Nicolas VILLARD- Conservation restauration d'une copie anonyme d'après Jacques-Louis David

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ECOLES DE CONDE Formation Restaurateur du Patrimoine - Niveau II

MEMOIRE DE FIN D’ETUDES Conservation Restauration de Peintures de Chevalet

Conservation-Restauration d’une copie anonyme d’après Jacques-Louis David Sujet technico-scientifique : Etude colorimétrique et brillancemétrique comparative de trois vernis employés en restauration

Nicolas VILLARD Spécialité Peintures de Chevalet Promotion 2014


« La perfection est un chemin, non une fin. » Proverbe Coréen

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REMERCIEMENTS Je remercie Mme Chrystelle QUEBRIAC, régisseur des collections du Musée Thomas Dobrée à Nantes, et Mme Claire DELALANDE, Conservateur du patrimoine au Musée Thomas Dobrée, de m’avoir donné l’occasion de travailler sur un tableau aussi intéressant, et pour la confiance qu’elles m’ont accordé ainsi que pour leur disponibilité. Je remercie la Direction des Ecoles de Condé, plus particulièrement Mme Charlotte CARRARD, pour sa confiance et sa compréhension. Merci à Mme Alix PASQUET, à Mme Marguerite SZYC, à Mme Fabienne-Eva WOLFF-BACHA, à M. Claude PEPE, à M. Philippe OLLIER, à M. Yves CRISNEL et à M. Olivier NOUAILLE, pour le suivi, les discussions et les conseils. Plus spécialement, merci à Mme Colette MORTUREUX pour sa gentillesse et sa présence ! Merci à Mme Julie Bousquet et M. Benoît JANSON, à Mme Catherine POLNECQ et M. Alain LE PAVEC, et à M. Pierre BUCAT, chez qui j’ai effectué mes stages, et avec lesquels j’ai appris énormément, aussi bien pour ce qui concerne la restauration que pour la gestion d’un atelier et le rapport avec la clientèle. Merci à M. Pascal COTTE, M. Jean PENICAUT et Laurent de chez LumiereTechnology pour m’avoir permis d’accéder à leur matériel de mesure optique. Merci à Anne-Laure GAUTIER pour m’avoir permis d’utiliser son brillancemètre. Pour finir, je dois remercier mes compagnons de presque toujours : Kim’, Béné, Nouchka, Anaïs, Mathilde, Matthieu, Arnaud et Benjamin. Je veux aussi remercier mes camarades plus tardifs : Jéjé, Alexis, Manon, BB et Soona. Et je tiens à remercier encore plus particulièrement Sacha, la famille SVOBODA et ma famille. Et mon père, pour son soutien et ses encouragements, à qui je dédie ce travail achevé.

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RESUME GENERAL Ce mémoire présente l’étude historique et la conservation-restauration portant sur une peinture à l’huile sur papier marouflé sur une toile peinte, prêtée par le Musée départemental Thomas Dobrée. Il est suivi d’une étude technico-scientifique sur la mesure de l’effet de trois vernis de restauration sur la brillance et la couleur d’une couche picturale. Le tableau qui nous a été confié est une copie de l’aîné des Horaces d’après Le serment des Horaces achevé par Jacques-Louis David en 1785. Elle est anonyme et non datée. Par notre étude, nous entendions préciser l’identité du copiste et de son œuvre en décortiquant les indices matériels et thématiques à notre disposition. Ainsi, il s’agirait avant tout d’une copie d’étude de la première moitié du XIXème siècle. Elle a pu être réalisée par un élève de David au sein de son atelier comme modèle d’expression des passions héroïques. Il se peut aussi qu’elle ait été faite librement au Musée du Luxembourg ou au Musée du Louvre, où l’œuvre originale s’est trouvée successivement. L’attrait du visage de l’aîné proviendrait de la réputation de David, du succès de son chef d’œuvre, de sa thématique de l’exemple héroïque et vertueux ainsi que de son naturalisme et du morceau de style que représente son casque. L’état de conservation de cette copie était globalement mauvais. Ses supports souffraient d’un montage défaillant et inadapté, d’une déformation généralisée et de déchirures et son châssis était infesté d’insectes xylophages. Sa couche polychrome, bien qu’en bon état, était couverte d’un vernis oxydé, irrégulier et en perte d’adhérence, attaqué par des moisissures. L’intervention de conservation-restauration a permis de rétablir la continuité et la planéité du support, de fournir un montage équilibré et réversible à l’œuvre, de la préserver des agents biologiques de détériorations et de mettre en valeur la facture du copiste en nettoyant la couche polychrome, en allégeant le vernis et par le travail de vernissage et de réintégration colorée. Une étude comparative de trois vernis employés en restauration a été menée en observant l’évolution de la couleur et de la brillance d’une couche de peinture noire avant et au fur et à mesure des vernissages. On a constaté qu’ils modifient ces deux grandeurs. Mais les résines ne se distinguent pas dans leur effet sur la couleur, seulement par leur effet sur la brillance. La résine naturelle confère une brillance à la couche picturale nettement supérieure aux résines synthétiques. On a également observé un phénomène inexpliqué : l’abaissement de la valeur de l’axe bleu/jaune après un premier vernissage, puis son augmentation. Cette étude devrait être menée systématiquement sur plusieurs couleurs et étendue à la comparaison de plusieurs autres paramètres isolés tels que la concentration du vernis ou les solvants utilisés.

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ABSTRACT This report presents the historical study and the preservation-restoration of an oil painting on paper mounted on a painted canvas, lent by the Musée départemental Thomas Dobrée. It is followed by a technical and scientific study on the measure of the effect that three different varnishes of restoration make onto gloss and color of a paint layer. The anonymous and undated picture entrusted to us is a copy from the elder son of Horatius after The Oath of Horatii finished by Jacques-Louis David in 1785. With our study, we intended to identity the copyist and his work by detailing the material and thematic indications at our disposal. So, this copy might be a study of the first half of the 19th century. It could have been realized by a pupil of David within his workshop, as an exercise about the expression of the heroic passions. It could also have been freely made at the Musée du Luxembourg or at the Musée du Louvre, where the original work was successively displayed. The attraction of the face of the elder son would result from the reputation of David, from the success of his masterpiece, from its theme of the heroic and virtuous example as well as from its naturalism and from the piece of style which its helmet represents. The state of preservation of this copy was globally bad. Its supports suffered from a weak and unsuitable mounting, as well as a generalized deformation and tears. Also its frame was infested with xylophagous insects. Its paint layer, although in good condition, was covered with an oxidized and irregular varnish in loss of adhesion, attacked by mould. The intervention has allowed to restore the continuity and the flatness of the support, has provided a wellbalanced and reversible mounting to the work, in order to protect it from biological agents of deteriorations and to emphasize the touch of the copyist by cleaning the paint layer, and by relieving the varnish before revarnishing and retouching it. A comparative study of three varnishes used in restoration was led by observing the evolution of the color and the gloss of a black paint layer before and after several varnishings. I noticed that they had modified these two values. But different resins can’t be distinguished in their effect on color, only by their effect on gloss. The natural resin confers a gloss on the paint layer clearly superior to synthetic resins. We also observed an unexplained phenomenon: the reduction in the value of the blue / yellow axis after a first varnishing, then its increase. This study should be led systematically on several colors and extended to the comparison of several other isolated parameters such as the concentration of the varnish or the solvents being applied.

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FICHE D’IDENTIFICATION

Nom et prénom de l’étudiant : VILLARD Nicolas Spécialité: Peintures de Chevalet Promotion : 2014 Titre ou désignation de l’œuvre : L’aîné des Horaces, copie d’après Jacques-Louis DAVID Sujet technico-scientifique : Etude colorimétrique et brillancemétrique comparative de trois vernis employés en restauration Photographies avant intervention

Figure 1 L’aîné des Horaces, Anonyme, huile sur papier marouflé sur toile, 61 x 50 cm, XIXème siècle, Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes. Avant intervention.

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Figure 2 Revers du montage, avant intervention.

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Photographies après intervention

Figure 3 L’aîné des Horaces, Anonyme, huile sur papier marouflé sur toile, 61 x 50 cm, XIXème siècle, Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes. Après intervention.

Figure 4 Revers de l'œuvre, après intervention.

Statut Cotation, n° d’inventaire et/ou collection - fonds : 570 – 2769 Renseignements relatifs à l’objet Nom de l’auteur : Anonyme Epoque : XIXème siècle (estimation) Dimensions : 61 x 50 cm Inscription(s) particulière(s) : Numéro d’inventaire 570 – 2769 (châssis, cadre, toile) Etat de conservation et présentation des altérations : Mauvais état de conservation. Altérations biologiques : champignons sur la couche picturale, insectes xylophages dans le châssis et le cadre. – Altérations mécaniques : déchirures, montage défectueux, déformations. – Altérations physico-chimiques : oxydation et déplacage du vernis, poussière, crasse.

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Fonction et nature de l’objet Description – représentation : Copie d’un détail du Serment des Horaces peint et achevé par Jacques-Louis DAVID en 1785. Seul l’aîné des Horaces est représenté. Matériaux constitutifs : Châssis ; toile ; préparation rouge ; préparation grise ; couche polychrome ; adhésif de marouflage ; papier ; couche polychrome ; vernis ; cadre. Technique(s) : Peinture à l’huile sur papier marouflé sur toile. Documentation Prêteur /Propriétaire : Mme Claire DELALANDE, conservatrice du patrimoine au Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes. Lieu de conservation : Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes. Valeur culturelle : Témoignage sur la pratique de la copie et indirectement sur la place de David dans la peinture française. Copie d’une belle facture, potentiellement exécutée par un élève de David.

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TABLE DES MATIERES REMERCIEMENTS…………………………………………………………………………………………….. 3 RESUME GENERAL……………………………………………………………………………………………. 4 ABSTRACT……………………………………………………………………………………………………… 5 FICHE D'IDENTIFICATION…………………………………………………………………………………... 6

AVANT-PROPOS……………………………………………………………………………………………….. 15

INTRODUCTION GENERALE……………………………………………………………………..... 16 PARTIE I. HISTOIRE DE L'ART…………………………………………………………………….. 17 INTRODUCTION………………………………………………………………………………………..... 18 I.

UNE COPIE ANONYME ET NON DATEE A NANTES……………………………………… 19 I.1. Parcours de l’œuvre………………………………………………………………………………… 19 I.1.1. Au Musée Thomas Dobrée……………………………………………………………… 19 I.1.2. Origine et datation……………………………………………………………………..... 20 I.2. Iconographie………………………………………………………………………………………... 22 I.2.1. Description et identification…………………………………………………………….. 22 I.2.2. Original et références…………………………………………………………………… 24 I.3. Plastique…………………………………………………………………………………………..... 27 I.3.1. Description……………………………………………………………………………… 27 I.3.2. Comparaison avec l’original……………………………………………………………. 29

II.

FOCALISATION SUR « L’HOMME REGENERE »…………………………………………. 32 II.1. Une tête d’homme…………………………………………………………………………………. 32 II.1.1. Une « figure »…………………………………………………………………………... 32 II.1.2. Une physionomie sans expression ?................................................................................. 33 II.1.3. Une coiffe virile………………………………………………………………………... 36 II.2. Les temps de la virilité……………………………………………………………………………. 39 II.2.1. La virilité Romaine…………………………………………………………………….. 39 II.2.2. Les virilités Davidiennes………………………………………………………………. 40 II.3. D’après David, chantre de la régénération………………………………………………………... 42 II.3.1. David et le Néo-Classicisme…………………………………………………………... 42 II.3.2. Fortune critique………………………………………………………………………... 44

III.

LA COPIE COMME OBJET PICTURAL…………………………………………………….. 48 III.1. La réalisation de l’objet pictural…………………………………………………………………. 48 III.1.1. Les constituants et leur matérialité…………………………………………………… 48 III.1.2. Les conditions de réalisation…………………………………………………………. 50 III.2. Le type de copie………………………………………………………………………………….. 51

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III.2.1. Copie et reproduction de peinture…………………………………………………….. 51 III.2.2. La copie lucrative……………………………………………………………………... 52 III.2.3. La copie non-lucrative………………………………………………………………... 53 CONCLUSION…………………………………………………………………………………………… 56

PARTIE II. CONSERVATION-RESTAURATION………………………………………………. 57 INTRODUCTION…………………………………………………………………………………………. 58 I.

CONSTAT D'ETAT……………………………………………………………………………… 59 I.1. Eléments d’assemblage…………………………………………………………………………….. 60 I.1.1. Châssis………………………………………………………………………………….. 60 I.1.2. Adhésif de marouflage.…………………………………………………………………. 64 I.1.3. Cadre……………………………………………………………………………………. 65 I.1.4. Clous et semences………………………………………………………………………. 67 I.2. Système « support de marouflage »………………………………………………………………... 68 I.2.1. Support textile…………………………………………………………………………... 68 I.2.2. Encollage……………………………………………………………………………….. 72 I.2.3. Préparation rouge……………………………………………………………………….. 73 I.2.4. Préparation grise………………………………………………………………………... 74 I.2.5. Couche polychrome…………………………………………………………………….. 75 I.3. Système « original »……………………………………………………………………………….. 76 I.3.1. Papier…………………………………………………………………………………… 76 I.3.2. Couche polychrome…………………………………………………………………….. 79 I.3.3. Vernis…………………………………………………………………………………… 82 I.4. Relevés des altérations……………………………………………………………………………... 84

II.

DIAGNOSTIC……………………………………………………………………………………. 85 II.1. Diagnostic détaillé………………………………………………………………………………… 85 II.2. Synthèse du diagnostic……………………………………………………………………………. 86

III.

PRONOSTIC……………………………………………………………………………………... 89 III.1. Urgence de l’intervention………………………………………………………………………… 89 III.2. Nécessité de l’intervention……………………………………………………………………….. 89

IV.

CAHIER DES CHARGES………………………………………………………………………. 90 IV.1. Objectifs de la conservation-restauration………………………………………………………… 90 IV.2. Contraintes de la conservation-restauration……………………………………………………… 93

V.

PROPOSITION DE TRAITEMENT…………………………………………………………… 99 V.1. Opérations…………………………………………………………………………………………. 99 V.2. Récapitulatif des opérations……………………………………………………………………… 116 V.3. Protocole de nettoyage…………………………………………………………………………… 116 V.4. Protocole d’allègement de vernis………………………………………………………………… 117

VI.

RAPPORT D’INTERVENTION………………………………………………………………. 119 VI.1. Dépose de la toile……………………………………………………………………………….. 119

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VI.2. Traitement insecticide…………………………………………………………………………... 119 VI.3. Mise en extension………………………………………………………………………………. 120 VI.4. Dépoussiérage…………………………………………………………………………………... 121 VI.5. Traitement fongicide……………………………………………………………………………. 121 VI.6. Décrassage……………………………………………………………………………………… 121 VI.7. Allégement de vernis…………………………………………………………………………… 122 VI.8. Chambre humide et séchage……………………………………………………………………. 123 VI.9. Protection de surface……………………………………………………………………………. 123 VI.10. Cartonnage…………………………………………………………………………………….. 124 VI.11. Mise en extension du cartonnage……………………………………………………………… 125 VI.12. Démontage…………………………………………………………………………………….. 126 VI.13. Mise en extension de la toile…………………………………………………………………... 129 VI.14. Nettoyage du papier……………………………………………………………………………. 130 VI.15. Décartonnage et nettoyage…………………………………………………………………….. 131 VI.16. Rétablissement de continuité………………………………………………………………….. 131 VI.17. Rétablissement de planéité…………………………………………………………………….. 133 VI.18. Incrustations…………………………………………………………………………………… 134 VI.19. Montage……………………………………………………………………………………….. 135 VI.20.Mastics…………………………………………………………………………………………. 138 VI.21. Vernissage……………………………………………………………………………………... 139 VI.22. Réintégration picturale………………………………………………………………………… 139 VI.23. Vernissage final……………………………………………………………………………….. 140 CONCLUSION………………………………………………………………………………………….. 141

PARTIE III. SUJET TECHNICO-SCIENTIFIQUE…………………………………………... 143 INTRODUCTION………………………………………………………………………………………... 144 I.

OBJET DU SUJET TECHNICO-SCIENTIFIQUE…………………………………………... 146 I.1. Objectifs et principes de la recherche……………………………………………………………… 146 I.1.1. Objectifs……………………………………………………………………………….. 146 I.1.2. Principes……………………………………………………………………………….. 146 I.2. Paramètres à étudier……………………………………………………………………………….. 147 I.2.1. Paramètres à mesurer………………………………………………………………….. 147 I.2.2. Variables……………………………………………………………………………….. 149 I.3. Matériaux employés………………………………………………………………………………. 149 I.3.1. Couche picturale……………………………………………………………………….. 149 I.3.2. Résines………………………………………………………………………………… 150

II.

PROTOCOLE

DE

L’EXPERIMENTATION………………………………………………….

153 II.1. Choix du support…………………………………………………………………………………. 153 II.2. Choix de la couche picturale……………………………………………………………………... 153

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II.3. Choix des vernis………………………………………………………………………………….. 154 II.3.1. Choix des résines……………………………………………………………………… 154 II.3.2. Choix du solvant……………………………………………………………………… 154 II.3.3. Choix de la concentration…………………………………………………………….. 154 II.4. Matériel scientifique……………………………………………………………………………… 155 II.5. Mise en œuvre……………………………………………………………………………………. 156 III.

RESULTATS…………………………………………………………………………………….. 157 III.1. Tests de répétabilité……………………………………………………………………………… 157 III.2. Présentation des résultats………………………………………………………………………... 161 III.3. Analyse………………………………………………………………………………………….. 165 III.4. Tests complémentaires et analyses……………………………………………………………… 166

CONCLUSION………………………………………………………………………………………….. 168

CONCLUSION GENERALE……………………………………………………………………….... 169 BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………………………………. 170 TABLE DES ILLUSTRATIONS……………………………………………………………………………... 174 ANNEXE 1 : GLOSSAIRE…………………………………………………………………………………… 180 ANNEXE 2 : DIAGNOSTIC DETAILLE…………………………………………………………………… 194 ANNEXE 3 : FICHES TECHNIQUES………………………………………………………………………. 204

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AVANT-PROPOS Parmi une liste d’œuvres nécessitant une restauration fournie par la conservatrice du patrimoine au Musée Thomas Dobrée Mme Claire DELALANDE, L’aîné des Horaces, intitulé ainsi dans l’inventaire, s’est démarquée des autres à nos yeux. C’est à la fois par son état, son potentiel esthétique, son sujet, ainsi que par sa présence – qui nous a paru incongrue – au sein de ces collections qu’il nous a impressionné. Les clichés et les informations mis à notre disposition présentaient une peinture aux problématiques de restauration multiples : du support, avec des défauts de continuité et de planéité et une infestation du châssis par des insectes, à la couche picturale, encrassée et poussiéreuse, dont le vernis comportaient de nombreuses altérations. En revanche, nous ignorions que la peinture avait été réalisée sur un papier marouflé sur une toile comportant une couche picturale. Cependant, ces altérations si gênantes pour l’observation de la copie laissaient entrevoir une peinture d’une belle facture. Le sujet aussi était attrayant : une copie, d’après Jacques-Louis David, focalisée sur un détail et non des moindres, un visage d’homme casqué. Dans ce tableau relativement dépouillé fourmillaient de nombreuses pistes de réflexion sur plusieurs thèmes de l’histoire de l’Art. Nous y avons vu l’opportunité de les approfondir, d’autant plus que notre connaissance de David se limitait à ce que l’on peut lire de lui dans les ouvrages généraux, déformée par nos lectures partisanes de Delacroix.

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INTRODUCTION GENERALE Ce mémoire se décompose en trois parties. L’étude historique et la restauration ont pour sujet la copie d’après Le Serment des Horaces de Jacques-Louis David. L’étude technico-scientifique consiste en une comparaison de trois vernis employés en restauration du point de vue de leur impact sur la couleur et la brillance d’une couche de peinture. Dans l’étude historique, tous les éléments à notre disposition, des informations fournies par le musée aux caractéristiques plastiques en passant par les thèmes représentés seront passés en revue de manière à identifier plus précisément l’œuvre en notre possession, et notamment d’en préciser la datation. Par identifier, nous entendons également cerner les motivations de cette copie, et replacer celle-ci dans un contexte culturel. L’étude de conservation-restauration servira à évaluer l’état de l’œuvre, son comportement propre et la nécessité d’intervenir avant de proposer un traitement respectant un cahier des charges précis. Ce traitement fera l’objet d’un rapport dit « d’intervention ». L’étude technico-scientifique, motivée par la volonté de développer notre compréhension des enjeux du vernissage d’une peinture, sera l’occasion de mettre en place un protocole d’expérimentation reproductible permettant une comparaison systématique des résines. Elle ne fournira donc aucune réponse définitive sur les qualités des différentes résines, mais une perspective à développer.

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PARTIE I. HISTOIRE DE L'ART

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INTRODUCTION La copie de tableau est une pratique persistante dans l'Histoire de l'Art. Le phénomène existait déjà au Quattrocento et s'est considérablement émancipé au XVIIème siècle. Si la copie est une marchandise convoitée pour ce qu'elle reproduit et par sa façon de le reproduire, elle est aussi un exercice pour le peintre. Elle revêt donc plusieurs aspects bien différents mais sa référence à un modèle reste sa caractéristique constante. Un sujet copié se donne à voir, et comment peut-il ne pas être vu quand il monopolise l'attention de tout un milieu ? C'est ainsi que le Serment des Horaces, peint en 1784 à Rome par Jacques-Louis David remporta un franc succès public, d'abord à Rome, puis à Paris. Quelles sont les conditions d'un tel succès ? David n'a-t-il pas fait résonner des thèmes particulièrement efficaces dans une époque qui aspire à la régénération ? Mais notre tableau, copie à grande échelle de la figure de l'aîné des Horaces, n'est ni daté, ni signé. On sait uniquement qu'il a pu être peint entre 1784 et 1961, date à laquelle il est consigné dans l'inventaire du Musée Dobrée à Nantes. Cette peinture, que nous estimons peinte au XIXème siècle en première analyse, apparaît comme une incongruité dans les collections. Comment comprendre ses motivations sans datation ni attribution ? Chacun des indices matériels pourraient s'avérer plus parlants que l'interrogation des thèmes qu'elle évoque, car le XIXème siècle pourrait paraître à priori très inerte de ce point de vue, obsédé par la Révolution et la République en politique et par le néoclassicisme à l’Académie des Beaux-Arts. Après avoir présenté notre tableau, par le questionnement sur son parcours, l’iconographie et ses caractéristiques plastiques mises en relation avec l’original, nous expliciterons les thèmes abordés par celui-ci, et par la copie, focalisée sur un détail éclairant en soi la démarche du copiste. Cette étude pourra être recoupée avec l'étude des éléments matériels et des faits propres à l'objet pictural en troisième partie, permettant de proposer un encadrement temporel à la réalisation de cette œuvre.

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I.

UNE COPIE ANONYME ET NON DATEE A NANTES I.1. Parcours de l’œuvre I.1.1. Au Musée Thomas Dobrée Le siècle des collectionneurs, le XVIIIème siècle, fait place au siècle des musées1. Sous

la Révolution Française, l’idée que l’art est source du bonheur à laquelle tout français a le droit de puiser2 mène à la création des musées départementaux dans quinze grandes villes. Les collections sont constituées à partir des immenses fonds accumulés à Paris et à Versailles, distribués par une commission. La place des musées dans la consécration et la conservation des œuvres d’art devenue centrale, les legs et les dons de collectionneurs ainsi que d’artistes ou de leurs héritiers3 se multiplient et pérennisent leurs collections, en échange d’une consécration nominale, acte de reconnaissance symbolique mais gratifiante4. Les « envois » et les « dépôts » de l’Etat sont régulièrement convoités par les élus locaux qui espèrent enrichir les collections. Notamment en 1872 et en 1874 lorsqu’on entreprend de disperser les réserves du Louvre en province. Car le musée fournit un attrait local supplémentaire et des retombées économiques5. C’est donc après un siècle de décentralisation artistique avec la création d’institutions locales6, de développement des provinces, auquel contribuent les artistes et les collectionneurs par leurs legs et dons, que le Musée départemental Thomas Dobrée voit le jour à Nantes, aujourd’hui en Loire-Atlantique. L’œuvre nous a été confiée par sa conservatrice. Ce musée est né de la passion d’un collectionneur d’art : Thomas II Dobrée (1810-1895), fils de l’armateur et négociant nantais Thomas I Dobrée (1781-1828) qui participa au développement économique de sa ville natale. Après le décès de son père, il se retrouve à la tête de sa fortune. En 1838, il décide de quitter les affaires à l’âge de 28 ans pour se consacrer à la constitution d’une collection d’objets et d’œuvres d’art7 qu’il réunira dans le palais de style néo-roman dont l’édification débute en 18628. Progressivement, il fait l’acquisition des Monnier, Gérard. L’art et ses institutions en France de la Révolution à nos jours. Paris : Gallimard, 1995, p.42. Idem, p.87. 3 Ibid., p.93. 4 Ibid., p.94. 5 Ibid., p.103. 6 Moulin, Raymonde. De la valeur de l’Art. Paris : Flammarion, 1995, p.120-121. 7 Aptel, Claire, Biotteau, Nathalie, Richard, Marie, et al. Thomas Dobrée, 1810-1895 : Un homme, un musée. Paris : Somogy éditions d’art, 1997, p.85. 8 Idem, p.276. 1 2

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parcelles du « domaine des Irlandais » sur lequel se trouvaient la chapelle Saint-Gabriel et le manoir épiscopal de la Touche ou manoir Jean V, bâtis au XVème siècle, résidence d’été des évêques de Nantes dont l’usage est accordé aux prêtres Irlandais réfugiés à Nantes à partir de 1695 jusqu’à la Révolution Française. Thomas II Dobrée fera remanier le manoir et démolir partiellement la chapelle pour faire construire son palais à la place. En 1894, il lègue ce dernier et ses collections au Département de Loire-Inférieure pour pérenniser l’œuvre de sa vie et constituer le Musée Thomas Dobrée9. Ouvert au public pour la première fois le 8 janvier 1899, il abrite les collections du Musée départemental d’Archéologie, données au département en 1860 par la Société archéologique et historique de Nantes, regroupées dans le manoir de la Touche selon les conditions imposées par Thomas II Dobrée lors de la donation de son palais, et ses propres collections, riches de plus de dix mille œuvres d’art10 diverses allant des livres précieux, incunables et manuscrits, aux peintures en passant par les estampes, les ouvrages d’orfèvrerie, le mobilier, les tapisseries et les objets d’art graphique et d’art décoratif, de provenances variées et couvrant l’histoire des arts du Moyen-Âge au XIXème siècle. Ces collections se sont enrichies au fil des ans des donations et legs d’archéologues et de collectionneurs, des dépôts de l’Etat et de collectivités territoriales et des achats réalisés par le musée dans l’idée de renforcer les ensembles forts11. I.1.2. Origine et datation L’œuvre qui nous a été confiée pose plusieurs problèmes d’identification. Elle est anonyme et non datée. Diverses pistes peuvent être empruntées pour la datation et l’attribution. Toutefois, une datation précise, c’est-à-dire la détermination d’un millésime de création, est peu probable sans une inscription indicative, un indice matériel bien particulier ou une attribution, laquelle paraît irréalisable pour les raisons que nous allons détailler. Deux types d’informations sont exploitables : les indices matériels et les indices thématiques.

http://grand-patrimoine.loire-atlantique.fr/jcms/sites/musee-dobree/histoire-du-musee-en-t1_129911, consulté en ligne le 18/01/14. 10 Op. cit., p.116. 11 http://grand-patrimoine.loire-atlantique.fr/jcms/sites/musee-dobree/histoire-du-musee-en-t1_129911, consulté en ligne le 18/01/14. 9

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Les indices matériels regroupent chacun des éléments constituant l’œuvre, du châssis au vernis, en passant par la technique – dans laquelle on inclue le style – et les inscriptions diverses. Les indices thématiques sont ce que l’iconographie et son cadre thématique nous disent de l’artiste. En l’occurrence, s’agissant d’une copie de tableau, ils ouvrent la recherche sur les aspects matériels et thématiques de l’original, ainsi que sur le questionnement de cette pratique. Cela nous fournit le premier élément de datation : l’original, Le Serment des Horaces, a été achevé par Jacques-Louis David en 1785. Parmi les éléments matériels, une étiquette collée au châssis porte l’inscription « T.33 ». Elle a été adjointe à l’œuvre lors de l’inventaire réalisé par Dominique Costa en 1961. Le numéro 57-0-2769 est inscrit au revers de la toile, sur le cadre et sur le châssis. Il s’agit d’un numéro d’inventaire dont nous ne connaissons pas la date Figure 5 Numéro d’inventaire de L’aîné des Horaces.

d’inscription. Cependant, la consultation des collections, et notamment des peintures, du Musée Dobrée sur la base

de donnée Joconde12 nous a permis d’encadrer temporellement sa réalisation. De nombreuses œuvres portent un numéro d’inventaire dont l’écriture, caractéristique, est identique. Ainsi, nous pouvons affirmer avec certitude qu’il a été inscrit après 1906, millésime de création du Château de Clisson – Loire inférieure de Félix Alexandre Rigault dont le mode et l’année d’acquisition au musée sont inconnus, mais porteur du numéro d’inventaire consécutif, le 570-2770 (« T.5 » dans l’inventaire de Dominique Costa). Toujours sur la base de la similitude de l’écriture, l’inventaire inconnu aurait été réalisé après 1945, année d’acquisition du Portrait du Général Mellinet (1883) de Jules Elie Delaunay (1828-1891), porteur du numéro 945-2-1 (visiblement un numéro d’inventaire prenant en compte l’année d’acquisition) et de l’étiquette « T.22 ». On peut aussi penser qu’il a été réalisé avant l’inventaire de Dominique Costa puisqu’un intérieur

d’Hendrik

Goovaerts

(1669-1720)

des

Figure 6 Numéro d’inventaire du Château de Clisson – Loire inférieure.

collections porte une étiquette avec l’inscription « T.93 » mais ne porte pas d’autre numéro d’inventaire, et un Portrait d’homme peint par Pierre Bernard et légué en 1969 au Musée Dobrée par le Dr. Paul Thoby ne porte ni le numéro d’inventaire inconnu, ni l’étiquette de 12

http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/pres.htm, consulté en ligne le 14/04/13. Nicolas VILLARD ∙ Conservation Restauration ∙ Spécialité Peinture de Chevalets ∙ Promotion 2014

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Dominique Costa. Il est ainsi possible d’encadrer la réalisation de l’inventaire inconnu entre 1945 et 1961. Cela ne permet nullement d’en conclure à quel moment notre tableau a intégré les collections du Musée Dobrée. Remarquons simplement que toutes les peintures léguées par Thomas Dobrée sont signalées dans la base Joconde. Figure 7 Numéro d’inventaire du Portrait du Général Mellinet.

Pour résumer, L’aîné des Horaces a été acquis par le musée après le legs de Thomas Dobrée en 1894 et aucun

élément de datation évident ne permet d’en connaître le millésime de création. Selon nous, les éléments les plus indicatifs pour une datation, approximative du reste, sont les matériaux constitutifs, notamment le châssis, la toile, la double préparation et le papier, recoupés avec le cadre thématique, la référence iconographique et la pratique de la copie. Quant à son attribution, elle pourrait être faite par recoupement de toutes ces données et par comparaison stylistique. Néanmoins, cette peinture que nous estimons à priori peinte au XIXème siècle – ce que nous détaillerons notamment dans la troisième partie – semble être isolée dans ces collections qui ne disposent que d’un peu plus d’une centaine de peintures, dont seulement une vingtaine de peintures occidentales du XVIIème au XXème siècle, possédant des cadres d’une facture plus travaillée que celle du cadre de notre œuvre, laquelle se distingue par son sujet, une copie d’après David, et sa matérialité, une huile sur papier marouflé sur une toile peinte comportant une double préparation, rouge et grise. Elle apparaît donc comme une incongruité dans ce milieu alors que, d’autre musées, tels que le Musée Magnin à Dijon, réunissent de nombreuses peintures à l’huile sur papier marouflé du XIXème siècle, bien intégrées dans les collections.

I.2. Iconographie I.2.1. Description et identification L’iconographie de cette peinture paraît déconnectée des objets d’art conservés au Musée Dobrée. Bien que l’identification du thème de l’œuvre et sa filiation soient évidentes au premier coup d’œil, il est nécessaire de bien décortiquer l’ensemble des éléments avec un œil naïf, de les classer par « signifiants » et « insignifiants », pour permettre d’approfondir l’iconographie ultérieurement et mettre en lumière une partie des motivations de la copie : la partie thématique.

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Ce tableau donne à voir une figure humaine que l’on identifie à sa morphologie, son sexe étant déterminé par l’attribut physique exclusif qu’est la barbe. Un homme est donc représenté et non une femme. On peut se demander à quel degré cette barbe est signifiante, si elle est un attribut permettant d’identifier un personnage particulier ou un type de personnage. L’homme, représenté n’est ni un jeune homme, ni un vieil homme. La couleur de sa pilosité et de sa chevelure, brune, l’exclut du troisième âge. Ses traits et sa pilosité en font un homme adulte, « dans la fleur de l’âge » semble-t-il. Son visage Figure 8 L’aîné des Horaces, Anonyme, huile sur papier marouflé sur toile, 61 x 50 cm, XIXème siècle, Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes.

a des traits relativement fins, anguleux et équilibrés, semblant être ceux d’un bel homme.

Sa chevelure est bouclée, ses yeux sont marrons et ses sourcils sont fins. Est-ce le visage d’un homme existant, et donc une représentation fidèle à un modèle ? Si ce n’est pas impossible, il reste que cette figure est accompagnée d’attributs, ou en tous cas d’éléments qui l’habillent, et qu’ils nous renseigneront davantage sur le personnage. Il porte un vêtement rouge dont on ne voit qu’une petite partie qui ne permet pas d’en identifier la coupe et le style, ainsi qu’un vêtement de couleur jaune de Naples par-dessus, qui semblerait être une cape d’après la façon dont il est disposé. L’élément le plus intéressant, parce que détaillé, semble être le casque métallique ornementé à crête rouge. Celui-ci rappelle les casques antiques, notamment les casques des Romains couramment représentés dans la peinture académique du XIXème siècle. Il s’agirait donc d’un guerrier Romain, ou au moins d’un homme habillé en guerrier Romain, représenté de profil, à la manière des monnaies antiques. Ce personnage est placé dans une situation limitée par le cadrage. On ne voit qu’un fond sombre d’un gris-noir tirant sur le vert. Cela ne nous renseigne pas sur le lieu où il se trouve, comme s’il n’avait pas d’importance pour la représentation. De cette première analyse iconographique superficielle, nous ne pouvons identifier le personnage en nous reposant sur les signifiants internes à la représentation. Il est habillé en guerrier Romain mais n’a aucun attribut de pouvoir particulier, à part le casque qui semble être celui d’un soldat gradé, et non d’un simple soldat. Mais il ne suffit pas à identifier le personnage.

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Rien de ce qui lui est extérieur ne nous permet d’en apprendre davantage. Bien que son visage possède des traits caractérisés, qui paraissent réalistes, ils semblent aussi idéaux et donc peutêtre idéalisés. L’artiste a donc limité sa représentation à la figure d’un Romain, dont aucun élément n’éclaire précisément l’identité. I.2.2. Original et références Evidemment, l’identification du thème de la peinture se fait au premier coup d’œil de par la popularité de l’œuvre qui l’a inspirée13. Il s’agit d’une copie d’un détail du Serment des Horaces d’après Jacques-Louis David. Elle se focalise sur le buste du personnage situé au premier plan sur la gauche, l’aîné des Horaces d’après A. Péron14. Le sujet s’inspire d’une légende racontée par les historiens latins, notamment Tite-Live. Pour mettre un terme au conflit opposant les cités d’Albe-La-Longue et de Rome, alors sous le règne de son troisième roi, Tullus Hostilius, trois champions sont désignés dans chaque camp : les Curiaces et les Horaces. Publius Horatius, l’aîné des Horaces, ressort vainqueur de cet affrontement. Lorsque sa sœur, fiancée à l’un des Curiaces, aperçoit la dépouille de ce dernier, elle s’effondre en larmes. Indigné par ces sanglots versés en un jour de triomphe et de joie pour Rome, son frère la tue, ce qui révolte le peuple et le sénat et le conduit à passer en jugement devant le roi, dont la clémence laissera au peuple, convaincu et ému par la défense et les larmes du vieil Horace en faveur de son dernier fils15, le soin de l’épargner. Cette légende met en avant la primauté des intérêts de la patrie sur les intérêts particuliers pour les citoyens de Rome en montrant le sacrifice et les déchirements d’une famille, dont Corneille tirera une pièce de théâtre en 1640, accentuant le drame en introduisant Sabine, sœur d’un des Curiaces mariée à l’aîné des Horaces, et développant ainsi la réflexion sur les liens du sang et ceux du mariage. Le Serment des Horaces, dont la genèse est complexe, est achevé par Jacques-Louis David en août 1785 à Rome. L’idée a fait son chemin dans un contexte politique de renouveau artistique mené par le Comte d’Angiviller, Directeur des Bâtiments du Roi, qui, désirant encourager en France la grande peinture, a le projet de distribuer entre un certain nombre des artistes de l’Académie plusieurs tableaux à exécuter pour le Roy, et dont la plupart auraient pour sujet des traits d’histoire propres à ranimer la vertu et les sentiments patriotiques16. La

Sans compter l’identification donnée par le Musée Dobrée ! Dans Schnapper, Antoine. David, témoin de son temps. Fribourg : Office du Livre, 1980, p.74. 15 Tite-Live. Les Origines de Rome. Paris : Gallimard, 2007, p.125-135. 16 Lettre en date du 14 mars 1776, adressée à Pierre, en vue du salon de 1777. 13 14

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première pensée de David est de peindre le moment le plus dramatique : le meurtre de sa sœur, Camille, par Horace. Dès 1781, il en élabore la composition mais semble s’en détourner sur les conseils de son protecteur, l’auteur dramatique Michel-Jean Sedaine (1719-1797), à cause de la violence et de la provocation17 qu’il recèle18. Son attention se porte alors sur la scène du Vieil Horace défendant son fils qu’il propose en réponse à la commande royale19 pour le Salon de 1783. Selon la théorie de Thomas Crow, il repousse le traitement du sujet de Corneille au profit d’Andromaque pleurant Hector (1783) d’après Racine, sentant qu’il en tirerait plus sûrement un succès20. En prévision du Salon de 1785, il propose deux sujets sur les Horaces dont un nouveau devant figurer le serment prononcé par les trois fils de vaincre ou de mourir pour l’honneur de Rome, épisode, absent de la pièce de Corneille, que David suppose s’être placé avant le combat décisif21. Il permet de concentrer toute la tragédie en l’épurant de toute sa violence, en la préfigurant. Si l’on ne sait pas précisément d’où David tire l’idée du serment, bien que des cérémonies ou des instants solennels précédant le combat des Horaces soient évoqués dans les Histoires Romaines de François Catrou (1659-1737) ou de Charles Rollin (1661-1741), on sait d’après l’historien grec Polybe (208 av. J.-C. – 126 av. J.-C.) qu’il est pratiqué au moins depuis l’Antiquité où, par exemple, les tribuns militaires de la République romaine faisaient prêter serment à la première recrue – toutes les recrues sont des citoyens – choisie dont le nom était censé représenter un heureux présage22. Ainsi, le serment romain semble moins être une formalité d’engagement qu’un acte symbolique et sacré23 : David en connaissait-il la pratique ? Nous ne saurions le dire. Néanmoins, il existe deux précédents picturaux par lesquels il a pu être inspiré : Gavin Hamilton (1723-1798), célèbre peintre anglais ayant résidé à Rome de 1756 jusqu’à sa mort, avec sa représentation de La mort de Lucrèce (1763-67) et Jacques-Antoine Beaufort (1721-1784) avec Le serment de Brutus (1771) dans lequel on retrouve la solennité, la lumière plongeante et le motif des bras tendus. En réalité, David est un artiste très curieux et avide de nourritures artistiques. Ses références sont très nombreuses et l’art antique y occupe la place de l’idéal à atteindre, duquel Raphaël est l’artiste

La provocation n’a pas seulement trait à l’incompréhension du public pour le geste furieux d’Horace, mais aussi à la querelle autour de la rupture de l’unité du drame. 18 Crow, Thomas. L’atelier de David : Emulation et Révolution. Paris : Gallimard, 1997, p.57. 19 Les artistes de l’Académie ne se voient finalement pas imposer les sujets et peuvent les proposer eux-mêmes. 20 Idem, p.60. 21 Ibid., p.60. 22 Cosme, Pierre. L’armée romaine : VIIIe s. av. J.-C. – Ve s. ap. J.-C. Paris : Armand Colin, 2012, p.23. 23 Un éditorialiste du Journal de Paris reprocha à David l’introduction dans le sujet des Horaces du serment, le jugeant « avilissant et (…) bas, au-dessous du caractère romain. » N’est-ce pas ignorer la valeur de rituel de cette pratique ? 17

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Figure 9 La mort de Lucrèce, Gavin Hamilton, huile sur toile, 213.4 x 264.2 cm, 1763-1767, Yale Centre for British Art, New Haven.

Figure 10 Le serment de Brutus, Jacques-Antoine Beaufort, huile sur toile, 146 x 184 cm, 1771, Musée municipal Frédéric Blandin, Nevers.

le plus proche24. C’est lors de ses séjours à Rome (1774-1778) et à Naples (1779), en profitant pour visiter Herculanum et Naples, que ce nouvel horizon créatif lui est révélé. Il y étudie sans relâche les chefs-d’œuvre des grands maîtres et copie sarcophages, statues, fragments divers, comme le fit Nicolas Poussin (1694-1665) avant lui25. Ce dernier est aussi un modèle pour David, pas seulement pour son classicisme et la construction solide de ses compositions : il semble qu’il lui emprunte l’attitude du personnage de L’enlèvement des Sabines de 1635 pour l’aîné des Horaces, qu’il modifiera quelque peu. Si la composition en frise n’est pas une nouveauté, exploitée notamment au XVIIème siècle par les artistes classiques italiens et français en référence aux bas-reliefs antiques, l’usage qu’en fait David rompt avec l’idée communément admise qu’il faut éviter les transitions abruptes dans la composition26 : il en fait un prétexte pour distinguer et démarquer les personnages, à la manière des décorations sur les vases étrusques qu’il a beaucoup étudiés, l’unité provenant de la lumière et de l’architecture. C’est toute la force du Serment des Horaces : la synthèse des inspirations réduites à la plus grande économie de moyens, dont la clarté du dessin, au service du drame et de la vertu, du « grand genre ».

