ARCHITECTURE ET COMPLEXITÉ Dialogue entre théories et pratiques.
DOUNIA FERT - MÉMOIRE DE MASTER 2 ENSAPVS : session 2016 - Tutrice : Emmanuelle Sarrazin
Dounia Fert MĂŠmoire de Master 2 - session 2016
SOMMAIRE
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AVANT-PROPOS
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INTRODUCTION
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1. RELIANCES
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LA DIALOGIQUE SUJET/OBJET, IMPLICATION DANS UN CONTEXTE
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TRANSDISCIPLINARITÉ, LA RENAISSANCE DU COLLECTIF
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LA CONJECTURE DE VON FOERSTER, ODE À LA PARTICIPATION
2. COMPLEXIFICATIONS 30
PRINCIPES D’AUTO-ORGANISATION, ENJEU DU TIERS ESPACE
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L’ÉCOLOGIE DE L’ACTION, DE L’INCRÉMENTALISME EN ARCHITECTURE
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PRINCIPE HOLOGRAMMATIQUE ET ACUPUNCTURE URBAINE
SYNTHÈSE 44
QU’AVONS-NOUS APPRIS ?
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UN TRAVAIL INCRÉMENTAL ?
BIBLIOGRAPHIE 50
BIBLIOGRAPHIE
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REMERCIEMENTS
Je tiens tout d’abord à remercier mon père, Jean-Marc, qui m’a transmis son intérêt débordant pour observer la complexité à l’oeuvre dans les choses du monde et qui m’a écouté pendant des heures tourner et retourner mes idées dans tous les sens. Merci à ma mère, Samia, pour sa patience et ses remarques pointilleuses et pragmatiques qui m’ont permis de ne pas me perdre en chemin. Pour m’avoir soutenue et appuyée au long de ce travail, en me donnant une chance d’aller jusqu’au bout de mes idées, merci à ma tutrice Emmanuelle Sarrazin. Je remercie aussi Alain Farel pour les entrevues passionnantes qu’il m’a accordées et la pertinence de ses remarques qui m’ont beaucoup appris. Pour les relectures actives et passionnées, je tiens à remercier Albane, en attendant avec impatience la suite des Albane Editions. Merci aussi à Isabelle et Marc aussi pour leur soutien, leur écoute et leurs idées.
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AVANT-PROPOS Ce mémoire est le fruit de nombreuses inter-fécondations d’idées. L’une d’elles part d’un intérêt philosophique pour la pensée complexe, que mon père m’a transmis notamment lors de la sortie de son livre : Apprendre à penser complexe1 puis par la lecture de plusieurs travaux d’Edgar Morin tels que Terre-Patrie2 ou encore son Introduction à la pensée complexe.3 Une autre idée trouve sa source dans mon évolution scolaire et mon intérêt grandissant pour les ‘‘architectures alternatives’’. Celui-ci part tout d’abord de ma grande préoccupation environnementale pour se développer par la suite lors de mes expériences professionnelles et extraprofessionnelles. Les huit mois passés dans le Studio ARCò - Architecture & Coopération4 m’ont ouvert les portes vers un type d’architecture que je redécouvrirai plus tard notamment dans les conférences et expositions du Global Awards of Sustainable Architecture.5 Mon échange universitaire au Mexique m’a permis de participer à de nombreux chantiers communautaires dans lesquels nous avons travaillé sur des techniques vernaculaires. Observer le rapport au monde des habitants autochtones a changé radicalement ma manière de faire un projet et ma vision de l’architecture. C’est le dynamisme de ces approches qui m’a animé lors de ma rencontre avec le livre de mon professeur Alain Farel, qui fait le lien entre Architecture et Complexité.6 Ces deux champs disciplinaires que je n’avais pas encore pensé comme reliés sont désormais unis, et ces liens vont ainsi germer pour venir se disséminer dans mes pensées. Lorsque je lis les livres de Lucien Kroll7, vais à une conférence de Thierry Paquot8, ou visite un projet de Patrick Bouchain9, j’y vois toute cette complexité intégrée, digérée, à l’oeuvre, et je me dis que je veux, moi aussi, contribuer à faire perdurer ce lien, non pas comme une évidence, mais comme un principe, entre la pensée complexe et l’architecture de demain, qui - je l’espère - ne sera plus seulement un courant ‘‘alternatif’’. L’objet de ce mémoire est l’amorce d’une mise en pratique de cette recherche.
1. Jean-Marc Fert Apprendre à penser complexe 2012 2. Edgar Morin Terre-Patrie 1993 3. Edgar Morin Introduction à la pensée complexe 1990 4. ARCò Architettura & Cooperazione Milan - Italie 5. Le Global Award a été créé en 2006 par Jana Revedin avec la Cité de l’architecture & du patrimoine et les membres du comité scientifique international 6. Alain Farel Architecture et Complexité 1991 7. Lucien Kroll Tout est paysage « Sans pensée complexe, rien n’est simple » 2001 8. Thierry Paquot philosophe de l’urbain, participe depuis plus de trente ans aux débats sur la ville, l’architecture et l’urbanisation 9. Patrick Bouchain Constructeur, scénographe, conseiller auprès de Jack Lang, notamment fondateur de l’agence Construire et NAC.
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INTRODUCTION
10. Définition : ‘‘Rationalisme’’ Dictionnaire LAROUSSE 11. René Descartes (1596-1650) 12. René Descartes Discours de la méthode 1637 13. Ch.de Lauwe Des Hommes et des villes 1970 - p.8 14. M-H. Contal Ré-enchanter le monde 2014 - p.9
En premier lieu, il me paraît important de reprendre certaines définitions et notions clés afin de mieux pouvoir replacer le sujet choisi dans son contexte. Voici donc quelques rappels philosophiques sur le rationalisme et la pensée complexe : Rationalisme n.m.10 Du latin rationalis > ratio > ratus > reor (calculer) • Doctrine selon laquelle rien de ce qui existe ne trouve une explication qui soit étrangère à ce que la raison humaine peut accepter. • Système philosophique selon lequel les phénomènes de l’Univers relèvent d’une causalité compréhensible et de lois stables. • Disposition d’esprit qui n’accorde de valeur qu’à la raison, au raisonnement. • Tendance architecturale française privilégiant la structure et la fonction sur le traitement formel et décoratif. On parle plus précisément de rationalisme moderne, ou rationalisme cartésien pour faire référence à la philosophie de son fondateur René Descartes11. Ce dernier part du “bon sens” et de l’utilisation de la raison pour distinguer le vrai du faux à travers une méthode permettant d’atteindre la vérité12. Cette révolution de la pensée fit basculer le monde dans un nouveau paradigme qui est aujourd’hui encore dominant. Adolf Loos (1870-1933), Auguste Perret (1874-1954), Walter Gropius (1883-1969), Ludwig Mies van der Rohe (1886-1969), Le Corbusier (1887-1965), sont autant de protagonistes du mouvement moderne qui influenceront l’architecture mondiale Des Hommes et des villes jusqu’à aujourd’hui : « Par le développement de la pensée rationnelle, les découvertes scientifiques, le progrès technique, la ville a été créatrice de libertés. Des valeurs nouvelles s’y sont développées. Une civilisation urbaine y est née. Une conception de l’existence différente de celle de la vie rurale y est apparue. Elle a apporté des transformations radicales dans de multiples domaines, tels que : l’efficacité dans la production, l’augmentation de l’espérance de vie, l’élévation du niveau d’instruction, l’organisation politique et le suffrage universel, etc. »13 Le bilan est aujourd’hui bien différent : crise sociale, économique, politique et environnementale ; ce même modèle rationaliste exporté sur tous les continents, prônant une économie de la consommation, un même mode de pensée, une même architecture, nuit désormais à cette ville dont il avait auparavant été le catalyseur. « C’est pour cela qu’on reconnaît si bien, partout, les architectures de la Modernité et du ‘‘style international’’. »14
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Ce mode de pensée, qui sépare plutôt que de relier, qui choisit l’individu plutôt que les relations entre individus, qui cherche à simplifier et à trouver des lois absolues et éternelles plutôt qu’à complexifier, rend malade peu à peu la société d’aujourd’hui. Edgar Morin exprime clairement ces limites dans son Introduction à la pensée complexe : « Nous vivons sous l’empire des principes de disjonction, de réduction et d’abstraction dont l’ensemble constitue ce que j’appelle le “paradigme de simplification”.»15 Ce que nous cherchons à souligner à travers cette description brève du rationalisme est le paradoxe qui s’en dégage : ce même rationalisme proposant une approche analytique des choses nous a offert un certain nombre de réponses, mais il porte en lui une dimension contre-productive pour notre société, lorsqu’il est instrumentalisé et utilisé sans modération et ajustements. ‘‘Toujours plus de la même chose’’ aboutit à ce que les cybernéticiens16 appellent une ‘‘rétroaction positive dommageable’’ : sans régulation, le système croît exponentiellement et les solutions d’hier deviennent les problèmes d’aujourd’hui.
15. Edgar Morin Introduction à la pensée complexe réed.2014 - p.18 16. Spécialistes qui étudient les processus de communication chez les êtres vivants, dans les machines, et les systèmes sociologiques et économiques. 17. Edgar Morin Ibid. - p.21 18. Edgar Morin Ibid. - p.14
Il semble alors nécessaire de faire évoluer une pensée valable hier pour qu’elle puisse se montrer utile pour aujourd’hui et pour demain. Et c’est en cela que sont fondamentales les théories de la complexité, car elles proposent une métamorphose de la pensée permettant d’éclaircir notre regard sur de nombreuses questions et nous offrent la possibilité d’envisager de réelles solutions aux problèmes présents et futurs. Complexité n.f.17 Du latin complexus (entrelacé) • « Au premier abord, la complexité est un tissu (complexus) de constituants hétérogènes inséparablement associés : elle pose le paradoxe de l’un et du multiple. » • « Au second abord, la complexité est effectivement le tissu d’événements, actions, interactions, rétroactions, déterminations, aléas, qui constituent notre monde phénoménal. » • « Enfin il est apparu que la vie est, non pas une substance, mais un phénomène d’auto-éco-organisation extraordinairement complexe qui produit de l’autonomie. » • « Dès lors, il est évident que les phénomènes anthropo-sociaux ne sauraient obéir à des principes d’intelligibilité moins complexes que ceux désormais requis pour les phénomènes naturels. » En proposant une autre vision du monde, la pensée complexe ouvre une porte de sortie du « Paradigme de simplification » dénoncé plus haut. Il ne s’agit pourtant pas d’un retour en arrière car la complexité n’est pas en rupture avec le passé. Il s’agit d’effectuer un dégagement de l’ancien par un recouvrement adaptatif et innovant permettant d’aller au-delà. « La première [illusion] est de croire que la complexité conduit à l’élimination de la simplicité. La complexité apparaît certes là où la pensée simplifiante défaille, mais elle intègre en elle tout ce qui met de l’ordre, de la clarté, de la distinction, de la précision dans la connaissance. »18
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19. 5e rapport du GIEC - 2014 20. Rapport mondial sur les sciences sociales de l’UNESCO - 2013 21. Paul Josef Crutzen Prix Nobel de chimie 1995 22. Études des systèmes complexes
Les changements environnementaux qui ont lieu depuis la révolution industrielle tels que le réchauffement climatique, la disparition de milliers d’espèces animales et végétales, la fonte des glaces, ainsi que l’augmentation des catastrophes naturelles19, pour ne citer que quelques exemples, sont étroitement liés à l’activité humaine et à ses crises sociales, politiques et économiques.20 Nous sommes désormais entrés dans l’ère géologique de l’Anthropocène.21 Ce sont aujourd’hui des richesses mondiales aussi bien naturelles que culturelles qui sont en train de disparaître. Le modèle sur lequel s’est fondée la société moderne au cours du XXe siècle est désormais remis en question. De nombreux praticiens dénoncent les limites d’un rationalisme instrumental et d’un mode de pensée qui sépare, simplifie et abstrait, et qui, appliqué dans diverses strates du modèle social, économique et politique, a généré de nombreux problèmes. Ils proposent une manière nouvelle de s’ouvrir au monde, qui prendrait en compte les liens autant que les éléments, la complexité autant que la simplicité et le milieu contextuel des choses, autant que les abstractions, utiles parfois pour comprendre des phénomènes. Ces théories naissent tout d’abord dans l’étude scientifique des systèmes (systémique-cybernétique22) puis sont traduites peu à peu dans les sphères de la philosophie et des sciences humaines sous le nom de pensée complexe. À travers l’étude de la complexité, ce mémoire vise à contribuer à l’émergence de certains fondements théoriques liés à une éthique dans la pratique architecturale. Cette étude cherchera à apporter un nouveau regard sur des actions menées par de nombreux architectes d’hier et d’aujourd’hui qui tentent de répondre d’une manière nouvelle aux enjeux soulevés précédemment. En effet, au moment même où se développe une certaine modernité, naissent des mouvements alternatifs qui la ‘‘dénoncent’’ et cherchent à la contrebalancer. Mais plus le modèle arrive à ses limites, plus les mouvements alternatifs et les solutions qu’ils proposent prennent de l’ampleur. Ainsi, l’architecture n’est pas épargnée : Si de nombreux architectes et théoriciens dénonçaient déjà au début du siècle dernier certaines pratiques architecturales, tels que Yona Friedman (1923-), Giancarlo di Carlo (1919-2005) ou encore Hassan Fathy (1900-1989) pour ne citer que les plus connus, nous assistons aujourd’hui à une réelle émergence sur la scène internationale de ces architectes proposant une manière différente de concevoir l’architecture.
