Anders Zorn peintre et aquafortiste, 1907

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GAZETTE des

BEAVXARTS JANVIER 1907

PARIS 8, RUE FAVART (2e)

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Cliché Hubert Balagny.

PORTRAIT D'itRKEST RENAN, D' APRÈS L* EAU-FORTE DE

M.

À2ÏDKRS ZORN

ARTISTES CONTEMPORAINS

ANDERS ZORN PEINTRE ET AQUAFORTISTE Depuis le xvne siècle, des relations très étroites, portant sur le domaine de l'art et des lettres, se sont établies entre la France et la Suède. Celle-ci doit beaucoup à celle-là. La France fut, en effet, la grande éducatrice du peuple scandinave, éducatrice bienfaisante, dont les conseils formèrent pendant plus de deux siècles les ar-

tistes sincères

de

la Scandinavie.

Mais dès que les Wickenberg,

CUeho Hubert IJaluyny.

PORTRAIT DE M. ANDERS ZORN PAR LDI-MÊME, EAU-FORTE

les Malmstrôm, les Nordenberg, les Cederstrom et autres s'avisèrent de mépriser les inspirations du goût français pour suivre les leçons des maîtres


de Munich ou de Dusseldorf, l'art devint plus allemand que suédois. Les tempéraments originaux, curieux de la vie dans ses mani-

festations multiples, oublièrent toutes traditions nationales et s'asservirent à des procédés d'école. L'étouffement des personnalités aboutit à des ouvrages de copistes, se traînant invariablement à la suite des praticiens de l'art d'outre-Rhin. La révolte des artistes suédois contre l'Académie de Stockholm date seulement d'une vingtaine d'années, et, depuis vingt ans seulement, les artistes suédois sont parvenus à réaliser des œuvres par quoi chacun manifeste, dans les limites de son tempérament individuel, cette illusion de réalité vivante, qui est le propre de l'art, si ce n'est sa fin essen-

tiellc. La plupart se sont instruits à Paris, mais c'est dans l'observation véridique des choses animées ou inanimées qu'ils ont rencontré la poésie de leurs œuvres. De tous ces artistes attentifs aux apparences simples des corps dans la lumière crue et dure de l'atmo-

sphère du Nord, de ces réalistes, ambitieux de rendre, plus en coloristes qu'en psychologues, dans un sentiment harmonieux des lumières, des scènes humaines de vie populaire, des visions de la nature du Nord, M. Zorn se montre peut-être le plus significatif, du moins en tant que portraitiste et peintre d'études de plein air ou

d'intérieur. Anders Léonard Zorn, déjà en possession d'une réputation judicieusement établie auprès d'une élite d'amateurs des deux Mondes, est venu de mai à juin de l'an dernier chercher à Paris une sorte de couronnement suprême à sa belle et riche carrière de peintre, d'aquafortiste,voire de sculpteur, carrière riche en œuvres hautement expressives et vivantes, féconde en leçons significatives et en exemples d'une singulière puissance'. Dans les galeries DurandRuel se tint peut être se souvient-on encore de cette manifestation retentissante une exposition d'ensemble de son œuvre durant les quinze ou vingt dernières années. On avait disposé aux cimaises la suite de ses toiles principales et ses travaux d'aquafortiste en presque totalité; on y avait joint une douzaine d'aquarelles et quelques-unes des petites figures que l'artiste taille dans le bois, en tint du il mai au 16 juin 1906, M. Henry Marcel, ancien directeur des Beaux-Arts, administrateur général de la Bibliothèque Nationale, voulut bien écrire les quelques pages de préface du catalogue, préface qui garde la valeur d'une monographie vivante et expressive de l'artiste et de son talent.

