Archives|Revue en ligne Docomomo France n° 2 |2 fevrier 2006

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DOCOMOMO FRANCE | ARCHIVES La Revue en ligne n° 2 | février 2006

Éditorial, par Claude Loupiac, président par intérim ................................................................. 1 Mythe, Révolution, Utopie. La maison-commune Narkomfin à Moscou, par Riccardo Forte . 2 Notes .......................................................................................................................................14 Bibliographie .......................................................................................................................... 15 Illustrations ............................................................................................................................16 Résumé de l’article en anglais – Myth, Revolution, Utopia. The Narkomfin Collective Housing Complex in Moscow .................................................................................................16 Texte de la pétition internationale lancée par la revue Arkos en vue de sauvegarder le Narkomfin................................................................................................................................... 17

Éditorial, par Claude Loupiac, président par intérim Le numéro deux de notre revue en ligne est publié pendant une période transitoire de notre association, qui s’apprête à élire un nouveau conseil d’administration. Il est consacré au Narkomfin, édifice emblématique de la modernité européenne, édifice dont l’état de dégradation est devenu très préoccupant. . Le Narkomfin, paradigme et prototype de maison-commune conçu en 1928 par l’architecte russe Mojsei Ginzburg et par l’équipe des architectes soviétiques de l’OSA, est un exemple à la valeur historique et symbolique exceptionnelle. Sa réalisation témoigne de la conception révolutionnaire formelle, spatiale et d’agencement des modèles expérimentaux faisant partie de la construction des logements de masse de la société socialiste naissante. Au cours des dernières décennies, le bâtiment a connu une détérioration préoccupante et progressive; aujourd’hui, le bâtiment est dans un état désastreux, qui entraîne des risques sérieux pour sa sauvegarde. Appuyé par le soutien d’organismes qui oeuvrent pour la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine architectural moderne, co-signataires de l’initiative, la revue italienne Arkos a lancé un appel pour la sauvegarde et la réhabilitation de ce chef-d’œuvre de l’âge pionnier du Mouvement moderne. L’intérêt porté par DOCOMOMO France pour cet édifice s’explique par son caractère remarquable et par les liens qu’il entretient avec toutes les recherches en cours en Europe destinées, à partir des années vingt, à définir de nouvelles formes de l’habitation collective. Le pôle scientifique de DOCOMOMO France, constitué par l’Institut d’Études Régionales et des Patrimoines de l’université de Saint-Étienne, a engagé un programme de travail sur ces questions, avec un premier colloque en 2004, consacré à « Vivre au 3 ème millénaire dans un immeuble emblématique de la modernité », en cours de publication.

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Mythe, Révolution, Utopie. La maison-commune Narkomfin à Moscou, par Riccardo Forte La version française publiée ici est une version enrichie de l’article publié en italien sous le titre “Mito, Rivoluzione, Utopia. La casa-comune Narkomfin a Mosca”, Arkos, Florence, n°11, Juillet-Septembre 2005, p. 24-31. « Nous construirons notre monde, un monde nouveau » (tiré du texte de l’Internationale )

Fig. A

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Parmi les événements historiques qui se produisent tout au long des phases constitutives du Mouvement Moderne, les expériences attachées à l’essor théorique et constructif du bâti expérimental de masse en Union Soviétique acquièrent une fonction sociale et une signification culturelle de plus en plus considérables. À partir de la deuxième moitié des années vingt, l'avant-garde du constructivisme post-révolutionnaire pose la nécessité absolue d’une étatisation intégrale du secteur de la construction au profit d’un programme permettant l’affirmation de l'architecture moderne, tout en concentrant ses études dans l’élaboration de nouvelles typologies d’organisation pour l’habitation collectiviste. Le développement du bâti industrialisé de masse, objectif poursuivi par la mise en œuvre des “condensateurs sociaux” dont le projet-type de la maison commune par le Strojkom forme le paradigme - affirme les lignes d’un programme qui, au-delà de l’aspect purement architectural, est destiné à détruire les schémas traditionnels de l’habitation. Ce projet, dont l’aboutissement est destiné à contribuer à l’édification de la nouvelle société communiste, vise notamment l'affirmation d’un système idéologique dont les prédicats résident dans l’annulation intégrale de l’ordre des valeurs préexistantes - à la fois civiles, éthiques, religieuses et économiques. Celles-ci sont en effet considérées comme un produit issu de la “dégénération bourgeoise”. L’épopée héroïque des avant-gardes révolutionnaires étant aujourd’hui épuisée historiquement, l’illusion titanesque de la mise en œuvre d’un nouvel ordonnancement social et d’un art au service du peuple se brise symboliquement dans les ruines modernes du temps présent. La dissolution de l’Union Soviétique et les bouleversements mondiaux des quinze dernières années ont entamé un tournant radical, dont l’évolution, sur le plan social et culturel, reste encore à définir. Les transformations vertigineuses qui se sont produites dans la “nouvelle Russie” à la suite de l’adoption des modèles occidentaux ont déterminé des réalités tout à fait inédites pour le patrimoine architectural récent. Les problématiques issues d’un nouveau status légal, l’introduction du modèle capitaliste de la propriété privée, le passage, souvent brutal, de l’économie planifiée à la globalisation du système de marché libre, donnant lieu à la création de nouvelles fonctions et de nouveaux investissements, ont entraîné des mutations radicales dans les conditions de vie, tout en engendrant des déséquilibres et la mise en marge de certaines catégories sociales. En tant que manifeste de la dégradation sociale actuelle, les Domy-kommuna, les grandes unités d’habitation collectives disséminées tout au long des immenses banlieues de l'ex-empire soviétique, ont néanmoins préfiguré pendant longtemps, pour des générations de Russes, l’aspiration à l’amélioration des conditions de vie - et, plus largement, la poursuite concrète de cet objectif. Parmi les finalités idéologiques et de propagande de la Révolution, ce projet était un passage obligé dans le processus d’édification d’une société moderne et progressiste, qui avançait vers un “avenir radieux” de liberté et de justice sociale. À ce jour, les restes de ces “cathédrales de l’Utopie” laïques, vestiges encombrants d’une idéologie déchue, obligent à de nouvelles approches interprétatives, qui attirent notre attention sur la nécessité et l'urgence de préserver tant les traces physiques du patrimoine du bâti, que l'héritage “immatériel” et iconique d’une expérience historique à la fois tragique et prodigieuse. La genèse typologique des “condensateurs sociaux”: la construction du Narkomfin Entre 1925 et 1932, les architectes soviétiques d’avant-garde (Leonid Vesnin, Moisej Ginzburg, Ilja Golosov) sont engagés dans la mise au point d’un programme de formes typologiques résidentielles destinée à affirmer le caractère tangible du “progrès social”. Le but premier, qui avait été déjà poursuivi sommairement dans quelques projets pionniers d’habitations sociales dès les années consécutives à la Révolution (1921-25), est essentiellement de mettre en œuvre un système de vie authentiquement socialiste, dans lequel l'architecture, en tant qu’élément représentatif d’un nouvel ordre politique et culturel, va assumer des finalités et des rôles pédagogiques. La mise au point d’un modèle architectural issu des recherches sur la collectivisation de l’habitation - conséquence directe des transformations de la base