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La création du Global award of Sustainable Architecture en 2006 en est un exemple marquant. De nombreux praticiens se rassemblent autour de l’écriture de manifestes23 ou d’évènements temporaires24 qui cherchent à proposer des solutions nouvelles aux problèmes soulevés. De nombreuses expositions voient le jour comme par exemple Réenchanter le monde25 à la Cité de l’Architecture de Paris, et des cycles de conférences26 nous invitent à revisiter de nouveau notre manière de concevoir l’architecture, en ville comme à la campagne, dans les pays industrialisés comme dans les pays du TiersMonde. Les problématiques de bien commun, de ville partagée, de nature en ville, de participation, d’architecture vernaculaire, de développement durable, sont autant de thèmes remis sur le devant de la scène en questionnant de nouveau l’éthique du projet architectural. Nous pouvons alors nous demander si les principes de la pensée complexe ne pourraient pas constituer un fondement théorique plus général permettant d’éclairer d’une lumière nouvelle toutes ces pratiques alternatives qui se réunissent déjà autour d’une éthique comparable. Dans son ouvrage Architecture et Complexité27, Alain Farel met en lumière l’émergence en architecture du paradigme de la pensée complexe. Il y propose une nouvelle lecture de différents projets architecturaux du siècle dernier, non sans avoir montré au préalable de nombreuses relations de la pensée cartésienne et de la méthode rationaliste avec le mouvement moderne. Nous supposerons donc qu’il existe une continuité possible aux travaux d’Alain Farel et tenterons de mettre en lumière de nouveaux liens entre des théories de la pensée complexe et des principes architecturaux répondant à une certaine éthique, souvent développée dans les ‘‘Alternatives ambiantes’’28. Les thèmes choisis ainsi que les projets ne se veulent pas restrictifs.
23. tels que : AlterArchitectures Manifesto 2012 24. tels que : Made in Vitrolles Projet culturel pour des développements urbains - 2013 25. Ré-enchanter le monde, Architecture, ville, transitions Cité de l’architecture et du patrimoine - 2014 26. Par exemples les conférences de l’Agrocité de Colombes 27. Alain Farel Architecture et Complexité 1991 28. Gilles Clément L’alternative Ambiante 2014
Pour pouvoir prendre en compte une certaine complexité, il faut d’abord pouvoir lui donner un sens, la comprendre. C’est ce que nous tenterons de proposer à travers la distinction dans ce travail d’un certain nombre ‘‘d’outils’’ ou de concepts propres à cette pensée complexe. Nous organiserons ce travail en deux parties : reliances et de complexifications, constituant les prémices des principes d’évolution de la complexité face au cartésianisme, qui selon E. Morin a pour méthode de disjoindre, de réduire et d’abstraire. Dans chaque partie, les différents concepts seront premièrement présentés et définis, puis traduits vers leur application possible en architecture. Afin de mieux illustrer le propos, cette mise en résonnance des principes choisis avec l’architecture sera accompagnée d’exemples de travaux construits et écrits.
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1. RELIANCES
« Un rhizome peut être rompu, brisé en un endroit quelconque, il reprend suivant telle ou telle de ses lignes et suivant d’autres lignes » Gilles Deleuze et Félix Guattari, dans Mille plateaux, 1980.
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« La pensée complexe est la pensée qui relie. L’éthique complexe est l’éthique de reliance. [...] Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l’humanité, reconnaître la nécessité de relier, de se relier aux nôtres, de se relier aux autres, de se relier à la Terre-Patrie. » La méthode 6, Ethique - p.248
Edgar Morin
Comme nous l’avons évoqué en introduction, la pensée complexe cherche à faire évoluer le rationalisme cartésien dans la mesure où elle relie au lieu de séparer. Elle réfute l’idée d’une existence des choses ‘‘en soi’’ pour supposer au contraire que tout élément ne peut exister que lorsqu’il est ‘‘en relation’’. La pensée complexe est donc une pensée de la reliance. Utilisé pour la première fois dans les années soixante29, ce mot sera très rapidement développé et enrichi en tant que concept sociologique et philosophique.
29. Roger Clausse (1902-1990) Sociologue 1963
De par sa nature substantive, le mot ‘‘reliance’’ se distingue du mot ‘‘liaison’’ en insistant sur l’action de relier, et sur le résultat de cette mise en liaison. Son intérêt ne réside donc plus dans l’objet ‘‘liaison’’, mais bien dans l’action effectuée par un sujet et ses effets30. La reliance est à la fois agie et vécue, elle porte en elle une dimension complexe et permet de décrire l’action d’insertion dans un système.
31. M. Bolle de Bal Voyage au cœur des Sciences Humaines : de la reliance 2000 - p. 78
30. Nous reviendrons dans le chapitre suivant sur la notion de dialogique sujet/objet.
On peut distinguer plusieurs manières de se relier : se relier à soi (reliance psychologique) dans laquelle nous retrouvons les notions de conscience, d’éthique personnelle et d’identité ; se relier aux autres (reliance sociale) rejoignant l’idée de solidarité et de fraternité, et enfin se relier au monde (reliance philosophique, culturelle, politique ou encore écologique) dans laquelle nous percevons l’idée de citoyenneté. « Avec ses trois dimensions, (ce concept charnière) […] fait saisir le lien social comme réalité essentielle de toute démarche de transition, de créativité interpersonnelle et institutionnelle. »31 Le principe de reliance s’associe avec son binôme, la ‘‘déliance’’ formant un couple à la fois complémentaire et antagoniste. La pensée classique a généralement tendance à considérer comme séparés deux objets qui s’opposent l’un à l’autre. Edgar Morin nous invite à revisiter cette vision trop simplifiante grâce au concept de ‘‘dialogique’’ qui propose de considérer les éléments classiquement opposés, comme un couple à la fois complémentaire et antagoniste. Les éléments se définissent par leur relation : celle d’être opposés l’un à l’autre mais inséparables, comme les pôles + et - d’un aimant. La dialogique est extrêmement importante, car elle nous permet d’avoir la possibilité de distinguer sans séparer. Ainsi, il nous est plus facile de ne pas chercher à simplifier de manière abusive ou à généraliser de manière floue. Nous allons dans cette partie, explorer différentes approches possibles de la reliance à la fois dans la théorie de la pensée complexe et dans la pratique architecturale. Nous relierons sujet et objet, mettrons les disciplines aujourd’hui séparées autour d’une même table et montrerons comment à partir du lien peut émerger du sens.
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DIALOGIQUE SUJET/OBJET, IMPLICATION DANS UN CONTEXTE « Aujourd’hui, on écrit trop de manière contractuelle et précontentieuse, alors qu’il faut simplement dire les choses et passer à l’acte, car c’est dans la matière transformée et dans le dialogue que le discours se tient.» Construire autrement, comment faire ? Patrick Bouchain
32. Auguste Comte (1798-1857) Philosophe français précurseur de la sociologie 33. Edgar Morin Ibid. - p.54 34. Edgar Morin Ibid. - p.57 35. Jean Piaget (1896-1980) Biologiste, psychologue, logicien et épistémologue suisse connu pour ses travaux en psychologie du développement
L’évolution du rationalisme de René Descartes fait suite aux guerres de religion où catholiques et protestants opposent chacun leur vérité et se déchirent. Ainsi l’oeuvre de Descartes cherche-t-elle à relier les Hommes autour de grandes vérités objectives sur lesquelles tout le monde pourrait s’accorder. Le mouvement positiviste d’Auguste Comte32 cherche à proposer une suite aux travaux de René Descartes en invoquant l’expérience scientifique comme seule maîtresse de la certitude des choses. La science moderne suit cette lignée en cherchant à démontrer de manière scientifique des théorèmes objectifs, toujours vrais et applicables partout. Ainsi, l’expert est spectateur : il observe le monde ‘‘tel qu’il est’’. Sujet et objet sont séparés, subjectivisme et objectivisme sont opposés. « La science occidentale s’est fondée sur l’élimination positiviste du sujet à partir de l’idée que les objets, existant indépendamment du sujet, pouvaient être observés et expliqués en tant que tels. »33 Comme nous l’avons vu précédemment, la pensée complexe considère un couple antagoniste comme étant aussi complémentaire. Elle relie alors sujet et objet, subjectivisme et objectivisme dans des relations dialogiques : « sujet et objet sont indissociables, mais notre mode de pensée exclut l’un par l’autre, nous laissant seulement libres de choisir, selon les moments de la journée entre le sujet métaphysique et l’objet positiviste ».34 Dès lors, le sujet rejetant son implication vers l’extérieur reste aveugle à l’impact de son regard sur l’objet et à un certain nombre d’éléments contextuels liés à ce dernier. Il n’y a donc pas de liaison entre sujet et objet, empêchant alors tout enrichissement de l’un par l’autre. La position constructiviste développée principalement par Jean Piaget35 propose un regard dans lequel sujet et objet s’enrichissent mutuellement : le sujet enrichit l’objet de par le regard qu’il y porte et l’étude qu’il produit. Par son expérience vécue, le sujet est enrichi par l’objet. Les deux évoluent par cet enrichissement mutuel dans un processus constant d’inter-rétroalimentation. Dans cette vision constructiviste, les choses n’existent plus ‘‘en tant que telles’’, mais toujours par l’observation d’un sujet, lui-même ayant un regard provenant de l’enrichissement qui lui vient de son milieu. Cela engendre une responsabilité du sujet désormais impliqué (du latin implicatio, ‘fait d’être entrelacé’) dans son système d’étude. Le sujet désormais relié peut alors prendre en compte ces relations afin de les complexifier, de les étoffer, de les diversifier.
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L’architecture moderne se caractérise aussi par son évolution positiviste. L’architecte y occupe une place d’expert, procédant à des expérimentations. Elle fait l’objet d’une recherche sociale dans laquelle un modèle reproductible pour tous et partout permettrait un mode de vie plus juste et plus équitable en société. On calcule les besoins, on rationalise les modes de vie, Walter Gropius36 participe à la diffusion du Style international aux États Unis et dans le monde, Le Corbusier37 définit les cinq points de l’architecture moderne, il standardise la silhouette humaine avec Le Modulor.38 « Mais il est utile de souligner que l’idée d’adapter l’homme au cadre qu’il a créé ne correspond pas à une vision ‘‘scientifique’’ de l’avenir. Elle peut être aussi irréaliste que celle qu’elle prétend supplanter. Elle est l’image que se fait de l’évolution un milieu de techniciens, en fonction d’un système de valeur qui lui est propre. Examinée à la lumière d’une analyse anthropologique plus large, elle est nettement insuffisante. »39 Il ne s’agit pas ici de remettre en cause une certaine pratique de l’architecture naissant dans un contexte bien précis et ayant massivement fait évoluer les pratiques. Il s’agit en revanche de montrer l’existence d’une pensée - et de la pratique qui l’accompagne - proposant une nouvelle méthodologie qui cherche à dépasser certains aspects dont nous voyons aujourd’hui clairement les limites. « L’architecture n’est pas une recherche esthétique et formelle qui doit s’opérer dans l’ombre et dans le but de flatter l’ego du créateur. Elle doit être avant tout, et c’est pour cela qu’elle est complexe, la retranscription formelle d’un contexte qui tient à une infinité de facteurs : l’histoire, la société, les gens et leurs attentes, la géographie, l’anthropologie, la culture, le climat, autant de données qui viennent l’enrichir et la justifier. »40 Ainsi, de nombreux architectes privilégient, face à cette décontextualisation de la production architecturale, une architecture locale, contextuelle, dans laquelle l’architecte s’implique personnellement, cherchant à entrer dans un processus d’enrichissement réciproque. « Ne jamais faire pareil [...] Il faut donc refuser le modèle, le standard, le répétitif, et toujours se mettre dans une situation où, à une question posée dans un contexte donné, il faut trouver une solution particulière. »41
36. Walter Gropius (1883-1969) Architecte, designer et urbaniste allemand. Fondateur du Bauhaus 37. Le Corbusier (1887-1965) 38. Le Corbusier Le Modulor: essai sur une mesure harmonique à l’échelle humaine applicable universellement à l’architecture et à la mécanique - 1950 39. Ch.de Lauwe Des Hommes et des villes 1970 - p.9 40. Mojeikissoff V. Renzo Piano, une architecture du ‘‘faire ensemble’’ p. 10 41. Patrick Bouchain Construire autrement, comment faire ? 2006 - p. 108 42. Patrick Bouchain Construire ensemble le grand ensemble, habiter autrement. 2010 - p. 49
En acceptant la vérité comme étant propre à chacun, l’architecte s’ouvre aux différentes réalités possibles présentes simultanément dans un même contexte, il s’ouvre à l’autre et à sa culture : « Donner un sens à ce que l’on construit c’est envisager des réalités différentes suivant les hommes, les lieux, le climat, l’époque, etc. C’est éviter le prêt-à-servir, la répétition et, au contraire, chercher à exprimer, à chaque fois, une émotion nouvelle - fraîche. »42
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43. Renzo Piano La désobéissance de l’architecte 2007 - P.24 44. M-H. Contal Ré-enchanter le monde 2014 - p.14 45. Rural Studio (1993 - ) Collectif fondé pour un programme de 1er cycle de l’École d’architecture, d’urbanisme et de paysage à l’Université Auburn (USA). 46. Rural Studio : le développement durable né de la nécessité à Newburn, Alabama (USA) http:// wwwlecourrierde larchitecte.com/ 47. Renzo Piano Centre culturel Tjibaou Nouvelle Calédonie 1998 48. Renzo Piano Carnet de travail
On comprend alors que, de manière dialogique, c’est en s’ouvrant à ces multiples réalités singulières que l’on peut mettre en lumière la spécificité d’un contexte plus global et le préserver : « J’aime beaucoup cette image d’une architecture iceberg dont la partie visible est minuscule par rapport à tout ce que tu y mets pour la faire émerger : l’attention aux choses et aux réalités sociales. Autrement dit, comprendre Berlin, c’est comprendre les Berlinois. L’essentiel est ici. »43 Cette posture architecturale nécessite donc une immersion, une expérience des lieux, afin d’en éprouver le genius loci, mais surtout afin de connaître celui des usagers. « La spécificité du contexte est seule à même de rétablir, entre l’homme et le monde global, la diversité des espaces de référence et des cultures dans lesquels il se meut. »44 L’architecte est donc nécessairement impliqué, ce qui lui permet de recontextualiser, comprendre, tisser de nouveaux liens et s’enrichir rétroactivement avec la culture locale. Rural Studio45, par exemple, propose une formation qui, dès l’école d’architecture, met en place une immersion totale des étudiants dans des projets réels. La concertation y est fondamentale, les étudiants ne font pas ‘‘pour’’, mais ‘‘avec’’ les usagers : des mal-logés ou sans-abri pour la plupart afro-américains de la Black Belt. « Aux étudiants, Mockbee ne demande pas de ‘parachuter’ de l’habitat social, mais d’oeuvrer avec ce milieu. »46 Ils se confrontent ainsi non seulement à un contexte humain particulièrement marqué par l’histoire, mais aussi aux réalités matérielles et financières qui en surgissent, engendrant une architecture au langage post-industriel construit à l’aide de matériaux naturels locaux, récupérés et réemployés. Les nombreuses manières d’éprouver le lieu et d’instaurer un échange de réalités avec les usagers d’un contexte ne sont pas limitées. Renzo Piano, par exemple, s’est immergé dans la culture Kanak à Nouméa47 afin d’en comprendre l’histoire, les traditions et les techniques locales. Pour ce faire, il décide de travailler en étroite collaboration avec les habitants et fait appel à un anthropologue pour l’accompagner tout au long du projet. La structure, la forme et le nombre des bâtiments sont directement inspirés de l’architecture traditionnelle des cases : « J’ai compris que l’un des caractères fondamentaux de l’architecture Kanak est le chantier : le ‘‘faire’’ est aussi important que le ‘‘fini’’. J’ai pensé, dès lors, développer l’idée de chantier permanent, ou plutôt d’un lieu ayant l’apparence d’un chantier ‘‘non fini’’. »48 Pour autant, l’architecte réinterprète ce langage et se l’approprie, le dessin final est un métissage entre traditions et modernité.