Monneret, Sophie. David et le néoclassicisme. Paris : Terrail, 1998, p.51. Schnapper, Antoine. David, témoin de son temps. Fribourg : Office du Livre, 1980, p.45. 26 Crow, Op. Cit., p.62. 24 25

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Figure 11 Détail de L’enlèvement des Sabines, Nicolas Poussin, huile sur toile, 159 x 206 cm, 1635, Musée du Louvre, Paris.

Figure 12 Le serment des Horaces, Jacques-Louis David, huile sur toile, 330 x 425 cm, 1784-1785, Musée du Louvre, Paris.

I.3. Plastique I.3.1. Description La copie d’après David prêtée par le Musée Dobrée est une peinture à l’huile vernie, sur papier, lequel est marouflé sur une toile préparée et peinte, tendue sur un châssis fixe à écharpes. Le format du papier est irrégulier, probablement redécoupé, proche d’un format raisin. La copie a été réalisée à grande échelle approximativement. Si nous n’avons pas de preuve que la peinture sur le papier et la toile peinte soient du même artiste, il nous semble peu probable que ce ne soit pas le cas pour les raisons que nous évoquerons dans la dernière partie de cette étude. La composition particulière de la copie attire l’attention : il semble qu’elle soit contrainte par le format du papier, le respect de l’échelle, et la volonté de représenter l’intégralité du casque. Ces trois contraintes ont conduit le copiste à faire entrer tant bien que mal sa figure dans le format raisin, ne ménageant que très peu d’espace entre le visage et le bord de la feuille, comme il est courant de le faire dans les académies ou les figures aux XVIIIème et XIXème siècles. A l’origine, le casque était probablement complet, sectionné lors de la modification du format, sans doute pour le faire coïncider avec le format de la toile. La composition semble donc être une composition « pragmatique ». Notons que le copiste n’a pas représenté la tête du deuxième Horace qui devrait apparaître dans ce cadrage, confirmant

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l’impression de focalisation sur la figure de l’aîné. Si l’espace propre à l’original joue un grand rôle dans l’impact sur l’observateur, et le sentiment de sévérité et d’austérité, il ne joue aucun rôle dans la copie. Il est tout de même suggéré par le traitement vibrant du fond d’un gris foncé tirant sur le vert et renforcé par le contraste avec la figure. C’est d’ailleurs la lumière qui donne à celle-ci toute sa richesse. Sans l’effet de la lumière, provenant dans l’original d’une ouverture en hauteur et à dextre du tableau, la figure n’offrirait pas tous ces défis plastiques que sont les parties ombrées du visage, et notamment le regard, les transitions subtiles de l’ombre à la lumière, le modelé en somme, ainsi que les reflets et les brillances du casque métallique orné, véritable morceau de style dans lequel un artiste trouve un exercice stimulant. La lumière a plusieurs effets frappants dans le tableau de David. Elle semble inspirée de la lumière caravagesque, divine et sacrée, vers laquelle le vieil Horace tend la main droite, comme s’il l’invoquait et prenait à témoin un ou plusieurs dieux romains.

Figure 13 Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils, Jacques-Louis David, huile sur toile, 323 x 422 cm, 1789, Musée du Louvre, Paris.

Figure 14 Détail de la figure de Brutus.

Il est intéressant d’observer que David emploiera à nouveau cette lumière dans Le sacre de Napoléon vingt ans plus tard. Toujours est-il que les Horaces tournent le dos à celle-ci, ce qui plonge le regard de l’aîné dans l’ombre. Est-ce un heureux effet de l’emprunt caravagesque ? Car l’ombre semble jouer un double rôle, plastique et iconographique. Nous devons nous référer à l’un de ses tableaux suivants pour expliquer ce second aspect. Dans Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils (1789) : Brutus, ayant sacrifié ses fils au nom de l'idéal patriotique, a le visage grave, plongé dans l'ombre. Celle-ci semble être, à l’instar du voile de Timanthe, un procédé servant à signifier la douleur. David s’en servirait pour complexifier et enrichir les 28

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sentiments éprouvés par Brutus car, comme nous le verrons dans la seconde partie de cette étude, l’homme viril qu’il est maîtrise ses émotions et reste stoïque face aux dilemmes qui l’accablent. Dès lors, comment exprimer la douleur ressentie par le père sacrifiant ses enfants, si elle ne se lit pas sur son visage ? Il nous semble que c’est l’ombre qui remplit cette fonction et qu’elle a un usage similaire dans Le serment des Horaces. Mais dans ce tableau, le drame n’est pas encore « joué ». Il est préfiguré et concentré dans la situation représentée. Si elle peut faire référence au dilemme entre le devoir patriotique et l’amitié et le lien familial avec les Curiaces, elle peut aussi préfigurer les troubles que rencontrera l’aîné par la suite. La palette de couleurs est réduite aux tons de chair éclairés et ombrés, au jaune de Naples de la cape, au rouge du vêtement et du panache, au fond gris foncé tirant sur le vert, et aux couleurs métalliques du casque ainsi qu’à ses reflets rougeâtres. Si le nombre de couleurs est limité, les variations sont relativement nombreuses et subtiles, notamment dans le casque et le visage, et constituent elles aussi un défi artistique pour le copiste. I.3.2. Comparaison avec l’original Le copiste semble avoir procédé comme David dans le portrait inachevé de Napoléon Bonaparte conservé au Louvre, mais dans une manière différente. Dans celuici, le dessin a d’abord été tracé rapidement au pinceau, puis le visage a été peint directement avec ses modelés finaux. Cette progression directe a déjà été constatée avant ce portrait, dans l’inachevé Serment du jeu de paume, à la différence qu’un dessin préparatoire très abouti précède l’exécution à l’huile. C’est aussi sa méthode de travail dans Le Serment des Horaces : d’après le témoignage d’Alexandre Péron, David a réalisé des dessins destinés à être reportés sur la toile par une mise au carreau. Après l’avoir détaillé, il a commencé par peindre

Figure 15 Le Général Bonaparte, JacquesLouis David, huile sur toile, 81 x 65 cm, 1798, Musée du Louvre, Paris.

la figure de l’aîné des Horaces intégralement. Plusieurs indices permettent de penser que le copiste a procédé de la même façon pour sa copie. L’exposition de celle-ci à la lumière infrarouge n’a révélé aucun dessin préparatoire ni aucune ligne de construction. D’autre part, le fond semble cerner la figure et le casque abruptement. En revanche, il semble que le drapé

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ne le soit pas et qu’au contraire il recouvre la couche de fond. Il se pourrait que le copiste ait peint celui-ci en deux temps et que dans le premier temps, la couche de fond soit venue le cerner, le second temps correspondant à un travail de finition. L’imprécision de la copie des lignes du dessin par le peintre est un autre indice important confortant la thèse d’une exécution sans dessin préparatoire précis. En effet, le dessin du cimier ne reproduit pas précisément le motif des plumes que l’on observe dans la peinture de David, et dont un dessin d’étude de casque qu’il a réalisé montre qu’il y a accordé de l’importance27. On constate aussi une imprécision dans le contour du drapé.

Figure 16 Le serment des Horaces, Jacques-Louis David, huile sur toile, 330 x 425 cm, 1784-1785, Musée du Louvre, Paris. Détail de la figure de l’aîné.

Figure 17 L’aîné des Horaces, Anonyme, huile sur papier marouflé sur toile, 61 x 50 cm, XIXème siècle, Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes.

D’une manière générale, et bien que la copie soit d’une bonne facture, ce qui la caractérise est l’imprécision de la reproduction. Si les couleurs sont relativement fidèles28, le copiste a cependant négligé certaines parties. Le dessin comme nous venons de le voir est parfois « peu scrupuleux ». Un aspect qui nous semble très important et auquel David semble avoir tenu est la réflexion de la lumière. Cet effet est très frappant dans l’original : les reflets rougeâtres sont disposés très précisément et avec parcimonie sur l’ensemble du casque. Leur

Comme nous le verrons dans la deuxième partie de cette étude, David n’avait pas opté pour un tel cimier dans ses premières esquisses du tableau. Si la forme générale du casque est conservée, le cimier a été modifié, montrant ainsi la préférence qu’il a eue pour ce modèle à plumes surmontées d’un panache rouge, sans doute à la fois plus graphique, impressionnante et cependant sans excès. 28 Ce qui est difficile à vérifier puisque les deux tableaux ne sont pas observés dans les mêmes conditions d’éclairage. 27

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fonction est de le modeler et d’en enrichir l’aspect. Si le copiste semble avoir perçu cet effet plastique impressionnant, sa réalisation, qui se manifeste en plages colorées, n’est cependant pas aussi précise que dans l’original. Bien qu’il soit difficile de comparer la manière du copiste avec celle de David, la touche du peintre ne se matérialisant pas de la même façon selon le support et les conditions d’observation comparative n’étant pas optimales, il semble que le copiste n’ait pas une facture aussi lisse et précise. Le fond, travaillé en pâte, laisse voir les coups de brosse. Les transitions sont moins fines, les contours sont moins finis et les modelés sont moins subtils. Le traitement de la barbe est peut-être celui qui se rapproche le plus de la manière de David, par l’emploi de glacis très maîtrisés. Pour résumer, le copiste fait preuve d’un style assez différent de celui de David, bien qu’il manifeste des velléités d’imitation dans certaines parties, mais peu affirmé. Ceci renforce notre intime conviction qu’il s’agit d’une copie d’étude, et il ne nous semblerait pas impossible qu’elle puisse être l’œuvre d’un élève de David.

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II.

FOCALISATION SUR « L’HOMME REGENERE » II.1. Une tête d’homme II.1.1. Une « figure » Dans la hiérarchie des genres, théorisée par André Félibien (1619-1695) à l’Académie

royale de peinture et de sculpture en 1667, il n’existe pas de catégorie pour la représentation du buste d’un personnage tiré d’un sujet littéraire. L’allégorie, composition qui couvre sous le voile de la fable les vertus des grands hommes, et les mystères les plus relevés, et la peinture d’Histoire, qui présente entre autres les grandes actions comme les historiens en mettant en scène plusieurs figures ensemble, sont alors les deux genres les plus valorisants pour les peintres. Quant au portrait, qui ne donne à voir qu’une seule figure, il est relégué à un rang médiocre. Mais il contient aussi un aspect moral : il doit montrer des gens illustres, qui sont un puissant esguillon pour exciter une âme généreuse et bien née à suivre leurs pistes. Un bon portrait doit rendre compte de la personnalité, du tempérament et du rang social de son modèle. L’aîné des Horaces n’est pas un portrait. Tout au plus lui emprunte-t-il la forme, en réalité extraite d'une forme plus large : la peinture d'Histoire, le genre le plus noble, celui qui place l'Homme, le plus parfait ouvrage de Dieu, dans des grandes actions. Ainsi, l’œil du copiste se focalise sur le visage d’un personnage particulier. Dans l’hypothèse où il s’agirait d’une copie d’étude, on pourrait voir dans l’instauration du concours de peinture de la Tête d’expression en 1759, sur une proposition du Comte de Caylus, les prémisses d’une pratique d’étude, celle qui se concentre sur le visage et son expression. Les artistes participant au concours doivent peindre ou dessiner le visage et la naissance des épaules d’un modèle ou d’une sculpture sur le sujet d’une passion imposée. Il sera très vite mis en concurrence avec

Figure 18 La douleur, Jacques-Louis David, pastel sur papier, 53,5 x 41 cm, 1773, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris. C’est avec cette œuvre que David remporte le concours de la Tête d’expression en 1773.

le concours de « Demi-Figure » ou de « Torse », proposé par Maurice-Quentin de La Tour (1704-1788) en 1776 et mis en place en 1784, qui réintroduit la place du corps dans

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l’expressivité et prépare les participants à la peinture d’histoire29. D’autant que les modèles féminins sont privilégiés dans le concours de Caylus, contrairement au concours de « Torse ». Ce dernier impose aussi aux peintres de représenter le modèle sous trois aspects différents, dont l’un en partie dans l’ombre. Ainsi, l’étude de l’expression des passions mène-t-elle à la maîtrise des fondamentaux de la peinture d’histoire. Faut-il voir dans L’aîné des Horaces une étude prenant pour modèle une référence en matière d’expression des passions intégrée dans un grand sujet d’histoire ? Si le cadrage confirme que le casque constitue aussi un des motifs de celle-ci, et si les aspects plastiques de ce détail du tableau de David en font indéniablement partie, il faut expliquer l’attrait de la représentation de la figure du héros, caractérisée par sa physionomie, son expression et toute la vertu et l'exemplarité qu'ils contiennent. II.1.2. Une physionomie sans expression ? L’intérêt d’un copiste pour le visage s’explique par la place que ce dernier occupe dans la communication de la vertu, et ce depuis les premiers débats doctrinaux de l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture, car il est la partie du corps où elle [l’âme] fait voir plus particulièrement ce qu’elle ressent30. La conférence de Le Brun tenue en 1668 et consacrée à l’« expression des passions » est à l’origine de cette théorie fondamentale du classicisme français, qui formule que le visage est le « miroir de l’âme », dont la passion est un mouvement qui luy fait poursuivre ce qu’elle pense luy être bon, ou fuir ce qui luy paroît mauvais31, en référence à la pensée des philosophes antiques. La représentation de ces passions, subordonnées à l’action dramatique32, compense le silence de la peinture33 : elle la rend intelligible et donc persuasive et didactique. Le succès de cette doctrine perdurera jusqu’au XIXème siècle, bien qu’effacé au début du XVIIIème siècle avec le triomphe de la « petite manière ». C’est le Comte de Caylus qui la réintroduira dans le mouvement du renouvellement de la peinture d’Histoire, le « grand genre », en posant les bases de la réflexion sur l’étude des visages à l’Académie à partir de 1749 et en y faisant instaurer le concours de peinture de la Tête d’expression en 1759

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Idem, p.35. Le Brun, cité dans Barbillon, Claire. Les canons du corps humain au XIXe siècle : L’art et la règle. Paris : Odile Jacob, 2004, p.82. 31 Audran, Jean. Expressions des Passions de l’Ame. Paris : Gallica, Bibliothèque numérique, 1727, p.1. 32 Daumas, Maurice. Images et sociétés dans l’Europe moderne : 15e-18 e siècle. Paris : Armand Colin, 2000, p.117. 33 La formule est empruntée à Catherine Schaller dans Schaller, Catherine. L’expression des passions au XIXème siècle. Thèse de Doctorat présentée devant la Faculté des Lettres de l’Université de Fribourg, en Suisse, 2003, p.19. 30

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pour compléter les enseignements académiques desquels elle est alors absente. C’est dans ce contexte de réflexion autour de l’expression des passions associée au renouvellement du « grand genre » que David évolue. Mais la doctrine élaborée par Le Brun ne s’inspire pas seulement de la pensée antique34, elle s’inscrit également dans le cadre du courant de la physiognomonie, l'étude du rapport des traits du visage à l'âme. Celle-ci se développe au XVIème siècle, en témoigne l'ouvrage De Humana Physiognomonia de Giambattista Della Porta qui connaît un immense succès lors de sa publication en 1586. Au XVIIème siècle, elle devient une science de la connaissance de soi, de la manière de se conduire et de maîtriser ses passions35, et se renouvelle au XVIIIème siècle avec le développement de la médecine scientifique. Deux théoriciens auront une influence profonde sur la pensée de la seconde moitié du XVIIIème siècle. En 1778, Johann Kaspar Lavater (1741-1801) termine son ouvrage intitulé Essai sur la physiognomonie en 1778, traduit en français en 1781. Pour lui, la physionomie est la voie de la connaissance profonde de l’homme, elle fournit des traces de la pensée de Dieu36. Les expressions, les traits et la silhouette d’un visage dessinent le caractère d’un individu : sa beauté, son intelligence et son sens moral sont indissociables. Une autre approche est celle du médecin Hollandais Petrus Camper (1722-1789) qui conçoit la théorie de l'angle facial, dans l’optique d’élaborer une théorie artistique de la beauté. La démarche de Camper est dénuée de l’idéologie qui sous-tend la pensée de Lavater. Son objectif est de rationaliser la beauté. Si le système de Lavater intègre la pensée académique indirectement, par l’étude de l’anatomie qui y est pratiquée, Camper peut librement parler de ses recherches lors des conférences qu’il donnera à l'Académie en 1774 et en 1778. Bien qu’il soit indéniable que la pensée physiognomonique connaisse un regain d’intérêt dans le milieu académique dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, la physionomie de l’aîné des Horaces provient plutôt d’une référence directe à l’iconographie antique et classique. Chez David, la référence aux productions du passé semble jouer un rôle plus influent dans l’épanouissement de son style que l’application des théories enseignées à l’Académie, qu’il considère comme un carcan idéologique. Le dessin du visage de l'aîné des Horaces a fait l'objet de nombreuses esquisses, où l'on voit parfaitement les traits caractéristiques revenir d'une étude à l'autre. Le menton est toujours légèrement saillant, contrebalancé par un nez anguleux,

Nous n’avons pas mentionné le lien étroit entre la poésie et la peinture qui est l’un des présupposés fondamentaux du classicisme, tiré de la formule du poète latin Horace : ut pictura poesis. 35 Daumas, Op. Cit., p.117. 36 Lavater cité dans Barbillon, Op. cit., p.87. 34

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presque crochu, parfois long ; le passage du menton à la gorge ne forme jamais un angle droit ; la chevelure et la barbe sont pratiquement identiques dans tous les cas. On observe sur l'une des

Figure 19 Sculpture romaine parfois identifiée comme le buste d’Arminius, Musée du Capitole (?), Rome.

Figure 20 A gauche : Tête de jeune homme, d’après le buste dit d’Arminius – En haut à droite : Tête de guerrier, étude pour le Serment des Horaces – En bas à droite : Tête de jeune homme coiffé du bonnet phrygien. Dessins de Jacques-Louis David, Musée du Louvre, Paris.

planches un dessin du buste d'Arminius au Capitole, dont le visage rappelle aussi toutes ces caractéristiques. On ne peut pas affirmer que la figure d'Arminius, personnage très éloigné de l'Histoire des Horaces par ailleurs, fut un modèle pour le dessin de l'aîné, mais sa copie suggère qu'elle est un exemple, un idéal héroïque si l'on veut, qui a retenu l'attention de David, indubitablement pour la physionomie, qui correspond à une expression tout aussi idéale. Car ce que l’on pourrait voir comme un visage dénué d’expression est au contraire une expression, non pas fondamentale dans la doctrine de Charles Le Brun, mais héroïque par excellence : la hardiesse. Ses traits sont droits, parallèles, la bouche semble resserrée, donnant au visage un caractère déterminé, sans la moindre interférence de sentiments qui paraîtraient concevables pour un homme confronté à la guerre, à un dilemme moral, et à la mort. C'est que cette expression n'est pas celle d'un homme ordinaire, c'est celle d'un homme qui maîtrise ses émotions, et plus largement, un homme pour qui le sentiment du devoir envers la patrie, la terre des Figure 21 La Hardiesse : deux têtes de face et une de profil, Charles Le Brun, plume, pierre noire et encre noire sur papier, XVIIème siècle, Musée du Louvre, Paris.

ancêtres,

interdit

l'émergence

des

sentiments

secondaires, un homme qui accepte son devoir, si douloureux soit-il. A l’opposé de l’attitude et de

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l’expression de la tristesse du groupe des femmes dans le tableau de David se situe la hardiesse et la détermination, le « panache » de la virilité. II.1.3. Une coiffe virile Comme nous l’avons remarqué dans la description iconographique de la copie, le seul élément véritablement signifiant est le casque porté par l’aîné des Horaces. Ce n’est pas seulement ce qui le distingue dans celle-ci, c’est aussi ce qui le distingue dans le chef-d’œuvre de David. Si nous ne connaissons pas d’étude sur la place du casque dans la peinture, que ce soit française ou internationale, il semble évident qu’il constitue un leitmotiv de la peinture d’histoire et qu’à ce titre, il mériterait une étude systématique. Nous pouvons cependant tenter d’aborder la question brièvement. Il a d’abord la fonction fondamentale d’indiquer le statut social d’une figure à l’exemple des soldats romains de L’enlèvement des Sabines de 1635 de Poussin37 par opposition à Romulus qui porte une couronne en or. Il est donc un attribut associé au guerrier. Dans le même tableau, le soldat au premier plan à gauche a perdu son casque qui est tombé au sol. C’est une autre de ses propriétés : le casque est un symbole de pouvoir. Le soldat qui le perd est donc mis en difficulté. Ce qui est ici un effet dramatique pour accentuer le tumulte de la scène est clairement affirmé dans des tableaux tels que La mort de Germanicus (1628), où le casque « gît » près du général romain expirant, ou encore dans Renaud et Armide (1629), où le Figure 22 L’enlèvement des Sabines, Nicolas Poussin, 1635. Détail.

chevalier chrétien endormi, le casque

déposé, s’apprête à être envoûté. Un guerrier qui ne porte pas son casque est en position de faiblesse. Il faut aussi évoquer l’évident attrait plastique du casque antique, renforcé par son côté pittoresque. Là encore, il conviendrait d’analyser les cas où les guerriers portent des

De ce point de vue, la seconde version propose une variation notable de l’emploi du casque dans la représentation. 37

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casques ornementés et ceux où ceux-ci sont plus rudimentaires, avec et sans crête ou « panache ». L’ornement métallique est un morceau de style pour le peintre par le travail d’imitation du matériau et des effets de reflets et de brillances dus à la lumière qu’il requiert. En cela, le casque de l’aîné des Horaces constitue une motivation pour la copie. Peut-être a-t-il participé au grand effet que fit cette figure aux yeux du public, d’après le témoignage d’Alexandre Péron. Car les casques des Horaces, attributs de pouvoir du guerrier, doivent aussi impressionner ceux qui le voient. On trouve dans nombres de peintures des casques très ornementés, dorés, dont les panaches gigantesques et colorés forment des volutes remarquables. C’est qu’effectivement, le casque antique avait non seulement la fonction de protéger celui qui le porte, mais de signaler son identité à ceux qui le voient, et de les impressionner, dans la vie civile comme lors des affrontements38. On pourrait voir dans le choix du casque des Horaces une volonté de simplicité, pour ne pas dire austérité, mais la question reste complexe : pourquoi David choisit-il des casques et des cimiers aussi discrets dans ce tableau alors que l’on trouve dans des tableaux qui l’encadrent temporellement, comme le Bélisaire ou Les Sabines, des modèles respectivement plus sophistiqués et plus imposants ? La réponse se trouve peut-être dans l’évolution de son goût et de ses préoccupations esthétiques du moment. Les premières esquisses du Serment montrent que le cimier du casque de l’aîné des Horaces était encore moins imposant qu’il ne l’est finalement : il l’aurait agrandi pour renforcer l’effet de la figure de l’aîné sur l’observateur, comme pour indiquer sa supériorité. Il semblerait que ce modèle soit inspiré des bas-reliefs de la colonne Trajane dont on sait qu’il possédait des moulages qu’il a copiés assidûment. Il peut aussi s’inspirer des études qu’il a faites à Rome d’après les bas-reliefs des collections de la villa Borghèse par exemple. Nous ne saurions dire à quel degré David voulait respecter la réalité historique de son sujet. D’autant plus que la véracité des récits de la fondation de Rome par les auteurs latins et grecs est alors remise en question par certains historiens dont fait partie Louis de Beaufort (1703-1795) avec sa Dissertation sur l’incertitude des cinq premiers siècles de l’histoire romaine, publiée en 1738. Quoiqu’il en soit, le type des casques représentés par David appartient au Haut-Empire Romain et non à la Monarchie des premiers siècles, contexte de l’action des Horaces. S’ils sont les mieux documentés, et a fortiori les plus connus des artistes de l’époque, ils sont aussi les plus diversifiés, répartis entre les différentes classes de soldats,

Feugère, Michel. Casques antiques : Les visages de la guerre, de Mycènes à la fin de l’Empire Romain. Paris : éditions errance, 2011, p.9-10. 38

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les cavaliers et les sportifs. Nous ne savons pas quel était l’état des connaissances archéologiques, notamment en ce qui concerne les casques antiques, à l’époque de David, ni si celui-ci s’appuyait dessus. Cela étant, certains connaisseurs tels Tischbein note des incohérences dans l’ensemble du décorum du tableau de David et, si l’on sait aussi que ce dernier n’a pas hésité à y intégrer des créations mobilières de sa main, les sièges particulièrement, ceux-ci sont couverts de drapés, comme pour les dérober à la vue de l’observateur. Il semblerait donc que la volonté de coller à la réalité historique, ou au moins de ne pas la transgresser, existe. Aujourd’hui nous savons

que

l’ensemble

comporte

de

nombreux

anachronismes, ce qui ne remet pas en question l’existence de cette préoccupation. Cependant, elle n’est pas le seul critère dans le choix des accessoires et dans leur représentation. En effet, dans les premières études, David représente la paragnathide, ou couvre-joue, du casque de l’aîné, qu’il a fini par supprimer. Il nous semble qu’il y a là

Figure 23 Tête de guerrier, Jacques-Louis David, Musée du Louvre, Paris. Ce dessin semble avoir été réalisé d’après un bas-relief au palais Mattei di Giove à Rome.

un enjeu esthétique : la paragnathide empêcherait la transition de l’ombre du visage à la pleine lumière ce qui, comme nous l’avons souligné dans la partie plastique, constitue un effet important dans la figure de l’aîné. Ainsi, David sacrifie la cohérence, sa source d’inspiration même, pour une raison plastique. D’autre part, les ornements du casque semblent être empruntés à un autre modèle, probablement dessiné par David d’après un véritable casque et le cimier, normalement composé des plumes seules, est additionné d’un panache rouge. Quant aux

Figure 24 De gauche à droite : Dessins d’accessoires – Etude de casque – Tête de guerrier, étude pour le Serment des Horaces. David semble avoir repris le motif des accessoires pour l’ornementation du casque. Il a aussi supprimé la paragnathide dans le dernier dessin, laissant apparaître la chevelure et la joue barbue.

plumes, les reflets rougeâtres déjà évoqués indiquent qu’elles sont métalliques, ce qui ne correspond pas à la réalité : mais les bas-reliefs ne permettent pas à l’artiste de savoir en quel

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matériau elles sont faites et le laissent libre d’interpréter. David aurait donc pu s’inspirer d’un modèle qui a longtemps occupé son esprit, la colonne Trajane, et l’aurait arrangé à sa convenance, pour des raisons plastiques. Ce type de casque, relativement discret et d’une forme simple, correspondrait aussi à l’épuration et l’efficacité qu’il voulait pour son tableau. Et l’austérité n’est-elle pas aussi figurative du stoïcisme des Horaces ?

II.2. Les temps de la virilité II.2.1. La virilité Romaine Ce portrait ou cette figure, c'est d'abord le « vultus viriles », le visage viril d'un Romain, un homme d'une civilisation passée sur laquelle l'époque, et pas uniquement les révolutionnaires en devenir, projette ses fantasmes. L'enseignement que reçoit David au prestigieux Collège des Quatre-Nations, comme ceux de ses contemporains qui ont accès à l’éducation, est fondé sur la connaissance du latin et de l'Histoire grecque et romaine. A titre d'exemple significatif de ce qu'a pu tirer David de cette culture, Mercier, son camarade d'étude, témoigne ainsi :

Le nom de Rome est le premier qui ait frappé ma mémoire. Les noms de Brutus, Caton, Scipion me poursuivaient dans mon sommeil. J'étais républicain avec tous les défenseurs de la République... je rasais Carthage la superbe... je suivais la marche triomphale des aigles dans les Gaules.39 Au-delà de son éducation, David reste immergé dans la mode antiquisante par ses fréquentations mondaines, littéraires, et surtout par le monde de la peinture. La vertu romaine est dans l'air du temps. Et la peinture se doit de la figurer. Chez les Romains, on atteint l'âge d'homme quand la première barbe apparaît sur les joues : c'est alors qu'on est amené à couper les cheveux longs et bouclés qui sont la marque des enfants et des jeunes adolescents40. Le corps romain répond à des codes : l'homme romain se présente avec un visage et un corps bronzé, par contraste avec la blancheur, propre à la féminité41 ; le corps viril et bronzé est assimilé au corps du guerrier et au corps de l'athlète, car Cité dans David et le néoclassicisme, Sophie Monneret, Terrail, 1998. Dans Vigarello, Georges (Dir.). Histoire de la virilité : 1. L’invention de la virilité. Paris : Seuil, 2011, p.68. 41 Idem, p.85-86. 39 40

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guerre et sport sont intimement liés42. Le port de la barbe était considéré comme un signe de virilité jusqu'à la fin de la République, vers 300 av. J.-C43. De toute évidence, les peintres de la fin du XVIIIème en connaissaient les codes principaux. Cette description physique de l'homme viril est intimement liée à sa description morale, car le sport et la guerre sont l'expression du courage physique 44. Mais cette bravoure ne doit s'exprimer qu'en fonction d'un collectif, et non sur une initiative personnelle. La tendance à l'exploit solitaire est souvent qualifiée d'intemperantia. Il ne peut être réalisé sans obtenir l'aval du commandement. Jean-Paul Thuillier cite l'exemple de Mucius Scaevola qui propose de s'introduire dans le camp étrusque pour tuer le roi Porsenna, intrusion au cours de laquelle il sacrifiera sa main droite, illustrant parfaitement sa formule Et facere et pati fortia Romanum est : être Romain – c'est-à-dire être un citoyen viril – c'est accomplir et subir avec un courage indomptable, au service de la patrie45. Dans le combat, le patriote romain n'a que deux choix : vaincre et tuer l'ennemi, ou mourir46. Car le Romain idéal doit tendre vers la domination : son éducation le destine à conquérir le monde, à imposer aux nations son pouvoir […] à dompter les superbes47. Cette ligne de conduite donne au peuple romain – aux citoyens – sa cohérence, autant que la fidélité à ses valeurs et d'abord à sa patrie48. On voit facilement le lien avec la thématique du Serment des Horaces. Ceux-ci prêtent serment devant le père, le représentant de la terre des ancêtres, et ils le font avec stoïcisme. La pudeur dans l'expression des sentiments, la maîtrise de soi forment le critère essentiel de la virtus romaine49. Ces valeurs ont été transmises à travers les siècles par les écrivains latins – Tite-Live, Virgile, Plutarque, etc... – et ne représentent pas la réalité factuelle mais dessinent la ligne idéologique de la civilisation romaine, le modèle du citoyen patriote et guerrier, fortement diffusé au XVIIIème siècle par la littérature et l’éducation. II.2.2. Les virilités Davidiennes Il serait réducteur, à notre avis, de proposer un schéma de la virilité traitée par David, tant elle semble recouvrir de facettes. Nous venons de synthétiser le portrait physique et moral 42

Ibid., p.87. Ibid., p.94. 44 Ibid., p.102. 45 Ibid., p.103. 46 Dans Ibid., p.104. 47 Dans Ibid., p.104. 48 Dans Ibid., p.109. 49 Dans Ibid., p.100. 43

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du citoyen modèle de la Rome antique et pouvons le recouper avec la représentation du Serment des Horaces. Bien que notre copie ne reprenne que le visage de l'aîné, il nous semble intéressant de montrer en quoi l'ensemble peut polariser un copiste, pour en revenir ensuite uniquement à ce visage. Commençons par noter que le groupe des hommes constitue justement un collectif, ce que nous comprenons par le placement des bras. Le père, isolé dans le groupe, se place au sommet de la hiérarchie du fait qu'il est illuminé et qu'il tend sa main droite vers la lumière, mais aussi par sa position centrale et les signifiants iconographiques comme la barbe fournie et grise, symbole de virilité et de maturité, combinés à l'effet plastique – et symbolique – provoqué par la surface rouge du drapé dominant le centre de la composition. Les fils tendent leur bras gauche et l'aîné le bras droit vers le représentant de l'autorité et sont soudés entre eux, celui du milieu tenant son aîné par la taille. Nous avons donc là la mise en forme d'un collectif dirigé et solidaire. A ce titre, le serment, acte sacré par excellence, l’engage et scelle son dévouement envers l'autorité. Pour en revenir à la représentation de l'exemplum virtutis dans le tableau de David, les corps correspondent bien à la culture du corps guerrier et athlétique : les muscles sont saillants, proportionnés, la peau des hommes est bronzée et le père et l'aîné sont barbus. Les armes symbolisent le combat et la violence auxquels les frères se soumettent stoïquement, en véritables citoyens romains. On peut voir dans l’œuvre de David de nombreuses variations sur le thème de la virilité. Même si nous avons souligné que le rôle joué par l’ombre est commun à l’aîné et à Brutus, c’est la solitude de ce dernier qui est mise en avant dans Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils (1789) : contrairement au Serment, l’action tragique a déjà eu lieu et la virilité s’exprime dans la douleur. Les Horaces et Brutus ne sont pas les seuls modèles virils proposés par David : Socrate et Marat possèdent une virilité particulière, à dimension christique, le tardif Mars désarmé par Vénus illustre une virilité dégagée de « l'événement ». Le cas de La mort du jeune Bara est intéressant à la lumière de ce qui vient d'être exposé. Le jeune Bara aurait été tué pour n'avoir pas voulu crié « Vive le roi ! ». Robespierre voulait que soit mise en Figure 25 La mort du jeune Bara (inachevé), Jacques-Louis David, huile sur toile, 118 x 155 cm, 1794, Musée Calvet, Avignon.

scène l'innocence outragée, conduisant David à ne pas représenter les parties viriles, la position

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du corps, qui serait inspirée du Sommeil d'Endymion de son élève Girodet et de l'idéal de circonstance de l'éphèbe théorisé par Winckelmann, en pleine lumière permettant de masquer la violence de ce détail. Un autre détail intéressant à ce sujet est la longueur des cheveux, marque de la jeunesse. Le patriote martyr n'est pas représenté d'après sa bravoure rapportée par la lettre du général Desmarres, ni dans l'attitude droite et apaisée du martyr Marat, quoiqu’il en partage le titre de victime ou de martyr, mais par ce qu'il ne pourra pas être : un homme viril. On voit donc une multitude de représentations de la virilité dans l’œuvre de David, sans même parler de la période Napoléonienne. La particularité de la virilité mise en scène dans le Serment réside dans la suspension préfigurant l’action et dans l’expression d’un idéal collectif. L’œuvre semble être un point de convergence de la régénération de la vertu, forcément collective, et de la régénération de la peinture, un art « abâtardi » par les « pinceaux efféminés » des peintres du rococo50.

II.3. David, chantre de la régénération II.3.1. David et le Néo-Classicisme Le Néo-Classicisme prend ses racines dans un bouillonnement intellectuel européen en faveur d’un retour à l’art antique et au classicisme, que ce soit en architecture, en sculpture ou en peinture. En Italie, les fouilles, à la faveur des collectionneurs et du commerce en expansion, se poursuivent inlassablement, débouchant sur la découverte d’Herculanum (1711) et de Pompéi (à partir de 1748) notamment, mettant au jour sculptures, bas-reliefs ou encore sarcophages, renouvelant ainsi l’intérêt des intellectuels et l’attrait des artistes qui s’en inspirent51. Aussi bien les Anglais que les Allemands ou les Français veulent faire le pèlerinage à Rome et en Italie. Au milieu du siècle, les intellectuels, dont Winckelmann, installé à Rome depuis 1755, se querellent sur la valeur de l’art romain en regard de l’art grec, participant à l’édification d’une connaissance historique des objets antiques. Pour ce dernier, seul l’art grec s’est élevé au « Beau Idéal » en respectant trois principes : l’unité, la simplicité des proportions et la dimension contemplative52. Il en conclut que le seul moyen (…) d’atteindre la grandeur et, si c’est possible, d’être inimitables, est d’imiter les Anciens53. Les échanges internationaux, Labreuche, Pascal. Paris, capitale de la toile à peindre : XVIIIe-XIXe siècle. Paris : CTHS – INHA, 2011, p.117. Moatti, Claudia. A la recherche de la Rome antique. Paris : Gallimard, 2003, p.61. 52 Idem, p.82. 53 Ibid., p.82. 50 51

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les voyages des peintres et des intellectuels, les discussions dans les salons, les traductions et les publications de théories et de gravures contribuent à la diffusion de « l’antiquomanie » et des idées de Winckelmann, ainsi que de Mengs, lui aussi théoricien influent, passionné par l’art antique et peintre à succès. Dans la peinture française, le renouveau se manifeste symboliquement en 1747, avec la publication des Réflexions sur quelques causes de l’Etat présent de la peinture en France du critique d’art Etienne La Font de Saint-Yenne (1688-1771) et lorsque le directeur des Bâtiments de France Lenormant de Tournehem confie à Charles-Antoine Coypel la charge rétablie de Premier Peintre du Roi, afin de préparer le retour de la peinture d’histoire, contre la peinture frivole dont Boucher est le plus illustre et sollicité des représentants54. A ce moment-là, il n’est pas question encore de retour à l’antique, pas plus que des théories de Winckelmann ou Mengs. De nombreux artistes influents redoutent cependant la décadence des arts, dominés par le style rocaille. L’architecte Soufflot et le peintre et graveur Charles-Nicolas Cochin, futur Premier peintre, reviennent d’Italie en 1751 où ils ont accompagné le futur Surintendant des Bâtiments M. de Vandières, qui deviendra le marquis de Marigny, et diffusent leur enthousiasme pour une Antiquité revivifiée55. Ainsi, le retour à l’antique enrichit le projet de restauration du « grand goût » en peinture mais n’en constitue pas le motif. Dans ce contexte de régénération des arts français, en réaction contre la « petite manière », et de contamination de « l’antiquomanie », Joseph-Marie Vien, protégé du comte de Caylus, lequel s’emploie à répandre le goût de l’antique auprès des artistes, deviendra le père du néo-classicisme en peinture. Celui-ci est caractérisé par le rétablissement de la peinture d’histoire comme genre de l’excellence, par la primauté du dessin sur la couleur, laquelle ne doit pas altérer la « grandeur calme » du motif56, et par un retour aux sources, celles du classicisme et de l’art antique. David entre dans l’atelier de Vien à l’âge de 17 ans57. Evoluant dans le parcours académique, il ambitionne d’obtenir le Grand Prix de l’Académie et le séjour à Rome qu’il autorise. Il y parvient en 1774 et s’enrichit au contact de l’art antique et des chefs-d’œuvre de la peinture italienne notamment. Son voyage à Naples en 1779 lui donnera l’occasion de visiter Herculanum et Pompéi, ce qu’il vivra comme une révélation. Après son agrément par l’Académie à l’unanimité avec son Bélisaire (1781), lui permettant d’exposer aux Salons, il est déjà sollicité pour répondre aux commandes royales passées par le Comte d’Angiviller,

Cabanne, Pierre. L’Art du XVIIIème siècle. Paris : Editions Aimery Somogy, 1987, p.159. Monneret, Sophie. David et le néoclassicisme. Paris : Terrail, 1998, p.18. 56 Cabanne, Op. cit., p.185. 57 Monneret, Op. cit., p.19. 54 55

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normalement accordées aux membres de l’Académie. Cependant, il proposera d’abord son morceau de réception à l’Académie, La mort d’Andromaque (1783) qui fait de lui un membre officiel. Le Serment des Horaces (1785) constituera donc son premier tableau en tant qu’académicien, et un tableau novateur, par son dépouillement, son audace formelle, sa référence à l’art antique et à l’art classique et sa thématique virile et patriotique. La Révolution lui apportera le privilège de ne plus avoir à peindre la gloire du passé mais de participer à l’Histoire, son engagement politique prolongeant son engagement artistique. David exploite parfaitement les réseaux de sociabilité, depuis que son protecteur Michel-Jean Sedaine l’a introduit dans les salons parisiens au cours de son évolution académique. Il s’est fait une grande réputation de peintre, de portraitiste et de pédagogue : il est à l’avant-garde de la régénération des arts. Son influence est telle qu’il parvient à faire tomber l’Académie et ses privilèges. Celui qui sera Premier Peintre de l’Empereur n’est pas seulement au cœur de l’activité artistique et politique de son temps, il a aussi permis à ses élèves de s’émanciper de son modèle et de ses propres critères esthétiques. Il est aussi celui qui a redonné à la peinture d’histoire ses lettres de noblesse par la synthèse des inspirations classiques et antiques. La nouvelle esthétique née de cette synthèse, bien que rapidement remise en cause avec l’émergence de nouveaux courants au début du XIXème siècle, sera cependant perpétuée par l’Académie des Beaux-Arts, fondée en 1816. II.3.2. Fortune critique Le Serment des Horaces recevra un accueil si triomphal qu’il propulsera définitivement David à la tête de l’école française de peinture. Si sa carrière prit son envol grâce à son succès au Salon de 1781 après lequel les clients, les élèves et les commandes commencèrent à affluer58, l’accueil public du Serment fut sans précédent. Lorsque le tableau est achevé à Rome en août 1785 : (…) Il est accueilli, montré au doigt de tout le monde à Rome. Italien, Anglais, Allemand, Russe, Suédois, que sais-je, toutes les nations envient le bonheur de la France de posséder un tel homme. Son tableau est public et il ne cesse d’y aller du monde. Il reçoit tous les jours des vers, latins, italiens, français.59 L’accueil parisien fut aussi un triomphe, augmenté par la bonne place occupée par le tableau 58 59

Schnapper, Op. Cit., p.66. Drouais cité in Idem, p.74.

