Cette version est un aperçu numérisé de l’art c’est mon cul, écrire entre les lignes, lequel a été pensé pour être un objet édité : ce document s’il est proche de la version imprimée ne peut rendre compte de l’expérience de lecture conçue par son auteur.
Pour plus d’information : Diego.guglieri@gmail.com www.diego-gdv.tk
L’art c’est mon cul, ÉCRIRE ENTRE LES LIGNES
DIEGO GUGLIERI DON VITO Essai suivi par Lionnel Gras Option Construction, HEAD — Genève, 2014
L’art c’est mon cul, écrire entre les lignes
DIEGO GUGLIERI DON VITO Essai suivi par Lionnel Gras Option Construction, HEAD — Genève, 2014
En couverture : Benjamin Vautier, L’art c’est mon cul, 1967, affiche pour les événements et l’exposition le Hall des Remises en Question, Galerie Ben Doute de Tout, Nice, France. Ci-Contre : Stylo Parker (vendu en papeterie et grande surface), signé par Benjamin Vautier.
Diego Guglieri Don Vito, Lilliput/Blefuscu, 2013, 5 socles surmontés d’un œuf (1m60), métal peint, œufs
L’emprunt de ces deux titres à Benjamin Vautier est une manière d’introduire la question suivante : est-il réellement possible d’avoir une pratique artistique subversive ? En premier lieu, je serais tenté de répondre par l’affirmative. Mais à bien y regarder, il s’avère que le milieu de l’art est par définition un espace de liberté qui encourage à remettre en cause ce qui est établi. Or est-on encore subversif lorsque cette posture est cautionnée par un cadre institutionnel ? Il y a véritablement un paradoxe au cœur de cette question et il s’avère évident qu’on ne pourra formuler de but en blanc une réponse affirmative ou négative, qu’il faudra au contraire avancer un propos nuancé. Si je me m’interroge à ce sujet, c’est principalement parce que ma pratique, remet en cause certains aspects de la société au sein de laquelle je vis, sans que je ne sois en mesure de m’y soustraire. En déroulant ainsi cette pensée, je me trouve confronté à ce dilemme : à savoir une critique est-elle toujours valide, quand bien même elle proviendrait d’un acteur de l’objet remis en cause ? Considérant que la subversion est ce phénomène de retournement depuis l’intérieur, je décide d’en explorer les tenants et aboutissant en gardant la réserve suivante : cet essai est mené dans le cadre d’un diplôme, il sera validé -ou non- par l’institution qu’est l’école d’art, mais si il est validé ne sera-t-il pas ainsi désamorcé ?
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Avant de commencer, il est nécessaire de préciser la notion de subversion abordée dans le texte suivant. Considérons deux définitions, l’une commune issue d’un dictionnaire général, l’autre plus personnelle venant préciser la première.
« Subversion : subst. fém. Action de bouleverser ; de détruire les institutions, les principes, de renverser l’ordre établi. Synon. renversement, révolution, sédition ; anton. conformisme.1 » De cette définition se dégage l’idée de renverser l’ordre établi, afin d’être précis il est nécessaire de considérer la manière dont celui-ci se produit. Considérons deux types de retournements, définis par les causes qui les amènent à se produire : le premier est un renversement résultant d’événements extérieurs le second est à l’inverse provoqué de l’intérieur. C’est ce dernier type qui m’intéresse, soit la subversion comme opération de renversement depuis l’intérieur de l’objet subverti. Par pratique subversive, j’entends donc un ensemble d’actes visant à bouleverser une situation donnée, au sein même de l’environnement depuis lequel elle prend forme. Ainsi la subversion, à l’inverse de la révolte, ne présente pas à première vue de caractère violent ou brutal. Elle utilise, pour le critiquer, les outils du système qu’elle remet en cause. Il peut également être utile de la définir par antonymie : elle n’est pas le conformisme qui consiste à suivre un système, à régler son avis en accord avec la pensée dominante sans en saisir les aboutissements. On peut affirmer que la subversion découle d’une position critique. Considérons un système démocratique, ce dernier nécessite de laisser en son sein une place à la critique pour ne pas glisser vers le totalitarisme : s’il autorise sa propre critique, il admet le risque de sa remise en cause. C’est précisément cet entre-deux
Source TLFI, trésor de la langue française informatisé, http://www.cnrtl.fr/definition/, consulté en avril 2014.
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Lilliput/Blefuscu est une installation comportant 5 socles cylindriques blancs dressés en équilibre, chacun surmonté d’un œuf. Les œufs sont à la fois mis en valeur et en danger par leur socle. Leur accession au sommet peut être remise en cause à la moindre perturbation. La pièce entretient un rapport particulier au public au sens ou celui-ci met en danger la pièce en s’en approchant. S’il veut en observer les détails, il doit accepter l’éventuel accident qui risque de se produire. Le titre de la pièce est une référence au roman de Jhonathan Swift, le premier voyage de Gulliver. L’auteur use d’une fiction pour mettre en scène les absurdités se déroulant dans la société de son époque.
Diego Guglieri Don Vito, Lilliput/Blefuscu, 2013, 5 socles surmontés d’un œuf (1m60), métal peint, œufs
L’emprunt de ces deux titres à Benjamin Vautier est une manière d’introduire la question suivante : est-il réellement possible d’avoir une pratique artistique subversive ? En premier lieu, je serais tenté de répondre par l’affirmative. Mais à bien y regarder, il s’avère que le milieu de l’art est par définition un espace de liberté qui encourage à remettre en cause ce qui est établi. Or est-on encore subversif lorsque cette posture est cautionnée par un cadre institutionnel ? Il y a véritablement un paradoxe au cœur de cette question et il s’avère évident qu’on ne pourra formuler de but en blanc une réponse affirmative ou négative, qu’il faudra au contraire avancer un propos nuancé. Si je me m’interroge à ce sujet, c’est principalement parce que ma pratique, remet en cause certains aspects de la société au sein de laquelle je vis, sans que je ne sois en mesure de m’y soustraire. En déroulant ainsi cette pensée, je me trouve confronté à ce dilemme : à savoir une critique est-elle toujours valide, quand bien même elle proviendrait d’un acteur de l’objet remis en cause ? Considérant que la subversion est ce phénomène de retournement depuis l’intérieur, je décide d’en explorer les tenants et aboutissant en gardant la réserve suivante : cet essai est mené dans le cadre d’un diplôme, il sera validé -ou non- par l’institution qu’est l’école d’art, mais si il est validé ne sera-t-il pas ainsi désamorcé ?
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Avant de commencer, il est nécessaire de préciser la notion de subversion abordée dans le texte suivant. Considérons deux définitions, l’une commune issue d’un dictionnaire général, l’autre plus personnelle venant préciser la première.
« Subversion : subst. fém. Action de bouleverser ; de détruire les institutions, les principes, de renverser l’ordre établi. Synon. renversement, révolution, sédition ; anton. conformisme.1 » De cette définition se dégage l’idée de renverser l’ordre établi, afin d’être précis il est nécessaire de considérer la manière dont celui-ci se produit. Considérons deux types de retournements, définis par les causes qui les amènent à se produire : le premier est un renversement résultant d’événements extérieurs le second est à l’inverse provoqué de l’intérieur. C’est ce dernier type qui m’intéresse, soit la subversion comme opération de renversement depuis l’intérieur de l’objet subverti. Par pratique subversive, j’entends donc un ensemble d’actes visant à bouleverser une situation donnée, au sein même de l’environnement depuis lequel elle prend forme. Ainsi la subversion, à l’inverse de la révolte, ne présente pas à première vue de caractère violent ou brutal. Elle utilise, pour le critiquer, les outils du système qu’elle remet en cause. Il peut également être utile de la définir par antonymie : elle n’est pas le conformisme qui consiste à suivre un système, à régler son avis en accord avec la pensée dominante sans en saisir les aboutissements. On peut affirmer que la subversion découle d’une position critique. Considérons un système démocratique, ce dernier nécessite de laisser en son sein une place à la critique pour ne pas glisser vers le totalitarisme : s’il autorise sa propre critique, il admet le risque de sa remise en cause. C’est précisément cet entre-deux
Source TLFI, trésor de la langue française informatisé, http://www.cnrtl.fr/definition/, consulté en avril 2014.
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Diego Guglieri Don Vito, Lilliput/Blefuscu (détail), 2013, 5 socles surmontés d’un œuf (1m60), métal peint, œufs
Simon Nicaise, Sans-Titre, 2012, Ballon, Aiguille, 40 cm x 20 cm x 20 cm
Diego Guglieri Don Vito, 502, 2011, sable, 20 cm x 450 cm x 450 cm, Parc Alfred Bertrand, Genève, Suisse.
qu’exploite la pratique subversive, une position confrontant le cadre à sa critique. Pour tenir, cet équilibre nécessite de faire appel à une part d’objectivité, d’analyser les enjeux qu’il mobilise. Cette recherche est réalisée dans le contexte suivant : il répond à la nécessité de produire une réflexion à propos des enjeux de ma pratique artistique. Aussi, j’ai la volonté de confronter l’objet d’art à l’espace consacré. L’espace d’art est une structure offrant une certaine liberté, mais je m’interroge à propos du potentiel dépassement de ce cadre par l’œuvre. Cela passe par sa réception, ouvrant la question de l’altérité : j’ai la volonté de considérer l’accueil qui est fait de l’œuvre comme catalyseur de son potentiel subversif : la lecture d’une pièce d’art intervient comme composante de cette dernière. C’est pourquoi je fais le choix de regrouper les exemples au sein d’une lecture dont l’objet est la recherche sur la capacité de ces pièces à provoquer un retournement. Je sélectionne des exemples d’œuvres de quatre artistes différents. Le choix de ces œuvres découle d’une similitude formelle, sémantique ou contextuelle avec ma pratique. C’est ainsi un moyen de prendre un certain recul avec mon travail de manière à cerner avec précision les enjeux soulevés par celui-ci. Parlant de subversion on pourrait penser que l’art hors des espaces consacrés serait un exemple propice à illustrer ce phénomène. Je m’intéresse à la remise en cause prenant forme au sein d’un cadre institutionnel : finalement la pratique hors de ce cadre s’affranchit de son autorité, aussi j’ai la volonté d’étudier ce phénomène lorsqu’il se frotte à sa contrainte et non lorsqu’il s’y soustrait.
