Journal de bord #3

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Revue en partenariat avec le Centre Hospitalier Sainte-Anne

mars 2015 N째 3

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Jou rnal de Bord ECOLE PSYCHANALYTIQUE DE SAINTE ANNE


SOMMAIRE Editorial : Signifiant nouveau p.3 Dossier de Retour des journées d’octobre «Bipolaire ? Vous avez dit bipolaire ?» p. 6 à 31 Retour sur les journées d’octobre, entretien avec Marcel Czermak p. 6 La grande Google de l’Autre : essai d’écriture topologique d’une stabilisation maniaque p. 11 Bipolaire ? Vous avez dit Bipolaire ? Conclusions de Charles Melman p. 25 Apologue : La mante religieuse ou la fonction de l’angoisse p. 33 A.L.I.énistes : Extraits de lettres communiquées par M. Esquirol - Apathie p. 37 WitZ dits, les bons mots du divan p. 46 Entretien avec Jean-Jacques Tyzsler à propos de son ouvrage «A la rencontre de Sigmund Freud». p. 49


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EDITORIAL

d’une présentation clinique de Jacques

Signifiant nouveau

Lacan – à la suite d’une présentation clinique de Jacques Lacan –, ou si elle ambitionne de rendre compte d’un certain nombre de

Dans son édition précédente, le Journal de

solutions élégantes propres à la psychose

Bord de l’Ecole Psychanalytique de Sainte-

dont seule la topologie des noeuds, qui a

Anne avançait une expression inédite, occupé Lacan les dernières années de son celle de psychiatrie lacanienne. Depuis, séminaire, peut rendre compte. ce signifiant ne cesse d’être diffusé et de rebondir, c’est à dire de s’imposer. Le séminaire de Marcel Czermak s’est longtemps intitulé « D’une psychiatrie qui ne serait pas du semblant ». Cette psychiatrie a aujourd’hui un nom, mais comme il est de règle, ce signifiant s’est énoncé avant d’être défini comme tel. La psychiatrie lacanienne reste donc à écrire.

Les dernières journées annuelles de l’Ecole psychanalytique de Sainte-Anne ont avancé plusieurs propositions de ce type dans le champ de la Psychose maniaco-dépressive. Ce numéro du Journal de Bord en reprend les interventions conclusives. Le succès de ces journées, l’élan qu’elles ont suscité incite à poursuivre les travaux pour établir cette psychiatrie qui ne serait pas du semblant. « La folie change de nature avec la connaissance qu’en prend le psychiatre » affirmait Jacques Lacan en 1947 lors d’un

« Que les types cliniques relèvent de la structure, voilà qui peut déjà s’écrire quoique

échange avec Lucien Bonnafé. Dans une période où le désintérêt des psychiatres

non sans flottement » avançait Lacan dans concernant les enjeux du fait clinique se fait son introduction à l’édition allemande des préoccupant, dans un moment où la folie Ecrits. Il s’agit en effet de savoir si la psychiatrie est l’objet de phénomènes de ségrégation lacanienne se donne comme trame celle renouvelés, cette assertion situe les enjeux des entités de la psychiatrie classique,

qui sont ceux de la psychiatrie lacanienne.

disons kraepelinienne, si elle se propose d’introduire un certain nombre d’entités nouvelles – comme celle de psychose sans moi, avancée par Marcel Czermak à la suite

Nicolas Dissez



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DOSSIER DE RETOUR DES JOURNEES D’OCTOBRE 2014


RETOUR SUR LES JOURNEES D’OCTOBRE

Entretien avec Marcel Czermak

Je suis très content des journées d’octobre, précisément parce que ce n’était pas des journées constipées… Ceux qui ont eu la gentillesse et le courage d’exposer n’avaient pas avalé des parapluies… Quand nous lisons ce qui se publie, nous avons souvent affaire à des gens qui on avalé un parapluie ! C’est d’une constipation catastrophique. Je lis tel ou tel texte, et au bout de quelques pages, je suis accablé ! Ça n’a plus rien à voir avec ce qui était la fraicheur, les embarras, les difficultés, les faux-pas de l’expérience elle-même avec ses effets d’effondrement et de reprise… Donc de ce côté-là, j’ai trouvé ces journées drôlement bien faites. Il faut faire hommage à l’effort que vous avez fait les uns et les autres, d’autant plus que le chemin de fer, comme disent les journalistes, était bon. Comment sont organisés la plupart de nos colloques ? On accumule des soucoupes dépareillées, de telle façon qu’on ne sait plus quel est le fil et ce qui tient l’accumulation des soucoupes… Sans compter qu’il y a toujours des gens qui veulent absolument communiquer, même s’ils ne s’intègrent pas dans le dispositif. Un point que je souhaiterais vous faire remarquer : l’année dernière, nous avons commis cette réunion sur la question du verbatim, qui à mes yeux était une très bonne réunion et voilà pourquoi : il est vrai qu’un tel intitulé ne dit pas grand chose aux gens… et pour cause… Donc cela avait l’air un peu lunaire et je ne pense pas que cela a eu l’écho que cela méritait. Mais, si il n’y avait pas eu ce colloque sur la question « qu’est ce que transcrire ? », ce que vous avez réalisé en octobre n’aurait pas pu avoir lieu, il fallait un préalable… cette réunion sur le verbatim. Ce qu’ Eva-Marie Golder nous a proposé, concernant le dialogue avec les gosses, tout cela a l’air totalement biscornu et sans coordination, et en même temps tel que Sabine Chollet et Elsa Quilin nous l’ont amenée, la question de l’enveloppe formelle est criante ! Les protagonistes n’avaient pas besoin de se parler entre eux pour que cela fasse un, ni même de se donner le ton… C’était à mes yeux un apport clinique très saisissant, même si elles n’ont pas mobilisé les grands catégories : R,S, I, ce qu’on voudra… Il y avait là un panorama très intéressant… Donc ces journées d’octobre, je les ai trouvées absolument épatantes. Le seul point qui m’ait un peu con-


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trarié, c’est qu’il y avait des gens avec lesquels nous n’avions pas travaillé et qui ramenaient leur science… De la sphère C’est la raison pour laquelle je suis intervenu. « Comment peut-on s’en sortir sans la théorie des noeuds ? » disaient-ils… C’est certainement nécessaire, mais encore faut-il avoir une idée un peu claire des conséquences de l’article de Freud sur la Verneinung ! Qu’est ce que dire oui… Qu’est ce que dire non ? Pourquoi est ce qu’à des gens incapables de dire ni oui, ni non, il leur retombe sur la gueule quelque chose sous la forme d’un corps qui n’est pas un tore, mais une sphère… Ils sont bouchés ! D’où ma crainte que nous ne soyons devenus trop savants : est-ce qu’on a épuisé tout ce que nous a enseigné l’article de Freud sur la Verneinung ? J’ai un grand regret. J’ai eu entre les mains, il y a longtemps, la thèse d’un linguiste israélien sur les formes de la négation en français. J’ai prêté cette thèse et on ne me l’a jamais rendue… Il avait identifié autant de formes de la négation en français qu’il y a de jours dans l’année ! Une question qui est venue en discutant avec Charles Melman : quand on travaille, quelles sont les formes de formalisation que nous mobilisons ? Selon les cas qu’on a entre les pattes, la formalisation la plus parlante n’est pas forcément tel ou tel type de formalisation ! Par exemple, je suis assez peiné de l’accueil réservé au travail de Stéphane Thibierge sur le nom l’image et l’objet, c’est-à-dire leur dissociation. Avec y compris des phénomènes magnifiques comme l’héautoscopie : le type se voit à côté de lui-même ou de l’autre côté de la rue… C’est des trucs enchantés ça ! Ces phénomènes liés au miroir, internes à la problématique du miroir et à ses conséquences, apparemment ça n’intéresse pas nos camarades. A moins que les cas qui leur viennent entre les pattes ne concernent pas ce type de sujets ou qu’ils passent à côté, puisqu’on ne voit que ce que l’on a appris à voir. Nous sommes là dans cette question posée par Marc Darmon lors de ces journées d’octobre : quel type de topologie ? Cela m’avait déjà été posé l’année dernière à Grenoble, lors de cette opération gigantesque sur l’Automatisme Mental et l’hallucination… en 48 heures. S’agit-il de décapitonnage ou de dénouage ? Je m’aperçois que j’utilise les deux termes simultanément. Mais est-ce pertinent ? Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas des notaires n’est-ce-pas ! On fait avec les moyens du bord ! Moi j’ai été très sensible

au fait que les plus jeunes soient un peu culottés… gonflés quoi ! Ils n’ont pas été freinés par l’académisme ambiant, ils n’ont pas redoutés qu’on leur dise que ça ne correspondait pas à la doctrine, ce à quoi on aurait pu répondre - comme Charcot - que la théorie ça n’empêche pas d’exister. Du Un et de l’objet a La question de la différence entre la marche du Un et la marche de l’objet, est une question académique que Bernard Vandermersch a toujours en réserve. Il a raison, il fait toujours objection ! Je vous fait remarquer la chose suivante : l’unique question que la psychose pose est celle de la conjonction ou de la disjonction. Plus il y a conjonction du Un, plus ça le pulvérise, donc il y a un battement entre conjonction et disjonction qui est interne à la question non seulement clinique mais politique aussi ! Ça vaut la guerre de Yougoslavie ! Bernard Vandermersch nous met devant la question suivante : l’Un ou l’objet. Ce n’est pas l’Un ou l’objet… Plus je veux faire du Un - et il se peut que j’y parvienne, confère les dictatures - plus cela va produire de la pulvérisation. Ca c’est un problème politique ! Et puis quand on parle du Un, personne ne sait de quoi on parle : s’agit-il du Un comptable, du Un Allah… Ou de celui dont on ne dit pas le nom ? Je pense que Bernard Vandermersch a bien fait de poser la question, mais cette question ne se traite pas en cinq minutes lors d’un colloque. En clinique il existe des phénomènes en battement, de conjonction et de disjonction, qui sont d’ailleurs très bien présentés par Schreber. Ce point n’est pas repéré dans les histoires cliniques. Topologie des noeuds et topologie des surfaces Prenons deux pôles : les psychoses que l’on pourrait appeler « cristallisées », c’est-à-dire celles dont la structure formelle est aisément descriptible ; et puis les psychoses non cristallisées, celles que d’autres ont appelé schizophrénies : psychoses pulvérisées, sans cristallisation ou à cristallisation multiple. Cela ne relève pas de la même mathématique. On peut penser que la topologie des surfaces se prête davantage à des psychoses dont on peut dire : « je peux les raconter », « je peux les exposer, sans notes ». Pour d’autres on mobilise autre chose. Et puis il y a des zones de recouvrement. Lorsque nous avions travaillé le syndrome de Cotard, Henry Frignet avait utilisé une topologie et une mathématique tout à fait différente et intéressante sur laquelle il nous faudrait


revenir. Ce sont là de vraies questions épistémologiques. Quels sont les types de mathèmes que nous pouvons mobiliser selon les structures ? Prenons le cas que j’avais mis sur la table, un cas de psychose uniène, Madame Utile, j’en avais parlé quand nous travaillions le séminaire Encore. On l’imaginarise plus facilement avec la topologie des surfaces, puisque cette fille vient se loger dans son mec… un vrai couple quoi ! Un couple qui fait Un à condition qu’elle soit logée dans l’autre en tant qu’objet a. Est-ce qu’un tel cas peut être traité avec la théorie des noeuds ? Cela mobilise des questions de doctrine qui ne sont pas antagonistes. Ca c’est un point interne à toute l’histoire des sciences, on ne mobilise pas le même dispositif scientifique selon le problème, même si cela a l’air contradictoire. Nous rencontrons ce problème - je pense surtout à la jeune génération - nous sommes tous millésimés. Il y a ceux qui ont été balancés dans la théorie des noeuds et qui voudraient subsumer sous la théorie des noeuds toutes les questions cliniques… Or, certaines questions ne peuvent être résolues par la théorie des noeuds. je pense notamment aux questions pulsionnelles. Lacan avait posé cette question à l’Ecole Freudienne de Paris, à l’occasion d’une journée sur les mathèmes en écoutant Petitot, de ce qu’était un trou… Moi, j’attends toujours qu’on m’explique… Pour autant que tout cela soit saisit par le langage d’un organisme biologique, vivant, qui a des trous et curieusement parfois ils ne marchent pas… Les types ils se font des trous ailleurs… Il y a une articulation très interessante à faire entre ce qu’est un trou pour un organisme vivant, le trou dans le langage et la théorie qu’on peut en faire. Cela nous amènerait même à revenir sur le théorie des pulsions ! Je me demande si nos camarades les plus jeunes qui sont propulsés directement dans la théorie des noeuds, ont encore la moindre idée du fait qu’un corps vivant ça pulse, que le langage ne s’accorde à un organisme vivant que - comme nous le dit Lacan - par faveur anatomique, et que ça ne marche pas toujours. Et quand ça ne marche pas, on fait des trous ailleurs, des incrustations, des piercings… Je pense qu’il y a là quelque chose de capital à avancer et qui devrait permettre de discuter même les cas dits psychosomatiques. Donc moi j’étais très content de ces journées d’octobre. Je les ai trouvées fraiches, reposantes… De la vie et de la mort Encore quelques mots à propos de l’objet a. Beaucoup de questions ont tourné autour… La mobilisation théorique que cela supposait…. Nous disposons de cet ouvrage sur l’invention de l’objet a édité en espagnol à l’occasion d’un voyage de certains de nos collègues en Colombie… Il y a l’ouvrage de Le Gaufey, « Objet a : Approches de l’invention de Lacan »… Quel a été le point de départ effectif de l’affaire ? C’est quand même ce que vous avez édité dans le Journal de Bord, cet article de Cotard sur l’hypocondrie : cet objet insaisissable et immatériel, qui se trimballe et qui vient tout boucher. C’est là le point de départ ! C’est une réponse qui vaut ce qu’elle vaut. La réflexion physiologique date de la fin du 18ème, début du 19ème siècle. Je pense que Foucault s’est trompé en disant que c’est l’anatomopathologie qui a donné le ton. Il est vrai que cela a été fondamental, mais l’idée selon laquelle nous sommes pourvus d’organes régulés en fonctions… Lacan à la fin nous dit qu’un fou, c’est quelqu’un qui n’a pas de discours pour lier ses organes en fonctions. Dans l’intervalle, il aura fallu, la théorie des pulsions, l’au-delà du principe de plaisir, la fabrication de l’objet a. Mais cela part quand même de la vie et de la mort… Moi je tiens beaucoup à cela. Propos recueillis par Nicolas Dissez, Edouard Bertaud et Luc Sibony


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LA GRANDE GOOGLE DE L’AU T R E

Essai d’écriture topologique d’une stabilisation maniaque L’entretien commence ainsi : Marcel Czermak : Posez votre manteau quand même non ?............... Je regrette de vous avoir fait attendre aussi longtemps X : Je vous en prie Docteur. MC : Venez, asseyez-vous............................. Asseyez-vous! X : D’accord… MC : Le Docteur V m’a un peu parlé de vous... X : Mmmm MC : (en riant) Y’a un truc qui m’a… qui m’a retenu. Je peux vous le dire... X : Ben je vous en prie.... MC : Vous avez été faire un souk dans une synagogue (rire de MC) X : Ouais, je suis rentré dans une synagogue, j’ai eu un délire mystique… J’ai eu un délire mystique parce que, en fait moi j’ai un grave problème de…de positionnement au niveau… religieux… Comme vous avez pu l’entendre lors de ces journées, il avait été décidé cette année, à l’Ecole Psychanalytique de Sainte Anne, d’enchaîner des exercices de Trait du Cas consacrés exclusivement à des cas de manie et de mélancolie. Cet enchainement me semble avoir eu un intérêt majeur : celui de mettre en évidence certaines répétitions, au fil des cas, ce qui est bien l’objectif de toute recherche clinique. Par exemple, Olivier Oudet, pour présenter le cas d’un patient maniaque, avait choisi d’emblée de s’appuyer sur un axe : l’axe temporel. Ce choix attirait mon attention : je me demandais si s’accrocher à un axe n’était pas, pour l’analyste, un effet de transfert dans sa rencontre avec la manie du patient ? Toujours est-il que j’ai moi-même réalisé après-coup que je m’imposais, dans ce travail, un cadre, et semble-t-il, moi aussi, temporel. Vous constaterez ainsi que dans cet exposé je m’en suis tenue pour une part, à la chronologie de l’entretien mais aussi à la chronologie de la découverte de cet entretien, à savoir : le temps de la première écoute, puis celui de la transcription. Mais pour commencer, je vous ferai part des quelques éléments préalables communiqués


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à Marcel Czermak par le médecin qui lui présente le patient. Il ne s’agit pas ici de réaliser une anamnèse (cet entretien est d’ailleurs très pauvre en éléments anamnestiques) mais de faire en sorte que vous disposiez des éléments connus de Marcel Czermak avant de recevoir ce patient, éléments qu’il utilisera pour mener l’entretien. Dans cette présentation le médecin nous apprend qu’il s’agit d’un homme de 45 ans, hospitalisé pour la 2ème fois pour un épisode maniaque délirant, qu’il est habité par une idée messianique, que ses accès maniaques sont associés à des alcoolisations massives (quand il est stabilisé, il ne boit pas), qu’il a besoin d’un traitement (il est actuellement sous TERCIAN). Le médecin ajoute que lors d’un de ses accès maniaques, un des faits d’armes était d’être entré dans une synagogue, tout kabyle qu’il était et d’avoir fait une homélie à l’assemblée ... Son sous-thème messianique : Jésus. MC : Il s’appelle comment ? S : Il s’appelle monsieur Habiche, H, A, B, I,C,H,E Medhi. (Nous avons bien sûr modifié ces noms et prénom mais en maintenant certains traits indispensables à l’analyse du cas) Enfin, lors de cet échange préalable, Nicolas Dissez proposait, en préparation de nos journées, que cet entretien soit l’occasion d’interroger la question de ce que les psychiatres appellent « intervalles libres » et de savoir comment se stabilisent ces patients entre les accès maniaques. Débutant donc mon exposé selon un axe temporel chronologique, je veux évoquer ici un premier temps correspondant à notre première écoute de l’enregistrement qui nous a semblé, après-coup, riche d’enseignement : Disposant effectivement d’un enregistrement audio de l’entretien, nous avons commencé par entendre la voix de M H., son rythme, son souffle, et ses échanges avec Marcel Czermak Or, à cette première écoute, nous nous sommes toutes deux fait cette même réflexion : « Mais ça n’a pas l’air d’une manie ! » Pour ma part j’avouerai même le soupçon d’un certain forçage du cas pour qu’il rentre dans le cadre des journées en préparation. Je vous ai fait entendre toute à l’heure le tout début de l’entretien. Vous aurez sans doute noté l’amabilité des premiers échanges : MC : Je regrette de vous avoir fait attendre X : Je vous en prie Docteur.