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dans le Salon Carré et surtout par l’envoi volontairement retardé par David, qui savait parfaitement que, lors de l’ouverture du Salon, l’attention des visiteurs est sollicitée de toutes parts60. David devient alors le maître de l’avant-garde et accueille de plus en plus d’élèves désirant être formés par lui. Son aura déborde du cadre de la sphère artistique, si bien que c’est parce qu’il est l’auteur de Brutus et des Horaces qu’il est choisi pour fixer sur une toile monumentale le serment du Jeu de paume, événement majeur de la Révolution Française. C’est à partir de ce moment-là que son engagement politique se manifeste, en étroite relation avec son engagement artistique. Durant cette période, David est au cœur de la vie artistique et politique. Ses tableaux des « martyrs de la liberté » ainsi que les fêtes révolutionnaires qu’il organise, notamment la fête de l’Être suprême qui en constitue l’apothéose, le préparent à sa consécration future, avec l’arrivée de Napoléon au pouvoir. Après la chute de Robespierre et son emprisonnement, David finit par renouer avec la peinture d’Histoire en réalisant Les Sabines, achevé fin 1798 et présenté au public le 21 décembre 1799, après le coup d’Etat du 18 Brumaire et l’instauration du Consulat. C’est un succès qui se prolonge jusqu’en 1805 et totalise à peu près cinquante mille visiteurs61. Malgré des rapports difficiles avec celui qui devait être proclamé Empereur des Français le 18 mai 1804, David devient « Premier peintre de l’Empereur » et reçoit la commande de quatre tableaux monumentaux commémorant les festivités du couronnement de Napoléon. Seuls Le couronnement de Napoléon, devenu Le Sacre de l’Empereur Napoléon Ier et le couronnement de l’Impératrice Joséphine, achevé en 1807, et La distribution des Aigles au Champ-de-Mars, achevé en 1810, seront peints. La fin de cette période glorieuse pour David coïncide avec son travail sur Léonidas aux Thermopyles de 1813 à 1814 dont l’accueil fait écho à l’actualité : c’est une fois de plus l’occasion d’un engagement politique dans cette période mouvementée. Napoléon abdique le 6 avril 1814 et la Monarchie est restaurée. Louis XVIII met fin aux fonctions officielles du peintre. Après les Cent-jours, David s’exile à Bruxelles, ne bénéficiant pas de l’amnistie en tant que régicide et signataire de l’Acte additionnel aux Constitutions de l’Empire en mai 1815, s’engageant ainsi à refuser le rétablissement des Bourbons. Sa réputation internationale n’en souffre pourtant pas62, du moins se voit-il sollicité pour être ministre des arts à Berlin, ce qu’il refuse. En Belgique, s’il n’est pas isolé et reçoit de nombreuses personnalités des arts telles que Horace Vernet, Géricault ou encore le Premier Peintre du roi Guillaume Ier, sa carrière y est plus paisible. David a fait son travail, il a régénéré les arts en France : il jouit maintenant d’une vie plus tranquille. Monneret, Op. cit., p.69. Idem, p.138. 62 Ibid., p.185. 60 61

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Un autre versant de l’art de David illumine son œuvre : le portrait. Son activité de portraitiste couvre toute sa carrière : de ses premiers succès à son crépuscule bruxellois en passant par la tourmente de la Révolution. Dans le genre du portrait, le succès d’un artiste est étroitement lié à la position sociale de ses commanditaires et à leur nombre. Il aura eu l’occasion de peindre les grandes figures de son temps, des époux Lavoisier à l’Empereur Napoléon Bonaparte en passant par l’une des femmes les plus célèbres de Paris, Juliette Récamier, dont les réceptions furent très prisées. Mais sa plus belle récompense, consacrant son talent de portraitiste, lui fut offerte à l’occasion du séjour à Paris du Pape Pie VII en 1805 : il put réaliser son portrait, en trois exemplaires pour les offrir à Sa Sainteté, à l’Impératrice Joséphine et à l’Empereur. Après son décès, le 29 décembre 1825, David, bien que célébré à Bruxelles et à Paris, tombe dans un semi-oubli. Son exil et le contexte politique en France n’y sont sans doute pas étrangers, mais un autre phénomène y participe : le paysage artistique se métamorphose progressivement. Le mouvement romantique s’impose et s’éloigne des préceptes et des thèmes du néoclassicisme. L’Antiquité, si elle n’est pas totalement délaissée, est effacée par les sujets gothiques ou légendaires63. Le nombre d’artistes augmente exponentiellement au cours du XIXème siècle et ne peut que mener vers davantage de diversité. Bientôt, la peinture d’Histoire sera concurrencée par le renouvellement des genres mineurs. Mais David n’est pas seulement victime de son engagement politique passé, ni de l’émergence d’une nouvelle peinture vouée à s’émanciper du régénérateur de l’art en France64, il est aussi écrasé sous la surproduction de ce qu’on appellera « l’art pompier » de ses suiveurs et par l’académisation du néoclassicisme65. Dans cette période, l’effervescence de ces passions contraires66 a couvert sa gloire. Pour cette raison, Etienne-Jean Delécluze (1781-1863), ancien élève du peintre et critique d’art conservateur, attendra 1855 pour publier ses souvenirs du maître afin de le réhabiliter ou du moins, de porter sur ses travaux un jugement impartial, et de le faire accepter avec calme aux lecteurs67. Cette première tentative de réhabilitation n’empêche pas certains artistes d’avoir un regard lucide sur le peintre du Serment des Horaces, parmi lesquels Delacroix, figure de proue du romantisme en peinture, qui reconnaît qu’il est le maître de toute l’école moderne en peinture et en sculpture68. Baudelaire, à l’occasion d’une exposition lors de laquelle réapparaît le Marat

63

Ibid., p.203. Ingres cité in Ibid., p.203. 65 Ibid., p.204. 66 Delécluze, Etienne-Jean. Louis David : Son école et son temps. Paris : Editions Macula, 1983, p.XX. 67 Idem, p.XX. 68 Monneret, Op. cit., p.204. 64

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assassiné en 1846, fait l’apologie du tableau et de David en réaction contre le dénigrement dont celui-ci est victime. Petit à petit, les références d’abord discrètes de peintres d’avant-garde tels que Degas dans les Jeunes filles spartiates défiant les garçons à la course ou Seurat dans les Poseuses ou La parade font place à une véritable révérence par les avant-gardistes du XXème siècle69. David n’est donc jamais tombé totalement

dans

l’oubli.

Sa

gloire,

si

Figure 26 Jeunes Spartiates s’exerçant, Edgar Degas, huile sur toile, 97,4 x 140 cm, 1860, Art Institute, Chicago.

envahissante de son vivant, a généré une réaction tout aussi démesurée de rejet, partiel cependant, public pourrait-on dire. Car ses suiveurs n’ont pas cessé de l’admirer, jusqu’à s’en inspirer obsessionnellement dans leurs thèmes et leurs représentations, remplies de guerriers nus et casqués idéalisés.

69

Idem, p.205. Nicolas VILLARD ∙ Conservation Restauration ∙ Spécialité Peinture de Chevalets ∙ Promotion 2014

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III. LA COPIE COMME OBJET PICTURAL III.1. La réalisation de l’objet pictural III.1.1. Les constituants et leur matérialité Les différents constituants de l’œuvre, le papier, la toile, les préparations et le châssis permettent de préciser l'identité de l'objet. L’étude de l’histoire des techniques, du matériel et des fournitures, en termes de caractéristiques, de qualité et d’accessibilité pourrait fournir de nombreux indices de datation de notre tableau et nous aider à cerner ses motivations et sa destination. La toile est composée de fils de lin fins, de tissage moyen dans un format (61 x 49,50 cm) correspondant à une toile de 12 (approximativement 60,9 x 50 cm) de la première standardisation des formats en France autour de 175770 – maintenue dans ces dimensions au XIXème siècle lors de la deuxième standardisation71 – originellement tendue sur le châssis fixe à écharpes par des semences. Elle est encollée et festonnée, et comporte une préparation rouge recouverte d'une préparation grise, absentes des bords de clouage. Pascal Labreuche distingue trois filières de production des toiles enduites au XVIIIème et au XIXème siècle 72 : la filière d'autoconsommation ou production d'atelier (peintres ou élèves) à but non-lucratif, la filière à l'unité, c'est-à-dire la préparation et la vente d'une toile préparée et tendue sur châssis fixe le plus souvent, et la filière en grand châssis, filière qui suppose que le format est découpé dans une grande toile préparée ; autrement dit, les toiles produites « en grand châssis » sont redécoupées en formats normalisés et comportent de la préparation sur les bords de clouages, qui, en outre, ne peuvent présenter de festons sur les quatre bords de tension, les guirlandes de tension apparaissant près de ceux-ci lors du décatissage. Ainsi, notre toile provient soit de la filière d'autoconsommation soit de la filière à l'unité. Son tissage correspondant à une « toile ordinaire » du commerce73, la présentation de ses bords de clouage, coupé[e]s au plus ras possible74, le châssis fixe à écharpe et son format standard sont des arguments en faveur de sa provenance de la filière à l’unité, fournissant la Labreuche, Op. cit., p.35. Idem, p.301. 72 Ibid., p.61-71. 73 Ibid., p.78. Le duitage de la toile dite ordinaire est alors de 11-12 x 15 fils au cm². 74 Ibid., p.65. 70 71

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toile à peindre qui était par excellence le support d’étude, utilisé notamment par les élèves des ateliers de peinture75 à la fin du XVIIIème siècle. Cependant, si l’on trouve des toiles préparées chez les marchands dès le XVIIIème siècle – et même dès le XVIIème siècle – il semble que l’offre soit généralement réduite à une seule couleur de préparation76. D’autre part, la préparation grise du commerce est généralement faite au blanc de céruse et au noir de charbon77, ce qui n’est pas le cas de notre préparation grise78. L’usage de la préparation rouge surmontée d’une autre préparation, grise cette fois-ci, est une pratique courante au XVIIIème siècle. Les pigments qui la composent seraient moins onéreux que le pigment blanc de la préparation grise, ce qui justifierait cette pratique 79. Une autre hypothèse suggère que cette première couche pouvait être réalisée avec les résidus de palette, toujours dans un souci d’économie80. Toujours est-il qu’à la fin du XVIIIème siècle, l’usage de la préparation rouge disparaît au profit d’une préparation unique grise, allant progressivement vers le triomphe du blanc, pour des raisons tant esthétiques qu’économiques : le début de la production de céruse en France à partir de 180981 entraîne une baisse de son coût, mais d’autres facteurs entrent probablement en jeu. La qualité du papier contraste avec la qualité de la toile à peindre. Il s’agit en effet d’un papier de chiffons fabriqué à la forme, et donc un papier de qualité, relativement luxueux. Il a été redécoupé. Si le format en atteste de manière évidente, un autre détail le prouve : les papiers à la forme n’ont pas des bords nets en raison de la façon dont ils sont fabriqués. D’autre part, les formats des papiers ont été standardisés en France en 1739 par l’arrêt du Conseil d’Etat « Portant reglement sur les differentes sortes de Papiers qui se fabriquent dans le Royaume »82 et aucun format ne correspond à une toile de 12, le plus proche étant le format raisin, de 50 x 65 cm. Le papier aurait donc été redécoupé pour faire correspondre son format avec celui de la toile qui a servi à le maroufler. Il est remarquable qu’un artiste ayant les moyens de peindre à l’huile sur un tel papier soit contraint à en diminuer le format, et d’une manière si peu rigoureuse, pour le renforcer avec une toile d’une qualité inférieure, préparée et déjà peinte. Il semblerait qu’il s’agisse d’un choix économique. Mais il n’explique pas le peu de soin apporté dans la découpe du papier. D’autre part, le papier a été déchiré après avoir été peint et avant Ibid., p.65. Ibid., p.77. 77 Dans Ibid., p.77. 78 Les rayons X feraient ressortir la céruse d’un blanc éclatant sur les radiographies. 79 Ibid., p.54. 80 Ibid., p.54. 81 Ibid., p.61. 82 Ibid., p.36. 75 76

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d’avoir été marouflé. Toutes ces raisons nous permettent de penser qu’il ne pouvait s’agir d’une copie destinée à être vendue, mais d’une copie d’étude, à laquelle l’artiste n’a pas accordé une si grande importance. III.1.2. Les conditions de réalisation Les circonstances de la réalisation de l’œuvre doivent être abordées : la question est de savoir d’après quel modèle l’artiste a réalisé sa copie, sachant que celle-ci est à grande échelle et que les couleurs sont respectées83. Le peintre a pu procéder d’après n’importe quel moyen de reproduction, gravure, dessin, copie, tout en connaissant par ailleurs les dimensions à l’échelle, ou d’après l’original. S’il est impossible d’affirmer avec certitude qu’une méthode est plus probable qu’une autre, nous pouvons cependant les évoquer et émettre des hypothèses. Que l’artiste ait copié d’après une gravure, en couleur ou non, ou même d’après un dessin, semble peu probable. Le dessin, dont la copie ne respecte pas scrupuleusement les lignes, et la gravure en noir et blanc posent le problème de la couleur, à laquelle le copiste semble avoir été attentif. D’autre part, l’observation de l’œuvre sous lumière infrarouge ne révèle pas de dessin préparatoire, ni de construction précise avant l’exécution à l’huile. Il a pu ébaucher le dessin directement à l’huile. Le recours à une gravure en couleur ne présente aucun inconvénient, si ce n’est celui du format et de la précision des effets picturaux du copiste. L’argument le plus important, qui rend d’office les autres méthodes improbables selon nous, est l’accessibilité du modèle car, historiquement, l’intérêt de la technique de la gravure réside dans sa reproductibilité et donc dans son potentiel de diffusion, palliant l’inaccessibilité de l’œuvre reproduite. Retracer le parcours du Serment des Horaces permettra de montrer à quel point le tableau de David fut accessible aux copistes. Achevé en Juin 1785, le tableau part de Rome le 20 août et arrive à Paris à la mi-septembre de la même année pour le Salon. Il semble qu’il y soit exposé jusqu’à la fin du Salon de 1791, lorsque David le réclame au prétexte d’en faire des copies. Il est alors placé dans son atelier au Louvre, « l’atelier des Horaces ». David l’aurait conservé indûment jusqu’en novembre 1803. L’intervention de Chaptal à ce moment permet de récupérer le tableau, qui est la propriété du gouvernement, afin de l’exposer dans la galerie du Sénat au Luxembourg où l’on venait de recréer un musée. Il y est exposé à partir du 29 janvier 1804 jusqu’à janvier 1826. Deux mois après, il est mis en place au Louvre qu’il n’a plus quitté 83

Cependant, aucune analyse colorimétrique rigoureuse ne peut être faite pour quantifier la similitude des couleurs.

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jusqu’à une exposition organisée à Bruxelles de 1947 à 1948. Ainsi, de 1791 à 1803, le tableau est à la disposition des élèves de l’atelier de David ; de 1804 à 1826, il est accessible aux visiteurs du musée du Luxembourg mais nous ne savons pas si la copie y était pratiquée ; de 1826 à 1947, les copistes peuvent y accéder au musée du Louvre. Dans l’hypothèse où le copiste ne serait pas parisien, il faut rappeler qu’au XIXème siècle, la consécration de la carrière des artistes originaires de province s’effectuait à Paris84. Le format à grande échelle et le respect des couleurs s’expliqueraient tout naturellement par la copie d’après l’original, pour un artiste peu soucieux de la précision du dessin de certaines parties cependant.

III.2. Le type de copie III.2.1. Copie et reproduction de la peinture Avant la fin du XIXème siècle, le plus important moyen de reproduction de l'image, et plus particulièrement de la peinture, était la gravure. Si le procédé de la gravure sur bois et l'impression sur étoffe existait déjà à l'Antiquité, la révolution du papier de chiffon dans les dix dernières années du XIVème siècle a signé l'essor de la diffusion en masse des images. La reproduction des peintures est assurée par la gravure sur cuivre, nécessitant des véritables presses, des encres et des papiers de qualité. Elle n'autorise pas des tirages supérieurs à 3000 exemplaires par plaque. Elle est chère et de ce fait, devient un objet de distinction, le peintre reproduit et la qualité de la gravure y ajoutant de la valeur. Cette gravure, dite d'interprétation, s'attache à reproduire les œuvres avec le souci de l'exactitude à partir du XVIème siècle. Les grands éditeurs d'estampes offrent leurs services aux artistes en diffusant leurs œuvres. C'est de cette manière que Raphaël a commencé à installer sa renommée en Europe. Il existe une large gamme de prix dans le domaine de la gravure, que ce soit sur bois ou sur cuivre, qui permet à chacun d'accéder à l'image en fonction de ses moyens. La gravure en couleurs se développe à partir de 1740 en Angleterre et la technique se perfectionne rapidement en France 85. La reproduction gravée connaîtra un grand succès au XIXème siècle. Mais ces techniques ne permettent qu'une reproduction sans le relief de la peinture, ni la tridimensionnalité du support. La copie de tableau, technique lente et unique de reproduction mimant la matérialité de la peinture, n’a pas la même vocation que la gravure. Elle recouvre plusieurs aspects bien 84 85

Moulin, Raymonde. Le marché de la peinture en France. Paris : Les Editions de Minuit, 1967, p.24. Cabanne, Op. Cit., p.289. Nicolas VILLARD ∙ Conservation Restauration ∙ Spécialité Peinture de Chevalets ∙ Promotion 2014

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distincts. Elle peut être à la fois copie et œuvre originale, à l’exemple des répliques d’atelier de Titien qui pouvaient varier très peu de l’une à l’autre86. Si la signification de ce que nous appelons « œuvre originale » a évolué, elle n’en demeure pas moins « celle qui a été faite en premier87 ». La copie est celle qui vient après, qu’elle soit identique ou non à l’original. Qu’elle fasse ou non l’objet d’un commerce, son attrait, pour le peintre comme pour l’acheteur, réside dans l’imitation du style de l’original, la technique de peinture. III.2.2. La copie lucrative Le commerce d'art apparaît à la fin du Quattrocento en Italie mais ne s'établit véritablement qu'au siècle suivant. La copie de tableau y occupe une très large place depuis ses débuts88. Si elle est dans les premiers temps appréciée pour elle-même89, comme un « divertissement », elle devient progressivement un investissement pratique, notamment en France, comblant une pénurie de l’offre face à une constante augmentation de la demande au XVIIIème siècle. C’est ainsi qu’en 1715, François-Albert Stiémart (1680-1740), futur copiste attitré du duc d’Antin, réalise des copies de tableau destinées à décorer les « châteaux de Versailles, Marly et autres demeures royales90 ». Elle permet aussi aux amateurs peu fortunés de posséder des peintures bon marché : comme il existe des gravures pour toutes les bourses, la gamme de prix des copies est très étendue, allant des copies peintes en série dans les obscures arrière-boutiques du pont Notre-Dame réservées à l’usage d’amateurs peu fortunés jusqu’aux copies de portraits officiels destinées aux cours européennes91.

Collectif. Mapping Markets for Paintings in Europe, 1450-1750, Présentation par Neil De Marchi et Hans J. Van Miegroet. Turnhout : Brepols, 2006, p.239. 87 (…) la prima a essere stata fatta (…) d’après la définition (1681) de Filippo Baldinucci citée in Idem, p. 240. 88 Guerzoni, Guido. Apollon et Vulcain : Les marchés artistiques en Italie (1400-1700). Paris : Les presses du réel, 2011, p.343. 89 Idem, p.345. 90 Rasmussen, Op. Cit., p.164. 91 Idem, p.161. 86

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Par ce dernier exemple, on comprend aussi que la copie n’est pas uniquement vouée à décorer, à combler les espaces. Le sujet est un marqueur social ou culturel de celui qui l’expose : posséder et exposer la copie de tel portrait royal ou tel sujet d’Histoire, c’est signifier respectivement son allégeance ou l’orientation de son goût, s’identifier en somme. Là encore, le XVIIIème siècle est le socle de l’évolution de la demeure au XIXème siècle : le collectionneur et l’architecte transforment la demeure en espace d’exposition organisé92, et la demeure bourgeoise, en tant que lieu de réception et d’affirmation de son statut social, conservera au XIXème siècle le sens de l’exposition du mobilier, dont les peintures font partie. Dans ce contexte, la copie doit participer à la distinction, non seulement par la technique, mais par le modèle et son sujet : Sous le second Empire, le succès tapageur au Salon de 1866 de La Femme fellah (un tableau acheté 5000 francs Figure 27 Le Salon de musique de Fanny Hensel, Julius Eduard Wilhem Helfft, Aquarelle, 1849, National Design Museum, Smithsonian Institution, Thaw Collection. Cette aquarelle donne à voir un intérieur bourgeois, typiquement un lieu de réception au XIXème siècle.

par l’empereur), du peintre Landelle, conduit celui-ci

à

peindre

trente-deux

répliques,

réductions ou variantes, payées chacune entre

800 et 10 000 francs93. Pour l’artiste, la copie qu’il commercialise est un gagne-pain. La demande est telle au XIXème siècle qu’Adolphe Goupil (1806-1893), éditeur de gravures et marchand de tableaux, se met au commerce des copies d’atelier en s’attachant par contrat des artistes94. Mais la copie destinée au commerce peut-elle ne donner à voir que le détail d’un tableau plus vaste ? L’aîné des Horaces semble plutôt constituer un exercice de formation, voire « un exercice de style ». III.2.3. La copie non-lucrative La copie n'étant pas destinée au commerce est plus difficile à définir, car même les copies d'étude peuvent en faire l’objet. Cependant, nous pouvons la définir comme formatrice avant d’être lucrative. Ainsi, dans l’atelier de David, réaliser des copies à des fins commerciales était un exercice de formation du peintre, qui avait d’abord dû franchir plusieurs étapes avant Ibid., p.135. Monnier, Gérard. L’art et ses institutions en France de la Révolution à nos jours. Paris : Gallimard, 1995, p.156. 94 Idem, p.156. 92 93

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d’accéder à ce privilège95. La copie revêt une fonction d’apprentissage esthétique plus que technique pour les peintres. Car la technique peut se résumer à l’acquisition des bases matérielles de préparation et d’exécution de la peinture à l’huile. Son apprentissage se fait dans les ateliers privés et seulement à partir de 1863 est-il rendu possible au sein de l’Ecole des beaux-arts96. Avant 1863, la formation en atelier est le complément nécessaire à la formation académique du peintre97. L’élève y apprenait d’abord à broyer les couleurs, à utiliser les pigments et à former sa palette. Il abordait ensuite des techniques picturales comme le modelé, la perspective, la science du clair-obscur ou la pose de glacis98. On sait que David, dans son propre atelier, dédaignait l’apprentissage technique, « le métier ». Allez, disait-il, l’apprendre chez Girodet, ici, on n’enseigne que la peinture99. Cependant, la copie était comprise dans la formation des élèves, c’est donc qu’elle n’est pas un pur exercice technique. Elle constitue plutôt une appropriation esthétique, ou une « imprégnation esthétique ». L’idée n’est pas neuve : déjà le séjour à Rome, établi au XVIIème siècle par la politique artistique de Colbert, devait permettre à l’élite des jeunes artistes de s’imprégner des chefsd’œuvre de l’art du passé. Ils avaient l’obligation de réaliser des copies qu’ils devaient envoyer à Paris, d’une part pour que leur activité soit contrôlée, mais aussi pour approvisionner les collections françaises et en quelque sorte importer les ouvrages résidant à l’étranger100. La copie avait donc une double fonction didactique et d’accroissement des collections. Ce schéma sera reproduit au XIXème siècle par les villes de province qui, en échange d’une aide accordée à un artiste, que ce soit pour sa formation ou son séjour, demandaient en échange des copies101. L’idée qu’elle est formatrice est aussi évoquée lors de la création du Muséum des arts en 1793, qui met à disposition du citoyen des objets en vue de régénérer les arts102, ce qui va dans le sens du ministre de l’Intérieur Roland :

Chacun doit pouvoir placer son chevalet devant tel tableau ou telle statue, les dessiner, peindre ou modeler à son gré. Ce monument sera national et il

Collectif. Au-delà du Maître : Girodet et l’atelier de David, Présentation par Richard Dagorne. Paris : Somogy éditions d’art, 2005, p.23. 96 Martin-Fugier, Anne. La vie d’artiste au XIXème siècle. Paris : Louis Audibert, 2007, p.27. 97 Collectif, Op. Cit., p.16. 98 Collectif, Op. Cit., p.27, note 1. 99 David, Jules. Le Peintre Louis David, 1748-1825 : Souvenirs et documents inédits. Paris : V. Havard, 1880, p.499. 100 Monnier, Op. Cit., p.75. 101 Idem, p.159. 102 David, cité in Ibid., p.37. 95

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ne sera pas un individu qui n’ait le droit d’en jouir.103 Les salles de peinture du Musée du Louvre tout au long du XIXème siècle sont surtout un lieu de travail pour les copistes, pour les professionnels comme pour les jeunes peintres. Le règlement est très précis et permet d’organiser le roulement des copistes, surtout pour les tableaux les plus sollicités104. Pour David et Roland, le musée devait devenir un espace de liberté pour les artistes, les protégeant de la renaissance de l’autorité corporative et académique105. Copier les maîtres, c’est former son goût. Les copier au

Figure 28 Peintre copiant un Murillo au musée du Louvre, Louis Béroud, huile sur toile, 1912, lieu de conservation inconnu. Les copistes disposent d’escabeaux pour copier en hauteur.

musée, c’est former son goût en toute liberté. Et l’homme libre du XIXème siècle doit être au contact des chefs d’œuvre pour s’élever. S’il est impossible d’affirmer que toutes les copies destinées à être commercialisées devaient représenter la totalité d’un tableau copié, nous savons que les commandes de réductions étaient fréquentes. En revanche, il est peu probable, à notre avis, qu’une copie partielle de ce type puisse être le fruit d’une commande ou d’un désir de vente de la part de l’artiste, ce qui semble pourtant être une pratique courante, comme en témoigne Zola dans sa lettre à Cézanne citée par Gérard Monnier106.

Lettre de Roland, ministre de l’Intérieur, à David, le 17 octobre 1792, dans Ibid., p.37. Ibid., p.91-92. 105 Dans Ibid., p.37. 106 Ibid., p.156. 103 104

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CONCLUSION Cette copie de la figure de l’aîné des Horaces semble être une copie d’étude réalisée au XIXème siècle, d’après le tableau du Serment des Horaces. Les indices matériels les plus signifiants, c’est-à-dire la toile préparée et peinte, tendue sur un châssis fixe, que nous estimons être de la même main que le papier peint à l’huile, datent très probablement de la première moitié du siècle, voire de la fin du XVIIIème siècle. Si le papier peint à l’huile ne fournit aucun élément précis de datation, sa qualité et son emploi pour une étude paraissent incongrus alors que se développe la production industrielle du papier. C’est pourquoi nous l’estimons de la première moitié du XIXème siècle aussi. Elle aurait pu constituer un exercice dans le cadre d’une formation en atelier, et il n’est pas impossible que le copiste soit un élève de David lui-même. Dans un tel cadre, l’étude d’un visage serait une réminiscence des objectifs de l’Académie dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, souhaitant le renouveau de la peinture d’histoire. Le concours de la Tête d’expression – que David a remporté en 1773, et qui a pu l’inspirer pour la formation qu’il dispensait dans son atelier – puis celui de la Demi Figure ont été mis en place pour remettre l’expression des passions, pilier de la persuasion classique, au centre des préoccupations artistiques. Il pourrait aussi s’agir d’une copie d’étude réalisée librement au musée. L’intérêt pour le visage de l’aîné des Horaces s’explique notamment pour son attrait plastique, par le naturalisme, le contraste des chairs lumineuses et ombrées et le casque rutilant, mais aussi par sa symbolique : l’aîné est l’archétype du citoyen romain, modèle de vertu et de patriotisme pour une époque qui y aspire. Sa virilité s’exprime dans le stoïcisme de son expression hardie, dans la beauté de sa physionomie et de sa pilosité et dans l’accessoire guerrier et néanmoins austère qu’est le casque. Cette figure fit un grand effet sur le public lors de sa première exposition. Et l’ensemble de la composition, reçue triomphalement, constituait une audace par son dépouillement, la synthèse des références antiques et classiques, et la rupture de l’unité, complexifiée par une partition bien délimitée et l’opposition thématique entre les groupes masculins et féminins. Le Serment des Horaces est donc une œuvre phare de celui qui a orienté l’évolution de la peinture française du XIXème siècle.

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PARTIE II. CONSERVATION-RESTAURATION

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INTRODUCTION Le premier regard porté sur la copie d’après David prêtée par le Musée départemental Thomas Dobrée donne l’impression d’un tableau en très mauvais état : son aspect et sa structure semblent lourdement dégradés. Présenté comme une huile sur toile dans l’inventaire du musée, il s’avère que le support est en fait un papier marouflé sur une toile, nous faisant pressentir la complexité des problématiques d’intervention, augmentée par les défaillances évidentes de la continuité et de la planéité de l’ensemble. Le constat d’état permettra de passer en revue chacun des constituants de l’œuvre pour en évaluer la fonctionnalité ainsi que pour appréhender les interactions physico-chimiques et mécaniques des éléments et des matériaux au sein du montage et avec les facteurs externes. Le diagnostic établira une synthèse des altérations relevées, mises en rapport avec le comportement des matériaux et l’histoire de l’œuvre. Il débouchera sur un pronostic mettant en évidence l’urgence et la nécessité d’une intervention et orientant les objectifs de la conservationrestauration énoncée dans le cahier des charges. Celui-ci présentera aussi toutes les contraintes – déontologiques, contextuelles et inhérentes à l’œuvre – desquelles il est impératif de tenir compte pour le bien de l’œuvre. A partir de tous ces éléments, une proposition de traitement pourra être élaborée et concrétisée par l’intervention, rapportée dans ces pages.

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I.

CONSTAT D'ETAT L’examen de l’œuvre repose sur l’observation et la mise en place de tests de base servant

à identifier les éléments et à éprouver la viabilité du montage. L’observation nécessiterait idéalement une confirmation par la mesure scientifique (par exemple une topographie pour montrer un défaut de planéité) mais celle-ci n’est pas toujours possible. Ainsi, faire le constat d’état de l’œuvre consiste moins en une analyse rigoureusement scientifique d’un système qu’en un recueillement d’indices sur la base desquels un diagnostic pourra être formulé. Le montage examiné est constitué d’une peinture à l’huile vernie, sur papier, lequel est marouflé sur une peinture à l’huile sur toile préparée, tendue sur châssis. Le système formé par la peinture à l’huile vernie sur papier, que l’on appellera « système original », adhère au système constitué de la toile préparée et peinte, ou « système support de marouflage » par un joint de colle. Comme le nom que nous lui avons choisi l’indique, ce dernier système joue prioritairement le rôle de support de renfort au « système original » au sein du montage. Il est à noter qu’il peut être considéré comme un système original à part entière si on l’exclue du montage, puisqu’il comporte parmi ses éléments internes un support (fonction structurelle et esthétique), une double préparation (fonction structurelle et esthétique) et une couche picturale (fonction esthétique uniquement). Celui qui a procédé au marouflage a donc assigné à ce système un rôle de support pour le « système original ».

Vernis Couche polychrome Système « original »

Papier Adhésif de marouflage

Système « support de marouflage »

Couche polychrome Préparation grise Préparation rouge Toile encollée

Figure 29 Schéma de la stratigraphie de l'œuvre.

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I.1. Eléments d’assemblage L’assemblage des différents éléments du montage est la relation qu’ils entretiennent les uns par rapport aux autres, la façon dont ils sont agencés. Chacun doit remplir une fonction bien précise en son sein pour permettre l’exposition de l’objet pictural, devant idéalement être adapté de manière optimale à un environnement de conservation donné, pour le respect de son intégrité à long terme. I.1.1. Châssis I.1.1.1. Fonction Le châssis est l’ossature d’une peinture sur support textile, c’est le support de tension. Comme un bâti, il permet de tendre une toile et ainsi d’offrir un support plan pour la peinture, ainsi qu’une résistance à la touche du peintre. Il doit être adapté, par ses dimensions, sa construction et sa robustesse, au montage dont il doit supporter la tension. I.1.1.2. Description Le châssis est constitué de montants assemblés, renforcés par trois traverses d’angle107.

Figure 30 Le châssis : vue de la face. 107

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Figure 31 Le châssis : vue du revers.

Ou écharpes d’angle. Nicolas VILLARD ∙ Conservation Restauration ∙ Spécialité Peinture de Chevalets ∙ Promotion 2014


Nous décrirons séparément les éléments de l’assemblage et l’assemblage pour plus de clarté. I.1.1.2.a. Montants Il est constitué de trois montants en bois feuillu (dextre, senestre et inférieur), identifiable à l'absence des stries caractéristiques des résineux. Ils ont une couleur entre le brun et le gris. Le plat du revers des montants semble avoir été teinté. Le bois du montant supérieur provient d'un résineux, avec ses stries typiques (canaux résinifères). Sa couleur est sensiblement différente de celle des autres montants : elle est plus orangée. Son bois paraît plus jeune. Les montants ont tous le même profil, bien qu’irrégulier. Chaque montant forme approximativement un parallélépipède rectangle. Leurs dimensions sont les suivantes : 

Le montant supérieur mesure 49,5 cm de long ; de section de 21-20 x 11-8 mm108.

Le montant inférieur mesure 49,7 cm de long ; de section de 26-25 x 11-7 mm.

Le montant senestre mesure 60,7 cm de long ; de section de 25 x 14-12 mm.

Le montant dextre mesure 61 cm de long ; de section de 26-24 x 14-11 mm. I.1.1.2.b. Traverses d’angle Les traverses d’angles servent à renforcer un assemblage. Ici, elles sont au nombre de

trois (angles supérieurs senestre et dextre, angle inférieur senestre). Elles sont en bois feuillu, comparables à l’essence des trois montants unis. Elles ont des dimensions différentes : 

La traverse de l’angle supérieur dextre mesure 19,5 cm de long ; de section de 17 x 8 mm.

La traverse de l’angle supérieur senestre mesure 18,8 cm de long ; de section de 22 x 5 mm.

La traverse de l’angle inférieur senestre mesure 20,7 cm de long ; de section de 15 x 6 mm.

La section indique les dimensions de la largeur (largeur du plat) et de l’épaisseur (largeur de la rive) du montant. Les dimensions étant irrégulières, les dimensions maximales et minimales sont notées, séparées par un tiret. L’unité de mesure choisie est l’unité de mesure adoptée pour la commande d’un châssis : pour les sections, on n’emploie le millimètre. 108

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I.1.1.2.c. Assemblage Le châssis est assemblé à mi-bois en bout par des clous traversant les montants jointifs : c’est un assemblage fixe, simple à réaliser. Le clouage effectué pour assembler le montant résineux avec les autres montants est différent de celui réalisé pour les assembler entre eux. Le format correspond approximativement à un 12 Figure. Le châssis n’est pas d’équerre.

Figure 32 Un montant en feuillu et un montant en résineux sont assemblés à mi-bois en bout par des clous.

I.1.1.3. Etat de conservation L’état de conservation du châssis est mauvais. Des insectes (coléoptères) ont été retrouvés entre le châssis et la toile et la toile et le papier. Des trous d'insectes sont observables sur les trois montants en bois de feuillu, surtout sur le montant inférieur. Le châssis est gauchi. Les rives des montants ne sont pas parfaitement régulières. Figure 33 Exemple de fente dans le châssis, provoquée par l’enfoncement d’un clou.

Le châssis est usé et empoussiéré, il comporte des fentes.

Figure 34 Mue de ce qui semble être une larve de dermeste retrouvée entre le papier et la toile.

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Figure 35 Ailes antérieures de petite vrillette.

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I.1.1.4. Observations 

L'idée que le châssis ait bénéficié d'une intervention est confirmée par d'anciens trous de clous et de semences, en plus du fait que le montant supérieur soit d’une essence différente des autres montants. Quant au montant en bois de résineux, il ne comporte aucun trou de semence sur la rive externe : on peut en déduire que les bandes de rabat étaient déjà en mauvais état au moment de cette intervention. Des repères ont été tracés au crayon de bois sur ce montant exclusivement.

Une étiquette du Musée T. Dobrée « T.33 » est fixée à l'aide d'un point d'adhésif au montant supérieur, côté dextre. Une étiquette adhésive illisible se trouve au milieu du montant dextre, peut-être la signature du fabricant du châssis. Le numéro d'inventaire 570-2769 est inscrit sur le montant inférieur du châssis, à dextre.

De la préparation rouge, d’aspect identique à la préparation rouge de la toile, adhère au montant inférieur, preuve que le châssis est le châssis original de la toile : il n’est pas rare que lors de la préparation d’une toile faite sur son châssis définitif, la préparation passe au travers de celleci.

Figure 36 De la préparation rouge a traversé la toile pour se fixer sur le châssis.

Le châssis étant fixe, avec des montants dissemblables, dépourvu de traverse, dont les dimensions des sections sont insuffisantes pour un montage tel que celui-ci, sans chanfrein, gauchi, fendu et attaqué par les insectes xylophages, il semble à première vue obsolète et inexploitable pour la conservation future de l’œuvre.

Les trous des semences et des clous : anciens trous sur les montants feuillus et pas de trou sur le montant en résineux.

La traverse de l’angle inférieur dextre est manquante. Le bois n’est pas teinté là où elle se trouvait.

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I.1.2. Adhésif de marouflage I.1.2.1. Fonction L’adhésif de marouflage sert à adjoindre deux supports pour homogénéiser leurs caractéristiques, généralement dans le but de renforcer l’un par l’autre. Dans ce montage, l’adhésif de marouflage joint le système original au système support de marouflage, il les rend interdépendants. Pour juger de sa qualité, l’adhérence entre les deux systèmes doit être testée. I.1.2.2. Description On a pu déterminer que l'adhésif de marouflage est d'origine animale par réaction positive au test à l’hydroxyproline. L'observation sous loupe binoculaire a permis d'observer sa réaction à l'apport d'une goutte d'eau. La goutte garde dans un premier temps une tension superficielle élevée et finit par être absorbée subitement par l'adhésif qui devient alors plastique et peut être gratté avec un scalpel émoussé facilement. I.1.2.3. Etat de conservation L’état de conservation de l’adhésif de marouflage est insatisfaisant. L’adhérence du système original au système support de marouflage est testée à l’aide d’une spatule que l’on insère au niveau du joint. On constate que l’adhérence est variable selon les zones testées. Nous ne saurions dire si les défauts d’adhésion sont dus au vieillissement de l’adhésif, à sa dégradation sous l’effet des contraintes mécaniques, à une mise en œuvre défaillante, ou aux trois causes à la fois.

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I.1.3. Cadre I.1.3.1. Fonction Un cadre est une fenêtre permettant en quelque sorte de marquer la frontière entre le monde réel et le monde « créé109 » par l’artiste. Il a une fonction esthétique, mais peut aussi avoir un rôle structurel qui est de supporter, maintenir et protéger110, notamment lors de la manipulation d’un montage. Sa fonction dans le présent montage est esthétique et structurelle. Il maintient conjointement avec le châssis le système original et le système support de marouflage par des clous traversant le montage de part en part. I.1.3.2. Description Le cadre est constitué de deux montants (pièces verticales) et de deux traverses (pièces horizontales) assemblés. Nous allons donc décrire séparément les pièces du cadre et son assemblage.

Figure 37 Le cadre : vue de face.

Figure 38 Le cadre : vue du revers

On pourrait utiliser le qualificatif d’imaginaire mais l’idée de création (« Acte consistant à produire et à former un être ou une chose qui n'existait pas auparavant », Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/definition/) nous paraît plus précise. 110 Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 1142. 109

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I.1.3.2.a. Montants et traverses L’assemblage du cadre est à joints vifs, fixés par des clous. Les montants et les traverses, qui ont tous le même profil et sont en bois de feuillu, ne divergent entre eux que par leurs dimensions : 

Le montant supérieur mesure 53 cm de long ; de section de 35-34 x 24-23 mm.

Le montant inférieur mesure 52,2 cm de long ; de section de 35 x 23 mm.

Le montant senestre mesure 62,1 cm de long ; de section de 38-34 x 24-22 mm.

Le montant dextre mesure 63 cm de long ; de section de 36-34 x 27-24 mm. I.1.3.2.b. Assemblage L’assemblage du cadre est à joints vifs, fixés par des clous. Il n’est pas d’équerre.

Figure 39 Les deux montants du cadre sont assemblés à joints vifs, fixés par des clous.

I.1.3.3. Etat de conservation L’état de conservation du cadre est mauvais. Des insectes xylophages ont creusé des galeries dans le bois. Le cadre comporte plusieurs lacunes et des trous. Figure 40 Lacunes et trous d’envol des insectes.

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I.1.3.4. Observations 

Inscription du numéro d'inventaire 570-2769, sur le montant dextre du cadre.

Assemblage défectueux I.1.4. Clous et semences I.1.4.1. Fonction Les semences de tapissier sont des petits clous métalliques (de fer généralement) à tête

large servant à fixer la toile par ses bords sur les chants externes des montants du châssis. Les clous, à tête plus fine, sont plutôt utilisés comme éléments de fixation des montants d’un châssis ou d’un cadre. Dans le montage analysé, les clous jouent bel et bien le rôle d’éléments de fixation au sein du cadre et du châssis, mais servent également à maintenir le papier marouflé sur la toile entre le cadre et le châssis, en les perforant de part en part. Les semences, quant à elles, fixent la toile sur le plat des montants du châssis. I.1.4.2. Description Le papier et la toile sont fixés au châssis avec des semences par la face, uniquement sur les montants dextre, senestre et inférieur : 

Le montant inférieur comporte 6 semences.

Le montant senestre comporte 7 semences.

Le montant dextre comporte 8 semences. D’anciens trous de semences sont visibles sur les rives du châssis. Leur espacement

n’est pas régulier : 

Le montant inférieur comporte 7 trous de semences.

Le montant senestre comporte 9 trous de semences.

Le montant dextre comporte 9 trous de semences.

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I.1.4.3. Etat de conservation L’état de conservation des clous et des semences est mauvais. Les clous et les semences sont partiellement rouillés. Certains clous sont tordus et mal implantés. I.1.4.4. Observations 

Le mode de fixation est inadéquat.

I.2. Système « support de marouflage » Cette stratigraphie se subdivise en cinq couches: un support textile, une couche d'encollage, une préparation rouge, une couche d'impression blanche et une couche polychrome. I.2.1. Support textile I.2.1.1. Fonction Le support textile sert de support fondamental à la peinture. Il est une surface destinée à l’accueillir, qu’il soit préparé ou non. Il peut avoir d’autres emplois : il peut constituer un support de renfort pour un autre support, que ce soit une autre toile plus faible, ou un autre type de support. En l’occurrence, le support textile du « système support de marouflage » remplit ces deux fonctions simultanément, bien que sa fonction de support soit en l’état actuel la principale, la peinture qu’il supporte n’étant pas donnée à être vue au sein du montage. I.2.1.2. Description Fondamentalement, le textile est constitué de fils soit tissés, soit non-tissés, délimités pour en faire une pièce de textile fonctionnelle, en l’occurrence un support de renfort et de

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peinture. Nous allons donc décomposer son analyse en deux parties, dont nous passerons en revue les caractéristiques.

Figure 41 Revers de l’œuvre.

