans ces réunions il avait pris l'habitude de faire des discours eu anglais dans l'Eglise d'Ecosse, et je le comprenais plus facilement que les orateurs anglais, grâce à l'accent français qu'il conservait et qui donnait pour moi plus de précision au langage britannique. C'était quelque chose de fort remarquable que la charitable franchise avec laquelle Devéria s'exprimait en de telles occasions s'adressant à une société riche, il signalait les piéges de l'opulence pour le chrétien, avec une hardiesse, une fidélité, qui rendaient tout le mondesérieux, sans que personne pût s'offenser. Je me souviens, entre autres, d'un jeudi, où, traitant de l'obligation du travail, il développa cette pensée que le commandement de Dieu « Tu travailleras sà jours, » est aussi obligatoire que celui de se reposer le Dimanche. Il causa une émotion visible dans l'assemblée, en parlant du sérieux qu'il faut apporter à l'accomplissement de tous les devoirs, et dès ce moment il m'inspira plus que jamais une estime et une confiance pro-

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fondes.

cette époque, l'expérience me manquait pour apprécier Devéria comme je le fis plus tard mais j'observais déjà chez lui ce qui fut A

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si fortement empreint dans toute sa carrière la fidélité précise, immédiate au chrétienne devoir. Son esprit déduisait rapidement les con-

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séquences pratiques des principes chrétiens, et sa vie mettait en action ce qui était admis par sa foi. Il arrive bien souvent, que même des personnes à convictions sincères, sont peu conséquentes dans la marche journalière avec les préceptes qu'elles reçoivent et professent. Il y a chez beaucoup de chrétiens un manque de lucidité dans l'esprit et de précision dans la pensée, une difficulté à former les déductions du dogme, une vacillation dans la course,même après avoir reçu l'impulsion divine. Devéria eut le privilége de voir, de comprendre de prime-abord les conséquences logiques de la doctrine chrétienne de là, cette énergie, cette résignation, cette joie spirituelle qu'il conserva dans ses plus grandes épreuves de là aussi,son attachement scrupuleux, constant et parfaitement simple aux devoirs les plus petits en apparence ; il était laborieux, économe du temps et de l'argent, exact à l'heure convenue, avec le même zèle strict, consciencieux, qu'il apportait dans un acte de bienfaisance ou dans un discours d'évangélisation. Lorsqu'il exhortait, il allait droit au but,

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nnonirait nettement quelle action devait résulter de tel précepte, ne craignait pas de descendre aux moindres détails, d'insister sur des points trop souvent négligés et cela produisait un effet plus sûr que des paroles limitées aux généralités du devoir. Devéria était ainsi vraiment paternel il s'adressait à ceux qui l'entouraient comme un chef de famille à ses enfanls ; on l'en aimait davantage an saisissait mieux le sens de la vie chrétienne. Nous jouissions chaque semained'une réunion très intéressante, qui avait lieu chez le pasteur, le mercredi soir, de sept heures et demie à dix heures. On trouvait dans ce salon une société d'élite, en grande partie anglaise, et ma famille y forma plusieurs relations avec des personnes de la colonie étrangère. Dans le cours de la soirée, il y avait toujours au moins une heure entièrement consacrée à la lecture et à la méditation de l'Évangile, à des prières, à des chants de cantiques. Le pasteur s'asseyait devant une table sur laquelle la Bible était ouverte, il expliquait familièrement, avec onction, les paroles inspirées M. Devéria, presque toujours à côté mais de lui, prenait part à ce culte amical dans ces soirées, il ne faisait jamais de discours et se réservait plutôt pour les causeries qui oyaient lieu avant et après la méditation.

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Ce fut dans ces réunions que l'amitié commença réellement entre nous et M. Devéria il

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nous entoura des prévenances d'une franche et douce fraternité bientôt, il ne m'intimida. plus, malgré sa haute taille et sa longue barbe je ne vis que son bon sourire paternel blanche - qui me promettait déjà l'affection bénie dont il devaitme donner tant de preuves. Au début de l'existence, c'est une pensée bien grave que celle-ci Parmi les êtres que je trouverai sur ma route, il en est qui me feront du mal, il en est qui me feront du bien. Quels seront les agents de l'adversaire, quels seront les agents du Sauveur auprès de moi Qui viendra, peut-être jusque sous le voile religieux, jeter la souffrance dans ma vie? Qui viendra, dirigé par une foi, une charité vraies, me fortifier, me consoler, m'encourager sur la route des deux Devéria fut un des êtres bénis que Dieu me fit rencontrer pour m'élever au-dessus des douleurs et des fausses joies de la terre, pour me faire avancer vers la région de la sainte félicité qui est en Christ. Son âme généreuse, franchement aimante et charitable, ses sentiments nobles, sa foi réellement créée par Dieu, furent pour moi un exemple et un bonheur.. J'aime à le dire ici comme un respectueux hommage rendu*

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rà sa mémoire, Devéria ne mil jamais une tentation d'amerlume devant mes pas, et ne me causa jamais un chagrin il eut auprès de moi la mission bénie de me fortifier dans la lutte, d'adoucir mes épreuves, d'embellir mes joies son souvenir me reste doux et sacré, tout empreint de lumière et d'espérance. Nous eûmes bientôt dans notre salon des soirées religieuses, le mardi elles réunissaient un cercle plus généralement français que les soirées du mercredi. Le pasteur prit une part cordiale à ces réunions dont il étaitheureux, et M. Devéria y vint assidûment. Il y avait aussi, le dimanche soir, dans le Temple, des réunions présidées par le pasteur, etdans lesquelles plusieurs frères prenaient la parole tour-à-tour. M. Devéria était un de ceux que l'on y entendait le plus souvent. L'hiver se passa ainsi, le mois de mars arriva. J'appris alors que Devéria allait partir pour .l'Ecosse et qu'il y ferait probablement un long séjour; celle nouvelle m'affligea, et je me souviens que je fis cette réflexion avec ma famille Jean-Bap« On pourra dire de lui comme de tiste c'était une lampe allumée et brillante, et vous avez voulu, pour un peu de temps, vous réjouir à sa lumière. Nous n'avons peut-être pas .assez apprécié le privilége de l'avoir parmi nous.

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Quelque chose encore m'affligeait dans ce départ j'avais eu le projet de faire faire mon portrait par M. Devéria pour l'offrir ma mère, et je regrettais de voir partir notre cher artiste sans que ce projet fût accompli. Je me rendis avec ma mère auprès de Madame Devéria pour lui demander si nous pouvions espérer que mon portrait se fiL avant le départ pour Ecosse. Madame Devéria était un type achevé d'esprit et de grâce; elle conservait, malgré une santé délicate, la beauté régulière et fine que son mari avait reproduite dans plusieurs de ses tableaux. Elle accueillit notre demande avec joie. Eugène fera certainement votre portrait, me « dit-elle, le jour de son départ n'est pas encore » fixé, et si ce travail le retarde,tant mieux. » » M. Devéria se rendit amicalement à notre désir il fit mon portrait au pastel, et les heures que nous passâmes alors dans son atelier développèrent l'affection que nous lui portions déjà. Ce fut alors que je commençai à comprendre les dons précieux que Devéria possédait pour la conversation. On ne pouvait pas eu juger lorsqu'il était dans un salon, avec une société nombreuse; c'était dans l'intimité qu'il déployait toutes les grâces de son esprit et toute la dé-

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bonnaireté de son cœur. Dans ses entretiens, toujours sur le ton élevé de la pensée, mais avec une simplicité vraie, il savait instruire, intéresser, édifier sans effort; c'était l'eau qui coulaitd'une source abondante; il avait l'éloquence familière des causeries, autant que l'éloquence majestueuse de la chaire; le choix heureux et rapide de l'expression, le tour élégant et correct de la phrase, étaient dans sa nature même. Et puis, quand on le voyait ainsi de près, comment ne pas l'aimer, et l'aimer beaucoup, avec pleine confiance? On était si sûr que nulle arrière-pensée ne se cachait dans cette âme limpide, ouverte, qui se laissait pénétrer aisément et se dépensait avec bonheur pour son Dieu et ceux qu'elle aimait en Dieu. Devéria avait toujours auprès de lui dans son atelier, sa fille Marie, son élève, et pendant de qu'il faisait mon portrait, elle travaillait charmantes aquarelles. Marie Devéria était d'une beauté grave, noble; son père l'a souvent représentée dans ses tableaux; elle était intelligente et artiste distinguée. Rien ne faisait supposer alors que cette jeune fille, d'une santé florissante, dût être si vite enlevée à l'immense amour de sa famille. Je connaissais déjà les toiles que M. Devéria avait à Pau mais alors je les examinai plus

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attentivement pendant les intervalles de la pose. Il avait encore son tableau des Quatre Henri, qu'il expédia peu de temps après je ne me souviens plus pour quelle collection il fut acheté. Cetteœuvre est généralement considérée comme elle l'une des meilleures d'Eugène Devéria met en action la légende suivante La même salle réunissait un jour Henri de Bourbon, roi de Navarre; Henri III, roi de France Henri de Guise, et Henri de Condé. Les Quatre Henri, placés autour d'une table, se mirent à jouer aux dés. Au moment où Henri III jetait le cornet, les dés tombèrent tachés de sang sur le marbre de la table. Un astrologue, consulté sur ce prodige, l'expliqua en disant que les quatre princes mourraient

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assassinés. Le tableau représente le moment où l'astrologue vient de donner cette lugubre interprétation. Henri III, en habits de satin blanc, ornés de rubans bleu ciel, tient encore le cornet et attache un regard terrifié sur les dés pollués de rouge son visage blême, stupide dans sa frayeur, forme un contraste plein d'art et de vérité avec les trois autres Henri. Le roi de Navarre, avec sa légèreté habituelle, fait preuve de gaîté frondeuse, même en

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face d'un présage fatal il lève son chapeau et entonne une chanson béarnaise. Auprès de lui, Crillon, par un mouvement irréfléchi, met la main à la garde de son épée, comme s'il pensait avoir à défendre son roi contrequelque ennemi près de se montrer. Henri de Guise est assis entre les deux jeunes rois, il regarde les dés sanglants avec une physionomie morne et toujours fière. Henri de Condé, en face du roi de Navarre, s'est levé il se penche vers la table, examine les dés, sur lesquels il semble chercher à lire l'avenir. Son visage austère, empreint d'une mélancolie profonde, fait pressentir une sombre destinée, celte mort, la seule des quatre qui ne dût pas être sanglante, mais qui seule aussi

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devait avoir un double déchirement, puisqu'elle partirait d'une main aimée. Les seigneurs, les guerriers, groupés autour des principaux personuages, offrent une grande variété de types et d'expressions. Parmi eux, auprès du roi de France, la tête juvénile d'un page aux cheveux blonds, à la mine insoucieuse, forme un charmant contraste avec les graves physionomies qui l'entourent. A peine mon portrait était-il achevé, que des Anglais le virent dans l'atelier, en admirèrent la touche fine et savante, et demandèrent à

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Devéria s'il voudrait leur accorder aussi la faveur de retarder son départ, pour doter leurs familles d'œuvres analogues; il y consentit, et Madame Devéria, toute heureuse, m'annonça celle nouvelle, en me disant que ce portrait pourrait bien amener une modification sérieuse dans les projets de sou mari. Les hivers précédents, M. Devéria avait séjourné à la cour de Hollande ou dans les châteaux des Douglas; puis, revenu à Pau, il s'était livré surtout à des tableaux d'histoire; de sorte que les simples particuliers n'avaient guère osé réclamer son art pour des portraits; maintenant, on allait oser. La colonie anglaise était nombreuse, opulente; il se pourrait bien que le peintre des Quatre Henri fût retenu en Béarn par un travail suffisant à son activité. Cela eut lieu en effet les commandes se succédèrent avec une telle rapidité, que M. Devéria comprit bien vite qu'il aurait à peine le temps de tout achever avant la saison des Eaux-Bonnes; et comme il eût regretté de renoncer encore cet été-là au séjour des montagnes, il écrivit à ses amis d'Ecosse pour leur annoncer sa décision de rester en France. Il quittait avec tant de chagriu sa famille et les Pyrénées, qu'il se trouvait très heureux d'être ainsi retenu à son foyer. Madame Devéria me dit avec une aimable M.

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joie

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Cestpourtant votre portrait qui est

cause de tout cela. » Elle me rappela souvent dans la suite cette circonstance. Depuis lors, Devéria ne songea plus à retourner en Ecosse une cause bien petite avait changé la direction de ses plans. Sa vie, ses labeurs, se concentrèrent dans sa patrie d'adoption, qui lui offrit toujours beaucoup d'éléments pour son art, comme pour son zèle religieux.

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III.

Notre légère affliction du temps présent produit en nous le poids éternel d'une gloire infiniment excellente.

(2,COR.,IV,17.)

Mais l'heure douloureuse allait sonner pour

Devëria. Au mois de novembre 1856, il faisait un voyage en Provence avec sa fille ayant reçu

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des commandes qui devaient prolonger son absence au-delà du terme supposé, il ne voulut pas séparer plus longtemps de sa mère cette fille chérie, et la conduisit auprès d'amis qui devaient la ramener à Pau; elle partit, fraîche, belle, dans tout le resplendissement de la santé. Et son père lui disait adieu pour la dernière

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fois

Atteinte d'un mal subit et violent pendant le voyage, Marie Devéria revint mourante auprès de sa mère et rendit le dernier soupir le lendemain de son retour.


Que dire de la douleur de MadameDevéria?.

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Une mère En apprenant la maladie de sa fille, M. Devéria fut frappé au cjoeur il eut aussitôt la pensée qu'il ne la reverrait pas. Il partit précipitamment ; mais la Provence est loin duBéarn, et il n'y avait pas alors de chemin de fer pour les relier l'un à l'autre. Les heures de l'incertitude furent angoissantes. Bien des années

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plus tard, Devéria frémissait encore en nous parlant de ce qu'il avait souffert alors. Nous redoutions l'arrivée de notre ami nous qu'éprouvera-t-il en apprenant nous disions qu'il revient trop tard? Ma mère alla le voir elle le trouvadans son atelier. Il modelait le buste de sa fille pour le poser sur ce tombeau qui la dérobait à vingtcinq ans. Ses larmes arrosaient le travail dans lequel il voulait faire reparaître encore la jeunesse etla vie. Ma mère était seule une crainte délicate l'avait retenue de lui montrer un bonheur qu'il ne devait plus posséder. Mais il lui dit « Et Ma mère, qui pleurait vos chères enfants? Il craint. D Elles ont avec lui, répondit « l'interrompit en disant: « Qu'elles viennent, je veux lès voir. »

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Nous allâmes ensemble à son atelier nous vîmes le buste de la belle Marie. Devéria nous accueillit avec effusion ses yeux étaient pleins de larmes, et cependant sa Contraste bouche souriait. Sourire paternel venir demanda de Il émouvant sounous — vent le visiter. Loin de se renfermer dans une morne douleur et d'éviter ce qui pouvait lui rappeler une félicité perdue, il chercha toujours avec prédilection la société de la jeunesse car il fallait qu'il aimât en père pour pouvoir bien aimer ses affections les plus profondes portèrent l'empreinte de ce sentiment. Le dimanche qui suivit son retour, il vint à l'école il pleurait en parlant aux enfants, et cette manifestation si vraie de sa douleur chrétienne nous a laissé un souvenir touchant et sacré. Chez Devéria, l'affection était vive et forte il n'avait rien de ces natures sèches ou placides, qui dans leurs deuils prennent une telle altitude que l'on a peine à définir si elles sont vraiment soutenues par la force divine, on si leur calme n'est point seulement dû à l'absence des sentiments profonds d'où naissent les profonds regrets. Les vers qu'il écrivit sur la mort desa fille sont de vrais cris de douleur ces

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épanchements solitaires font comprendre ce qu'était en lui le pouvoir de la grâce divine, source de la soumission, de la paix, de l'énergie, qu'il nous montrait alors que son cœur était brisé. Il conserva la même activité comme artiste, comme chrétien. Seul désormais à l'atelier, il ne ralentit pas la marche de ses pinceaux. Aux réunions religieuses, à l'école, on s'aperçut seulement d'une chose, c'est que la douleur lui avait donné plus d'onction, une sympathie plus émue. La résignation chrétienne de M. Devéria fut pour nous la plus éloquente de ses prédications. A peine un an s'était-il écoulé qu'une amère douleur vint frapper de nouveau le cœur de notre ami. La mort lui ravit un des êtres qu'il chérissait le plus au monde son frère Achille, enlevéaussi subitement que sa fille. A la fin de 1857, nous étions à Paris. J'avais aimé à retrouver les œuvres de notre Devéria dans ces galeries nationales du Louvre et de Versailles, où je contemple avec respect les traits de mon aïeul et de mon père, conservés par David et Court, comme ceux de tribuns restés calmes et probes dans nos jours de tempêtc. Par une après-midi de décembre, dans nos promenades artistiques, nous avions été aux Gobelins ; en revenant, tandis que notre voiture

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roulait sur le quai, l'une de nous écria Nous l'aperçûmes en effet dans un M. Devéria petit groupe de personnes qui l'entouraient à l'entrée du pont de Constantine. Nous nous étonnions d'avoir ignoré sa présence à Paris mais nous étions bien certaines de ne pas nous tromper. Commcnt, en effet, ne pas reconnaître du premier coup-d'œil, même au milieu dela foule, cet homme au noble aspect, à la longue barbe grise, au chapeau à larges bords, au manteau court, comme les peintres de l'école espagnole. C'était bien Devéria. Le lendemain, passant la soirée dans un salon sympathique aux arts et à toutes les pures célébrités, nous apprîmes qu'une triste nouvelle s'était répandue la veille dans Paris Achille Devéria venait d'être enlevé par une maladie tellement rapide, que son frère Eugène, appelé par un télégramme et parti de Pau immédiatement, n'avait pu arriver à Paris avant sa mort. Ainsi, la fille, le frère de notre ami, étaient morts sans qu'il pût leur donner le dernier baiser, leur dire le dernier adieu. Et quand nous l'avions vu, on lui apprenait sans doute que cette fois encore il arrivait trop tard. Ma mère lui écrivit, mais il avait déjà quitté Paris.

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Devéria me parla souvent de ce triste le regret de son frère Achille resta chez voyage lui tendre et profond; peu de mois avant de nous être lui-même enlevé, il m'entretenait encore de ce cher protecteur de sa jeunesse, et il avait des larmes dans la voix. Achille Devéria avait été représenté par son frère au premier plan du tableau des Fils de Clodomir, dans le personnage d'un moine, debout auprès du lit où reposent les deux beaux petits morts. Souvent je m'arrêtai devant cette tête si belle, si expressive de l'artiste, dont je n'ai connu les traits que par ce tableau. Je me plaisais au contraste de la figure brune, énergique, du moine, avec les têtes enfantines des petits princes, si douces et entourées des flots de ces cheveux blonds, cause innocente de leur mort, et que leur aïeule Clothilde contemple avec tant de douleur. M. Devéria aimait tellement à pouvoir regarder à toute heure cette reproduction du visage de son frère, que la grande toile des Fils de Clodomir étaittoujours auprès de lui dans son atelier. La vie d'Eugène Devéria s'était couverte d'un voile de deuil; deux morts avaient laissé de poignants regrets dans son âme; depuis lors, il continua sa course terrestre, connaissant les M.


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redoutables mystères de la douleur mais connaissant aussi les mystères ineffables des consolations célestes, que Jésus réserve à ceux-là seuls qui souffrent et souffrent sous sa croix.


IV.

Vous avez pour votre fruit la sanctification, et pour fill la vie éternelle. (ROM.VI.22.)

Nous revînmes de Paris à la fin de mai 58. Pendant notre absence, il s'était opéré un changement dans l'organisation de l'Eglise de Pau. Le pasteur qui avait exercé vingt ans le ministère dans la cité béarnaise, était depuis la fin de 56 dans un état de santé qui lui iuterdisait tout travail régulier; plusieurs pasteurs l'avaient remplacé tour à tour, sans qu'aucun d'eux se fût établi à poste fixe auprès du troupeau. Quelques personnes souhaitèrent alors de fonder à Pau une Eglise qui pourrait se relier à l'Etat, taudis que d'autres préférèrent rester quand nous redans la forme indépendante vînmes, ces deux modes d'administration se partageaient la congrégation protestante, régie vjusqu'alors par le système des Eglises libres. Deux pasteurs, uuis par une même foi et une

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fraternité sincère, furent mis à la tête de ces deux groupes évangéliques, et la vie religieuse continua de couler paisiblement parmi nous. Devéria s'était joint à l'organisation natioje restai, de même que ma famille, dans nale l'organisation indépendante; mais nous avions tous beaucoup trop de bon sens pour employer le temps que nous passions ensemble, à disserter sur l'administration des Eglises notre pensée continua de creuser plus profondément et de s'élever plus haut que le gouvernement extérieur de la société religieuse. Devéria conserva d'ailleurs la même liberté le pasteur et le d'action que par le passé Conseil presbytéral de l'Eglise nationale de Pau reconnurent la mission spéciale que Dieu lui avait donnée, et consacrèrent à son occasion le grand principe évangélique de la liberté des dons pour l'édification de l'Eglise. En outre de l'Ecole du Dimanche qu'il dirigeait, Devéria fut chargé des services du Dimanche soir; et pendant la saison des Eaux-Bonnes, il fit tous les services du jour du Seigneur, un Dimanche à Pau, un autre aux Eaux-Bonnes: alternant avec le pasteur; il tenait aussi des réunions religieuses aux Eaux-Chaudes, pendant les séjours qu'il y faisait tous les étés. Peu après notre retour, Devéria quitta Pau

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pour une assez longue absence il passa presque tout l'hiver de 58 à 59 à Paris. Un jeune poitrinaire, artiste, poète, fils unique d'une riche famille parisienne, étaitvenu passer à Pau l'hiver de 57 à 58; une vive affection était née entre Devéria et ce jeune malade, dont la foi sincère, mais voilée des nuages de l'erreur, avait trouvé auprès de M. Devéria la lumière franchement évangélique qu'il lui fallait en face de la mort s'approchanl à grands pas. Nous avons presque tous gardé les vers échangés entre le maître et l'élève pendant les relations courtes et bénies qu'ils cultivèrent. En voici quelques extraits pris dans le volume des poésies du jeune Parisien, publié par sa famille après sa mort, sous ce titre « Mes vingt ans. » Il est à remarquer, en parcourant ce volume, que les vers composés avant l'époque où le poète connut M. Devéria, chantent souvent la Sainte-Vierge selon les idées romaines, tandis qu'il n'en est plus fait mention dans les vers de la dernière période de sa vie alors, toutes ses hymnes pieuses s'adressent à son Dieu Sauveur.

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DEVÉRIA A SON ÉLÈVE.

Est-il bien vrai que tu t'ennuies, Enfant qui viens de naître et pour qui tout est neuf; Que ton cœur soit déjà dans la saison des pluies

Et que de ton soleil ton ciel soit déjà veuf?


Tu prétends être las, quand la brillante auroreSur l'horizon lointain à peine fait éclore L'éventail de ses gais rayons Quand, beaux oiseaux chanteurs, branches entrelacées, Au souffle du printemps, tes premières pensées Viennent de quitter leurs prisons

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<0 Mais tu sais le secret sublime

Que Jésus est venu faire connaître aux siens,

Et j'ai pu deviner dans ton regard azyme, Que tu sais noblement user de tes grands biens Que tu parles du Ciel à ces âmes que brisent Les ignobles plaisirs, qui trop souvent détruisent L'image que Dieu mit en nous Et que, mêlant l'aumône à tes leçons célestes, Tu sais faire revivre encore quelques restes' De l'amour qui prie à genoux.

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Peut-être que la maladie sombre nuage au travers de ton ciel, Jette Et tu ne vois en elle encor qu'une ennemie

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Qui te présente à boire un calice de fiel. Sa parole est amère et sa main te secoue Morose, elle te suit dans les champs où se joue

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Ta jeune imagination, Et si parfois la nuit elle dort ou sommeille, Tu la trouves bientôt, quand le matin s'éveille, A ton chevet en faction.

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Mais pourquoi attristerait-elle,

Quand souvent elle parle aux esprits attentifs D'une mer sans rivage, où la moindre nacelle Peut voguer sans trouver d'orage ou de récifs? Elle parle à l'enfant qu'elle berce à toute heure D'un monde où le soleil dans ce beau ciel demeure Sans darder de brûlants rayons, 4)ù l'âme qui parcourt les plaines de la vie, Dans un éther sans fond, perce, heureuse et ravie, D'interminables horizons.


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La maladie elle rappelle A qui s'est égaré dans un milieu railleur, Les magiques splendeurs d'une terre plus belle, Et des jours écoulés dans un monde meilleur; Elle lui fait percer le terrible mystère De l'Homme-Dieu gisant sur une rude terre, Dans l'ombre de Gejfisémané, Et lui fait mieux ouïr sous sa main qui le presse Sur la sanglante croix, ce grand cri de détresse, D'un sein plein d'amour émané.

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Ah ! pourquoi perdrais-tu'courage? Ami, regarde en haut et poursuis ton chemin. Sans t'y briser le front, demeure dans ta cage, Te confiant en Dieu pour le jour de demain. Le Juste qui pour nous mourut sur le Calvaire Nous dit qu'il est plus doux, parmi tant de misère, De donner que de recevoir. Aime comme il aima, fût-ce sans espérance,

Contente-toi d'aimer, même dans lasouffrance,. Car l'amour est notredevoir.

S

L'ÉLÈVE

A

DEVÉRIA.

Hier, j'étais bien triste en quittant la maison, Et mes yeux avaient peine à retenir les larmes Qui s'échappaient de leur prison Je souffrais en silence, et j'y trouvais des charmes Je souffrais ; mais enfin, pour calmer ces alarmes, Pensif, les yeux baissés, je dirigeais mes pas Vers votre atelier, maître, et je songeais tout bas Qu'un mot de vous, une douce parole, Allait guérir mon âme en la fortifiant, Et que dans un travail assidu, patient, S'éteindraient les tourments d'un cœur qui se désole, D'un cœur qui fut trop confiant.

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Oui, pour moi le travail est un rare trésor Et, bien que maladroit sous la main qui le presse,

Lorsque mon crayon prend l'essor, Il chasse loin de moi l'ennuyeuse tristesse, Il dilate mon cœur, le rend à l'allégresse, Car chacun de ses traits efface un souvenir. Alors, rempli d'espoir, je lis dans l'avenir Des jours heureux, peut-être un peu de gloire. Marche donc, mon crayon, vole comme le vent Je songe à la palette, et me voilà content. Salut, salut, salut, ma palette d'ivoire, Salut, mon beau soleil levant

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Oui, maître, j'étais triste hier, car le bonheur Que j'avais tant rêvé, que sous toutes les formes Je croyais voir, plein de splendeur, Briller au beau ciel bleu. des nuages énormes Accoururent soudain, orageux et difformes, Et je ne vis plus rien du bel azur des cieux. Avec lui, le bonheur disparut à mes yeux. J'étais chagrin mais la raison chrétienne Apaisait montourment, et je me souvenais Des mots de mon Sauveur avec lui, je disais « Ta volonté soit faite, ô Père, et non la mienne Et, calmé, chez vous j'arrivais.

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»

Et chez vous m'attendait une douce surprise. Vous m'adressiez des vers. Oh que je fus heureux D'abord, j'eus peur d'une méprise Mais c'était bien pour moi. Dans vos vers chaleureux, L'Ange des bons conseils est descendu des Cieux. Merci, maître, merci Plus légère est ma peine. De résignation mon âme est toute pleine Je crois encor, oui, je crois à l'amour. Merci pour cet instant de douce jouissance, Où je laissai couler mes larmes en silence. Merci! car dans mon cœur, à partir de cc jour, Je sens redoubler l'espérance.

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Pau, 4 juin 1838.

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Ce jeune poète mourut à la fin de l'été de

58; ses parents prièrent M. Devéria de venir auprès d'eux, essayer de faire le portrait de leur fils, à l'aide de ses souvenirs et d'un portrait fort ressemblant qui avait été déjà fait de mémoire par un élève distingué d'Eugène Devéria, et qui rappelait les traits charmants, la physionomie douce et inspirée de celui que l'on pleurait. Devéria partit pour Paris et réussit admirablement le travail dans lequel le souvenir de l'ami devait avoir autant de part que le talent de l'artiste. La famille fit graver le portrait que M. Devéria venait de peindre, et envoya quelques reproductions de cette œuvre aux amis que le jeune homme avait laissés à Pau. J'ai vu l'une de ces gravures dans les appartements de Madame Devéria. En apprenant que l'artiste si longtemps éloigné de Paris, revenait enfin à son berceau, en voyant l'œuvre qu'il venait de produire, plusieurs amateurs voulurent profiter de sa présence pour obtenir de lui des portraits. Devéria écrivit à Pau, que trop de travail lui était offert à Paris pour qu'il se crût permis de le refuser; il voyait là une direction providentielle, et, bien qu'à regret, il se décidait à passer l'hiver loin du Béarn.


Mais à peine cette décision était-elle prise,

que M. Devéria fut atteint d'un rhumatisme articulaire qui se porta spécialement sur les deux mains. Cette grave épreuve fut acceptée par lui avec une entière soumission à la volonté de Dieu. Plusieurs étudiants presque tous fils de pasteurs, réclamèrent le privilége de le soigner, de passer les nuits à le veiller et,toutle temps que dura sa maladie, l'aimable vieillard n'eut pour gardiens que ces jeunes gens affectueux, dévoués dans leurs soins, et recueillant de lui le précieux exemple d'une résignation joyeuse; car il savait rester encore paisible et même gai dans les souffrances auxquelles se joignait le chagrin du bouleversement de ses projets. Dès qu'il fut en étatlie supporter le voyage, Devéria revint à Pau il souffrait encore des mains, et ne put reprendre que par degrés le travail continu dont il avait l'habitude. Nous lui disions tous que, désormais, ses amis ne permettraient plus qu'il laissât ainsi le climat nécessaire à sa santé et depuis lors, en effet, il ne s'absenta du Midi que rarement, et seulement pendant l'été pour quelques semaines. Trois ans après son retour, il fit le portrait de ma sœur, et ce fut là une nouvelle occa-

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sion de longues causeries dans cet atelier où il aimait tant à nous voir, où nous nous sentions si libres, que nous avions fini par y éprouver l'agréable sentiment du chez soi. C'était une de nos grandes jouissances que d'amener auprès de lui des personnes de notre société, ou quelques amis, qui, voyageant dans

les Pyrénées, venaient en passant nous serrer la main. Souvent, il nous priait de leur faire nous-mêmes les honneurs de ses collections. Un jour, Devéria vint demander à ma sœur et à moi de faire pour nous le portrait de notre mère, et Madame Devéria se joignit à lui dans l'expression de ce désir; cette nouvelle preuve d'amitié nous toucha vivement, et le portrait fut bientôt commencé; il le fit à l'huile, de grandeur naturelle, dans un cadre ovale, laissant paraîtra toute la taille; puis, une fois la pose finie, il y ajouta, sans nous le dire, les deux mains et quelques accessoires augmentant le prix et la grâce de cette toile, qui nous est si chère pour l'être aimé qu'elle représente et par le souvenir de l'ami auquel nous la devons. Mais là nese bornèrent pas les souvenirs que devait nous laisser la main habiled'Eugène il voulut faire mon portrait pour ma Devéria mère. Madame Devéria se joignit encore à ce

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nouveau témoignage d'affection, et toutes les fois que je posai, elle me fit venir dans ses appartements, que j'appelais le second musée de la famille, tant elle avait su produire de charmants ouvrages d'adresse, pendant les longues heures de réclusion auxquelles l'obligeait son état maladif. Que de moments doux et précieux je passai alors dans l'atelier de Devéria Des relations de plusieurs années avaient developpé entre nous l'estime et la confiance, bases de toute sérieuse affection. Il y avait eu un jour où il m'avait dit J'ai perdu ma fille, vous « avez perdu votre père; nous pouvons retrouver ensemble, sous le regard de Dieu, quelque chose de ce que nous pleurons. » Je lui parlai souvent de mon père, de la sympathie qui eût certainement existé entre eux. Devéria me rappela la franchise, la débonnaireté profonde, l'esprit élevé et délicat de ce premier ami de mon enfance, que je me vis si tôt ravir. Jamais, avant cette époque, je n'avais aussi bien senti le prix des conversations de notre Devéria; pourquoi donc, au retour de l'atelier, n'ai-je jamais rien noté de nos causeries Hélas je ne pensais pas que ce temps de bonheur, de douces et calmes bénédictions, dût si promptement finir il me semblait que je pourrais

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toujours

revenir à cette source rafraîchissante qui s'épanchait sur ma vie. Et maintenant, que puis-je rappeler de ces heures qui me fournissent quelques-uns de mes meilleurs souvenirs? Est-ce que l'on peut faire revivre une conversation d'Eugène Devéria?Non; les privilégiés qui en ont joui, pourront seuls comprendre ce qu'alors je goûtai, ce qu'aujourd'hui je regrette. Il y avait dans les entretiens religieux d'Eugène Devéria un charme qui ne se décrit pas. Elevé par un puissant essor aux régions pures et sereines de la foi, il planait de haut sur les événements de la vie et les apercevait en perspectives fuyantes, comme le voyageur contemple les vallées et les plaines, lorsqu'il a gravi la montagne. Son imagination, vive et poétique, ne voilait en rien la précision des doctrines chrétiennes. Devéria se fit remarquer par une orthodoxie scrupuleuse, une émission ferme, positive du dogme évangélique sa logique était claire, serrée ne supportait rien de vague, de nuageux dans la foi, et s'élevait avec sévérité contre la religiosité rêveuse, qui donne le change à tant de consciences mondaines sur la sainte austérité du christianisme.