MC : Venez, asseyez-vous... X : D’accord… Bien sûr l’entretien n’en restera pas à ce type d’échanges, mais sachez en tout cas, qu’on n’y repérera pas de « fuite des idées », signe pathognomonique de la manie. Fuite des idées qui s’observe très facilement dans une transcription sous la forme de ces « placards » dans le texte (ce qu’évoquait Emilie Abed dans son intervention). Ici pas de placards, pas de fuite des idées et pas d’exaltation de l’humeur : ce patient n’est pas en état maniaque. Par contre, il évoquera lui-même un délire mystique : « J’ai eu des bouffées délirantes par rapport au personnage du Christ aussi qui me fascinait… beaucoup... En fait moi ma maladie c’est que des fois j’ai, enfin d’après ce que j’ai lu, j’pense que je suis mégalomaniaque » On entendra également dans ses propos un automatisme mental sous la forme de « paroles imposées » : « J’ai des phrases qui me viennent nous dira-t-il… Ça m’est venu comme ça, c’est pas moi qu’en suit l’auteur ». Nous reviendrons sur ces phrases qui lui viennent. Ainsi me semble posée, à l’occasion d’une discussion sur ces « intervalles libres » ou période de stabilisation entre deux accès de manie, la question d’un diagnostic différentiel puisqu’il semble bien qu’il existe chez cet homme une construction délirante. Cette observation m’amène à évoquer le deuxième temps qu’a constitué pour nous le temps de la transcription. Nous avons souvent fait part dans le cadre de L’Ecole Psychanalytique de Sainte-Anne de tout l’intérêt que nous observions à ce travail de transcription par les cliniciens eux-mêmes (Cf. Les dernières journées d’octobre 2013) et Marcel Czermak a souvent attiré notre attention sur le fait que sans enregistrement de la parole d’un psychotique, il nous est impossible de la retranscrire de mémoire. Je crois que cet entretien le confirme tout particulièrement. (Je peux témoigner ici de notre expérience de transcription qui a souvent nécessité de ré-écouter 10 fois un passage sans que cela ne s’inscrive dans notre mémoire de névrosé) Mais je vais surtout essayer de vous montrer comment, dans ce cas, c’est le travail même de transcription qui nous a (si j’ose l’expression ici) « révélé » la manie, dont je vous ai dit que nous ne l’entendions pas. Plus exactement ce sont les difficultés que nous avons rencontrées lors de cette transcription qui vont, me semble-t-il, confirmer


la manie dans de multiples aspects. En premier lieu, on note certes la longueur du texte qui signe souvent un cas de manie (ici 25 pages pour un entretien de ¾ d’heure), mais surtout des troubles du langage qui se présentent sous diverses formes : - Un texte souvent haché, aux allures de bégaiement, (des miettes de mots, parfois même des lettres, hors sens. - Une diction au rythme particulier qui n’est parfois pas sans rappeler les troubles de la respiration par manque d’air du sujet maniaque et qui, à l’écrit, pose des problèmes de ponctuation. - Des phénomènes d’écho. MC : Chez les juifs X : Chez les juifs MC : Pas chez les musulmans X : Pas chez les musulmans. - Une parole qui se « bouscule au portillon », plusieurs idées paraissant vouloir être exprimées dans un même temps. - Tous ces éléments participant du caractère souvent creux, sans contenu, du discours du patient. Voilà ce que ça donne : X : Voilà mais moi à l’époque à l’époque y’avait même pas, à l’époque justement, ça aussi c’est un truc qui me gène c’est que par rapport à ça au…moi j’ai eu, j’ai, à l’époque où quand, dans ma jeunesse, y’avait pas, on n’avait pas de problème de de communautarisme comme y’a maintenant. On était mélangé, y’avait des Juifs, des Français, des Yougoslaves, des des des Arabes des des tout, des ; y’avait pas, y’avait aucune, aucune euh… y’avait pas de de... mais à l’époque c’est vrai qu’y’avait quand même, c’était pas la même époque, y’avait pas le mur de Berlin il était pas tombé, y’avait encore, y’avait pas de de, aujourd’hui on vit vraiment au niveau des valeurs, au niveau tout, au niveau politique, à tous les niveaux..... c’est l’apo, c’est le néant quoi, y’a plus rien. C’est un peu bizarre, tandis qu’à l’époque y’avait quand même euh… Plus loin : X :…Ah oui mais attendez : « Juif », en parlant de ça, je voulais vous dire un truc très important, c’est qu’à cette époque là, les Juifs y’en avait, mon mon arrière-grand-mère donc était juive, c’était pas comme, c’était pas comme, ils étaient discrets, ils étaient cachés, pas cachés mais… c’est-à-dire ça se sav, les gens le savaient mais c’était pas tellement vous voyez, c’était pas euh…trop… (MC : C’était des

dhimmis ?) … Voilà c’était, à la limite, ouais c’était des dhimmis, voilà exactement, donc c’était, c’était pas comme, y’avait pas de… c’était… ils étaient pas hors du… ils étaient dans le tissu euh… Ils étaient complètement imprégnés dans dans dans la société on va dire euh…. musulmane quoi, ils étaient pas du tout euh… Voilà, des dhimmis donc c’est pas parce qu’il était juif, c’était parce qu’il était borgne en fait qu’ils l’ont pas pris. (il parle de son grand-père et des raisons pour lesquelles il n’aurait pas été enrôlé par l’ALN au début de la guerre d’Algérie). On notera surtout ici que c’est seulement grâce à l’appui sur un signifiant importé par Marcel Czermak (MC : C’était des dhimmis, des « protégés » en pays musulman) que M.H. va enfin pouvoir terminer sa phrase et exprimer une idée. Nous reviendrons sur cette observation… Aux troubles du langage, on peut peut-être ajouter la question des accents, présent ou pas dans la langue de M H ; accents là encore intranscriptibles. Ils seront l’un des objets essentiel du travail d’Elsa toute à l’heure. Deuxième difficulté de la transcription qui nous a semblé également manifester la manie de ce patient : Alors que, comme je vous l’ai fait entendre au tout début de cet exposé, certains moments de l’entretien donnent l’impression d’un véritable échange, voire d’une discussion, d’autres moments sont marqués par l’absence totale de rencontre entre les deux interlocuteurs au point de rendre la transcription fidèle de ce qui se dit absolument impossible. Les deux parlent alors en même temps, offrant, pendant un assez long moment, un véritable « dialogue de sourd » : deux discours en parallèle. L’exemple le plus marquant est le passage qui suit les citations précédentes. X :…Voilà, des dhimmis donc c’est pas parce qu’il était juif, c’était parce qu’il était borgne en fait qu’ils l’ont pas pris. MC : (en riant) On sait jamais (X : Ils voulaient prendre, ils voulaient prendre son frère) quelle est la relation entre (X : Et son frère il s’est sauvé ici…) un dhimmi et un borgne. X : Il est venu ici, il s’est sauvé ici. MC : C’est une métaphore ça je vous ferais remarquer. X : Pardon? J’ai pas compris ce que vous m’avez dit Docteur. (Temps d’arrêt) MC : Un dhimmi c’est un protégé. (Impression


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d’échange - Mais ça repart…) X : Protégé mais alors justement MC : parce qu’il a pas encore tout compris (X : Voilà…) à la vraie révélation (X : mais y’a beaucoup de gens qui le savent pas ça) donc c’est un borgne intellectuellement. X : … Mais beaucoup de gens savent pas que les que les juifs sont des proté’ ils sont pro, le, un des devoirs du musulman c’est de protéger les juifs, quand on voit ce qui se passe. MC : Oui, c’est-à-dire c’est quand même des borgnes en milieu musulman (rire). Non ? X : Des quoi ? MC : (en riant) C’est des borgnes en milieu musulman. X : Des borgnes en m’ ? Ouais. … MC : Et ils n’ont pas encore reçu la révélation donc ils sont borgnes X : Ahhh peut-être oui. MC : Ahhh. Vous n’avez pas pensé à ça hein ?

vera plutôt dans le type de réparation que le maniaque invente. » C’est Elsa qui développera ces tentatives de réparation. « La grande Google » comme titre donc, mais un titre faisant référence bien plus à la conduite de cet entretien par Marcel Czermak qu’au jeu de mots. Car cet entretien confirme bien ce qu’indique Marcel Czermak dans Patronymies : dans le discours du maniaque, point de jeux de mots, point de métaphores, contrairement à ce qui est affirmé dans les meilleurs manuels de psychiatrie. J’en arrive ainsi à une question qui m’a particulièrement interpellée et sur laquelle je me suis donc centrée : la conduite de l’entretien par Marcel Czermak (peut-être même sa technique). Une technique qui surprend, une technique assurément inconvenante, au regard de la neutralité bienveillante de l’analyste. Elle nous est apparue, à certains égards, très inhabituelle.

Là encore il semble avoir entendu son interlocuteur mais ça repart aussi…

Première observation (je vous l’indiquais à l’instant), Marcel Czermak va beaucoup intervenir dans cet entretien ; en le menant, en le cadrant (là, la pratique est habituelle avec un maniaque qui exprime lui-même être en mal de place, de lieu). Ainsi Marcel Czermak va abondamment interroger M.H. sur son patronyme (HABICHE en France mais HABOUCEN au bled) sa langue maternelle (le Berbère, allant même jusqu’à tester sa prononciation), ses autres langues, sa religion et celle de ses parents, les origines géographiques de sa famille (le bled), l’inscription de l’histoire de sa famille dans la grande histoire de l’Algérie. Il l’invite ainsi à une inscription topologique, qu’elle soit topographique, historique, culturelle, linguistique, religieuse. Pour exemple, ce passage où Marcel Czermak commence par interroger M.H. sur les « phrases qui lui viennent », sorte de paroles imposées :

X : …Non......Ouais donc euh mon père il est donc arrivé donc euh grâce à ce, en fait il est parti parce que… A l’occasion on notera également l’incapacité du patient à entendre une métaphore. Cela se reproduira : MC : les imazighen (les berbères) imaginent beaucoup, le patient n’entendra pas le jeu de mot. La dernière difficulté dans notre travail de transcription aura été de mettre la main sur l’orthographe d’un très grand nombre de noms de lieux, d’événements, de personnages historiques ou culturels, qui nous étaient totalement inconnus, et pour la plupart amenés dans l’entretien par Marcel Czermak. Alors que j’évoquais ce travail si singulier (dans notre petit groupe de préparation) en remerciant le site de recherche sur internet GOOGLE, Olivier Oudet nous proposait un jeu de mot fort opportun, en associant ce cas à je le cite : « la grande GOOGLE », en référence bien sûr à la Grande Gueule de l’Autre qui avale le maniaque tel que nous l’a enseigné Marcel Czermak. Avec la permission d’Olivier, nous avions piqué son jeu de mot pour donner un titre à notre exposé. Un titre en lieu et place de ce qu’habituellement nous amenons comme « trait du cas ». Car j’ai effectivement, comme plusieurs collègues, lors de ces exposés, constaté l’absence significative de trait, dans ce cas de manie. Nicolas Dissez le confirmait en disant que, « s’il y a trait du cas, on le trou-

X : D’accord, j’en ai une autre ça fait : “De la terre des hommes libres (la terre des hommes libres c’est la Kabylie, en Algérie, c’est une région, une enclave)… de la terre des hommes libres, nous avons recueilli le plus faible des hommes dans sa totalité, non, le plus faible des hommes de race médiane dans sa totalité… pour qu’il devienne le plus fort et qu’il montre à la face de ce monde qui est Dieu ». MC : Vous parlez berbère? X : Oui, mais je parle pas l’arabe. MC : Vous parlez pas l’arabe. Comment on dit « les hommes libres » en berbère? X : Imazighen MC :Voilà…


X : De la terre des hommes libres, nous, c’est les anges, nous avons MC : Quand vous dîtes « les hommes libres », c’est un mot berbère : imazighen X : Imazighen MC : Et vous parlez Tamazight ? X : Bien sûr MC : C’est votre langue maternelle le tamazight ? X : C’est ma langue maternelle, oui…Mais je parle pas du tout l’arabe, je parle que le Berbère ou le français. MC : Vous êtes de quel coin en Kabylie ? X : Moi je suis de SIDI AÏCH ...BEJAÏA MC : C’est à l’est de…? X : Bougi. MC : C’est Bougi, l’ancienne Bougi. X : Mmm. MC : C’est à quoi ? A deux heures de bagnoles de Tizi… Tizi, le diminutif de Tizi Ouzou pour les gens du coin. « J’connais le bled » dira Marcel Czermak pour un village de Kabylie. « Vous connaissez » constatera MH concernant un autre coin du Maroc. J’en arrive à cette 2ème observation dans la conduite de l’entretien avec cette question : A quoi correspond cette volonté évidente de Marcel Czermak de manifester une familiarité avec les références de MH, ses lieux, son histoire, qui peut donner l’impression de vouloir faire copain ? Marcel Czermak lui demandera même des nouvelles d’un groupe de chanteuses du coin : Djurjura, « ces filles qui faisaient un ensemble formidable ». Dans un premier temps, une idée m’est venue (et c’est une question que j’ai posée à Marcel Czermak) : il me semblait qu’il ne se contentait pas de manifester à MH sa proximité, sa connaissance de ses repères, mais qu’il lui proposait également les siens de repères, ses propres signifiants, avec l’idée qu’il puisse s’appuyer dessus. Plusieurs passages m’y ont fait penser, dans lesquels il me semble que c’est notamment en juif que Marcel Czermak s’adresse à lui, lui qui se ballade entre les 3 religions abrahamiques, à l’image de l’histoire de la Kabylie : D’abord, Marcel Czermak ouvre l’entretien en imposant la première thématique : un souk dans une synagogue. MC : Vous avez été faire un souk dans une synagogue… X : Ouais, je suis rentré dans une synagogue, j’ai eu un délire mystique… J’ai eu un délire

mystique parce que, en fait moi j’ai un grave problème de…de positionnement au niveau… religieux parce que j’ai, j’ai le père de mon père qui était juif… mais euh… MC : Donc votre grand-père ? X : Mon grand père… MC : Oui X : Et euh, après donc il s’est, il s’est marié avec ma grand-mère qui est musulmane, de confession musulmane. Et euh, il a eu mon père donc qui n’est pas, puisque la transmission de, de la religion se transmet par la, par la mère... MC : Chez les juifs X : Chez les juifs MC : Pas chez les musulmans X : Pas chez les musulmans. Plus loin Marcel Czermak impose encore la thématique : MC : C’que vous avez lu, j’en ai rien à fiche X : Et donc euh..... MC : L’archange Gabriel ça m’intéresse beaucoup plus. X : L’archange Gabriel oui parce que c’est... Comment vous expliquer ça?…Des fois j’ai l’impression, dans les délires mystiques que j’ai eu, j’ai eu l’impression d’être transcendé par le… par l’archange Gabriel et d’avoir des, d’avoir des, et j’ai sorti des trucs, des phrases, des révélations, comme si c’était des révélations, comme si j’avais une mission messianique… MC : Vous connaissez les missions de l’archange Gabriel? X : Pardon ? MC : Vous savez ce qu’il a fait l’archange Gabriel ? X : Ben l’archange Gabriel, il transcende tous les prophètes et puis il transcendait, il transcendait tous les prophètes et c’est, c’est la trans, c’est l’esprit de Dieu. MC : Qu’est-ce qu’il a fait? Interrogé sur son savoir, MH se répand alors dans un discours totalement désorganisé. Marcel Czermak va alors apporter lui-même la réponse à sa question : MC : L’archange Gabriel, Gabriel, c’est celui qui a retenu la main d’Abraham au moment où il allait sacrifier son fils. Or ici, je dois vous dire notre grand étonnement avec Elsa, qui sommes toutes deux de culture chrétienne, car pour nous l’Archange Gabriel, c’est l’Annonce faite à Marie. Ce qui est amusant, c’est que quand on cherche l’Archange Gabriel sur la grande Google,


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il apparait effectivement comme étant de toutes les religions monothéistes, abrahamiques ; en cela il n’est pas étonnant qu’il ait captivé ou bouffé M.H. qui veut de ces trois religions n’en faire qu’une. Mais le Gabriel des juifs n’est pas celui des chrétiens, ni celui des musulmans. Il lui faudrait choisir. Or on observe que Marcel Czermak, en proposant son Archange Gabriel (celui des juifs) à MH, lui impose son propre choix. Ce sur quoi nous voudrions avancer aujourd’hui dans notre questionnement, c’est en quoi cette imposition peut-elle être une opération analytique ? C’est sur cette question que je passe la parole à Elsa. Nous avons essayé, dans ce travail, de répondre à l’appel de monsieur Melman, à la fin du séminaire d’été, soit de se servir des nœuds dans la clinique. Je commence donc par un moment de l’entretien : MC : Donc dans votre famille, vous êtes né, d’après ce que j’ai compris, vous êtes né ici Vous. X : Mmmm... Et pis y’a quelque chose, y’a quelque chose, y’a quelque chose de très mystique que je vais vous dire, qui concerne ma famille : Moi je m’appelle Habiche, en français, et ça veut dire, en arabe, c’est Hiddid, HI, HIDID, H I deux D I D. MC : C’est le charpentier. X : C’est le charpentier ouais, et euh… MC : Hiddid ! (Marcel Czermak insiste sur la sonorité de la lalangue et prononce le nom avec l’accent arabe !) X : Hiddid ouais. (N’entend pas la relance phonétique de Marcel Czermak et prononce son nom avec l’accent français) Et d’après d’après la mythologie, dans… y’a un village, qui se trouve… qui se trouve dans… dans les montagnes…Et d’après la mythologie ou d’après… je sais pas si c’est la mythologie, le prophète David il aurait transcrit… MC : (le coupant) : Aït Daoud. X : Daoud oui. Il aurait… MC : (le corrigeant) : Aït Daoud, le bled s’appelle. X : Aït Daoud MC : J’connais le bled… Notez dès à présent, du côté de Marcel Czermak, les deux aspects d’une technique analytique « non orthodoxe » c’est à dire non centrée sur l’équivoque signifiante, nous y reviendrons : deux aspect donc la sonorisation de la langue soit sa spécification, et

l’incarnation de son imaginaire a lui, Czermak : « je connais le bled ! » Du côté du patient, il y a déjà l’essentiel de ce qui va nous intéresser : la traduction du nom propre en nom commun, c’est à dire notez-le, de Habiche à « Hidid » qui, en arabe, veut dire charpentier, et ce qui va s’ensuivre, le risque de désonorisation, de désoralisation de toute la lalangue maternelle, écoutez plutôt : X : globalement, ce que je veux dire c’est que la cotte de maille, c’est le premier secret et les sept autres secrets c’est des corporations. Par exemple : les Gueta, ça veut dire les puisatiers. MC : Oui X : Les les les les Hayat, c’est les couturiers. MC : Les Hayat (Marcel Czermak sonorise à nouveau le nom, en y introduisant l’accent de la région d’origine de MH) X : Les Hayat c’est les couturiers, Hayat. (MH à nouveau semble ne pas entendre la relance phonétique de Marcel Czermak et prononce le nom avec une sonorité française) MC : Hayat ! (sonorisant à nouveau le nom) X : Voilà, Hayat, couturiers, (MH reste sourd à l’intervention de Marcel Czermak portant essentiellement sur la sonorisation du nom et poursuit son propos concernant les sept corporations) Gueta, puisatiers, et puis plusieurs corporations, je les connais pas les sept encore, je suis en train de les chercher. MC : Alors vous, vous êtes un Hiddid. X : Et moi, je suis un Hiddid, (pas une fois, MH ne reprend la sonorité proposée par Marcel Czermak) donc y’avait sept corporations et c’est avec ça, d’après moi, qu’il a, qu’il a réussi à… MC : C’était un nom de charpentier, c’est ça ? X : Pardon ? Je suis un enfant de ?... MC : Vous portez un nom de charpentier. X : Ben oui, ça veut dire charpentier mon nom. (Notez le moment du lapsus !) Et voilà le lapsus de nœud, le nom propre ravalé au rang de signifiant maître : un premier point de capiton saute qui abolit le père primitif, l’ek-sistence du charpentier originaire, l’eksistence d’un charpentier mythique qui lui ne s’appelait pas « charpentier ». Cette existence s’excepte de la chaîne symbolique des générations qui elles, s’appelleront Charpentier. Cette exception, soit « il existe un X tel que non phi de x », je vous propose de l’écrire : il existe R sur S. C’est cette existence réelle qui est ici avalée par la grande gueule du symbolique : on passe de l’ek-sistence d’un père charpentier au nom commun, « charpentier », on passe d’une « ek-sistence » à un signifiant qui renvoie à un autre signifiant dans la ronde


du symbolique. C’est à dire que, dans le nœud, on passerait de R sur S à S sur R en un point. Le symbolique maîtrise, traduit le réel par le S1, on assiste à un pullulement de cette traduction qui signe l’insistance de ce lapsus de nœud. C’est l’intraduisibilité du nom propre, si chère à Champollion, qui saute, c’est à dire que saute, avec ce premier point de capiton dans le nœud borroméen, l’interdit de l’inceste entre R et S, en tant que la traduction du nom propre fait couple, fait rapport entre R et S.

De ce patient, on pourrait dire qu’il n’a plus de langue maternelle, en tant qu’il ne la fait pas entendre. De Habiche, son nom en francisé, à Haboucen en berbère, sont conservées les « vraies lettres », c’est à dire les consonnes qui découpent, qui hachent R et S. Mais de la sonorité de son nom traduit en arabe, il ne reste rien : Hiddid. Mon hypothèse c’est que la langue du délire c’est l’arabe, dans laquelle il traduit l’intraduisible, dans laquelle il perd la littoralité de son nom. Malgré l’insistance de Marcel Czermak qui resonorise la lalangue, pas une fois il ne marquera la sonorité de « Hiddid », pas une fois il ne fera entendre ce H, H seule lettre commune avec Habiche, H devenu muet, H originaire, H qu’il a fumé peut être dans le joint qui provoqua comme il dit sa première « bouffée » à entendre au sens littéral, sa première « bouffée délirante ». Je poursuis l’entretien : MC : Rappelez-moi, il s’appelle comment le village ? X : Le village il s’appelle Sidi Aïch. MC : Sidi Aïch ? X : Ouais. ça veut dire : « celui qui enrichit »… MC : Oui… X : Sidi Aïch (MC : Oui), celui qui enrichit… MC : Et alors… X : Et…donc euh…je sais plus où j’en étais là… Les noms traduits pullulent ou plutôt, en termes borroméens, s’enchaînent entre R et S. Ce décapitonnage provoque une délocalisation, une déspatialisation, soit, je relis : « euh, je sais plus où j’en étais là ». Cette traduction du nom propre en nom commun, ce passage de S sur R, provoque, comme vous pouvez le constater sur le nœud borroméen, une fuite de I. Celui qui perd la musicalité de son nom, perd son corps. La forclusion du Nom du père a pour effet l’autonomisation du rond imaginaire, comme cela se manifeste sur le nœud. Ce que rend possible l’abord clinique par le nœud borroméen, c’est de lire la forclusion non en 2 dimensions : R/S mais en 3 dimensions : RSI. C’est là que l’assertion de Lacan, « Dans la psychose, c’est le corps propre qui a toute son importance », va prendre tout son poids. Face à cette autonomisation de I, deux techniques, deux verbes incarnés, deux réparations, celle de Marcel Czermak et celle du patient vont s’affronter durant tout l’entretien.


