Archives|Revue en ligne Docomomo France n° 1 |1 septembre 2004

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DOCOMOMO FRANCE | ARCHIVES La Revue en ligne n° 1 | septembre 2004 Rédactrice en chef : Fabienne Chevallier Secrétaire de rédaction : Guillaume Evrard

Éditorial – par Fabienne Chevalier, présidente ........................................................................... 1 Firminy 2004, la renaissance d'un patrimoine remarquable – par Yvan Mettaud et Séverine Timoner ....................................................................................................................................... 2 Bibliographie non exhaustive .................................................................................................. 5 Notes ........................................................................................................................................ 5 L’hôtel Barillet de Robert Mallet-Stevens et sa restauration, Paris – par Riccardo Forte et Alexandre Iénibace ...................................................................................................................... 6 Entretien avec M. François Lérault, architecte DPLG – La réhabilitation de l’atelier du maître verrier Louis Barillet 15, square Vergennes, 75015, Paris Robert Mallet-Stevens, architecte, 1931-2003 .............................................................................................................12 Le patrimoine moderne à Gênes, ville invitée par DOCOMOMO France : préserver l’architecture des avant-gardes à Gênes – par Riccardo Forte .................................................. 17 Notes ...................................................................................................................................... 25 Bibliographie ......................................................................................................................... 25 Légendes des illustrations ..................................................................................................... 25 Stratégies de restauration du Barbican Estate, Londres .......................................................... 26 Conservation of the Barbican Estate, London : A pioneering strategy for the management of change Barbican Listed Building Management Guidelines – by Breda Daly .................. 26 Préserver l'architecture du Barbican Estate à Londres : une stratégie pionnière de conduite du changement. Barbican Listed Building Management Guidelines – par Breda Daly ...... 29 La Haute Qualité Environnementale et le béton – par Marion Chauvin ................................. 32 Bibliographie ......................................................................................................................... 35 Sites Internet à visiter .......................................................................................................... 35

Éditorial – par Fabienne Chevalier, présidente Le premier numéro de la revue en ligne de DOCOMOMO France s’intègre dans notre politique associative de diffusion internet des ressources scientifiques. Nous voulons rendre compte des objets remarquables de la modernité, dans leur dimension urbaine ou singulière : dans ce premier numéro, la ville moderne de Firminy, le site du Barbican Estate à Londres et l’hôtel Barillet par Robert Mallet-Stevens, à Paris. Un article est consacré au patrimoine moderne de la ville de Gênes, ville invitée de cette revue. Dans ces lieux, les auteurs, français et étrangers, questionnent la construction complexe des modernités européennes. La question de la préservation des patrimoines modernes est essentielle dans cette revue. Elle fonde nos intérêts pour des exemples étrangers que nous souhaitons stimulants. L’intérêt croissant pour le patrimoine, de par le monde, explique la montée en charge des « stratégies » de préservation. Nous donnons à ce terme un sens noble en pariant que les sciences humaines ont leur rôle à jouer dans ce nouveau monde. L’histoire est non pas dissociée, mais partie intégrante des démarches de préservation auxquelles nous nous intéressons. Il s’agit d’une histoire vivante reliée aux enjeux actuels, comme celui de la haute qualité environnementale.

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Firminy 2004, la renaissance d'un patrimoine remarquable – par Yvan Mettaud et Séverine Timoner « Il faut bâtir la ville dans le soleil, il faut bâtir dans la lumière. Il faut la bâtir avec la nature retrouvée autour des villes. Cela commande notre urbanisme. Il faut la construire avec dignité et cela commande notre architecture. Il faut la construire dans la simplicité puisque nous sommes pauvres. »[1] Eugène Claudius-Petit dans J. Rouaud, Le Salon des Arts Ménagers, tome 2, p. 40, SyrosAlternatives, Paris 1993.

Firminy-Vert. Opération du secteur industrialisé (cliché présenté à l'exposition française de Moscou) ©FLC/Adagp, Paris, 2004

Firminy est une ville moyenne du bassin stéphanois, située à la frontière entre la région Rhône-Alpes et la région Auvergne. Cette ville constitue aujourd'hui un témoignage physique des idées de Le Corbusier sur l'architecture et l'urbanisme. Ce témoignage du Mouvement moderne comprend deux volets, dont Eugène Claudius-Petit (1907-1989) fut l'instigateur en tant que maire de Firminy. Il avait été Ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme (1948-1953) avant d'être élu maire de Firminy en 1953, fonction élective qu'il assura jusqu'en 1971. Il souhaitait éradiquer les taudis et faire construire des immeubles offrant des logements décents à la population. Il réalisa ce projet en créant Firminy-Vert, nouvel « ensemble urbain » conçu comme une extension de la ville existante. Il en confia la conception et la réalisation à Charles Delfante, André Sive (et Jean Kling après la mort d'André Sive en 1958) et Marcel Roux. Cette réalisation fut conduite en respectant les principes de la Charte d'Athènes. Claudius-Petit souhaitait aussi créer un « centre civique » qui soit lié à la fois à Firminy-Vert et à la ville historique. Ce centre civique devait être dédié à des activités spirituelles et sportives, considérées par le Maire comme l'essence même de ce Docomomo France | archives de La Revue en ligne | septembre 2004 n° 1

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que le service public devait offrir à une ville qui en manquait cruellement. Animé par cette vision, Claudius-Petit invita Le Corbusier à Firminy en 1954. Dès 1955, la ville confia à ce dernier la construction d'une Maison des Jeunes et de la Culture et celle d'un stade municipal. La construction du centre civique s'échelonne de 1954 à aujourd'hui. Il est composé du stade (1954-1968), de la Maison des Jeunes et de la Culture (1955-1965), de la piscine (André Wogenscky , 1965-1968), et de l'Eglise Saint-Pierre, dont la conception fut commencée par Le Corbusier en 1961. Le Corbusier construisit aussi une Unité d'habitation, située à l'extrémité du quartier de Firminy-Vert (1965-1967). L'ensemble ainsi conçu par Le Corbusier à Firminy, en symbiose avec le quartier Firminy-Vert, est le plus important ensemble urbain qu'il laisse en Europe. La réalisation urbaine de Firminy-Vert connut une reconnaissance immédiate. En 1962, le Ministère de la Construction lui accorda le Prix de l'urbanisme pour l'année 1961. Mais le patrimoine du centre civique ne fut pas apprécié pendant de longues décennies. Le sort de l'Église Saint-Pierre, dont la construction n’a pas commencé, en 1965, constitua le point d'orgue de cette désaffection. Il commença à envenimer sérieusement les débats locaux dès 1970. La question qui anima ce débat fut d'abord celle de l'importance du financement nécessaire à cette construction, rapportée à la population d'obédience catholique susceptible d'être drainée à Firminy. Celle-ci n'était-elle pas trop faible pour justifier la construction de ce grand édifice ? En 1965, Claudius-Petit défendit publiquement la place des lieux de culte et des espaces spirituels dans les cités, fussent-elles d'échelle modeste, lors d'un colloque organisé à l'UNESCO[2]. Il avançait aussi dans cette manifestation l'intérêt des démarches œcuméniques, qui pouvaient aboutir à une fédération de plusieurs rites. Dans cette petite ville, l'œcuménisme servait aussi les intérêts de l'aménagement du territoire, un enjeu de l'époque, en mutualisant l'espace cultuel. En 1968, Claudius-Petit prit l'initiative de créer une société paroissiale, chargée de faire réaliser le projet. Celle-ci œuvra pour la réalisation en tentant de réunir des capitaux. Mais alors que les conditions de la réussite paraissaient à portée de main, le 25 mai 1970, lors de la pose de la première pierre, l’évêque se désengagea publiquement du projet de construction, portant un coup à sa crédibilité.. En retirant sa responsabilité du projet de construction de l'édifice, pour la raison que ce lieu de culte ne répondait pas à un besoin, l’évêché posait un nouveau problème, celui de l'affectation de l'édifice à une fonction autre que cultuelle. La construction s'engagea dans la foulée de cette nouvelle interrogation. Elle fut portée par l'action d'une société civile, créée pour prendre le relais de la société paroissiale dont le positionnement était devenu caduc. Elle fut financée par des fonds privés, nationaux et internationaux. Sur la scène locale, la défense du projet était assumée aussi bien par des croyants que par des laïcs. Parmi ceux-ci figurait, dans les années soixante-dix, le directeur de la Maison des Jeunes et de la Culture, membre de l'association Le Corbusier constituée pour défendre le projet. Malgré ses défenseurs, la construction s'arrêta à nouveau en 1978, sous l'effet d'une insuffisance de fonds et du dépôt de bilan de l'entreprise chargée de la réalisation. Elle était alors construite aux deux tiers et resta dans cet état. En 1983, la municipalité projeta enfin de construire un gymnase contre l'église, au cœur du centre civique, menaçant ainsi son authenticité. La Direction Régionale des Affaires Culturelles eut alors une réaction décisive en lançant une étude de ZPPAU [3], qui évita que ce projet fût concrétisé. Certains Apelous [4] réagirent également avec vigueur contre ce projet. Les habitants de l'unité d'habitation, en particulier, constituaient dans les années quatre-vingt-un véritable groupe de pression convaincu des qualités remarquables du legs corbuséen. L'inscription des parties construites à l'Inventaire supplémentaire des monuments historiques, en 1984, sauva l'église de la menace que constituait la construction d'un gymnase. L’inscription dès 1984 de l’Unité d’Habitation à ce même inventaire, n’épargna pas ce bâtiment d’une fermeture de la moitié de ces appartements par l’office public HLM municipal. Un début de patrimonialisation de l'œuvre de Le Corbusier s'engagea donc à Firminy en 1984 non pas dans un climat serein de reconnaissance de l'œuvre du maître, mais par réaction aux atteintes projetées à l'authenticité du centre civique et au peu de cas fait à l’Unité d’Habitation. La Maison de la Culture et le stade furent classés au titre des monuments historiques en 1984. En 1993, les façades, les pilotis, l'école et le toit-terrasse de l'Unité d'habitation furent classés Docomomo France | archives de La Revue en ligne | septembre 2004 n° 1