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Il avait reçu l'Evangile dans sa force Sanctifianteparce qu'il l'avait reçu tel qu'il est révélé, sans y rien ajouter, sans en rien retrancher, avec cette simplicité du petit enfant, que Jésus-Christ exige pour l'entrée au royaume de Dieu. Avec ses dons brillants, son imposant aspect, , humble quand Devéria se montrait sincèrement on le voyait de près il avait obtenu son pardon au pied de la Croix du Christ, et restait sous cette Croix, reconnaissant, soumis, dévoué tel était le secret de sa vie. Tout cela parut dans ses discours publics tout cela paraissait aussi dans les entretiens de l'atelier. Je pris dès lors l'habitude d'étudier profondément avec lui les portions mêmes de l'Écriture qu'il méditait aux services du Dimanche soir c'est ainsi que pendant la série de ses discours sur l'Epître aux Ephésiens et sur celle

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aux Pbilippiens, nous revînmes souvent ensemble sur les paroles inspirées dont il avait développé le sens. L'année 62 fut spécialement bénie pour nous; j'ens le bonheur de rencontrer une amie chrétienne que Dieu amena des plaines glacées de la Livonie vers nos Pyrénées son âme répondit pleinement à la mienne, et M. Devéria prit un très grand intérêt à notre liaison un jour où

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je lui disais comment nous cultivions ensemble les bénédictions si douces de la communion fraternelle, il me dit avec effusion

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« « « « « «

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c'est Que bon de s'aimer ainsi Cher« chez toujours à mettre dans votre vie beaucoup de ces simples et aimables choses les grands devoirs se présentent rarement; tous les jours, au contraire, nous pouvons développer notre vie chrétienne par les petits moyens que Dieu met à notre portée. a

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C'était, du reste, une de ses grandes préoccupations, que la culture de la vie chrétienne, la fidélité à profiter de toutes les occasions que Dieu fournit à notre croissance spirituelle. Mon amie avait une tante, la Comtesse Thécla d' I ***, qui entra aussi en rapport avec Devéria. Cette dame, d'un âge déjà un peu avancé, et soutenant l'épreuve d'une cécité presque complète, offrait l'aimable assemblage de la distinction et de la grâce, unies à la piété vivante, à la rçsignation joyeuse d'une âme vraiment chrétienne. Elle et Devéria se rencontrèrent avec bonheur dans l'élan d'une même foi et aussi d'un même goût pour la poésie religieuse ils échangèrent des vers.

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Combien souvent, à l'atelier, nous avons parlé avec regret de ces amies que les circonstances emportèrent si vite loin de nous ! Dans l'automne de 62, Devéria fut appelé auprès du lit de mort d'un jeune homme dont le père, baron livonien, était protestant, mais qui avait été élevé dans le catholicisme grec, professé par sa mère. Atteint d'une maladie de poitrine tandis qu'il était officier dans l'armée du Caucase, il arrivait à Pau déjà parvenu au dernier degré de la pulmonie et prévoyant une

mort prochaine. Le jeune guerrier disait avec angoisse Oh ! uneplace, une seule petite place dans « le royaume des Cieux » Il ne trouvait aucun espoir de pardon et .devie céleste dans ce qu'il connaissait de la religion. M. Devéria et le pasteur auquel il prêtait son concours, furent appelés auprès du mourant que Dieu amenait de si loin pour entendre le message du salut ils eurent la joie de voir son âme renaître à la vie, tandis que son corps descendait rapidement vers le sépulcre, et toute la famille du jeune homme témoigna une vive reconnaissance au pasteur et à M. Devéria. Ses parents désiraient avoir il ne put poser que deux ou son portrait trois fois, assis sur le lit, qu'il ne quittait

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l'artiste, qui avait été son pieux consolateur, acheva ce portrait à l'aide d'une phoplus

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lorsqu'il fut mort pour ce monde. Selon le désir du jeune Livonien, la cérémonie de ses funérailles fut accomplie par le pasteur duquel il avait reçu la sainte Cène. Tout l'hiver, ses frères et sa sœur suivirent l'Ecole du Dimanche de M. Devéria, et leurs parents assistèrent avec eux aux services de l'Eglise réformée. Vers l'automne, tandis que le portrait de ce jeune homme était encore dans l'atelier; M. Devéria avait invité chez lui une nombreuse réunion pour étudier le chant sacré. A la fin dela soirée, nous allâmes dans l'atelier, ce fut avec une émotion profonde que l'on admira l'œuvre si belle dans laquelle Devéria avait représenté sous l'apparence de la santé, avec la grâcede ses vingt-deux ans, l'enfant du nord aux cheveux blonds, aux yeux bleus, qui maintenant, glacé dans le cercueil, vivait cependant encore de cette vie que l'Evangile lui avait matographie

et

nifestée. En entrant à

l'atelier, je revis mon portrait,

et je me demandai pourquoi M. Devéria le gardait encore puisqu'il était entièrement achevé; mais, quelques semaines plus tard, je compris la veille de Noël, M. Devéria vint son motif

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chez nous, apportant lui-même sous son grand manteau ce portrait dont les proportions réduites permettaient un tel mode de transport à l'ami qui avait voulu l'offrir à ma mère comme présent de Noël. Pendant l'hiver, les souffrances de Madame Devéria s'aggravèrent d'une manière sensible depuis la mort de sa fille, résignée, mais brisée, elle n'avait fait que languir, je la visitai souvent elle me témoigna beaucoup d'amitié et me reçut toujours malgré sa faiblesse extrême. Elle mourut au commencement de mars 63. Rien alors ne faisait supposer que notre précieux ami dût lui-même nous quitter deux ans plus tard il conservait l'apparence d'une santé très forte et déployait toujours une infatigable activité. Pendant ces deux dernières années, nous eûmes de fréquentes relations il ne quitta le Béarn que pour faire de courts séjours à Paris, dans sa famille. Nous nous trouvâmes ensemble aux Eaux-Chaudes, aux Eaux-Bonnes nous fîmes quelques promenades dans ces montagnes que nous aimions. Tandis que la vie spirituelle croissait chez Devéria, il devenait de plus en plus affectueux, expansif jamais je ne le compris, je ne le pénétrai mieux, que dans cette dernière période de son existence il mûrissait

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pour le Ciel,qui allait le recueillir, et je ne pressentais pas la perte que j'allais, que nous allions tous faire.


V.

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N'oubliez pas aussi d'exercer la charité, et de faire part de vos biens car Dieu prend plaisir à de tels sacrifices. (HÉB., XIII, 16.)

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Je viens de dire par quelle suite de circonstances j'ai pu connaître, apprécier Devéria je rappellerai maintenant quelques traits de sa vie, de son caractère. Je dirai d'abord l'emploi de ses journées. Ce chrétien qui avait si bien compris toute la plénitude de la grâce, était zélé, scrupuleux, dans l'accomplissement de loi divine il n'y avait en lui rien de servile, de craintif il suivait la volonté de Dieu avec une obéissance filiale,

la

et c'est pour cela même qu'il y nergie, de calme et de joie dans tuelle. Deux devoirs se partagèrent d'Eugène Devéria le travail et la

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eut tant d'ésa vie spiriles journées bienfaisance.


II

se levait en toute saison à cinq heures et consacrait ses matinées à préparer ses leçons pour l'Ecole du Dimanche, à étudier la parole divine pour lui-même, à se recueillir dans une solitaire méditation. Devéria prélevait ainsi les premièresheures du jour pour la culture spirituelle, parce qu'il se regardait tenu de donner

au travail un temps considérable, et, pour s'éveiller toujours de bonne heure, il s'était fait une loi de se retirer avant dix heures des soirées auxquelles il assistait. La régularité des occupations était un de ses principes, et nul n'y fut jamais plus fidèle que lui. Après son déjeuner, à dix heures, il entrait à l'atelier, et c'était seulement à quatre heures qu'il en sortait, pour visiter ses pauvres jusqu'à six heures. Devéria considérait le travail comme obligatoire pour toute personne qui veut faire la volonté de Dieu, et, comme je l'ai déjà dit, le commandement Tu travailleras six jours, » lui semblait aussi sérieux que celui de ne pas travailler le septième jour. Ni la richesse, ni la position sociale, ne lui semblaient pouvoir exempter de l'obéissance à cet ordre divin il pensait que les diversités des conditions humaines devaient seulement amener une diversité .dans le genre du travail. Mais là encore, chez

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cr

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lui, rien de sèchement légal il regardait l'ordre de travailler comme une preuve de l'amour du père, et disait que l'expérience lui avait montré qu'un labeur soutenu est un des grands éléments de bonheur de la vie chrétienne. Chez Devéria, le travail revêtait un caractère sacré qu'il ne peut avoir chez tous. Riche surtout d'estime et de célébrité, le peintre de Henri IV n'avait pas un capital dont les revenus pussent suffire au bien-être de sa famille et aux aumônes abondantes qu'il aimait à répandre ; il travaillait pour avoir d'autant plus à consacrer aux objets de ses affections et aux indigents. Quant à lui, il avait réduit ses dépenses au strict nécessaire, car c'était encore un de ses fermes principes, que le chrétien ne doit se permettre aucune dépense superflue. La fidélité de Devéria dans ce détail si important de la vie, fut un des points dans lesquels il prouva le mieux la réalité de sa consécration à Dieu il sut aller jusqu'à la privation quotidienne, pour donner davantage à Jésus dans la personne du -pauvre. Il y eut une grande épreuve dans le travail d'Eugène Devéria il aimait son art, il eût beaucoup joui de pouvoir s'y livrer avec tout l'élan de l'inspiration mais deux obstacles étaient jetés sur sa route sa conversion lui

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interdisait bien des sujets goûtés dans le monde, et son éloignement de Paris le privait du stimulant indispensable au développement artistique. Il sentait cela très vivement, et ce fut par soumission chrétienne qu'il accepta le sacrifice d'une carrière brisée. Un vrai malheur, c'est que l'on ne comprit pas généralement tout ce qu'on pouvait faire pour lui. Qu'il eût été noble, qu'il eût été délicat, aux familles opulentes qui viennent en si grand nombre jouir du beau ciel béarnais, de fournir de commandes l'artiste que des circonstances exceptionnelles avaient placé, seul des peintres français d'un mérite égal au sien, dans une petite ville de province. Les heures de travail d'Eugène Devéria auraient dû être remplies par l'exécution d'œuvres vraiment artistiques, de tableaux dans lesquels sa pensée eqt suivi l'essor élevé qu'entravaient chaque jour l'enseignement et le portrait. Peu de personnes à Pau firent de ces commandes et achetèrent des tableaux d'Eugène Devéria ce qu'on lui demanda le plus, ce furent des portraits. Il y avait sans doute quelque chose de bien naturel à souhaiter de réunir

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famille souvenir de toile et une même la un sur belle œuvre d'art cela aussi était plus accessible aux fortunes moyennes. Mais que de

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sommes dépensées dans le luxe excessif de la station d'hiver du Béarn, auraient eu un plus digne emploi dans un hommage de sympathie au talent d'élite d'Eugène Devéria. Ses heures de travail se passaient donc presque entièrement à faire des portraits et à diriger des cours de jeunes filles. Bien des fois, il me dit que ce genre d'occupation le faisait souffrir. Il aimait la jeunesse sans doute mais l'enseignement forçait à descendre des hauteurs de l'art, et ces cours ayant lieu trois fois par semaine, rompaient sa pensée, s'il voulait entreprendre quelque composition. Le portrait aussi arrêtait son inspiration et repliait son art vers un terrain qu'il n'eût pas choisi pour le

le

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cultiver. Je me souviens surtout d'un jour où il m'exprima plus fortement encore que précédemment, la souffrance morale qu'il éprouvait de cet ordre de choses; il me dit que, par résignation chrétienne, il en arrivait à ne plus voir dans l'art qu'un moyen d'obtenir l'or qu'il voulait consacrer à ses bien-aimés et à ses pauvres mais, comme il me disait cela, j'entendis trembler dans sa voix les larmes qu'il contenait. Cette conversation éveilla chez moi des réflexions graves et douloureuses. Qui donc s'inquiète d'épargner des larmes à un artiste, à un

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poète? On lui demandera des cbefs-d'œuvre on les exigera même de son pinceau, de sa plume; on ne permettra pas à la corde de baisser dans l'harmonie de son inspiration maislui éviter des douleurs, desdéceptions, de l'abattement, qui donc y pense? Dieu est juste, et cela aussi il le jugera. Eugène Devéria produisit cependant de charmantes œuvres pendant les années qu'il passa en Béarn. Je ne me reconnais aucune aptitude pour apprécier la portée de son talent j'ai savouré la grâce de ses compositions sans en comprendre probablement tout le mérite. Je vais rappeler seulement ceux de ses tableaux qui sont le mieux empreints dans mes souvenirs. Et d'abord Le retour de Christophe Colomb, acheté par M. Achille Fould pour un des musées de l'Etat; ce fut le dernier tableau que Devéria fit pour le gouvernement; il l'acheva en 1863. Cette toile étant de trop grande dimension pour se dérouler entièrement dans l'atelier, la ville fournit à l'artiste un local dans les Ecoles pour terminer son œuvre. J'avais vu ce tableau se développer, s'embellir dans l'atelier; je le vis pour la dernière fois aux Ecoles, peu de jours avant son expédition il était fini, car Devéria n'y donnait plus que ces derniers coups de pinceau quisont les

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adieux caressants de l'artiste à une œuvre aimée, autant que la recherche de la perfection. Je ne sais quel jugement les connaisseurs portent sur leChristopheColomb d'Eugène Devéria mais je sais qu'il produisit sur moi une de ces impressions profondes que l'art vrai peut seul faire éprouver. La richesse de la lumière, le charme du coloris rappellent l'école vénitienne, dont Eugène Devéria fit revivre les traditions dans beaucoup de ses œuvres; la variété des types donne un intérêt, un piquant exceptionnels à cette composition, où l'originalité s'unit à la grâce. Les personnages sont de grandeur naturelle, la reine occupe le centre du tableau sa chevelure blonde flotte sur ses épaules; sa robe est de satin jaune l'or des cheveux, la couleur dorée du satin, loin de se nuire, sont combinés avec tant d'art, que, la lumière du tableau donnant en plein sur Isabelle de Castille, elle semble la concentrer et produit l'effet du soleil dont les reflets éclairent tout ce qui l'entoure. Le roi, placé auprès d'Isabelle, remplit le rôle de l'ombre à côté des rayons, et, par gradation, l'ombre arrive de Ferdinand d'Aragon au cardinal, dont la laideur, quelque peu inquisitoriale, ne laisse rien à désirer comme contraste avec les traits charmants de la reine.

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ChristopheColomb baise avec respect la main d'Isabelle les traits nobles, énergiques du grand navigateur, son teint bruni, sa chevelure noire, son costume de velours noir, forment un autre contraste avec la blonde reine, mais celui-là offre seulement la variété danslabeauté. Isabelle et Christophe Colomb sont destinés à captiver la pensée comme le regard, et donnent beaucoup à rêver sur les souvenirs qu'ils évoquent; chacun des deux est suivi de satellites qui jettent de la grâce et du pittoresque sur l'ensemble du tableau la grâce appartient aux satellites de la reine, ses jeunes dames d'honneur dont la beauté, la physionomie, les costule pittoresque mes sont d'un effet ravissant appartient à la suite de Christophe Colomb, des indigènes, hommes, femmes, enfants amenés par lui comme une preuve vivante de la découverte du Nouveau-Monde. Les uns se livrent à toute leur naïve admiration devant la brillante souveraine une jeune femme la regarde avec une curiosité souriante, mais une autre au contraire reste absorbée dans sa mélancolie on comprend que ses regards vont chercher au loin les bords qui l'out vue naître et ne peuvent s'arrêter sur les splendeurs de l'Europe. Une des dames d'honneur contemple avec une douce sympathie et ce détail, inspiré par cette jeune femme

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une pensée délicate, est un des charmes du tableau. La Poésie lyrique évoquant les morts. Cette œuvre est d'une beauté saisissante elle respire un idéal profond et retient longtemps à rêver devant le regard inspiré du bel œil bleu de cette création ravissante. La Poésie lyrique est couronnée de lauriers une de ses mains tient la lyre, l'autre se lève, faisant le geste mystérieux de l'évocation. J'ai vu Devéria contraint de s'avouer satisfait devant cette œuvre, et, certes, ce n'est pas peu dire pour qui l'a connu. LajeuneOssalaisepliantsoncapulet. C'est la plus importante de toutes les œuvres inspirées à Devéria par les types des Pyrénées. Une jeune fille brillante de force, de santé, de fraîcheur, vraie montagnarde de taille, de visage, aussi bien que de costume, est assise et replie sur sa tête son capulet de drap rouge. Auprès d'elle est une corbeille remplie des fruits et des fleurs de la forêt; on peut supposer que cette forêt est celle qui monte des Eaux-Bonnes aux pâturages du Gourzi ; car, au-dessus de la belle Ossalaise, un hêtre recourbe ses racines dont le sol a glissé et ne tient plus à la montagne que par quelques crampons, assez bons conducteurs de la sève pour nourrir son feuillage frais et touffu cela

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rappelle tout de suite les hêtres à demi déracinés et cependant si vigoureux qui dominent l'Horizontale. En outre de cette belle toile, Eugène Devéria fit plusieurs petits tableaux sur des scènes montagnardes. Ainsi La fête des Eaux-Bonnes, Le hranle d'Ossau, Les Muletiers espagnols; dans ce dernier, il s'est représenté à une fenêtre faisant le croquis ce tableau a été acheté par une

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dame amie de M. Devéria. Il représenta aussi quelques traits de la vie domestique des Ossalais, groupant ses rustiques personnages sous le toit d'une maisonnette. Nous nous sommes souvent amusés ensemble à regarder une petite scène qu'il avait reproduite dans un moment de gaîté. Un jour, il entra dans la demeure d'un montagnard, s'assit sur une chaise, posa sa palette et ses pinceaux à terre, auprès de lui, et se mit à causer avec le vieillard propriétaire du logis. Tandis qu'ils parlaient, une petite fille descendit de l'étage supérieur; «t du milieu de l'escalier, apercevant, comme il disait, « le grand bonhomme à barbe blanche», l'enfant s'arrêta et ne consentit à franchirles derniers degrés que sur l'invitation caressante de son grand-père l'attirant auprès de l'é-

tranger. Au premier plan du tableau, on voit l'escalier


de bois et la fillette regardant avec un étonnement inquiet vers un point où personne ne paraît, car l'artiste ne s'est pas représenté et se fait seulement deviner par la boîte à couleurs, sur laquelle il a signé son nom. Maison aperçoit, près de cette boîte, le vieux paysan tendant ses deux bras vers la petite fille, avec un franc rire, qui doit nécessairement la rassurer. Devéria fit aussi un charmant petit tableau rustique, immédiatement vendu pour l'Angleterre et dont le sujet avait été pris à Pau c'est Le retour du Marché. Un paysan conduit un char attelé de deux bœufs, soigneusement vêtus de manteaux de toile et coiffés d'une peau de mouton, selon l'usage béarnais; une femme est montée sur le char, une autre lui tend un panier et semble lui faire des recommandations pour la commission dont elle la charge tout cela est naturel, simple, vivant, pris sur le fait. Revenons aux tableaux d'histoire. Catherine et Wolsey. Dans cette toile, les personnages sont en proportion réduite. Au premier plan, Catherine d'Aragon, en robe de velours violet; sa beauté est noble, son expression est celle de la fierté indignée, dusens moral révolté, car elle reçoit le message du prélat courtisan elle sait qu'il vient lui annoncer le divorce; elle sait aussi d'où lui vient son malheur. Parmi

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les femmes qui l'entourent, on aperçoit àl'écart, dans l'embrasure d'une fenêtre, AnnedeBoleyu, la main posée sur sa harpe; jeune fille enivrée, elle ne voit pas se dresser l'échafaud dans les brumes de l'avenir. Le cardinal dit à lareine qu'il craint de lui déplaire en délivrant son message devant les dames d'honneur, etla prie de passer avec lui dans une pièce voisine. Catherine lui répond qu'elle ne craint pas de l'entendre devant ses dames, mais qu'auprès d'elle il est quelqu'un qui ne doit pas l'écouter avec le même calme de conscience. La mort de Jane Seymour. Encore un sujet emprunté à la sombre histoire de Henri VIII, ce bourreau des protestants,qui prit un jour le manteau des agneaux qu'il avait égorgés, mais resta loup sous sa toison et laissa dans l'histoire une trace de sang. Ce tableau est aussi de proportions réduites, mais il est plus grand et contient plus de personnages que celui de Catherine. Au centre est le lit sur lequel la jeune et belle Jane Seymeur vient expirer dans sa parure royale, au sortir de la fête où son rude époux l'a contrainte d'assister. Une'de ses dames semble vouloir la ranimer par le sentiment maternel et s'élance vers elle, lui présentant, sur un coussin garni de dentelles, l'enfant qui doit être un jour le


pieux Edouard VI, cet ange couronné auquel Dieu fit la grâce de quitter, à seize ans, et le trône et la terre. La lumière du tableau se projette en vifset doux reflets sur l'enfant et sur sa jeune mère, qui semble retrouver à sa vue un dernier élan de vie et de bonheur son œil mourant contemple avec amour le fils que trois jours seulement elle a possédé une de ses mains soulève les boucles blondes de sa tête charmante, qui s'affaisse sur l'oreiller. Le docteur tient son autre main et semble compter avec angoisse les battements de ce pouls qui va bientôt s'arrêter. C'est un des détails les plus habiles de l'œuvre, que le contraste de la main brune et robuste du médecin avec la main pâle et délicate de la jeune mourante. Autour du lit de la reine, ses dames, encore dans le grand appareil de la fête, expriment diversement leur douleur l'une, le visage terrifié, sans larmes, suit avec anxiété le souffle toujours plus faible de Jane une autre cache, en sanglotant, sa tête dans les couvertures une autre, son mouchoir sur les yeux, la joue inondée de pleurs, exprime la douleur avec tant de vérité qu'elle fait pleurer avec elle. Tout ce groupe, jeune, brillant, éploré, est d'un effet délicieux et pénétrant.

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Le tableau de Jane Seymour se relie pour moi à des souvenirs bien doux et à des souvenirs douloureux. Il était toujours placé dans l'atelier auprès deM. Devéria; c'était son œuvre chérie cette gracieuse inspiration des années précédentes, rafraîchissait sa pensée. Nous avions souvent exprimé une grande prédilection à la dernière visite que pour Jane Seymour nous fîmes à l'atelier, nous dîmes encore à notre ami combien nous admirions cette toile charmante, et lui sourit encore à notre sympathique admiration. Bien peu après, La mort de Jane Seymour figurait à la place d'honneur dans l'exposition des beaux-arts de la ville de Pau ; elle était surmontée d'une couronne de laurier, attachée par un crêpe noir. L'art et l'amitié pleuraient Eugène Devéria. C'est là que, pour la dernière fois, j'ai vu le tableau de Jane Seymour. Je citerai encore une scène de la St-Barlhélemy, intitulée Le dévouement fraternel. Mais je ne puis affirmer que celteœuvre ait été faite je la connaissais par la gravure avant à Pau d'avoir jamais vu Devéria. Dans son atelier, il n'en avait qu'une reproduction réduite. Cet épisode de l'exploit qui fit chanter un Te Deum au Pape, est rendu avec une émouvante simplicité. On voit une chambre richement

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elle meublée dans le style de la renaissance appartient sans doute à quelque grand seigneur protestant. Une belle petite fille aux cheveux blonds vient d'être éveillée en sursaut par les elle est à genoux sur son lit arquebusades les dévots massacreurs paraissent au travers d'une porte vitrée ; l'un d'eux a tiré un coup d'arquebuse mais ce coup n'a pas atteint l'enfant, car elle a trouvé un rempart dans son frère aîné. Un jeune homme qui annonce vingt ans à peine, s'est élancé vers sa petite sœur, et dans sa course rapide a sans doute passé près de la table de chêne, entraînant ce lourd tapis qui glisse maintenant avec livres et coffrets. Le frère dévoué a reçu les balles en pleine poitrine ; son sang coule, il s'affaisse sur le bord du lit, mais en couvrant encore l'enfant pour laquelle il meurt et qui cramponne ses petites mains sur les épaules du jeune martyr en jetant un regard d'effroi vers les assassins. Les Vêpres Siciliennes. C'est une scène du grand drame une jeune femme, richement vêtue, serre contre son cœur son enfant que menace le poignard. Je ne puis donner une analyse de tous les petits tableaux de genre et d'histoire que fif naître chaque année le pinceau fécond d'Eugène Devéria.

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Je rappellerai

que- l'un des travaux les plus importants qu'il ait exécutés à Pau, fut la copie

Ir.

de La Naissance de Henri Il voulut que la ville natale du Béarnais devenu roi de France, possédât une reproduction du tableau qui a illustré l'événement dont elle fut le théâtre. Devéria fit ce travail dès les premiers temps de son séjour à Pau mais alors les édiles de la cité n'avaient pas le sentiment artistique développé à un degré suffisant pour accueillir cette œuvre avec tout le discernement désirable. Il se trouva que la mairie de Pau, à laquelle Devéria avait destiné sa belle copie, ne possédait pas une salle dont l'étage fût assez élevé pour sa dimension. L'idée la plus étrange et la plus fâcheuse vint alors à ceux qui étaient chargés de l'installer ils coupèrent la toile, en bas, de la longueur d'un mètre. Que l'on juge de l'effet produit sur la perspective. Devéria, pendant longtemps, ne voulut même plus entendre parler de ce tableau mais comme il était trop débonnaire pour garder une rancune perpétuelle, et que d'ailleurs il voyait le progrès des lumières faire amèrement regretter aux habitants de Pau cette absurde mutilation, il consentit à restaurer son œuvre - la Société des Beaux-Arts l'a placée dans le musée qu'elle a fondé sous le patronage éclairé d'un

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amateur français, l'un des membres les plus généralement estimés et aimés de la colonie attirée en Béarn par la douceur du climat. Devéria a légué à ce musée le portrait de sa fille, qui avait été terminé peu de semaines avant la mort de cette belle jeune personne; elle est de grandeur naturelle, en costume d'amazone. La ville de Pau avait aussi reçu en présent, le portrait du maréchal d'Eugène Devéria Bosquet. Cette toile fut peinte à l'époque où le preux béarnais, grièvement blessé à la prise de Sébastopol, était venu chercher du repos dans son pays natal. Nous étions justement sur le balcon de M. Devéria pour voir l'entrée de Bosquet. Sa voiture était suivie d'une cavalcade d'honneur, organisée par les Anglais, qui rendaient ainsi hommage au héros d'Inkermann. Il reconnut madame Devéria, la salua respectueusement. Quelques jours après, il posait devant son mari pour le portrait qui le rappelle maintenant à la ville où fut son berceau, où s'élève sa tombe. L'une des dernières œuvres d'Eugène Devéria fut Les adieux de Calvin aux syndics de Genève; il s'est représenté dans le personnage d'un syndic. Il avait entrepris une série de petits tableaux

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sur le récit biblique de La Sunamite tous tes croquis en étaientfaits mais il n'a peint que l'une des scènes, représentant le moment où la Sunamite tient sur ses genoux son fils mourant. Cette toile est charmante par la couleur orientale et par le gracieux ensemble de la composition.

Devéria m'avait souvent parlé de son projet de faire un grand tableau d'histoire. « Ce sera le dernier, me disait-il mais je souhaite de peindre encore une grande toile je suis indécis sur le sujet que je dois choisir; je veux y réfléchir quelque temps. » Je l'engageai vivement à représenter une scène religieuse, où son âme pût traduire ses plus vraies, ses plus profondes impressions mais sa course terrestre s'arrêta avant que ce projet pût s'exécuter. En hiver, Devéria devait, à quatre heures, quitter l'atelier, car la lumière cessait alors d'y être suffisante rien ne pouvait le persuader d'en sortir avant ce moment-là. Plusieurs fois, nous l'avions invité à passer le jour à la campagne avec nous; mais il nous dit si positivement qu'il ne se permettait jamais de consacrer à la promenade le temps de son travail, que nous vîmes l'inutilité d'insister auprès de lui sur ce point. Pour comprendre toute la portée du sacrifice qu'il faisait ainsi, il faut avoir vu

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son fervententhousiasme en face des scènes de la nature moi qui l'avais vu, cet enthousiasme,

pendant nos charmantes journées des EauxBonnes, j'appréciais ce sacrifice, et souvent je m'en attristais car aussi longtemps que durait l'hiver, Devéria ne s'accordait pas d'autre promenade que celle du Parc, et seulement une fois par semaine, dans l'après-midi du Dimanche. Oui, j'éprouvais un sentiment de tristesse, lorsque, au retour d'une excursion, je trouvais mon vieil ami enfermé dans son atelier, travaillant depuis le matin, sans autre chaleur que celle de son poêle, sans autre perspective que celle des pignons de sa cour, tandis que le soleil avait été si beau sur les collines du

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!

Béarn

quatre heures, au moment où il sortait, la ville était enveloppée de ce brouillard que le coucher du soleil répand toujours sur les pays méridionaux. On a généralement pensé que la vie d'Eugène Devéria fut abrégée par le manque d'air pur après avoir passé presque tout le jour dans l'atmosphère de l'atelier, il allait respirer ce brouillard que les étrangers évitent avec tant de soin, et puis s'enfermait dans la chambre de quelque pauvre malade, au milieu de miasmes insalubres. Je le priai de réfléchir à ce qu'un tel régime devait avoir de nuisible pour A

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sa santé; mais il me répondit, avec sa courageuse gaîté, qu'il était assez fort pour soutenir ce genre de vie. Ayant réussi quelquefois à lui faire laisser son pinceau avant quatre heures, lorsque notre conversation l'avait amené à exhiber sa charmante collection de croquis, je fis souvent exprès d'aller le voir vers trois heures et de diriger la causerie de manière à lui donner l'idée de fouiller dans ses cartons. Il me montrait alors les croquis faits autrefois pour la chapelle des papes d'Avignon, ceux qu'il avait pris à Milan pour l'empereur d'Autriche, ceux de l'histoire de la Sunamite et d'autres encore je me plaisais à lui faire ainsi avancer le temps du repos, et lorsque je voyais arrivé le moment où j'avais l'assurance qu'il ne reprendrait pas son travail, je lui disais Maintenant, Monsieur Devéria, il est quatre heures, vous allez sortir,

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je pars. Il regardait sa montre et me répondait j'aie attendez fait mon £ ien Eh encore que «

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petit ménage. » Le petit ménage consistait à laver les pinceaux, à enlever soigneusement les couleurs de la palette et à essuyer la dite palette; cette simple opération accompagna souvent lafin d'une conversation très grave et très intéressante.


Mais alors je me prenais à faire les réflexions douloureuses dont j'ai déjà parlé. Si un peu des

millions qui se concentrent à Pau chaque hiver, était venu tomber d'une main délicate pour acquérir les charmants tableaux du bienfaisant artiste, avec moins d'heures de travail, il aurait eu plus d'or à distribuer à ses pauvres. Lorsque, le Dimanche soir, je voyais le grand temple se remplir d'une foule attentive, suspendue à la parole éloquente d'Eugène Devéria, je pensais bien souvent à ce qu'il y avait d'opulence dans cet auditoire je savais que beaucoup de ceux qui étaient là, avaient joui pendant la semaine d'excursions dans le pays enchanteur qui entoure la ville de Pau et puis, ils venaient, de diverses nations, de diverses langues, tous ceux qui comprenaient le français, pour s'abreuver aux flots de vie et de talent de l'orateur chrétien. Et lui, entre ces deux Dimanches où il captivait leur pensée, excitait leur admiration, avait surtout connu l'existence sous la forme du labeur et du renoncement. Cela donnait pour moi un poids immense aux paroles d'Eugène Devéria. Quand il parlait de la joie triomphante goûtée dans la communion de Jésus-Christ, il me persuadait beaucoup plus que n'eût pu le faire un prédicateur possédant des richesses et un foyer que le deuil n'eût pas

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couvert. Mais, en même temps, cela me faisait mesurer la distance qui sépare trop souvent la théorie de la pratique, même chez des âmes sincères et sérieuses. Combien n'est-il pas d'esprits franchement religieux, qui par une disposition ou trop contemplative, ou trop spéculative, se contentent d'accepter et d'exprimer la théorie chrétienne, en laissant à d'autres le soin de la traduire en actes de vrai renoncement, en sacrifices multipliés Devéria, je l'ai dit, eonsacrait tous les jours deux heures, de quatre à six, visiter les pauvres, excepté quelquesmoments passés de temps à autre dans son petit cercle d'amis. Il nous avait dit une fois pour toutes « Venez me voir à mon atelier, pendant que je travaille c'est là que j'aime le mieux à jouir de votre société, car lorsque je sors pour faire des visites, je sens que je les dois surtout à ceuxj qui en reçoivent le moins. » Tandis que beaucoup ne savent donner aux pauvres que de leur or, Devéria sut leur donner de son cœur il honora la personnalité humaine chez l'indigent, et le traita avec cette égalité d'âme à âme que le chrétien ne doit jamais oublier. Que c'était touchant, de voir comment ilsavait descendre des hauteurs de l'art et de la poésie, pour entrer dans les petits détails de

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à

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!;

Il diminuait autant que la vie des pauvres possible leurs privations souvent il emportait sous son manteau les provisions destinées à ses lorsqu'il avait pourvu au néchers malades, cessaire, il répandait aussi quelques douceurs il sur des existences ternies par la misère

et

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était, par sa pieuse condescendance, le rayon de soleil de bien des vies décolorées. Ainsi, sa carrière chrétienne fut humblement et fidèlement pratique. Puisse le souvenir d'Eugène Devéria stimuler notre dévouement

!