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D’autres architectes comme ceux du Laboratoire Stalker49 valorisent les promenades ou dérives urbaines comme expériences sensibles et personnelles de la ville. Les marcheurs y « opèrent une nouvelle lecture du territoire »50 Puis expriment et retranscrivent ces perceptions à travers divers supports tels que la cartographie collective. « Ainsi, le marcheur pourrait faire apparaître le paysage entre soi et le monde, une vie subjective à la lisière du réel. L’expérience paysagère serait à même de créer non seulement de nouvelles formes de sens commun basées sur une conscience poétisée de l’environnement, mais encore, c’est du moins mon hypothèse, de renouveler l’habitabilité des lieux, en tant qu’elle offre une possibilité d’éprouver le monde. »51 L’Osservatorio Nomade52 de Stalker cherche à faire évoluer les territoires de manière créative, retisser le lien social et redynamiser la vie des habitants. À Rome les architectes procèdent alors à une observation ‘‘active’’ du Corviale, barre d’un kilomètre de long, partant à la rencontre des habitants et recueillant récits et souvenirs. Ils s’immergent en effectuant des relevés interactifs et participatifs. Ils créent un ‘‘mode d’emploi du bâtiment’’ et une chaîne de télévision locale, « pour permettre à ses habitants de mieux comprendre leur lieu de vie, pour améliorer les échanges sociaux, la démocratie interne et la créativité des occupants. »53 Dans une même optique, Notre Atelier Commun54, propose la permanence architecturale comme outil au service du projet. « À l’opposé des médiatisées ‘‘résidences d’architectes’’, villas inestimables à destination de l’élite enviable, c’est de l’autre côté de la profession que se situent les ‘‘architectes en résidence’’, qui transforment la figure de l’architecte démiurge en habitant ordinaire de quartiers en rénovation. »55 L’Atelier Permanent d’Architecture « Construire ensemble le Grand Ensemble » ne rentre pas dans le jeu de destruction/reconstruction : « Quand des problèmes surgissent dans ce type de planification, on a pour habitude de sortir et d’isoler l’élément ‘‘perturbateur’’ au lieu de régler le problème sur place. »56 « Donner, recevoir et rendre. [...] À force de vivre avec nos chantiers des expériences uniques dues à la proximité des utilisateurs [...] nous nous sommes aperçus que l’acte de construire était fortement dépendant de la qualité de la commande et que seul l’utilisateur était à même d’assurer cette qualité. À force de travailler avec des personnes en insertion en tentant de les intégrer au processus global du chantier, à force de faire des chantiers ‘‘ouverts au public’’ porteur de lien social et de démocratie active, à force de raconter, d’expliquer et de montrer le chantier à des hommes et des femmes passionnés par l’acte de construire, nous avons aujourd’hui le désir de tourner une page et de mettre ensemble toutes ces expériences au service du logement. C’est la Haute Qualité Humaine (HQH) d’un projet où tous les acteurs du chantier sont associés au plaisir de l’acte de construire. »57
49. Stalker Laboratoire d’Art Urbain Rome - 1995 50. ON/Stalker & Osservatorio Nomade Italie http://www.archilab. org/ 51. Emeline Bailly dans AlterArchitectures Manifesto 2012 - p. 143 52. Stalker http://www. osservatorionomade. net/ 53. ON/Stalker & Osservatorio Nomade - op. cit 54. N.A.C créé par Patrick Bouchain Marseille - depuis 1999 55. Édith Hallauer Habiter en construisant, construire en habitant: la ‘‘permanence architecturale’’, outil de développement urbain ? 2016 - p.3 56. Patrick Bouchain: Ma voisine, cette architecte. 1/2 http://strabic.fr/ 57. Patrick Bouchain Construire ensemble le grand ensemble, habiter autrement. 2010 - p. 7
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TRANSDISCIPLINARITÉ, LA RENAISSANCE DU COLLECTIF
« La manière de faire la ville aujourd’hui en France suit essentiellement une logique verticale et hiérarchique faisant intervenir les différents acteurs de l’aménagement urbain dans des temps et des espaces déterminés et figés. Nous pensons que les différents usagers de la ville (habitants et professionnels) peuvent tous être acteurs de leur aménagement à des échelles très variées. Nous souhaitons nous immiscer dans cette structure verticale en mettant en place un réseau souple d’interactions artistiques et sociales, de rencontres et de débats.» Le Détour de France, une école buissonnière
60. Edgar Morin Introduction à la pensée complexe réed. 2014 - p.19 61. Basarab Nicolescu La transdisciplinarité Manifeste 1996 - p.28 62. Edgar Morin ibid. - p.70
Collectif ETC
Le terme de transdisciplinarité apparaît dans les années soixante-dix principalement dans les travaux de Jean Piaget ou Edgar Morin. Ce dernier dénonce l’impossibilité d’aborder une vision globale du réel par la séparation des savoirs : « Une hyperspécialisation devait de plus déchirer et morceler le tissu complexe des réalités, et donner à croire que le découpage arbitraire opéré sur le réel était le réel lui même. »60 Les notions d’inter et pluri disciplinarité ne sont pas suffisantes pour décloisonner les savoirs. Le concept doit évoluer afin d’exprimer la nécessité d’une transgression de ces derniers. En effet, bien que les notions de pluri-, inter- et co- disciplinarité cherchent déjà à mettre en relation des disciplines trop cloisonnées, elles gardent cependant toujours une finalité d’enrichissement de ces mêmes disciplines. La notion de transdisciplinarité cherche à aller plus loin dans la mesure où elle tend vers l’unité des connaissances : « la recherche transdisciplinaire n’est pas antagoniste, mais complémentaire de la recherche pluri et interdisciplinaire. La transdisciplinarité est néanmoins radicalement distincte de la pluridisciplinarité et de l’interdisciplinarité, de par sa finalité, la compréhension du monde présent, qu’il est impossible d’inscrire dans la recherche disciplinaire. »61 De fait, la transdisciplinarité fait évoluer le concept des disciplines en considérant qu’elles constituent seulement différents points de vue d’une seule et même chose. Les formations de chacun sont donc une richesse à exploiter par la mise en commun pour pouvoir travailler ensemble sur une même question en profitant de la diversité des points de vue. « Comme toujours, une théorie qui se veut fondamentale échappe aux champs des disciplines, les traverse, comme l’ont fait, mais chacun avec sa propre cécité et sa propre arrogance, le marxisme, le freudisme, le structuralisme. »62
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La notion de transdisciplinarité en architecture peut se traduire à la fois dans la théorie et dans la pratique et concerne autant l’ouverture de la discipline architecturale que la position de l’architecte dans son travail : « Je dis toujours que l’architecture est un art de frontière, parce qu’elle est continuellement soumise aux contaminations, nourrie par quantité d’expressions artistiques relevant d’autres disciplines. L’architecture se nourrit de tout. C’est pourquoi j’ai choisi de mêler les disciplines comme un peintre le fait des couleurs de sa palette. Je ne cherche pas ce qui diffère entre les arts et les sciences, je cherche les similitudes, je ne cherche pas les dissonances, mais les assonances. »63 L’architecture ne saurait d’ailleurs se détacher d’une dimension urbanistique ‘‘urbs, la ville’’ et politique ‘‘polis, la cité’’, et bien sûr sociale, comme nous le rappelle à juste titre l’architecte Lucien Kroll64 : « le premier contexte d’une architecture, c’est bien l’habitant » Qui rajoute « soucieux de ce contexte, le moyen le plus évident de le connaître est de lui proposer de participer au projet. »65 ce qui permet d’introduire un deuxième aspect de la transdisciplinarité, celui de la mise en commun des savoir-faire. La transdisciplinarité est aussi dans la mise en commun du travail sur des questions relatives à la fabrique des espaces bâtis, du territoire et de la ville. Elle peut donc générer la constitution de collectifs s’alliant pour travailler ensemble. « Nous devons nous organiser collectivement ! Mettre en commun des compétences, des expériences et des moyens, et mener un travail de fond lisible permettant d’influer sur les politiques publiques. »66 La Co-laboration réunissant les savoirs de chacun au profit de tous offre une réelle rétro-alimentation permettant ainsi l’ouverture des projets sur des réponses nouvelles, inattendues et imprévisibles au préalable.
63. Renzo Piano La désobéissance de l’architecte trad. fr. 2007 p.20 64. Lucien Kroll (1927 - ) Bruxelles 65. Lucien Kroll dans AlterArchitectures Manifesto 2012 66. Collectif ETC http://strabic.fr/ Le desOrdre des architectes 2013 67. Collectif ETC Detour de France 2015 68. Collectif ETC Collectif autogéré d’architectes et co. Depuis 2011 Marseille 69. Patrick Bouchain Construire autrement p7
Dans son Détour de France67, le Collectif ETC68 part à la rencontre de nombreux groupes procédant à une fabrique collective de la ville, constitués non seulement d’architectes, mais aussi de sociologues, urbanistes, artistes, paysagistes, constructeurs, graphistes ou encore militants, habitants et acteurs. Ils montrent dans cet ouvrage, que « l’architecture est l’affaire de tous, puisque nous en sommes tous les usagers, [et] elle est partout. »69 Ces réflexions concernent donc à la fois un décloisonnement des disciplines (architecture, urbanisme, graphisme, etc), mais aussi des professions, qui, plûtot que de se chevaucher en rentrant dans un projet les unes après les autres - maitre d’ouvrage, Maitre d’oeuvre, entrepreneur, habitants - se mettent à travailler en commun. La reliance offre donc la possibilité de profiter d’un tout supérieur à la somme des parties : ces dernières, en travaillant en commun vont faire émerger quelque chose de nouveau, s’enrichissant elles-mêmes et l’ensemble, dans un même temps.