I.2.1.2.a. Fils Les fils de chaînes et le(s) fil(s) de trame sont les unités du tissage, puisque c’est en les entrecroisant qu’on obtient un tissu. Il convient donc d’analyser ces éléments de base pour en tirer des indices sur la qualité et les caractéristiques de la pièce de textile, et a fortiori sur l’orientation des décisions de conservation et de restauration. Les fils sont caractérisés par la nature des fibres qui les composent, leur torsion, leur titrage, leur régularité et respectivement leur embuvage et leur retrait. En premier lieu, il faut identifier le sens de la chaîne et le sens de la trame. Il existe trois méthodes pour cela. La plus évidente consiste à repérer une lisière sur le support textile. Les fils de chaînes sont parallèles à la lisière. Or, le support textile analysé ne présente pas de lisière. La deuxième repose sur l’observation de la régularité de l’épaisseur des fils. Logiquement, les fils les plus irréguliers sont les fils de chaîne, puisque le fil de trame est unique111. On observe des fils dont l’épaisseur diffère dans les deux sens. Cette méthode ne nous paraît pas fiable dans notre cas. La dernière méthode consiste à mesurer l’embuvage (chaîne) et le retrait (trame) d’un

Sur les métiers à tisser anciens. Pour les différents types de métiers, cf. Brossard, I., Technologie des textiles, Paris : Dunod, 1997, p.191. 111

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voire de plusieurs fils dans chaque sens. En théorie, l’embuvage doit être supérieur au retrait. On trouve un embuvage de 2,6% et un retrait de 0% pour un nombre de 3 échantillons. Nous en déduisons sans certitude absolue que le sens chaîne est parallèle à la hauteur du support et le sens trame parallèle à sa largeur. Nous regrouperons les caractéristiques des fils de chaîne et de trame car celles qui peuvent être déterminées sont communes, si l’on excepte l’embuvage et le retrait : 

Fibre : La nature des fibres a été déterminée par tests chimiques et par test de combustion. Il s’agit de fibres de lin.

Torsion : Par observation des fils de chaque sens sous loupe binoculaire en grossissement x16, on constate que leur torsion est en « Z ».

Titrage : Le titrage des fils n’a pas de sens compte tenu de l’irrégularité des fils.

Régularité : La régularité n’est pas scientifiquement mesurée. Elle est évaluée par observation. Nous observons une irrégularité des fils dans les deux sens.

Embuvage (fil de chaîne) : 2,6%

Retrait (fil de trame) : 0%

Maintenant que nous avons caractérisé les fils autant que possible, nous pouvons analyser la façon dont ils forment le textile. I.2.1.2.b. Pièce de textile et tissage La pièce de textile est caractérisée par ses dimensions et par son tissage, c’est-à-dire son armure et sa contexture, et plus spécifiquement pour notre champ, sa résistance à la traction112. 

Dimensions : La pièce de textile mesure 61,5 x 51,2 cm.

Armure : La détermination de l’armure se fait par observation du mode d’entrecroisement des fils. Il s’agit d’une armure « toile ».

Contexture : La contexture est définie par recoupement du nombre de fils de chaque sens au cm² et du titrage des fils. Ne pouvant calculer celui-ci, la contexture sera évaluée par observation de l’écart entre chaque fil. Sur 1 cm², il

Celle-ci sera traitée dans la partie I.2.1.3. Etat de conservation, puisque nous n’avons aucun moyen d’en connaître la valeur initiale. 112

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y a 13 fils de trame pour 8 fils de chaîne. Il s’agit d’une toile dite « ordinaire », correspondant à la toile du commerce du XIXème siècle113. I.2.1.3. Etat de conservation L’état de conservation général du support textile est mauvais. Les altérations les plus préjudiciables à sa fonction de support de marouflage sont de types mécanique et physico-chimique, parce qu’elles ont une incidence sur ses propriétés mécaniques. Il comporte neuf déchirures, dont deux complexes, qui constituent des discontinuités de tension nuisibles à la conservation de l’œuvre.

Figure 42 Les deux déchirures complexes. Elles étaient maintenues par des papiers bolloré posés lors de l’intervention de 2005.

D’autre part, la résistance à la traction de fils prélevés sur les bords de clouage est faible. Bien que les fils des bords de clouage aient probablement subit une évolution différente des fils au centre du tissage, puisque non préparés et situés entre le châssis et le cadre, ils sont révélateurs de l’état global du textile. Bien qu’il ne s’agisse que d’une estimation, il nous apparaît « brûlé », c’est-à-dire qu’il est devenu cassant et (…) se déchire sous l’effet du moindre effort114. L’origine de cette altération est de nature physico-chimique. Nous estimons donc le support textile trop faible pour supporter la tension du montage. D’autant plus que les bords de tension sont usés, et présentent des déchirures dues à l'ancien mode de fixation de la toile sur le châssis, par des clous et des semences.

113

Labreuche, Op. cit., p.78. Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 522. 114

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La toile souffre aussi d’une planéité défaillante, due à une tension trop faible. Il se peut qu’elle ait subit un fluage important, qui n’est cependant pas mesurable précisément. Il s’agit d’une altération mécanique. Le support textile comporte aussi des guirlandes de tension, qui sont des déformations apparaissant lors d’un éventuel décatissage ou de l’encollage du textile. Il s’agit d’une altération mécanique. Un empoussièrement et un encrassage important

Figure 43 Les bords de tension sont usés. Les fils sont oxydés et cassants.

sont observés au revers. La poussière et la crasse contiennent diverses particules, plus ou moins réactives, c’est-à-dire susceptibles de réagir avec les matériaux du textile, à savoir l’encollage et les fils. Certaines sont même un facteur limitant du développement de champignons, dans des conditions bien particulières de température et d’humidité relative. La poussière et la crasse sont donc des altérations potentiellement physicochimiques et biologiques du support textile, conduisant en définitive à la dégradation de ses propriétés mécaniques. I.2.1.4. Observations 

Dans un tissage ouvert, les tensions des fils de chaîne et du/des fil(s) de trame sont plus équilibrées et les variations dimensionnelles potentielles en rapport avec l’humidification du textile sont théoriquement moindres que dans un tissage serré.

Il nous semble évident que le support de marouflage ne pourra être conservé dans sa fonction actuelle, compte tenu de ses caractéristiques, et plus simplement du seul fait que le support textile supporte une couche picturale.

Inscription du numéro d'inventaire 570-2769, au revers de la toile dans la partie inférieure côté dextre. I.2.2. Encollage I.2.2.1. Fonction L’encollage du support textile permet à la fois de réduire la porosité de celui-ci, et de

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protéger ses fibres du contact du liant (surtout dans le cas de la peinture à l’huile)115. Il permettrait aussi d’améliorer l’adhérence des couches ultérieures. I.2.2.2. Description La couche d'encollage a été mise en évidence en déposant une goutte d’eau au revers du support textile et en observant un matériau gélatineux et brillant sous loupe binoculaire en grossissement x16. I.2.2.3. Etat de conservation L’état de conservation de l’encollage est inconnu. Il n’existe aucun moyen d’évaluer l’état de conservation de la couche d’encollage. L’adhérence des couches à son contact elle-même ne peut être testée que par un test potentiellement destructif, et la couche picturale n’étant pas accessible, aucun indice ne nous permet de l’évaluer. I.2.2.4. Observations 

Nous en saurons plus lorsque nous pourrons observer la couche picturale. Quoiqu’il en soit, l’encollage est souvent consolidé de façon préventive lors des interventions par apport d’un adhésif de refixage. I.2.3. Préparation rouge I.2.3.1. Fonction La préparation sert de fondations pour la couche colorée huileuse. Elle en prépare

l’aspect de surface, et par extension, son caractère mat ou brillant, et peut servir de base tonale. Dans le montage, la préparation rouge semble être utilisée pour atténuer la texture de la

Rudel, Jean. Technique de la peinture. Paris : Presses Universitaires de France, Collection Que sais-je ?, 1999, p. 62. 115

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toile, puisqu’elle est recouverte d’une autre préparation, grise cette fois-ci. I.2.3.2. Description La nature du liant a été déterminée par un test d’absorption de l’eau par la préparation rouge. Le liant est de nature lipidique. Elle est absente des bords de clouage de la toile, ce qui signifie qu’elle a été appliquée sur la toile après qu’elle ait été tendue sur châssis. I.2.3.3. Etat de conservation L’état de conservation de la préparation est inconnu. Nous ne pouvons ni évaluer son adhésion à la toile encollée, ni sa cohésion, et n’avons pas accès à l’ensemble de la couche picturale pour recueillir des indices sur son état. I.2.4. Préparation grise I.2.4.1. Fonction Nous avons défini ci-dessus la fonction d’une préparation. Cette préparation grise sert à finaliser l’aspect de la surface prête à accueillir la couche polychrome, et à donner une teinte de fond à la peinture à l’huile. I.2.4.2. Description Une couche d'impression grise a été appliquée par-dessus la préparation, observable sur coupe stratigraphique. Le recours à une couche d'impression se justifie par la volonté de couvrir la préparation pour obtenir, soit une couleur initiale différente, soit une texture de fond différente, soit les deux à la fois. I.2.4.3. Etat de conservation L’état de conservation de la préparation grise est inconnu.

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Nous ne pouvons ni évaluer son adhésion à la préparation rouge, ni sa cohésion, et n’avons pas accès à l’ensemble de la couche picturale pour recueillir des indices sur son état. I.2.5. Couche polychrome I.2.5.1. Fonction La couche polychrome n’est pas une couche fonctionnelle du montage, elle en constitue la raison. En l’occurrence, étant masquée par le système original, elle est sacrifiée au profit de celui-ci. I.2.5.2. Description En l’état actuel, la couche polychrome supportée par la toile n’est pas visible, exceptée sur les bords. Ceux-ci laissent voir une couleur proche de la couleur de fond de la couche polychrome

supportée

par

le

papier.

Une

radiographie de l’œuvre a été réalisée pour déterminer si cette couche polychrome est composée. On observe un homme debout. Il semble tenir un crâne dans sa main droite. Un test d’immersion dans l’eau d’une écaille prélevée a permis de déduire la nature lipidique du liant.

Figure 44 Radiographie de l’œuvre. Un personnage est visible sur la gauche. Il semble tenir un crâne.

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I.2.5.3. Etat de conservation L’état de conservation de la couche polychrome est inconnu. En l'état actuel, il est difficile de juger de l'état de conservation de cette couche picturale, du fait de son inaccessibilité. On peut simplement constater qu'en bord de toile, cette couche a tendance à s'écailler parce qu'elle n'est pas véritablement supportée, elle est donc sujette à diverses manipulations pouvant engendrer des altérations mécaniques. Les contraintes de cisaillement affectent plutôt l'interface préparation rouge / support toile, dans l'ensemble de cette stratigraphie.

I.3. Système « original » I.3.1. Papier I.3.1.1. Fonction Le papier peut avoir beaucoup d’usages, le plus souvent celui de support à l’écriture, au dessin, ou à différentes techniques de peinture. Il existe pratiquement autant de types de papier que d’usages. Le papier sert ici de support à la couche polychrome visible. I.3.1.2. Description Le support papier, qui est en quelque sorte un non-tissé, est une feuille délimitée, caractérisée par ses constituants et par sa forme finale. Pour simplifier la description, nous séparerons l’analyse de constituants de l’analyse formelle de la feuille. I.3.1.2.a. Constituants Un papier est constitué de fibres dont il faut identifier la nature et le mode de défibrage (pour former la pâte à papier), et potentiellement d’adjuvants qui en modifient les caractéristiques mécaniques et visuelles.

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Fibres : L’identification des fibres est faite par observation au Microscope Electronique à Balayage sur un prélèvement en bordure de déchirure. Sur plusieurs zones, on observe des

fibres

aux

caractéristiques

morphologiques identiques à celles des fibres de lin, ainsi qu’à celles de coton. Des fibres de chanvres, proches des fibres de lin,

Figure 45 Fibre de lin, reconnaissable au coude qu'elle forme.

pourraient également être présentes. 

Pâte : Il s’agit d’une pâte de chiffon, et donc d’un papier à la forme.

Figure 46 Fibre de coton, reconnaissable à sa forme torsadée.

I.3.1.2.b. Feuille La feuille de papier est caractérisée par ses dimensions, ses lisières, son grammage (plutôt pour les papiers industriels), son épair, son état de surface (ou le grain du papier), sa couleur et la préparation éventuelle de sa surface, afin de servir de subjectile. 

Dimensions, Format : Le format est irrégulier. Ses dimensions maximales sont de 59,4 x 48,7 cm et ses dimensions minimales sont de 57,7 x 48,6 cm. Il s’agit probablement d’un format raisin (65 x 50 cm) redécoupé.

Lisières : Les papiers à la forme n’ont pas de bords nets, sauf quelques papiers industriels récents. Ici les bords sont nets mais ne sont pas tous rectilignes. Cela confirme l’hypothèse d’un découpage.

Grammage : Il est impossible de mesurer le grammage de la feuille seule en l’état actuel du montage.

Epair : Il est impossible d’observer l’épair sur un nombre significatif d’échantillons, l’épair s’observant en lumière transmise. Les seules zones où

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l’on peut éventuellement l’observer sont les zones où le papier est nu, sans couche polychrome. Mais cela ne représente pas un nombre significatif d’échantillons. 

Grain du papier : Le grain du papier s’observe en lumière rasante. En l’état actuel, nous ne pouvons observer que la face de l’œuvre. Il nous semble que le grain du papier y est sensible sous la couche polychrome. Nous émettons l’hypothèse qu’il peut s’agir d’un papier vergé, parce que les lignes verticales sont très sensibles et pourraient correspondre à des vergeures. Ils se pourraient aussi que l’armure toile du support textile ait imprimé le papier lors du marouflage. Cependant il nous semble que les lignes horizontales sont beaucoup moins marquées que les lignes verticales, pour ne pas dire insensibles, alors que les fils constituants le textile sont quasiment identiques dans les deux sens.

Couleur du papier : Sur les lèvres de déchirures, le papier est blanc. Sur les lacunes de couche polychrome, il apparaît brun. Nous ne pouvons pas observer le revers du papier pour le moment.

Encollage / Préparation : Encollage naturel. La présence d’une couche de préparation n’a pu être mise en évidence. I.3.1.3. Etat de conservation

L’état de conservation du support papier est mauvais. Il convient de le nuancer : Les caractéristiques mécaniques du papier sont difficiles à évaluer pour le moment. Certains indices, notamment la qualité du papier, nous laissent à penser que ses caractéristiques mécaniques sont probablement très bonnes, bien que nous ne puissions les mesurer. Cependant, l’huile et le papier ne sont pas des matériaux compatibles chimiquement. Ce dernier est attaqué par l’acidité de l’huile oxydée.

Figure 47 Déchirure du papier n’affectant pas la toile.

En revanche, certaines altérations du papier nécessitent une intervention conséquente. Il comporte les mêmes déformations que le support textile et 7 déchirures importantes dont 2 complexes ; 6 sont communes au support textile et au papier. On dénombre 4 lacunes de papiers

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et 3 perforations. Il comporte également trois marques de pliures et une déchirure n’affectant pas la toile, donc antérieure au marouflage.

Figure 48 Photographie en lumière rasante mettant en évidence les déformations du papier et de la toile. La photographie a été retravaillée de manière à atténuer le dessin et à faire ressortir les reliefs du support.

I.3.1.4. Observations 

Certains reliefs proviennent visiblement de la couche sous-jacente au papier. Ils ne correspondent à aucun empâtement de la couche colorée finale. Il pourrait s'agir d'agglomérats d'adhésif ou d’un élément pris au piège lors du marouflage. I.3.2. Couche polychrome I.3.2.1. Fonction Comme nous l’avons vu plus haut, la couche polychrome n’est pas une couche

fonctionnelle du montage, elle en constitue la raison. Une couche polychrome peut être constituée de plusieurs couches superposées ayant chacune sa fonction, pour tendre vers un effet final.

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I.3.2.2. Description La couche polychrome est constituée de pigments enrobés dans un liant, auquel sont éventuellement ajoutés des adjuvants, pour former une « pâte », plus ou moins épaisse et plus ou moins translucide, mise en œuvre par le peintre. Nous séparerons la description du matériau pictural de la technique mise en œuvre par le peintre. I.3.2.2.a. Matériau pictural La « pâte » est le matériau de base dont se sert le peintre pour mettre en œuvre sa peinture. Le peintre peut se servir d’un ou plusieurs liants dans une même peinture, et souvent de plusieurs pigments différents. Les adjuvants permettent de modifier les caractéristiques rhéologiques de la pâte, pour l’exécution ou ses caractéristiques physico-chimiques, pour modifier le temps de « séchage » du film, voire les deux à la fois. 

Nature du liant : La nature du liant n’a pas été déterminée par des analyses chimiques poussées, mais par observation et à l’aide d’un test de solubilité à l’eau pour confirmer l’hypothèse émise. Le liant est oléagineux. Certaines altérations fréquentes liées à la mise en œuvre de ce liant ont été constatées (craquelures prématurées et frisures) et son aspect, par endroits translucide (glacis) nous ont fait penser à une technique à l’huile. Le test de solubilité à l’eau devrait être négatif si notre hypothèse est juste : une goutte d’eau a été déposée sur une zone où le vernis est manquant et est observée sous loupe binoculaire (grossissement x16). La goutte garde une tension superficielle élevée et n’est pas absorbée par la couche polychrome.

Pigments : Il nous est impossible de déterminer les pigments employés avec certitude sans analyse chimique.

Adjuvants : Il nous est impossible de déterminer les adjuvants éventuels sans analyse chimique. I.3.2.2.b. Technique

Comme nous l’avons vu dans la partie plastique de l’étude historique, il semble que le

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copiste n’ait pas réalisé de dessin préparatoire. Il a pu tracer les contours directement à l’huile et mettre les couleurs en place rapidement. Dans les ombres du visage, il a superposé des glacis colorés à une couche brune. La barbe est également traitée en couche fines et transparentes superposées à une couleur de fond sombre. Les parties lumineuses, en revanche, sont peintes en pleine pâte, laissant voir la touche de la brosse. Le fond est aussi traité en pleine pâte, avec beaucoup de variations de la teinte. I.3.2.3. Etat de conservation L’état de conservation de la couche picturale est globalement bon. La couche picturale principale présente une bonne cohésion ainsi qu'une bonne adhésion au support papier, même à proximité des déchirures. On

relève

cependant

un

réseau

de

craquelures

prématurées, dans la zone du visage, plus précisément dans les zones de modelé sombres. Elles laissent apparaître le papier qui semble s'être oxydé. L'observation sous lumière ultraviolette montre que le vernis est aussi affecté par ces craquelures, ce qui confirme son caractère original.

Figure 49 Craquelure prématurée, sous microscope USB.

La couche colorée comporte des frisures au niveau de la nuque et du casque, ainsi que des fissurations, visibles par observation sous loupe binoculaire. Les frisures dénotent une mise en œuvre défaillante, probablement des reprises du contour par le peintre. On observe des lacunes de couche picturale dans les

Figure 50 Frisure, sous microscope USB.

déchirures complexes et dans certaines déchirures dont celles provoquées par les semences fixées à l'avers, et des pertes de matière dans certains enfoncements. D'autres lacunes de couche colorée sont visibles dans la partie inférieure dextre. Elles ne semblent pas être liées à une perte d’adhésion, mais pourraient découler de chocs et d’accidents.

Figure 51 Lacune provoquée par un choc, sous microscope USB.

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I.3.3. Vernis I.3.3.1. Fonction Le vernis sert de couche de protection et a un rôle esthétique par la profondeur qu’il donne aux couleurs. I.3.3.2. Description La présence d'un vernis, probablement naturel, a été mise en évidence par observation comparée sous lumière ultraviolette et sous lumière artificielle de l'atelier. Son épaisseur est variable : il a été appliqué de manière inégale.

Figure 52 Le vernis est observé sous lumière UV.

I.3.3.3. Etat de conservation L’état de conservation du vernis est mauvais. Le vernis a fortement jauni : des déplacages situés dans la zone du vêtement jaune permettent d'observer la couleur sous-jacente – qui semble être fidèle à la couleur du modèle. Des blanchiments sont présents à proximité de la grande déchirure complexe: il pourrait s'agir

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de blanchiments du vernis puisqu'ils sont en surface mais n'ont pas l'aspect de concrétions de matière étrangère à l'œuvre. La surface peinte est recouverte d'une couche de crasse qui confère un aspect blanchâtre plus prononcé dans la partie supérieure dextre de l'œuvre. Cela pourrait correspondre à un chancis du vernis voire de la couche picturale. La crasse s'est agglomérée à proximité des montants du cadre. Des écoulements ayant transporté de la crasse sont observables dans la zone inférieure du tableau. Des points blancs sont répartis dans le tiers dextre de façon relativement importante. Il se peut qu'il s'agisse de champignons.

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I.4. Relevés des altérations

Légende :

Légende : Lèvres des déchirures Perforations Reliefs non-identifiés Pliures

Frisures Lacunes de peinture Moisissures Ecoulements de vernis Déplacages de vernis

Figure 53 Relevé des altérations du papier. Figure 54 Relevé des altérations de la couche polychrome et du vernis.

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II.

DIAGNOSTIC Le premier objectif du diagnostic est de caractériser, sur la base du constat, l’état global

de l’objet, de dire s’il remplit sa fonction, et ensuite de dire si chaque élément du montage remplit sa fonction au sein de celui-ci. Dans un premier temps donc, il faut synthétiser les données du constat pour en avoir une vision globale. Le second objectif du diagnostic est d’établir les causes de l’état de l’objet pictural à l’instant où il est analysé. Elles sont à chercher dans son histoire, au sein de l’environnement dans lequel il a évolué, mais aussi dans sa propre constitution. Ainsi, si un papier est infesté de champignons, c’est à la fois parce que les conditions dans lesquelles il a évolué ont permis ce développement (chaque espèce de champignon a ses conditions idéales de développement) et parce que les matériaux qui constituent le papier le favorisent. Si c’est évident pour cet exemple où il suffit de prendre en compte l’interaction entre matériau et maladie, la question devient plus complexe dans un montage où beaucoup de facteurs sont entremêlés. Dans l’absolu, toutes les altérations proviennent de la combinaison de l’effet de l’environnement ou des différents environnements de conservation sur l’objet, et des caractéristiques de celui-ci, ainsi que de sa mise en œuvre. Le diagnostic vise aussi à comprendre comment l’objet se « comporte », et donne donc de précieuses informations sur l’éventuel traitement à lui administrer.

II.1. Diagnostic détaillé Le diagnostic détaillé a été reporté en annexe (Annexe 2).

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II.2. Synthèse du diagnostic Fondamentalement, les causes de l’état de conservation d’un objet dérivent toutes de la nature des matériaux constitutifs des éléments de l’objet, de leur montage et de leurs interactions biologiques, mécaniques et physico-chimiques avec un ou plusieurs environnements de conservation donnés, en fonction du temps. Dans cette synthèse, nous récapitulerons les principales défaillances de notre tableau et nous concentrerons sur les causes majeures les impliquant. II.2.1. Défaut de planéité Le système original et le système « support de marouflage » souffrent conjointement d’un défaut général de planéité ainsi que d’altérations localisées de celle-ci. Il est important de noter que le défaut général est d’abord lié aux déséquilibres structurels du montage, c’est-à-dire au rapport des éléments du montage entre eux, à leur comportement incompatible, ainsi qu’au mode de fixation, inadéquat, qui n’est sans doute pas d’origine mais résulte d’une intervention ultérieure, non datée ni documentée. A ces problèmes intrinsèques à la réalisation du montage s’ajoute l’influence des conditions de conservation de l’œuvre probablement négligées momentanément ou sur un long terme au cours de son histoire. L’humidité et la température notamment jouent un rôle majeur dans le comportement du papier, de la toile et de l’adhésif naturel. II.2.2. Rupture de continuité Les deux systèmes sont aussi affectés par des ruptures de continuité que sont les déchirures, les perforations et les lacunes. Celles qui sont communes aux deux systèmes sont liées aux conditions de conservation déjà évoquées, insuffisantes et insécurisées. Les perforations périphériques sont les conséquences du mode de fixation adopté lors de l’intervention mentionnée. II.2.3. Dégradation de l’intégrité L’intégrité de certains éléments du montage, le châssis ainsi que la couche polychrome

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et le vernis, est mise en péril par les agents biologiques que sont les insectes et les champignons. Ces derniers se développent dans des conditions d’humidité et de température impropres à la conservation d’une peinture sur papier marouflé sur toile. Les insectes se développent dans un environnement de conservation non maîtrisé. Le contact du papier, même encollé, avec le liant de la peinture qu’il supporte, ainsi qu’avec le liant de la peinture, supportée par la toile et servant de subjectile pour l’adhésif de marouflage, le met en danger à long terme par réactions chimiques acido-basiques. La cellulose du papier se dégradera au contact des produits acides issus de l’oxydation du liant. Les qualités mécaniques du papier en seront affectées, ainsi que sa cohésion. Il s’agit d’un problème d’incompatibilité chimique lié à la mise en œuvre. Cependant, l’encollage du papier constitue une barrière à ces réactions, probablement vouée à se dégrader. La poussière et la crasse, dont la présence traduit encore des mesures de conservation et d’entretien insuffisantes, sont des facteurs limitants au développement des champignons et comportent des réactifs pouvant réagir chimiquement avec les matériaux avec lesquels ils sont en contact, et accélérer ainsi leur dégradation. Ajoutons qu’elles altèrent la perception de la peinture. Le jaunissement du vernis, altérant la compréhension des couleurs, découle de son oxydation par la lumière, notamment par les rayons ultraviolets. II.2.4. Défauts d’adhésion L’adhésion du papier à la toile préparée et peinte est insatisfaisante. Les causes ne sont pas établies avec certitude mais elles résultent soit de la fatigue mécanique, soit de la dégradation partielle de l’adhésif, soit, ce qui nous semble plus probable, de la mise en œuvre, c’est-à-dire d’une application inégale de l’adhésif sur le(s) subjectile(s) et peut-être aussi de l’opération de marouflage en soi. L’adhésion du vernis à la couche polychrome du système original est défaillante : les déplacages en sont les témoins. Cela peut provenir des mouvements mécaniques divergents des différentes strates, qui provoquent, à terme, soit une altération de la cohésion d’un matériau, soit de son adhésion à un autre, soit des deux. L’adhésion les unes aux autres des différentes strates de la couche picturale de la toile est difficile à évaluer. Il faut toutefois garder en tête les risques de perte d’adhésion ou de cohésion de la couche de préparation rouge lors des traitements aqueux.

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II.2.5. Perte de cohésion La perte de cohésion de la couche de vernis est liée à l’humidité et donc aux conditions de conservation. L’aspect esthétique de la couche polychrome en est affecté.

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III. PRONOSTIC Le pronostic est l’estimation de l’évolution future de l’état de conservation de l’œuvre en l’absence d’intervention. Il nous est utile pour définir l’urgence et la nécessité d’intervenir, indépendamment de la volonté du prêteur, du responsable de l’œuvre, ou du client. La nécessité fait aussi intervenir l’usage de l’objet. Celui-ci peut comporter des altérations non-évolutives mais qui le rendent obsolète pour l’usage qui en est fait. Il convient donc d’évaluer la nécessité d’intervenir à l’aune de la fonction ou de l’usage de l’objet.

III.1. Urgence de l’intervention Les agents biologiques provoquent des dégradations à court terme, mettant en péril l’intégrité de l’œuvre et plus précisément du châssis, du cadre et du vernis. Il est urgent d’interrompre leur progression le plus rapidement possible. D’autant que le tableau n’est pas isolé mais stocké au milieu de nombreuses autres œuvres pouvant être contaminées, plus particulièrement par les insectes xylophages. En dehors de cela, l’intervention n’est pas urgente, dans le sens où son état, bien que généralement mauvais, est relativement stable dans son environnement de conservation. Toutefois, l’œuvre était stockée temporairement dans une réserve inadaptée, sensible aux conditions climatiques extérieures, le temps de la rénovation du Musée et de ses réserves.

III.2. Nécessité de l’intervention Cependant, il ne faut pas seulement tenir compte des processus de dégradation à court terme, mais aussi des processus plus longs, ainsi que de l’usage qui est fait de l’objet. Or, une peinture est faite pour être vue et nous avons constaté que son aspect esthétique était altéré par de multiples défaillances : la planéité, la continuité, l’intégrité ainsi que l’adhésion et la cohésion de certaines strates. Il est donc nécessaire, du point de vue de l’usage qui est fait de l’objet, d’intervenir sur ces différents aspects pour le rendre « fonctionnel ». Il ne faut pas non plus oublier qu’un objet doit être entretenu et stocké. Son état actuel rend sa manipulation et son stockage dangereux, pouvant aggraver les altérations déjà présentes. Il faut donc intervenir pour assurer sa sécurité dans son environnement de conservation.

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IV. CAHIER DES CHARGES Le cahier des charges est la première étape dans la décision d’intervention. Il permet de fixer un cadre à celle-ci en confrontant les objectifs de la conservation-restauration, déterminés à partir des conclusions du pronostic, aux impératifs auxquels les opérations de restauration doivent obéir. Ces impératifs sont définis par plusieurs contraintes, elles-mêmes potentiellement en conflit, que nous définirons ultérieurement : les contraintes contextuelles, les contraintes générales ou contraintes déontologiques et les contraintes particulières, c’est-àdire les contraintes propres à l’œuvre, à son montage et à ses matériaux. L’expression de toutes les contradictions dans le cahier des charges trouvera sa réponse dans la formulation de la proposition de traitement.

IV.1. Objectifs de la conservation-restauration Les objectifs de la conservation-restauration sont définis à partir du diagnostic et du pronostic, et donc à partir de l’évaluation de l’urgence de l’intervention et de sa nécessité. Le premier objectif doit répondre à l'urgence, bien qu’il puisse interférer avec les objectifs de nécessité, arrivant en second dans la décision d’intervention. IV.1.1. Désinfestation Divers éléments du montage sont infestés par des agents biologiques : 

Les insectes xylophages infestent le châssis.

Les insectes xylophages infestent le cadre.

Des champignons, dont le développement semble limité, portent atteinte à l’intégrité du vernis, et potentiellement à celle de la couche polychrome.

Ces éléments doivent être traités en respectant leur intégrité physico-chimique si possible. La désinfestation doit s’accompagner d’une limitation des facteurs limitants au développement des agents biologiques de détérioration. Ces facteurs limitants sont avant tout les conditions ambiantes de température et d’hygrométrie, ainsi que les éléments secondaires permettant leur 90

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développement. La poussière et la crasse constituent l’un de ces éléments que l’on peut maîtriser. Ils seront à prendre en compte rapidement dans la proposition de traitement, dans l’idéal. IV.1.2. Démontage Quels que soient les autres objectifs de la conservation-restauration, le mode de fixation actuel ne peut être conservé : outre le fait qu’il n’est pas acceptable pour un conservateurrestaurateur de par les dégâts qu’il a causé à la peinture et au support original, il ne remplit pas sa fonction de mise en tension, de laquelle dépend la planéité du support et donc de la peinture. La planéité n’étant pas seulement une nécessité esthétique mais aussi une nécessité pour une question de sécurité dans l’environnement de stockage et de manipulation qu’est une réserve de musée. Le démontage ne peut pas se limiter au seul mode de fixation. Nous avons vu que le montage en soi était facteur d’altération de la planéité, voire de la continuité (en cas de rupture du châssis ou au sein des supports) par le déséquilibre des forces existant entre le châssis et le montage d’une part, mais surtout entre le papier et la toile, le papier étant trop contraignant pour celle-ci. Il semble donc nécessaire de procéder à un démarouflage, et d’envisager un autre montage. IV.1.3. Rétablissement de continuité Les différentes déchirures, lacunes et perforations constituent des altérations de la continuité du support original et, par conséquent, de la couche polychrome. Ces altérations provoquent des désordres mécaniques et esthétiques qu’il est nécessaire de traiter. Rétablir la continuité, c’est placer les lèvres des déchirures bord à bord, en les faisant correspondre, dans le respect du « dessin » de l’œuvre et combler les lacunes dans un souci de continuité stratigraphique des matériaux. Bien que la réintégration picturale corresponde à un rétablissement de continuité visuelle, nous l’aborderons séparément. Un point particulier doit être évoqué : il s’agit de la question du format du support original de papier. Son format étant irrégulier, mais correspondant cependant à un rectangle, il nous semble nécessaire de le faire correspondre au format du châssis original. Si la toile et le papier sont désolidarisés, il faudra aussi traiter la continuité de la toile,

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qui a été préparée et peinte et pourrait constituer une œuvre à part entière ou à défaut, un témoignage de l’histoire de l’œuvre. IV.1.4. Rétablissement de planéité C’est à dessein que le démontage a été placé dans les objectifs primordiaux : il est la condition nécessaire pour obtenir une planéité finale satisfaisante. Cependant, il n’est pas une condition suffisante. Si la planéité peut être améliorée au cours du démontage, il nous semble qu’elle ne pourra être définitivement résolue, en ce qui concerne le support original en papier, qu’une fois celui-ci désolidarisé de la toile. La toile préparée et peinte, désolidarisée du support papier, devra faire l’objet d’un rétablissement de planéité et, si nécessaire, d’un traitement de l’adhésion-cohésion de ses strates. IV.1.5. Montage Le support original en papier devra être renforcé par un montage permettant son exposition et sa conservation. Parce qu’il est sujet à des variations dimensionnelles dues aux conditions ambiantes d’humidité et de température alors que la peinture qu’il supporte est pratiquement inerte, il est important de le contraindre par un support de renfort pour limiter ses mouvements mécaniques et le maintenir plan. IV.1.6. Allègement de vernis L’allègement de vernis a une raison esthétique et une justification mécanique. Son jaunissement, son chancis, son irrégularité, ses coulures et ses lacunes nuisent à l’esthétique de l’œuvre et ces dernières témoignent d’un déplacage, c’est-à-dire d’une perte d’adhésion du vernis à la couche polychrome conjointement à une perte de cohésion liée à son oxydation. Ainsi, il ne remplit plus ni sa fonction esthétique ni sa fonction protectrice. IV.1.7. Vernissage Cette opération vient en complément de l’allègement de vernis, dans le but de saturer la

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couche polychrome et la protéger. IV.1.8. Réintégration picturale La réintégration picturale correspond à un rétablissement de continuité de la couche polychrome. Il s’agira de respecter l’état de surface de la couche polychrome. Cette intervention a un but purement esthétique.

IV.2. Contraintes de la conservation-restauration La conservation-restauration doit prendre en compte un certain nombre de contraintes. Son exercice s’inscrit dans un contexte normatif qu’on appelle déontologie. Elle répond aussi à un besoin, à une commande et donc à un commanditaire, et doit s’adapter à l’œuvre et à ses matériaux. IV.2.1. Déontologie La déontologie est l’ensemble des règles morales qui régissent l’exercice d’une profession116. Nous nous référons au code d’éthique adopté en assemblée générale en 2002 par l’European Confederation of Conservators-restorers Organisations (E.C.C.O.). Ici, nous ne mentionnons que les obligations du conservateur-restaurateur que nous estimons fondamentales envers le bien culturel dont il se voit confier la responsabilité et renvoyons le lecteur au code complet. 

Article 5 : Le Conservateur-Restaurateur doit respecter la signification esthétique et historique et l'intégrité physique des biens culturels qui lui sont confiés.

Article 8 : Le Conservateur-Restaurateur doit prendre en compte tous les aspects de la conservation préventive avant d'intervenir directement sur les biens culturels. Il doit limiter son intervention au strict nécessaire.

116

http://www.cnrtl.fr/definition/d%C3%A9ontologie

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Article 9 : Le Conservateur-Restaurateur doit chercher à n'utiliser que des produits, matériaux et procédés qui, correspondant au niveau actuel des connaissances, ne nuiront pas aux biens culturels ni à l'environnement et aux personnes. L'intervention et les matériaux utilisés ne doivent pas compromettre, dans la mesure du possible, les examens, traitements et analyses futures. Ils doivent également être compatibles avec les matériaux constitutifs du bien culturel et être, si possible, facilement réversibles.

Article 15 : Le Conservateur-Restaurateur doit respecter l'intégrité du bien culturel. Des arguments valables du point de vue de la conservation, d'un point de vue historique ou esthétique peuvent cependant justifier la suppression d'éléments lors de l'intervention. Dans la mesure du possible, les matériaux enlevés doivent être conservés. La procédure devra être entièrement documentée. IV.2.2. Contraintes contextuelles Ce que nous appelons contraintes contextuelles sont les contraintes de la Conservation-

Restauration déterminées par le commanditaire et le lieu de conservation de l’objet. IV.2.2.1. Commanditaire L’œuvre nous a été prêtée par l’administration du Musée Thomas Dobrée, à Nantes, plus particulièrement par Mme Claire DELALANDE, Conservateur du Patrimoine au Musée Thomas Dobrée. Aucune exigence particulière n’a été formulée par Mme Claire DELALANDE. La mission qui nous a été confiée était de faire le constat d’état de l’œuvre, et de discuter des objectifs de la Conservation-Restauration, de la proposition de traitement pour validation, et de faire état de l’avancement du travail de restauration. Nous nous sommes donc principalement référés à la déontologie pour orienter les objectifs de la Conservation-Restauration et les soumettre à l’approbation de l’administration du Musée.

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IV.2.2.2. Lieu de conservation Si le commanditaire a son mot à dire concernant le besoin motivant sa demande auprès du conservateur-restaurateur, le lieu de conservation de l’objet est aussi une contrainte fondamentale. Le Musée départemental Thomas Dobrée est actuellement en travaux pour rénovation. C’est aussi le cas de ses réserves. Quel que soit le lieu de conservation du bien qui nous a été confié, salles d’exposition ou réserves, les normes de conservation seront optimales et n’imposent aucune contrainte particulière quant aux matériaux à employer ou plutôt, ils offrent beaucoup de possibilités. IV.2.3. Contraintes inhérentes à l’œuvre Dans cette partie, il est question de mettre en évidence certaines contraintes majeures inhérentes à l’œuvre, à ses éléments et à ses matériaux constitutifs. Ces contraintes orientent les choix concernant les traitements, ainsi que leur déroulement. IV.2.3.1. Le mode de fixation Le mode de fixation actuel pose certains problèmes. Rappelons que le papier et la toile sur laquelle il est marouflé sont « pris en sandwich » par le cadre et le châssis et que les semences sont fixées par la face de l’œuvre sur le plat des montants du châssis. L’œuvre est fixée ainsi sans une tension suffisante, avec un défaut de planéité et des déchirures, donc dans une insécurité matérielle. IV.2.3.2. Le montage L’œuvre présente une stratigraphie complexe, d’autant plus que l’ensemble est affecté par diverses altérations, notamment de la continuité et de la planéité, compliquant l’intervention. Cette stratigraphie complexe comprend deux systèmes dont les comportements sont « enchaînés » par l’adhésif de marouflage. Cette division arbitraire que nous faisons entre ces deux systèmes provient de la présence de deux supports peints au sein du montage. Nous devons donc assurer la sécurité de ces deux systèmes au cours du démontage.

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IV.2.3.3. Le système « support de marouflage » Ce système est composé de la toile, de l’encollage, de la préparation rouge, de la préparation grise et de la couche polychrome invisible. Le problème de ce système peut provenir de l’interface encollage / préparation rouge dans les cas de contraintes mécaniques imposées. Il s’agit de l’interface qui a théoriquement le plus de chance d’avoir souffert des variations dimensionnelles de la toile liées aux variations des conditions d’hygrométrie et de température. En effet, les deux préparations et la couche polychrome sont relativement inertes quelles que soient les conditions climatiques alors que la toile de lin et l’encollage y sont sensibles. Cette différence de comportement localise donc les contraintes mécaniques à l’interface mentionnée. Il faut insister sur le fait que l’encollage gonfle en absorbant de l’eau et sur le fait que la présence de particules argileuses dans les préparations à base de pigments rouges peut conduire à une perte d’adhésion ou/et de cohésion en présence d’eau, voire d’eau et de chaleur117. Ceci n’exclue pas les traitements aqueux mais doit renforcer notre vigilance. IV.2.3.4. Le support papier Le support papier est l’élément qui pose le plus de problèmes tant ses facteurs de détérioration sont nombreux et sa constitution « fragile ». La synthèse du problème peut être présentée de cette façon : Le papier ne doit pas sa cohésion au simple enchevêtrement ou feutrage des fibres, mais à de fortes liaisons chimiques (de type liaisons hydrogène), soit directement entre les groupes hydroxyles des fibrilles, soit par l’intermédiaire de molécules d’eau. Il reste d’ailleurs de l’eau, dite « colloïdale », piégée au sein de la structure cellulosique, en sus de l’eau capillaire qui se fixe ou s’évapore au gré du climat auquel est soumis le papier.118 En effet, les liaisons chimiques et l’eau « colloïdale » sont deux facteurs fondamentaux déterminant les caractéristiques mécaniques du papier. Les matériaux qui le constituent, c’està-dire la nature de la fibre, les agents de collage et les charges ou adjuvants déterminent le nombre de ces liaisons. Mais celles-ci se détériorent par des processus mécaniques, physico-

Cf note 31 p.62. Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 544-546. 117

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chimiques et biologiques119. 

Détériorations mécaniques : le problème du papier est sa grande hygroscopicité et donc sa dépendance aux conditions d’hygrométrie et de température : plus simplement, au taux d’humidité relative du lieu dans lequel il est conservé. Le taux d’humidité relative idéal se situe autour de 50%120. Lorsqu’il augmente, le papier absorbe de la vapeur d’eau et se dilate ; lorsque le taux diminue, il en libère et se rétracte. A long terme, ces variations induisent une fatigue mécanique, notamment une perte d’élasticité et de solidité. Sur le court terme, une trop grande sécheresse du papier le rend trop rigide, moins plastique. L’humidité peut être employée pour améliorer sa plasticité.

Détériorations physico-chimiques : la cellulose se détériore par hydrolyse acide (présence d’eau et d’acidité donc) et oxydation, pouvant être catalysée par la lumière. La cellulose, comme le collagène, est attaquée lentement par les acides même dans les conditions de conservation les plus favorables. La pollution atmosphérique est également l’une des premières sources d’altération chimique. La température accélère tous les mécanismes de dégradation de la cellulose : une exposition brève à une température élevée fragilise le papier et provoque son jaunissement. L’action de la température devient particulièrement nocive lorsqu’elle est associée à celle de l’humidité121.

Détériorations biologiques : le papier est particulièrement sensible au développement des micro-organismes. Les conditions de température et d’hygrométrie les plus favorables à la croissance des champignons et des bactéries se situent au-delà de 65% d’humidité relative pour une température de 22 à 25°C122.

