Revue en partenariat avec le Centre Hospitalier Sainte-Anne
ao没t 2015 N掳 4
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Journal de Bord ECOLE PSYCHANALYTIQUE DE SAINTE ANNE
SOMMAIRE Editorial : psychanalyse psychiatrie 2.0? Luc Sibony p.3 Sur l’automatisme mental, Leçons de Marcel Czermak à la section clinique de l’Université de Vincennes - inédit p. 5 à 12 Les Enfants à l’école de SainteAnne Le symptôme, naissance d’un mécanisme Eva-Marie Golder p. 14 à 18 A.L.I.énistes : A propos d’un cas d’automatisme mental post-onirique chez un enfant Gaëtan Gatian de Clérambault p. 20 et 21 Escale : A Quito Ivan Sandoval Carrion Ana-María Cardoso p. 22 à 26 Apologue : La moitié de poulet, ou la division du sujet Nicolas Dissez p. 27 à 30 WitZ dits, les bons mots du divan p. 32 Entretien avec Marcel Czermak : « Que pouvons nous attendre des journées d’octobre ?» p. 34 à 40
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EDITORIAL psychanalyse psychiatrie 2.0 ?
L’étude dont nous témoignons ici et qui se prolongera lors de nos journées d’octobre prochain, examine rigoureusement comment l’automatisme mental est un fait de structure et quels sont les effets d’une telle affirmation.
Voici donc un pas de plus vers Que diable sommes nous allés nous frotter l’établissement d’une psychiatrie éclairée par la psychanalyse et l’étude des faits de à l’automatisme mental ?! structure, une psychiatrie lacanienne, une La pente contemporaine de la psychiatrie 2.0. psychopathologie vers un prétendu athéorisme induit un basculement dans Ce quatrième numéro de notre Journal de une méconnaissance ordinaire du savoir Bord vous propose donc un texte inédit, rassemblant les leçons données par Marcel clinique. Czermak sur l’automatisme mental à la C’est ainsi que l’automatisme mental, section clinique de l’Université de Vincennes. acquisition de l’école française de En complément de ce texte, un article psychiatrie, est aujourd’hui noyé dans d’Eva-Marie Golder explore les modalités le registre des hallucinations acoustico- de l’automatisme mental dans la clinique de verbales, demeurant à l’état d’expression l’enfant. Notre rubrique A.L.I.énistes fait écho psychiatrique commune vidée de sa à cette étude en présentant un article de de substance, ce qui se traduit dans les faits Clérambault qui a l’appui d’une observation d’enfant, interroge cette question. par une déperdition et un ratage clinique. Nous inaugurerons également une série Voilà pourquoi, ce qui devait être nommé d’escales chez nos collègues de l’étranger ; « Syndrome de Clérambault » (en fait c’est cette fois-ci en Equateur. l’érotomanie qui a retenu cette nomination) requiert aujourd’hui, peut-être plus que Rendez-vous en octobre. toute autre entité clinique issue du champ des psychoses, notre attention. Luc Sibony
SUR L’A U T O M AT I S M E M E N TA L Le document qui suit est entièrement inédit. Il s’agit d’un cours donné par le docteur Marcel Czermak en février 1977, à l’université de Vincennes, dans le cadre de la Section Clinique et consacré au thème de l’automatisme mental. Nous en avons respecté la présentation initiale dactylographiée. On vérifiera que ce cours se soutient essentiellement de références à l’œuvre de Gaëtan Gatian de Clérambault, du cas du Président Schreber et du Séminaire de Jacques Lacan consacré aux Structures freudiennes des psychoses (dont les leçons sont signalées lorsqu’il y est fait implicitement référence). Il précède donc toute étude du cas de « L’homme aux paroles imposées » et constitue ainsi un préambule particulièrement bienvenu à nos journées des 9, 10 et 11 octobre prochains. Remercions donc chaleureusement Marcel Czermak d’avoir accepté sa publication dans ce numéro du Journal de Bord principalement consacré à la question de l’automatisme mental. [Leçon du 31 mai 56] Nous étions donc partis de ces distinctions entre hallucinations psycho-sensorielles et hallucinations psychiques pour, de Baillarger à Clérambault, en venir à cette perspective qui renverse les problèmes en mettant l’accent sur la prévalence du phénomène de langage comme mode d’abord de la connaissance psychotique. Toute l’expérience confirme ce que Séglas notait du tiraillement qu’éprouve le patient entre ce qui lui paraît intérieur et ce qui s’impose comme extérieur, quitte à ce que l’intérieur passe dehors et, à un autre moment, que le dehors se fasse dedans externe. Ecoutons donc le Président Schreber : « Ce que moi j’ai pu directement ressentir, c’est que les voix qui parlent... s’étirent en tant que voix intérieures comme de longs fils dans ma tête... (elles) sont nettement distinctes des voix extérieures, de celles notamment qui sont parlées par les oiseaux... En tout cas mes nerfs ne peuvent se soustraire ni dans un cas ni dans l’autre à la sensation sonore des mots parlés... (aussi) je suis arrivé peu à peu à accoutumer mes nerfs... à opérer sur les mots et les membres de phrases parlés une conversion qui les réduit aux catégories du penser-à-rien par voie de répétition pure et simple, en sorte qu’ils puissent escamoter la stimulation qui, par sa nature même, force à prolonger la pensée. » (p .183). Ce qui évidemment domine, reste constant, c’est ce caractère verbal, articulé du phénomène comme la problématique spatiale, corporelle et temporelle qui s’y attache d’une façon homogène laissant apparaître que, dedans-dehors, ce n’est peut-être pas si simple, qu’il faut peut-être une topologie spéciale pour représenter un corps, surtout quand c’est un drôle de corps psychotique. Nous avons là un sujet exposé, commenté, « échotisé », deviné, postulé même, selon l’expression de l’une de mes patientes… ça lui parle tout le temps de façon plus ou moins insistante, ça lui coupe la parole, la lui rend, la lui rend obligée, la lui déforme, sur un mode plus ou moins neutre, ironique, malveillant, accusateur ou amical. Nous avons là un sujet qui, dans son dire même - employons maintenant dire plutôt que contenu - se déclare traversé par le langage au point même que dans certaines conditions (cf.
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l’exemple que j’ai fourni aux Journées de l’EFP sur la défenestration de ce sujet passé de voix à regard), on le verra véritablement - c’est ce qu’on qualifie d’acting-out - on le verra circuler sur les lignes de force que dessine le langage. C’est un langage donc habité par le sujet, qui en est lui-même habité et qui cherche à prendre la parole sans qu’il ait la moindre idée de ce à quoi il s’essaye et de ce à quoi ça peut le conduire : mon exemple précédent le rappelle suffisamment. Tout à coup ça se met à parler tout seul, le langage se dégage du sujet et se met à parler plus ou moins fort, voire, quand le sujet s’appelle Schreber, il s’entifie, il devient rayons lumineux se poursuivant en nerfs dans ce sujet qui hurlera quand les rayons divins se retirent de lui : espace parlant auquel tout son être est suspendu, qui le fait jouir, qui le torture de mille façons, , mais dont en aucun cas il ne peut se détacher faute de risquer de choir, ce qu’annonce le miracle des hurlements, les appels au secours, et toute une série concomitante de phénomènes langagiers, de bruits qui lui sont destinés (le monde se met à parler, à lui parler), d’apparition d’oiseaux parlants miraculeux. [Leçon du 23 nov. 55] Ce monologue permanent, comme notre dialogue intérieur, se module à plusieurs voix. Discours en quelque sorte antithétique du sujet (Schreber emploie le terme d’oxymoron), qui en réalise une espèce de doublure dont les caractères formels se montrent dans ce que Clérambault a appelé « phénomènes élémentaires » de la psychose et sur quoi il a insisté : phénomènes élémentaires qui ne sont pas plus élémentaires que le délire puisqu’ils en ont déjà toute la structure irréductible (cf. cas S. J.). Le sujet est interpelé, contredit, et s’engage même dans le dialogue avec ses voix. La prévalence structurale du phénomène se note déjà dans ce que Clérambault désigne dans son caractère « neutre et non idéique », soit que le phénomène est en pleine discordance d’avec l’affectif du sujet, ce qui l’affecte habituellement, qu’aucun mécanisme affectif ne permet de l’expliquer. C’est là, pour nous, ce qui donne tout son prix à la notation clinique : on voit en ce point un rapport du sujet au signifiant comme tel, sous son aspect le plus formel du pur signifiant, que c’est là que gît ce autour de quoi s’ordonne toute la psychose, que toutes les réactions sont secondaires à un phénomène premier de rapport au signifiant. Ce rapport d’extériorité au langage, c’est de là qu’on est amené à la question de savoir s’il y est jamais entré dans le langage, sous
la forme d’une prise de parole qui l’aurait, lui, délivré. Vous noterez souvent - prenez-y garde quand vous rencontrerez la chose - des sujets qui, à chaque question répondent par « disons que », façon d’émettre une copie parolière à l’usage du questionneur, sur le mode de l’extraterritorialité par rapport à la prise de parole, où s’avère l’absence d’intégration du sujet à ce registre du signifiant. J’en ai rencontré qui ont bel et bien déliré par la suite et par ma faute… Il y a des gens dont nous devons veiller à ce qu’ils ne prennent pas trop la parole. Confère par exemple ce que Clérambault a décrit sous la forme de l’automatisme mental des vieilles filles ou encore les délires des gouvernantes qui ont attiré l’attention de Le Guillant. Le discours resté latent, toujours en sommeil, se réveille à la provocation. Mais nous reviendrons peut-être sur le déclenchement de la psychose, défaillance du sujet devant prendre la parole, comme on change de voile par mauvais temps : c’est pour de bon et ça n’est pas un conflit qui l’impose, c’est l’état des éléments. Clérambault avait remarqué que l’on ne dépersonnalise pas son discours de n’importe quelle façon : il fait allusion à ce qui se produit quand nous sommes saisis par l’évocation spontanée, affective, d’une idée plus ou moins délicate ou difficile à supporter dans notre passé et qui nous impose de réorganiser désagréablement le champ de nos significations ; c’est là le moment favorable à la sortie – nous en avons tous fait l’expérience – de lambeaux ou de bribes de phrases qui n’ont parfois aucune espèce de relation significative directe avec le souvenir dont il s’agit. [Leçon du 27 juin 56] Tout cela manifeste avec assez d’insistance les questions : - Que faut-il pour que ça, pour que le ça, parle ? Pourquoi cet inconscient apparaît-il dans le réel ? - Pourquoi est-ce que ça parle, que c’est une parole ? Qui parle, bien que le sujet ne s’y reconnaisse pas ? Alors même qu’il articule ce qu’il suppose entendre (cf. Séglas) ? [Leçon du I6 nov. 55] Car en effet, l’hallucination verbale, qui se présente sous forme d’une doublure du sujet, nous montre un sujet qui parle sans savoir d’où ça parle. C’est bien sûr le cas le plus courant, mais justement la psychose a ce mérite de nous mettre les yeux en face des trous quant à ce qui est si difficile à reconnaître pour les névrosés que
nous sommes. On peut d’ailleurs remarquer que le normal c’est, quand on parle et quand on écoute, c’est de répéter intérieurement ce qui se dit, de le commenter, d’en anticiper les mots et la signification, de faire retour sur ce qui a été dit. Bref, du fait que nous soyons émetteur et récepteur à la fois, nous sommes sous le coup d’un automatisme mental normal dont nous ne nous rendons pas compte, sauf parfois dans des circonstances spéciales. Tant que nous parvenons à maintenir une certaine distinction entre émetteur et récepteur, je parle du sujet normal, tout va bien, ce qui est intéressant à noter - à côté de ce que Clérambault relevait, que je vous ai rappelé plus haut quant à ces libérations verbales du sujet normal - c’est que, quand quelqu’un entre dans la psychose, ça je l’avais signalé aux Journées de novembre 76 de l’EFP, émetteur et récepteur confondent un temps pour lui leur message et c’est là alors que le sujet à la pensée « brouillée », pour la première fois, présente automatiquement une articulation silencieuse qui peut très bien n’avoir pas encore de caractère xénopathique, dont la finalité est de cliver ce qui vient de l’émetteur et du récepteur. Ce simple mécanisme permet sans doute d’ébaucher une réponse à la question de savoir quelle est la signification de l’automatisme : au moment où il va disparaître, le sujet s’accroche à la parole comme à une corde. C’est comme ça qu’il essaye de rester dans notre monde. J’en ai vu un pour qui la psychose n’a jamais été plus loin. C’était son seul phénomène élémentaire. Ça arrivait de temps en temps quand il devait s’adresser à ses supérieurs de l’administration. Evidemment ça ne nous dit encore rien sur le mécanisme même de la psychose. [Leçon du 30 nov. 55] Quoi qu’il en soit, rien n’empêche de faire le pas suivant où nous relevons dans l’automatisme mental ce qui va surgir : ces néologismes à la signification pétrifiée et ineffable qui, contrairement aux mots de névrosé, ne renvoient pas à une autre signification. Le délirant nous fait part tout de go d’un mot, ou nous le livre avec réticence, tout en le présentant comme si sa signification allait de soi, se comprenait d’ellemême, cependant qu’il est incapable d’en rien dire, de cette signification, c’est-à-dire de la relayer par une autre signification. C’est une signification qui renvoie fondamentalement à la signification comme telle. Nous en avons eu un exemple récemment : à l’écho et au commentaire, s’ajoutait pour notre patient
une « hipdon - passedon » dont il n’a pu nous restituer la signification à partir du carrefour signifiant que ses néologismes présentifiaient, lorsqu’il a émergé de la psychose. Conclusion pratique en passant : c’est plutôt bon signe qu’un sujet puisse se remettre à commenter lui-même ses propres néologismes - voir encore, à ce sujet, la langue fondamentale de Schreber. Ainsi avons-nous deux types de manifestations : d’une part le néologisme trop plein de signification et, à l’autre extrême, des signifiants vides de sens : serinages, scies, kyrielles de mots, non-sens décrits par Clérambault, mais tout aussi précisément par Schreber : « le système du couper la parole fait véhiculer des débris de pensée dont c’est la tâche qui échoit à nos nerfs de les faire en quelque façon aboutir au sens » (p. 180). Il n’est pas nécessaire que ces phénomènes pullulent pour que nous y reconnaissions la signature même du délire. Mais ces échos et commentaires, ces néologismes, reprenons notre question : d’où sont-ils émis ? Posons-la, cette question, dans la voie même où nous avons introduit notre propos, c’est-à-dire dans le registre même de parole où apparaît l’hallucination. Peut-on dire que cette parole en soit une, de parole ? Car somme toute, parler c’est s’adresser à d’autres et un aphasique, tout désintégré que soit son langage, il ne cessera de s’adresser à nous qui l’examinons et tout comme le névrosé, sa parole aura pour structure de recevoir de l’autre son message sous forme inversée ; que, dans cette parole il sera engagé, et l’autre possiblement supposé trompeur. Chez l’halluciné, rappelons-le de suite, c’est son propre message qui, sous forme directe se formule. Nous demandions : d’où part ce message ? Ajoutons à la question : à qui s’adresse-t-il ? Et comment ? Car il est clair qu’il ne suffit pas de dire que c’est l’inconscient qui parle au sujet pour avoir réglé le problème. Le problème c’est celui de la structure du discours de l’automatisme mental et celui de la structure du discours paranoïaque, en tant que le premier, outre sa portée propre, permet de préciser les formules du second, telles que Freud nous les a léguées incomplètes. C’est pourquoi pour l’instant nous maintenons l’écart des deux, séparation méthodologique et clinique. Reprenons le schéma de la communication, dit schéma L :
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S
sujet
a objet
a’
A
grand Autre
moi
Faisons un rappel sur les éléments du graphe à partir du Séminaire sur les psychoses : « Je spécifie à l’intérieur de ces communications ce que c’est que la parole en tant que parler à l’autre : c’est en fin de compte faire parler l’autre comme tel, cet autre nous le mettrons avec un A. Pourquoi avec A ? Car c’est ce qui fonde tout ce que je viens de vous dire. « Tu es ma femme », « Tu es mon maître ». Après tout en êtes-vous si sûr que cela ? Ce qui fait précisément la valeur fondatrice de ces paroles, c’est justement que ce qui est visé dans son message, aussi bien dans ce qui est manifeste dans la feinte, c’est que l’autre est là en tant qu’autre absolu, c’est-à-dire en tant justement qu’il est reconnu, mais il n’est pas connu… de même que ce que signifie la feinte, c’est que vous ne savez pas en fin de compte si c’est une feinte, à savoir si c’est là pour de bon ou justement pour vous feinter. C’est essentiellement cet élément, cette inconnue directe dans l’altérité de l’autre qui caractérise le rapport à la parole au niveau où elle est parlée à l’autre. » Et plus loin, Lacan nous précise, quant au caractère de la parole : « Elle ne parle pas qu’à l’Autre, elle parle de l’autre en tant qu’objet. D’un côté la délirante partielle essaye de me tenir en échec, de me blouser, en cela elle existe comme sujet. D’un autre côté quand elle livre son délire, elle livre une autre structure, dégageant une altérité d’une autre sorte ; celle transitiviste de la connaissance paranoïaque, où la parole peut annuler et aliéner. D’un côté elle s’adresse à l’Autre, de l’autre elle évoque un petit autre, un alter ego » (cas D. S.). Et Lacan de préciser : « Cette distinction de l’Autre avec un grand A c’est-à-dire de l’Autre en tant qu’il n’est pas connu et de l’autre avec un petit a, c’est-à-dire de l’autre qui est moi, qui est la source de toute connaissance, c’est dans cet écart, c’est dans l’angle ouvert de ces deux relations que toute dialectique du délire doit être située. » Partant de là, à la question que nous avions posée plus haut - d’où nous parle le sujet, sont-ce de vraies paroles qu’il nous adressait, de quoi parle-t-il ? -, nous pouvons répondre
qu’au départ du dialogue nous n’en pouvons rien savoir mais qu’il nous parle de quelque chose qui lui a parlé sous forme de paroles. Le graphe nous indique, par la structure de l’allusion – nous allons y revenir - que c’est le moi qui parle, un moi qui, comme Séglas le notait, peut parler en troisième personne, voire sous le chef du pronom impersonnel. C’est là donc qu’on voit notre sujet nous parler du petit autre imaginaire, de ce petit autre avec lequel il entretient une relation imaginaire, que ce petit autre c’est son centre de gravité, ce à quoi il tient comme à lui-même selon le dire de Freud, que cet autre-là, aucune parole ne s’adresse à lui, il n’est le lieu d’aucun appel, même si dans le langage de notre sujet, A est présent en tant que ce sujet essaie de nous feinter. Distinction essentielle, dit Lacan, entre névrose et psychose (cf. le cas C. où, quand il n’a plus aucun symptôme, c’est à un alter ego qu’il parle.) [Leçon du 7 déc. 55] : C’est la structure de l’allusion qui va nous permettre le pas suivant.