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70. Osthang Project Darmstadt Allemagne été 2014 71. EXYST (2002 - 2015) plateforme de création pluridisciplinaire Berlin - Londres - Paris - Montpellier 72. Le bruit du Frigo crée en 1997 « hybride entre bureau d’étude urbain, collectif de création et structure d’éducation populaire, qui se consacre à l’étude et l’action sur la ville et le territoire habité, à travers des démarches participatives, artistiques et culturelles. » Bordeaux 73. Le Lieu Unique Réhabilitation de l’ancienne usine LU en espace d’échanges culturels. Patrick Bouchain -1999 74. Collectif ETC ibid. - p.74 75. Edgar Morin Dialogique du tout et de la partie 76. BazarUrbain Créé en 2001 « collectif pluridisciplinaire qui intervient sur l’espace urbain et social en hybridant réflexions et actions sur les usages, les ambiances et la conduite de projet.» Grenoble 77. BazarUrbain http://strabic.fr/
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Cette remise en question du processus de fabrication de la ville est de plus en plus présente dans l’oeuvre de ces collectifs, qui procèdent généralement à l’occupation de l’espace public et à la création d’évènements afin de pouvoir générer un dialogue entre tous les acteurs et actants du projet. Des rassemblements tels que le Osthang Project70, des constructions comme celles du collectif EXYST71 ou Le bruit du Frigo72, des réhabilitations comme celle du LU73 à Nantes sont autant de projets faisant participer ensemble différents acteurs et corps de métiers, à toutes les échelles du projet afin de créer des espaces résilients pour tous et appropriables par chacun. Pour le moment, ces projets restent pour la plupart éphémères, de petite échelle ou de réhabilitation, mais ils font évoluer la profession vers une pratique transdisciplinaire de l’architecture et génèrent ainsi un dialogue social d’une qualité que ne possèdent pas nombre de grands projets. « Nous savons que nous sommes à un moment charnière, où nos pratiques sont de plus en plus demandées. Comme le dit Yvan Detraz de Bruit du frigo, le risque existe de devenir des ‘‘poissons-pilotes de la planification’’. »74 Lorsqu’on parle de participation et de décloisonnement des savoirs, il est nécessaire de revenir sur la transdisciplinarité non pas comme antagoniste, mais bien comme complémentaire de la pluridisciplinarité. Cela introduit la question de l’un et du multiple (unitas multiplex75). À l’échelle théorique, cette vision permet d’aborder une vue d’ensemble sur un sujet, tout en s’attachant à en connaître et comprendre les multiples unités. Cela permet d’agir sur les reliances de ces nombreuses unités et d’avoir une meilleure compréhension du tout. À l’échelle pratique, cela introduit la question du singulier et du collectif : tout le monde participe au projet, mais chacun avec son savoir-faire spécifique. Le collectif BazarUrbain76 illustre parfaitement l’importance de ce lien dialogique entre l’un et le multiple, entre le singulier et le collectif : « Ce jeu entre la singularité de chaque parole donnée et le récit du lieu qui se dégage de leur addition est une façon publique de mettre en partage et en débat collectif le devenir d’un territoire. »77
La participation ne consiste donc pas à donner à faire à tous, ce que certains sont habilités à faire, car tous n’ont ni la formation ni le regard aiguisé nécessaire pour répondre à des questions précises sur des sujets. L’expertise dans un domaine profère au professionnel un regard éduqué sur une question, lui permettant de tenir compte de paramètres peut-être invisibles pour les autres. Il s’agit donc de valoriser l’expertise de chacun pour apporter des éléments nécessaires à la richesse de l’ensemble.
78. André Grimaldi Les différents habits de l’« expert profane » 2010 79. Nantes Habitat Guide de la maîtrise d’usage 2011 - p. 3
Dans le domaine de la santé communautaire, on parle d’expert-profane pour parler d’un patient qui, de par son expérience vécue, a des savoirs dont même un médecin chevronné ne pourra jamais disposer, s’il n’établit pas de dialogue avec ce patient.78 En ce qui concerne les habitants par exemple, on parle aujourd’hui de Maîtrise d’Usage en référence au couple habituel Maître d’Oeuvre/Maître d’Ouvrage. Cela permet d’identifier les habitants en tant qu’experts de leurs propres besoins et de leurs lieux de vie, tout en ayant un rôle différent, mais complémentaire à celui des architectes, des financeurs ou des constructeurs. La Maîtrise d’Usage permet aux projets de rester plus facilement proches d’une recherche de réponse à un besoin exprimé par ces usagers. « L’habitant est au cœur de la cité. Il doit être et demeurer au cœur de nos projets. La concertation ne peut se limiter à une simple information. Avec la maîtrise d’usage, elle prend sa pleine dimension, car c’est très en amont, dès l’élaboration du programme, qu’elle permet désormais de solliciter la capacité d’expertise de l’usager, le mieux à même de faire valoir ses attentes et besoins. De s’exprimer et de rêver. »79
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LA CONJECTURE DE VON FOERSTER, UNE ODE À LA PARTICIPATION
« Pourquoi questionner et suivre les habitants ? Pour atteindre une complexité vivante. Et pourquoi cette complexité ? Réponse négative : Par horreur d’encaserner. Réponse positive : par passion de laisser naître l’image aimable d’un réseau de relations, d’une fertilité urbaine. » Ordre & désordres
80. Ivan Illich (1926 - 2002) Autriche 81. H. Von Foerster (1911 - 2002) scientifique austroaméricain situé à la croisée de la physique et de la philosophie. Il fut l’un des fondateurs de la cybernétique de deuxième ordre et un contributeur important du constructivisme radical. 82. J-P Dupuy (1941 - ) ingénieur, épistémologue et philosophe français. 83. Henri Atlan (1931 - ) intellectuel, médecin biologiste, philosophe et écrivain français. 84. David Chavalarias Rencontre improbable entre von Foerster et Snowden 2015. 85. David Chavalarias ibid.
Simone & Lucien Kroll
En 1976, lors d’un séminaire d’Ivan Illich80, Heinz Von Foerster81 énonce une théorie transdisciplinaire proposant une application dans des phénomènes sociaux d’une recherche d’ordre mathématique. Celle-ci sera rapportée en 1987 par Jean-Pierre Dupuy82 sous l’appellation de ‘‘conjecture de Von Foerster’’ dans sa théorie de l’information, en collaboration avec Henri Atlan.83 En voici un extrait : « Les individus sont liés les uns aux autres, d’une part, ils sont liés à la totalité, d’autre part. Les liens entre individus peuvent être plus ou moins ‘‘rigides’’ - le terme technique que j’emploie est ‘‘triviaux’’. [...] Je conjecture la relation suivante : plus les relations interindividuelles sont triviales, plus le comportement de la totalité apparaîtra aux éléments individuels qui la composent comme doté d’une dynamique propre qui échappe à leur maîtrise. »84 Il apparaîtrait alors nécessaire à un individu intérieur au système de développer des relations non triviales avec les autres individus afin que le système leur paraisse comme doté d’un sens qui leur est propre. Mais comment agir de façon non triviale ? Nous l’avons vu précédemment : c’est dans la reliance, à soi, aux autres et au monde que l’on peut diversifier ses possibilités d’action dans un système. Autrement dit, plus les actions des éléments (ou personnes) d’un système (par exemple : social) sont complexes (c’est-à-dire plus ils déclinent leurs reliances à soi, aux autres et au monde) plus ce système aura de sens pour ses éléments. H. Von Foerster ajoute : « Je conçois que cette conjecture présente un caractère paradoxal, mais il faut bien comprendre qu’elle n’a de sens que parce que l’on prend ici le point de vue, intérieur au système, des éléments sur la totalité. Pour un observateur extérieur au système, il va de soi que la trivialité des relations entre éléments est au contraire propice à une maîtrise conceptuelle, sous forme de modélisation. »85 Ce que nous comprenons ici est donc qu’un observateur extérieur au système a tout intérêt à trivialiser, décomplexifier, réduire les reliances, de ce système afin de mieux le comprendre et pouvoir prédire et anticiper ses réactions.
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En mettant en relation ce ‘‘théorème social’’ et l’architecture, il me paraît possible de proposer la traduction suivante : plus les acteurs et les usagers de la ville agissent de manière complexe (que leur reliances sont diversifiées), plus le lien social y est grand. La ville est d’autant plus significative et appropriable par ses usagers et les projets y ont du sens. En revanche elle serait d’autant plus incompréhensible aux yeux de ceux qui se placeraient comme extérieurs aux relations établies. À ce titre, il paraît légitime de questionner la place des politiques publiques au sein d’un système d’habitants. En effet, comme nous venons de le montrer, si les politiques publiques, ou les architectes, ou tout autre système intervenant dans la fabrique de la ville, se place comme étant extérieur au système d’habitant, alors il aura plus d’intérêt, dans son désir de comprendre le système et de pouvoir anticiper ses réactions, à trivialiser le système habitant et donc détruire ses reliances. Il aura, de plus, un point de vue et un ordre de priorités qui seront nécessairement différents de celui des habitants puisque les deux systèmes ne seront pas liés.
86. AgroCité Atelier d’Architecture Autogérée / Partie du projet R-URBAN : pratiques et réseaux de résilience urbaine. Colombes - 2008 87. A Colombes, la lutte d’une ferme urbaine contre un parking http://www.lemonde. fr/planete 07.02.2016 88. Projet R-Urban à Colombes http://www. collectifetc.com/
Le projet de l’AgroCité de Colombes86 me paraît être un exemple extrêmement cohérent, car nous pouvons y observer les deux phénomènes sociaux exprimés précédemment à l’oeuvre au même moment, mais à deux échelles différentes : celle du projet et celle de la ville. En effet, ce projet est le foyer même d’une reliance citoyenne : « L’Agrocité apporte beaucoup à ce quartier anonyme. Les gens sont contents de venir jardiner ici, de partager un moment. Dès qu’on franchit cette porte, on se dit bonjour. On se donne des tuyaux, on se parle, c’est un formidable lieu d’échange ».87 Il met en place une dynamique transdisciplinaire, tant dans sa conception que dans son utilisation : Le projet fait suite à une concertation avec la mairie et obtient des fonds de la commission européenne, il fait intervenir le Collectif ETC lors de la construction et s’ouvre aussi aux habitants. Par ailleurs, « pendant toute la durée du chantier, une cabane d’information a été mise à disposition des passants et usagers du jardin. Elle permettait de rendre visible le chantier depuis la rue, d’inviter le public à entrer [...] Le public pouvait ensuite participer directement au chantier ou simplement le visiter. »88 Les activités qui y sont proposées sont extrêmement variées et impliquent les savoir-faire de chacun pour l’enrichissement de tous, autour d’une thématique commune : l’agriculture urbaine.
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89. #saverurban 90. Extrait-Pétition : « OUI à R-Urban à Colombes ! NON au parking temporaire ! » plus de 5800 signatures 91. A Colombes, la lutte d’une ferme urbaine contre un parking. ibid.
De plus, le projet est le fruit d’une implication des architectes au delà de la prescription d’un bâtiment. Ils font réellement un lien entre eux et le projet (entre le sujet et l’objet) et dans la même optique, ils diversifient les liens entre la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’oeuvre et la maîtrise d’usage. La reliance est au coeur de ce projet qui permet aux usagers de créer des liens avec eux-mêmes (bien être intérieur dans ce jardin, bouffée d’air frais entre les tours), avec les autres (lieu de rencontre citoyenne autour de thématiques diverses et d’ateliers) et avec le monde (reconnaissance du patrimoine naturel et culturel - au sens de cultiver -, connexion avec la terre, avec la faune et la flore.) Mais le projet voit encore plus large puisqu’il se relie dans l’espace urbain avec les projets RecyLab et ECoHab formant l’ensemble R-URBAN, destiné à repenser la manière de s’impliquer et de consommer des citoyens dans la ville et plus largement dans la société. Il dépasse l’architecture pour toucher aux domaines de l’agriculture, de l’urbanisme, de l’économie, et bien d’autres. Aujourd’hui, L’AgroCité est cependant menacée de disparaître au profit d’un parking temporaire89, en effet bien plus trivial qu’un projet comme celui de R-URBAN. La décision a été annoncée par la nouvelle mairie et semble n’avoir fait l’objet d’aucune concertation : « Après les élections de mars 2014 et le changement d’équipe municipale, la Mairie de Colombes, partenaire du projet européen en cours, a demandé en juin 2014, sans motivation, le départ de l’AgroCité de Colombes. »90 le système reste donc verrouillé sur l’incompréhension de nombreux habitants qui se sentent étrangers aux décisions prises en ce lieu. Un député européen dénonce des actions politiques refermées sur leurs propres intérêts : « L’Europe a financé ce projet – et c’était très important de le faire – à hauteur de 600 000 euros. L’initiative se développe et tourne aujourd’hui. Et pour des raisons de basse politique, de règlements de comptes politiciens, on veut la détruire. »91 Ici, il semble que le manque de concertation, de reliance, crée un conflit dans lequel deux systèmes s’opposent et ne se considèrent plus comme complémentaires. Afin de pouvoir mieux prévoir et anticiper les phénomènes urbains, pouvant se produire en ce lieu, la mairie cherche à détruire cette complexité, qui pourtant représente beaucoup pour ceux qui la vivent. Le sens de l’AgroCité ne paraît pas être pris en compte par la mairie, qui fait le choix d’y disposer un lieu trivial : un parking. La décision de la mairie, quant à elle, n’a pas non plus de sens pour les utilisateurs de l’AgroCité.
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La question de la relation entre le sujet et l’objet prend donc sa place par l’enjeu qu’il constitue. Si l’observateur décide de tisser des liens avec le système qu’il observe, alors il n’a plus d’intérêt à vouloir le décomplexifier puisqu’il en fait désormais partie et lui donne un sens nouveau. Il peut alors mettre en place une réelle concertation entre les différents systèmes et éléments du système, faisant intervenir son expertise. Dès lors, tous peuvent s’enrichir dans un processus d’inter-rétro-alimentation. C’est notamment la posture du Laboratoire de Transformation Publique : La 27e Région. Dans ses actions, ce collectif transdisciplinaire invite citoyens, agents, élus et praticiens d’horizons divers à se rassembler autour de questions communes. Il interroge les usages et expérimente de nouvelles façons de conduire l’action publique : « L’action publique peut-elle se transformer ? Comment redonner à la créativité sa place dans les collectivités et services de l’état ? Les citoyens peuvent-ils devenir co-concepteurs des politiques publiques ? Et plus généralement, quelles administrations voulons-nous pour demain ? »92
92. La 27e Région Chantiers ouverts au public 2015 93. TerritotiZ Accompagner les territoires en transition 2015 94. Jaime Lerner Acupuncture urbaine 2007 - p. 53
Le cabinet de conseil TerritoriZ, spécialisé dans le développement des territoires, se propose « au côté des acteurs publics, privés et associatifs [de] contribuer à bâtir des territoires plus attractifs, plus intelligents, plus inclusifs et participatifs, en respectant les équilibres, les contraintes et les ressources qui leur sont propres. »93 Ces groupes issus de professions variées et faisant appel à diverses compétences amorcent un dialogue entre les différents acteurs de la ville et permet ainsi une unification du système. Les intérêts de chacun sont considérés et partagés, par et avec tous, afin de trouver des terrains d’entente convenant au plus grand nombre. Cette concertation favorise l’émergence de sens, du système pour ses acteurs et permet une meilleure appropriation des futurs projets urbains par leurs usagers : « Plus on intégrera les différentes fonctions urbaines, plus on mélangera les revenus, les âges, plus la ville deviendra humaine »94 Appropriation, enrichissement mutuel, implication, unification, signification, partage sont autant d’aspects résultants d’une pratique de l’architecture tissée de reliance. À travers ce prisme, soutenu par quelques exemples, nous avons pu mettre en lumière l’émergence d’une évolution dans la manière de penser le projet architectural et de fabriquer la ville. Nous continuerons à chercher, dans la suite de ce travail, d’autres liens entre la pensée complexe et une certaine pratique architecturale afin de pouvoir aborder une vue d’ensemble de ces pratiques sous un fondement théorique plus global qu’est celui de la pensée complexe .
