DETACHED ACTIVISTS - ENGAGED OBSERVERS
SOMMAIRE
Programme p. 3 Introduction par Charlie Jeffery p. 4 Interview de Patrick Keiller p.6 Artistes p.10 Mobiliers p. 21 Hors les murs p.22 Bibliographie p.24 Plan p.25
PROGRAMME
Vernissage le 11 octobre à 19H Exposition du 14 octobre au 8 novembre 2013 Chaque semaine un film est projeté dans la Galerie - Du 14 au 19 octobre : London de Patrick Keiller, 1993 - Du 21 au 26 octobre : The girl Chewing gum de John Smith, 1976 - Du 28 au 2 novembre : Robinson in space de Patrick Keiller, 1997 - Du 4 au 9 novembre : La sixième face du pentagone de Chris Marker, 1967 Le jeudi 24 octobre 2013 Conférence Le flâneur est indestructible, par Thierry Davila, historien de l’Art http://www.mamco.ch/ Introduction par Michaël Batalla, enseignant à l’École Spéciale Le jeudi 7 novembre 2013 Projection exceptionnelle de Sans Soleil un film de Chris Marker, 1983 Performance des étudiants de l’atelier d’art avec Thierry Madiot sur The great Learning Paragraph seven de Cornelius Cardew
INTRODUCTION PAR CHARLIE JEFFERY
Nous marchons dans des rues, nous marchons dans des bâtiments, nous passons à travers des champs, nous traversons des paysages. Nous nous retrouvons dans l’entre-deux ; zones de villes et de banlieues, terres de rive entre banlieues, zones industrielles et campagne, entre paysage apprivoisé et lieux sauvages.
We walk in streets, we walk in buildings, we cross through fields, we traverse landscapes. We find ourselves in the in-between; zones of cities and suburbs, the edgelands between suburbs, industrial zones and country side, between the tamed landscape and the wild places.
Nous nous trouvons marchant dans les rues, nous passons à travers des bâtiments, nous traversons des champs, nous marchons dans le paysage. Nous nous promenons vers l’entre-deux des terres de rive de la ville, zones industrielles péri-urbaines. Nous passons au travers du paysage apprivoisé et sauvage.
We find ourselves walking in streets, We cross through buildings, we traverse fields, we walk in the landscape. We walk ourselves into the in-between zones of city edgelands, suburban industrial zones. We pass through the tamed and wild landscape.
Que voyons-nous ? Qu’y a-t-il devant nos yeux ? Notre vision est-elle éveillée par les espaces que nous rencontrons ? Comment notre corps se positionne-t-il dans cette rencontre ? Comment l’histoire et la mémoire affectent-elles ce que nous voyons et ce que nous ne voyons pas ? Comment les événements politiques passés et les décisions politiques et économiques présentes affectent-ils le paysage et notre possible participation ? Les artistes dans cette exposition considèrent ce vaste terrain. Ils regardent des événements particuliers, tentent de donner forme à des événements particuliers, créent des événements particuliers, certains visibles et pérennes, d’autres invisibles et imperceptibles.
What do we see? What is before our eyes? Does our vision engage with the spaces we encounter? Do our bodies take a particular position in the action of this encounter? How does history and memory affect what we see or do not see? How do past political events and current political and economic decisions affect the landscape and our possible participation with in it? The artists in this exhibition consider this vast terrain. They look at particular events, try to shape particular events, create particular events, some visible and lasting, others unseen and imperceptible. In some instances they simply capture and record these events, in others they project future events.