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monuments historiques. Le classement des parties construites de l'église, en 1996, est venu achever la protection « Monument Historique » des édifices du site. La question de la préservation du site était pourtant toujours en suspens. La destinée de l'Église, comme l’abandon de l’Unité d’Habitation, avait stigmatisé les conflits. En trente ans, le patrimoine était devenu, à Firminy, le support de polémiques et de confrontations. Le projet d'installation d'une antenne de l'école d'architecture de Saint Etienne à Firminy, au sein de l'unité d'habitation, aviva ces polémiques. Conçu pour s'appuyer sur une pédagogie de l'œuvre corbuséenne, sur le site de l'unité d'habitation, ce projet ne fut pas validé par la direction de l'école. Des frustrations s'ensuivirent dans un contexte où l'installation d'une antenne pédagogique à Firminy pouvait apparaître comme un atout pour revitaliser cette petite ville éloignée des grands centres de décision. Depuis 2001, le patrimoine est devenu l'un des axes de la politique de développement de la ville. Cette politique patrimoniale mise en place par la nouvelle municipalité, conduite par Dino Cinieri, se traduit d'abord par la mise au jour des outils de la politique de l'urbanisme. Une étude de ZPPAUP[5] a été lancée sur le quartier de Firminy-Vert, ensemble urbain reconnu « patrimoine du XXe siècle » en 2002, ainsi qu'une révision du PLU [6]. Les questions de développement et de mise à jour des réseaux sont également traitées, avec la mise en place d'un pôle multimodal et d'un plan de circulation pour permettre une meilleure circulation au sein de la ville et une meilleure communication avec l'extérieur (électrification du réseau SNCF, connexion des différents types de transport, signalétique, parcours piétonniers pour les usagers...). La réhabilitation complète de l'unité d'habitation a été entreprise en 2001. La destinée de l'Église Saint-Pierre a été tranchée. Pour satisfaire au principe d'authenticité, son achèvement a été confié à José Oubrerie[7], ancien collaborateur de Le Corbusier, qui est le maître d‘œuvre du chantier aux côtés de l'Architecte en chef des Monuments Historiques. Dessinateur à l’atelier de la rue de Sèvres, en particulier pour cette réalisation, José Oubrerie, comme l’association qui s’est formée dès 1960 pour ce projet ; maîtres d’ouvrages et Maîtres d’œuvre, n’auront jamais abandonné ce projet. Le chantier aura débuté en 1971, alimenté par des collectes privées et un prêt de la Fondation Le Corbusier. Aujourd'hui, le chantier de terminaison de l’œuvre est conduit sous la maîtrise d'ouvrage de la communauté d'agglomération Saint-Etienne Métropole présidée par Michel Thiollière, Sénateur Maire de Saint Etienne, qui en a accepté la donation par l’association « Le Corbusier pour l’église de Firminy vert » au titre « des grands équipements structurants culturels ». La fonction de l'Église sera celle d'une antenne du Musée d'art Moderne de Saint Etienne. La transformation de la fonction initiale respecte la conception spatiale voulue par Le Corbusier et vient aussi en résonance avec le contexte historique de la construction des églises et des lieux cultuels pendant les années cinquante et soixante. Cette époque connut en effet un renouveau de l'art et de l'architecture sacrés. Les commanditaires du clergé prirent acte, à cette époque, du fait que de nombreux artistes et architectes étaient des non-croyants et se tournèrent vers eux pour réinvestir les lieux de culte avec des œuvres de grande qualité. Affecter l'Église à un lieu dédié à l'art apparaît ainsi comme un signe de fidélité à l'esprit de l'époque. Dans ce contexte, la démarche de la ville de Firminy, qui s'appuie sur un conseil scientifique, concerne tous les aspects du patrimoine, y compris son volet archivistique. La mise en place d'un centre de documentation et d'archives est prévue. La démarche est à la fois locale et internationale, la ville ayant décidé de présenter sa candidature comme un volet d'un dossier international sur « L'œuvre de Le Corbusier dans le monde » à l'inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. On assiste donc depuis trois ans à un renversement complet des stratégies de réception du patrimoine moderne à Firminy.

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Bibliographie non exhaustive - LE CORBUSIER, Carpenter center, unite d'habitation, Firminy and other buildings and projects, 1961-1963, volume 31, New York, Ed. Garland, 1984. - Le Corbusier, Œuvres complètes, 1957-1965, Willy Boesiger, Editions Girsberger-les éditions de l'architecture, Zürich, 1965. - Le Corbusier, Œuvres complètes, Volume 8, Les dernières œuvres, Willy Boesiger, Editions Girsberger-les éditions de l'architecture Artemis, Zürich, 1970. - LE CORBUSIER, Carnets, volume 3, 1954-1957, Ed. Herscher, Paris, 1982. - LE CORBUSIER, Carnets, volume 4, 1957-1965, Ed. Herscher, Paris, 1982. - POUVREAU (Benoît), Eugène Claudius-Petit, un politique en architecture, thèse d'histoire de l'art, soutenue le 7 mars 2002, université Paris 1-Panthéon Sorbonne sous la direction de Danièle VOLDMAN, 2002, 523 pages. - COMMÈRE (René), « Le Corbusier à Firminy, les détours d'une reconnaissance patrimoniale », chapitre 13, pp. 237-264, dans François tomas, Variations autour du patrimoine, un cas d'école : le Forez, Publications de l'université de Saint Etienne, janvier 2004. - VESCHAMBRE (Vincent), « Firminy-Vert et le site Le Corbusier : vers une esthétisation du grand ensemble ? », Cahiers de la Méditerranée, n° 60, Paysages urbains (XVIe-XXe siècle), tome 2, Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine, juin 2000, pp. 133-148.

Notes [1] Discours prononcé aux Arts Ménagers, en 1952, par Eugène Claudius-Petit, Ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, Président d'honneur du Salon des Arts Ménagers. [2] Ce colloque eut lieu les 1er et 2 février 1965 à l'UNESCO à l'initiative du Comité national des constructions d'églises, de la Fédération protestante de France et du Consistoire israélite de France. Son thème était l'implantation des lieux de culte dans l'aménagement du territoire. [3] Zone de Protection du Patrimoine Architectural et Urbain [4] Habitants de Firminy. [5] ZPPAUP : Zone de Protection du Patrimoine Architectural Urbain et Paysager. [6] PLU : Plan Local d'Urbanisme, nouvelle appellation du Plan d'Occupation des Sols (POS). [7] José Oubrerie, Architecte, Professeur à la Knowlton School of Architecture OSU, USA. Il est assisté d’Aline Duverger et d’Yves Perret, Architectes à Saint Etienne.