C’est pourquoi je n’évoque pas au sein de cet essai la question de l’art dans l’espace public. Essayons de préciser l’instant zéro d’un phénomène subversif, le moment où l’on peut considérer qu’il commence à se produire. Ce début intervient dans l’esprit d’une personne : il apparaît que la subversion se manifeste dans un mode de pensée, venant le perturber pour en changer son fonctionnement. Un acte subversif ne s’adresse pas nécessairement à un individu seul, il peut se produire au sein d’un système qui n’est autre qu’une construction d’un ou plusieurs esprits. Ainsi la composante minimale et nécessaire à l’apparition d’un phénomène subversif est finalement l’humain, au sens où un acte subversif est une forme intellectuelle émanant d’une personne s’adressant à une autre : dans le cadre de l’art, un artiste s’adresse au public. Suivant ce raisonnement, il se pose la question de l’effet : un acte pour être subversif nécessite d’avoir un impact, quand bien même celui-ci n’est pas mesurable immédiatement ; on peut considérer qu’un acte ou geste qui ne produirait aucune conséquence serait bien difficilement qualifiable de subversif. On étudiera un acte artistique qui a pour effet la modification d’un système de pensée. Le premier de ces gestes artistiques est une sculpture de Simon Nicaise : Sans-Titre (2012, ballon percé et aiguille) est propice à l’entrée en matière au sens où cette composition apparaît à première vue relativement inoffensive et pourtant après une lecture attentive, elle se révèle être plus que ce qu’elle semble. En regardant la pièce, on peut y voir un ballon de baudruche blanc percé d’une aiguille. De prime abord, la forme paraît assez banale puisque le ballon exposé comme une sculpture ne semble présenter aucun traitement particulier. Mais, à bien y regarder, l’absurdité de l’association d’objets saute aux yeux et révèle son potentiel
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502 est une installation in situ, à la fois discrète et relativement monumentale, sa durée de vie dépend de l’accueil qui lui est réservé. Son emplacement, dans le bac à sable d’un jardin Diego Guglieri Don Vito, 502, 2011, sable, 20 cm x 450 cm x 450 cm, Parc Alfred Bertrand, d’enfants, la place dans une position peu envieuse : elle est une Genève, Suisse. invitation à son auto-destruction.
qu’exploite la pratique subversive, une position confrontant le cadre à sa critique. Pour tenir, cet équilibre nécessite de faire appel à une part d’objectivité, d’analyser les enjeux qu’il mobilise. Cette recherche est réalisée dans le contexte suivant : il répond à la nécessité de produire une réflexion à propos des enjeux de ma pratique artistique. Aussi, j’ai la volonté de confronter l’objet d’art à l’espace consacré. L’espace d’art est une structure offrant une certaine liberté, mais je m’interroge à propos du potentiel dépassement de ce cadre par l’œuvre. Cela passe par sa réception, ouvrant la question de l’altérité : j’ai la volonté de considérer l’accueil qui est fait de l’œuvre comme catalyseur de son potentiel subversif : la lecture d’une pièce d’art intervient comme composante de cette dernière. C’est pourquoi je fais le choix de regrouper les exemples au sein d’une lecture dont l’objet est la recherche sur la capacité de ces pièces à provoquer un retournement. Je sélectionne des exemples d’œuvres de quatre artistes différents. Le choix de ces œuvres découle d’une similitude formelle, sémantique ou contextuelle avec ma pratique. C’est ainsi un moyen de prendre un certain recul avec mon travail de manière à cerner avec précision les enjeux soulevés par celui-ci. Parlant de subversion on pourrait penser que l’art hors des espaces consacrés serait un exemple propice à illustrer ce phénomène. Je m’intéresse à la remise en cause prenant forme au sein d’un cadre institutionnel : finalement la pratique hors de ce cadre s’affranchit de son autorité, aussi j’ai la volonté d’étudier ce phénomène lorsqu’il se frotte à sa contrainte et non lorsqu’il s’y soustrait.
C’est pourquoi je n’évoque pas au sein de cet essai la question de l’art dans l’espace public. Essayons de préciser l’instant zéro d’un phénomène subversif, le moment où l’on peut considérer qu’il commence à se produire. Ce début intervient dans l’esprit d’une personne : il apparaît que la subversion se manifeste dans un mode de pensée, venant le perturber pour en changer son fonctionnement. Un acte subversif ne s’adresse pas nécessairement à un individu seul, il peut se produire au sein d’un système qui n’est autre qu’une construction d’un ou plusieurs esprits. Ainsi la composante minimale et nécessaire à l’apparition d’un phénomène subversif est finalement l’humain, au sens où un acte subversif est une forme intellectuelle émanant d’une personne s’adressant à une autre : dans le cadre de l’art, un artiste s’adresse au public. Suivant ce raisonnement, il se pose la question de l’effet : un acte pour être subversif nécessite d’avoir un impact, quand bien même celui-ci n’est pas mesurable immédiatement ; on peut considérer qu’un acte ou geste qui ne produirait aucune conséquence serait bien difficilement qualifiable de subversif. On étudiera un acte artistique qui a pour effet la modification d’un système de pensée. Le premier de ces gestes artistiques est une sculpture de Simon Nicaise : Sans-Titre (2012, ballon percé et aiguille) est propice à l’entrée en matière au sens où cette composition apparaît à première vue relativement inoffensive et pourtant après une lecture attentive, elle se révèle être plus que ce qu’elle semble. En regardant la pièce, on peut y voir un ballon de baudruche blanc percé d’une aiguille. De prime abord, la forme paraît assez banale puisque le ballon exposé comme une sculpture ne semble présenter aucun traitement particulier. Mais, à bien y regarder, l’absurdité de l’association d’objets saute aux yeux et révèle son potentiel
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Diego Guglieri Don Vito, 502 (détail), 2011, sable, 20 cm x 450 cm x 450 cm, Parc Alfred Bertrand, Genève, Suisse.
de friction : l’épingle qui perce le ballon est aussi celle qui retient l’air de la baudruche, évitant à celle-ci de se dégonfler. Il s’en dégage une poésie surprenante au sens où ces objets, en réalité danger l’un pour l’autre, se maintiennent mutuellement en état de stabilité. Par analogie, on pourrait transposer cet équilibre au geste subversif qui demande, pour produire un effet manifeste, de ménager tant l’élément perturbateur que la donnée perturbée. Il est vrai que la perception du phénomène subversif contenu dans cette association demande un temps d’analyse. Pour autant, il ne doit pas être négligé, puisque nous avons bel et bien affaire à deux objets antinomiques qui, une fois réunis, ne peuvent plus exister indépendamment l’un de l’autre : l’indissociable composition se met elle-même en danger. L’effet est d’autant plus efficace qu’a priori ce ballon et sa tige ont un aspect des plus communs. Partant de ce postulat, le transposant à un système établi, la notion d’équilibre est bousculée : on pourrait affirmer que ce n’est pas parce qu’un environnement est stable qu’il présente de solides bases. De même, ce n’est pas parce qu’un système fonctionne que ses composantes sont sans risques les uns pour les autres. Ainsi pratiquer un retournement de la sorte ne met pas véritablement en danger l’ordre établi, mais indique que la menace peut venir de l’intérieur. C’est finalement, avec une certaine simplicité de forme et d’intervention relevant d’une réelle dimension poétique que cette pièce convoque un fragile équilibre oscillant entre douceur et violence. Ce geste est une invitation à la vigilance, à se méfier de ce qui est présenté comme évident. D’une certaine manière,
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cette réalisation de Simon Nicaise parle ce que George Perec nomme l’infra-ordinaire : ce qui est trop commun pour être relevé. Partant du constat que ce qui est trop banal finit par ne plus être remarqué. Cette notion est caractérisée dans L’Infra-ordinaire, introduit par Approches de quoi ?, texte au sein duquel il invite son lecteur à s’interroger sur ce qu’il vit au quotidien.
« Ce qu’il s’agit d’interroger, c’est la brique, le béton, le verre, nos manières de table, nos ustensiles, nos outils, nos emplois du temps, nos rythmes. Interroger ce qui semble avoir cessé à jamais de nous étonner.2 » Cette volonté qu’a Perec de remettre en question l’établi, considérée par le prisme de la pièce de Simon Nicaise, ne révèle pas un commentaire sur un état de fait, mais davantage une position à tenir qui serait la vigilance, une invitation à se montrer attentif à ce qui présente des caractéristiques anodines. La finesse de Sans-Titre (2012, ballon percé et aiguille) réside dans le fait qu’elle répond d’une association simple ; une esthétique poétique appliquée à l’objet. C’est une incitation à la pensée, au sein du processus subversif ; elle est une invitation à tenir, d’une manière générale, une position critique. Simon Nicaise relie cette pièce à un regard sur la sculpture contemporaine : ses matériaux se remettent en cause l’un l’autre. Julien Prévieux, quant à lui, réalise cette approche critique en l’appliquant à une actualité quotidienne avec la création de Mallette N° 1 (2006) : il produit un objet aux caractéristiques absurdes en détournant un banal tampon d’administration. Il s’agit d’une mallette regroupant une dizaine de ces tampons encreurs. Pour être vraiment précis, il serait plus juste de parler d’attaché-case3 et d’indiquer qu’il peut être transportable, mais aussi fermé à clef. La forme
PEREC George, Approches de quoi ? in L’Infra-ordinaire, éd. Seuil, Paris, 1989. Anglicisme composé du français « attaché » : employé d’administration et de l’anglais « case » : étui.
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Diego Guglieri Don Vito, Fondations, 2011, cendres obtenues par combustions de petites annonces immobilières, 20 cm x 40 cm x 30 cm.
Julien Prévieux, Malette N°1, 2006, tampons encreurs, attaché-case, 45 cm x 50 cm x 50 cm
de ces tampons suggère qu’ils pourraient être utilisés dans une administration. Les motifs qu’ils reproduisent ne sont autres que les empreintes digitales de l’ancien ministre de l’Intérieur français : Nicolas Sarkozy, empreintes que l’artiste a subtilisées. Cet objet est un clin d’œil à l’iconographie du film d’espionnage : la référence à cette culture visuelle leur confère une certaine aura, un fétiche qui déclenche la projection de leur utilité. Un piratage, une ruse qui viserait à fausser la réalité : relier l’ex-ministre de l’Intérieur à un lieu, un
acte ou une situation qui mettrait en danger sa crédibilité, voir sa personne. De manière très rationnelle, il est évident que l’objet ne peut fonctionner, qu’on ne pourrait réellement reproduire ces empreintes ou leur examen approfondi révélerait bien vite le subterfuge. Ce qui est avancé par Julien Prévieux est plus subtil ; il amène doucement le public vers cette réflexion teintée de « et si... ? », vers une volonté de croire en cet acte que l’objet appelle, finalement assez absurde, mais aussi, potentiellement dangereux. Le sens de l’objet est, lui, bien précis : en 2006, la question de la récupération des données
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Genève, comme toutes les grandes villes, souffre d’une crise du logement. À l’époque, je cherchais un appartement, épluchant les annonces immobilières. Refusant de me résoudre à admettre qu’un logement au centre-ville serait trop onéreux, je décidais d’en construire les fondations. Fondations est un ensemble de briques réalisées en récoltant les cendres issues de la combustion d’une centaine de journaux de petites annonces immobilières. Regard absurde sur une situation complexe, ces fondations sont plus proches de la ruine archéologique miniature que du véritable bâtiment.