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économique de la société et des rapports de production propres au socialisme - se traduit dans l’élaboration de nouvelles typologies destinées au logement et dans l’adoption de procédés de construction expérimentaux associés à des techniques de standardisation innovantes.

Fig. 1

Fig. 2

À partir de 1926, et jusqu’au début des années trente, les architectes de l'OSA (Association des Architectes Contemporains) définissent la physionomie architecturale et l'agencement de la nouvelle habitation socialiste grâce à des méthodes scientifiques rigoureuses. Le modèle traditionnel de la maison bourgeoise à appartements monofamiliaux cède le terrain à la Domkommuny (maison-commune), un type d’habitation alternatif se fondant sur la configuration de la cellule modulaire. Dans les formulations théoriques des architectes soviétiques, cet espace est conçu pour un style de vie intégralement communautaire, dont l’évolution typologique devait aboutir à la disparition progressive des services autonomes essentiels (cabinet de toilette, cuisine), ces derniers étant remplacés par un ensemble d’équipements collectifs. En 1928, le Strojkom, le Comité des bâtiments de la République Socialiste Fédérative des Soviets de Russie (RSFSR), constitue une section de recherche et d’études pour la standardisation et la normalisation des habitations. Cette section, qui reprend les projets engagés à cette époque en Europe sur le thème de l’Existenzminimum, met au point, tout au long des années qui suivent, l’étude de typologies différentes de logements modulaires. Ces études aboutissent à un projet composé de cinq types de cellules d’habitation duplex superposées (unité-Type F) avec un couloir intérieur. Ces unités présentent des variantes d’agencement, elles-mêmes définies selon les indices légaux de surface minimale. La construction de l’unité d’habitation Narkomfin (1928-30) est le résultat de ce processus. Le bâtiment, un prototype “pionnier” de maison-commune, abrite cinquante familles (fig. 1 et 2). Il est réservé aux fonctionnaires du Commissariat populaire des Finances de la RSFSR. Dans la construction du Narkomfin, Ginzburg entrevoit “la double possibilité de justifier sur le plan scientifique les nouveaux modèles des logements élaborés à cette époque”, tout en prouvant, en même temps, “les caractéristiques d’économie et la capacité d’innovation de ses recherches” 1.

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Fig. 5 Les premiers projets de Ginzburg montrent une Unité d’habitation se composant de quatre bâtiments : l’édifice résidentiel, l’ensemble social (une unité fonctionnelle communautaire autonome, équipée d’un gymnase et d’un réfectoire, reliée à l’unité d’habitation par un passage couvert - fig. 5), une école maternelle et une construction auxiliaire, cette dernière étant affectée à des services communs (blanchisserie, atelier de réparation, équipements techniques) 2. L’Unité résidentielle, de cinq étages sur pilotis, est constituée par des cellules d’habitation modulaires dotées de typologies différenciées (type K et 2F au premier et au deuxième étage, type F au troisième, au quatrième et au cinquième étage) 3. Les cellules sont desservies par deux rues corridor au premier et au quatrième étage (fig. 4 et 6). Le toit en terrasse est occupé en partie par un appartement, la surface dégagée étant affectée à un solarium.

Fig. 4

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Fig. 6 Dans l’élaboration du projet du Narkomfin, le facteur technologique prend une fonction prépondérante: l’adoption de techniques de construction expérimentales 4, aussi bien que des critères d’agencement les plus avancés en ce qui concerne l’équipement des services 5 - tout cela étant associé à la standardisation de chaque élément (piliers, poutres, portes, fenêtres, cloisons) - font de ce bâtiment un modèle de référence privilégié pour le plan de modernisation de l’industrie de la construction soviétique naissante. L’étude de la composition et de l’agencement intérieur du Narkomfin, conçu pour une affectation semi-communautaire, fait néanmoins l’objet d’un essai typologique de transition. En effet, l’élimination de la structure sociale familiale n’y est pas prévue, contrairement à ce que les prescriptions du programme de la maison-commune établissaient à cette époque 6. Comme Ernesto Pasini l’a noté, le caractère communautaire de ce bâtiment ressort “dans la mesure où on y affirme la nécessité de socialiser certains services, ou de collectiviser des moments de la vie quotidienne, mais il n’atteint pas la fonction déterminante de la Domkommuny”: c’est à dire celle de la réalisation “d’une structure capable de transformer radicalement l’organisation sociale de ses habitants”, tout en modifiant le système de vie dans un sens authentiquement socialiste. En fait, bien que l’essor de l’idéologie communautaire et la réalisation des premières hypothèses pour l’application diffusée d’un nouveau type d’habitation se produisent à cette époque, cette intention, d’après ce qu’admet Ginzburg luimême 7, ne fait pas partie de ses recherches expérimentales. La démarche architecturale de Ginzburg privilégie en fait les problématiques issues de la carence chronique de logements et les méthodes d’agrégation typologique de la cellule d’habitation modulaire. En ce sens, le Narkomfin est le résultat d’une application “hétérodoxe” de la maison-commune : les services collectifs qui sont prévus ne prennent pas une fonction prédominante en relation avec le secteur résidentiel, le bâtiment affecté aux fonctions sociales restant subordonné aux logements privés. En tant que “maison transitoire”, cet édifice témoigne de l’intention de procéder avec gradualité à la constitution d’un système de vie communautaire. Il s’agit d’un essai visant l’introduction, dans le débat disciplinaire sur la “ville nouvelle” socialiste, d’un instrument scientifique capable d’influencer d’une façon concrète les dynamiques du processus de transformation de l’organisation de l’état prérévolutionnaire. Au sein de la presse spécialisée internationale 8, la construction du Narkomfin - un épisode lyrique dans un contexte épique - bénéficie d’un écho tout à fait exceptionnel. La culture européenne d’urbanisme promeut ce bâtiment à l’unanimité, en tant que “l’abstraction la plus audacieuse du mouvement constructiviste” 9, l’un “des exemples les plus excitants de

