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Une forêt de tout bois
Interview: Judith Brandsberg
La coexistence des plantes dans la forêt est le meilleur exemple de la manière dont une cohabitation sans concurrence et en symbiose est possible au bénéfice de tous les participants. Dans une interview, Erwin Thoma, économiste d’entreprise et auteur de plusieurs livres, montre combien nous pouvons apprendre de la forêt. Il nous explique par exemple comment la forêt fait face aux crises et au changement climatique et attire l’attention sur le fait que nous devons à nouveau travailler davantage avec la nature plutôt que contre elle.
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«La forêt résistera mieux à la crise climatique que nous, les humains.»
Vert luxuriant, air frais, calme: une promenade en forêt est appaisante. Pourquoi la forêt et l’air de la forêt ont-ils cette influence positive sur nous, les humains? Les odeurs de la forêt ont une grande influence sur notre cerveau. Elles nous
donnent de l’énergie, sont bonnes pour le psychique et nous aident à réduire le stress. Malheureusement, nous nous sommes éloignés de ces influences positives et, entretemps, nous avons besoin de la recherche médicale pour revenir sur le fait que la forêt est bonne pour nous. En fait, plusieurs études ont examiné l’effet de la forêt sur les humains, et au Japon, on prescrit des thérapies dans la nature comme des bains en forêt. Si vous laissez la nature entrer dans votre vie, vous avez beaucoup plus d’anticorps contre les maladies. D’ailleurs, les intérieurs en bois ont aussi cet effet. Qu’est-ce qu’une forêt? Peut-on la définir?
La forêt est – comme toute vie – une biomasse organique. Cela comprend les plantes, les animaux, et l’homme aussi fait
«On peut obtenir presque tout dans la forêt avec du sucre»
partie de la forêt. La biomasse, quant à elle, se compose de l’énergie solaire, de l’oxygène, du carbone et de l’eau liés chimiquement. Ces composants changent constamment de constellation les uns par rapport aux autres, ce qui fait que la vie est un fleuve, un cycle éternel, un va et vient, une croissance et une mort. (voir aussi l’encadré ci-contre)
De quoi les arbres se nourrissent-ils? De quoi ont-ils besoin pour croître et former leurs troncs et branches parfois très épais? L’arbre se matérialise à partir de l’air, de la lumière et des nutriments. Les feuilles de l’arbre utilisent la photosynthèse pour filtrer le carbone de l’air, dont l’arbre a besoin pour former le tronc et les branches. L’oxygène, en revanche, est rejeté dans l’air. Les nutriments et les oligo-éléments dont il a besoin lui sont fournis par les micro-organismes du sol. Ces microorganismes vivent en symbiose avec l’arbre depuis si longtemps qu’ils savent exactement ce dont l’arbre a besoin et quand. Ensuite, à l’aide de champignons, les oligo-éléments correspondants sont libérés à l’extrémité des racines – d’où ils sont trans-
portés jusqu’aux feuilles. Au printemps, lorsque les feuilles poussent, l’arbre reçoit par exemple du magnésium, puis du potassium. Et s’il est blessé, les microorganismes lui fournissent l’oligo-élément approprié, grâce auquel il peut se soigner. En retour, l’arbre fait beaucoup pour que les microorganismes se portent bien. En automne, par exemple, il jette ses déchets organiques sur la terre et fournit ainsi une nouvelle substance vitale. Le sucre produit par la photosynthèse est ensuite transporté jusqu’aux racines, où aucune lumière solaire ne pénètre. Là, les micro-organismes en reçoivent également une partie en récompense de leur coopération avec l’arbre. Quoi qu’il en soit, la monnaie de la forêt est le sucre; avec lui, presque tout est disponible.
Un peu comme notre argent? C’est vrai. Nous payons également les biens ou les services dont nous avons besoin.
Si vous laissez la nature entrer dans votre vie, vous avez plus d’anticorps contre les maladies.