Dans certains cas ils capturent et enregistrent simplement ces événements, dans d’autres en projettent de futurs. Nous pourrions considérer l’espace de la galerie comme un paysage pouvant être lui-même négocié, où le visiteur doit être décideur et s’engager avec ce qui est présent autour de lui. Un site qui lui offre du temps, de l’espace, il peut y venir un temps, s’asseoir et écouter, se lever et regarder, s’allonger et lire, observer et penser, marcher et réfléchir, discuter ou rester silencieux. L’espace de l’exposition vit quand il en traverse les frontières et l’investit, en devient partie intégrante. À l’intérieur de cet espace nous pouvons nous demander : Qu’est-ce qui est tenu pour acquis ? Est-il possible de changer quelque chose juste en le regardant ? L’acte de regarder peut-il changer ce qui est vu ? Modifions-nous un espace en le traversant ? L’observation est-elle une forme d’engagement ? Nous pourrions dire : Se mouvoir dans l’espace crée de la pensée. Regarder le paysage le change. En faire partie l’active. On peut espérer que ceci est en partie vrai. On peut espérer que ceci va en partie arriver. On peut espérer que ceci en partie se passe véritablement.
We may consider the gallery space to be itself a landscape to be negotiated, where the visitor most make decisions and engage with what is there. It is a site that offers time and space for the visitor, they may come for a while, sit and listen, stand and watch, lean and read, observe and think, walk and reflect, discuss or remain silent The exhibition is a place that lives when it is invested by people once they cross its frontiers, and become part of it. Inside this space we might ask ourselves: What is taken as given? Is it possible to change something by looking at it? Does the act of looking change that which is seen? Do we change a landscape by walking through it? Is observation a form of engagement? We may say: moving in space makes thought. Looking at it does changes it. Being in it does activates it. It is hoped that some of this may be true. It is hoped that some of this may come to pass. It is hoped that some of this is actually happening. What now is happening?
Que se passe-t-il maintenant ?
Charlie Jeffery est né en 1975 à Oxford. La pratique artistique de Charlie Jeffery est processuelle. Il travaille à partir de matériaux trouvés sur place, en explorant leurs qualités et en modifiant leurs valeurs. Ce sont souvent des objets usuels récupérés ou des matériaux pauvres (poussière, boue, polystyrène, carton), évoquant l’idée d’une transformation possible de la matière, d’une adéquation entre l’objet et l’énergie qui modifie ses propriétés au fil du temps. Parallèlement à ses sculptures, Charlie Jeffery réalise des vidéos, dessins et performances. La question du langage y est primordiale. Avec ses expressions, ses rythmes, ses tensions, le langage devient un médium plastique, malléable, empreint de qualités exponentielles, quelquefois absurdes ou imprévisibles. Charlie Jeffery est diplômé de l’École des Beaux-Arts de l’Université de Reading, en Angleterre. Il réside à la Fondation Pistoletto, Cittaldellarte à Biella (Italie) en 2001, à la Synagogue de Delme en 2010, aux Arques en 2010 et à Marseille dans le cadre de MP13. Il est commissaire de l’exposition itinérante We’re not here to give you pleasure (2001-2004) et du programme vidéo Vidéoïsme, deux projets réalisés dans plusieurs villes en Europe et en Amérique du Sud, ainsi que Take Shape, make shift aux Instants Chavirés, Montreuil (2010). Il est professeur associé à l’École Spéciale d’Architecture ou il enseigne l’art. Depuis 1998, il vit et travaille à Paris.
OGATA GEKKO - LAST STAND OF THE KUSUNOKI CLAN, 1348
Dernier assaut du Clan Kusunoki, Bataille de Shijonawate, 1348, Ogata Gekko première édition, 1890. Date inconnue de l’exemplaire exposé. Estampe en triptyque,Ukiyo-e tradition.
