MAKE ROJAVA GREEN AGAIN COMMUNE INTERNATIONALISTE DU ROJAVA
AVANT-PROPOS DE DEBBIE BOOKCHIN
MAKE ROJAVA GREEN AGAIN Construire une société écologique
COMMUNE INTERNATIONALISTE DU ROJAVA Illustrations
MATT BONNER
UNE CAMPAGNE DE
LA COMMUNE INTERNATIONALISTE DU ROJAVA EN COOPÉRATION AVEC LA FÉDÉRATION DÉMOCRATIQUE DE LA SYRIE DU NORD Première publication à Londres, 2018 par Dog Section Press et la Commune Internationaliste du Rojava Imprimé par Calverts Ltd., une coopérative ouvrière Atelier de création libertaire ISBN : 9782351041284 Dog Section Press ISBN : 9780993543593 Publication sous licence publique Creative Commons attribution non-commerciale 4.0 International Conception graphique : Matt Bonner – revoltdesign.org Logo « Dog Section Press » par Marco Bevilacqua
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos par Debbie Bookchin
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Introduction
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Commune internationaliste du Rojava Apprendre. Soutenir. Organiser.
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Écologie sociale Un regard critique sur l’humanité et la nature
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La modernité capitaliste Crise du rapport entre l’humanité et la nature
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Défis écologiques Perspectives pour une société écologique
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Make Rojava Green Again
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Conclusion
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Appendice 127 Bibliographie 131
ANKARA
TURQUIE
SYRIE DAMAS
KURDISTAN
TÉHÉRAN
BAGDAD
IRAK
IRAN
TURQUIE
KOBANÊ TAL ABYAD AFRÎN
ALEP
SYRIE
ROJAVA Fédération démocratique de la Syrie du Nord
QAMISHLO
DÊRIKA HEMKO
SERÊ KANÎYÊ
R O J AVA AL-HASAKAH
RAQQA
IRAK
MAKE ROJAVA GREEN AGAIN
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L
a liberté de pouvoir relever le défi de la construction d’une société écologique dans le nord de la Syrie, nous la devons avant tout aux nombreux martyrs de cette révolution. Sans leur lutte, il n’y aurait pas de terrain libéré au Rojava sur lequel nous pourrions commencer à expérimenter des méthodes de vie écologique. Ce livre leur est dédié.
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Aidez-nous à créer un nouveau monde au Rojava. Et répandez sa vision pour qu’une société libre et écologique devienne possible partout.
DEBBIE BOOKCHIN
AVANT-PROPOS de Debbie Bookchin
O
n ne peut ignorer le fait que ce magnifique livre soit publié pour la première fois fin 2018, à l’ombre de l’invasion par la Turquie du canton majoritairement kurde d’Afrîn dans le nord de la Syrie. Tandis que les combattant.e.s héroïques des YPG (Unités de protection du peuple) et des YPJ (Unité de protection des femmes composées uniquement de femmes) continuent à repousser les voyous fascistes mobilisés par la Turquie qui souhaite imposer son idéologie autoritaire, anti-femmes, antiécologique et capitaliste à Afrîn (et, si elle le pouvait, dans les deux autres cantons de Cizirê et de Kobanê – officiellement connus sous le nom de Fédération démocratique de Syrie du Nord), les observateur.rice.s extérieur.e.s se demandent souvent : « Mais qu’y a-t-il dans les structures sociales du Rojava qui puisse inspirer tant de loyauté et de courage à ses défenseur.e.s et à ses peuples? » Le présent ouvrage répond à cette un langage qui fait le pont entre l’utopie poétique et le quotidien, la Commune du Rojava a produit à la fois une vision 11
question. Dans et le concret, le internationaliste théorique et un
MAKE ROJAVA GREEN AGAIN
manuel pratique sur ce à quoi peut ressembler une société libre et écologique. Dans ces pages, vous trouverez une introduction philosophique à l’écologie sociale, une théorie qui soutient que ce n’est que lorsque nous mettrons fin aux relations hiérarchiques entre les êtres humains (hommes audessus des femmes, personnes âgées au-dessus des jeunes, une ethnie ou une religion au-dessus d’une autre ainsi que les autres formes de domination) que nous serons capables de soigner nos relations avec le monde naturel. Comme l’observent les auteur.e.s, l’impératif de cette guérison devient de plus en plus fort chaque jour, à mesure que le réchauffement planétaire et l’idéologie néolibérale menacent la viabilité même de la vie humaine sur cette planète. Conformément à l’acceptation implicite de la Commune internationaliste selon laquelle la théorie ne sert à rien si elle n’est pas mise en pratique, vous trouverez également dans ce livre un guide concret sur la construction d’une communauté écologique dans ce coin du monde, une région déchirée par la guerre et dont les merveilles et les ressources naturelles ont été tant malmenées par les tyrans du passé. En lisant cet ouvrage, vous serez fascinés par la description que nous ferons du Rojava, avec ses rivières et ses lacs, et ses immenses plaines où abondent le blé, le coton, les lentilles, les pois chiches et les haricots. Les internationalistes envisagent d’y planter des arbres fruitiers (abricotiers, grenadiers, figuiers, cerisiers et tant d’autres espèces) dans un avenir proche. En effet, rien qu’en 2018, il.elle.s sèmeront 10 000 jeunes pousses qui seront un jour utilisées pour améliorer la qualité de l’air local et pour 12
AVANT-PROPOS
continuer à reboiser la réserve naturelle d’Hayaka près de Dêrîk dans le canton de Cizirê – une importante réserve animale où les loups, les renards, les cochons sauvages et toutes sortes d’oiseaux ont trouvé refuge et où les gens peuvent profiter de la beauté et de la solitude des forêts. Ce projet est profondément émouvant dans son engagement à long terme envers la santé écologique de la région. Il répond à notre besoin profond, en tant qu’êtres humains, de gérer la richesse de la nature. Il offre la preuve vivante qu’avec la mise en place d’un processus démocratique réfléchi, une société meilleure, égalitaire et écologique est possible. Les auteur.e.s observent avec perspicacité qu’une société écologique doit nécessairement être soutenue par des fondements économiques et politiques : un modèle communaliste, ou confédéraliste démocratique, dans lequel chaque membre de la société a une voix et s’investit dans son bien-être futur. Dans un tel monde, où les gens décident ensemble de la manière d’utiliser les ressources naturelles, nous pouvons repenser les relations entre vies urbaine et rurale, production et consommation, périphérie et centre, et définir une utilisation rationnelle de la terre et de l’eau, des ressources énergétiques renouvelables et même des déchets. Le présent ouvrage propose des idées et des exemples de la manière dont le paysage unique du Rojava peut subvenir aux besoins de ses habitant.es. Et ce faisant - dans la présentation de la théorie ainsi que d’ingénieuses solutions pratiques la Commune internationaliste constitue une source d’inspiration pour la construction d’une société écologique non seulement au Rojava, mais bien au-delà de cette contrée. 13
MAKE ROJAVA GREEN AGAIN
La Commune internationaliste se compose de personnes venues des quatre coins du monde au Rojava pour apporter leurs compétences, leurs idées et leur aide pratique pour construire une société qui favorise un mode de vie sain et harmonieux pour les populations de cette région en protégeant les ressources naturelles dont il.elle.s dépendent. Avec enthousiasme, il.elle.s vous invitent à les rejoindre pour les aider à construire l’Académie qui servira à initier les étranger.ère.s à la vie au Rojava et pour soutenir les projets qu’il.elle.s ont déjà lancés. Je m’attends à ce que, comme moi, vous soyez inspiré.e.s par la vague d’espoir et de possibilités que la révolution au Rojava représente pour le MoyenOrient et le reste du monde. Partagez cette vision avec vos ami.e.s, partagez vos compétences et soutenez la Commune internationaliste du Rojava. Aidez-nous à créer un nouveau monde au Rojava. Et répandez sa vision pour qu’une société libre et écologique devienne partout possible.
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AVANT-PROPOS
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INTRODUCTION
B
ien que les défis environnementaux du Rojava aient retenu notre attention dès le début, le développement du travail écologique de notre commune a été un lent processus. Dès le commencement, nous nous sommes rendu compte qu’il était important pour les internationalistes au Rojava de participer à la révolution pas uniquement avec leur tête, mais aussi avec leurs mains. Et quoi de mieux que de travailler sur le sol même où cette révolution a vu le jour ? En pensant à ce que nous pouvions faire pour la révolution, nous avons eu l’idée de créer une pépinière à l’Académie internationaliste. Les questions se sont succédé lors de la construction de notre Académie et de la conception du plan de la pépinière. D’où viendra l’eau dont nous avons besoin pour l’Académie ainsi que pour les arbres ? Qu’adviendra-t-il de nos eaux usées ? Que ferons-nous de nos déchets, et qu’en fera la société ? De quels nutriments aurons-nous besoin pour notre potager et quels seront ceux utilisés dans l’agriculture aux alentours ? Pourquoi ne cultive-t-on actuellement que du blé autour de l’Académie, là où il existait encore des forêts 17
MAKE ROJAVA GREEN AGAIN
il y a quelques décennies ? Plus nous posions de questions, discutions et travaillions, plus le lien entre le problème écologique et la situation économique et politique nous paraissait clair. C’est ce processus qui nous a amenés à nous demander : à quoi ressemblerait une société écologique au Rojava et comment pourrait-elle être construite ? Il nous a semblé opportun de partager nos discussions préliminaires ainsi que les résultats de nos recherches, et c’est ce que nous voulons faire avec ce livre. Il s’adresse non seulement aux personnes impliquées dans les comités concernés ainsi qu’à toutes les personnes qui travaillent et font de la recherche au niveau local, mais aussi aux activistes, aux scientifiques et à toutes celles et ceux que cela intéresse dans le monde. Les questions environnementales au Rojava ne suscitent pas beaucoup d’intérêt, tant au sein des structures locales que dans les cercles de solidarité mondiaux. Jusqu’à présent, le grand public à l’étranger a ignoré cette question, principalement parce que la couverture médiatique de la guerre contre l’État islamique (EI) continue de noyer la nature politique de cette révolution. Avec ce petit ouvrage, nous voulons attirer l’attention sur les défis urgents à relever pour la société et la nature au Rojava, ainsi que sur le travail écologique à réaliser dans cette région. Nous souhaitons également engager un dialogue actif avec toutes celles et ceux que ces questions intéressent et qui sont en mesure de nous aider. Un défi s’est offert à nous lors de la rédaction de ce livre : comment concilier les discussions idéologiques sur 18
INTRODUCTION
le rapport fondamental entre la société et la nature, avec les questions pratiques dans le domaine de la biologie et de la construction de bâtiments ? Comment rendre ces sujets accessibles à tou.te.s et pas seulement aux personnes qui les maîtrisent déjà ? Nous espérons avoir atteint cet objectif grâce à l’ampleur des thèmes abordés, à la diversité des textes et à l’organisation du livre en sections faciles à consulter. Pour commencer, permettez-nous de nous présenter, nous faisons partie de la Commune internationaliste du Rojava. Dans le chapitre suivant, nous introduirons notre discussion sur l’écologie sociale et notre vision d’une société écologique, qui est la base théorique de notre travail. Comme nous ne pouvons tenir pour acquise la connaissance de l’impact du système capitaliste sur l’environnement, nous fournirons une introduction théorique à la crise écologique liée à la modernité capitaliste. Nous avons essayé de tenir compte des multiples aspects de cette crise. Sur la base de la dimension mondiale de la crise écologique, nous aborderons dans le cinquième chapitre la situation du Rojava, en nous concentrant sur le plus grand canton du Rojava, Cizirê, car il revêt une importance cruciale en matière de questions énergétiques, environnementales et agricoles. C’est aussi l’endroit où nous travaillons et construisons notre Académie. En outre, il n’est pas possible de se rendre dans le canton d’Afrîn actuellement, c’est pourquoi nous n’avons été en mesure d’effectuer par nousmêmes que des recherches limitées au sujet de la situation dans cette région. Ce cinquième chapitre fournit également 19
MAKE ROJAVA GREEN AGAIN
une vue d’ensemble sur les problématiques écologiques dans le contexte des politiques des États turc et syrien. Dans ce chapitre, nous détaillerons nos propositions quant aux prochaines étapes de la construction d’une société écologique. Toutes les informations ainsi que les faits et les chiffres que nous citons dans ce chapitre sont tirés des études reprises dans la bibliographie à la fin du livre, ainsi que des discussions approfondies avec les responsables des différentes structures de l’autoadministration démocratique du Rojava. Nous entendons par là les structures démocratiques non-étatiques, basées sur les conseils de quartiers, qui ont été développées depuis le début de la révolution en 2011. En tenant compte de ces informations, de l’analyse de la situation et des projets entrepris jusqu’à présent, nous avons déterminé les objectifs de la campagne « Make Rojava Green Again » (« Faisons reverdir le Rojava ») ainsi que les prochaines étapes concrètes à mettre en place. Nous les présenterons en détail à la fin du livre.
La Commune internationaliste du Rojava Septembre 2018
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INTRODUCTION
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Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre cœur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire.
CHE GUEVARA
COMMUNE INTERNATIONALISTE DU ROJAVA Apprendre. Soutenir. Organiser.
S
ix années se sont écoulées depuis le début de la révolution au Rojava. Depuis la résistance héroïque de Kobanê, les YPJ/YPG continuent de repousser les groupes réactionnaires de l’État islamique. En parallèle, le peuple du Rojava résiste avec succès à toutes les tentatives de corrompre la révolution. Inspiré et marqué par les idées d’Abdullah Öcalan ainsi que par la lutte du mouvement de libération kurde qui repose sur la libération des femmes, l’écologie et la démocratie radicale, un mouvement révolutionnaire est en train de s’organiser au Rojava pour mettre fin à la modernité capitaliste. Malgré les succès répétés de la révolution du Rojava, les populations sont sous pression. La guerre contre l’EI, la peur quotidienne face à la politique de l’État turc ainsi qu’un vaste embargo économique ralentissent la construction de la nouvelle société. Dans cette situation, le Rojava a plus que jamais besoin d’un soutien mondial. L’attention des médias et un soutien politique de l’extérieur est primordial. Les habitant.e.s du Rojava ont besoin d’une aide locale et concrète. 23
MAKE ROJAVA GREEN AGAIN
Médecins et professeur.e.s d’anglais, traducteur.rice.s et ingénieur.e.s – les institutions et les structures du Rojava ont besoin de connaissances et d’idées. Mais cet appel n’est pas limité aux seul.e.s expert.e.s. Nous sommes à la recherche de personnes qui veulent apprendre, participer et faire partie de la révolution. L’internationalisme de l’action directe, que ce soit au sein des YPJ et YPG ou dans les structures civiles, est un reflet du sens profond de la révolution, qui va au-delà du Kurdistan et du Moyen-Orient : la solidarité concrète est aussi une nécessité urgente.
Vous êtes l’espoir par vous-mêmes.
ABDULLAH ÖCALAN
Le Rojava a besoin de nous, mais nous avons encore plus besoin du Rojava. Nous avons besoin d’espoir, de foi, d’inspiration et de nouvelles perspectives dans une lutte collective contre l’oppression. Alors que dans le monde occidental l’État autoritaire et les mouvements de droite célèbrent leur grand retour, dans la périphérie les anciennes étoiles du néolibéralisme sont déjà en route vers le fascisme à visage découvert. Trump, Erdogan et Poutine mettent à bas les derniers masques de la démocratie. Face à ces transformations, la plupart des mouvements 24
COMMUNE INTERNATIONALISTE DU ROJAVA
révolutionnaires restent impuissants. Marginalisés et sans perspective, dispersés et mis à l’écart, le seul rôle que le système leur laisse est d’observer et de critiquer. Le Rojava nous présente un moyen de surmonter ce dilemme : apprendre du mouvement kurde signifie nous organiser et répandre la révolution.