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logements publics des années vingt construits en Europe”. La précision géométrique austère de ses lignes “incisives et hardies” 10 produit des effets qui déconcertent Le Corbusier luimême. En 1930, il note dans ses Commentaires : “J’ai eu l'occasion de visiter une maisoncommune à Moscou, bâtie solidement, où, néanmoins, l’agencement intérieur et la conception architecturale générale sont si froids et impassibles (…), que l’on se sent pénétré d’un sens immense de tristesse, non seulement à la pensée d’y habiter nous-mêmes, mais aussi à celle de considérer que plusieurs centaines d’individus ont été privés tout simplement des joies de l'architecture”.

Fig. 3 Comme Ernesto Pasini l’a remarqué, la culture occidentale “reconnaît unanimement dans le Narkomfin le message de Le Corbusier” 11. La conception et la mise en œuvre du bâtiment, aussi bien que l’évolution de la pratique de projet de Ginzburg, tirent sans doute profit de la doctrine de composition du maître suisse. Dès les années 1926-27, la revue Sovremmenaja Architektura est le véhicule privilégié de diffusion et de réception des théories de Le Corbusier en URSS. En 1931 Il’in, par l’article « Le corbusianisme en URSS », publié dans les pages de L’architecture d’aujourd’hui, fait une première systématisation critique. Il voit le développement de l’architecture moderne soviétique comme une conséquence de l’œuvre de l’architecte suisse, son analyse s’appuyant notamment sur une comparaison parallèle entre le Narkomfin de Ginzburg et les bâtiments de Le Corbusier. “[Dans] l’architecture de l’URSS” précise-t-il - on retrouve “les mêmes principes d’organisation des formes et des volumes que nous trouvons dans l’œuvre de Le Corbusier (…). L’immeuble des employés du Commissariat des finances mérite une analyse plus profonde, parce que son ‘corbusianisme’ est plus propre et plus large...” 12. Il est indéniable que les composantes principales de l’immeuble résidentiel (les grandes fenêtres en bandeau qui se dégagent le long de la façade sans solution de continuité, les pilotis, la rue corridor, le toit-terrasse, l’articulation spatiale des cellules d’habitation) répondent aux canons les plus “orthodoxes” du langage corbuséen 13. Néanmoins, contrairement à ce que l’analyse de Il’in ferait présumer, la démarche de composition de Ginzburg n’est pas l’issue d’une approche formaliste ; elle ne se réduit pas à des citations, bien que nobles et exemplaires, ses recherches expérimentales s’appuyant sur les

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implications proprement sociales de l’habitation collectiviste. La valeur spécifique du Narkomfin réside essentiellement dans sa nature communautaire, ainsi que dans les caractéristiques d’innovation en tant que condensateur social, modèle alternatif par rapport à l’organisation privée traditionnelle de la société. Dans ce contexte, celui d’une démarche pleinement autonome et originale, l’étude des typologies, l’emploi “brutaliste” et avancé des matériaux et des techniques de construction, convergent vers l’application intégrée des procédés industriels de standardisation. Les solutions technologiques et fonctionnelles d’innovation mises en œuvre pour la première fois dans le Narkomfin - “un rêve d’avant-garde de l’architecture moderne soviétique à son apogée qui avait épaté le monde” 14, expression d’excellence du ferment intellectuel qui animait la culture architecturale en Russie à la fin des années vingt du XXème siècle - se révèlent, à l’épreuve, une utopie largement impraticable. Après quelques temps, le réfectoire est démantelé, l’école maternelle ne sera jamais mise en fonction. L’édifice, conçu au départ pour les employés du Commissariat des Finances, est affecté par la suite à une résidence pour la nomenklatura soviétique 15. S’agissant de la légitimation sociale et culturelle de l’édifice, le Narkomfin connaît une déchéance fulgurante dans les années qui suivent immédiatement son achèvement. En avril 1932, en application de l’ukase décrété directement par Staline, la doctrine du régime soviétique est synthétisée dans le slogan populiste d’Anatole Lunacharsky, “il faut donner des colonnes au peuple”. Ce slogan déclare la fin de la “décennie héroïque” de l’architecture moderne en Russie. Il en découle l’essor d’un néo-classicisme style Empire, qui ouvre une phase de régression culturelle, dont la Russie actuelle expie encore les conséquences.

Fig. 7

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Préserver l’utopie: l’héritage immatériel du moderne La protection et la conservation du patrimoine architectural du vingtième siècle en Russie est l’une des questions les plus complexes et controversées au sujet desquelles la communauté scientifique internationale contemporaine est appelée à se confronter. Comme on a déjà remarqué dans une contribution récente 16, l’absence d’une perspective historique de longue durée, le décalage se produisant entre la réception de l’héritage architectural “moderne” et la conception traditionnelle du monument, la diversité et la pluralité des opinions mises en relation avec les méthodologies possibles d’intervention (préservation, restauration à l’identique, réhabilitation avec une nouvelle affectation?), l’absence d’attention, de la part des institutions locales responsables de la protection, pour un ensemble d’œuvres dont, en général, la valeur patrimoniale n’est pas reconnue 17. En conséquence, le cadre disciplinaire de la préservation du patrimoine moderne est assez incertain et contradictoire. Lors d’une analyse récente, le World Monuments Fund a relevé qu’ “en moins d’un siècle depuis leur conception et leur achèvement, les chef-d’œuvre du moderne - documents critiques de l’histoire de l’architecture contemporaine - sont systématiquement démolis, défigurés, ou délaissés” 18 dans des conditions de détérioration lente et progressive. Comme dans les autres pays européens les plus importants, le processus de réappropriation identitaire du patrimoine architectural moderne en Russie se fait jour depuis la fin des années quatre-vingt. À l’époque, l’État soviétique - par un arrêté spécial consacré à l’architecture inscrit les œuvres les plus significatives du constructivisme russe à l’Inventaire des Monuments historiques. Néanmoins, l’acquisition du nouvel statut de monuments nationaux n’a pas préfiguré des progrès substantiels au sein du processus de conservation de ce patrimoine.