Liénardy, Anne, Van Damme, Philippe. Inter Folia : Manuel de conservation et de restauration du papier. Bruxelles : Institut Royal du Patrimoine Artistiques, 1989, p.62 à 73. 120 On donne généralement une température associée à l’humidité relative car cette dernière se définit comme le rapport entre la quantité de vapeur effectivement contenue dans un volume déterminé à une certaine température et la quantité maximale de vapeur d’eau que ce même volume pourrait contenir à la même température. 121 Idem, p.66. 122 Ibid, p.67. 119

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IV.2.3.5. Vernis Un défaut de l’adhésion du vernis à la couche polychrome a été constaté. L’éventuelle faiblesse de l’interface vernis / couche polychrome est donc à garder en mémoire pour l’élaboration de la proposition de traitement.

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V.

PROPOSITION DE TRAITEMENT La proposition de traitement définit un protocole de conservation-restauration à partir

du cahier des charges. Cette proposition sert de fil conducteur et est susceptible d’être modifiée au cours du traitement pour s’adapter en permanence aux besoins de l’œuvre.

V.1. Opérations Aucune opération ne peut être entreprise en assurant une sécurité matérielle à l’œuvre dans l’état actuel de fixation. Il semble donc que la dépose de la toile soit la première opération à réaliser. De plus, les opérations les plus urgentes, celles qui visent à interrompre le développement des agents biologiques doivent être réalisées directement sur les éléments du montage concernés, indépendamment des autres dans l’idéal. La dépose de la toile permet donc la séparation de ces éléments pour les traiter individuellement. V.1.1. Dépose de la toile Objectif(s) : 

Désolidariser les éléments à traiter en urgence

Fournir un mode de fixation plus sécurisant pour l’œuvre Rappelons que certains clous servant à fixer le cadre traversent l’œuvre de part en part

et qu’ils n’offrent pas de prise. Pour retirer le cadre, on pourra procéder par un effet de levier en prenant soin de ne pas abîmer la couche picturale. De même, certaines semences perforent l’œuvre par la face. Leur retrait devra donc être progressif pour prendre soin de la couche picturale. Le châssis et le cadre doivent alors être traités prioritairement afin d’éviter la « contamination » des réserves de l’atelier par les insectes xylophages. Les champignons présents sur le vernis seront traités une fois le papier marouflé sur toile sécurisé par un montage temporaire.

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V.1.2. Traitement insecticide Objectif(s) : 

Désinsectiser le châssis et le cadre

Eviter la contamination du lieu de conservation Il existe un traitement neutre pour désinsectiser le châssis et le cadre sans interaction

physico-chimique. Il s’agit de l’anoxie statique, qui consiste à priver les insectes d’un de leurs facteurs limitants : l’oxygène. Les deux éléments devront être placés dans une bulle étanche avec des absorbeurs d’oxygène, laissés en traitement pendant un minimum de vingt-et-un jours. Une température ambiante de 21°C est nécessaire pour que les insectes subissent la privation d’oxygène. En-dessous de cette température, la léthargie les protège. Le traitement doit durer un minimum de 21 jours. Il restera une urgence à traiter : les champignons. Après la dépose de la toile, quelle que soit l’opération à réaliser, celle-ci doit être maintenue en tension par sécurité, pour contraindre ses éventuelles réactions et celles du support papier aux conditions ambiantes d’hygrométrie et de température. En considérant l’état de planéité et la rigidité de l’ensemble de la stratigraphie, une mise en extension nous semble être la solution la plus adaptée, parce que la tension peut être parfaitement contrôlée et appliquée progressivement. En plus de cet aspect préventif, la mise en extension maintiendra l’œuvre dans une planéité relative le temps d’intervenir sur le vernis. V.1.3. Mise en extension Objectif(s) : 

Contraindre les supports en cas de réaction aux variations du taux d’humidité relative

Permettre d’intervenir sur la couche picturale du papier Pour mettre les supports en extension, des bandes de tension en intissé de polyester de

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fort grammage seront collées à la toile et fixées sur un bâti. L’adhérence globale du support papier à la toile est suffisante pour qu’il soit maintenu et en sécurité le temps d’intervenir sur la couche picturale. L’adhérence des bandes à la toile dépend de nombreux facteurs tels que le pouvoir collant de l’adhésif, l’aire de contact et la compatibilité des matériaux employés entre autres. La poussière et la crasse diminuent son potentiel. Il sera nécessaire de procéder à un dépoussiérage et à un premier décrassage à sec sur la périphérie du revers de la toile déposée. Pour les bandes de tension, un adhésif épaissi à l’aide d’un solvant organique ou des bandes adhésives thermoplastiques peuvent être employés. Le choix se portera vers du Plextol® B500 épaissi avec 20% en masse de xylène pour éviter un apport de chaleur pouvant fragiliser le papier par conduction. L’œuvre maintenue, un dépoussiérage peut être effectué avant de traiter les champignons. V.1.4. Dépoussiérage Objectif(s) : 

A court terme, améliorer la compréhension des altérations de l’œuvre

A long terme, supprimer l’un des facteurs limitants du développement des champignons

Traitement esthétique Le dépoussiérage pourra être effectué à l’aide d’une brosse douce en éventail. La

poussière chassée sera aspirée à l’aide d’un aspirateur. Le dépoussiérage achevé, il est possible de passer directement au traitement fongicide à sec.

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V.1.5. Traitement fongicide Objectif(s) : 

Débarrasser la couche picturale des champignons Les champignons, localisés à la surface du vernis, peuvent être traités à sec, surtout à un

stade de développement visiblement peu avancé. On devra employer une brosse à poils durs et courts pour que le frottement soit assez puissant pour déloger les champignons. Les résidus chassés devront être aspirés. Le résultat sera contrôlé sous loupe binoculaire. Si ce traitement s’avérait insuffisant, il serait bon d’envisager un traitement chimique, par application de nitrate d'éconazole à 0,2% en solution alcoolisée soit au pinceau, soit par tamponnage, à raison d'une application par jour pendant au moins trois jours consécutifs. Le décrassage de la surface devrait être effectué avant le traitement chimique, pouvant interagir avec le vernis, pour éviter de fixer la crasse dans le vernis et poser des problèmes de compréhension des couleurs lors de son allègement, voire de véhiculer la crasse et la fixer définitivement dans la couche polychrome sous-jacente. V.1.6. Décrassage Objectif(s) : 

A court terme, améliorer la compréhension des altérations de l’œuvre

A long terme, supprimer l’un des facteurs limitants du développement des champignons

Traitement esthétique Le décrassage sera réalisé avec un bâtonnet ouaté imbibé d’eau et « essoré », de manière

à limiter l’apport en eau (cf. V.3. Protocole de nettoyage p.114). Après le décrassage, et si le traitement fongicide chimique n’est pas nécessaire, nous proposons d’intervenir sur le vernis original, en mauvais état de conservation. Il pose en effet un problème majeur en l’état : son adhérence à la couche polychrome n’est pas fiable pour la

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suite des opérations. Si l’œuvre avait été plane, ou si elle n’était pas déchirée, le démontage aurait pu être réalisé sur table aspirante. La continuité, insatisfaisante et pour le moment inabordable à cause des contraintes du montage, devant être rétablie avant la planéité, il semble préférable de réaliser un renforcement du papier peint à l’huile par la face. Ce renforcement devra permettre d’atténuer les déformations sans les résorber et ainsi, ne pas figer les déchirures qui ne sont pas bord à bord ou se chevauchent. Ce renforcement par la face dépend donc de la bonne adhérence de toutes les strates les unes aux autres. L’adhérence du vernis étant douteuse, il semble nécessaire de le traiter avant la suite des opérations. V.1.7. Allègement de vernis Objectif(s) : 

Traitement esthétique L’allègement de vernis sera réalisé avec un bâtonnet ouaté imbibé du mélange de

solvants n°06 de la liste de L. Masschelein-Kleiner et essoré, de manière à limiter l’apport en solvant (cf. V.4. Protocole d’allégement de vernis p.115). Après l’allègement de vernis, le renforcement du système « original » par la face peut être abordé. La première étape de ce renforcement consiste à poser une protection de surface. Elle sert de couche intermédiaire prévenant les éventuelles pertes de matière. Elle maintient donc la continuité de la couche polychrome. La protection de surface est un papier fin collé sur la couche picturale d’une œuvre. Ce papier ne peut pas épouser des déformations trop importantes. Il est donc nécessaire de les atténuer. La mise en chambre humide de l’œuvre en extension permettra de la relaxer afin d’ouvrir le bâti progressivement et d’améliorer la planéité des supports. Cette planéité améliorée devra être « sauvegardée ». Pour cela, dès que la planéité voulue aura été obtenue, on interrompra l’humidification et l’œuvre sera placé sur la table aspirante pour la contraindre durant son séchage.

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V.1.8. Chambre humide et séchage Objectif(s) : 

Relaxer le support papier et le support toile en vue d’améliorer la planéité du montage actuel

Maintenir les supports dans l’état de planéité amélioré

Résorber autant que possible les chevauchements des lèvres de déchirure L’œuvre sera placée dans une chambre hermétique dont on fera augmenter le taux

d’humidité relative. On observera son évolution. Le bâti sera ouvert progressivement au fur et à mesure de la relaxation des supports. Dès qu’une planéité satisfaisante pour la pose d’une protection de surface aura été obtenue, l’humidification sera interrompue et l’œuvre sera placée sur la table aspirante pour la maintenir au cours du séchage. La pression ne devra pas « écraser » les déformations. Un mélinex pourra être placé par-dessus pour l’augmenter si nécessaire. Si une planéité satisfaisante est obtenue, il est alors possible de poser une protection de surface qui épousera bien les déformations de la couche picturale. V.1.9. Protection de surface Objectif(s) : 

Traitement préventif d’éventuelles pertes de matière de la couche polychrome La protection de surface pourra être posée sur table aspirante, après le temps de séchage

des supports consécutif à la chambre humide. Le papier devra être peu contraignant, c’est-à-dire avoir un allongement faible des fibres lors de son humidification et donc un retrait peu important, pour ne pas exercer trop de pression sur l’œuvre, d’autant que nous devrons ensuite procéder à un cartonnage. Nous choisirons donc un papier japon de 9 g.m-2. L’adhésif employé doit avoir un très bon pouvoir collant pour que le renforcement soit

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solide et sécurise le papier lors du démarouflage. Une colle de pâte diluée pourra être employée. Lorsque la protection de surface sera sèche, les bandes de tension devront être enlevées pour réaliser le cartonnage. C’est la deuxième étape du renforcement du système « original » par la face. L’exploitation des phénomènes de dilatation et de rétraction du papier de cartonnage améliore aussi la planéité et la continuité. C’est pourquoi les déchirures, figées par la protection de surface, pourront être ouvertes si les chevauchements des lèvres de déchirure ont été résorbés. Le cartonnage aura pour effet de les rapprocher. V.1.10. Cartonnage Objectif(s) : 

Sécuriser l’œuvre en vue du démontage

Améliorer la planéité

Améliorer la continuité L’objectif n’est pas d’obtenir une planéité totale puisque la continuité ne sera pas

parfaitement rétablie à ce stade de l’intervention. Le papier ne devra donc pas être trop contraignant au séchage, mais suffisamment fort pour améliorer la planéité et la continuité. Un bolloré de fort grammage suffira pour les objectifs établis. D’autant qu’un dernier papier de renfort devra encore être posé. La colle employée devra être compatible avec la colle du papier de protection et avoir un bon pouvoir collant pour une adhérence maximale. Une colle de pâte légèrement plus épaisse que celle utilisée pour la protection de surface sera choisie. On attendra que le cartonnage soit parfaitement sec pour passer à la dernière étape de la sécurisation du système « original ». Elle consistera à coller une dernière strate dont le rôle sera de renforcer le cartonnage et de permettre la mise en extension de l’ensemble sur un bâti. La mise en extension nous semble plus intéressante que le simple retournement du cartonnage renforcé sur un fond. Elle permet de maîtriser la tension du montage de renfort, et donc sa planéité, que ce soit avant le démarouflage ou après, lorsque le revers du papier sera

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libéré de la toile, donc plus susceptible de réagir aux variations du taux d’humidité relative ; elle permet aussi un contrôle visuel minimal de la face de l’œuvre ainsi qu’une meilleure maniabilité. V.1.11. Mise en extension du cartonnage Objectif(s) : 

Contraindre et renforcer le support « original » pour le sécuriser en vue du démontage La dernière strate du montage de renfort ne devra pas avoir d’effet sur la planéité. Elle

doit être résistante pour consolider le cartonnage et supporter la tension sur un bâti. Nous choisirons donc un intissé de polyester de fort grammage. Il ne présente aucune variation dimensionnelle à l’humidification et donc à l’encollage aqueux et il est très résistant. La colle employée devra être compatible avec la colle du cartonnage et avoir un bon pouvoir collant pour une adhérence maximale. Une colle de pâte légèrement plus épaisse que celle utilisée pour le cartonnage sera choisie. Des mélinex seront placés de telle sorte que l’intissé n’adhère au cartonnage que jusqu’à la ligne d’incision lors de son retournement, à mi-tirants. L’intissé sera cependant totalement encollé pour assurer l’homogénéité de la tension de la strate lors de la mise en extension. Lorsque la colle aura totalement séché, le cartonnage sera incisé à mi-tirants pour désolidariser le montage du fond. Les angles de l’intissé seront supprimés de manière à former des bandes de tension. Celles-ci seront agrafées à un bâti en bois dont on pourra chasser les clefs jusqu’à l’obtention de la tension souhaitée. Le système « original » maintenu et sécurisé, il sera possible de procéder à son démontage en manipulant la toile.

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V.1.12. Démontage Objectif(s) : 

Dissocier la toile préparée et peinte du système « original » Le démarouflage doit répondre aux impératifs suivants : la rupture doit s'effectuer à

l'interface du système « original » et du système « support de marouflage » ; cette rupture doit s'effectuer en respectant en priorité l'intégrité du support papier (et de la couche picturale qu'il comporte), puis l'intégrité de la couche picturale de la toile et de la toile elle-même. On commencera par tester le démarouflage à sec, par pelage avant d'envisager l'emploi d'un solvant qui n'est pas anodin pour un système complexe tel que celui-ci. Le démarouflage achevé, le système « original » sera maintenu par le montage de renfort et la toile sans contrainte. Sa sécurisation devra s’adapter aux interventions à réaliser pour la conservation-restauration de la peinture sur toile. Le support comportant des déchirures, une mise en extension permettra de contrôler le rétablissement de continuité. V.1.13. Mise en extension de la toile Objectif(s) : 

Contraindre la toile préparée et peinte en cas de réaction aux variations du taux d’humidité relative

Permettre le rétablissement de continuité du support toile Pour mettre la toile en extension, des bandes de tension en intissé de polyester de

grammage moyen seront collées au revers et fixées sur un bâti. Pour les bandes de tension, un adhésif épaissi à l’aide d’un solvant organique ou des bandes adhésives thermoplastiques peuvent être employés. Un constat d’état de la couche polychrome et des préparations pourra alors permettre de proposer un traitement.

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Le revers du papier étant accessible, les résidus de l’adhésif de marouflage devront être supprimés pour homogénéiser le support et améliorer sa perméabilité aux solvants. Les impuretés éventuelles doivent être supprimées pour minimiser les réactions chimiques détériorant le papier à long terme ou favorisant le développement des champignons. V.1.14. Nettoyage du papier Objectif(s) : 

Supprimer les résidus de l’ancien adhésif de marouflage

Améliorer la perméabilité aux solvants du support papier Un gel de méthylcellulose sera appliqué sur l'ensemble du papier soit par quadrillage

progressif – « en damier » – soit par bandes dans la largeur de l’œuvre et sera nettoyé à l'aide d'un bâtonnet ouaté humidifié après un temps d'action à déterminer après tests. Ce gel respecte l’impératif de neutralité chimique et limite l’apport d’humidité dans le papier. Le support « original » sera alors homogène. Nous pourrons envisager le rétablissement de continuité. Cependant, le montage de renfort rend le système « original » moins flexible et limite le contrôle visuel de la continuité par la face. Il est une contrainte pour le rétablissement de planéité. Nous devrons donc démonter le renfort. V.1.15. Décartonnage et nettoyage Objectif(s) : 

Libérer le système « original » des contraintes du cartonnage en vue de l’intervention sur la continuité Pour le décartonnage, comme pour le démarouflage, le système doit être sécurisé,

maintenu. Il pourra être placé sur la table aspirante. La

colle

de

pâte

est

réversible

à

l’eau.

Le

cartonnage

sera

délité

progressivement jusqu’au papier de protection, strate par strate.

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Les résidus d’adhésif présents sur la couche polychrome devront être retirés tant que le papier sera maintenu. Le nettoyage pourra être fait à l’aide d’un bâtonnet ouaté imbibé d’eau. Dans une intervention sur le support d’une œuvre affectée par une rupture de continuité et une perte de planéité, il est nécessaire de rétablir la continuité avant la planéité. Si ce principe n’était pas respecté, c’est-à-dire si l’on rétablissait la planéité d’un support avant d’en rétablir la continuité, celle-ci pourrait se trouver « fixée » inconvenablement : les lèvres des déchirures pourraient se superposer, le « dessin » de la peinture pourrait ne pas être continu. V.1.16. Rétablissement de continuité Objectif(s) : 

Remettre les lèvres des déchirures du support papier bord à bord

Rétablir la continuité du « dessin » de l’œuvre Le système « original » sera donc libéré de toute contrainte pour la remise des lèvres de

déchirure bord à bord. La continuité du dessin rétablie devra être maintenue par la face temporairement pour la consolider ensuite au revers de l’œuvre. Des petites bandes de papier bolloré de 12 g.m-2 pourront être collées avec un gel de méthylcellulose à 5% dans de l’eau pour maintenir les lèvres bord à bord par la face. Lorsque tous les raccords seront effectués par la face, l’œuvre pourra être retournée et les déchirures consolidées de la même façon par le revers. On pourra alors retirer les fixations posées sur la couche polychrome : la continuité sera maintenue par le revers Une fois que la continuité sera rétablie, le traitement de la planéité totale pourra débuter. V.1.17. Rétablissement de planéité Objectif(s) :  Rétablir la planéité totale du support papier

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Pour rétablir la planéité du support papier, nous proposons de procéder à la pose d’un papier de protection de surface contraignant. Son effet sera celui d’un cartonnage léger pour ne pas « forcer » le papier et risquer des plis. Cette technique permet de maintenir la continuité et les dimensions du papier en évitant d’apporter de l’humidité au revers. Le papier de protection appliquera une pression plus progressive qu’en utilisant des poids après avoir humidifié le revers. Un papier bolloré de 12 g.m-2 sera sélectionné pour son retrait, plus important qu’un papier japon de même grammage. Un gel de méthylcellulose à 5% dans l’eau sera choisi pour son faible retrait au séchage et sa réversibilité plus aisée qu’une colle de pâte diluée. Si nécessaire, un second papier bolloré de 12 g.m-2 sera posé par-dessus le papier de protection contraignant, le sens de dilatation des fibres placé perpendiculairement à celui du premier papier. Les incrustations doivent combler les lacunes du support et dans le cas présent, permettre d’adapter son format à celui du cadre. V.1.18. Incrustations Objectif(s) : 

Combler les lacunes du support papier

Adapter son format à celui du cadre Le format définitif du papier dépend du format du cadre. Ainsi, il sera agrandi de

manière à ce que le montage s’adapte à ce dernier. Le format sera rectangulaire. Le papier d’incrustation doit s’approcher au maximum du papier original : par sa texture et son épaisseur notamment. Un papier vergé de 90 g.m-2 a été sélectionné. Il devra être stabilisé pour éviter toute réaction aux variations du taux d’humidité relative, celles-ci entraînant des variations dimensionnelles. Avant la stabilisation, il sera nécessaire de parfaire sa planéité. Un traitement combinant l’action de l’humidité et la pression pourra être envisagé avant l’imprégnation. Celle-ci pourra ensuite être réalisée avec une résine synthétique telle que le Plexisol® P550 de 5 à 10% en plusieurs passages. Elle aura l’avantage

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de limiter l’absorption du vernis lors de l’étape du vernissage. Les contours des lacunes et de la périphérie du support original seront reportés sur le papier d’incrustation en prenant ses vergeures pour repères. Celles-ci doivent être parallèles aux vergeures du support original. L’adhésif employé pour les incrustations devrait ne pas réagir à l’humidité et avoir un pouvoir collant suffisamment fort pour garantir leur maintien en cas de montage réalisé avec un adhésif aqueux, lequel pourrait provoquer des variations dimensionnelles du support original. Un Plextol® B500 épaissi au xylène pourra être utilisé. Le support, plan et continu, pourra alors être renforcé par un montage permettant aussi son exposition. V.1.19. Montage Objectif(s) : 

Fournir au système « original » un support de renfort contraignant

Fournir au système « original » un montage d’exposition. Le support original nécessite un support de renfort qui consolidera ses déchirures,

limitera ses variations dimensionnelles et offrira un mode de fixation en vue de son exposition. Compte tenu du montage original, lequel conférait à l’œuvre le statut d’œuvre picturale, par opposition à une œuvre graphique (un dessin sur papier par exemple), un marouflage sur toile peut être envisagé pour remplir les objectifs établis et pour respecter la symbolique du précédent montage. Par principe, le support de renfort doit être plus « fort » et plus résistant que le support à maroufler123. Il existe trois variantes de marouflage sur toile. Le choix parmi l’une d’entre elles dépendra de l’état du papier, notamment de sa perméabilité, de son hygroscopie et de son isotropie, et de l’état de la couche picturale, de la bonne adhérence de toutes les strates entre elles et de l’effet des solvants sur celle-ci plus particulièrement124. Le type de marouflage sera déterminé lorsque l’accès au papier permettra d’en connaître les caractéristiques plus Pincas, Abraham (Dir.). Le lustre de la main : Esprit, matière et techniques de la peinture. Puteaux : Editions EREC, 1991, p.321. 124 Idem, p.339-340. 123

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précisément. Les trois variantes sont les suivantes125 : 

Un marouflage réalisé avec un adhésif naturel sur toile naturelle. Ce type de marouflage devra être envisagé si et seulement si le support « original » est perméable à l’eau et hygroscopique. Une couche d’intervention complexe devra être intégrée au montage. Composée de plusieurs papiers dont les rôles en son sein sont différents, elle est une couche intermédiaire limitant les contraintes contradictoires126 qui résulteraient du collage du papier et de la toile qui ne sont pas des matériaux cohérents. Elle serait composée de deux papiers « japon » de 9 g.m-2, qui serviront à consolider les déchirures du support et à assurer la réversibilité du montage, et de deux papiers lavis de 120 g.m-2, servant de « zone tampon » pour les contraintes contradictoires, de barrière au milieu ambiant (conditions climatiques, pollution atmosphérique et poussières) et permettant d’empêcher l’impression de la texture de la toile sur l’œuvre marouflée. La toile choisie serait une toile de lin de 320 à 350 g.m-2 pour son tissage serré, résistant et propre à un bon collage. Elle devra être décatie pour limiter ses variations dimensionnelles provoquées par les variations hygrométriques et pour optimiser le collage. L’adhésif employé pour la pose des papiers « japons » serait une colle d’amidon fluide pour assurer la compatibilité chimique avec le papier. Celui employé pour coller les papiers lavis serait une colle de pâte pour son pouvoir collant supérieur, propre à faire adhérer durablement les papiers à la toile et à les rendre cohérents.

Un marouflage réalisé avec un adhésif synthétique sur toile stabilisée par imprégnation. Ce type de marouflage devra être envisagé si le support « original » est peu, ou pas, perméable à l’eau, ni hygroscopique. Le support « original » devrait être imprégné jusqu'à saturation par un adhésif synthétique ou un dérivé cellulosique en solution organique pour le stabiliser complètement et ainsi le rendre cohérent avec le système final. Le choix du dérivé cellulosique permettrait de ne pas dénaturer le support. Il faudrait cependant s’assurer par des tests de l’innocuité du solvant pour la couche polychrome de l’œuvre.

125 126

Ibid., p.344-346. Ibid., p.310.

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En parallèle, on préparera le support de marouflage. La toile doit être stabilisée. On peut choisir une toile de lin, tendue sur bâti, que l'on stabilisera par décatissage puis par imprégnation avec l'adhésif synthétique de marouflage. Elle sera alors pratiquement inerte. On peut aussi choisir une toile mixte décatie ou non, imprégnée de la même façon. L'adhésif de marouflage serait un adhésif synthétique en dispersion tel que le Plextol® B500. Après séchage complet de l'imprégnation, on collera par-dessus un papier lavis (papier qui doit être d'un grammage légèrement inférieur à celui que l'on choisirait pour une couche d'intervention unique (entre 80 à 160g/m²), préalablement humidifié, encollé au Plextol® B500. Une fois sec, le papier devra être poncé et aplani pour supprimer le relief dû à l'impression de la toile. On pourra alors parfaire son imprégnation au Plextol® B500. 

Un marouflage thermoplastique. Il suppose un apport de chaleur important (atteignant environ 60° au niveau de la face thermoplastique, donc un peu moins au niveau de la couche picturale. Un nouveau test de chaleur et de pression devra être effectué au préalable. Il ne semble cependant pas apporter d’avantage au marouflage synthétique, exceptée la possibilité de limiter le nombre de couches d’intervention du fait de l’adhérence inférieure de ce type de montage. Les traitements de support terminés, l’aspect esthétique peut alors être abordé. Avant de

protéger et nourrir la couche polychrome et de l’isoler des retouches, la pose de mastics doit servir à imiter l’état de surface de l’œuvre, la touche de l’artiste. Les mastics serviront aussi à isoler davantage les incrustations du vernis. V.1.20. Mastics Objectif(s) : 

Imiter les reliefs de la couche polychrome

Isoler les incrustations du vernis Un mastic est composé d’un liant et d’une charge. Un mastic traditionnel peut être

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employé. La colle de peau servira de liant et le blanc de Meudon servira de charge. Le mélange sera réalisé de manière à obtenir un mastic relativement épais, permettant des reliefs saillants, identiques à ceux de la touche de l’artiste. Il pourra y être adjoint un astringent tel que l’alun de potasse permettant de limiter les réactions du mastic à l’humidité et la pénétration du vernis. Il pourra être appliqué à l’aide d’une petite brosse rigide pour imiter les striures de la couche polychrome, dues à la touche. Le vernissage, dont les deux fonctions essentielles sont de servir de couche de protection de la couche polychrome contre les dégradations physico-chimiques et mécaniques et d’en saturer les couleurs, doit aussi isoler la couche polychrome et les mastics des réintégrations picturales. V.1.21. Vernissage Objectif(s) : 

Fournir une couche de protection à la couche polychrome

Isoler la couche polychrome et les mastics des réintégrations picturales

Saturer les couleurs de la couche polychrome Le vernis est composé d’une résine dissoute dans un solvant ou un mélange de solvants,

auquel on peut ajouter des adjuvants, tels que des stabilisants. Une résine Dammar serait employée pour ses qualités optiques. Sa dégradation, principalement causée par la lumière et notamment les ultraviolets127, serait limitée grâce à la rénovation des vitrages du Musée Dobrée, à priori pourvus de filtres anti-ultraviolets128. On pourra ajouter du tinuvin 292 à 3% de la masse de la résine en extrait sec pour en améliorer la stabilité. Elle pourra être préparée à 20% dans du White Spirit, pour obtenir une viscosité

De La Rie. E. René, McGlinchey, Christopher W. « Stabilized Dammar Picture Varnish » Studies in Conservation, 1989, n°34, p.137-146. 128 La rénovation ayant été interrompue par une décision de justice, les détails du projet n’ont pas encore été présentés à la conservatrice. Cependant, les filtres anti-ultraviolets feront logiquement partie du nouvel équipement de conservation du musée. Dans le cas d’une absence de filtres, un vernis synthétique serait appliqué en vernis final, probablement une résine Regalrez 1094 pour ses propriétés proches de la résine Dammar. Il ferait écran et atténuerait ainsi la sensibilité de celle-ci aux ultraviolets. 127

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intermédiaire, limitant son absorption par la couche polychrome. Dans le but de limiter le contact de la résine avec le support papier à cause de l’incompatibilité chimique, plusieurs applications au tampon pourront être envisagées avant une application au spalter. Dès que la saturation des couleurs désirée a été atteinte, la réintégration picturale peut alors commencer. V.1.22. Réintégration picturale Objectif(s) : 

Traitement esthétique La réintégration sera effectuée selon la technique du liage de pigments dans un vernis.

Cette technique permet de maîtriser la proportion de chacun des constituants – résine, dissolvant et pigments – pour varier les textures et les effets de transparence ou d’opacité de la retouche. Nous emploierons une résine de retouche différente de celle du vernis pour les différencier en cas d’allègement de vernis futur. Une résine Laropal® A81 pourra être employée. La réintégration doit alors être protégée et homogénéisée par un vernissage final. V.1.23. Vernissage final Objectif(s) : 

Fournir une couche de protection aux réintégrations picturales

Homogénéiser l’état de surface du vernis. Le vernis final pourra être identique au vernis de la première couche. Il pourra être

appliqué par pulvérisation ou à l’aide d’un spalter très doux en diminuant la concentration en résine pour en limiter l’épaisseur, après avoir laissé les retouches sécher longuement pour éviter leur solubilisation.

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V.2. Récapitulatif des opérations 

Dépose de la toile

Traitement insecticide du châssis et du cadre

Mise en extension du montage

Dépoussiérage

Traitement fongicide

Décrassage

Allègement de vernis

Chambre humide et séchage

Protection de surface

Cartonnage

Mise en extension du cartonnage

Démontage

Mise en extension de la toile

Nettoyage du papier

Décartonnage et nettoyage

Rétablissement de continuité

Rétablissement de planéité

Incrustations

Montage

Mastics

Vernissage

Réintégration picturale

Vernissage final

V.3. Protocole de nettoyage Un protocole de nettoyage doit être établi après avoir testé méthodiquement l’effet des différents produits de décrassage, en partant du plus doux, sur différentes zones colorées pour 116

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s’assurer de leur innocuité sur la couche polychrome et les différents pigments. Le premier produit à tester est l’eau déminéralisée froide, puis tiède. En raison de son efficacité, il n’est pas nécessaire de tester les autres produits, potentiellement plus nocifs pour la couche picturale. Les résultats des tests sont présentés dans le tableau ci-dessous : En conclusion, on procédera au décrassage de la couche polychrome avec un bâtonnet ouaté et de l’eau déminéralisée.

V.4. Protocole d’allégement de vernis Pour élaborer un protocole d’allégement de vernis, nous nous référons à la liste de solvants-tests établie par Liliane Masschelein-Kleiner129. Ces tests doivent permettre de trouver un mélange de solvants qui favorise une bonne solubilisation du vernis sans altérer la couche polychrome sous-jacente. Nous commencerons par tester les mélanges 6 à 11, destinés à éliminer un vernis résineux en couche fine. La méthodologie de L. Masschelein-Kleiner sera suivie : les tests doivent d’abord être effectués sur trois types de zones, en périphérie ou dans des zones discrètes, sur une couleur claire pour constater le contraste avant et après intervention et sur des bruns et des rouges, couleurs généralement moins résistantes à l’action des solvants ; les tests doivent alors être effectués en trois étapes, en déposant une goutte du mélange de solvants et en observant la réaction du vernis sous loupe binoculaire, en testant ensuite le ramollissement avec une aiguille à l’endroit où la goutte a été déposée, puis en utilisant un bâtonnet ouaté pour retirer la résine solubilisée et observer minutieusement le coton pour vérifier l’innocuité du mélange pour la couche polychrome. Le sixième solvant, constitué d'isooctane et d'isopropanol en proportions égales, est testé en premier. Les tests sont effectués sur la cape, sur le vêtement rouge et dans le cimier du casque. Les résultats sont reproduits dans le tableau ci-dessous.

129

Masschelein-Kleiner, Liliane. Les solvants. Bruxelles : Institut Royal du Patrimoine Artistique, 1994, p.112.

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Mélange

Couleur testée

Solubilisation Ramollissement Bâtonnet (Auréole à la de la résine goutte)

MK6

Jaune de

+++

Rouge

ouaté

(Aiguille) +++

Naples MK6

Témoin

Pas de couleur

+++

+++

Pas de couleur

MK6

Brun

+++

+++

Pas de couleur

En raison de son efficacité, il n’est pas nécessaire de tester les autres mélanges. En conclusion, on procédera à l’allégement de vernis avec un bâtonnet ouaté imprégné du mélange n°6 de la liste des solvants-tests de Masschelein-Kleiner que l’on frottera.

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VI. RAPPORT D’INTERVENTION VI.1. Dépose de la toile La toile était prise entre le châssis et le cadre, fixée par des clous traversant l'ensemble du système et des semences plantées par la face, et non sur les bandes de rabat de la toile de marouflage. Aucun des clous ne permettait la prise par un outil. Le seul moyen de désolidariser le cadre de l'ensemble était d'insérer un objet entre le cadre et la couche picturale pour faire levier. Une fois le cadre démonté, on a pu constater que le papier marouflé sur toile était fixé par des semences au châssis par la face, c'est-à-dire à travers la couche picturale. Puisque l'effet de levier semblait être l'unique solution à leur retrait, il m’a paru utile de poser un papier de protection relativement épais autour de chaque semence pour minimiser l'éventuelle déformation due à l'appui de l'outil sur la couche picturale. Un papier bolloré moyen a été posé à la méthylcellulose à 5%. Une ouverture au scalpel a été pratiquée sur le pourtour de la semence pour insérer un tournevis fin et plat dessous. Les mouvements se voulaient minimaux, suffisamment amples pour faire jouer la semence progressivement jusqu'à son retrait. Une fois cette opération terminée, les papiers de protection ont été retirés avec de l'eau et le papier marouflé sur toile a été déposé du châssis.

VI.2. Traitement insecticide Le traitement insecticide du cadre et du châssis est réalisé par anoxie statique. C’est un traitement qui n’a aucune incidence sur les matériaux puisqu’il s’agit de priver les insectes d’oxygène. Il est impératif de s’assurer que le traitement est réalisé à un minimum de 21°C. Endessous de cette température, les insectes, en dormance, ne sont pas affectés par la privation d’oxygène. Une bulle étanche a été réalisée aux dimensions des deux éléments regroupés. Un tapis en film polyéthylène / aluminium a été découpé en prenant une marge de quinze centimètres de chaque côté des objets groupés, permettant de réaliser les soudures avec le film polyéthylène transparent, et une marge supplémentaire de quatre centimètres pour la hauteur. Le film

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transparent est découpé aux mêmes dimensions que le tapis. Avant de souder le tapis et le film transparent entre eux, il faut placer les absorbeurs d’oxygène et l’anaérotest. Celui-ci est une bandelette permettant de contrôler le taux résiduel d’oxygène par réaction colorimétrique. Le nombre d’absorbeurs est calculé en fonction du volume de la bulle et de la capacité d’absorption des absorbeurs. Nous avons utilisé quatre absorbeurs. Ils ont été répartis de façon homogène dans la bulle et à une distance supérieure à trois centimètres des éléments à cause de la réaction exothermique qui se produit lorsqu’ils sont au contact de l’air en début de traitement. Après avoir placé les absorbeurs, l’anaérotest est fixé avec un ruban adhésif dans la bulle sur une partie transparente du film pour le contrôle visuel. Puis on effectue la soudure du tapis avec le film transparent à l’aide d’une pince thermique. La soudure est doublée pour s’assurer de l’étanchéité de la bulle. Les vingt-et-un jours de traitement ne débutent que lorsque le taux résiduel d’oxygène a été contrôlé inférieur à 0,1 %. L’anaérotest vire du bleu au blanc lorsque la diminution jusqu’à ce taux a été atteinte. Le lendemain, la bandelette était blanche.

VI.3. Mise en extension Avant de poser les bandes de tension, il était nécessaire de réaliser un dépoussiérage pour optimiser l’adhérence des bandes à la toile et éviter de fixer la poussière à celle-ci. Pour cela, un aspirateur muni d’une brosse a été employé. Les bandes de tension ont été réalisées avec un intissé de polyester moyen de 70 g.m -2. Au préalable, il fallait maximiser leur réversibilité et la sécurité des bords de clouage lors de leur retrait futur en posant des petites bandes de papier bolloré de 12 g.m-2 sur la surface de collage. Les couches d’intervention en papier bolloré et les bandes de tension en intissé de polyester ont été posées avec du Plextol® B500 épaissi dans 20 % de xylène. La chaleur n’a pas été utilisée pour réactiver l’adhésif et augmenter l’adhérence des bandes à la toile afin de ne pas affecter le papier par conduction. Des poids ont simplement été placés sur la surface de collage recouverte d’un mélinex le temps du séchage. Une fois que l’adhésif était sec, l’œuvre a pu être tendue sur un bâti réglable en agrafant les bandes de tension renforcées par des bandes de carton au niveau des agrafes. La tension a été ajustée afin que l’œuvre soit relativement plane et rigidifiée, favorisant

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le confort et la sécurité des opérations à effectuer sur la couche picturale.

VI.4. Dépoussiérage Le dépoussiérage a été réalisé avec une brosse souple en éventail et un aspirateur pour récupérer les poussières décrochées de la surface de l’œuvre. Il a permis d'observer avec plus d'acuité les nuances chromatiques dans les parties sombres entre autres, la couche de poussière très épaisse perturbant la visibilité des couleurs et des contrastes.

VI.5. Traitement fongicide Les champignons ont été brossés à l’aide d’une brosse rigide. L’aspirateur, sous tension, a été placé juste à côté de la zone brossée pour récupérer les résidus. L’observation sous loupe binoculaire nous a permis de constater que les champignons étaient uniquement localisés en surface et de contrôler la réussite de l’opération. Un traitement chimique n’est donc pas nécessaire, d’autant que ce traitement est suivi du décrassage et de l’allégement de vernis de l’œuvre.

VI.6. Décrassage Suite aux tests réalisés, le décrassage a été effectué à l’aide d’un bâtonnet ouaté imprégné d’eau déminéralisée, essoré pour ne pas apporter trop d’eau. Le décrassage n’a posé aucune difficulté. Cependant, la couche de crasse était très épaisse et saturait rapidement les cotons. Le résultat a donc été remarquable.

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VI.7. Allégement de vernis L’allègement de vernis a été réalisé avec un bâtonnet ouaté imbibé du mélange de solvants n°06 de la liste de L. Masschelein-Kleiner et essoré, de manière à limiter l’apport en solvant.

Figure 55 Visage, avant et après allégement de vernis.

122

Figure 56 Joue, avant et après allégement de vernis.

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VI.8. Chambre humide et séchage Après avoir laissé les solvants s’évaporer pendant deux semaines, l’œuvre a pu être placée en chambre humide pour en améliorer la planéité en vue de la pose d’une protection de surface. La table a d’abord été recouverte de mélinex pour la protéger et maximiser l’étanchéité. Afin que l’humidité puisse circuler, des cales ont soutenu l’œuvre sur la table de la chambre. L’œuvre mise en place, le couvercle a été refermé et l’humidificateur a été mis en marche. Un contrôle visuel a été maintenu tout au long de l’humidification pour réagir au moment opportun, soit en cas de réaction inattendue des supports, soit pour constater la relaxation des supports. Lorsque le taux de 89 % d’humidité relative a été atteint, une relaxation suffisante a été observée. L’humidification a alors été interrompue, le couvercle a été relevé et le bâti a été ouvert progressivement jusqu’à obtenir une planéité satisfaisante et une résorption des chevauchements des lèvres de déchirure du papier. Sans perdre de temps, la table a été préparée pour accueillir l’œuvre à mettre sous aspiration. Les mélinex ont été disposés de façon à former une fenêtre aux dimensions de l’œuvre. Celle-ci mise en place, le support en contact avec la table, l’aspiration a pu être mise en route afin de le contraindre au cours de son séchage. Un mélinex a été placé de façon à couvrir l’ensemble

Figure 57 Immédiatement après la chambre humide, l’œuvre est placée sur la table aspirante pour la contraindre durant son séchage.

pour le contraindre également.

VI.9. Protection de surface Après un temps de séchage sous contrainte suffisamment long, la protection de surface pouvait être posée, toujours sous aspiration.

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Un papier japon de 9 g.m-2 a donc été posé avec une colle de pâte diluée. Après l’application du papier de protection, le mélinex qui couvrait l’œuvre a été remis en place le temps du séchage.

Figure 58 Mise en place du papier de protection avant collage.

VI.10. Cartonnage Avant de passer au cartonnage proprement dit, le papier de protection a été ouvert au scalpel au niveau des déchirures, pour obtenir un rapprochement plus important grâce à la rétraction du papier et de la colle utilisés pour l’opération. Bien que ce ne soit pas le but premier de ce traitement, le rétablissement de la continuité pouvait déjà être engagé. Si les déchirures n’avaient pas été ouvertes, le cartonnage aurait eu un effet sur la planéité uniquement et peut-être n’aurions-nous pas retrouvé une continuité

Figure 59 Le papier de protection a été ouvert au niveau de la déchirure avant le cartonnage.

satisfaisante par la suite sans cela. Avant d’opérer, les bandes de tension devaient être retirées. L’œuvre a donc été déposée du bâti et les bandes ont été retirées en réactivant l’adhésif par un apport de xylène. Les résidus ont été grattés avec une lame de scalpel émoussée pour ne pas user la toile. Nous avons alors pu procéder à l’étape du cartonnage. Sur un fond propre, aux dimensions à peu près deux fois plus grandes que celles de l’œuvre, au centre, on place un mélinex dont le format correspond à celui du support, lequel est ensuite posé par-dessus. Des tirants, bandes de papier journal qui vont faire office de tenaille et tirer sur les bords de l’œuvre 124

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au cours du séchage, sont placés entre le mélinex et le support. Le papier de cartonnage, aux dimensions un peu plus petites que le fond, est collé par-dessus cet ensemble. Un papier moins contraignant que le papier lavis de 120 g.m-2, à savoir un papier bolloré de fort grammage, est posé sec sur l’ensemble et directement encollé avec une colle de pâte moins diluée que pour le papier de protection, appliquée avec un spalter. Lorsque le séchage est terminé, nous constatons que la planéité a encore été améliorée sans être totale, ce que nous cherchions pour ne pas brusquer le support papier de notre œuvre.

Figure 60 Cartonnage : avant, le papier bolloré est placé sur l’œuvre et encollé à partir de la médiane, perpendiculaire au sens d’allongement des fibres ; pendant ; après.