Diego Guglieri Don Vito, Fondations, 2011, cendres obtenues par combustions de petites annonces immobilières, 20 cm x 40 cm x 30 cm.
Julien Prévieux, Malette N°1, 2006, tampons encreurs, attaché-case, 45 cm x 50 cm x 50 cm
de ces tampons suggère qu’ils pourraient être utilisés dans une administration. Les motifs qu’ils reproduisent ne sont autres que les empreintes digitales de l’ancien ministre de l’Intérieur français : Nicolas Sarkozy, empreintes que l’artiste a subtilisées. Cet objet est un clin d’œil à l’iconographie du film d’espionnage : la référence à cette culture visuelle leur confère une certaine aura, un fétiche qui déclenche la projection de leur utilité. Un piratage, une ruse qui viserait à fausser la réalité : relier l’ex-ministre de l’Intérieur à un lieu, un
acte ou une situation qui mettrait en danger sa crédibilité, voir sa personne. De manière très rationnelle, il est évident que l’objet ne peut fonctionner, qu’on ne pourrait réellement reproduire ces empreintes ou leur examen approfondi révélerait bien vite le subterfuge. Ce qui est avancé par Julien Prévieux est plus subtil ; il amène doucement le public vers cette réflexion teintée de « et si... ? », vers une volonté de croire en cet acte que l’objet appelle, finalement assez absurde, mais aussi, potentiellement dangereux. Le sens de l’objet est, lui, bien précis : en 2006, la question de la récupération des données
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Diego Guglieri Don Vito, Top Kitchen Crew, 2014, Film HD 1080p, durée indéterminée (projet en cours)
biométriques est au cœur de l’actualité française ; leur utilisation fait débat. Il est question d’instaurer progressivement les passeports biométriques 4 (passeports DELPHINE ) liés à une base de données à des fins administratives. En d’autres termes, il s’agit d’un fichage numérique à l’échelle du pays regroupant, pour chaque personne, photo d’identité et relevé d’empreintes digitales. Avec cet objet, Julien Prévieux ouvre plusieurs champs, dont la notion d’autorisé : il ne demande pas la permission d’utiliser les empreintes du ministre de l’Intérieur de l’époque ; il les subtilise. Ce geste interroge avec justesse la dimension démocratique du choix dans le dispositif administratif mis en place pour la création du fichier DELPHINE : quiconque souhaitant sortir de l’Union européenne devra impérativement faire numériser ses données biométriques. En un sens, chacun décide ou non de numériser ses empreintes digitales, mais qui souhaite voyager hors de l’Union européenne est obligé de passer par ce fichage. On peut y lire de la part de l’artiste un commentaire sur une forme systématique de contrôle identitaire. L’idée de reproduction est également soulevée par l’objet tampon qui permet d’imprimer le motif à l’infini. La validité des empreintes produites est alors complètement annulée par cette multiplicité ; il devient impossible de relier l’empreinte à son auteur dans la mesure où le tampon est potentiellement utilisable par n’importe qui. Cette question de l’usage met en cause la nécessité de la création d’un tel fichier et interroge le public : par qui et comment peuvent être utilisées ces données ? À cela, vient s’ajouter la dimension liée à la sécurité, si les empreintes du ministre de l’Intérieur
ont été subtilisées, le système peut-il seulement être fiable ? Bien que cette pièce fasse référence à une décision politique précise, elle ouvre le débat sur l’utilisation des outils de contrôle biométrique : en 2004 le GIXEL5 publie le Livre Bleu, un rapport adressé à l’état pour le « développement de la croissance et l’emploi dans la filière numérique ». Au chapitre de la sécurité, préconisant de « mobiliser les ressources de la technologie moderne pour accroître le sentiment de sûreté des citoyens », on trouve le conseil suivant :
« Plusieurs méthodes devront être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour faire accepter la biométrie. Elles devront être accompagnées d’un effort de convivialité par une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités attrayantes : éducation, dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants.6 » Un des effets de la banalisation de ces moyens de surveillance dès le plus jeune âge est d’ancrer dans l’esprit des enfants que les contrôles d’identité et déplacements sont une norme. L’insérer dans un endroit comme une école, demander aux parents de s’identifier pour récupérer leur enfant est certes un gage de sécurité, mais c’est aussi d’une certaine manière l’établissement progressif d’un comportement de soumission aux contrôles : les parents forment la figure d’autorité, s’ils acceptent la contrainte de cette surveillance leurs enfants n’ont aucune raison de la remettre en cause. On peut considérer que la banalisation de ce genre
DELPHINE : DÉLivrance de Passeports à Haute INtégrité de sécuritÉ. GIXEL : groupement français des industries de composants et de systèmes électroniques. 6 GIXEL, Livre Bleu, Synthèse de contribution aux grands programmes de relancement de la croissance, 2004, p35. 4 5
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Élu employé du mois, je pensais d’abord déchirer le chèque offert en signe d’insoumission. Ne pouvant résister à la corruption je décide de racheter ma conscience en utilisant le bon d’achat qui m’est offert pour acheter la caméra de sport qui me permettra de filmer mes soirées dans ce fast-food. Le film produit est un pied de nez à la récupération de campagnes stakhanovistes par le géant du fast-food américain.
Diego Guglieri Don Vito, Top Kitchen Crew, 2014, Film HD 1080p, durée indéterminée (projet en cours)
biométriques est au cœur de l’actualité française ; leur utilisation fait débat. Il est question d’instaurer progressivement les passeports biométriques (passeports DELPHINE4) liés à une base de données à des fins administratives. En d’autres termes, il s’agit d’un fichage numérique à l’échelle du pays regroupant, pour chaque personne, photo d’identité et relevé d’empreintes digitales. Avec cet objet, Julien Prévieux ouvre plusieurs champs, dont la notion d’autorisé : il ne demande pas la permission d’utiliser les empreintes du ministre de l’Intérieur de l’époque ; il les subtilise. Ce geste interroge avec justesse la dimension démocratique du choix dans le dispositif administratif mis en place pour la création du fichier DELPHINE : quiconque souhaitant sortir de l’Union européenne devra impérativement faire numériser ses données biométriques. En un sens, chacun décide ou non de numériser ses empreintes digitales, mais qui souhaite voyager hors de l’Union européenne est obligé de passer par ce fichage. On peut y lire de la part de l’artiste un commentaire sur une forme systématique de contrôle identitaire. L’idée de reproduction est également soulevée par l’objet tampon qui permet d’imprimer le motif à l’infini. La validité des empreintes produites est alors complètement annulée par cette multiplicité ; il devient impossible de relier l’empreinte à son auteur dans la mesure où le tampon est potentiellement utilisable par n’importe qui. Cette question de l’usage met en cause la nécessité de la création d’un tel fichier et interroge le public : par qui et comment peuvent être utilisées ces données ? À cela, vient s’ajouter la dimension liée à la sécurité, si les empreintes du ministre de l’Intérieur
ont été subtilisées, le système peut-il seulement être fiable ? Bien que cette pièce fasse référence à une décision politique précise, elle ouvre le débat sur l’utilisation des outils de contrôle biométrique : en 2004 le GIXEL5 publie le Livre Bleu, un rapport adressé à l’état pour le « développement de la croissance et l’emploi dans la filière numérique ». Au chapitre de la sécurité, préconisant de « mobiliser les ressources de la technologie moderne pour accroître le sentiment de sûreté des citoyens », on trouve le conseil suivant :
« Plusieurs méthodes devront être développées par les pouvoirs publics et les industriels pour faire accepter la biométrie. Elles devront être accompagnées d’un effort de convivialité par une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités attrayantes : éducation, dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants.6 » Un des effets de la banalisation de ces moyens de surveillance dès le plus jeune âge est d’ancrer dans l’esprit des enfants que les contrôles d’identité et déplacements sont une norme. L’insérer dans un endroit comme une école, demander aux parents de s’identifier pour récupérer leur enfant est certes un gage de sécurité, mais c’est aussi d’une certaine manière l’établissement progressif d’un comportement de soumission aux contrôles : les parents forment la figure d’autorité, s’ils acceptent la contrainte de cette surveillance leurs enfants n’ont aucune raison de la remettre en cause. On peut considérer que la banalisation de ce genre
DELPHINE : DÉLivrance de Passeports à Haute INtégrité de sécuritÉ. GIXEL : groupement français des industries de composants et de systèmes électroniques. 6 GIXEL, Livre Bleu, Synthèse de contribution aux grands programmes de relancement de la croissance, 2004, p35. 4 5
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Diego Guglieri Don Vito, Top Kitchen Crew, 2014, Film HD 1080p, durée indéterminée (projet en cours)
de vérifications est un obstacle à la liberté d’aller et venir. Ces mesures laissent présager d’un développement des technologies de contrôle, moquées par l’objet que produit Julien Prévieux : la dérision que contient sa proposition évoque avec humour une situation lourde de sens et d’implications. L’absurdité renforce la critique produite par l’objet, bien que celui-ci ne paraisse complètement inoffensif, il déclenche un raisonnement et une critique ouverte des choix émanant de l’institution étatique. La question de l’efficience d’un tel geste se pose : si l’objet remet directement en cause la pratique, l’effet qu’il peut avoir en dehors de l’espace d’exposition est probablement d’ampleur modérée. On peut considérer qu’il prend la parole sur une actualité, contribuant à un débat général préexistant : il possède ainsi la qualité de ne pas être neutre. Autre exemple de la pratique de Julien Prévieux les Lettres de non-motivations. Elles sont un ensemble de réponses à des petites annonces de recrutements. Là où une lettre de motivation classique vise à mettre en avant les qualités d’un candidat dans l’espoir d’obtenir le poste souhaité, Julien Prévieux s’évertue à citer les raisons pour lesquelles il refuse de travailler pour l’entreprise en question.