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Vous l’avez entendu, au-delà du couple R/S et de la traduction du nom, la pente est à la déphonétisation de toute la lalangue : le deuxième point de croisements R/S se décapitonne en écho du premier. Notez que ce travail de Czermak sur la sonorité du nom, je suis obligée tant bien que mal, de vous le resonoriser. Si vous lisiez cet entretien sans que je lui prête ma voix, c’est à dire sans que je réinjecte tant bien que mal l’accent de la parole non écrite, vous auriez l’impression d’un dialogue de sourd. Ici, on passe d’une difficulté de transcription évoquée par Sabine à un impossible à écrire le réel. Ce que Czermak tente de ré-oraliser, ça ne peut pas s’écrire, mais ce qui ne peut pas s’écrire semble ne pas résonner, ne pas ek-sister au sens borroméen pour ce patient : il désoralise sa langue, il ne la parle pas. Toute « l’élangues » sont mises en continuité, déspécifiées, jusqu’à ce que, pour paraphraser le Sinthome, la lalangue Berbère n’existe plus. Même si Marcel Czermak « re-marque » que Habiche est un nom Berbère, pas un nom arabe, la déphonétisation du nom, entraîne avec elle toute l’aprosodie de la lalangue. Marcel Czermak passe son temps à resonoriser ce que le patient désonorise. Aucun accent n’est jamais perceptible chez le patient, même en écho de Marcel Czermak : pas une fois il n’oralisera, pas une fois il ne fera sonner la littoralité R/S de sa langue maternelle. Je poursuis : MC : C’est un prénom répandu en Kabylie Mériem? X : Myriam? MC : Ca se dit Mériem. X : Myriam exactement ouais... Marie...eh ben… y’en a, y’en a pas mal oui...Y’en a pas mal. Le risque majeur de cette déspécification de la lalangue, de cette mise en continuité de R et S dans une langue de Babel, c’est que la destruction phonématique peut dès lors virer à la fragmentation des mots en miettes dont Sabine vous a parlé. Le risque topologique majeur, c’est ce que le patient tentera d’appeler « l’apo », miette de mot, réel d’une apocalypse qu’imaginarise son délire messianique. « L’apo », pulvérisation de la lalangue, miette qui revient deux fois dans le texte comme un écho du danger qui le guette. Le risque majeur donc c’est que saute le deuxième point de capiton entre R et S, car de la fuite maniaque, c’est à dire de la continuité RS, au rond du Cotard, il n’y a plus alors qu’une torsion de voix. (Voir schéma). Ce qui

nous apprend peut-être pourquoi un état maniaque est toujours un état mixte.

Dans cette la pente à la continuité de R et S, à la jonction maniaque qu’il réalise grâce au joint qu’il fume peut être, le patient évoque une phase élémentaire de graphomanie, d’écriture automatique : X : Oui, c’est moi, c’est des choses qui me viennent comme ça. Et j’ai des phrases comme ça… MC : Alors dîtes-moi, racontez moi. X : …par exemple, par exemple, par rapport à la fraternité j’ai, y’a des trucs qui me sont venus, j’peux vous en citer, je peux vous en citer deux, sur la fraternité enfin, entre les hommes, parce que j’avais des problèmes, des graves problèmes avec mon frère et puis ça m’est venu comme ça. Ca fait : « Ton frère, si il t’aime, son amour ressemble à la source de lumière qui se disperse dans l’espace. S’il te hait, sa haine ressemble au mourant qui chemine vers la poussière puis le néant. » « Ça m’est venu comme ça », « y’a des trucs qui me sont venus » : ici, la forme réfléchie du verbe ne distingue pas un dedans d’un dehors, distinction inhérente à la dimension imaginaire. « Oui, c’est moi » dit-il, là où on attendrait « c’est de moi » où même « ce n’est pas de moi, c’est d’un autre » pour reprendre la grammaire freudienne. A cette étape de graphomanie, le patient est un automatisme : « c’est moi » plutôt qu’il n’a un automatisme. Mon hypothèse est que la xénopathie, ou même l’écho, repéré par Clérambault comme première phase du petit automatisme, serait déjà un « progrès » topologique dans la marche de l’automatisme mental, déjà un retour dans le réel de l’imaginaire forclos, c’est à dire dénoué, déjà la re-formation d’un premier dehors. Nous faisons donc l’hypothèse d’un prodrome à la première phase d’écho de l’automatisme mental, ce qui permettrait peutêtre d’expliquer l’absence d’hallucination chez les patients maniaques, en tant qu’ils


seraient et non pas qu’ils auraient un automatisme mental, en tant que les voix ne feraient pas retour du dehors. Ce premier dehors en effet ne serait imposé que par un retour de la dimension imaginaire. Je continue dans le fil de la citation : MC : C’est des phrases qui vous viennent comme ça ? X : Ouais ! Y’en a une, y’en a une, qu’est assez, qu’est assez brutale, mais je sais pas si... j’y crois, la première phrase là me semble un peu… ça m’est venu comme ça, c’est pas moi qui, qu’en suit l’auteur, hein. J’sais, c’est (là naît l’extériorité et du même coup, fait notable, la résistance à l’automaticité de RS, je continue toujours dans le fil) X : Voilà, et puis là ça a commencé quoi. Et j’ai sorti des trucs, y’a y’a…Alors celle-là elle est vraiment, elle est, en même temps elle est apo, elle est.......... en même temps elle est, elle est…J’ose pas trop la dire parce qu’elle est… C’est celle-là qui me semble un peu… pour en revenir au Christ. Et ça fait euh… elle est assez euh… Y’avait « toutes », mais « toutes » ça me gène parce que c’est pas possible. MC : Allez-y. X : Pas dans « toutes »... Alors ça fait: « Presque toutes les femmes sont démoniaques… » Excusez-moi hein ? Ça commence comme ça : « Presque toutes les femmes sont démoniaques… » Y’avait « toutes » mais je sais pas si « toutes » c’est bon. En tout cas ça fait : « Presque toutes les femmes sont démoniaques sauf la Sainte Vierge Marie qui, de par sa pureté totale, enfanta l’enfant Jésus qui enchanta et enchantera toute l’humanité » ... A mesure que se constitue la xénopathie, l’extériorité, c’est à dire que la dimension imaginaire forclose fait retour dans le réel, à mesure donc de la marche de l’automatisme, on observe la mise en place de la contra-diction, repérée par Clérambault comme étape suivante dans la marche de l’automatisme ou les voix prennent systématiquement le « contre-pied » du sujet à moins que ça ne soit le contraire. À mesure de la marche automatique du trois, entre en résonance la consistance Imaginaire comme interdit de l’inceste entre R et S, soit « pas toutes les femmes » dit le patient, pas le père de la horde. On peut aussi supposer que l’automaticité de cette mise en tension de l’Imaginaire est provoquée par le face à face dans le transfert, ce qui nous apprendrait quelque chose des raisons borroméennes pour lesquelles, topologues malgré nous, nous recevons les patients psychotiques en face à face. Cette

contra-diction, cette opposition automatique, biface, nous pouvons aussi la repérer plus discrètement dans l’entretien par le pullulement des « mais » (ce même « mais » qu’on repère aussi dans l’hommes aux paroles imposés ou dans nombre de cas présentés aujourd’hui comme celui d’Emilie Abed). A mesure de la marche de l’automatisme donc, se forme, au sens topologique du terme, une résistance imaginaire à la fuite des idées, c’est à dire à la continuité RS. Le Délire messianique donc, je vous propose de le lire comme une résistance qu’on peut dire physique, c’est a dire nodale, à « l’apo », comme une un-carnation, une consistance qui capitonne la continuité RS, un capitonnage qui lui « donne l’air » paranoïaque (pour reprendre une des question du Sinthome), face au risque mortel du syndrome de Cotard. (Equivalence avec un nœud de trèfle réparé, comme nous l’avons vu dans Le sinthome.) Mais alors, qu’est-ce que ça change, entre l’apo et la réparation par le délire puisque le Messie lui aussi annonce l’apocalypse ? Je ne sais pas, mais je remarque que contrairement au rond simple du Cotard, cette transcendance est spéculaire, comme tout nœud de trèfle, raté ou pas : ce qui est une lecture possible de la tentative de guérison de la manie par la paranoïa. Ce renouage de I explique peut-être aussi que notre patient semble préservé des atteintes organiques si caractéristiques de la manie et de la mélancolie (en tant que l’organique relèverait d’une autonomie de I, c’est à dire du corps dénoué dans le réel). X: Il était transcendé en permanence par euh, par l’Esprit de Dieu, par l’Esprit divin, l’archange Gabriel…et donc, j’ai eu pas mal de truc par rapport au Christ, j’ai eu… et puis j’ai eu la première bouffée dél’, en fait moi ma maladie c’est que des fois j’ai, enfin d’après ce que j’ai lu, j’pense que je suis mégalomaniaque, (MC : Mettez-ça de côté !) j’me considère comme mégalomaniaque. MC : Mettez ça de côté ! (Remarquez l’impératif, on y reviendra) X : Je mets la mégalomanie de côté? MC : C’que vous avez lu, j’en ai rien à fiche ! (Comme toujours le malentendu tombe juste : il va s’agir de mettre la mégalomanie de côté, je continue dans le fil) MC : Vous savez ce qu’il a fait l’archange Gabriel ? X : Ben l’archange Gabriel, il transcende tous les prophètes et puis il transcendait, il transcendait tous les prophètes et c’est, c’est la trans, c’est l’esprit de Dieu.


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MC : Qu’est-ce qu’il a fait ? (C’est là que commence le corps à corps avec Marcel Czermak) X : Qu’est-ce qu’il a fait?… Ben, il a, il a, il a fait beaucoup de choses, il a, il a transcendé tous les, moi de mon point de vue, je pense qu’il a transcendé tous les, tous les prophètes dans leurs moments de, de de, parce que tous les prophètes ont eu des, certainement, à mon avis, ils devaient être au moins, au moins, bipolaires hein, les prophètes, si c’est pas plus… (on entend bien l’aspect topologique, non métaphorique de la transcendance : transcendé, c’est littéralement traverser R/S. Dans son délire, il rentre d’ailleurs dans une synagogue, dans une intrusion du mur mitoyen présente dans toute paranoïa, fut-elle manquée. ) MC : L’archange Gabriel, Gabriel, c’est celui qui a retenu la main d’Abraham au moment où il allait sacrifier son fils. (Czermak s’impose contre l’évidence, contre la mise en continuité des imaginaire : on attendait l’annonce faite à Marie, vu le délire christique) X : Voilà. C’est la métaphore ouais… en fait c’est son couteau... MC : Faut pas (ou : vous pouvez) me raconter des tas d’histoires mais ça… X : En fait c’est son couteau qui s’est, en fait c’est son, d’après moi, d’après moi, souvent par rapport à toutes ces choses-là, je suis très, très prag, très prop, con, comment dirais-je ? rationnel. Et dans la rationalité, je considère pas que il est apparu, parce que y’a des images, à mon avis, c’qui s’est passé dans la réalité, c’est qu’y a eu, au moment où, où Abraham a voulu passer le couteau sous le…sur la gorge de son fils… MC : (rires) Le cou. X : A ce moment-là, la lame, elle s’est retournée comme ça, rapidement (rires de Marcel Czermak) dans sa main, et c’était ça le miracle. Il a, au lieu de couper du tranchant, il a passé l’autre côté du couteau qui n’était pas tranchant, le couteau a glissé dans sa main et s’est retourné. Ce corps à corps des deux nœuds est mis en abîme tout le long de l’entretien. Marcel Czermak impose un imaginaire spécifié, c’est à dire discontinu, un imaginaire Un. Non, tous les Imaginaires ne sont pas en continuité, non, tous les imaginaires ne sont pas jouis dans la continuité du nœud de trèfle réparé : Sabine et moi, en bonnes catholiques romaines, sommes exclues de cet Imaginaire-là. Pour nous, Gabriel c’est l’annonce faîte à Marie ! L’enjeu du face à face est de taille : entre « avoir l’air » paranoïaque ou « avoir l’air » normal, pour reprendre cette question du Sinthome, avoir l’air qui semble si crucial dans les intervalles libres

de la manie. Deux modalités de réparation de I, deux verbes incarnés sont face à face dans le transfert, de la transcendance délirante à, je cite le patient, « ce qui s’est passé dans la réalité ». Cette consistance Une pour le patient, elle lui vient du dehors : Marcel Czermak tente une greffe, une prothèse imaginaire qui permet bien au patient souvent de faire « consister » les phrases, c’est à dire de boucler les parenthèses à l’intérieur des parenthèses qui ne cessent de s’ouvrir. MC : C’est Bouji, l’ancienne Bouji./X : Mmm./ MC : C’est à quoi ? A deux heures de bagnole de Tizi. Ou encore : MC : J’vais vous faire une confidence : un jour je me suis rendu en Algérie pour une réunion sur la question des toxicomanies… Y’avait là une bande de types de Tizi. Les plus déchaînés, c’étaient les mecs de Tizi ; sérieusement allumés... A 3 h du matin, ils sont allés à Sidi Fallouch, là où les Français ont débarqué pour aller se baigner à 3 h du mat. Il y va avec son corps a lui, avec son imaginaire. Il inter-pose au sens littéral son corps, son regard, sa « vision mentale » pour reprendre un terme de psychiatrie classique : « Marcel Czermak le panse donc il l’essuie » pour paraphraser Le Sinthome.

Marcel Czermak coupe, il « s’un-pose » : l’entretien commence comme il finira, sur le mode impératif : MC : Venez, asseyez-vous............................. Asseyez-vous! (premiers mots de l’entretien : commande du corps) X : D’accord…


MC : Le docteur S. m’a un peu parlé de vous... X : Mmmm… MC : (en riant) Y’a un truc qui m’a… qui m’a retenu. Je peux vous le dire... X : Ben je vous en prie.... MC : Vous avez été faire un souk dans une synagogue ! (Rires de Marcel Czermak) Devant la déspécification des imaginaires du nœud de trèfle réparé, Marcel Czermak fait consister la scène sur un mode direct. Cette Un-position dans le transfert est un trait que vous avez pu relever dans la répétition des entretiens avec les patients maniaques. Face à face, corps à corps, sommes-nous face à une topologie préliminaire a tout traitement possible de la psychose ? De la même manière que pour la spécification de la lalangue, Marcel Czermak n’aura de cesse d’acculer le patient à un imaginaire spécifié que le patient ne cessera de déspécifier, c’est à dire de mettre en continuité : quand Marcel Czermak importe une princesse berbère, la Kahina, le patient la relie à Anne de Bretagne. Quand le patient invoque une continuité entre les trois religions qui ne devraient faire qu’une, Marcel Czermak le coupe, au sens propre : « Dîtes-moi Medhi, votre père il est venu en France en quelle année ? ». Cette solidarité topologique entre une musique spécifiée de la langue maternelle (soit rappelons-nous qui préserve une discontinuité entre R et S), cette solidarité topologique donc, entre la musique spécifique d’une langue et une spécification de l’imaginaire est d’ailleurs inconsciemment faite par Marcel Czermak lorsqu’il évoque, de manière tout à fait intrusive et directe un groupe de chanteuse berbères : Djurjura. La greffe imaginaire finit par prendre, dans une rationalité qui fait face à la solution délirante durant tout l’entretien. X : Je sais pas, je sais pas................Je sais pas.... mais euh... comment dirais-je euh ?....Des fois je me pose la question de savoir qu’est-ce que c’est exactement aussi par rapport à ma pathologie ma ma ma pathologie aussi je me demande ce que… en plus des fois, j’en ai parlé au docteur S. des fois j’ai, j’ai, j’ai, j’ai comme l’impression que que j’ai une mission messianique carrément. A un moment j’ai eu des des des délires de grave, j’croyais que j’étais le Messie MC : Oui. J’peux vous donner un conseil, laissez tomber ! (En riant) X : Ah ouais, ça c’est un truc de... MC : Si je peux vous donner un conseil, c’est celui-là.

X : Oui, oui, ça faut que j’oublie ça. MC : S’imaginer qu’on a une mission, c’est le pire des trucs. X : Oui, ça c’est la maladie peut- être, c’est p’t’être ma maladie ça. MC : C’est une maladie….. C’est une maladie. X : Ouais. Ca faut que j’oublie alors…. MC : C’est pas vous qui allez régler ces problèmes ancestraux. X : Mais justement p’être par rapport, parce que moi j’,même au niveau stratégique, j’ai même…j’ai même imaginé un truc carrément : quand je vous ai d’, quand je vous disais que David, on est les héritiers du secret du secret des 7 enclumes et de la cotte de maille, p’t’être qu’i faudrait que, je sais pas moi, que que je retrouve les les les 7 familles qui ont, les fameuses 7 enclumes et pis j’sais pas…… p’t’être que je sais pas, p’t’être que… je sais pas… p’t’être qu’ils se travestissent je sais pas (deux noeuds se font face: juste avant, nous assistions à une critique du délire, on aurait dit qu’il avait « l’Imaginaire de Czermak dans sa poche », et l’instant d’après ça continue dans la continuité délirante : à moins que cette succession temporelle ne soit qu’une illusion d’optique, je suspend cette question et j’en termine) MC : Les Imazighen ils imaginent beaucoup. X : …Pardon ? MC : Les Imazighen imaginent beaucoup. X : Ouais peut-être ouais… mais enfin imaginer jusqu’au point de mettre une kippa et de rentrer dans une synagogue et de faire un scandale dans la synagogue. (La pratique de l’équivoque est ici sans effet en tant qu’elle ne relève pas de son lapsus de nœud) MC : (rire) Comment ils ont pris ça? X : Ah ouais, ben non, ils ont pris gentiment mais je leur ai bien parlé hein. MC : (rire) Vous leur avez dit quoi ? X : Je me rappelle plus, j’étais en plein, (MC : Hein ?) j’étais en délire mégalomaniaque j’crois. MC : (rire) X : Oh oui j’étais... je sais plus ce que je leur ai dit… Ben je leur ai parlé par rapport à tout ça… J’leur ai dit qu’on devait reconstruire le temple, j’sais pu c’que j’ai… MC : (De nouveau coupe!) Allez raconter ça actuellement en Syrie, vous allez en prendre plein la gueule. X : Ah ouais, là c’est sûr ! (Rire des deux) L’extraction d’un imaginaire discontinu permet une stabilisation : « les berbères », Imaginaire spécifié qui sera d’abord « on » pour le patient puis « ils », mais jamais « nous ». « Les berbères », venus du dehors, lui donne effectivement la « côte de maille » pour reprendre un mot de son délire, la consistance


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externe nécessaire à une discontinuité des registres. La greffe Imaginaire cependant ne prend que lorsque le patient renoue avec Marcel Czermak dans le transfert. Le rire partagé est une dimension fondamentale de cette fin d’entretien. Le rire ici, témoigne-t-il l’assomption jubilatoire de l’image de Czermak ? Soit, je précise la question, le rire témoigne-t-il de l’assomption d’un sinthome où le patient recevrait, dans le transfert, son image de l’Autre sous forme directe, l’accent ici étant à mettre sur « forme » ? Le rire signerait alors non plus la trans-cendance mais le trans-fert qui est une autre modalité de traversée des consistances par un imaginaire spécifié, celui de Marcel Czermak. C’est la fin de l’entretien : X : ……Et donc, cette phrase ça serait quoi docteur, ça serait ? (Le patient interroge Marcel Czermak sur sa vérité ! mise en place du transfert) MC : J’en sais rien, ça vous est venu…(X : Ah bon) Ça demande un peu d’examen, j’peux pas faire ça à l’improviste comme ça, à la volée... mais l’idée d’une totalité c’est fou. Et vous, vous risquez ça. X : Je risque quoi? MC : La folie! X : La folie ouais......... Non mais je je je je reviens c’est-à-dire là-dessus, c’est un truc qu’s’est passé. J’ai j’ai J’l’ai écrit bon ben MC : (Vivement) Bon. (Radouci) Ecoutez : laissez tomber l’idée messianique, l’idée du Tout et puis vous évitez les toxiques, ça vous réussit pas. X : Ouais, ça me réussit pas, non…. L’entretien finit comme il a commencé, par un impératif. On remarque bien sûr la force du phénomène d’écho, comme d’ailleurs le premier temps de l’automatisme mental de Clérambault. Le patient reçoit sa consistance de l’Autre en écho, c’est à dire qu’il reçoit son image du Réel sous forme non inversée : I dans ce nœud n’est pas troué mais coincé. Ce n’est pas un moi mais une greffe imaginaire, imposée depuis le Réel et non pas proposée dans le Symbolique. Il « a l’air » normal au sens où, contrairement au nœud a quatre névrotique, son nouage n’est pas spéculaire, c’est à dire qu’il reste identique à son image dans le miroir, ce qui n’est pas sans nous apprendre quelque chose sur ces fameux intervalles libres de la PMD. La reprise en écho du patient de la consistance Imaginaire de Marcel Czermak ne devrait pas être sans nous interroger sur le maniement de la dimension imaginaire forclose dans la cure des psychotiques comme ont sût peut-être le faire les anglo-saxons, audelà de la pratique orthodoxe du signifiant. Sabine Chollet et Elsa Caruelle



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La grande

google

de l’Autre...