VI.

Ceux qui auront été intelligents brilleront comme la splendeur de l'étendue et ceux qui en auront amené plusieurs à la justice,. luiront comme les étoiles, à toujours et à

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perpétuité. (DAN., XII, 3.)

Après avoir montré comment Devéria employait les six jours de la semaine, assignés au travail de l'homme par le commandement de Dieu, je dirai maintenant comment il employait le jour consacré au repos béni que Dieu ordonne à ses enfants dans une pensée d'amour. Devéria regardait le Dimanche comme l'un des plus doux privilèges du chrétien que de fois nous lui entendîmes exprimer la pensée que le jour du Seigneur était une fête pour son Homme labeur, il appréciait mieux le âme peut le faire repos voulu par Dieu, que l'homme dont la semaine se passe en lectures, en promenades, en visites, de sorte que

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!

de

ne


le dimanche ne modifie guère sa vie que par le culte public. Mais ce repos, bien loin de l'interpréter dans un sens légal, négatif et froid, il l'avait élevé à toute la beauté de la nouvelle alliance. Jamais il n'était plus actif que le jour

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c'était alors surtout qu'il se livrait avec ardeur au « travail d'amour. » L'œuvre qui commençait chacun de ses Dimanches, c'était l'école. Elle avait lieu comme àprésent neuf heures. Devéria, toujours d'une scrupuleuse exactitude, arrivait avant la plupart des élèves et commençait au moment indiqué. Son enseignement, empreint de la supériorité de son esprit, était clair, intéressant il était mieux encore, il était onctueux, vivant, chrétien dans toute l'acception du mot. Devéria y faisait preuve d'une connaissance approfondie des Ecritures et d'une foi simple et ferme dans leur inspiration de là, cette chaleur, cette lumière, qui pénétraient ses paroles et répandaient l'influence bénie que n'obtiendra jamais la science froide et spéculative. Il y avait tant à recevoir, à recueillir de cet enseignement, que bien des personnes d'âge mûr venaient s'asseoir sur les bancs de la salle d'Ecole pour écouter à leur profit les leçons du

du Seigneur

à

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pieux vieillard. Et cependant, c'était bien à l'enfance, à la


jeunesse qu'il s'adressait, sans préoccupation de ceux qui assistaient ainsi à ses leçons toutes paternelles. Devéria se trouvait là dans son élément de prédilection ces jeunes êtres qui l'entouraient, c'était l'amour de son cœur, les objets de sa sollicitude, de ses prières. Comme on le sentait bien en l'entendant s'adresser à eux Que d'émotion, et parfois que de larmes, lorsqu'il les suppliait de se convertir, de se consacrer à Jésus, lorsqu'il leur dépeignait ce qu'est la vie en dehors de Dieu! Rien de banal, rien de formaliste dans ses paroles, mais une inquiétude, une charité vraies pour les âmes qu'il conjurait de fuir la perdition, d'embrasser le salut. Il insistait souvent sur le bonheur de se donner à Dieu dès lajeunesse, dès l'enfance, de Lui consacrer la fleur de la vie. Si quelqu'un de ses élèves le mécontentait, Devéria savait peu être sévère, mais il se montrait si réellement affligé, il y avait tant de tristesse dans sa physionomie, dans le son de sa voix, que cela faisait plus d'effet que de graves remontrances à tous ceux qui avaient assez de cœur pour aimer celui qui les aimait tant. Une prière, véritable élan du cœur paternel de Devéria, terminait l'école, implorant la bénédiction divine sur l'étude sacrée qui venait d'être faite.

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!


I

est sans doute qui n'ont pas répondu aux soins, aux prières, aux ferventes sollicitations <le Devéria. Sur notre terre de péché, de tentation,vit-on jamais toutl'ensemble d'une jeune génération suivre les voies saintes et lumineuses que lui indiquèrent les serviteurs de Jésus-Christ Mais Devéria eut de précieux encouragements dans son œuvre il vit, selon son désir, beaucoup de ses élèves devenir moniteurs et monitrices dans l'école où ils avaient été instruits. Il se plut à voir continuer aussi sou œuvre par l'Union des jeunes gens, qu'il invita souvent à venir dans son atelier, pendant des soirées dont le souvenir est resté bien doux chez tous ceux qui eurent le privilège d'y assister. Puisse l'influence d'Eugène Devéria continuer de s'exercer sur la jeunesse de l'Eglise de Pau Puisse son souvenir, tout d'amour et de respect, reposer comme une semence féconde dans bien des existences Mais en parlant des résultats bénis obtenus par l'Ecole du Dimanche de Devéria, il est un nom qui Se présente dès l'abord à la pensée, celui de Jules Lauga. Tous parmi nous se rappellent ce doux et austère jeune homme, né dans les stations missionnaires du Sud de l'Afrique, venu enfant Hélas

il en

?

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!

!


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dans le Béarn avec ses parents que Dieu ramenait au pays natal nous savons que le désir d'être missionnaire à son tour exista chez lui de très bonne heure, mais qu'il devint une réelle vocation du Seigneur à l'Ecole du Dimanche ce jeune messager de Jésus-Christ se plut à nous le dire dans son discours de consécration, alors que Devéria était déjà recueilli dans la gloire. Tandis qu'il achevait de brillantes études au lycée de Pau, Jules Langa suivit avec zèle l'Ecole du Dimanche de M. Devéria; il trouvait là mieux que le meilleur système, il trouvait Jésus-Christ. Un dévouement sincère et complet à son Sauveur dirigea dès lors la vie du lycéen, et aussitôt qu'il eut reçu le diplôme de bachelier ès-lettres, il quitta Pau afin d'étudier dans la maison des Missions de Passy. Nous étions dans l'atelier de M. Devéria, lorsque Jules Lauga vint lui faire ses adieux, au moment de partir pour sa seconde année d'étude; il souhaitait d'abréger ce temps de préparation et d'entrer dans la lice, cette lice qu'il devait Nous aimonssouvent parcourir si rapidement à nous rappeler la sainte émotion du vieillard et du jeune homme; iL yavait entre eux une affection de fils et de père. C'était pour Devéria la réalisation d'un doux rêve, que de voir son

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!


cher élève, son disciple, se vouer ainsi courageusement à l'apostolat, renoncer à tous les succès terrestres que lui promettaient son intelligence et ses talents, pour accepter la vie d'abnégation et de périls du messager de Christ auprès des païens. L'élève missionnaire, qui se savait aussi aimé par nous, parlait librement en notre présence; il demanda àM. Devéria, il nous demanda de prier pour lui. M. Devéria lui promit alors que toutes les fois qu'il ferait un service religieux, il le présenterait au Seigneur dans sa prière. Cette promesse fut tenue fidèlement. Tous les Dimanches soir, en priant, Devéria prononçait le nom aimé de Jules Lauga, et nous nous souvenions toujours alors des adieux de l'atelier. Pendant les vacances, lorsque l'étudiant des Missions revenait à Pau, c'était une grande joie pour le maître et l'élève que de se retrouver encore, et ce dernier était invité à parler dans la salle d'Ecole, qui lui redisait de si bons souvenirs. Il s'exprimait avec la simplicité d'une âme vraiment supérieure et la ferveur d'une conviction profonde. En apprenant la mort de son vieil ami, Jules Lauga fut frappé au cœur il écrivit au pasteur de l'Eglise réformée de Pau, une lettre que nous lûmes tous avec une vive émotion se rap-

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pelant les beaux Dimanches animés par Devéria, ilse représentait le premier Dimanche où l'Eglise de Pau ne le vit plus, ne l'entendit plus. Le 11 janvier 4866, Jules Lauga, âgé seulement de vingt-un ans et demi, vint recevoir à Pau la consécration pastorale. Cette cérémonie fut présidée par M. Eugène Casalis, qui, après avoir dévoué vingt-cinq ans de sa vie à la mission du Pays des Bassoutos, dirige maintenant les études de jeunes serviteurs de Jésus-Christ, se disposant à lui succéder dans un difficile apostolat. Ayant donné lui-même deux de ses enfants à l'œuvre du Seigneur parmi les païens d'Afrique, aimant Jules Lauga d'une affection vraiment paternelle, il pouvait sympathiser plus que tout autre aux émotions de ce jour. Dans son discours, Jules rappela tout ce qu'il avait dû à l'éducation chrétienne reçue de ses parents, à la pieuse influence du directeur de la maison des Missions, puis tout ce qu'il avait dû à l'Ecole du Dimanche de Devéria. Pendant cette cérémonie si solennelle, le nom, l'image de Devéria étaient dans notre pensée, devant nos yeux aussi, lorsque le nouveau pasteur prononça ces mots : « Eugène s'oudroite je t'oublie, si Devéria, ma que « étouffa sanglot qui le elle-même blie sa » « voix eut pour écho les sanglots de l'assemblée.

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Il y eut là, dans l'Eglise de Pau, une de ces heures qui, malgré leur rapidité, doivent laisser des traces profondes. La beauté, la grandeur du témoignage chrétien chez le vieillard et chez les regrets pour celui qui le jeune homme avait quitté ce monde, les sollicitudes pour celui qui allait fuir nos rives civilisées, le père et la mère brisés, mais offrant leur fils au Seigneur comme un Isaac le regard de la foi montrant dans la gloire céleste l'ami disparu pour nous, et faisant anticiper cette même gloire pour le messager de Jésus dont on entendait les adieux tout cela étreignait le cœur, et, réunis comme les membres d'une même famille, nous ne cherchions pas à retenir nos larmes. Hélas! si nous avions prévu l'avenir, il. y aurait eu encore plus de larmes parmi nous. Le 1er août suivant, Jules Lauga, âgé alors de vingt-deux ans et deux mois, expirait au Sénégal,succombant à l'action d'un climat meurtrier, sous les yeux du jeune ami qui l'avait précédé dans cette mission. L'élève ne devait survivre au maître que le court espace de dix-huit mois; il était destiné à recevoir bien jeune encore la palme du martyre privilégié du Seigneur, il allait saisir la couronne après un rapide combat. Donnons notre sympathie à ses parents dans

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leur douleur sacrée; mais plaignons encore plus ceux qui voient leurs eufants s'égarer loin du chemin des Cieux. Après l'Ecole qui ouvrait si heureusement le Dimanche, Devéria se rangeait parmi les auditeurs au servicequi a lieu dans la salle même où se fait l'instruction de la jeunesse il prenait une part sympathique à ce culte, et presque toujours, lorsque le pasteur achevait son exhortation, il disait un Amen cordial, que l'on aimait à entendre comme un écho de paroles fidèles. Une fois chaque mois, ce service du matin est consacré en partie à entendre la lecture du Journal des Missions. Devéria, qui cachait une sensibilitétrès vive sous son apparence énergique, laissa bien souvent tomber une larme en écoutant le récit des travaux dévoués, des souftances de nos missionnaires, des luttes de leurs néophytes avec des parents restés idolâtres, -et du zèle des jeunes Eglises sorties du paganisme. Le service achevé, M. Devéria allait se placer auprès de la porte par laquelle l'assemblée se relirait, et là, tenant d'une main la bourse des aumônes, il tendait cordialement l'autre main à chaque personne qui sortait, et en même temps disait à tous quelque parole sympathique, franc, si débonaffectueuse, avec son sourire

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si


-

naire. Ce simple détail de sa vie nous a laissé quelques-uns de nos meilleurs, de nos plus doux souvenirs. Il a lui-même témoigné combien il appréciait cet acte modeste de ses Dimanches, dans une des strophes de sa poésie intitulée Un sabbat dans le lit. » Enumérant ses regrets d'un Dimanche sans activité, il dit entre autres choses

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Cf

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Sans présenter le sac d'aumônes de l'Eglise A ceux qui, voyageurs vers la terre promise, Vous serrent en passant la main.

Du reste, je crois ne pouvoir mieux clore ce chapitre, qu'en inscrivant, à la fin, cette petite pièce de vers, où Devéria dépeint si fidèlement nos beaux Dimanches d'autrefois.

Je dirai seulement encore, que dans l'aprèsmidi, à l'issue du second service, fait par le pasteur du grand Temple, Devéria allait goûter quelques moments de contemplation dans le Parc, dans ce bois de hêtres, qui enveloppe la colline dont la base est arrosée par le Gave. Cette antique promenade des souverains béarnais lui offrait une vue splendide des Pyrénées, des allées retirées, et, dès le printemps, de beaux ombrages où parfois il réussissait à éviter assez la foule, pour écrire quelques-unes des poésies religieuses dont nous guettions avidement l'apparition.


Le soir, à sept heures et demie, avait lieu la prédication dans le grand Temple, jusqu'à neuf

heures. De ces poésies, de ces prédications, je parlerai maintenant, Voici, comme conclusiondece qui précède, comme introduction à ce qui va suivre, la pièce de vers intitulée : UN SABBAT DANS LE

LIT.

Un sabbat sans aller le matin à l'École, Porter, le cœur joyeux, la divine parole Au milieu des petits enfants; Un sabbat, sans mêler à leur voix fraîche et pure, Pour célébrer l'Auteur de toute la nature, Nos cris de soldats triomphants. Un sabbat sans entendre à l'heure matinale

La méditation qu'une bouche amicale Donne à notre première faim; Sans présenter-le sac d'aumônes de l'Église A ceux qui, voyageurs vers la Terre Promise, Vous serrent en passant la main

!

Un sabbat sans pouvoir au milieu de l'Église,

Assemblée au saint lieu, joyeuse, humble et soumise, Glorifier les saints pardons Parmi les bruits stridents de ce monde frivole, Qui préfère aux douceurs de la sainte parole Le rire et les folles chansons.

!

entendre, au culte de deux heures, (Comme un écho lointain des célestes demeures Où l'Église chante en repos), Les chants multipliés de cette grande masse, Qui vient, le cœur joyeux, désireuse dé grâoe, Oublier un instant ses maux. Un sabbat, sans


Un sabbat où le cœur ne vit que pour soi-même, Sans pouvoir dépenser pour le Dieu que l'on aime Un peu de sainte charité; Sans pouvoir visiter de pauvres créatures Que le Seigneur retient sur des lits de tortures, Dans les bras de la pauvreté

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Sans aller demander à des lèvres pâlies Les divines leçons que dans les insomnies L'Esprit leur donne avec amour Sans aller respirer la douce patience Que l'Esprit Saint répand sur la longue souffrance Qui les dévore sans retour

!

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Et sans prier le soir au sein de l'assemblée, Quand, par de vains plaisirs la société troublée, Fredonne ses chansons dehors. Sans contempler, avant que la lampe s'éteigne, L'éternelle splendeur de ce glorieux règne Où les plus faibles sans les forts. C'est encore un sabbat où la grâce déborde, Où le doux Maître vient, plein de miséricorde, Souper et loger sous un toit Où le cœur se nourrit de la sainte parole, Où la foi Le contemple en sa sainte auréole Sauveur, Consolateur et Roi

!

C'est encore un sabbat, même sur une couche Où le soldat blessé ne trouve dans sa bouche Que des louanges pour son nom, Alors, que par la foi, sur le sanglant Calvaire, Il voit dans sa beauté le Sauveur débonnaire Qui lui mérita le pardon. C'est encore un sabbat où pour le solitaire Le Seigneur vient bâtir un petit sanctuaire Pour l'abriter au jour mauvais.


Où la mort apparaît à l'âme comme un Ange Qui vient la délivrer de ses sentiers de fange Où le péché trouble sa paix.

Sanctuaire de paix où le Seigneur habite, Où, sous l'aile d'amour qui la couve et l'abrite, L'âme se recueille en son Dieu. Où l'airest embaumé des célestes promesses, Où le cœur saturé des divines tendresses Croit au monde avoir dit : Adieu

!

Ton sabbat est partout, Dieu de ma solitude, Et réjouit mon cœur comme la multitude Qui te glorifie aux saints lieux Et nous le savourons ainsi que des prémices

;

Du repos glorieux, éternelles délices Que nous retrouverons aux Cieux

!


VII.

C'est une belle chose que de célébrer l'Eternel, et de psalmodier à ton nom, d'annoncer chaque matin ô Souverain ta bonté, et ta fidélité toutes les nuits, sur l'instrument à dix cordes, et sur la lyre, et par un cantique médité sur la

!

harpe.

(Ps.XCII,2,3,4.)

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Eugène Devéria composa beaucoup de poésies religieuses tous ceux de ses vers que je connais, c'est-à-dire tous ceux qu'il écrivit depuis sa conversion, eurent un caractère franchement chrétien. Aucune de ses œuvres n'a été publiée; il ne les communiquait même qu'au cercle restreint de ses plus intimes amis. Devéria me prêta les cahiers sur lesquels il copiait avec soin ses compositions poétiques, et souvent il nous fit l'amitié de les lire dans notre salon. S'il l'avait voulu, Devéria eût trouvé un grand nombre d'auditeurs de ses lectures il avait un admirable talent de déclamation, et la distinction

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de sou esprit le faisait rechercher dans les cercles d'élite. Ce n'était pas seulement la société protestante, si nombreuse à Pau, quisollicitait Devéria par des invitations; dans la société

catholique, il avait su commander le respect par la noble franchise de son caractère et la sainte fermeté de ses convictions religieuses; il y eut sans doute quelques cléricaux de mauvaise humeur à l'endroit de sa conversion mais chez les gens de cœur, à quelque communion qu'ils appartinssent, il y eut un concert d'estimepour le chrétien généreux qui répandait avec une égale charité ses bienfaits sur les catholiques et sur les protestants, car, pour lui, le droit de la souffrance était un droit sacré. Mais Devéria s'était retiré des sociétés brillantes ; sa consécration à Dieu était entière et joyeuse; il fuyait le monde, non point par amertume ni par misanthropie, mais parce qu'il avait trouvé une félicité meilleure que celle du monde et qu'il ne voulait rien perdre de ce trésor par un alliage. Pendant les dernières années de sa vie, Devéria n'accepta d'invitation que chez les familles où il pouvait exprimer ses sentiments chrétiens avec l'espérance de trouver en quelque degré un écho sympathique. Pour la. lecture de ses œuvres poétiques, il restreignit encore son petit cercle. Ce fut dans

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nos soirées intimes que nous pûmes apprécier les vers d'Eugène Devéria. Je lui entendis aussi lire des morceaux choisis pendant quelque de nos poètes contemporains temps, il nous fit une sorte de cours de littérature, nous initiant à des auteurs dont il prenait les fragments appropriés à la jeunesse, et nous faisant goûter toute la beauté de l'harmonie, qui vibre dans le vers français. Je ne crois pas qu'il soit possible d'aller plus loin que Devéria dans la perfection achevée de la déclamation sa prononciation, lesinflexions de sa voix, ne laissaient dans le vague ni un mot, ni même une syllabe ; tout était clair, distinct, et, ce qui est bien mieux encore, tout était accentué avec un sentimentvrai il mettait en relief toutes les beautés d'un poème et jamais il n'y avait rien de forcé, d'exagéré dans ses - intonations. La sonorité de sa voix ajoutait au charme de ses récitations et de ses lectures il avait le génie musical si cher aux Français, si indispensable à la poésie française. Notre langue, moins harmonieuse, moins riche en voyelles que les idiomes méridionaux,

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est cependant susceptible d'une enchanteresse harmonie, quand elle est maniée par un vrai poète, quand elle est déclamée aussi par un vrai poète mais elle ne peut soutenir la mé-

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diocrité, ni dans la facture, ni dans la lecture du vers. Le versificateur doit, pour plaire à notre oreille, combiner les sons avec assez

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d'art et de grâce, pour ne jamais rien nous faire entendre de heurté, de confus mais encore faut-il qu'il soit lu comme il doit l'être. Et il est beaucoup plus difficile de bien, lire les vers que de les bien chanter. Dans le chant, que de guides le ton, la note, le mouvement, tout est indiqué. Dans la lecture, rien il faut que lé déclamateur trouve lui-même et le ton, et la note, et le mouvement aucun signene vient à son secours sur le livre qu'il tient la pensée seule lui indique à quelle octave il doit accorder sa voix, quelles transitions ildoit opérer dans son registre, et quand il doit prendre l'audanle ou l'allégro. Que de gens intelligents, du reste, lisent les vers avec monotonie ou bien avec des saccades, échouent aux finales, ne savent pas fondre les nuances et faire ressortir le mot gracieux enfin ne savent pas prendre l'esprit du poète et le faire vibrer avec bonheur dans leurs accents. La belle déclamation d'Eugène Devéria venait donc de son organisation musicale et d'un esprit supérieur qui savait rapidement comprendre et s'assimiler toutes les nuances de la pensée et du sentiment de l'auteur qu'il interprétait.

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Inutile d'ajouter après cela qu'il embellissait un poème eu le lisant j'en ai fait bien souvent l'épreuve et spécialement pour ses propres vers, que je trouvais toujours beaucoup plus harmonieux quand c'était lui qui les déclamait. Et, il faut le dire, les poésies d'Eugène Devéria exigent en général une lecture très habile on lui a quelquefois reproché la facture de ses vers ; ils ont souvent une grande originalité d'expression et des sons un peu trop heurtés tout cela se fondait, s'adoucissait, quand l'auteur luimais à la même nous lisait ses compositions lecture ordinaire, ces aspérités deviennent plus sensibles. Toutefois, il y a beaucoup de ses passages dont la douceur et l'harmonie ne laissent rien à désirer. Devéria pouvait facilement être musical dans ses vers il l'eût toujours été, s'il eût tenu à l'être toujours mais il avait admis les principes de versification d'une certaine école moderne,.et pensait que par amour pour l'énergie et la justesse de l'expression, on pouvait quelquefois sacrifier l'harmonie. Les œuvres poétiques d'Eugène Devéria ont de grandes qualités elles sont pleines de pensées fortes et vraies, et dénotent une riche imagination. Puisque je viens d'écrire ce mot, entendonsnous sur son véritable sens. L'imagination n'est

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pas pour moi cette « folle du logis, b cette pensée vagabonde qui s'en va errant elle ne sait où, sur elle ne sait quoi. Non, pour moi, l'imagination est ce que dit le mot lui-même, la faculté de faire image ; par conséquent, l'ima-

gination est une vérité lorsqu'elle s'applique à des choses vraies. C'est ce que nous expérimentons tous les jours. Qui de nous saurait bien l'histoire, s'il ne s'était jamais représenté les faits qu'il a étudiés? N'avons-nous pas tous vécu au milieu des événements, auprès des personnages du passé? Dans le domaine religieux, cette bellefaculté de se représenter les choses que l'on n'a pas vues, est absolument indispensable pour s'assimiler les faits sublimes sur lesquels repose la foi évangélique. C'est dans ce sens que les poésies religieuses d'Eugène Devéria dénotent une grande richesse il s'est fait l'image des scènes d'imagination du Nouveau Testament et les a reproduites avec une vérité d'expression qui saisit l'esprit et le cœur. J'indiquerai ici rapidement celles de ses œuvres que je me rappelle le mieux. Jésus calmant la tempête. Cette pièce s'ouvre par une description à larges traits de la nuit où les apôtres, luttant dans un frêle esquif contre

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les vents et les flots courroucés du lac de Géné-

sareth, virent apparaître Jésus, le dominateur des éléments qu'il a créés, marchant sur les

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C'est moi ; vagues et disant à ses bien-aimés « n'ayez point de peur. » Après l'exposition de cette scène historique, le poète parcourt les diverses circonstances de la vie pendant lesquelles le chrétien,en proie à la tempête,entend aussi Jésus lui dire « C'est moi n'aie point de peur. a Il y a tant d'expérience de l'épreuve, tant de vraie sensibilité, tant de foi, tant d'adoration pour Jésus dans cette partie du poème, que je l'entendis toujours avec une vive émotion, et je vis toujours aussi que cela produisait une émotion forte et grave chez les personnes qui m'entouraient. Cette pièce se termine par une prière au Sauveur le poète lui demande la grace d'entendre encore lorsque sa tombe se refermera, sa voix lui dire Ne crains pas,

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c'est moi.

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cc

»

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Devéria écrivit aussi une pièce dont le début est assez original il fait allusion à ce voyageur qui, effrayé de passer au-dessus des abîmes du St-Gothard, s'entend dire par son guide N'aie pas peur, bon courage, Bonaparte a « passé par là. » Le poète développe cette pensée que, tandis que le passage du conquérant n'offre aucune

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garantie contre les périls du sentier à ceux qui le suivent après lui, Jésus-Christ en parcourant les sentiers de la terre, en a réellement détruit les périls pour ceux qui marchent sur ses traces. Alors, comme dans la pièce de la Tempête, il y a une description émouvante de toutes les scènes de la vie, pendant lesquelles notre âme a besoin d'entendre une voix lui dire N'aie pas peur, bon courage, Jésus« Christ a passé par là. » Et la dernière de ces scènes, c'est la mort, que le Rédempteur avant nous a traversée. Un autre poème est intitulé Les trois Croix. On comprend que ce sont les Croix élevées sur le Calvaire pour Jésus et les deux brigands. Le poète, remontant le cours desannées, se figure chacun de ces êtres dès le berceau et le suit dans la vie jusqu'au supplice qui la termine. Chez le brigand qui meurt sans repentance, il décrit l'endurcissement commençant au premier âge pour continuer jusqu'à l'heure suprême, même en face de son Dieu mourant pour les pécheurs; il le montre « descendant la spirale du crime 1), frondeur jusque dans la prison où il attend la croix, avant d'être frondeur encore lorsqu'il est cloué sur cette croix.

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Il dépeint l'autre criminel élevé par une mère pieuse, qui l'entretient de l'espérance d'Israël, du Messie, et lui parle de l'enfant dont la naissance à Bethléem fut célébrée par des Anges; compuis ille montre cédant aux tentations de pagnons perfides, s'abandonnant au mal, mais gardant en son cœur, comme un dard acéré, le souvenir de sa mère et des pieux conseils rejetés par sa folle ivresse. Dans la prison, à l'heure du jugement, dela sentence, les remords le torturent; il comprend qu'il eût évité ces affreux malheurs s'il eût suivi la voix qui parlait à son enfance. Sur la croix, il reconnaît le Messie dont sa mère l'entretint et qu'il avait parfois rencontré de même que l'autre brigand, sans adorer en Lui son Dieu. La lumière de la grâce lui révèle le Sauveur il croit, et quoique mort, il vivra par le Christ. Ensuite vient la description de l'enfance du Sauveur et de sa mission rédemptrice, se déployant jusqu'à la scène suprême de Gol-

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gotha. Dans cette pièce, sans doute, l'imagination du poète ne s'est pas bornée aux faits connus, puisque le Nouveau-Testament ne nous révèle rien de la vie antérieure des deux brigands


est dit s'accorde avec la vérité morale et la vérité des faits. Parmi des pièces de moindre importance, je citerai celle qui a pour épigraphe J'ai « dit du rire il est insensé. » Le poète oppose le rire insensé, endurci du pécheur qui devrait rougir et pleurer, au rire frais, enfantin, du premier âge, qui, lui, n'est pas insensé, mais émane de jeunes cœurs où le mal et la souffrance n'ont pas encore exercé leurs ra-

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vages. Il écrivit aussi un poème fort remarquable sur l'histoire de France, dans lequel il fait passer devant les yeux un grand nombre de souverains de notre patrie il y a là encore cette vérité de touche, cette profondeur de pensée, cette énergie de langage qui caractérisent les poèmes d'Eugène Devéria et les rendent dignes d'une sérieuse méditation. Un passage à noter dans cette dernière œuvre est celui qui signale le contraste entre les Bourbons sanguinaires, vicieux, mourant dans la pourpre, et cet honnête et débonnaire monarque, mourant sur l'échafaud, victime des forfaits de ses prédécesseurs, mais trouvant à sa dernière heure ce que ceux-là n'ont pas trouvé le regard de bénédiction et d'amour du Père céleste.

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Je connais aussi d'Eugène Devéria des vers La mort de la jeune fille. Il y a là intitulés une allusion très transparente à son deuil paternel. Il suppose une jeune fille avertie secrètement qu'elle doit mourir, et le disant à su mère, qui refuse de la croire et la convie à l'existence, tandis qu'elle, elle voit la vanité de toutes choses ici-bas et souhaite d'aller vers Dieu. Je n'entendis jamais lire ces vers à Devéria je les trouvai dans un des cahiers qu'il m'avait prêtés, j'en fis la lecture à ma famille, un Dimanche soir, avant d'aller au temple écouter la prédication du poète, et l'on pleura autour de

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moi. Devéria mit en vers tous les psaumes de David cette traduction poétique est fidèle, et toute pénétrée du vrai sens spirituel de la révélation de l'Ancien Testament. Je ne lui ai non plus jamais entendu lire cela, mais il me prêta tout ce recueil. C'était surtout aux montagnes qu'il composait ses poésies, et c'est là que presque tous ses psaumes furent versifiés. Eugène Devéria a légué ses œuvres poétiques à la bibliothèque de la ville de Pau il est à désirer qu'une main amie vienne en extraire les morceaux les plus remarquables pour les livrer à l'impression mais peut-être crain-

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dra-t-on que cela n'ait pas une diffusion rapide, car en ce monde la réussite n'est pas assurée à ce qu'il y a de meilleur.


VIII.

Je puis tout par Christ, qui me fortifie. Néanmoins, vous avez bien fait de prendre part à mon affliction.

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(Phil IV,13,14.)

Je termine cette simple étude sur Eugène Devéria en rappelant les principaux caractères de sa prédication. Ici surtout j'éprouve un sentiment doulou-

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car de tous les souvenirs que j'essaie de retracer, il n'en est pas de plus beau, et de plus difficile à faire revivre. Qui n'a pas entendu les magnifiques improvisations religieuses d'Eugène Devéria, ne l'a pas réellement connu ; dans les autres manifestations de sa pensée, on n'avait que des fragdans le discours chrétien ments de son âme on l'avait tout entière. A l'atelier, c'était l'artiste dans la déclamation, c'était le poète le poète et l'artiste ne reux

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disparaissaient pas dans l'improvisation, et là, on possédait l'orateur éloquent, inspiré, qui montait jusqu'aux sommets de la pensée, de la foi et de l'amour chrétien. C'était une nature essentiellement oratoire, ne se révélant dans toute la beauté du génie qu'à l'heure dela prédication Devérialui-même m'a dit qu'il ne sentaitses facultés se développer librement, que dans l'improvisation religieuse; c'était là que les vérités évangéliques devenaient plus claires pour son esprit et plus vivantes pour son cœur. L'immense supériorité dont il faisait preuve alors, donnait la conviction qu'il n'avait trouvé la véritable veine de son esprit que dans l'éloquence chrétienne. Quand on l'avait longtemps étudié de près, on comprenait que pour lui le pinceau et la plume n'étaient pas les meilleurs moyens de manifester le foyer d'inspiration sacrée qui brûlait en son âme la peinture, les vers, lui imposaient une sorte de contrainte qui restreignait l'essor de sa pensée; et cette pensée déployait tOllt-à-coup des ailes puissantes et planait en des régions sublimes, dès que l'improvisation religieuse lui avait imprimé son élan. Devéria ne put jamais composer d'avance un discours il crut devoir se préparer par quelgroupa soigneusement des passages ques notes

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de l'Ecriture pour ses prédications, à dater du mais à moment où elles devinrent régulières l'époque où sa parole était le plus souvent réclamée à l'improviste, dans une assemblée où il était venu comme auditeur, il trouvait subitement des richesses d'éloquence, des éclats de génie chrétien, qui laissaient dans l'étonnement et l'admiration ceux qui l'avaient écouté. Tout concourut à rendre Devéria un orateur hors'ligne ; la sonorité mélodieuse de sa voix, la pureté de sa prononciation, la majesté d'un aspect faisant rêver de Moïse et d'Esaïe, le feu du regard, la solennité du geste, tout s'accordait en lui dans un splendide concert, qui eût ébloui l'esprit, si l'austère fidélité de ses paroles n'eût pas atteint la conscience et le cœur, ne laissant de place que pour le Dieu Sauveur qu'il proclamait. La seulemanière dont il lisait l'Ecriture Sainte, produisait une impression solennelle on sentait avec quelle fermeté il croyait à l'inspiration de cette parole divine, dont il était devenu le serviteur dévoué il en faisait si bien ressortir chaque mot, il lui appliquait des intonations si justes, si vraies, que l'on comprenait comme tout de nouveau, en l'entendant lire, les passages même que l'on con-

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naissait le mieux.