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L’hôtel Barillet de Robert Mallet-Stevens et sa restauration, Paris – par Riccardo Forte et Alexandre Iénibace Un atelier de la modernité. L'atelier Barillet à Paris (Robert Mallet-Stevens arch., 1931 - Réhabilitation 2003) La restauration récente de l'hôtel Barillet à Paris représente sans doute une référence et une contribution innovante dans le débat international sur la préservation de l'architecture du Mouvement moderne. La réappropriation de l'héritage matériel et immatériel de cet atelierprototype, véritable manifeste d'avant-garde du rationalisme français, pose des questions nouvelles sur l'identité du moderne et ses relations avec les nouvelles demandes sociales. La transformation du lieu en “maison du design”, en centre de création et de promotion artistique pour les jeunes talents émergents, offre des options culturelles convaincantes. Celles-ci allient le projet classique d’exposition du design et de la création artistique avec une stratégie de mutualisation des ressources sur les matériaux et les produits innovants.

Etat originel de la maison du maître Barillet ©Adagp, Paris, 2004 La réhabilitation de l'hôtel Barillet à Paris, conçu en 1931-32 par l'architecte Robert MalletStevens (1882-1945) comme atelier-résidence et siège administratif pour le maître-verrier Louis Barillet, représente un cas emblématique de préservation du patrimoine architectural moderne. L'atelier, situé square Vergennes, dans le 15 e arrondissement de Paris, est un bâtiment industriel atypique dans l'œuvre de l'architecte. Il propose l’alliance du raffinement esthétique habituel de Mallet-Stevens et des conceptions fonctionnelles propres à un outil de travail. Jusqu'à la fin des années 1960, l'immeuble est occupé par Louis Barillet. A partir des années 1970, l’édifice est profondément affecté dans son esthétique et ses distributions. Le nouveau propriétaire remanie l’édifice dans son apparence et sa structure.

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Etat de la maison avant restauration, en 2001 Photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004

A l'extérieur, la grande verrière sur plusieurs niveaux et toutes les menuiseries acier d'origine sont remplacées par un mur-rideau banal en aluminium et des châssis aluminium (façade principale) ou PVC (façade cour). A l'intérieur, le grand volume en duplex de l'atelier est divisé par un plancher en béton, et la gaine grillagée des monte-charges est complètement maçonnées. A l'exception de la cage d'escalier, des mosaïques de palier et des exceptionnels vitraux peints, œuvres de Barillet lui-même, aucun élément ne rappelait plus l'identité originelle du lieu.

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Deuxième étage après obturation du troisième étage Photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004

Travaux au niveau du deuxième étage, en 2002 Photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004 En 2001 Yvon Poullain, industriel passionné d'Art Déco, acquiert l'immeuble. La même année, les travaux de réhabilitation de l’édifice commencent sous la direction de l'architecte François Lérault.

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Façade en cours de restauration, en 2002 Photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004 La reconstitution à l'identique de l'intégrité architecturale du bâtiment et l’utilisation des matériaux d'origine sont les lignes-maîtresses du plan d'intervention.

À gauche : pose de la verrière au niveau du deuxième étage. Photographie François Lérault.© Adagp, Paris, 2004. À droite : vitrail restitué de Louis Barillet au troisième étage Photographie François Lérault.© Adagp, Paris, 2004. En même temps, de nouvelles fonctions sont attribuées à l’édifice : des bureaux, des espaces pour des expositions permanentes et temporaires ; au dernier étage, l'appartement du nouveau propriétaire. Trois photographies provenant de la monographie de Robert Mallet-Stevens aux éditions des Archives d'Architecture Moderne sont la seule documentation disponible sur l’état originel de l'édifice.

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Coupe d’origine de la maison, plan d’origine du quatrième étage et photographie montrant l’état originel de l’atelier © Adagp, Paris, 2004 Les travaux de réhabilitation visent la restitution du volume de l'atelier d'origine sur deux niveaux avec la démolition du plancher intermédiaire entre les deuxièmes et troisièmes étages 60 mètres carrés de surface utile sont ainsi supprimés. Cette perte de surface est compensée par la création d'un sous-sol supplémentaire, solution acceptée par les organismes impliqués dans la préservation du patrimoine (ABF, DRAC Ile-de-France).

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Coupe en 2003, après restauration Photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004 La gaine d'ascenseur aveugle, complètement restaurée, retrouve sa transparence d’origine. Sur la façade principale, les menuiseries en aluminium sont remplacées par une grande verrière en applique dans l’esprit du dispositif d'origine. En l'absence de sources documentaires sur ce bâtiment, des prototypes de tous les éléments métalliques ont été élaborés sur la base d'études déductives par rapport aux éléments de serrurerie d'origine encore existant rue MalletStevens. De même, le revêtement original de la façade en gravier lavé a été entièrement remis à nu et restauré.

Détail du vitrail restitué devant la cage d’ascenseur, sur la façade principale Photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004

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Détail du revêtement décapé, photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004 Reconstitution radicale, cette intervention montre une cohérence méthodologique remarquable relevant du purisme formel de Mallet-Stevens. En 1993, l'édifice avait été inscrit à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques, alors que les vitraux Art Déco de Louis Barillet sont, eux, en instance de classement. La réhabilitation “philologique” des espaces originaires, en harmonie avec les nouveaux usages (expositions publiques), engage une interprétation nouvelle du rapport modernitécontemporanéité. Le 15, square Vergennes est aujourd'hui un lieu privilégié de la création artistique, centre d'avant-garde du design et de l'art contemporain. L'édifice abrite une exposition permanente du designer-sculpteur Yonel Lebovici (2ème et 3 ème étage), des espaces pour expositions temporaires (rez-de-chaussée et sous-sol), le premier étage étant réservé à “matériO”, la matériauthèque premier centre européen indépendant d'information multimédia sur les matériaux et produits innovants (http://www.materio.com). Un showroom du design est dédié à la promotion des talents créatifs émergents, point de contact avec les professionnels de la production industrielle.

Entretien avec M. François Lérault, architecte DPLG – La réhabilitation de l’atelier du maître verrier Louis Barillet 15, square Vergennes, 75015, Paris Robert Mallet-Stevens, architecte, 19312003 Entretien réalisé à Paris le 19 janvier 2004 Alexandre Iénibace Texte transcrit par Sophie Kerrouche L’atelier du maître verrier Louis Barillet a été réhabilité par François Lérault. Il a donné à Alexandre Iénibace un entretien inédit. Il y explique les défis présentés par ce chantier et les réponses architecturales qu’il a données aux attentes du nouveau propriétaire, Yvon Poullain. François Lérault avait jusqu’alors conduit plusieurs projets de restaurations portant sur des bâtiments inscrits ou classés, mais il s’agissait de sa première expérience de réhabilitation d’un édifice moderne.

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Quels défis présentait la restauration de l’hôtel Barillet ? Le principal était l’état désastreux du bâtiment. Quand je l’ai vu pour la première fois, en 2001, je n’ai pas reconnu immédiatement un bâtiment de Mallet-Stevens. Il ne restait rien : Il n’y avait plus de verrière, ni de menuiseries d’époque. Elles avaient été remplacées par un mur-rideau et des menuiseries en aluminium ou en PVC. Les aménagements intérieurs avaient également été profondément dénaturés. Le grand volume en duplex de l’atelier avait été divisé en 1975 par un plancher qui séparait les deuxièmes et troisièmes étages, ce qui avait fait disparaître du même coup la mezzanine. Ma philosophie était de revenir à l’état d’origine du bâtiment. J’ai donc dû convaincre le nouveau propriétaire de casser ce plancher, mais cela représentait une perte de surface d’environ 60 mètres carrés. C’est Yoran Leibovici, chargé de la scénographie des lieux qui a eu l’idée de proposer en contrepartie, de créer un sous-sol supplémentaire pour compenser la surface perdue. Nous n'avons pas eu trop de difficultés pour faire aboutir cette idée auprès de la Direction régionale des affaires culturelles – le bâtiment étant inscrit – et de la ville de Paris, bien que ces deux acteurs du patrimoine parisien n’aient pas les mêmes impératifs ni les mêmes objectifs. J’ai donc pu me tenir à cette démarche de retour à l’état d’origine qui nécessitait une méthode déductive fondée sur l’exploration du bâtiment. Le deuxième défi de la réhabilitation était l'absence totale d’archives pour ce bâtiment. J’ai donc travaillé à partir des 3 photographies que l'on retrouve dans la plupart des ouvrages consacrés à l'atelier Barillet.