Ogata Gekko, 1859-1920 Il était un peintre accompli et graveur de tampons d’imprimerie en bois. Orphelin à l’âge de seize ans, il survécut en concevant des pousse-pousse et en vendant des dessins ; son talent exceptionnel fut vite reconnu et il fut adopté par la famille Ogata dont il emprunta le nom ; Gekko, qu’il choisit lui-même, signifie lumière de lune. Bien que n’ayant jamais suivi de formation artistique, il devint une importante figure de la culture japonaise. Personnalité atypique et hors norme, il brisa tous les codes de l’art de l’impression et créa un style unique et inimitable, proprement pictural (imitation du coup de pinceau, fondus de couleurs, perspectives…), défi technique pour les graveurs de tampons et imprimeurs de l’époque. Correspondant de guerre pendant la guerre sinojaponaise (1894-1895), il produit un grand nombre d’impressions représentant de manière très dynamique l’énergie et la violence de la guerre moderne. Bien que sa technique fut résolument moderne, Gekko se considérait lui-même comme fermement ancré dans la tradition Ukiyo-e.
Cette image représente la collision de deux trajectoires opposées, celles de flèches et de trois samouraïs qui les affrontent. Un événement exotique et distant, mais tenu dans son présent continu. Ces trois samouraïs sont figés perpétuellement dans un même moment, bataillant au travers de ce champ épais de flèches rapides et presque horizontales. Ils contre-attaquent ce barrage, fendant les flèches de leurs épées, les recevant sur leurs armures, semblant éternellement se mouvoir vers l’avant. Ainsi qu’un arrêt sur image dans un film d’action quand tout est figé dans les airs, nous permettant de comprendre parfaitement la dynamique du mouvement, et où le flot d’énergie reste toujours présent. Pour ces trois guerriers, la bataille n’atteint jamais son terme sanglant ; ils ne cesseront d’essayer d’atteindre, au travers le rideau sans fin de flèches, leurs ennemis invisibles. Nous nous projetons dans ce moment, cependant en restons distants, ne pouvant le saisir, bien qu’il semble que ces flèches pourraient percer nos propres yeux. L’œil en reçoit trop, pourtant le tout est perçu immédiatement. Nous assistons à un événement d’un passé lointain, projetés dans une mémoire qui n’est pas la nôtre, dans un futur déjà passé depuis longtemps. L’image nous retient au moins un temps. Le temps d’imaginer ce qui aurait pu se passer ensuite pour les sujets représentés, et, par ricochet, d’entrevoir nos propres futurs et nos possibles actions prochaines.
CORNELIUS CARDEW - TREATISE SCORE, 1963-67
Treatise Score, 1963-67 Fac-similé de partition (Extrait), Prêt de Dean Inkster.
Cornelius Cardew, 1936-1981 Compositeur britannique d’un talent prodigieux, doublé d’un excellent interprète, radical et innovateur, sa préoccupation première était de « déterminer une signification politique et sociale à la musique1 ». Assistant de Stockhausen, il dénoncera plus tard l’élitisme de la musique contemporaine et ses partitions d’une extrême complexité, et embrassera, après sa rencontre avec Cage et Tudor, une approche expérimentale de la musique. Fondateur du Scratch Orchestra, il défend l’idée d’une participation de non-professionnels à l’interprétation de sa musique, afin « d’éradiquer le seuil entre compétence et incompétence2 ». Plus tard il rejettera cette pratique et se lancera dans la composition de chansons inspirées de la tradition élisabéthaine, ainsi que des oeuvres pour piano. Membre du parti communiste révolutionnaire anglais, il se retrouva incapable de concilier ses opinions politiques avec son activité de compositeur, se définissant lui même comme « un compositeur rétrograde accaparé par les abstractions de l’avantgarde ». Avant sa mort accidentelle en 1981, il avait préparé une nouvelle exécution de Treatise, ayant peut-être alors reconsidéré ses positions politiques et musicales. 1 Instker, Dean, Cornelius Cardew: From The Great Learning to the freedom of listening . 2 Young, Rob, Strings of life , p. 142, dans Deller, Jeremy : Joy in People , Hayward publishing, 2012.