VI.11. Mise en extension du cartonnage Au lieu retourner le cartonnage sur le fond et procéder au démontage, nous avons préféré le mettre en extension pour contrôler la tension, et par conséquent la planéité, avant et après démontage, et accessoirement pour une meilleure maniabilité et un contrôle visuel minimal de la face. Avant de coller sur la surface un intissé de polyester de 70 g.m-2, des mélinex ont été disposés sur le cartonnage en ouvrant une fenêtre sur l’œuvre jusqu’à mi-tirant, à l’endroit où l’on incisera le cartonnage pour le dissocier du fond. Ceux-ci permettent d’éviter que l’intissé n’adhère au cartonnage, pour former les bandes de tension. L’intissé de polyester a été complètement imprégné de colle de pâte, plus épaisse que pour les couches précédentes, pour garantir la continuité de la strate. La colle totalement sèche, le cartonnage a pu être incisé sous l’intissé de renfort pour

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dissocier le montage du fond. Il a alors été agrafé sur un bâti en bois dont les clefs ont ensuite été chassées pour obtenir une bonne tension, sécurisant ainsi le papier maintenu en planéité pour le démarouflage.

VI.12. Démontage La première méthode à expérimenter devait être le démontage de la toile à sec, par pelage, c’est-à-dire par traction de la toile, voire en s’aidant d’un outil qui fasse levier. La déchirure complexe présentait une faille dans l’adhésion que nous avons exploitée en se servant d’une spatule italienne. Cela nous a permis de comprendre que tout l’angle était peu adhérent. Nous nous sommes rapidement retrouvés bloqués : par endroits, des îlots de couche picturale de la toile perdaient leur adhérence à celle-ci et restaient collés au papier : ils se transposaient. Après avoir tenté de contourner la difficulté, au sens propre, et essayé de dégager à sec l’aire la plus grande possible, nous avons dû nous résoudre à chercher une méthode permettant de sauvegarder l’intégrité et de la peinture à l’huile sur papier, et de la peinture sur toile. Si le pelage à sec s'avérait inefficace, s'agissant d'une colle réactive à l'eau, nécessitant une phase d'adsorption avant absorption, et située à l'interface des systèmes papier/couche picturale et couche picturale/préparation/encollage/toile, on se concentrerait sur des méthodes de réactivation aqueuse. Ces méthodes ne sont possibles que si la strate d'adhésif de marouflage réactivé est plus fragile que l'accroche de la couche picturale à la toile. Quatre possibilités se présentent alors :

L'humidification locale directe peut être réalisée de deux manières : par diffusion de

l'eau mise au contact direct de l'adhésif et du support papier ou par la capacité du système toile à se laisser traverser par l'eau (perméabilité). Les limites de la diffusion de l'eau sont les suivantes : la capacité de l'adhésif situé entre le papier et la couche picturale de la toile à absorber l'eau ou au moins la capacité du support papier à absorber l'eau et la capacité de celle-ci à se diffuser dans le papier au contact de l'adhésif. On mouillerait l'ensemble de la stratigraphie par la toile, sur une zone restreinte (environ 4 cm²) ; on attendrait que l'eau réactive la colle ; puis on procéderait au décollage par pelage en

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s'aidant au besoin d'une spatule fine pour soulever la couche picturale au contact du papier. On viendrait ensuite intercaler un mélinex entre le papier et la couche picturale afin d'éviter le contact. Pendant ce temps on mouillerait la zone contiguë et ainsi de suite en procédant par expansion de la première zone. On essaiera aussi de favoriser la pénétration de l'eau dans la stratigraphie en procédant à une mise sous aspiration de l'œuvre, toujours en progressant localement. ●

L'humidification locale indirecte vise à ralentir la pénétration de l'eau dans la

stratigraphie et ainsi contrôler plus précisément la quantité d'eau suffisante à apporter pour réactiver la colle. Un rétenteur d'eau tel qu’un gel serait appliqué à la surface jusqu'à réactivation de la colle par perméation de l'eau à travers la stratigraphie. On procéderait alors comme précédemment. Cette méthode n'est utile que si l'eau pénètre dans la stratigraphie et réactive facilement l'adhésif de marouflage. ●

Le refixage de la couche picturale du support toile suivi du pelage est une méthode

à appliquer si l'interface préparation-encollage est plus fragile que l'interface couche picturaleadhésif de marouflage. On emploierait un adhésif aqueux pour refixer en premier lieu. On attendrait que l'interface refixée soit suffisamment sèche pour démaroufler par pelage, les couches les plus profondes séchant plus lentement. On pourrait aussi attendre le séchage complet du refixage et peler, le risque étant que l'adhésif ait pénétré jusqu'au papier. On testerait le refixage avec différentes concentrations de colle de peau (3%, 5%, 7%) ; l'augmentation de concentration impliquant à la fois un meilleur pouvoir collant et un moins bon mouillage, il s'agira de trouver le compromis idéal entre ces deux paramètres. ●

La chambre humide pour imprégner toute l’œuvre est une méthode radicale. Dans ce

cas, l'augmentation progressive de l'hygrométrie en chambre humide permettrait de tester au fur-et-à-mesure le décollage de la toile par pelage et de trouver ainsi le taux d'humidité relative suffisant pour le démontage de l’œuvre. Le système non-cohérent que représente en soit le papier peint à l'huile, sans compter l'adhésion partielle du marouflage, contraint à ne pas recourir à une humidification généralisée du support si d'autres options plus modérées existent. D'autant que l’œuvre aura déjà subi une première chambre humide, la prudence est de mise. Par ailleurs, le succès de l'opération n'est pas garanti et la méthode est hasardeuse compte tenu

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des tests de diffusion de l'eau et de perméabilité du système. Si la tentative de réactivation de l'adhésif de marouflage n'aboutissait pas, notamment en raison de ces deux paramètres, il faudrait envisager des méthodes extrêmes : l'une étant irréversible et ne garantissant pas un résultat respectant les deux premiers impératifs du démarouflage, l'autre étant de même irréversible et ne respectant pas le troisième impératif : Un refixage fort ayant une telle résistance à la rupture adhésive que la strate d'adhésif de marouflage redeviendrait la plus fragile du système, théoriquement, permettrait de renforcer la stratigraphie du système toile. D'autre part, il faudrait minimiser la pénétration de l'adhésif employé dans la stratigraphie pour éviter que celui-ci n'entre en contact avec le papier. Enfin, il faudrait comme caractéristique supplémentaire à cet adhésif une bonne flexibilité130. La flexibilité, liée à la température de transition vitreuse de l'adhésif (Tg), confère à l'adhésif une « résistance à la rupture cohésive » lors du pelage et favorisera la dissipation de l'énergie, apportée lors de l'arrachage, dans l'ensemble des strates et notamment dans la couche d'adhésif ainsi unifiée. L'adhésif réunissant ces caractéristiques serait le Plextol® B500, dilué dans de l'eau pour trouver la pénétration désirée. Sa Tg est largement inférieure à celle d'une résine telle que le Plexisol® P550, résine dont on ne pourrait maîtriser la pénétration. Ce type de refixage n'est pas réversible. Il faut insister sur le fait que ce refixage ne garantit pas le succès du pelage mécanique selon nos objectifs : une fois l'interface préparation-encollage renforcée, l'interface la plus fragile ne sera pas forcément la strate d'adhésif. Il faut envisager le risque d'un épidermage du support papier ou d'une rupture d'adhésion à l'interface peinture-préparation du système toile. La méthode la plus extrême, la transposition suivie de la suppression mécanique des îlots de couche picturale collés au papier, sacrifie l'intégrité de la couche picturale de la toile pour assurer la sécurité maximale du support papier. La condition nécessaire à l'application de cette méthode est que la couche picturale de la toile ne doive pas être digne d'être conservée au détriment du support papier ou support original (décision de la Conservatrice du Musée Dobrée).

130

En physique, la flexibilité désigne la propriété selon laquelle un matériau souple peut être aisément courbé ou plié sans se rompre.

128

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Le dessin du personnage apparaissant sur la radiographie X correspond-il à une peinture visible après démarouflage ? La radiographie ne révèle pas sur quel plan se trouve ce dessin. Le dégagement mécanique d'une portion de couche picturale/toile en bordure de déchirure, censée correspondre au coude gauche du personnage représenté a permis de constater que ce dessin ne s'y trouvait pas, seulement une couche de peinture proche de celle que l'on retrouve sur les autres parties dégagées. Par ailleurs, en observant sous loupe binoculaire la stratigraphie en coupe transversale (sur les lèvres de cette déchirure), on observe, dans l'ordre en partant de la toile, la préparation rouge, la couche d'impression grise, une couche de couleur rosée et légèrement chaude, et la couche uniforme d'un gris foncé coloré : il semble donc que cette peinture soit effectivement recouverte. Partant de ce constat et de l'hypothèse que ce dessin n'est pas visible une fois la toile démarouflée, un prélèvement d'écaille a été effectué dans la zone correspondant au sommet du crâne du personnage. Le constat est le même : le personnage n'est pas observable sur cette écaille. Compte tenu de ces observations et de celles faites sur les parties dégagées, il me semble peu probable de mettre à jour une composition originale justifiant la mise en danger de l'intégrité du support papier. En accord avec la conservatrice et considérant l’insuffisance des méthodes testées, nous avons décidé de poursuivre le démarouflage avec la méthode d’imprégnation de la toile par un gel de méthylcellulose dans un mélange d’eau et d’éthanol à 50/50 qui, si elle n’est pas entièrement satisfaisante, permet néanmoins de préserver l’intégrité du papier.

VI.13. Mise en extension de la toile Suite au démarouflage, la toile, dont nous prédisions la fragilité, est dans un état tel qu’il a été décidé en accord avec la conservatrice de ne pas réaliser d’intervention de consolidation. Par soucis de conservation à titre de « document historique », la toile peinte a été placée sur un carton épais, protégée et maintenue par un mélinex tendu et agrafé au carton.

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VI.14. Nettoyage du papier Le papier, dégagé de la toile, devait être débarrassé transposés,

des des

îlots

de

résidus

couche de

picturale

l’adhésif

de

marouflage, ainsi que des éventuelles crasses. Nous avons commencé par supprimer les îlots de couche picturale pour réduire la strate au support papier. Les îlots ont été dégrossis au maximum avec un scalpel avant d’effectuer le travail le plus délicat, consistant à supprimer la dernière

Figure 61 Le papier est démarouflé. Des îlots de couche picturale de la toile ont été transposés au revers.

épaisseur de couche picturale, celle au contact du papier sans affecter celui-ci. A ce moment-là, la réactivation de l’adhésif par perméation de solvants (eau et gel de méthylcellulose eau / éthanol) à travers cette dernière strate a été testée, sans succès. La suppression a donc été réalisée au scalpel.

Figure 62 Les îlots de couche picturale ont été supprimés. Le revers du papier n’est pas encore nettoyé.

Les résidus de colle ainsi que la crasse ont été traités communément, en appliquant en damier un gel de méthylcellulose à 5% dans de l’eau, progressivement, puis en nettoyant avec un bâtonnet ouaté imbibé d’eau du robinet131. La stratigraphie homogénéisée, nous pouvions procéder au décartonnage sur table aspirante.

131

L’eau du robinet est préférée à l’eau déminéralisée pour son pH moins acide.

130

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VI.15. Décartonnage et nettoyage Pour traiter la continuité de façon optimale et libre, il fallait dans un premier temps décartonner l’œuvre. Le cartonnage constitue à la fois un inconvénient visuel, puisque la continuité suppose d’être observée au plus près, soit du support, soit de la couche picturale qui reste le meilleur repère par la continuité virtuelle du dessin et des couleurs, et un inconvénient mécanique car, même si l’on décidait d’ouvrir les déchirures, le montage complexe composé du papier de cartonnage, du papier de protection, de l’adhésif et de l’œuvre offre moins de souplesse que l’œuvre seule, et limite potentiellement le rétablissement de continuité souhaité. En d’autres mots, le cartonnage cristallisait une continuité et une planéité défaillante, bien qu’améliorées comme nous l’avons vu, et contraignait la liberté de mouvement de l’œuvre, nécessaire pour une continuité optimale. Le décartonnage de l’œuvre est comparable au démarouflage, mais de la couche picturale : il faut la sécuriser. Puisque les problèmes de continuité et de planéité n’étaient pas réglés, il était exclu de maroufler l’œuvre en l’état pour décartonner ensuite. La table aspirante nous a paru être la solution la plus intéressante : à ce stade, la planéité était beaucoup moins problématique qu’avant le cartonnage. L’aspiration

a

été

réglée

approximativement, de manière à avoir une adhérence suffisante mais non contraignante pour les déformations du papier. L’œuvre sécurisée, le cartonnage a été humidifié progressivement à l’aide d’une éponge, puis délité. Un nettoyage de la couche picturale a aussitôt été réalisé à l’eau pour la débarrasser de l’adhésif du cartonnage.

Figure 63 L’œuvre est décartonnée, sous aspiration.

VI.16. Rétablissement de continuité Les lèvres des déchirures du papier se chevauchaient légèrement par endroits et certaines déformations limitaient la mobilité du support.

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Un plan courbe a été conçu à partir d’une fine planche de polystyrène. L’idée du plan courbe est de permettre de remettre bord à bord les lèvres des déchirures et de les fixer en l’état par une déformation temporaire et non contraignante de l’ensemble du support sous l’effet de son propre poids.

Figure 64 Le support est placé sur le plan courbe pour résorber les chevauchements des lèvres de déchirure.

Evidemment, fixer les déchirures alors que le support est déformé équivaut à fixer certaines déformations. Mais, obéissant au principe qui veut que la continuité soit traitée avant la planéité, nous pouvions envisager de résorber les déformations une fois l’œuvre débarrassée du problème de continuité. Le support libre a donc été placé sur le plan courbe, la couche picturale observable. L’objectif était de fixer les déchirures avec un papier encollé peu contraignant, mais dont le retrait nous aiderait à rapprocher mécaniquement les lèvres des déchirures lors du séchage. La

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méthylcellulose a été employée, combinée à un papier bolloré de 12 g.m-2. En partant des extrémités des déchirures, jointives, des bandes de papier ont progressivement été collées pour fixer les déchirures, en tenant compte du sens d’allongement des fibres, devant être perpendiculaire au segment de déchirure traité. Les lèvres des déchirures étaient donc jointives à la fin de cette opération, fixées par la face. Avant de poser une protection de surface, il nous a paru nécessaire de reporter la fixation au revers de l’œuvre, pour que le papier de protection soit directement au contact de l’ensemble de la couche polychrome et pour éviter de marquer celle-ci en cas de cartonnage. Ainsi le même adhésif et le même papier, utilisés de la même façon que pour la fixation des déchirures par la face, ont servi à fixer les déchirures par le revers en vue de la pose de la protection de surface. Les papiers fixant les déchirures par la face, ont ensuite été retirés à l’aide d’un bâtonnet ouaté humidifié. Nous pouvions donc aborder la phase du rétablissement de planéité.

Figure 65 Les déchirures sont fixées, d’abord par la face, puis par le revers.

VI.17. Rétablissement de planéité Pour rétablir la planéité du support papier, nous avons proposé de procéder à la pose d’un papier de protection de surface contraignant, le préférant à une humidification du support couplée à l’application d’une pression. La méthode que nous avons employée nous paraissait plus progressive et plus maîtrisable. La pose d’un papier de protection de surface contraignant obéit au même dispositif que le cartonnage : sur un fond deux fois plus grand que le support, avec un mélinex au format de ce dernier et placé dessous, des tirants en papier journal entre le support et le mélinex et un papier de protection dont le format déborde largement au-delà des tirants. Un papier bolloré de 12 g.m-2 a été employé pour son retrait plus important qu’un papier « japon » de grammage similaire. Il est aussi nettement plus fin que le papier du support (approximativement 90 g.m-2) et ne risque donc pas de le brusquer. Ce papier a été posé avec un gel de méthylcellulose à 3%.

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Rapidement, après avoir collé le papier de protection, des bulles d’air se sont formées au niveau des déformations les plus importantes. Il était impératif que le papier adhère à l’ensemble de la surface de la couche polychrome pour la contraindre de façon homogène. Le papier a donc été massé au niveau des bulles d’air pour le faire adhérer, dans un premier temps. Si certaines

Figure 66 L’œuvre est cartonnée et plane.

bulles ont été résorbées de cette manière, d’autres se sont formées à nouveau. Il a donc fallu les ouvrir au scalpel et faire adhérer le papier à la couche polychrome. Le résultat étant satisfaisant, le papier a été incisé à mi-tirants pour être retiré sur table aspirante. Après avoir retiré le papier, la colle a été nettoyée à l’eau. Le support étant parfaitement plan, nous avons pu effectuer les incrustations.

VI.18. Incrustations Le papier choisi pour les incrustations est un papier vergé de 90 g.m -2, dont les caractéristiques sont proches du support original. Avant de tracer les délimitations des incrustations d’après les lacunes du support, il était nécessaire de rendre le papier vergé plan et de le stabiliser dans cet état. Il a donc été humidifié puis placé entre plusieurs papiers buvards sous presse, les buvards servant à absorber l’eau du papier vergé. Après plusieurs jours de séchage, le papier vergé sec a été imprégné avec une résine Plexisol® P550 appliquée à 10% en plusieurs passages de manière à bien le saturer. En parallèle, le format définitif a été tracé sur un papier millimétré pour garantir l’équerrage final. L’œuvre a ensuite été disposée sur celui-ci de manière à la centrer et à faire correspondre les vergeures avec les lignes verticales. L’œuvre maintenue sous presse, ses contours ont été tracés avec une mine très fine sur le papier millimétré. Après découpage par poinçonnage selon le tracé, celui-ci a servi de pochoir pour reporter les délimitations précisément sur le papier vergé à l’aide de fusains réduits en poudre appliquée avec une brosse douce. Les incrustations ont alors pu être découpées par poinçonnage. Elles ont été fixées au support original avec du Plextol® B500 épaissi au xylène.

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VI.19. Montage VI.19.1. Préparation de la toile Pour le marouflage de l’œuvre, nous avons commencé par préparer le support de renfort. Une toile de lin de 320 g.m-2 a été tendue droit-fil sur un bâti extensible en aluminium. Après un premier décatissage, la toile a été foulée puis retendue en ouvrant le bâti pour procéder à un second décatissage. Cette opération a permis de supprimer l’encollage des fils, servant au moment du tissage du textile, et de fatiguer la toile pour en limiter la réactivité à la variation du taux d’humidité relative ambiant. Avant de passer à l’étape suivante, le bâti a été ouvert au maximum afin de tendre fortement la toile et la maintenir en planéité tout au long de cette opération. Les

Figure 67 La toile tendue sur bâti, avant et après le premier décatissage.

imperfections du tissage ont aussi été poncées pour obtenir un état de surface parfaitement homogène. VI.19.2. Collage des papiers lavis Le premier papier lavis de 120 g.m-2 a été découpé au format de 67 x 56 cm, sur la base du format définitif de l’œuvre auquel a été ajoutée une marge de 6 cm. Des repères ont été tracés au crayon sur la toile pour faciliter sa mise en place lors du collage. Le collage devait être effectué sur table aspirante pour maximiser l’adhérence du papier à la toile et bien lui imprimer les reliefs de celle-ci. Il fallait donc préparer la table pour cette opération. Par-dessus l’intissé qui couvre toute sa surface, un feutre naturel a été disposé. Son rôle est d’homogénéiser le relief, car la planéité est un critère fondamental à respecter tout au long du marouflage. Par-dessus le feutre ont été placés deux voiles de tergal. Ce textile synthétique et au tissage très fin limite l’adhérence éventuelle des couches intermédiaires entre la toile et le feutre. Deux papiers lavis sont ensuite superposés sur le tergal pour le protéger

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mais surtout pour parfaire la planéité. Enfin, un papier bolloré moyen sert de couche d’intervention pour simplifier le retrait de ces papiers en cas de pénétration de la colle. Des mélinex couvrent la surface en laissant une fenêtre légèrement plus grande que le format du papier lavis. Par-dessus ce dispositif est placée la toile tendue sur le bâti, le repère tracé devant correspondre à la fenêtre des mélinex. L’aspiration a alors été mise en route avec une pression maximale. A proximité, le papier lavis a été humidifié pour le détendre au maximum. Une fois parfaitement détendu, il a été encollé avec une colle de pâte légèrement moins épaisse que pour un rentoilage, appliquée à la brosse en dessinant des « 8 », puis lissée. Le papier a alors été marouflé sur la toile en le plaçant sur les repères. Il a d’abord été appliqué avec un chiffon de coton propre puis, après

Figure 68 La trame de la toile a imprimé le papier lavis.

l’avoir couvert d’un mélinex, la colle a été chassée avec une raclette de marouflage. Le papier a séché sous aspiration pour imprimer les reliefs de la toile. Après plusieurs jours de séchage, le papier lavis a été poncé pour le rendre parfaitement plan. Sa surface a été débarrassée des résidus et les fibres dépassant ont été remise dans le plan en passant une éponge très légèrement imbibée d’eau. Ainsi, le support est prêt à accueillir le second papier lavis de 120 g.m-2. Il a été collé selon le même protocole que le premier, en changeant l’orientation du lissage de la colle, horizontale cette fois-ci, et sa concentration, plus diluée. Des krafts ont été encollés à la colle de pâte et placés sur le pourtour du papier

pour

en

renforcer

l’adhérence et la maintenir pour Figure 69 Le second papier lavis a été collé par-dessus le précédent. Le collage des bords a été renforcé par la pose de bandes de kraft gommé.

l’étape finale.

Il a aussi été poncé après séchage complet et sa surface a été lissée avec une éponge très légèrement imbibée d’eau.

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VI.19.3. Collage des couches d’intervention En parallèle, deux couches d’intervention ont été collées au revers du support papier. Elles

consolident

les

déchirures,

maintiennent les incrustations solidaires avec le support et garantissent la réversibilité du montage. Des papiers japon de 9 g.m-2 ont été employés ainsi qu’une colle d’amidon. Ces opérations ont été réalisées sur table aspirante pour maintenir le support plan. Après séchage, chacune a été légèrement poncée Figure 70 Une couche d’intervention a été collée au revers de l’œuvre, maintenue sur table aspirante.

pour obtenir une surface parfaitement lisse.

VI.19.4. Marouflage La toile tendue sur bâti a été placée sur la table aspirante suivant le même dispositif que pour le collage des papiers contraignants, toujours pour garantir la planéité parfaite de la surface. La pression a été mise à son maximum. Un repère a été tracé au crayon sur le second papier contraignant pour pouvoir placer le support les bords parallèles aux bords des papiers contraignants. Le support original a été encollé à la brosse, avec une colle de pâte de viscosité intermédiaire entre celle de la colle employée pour le second papier contraignant et celle de la colle employée pour la seconde couche d’intervention. La colle a été lissée dans les deux sens. L’œuvre a alors été placée sur la toile « préparée » selon les repères tracés. Elle a ensuite été appliquée à l’aide d’un chiffon de coton propre. Un mélinex a ensuite

Figure 71 L’œuvre a été marouflée et la colle a été chassée.

été placé par-dessus pour chasser la colle et parfaire l’adhérence ainsi que la planéité. L’œuvre

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est restée sous aspiration quelques heures avant d’être entreposée à plat pour son séchage complet. VI.19.5. Tension sur châssis Le format définitif de l’œuvre a été à nouveau mesuré pour commander un châssis sur mesures. Celui-ci a été poncé puis teinté au brou de noix dilué. Après séchage complet, il a été ciré puis lustré avec un chiffon doux. Le châssis prêt, l’œuvre a pu être tendue. Nous avons commencé par fragiliser le pourtour de l’œuvre pour favoriser le pliage des bandes de rabat. Celles-ci ont été fixées provisoirement aux extrémités du châssis pour simplifier la mise en place des semences. Les premières semences sont fixées au centre de chaque rive du châssis. Les suivantes sont ajoutées progressivement de chaque côté des premières de la même façon. Les deux dernières semences d’une rive, aux extrémités, doivent impérativement être fixées sur le même montant. Une fois l’œuvre tendue, les bandes de rabats ont été ajustées en les sectionnant proprement, puis fixées au châssis en les frottant avec de la cire-résine et en les repassant avec un plioir en os. Ensuite, elle a été bordée avec trois bandes de papier kraft gommé encollées à la colle de pâte. Le bordage permet d’ajuster la tension de la toile.

VI.20. Mastics Le mastic a été réalisé avec un liant de colle de peau à 7 % et une charge de blanc de Meudon ainsi qu’un peu d’alun de roche pour le tanner. Sa consistance était suffisamment

Figure 72 Le mastic imite l’état de surface de la peinture et permet de mettre la retouche à niveau avec celle-ci.

épaisse pour reproduire les saillies de la touche du peintre. Il a été appliqué avec une petite brosse à poils durs.

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Les débordements sur la couche polychrome ont été nettoyés à l’aide d’un bâtonnet ouaté imbibé d’eau et essoré.

VI.21. Vernissage Pour le vernissage avant réintégration, une résine Dammar a été mise en solution à 20% en masse dans du White Spirit. Du tinuvin 292 a été ajouté à 3% en masse de la résine en extrait sec pour en améliorer la stabilité à la lumière. Le vernis a été appliqué au spalter. Les zones où il a été absorbé, comme les zones de mastics, ont été revernies localement avec un vernis préparé à une concentration supérieure, à 30%, voire à 40%.

Figure 73 L’œuvre avant et après vernissage.

VI.22. Réintégration picturale La réintégration a été effectuée selon la technique du liage de pigments dans un vernis. Une résine Laropal® A81 a été employée pour lier les pigments, pour la différencier du vernis. Elle a été réalisée de façon illusionniste pour unifier l’œuvre. Cependant, les délimitations du format original n’ont pas été camouflées, elles ont simplement été atténuées pour n’être plus perceptibles à une distance normale d’observation.

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VI.23. Vernissage final Le vernissage final a été réalisé avec le même vernis que pour le premier vernissage, en concentration à 10% en masse, appliqué avec un spalter très doux et après un long temps de séchage des retouches pour ne pas les emporter.

Figure 74 L’aîné des Horaces, Anonyme, XIXème siècle, huile sur papier marouflé sur toile, 61 x 50 cm, Musée Thomas Dobrée, Nantes, après intervention.

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CONCLUSION Si les premières idées qui s’imposèrent avant l’examen de l’œuvre furent de répondre aux problématiques de conservation-restauration par des opérations minimalistes, le constat d’état et l’établissement du diagnostic nous ont contraints à adopter une posture interventionniste que nous avons estimée minimale, parce que nécessaire. En l’occurrence, le minimalisme a consisté à mettre un terme au développement des agents biologiques de détérioration, à procéder au nettoyage de l’œuvre, à remplacer un montage déséquilibré et un mode de fixation inadapté, à rétablir la continuité et la planéité de l’œuvre et à en améliorer l’aspect par les interventions esthétiques, mettant en valeur le travail du copiste avec la volonté de ne pas le dénaturer. Au terme de cette restauration, nous ne saurions être pleinement satisfaits de l’opération de démontage qui a présenté des difficultés que nous ne sommes pas parvenus à surmonter de façon optimale. Ainsi, l’objectif de préserver la couche picturale de la toile sur laquelle le papier était marouflé n’a pas été complètement rempli. Cependant, cette complication nous a fourni une expérience qui n’est pas négligeable et que nous espérons pouvoir approfondir à l’avenir, en présence d’une problématique similaire. Plus que toute autre opération, elle aura permis de prendre conscience du processus perpétuel d’apprentissage. A titre personnel, ce travail a été l’occasion d’être confronté à de multiples défis techniques, de l’allègement de vernis au marouflage en passant par le démontage notamment, et à un croisement des spécialités épanouissant.

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PARTIE III. SUJET TECHNICO-SCIENTIFIQUE Etude colorimétrique et brillancemétrique comparative de trois vernis employés en restauration

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INTRODUCTION Le vernissage d’une peinture est une opération esthétique132 visant à homogénéiser l’état de surface et à « saturer » les couleurs. Pour ce faire, le restaurateur ajuste plusieurs paramètres, des caractéristiques de la résine employée à la température d’application du vernis. Il entend ainsi contrôler l’aspect optique final de l’œuvre. Le choix de son vernis est conditionné par des impératifs de conservation, tels que sa stabilité physico-chimique dans le temps, et par ses caractéristiques optiques, fondamentalement esthétiques. Selon les restaurateurs et les études menées, toutes les résines ne produiraient pas le même effet visuel. Deux effets nous paraissent centraux dans la perception que nous avons d’une peinture après vernissage : la modification de sa couleur et de sa brillance. La vue nous permet de voir la couleur, la forme, le mouvement des objets et d’apprécier leurs dimensions et leur distance par rapport à nous ou à d’autres objets. Mais un objet que nous voyons bleu, n’est pas lui-même bleu. Nous le voyons bleu parce qu’il est éclairé par une source lumineuse et qu’il réfléchit certaines ondes que notre œil voit et que notre mental apprécie, comme étant d’une couleur que l’on a dénommée « bleue ». Si cet objet était coloré par une lumière spéciale ne contenant pas la gamme des bleus (lampe à vapeur de sodium, par exemple), il nous paraîtrait gris. 133

L’appréciation des couleurs est donc un processus mettant en jeu une source lumineuse, définie par son spectre, un corps pouvant absorber, diffuser, transmettre ou réfléchir partiellement134 ce rayonnement et un récepteur, l’œil ou l’appareil de mesure, qui ont chacun une sensibilité bien définie à la composition spectrale du rayonnement135. Mais les études cognitives montrent que la perception de la couleur d’un objet est intimement liée à de nombreux facteurs 136, parmi lesquels son état de surface, et donc sa brillance, et sa transparence. La colorimétrie s’est développée en tenant compte de cette complexité. Les résines naturelles sont vantées pour leur beauté mais la qualité du film se dégrade au fil du temps. Les recherches sur les vernis synthétiques ont pour objectif de pallier cet inconvénient. Ceux-ci constituent une alternative aux résines naturelles, en combinant le critère de conservation et le critère esthétique, mais fournissent-ils les mêmes qualités optiques que les résines naturelles ? L’objet de cette étude est de comparer une résine naturelle et deux résines

Le vernis joue aussi un rôle de barrière protectrice, isolant la peinture de son environnement. Zananiri, Chérif. Couleurs et lumière. Paris : Ellipses, 2000, p.17-18. 134 Dettwiller, Luc. Les instruments d’optique : Etude théorique, expérimentale et patique. Paris : Ellipses, 2002, p.70. 135 Idem, p.70. 136 Zananiri, Op. cit., p.14. 132 133

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synthétiques fréquemment employées en restauration, en mesurant leur effet sur une couche de peinture du point de vue de la colorimétrie et de la mesure de la brillance.

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I.

OBJET DU SUJET TECHNICO-SCIENTIFIQUE I.1. Objectifs et principes de la recherche I.1.1. Objectifs

L’objectif principal de cette étude est de comparer l’effet du film de trois vernis de restauration sur la couleur et la brillance d’une couche picturale.

L’objectif secondaire consiste à constater l’évolution de la couleur et de la brillance de la couche picturale en fonction du nombre de couches de vernis appliquées. I.1.2. Principes Le résultat optique du vernissage obtenu par le restaurateur dépend de nombreux

paramètres inclus dans le vernis sélectionné, son mode d’application et les caractéristiques de la couche picturale à vernir. Fondamentalement, le vernis est composé d’une résine et d’un solvant – ou d’un mélange de solvants – dans une certaine proportion. La masse molaire de la résine a une influence déterminant sur les propriétés optiques du vernis final137. La masse molaire correspond à la masse d’une mole d’une molécule ou d’un composé chimique. Elle a une influence sur la viscosité de la résine mise en solution dans le solvant ; la viscosité, ou résistance d’un fluide à l’écoulement, étant un des paramètres principaux régissant l’état de surface du film de vernis. Le solvant est un liquide capable de dissoudre une substance solide sans altération chimique de celle-ci138. Il permet de dissoudre la résine pour l’appliquer sur une surface. La proportion de résine et de solvant en solution correspond à la concentration de la résine dans le solvant. Sa variation modifie la viscosité de la solution, et en définitive, l’état de surface du film de vernis.

Berns, Roy S., De La Rie. E. René. « The Effect of a Varnish's Refractive Index on the Appearance of Oil Paintings. » Studies in Conservation, 2002, n°48, p.251-262. 138 Perego, François. Dictionnaire des matériaux du peintre. Paris : Belin, 2005, p.680. 137

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La couche picturale à vernir est constituée de pigments enrobés dans un liant, pouvant être appliquée avec adjonction de solvant pour en modifier la viscosité et donc l’état de surface final. Elle est appliquée sur un support, lui-même caractérisé par son état de surface. Le mode d’application a aussi une influence sur l’état de surface final. Un vernissage par application au spalter produit un film plus brillant qu’un vernissage par pulvérisation. Le protocole de l’expérimentation doit permettre de mettre en évidence la relation entre les propriétés de la résine et la modification de la couleur. Nous souhaitons procéder en reproduisant de manière simplifiée la mise en œuvre du vernissage au spalter. Ce protocole a le mérite de n’avoir jamais été réalisé, à cause de la part d’aléatoire concédée au mode d’application, mais il pourrait révéler de nouvelles informations, considérant sa proximité avec les conditions pratiques du restaurateur. Parmi toutes les variables évoquées, il est possible d’isoler celles des résines, et notamment leur masse molaire. Cette dernière conditionnant la viscosité et, par extension, l’état de surface du film de vernis, tous les autres paramètres susceptibles de les modifier devront être maîtrisés. Ainsi, l’état de surface du support et celui de la couche picturale devront être constants. Le mode d’application devra être identique et le solvant employé pour dissoudre chaque résine devra aussi être le même. En procédant ainsi, les effets des vernis sur la couleur et la brillance ne dépendront que des résines employées.

I.2. Paramètres à étudier I.2.1. Paramètres à mesurer I.2.1.1. Couleur La couleur est un paramètre complexe dépendant lui-même de nombreux facteurs. Il ne s’agit pas d’un concept relevant purement des sciences physiques. Il est en interaction avec la physiologie de notre système visuel. La colorimétrie, ou la mesure de la couleur, est fondée sur l’expérience de Maxwell, montrant que plusieurs rayonnements physiques différents donnent lieu, dans des conditions bien définies, à une même perception colorée. A l’inverse, des rayonnements donnant une même perception colorée dans certaines conditions peuvent donner

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des perceptions différentes dans d’autres conditions. Ainsi, la colorimétrie, enrichie du développement de la physiologie, a pour objet la mesure des stimuli visuels : les rayonnements sont envisagés en fonction de la perception colorée qu’ils induisent139. Il existe plusieurs systèmes de classifications des couleurs. Celui que nous utilisons pour cette étude est l’espace colorimétrique CIE L*a*b*. Il est issu du diagramme CIE XYZ, qui classe les couleurs de façon purement physique. A la différence de ce dernier ainsi que du diagramme de chromaticité CIE xyY, lui-aussi issu de CIE XYZ, il tient compte de la sensibilité de l’œil humain. Si les limites des précédents systèmes sont l’absence de prise en considération du système visuel humain, les limites de ce dernier sont probablement liées à la grande disparité entre les phénomènes perceptifs et l’approche physique140. L'espace CIELAB est fondé sur le fait que toutes les couleurs peuvent être obtenues par la combinaison des paires [blanc/noir], [vert/rouge] et [jaune/bleu]. Ses propriétés sont les suivantes : Toute couleur est représentée par trois coordonnées [L*, a*, b*]. L* représente la luminosité selon l'échelle suivante : Le noir (noir de fumée) → L* = 0 Le gris → L* = 50 Le blanc (oxyde de magnésium) → L* = 100 La luminosité est la perception visuelle de la luminance. Celle-ci est le quotient de l’intensité lumineuse par l’aire apparente de la surface émissive, exprimée en candela par mètre carré141. a* représente la composante chromatique [vert/rouge] Une valeur positive de a* indique une localisation vers le rouge. Une valeur négative de a* indique une localisation vers le vert. b* représente la composante chromatique [jaune/bleu] Une valeur positive de b* indique une localisation vers le jaune. Une valeur négative de b* indique une localisation vers le bleu. I.2.1.2. Brillance La brillance d’un film de peinture ou d’un film de vernis dépend de son état de surface. Zananiri, Chérif. Couleurs et lumière. Paris : Ellipses, 2000, p.42-47. Idem, p.44. 141 Ibid., p.123. 139 140

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Plus la surface est plane, plus elle réfléchira de rayons lumineux incidents dans une direction telle que l’angle d’incidence est égal à l’angle de réflexion. Plus cette surface comporte d’irrégularités et plus celles-ci sont petites, plus elle paraîtra mate142. La perception du brillant dépend de l’angle d’observation par rapport à la lumière émise mais aussi du type d’éclairage : une source de lumière ponctuelle donne une sensation de brillant supérieure à celle d’une source de lumière diffuse143. I.2.2. Variables I.2.2.1. Nombre de couches de vernis Dans cette expérience, le nombre de couches de vernis est une variable. Pour observer l’influence du vernis sur la couleur, nous déterminerons la couleur d’une couche de peinture avant vernissage et après chaque nouvelle couche appliquée. L’augmentation du nombre de couches fait augmenter la quantité de résine appliquée et fait varier la rugosité, en théorie de plus en plus lisse. C’est ce que nous vérifierons avec le brillancemètre. I.2.2.2. Résines Les résines sont les objets à comparer. Comme nous l’avons vu plus haut, deux de leurs caractéristiques sont fondamentales : l’indice de réfraction et la masse moléculaire. Les trois résines à comparer n’ont ni le même indice de réfraction ni la même masse moléculaire, bien qu’ils soient proches.

I.3. Matériaux employés I.3.1. Couche picturale La couche picturale est une dispersion acrylique enrobant des pigments de noir d’ivoire. Le liant est une résine acrylique. Il s’agit d’une résine synthétique thermoplastique produite par

Masschelein-Kleiner, Liliane. Liants, vernis et adhésifs anciens. Bruxelles : Institut Royal du Patrimoine Artistiques, 1992, p.25-27. 143 Idem, p.27. 142

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polymérisation d’esters de l’acide acrylique et/ou de l’acide méthacrylique144. Le noir d’ivoire est un pigment artificiel d’origine animale. Il provient de la carbonisation de l’ivoire145. I.3.2. Résines I.3.2.1. Gomme Dammar La gomme Dammar est une résine tendre

à

faible

masse

molaire

(1

616g/mol). Elle provient de l'incision des troncs d'arbre de la famille des conifères diptérocarpés

qui

se

localisent

principalement dans les îles indonésiennes. L'utilisation de cette résine remonte au milieu du 19ème siècle. La Dammar est une résine triterpénique. Elle a une composition chimique assez complexe, dont on ne connaît que les éléments

Figure 75 Gomme Dammar.

principaux, à savoir, le résène (62%) et des acides résiniques (24%)146. Les restaurateurs privilégient ces résines naturelles car elles ont un très faible indice d'acidité (22 à 35), une bonne solubilité dans des solvants organiques et un jaunissement moindre par rapport aux résines diterpéniques. Les inconvénients de ces résines dammars sont qu'elles ont une faible dureté ce qui provoque à terme une micro-fissuration147. Bien que leur jaunissement soit moindre, il est présent et finit par créer une couche uniforme sur la peinture qui gêne la lecture de l'œuvre dans toutes ses nuances. De plus, le film devient plus difficilement soluble. De la Rie a proposé une amine stabilisante, le Tinuvin® 192, afin de ralentir le processus d'oxydation de la résine et donc du jaunissement. Ce stabilisant permet, par ailleurs, d'augmenter la souplesse du film de vernis.

Perego, Op. Cit., p.26-28. Idem, p.499. 146 Delcroix, Gilles, Havel, Marc, Phénomènes physiques et peinture artistique. Puteaux : éd. Erec, 1988, p.60. 147 Petit, Jean, Roire, Jacques, Valot, Henri, Des liants et des couleurs pour servir aux artistes peintres et aux restaurateurs, Puteaux : éd. Erec, 2006, p.106. 144 145

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I.3.2.2. Résine Regalrez® 1094 La résine Regalrez® 1094 est une résine synthétique aliphatique148 à faible masse molaire (environ 930g/mol), de la famille des hydrocarbures hydrogénés. La résine Régalrez® 1094, selon des études149, est décrite comme la meilleure alternative à la résine dammar. C'est grâce à l'hydrogénation150 que le produit se stabilise, en réduisant les liaisons doubles qui sont les faiblesses des molécules et par où commence le phénomène de vieillissement. Le Regalrez®1094 apparaît sous la forme de granulés translucides incolores. Elle a des propriétés optiques proches des résines naturelles, d'où son intérêt. Son faible poids moléculaire permet un bon nivelage de la couche de vernis et elle se solubilise dans des solvants moins polaires par rapport aux résines naturelles. Cependant son élasticité, du fait de l'absence d'une fraction polymérique naturellement

présente

dans

d'autres

résines, est moindre et la rend moins manipulable. Ce défaut est corrigé en

Figure 76 Résine Regalrez® 1094.

ajoutant un polymère de type Kraton® G 1650151, qui permet de la travailler comme les résines naturelles. Il est conseillé, malgré sa stabilité, de rajouter, en l'absence de polymère, le Tinuvin® 29264. I.3.2.3. Résine Laropal® A81 La résine Laropal® A81 est une résine synthétique urée-aldéhyde à faible masse molaire. Elle apparaît sous la forme de granulés translucides.

148

Yoder, Dean, « Regalrez 1094 : Properties and Uses », The WAAC Newsletter, Janvier 1995, volume 17 , N°1, p.10. 149 De la Rie, René, « Polymer additives for synthetic Low-Molecular-Weight varnishes », Preprints of the 10th Triennal Meeting of the Icom Committe for conservation, Washington DC, éd . International Council of Museums,1993, p. 566-573. 150 C'est une réaction chimique qui consiste en l'addition d'une molécule de dihydrogène. 151 Elastomère thermoplastique, famille chimique : polymère styrène-Ethylène/ Butylène-Styrène 64. Préparation à base : d'amine empêchement stérique, stabilisant contre la lumière. Nicolas VILLARD ∙ Conservation Restauration ∙ Spécialité Peinture de Chevalets ∙ Promotion 2014

151


Outre son emploi pour les vernis, elle est utilisée comme liant de retouche, en raison de sa stabilité photochimique, son bon mouillage des pigments et ses propriétés d’utilisation au cours du travail proches de celles des résines naturelles. Elle est soluble dans des solvants hydrocarbures contenant très peu d’aromatiques et le reste après vieillissement très poussé152.

Leonard, Mark, Whitten, Jill, Gamblin Robert (et Al.). « Developpement of new material for retouching », Congress, International Institute for The Conservation of Historic and Artistic Work, Londres, 2000, 29-33. 152

152

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II.