S
a
Truie
a’
je viens de. . .
A
Allusion : de alludere, « badiner, faire allusion ». Dérive de ludere, « jouer ». Alludere, c’est « jouer en direction de quelqu’un ». Dans les Figures du discours, Fontanier la définit en ceci qu’elle « consiste à faire sentir le rapport de quelque chose qu’on dit avec une autre qu’on ne dit pas et dont ce rapport même éveille l’idée ». Définition donc d’une ampleur extrême et, concernant les effets de signification les plus variés, l’allusion fait partie des tropes qui sont des « figures d’expression par réflexion » - distincts des « tropes par fiction » et des « figures d’expression par opposition » -, dont Fontanier nous dit que « nous ne présenterons la pensée qu’avec un certain détour, qu’avec un air de mystère ; nous ne la dirons moins que nous ne la ferons concevoir ou deviner, par le rapport des idées énoncées avec celles qui ne le sont pas et sur lesquelles les premières vont en quelque sorte se réfléchir (ce sont l’Hyperbole, l’Allusion, la Métalepse, la Litote, l’Association, La Réticence et le Paradoxisme). » Dans l’allusion paranoïaque, c’est le pa-
ranoïaque qui voit allusion dans les dires et gestes qui s’adressent à lui, comme lui-même fait allusion à ce qu’il garde en réserve tout en éprouvant son interlocuteur. Ce qui est notable, c’est que chez le paranoïaque, l’allusion n’ouvre pas un registre varié de significations, mais renvoie toujours à la même. Tout propos, geste, mouvement n’a pas la portée symbolique de produire une signification renvoyant à d’autres significations mais à une signification unique, stoppée, vers laquelle tout converge et qui est l’existence même de la signification comme telle, c’est-à-dire que la réflexion y est bouclage, sur elle-même, de la signification. Vous avez tous en mémoire le fameux exemple « Je viens de chez le charcutier… truie », de la « Question préliminaire » : la patiente y recevait sa propre parole dans le petit autre, dans son reflet, l’autre dont il s’agissait n’était pas au-delà du partenaire, ç’aurait été dans ce cas A, mais était au-delà du sujet lui-même ; la patiente était psychotique en ceci que le cycle comportait pour elle une exclusion du A : le moi a dit « je viens de … », il parle de S et c’est la marionnette a qui dit truie. A est exclu. Le circuit se ferme sur les deux petits autres, qui sont la marionnette qui est en face d’elle qui parle et dans laquelle résonne son message à elle, et elle-même qui, comme moi est toujours un autre qui parle par allusion. En effet il n’y a qu’un moyen de parler de S, c’est soit de s’adresser vraiment à l’Autre et d’en recevoir son message sous forme inversée, soit d’indiquer sa direction, son existence sous forme d’allusion. Ainsi l’Autre est exclu et ce qui concerne le sujet est dit par le petit autre, ombre d’autre. C’est là qu’on entrevoit ce rapport au miroir, où le sujet se réfléchit sans se penser et qui se démultiplie éventuellement à l’infini, dans une neutralisation du partenaire toujours identique à lui-même, devenu ombre, faux-témoin, semblant dans un « décor de théâtre » (Schreber). Ce n’est pas seulement l’image qui s’en répète, vidée, mais également, de façon synchrone, le temps et l’espace qui prennent cet aspect circulaire où le circuit se referme sur lui-même. C’est en ce point, où le moi qui parle sous la forme de l’objet a (qui est la voix) et, littéralement, érotomanise le sujet (et dont S ◊ a nous permet d’entrevoir la structure), qu’une circularité seconde s’introduit : tantôt le sujet est objet a, déchet soumis à la voix ou au regard (car comme je l’ai dit aux Journées
de l’EFP, « le fait que l’automatisme montre s’oublie derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend ») qui occupent la place du A, tantôt il vient lui-même à la place du A commandé par les objets a que sont la voix et le regard, tantôt même, à l’extrême, voix et regard joueraient en quelque sorte au ping-pong avec notre sujet. Ceci pour insister sur le fait que tout l’équilibre imaginaire de notre patient est frappé d’une instabilité fondamentale (cf. le phénomène du mur mitoyen évoqué par Melman dans la paranoïa). Simultanément moi idéal et idéal du moi se mettent à se courir après, sans se rejoindre manifestation supplémentaire de la disjonction du signifiant et de la signification, du symbolique et de l’imaginaire. Schreber est exemplaire à cet égard dans ce qu’il nous montre comme dissolution de l’autre en tant qu’identité, comme envahissement d’une subjectivité imaginaire agencée en miroir, qui le conduit, d’une façon simultanée, de la fragmentation du langage et de l’apparition, dans le réel, des phénomènes d’auditivation verbale, à considérer ses semblables sous le chef : 1) d’une part, d’ombres d’hommes torchés à la six-quatre-deux : c’est son propre cas, puisque les journaux lui ont appris son décès, il en a du même coup éprouvé une libération, se sentant grimper vers les sphères. Donc mort, libre et fragmenté… Dieu, Flechsig prennent alors différents aspects témoignant de leur propre fragmentation. 2) d’autre part, à rencontrer dans le face à face Dieu, après le crépuscule du monde. Dieu qui y apparaît comme A absolu, traite Schreber de charogne, soit de déchet. Ils se sont trouvés, enfin, et ne se lâcheront plus. Bel exemple de réussite dans la rencontre de l’objet. Dieu est également frappé d’instabilité, tour à tour tout puissant à qui Schreber est suspendu, tantôt lui-même frappé de la dégradation imaginaire de l’altérité (Dieu fait des choses attentatoires à l’ordre de l’univers, nous dit Schreber, contredit son ordre propre pour lutter contre ce qui lui advient). Où est passé l’ordre de l’univers, le symbolique ? Schreber nous l’évoque précisément : « Dieu lui-même a dérogé à l’ordre de l’univers sur lequel lui aussi doit se régler » (p. 64) et, en note (p. 64-65) : « l’ordre de l’univers c’est la relation légitime, intrinsèque à l’essence et aux attributs mêmes de Dieu, qui existe entre Dieu et la créature appelée à la vie par lui... » Dieu s’étant mis en contradiction avec lui-même dans sa destruction de Schre-
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ber, « cette politique ne pouvait entraîner de conséquences durables, ou encore, pour me servir d’un oxymoron, dans le combat de Dieu contre moi, c’est Dieu lui-même que j’ai eu à mes côtés, puisqu’on peut dire que j’ai été en situation de porter ses propres attributs et d’être investi de ses propres pouvoirs, armes qui furent celles, effectives, de ma défense personnelle. » Dans l’un et l’autre cas (Dieu comme petits autres multiples et Dieu comme grand A), ce Dieu prend forme de muraille hermétiquement fermée à l’homme, de même que l’homme lui offre une façade de pure extériorité : à la limite le commerce qu’il entretient avec les hommes, s’il est certes commerce langagier, est dégradé au point de se réduire à un aveugle et fixe système de communication ; bref ce Dieu de langage ne comprend rien à l’homme. « J’ai déjà signalé que Dieu ne connaît l’homme vivant que de l’extérieur, et qu’on ne peut parler d’omniscience et d’omniprésence divine en ce qui concerne l’intérieur d’un être humain en vie » (p. 41). Ou encore : Dieu « n’a des êtres humains vivants qu’une expérience toute extérieure… ce n’est que comme cela que je peux m’expliquer toute cette incapacité à comprendre les êtres humains » (p. 114). Page 60 : « II règne toujours une ambigüité fondamentale, qui traverse dès lors ma vie entière comme un fil rouge et qui vient de ce que Dieu, selon l’ordre de l’univers, ne sait rien de l’être humain réel et vivant et n’a pas à en connaître, il ne doit, selon l’ordre de l’univers, avoir de commerce qu’avec des cadavres. » Page 156 : l’incapacité des dieux à comprendre l’être humain tient à ce qu’ils sont prisonniers d’un « malentendu à peine concevable selon le sens commun, lorsqu’ils se persuadent que tout ce qui est modulé par les nerfs d’une personne dans ma situation et qui est en réalité le résultat de contrefaçons de la pensée perpétrée par les rayons - n’est autre que la traduction même de cette personne dans son fonctionnement intrinsèque ; malentendu encore lorsqu’ils sont convaincus que toute pause dans le fonctionnement de la pensée… signifie la dissolution des facultés intellectuelles de la personne en cause. » Et plus loin, p. 157 : « Dieu paraît porté à faire cette méprise qui consiste à considérer comme le parler véritable des hommes, ce qui n’est que parler des nerfs... » Comment mieux dire que Dieu prend le moi pour le sujet ? Moyennant quoi, Dieu, recevant ces idées qui n’ont « rien de neuf » pour Schreber (p.
158), n’en reçoit les vérités « que sur un mode purement formel » (p. 158) et ne peut s’en pénétrer : ce Dieu est incapable de « s’instruire par l’expérience. » C’est pourquoi il croit dans « sa méconnaissance totale des besoins vitaux d’un corps en vie, pouvoir m’imputer toute la façon de penser et le mode de sentir des âmes, leur langage, etc. C’est ainsi qu’il exige que je jouisse continuellement, que je pense sans interruption, etc. » Où, dans tout cela, subsiste le symbolique, demandions-nous, dès lors que le garant, le témoin de la parole, se fourvoie aussi radicalement ? On le retrouve dans cette référence aux astres, à la nature : signifiants du réel qui ne trompent pas, sont toujours à leur place là où on les attend : « néanmoins, je me base sur mes expériences intérieures personnelles pour dire ma conviction que notre astronomie n’a pas encore saisi toute la vérité sur le pouvoir dispensatoire de lumière et de chaleur des astres et notamment du soleil, et qu’on doit peut-être directement ou indirectement l’envisager comme participant simplement de cette face du pouvoir miraculaire du Dieu créateur qui se tourne vers la terre. J’en apporte une preuve provisoire dans le seul fait que le soleil me parle depuis des années avec des mots humains. » Que la nature nous parle, c’est bien ce que nous entrevoyons tous… ce qu’il précisera (Schreber, pp. 7I-72), c’est que les « petits hommes », la multitude des petits autres sont suspendus aux astres et qu’ils peuvent en « dégringoler » si survient cette « fin du monde en tant que conséquence inéluctable de la relation désormais indissoluble entre Dieu et moi » dont l’un des effets est, page 82, « l’extinction des horloges du monde », dont Schreber ne peut dire « ce qu’il en retournerait dans cette expression », mais que de là date « tout le système de commande des mouvements humains (qui) n’a plus été soutenu qu’artificiellement par voie de miracles divins directs » (p. 82). Somme toute, d’en haut on tire « les ficelles qui actionnent les êtres humains. ». Schreber cite également cet « arrimage aux rayons » (p.112), moyen de fixation insuffisant à soutenir les âmes devant la menace d’anéantissement, remplacé par « l’arrimage aux terres » : « il se fit donc un arrimage à certains corps célestes éloignés, de sorte que depuis lors toute éventualité fut exclue de disparaître totalement dans mon corps en vertu de la force d’attraction » (p. 112). C’est d’ailleurs cet arrimage aux terres
« qui a conduit à l’adoption ... du système de prise de notes » (p. 113) : « On tient à jour des livres et autres écritures, dans lesquels sont confinées toutes mes pensées, mes façons de parler, dans lesquels sont recensés tous mes objets usuels, toutes les choses qui se trouvent ordinairement en ma possession, ou autour de moi, ainsi que toutes mes relations, etc. ». « On », qui désigne des « images d’hommes bâclées à la six-quatre-deux » (p. 113). Or, tout cela s’opère par les rayons dont « la nature est qu’ils doivent parler » (p. 116), qui ont « faculté de lire dans mes pensées » et « c’est justement à combler ces temps morts (c’est-à-dire les pauses de la pensée, le sommeil, le repos) - (c’est-à-dire pour que les rayons aient quelque chose à articuler, même pendant ces pauses) que sert le matériel de prise de notes, qui consiste par conséquent en mes propres pensées passées, auxquelles on a fait quelques adjonctions de formules… » (pp. 116 -117) Ces formules, ces commentaires qui surviennent dans les moments d’une pensée de « penser-à-rien », c’est par exemple ces phrases décomplétées allusivement dont Schreber nous fera le catalogue et qu’il qualifie de « formes grammaticalement défectives » et de « phrases tronquées » (pp. 54 et 155-157), telle par exemple : « sans doute mais pour combien de temps encore ? (entendez : réussirez-vous à vous défendre contre la puissance des rayons ?) » Ou ces phrases que Lacan repère comme interrompues sur un shifter : « maintenant je vais me rendre au fait que je suis idiot » (pp. 180-181). Ce penser-à-rien, c’est ce qui est meublé par l’intrusion : - sous forme de « contrainte au jeu continu de la pensée ». Exemple : « à qui donc estce que vous pensez là, à l’instant même ? » (p. 54). - et sous forme de système de « contrefaçon de la pensée », c’est-à-dire que les voix fabriquent elles-mêmes la réponse. Exemple : « c’est à l’ordre de l’univers que celui-là devrait », sous-entendu « penser » (p.54) : système qualifié de « système de couper la parole » (p. 180). Si j’ai pris le soin de reprendre un peu Schreber, où les phénomènes de la psychose atteignent leur plein développement, et où un pas considérable est franchi dans la xénopathie c’est pour, à travers cette vue macroscopique, désigner ce qui, en vue microscopique,
est déjà présent dans l’automatisme mental. J’ai bien dit au départ que les phénomènes élémentaires de la psychose ont la même structure, comme matrice, que le délire développé lui-même, même si nous tenons à garder la distinction des phénomènes hallucinatoires et du délire comme reconstruction du monde. Prenez le soin d’examiner avec attention certains psychotiques à l’automatisme mental somme toute limité à sa forme minimale ; fréquemment vous y trouverez en ébauche la promesse de féminisation avant éviration, la mort du sujet au cours du crépuscule du monde et toute la problématique plus haut évoquée. Or, et c’est là que nous pouvons préciser les formules de Freud sur la paranoïa, formules insuffisantes car : qui est cet homme qu’elle aime, ce il qu’elle aime, et que moi je n’aime pas ? Qui est celle qui m’aime quand ce n’est pas moi qui l’aime lui ? Qui est celui qui me hait, que je n’aime pas ? Ce il, ce elle, se démontrent bien dans les déplacements de personnes qu’ils viennent à découvrir, à mesure que dans le champ apparaît un nouveau partenaire, ou dans les englobements de personnes qu’ils viennent à recouvrir, ce il, ce elle, donc, se démontrent bien logés dans cette démultiplication indéfinie caractéristique du rapport à l’alter ego. Qu’on substitue le on, dont j’ai fait noter la valeur grammaticale de néantisation à partir d’une position d’absolu savoir révélateur mais également sa possibilité, sa possibilité de désigner plusieurs personnes, au il, et la neutralisation létale d’un sujet indifférent à qui ça cause de façon neutre et an-idéique s’éclairera. L’automatisme mental débute donc par une néantisation qu’il vise à compenser. Dieu sait où ça mènera puisqu’il y a dans tout cela une gradation clinique, de l’absence de cristallisation amoureuse ou hostile à la cristallisation passionnelle, incompréhensible sans une expérience d’un objet qui, enfin trouvé, ne pouvant plus être lâché, s’avère simultanément le plus instable de tous les objets… Voilà donc relativement résolue l’antinomie apparente automatisme mental/délire, à tort qualifié d’interprétatif. Façon comme une autre de faire un sort aux théories classiques de la folie raisonnante, qu’il vaudrait mieux appeler résonnante pour remettre les choses à leur place. [Leçon du 15 février 56] Apportons encore quelques précisions supplémentaires