Une ligne comme un horizon, une élévation telle une ville ondulante se dépliant. Treatise (traité) est une partition graphique visuellement stupéfiante qui reprend le système de portées de l’écriture classique traditionnelle pour en faire complètement exploser les lignes. Elle est couverte de lignes droites, courbes ou ondulées, de cercles entremêlés, triangles, carrés, lignes se chevauchant, lignes brutalement interrompues. Chaque page est un chef-d’œuvre de calligraphie (Cardew a étudié la calligraphie coréenne et était lui-même designer graphique). L’œuvre comprend 193 pages, chacune différente et singulière, mais faisant partie d’un tout continu. L’écriture prit quatre ans, mais il semble qu’elle aurait pu durer indéfiniment. La partition ne comporte pas d’instructions quant à son exécution, laissant les exécutants interpréter et s’entendre sur la manière de rendre l’œuvre, la seule précision du compositeur étant qu’elle était destinée aussi bien à de purs amateurs qu’à des professionnels. Les exécutants doivent s’accorder collectivement sur le nombre de pages à exécuter, la longueur des notes, les tempi, les hauteurs, les effets, l’interprétation, le nombre d’exécutants, la spatialisation, etc. Chaque exécution de l’œuvre étant donc unique, son existence modifiée à chaque occasion, ainsi son identité n’est jamais vraiment arrêtée, musique inconnue avant d’être réellement entendue.
MICHELANGELO PISTOLETTO - QUADRO DA PRANZO, 1965 Photo: P. Pellion
Michelangelo Pistoletto, Quadro da pranzo - Oggetti in meno, 1965 Wood, cm 200 x 200 x 50 Fondazione Pistoletto, Biella
Michelangelo Pistoletto est né à Biella, Piémont en 1933. L’œuvre de Michelangelo Pistoletto, l’un des fondateurs et acteurs majeurs de l’Arte Povera dans les années 1960, est entièrement guidée par la volonté de chercher dans l’art des solutions de transformation sociale, et ce dans tous les domaines de l’activité humaine (économie, politique, science, écologie, éducation…), en faisant pénétrer la vie dans l’art et intervenir l’artiste dans la vie quotidienne. La Michelangelo Pistoletto Cittaldellarte est la probante matérialisation de ses objectifs, avec son organisation en bureaux spécialisés dans des domaines aussi variés que la nourriture, la spiritualité ou l’économie. Son dernier projet de grande envergure, Le Troisième Paradis, a été le sujet de plusieurs expositions dont la plus récente, l’Année 1, le Paradis sur Terre, a été présentée au Louvre en 2013.
Peinture de déjeuner -Objets en moins. Cette œuvre, version schématisée d’une table flanquée de deux chaises se faisant face, comme une table de « diner » américain, fait partie d’une grande série produite par Pistoletto entre 1965 et 1966, intitulée Oggetti in meno. La place des autres a toujours été au cœur de l’œuvre de Pistoletto, de ses peintures-miroirs, jusqu’à ses projets récents comme la Cittaldellarte. Quadro da Pranzo est exemplaire de cette thématique. L’œuvre existe en soi, mais nous invite aussi à prendre place, converser face à face, peut-être y déjeuner, comme le titre le suggère. C’est aussi cependant simplement l’image de ces possibilités, l’espace des sièges pouvant ou non être occupé par les corps des visiteurs de l’exposition. C’est donc ainsi la manifestation physique d’une image mentale, et aussi quelque chose qui simplement « est ».
CHRIS MARKER - LA SIXIÈME FACE DU PENTAGONE, 1967
Réalisation : François Reichenbach et Chris Marker - La sixième face du pentagone, 1967 Couleur, 27 minutes - Production : Les Films de la Pléiade Les Films du Jeudi distribution
Chris Marker est né à Oulan-Bator, 1921 - 2012 La mort de Chris Marker le 29 juillet 2012 porte le signe d’un changement dans la vie de nos sociétés informatisées. Son image qui avait longtemps échappée aux flux médiatiques des plusieurs générations est finalement tombée dans le domaine public d’une société qui voudrait vérifier l’existence de celui que tout en étant un acteur du temps, un homme politique plein, s’était toujours placé hors champ.