Créez deux, trois, plein de Rojavas !
Bien que des internationalistes travaillent déjà au Rojava depuis de nombreuses années, il n’existait pas jusqu’à aujourd’hui de système établi pour amener un grand nombre de personnes de l’étranger au Rojava et pour les intégrer dans les structures de la révolution. Outre les problèmes logistiques du voyage jusqu’au Rojava, le manque de connaissances linguistiques, les différences culturelles et le manque de compréhension du mouvement, ainsi que de la région, constituent un frein à la participation significative des internationalistes dans les travaux révolutionnaires. Des structures locales font défaut pour former et préparer les internationalistes ainsi que pour soutenir les institutions locales dans leur travail et leurs interactions avec les internationalistes. En termes simples, un système est nécessaire pour organiser le travail des internationalistes au Rojava. 25
MAKE ROJAVA GREEN AGAIN
Dans un quartier de Qamishlo, une mère fait un geste de victoire pour célébrer l’anniversaire de la révolution au Rojava.
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MAKE ROJAVA GREEN AGAIN
Nous, la Commune internationaliste du Rojava, construisons un système auto-organisé et auto-financé en collaboration avec le mouvement kurde. La première étape sera la création d’une académie pour les internationalistes au Rojava. Nous y organiserons des formations politicoculturelles, des cours de langues et des travaux pratiques dans le cadre d’une vie communale. Cela permettra aux internationalistes de participer aux structures locales. Nous appelons tout le monde à s’organiser pour soutenir la révolution du Rojava, et à s’engager dans les activités de la Commune internationaliste.
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ÉCOLOGIE SOCIALE Un regard critique sur l’humanité et la nature
e monde du XXIe siècle est confronté aux ruines de son passé et de son présent. La guerre est devenue un état normal, la pauvreté et la faim des informations marginales qui ne méritent plus les gros titres. Beaucoup ont perdu le sens et l’importance de ce que signifie « être humain » et le mot « société » ne désigne plus que des individus isolés et soumis à un État qui gère les relations interpersonnelles. Compte tenu de ces développements, les questions environnementales semblent être secondaires, accessoires pour beaucoup de gens, et plutôt destinées à ne préoccuper que les environnementalistes.
L
Mais la crise écologique est probablement devenue le défi majeur de notre époque, car elle touche et affecte tous les domaines de la société. Notre système écologique a été à tel point détruit que la plupart des dégâts sont devenus irréversibles. Une grande partie de la vie, qu’elle soit humaine ou naturelle, est entrée dans une crise fondamentale. À ce sujet, Abdullah Öcalan a écrit : « Une politique qui promet de nous sauver de la crise actuelle ne peut conduire à un système social correct que si elle est écologique. » 31
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Il est nécessaire de tracer les grandes lignes d’un tel système social écologique et d’élaborer une politique capable de surmonter la crise écologique et sociale dans son ensemble. Une politique qui ne combat pas seulement les symptômes, mais qui reconnaît que la crise écologique et la crise sociétale sont étroitement liées. Pour pouvoir résoudre la crise écologique, il faut changer fondamentalement les rapports sociaux de pouvoir et de domination. Si nous prenons cela comme point de départ pour la recherche de nouvelles façons de vivre, il nous faut répondre à la question : comment et pourquoi les sociétés ont-elles fini par s’opposer à la nature ? D’un point de vue historique, nous devons identifier les moments décisifs du changement social qui ont conduit à la rupture entre nature et société que nous connaissons aujourd’hui dans la société capitaliste. Parler de « l’humanité » et non de mentalités, de systèmes et de dirigeants concrets ne fait que cacher les causes réelles et nous mène à de fausses hypothèses. Les contradictions qui se trouvent derrière le terme « humanité » sont dissimulées – les antagonismes entre opprimé.e.s et oppresseur.euse.s, entre hommes et femmes, entre personnes âgées et jeunes, entre blanc.he.s et personnes de couleur, entre pauvres et riches. Si nous voulons réussir à construire une nouvelle société socio-écologique, nous devons concevoir l’être humain comme une forme de vie qui, par son pouvoir créatif, peut contribuer grandement à l’amélioration du monde naturel dans son ensemble. Plus encore, il est de notre devoir d’accepter ce potentiel qui se trouve également en nous32
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mêmes et de croire en lui. Il est clair que la recherche d’une solution pour résoudre la crise écologique qui mènerait à une société socio-écologique, ne peut être laissée aux seules sciences ou technologies. C’est également la tâche d’une théorie critique capable de dépasser la division positiviste entre humanité et nature. De nombreux penseurs, comme Abdullah Öcalan, Silvia Federici, Friedrich Engels et Murray Bookchin, en particulier, ont joué un rôle important dans l’élaboration d’une telle théorie, grâce à leur analyse des rapports de force sociaux et des développements historiques, leur compréhension de la nature et de l’humanité, et leur conviction profonde dans la viabilité d’une société écologique et libre. LES CHANGEMENTS HISTORIQUES DANS LA RELATION ENTRE SOCIÉTÉ ET NATURE Lorsque nous observons les changements dans la relation entre les sociétés humaines et la nature, il est essentiel de ne pas perdre de vue les transformations sociales dans les rapports de pouvoir, dans les modes de production, dans l’idéologie et dans les mentalités. Il n’existe pas de relation sociale unique avec la nature : les différences en matière de modes de production, de classes sociales, de cultures et de sexes ont développé des relations distinctes. La « nature » comprend divers aspects, comme la nourriture et l’énergie, mais aussi la relation de l’individu avec son corps. Il s’agit de la façon dont le monde extérieur à l’Humain, est vu, compris et ressenti. 33
MAKE ROJAVA GREEN AGAIN
Le rapport actuel avec la nature, dominé par la structure étatique-capitaliste de la société, s’est développé à partir d’un long processus de changements. Déconnecter ce rapport de son développement lui donne l’apparence d’un système qui est inévitable. Ne pas analyser correctement cette histoire et son évolution amène à une incapacité à comprendre le présent et à construire l’avenir. C’est dans cet esprit que nous examinerons dans la section suivante certains aspects de l’évolution des relations sociétales avec la nature.
L’Humain : la nature prenant conscience de soi
JOHANN GOTTLIEB FICHTE
La société naturelle peut être comprise comme la première forme d’organisation sociale. Les êtres humains ont commencé à se socialiser sous forme de petites communautés claniques. Dans les premières sociétés, la compréhension de la nature était caractérisée par un lien étroit avec cette dernière. La nature était considérée comme quelque chose de vivant, embrassant l’idée que chaque entité naturelle avait une âme. La puissance de la nature, telle qu’elle était 34
ÉCOLOGIE SOCIALE
expérimentée par les êtres humains à l’époque, trouvait son expression dans l’idée des esprits de la nature, grâce à laquelle l’humanité cherchait un sens au monde qui les entourait. Les humains devaient vivre en harmonie avec ces forces, car elles déterminaient la vie et son rythme. Il.elle.s n’essayaient pas de conquérir la nature, mais de l’influencer à travers des rituels magiques, afin d’invoquer ses esprits. Cette magie était fondée sur l’observation des processus de la vie et de la mort dans la nature et chez les êtres humains eux-mêmes. La vie des êtres humains, dans les petites communautés claniques gouvernées par l’idée d’une nature vivante, fonctionnait selon les principes de base de l’écologie, c’est-à-dire en harmonie avec la nature et avec les autres. Ainsi, nous pouvons définir la société naturelle comme « ... une forme spontanée de société écologique » (Öcalan). Dans la mémoire collective de l’humanité, la nature est comme une mère qui donne la vie aux humains et à tout ce qui leur est nécessaire. Le terme « mère nature » renvoie probablement à cette expérience collective. LA DOMINATION DE L’HOMME SUR L’HUMANITÉ ET LA NATURE Alors que la vie des premières communautés était basée uniquement sur ce que les gens pouvaient récolter dans la nature, la chasse est venue s’ajouter à la cueillette de plantes et de fruits. À force de tuer des animaux de manière 35
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ÉCOLOGIE SOCIALE
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systématique et délibérée, une culture de la chasse a vu le jour. C’est à partir de ce moment et à l’aube de conflits naissants entre les communautés claniques qu’est née une culture de la guerre qui s’est développée au-delà de la simple autodéfense. C’est ainsi que l’on a jeté les bases du développement d’une mentalité guerrière et des institutions et hiérarchies qui lui sont associées, avec de graves conséquences pour le développement de la société. Parallèlement à l’arrivée des premières hiérarchies et à la division des personnes en catégories (comme celles de l’âge et du sexe), le rapport à la nature s’est également modifié. En observant les processus naturels de la naissance, de la croissance et de la mort, nous avons développé la première compréhension des processus biologiques naturels, ce qui a conduit à l’utilisation délibérée des plantes et du bétail pour l’agriculture. Les humains ont commencé à façonner leur environnement en fonction de leurs besoins et à influencer le développement biologique des animaux et des plantes. L’augmentation des rendements agricoles, qui dépassaient le niveau de la consommation immédiate, introduisit la nécessité de la gestion des richesses. Cette administration de la richesse sociale était étroitement liée à l’émergence des hiérarchies sociales, qui avaient déjà développé leurs premières formes dans la domination des anciens sur les jeunes, des hommes sur les femmes et de certains hommes sur les autres. Au cours du processus de civilisation, ces hiérarchies se sont transformées en un système social de plus en plus complexe, comme ce fut le 38
ÉCOLOGIE SOCIALE
cas pour les prêtres sumériens et égyptiens. Ces premières structures étatiques furent légitimées par un système mythologique qui élimina les esprits de la nature et plaça les dieux - et leurs interprètes humains - au-dessus d’eux. Et en même temps que les nouveaux dieux étaient intronisés audessus de la nature, leurs nouveaux prêtres se mirent à régner sur la société comme des dieux.
Du point de vue de la nouvelle mythologie […], la nature et l’univers sont pleins de dieux tout puissants et punisseurs. Ces dieux – en réalité des despotes oppresseurs et exploiteurs – se situent hors de la nature [...]. C’est comme s’ils avaient asséché la nature. Cela développe une vision de la nature et de la matière comme étant inanimées. Tous les êtres vivants sont humiliés et des serviteurs sont créés à partir des excréments des dieux.
ABDULLAH ÖCALAN
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Dans ce processus, nous constatons l’imbrication de la domination de l’humain sur l’humain avec la domination de l’humain sur la nature. En passant d’une coexistence libre et écologique dans la société naturelle, fondée sur le respect, la solidarité et l’altruisme, à une société construite sur la base des hiérarchies, des classes et de la domination, les gens se sont aliénés non seulement les uns des autres, mais aussi de la nature. Ce fut le début de notre chute car la société de classes en formation s’est développée en contradiction flagrante avec la nature. L’idée d’une nature vivante, animée, colorée et productive céda progressivement la place à une nature vindicative et avare. Une nature qu’il fallait combattre. Cette contre-révolution à l’encontre de la société naturelle accompagnée par un changement radical de mentalité au sein du peuple vit d’abord le jour dans la société sumérienne. Elle se répandit ensuite graduellement à travers le Moyen-Orient avant de changer de manière fondamentale de grandes parties du monde. L’idée de la nature comme étant impitoyable, oppressive et dominatrice, qui existe encore aujourd’hui, remonte à cette rupture dans les rapports sociaux. L’humanité, en tant que petite créature nue et fragile, confrontée à cette nature oppressive, doit se protéger et développer ses propres forces pour conquérir la nature, pour pouvoir la dominer. Cette interprétation des choses a servi à justifier les relations de plus en plus oppressives des humains entre eux. Selon cette doctrine, l’homme ne peut échapper au pouvoir de la nature que grâce à une politique d’asservissement. Notre survie collective dépend du labeur humain. En conséquence, la 40
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souffrance des esclaves semble peu de chose par rapport au pouvoir acquis par l’humain sur la nature. Les esclaves sont les dommages collatéraux de la libération de l’humanité.
Le retour à la nature et au monde vécu, qui a toujours été diabolisé.
ABDULLAH ÖCALAN
Ce rapport entre la société et la nature, qui devint la vision dominante dans la civilisation sumérienne, ne fut pas fondamentalement remis en cause en Europe avant la Renaissance. La détermination des gens à rompre avec les dogmes de l’Église a conduit à un retour au quotidien et à la rationalité, qui avaient été diabolisés par le christianisme. Dans ce contexte, le retour à la nature était le choix évident. L’idée d’une nature vivante et animée, dans laquelle Dieu lui-même vit, retrouva sa place dans l’imaginaire des peuples. Dans l’art, cela s’exprima par la représentation de la nature et des humains sous des formes réalistes, qui mettait en avant leur beauté. C’est ainsi qu’a disparu la mentalité qui voyait la nature et l’environnement comme quelque chose d’inerte. Au même moment, l’État tenta de dissoudre encore davantage le système social de connaissances développé 41
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autour de la guérison naturelle par les herbes, de la naissance, de la vie et du corps humain. Ces connaissances étaient le fruit de milliers d’années d’un savoir développé et transmis par les femmes. Les femmes qui croyaient au pouvoir des méthodes naturelles et qui entretenaient une relation profonde avec la nature étaient exécutées pendant l’Inquisition. La possession de ces connaissances était interprétée comme l’œuvre du diable et les femmes qui les possédaient étaient jugées comme des sorcières. Elles étaient considérées comme des vestiges de l’époque où les mythes, le culte des déesses et la croyance en la nature co-existaient avec le culte des sites naturels. Les attaques contre les femmes et les féminicides perpétrés contre elles représentaient également une attaque contre le lien social avec la nature et la connaissance qu’elles en avaient. Ces attaques ne se sont pas limitées aux sociétés des pays du Nord. Avec le colonialisme, les relations sociales avec la nature dans le Sud ont été de plus en plus soumises aux paradigmes de l’exploitation, de la destruction et de la centralisation des connaissances sociales. Parallèlement, les idées des populations indigènes des colonies exerçaient une grande fascination. Leur attachement à la nature et à la liberté, l’absence de conditions d’exploitation institutionnalisées et leur participation à une communauté collective qui ne laissait aucune place à l’avidité individuelle, rappelaient aux peuples européens, déchirés par la guerre, la société naturelle.
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ÉCOLOGIE SOCIALE
La centralisation de l’agriculture, l’expropriation des terres paysannes et la migration vers les villes ont détruit encore davantage la connaissance que les sociétés détenaient des processus écologiques ainsi que leur attachement à la nature. La confiscation des terres par les seigneurs féodaux a converti de larges portions de terres communautaires en parcelles possédées à titre privé par des individus.
Dans les temps modernes, l’homme est devenu un loup non seulement pour l’homme, mais aussi pour toute la nature.