Cette justesse, cette vérité de l'accent, lui faisaient aussi donner un nouveau prix à nos cantiques c'était déjà une édification quede les lui entendre lire en les annonçant et lorsqu'illes chantait avec sa belle voix de ténor et son expression exquise et pénétrante, il y avait là encore toute une source d'édification. Ce fut une des premières qualités du pieux artiste, que de faire du culte public une véritable vie, dans laquelle les âmes se sentaient intéressées et actives. Je ne puis entreprendre une analyse de l'éloquence d'Eugène Devéria, car rien ne se laisse moins analyser que l'éloquence mais afin de donner en quelque mesure une idée de sa prédication, j'en indiquerai les principaux traits, et, pour rendre cette esquisse plus claire, je me permettrai de quitter de temps à autre le sujet proprement dit de l'éloquence, et de rappeler quelques faits, quelques circonstances de la vie d'Eugène Devéria qui influèrent sur sa prédication et se reflétèrent en elle. Ceux qui l'ont connu intimement comprendront que j'adopte ce plan car sa vie fut si fortement empreinte dans sa prédication, et sa prédication fit tellement bien partie intégrante de sa vie, que séparer l'une de l'autre serait les fort mal décrire toutes deux.

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Ce qui précède me conduit tout naturellement à indiquer comme premier trait de la prédication d'Eugène Devéria, la sympathie. Au lieu de se tenir dans les généralités, il savait s'emparer de toutes les actualités pour s'en faire une puissance d'appel et de bénédiction il ne laissait passer aucun événement grave sans le prendre pour arme dans le saint combat. Lorsqu'il savait l'assemblée qui l'éçoutait préoccupée, émue par quelque inquiétude, par quelque deuil, il prenait là le point dedépart de prières et de discours, qui, répondant à la situation des âmes, trouvaient en elles un écho. C'était agir en véritable père de la nombreuse famille qui se groupait autour de lui. Nos souvenirs nous redisent à ce sujet bien des circonstances, où nous sentîmes le cœur de Devéria vibrer à l'unisson des nôtres, où nous le vîmes prendre occasion de faits douloureux, pour adresser de pressants appels et stimuler la sympathie chrétienne. Ainsi, dans les premiers temps de mon séjour en Béarn, l'Eglise de Pau eut un grand deuil; elle perdit un de ses membres les plus vénérés, les plus aimés, un vieillard, un proscrit, un Polonais, le colonel Zadéra. Parti comme volontaire à quatorze ans, il avait à quinze ans commandé la défense d'un fort. A trente ans,

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il était colonel, et tout semblait lui promettre

un rang plus élevé encore, lorsque les mal-

heurs de la France brisèrent sa carrière. Débris héroïque de nos gloires, soldat qui avait suivi Napoléon dans ses jours victorieux et lui était resté fidèle au jour de la trahison, Zadéra, revenu dans sa noble et malheureuse patrie, espéra la délivrer. Lorsque, en 1831, la Pologne arbora son aigle blanche et crut lui voir reprendre son vol libre dans lesdeux, Zadéra ceignit l'épée qu'il avait suspendue depuis vingt-cinq ans et combattit pour la sainte cause du sol natal et du foyer. Mais en ce monde, sur lequel Jésus déclare ne pas régner maintenant, la force bien souvent l'emporte sur le droit, et la violence sur la justice. Enveloppé dans la défaite de la Pologne, Zadéra, proscrit, vint chercher un refuge dans cette France qui est la seconde patrie des Polonais. Il avait fixé sa résidence à Pau il y avait conquis les sympathies et le respect de tous les gens de cœur. Le vieux soldat était un fidèle disciple de Jésus-Christ sa foi était noble, simple, énergique, comme l'avait été sa vaillance il soutenait avec dignité une position plusque modeste, avec sérénité une vie d'isolement il ne

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s'était jamais marié, et n'avait aucun parent auprès de lui. Mais sa famille, il la trouvait dans tout compatriote exilé comme lui, et chez tous les membres de l'Eglise du Christ. Il ne voulait jamais qu'un Polonais proscrit passât à Pau sans venir s'asseoir à sa table il traitait bien son hôte, et puis, pour rétablir l'équilibre de son mince budget, il allait pendant plusieurs jours, à l'heure de son dîner, parcourir la cam-

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pagne, un morceau de pain sec dans sa poche, et disait en sortant à sa servante «Aujourd'hui je dîne dehors. » La brave fille comprenait et se taisait discrètement. Si quelque ami savait qu'un voyageur exilé avait passé chez le colonel, on l'invitait à dîner les jours qui suivaient. Nous aimions à visiter ce bon vieillard; on le trouvait entouré de charmants canaries qu'il avait apprivoisés et qui voletaient dans son salon sur des trophées de gloire, parmi lesquels apparaissaient les feuilles du saule de Ste-Hélène. Un jour, il nous lut une portion de son tesc'était un touchant témoignage de foi, tament de résignation chrétienne. Il avait dit à l'avance à tous ses amis que, dans ce testament, il déclarait vouloir qu'on l'enterrât sans aucun honneur militaire, et, de plus, qu'il entendait n'être suivi absolument que du pasteur, lequel ne devrait, par conséquent, prononcer aucun discours

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sur sa tombe. Bien des personnes l'avaient prié d'effacer cette clause de son testament, mais il avait tenu bon et, chose remarquable, le jour de son convoi, il y eut une pluie torrentielle,

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un vent violent

la singulière défense du bon

vieillardsembla donc avoir été un pressentiment, car elle préserva ses amis de souffrir pour lui après sa mort. Mais le Dimanche qui suivit le départ de ce monde du pieux colonel, lorsque, le matin, nous fûmes réunis dans la salle d'Ecole, M. Devéria dit qu'il croyait devoir prononcer alors le discours dont Zadéra n'avait pas voulu pour sa tombe. D'une voix émue, il rappela cette tête blanche, qui, peu de jours encore auparavant, était parmi nous, à cette place occupée fidèlement chaque Dimanche depuis bien des années. Il retraça la vie chevaleresque et chrétieuue du héros polonais il fit passer sous nos regards sa gloire, ses malheurs et sa sainte vieillesse, éclairée par l'espérance éternelle. Tous, nous étions attendris nous donnions là au vieillard regretté, les larmes qui n'avaient pu couler sur sa sépulture. Quelquefois aussi, Devéria célébra des cérémonies funèbres il parlait alors avec une sympathie qui adoucissait les pleurs, et une foi qui ranimait tous les cœurs abattus. On peut se

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rappeler entre autres ce discours si touchant au convoi d'un enfant pauvre, dans lequel il représenta la mort comme un ange venant enlever le petit être à ce monde, pour le déposer dans les demeures célestes. Je rappellerai aussi ce qu'il nous dit de touchant, de bon, à l'occasion de la mort du jeune Emile Berthoud. Cette douce et pieuse figure qui passa parmi nous, a.laissé un reflet béni. Fils d'un pasteur de l'Eglise libre du canton de Yaud, Emile Berthoud vint en Béarn, espérant que le ciel du Midi serait favorable à sa santé la maladie pulmonaire dont il souffrait depuis deux ans sembla guérie pendant l'hiver qu'il passa dans la ville de Pau. Franchement chrétien, à la fois sérieux et gai, d'un caractère sympathique, le jeune Suisse se fit des amis sincères dans notre société et concourut à stimuler le zèle de l'Union des jeunes gens. M. Devéria avait le cœur ravi d'Emile Berthoud ; c'était son enfant chéri, un souffle rafraîchissant qui passait sur sa vieillesse. Je transcris ici quelques-uns des vers composés par Emile Berthoud au printemps de 1862, pour le pasteur devenu son ami, qui avait eu la douleur de perdre une charmante petite fille de

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deux ans


0

! rayon d'en-haut, précieuse boussole

foi

Qui, malgré les écueils, dois nous conduire au port, C'est par ton saint pouvoir qui soutient etconsole, Que les témoins du Christ ont méprisé la mort. A cette heure cruelle où nos âmes faiblissent,

Esquifs désemparés dans une nuit d'horreur, Où pour les accabler plus sûrement, s'unissent La tempête et la nuit, le doute et la douleur A cette heure d'angoisse, ô notre divin phare ! Fais briller à nos yeux le flambeau du salut Et dans les tourbillons où notre esprit s'égare, Yiens lui montrer sa route et le guider au but.

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C'était le chant du cygne c'était peut-être un pressentiment. Au mois de juillet suivant, Emile Berthoud se trouvait à Biarritz avec une

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famille dont il avait aussi gagné l'affection ; le jour de ses vingt ans arriva on fêta son anniversaire par des cadeaux il fut joyeux comme un enfant. La mer était belle pour compléter la fête, il voulut prendre ce plaisirdu bain si goûté par la jeunesse c'était trop pour sa frêle le choc violent des vagues fit rompre un santé vaisseau dans sa poitrine il fut subitement prisd'un vomissement de sang, et, peu de jours après, il expirait entouré de la famille quil'avait accueilli et de jeunes amis accourus de Pau pour le revoir encore. Sa pieuse mère eut le temps d'arriver et de lui dire le dernier adieu terrestre elle voulut ensuite venir à Pau pour connaître tous ceuxqui l'avaient aimé. Nous vîmes, nous pleurâmes avec elle, et maintenant

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la


souvenir précieux comme un conservons nous la photographie de son fils. Pendant la maladie du jeune Suisse, on attendait avec anxiété le courrier de Biarritz, et lorsque nous nous réunissions dans le temple, nos regards cherchaient cet aimable frère à la place qu'il occupait naguère. Devéria, ému de la même pensée, se rendant l'interprète de tous, priait Dieu avec larmes pour son cher enfant. Lorsque la triste nouvelle arriva et que, pour la première fois, nous nous retrouvâmes encore autour de Devéria, au service religieux, il nous parla à cœur ouvert, comme un père à ses enfants, de la douleur qui l'oppressait. Et avec quelle céleste espérance, il nous entretint du départ de ce jeune chrétien, dont la courte existence avait été si bien remplie par des œuvres de charité, par l'amour du Sauveur, et qui, voyageur privilégié, entrait dans l'éternelle patrie dès les premiers pas du pèlerinage ! Il y eut aussi un sujet qui fit vibrer avec force l'âme sympathique d'Eugène Devéria, A l'automne de 1860, une nouvelle avait soudain ému toutes les nations protestantes. L'Espagne avait retrouvé des témoins de l'Evangile un réveil religieux parcourait l'Andalousie; mais l'esprit des Torquemadas s'était aussi réveillé les prisons de Grenade et de Malàga

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venaient de se refermer sur les disciples de

Jésus-Christ. Ainsi, la persécution religieuse reprenait subitement, en plein dix-neuvième siècle, dans un pays dont la frontière s'offre à nos regards, sur ces sommets des Pyrénées qui se dressent étincelants à notre horizon méridional. Selon le plan habituel des destinées de l'Eglise, des martyrs étaient placés au point de départ d'un fidèle essor religieux. Selon ses traditions, Rome persécutait les chrétiens évangéliques. En France, les catholiques libéraux s'efforcent d'abolir les traces du fanatisme sanguinaire qui souilla le règne des Valois et des Bourbons, et souvent le clergé romain de notre patrie, comptant sur l'oubli du passé, cherche à faire croire que son Eglise est amie de la liberté et ne veut agir que par la persuasion. A ceux qui ne savent pas ou qui ne se souviennent pas que la persécution est dans l'Eglise romaine un principe fixe, l'Espagne s'est chargée d'enseigner ou de rappeler cette vérité. Il faut lire les décrets des conciles et les bulles des papes concernant les chrétiens séparés de Rome, pour être édifié à cet égard. lorsque Je dis cela sans aucune amertume dans le cercle de sa parenté et de ses anciennes

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affections, on compte des catholiques aimés profondément, c'est seulement par fidélité envers de chères âmes abusées, que l'on peut insister sur ce fait ressortant de l'histoire et de l'expérience : que l'Eglise romaine a toujours persécuté les chrétiens séparés d'elle, quand elle n'a pas été entravée dans ses rigueurs fanatiques par des gouvernements libéraux. Est-ce donc le clergé romain qui a fait abolir en France les édils persécuteurs, envoyant aux bûchers, aux galères, à l'échafaud, les chréToujours, au contraire, le tiens évangéliqucs clergé romain agit sur les rois de France pour les inciter à l'extermination de ceux qui rejetaient le joug papal. Et nous venons de le voir à l'œuvre, ce clergé, dans le seul pays de l'Europe où sa domination sur le pouvoir civil se fasse encore ressentir avec force. L'Espagne réalise l'idéal de Rome depuis trois cents ans que le protestantisme y fut consumé par les flammes des auto-da-fé, le clergé y a tout dirigé éducation de la jeunesse, littérature, culte public, têtes couronnées, tout a subi la direction romaine, nul n'a jamais eu le droit de s'y opposer ouvertement. Et quels résultats voyons-nous de ce régime auquel la papauté voudrait mettre tous les peuples? Quelle leçon dans la décadence et les déchirements

?

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de

1Espagne pour ceux qui rêvent un âge d'or,

s'écoulant à l'ombre de la liare! Mais, tandis que l'esprit de Rome s'est de nouveau montré sous son vrai jour, l'esprit évangélique a de nouveau aussi brillé de toute la pure lumière qui éclaire les annales de l'histoire. Les chrétiens espagnols ont prouvé, par leur constance et leur sainte énergie, que la foi des martyrs est de tous les siècles et de tous les climats. Un nom se détacha bientôt du groupe des captifs, celui de Matamoros; son individualité puissante personnifia la cause de l'Evangile en Espagne; un seul des prisonniers était plus jeune que lui, et cependant c'était lui que tous regardaient comme le chef du mouvement religieux, qui avait fait rouvrir les cachots du fanatisme romain. Fils d'un lieutenant-colonel d'artillerie, entré fort jeune dans la carrière militaire, il avait été comme son père zélé secmais il avait en vain cherché tateur de Rome dans son Eglise lesentiment béni de l'adoption filiale, qui fait parcourir avec joie les sentiers de l'obéissance et du dévouement. A l'ouïe du huitième chapitre de l'épître aux Romains, uu avait il jour s'était levé âme sur son nouveau compris la plénitude du salut par Jésus-Christ, et sa vie entière, depuis lors, n'avait été qu'une

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joyeuse immolation au pied de la Croix. Doué d'éloquence et d'une force d'impulsion qui se communiquait autour de lui, il avait répandu la vérité devenue sa vie et son bonheur. Sous la bénédiction du St-Esprit, des Eglises avaient surgi à sa voix, et pour ce délit, contraire aux lois de l'Espagne, il avait été brutalement arrêté à Barcelonne, avec ordre de se rendre à pied jusqu'à Grenade, bien qu'unétat maladif le retînt alors au lit ; les efforts généreux de quelques amis, obtinrent pour lui le transport par mer à Carthagène, et de làen voiture à Grenade. Jeté dans un cachot obscur, humide, fétide, il écrivait Mon cachot m'a semblé un lit de « roses. » La vocation, l'esprit du martyre, avaient été créés en lui par l'amour de Jésus-Christ. Sa plume féconde était devenue l'interprète de la jeune Eglise priant sous la Croix elle établissait des rapports sympathiques entre elle et nos vieilles Eglises. Les lettres de Manuel Matamoros, imprimées dans nos journaux religieux, arrivaient parmi nous, lumineuses de foi, riches d'amour céleste elles nous reportaient soudain vers ces temps d'héroïsme et de douleur, où les témoins de Jésus-Christ soutenaient le'choc du fanatisme sur le sol de

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la France.

Devéria fut profondément ému de ces graves


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événements

il donna de chaleureuses sympa-

thies aux chrétiens persécutés de l'Espagne.Je

me souviens de nos conversations à ce sujet. Un jour, entre autres, à l'atelier, il m'exprima ce que lui faisaient ressentir le pieux élan d'une Eglise naissante, la vue de ce foyer d'amour et de vie, qui venait de se rallumer sur la terre de

l'inquisition. Ces sympathies, il les manifesta dans les services religieux il priait pour les captifs, sous l'impulsion d'une vraie fraternité, et, dans ses discours, il fit souvent allusion au témoignage dévoué des fidèles espagnols. Je me rappelle surtout un soir où Devéria, dans la série de ses méditations sur Tépître aux Philippiens, arriva à ce passage Et si même je sers d'aspersion sur le sacri« j'en la ai de l'offrande de foi, fice et votre e joie, et je m'enréjouis avec vous tous. « Vous aussi de même, ayez-en de la joie et 17,18.) (II, réjouissez moi. en avec vous » « Il dépeignit St-Paul dans la prison de Rome, écrivant à une Eglise de Grèce et lui faisant entendre cette voix de l'amour dévoué qui puise son bonheur dans le sacrifice. Il nous dit comment le chrétien donnant tout-à Jésus-Christ qui a tout donné pour son salut, arrive à la Jelicité suprême dans l'accomplissement même

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Ir

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et comme preuve vivante de la permanence de cette vérité, il nous cita les lettres de Matamoros. Le jeune captif exprimait il avait tracé toujours une joie triomphante très heureux. Je suis heureux, » ces mots « L'esprit de St-Paul soufflait en lui. Devéria insista sur ces paroles (Y. 18) où l'apôtre demande à ses frères de se réjouir avec lui de son martyre et nous dit comment un vrai zèle pour la gloire de Jésus-Christ pouvait nous donner aussi une sainte allégresse du témoignage de pénétrons le Matamoros. « Oui, s'écria-t-il sublimes du félicités sacrifice des secret « chrétien, et nous nous réjouirons avecMata«

du sacrifice

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,

«

DlorosJ

»

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Ce soir-là, Devéria fut magnifique

jamais,

je ne l'ai vu s'élever plus haut dans les régions de la foi et

à aucun autre moment de sa vie,

de l'amour divin. Bien souvent, le sujet des persécutions subies par l'Eglise espagnole revint dans mes conversations avec Devéria. Il me disait que la persécution est l'état normal de l'Eglise que, dans une fidélité absolue, elle s'attire trop la haine d'un monde pécheur pour ne pas en souffrir. Le calme dont les Eglises jouissent généralement lui semblait résulter surtout d'un attiédissement chez elles et chez leurs adver-

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saires; cependant, il reconnaissait qu'un plan supérieur, tracé par Dieu, dirigeait parfois en des sentiers paisibles les destinées de son peuple. Ce furent trois années de vives et saintes préoccupations, que celles de la captivité de nos frères espagnols ceux qui surent prendre part à leurs souffrances, n'oublieront pas l'influence grave et bénie de ce douloureux témoi-

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gnage.

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Il est un moment dont j'aime surtout à me souvenir c'était à la fin de septembre 1861 ; il y avait déjà plus d'un an que nos frères d'Andalousie gémissaient sous les verrous, et la condamnation aux galères semblait devoir aggraver bientôt leur martyre. Nous faisions un séjour à Bagnères-de-Luchon par une belle après-midi, nous passâmes la frontière de France, sous les délicieux ombrages d'une forêt. J'avais déjà fait cette excursion, mais à une époque où tout semblait encore dormir en Espagne sous le froid linceul que l'inquisition, en fuyant, avait laissé tomber derrière elle, comme un débris de son pouvoir oppresseur. Mais alors, en foulant cette terre où ma communion est proscrite, où mes frères captifs étaient menacés d'être enchaînés avec des cri-

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minels, je ressentis une tristesse immense et une immense sympathie. Nous n'avions pas l'intention d'aller jusqu'à Bososto; notre promenade se borna aux rochers qui se dressent sur la lisière des bois et dominent la vallée que la Garonne, en s'élançant de la montagne, arrose de ses eaux paisibles. Je m'éloignai un peu de notre petite bande; je restai quelques instants à l'écart dans les rochers, contemplant et rêvant. La journée était splendide, le ciel était d'un bleu foncé, immaculé, vrai ciel d'Espagne; de vifs rayons dardaient sur les pâturages, sur les rocs, et les enveloppaient d'une lumière chaude, éblouissante. L'ombre des monts couronnés par la forêt, se projetant sur moi, me faisait goûter une agréable fraîcheur, tandis qu'en facedu point où j'étais, une autre ligne de montagnes recevait les feux brûlants du soleil méridional. En bas, dans la vallée, Bososto, Leez et quelques villages s'étalaient au milieu des prairies,sur les rives de la Garonne. Tout était verdure et lumière, fraîcheur et parfums; tous les charmes de la terre et du ciel s'harmonisaient en ce site

enchanteur. Mais ma pensée alla chercher bien au-delà des montagnes dorées par le soleil, bien au-delà


des plaines arides, des cités et des villages, les mornes prisons où mes frères' subissaient les rigueurs de la captivité. Pour eux, le ciel de l'Espagne resplendissait en vain dans toute sa pureté pour eux, plus de brise rafraîchissante, plus d'ombrages ni de fleurs. Les sombres parois de la prison étaient leur seule perspective, l'air humide de ce triste lieu, leur seule atmosphère. Et pourquoi? Parce que Dieu les avait choisis pour relever la bannière de l'Evangile sur cette terre qui étouffa la voix de la vérité dans les flammes des bûchers et dans les tortures de l'inquisition, lorsqu'au seizième siècle la pure doctrine de Jésus-Christ fut proclamée par les Valéra, les Diaz..,.. Comme je les aimais à cette heure, ces témoins de mon Dieu Comme j'aurais voulu pou-voir faire pénétrer jusqu'à eux les souffles de la montagne, les rayons qui brillaient au ciel Le regard de mon âme était auprès d'eux je voyais moins le paysage splendide qui m'entourait, que l'obscurité de leur prison je respirais moins les arômes de la forêt, que leur la distance s'était effacée fétide atmosphère il me semblait les voir tout près de moi les récits que j'avais lus de leurs souffrances, de leurs dures privations, revenaient à mon esprit présentaient des images vivantes. Ma et me

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prière seule pouvait quelque chose pour ces courageux témoins de Jésus je priai. Le souvenir de cette heure demeura dans car cette heure avait marqué dans mon âme ma vie. Les réalités imposantes du sacrifice chrétien m'étaient apparues dans toute leur grandeur ; je vis alors mieux que jamais ce qu'il y a de misérable dans les cœurs partagés entre Christ et le monde, dans les existences où l'on semble craindre d'aller trop loin en dévouement pour le Sauveur, où l'on disserte, où l'on délibère sur les limites de la consécration à Celui qui s'est donnépour notre salut. A dater de ce moment, je compris mieux la vie spirituelle et pleine de sacrifices, d'Eugène

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Devéria.

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Au commencement de 1863, Matamoros fut condamné à neuf ans de galères ses compa-

gnons de captivité, parmi lesquels étaient Don Miguel Trigo de Bustamente, Don Antonio Carrasco, etc., furent aussi condamnés les uns à neuf, les autres à sept ans de galères. Toutes les nations protestantes s'émurent de cette inique sentence. De divers points de l'Europe, des chambellans, porteurs de lettres autographes de leurs rois, se dirigèrent vers Madrid, pour demander la délivrance des martyrs. Des dépu-


tations de l'Alliance Evangélique, venues de plusieurs pays, arrivèrent aussi dans la capitale espagnole. Et tandis que l'on combattait ainsi dans la plaine, il y avait des Moïses qui priaient sur la montagne. Le pouvoir compritl'impossibilité de résister à ce grand courant de sympathie; nevoulant pas paraître céder, il prit une mesurequi rendit inutile, même la demande d'une audience; les prisonniers condamnés aux galères furent exilés pour un nombre d'années égal à celui qu'ils devaient passer dans les fers. Ce fut au mois de mai 1863, que les prières des Eglises évangéliques reçurent enfin ce magnifique exaucement ; ce fut alors queles portes des prisons de Grenade et de Malaga s'ouvrirent devant nos frères. Mais ils étaient bannis l'Espagne se jugeait elle-même indigne de les posséder dans son sein. Dois-je dire l'Espagne? Non ; disons plutôt ceux qui la gouvernent car dans ce pays malheureux, perverti par le souffle empoisonné de l'inquisition, que de débris d'une noblesse primitive que d'esprits qui appellent de tous leurs vœux la liberté de conscience La nouvelle de la libération des captifs produisit parmi nous une grande, une sainte émotion. La main de Dieu était visible dans cette

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délivrance obtenue par les seules armes de la prière et de l'amour fraternel. Nous sûmes bientôt que nous allions posséder quelques jours, à Pau, l'un des amis les plus dévoués des captifs espagnols le docteur Capadose, ce respectable vieillard israélite portugais converti à. l'Evangile en Hollande, dont j'ai parlé précédemment. Les lettres de Matamoros, reproduites dans nos journaux religieux, avaient soudainéveillé en lui une vive affection pour le jeune prisonnier il lui avait écrit, il avait reçu de lui des réponses qui avaient accru sa tendresse vraiment paternelle. Il avait mis tout en œuvre pour délivrer Don Manuel et ses amis et, malgré son grand âge, il était parti pour Madrid avec sa digne compagne, puis avait été à Malaga, à Grenade, visiter ses frères dans leurs prisons de retour à Madrid, il avait bientôt appris leur délivrance, et rejoignait son pays, le cœur joyeux et reconnaissant. L'un des principaux motifs qui avaient décidé le docteur Capadose à s'arrêter à Pau, était le désir de revoir Devéria, devenu son ami intime pendant l'hiver qu'il avait passé à La Haye lorsqu'il fit le portrait de la reine.

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Capadose arrivèrent à Pau, le 5 juin 1863, par un train de l'après-midi. Une grande assemblée fut convoquée pour six heures, M.

et

Mme


dans le salon des Dames, qui leur avaient fraternellement offert l'hospitalité. Nous arrivâmes des premiers, ainsi que M. Devéria. M. et Mme Capadose ne parurent pas tout de suite ils se reposaient encore des fatigues du voyage, tandis que l'assemblée se formait et que l'on prenait le thé. M. Devéria et moi, n'ayant aucun goût pour le nectar si cher aux Anglais, nous allâmes avec quelques autres personnes attendre le commencement de la séance sur le balcon, où s'ouvraient les grandes portes vitrées du salon. Nous étions dans l'une de ces charmantes habitations qui communiquent à la ville par des jardins et dominent le coteau du Midi au bas de ce coteau, la petite rivière de FOusse et le Gave courent parallèlement dans une vallée ombragée d'ormes et de peupliers. Trois chaînes de collines déploient leurs contours enchanteurs au-delà de cette vallée, et les Pyrénées dominent le paysage de toute leur splendide majesté. La soirée était magnifique aucun nuage n'altérait la pureté du ciel la lumière idéale du Midi empourprait les cimes neigeuses, descendait se jouer dans ces bocages, sur ces prairies du Béarn, dont les ardeurs de l'été n'altèrent jamais la fraîcheur, et puis allait envelopper

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d'une teinte rose les nombreuses villas des collines. Nous restâmes là jusqu'au moment où les rayons éteints dans les vallées et plus tard ayant fuimême les sommets des coteaux, doraient encore de leurs derniers feux les pics imposants de nos montagnes. Devéria était dans il souriait, il semblait un doux ravissement rajeuni, tant il jouissait de contempler ce prin-

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temps radieux, au soir de la belle fête qui nous parlait d'amour chrétien et de délivrance ; tous deux, nous étions frappés de l'harmonie que n'était-ce pas un Dieu mettait en ses œuvres soin de sa bonté paternelle, que d'offrir un si beau site, une soirée si paisible, à l'assemblée fraternelle où nos. cœurs s'épanouissaient dans la joie d'une prière exaucée Que de fois nous nous sommes rappelé cette heure,cette contemplation délicieuse, qui avait précédé les récits du pieux voyageur1 Nous fûmes ramenés au salon par l'entrée du docteur Capadose c'est encore là un des moments dont j'aime à me souvenir. Capadose et Devéria s'élancèrent l'un vers l'autre, s'embrassèrent en pleurant, et l'attendrissement des deux bons vieillards nous gagna aussi. Il y avait déjà tant d'années qu'ils ne s'étaient vus, et, pour eux, combien il était émouvant de se retrouver en de telles circonstances

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!

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Bientôt le docteur Capadose commença le récit de son voyage, de sa visite aux prisonniers. Il'nous parla surtout et avec un amour profond de Don Manuel Matamoros. Quand il s'était séparé de lui, le jeune captif, condamné à neuf ans de galères, s'attendait à subir ce long martyre et l'acceptait joyeusement pour la gloire de Jésus-Christ. L'israélite chrétien nous dépeignit cette heure solennelle où la Sainte Cène avait été célébrée dans la prison de Grenade; puis il nous dit, qu'en laissant Matamoros avec la pensée que bientôt peut-être, il porterait les chaînes du forçat, son émotion avait été si forte qu'il avait défailli, et que Don Manuell'avait soutenu dans ses bras, tandis qu'il descendait l'escalier de la prison. Au moment où, pour la dernière fois, il passait au pied du sombre donjon qui enserrait son jeune ami, il leva les yeux et voilà Don Manuel s'était élancé à la haute fenêtre grillée de sa misérable chambre, et, se cramponnant d'une main aux barreaux de fer, de l'autre il lui faisait un signe d'adieu. Nous étions tous émus en écoutant M. Capadose. Je regardai Devéria je vis de grosses larmes glisser jusqu'à sa barbe blanche; je l'en aimai encore mieux. Matamoros et Devéria devaient se connaître; c'était dans le plan de Dieu. Un peu plus de

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deux mois seulement après notre belle soirée, Don Manuel vint à Pau. Quel rapprochement qtte celui de ces deux hommes, convertis de l'Eglise romaine à l'Eglise évangélique, l'un sur une terre de liberté, l'autre dans le royaume qui est la dernière forteresse de la tyrannie papale. Ils se touchaient par bien des points, car tous deux avaient changé de communion sous l'empire d'une conviction sincère et profonde. Matamoros arrivait parmi nous portant sur son noble visage l'empreinte de la maladie mortelle qu'il avait contractée pendant une captivité de trois ans. Sa pulmonie ne fut pas jugée sans espoir par les médecins, mais deux conditions étaient déclarées indispensables à son rétablissement l'habitation du midi de la France, sous le ciel le plus doux qui pût lui être offert, à lui, exilé de l'Andalousie, et l'absence de toute vive émotion. La première de ces deux conditions ne fut pas entièrement remplie. La seconde condition le fut moins encore, car de vives émotions assiégèrent.constamment l'exilé, et je me souviens toujours avec tristesse du moment où il me dit Si je meurs, pensez bien que ce sont les « émotions qui m'ont tué. » Cette sève brûlante devait briser rapidement sa frêle enveloppe, puisque mille circonstances douloureuses agi-

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rent fatalement pour activer le feu qui la consumait. Je transcris ici les vers bien connus adressés à Matamoros par une dame de Paris, à*son arrivée; ce fut là un précieux témoignage de sympathie pour l'exilé. m

A MANUEL MATAMOROS.

Ils ont au front le sceau de leur grandeur austère, Ils viennent ici-bas pour aimer et souffrir, Phalange de lutteurs armés de la prière, Où toute cause sainte a trouvé son martyr.

En prison, dans l'exil, sous la haine et l'outrage, Leur souffrance elle-même est une royauté, Comme leur divin Maître, ils rendent témoignage A l'éternelle Vérité.

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C'est par eux, ô Jésus que ton œuvre s'achève Ils boivent à la coupe où tu bus une fois Le monde est racheté mais, pour qu'il se relève, Près de ta croix sanglante, il faut leur humble croix.

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; ! : !

soyez donc bénis, martyrs de l'œuvre sainte ! soyez donc bénis, vous qui savez souffrir Suivez votre chemin sans faiblesse et sans crainte Vous qui croyez en Dieu, croyez à l'avenir Oh Oh

!

Espagne, beau pays, terre de poésie, Terre héroïque et fière, et riche en nobles cœurs, Tes fils savent encor donner pour toi leur vie, Sous ton ciel assombri luiront des jours meilleurs. Leurs larmes et leur sang ont fécondé la terre, Sous le regard de Dieu, la moisson va mûrir. 0 soleil des esprits, éclatante lumière, Devant toi la nuit va s'enfuir

!

Paris, 25 décembre 1863.


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Notre Devéria mourut pendant l'hiver que Matamoros passa en Suisse à son retour, nous parlàmes beaucoup ensemble du pieux vieillard qui lui avait inspiré un profond respect, une vive sympathie; il desira tènir de moi une photographie de notre ami je lui donnai la carte d'Eugène Devéria, qu'il a placée dans son album. Devéria Matamoros! quel privilège et quelle responsabilité pour l'Eglise de Pau, que de vous avoir possédés Et pour moi, quelle responsabilité aussi et quel privilège, que d'avoir eu l'honneur de votre noble confiance et de votre sainte amitié! Devéria m'avait offert la vie chrétienne dans toute l'ampleur d'une calme fidélité. Don Manuel me la présenta sous les chaudes coulèurs de l'héroïsme et du martyre. Bien des âmes, éprises d'un bel et pur idéal, viennent se heurter à des réalités mesquines qui refoulent leur élan l'inverse eut lieu pour

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moi.