La cohérence d’une œuvre cinématographique peut se manifester si elle transcende le réel et son époque avec la force de son évocation intime, ou bien si celle-ci devient un regard nécessaire pour comprendre l’air de son temps. Chez Chris Marker, on le sait il y a et la puissante évocation d’un avenir et le fond de l’air, rouge, dans un effort de construire un présent collectif. « Une façon d’acquérir des nouvelles certitudes –nous dit-il–, c’est d’apprendre à douter ensemble ». Que ça s’appelle La sixième face du pentagone (1968) ou Olympia 52 (1952), son premier film ; La sixième face du pentagone (1968) ou 2084 (1984). Il déploie inlassablement les questions nécessaires pour envisager l’histoire, la technologie, ou l’expérience politique. Chaque film est la mesure d’une réalité, auquel le temps donnera une réponse. Ainsi Marker effectue la lecture lucide des axes sur lesquels nos sociétés cherchent encore aujourd’hui à se définir. La sixième face du pentagone est celle du réel révolté, à la recherche de sa vérité. Mauricio Hernandez, Etna 2013
ROBERT BARRY - INERT GAS SERIES, 1969
ROBERT BARRY / INERT GAS SERIES / HELIUM, NEON, ARGON, KRYPTON, XENON / FROM A MEASURED VOLUME TO INDEFINITE EXPANSION / APRIL 1969 / SETH SIEGELAUB 6000 SUNSET BOULEVARD, HOLLYWOOD, CALIFORNIA 90028 / 213 H04-8383. Linotype à titre d’exposition pour Seth Siegelaub, Signé et daté 69 en bas à droite - 89 x 58,5 cm Collection Ghislain Mollet-Viéville, Mamco, Genève.
Robert Barry, né en 1936 à New York. Artiste de renommée internationale, l’un des principaux protagonistes de l’art conceptuel émergeant des années 1960. Ses nombreux travaux utilisent toutes sortes de matériaux et de stratégies afin de dématérialiser l’objet d’art, engageant autant la perception et le temps que le positionnement dans l’espace du spectateur et sa possible participation dans les situations créées par l’artiste. Barry déclarait dans un entretien avec René Denizot : « Il ne peut y avoir qu’une participation. J’essaie de créer des situations dans lesquelles nous pouvons tous participer1. » Quelques-unes de ses œuvres radicalement « dématérialisées » : Radiation piece (1969), Inert Gases piece (1969) (présenté dans cette exposition) or Carrier wave (1968). Parmi ses autres travaux, de simples textes laconiquement présentés : All the things I know but of which I am not at the moment thinking: 1:36pm; June 15, 1969 ; ou bien : Marcuse piece (1970), où l’on peut lire : Some places to which we can come and for a while “be free to think about what we are going to do” (Marcuse), ou encore Closed Gallery (1969) qui consiste en un envoi d’invitations annonçant : “During the exhibition the gallery will be closed.” 1
Il est temps, Mot pour mot, chez Yvon Lambert, p. 72, 1980.