d.Pour cette exposition, qui

se


MUSIQUE EN FAMILLE. PAR M. ANDERS ZORN


manière de divertissement, quand la tempête ou le mauvais temps le confine la-bas, tout là-bas, dans sa Dalécarlie natale, aux lacs transparents et miroitants comme l'acier, aux feuillages d'un vert attendri, et aux habitants en pleine santé musculaire et mentale. Ce fut réellement une de ces expositions dont on se plaît à dire qu'une visite y instruit mieux que tant de vagabondages à travers les « foires aux tableaux », honorées du nom de « Salons ». Le public, le grand public parisien, généralement rebelle aux Écoles •étrangères, quand un « snobisme » imprévu ne le passionne point à l'égard de certains, fut charmé, conquis, par le talent prestigieux de l'artiste aussi habile à animer toute composition picturale qu'à faire surgir des hachures de la planche les formes de beauté ou de bonté, les attitudes de défi ou de résignation qui constituent les individus. Dans le fait, on goûta surtout à cetle manifestation la joie de renouer connaissance avec une des plus vivaces, une des plus contemporain, oubliée de « fortes » personnalités de l'art étranger la foule depuis onze ans. Sans doute, un groupe de critiques et d'amateurs parisiens avait su apprécier dans sa plénitude l'art robuste, sain et d'une noble gravité puisée aux fjords scandinaves; sans doute encore, l'Angleterre et les pays transatlantiques recherchaient la vision solide, lumineuse et précise d'Anders Zorn, plus soucieux de tracer l'image de la vie intime qu'attentif aux prétextes de virtuosités laborieuses; mais le maître suédois, autrefois familier des Salons et de la vie de Paris (il y demeura huit ans, de 1888 à 1896') se tenait loin de la « cité d'art ». L'Exposition universelle de 1900 l'avait mis au premier rang de la jeune école scandinave, si éprise de la réalité esthétique, si passionnée de vie intime, familiale et cordialement séduisante. Elle salua Zorn comme un maître national, en qui se résumaient toutes ses nouvelles aspirations, toutes ses tendances modernistes, orientées vers la représentation sincère et lumineuse de la Nature. On renonçait sans esprit de retour à la naïveté fade et aux procédés puérils jadis pratiqués dans les ateliers des maîtres allet. Il a participé aux Salons de la Société des Artistes français où Castagnary lui acheta le Pêcheur, qui appartient aujourd'hui au musée du Luxembourg,

puis, aux Salons de la Société Nationale des Beaux-Arts. Des eaux-fortes de lui parurent également aux expositions des Peintres-Graveurs. Rappelons que la Gazette a publié, dans sa livraison du 1er mai 1891, le portrait à l'eau-forte de M"' Rosita Mauri.


mands. Les nouvelles générations ne connaissent plus les éclairagesconventionnels et les tonalités d'une lourdeur, d'une gaucherie en quelque sorte traditionnelles. L'art de Manet, l'art de Monet, l'art de Sisley, même l'art de Renoir, ont fécondé les artistes scandinaves. L'avenir, c'est de transmettre aux temps futurs, c'est de révéler aux pays de l'Europe centrale la noblesse et la beauté un peu fruste des Scandinaves de nos jours, le charme de l'atmosphère, dont la transparence d'une pureté idéale confère au décor un aspect inconnu en d'autres contrées. Pour les contemporains des regrettés Edelfelt et Thaulow, des. Krôyer et des Carl Larsson, la vie douce et recueillie du foyer, la vision de la mélancolique et robuste nature des régions septentrionales, baignées d'une lumière vierge et d'une beauté âprement insinuante, valent mieux que les évocations épiques des légende» fabuleuses la peinture rétrospective les touche peu, et ces artistes. d'une si rare probité préfèrent aux compositions féeriques inspirées des « sagas », aux vastes toiles brossées d'après des recettes dérobées à l'atelier éducateur, l'interprétation de scènes de leur temps, la reproduction des décors familiers de l'existence coutumière. Ainsi, la vie et les mœurs d'une humanité qui semble emprunter aux brises salubres et fortifiantes du large sa robustesse morale et physique, ont rencontré dans les disciples des nouvelles écolesseptentrionales des notateurs d'un art sans apprêt et d'une sincérité noblement convaincue. Cette évasion des traditions surannées du vieil art germanique, où en trouver la réalisation la plus parfaite et la plus expressive,. sinon chez Leonard Anders Zorn? Son origine rustique il naquit le 18 février 1860, à Mora, non loin de Falun (Suède), dans un milieu de simples paysans dalécarliens, la formation originale et spontanée de son talent, la verve native de sa facture, d'une heureuse audace en son temps, la précision ferme et alerte de sa touche, et, par-dessus tout, cet ensemblede caractères, le sentiment profond, vivace, intime de la réalité, assignent à Zorn une place toute personnelle parmi les maîtres de l'art étranger contemporain. Né paysan, et paysan de ces régions de moyen Septentrion où l'amour de la mer se confond avec l'amour de la nature, il a jailli de ce double amour de la nature et de la mer. comme artiste Humble berger gardant les troupeaux dans les forêts lumineuses et. verdoyantes, il s'éveilla, en pleine solitude, à l'admiration de ces.