En réponse à une annonce proposant des postes de Pharmaciens de production et techniciens de fabrication (cf annexes): « Le rythme de travail important, les fortes exigences quantitatives et qualitatives liées aux tâches imposées, l’absence de contrôle du salarié dans
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l’organisation du travail, l’inadaptation des horaires aux rythmes biologiques, les nouveaux modes d’organisation (flux tendu, polyvalence. . .), l’instabilité des contrats, le management peu participatif, l’absence de reconnaissance du travail accompli, les nuisances physiques, la surenchère à la compétitivité, les incertitudes de l’entreprise quant à son avenir,... autant de facteurs responsables d’une anxiété chronique chez l’employé qui peut s’avérer dramatique. A ce propos, j’ai vu que vous cherchiez des techniciens de fabrication travaillant le samedi, le dimanche et en alternance le jour et la nuit. Je ne compte pas pour ma part être victime d’une dépression, d’un burn out, ou d’un karoshi. Dans une campagne de prévention personnelle, je préf ère refuser ce type de poste et vous conseille de faire attention à vous.7 » Ces courriers, à l’inverse de Mallette N° 1, prennent forme en dehors d’un espace d’art avant d’y être intégrés, ils partent de la volonté de parasiter les systèmes de recrutements. Les lettres de l’auteur influent sur le travail des RH8 de différentes entreprises, impliquant de leur part un comportement contre-productif puisqu’ils sont amenés à lire des lettres qui ne visent pas à décrocher un entretien. Parmi les entreprises qui formulent une réponse, certaines font le choix de transmettre une réponse type indiquant que la lettre de non-motivation n’a pas été lue, ou que les recruteurs n’ont pas pris la peine d’écrire de réponse.
« Monsieur, Nous accusons réception de votre courrier du 16.07.07 que nous avons étudié avec attention. Cependant, nous sommes au regret
PRÉVIEUX Julien, Lettres de non-motivation, Paris, Éditions Zones, 2007. RH : Employé(e)s au service ressources humaines d’une entreprise.
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de vous faire savoir que nous n’avons pas de poste disponible correspondant à votre qualification. Vous encourageant dans votre recherche d‘emploi, Nous vous prions d’agréer, Monsieur, l‘expression de nos salutations distinguées.9 » D’autres à l’inverse, formulent une réponse aux arguments avancés par l’auteur : l’effet de cette démarche est finalement l’introduction d’une dimension humaine à un processus de sélection aux codes très stricts. Cet acte intervient comme un élément perturbateur qui change pour un temps donné le rapport entre le candidat et la personne chargée de la sélection de ce dernier.
« Monsieur, Si votre lettre de “non candidature” ne manque pas d’humour, j’ai toutefois peu apprécié que vous puissiez vous permettre de tourner en dérision un des métiers les plus reconnus de notre profession. Permettez-moi à mon tour de vous faire remarquer que le verre qui vous entoure a été façonné puis posé par des hommes après avoir été produit au cours d’un process de haute technologie. A vous lire, permettez-moi également de vous inviter à cultiver l’humilité (mais gardez votre sens de l’humour) ; Les savoirfaire professionnels les plus nobles s’accommodent mal de titres ronflant,
9
souvent aussi creux qu’éphémères.9b » Ces Lettres de Non-Motivations en mettant à nu le processus de recrutement, remettent en cause le principe de la lettre de candidature classique, pourtant admise par tout à chacun. Les différentes pièces interrogent ainsi les actions d’une instance d’autorité posant la question de ce qu’est l’autorisé. Proposons de le définir ainsi : l’autorisé est un produit de l’autorité, que l’on pourrait qualifier comme l’ensemble des instances étant habilitées à fixer ce qui est autorisé ou non. Assez grossièrement, nous pourrions affirmer que l’objet principal d’une autorité est d’autoriser. Par déduction, ce qui n’est pas explicitement interdit est autorisé, ainsi l’acte d’autoriser se pratique de concert avec la volonté d’interdire. Entre les deux subsiste ce qui n’est ni vraiment autorisé ni réellement interdit : la zone floue. C’est finalement un équilibre fragile, construit de contrastes à tel point qu’il deviendra difficile pour l’autorité de condamner dans sa totalité l’exploitation de cet entre-deux. Cette pratique se place ainsi en marge d’un fonctionnement régulier, ouvrant à une certaine liberté d’action. Cette zone floue est notamment explorée par Fabrice Gygi, lorsqu’il est invité à prendre en charge le commissariat de l’exposition qu’il nomme Rathania’s, ars similis casus (2011, Musée Rath, Genève, Suisse). Le travail de l’artiste trouve son origine dans une proposition née de la volonté de l’ancien magistrat chargé de la culture, Patrice Mugny, lequel met en place en 2005 un cycle d’expositions visant à promouvoir des artistes locaux. La sélection faite sur concours pose les critères suivants : être artiste genevois et ne pas être inscrit en école d’art. Certains acteurs du milieu artistique sont mitigés quant à l’aspect de promotion politique que présente l’intention, notamment Éveline Notter censée
PRÉVIEUX Julien, op. cit. Ibid.
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Fabrice Gygi, vue de l’exposition Rathania’s ars similis casus, 2011, Musée Rath, Genève, Suisse
prendre en charge l’exposition en 2005 se retire du projet avant son terme :
« Je ne suis pas certaine que tous les paramètres étaient réunis pour que je puisse mener à bien cette exposition selon les critères de l’excellence artistique.10 » Ainsi répondre à l’invitation à gérer cette exposition c’est accepter de jouer avec des règles du jeu qui ne sont pas évidentes à manipuler, car il faut trouver l’équilibre entre la dimension artistique et le postulat de base pouvant être considéré comme étant consensuel et démagogique. Fabrice Gygi relève le défi en 2011 ; à propos de la nature de l’exposition, il confie :
« Cela part de l’idée que les institutions locales, et le Mamco en particulier, ne
prendraient pas en compte tout le monde et constituerait ainsi une élite artistique. D’accord, mais j’appartiens à la famille du Mamco et pour pousser cette idée au bout, tout le système se devait alors d’être complètement différent, sans sélection, dans sa forme la plus radicale.11 » L’artiste-curateur propose alors cette consigne : sera mis en place au sein du musée Rath, une structure de type étagère industrielle, composée de 296 casiers identiques aux dimensions suivantes : 100 x 100 x 60 cm. Ce rayonnage viendra accueillir 296 pièces d’artistes qui répondront à l’appel à projet. La sélection des projets retenus sera en fait une non-sélection : seuls les 296 premiers ins——crits pourront participer. Ainsi chacun des participants retenus s’est vu attribuer un numéro de casier qu’il investit selon sa propre volonté. L’accrochage
SCHELLENBERG Samuel, « Musée Rath : deuxième round pour les artistes locaux », Le Courrier, Genève, 26 janvier 2011. 11 GUILLOUD-CAVAT Josiane, « Des accidents esthétiques. Fabrice Gygi (interview) » Espaces contemporains, Genève, N°04/11, septembre 2011. 10
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Diego Guglieri Don Vito, Pièce pour langage 1 - Exposition Collective, 2013, instructions. Vue de l’exposition Exposition Collective et Ulysses Was Born In Trieste par Dora Garcia, Live In Your Head, Genève, Suisse. Sont admis à l’exposition collective, les participants qui respectent les règles suivantes : - Si un ou plusieurs participants refusent les règles ils ont la possibilité se retirer de l’exposition collective. Ils devront alors l’exprimer et le faire savoir. - Les participants ont pour obligation de servir et non desservir l’exposition collective. - Les participants qui enfreignent ces règles font partie de l’exposition collective.
Fabrice Gygi, vue de l’exposition Rathania’s ars similis casus, 2011, Musée Rath, Genève, Suisse
prendre en charge l’exposition en 2005 se retire du projet avant son terme :
« Je ne suis pas certaine que tous les paramètres étaient réunis pour que je puisse mener à bien cette exposition selon les critères de l’excellence artistique.10 » Ainsi répondre à l’invitation à gérer cette exposition c’est accepter de jouer avec des règles du jeu qui ne sont pas évidentes à manipuler, car il faut trouver l’équilibre entre la dimension artistique et le postulat de base pouvant être considéré comme étant consensuel et démagogique. Fabrice Gygi relève le défi en 2011 ; à propos de la nature de l’exposition, il confie :
« Cela part de l’idée que les institutions locales, et le Mamco en particulier, ne
prendraient pas en compte tout le monde et constituerait ainsi une élite artistique. D’accord, mais j’appartiens à la famille du Mamco et pour pousser cette idée au bout, tout le système se devait alors d’être complètement différent, sans sélection, dans sa forme la plus radicale.11 » L’artiste-curateur propose alors cette consigne : sera mis en place au sein du musée Rath, une structure de type étagère industrielle, composée de 296 casiers identiques aux dimensions suivantes : 100 x 100 x 60 cm. Ce rayonnage viendra accueillir 296 pièces d’artistes qui répondront à l’appel à projet. La sélection des projets retenus sera en fait une non-sélection : seuls les 296 premiers ins——crits pourront participer. Ainsi chacun des participants retenus s’est vu attribuer un numéro de casier qu’il investit selon sa propre volonté. L’accrochage
SCHELLENBERG Samuel, « Musée Rath : deuxième round pour les artistes locaux », Le Courrier, Genève, 26 janvier 2011. 11 GUILLOUD-CAVAT Josiane, « Des accidents esthétiques. Fabrice Gygi (interview) » Espaces contemporains, Genève, N°04/11, septembre 2011. 10
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Pièce pour langage 1 - Exposition Collective est un ensemble de règles consistant à m’approprier et signer à mon nom l’ensemble du travail des participants, réalisée à l’occasion de l’exposition Ulysse Was Born In Trieste avec Dora Garcia.Il est intéressant de constater la réception qui a été faite de cette proposition lors de l’organisation de l’exposition. En la concevant, je pensais réellement que les autres participants n’accepteraient pas que je m’approprie leur travail, mais lorsque je leur ai annoncé ce que je comptais faire, la proposition leur a semblé des plus banales. J’aurais à leur place refusé que l’on s’approprie mon travail ou aurait entamé une négociation sur les modalités. L’artiste invitée en charge de l’organisation de l’exposition a été séduite par la proposition. C’est finalement l’institution la Haute École d’Art et de Design, qui a été la plus réticente à la mise en œuvre de ce projet, au sens où j’étais un élève qui se positionnait, du point de vue de la communication d’exposition, au même niveau que l’artiste invité. Il a fallu négocier avec la hiérarchie de l’école (Yann Chateigné) pour que la proposition puisse être réalisée. L’intérêt de cette expérience réside dans les actes de chacun des acteurs de cette exposition : les étudiants censés mettre en valeur leur travail ne refusent pas qu’une autre personne se l’approprie et le signe : dans ce cas précis, il aurait fallu renoncer à participer à une exposition avec une artiste renommée. L’école censée former des artistes à l’avant-garde n’accepte pas sans négociation des formes plastiques interrogeant le cadre qu’elle apporte. Dora Garcia a été finalement la plus permissive, comprenant rapidement les enjeux soulevés par la pièce, elle a accepté que je fasse figurer mon nom à l’entrée de l’espace. Cette pièce pose également la question de l’existence de l’exposition ; au-delà de sa durée de vie, ce qu’il en subsiste ce sont les reprographies et récits des personnes qui y étaient présentes. Au regard de sa matérialité relativement faible, ce travail présente donc une grande efficience.