« En 1969, Barry lâche dans l’atmosphère deux pieds cubiques (environ 300 décimètres cubes) d’hélium, gaz inerte. Il commente ainsi son geste : “Il y a dans le vide et la vacuité quelque chose qui me préoccupe intensément. Je ne peux pas me débarrasser de ce sentiment. Rien que le vide. Le néant est pour moi la chose la plus puissante au monde.” Comme le “spectateur” connait les conceptions de Barry - les phénomènes invisibles qui l’entourent, cet espace apparemment vide où il n’y a rien à voir -, il devient singulièrement conscient de son rôle de “spectateur”, d’agent de la perception. » Irving Sandler in Le triomphe de l’art américain, les années soixante p. 372
JOHN SMITH
John Smith, The girl chewing gum. 1976/ 16MM transfer sur DVD/ N&B/son/ 12’00 Light Cone distribution
John Smith, né en 1952 à Londres. Après des études au Royal College of Art, inspiré par l’art conceptuel et le matérialisme structurel qui dominent alors le film expérimental anglais, également fasciné par la puissance du narratif et du mot, il développe un corpus de travail qui subvertit adroitement les frontières apparentes entre documentaire et fiction, représentation et abstraction. Utilisant le matériau brut de la vie de tous les jours, Smith fabrique méticuleusement ses films en retravaillant et transformant le réel, explorant et exposant de manière ludique le langage du cinéma. Parmi ses expositions en solo : Kestnergesellschaft, Hannovre (2012), Turner Contemporary, Margate (2012), Tanya Leighton Gallery, Berlin (2012 et 2010), PEER Gallery, Londres (2011), Royal College of Art Galleries, Londres (2010), Sala Diaz Gallery, Texas (2010), Ikon Gallery, Birmingham (2006), Kunstmuseum Magdeburg (2005)… Son travail a reçu de nombreux prix et a été montré dans différents festivals internationaux. John Smith est professeur aux Beaux-Arts de l’Université de Londres Est, où il vit et travaille.
Rien se passe, tout est comme toujours, il n y a rien d’inhabituel à voir. Les gens et les véhicules exercent leurs activités habituelles, se comportant sans savoir qu’ils sont observés. Cependant tout est dirigé dans ce documentaire de l’east end londonien des années 70, du plus petit mouvement jusqu’au tic d’une horloge sur un tour. Cette scène terne est épicée par un personnage qu’on ne voit pas, s’amusant avec ce qu’il voit. Situé entre la guerre du Vietnam et l’arrivée de Magaret Thatcher au pouvoir, nous pourrions voir ce film comme un pont entre deux époques étonnamment différentes, et un lien entre les autres films projetés dans cette exposition. Ni vrai documentaire ou fausse fiction, ce film hésite, plane dans un entre-deux, genre de film de surveillance comique structuraliste, préfigurant les caméras de surveillance qui aujourd’hui filment le moindre détail de nos vies dans les villes, où rien ne se passe, tout est comme toujours, où il n y a rien d’inhabituel à voir, où chaque action est enregistrée et tout le monde est observé.
PATRICK KEILLER - LONDON,
Patrick Keiller, London, 1994 - 35mm, coulour, 85mins, British Film Institute, Koninck, Channel Four, Producer : Keith Griffiths, Narrator : Paul Scofield
Patrick Keiller est né en 1950. Les films de Patrick Keiller comprennent London (1994), Robinson in Space (1997), The Dilapidated Dwelling (2000) et Robinson in Ruins (2010) ; parmi ses travaux récents, les expositions Londres, Bombay (Le Fresnoy, Tourcoing, 2006), The City of the Future (BFI, Londres, 2007-2008) et The Robinson Institute (Tate Britain, Londres, 2012), cette dernière accompagnée par un livre, The Possibility of Life’s Survival on the Planet. Architecte de formation, il enseigne en école d’art et d’architecture depuis 1974. Ses premiers travaux audiovisuels sont présentés à la Tate Gallery en 1982. The View from the Train, un recueil d’essais, sera publié par Verso en novembre 2013.
Nous entendons parler de Robinson tout d’abord dans London de Patrick Keiller, réalisé en 1994. Nous suivons sa première errance à travers une ville de l’Histoire ancienne, ses visiteurs venus de l’étranger, gloires passées, présent délabré – inondé par les systèmes de surveillance et le grincement des transports publics. Robinson prend sur lui la charge de découvrir « le problème de Londres » comme il prendra plus tard sur lui de découvrir le problème de L’Angleterre, dans Robinson in Space, dans lequel Robinson suit la trace de Daniel Defoe (A Tour Through the Whole Island of Great Britain 1724 -1727). Son vaste projet l’emmène dans toute une série d’endroits, certains connus, d’autres, apparitions d’un autre âge ou, en effet, d’une autre ville. Le narrateur, son compagnon de route, relate les pensées et les idées de Robinson alors que nous prenons notre temps pour regarder la ville au travers de l’œil fixe de la caméra presque jamais mouvante. Cela ressemble à la recherche d’une ville qui n’a jamais été et ne sera jamais, recherche de l’âme perdue de la ville.