ABDULLAH ÖCALAN
Avec le développement de la science comme méthode d’explication du monde, la compréhension des processus biologiques naturels s’est approfondie et s’est répandue. Ceux-ci ont été définis d’une manière de plus en plus scientifique et décrits en termes rationnels plutôt que religieux. L’humanité s’est détachée de la nature, elle s’est placée au centre des choses, et elle considère désormais la nature et même le corps humain comme des objets de recherche inertes et statiques. Cette évolution a culminé avec le siècle des Lumières. Le passage d’une vision holistique du monde, qui considérait la nature comme animée, à 43
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une vision mécaniste issue de l’idéologie positiviste, fut une étape décisive dans le changement du rapport social à la nature. La nature est devenue une matière inanimée qui pouvait être travaillée, divisée, mesurée, examinée et contrôlée - une ressource qui a tout au plus un prix, mais pas de vie. Au sein de ces relations brisées entre la modernité et la nature, différentes conceptions de la nature ont émergées. Souvent, la nature est comprise comme déterminante de tout. L’être humain et la société sont réduits à des entités zoologiques qui suivent la loi de la nature, la loi du plus fort. La compétition et l’hostilité projetées sur la nature se reflètent dans l’homme et déterminent ses actions. La guerre, la violence, la domination et l’oppression sont des choses perçues comme naturelles auxquelles on ne peut échapper. Elles ne peuvent être contrôlées, si tant est que cela soit possible, que par une entité surnaturelle et surhumaine, l’État autoritaire, comme le propose Thomas Hobbes. La différence entre l’homme et la nature disparaît presque complètement. Ce n’est que la capacité de penser qui différencie l’homme des animaux. C’est dans cette façon de penser que réside la possibilité de raison et de volonté individuelles. Cela permet de discipliner la nature instinctive du corps et de la nature. Les bourgeois du siècle des Lumières voulaient faire disparaître la peur de la nature chez l’humain, afin que la nature soit soumise à leurs propres fins. La condition préalable était la connaissance des lois physiques et des 44
ÉCOLOGIE SOCIALE
outils techniques. Ainsi, la nature et la société s’affrontent dans une relation dualiste et hostile. Il n’est pas surprenant qu’une telle relation avec la nature ait suscité d’autres réactions. Une attitude s’est développée, qui ne considérait pas la nature comme l’ennemi de la société, mais la société comme l’ennemi de la nature. Face à des catastrophes environnementales de plus en plus effrayantes, dont l’humanité est responsable, apparaissent la résignation et le pessimisme à l’égard de la civilisation, de la société et de l’humanité elle-même. La technologie est désignée comme s’opposant à la nature organique et innocente, la science à la « vénération » de la vie, la raison à l’intuition « innocente » - en bref, l’humanité contre toute la vie. On a fait valoir que l’humanité devrait donc se subordonner à la nature et se soumettre aux règles de la nature dans son mode de vie. Mais même dans cette compréhension primitiviste de la nature et de l’humanité persiste l’idée de leur opposition intérieure, de leur dualité. La profonde aliénation entre l’humanité et la nature et entre les hommes et leur corps est l’héritage de la science positiviste. La relation absolue sujet-objet est entrée dans la pensée humaine par le positivisme et elle détermine la base de la relation sociale avec la nature dans la modernité capitaliste. Le développement de cette mentalité et de cette conception de la nature est devenu partie intégrante du processus croissant de centralisation des systèmes sociaux, y compris dans l’État-nation moderne. Cette mentalité s’entrecroise avec l’industrialisation, le développement des machines et des moteurs. L’impact de cette économie industrielle et hiérarchique sur le sol, 45
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l’air, l’eau et les hommes est devenu tellement fort que le système écologique est aujourd’hui irréversiblement abîmé. LA MODERNITÉ CAPITALISTE : PROFIT ET ENRICHISSEMENT COMME SENS DE TOUTE EXISTENCE Une personne aliénée de la nature est aliénée d’elle-même et s’auto-détruit. Aucun système n’a montré ce lien plus clairement que la modernité capitaliste. La destruction de l’environnement et les crises écologiques vont de pair avec l’oppression et l’exploitation des individus. La modernité capitaliste, qui transforme toute chose en bien de consommation, ne s’est pas arrêtée aux limites de la vie elle-même. Grâce à de nouvelles technologies telles que le génie génétique, la vie elle-même est devenue une marchandise. Dans la modernité capitaliste, la nature n’est plus exploitée seulement à certains moments et à certains endroits : le système commande la planète entière comme il commande la vie elle-même. Le capitalisme se sépare ainsi de tous les ordres sociaux précédents, et sa diffusion dans tous les domaines de la vie semble sans fin. Le mode de production capitaliste se caractérise par la nécessité d’une expansion constante.
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ÉCOLOGIE SOCIALE
Le capitalisme ne peut pas davantage être persuadé de limiter sa croissance qu’un être humain peut être persuadé d’arrêter de respirer
MURRAY BOOKCHIN
Dans ce sens, la croissance n’est pas synonyme de plus de temps, de santé, de bonheur ou de satisfaction, mais seulement d’une augmentation croissante des profits. L’idée d’une vie épanouie dans ce cadre est de savourer autant que possible ce que la modernité capitaliste est capable d’offrir, créant ainsi une société de consommation à l’état pur. C’est le paradigme de base de la modernité capitaliste, un mode de vie impérialiste, dévorant et destructeur de la nature. L’exploitation de la nature et de l’humanité pour maximiser les profits d’une poignée de personnes n’a pas de limite morale. Le statut social est défini par le pouvoir et la richesse. L’égoïsme et la cupidité sont devenus des vertus. L’indifférence à l’égard de tout et de tou.te.s est constitutive de la mentalité et de la culture de la société. Il est admis que tout développement, qu’il soit humain ou naturel, est subordonné à la rivalité et à la compétition. Le profit et l’enrichissement deviennent le sens de l’existence. 47
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La crise écologique actuelle a bouleversé les rapports sociaux-naturels modernes. Ce bouleversement est une conséquence évidente des tentatives de contrôle et de marchandisation de la nature. Mais la stratégie de la modernité capitaliste est aujourd’hui de faire de la crise écologique le point de départ d’une nouvelle intensification de l’exploitation et de la marchandisation de la nature. Parce que, selon les expert.e.s et les économistes, tout ce qui dans la nature n’a pas de prix ne peut être apprécié et il n’y a donc aucune incitation économique à le préserver. Cela montre une fois de plus qu’on ne pourra trouver une solution à la crise écologique qu’en changeant de manière fondamentale les mentalités et les méthodes de production, et en surmontant la modernité capitaliste elle-même. La solution réside dans la restauration d’un rapport équilibré entre la nature et l’humanité, à tous les niveaux, c’est-à-dire dans le développement renouvelé et conscient d’une société démocratique et écologique.
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ÉCOLOGIE SOCIALE
La question écologique se résoudra fondamentalement au fur et à mesure que le système est refoulé et qu’un système social socialiste se développe. Cela ne veut pas dire que vous ne pouvez rien faire pour l’environnement tout de suite. Au contraire, il faut combiner la lutte pour l’environnement avec la lutte pour une révolution sociale générale...
ABDULLAH ÖCALAN
L’ÉCOLOGIE SOCIALE COMME MOYEN DE SORTIR DE LA MODERNITÉ CAPITALISTE L’écologie sociale est la science de la relation des peuples avec leur environnement naturel et social. Elle examine la façon dont ces relations sont façonnées à partir de différentes perspectives couvrant les disciplines scientifiques classiques, y compris l’anthropologie, la philosophie, l’histoire, l’archéologie et la sociologie. Il ne s’agit pas d’une théorie purement descriptive : son projet principal est de savoir 49
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comment nous pouvons redessiner les relations cruciales entre l’être humain et la nature. En élaborant une théorie sur une nouvelle compréhension du rapport sociétal à la nature, l’écologie sociale offre des points de départ cruciaux. L’humanité s’est développée à travers un processus naturel d’évolution, dans lequel il n’y avait, au départ, ni opposition, ni compétition, ni soumission entre la nature et l’homme. Dans ce processus de développement social et dans les formes d’organisation que les sociétés ont adoptées, il y a un lien avec l’évolution naturelle. On peut envisager la nature « pré-humaine » - les plantes et les animaux - comme la « première nature », la substance active et turbulente de la vie organique qui se développe vers toujours plus de complexité et de différentiation et qui arrive, finalement, à la « seconde nature » - celle des êtres humains qui sont conscients d’eux-mêmes et capables d’intervenir dans le monde naturel. Le social et le naturel s’imprègnent mutuellement en permanence. Ainsi, en tant qu’êtres humains, nous aurons toujours des besoins naturels de base, même si ceux-ci ont été institutionnalisés dans la société à travers une variété de formes sociales. Nous devons aussi comprendre le caractère unique de l’humanité, son intellect, dans le jeu de l’évolution naturelle et sociale. Le cerveau n’est pas sorti de nulle part, mais d’un long processus de développement d’un système nerveux complexe. L’intellect est donc profondément enraciné dans la nature. Cette singularité est marquée par les caractéristiques sociales des humains, par leur créativité et par leur imagination. 50
ÉCOLOGIE SOCIALE
Ce qui rend les êtres humains uniques en comparaison de toutes les formes de vie non-humaine, c’est qu’ils ont un extraordinaire pouvoir de pensée conceptuelle, une communication verbale structurée autour d’un formidable éventail de concepts, le pouvoir considérable d’altérer le monde naturel de manières qui peuvent être complétement destructives ou magnifiquement créatives.
MURRAY BOOKCHIN
La nature, en créant l’homme, a créé une forme de vie qui peut façonner et changer son environnement grâce à l’observation et le raisonnement Des voies inimaginables et illimitées d’évolution peuvent s’ouvrir à nous. Mais pour cela, l’humanité doit accepter la responsabilité qui découle de sa puissance créatrice et de sa connexion avec celle de la nature. Cette tâche est impossible si nous nions nos propres pouvoirs productifs et créatifs et les opposons au pouvoir de la nature, si nous confrontons la nature à la société ou la fécondité des êtres vivants à la stérilité de la technologie. Au contraire, il faut nous voir 51
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comme intégrés à la nature et considérer la nature comme un domaine de potentialités dans lequel les êtres humains représentent l’apogée de la longue évolution vers une conscience, une subjectivité, une créativité et une liberté toujours plus grandes. « L’humanité devient en effet la voix potentielle d’une nature devenue consciente d’elle-même et auto-formatrice » (Bookchin). Seuls les êtres humains peuvent intervenir pour changer le cours du monde naturel au moyen de la technologie et de l’innovation. La question est de savoir s’ils le feront de manière rationnelle, au service d’une liberté toujours plus grande, ou de manière destructive. CLÉ DE VOÛTE D’UN ORDRE SOCIAL DÉMOCRATIQUE ET ÉCOLOGIQUE Si l’aliénation des humains par rapport à leur environnement naturel et la destruction écologique ne peuvent être dissociées des conflits sociaux internes, alors l’écologie sociale doit proposer un nouvel ordre social. Un tel ordre doit être fondé sur des structures radicalement démocratiques et construites en dehors du pouvoir de l’État qui a toujours fonctionné comme une structure de contrôle centralisée. La démocratie est l’antithèse de l’État. Elle se dissocie de celui-ci et représente une régulation auto-organisée des processus d’auto-coordination sociétale. Dans une telle société, la production de marchandises ne peut se faire 52
ÉCOLOGIE SOCIALE
que sous la forme d’un mode de production basé sur la coopération, l’écologie et la décentralisation. Les besoins sont déterminés au moyen d’un processus démocratique de négociation qui tient compte des possibilités d’un système écologique en équilibre entre la nature et l’homme. Cela signifie que les technologies, les modes de production, de distribution et de consommation sont déterminés en fonction de leur impact sur l’environnement naturel. Les décisions doivent également être évaluées avec une vision à plus long terme. Les conséquences écologiques ne peuvent souvent être comprises qu’avec une perspective de longue durée. Le critère essentiel n’est pas la protection de la nature, mais l’amélioration de l’écosystème et de ses équilibres. Si l’État et la modernité capitaliste tirent leur pouvoir de la création d’une culture et d’une mentalité hégémoniques, alors une société écologique doit être une société politique et morale qui offre aide mutuelle, service à la société et à la nature, et un rôle actif pour chacun.e dans sa propre autodétermination. Dans cette société, l’humanité retrouvera une compréhension presque oubliée de la nature, la considérant comme vivante et sacrée. Et si le capitalisme a aliéné l’humanité de la nature et de la terre, alors une société écologique doit insister sur l’amour de cette terre, qui abrite les peuples et leur donne ce dont ils ont besoin pour vivre. Car, comme le souligne Öcalan, « une vie sans la conscience d’une nature vivante et bien portante, communiquant avec nous, vivant avec nous et à travers nous, [...] ne vaut guère 53
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la peine d’être vécue ». Une société écologico-démocratique se fonde sur le moment de la réconciliation entre l’humain et la nature. Ce moment ne pourra avoir lieu que par le dépassement de deux formes de domination, la domination des humains sur la nature et la domination des humains sur les humains. Le prérequis fondamental pour cela est de surmonter la modernité capitaliste qui porte en elle l’oppression, l’exploitation et l’accumulation. La société écologico-démocratique entrera dans une nouvelle relation avec la nature, non pas pour la détruire par la transformation et l’appropriation, mais pour l’améliorer dans sa beauté et sa diversité pour les générations futures.
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ÉCOLOGIE SOCIALE
L’écologie sociale énonce un message qui appelle non seulement à une société exempte de hiérarchie et de sensibilités hiérarchiques, mais aussi à une éthique qui place l’humanité dans le monde naturel en tant qu’agent rendant l’évolution - sociale et naturelle - pleinement consciente de soi.