Fig. 8

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Manifeste de l’atmosphère de détérioration sociale contemporaine de l’ère post-communiste, la maison-commune Narkomfin, “machine à habiter” du bâti expérimental de masse et icône du rationalisme révolutionnaire de la fin des années vingt, est désormais, depuis des décennies, dans des conditions de délabrement total (fig. 7 - 12). Au cours des quinze dernières années, les organisations internationales les plus prestigieuses œuvrant dans le domaine de la préservation du patrimoine architectural mondial (DOCOMOMO, ICOMOS, World Monuments Fund) ont pris des initiatives et se sont engagées activement dans la mise en œuvre de projets destinés à le sauvegarder. Sur le plan institutionnel, une intervention importante en faveur de la sauvegarde et de la préservation du Narkomfin remonte à novembre 1991, lorsque DOCOMOMO International lance une première pétition internationale consacrée à ce bâtiment. L’initiative, concomitante avec la publication d’un dossier dans le bulletin de cette organisation 19, a pour but d’attirer l’attention du milieu académique et de l’opinion publique mondiale sur la nécessité de préserver la valeur iconique et l’intégrité matérielle de ce témoignage universel de la modernité, tout en sollicitant en même temps ses propres membres pour formuler des suggestions et des propositions utiles pour la formulation d’une affectation compatible avec l’identité architecturale du bâtiment. L’appel est adressé aux autorités de l’Union Soviétique, en la personne de Nikolaj N. Gubenko, Ministre de la Culture de l’URSS, de Dmitri S. Lichacev et de Raisa Gorbatchov, ces derniers occupant respectivement, à cette époque, la charge de Président et de Chancelier de la Fondation Culturelle de l’URSS.

Fig. 9

Fig. 10

En 1999, DOCOMOMO insère le Narkomfin dans son fichier international, qui rassemble une sélection mondiale de plus de 600 bâtiments et sites urbains du Mouvement Moderne. Ces exemples, à la “valeur universelle éminente”, sont reconnus en tant qu’œuvres paradigmatiques de “l’innovation technique, sociale et esthétique” de l’histoire architecturale au vingtième siècle 20. Trois ans plus tard, le World Monuments Fund amorce une initiative de sensibilisation à la sauvegarde du patrimoine architectural moderne. Du 30 mai au 25 septembre 2002, auprès de la World Monuments Fund gallery, 95, Madison Avenue à New York City, se déroule l’exposition Modernism in Dange. Il s’agit d’une rétrospective photographique illustrant, dans une section spéciale, les images de huit bâtiments-phares du modernisme international les plus menacés de disparition. La maison-commune Narkomfin y figure avec d’autres icônes historiques du Mouvement Moderne, telles que la bibliothèque de Viipuri (1927-1935) par Alvar Aalto, le Club Rusakov (1927-1929) par Konstantin Melnikov à Docomomo France | archives de La Revue en ligne | février 2006 n° 2

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Moscou, la villa Tugendhat (1930) par Mies Van der Rohe à Brno. L’événement, dont la mise en scène est destinée à impliquer - bien au-delà du milieu académique et professionnel - le public le plus élargi, remporte une critique extraordinaire, tout en se posant, en même temps, comme un moment fondamental de réflexion disciplinaire.

Fig. 11

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Dans la fiche consacrée au Narkomfin, sont mis en évidence les effets les plus préoccupants du processus de détérioration avancée du bâtiment. Le diagnostic est impitoyable : la charpente de maçonnerie, qui a été construite avec économie, avec des matériaux conçus pour une courte durée, une structure en béton armé et des planchers en briques creuses, est largement compromise sur le plan de l’équilibre statique. De même, une partie des cloisons se sont effondrées, ce qui a rendu inhabitables un grand nombre de logements (fig. 12). Le rez-dechaussée est fermé, les locaux d’origine, affectés à des salles à manger et à des services de foyer, ont été altérés de façon irrémédiable. Le manque d’entretien presque total dont a souffert le bâtiment depuis son achèvement a aggravé les conditions générales de l’immeuble. Des infiltrations d’eau ont gravement endommagé la couverture du toit-terrasse, tout en entraînant l’apparition d’intrusions végétales (fig. 11). Dans les façades extérieures, les dispositifs de coulissement des fenêtres horizontales en bandeau (fig. 7, 8 et 10) ne fonctionnent plus. De même, les conditions d’obsolescence extrême des canalisations d’eau, des installations de chauffage et des dispositifs d’écoulement des eaux ménagères ont provoqué des pertes donnant lieu à la formation d’invasions humides et de moisissures qui ont envahi les murs intérieurs. Le Narkomfin, laissé depuis longtemps dans un état d’abandon presque total (seuls 19 appartements sur un total de 50 étant encore occupés dans des conditions de précarité alarmantes) 21, est devenu de plus en plus un refuge d’urgence pour les sans-abri. Pendant la même période, à l’occasion du rapport biannuel 2002-03 rendu par ICOMOS International, Natalia Dushkina, coordinatrice du Comité russe de ICOMOS, présente la liste du Patrimoine en danger - Heritage at Risk, une sélection de bâtiments du Mouvement Moderne en Russie menacés de destruction. La publication du rapport est une occasion privilégiée pour donner l’alerte sur l’état de détérioration généralisée du patrimoine architectural moderne national. “Le Constructivisme Russe, ses images iconiques renommées dans le monde entier, va disparaître” - met-elle en garde. “Moscou, le centre de l’architecture des avant-gardes soviétiques des annés vingt et trente, exhibe une suite désolée de bâtiments détériorés. L’oubli, le manque total d’entretien, des travaux de restauration grossiers, l’attaque des nouvelles constructions, les violations légales systématiques associées à la destruction matérielle ne sont que quelques-uns des facteurs concourant à la disparition accélérée d’une composante significative de l’histoire de l’architecture au vingtième siècle» 22. La maisoncommune Narkomfin, inscrite en 1987 à l’Inventaire national des Monuments historiques, ouvre la liste des œuvres menacées les plus remarquables 23, requiérant “une attention et une implication directe urgente de la part du public et du milieu professionnel”. La préservation du patrimoine architectural moderne en Russie, un sujet toujours bien actuel, est évoquée à nouveau en décembre 2003, lorsque le World Monuments Fund inclut le Narkomfin, pour la deuxième fois, dans la liste biannuelle des quelques 100 ensembles architecturaux et sites urbains en danger dans le monde. Cette décision est confirmée à l’occasion de la publication récente (juin 2005) issue du dernier rapport relatif aux années 2005-2006. Dans une intervention récente, Pavel Shulgin, directeur-adjoint du Russian Research Institute for Cultural and Natural Heritage à Moscou, a remarqué comment, tout au long de ces dernières années, la réhabilitation du Narkomfin a fait l’objet des préocuppations de la communauté scientifique. Depuis plus d’une décennie, de nombreuses hypothèses de restauration ont vu le jour. Une partie d’entre elles a reçu un aval international ; pourtant, aucune intervention n’a jamais été mise en œuvre de façon concrète. En 2003, un Comité public créé spécialement pour cette cause a milité en faveur d’une solution inédite pour la réhabilitation fonctionnelle du bâtiment. La Commission, composée des délégations officielles du Russian Research Institute (l’organisme habilité à désigner l’inscription du bâtiment dans la liste internationale des monuments en danger), de l’Architectural Museum de Moscou et des locataires du Narkomfin, a mis au point une proposition de restauration dotée d’une profonde signification culturelle. Cette hypothèse prévoit, à côté de la remise en fonction de l’unité d’habitation (dès son achèvement, l’affectation résidentielle de l’immeuble n’a jamais été modifiée, les caractéristiques d’origine de l’agencement intérieur restant presque inaltérées au Docomomo France | archives de La Revue en ligne | février 2006 n° 2