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concernant des points avancés plus hauts : j’ai parlé du moi idéal poursuivant circulairement un idéal du moi, qui lui court lui-même après. C’est-à-dire que j’ai introduit une doublure qui est dans le texte même de Schreber : vous allez le voir. En effet, pour rester sur le plan même de l’automatisme mental, notons seulement ceci qui vaut son pesant d’or, c’est que ce moi idéal dans ce qu’il dit au sujet dans lequel il lit à livre ouvert, ne fait que formuler ses rêves les plus insensés : réformer le monde libérer tous les opprimés, faire jouir, amener la vérité, la justice, le beau ; ou inversement : injurier, malmener, sévir, réduire l’autre. C’est ça le discours que le moi tient habituellement sur la réalité et qui apparaît là dans sa structure folle ; le moi invoquant la liberté, voire estimant l’avoir enfin béatement conquise au moment où il est devenu ce que Schreber désigne sous la « formule conjuratoire » : « je suis le premier cadavre lépreux et je mène un autre cadavre lépreux » (p. 87). Voilà donc la doublure du moi par le moi idéal. Nous avons là une exposition de l’aliénation, imaginaire en tant que telle, qui laisse entrevoir que si le mécanisme imaginaire est ce qui donne sa forme à l’’aliénation psychotique, l’imputation normale transitiviste n’y suffit pas car elle ne rend pas compte de sa dynamique, pas plus que du point à partir duquel cette aliénation s’opère : ce n’est qu’à partir du A corrélatif de la parole, de sa présence ou de son exclusion, qu’on peut s’y repérer ; somme toute, pour bien faire il faudrait en venir à la forclusion, qui n’est pas en tant que telle l’objet de notre soirée, notion fondamentale comme indication de ce qui manque dans la relation au signifiant. La « Question préliminaire » y insiste assez nettement. J’en ai fourni plusieurs exemples aux Journées, de ces sujets appelés à répondre là où le signifiant fait défaut à la disposition du sujet et qu’alors A se dénude dans la majesté de son amour délabrant et que les alter ego, morts, se mettent à pulluler ; simultanément s’installe un amour qui, dans toute sa pureté élimine le sujet à qui la parole a spécialement fait défaut, et c’est là alors que la parole émerge dans le réel, pas la parole du sujet, mais la parole du moi, seule à pouvoir se manifester. Ce qui alors est saisissant, c’est que outre cette doublure par le moi idéal qui tient le discours délirant de la liberté et simultanément à ce sentiment d’une présence allusive, invisible, qui recouvre l’univers, outre donc cette doublure par le moi idéal, le plus féroce des surmoi se
manifeste : en effet, les paroles peuvent parler du sujet en troisième personne sur le mode déjà annihilant de la constatation : « il a fait ceci ou cela », mais elles peuvent également l’interpeller en seconde personne : « tu fais ceci ou tu fais cela » ; elles peuvent alors le commander impérativement : « jouis » ; et même lorsqu’elles ne le commandent pas verbalement, lorsque la parole s’est dégradée au point d’être inarticulée, de n’être plus que voix pure, c’est alors le corps qui l’articule (le cas « par la fenêtre »). Il s’agit donc alors non pas d’un tu fondateur, appelant le sujet à la signification en le marquant d’un signifiant, mais d’un tu de constatation : le sujet descend l’escalier ; les voix constatent : tu descends l’escalier. C’est-à-dire qu’une volatilisation se produit de ce qui ouvre à la signification, soit le véritable commentaire. Le commentaire de l’automatisme mental n’est pas ponctuation, dégageant le sujet, à partir des signifiants qui le représentent dans la signification de son existence, mais à l’inverse - car on voit alors converger ce monde d’allusions univoques et de constatations figées, en un point unique désubjectivé -, l’obscène surmoi y met en quelque sorte un sujet disparu, en posture d’avoir à manifester un je, à justifier un je qui fait défaut. Somme toute, toute une part du moi s’avère dans les voix, envahie par le registre de l’intimation, de l’intimidation. Dès lors on conçoit que, dans les formules de l’amour paranoïaque que Freud nous livre, l’amour comme la haine de l’autre du sujet viennent présentifier cet instinct de mort bornant l’horizon narcissique du sujet à une immédiateté temporelle, que le court-circuit de l’acte, meurtre ou plus souvent suicide - si fréquent en ce point - viendront conclure. Voyez en quel moment Schreber essayait de se tuer. Ce que le sujet aime le plus, c’est somme toute ce qui aura sa peau... Si une certitude peut naître de ce moment, on ne peut que la dire, bien que délirante, normale. Telle érotomane s’était, par les voix, entendu dire : « tu es ma pierre ; sur cette pierre je bâtirai mon église. » De ce jour, rivée à l’amour mystique, elle avait bâti par son délire, l’église où se célébraient répétitivement les noces passionnées du rêve et du symbole assassiné, puisque la chose innommable revivait, se faisant le colophon allusif du chapitre de la signification pétrifiée dont elle jouissait. Quant au jaloux, dont Clérambault disait qu’il ne lui suffisait pas d’être véritablement cocu pour ne pas délirer, ce jaloux, qu’il émette le « tu seras celle qui me trompera » par où il reconnaît et constate par anticipation
ce qui sera présence insaisissable mais déjà là, qui, en sa présence même le déjouera, ce jaloux ne pourra, ce faisant, que reculer devant l’horreur qu’il porte à la Chose dé-symbolisée, l’imputant à celle à qui il prétend être relié, mais qui n’est elle-même que la neutralisation de la catégorie dans laquelle il s’identifie sexuellement. Le revendicateur, lui, formulant ce « tu es celui qui me rendra ce dont j’ai été privé », dans la forme même d’impératif absolu où il s’exprime, manifeste sa propre annihilation devant l’objet de sa perte et de son amour, soit le caractère sans recours, ni retour, du retournement paranoïaque de l’amour dans la haine. Peut-être estimerez-vous que je m’éloigne de l’automatisme mental. Détrompez-vous : ce meurtre du symbole, ce dont la privation vient à affecter le sujet pour aussi peu qu’il y soit entré, on le retrouve dans la clinique même de l’automatisme mental où l’on pourra voir tel psychotique livré à un « jeu forcé de la pensée » comme disait Schreber, sous la forme d’un ressassement inlassable du néologisme « hipdon – passedon » où, dans l’observation considérée, notre groupe a insisté sur le jeu alterné des deux syllabes « hip-don » et « passe -don », ainsi que sur le redoublement alterné de ces deux couples. C’est-à-dire qu’au moment où disparaissait le symbole, s’imposait une régression topique sous forme de tentative de maintien d’une symbolisation primordiale, n’aboutissant qu’à un jeu vide de signifiant sans signifié. Double redoublement, redoublant chez ce patient les phénomènes de doublure, écho et commentaire. Cela se produisait chez ce patient après un moment de crépuscule du monde, qui l’amenait, âme assassinée comme Schreber, dans un enfer imaginaire d’où il ne voyait plus que morts-vivants alentour, cependant que de toute part les sollicitations homosexuelles l’assaillaient, tendant à lui imposer la place d’Erzulie, déesse de l’amour et de la féminité du vaudou haïtien. Champ de signification, se ré-ordonnant autour d’un nouveau signifiant venu en place du signifiant manquant : Erzulie, sa raison se soutenant et se justifiant d’un « hipdon - passedon », là où le tu fondateur avait fait défaut au lieu de l’Autre. C’est de ce moment que datait l’apparition de l’automatisme mental, l’ego n’ayant alors plus à répondre de rien, puisqu’il répondait de tout : « passedon », tu seras offert comme femme à tous les êtres apparemment hommes incarnant le maître à la présence implacable, passe obligée, passage des hommes de l’avenir ; « hipdon », don propitiatoire où le bouc sacré se fera en toi chèvre sodomite. Où subsiste l’humanité du sujet ? Où se maintient son essai de se relier à une humanité qu’il est en train de perdre ? Elle n’existe plus que dans le commentaire perlé de ses gestes les plus insignifiants, de ses pensées les plus vaines, dans cette répétition creuse dont l’humanité ne vaut que comme répétition : elle est au psychotique ce que le une-deux de la marche est à la troupe des soldats. Elle bat la mesure, essaye d’en faire un corps. Les questions ne manquent pas : ainsi, qu’est-ce qui fait qu’un discours peut tenir le coup apparemment alors qu’il n’y a plus personne pour le produire ? (J’entrebâille là la porte au problème irrésolu de l’identification chez ces sujets, que nous ne désespérons pas de résoudre, peut-être par l’étude de la dé-métaphorisation dont ils sont à la fois objet et sujet). Jusqu’à quel point un dialogue peut-il avoir, avec la meilleure bonne foi, tout l’air d’un dialogue de personne à personne ? Avant même le délire, ou les phénomènes élémentaires ponctuels, à quoi se laisse repérer, hors toute psychose avérée, ce qui d’un discours signe la folie où ce discours s’inscrit ? L’intérêt pourrait en être l’aune à laquelle on puisse mesurer ce que sont les rapports humains courants… Bref - comme Lacan nous en a récemment posé la question -, à propos de ce patient du « hipdon - passedon », qu’est-ce que parler veut dire ? Pour autant que, névrosés ou psychotiques, nous ne soyons pas pure machine à paroles. Dernier mot enfin : j’ai employé indistinctement le terme d’hallucination pour qualifier tous les phénomènes psychotiques que j’ai évoqués. C’est, analytiquement, un abus de langage : il serait aisé de démontrer, j’en ai laissé entrevoir quelque chose, que l’écho et le commentaire sont d’une autre portée que les ombres d’hommes, le décor de théâtre du monde, les miraculeux oiseaux parlants, et les insectes, même si leur rapport est strictement conditionné. II y aurait certainement lieu de refondre totalement ce que l’on qualifie d’hallucinations, à partir des prémices que nous avons évoquées. Marcel Czermak
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r f . b e w a s p NE e . w TE-AN N I A w S E w IQUE D YT site de PSYCHANAL E l’ECOL
L E S E N FA N T S à l’école de Sainte-Anne
Le symptôme, naissance d’un mécanisme L’on considère à tort que le symptôme de l’enfant et celui de l’adulte sont différents. Ils le sont certes dans leur modalité d’expression, mais pas dans leur structure, ni leur dynamique. Ce qui les relie entre eux, c’est la question posée par le sujet à l’Autre, avec un grand A et la question de l’objet. La topologie est identique sous deux grandes formes, la sphère et le tore. Marcel Czermak rappelle volontiers une affirmation de Lacan qui prend tout son poids dès lors qu’on approfondit la question du symptôme en partant de l’enfant : « Nulle part mieux que dans la psychose, le symptôme n’est articulé dans la structure. » Lacan pose donc à égalité « structure » et « symptôme » chez le psychotique, en tout cas clairement dans les derniers séminaires. Dans les premiers séminaires, il utilise les termes de « symptômes psychotiques » ou « prépsychotiques ». Cela a des raisons : lors du Séminaire sur Les Psychoses, la topologie qu’il avait abordée était celle du miroir. La topologie de la sphère et du tore est plus tardive, de même pour la bande mœbienne et la bande biface. De la même manière, ses élaborations concernant la forclusion du Nom-du-Père ont évolué durant les années de sa recherche. Y a-t-il en effet une forclusion ou des forclusions ? Comme praticienne de la psychose infantile, je noterai simplement une différence entre la forclusion du symbolique et la forclusion de l’imaginaire, un point sur lequel d’autres comme Jean-Jacques Tyszler reviennent souvent. Comme Freud, Lacan a élaboré sa théorisation tout au long de sa vie ; pas étonnant donc qu’on constate des fluctuations, une évolution, pas toujours vers un plus de clarté, du reste. Je me casse régulièrement les dents sur les derniers séminaires. Une chose est certaine : si nous partons de la topologie, le rapport entre symptôme et structure se manifeste nettement. Il n’y a pas de différence, lorsqu’il est question de structure, ce sont les modalités de sa manifestation qui varient selon qu’il s’agit de l’enfant ou de l’adulte. C’est bien la confusion à ce niveau qui a entraîné toutes les imprécisions que nous connaissons dans la théorisation de la clinique infantile. Le problème est double : à la fois du côté de la théorisation et de la lecture de ce que l’enfant nous offre en séance. Le désir de comprendre à partir de l’histoire de l’enfant est un des pièges qui tendent à imaginariser la question et nous fait passer à côté de l’essentiel. Deux grands formes se distinguent nettement, lorsque nous parlons de la relation du sujet à l’Autre/autre : la sphère et le tore, l’une relevant des relations de l’enfant telles qu’il les vit avant
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le stade du miroir et soumises aux lois du refoulement primaire, et l’autre relevant des fonctionnements soumis au refoulement secondaire et à la loi phallique. Dans la sphère, pas de point de contact entre l’un et l’autre, l’enfant s’offrant comme objet au « x » du désir qu’il pressent chez l’Autre. Pas de découpe, pas de surface de contact comme c’est le cas pour le double tore : dans les points de contact entre les deux tores qui passent respectivement l’un dans le trou de l’autre, est figuré le support de l’écriture des représentations.
yeux ! » Le script de mes stagiaires-assistants varie à cet endroit.
Rien de tel dans la relation sphérique ; si le manque dans l’Autre est pressenti, il n’est pas acté : pas de sujet, pas d’Autre barré et même l’objet n’a pas de contours palpables. L’expérience de l’Autre et de la séparation est ici un phénomène fugace, sans la permanence articulée au symbolique. D’où l’angoisse de la disparition, de l’engloutissement. L’expression privilégiée de cette angoisse est l’agitation. L’enfant saute aux murs ou se frappe luimême s’il ne frappe pas l’autre. Les coups sont autant de tentatives désespérées de trouver un bord.
En tout cas, voilà la suite de cette vignette clinique : Pendant que l’enfant s’agite ainsi comme un forcené, le grand-père raconte la situation intenable dans laquelle la famille vit, sans cependant tenir compte du fait qu’en même temps, je suis en train de me bagarrer avec son petit-fils. Tout cela se déroule de façon synchrone. Comme je tourne dans l’espace avec cet enfant derviche, le grandpère, dès que je sors de son champ de vision, continue son discours dans la direction des stagiaires, comme si finalement ce qui comptait pour lui, c’était un point fixe dans l’espace où déverser sa plainte. Il m’évacue ainsi de concert avec son petit-fils. L’échange est donc des plus aléatoires, mais donne en même temps une image probablement assez fidèle da la problématique de l’adresse de cet enfant et de la topologie familiale. Une séance si haute en couleurs que je finis par demander au grand-père de respecter un tour de parole, ou lui, ou l’enfant, mais pas les deux en même temps, chose qu’il finit par admettre, quoique difficilement. Son discours est logorrhéique et correspond par son style à l’agitation corporelle de son petit-fils.
Cette question des premières manifestations psychopathologiques est importante. Même si sur le plan de la structure et de la dynamique il n’y a pas de différence entre la psychose de l’adulte et celle de l’enfant, force est de reconnaître que dans leur manifestation, elles sont moins variées chez l’enfant. J’y distingue deux grands axes : l’agitation et l’automatisme mental, la recherche de bords par le mouvement et l’articulation anarchique et involontaire des représentants dans des expressions qui dépassent largement les fabulations habituelles du petit enfant et montrent que le refoulement secondaire n’est pas venu articuler les représentations en fantasme. Pour préciser la difficulté de la lecture de cette sémiologie, deux extraits de cas montreront les variantes de l’écriture sphérique par l’enfant. Le premier enfant a 3 ans ½, le second, 6 ans. Le premier garçon vient avec son grandpère, chez qui il vit. Celui-ci est visiblement dépassé par cet enfant dont il contient l’agitation en le sanglant dans une poussette. Je comprendrai vite qu’en effet, lâché, celui-ci se déchaîne, sautant comme un animal paniqué d’un côté du bureau à l’autre. Il a l’air de pouvoir marcher le long des murs. La seule façon de le contenir est de serrer fermement ses deux mains. Le mouvement stoppe alors net et il fixe mes yeux, d’un regard vide ou courroucé, difficile à dire, en m’intimant cet ordre étrange : « regarde-moi les yeux/dans les
Espace euclidien ou pas ? Accès maniaque infantile ou agitation maniaque ? Comment répondre alors que les grands syndromes des adultes n’ont jamais été évoqués en rapport avec la clinique infantile ? Faut-il renoncer à la lecture rigoureuse de signes, au motif que l’enfant est en pleine évolution ? Ne serait-ce pas la lecture du clinicien, forcément névrotique dans la plupart des cas, qui entrave le travail au lieu de le faciliter ?