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J'aime à me rappeler cette simplicité parfaite que Matamoros conserva dans la célébrité. Quand il fut l'objet de quelque sympathique démonstration, il dit avec ce franc sourire qui reflétait si bien sa pensée Cela n'est pas « pour moi, c'est pour l'Evangile je m'en réjouis,

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parce que c'est Jésus-Christ que l'on honore ainsi; moi je ne suis rien Jésus est tout; c'est

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Lui qui agit par moi. » Que de fois il exprima sa reconnaissance de l'honneur que Dieu lui avait fait eu le choisissant pour souffrir dans le témoignage de l'Evangile. Je n'oublierai jamais l'élan naïf et sublime. Si je savais mieux avec lequel il dit un jour « avancer la cause de l'Evangile dans mon pays en retournant m'exposer à la captivité, qu'en restant dans l'exil, je partirais joyeusement, je rentrerais dans notre Espagne, et, pour lui donner la vérité, je serais heureux de mourir Et ce ne serait pas demain que je en prison partirais, ce serait ce soir. » Il faut presque avoir du génie On a dit « pour parler dignement du génie. » On peut dire aussi « Il faut avoir quelque chose de l'esprit du martyre pour comprendre le martyre. » Qui de nous a suffisamment compris Don Manuel Au sein de notre existence relativement facile, à l'ombre de lois libérales, nous qui avions vécu au grand air, sous le ciel, tandis qu'il languissait dans une sombre et malsaine prison, est-ce que nous l'avons apprécié à sa réelle valeur, cet héroïque et doux martyr

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?


Toujours dans la joie du salut, toujours dans l'humble et ferme assurance de l'adoption filiale, Don Manuel, s'il eut de grandes épreuves extérieures, évita du moins les angoisses spirituelles par la simplicité de sa foi.. Il croyait avec plénitude à l'expiation par le sang de Jésus-Christ, à la justification par ses mérites divins, à la gloire du règne promis aux rachetés. Se donner sans réserve et constamment à son Sauveur, lui semblait son service obligatoire en abandonnant tout, il regardait faire peu, et devenait ainsi, dans nos sociétés amollies, un rayon de dévouement qui faisait ressortir l'obscurité de l'égoïsme. Je possédai sa confiance il me révéla les secrets qui devaient entourer son œuvre. J'avais refusé d'étudier l'espagnol tout le temps que mes frères étaient en captivité, attendant avec foi le jour de leur délivrance pour apprendre à lire l'Evangile dans l'idiome où il leur avait révélé la vérité de Dieu. Dès l'abord, Don Manuel me fit promettre d'étudier l'espagnol, de me mettre en état de le traduire, de l'écrire, et je tins cette promesse. Divers travaux que Matamoros me confia, et la correspondance qu'il entretint avec moi, me firent pénétrer plus que bien d'autres, son âme si profondément franche, débonnaire, sublime

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i


avec simplicité dans le service de Jésus-Christ. Un jour, en lui remettant des documents qu'il m'avait donnés à traduire, j'y joignis quelques strophes inspirées par sa situation j'en extrais les suivantes:

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Ah ! c'est un souvenir tout rempli d'espérance, Que ce jour où, domptant la rage de l'enfer, Jésus vint à vos yeux déployer sa puissance En ouvrant la porte de fer.

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Il tient aussi la clé des frontières d'Espagne Pour elle, à votre foi déroulant l'avenir, Le Saint-Esprit redit qu'il n'est pas de montagne Que son vol ne puisse franchir.

Vainement aujourd'hui le sceptre vous éloigne Des rivages aimés de votre Andalousie: A toute heure, en tous lieux, votre seul nom témoigne Contre Rome et son hérésie.

Oui, c'est un inexprimable honneur dans mon existence, que d'avoir possédé l'amitié noble et sainte d'Eugène Devéria'et de Manuel Matamoros. Ces deux phares lumineux, posés du éctieils les voir fait m'ont et route, sur ma .doute et de la tiédeur, et les splendides beautés du dévouement chrétien. Ils ont tous deux quitté cette terre après et quelque « étrangers passé voyatemps avoir y riche plus avec âme trouve et se mon geurs, »


leur souvenir, que tant d'âmes abreuvées des brillantes pauvretés de ce monde. Manuel, Don de la jours après mort Peu de le 6 août 1866, j'écrivis ceci

:

A LA.

MÉMOIRE DE

MANUEL MATAMOROS. Auprès de son tombeau, comme en un sanctuaire, Mon âme se recueille, et, par le souvenir, Je vois briller encor le feu du saint mystère Sur le front du martyr.

Jésus-Christ et sa Croix, l'Esprit qui sanctifie, L'amour, le sacrifice et la paix du Seigneur, C'étaient là les secrets que révélait sa vie Et qu'exhalait son cœur.

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Il crut, aima, souffrit il vint montrer au monde Le zèle, la ferveur et l'espoir des élus Dans ce siècle apostat, la grâce, en lui féconde, Manifesta Jésus.

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De nos pieux martyrs il renoua la chaîne;

L'esprit des saints héros revécut tout en lui; A son nom, à sa voix, une clarté soudainee Un nouveau jour ont lui. Nous avions tous gardé dans nos foyers austères, D'un passé douloureux, quelques débris sacrés Nous aimions les récits qui montrent en nos pères Des témoins vénérés.

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Mais dans les jours. de paix d'une

libre patrie,. De ce temps héroïque évoquant la grandeur, Qui de nous pensait voir renaître la série Des martyrs du Sauveur?

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Matamoros paraît la prison de Grenade S'ouvre pour étouffer sa courageuse voix; Autour de lui se lève une sainte pléiade Fidèle sous la croix-

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L'étincelle jaillit au pays des Espagnes Deux siècles de sommeil viennent de prendre fin ; Des rivages des mers aux neigeuses montagnes Luit un brillant matin.

,

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Satan s'éveille aussi dans sa rage implacable, D'un pouvoir fanatique excitant la fureur, Il arme de la loi le bras inexorable Dans toute sa rigueur.

Et l'on revoit alors les plus beaux jours de gloire Que l'Église autrefois ait connus dans lesfers La foi sait triompher en sa sainte victoire Des maux les plus amers.

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Et parmi les martyrs domine la parole Que fait éloquemment ouïr Don Manuel Il vit dé cet amour qui se donne, s'immole Ati Sauveur éternel.

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De son cachot obscur, en une hymne de joie pardon et le salut de Dieu, Célébrant

le

Il trace à iras regards la lumineuse-voie Qui conduit au Saint Lieu. De notre vieiHe Eglise, une céleste flamme Vient par Matamoros ranimer la chaieur ;

L'écho de soncaitique accompagne en notre âme L'écho de sa douleur.


Que nous avions souffertde toutes ses souffrances! Que le poids de ses fers oppressait notre cœur ! Que de craintes pour lui ! Pour lui que d'espérancesEn priant le Seigneur! Un jour enfin paraît, jour de vive allégresse, La prison s'est ouverte. 0 mon Dieu gloireà.Toi Tu demeures fidèle à ta sainte promesse, Tu réponds à la foi.

!

!

Il vient; il est ici, sur la terre de France, Arrosée autrefois par le sang des chrétiens Il bénit avec nous le Dieu de délivrance Qui rompit ses liens.

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Nous le vîmes alors, figure noble, austère, A toute heure animé d'un zèle ardent et pur, Vivant de dévoûment et portant la lumière Dans l'ègoïsme obscur.

Comme il savait prier pour l'ingrate patrie Dont un injuste arrêt avait pu le bannir Que d'œuvres que d'écrits pour la fière Ibérie Qu'il aimait à bénir

!

!

!

Mais il devait passer comme un éclair splendide, Pour notre monde, hélas! trop éthéré, trop beau

Trois ans séparaient seuls en leur course Sa prison du tombeau.

; rapide

Par de cruelles mains son existence atteinte S'éteignait chaque jour malgré la liberté; Il gardait sur ses traits une mortelle empreinte De sa captivité.

Et Dieu n'exauça pas son Église en prière, Qui l'implorait encor de prolonger ses jours A lui s'offrait enfin dans la Maison du Père Le bonheur pour toujours.

;


!

;

Il a passé pleurons car cette voix qui prie, Cette foi, cet amour, ce zèle d'un martyr, Cet élan généreux, oui, toute cette vie N'est plus qu'un souvenir. Ah ! c'estle souvenir de gloire, de lumière,

Le suave parfum, le reflet radieux De l'âme qui s'envole en laissant à la terre Un doux rayon des cieux.


IX.

Une doctrine saine, dans laquelle il n'y ait rien à

reprendre. {TITE,II,8.)

Après avoir rappelé les circonstances qui agirent sur la prédication d'Eugène Devéria pendant les années qui s'écoulèrent de 1860 à 1863, je reviens maintenant à des considérations plus- spéciales sur cette prédication. La base des discours d'Eugène Devéria, fut la pureté de la doctrine; jamais l'élan de son imagination ne l'entraîna hors des limites de la vérité et cela, parce qu'il était réellement chrétien de conscience et de cœur. I/incrédulité et les divers degrés du doute, ont bien plutôt leurs racines dans les sentiments intimes des individus, que dans les difficultés du dogme. L'incrédulité ouverte, les systèmes de négation absolue qui usurpent le nom de philosophie n'étant nullement un fruit de l'amour de

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*


la sagesse, ces systèmes ont tous pour véritable source, le mal moral. Leur tendance est de nier le péché, de s'affranchir de la conscience et du

devoir, de supprimer Dieu, de faire de l'homme un animal perfectionné, n'ayant pas plus d'immortalité en perspective que le singe, considéré comme son ancêtre par quelques-uns. Toutes ces hontes de la pensée humaine se voilent de dehors imposants pour éblouir le vulgaire; un des moyens de l'école, est d'employer pour définition de choses nullement définies, des mots barbares, difficiles à comprendre, d'un sens indécis; cela est destiné à produire dans nos âges quelque those du respect inspiré par le mystère du langage hiéroglyphique au temps des Pharaons. La vérité, elle, emploie un langage compris de tous; elle ne cherche point à se voiler d'une vaine obscurité et n'a de mystères que les profondeurs de Dieu, de l'infini. La difficulté de la saisir n'existe en réalité que dans les âmes qui veulent être à elles-mêmes leur propre divinité, et prétendent ne relever que d'elles seules. À celles-là, sans doute, Dieu ne se manifeste" pas; aussi les voit-on tâtonner en plein midi, sans que le soleil des Cieux les vienne éclairer. En face des tentatives d'une science manquant semble but, il base manquant me son par sa

et


voir un homme qui, par un beau jour d'été, a fermé hermétiquement ses contrevents et sue sang et eau pour produire, au moyen de combinaisons chimiques, une lumière artificielle. Je ne perdrais pas mon temps à discuter avec lui la valeur de ses appareils je lui dirais simple-

:!

ment

;

;

;

laissez tout cela ouvrez vos contrele soleil brille ! le ciel est bleu » vents Il y a des systèmes spiritualistes plus respec«

Eh

;

!

tueux pour la dignité humaine et pour les droits de Dieu ceux-là mélangent, dans des proportions diverses, le christianisme et ce que l'on est convenu d'appeler la philosophie. Quelquesuns de ces systèmes admettent beaucoup de l'Evangile mais qu'on ne se laisse pas abuser par des mots empruntés au langage sacré; s'ils admettent beaucoup de l'Evangile, ils n'admettent pas tout l'Evangile, et là est l'abîme qui les sépare de la vérité. Plus confiant en soi-même qu'en Dieu, se posant en juge de la révélation, on choisit ce que l'on veut croire et ce que l'on veut rejeter. Une âme vraiment convertie à Christ n'agit jamais ainsi. Eugène Devéria eut une doctrine pure, parce que son âme s'était donnéefranchement à JésusChrist. Avec une humilité vraie, profonde, il

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avait reçu son pardon par le sang du Sauveur aussi, malgré les dons intellectuels qui relevaient au-dessus des multitudes, il ne se crut jamais le droit ni la faculté de faire un triage dans la révélation divine. Il s'inclina devant ce qu'il ne pouvait pas comprendre, sachant que l'être fini ne peut sonder les abîmes de l'infini; il accepta simplement, avec une confiance filiale, toutes les déclarations de la parole de Dieu. C'est ainsi qu'il reçut de vives lumières, qu'il comprit mieux que par des spéculations scientifiques, les secrets des destinées humaines et des plans de Dieu. Il monta plus haut, il creusa plus bas que le savant faisant ses recherches à côté de l'Evangile lui, était entré dans le sanctuaire même de l'Evangile et marchait d'un pas ferme. Il était beau, il était bon d'entendre Devéria parler sur la pleine inspiration des saintes Ecritures et sur leur souveraine autorité. Si quelque passage était difficile, il courbait la tête avec amour et respect, comme un fils devant le Père qu'il vénère et qu'il aime sans toujours le comprendre. Mais, précisément par cette confiance filiale, il arrivait à pénétrer la pensée du Père bien mieux que par la froide science. Que de clartés il faisait jaillir en méditant les pages inspirées Que de choses on comprenait mieux

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!


!

Quels trésors d'édification, de en l'écoutant force et de vie, il puisait dans la parole deDieu

!

et répandait sur ses auditeurs Oui, Devéria, votre vraie grandeur morale vint de votre humble soumission à la révélation divine. Aucun flambeau, allumé par votre main, n'eût répandu la lumière et fait mûrir les fruits produisit le soleil divin sous les rayons duque quel vous vous placiez Devéria exposait les dogmes chrétiens avec une logique claire et serrée il n'y avait rien de vague ni d'abstrait dans ses définitions il employait les termes, le langage compréhensibles par tous et développait les vérités évangéliques avec cette netteté, cette vigueur, que donnent seules les fortes convictions. Il admettait, dans son sens le plus absolu, la doctrine de la Trinité il croyait à la personnalité du Saint-Esprit, et le voyait à l'œuvre dans la pleine inspiration de l'Ancien et du Nouveau Testament. Il recevait par conséquent Jésus-Christ tel qu'il est révélé dans les Ecritures, « vraiDieu et vieéternelle. » Le mystère de son miséricordieux abaissement comme Fils de l'homme, ne lui voilait en rien la plénitude de sa divinité. Jésus, dans le Nouveau Testament, lui apparaissait dans tous les caractères augustes de sa

!

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toute science, de sa tonte puissance et de sa perfection essentielles. Il est écrit « Jésus n'avait pas besoin que personne lui rendît témoignage d'aucun homme, car il connaissait par lui-même ce qui était dans l'homme. » (1) Jésus savait dès le commencement qui serait celui qui le trahirait. (2) Jésus prédit sa passion, sa mort. Il prédit aussi la ruine de Jérusalem et les événements des derniers jours. Jésus fait ses miracles en son propre nom. Il ressuscite les morts par ces paroles Je te le dis,

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lève-toi. (3) Il commande avec autorité aux flots et à la

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tempête. Il dit à la mer agitée «Tais-toi, sois tranquille, » et les éléments lui obéissent, (4) Après lui, c'est en son nom que les Apôtres accomplissent desmiracles : «AunomdeJésusChrist de Nazareth, lève -toi et marche. (5) Ces passages, ces faits, que Devéria aimait tant à rappeler dans ses discours, n'étaient pas (1) (2) (3)

(4) {5)

Jean, II, 25. Jean, VII, 64. Luc, VII, 14, —Marc, V, 41. Malt., VIII, 26. — Luc, VIII, 24. Actes, III, 6.)

— Marc, IV, 39.


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pour lui des indices isolés de la toute science, ie la toute puissance de Jésus illes rattachait au grand ensemble de la révélation. Jésus-Christ est présenté dans la Bible comme Créateur. Au premier chapitre de la Genèse, l'Eternel crée par sa parole. Au premier chapitre de l'Evangile de Saint-Jean il est écrit : Parole était la La Parole commencement, au * était avec Dieu,, et cette parole élait Dieu. Toutes choses ont été faites -par elle, et rien « de ce qui a été fait, ria été fait sans elle. Et la parole a été faite chair et a habité « parmi nous, pleine degrâce et de vérité, et nous avêns vu sa gloire,une gloire telle qu'est celle du Fils unique venu du Père. (1) Saint Paul dit de Jésus-Christ Toul a été « créépar lui et pour lui. Il est avant toutes choses et toutes choses subsistent par lui. (2)

j

:

r

Le Créateur deséléments, l'Ordonnateur des lois de la nature, le Maître du temps et de l'éternité, possède la toute science et la toute puissance par le fait même de son essence. Ainsi, Jésus plongea d'un regard dans les profondeurs du passé et dans celles de l'avenir, pénétra les secrets des cœurs, réveilla les morts (1) Jean, (2) Col.,

l,1,3,14.

L, 16,17.


de leur poussière, guérit les malades et les infirmes, calma l'air et les eaux, agissant selon la plénitude du pouvoir souverain. -

Ce Jésus que l'Evangile nous manifeste, n'est pas celui que l'esprit humain en nos jours présente dépouillé de sa divinité. La parole inspirée

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nous montre Jésus-Christ dépouillant l'éclat et elle ne dit nulle non l'essence de la divinité part que Jésus, en venant sur la terre, ait oublié les secrets de la nature qu'il avait créée, ni les secrets des plans éternels qu'il avait formés avec le Père. Devéria était imposant, sublime, lorsqu'il proclamait Jésus-Christ comme le Dieu éternel, en face de ceux qui osent lui contester ce titre. il On le voyait frémird'une sainte indignation adorait son Rédempteur avec une ferveur d'autant plusvive que sa gloire était plus méconnue. Il savait aussi clairement définir la personnalité de Satan, son action dans la chute d'Eden, sa lutte permanente contre Dieu, sa puissance sur les démoniaques il démontrait la victoire de Christ sur lui dans la tentation du désert, dans la guérison des possédés, dans sa résurrection, et aussi cette victoire complète et définitive que l'Apocalypse nous prédit. Tous ces faits, contenus dans la révélation inspirée du Saint-Esprit, étaient pour Devéria

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la clef de ce grand mystère du mal sur lequel travaillent en vain les esprits qui refusent de recevoir l'explicationqueDieu nousen adonnée. -

Dieu, en nous l'expliquant, ce mystère de notre existence, nous fait voir sous son véritable jour notre rédemption. Créatures déchues par l'action de l'adversaire et enveloppées par le péché originel, nous pouvons être relevées, délivrées par Jésus-Christ. Qu'il était beau aussi d'entendre Devéria dérouler dans toute son ampleur, dans toute sa lumineuse clarté, le grand dogme de l'expiation. Avec quelle richesse de connaissance et de foi, il expliquait les sacrifices du culte mosaïque, préfigurant le grand sacrifice du Calvaire; et cette immolation de Jésus, il nous la montrait dans tout son caractère scripturaire. Il présentait Jésus sacrificateur et victime, prenant sur lui les péchés de l'humanité, assumant la malédiction, le châtiment, et par ses souffrances ayant le prix infini de la divinité, effaçant la souillure originelle, subissant tout ce qu'exigent les lois de l'éternelle justice; c'est ainsi qu'il voyait les perfections égales et immuables de la justice, de la sainteté, de l'amour et de la miséricorde, essentielles en Dieu, maintenues dans toute leur souveraine et adorable majesté.


La justification du croyant par les mérites de Jésus-Christ, était enseignée par Devéria avec une clarté parfaite et toujours avec un élan de bonheur. Il me semble encore entendre le son de sa voix disant avec onction La robe de « justice de Christ. » Il l'avait éprouvé l'âme qui se courbe bumble et confiante sous la Croix et dont les péchés sont purifiés par le sang de Jésus, reçoit, il est vrai, son pardon, mais demeure encore dépouillée de toute justice inhérente. Et voici Jésus, ayant accompli la loi morale, ses mérites d'une valeur infinie sont imputés à ses rachetés et couvrent leurs démérites. Il est écrit Christ nous a été fait sagesse3 justice, sanctification et rédemption. (1) Toutes les doctrines chrétiennes se liaient, se coordonnaient dans l'esprit lucide et franchement chrétien d'Eugène Devéria. Il voyait avec foi, avec bonheur, le couronnement de la Rédemption dans la victoire finale de Jésus-Christ et dans le règne de l'Eglise avec Lui; les splendeurs de la prophétie éclairaient à ses yeux les lointaines perspectives de l'avenir; et c'est ainsi que, partant du pied de la Croix pour s'élever aux cimes du règne céleste, sa foi demeura

:

:

i,

(1) Cor.,I,30.

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sereine et triomphante au sein des épreuves de lavie. Il était très intéressant d'entendre Devéria émettre sa pensée à Pégard de l'Eglise romaine. On ne voyait chez lui nulle aversion mesquine envers la communion dont il s'était retiré. Il avait quitté Rome sans irritation, sans amertume, mais parce qu'il avait découvert que la véritable source de la vie jaillit en dehors d'elle. Devéria s'était fait un devoird'étudier à fond le système romain, et le connaissait aussi exactement que la doctrine évangélique. Je l'ai entendu se plaire à rendre hommage à l'Eglise latine pour son zèle à maintenir la doctrine trinitaire. Mais il montrait aussi quelles déviations ont écarté de siècle en siècle l'Eglise romaine del'Evangile. Il parlait avec un sens judicieux des contradictions qui éclatèrent si souvent entre les papes et les conciles, et aussi du culte idolâtre rendu à la Sainte Vierge et aux autres bienheureux. Et puis, la grande doctrine du salut par JésusChrist seul, si clairement, si constamment enseignée dans le Nouveau-Testament, et reçue avec foi par Devéria, formait la base de sa vie spirituelle; et c'était là le point fondamental de sa séparation d'avec Rome. L'Eglise latine admet les grands dogmes de ia -


divinité de Jésus-Christ, de la personnalité du Saint-Esprit, du péché originel, de la personnalité de Satan mais, en admettant aussi les dogmes de l'expiation par le sang du Rédempteur et de l'imputation des mérites de Jésus, elle se méprend. sur leur étendue. Le sang du Sauveur ne lui semble pas suffisant pour le salut; elle enseigne qu'il faut yajouter des expiations humaines pendant la vie terrestre, et montre encore, au-delà de cette terre, la nécessité d'une purification dans le purgatoire. De même, les mérites de Jésus-Christ ne lui semblent pas suffisants pour envelopper le racheté de la robe de justice elle enseigne qu'il faut y ajouter des mérites humains.. L'Eglise latine méconnaît ainsi la profondeur de notre misère, notre impuissance totale à offrir des expiations, à présenter des mérites acceptables par la justice divine; elle méconnaît en même temps le prix du sang et des mérites de Jésus-Christ, leur pleine suffisance pourle salut des rachetés. Cette confusion d'idées s'est produite, dans l'Eglise romaine, par l'abandon d'une foi simple de aux textes précis du Nouveau-Testament même que certaines philosophies, elle a fait son triage dans la révélation inspirée du Saint-

;

;

;

Esprit.

-


:

«II n'yapoint desalut Il est écrit de Jésus en aucun autre; car aussi, il n'y a sous le ciel aucun autre nom qui ail été donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés. (1) Le sang de son Fils Jésus-Christ nous a

purifie de tout péché.

(2)

Il

« y a un seul Médiateur entre Dieu et les hommes Jésus-Christ. (1) n'y Il a donc maintenant aucune condam« nation pour ceux qui sont en Jésus-Christ. (4) donc justifiés Etant par la foi, nous avons « la paix avec Dieu, par notre Seigneur JésusChrist. (5) «Si quelqu'un apéché, nous avons un Avocat auprèsduPère, Jésus-Christ lejuste; carc'est lui qui est la propitiation pour nos péchés. (6) Par une seule oblation, il a amené pour « têujours à la perfection ceux quisont sanc-

»

lifiés. (7) On ne peut tout citer. Le Nouveau Testament est plein de ces grandes doctrines de l'expiation et de la justification par Jésus-Christ seul. (1) Actes, IV, 12.

(2)1,Jean,I,7.

(3)1,Tim.,II,o. (4)Rom.,VIII,1.

V, 1.

(5) Rom., Jean, (6)

1, II,1,2. (7;Héb.,X,U.


-

Les personnes qui passent de l'Eglise évangeliqueà l'Eglise romaine, prouvent- qu'il y a en chez elles ce triste fait moral, que JésusChrist ne leur a pas suffi elles ont voulu des secours humains pour compléter l'œuvre du Rédempteur ; elles ont pu conserver quelque chose de leur foi primitive mais elles ont perdu la concentration puissante et bénie de l'âme en

;

;

Jésus.

;

Une conversion de l'Eglise romaine à l'Eglise évangélique, a l'effet inverse en ôtant à l'âme toute confiance dans les appuis humains pour son salut* elle la concentre avec force dans le

Rédempteur. Quant à la manifestation de la foi par les œuvres, les deux Eglises procèdent aussi différemment. L'Eglise romaine croit que certains actes ont une valeur intrinsèque, indépendante des sentiments avec lesquels ils sont accomplis; elle soutenu de célèbres controverses à ce sujet, et, bien qu'à cet égard elle ait peut-être fait quelques progrès, elle méconnaît encore la Saintnécessité absolue de la régénérationpar Esprit, pour rendre nos œuvres acceptables devant Dieu. conformant aux texL'Eglise évangélique,tes inspirés, enseigne que Jésus-Christ ne peut qu'il naturel, le et servi être cœur avec pas

a

le

sc


exige le renouvellement du cœur par le Saint-

Esprit.

:

Jésus dit « Si un homme ne naît de nouveatr, il ne peut voir le royaume de Dieu. je vérité, En vérité, te dis que si un en a homme ne naît d'eau el d'esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. où souffle il veut et tu en entends Le vent « le bruit; mais lu ne sais d'où il vient, ni où il va. Ilen est de même de tout homme qui est né de l'esprit. (1)

;

:

«Si donc quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature ; les choses vieilles sont passées; voici, toutes choses sont Saint Paul écrit

devenues nouvelles.

(2)

Sur ce sujet encore, on ne peut multiplier les textes nombreux que nous offre le Nouveau Testament. Devéria parlait sur tous ces dogmes avec la profondeur et la clarté d'un docteur d'élite, d'un chrétien d'expérience. Il opposait l'obéissance filiale et joyeuse du disciple de l'Evangile, au tremblement de l'esclave, produisant les macérations et le trafic des indulgences. ,1)

Jean, III, 3, 5, 8.

(2) 2,

Cor. V, 17.


Il étudiait ces sujets à la lumière de la révélation divine dans ses discours publics, et plusieurs fois, nous les approfondîmes dans nos

-

conversations. Je trouvais un grand intérêt à entendre traiter de telles questions par un homme qui avait embrassé ma foi après un examen consciencieux, intelligent, et qui possédait des convictions si fermes et si fructueuses. Devéria montrait dans ses discours la vraie largeur fraternelle dont il fit preuve dans sa vie. Autant il était absolu, précis, sur les points vitaux du christianisme, autant il savait faire avec amour des concessions sur les organisations diverses qui existent au sein de la communion évangélique. L'unité tout extérieure de l'Eglise romaine, n'empêchant pas de graves divergences intérieures et n'étant maintenue que par un système d'oppression, n'excitait nullement son envie. Les diversités des Eglises évangéliques étant au contraire tout extérieures et n'altérant en rien l'unité de la foi, ne lui semblaient pas devoir préoccuper sérieusement les vrais chrétiens. Résultant surtout des caractères et des coutumes des différentes nations, ayant d'ailleurs la plupart pour effet de mettre en relief tel ou tel point important, ces variétés de nuances, sur un même fond, ne touchent point


;

à la vie de Famé chez les unes comme chez les autres, on trouve de vrais membres du corps de Jésus-Christ. Les diverses branches de l'Eglise évangélique ont été comparées avec justesse à des légions portant des étendards de couleurs différentes, mais obéissant toutes au même souverain. Les personnes qui attachent une importance excessive à l'organisation extérieure de l'Eglise, sont en général celles qui sont unies le moins intimement au divin Chef de l'Eglise. En général aussi, on s'éprend d'autant plus d'un système, que l'on a une existence plus facile et qui offre plus de loisirs. Une vie de labeurs, d'épreuves, de dévouement, préserve d'attacher une vaine importance à ce qui en a peu, et la vie d'Eugène Devéria avait tous ces ca-

ractères. Les principes que Devéria professait à cet égard, prévalent de plus en plus au sein des Eglises protestantes, et l'une de ses grandes jouissances fut de voir ses services religieux devenir une occasion de manifester la vraie fraternité qui existe entre les disciples de la Réformation. Des.fidèles et des pasteurs de l'Eglise anglicane et de l'Eglise d'Allemagne, venaient se joindre aux Ecossais, aux Hollandais et aux Suisses, dont l'organisation extérieure est sem-


blable à celle de nos Eglises françaises. Tous, en l'écoutant, nous ne voyions plus que JésusChrist crucifié et glorifié.


X.

Votre vie est cachée avec Christ en Dieu. (COL.,III,3.)

Jésus-Christ, crucifié et glorifié, voilà quel était le point central, le point vital, des prédications d'Eugène Devéria. Il le savait l'âme ne vit point d'un système, quelque bon qu'il soit; l'âme, être personnel, et non abstraction, réclame pour vivre, non une abstraction, mais un être personnel. Saint-Jean,inspiré du Saint-Esprit, pose ce principe avec une clarté concise et ferme Qui le Fils a la vie qui n'a point le Fils « de Dieu3 n'a point la vie. » (1J Pour que Jésus devienne la vie de l'âme, pour que l'âme lui reconnaisse le droit de devenir sa vie, il faut qu'il soit reçu tel que les Ecritures sacrés le manifestent, comme Dieu.

:

a

-'

(1)1,JEAN,V,12.

;

:


C'est parce que Devéria, fidèle serviteur de l'Evangile, présentait le Cbrist dans toute la plénitude de la divinité, qu'il pouvait Le présenter aussi dans toute la plénitude de sa puissance vivifiante. Il n'eut jamais la témérité ni l'imprudence de soulever les voiles que le SaintEsprit a laissés à dessein sur le mystèrede l'union de la divinité et de l'humanité en JésusChrist. Il se garda bien de définir, de préciser, là où l'Evangile ne définit, ni ne précise. Il accepta dans toute son étendue cette déclaration Les choses cachées sont pour l'Eternel, et les « choses révélées sont pour nous et pour nos enfants. » w Ainsi, la prédication d'Eugène Devéria, sans s'écarter à droite et à gauche dans le dédale des subtilités humaines, poursuivit sa course comme un beau fleuve au lit profond, aux eaux abondantes, fertilisant les campagnes et réflétant

:

le ciel.

En écoutant Devéria, ou était bien vite saisi de cette pensée, qu'il aimait Jésus-Christ de toutes les puissances de son âme, et que son désir le plus ardent était de le faire aimer. Ille présentait dans toute son excellence adorable, et, comme il le disait souvent « dans toute sa beauté de Sauveur. »

:

-

(1)DEUT.,XXIX,29.


J'ai déjà reconnu avec tristesse l'impossibilité de rendre par quelque description ce qu'étaient les discours d'Eugène Devéria. Chez ceux qui les ont entendus, les lignes que je trace pourront éveiller l'écho de sons évanouis chez ceux qui ne les ont pas entendus, rien de ce que je rappelle ici ne pourra donner une idée complète de ces grandes fêtes de l'âme, que nous offraient les improvisations de Devéria. En l'écoutant, on voyait plus clair dans les profondeurs de l'infini, les sommets de la foi apparaissaient plus lumineux; la simple et fraîche ferveur de l'adolescence chrétienne se sentait renaître; on planait de plus haut sur les scènes passagères de ce monde, et, dans une ineffable communion avec le Père, le Fils et le SaintEsprit, une joie indépendante de la terre se développait triomphante aux régions les plus élevées de l'âme. Je l'ai dit : la vie d'Eugène Devéria agit tellement sur ses prédications, qu'elle les fit mieux comprendre et leur communiqua sa puissance et ses caractères. Or, les caractères les plus tranchés de sa vie, dans ses dernières années, ce furent de grandes épreuves et de grandes consolations religieuses. Devéria n'était ni stoïque, ni placide, il sentait vivement la douleur ; mais jamais on ne vit chez lui ni abatte-

;


;

ment, ni découragement une sainte énergie lui faisait dominer tous les chagrins. Bien souvent, dans nosconversations de l'atelier, nous approfondîmes ensemble le sujet de l'épreuve. Je me souviens entre autres d'un jour où il me dit : Je sens en moi deux existences très dis« tinctes, l'une spirituelle, l'autre temporelle. Par la grâce de Dieu, mon existence spirituelle est heureuse et paisible mon existence temporelle, au contraire, a été traversée par bien des douleurs mais aucune n'a eu la puissance d'atteindre ma vie spirituelle. » Il considérait l'épreuve comme une bénédiction spéciale de Dieu, destinée à resserrer la communion du racheté avec Jésus-Christ, en lui faisant comprendre les souffrances de son Sauveur bien mieux que le chrétien prospère ne peut jamais les comprendre. Certaines gens disent que la souffrance est un châtiment correspondant à quelques péchés spéciaux, ou peut-être encore un moyen de faire du bien à des âmes qui ne peuvent sans cela progresser dans la vie chrétienne. Un tel principe est admis avec faveur par ceux des chrétiens qui sont doués des biens de ce monde, car il leur permet d'en jouir avec la douce pensée que leur âme, d'une éducation plus fa-

;

;


cile que celle des malheureux, est justement dans la situation la plus sanctifiante, en même temps que la plus fortunée. Heureusement, pour les chrétiens éprouvés, ce principe insultant et cruel est entièrement

contredit par l'Evangile. Les Actes des Apôtres et les Epîtres nous montrent les êtres spécialement chéris de Dieu, exposés à des douleurs exceptionnelles. Saint

Paul, temporellement heureux lorsqu'il persécute l'Eglise, apparaît d'autant plus éprouvé par la souffrance, qu'il déploie plus de zèle et d'amour pour Jésus-Christ. Presque tous les Apôtres terminent leur vie par le martyre, et le martyre devient, à travers les âges, le sceau qui marque bien souvent les enfants privilégiés de Dieu. Devéria enseignait avec clarté et fermeté sa conviction au sujet de la souffrance des fidèles. Il regardait beaucoup d'épreuves comme venant de l'adversaire, qui tourmente avec fureur les chrétiens, en proportion même de leur foi, selon qu'il est écrit Ne crains rien des choses que tu as à souf« frir ; il arrivera que le diable en mettra quelques-uns d'entre vous enprison, afin que vous

:

soyez

éprouvés.

mort, et je (1)

Apoc.,

Sois fidèle jusqu'à la te donnerai la couronne de vie. » (1)

II,10.