Coupe après les modifications structurelles opérant un cloisonnement entre les 2e et 3e étages. Photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004

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2e et 3e étages après réhabilitation, en 2003. Photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004 Comment se traduit le respect de l’authenticité de l’édifice dans votre démarche ? Prenons l’exemple des matériaux, un point crucial de la restauration. Le bâtiment avait été tellement modifié qu’une véritable recherche sur les matériaux d’origine s’imposait. Il a fallu recourir à des sondages. La façade était revêtue par un gros crépis blanc assez mou. J’ai d'abord pensé qu’il s’agissait du revêtement d’origine, car les bâtiments de Mallet-Stevens que l’on connaît sont souvent revêtus de crépi blanc. C’est le cas de la rue Mallet-Stevens. Mais j’ai infirmé mon hypothèse de départ lorsque j’ai fait creuser le deuxième sous-sol. En déchaussant le mur sous le trottoir, nous avons trouvé du gravier lavé. Il était peu probable que Mallet-Stevens ait employé du gravier lavé pour l’enduire dans un deuxième temps. J’ai donc fait décaper toute la façade, ce qui était un travail considérable qui a mis à jour de nombreuses "cicatrices" qu'il a fallu réparer ; en effet, les poutres qui avaient été scellées en façade pour soutenir le plancher intermédiaire ainsi que les nombreuses fissures devenaient apparentes. Il a donc fallu faire des raccords sur le gravier. Nous avons eu la chance de rencontrer des entreprises compétentes qui ont fait un travail de reprise à peine lisible. Lorsqu’il a fallu recréer des éléments disparus, nous l’avons fait de manière très encadrée. Par exemple, nous avons été obligés de redessiner les fenêtres ou la verrière à partir des photographies de l’état d’origine. Nous n’avions en effet aucune référence : je ne connais pas d’autre verrière en applique dans l’œuvre de Mallet-Stevens. Nous avons donc établi des hypothèses sur le type et la taille des profils, très librement, en allant maintes fois revoir rue Mallet-Stevens. Il était impossible de faire tenir une verrière d’une telle hauteur avec des petits profils en T de 40 mm. Nous avons donc recherché sur les photos des éléments porteurs. Il y avait des petites ombres sur les profils verticaux que nous interprétions comme des raidisseurs. Pour rester dans cet esprit, nous avons posé des fers à T inversés, de 120 mm, qui se lisent à peine mais donne beaucoup de nerf à cette verrière. Nous avons réalisé des prototypes soumis à la Direction régionale des affaires culturelles, à l’architecte des Bâtiments de France, et à d’autres intervenants. Ces échanges nous ont véritablement aidés dans la conduite du projet.

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Pour restituer l’intérieur, il a fallu explorer pas à pas. L’ascenseur était encagé dans une gaine maçonnée aveugle. L'examen de l'intérieur de la gaine a montré qu'elle était à l'origine grillagée sur allège. Nous lui avons restitué sa transparence d'origine. Nous avons réparé les sols, sans pouvoir récupérer les bétons bouchardés qui subsistaient. J’ai décidé d’appliquer une résine grise dont l’esprit me paraît assez proche de ce qu’il y avait. C’est un sol à l’allure un peu industrielle, cohérent avec la destination initiale de l'atelier. En ce qui concerne les dispositions du plan, j’ai respecté l’état originel. Cela vaut pour tous les espaces, sauf pour le dernier étage où j’ai décidé de m’affranchir complètement du plan d’origine. L’appartement de Barillet se situait à cet étage et son volume était très fractionné. J’ai réalisé un grand 2 pièces avec un grand séjour, une cuisine ouverte, une chambre, un dressing et une salle de bains. J’ai également pris des libertés au sous-sol et au rez-de-chaussée. La création d’un deuxième sous-sol a permis d’affecter le premier à l’accueil du public. Pour qu’il soit adapté à cette nouvelle fonction, j’ai créé une grande trémie dans le plancher du rez-de-chaussée et un nouvel escalier métallique à l’emplacement de la courette arrière.

Espace de circulation au 2e étage : mosaïque d’origine au sol, vitrail de Louis Barillet devant la cage d’ascenseur. Photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004 Quel est le projet de réutilisation ? Avez-vous été associé à sa conception ? Je n’en suis pas l’auteur. L’auteur est le nouveau propriétaire, Yvon Poullain, qui est un ami de longue date. En ce sens, je suis associé à son projet par notre amitié. Yvon Poullain avait déjà conçu un tel projet , le château de Mézy (Mallet-Stevens pour le couturier Paul Poiret 1926), qu’il avait acheté en première adjudication. L’affaire lui avait échappé au moment des enchères. Nous avions rêvé ensemble à l’époque d’une sorte de petite villa Médicis adaptée à notre époque. En fait, ce projet correspond beaucoup mieux à la localisation de l’Atelier

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Barillet. Son emplacement parisien permet d’y donner des soirées de vernissage qui auraient été désertées à Mézy-sur-seine, situé à quarante kilomètres de Paris. Yvon Poullain est un passionné des années trente, en mobilier comme en architecture. Il avait deux idées de départ : d’une part rendre hommage à son meilleur ami, disparu il y a quatre ans : le sculpteur Yonel Leibovici. Yvon Poullain souhaitait depuis très longtemps dédier un lieu à cet artiste, dont il est un grand collectionneur. Il a donc consacré deux étages à une exposition permanente de ces sculptures. Il partageait depuis longtemps la deuxième idée avec un de ses amis designers, Jean-Pierre Vitrac. Il s’agissait de concevoir un projet de promotion de jeunes créateurs. Le projet comprenait un volet d’expositions consacrées à de jeunes créateurs qui n’arrivent pas à se faire éditer ou à se faire connaître ; il prévoyait aussi le lancement de petits concours. Au départ, lorsque le lieu visé était encore le château de Mézy, il pensait même créer des ateliers dans lesquels les artistes auraient pu développer un concept. Ce dernier volet n’a pas pu prendre sa place dans l’atelier Barillet, qui est trop petit pour cela. A ce projet initial se sont rajoutées d’autres idées venues au cours du processus. La première exposition temporaire organisée avait pour thème la lumière. Une douzaine de jeunes créateurs avaient carte blanche. L’un des artistes a créé un panneau lumineux qui monte et descend derrière le vitrail de Barillet à l'image d'un ascenseur lumineux. C’était une si bonne idée qu'il a été maintenu en place définitivement. Pour conclure, la réutilisation des lieux est assez conforme à l’esprit d’origine. Elle fait de ce lieu le seul édifice parisien de Mallet-Stevens ouvert au public. Elle confirme la renaissance de l’intérêt pour les années trente.

Détail de la façade restaurée : appui de la verrière et texture Photographie François Lérault. © Adagp, Paris, 2004

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Le patrimoine moderne à Gênes, ville invitée par DOCOMOMO France : préserver l’architecture des avant-gardes à Gênes – par Riccardo Forte Préserver l'architecture des avant-gardes à Gênes De nouvelles stratégies éclairées par l'histoire critique de la modernité génoise À partir de 1933, date de la participation de Luigi Carlo Daneri et Luigi Vietti à la Vème Triennale de Milan, la scène architecturale génoise, jusqu'alors conservatrice, entre progressivement dans la modernité. De nombreux édifices remarquables illustrent la force des projets des architectes de l'époque. Pourtant, cette œuvre, qui participait du contexte ambiant de l'idéologie fasciste, n'a pas reçu l'attention qu'elle méritait. Le cas des piscines construites dans le quartier d'Albaro, menacées de défiguration, illustre cet oubli de la postérité. Les stratégies de reconquête patrimoniale qui se sont fait jour depuis 2000 pour les sauver doivent beaucoup à l'écriture de l'histoire critique de la modernité de la ville de Gênes.

Fig. 1 À la fin des années vingt, la culture architecturale en Ligurie est marquée par un esprit provincial. L'attention faible qui est alors portée par les mileux architecturaux aux tendances des avant-gardes internationales a pour effet de reléguer la région de Gênes dans une condition d'isolement par rapport aux grands réseaux internationaux. Dans ce contexte, la classe professionnelle locale, attachée aux pratiques de l'éclectisme, reste étrangère à la construction de la modernité.