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cours du temps), la création d’un Centre international pour la didactique et la recherche architecturale. Le but essentiel des promoteurs de ce projet - souligne Shulgin - est notamment celui de garder la ligne de continuité idéale, cohérente avec les fonctions d’origine de l’immeuble, tout en récupérant non seulement l’intégrité matérielle de l’ “objet” architectural, mais également l’image symbolique et l’ “esprit pionnier” de la maison-commune. De cette façon, ses habitants continueraient à occuper les mêmes logements, les standards d’habitation conçus à l’origine par Ginzburg étant préservés. De plus, une partie de l’ensemble résidentiel (vingt à trente chambres) serait affectée à un foyer international pour des étudiants, des boursiers et des chercheurs. L’établissement affecté aux services, relié au bâtiment principal, abriterait les salles de classes et les bureaux de direction. Dans les finalités du projet, le Centre de recherche devrait constituer un pôle scientifique d’excellence, doté d’un Musée du Moderne qui soit en mesure d’attirer, par la mise au point d’ateliers et de séminaires internationaux, des spécialistes provenant du monde entier, intéressés d’approfondir leurs connaissances de l’histoire de l’architecture moderne en Russie et des avant-gardes du constructivisme soviétique. Le modèle didactique dont il s’agit pourrait préfigurer, en fait, la mise en œuvre d’une plate-forme de travail permanente, structurée en accord avec un programme de coopération internationale 24. Une pluralité d’initiatives conjointes a accompagné la proposition de projet promue par le Russian Research Institute. La Commission technique a veillé à la publication d’articles dans les revues spécialisées russes et moscovites, ainsi qu’à la diffusion du dossier portant l’inscription du Narkomfin dans la liste des quelques 100 sites mondiaux en danger 25. Le Comité a lancé, en dernier ressort, un appel en faveur de la mise en oeuvre du projet de réhabilitation. Cet appel - qui a reçu le soutien d’Alexey Ginzburg, le descendant de l’architecte maître d’œuvre du Narkomfin - a été adressé officiellement au Ministère de la Culture de la Fédération Russe (l’organisme étant chargé de la préservation des monuments historiques), ainsi qu’à des associations privées engagées dans le domaine du patrimoine et au Kress Foundation European Preservation Program. En dépit de ces efforts, toutes les initiatives ont échoué jusqu’à présent. Les conditions extrêmement critiques du Narkomfin rendent chaque jour plus pressante la menace de sa démolition, ou bien celle de la reconstruction du bâtiment avec de nouveaux matériaux. Fin 2003, la Mairie de Moscou a présenté deux propositions de réhabilitation bien distinctes. Néanmoins, ces projets ne prévoient pas la préservation de l’architecture d’origine, mais sa reconstruction intégrale avec la réalisation d’un nouvel ensemble résidentiel de luxe, doté de garages souterrains annexes. Les projets, conçus tous les deux avec des buts purement spéculatifs, diffèrent uniquement par le nombre des appartements et des garages programmés. La localisation stratégique du site - l’Unité d’habitation est située dans un quartier central de la ville, au milieu d’un parc urbain de six hectares, le long de la Sadovaia Koudrinskaia, à proximité de l’Ambassade des États-Unis - rend une telle opération immobilière de plus en plus attrayante, étant donné la perspective d’une augmentation de valeur progressive de la rente foncière. Ce projet a suscité de fortes appréhensions tant dans l’opinion publique qu’au sein des milieux intellectuels et académiques. “Le gouvernement central” - rappelle encore Pavel Shulgin - “n’a en fait aucune voix au chapitre dans l’avenir du Narkomfin. L’édifice est la propriété de l’administration de la Mairie de Moscou, le Ministère Fédéral de la Culture ne dispose ni des instruments juridiques ni des fonds nécessaires pour empêcher la mise en œuvre des projets envisagés par les autorités municipales de Moscou. Le gouvernement peut formuler des propositions sur la restauration de l’immeuble, mais il n’a pas le pouvoir d’assumer des décisions officielles”. Le risque redouté de la destruction imminente d’un document universel de la modernité a suscité une nouvelle mobilisation internationale. En avril 2005, dans le but de relancer le débat sur les problématiques disciplinaires et méthodologiques de la préservation du patrimoine architectural moderne, la revue Arkos, avec le soutien conjoint de la maison d’éditions Nardini et de Docomomo, a pris l’initiative d’une pétition internationale pour la sauvegarde et la Docomomo France | archives de La Revue en ligne | février 2006 n° 2