-

D'après cela, Devéria avertissait souvent avec une sévère charité, les chrétiens prospères, de bien considérer si la faiblesse de leur témoignage ne faisait point dédaigner à Satan de les persécuter. Et puis, il regardait certaines autres épreuves comme un témoignage spécial de l'amour de Dieu, choisissant tel ou tel de ses enfants pour le glorifier, en montrant dans la souffrance temporelle, la victoire de la foi. Il insistait sur cette pensée, que les chrétiens qui vivent entourés d'uneprospérité terrestredont lesmondainspeuvent être envieux, doivent se demander sérieusement pourquoi Dieu ne les a pas choisis pour montrer le triomphe de l'invisible sur le visible, de l'esprit sur la matière, de l'espérance éternelle sur les circonstances passagères du temps. Toutes ces pensées que nous échangions dans nos entretiens, Devéria les portait aussi dans les grandes assemblées, où sa voix adressait de graves appels et de pressantes exhortations. Ses paroles puisaient leur force dans son exemple. Lorsqu'il célébrait les consolations données par Dieu, lorsqu'il bénissait l'Eternel pour « les joies et les fêtes qu'il accorde à l'âme chrétienne, on savait qu'il disait vrai, et l'on savait aussi par quel héroïque effort de la foi il pouvait parler ainsi.

»


Ce fut l'une des grandes beautés des discours

d'Eugène Devéria, que dedévelopper dans toute leur splendeur les priviléges du chrétien. Il s'élevait au sublime en parlant de la résurrection de Jésus-Christ et de la résurrection glorieuse des chrétiens par l'Esprit de leur Rédempteur ; puis, en déroulant aux lueurs de la prophétie, l'avenir céleste de l'Eglise participant au règnede son Maître. Je me souviens d'un discours que je lui entendis faire dans le temple des Eaux-Bonnes Ne savez-vous pas que les sur ces paroles « saintsjugeront le monde — Nesavez-vouspas que nousjugerons les Anges —Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-

:

Esprit?

»

?

?

(1)

Il monta jusqu'aux cimes de la vocation chrétienne, les faisant gravir à son auditoire avec lui tous, en sorlant, nous nous disions que nous avions été vraiment transportés en esprit hors de la sphère de ce monde, et que nous avions entrevu quelque chose des Cieux.

;

(1) 1,

Cor., VI, 2, 3,19.


XI.

Ils chantaient le cantique.de Moïse, serviteur de Dieu, et le cantique de l'Agneau. (Apoc.,XV,3.)

Les discours religieux d'Eugène Devéria, si excellents par le fond, étaient d'une grande beauté de forme. Il y avait bien quelquefois des heures où l'orateur n'élait pas égal à lui-même, où certaine originalité de l'expression dominait mais cela était rare. Ce qui un peu trop dominait en général dans ses improvisations, c'était la solennité, c'était l'onction. Je l'ai dit précédemment, Devéria restait peintre et poète dans ses discours. Chez lui, l'imagination, la belle faculté de faire image, était très développée il les voyait, il nous les faisait voir,ces scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament, que ses paroles déroulaient avec tant de vérité. De fortes études sur

;

;


l'antiquité, avaient éclairci pour lui les passages si nombreux des Ecritures, qui font allusion aux destinées, de même qu'aux usages, des peuples orientaux. Autour de ces passages, il groupait tout.ce qui peut en développer le sens, et montrait l'histoire sacrée sous son véritable jour. Le parfum du passé revenait dans sa fraîcheur naïve, primitive, flotter dans l'atmosphère des tableaux bibliques que Devéria présentait à un fond réel, des couleurs vraies nos yeux donnaient à ces tableaux une action bienfaisante; rien d'arbitraire ne s'y mêlait; le peintre orateur était un humble et dévoué serviteur de

;

la Révélation. Appliquée aux scènes du Nouveau-Testament, la faculté de faire image devient précieuse et sublime au plus haut degré. Saint Paul en ju-

geait ainsi, lorsqu'il écrivait aux Galates : rous aux yeux de qui Jésus-Christ a été si « vivement dépeint et comme s'il eût été crucifié parmi vous. (1) » La foi « qui est une démonstralion des choses qu'on ne voit point (2), » s'applique au passé de même qu'à l'avenir. Il est écrit Quiconque contemple' Fils et croit « en Lui, a la vie éternelle. (1) » Et encore

:

(1)Galat.,III,1. (2)Héb.,XI,1. -

(3)

Jean, VI, 40.

le

:


qui Nous contemplons, commedans un tous -« miroir, la gloire du Seigneur, à visage découvert,nous sommes transformés en la même image, degloire en gloire, comme par l'Esprit du Seigneur. »W Il y a donc une grande importance à se représenter en esprit Jésus et les scènes de sa vie terrestre, de même que sa gloire actuelle dans les Cieux et son règne dans l'avenir. Pour que cette représentation en esprit soit sanctifiante, il faut qu'elle soit fidèle elle ne doit pas se former selon les caprices de la pensée; elle doit refléter exactement l'Evangile, s'emparer de tous les traits si nettement tracés par lesquels il caractérise la personne et la miséricorde du Rédempteur; elle doit Le montrer dans toute la lumière de « Dieu manifesté en chair, » (2) et non au travers des nuages qui eu font un ex-Dieu, renonçant à l'immutabililé inhérenteà sa nature, être qui ne peut plus satisfaire ni la logique ni la conscience. Ce furent les heures les plus belles, les plus bénies d'Eugène Devéria, que celles où sa sainte ferveur nousreprésenta Jésus-Christ à Getbsémané, au Calvaire. Entré dans le sanctuaire du Sauveur, il nous y faisait entrer avec lui; nous

;

(1)2,Cor,,III,18. {2)

i,

Ill, 16.

Tim.,


voyions, nous entendions, tout ce que les Evangiles contiennent sur la passion et la mort de notre Rédempteur. La foi humble et vive du disciple de Jésus était communicative. Bien souvent, en quittant le Temple, il me semblait avoir passé une heure auprès du Christ sur le mont des Oliviers ou sur celui de Golgotha. Devéria nous peignit avec la même richesse, la même vérité de couleur, les scènes de la vie apostolique. Ses deux séries de méditations sur l'Epître aux Ephésiens, puis sur celles aux Philippiens, nous firent pénétrer dans l'existence intime de Saint Paul. On comprenait que Devéria avait vécu par la pensée avec le grand apôtre; il semblait qu'il l'eût entendu et vu. Ainsi, la foi fait vivre ce qu'elle touche et répand autour d'elle la vie. Eugène Devéria était poète dans ses discours religieux. La poésie est la faculté de comprendre et de sentir au degré le plus élevé. Elle fut donnée primitivement par Dieu à l'humanité, car elle ne peut venir de la chute, qui n'a fait jaillir de facultés nouvelles chez l'homme, que celles dérivées du péché et de la souffrance elle exista nécessairement chez Adam et Eve, pour qu'ils comprissent la création. L'absence du sentiment poétique est une lacune morale, résultant

;


de l'œuvre destructive du grand adversaire. Dans leur état de déchéance, les êtres humains n'offrent que des fragments plus ou moins beaux,plus ou moins défigurés de la création .primitive; la plénitude de la beauté morale et des facultés intellectuelles ne se rencontre plus; mais, en face de chaque faculté vraiment belle, nous pouvons avoir l'assurance que c'est là un des fragments de l'œuvre première du Créateur. Nous ne pouvons pas supposer qu'Adam et Eve aient été dépourvus en Eden de quelque noble aptitude de l'âme, et que cette aptitude n'ait surgi qu'après la chute chez leurs descendants. La poésie, qui s'exprime quelquefois par le langage cadencé des vers, a bien d'autres elle jaillit solennelle moyens de se manifester et puissante dans la prose de haut style; elle est une des forces de l'éloquence elle existe souvent latente et profonde, comme un écho dans bien des cœurs. 11 ya des préventions contre la poésie; mais, pour la redouter par un motif de conscience, il faut ne l'avoir jamais connue qu'au travers des poèmes mondains; il faut l'avoir sentie éveiller ces cordes fatales dont la main chrétienne doit étouffer les vibrations. C'est donc faire un triste aveu, que de déclarer que l'on redoute la poésie. Ceux qui la connaissent sous ses vrais carac-

;

;


lères, la cultivent

avec amour comme l'un des dons les plus précieux du Créateur. On a pu la profaner en la faisant entrer dans les voies du péché. Hélas! et quelle est la faculté de l'âme dont on n'ait pas abusé, que l'on n'ait pas profanée? Mais la poésie vraie exige une sanctification profonde; elle ne peut accomplir son but qu'en planant sur l'aile dela sainteté, dans la pure région de Dieu. L'esprit poétique étant la puissance de comprendre à fond toutes choses et de les sentir avec force, devient une cause de souffrance quand il s'applique à ce monde et qu'il agit en des âmes privées de consolations chrétiennes on le voit alors décrire et creuser la plaie, sans en indiquer le moyen de guérison. Mais cette puissance de comprendre et de sentir, appliquée à la vérité de Dieu, aux trésors de son amour et de l'espérance céleste qu'il nous révèle, devient un élément d'immense et saint bonheur. Il est vrai, toutefois: le poète, même chrétien, éprouve la douleur d'autant plus vivement que son âme est mieux douée de sensibilité c'est pourquoi il est d'autant plus lâche et cruel de le faire souffrir. Il en est qui se figurent saisir la vérité d'une manière plus lucide que ne le fait la poésie, en cultivant le réalisme. C'est là une

;

;


;

erreur

;

le réalisme n'est pas la réalité

c'est

une fausse manière de voir les choses, c'est la myopie de l'intelligence. Vous vous livrez au réalisme: allez, de grâce, parcourir nos Pyrénées errez au bord de leurs torrents et sous leurs forêts, cueillez de leurs fleurs, gravissez quelques-uns de leurs sommets on bien, en quelque pays que vous soyez, levez vos yeux vers la voûte étoilée, écoutez le chant des oiseaux, aspirez les parfums de la brise printanière, et dites si toutes ces réalités ne sont pas encore plus poétiques que les poèmes. La poésie est la vérité, la sublime empreinte de Dieu dans la création matérielle, lè souffle de son Esprit dans l'âme. Dieu inspira, sous la forme poétique, les prophètes de l'Ancien Testament ce fut là le langage sacré qui transmit aux Hébreux les révélations de l'Eternel. Les traductions des Psaumes et des prophéties ne conservent, dans nos idiomes modernes, qu'un parfum affaibli de leur suavité primitive et cependant, que de beautés ils offrent à notre esprit, même sous le voile épais qui nous les recouvre, à nous, ignorants, qui ne savons pasles lire dans la langue d'Israël Que de fois David, en son pieux élan, célèbre avec joie le don magnifique, la sublime mission qu'il a reçus, de psalmodier à l'Eternel

;

;

;

;

!

!


jour où les arts réservés a ce monde viennent de cesser, on entend, dans les chœurs des Anges que nous redit l'Apocalypse, retentir encore les voix harmonieuses de la poésie, et de la musique, sa sœur ces deux voix des âmes pures font vibrer les échos des Cieux elles sont immortelles comme le beau, comme le bien, qui existent éternellement en Dieu. Ainsi Devéria commençait sur la terre les hymnes du Ciel. Hélas il ne nous reste aucun monument de son éloquence, son plus beau titre de gloire! Nos cœurs l'écoutent encore; notre oreille a retenu l'écho de sa voix; mais lequel de ses discours pourrions-nous reconstituer? Pendant qu'il méditait l'Epître auxEphésiens, j'eus l'idée, non de prendre des notes, mais de résumer ses discours le lundi matin j'y renonçai bientôt la tension d'esprit à laquelle m'obligeait la nécessité de retenir le plan et les divisions du discours en ôtait pour mot l'onction douce et pénétrante. Peut-être ces extraits, malgré leur imperfection, offriront-ils quelque intérêt; je les mettrai à la fin de ces Souvenirs. Au

;

;

1

;

;


XII.

Christ est ma vie, et la mort m'est

ungain.

:I.21.)

(PHIL

Devéria ne devait plus rester que peu de temps parmi nous, et nul ne pressentait cette douloureuse séparation. Prévoyait-il lui-même son prochain départ? On ne pourrait l'affirmer. Mais, ce que nous savons tous, c'est que, dans les deux dernières annéesdesavie, il y eut chez lui une préoccupation de plus en plus forte de l'avenir éternel vers lequel il s'avançait. Ces deux dernières années m'ont laissé beaucoup de mes meilleurs souvenirs; je le vis alors très souvent; j'eus fréquemment avec lui des conversations où nous méditions en présence de Dieu, non point aucune question subtile ou secondaire, mais les grandes questions vitales de l'amour de Jésus-Christ


pour nous, et de l'amour qu'il réclame de

nous. Une chose me frappa et m'attacha plus que jamais à mon vieil ami: c'est que la gaîté habituelle qu'il avait conservée jusque-là, s'effaça

dans une onction grave et souvent attendrie. Il s'abreuvait aux sources de l'éternelle charité; bientôt pour lui les douleurs de la terre, allaient finir, et ses joies J'étais émue lorsque je l'entendais m'exprimer cette miséricorde qui le pénétrait toujours davantage,pour ceux dont la sympathie lui avait fait défaut. J'avais toujours vu Devéria montrer de la pitié pour ceux qui font le mal je lui avais souvent entendu dire, avec l'accent d'une vraie compassion Ces pauvres mé« chants Mais alors cette compassion devint » encore plus vive. Un jour, à l'atelier, il me parlait d'hommes qui avaient eu, les uns envers les autres, des procédés froissants, et, tout-à-coup, s'arrêtant de peindre, il dit d'une voix pleine de larmes: Les hommes qui vieillissent, ne sentent-ils « donc pas le besoin de s'aimer? » Tout, dans son expression, manifestait une douleur si vraie et si bonne, que j'en éprouvai une sérieuse émotion j'aime à me rappeler souvent ce moment-là.

aussi.

-

!

;

:

;


Elle s'approche pour nous tous, cette heure où le suprême pardon sera notre meilleur trésor. Que Jésus nous inspire la miséricorde dont Lui-même enveloppe notre misère qu'il nous donne de couvrir, par notre charité, les injustices dont nous sommes victimes Toutes les pauvres richesses de ce monde auront bientôt pris fin, et les vraies richesses subsisteront seules. Que dès maintenant, nos âmes apprennent à ne se considérer qu'en elles-mêmes et en Dieu, et non point au travers de la prospérité ou de l'infortune qui les recouvrent

;

!

ici-bas. Il y eut de grandes bénédictions dans l'âme d'Eugène Devéria, pendant cette dernière période de sa vie; son éloquence devint toujours plus grave; de magnifiques élans de foi ennoblirent ses conversations de même que ses discours publics. Je regrette de n'avoir pas pris de notes sur ses causeries avec moi que d'aperçus heureux, que de précieuses pensées j'aurais ainsi pu recueillir! Mais il me semblait que cela devait durer toujours. Je ne songeai pas que la source pouvait se tarir; je ne fis pas de réservoir pour ses eaux vivifiantes. Nous goûtâmes des heures douces et bénies dans nos montagnes, nous promenant avec quelques amis au bord des torrents, sous les

:


belles forêts de hêtres. Comme nous aimions à écouter Devéria en ces lieux qui s'harmonisaient si bien avec le caractère de ses penJe disais souvent qu'il y avait une sées analogie frappante entre les Pyrénées et l'éloquence d'Eugène Devéria. Nous avions remarqué que, pendant ses séjours aux montagnes, ou bien lorsqu'il en revenait, ses discours avaient une fraîcheur, et une majesté qui faisaient rêver des ombrages et des sommets, que le Créateur a formés comme ses sanctuaires naturels. Il y avait, en effet, dans l'âme de Devéria des fibres qui vibraient en accord avec la belle et douce nature pyrénéenne. Il disait que jamais il ne se trouvait aussi heureux nulle part qu'aux montagnes, que, là seulement, il se sentait dans son élément vrai. Comme j'avais voyagé plus que lui dans les Pyrénées, je connaissais des sites qu'il n'avait pas vus, et c'était une de ses jouissances que de me les faire décrire pour se les figurer. Nous faisions ces excursions en idée pendant

!

l'hiver. Il avait pris en prédilection spéciale une jolie prairie entourée de bocages, qui recouvre de son frais tapis le sommet de la petite montagne où la route des Eaux-Bonnes creuse la spirale de ses ingénieux détours; de cette


prairie, la vue domine la belle vallée d'Ossau, avenue de montagnes, longue de trois lieues. Il nous disait que son rêve avait été de se faire construire là un atelier, et nous avions fort goûté cette idée. Quel charmant ermitage d'artiste on aurait eu en ce lieu! Nous nous plaisions à nommer ce petit pâturage : « La prairie de M. Devéria. » Cependant, ce ne fut pas seulement aux Pyrénées que Devéria fit ses derniers voyages. De chères affections de famille l'attiraient à Paris il y avait là un foyer dont le deuil augmentait pour lui le caractère sacré il y avait là de précieuses sympathies fraternelles, qui consolaient son cœur et rafraîchissaient sa pensée. Son dernier séjour à Paris eut lieu pendant l'été de 186h; il l'abrégea pour revenir aider le pasteur qu'il savait surchargé de travail pendant la saison des Eaux-Bonnes. A son retour, il nous fit une bonne et longue visite, nous parlant avec effusion des joies qu'il venait de goûter. Peu de temps après, nous le retrouvâmes aux montagnes avec un de ses neveux qu'il avait amené; c'était le fils aîné de son frère Achille, M. Théodule Devéria, ce jeune savant qui s'est acquis une célébrité si précoce par la découverte du procédé qui permet de lire les papyrus.

;

;


L'humidité des marais d'Egypte lui avait attaqué la poitrine, il venait Chercher la santé à la source bienfaisante où son oncle l'avait recouvrée. Eugène Devéria portait une affection vraiment paternelle au filsdeson frère. Nous jouîmes beaucoup de leur société. C'était le dernier séjour que Devéria devait faire aux Eaux-Bonnes c'était la dernière fois que nous devions contempler avec lui ces sites aimés. J'ai conservé de ce séjour, le souvenir d'une longue conversation que nous eûmes ensemble, sur les effets si divers produits dans l'âme par la vie de Paris, ou la vie telle que nous la poursuivions depuis quelques années, l'été aux montagnes, l'hiver à Pau, « la ville des pastours, » où l'on est au milieu des bois, des pâturages, en face des collines béarnaises et des Pyrénées. Devéria me dit qu'après avoir beaucoup regretté Paris, il s'était maintenant tellement dépris de l'existence de « la grande ville, » que lorsqu'il s'y retrouvait encore, il ne goûtait pas d'autres joies que celles de l'affection. Je lui dis que, moi aussi, je préférais de beaucoup notre vie champêtre à celle de Paris; mais que peut-être, l'intelligence avait-elle quelque chose à perdre dans l'éloignement du grand courant littéraire et artistique de notre brillante capitale. Il me

;


dit alors, avec

:

un élan que je sentis partir du

w fond de son âme Ne regrettez jamais de ne pas vivre à « Paris on y trouve, dans un certain sens, trop de ressources intellectuelles on s'y habitue, sans s'en apercevoir, à penser avec l'esprit des autres on reçoit l'empreinte des célébrités d'élite dont on est entouré on a sous la main un fonds si riche de pensées apportées toutes faites, que l'on a bientôt des facultés artificielles, dont l'effet est de nuire au vrai développement de l'individualité. C'est ici, dans la solitude de ces montagnes, que l'âme se développe réellement, qu'elle a des pensées à elle, qu'elle est

; ;

;

;

elle-même. » Peu de temps après son retour des EauxBonnes, M. Devéria fit un voyage en Hollande ce voyage eut pour seul motir l'amitié. Avec cet élan de cœur qui nous le rendait cher à tous, il s'offrit pour accompagner un malade, frère d'une Dame de ses meilleures amies qu'il avait vue inquiète à la pensée que ce frère chéri accomplirait seul un si long trajet. Il revit alors, pour la dernière fois, les amis qu'il possédait à La Haye. Revenu à Pau, Devéria reprit l'existence active à laquelle il était accoutumé. Plusieurs d'entre nous remarquèrent que l'aspirationvers

;


la vie céleste devenait chez lui de plus en plus vive. Le pasteur qui a écrit sa nécrologie pour nos

journaux religieux, a rappelé de quelle manière émouvante il lisait, en les annonçant, ces vers d'un de ses cantiques préférés

:

Dans le désert où je poursuis ma route Vers le pays que-je dois habiter, Que nul ennui, nul travail ne me coûte, Car c'est des Cieux que je dois hériter.

Pour moi, bientôt, le terme du voyage Amènera le moment du repos, Et du Seigneur le puissant témoignage Me gardera contre les grandes eaux.

!

0 mon pays terre de la promesse, Mon cœur ému de loin t'a salué.

Un membre dévoué de sa famille, qui depuis ses plus jeunes années habitait sous son toit et qui avait prodigué ses soins à Madame Devéria, demeurait avec lui. Sa belle-sœur, Madame Achille, vint passer quelque temps auprès de lui; ce furent là les dernières figures aimées qui animèrent son foyer. Personne n'éprouvait la crainte de perdre bientôt la présence bénie d'Eugène Devéria. Il consacrait toujours à la peinture le même nombre d'heures que par le passé, visitait ses pau-


vres, dirigeait son Ecole, faisait les prédications du Dimanche soir. Le 2 février, à une heure de l'après-midi, il était encore dans son atelier, travaillant au gracieux portrait d'une jeune Dame qu'il aimait comme son enfant. Il se trouva subitement malade, dit qu'il lui fallait quelque repos, et pria la jeune Dame de revenir le lendemain. L'artiste avait touché ses pinceaux pour la

dernière fois. Le lendemain matin, 3 février 1865, la consternation et la douleur se répandaient dans toute notre société, dans toute la ville. On se répétai. « Monsieur Devéria est mort. » On pouvait à peine croire à cette disparition subite de l'homme fort, actif, généreux, chez lequel il y avait tant de vie, tant de charité. Les funérailles d'Eugène Devéria furent élevées à la hauteur d'un deuil public. Les premières autorités de la ville, la colonie étrangère, rendirent hommage par leur présence à la célébrité, au noble caractère de l'ami que nous

perdions.

;

La foule remplit le grand Temple, où l'on avait porté les restes mortels d'Eugène Devéria et

dans ce sanctuaire où peu de jours auparavant sa voix retentissait encore, on célébra le service funèbre au milieu des larmes de l'assemblée.


Je n'étais pas là ; je n'aurais pas pu y être ; relevant à peine d'une douloureuse maladie, pleurant déjà sur la tombe à peine refermée d'une aïeule vénérée, je n'aurais pu soutenir ces scènes de mort il me fallait voir seulement la vie, la résurrection. Le dernier Dimanche où Devéria parla dans le Temple, le 29 janvier, il avait assisté pendant l'après-midi aux obsèques de ma digne et pieuse grand-mère, débris austère de cette race qui fut baptisée au désert. On m'a rapporté que, rappelant cette cérémonie solennelle et funèbre, à laquelle s'était jointe une foule nombreuse nous entourant de sa sympathie, Devéria, s'adressant à son auditoire, dit d'une voix très

;

:

émue

Peut-être, cette semaine même, un autre d'entre nous va être appelé par Dieu à quitter ce monde. Sera-ce vous Sera-ce moi » Le samedi suivant, on déposait son enveloppe terrestre auprès de celle de mon aïeule leurs deux tombes se touchent, taillées l'une et l'autre dans le marbre de nos Pyrénées, semblables de forme, simples, sans autre ornement que des «

?

?

;

noms respectés et des paroles de l'Evangile. Pour mon aïeule, nous avons choisi ce verset, qu'elle répétait avec une foi confiante, en parlant, la veille de sa mort, avec le pasteur

:


Dieu a tellement aimé te monde3 qu'Il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. W Pour Devéria, une dame, de ses plus chères amies, s'est rendue l'interprète de nous tous, en choisissant ce passage qui résume la vie chrétienne de notre frère Etant doncjustifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ. (2) Un vide immense s'est fait parmi nous au départ d'Eugène Devéria. Une telle individualité ne se remplace pas. Mais ceux-là seuls qui peuvent oublier, l'ont réellement perdu. Pournous, qui gardons son souvenir comme un trésor au sanctuaire de notre cœur, il demeure encore vivant par une influence bénie. Oui, noble et généreux Devéria, nous pensons à vous, lorsque la vie trop facile de bien des professants du christianisme, nous fait regretter l'exemple de votre charitable abnégation lorsque l'esprit de système tend à refroidir l'amour fraternel lorsque les subtilités de la philosophie voilent la splendeur de la vérité chrétienne lorsque le réalisme glacé ou la poésie mondaine égarent les esprits lorsque l'on

:

;

Jean, III, 16. (2)Rom.,V, (1)

1.

;

;

;

«


méconnaît dans la vie, le point vital, JésusChrist. Oui, alors, votre image reparaît devant nous, solennelle et sacrée. Nous entendons encore votre voix fidèle nous appeler à ce qui est vrai, à ce qui est beau, à ce qui est bon, à Dieu. Peu de jours après la mort de notre Devéria, je veillais une amie dévouée, malade par suite des fatigues et des émotions qu'elle avait partagées avec nous auprès de ma bonne grand'mère. Alors j'écrivis des vers qui furent accueillis à Pau par une sympathie dont je fus reconnaissante. J'avais dit ce que tout le monde pensait, c'est pourquoi on aimait à me lire. Peut-être trouvera-t-on encore quelque intérêt à rencontrer ici cette simple expression d'un pieux souvenir. :A EUGÈNE DEVÉRIA.

Février 1865. Lorsqu'à peine sur vous la tombe est refermée Et qu'un même regret nous a réunis tous, Je viens, en rappelant votre mémoire aimée, Pleurer auprès de vous. Notre esprit étonné refuse encor de croire Que vous êtes tombé sous la main du trépas; Mais, ô Devéria notre ami, notre gloire, Non, vous ne mourez pas

!

!


Vous vivrez parmi nous, figure noble et sainte, Voix par qui le chagrin si souvent fut calmé. En nss cœurs, à jamais votre image est empreinte

!

Ils vous ont tant aimé

:

Tandis qu'auprès de Dieu, votre-âme consolée Pour des siècles sans fin vit avec les élus, On croit vous voir encor dansnotre humble assemblée confier Jésus. Vous vivrez parmi nous, et lorsque le Dimanche

Viendra nous appeler auculte fraternel, Nos regards chercheront la belle tête blanche Toujours près de l'autel. Au matin du saint jour, nous irons à l'Ecole Parmi vos chers enfants espérant vous revoir, Et nous irons, cherchant la voix qui nous console, Au grand Temple, le soir.

Quand l'Eglise, entonnant une hymne de louanges, Chantera du Sauveur, et l'amour, et la Croix, Nous attendrons, émus, ce qu'écoutent les Anges, L'accord de votre voix. Ah ! la réalité viendra saisir notre âme,

Et, ne vous voyant plus, ne vous entendant plus, Puissions-nous tous monter sur une aile de flamme Par la foi vers Jésus Car c'est là qu'avec vous nous devons encor vivre Dans la communion du fraternel amour, Que la mort ne peut rompre et qui pourra vous suivre Au céleste séjour.

Mais votre nom, ami, fera couler nos larmes,

Devéria, toujours souvenir triste et doux, JEt nous rappellerons les moments pleins de charmes Passés auprès de vous.


Maître, à votre atelier, je me rendais joyeuse, Sûre de rencontrer un regard paternel. Je suivais vos pinceaux, leur touche gracieuse, Ou bien votre pastel.

:;

L'art vous entourait là de sa gloire immortelle Pour moi, tous vos tableaux étaient de vieux amis Et puis, j'avais l'espoir de quelque œuvre nouvelle, Espoir alors permis. J'aimais à retrouver près de La Sunamite, Catherine et Wolsey, Les Fils de Clodomir, Votre Jane Seymour, cette œuvre favorite Léguée à l'avenir. J'aimais à retrouver^ces'types des montagnes Par vous saisis au vol, en été, tous les ans, Et la blonde Ossalaise en ses fraiches-campagnes, Et les bruns Catalans.

Du repos quelquefois, pour nous avançant l'heure,

: l'ancienne demeure

Vous tiriez des dessins de quelque grand carton

C'étaient les plans rêvés pour Des papes d'Avignon.

Vous nousdisiez alors comment la maladie Interrompit soudain oe travail commencé,. Et montra le chemin qu'à votre âme bénie

Jésus avait tracé.

Puis vinrent les beaux jours où, d'une tendre mère Reproduisant pour nous le visage chéri, Vous me faisiez relire en un poème austère Quelque chant favori. Et mon portrait bientôt sous:vos doigts se vitnaitre, Pendant des entretiens au Seigneur consacrés. Ah ! ces jours-là surtout, m'ont laissé de vous, Maître, Des souvenirs sacrés. t

1


Quels beaux soirs, quand après quelques lointains voyages, Réunis près de vous, nous écoutions les vers Des poèmes charmants écrits sous nos bocages Et lus dans nos hivers.

:

Il en est deux surtout restés en ma mémoire Jésus calmant les flots aux accents de sa voix, Dans son abaissement faisant briller sa gloire, Et le chant des Trois Croix. Vous aimiez à rêver sous les fraîches allées Que vous offrait le Parc du vieux castel de Pau Puis, au bord des torrents, dans nos belles vallées De Gabas et d'Ossau.

;

!

Quel moments passés là, prèsde vous, en prière Témoin du Rédempteur, en esprit, je vous vois Au temple montagnard dont l'humble croix de pierre S'élève au sein des bois.

-

De ces lieux autrefois la source bienfaisante,

Disciple aimé des arts, vous rendit la santé, Et c'est là que Jésus à votre âme souffrante Révéla sa bonté.

!

:

Que j'aimais vous surprendre écrivant sous l'ombrage Je disais « A bientôt, vous nous lirez cela. »

Souriant, vous quittiez un instant votre ouvrage Et j'allais loin de là.

-8 Avec ma sœur et vous paisiblement assise, C'était l'été passé, dans la montagne, un jour, Tandis que les rameaux se ployaient sous la brise Dans les bois d'alentour,

Je vous interrogeais sur la géologie, Enigme dont le mot est au Livre de Dieu, Et cette étude était en sainte analogie Avec l'agreste lieu.

-


Puis, de la terre au Ciel élevant nos pensées, Vous parliez du bonheur qu'au séjour éternel Nos âmes goûteront, des chagrins délassées, Bonheur spirituel.

;

La tourmente bientôt gronda sur notre tête Mais l'entretien pour nous avait tant d'intérêt, Que toustrois nous causions, oubliant la tempête Soufflant dans la forêt. Au milieu des combats livrés dansl'atmosphère Par les courants du Sud et ceux de l'Occident,

Le soleil répandait une chaude lumière Des cimes au torrent. C'était le dernier jour où dans nos Pyrénées Ensemble nous devions louer le Créateur Nous ne reverrons plus aux futures années Ces moments de bonheur.

;

8-8Mais, de nos souvenirs, un surtout pour notre âme Demeurera sacré, solennel et béni

;

Dieu, pour ce souvenir, parmi nous tous réclame L'amour au zèle uni.

C'étaient, Devéria, ces heures ineffables Où votre voix fidèle annonçant Jésus-Christ, Vous lui consacriez tous ces dons admirables Reçus du Saint Esprit. Qui mieux que vous jamais a proclamé la grâce Du Rédempteur mourant et revivant pour nous De sa divinité, de son œuvre efficace, Qui parla mieux que vous ?

?

Le Créateur semblait, pour l'œuvre d'un prophète Avoir toutpréparé, votre voix, votre aspect, Ces sonores accents et cette noble tête Commandant le respect.


Ce beau front inspiré, la longue barbe grise,

Cet œil de feu plongeant dans le jour éternel Nous rappelaient à tous Esaïe et Moïse Parlant en Israël. Et vous nous annonciez la nouvelle Alliance, Les promesses de Christ, sa paix et son salut; Vous faisiez en nos cœurs renaître l'espérance Au Dieu qui nous élut. Vous aviez pénétré le cœur du grand Apôtre, Qui, joyeux dans les fers, célébrait le Sauveur. Saint Paul apparaissait à nos yeux comme aux vôtres Triomphant du malheur.