spectacles émouvants pour toute intelligence que suscitent les jeux des clartés translucides sur les arbres et les floraisons, les miroitements des astres sur la surface des eaux. Le sol natal fut son premier

éducateur. Renouvelant, à plusieurs siècles de distance, le miracle de Giotto berger, il copia d'abord les habitants de son décor familier; ce furent des paysans comme lui, des filles de ferme, des conducteurs de bestiaux, des marins aux visages rudes et aux accoutrements déformés par les embruns; ce furent aussi des coins de ce pays de Dalécarlie où il vécut, où il aime encore à retourner, entre deux passages à Paris, à Londres ou à New-York auprès de cette clientèle des riche et internationale dont il a laissé un peu partout effigies merveilleuses d'individualité, étonnantes de réalité vivante. L'amour profond du pays natal, de ses habitants et de ses mœurs est la source vive qui inspira ses plus belles oeuvres. Aussi bien, à peine pourvu des rudiments de l'enseignement primaire acquis à l'école de Mora, il se livra à des études de plein air dans les forêts environnantes. De 1879 à 1881, c'est le séjour à l'Académie royale des Beaux-Arts, à Stockholm, où il fait l'apprentissage scolaire des procédés techniques. Déjà, pour se procurer quelque argent, son crayon évoque, à l'intention des périodiques illustrés, scènes et figures de sa chère Dalécarlie. Les riverains du lac de Silian, dont les eaux reflètent les maisons de Mora, lui fournissent des types de femmes aux costumes de fourrure, aux lourds cheveux blonds, aux joues pleines de santé, des portraits d'enfants adorablement joufflus, d'une gravité sincère et comique à cet àge. La Dalécarlie sera la grande inspiratrice de son œuvre. Les musées de Stockholm, de Gôtheberg, de Budapest, possèdent des scènes populaires où les couleurs vives et fulgurantes des costumes dalécarliens jettent une note de vigueur et de joie bruyante. Et les paysages de mer, comme Saint-Yves (Cornouail/es), Pêcheurs, à notre musée du Luxembourg, formeront les motifs de nombre de ses tableaux. Cependant, à un si riche tempérament, qui s'était déjà mesuré avec la Nature elle-même, il fallait autre chose que la création d'œuvres conformes à l'enseignement reçu, fidèles à des lois esthétiques proclamées ex cathedra, il fallait la vision directe des chefsd'œuvre illustres, la méditation et l'étude devant les toiles où les dieux de l'art immortalisèrent leur génie. Et, comme le berger de la veille, nouveau-né à la vie de l'art, apportait la même passion


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NOTRIÏ PAIN QUOTIDIEN », PAR M.(Collection «le M. Hentze.)