Ce que celui-ci me lance à la figure est un message en direct, « regarde-moi (dans) les yeux ! », entendu certainement maintes fois chez lui. Son regard n’est pas adressé, en ce sens qu’il a plutôt l’air de me traverser, tout comme sa parole, du reste. On est loin du sujet qui reçoit son propre message de l’Autre sous forme inversée. Ce : « regarde-moi (dans) les yeux ! » est comme une éructation, un écho direct et retardé de ce qu’il doit entendre à la maison, lorsqu’il n’écoute pas. Ces yeux, ce regard exigé, quel statut, sinon celui d’un pur réel ? Quand le symbolique s’abolit, l’imaginaire et le réel s’équivalent, tout comme ces deux personnes se mettent à s’équivaloir dans une forme de miroir en écho. A défaut du miroir plan de la relation spéculaire, l’un est l’autre. Ce phénomène d’effacement de la subjectivité est rendu palpable par cette petite phrase
de l’enfant. Impossible de savoir de quoi il veut parler : l’objet œil, le regard, le regard de qui ? Une chose tient : « regarde-moi ». Mais si on la prend comme écholalie, cela ne serait pas un appel. Ce petit mot de jonction « dans », faisant l’objet de doute dans la transcription, est ce qui, à l’âge qu’a cet enfant, 3 ans ½, devrait être acquis et articuler logiquement une proposition. Le glissement de ce mot souligne la fragilité du statut de l’objet pour lui. Il y a un potentiel d’évolution, comme on le constatera assez rapidement après quelques séances avec lui. Mais sans aide, cet enfant ne peut pas s’en sortir. Cette agitation a la même structure de « fuite » que l’accès maniaque adulte, mais ne se situe pas dans le discours, elle est corporelle. Les enfants parlent avec leur corps quand ils n’ont pas les mots à leur disposition. Un accès maniaque ne veut pas dire manie. L’agitation est un signe et non un syndrome, encore moins une maladie. Pour autant, ce n’est pas une agitation névrotique. Pour ceux qu’on appelle maintenant les bipolaires, les oppositions ne tiennent plus, il manque l’écart. Il en va de même pour cet enfant. Les oppositions signifiantes ne tiennent pas. Dans la situation « ou bien – ou bien » avec le grand-père, l’un exclut l’autre, et un œil, un regard, vaut l’autre. Ce « dans » qui peut-être a fait défaut dans l’injonction qui m’est adressée, indique bien l’absence de vectorisation du désir et de la demande. Et d’ailleurs, même si le mot eût été prononcé, l’agitation furieuse met clairement en scène par l’oscillation d’un mur à l’autre, que les murs valent le sol. Pas de verticale, pas d’horizontale, un univers non euclidien. Ce « regarde-moi (dans) les yeux ! », concentre en lui ce que j’appellerais le trait du cas de cet enfant autour de la fragilité du statut d’objet. Il fait sphère avec ce grand-père désespéré. La manie comme la mélancolie ont une topologie sphérique : ici l’enfant se fait l’objet de l’Autre, est avalé ou s’en défend par l’agitation. Dans une relation qui va bien, la topologie est torique : un tore se glissant dans le trou de l’autre et leur surface de contact est le support aux représentations. Une parole est possible, un échange a lieu, des représentations s’articulent en de-
mande ou, refoulées, s’organisent en symptôme névrotique. Là, pas de refoulement secondaire pour cet enfant. Il n’y a pas de trou, ni pour l’un, ni pour l’autre. Pas de manque, pas d’échange ; ou alors, tout est trou, sans bord. L’organisation phallique n’existe pas pour l’enfant. Existe-t-elle pour le grand-père ? Cela m’apparaît comme une évidence : cet enfant qui se débat comme un beau diable se bat contre sa disparition dans la grande gueule de l’Autre, comme dirait Marcel Czermak en rappelant la formule de Binswanger. Etre avalé par le crocodile, comme l’enfant le craint dans cette même séance, est bien l’image de cet anéantissement. Il disparaît comme sujet et n’a même plus le statut d’objet séparé de l’Autre. Dans la topologie sphérique, l’objet qui est englouti n’a plus de contours spécifiables. L’enfant « est » symptôme, là où un autre, soumis à la loi phallique, « a » un symptôme. Pour que l’objet soit nommable, pour qu’il y ait du sujet qui s’adresse à l’Autre, il faut une découpe. Elle manque, ici. Les choses ne se présentent pas toujours de manière aussi radicale. Ce qu’il y a de troublant, c’est évidemment la question du discours. Tel enfant peut déjà s’adresser à nous avec un discours des plus élaborés, avec l’air le plus névrosé possible, puis brusquement se mettre à délirer. Quel statut a ce discours si compréhensible qui se troue brusquement ? Psychose ou névrose ? « Il n’y a pas plus névrotique que la prépsychose », dit Lacan dans Le Séminaire sur les psychoses, soulignant par là que de ce discours-là, le psychotique en dispose aussi, mais celui-ci n’a pas le même statut que pour le névrosé. Chez l’enfant, c’est particulièrement saisissant, parce que nous pouvons encore entendre comment il s’approprie en l’incorporant littéralement, mais sur un plan imaginaire, le discours de l’Autre ascendant. J’appelle ça le bilinguisme bleulérien. Là oui, cela fait symptôme. Parfois, nous l’entendons, comme un écho de la maison familiale. Parfois aussi, nous le voyons apparaître dans le dessin, comme dans le cas de cet enfant de 6 ans : Je vois ce garçon pour un problème de violence extrême, surtout avec sa mère. Les parents m’ont signalé par ailleurs des phé-
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nomènes peut-être hallucinatoires. Il lui arrive, alors qu’il est avec ses deux parents qui sont silencieux, de leur intimer l’ordre de se taire : « taisez-vous, et plus vite que ça ! » Parfois cette injonction est assortie d’insultes. Dans les commentaires sur les coups qu’il donne à la mère, il dit clairement que ce n’est pas lui qui tape, mais son corps. Il a une grande fascination pour tous les mécanismes physiques : suivre l’eau qui s’engouffre dans le trou du lavabo ou observer le café qui goutte de la machine à café l’entraînent dans une contemplation qui ne doit en aucun cas être interrompue, sous peine de crises clastiques. Nous connaissons les descriptions de Kanner à ce sujet. Seule avec lui, j’ai des échanges des plus calmes, quoique marqués par la réticence, avec un discours névrotique, bien construit. Je le laisse dessiner tranquillement, puis, quand le dessin est relativement avancé, voyant qu’il prend un temps important pour le faire, comme pour repousser le moment du commentaire et de l’échange avec moi, j’interviens, alors que l’enfant commente ce qu’il est en train de faire: E. : Le vert est celui qui sert le plus. E.-M. G. : Je voudrais qu’on parle un peu de ce qui se passe à la maison... Je sais que tu as tapé maman, tu te souviens ? E. : Je vais faire une herbe spéciale. (Gribouille brusquement, le trait fait le tour de l’arbre et de la fleur.) E.-M. G. : Je sais aussi que parfois tu dis « tais-toi » à tes parents qui ne comprennent pas très bien pourquoi tu leur dis ça, alors qu’ils se taisent. J’aimerais comprendre ce qui t’arrive. L’enfant continue comme si je n’avais pas parlé. Pendant qu’il dessine, il me jette par intermittence un regard, comme pour voir si je le regarde, puis se détourne - gêné, content ? Je lui fais remarquer : E-M. G. : Tu me regardes te regarder ? Pas de réponse. Il rit. Puis : E. : Je fais un labyrinthe. E.-M. G. : Ce n’est plus une herbe ? E. : C’est une herbe magique, au bout il y a une flèche.
E.-M. G. : Qu’est-ce qu’elle va faire ? E. : Tuer les méchants, tous les méchants. E.-M. G. : C’est qui ? E. : Un voleur... c’est du beige (prend un rose clair). E.-M. G. : C’est plutôt du rose, tiens je vais l’essayer sur ma feuille pour voir. Il fait deux lunes après avoir fait un nuage avec cette couleur. E.-M. G. : Tiens une lune en faucille et une lune pleine !.... Il va falloir bientôt terminer, la séance va s’arrêter. E. : ... Et un soleil... et je peux aussi faire de la pluie, comme ça il y a un arc en ciel. Il ne le fait pas. On en reste là pour cette séance. Quand on aborde le sujet délicat, le trait s’embrouille, tandis qu’auparavant, son dessin est très construit. La lune est dédoublée. Ce double style dans le dessin des enfants, comme le discours de pseudo-névrosés ou d’hyper-névrosés, troué par une brusque fuite des idées ou des idées délirantes, rappelle ce que dit Bleuler du discours du schizophrène. C’est un bilinguisme hélas involontaire. Ici, j’appelle « bilinguisme » l’apparition d’un dessin très élaboré pour l’âge qu’il a et sa cohabitation avec le gribouillage qui caractérisait les dessins du tout début du travail avec moi, un an plus tôt. Ces phénomènes sont précieux, parce qu’ils montrent vers quoi peut tendre un travail analytique avec un enfant psychotique : la structure ne peut pas changer, mais on découvre chez certains la possibilité d’articuler comme une suppléance, une figuration organisée, qui, cependant comme dans l’art brut, continue de coexister avec le chaos. Nous observons dans ce dessin le phénomène des fractales, fréquent dans des élaborations fines chez les enfants psychotiques. L’arbre comporte un grand cercle distendu en U en son centre, entouré comme une fleur d’une première série de cercles plus petits et enfin d’une troisième couronne de petits cercles figurant les feuilles. La même inclusion se note dans le cercle dans le tronc. C’est lorsque j’essaie de faire glisser l’échange vers les éléments difficiles dans sa vie quotidienne qu’il dessine son herbe magique qui encercle l’arbre et la fleur dans leur totalité.
Ce phénomène d’inclusion est sa réponse à ma question. En même temps, on note la présence de deux objets bien distincts, la fleur et l’arbre, séparés par le gribouillis qui les contourne prudemment. L’enfant ne sait pas compter à trois. Pour se compter pour UN comptable, il faut passer par le chiffre trois. Dans le discours de la mère, le père est disqualifié. Chez lui, idéal du moi et moi idéal subsistent sous forme de résidus ou d’ébauches, comme le dit Marcel Czermak1 à propos du discours maniaque, « des ébauches moïques sous forme interprétative, des ébauches imaginaires sous forme confabulatoire. » Regardons ce qui peuple le ciel du dessin de cet enfant : un soleil qui coexiste avec deux lunes. Entre les deux, un nuage. A défaut de S(Ⱥ), pas de point fixe auquel se référer. Les objets a sont libérés, se dédoublent comme la lune ou se rédupliquent à l’infini en fractales comme l’indique la structure de cet arbre. A propos de la manie, Marcel Czermak note : « Le maniaque n’est pas à la fête, contrairement à ce que l’on nous a appris, parce qu’il est livré au festin de l’Autre, le grand, qui bouffe d’une étrange bouche, puisqu’elle est aussi son œil qui le regarde et qui le chie. »2 Ce n’est peut-être pas sans raison que cet enfant agresse l’autre qu’il vit comme menaçant. L’inclusion circulaire que j’ai soulignée sur le dessin de l’enfant en question est bien la figuration de l’absence de séparation : l’enfant est inclus dans l’Autre. Dans une formation torique, les deux tores sont séparés et se touchent à l’intersection des deux tores enchevêtrés. Ces points de contact sont autant de figurations de ce que veut dire d’être confronté au manque dans l’Autre. Ce sont autant de possibilités de répondre par une représentation à ce que le sujet en perçoit, ou un symptôme en réponse à la représentation refoulée. Pour le névrosé, le message lui revient de l’Autre sous forme inversée. La demande vient en réponse au désir/à la demande, supposés de l’Autre. Il y a deux places subjectives, correspondant à « tu es mon fils, je suis ton père/ta mère », dans la relation torique. Rien de tel pour l’enfant du dessin qui colle de manière kleinienne père et mère dans une seule entité qu’il cherche à faire taire par l’injonction : « tais-toi ! », criée au singulier. Une relation sphérique ne connaît ni vide ni bord. Le trop plein de vide est sans bord. Rappelons-nous l’idée d’énormité dont parle Cotard à propos du syndrome mélancolique qui porte son nom. Le bord s’éloigne à l’infini. L’enfant en question le sait, c’est pour fuir ce danger qu’il assortit ses injonctions non seulement d’un serpentin d’insultes, mais aussi d’un « et tout de suite ». L’action et le sujet se confondent en un seul point : l’énormité se réduit à rien. Le temps s’abolit. Il est intéressant de noter la différence qu’il y a entre ce point qui figure le « rien » de la subjectivité, ou du moins sa menace, et le point d’appui de la névrose. Dans cette dernière, c’est ce sur quoi le névrosé revient dans la répétition. $ <> a, le fantasme, tient. L’absence de point d’appui signe la psychose, la disparition de $ <> D, de la demande. Serait-ce parce qu’ils assistent parfois en direct à ce qui s’articulera plus tard en délire que les praticiens de l’enfance rechignent à nommer la question de la psychose ? Les débats restent vifs et passionnés. Après tout, en bon névrosé, on dispose de la dénégation. On va laisser le temps à ce petit, ça va se faire ! Non, l’urgence est actuelle. Dans l’anamnèse d’un psychotique adulte, combien de fois, les phénomènes élémentaires d’une psychose sont décrits dès le plus jeune âge et relevés comme significatifs... dans l’après-coup. L’autopsie est possible, mais assister au fait même reste insupportable. Pourtant, ce n’est pas un crime, mais un malheur infini pour l’enfant comme pour ses parents. Eva-Marie Golder
1 M. Czermak, Patronymies, éd. Érès, 2012, pp. 168-169 2 Ibidem, p.170
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A.L.I.ENISTES
En écho - le terme est de circonstance - au texte d’Eva-Marie Golder, voici le seul article de de Clerambault qui interroge la présence de l’automatisme mental dans le champ de l’enfance. Vous le retrouverez dans la réédition des Œuvres psychiatriques de G. G. de Clérambault (Frénésie Éditions 1998). Il pose notamment la question, toujours délicate et et non résolue à ce jour, du statut de l’hallucination chez l’enfant G. DE CLERAMBAULT, « A PROPOS D’UN CAS D’AUTOMATISME MENTAL POST-ONIRIQUE CHEZ UN ENFANT » (intervention de 1926). « AUTOMATISME MENTAL SUCCÉDANT À UNE INFECTION ACCOMPAGNÉE D’ONIRISME CHEZ UN ÉPILEPTIQUE DE 12 ANS. C’EST UN BONHOMME QUI PARLE : « IL DIT DES MOTS ET JE SUIS OBLIGÉ DE LES RÉPÉTER. IL NE DIT PAS DE MOTS GROSSIERS NI DE CHOSES DÉSAGREABLES, IL NE RÉPÈTE PAS TOUJOURS LA MÊME CHOSE ; IL CHANTE, CE NE SONT PAS SEULEMENT DES AIRS, IL PRONONCE DES PAROLES ; IL DONNE DES CONSEILS : ‘APPRENDS TES LEÇONS, DÉPÊCHE TOI D’ECRIRE’. ALORS JE ME DÉPÊCHE ET J’ÉCRIS MAL. » PARFOIS L’ENFANT ÉCRIT MALGRÉ LUI. MAIS S’IL EXISTE DES HÉTÉRO-IMPULSIONS, IL N’Y A PAS DE PHÉNOMÈNES D’ARRÊT. L’ENFANT ENTEND CES VOIX PAR LES OREILLES, NON DANS LA TÊTE. J.F. » Ce cas infantile constitue un spécimen rare. On y voit, en période absolument lucide, un syndrome de petit automatisme (ou de passivité) très incomplet, mais suffisamment comparable à l’automatisme mental d’un sujet adulte. Ce syndrome mécanique est issu d’un onirisme. Le syndrome ici se compose d’un mentisme paroxystique avec sentiment de hâte, d’un entraînement psycho-moteur et d’hallucinations psychiques ou auditives alliées à la motricité : le sujet s’entend commander ce qu’il est déjà porté à faire. Il n’y a pas d’écho de la pensée, ni même d’énonciation des actes, mais les ordres entendus représentent nettement un écho des intentions. Je fais des réserves sur le degré du caractère auditif. J’en fais aussi sur la solidarité (du
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moins actuelle) entre phénomènes visuels et auditifs : il est possible que l’enfant, lorsqu’il entend parler le vilain bonhomme, se le représente avec une extrême intensité (d’autant plus qu’il est aidé en cela par le souvenir) sans être véritablement halluciné. Je n’ai pas voulu approfondir trop rapidement, de peur de fausser les réponses. Pouvons-nous reconnaître dans ce cas, par rapport aux règles habituelles des processus hallucinatoires, des conformités ou des traits originaux ? Le syndrome mécanique n’est ici apparu que quand les troubles oniriques eurent disparu. C’est là un premier trait normal. D’un bout à l’autre de la pathologie mentale, il y a antagonisme et souvent balancement entre d’une part l’automatisme mental subtil et d’autre part les hallucinations banales (thématiques et objectivées). Les périodes oniriques ne présentent pas d’écho. De même l’écho est absent dans le rêve, tant pathologique que normal, dans l’hypnagogisme, dans les cas toxiques dépassant le subaigu, dans les confusions, les catatonies, les formes nettement démentielles. Il n’y a guère coexistence des deux syndromes antagonistes que dans des vésanies à la période d’état et dans des états transitoires sur fond organique (ictus, P.G1 ., etc.). Notre psychose infantile est conforme à cette règle, règle approximative d’ailleurs, bien entendu. L’enfant fait actuellement un genre de délire non conforme aux règles de son âge. Un automatisme mental proprement dit ne se constate généralement pas avant 20 ou mieux 25 ans ; encore affecte-t-il alors des nuances spéciales (voir Pratique Médicale, juin 1926, A., p. 263). Régulièrement les délires de l’enfant sont généraux, de même que ses démences sont massives (voir Pratique Médicale, mai 1925, A., p.188 et Société Clinique de M. M., déc. 1923, p. 322 sq.). Toutefois, dans l’exception il reste à quelques égards. Le délire des sujets jeunes est toujours amplement moteur et psycho-moteur ; de même, généralement, le délire des sujets frustres2 . Chez les sujets frustres, l’écho de la pensée est remplacé par l’écho anticipé des actes, les ordres, l’énonciation des gestes qu’on pourrait appeler les formes pauvres de l’écho. Si cet enfant n’a pas d’énonciation des gestes, peut-être est-ce parce qu’à son âge l’autoscopie n’est pas suffisamment développée (du moins hors des moments de rêverie orgueilleuse), peut-être est-ce pour des causes plus profondes. Par son écho des intentions cet enfant se rapproche des subaigus alcooliques ; en effet, chez ces derniers, l’écho des intentions prime de beaucoup l’écho de la pensée (inconstant) et même l’énonciation des actes (presque constante). Ce délire infantile se rapproche des délires toxiques subaigus sous trois rapports : inspiration motrice, écho des intentions, mentisme. Une autre analogie encore serait le fait d’hallucinations combinées (auditives et visuelles ensemble) si ce fait était confirmé. Il se pourrait que les synesthésies intersensorielles fussent dans les aptitudes des délires infantiles de même qu’elles sont dans les habitudes des délires toxiques. Si des cas de ce genre se multipliaient, on pourrait en déduire quelques règles générales concernant le syndrome de passivité chez l’enfant ; les commentaires ci-dessus ne sont que provisoires. Les atteintes psychiques systématiques de l’enfance seront, croyons-nous, toujours rares, les obsessions seules exceptées. Moreau de Tours Fils (Folie chez les enfants, 1888) cite plusieurs enfants obsédés. Il rapporte d’autre part deux psychoses infantiles, d’un mode absolument adulte, que voici : Un écolier de 11 ans se plaint de ce qu’on lui envoie « de mauvaises pensées » (sic - probablement hallucinations psychiques) pour l’empêcher d’apprendre ses leçons. Un enfant de 6 ans et demi entend subitement dire qu’il va être mis en prison ou mourir, que ses parents vont mourir, etc. ; il court alors auprès de sa mère, il dit que personne n’a parlé et que la voix siège dans sa tête. Le devenir de ces enfants n’est pas indiqué.