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restauration du Narkomfin. Cette pétition, à laquelle ont adhéré officiellement les organismes internationaux les plus prestigieux engagés dans la préservation du patrimoine architectural mondial, a été adressée au Ministre de la Culture de la Fédération Russe, M. Aleksandr S. Sokolov, et au Maire de Moscou, M. Yury M. Luzhkov. L’initiative prise par Arkos a été présentée par la suite à Ferrare, lors du Salone dell’Arte del Restauro e della Conservazione dei Beni Culturali e Ambientali. Elle a remporté une adhésion considérable. L’appel, publié sur le site web de la revue (http://www.nardinirestauro.it/appelli/appello_narkomfin.htm), a été souscrit, jusqu’à présent, par plus de 200 signataires de par le monde (universitaires, architectes, spécialistes de la conservation, étudiants). L’utopie moderniste, déclinée dans une abstraction figurative visionnaire, est la clé d’interprétation de l’identité de ce bâtiment. Le Narkomfin est le lieu où, bien plus qu’ailleurs, le rêve du moderne a abouti à une conception unitaire globale. Aujourd’hui, l’expérience historique du Narkomfin restitue, dans l’expression sémantique de son architecture totémique, la traduction du programme du Projet Moderne, le même que, pendant plus d’un demi-siècle, l’Occident avait proposé et abandonné successivement. C’est l’architecture qui épouse la cause de la modernité avec un dévouement absolu, tout en la consacrant aux dogmes d’une religion laïque de la pensée. De nos jours, alors que les anciens antagonismes idéologiques et les “fureurs” iconoclastes de mémoire funeste (qui ont provoqué notamment la destruction, en Italie, d’œuvres remarquables construites pendant le fascisme) sont dépassés, la culture pionnière de la conservation doit définir de nouvelles approches multidisciplinaires, qui soient en mesure d’affronter les “scénarios” variables et les systèmes de signification de la société contemporaine. La réhabilitation du Narkomfin est, avant tout, un défi culturel qui dépasse l’aspect proprement technique (c’est-à-dire la mise au point d’un projet de restauration hautement spécialisé). Comme le rapport du World Monuments Fund l’a bien mis en évidence, “derrière les fenêtres en bandeau austères du Narkomfin se dévoile un modèle d’habitation communautaire aussi ingénieux qu’empreint d’idéaux humanitaires”, à la fois paradigme et métaphore d’un ordre social supérieur. La valeur essentielle de ce défi réside dans la capacité de restituer la signification de l’Utopie au sens le plus noble, tout en préservant tant le patrimoine matériel que l’héritage “immatériel” des principes universels que cette œuvre de l’esprit humain recèle: le fondement pédagogique et moral de l'architecture, la praticabilité d’une forme de vie communautaire inspirée des liens de solidarité, la confiance en l’édification d’une société civile et moderne avançant vers un avenir d’équité et de progrès social.

Notes 1 Voir: Pasini E., La “casa-comune” e il Narkomfin di Ginzburg 1928/29, Rome, Officina éditions, 1980, p. 66. 2 En ce qui concerne notamment le plan général de l’Unité d’habitation, seules les deux premières constructions ont été achevées. De même, Ginzburg apporte, en phase d’exécution, des modifications radicales dans les affectations d’origine : les locaux de l’ensemble social, dans lequel il avait prévu initialement un gymnase et un réfectoire, ont été équipés de blanchisserie et d’autres services. 3 Le bloc résidentiel, de 91 mètres en longueur, a un volume total de 15.000 m3. La typologie modulaire des logements témoigne de la volonté de rendre l’agencement le plus flexible possible. La cellule type F, conçue en deux variantes sur des niveaux décalés (surface totale 40 m 2), se compose d’une petite entrée (avec une toilette) qui donne accès à la pièce principale, affectée au séjour avec une petite cuisine ; au niveau supérieur, une chambre à coucher et une salle de bains. Dans la deuxième variante, une pièce unique est affectée au séjour et à la chambre à coucher, un cabinet de toilette étant annexe. La cellule type K, qui se dégage sur deux étages (surface totale 85 m 2), est affectée, au premier niveau, à un séjour en duplex, une cuisine étant annexée ; le niveau supérieur, avec une salle de bains, est équipé d’une vaste pièce divisible par de cloisons mobiles (fig. 3). 4 Le bâtiment est constitué par une charpente portante en béton armé composée d’éléments modulaires (3,75 x 4,5 m), de piliers à section circulaire (35 cm de diamètre). Le revêtement extérieur est en bétonite isolant thermique, les cloisons étant composées de panneaux en eraclit (Ginzburg M. Ja., Milinis I. F., « “Domsotrudnikov Narkomfina” (La maison des fonctionnaires du Narkomfin), Sovremennaja Architektura, 5, 1929). 5 Dans le Narkomfin, les ordures ménagères sont écoulées directement par un dispositif technique mécanisé. 6 Dans le bâtiment résidentiel, les appartements gardent les services essentiels (cuisine, cabinet de toilette), le déroulement d’une économie domestique privée, complètement autonome, étant préservé (cfr. Pasini E., op. cit., pp. 67 et 74).