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En 1930, la participation des architectes génois Robaldo Morozzo della Rocca et Luigi Vietti à la IVème Triennale de Milan marque le premier acte d'un “détachement” par rapport aux pratiques de l'historicisme académique et d'une adhésion aux termes du débat international. Cet événement pose les bases d'un changement culturel radical qui aura des retentissements profonds sur la scène génoise. Tant Morozzo della Rocca que Vietti avaient adhéré au mouvement rationaliste, tous les deux étant inscrits à la section romaine du M.I.A.R. dès sa constitution. En 1933, le prototype d'habitation modulaire en acier présenté à la Vème Triennale de Milan témoigne de l'adhésion “idéologique” des architectes liguriens aux fondéments théoriques du Mouvement moderne. Le projet, qui se distingue par l'attention qu'il donne aux thèmes sociaux et économiques de l'architecture moderne [1], s'inspire directement des modèles expérimentaux de l'habitation rationnelle à plusieurs étages (l'Existenzminimum de Gropius et la Zeilenbau de Mies van der Rohe). L'agencement spatial interne se réfère au pavillon de l'Esprit Nouveau et à la Maison Clarté de Le Corbusier. L'année suivante, la mise en œuvre du projet de l'ensemble résidentiel génois de la Place Rossetti (1934-1958 - Luigi Carlo Daneri arch.) représente une application rigoureuse et convaincante de ces énoncés. L'incidence des théories du Mouvement moderne dans la culture architecturale génoise est déterminée par des facteurs spécifiques. L'impulsion intellectuelle donnée par la Specola delle Arti, l'hebdomadaire “futuriste-rationaliste” d'art et d'architecture publié en 1932-1933 dans le quotidien local Il Secolo XIX, sera décisive. Cette revue diffuse les theories d'auteurs tels que Sartoris, Gropius, Bardi, Prampolini, Fillia. La fonction de divulgation critique de la Specola témoigne de la vivacité et de la pluralité des orientations culturelles émergeant au niveau régional, qui caractérisent, pendant le fascisme, le débat sur l'architecture italienne moderne. Ce débat, très articulé, n'est pas réduit à l'opposition traditionnelle entre rationalisme et style Novecento. Au sein du courant rationaliste, des mouvements culturels autonomes prennent leur place ; tel est le cas du radicalisme “avant-gardiste” du groupe Quadrante, composé de Sartoris, Terragni, Figini, Pollini et les BBPR. Ce mouvement nourrit ses idéaux esthétiques et ses aspirations fonctionnalistes par les principes éthiques revendiqués par la révolution fasciste - célébrée dans l'exposition du Décennale à Rome en 1932. A partir de 1933 jusqu'à la veille du conflit mondial, la diffusion des nouvelles tendances de la modernité européenne influence directement tant les architectes locaux les plus engagés que les professionnels des bureaux techniques municipaux. Dans le bref délai de cinq ans, l'administration municipale met au point des programmes ambitieux pour le développement architectural et la rénovation urbaine de la ville, prévoyant la réalisation d'infrastructures modernes et de grandes œuvres civiles (marchés, écoles, établissements sportifs, sièges de quartier du parti fasciste). Malgré quelques régressions historicistes épisodiques, la production architecturale qui en résulte est empreinte des canons les plus avancés du rationalisme européen: contrairement à la maîtrise d'ouvrage privée, liée encore, pour la plupart des projets, à des pratiques relevant d'un éclectisme tardif, la maîtrise d'ouvrage publique, en tant qu'expression officielle de la culture du régime, devient le banc d'essai où se mesure le niveau d'assimilation et d'expérimentation des modèles internationaux les plus récents.

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Fig. 2 La construction du marché municipal aux poissons (1933-1934, Mario Braccialini ing.), premier exemple “métropolitain” d'architecture rationaliste commerciale aux influences DécoFuturistes, marque à Gênes la transition vers le langage moderne. Dans les mêmes années, la réalisation de la nouvelle gare maritime Andrea Doria (1933 - Luigi Vietti arch.) et celle du marché aux fleurs (1934, Paride Contri ing.) témoignent de la rénovation de la scène architecturale et de l'acquisition de liaisons fortes avec les grands réseaux de la culture architecturale européenne.

Fig. 3 Le gotha des éditeurs donne la diffusion la plus ample aux « premières constructions modernes en Italie, conçues en application de critères fonctionnels», expressions de la civilisation machiniste qui caractérisera l'âge “héroïque” des pionniers du moderne. De même, l'héritage conceptuel de Le Corbusier est également bien présent. Les références “visuelles” à la villa Savoye et à la maison locative d'Alger se condensent en une synthèse interprétative exemplaire dans les formes pures du siège du parti fasciste à Gênes-Sturla (1936-1938, Luigi Carlo Daneri arch.) - œuvre paradigmatique du rationalisme génois. Docomomo France | archives de La Revue en ligne | septembre 2004 n° 1

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Fig. 4

Fig. 5 Au milieu des années Trente, Gênes est l'un des centres nationaux de l'architecture moderne italienne ; en 1934 le chef-lieu de la Ligurie devient la “vitrine officielle” du Futurisme avec la Prima Mostra di Plastica Murale per l'Edilizia Fascista, inaugurée par les représentants les plus prestigieux du Mouvement (Marinetti, Prampolini, Depero et Fillia). L'une des conséquences immédiates de cette véritable “révolution culturelle” est la transposition du nouveau langage architectural à l'échelle urbaine : le gratte-ciel Nord de Piazza Dante (1935-1937 - Giuseppe Rosso arch.) - le premier bâtiment de grande hauteur en Europe construit complètement en béton armé - est l'exemple le plus avancé tant sur le plan architectural que sur le plan technique. Dans les pages de Stile Futurista Fillia en exalte le sens

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«de modernité et de puissance constructive» [2]. La charge propulsive de ce dernier “élan utopique” se réfèrant au mythe dynamiste de la métropole futuriste, sera reniée, un peu plus tard, par le “retour à l'ordre” classiciste de Marcello Piacentini dans la facies architecturale de Piazza della Vittoria et dans les édifices postérieurs de Piazza Dante.

Fig. 6

Le cas des piscines d'Albaro à Gênes: une expression iconique de la modernité Le 28 octobre 1935 la presse génoise [3] célèbre l'achèvement des nouvelles piscines municipales dans le quartier d'Albaro. C'est un ensemble constitué par un grand stade nautique équipé de quatre bassins (dont le principal couvert), construit par l'ingénieur municipal Paride Contri. L'œuvre occupe une fonction sociale stratégique dans la politique de réalisation de grands équipements sportifs. Parmi les expressions les plus modernes de l'époque du point de vue architectural, suivant les critères d'agencement et les standards techniques les plus avancés, la structure conçue par l'ingénieur Paride Contri pour ces piscines est un véritable condensé de ce que la modernité européenne a conçu de meilleur en terme d'équipements sportifs en milieu urbain. La maquette du projet est exposée aux Olympiades de Berlin de 1936 avec celle du Forum Mussolini à Rome et celle du Stade Mussolini à Turin.

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Fig. 7

Fig. 8 La structure couverte, d’une capacité maximale de 1600 spectateurs assis, occupe une surface de 2700 mètres carrés. La couverture du bassin est constituée par une structure à portail en béton armé 29 m. de portée. A l'extérieur, l'établissement sportif est équipé de trois bassins distincts en plein air (enfants, olympique, water-polo et plongeons).

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En tant que bâtiment-manifeste du rationalisme italien, le stade nautique d’Albaro, avec ses amples surfaces vitrées, ses avant-corps demi-circulaires symétriques, ses fenêtres en longueur, représente la traduction flagrante du langage des avant-gardes du constructivisme et de l'expressionisme. En façade, les pilotis métalliques de la marquise linéaire renvoient à Mendelsohn (cinéma Universum, Berlin) et à Oud; au sommet, la petite tour avec l’antenne, inspirée des projets visionnaires de Antonio Sant'Elia, et le grand panneau à mosaïques par Fillia, à l'intérieur de la piscine couverte, montrent des connotations explicitement futuristes.