1 P. G. : annotation médicale courante pour « paralysie générale » (n.d.l.r.). 2 frustre (sic) : erreur courante, amalgame entre fruste et rustre (n.d.l.r.).
ESCALE à QUITO
Nos collègues de Quito inaugurent la rubrique « Escale à... » du Journal de Bord, soulignant ainsi la valeur des échanges, de part et d’autre de l’Atlantique, entre tous ceux qui sont attachés aux enseignements de l’Ecole psychanalytique de Sainte-Anne. Ivan Sandoval Carrion, psychiatre et psychanalyste, membre de a...b...c...dario Freud ↔ Lacan et de l’Association Lacanienne Internationale, nous propose une histoire parallèle de la psychiatrie et de la psychanalyse en Equateur, soulignant les enjeux actuels de l’instauration de liens durables entre les deux disciplines. Notre jeune collègue Ana Maria Cardoso, membre de la Letra, ayant participé à l’organisation du colloque intitulé « Les questions sur l’objet » qui s’est déroulé à Quito en avril 2014, nous propose quant à elle un retour sur ces journées particulièrement stimulantes.
Entre ours et baleines Notes sur la psychiatrie et la psychanalyse en Equateur. Il n’y a pas de « rapport psy » entres les psychiatres et les psychanalystes en Equateur. Il n’y a pas d’égalité ni d’équivalence entre le « psy » des uns et le « psy » des autres. Ceci ne devrait cependant pas empêcher des échanges fructueux entre les praticiens de chaque champ clinique. Si la psychanalyse a défini l’objet de sa pratique clinique depuis Jacques Lacan, ce n’est pas le cas de la psychiatrie, même s’il se déduit du discours tenu par les psychiatres qu’ils se réfèrent à la notion de mental. Au-delà des différences conceptuelles propres aux pratiques psychanalytiques et psychiatriques, les espaces de rencontre, d’échange et de dialogue entre ces disciplines n’ont, à l’exception de quelques événements isolés, jamais eu lieu de manière régulière dans notre pays. La situation rappelle l’expression de Freud dans le chapitre V de « L’homme aux loups » : l’ours blanc et la baleine ne peuvent pas se déclarer la guerre, car chacun est limité par son propre élément. Les psychiatres et les psychanalystes équatoriens ne peuvent pas se déclarer la guerre, car les uns comme les autres sont limités par leurs « écosystèmes ». Ceci ne les empêche pas d’entretenir occasionnellement des escarmouches indirectes par le biais de leurs étudiants et de leurs patients. Ils ne parlent qu’occasionnellement entre eux de leurs cliniques respectives, de leurs malades et de leurs fous. Ils n’échangent que dans le cadre de leurs pratiques privées parce qu’il n’existe pas de lieux pour un véritable dialogue : ni dans les institutions hospitalières, ni dans les universités, ni dans les groupes concernés, ni dans les médias. Bien que plusieurs raisons expliquent cette non-rencontre, celles-ci sont liées aux différences concernant l’origine, l’histoire, le développement et l’actualité de la psychiatrie et de la psychanalyse en Equateur. Examinons donc ces antécédents. La psychiatrie équatorienne naît au XVIIIème siècle, au moment de l’inauguration de
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l’Hospice San Lazaro à Quito. Créé dans un couvent abandonné à la suite de l’expulsion des jésuites de notre continent, ce bâtiment a d’abord hébergé des marginaux de la société de Quito : des orphelins, des lépreux, des épileptiques, des mendiants, des personnes âgées, des alcooliques, des infirmes… et des fous. C’est plus récemment, depuis la moitié du XIXème siècle puis l’élaboration de notre constitution comme république indépendante, qu’il a été décidé que San Lazaro, serait exclusivement destiné aux malades mentaux. A Guayaquil, l’histoire commence un siècle plus tard : ce n’est que dans l’année 1890 qu’a été créé l’hôpital Lorenzo Ponce (ainsi nommé en l’honneur d’un philanthrope qui n’était pas psychiatre) destiné aux patients atteints de troubles mentaux. Il est significatif qu’il y a une décennie les autorités de l’hôpital de Guayaquil (qui ne dépendait pas de l’État Équatorien mais des aides locales) aient décidé de changer le nom de cet hôpital en « Institut des Neurosciences ». En dépit des différences entre Quito et Guayaquil, dans les deux cas le soin des fous a pendant longtemps été confié aux ordres religieux hospitaliers, à la charité et au bénévolat avant d’être confié à l’Etat. Cela explique que la présence médicale, ainsi que le discours et la clinique qui lui sont propres, n’ont pu que tardivement occuper une place importante dans les institutions. C’est pourquoi c’est seulement au début du XXème siècle que le terme de « psychiatrie » commence à être utilisé dans ces hôpitaux et dans les universités de médecine des deux villes les plus anciennes et les plus importantes d’Equateur, au moment où quelques médecins voyagent en Europe pour faire des observations et des stages dans les hôpitaux psychiatriques. En réalité, l’histoire de la psychiatrie à proprement parler dans notre pays a approximativement cent ans d’ancienneté. En outre, l’État équatorien n’a pris de manière responsable et progressive la charge de patients atteints de folie qu’à partir de la première moitié du siècle dernier. Il s’en est suivi que, dans notre pays, jamais n’a été promulguée une loi comme celle du 30 juin 1838 en France. La prise en charge des patients malades mentaux n’a jamais été une priorité pour la société équatorienne et pour aucun gouvernement. Ce n’est qu’à partir du début des années 70 et grâce à l’initiative de certains ministres de la Santé, qu’il a commencé à être question de projets, de programmes et de plans nationaux de santé mentale, qui n’ont pas pu modifier d’une manière profonde
la structure et le fonctionnement de nos asiles les plus connus. L’année dernière un Plan National de la Santé Mentale a été lancé avec un certain bruit mais il est, depuis, resté figé dans les textes. Par ailleurs, l’antipsychiatrie n’est jamais arrivée en Equateur. Ce n’est que depuis 20 ans que des unités de psychiatrie ont été créées dans nos hôpitaux généraux les plus importants et les modalités alternatives de soins aux malades chroniques, comme les « hôpitaux de jours », n’ont commencé à se mettre en place récemment dans l’Institut de Neuroscience de Guayaquil que depuis quelques années. Dans la formation de nouvelles générations de psychiatres, il n’y a plus d’intérêt pour la connaissance des auteurs classiques des écoles européennes et la référence directrice est, d’une part la psychiatrie actuelle nord-américaine et la nosographie du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders), et d’autre part la CIM (Classification Interactionnelle des Maladies). L’actualisation des connaissances des psychiatres équatoriens reste fondée sur la connaissance de la bibliographie psychiatrique et neuroscientifique la plus récente ainsi que sur la mise à disposition et la prescription de la pharmacologie moderne des médicaments approuvés par la FDA (Food and Drug Administration) nord-américaine, sans jamais s’appuyer sur une réflexion et un questionnement régulier de notre pratique et de son articulation sociopolitique. Les psychiatres équatoriens sont devenus - en partie - « otages » de l’industrie pharmaceutique. Notre clinique psychiatrique est devenue une technologie du diagnostic et de la prescription pharmaceutique. Nous sommes corrélativement dans une société dans laquelle arrivent de manière instantanée les derniers « gadgets » des télécommunications vendus en Asie, Europe et en Amérique du nord. Cependant, les transformations sociales, économiques et politiques qui ont lieu ailleurs ne sont pas à l’ordre du jour dans notre pays, ce qui détermine un retard au niveau de notre institution psychiatrique, de la responsabilité de notre société dans sa relation avec les malades mentaux comme de la préoccupation de l’Etat. La conséquence de cet ensemble est que « l’écosystème » des psychiatres équatoriens se limite au trépied : institution psychiatrique depuis un certain temps - et l’hôpital général depuis peu - ; consultations privées et enseignement universitaire dans les facultés de médecine. Au niveau des hôpitaux publics, la psychiatrie fonctionne comme « une cli-
nique psy pour prolétaires ». L’histoire de la psychanalyse en Équateur est plus récente. Ses origines ne sont pas cliniques, mais plutôt liées aux romanciers et intellectuels qui se sont intéressés à la lecture des textes freudiens, dans les premières décennies du siècle dernier. En septembre 1939, la nouvelle du décès de Sigmund Freud a donné lieu à la publication d’écrits nécrologiques, dans des journaux locaux, de la part d’écrivains et de philosophes mais pas de psychiatres. Entre 1930 et 1940, certains psychiatres équatoriens importants, comme Julio Endara, se sont intéressés à la lecture des textes freudiens, sans que cela n’implique un véritable choix en faveur de la psychanalyse. Depuis des décennies, les médecins n’ont ici aucun intérêt pour la psychanalyse, qu’ils considèrent comme un procédé obsolète et dépassé par la supposée efficacité des médicaments psychotropes et de la thérapie cognitivo-comportementale qu’ils estiment être la seule psychothérapie scientifique. Chassé du territoire médical depuis bien longtemps, bien qu’il ne s’y se soit jamais vraiment inscrit, l’intérêt pour la psychanalyse a débuté chez les psychologues et dans l’enseignement universitaire de la psychologie dans les années soixante. Ce n’est qu’autour de 1980 qu’un vrai travail clinique psychanalytique commence, avecl’arrivée d’un psychanalyste argentin de l’IPA et de deux ou trois analystes analysés et formés en France dans le cadre de l’enseignement de Jacques Lacan. Actuellement, quelques groupes psychanalytiques peu nombreux se maintiennent et ne se développent que lentement en Equateur : à Quito, un groupe psychanalytique est lié à l’IPA (International Psychoanalitic Association), il travaille pour sa reconnaissance en tant qu’association psychanalytique, selon les principes concernant cette association internationale ; il existe un groupe néo-kleinien dont les activités ne sont pas très étendues ; trois autres groupes ont une relation transférentielle avec l’ALI (Association Lacanienne Internationale) et sont coordonnés par des membres de cette association (a..b..c..dario Freud↔Lacan, La Letra et Psychoanalisis y Sociedad) ; un groupe formé depuis peu est lié à l’orientation lacanienne de Jacques-Alain Miller, et enfin le groupe lacanien le plus ancien du pays, l’EFE (Escuela Freudiana de Ecuador) dont les activités ne me sont pas connues. A Guayaquil il n’y a pas de groupe en relation avec l’IPA, le groupe lacanien le plus ancien de cette ville
(EFE) est en lien direct avec Quito et il existe un groupe d’analystes d’orientation millerienne assez nombreux, NEL (Nueva Escuela lacaniana), qui maintient une présence importante à l’Université et qui garde un master officiel à l’Universidad Catolica de cette ville. La NEL de Guayaquil a des membres associés qui se trouvent dans d’autres villes plus petites, comme Cuenca et Ambato. En 30 ans d’histoire, les psychanalystes équatoriens n’ont pas pu établir et soutenir une présence significative, ni dans les institutions médico-psychiatriques, ni dans les hôpitaux généraux. Le trépied qui a déterminé « l’écosystème » des psychanalystes équatoriens est formé par : les groupes psychanalytiques (bien que beaucoup d’analystes préfèrent la commodité et l’absence de compromis d’une position freelance), les consultations privées et l’enseignement universitaire lié aux facultés de psychologie (la psychanalyse s’étant constituée comme une citadelle des psychologues). Pour l’imaginaire social le mieux informé, la psychanalyse est « une clinique psy pour la bourgeoisie et les universitaires ». Néanmoins, cette situation est en train de changer : la psychanalyse commence à perdre sa place dans les universités de psychologie, par décision des autorités gouvernementales qui régulent les universités équatoriennes sous le régime actuel du gouvernement du président Rafael Correa. Ces autorités ont décrété une standardisation de l’enseignement de la psychologie dans toutes les universités d’Equateur autour de la psychologie cognitivo-comportementaliste, éliminant ainsi toute autre orientation au niveau du premier cycle. Si jusqu’à nos jours, les groupes psychanalytiques équatoriens ont pu se développer et s’étendre auprès de jeunes psychologues qui se sont intéressés à Freud et à Lacan à partir de ce qu’ils en avaient entendu et appris à l’Université, que va devenir alors la psychanalyse en Équateur ? Cette conjoncture nous conduit à nous interroger sur la responsabilité des psychanalystes équatoriens, concernant la transmission et le destin d’une clinique psychanalytique dans notre pays. Nous n’avons pas établi une présence définitive de notre clinique dans les institutions de santé, notre discours ne les intéresse pas et n’est pas convenable pour l’État équatorien ; notre travail n’est pas socialement connu ni ancré dans la société ; notre goût exagéré pour la pureté du discours psychanalytique et notre « horreur de sa banalisation » a régulièrement empêché notre participation à des débats sociaux et univer-
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sitaires ; nous ne rendons pas compte de notre clinique vers l’extérieur mais, bien souvent, pas davantage vers l’intérieur ; nous ne dialoguons pas avec les psychiatres, nous ne recevons de patients adressés en consultation que par des médecins avec qui nous avons un contact plus personnel et nous sommes sur le point d’être chassés de l’Université comme l’ont été les jésuites au XVIIIème siècle, par disposition du monarque espagnol. Qu’allons-nous faire ? Le fait d’avoir eu une formation médicale puis psychiatrique et ultérieurement une formation et une pratique psychanalytique, constitue une exception en Equateur. Cela me conduit à une responsabilité complexe du fait d’être mis dans la position du « psychiatre de tête » pour certains de nos collègues psychanalystes (dont la majorité sont ici des femmes) et du « psychanalyste de tête » pour nos amis médecins et psychiatres. Une responsabilité, qui ne se limite pas à l’attention à accorder à ces demandes (celles de nos collègues et celles qui en découlent). Une responsabilité qui dépasse le privilège d’avoir une position de réflexion concernant ces deux histoires, développements et actualités si différents des psychiatres et des psychanalystes et de leur impossible rencontre dans notre pays. Une responsabilité qui s’interroge sur la non-relation entre ours et baleines. Il ne s’agit pas d’inventer une conciliation, mais de construire une interlocution possible, jusqu’aujourd’hui toujours évitée. Une interlocution qui ne saurait être soutenue et proposée que par des psychanalystes, puisqu’elle n’intéresse pas les psychiatres qui, pour certains d’entre eux, se contentent d’adresser leurs patients « peu commodes » aux psychanalystes qu’ils connaissent. Parfois, dans notre milieu psychanalytique, nous entendons certains de nos collègues soutenir, sur le mode de l’aphorisme, que « la psychanalyse n’a pas besoin de l’Université », ou que « la psychanalyse n’a pas besoin de la psychiatrie », sans compter ceux qui se comportent comme si « la psychanalyse n’avait pas besoin de la psychanalyse ». L’interlocution avec les psychiatres est nécessaire ou au moins utile pour le destin de la psychanalyse équatorienne. Pour proposer cet échange et le maintenir, il est nécessaire de renforcer les groupes psychanalytiques et leur fonctionnement en tant qu’écoles, de surmonter le désaveu que nous nous sommes auto-imposé depuis 30 ans, de renoncer à la jouissance du freelance qui se limite à « picorer » un peu d’enseignement ici et là, de se confronter à l’inhibition à l’écriture et au témoignage de notre pratique, d’éviter que l’association psychanalytique ne fonctionne comme un ghetto qui apporte sécurité et adhésion au détriment d’un isolement pas si « splendide » au regard de celui du premier Freud, de rompre avec notre silence sur les grands débats de société, de maintenir les échanges réguliers avec les collègues étrangers, de soutenir notre responsabilité de transmission et de dépasser l’auréole « d’intellectuels » qui entoure la psychanalyse dans les milieux universitaires équatoriens, dont le destin de jouissance est le dilettantisme. Tout cela implique que nous puissions nous interroger sur notre propre analyse, sur la clinique que nous soutenons, comme sur le destin de nos transferts, ce qui n’est possible qu’à la faveur d’un travail avec d’autres à l’intérieur d’une école. La rencontre avec les psychiatres conduira à un questionnement et nous renverra à une réflexion régulière sur les fondements de notre pratique et sur ce que nous soutenons de notre propre clinique et de notre responsabilité au regard de nos analysants et de la psychanalyse elle-même. Ivan Sandoval Carrion Médecin psychiatre, psychanalyste Membre de l’a..b..c..dario Freud <->↔ Lacan Membre de l’Association Lacanienne Internationale. Quito, février 2015 (Traduction Maria-Paz Flores et Nicolas Dissez.)