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aux merveilles du temps passé et aux spectacles de la vie moderne, il alla faire ses dévotions aux maitres du Louvre, puis aux Goya et aux Velazquez de Madrid. L'Italie miroir aux alouettes pour tant d'artistes riches d'espoirs émerveilla Zorn, mais le captiva moins que la France et l'Espagne, où la vive individualité des habitants, le relief des mœurs, la liberté des allures convenaient davantage au goût personnel de l'homme du Nord. Certes, les héritages laissés par les civilisations somptueuses onl, dans l'Italie et ses villes aux noms évocateurs, Florence, Venise, Ravenne, Rome même, un cadre admirable qui offre des enseignements féconds aux visiteurs enthousiastes de la vie du passé. A ceux qui s'adonnent aux reconstitutions, qui interrogent l'art d'autrefois, quel séjour fécond Mais pour un Zorn, comme pour un Besnard, un Whistler ou un John Sargcnt, un voyage en Italie, c'est un moyen d'éducation nécessaire en vue de mettre au point l'harmonie lumineuse des décors modernes. Par comparaison, l'œil du peintre discerne avec pénétration la pénombre attristée des paysages de jadis et les flots de clarté décroissante qui inondent le tumulte âpre et impitoyable de la vie contemporaine. Voilà pourquoi, sans doute, Anders Zorn tira de ses séjours en France, en Angleterre et en Allemagne un si grand profit de métier. Mais il entre dans son esprit et dans son art une part prédominante de formation française. Ses portraits sont d'une exécution aisée et large. Solidement construits dans une tonalité lumineuse, ils rappellent l'esthétique de M. Albert Besnard. Et. le charme de toutes ces physionomies d'amis, d'amateurs, voire d'« officiels », comme le portrait de S. M. Oscar II, roi de Suède, ou le portrait du prince Charles,c'est l'habileté de l'artiste saisir les caractères apparents des ligures, c'est son art de composition qui inscrit dans les plans du visage, dans le vif de l'attitude, la permanence des individualités, le « personnalisme des modèles. Il procède par larges touches, d'une brosse alerte et spontanée. Pas de crayonnage préalable. Dans lcs toiles à disposition complexe, une ébauche peinte de verve, toute de prime-saut, lui fournit les références nécessaires pour les tons et les valeurs. La méthode permet des toiles vivantes, exécutées dans la fouguc de l'improvisation, des effigies où les êtres sont saisis dans leurs mouvements quotidiens, avec cette transparence d'atmosphère à laquelle ils empruntent partie de leur apparence extérieure.


L'cxpansive cordialité des personnages ou leur réserve discrète gagne beaucoup à une telle interprétation. Bien que l'artiste prodigue sur les toiles les grandes zébrures et paraisse- au travail

Clicîlé Robert balagny

PORTRAIT

DE m.

1)' e s to u r

d'après l'eau-hortl:

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l l e DE constant

DE M. ANDERS ZORN

si harmose livrer à de vastes esquisses, sa vision du monde est

nieusement proportionnée, sa pénétration de chaque être humain présente une telle précision, que, sous son pinceau chargé de riche matière, les combinaisons de formes s'effectuent sans discordances.


Au recul, ce sont des ensembles qui caressent lc regard et des physionomies o fier tes dans la réalité de l'action momentanée. Zorn portraitiste ne s'apparente point seulement à M. Besnard comme luministe audacieux soucieux de vérité humaine: mainte toile

où il nous intéresse au mouvement d'une paysanne prête à nouer ses cheveux du ruban rouge des femmes dalécarliennes, où il nous attire par le sourire inviteur d'une jolie personne en robe rouge qui se dispose à quitter la taverne, de dépit d'un rendez-vous manqué [Effet de nuit), mainte délicieuse élude de femme, éveillent à

notre souvenir l'écho de la facture somptueuse et lumineuse de Sargent, le Sargcnt des carnations blondes et des i-oies miroitantes. De tous les artistes qui s'essayèrent à perpétuel" la séduction fugace de la beauté féminine, Andcrs Zorn, est du reste, de l'avis de ceux qui eurent l'occasion de voir les quarante toiles de l'an dernier, l'un des plus prestigieux interprètes; mais la beauté, dont il reproduit sur la toile ou sur la planche, la grâce un peu sévère ou la réserve distinguée, n'a rien de l'élégance cosmopolite des caravansérails européens; les femmes de son pays, aux attaches robustes, aux chairs neigeuses, ont fourni à ses études de nu des motifs d'une sensualité ardente et saine, sans nul de ces sous-entendus trop fréquents dans les œuvres de décadence. Soit que, dans le Sable ronge, il fasse, sur la pente d'un ravin dont on aperçoit, à travers arbustes et plantes, le fond de sable rouge, s'avancer une « nymphe » aux formes pleines et vigoureuses, soit que la Femme à la couverture surgisse devant le foyer, dont les flammes projettent de vibrants reflets le long de ses membres ou caressent de molles rondeurs, c'est la passion toujours égale d'un fervent de la beauté féminine, non la beauté aux formes mièvres et alanguies, aux gestes menus, mais la beauté robuste et franche irradiant en sa splendeur fruste et superbe dans ces paysages si voisins de la nature inviolée. Bref, ici comme en tant d'autres de ses toiles, Zorn, suivant la remarque très fine de M. Henry Marcel, « Zorn reste toujours un paysan aux bras musclés pour étreindre la réalité nue ». Mais regardez surtout les physionomies. On peut y lire sans trop de peine le caractère et la destinée; c'est ainsi qu'on devine l'existence quasi végétative de la Vieille bergère qui lance dans sa trompe de cuir des appels aux troupeaux, tandis que, de toutes paris, hautes herbes et rideaux de saules l'enserrent; de même, V Horloger de Mora se montre le pauvre bonhomme pitoyable et chétif, cloîtré dans sa carrière de cloporte de bourgade.