Les adieux du Sauveur, sa sublime agonie, Que Saint Jean écrivit aux Livres inspirés, Voilà les derniers faits que vous, pieux génie, Vous avez célébrés.

Et quel touchant accord entre votre éloquence Et vos devoirs suivis avec fidélité, Bienfaits, labeur, emploi de toute l'existence En sainte charité. Combien en votre aimable et joyeuse énergie, Eclataient la victoire et la paix du Sauveur Car nous savions, hélas tout ce que votre vie Renfermait de douleur.

!

!

Et Dieu l'avait voulu, quand votre sympathie Pour la. dernière fois allégea mon fardeau, J'accompagnais un soir mon aïeule chérie Jusqu'au seuil du tombeau. Et bientôt vous deviez au même cimetière Aller dormir aussi, muet devant nos pleurs. Sur votre tombe unie à celle d'une mère Nous jetterons des fleurs.


Si vous n'êtes plus là, témoin, ami fidèle,

Votre voix en nos cœurs doit toujours retentir, Annonçant Jésus-Christ dans sa grâce éternelle Heureux de nous bénir. Nous devons par la foi conserver l'espérance, Et du pauvre calmer la crainte et la douleur, Frère, nous souvenant de votre bienfaisance Qu'inspirait le Seigneur. Ainsi, Devéria, l'amour impérissablè Que le Dieu Rédempteur veut répandre en nous tous, Pourra vous ériger un monument durable Et seul digne de vous.

j'étais avec ma famille dans la vallée de Gabas. Dans les heures que je passai alors sous les forêts, au bord des torrents de cette vallée, où la voix affectueuse et chrétienne d'Eugène Devéria m'avait parlé de foi, d'espérance et de charité, je rappelai bien souvent le souvenir de mon vieil ami. Un matin, j'écrivis ces vers, les derniers que j'aie faits sur lui Au mois d août,

:

VALLÉE DE GABAS.

Août 1865. Le souvenir se plaît aux vastes solitudes, A l'ombre des forêts que dominent les monts, Au val, où recueillis bien loin des multitudes, Nous rêvons et prions. «


;;

Quelques heures de paix ici me sont données Je n'entends que la brise et l'onde qui bondit Le beau Pic du Midi, roi de nos Pyrénées, Au soleil resplendit.

Des nuages légers, frais enfants de l'aurore, S'élancent argentés dans l'espace d'azur Aux flancs des monts en fleurs le matin vient d'éclore Sous un ciel calme et pur.

;

pensée en ces lieux aime à revoir l'image D'un frère qui naguère encor les contemplait, Et dont les vers pieux s'exhalaient en hommage, Au Dieu qu'il célébrait.

Ma

torrent, ces forêts, cette fraîche vallée, Inspirèrent sa foi, ses chants religieux; C'est là que par le Christ son âme consolée

Ce

Anticipait les Cieux.

Et vous dormez, ami, là-bas, au cimetière, Tandis qu'ici j'écris aux bords où vous,rêviez ; Je veux sur votre tombe apporter la bruyère Des monts que vous aimiez.

;

Ah ! je ressens encor cette noble influence D'une affection sainte en un cœur généreux Ce souvenir protège encor mon existence

En des temps douloureux.

!

Devéria

ce nom me redit la souffrance

Adoucie en Jésus et cédant au bonheur Que répand ici-bas la divine espérance Sur l'enfant du Seigneur. Dans un simple entretien, aussi bien qu'à l'Eglise, Dirigeant la pensée au-delà du tombeau, Il montrait les splendeurs de la Terre Promise A

nous, petit troupeau.


Et sa joie éclatait en hymnes de louanges, Magnifiant l'amour, la victoire du Christ, Qui prépare l'Eglise au règne sur les Anges Par les dons de l'Esprit. Viens encor me parler, voix pieuse et fidèle, Vibre au fond de mon cœur, écho béni des Cieux Redis-moi qu'en Jésus la vie est grande et belle, Même aux jours malheureux !

!

Redis-moi que la paix, la joie et l'espérance, Fleurissent en notre âme avec la sainteté Que nous sommes unis à Christ dans la souffrance Et la félicité

;

!

FIN.



EXTRAITS DE

QUELQUES DISCOURS RELIGIEUX

D'EUGÈNE DEVÉRIA

30

NOVEMBRE

(1)

1862.

Paul, apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu, aux. saints et fidèles en Jésus-Christ qui sont à Ephèse. La grâce et la paix vous soient données de la part de Dieu notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ. Béni soit Dieu qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toutes sortes de bénédictions spirituelles dans les lieux célestes, par Jésus-Christ. (Ephé., J, i, 2, 3.)

!

Paul, grand nom Apôtre de Jésus-Christ par la volonté de Dieu. Un apôtre, c'est un envoyé, un ambassadeur de Jésus-Christ. Lorsqu'un monarque de la terre députe un ambassadeur vers quelque autre souverain, il le revêt peut voir dans ces extraits que Devéria n'avait pas pour méthode d'étudier les subtilités dogmatiques. S'adressant à un auditoire composé en grande partie de croyants, il considérait ces méditations du Dimanche soir, comme un festin fraternel, où lesenfants de Dieu se fortifiaient ensemble avant de retourner à leur labeur de la semaine. Aux pèlerins affamés, altérés, ne faut-il pas servir un repas nourrissant, plutôt que de définir scientifiquement en face de leur faim et de leur soif, les substances qui doivent maintenir et développer en eux le prin(1) On

cipe vital?


de titres et d'honneurs, lui dispense de grandes sommes afin de se faire bien accueillir, et, sauf des cas exceptionnels, la fonction d'ambassadeur n'offre point de périls. Jésus choisit pour ses ambassadeurs, les petits, les méprisés du monde. Il en est d'entre ses apôtres, qui furent appelés sur les bords du lac de Génésareth mais Paul fut appelé par les foudres qui éclatèrent autour de lui sur le chemin de Damas, par ces ténèbrés qui obscurcirent sa vue, par le miracle d'Ananias rouvrant ses yeux à la lumière. Il fut averti par Jésus de ce qu'il aurait à souffrir pour être son ambassadeur il partit pauvre, dédaigné, faible en apparence, mais fort de la force dé son Dieu. C'est donc la voix de l'Apôtre qui vient nous parler ici de la part du Seigneur. Si Jésus-Christ l'eût voulu, Il pouvait de sa main divine écrire mais il voulut tout le Nouveau-Testament charger de cette mission sublime des hommes choisis pour nous transmettre le secret de sa

;

;

;

pensée. à

:

et fidèles en Jésus-Christquisont Ephèse. — Saint qu'est-ce qu'emporte ce

Aux saints

? Il exprime l'état d'un

mot

être mis à part,

consacré à Dieu dans un but spécial. Un saint, c'est un vaisseau d'élection, un vase d'honneur;


ce sont ces flambeaux, ces ustensiles d'or du

Temple, qui n'étaient affectés qu'au service du Seigneur, et qui tous étaient purifiés par le sang de l'ancienne alliance. parlais de l'Evangile à un gentilUn jour, homme catholique il me dit « Mais ces choses sont bonnes pour des saints, et je ne me pique pas d'être un saint, ni de le devenir jamais. » Il prenait ce mot dans le sens que lui donne son Eglise il ne voyait comme saints que ces moines, ces nonnes, ces prélats, entourés par le catholicisme d'hommages spéciaux. Mais la sainteté. dans la pensée divine, c'est l'état auquel sont appelés tous ceux qui professent le christianisme; c'est le but auquel nous devons tendre; nous ne devons pas nous arrêter en deçà. Eh bien si cette Epître portait pour adresse Aux saints qui sont à Pau » à qui devrait-elle « aller Qui oserait la recevoir sans confusion de cœur, sans rougeur sur le front Ce n'est pas vous ce n'est pas nous. Et cependant, pourquoi sommes-nous ici, si ce n'est pour atteindre à la sainteté par l'Esprit de notre Dieu

je

1

;

:

;

!

1

?

;

:

,

?

?

La grâce el la paix vous soient données de la part de Dieu notre Père, et du Seigneur Jésus-

Christ. La grâce, dans nos langues modernes, exprime


;

;

ce qu'il y a de plus suave et de plus doux avec elle, le refus perd sa rudesse sans elle, le service rendu lui-même perd son véritable prix. La grâce, c'est avec elle que Jésus accueillit les pécheurs humiliés et leur pardonna; c'est avec elle qu'il guérit les malades, les infirmes qui l'implorèrent. La grâce exprime aussi le pardon de Dieu, sa miséricorde. Et cette grâce que Saint Paul souhaite aux Ephésiens, il dit qu'elle est donnée de la part de Dieu le Père et du Seigneur Jésus-Christ. Ilne sépare pas le Fils du Père il sait quelle union intime et

;

mystérieuse existe entre ces deux personnes de la Trinité. Les religions unitaires, comme le Judaïsme, le Mahométisme, nous croient idolâtres dans notre adoration de Jésus-Christ, parce qu'elles le considèrent comme un homme. Mais Saint Paul, et avec lui tous les chrétiens, unissent Jésus à son Père dans un même acte d'adoration. Béni soit Dieu, qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui nous a bénis de toutes sortes de bénédictions spirituelles dans les lieux célestes, par Jésus-Christ. Béni soit Dieu C'est un homme de douleur qui jette ce cri, et son chant de louange continue pendant plusieurs versets sa plume ne peut

!

;


s'arrêter dans l'énumération des bienfaits ineffables répandus par l'Eternel sur l'Eglise. Saint Pierre aussi,' cet autre homme de douleur, commence une de ses épîtres par un chant de louange, analogue à celui-ci : Seile et* le Père de Béni soit Dieu notre « gneur Jésus-Christ, qui, selon sa grande miséricorde, nous a fait renaître en nous donnant, par la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts, une espérance vive, «

De posséder l'héritage qui ne se peut cor-

rompre, ni souiller, ni flétrir, et qui est réservé dans les Cieux pour nous, Qui sommes gardés par la puissance de « Dieu, par la foi, pour obtenir le salut qui est prêt à être manifesté dans les derniers temps. » (t)

Qui vous a bénis de toutes sortes de bénédictions spirituelles. n'est point par les biens temporels que Dieu manifeste son amour à -ses enfants, et pourrions-nous en être étonnés? Les biens temporels passent rapidement ce n'est pas eux qui peuvent donner le véritable bonheur. Vous que des circonstances favorables entourent, Ce

;

1.3,A,5.

(1) PIERRE,


;

pensez-y bien, le temps de la douleur approche bientôt peut-être, ce que vous aimez aura foi ; les éléments temporels du bonheur vous seetnt enlevés. Et vous qui souffrez, qui pleurez, levez les yeux, la délivrance approche; encore quelques jours, et les souffrancestemporelles auront pris fin le bonheur immortel sera le partage de tous ceux qui sont en Christ.Et c'est dans les lieux célestes en Jésus-Christ que nous sommes ainsi bénis, nous dit l'Apôtre. Paroles profondes. C'est dans le ciel qu'existe dès maintenant le bonheur qui nous est préparé; elles nous attenles demeures sont prêtes dent. « Christ, nous dit Saint Paul (v. 20,23), s'est assis à la droite de Dieu, dans les lieux Il est établi sur toutes choses pour célestes être le Chef de l'Eglise, qui est son corps et l'accomplissement de Celui qui accomplit tout en tous. » Encore quelque temps, et l'Eglise entière prendra possession de la félicité auprès

:

;

;

de son divin Chef. Et maintenant, mes frères, mes sœurs, ne joindrons-nous pas nos voix à celle de l'Apôtre, pour nous écrier avec lui « Béni soit Dieu qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ » ? Le matin, lorsque vous ouvrez les yeux à la lumière, que-vous vous trouvez entourés des magnificences de la création, lorsquevous entendez

:


les douces voix de la famille, que vous reprenez votre course dans la plénitude de la santé, réjouis partous les moyens de grâce que Dieu le matin, au réah met à votre portée.. veil, votre premier cri ne doit-il pas être Béni soit Dieu 1 Et vous, qui voyez renaître le jour après une nuit de douleurs, d'inquiétudes, de tristesse, et qui devez reprendre, dès le matin, un travail ah fatigant, ne direz-vous pas Béni soit Dieu N'est-ce pas Lui qui est aussi votre délivrance, votre secours, votre appui Oh oui, quelles que soient les circonstances de notre vie, redisons tous, avec Saint Paul, ce chant de louange, en attendant que nous entrions en possession de l'héritage immortel qui nous est conservé dans les Cieux.

,

:

!

:

pénible. !

!

!

!

7 DÉCEMBRE. Comme Il nous avait élus en Lui avant la création du monde, afin que nous fussions saints et irrépréhensibles devant Lui par la charité Nous ayant prédestinés à nous adopter pour être ses enfants par Jésus-Christ, par un effet de sa bonne volonté A la louange de la gloire de sa grâce, qu'il nous a gratuitement accordée en son Fils biea-aimé. (EPH., I, 4, 5, 6.)

;

;

Nous abordons une doctrine qui est pour beaucoup, un scandale, une pierre d'achoppe-


ment : la doctrine de l'élection. Puisque nous sommes amenés par le cours naturel des choses, sans choix préalable, à nous en occuper ce soir, abordons hardiment ces paroles que Dieu fait passer sous nos yeux. Nous tous qui sommes ici, nous professons d'être chrétiens; qu'importe donc, pour ce qui nous concerne, ce que peuvent objecter ceux du dehors, ceux qui dans ce jour se livrent à toutes les folies du monde, au lieu de se réunir pour écouter la voix du Seigneur. Sans doute, il est reconnupar nous tous que l'homme est responsable dans le rejet du salut; sans doute, il est vrai que Jésus a dit « Vous vie. » Cf) ne voulez pas venir à moi pour avoir la lumière condamnation, C'est ici la est que « venue dans le monde et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière. » w Dieu nous offre le salut, et si nous le rejetons, nous sommes justement condamnés. Notre esprit trouve-t-il de la difficulté à combiner cette doctrine avec le dogme de l'élection? Mais pensons que si le mot «mystère» est écrit dès le début de la révélation divine, il n'yen a pas moins dans ses profondeurs des sources de félicité infinie ouvertes pour nous.

: la

(1)Jean,V.40. (2)Jean,III,19.


Eh bien donc, puisque ce soir nous sommes ici, un certain nombre, groupés autour de la Parole de Dieu à laquelle nous professons de croire, pourquoi ne nous donnerions-nous pas la jouissance, le bonheur, de savourer tout ce que l'élection vient offrir à nos âmes D'ailleurs, pensons-y, du moment où nous admettons la gratuité du salut, il nous faut descendre jusqu'au fond de cet abîme de miséricorde, remonter jusqu'au premier anneau de cette chaîne de bénédictions célestes. Relisons donc ces paroles 1

,

?

:

II

nous avait élus en Lui avant la création du monde. Comme

Oui, avant que nous vinssions sur cette terre, revêtir les divers habits que la différence des rangs et celle des siècles devaient mettre sur nous, avant qu'il y eût des noms donnés aux peuples, aux individus, Dieu nous connaissait tous, personnellement, il nous avait élus en Lui. Avant que l'œuvre de la création fût accomplie, lorsque l'Eternel décidait de lancer les mondes dans l'espace, Il eut un regard pour notre terre, et sachant par sa préeonnaissance quels seraient les ravages de la chute, Il fit dès lors l'élection d'un peuple qu'il voulait sauver, racheter. Ici viennent des paroles extrêmement graves.


:

Les personnes qui veulent abuser de l'élection, disent Si nous sommes élus, nous n'avons « plus qu'à nous croiser les bras, tout va bien, nous n'avons rien à faire, rien à craindre. » Jamais un chrétien sincère ne parla ainsi, Saint Paul nous dit que nous sommes élus, afin que nous soyons saints el irrépréhensibles devant Dieu par la charité. Saints, nous le sommes, nous qui rejetons les vains plaisirs du monde, qui rejetons tout plaisir où paraît quelque danger mordus par le serpent, nous craignons même les couleuvres dont la morsure n'est pas mortelle oui, nous sommes saints, c'est-à-dire séparés du monde, mais sommes-nous irréconsacrés à Dieu préhensibles N'y a-t-il pas de mauvais côtés de notre caractère qui peuvent jeter de la défaveur sur notre témoignage chrétien Ne peut-on pas dire de nous que nous sommes colères, que nous sommes secs, que nous sommes froids, que nous sommes tièdes? Lorsque quelqu'un voulait être évêque dans la primitive Eglise, il fallait qu'il eût un bon témoignage, non seulement de ses frères, mais encore de ceux du dehors, afin que la doctrine ne fût pas exposée au blâme du monde par quelque défaut de son représentant. Eh bien quel témoignage rendons-nous devant nos en-

?

;

; ;

?

!


fants, si nous sommes colères? devant nos domestiques, si nous sommes hautains, fiers,' et témoignons de l'insouciance pour l'âme qui nous est présentée sous la forme de domestique Cette irrépréhensibilité que Dieu nous demande, n'est cependant pas quelque chose d'impossible c'est un fait réalisable. Il y a chrétiens des qui expliquent ce mot en disant que c'est seulementenChrist que nous pouvons être irrépréhensibles devant Dieu. Sans doute, l'œuvre de notre justification est faite entièrement par Dieu, et c'est seulement en Christ que nous pouvons être agréables à Dieu mais nous ne devons pas nous tranquilliser sur La perfection n'est que nos fautes en disant a pour le Ciel. » Ce n'est pas ici d'une perfection absolue qu'il s'agit, mais de cette fidélité dans les détails de la vie, qui doit honorer notre vocation chrétienne. Cela rentre dans le même ordre d'idées que cet autre passage de Saint «Soit donc que vous mangiez ou que Paul vous buviez, ou que vous fassiez quelque autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. (1, COR. X, 31.) Eh bien quand nous nous présentons devant une table chargée de nourriture., nous est-il difficile de rendre grâce à Dieu pour ces biens qu'il nous donne En le faisant, nous Le

?

;

;

:

:

»

!

?


glorifions. Ainsi, nous pouvons Lui consacrer notre travail, notre repos, le repos du Dimanche surtout. Nous pouvons, par une vigilance soutenue sur nos actions, nos paroles, nos pensées, éviter tout ce qui peut déplaire au Seigneur, et Le glorifier en toute occasion. Aujourd'hui, j'ai visité un cher jeune homme, pour lequel nous prionsW; j'avais su' qu'hier au soir, de huit heures à minuit, il avaiteu des souffrances extrêmes je m'approchai de lui en disant «Mon pauvre enfant, vous avez bien souffert. » — « Pourquoi pauvre » me répondit-il. Jésus-Christ a bien plus souffert que moi. » « Son père ajouta Il ne veut plus que l'on « prie pour la diminution de ses souffrances ila compris qu'elles sont le moyen par lequel Dieu lie prépare pour le Ciel il souhaite seulement que l'on implore pour lui, la grâce d'une foi toujours plus confirmée, toujours plus vivante. » En voilà un qui glorifie Dieu.

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:

?

:

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Poursuivons. Nous ayant prédestinés à nous adopter pour être ses enfants par Jésus-Christ, par un effet de sa bonne volonté. Cette idée réjouissante, ravissante, de l'élecde la prédestination, revient encore ici. tion

,

jeune Livoniell, mentionné au commencement des Souvenirs. (1) Le


!

Dieu a un Fils, un Fils Quel abîme d'amour qui possède toutes les perfections du Père, un Fils qu'adorent tous les serviteurs de sa maison, et cependant, Il pense à ses pauvres créatures, déchues, coupables, malheureuses; il aime ces pécheurs qu'il veut racheter, adopter pour ses enfants. Ah ! lequel de nous, répondant à ayant un fils, une fille unique tous les besoins de son cœur, songerait encore à déverser un amour d'adoption sur les haillons repoussants de la misère Non, cette créature aimable, aimante, lui suffirait il lui donnerait tout, et voudrait pour lui tout ce qui vient d'elle il n'éprouverait pas le désir d'augmenter les objets de son affection par des êtres dégradés qu'il lui faudrait relever adopter dans sa famille. Mais Dieu n'aime pas ainsi; son amour immense pour son Fils, n'est pas exclusif. Il nous a aimés, Il nous aime, Il nous a prédestinés à nous adopter pour être ses enfants par Jésus-Christ. Quelle fête de l'âme Et ce ne sont pas là des rêveries. Non que l'on nous considère nous tous, chrétiens, de quelque profession que ce soit ouvrier, marchand, artiste, quelle que soit notre tâche, nous l'accomplissons raisonnablement avec tout le positif de Mais lorsque vient une de ces belles soirées du Dimanche, où

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?

;

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,

!

:

l'esprit.

:


Dieu nous réunit autour d'un texte comme celui-ci, ne nous est-il pas permis de nous exalter, de nous réjouir dans l'immensité de nos privilèges, de notre bonheur? Oui, Dieu nous a élus, Il nous aime, Il nous aimera jusqu'à la fin; son amour nous arrache à l'étau de la douleur, aux détresses du péché; il souffle autour de nous une douce atmosphère de printemps qui ranime la vie dans toutnotre être. Et cette prédestination a un but, comme nous le voyions tout à l'heure pour l'élection c'est à la louange de la gloire de sa grâce, qu'il nous a gratuitement accordée en son Fils bien-aimé.

:

(V. 6.)

Oui, ainsi que je le disais, Dimanche dernier, soit que nous nous éveillions après une douce nuit de repos, entourés des éléments du bonheur, soit que nous nous éveillions après une nuit angoissée pour retrouver, après les détresses de la veille, de nouvelles détresses le lendemain, sachons louer le Dieu ne notre salut et nous écrier Béni soit Dieu qui est le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Ah pensons-y, sous cette expression si tout il bien-aimé Son Fils douce y un a « drame d'ineffables douleurs il y a ces souffrances innommées de Gethsémané, de Golgotha il ya la sueur-de sang, les pieds et les mains percés, le

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»,

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fiel à la bouche, et ce cri de l'angoisse du cœur abanpourquoi m'as-tu Dieu Mon Mon Dieu a donné? Ah! quand l'Eternel nous élut pour

»

!

!

l'adoption, Il voyait d'avance les souffrancesinfinies de son Fils et II nous a aimés jusqu'à le donner pour notre salut. Oh! vivons donc à la louange de la gloire de sa grâce. Ce n'est pas sa puissance qu'il veut surtout nous entendre célébrer, Il ne s'entoure pas de la magnificence d'Assuérus, mais nous tend le sceptre d'or et nous demande de bénir la grâce qu'il nous a gratuitement accordée en son Fils bien-aimé.

lh

DÉCEMBRE.

C'est en lui que nous avons la rédemption par son sang, savoir, la rémission des péchés, selon les richesses de sa grâce, Qu'il a répandue avec abondance sur nous par toute sorte de sagesse et d'intelligence, Nous ayant fait connaître le secret de sa volonté par un effet de sa bienveillance, selon qu'il l'avait auparavant résolu en soi-même. (Eph., 1,1, 8, 9.)

Ce chapitre est tellement rempli d'expressions

réjouissantes, magnifiques, que nous nous sentirions portés à nous lancer dans ce courant de bonheur; mais il nous faut étudier une à une ces bonnes paroles, cette belle littérature de


Dieu, et nous arrêter sur chaque détail de sa révélation. VERSET 7. Nous sommes tous pécheurs, — soit que longtemps nous ayons vécu dans le monde, soit qu'élevés selon le Seigneur, nous ayons toujours mené une vie honnête et gracieuse. Oui, nous sommes tous pécheurs., et par conséquent, tous condamnés. Nous étions en prison, les fers aux pieds, incapables de rien faire pour notre délivrance. L'homme est tombé cette chute a répandu sur le monde les flots de malheur qui nous atteignent tous. Mais au milieu de ce déluge de malédiction et de souffrance, l'Eternel donne la Rédemption. Ce n'est point là une de ces rédemptions comme on en paya jadis pour des rois, des héros, des guerriers, non, c'est une Rédemption pour laquelle l'argent et l'or étaient de nulle valeur il n'y avait que la mort, le sang de Jésus-Christ qui pussent accomplir notre rachat. Et maintenant, la prison est ouverte, la dette acquittée, la Rédemption est parfaite. quelle que soit la somme de nos douAh leurs, il y a toujours un fonds d'immense félicité pour nous, croyants, à nous savoir rachetés par Jésus-Christ. Mais, en même temps, c'est là pourquoi les chrétiens ne sont pas gais comme les gens du monde; ils ont un bonheur que le

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!


monde ne connaît point, des joies intimes qui leur font dédaigner les vains plaisirs, les misérables jouissances des mondains; et, dans l'élan de leur félicité, il y a toujours une note douloureuse, car, pour leur acquérir la paix et le bonheur, il a fallu la sueur de sang de Gethsémané, la crucifixion de Golgotha. Ah! c'est pourquoi les convictions chrétiennes, prises au sérieux, produisent tout autre chose que ces existences faciles dans lesquelles on admet le christianisme comme un vernis posé sur une vie honnête, mais sans renoncement, ni sacrifice, et dans lesquelles ou se donne toutes les jouissances temporelles dont on peut disposer. Et cette rédemption est accomplie non point selon notre repentance, ou selon quelque chose qui vienne de nous, mais selon les richessesde la grâce de Dieu.

Qu'il a répandue avec abondance sur nous par toute sorte de sagesse et d'intelligence. La Sagesse. — C'est d'abord la sagesse de Dieu, et puis c'est la sagesse qu'il nous donne. Elle s'applique à ces relations entre la divinité et l'humanité qui furent inconnues à l'antiquité païenne, à la philosophie. Nous ne sommes plus le cavalier descendant au galop la pente entraînant à l'abîme d'où l'on ne remonte plus;


mais nous sommes devenus sérieux, comprenant toute la gravité de notre situation. Uintelligence. — C'est cette lumière venue de Dieu, qui nous éclaire sur nos devoirs, qui nous montre ce que doivent être nos rapports avec l'humanité. Comprenons-le, ces rapports ne peuvent plus être froids, indifférents; si nous sommes sincèrement chrétiens. Non, pour nous tous, obligation d'aimer.Nous ne devons plus vivre pour nous-mêmes mais pour Jésus-Christ mort et ressuscité pour nous. 9. — Il y a en Dieu un mystère. Saint Paul nous parle (Eph., III, h, 5.) de l'intelligence qu'il a du mystère de Christ, qui n'avait point été découvert aux hommes dans les temps passés, comme il l'a été dans la nouvellealliance. Dieu le révéla, ce mystère, lorsque les phalanges célestes chantèrent dans les Cieux la naissance de l'Enfant adoré par les bergers et les mages, dans l'étable de Bethléem. Il le révéla. lorsque Jésus mourut sur le Calvaire, lorsqu'il sortit triomphant du tombeau. Ille révéla encore par ses Apôtres, enrichis par Lui du don des miracles comme les ambassadeurs d'un grand roi, répandant libéralement les trésors de leur Maître. Ce secret, Dieu en devait-Il la révélation au monde, à cet empire où régnait VERSET


Auguste, entouré de toutes les erreurs, de tous les vices de l'idolâtrie? La devait-il à nous aussi, cette révélation Et nous, frères, sœurs, demandons-le-nous sérieusement, connaissons-nous le secret de Dieu? Est-ce que nous sommes changés dans nos sentiments, par la foi en la révélation de l'amour de Dieu? Ah! nous venons aujourd'hui d'en voir mourir un parmi nous, qui a connu le secret de l'Eter.nel. Ce jeune homme, fils d'un père allemand, protestant, d'une mère russe, grecque, élevé dans un mélange de ces deux religions, et qui, livré avec ardeur à toute la folie de la guerre, ne connaissait que la religiosité qui rend honnête. La maladie le saisit aux monts Circassiens; on l'amène dans la douce Italie et puis enfin ici, espérant le retour d'une santé perdue. Il arrive en proie aux terreurs de Dieu, mais en peu de jours l'œuvre de la grâce s'opère; il comprend l'amour de Dieu; il croit, se repent, espère, se réjouit il ne veut plus que l'on prie pour la diminution de ses souffrances, il voit en elles la préparation au Ciel il souffre, les yeux fixés sur le Crucifié, et sa famille est consolée par le Seigneur. Ses parents, à la mort de ce fils aîné, prise par l'Ecriture même comme type d'immense douleur, ses parents, ne le dispu-

?

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tent pas à Dieu, comme un bien qu'il leur ait volé non, ils le lui remettent au pied de la Croix, et l'on ne voit chez eux ni révolte, ni faiblesse.

Pourquoi l'Eternel nous fait-Il voir un tel exemple Il pouvait le donner à ces pauvres musulmans au milieu desquels vécut ce jeune homme. Pourquoi nous amène-t-Il de si loin, ce témoin éloquent de sa victoire sur le péché et sur la mort Ah prenons garde à ce que

?

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Dieu nous donne ainsi.

21

DÉCEMBRE.

Afin que, quand les temps de la dispensation de sa grâce seraient accomplis, Il réunît toutes choses en Christ, tant ce qui est dans les Cieux, que ce qui est sur la terre. C'est en Lui aussi que nous avons été appelés à l'héritage, ayant été prédestinés, suivant la résolution de. Celui qui fait toutes choses selon son bon plaisir. Afin que nous servions à la louange de sa gloire, nous qui

avons les premiers espéré en Christ. Et vous êtes aussi en Lui, après avoir entendu la parole de la vérité, qui est l'Evangile de votre salut, et ayant cru en Lui, vous avez été scellés du Saint-Esprit qui avait été promis; Lequel est un gage de notre héritage, jusqu'à l'entière rédemption de ceux qu'il s'est acquis, à la louange de sa gloire. 10,11,12,13, 14.) (EPH.,

I,

Ces paroles de l'Apôtre continuent le chant

de louange dont nous nous sommes entretenus

-


les Dimanches précédents. Arrêtons notre pensée sur les détails de cette belle hymne d'action de grâce. VERSET 10. — La chute aliéna l'homme de Dieu, et puis, les Anges fidèles ayant pris parti pour Dieu, l'homme fut aussi aliéné de l'Ange; et le péché produisant l'inimitié, la division se mit aussi entre les hommes. C'est à Babel, qu'en punition d'une révolte, eut lieu cette confusion des langues, d'où naquirent les nationalités, les guerres de peuple à peuple. Les montagnes, les fleuves, devinrent des frontières entre les états

rivaux, ennemis. Mais quand les temps de la dispensation de la grâce furent venus, Dieu voulut réunir toutes choses en Christ. Et rappelons-nous quel était alors l'état du monde. Le terrible empire romain opprimait l'Occident partout où se posait le pied de ses légions, les cités s'écroulaient, les nationalités s'effaçaient; il broyait les peuples, et si quelquefois, après la conquête, il leur laissait un roi de leur sang, ce roi ne devait agir que d'après la volonté du despote qui lui laissait encore quelque temps de vie. Le cirque de Rome et des grandes villes d'Italie, était le résumé de l'état du monde; dans ces cirques, ou voyait l'homme lutter contre l'homme et contre les bêtes féroces, pour

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le divertissement de la foule. Toutefois, il y avait dans ces vastes conquêtes, quelque chose qui pouvait servir la diffusion de la vérité le peuple vainqueur faisait parler-son langage dans toutes les contrées qu'il avait soumises, et cela devait, au moment donné, faciliter prédication

;

la

de l'Evangile. Dieu manifeste sa grâce. Une nuit, des bergers qui gardent leurs troupeaux voient apparaître des Anges. Quelques mois auparavant, cet Ange Gabriel qui fut envoyé vers Daniel sur les rives de l'Euphrate, avait été révéler à la Vierge de Nazareth les secrets de l'amour de Dieu et maintenant, les Anges descendent en foule sur terre et Gloire soit à Dieu au plus haut chantent « des Cieux. Paix sur la terre. Bonne volonté envers les hommes. » L'enfant adoré dans la crèche de Bethléem, poursuivit sa mission d'amour Il opéra la réconciliation de Dieu avec l'homme par sa vie, sa mort, sa résurrection; et quand Il eut quitté la terre, Il envoya le Saint-Esprit pour continuer son œuvre. Alors naquit la société chrétienne, en laquelle les vieilles divisions causées par lepéché s'effacèrent toutes dans l'amour fraternel. Là, il n'y avait plus de pauvres, non qu'il n'y eût des

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;

la


gens travaillant de leurs mains pour gagner leur pain de chaque jour, mais il n'y avait plus de

pauvres destitués. L'homme était donc remis dans une sainte harmonie avec Dieu, avec l'Ange, avec les autres hommes. Pour nous, cette réconciliation a-t-elle été faite Quelle est parmi nous la fraternité? à Cela peut-il s'adresser VERSET 11. nous? — L'avons-n.ous entendu, cet appel Y avons-nous répondu Nous retrouvons ici l'idée de prédestination et nous répétons ce que nousavons dit naguère à ce sujet Nous est-il fâcheux de savoir que Dieu nous a aimés de toute éternité ? que Jésus nous avait en vue, lorsqu'il accomplissait ici-bas son œuvre de réconcilia-

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tion

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;

12. — Nous voyons ici le but pour lequel Dieu opéra toutes ces choses oui, nous devons servir à la louange de sa gloire. VERSETS 13, 1h. Voici maintenant le cou— ronnement de cette œuvre divine que célèbre Saint Paul. Le Saint-Esprit vient apposer le sceau du salut sur le chrétien. Le sceau, pour un roi de la terre, c'est ce qui confirme son alliance, garantit sa promesse telle est la comparaison que prend l'Apôtre à l'égard du SaintVERSET

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Esprit.