Les questions sur l’objet (Colloque 2014) En tant que membre du groupe psychanalytique La Letra d’Équateur, j’ai eu l’opportunité de participer à l’organisation du colloque 2014 intitulé Les questions sur l’objet. Cette organisation a commencé au début de l’année 2013. Tous les membres du groupe ont été très stimulés par la venue de nos collègues étrangers et par la perspective de participer à cet échange. Les attentes suscitées par ce colloque chez les “proches” de la psychanalyse à Quito étaient importantes. À notre grande surprise, une semaine avant l’ouverture du colloque le nombre de pré-inscrits atteignait le nombre de places disponibles, alors qu’en Equateur l’habitude est plutôt de s’inscrire le jour même de l’événement. Ce fait nous a confirmé l’attente liée aux échanges de cette réunion de travail. Du fait de cette forte demande, certaines personnes n’ont pu écouter nos collègues venus de l’étranger et, en dépit de leur déception, nous y avons vu une forme d’encouragement qui nous montre que le mouvement psychanalytique en Equateur n’est pas aussi réduit que nous le pensions. Il est tout à fait remarquable que la plupart des participants aient été des jeunes étudiants universitaires, ce qui nous confirme la présence d’esprits avides de savoir concernant la psychanalyse. Ici commence notre deuxième défi après cette rencontre : publier, dès que possible, les actes de ce colloque qui a confirmé l’importance de la formation des psychanalystes organisée par les groupes en relation de transfert avec l’Association Lacanienne Internationale à Quito. Comme Angela Jesuino a pu l’évoquer dans son introduction, le titre proposé à cette occasion - Les questions sur l’objet - se réfère à un travail qui a été entrepris il y a plusieurs années avec les collègues d’Amérique latine (cet échange a été initié dès 2002 dans plusieurs pays). D’emblée, ces rappels par Angela Jesuino nous montrent que le travail sur l’objet est loin d’être simple et qu’il justifie d’être constamment repris. C’est pourquoi les jeunes étudiants peuvent conclure que c’est un concept qui ne peut jamais être tenu comme acquis, compris à l’aide d’une simple définition ou grâce à un colloque comme celui-ci. Qu’est-ce que l’objet ? En quelques mots, et comme il est enseigné dans les classes à l’université aux étudiants de psychologie : « l’objet petit a est l’objet cause du désir ». Mais le désir ouvre sur une série d’autres concepts en psychanalyse, comme le manque, la langue et d’autres, qui sont primordiaux dans le travail analytique. L’objet ouvre sur une série de questions qui ont été à l’origine des nombreuses interrogations du public. L’échange qui a eu lieu au cours de ce colloque a permis d’entendre les expériences et lectures de chacun sur l’objet a. Avec ce travail sont suscitées et se propagent d’autres interrogations - qui sont la psychanalyse elle-même. Il ne s’agit pas de répondre à toutes les questions ni de se satisfaire d’une conférence. Les questions qui se posent ne cessent de se renouveler et, à l’inverse de ce que l’on pourrait penser, sans être jamais résolues une fois pour toutes. Nous arrivons ainsi à parler du manque tel qu’il fonctionne dans le désir de connaissance. C’est grâce à cette incomplétude que notre statut est réaffirmé de sujets désirants. Pour l’objet petit a, le désir est construit à partir du désir de l’Autre, donc par le biais d’une faille. Il y a encore des questions sur l’objet, ce qui nous motive à continuer à travailler. Comme l’a indiqué Charles Melman dans sa vidéo-conférence, c’est précisément l’absence de l’objet qui nous interroge, et il est vraiment difficile sinon impossible de répondre définitivement à cette question : « qu’est-ce que l’objet ? » Enfin, je veux vivement remercier tous les collègues qui nous ont honorés de leur présence et ont rendu possible cet échange de travail. Sans eux, ce colloque n’aurait pas eu le courage et la qualité qu’il a eus. Il est vraiment gratifiant d’écouter tous les commentaires positifs et enthousiastes des étudiants et des professionnels qui ont eu l’opportunité de participer à ce colloque. Cela nous encourage vivement et nous engage à continuer ce travail. Ana-María Cardoso Groupe “La Letra”, Quito, Juin 2014
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APOLOGUE S i s o n S é m i n a i re a l a ré p u t at i o n d ’êt re d e l e ct u re d i f fic i l e , Jacq u e s L a ca n s a i t ra s s e m b l e r, s u r u n m o d e tout à fai t acce s s i b l e et re m a rq u a b l e m e nt co m p a ct , l e s enjeux e s s e nti e l s de s o n e ns e i g ne m e nt d a ns u n ce r t a i n nom bre de s i tu ati o n s q u e s a u ro nt re co nna î t re s e s l e cte u r s habi tu e l s . « Le p ot d e m o u t a rd e » , « l a m a nte re l i g i euse », « l a b o i te de s a rd i ne » o u « l’o s d a ns l a g u e u l e d u cro co di l e » co n s t i t u e nt a u t a nt d e ce s s cè ne s q u e Ja cques L ac an ap p e ll e l u i - m ê m e s e s a p o l o g u e s et d o nt le sty le n e s e mb l e p a s avo i r d ’é q u i va l e nt p a r m i s e s co ntem po rai n s . L’e n j e u de cet te r u b r i q u e e s t d e m o nt re r l a va leur d e ce s ap o l o g u e s e n ce q u ’ i l s s e m o nt re nt d a ns l e m êm e te mp s d’u n a b o rd a i s é p o u r cha cu n, to u t e n étant en p arfai te adé q u at i o n ave c ce q u e l’o n p e u t at te nd re d ’ un e n s e i g n e me nt d e l a p sycha na lys e .
La moitié de poulet ou la division du sujet Parmi la longue liste des apologues de Jacques Lacan mettant en scène différents animaux, la moitié de poulet tient une place importante. Elle vient en effet rendre compte de cette notion essentielle à son enseignement qu’est la division du sujet. Cette moitié de poulet est, là encore, tirée de l’histoire personnelle de Jacques Lacan, puisqu’il s’agit d’un conte extrait de son premier livre de lecture. Cette évocation intervient au cours de son Séminaire, L’envers de la psychanalyse, alors qu’il rapproche les notions d’envers et de vérité : « Envers assone avec vérité. (…) Seulement, la vérité n’est pas, même dans notre contexte, d’un accès facile. Comme certains oiseaux, de ceux dont on me parlait quand j’étais petit, cela ne s’attrape qu’à ce qu’on lui mette du sel sur la queue. Ce n’est pas facile. Mon premier livre de lecture avait pour premier texte une histoire qui s’appelait Histoire d’une moitié de poulet. C’était vrai, c’était de ça qu’il parlait. Ce n’est pas un oiseau plus facile à attraper que les autres quand la condition est de lui mettre du sel sur la queue… Ce que j’enseigne, depuis que j’articule quelque chose de la psychanalyse pourrait bien s’intituler « Histoire d’une moitié de sujet ». Où est le vrai du rapport entre cette histoire d’une moitié de poulet et l’histoire d’une moitié de sujet ? On peut le prendre sous deux angles. On peut dire que l’histoire de ma première lecture a déterminé le développement de ma pensée comme on dirait dans une thèse universitaire. Ou bien, point de vue de la structure, l’histoire de la moitié de poulet pouvait bien représenter pour l’auteur qui l’avait écrite, quelque chose où se reflétait je ne sais quel pressentiment, non pas de la sychanalisse comme on dit dans Le paysan de Paris, mais de ce qu’il en est du sujet. Ce qu’il y a de certain c’est qu’il y avait aussi une image. L’image de la moitié de poulet était le profil du bon côté. On ne voyait pas l’autre, la coupée, celle où elle était vraisemblablement, la vérité, puisqu’on voyait sur la page droite la moitié sans cœur, mais pas sans foie sans doute, dans les deux sens du mot. Qu’est-ce que cela veut dire ? C’est que la vérité est cachée, mais elle n’est
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peut-être qu’absente. »1 Puisqu’il s’agit de la découverte de la lecture par Jacques Lacan, soulignons qu’il propose donc deux interprétations – deux lectures – de l’impact qu’aurait eu sur lui cette moitié de poulet. La première interprétation serait celle que nous proposerait une lecture psychogénétique : c’est le fait historique, contingent donc, d’avoir eu comme premier livre de lecture une histoire qui relatait la vie d’une « Moitié de Poulet » qui aurait conduit Jacques Lacan à théoriser l’importance de cette division dans la vie de chacun. Cette lecture, qui rend notre histoire responsable de nos déboires, est notre recours explicatif le plus immédiat. On sait qu’elle n’a guère les faveurs de Jacques Lacan. La seconde interprétation est structurale : l’auteur du conte, Jean Macé, aurait eu la prescience d’un fait de structure : l’impossibilité pour le sujet de se présenter le monde, les objets du monde mais également lui-même, sur un mode complet. Jacques Lacan aurait gardé la trace de cette intuition de l’auteur du récit. L’élément supplémentaire et essentiel réside dans la présence des illustrations qui étaient associées au texte du conte. Jacques Lacan aurait d’autant plus gardé la trace de cette intuition de Jean Macé, que les illustrations qui accompagnent le récit en donnent la clef. Ces illustrations montrent en effet ladite « Moitié de Poulet » (avec des majuscules dans le livre de lecture) toujours sous le même profil. Ces illustrations ont ainsi le mérite de souligner que toute représentation ne peut jamais figurer que la moitié de son objet. Notons que si ce poulet avait été représenté constamment de face, nous ne l’aurions pas plus vu dans sa complétude, le dos restant invisible, il aurait tout autant justifié de son appellation de « Moitié de Poulet ». Ce fait souligne que notre pensée (on dit aussi notre représentation du monde) est effectivement prise dans cette dimension de la représentation et de ses contraintes. Le recours à la pensée, qui ne peut que se soutenir de la dimension de l’image, nous empêche irréductiblement d’avoir une appréhension complète du monde comme de nous-même. Nous restons divisés entre cette représentation et un reste qui y échappe irréductiblement. Soulignons que ce reste qui manque à la représentation, nous l’identifions régulièrement à la vérité. Si toute représentation du monde nous apparaît toujours sur le registre du semblant, 1 J. Lacan, Le séminaire, Livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Ed. du Seuil, p 63.
c’est qu’elle nous semble toujours avoir son envers, que nous appelons alors vérité. Toute représentation nous paraît avoir sa vérité cachée. Ce que l’on appelle régulièrement l’envers des cartes. Seulement cette vérité ne se dit jamais qu’à moitié, ce qui fait qu’une fois la carte retournée, elle rend compte d’une nouvelle représentation, d’un nouveau semblant dont il y aurait à nouveau à révéler l’envers. Quelques années plus tard, Jacques Lacan revient implicitement sur cette moitié de poulet, en le reprenant sur le mode d’un Witz : « C’est l’objection, la seule, la seule objection que j’ai à faire à la moi-ité. C’est une expression, comme ça que m’a attribué, à tort ou à raison car je l’ai peut-être dit en l’occasion, un de mes analysants, récemment, et qui est depuis longtemps de mon assistant séminariste. La moi-ité comme il s’exprime, c’est évidemment tout de suite de choir dans le deux : puisque la moi-ité est forcément faite de deux moitiés. » Dans un écrit plus tardif, Jacques Lacan confirme ce rapprochement entre le moi et sa moitié de poulet : « Moitié dit en français que c’est une affaire de moi, la moitié de poulet qui ouvrait mon premier livre de lecture m’ayant en outre frayé la division du sujet. »2 Ici la question de la moitié garde sa dimension essentielle, structurale, à cette nuance près que sa fonction se renverse. C’est parce que nous sommes d’emblée plongés dans le registre de la représentation, parce que nous ne pouvons aborder le monde que par le biais de cette dimension représentative, que nous avons le sentiment d’un manque dans l’abord de ce monde. Il manque quelque chose dans notre abord du monde tel que nous nous le représentons. Il en manque « une moitié » et ce sentiment lui-même nous impose cette notion de moitié, comme celle du deux. Nous ne sommes donc introduits à ces données mathématiques que du fait de notre division essentielle. Toute représentation nous apparaissant comme manquante, la représentation que nous avons de nousmêmes nous impose le sentiment que nous en avons perdu en route une moitié. C’est là 2 J. Lacan, L’Etourdit, 1973.
ce qui caractérise notre moi, cette représentation de nous-même, il est bien moi-ité, marqué de méconnaissance, dira Jacques Lacan, là où ses prédécesseurs mettaient en exergue sa fonction de synthèse. Le moi ne permet aucune synthèse puisque nous mesurons sans cesse combien cette représentation de nous-mêmes est incomplète, marquée d’un manque irréductible, celui-là même qui nous conduit à rechercher inlassablement mais irréductiblement dans le monde notre « moitié »… fût-elle de poulet. Nicolas Dissez
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r f . b e w a s p NE e . w TE-AN N I A w S E w IQUE D YT site de PSYCHANAL E l’ECOL
WITZ DITS... «Plus nous sommes proches de la Psychanalyse amusante, plus c’est la véritable Psychanalyse» Jacques Lacan, Séminaire I, Leçon du 24 février 1954
Des négations ?
« Je suis toujours très négatif : Je suis pas malade, je suis pas heureux, je suis pas-resseux… »
Pas vous ?
« Je voudrais un peu de respect. Tout le monde me parle en patois. J’ai quand même droit à ce qu’on me vouvoie ! »
De la parité
La patiente commence ainsi sa séance : « Je comprends pas, je suis une femme et j’ai pourtant une maladie transmissible à l’homme, c’est bizarre… »
Insistance du symptôme
Une patiente, commençant sa séance : - Je suis en colère contre moi-même. C’est incurable ! - Il faudrait déjà que ce soit une maladie… - Non, on peut aussi curer ses casseroles… Et des casseroles j’en traîne un certain nombre !
Transport amoureux
Une jeune enseignante raconte sur le divan avoir été en difficulté pour proposer un sujet de rédaction pour des élèves de 5ème . Réflexion faite, son choix se porte sur : “qui trop embrasse, mal étreint”. Un jeune garçon de la classe, Erwan qui d’habitude ne dépasse pas 10 ligne, a écrit 2 pages et demi, manifestement très inspiré par le sujet : “qui trop embrasse, manque le train”
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ENTRETIEN
avec Marcel Czermak : Que pouvons nous attendre des journées d’octobre ?