L’influence de l’homme sur la biomasse de la Terre
Les humains ne représentent que 0,01 pour cent de la biomasse de toutes les formes de vie sur Terre. Néanmoins, leur influence sur la nature est impressionnante. L’intervention humaine dans la nature peut être démontrée au moyen de la biomasse. L’homme a réussi à multiplier la biomasse de son espèce et celle de ses animaux de rente en 10 000 ans (une période très courte) grâce à l’agriculture, à l’élevage et à la révolution industrielle. Par exemple, tous les humains ainsi que les animaux de ferme (principalement les bovins et les porcs) représentent maintenant une proportion plus élevée de la biomasse mondiale (0,16 gigatonne de carbone) que les mammifères sauvages (0,007 gigatonne de carbone). Les oiseaux aussi comptent maintenant plus de volailles (0,005 gigatonne de carbone, principalement des poulets) que d’oiseaux sauvages (0,002 gigatonne de carbone).
Dans l’ensemble, la biomasse des mammifères sauvages (terre et mer) a diminué pour atteindre un sixième de son niveau d’origine depuis le début de la civilisation humaine. La biomasse végétale (et donc presque toute la biomasse mondiale) a diminué de 50 pour cent depuis le début de la civilisation. La biomasse ajoutée par les cultures arables ne représente que 10 gigatonnes de carbone, soit 2 pour cent de la biomasse végétale totale.
Mais il y a une différence essentielle entre la forêt et l’homme: la plupart des humains essaient de gagner le plus possible, de se reproduire et de thésauriser, afin d’être à l’aise lors de leur retraite. Ou bien les managers étudient leur bilan et réfléchissent à la manière dont ils peuvent faire encore plus de bénéfices. Les arbres, en revanche, font exactement le contraire: ils veulent transmettre le plus possible. L’arbre qui parvient à fournir le plus de sucre a le plus d’amis, c’est-à-dire les microorganismes qui coopèrent avec lui, ce qui lui redonne le plus de nutriments. Et lorsqu’il s’est épanoui, il ne déplace ni ne détruit les autres arbres, mais utilise sa force pour donner le plus possible à son environnement.
Alors il n’est pas vrai que, dans la forêt, le plus fort l’emporte toujours, comme le pense l’opinion générale? Aucun arbre de la forêt n’a intérêt à éliminer les faibles, sinon il se détruirait lui-même. Il n’y a pas non plus d’arbre qui pourrait s’approprier la plus grande part de forêt. Et aussi avec les animaux, le plus fort n’est pas toujours supérieur. Un exemple: nous pensons que le renard est supérieur à la souris. Toutefois, ce n’est le cas que si la population de souris est suffisamment importante pour que les renards puissent se nourrir et se multiplier. C’est le cas dans les années où il y a beaucoup de souris. Mais si la population de souris n’est que très faible, les renards se portent mal. Cela signifie que les souris dominent les renards par le biais de leur population de la même manière que ces derniers dominent les souris.
Pouvez-vous nous expliquer l’impact du changement climatique sur nos forêts? En avril et mai, il n’a pratiquement pas plu. Comment la forêt fait-elle face à cette situation?
A propos de la personne
Erwin Thoma est né le 14 février 1962 à Bruck an der Grossglocknerstrasse. Il est un économiste autrichien spécialisé dans la sylviculture et les affaires, qui travaille comme entrepreneur et auteur dans le domaine de la «connaissance des arbres et de l’innovation dans le domaine du bois». Thoma-Holz GmbH propose, entre autres, des maisons familiales avec un revêtement en bois massif non collé (dites maisons Holz100). Par amour de la nature, il est d’abord devenu guide de montagne, puis garde forestier de district à Eng dans le Karwendel. Des rencontres avec les luthiers de Mittenwald ont accru son intérêt pour le travail du bois traditionnel et les traditions presque oubliées. Le savoir de son grand-père Gottlieb Brugger, qui a construit des cabanes en bois rond dans le style rural alpin en tant que menuisier dans l’Oberpinzgau près de Krimml, a eu une grande influence sur sa façon de penser. Il a progressivement mis en œuvre ces traditions artisanales dans sa production industrielle moderne de maisons en bois puristes.