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2. COMPLEXIFICATIONS
Enfin chez soi... Réhabilitation de préfabriqués, Berlin-Hellerdorf, 1994 © Ateliers Lucien Kroll
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« La complexité dans un sens a toujours affaire avec le hasard. [...] C’est l’incertitude au sein de systèmes richement organisés. [...] La complexité est donc liée à un certain mélange d’ordre et de désordre. » Introduction à la pensée complexe - p.49
Dans la première partie, nous avons vu différentes applications théoriques et pratiques de la reliance, dans la pensée complexe comme dans l’architecture. Dans cette partie, nous allons aborder la complexité de l’organisation du vivant en tentant de la voir à l’œuvre dans une manière d’organiser le projet urbain et la ville. Revenons tout d’abord sur quelques notions fondamentales concernant les principes d’organisation du vivant. Tout d’abord, un système vivant est toujours en équilibre dynamique. On appelle homéostasie (du grec homeos : même et stasis : rester) cet état qui permet au système de conserver sa structure tout en évoluant dans un milieu en perpétuelle évolution : « rester le même tout en changeant, rester le même tout en se renouvelant en permanence dans ses constituants. »95 Le système vivant porte donc en lui une dialogique d’ouverture/fermeture qui lui profère son équilibre. « Problème pourtant ignoré et occulté non seulement par l’ancienne physique, mais aussi par la métaphysique occidentale/cartésienne, pour qui toutes les choses vivantes sont considérées comme des entités closes, et non comme des systèmes organisant leur clôture (c’est à dire leur autonomie) dans et par leur ouverture. »96
Edgar Morin
95. Y. Rey et B. Prieur Systèmes éthiques, perspectives en thérapie familiale. 1991. p.27 96. Edgar Morin Ibid. p.31 97. Sadi Carnot 1924 98. Edgar Morin Ibid. p.37 99. Edgar Morin Ibid. p.37
Il paraît donc dès à présent essentiel de ne pas séparer les objets et leur environnement (‘‘ce qui est au environs de...‘‘) par clôture hermétique des frontières, mais plutôt d’étudier les relations que ceux-ci entretiennent avec leur milieu (ce à l’intérieur de quoi quelque chose se trouve). Par la fermeture des objets nous pouvons les distinguer du reste, sans les séparer tandis que par leur ouverture nous pouvons étudier leur manière de fonctionner ensemble : avec les autres et au sein de leur milieu, donc d’être vivants. On retrouve ici les trois relations (à soi, aux autres et au monde). En ce qui concerne les systèmes clos, la seconde loi de la thermodynamique97 explique que leur évolution tend naturellement vers l’entropie « c’est à dire l’accroissement, au sein d’un système, du désordre sur l’ordre, du désorganisé sur l’organisé. »98 En effet, ceux-ci ne pouvant pas organiser leur équilibre dynamique dans leur relation avec l’extérieur, tendront alors vers l’équilibre primaire : la mort. Un système vivant quant à lui, n’étant pas clos, n’obéit pas au second principe de la thermodynamique mais aux principes d’auto-organisation lui permettant d’évoluer dans son milieu. On comprend donc ici l’enjeu de ne pas clore un système, mais toujours de le mettre en relation. Enfin, d’après certaines avancées dans le domaine des théories sur l’organisation, il y a une corrélation directe entre l’entropie et l’information (le sens). « Brillouin explicita qu’il y avait équivalence entre l’information et l’entropie négative ou néguentropie. Or la néguentropie n’est autre que le développement de l’organisation, de la complexité. »99 Il y a donc une équivalence entre organisation et information. Plus le système génère de l’information, crée du sens et plus il s’organise, ou réciproquement, plus ce dernier s’organise, plus il rejette le désordre à l’extérieur de ses frontières, et est créateur de sens.
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PRINCIPES D’AUTO-ORGANISATION ET ENJEU DU TIERS ESPACE
« La ville, il ne faut pas la laisser tranquille. Il faut qu’elle réagisse avec ce qui l’entoure. Et c’est cette réaction avec ce qui l’entoure qui va lui donner sa permanence [...] Et ce sont ces interactions avec le monde extérieur qui lui donnent sa stabilité et sa signification. » Temps à devenir p. 29, 30
100. Edgar Morin Ibid. p.109 101. Henri Atlan Du bruit comme principe d’autoorganisation 1972 102. Edgar Morin Ibid. p.44
Ilya
Prigogine
La notion que nous allons introduire dans ce chapitre est celle de perturbation, c’est-à-dire une modification du milieu dans lequel évolue un système. En effet, un système vivant étant nécessairement ouvert, il est constamment soumis aux modifications de son milieu. Il va chercher le plus possible à maintenir sa structure en se réorganisant afin d’atteindre un équilibre dynamique. Mais tous les systèmes ne réagissent pas de manière identique face à une même perturbation : plus un système est trivial, plus sa capacité à se réorganiser est faible. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, son manque de reliance l’empêche de créer du sens et de véhiculer l’information. En cela, il est incapable de se réorganiser et va donc tendre vers l’équilibre primaire. De la même manière, plus un système est complexe et composé de multiples relations «souples», plus sa capacité à générer du sens et à se réorganiser dans un environnement évolutif est grande. De plus, la trivialité du système linéaire le rend entièrement prévisible : « est triviale une machine dont, si vous connaissez tous les inputs, vous connaissez tous les outputs »100 ce n’est pas le cas des systèmes complexes. Un système pouvant s’auto-organiser est imprévisible, on connaît la finalité de son action (la réorganisation), mais on ne peut pas prédire d’avance comment celuici arrivera à ses fins. C’est grâce à sa souplesse et à son caractère aléatoire que le système complexe peut être déterminé comme fiable. Un système trivial prévisible est donc finalement moins fiable qu’un système complexe imprévisible. Henri Atlan fait l’éloge Du bruit comme principe d’auto-organisation.101 Le bruit, ou désordre, est en effet le passage nécessaire à la réorganisation du système. Le milieu dans lequel il s’insère étant en perpétuelle évolution, le système doit donc faire face en permanence aux variations de son environnement. Nous retrouvons une fois de plus, l’enjeu de la reliance au sein des systèmes vivants, mais à celui-ci, vient s’ajouter celui du nécessaire passage par le désordre d’un système pour permettre son évolution. « L’entropie, dans un sens, contribue à l’organisation qu’elle tend à ruiner et, [...] l’ordre auto-organisé ne peut se complexifier qu’à partir du désordre, [...] à partir du ‘‘bruit’’»102
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De nombreux écrits relient déjà sur le plan théorique les principes d’autoorganisation et de changement avec les systèmes d’organisation des villes. En 1998, la géographe Denise Pumain publie Les modèles d’auto-organisation et le changement urbain et fait l’hypothèse que « Les modalités du changement observé dans les villes ou dans les systèmes de villes ressemblent à celles que décrivent les théories physiques de l’auto-organisation. »103 Le terme de résilience urbaine rejoint le principe d’homéostasie et « réinterroge la façon de penser le système urbain et ses perturbations. Appliqué à la ville, il peut être défini comme la capacité d’un système urbain à absorber une perturbation et à retrouver ses fonctions à la suite de cette perturbation. »104
103. Denise Pumain Les modèles d’autoorganisation et le changement urbain p.352
Il paraît alors intéressant de chercher à poursuivre cette voie, en essayant de dégager des conséquences pratiques et une prise en compte de ces théories dans le projet architectural et urbain. Cela permettra de plus, de soutenir l’idée que des fondements théoriques, basés sur les philosophies de la complexité, permettent l’enrichissement d’un vocabulaire qui fait écho à une certaine pratique architecturale, déjà en place et peut-être aussi en devenir.
105. Denise Pumain Ibid. p.352
Si nous avons déjà vu l’enjeu de la reliance dans le maintien de l’équilibre des systèmes urbains (« La résilience de la structure du système résulte de sa forte connexité, assurée par les échanges matériels et surtout les échanges d’information. »105), nous comprenons aussi à présent la place que peut occuper l’entropie : désordre ou ‘‘bruit’’, dans l’évolution de la ville. Nécessaire pour la réorganisation face à une modification de l’environnement, elle est, pour les systèmes reliés, un passage d’imprévisibilité garantissant l’équilibre. À travers l’analyse des notions de ‘‘contre espace’’, ‘‘tiers paysage’’ et ‘‘tiers lieux’’, Hugues Bazin106 remet au goût du jour la notion de ‘‘tiers espace’’. Ce terme, emprunté au sociologue Jean Viard107 représente « cet espace mi-urbain mirural »108. Pour Hugues Bazin, « ces tiers espaces sont aujourd’hui les nouveaux espaces du commun où peut se croiser une diversité tout en constituant une communauté de destin. »109 Ils constituent des plateformes d’échange social dans lesquel les différents acteurs, à la fois chercheurs et auteurs, valorisent « la prise en compte de l’aléatoire dans une culture de l’incertitude, l’absence de projet au profit du processus, le dialogue avec les matériaux pour de nouvelles formes, la revalorisation des situations marginalisées. »110
104. M. Toubin, S. Lhomme, Y.Diab, D. Serre et R. Laganier La Résilience urbaine : un nouveau concept opérationnel vecteur de durabilité urbaine ?
106. Hugues Bazin chercheur indépendant en sciences sociales depuis 1993, coordinateur du Laboratoire d’Innovation Sociale par la RechercheAction 107. Jean Viard (1949 - ) chercheur en sociologie français, économiste de formation. 108. Martin Vanier Qu’est-ce que le tiers espace ? Territorialités complexes et construction politique. 2000 - p. 105 109. Hugues Bazin Les figures du tiers espace : contreespace, tiers paysage, tiers lieu 2013 - p. 2 110. Hugues Bazin ibid - p. 6
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111. Michel Foucault (1926 - 1984) philosophe français dont le travail porte sur les rapports entre pouvoir et savoir. 112. Gilles Clément (1943 - ) jardinier, paysagiste, botaniste, entomologue, biologiste et écrivain français. 113. Gilles Clément Manifeste du tiers paysage 2004
t s
114. Ray Oldenburg (1932 - ) sociologue urbain américain connu pour écrire sur l’importance de lieux de rassemblement public informels pour le fonctionnement de la société civile et la démocratie 115. Hugues Bazin ibid - p. 4 116. Charles Fourier (1772 - 1837) 117. J-B. A. Godin (1817 - 1888) 118. Etienne Cabet (1788 - 1856) 119. Ebenezer Howard (1850 - 1928) 120. Christian Laval Pierre Dardot Commun, essai sur la révolution au XXIe siècle - 2015
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Ainsi, le contre espace peut être alors perçu comme un incubateur de développement sociopolitique : il naît de l’hétérotopie décrite par Michel Foucault111 comme un espace autonome en marge de la société, qui organise son autogestion à partir de son milieu. Le tiers paysage, lui, est défini par Gilles Clément112 comme un délaissé, regorgeant d’une diversité biologique et offrant un potentiel écologique et écosystémique extrêmement riche113. Enfin, le Tiers Lieu, développé par Ray Oldenburg114 est un regroupement, notamment autour du partage de connaissances et de services, et se développe autour de principes d’autofabrication économique et culturelle. Le tiers espace d’Hugues Bazin intègre ces trois notions afin d’englober les dimensions sociopolitiques, écologiques, économiques et culturelles et fait naître alors un potentiel d’auto-organisation sociétal, tant dans le rural que dans l’urbain. « Concevoir le tiers espace comme une nouvelle modalité de gestion de l’urbanité serait une véritable révolution qui s’appuierait sur la maîtrise d’usage des habitants du territoire. »115 Les jardins partagés, friches, fablabs, ressourceries, marchés biffins, Zone à Défendre, sont autant de tiers espaces facilitant l’intégration du désordre face aux modifications du milieu. Ils permettent la résilience ou l’évolution des systèmes d’organisation humaine, à échelle politique, gouvernementale, écologique, économique et culturelle. Ces lieux, entre autres hérités du socialisme utopique, rappellent par certains aspects les Phalanstères de Charles Fourier116, Familistère de Jean-Baptiste André Godin117, Icarie d’Etienne Cabet118 ou plus tard, les cités-jardins d’Ebenezer Howard119. Ils constituent, en quelque sorte, des utopies concrètes où l’on expérimente le ‘‘Vivre ensemble’’ et requestionne les Communs120. Le projet R-URBAN, présenté précédemment en est un exemple. Nous pouvons aussi présenter la friche La belle de mai à Marseille, qui offre un lieu pour créer, travailler, résider, innover, diffuser, apprendre, se cultiver, débattre, s’amuser, jardiner, se dépenser, faire des rencontres, et encore bien d’autres choses : « l’inattendu [est] à tous les coins de rue de ce bout de ville. » Manufacture des tabacs au XIXe, puis usine jusqu’en 1990, ce morceau de ville de 12 ha est occupé en 1992 par l’association Système Friche Théâtre (SFT) qui suivra l’aspect culturel du projet jusqu’en 2013. Entre 1995 et 2002, la friche est présidée par Jean Nouvel qui cherchera à mieux la relier à la ville à travers la dimension culturelle. La mairie devient propriétaire des lieux. Lors d’une première intervention, trois pôles sont distingués : patrimonial, institutionnel et multimédia-culturel. Trois autres phases viendront souligner ce lien entre friche et ville successivement entre 2002 et 2008 en installant notamment de nombreuses structures et activités.