Nicolas Dissez : Alors… je commence à la façon Télévision : L’automatisme mental, drôle de nom… Marcel Czermak : C’est un drôle de nom parce qu’on ne sait pas très bien de quoi il s’agit, puisque la signification du mot automatisme est excessivement variée. Elle a été employée pour des tas de choses qui n’ont strictement rien à voir. Nous savons à quel point Clérambault en a eu marre de ce que le terme d’automatisme engageait comme imaginaire et comme ce terme ne lui paraissait pas répondre ou correspondre au fait clinique. Enfin, le terme traînait quoi. Alors son idée de « syndrome S » ça n’a pas eu de succès et c’est le terme automatisme qui est resté. On peut supposer que pour Clérambault cela correspondait à quelque chose qui échappait à toute tentative d’appréhension d’une signification spontanée et évidente. Et, on comprend que pour beaucoup de psychiatres de l’époque, y compris pour Clérambault, automatisme ne correspondant à aucune appréhension psychologique et spontanée, il ait tiré ça du côté de la réflexologie. Si on ne comprend pas psychologiquement, c’est que c’est neurologique. Nicolas Dissez : C’est ça… Marcel Czermak : Donc, il a tiré ça du côté d’un mécanicisme réflexologique alors que l’une des difficultés que nous rencontrons toujours c’est que dans la vie psychologique il y a des phénomènes de réponse automatique qui ne sont pas du tout neurologiques mais qui impliquent les questions de causalité dans l’ordre des psychoses, qui sont hétérogènes d’avec la névrose. Tel ou tel type de passage à l’acte, d’acting-out, c’est-à-dire que ça répond de toute façon. L’ordre d’enchaînement des phénomènes c’est aussi l’un des enjeux de l’appréhension des psychoses et là on est dans un ordre de causalité qui n’est plus le même que celui des névroses. C’est aussi ce qui fait que nombre d’analystes ont voulu traiter les phénomènes d’automatisme mental comme si ça répondait à une causalité névrotique. Nicolas Dissez : C’est-à-dire de le re-psychologiser ? Marcel Czermak : Oui, de le re-psychologiser, ce qui a été le cas des types comme Angelo
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Hesnard ou Ceillier qui voulaient y voir le retour du refoulé. Henri Ey et Lacan s’étaient inscrits contre ça, ce n’est pas du retour du refoulé, c’est autre chose qui se met à apparaître. Quel terme nous on devrait trouver à ça ? Je ne sais pas quel mot on pourrait employer ? Nicolas Dissez : C’est peut-être plus du côté de l’automate que de l’automatisme ? Marcel Czermak : Oui c’est du côté de l’automate, c’est-à-dire chez nous la partie qui marche comme un automate : on appuie à tel endroit et ça répond à tel autre et on n’y voit que du feu, celui qui est dans ce phénomène n’y voit que du feu et nous aussi. C’est un des gros problèmes de la médecine légale. Nicolas Dissez : Oui… Marcel Czermak : Comment peut-on rendre compte d’un phénomène ? On voit bien quand on lit les procès-verbaux de gendarmerie. Les gendarmes qui accueillent quelqu’un qui, je ne sais pas, a mis le feu à une maison, on commence par lui dire « expliquez-vous », on essaie de comprendre. Or, ça échappe à notre compréhension spontanée, donc il faut mobiliser une autre logique. C’est même un des gros enjeux de la psychiatrie légale ça. Le motif d’un crime… Nicolas Dissez : Ce que vous dites là, c’est peut-être ce sur quoi Lacan et Clérambault se sont rencontrés : sur le souci d’échapper à l’invasion psychologisante… Marcel Czermak : Oui… Oui. C’est la formule de Lacan. Il y avait eu ce colloque organisé par Henri Ey sur la psychogénèse des névroses et des psychoses. Mais dans Le Séminaire sur Les psychoses, Lacan dit « le secret de la psychanalyse c’est qu’il n’y a pas de psychogenèse » : vous pouvez vous brosser pour vous imaginer que vous comprenez quoi que ce soit à tout ça, ce sera faux. Nicolas Dissez : Oui… Marcel Czermak : Donc on sort de la psychologie académique. Nicolas Dissez : Ce qui est formidable, c’est que c’est la psychose qui nous apprend ça, pour le généraliser à tous les champs cliniques… Marcel Czermak : Oui. Ça veut dire aussi que chez les névrosés il y a des phénomènes d’automatisme. Nicolas Dissez : C’est ça… Marcel Czermak : D’où la formule de Lacan
: « Commencez par ne pas comprendre ! » Considérez que vous ne comprenez rien à rien. Nicolas Dissez : Si on part de ça, de cette difficulté à nommer le syndrome, ça indique la difficulté de la découverte de Clérambault. S’il a du mal à le nommer, c’est qu’il y avait une découverte spécifique et que lui-même était embarrassé… Marcel Czermak : Quand on lui demandait : Qu’est-ce que l’automatisme mental ? Il disait : Là je me réfère à ce que Séglas a raconté. Donc le point d’origine, il était renvoyé dans l’antécédence. Enfin, il l’a amplifié mais… le phénomène d’écho, c’est quand même marrant comme histoire. Prenons le sujet dit normal, quand il parle, il est à la fois l’émetteur et le récepteur mais il ne se rend pas compte qu’il est le récepteur. Il prévoit ce qu’il va dire mais il ne sait pas vers où ça va puis il s’appuie sur ce qu’il a dit mais c’est pas immédiatement présent. Or dans les phénomènes dits d’automatisme, c’est sectionné c’est-à-dire que le récepteur qui est le sujet lui-même se met à entendre son propre message… Nicolas Dissez : Et il l’entend rectifié, son message initial… Marcel Czermak : Ouais, et alors « je me brosse les dents » : « il se brosse les dents ». Alors là, c’est intéressant comme notation, c’est-à-dire qu’il y a un phénomène de néantisation qui se produit dans l’intervalle entre le « je » et le « on ». « Il se brosse » ou « on se brosse les dents ». Néanmoins, le phénomène d’écho est totalement hétérogène d’un retour du refoulé. C’est le récepteur qui s’entend et qui oublie qu’il est à la fois l’émetteur et le récepteur, ce qui est le cas le plus normal, n’importe qui pris dans la rue ne sait pas qu’il est le récepteur, de même qu’il ne sait pas vers où sa parole se précipite mais c’est déjà devant lui ou c’est derrière lui. Donc il y a les phénomènes d’écho et puis les phénomènes de commentaire, qui sont les digressions du sujet, qui lui apparaissent comme ne lui appartenant pas. Donc tous ces phénomèneslà sont déconnectés les uns des autres et pas amortis comme en temps normal… Nicolas Dissez : Les phénomènes d’influence, de commentaires des actes, c’est-à-dire les phénomènes du champ proprement hallucinatoire, ils avaient été effectivement décrits par Séglas. Ce qui est l’innovation de Clérambault c’est plutôt du côté du petit automatisme mental, de ce qui concerne le registre de la pensée… Marcel Czermak : Séglas avait l’hallucination verbale motrice…
décrit
Nicolas Dissez : Oui… Marcel Czermak : C’est-à-dire que le sujet dit qu’une voix lui parle cependant qu’il est en train d’articuler silencieusement ce qu’il entend. Donc il ne sait plus que c’est lui qui parle et que l’hallucination n’est jamais que sa propre parole, de lui-même ignorée. Ça c’est un pas formidable. Nicolas Dissez : Oui c’est un pas parce que ça relie la question de l’hallucination et la question de la parole et tout l’automatisme mental est là… Marcel Czermak : Oui c’est-à-dire que le sujet ne peut plus savoir que c’est lui-même qui parle… Nicolas Dissez : C’est ça… Marcel Czermak : Ou que ça parle en lui. Vous voyez que ce sont des phénomènes qui sont intéressants, tous ces phénomènes d’écho. Que ce soit l’écho de sa propre parole ou de répondre à quelqu’un en écho, mais il y a aussi les phénomènes de palilalie : c’est dire la même formule qui se répète inlassablement « il a dit il a dit il a dit il a dit il a dit il a dit il a dit… ». Alors là je pense qu’on tombe sur des phénomènes dont il est difficile de rendre compte sans passer par le stade du miroir parce qu’il y a quelque chose à quoi on ne donne pas assez de valeur : dans Pour introduire le narcissisme, quand Freud pivote de l’auto-érotisme au narcissisme, l’explication de Freud n’est pas convaincante, il y a quelque chose qui semble faire défaut. J’ai tendance à penser que l’affaire du stade du miroir - que Lacan l’ait su ou pas, peu importe - c’est le chaînon manquant entre l’autoérotisme et le narcissisme, à partir duquel toute une clinique se développe. D’autant que les phénomènes d’automatisme, même s’ils sont fondamentalement verbaux, s’exercent aussi dans l’ordre du scopique - le bonhomme qui se voit passer dans la rue -, dans l’ordre du graphique ou même dans l’ordre moteur. Je me souviens d’un type qui avait une excitation catatonique, c’était toujours le même mouvement de la hanche gauche, il marchait en tapant de la hanche gauche, au point qu’il s’était fait une ecchymose de la hanche gauche, le truc durait des heures et c’était irréductible. Donc ces phénomènes s’exercent dans tous les secteurs. Nicolas Dissez : Et ils passent d’un registre à un autre, parce que dans l’écho de la pensée, c’est la pensée qui, en miroir, est répétée dans le registre hallucinatoire. Marcel Czermak : Ouais…
Nicolas Dissez : Donc le stade du miroir vient là connecter, il vient nouer, c’est presque un nouage entre le registre de la pensée et le registre hallucinatoire… Marcel Czermak : C’est, je crois, l’une de nos difficultés quand on essaie de se servir de la théorie des nœuds. La théorie des nœuds rend difficilement appréhendable ce qu’il en est de cet ordre de phénomènes. C’està-dire qu’il faut en passer par d’autres types de formalisation pour arriver à la théorie des nœuds mais on ne peut pas en utilisant la théorie des nœuds larguer la nécessité de rendre compte de tous ces phénomènes, dont la théorie des nœuds ne peut pas rendre compte, ne rend pas compte en tout cas. Il y a d’autres phénomènes comme ça de disjonction : disjonction du nom, de l’image et de l’objet. Ça c’est un drôle de truc dans l’ordre de l’automatisme, cette espèce de diffraction où ce qui paraît spontanément noué : le nom, l’image et l’objet, est là complètement dénoué. Ça indique à quel point notre perception spontanée est un montage, c’est une fabrication dont on peut dégager les différents éléments avec la psychose qui montre ces éléments disjoints. Nicolas Dissez : Alors la question qui se pose c’est : est-ce que l’automatisme mental ça met en évidence plutôt une disjonction ou plutôt un type de jonction ? Parce ce que l’on disait tout à l’heure, c’est que ça articule, la pensée et la parole. Marcel Czermak : Oui. Je pense les deux à la fois. Ça montre une disjonction et en même temps une conjonction, par exemple dans l’ordre du regard : le sujet peut aussi bien se voir dans la rue et il peut aussi bien avoir le regard scotché dans l’autre. Donc on a en même temps ces phénomènes de collage et de décomposition, ce qui rend parfois certains cas déconcertants parce que ça marche tantôt en battement tantôt synchroniquement. Nicolas Dissez : Je passe à « L’homme aux paroles imposées », parce que vous dites d’emblée que c’est un cas d’automatisme mental et néanmoins ce que vous mettez en évidence dans le propos de ce patient, vous le prenez un peu différemment que, vraisemblablement, ne l’aurait abordé Clérambault, en particulier sur cette opposition paroles imposées et phrases réflexives. C’est un autre registre de dialogue intérieur. Marcel Czermak : Oui c’est plus compliqué… c’est plus compliqué… d’ailleurs ces deux registres, paroles imposées et paroles réflexives, on ne sait pas très bien à quel
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registre l’un et l’autre appartiennent, d’ailleurs c’est souvent le même. Nicolas Dissez : C’est autant une disjonction qu’une conjonction. Marcel Czermak : Oui, et alors, ils peuvent s’intervertir. Les paroles réflexives peuvent devenir paroles imposées et a contrario. En tout cas, ça n’a pas une structure moebienne, c’est plutôt deux rubans accolés c’est-à-dire deux bandes bifaces, bilatères, accolées.
Nicolas Dissez : Oui, parce qu’il reprend vos questions sur le cas… Marcel Czermak : Oui…
Nicolas Dissez : Qui passent en conjonction…
Nicolas Dissez : J’ai eu à travailler la question de la Spaltung bleulérienne ces derniers temps et à me trouver en difficulté pour voir de quoi parlait Bleuler y compris dans son texte. Mais dans ce type de disjonction étrange, entre paroles imposées et paroles réflexives, est-ce qu’on pourrait parler de Spaltung ? Estce que ça serait plus adapté ?
Marcel Czermak : Oui…
Marcel Czermak : Il y en a des tas de Spaltung…
Nicolas Dissez : Soudées…
Nicolas Dissez : Oui, une Spaltung qui serait propre à la psychose…
Marcel Czermak : Il y a un point de jonction. Donc ça communique, mais pas sur le mode d’un retour du refoulé…
Nicolas Dissez : Lacan, à ma connaissance, quand il rencontre ce patient et quand il reprend le cas à son séminaire, se garde de parler d’automatisme mental, il se limite à dire « paroles imposées ».
Marcel Czermak : Là on ne peut pas parler de Spaltung du sujet parce que le sujet il n’est pas divisé donc il est difficile de parler là de Spaltung du sujet. La division elle est où ? De quoi parle cette hallucination ? De quoi parle l’hallucination en général ? Elle lui parle de ce qui lui pend au nez. « Tu va être un pédé » ou « tu es un pédé », « tu vas être la femme de l’univers » « Tu seras la Vierge Marie et la putain ». Donc elle parle d’une assignation à venir devant laquelle le sujet s’insurge. Donc là, le sujet ignore que c’est son propre futur antérieur qui prophétie sur son compte. L’hallucination de départ de Schreber : « Qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement… », c’est ce qui lui pend au nez, il ne le sait pas encore, passé erratique, hypnopompique, c’est déjà plus un fantasme, au début, on ne sait plus ce que c’est. Estce que ce serait un fantasme, « Est-ce que ce serait beau d’être une femme… », estce que c’est déjà le délire, le phénomène élémentaire ? Le statut initial est très difficile à déterminer. Et c’est la suite qui démontre que virtuellement tous les éléments du délire étaient présents dans ce « Il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement ». Donc ça parle de lui et il y a un prévisionnel du délire qui est déjà impliqué et dont le sujet ignore tout et dont il se défend puis après bon, il est obligé de céder : « Bah oui si c’est comme ça, je vais être la femme de Dieu et puis c’est pas déshonorant. »
Marcel Czermak : Oui ça ne l’empêchait pas de parler couramment d’automatisme mental.
Nicolas Dissez raisonnable.
Nicolas Dissez : C’est comme si pour ce patient-là, il trouvait plus intéressant de l’attraper autrement.
Marcel Czermak : Oui.
Nicolas Dissez : C’est bien plus proche d’un dialogue intérieur, quoique ça en soit distinct... Marcel Czermak : Dans le dialogue intérieur il y a plusieurs choses : il y a le fait qu’on ne s’entend pas parler, il y a les remarques qu’on peut se faire, alors là quelle est la frontière du dialogue intérieur … c’est difficile à cerner… Nicolas Dissez : On peut y convoquer quelqu’un d’autre, on peut se dire : « un tel me dirait que… » Marcel Czermak : Bah ouais, on peut convoquer plusieurs personnes et dialoguer avec elles. Mais ça c’est, comment dire, ce n’est plus tout à fait de l’ordre de l’automatisme ça, au sens où nous, nous parlons de ces patients. Clérambault ou Lacan, je ne sais plus, fait cette remarque que ça nous arrive dans des états toxiques ou dans des états de grande fatigue. Enfin, les paroles imposées c’est une histoire très compliquée dont on n’est pas venu à bout.
Marcel Czermak : C’était peut-être aussi la façon dont on avait débrouillé le cas et qu’on a eu à le présenter.