BIPOLAIRE ? V O U S AV E Z D I T BIPOLAIRE ?

Conclusions de Charles Melman D’abord je voudrais dire bravo, bravo à Marcel Czermak et au groupe qui travaille ainsi avec lui, puisque je dois dire que c’est un vrai plaisir de voir ces remarquables avancées et, entre autres, parmi celles que nous avons entendues, dont celle de Corinne Tyszler, celle à l’instant même, très courageuse et on dit audacieuse, mais je ne sais pas pourquoi... disons en tout cas éminemment sympathique et stimulante de Mesdames Caruelle et Chollet. Je veux dire qu’il semblerait bien que nous en soyons venus aux temps où après celui, nécessaire, de saisir et celui de comprendre, nous en soyons venus à celui de conclure. Autrement dit de passer, enfin, à l’écriture d’une psychiatrie lacanienne qui paraît, je dirais, l’aboutissement fort légitime et normal de tout cet effort qu’il a poursuivi lui-même. Et nous venons nous inscrire à sa suite… et cela pas seulement dans le but de nous faire plaisir entre nous – c’est agréable, c’est assurément sympathique, plaisant, etc., on s’entend à peu près, ce qui est déjà considérable évidemment, entre psy, c’est même rare, bravo encore pour réussir cela – mais aussi pour savoir si effectivement nous pouvons aboutir à une chirurgie des nœuds. C’est bien la question. Et je me permettrai de penser, à partir de ce qui est ma pratique qui est évidemment limitée avec les cas de psychose mais qui ex-siste néanmoins, que ce n’est pas du tout impossible et que ça a donc un autre intérêt que celui seulement spéculatif ou celui d’être un bon élève ou d’être celui qui a compris ou qui s’inscrit dans une filiation, contrairement à votre patient dont vous nous avez si bien parlé, dont le problème est bien celui-là, je veux dire : qu’est-ce qui fonctionne pour lui comme signifiant maître ? Auquel pourrait-il enfin se confier parce que si l’on devait admettre, tel que Marcel Czermak l’établit parfaitement, qu’il serait je dirais d’origine juive, on voit très bien comment il serait dépendant d’un discours qui ne saurait – compte tenu du contexte historique, culturel etc. – revendiquer aucune maîtrise, alors que s’il devait s’adresser au discours maître circulant il ne saurait venir s’y inscrire au titre d’une filiation. C’est une situation qui n’a rien de particulier, elle est extrêmement banale et il est remarquable de voir comment lui-même, je dirais, et grâce à cet examen si précis, si bien fait etc., comment lui-même tente, n’est-ce pas, d’accorder effectivement comme vous l’isolez dans une écriture des nœuds, tente d’accorder le Réel, le réel de son existence, au Symbolique qui serait capable


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d’en rendre compte, de venir le représenter dans le champ social, qui l’autoriserait en quelque sorte dans le champ social et avec cette difficulté majeure – Réel et Symbolique : comment, comment allez-vous justement, si vous évitez ce qui serait leur mise en continuité, ce que vous évoquez parfaitement, très bien, comment les accorder sans verser dans la manie ou dans le délire mystique ? Je voudrais attirer notre attention, votre attention, la mienne aussi bien, sur quelques points qui font partie de notre sujet. - La première question est celle de l’humeur. La question de l’humeur puisqu’il est évident qu’en personnes supposées censées, comme nous le sommes, nous attendons de la réussite d’un vœu ou d’un projet ou d’une entreprise, nous en attendons l’expression, chez le sujet, de ce qui serait la satisfaction, la bonne humeur que lui procure cette réussite et dont il faut remarquer qu’elle retentit immanquablement sur le narcissisme du sujet, c’est-à-dire qu’on pourrait dire que là, pas moins l’ombre de l’objet, en tant que là il aurait été approché ou saisi, vient se répercuter sur la satisfaction personnelle, sur la satisfaction narcissique. En nous rappelant ceci, c’est que l’humeur chez chacun d’entre nous, est déterminée, est commandée par une perte, une perte radicale. Autrement dit que c’est un échec, nous le savons, je ne vais pas trop gloser là-dessus, que c’est un échec initial, moteur, essentiel, définitif, qui va nous mettre justement en mesure d’éprouver ce sentiment que l’on appelle l’humeur, avec ceci, c’est que le sentiment donc de bien-être, de réussite, passe par un deuil initial, par une perte initiale. Et que, il y aura donc constamment dans l’expression de l’humeur, le risque d’une mixité de cette humeur. Je veux dire : il n’est pas avéré qu’elle soit jamais Une. Lorsque j’étais amené à l’hôpital à voir des maniaques, j’étais très méchant avec eux parce que je menais toujours l’entretien de telle sorte que je finissais toujours par les faire pleurer. Ils étaient en pleine expansion euphorique et pour vérifier ce que je supposais à l’époque, je les interrogeais de telle sorte qu’au bout d’un moment, les malheureux, je m’en excusais auprès d’eux mais ils fondaient en larmes, tout maniaques qu’ils aient pu être. – Comment faites-vous ? – Vous voulez que je vous dise comment ? … Peut-être pas maintenant ! (Rires). Ce n’est pas difficile, vous pouvez essayer, vous verrez que ça marche parfaitement.

Ceci étant, nous savons tous très bien qu’il y a des sujets que la réussite plonge dans la déprime profonde... et des sujets qui vont faire beaucoup d’efforts pour surtout éviter de réussir. Elle les plonge dans la déprime profonde puisque pour eux ce serait l’équivalent, en quelque sorte, justement d’une atteinte de cet objet et donc avec l’extinction du fantasme, d’un sentiment de fin du monde. Nous savons donc qu’il existe cette pathologie et que nous pouvons, avec les arguments qui sont les nôtres, très bien distinguer ce qu’il en est de la castration, c’est-à-dire cette opération qui est marquée par la séparation définitive de l’objet et l’opération de la privation qui est constituée par une mise à distance d’un objet toujours capable en quelque sorte de se trouver récupéré, et donc avec le souci de le maintenir sans cesse à distance. Et en évoquant ceci, j’évoque, pas seulement la névrose obsessionnelle qui est à cet égard absolument typique mais nous connaissons tous dans, je ne dirais pas seulement dans notre clinique, mais dans la vie quotidienne, la mise en œuvre acharnée de tous ceux qui surtout – enfin ça été décrit ! – veillent à garantir l’échec de leurs meilleures et plus courageuses entreprises. Donc je crois déjà que reprendre ce qui est cette économie singulière de l’humeur a sa place dans notre intérêt pour la maniaco-dépressive. - Ensuite, cette question qui me paraît volontiers, si je ne me trompe pas, peu abordée, qui est celle du deuil. Il y a un phénomène étrange dans le deuil, c’est que celui dont vous vous trouvez séparé, à cette occasion-là, n’est jamais aussi présent que par le deuil. Vous êtes supposé en être définitivement séparé, et c’est bien le fait de se trouver dès lors relevé de cette dimension du réel, qu’il se trouve… je dirais, vous ne pouvez plus vous en détacher et il occupe tout le champ de votre conscience et en vous privant en quelque sorte d’investissements qui seraient latéraux, comme si donc il venait effectivement prendre la place, là, de cet objet que j’évoquais tout à l’heure et se projetant, comme ça été si bien dit, sur le sujet lui-même, en quelque sorte le réduire à n’être plus rien que celui qui est là en quelque sorte, si je puis dire, absorbé par la présence, qui ne peut plus être tranchée, de cet objet. Et ce que l’on appelle le travail du deuil, qui à vrai dire est assez intrigant, travail du deuil… c’est quoi le travail du deuil ? Qu’est-ce qu’on va demander à quelqu’un qui vient vous voir


parce que justement il est là dans un deuil impossible ? Qu’est-ce que vous allez lui conseiller comme exercice spirituel ? Eh bien le travail du deuil, manifestement, c’est cette espèce de temps nécessaire pour que se refasse cette articulation spécifique du langage, propre au langage, et qui va en quelque sorte substituer à cet objet ainsi occultant, si j’ose ainsi m’exprimer, venir lui substituer ce qui est l’espace, le manque spécifique propre au langage et donc le retour, à ce moment-là, à une possibilité d’existence, enfin, à ce moment-là, je dirais, physiquement détachée de ce qui jusque-là constituait son handicap. La mélancolie, je ne vais pas m’étendre làdessus, ça n’a rien à voir avec le deuil, mais je ne vais pas reprendre ça… ce serait... en tout cas ça n’a rien à voir puisqu’on sait que c’est justement la mélancolie, que c’est justement comme ça été très bien dit, que c’est la perte de toute perte possible. Je vais y revenir dans un instant, très rapidement, à propos d’autre chose. - La question de la langue, de l’effet thérapeutique du passage à une langue étrangère et on voit bien par exemple pour votre patient qu’il y a là un polylinguisme qui assurément le perturbe. Mais habituellement, à mon sens, le mode de guérison – de guérison – susceptible d’être provoqué par le passage à une autre langue, tient en ceci : c’est que si vous passez à une langue étrangère, dans cette langue étrangère, en principe, vous ne pouvez pas y figurer en position maîtresse. C’est une langue étrangère ce n’est pas la vôtre. Vous y êtes en position Autre. C’est une position subjective éminemment tenable de se trouver en position Autre, d’autant que pour les sujets qui nous intéressent, dans leur propre langue ils n’ont pas pu discerner ce qui était la langue maîtresse. Il s’est trouvé que dans leur langue effective, parlée, que l’on appelle maternelle etc., ils n’ont pas trouvé ce qui leur aurait garanti une position maîtresse et que c’est donc en renonçant à cette position maîtresse et en passant à une langue étrangère, l’espagnol ou l’anglais, comme à propos de ce très beau patient qui a été si bien évoqué, mais qu’ils trouvent une position subjectivement tenable, c’est-à-dire une position Autre et dans laquelle ils peuvent très bien s’illustrer par l’usage même de cette langue d’adoption. On connaît tous de grands écrivains, de grands auteurs, qui dans ce dispositif, ont trouvé les modalités d’expression de leurs talents. Et je ferai remarquer à ce propos, si je le peux, que nous en sommes toujours, c’est très étrange,

nous en sommes, dans notre culture, dans l’occultation complète de la dimension Autre et je dirais le caractère, que je n’hésite pas à dire absolument génial et forcené de Lacan, d’avoir introduit cette dimension qui n’est donc ni la dimension de l’homogène ni la dimension de l’étranger. Mais je mets au défi de comprendre quoi que ce soit à la position féminine et à la question de la relation d’une jeune femme à son père, de quelle manière opère, là, la filiation, si l’on n’a pas à l’esprit cette dimension – majeure et toujours, on le voit tout le temps, méconnue – et qui est cependant la dimension spécifique de notre espèce, c’est le cas de le dire puisqu’elle rompt définitivement toute idée de binarité. Il n’y a pas de binarité et tout simplement parce qu’il y a de l’Autre. Il y a du tiers… donc pas de binarité. Et vous, rien qu’à évoquer ce fait dans notre une culture, vous voyez bien tout de suite comment tombe, aussitôt, je dirais par exemple, la guerre des sexes. Ah ! Il y a les hommes et y a les femmes ?… Eh bien non, c’est pas vrai ! C’est pas vrai. Et donc tout ça c’est des conneries… Ceci donc, au passage, à propos de la question de l’usage du bilinguisme. - Une petite remarque en passant, si vous le voulez bien, à propos de l’exposé d’Eva-Marie sur la question du monstre. La question du monstre dans la mesure où je me permets de vous faire remarquer : les monstres… on aime bien. Ben oui, on aime bien les monstres ! Ça nous fascine, ça nous intéresse, il y a toute une production cinématographique, avec les films d’horreur qui ne concernent rien que justement l’exploitation de la monstruosité. Il y a un temps où on pourrait presque relever chez l’enfant (moi je soumets ça aux spécialistes), un temps chez l’enfant où la proximité avec le monstre, non seulement lui aussi il aime ça, il est le premier à aimer ça, mais c’est une proximité naturelle, c’est une proximité qui va de soi, c’est-à-dire, le moment, à mon sens, que je vous propose, le moment où le Un dans l’Autre est encore dans une certaine forme de continuité avec le champ des représentations. Peut-être de l’autre côté du mur ? mais il peut sans cesse ouvrir la porte et rentrer. C’est-à-dire ce moment où la séparation, justement, entre la distinction entre le champ du Symbolique et du Réel est encore incertaine, encore vacillante, et au nom de… dans…, le monstre… c’est… c’est le compagnon des nuits ! Il peut profiter de l’obscurité évidemment pour…, et je saurais


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presque le dire, à la fois tellement inquiétant et en même temps paradoxalement, je dirais, rassurant ! Dans le cas proposé par Eva-Marie, il me semble, n’est-ce pas, que le monstre est ici personnifié par les parents eux-mêmes, dans la mesure où s’ils ne sont pas référés à l’autorité qui leur confère leur légitimité au titre de père et de mère, c’est-à-dire s’ils sont père et mère de leur propre autorité et en particulier dans la succession des générations qui est évoquée – il y a grand-père, grand-mère, il y a père et puis il y a l’enfant – eh bien, s’ils s’autorisent que d’eux-mêmes, ça arrive ! – ça arrive qu’il y ait des parents qui ne s’autorisent que d’euxmêmes – il n’y a aucune raison pour qu’ils ne puissent pas dès lors être perçus comme des totalités et dont le caractère dévorant, monstrueux, dévorant, est effectivement présentifié. - Pour en venir enfin à la question de la psychose maniaco-dépressive et du nœud borroméen… … je ferai une petite remarque au passage, je crois qu’elle a été évoquée, mais il y a une expérience spirituelle qui est susceptible d’approcher ou de faire approcher de la dimension aussi bien maniaque que mélancolique, c’est la tentative mystique. C’est-à-dire lorsque vous tentez au cours de l’expérience mystique de venir justement accorder enfin le Symbolique et le Réel, eh bien vous vous trouvez, je pense qu’on pourra là facilement le trouver justement dans le récit fait de ces expériences mystiques, vous pouvez facilement vous trouver exposé aussi bien à des moments d’exaltation tout à fait proches de la manie et à des moments de dépression, de crise profonde, parfaitement proches de la mélancolie. Est-ce que, pas seulement donc la topologie des surfaces, mais est-ce que la topologie des nœuds est susceptible de nous permettre d’avancer dans l’interprétation des phénomènes de la psychose ? Ce qui éclaire, et vous l’avez – je trouve de façon épatante – isolé, que dans la maniacodépressive, la mise en continuité du Réel et du Symbolique ne fait pas de doute. De quelle manière en avons-nous la traduction ? D’abord, il est évident : pas d’impossible. Plus rien, plus rien ne fait obstacle ! Soyons, soyons au niveau, là, d’une clinique basique de bébé, élémentaire. Il n’y a plus de problèmes ! Tout est résolu. Et cette saisie parfaite du Réel par le Symbolique, se traduit évidemment je dirais dans le domaine temporel, par ce qui va

en être d’une rapidité mentale que effectivement plus rien ne vient freiner, plus rien ne vient ralentir, à laquelle plus rien ne s’oppose, on a vraiment le sentiment de cette mise en continuité… et provoquant, bien entendu, ce sentiment de triomphe – il ne peut pas y avoir de plus belle victoire ! – ce sentiment de triomphe que nous voyons se traduire dans cette psychose. Est-ce que…? Chose remarquable, ce qui vient dans la manie ce ne sont pas des voix et on a l’impression que c’est le patient qui parle, alors que, à mon sens mais ce serait à vérifier, c’est de l’écrit dont il s’avère être d’une certaine façon le locuteur. Ce qui défile, ce sont des bandes écrites dont il s’avère être le locuteur. Vous avez été frappés comme moi du fait que dans le nœud borroméen à trois, il y a cette espèce de rond bizarre qui s’appelle le sens, moi quand j’ai vu ça apparaître, je dois vous dire que, je me suis dit qu’est-ce que ça vient faire ce truc, là ? Qu’est-ce que ça vient faire, parce que ça n’a pas de fonction opératoire dans les névroses, le sens. Ça n’est pas un élément qui retient spécialement l’attention, on sait très bien ce qui fait sens. Ce qui fait sens c’est soit la dimension phallique soit l’objet petit a. Et de le voir apparaître dans le nœud borroméen nous ramène à ceci, c’est que c’est bien à partir de son expérience des psychoses que Lacan écrit ce nœud, dans la mesure où il est évident que dans la maniacodépressive, il est bien évident que le sens a foutu le camp. Il n’y a plus… il n’y a plus ce rond du sens et il y a à vérifier de quelle manière il a foutu le camp. Il est bien évident que le maniaque est à proprement insensé et le propre du mélancolique c’est qu’il n’y a plus aucun sens. Ce qui est à peu près la même chose, évidemment. - Alors, là surgit cette grande question : ben, il est maniaque ! Il est maniaque, très bien. Mais alors, comment va-t-il passer à la mélancolie ? Est-ce que c’est purement un fait biologique ? Est-ce que c’est un problème de taux de sérotonine n’est-ce pas, alors il a bouffé, il a capté toute sa sérotonine n’est-ce pas, miam miam ! Parce que, il y a une oralité absolument remarquable, il n’y a pas seulement une hypergénésie dans le cas de la manie mais il y a une oralité qui est absolument… il vous bouffe, quand vous voyez un maniaque, il vous absorbe ! Bon. Eh bien, est-ce qu’il a mangé toute sa sérotonine et donc fatalement, à cause de variations humorales, il passe à la


mélancolie, ou bien, j’en sais rien, ou bien estce que ce qui se passe, c’est que ce qu’il en est du Réel ayant été ainsi absorbé si je puis dire par le Symbolique, c’est la dimension même du Réel qui vient à choir. Il n’y a plus de Réel. Et s’il n’y a plus de Réel, il n’y a plus de vie. Parce que c’est de là que pour nous vient la vie. C’est du fait qu’il y a du Réel. Que c’est de là que nous viennent nos messages. Que c’est de là que se trouve le gîte de cette instance dite au-moins-Une. Que c’est là que se trouvent nos pensées inconscientes et en tant que, bien entendu, elles nous animent et nous dirigent. C’est vrai, je me permets de reprendre ça, qu’il y a des patients qui peuvent dire je n’ai plus de pensée, et c’est vrai. C’est vrai parce que là dans le Réel, il n’y a plus rien dans la mesure où c’est la dimension même du Réel qui se trouve avoir été absorbée par le Symbolique qui se trouve ainsi, je dirais, aboli. Et du même coup, s’il est exact que du fait de cette mise en continuité entre le Réel et le Symbolique, nous nous trouvons – ah ! Merci beaucoup d’avoir projeté, Henri, ce rond à trois – s’il est vrai que du même coup nous nous trouvons devant un cercle unique, je ne parle pas de l’Imaginaire, on pourrait en reparler mais ça ne me paraît pas là maintenant central. Mais si nous nous trouvons devant un cercle unique, donc : vide, vidé, il n’y a plus de corps. C’est effectivement un trou dont il faut reprendre la dimension proprement à cette occasion topologique, il n’y a plus de corps. Et le problème donc dès lors de la négation, le problème du Cotard, est, si je puis dire, une conséquence de cet état. - Forclusion du Nom-du-Père La forclusion du Nom-du-Père c’est ce qui vient s’inscrire dans le nœud borroméen, du fait qu’il y a l’un des ronds qui va se trouver foutre le camp ou être annulé, puisque les Noms-du-Père c’est « Réel », « Symbolique » et « Imaginaire ». La forclusion du Nom-duPère, elle est inscrite à partir du moment où c’est l’un de ceux-là qui se trouve éliminé. S’implique, je dis bien, que dans cette tentative d’écrire une psychiatrie lacanienne avec ce que Lacan, là, nous a laissé, nous commettions un tas d’erreurs, d’approximations de discussions… c’est absolument normal, ce n’est pas grave, ce n’est pas l’essentiel, bien sûr que nous en ferons, sans doute en faisons-nous déjà ! Mais ce qui est important, c’est que, prenez par exemple tous ces traits cliniques que, Charlotte, vous avez si bien rapportés à propos de votre cas et vérifiez com-

ment sur le nœud, ils viennent si bien chaque fois s’y inscrire et évoquent chaque fois quoi ? Chaque fois le fait que ce nœud chez un patient n’est pas fixé, arrêté, une fois pour toutes, il va forcément travailler, faire un effort, faire des tentatives lui-même, spontanées, et qui vont réussir ou pas. Et donc la question comme je me permets de le reprendre c’est de savoir si nous serons en mesure de l’aider. Par exemple, il est bien évident que là où j’en suis, c’est, je dirais, la tresse à cinq, en parlant de cette mise en continuité du Réel et du Symbolique, c’est ce qui est rendu possible par la tresse à cinq. Il manque le coup suivant. Qu’est-ce que nous allons là-dessus imaginer ? – imaginer. Je voudrais donc pour conclure dans ce qui est pour moi, je dirais, le très grand plaisir personnel que j’ai pu avoir à participer à ces deux journées dues à mon ami Marcel Czermak. Moi, je suis amené à voir des jeunes dont je peux dire qu’ils n’ont pas la moindre idée d’une référence à un Nom-du-Père. Il y a un père, un père réel ! Quel est le rapport de ce père réel avec un père symbolique ? Aucun rapport. Aucune idée de ce qui serait un père symbolique. Ils ne sont pas fous. Il y a des souffrances diverses, des pathologies diverses, c’est bien pourquoi d’ailleurs je peux être amené à les voir. Et il se passe quoi à ce moment-là ? Évidemment je m’interroge. Mais qu’est-ce que je peux faire ? Et je retombe sur mes pieds grâce à ceci : c’est que, dans la langue, lalangue (avec les deux orthographes possibles), le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire, ils sont toujours là, à l’avance. Et donc, que cet enfant ait été introduit ou pas à l’existence d’un possible père symbolique, ça n’empêche pas ce père symbolique, dans la langue même d’être là et que il peut suffire de l’y conduire, pour avoir, je ne vais pas me lancer dans une clinique de la guérison, mais pour avoir des effets favorables, fa-vo-rables. Voilà : « – Il est évident qu’il s’est trouvé que, n’estce pas, tu as cru que tu étais le fils de papa et de maman et que donc puisqu’ils ne sont plus ensemble, eh ben tu sais plus, tu ne sais plus de quel côté tu peux t’appuyer. Eh ben ! c’est pas vrai que t’es le fils de papa et maman ! C’est une erreur. Ben oui ! C’est pas vrai. Tu es le fils de ce qui les a rassemblés un moment donné dans leur amour et qui a fait que toi tu es né de ça, de celui-là. » Cette opération qui pourrait paraître soit orthopédique soit étrange, elle n’est ni orthopédique ni étrange, elle est, je dirais, conforme à la réalité de la structure. Même si on n’en veut plus de cette