MURRAY BOOKCHIN
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LA MODERNITÉ CAPITALISTE Crise du rapport entre l’humanité et la nature
A
vec l’ascension des systèmes capitalistes de l’économie et de la pensée, l’industrialisation, la centralisation ainsi que l’exploitation accrue des personnes et de la nature ont pris le dessus presque partout dans le monde, souvent par la coercition directe, le vol, les déplacements forcés de population et la force armée. L’accès aux ressources nécessaires à la vie est presque entièrement soumis aux impératifs de l’accumulation du capital et du centralisme. Le rêve de pouvoir tout transformer en marchandise a colonisé jusqu’à la vie elle-même. Des entreprises utilisent maintenant le génie génétique pour contrôler toute la chaîne alimentaire. Le capitalisme a altéré l’environnement en développant d’énormes systèmes de monocultures. Cette politique de centralisation ainsi que l’aliénation de l’homme à la nature qui en a résulté ont rapidement provoqué un phénomène de résistance, car les petits agriculteurs ne voulaient pas renoncer à leurs terres. De vastes exploitations minières ont également envahi les espaces de vie de nombreuses personnes. Par conséquent, la centralisation et la capitalisation 57
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de l’approvisionnement en biens vitaux et en énergie par les classes dirigeantes demandaient une stratégie de justification. Elles ont fait valoir que l’expansion mondiale de l’économie de marché centraliste et des bureaucraties étatiques modernes a permis d’émanciper les gens des contraintes de la nature et a apporté progrès et prospérité mondiale à l’humanité. La terrible pauvreté expérimentée par une grande partie de la population mondiale, l’incapacité du système capitaliste à répondre aux besoins vitaux des personnes et l’extraction incessante et irraisonnée des ressources naturelles mettent à jour les mensonges qui gisent derrière ces promesses. MILIEUX URBAINS ET RURAUX L’industrialisation, et le passage du mode de production féodal au mode de production capitaliste qui en a résulté, a entraîné et entraîne encore un exode mondial des ancien.ne.s paysan.ne.s vers les villes qui se sont transformées en immenses métropoles. Là où l’urbanisation ne s’est pas faite d’elle-même, elle a été imposée. Plus de la moitié de la population du globe vit désormais dans des villes ou dans les bidonvilles qui les entourent. Les conséquences environnementales, économiques et psychologiques de cette concentration de personnes sont énormes. La modernité capitaliste déchire de plus en plus la ville et la campagne. Cette dernière, qui est à l’origine de la société humaine moderne, est reléguée au rang de fournisseur de la ville. Dans les régions les plus riches du monde, dans les villes et métropoles 58
LA MODERNITÉ CAPITALISTE
capitalistes de l’Occident, les gens essaient de compenser ce manque profond et cette aliénation en s’offrant des vacances à la ferme, en affichant des forêts de bambous sur l’écran de leurs ordinateurs, ou en cultivant quelques plants de tomates sur leurs balcons. Mais le malaise demeure. La mentalité des villes, plus encore que celle des campagnes, est marquée par l’individualisme, la marchandisation, la consommation et la concurrence. L’habitat devient la marchandise, ceux qui n’ont pas d’argent sont déplacés. Tout le monde se précipite, les visages sont fatigués dans les ascenseurs, les regards sont fuyants. Cette mentalité, qui a transformé les villes en de froids lieux d’isolement, est au cœur de la logique du capitalisme. RESSOURCES LIMITÉES La machine du capital est alimentée par la concurrence, par le principe du « tous contre tous » et par la contrainte constante de l’accumulation, c’est-à-dire de faire plus de capital à partir du capital. La nature n’apparaît pas dans les calculs de ce système économique et politique, mais son exploitation est aujourd’hui si intense qu’elle ne peut plus être ignorée. Pendant des millions d’années, les humains et leurs ancêtres n’osaient pas prendre à la nature plus qu’elle ne pouvait reconstituer. Aujourd’hui, avec la modernité capitaliste, tout cela a changé. Par la chasse et la pêche intensives, des espèces entières sont en voie d’extinction ou 59
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complètement exterminées. Les troupeaux de bisons ont disparu d’Amérique du Nord, ainsi que diverses espèces de baleines des côtes asiatiques. La nature a été destituée au grade d’épicerie, une fournisseuse de matières premières. Au fur et à mesure que des générations entières grandissent dans des huttes de tôles ondulées au milieu des dépotoirs, la pollution de l’air et de l’eau s’accroît. Des îlots d’ordures de centaines de kilomètres de diamètre s’accumulent dans les océans et l’eau potable est de plus en plus contaminée par des substances toxiques. Les agences gouvernementales du monde entier n’ont toujours pas trouvé de solution viable pour le stockage des déchets nucléaires, probablement parce qu’il n’en existe pas. On pourrait être tenté de penser que les fausses promesses de la modernité capitaliste deviendraient enfin évidentes, du moins sur ce point, mais aujourd’hui, plus que jamais auparavant, des centrales nucléaires ne cessent d’être construites en Chine et dans d’autres économies émergentes. Comme si la surpopulation de nos mégapoles, la surpêche, la contamination de notre eau potable et l’empoisonnement de notre chaine alimentaire ne suffisaient pas, la plus grande des catastrophes s’annonce avec fureur : le changement climatique, un des principaux effets de l’élevage intensif, de l’industrie et des transports. Le climat de la Terre est un système très sensible qui a toujours été affecté par les changements. Cependant, ces changements ont rarement entraîné de problèmes majeurs pour l’équilibre de la nature, ou les relations entre l’eau, l’air, la faune et la flore. Les changements 60
LA MODERNITÉ CAPITALISTE
climatiques antérieurs ont entraîné des adaptations évolutives des animaux et des plantes aux conditions de vie changeantes de leur écosystème, contribuant ainsi à une plus grande diversité. Mais le changement climatique soudain provoqué par le mode de production capitaliste renverse cette loi, car la flore et la faune ne s’adaptent pas assez vite. De plus en plus d’espèces disparaissent, ce qui pourrait conduire à une extinction massive, d’une ampleur que la Terre n’a pas connue depuis soixante millions d’années. LA TERRE-SERRE Le lien entre les gaz à effet de serre et le réchauffement du climat est bien connu. Ces gaz ralentissent l’évacuation de la chaleur solaire de la Terre avec le même effet que les verres d’une serre. Les gaz à effet de serre ne sont pas seulement produits par la combustion du charbon, du pétrole et du gaz par les moteurs dans l’industrie, les véhicules et les systèmes de chauffage, mais également de plus en plus par l’élevage, que ce soit dans les fermes d’élevage industrielles ou dans les fermes biologiques. Bien que la quantité de méthane rejetée (notamment par les vaches, les moutons et autres ruminants) lors de la digestion soit inférieure à la quantité de dioxyde de carbone rejetée par les moteurs à combustion interne, l’impact du méthane sur l’atmosphère est plus élevé que celui du dioxyde de carbone. Même si de nombreuses personnes dans les centres de la modernité capitaliste ont perdu la capacité de remarquer 61
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des changements dans leur climat au niveau local, ces changements sont directement ressentis par un nombre croissant de personnes : les glaciers fondent et les catastrophes naturelles (tempêtes dévastatrices, sécheresses, incendies de forêt...) sont plus fréquentes. De plus en plus de régions de l’hémisphère sud se dessèchent et les déserts s’étendent à cause du manque de pluie. Il est clair que ce n’est que le début. Une telle quantité de gaz à effet de serre a déjà été libérée dans l’atmosphère que même si toute émission cessait demain, le réchauffement continuerait inévitablement. D’ici la fin de ce siècle, l’atmosphère du monde se réchauffera de trois à six degrés. Les effets sur le climat, la faune et la flore seront dramatiques. Le monde tel que nous le connaissons sera bientôt méconnaissable. Le réchauffement du climat provoque des changements dans les courants atmosphériques qui entraînent des conditions climatiques toujours plus extrêmes. Si les déserts gagnent du terrain dans certaines régions, dans d’autres, les inondations et les précipitations augmentent. Même les courants océaniques, qui dépendent à la fois des différences thermiques et d’un équilibre délicat entre la quantité d’eau douce et d’eau salée, sont affectés par le rythme accéléré du réchauffement et de la fonte des réserves gelées d’eau douce dans la région des pôles. En raison de la perturbation massive des débits d’eau, les côtes qui bénéficiaient d’un climat doux pourraient connaître des périodes de froid au cours des prochaines décennies comme on n’en a jamais vues depuis des millénaires. Simultanément, les pentes autrefois enneigées 62
LA MODERNITÉ CAPITALISTE
Bassins de pétrole créés par l’extraction de celui-ci dans le canton de Cizirê.
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des montagnes deviennent grises et les forêts verdoyantes se transforment en steppes. Parce que le réchauffement climatique entraîne la fonte des glaces aux pôles Sud et Nord, le niveau des océans augmente. Les villes et villages côtiers du monde entier sont menacés par l’élévation du niveau de la mer et par des ouragans plus fréquents. Le réchauffement du climat n’est pas linéaire, c’est-à-dire qu’il n’augmente pas chaque année dans la même mesure, mais il augmente plutôt de manière disproportionnée, d’abord lentement puis de plus en plus vite. La fonte des calottes glaciaires polaires est un autre facteur : elles fonctionnent comme un grand miroir, car le blanc de la glace et de la neige réfléchit beaucoup de lumière solaire sans laquelle la Terre chaufferait davantage. Plus les calottes glaciaires fondent, moins elles réfléchissent la lumière du soleil et plus vite la Terre se réchauffe. Le dégel des sols de pergélisol est un autre effet qui entraîne un réchauffement disproportionné de notre atmosphère. Ces sols, répandus en Sibérie et en Alaska, sont gelés depuis des dizaines de milliers d’années et stockent d’énormes quantités de méthane. Au fur et à mesure que le pergélisol dégèle, ce gaz est libéré dans l’atmosphère. LES FORÊTS BRÛLENT Un autre problème est causé par la destruction des forêts primaires, surtout en Amérique du Sud et en Asie. Ces forêts 64
LA MODERNITÉ CAPITALISTE
stockent des quantités massives de dioxyde de carbone, nécessaire au processus de photosynthèse des plantes. À cause de la déforestation, cette capacité de stockage disparaît pendant des décennies. Du dioxyde de carbone supplémentaire est libéré par l’agriculture sur brûlis. Dans la plupart des cas, ce sont des monocultures qui sont plantées sur les zones brûlées. Ces pratiques détruisent l’équilibre écologique, érodent le sol et rendent les fermes vulnérables aux attaques des ravageurs (qui se répandent grâce à l’élévation de la température et l’infestation par des parasites présents dans des arbres contaminés dans des zones proches). La logique du besoin d’une production toujours plus rapide engendre l’utilisation grandissante d’engrais chimiques et d’insecticides qui empoisonnent le sol et l’eau. Souvent, les zones brûlées sont également utilisées pour l’élevage ou la production de plantes fourragères pour le bétail comme le soja et le maïs. Parce que les mécanismes de l’évolution ne sont pas adaptés au rythme des changements climatiques anthropiques, les expert.e.s du monde entier tentent de trouver des moyens d’adapter artificiellement la nature. Mais la course avec le climat ne peut être gagnée. Le sachant, les gouvernements et les médias sont heureux de diffuser des images dystopiques de la catastrophe qui s’approche de nous. En état de choc, incapable de manœuvrer, l’humanité se précipite vers l’abîme. Ce que l’on oublie le plus souvent, c’est que nous n’avons pas besoin d’attendre la grande catastrophe du jour X, elle est déjà là. Au lieu d’espérer que les États du monde nous fournissent des solutions, nous devons agir, la société civile doit agir. Attendre davantage serait de la folie. 65
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EN HAUT ET EN BAS
La destruction de nos moyens de subsistance provoque une vision pessimiste de l’humanité chez de nombreuses personnes. L’humanité elle-même est considérée comme un mal, ce qui suggère que tous les êtres humains portent la même responsabilité dans cette catastrophe écologique. La révélation de la catastrophe se transforme en mensonge, car elle ne dit pas à qui profite l’exploitation de la nature et à qui elle ne profite pas, quelles sont les contradictions entre les centres et la périphérie, entre les classes dominantes et les classes opprimées. Les luttes environnementales locales contre la destruction de l’habitat, le blocus des transports de déchets nucléaires, les manifestations contre la surpêche ont rendu impossible pour les dirigeants de nier ou ignorer l’impact de l’économie capitaliste sur la nature. Il arrive souvent que les peuples qui vivent plus ou moins en harmonie avec leur environnement naturel soient exploités, asservis et massacrés en même temps que l’environnement qui les a nourris est détruit. Le développement des centres capitalistes d’Europe et d’Amérique du Nord s’est construit non seulement sur le contrôle des ressources, des routes commerciales et des marchés, mais aussi sur les cadavres des peuples indigènes. Les massacres et les génocides de centaines de millions d’indigènes sur les continents américain, asiatique et africain ont toujours fait partie de la lutte des centres impérialistes 66
LA MODERNITÉ CAPITALISTE
pour l’hégémonie, pour le pouvoir total sur les peuples et sur la nature. Les guerres coloniales et néocoloniales ont toujours été des guerres contre la société naturelle et contre la nature elle-même. Pour de nombreux peuples du monde, l’avancée triomphale de la modernité capitaliste a signifié le viol, la destruction des forêts par le feu, la défoliation et l’agent Orange. Les promesses de salut des missionnaires occidentaux n’ont pas été tenues. Pour des centaines de millions de personnes, le système capitaliste n’a laissé que ses ordures, les sacs de plastique jonchant les steppes d’Afrique en sont devenus un symbole. Les parties les plus pauvres de la population du globe, le sous-prolétariat mondial, sont les plus touchées par le changement climatique et la dégradation de l’environnement. Les sociétés d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie du Sud-est, encore en train de se remettre des guerres, du colonialisme et de l’exploitation néocoloniale, sont les plus durement affectées par la sécheresse et par d’autres catastrophes environnementales. Ces régions ne sont pourtant responsables que d’une faible partie des émissions de gaz à effet de serre. Plus une nation est « développée », plus elle est destructive. Par exemple, les émissions de gaz à effet de serre par les États-Unis sont 50 fois plus élevées que celles du Pakistan, alors que le Pakistan se classe parmi les dix principaux États affectés par le changement climatique, ce qui n’est pas le cas des États-Unis. Les populations des pays dits en développement sont également les plus touchées par les 67
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pénuries d’eau qui ne cessent de s’aggraver. L’eau est déjà utilisée comme arme dans les conflits militaires et sociaux, et les guerres pour l’eau vont s’intensifier. Au cours des prochaines décennies, des dizaines de millions de personnes (surtout dans les pays du Sud) devront quitter leur foyer. L’aggravation de la sécheresse, la hausse des températures et la fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes détruiront ce qui sert de base à leur agriculture et aggraveront encore la faim et la pauvreté. Les centres les plus riches des pays du Nord, où se prennent les décisions concernant les marchés et les investissements mondiaux ainsi que les destructions sociales et écologiques, sont en train de se refermer sur eux-mêmes. Des murs ont été rapidement édifiés autour de la « Forteresse Europe » et des États-Unis comme un bouclier contre celles et ceux qui veulent échapper à la destruction de leurs moyens de subsistance. L’ULTIME EXCUSE Parce que les murs ne peuvent empêcher tout le monde d’entrer et les catastrophes naturelles et climatiques commencent maintenant à frapper les centres capitalistes eux-mêmes, leurs dirigeants cherchent désespérément des solutions. Ils le font avec les mêmes méthodes positivistes qui ont mené au changement climatique et à la destruction de l’environnement. La solution à la crise devient ainsi une 68
LA MODERNITÉ CAPITALISTE
simple question de calculs et de techniques corrects. La crise doit être résolue par le capital, alors même que c’est le capital qui l’a créée. Si vous êtes malin, vous pouvez gagner beaucoup d’argent avec l’énergie renouvelable, les voitures électriques et les œufs biologiques. La classe dirigeante annonce la bonne nouvelle sur les panneaux de publicité : « Passez au vert ! » Beaucoup de celles et ceux qui avaient l’habitude de descendre dans la rue pour manifester contre la destruction de la nature ont été séduit.e.s par l’idée du capitalisme vert qui prétend prêter allégeance à la fois à l’accumulation de capital et à la nature, une contradiction en soi. Quand ils disent que la nature ne peut être protégée que si on accorde un prix à tout ce qu’elle contient, les défenseurs du capitalisme vert prônent la logique de l’exploitation plutôt que celle de l’écologie. Ils prétendent pouvoir ralentir la dégradation de la nature, simplement en la rendant plus coûteuse. Mais la marchandisation ne fait qu’aggraver la catastrophe. Protéger la nature devient un luxe pour les riches, qui peuvent laver leur conscience coupable avec des produits bios et des voitures électriques. Peu importe le nombre de fois où l’on repeindra l’économie de marché en vert, le capitalisme ne prêtera attention à la nature qu’aussi longtemps qu’elle lui sera source de profits. Derrière le vernis vert, la production destructive et sale continue. Aucun changement ne s’opère dans l’incitation compulsive à la concurrence ou à l’exploitation de la force de travail humaine.
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DÉCIDER Au lieu de s’attaquer à la cause de la destruction de la nature, le capitalisme lui-même, ce sont les symptômes qui sont traités à la place. Les liens entre économie de marché, exploitation, destruction de la nature, guerre et migration montrent ce qui arrive quand les systèmes centralisateurs et hiérarchiques tentent d’assujettir la nature. Une solution qui ne tient pas compte de ces relations ou une solution au sein du système existant ne sont pas possibles. Si nous continuons à vivre dans une société où tout est transformé en marchandises, où persiste la propriété privée des moyens de production et de la terre, aucune issue ne peut être trouvée. Seul le contrôle direct et démocratique des moyens de production et des terres (et donc des ressources écologiques) par le peuple peut créer une alternative socio-écologique. Au lieu d’espérer que les États du monde nous fournissent des solutions, nous devons agir, la société civile doit agir. Attendre davantage serait de la folie.