Fabrice Gygi, vue de l’exposition Rathania’s ars similis casus, 2011, Musée Rath, Genève, Suisse
prendre en charge l’exposition en 2005 se retire du projet avant son terme :
« Je ne suis pas certaine que tous les paramètres étaient réunis pour que je puisse mener à bien cette exposition selon les critères de l’excellence artistique.10 » Ainsi répondre à l’invitation à gérer cette exposition c’est accepter de jouer avec des règles du jeu qui ne sont pas évidentes à manipuler, car il faut trouver l’équilibre entre la dimension artistique et le postulat de base pouvant être considéré comme étant consensuel et démagogique. Fabrice Gygi relève le défi en 2011 ; à propos de la nature de l’exposition, il confie :
« Cela part de l’idée que les institutions locales, et le Mamco en particulier, ne
prendraient pas en compte tout le monde et constituerait ainsi une élite artistique. D’accord, mais j’appartiens à la famille du Mamco et pour pousser cette idée au bout, tout le système se devait alors d’être complètement différent, sans sélection, dans sa forme la plus radicale.11 » L’artiste-curateur propose alors cette consigne : sera mis en place au sein du musée Rath, une structure de type étagère industrielle, composée de 296 casiers identiques aux dimensions suivantes : 100 x 100 x 60 cm. Ce rayonnage viendra accueillir 296 pièces d’artistes qui répondront à l’appel à projet. La sélection des projets retenus sera en fait une non-sélection : seuls les 296 premiers ins——crits pourront participer. Ainsi chacun des participants retenus s’est vu attribuer un numéro de casier qu’il investit selon sa propre volonté. L’accrochage
SCHELLENBERG Samuel, « Musée Rath : deuxième round pour les artistes locaux », Le Courrier, Genève, 26 janvier 2011. 11 GUILLOUD-CAVAT Josiane, « Des accidents esthétiques. Fabrice Gygi (interview) » Espaces contemporains, Genève, N°04/11, septembre 2011. 10
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Diego Guglieri Don Vito, M3, 2013, 5 éléments de 75 cm x 75 cm x 25 cm, installation à la HEAD — Genève (2013) en collaboration avec Lionel Gras, vue de l’intérieur
est laissé au hasard, d’où le sous-titre de l’exposition ars similis casus12. Dans sa forme, le résultat de ce processus est plutôt déroutant puisque le public se trouve au cœur d’une mosaïque plastique hétérogène, aux composantes plus ou moins maîtrisées et dont la structure porteuse, l’ensemble de casiers, est d’une esthétique des plus fonctionnelles. Sur l’ensemble de l’installation, la mise à plat est radicale ; aucune hiérarchie ne prévaut. On peut y voir de la part de Fabrice Gygi, une volonté de faire table rase de toute hiérarchie artistique. Il se base sur un ensemble de règles, mises en place par une autorité, pour construire et intégrer ses propres instructions, démontant ainsi le fonctionnement régulier de l’institution. Il impose, sans passage en force, mais de manière intransigeante, son propre système sur la base de l’existant, tout en respectant la consigne qui lui est assignée au pied de la lettre. La superposition de règles crée un cannibalisme qui met à nu les rouages de l’institution qui l’invite. Si la réalisation est audacieuse et d’une redoutable efficacité, il convient d’étudier la situation sur l’ensemble de ses aspects. Il est amusant de constater que dans cette proposition, ce qui crée retournement n’est pas le fait d’aller contre l’intention de départ, mais d’en exagérer les aspects que l’on imaginerait vouloir retirer du postulat de base : à savoir l’intégration à l’exposition d’une pratique d’amateurs. Il est possible d’y voir une forme de cynisme, mais assurément, du point de vue de l’auteur c’est davantage le regard porté sur l’œuvre par le public qui est, ou non, cynique. En ce sens, le tour de force de Gygi est de réussir à créer un commissariat d’artiste, de s’approprier l’ensemble du
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travail par la mise en place d’une instruction. Finalement, les 296 participants produisent autant de ready-mades agencés selon les règles définies par l’artiste. On peut y voir de la part de Fabrice Gygi une forme de manipulation : une partie des participants prend cette expérience pour une réelle opportunité de faire entrer leur travail dans un cadre institutionnel. Cette exposition n’est pas pour autant une véritable exposition collective, plutôt l’appropriation d’une pratique d’amateur de la part de Fabrice Gigy, lequel utilise
Fabrice Gygi, vue de l’exposition Rathania’s ars similis casus, 2011, Musée Rath, Genève, Suisse la volonté qu’on ces praticiens de promouvoir leur travail au sein du circuit institutionnel de l’art contemporain. En ce sens, la manipulation opérée par l’artiste n’est pas à sens unique, car l’institution qu’est le musée Rath se voit valider cette pratique de non-spécialistes. On peut y voir de la part de l’artiste une volonté de brouiller les pistes, d’intervertir les rôles entre amateurs et professionnels. Le propos est à nuancer, car il est évident que Fabrice Gigy a été invité par l’institution pour sa capacité à remettre en cause les principes établis, et c’est précisément ce qu’il fait avec cette exposition. Pour autant, cela ne désamorce pas sa proposition puisqu’en offrant un dispositif d’exposition égalitaire il agit comme un virus informatique, dont l’objet, serait d’exploiter
Du latin : l’art s’apparente au hasard.
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M3 — PROTOCOLE D’INSTALLATION
LE CURATEUR PLACE 3 MODULE. L’ARTISTE PLACE 3 MODULE. LE75DERNIER MODULE EST PLACÉ CONJOINTEMENT Diego Guglieri Don Vito, M3, 2013, 5 éléments de cm x 75 cm x 25 cm, PAR LE CURATEUR ET L’ARTISTE. installation à la HEAD — Genève (2013) en collaboration avec Lionel Gras, vue de l’intérieur UNE BONNE ENTENTE ENTRE LE CURATEUR ET L’ARTISTE EST POSSIBLE, MAIS ELLE N’EST PAS NÉCESSAIRE.
est laissé au hasard, d’où le sous-titre de l’exposition ars similis casus12. Dans sa forme, le résultat de ce processus est plutôt déroutant puisque le public se trouve au cœur d’une mosaïque plastique hétérogène, aux composantes plus ou moins maîtrisées et dont la structure porteuse, l’ensemble de casiers, est d’une esthétique des plus fonctionnelles. Sur l’ensemble de l’installation, la mise à plat est radicale ; aucune hiérarchie ne prévaut. On peut y voir de la part de Fabrice Gygi, une volonté de faire table rase de toute hiérarchie artistique. Il se base sur un ensemble de règles, mises en place par une autorité, pour construire et intégrer ses propres instructions, démontant ainsi le fonctionnement régulier de l’institution. Il impose, sans passage en force, mais de manière intransigeante, son propre système sur la base de l’existant, tout en respectant la consigne qui lui est assignée au pied de la lettre. La superposition de règles crée un cannibalisme qui met à nu les rouages de l’institution qui l’invite. Si la réalisation est audacieuse et d’une redoutable efficacité, il convient d’étudier la situation sur l’ensemble de ses aspects. Il est amusant de constater que dans cette proposition, ce qui crée retournement n’est pas le fait d’aller contre l’intention de départ, mais d’en exagérer les aspects que l’on imaginerait vouloir retirer du postulat de base : à savoir l’intégration à l’exposition d’une pratique d’amateurs. Il est possible d’y voir une forme de cynisme, mais assurément, du point de vue de l’auteur c’est davantage le regard porté sur l’œuvre par le public qui est, ou non, cynique. En ce sens, le tour de force de Gygi est de réussir à créer un commissariat d’artiste, de s’approprier l’ensemble du
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travail par la mise en place d’une instruction. Finalement, les 296 participants produisent autant de ready-mades agencés selon les règles définies par l’artiste. On peut y voir de la part de Fabrice Gygi une forme de manipulation : une partie des participants prend cette expérience pour une réelle opportunité de faire entrer leur travail dans un cadre institutionnel. Cette exposition n’est pas pour autant une véritable exposition collective, plutôt l’appropriation d’une pratique d’amateur de la part de Fabrice Gigy, lequel utilise
Fabrice Gygi, vue de l’exposition Rathania’s ars similis casus, 2011, Musée Rath, Genève, Suisse la volonté qu’on ces praticiens de promouvoir leur travail au sein du circuit institutionnel de l’art contemporain. En ce sens, la manipulation opérée par l’artiste n’est pas à sens unique, car l’institution qu’est le musée Rath se voit valider cette pratique de non-spécialistes. On peut y voir de la part de l’artiste une volonté de brouiller les pistes, d’intervertir les rôles entre amateurs et professionnels. Le propos est à nuancer, car il est évident que Fabrice Gigy a été invité par l’institution pour sa capacité à remettre en cause les principes établis, et c’est précisément ce qu’il fait avec cette exposition. Pour autant, cela ne désamorce pas sa proposition puisqu’en offrant un dispositif d’exposition égalitaire il agit comme un virus informatique, dont l’objet, serait d’exploiter
Du latin : l’art s’apparente au hasard.