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7 À l’occasion de l’interview accordée à Maurice Da Costa, Ginzburg précise: “Il ne faut pas prendre la Maison Narkompin autrement que comme une expérience. De cette expérience il ressort que la maison commune, en général, ne résout pas le problème de l’habitation socialiste. En effet la société socialiste et à fortiori, la société communiste, donnera à l’individualité une expansion jamais rêvée. Les mœurs socialistes n’auront rien de commun, même de loin, avec les mœurs bourgeoises, par la mécanisation et la rationalisation”. En conclusion de l’entretien avec Moisej Ginzburg, Maurice Da Costa ajoute: “Il reste, cependant, de la Maison Narkompin, une œuvre architecturale des plus intéressantes de notre époque et le type accompli de la maison commune. Si [cette] idée comme solution est en jeu, l’œuvre architecturale de Ginsburg marque une époque dans les réalisations civiles soviétiques. [Car, de] cette œuvre se dégage une légèreté remarquable et le bâtiment, dans ce parc où la nature est respectée, nous apparaît comme une œuvre humaine reflétant l’esprit de netteté et de decision de notre époque” (Da Costa M. (dir.), “L’architecture à l’étranger. U.R.S.S. Maison Commune Narkompin in Moscou par Ginzburg, Architecte”, L’architecture d’aujourd’hui, 5, 1931, pp. 23-24). 8 Début 1929, le Narkomfin est présenté officiellement dans les pages de Sovremennaja Architektura. Le bâtiment accède immédiatement à la scène mondiale, les revues internationales de l’époque les plus prestigieuses lui consacrant de nombreuses publications: Voir “The Narkomfin Communal House”, Sovremennaja Architektura, 1, 1929; Ginzburg M. Ja., Milinis I. F., “Domsotrudnikov Narkomfina”, op.cit., 1929; Das neue Russland, 3-4, 1930 - Stavba, 4, 1930; L’architecture d’aujourd’hui, cit., 5, 1931, p. 23-27; Idem, 6, 1931; “Flats for the People’s Commissariat in Moscow by Ginsburg”, Architectural Review, 6, 1932, p. 204; Hassenpflug G., “Ein neuen Wohnhaustyp in Russland”, Baugilde, 2, 1933, pp. 69-72. 9 World Monuments Watch, 100 Must Endangered Sites 2006. Narkomfin Building. Moscow, Russia (World Monuments Fund - www.wmf.org). 10 Voir: L’architecture d’aujourd’hui, op.cit., 5, 1931, p. 24. 11 Cfr: Pasini E., op. cit., p. 78 et 86 (note 17). 12 Voir: Il’in M., «Le corbusianisme en U.R.S.S.», L’architecture d’aujourd’hui, a. II, n. 6, août-septembre 1931, pp. 58-61. 13 Les analogies typologiques et constructives avec les œuvres de Le Corbusier sont nombreuses et patentes: le bâtiment affecté aux services communes “réunit en soi la composition de la grande maison de Weissenhof et de la villa d’Avrey (…). L’organisation intérieure de l’immeuble dérive des deux couloirs qui traversent la maison d’un côté à l’autre. Les logements s’ouvrent sur ces couloirs. Les appartements ont deux étages, tout cela [montrant] une liaison très vive avec le bloc de villas de 1922”. En outre, Il’in remarque que la disposition des volumes (bloc résidentiel et bâtiment des services) a été influencée manifestement “par le merveilleux Palais de la Société des nations de L. C., resté malheureusement à l’état de projet” (Idem, p. 59). 14 O’Flynn K., “Constructivist Gem Makes Final Bid for Utopia”, The Moscow Times, 10 février 2004, p. 8. 15Ibid. 16 Forte R., “La conservazione e l’identità degli edifici moderni” (La préservation et l’identité des bâtiments modernes), Arkos, n. 10, avril-juin 2005, pp. 8-10. 17 L’absence d’un dispositif juridique de protection suffisamment adéquat rend ces bâtiments extrêmement vulnérables, les soumettant au risque concret que des méthodes d’intervention destructrices soient mises à exécution. La reconstitution formelle des façades (façadisme) s’accompagne en principe d’une reconstruction radicale des espaces intérieurs. Celle-ci altère d’une façon irrémédiable les caractéristiques typologiques et constructives d’origine du bâtiment. 18 World Monuments Watch, présentation de l’exposition Modernism in Danger qui a eu lieu à la World Monuments Fund Gallery à New York City du 30 mai au 25 septembre 2002 ( www.wmf.org). 19 Kokkinaki I., Rezvin V., “Campaign for Narkomfin”, DO.CO.MO.MO. Newsletter, 6, 1991, p. 60-65. 20 Sharp D., Cooke C. (dir.): The Modern Movement in Architecture. Selection from the DO.CO.MO.MO Registers, Rotterdam, 010 Publishers, p. 7; Id., Narkomfin semi-collectivized housing complex - Moscow (1928-1930). Moisei Ginzburgh & Ignaty Milinis, p. 212. 21 Gregory R., «State modern?», The Architectural Review, vol. CCXVII, n. 1299, mai 2005, p. 34. 22 Dushkina N., “Russia. 20th-Century Heritage”, H@R!: Heritage at Risk 20022003(www.international.icomos.org/risk/2002/russia2002.htm). 23 Dans la liste des bâtiments modernes moscovites établie par ICOMOS Russie, ont été insérés la Maisoncommune pour étudiants de l’Institut Textile (1929-1930) par Ivan Nikolaev, la Maison-atelier et le Club ouvrier Rusakov (1927-29) par Konstantin Melnikov, le Planetarium à Moscou (1927-29) par Mikhail Barshch et Mikhail Sinyavsky, la station de métro Mayakovskaya à Moscou, par Aleksei Nikolaevich Dushkin (1937-1938). De 1987 à 1990, l’État soviétique a inscrit toutes ces œuvres à l’Inventaire des Monuments historiques. 24 Dans les intentions des promoteurs, la réalisation et la gestion du centre de recherche s’appuierait sur l’autofinancement, grâce aux recettes des activités de formation et avec le soutien financier intégré des organismes privés. 25 Pendant la même période, des conférences de presse sur ce sujet ont eu lieu. Un séminaire de spécialistes s’est réuni dans le but de discuter les futures affectations possibles de l’immeuble. En même temps, le Comité, afin de sensibiliser l’opinion publique, a organisé une visite du site, un court-métrage tv et une brève vidéo-information sur les conditions actuelles du monument.

Bibliographie Kopp A., Città e Rivoluzione (Ville et Révolution), Milan, Feltrinelli éditions, 1987. Chan Magomedov S.O., Moisej Ginzburg, Milan, Franco Angeli éditions, 1983.

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Pasini E., La “casa-comune” e il Narkomfin di Ginzburg 1928/29 (La “maison-commune” et le Narkomfin de Ginzburg 1928/29), Rome, Officina éditions, 1980. Buchli V., An Archaeology of Socialism, Oxford-New York, Berg, 2000.