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réalité de la structure, mais elle est conforme. « – Tu es l’enfant de ce moment de folie qui a fait qu’ils se sont retrouvés tous les deux dans un plumard, mon vieux. (Rires). Mais oui ! C’est de là que tu es né. C’est de celui-là que tu es né », « – Ah ! » Eh bien, non seulement vous êtes parfaitement, je ne sais même pas si je vous dis quelque chose d’original ? (Rires). Je vous raconte peut-être des histoires tellement bêtes ! Mais le problème c’est que vous voyiez comment ça marche… de restituer ce qu’il en est d’un ordre du langage, même si aujourd’hui on aurait une satisfaction à s’en écarter. Donc ceci pour dire qu’à propos des cas de psychose et de maniaco-dépressive, là aussi la question est celle de savoir, je dis bien, si notre analyse est exacte, ce que nous pouvons tenter comme chirurgie du nœud. Et dans ce cas-là vraiment, vraiment ça vaut le coup. En ce moment, avec Marcel, nous travaillons ensemble à l’École Pratique, cette formidable observation de « l’homme aux paroles imposées », j’ai déjà esquissé le fait que, je sais comment on y viendra en cours de route, mais je sais très bien comment… de mon côté je sais comment je serais intervenu dans cette affaire… et précisément, à partir d’une analyse du nœud spécifique propre à ce cas qui est d’une tout autre structure, puisque là c’est, comme vous le savez, le problème de l’automatisme mental et qui implique donc une structure qui, peut-être, s’apparente davantage, relève davantage de la topologie des surfaces que de la topologie des nœuds. Mais je dirais, peu importe ! - Peut-être une toute dernière remarque puisque la paranoïa sensitive a été évoquée. La maladie de Kretschmer. La maladie de Kretschmer, le sous-titre c’est : “maladie des masturbateurs et des vieilles filles” (rires). Ah ! Vous ne savez plus. Oui, c’est le titre original : « Paranoïa sensitive ou maladie des masturbateurs et des vieilles filles ». Il est évident que tout de suite ça vous informe… Vous savez tout de suite de quoi il est question. Vous savez tout de suite que si vous vous mettez, si vous vous retrouvez en position hors sexe, vous vous exposez à ceci, c’est que vous avez affaire non plus au signifiant mais, insensiblement et involontairement, vous avez affaire au signe et que vous passez du monde des signifiants, monde ternaire, au monde des signes qui est un monde binaire. Reprenez les cas décrits par Kretschmer, vous

verrez que le monde brusquement va se trouver peuplé de signes. C’est pourquoi je terminerai là-dessus, c’est pour nous rappeler que le monde des signes, c’est le monde de la médecine : la séméiologie. C’est le monde des signes. Ça soulage hein ! Il y a là quelque chose qui éclaire, hein ? Un signe, ça représente quelque chose, et quelqu’un, c’est moi. C’est pas formidable que je devienne quelqu’un ? Enfin ! Je ne savais pas que j’étais quelqu’un. Eh bien, grâce à la séméiologie, nous nous trouvons dans la langue des signes. La grande innovation de Freud, chez Charcot, c’est qu’au lieu d’aller chercher les signes, il s’est mis à écouter ses malades ! L’attention aux signifiants… toute l’invention, elle est là. Toute, je dirais tout ce dont aujourd’hui, nous, nous parlons, nous bavassons… tout est là : il est passé du domaine médical, du domaine du signe, au domaine du signifiant… et de constater qu’en agissant sur le signifiant on pouvait lever le signe. Ce qui fait que toutes les histoires que nous entendons et qui marquent ce que nous avons entendu de la part de cette charmante jeune dame ou jeune femme qui est venue nous parler des recherches génétiques sur la maniaco-dépressive, toutes ces démarches oublient simplement ceci, c’est que notre rapport à l’organisme, au biologique, à ce qui relève du signe, est un rapport éminemment complexifié par le fait que c’est l’ordre ou le désordre du signifiant qui est venu en quelque sorte s’imposer au champ du biologique. Le champ du biologique peut prendre sa revanche ou manifester son autonomie évidemment. Évidemment, nous naissons tous avec un matériel biologique que personne n’a choisi ni décidé, mais il reste pour tous ceux d’entre vous qui avez une certaine expérience, que vous avez toujours des surprises ahurissantes devant les manifestations somatiques qui peuvent se produire à l’occasion d’une cure (en général la cure protège contre les manifestations somatiques, ça aussi c’est étrange) et de voir comment éventuellement des manifestations extrêmement graves et dont le spécialiste dira « ah pfff… est foutu » et vous verrez des choses absolument étonnantes et que le spécialiste évidemment… il félicite, mais il ne comprend pas… et comment ça peut très bien… Hop(e) ! Nous sommes là sur un terrain qui n’est pas celui du rapport de la psyché au soma, absolument pas, ce n’est pas de la psychosomatique parce que la vie psychique, ça a une matérialité. C’est de la physique. Et même de


la topologie. C’est une physique. C’est une motérialité comme dit Lacan. C’est pas…, quand on dit « du psychique », on veut dire que c’est de l’air, c’est évanescent, c’est du spirituel, c’est passé, ça a disparu, on ne sait pas de quoi on parle. On sait un petit peu de quoi… de quoi… de quoi on parle. Et ce qui fait donc que ces travaux dont nous avons entendu la recension, nous avons à les encourager. Oui. Allez-y ! Il faut y aller. Il faut y aller, soyez… et sans cesse vous voyez se reculer les types d’insertion qui venaient inscrire les conduites et les comportements dans des inscriptions génétiques, pour une raison très simple, c’est que, comme vous le savez, nos conduites et nos comportements, ce sont des acquis, c’est pas inné, ce sont des acquis familiaux et sociaux. Ce n’est pas compliqué, des acquis familiaux et sociaux. Les gènes auront à s’en débrouiller. Et alors aujourd’hui on a inventé un truc extraordinaire, ça s’appelle l’épigenèse. L’épigenèse ça veut dire que les circonstances sociales peuvent venir modifier les gènes. Ouais. Il se trouve que le privilège de l’âge qui est le mien, si tant est que ce soit un privilège, eh bien ce privilège fait, mais d’autres s’en souviennent même s’ils sont plus jeunes, il y a eu en son temps un grand biologiste soviétique qui s’appelait Lyssenko. Mais il a raconté ça, l’épigenèse ! Il a dit, y a rien de…, ce qui est inscrit dans l’organisme peut parfaitement être modifié par les conditions familiales et sociales. Il a été traité par la science occidentale de « faussaire ». Et aujourd’hui, on découvre brusquement quelque chose… mais le nom de Lyssenko n’est cité nulle part !!! On découvre, comme si c’était une grande création ! J’entends mes camarades qui s’occupent de l’autisme infantile et… émerveillés de ce que l’épigenèse vient là introduire. Bon, voilà ces quelques remarques pour vous remercier. Transcription : Monique de Lagontrie


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r f . b e w a s p NE e . w TE-AN N I A w S E w IQUE D YT site de PSYCHANAL E l’ECOL


APOLOGUE S i s on s é m i naire a l a réputation d’être de l ec ture di ff i ci l e , Jacques Lac an s ait ras s em bl er s ur un mo de to u t à fai t acces s ibl e et rem arquabl em ent co mpact l e s e n j e u x es s entiel s de s on ens eignem ent dans u n ce r t ai n n o m bre de s ituations que s auront reconnaî tre s e s l e cte u r s habituel s . Le pot de m outarde, l a mante re l i g i e u s e , l a boite de s ardine ou l’os dans l a g u e u le d u cro co d i l e, cons tituent autant de ces s cène s qu e Jacqu e s L ac an appel l e l ui-m êm e s es apol og u e s et d o nt l e s t y l e ne s em bl e pas avoir d’équival ent parmi s e s co nte m porains . L’e n j e u d e cette r ubr ique es t de m ontrer l a vale u r d e ce s ap ol ogues en ce qu’il s s e m ontrent en parfai te ad é q u ation avec ce que l’on peut attendre d’ u n e n s e i g n e m e nt de l a psyc hanalys e.

la mante religieuse ou la fonction de l’angoisse Un des apports essentiels des premières années du séminaire de Lacan, va consister à souligner que si le sujet ne peut se constituer que dans ses relations à un Autre, emblématiquement la mère, le facteur déterminant de cette relation est plus spécifiquement le désir de l’Autre. Cherchant à préciser les coordonnées de cet affect essentiel à la vie du sujet qu’est l’angoisse, Lacan va souligner les points d’articulation de cette angoisse avec le désir de l’Autre : « Personne n’a parlé de cela, l’angoisse c’est la sensation du désir de l’Autre. Seulement comme de bien entendu, chaque fois que quelqu’un avance une nouvelle formule, je ne sais pas ce qui se passe, les précédentes filent dans le fond de vos poches et n’en sortent plus. Il faut quand même que j’image ça, je m’excuse et même grossièrement, pour faire sentir ce que je veux dire, quitte après cela à ce que vous essayez de vous en servir, et cela peut servir dans tous les endroits où il y a angoisse. Petit apologue qui n’est peut-être pas le meilleur ; la vérité c’est que je l’ai forgé ce matin, me disant qu’il fallait que j’essaie de me faire comprendre. D’habitude je me fais comprendre à côté, ce qui n’est pas si mal, cela vous évite de vous tromper à la bonne place. Là, je vais essayer de me faire comprendre à la bonne place et vous éviter de faire erreur. Supposez-moi dans une enceinte fermée, seul avec une mante religieuse de trois mètres de haut. C’est la bonne proportion pour que j’aie la taille dudit mâle. En plus je suis revêtu d’une dépouille à la taille dudit mâle qui a 1m 75, à peu près la mienne. Je me mire, je mire mon image ainsi affublée dans l’œil à facette de ladite mante religieuse. Est-ce que c’est ça l’angoisse ? C’en est très près. Pourtant en vous disant que c’est la sensation du désir de l’Autre, cette définition se manifeste en ce qu’elle est, à savoir, purement introductive. Il faut évidemment vous référer à ma structure du sujet, c’est-à-dire connaître tout le discours antécédent, pour comprendre que si c’est de l’Autre avec un grand A qu’il s’agit, je ne peux pas me contenter de ne pas aller plus loin, pour ne représenter dans l’affaire que cette petite image de moi en mante mâle dans l’œil à facette de l’Autre. Il s’agit à proprement parler de l’appréhension pure du désir de l’Autre comme tel si justement je méconnais quoi ? Mes insignes, à savoir que moi je suis affublé de la dépouille du mâle. Je ne sais pas ce que je suis comme objet pour l’Autre. L’angoisse dit-on est un affect sans objet, mais ce manque d’objet il faut savoir où il est, il est de mon côté. L’affect d’angoisse est en effet connoté par un


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défaut d’objet, mais non pas par un défaut de réalité. Si je ne me sais plus objet éventuel de désir de l’Autre, cet Autre qui est en face de moi, sa figure m’est entièrement mystérieuse, dans la mesure surtout où cette forme comme telle que j’ai devant moi ne peut en effet non plus être constituée pour moi en objet, mais où tout de même je peux sentir un mode de sensations qui font toute la substance de ce qu’on appelle angoisse, de cette oppression indicible par où nous arrivons à la dimension même du lieu de l’Autre en tant qu’y peut apparaître le désir. C’est cela l’angoisse. Ce n’est qu’à partir de là que vous pouvez comprendre les divers biais que prend le névrosé pour s’en arranger, de ce rapport avec le désir de l’Autre ». La particularité de cet apologue est de se présenter sur un mode qui sollicite immédiatement un registre fantasmatique que Roger Caillois1 , dans un texte cité par Lacan l’année précédente2, avait su isoler avec brio. Si la mante religieuse vient en effet incarner ici la dimension énigmatique du désir de l’Autre, c’est probablement du fait que, dans sa relation au mâle, elle associe l’acte copulatoire à une dévoration, conjuguant l’acte sexuel et la mort de son partenaire. Sa posture même, mimant la position de la prière, vient redoubler l’interrogation concernant le désir qui l’anime dans cet accouplement puisqu’elle s’y présente sous la posture de la religieuse, soit la situation de celle qui, dans nos cultures, a choisi de renoncer aux plaisirs du sexe. Cette dimension fantasmatique ne doit cependant pas masquer ce que cette scène construite par Lacan instaure d’un dispositif authentiquement structural. Ce dispositif souligne que l’angoisse est bien, à proprement parler, la position de celui qui, face à l’Autre, n’est plus en mesure de savoir à quelle sauce il va être mangé. Si l’angoisse est en effet la sensation du désir de l’Autre, cette sensation est à entendre comme opposée à l’identification du désir de l’Autre. Elle signe ici la possibilité, chez chacun, de la mise en défaut de cette identification. L’identification du désir de l’Autre c’est en effet ce qui vient nommer et tout autant localiser, délimiter le désir maternel. A défaut de cette identification, c’est la pure sensation de ce désir qui se fait jour, sensation qui se traduit par la survenue de l’angoisse. L’identification de ce désir de l’Autre, c’est-à-dire du signifiant 1 Roger Caillois, La mante religieuse, 1937, Edition Gallimard. 2 Jacques Lacan, Le transfert, leçon du 22 mars 1961

phallique, de la connotation sexuelle du monde telle que Freud a pu l’isoler, a donc ici une fonction de protection, au moins partielle, contre l’angoisse. Notons que lorsque Lacan utilise dans ce contexte le terme d’identification c’est sous sa forme intransitive, il s’agit non pas de s’identifier à tel personnage ou tel objet de son environnement, mais d’identifier ce personnage ou cet objet. Cette identification est une opération de nomination qui apparaît donc sous la dépendance du registre signifiant. Elle est cette symbolisation essentielle qui va organiser la vie du sujet autour de la signification sexuelle d’abord isolée par Freud puis nommée par Lacan « signification du phallus ». C’est donc dans les circonstances où cette identification fait défaut, où le sujet se montre dans l’impossibilité de nommer et tout autant de cerner ce désir que l’angoisse apparaît. Lacan, reprenant cet apologue, va souligner à plusieurs reprises que ce défaut de symbolisation se traduit par une perte de la représentation. Face à ce désir énigmatique auquel je ne peux donner de nom, je ne sais plus quelle représentation l’Autre peut avoir de moi-même, je ne peux plus me représenter dans son regard. Lacan y revient quelque temps plus tard au cours du même séminaire : « Rappelez-vous l’image vacillante que j’ai essayé de dresser devant vous de ma confrontation obscure avec la mante religieuse, et de ceci que si j’ai d’abord parlé de l’image qui se reflétait dans son œil, c’était pour dire que l’angoisse commence à partir de ce moment essentiel où cette image est manquante »3. Notons que la signification du phallus, celle pour laquelle Freud a été taxé de pansexualisme, celle qui vient donner son sens au désir de l’Autre est également celle que le névrosé refuse régulièrement d’assumer. « Je ne veux pas être aimée pour mon corps, ma beauté ! » s’insurge l’hystérique, autrement dit, je ne peux me résigner à n’être qu’un objet de désir sexuel pour l’Autre. Si l’hystérie fait ainsi valoir, à juste titre, qu’elle ne saurait être réduite à cette dimension, elle méconnaît régulièrement qu’à défaut de cette signification sexuelle qu’elle a elle-même mise en place, quand elle ne se représente plus quel objet de désir elle est pour l’autre, c’est l’angoisse qui se profile. 3 Jacques Lacan, L’identification, séminaire inédit, leçon du 2 mai 1962


Comme Lacan nous y habitue régulièrement, cette formulation sur « le désir de l’Autre » tout en trouvant ses fondement chez Hegel (« Le désir de l’homme c’est le désir de l’autre »), est à entendre dans son équivocité : elle désigne aussi bien le désir de l’Autre à l’endroit du sujet que le désir du sujet pour cet Autre. Cette équivoque où le sens s’abolit, spécifie ce qu’il en est de la position propre à l’angoisse. Elle situe ce point d’indétermination où, ne pouvant plus attribuer à l’Autre la responsabilité du désir qui le détermine lui-même, le sujet ne pourrait que prendre à sa charge ce désir pour l’Autre, tâche impossible puisque c’est ce désir même qui le fonde comme sujet. Ce point d’indétermination, situe la place de l’objet a, objet non spécularisable, c’est-à-dire sans représentation dans le miroir, ou dans l’œil à facette de la mante religieuse, mais tout aussi bien, dans certaines circonstances, dans l’œil de ses semblables, ce que Lacan précise dans les termes suivants, au cours du séminaire consacré à cette dimension de l’angoisse : « L’angoisse ai-je annoncé pour vous dès le séminaire d’il y a deux ans, l’angoisse se manifeste sensiblement dès le premier abord comme se rapportant ─ et d’une façon complexe ─ au désir de l’Autre. Dès ce premier abord, j’ai indiqué que la fonction angoissante du désir de l’Autre était liée à ceci que je ne sais pas quel objet a je suis pour ce désir. (…) Mais ceci en fin de compte n’est lié qu’au niveau où je puis en donner cette fable exemplaire où l’Autre serait un radicalement Autre, serait cette mante religieuse au désir vorace, à quoi rien ne me lie de facteur commun. Bien au contraire, à l’autre humain quelque chose me lie qui est ma qualité d’être son semblable. Ce qui reste du ″je ne sais pas″ angoissant est foncièrement méconnaissance, méconnaissance à ce niveau spécial de ce qu’est, pour l’économie de mon désir d’homme, le a »4. Si Lacan revient à plusieurs reprises sur la valeur des moments de surgissement de l’angoisse dans l’existence du sujet c’est parce que, loin de limiter cette angoisse au registre d’un symptôme à éradiquer, il en souligne la fonction de signal, de repérage. Ces conjonctures de survenue de l’angoisse, renvoient à un défaut inhérent à l’opération signifiante en ce qu’elle ménage un reste à la symbolisation, elles pointent les limites de cette identification du désir de l’Autre et soulignent les points d’achoppement auxquels chacun de nous peut se trouver confronté dans son abord du champ du désir et qui situent la fonction de l’objet. Nicolas Dissez

4 Jacques Lacan, L’angoisse, leçon du 3 juillet 1963


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Personne n’a parlé de cela, l’angoisse c’est la sensation du désir de l’Autre


A.L.I.ENISTES

Dans le fil de nos journées d’octobre dernier consacrées à l’oubli moderne de la Psychose Maniaco-Dépressive, Jorge Cacho a accepté de diffuser auprès des lecteurs du Journal de Bord de l’Ecole Psychanalytique de SainteAnne un document historique méconnu mais qui n’avait pas échappé à sa sagacité : il s’agit de la lettre d’une patiente d’Etienne Esquirol rédigée à la demande de celui-ci et publiée en 1836 dans les Annales d’hygiène mentale et de médecine légale. On y constatera que la demande, formulée par l’aliéniste à sa patiente, d’expliquer et de déplier le registre de ses difficultés ne semble conduire qu’à une néantisation progressive de tout ce qui avait pu constituer les jouissances de son existence. Ce texte constitue une illustration très pure des manifestations de la douleur morale isolée par Griesinger, douleur liée au fait de ne plus rien ressentir. Un tel document ne manque pas également d’interroger sur les liens de cette douleur avec la demande d’une explication écrite formulée à cette patiente. Jorge Cacho viendra proposer une lecture de ce document et exposer les questions qu’il suscite lors d’une prochaine séance du séminaire du mercredi à Sainte-Anne.