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Diego Guglieri Don Vito, M3, 2013, 5 éléments de 75 cm x 75 cm x 25 cm, installation à la HEAD — Genève (2013) en collaboration avec Lionel Gras, vue de l’extérieur
une faille dans un programme. Il permet ainsi à des praticiens amateurs un accès à l’institution, ce qui interroge la valeur que la validation institutionnelle peut apporter. L’effet produit hors de l’espace se matérialise sur le CV d’artistes amateurs qui ont participé à l’exposition, cela interroge également ce qu’impliquent les modes de sélection en général. L’idée d’une décision prise en fonction de l’origine reste tout de même sujette à controverse : dans l’idéal le rôle de l’institution artistique n’est-il pas de mettre en avant une certaine qualité artistique ? Où alors le fait d’être originaire ou résident dans le canton de Genève est-il déjà en soi un gage de qualité ? Aux vues de la proposition de Fabrice Gygi il s’avère que cette affirmation n’est en soit pas une constante, ce qui ouvre la question du processus de sélection par discrimination positive. La position de l’artiste relève d’une certaine finesse au sens où il ne formule pas explicitement d’appréciation sur ce système, il se contente de pointer du doigt un fonctionnement possible de ces méthodes intervenant comme commentaire de celles-ci, au public d’en construire la critique.
Own, qui défend la thèse selon laquelle toute femme voulant produire une œuvre littéraire doit pouvoir disposer d’une chambre à soi, fermant à clef afin de s’isoler et contenant d’un bureau pour écrire. Coco Fusco indique qu’aujourd’hui les femmes américaines sont le pilier de la lutte du monde libre contre le terrorisme, qu’elles disposent enfin d’une chambre leur appartenant, fermant à clef et contenant un bureau - derrière l’artiste est projetée une photographie d’une cellule. Elle affirme qu’elle veut être une de ces femmes, ce pour quoi elle s’est entraînée, et projette des images rendant compte de la formation suivie, ainsi qu’une synthèse des techniques abordées sous forme d’un diaporama regroupant un ensemble d’illustrations de type mode d’emploi, lesquelles mettent en scène une femme soldat soutirant des informations à un prisonnier. Ces illustrations jouent de stéréotypes, tant celui de la soldate américaine, que du prisonnier irakien : elles listent de manière exhaustive 16 techniques d’interrogatoires visant à infliger une souffrance psychologique à une source potentielle d’informations.
« Dans les débats désormais largement publics sur les méthodes les plus dures d’interrogatoire militaires, il a été fait beaucoup allusions à divers manuels publiés depuis les années 1960 par l’armée et la CIA pour présenter les techniques autorisées. Ces manuels circulent tous librement sur internet. Mais alors même que plusieurs enquêtes récentes sur les abus dans les prisons militaires signalent le recours à l’agression sexuelle au cours d’interrogatoires menés par la police militaire, ces techniques ne font l’objet d’aucune description explicite dans les manuels en questions ; et il n’y est fait aucune mention des méthodes propres aux femmes soldats chargées d’interrogatoires. Toutes les scènes illustrées ici proviennent
Rejouer un aspect du système permet de l’épuiser, d’en montrer les failles et dysfonctionnements. C’est cet angle d’attaque, que choisi Coco Fusco dans sa performance A Room of One’s Own : Women and Power in the New America (2011), laquelle critique « le rôle de la sexualité féminine comme arme de guerre contre le terrorisme ». L’auteure se présente sur scène en treillis, face au drapeau américain elle revendique le fait d’utiliser sa féminité au service de l’effort de guerre patriotique. Elle démarre sa conférence en citant le texte de Virginia Woolf A Room Of One’s
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M3 est une pièce dont l’installation est partie prenante du travail artistique : le protocole d’installation fait jouer artiste et curateur avec certain nombre de règles dont l’aboutissement est l’exposition de l’œuvre. Le contexte de cette installation est particulier au sens où il s’agissait d’un jury visant à valider mon semestre à l’école. Le choix du curateur avec qui jouer l’installation de la pièce s’est porté sur Lionnel Gras, alors en poste au sein de l’école : retournant ainsi la situation, je plaçais l’institution dans la position Diego Guglieri Don Vito, M3, 2013, 5 éléments de 75 cm x 75 cm x 25 cm, de juger également le travail artistique d’un des membres son installation à la HEAD — Genève (2013) en collaboration avec Lionel Gras, équipe pédagogique. vue de l’extérieur
une faille dans un programme. Il permet ainsi à des praticiens amateurs un accès à l’institution, ce qui interroge la valeur que la validation institutionnelle peut apporter. L’effet produit hors de l’espace se matérialise sur le CV d’artistes amateurs qui ont participé à l’exposition, cela interroge également ce qu’impliquent les modes de sélection en général. L’idée d’une décision prise en fonction de l’origine reste tout de même sujette à controverse : dans l’idéal le rôle de l’institution artistique n’est-il pas de mettre en avant une certaine qualité artistique ? Où alors le fait d’être originaire ou résident dans le canton de Genève est-il déjà en soi un gage de qualité ? Aux vues de la proposition de Fabrice Gygi il s’avère que cette affirmation n’est en soit pas une constante, ce qui ouvre la question du processus de sélection par discrimination positive. La position de l’artiste relève d’une certaine finesse au sens où il ne formule pas explicitement d’appréciation sur ce système, il se contente de pointer du doigt un fonctionnement possible de ces méthodes intervenant comme commentaire de celles-ci, au public d’en construire la critique.
Own, qui défend la thèse selon laquelle toute femme voulant produire une œuvre littéraire doit pouvoir disposer d’une chambre à soi, fermant à clef afin de s’isoler et contenant d’un bureau pour écrire. Coco Fusco indique qu’aujourd’hui les femmes américaines sont le pilier de la lutte du monde libre contre le terrorisme, qu’elles disposent enfin d’une chambre leur appartenant, fermant à clef et contenant un bureau - derrière l’artiste est projetée une photographie d’une cellule. Elle affirme qu’elle veut être une de ces femmes, ce pour quoi elle s’est entraînée, et projette des images rendant compte de la formation suivie, ainsi qu’une synthèse des techniques abordées sous forme d’un diaporama regroupant un ensemble d’illustrations de type mode d’emploi, lesquelles mettent en scène une femme soldat soutirant des informations à un prisonnier. Ces illustrations jouent de stéréotypes, tant celui de la soldate américaine, que du prisonnier irakien : elles listent de manière exhaustive 16 techniques d’interrogatoires visant à infliger une souffrance psychologique à une source potentielle d’informations.
« Dans les débats désormais largement publics sur les méthodes les plus dures d’interrogatoire militaires, il a été fait beaucoup allusions à divers manuels publiés depuis les années 1960 par l’armée et la CIA pour présenter les techniques autorisées. Ces manuels circulent tous librement sur internet. Mais alors même que plusieurs enquêtes récentes sur les abus dans les prisons militaires signalent le recours à l’agression sexuelle au cours d’interrogatoires menés par la police militaire, ces techniques ne font l’objet d’aucune description explicite dans les manuels en questions ; et il n’y est fait aucune mention des méthodes propres aux femmes soldats chargées d’interrogatoires. Toutes les scènes illustrées ici proviennent
Rejouer un aspect du système permet de l’épuiser, d’en montrer les failles et dysfonctionnements. C’est cet angle d’attaque, que choisi Coco Fusco dans sa performance A Room of One’s Own : Women and Power in the New America (2011), laquelle critique « le rôle de la sexualité féminine comme arme de guerre contre le terrorisme ». L’auteure se présente sur scène en treillis, face au drapeau américain elle revendique le fait d’utiliser sa féminité au service de l’effort de guerre patriotique. Elle démarre sa conférence en citant le texte de Virginia Woolf A Room Of One’s
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Diego Guglieri Don Vito, Les Couvertures du gĂŠneral Henry Bouquet, 2013, couvertures, 50 x 65 x 65 cm
Coco Fusco, vue de la performance A Room of One’s Own : Women and Power in the New America, 2008, Galerie Alexander Grey Associate, New York, États-Unis
de témoignages de détenus et comptes rendus de témoins oculaires.13 » Dans l’essai Petit manuel de torture à l’usage des femmes soldats, qui découle des recherches effectuées pour réaliser cette performance elle indique :
« Alors comment se fait-il, finalement que lorsque je monte sur scène en uniforme pour parler de la torture sexuelle exercée par des femmes comme d’un moyen logique et raisonnable au service de la guerre contre le terrorisme ils et elles soient nombreux dans le public à expliquer que je les ai “blessés” en compromettant le féminisme dans quelque chose d’aussi terrible ? 14 »
Sa position est de revendiquer ironiquement une place faite aux femmes aux côtés d’hommes torturant des prisonniers de guerre. On pourrait critiquer la dimension spectaculaire qui n’enrichit pas réellement son propos, à savoir une dénonciation tant de l’acte de torture en lui même que le sexisme appliqué à cette forme de torture, cependant, la recherche précédant la mise en œuvre de la performance est pour le moins audacieuse. Outre l’interview de femmes soldat à propos des pratiques et traitements réservés aux prisonniers au sein de l’armée américaine, l’auteure décide de suivre avec un groupe composé exclusivement d’étudiantes, une formation d’entraînement à la résistance aux techniques d’interrogatoires. Ce stage, dispensé par d’anciens combattants ayant appartenu au corps de la police militaire, se déroule de la manière suivante : chacune des
Fusco Coco, Petit manuel de torture à l’usage des femmes-soldats, (2008),Paris, Les prairies ordinaires, coll. « penser/croiser », 2008, traduit de l’anglais par François Cusset, p. 103. 14 Ibid. p.94. 13
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«I will try to inoculate smallpox with some blankets that may fall in their hands, and take care to not get the disease myself» 13 juillet 1763 (extrait « American Indian Hystory » , publié par Camilla Townsend, Wiley Blackwelle, 2009, p78 §2, correspondance entre le général Henry Bouquet et l’amiral Jeffery Amherst.) Les couvertures du Général Henry Bouquet sont en apparence de simples et inoffensives couvertures. Mais derrière la citation artistique du travail de Barry Flanagan (Pile 3 ‘68, 1968, couvertures) les couleurs pop et une apparente douceur, ces couvertures cachent une histoire tragique : elles ont été utilisées au 18e siècle par les Anglais pour inoculer la petite vérole aux Amérindiens.