PATRICK KEILLER - ROBINSON IN SPACE,
Patrick Keiller, Robinson in space, 1997 - 35mm, coulour, 81mins, BBC Films, Koninck, British Film Institute - Producer : Keith Griffiths, Narrator : Paul Scofield
Comme dans les écrits de l’ami et collègue de Keiller, Iain Sinclair (London Orbital, ou Ghost Milk), où nous suivons les pas de personnages douteux et où nous nous perdons avec eux, nous retrouvant dans des lieux invraisemblables, dans les quartiers les plus obscurs de Londres, marchant péniblement vers le prochain rendez-vous. La densité de la ville est telle que nous avons l’impression de chuter au travers d’une géologie colossale de l’Histoire, un grand poids de pierres fragmentées et écaillées, alors que nous descendons, tombons, glissons à travers cette masse, telle Alice dans le terrier du lapin. Cependant l’œil inquisiteur de ces deux artistes anglais modifie la nature de la lumière, la qualité de la vision de ce que nous voyons. Une force paisible se dégage de ces images qui nous sont généreusement offertes ; pour citer Iain Sinclair dans Lights Out For The Territory : « Keiller fixe Londres avec une stabilité autistique. Cela nous incommode, nous n’en avons pas l’habitude. Il fige la vie, les ornements floraux municipaux, les volutes de rivière brune. Quand il se prend à aimer un
portail ou une porte d’entrée, il les regarde avec le même désir abstrait qu’un malade mental à un arrêt de bus désaffecté. » Plus tard Sinclair continue : « Nous sommes prêts à ruminer devant une pierre, jusqu’à ce que nous devenions nous-mêmes pierre, jusqu’à ce que le granit pénètre nos veines. Keiller filme à la manière d’une caméra de surveillance avec une caméra carte postale, recouvrant ensuite les images banales, mais belles du sémillant texte d’un émigrant. » « Le film est une provocation calme, une rêverie provocante, rendant hommage à des survivances accidentelles (telle que la Pierre de Londres dans Cannon Street) ; récitant des légendes d’un ton d’incrédulité indulgente… Le narrateur, de retour après sept ans d’exil, Odysseus involontaire fuyant les excès du thatchérisme, décide de faire un inventaire tranquille de la conscience de la ville, d’assister à des événements significatifs – parades, carnavals, alertes à la bombe ; de céder au fantasme d’évasion. » Citations de Iain Sinclair, Lights Out For The Territory, Cinema Purtagatorio page 302, Granta books, 1997
BRIGHID LOWE - RAIN DRAWING 2,
Brighid Lowe, Rain Drawing (2) 2006 100 X 140 cm, encre de chine sur papier
Brighid Lowe est née en Angleterre en 1965. Elle étudie les Beaux Arts à l’Université de Reading et à la Slade School of Fine Art. Elle utilise dans son travail une grande diversité de médias et formats. Parmi ses expositions en solo, Jerwood Artists’Platform, à Londres en 2004, et parmi les expositions collectives auxquelles elle a participé : Wonderful Life, Lisson Gallery, Londres (1993), Intelligence, Tate Britain (2000), You Are At Home Here, Lokaal 01, Breda, Pays-Bas (2003), Take shape-make shift, les Instants Chavirés, Montreuil (2010). Ses écrits récents ont été publiés dans une anthologie de fiction d’artistes, The Alpine Fantasy of Victor Band Other Stories, et ont été lus au Volatile Dispersal, Festival of Art Writing de Whitechapel, Londres. En 1998, elle reçoit un prix, le Paul Hamlyn Award for Artists, et en 2007, Rain Drawing (1) reçoit un deuxième prix du Jerwood Drawing Prize. Elle enseigne à la Slade School of Fine Art, University College, Londres.