Après des cas d’asthme dans la famille, l’usine de traitement du bois de la société a été convertie à une production sans produits de préservation du bois, ce qui permet de se passer de colles toxiques. Elle applique ainsi des connaissances qui confèrent au bois de la phase lunaire une meilleure stabilité, durabilité et résistance au feu.
Erwin Thoma a trois enfants adultes. Il vit avec sa femme Karin à Goldegg, dans le Pongau, en Autriche. Les périodes météorologiques individuelles s’allongent. Cela signifie que par temps sec, la forêt reste longtemps au sec et est mise à mal. La forêt telle que nous la connaissons aujourd’hui s’est formée à une époque où il faisait plus frais et plus humide. Par conséquent, les espèces d’arbres ne sont plus tout à fait adaptées au climat plus chaud et plus sec d’aujourd’hui. D’autres types de bois donc poussent naturellement et sont mieux à même de résister à la sécheresse – ce qui est exactement ce qui se passe en ce moment. En principe, la forêt est donc extrêmement adaptable. Il est étonnant, par exemple, de voir comment des noyers que personne n’a semés poussent soudainement au milieu de la forêt à moyenne altitude. D’un point de vue
Il est également important que les bâtiments en bois soient durables et non conçus comme des produits jetables.
Le gagnant du concours découvrira ce que cela fait de vivre dans une pièce en bois massif à la page 35. Cela vaut donc la peine de participer.
Le Woodcube à Hambourg. Il a été fait appel à Holz100 pour construire le premier immeuble de grande hauteur – de classe 5 – dans un centre-ville en Allemagne, entièrement en bois et sans l’encapsulation de plâtre qui était habituelle jusqu’alors.
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humain, de tels processus d’adaptation prennent beaucoup de temps, mais la forêt existe depuis des milliers d’années et a connu à plusieurs reprises le changement climatique. Il est donc certain que la forêt fera face à cette crise bien mieux que nous, les humains.
La forêt tropicale est exploitée à grande échelle car le bois qui y est disponible est très populaire et est donc impitoyablement abattu. Qu’en pensez-vous? Il est tragique que le monde entier regarde ces poumons de la Terre être sacrifiés et détruits. La raison en est que ce miracle de la nature est réduit à de l’argent – dans ce cas également, l’objectif est de gagner le plus possible sans tenir compte de la nature. Bien sûr, la forêt est un lieu de récolte. Et bien sûr, mon entreprise a aussi besoin de bois pour construire des maisons. Cependant, la forêt doit être utilisée de manière mesurée et responsable. A cet égard, l’industrie forestière européenne se voit attester de bonnes notes: une gestion durable des forêts a été mise en place, on récolte et on replante.
Supposons qu’à l’avenir toutes les maisons soient construites en bois. Serait-il alors possible de couvrir la demande de bois qui en résulterait exclusivement à partir de nos propres forêts? L’Europe produit plus de bois qu’il n’en faudrait si tous les pays du continent n’avaient que des maisons en bois. Cependant, il est également important que les bâtiments en bois soient durables et non conçus comme des produits jetables. Malheureusement, le problème actuel est que la structure de nombreux bâtiments est souvent telle qu’il ne reste qu’une énorme masse de déchets spéciaux lorsqu’ils sont démolis. Notre entreprise, en revanche, a construit plus d’un millier de maisons dans 30 pays, presque entièrement en bois, qui ne produisent pas de déchets. Cela signifie que ces maisons peuvent être démontées et le bois réutilisé par la suite. Bien sûr, cela signifie également qu’aucune colle toxique n’est appliquée, mais qu’on fait appel à la méthode de construction par assemblage mécanique du bois. Ainsi, si nous utilisons le bois de manière responsable après la récolte, nous pouvons l’utiliser et le réutiliser pendant des siècles – sans jamais avoir de problème matériel.
