A pieds joints

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Ă€ Pieds joints Anne Maussion




Ce livre a été réalisé en mars 2012 à l’ESAL Épinal dans le cadre d’un atelier édition animé par l’auteur Julia Billet, l’illustrateur Rémi Saillard et Marie-Jo Beaugé pour la reliure.


Ă€ Pieds joints Anne Maussion


Je cours le plus vite que je peux, avec la tête en avant et les pieds trop en retard. Du coup, je m’étale de tout mon corps dans l’herbe mais je me relève rapidement, sourire aux lèvres, il ne faut surtout pas que je perde la course. Un coup d’œil à droite, un autre à gauche ; c’est bon je suis en tête ! Je suis sûre d’arriver la première et je pousse un cri de joie.

Sophie éclate de rire derrière moi.




Un grand coup de pied dans la poussière et je me lance. Je prépare bien mes mouvements ; je connais les gestes par cœur. Quand commence la descente il faut déjà penser à la montée. Je suis tendue comme une flèche pour mieux décoller. Je sens les mains de Sophie dans mon dos. Elles me propulsent le plus fort et le plus haut qu’elles peuvent vers le ciel.

Avec Sophie, je me sens pousser des ailes.


De la balançoire, on en fait chaque samedi quand papa vient me chercher pour le weekend.

Sophie n’est pas vraiment ma sœur. C’est la fille de Sonia, la nouvelle copine de papa. On est même pas demi-sœurs, puisque mon papa ce n’est pas son papa à elle.


Nous, on se dit qu’on est demi de rien du tout, qu’on est tout entière et toute à l’autre.


J‘ai les mains biens agrippées aux cordes de la balançoire. Pas trop hautes, les mains, pour ne pas lâcher prise, ni trop basses, sinon, je perds l’équilibre. Je me concentre pour mettre toute mon énergie dans le décollage

et aller le plus loin possible.

Titou, le chien du voisin, se précipite vers nous et fait tomber Sophie à la renverse. J’entends son rire résonner dans mes oreilles et Titou aboyer en me tournant autour.



Un, deux, trois...

Je lâche tous mes doigts d’un coup et je m’envole.


Quand je frôle les nuages,

je me sens aussi léger qu’un oiseau.


Je retombe dans un bruit d’éléphant. Je cherche Sophie des yeux mais je ne la trouve pas. Elle n’est plus derrière la balançoire, ni nulle part dans le jardin. Papa dit qu’elle est partie avec Sonia et qu’elles ne reviendront pas.


Il me dit que c’est la vie et que

parfois, les adultes se sĂŠparent.



J’ai l’impression d’entendre parler maman il y a quatre ans. Elle me disait ces mêmes phrases que je ne comprenais pas. J’entendais les mots

dispute, divorce et séparation et tout s’emmêlait dans ma tête.


Maintenant, quand je cours dans le jardin et que je tombe, je ne suis plus aussi pressée de me relever. Le samedi, je fais de la balançoire toute seule.

J’imagine que

c’est moi qui fait tourner la terre et je tourne avec elle. J’entraîne avec moi les étoiles, la lune et le soleil alors que Titou me court entre les pieds et essaye de me mordre les chevilles à chaque fois que je m’approche du sol.




Je monte haut, pour éviter ses crocs, mais moins haut qu’avec Sophie.

Je danse toute seule avec les planètes et quand je m’envole et que je m’accroche au plafond du ciel, j’y fais un trou qui laisse passer la pluie, et elle coule sur mes joues.


Il n’arrête pas de pleuvoir. Je regarde par la fenêtre Titou qui a l’air abattu sans orteils à mordiller. Papa me serre tout contre lui. Je lui explique que j’attends que les nuages aient rebouché le vide du ciel.


Il me sourit,

il a les yeux un peu triste, lui aussi.


Avec le soleil,

un arc en ciel.

la pluie a crée Je cours le plus vite que je peux, je grimpe sur ma balançoire et je décolle d’un coup de pied. Titou m’aide à aller plus haut en me mordillant les chevilles. J’ai les mains bien accrochées,

je me concentre.

Le monde commence à tourner mais Titou ne sait pas très bien danser alors il ne peut pas m’accompagner.




Quatre, cinq, six... je saute et atterris doucement sur l’arc en ciel,

au milieu des nuages. Quand je marche, il s’enfonce légèrement sous mes pas. L’arc en ciel en rejoint un deuxième et un troisième. Le chemin est long mais Titou me suit d’en bas, sur la terre ferme, et ça me rassure.


La route m’emmène doucement jusqu’à dimanche. Quand je touche enfin la terre,

c’est déjà demain.

Il y a plein d’enfants qui jouent aux jeux et font du toboggan. Et surtout, il y a Sophie, le corps tendu, les mains biens agrippées, prête à s’envoler si je lui donne un coup de pouce.




De la balançoire, j’en fais tous les dimanches

avec ma copine Sophie au parc du quartier. À nous deux on fait tourner la terre tellement vite que papa doit se cramponner à son banc pour garder l’équilibre... Je le regarde d’en haut, accrochée aux étoiles, il me sourit.




Sophie n’est pas vraiment ma sœur. C’est la fille de Sonia, la nouvelle copine de papa. On est même pas demi-sœurs, puisque mon papa ce n’est pas son papa à elle. Nous, on se dit qu’on est demi de rien du tout, qu’on est tout entière et toute à l’autre.


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