A ces anecdotes contées non sans sécheresse, l'on préfère volontiers les effigies où l'auteur s'adonne en pleine maitrise à la repré-

sentation de personnages notoires, comme dans le Toast

à

la Société

Cliché Robert Balagny.

JOUEUSE DE GUITARE, D* APRÈS

L'

EAU-FORTE DE M. ANDERS ZORN

Idun, qui passe, à bon droit, pour le chef-d'œuvre de Zorn portraitiste. Le principal acteur, le docteur Wieselgren, porteur du toast, nous est rendu à l'instant même de son mouvement: expansif,


tandis qu'aux plans secondaires les assistants, llildebrand, Kcy et Nordenskiold, se tiennent dans la sincérité de leur attention. Le portrait du Roi Oscar Il, assis sur un fauteuil aux chantournements dorés, en habit, le cordon bleu barrant, la poitrine, est une œuvre d'une suprême distinction de couleur, dans une note de sobriété qu'avive le bleu soyeux du cordon entre le blanc du plastron et le noir du gilet. Remarquable également et d'une singulière acuité de vision, le portrait de M. Alfred Beurdeley, le collectionneur bien connu et l'un des intimes de l'artiste. Les portraits de Spvller, de iM. Faure de l'Opéra, de Coquelin cadet, de M"1' Tiosi/a Mmiri, de M. Mauri père sont des toiles où sont prodiguées, d'une manière étonnante, ces mérites d'observation et ce sentiment harmonieux des valeurs si peu répandu, de nos jours. Si le petit nombre de toiles présentées ne donnait qu'une idée encore imparfaite de la supériorité clfeclivc dc M. Andcrs Zorn comme peintre, la centaine d'épreuves exposées chez Durand- Ruel révélait, à ceux qui l'ignoraient, un maître aquafortiste, singulièrement expressif et vivant, qui transportait, dans le travail de la pointe, les qualités de fougue et de sincérité vibrante qu'il manifeste dans le travail du pinceau. La haute valeur d'originalité de l'aquafortiste était universellement connue depuis nombre d'années. Les amateurs qui recherchent la facture large et hardie dans le travail de l'cau-forte, qui se plaisent aux images exécutées avec la maîtrise du clair obscur, ont donné droit de cité, voilà bien longtemps, aux épreuves de Zorn. Zorn graveur surprend c'est d'ailleurs un sentiment unanime à un plus haut degré que Zorn peintre. Tandis que l'aisance prestigieuse du coloriste n'est pas sans évoquer constamment le souvenir de tant de maîtres étrangers auxquels l'apparente son art de peintre, les hachures obliques et parallèles de ses planches laissent une singulière impression de charme et de puissance; la technique du graveur et son habileté en font, sans contestation, un maître dans l'cau-forte, et un maître savoureusement personnel. A ceux qui réservent place, dans leurs portefeuilles, aux épreuves de Zorn, le catalogue dressé par M. Fortunat von Schubcrt-Solden servira de guide'. C'est à notre connaissance du moins le seul travail un peu complet sur l'œuvre du graveur. On y trouve la description des la cent cinquante-cinq pièces qui formaient à la date de 1904 radierle Werk des Anders Zorn, bearbeitet von Fortunat von SchubcrtSolden. Dresden, Ernst Arnold, 490">, in-8. 1. Das


LE MUSICIEN DE VILLAGE EAU-FORTE ORIGINALE DE

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M.