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Les liens entre économie de marché, exploitation, destruction de la nature, guerre et migration montrent ce qui arrive quand les systèmes centralisateurs et hiérarchiques tentent d’assujettir la nature. Une solution qui ne tient pas compte de ces relations ou une solution au sein du système existant ne sont pas possibles.
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Sortir de l’impasse de la catastrophe écologique provoquée par la modernité capitaliste demande beaucoup d’efforts et de courage pour créer de nouvelles propositions. Les premiers pas ont été faits, mais la nécessité d’une révolution socio-écologique implique qu’il reste encore beaucoup à faire.
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DÉFIS ÉCOLOGIQUES AU ROJAVA Perspectives pour une société écologique
L
a région du Rojava s’étend le long de la frontière turco-syrienne, à l’ombre des monts Taurus, de l’Irak jusqu’à la mer Méditerranée. Au sud, le désert s’étend jusqu’au cœur de la Syrie. La zone climatique dans laquelle se trouve le Rojava est décrite comme une steppe, entre désert et climat humide. Les mois de pluie s’étalent d’octobre à avril. Ce climat est propice à l’agriculture. Les régions situées le long des rives de l’Euphrate, du Xabûr et du Tigre, ainsi que l’ensemble du canton d’Afrin, possèdent des sols fertiles. LE ROJAVA DANS LE CONTEXTE DES POLITIQUES COLONIALES SYRIENNES ET TURQUES Au Rojava, les conséquences de la mentalité capitaliste et de la violence de l’État contre la société et l’environnement sont clairement visibles. Le régime Baas ne s’est jamais intéressé à développer une société écologique. Jusqu’en 2012, le Rojava était en relation de dépendance coloniale 73
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avec le régime syrien d’Assad, ce qui a fortement affecté la situation économique et environnementale de la région. Une exploitation maximale des ressources et un taux élevé de productivité agricole ont toujours été considérés comme prioritaires, la production étant destinée à l’exportation vers d’autres régions de la Syrie et à l’étranger. La monoculture exigeait une déforestation systématique. Aujourd’hui, les champs de blé recouvrent le canton de Cizirê, les oliveraies celui d’Afrin et un mélange des deux le canton de Kobanê. Ces monocultures ont façonné le paysage du Rojava. Pendant des décennies, il était interdit de planter des arbres ou de cultiver des potagers. Aujourd’hui encore, les effets de cette politique coloniale façonnent la vie et l’environnement des populations, créant un contraste majeur entre les villes et régions selon qu’elles soient à majorité kurde ou arabe. La population était gardée dépendante au moyen de politiques répressives et du sousdéveloppement de la région, ainsi que de l’interdiction de cultiver de la nourriture pour son propre usage. Elle était systématiquement poussée à l’émigration forcée pour servir de main-d’œuvre bon marché dans les métropoles syriennes environnantes comme celles d’Alep, de Raqqa et d’Homs. Beaucoup y travaillaient dans les usines de transformation des matières premières du régime, ellesmêmes provenant du Rojava. La production et la consommation d’énergie, le traitement inapproprié des déchets et l’utilisation massive de produits chimiques dans le domaine de l’agriculture ont fortement 74
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pollué le sol, l’air et l’eau. Mais la population du Rojava et l’auto-administration démocratique ne se débattent pas seulement avec l’héritage environnemental du régime Baas. Une autre menace sérieuse provient de la politique hostile de l’État turc contre le Rojava. Outre les attaques militaires, la menace constante d’invasion et l’embargo économique, un problème majeur vient de la construction de barrages dans le nord du Kurdistan - occupé par la Turquie - et de l’extraction massive des eaux souterraines pour l’agriculture turque. En conséquence, on assiste à une diminution spectaculaire de la quantité d’eau qui s’écoule du nord vers les rivières du Rojava et une baisse constante du niveau des nappes phréatiques. L’armée turque a également coutume depuis des années de mettre le feu aux forêts existantes, en particulier aux oliveraies dans le canton d’Afrîn. L’un des objectifs de cette politique est de priver les gens de leurs moyens d’existence, tant sur le plan économique qu’écologique, et de les forcer à quitter leurs terres. Les politiques du régime syrien ont conduit la population du Rojava vers une situation d’aliénation croissante vis-à-vis de la nature. Les savoirs et pratiques sociales de l’agriculture biologique, la culture des légumes et la connaissance de la faune et de la flore locales ont été perdus. Par conséquent, aujourd’hui, le manque de compétences et d’initiative de la population pour organiser, cultiver et développer leur terre est un problème que la révolution du Rojava doit résoudre.
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AGRICULTURE ET SYLVICULTURE Monoculture et fertilisation chimique Du point de vue de la maximisation des revenus à court terme, les monocultures semblent plus productives et plus faciles à cultiver. Cependant, des études à long terme montrent que ces dernières appauvrissent les sols en affectant le bon renouvellement de leur composition nutritive. De plus, les monocultures entraînent une augmentation des taux d’insectes ravageurs et de parasites et posent souvent un problème pour l’approvisionnement en eau en raison de la dessication des sols (dessèchement extrême dû à la perte en eau). Cela signifie que les monocultures nécessitent généralement une alimentation artificielle en eau et de grandes quantités d’engrais qui sont souvent produits chimiquement. À l’échelle mondiale, l’utilisation d’engrais chimiques a tellement dégradé les sols que cette forme d’agriculture ne peut être pratiquée que pendant une cinquantaine de cycles de récolte supplémentaires. Ensuite, le sol destiné à la culture devient tout simplement inutilisable. Le retour à un système agricole à base d’engrais biologiques est donc essentiel. La question n’est pas de savoir si ce retour est possible mais bien de savoir quand. Les monocultures ont également un impact négatif sur la diversité écologique, sur l’interaction délicate entre la faune et la flore. Des poisons chimiques sont utilisés pour
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DÉFIS ÉCOLOGIQUES AU ROJAVA
contrer la propagation des infestations d’insectes, de plantes et de champignons qui réduisent les rendements agricoles. Combinés aux engrais, ces produits affectent fortement la qualité de l’eau et des sols. Ces problèmes peuvent être observés au Rojava, en particulier dans le canton de Cizirê où l’accent est mis sur la culture du blé. Celui-ci est cultivé le long de la frontière turco-syrienne sur une ceinture d’une dizaine de kilomètres de large. À Afrîn, l’agriculture est fortement axée sur les monocultures d’oliviers, une politique menée par le régime pendant deux décennies avant la révolution. Politique qui a entraîné l’abattage de vieux peuplements forestiers, ce qui a également considérablement affecté la diversité écologique. Utilisation de pesticides L’utilisation de pesticides au Rojava a fortement augmenté au cours des 20 dernières années. Ceux-ci sont toujours importés de Turquie et de Chine par le régime syrien. Avant la révolution du Rojava, le régime syrien a contraint les agriculteur.rices à les utiliser. Aujourd’hui, les effets de cette politique sont devenus évidents. Bien qu’il n’existe pas d’études officielles, les maladies telles que le cancer sont particulièrement répandues dans cette région syrienne à prédominance kurde. Cela peut être attribué à l’utilisation élevée de pesticides cancérigènes. Souvent, les ingrédients contenus dans les pesticides et leur utilisation appropriée n’étaient pas précisés. C’était particulièrement vrai pour les pesticides en provenance de Turquie, qui furent interdits
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JARĀBULUS
KOBANi
AL-HA
AFRIN ALEPPO
BUHAYRAT AL-ASSAD
IDLIB
AL-RAQQAH
LATAKIA
D
BĀNIYĀS TARTŪS
HAMĀH
AL-MIYĀDĪN
HOMS TADMUR
SYRIE
DAMASCUS
Le Rojava est l’une des régions agricoles les plus importantes de Syrie. On y cultive principalement le blé, le coton et les olives.
QAMISHLI
ASAKAH
DAYR AZ-ZŪR
N
UTILISATION DES TERRES EN SYRIE Terres cultivées avec bétail : prévalence de la culture du blé, du coton, des fruits et des olives Forêts Steppes avec troupeaux nomades (ovins) et cultures isolées Déserts et steppes avec troupeaux nomades
Coton
Olives
Fruit
Blé
Tabac
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sur le marché domestique en raison des ingrédients nocifs entrant dans leur composition, mais qui continuaient d’être exportés vers la Syrie et d’être utilisés au Rojava. Nuisibles agricoles L’agriculture du Rojava est affectée par divers parasites, ce qui entraîne une forte utilisation de pesticides. Aujourd’hui, les plus grands problèmes sont les doryphores de la pomme de terre, les sauterelles et les infestations fongiques. Ces parasites ne sont pas originaires de Syrie, ils y ont été importés. On pense que le gouvernement turc encourage délibérément la dissémination de parasites depuis les terres agricoles en Turquie / Kurdistan du Nord jusqu’au Rojava, en utilisant des produits chimiques qui ne tuent pas les parasites mais les poussent vers le sud dans les champs avoisinants du Rojava. Utilisation durable de l’eau et diversification de l’agriculture en fonction des besoins des populations L’agriculture biologique au Rojava n’est pas possible sans sortir des monocultures et sans réduire la consommation d’eau. C’est pourquoi le Comité de protection agricole a pris un certain nombre de mesures pour diversifier les méthodes agricoles et promouvoir l’utilisation durable de l’eau. Afin de contrôler l’extraction des eaux souterraines, tous les puits d’eau ont été répertoriés par le comité et il a été interdit d’en forer d’autres à des fins agricoles. En outre, seulement 60 % des zones agricoles peuvent être plantées 80
DÉFIS ÉCOLOGIQUES AU ROJAVA
avec des cultures nécessitant une irrigation. Ces mesures ont également un effet positif sur la diversification de l’agriculture, étant donné qu’un plus grand nombre de variétés de semences qui ne nécessitent pas d’irrigation supplémentaire sont maintenant plantées. Il s’agit notamment de lentilles, de pois chiches et de haricots. La culture de ce type de plantes représente aujourd’hui environ 25 % de la totalité des terres agricoles. 15 % sont utilisées pour la culture des légumes et du coton, ce qui nécessite une irrigation intensive. La plus grande partie, environ 50 %, continuera d’être semée avec du blé. Les 10 % restants seront laissés en jachère pour que le sol se régénère pendant un an. De plus, les agriculteur.rices sont encouragé.e.s à alterner les cultures qu’il.elle.s plantent de manière à laisser les sols se reconstituer. Bien que l’accent reste encore fortement mis sur la culture du blé, on constate une différence majeure par rapport à quelques années auparavant, lorsque les cultures telles que les lentilles et les haricots ne représentaient pas plus de 10 % de la superficie agricole. À Afrîn, des projets de diversification de l’agriculture ont également été encouragés depuis le début de la révolution, ce qui a conduit à la plantation d’arbres correspondant au climat méditerranéen d’Afrîn – manguiers, vignes et agrumes. Un autre changement crucial dans l’agriculture du Rojava est l’orientation de la production vers la consommation locale et l’exportation, aussi bien vers d’autres parties de la Syrie qu’à l’étranger. Par exemple, la culture du coton a été réduite et la culture maraîchère a augmenté. Le canton de 81
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Cizirê n’exporte plus de denrées alimentaires hors du Rojava, mais en envoie certaines aux autres cantons du Rojava, Afrîn et Kobanê, ainsi qu’aux régions qui ont récemment été libérées de l’État islamique. Agrosylviculture Un système combinant différentes cultures peut à la fois résoudre les problèmes environnementaux causés par la monoculture et augmenter les rendements. Par exemple, il est possible de combiner champs cultivés et plantations d’arbres. L’agrosylviculture est la combinaison de l’agriculture et de la sylviculture. En outre, l’agrosylviculture fournit davantage d’habitats aux animaux et réduit l’érosion. Les racines des arbres assurent la pénétration de l’eau dans le sol, contribuant ainsi à alimenter les nappes phréatiques en déclin. Les arbres réduisent aussi la quantité d’engrais nécessaires pour les céréales. Le système racinaire absorbe les nutriments et l’eau des couches profondes du sol vers la surface. Lorsque les feuilles tombent, leurs éléments nutritifs rentrent dans la couche arable et sont absorbés par les cultures. La culture du peuplier, du blé et d’autres céréales est pratiquée sous les latitudes subtropicales comme celles du Rojava. L’agrosylviculture peut également être utilisée dans de petites zones comme les jardins urbains. Des couches de végétation à différentes hauteurs assurent une réception optimale de la lumière et permettent ainsi d’augmenter les rendements dans un espace relativement réduit. Grâce à une sélection intelligente de communautés 82
DÉFIS ÉCOLOGIQUES AU ROJAVA
végétales coopérantes, il est possible de créer des jardins forestiers. La diversité écologique assure également flexibilité et stabilité. Agriculture urbaine : autonomie et sécurité alimentaire en milieu urbain L’agriculture urbaine pourrait contribuer à décentraliser le système agricole du Rojava, par exemple en plantant d’anciens sites commerciaux ou industriels dans les villes ou en créant des jardins sur les toits. Les besoins des villes en fruits et en légumes ainsi que le traitement de leurs déchets organiques peuvent être traités de cette façon. La décentralisation d’une partie de la production alimentaire vers les lieux de résidence et les communautés des zones urbaines accroît également leur autonomie et améliore la sécurité alimentaire. La capitale cubaine, La Havane, en est un bon exemple : 90 % des fruits et légumes consommés par ses habitant-e-s sont cultivés dans la ville elle-même. Les petites zones agricoles urbaines sont fertilisées avec les ordures ménagères organiques (compost). Réserves naturelles et reboisement - améliorer la qualité de l’eau et préserver la biodiversité La création et la préservation de réserves naturelles est l’une des activités centrales du Comité pour la conservation de la nature dans le canton de Cizirê. Dans ce canton, deux zones protégées ont déjà été créées : Hayaka autour du lac Sefan et Mizgefta Nû.
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L’agriculture, la chasse et la pêche ont été interdites dans les réserves naturelles et ces interdictions contribuent désormais à l’amélioration de la qualité de l’eau potable et à la protection des différentes espèces animales et végétales. Un projet important dans les réserves naturelles, mais aussi au-delà, est le reboisement des zones rurales et urbaines. En 2016 et 2017, le Comité des zones de conservation a planté environ 8 000 arbres, dans les réserves naturelles d’Hayaka et de Mizgefta Nû ainsi que dans les villes de Çilaxa et Hesekê. Dans la zone de conservation d’Hayaka en particulier, il est prévu de planter 100 000 arbres dans les prochaines années. PÉNURIE D’EAU, POLLUTION DE L’EAU ET SOLUTIONS POSSIBLES Le manque d’eau au Rojava L’approvisionnement en eau potable des villes et des villages provient principalement des sources et des lacs. Dans le canton de Cizirê, le lac Sefan alimente les villes de Dêrîk et Qamishlo. L’approvisionnement adéquat en eau à usage domestique et agricole est l’un des principaux problèmes du Rojava, et ses causes sont diverses. D’une part, le changement climatique s’est traduit par une diminution des précipitations et un raccourcissement de la saison des pluies. Depuis les années 1990, les précipitations dans la région de Cizirê ont baissé d’environ 10 à 15 %. D’autre part, les mesures prises par la 84
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Turquie pour stopper l’alimentation en eau du Rojava limite sévèrement le débit des cours d’eau principaux (comme l’Euphrate et le Xabûr). En outre, de nombreux nouveaux puits ont été creusés en Turquie / Kurdistan du Nord. En raison de cette utilisation excessive de l’eau en Turquie et au Rojava, le niveau de la nappe phréatique a considérablement baissé au cours des dernières décennies. Plus de 30 000 puits sont en service dans le seul canton de Cizirê et, malgré la tentative d’enregistrement de tous ces puits, il est probable que ce nombre soit bien plus élevé. Il y a quelques années à peine, l’eau souterraine pouvait être extraite à une profondeur moyenne de 100 mètres, mais elle est maintenant tombée à environ 150 mètres. L’agriculture intensive – très exigeante en eau – a eu une influence majeure sur l’assèchement des nappes phréatiques et des cours d’eau. De ce manque d’eau a découlé la raréfaction des zones boisées le long des berges des rivières et ruisseaux, ce qui ne fait qu’aggraver le problème de captage de l’eau. Les crimes de l’État islamique (EI) ont également aggravé le problème de la pénurie d’eau. Lorsqu’ils ont été repoussés, les combattants de l’EI ont bloqué sources et puits. Il s’agissait d’une politique délibérée et hostile pour nuire à la population et à son agriculture. La situation de la rivière Xabûr, qui était la principale source d’approvisionnement en eau pour les villes de Tal Abyad (Girê Spî) et Hesekê ainsi que pour l’agriculture dans la région environnante, est un bon exemple de divers problèmes 85
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Pollution de l’eau due à l’extraction de pétrole dans le canton de Cizirê.