Un jour, Jésus.Christ assistait à Jérusalem-h Tune des grandes fêtes judaïques. Dans la dernière journée, il se faisait une purification générale ce n'étaient partout que vaisseaux remplis d'une eau pure. Jésus, prenant occasion de cette cérémonie, dit « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive. Si quelqu'un croit en moi, des fleuves d'eau vive découleront de son sein. » Or, dit l'Evangile dans une parenthèse, Il disait cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en Lui, car le Saint

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:

Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié. » (JEAN, VIII, 37, 38, 39. Ce fut là un dogme nouveau c'est là un des grands dogmes chrétiens. Demandons-nous sérieusement si nous avons reçu le sceau du Saint-Esprit. Saint Paul parle ici d'une manière affirmative pour lui et ceux auxquels il s'adresse. Il avait en lui le témoignage intérieur qui ne lui faisait pas défaut. Il avait entendu la voix même deDieu, lui dire « Ne crains point. » Il avait la preuve que lui fournissait sa persévérance au sein des persécutions. (Test à cause de cela qu'il pouvait dire : La mort m'est un gain. » PHIL,, I, 21.) Le témoignage intérieur du Saint-Esprit est éprouvé par quelques personnes, comme une

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;

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et


sensation intime, profonde, qui les assure irrésistiblement de leur adoption en Christ. Cette sensation a été ressentie par des hommes, par des femmes, par des enfants. Mais, sans éprouver précisément cela, nous pouvons avoir l'assurance de ce témoignage, si nous sentons s'éteindre en nous l'orgueil, l'égoïsme, l'envie, la malignité si malgré toutes les entraves jetées sous nos pas par la société, nous persévérons dans les voies du Seigneur si dans les plus extrêmes souffrances, nous disons, les yeux fixés sur Jésus crucifié « Il a bien plus souffert que moi. Je ne demande pas que mes souffrances soient diminuées, je les accepte toutes pour alors, nous l'amour de mon Sauveur. » Oh avons le témoignage du Saint-Esprit. Nous accuserait-on de regarder à nousmêmes, de nous appuyer sur nos œuvres et sur nos sentiments. Non, nous ne mettons pas notre confiance en nous-mêmes; maissouvenous-nous que Saint Pierre nous dit d'ajouter à notre foi sept autres vertus; si donc, nous ne les trouvons pas en nous, ces vertus, humilions-nous et implorons une nouvelle effusion du Saint-Esprit. Restons, en finissant, sur ces paroles de Dieu Lequel est un gage de notre héritage jusqu'à « l'entière rédemption de ceux qu'il s'est acquis à la louange de sa gloire.

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!

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»


28

DÉCEMBRE.

C'est pourquoi, ayant aussi entendu parler de la foi que vous avez en notre Seigneur Jésus, et de votre charité envers tous les saints, Je ne cesse de rendre des actions de grâce pour vous, faisant mention de vous dans mes prières; Afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père de gloire, vous donne l'esprit de sagesse et de révélation par sa connaissance Qu'il éclaire les yeux de votre esprit, atin que vous connaissiez quelle est l'espérance à laquelle vous êtes appelés, et quelles sont les richesses de la gloire de son héritage dans les saints Et quelle est l'infinie grandeur de sa puissance envers nous qui croyons par l'efficace de sa vertu toute-puissante. Eph., I, 15, 16,17, 18, 19.)

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(

15. Le témoignage que Saint Paul reud

VERSET

aux chrétiens d'Epbèse, nous montre que la foi et la charité sont les deux éléments constitutifs de la vie chrétienne. Ce témoignage pourrait-il nous être rendu? Il y a sans doute parmi nous des âmes qui vivent de foi et d'amour; mais l'ensemble de l'Eglise présente-t-il ces deuxcaractères d'une manière assez prononcée pour que le bruit s'en répande au loin? VERSET 16. Nous voyous que Saint Paul, tout en rendant grâce à Dieu pour les bénédictions spirituelles possédées par les Ephésiens, prie encore pour qu'ils soient enrichis de nouvelles lumières. Cela est pour nous une grande leçon.


Oui, quelque avancé que soit un chrétien, il a besoin d'être soutenu par des prières fraternelles. J'ai ouï dire qu'il est d'usage en Espagne, lorsqu'on parle d'un vaillant guerrier, de ne pas brave Il mais été brave, dire Il est a « » « tel jour. » Cela peut s'appliquer au chrétien car il n'est pas une fois pour toutes ce qu'il doit être même après avoir donné d'éclatants témoignages de fidélité, il peut encore tomber par faiblesse. Saint Jude nous parle de la foi « qui a été donnée une fois aux saints. » Sans doute, la foi est donnée de Dieu en « une fois» ; mais que deprogrès à faire! Il faut « ajouter à notre foi, la vertu, la science, la tempérance, la patience, la piété, l'amour fraternel, la charité. (2, Pierre,

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»

1,5,6,7.)

Il en est comme de la vie qui se développe. Lorsque l'enfant essaie ses premiers pas, oscillant sous nos yeux, sommes-nous donc irrités de sa faiblesse? Ne le trouvons-nous pas charmant? Oui, nous nous abaissons avec amour pour lui tendre la main. Eh bien agissons ainsi pour les nouveaux-nés de la foi pensons-le bien, quand même ils auraient les cheveux blancs, ce sont des enfants spirituels donnons-leur le secours de notre sympathie, ide nos prières. VERSET 17. Comprenons-nous bien tout ce que

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refermcnt ces

:

Le Dieu de notre Sçigneur Jésus-Christ, le Père de gloire ? Chers amis, c'est là un des bienfaits qui se trouvent dans une réunion comme celle-ci, que de pouvoir approfondir ensemble le sens de chaque verset. Tous les jours, sans doute, nous lisons la Parole de Dieu mais les travaux de la vie nous réclament, et souvent nous lisons sans méditer. Eh bien ce soir, arrêtons-nous sur Le Dieu de notre Seigneur ces expressions a Jésus-Christ, le Père de gloire. a Dieu, la saipteté, la justice mêmes, nous appaparoles

«

»

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!

manifestation d'amour en JésusChrist. N'oublions jamais, pour comprendre tout le prix de la Rédemption, ce qu'est la justice de Dieu; trop souvent on oublie cette perfection inhérente à la divinité, et c'est elle cependant qui, en nous pénétrant de respect et d'une sainte crainte, nous amène d'autant plus reconnaissants au pied de la Croix du Sauveur. Oui, nous sommes considérés par Dieu en Jésus-Christ dans l'alliance de grâce; nous pouvous avec bonheur nous élancer dans l'amour immense que l'Eternel nous témoigne. Malheur à ceux qui ne voient en Jésus qu'un philosophe, un docteur. Pour nous qui voyons en Lui la splendeur 4e la gloire du Père, l'image empreinte de s^ personne, nous adorons, nous nous

raît dans

sa,


réjouissons, et c'est de ce Dieu manifesté dans la Rédemption que nous attendons la lumière. VERSET 18. Certaines traductions disent, non, les de mais esprit, de les votre yeux yeux « » « votre cœur. » Cela nous semble mieux entrer dans la pensée divine, qui déclare que le cœur est « la source de la vie. » Ce n'est pas seulement notre esprit qui a besoin de lumière; non, c'est notre cœur même qui doit être éclairé par c'est cette le Dieu manifesté en Jésus-Christ source de notre vie, cet élément constitutif de notre être moral qui doit être consacré à Dieu. Il nous dit maintenant Mon fils, ma fille, « donne-moi ton cœur. » Ah que nul de nous ne sorte d'ici sans avoir donné à Dieu ce cœur qu'il réclame, et que nous apprenions tous ainsi à connaître « l'espérance à laquelle nous sommes appelés, les richesses de la gloire de son héritage dans les saints, l'infinie grandeur de sa puissance envers nous qui croyons, par l'efficace de sa vertu toute-puissante. » Cette espérance, elle est sublime, et Dieu nous la donne gratuitement dans son amour. Pour nous accorder cette grâce immense d'être « faits semblables à Lui quand nous Le verrons tel qu'il est, » Il ne nous demande que de croire à son amour, de Lui donner notre cœur, de vivre pour Lui, dans la paix, le zèle et la charité.

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5 JANVIER 1863. Qu'il éclaire les yeux de votre esprit, afin que vous connaissiez quelle est l'espérance à laquelle vous êtes appelés,"et quelles sont les richesses de la gloire de son héritage dans les

saints, Et quelle est l'infinie grandeur de sa puissance envers nous, qui croyons, par l'efficace de sa vertu toute-puissante, Qu'il a déployée en Christ, quand II l'a ressuscité des morts, et qu'il l'a fait asseoir à sa droite dans les lieux célestes, Au-dessus de toute principauté, de toute puissance, de toute dignité, de toute domination, et de tout nom qui se peut nommer, non seulement dans ce siècle, mais aussi dans celui qui est à venir, Et II amis toutes choses sous ses pieds, et l'a établi sur toutes choses, pour être le chef de l'Eglise, Qui est son corps, et l'accomplissement de Celui qui accomplit tout en tous. (Eph., I. 18-23.)

Saint Paul demandait à Dieu, que les chrétiens auxquels il écrivait, fussent éclairés dans leur esprit, dans leur cœur, pour connaître l'espérance, à laquelle ils étaient appelés, et les richesses de la gloire de l'héritage de Dieu dans les saints. Dans un pays voisin du nôtre, en Angleterre, il y a une loi de substitution par laquelle un plébéïen peut être subitement élevé au rang de Lord et devenir possesseur d'une immense forlune, lorsqu'il n'y a pas d'héritier direct dans la famille. Eh bien pensez-vous que dans l'attente d'une telle élévation, un homme

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prenne des habitudes vulgaires et reste indifférent aux affaires de l'Etat Non il se prépare au rang qu'il doit occuper, aux fonctions qu'il doit remplir. C'est d'ailleurs un fait bien connu, que les aristocraties nationales, par suite de longues habitudes de délicatesse dans l'éducation, se connaissent à certaines modifications

?

physiques. Eh bien s'il y a quelques traits distinctifs chez les aristocraties de ce monde, est-ce que nous, chrétiens, nous, l'aristocratie de la terre, nous ne devrions pas nous distinguer par quelque chose de noble, d'élevé, dans toute notre manière d'être Qu'est-ce que ces distinctions éphémères de costume, de physique, auprès de la seule distinction réelle, celle d'enfants de Dieu ? Oui, la sublimité de l'espérance à laquelle nous sommes appelés, les richesses de l'héritage que Dieu présente à notre foi, oui, tout cela doit créer en nous un ordre de pensées nobles, graves, pures. Héritiers du Ciel, nous devons toujours nous tenir à la hauteur de nos glorieux privilèges. VERSETS 19, 20. Quelle grande La pensée — même puissance déployée pour la résurrection de Jésus-Christ est nécessaire pour la conversion du pécheur.

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1

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Oui, la conversion est un fait si peu naturel, si peu dans l'ordre du développement progressif de l'individu, que ce n'est pas trop de la puissance qui ressuscita Christ du tombeau, pour opérer cette œuvre. Et quel acte de puissance, que la résurrection de Jésus-Christ Il est là, dans la rigidité et le froid de la mort son sang a coulé par cinq plaies; ses pieds et ses mains ont été percés de clous, son côté transpercé par la lance ceux qui furent ses bourreaux savent bien tuer Il est mort; mort pour vous, mon frère, pour vous, ma sœur, quel que soit votre nom. Et maintenant, le tombeau est fermé, la pierre est Mais voici qu'au matin du jour du Seigneur, Jésus sort vivant du tombeau, ayant encore aux pieds, aux mains, au côté, les stigmates de son supplice. Cette œuvre est accomplie par Jésus Lui-même, car Il dit « J'ai le pouvoir de quitter la vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre. » Et elle est accomplie par le Père, qui agit de concert avec le Fils, dans cette merveille de sa puissance et de son amour. Cette même puissance vient opérer la conversion de Saul persécuteur, dont elle fait un elle vient, du geôlier témoin de Jésus-Christ de Philippes, cruel envers les prisonniers dont il serre les pieds dans des entraves, faire le

!;

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close.

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converti repentant qui lave les plaies que la veille ses mains avaient faites. Ce n'est pas tout ce cadavre que Dieu a ressuscité, Il l'élève dans les Cieux. Ce corps que nous avons vu couché dans le sépulcrey c'est bien celui du petit Enfant, né dans l'étable de Bethléem, celui qui plus tard gagna sa vie à la sueur de son front, et dont les mains se durcirent en maniant les outils du charpentier. Ce corps crucifié, mort, ressuscite, reste encore quelque temps sur la terre, « allant de lieu en lieu faisant du bien et c'est lui que les disciples voient monter sur une nue vers les Jésus puis les Anges leur disent Ce Cieux « que vous avez vu élever d'avec vous dans le Ciel, en reviendra de la même manière que vous l'y avez vu monter. » Que VERSET 21. d'expressions réunies — pour montrer la divinité de Jésus-Christ Il est, des esprits qui ne veulent voir en Lui hélas qu'un être supérieur aux Anges, mais inférieur à la divinité et qu'est-il possible de dire de plus que cela « Au-dessus de toute principauté, de toute puissance, de toute domination, de toute dignité, et de tout nom qui se peut nommer, non-seulement dans ce siècle, mais aassi dans celui qui est à venir. » VERSET 22.—Le mot chef, signifie tête. Donc,

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Jésus est au Ciel, tête de l'Eglise nous sommes les membres de son corps c'est là une idée souvent émise dans les écrits apostoliques. Mais voici qu'au verset 23, vient une pensée

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qui nous confond L'Eglise qui est son corps « et l'accomplissement de Celui qui accomplit tout en tous. » Eh quoi Jésus n'est pas complet sans son Eglise Il a besoin de nous Oui, c'est ici la profondeur de l'amour de Dieu. Sans doute, en sa divinité, Jésus possède un bonheur absolu, parfait; mais en raison de son amour, Il a besoin de notre salut, de notre bonheur. Dieu, dans son immense charité, s'est humilié en Jésus-Christ, et dans le Ciel Il daigne encore nous réclamer comme l'accomplissement de Celui qui accomplit tout eu tous. Jésus eut besoin de Pierre, de Jean, dans l'agonie de Gethsémané, et comme ils lui firent défaut, Il recourut à une autre de ses créatures, à un Ange, pour être fortifié. Maintenant au Ciël, tête de l'Eglise, Il voit son corps saignant, souffrant sur cette terre Il lutte, gémit encore dans ses membres endoloris; Il attend pour entrer dans la plénitude de son règne de paix et de félicité, que toute son Eglise soit avec Lui, recueillie dans les tabernacles éternels. Jésus qui fut appelé Nazarien par le fait de sa résidence dans la ville de Nazareth, quoiqu'il

!

!

!

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n'eût pas été sous la loi du Nazaréat, consistant à ne boire ni vin, ni cervoise, et à avoir les cheveux rasés, Jésus s'est fait dans un certain sens Nazaréen, lorsqu'à l'institution delà Cène, il dit « Je vous dis en vérité que je ne boirai plus de ce fruit de la vigne jusqu'au jour où je

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le boirai avec vous dans le royaume de mon Père. » Il semble par là que le Sauveur suspende la plénitude de sa joie jusqu'au moment où son Eglise entière sera entrée dans le règne avec

Lui. Oh ! dites, l'imagination la plus exaltée eûtelle jamais rêvé une telle élévation Est-ce que l'élan de notre espérance eût osé jamais aller

?

?

jusque-là

Voyez ces soleils sans nombre qui se meuvent

,

dansles Cieux, éclairant des mondes planétaires que la distance nous dérobe, quelle puissance ne décèlent-ils pas? Et cependant leur Créateur a daigné s'abaisser jusqu'à nous, faire de nous des membres de son corps. Quelques-uns, en voyant l'immensité de l'Univers, ces mondes innombrables qui se meuvent dans l'étendue, et peut-être, sont habités par des êtres tels que nous, quelques-uns Comment pouvez-vous croire que le disent « Créateur de ces sphères infinies, soit venu vivre et mourir pour notre terre, si petite en propor-

:


:

tion de l'Univers?» A cela nous répondons Que nous importe de sonder les mystères des « mondes inconnus qui roulent dans l'espace Un seul point nous importe, et ce point nous est c'est que, pour notre terre., Jésus-Christ connu est venu vivre, souffrir et mourir. » D'autres font une objection opposée, et quand nous parlons des glorieuses destinées de l'Eglise, ceux-là grandissent notre terre et nous disent Comment, au milieu de ces multitudes hu« maines, vous penseriez, vous, faible minorité, avoir ces immenses privilèges. Oui, nous pouvons le soutenir par le témoignage de Dieu même. Si l'humanité tout entière ne jouit pas des bienfaits du salut de Jésus-Christ, c'est qu'elle refuse la réconciliation avec Dieu. L'Eternel ne contraint pas à croire Il offre son pardon Il à l'homme de présente son alliance d'amour choisir le salut ou la malédiction. Oui, Jésus daigne avoir besoin de nous. El nous, n'avons-nous pas besoin de Lui Avezvous besoin de bonheur, de fêtes, de paix? Avez-vous Avez-vous besoin d'être aimé besoin d'aimer Oui, dans ce monde où les amours les plus belles sont détruites par la mort ouïes caprices du cœur, avez-vous besoin d'être aimé Dans ce monde où tant de laideur

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repousse notre sympathie, avez-vous besoin Ah ! tous ces besoins les plus nobles d'aimer du cœur, vous en trouverez la satisfaction en Jésus-Christ, et vous ne la trouverez qu'en Lui. Elevez-vous à la hauteur sublime à laquelle Il vous convie. N'ayez plus cette piété composée d'un mélange de morale, de crainte, de respect qui laisse l'âme dans la vulgarité. Non. Ecoutez la voix de Jésus vous dire «Mon fils, ma fille, donneton cœur à moi. » Iriez-vous maintenant oublier ce que vous avez entendu Allez-vous continuer la vie dans Ou bien, allez-vous, la vulgarité spirituelle comprenant mieux la hauteur de vos privilèges, vous consacrer plus entièrement à Jésus-Christ?

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18 JANVIER. Vous étiez morts dans vos fautes et dans vos péchés, Dans lesquels vous avez vécu autrefois, selon le train de ce monde, selon le prince de la puissance de l'air, qui est l'esprit qui agit maintenant dans les enfants de rébellion Du nombre desquels aussi nous étions tous autrefois, vivant selon nos passions charnelles, accomplissant les désirs de la chair et de nos pensées et nous étions naturellement des enfants de colère, comme les autres. Mais Dieu, qui est riche en miséricorde par sa grande charité dont Il nous a aimés, Lorsque nous étions morts dans nos fautes, nous a vivifiés ensemble avec Christ, par la grâceduquelvous êtes sauvés Et il nous a ressuscités ensemble, et nous a fait asseoir ensemble dans les lieux célestes, en Jéstis-Cbrist. (EPH., II, 1-6.)

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Nous avons vu comment, à la fin du chapitre précédent, l'Apôtre exprime la situation, les priviléges de l'Eglise. Dans les versets que nous étudions, il dit quel était l'état de ceux que Jésus a sauvés pour en faire les membres de son Eglise. VERSET 1. Vous étiez morts. Oui, voilà — l'état de l'humanité tout entière en dehors de

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Dieu.

Il y a trois genres de mort

le premiflc, c'est cette mort qui eut lieu suivant la parole de l'Eternel, le jour même où l'homme mangea du

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fruit défendu

ce fut cette mort douloureuse de tous les sentiments du cœur, de toutes les facultés de l'esprit, qui, cessant dès lors d'aspirer au bien se tournèrent vers le mal qui, séparés de Dieu, seul centre, seule source de la vie, furent mis au service de Satan. Le deuxième genre de mort, c'est celui qui répand le deuil en nos demeures, c'est ce châtiment du péché subi dans le corps, devenu périssable par la chute d'Eden. Le troisième genre de mort, c'est au contraire la mort au péché, au mal, dont nous renaissons pour Christ et la

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sainteté. Vous étiez morts. Oui, cela peut se dire de toute l'antiquité. Il y eut bien, sans doute, çà et là, quelques traits d'héroïsme patriotique,


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de dévouement dans les

affections de famille et dans l'amitié ce furent des éclairs qui brillèrent par moments et reçurent le nom de vertu. Mais au fond de tout cela, qu'y avait-il? Une société profondément corrompue dans laquelle on voyait la tyrannie la plus atroce et l'esclavage le plus honteux. Les dieux du paganisme ne demandaient rien qui ressemblât à l'amour, au dévouement. Ils ne s'occupaient que d'euxmêmes dans un ciel où se retrouvaient toutes les passions terrestres, et l'homme ne pouvait -

leur donner son cœur. C'est cet état de mort que Saint Paul rappelle aux chrétiens d'Ephèse, naguère idolâtres. VERSET 2. Ce prince la de puissance de — l'air, cet ennemi des âmes, pensons-le bien, il n'a pas vaincu Dieu il n'a de puissance que celle que Dieu veut bien lui permettre, et s'il déploie sa fureur, sachant qu'une destruction finale l'attend, ainsi que l'annonce l'Apocalypse, il ne peut plus rien contre ceux que Jésus a sauvés. Il n'aurait de puissance que celle que nous voudrions lui laisser, car avec Jésus, nous sommes sûrs de le vaincre. Oui, il peut venir encore nous parler de si près à l'oreille, qu'il parvienne à nous faire croire que ses suggestions sont celles de notre propre cœur; mais, s'il peut quelque chose contre les enfauts de Dieu,

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il ne peut rien dans les enfants de Dieu. Saint Paul le dit « Maintenant, cet esprit agit dans

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les enfants de rébellion. » VERSET 3. — Quelle étrange affirmation chez l'apôtre, le juif, lepharisien, qui parlantdu temps qui précéda sa conversion, énumérant ses privilèges d'Israélite, dit : a A l'égard de la justice de la loi, étant sans reproche. » Et le voilà qui, écrivant à des chrétiens sortis du paganisme, leur déclare que lui-même était dans cet état décrit au verset 3. Prenons-y garde pour nous-mêmes. Souvent, nous sommes portés à croire qu'un tel état d'âme ne se trouve que dans cette portion de l'humanité livrée à des vices que le monde même condamne mais l'expérience a prouvé que les âmes les plus pures, les mieux douées de grâce et de bonté, celles qui sont azimes autant que cela est possible dans l'humanité, oui, l'expérience a prouvé que de telles âmes, fois éclairées par l'esprit de Dieu, ont eu une un sentiment de péché aussi profond aussi vif, aussi humiliant que put l'avoir le brigand sur la croix. Oh ! pensons-y, la vraie mort de l'âme consiste à ne pas aimer Dieu. Le mot péché, dans résumé Le séparation. signifie son sens propre, .de la loi, c'est d'aimer Dieu de tout notre cœur,

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,


de toute notre âme, et de toute notre pensée, -et d'aimer notre prochain comme nous-mêmes. Qui de Qui de nous a rempli ces obligations nous n'a pas récélé le péché qui le sépare de Ah Dieu c'est un point d'une suprême importance dans la vie chrétienne, qu'un profond sentiment du péché le dévouement à Christ est proportionné à ce sentiment; plus on voit la profondeur de l'abîme d'où Jésus nous retire, plus on se consacre à Lui sans réserve. VERSETS 4, 5. —Voilà l'œuvre de Dieu; voilà la gratuité de sa miséricorde, plénitude de son salut; voilà cette œuvre à laquelle Il s'associe en Christ. » Dieu était en Christ, nous est-il dit, réconciliant le monde avec soi-même. » Oui, ces païens livrés à la mort spirituelle, vivant selon le prince de la puissance de l'air, ils ont été sauvés, ils ont été vivifiés. On les voit maintenant, ces hommes, ces femmes, se dévouer à Jésus-Christ, lui sacrifier ce qu'ils possèdent. Cette Eglise à laquelle Saint Paul écrivait, c'était une Eglise raillée, persécutée par le monde; les membres qui la composaient avaient dû presque tous abandonner leurs biens, leurs avantages sociaux; il y en avait d'entre eux exposés à être conduits dans les cirques romains, pour être déchirés par les bêtes féroces. Eh bien ces chrétiens, dans le

?

? I

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la

!


profond sentiment de la mort spirituelle dont ils avaient été sauvés, dans la joie de leur vivification en Christ, donnaient tout avec amour à leur Rédempteur. Ne nous faisons pas illusion sur nous-mêmes. Ne nous figurons pas être vivifiés en Christ, si nous n'en trouvons pas la preuve dans une transformation réelle de notre cœur.Sansdoute, l'œuvre peut être progressive et même très lente; il y a des enfants dont la croissance est difficile, que des maladies étiolent il faut longtemps quelquefois pour que la chrysalide s'élance brillante de vie dans l'air pur. Mais si l'âme appartient réellement à Christ, si la conversion est sincère, la puissance vivifiante du Sauveur agira un jour ou l'autre en elle d'une manière évidente.

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!

VERSET

6.- Quelles affirmations que celles de

quelle hauteur il nous montre dans la destinée chrétienne. Ce sont de telles expressions qui nous font taxer d'orgueil par ceux qui mais ne comprennent pas la pensée divine non, il n'y a pas d'orgueil à croire les déclarations de la parole de Dieu. Comprenons bien ce que l'Apôtre nous exprime. Il voit ici l'Eglise dans son ensemble, tant celle du passé que celle de l'avenir, et la contemple en Christ, dans l'état de gloire où l'Apôtre

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Dieu la veut. Sans doute, il y a encore des membres de cette Eglise luttant contre le péché, soumis à des épreuves humiliantes et douloumais le but final, le but auquel Dieu reuses conduit son Eglise, est la gloire, et dèsmaintenant, en Christ le chrétien peut se regarder possesseur de ces privilèges. Ah ! que de telles pensées nous élèvent audessus de cette piété terre-à-terre, à laquelle nous ne nous habituons que trop. Que ce ne soit pas pour nous un fait dominical, que de nous approcher ainsi de la parole de Dieu mais que ces mots géants employés par l'Apôtre, transportent nos âmes dans cette région, où le Saint Esprit de Dieu produit en nous des fruits de sainteté à la gloire de Jésus-Christ.

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25

JANVIER.

(EPH., II. 8, 9, 10.)

(Des occupations m'ayant empêchée de noter dès le lende-

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main cette méditation, je laissai passer la semaine, et ne pus en retrouver le plan complet dans ma mémoire je me bornai donc à ceci )

:

Sauvés par grâce. — Plénitude de la miséricorde divine. — Par la foi. — Action humaine. Cela ne vient pas de vous, c'est un don de —


Dieu. — Correctif immédiat pour qui voudrait trouver un mérite dans la foi. — Ce n'est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. Parfaitement explicite. —

Car noùssommessonouvrage, ayantétécréés en Jésus-Christ pour les bonnes œuvres, pour lesquelles Dieu nous a préparés, afin que nous

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y marchions.

But

sublime de Dieu dans la Rédemption fruits bénis de la grâce toute gratuite acceptée sincèrement à salut par l'âme. —

1"

FÉVRIER.

II. 11, i2,13.)

(EPH.,

La méditation de ce soir commence par une conclusion. C'estpourquoi, dit l'Apôtre, référant à ce que nous avons précédemment étudié sur l'humanité et les trésors la misère naturelle de la grâce de Dieu. Il décrit aux Gentils l'état où ils étaient par rapport à l'Israël de Dieu. Les Gentils mépri-

de

saient lesJuifs, et les Juifs formalistes avaient à l'égard des païens un mépris haineux. Ce sentiment n'était pas partagé de ceux qui formaient le vrai peuple de Dieu; chez oeux-là, comme aujourd'hui chez les vrais chrétiens, ily


avaït un sentiment douloureux à l'égardde ceux qui refusaient de croire en l'Eternel; mais il n'y avait ni haine, ni mépris. Mais voilà, JésusChrist est venu. Au moment où Rome écrasait la terre du pied de ses légions, au moment où tout souffrait, tout pleurait, tout gémissait, Jésus-Christ est venu.

Vous étiez en ce temps-là sans Christ3 séparés de la républiqued'Israël, étrangers par rapport aux alliances et auxpromesses,, n'ayant point d'espérance, et étant sans Dieu dans le monde. En examinant l'état décrit dans ce 12me verset, pensons bien que de nos jours, c'est encore celui des personnes qui, nées en des familles plus ou moins christianisées, ont refusé pour elles-mêmes, les richesses de la grâce de Dieu. Etre sans Christ, c'est l'abîme du désespoir, c'est ne plus voir devant soi qu'un nombre incertain d'années à passer ici-bas en des épreuves de toutes sortes, après quoi vient la mort, froide,

ténébreuse, sans issue. Séparés de la république d'Israët. Oui, — séparés de ce peuple mis à part pour jouir des bénédictions de Dieu. Ah ! dans cette république on n'entend pas le murmure, la plainte, car


toutes les douleurs y trouvent en Dieu leur consolation. Regardez ce qui se passe dans une prison de la Macédoine, où deux républicains d'Israël ont été mis. Leurs vêtements ont été lacérés, leurs corps frappés des verges des licteurs, leurs pieds serrés dans des entraves eh bien que font-ils est-ce qu'ils se plaignent Non. Ils chantent les louanges du Dieu auquel ils ont rendu témoignage, et le bénissent d'avoir pu souffrir pour son nom.

!

:?

?

Etrangers par rapport aux alliances et aux promesses. Oh combien dans une telle situalion, la maladie doit vous être onéreuse Que l'incertitude sur le pain quotidien doit vous être

!

!

amère ! Que la maladie de ceux que vous aimez doit vous causer de détresse! Que l'heure où ils ferment les yeux pour ne plus les rouvrir devant Ah nous comvous, doit être empoisonnée prenonsces murmures qui montent d'unesociété corrompue. La promesse de Dieu, c'est la force de la vie, le charme de toutes les douleurs. Le mâtin, je me lève, reposé par la nuit des fatigues du jour je remets mon harnais, peut-être précédent bien lourd, mais qu'importe Dans mon travail, dans mes épreuves du jour, j'ai pour moi les promesses de Dieu et le soir, fatigué, endolori,

!

;

?

;

!


je m'endors aux bras du Seigneur. Et puis, je vois à la fin de ma carrière, le salut donné par

:

mon Dieu. Je me dis

Quelques soleils encore, Et la nouvelle aurore Luira sur mon tombeau.

!!

Avec quelle délicieuse paix je Le tombeau puis y penser Dites, quelle sensation agréable n'éprouvez-vous pas (je parle à ceux qui ont de bons lits), lorsque le soir vous vous étendez sur votre couche dans un sentiment de bienêtre, vous reposant le corps et l'esprit dans le commencement d'un doux sommeil. Faible image du repos béni qu'anticipe le chrétien.

N'ayant point d'espérance, étant sans Dieu danslemonde. — L'espérance, comprenons-le, c'est l'attente patiente des biens que Dieu a promis. Et qu'êtes-vous sans cela? Un champignon dans un champ, sans liaison avec le passé ni avec l'avenir. Et l'avenir, pour le chrétien, c'est la pleine lumière, le développement infini de la vie dans l'amour. — Ou bien, vous êtes encore comme ces insectes éphémères que peu d'heures voient naître, se développer et mourir. Vous vous perdez comme le ciron dans les brumes du soir, pour fàire place aux autres éphémères qui doivent naître demain.


Mais, nous dit l'Apôtre, maintenant, étant en Jésus-Christ, 'voús qui étiez autrefois éloignés, vous avez été rapprochés par le sang de Christ.

Etre en Jésus-Christ. Que de choses en ces trois mots Les comprenez-vous, formaliste, qui portant le nom du chrétien comme le portent tous ceux qui sont ici, n'avez jamais su ce qu'est le repentir, le renoncement à votre propre nature par la foien Jésus-Christ; vous

!

qui ne comprenez ni le devoir de sanctifier le Dimanche, ni celui de travailler les six jours de la semaine, et qui marchez suivant votre volonté propre? Et, pensez-y, c'est par le sang de Christ, que l'âme peut arriver à cette situation. Etre en Jésus-Christ. Ne raisonnez pas, ne discutez pas. Ne dites pas que Dieu, s'ille voulait, pouvait vous pardonner sans ce sacrifice. Non regardez à ce qu'il y avait au contraire d'indispensable dans ce sacrifice pour concilier la justice et l'amour.

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Voyez comment chaque goutte du sang de Christ coula en proclamant la malice de l'homme, instrument de son supplice, et la miséricorde infinie qui pardonne. Pensons à ces douleurs rendues immenses par la nature di-vine

-

qui les endura, à cet Etre, parfaitement humain


et parfaitement divin, qui concentra sur Lui les douleurs méritées par une race déchue et nous acquit le pardon et le salut. Allons à Lui, dans un amour tout de reconnaissance et d'humilité, nous dévouant pour le servir et nous réjouissant en son salut.

FIN.









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