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La responsabilité des gestionnaires publics : une évolution majeure ?
Lors du 5e Comité interministériel de la transformation publique du 05/02/2021, le Premier Ministre a validé le principe d’une refonte des régimes de responsabilité des gestionnaires publics :
« Le Gouvernement amplifie son action en faveur d’une plus grande responsabilisation des gestionnaires publics, en contrepartie d’un allégement des contrôles a priori. Cette modernisation de la fonction financière doit conduire à une meilleure efficience de la gestion publique, en responsabilisant effectivement les gestionnaires sur la qualité de leur gestion. »
Cette orientation se traduisant dans l’engagement n° 10 dans les termes suivants :
« Accroître les marges de manœuvre et la responsabilité des gestionnaires publics grâce à une réforme de l’organisation financière, une transformation de la chaîne comptable et un contrôle unifié des ordonnateurs et des comptables. »
Missionnés préalablement par le Ministre de l’Action et des comptes publics fin 2019 (I)) Jean Bassères, ancien Directeur général de la comptabilité publique et Stéphanie Damarey, universitaire, faisaient part de leurs recommandations pour un régime unifié de responsabilité des gestionnaires publics (II). Le point de vue de la Cour des comptes était dès lors attendu (III)
L A LETTRE DE MISSION DU MINISTRE DE L’ACTION ET DES COMPTES PUBLICS
Adressées à Mme Damarey et M. Bassères le 20 décembre 2019 en termes identiques quant aux objectifs généraux, elle fixe sans détour les insuffisances prêtées au système actuel :
- déséquilibre du régime de responsabilité trop axé sur la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables avec système de réparation fictif du fait de la remise gracieuse, celui des ordonnateurs étant mal adapté par ailleurs à l’exigence d’efficience dans le maniement des deniers publics tel que réclamé par l’opinion.
- système reposant sur le principe de séparation ordonnateurs / comptables qui ne traduit pas l’imbrication croissante des acteurs de la chaîne financière.
- appréciation du préjudice trop orientée vers une interprétation formelle de la réglementation et non sur le préjudice effectif pour la collectivité.
Si ces constats ont pu être établis et servir de base aux investigations des missionnés, on ne peut s’empêcher d’y voir une suite logique aux points de convergence apparus entre la DGFIP et la Cour, quelques mois auparavant (colloque Cour des Comptes / Conseil d’État sur la responsabilité des gestionnaires publics – octobre 2019) dont :
- accord pour mettre fin au déséquilibre au détriment des comptables et mieux répartir la responsabilité entre le comptable et l’ordonnateur.
- consensus pour mettre fin à la réparation et entrer dans le domaine de la sanction, avec économie budgétaire pour les premiers, fin de la remise gracieuse pour les autres.
- volonté de corréler les sanctions avec les seuls manquements ayant causé un préjudice (cette notion restant toutefois à préciser)
Au cours de ce même colloque, le Vice-Président du Conseil d’État élargissait le champ des réflexions en laissant ouvertes plusieurs questions :
- comment intégrer la prise de risque dans le régime de responsabilité ?
- comment parvenir à faire la part entre la faute inadmissible (sanctionnable) et la prise de risque qui a abouti à un échec (non sanctionnable) ?
- comment établir un corpus de règles lisibles, adapté à cette distinction ?
Affirmant enfin que la RPP « fait gagner les prudents » et qu’une administration efficace doit être dynamique et innovante.
C’est dans ce contexte qu’était donné le signal de départ pour tenter d’écrire concrètement les principes et moyens de la réforme annoncée.
LES RECOMMANDATIONS DES MISSIONS BASSèRES – DAMAREY
Les propositions de Jean Bassères reposent sur la constatation d’une organisation entre ordonnateurs et comptables jugée trop rigide, d’une responsabilité financière déséquilibrée et en défaveur des comptables qui n’encouragent ni la performance du comptable public ni celle de l’ordonnateur.
Il préconise ainsi une sécurisation renforcée de la chaîne financière en amont et une bascule des contrôles a priori vers des contrôles a posteriori. Dans ce nouvel environnement, il serait mis fin au régime actuel de RPP des comptables (sauf la responsabilité de caisse) au profit d’un régime unifié de responsabilité juridictionnelle de l’ensemble des acteurs, devant la CDBF, pour les fautes les plus graves. Il plaide ainsi pour la définition d’une échelle de sanctions assortie d’un plafonnement dans la mesure où celles-ci ne seraient plus assurables.
Les propositions de Stéphanie Damarey s’appuient sur une étude comparée des systèmes étrangers et sur les difficultés juridiques liées à la notion de préjudice financier. Intimement convaincue que dans un État de droit la possibilité pour un Ministre de remettre en cause une décision prononcée par un juge ne peut plus être admise, elle en déduit la nécessité de supprimer le débet et la remise gracieuse et de lui substituer une sanction « proportionnée et supportable ». Ses propositions confortent le rôle de la Cour des comptes plutôt que de la CDBF, avec au préalable un plus grand recours à la sanction managériale.
Ces propositions méritent que l’on s’attache au moins à deux problématiques majeures, le périmètre d’une responsabilité unifiée étendue aux ordonnateurs et l’exercice du métier de comptable public dans lequel le risque ne serait plus assurable.