La friche s’intègre peu à peu au quartier en pleine mutation. Mutation due à la friche qui évolue elle-même par la transformation du quartier dans un processus d’inter-rétroaction, inter-rétroalimentation. Edgar Morin parle d’ailleurs d’auto-éco-organisation121 pour rappeler que l’auto-organisation est toujours un processus d’interrétroaction avec le milieu dans laquelle il s’insère. « Comment ré-ancrer ce morceau de ville dans la cité ? Cultiver un territoire est une entreprise délicate : à l’image de la nature qui progresse dans l’instabilité et l’imprévu, rien ne doit être figé. La friche s’engage donc à bâtir des cadres qui n’enferment pas. »122 En 2007, une Société Coopérative d’Intérêt Collectif, présidée par Patrick Bouchain est alors mise en place. Elle poursuit et amplifie cette évolution de manière collaborative, à travers la concertation entre usagers, institutions publiques et opérateurs culturels. Le rayonnement de cette gouvernance et les transformations atypiques de la Belle de mai, en font un lieu de brassage culturel et social : un lieu ‘‘improbable’’ d’expérimentations, une usine à ‘‘fabriquer de la vie’’, un lieu qui franchit les frontières et engendre un processus d’évolution de la ville et de ses habitants, tout comme il évolue lui-même en fonction de ces derniers. L’agence ARM Architecture123, l’agence Construire124 et les architectes Encore Heureux125, accompagnent l’évolution de la friche par différents projets d’aménagement au cours des dernières années. Terrasse, crèche, espaces de travail, salles de spectacle, aire de jeu, seront mis à disposition des habitants et feront vivre toujours plus la Belle de mai. « Souci écologique et durabilité, remise en cause des normes et des processus, expérimentation et esprit collectif sont au cœur de sa démarche urbaine et architecturale : projet d’habitations participatives, végétalisation de l’espace urbain avec les jardins partagés et la place paysagée. »126
121. Edgar Morin Ibid. p.46 122. Histoire de la Friche : http://www. lafriche.org/ 123. ARM Architecture fondée à Marseille par Matthieu Poitevin et Pascal Reynaud. 124. Construire fondée par Patrick Bouchain et Loïc Julienne. « Foncièrement anticonformiste, elle pratique une architecture « HQH » pour « Haute Qualité Humaine ». 125. Encore Heureux Collectif d’architectes depuis 2001 « À la croisée des genres, au travers d’un enthousiasme critique, ils imaginent des conditions et créent des situations pour habiter la complexité du monde.» 126. La friche aujourd’hui : http:// www.lafriche.org/
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L’ÉCOLOGIE DE L’ACTION, DE L’INCRÉMENTALISME EN ARCHITECTURE « L’incrémentalisme, c’est refuser que la fin soit définie dès le début, c’est décider chaque étape quand on l’aborde et en regardant en a, c’est ne pas figer trop tôt les étapes suivantes ni surtout la totalité de l’opération. » Ordre & désordres p. 31
127. Gregory Bateson (1904 1980) Anthropologue, psychologue, épistémologue américain. Influencé par la cybernétique, il s’est beaucoup intéressé à la communication (humaine et animale). Il est à l’origine de l’école de Palo Alto. 128. Edgar Morin Terre patrie 1993 - p.157 129. Ilya Prigogine Isabelle Stengers La nouvelle alliance.
1979 130. Ilya Prigogine (1917-2003) physicien et un chimiste belge d’origine russe. Prix Nobel de chimie en 1977. 131. Isabelle Stengers (1949 - ) grand prix de philosophie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre en 1993. 132. De l’ordre dans le désordre article sur la théorie du chaos : http:// ecrits-vains.com/ 133. Edgar Morin La méthode : Tome 6, Ethique 2004 - p.234 134. Edgar Morin Une politique de civilisation 1997
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Simone & Lucien Kroll
Comme nous l’avons vu précédemment, un système complexe s’auto-organise par des phases d’ordre et désordre en fonction de l’évolution de son milieu. Différents spécialistes se sont penchés sur ces processus de changements. Gregory Bateson127 a distingué deux types de changements : le type 1 s’apparente à la résilience, le type 2 est une modification du système afin qu’il puisse survivre à la perturbation. En ce sens, le changement 1 est intégré dans la logique du système tandis que le changement 2 nécessite une modification de la logique du système. « C’est lorsqu’une situation est logiquement impossible que surgit le nouveau et s’opère une création, qui transcendent toujours la logique. »128 Dans La nouvelle alliance129, I. Prigogine130 et I. Stengers131 appellent ‘‘bifurcation’’ le moment ou le système aborde un comportement évolutif nouveau (changement 2) en comparaison à une trajectoire stable (changement 1). Pour I. Prigogine, ce point de bifurcation - ou changement de cap - intervient lorsque le système s’éloigne du point d’équilibre et « peut être provoqué par une succession d’événements. Ceux-ci, en atteignant un point critique, font prendre des proportions gigantesques à une petite perturbation et rendent impossible toute prédiction quant à l’évolution du système. »132 En connaissance de cause, Edgar Morin propose une écologie de l’action. Il insiste sur le caractère imprévisible des transformations d’un système après une modification du milieu. Si, de par notre action, on modifie l’environnement en ayant un objectif précis, il y a de très fortes probabilités pour que le système ne réponde pas comme nous l’avions imaginé. « Du fait des multiples interactions et rétroactions au sein du milieu où elle se déroule, l’action, une fois déclenchée, échappe souvent au contrôle de l’acteur, provoque des effets inattendus et parfois même contradictoires à ceux qu’il escomptait. »133 Il conseille donc de ‘‘naviguer dans cette incertitude’’ en prenant conscience que toute décision dans un milieu incertain est un pari. Il nous propose alors de privilégier la stratégie plutôt que le programme. En effet, ce dernier détermine par avance des actions mises en œuvre dans le temps, en vue d’un résultat. La stratégie possède aussi un but, mais relève, en revanche, d’une organisation plus souple : « la stratégie se bat contre le réel en copulant avec lui. [Elle] élabore un scénario d’action en examinant les certitudes et incertitudes de la situation, les probabilités, les improbabilités. Elle se construit pratiquement en se montrant disponible à toutes modifications de la démarche selon les informations qu’elle reçoit, les hasards, contretemps ou bonnes fortunes qu’elle rencontre. Elle doit tantôt privilégier la prudence, tantôt l’audace et, si possible, les deux à la fois. La stratégie peut et doit souvent effectuer des compromis. »134
Les théories du changement de G. Bateson, la nouvelle alliance de I. Prigogine et I. Stengers ainsi que l’écologie de l’action d’E. Morin, transposées à l’architecture, nous invitent une fois de plus à requestionner la pratique actuelle du métier d’architecte et les processus de conception de la ville. En effet, nous comprenons désormais que le projet d’architecture entièrement planifié à l’avance peut non seulement s’éloigner des attentes initiales, mais parfois même se révéler contre-productif : « l’exemple le plus brutal, c’est le GPAS (Géneral Problem Solving) élaboré par Herbert Simon, un Américain nobélisé pour cela : tout est problème et tout problème trouve sa solution. Se fiant au seul calcul abstrait, sans rétroviseur qui puisse montrer les dégâts causés au contexte, Simon aboutit fatalement à une absurdité qui aggrave l’aliénation générale. Il rassemble «toutes» les informations utiles (c’est évidemment absurde : une fois assemblées, elles se mettent à vivre...) puis il prend des décisions «rationnelles» exclusivement par rapport à un projet calculé qui fixe définitivement le détail précis de toutes ses phases d’exécution. Les inconnues y sont jugés négligeables : elles peuvent pourtant fausser lourdement les hypothèses et ne se révéler que trop tard. Le système ne veut jamais s’arrêter... Les programmistes sont des embaumeurs : ils transforment une action vivante (habiter, étudier, faire loger...) en un schéma obligatoirement figé et stérile. Les résultats de cette méthode sont effrayants : il n’existe pour lui, que des problèmes, jamais de processus. »135
135. Lucien Kroll dans AlterArchitectures Manifesto 2012 - p. 213 136. Charles Lindblom (1917 - ) Politologue 137. Lucien Kroll ibid - p. 213 138. Simone & Lucien Kroll Ordre et désordres, 2015 139. Thierry Paquot Simone & Lucien Kroll Patrick Bouchain Simone & Lucien Kroll, une architecture habitée 2013
Pour pouvoir évoluer face aux changements de la société, de la ville et de l’environnement, il est parfois nécessaire, nous l’avons vu, de changer de logique. Cette bifurcation ne peut se faire que si les dispositions préalables ont permis au système de se relier. En ce sens, l’intégration graduelle de petites perturbations accompagne le système un peu plus loin de l’équilibre chaque fois, dans un processus de résilience. Elle facilite ce saut adaptatif imprévisible, mais nécessaire. C’est ce processus que l’architecte Lucien Kroll développe et propose sous le nom d’’’incrémentalisme’’. Théorisé dans les années soixante par Charles Lindblom136, issu des sciences politiques et économiques, l’incrémentalisme est un processus évolutif. Il consiste à effectuer de petits changements afin de faire évoluer un système de manière graduelle. « L’incrémentalisme, c’est une façon écologique de décider : par la participation continue de toutes les informations et de tous les informateurs qui surgissent au cours de l’opération. ‘‘On apprend à marcher en marchant’’. »137 L’architecture qui en résulte est pleine de vie. Lucien Kroll refuse le rationalisme purement fonctionnel « Plus c’est fonctionnel, moins cela fonctionne » et fait l’éloge des processus d’’’Ordre et désordres’’138 qui font de son travail ‘‘Une architecture habitée’’139. S’il exprime clairement une prise en compte de la complexité du monde à travers ses divers écrits, nous la retrouvons aussi à l’œuvre dans ses multiples projets, tous chargés de sens et de chaleur humaine.