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WITZ DITS... «Plus nous sommes proches de la Psychanalyse amusante, plus c’est la véritable Psychanalyse» Jacques Lacan, Séminaire I, Leçon du 24 février 1954

L’être et le néant

Un jeune garçon me déclare : - Moi ? j’fais rien !! Rien du tout ! - Ah bon ? … Ah Bon ! … Et alors… qu’est-ce que tu fais ? - Ben… Je fais néant !

Un temps de réflexion

- Maël (8 ans) : Le problème c’est que les miroirs ne réfléchissent pas aux conséquences des personnes - Psychanalyste : Comment ça ? - Maël : Attendez un peu, laissez-moi réfléchir…

De la parité :

La patiente commence ainsi sa séance : « Je comprends pas, je suis une femme et j’ai pourtant une maladie transmissible à l’homme, c’est bizarre… »

Poubellication :

Une patiente sur le divan : « Depuis le temps que je viens vous voir, j’devrais lire Lacan… Y a pas « Lacan pour les nuls ? »

Vérité première

« Ma mère me dit des mensonges en permanence… Je le regrette amèrement »


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ENTRETIEN

avec Jean-Jacques Tyszler, Psychiatre Psychanalyste, à propos de son ouvrage, A la rencontre de Sigmund Freud (éditions Oxus, avril 2013). Nicolas Dissez : La première fois que j’ai entendu parler de ce livre, c’était à Rio, où quelqu’un de l’entourage de Jean-Jacques lui a demandé ce qu’il allait faire cet été - ce qui ne voulait pas dire “à quoi tu passes tes vacances”, mais “à quoi tu vas travailler ?”- et il nous a répondu : “ Je vais faire un Freud”. Je lui en ai, nous lui avons, demandé un peu plus et il a dit : “C’est un ouvrage qu’on m’a commandé, de faire un Freud”. Et sur le moment, ça m’a laissé un peu perplexe, je dois vous dire… “Un Freud ? Mais on en a tous en tête un certain nombre, ce ne sont pas les mêmes… Il y a le Freud de Jones, le premier disons ; il y en a de plus récents ; il y a Jacques Sédat qui en a écrit un récemment… Moi, il y en a un que j’aime bien dans la collection “Ecrivains de toujours”, qui est de Mannoni... il y en a un certain nombre. Donc, quand JeanJacques m’a dit qu’il allait faire un Freud aujourd’hui… Je me suis dit : mais on ne peut pas faire un Freud aujourd’hui ! C’est-à-dire qu’on ne peut plus freud-onner ! (rires de l’assemblée). Je me suis dit que ce devait être une commande embarrassante pour Jean-Jacques. Et je dois dire qu’à le lire, immédiatement, on voit bien qu’il n’a pas fait un Freud. C’est tout à fait autre chose dont il s’agit, puisque le titre de l’ouvrage n’est pas Sigmund Freud, mais Jean-Jacques Tyslzer à la rencontre de Sigmund Freud. Ouvrage qui rend compte de ce qu’il peut y avoir d’essentiel à parler de Freud aujourd’hui, non pas comme dans une biographie, mais d’en parler avec les marques de ce que Freud opère sur un psychanalyste aujourd’hui. Et je crois, et cela m’a été sensible, qu’un des enjeux de cet ouvrage est de souligner la marque de l’enseignement de Marcel Czermak, de l’Ecole Psychanalytique de Sainte-Anne pour Jean-Jacques, dans sa façon de traiter sa rencontre avec Freud. Je le dis en deux mots. Première chose - et les Journées que nous avons eues ce week-end en témoignent : l’enseignement de Marcel Czermak oblige à y mettre du sien ; et c’est manifeste dans cet ouvrage, à chaque ligne - Jean-Jacques le fait avec un signifiant qui est toujours interrogé et maintenu dans une dimension énigmatique, comme quand Marcel Czermak en parle, mais il le fait avec courage, avec ce que cela implique d’énonciation, de prise de risque, et de difficulté - de coups durs, aussi ; aller à la rencontre de Sigmund Freud aujourd’hui, ce n’est pas sans aléas. Mais aussi, cet ouvrage a la marque de l’enseignement de Marcel Czermak en ceci qu’il rend compte des signifiants essentiels de Freud que dans un recours permanent à la clinique : vous avez vu les termes que Jean-Jacques a piochés dans l’oeuvre de Freud l’identification, le fantasme, la pulsion. Toujours dans un appui clinique. Et puis, cette rencontre est engagée dans un souci d’adresse, d’adresse aux plus jeunes, d’être lisible par chacun, qui,


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il faut bien le dire, est plus un trait commun avec l’enseignement de Freud qu’avec celui de Lacan. Il y a le souci d’être lu par tous, y compris par les plus jeunes et qu’eux-mêmes soient engagés dans cette lecture à y mettre du sien, comme je crois, les Journées de ce week-end en ont témoigné. Juste quelques mots pour dire que, pour des gens qui ne connaîtraient pas Jean-Jacques Tyszler, cet ouvrage permet d’aller à la rencontre de Jean-Jacques. Je laisse maintenant la place à Miriem. Miriem Méghaïzerou : Je voulais aussi souligner le courage avec lequel vous vous exposez dans votre livre.Il s’agit tout autant du portrait d’un homme, d’un fils, d’un père que du récit d’une rencontre avec Freud, la psychiatrie et la psychanalyse, selon les conditions subjectives qui sont les vôtres. Et c’est aussi, comme le rappelait Nicolas Dissez, un ouvrage de transmission de la psychanalyse. En ce sens, le ton très personnel de votre livre - ton par lequel vous attrapez la psychanalyse, mais duquel vous vous dégagez également quand il s’agit d’examiner les grands concepts de la psychanalyse -, ce ton, donc, place votre ouvrage au croisement du récit et de l’essai. Et ça, c’est une forme à propos de laquelle je vous inviterais bien à discuter. Chemin faisant, de Jean-Jacques à Freud, vous vous engagez à considérer votre place de praticien dans la cité, en cabinet privé et en institution. Vous tenez deux fils, dans votre rencontre avec Freud et dans votre rencontre avec le lecteur, également ; ces deux fils sont ceux du singulier et de l’universel. Et je le souligne parce que c’est ce croisement qui fait entendre votre voix et qui fait qu’elle porte. Avant de vous poser des questions plus précisément cliniques, je vais moi aussi tirer un fil, celui qui fait le plus polémique, sans doute - mais entendons-nous bien, ce n’est qu’un fil parmi tant d’autres, car votre livre est très riche et j’espère que nous aurons le temps d’en déplier bien des aspects. Vous insistez sur le fait que Freud « se regardait comme un penseur de l’universel, et […] ne cherchait surtout pas à faire de la psychanalyse une science juive » (p. 35). En même temps, vous insistez sur ce trait d’identité, celui de la judéité, « judaïté », dites-vous, et non du “judaïsme” : « Freud, qui a toujours souligné son trait de judaïté, sans le relier ni au judaïsme communautaire, ni à la religion, fait obstacle sur la voie de l’oubli. […] Pour retirer l’épine juive de l’Histoire, il faut oublier Freud », dites-vous. Alors, voici ma question : pensez vous - à la suite de J.-C. Milner, lecteur de Spinoza ( Le Sage trompeur, libre raisonnement sur Spinoza et les Juifs ), que le voeu d’une République – appelonsle le voeu sanitaire, hygiéniste,– est de faire

disparaître tous les signifiants qui suscitent la haine, donc les passions tristes, pour maintenir l’ordre social, et donc le signifiant juif, que vous corrélez étroitement à la psychanalyse ? Je vais préciser la portée de ma question en insistant sur deux points importants de votre réflexion : vous semblez indiquer que la haine qui est vouée à la psychanalyse va de pair avec un antisémitisme, voire un antisionisme, mal problématisé. Vous semblez également corréler ce voeu avec celui du rationalisme scientiste, qui vise à éradiquer, en oblitérant le scandale de la question sexuelle, toute la subversion liée à la question de la psychanalyse. Jean-Jacques Tyszler : Bien, merci. Je vais aller en amont. Le point que vous avez pris tout de suite est souvent le point qui m’a été reproché par mes amis. Ils m’ont dit “c’est bien ce que tu as fait, Jean-Jacques, mais au fond, la question juive, tu aurais pu l’éviter.” Dans les retours que j’ai eus, la nomination de cette question reste hypochondriaque, même pour des très proches, même pour des analystes. De très très proches m’ont dit “on a bien reçu, mais ça tu n’aurais pas du autant le mettre… ou pas en exergue.” Donc, c’est intéressant que vous soyez tombée immédiatement sur ce point-là. Bon d’abord, j’ai été très content d’être dans ma maison ce week-end, - ce que vous appelez l’Ecole, à juste titre… Je me suis rendu compte qu’il y avait une nouvelle génération. D’ailleurs, je ne faisais pas partie de la première génération, de ceux qui manquaient beaucoup ce week-end, qui sont ceux de la même classe d’âge que Marcel Czermak. Il a formé beaucoup de collègues, qui sont aujourd’hui tous les notables de l’Association et qui, bizarrement, ne sont pas toujours présents. Et il y a une génération en -dessous, que vous connaissez, c’est la nôtre, qu’il a formée ; ensuite, en allant à gros pas, il y a la génération de Nicolas… et là, ça m’a fait plaisir. C’est pour cela que l’on peut dire que c’est une école : parce qu’on identifie très bien les générations. Ce n’est pas souvent que l’on puisse voir, dans une Journée d’Etudes, l’aspect générationnel de la transmission. C’est même d’habitude quasi-mission impossible. Le terme d’Ecole Psychanalytique de SainteAnne n’est venu que dans l’après-coup d’un certain parcours. Jamais il ne se serait autorisé en 1981 de dire Ecole Psychanalytique de Sainte-Anne. La nomination est venue du fait qu’un certain nombre de travaux lui paraissaient avoir dépassé un certain seuil d’universalité scientifique pour qu’on puisse nommer l’Ecole. Donc il n’y a là ni question personnelle, ni narcissique ; ce qui lui avait été donné en dépôt lui paraissait suffisant : pour dire “pour tout lecteur sérieux, il y a trace d’une école”.


Comment la commande m’a-t-elle été faite ? C’est intéressant la vie sociale, car ça oblige à des choses qui nous sont habituellement éloignées. Il se trouve que je côtoie des philosophes, par exemple qui ont publié collectivement au Cerf un Dictionnaire Heidegger. Donc des gens qui gardent une conception classique et raide de la philosophie, mais très cultivés. Et, bizarrement, mais ce qui devrait nous alarmer, ils m’avaient prévenu, mais cela fait longtemps déjà, qu’ils ne comprenaient plus ce que nous racontions. Nous avions fait un petit séminaire sur le fantasme, et je le leur avais donné ; et bien, la plupart de ces philosophes m’avaient dit “tu sais, Jean-Jacques, nous n’arrivons pas à suivre.” J’avais été étonné : “Mais comment ? Vous travaillez Heidegger en allemand, et moi je vous donne ce petit truc… “ Et ils m’ont dit que non : “on décroche, parce que sans t’en rendre compte, tu as une façon de renvoyer un signifiant l’autre, de telle manière que si nous ne sommes pas strictement dans le cercle, nous ne comprenons pas. “ Y compris d’ailleurs, ils m’ont fait des remarques subtiles et intéressantes, du type “même l’utilisation que tu fais, comme tous les lacaniens, des noms du père, nous ne la comprenons pas.” Donc, ça m’a intéressé : “les psychanalystes, c’est bien mais on ne comprend pas ; on peine à suivre où vous en êtes et comment vous utilisez les signifiants qui, petit à petit, font boucle pour vous.” L’un des types de cette petite bande, il est professeur à Rennes, je crois, m’a apporté un petit A la rencontre de Karl Marx, qui avait été fait par un des anciens dirigeants de L’Humanité. Il m’a demandé non pas de faire une recension sur Freud, mais de dire ce qui pour un analyste aujourd’hui, fait que la rencontre avec Freud est encore vivante ; c’est-à-dire “toi tu lis Freud, mais c’est quoi de Freud ? L’homme Freud qui te plaît toujours ?… par son courage à l’époque de la fondation de la psychanalyse à Vienne ? Est-ce que ce que Freud avance, ça reste totalement valable à notre époque ? Et donc quelle place tu donnes à l’apport de Lacan ?” Et puis, il m’ a dit, puisque la psychanalyse reste une affaire subjective : “ est-ce que tu peux, au passage, indiquer pourquoi ça a bouleversé ta vie ?” Ce qu’on appelle, nous, le S2 : c’està-dire “comment ton propre inconscient est quand même mobilisé à l’endroit de Freud, et pas seulement pour faire un cours.” Je lui ai dit que j’allais essayer ; je dois dire que - je vous le dis vite - ce qui m’a plu énormément, c’est de tenir les deux bords, celui de la rencontre avec Freud et celui de l’étude de R,S,I. Il faut qu’un jeune, qu’il soit en philo, en socio, puisse au moins comprendre pourquoi pour un analyste, Freud est encore aujourd’hui essentiel. C’est ça qui m’a guidé… l’adresse principale n’était pas les psychanalystes, ce n’est pas un livre polémique.

La partie la plus personnelle, qui est celle de l’entrée dans le livre… Lacan dit toujours “au fond je ne parle qu’avec mon inconscient.” C’est vrai qu’il n’a pas le style écrit. On n’en a pas le reliquat, mais il semblerait que c’était un homme beaucoup plus énigmatique et plus drôle que ce qui n’en apparaît dans le script. Pour Freud, curieusement, l’homme Freud se lit dans le livre. Freud se raconte énormément ; c’est pour cela qu’il plus facile de faire A la rencontre avec l’homme Freud, qu’A la rencontre avec l’homme Lacan… je ne pourrais pas faire, car ne n’ai pas les appuis nécessaires. Ceux qui l’ont côtoyé, peut-être… Chez Freud, curieusement, il y a beaucoup de choses qui parlent du bonhomme Freud. Voilà pour ce qui est de vous situer la rencontre et la commande. J’approche maintenant de votre question, qui est double. Il y a dans la psychanalyse, cette difficulté, qui est à mon sens très importante, c’est ce que vous avez rappelé : la psychanalyse, qui s’inscrit comme un humanisme, qui inscrit son cours dans l’espoir qu’un certain nombre d’universaux puissent être partagés, néanmoins, me semble-til, attache une très grande attention à la singularité. Pas des particularismes, qu’ils soient ethniques, régionaux, ou linguistiques ! ça c’est un autre problème. Mais quand nous travaillons de la clinique, nous abordons des questions générales, celles de la nosographie ; néanmoins chaque rencontre sera singulière. Un schizophrène ne sera jamais le schizophrène du voisin, c’est pas vrai ! Il restera cette rencontre là. Et donc, cette dimension que la psychanalyse révèle est fondée immédiatement par la position de Freud : par sa lecture de ce que j’appelle “judaïté” et non pas tant “judaïsme”, c’est-àdire que sa position, à Freud, est pleine de complexité. Ce n’est pas un homme qui se référait à la religion - il trouvait même assez barbant d’aller aux mariages - ; sa culture juive est relative, plutôt laïque. Par contre, assez curieusement, immédiatement, et c’est repérable à chaque fois qu’on le questionne - et ce n’est pas lié à la montée de la haine, c’est lié pour partie à la haine qui monte -, Freud considère que la question minimale de l’identification ne peut pas céder sur ce lien dialectique entre trait de singularité et rapport à l’universel, dont nous parlons. Comment le sait-on ? Par les choses les plus simples. Quand le père du petit Hans vient l’interroger sur la circoncision - le père du petit Hans dit : “Vous croyez que c’est le bon moment, d’accabler nos enfants ?” - et Freud répond : “le problème est que si vous ne faites pas ce trait - que Freud entend comme un trait symbolique minimal -, il perdra tout courage. Et effectivement, cela va l’exposer, mais je ne vois pas d’autre issue, dit Freud, du point de vue de ma position d’analyste.” Pas du point


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de vue de l’homme dans la cité, en général, ou du point de vue de la montée de la haine. Donc, c’est une question majeure, et qu’on ne perçoit pas bien depuis qu’on a perdu les études marxistes, parce que c’est un des grands drames du marxisme : les marxistes n’ont jamais pu se résoudre à accepter qu’un trait de singularité vienne au rang de l’universel. Vous regarderez l’Histoire générale du Bund, pour ceux que cela intéresse. Quand le parti bolchévique est né, son premier congrès s’est fait au sein du Bund - en gros le syndicat des ouvriers juifs. Donc, les gars étaient marxistes, pas religieux, mais ils voulaient garder une seule chose, une petite bêtise de rien du tout : aller au théâtre en yiddish, écrire leur poésie en yiddish. Et les autres leur ont dit non. Cela n’a jamais pu être dialectiquement dépassé ; c’est ce que j’appelle “les croisés de l’universel” : le problème de l’universel poussé à sa destruction. Freud, qui n’est pas un Juif du Shtetl - il se disait allemand et il était traité comme un Allemand quand il venait à la Salpêtrière, chez Charcot, parce que le judaïsme allemand, depuis Moses Mendelssohn, ne distinguait pas le signifiant allemand du signifiant juif - avait le respect de ce minimum de lien dialectique. Vous avez noté que j’en fait un point d’orgue, en rappelant que, encore maintenant, et même ici en France, beaucoup souhaitent qu’il tombe une amnésie généralisée sur la question juive, oui. C’est évident. Je ne dirais pas forcément Milner ; ça, il faudrait l’inviter pour discuter de manière un peu tendue de sa thèse sur Spinoza. Il faudrait l’inviter une journée et analyser sa thèse, sinon, en gros, on conclut qu’ils ont eu raison de le [Spinoza] virer… Mais qu’il y ait le voeu réuni, cet idéal d’amnésie, c’est sûr. Il y a un patient qui revenait de Vilnius, qui avait été visiter Vilnius, dans les Pays Baltes. C’était une ville juive à 50%, le journal du soir était en yiddish. Mais un jeune qui va visiter Vilnius ne va pas, aujourd’hui, en trouver trace. Il ne va pas trouver cela dans les musées officiels. Il va trouver, mais il faut se donner du mal. D’un certain point de vue, Milner a raison. Il y a, dans le voeu moderne, d’éradiquer la haine, comme vous avez dit, ce voeu assez curieux d’amnésie généralisée, qui porte également sur tous ces débats imbéciles sur la Shoah. Ces débats qui mettent en rapport la Shoah avec le génocide khmer, complètement imbéciles : ce n’est pas cela la singularité de la Shoah, ce n’est pas le problème quantitatif ! Et vous entendez des historiens, des politologues… une série de niaiseries, ahurissantes. Et puis vous avez quand même la violence produite par Onfray, par exemple, diffusée à une échelle de masse, relayée par les grands journaux, les grandes radios, contre Freud luimême, contre Freud ad hominem ! Là, vous avez un bouquin écrit par un Macédonien,

qui a eu un prix européen, un intellectuel qui explique que Freud a choisi de partir au moment où c’était encore possible en laissant délibérément une de ses soeurs. Il aurait fait une liste secrète pour savoir qui devrait être exfiltré ! Donc, on en arrive à… qu’est-ce que c’est que cette haine ? Cela nous paraît banal, on est tellement habitué à entendre des trucs absolument fous qu’on n’arrive pas à réagir. Voilà pourquoi j’ai dit à mes collègues que je ne pouvais pas faire autrement que, dès l’entrée du livre, de signaler cette détestation, qui devait être analysée. Il fallait qu’on en décrive quelques traits typologiques ; on ne pouvait pas dire que Freud, est, comme toujours critiqué. Et bien non ! Ce n’est pas exactement cela qui se passe. Il y a un problème d’enchaînement de signifiants qui filtrent de la question de la psychanalyse vers la question du judaïsme, qu’on entend bien dans les attaques contre Freud. Donc, je l’ai dit au passage sans en donner tous les linéaments, mais je tiens à cette position, même si ce n’est pas la tasse de thé de tous les collègues. Alors, le risque, effectivement : il ne faut pas faire à rebours de la psychanalyse, un terreau juif. Cela a été la hantise de Freud ! Miriem Méghaïzerou : Et vous le signalez, d’ailleurs. J.-J. T. : Et oui, je le signale ! A l’inverse, décréter une amnésie sur tout ce terreau, cela pose un problème. M. M. : D’autant que, quand vous prenez le trait de la judaïté et que vous le corrélez à des questions cliniques, comme celle de la restriction de jouissance par imposition d’une livre de chair, vous analysez la détestation de ce trait comme une guerre même contre la restriction de jouissance. Vous en étudiez les répercussions cliniques dans notre société. Est-ce que vous pouvez développer ce point, dire comment ce refus, cette détestation, fait retour dans le réel - sous forme de guerres, de communautarismes, de revendications particulières et identitaires ? Et notamment, lorsque vous dites que le revers de cette détestation, c’est l’amour du Un - vous en avez déjà parlé avec le marxisme, mais j’aimerais que vous développiez encore ce point. J.-J. T. : Oui, quand j’ai été à Bruxelles, il y a quinze jours, là, dans une librairie, il y a un jeune… - c’est vrai que mon adresse était spécifiquement à l’endroit des jeunes, parce que les jeunes de 20 ans n’ont plus un rapport de familiarité avec Freud ; en France cela reste en classe de philo, et cela ne leur prend plus autant de temps technique, sauf s’ils ont un prof de philo spécialement intéressé, mais c’est devenu rare. A la fac, c’est pareil et ça s’est réduit… En Belgique, ce n’est


plus en cours du tout. Un jeune belge peut passer le lycée, et même la fac, sans même avoir entendu parler de Freud ; ce n’est pas au programme. Donc, un jeune en Master d’économie, me dit : “vous savez, pour nous - il voulait me dire nous, les jeunes de vingt ans -, Marx et Freud c’est ringard. On veut bien vous recevoir, mais vous nous parlez de trucs dont on se passe absolument, qu’il me dit ! Moi, ma vie, c’est l’écologie - et à juste titre -, le réel de la nature, les difficultés du métier, la crise… “ Il était économiste, donc, le réel du chiffre… “Mais pourquoi vous nous parlez encore de choses comme ça, qui sont passées, quel est le problème ?” Et ça m’a pris une minute, je suis resté comme ça, un peu angoissé et je me suis dit que peut-être il avait raison, pour finir. Cela m’a obligé à refaire le tour par ce que j’appelle les formes du retour vers le Un. Je lui ai dit : “Vous, à Bruxelles, c’est comme mes enfants à Paris. Sans vous en apercevoir, un certain nombre de choses vous mettent en esclavage, et que vous ne dénoncez pas comme ringardes”. Le fait communautaire, par exemple, le retour religieux, quelles que soient les religions monothéistes qu’on veut convoquer. Et les jeunes au fond, vous êtes prêts à accepter n’importe quelle forme d’esclavage, alors même que Marx, le Marx de l’économie, tout comme Freud, permet de penser un certain nombre de problèmes dont l’homme se trouve esclave. Ce sont des penseurs qui, comme la fête juive, permettent de se dire : mais au fond, de quoi je suis esclave ? Parce que je suis esclave, mais de quoi ? Freud le dit : mais oui, nous sommes esclaves, mais on en s’en rend pas bien compte. On est esclave de la façon dont on rentre dans la langue, c’est une obligation, esclave de la mise en place de la sexualité, qui ne va pas cesser de nous accompagner, esclave des boucles de la pulsion, qui nous dépasse de manière acéphale, etc. Donc, j’ai essayé de lui dire ça, vous voyez. Freud, ça m’étonnerait que ça ne vous intéresse pas, parce que vous êtes captif d’autres formes. Dans mon école, quand j’étais jeune, puis au lycée, il n’y avait pas le poids des communautés. Ce n’est pas qu’on n’identifiait pas le petit italien ; mais les copains s’invitaient dans les familles respectives, on allait parfois à la fête des uns plutôt que les autres, et ça ne jouait pas comme clôture, à tel point même qu’il a fallu que j’entende mes enfants me parler de l’école pour que j’entende le raidissement communautaire - le fait qu’on ne puisse plus être invité, parce qu’on ne peut plus manger ensemble quand même ! C’est inouï ! Il y a maintenant beaucoup de jeunes, dans la même cour de récré, qui ne peuvent pas s’inviter parce que l’aliment n’est pas compatible. C’est très moderne, comme problème, je veux dire ici, dans la République. Donc, cela a été ma réponse. Leur dire que

