FEMME .BAOBAB. .Saveria Pusceddo.
.promesse.
À ma Nanïs, à tes grands yeux pour nos fous rires, nos larmes, à jamais dans mon coeur.
FEMME .BAOBAB. .Saveria Pusceddo.
J’étais petite, perdue, esseulée, tu étais déjà arbre, grand, beau, majestueux, fatigué de solitude. Autour, vautour, ocre à terre, ocre en ton âme, ciel clair, bleu féroce, aridité. Soleil omniscient. La chasse endiablée d’un scarabée tacheté fut le responsable de mon errance. Maintenant loin de mon foyer, je ne savais plus où aller.
J’ai alors suivi l’ombre de ton feuillage, tu étais la seule accalmie dans mon égarement, la seule odeur enivrante. La chaleur s’appuyait lourdement sur mes frêles épaules, les crissements des insectes, le bruissement des pas de lions, les sons m’entouraient, me coinçaient, me retranchaient. J’étais affolée, avancer plus vite que mes jambes, courir, enjamber, sauter.
Aller plus vite que le temps. Les hautes herbes roussies giflaient mes narines. La chute fut rude, le sol friable cracha. Un bout de racine s’infiltra dans ma bouche, je m’étouffais, ma tête vacillait, arriver à t’enlacer. Ma tête se heurta à ton tronc, tout était flouté par des larmes de crocodile qui dévalaient sur mes joues.
De tristesse, de compassion, de curiosité, ton tronc s’est ouvert, petit pois, je suis entrée, l’alcôve est calme, humide, plus de bruit de savane, l’eau en mousse, marécage de suc. Je me suis endormie. Sauvée par toi mon arbre renversé, je n’étais plus assoiffée, juste reposée.
Alors, alors… Cela fut entendu avec la lune en témoin, en rien une fébrilité enfantine, je t’ai fait cette promesse, attachement, corde nouée, toi, moi, reliés, lien sacré, enraciné par le cœur, épouse d’un arbre, je serai la mariée du baobab. La nuit fut douce sucrée, ici enamourés.
Au matin, deux mains affolées sont venu m’extirper, m’ont enlevé de ton branchage affectif. Je me suis débattue, j’étais enragée, une lionne que l’on veut dompter, j’ai mordu, j’ai griffé. Mais seule un bout d’écorce m’est parvenu, celui que tu t’es arraché pour me l’incruster sur ma peau abimée.
Depuis cet instant, ces mains apeurées m’ont enfermées. Des mains rudes, d’un père fatigué, travaillées par la terre. Elles étaient les barreaux de mes émotions, la cage de ma liberté, le désespoir de te revoir. Mon père, ma mère m’ont ainsi vu grandir enfermée dans leur foyer.
Chaque matin l’écorce engendra un bijou de feuillage sur mon front brûlant. Mon père étant agacé de voir ces métamorphoses, m’érafla, me gratta, m’écailla, l’anéantissement récurant de ces bourgeons naissant fit de moi une femme sang.
Tentative vaine, rien ne ralentissait ces changements. Un nouvel attribut de branchage apparaissait sur ma peau mutilée, cheveux en bois, sang en sève gluante, peau en strate d’écorce, mon corps en ramage. Je suis façonnée en mon bien aimé.
Quand le soleil se leva sur ma seizième année, j’étais devenue femme, dans cette mâtinée embrumée de fraicheur, Je l’ai décidé : il était temps de s’échapper. Deux traces rouges sur mon sein gauche, ornement. Deux traces bleues sur mon œil droit, équilibre. Dorure au corps, pieds nus. Il fallait gravir, anéantir,
engloutir, sans jamais mourir. Promesse tendre d’un geste velouté, deux bras contre ta sève, t’enlacer. Envie ! Confession des vœux ! Je suis la mariée du baobab, je te l’ai murmuré, susurré dans l’interstice de ta peau-écorce.
Parure incrustée, couteau dentelé à mes cotés, il me faudra emprunter les chemins infestés, village hostile, rivière enragée, herbe empoisonnée. Tous voulaient me voir échouer d’être à tes cotés, pour t’atteindre, t’étreindre.
Poussière, amène le vent et guide moi. Les monstres à trépaner, étaient autant d’hommes poissons vicieux comme le ruisseau, que d’oiseaux charmeurs, voluptueusement soyeux. Il y avait tant à faire et si peu de temps,
danser, marcher, sur l’eau, sur cette terre, lieu secret et terre fertile,
maintenant il est temps : femme, sein, fesse, pied, bouche, reliés. je vais enlacer l’être aimé.
enlacer un baobab
Livre réalisé avec la participation de Julia Billet et Rémi Saillard imprimé à l’E.S.A.L d’Épinal en 2013.
« Promesse tendre d’un geste velouté, deux bras contres ta sève, t’enlacer. Envie ! Confession des vœux ! je suis la mariée du baobab »