Diego Guglieri Don Vito, Les Couvertures du géneral Henry Bouquet, 2013, couvertures, 50 x 65 x 65 cm
Coco Fusco, vue de la performance A Room of One’s Own : Women and Power in the New America, 2008, Galerie Alexander Grey Associate, New York, États-Unis
de témoignages de détenus et comptes rendus de témoins oculaires.13 » Dans l’essai Petit manuel de torture à l’usage des femmes soldats, qui découle des recherches effectuées pour réaliser cette performance elle indique :
« Alors comment se fait-il, finalement que lorsque je monte sur scène en uniforme pour parler de la torture sexuelle exercée par des femmes comme d’un moyen logique et raisonnable au service de la guerre contre le terrorisme ils et elles soient nombreux dans le public à expliquer que je les ai “blessés” en compromettant le féminisme dans quelque chose d’aussi terrible ? 14 »
Sa position est de revendiquer ironiquement une place faite aux femmes aux côtés d’hommes torturant des prisonniers de guerre. On pourrait critiquer la dimension spectaculaire qui n’enrichit pas réellement son propos, à savoir une dénonciation tant de l’acte de torture en lui même que le sexisme appliqué à cette forme de torture, cependant, la recherche précédant la mise en œuvre de la performance est pour le moins audacieuse. Outre l’interview de femmes soldat à propos des pratiques et traitements réservés aux prisonniers au sein de l’armée américaine, l’auteure décide de suivre avec un groupe composé exclusivement d’étudiantes, une formation d’entraînement à la résistance aux techniques d’interrogatoires. Ce stage, dispensé par d’anciens combattants ayant appartenu au corps de la police militaire, se déroule de la manière suivante : chacune des
Fusco Coco, Petit manuel de torture à l’usage des femmes-soldats, (2008),Paris, Les prairies ordinaires, coll. « penser/croiser », 2008, traduit de l’anglais par François Cusset, p. 103. 14 Ibid. p.94. 13
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Diego Guglieri Don Vito, Guantanamo’s Hit Parade, 2013, pièce sonore (Compilation 10 titres)
psychologique à atteindre pour obtenir de la source des aveux fiables.
« Ils nous ont semblé plutôt résolument pragmatiques dans tout ce qu’ils faisaient et tout ce qu’ils disaient. [...] Ce qui était peut-être la meilleure preuve qu’on les avait formés à accepter comme raisonnable les choses qui, de notre côté, nous dérangeait.15 »
Fusco Coco, Petit manuel de torture à l’usage des femmes-soldats, Illustration N°4, p. 110 ; Usage de musique bruyante : Mettre du Heavy Metal est vivement recommandé pour obtenir une réponse rapide. participantes se voit confier un ordre de mission qu’elle devra tenir secret à tout prix. Dans un premier temps, les instructeurs usent de techniques d’interrogatoires excluant toute violence physique pour soutirer aux participantes les informations dont elles disposent. Après un retour sur les points forts et points faibles des participantes, les rôles sont inversés, les participantes deviennent interrogatrices et les instructeurs interrogés. L’auteure affirme que cette démarche lui a permis de saisir le sens l’humiliation infligée aux prisonniers : il s’agit selon elle d’une pratique mesurée et millimétrée correspondant à un seuil de rupture
15
Ces actes d’humiliation ne sont donc pas le fait d’une pratique isolée des suites de pulsions sadiques, comme l’affirment les gradés de l’armée américaine qui ont eu à en répondre, ce serait au contraire des agissements étudiés et planifiés. Vraisemblablement, la performance est la dénonciation d’un mode opératoire du gouvernement américain, qui affirme défendre le monde libre en usant de pratiques telles que la torture, finalement contestables au regard du concept de liberté. La dimension subversive est à mon sens davantage contenue dans le dispositif de recherche menée par l’auteure que dans la performance qui en résulte. Lorsqu’elle prend la décision de suivre cet entraînement aux techniques d’interrogatoires, elle se met volontairement en danger, se trouvant dans un premier temps, elle-même dans la position d’un prisonnier sur lequel on exerce une pression psychologique. Quand bien même il s’agît d’un entraînement duquel elle dispose de la possibilité de se retirer à tout moment, elle est tout de même face à un instructeur qui use de pression psychologique pour la faire craquer. Par la suite, elle joue le rôle de l’interrogateur,
FUSCO C., op. cit., p. 90-91.
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Sachant que la base de Guantanamo pratiquait l’obtention de renseignements tactiques par extra-stimulation sensorielle (torture utilisant son et lumière) sur ses prisonniers, je voulais connaître quel type de musique. Ne trouvant pas d’information suffisamment fiable à mon goût, je décidais d’utiliser le hit-parade de la radio locale. Le résultat est une compilation de musique pop cubaine, rappelant ce que pourrait être l’ambiance musicale d’un magasin, fast-food, etc. Écoute en ligne : http://www.diego-gdv.tk/travaux/guantanamo.html
Diego Guglieri Don Vito, Guantanamo’s Hit Parade, 2013, pièce sonore (Compilation 10 titres)
psychologique à atteindre pour obtenir de la source des aveux fiables.
« Ils nous ont semblé plutôt résolument pragmatiques dans tout ce qu’ils faisaient et tout ce qu’ils disaient. [...] Ce qui était peut-être la meilleure preuve qu’on les avait formés à accepter comme raisonnable les choses qui, de notre côté, nous dérangeait.15 »
Fusco Coco, Petit manuel de torture à l’usage des femmes-soldats, Illustration N°4, p. 110 ; Usage de musique bruyante : Mettre du Heavy Metal est vivement recommandé pour obtenir une réponse rapide. participantes se voit confier un ordre de mission qu’elle devra tenir secret à tout prix. Dans un premier temps, les instructeurs usent de techniques d’interrogatoires excluant toute violence physique pour soutirer aux participantes les informations dont elles disposent. Après un retour sur les points forts et points faibles des participantes, les rôles sont inversés, les participantes deviennent interrogatrices et les instructeurs interrogés. L’auteure affirme que cette démarche lui a permis de saisir le sens l’humiliation infligée aux prisonniers : il s’agit selon elle d’une pratique mesurée et millimétrée correspondant à un seuil de rupture
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Ces actes d’humiliation ne sont donc pas le fait d’une pratique isolée des suites de pulsions sadiques, comme l’affirment les gradés de l’armée américaine qui ont eu à en répondre, ce serait au contraire des agissements étudiés et planifiés. Vraisemblablement, la performance est la dénonciation d’un mode opératoire du gouvernement américain, qui affirme défendre le monde libre en usant de pratiques telles que la torture, finalement contestables au regard du concept de liberté. La dimension subversive est à mon sens davantage contenue dans le dispositif de recherche menée par l’auteure que dans la performance qui en résulte. Lorsqu’elle prend la décision de suivre cet entraînement aux techniques d’interrogatoires, elle se met volontairement en danger, se trouvant dans un premier temps, elle-même dans la position d’un prisonnier sur lequel on exerce une pression psychologique. Quand bien même il s’agît d’un entraînement duquel elle dispose de la possibilité de se retirer à tout moment, elle est tout de même face à un instructeur qui use de pression psychologique pour la faire craquer. Par la suite, elle joue le rôle de l’interrogateur,
FUSCO C., op. cit., p. 90-91.
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Diego Guglieri Don Vito, YpĂŠrite, 2013, seau, eau de javel, acide chlorhydrique, dim. variable.
la plaçant en bourreau ; position finalement à contrepied des aspects qu’elle dénonce dans sa performance.
« D’un côté les femmes américaines continuent à subir le sexisme sous différentes formes, mais d’un autre côté, grâce à leur implication en tant qu’Américaines dans l’exercice du pouvoir mondial, les femmes sont invités (mais aussi prêtes, aux postes de responsabilités qui sont les leurs) à se comporter en agresseurs, en faisant souvent, pour y parvenir, un usage stratégique de leur féminité.16 » Cette ambivalence ouvre le propos critique de l’auteur au sens ou elle cherche à intégrer le mécanisme de ces pratiques avant d’en formuler la critique. La notion d’image, également abordée dans l’essai, ouvre l’aspect médiatique de la guerre menée par les États-Unis.
« Tandis que les politiques adoptent la stratégie du brouillage, les représentations visuelles plus ou moins fictives du pouvoir policier mondial, tel qu’elles dominent notre espace audiovisuel, sont, elles, beaucoup plus claires, apaisant la peur de l’inconnu à coup d’images nettes montrant des interrogatoires rapides, violents et efficaces. Il suffit de regarder les sériestélé Sleeper Cell, Commando d’Élite, 24 Heures ou les téléfilms policiers qui passent et repassent sur nos chaînes. Les suspects y sont continûment passés
16 17
Fusco Coco, Petit manuel de torture à l’usage des femmes-soldats, Illustration N°13, p. 119 ; Posture Stressante : Les avances sexuelles directes de la part d’une femme blanche et chrétienne suscitent une forte angoisse chez le musulman pieux.
à tabac, on leur ment, on les menace de mort ou de représailles sur leurs familles et voilà qu’on obtient d’eux comme par hasard, les informations recherchées.17 » Il y a, de la part de l’auteure, une véritable interrogation de la fonction de l’image, de son rôle quant à la mise en place d’une acceptation progressive des pratiques de tortures justifiées par l’hypothétique sécurité nationale. Il se trouve que l’auteur base sa performance sur l’utilisation d’images, elle construit véritablement une
FUSCO C., op. cit., p. 96. Ibid, p. 54.
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HClO + HCl = CL2 + H2O En mélangeant de l’acide chlorhydrique à de l’eau de javel on obtient un dégagement de dichlore, purement et simplement du gaz moutarde. Au-delà de la banalité des produits d’entretien domestique, se cache une arme chimique dont les effets sont : cécité visuelle, inflammation de la peau et des muqueuses, apparition de cloques 6 à 8 heures après l’exposition et enfin œdèmes pulmonaires entraînant la mort.
Diego Guglieri Don Vito, Ypérite, 2013, seau, eau de javel, acide chlorhydrique, dim. variable.
la plaçant en bourreau ; position finalement à contrepied des aspects qu’elle dénonce dans sa performance.
« D’un côté les femmes américaines continuent à subir le sexisme sous différentes formes, mais d’un autre côté, grâce à leur implication en tant qu’Américaines dans l’exercice du pouvoir mondial, les femmes sont invités (mais aussi prêtes, aux postes de responsabilités qui sont les leurs) à se comporter en agresseurs, en faisant souvent, pour y parvenir, un usage stratégique de leur féminité.16 » Cette ambivalence ouvre le propos critique de l’auteur au sens ou elle cherche à intégrer le mécanisme de ces pratiques avant d’en formuler la critique. La notion d’image, également abordée dans l’essai, ouvre l’aspect médiatique de la guerre menée par les États-Unis.
« Tandis que les politiques adoptent la stratégie du brouillage, les représentations visuelles plus ou moins fictives du pouvoir policier mondial, tel qu’elles dominent notre espace audiovisuel, sont, elles, beaucoup plus claires, apaisant la peur de l’inconnu à coup d’images nettes montrant des interrogatoires rapides, violents et efficaces. Il suffit de regarder les sériestélé Sleeper Cell, Commando d’Élite, 24 Heures ou les téléfilms policiers qui passent et repassent sur nos chaînes. Les suspects y sont continûment passés
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Fusco Coco, Petit manuel de torture à l’usage des femmes-soldats, Illustration N°13, p. 119 ; Posture Stressante : Les avances sexuelles directes de la part d’une femme blanche et chrétienne suscitent une forte angoisse chez le musulman pieux.