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DÉFIS ÉCOLOGIQUES AU ROJAVA
convergents. La Turquie a pratiquement bloqué l’écoulement du fleuve, l’EI a fermé d’autres sources affluentes et les déchets introduits localement ont fortement contaminé l’eau. Pollution de l’eau et solutions possibles Une grande partie des eaux usées du Rojava aboutissent dans les rivières, qui sont ensuite utilisées pour l’irrigation agricole. Le déversement des eaux usées dans les rivières est également courant dans le nord du Kurdistan. Par exemple, la ville de Nîsebîn, qui compte 100 000 habitant.e.s, déverse ses déchets non traités dans la rivière Chax Chax, qui traverse ensuite la ville de Qamishlo. Ce déversement incontrôlé des eaux usées et leur utilisation ultérieure dans l’agriculture est souvent cause de maladies et affecte les systèmes écologiques des rivières. Cependant, si elles étaient correctement traitées, les eaux usées pourraient être utilisées dans le domaine de l’agriculture. La séparation adéquate des eaux grises (eaux usées des lavabos, douches, etc.) et des eaux noires (eaux usées des toilettes) simplifie ce processus. L’utilisation des eaux grises présente un intérêt particulier pour le Rojava, car de nombreuses régions connaissent des problèmes d’approvisionnement en eau et les mesures prises par l’État turc ne font qu’amplifier le problème. En outre, l’utilisation des eaux grises peut accroître la production dans le domaine de l’agriculture. Le niveau de traitement des eaux grises avant leur utilisation ultérieure est déterminé en fonction de l’utilisation prévue. Par exemple, 87
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il est possible d’utiliser de l’eau grise pour arroser les arbres après une simple filtration à travers un tamis. Une filtration plus intensive à travers du sable ou une substance similaire permettrait également d’utiliser les eaux grises pour l’irrigation des cultures. La nécessité d’utiliser les eaux grises est devenue de plus en plus importante, particulièrement dans les pays qui souffrent d’une forte pénurie d’eau. Par exemple, dans certaines parties de l’Australie, la séparation des eaux grises est maintenant exigée par la loi. La réutilisation des eaux grises permet non seulement de réduire la consommation totale d’eau, mais aussi d’éviter la pollution du sol et des cours d’eau. L’utilisation des eaux noires pour la fertilisation Les déchets humains représentent la plus grande source de nutriments provenant de déchets organiques qui peuvent être utilisés pour l’agriculture. Le Stockholm Environment Institute estime que les déchets organiques d’une seule personne suffiraient à faire pousser 230 kilogrammes de céréales par an. L’urine est plus riche en nutriments (surtout en azote) et se prête à un plus grand nombre d’usages, elle peut donc être utilisée sur n’importe quel type de culture. Les excréments contiennent également de nombreux éléments nutritifs et sont excellents pour fertiliser les sols. Cependant, sans un long compostage, ils ne peuvent être utilisés que pour fertiliser les arbres, les arbustes ou les céréales destinées à l’alimentation animale. Après un compostage d’au moins 88
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un an, ils peuvent également être utilisés sans danger pour fertiliser les cultures destinées à la consommation humaine. L’utilisation agricole des excréments prévient leur infiltration dans l’eau, ce qui n’est pas le cas de la plupart des réseaux d’égouts conventionnels, ce qui constitue pourtant une cause majeure de pollution et de maladies. Une fois les déchets solides mélangés avec de l’eau ou de l’urine, les eaux noires qui en résultent deviennent plus difficiles à traiter. Dans la plupart des stations d’épuration, le traitement est axé sur la re-séparation des matières solides et liquides. L’eau noire peut également être utilisée pour le compostage et, après un certain laps de temps, le compost peut également être utilisé dans les cultures destinées à la consommation humaine. Il existe de nombreux exemples dans le monde d’utilisation des déchets humains comme engrais agricoles. Selon les recherches de l’Université agricole de Chine du Sud, les engrais organiques étaient la principale source d’engrais en Chine jusqu’aux années 1980 et environ 30 % des engrais utilisés dans le pays proviennent encore des déchets humains. Les problèmes de pollution causés par les engrais chimiques ont incité les autorités à revenir aux produits organiques au début des années 2000. La collecte d’urine fournit les engrais pour l’agriculture urbaine dans toute la Chine et une grande partie des eaux usées urbaines sont transportées vers les zones agricoles par canalisations ou camions-citernes. Dans la ville de Dongsheng, de nouvelles habitations ont des toilettes sèches avec séparation de l’urine. Les excréments 89
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sont stockés dans des seaux puis compostés et l’urine est stockée dans des réservoirs pour être directement utilisée comme fertilisant. En Suède, des recherches intensives sont en cours sur l’assainissement écologique et divers systèmes ont déjà été mis en place. Depuis 2002, la municipalité de Tanum (36 000 habitant.e.s) a mis en place une politique d’hygiène écologique qui encourage l’utilisation de toilettes sèches et la séparation de l’urine. L’urine est stockée dans des réservoirs avant d’être livrée par camions-citernes aux agriculteurs locaux, en même temps que les eaux noires des fosses septiques. La municipalité de Trosa (11 000 habitant.e.s) près de Stockholm stocke ses eaux usées pendant six mois et les livre ensuite aux fermes en dehors de la ville où elles sont utilisées comme engrais. PRODUCTION D’ÉNERGIE, ENTRE ÉNERGIES RENOUVELABLES ET ÉNERGIES FOSSILES Extraction et transformation du pétrole La plupart des champs pétroliers syriens se trouvent au Rojava, en particulier dans le canton de Cizirê. La politique du régime syrien était axée sur l’implantation de toutes les industries manufacturières dans les métropoles syriennes, la transformation du pétrole brut en combustible n’a donc jamais pris place au Rojava mais dans les centres industriels 90
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du régime. Le raffinage du pétrole au Rojava a débuté avec la révolution. Les domaines les plus dépendants du combustible sont l’électricité de secours (issue de petits générateurs) et les transports. Le diesel est également utilisé pour alimenter les poêles domestiques en hiver. Aujourd’hui, environ 5 % de la totalité du pétrole produit au Moyen-Orient provient du Rojava. Cependant, en raison d’un manque de pièces détachées et de l’embargo, le niveau de cette production est très faible techniquement. Comme la demande actuelle dépasse la capacité des raffineries existantes, une grande partie du pétrole brut n’est raffinée que de manière très limitée. Ce phénomène renforce l’impact négatif de l’industrie pétrolière déjà très polluante. La production et le transport du pétrole affectent lourdement l’environnement en polluant le sol, l’eau et l’air. Ces dégâts sont particulièrement visibles dans les bassins créés lors de l’extraction et du traitement du pétrole. Au Rojava, il n’existe pas pour l’instant de moyens techniques et financiers viables qui permettraient d’éviter ces conséquences écologiques. Production d’électricité La production d’électricité au Rojava dépend de trois sources : les centrales hydroélectriques, le gaz naturel et les générateurs diesel qui fonctionnent au niveau communal. Les centrales électriques génèrent approximativement 75 % d’hydroélectricité et 25 % de gaz naturel (sous-produit de l’extraction pétrolière) même s’il arrive que ce rapport fluctue. La plupart des régions du Rojava n’ont pas assez 91
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d’électricité. Dans des villes comme Dêrîk, l’électricité n’est disponible que six heures par jour, alors que dans d’autres villes comme Kobanê, elle est disponible durant douze heures. Malgré l’apport d’électricité supplémentaire dans les communes, il n’est actuellement pas possible d’assurer un approvisionnement permanent au niveau national. Les centrales hydroélectriques qui sont exploitées à proximité des barrages de Tischrin et de Tabqa sur l’Euphrate, constituent les piliers de la production électrique du Rojava. L’électricité est ensuite acheminée vers les villes par de longues lignes électriques. Théoriquement, l’ensemble de la région pourrait être alimentée continuellement à partir des centrales hydroélectriques existantes si elles pouvaient fonctionner à pleine capacité, ce qui n’est pas le cas pour deux raisons. Premièrement, il existe une pénurie des pièces nécessaires à la réparation des centrales. La guerre en Syrie, qui fait rage depuis plus de sept ans, a gravement affecté les infrastructures de production d’électricité. La destruction des lignes électriques et des sous-stations empêche encore une fourniture optimale en électricité dans de nombreuses régions du Rojava. Leur reconstruction est rendue difficile à cause de l’embargo économique et du manque de moyens financiers. Deuxièmement, la production d’électricité est fortement dépendante de la politique de l’eau de l’État turc. Les fleuves principaux qui alimentent le Rojava ont en effet leur source en Turquie. Ces dernières années, le gouvernement turc 92
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a de plus en plus encouragé la construction de barrages, ce qui a eu un impact majeur sur l’approvisionnement en eau de la Syrie tout en consolidant et en développant le pouvoir géopolitique turc. Malgré des accords contractuels entre les gouvernements syriens et turcs sur le contrôle des débits d’eau, la Turquie utilise son contrôle sur l’eau pour influencer les développements politiques en Syrie. Depuis que les forces démocratiques du nord de la Syrie (soutenues par les structures politiques du mouvement de libération kurde) ont pu mettre en pratique leur système d’autonomie démocratique, la politique du gouvernement turc est devenue encore plus restrictive. Les conséquences écologiques et sanitaires de l’utilisation des combustibles fossiles pour la production de chaleur et d’électricité, ainsi que le caractère imprévisible de l’alimentation en eau résultant des choix politiques de l’État turc, mettent en évidence les avantages d’une décentralisation et d’une approche écologique de la production d’énergie. Énergies renouvelables et construction écologique Du fait de sa situation géographique et des conditions climatiques de la région, le Rojava est un terrain idéal pour diverses formes de production d’énergie renouvelable. L’utilisation de systèmes simples et peu coûteux de production d’énergie (eau chaude via des panneaux solaires installés sur les toits ou électricité via des panneaux photovoltaïques ou des éoliennes) pourrait représenter la première étape d’un système énergétique décentralisé. Cela 93
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réduirait la dépendance de la population à l’égard du système électrique centralisé et des combustibles fossiles. La façon dont les bâtiments sont construits joue un rôle important dans les économies d’énergie. Moins on consomme d’énergie, moins il faut en produire. Au Rojava, de nombreux bâtiments plus petits sont faits de matériaux naturels tels que l’argile, le bois et la pierre qui, par rapport aux matériaux de construction standards tels que le béton, l’acier et le ciment, sont moins polluants et consomment moins d’énergie lors de leur fabrication. De plus, ce type de constructions écologiques coûte environ un tiers moins cher que les constructions conventionnelles. Les maisons construites de cette façon sont également plus faciles à garder fraîches en été et à chauffer en hiver, ce qui réduit les coûts d’électricité et de carburant. ÉLIMINATION DES DÉCHETS, RECYCLAGE ET COMPOSTAGE Recyclage Ces dernières années, un système fonctionnel de gestion des déchets a été mis en place dans la plupart des villes du Rojava. Les déchets sont transportés des maisons individuelles ou des rues vers les décharges voisines où ils sont brûlés. Il n’existe pas de système municipal de tri ou de recyclage des déchets. Par conséquent, la qualité de l’eau et du sol est gravement altérée, ce qui entraîne des problèmes de santé, 94
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surtout chez les enfants. Les particules, qui se forment lors de l’incinération des déchets, polluent le sol et l’eau et se répandent dans l’air, y compris dans les terres agricoles où elles pénètrent dans la chaîne alimentaire. Le recyclage est une alternative à cette forme de gestion des déchets, et certains projets sont actuellement à l’étude par les organismes autonomes, dont une usine de recyclage du papier. Il s’agirait de séparer les déchets de papier des autres types d’ordures ménagères, qui seraient ensuite réutilisés pour la fabrication du papier. Le projet, estimé à 70 millions de dollars américains, n’en est encore qu’à ses balbutiements en raison du manque de financement. Cependant, il existe des méthodes de recyclage beaucoup plus simples et moins coûteuses. Le recyclage du plastique dur, par exemple, n’est pas compliqué et peut se faire avec de simples machines. Cela permet des formes de recyclage décentralisées et à petite échelle qui sont déjà pratiquées dans de nombreuses régions du monde. Le compostage : engrais organiques pour l’agriculture rurale et urbaine L’utilisation des déchets organiques joue également un rôle important dans une société écologique. L’utilisation du fumier animal est déjà pratiquée dans le domaine de l’agriculture au Rojava, mais cette utilisation peut et doit être étendue. Les engrais chimiques utilisés au Rojava coûtent 35 millions de dollars américains par an. Le fait que tous ces engrais chimiques doivent être importés crée 95
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Pollution de l’air due au trafic routier dans la ville de Qamishlo.
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une dépendance importante à l’égard des différents régimes de la région. Un recyclage plus efficace des déchets organiques permettrait de grandement réduire, voire d’éliminer, l’importation d’engrais chimiques, d’augmenter la production agricole et d’accroître l’autonomie des agriculteurs. La transition des engrais chimiques aux engrais organiques doit se faire le plus rapidement possible. Sans changements fondamentaux, la forme actuelle d’agriculture ne pourra être pratiquée que pendant les cinquante prochains cycles de récolte. Le compostage nécessite la création de conditions favorables à la décomposition des déchets organiques en substances humiques biologiquement stables qui peuvent ensuite être utilisées pour l’agriculture et la sylviculture. En plus de sa teneur en éléments nutritifs, le compost augmente la fertilité du sol en améliorant sa structure (amélioration de la mobilité de l’air, de l’eau et des éléments nutritifs dans le sol), en ajoutant des microbes bénéfiques et en augmentant la disponibilité des éléments nutritifs. L’utilisation des déchets organiques pour l’agriculture est courante dans de nombreux pays et des précautions simples peuvent minimiser les risques potentiels pour la santé. Que ce soit dans le domaine de l’agriculture ou de la sylviculture, elle permet d’économiser de l’argent, de prévenir l’érosion des sols et de réduire la pollution. De plus, le compostage revêt une importance stratégique pour une société dont l’accès aux engrais chimiques peut être facilement restreint par les gouvernements et les entreprises. 97
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Environ la moitié des ordures ménagères sont organiques. En moyenne, chaque personne produit environ un demikilogramme de déchets compostables par jour. Cette quantité est réduite à 50 grammes de compost prêt à l’emploi après le processus naturel de compostage. Le compostage à petite échelle dans les ménages individuels est plus facile dans les zones rurales mais il est aussi possible dans les villes. C’est particulièrement le cas lorsqu’il est utilisé en conjonction avec l’agriculture urbaine, comme à Cuba, où celle-ci constitue une partie importante de la production alimentaire du pays. Il est également possible de développer des installations de compostage à grande échelle pour l’agriculture rurale. C’est chose courante dans les pays occidentaux où les déchets organiques ménagers sont recueillis et transformés en compost agricole. Pour une ville de la taille de Dêrîk (avec une population d’environ 40 000 habitant.e.s), cela signifierait un apport quotidien de 20 tonnes de déchets organiques et une production quotidienne de deux tonnes de compost fini. Il existe de nombreux systèmes de compostage, certains ne nécessitent que de simples tas ou bacs de compost. Tant que certaines conditions (comme la température et l’humidité) sont régulièrement contrôlées et ajustées si nécessaire, le compost se décomposera jusqu’à ce qu’il soit prêt à l’utilisation.