Fig. 9

Fig. 10

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De l'oubli à la réception : les stratégies de patrimonialisation Le réaménagement des Piscines d’Albaro à Gênes ne pose pas de problème d'urgence avant 1992, lorsque la piscine couverte est fermée au public par mesure de sûreté. Au mois de juillet 2000, le projet général de réhabilitation de l'établissement sportif est retenu: la société concessionnaire chargée des travaux prévoit la construction de quatre nouveaux bâtiments à destinations différentes (salles de cinéma, sièges des sociétés sportives locales), et de nouveaux espaces commerciaux à l'intérieur du bâtiment historique (bar, restaurants, magasins pour le sport, salles de jeu) représentant un investissement global en project-financing de dix millions d'euros. Les objections soulevées à l'encontre des auteurs du projet questionnent alors tout d'abord la compatibilité des fonctions commerciales prévues à l'intérieur de la structure sportive avec le principe d'authenticité de la Charte de Venise. La présence massive de volumes nouveaux dans ce contexte altère irréversiblement tant la conception spatiale du bâtiment originel que l'intégrité de l'ensemble urbain. Les formes pures des Piscines, loin d'être un simple “objet” architectural indifférent au contexte urbain, ont été conçues comme un arrière-plan des perspectives et comme une “coulisse” scénographique de l'établissement sportif. Le projet des salles de cinéma ayant été récemment supprimé, la dernière hypothèse avancée à ce jour prévoit la réalisation de galeries commerciales au-dessous de l'intrados des gradins extérieurs. Cette hypothèse est préoccupante en raison du caractère tout à fait envahissant des interventions envisagées. Les polémiques récentes issues du plan d'intervention posent de toute évidence le principe que la réflexion sur la politique de sauvegarde de cet établissement sportif doit être englobée dans une perspective plus vaste qui s'étend à l'héritage iconique et “immatériel” du bâtiment, en tant que “monument-document” du modernisme architectural italien. La mise au point d'une politique de préservation rigoureuse et unitaire tant des constructions (le plein) que des terrains libres (le vide) et leur rapport avec le contexte urbain se fait de plus en plus nécessaire. La conservation des espaces verts, en tant que composantes du projet, la constitution de “zones de respect” et de vues panoramiques libres sur l'architecture sont les prémisses qui fonderont l'intégrité de la démarche de réhabilitation de l'ensemble et la préservation de son identité. Au mois d'octobre 2002, un appel officiel émis par DOCOMOMO Italie et l'intervention simultanée du Ministère des Biens Culturels ont donné une contribution décisive à la reformulation correcte de la question patrimoniale. La préservation du patrimoine moderne génois: vers la formulation de nouvelles approches Les querelles surgies à la suite du projet de réhabilitation des piscines d'Albaro à Gênes ont impulsé pour la première fois, au niveau local, le débat sur les thèmes plus généraux de la préservation du patrimoine architectural moderne. Soixante ans après la conclusion du conflit mondial, la levée prudente des préjugés idéologiques qui ont marqué en Italie, pendant les dernières décennies, les architectures du fascisme, permet finalement la formulation de nouvelles approches méthodologiques. À partir de 2002, un véritable intérêt local pour la preservation de ce patrimoine se fait jour, les acteurs locaux de ce processus étant notamment la Région Ligurie, la Mairie de Gênes et la Soprintendenza per i Beni Architettonici e per il Paesaggio della Liguria (Direction régionale du Patrimoine). Le choix de Gênes comme Capitale Européenne de la Culture pour l'année 2004 a été un atout décisif pour la mise en œuvre d'actions culturelles et de projets scientifiques visant la préservation et la mise en valeur du patrimoine architectural régional du XXe siècle. Parmi les initiatives les plus significatives, il faut signaler l'exposition Architetture in Liguria 1925-1955 (Gênes, palais de la Bourse, 29 mai-30 juin

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2004), ainsi que le premier reportage critique sur l'expérience historique du Mouvement moderne en Ligurie et ses relations avec le contexte international. La Soprintendenza régionale a mis au point tout récemment un fichier rassemblant quelques 281 architectures les plus représentatives réparties dans les quatre provinces liguriennes (Gênes, Savone, Imperia, La Spezia), publié dans le catalogue de l'exposition. Cela va constituer une contribution tout à fait fondamentale pour la diffusion des connaissances sur les conditions de conservation du patrimoine régional moderne.

Notes [1] DANERI Luigi Carlo, «I liguri alla V Triennale di Milano. Il padiglione degli architetti», Genova, n. 10, octobre 1933, pp. 855-862. [2] FILLIA Luigi Colombo, «L'architettura di Giuseppe Rosso», Stile Futurista, nn. 13-14, novembre 1935, p.6. [3] CONTRI P., La piscina coperta. Relazione al Progetto di Costruzione, «Genova», n. 3, mars 1934, pp. 234-238; Id., Opere pubbliche in corso. La Piscina coperta in Albaro, «Genova», n. 3, mars 1935, pp. 191-199.

Bibliographie LABÒ Mario, PODESTÀ Andrea, «L'architettura delle colonie marine italiane», in «Rassegna di colonie marine», Costruzioni-Casabella, Milan, a. XIV, nn. 167-168, 1941, pp. 2-16. ZEVI Bruno, Storia dell'architettura moderna, Turin, Einaudi, 1975. PATRONE Pietro D., Daneri, Gênes, Sagep, 1982. CEVINI Paolo, Genova anni '30. Da Labò a Daneri, Gênes, Sagep, 1989. DANESI Silvia, PATETTA Luciano (dir.), Il razionalismo e l'architettura in Italia durante il fascismo, catalogue de l'exposition à la Biennale de Venise, Milan, Electa, 1994. COLL., Architetture in Liguria dagli anni Venti agli anni Cinquanta, catalogue de l'exposition, Gênes, Palais de la Bourse, 29 mai-30 juin 2004, Milan, Abitare Segesta éditions, 2004.

Légendes des illustrations 1 - Milan, V Triennale, prototype d'habitation modulaire en acier - Luigi Carlo Daneri et Luigi Vietti arch. (Gênes, Archives photographiques de Palazzo Rosso, fonds Cresta, n. 4679/1). 2 - Gênes, marché communal aux poissons, 1933-34 - Mario Braccialini arch. (Genova, n. 4, avril 1938). 3 - Gênes, marché communal aux fleurs, 1934 - Paride Contri ing. (Genova, nn. 6-7, juin-juillet 1938, p. 211). 4 - Gênes, siège du Parti Fasciste du quartier de Sturla “Nicola Bonservizi”, 1936-1938 - Luigi Carlo Daneri arch. (Genova, n. 4, avril 1938, p. 55). 5 - Gênes, siège du Parti Fasciste à Sturla: a) vue en gros plan des porches et de l'entrée principale (photo 1992); b) le bar à l'intérieur (Casabella-Costruzioni, n. 133, janvier 1939, p. 24); c) coupe longitudinale (DANERI Pietro P., Daneri, Gênes, Sagep, 1982, p. 77). 6 - Chiavari (Gênes), colonie à la mer “Fara”, 1935 - Camillo Nardi Greco ing. (La Technique des Travaux, a. XII, septembre 1936). 7 - CONTRI Paride, Piscine d'Albaro. Stadio del Nuoto - Genova, Chiavari, Sportecnica éditions, s.d. (couverture de la brochure). 8 – Piscines d' Albaro, vue générale de l'état actuel (photographie Marcello Buffa, avril 2002). 9 - Piscines d' Albaro, le bassin de la piscine couverte (photographie Marcello Buffa, avril 2002). 10 - Détail de l'avant-corps, côté est (photographie Marcello Buffa, avril 2002).

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Stratégies de restauration du Barbican Estate, Londres Le site actuel du Barbican Estate, à Londres, avait été entièrement bombardé pendant la Seconde Guerre mondiale. La ville de Londres décida de reconstruire et repeupler ce quartier. Le programme comprenait plusieurs centaines de logements, un centre culturel, plusieurs écoles, etc. Elle confia la reconstruction de cet ensemble à Peter Chamberlin, Geoffrey Powell et Christoph Bon. Ils firent le choix d'un urbanisme de dalle, et d'une architecture monumentale environnée par des espaces verts. Cet ensemble urbain fut inauguré en 1969. Le centre culturel fut inauguré en 1982. Après une période de grande désaffection vis-à-vis de cet ensemble, habiter à Barbican devint à la mode dans les années 80. Un retournement complet de situation s'est aujourd'hui produit chez les habitants, que la Corporation of London accompagne par une stratégie pionnière de préservation. Celle-ci associe les méthodes de la médiation et de l'expertise au service de l'adaptation du Barbican aux besoins des habitants.

Conservation of the Barbican Estate, London : A pioneering strategy for the management of change Barbican Listed Building Management Guidelines – by Breda Daly

Barbican Estate, London, aerial view ©Corporation of London Built by Peter Chamberlin with the collaboration of Geoffrey Powell and Christoph Bon, the Barbican Estate, in the heart of the City of London, is widely recognised as an important example of post-war planning and architectural design. Since its ‘listing' in 2001, consideration has been given to developing Listed Building Management Guidelines to assist in managing requests for alterations. Essentially, the Guidelines are intended to explain why the buildings are special, identify the types of alterations one may want to make to the building and how any application to make such changes might be viewed. It is anticipated that the Guidelines will offer more certainty to the planning process and provide a guide for best practice for alterations on the Estate.