Si le principe selon lequel la responsabilité des ordonnateurs et des comptables publics doit pouvoir être engagée devant une juridiction unique ne fait pas problème, le rapport Bassères met en exergue la difficulté de l’imputation d’un manquement à un responsable clairement identifiable dans la chaîne de décision de la collectivité. En excluant les ministres et les élus « qui jouissent d’une légitimité politique et sont contraints par la collégialité », il opère de fait un transfert de responsabilité vers les agents publics agissant sous les ordres des élus. Il s’appuie sur l’exemple du récent arrêt Opéra national de Bordeaux dans lequel le directeur général de la régie de conseil de l’ordonnateur a été incriminé par la CDBF. Outre le caractère très spécifique de cette décision, une telle substitution de responsabilité serait-elle durablement tenable pour les services de la collectivité et lisible pour l’opinion ?
Par ailleurs, le passage d’une logique de réparation à une logique de sanction emporte des conséquences sévères quant à l’exercice du métier de comptable public.
Le passage d’une logique de réparation à celle de la sanction emporterait des conséquences sévères pour l’assurabilité du régime
Aujourd’hui le comptable est soumis à une responsabilité dite objective, sans appréciation de l’existence ou non d’une faute. Il revient au juge de procéder aux constatations de manquements conduisant à engager cette responsabilité objective, au ministre d’apprécier si les irrégularités trouvent leur origine dans un comportement fautif, dans un défaut de contrôle interne, dans une mauvaise organisation du service… la remise gracieuse intervenant alors comme mécanisme régulateur. Du point de vue des comptables publics, celle-ci doit être regardée, non comme une faveur accordée par le prince, mais comme une reconnaissance conjointe de responsabilité de l’administration, à hauteur des difficultés de gestion des postes comptables.
On peut s’interroger enfin sur les conditions d’exercice du comptable public dans un « système répressif proportionné tout en étant dissuasif », ainsi qu’il est défini dans le rapport Bassères. Relevant qu’actuellement il existe un plafonnement de la sanction CDBF à un an de salaire, il propose de limiter la nouvelle échelle de sanction à trois mois de traitement brut, pour ne pas « entretenir de craintes sur leur soutenabilité », Mme Damarey se prononçant de son côté plus généreusement pour un montant « calculé en mois ou année de traitement ». Qui peut réellement penser que les magistrats de la Cour des Comptes ou de la CDBF enfermeraient le prononcé des sanctions dans un cadre prédéfini, cadre qu’il serait au demeurant très difficile de faire aboutir législativement ?
UNE RÉACTION RAPIDE DE LA COUR DES COMPTES à LA SUITE DE CES RAPPORTS
Face au risque de perte de la fonction juridictionnelle esquissé dans les propositions du rapport Bassères, la Cour rappelait en premier lieu la nécessité d’un contrôle « indépendant et démocratique des finances publiques, assuré par la Cour et les Chambres régionales et territoriales des comptes CRTC » mettant en exergue le caractère incontournable de l’institution. Puis la nécessité de maintien de la séparation ordonnateurs/comptables (que personne ne remettait en cause) et le principe d’une « responsabilité financière clairement identifiée » appelant une intégration réelle des ordonnateurs au processus unifié.
C’est pourtant le nouveau Premier président Pierre Moscovici qui présentait en février 2021 le programme « Juridictions financières 2025 » et une feuille de route en 40 actions :
« Les juridictions financières sont à la croisée des chemins, il est temps de franchir le pas et d’avancer vers un régime de responsabilité unifié des gestionnaires publics. », ce qui était décliné comme suit dans la présentation de l’orientation n°6 :
« Le dispositif en vigueur concernant la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables ne répond plus aux réalités de la gestion publique, toute réforme en la matière devra conserver le statut de juridiction de la Cour et des CRTC » et autour de deux actions-clé : action n°18 (pour 2021): création d’une chambre du contentieux à la Cour des comptes et des sections contentieuses dans les CRTC. Le but est de spécialiser et harmoniser la jurisprudence qui a connu de nombreuses incohérences, a suscité des critiques et nécessité des recours en cassation pour tempérer la sévérité des juges à l’égard des comptables. Elle prépare l’étape suivante du double degré de juridiction. action n°17 (pour 2022) : aller vers un régime unifié de responsabilité unifié des gestionnaires publics et institution d’un double degré de juridiction avec Cour et CRTC au 1er degré, CDBF en appel, Conseil d’ Etat en cassation.
On rappellera ici les propositions initiales de M. Bassères et Mme Damarey, la première visant à faire de la CDBF le juge unifié exclusif des comptables et ordonnateurs, la deuxième privilégiant l’office des magistrats de la Cour des comptes. En positionnant au 1er degré CRTC et Cour des comptes, et relevant la CDBF au niveau de l’appel, cette proposition ouvre la voie de l’appel aux justiciables directs de la Cour qui n’en disposaient pas jusqu’à présent. Accessoirement, elle conforte le statut des magistrats des deux chambres.
On attendait pourtant davantage de contenu dans cette proposition n°17 qui demeure très générale sur l’aspect concret de la réforme : « les incriminations seraient adaptées et les sanctions proportionnées au manquement, au préjudice occasionné, et aux circonstances dans lesquelles ont agi les responsables publics. »
Sans doute faut-il y voir une attitude prudente tant les sujets à traiter seront âprement débattus. Sans être exhaustif, comment limiter quantitativement l’action des juges du 1er degré, quelle écriture dans la loi pour les manquements constitutifs de fautes sanctionnables, quel niveau pour la « sanction encadrée », pour quels comptables, alors privés de la possibilité d’assurer leur risque professionnel ?
Et un risque certain, celui de voir ces derniers seuls justiciables d’un nouveau régime-sanction qui n’intégrerait qu’imparfaitement ou pas du tout ces autres « gestionnaires publics ».
Alain PACCIANUS
1er Vice-président de l’ACP
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