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TRAFIC ROUTIER ET POLLUTION DE L’AIR Les transports consomment la majeure partie du diesel et de l’essence au Rojava et sont également la principale source de pollution atmosphérique, en particulier dans les grandes villes. L’expansion des transports publics est un moyen de minimiser cet impact. La qualité de l’air urbain peut également être améliorée en plantant des arbres. L’une des principales stratégies des municipalités, en collaboration avec les comités responsables de l’écologie, consiste à planter davantage d’arbres dans les zones urbaines et à entretenir ceux qui existent déjà. Les projets actuels comprennent la plantation d’arbres le long d’une des principales artères de la ville de Qamishlo, dont le coût s’élèvera à 60 000 dollars américains. Dans la ville de Tabqa, libérée de l’EI à l’été 2017, une campagne sera lancée cette année pour remplacer les arbres dont 75 % sont morts faute d’eau ou ont été détruits. Les dégâts que les arbres ont subis sont dus aux politiques désastreuses de l’administration municipale sous le régime syrien. Les affrontements dans les villes ont également eu une influence négative sur la population d’arbres au niveau municipal. En raison des conditions climatiques et de la pénurie d’eau, le reboisement est un processus qui nécessite beaucoup d’efforts. De tels projets permettent d’améliorer la qualité de l’air urbain et d’augmenter les espaces ombragés dans les 99
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villes pendant les mois d’été (lorsque la température dépasse les 50 degrés), de créer des espaces de vie pour les oiseaux et d’améliorer la qualité de vie en général. Dans le cadre du travail écologique de l’auto-administration, les communes et les populations locales du canton de Cizirê sont actuellement interrogées sur leurs besoins en arbres. Sur la base de ces informations, davantage d’arbres seront alors plantés dans leurs communautés. LES EFFETS DE LA GUERRE Les effets de la guerre sur la situation écologique au Rojava sont considérables, en particulier en ce qui concerne la pollution du sol et de l’eau par les munitions. L’utilisation par la coalition internationale de cartouches d’uranium appauvri sont la cause de graves problèmes de santé, car leurs résidus contaminent l’environnement pendant très longtemps. Les munitions de mortiers, les roquettes et autres armes explosives contiennent des métaux lourds et de la TNT qui sont cancérigènes. Lorsque ces armes ont été utilisées dans les zones urbaines, par exemple à Kobanê et Hesekê, ces substances se sont mélangées à la poussière des décombres et ont ensuite été inhalées par les habitant.e.s. Elles se sont également répandues dans l’eau et sur les terres agricoles. Les conséquences à long terme sont encore inconnues. L’une des tactiques de l’État islamique pour se protéger des raids aériens consistait à allumer de grands feux qui 100
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produisaient une épaisse fumée. Ceux-ci étaient alimentés par la combustion de quantités importantes de pétrole, ainsi que d’autres matériaux comme du plastique, qui ont fortement pollué l’air, le sol et l’eau. D’autres pollutions résultent de la destruction d’installations industrielles qui ont libéré des gaz toxiques et des produits chimiques dans l’atmosphère. Selon les estimations de l’organisation non gouvernementale PAX, ces atteintes à l’environnement auront des effets à long terme sur la santé. Il reste à savoir quel impact cela aura sur la région du Rojava. ROJAVA - UNE SOCIÉTÉ ÉCOLOGIQUE ET DÉMOCRATIQUE EN CONSTRUCTION Autosuffisance locale et coopératives : « Collectivisons nos terres, notre eau et notre énergie. » (Öcalan) Les rapports entre production et utilisation, ville et campagne, centre et périphérie, doivent être repensés et redessinés pour construire une société écologique. Dans la société du Rojava, le but est de mettre en place un mode de production coopératif, écologique et décentralisé. Tous les actifs ou les ressources naturelles doivent être socialisés et l’économie démocratisée. Il est crucial que la production soit décidée sur la base d’un processus démocratique de négociation. Elle doit être fondée sur la possibilité d’un système écologique efficace et équilibré et sur les capacités des populations elles-mêmes.
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Les communes sont fondées sur la base de l’autosuffisance collective. Celle-ci élimine la séparation entre les lieux de production et d’utilisation, réduit les longs transports et garantit la sécurité d’approvisionnement des populations. Cela permet aussi le développement et la conservation des savoirs collectifs, notamment dans le domaine de l’agriculture. Contrairement aux modes de production capitaliste, les coopératives sont capables de déterminer leur production en fonction des besoins des populations, car elles ne sont pas soumises à la logique de croissance constante et de maximisation des profits. Il leur est également possible de prendre en compte les conséquences à long terme pour le monde naturel et de concevoir leur production en conséquence. L’engagement envers la communauté est l’un des sept principes coopératifs. Grâce à des formes coopératives d’économie, les connaissances peuvent être partagées entre les personnes qui travaillent ensemble, car il n’y a pas de séparation classique ou de hiérarchie dans les étapes de travail, mais plutôt une approche holistique. La bases d’une telle forme de production sociale et les buts politiques correspondants sont posés au Rojava. Le système du Rojava repose sur l’auto-administration dans les communes et la production en coopératives. Il est prévu que toutes les ressources, telles que l’eau, l’énergie et la terre, deviennent des biens communs. Le canton de Cizirê compte déjà 57 coopératives qui regroupent environ 8 700 familles.
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Entre revendication et réalité – le Rojava et la société écologique Les défis environnementaux au Rojava / Syrie du Nord sont énormes. Le Rojava illustre parfaitement la manière dont les problèmes écologiques sont imbriqués aux questions sociales et économiques et dont le centralisme, l’économie capitaliste et l’exploitation des êtres humains et de la nature sont interconnectés. Dans un avenir proche, on ne pourra résoudre certaines contradictions, mais les effets négatifs peuvent être minimisés à court terme et la population informée des dangers. Des mesures appropriées peuvent être mises en œuvre sans grands investissements de ressources ou d’argent. Les mesures prises par les structures de l’autoadministration démocratique pour faire face aux problèmes écologiques visent la protection des écosystèmes existants, le reboisement et le renforcement de la conscience écologique. Il s’agit de premiers pas, mais ils sont loin d’être suffisants. Nous avons présenté certaines des mesures qui pourraient rapprocher les communes du Rojava de l’autonomie démocratique de façon écologique et décentralisée. Sortir de l’impasse de la catastrophe écologique provoquée par la modernité capitaliste demande beaucoup d’efforts et de courage pour trouver de nouvelles approches. Le processus a été enclenché, mais la nécessité d’une révolution socioécologique implique qu’il reste encore beaucoup à faire. 103
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a campagne « Make Rojava Green Again » (« Faisons reverdir le Rojava ») est une campagne lancée au début de l’année 2018 par la Commune internationaliste du Rojava, en coopération avec le Comité des réserves naturelles (de la Commission de l’économie) ainsi qu’avec le Comité de l’écologie (de la Commission des municipalités et de l’écologie de l’auto-administration démocratique du Rojava) dans le but de soutenir et de développer la société écologique dans le nord de la Syrie. La campagne se divise en trois volets : éducation, travaux pratiques et organisation de la solidarité mondiale. Éducation Le développement d’une conscience écologique et démocratique est la base d’une compréhension de l’équilibre entre l’humanité et la nature. Il ne s’agit pas seulement de connaissances scientifiques et d’une compréhension rationnelle. Afin de surmonter l’aliénation des hommes visà-vis de la nature et donc vis-à-vis d’eux-mêmes, l’humanité doit retourner à la nature, l’expérimenter et l’apprécier pour 105
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pouvoir la protéger. C’est pour cette raison que le travail éducatif / théorique à tous les niveaux de la société ainsi que les expériences concrètes dans et avec la nature seront des éléments essentiels de la construction de la société écologique. L’éducation pour les internationalistes L’Académie internationaliste, qui est en construction depuis l’été 2017, sera le centre de notre travail éducatif. Grâce à l’Académie, les internationalistes pourront être formé.e.s selon les principes de la démocratie radicale, de la libération des femmes et de l’écologie, et préparé.e.s au travail dans la société du Rojava par des formations linguistiques et culturelles intensives. Différents événements y seront organisés, notamment des conférences ainsi que des séminaires et des discussions sur la nécessité d’une société écologique, sur les formes qu’elle pourrait prendre et sur les mesures nécessaires pour y parvenir. En complément de la formation théorique à l’Académie, tou.te.s les internationalistes auront l’occasion de développer un véritable lien avec la nature à travers leur participation active dans la coopérative d’arbres affiliée à l’Académie et dans les projets de reboisement que nous soutenons. Le travail de la terre, la manipulation et le soin des plantes et des animaux dans l’Académie et la pépinière leur permettra d’expérimenter les possibilités et la beauté d’une vie en harmonie avec la nature. Avec l’aide des internationalistes, nous voulons développer une mentalité soucieuse de l’environnement, une compréhension et une connaissance pratique de la vie écologique, tant entre nous qu’à travers les structures politiques du Rojava et de sa société. 106
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L’Académie, qui est encore en cours de construction, de même que la vie et le travail en son sein, suivent des principes écologiques : comment utiliser au mieux l’eau, le sol, l’air, l’énergie et les déchets ne sont pas seulement discuté dans des discussions théoriques, mais sont aussi mis en pratique de manière concrète. Ce faisant, nous voulons minimiser notre empreinte écologique et devenir un exemple pour des projets similaires pour un Rojava plus écologique. L’éducation dans la société Les internationalistes travailleront avec les structures locales pour organiser des cours qui favoriseront le développement de la conscience écologique et des connaissances dans ce domaine. Ceux-ci auront lieu dans les écoles, les centres de jeunes, les municipalités, les communes et d’autres institutions. Cette partie du programme comprendra également des travaux en dehors de la classe. Des excursions dans la réserve naturelle d’Hayaka, la participation aux travaux de plantation et la création de jardins/potagers dans les écoles rendront les gens plus conscients de l’importance vitale de la nature et de sa protection. Reboisement des terrains de l’Académie Le reboisement des terrains de l’Académie devrait avoir débuté à l’automne 2018. 2 000 arbres seront plantés sur les 7 200 mètres carrés à l’ouest, au nord et à l’est de l’Académie, principalement des pins et des arbres fruitiers tels que pommiers, pistachiers, grenadiers, cerisiers, poiriers, figuiers et abricotiers. Ceux-ci seront irrigués et fertilisés 107
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Sélection de graines dans une pépinière à Qamishlo.
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avec les eaux grises et les engrais organiques produits dans l’Académie. Au cours des prochaines années, des oliviers, des vignes et des chênes seront plantés sur une superficie de 12 500 mètres carrés sur le versant rocheux au sud de l’Académie, créant ainsi une forêt qui protègera l’environnement et fournira un refuge sûr pour la faune et la flore locales. Gestion des déchets et recyclage La gestion des déchets à l’Académie est basée sur le tri. Les déchets organiques (tels que les restes de nourriture et de papier) sont immédiatement séparés des déchets non organiques (plastique, métal...). Trier les déchets dès le début permet d’éviter la tâche longue et désagréable de devoir les séparer plus tard. Les déchets non organiques sont ensuite subdivisés par type. Au lieu de polluer l’eau, l’air et le sol en brûlant ou en enterrant les déchets non organiques, ceux-ci sont triés et stockés. Le premier tri s’effectue entre les déchets qui présentent un risque direct pour l’eau et le sol, tels que les piles ou les déchets électroniques, et les plastiques ou métaux non dangereux. Les déchets à risque sont entreposés à l’écart des endroits où ils pourraient contaminer les sources d’eau. Les déchets non organiques non dangereux sont nettoyés pour des raisons d’hygiène puis stockés. Il est prévu de recycler les déchets plastiques et métalliques, soit sur le site même de l’Académie, soit dans le cadre de projets communs avec les structures de l’auto-administration démocratique. 110
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Les déchets organiques produits par l’Académie sont transformés en engrais afin d’être réutilisés. Cela permet d’éviter les problèmes d’hygiène liés à l’élimination de ces déchets dans les décharges tout en réduisant les coûts liés à l’achat d’engrais chimiques. Les restes de nourriture, le papier et le carton sont ramassés et compostés. Après quelques mois, le compost se transforme en humus riche en nutriments qui peut être utilisé pour fertiliser les arbres et les légumes sur le terrain de l’Académie. L’Académie devrait produire une dizaine de tonnes de déchets organiques chaque année, l’équivalent d’environ une tonne d’humus. Les eaux grises de nos lavabos et de nos douches seront également utilisées pour l’irrigation et les engrais tandis que le système de toilettes sèches réduira la quantité d’eaux noires produites, ce qui permettra l’utilisation écologique de ces déchets sous forme d’engrais. Gestion de l’eau L’eau potable provient d’un puits creusé dans le parc de l’Académie. Les eaux usées peuvent être divisées en deux catégories : les eaux grises, c’est-à-dire l’eau des douches, de la cuisine, etc. et les eaux noires issues des toilettes. La majeure partie des eaux grises est recueillie et utilisée à la fois pour l’irrigation et la fertilisation. Cette méthode permet de prévenir la pollution et d’économiser l’eau et les engrais. Les eaux grises sont d’abord envoyées dans un réservoir où les sédiments et la graisse sont filtrés. De là, l’eau s’écoule vers un autre réservoir, où elle est stockée, prête à l’emploi. L’eau grise est ensuite utilisée, principalement pour arroser les arbres. 111
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Première plantation de vignes dans le jardin de l’Académie internationaliste.