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140. Lucien Kroll Tout est paysage 2012 141. Simone & Lucien Kroll Ordre et désordres, 2015 - p.15 142. Simone & Lucien Kroll ibid - p.31 143. Lucien Kroll Tout est paysage 2012 144. Simone et Lucien Kroll, une architecture habitée Du 25 sept. au 1er déc. 2013 http://www. lelieuunique.com/ 145. Simone et Lucien Kroll, une architecture habitée Communiqué de presse
Pour lui et son épouse Simone Kroll, ‘‘Tout est paysage’’140 : « Notre approche est surtout paysagère, donc globale, relationnelle et de longue durée. Nous disons “paysage” dans le sens de milieu naturel complexe construit par des décisions entrecroisées, multiples, tissées, jamais par des règles rigides, droites et simplificatrices. Notre approche est de longue durée puisqu’elle considère le passé, l’existant, le non-dit, comme la trame sur laquelle se pose le nouveau projet qui n’est qu’un moment dans l’histoire et qui continuera à évoluer sans nous. »141 Cette évolution, prise en compte dans la temporalité, profère à cette architecture une durabilité dans le changement (dialogisme). Simone et Lucien Kroll se fient au vivant et à sa souplesse pour continuer à évoluer. Ils rejettent toute tentative de rigidité qui chercherait à déterminer à l’avance un projet ficelé. Nous retrouvons donc cette notion de processus évolutif qui avance pas à pas et se construit dans l’inter-rétroalimentation entre tous les acteurs et actants du projet. « L’incrémentalisme, c’est ajouter un élément après l’autre, sans cohérence, c’est la science de la débrouillardise, une méthode intuitive ‘‘darwinienne’’ à l’image des tâtonnements de la nature...»142 Dans ses projets, Lucien Kroll met donc une attention particulière à ne pas faire deux fois la même chose : les habitants profitent alors d’une diversité et peuvent s’approprier les lieux. Ils sont invités à prendre part au processus de conception, faire évoluer ensemble le cahier des charges, réécrire le projet sur lui même plusieurs fois. Ils développent ainsi une ‘‘archéologie virtuelle’’ : « Des logements travaillés par une famille (qui nous quittait) puis par une autre, une troisième, en conservant la trace des anciennes. »143 Processus effectué sur le papier et qui pourra continuer peu à peu dans l’incrémentalisme concret de ces bâtiments vivants. Ce même processus est relaté physiquement dans l’exposition « Simone et Lucien Kroll, une architecture habitée »144 au Lieu Unique à Nantes. Un appartement-témoin pour une exposition habitée est mis en place par le collectif ETC, une ‘‘pièce dans la pièce’’ : « Jamais terminé, cet appartement demande à être habité et à évoluer tout au long de l’exposition. Plusieurs habitants et professionnels emménageront successivement dans ces murs et proposeront à chaque fois un nouvel espace de vie. C’est la somme de toutes ces transformations et de tous ces récits qui feront parler les murs. »145
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Le Collectif ETC joue d’ailleurs souvent, de manière tacite, la carte de l’écologie de l’action. En investissant l’espace public, par exemple en 2011 sur une friche près de la gare de Saint Étienne, il donne justement une « Place au changement ». Ce chantier ouvert au public vise à refléter les mutations en cours dans le quartier et « donner vie ensemble à ce morceau de ville en devenir. »146 Des activités seront ainsi développées sur cette place durant un mois, afin de l’aménager, de la faire vivre. Entre jardinage, bricolage, peinture et activités ludiques, l’ensemble des acteurs locaux : habitants, élus, centres sociaux et foyers, se retrouvent l’espace d’un moment, pour échanger sans hiérarchie, apprendre et partager. Des espaces dessinés au sol reprennent le plan fictif des futurs logements tandis qu’une fresque est peinte, représentant une coupe du bâti. Les prémices du futur bâtiment se font déjà sentir. Les habitants peuvent se projeter, échanger sur l’avenir du lieu, questionner les méthodes de concertations mises en place par la mairie, dynamiser la vie associative locale. La place sera inaugurée et nommée par les habitants. Les rencontres génèrent le partage d’histoires, d’anecdotes, d’envies, d’idées. Les liens commencent à se tisser, le projet, à s’étendre sur les façades alentour sous forme de peintures murales, puis perdurera dans le temps sous forme de ‘‘fanzine’’ donnés aux habitants. La dimension ‘‘temporaire’’ permet l’expérimentation. « La notion de temps dans le monde de la construction étant différente de la notion de temps chez les habitants, il y a peut-être un enjeu à réinvestir ces temps morts du projet, pour une meilleure acceptation des opérations urbaines souvent mal vues. »147
146. Place au changement ! http://www. collectifetc.com/ 147. Place au changement ! ibid. 148. Paracity http:// casagrandelaboratory. com/ 149. Marco Casagrande (1971 - ) Architecte, urbaniste, artiste et professeur finlandais. 150. Global Award 2015 : des lauréats engagés http://www. larchitecture daujourdhui.fr/
Le projet expérimental Paracity148 que propose Marco Casagrande149 tente, lui aussi, de générer un processus incrémental. À partir d’une cellule en bois de six mètres cubes dont il ne dessine que les arrêtes, il cherche à recréer un système d’organisme urbain modifiable et interprétable par l’autoconstruction. Les usagers peuvent alors se réapproprier et transformer la structure de base : les arrêtes de cubes, pourtant identiques et standardisées au départ, deviennent uniques en fonction de leur contexte et de leur milieu. Flexibles, les cubes s’adaptent aussi bien à des usages d’habitat que de jardins, fermes, ateliers ou autres. Cette trame, ouverte au public offre le cadre générateur d’une architecture DIY (do it yourself) et explore les pistes d’une reconstruction rapide et efficace des zones détruites par des catastrophes naturelles. « Autant d’accidents qui, réunis, prendraient le pas sur une ville industrielle caduque avec ‘‘la nature comme co-architecte ; c’est elle qui s’occupe des finitions’’.»150
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LE PRINCIPE HOLOGRAMMATIQUE OU L’ENJEU DE L’ACUPUNCTURE URBAINE « Nous savons que la planification urbaine est un processus complexe. La meilleure des planifications possibles ne réussit pas à générer des transformations immédiates. C’est presque toujours un petit événement qui provoque une réaction en chaîne. J’appelle cela une bonne, une véritable acupuncture urbaine. » Acupuncture urbaine p. 13
151. Edgar Morin Introduction à la pensée complexe réed. 2014 - p.100 152. chaîne linéaire des causalités
Jaime
Lerner
Nous avons pu voir dans ces différentes parties, comment le vivant s’auto-écoorganise en passant par des phases d’ordre et de désordre. Une modification incrémentale du milieu, c’est-à-dire une action ponctuelle dans le temps, favorise un retour à l’équilibre dynamique des systèmes. À ce processus temporel de changement, nous allons désormais ajouter une dimension spatiale. En effet, face aux pressions environnementales, nous avons vu qu’un système peu ou pas relié aura tendance à se trivialiser (jusqu’à la mort du bruit : le silence) ou au contraire à conserver un chaos entropique incapable de se réorganiser. Dans ces deux cas, l’information ou l’entropie n’ont pas les moyens de circuler librement et stagnent, par ponctualités. Dès lors, un métasystème peut lui aussi comporter des sous-systèmes locaux se dégradant de façon analogue. L’ensemble n’est alors pas en harmonie. Pour comprendre cette logique d’organisation spatiale, Edgar Morin compare le système vivant à l’hologramme. En effet, chaque particule de ce dernier comporte l’information de la totalité de l’hologramme, tandis que celui-ci est composé de toutes ces particules. « Non seulement la partie est dans le tout, mais le tout est dans la partie. […] L’idée donc de l’hologramme dépasse, et le réductionnisme qui ne voit que les parties, et le holisme qui ne voit que le tout. »151 Cette dialogique entre le tout et la partie revisite les limites de la vision linéaire cartésienne selon laquelle le tout se restreint à être la somme des parties, dans une dynamique organisée selon ‘‘l’ordre des raisons’’152. Le principe hologrammatique nous permet donc de considérer chaque partie comme porteuse de l’information du tout. Il n’y a plus besoin de remonter toute la chaîne causale pour pouvoir effectuer un changement. Le système n’est plus linéaire, mais complexe. C’est un tissu dans lequel différentes ponctualités sont détentrices d’un pouvoir de changement. Nous retrouvons ici ce basculement soudain, appelé bifurcation par I. Prigogine et I. Stengers, dans sa dimension spatiale, se propageant du local au global. Nous découvrons ici une nouvelle facette de l’écologie de l’action, cette fois de manière spatiale, nécessitant peu d’énergie pour sa mise en oeuvre et permettant un changement global de tout un système à partir d’une action ponctuelle.
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Nous avons pu constater précédemment, qu’il existait une analogie possible entre les principes d’organisation systémique et les principes d’organisation des villes. Métropoles, morceaux de villes, quartiers, bâtiments, appartements sont autant de systèmes et sous-systèmes interconnectés, qu’il est possible d’observer selon les principes d’ordre et de désordre. Les bâtiments parfois trop silencieux, décrits par Thierry Paquot comme des Désastres urbains,153 résultants d’un découpage fonctionnaliste des activités citadines, sont des endroits où le désordre peine à exister. Les ‘‘accidents’’ de la vie, les rencontres fortuites s’y font rares. Tout est planifié d’avance. Les bâtiments se transforment peu à peu en « squelettes urbains »154. L’architecte peut donc prendre part à l’évolution de ces quartiers afin d’y rompre le silence, comme l’a fait l’Osservatorio Nomade pour Il Corviale. Les membres de Cochenko155 dans Made in Joliot156 construisent avec les différents acteurs d’un quartier, un lieu de partage et d’échange par la création d’un potager au pied des tours. Un container utilisé comme atelier est mis en place afin de soutenir les habitants dans l’aménagement de leurs logements nécessaire suite à une rénovation de leurs lieux de vie. D’un autre côté, certaines portions de villes, comme les villes informelles, s’implantent là encore sans concertation, ni liaison avec le tissu urbain existant. Ici, pas de règles, la débrouillardise est le système qui règne. Insalubrité et misère posent problème et l’« embryon d’autogestion de la misère [est alors] vécu comme une provocation par l’ordre établi »157. Là encore, l’architecte a un rôle à jouer pour favoriser l’intégration à la ville des populations les plus démunies et les aider à mieux se relier, à mieux s’organiser. C’est notamment le travail de P.É.R.O.U qui propose de « Construire la sortie du bidonville en l’habitant. »158 Ces potentiels désordres, nécessaires à la réorganisation et à l’évolution, sont encore bien souvent rejetés : « Chaque fois qu’une observation participante mène logiquement à une certaine complexité de paysage urbain, on aura beau faire, il y aura toujours un architecte qui ‘‘mettra de l’ordre’’ et qui, stupidement, effacera les traces d’habitants et imposera au nouveau paysage un aspect bien ordonné, muet, stérile et rien qui puisse rappeler une culture populaire, un développement continu, une vie chaotique, donc un tissu urbain visiblement vivant. »159 Pourtant, aujourd’hui, de nombreux architectes choisissent d’agir différemment. Ce sont autant de musiciens permettant d’harmoniser la ville, qui à l’image de la musique (juste équilibre entre le silence et le bruit) doit trouver la juste mesure entre l’ordre et le désordre. « Il existe une harmonie du désordre qui rend l’ensemble plus juste. »160 Tandis que Simone et Lucien Kroll militent pour une « architecture homéopathique »161, Jaime Lerner et Marco Casagrande font appel à « l’acupuncture urbaine ». Ils agissent alors sur des ponctualités, là où, soit l’entropie, soit l’information, ne peuvent s’évacuer d’elles-mêmes et tissent les liens par une modification écologique de l’espace, afin de redynamiser l’ensemble.
153. Thierry Paquot Désastres urbains, les villes meurent aussi. 2015. 154. Patrick Bouchain Construire ensemble le grand ensemble, habiter autrement. 2010 - p. 62 155. Cochenko (2007- 2015) Collectif pluridisciplinaire militant pour un activisme en douceur, poétique, politique et ludique. Tisseur lien social à travers l’imagination de nouveaux moyens de construction et de compréhension des espaces collectifs. 156. Made in Joliot (2011-2015) http:// madeinjoliot.com/ 157. Sébastien Thiéry Considérant qu’il est plausible que de tels événements puissent à nouveau survenir : Sur l’art municipal de détruire un bidonville 2014 158. Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines laboratoire de recherche-action sur la ville hostile conçu pour faire s’articuler action sociale et action architecturale en réponse au péril alentour, et renouveler ainsi savoirs et savoirfaire sur la question. 159. Lucien Kroll Tout est paysage 2012. 160. Patrick Bouchain ibid - p 74 161. Lucien Kroll. ibid
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162. Marco Casagrande dans La ville rebelle 2015 163. Jaime Lerner Acupuncture urbaine 2011 164. Jaime Lerner ibid - p. 59 165. Jaime Lerner Acupuncture urbaine 2011- p.59 166. Jaime Lerner, l’acupuncteur urbain... http://www.naturavox.fr/ 167. DUS. Fondé en 2004. Architectes et designers cherchant à créer des espaces audehors où l’on se sent comme chez soi. Amsterdam 168. Made in Vitrolles Chantier collectif dans l’espace public. Bellastock, collectifs ETC, EXYZT et Les Saprophytes. écrit par Gabi Farage (Bruit du Frigo) en 2013 169. Da(TA)PLACE Cochenko & Un sourire de toi et je quitte ma mère replacent les habitants au cœur de la vie urbaine, et agissent sur l’espace public de manière ludique et créative avec les usagers du quartier depuis 2010 170. Les Saprophytes à l’Alma « C’est l’histoire de champignons et de gens, d’appropriation par l’action.» 2007
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« L’acupuncture urbaine est une théorie bio-urbaine, qui conjugue la sociologie et l’aménagement urbain avec la théorie médicale chinoise de l’acupuncture. En tant que méthodologie de conception, elle opère des micro-interventions tactiques sur le tissu urbain, visant à obtenir des répercussions et une transformation en cascade de l’organisme urbain général. À travers ces points, l’acupuncture urbaine cherche le contact avec les savoirs locaux du site. Par nature, l’acupuncture urbaine est souple, écologique, soulage le stress et la tension industrielle dans l’environnement urbain. Elle guide ainsi la ville vers l’organicité : une nature urbaine, partie intégrante de la nature. Elle active à petite échelle un développement catalyste, écologique et social de l’environnement construit. »162 Les points de l’Acupuncture urbaine163 proposés et décrits par Jaime Lerner sont extrêmement riches et variés : les possibles actions redynamisant l’espace sont multiples et dépendent toujours d’un contexte : un jour il faut agir vite, le lendemain, il est nécessaire de « ne rien faire, de toute urgence ».164 L’acupuncture urbaine peut être synonyme de solidarité, de courtoisie ou encore de poésie urbaine. Elle est participative : « ce qu’il faut, c’est un scénario, ou une idée, un dessin désirable. Et tous - ou la plupart - aideront à le réaliser. Là, au moment précis de sa réalisation, l’auto estime de la population fait bouger la ville. » 165 Lors de ses trois mandats pour la ville de Curitiba en 1971 à 1992, Jaime Lerner architecte et urbaniste s’emploie à proposer des systèmes de dynamisme alternatifs, auxquels les habitants sont invités à prendre part. Pour régler, par exemple, les problèmes de gestion des déchets dans les bidonvilles ou sur la côte, il proposera aux habitants d’échanger leurs sacs à ordures contre des billets d’autobus, s’ils les apportent eux-mêmes. Aux pêcheurs, il propose le rachat des ordures récupérées dans les filets. « Au final, 70% des habitants trient leurs déchets (contre 14% à Paris) [...] Aujourd’hui, si l’on interroge les habitants de la ville, 99% pensent vivre dans la ville où la qualité de vie est la meilleure au monde. »166 Une forêt infinie, déposée au coeur d’une place à Amsterdam167, du mobilier urbain ‘‘Made in Vitrolles’’168, des ‘‘guitounes’’ sur la place du buisson Saint-Louis169, des cultures de pleurotes aux pieds des tours à Roubaix170, la liste est longue de ces microprojets architecturaux qui favorisent le lien et sèment la courtoisie urbaine et la convivance. Ces nombreux projets viennent poétiser, l’espace d’un instant, nos pratiques habituelles de la ville. Ils interagissent à plus ou moins long terme dans l’espace public avec les habitants en dynamisant les usages et en favorisant les interactions citoyennes.