PROTOCOLE DE L’EXPERIMENTATION II.1. Choix du support Le support devait pouvoir recevoir une couche picturale sans être affecté dans sa

planéité. Celle-ci est nécessaire pour ne pas influencer l’écoulement du vernis lors de son application et lors de son séchage. Il fallait aussi que le support présente un état de surface – ou rugosité – régulier et non lisse pour mettre en évidence l’éventuelle relation entre la variation de la couleur et la variation de la brillance. Nous avons donc opté pour des cartons entoilés de format, comportant une préparation universelle blanche.

II.2. Choix de la couche picturale Si la volonté de reproduire les conditions pratiques du restaurateur a été exprimée, l’emploi d’une couche picturale à base d’un liant huileux se révèle moins pratique et moins intéressant à nos yeux que l’emploi d’une couche picturale à base d’un liant acrylique. La mise en œuvre de la peinture à l’huile est contraignante au point de vue du temps de formation du film. Mais la peinture acrylique présente un autre intérêt qui pourrait être utile à cette étude : elle est plus mate. A ce titre, elle permettrait de mieux mettre en évidence une évolution conjointe de la brillance et de la couleur. Son application pourra être réalisée avec un rouleau à peindre pour assurer l’homogénéité de l’état de surface. Pour cette étude, nous nous sommes finalement limités à l’emploi d’un seul pigment, mais les effets des vernis sur différentes couleurs devraient être comparés. Car nous conjecturons d’après l’expérience pratique du vernissage que la modification de la couleur n’est pas la même pour les différentes teintes : les teintes les plus claires auraient une faible modification colorimétrique après vernissage ; à l’inverse, les teintes les plus foncées auraient une modification colorimétrique importante après vernissage. C’est pour cette raison qu’une couleur noire a été privilégiée pour cette recherche. Le pigment choisi est un noir d’ivoire.

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II.3. Choix des vernis II.3.1. Choix des résines Les résines ont été choisies pour leur usage fréquent en restauration. Nous avons privilégié trois résines : une résine naturelle, la gomme dammar, et deux résines synthétiques, une Laropal A81 et une Regalrez 1094. Ces trois résines ont en commun leur basse masse molaire et des indices de réfraction proches. II.3.2. Choix du solvant Généralement, ces trois résines sont dissoutes dans des solvants différents, notamment dans des mélanges d’hydrocarbures aliphatiques et aromatiques, auxquels peuvent être adjoints des adjuvants. Or, le solvant, par ses propriétés de mouillage et d’évaporation, joue un rôle sur l’état de surface et donc sur la brillance du vernis. Puisque nous voulons mettre en évidence les caractéristiques propres aux résines, le même solvant doit être employé pour préparer chaque vernis. Si la résine Regalrez 1094 peut être dissoute dans un hydrocarbure aliphatique, la solubilité de la résine Laropal A81 y est limitée et la gomme Dammar dissoute avec un tel solvant donne une solution de vernis trouble. En revanche, toutes ces résines sont solubles dans un hydrocarbure aromatique tel que le xylène. II.3.3. Choix de la concentration La concentration massique de la résine dans la solution a une influence directe sur sa viscosité. Celle-ci est un paramètre important dans l’application du vernis sur un subjectile. Elle conditionne l’étalement de la solution et en définitive, l’homogénéité de la répartition de la résine, ou l’homogénéité de l’état de surface du film. Lors de l’application, moins la viscosité du vernis est élevée, plus son étalement et sa répartition ont de chance d’être optimaux, mais la quantité de résine appliquée est aussi inférieure à celle d’un vernis plus visqueux. Il est généralement conseillé d’appliquer un vernis de faible concentration (10 à 15% en masse de résine) en plusieurs couches plutôt qu’un vernis de forte concentration (25 à 30% en masse de résine) en une seule couche.

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Dans cette expérience, la reproductibilité est souhaitée et puisque l’application d’un vernis de faible concentration favorise un nivellement homogène de la surface, une concentration faible devrait être choisie. Cependant, il faut aussi mettre en évidence une évolution significative de la couleur en fonction du nombre de couches, et l’épaisseur de chaque couche dépend de la quantité de résine appliquée. C’est pour cette raison qu’une concentration intermédiaire de 20% en masse sera choisie pour chaque résine. Les pré-tests permettront de vérifier si l’application est reproductible.

II.4. Matériel scientifique II.4.1. Mesure de la couleur La mesure de la couleur sera effectuée avec un spectrocolorimètre calibré, le modèle Konica Minolta® CM 2600d. La prise de mesure fournit notamment les trois coordonnées L*, a* et b*. L’appareil est muni d’une ouverture par laquelle il émet une lumière incidente, que la zone mesurée renvoie vers un dispositif optique appelé monochromateur, lors de la prise de mesure. Celui-ci décompose

Figure 77 Le spectrocolorimètre.

l’énergie lumineuse réfléchie par l’échantillon selon les différentes longueurs d’onde qui la composent et les quantifie. Les résultats sont transmis vers un logiciel d’analyse des données, SpectraMagic NX®. Avant de prendre des mesures, il est nécessaire de paramétrer l’instrument. Trois modes de réception de la lumière réfléchie peuvent être choisis : en mode « réflexion spéculaire incluse », en mode « réflexion spéculaire exclue » et en combinant les deux modes. Le mode « réflexion spéculaire exclue » permet de déterminer les coordonnées d’une couleur telle qu’elle est perçue par l’œil humain. Nous intéressant particulièrement au rapport avec la perception de la couleur par un observateur, nous choisirons ce mode. II.4.2. Mesure de la brillance La mesure de la brillance sera effectuée avec un brillancemètre calibré, le modèle PICOGLOSS 560MC. La prise de mesure fournit un nombre compris entre 0 et 100 (0

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correspond à une surface mate et 100 à une surface brillante) exprimé en unité de brillance UB. Elle permettra de vérifier s’il y a corrélation entre l’évolution de la brillance en fonction du nombre de couches de vernis appliquées et l’évolution de la couleur mesurée.

II.5. Mise en œuvre II.5.1. Première phase : Préparation des échantillons avant vernissage Un carton entoilé de 18 x 12 cm constitue un échantillon sur lequel une couche de peinture acrylique de couleur noir ivoire est appliquée à l’aide d’un rouleau à peindre sur l’ensemble de la surface. La mise en œuvre est reproduite sur neuf autres échantillons. A la fin de cette première étape, à savoir la préparation du subjectile pour les vernis, une première série de mesures de couleur et de brillance devra être effectuée. Elle permettra à la fois d’évaluer la reproductibilité de la mise en œuvre pour cette phase grâce au calcul de l’incertitude et d’établir des valeurs de référence auxquelles seront comparées les mesures effectuées après vernissage. II.5.2. Seconde phase : Vernissage Chaque échantillon comportera cinq bandes de vernis appliquées dans le sens de la largeur, délimitées par des bandes adhésives. Une bande adhésive correspond à une couche de vernis. Le vernis sera déposé avec une brosse avant d’être homogénéisé à l’aide d’une petite raclette. II.5.3. Prise de mesures Chaque prise de mesure sera effectuée une semaine après avoir posé les couches de vernis. Nous prendrons le plus grand nombre de mesures possibles pour préciser la tendance des résultats.

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III. RESULTATS III.1. Tests de répétabilité Les tests de répétabilité ont pour fonction de s’assurer de la reproductibilité du protocole de l’expérimentation. Dans le cadre de ce mémoire, il est nécessaire de calculer l’incertitude sur une série de dix échantillons. Puisque notre étude dépend de deux systèmes de mesures, nous vérifierons la reproductibilité du protocole à l’aide des deux appareils. Dans un premier temps, il faut impérativement tester la reproductibilité de la préparation des cartons entoilés par l’application de la peinture acrylique noire, parce que cette strate constitue notre référentiel colorimétrique et de brillance. Dix cartons entoilés ont donc été enduits d’une couche de peinture acrylique noire à l’aide d’un rouleau à peindre. Dix mesures avec le spectrocolorimètre et dix mesures avec le brillancemètre ont été réalisées sur un seul carton entoilé pour vérifier l’homogénéité de l’application sur l’ensemble de la surface du point de vue de la couleur et du point de vue de la brillance. Dix mesures avec chacun des appareils ont ensuite été réalisées sur chaque carton entoilé peint pour s’assurer de la reproductibilité de la mise en œuvre. Les résultats sont présentés dans les tableaux ci-dessous :

Tableau 1 Mesures de L*, a*, b* et de la brillance sur un échantillon (carton entoilé couvert de peinture noire).

Mesures sur un échantillon 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Moyenne Erreur absolue Erreur relative

L* 26,32 26,33 26,17 26,27 26,10 26,30 26,13 26,34 26,26 26,26 26,25 0,05406 0,2059 %

a* 0,77 0,80 0,81 0,88 0,94 0,87 0,86 0,86 0,87 0,87 0,85 0,030 3,5 %

b* 0,48 0,45 0,45 0,47 0,53 0,48 0,50 0,48 0,48 0,51 0,48 0,016 3,3 %

Brillance en UB (de 0 à 100) 1,2 1,1 1,1 1,1 1,2 1,1 1,1 1,1 1,0 1,1 1,1 0,036 3,3 %

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157


Soit ∆2 l’erreur absolue dĂŠfinie par l’Êquation suivante :

∆2 =

2Ďƒ √đ?‘›

OĂš Ďƒ est l’Êcart-type et n le nombre de mesures pour chaque sĂŠrie. Pour calculer l’erreur absolue et l’erreur relative associĂŠes Ă chaque sĂŠrie de mesures, il faut calculer leur moyenne arithmĂŠtique dans un premier temps. Par dĂŠfinition, la moyenne arithmĂŠtique đ?‘ĽĚ… s’Êcrit : đ?‘›

đ?‘Ľ1 + đ?‘Ľ2 + â‹Ż + đ?‘Ľđ?‘› 1 đ?‘ĽĚ… = = ∑ đ?‘Ľđ?‘– đ?‘› đ?‘› đ?‘–=1

OĂš n est le nombre de mesures et đ?‘Ľđ?‘– une mesure de la sĂŠrie. En l’occurrence, nous avons dix mesures pour chaque sĂŠrie. Soient đ?‘ĽĚ… đ??ż , đ?‘ĽĚ… đ?‘Ž , đ?‘ĽĚ… đ?‘? et đ?‘ĽĚ… đ??ľ les moyennes arithmĂŠtiques respectives des sĂŠries de mesures de L*, a*, b* et de la brillance. On obtient donc : đ?‘ĽĚ… đ??ż = 26,25 đ?‘ĽĚ… đ?‘Ž = 0,85 đ?‘ĽĚ… đ?‘? = 0,48 đ?‘ĽĚ… đ??ľ = 1,1 Après les moyennes doivent ĂŞtre calculĂŠs successivement la variance, l’Êcart-type et l’Êcarttype de la moyenne. La variance est dĂŠfinie par l’Êquation suivante : đ?‘›

(đ?‘Ľ1 − đ?‘ĽĚ… )2 + (đ?‘Ľ2 − đ?‘ĽĚ… )2 + â‹Ż + (đ?‘Ľđ?‘› − đ?‘ĽĚ… )² 1 đ?‘‰(đ?‘Ľ) = = ∑(đ?‘Ľđ?‘– − đ?‘ĽĚ… )² đ?‘›âˆ’1 đ?‘›âˆ’1 đ?‘–=1

OĂš n est le nombre de mesures et đ?‘Ľđ?‘– une mesure de la sĂŠrie. Soient đ?‘‰đ??ż (đ?‘Ľ), đ?‘‰đ?‘Ž (đ?‘Ľ), đ?‘‰đ?‘? (đ?‘Ľ) et đ?‘‰đ??ľ (đ?‘Ľ) les variances respectives des sĂŠries de mesures de L*, a*, b* et de la brillance. On obtient donc :

158

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đ?‘‰đ??ż (đ?‘Ľ) = 0,007306 đ?‘‰đ?‘Ž (đ?‘Ľ) = 0,0023 đ?‘‰đ?‘? (đ?‘Ľ) = 0,00062 đ?‘‰đ??ľ (đ?‘Ľ) = 0,0032 L’Êcart-type Ďƒ est dĂŠfini comme la racine carrĂŠe de la variance :

Ďƒ = √đ?‘‰(đ?‘Ľ) Soient Ďƒđ??ż , Ďƒđ?‘Ž , Ďƒđ?‘? et Ďƒđ??ľ les ĂŠcart-types respectifs des sĂŠries de mesures de L*, a*, b* et de la brillance. On obtient donc : Ďƒđ??ż = 0,08547 Ďƒđ?‘Ž = 0,048 Ďƒđ?‘? = 0,025 Ďƒđ??ľ = 0,057 On peut alors calculer l’erreur absolue ∆2 dĂŠfinie plus haut. Soient ∆2 đ??ż , ∆2 đ?‘Ž , ∆2 đ?‘? et ∆2 đ??ľ les erreurs absolues respectives des sĂŠries de mesures de L*, a*, b* et de la brillance. On obtient donc : ∆2 đ??ż = 0,05406 ∆2 đ?‘Ž = 0,030 ∆2 đ?‘? = 0,016 ∆2 đ??ľ = 0,036 Soit E l’erreur relative dĂŠfinie par l’Êquation suivante :

đ??¸=

∆2 đ?‘ĽĚ…

Soient đ??¸đ??ż , đ??¸đ?‘Ž , đ??¸đ?‘? et đ??¸đ??ľ les erreurs relatives respectives des sĂŠries de mesures de L*, a*, b* et de la brillance. On obtient donc : Nicolas VILLARD ∙ Conservation Restauration ∙ SpĂŠcialitĂŠ Peinture de Chevalets ∙ Promotion 2014

159


đ??¸đ??ż = 0,2059 % đ??¸đ?‘Ž = 3,5 % đ??¸đ?‘? = 3,3 % đ??¸đ??ľ = 3,3 % Pour le tableau suivant, les calculs ne sont pas dĂŠtaillĂŠs.

Tableau 2 Mesures de L*, a*, b* et de la brillance sur dix ĂŠchantillons (carton entoilĂŠ couvert de peinture noire).

Mesures sur dix ĂŠchantillons 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Moyenne Erreur absolue Erreur relative

L* 26,32 26,23 26,03 26,29 26,18 26,39 26,47 26,74 26,39 26,28 26,33 0,1195 0,4540 %

a* 0,77 0,89 0,80 0,88 0,81 0,87 0,83 0,77 0,81 0,92 0,83 0,033 3,9 %

b*

Brillance en UB (de 0 Ă 100)

0,48 0,46 0,43 0,53 0,45 0,46 0,49 0,50 0,48 0,52 0,48 0,020 4,1 %

1 1,1 1,1 1,2 1,1 1,2 1,1 1,1 1,2 1,2 1,1 0,043 3,8 %

Si les moyennes sont Ă peu près identiques au premier tableau, les erreurs sont supĂŠrieures. C’est Ă ces dernières que nous nous rĂŠfĂŠrerons pour l’analyse des rĂŠsultats. La reproductibilitĂŠ du protocole de vernissage doit ensuite ĂŞtre testĂŠe. Nous avons donc procĂŠdĂŠ au vernissage des dix ĂŠchantillons selon le protocole. Les mesures ont ĂŠtĂŠ prises une semaine après :

160

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Tableau 3 Mesures de L*, a*, b* et de la brillance sur dix échantillons peints après vernissage.

1 couche de vernis Dammar 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Moyenne Erreur Erreur relative

L*

a*

26,28 26,21 26,02 26,10 26,33 26,13 26,16 26,06 26,45 26,34 26,21 0,08778 0,3349 %

0,92 0,72 0,80 0,78 0,78 0,67 0,72 0,66 0,69 0,72 0,75 0,049 6,6 %

b*

Brillance en UB (de 0 à 100)

0,22 0,22 0,18 0,21 0,19 0,15 0,15 0,16 0,15 0,17 0,18 0,018 10 %

2,7 2,7 3 2,9 2,7 2,5 3 2,9 2,9 2,8 2,8 0,10 3,6 %

Le protocole de vernissage est donc reproductible. Les échantillons peuvent être réalisés.

III.2. Présentation des résultats Les résultats sont présentés sous forme de tableaux indiquant les moyennes des mesures sur dix échantillons de L*, a*, b* et de la brillance pour chaque résine. Chaque tableau correspond à une couche de vernis supplémentaire. Le premier tableau présente les résultats pour dix échantillons ne comportant qu’une couche de peinture acrylique noire (donc non vernie). Il est prévu de multiplier le nombre de mesures afin d’affiner les tendances.

Tableau 4 Moyenne des mesures de L*, a*, b* et de la brillance sur dix échantillons (carton entoilé couvert de peinture noire).

Résines (0 passage) Fond noir Erreur relative

Moyenne L*

Moyenne a*

Moyenne b*

Brillance en UB (de 0 à 100)

26,33

0,83

0,48

1,1

0,4540 %

3,9 %

4,1 %

3,8 %

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Tableau 5 Moyenne de L*, a*, b* et de la brillance sur dix échantillons peints, après un 1 er vernissage.

Résines (1er passage) Dammar Erreur relative Laropal® A81 Erreur relative Regalrez® 1094 Erreur relative

Moyenne L*

Moyenne a*

Moyenne b*

Brillance en UB (de 0 à 100)

26,21 0,3349 % 25,88 0,3534 % 26,19 0,5711 %

0,75 6,6 % 0,70 4,5 % 0,69 6,2 %

0,18 10 % 0,24 12 % 0,29 6,5 %

2,8 3,6 % 2,0 2,5 % 2,6 3,0 %

Tableau 6 Moyenne de L*, a*, b* et de la brillance sur dix échantillons peints, après un 2 ème vernissage.

Résines (2 passage) Dammar Erreur relative Laropal® A81 Erreur relative Regalrez® 1094 Erreur relative

Moyenne L*

Moyenne a*

Moyenne b*

Brillance en UB (de 0 à 100)

25,74 0,7477 % 25,85 0,2904 % 26,01 0,6719 %

0,80 5,5 % 0,71 4,7 % 0,70 3,7 %

0,32 20 % 0,24 8,1 % 0,31 10 %

3,3 4,4 % 2,2 1,8 % 2,9 3,0 %

ème

Tableau 7 Moyenne de L*, a*, b* et de la brillance sur dix échantillons peints, après un 3ème vernissage.

Résines (3 passage) Dammar Erreur relative Laropal® A81 Erreur relative Regalrez® 1094 Erreur relative

Moyenne L*

Moyenne a*

Moyenne b*

Brillance en UB (de 0 à 100)

24,67 0,4372 % 25,23 0,3949 % 25,47 0,7895 %

0,73 5,8 % 0,72 4,0 % 0,74 9,2 %

0,39 11 % 0,34 9,2 % 0,36 14 %

5,6 3,2 % 3,6 1,7 % 4,1 4,3 %

ème

Tableau 8 Moyenne de L*, a* et b* sur dix échantillons peints, après un 4ème vernissage.

Résines (4ème passage) Dammar Erreur relative Laropal® A81 Erreur relative Regalrez® 1094 Erreur relative

162

Moyenne L*

Moyenne a*

Moyenne b*

23,94 1,115 % 24,35 0,8982 % 24,57 1,674 %

0,73 7,1 % 0,77 8,9 % 0,77 4,2 %

0,55 13 % 0,49 11 % 0,50 11 %

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Graphique 1 Evolution de la Brillance en fonction du nombre de couches de vernis passées sur la couche de peinture noire. (L'abscisse 1 correspond au fond noir non vernis) 6

Brillance, en UB

5

4

3

2

1

0

1

2

3

4

Br Dammar

1,1

2,8

3,3

5,61

Br Laropal

1,1

2

2,2

3,57

Br Regalrez

1,1

2,6

2,9

4,15

Nombre de couches de vernis apliquées

Graphique 2 Evolution de la luminosité L* en fonction du nombre de couches de vernis passées sur la couche de peinture noire. (L'abscisse 1 correspond au fond noir non vernis) 26,5 26 25,5

L*

25 24,5 24 23,5 23 22,5

1

2

3

4

5

L Dammar

26,32

26,21

25,74

24,67

23,94

L Laropal

26,32

25,88

25,85

25,23

24,35

L Regalrez

26,32

26,19

26,01

25,47

24,57

Nombre de couches de vernis appliquées

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Graphique 3 Evolution de a* (axe vert/rouge) en fonction du nombre de couches de vernis passées sur la couche de peinture noire. (L'abscisse 1 correspond au fond noir non vernis) 0,9 0,8 0,7 0,6

a*

0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 0

1

2

3

4

5

a Dammar

0,84

0,75

0,8

0,73

0,73

a Laropal

0,84

0,7

0,71

0,72

0,77

a Regalrez

0,84

0,69

0,7

0,74

0,77

Nombre de couches de vernis appliquées

Graphique 4 Evolution de b* (axe bleu/jaune) en fonction du nombre de couches de vernis passées sur la couche de peinture noire. (L'abscisse 1 correspond au fond noir non vernis) 0,6

0,5

b*

0,4

0,3

0,2

0,1

0

1

2

3

4

5

b Dammar

0,49

0,18

0,32

0,39

0,55

b Laropal

0,49

0,24

0,24

0,34

0,49

b Regalrez

0,49

0,29

0,31

0,36

0,49

Nombre de couches de vernis appliquées

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III.3. Analyse Commençons par remarquer que la grandeur qui varie le plus après vernissage de la couche de peinture est la brillance, pour chaque vernis. Ainsi la Dammar augmente la brillance de la couche peinte de 154 %, la résine Regalrez 1094 de 136 % et la Laropal A81 de 81 %. Après le troisième vernissage, la Dammar se démarque d’autant plus nettement des autres résines avec une augmentation de 409 % contre 272 % pour la Regalrez et 227 % pour la Laropal. Quelle que soit la grandeur, les courbes de chaque résine ont respectivement la même allure. Il faut aussi souligner qu’en observant les courbes, on constate une augmentation de la brillance et une diminution de la luminosité de la couleur au fur et à mesure que les couches de chaque vernis sont additionnées. Dès le premier vernissage, la seule diminution de la luminosité significative est liée à la résine Laropal, avec une différence de 1,7 %, alors qu’il s’agit aussi de la couche de vernis la moins brillante. Il semble donc que la mesure de la couleur ne soit pas strictement corrélative de la mesure de la brillance, ce qui ne signifie pas que la perception de la couleur n’est pas liée à celle de la brillance, mais que le spectrocolorimètre ne permet pas de mettre cette relation en évidence. En définitive, après 4 couches de vernis, la luminosité de la peinture a diminué de 9,1 % pour la Dammar, de 7,5 % pour la Laropal et de 6,7 % pour la Regalrez. Cependant, en tenant compte de l’erreur, il n’y a pas de différence significative entre la Dammar et la Laropal et entre la Laropal et la Regalrez. D’autre part, si les courbes correspondant aux mesures de a*, l’axe vert/rouge, sont relativement constantes à mesure que l’on superpose les couches de chaque vernis, après une diminution dès la première couche posée de 9,7 % pour la Dammar et de 16 % et de 17 % respectivement pour la Laropal et la Regalrez, les courbes correspondant aux mesures de b*, l’axe bleu/jaune, présentent une évolution contre-intuitive. Premièrement, le caractère jaune de la couche peinte diminue après le premier vernissage. Or, ne serait-ce que pour la Dammar, c’est un effet étonnant, considérant la couleur naturelle de la résine, jaune. Elle entraîne une diminution de 62% des jaunes contre 50% pour la Laropal et 40% pour la Regalrez, mais en tenant compte de l’erreur, il n’y a pas de différence significative entre la Dammar et la Laropal et la Laropal et la Regalrez. Deuxièmement, la tendance des courbes de chaque résine s’inverse dès la deuxième couche de vernis posée. C’est ainsi qu’après un 4ème passage, le b* de la couleur retrouve sa valeur initiale, si l’on tient compte de l’erreur. On peut conjecturer que la valeur de

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b* continuera d’augmenter avec le nombre de couches posées153.

III.4. Tests complémentaires et analyses L’allure des courbes correspondant aux mesures de b* étant étonnante, nous avons décidé de réaliser un test permettant de vérifier l’existence de ce phénomène, qui pourrait être dû à une défaillance de l’appareil de mesure. Deux échantillons complémentaires ont été réalisés selon le même protocole que pour la couche de peinture acrylique noire, en remplaçant celle-ci par une couche de peinture acrylique blanche (blanc de Titane) et par une couche de peinture acrylique jaune (jaune de Naples). Sur le même type de carton entoilé, elles ont été appliquées au rouleau à peindre de manière à obtenir un état de surface homogène. Une série de mesures a alors été effectuée avant vernissage pour servir de référence, et une après avoir appliqué une couche de vernis Dammar à 20 %. Voici les résultats :

Tableau 9 Mesures de b* sur un échantillon blanc (carton entoilé couvert de peinture blanche), avant et après vernissage (Dammar à 20 % dans du xylène).

Mesures sur le fond blanc 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Moyenne Erreur absolue Erreur relative

b* avant vernissage

b* après vernissage

0.83 0.84 0,85 0,78 0,78 0,81 0,78 0,86 0,79 0,86 0,82 0,021 2.6 %

1.40 1.51 1.47 1.52 1.58 1.52 1.79 1.73 1.45 1.41 1.54 0.082 5.3 %

Contrairement aux mesures réalisées sur un fond noir, pour lesquelles on observait une diminution de b* de 62 % après avoir appliqué une couche de vernis Dammar, on constate une A vrai dire, un test exagéré a été réalisé et nous avons observé une augmentation de b* significative après 8 passages de vernis. 153

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augmentation de b* de 88 % lorsque l’on applique une couche de vernis Dammar sur un fond blanc. Ce résultat montre le jaunissement de la peinture dû à l’application de la résine, naturellement jaune. Il ne semble donc pas y avoir de défaillance de l’appareil de mesure.

Tableau 10 Mesures de b* sur un échantillon jaune (carton entoilé couvert de peinture jaune), avant et après vernissage (Dammar à 20 % dans du xylène).

Mesures sur le fond jaune 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Moyenne Erreur absolue Erreur relative

b* avant vernissage

b* après vernissage

48.42 48.81 49.06 48.70 48.91 49.06 48.99 48.67 48.88 48.87 48.84 0,1251 0.2565 %

47.23 47.29 47.25 47.88 47.61 47.79 47.80 47.42 47.75 47.78 47.58 0.1624 0.3413 %

Le test réalisé avec le fond jaune vient confirmer le phénomène observé avec le fond noir. Après le passage d’une couche de vernis Dammar, on constate une diminution de b* de 2,6 %. Nous n’avons pas d’explication pour ce phénomène. Si l’ordre de grandeur de la diminution pour le fond noir n’a sans doute pas de conséquence pour la perception de la différence par l’œil humain, l’ordre de grandeur de la diminution pour le fond jaune paraît cependant significatif. La réalisation de ce protocole sur d’autres couleurs et en faisant varier l’état de surface de la couche de peinture pourrait apporter d’autres informations.

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CONCLUSION L’expérience montre que l’effet des différents vernis sur la couleur de la couche de peinture noire est pratiquement identique après quatre vernissages. La luminosité de la couche de peinture diminue au fur et à mesure de l’application des couches de chaque résine. La Dammar produit l’assombrissement le plus important, très proche de la Laropal cependant. La valeur de l’axe des vert/rouge a* diminue et stagne. Celle de l’axe des bleu/jaune b* diminue après le premier vernissage et augmente à nouveau au fil des vernissages jusqu’à sa valeur initiale. Ce phénomène a donné lieu à un test complémentaire sur deux couches de peinture claires : une blanche et une jaune de Naples. Celui-ci a permis de confirmer l’existence de ce phénomène paradoxal que nous ne savons cependant pas expliquer. La différence la plus notable entre les résines est liée à la brillance produite par leur film. Ainsi, la Dammar se détache nettement des deux résines synthétiques, la Laropal étant la plus mate. Il semblerait donc que la mesure de la couleur par le spectrocolorimètre ne tienne pas compte de la brillance. Il se peut que la qualité des vernis à base de gomme Dammar observée par les restaurateurs soit liée à sa brillance, voire à d’autre facteurs optiques qui ne sont pas pris en compte dans la mesure de la couleur. Il faudrait cependant réaliser ce protocole systématiquement avec plusieurs couleurs différentes pour être certain que la différence d’aspect des trois vernis n’est pas liée à la modification de la couleur qu’ils recouvrent. Il se pourrait que les vernis se différencient significativement sur d’autres couleurs. S’il était prouvé que l’effet des différentes résines sur les couleurs était identique, des études comparatives de mesure de la brillance en faisant varier les paramètres liés à la viscosité et à l’évaporation (solvants et mélanges, concentration du vernis, etc…) pourraient être menées. On peut même imaginer pouvoir produire un film aussi brillant qu’un vernis Dammar avec une résine synthétique en jouant sur les différents paramètres.

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CONCLUSION GENERALE Ce travail concrétise un long et difficile apprentissage, d’autant plus enrichissant. La méthode qu’exigent l’analyse et le traitement d’une œuvre aussi complexe, ainsi que l’étude historique et le sujet technico-scientifique ne constituait pas notre meilleure compétence. Nous avons appris à devenir plus rigoureux et plus organisé tant sur le plan théorique que sur le plan pratique. Du seul point de vue de la restauration, nous avons également appris à développer un regard plus précis et à porter une grande attention aux gestes et à leur préparation, ainsi qu’aux conditions de travail. L’étude historique ne nous a pas permis de dater précisément ni d’attribuer l’œuvre. Elle nous a offert l’opportunité de détailler plusieurs thématiques dont l’une des plus marquantes à nos yeux est celle de la virilité et de sa représentation, ainsi que de son lien avec le renouveau de la peinture d’histoire en France au XVIIIème siècle. Il semble qu’elle fournisse des clés de lectures diverses pour toutes les périodes de la peinture. Cette étude nous aura aussi ouverts à la peinture de Jacques-Louis David, de laquelle nous n’avions qu’une compréhension superficielle et pour laquelle nous éprouvions peu d’attirance. Enfin, l’étude technico-scientifique a décuplé notre intérêt pour les problématiques de vernissage, qui semblent encore être un vaste sujet d’étude.

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VIGARELLO, Georges (Dir.). Histoire de la virilité : 1. L’invention de la virilité. De l’Antiquité aux Lumières. Paris : Seuil, 2011, 592 p. Ouvrages spécialisés

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DELECLUZE, Etienne-Jean. Louis David : Son école et son temps. Paris : Editions Macula, 1983.

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GUERZONI, Guido. Apollon et Vulcain : Les marchés artistiques en Italie (1400-1700).

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LABREUCHE, Pascal. Paris, capitale de la toile à peindre : XVIIIe-XIXe siècle. Paris : CTHS – INHA, 2011, 367 p.

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MOATTI, Claudia. A la recherche de la Rome antique. Paris : Gallimard, 2003, 192 p.

MONNERET, Sophie. David et le néoclassicisme. Paris : Terrail, 1998, 207 p.

MONNIER, Gérard. L’art et ses institutions en France de la Révolution à nos jours. Paris : Gallimard, 1995, 462 p.

MOULIN, Raymonde. De la valeur de l’Art. Paris : Flammarion, 1995, 286 p.

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COLLECTIF. Au-delà du Maître : Girodet et l’atelier de David, Présentation par Richard Dagorne. Paris : Somogy éditions d’art, 2005. Sites internet

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PEREGO, François. Dictionnaire des matériaux du peintre. Paris : Belin, 2005, 895 p. Ouvrages spécialisés

DELCROIX, Gilles, HAVEL, Marc, Phénomènes physiques et peinture artistique. Puteaux : éd. Erec, 1988.

DETTWILLER, Luc. Les instruments d’optique : Etude théorique, expérimentale et pratique. Paris : Ellipses, 2002, 256 p.

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TABLE DES ILLUSTRATIONS Figure 1 L’aîné des Horaces, Anonyme, huile sur papier marouflé sur toile, 61 x 50 cm, XIXème siècle, Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes. Avant intervention. .................................................................................. 2 Photographie du Musée Dobrée

Figure 2 Revers du montage, avant intervention. .................................................................................................... 2 Photographie du Musée Dobrée

Figure 3 L’aîné des Horaces, Anonyme, huile sur papier marouflé sur toile, 61 x 50 cm, XIXème siècle, Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes. Après intervention. .................................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 4 Revers de l'œuvre, après intervention. ...................................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 5 Numéro d’inventaire de L’aîné des Horaces............................................................................................. 2 Photographie du Musée Dobrée

Figure 6 Numéro d’inventaire du Château de Clisson – Loire inférieure. .............................................................. 2 http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0679/m074500_0045874_p.jpg

Figure 7 Numéro d’inventaire du Portrait du Général Mellinet. ............................................................................. 2 http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0680/m074500_0047458_p.jpg

Figure 8 L’aîné des Horaces, Anonyme, huile sur papier marouflé sur toile, 61 x 50 cm, XIXème siècle, Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes................................................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 9 La mort de Lucrèce, Gavin Hamilton, huile sur toile, 213.4 x 264.2 cm, 1763-1767, Yale Centre for British Art, New Haven. .......................................................................................................................................... 2 http://britishart.yale.edu/

Figure 10 Le serment de Brutus, Jacques-Antoine Beaufort, huile sur toile, 146 x 184 cm, 1771, Musée municipal Frédéric Blandin, Nevers........................................................................................................................ 2 http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0494/m015586_0004640_p.jpg

Figure 11 Détail de L’enlèvement des Sabines, Nicolas Poussin, huile sur toile, 159 x 206 cm, 1635, Musée du Louvre, Paris. .......................................................................................................................................................... 2 http://carinejallamion.files.wordpress.com/2012/07/poussin-enlevement_sabines-16381.jpg

Figure 12 Le serment des Horaces, Jacques-Louis David, huile sur toile, 330 x 425 cm, 1784-1785, Musée du Louvre, Paris. .......................................................................................................................................................... 2

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http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/35/Jacques-Louis_David,_Le_Serment_des_Horaces.jpg

Figure 13 Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils, Jacques-Louis David, huile sur toile, 323 x 422 cm, 1789, Musée du Louvre, Paris. ......................................................................................................................... 2 http://en.wikipedia.org/wiki/File:David_Brutus.jpg

Figure 14 Détail de la figure de Brutus. .................................................................................................................. 2 http://82nd-and-fifth.metmuseum.org/

Figure 15 Le Général Bonaparte, Jacques-Louis David, huile sur toile, 81 x 65 cm, 1798, Musée du Louvre, Paris. ....................................................................................................................................................................... 2 http://ardor.net/artlia/content/d/david/david_bonaparte.jpg

Figure 16 Le serment des Horaces, Jacques-Louis David, huile sur toile, 330 x 425 cm, 1784-1785, Musée du Louvre, Paris. Détail de la figure de l’aîné.............................................................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 17 L’aîné des Horaces, Anonyme, huile sur papier marouflé sur toile, 61 x 50 cm, XIXème siècle, Musée départemental Thomas Dobrée, Nantes................................................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 18 La douleur, Jacques-Louis David, pastel sur papier, 53,5 x 41 cm, 1773, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris. C’est avec cette œuvre que David remporte le concours de la Tête d’expression en 1773. ...... 2 http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques-Louis_David#mediaviewer/Fichier:Jacques-Louis_David-_Sorrow.JPG

Figure 19 Sculpture romaine parfois identifiée comme le buste d’Arminius, Musée du Capitole (?), Rome. ....... 2 http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a4/Arminius_pushkin.jpg

Figure 20 A gauche : Tête de jeune homme, d’après le buste dit d’Arminius – En haut à droite : Tête de guerrier, étude pour le Serment des Horaces – En bas à droite : Tête de jeune homme coiffé du bonnet phrygien. Dessins de Jacques-Louis David, Musée du Louvre, Paris. ................................................................................................. 2 http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0299/m503501_d0017046-000_p.jpg http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0299/m503501_d0017116-000_p.jpg http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0299/m503501_d0017078-000_p.jpg

Figure 21 La Hardiesse : deux têtes de face et une de profil, Charles Le Brun, plume, pierre noire et encre noire sur papier, XVIIème siècle, Musée du Louvre, Paris. ............................................................................................. 2 http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0320/m503501_d0206660-000_p.jpg

Figure 22 L’enlèvement des Sabines, Nicolas Poussin, 1635. Détail. .................................................................... 2 http://carinejallamion.files.wordpress.com/2012/07/poussin-enlevement_sabines-16381.jpg

Figure 23 Tête de guerrier, Jacques-Louis David, Musée du Louvre, Paris. Ce dessin semble avoir été réalisé d’après un bas-relief au palais Mattei di Giove à Rome. ........................................................................................ 2

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http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0299/m503501_d0017046-000_p.jpg

Figure 24 De gauche à droite : Dessins d’accessoires – Etude de casque – Tête de guerrier, étude pour le Serment des Horaces. David semble avoir repris le motif des accessoires pour l’ornementation du casque. Il a aussi supprimé la paragnathide dans le dernier dessin, laissant apparaître la chevelure et la joue barbue. ...................... 2 http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0272/m503501_d0211811-000_p.jpg http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0272/m503501_d0211815-000_p.jpg http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0299/m503501_d0017130-000_p.jpg http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0299/m503501_d0017116-000_p.jpg

Figure 25 La mort du jeune Bara (inachevé), Jacques-Louis David, huile sur toile, 118 x 155 cm, 1794, Musée Calvet, Avignon. ...................................................................................................................................................... 2 http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Mort_du_jeune_Bara#mediaviewer/Fichier:Bara_David.jpg

Figure 26 Jeunes Spartiates s’exerçant, Edgar Degas, huile sur toile, 97,4 x 140 cm, 1860, Art Institute, Chicago. ................................................................................................................................................................................ 2 www.artic.edu/aic/collections/artwork/13487

Figure 27 Le Salon de musique de Fanny Hensel, Julius Eduard Wilhem Helfft, Aquarelle, 1849, National Design Museum, Smithsonian Institution, Thaw Collection. Cette aquarelle donne à voir un intérieur bourgeois, typiquement un lieu de réception au XIXème siècle. .............................................................................................. 2 http://histoire19.hypotheses.org/756

Figure 28 Peintre copiant un Murillo au musée du Louvre, Louis Béroud, huile sur toile, 1912, lieu de conservation inconnu. Les copistes disposent d’escabeaux pour copier en hauteur. ............................................... 2 http://fr.academic.ru/pictures/frwiki/76/Louis_Beroud_-_peintre_copiant_un_Murillo_Au_Musee_Du_Louvre.jpg

Figure 29 Schéma de la stratigraphie de l'œuvre. .................................................................................................... 2 Schéma personnel

Figure 30 Le châssis : vue de la face. ...................................................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 31 Le châssis : vue du revers. ...................................................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 32 Un montant en feuillu et un montant en résineux sont assemblés à mi-bois en bout par des clous. ....... 2 Photographie personnelle

Figure 33 Exemple de fente dans le châssis, provoquée par l’enfoncement d’un clou. .......................................... 2 Photographie personnelle

Figure 34 Mue de ce qui semble être une larve de dermeste retrouvée entre le papier et la toile. .......................... 2 Photographie personnelle

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Figure 35 Ailes antérieures de petite vrillette. ......................................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 36 De la préparation rouge a traversé la toile pour se fixer sur le châssis. .................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 37 Le cadre : vue de face. ............................................................................................................................ 2 Photographie personnelle

Figure 38 Le cadre : vue du revers .......................................................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 39 Les deux montants du cadre sont assemblés à joints vifs, fixés par des clous. ....................................... 2 Photographie personnelle

Figure 40 Lacunes et trous d’envol des insectes. .................................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 41 Revers de l’œuvre. .................................................................................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 42 Les deux déchirures complexes. Elles étaient maintenues par des papiers bolloré posés lors de l’intervention de 2005. ............................................................................................................................................ 2 Photographie personnelle

Figure 43 Les bords de tension sont usés. Les fils sont oxydés et cassants. ........................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 44 Radiographie de l’œuvre. Un personnage est visible sur la gauche. Il semble tenir un crâne. ............... 2 Figure 45 Fibre de lin, reconnaissable au coude qu'elle forme. .............................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 46 Fibre de coton, reconnaissable à sa forme torsadée. ............................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 47 Déchirure du papier n’affectant pas la toile. ........................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 48 Photographie en lumière rasante mettant en évidence les déformations du papier et de la toile. ........... 2 Photographie personnelle

Figure 49 Craquelure prématurée, sous microscope USB. ...................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 50 Frisure, sous microscope USB. ............................................................................................................... 2

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Photographie personnelle

Figure 51 Lacune provoquée par un choc, sous microscope USB. ......................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 52 Le vernis est observé sous lumière UV. .................................................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 53 Relevé des altérations du papier. ............................................................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 54 Relevé des altérations de la couche polychrome et du vernis. ................................................................ 2 Photographie personnelle

Figure 55 Avant et après décrassage de la cape et du fond. ........................................... Erreur ! Signet non défini. Photographie personnelle

Figure 56 Avant et après dévernissage de la cape. ........................................................ Erreur ! Signet non défini. Photographie personnelle

Figure 57 Visage, avant et après allégement de vernis. ........................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 58 Joue, avant et après allégement de vernis. .............................................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 59 Immédiatement après la chambre humide, l’œuvre est placée sur la table aspirante pour la contraindre durant son séchage. ................................................................................................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 60 Mise en place du papier de protection avant collage. ............................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 61 Le papier de protection a été ouvert au niveau de la déchirure avant le cartonnage. .............................. 2 Photographie personnelle

Figure 62 Cartonnage : avant, le papier bolloré est placé sur l’œuvre et encollé à partir de la médiane, perpendiculaire au sens d’allongement des fibres ; pendant ; après. ....................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 63 Le papier est démarouflé. Des îlots de couche picturale de la toile ont été transposés au revers. .......... 2 Photographie personnelle

Figure 64 Les îlots de couche picturale ont été supprimés. Le revers du papier n’est pas encore nettoyé. ............. 2 Photographie personnelle

Figure 65 L’œuvre est décartonnée, sous aspiration. .............................................................................................. 2

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Photographie personnelle

Figure 66 Le support est placé sur le plan courbe pour résorber les chevauchements des lèvres de déchirure. ...... 2 Photographie personnelle

Figure 67 Les déchirures sont fixées, d’abord par la face, puis par le revers. ......................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 68 L’œuvre est cartonnée et plane. .............................................................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 69 La toile tendue sur bâti, avant et après le premier décatissage. .............................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 70 La trame de la toile a imprimé le papier lavis. ........................................................................................ 2 Photographie personnelle

Figure 71 Le second papier lavis a été collé par-dessus le précédent. Le collage des bords a été renforcé par la pose de bandes de kraft gommé. ............................................................................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 72 Une couche d’intervention a été collée au revers de l’œuvre, maintenue sur table aspirante. ................ 2 Photographie personnelle

Figure 73 L’œuvre a été marouflée et la colle a été chassée. .................................................................................. 2 Photographie personnelle

Figure 74 Le mastic imite l’état de surface de la peinture et permet de mettre la retouche à niveau avec celle-ci. 2 Photographie personnelle

Figure 75 L’œuvre avant et après vernissage. ......................................................................................................... 2 Photographie personnelle

Figure 76 Gomme Dammar. .................................................................................................................................... 2 Photographie de Bénédicte Denin

Figure 77 Résine Regalrez® 1094. ......................................................................................................................... 2 Photographie de Bénédicte Denin

Figure 78 Le spectrocolorimètre. ............................................................................................................................ 2 Photographie de Bénédicte Denin

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ANNEXE 1 GLOSSAIRE A Armure (n. f.) : Mode d’entrecroisement des fils de chaîne et de trame, caractérisé par le nombre de fils de chaîne pris et laissés à chaque duite suivant un cycle déterminé 154, la répartition des liages, ainsi que la présence éventuelle de chaînes et de trames supplémentaires. Les armures principales sont de trois types : la toile, le sergé et le satin. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 506.