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Ce système économise environ 2 500 litres d’eau par jour. Les eaux noires produites sont stockées dans un réservoir séparé. Les recherches sur la mise en œuvre technique et l’utilisation des eaux noires comme engrais à l’Académie sont actuellement en cours. Projets pratiques Bien que le transfert de connaissances et la sensibilisation à l’écologie constitueront certainement l’une des tâches les plus stratégiques dans le processus de construction de la société écologique, ces activités éducatives doivent être accompagnées de mesures concrètes. L’un des plus grands problèmes au Rojava est le manque de forêts, ce qui entraîne une baisse de la qualité de l’air, amplifie l’érosion, la pénurie d’eau et la désertification et a un impact négatif sur le bien-être économique et psychologique de la population. Le reboisement représente une solution à de nombreux problèmes urgents. Il réduit l’érosion du sol par le vent et l’eau et préserve la fertilité des terres agricoles environnantes. Dans des zones telles que la réserve naturelle d’Hayaka, le reboisement sert également à protéger les bassins versants et à restaurer la biodiversité. Si des activités économiques peuvent être créées grâce à la production de bois ou à l’agrosylviculture, l’objectif à long terme reste la réduction massive de CO2 afin de limiter l’effet de serre. Pour rendre tout cela possible, beaucoup de travail est nécessaire au Rojava. La perte de connaissances, le manque de sensibilisation et les défis économiques demandent des solutions systématiques et pratiques. 114
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La coopérative arboricole Un élément essentiel de la stratégie écologique de l’autoadministration démocratique du Rojava est le développement de pépinières. La plupart des pépinières qui existent dans le nord de la Syrie sont des entreprises privées. Il est donc difficile de planter des arbres à bas prix. Pour aider à résoudre ce problème, nous avons commencé la construction d’une pépinière sur le terrain de l’Académie internationaliste. En 2018, plus de 50 000 pousses seront plantées et cultivées sur une superficie de 5 000 mètres carrés. L’accent sera mis sur les arbres fruitiers en privilégiant les plantes bien adaptées aux conditions arides, comme l’olivier et le chêne. La pépinière fournira la Réserve naturelle d’Hayaka et les structures politiques locales (communautés, coopératives, institutions et municipalités) en arbres et en plantes, tout en fonctionnant comme un lieu de recherche pratique. Grâce à des interventions ciblées et à l’utilisation de méthodes et de technologies alternatives dans les domaines de l’utilisation de l’eau, de la fertilisation et du recyclage, nous contribuerons au reboisement du Rojava. La pépinière sera organisée comme une coopérative à but non lucratif et le travail qui s’y déroulera fera partie de la formation dispensée au sein de l’Académie internationaliste. Tou.te.s les internationalistes participeront activement au projet de reboisement. Cela nous permettra de produire des arbres à un prix abordable. Notre objectif est de fournir des arbres à environ la moitié du prix demandé par les pépinières 115
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Semis de graines de courgette dans la serre.
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à but lucratif. Le surplus de la coopérative forestière, après déduction de tous les coûts (transport, technologie, construction, outils et matériel de travail), sera investi dans l’agrandissement de la pépinière (25 %), dans les travaux de l’Académie internationaliste (25 %) et dans le reboisement de la Réserve naturelle d’Hayaka (50 %). La réserve naturelle d’Hayaka La réserve naturelle d’Hayaka est située à quelques kilomètres à l’ouest de la ville de Dêrîk, dans le canton de Cizirê. Elle porte le nom du village voisin et se compose principalement d’une forêt de peupliers de plus de 200 hectares et du réservoir du lac Sefan, créé dans les années 1990 par le barrage de 31 cours d’eau. De nombreuses espèces animales et végétales déplacées par la déforestation et la monoculture ont trouvé refuge dans cette réserve naturelle. Malgré la destruction de leur habitat et la chasse, les loups, les renards, les cochons sauvages, de nombreuses espèces d’oiseaux et d’autres petits animaux ont pu survivre dans les zones forestières autour du lac. Pour préserver cette biodiversité naturelle et certaines des dernières forêts de la région, l’auto-administration démocratique a déclaré la zone réserve naturelle en 2014. La chasse, la pêche, la construction de bâtiments et l’agriculture y sont interdites. Parallèlement, le reboisement des berges du lac a commencé, avec un projet à long terme de plantation de plus de 100 000 arbres autour du lac, sur une distance de 14 kilomètres. De plus, le comité responsable travaille à développer l’apiculture dans la réserve et à rendre accessible à la recherche médicale les différentes variétés de plantes qui s’y trouvent. 118
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La préservation, l’expansion et le reboisement continu de la réserve naturelle d’Hayaka font partie intégrante de la campagne. Tant par la participation active des internationalistes dans la réserve naturelle que par le soutien financier au reboisement, nous voulons développer une perspective écologique pour la région qui prend en compte la population locale et ses besoins économiques. Organisation de la solidarité mondiale Le troisième grand volet de la campagne « Make Rojava Green Again » (« Faisons reverdir le Rojava ») sera l’organisation de la solidarité mondiale. Par le biais de notre campagne et de nos activités de sensibilisation, nous voulons établir un pont entre les entités communales locales de l’auto-administration démocratique ainsi que les projets écologiques dans le nord de la Syrie et les activistes, expert.e.s, universitaires, institutions et organisations du monde entier que notre projet pourrait intéresser. Bien sûr, l’un des meilleurs moyens de promouvoir ce travail écologique est de s’impliquer directement au Rojava. Mais cette possibilité n’est pas donnée à tout le monde - venir jusqu’ici est difficile en raison de la situation politique dans les pays voisins, et les points d’accès sont parfois complètement fermés. C’est pourquoi il est nécessaire de prévoir un séjour de plusieurs mois dans le nord de la Syrie. Néanmoins, il existe de nombreuses manières d’aider - que ce soit au Rojava même ou de l’extérieur, la solidarité et la lutte pour la société écologique ne connaissent pas de frontières.
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Nature aux environs de l’Académie internationaliste.
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Soutien financier de la campagne Bien qu’un grand nombre des projets écologiques au Rojava et du travail des internationalistes dans la coopérative forestière et la Réserve naturelle d’Hayaka sont menés sur la base du volontariat et sans rémunération, nous dépendons, comme les autres structures locales, de dons financiers. Les équipement technologiques, les machines, les outils, les matériaux, le transport, ainsi que le recours à des ouvrier. ère.s spécialisé.e.s pour certains travaux spécifiques, coûtent de l’argent. Si vous souhaitez renforcer et préserver à long terme la campagne et d’autres projets écologiques dans le nord de la Syrie, vous pouvez contribuer à la construction de la société écologique par un soutien financier. Les dons mensuels réguliers nous aident à mieux planifier nos projets et sont très appréciés. Tous les dons seront utilisés pour la construction, le maintien et le développement de projets écologiques au Rojava, en commençant par la coopérative forestière et le soutien à la réserve naturelle d’Hayaka. Dans le nord de la Syrie, nous avons un grand besoin de personnes, expert.e.s ou scientifiques, qui pourraient nous aider à promouvoir l’écologie et partager leurs connaissances dans ce domaine. Qu’il s’agisse d’échanges par vidéo, de la formation de spécialistes au Rojava ou à l’étranger, ou d’une participation directe à des projets dans le nord de la Syrie, il existe bien des moyens de soutenir notre campagne. Le monde peut apprendre du Rojava à bien des égards, mais le Rojava a aussi beaucoup à apprendre du monde. C’est pourquoi nous recherchons des militant.e.s intéressé.e.s et prêt.e.s à 122
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s’engager, des expert.e.s, des personnes avec des compétences techniques et scientifiques qui auraient des idées pour planifier et mettre en œuvre des projets écologiques dans le nord de la Syrie et pour développer un Rojava plus écologique. Nous recherchons particulièrement des personnes possédant des compétences et de l’expérience dans les domaines suivants : • • • • •
Sylviculture et agriculture durables en régions semi-arides Utilisation et assainissement de l’eau Durabilité écologique et énergies renouvelables Ingénierie mécanique et électrique Physique, chimie et biologie (en particulier dans le domaine de la botanique)
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CONCLUSION
l n’y a pas grand-chose que nous souhaitons ajouter à la fin de cet ouvrage. Nos discussions et nos travaux ne font que commencer et nous ne sommes pas encore en mesure d’en dire davantage sur nos réussites et nos réalisations.
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Cependant, nous espérons pouvoir contribuer à la recherche de solutions pour sortir de la crise écologique à laquelle nous sommes tou.te.s confronté.e.s. Face à cette crise, tant de choses semblent perdues d’avance et irrévocables. Mais nous croyons en la force créatrice, en la compréhension de la justice et en la volonté de changement de chacun dans le but d’améliorer la vie sur Terre. L’un des objectifs les plus importants de ce livre est d’exprimer cette confiance. Planter des arbres symbolise pour nous cette volonté de contribuer à la construction d’une société écologique, une contribution dont les résultats ne seront pas visibles dans un an ou deux, mais qui ira bien au-delà de la vie de chaque individu. Ce sera notre don aux générations futures. Ce livre est une invitation à participer à notre travail – à collaborer à la construction d’une société écologique au Rojava tout en donnant vie à la solidarité internationale.
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APPENDICE Les 7 principes coopératifs
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es valeurs fondamentales des coopératives sont la prise en charge et la responsabilité personnelles et mutuelles, la démocratie, l’égalité, l’équité et la solidarité. Fidèles à l’esprit de leurs fondateurs, les membres des coopératives adhèrent à une éthique fondée sur l’honnêteté, la transparence, la responsabilité sociale et l’altruisme. Toutes les coopératives sont guidées par sept principes coopératifs. Ceux-ci sont parfois connus sous le nom des principes de Rochdale d’après le nom donné aux premiers partisans du mouvement coopératif, les Pionniers de Rochdale (1844). L’Alliance coopérative internationale (ACI) est une organisation non gouvernementale autonome fondée en 1895 pour réunir, représenter et servir les coopératives du monde entier. En 1995, l’ACI a mis à jour les principes coopératifs et les principes suivis par les coopératives du monde entier sont aujourd’hui les suivants : 1. Adhésion volontaire et ouverte à tous Les coopératives sont des organisations fondées sur le volontariat et ouvertes à toutes les personnes aptes à utiliser 127
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leurs services et déterminées à prendre leurs responsabilités en tant que membres, et ce sans discrimination fondée sur le sexe, l’origine sociale, la race, l’allégeance politique ou la religion. 2. Pouvoir démocratique exercé par les membres Les coopératives sont des organisations démocratiques dirigées par leurs membres qui participent activement à l’établissement des politiques et à la prise de décisions. Les hommes et les femmes élus comme représentants des membres sont responsables devant eux. Dans les coopératives de premier niveau, les membres ont des droits de vote égaux en vertu de la règle (un membre, une voix) ; les coopératives d’autres niveaux sont aussi organisées de manière démocratique. 3. Participation économique des membres Les membres contribuent de manière équitable au capital de leurs coopératives et en ont le contrôle. Une partie au moins de ce capital est habituellement la propriété commune de la coopérative. Les membres ne bénéficient habituellement que d’une rémunération limitée du capital souscrit comme condition de leur adhésion. Les membres affectent les excédents à tout ou partie des objectifs suivants : le développement de leur coopérative, éventuellement par la dotation de réserves dont une partie au moins est impartageable, des ristournes aux membres en proportion de leurs transactions avec la coopérative et le soutien d’autres activités approuvées par les membres. 128
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4. Autonomie et indépendance Les coopératives sont des organisations autonomes d’entraide, gérées par leurs membres. La conclusion d’accords avec d’autres organisations, y compris des gouvernements, ou la recherche de fonds à partir de sources extérieures, doit se faire dans des conditions qui préservent le pouvoir démocratique des membres et maintiennent l’indépendance de leur coopérative. 5. Éducation, formation et information Les coopératives fournissent à leurs membres, leurs dirigeants élus, leurs gestionnaires et leurs employés, l’éducation et la formation requises pour pouvoir contribuer effectivement au développement de leur coopérative. Elles informent le grand public, en particulier les jeunes et les dirigeants d’opinion, sur la nature et les avantages de la coopération. 6. Coopération entre les coopératives Pour apporter un meilleur service à leurs membres et renforcer le mouvement coopératif, les coopératives œuvrent ensemble au sein de structures locales, nationales, régionales et internationales. 7. Engagement envers la communauté Les coopératives contribuent au développement durable de leur communauté dans le cadre d’orientations approuvées par leurs membres.
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BIBLIOGRAPHIE
LIVRES EN FRANÇAIS Pierre Bance, Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, Paris, Éditions Noir et Rouge, 2017. Janet Biehl, Écologie ou catastrophe, la vie de Murray Bookchin, Coaraze, Éditions l’Amourier, 2018. Murray Bookchin, Une société à refaire. Vers une écologie de la liberté, Montréal, Écosociété, 2011. Murray Bookchin, Pour un municipalisme libertaire, Lyon, Atelier de création libertaire, 2018. Murray Bookchin, Notre environnement synthétique. La naissance de l’écologie politique, Lyon, Atelier de création libertaire, 2017. Murray Bookchin, Qu’est-ce que l’écologie sociale ?, Lyon,
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Atelier de création libertaire, 2012. Collectif, Kurdistan, autogestion, révolution, Paris, Éditions Alternative libertaire, 2018. Syilvia Federici, Caliban et la sorcière, Genève, Entremonde, 2017. Vincent Gerber, Murray Bookchin et l’écologie sociale. Une biographie intellectuelle, Montréal, Écosociété, 2013. Olivier Grojean, la Révolution kurde. Le PKK et la fabrique d’une utopie, Paris, Éditions La Découverte, 2017. LIVRES EN AUTRES LANGUES Abdullah Öcalan, Beyond State, Power and Violence. ANF News, “Efrîn Canton Ministry of Agriculture launches first project” ANF News: “Rapid efforts for agricultural sector in al-Tabqa’s.” ANF News, “Al-Tabqa: Massive forestation campaign to be launched by 2018.” ANF News, “Li Cizîrê projeya parzgeha xwezayî.” Anja Flach, Ercan Ayboga, Michael Knapp, Revolution in Rojava. Executive Summary (UNEP – WHO), “Guidelines for the Safe Use of Excreta and Wastewater in Agriculture and Aquaculture.” 132
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CONTACTS ET DONS
Make Rojava Green Again contact@makerojavagreenagain.org www.makerojavagreenagain.org facebook.com/GreenRojava twitter.com/GreenRojava la Commune Internationaliste contact@internationalistcommune.com www.internationalistcommune.com facebook.com/CommuneInt twitter.com/CommuneInt Pour faire un don : Beneficiary: Xarxa Autogestiรณ Social SCCL IBAN: ES43 1491 0001 2420 8685 5729 BIC/SWIFT: TRIOESMMXXX Bank: Triodos Bank (Espagne) Reference: deposit P3NIA
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BP 1186, F-69202 Lyon cedex 01 site Internet : www.atelierdecreationlibertaire.com www.witter.com/ACLibertaire www.facebook.com/ACLibertaire courriel : contact@atelierdecreationlibertaire.com téléphone : +33(0)7 68 93 49 90 L’Atelier de création libertaire publie tous les mois une lettre électronique. Pour s’abonner et aussi pour consulter le catalogue en ligne et passer vos commandes : www.atelierdecreationlibertaire.com Nous avons accepté avec plaisir de soutenir cette campagne en diffusant ce livre. Depuis longtemps déjà nous publions des ouvrages sur l’écologie sociale et libertaire en général, et sur la pensée de Murray Bookchin en particulier.
Nous, la Commune Internationaliste du Rojava, avons lancé la campagne écologique MAKE ROJAVA GREEN AGAIN au début de l’année 2018, en coopération avec le comité pour l’écologie du canton de Cizîrê. Avec cette campagne nous voulons organiser, d’une part, la solidarité internationale, afin de soutenir les travaux écologiques dans le Nord de la Syrie et, d’autre part, relier les différentes luttes en cours dans le monde en diffusant les idées de la révolution. Ce livre est le résultat des recherches et des discussions que nous avons eues avant de lancer la campagne. Il s’agit d’une introduction à nos fondements idéologiques ainsi qu’aux défis et problématiques écologiques du Nord de la Syrie. C’est ainsi que nous offrons, dans le cadre de la campagne MAKE ROJAVA GREEN AGAIN, nos propositions sur ces deux aspects.
9782351041284
8,00 euros