D’autres projets profitent de la vacance des lieux entre deux planifications urbaines pour s’immiscer dans les interstices, se faufiler dans le délaissé. C’est le cas par exemple Des Grands Voisins à Paris, qui réintègre les locaux de l’ancien Hôpital Saint Vincent de Paul, destinés à la création d’un nouveau quartier à l’horizon 2017. Les associations Aurore171, Yes We Camp172 et Plateau Urbain173 se partagent les tâches du projet, alliant architecture, urbanisme, communication, mais aussi insertion professionnelle, soin, hébergement et accompagnement de personnes en situation de précarité ou d’exclusion. La diversité des populations et des savoir-faire présents sur le site engendre une mixité des usages et une mixité sociale particulièrement favorable à l’émergence de situations et rencontres ‘‘imprévisibles’’ et constructives. Le projet, dans sa dimension culturelle, rayonne sur le quartier et sur la ville en proposant aux habitants : concerts, marchés de producteurs, café, restaurant, spectacles et autres activités. En ce qui concerne le rayonnement dans la ville, il peut-être d’ordre méthodologique, puisque ces nombreux projets, agissant souvent sur l’événementiel et le court terme essaiment néanmoins leurs idées sur leur passage et favorisent la multiplication sur le long terme de ces ‘‘espaces vivants’’. Il peut-être d’ordre sociologique puisque les gens qui s’y rencontrent tissent des liens pouvant perdurer, et être eux aussi à la naissance de futurs nouveaux projets. Il peut-être aussi d’ordre culturel, puisque les savoirs et la culture partagés et diffusés sur place profitent à tous et ne disparaîssent pas, bien au contraire, une fois le projet parti.
171. Aurore Association professionnelle, au service de la lutte contre l’exclusion depuis 1871 172. Yes We Camp Travaille en lien avec les acteurs locaux pour construire, habiter et utiliser les espaces partagés à l’aide d’équipements temporaires innovants, fonctionnels et inclusifs, depuis 2013. Marseille - Paris 173. Plateau Urbain Association proposant un rôle d’interface entre propriétaires et porteurs de projets, pour redonner vie à des immeubles vacants et soutenir des projets associatifs, entreprenariaux et culturels depuis 2013.
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SYNTHÈSE
« Le Troisième Paradis ne veut pas prophétiser un avenir empreint d’espoirs métaphysiques, mais une transformation responsable qui concerne tous les domaines de la vie humaine et convoque les énergies mentales et pratiques de tous pour atteindre l’équilibre entre nature et artifice, raison et émotion, individu et société, public et privé, local et mondial. » Michelangelo Pistoletto
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QU’AVONS-NOUS APPRIS ? À travers ce travail d’initiation à la recherche, nous avons tenté de tisser d’une manière différente des pratiques architecturales déjà reliées par une éthique commune. C’est par le biais de la pensée complexe que nous les relions ici, afin de leur donner un fondement théorique plus général, ce que nous croyons utile pour pouvoir mieux discerner une dimension globale de ces actions locales. Dans la première partie portant sur la reliance, nous avons tout d’abord vu comment la dialogique sujet/objet était aujourd’hui prise en compte par de nombreux architectes dans leur travail. Ces derniers, dénonçant le positivisme moderne, proposent de nouvelles démarches dans lesquelles ils s’impliquent et se mettent en lien avec leur objet d’étude. D’un point de vue éthique, cela les amène à porter une attention particulière à chaque contexte en s’ouvrant avec curiosité aux discours des habitants et ainsi sur les représentations de leur lieu de vie. Concertation, permanence architecturale, chantiers ouverts au public, promenades urbaines ou cartographies collectives, sont autant de dispositifs où l’architecte est impliqué, en immersion dans son objet d’étude. Nous avons ensuite vu comment la transdisciplinarité fait évoluer la position de l’architecte dans l’exercice de sa profession. En nous appuyant sur divers exemples, nous avons montré qu’aujourd’hui, de nombreux praticiens œuvrent en faveur d’un décloisonnement des savoirs. Ils considèrent les disciplines, non pas comme des domaines séparés ayant chacun leur objet d’étude, mais comme différents regards portés vers une seule et même chose. Ces derniers valorisent le travail collectif, permettant un enrichissement de tous par les savoirs de chacun. Ils mettent alors en place un dialogue et une concertation entre tous les acteurs et jouent un rôle d’architectes-médiateurs. Ces relations soulèvent des questions qui font évoluer la dynamique actuelle des politiques publiques et le processus de fabrication de la ville. Enfin, la conjecture de Von Foerster nous a permis de comprendre la nécessité d’immerger le sujet dans l’objet, de décloisonner les savoirs et plus généralement, d’intégrer la reliance au sein des processus de décision et de fabrication de la ville. En effet, ce sont ces moyens mis en oeuvre qui permettent l’appropriation des espaces par leurs usagers (c’est-à-dire l’ensemble des acteurs puisque sujet et objet sont liés) et laissent au système la possibilité de s’auto-organiser. Là encore, nombre de professionnels comprennent ces enjeux et militent pour une évolution de la pratique architecturale par une prise en compte de ces dimensions. Ils dénoncent des politiques publiques parfois trop rigides, empêchant le système d’évoluer et entraînant de nombreux effets pervers et contre-productifs. En actionnant les principes précédemment présentés, architectes, habitants et autres acteurs (re)prennent une place dans le débat public, afin de redonner les moyens au système de tendre vers une démocratie réellement participative, labélisée HQH (Haute Qualité Humaine).
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«Trop de voix s’élèvent par le monde pour que les esprits, hébétés d’infos et d’images, n’en viennent à considérer qu’un fond de réalité objective n’alimente le discours des écologistes. Même si le mécanisme complexe des échanges propres aux écosystèmes demeure largement ignoré, le sentiment d’une intime liaison du proche avec le lointain atteint les consciences et forge à l’insu de tous les gouvernements un réseau d’appartenance planétaire.» Alternatives ambiantes
Gilles Clément
Dans la deuxième partie de ce mémoire, nous nous sommes appuyés sur les principes d’organisation étudiés par les systémiciens, pour mieux comprendre les processus de changement de la ville. Aujourd’hui, de nombreux architectes se refèrent à ces études et plusieurs d’entre eux défendent le ‘‘droit au désordre’’ pour permettre une auto-organisation de la société, une autoproduction de la ville par elle-même. Nous avons présenté les ‘‘délaissés’’ urbains et paysagers, comme des catalyseurs de ces processus à une échelle sociopolitique, écologique, économique et culturelle et observé comment certains architectes, urbanistes ou collectifs réinvestissaient ces tiers espaces pour en faire des lieux de ‘‘convivance’’. À travers l’exemple de la Friche La belle de Mai nous avons souligné le potentiel de ce type de lieux dans la qualité de la vie urbaine et communautaire. Dans la suite, en nous appuyant sur l’étude des processus de changement dans le temps, nous avons évoqué le possible retournement de situation des projets dans leur phase d’évolution. Nous avons ainsi introduit la notion d’écologie de l’action présentée par Edgar Morin, pour agir en connaissance de cause. Cette deuxième sous-partie montre les similitudes entre l’écologie de l’action et l’incrémentalisme, et propose divers exemples appliqués, de projets procédant de manière incrémentale. Nous avons vu également que ce procédé, en favorisant le processus plutôt que le programme, permettait une évolution constante des projets et de la ville dans le temps. Cela se rapproche donc, d’une manière différente, au développement durable. Ce dernier se veut généralement soucieux d’une durabilité des conséquences d’une action de développement. Nous montrons qu’il est aussi possible de le voir comme un processus de développements successifs se produisant dans la durée. Enfin, la dernière étape de ce mémoire visait à considérer ce développement, non seulement dans le temps, mais aussi dans l’espace. Nous avons ainsi montré le rapprochement possible des principes de l’hologramme avec ceux de l’acupuncture et de l’homéopathie, eux-mêmes déjà mis en relation avec le travail de l’architecte (notamment par Lucien Kroll, Jaime Lerner et Marco Casagrande). Ces principes visent à montrer comment de petites actions architecturales peuvent avoir un effet sur l’ensemble de la ville, et requestionnent de nouveau la position et le rôle de l’architecte. Son travail consiste alors aussi à observer les lieux de déséquilibre ou règne un surplus de chaos ou d’ordre , et à y mener des actions ponctuelles. Nous avons ainsi pu voir que de nombreux collectifs s’inscrivent cette démarche, plus en tant que médiateurs que d’experts positivistes.
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UN TRAVAIL INCRÉMENTAL ?
174. M. Pistoletto Le troisième Paradis 2011 175. M. Casagrande dans La ville rebelle 2015 176. O. Dain Belmont Permacité 2015 177. Smart-Cities http://www.smartcity.fr/ 178. François Grether La ville sur mesure 2012
La mise en parallèle de la pensée complexe avec des pratiques architecturales nous a permis à la fois une observation appliquée des phénomènes complexes du monde, par le prisme de l’architecture, mais aussi une compréhension plus approfondie des enjeux d’un basculement paradigmatique, vers ces pratiques architecturales encore aujourd’hui qualifiées d’alternatives ambiantes. Si nous avons soulevé en introduction l’étendue des catastrophes écologiques, sociales, culturelles, économiques et politiques, c’est bien parce que nous pensons l’architecte capable, de par son travail, d’apporter sa contribution à la remédiation de ces problèmes. Comme nous l’avons vu dans la première partie, les crises identitaires, sociales et écologiques sont principalement dues à un manque de reliance des individus et des groupes d’individus envers euxmêmes, les autres et le monde. La séparation que notre culture a effectuée entre nous et le vivant dans nos modes de vie actuels, ne nous permet plus aujourd’hui de nous relier de manière harmonieuse aux cycles de la nature, comme savent le faire pourtant encore beaucoup de communautés rurales ou autochtones. Nous nous sommes peu à peu éloignés de l’architecture vernaculaire pour nous rapprocher d’un progrès rationaliste instrumental, qui paradoxalement, perd peu à peu toute sa rationalité. Le recours à la pensée complexe permet de la retrouver par un processus dialogique de métamorphose. Ainsi la philosophie de la complexité nous apparaît comme une pensée fondamentale permettant de reprendre contact avec le vivant, aujourd’hui trop souvent oublié sous le béton ; repenser nos modes de vie, en lien et non plus hors-sol. En ce sens, l’architecte a un rôle fondamental à jouer dans cette évolution, à laquelle il participe, en collectif, en vue d’améliorer les qualités du vivre ensemble et de symbiose avec l’environnement. En s’appuyant sur le passé pour mieux regarder vers l’avenir, en métissant les techniques avec les savoir-faire locaux, en tissant les liens entre tous les acteurs du développement, en favorisant le dialogue, il pourra ainsi accompagner la ville dans son processus d’auto-organisation, vers une rationalité nouvelle, dépassant les limites du cartésianisme séparateur, simplificateur et abstrait. Sa compréhension n’opposant plus le local et le global, lui permettra de jouer un rôle à différentes échelles et de participer à des projets de développement locaux tous uniques, interagissant les uns avec les autres, d’un espace à un autre. Certains parlent de troisième paradis174, d’autres de ville de troisième génération175, on entend aussi parler de ville rebelle, de ville durable, de permacité176, de ville intelligente177, ville sur mesure178. La liste est longue pour parler de cette nouvelle alliance, nécessaire pour faire évoluer la ville afin que celle-ci puisse prendre en compte la complexité du vivant et avec lui celle de l’humain.
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Si nous avons pu entrevoir les différentes liaisons possibles entre les thèmes abordés, chacune de ces notions nécessiterait d’être bien plus approfondie, afin de réellement pouvoir être exploitée dans l’exercice de la profession. Ce travail constitue donc une première recherche, principalement d’ordre bibliographique, qui, je l’espère, pourra donner suite à un exercice plus poussé d’analyse de ces questions.
179. Edgar Morin : «Il n’y a pas de solution, mais il y a une voie » Article publié dans Terraeco N° 60 septembre 2014
Dans les limites du temps dont j’ai disposé, j’aurais souhaiter pouvoir développer et analyser en profondeur un exemple concret. Je souhaiterais donc aussi, dans la poursuite de ce travail, donner une place plus grande à un aspect technique et pratique, en lien avec la réalité concrète et active d’architectes en action. De nombreux thèmes comme par exemple la question du rural, des traditions et de l’architecture vernaculaire ou encore des avancées technologiques et leur emploi au sein des processus de conception, auraient mérités d’être abordés et developpés. Ce mémoire, constituera je l’espère, la première étape d’un projet plus vaste, lui aussi incrémental, se développant petit à petit. Grâce à l’interfécondation d’idées dont il sera le catalyseur, mais par lesquelles il sera modifié, j’aimerais que ce travail s’enrichisse progressivement par son croisement avec de nombreux professionnels d’horizons variés. Le but de cette démarche n’est pas encore défini puisqu’elle se veut évolutive et processuelle, mais sa visée est claire : cette action se veut favorable à la généralisation et multiplication des pratiques architecturales abordées. Elle sera aussi une manière de diffuser plus largement les théories de la complexité dans ce milieu professionnel, ce qui me paraît aujourd’hui fondamental, mais peut-être pas encore suffisamment accessible aux praticiens préoccupés par la nécessité d’agir de manière concrète et effective. Pour terminer, laissons la parole à Edgar Morin : « Comme souvent dans l’histoire, les forces de changement sont marginales, périphériques et déviantes. Nous les voyons dans le monde et en France. On le retrouve partout où l’on peut noter un réveil de la vitalité créative [...] Dans les villes qu’il faut entièrement dépolluer et déstresser, les campagnes qu’il faut révolutionner pour les faire revenir à une échelle humaine et biologique. Une formidable révolution est en marche, mais elle se manifeste par des éléments très dispersés [...] Ce que je veux dire, c’est qu’il existe un début de prise de conscience malgré l’inertie [...] et que l’on parvient au moment critique où un phénomène micro devient macro [...] Mais on ne peut pas changer de voie par décret. Il faut oser aller dans le mouvement avec des chances de réussite et des risques d’échec. [...] Aujourd’hui, il faut explorer de nouvelles voies ! Est-ce que nous allons réussir ? Je ne sais pas. Mais il faut encourager tous ceux qui veulent aller vers ce chemin, qui acceptent de « conscientiser » sur tout ce qui se passe, de la consommation à la production, sur la vie quotidienne et le sens de la vie. »179
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BIBLIOGRAPHIE
Paracity / Marco Casagrande
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