Les expériences de crise dues à un virus sont soudainement devenues très
«Mieux vaux travailler avec la nature que contre elle.»
présentes cette année. Peut-on aussi faire des comparaisons avec la forêt à cet égard? Si une crise sanitaire se produit dans la forêt, c’est que quelque chose ne va pas. Et les crises ne surviennent pas non plus de manière inattendue dans notre société. Alors pourquoi ne nous demandons-nous pas pourquoi un tel virus se répand? Malheureusement, ce débat n’a même pas lieu. La peste au Moyen-Age était causée par les mauvaises conditions d’hygiène qui prévalaient à l’époque. Il était donc temps de changer ces conditions. A l’ère de l’industrialisation, quand les gens devaient vivre presque comme des animaux, il y avait des vagues répétées de maladies, jusqu’à ce qu’on reconnaisse qu’il fallait changer quelque chose. Le problème est que nous, les humains, agissons généralement dans une position de peur. Cette année, nous avons massivement restreint une grande partie de la production économique afin de rechercher fébrilement des vaccins. D’autre part, c’est une loi de la nature que la peur rend malade. Mais ne pas avoir peur est une condition essentielle à la guérison. Nous devrions donc réfléchir à la manière dont
nous pouvons nous renforcer en tant que communauté et à ce que nous devons changer pour devenir plus forts. Après chaque crise, il est le plus rapidement possible question de reconstruire. Cela me paraît horrible. Car la reconstruction signifie que nous créons les mêmes conditions qu’avant – et que nous commettons par conséquent les mêmes erreurs. Dans la sylviculture – ce qui nous ramène à la forêt –, des erreurs ont également été commises. Par exemple, lorsque des experts ont essayé de détruire les scolytes avec des insecticides. Mais cela a également détruit les fourmis qui ont besoin des scolytes pour se nourrir.
Que devrions-nous changer dans notre société? C’est le moment de changer, nous devons mettre fin à notre économie jetable et construire une économie circulaire. Nous devons mettre fin à cette folie écologique. Par exemple, le transport de pommes de terre du nord de l’Allemagne vers l’Italie pour les éplucher, puis les retransporter vers l’Allemagne. 80 à 90 pour cent des antibiotiques consommés en Europe sont produits en Chine. Il existe de grandes entreprises dont la production dépend de livraisons de marchandises provenant de l’autre bout du monde. Nous devons retrouver un niveau sain – et c’est maintenant l’occasion de le faire. Cela signifie qu’il faut œuvrer pour une société axée sur la vie et non sur l’argent.
Que souhaiteriez-vous si vous aviez un seul souhait? Que nous protégions notre planète, et non que nous la détruisions. Nous devons bien sûr repenser notre structure, parce qu’aucun enfant ne voudrait grandir dans un monde de béton et vivre de la restauration rapide.
Mais s’il ne connaît rien d’autre, il s’adaptera à cette structure. Nous devons nous opposer à ces conditions cadres homophobes. Le changement climatique s’aggrave et ses effets sont vraiment extrêmes. Il ne s’agit donc plus de vouloir faire quelque chose, mais simplement d’une nécessité. Il n’y a plus d’alternative. Et tout patchwork est inutile. Nous devons changer les choses – ne pas continuer à produire plus de produits de courte durée, créer plus de déchets et gaspiller plus de matières premières. Nous et nos générations futures sommes confrontés à cette grande tâche.
Les livres d’Erwin Thoma peuvent être commandés à l’adresse suivante: www.thoma.at ou en librairie.
Si nous utilisons le bois de manière responsable après la récolte, nous pouvons l’utiliser et le réutiliser pendant des siècles.
Erwin Thoma pense à l’avenir: «nous devrions protéger notre planète et non la détruire.»