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The project, which is funded by the Corporation of London with a grant from English Heritage, has been formally developed since autumn 2002. The preparatory work included the development of the project brief, securing funding, and appointment of an architectural team. Given the scale of the Estate, which contains over 2000 flats, two schools, a youth hostel and the largest arts centre in Europe as well as a garden landscape which is ‘listed' in its own right, it was considered that the project would need to be phased. As many of the requests for change are works to the residential buildings on the Estate, these buildings were addressed first. A further three phases are proposed, for the Arts Centre Schools and other buildings, and landscaping over the next few years, subject to funding.

From left to right: The arts centre; Brandon Mews roof; Skateboarding prevention measures. ©Photographies Corporation of London In October 2003, Avanti Architects were appointed as consultants to help develop the Guidelines for the residential buildings and a working party was established a month later to steer the project. The Working Party includes representatives from the Corporation of London including planners and Estate managers, English Heritage, Twentieth Century Society, resident representatives as well the consultant architects. The Chairman of the Working Party is Alderman Hall, a Member of the Court of Common Council of the Corporation of London. It has met eight times to date. The Working Party meetings have been a key part in the development of the Guidelines, enabling each of the interested parties to express their opinions on the pressures for change on the Estate and how this should be addressed. The views of the members have, in some instances, been very different. Where possible, consensus has been reached but it is acknowledged that in some areas, this may not be possible. Some of the discussions focused on the development of a ‘Conservation Strategy' for the Estate and whether it would be possible and/or desirable to develop other solutions to help protect the special interest of the buildings including establishing ‘heritage flats', where all the interior fixtures and fittings are retained and/or a resource centre that would incorporate an archive, a salvage store and permanent public exhibition. The Corporation of London is now looking as these ideas and may consider funding of a separate feasibility study to examine their possible implementation.

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Concrete repairs to external straircase. ŠPhotographies Corporation of London As Listed Building Management Guidelines are a relatively recent tool to be developed in the management of the historic built environment, it has been important to gain an understanding of how similar issues have been addressed on other twentieth century buildings and Estates, both in the UK and abroad. Part of this work included visiting some Le Corbusier buildings in France including Firminy and Unite d'Habitation at Marseille. It was clear that many of the issues were similar and that the need to balance the modern day use of the building whilst retaining its architectural integrity is the greatest challenge. As with the Barbican, some repairs and changes have been more successful than others. However, the consideration given to current repairs and alterations was very detailed and impressive, providing a useful comparison to the Guidelines, which are intended to guide best practice. The current draft of the Guidelines is the subject of public consultation until the end of June. There has been a wide range of responses, mostly from residents, some of whom welcome the Guidelines and others who consider the Guidelines to be too restrictive. All the comments will be considered by the Working Party when it revises the Guidelines over the coming months and it is hoped that a document can be developed which helps to protect the buildings in the future whilst enabling them to change and adapt so that the Estate can continue to be successful. The Guidelines are due to be adopted before the end of 2004. The implementation of this complicated project is therefore pioneering in its method of uniting local planning authorities, experts and national heritage bodies in the service of a project which will become negotiated guidelines with the residents directly concerned by its living architecture. The heritage value of this project long awaited will certainly bring new benefits. The Guidelines are available to view on the internet: http://cityoflondon.gov.uk/Corporation/our_services/development_planning/planning/bar bican_guidlines.htm Address : Barbican Estate Silk Street London EC2

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Préserver l'architecture du Barbican Estate à Londres : une stratégie pionnière de conduite du changement. Barbican Listed Building Management Guidelines – par Breda Daly Traduit de l’anglais par Fabienne Chevalier

Barbican Estate, Londres, photographie aérienne ©Corporation of London

Construit par Peter Chamberlin avec Geoffrey Powell et Christoph Bon, l'ensemble urbain du Barbican, situé au cœur de la City à Londres, est aujourd'hui largement reconnu comme un important exemple de l'urbanisme et de l'architecture de l'après-guerre. Depuis son classement en 2001, une attention grandissante a été donnée à la nécessité de développer des recommandations concernant la gestion des bâtiments. Ces recommandations doivent pouvoir guider les options des décideurs lorsqu'il s'agit d'apporter des changements aux bâtiments ou de les restaurer. Cette stratégie a été choisie en raison de l'assise qu'elle fournira à la conduite des changements sur ce site. L'objectif recherché est que les recommandations en question identifient la raison pour laquelle les bâtiments ont un intérêt patrimonial et qu'elles encadrent le type d'altérations qui sont autorisées sur chaque type de bâtiments. Ce projet, qui est financé par la Corporation of London et par le English Heritage, a démarré en automne 2002. Le travail préparatoire a consisté à définir la stratégie, à obtenir des financements, et à définir une équipe architecturale responsable du projet.

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De gauche à droite : Le centre d'arts, le toit actuel de Brandon Mews et intervention destinée à prévenir la pratique du skateboard. ©Photographies Corporation of London L'échelle du site est immense, puisqu'il comprend plus de 2000 appartements, deux écoles, une auberge de jeunesse, le plus grand centre d'art en Europe et un ensemble paysager remarquable, lui-même classé. La priorité a été donnée aux logements. Trois phases ultérieures ont été définies. Leur mise en œuvre dépendra des financements obtenus. En octobre 2003, l'équipe constituée par Avanti Architects a été sélectionnée pour créer les recommandations qui seront appliquées dans les immeubles résidentiels. Un mois plus tard, un groupe de travail a été constitué pour conduire le projet. Il est composé de représentants de la Corporation of London, du English Heritage, de la Twentieth Century Society, de représentants des habitants et de l'équipe architecturale sélectionnée. Le président du groupe de travail est Alderman Hall, membre du Conseil de la Corporation of London. Tous ces membres ont des intérêts différents, et ils ne sont pas toujours du même avis, même si le consensus est l'objectif recherché. Les opinions s'expriment librement au sein de ce groupe de travail. L'une des questions qui ont été débattues est l'opportunité pour la Corporation of London de développer une stratégie de conservation, voire une muséographie. Cette stratégie pourrait se traduire par l'acquisition d' « appartements-témoins », dans lesquels le mobilier d'origine serait intégralement conservé ou reconstitué, ou par la création d'un centre de ressources qui comprendrait des archives, un dépôt et un espace permanent d'exposition. La Corporation of London examine actuellement ces options.

Réparations apportées au béton sur des escaliers extérieurs. ©Photographies Corporation of London

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L'établissement de guides de recommandations étant un outil relativement neuf dans l'univers de la conservation, les fonctionnaires de la Corporation of London ont cherché à connaître les expériences étrangères en ce domaine. Un voyage d'études a été organisé, afin de visiter des édifices de Le Corbusier à Firminy et à Marseille (l'unité d'habitation). Ces expériences ont permis de constater que les questions posées par la restauration des œuvres modernes de l'après-guerre sont les mêmes, et que le plus grand défi réside dans la capacité à combiner l'adaptation des bâtiments à leurs usages contemporains avec le respect de l'authenticité architecturale. L'établissement définitif des recommandations est précédé par une consultation publique qui se déroulera jusqu'à la fin du mois de juin. Cette consultation a beaucoup intéressé les habitants, qui ont largement répondu. Les réactions, positives ou négatives, seront examinées par le groupe de travail lorsqu'il révisera les recommandations dans les mois qui viennent. L'objectif est d'adopter définitivement un ensemble de recommandations avant la fin de l'année 2004. La conduite de ce projet complexe implique donc de manière pionnière les organismes de gestion municipale, des experts et les autorités britanniques les plus reconnues au niveau national en matière de patrimoine, au service d'un projet qui apparaîtra, plus que comme une réglementation, comme une stratégie négociée avec les habitants concernés par cette architecture au quotidien. La valeur patrimoniale de cet ensemble longtemps décrié en tirera certainement de nouveaux atouts. Le projet de recommandation est consultable sur Internet : http://cityoflondon.gov.uk/Corporation/our_services/development_planning/planning/bar bican_guidlines.htm Address : Barbican Estate Silk Street London EC2