Illustrations A - Couverture du volume Krasivaia Zhizn’ (Beautiful Life), par A. Kurella, 1930. 1 - Moisej Ginzburg et Ignaty Milinis arch., S. Prokhorov ing., maison-commune Narkomfin à Moscou, 1928-1929. Axonométrie du projet, version d’origine (E. Pasini, La “casa-comune” e il Narkomfin di Ginzburg 1928/29, Rome, Officina éditions, 1980, p. 49). 2 - Narkomfin, perspective générale du projet initial. Au centre et en bas, les façades latérales et frontales de la version bâtie («The Narkomfin Communal House», Sovremennaia Arkhitektura, n. 5, mai 1929, p. 158). 3 - Narkomfin, schéma-type des logements. Plan des cellules d’habitation K (premier et deuxième étage - a); plan des cellules d’habitation F (troisième, quatrième et cinquième étage - b). Coupe axonométrique de l’agencement intérieur (c) (Sovremennaia Arkhitektura, cit., p. 161). 4 - Maison-comune Narkomfin, Novinsky boulevard 25 (korpus B): la façade côté-Sud du bloc résidentiel dans un’image remontant aux années Trente («Flats for the People’s Commissariat in Moscow by Ginsburg», The Architectural Review, n. 6, mai 1932, p. 204). 5 - Narkomfin, vue de la cour intérieure. A gauche, l’établissement des services ; à droite, le bloc résidentiel à l’état d’origine (M. Costa, «L’architecture à l’étranger. U.R.S.S. Maison Commune Narkompin in Moscou par Ginzburg, Architecte», L’architecture d’aujourd’hui, a. II, n. 5, mai 1931, p. 26). 6 - Narkomfin, bloc résidentiel : à gauche, détail de la partie terminale du couloir extérieur (L’architecture d’aujourd’hui, cit., p. 26). Aujourd’hui, cette solution d’angle a été bouchée par un dormant. A droite, vue de la rue corridor intérieure au premier plan dans une photo de 1930. 7 - Unité d’habitation, façade Nord-Ouest du bloc résidentiel à l’état actuel (© Pavel Shulgin, Russian Research Institute for Cultural and Natural Heritage, Moscou, décembre 2003). 8 - Unité d’habitation, façade Sud-Est du bloc résidentiel à l’état actuel. Au gros plan, la rue corridor intérieure (© Pavel Shulgin, Heritage Institute, Moscou, décembre 2003). 9 - Bloc résidentiel, détail de la façade Nord dans une image récente (© World Monuments Fund, New York City, 2002). 10 - Unité d’habitation, détail de la façade Sud-Est. Au gros plan, les conditions de détérioration avancée des murs extérieurs et des châssis des fenêtres (© Pavel Shulgin, Heritage Institute, Mosca, décembre 2003). 11 - Unité d’habitation, les conditions actuelles de détérioration de la couverture à terrasse et du solarium (© MAPS - Moscow Architecture Preservation Society, 2005). 12 - État de délabrement à l’intérieur d’un logement type K (© MAPS, 2005). 13 - L’établissement des services à l’état actuel (© ArchiDoodle, août 2005).

Résumé de l’article en anglais – Myth, Revolution, Utopia. The Narkomfin Collective Housing Complex in Moscow In the historical events of the Modern Movement, the experiences related to theoretical and applicative developments of experimental mass housing in Soviet Union take a preminent social function and a cultural significance. As from the second half of the 1920s, the postrevolutionary constructivist avant-garde works out new organizing typologies of collectivized housing by the complete nationalization of building field. The development of a mass industrialized building accomplished by the so-called ‘social units’ - the Strojkom’s communal housing standard plan should be the paradigm - set the lines of the program directed to demolish the traditional planning schemes. The new social system issued by Revolution puts as an ideological aim the total cancellation of the pre-existing values order as well the new communist society edification. The heroic deeds of the Soviet avant-gardes exhausted on the historical plan, the titanic illusion of the building of a new social status as well of an art for the people is shattered symbolically in the modern ruins of present time. The Soviet Union dissolution as the staggering transformations of the last fifteen years have marked an epochal turning point, the evolution of which, on the social and cultural plan, does not yet takes shape. This situation set out new approaches for the most recent architectural heritage. As a manifesto of the present social deterioration, the Domy Kommuna, as the big collectivized housing units scattered in the boundless suburbs of the Soviet ex-empire, have yet foreshadowed, for a long time, the expectation of an improvement in the life conditions for Russian generations. Today, the remains of these laical cathedrals of Utopia, as an awkward vestiges of a declined ideology, make the preservation necessary and urgent as much the physical traces of the built heritage, as the ‘immaterial’ and iconic legacy of historical events at the same time tragic and grandiose.

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Texte de la pétition internationale lancée par la revue Arkos en vue de sauvegarder le Narkomfin Appel international pour la préservation de la maison-commune Narkomfin à Moscou La revue Arkos demande aux autorités compétentes qu’elles assurent le plus grand engagement à ce que le Narkomfin, en tant que témoignage remarquable de l’architecture du constructivisme, au retentissement international, soit restauré pleinement dans le respect rigoureux de son intégrité architecturale, de ses qualités urbaines et de l’environnement dont il fait partie. Le Narkomfin, paradigme et prototype de maison-commune conçu en 1928 par l’architecte russe Mojsei Ginzburg et par l’équipe des architectes soviétiques de l’OSA, est un exemple à la valeur historique et symbolique exceptionnelle. Sa réalisation témoigne de la conception révolutionnaire formelle, spatiale et d’agencement des modèles expérimentaux faisant partie de la construction des logements de masse de la société socialiste naissante. Au cours des dernières décennies, l’Unité d’habitation a connu une détérioration préoccupante et progressive; aujourd’hui, le bâtiment est dans un état désastreux, qui entraîne des risques sérieux pour sa sauvegarde. Appuyé par le soutien d’organismes qui oeuvrent pour la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine architectural moderne, co-signataires de l’initiative, “Arkos” lance un appel pour la sauvegarde et la réhabilitation de ce chef-d’œuvre de l’âge pionnier du Mouvement moderne. DOCOMOMO International, DOCOMOMO France et les autres sections nationales de DOCOMOMO, ICOMOS, ICOMOS Russie, World Heritage Centre (UNESCO), Fondation Le Corbusier, Alvar Aalto Foundation, Russian Research Institute for Cultural and Natural Heritage, The Twentieth Century Society, Bauhaus Dessau Foundation, UIA (Union Internationale des Architectes), Moscow Architectural Institute (MARKHI), Moscow Architecture Preservation Society se joignent à l’appel.

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