:
C’est
le
compromis
Nicolas Dissez : Ce compromis raisonnable alors, c’est une jonction… Marcel Czermak : Alors que dans le phénomène d’écho, pur phénomène d’écho,
on n’en est pas encore là, conférer mon boulanger qui avait passé trente ans de sa vie avec un petit automatisme. Nicolas Dissez : ça c’est peut-être une question de disjonction/conjonction aussi. Comment se fait-il que le petit automatisme mental dans sa forme princeps ne se prête pas à être relaté, à être dit, il ne se prête pas à la parole ? Marcel Czermak : Je vais prendre mon boulanger. Quand j’ai parlé avec lui, que le gros de la tourmente était passé, il était convaincu que pour tout le monde il en était ainsi. Ça ne se prête pas à être relaté puisque c’est la tonalité normale. Et puis ce n’est pas agressif et n’entraîne aucune rébellion, il y a pas de quoi à en vouloir à quiconque enfin donc c’est une vraie… une pure doublure, ouais. Nicolas Dissez : Une doublure qui n’implique pas une altérité à qui en faire part ou à qui s’en plaindre… Marcel Czermak : Dans le cas décrit par Charlotte Bayat et de ses invisibles, ce type il est toujours accompagné, alors là c’est le corps, c’est pas une parole, il a l’invisible qui passe les portes avec lui, qui est tantôt derrière tantôt devant mais enfin donc il est accompagné par une présence Nicolas Dissez : Donc c’est une doublure sans altérité. Marcel Czermak : Une doublure sans altérité… c’est intéressant comme manifestation, le type qui se balade et il a toujours son invisible à côté, sa doublure physique… Nicolas Dissez : C’est très intéressant. Cet automatisme mental, ça a intéressé les psychiatres à un moment et ça n’a quasiment donné lieu à aucun écrit analytique à part les vôtres. Comment expliquer cela, alors que ça enseigne sur les questions de la pensée, de la parole, de l’altérité, du miroir… Pourquoi est-ce que ça n’a pas réveillé les analystes ? Marcel Czermak : Je crois que la plupart des analystes, pour autant qu’ils ont surtout affaire à des névroses, ils pensent en névrosés et ils ont tendance à attraper ces phénomènes comme si c’étaient des phénomènes névrotiques. Il faut un grand changement dans la réflexion d’un analyste pour qu’il essaie d’appréhender une logique hétérogène de la névrose. Ou alors, tout bêtement, ça leur apparaît pas comme à examiner ces phénomènes ça ne leur paraît pas analytique : l’analyse, c’est pas ça…
Nicolas Dissez : Alors que c’est au cœur des phénomènes langagiers, c’est peut-être ce syndrome là qui est le plus à même de nous enseigner sur les phénomènes de langage… Marcel Czermak : Peut-être… si je me réfère à, il y a maintenant longtemps, j’avais été frappé par le fait que par exemple, Le Séminaire III, les analystes ça ne les intéressait pas plus que ça, ils en ont pas pris de la graine, peutêtre parce qu’ils n’avaient pas les patients qui soulevaient des questions directes concernant la disjonction entre le signifiant et la signification. Même maintenant dans la littérature analytique, il n’y a pas beaucoup de travaux qui portent directement sur la question des psychoses… Ces derniers temps, ça commence à venir, ça c’est une nouveauté, peut-être à cause du Séminaire sur Joyce : « Si Lacan l’a dit alors… » Mais enfin je crois pas, s’il y avait pas eu de séminaire sur Joyce, il y aurait eu comme c’est le cas maintenant d’autres gens pour s’intéresser à des phénomènes dont il faut bien dire que, s’agissant de Joyce, il y avait les plus grandes réserves des uns et des autres pour dire que Joyce était psychotique. Nicolas Dissez : Dans ce séminaire-là, il y a un franchissement, il y a un pas de Lacan inattendu quand cette affaire de paroles imposées, il appelle ça « le sinthome par lequel a débuté la psychose de ce patient », c’est quand même un drôle de pas… Marcel Czermak : Il y a un pas qui n’est pas très limpide… Nicolas Dissez : Non. Marcel Czermak : Alors parmi nous, il y a ceux qui ont le sentiment qu’ils peuvent lire tout ça en étant au clair avec Le Séminaire et ceux qui sont à juste titre assez embarrassés : le symptôme, le sinthome, l’ego. Peut-être allons-nous un peu vite en besogne… Nicolas Dissez : Parce qu’il y a un écart entre l’écriture de Joyce comme sinthome, ce que Joyce en fait, le type d’adresse que cela implique et puis ce que Lacan appelle le sinthome « paroles imposées » pour ce patient. On a l’impression qu’il est difficile d’inscrire les deux tout à fait sous le même registre… Marcel Czermak : Il faut quand même remarquer que Lacan a toujours utilisé ses propres termes avec pas mal d’élasticité, c’est-à-dire qu’il a toujours veillé à ce qu’on ne puisse pas faire un usage ossifié de ses signifiants… Prenons le terme de jouissance par exemple, si on fait le catalogue de toutes les variations de Lacan sur le même terme,
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on est un peu perdu. Je suis très admiratif de ceux qui ont le sentiment qu’avec le terme de jouissance ils savent à peu près sur quel pied ils dansent. Moi j’avoue que ça m’est difficile à manier. En tout cas, il y a là cette question d’automatisme, d’ailleurs à ma connaissance les analystes, mis à part Tausk, l’élève de Freud qui lui-même était psychotique, quels sont les travaux analytiques sur l’automatisme mental ? J’en connais pas. J’en connais pas, je m’étais un peu cassé la tête sur « hipdon - passedon » et puis sur d’autres trucs, et plus spécialement sur « L’homme aux paroles imposées », mais en regardant la littérature, j’ai rien trouvé sur ces questions-là. Donc, là on fait un petit pas c’est des avancées dans un champ qui était délaissé par les analystes, même quand ils étaient psychiatres. Je me suis toujours demandé pourquoi dans l’Ecole Freudienne, les types qui étaient Psychiatres des Hôpitaux qui avaient plein de malades, ils ne publiaient jamais rien là-dessus. C’est quand même étonnant. Nicolas Dissez : Il y a cet article, « Automatisme mental et savoir sur le langage » paru dans L’Evolution Psychiatrique, mais même ce titre est un peu étonnant parce que c’est moins un savoir sur le langage dont il est question dans l’automatisme mental que d’une éjection, si on le reprend sur le mode de Clérambault, d’une éjection progressive du langage…une sorte d’expulsion du sujet… Marcel Czermak : Absolument, oui et comment il est progressivement éjecté… Nicolas Dissez : Quelle idée auriez-vous sur l’articulation, que j’aimerais beaucoup que l’on travaille dans ces journées, sur la question du néologisme et celle de l’automatisme mental parce qu’il y a cette question dans « L’homme aux paroles imposées » et dans le cas « hipdon - passedon »… ? Marcel Czermak : Ecoutez, j’en ai pas une idée précise, c’est des trucs à travailler certainement, ça ouvre beaucoup de questions qui ont été abandonnées, à supposer d’ailleurs qu’elles aient été bouchées, Lacan a ouvert quelques pistes là, il a ouvert des pistes qu’il n’a pas prolongées avec tous les malentendus d’ailleurs que ça entraîne quand : « On parle de paroles imposées, alors on a tous des paroles imposées », avec ça, ça nous fait une belle jambe ! Et puis ça vient réduire la spécificité du phénomène, on passe à coté de ce dont il s’agit… Nicolas Dissez : Oui, il y a des étapes à respecter pour étudier un phénomène aussi complexe que l’automatisme mental… Marcel Czermak : Oui…
Nicolas Dissez : Alors si je conclus, qu’estce que vous attendriez de ces journées sur l’automatisme mental et quel serait le mode d’abord qui permettrait d’éviter les pièges que vous venez d’indiquer ? Marcel Czermak : D’abord, ce serait bien qu’on fasse un peu le point sur les travaux sur la question parce qu’il y en a pas des masses, donc on peut en faire le tour. Il y a les quelques trucs que j’ai mis sur la table. Et puis maintenant les pistes que ça ouvre, ce que ça nous donne à apprendre là, non seulement de ce qui, dans la structure, est de l’ordre d’un « automatique » - à toujours à mettre entre guillemets - c’est pas fortuit si Lacan emploie le terme de automaton et celui de la bonne et de la mauvaise rencontre. J’aime bien le terme d’automatisme mais à distinguer de Janet ou de la réflexologie. Mais on conçoit que beaucoup de praticiens ont eu tendance à tirer ça du côté d’un problème neurologique, c’est pas sot. En plus, on a eu des phénomènes proches dans des affections neurologiques comme par exemple la grippe espagnole de 1918, l’encéphalite léthargique, on a vu au démarrage de ces affections apparaître pratiquement toutes les manifestations psychiatriques envisageables. D’où la veine de Guiraud comme tout ce que la psychiatrie peut offrir ou pouvait pointer, d’une façon ou d’une autre, dans ces phénomènes neurologiques, qui sont quand même des phénomènes de destruction du discours. On dit : voilà tous ces phénomènes là sont des phénomènes neurologiques. Moi j’aurais tendance à penser que justement, dans nombre d’affections infectieuses ou neurologiques, c’est l’atteinte, l’altération du discours, qui fait apparaître ces manifestations qui apparaissent comme ça dans la psychose. Un type comme Guiraud c’était quand même pas un petit clinicien… Nicolas Dissez : Peut-être qu’on peut commencer comme ça alors, de se dire qu’on peut aborder la question de l’automatisme à condition d’accepter d’abord de n’y rien comprendre… Marcel Czermak : Mais oui, mais oui, de pas faire le malin ou alors il faut essayer d’écrire quelque chose là-dessus. Et on constatera que dans le monde entier la question a été zappée. Donc si on essaie d’avancer ça, et de le remettre sur pied, c’est quand même une grande première. Les collègues de Grenoble ont eu la tentative louable de mettre ça sur le tapis, mais en deux jours ils voulaient mettre et automatisme mental et hallucinations sur la table ; c’était pas très systématisé, donc ça se prêtait mal à une avancée. Il faut que nos amis mesurent bien que ce sont des trucs qui n’ont
jamais été abordé sérieusement. C’est ce qui est quand même inouï : ceux qui sont dans les hôpitaux, des patients comme ça, ils en ont tout le temps - ou quelques-uns - et ça devient quoi ? Moi je me souviens, Lacan disait « Ce truc-là, qu’est-ce que vous allez en faire ? Il faut en faire quelque chose ». Nicolas Dissez : On a des pistes mais on en a rien fait. Marcel Czermak : De temps en temps, sur tel point, j’aimerais bien qu’on me devance, on ne peut pas dire qu’on l’ait beaucoup fait. Nicolas Dissez : D’accord. On s’arrête là-dessus pour l’automatisme mental ? Marcel Czermak : Ouais. Encore un point à propos du transsexualisme. Lacan a suivi analytiquement un transsexuel chez Delay ; il a essayé, notamment je crois avec l’un des cas d’Alby et puis il a fait chou blanc… Nicolas Dissez : Oui, parce que sa conclusion après une présentation clinique d’un cas de transsexualisme à Sainte-Anne n’est pas très optimiste… Marcel Czermak : C’est Alain Didier-Weill qui lui avait dit « Il faudrait tenter une opération analytique ». Lacan lui a répondu « Ça a été tenté et ça n’a rien donné ». Nicolas Dissez : Je crois qu’il dit « Ça ne donnerait qu’une singerie de psychanalyse »… Marcel Czermak : Oui, puis il dit « Il faut le suivre, on verra bien comment il arrivera à se faire opérer ». Donc le truc est rectiligne. Faut dire aussi que les analystes sont réticents, on comprend très bien pourquoi, à pronostiquer quelque chose. D’autant que souvent les pronostics sont déjoués (rires). Nicolas Dissez : Oui, alors que Clérambault le fait, il dit « La marche vers la xénopathie est inéluctable ». Marcel Czermak : Comme il a dit pour telles ou telles patientes « On n’arrivera à rien à cette partie »… puis sa surprise quand parfois ça se calmait. En plus, avec ces problèmes de médicaments là-dedans, on est obligé de prescrire pour calmer le jeu, à partir du moment où on prescrit, pour beaucoup d’analystes, celui qui prescrit il peut pas analyser, ce qui est une grave erreur. Donc il y a là toute une zone trouble et ambiguë. Alors voilà, traiter des hallucinations c’est une mine même si c’est pris dans une doctrine bien discutable mais enfin c’est quand même une mine… Il faudra bien faire sentir à nos camarades le grand intérêt de l’affaire, en plus c’est un problème subjectif pour les analystes que ce saut mental qui consiste à changer l’ordre des enchaînements, des causalités, des espaces… Nicolas Dissez : Il faudrait interroger cela : dans quel espace – et d’ailleurs peut-être pas un espace uniforme - se déplace au fur et à mesure, le patient qui est soumis à un automatisme mental. Ce ne sera probablement pas le même espace dans le petit automatisme que dans le syndrome d’influence… Marcel Czermak : Ce n’est pas les mêmes espaces, il est question de transformation là… Nicolas Dissez : La question par exemple c’est de savoir si le fait de s’adresser, d’en parler transforme l’espace lui-même. Votre boulanger qui se met à parler d’un automatisme qu’il a depuis des années, peut-être que le simple fait de parler de ce petit automatisme, ça déplace le registre dans lequel il se déplace, peut-être que ça transforme son espace… Marcel Czermak : Certainement… Nicolas Dissez : Ça réintroduit un autre, auquel il en fait part, auquel il fait part de ce qui était une évidence, ça transforme l’évidence… Marcel Czermak : Donc ce sont des trucs sur lesquels on bafouille. Il y a du travail ! Transcription : Emilie Le Bellour
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Journées de l’ECOLE PSYCHANALYTIQUE DE SAINTE-ANNE sous la direction de Marcel Czermak
les 9, 10 & 11 octobre 2015
Centre Hospitalier Sainte-Anne, Amphithéâtre Raymond Garcin : 1, rue Cabanis 75 014 Paris PROGRAMME Vendredi 9 octobre Fin d’après-midi • Quelques questions de départ par Nicolas Dissez • Projection de la vidéo d’Eléanor Longden (Hearing Voices Movement) The voice in my head ? • Lanormalité de l’homme aux paroles imposées par Maïmouna Touré Discutant : Jean-Luc Cacciali
Samedi 10 octobre Matinée Présidente : Perla Dupuis • Ouverture par Marcel Czermak • de l’Automatisme Mental à l’homme aux paroles imposées par Thierry Florentin • De l’homme aux paroles imposées aux phrases interrompues chez Schreber par Stéphanie Hergott Discutant : Luc Faucher
Après-midi Président : Etienne Oldenhove • « Les vœux et les voix se sont mis ensemble », un cas d’automatisme mental de l’enfant par Eva-Marie Golder Discutant : Louis Sciara • Automatisme mental et néologismes chez l’homme aux paroles imposées par Edouard Bertaud et Luc Sibony Discutant : Jean-Luc Ferretto • La question de l’espace et du temps chez l’homme aux paroles imposées par Nafissa Boukerche Discutante : Isabelle Tokpanou 20h00 : Invitation au cocktail de bienvenue de l’Ecole Psychanalytique de Sainte-Anne, à l’ALI
Dimanche 11 octobre Matinée Président : Thierry Florentin • Réinterroger la forclusion à partir de la clinique de l’automatisme mental par Jean-Jacques Tyzsler Discutante : Françoise Gorog • La dimension du transfert dans le cas de l’homme aux paroles imposées par Emilie Abed Discutant : Jean-Marc Faucher • Le pas de deux de l’homme aux paroles imposées par Elsa Caruelle Quilin Discutant : Marc Darmon
Après-midi Président : Nicolas Dissez • la poésie de l’homme aux paroles imposées par Jean-Pierre Rossfelder : Discutant : Jean-Paul Beaumont • Comment s’entendre avec les voix ? par Yann Derobert (Réseau des Entendeurs de Voix) Discutants : Geneviève Nusinovici et Pierre-Henri Castel • Conclusions des Journées par Charles Melman
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signification psychanalytique de l’ automatisme mental Retour sur le cas de l’Homme aux paroles imposées
ECOLE PSYCHANALYTIQUE DE SAINTE-ANNE
www.epsaweb.fr
les 9, 10 & 11 octobre 2015
Centre Hospitalier Sainte-Anne, Amphithéâtre Raymond Garcin : 1, rue Cabanis - 75 014 Paris avec la participation de Jean-Paul Beaumont, Jean-Luc Cacciali, Pierre-Henri Castel , Marcel Czermak, Marc Darmon, Jean-Marc Faucher, Luc Faucher, Jean-Luc Ferretto, Françoise Gorog, Charles Melman, Geneviève Nusinovici, Etienne Oldenhove, Louis Sciara, Isabelle Tokpanou, Jean-Jacques Tyszler et quelques autres...
inscription obligatoire auprès du secrétariat de l’Association Lacanienne Internationale 25, rue de Lille - 75 007 Paris - tél : + 33 1 42 60 14 43 - Courriel : secretariat@freud-lacan.com gratuité pour le personnel du Centre Hospitalier Sainte-Anne, dans la mesure des places réservées.
LE JOURNAL DE BORD de l’ECOLE PSYCHANALYTIQUE DE SAINTE-ANNE Centre Hospitalier Sainte Anne 1, rue Cabanis - 75014 Paris
Directeur de Publication : Marcel Czermak Comité de Rédaction : Edouard Bertaud, Nicolas Dissez, Miriem Meghaizerou, Luc Sibony
l’Ecole Psychanalytique de Sainte-Anne, anciennement Institut Edouard Toulouse, est affiliée à l’Association Lacanienne Internationale
pour toute inscription aux enseignements contacter : Nicolas Dissez (tél. : + 33 1 45 87 00 07 - ndissez@free.fr ou Thierry Florentin tél. : + 33 1 43 56 81 74- thierry.florentin@orange.fr
pour tout autres renseignements, contacter Mme. Perla Dupuis-Elbaz au + 33 1 43 35 23 48
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remerciements au personnel de la Bibliothèque Médicale Henri Ey au service Communication du Centre Hospitalier Sainte-Anne.