Freud nous a apporté cette chance, de leur dire mais enfin, de quoi je choisis l’esclavage ? Parce que si je ne le choisis pas un tout petit peu, ce sont des formes d’esclavage beaucoup plus raides qui vont nous tomber dessus. Voilà, je pense que ça l’a intéressé ; cela ne veut pas dire qu’il va se mettre à lire Freud ou à faire une psychanalyse, mais ça l’a un peu intéressé. Et je luis ai dit qu’en plus il faisait de l’économie ! C’est quand même marrant ! L’économie, aujourd’hui, alors que plus personne ne comprend rien à rien, on appelle cela une science ! Non mais, vous comprenez, vous, quelque chose à cela ? Au moins, Freud, on comprend un petit peu : quand il dit un symptôme, et bien au moins on peut le travailler. Mais vous, avec quatre ans d’économie, vous croyez que vous comprenez mieux que moi quand je lis le journal ? On n’y comprend strictement rien. Voilà, j’ai essayé de lui répondre, sans être trop grandiloquent, sur ce que j’appelle toutes les formes d’unification de la pensée aujourd’hui. On est esclave de toutes les pensées unifiées. Alors, nous, en médecine on est esclaves du scientisme ; en psychiatrie, c’est désolant, ce scientisme biologisant, qui ne ressemble à rien du tout, qui est sans dialectique aucune. Et donc, voilà, un auteur matérialiste comme Freud, si un jeune entre dans sa lecture, permettra à un jeune de se dire “et bien oui, je suis entré dans la sexualité, alors comment est-ce que j’y suis entré ?” On dit que la sexualité est libre partout, alors pourquoi tant d’inhibitions sexuelles, chez les garçons ? Aujourd’hui, je veux dire. Pourquoi tant de plaintes sur la sexualité, dans nos cabinets ? Freud le dit, que la sexualité a des dimensions d’entrée, des dimensions de brutalisation. Entrer dans la sexualité, c’est compliqué. Donc, ce message là est, à mon sens, inégalé. Ce que Freud dit du fantasme, Lacan dit lui-même qu’il n’a pas grand-chose à dire de plus, dans Le Séminaire du même nom… enfin, pour les hommes, hein. Il est vrai qu’une fille qui lit Freud, sur la question féminine, pourra se dire que quand même, là, c’est un peu court ! Thierry Florentin : On peut lire cet ouvrage comme une question sur l’éthique de la psychanalyse. Ne passons pas trop vite. Je suis particulièrement choqué, en tant que psychanalyste, que des collègues puissent dire qu’il s’agit d’un ouvrage sur le fait juif. En effet, tu manies ce signifiant. C’est-à-dire que d’une main, tu dis “Freud le Juif, Jean-Jacques le Juif” et de l’autre main, tu fais le tissage avec “Freud le psychanalyste, Jean-Jacques le psychanalyste.” Qu’est-ce à dire ? Est-ce que, comme l’affirmaient les nazis, la psychanalyse est une science juive ? Je pense que dans leur logique, c’est un raisonnement qui se tenait, en ce sens que, le Juif est celui qui refuse la


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communion, fût-ce au péril de sa vie, comme l’Inquisition le souhaitait. Le psychanalyste, de même, refuse la communion que seraient les grilles d’évaluation, le cognitivisme, la psychothérapie pour tous. Ce n’est pas rien, d’ailleurs, que l’Institut de Psychothérapie, qui était animé par Göring, le neveu du fameux, a pris la main lors du départ des psychanalystes. Donc, tu fais ce tissage, en prenant le concept, le Juif, le psychanalyste, en précisant que, bien évidemment il s’agit du concept incarné, c’est-à-dire au final, de la personne qui paye de sa livre de chair pour le simple fait d’être née. Parce que les Allemands, excusez-moi, mais les Juifs-Allemands, ils étaient convertis depuis deux générations… Donc, tu poses bien la question, avec angoisse - car c’est un livre d’angoisse, c’est un terme que tu utilises dès le début -, du devenir de la psychanalyse, comme du refus du psychanalyste, d’entrer dans un commun, qui serait, à l’universel, aplatissant pour tous - d’une psychothérapie pour tous, une religion pour tous… On se souvient de la phrase de Saint-Paul, “il n’y aura plus ni femme, ni homme, ni juif, ni goyim…” - goyim au sens de l’époque, pas au sens péjoratif, qui n’a rien à voir aujourd’hui. Donc, voilà en quoi je pense que la réflexion de Miriem sur l’universel et le singulier est si pertinente, car c’est effectivement la trame de ton ouvrage, et que ce qui est en cause, pour toi, qui t’es tant engagé, notamment dans cette histoire avec l’HAS et l’autisme… on voit bien… quel est le résultat ? L’éradication de la psychanalyse ! Non, les types sont renvoyés des CMP, des centres de soins, etc., et trente ou quarante ans de savoir-faire sont livrés au bûcher ! Comme les livres de Freud ; du Juif Freud… J.-J. T. : Exactement... T. F. : Alors, je crois qu’on a tout intérêt à se tenir droit de la psychanalyse. Et d’ailleurs ces Journées l’ont montré : comment on se tient droit de la psychanalyse. Et je regrette qu’il n’y ait pas eu des types, des services de SainteAnne, qui viennent défendre leur cognitivisme et dire “et bien non, nous, on ne fait pas comme ça ; nous on ne voit pas le malade comme ça ; nous, ce qui nous intéresse, c’est la remédiation cognitive… je vous assure, en deux séances ça marche !” Je regrette qu’il n’y ait pas eu quelque chose d’une controverse, plus tendue, tu vois. J.-J. T. : Permets-moi de t’interrompre une seconde, parce que c’est un exemple que je n’ai pas dit mais que j’aurais pu raconter. Quand j’ai lu le texte de l’HAS sur l’autisme - je ne suis pas un spécialiste de l’autisme, vous le savez… à peine de la clinique infantile, et ce, grâce à mes collègues -, donc je lis le texte. Et, probablement fort de tout ça je me dis, “c’est

totalement fou ; on est en train de vouloir nous éradiquer”. Je me retourne vers mes amis, mes collègues, qui me disent “Non, JeanJacques, ce n’est pas grave. C’est stratégique, c’est une tactique.” Et je passe… Et la vie tient à un fil. Comme à ce moment-là, j’avais la présidence, je vais voir Melman et je lui dis : “Ecoutez, je suis embêté. On me dit qu’il ne se passe rien, mais je vous le donne à lire. A mon avis, c’est dingue.” Je revois Melman, plus tard, et il me dit “Oui, c’est fou.” Mais ce qui était fou, c’est que cette perception n’apparaissait pas à la plupart. Tu vois, c’est exactement le même problème. La plupart me disait : “mais au fond, ce trait, c’est mieux qu’on le mette un peu unterdrükt, comme dit Freud. On va le faire passer un peu en dessous et puis l’Etat n’y verra que du feu ; on va s’en arranger, quoi ! Donc, c’est cela la question qui s’est trouvée posée. Et donc, ta remarque est juste. En deçà du trait unique, il n’y a même pas de trace : c’est l’effacement de la trace elle-même. Donc, si les psychanalystes en étaient presque arrivés, dans le discours ambiant, à s’auto-effacer, c’est que cela pose un problème. L’exemple que tu prends, à la limite, il n’y aurait pas besoin d’en faire de la théorie. Il faudrait presque raconter comme un journal d’anecdotes, les choses telles qu’elles se font. T. F. : On a vu Jorge Cacho, un peu avant les vacances, se retrouver à nous dire ses choses là, lui qui s’est retrouvé à San Sebastian, isolé, entouré par des nationalistes basques. Mais, tu vois, ton livre, c’est un cri d’alarme sur l’éradication de la psychanalyse et qui, après tout, et bien des Juifs incarnés, forts de leur savoir familial, forts de leur savoir sur leur structure, forts de leur savoir sur la manière dont ça se passe structurellement, et bien ce n’est pas plus mal. Et qu’ils puissent le dire, et qu’ils puissent se faire entendre, et bien ce n’est pas plus mal. Deuxième point, et ensuite je vous repasse la parole, Miriem, sur ce que vous venez de dire sur la livre de chair, c’est d’autant plus pertinent qu’il y a quinze jours, le Conseil de l’Europe a édicté une recommandation pour l’interdiction en Europe de la circoncision. Vous voyez comment on s’attaque d’abord aux symboles, et ensuite… je ne vous la raconte pas. J.-J. T. : Je l’ai lu comme vous, dans la presse... M. M. : Je poursuis donc. Pour continuer dans le fil de ce trait, vous en arrivez au désir, noué à la Loi. Vous faites en effet tout ce cheminement : vous partez du signifiant Juif, pour évoquer ensuite la restriction de jouissance et enfin la question du désir noué à la Loi et à la figure du père interdicteur. Ce mode de lecture, vous le mettez en relation avec la haine du père, pour aborder le complexe d’œdipe, dont vous


semblez cependant contester la pérennité. Je vous cite, p. 58 : « Nous ne savons plus bien ce qui fait loi. Ce n’est plus l’Oedipe, à coup sûr ». Mais vous rapportez aussi le cas d’une fillette de trois ans, cherchant à voir à tout prix un docteur, et cette fillette vous rapporte les paroles de son père à l’égard du nouveau compagnon de sa mère. Son père a dit qu’il fallait « qu’il dégage ». Vous vous interrogez sur l’équivoque - qui dégage ? - et vous mettez l’accent sur la puissance de ce signifiant,« dégage », et les nombreuses variations littérales qui viendront organiser le destin de cette petite fille. A partir de cet exemple, ne peut-on pas dire justement que la haine du père, en tant qu’interdicteur de jouissance, persiste bel et bien, et que cette fillette illustre tout de même une des formulations possibles du complexe d’Oedipe, dont vous dites si bien que « la prétention à la place favorite se fait sous les jupes de la mère.” J.-J. T. : Justement, on ne peut pas avoir des formules toutes faites, il faut dialectiser, la vie se dialectise. Je suis lacanien, mais ne même temps très freudien. Ce qui m’a intéressé, c’est d’essayer de comprendre pourquoi Lacan se déclare embarrassé avec le monomorphisme de l’œdipe. Cela vient au milieu de son Séminaire et cela fait plusieurs années que Lacan prévient qu’il a vis-à-vis du complexe d’Oedipe, une forme d’embarras. Donc, ce point m’a toujours posé difficulté : que veut dire Lacan, sachant que, quand il prend un point chez Freud, ce n’est jamais pour jeter le bébé avec l’eau du bain ? Il va y revenir sans cesse : le nom-du-père, les noms du père, RSI… ça ne va pas le lâcher, sans arrêt. Il va vouloir dialoguer avec Freud sur ce problème. A mon sens, il y a une chose toute bête, je ne sais pas si vous vous en rendez-compte. Freud va chercher ce mythe grec sacrificiel, Oedipe, bon… Freud adorait la mythologie grecque, égyptienne… bon. L’idée que j’ai maintenant, c’est que Freud s’oblige d’un certain point de vue, à trouver une matrice sacrificielle grecque, précisément pour ne pas choisir dans le stock biblique. Vous avez de très beaux textes bibliques sur la livre de chair nécessaire à la restriction de jouissance, il y en a beaucoup, qui sont splendides. Et puis il y a, dans la Bible, un traitement de la sexualité qui est incroyable. Il y a des prostituées, des filles élevées au rang du peuple, élues, par adoption, par nomination. Freud, à mon sens, pour des raisons soulevées tout à l’heure, ne pouvait pas emprunter à la Bible. Surtout, à Vienne, comme Eva dira, la famille c’était papa, maman, les petits rejetons, ce n’est pas juste une illusion de la pensée : c’est la famille bourgeoise, traditionnelle, telle qu’elle a existé au XIXème siècle, dans certaines régions du monde - pas partout non plus. Donc, Freud prend cette matrice. Il faut bien

poser les choses, mais je n’avais pas le temps dans un petit livre comme ça. Pour nous qui travaillons le passage Freud-Lacan, il faut essayer de voir ce qui embarrasse Lacan. C’est, à mon sens, le monomorphisme freudien qui concerne l’œdipe. Vous prenez n’importe quel cas - Dora, L’Homme aux Rats, L’Homme aux Loups - et vous voyez comment Freud articule les équations nécessaires : invariablement, il retombera toujours sur la matrice, qu’il a besoin, à l’époque, de forcer et de déterminer. Soit l’aveu de toutes les scènes qui conduisent à la mise en valeur de ce qu’on appelle l’œdipe. Il faut bien en mesurer la totalité. Quand vous parlez à une fillette qui a dix ou douze ans, ce n’est pas rien. C’est quand même le voeu incestueux pour le parent du sexe opposé et la haine concomitante. C’est très chargé, le mythe oedipien, quand vous rentrez dans la technicité de son explication. Et c’est comme ça que Freud en parle, dans ses Cinq Psychanalyses, effectivement. C’est toujours une haine refoulée et un voeu de concupiscence au sens strict. Et le défaut, à mon avis, ce n’est pas que c’est inexact, c’est que c’est trop monomorphe ; ça vaut à chaque coup. Ce qui fait que lorsque vous lisez Freud, le goût de la surprise vous en tombe un peu, tous les rêves ont été analysés comme ça. Au bout d’un temps, lui qui était un si grand détective, disons que ça ne passerait pas à la télé, parce qu’on a à l’avance, le crime, l’arme du crime ; on sait déjà tout, ça ferait une mauvaise série télévisée. Alors je pense que c’est ça qui embêtait Lacan, qui finissait par dire que l’œdipe avait remplacé la névrose elle-même - au fond, ça sert de défense, dans le langage courant. Il faut reprendre les choses en les contextualisant - voir pourquoi Freud n’a pas pris d’autres appuis, pourquoi il a été chercher un mythe aussi sacrificiel… ce n’est pas un petit policier, c’est lourd, lourdement chargé ! Donc, aussi, chez Lacan, l’indice de ce sacrifice - pourquoi faire passer dans la vie de la cité la nécessité d’un sacrifice aussi lourd, est-ce un message que la psychanalyse peut généraliser ? C’est un problème, si c’est pour signaler des restrictions de jouissance nécessaires, le coût doit-il en être aussi lourd dans l’inconscient ? Les pathologies de la culpabilité sont encore très vastes chez les enfants. Ensuite, ce qui m’intéresse aujourd’hui beaucoup, tout comme vous : une consultation d’enfants n’a pas de nos jours le monomorphisme de Vienne - Eva me le signalait l’autre jour. Il faut bien que nous prenions en compte la diversité. Vous voyez arrivez des enfants et des adolescents dont les appuis sont symboliques sont très hétérogènes d’avec le monomorphisme freudien. Pas simplement la langue, ce serait une banalité, mais leurs appuis symboliques : ce


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qu’ils appellent famille peut-être totalement différent. Par exemple, chez certaines familles africaines, il n’y a pas de nom pour désigner la famille triangulaire. Il n’y a pas de signifiant pour dire papa, maman et le petit ; ça ne représente rien. Ils ont le terme famille, mais c’est l’ancêtre… ils sont mille dans la famille, donc l’enfant ne s’identifie pas avec papa, maman ! Ils sont un millier, avec le vaudou… Ils ont d’autres appuis. Bon, on ne va pas rentrer dans des détails, parce que ce n’est pas pour faire de l’ethnopsychiatrie. Mais Eva le sait, les migrations, les traumatismes, le fait qu’en maternelle un petit se retrouve avec dix autres petits qui parlent d’autres langues… moi, mon intuition, c’est que quand Lacan passe lui même aux noms du père - il dit qu’il en a marre de l’unicité et qu’il va appeler ça les noms du père- il ouvre une pluralités indéterminée, il prend en compte les bouleversements de cette clinique là. Il nous faudra chercher des appuis inhabituels pour faire le même travail de symbolisation. Dans bien des cas, vous ne pourrez pas, de force, en passer par la question du mythe ; ça peut passer par tout autre chose qui vaudra néanmoins comme appui symboligène. Cela vous paraîtra plus difficile à expliquer dans la clinique des psychoses ; ce n’est pas dans la clinique ordinaire des grandes pathologies mentales. Encore que… Mais dans la clinique de l’enfant - j’en parlais avec Eva -, on pourrait presque parfois parler de “l’einziger séance” : parfois dans une séance unique, il y a une forme de torsion topologique qui restitue à l’enfant une forme d’appui. Bien souvent le praticien va le savoir dans l’après-coup, sans jamais qu’il en soit passé par la construction de l’œdipe. Il n’a pas besoin d’en repasser par là - ça peut venir, éventuellement, s’il a besoin de lui interdire de coucher avec sa maman -, mais pour tout autre enfant, ça passe par totalement autre chose. Autre exemple, qui m’avait marqué : quand vous aviez ouvert… j’avais beaucoup parlé avec les médecins de la Roumanie. Il y avait, dans les orphelinats, des milliers d’enfants qui étaient restés : donc là, papa, maman, là il n’y en avait pas. Et ils n’étaient pas tous devenus psychotiques. !Ils n’étaient pas tous devenus dingo, ça dépendait. Suivant les enfants, il y en avait qui prenaient différents appuis ; ça dépendait de plein de choses, y compris leur place topologique selon leur place près de la porte des orphelinats ; en tout cas, le minimum d’appuis symboligènes, dans la parole, avait pu les faire tenir. Même si c’était une situation de carence absolue ! Dans des cas comme ça, l’Oedipe n’a aucun sens. Et dans des pathologies comme ça, dans des cas d’errance, des cas de traumatismes, comme on a beaucoup, vous n’allez pas repasser par l’œdipe. En plus, les pères sont morts, ou on ne sait pas ce qu’ils sont devenus… Ce serait