ANDERS ZORN



totalité de l'œuvre gravé, les états différents de chaque pièce, l'indication des collections publiques ou l'on peut les consulter. Parmi ces dernières, la Bibliothèque Nationale prendra rang désormais M. Alfred Beurdeley a, en effet, à la suite de l'Exposition de 190G, fait don de son inestimable collection d'eaux-fortes à notre Cabinet des estampes, et M. Zorn y a joint, d'un entier désintéressement, les pièces qui faisaient défaut. Voilà chacun à même de goûter l'enveloppement séduisant de Zorn, de s'étonner à la vue de telle planche où l'artiste rend sur le vif le regard du moment, le geste naissant! Dès Étude de femme, un de ses essais dans l'art de l'eau-forte, l'originalité et la fraîcheur de sa manière s'affirment. Anders Zorn évoque, dans des zébrures d'une exécution emportée et forte, les palpitations et la vie des corps, les abandons et les coquetteries de la beauté féminine si malaisés à exprimer, les reflets des clartés astrales et la lente ondulation des arbustes, ces oppositions de crépuscule envahissant qui font, de toutes choses, un vaste chaos, Où l'imprécis au précis se joint,

conformément au vers fameux de Paul Verlaine. De là, un effet prestigieux, fort saisissant dans les transpositions de ses toiles maîtresses, comme ces baignades de plein air où la femme et la mer, le nu et la nature s'unissent en un merveilleux poème de paganisme. Mais ces chefs-d'œuvre, il ne parvint à les réaliser qu'après avoir usé des procédés un tantinet minutieux des graveurs de reproduction. Aujourd'hui où l'aquafortiste est parvenu à l'épanouissement d'un talent vraiment « rembranesque » (car le mot « génie est le privilège de la postérité), nous pouvons apprécier sans arrière-pensée tant de chefs-d'œuvre de gravure, dont l'enveloppement nocturne laisse surgir de l'ombre mouvante, devant le spectateur ébloui (le spectateur au sens latin!) les innombrables effigies originales comme celle de llodin ou celle de M. lïerthelot, gravées à son récent séjour, ou encore ces improvisations de jadis intitulées Ernest Renan un Renan que, pour mon sentiment personnel, je mettraisen tête de l'oeuvre gravé de Zorn Miss Burnclt au piano, Mistress Grover Cleceland, M"" Zorn. Et à ce maître de l'eau-forte se surajoute un sculpteur d'un caractère très original, qui se forma de lui-même, en réalité, bien qu'il ait fréquenté l'atelier de sculpture de l'Académie de Stockholm. Anders Zorn imita même, à l'origine, et bien inconsciemment! les


statuaires des âges héroïques de l'hellénisme, en polychroman ses naïves sculptures à l'aide du jus des myrtils, mêlé à certaines substances colorantes empruntées aux fleurs des forèts nationales, il teignait ses essais, qui visaient à copier les bêtes de son troupeau. Ensuite, il tailla en buste, avec une sûreté prodigieuse, le portrait de sa mère et celui de sa grand'mère. Il se révélait d'un talent parfait dans l'art de travailler le bois. Sa statue de Gustave Wasa fugitif jouit d'une réputation universelle. Devant l'église de Mora, sur un tertre, s'élève le groupe représentant Gustave Wasa déguisé en paysan et demandant son chemin à des paysans. Tel est le maître suédois, de qualités si brillantes, à qui l'on a déjà reproché sa coutumière prédilection pour les spectacles vivants et turbulents, pour les visions bariolées, pour les oppositions tranchées d'éclairage et le jeu des reflets de paysage sur les ondes. Certes, ce serait un tort de demander à cet amoureux de formes et de couleurs une curiosité psychologique. M. Zorn est un peintre, et un « beau peintre », maître souverain du coloris, mais c'est surtout, bien supérieurement à sa valeur de peintre, un aquafortiste d'une réelle puissance qui transporte sur la planche, comme sur la toile, les visions de réalité pittoresque, les effigies apparentes des individus, sans se soucier du secret de leur caractère, sans avoir la moindre ambition d'analyste ou de philosophe. La nature apparait à l'artiste comme un spectacle de formes et de couleurs, il convient d'insister là-dessus; et léguer à l'avenir la vision de ces formes et de ces couleurs, n'est-ce point la mission de l'artiste? Pour toute intelligence consciente des lois de la vie, Léonard Andcrs Zorn n'est pas seulement le maître de l'art scandinave contemporain il peut servir de rare et parfait exemple des lois esthétiques qui semblent régir la formation d'une humanité impatiente de perfection saine. É DOUARD

A N D É R


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