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La Haute Qualité Environnementale et le béton – par Marion Chauvin La Haute Qualité Environnementale (dite HQE) se définit par l’aptitude à préserver les ressources naturelles et à satisfaire aux exigences de confort, de santé, et de qualité de vie des occupants d’un bâtiment. La HQE s’est donné pour objectif de maîtriser les impacts de la construction sur l’environnement extérieur et d’aboutir à la création d’un environnement intérieur sain et confortable. Il s’agit d’une démarche française. Elle est apparue au début des années 1990, dans un contexte international de développement durable, et dans un contexte national propice aux expérimentations. Celle-ci sont dues essentiellement au Plan Construction et Architecture (PCA) devenu par la suite Plan Urbanisme Construction et Architecture (PUCA) du ministère de l’Equipement. Cette démarche a d’abord été mise en œuvre et définie notamment par l’Agence Régionale de l’Environnement et des Nouvelles Energies (ARENE) et le CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) en partenariat avec différents conseils régionaux au cours de la programmation et de la construction de lycées publics « HQE ». La Haute Qualité Environnementale se compose essentiellement de quatorze cibles (voir le tableau ci-dessous), qui ont pour but d’aider le maître d’ouvrage, qui est généralement une personne publique, à concevoir la programmation d’un édifice en intégrant parfaitement la démarche. Celle-ci doit être intégrée dans le bâtiment à chaque étape de son existence, que ce soit la programmation, la construction, la maintenance, la réhabilitation, la rénovation, la restauration ou la déconstruction. Maîtrise des impacts sur l’environnement extérieur Cibles de l’éco-construction 1. Relation harmonieuse des bâtiments avec leur environnement immédiat 2. Choix intégré des procédés et produits de construction 3. Chantiers à faibles nuisances Cibles de l’éco-gestion 4. Gestion de l’énergie 5. Gestion de l’eau 6. Gestion des déchets d’activité 7. Gestion de l’entretien et de la maintenance Création d’un environnement intérieur satisfaisant Cibles de confort 8. Confort hygrothermique 9. Confort acoustique 10. Confort visuel 11. Confort olfactif Cibles de santé 12. Conditions sanitaires des espaces 13. Qualité de l’air 14. Qualité de l’eau Le béton est un matériau de construction composé essentiellement de sable, de ciment et d’eau, auxquels on ajoute des adjuvants. La formule de ce matériau a été mise au point au cours du XIXe siècle et son utilisation dans la construction s’est répandue à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, allant jusqu’à l’industrialisation. L’utilisation du béton avec une armature en fer est ce que l’on appelle le béton armé, qui est couramment utilisé dans les constructions aujourd’hui. Comme tout matériau, le béton interagit avec la cible deux de la démarche HQE. Il est évalué par des ACV, (Analyse du Cycle de Vie), qui définissent ses différentes dépenses énergétiques à partir de sa fabrication, en fonction de ses composants, jusqu’à la fin de son cycle d’utilisation. Docomomo France | archives de La Revue en ligne | septembre 2004 n° 1

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ARENE le Journal, Carrotage du béton et récupération des laitances sur le chantier du lycée Maximilien Perret, 1996-1997, Décembre 1997. En comparaison avec d’autres matériaux, le béton dépense relativement peu d’énergie. Il n’est pas polluant en lui-même, ni dangereux pour la santé. De plus, il est considéré comme potentiellement recyclable. Il peut notamment servir de plots pour les routes. L’évaluation du matériau est importante au cours de la programmation d’un édifice HQE et peut aider les maîtres d’ouvrage à effectuer des choix. Certains d’entre eux avaient interdit dans des constructions l’utilisation de PVC, de certains solvants et de laines de verre. La mise en œuvre du béton au sein de la démarche Haute Qualité Environnementale se fait généralement au cours de ce que l’on nomme les « chantiers verts ». Ces chantiers, qui intègrent la cible trois « chantiers à faibles nuisances », ont pour objectif de diminuer autant que possible toutes les pollutions et les nuisances habituelles des chantiers, que celles-ci concernent les riverains (pollution sonore, visuelle, envol de poussières, gêne de la circulation, propreté…), le site même du chantier (pollutions matérielles, dégradation du site), ou les conditions auxquelles sont exposés les ouvriers (pollution sonore, propreté, conditions de travail, mise en œuvre de matériaux toxiques et dangereux pour la santé…).

Bloc en béton pour la maçonnerie

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Ces chantiers, qui sont généralement dédiés à des édifices importants, sont habituellement très grands. Un responsable Haute Qualité Environnementale est chargé de veiller au bon déroulement du chantier vert. Le personnel reçoit une formation adéquate. Le béton est mis en œuvre de façon à limiter certaines gênes et pollutions. Tout d’abord, un parcours bien signalisé guide les toupies à béton, qui doivent à la sortie du chantier rouler sur un espace aménagé comme une zone de ralentissement afin de nettoyer les roues, ce qui évitera de salir les routes. La mise en œuvre du béton est effectuée durant les plages horaires de travail, afin de ne pas déranger le voisinage. Les ouvriers doivent limiter les fuites de béton lors du bétonnage des pieux et assurer une bonne étanchéité des coffrages. Le nettoyage du matériel est minutieux. Les huiles de décoffrage utilisées sont végétales, donc biodégradables et ne polluent pas le sol (auparavant, des huiles contenant des hydrocarbures étaient utilisées). Les appareils utilisés, comme les vibreurs pour mettre en place le béton dans les coffrages, sont aux normes afin de limiter le bruit. Les laitances de béton sont récupérées, afin de ne pas polluer le sol, et les conducteurs de toupies ne doivent pas les laver sur le site.

I. Colas, F. Soupey, Lycée Léonard de Vinci, Calais, 1998, bassin du lycée. ©Photographie M. Chauvin Au cours de ces dernières années, de plus en plus d’entreprises et d’industriels, voyant l’impact très positif de la démarche HQE auprès du public, s’en sont servi comme argument publicitaire, afin de faire valoir leurs matériaux et produits de construction. Cette appropriation du nom de la Haute Qualité Environnementale est l’une des raisons qui ont conduit l’association HQE (association créée en 1996 et qui regroupe tous les intervenants de la HQE, dont les industriels) à certifier et à labelliser la démarche. Ainsi, les marques « HQE », « Partenaire HQE » et « Démarche HQE » ont été déposées. De plus l’association HQE a signé une convention avec AFNOR CERTIFICATION afin que celle-ci puisse délivrer la marque « Démarche HQE » associée à la marque « NF » pour les ouvrages architecturaux.

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M. Fuksas, Lycée Maximilien Perret, Alfortville, 1997, façade du lycée. ©Photographie M. Chauvin En ce qui concerne les matériaux et les produits de construction, les industriels, conformément à la norme NF XP 01-010, sont tenus de fournir toutes les informations nécessaires sur leur qualité environnementale. On peut ainsi consulter la Fiche de caractéristiques environnementales et sanitaires du mur en maçonnerie de blocs béton, établie par le CERIB (Centre d’Etudes et de Recherches de l’Industrie du Béton). Les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre peuvent choisir en toute connaissance de cause les matériaux qu’ils souhaitent employer. Il existe un risque que des listes de produits et matériaux HQE commencent à circuler. Ce serait réduire le choix et limiter la démarche HQE. En effet, les produits et matériaux de construction, le béton y compris, ne peuvent en aucun cas être définis comme HQE.Une démarche ne peut servir à qualifier un matériau. La Haute Qualité Environnementale intègre le béton et sa mise en œuvre grâce aux cibles de la démarche. Le matériau participe à la Qualité Environnementale des bâtiments. La HQE permet une utilisation du béton moins polluante et contraignante pour l’environnement, les ouvriers et les riverains.

Bibliographie Archives du Conseil régional Ile-de-France sur le lycée Maximilien Perret 960W art.12 : Cahier 1 et 2 Programme annexe Qualité Environnementale. Archives du Conseil régional Nord-Pas de Calais sur le lycée Léonard de Vinci, 294 W 196 : Livre 1 : Programme Haute Qualité Environnementale. C.E.R.I.B., Fiche technique de caractéristiques environnementales et sanitaires du mur en maçonnerie de blocs en béton, DDE 33, 2003, 38p. Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment, La démarche HQE sur le chemin de la certification, Mai 2004, pp 8-17. NF échanges , NF et démarche HQE réunies en une seule certification, n°5, Avril 2004, p 3.

Sites Internet à visiter Association HQE : http://www.assohqe.org/ Centre d’Etudes et de Recherches de l’industrie du béton : http://www.cerib.fr/

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