B Bâti à tableau (g. n. m.) : Structure périmétrique provisoire très résistante, faite de pièces longues et rigides, délimitant une surface en général fixe, utilisée lors des rentoilages par exemple, pour préparer la toile neuve. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 540.

Brûlé (adj.) : Se dit d’un textile devenu cassant155 et qui se déchire sous l’effet du moindre effort. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 522.

Chaque passage de navette, ou duite, forme la trame. Le rapport d’armure est le nombre de fils de chaîne et de trame composant le cycle. 155 La cause de cette altération est l’affaiblissement de la cellulose du textile qui a perdu sa souplesse : elle s’est hydrolysée et dépolymérisée. Son origine de type acide est variée : le textile peut avoir été tissé avec une fibre impure comportant des matériaux acides (fibres mal rouies) ; il peut être attaqué sur toute sa surface par l’acidité de l’huile, soit celle d’une préparation posée sans encollage, soit celle d’une peinture de protection contre l’humidité posée au revers ; il peut être altéré seulement sur les bords près du clouage, là où l’hydrolyse acide de la cellulose a pu se produire, catalysée par la rouille du fer des semences. Très fin, notamment dans la peinture française de la seconde moitié du XIXème siècle, le tissu peut ainsi être rapidement fragilisé. 154

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C Cadre (n. m.) : Objet spécifiquement réalisé pour entourer une œuvre ou un autre objet. Le cadre a un rôle esthétique de présentation et un rôle technique structurel qui est de supporter, maintenir et protéger. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 1142.

Cellulose (n. f.) : La cellulose est un polysaccharide dont le motif élémentaire est la cellobiose, composée de deux molécules de glucose. Les longues molécules linéaires sont assemblées pour former des fibrilles qui constituent les microfibrilles, elles-mêmes rassemblées en fibres. La cellulose est un homopolysaccharide associé à d’autres polymères comme les hémicelluloses (hétéropolysaccharide) et les lignines (polyphénols). Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 548.

Chaîne (n. f.) : Ensemble de fils placés les uns à côté des autres et ayant la longueur de la pièce de tissu. Source :

Brossard, Isabelle. Technologie des textiles. Paris : Dunod, 1997, p. 188.

Chanvre (n. m.) : Plante cannabinacée dont on tire, après rouissage, une filasse abondante. Les fibres de chanvre, très similaires à celles du lin, sont un peu plus courtes156. Il est constitué par 85 % de cellulose, 8 % de lignine et 7 % de cire et de pectine. Sa finesse et sa souplesse sont très faibles, inférieures à celles du lin. Sa résistance à la traction lui est cependant supérieure. Sa couleur est foncée : gris jaunâtre ou gris. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 498.

Brossard, Isabelle. Technologie des textiles. Paris : Dunod, 1997, p. 42-43.

Châssis à tableau (g. n. m.) : Structure périmétrique constituée de pièces longues et rigides 156

De 1 à 3 cm selon S. Bergeon et de 5 cm selon I. Brossard.

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délimitant une surface et permettant de tendre les supports souples qui y sont fixés. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 533.

Clef de châssis (g. n. f.) : Elément permettant l’écartement des montants du châssis, donc l’extension de sa surface conditionnant le réglage de la tension de la toile. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 539.

Contexture (n. f.) : Caractère clos ou ouvert d’un tissage, respectivement qualifié de serré ou de lâche157. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 514.

Coton (n. m.) : Bourre végétale de longs filaments fins et blancs tirés de la graine du cotonnier, arbrisseau de la famille des malvacées, originaire des régions chaudes d’Inde, d’Amérique et d’Afrique. Les fibres obtenues sont assez courtes158 et riches en cellulose. Les tissus de coton se déforment facilement. Le coton est constitué par 87 % de cellulose, de l’eau, des cendres, des protides, de la cire et des pectines. Il est susceptible de retenir une grande humidité : 8,5 % de sa masse en eau. La fibre de coton est fine, élastique et souple. Elle peut s’allonger de 5 à 8 % de sa longueur sans se rompre, à cause du vrillement. Sa couleur est blanc crème ou jaunâtre. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 498-499.

Brossard, Isabelle. Technologie des textiles. Paris : Dunod, 1997, p. 19-20.

Couche d’isolation (g. n. f.) : Couche de liant, généralement pur, posée sur la préparation avant la couche colorée159. La contexture dépend à la fois de la grosseur des fils et de leur nombre au centimètre. Un même nombre de fils au centimètre peut donner un tissage serré, si le fils est gros, ou lâche s’il est très fin. Une mousseline, une tarlatane ou une étamine correspondent à des tissages très lâches, avec un faible nombre de fils au centimètre. 158 De 1 à 5,6 selon S. Bergeon et de 1 à 4 cm selon I. Brossard. 159 Il peut ne pas y avoir de préparation proprement dite, comme dans le cas de certains supports de métal, la couche d’huile seule ou d’huile mêlée de vernis est directement posée sur le support comme un encollage, mais 157

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Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 372.

D Duitage (n. m.) : Nombre de duites pour une surface donnée. Source :

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/definition/.

Duite (n. f.) : Tiss. Longueur de fil que la navette conduit d’une lisière à l’autre dans le tissage d’une étoffe. Source :

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/definition/.

E Echarpe d’angle (g. n. f.) : Voir « Traverse d’angle ». Embuvage (n. m.) : Différence entre la longueur initiale du fil de chaîne et la longueur du tissu après insertion de la trame160. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 514.

Encollage (n. m.) : Couche de colle161 en général162 posée directement sur le support163 et située

toujours sous la couche colorée. En raison de son liant huileux, elle est quelquefois appelée couche d’isolation. 160 L’embuvage est faible si la tension appliquée à la chaîne au cours du tissage est forte. S’il est élevé, le tissu est extensible, épais et lourd. 161 En général de la colle de peau. 162 Il s’agit parfois d’un autre matériau que la colle stricto sensu. Il peut s’agir d’huile ou de mélanges oléo-résineux dans le cas des encollages de supports métalliques ou pierreux et de peinture murale. 163 Fluidifiée par chauffage modéré au bain-marie, la « colle de peau » peut ainsi pénétrer les matériaux poreux ; elle entre dans les pores du bois et rend celui-ci apte à recevoir la préparation blanche aqueuse, sans que l’eau de celle-ci ne fasse gonfler le support ; elle imprègne aussi les fibres des supports textiles. Dans le cas où la toile est recouverte d’une peinture à l’huile, la colle de peau protège les fibres cellulosiques de l’acidité de l’huile qui rend cassant le textile (par dépolymérisation de la cellulose). Dans la peinture murale, elle imprègne aussi le mur ou l’enduit, et les rend aptes à recevoir une peinture qui, grâce à elle, ne sera pas sujette à des embus. Nicolas VILLARD ∙ Conservation Restauration ∙ Spécialité Peinture de Chevalets ∙ Promotion 2014

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sous la préparation et la couche colorée. Elle pénètre le plus possible dans le subjectile et souvent améliore l’adhérence des couches ultérieures. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 366.

Epair (n. m.) : Aspect du papier observé par transparence et significatif de sa structure interne ; il est dit « fondu » lorsqu’il est régulier, « nuageux » lorsqu’il est irrégulier164. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 547.

F Feuille (n. f.) : Pièce plane165, d’épaisseur faible et régulière, le plus souvent de papier et alors de masse et de dimensions standardisées. Une feuille est en général souple et de format rectangulaire. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 546.

Feutre (n. m.) : Non-tissé (ou Intissé) de laine. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 493.

Fibre textile (g. n. f.) : Filament naturel d’origine animale (protéinique : laine, soie), d’origine végétale (cellulosique : coton, lin…), artificiel (organique ou d’origine minérale) ou synthétique, susceptible d’être utilisé pour former des fils résistants et souples propres au tissage ou au simple enchevêtrement. Source :

Diverses variations de la densité du papier peuvent être observées par transparence, qu’elles soient fonction du soin de la fabrication (défibrage et dispersion) ou volontairement produites par les filigranes et les vergeures, ou accidentellement comme les plis de séchage. 165 Elle est utilisée ainsi, ou mise en forme par pression, entre une forme et une contre-forme et avec de l’humidité, ou simplement fixée sur une forme (comme dans le cas des globes terrestres ou célestes). Le mot évoque la feuille de l’arbre, mince, elle aussi. 164

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Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 495.

Fil (n. m.) : Elément fin et allongé obtenu par simple dévidage (soie), étirage (métal, résines), ou faisceau de fibres assemblées par filage166. La régularité, la grosseur167, la torsion et le nombre de fils au centimètre168 déterminent les qualités des textiles. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 505-506.

G Grain du papier (g. n. m.) : Caractéristiques du toucher et de l’aspect du papier169. Le grain est dit « fin » lorsque le papier est lisse, « grossier » lorsqu’il est rugueux. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 547.

Grammage (n. m.) : Masse170 par unité de surface exprimée en grammes par mètre carré. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 547.

H La méthode d’assemblage des fibres consiste à les enrouler les unes autour des autres en leur conférant une torsion en forme de « Z » ou de « S ». Plus la fibre est courte, plus le fil obtenu est gros ; la torsion des fils donne de l’élasticité au textile. L’obtention du fil ou filage, fréquemment réalisé dans une filature, exige souvent l’apprêt des fibres (encollage). Un ensemble de fibres constitue un brin ; un ensemble de brins constitue un toron ; un ensemble de torons assemblé par torsions contrariées forme un fil retors. Le filage ancien, à la main, donne des fils irréguliers. C’est le cas de la laine, aux fibres courtes peignées. Le filage mécanique moderne produit des fils réguliers. Son origine remonte au Spinning Jenny mis au point pour le coton, en 1764, par Hargreaves. 167 La grosseur d’un fil s’exprime en tex (1 tex = 1 g.km-1), unité de mesure qui rend compte de sa masse linéique ou titre. 168 Celui-ci n’a pas de sens si l’on ne donne pas en même temps la grosseur du fil ; ces deux notions révèlent la contexture (effet clos ou ouvert du tissage). 169 Le grain est fonction de la finesse des particules dispersées dans la pâte, de la présence de charge ou non, du calandrage de la feuille ou de certaines opérations de finition, tel l’estampage qui peut lui donner une texture « toilée », striée, etc. L’artiste choisit son papier (et donc le grain de celui-ci) en fonction de la technique, liquide ou non, qu’il souhaite employer et du résultat, fouillé ou esquissé qu’il désire. 170 Plus cette masse est élevée, plus le papier est épais ou résistant. La notion n’est couramment utilisée que pour les papiers industriels d’épaisseur régulière. 166

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I Intissé (n. m.) : Voir « Non-tissé ».

J K L Liage (n. m.) : « Croisement des fils de chaîne et des fils de trame pour la constitution d’un tissu » (Lar. Encyclopédique). Source :

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/definition/.

Lin (n. m.) : Plante herbacée dont la tige fournit, après rouissage, des fibres (cellulosiques) longues171 peu sujettes à élongation. Le lin est composé par 72 à 82 % de cellulose, 15 à 20 % de pectone172 [sic], 2 à 3 % de cire. La finesse de la fibre de lin est très grande. La souplesse du lin est moyenne, son élasticité faible. La couleur varie selon les espèces et le mode de rouissage. Sources :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 495.

Brossard, Isabelle. Technologie des textiles. Paris : Dunod, 1997, p. 35-36.

Lisières (n. f. pl.) : Fils de chaîne placés à chaque extrémité : ces fils sont souvent plus gros ou plus rapprochés afin de consolider le tissu pendant les différentes manipulations (blanchiment, teinture, impression, apprêt). Source :

Brossard, Isabelle. Technologie des textiles. Paris : Dunod, 1997, p. 188.

M Mise en carte (g. n. f.) : Représentation schématique de l’armure, elle s’effectue sur un papier quadrillé.

De 2,5 à 4 cm selon S. Bergeon, de 15 à 20 cm selon I. Brossard. Il pourrait s’agir de la pectose (insoluble dans l’eau) qui soude les fibres de lin entre elles, ou de la pectine (soluble dans l’eau), produit du rouissage. 171 172

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Source :

Brossard, Isabelle. Technologie des textiles. Paris : Dunod, 1997, p. 196.

Montants de châssis (g. n. m. pl.) : Eléments allongés et rigides dont l’assemblage forme périphériquement le châssis à tableau. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 538.

N Non-tissé (n. m.) : Nappe de fibres enchevêtrées173, réparties soit au hasard, soit selon une direction privilégiée et assemblés par des procédés physiques, chimiques ou physicochimiques174, à l’exclusion du tissage ou du tricotage. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 515.

O P Papier175 (n. m.) : Matériau homogène constitué de fibres cellulosiques dissociées par défibrage

S’il s’agit de laine ou de soie, par exemple, dont les fibres à paroi externe à structure en écailles favorisent l’enchevêtrement, le non-tissé constitue une étoffe souple : un feutre. S’il s’agit de cellulose, les fibres constituent une feuille souple : un papier. L’association moderne des producteurs de non-tissé exclut naturellement le feutre et le papier de sa définition technico-commerciale. 174 La fabrication de non-tissé passe par la formation de la nappe, sa consolidation et, souvent, comme dans un textile, par sa finition qui ennoblit le produit fini et lui donne ses caractéristiques propres, tant pour son aspect que pour ses propriétés de surface. Les non-tissés les plus courants sont thermo-liés (fibres de résine synthétique associées par la chaleur) : la nappe est formée de fils de polymère, souvent du polyester ou du polyamide, fondus et issus d’une extrudeuse ; ces fils sont plaqués grâce à une presse ; les filaments en fusion se croisent et refroidissent ainsi interpénétrés, d’où la forte résistance des non-tissés qui les rend aptes à jouer un rôle de renfort intermédiaire dans la réparation des déchirures. 175 […] Le type de papier dépend de la composition fibreuse, des charges et adjuvants divers et de la nature du traitement de surface. Les papiers ayant beaucoup varié dans leur nature physico-chimique, il est plus pertinent de les classer par leurs fonctions, leurs apparences et leurs appellations. […] 173

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(pour former une pâte176) puis réassemblées177, le plus souvent sous forme de feuilles178. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 544-546.

Papier à la forme (g. n. m.) : Papier fabriqué manuellement constitué d’une pâte de chiffon recueillie dans une cuve basse avec une forme et une couverte qui donnent son format à la feuille dont l’épaisseur dépend de la quantité de pâte recueillie. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 553.

Papier calandré (g. n. m.) : Papier qui, à l’issue de sa fabrication sur la machine à papier, est passé dans une calandre. Le papier calandré présente un aspect lisse satiné, ou parfois à texture, selon les motifs que porte la calandre. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 558.

Papier toilé (g. n. m.) : Papier dont un ou les deux côtés présentent une surface dont la texture rappelle celle d’un textile. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 559.

Papier vergé (g. n. m.) : Papier179 présentant, dans son épaisseur, un réseau de lignes La pâte à papier est le stade intermédiaire du traitement de la matière première du papier ; elle est produite par des usines ou des ateliers qui traitent le chiffon ou le végétal pour obtenir des fibres à l’état individuel. 177 Matière préparée plus ou moins fluide, puisée à l’aide d’une forme (tamis) ou coulée dans la machine à papier, pressée et séchée (avec une couverte dans la forme ou entre les rouleaux d’une machine à papier) pour former une feuille ou un rouleau de papier. Le papier ne doit pas sa cohésion au simple enchevêtrement ou feutrage des fibres, mais à de fortes liaisons chimiques (de type liaisons hydrogène), soit directement entre les groupes hydroxyles des fibrilles, soit par l’intermédiaire de molécules d’eau. Il reste d’ailleurs de l’eau, dite « colloïdale », piégée au sein de la structure cellulosique, en sus de l’eau capillaire qui se fixe ou s’évapore au gré du climat auquel est soumis le papier. 178 La feuille (ou le rouleau) est le produit final sortant de l’atelier ou de l’usine qui traite la pâte à papier de manière à réassocier intimement les fibres préalablement libérées. 179 Le plus souvent un papier à la forme, mais il en existe aussi des imitations mécaniques modernes, obtenues par un calandrage spécial. 176

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orthogonales (plus claires, par transparence, car la matière cellulosique y est moins dense), traces des vergeures et des fils de chaînettes de la forme180. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 555.

Pâte à papier181 (g. n. f.) : Matière fibreuse, en dispersion aqueuse ou en poudre, destinée à la fabrication du papier et constituée essentiellement de cellulose. Les adjuvants182 les plus courants sont des colles ou des charges, mais la pâte à papier peut être constituée d’un mélange plus complexe contenant bien d’autres adjuvants. Elle peut être raffinée et blanchie. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 548-549.

Pâte chimique (g. n. f.) : Pâte de bois obtenue par défibrage chimique alcalin ou acide. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 552.

Pâte de bois (g. n. f.) : Pâte à papier constituée de fibres provenant du bois183, souvent de résineux. On distingue principalement les pâtes mécaniques et les pâtes chimiques. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 551.

Pâte de chiffon184 (g. n. f.) : Pâte à papier fabriquée à partir de tissus, traditionnellement de lin ou de chanvre, plus récemment de coton ou de jute et de ramie. Source :

Pontuseaux. Définition valable pour les pâtes à papier occidentales, à fibres courtes. 182 Les adjuvants, appelés quelquefois « internes » afin de les différencier des matériaux de revêtement, sont des substances volontairement ajoutées à la pâte pour modifier ses caractéristiques. 183 Le bois comprend deux groupes de substances bien différentes : celui de la cellulose et celui des matières incrustantes (lignine, matières pectiques et cireuses, matières isolantes et tannantes). 184 Rare de nos jours, le papier issu de pâte de chiffon, produit de grand luxe, est très résistant car les fibres textiles sont de la cellulose pure déjà débarrassée des lignines, quand il y en a, et des hémicelluloses. Le degré de polymérisation de la cellulose pure protège celle-ci de l’action des agents extérieurs. 180 181

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Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 550.

Pâte mécanique (g. n. f.) : Pâte de bois obtenue par défibrage mécanique en milieu aqueux, à partir de rondins ou de copeaux. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 551.

Pâte mi-chimique de bois (g. n. f.) : Pâte à papier issue du bois obtenue par double action d’un agent chimique et d’une force mécanique. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 552.

Pâte mixte (g. n. f.) : Pâte à papier mélangeant pâte mécanique (de bois) et pâte de chiffon. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 552.

Préparation (n. f.) : Strate de la couche picturale185, simple ou multiple, composée d’un liant et d’un ou plusieurs pigments (dont certains sont appelés charges). Son rôle est de rendre le support apte186 à recevoir la couche colorée. Elle est conçue absorbante ou non. Le plus souvent opaque, la préparation est blanche ou colorée et peut participer à l’effet coloré final. Sollicitée par les mouvements du support, la préparation est le siège d’un réseau de craquelures dites « d’âge » ou « de préparation », d’autant plus prononcé qu’elle est épaisse et rigide. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 368.

La préparation se trouve au-dessus de l’encollage et au-dessous de la couche colorée. La préparation est spécifique du support. Elle peut avoir un rôle isolant (sur le métal), mais elle est le plus souvent régularisatrice de planéité (sur la toile) ; elle peut être, par sa structure complexe (épaisse et comprenant des matériaux noyés), un retardateur des effets sur la couche picturale des mouvements du support (toile noyée dans une préparation épaisse sur du bois). 185 186

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Q R Rapport d’armure (g. n. m.) : Nombre de fils de chaîne et de trame nécessaires pour la reproduction de l’armure : c’est la plus petite configuration du tissu. Il est schématisé par une mise en carte. Source :

Brossard, Isabelle. Technologie des textiles. Paris : Dunod, 1997, p. 188.

Rouleau de papier (g. n. m.) : Très longue feuille de papier produite en continu par une machine à papier autour d’un mandrin puis enroulée autour d’un axe. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 547.

S Support textile (g. n. m.) : Support souple constitué de fils soit entrecroisés, dits « tissés187 », soit enchevêtrés ou compressés, dits « non-tissés ». Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 492-493.

T Tissage (n. m.) : Action d’entrecroiser des fils généralement orthogonalement188, ceux-ci forment alors la chaîne et la trame189 du tissu190. La largeur d’une bande de tissu, de lisière à C’est-à-dire formant un tissu. Celui-ci est surtout caractérisé par son armure en fonction de laquelle il reçoit une dénomination, mais aussi par la grosseur du fil et par le caractère clos (drapelet) ou ouvert (mousseline) de son tissage. 188 L’entrecroisement des fils obtenu sur un métier à bras produit un tissage irrégulier ; il est beaucoup plus régulier sur un métier mécanique ; on parle alors de « tissage mécanique », appellation courante à partir du XIXème siècle ; l’origine en est la machine à tisser mise au point par Cartwright en 1770. 189 La trame est formée par chaque passage de la navette ou duite. Dans un tissu, il peut y avoir plusieurs chaînes et plusieurs trames. Lorsque les fibres des deux nappes, de chaîne et de trame, sont de nature différente, le tissu porte souvent un nom spécifique. Un tissu métis, par exemple, est un tissu à chaîne de lin et trame de coton. 190 La texture (mot dérivant de textile) du tissu désigne son état de surface (lisse, à reliefs…). 187

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lisière, est un lé191. Un tissu est caractérisé par son armure, sa contexture et son embuvage. Sa surface peut être foulée. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 506.

Titrage (n. m.) : Le titrage d’un fil consiste à lui donner un numéro qui indique sa grosseur. Le diamètre du fil étant trop petit pour être mesuré, le calcul du numéro sera établi suivant le rapport entre la masse et la longueur. Ce calcul est différent selon les textiles. L’unité de mesure internationale du titrage est en tex. Source :

Brossard, Isabelle. Technologie des textiles. Paris : Dunod, 1997, p. 161-162.

Toile (n. f.) : Armure produite par le passage en alternance régulière de la trame sur un fil de chaîne puis sous un autre à chaque duite (1 pris, 1 laissé) et décochement de un d’une duite à l’autre. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 507.

Trame (n. f.) : Fils perpendiculaires aux fils de chaîne et s’entrecroisant avec eux. Source :

Brossard, Isabelle. Technologie des textiles. Paris : Dunod, 1997, p. 188.

Traverse d’angle (g. n. f.) : (Ou écharpe d’angle) Courte pièce de bois posée en diagonale et clouée sur deux éléments périmétriques contigus d’un châssis. Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 538.

Traverse de châssis (g. n. f.) : Pièce allongée et rigide située192 à l’intérieur du châssis à tableau pour le renforcer193. Egalement appelé le « large » ; du latin latra. […] Un châssis à tableau peut avoir ou non des traverses de châssis. Il peut y avoir une traverse simple, des traverses doubles, parallèles ou croisées, multiples, diagonales, etc. 193 Les traverses de châssis sont assemblées avec les montants de châssis. 191 192

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Source :

Bergeon Langle, Ségolène, Curie, Pierre. Peinture et dessin : vocabulaire typologique et technique. Paris : Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2009, p. 538.

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ANNEXE 2 II.1. Diagnostic Détaillé : Eléments d’assemblage II.1.1. Châssis L’état de conservation du châssis est mauvais. Il ne remplit pas son rôle de support de tension du support textile au sein du montage actuel, et ne pourrait probablement pas le remplir dans un montage viable. Ses caractéristiques autant que ses altérations le rendent obsolète. L’équilibre d’un châssis dépend de plusieurs données et pour commencer, le bon agencement de ses éléments les uns par rapport aux autres. L’état d’équilibre suppose la symétrie pour un format rectangulaire (donc d’équerre) et celle-ci ne s’applique pas seulement aux dimensions, mais aussi aux caractéristiques mécaniques, donc au matériau employé. En l’occurrence, le châssis n’est pas équilibré parce que les éléments qui le constituent sont dissemblables, que ce soit de par leur nature (montant résineux et montants feuillus), leurs dimensions ou leur disposition les uns par rapport aux autres (équerrage). La tension que le châssis doit supporter est le second aspect à prendre en compte. C’est à partir de cela que la robustesse exigée du châssis doit être calculée. Celle-ci dépend du matériau constitutif des montants, de leurs dimensions (longueur, largeur et épaisseur), de leur assemblage ainsi que des éventuels pièces de renfort (traverses, écharpes). Le châssis du montage est peu robuste de par ses dimensions notamment et son assemblage, et ceci explique certaines de ses altérations. Il est inadéquat pour supporter le papier marouflé sur une toile. Le type d’assemblage joue à la fois sur la répartition des contraintes au sein du châssis, mais aussi sur la mobilité de celui-ci : l’assemblage est fixe et ne peut donc être adapté aux éventuelles variations dimensionnelles du support de marouflage. Enfin, l’absence de chanfrein crée un contact entre une partie de la surface du revers du support textile et le plat de chaque montant. Généralement, cela se répercute sur la couche polychrome par divers types d’altérations, marques et craquelures notamment. La fonction du châssis exige des qualités mécaniques. Celles-ci sont altérées par les interactions entre le châssis, et les autres éléments du montage, ainsi que les interactions avec l’environnement de conservation de l’ensemble. 194

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L’infestation par les insectes xylophages est une interaction de type biologique. Le bois constitutif du châssis est une source nutritive pour un organisme vivant. Cela conduit à terme à un affaiblissement mécanique par destruction de matière. La présence de champignons est du même type. Selon leur espèce, ils dépendent de conditions bien particulières de développement. Mais la quantité très limitée de ces derniers suppose un développement bénin. Le gauchissement des montants et les fentes résultent d’une tension trop forte pour le châssis : il s’agit d’une interaction de type mécanique avec le support textile induite par un déséquilibre entre la faiblesse du châssis et la forte contrainte imposée par le papier marouflé sur le support textile. La poussière et les usures du châssis sont les conséquences respectives d’un mauvais entretien et de mauvaises manipulations. Ce sont les résultats d’un environnement de conservation inadéquat. La perte de la traverse de l’angle inférieur dextre y est liée. Nous ne saurions dire pourquoi le montant supérieur a été remplacé, ni quand. Il se pourrait qu’il ait subit un dommage sévère nécessitant son remplacement. II.1.2. Cadre L’état de conservation du cadre est mauvais. Sa fonction esthétique est altérée par diverses dégradations et son assemblage est défectueux. Une fonction structurelle superflue lui a été attribuée. Il nous est difficile de dire si l’assemblage a été altéré au cours de l’histoire de l’œuvre, mais en l’état actuel, il est insatisfaisant. Sa fonction structurelle est inutile : le cadre ne devrait pas servir à fixer le support de marouflage. L’infestation par des insectes xylophages, comme pour le châssis, est une altération biologique destructive, nuisible à son intégrité et à sa fonction esthétique. La poussière, les usures et les lacunes de bois sont les conséquences respectives d’un mauvais entretien et de mauvaises manipulations, donc d’un environnement de conservation inadéquat. Les trous de clous sont dus à la mise en œuvre, ils ne sont pas réellement des altérations, mais leur visibilité nuit à la fonction esthétique du cadre, comme les altérations précédentes.

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II.1.3. Clous et semences L’état de conservation des clous et des semences est mauvais. Bien qu’ils remplissent parfaitement leur fonction mécanique de fixation dans le montage actuel, leurs altérations les rendent inutilisables dans le cas d’un montage viable. Leur situation dans le présent montage est inappropriée. Les semences devraient être fixées selon un espacement régulier sur les rives externes du châssis uniquement et sur les bandes de rabat du support textile. Les clous ne devraient pas servir à fixer ce dernier. Ils doivent servir à fixer ou consolider les éléments en bois du montage. Un tel emploi des clous et des semences ne peut être que « de secours » et non un emploi définitif. Il a pu être réalisé alors que la toile et le papier étaient déjà en mauvais état. On voit bien qu’il a existé un mode de fixation adéquat auparavant grâce aux anciens trous de semences sur les rives externes du châssis. Leurs altérations découlent d’interactions physico-chimiques avec l’environnement de conservation. La rouille est le produit de l’oxydation du fer par l’humidité. Elle modifie les propriétés de résistance mécanique de ces éléments et les rend cassants. D’autre part, la rouille diffuse dans les matériaux en contact et catalyse d’autres réactions. II.1.4. Adhésif de marouflage L’état de conservation de l’adhésif de marouflage est insatisfaisant. Sa fonction de liaison entre le système original et le système support de marouflage n’est pas totalement assurée. Il est difficile de dire si c’est la conséquence d’une altération de l’adhésif ou d’une mise en œuvre défectueuse puisque ni l’un ni l’autre ne peuvent être connus de façon précise. Tout ce qu’il est possible de faire en l’état actuel, c’est de tester l’adhérence, et celle-ci n’est pas satisfaisante du fait de son hétérogénéité. Le fait que l’adhérence soit hétérogène et que les bords du papier soient décollés par endroits peut résulter à la fois d’une dégradation des propriétés de l’adhésif par vieillissement

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physico-chimique, par vieillissement mécanique ou fatigue mécanique mais aussi d’une mise en œuvre défaillante. Nous serions tentés d’attribuer à cette dernière une large insuffisance, non pas en raison des décollements périphériques, les bords étant les plus exposés aux interactions physico-chimiques et mécaniques, mais justement en raison de l’hétérogénéité de l’adhérence en diverses zones, mais aussi parce que d’autres indices dans le montage laissent penser à un manque de rigueur dans la mise en œuvre.

II.2. Système « support de marouflage » II.2.1. Support textile L’état de conservation du support textile est mauvais. Sa fonction de support de renfort et de soutien du système original n’est pas assurée de façon satisfaisante. Les causes proviennent de ses caractéristiques propres, aggravées par des altérations de type mécaniques et physico-chimiques, débouchant sur un affaiblissement de ses propriétés mécaniques. Un support textile de renfort idéal doit être plus « fort » que le support original. C’està-dire que celui-ci ne doit pas imposer ses contraintes et ses mouvements au renfort. Il doit aussi avoir un tissage régulier, pour une meilleure répartition des tensions dans le textile, et serré, pour la même raison, et pour la résistance accrue à la traction, ainsi que pour une question d’état de surface, certes secondaire. Le support de marouflage est ici composé de fils trop fins, trop irréguliers, tissé trop lâchement. Il est intrinsèquement trop peu résistant pour être le support du système original. Ses altérations le rendent encore plus insuffisant, obsolète même. Son obsolescence est causée par les déchirures qui l’affectent. Ces déchirures sont probablement dues à des conditions de conservation et des manipulations insécurisées, plutôt qu’à des contraintes mécaniques fortes au sein du montage qui auraient provoqué son éclatement, mais nous n’en sommes pas certains. Les bords de tension sont dans un mauvais état du fait de la combinaison des effets du vieillissement physico-chimique des fils, de leur dégradation lors des mises en tension consécutives et probablement d’un mauvais environnement de conservation. En l’état actuel, ils ne peuvent remplir leur fonction particulière au sein du textile, c’est-à-dire de prise

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permettant de tendre le textile et de zone de fixation au châssis. Ils sont aussi révélateurs de l’état de l’ensemble de la pièce de textile, d’autant que celle-ci est plus exposée à la réaction acido-basique entre les produits acides de réaction de l’huile des préparations et de la couche polychrome. L’ensemble du textile, déjà fragile de base, l’est encore plus du fait des altérations. Les déformations générales ou l’absence de planéité du support textile résultent d’interactions mécaniques avec les autres éléments du montage et avec l’environnement de conservation. Elles sont dues à un manque de tension du textile, à des mouvements mécaniques dus aux variations d’humidité relative et de température de l’environnement et probablement aux contraintes imposées par le support original, lui-même soumis aux conditions climatiques de l’environnement de conservation. Si cela équivaut à une déficience fonctionnelle, l’impact négatif est aussi esthétique. Bien qu’il soit difficile à mesurer, un fluage du support textile est probablement aggravé par le manque de tension et les ruptures de tension au sein de celui-ci. Le fluage est causé par la pesanteur. Les guirlandes de tension apparaissent après un décatissage ou un encollage du support textile. Elles indiquent l’hétérogénéité de la tension. Ce sont des altérations liées à la mise en œuvre. Dans un marouflage, on cherche au maximum un équilibre des tensions. Les guirlandes nuisent à cela. La poussière et la crasse sont les conséquences d’un mauvais entretien et d’un environnement de conservation inadéquat. II.2.2. Encollage L’état de conservation de l’encollage est inconnu. En l’état actuel, nous ne pouvons évaluer l’adhérence de la préparation au support textile. Il est possible qu’un encollage insuffisant soit la cause de la dégradation physico-chimique de la toile par le liant de la préparation et de la peinture. Il est aussi nécessairement affecté par les variations dimensionnelles de la toile et correspond à une zone de rupture potentielle de l’adhésion des strates supérieures au textile, relativement inertes. La présence de guirlandes de tension semble indiquer que l’encollage a été réalisé lorsque la toile était tendue sur le châssis.

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II.2.3. Préparation rouge L’état de conservation de la préparation rouge est inconnu. Nous ne pouvons ni évaluer son adhésion au support textile encollé, ni sa cohésion, et n’avons pas accès à l’ensemble de la couche picturale pour recueillir des indices sur son état. Les préparations rouges, même grasses, sont réputées pour les complications qu’elles entraînent lors des restaurations194. Les cas de pulvérulence et de clivages entre strates sont les plus connus. Ils seraient dus à la nature partiellement argileuse des pigments employés195. Sa présence sur l’un des montants du châssis nous indique que celui-ci est d’origine, et semble confirmer que l’artiste a encollé sa toile alors tendue sur le châssis. II.2.3. Préparation grise L’état de conservation de la préparation grise est inconnu. Nous ne pouvons ni évaluer son adhésion à la préparation rouge, ni sa cohésion, et n’avons pas accès à l’ensemble de la couche picturale pour recueillir des indices sur son état. II.2.4. Couche polychrome L’état de conservation de la couche polychrome est inconnu. En l'état actuel, il est difficile de juger de l'état de conservation de cette couche picturale, du fait de son inaccessibilité. On peut simplement constater qu'en bord de toile, cette couche a tendance à s'écailler parce qu'elle n'est pas véritablement supportée, elle est donc sujette à diverses manipulations pouvant engendrer des altérations mécaniques. En revanche, l'observation de l'écaille flottante, prélevée au sein d'une déchirure causée par enfoncement, par le biais du compte-fils, révèle une bonne adhésion des couches les unes par rapport aux autres. Les contraintes de cisaillement affectent plutôt l'interface préparation rouge / support toile, dans l'ensemble de cette stratigraphie. Sa fonction au sein d’un support de marouflage est superflue. Celui qui a marouflé le support original sur cette couche polychrome a donc sacrifié sa fonction esthétique. De toute évidence, le marouflage du support original sur ce support préparé et peint répond à l’urgence Duprez, Elena. Etude historique et technique des préparations rouges à travers la restauration d’un tableau du XVIIème siècle peint d’après Vénus et Vulcain de l’Albane. Mémoire de l’INP, Promotion 1982, p.26. 195 Idem, p.26. 194

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ou à la nécessité, en l’absence d’autres moyens, ou alors par souci économique de récupération d’un objet inutile, ce qui supposerait que cette peinture sur textile a été jugée comme telle par celui qui a procédé au marouflage. On peut se demander si l’artiste ayant peint sur le textile est l’artiste qui a réalisé la peinture sur papier. On peut aussi se demander quand la peinture sur textile a été touchée par le peintre pour la dernière fois, et quand il a procédé au marouflage. Par-là, on veut savoir si le marouflage a été réalisé sur une peinture fraîche, ce qui peut entraîner des complications au moment du démontage, ou sur une peinture « sèche ».

II.3. Système « original » II.3.1. Support papier L’état de conservation du papier est relativement mauvais. Nous qualifions ainsi principalement la sévérité de ses altérations, et non la conservation de ses propriétés mécaniques que nous ne pouvons évaluer en l’état. Sa fonction structurelle de support plan et intègre pour la peinture originale n’est pas assurée. Le support papier et le support textile sont rendus interdépendants par le biais de l’adhésif de marouflage. Il y a interaction mécanique entre ces deux éléments, chacun étant en interaction avec les conditions de température et d’humidité relative de l’environnement de conservation. Leurs comportements mécaniques respectifs sont intriqués. Ainsi nous avons déjà évoqué l’éventuelle domination du comportement du papier du fait de ses caractéristiques, de façon intuitive, non-scientifique. Il semble que le papier ait contraint la toile tout au long de leur histoire commune. Avec une tension correcte, un support de renfort insuffisamment « fort » est déformé par un papier plus fort qui lui est collé. On imagine facilement qu’en l’absence d’une tension correcte, comme c’est le cas pour notre montage dans son état actuel, ces déformations seront d’autant plus marquées. Nous estimons que l’absence de planéité est aggravée par le déséquilibre entre le papier et le support textile, par le manque de tension, et par les déchirures, provoquant des discontinuités de tension au sein du support textile et du papier, et donc par des comportements chaotiques. Les déchirures communes au papier et au support textile ont donc des causes communes, à savoir des conditions de conservation et des manipulations insécurisées. Deux déchirures sont

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propres au papier. Nous en déduisons qu’elles sont antérieures au marouflage de l’œuvre. En sont-elles la raison ? Pas nécessairement. Le marouflage n’a pas qu’une fonction de consolidation, mais aussi une fonction de renfort contraignant pour le support original, ainsi qu’une fonction esthétique valorisante : une peinture sur papier, quasiment en deux dimensions, devient un objet en trois dimensions, avec tout ce que le montage symbolise dans la complétude d’une œuvre. Les déformations locales sont dues à des chocs donc au type de causes identique au type de causes des déchirures affectant le textile et le papier. Les lacunes correspondant à des zones en bord de déchirure ou en bord de papier sont consécutives à la fragilisation de celui-ci à long terme et peut-être lors de manipulations insécurisées. L’origine des lacunes internes est difficile à identifier. Les pliures du papier n’affectant pas la toile, elles sont aussi antérieures au marouflage. Les perforations sont liées au mode de fixation inadéquat. Le mode de fixation ne devrait pas affecter le support original en l’occurrence. C’est une altération liée à la mise en œuvre. La nature du papier et la nature du liant sont chimiquement incompatibles. A long terme, les caractéristiques mécaniques du support papier vont se dégrader à cause de ces interactions. Le papier a été découpé, probablement par l’artiste, peut-être pour l’adapter au format de la toile et pouvoir ainsi le maroufler. II.3.2. Couche polychrome L’état de conservation de la couche polychrome est globalement bon. Elle présente une bonne cohésion et une bonne adhésion au support papier. Il existe une incompatibilité mécanique et physico-chimique (dont nous avons parlé plus haut) entre le papier et le liant de la peinture. Le papier se dilate lorsque l’humidité relative croît, alors que la couche polychrome est relativement inerte. C’est peut-être la cause de ces micro-craquelures que l’on observe au compte-fil. Elles sont probablement l’équivalent pour les peintures sur papier des craquelures d’âge des peintures sur textile préparé. Les craquelures prématurées sont causées par une mauvaise mise en œuvre des matériaux, en rapport avec la siccativité de deux couches (voire plus) superposées, lorsque la couche inférieure est insuffisamment sèche au moment où celle du dessus est appliquée. D’autant plus si cette dernière contient un siccatif.

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Les frisures ont des causes identiques. La couche polychrome est affectée par les déchirures propres au papier. Nous en déduisons qu’elles sont postérieures à l’achèvement de la peinture sur papier. De la même façon, les plis du papier affectent la peinture. Ce sont donc des manipulations postérieures à l’achèvement du travail du peintre et antérieures au marouflage. Les usures et les lacunes de couches picturale sont liées aux déchirures et aux mauvaises conditions de conservations et aux manipulations insécurisées. Certaines lacunes sont difficilement explicables. Elles sont clairement délimitées, comme si une écaille manquait. Cependant, de telles écailles ou de telles craquelures ne sont observables nulle part ailleurs. Il est possible que ces lacunes résultent d’un choc superficiel. II.3.3. Vernis L’état de conservation du vernis est mauvais. Sa fonction esthétique et protectrice n’est plus assurée. Sa mise en œuvre était en soi insatisfaisante. Il a été appliqué de manière irrégulière, et des coulures ont séché. Le vernis, couvrant toute la surface de la peinture et n’ayant pas débordé sur les bandes de rabat du support textile, a peut-être été appliqué avant le marouflage du support papier, sans certitude cependant. Les principales altérations du vernis ont été causées par des processus physicochimiques, notamment par photo-oxydation. Son jaunissement ainsi que le chancis et probablement les blanchiments et les brunissements en sont les conséquences. Le jaunissement en est à un stade très avancé. Il semble qu’il s’agisse du vernis original de l’œuvre. Les déplacages de vernis y sont probablement liés aussi, conjointement avec les différences entre le comportement mécanique du vernis, quasiment inerte, et le comportement du papier et de la peinture. Il est intéressant de remarquer que la rupture se situe à l’interface peinture / vernis, qui ont un comportement relativement similaire, et non à l’interface papier / peinture. Est-ce à dire que l’adhésion de la peinture au papier est bonne ? Ou simplement plus forte que l’adhésion du vernis à la peinture ?

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Les moisissures sont des altérations de type biologique et destructives de matière comme nous l’avons vu. Une humidité relative trop élevée combinée à une certaine température en est sans doute la cause. Il faut noter que les réserves dans lesquelles se trouvait cette œuvre étaient dans un bâtiment ancien, une bâtisse en pierre pas encore modernisée.

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ANNEXE 3 FICHES TECHNIQUES

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