à tabac, on leur ment, on les menace de mort ou de représailles sur leurs familles et voilà qu’on obtient d’eux comme par hasard, les informations recherchées.17 » Il y a, de la part de l’auteure, une véritable interrogation de la fonction de l’image, de son rôle quant à la mise en place d’une acceptation progressive des pratiques de tortures justifiées par l’hypothétique sécurité nationale. Il se trouve que l’auteur base sa performance sur l’utilisation d’images, elle construit véritablement une
FUSCO C., op. cit., p. 96. Ibid, p. 54.
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image de la sexualité féminine comme arme de guerre. Il convient de se poser la question de la dimension spectaculaire de la performance, l’impression d’une image forte sert-elle ou dessert-elle le propos critique ? En d’autres termes, peut-on lutter contre un système avec ses propres armes ? S’il n’apporte pas une seule réponse distincte, le travail de l’auteur invite à décoder l’image, et ouvre le débat à propos de la forme critique : a-t-elle encore un effet lorsqu’elle est calibrée sur le modèle qu’elle remet en cause ? Ces situations explorées, montrent l’importance du cadre au regard d’une pratique subversive : il semble être une des conditions principales, faisant naître chez les auteurs gestes subversifs une volonté de mettre en cause le système établi. Ces pratiques se positionnent par rapport à une autorité qu’elle soit institutionnelle ou autre. Elles s’appuient sur une partie des règles posées par cette autorité pour en ébranler les fondements. Ceci relève d’un paradoxe, au sens où la pratique subversive vient bousculer ce qui la fait exister. La pièce de Simon Nicaise Sans-Titre (2012, ballon et aiguille) est une illustration poétique de ce système contradictoire : chacun des deux éléments ne pouvant exister sans l’autre, sans pour autant annuler le danger mutuel qu’ils contiennent. Critique et subversion sont fondamentalement liées, cependant, toute critique n’est pas pour autant subversive. Dans le cas de Julien Prévieux (Malette N° 1 et Lettres de Non-Motivations), la pratique est subversive au sens où elle fait naître la critique d’un système hors de l’espace consacré à l’art, que ce soit le processus de sélection professionnelle ou des décisions politiques liées au contrôle biométrique.
Cela tient pour beaucoup à la forme donnée à la critique, il ne s’agit pas d’un commentaire explicite sur une situation, mais plutôt une direction montrée, que ce soit par la production d’un objet absurde ou l’action de parasiter un processus de sélection professionnelle. L’absurdité et le non-sens sont autant d’outils qui véhiculent la pensée critique de l’auteur. Ils permettent d’amener avec légèreté un débat autour d’un sujet grave ; ils sont aussi une manière de pointer les failles du système. L’artiste joue le rôle d’élément perturbateur ; potentiellement déclencheur d’un changement de situation. Ce rôle d’élément perturbateur est également tenu par Fabrice Gygi, mais d’une tout autre manière. En ce qui concerne Rathania’s, l’artiste utilise un entre-deux ménageant l’autorisé et l’interdit, nous sommes face à une proposition formulant un commentaire sur un système de sélection artistique. Cet intermédiaire est un espace de liberté qui rend possible une prise de parole, la possibilité d’établir de nouvelles règles ; lesquelles n’abolissent pas nécessairement les règles existantes, mais en posent de nouvelles, qui bousculent la validité des précédentes. Cet aspect entretient une relation ambiguë avec la notion d’autorité au sens où cette pratique subversive formule une critique de l’autorité établie tout en étant elle-même plus autoritaire encore. Ce surplus de règles aboutit à une forme égalitaire : si le cadre qu’elles installent est rigide, les propositions accueillies sont hétéroclites au possible. L’effet produit est une sensation de chaos. La question de l’effet est également importante : une pratique est subversive à partir du moment où l’on admet qu’elle produit un effet ; pour autant, ce dernier n’est pas obligatoirement immédiat, il peut rester en veille un certain temps. Il peut aussi s’intensifier progressivement : les Lettres de Non-Motivation de Julien Prévieux produisent d’abord un effet
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d’ordre individuel, provoquant assurément la surprise du RH qui lit cette lettre. L’artiste propose finalement un jeu dans la journée de travail du RH : il peut accepter de jouer en écrivant une réponse à l’artiste, il peut également refuser ce jeu en jetant à la poubelle la lettre reçue. Il peut aussi placer un coup neutre, en envoyant une réponse type, jouant son rôle de manière robotique au sein du système de sélection. L’enjeu de la lettre est de placer le RH face au choix d’un comportement fondamentalement humain au sein d’un processus de décision régie par des règles strictes. Le fait de compiler ces lettres et leurs réponses au sein d’une édition met à mal la validité du système de sélection professionnelle, lequel est pourtant accepté par la totalité des travailleurs ; finalement, l’effet évolue à mesure qu’il est diffusé. En ce sens, la pratique subversive est tournée vers l’altérité : elle émane d’une personne et s’adresse à une autre. Ainsi, elle nécessite d’être perçue pour exister ; il n’est cependant pas nécessaire qu’elle soit relevée comme telle, ni que cette perception soit immédiate : on peut considérer qu’un acte subversif passe inaperçu durant un certain laps de temps, qu’il soit en veille jusqu’à ce qu’il provoque un retournement et remette en question le cadre dans lequel il prend forme. Dans le cas de Sans-Titre (2012, ballon et aiguille) par exemple, la pièce ne se remet en cause que si l’on veut bien identifier les éléments qui la constituent comme étant un danger l’un pour l’autre. Il y a un écho qui est apporté par le public, lequel peut être positif ou négatif, mais nécessite de faire naître une réaction. Finalement, l’intérêt d’une pratique subversive est d’encourager le débat, elle peut le créer, mais aussi participer à un
débat préexistant. Pour ainsi dire, ce type de remise en cause ne vise pas nécessairement à apporter une réponse plutôt à formuler un ensemble de questions. Dans le cas de la performance de Coco Fusco, Room of One’s Own : Women and Power in the New America (2011), on pourra considérer discutable l’importance accordée à une imagerie-choc, mais il y a bel et bien, de la part de l’auteure la volonté de créer un débat, de prendre la parole sur une actualité politique et médiatique. Au sein d’un espace consacré à l’art, l’institution joue le rôle de l’autorité, du cadre par rapport auquel il est possible de se positionner. Le fait que ce cadre lui-même encourage sa propre remise en cause n’est finalement pas une manière d’annuler l’effet de la pratique subversive en général. La situation est plus complexe : l’un est l’autre sont finalement indissociables. Imaginons un cadre qui ne serait pas remis en cause, celui-ci finirait doucement par accueillir des propositions « produits » réalisées selon la recette « qui marche ». Elles tendraient vers le moyen, ni bon ni mauvais, juste fonctionnelles ; au sens où elles répondraient simplement aux exigences du cadre. À l’inverse, il est difficile d’imaginer une pratique subversive sans cadres : que lui resterait à remettre en cause, sinon elle-même ? L’aboutissement le plus achevé de cette réflexion serait l’idée nihiliste d’admettre sa propre vacuité ; il ne resterait comme option uniquement celle consistant à établir un nouveau cadre pour en faire la critique. L’espace d’art est finalement un lieu qu’il est possible de remettre en cause et qui permet le partage des questions soulevées avec son public.
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Références Bibliographiques Fusco Coco, Petit manuel de torture à l’usage des femmes-soldats, (2008), Paris, Les prairies ordinaires, coll. « penser/croiser », 2008, traduit de l’anglais par François Cusset Ordine Nuccio, L’utilité de l’inutile manifeste suivi d’un essai d’Abraham Flexner (2014), Paris, Les belles lettres, coll. « Romans, Essais, Poésie, Documents », 2014, traduit de l’anglais par Luc Hersant et Patrick Hersant Marcuse Herbert, L’homme unidimensionnel essai sur l’idéologiede la société industrielle avancée, (1964) Paris, Éditions de Minuit, Collection « Arguments », 1968, Traduit de l’anglais par Monique Wittig et l’auteur Foucault Michel, Le corps utopique - les hétérotopies Paris, Éditions Lignes, 2009 Lichtenstein Nelson & Strasser Susan, Wall Mart l’entreprise monde, (2006) Paris, les Prairies Ordinaires, coll. « penser/croiser », 2009 Bourriaud Nicolas, Radicant pour un esthétique de la globalisation Paris, Denoël, 2009 Heinich Nathalie, Harald Szeemann. Un cas singulier Paris, L’Échoppe, 1995 Bourriaud Nicolas, Postproduction, la culture comme scénario : comment l’art reprogramme le monde contemporain Paris, les Presses du Réel, 2009 PEREC George, Approches de quoi ? in L’Infra-ordinaire, Paris, Éditions du Seuil, 1989. Prévieux Julien, Lettres de non-motivation Paris, Éditions Zones, 2007 Swift Jhonathan, Voyages de Gulliver, Tome I, (1726), Paris, H. L. Guerin et L. F. Delatour, Traduit de l’anglais M. L’abbé Desfontaines 1762 Townsend Camilla, American indian history : a documentary readerChichester (UK), Wiley - Blackwell, 2009 Merle Christian, Léon Victor Limacher 1894-1986 : Combattant et postier Paris, Éditions Le Manuscrit, 2010
Références Bibliographiques Sites Internet (date de dernière consultation : avril 2014) FUSCO Coco, portfolio http://www.cocofusco.com/ NICAISE Simon, portfolio http://www.simonnicaise.com/index.php?/root/sans-titre-ballon-aiguille/ PRÉVIEUX Julien, portfolio http://www.previeux.net/pdf/Portfolio_JulienPrevieux.pdf VAUTIER Benjamin, boutique en ligne http://ben-vautier.com/benvendtout/ BONOTTO Fondazione, Hall des Remises en Question http://www.fondazionebonotto.org/fluxus/collective/document/0209s.html?from=2154 Filmographie LEWIS Ben, Art Safari 1 & 2 (série documentaire), 2009, 16:9, 8 x 30 min LEWIS Ben, The Great Contemporary Art Bubble (documentaire), 2009, 16:9, 90 min SCHEI Tonje Hessen (ZDF/Arte), La guerre des Drones (documentaire), 2013, HD 16:9, 57min