presque cruel, en quelque sorte ! C’est pour cela que l’œdipe, j’en parle dans mon ouvrage - ce n’est pas pour décréter qu’il a disparu dans notre travail technique. D’autant que Lacan ne congédie jamais aucun des termes de Freud ! Il est dans une prudence de Sioux avec Freud, mais il dit aussi qu’on ne peut pas rester avec le même monomorphisme. Mais c’est vrai aussi de la typologie des psychoses. Vous qui vous y intéressez, ici, il va de soi qu’il y a un gap intellectuel qu’il faudra combler, entre la mise en place de la forclusion des noms-du-père, du Séminaire III, où Lacan fait comme Freud - il isole une forme de monomorphisme, pour remettre la totalité de la diversité au nom d’un seul principe ; et puis les années passent : quand on en est à Joyce, ce n’est pas qu’il congédie les noms-du-père, c’est qu’il est passé à d’autres questions. Ce n’est plus les mêmes. Il dit “je ne vais pas être obnubilé toute ma vie par une seule question, maintenant j’en passe à autre chose, qui est la technicité de la langue.” Là, je vais retourner au Bénin - c’est très intéressant de parler avec les psychiatres, les psychologues béninois -, ils sont accueillants de la psychanalyse, mais ils ne peuvent pas accepter tout l’imaginaire viennois qui va avec ! Il faut quand même faire un effort vis-à-vis de l’autre ! Ils sont d’accord pour faire une partie de la route, mais vous ne pouvez pas leur amener le Strüdel et la choucroute ; il y a un minimum de chemin à faire dans l’autre sens. Vous avez vu le film sur Devereux, hein ? C’est à peu près à la même époque que Lacan et en même temps, le type, c’est un vrai freudien. Sa lecture, c’est celle de Freud des grandes scènes traumatiques. Il a toute l’intuition de s’intéresser aux langues, à l’écrit de l’Indien donc à la littéralité. Mais sa grille de lecture et c’est pour ça que Devereux s’est fâché avec Lacan -, est freudienne monomorphe, soit il faut que je retrouve le traumatisme. Voilà, je vous réponds à peu près. Thierry Florentin (inaudible). J.-J. T. : On peut suivre deux questions en même temps paradoxales, il faut bien que vous fassiez attention. A mon avis, c’est la richesse du Lacan de R, S, I, ça. Il va prendre trois points qui, habituellement ne peuvent pas se penser ensemble. Vous pensez toujours deux par deux. Quand nous parlons entre nous, c’est toujours l’un ou l’autre - tu dis qu’il y a de l’Oedipe et mois je dis qu’il n’y en a plus -, mais ça s’est une pensée binaire. Lacan introduit une dimension qui n’apparaît pas habituellement. Il dit “faites attention, vous ne prenez pas un appui suffisamment ternaire, donc vos discussions se referment les unes sur les autres.” La question du père, qui à mon sens est chez Freud, est reprise par Lacan tout de suite après guerre. Comment


entendez-vous le terme que Lacan jette en quarante-cinq “déclin des noms-du-père” ? D’habitude, c’est toujours entendu sur un mode positiviste : l’enfant n’a plus le respect de l’autorité, de la verticalité du père. Vous avez des sommes de travaux sociologiques pour raconter ça. Mais si c’était juste pour dire ça, Arendt le dit aussi bien - disparition de l’autorité -, il n’y a pas besoin de Lacan. Ce que vous n’entendez pas bien, que Freud dit, c’est le déclin du “non” du père : il ne pourra plus abriter l’enfant. L’abri dans le langage ne suffisait pas. Leur vie n’allait pas être protégée par cette maison là, c’était fini. C’est donc raconté par Freud ; il faut quand même lire tout son tremblement par rapport au Moïse, vous savez. Trembler au sens propre, quand il s’approche de la question de Moïse, jusqu’à la fin de sa vie. Et cela va être raconté par tous les grands intellectuels qui l’accompagnaient à l’époque, puis par Lacan. Un signifiant doit être analysé dans son équivocité. En psychologie de l’enfance, ce peut être le déclin de l’autorité paternelle, mais si vous êtes monomorphe à nouveau, vous n’entendrez plus un drame de tout autre nature, qui est que le signifiant lui-même n’a pas pu faire abri. Et donc, vous vous retrouvez avec cette génération qui a formé la psychanalyse, et avec le Lacan qui suit, avec la nécessité de prendre en charge également la possibilité qu’il n’y ait pas d’appui naturel pour répondre à ce trou dans la culture. D’où la nécessité, je pense, pour Lacan, d’en venir à une topologie des trous précisément. Un trouage n’est pas seulement une verticalité consistante, sinon ç’aurait été une clinique du trait consistant, on aurait une clinique verticale. Lacan essaie de dégager que quelque chose tienne, néanmoins que ces trous ont opéré et ne nous protègent pas. C’est dans l’équivocité tout bête. Le déclin, ce peut être le déclin dans la culture, que Kafka raconte, par ailleurs, de la position du père : le père ne pourra plus protéger le petit. Et le citoyen le sait ! Comment vivre ? Il le sait, puisqu’il l’a vécu ! Alors comment vivre ? J’essaie toujours de remettre un signifiant qui a pris de la patine - Oedipe, le nom-du-père -, de faire attention de ré-éalargir l’équivocité de ce signifiant, pour le remettre en circulation. Soit de convoquer des termes inhabituels pour faire entendre la richesse de cette signification. Sinon, nous lassons, nous lassons nous-mêmes - moi les congrès sur l’autorité, ça me lasse. Deuxièmement, ce n’est pas psychanalytique, ça. La psychanalyse, c’est un signifiant qui ne se boucle pas sur lui même. Il s’ouvre, se ré-entend, se ré-équivoque, se complémente, se dialectise, vient chercher un troisième terme, inapparent dans les deux premiers, etc. C’est une façon de vous répondre. Il y a des cas où nous travaillons de manière technique avec l’œdipe, d’autres où

les appuis sont autres. Pour moi, la priorité éthique est de chercher une forme d’appui que j’appelle symboligène, qui donnera une issue, quel que soit son prélèvement premier : qu’il soit pris dans l’imaginaire, peu importe ; qu’il soit pris dans le réel, peu importe, mais qui soit quand même une formule d’appui. D’ailleurs, avec les psychotiques, c’est ce qu’on fait, puisqu’il n’y a pas de père au sens structural, et néanmoins nous cherchons le moindre appui travaillable. X. : Lacan dit que le père n’a rien à dire à son enfant, si la mère n’a pas inscrit quelque chose de l’ordre du nom-du-père entre les deux. Voilà les trous. J.-J. T. : Oui, ça peut être une forme de trou, bien sûr. Olivier Oudet : On peut se demander quels sont les termes sur lesquels on va pouvoir engager la discussion, avec les étudiants, et il me semble que, dans notre travail, le terme de réel - réel du chiffre, par exemple -, c’est vraiment un truc qui est ré-ouvert constamment. Ou le terme de nature, par exemple. Avec tout le boulot, fait par Lacan, sur les termes naturer, dé-naturer, il me semble que ce n’est plus ce sur quoi on a ferraillé : ce n’est pas tant les termes du sexe que ces termes là. J.-J. T. : Je serais assez prudent, tu vois, les termes que je donne dans mon livre - c’est toi, Miriem, qui les avais relevés -, ça me paraît, chez Freud, irréductible, et totalement vivant. A mon sens, parler à un jeune de l’identification, c’est très vivant. Parler de la question du fantasme, c’est absolument vivant. Cela fait des dialogues accueillis ! J’ai fait des conférences, il y a dix ans, au Maroc, sur la question du fantasme. J’avais, devant, des filles voilées, qui venaient de psychologie : elles étaient enthousiastes. Tu vois, elles entendaient ! Je leur parlais de sexualité, d’entrée dans la sexualité, sur un mode qui n’était pas provocateur ou violent. Je leur rappelais tranquillement comment Freud en était venu à parler de la vie première, de la vie fantasmatique, et donc, ça ouvre un continent extraordinaire. Je pense que même un jeune du lycée, entendre parler de ça, ça le soulage ! Il se dit, mais oui, c’est vrai, moi-même je vais parfois sur internet, chercher des conneries, des fantasmagories. Freud dit que ça existe dans la vie psychique, seulement, ça a ses lois, ça a ses complications… voilà. La pulsion, dont vous parlez avec Marcel, une série de termes freudiens sont à mon sens in-dépassés… Je ne veux pas dire indépassables, on verra bien, mais que Lacan ne solde pas. Il apporte parfois d’autres terminologies : les jouissances, par exemple, parfois ça peut… ce n’est pas sûr


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que ça passe dans le discours commun, faut voir ; le Réel, je serais d’accord avec toi : la catégorie de Réel, qui n’est pas la réalité, ça intéresse beaucoup d’autres disciplines ; la question du nombre dans l’inconscient, par rapport à la lettre… Enfin, toutes ces questions intéressent énormément, effectivement… la littéralité. Olivier Oudet : Et la nature ? J.-J. T. : Je n’y pensais pas, mais maintenant que tu me l’apportes, oui. C’était sur les remarques de ce jeune sur l’écologie, là. Le Réel brut, comme ça. L’histoire de Stéphane Thibierge, par exemple. Il m’a beaucoup parlé d’un voyage qu’il a fait au Japon, dont il a fait un film : c’est sur ce qu’a introduit Fukushima. Je crois que Stéphane a raison, on a introduit un nouveau chiffrage dans la vie, dont on ne mesure pas bien les conséquences littérales. Le Réel a changé. Il y a des façons modernes de s’intéresser à l’angoisse, où les psychanalystes peuvent dire des choses. Et ça ne peut passer, ce savoir, comme vous avez fait pour les verbatim, que par un travail d’écriture. Au tour de l’an 600 au Japon, les scribes étaient plus importants que les empereurs. Ils notaient scrupuleusement tout ce qui arrivait dans la nature : tel jour, tremblement de terre, tel autre jour une vague qui fait 15 mètres, tel autre jour 16 mètres… Les Japonais savaient, c’était écrit. Par ceux qui, jour après jour, prenaient note, simplement. Il suffisait de lire. Et ce Réel s’est imposé, justement, par faute de lecture. Sur ça, donc, je te suivrai tout à fait. Il y a un stock moderne de l’utilisation du Réel en psychanalyse : la question de l’écrit, de répétition de l’écriture. Sur des questions très générales, il faut rester tranquille et libre d’esprit. Pour les collègues qui font de la psychanalyse des enfants, par exemple, Mélanie Klein est très importante encore aujourd’hui, sans passer par Lacan. Sa présence à la psychologie de l’enfant, dans les disputes et controverses sur la psychanalyse, sa fraîcheur dans le verbatim, son mode d’intervention, fait qu’elle reste vivante dans la création de la psychanalyse de l’enfant. C’est vrai de Winicott pour certains, de Bion pour d’autres, etc. Lacan va à la rencontre des autres écoles, fait traduire les textes qui n’existent pas en français, il est beaucoup plus accueillant que nous dans ses rencontres ! Nous, on dit, en résumant, qu’on lit Freud par Lacan, ce qui n’est pas faux. Mais n’oubliez pas que Lacan était extrêmement accueillant envers ces écoles de l’essentiel de la psychanalyse allemande et française, plus les linguistes… moi c’est ce signifiant que j’aimerais travailler. A chaque génération, essayons de contextualiser les lettres dont nous dépendons, elles ne sont pas intrinsèques à la psychanalyse.

L’Ecole, dite de Sainte-Anne, à mon sens, ce qui fait qu’elle ne pourra pas être effacée facilement, c’est parce qu’elle est capitonnée par son dialogue maintenu, malgré l’état actuel, avec la psychiatrie. Les signifiants utilisés par cette école restent dans un dialogue forcé avec l’univers de l’aliénisme, ce que l’on appelle maintenant la psychiatrie, la médecine. Sinon, ça disparaîtrait, ça ne ferait pas trace. X. : … fidélité… (inaudible). J.-J. T : Non, ce n’est pas une question de fidélité, faut faire attention ! Si l’un de vous va demain aux Etats-Unis, à New-York, vous ne pouvez pas leur dire “le DSM, c’est nul, je vais vous apporter Pinel et Esquirol”. Par contre, si vous pouvez rendre compte, comme vous avez fait ce week-end, pour un collègue américain, de la richesse du tissage entre l’enseignement issu de Freud et Lacan et de certains sédiments de cette nosologie, peutêtre que ça peut intéresser, et moi je crois que oui, y compris un collègue américain. Donc ce n’est pas dire “sois fidèle”, au sens de nos aliénistes. X : au sens lacanien… (inaudible). J.-J. T. : Voilà, dans ce sens là : accepter une forme de retour, avec, là où je vous suivrai, de désigner des mots nouveaux. Ce n’est pas qu’œdipe n’est pas bon ; il y a une patine, et si je veux le dire un peu différemment, je vais dire la fonction du père, puis Lacan va dire “ et puis j’en ai marre, je vais le dire comme de Clérambault, RSI, et puis ça ira bien.” Si on veut changer, il faut renouveler les formes de l’adresse, c’est très important. Mais avec le fait de donner les retours : dire d’où on vient, comment nous-même on a tissé les choses, essayer de le faire comprendre. Enfin voilà. Thierry Florentin : Je voulais vous dire, à EvaMarie et à toi, que je ne suis pas satisfait de la façon dont nous avons traité la question du père, aujourd’hui. Le père, ce n’est pas l’autorité et il faudrait savoir ce qu’on entend par protection, etc. Aujourd’hui, dans la modernité qui nous guette, celle de la jouissance toute, le père c’est principalement venir opposer son désir à la jouissance de la mère. Et ça peut se faire par une fessée, même quand on est condamné par des jeunes juges qui ne savent rien de la vie. Et que, par rapport à cela, dans Les formations de l’inconscient, si ma mémoire est bonne, c’est une position métaphorique qui peut se décliner. Et le véritable déclin des noms-dupère, c’est ça, c’est pas l’abandon de je ne sais quelle position morale ou autre. C’est pouvoir décliner, de n’importe quelle façon - il donne une grande latitude, ça peut être


monter au haut d’une grue -, à condition de ne pas abandonner cette fonction là, celle des prérogatives… J.-J. T : Oui, mais Thierry… là, on ne peut pas trop parler dans le détail… parce que tu n’as pas lu Sholem… Le grand Gershöm Sholem, tu ne le connais pas. Donc, tu réponds à autre chose là. Tu ne te poses pas des questions que les très grands se sont posées lorsqu’ils se sont dit “quand une tradition est brisée, comment est-ce que je vais faire ?” C’est à cette question que je te demande de réfléchir. Il ne faut pas rabattre vers le psychologique des questions beaucoup plus vastes. C’est comme les collègues, quand ils me barbent avec des questions du genre “se tenir droit dans la pulsion”… Mais les petits Allemands, ils se tenaient très droits dans la pulsion, où est le problème ? Mais… qu’est-ce qu’ils ont fait ? Donc, il y a des questions éthiques qui ne se résorbent pas dans la psychologie commune, c’est comme ça. T. F. : mais ça là où est le risque, de passer d’une langue à l’autre… J.-J. T. : Mais lis Sholem ! Lis déjà Sholem, et puis tu me ré-invites - et, d’ailleurs, Kafka c’est pareil , c’est-à-dire qu’il y a des niveaux de questions que pose Kafka qui ne sont pas à l’endroit de la psychologie commune ! Des questions que benjamin discute… C’est l’époque de Freud ça. Quand une tradition est rompue - c’est la même question que reprend Arendt à la fin de la guerre -, si le mot luimême a disparu, que vont devenir les lettres de ce mot ? Et ça c’est une question que vous avez à charge, mais vous n’allez pas pouvoir y répondre facilement, par invocation ; c’est un sacré boulot. Nicolas Dissez : Je trouve dommage qu’on ne laisse pas Miriem aller au bout de sa déclinaison - ce n’est pas un déclin, c’est une déclinaison -, parce que je crois que, justement, elle rendait compte de ça, de ce que la rencontre de Jean-Jacques Tyszler avec Freud, ça passait par des signifiants ! C’est assez simple, en fait, c’est comme la rencontre amoureuse : il y a des signifiants, on ne peut pas se rencontrer sans, et ils sont traités comme des purs signifiants, dans l’ouvrage. Alors, “judaïté”, c’est traité comme ça, si j’entends bien ce qu’on a dit aujourd’hui ; “science”, aussi - on attend toujours une définition scientifique de la science, mais peut-être que la psychanalyse ne doit pas céder sur ce terrain là. Et je trouvais que, Miriem, vous en déclinez un certain nombre. C’est dommage que vous n’alliez pas jusqu’au bout. M. M. : Je vais arriver à la fin, je vais conclure.

J’ai été très sensible à votre saut, JeanJacques Tyszler, justement, du Un au trois. Trois sur lequel vous vous adossez tout le temps : à la tonalité mélancolique qui accompagne la disparition d’un monde, celui de Freud, du Schtetl, du Yiddishland, vous adossez l’énergie de l’instigation clinique sur le trois, vous appuyant à la fois sur Freud et sur Lacan. Au Un, vous substituez donc le trois : « symptôme, inhibition, angoisse », « névrose, psychose, perversion », « Freud, Kafka et le père », « Moïse législateur, Moïse de MichelAnge et Moïse rédempteur », « Freud, Benjamin et Gershom Sholem ». Ce saut est une invitation à poursuivre le travail et à éviter, justement, le monomorphisme, d’autant que votre livre possède un aspect critique très fort : critique de la modernité, critique de Freud et de ses insuffisances - notamment à l’aune des questions de la féminité, vous en parliez, mais aussi des remaniements de la famille. Alors je dirais livre critique, mais aussi organique, puisqu’il se veut ouvrage de transmission. Aussi, vous mettez en garde les psychanalystes qui, en rempart contre le déclin des noms-du-père, auraient tendance à vouloir que la psychanalyse vienne faire tiers, pour réintroduire ce qui disparaît. Vous avertissez de ce risque, vous dites : “estce bien le destin de la psychanalyse ?” Et enfin, et c’est également pour rappeler une de vos interventions lors de précédentes Journées, vous indiquez que la transmission s’élabore par l’identification et le prélèvement d’un trait : trait que vous avez prélevé chez Freud comme étant celui de la judaïté - et je rejoins là la remarque de Nicolas Dissez -, trait qui vient sous le signifiant de la judaïté, et qui prévient que c’est à chacun, dans un parcours d’enseignement, d’aller prélever des traits d’identification et non d’adhérer, par reconnaissance, à de grandes idéologies. J.-J. T. : Tout à fait, vous avez compris. Freud n’était pas un être normatif du tout. Il fallait un courage inouï dans la vie, pour se mettre à dos les neurologues. Enfin, il se mettait à dos la totalité… Si vous lisez aujourd’hui, ce qu’il raconte sur “la morale sexuelle civilisée”… on n’oserait même pas ! C’était un être assez décoiffant ! Pour ce que j’en ai compris, Lacan était un être assez décoiffant, lui-même. Dans sa façon, dans son adresse, dans ses drôleries. Le temps passant… Les jeunes me disent “vous, les psychanalystes, vous avez toujours votre mot à dire. Y’a un feu rouge qui déconne, vous savez ce qu’il y a à faire, et puis, petit à petit, vous confondez la normalisation, de ce qui était chez Freud, avec la normativation.” Et je pense qu’ils n’ont pas tort. Il y a là une mise au point, de temps en temps il faut se reprendre et dire que la psychanalyse n’est pas un supplétif à l’ordre qui est. On n’est pas là pour… on n’est pas non plus des révolutionnaires au


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sens idéologiques, mais accueillons nos jeunes et moins jeunes avec un peu de liberté quant au destin qu’ils se souhaitent. Et moi je partage avec vous cette expérience que j’ai eue avec les psychotiques. Le psychotique, tu ne peux pas le normer. Et donc, c’est dans cet extraordinaire esclavage de la liberté que nous apprenons à avoir des formes d’empathie… Donc on ne peut pas diriger. J’en reste là, et c’est mon angoisse ; c’est vrai que la psychanalyse s’écarte de ce que moi j’avais entendu, très jeune, de ce voeu. Sinon, je ne serais pas entré en psychanalyse. Moi qui suis passé du marxisme engagé vers la psychanalyse, c’est vrai que j’ai toujours gardé cette idée de quand le psychanalyste s’adresse à un jeune, c’est pour dire “ton destin, ne pense pas que nous allons le penser à ta place. Les formes de la norme que ça va prendre, ben tu verras en route.” Voilà, c’est là où j’en suis maintenant, et chacun se souhaite ce qu’il se souhaite. Je vous remercie, en tout cas.


LE JOURNAL DE BORD de l’ECOLE PSYCHANALYTIQUE DE SAINTE-ANNE Centre Hospitalier Sainte Anne 1, rue Cabanis - 75014 Paris

Directeur de Publication : Marcel Czermak Comité de Rédaction : Edouard Bertaud, Nicolas Dissez, Luc Sibony

l’Ecole Psychanalytique de Sainte-Anne, anciennement Institut Edouard Toulouse, est affiliée à l’Association Lacanienne Internationale

pour toute inscription aux enseignements contacter : Nicolas Dissez (tél. : + 33 1 45 87 00 07 - ndissez@free.fr ou Thierry Florentin tél. : + 33 1 43 56 81 74- thierry.florentin@orange.fr

pour tout autres renseignements, contacter Mme. Perla Dupuis-Elbaz au + 33 1 43 35 23 48

www.epsaweb.fr

remerciements à Miriem Méghaïzerou au personnel de la Bibliothèque Médicale Henri Ey au service Communication du Centre Hospitalier Sainte-Anne.


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