Une feuille de papier est posée à plat sur une table. Des lignes à l’encre noire de différentes largeurs y sont tracées, laissées à sécher. Le papier est enlevé de la table, placé en extérieur sur une surface plane horizontale. Il attend la pluie. La pluie intervient sur la surface des lignes semblables à une grille, les transformant, faisant apparaître des taches, comme une musique nouvelle écrite par le temps. Alors que la ville poursuit dans sa course ses activités quotidiennes, sans qu’elle le sache, quelque part un changement a lieu, un petit rectangle blanc couvert de lignes noires rencontre les résultats de la pression atmosphérique, le vaste système météorologique du monde a interrompu ces lignes, changeant certaines parties en points. Non loin du travail de Cornelius Cardew et John Cage dans lesquels structure et hasard se rencontrent et produisent l’inattendu, ainsi nous trouvons-nous devant un paysage stratifié, une coupe géologique, temps profond en lignes noires et taches. Nous pouvons clairement lire comment une action du temps a pu avoir un effet sur une information particulière. Ce travail est la rencontre hasardeuse de nuages de pluie avec le lent processus d’un dessin à l’encre, une rencontre du contrôlé, du stable, avec l’imprévu et l’aléatoire.
CELINE AHOND - DESSINER UNE LIGNE ORANGE, 2011
Dessiner une ligne orange - 2011 - 14 min Image : Thierry Charlier - Son : Philippe Roy Production Communauté de communes du pays Mélusin
Céline Ahond est née en France en 1979. Elle joue sur les interstices entre les images et les mots. Ses performance-conférences mêlent récits en tous genres en s’appuyant sur des projections d’images, des dispositifs vidéo et des mises en scènes d’objets. Que se soit sur la place publique ou dans un espace dédié à l’art, prendre la parole, pour Céline Ahond, c’est tracer le chemin d’une pensée en construction. Le souvenir d’anecdotes, la réalité environnante, les micro-événements qui se produisent sont décrits, cadrés, racontés et participent de l’écriture d’un récit du quotidien.
Dessiner une ligne dans un paysage. Quelle est la meilleure manière de la rendre visible ou de la laisser invisible ? Quelle impression laisse-t-elle ? Quel est le voyage qui permet à ceci de se passer ? Comment nous trouverons-nous nous-mêmes, nous mettonsnous dans l’horizon, participons-nous au paysage que nous voyons à distance ? Dans le film de Céline Ahond, nous nous trouvons au milieu de ces questions, au milieu d’un vaste paysage, face à deux individus recherchant le moindre détail. Petites rencontres absurdes, impactant un plus large monde, nous sommes dans l’horizon que d’autres voient à distance, nous suivons deux personnages recherchant une mouche, eux aussi étant pourtant des mouches aux yeux d’autres passant à travers ce paysage. Rien n’est changé, tout est altéré par une ligne orange emmenée en promenade dans un convoi de véhicules motorisés roulant sur de petites routes. Rien n’est terminé, tout est réinitialisé, comme nous comprenons que les plus petites conversations, actions et rencontres sont ce qui font le monde et ainsi l’affecte. Ce paysage du pays mélusin devient la scène de forces cosmiques canalisées au travers de micro événements, rencontres comiques entre personnes, insectes et choses dans un champ de champs de couleur.
INTERPRÉTATION DE PARTITION DE CHRISTIAN WOLFF & ALVIN LUCIER
1,2,3 4 5 6 7 8
Nhaila Chin Foo, Ghita Benmoussa, Domitille Roy, Wei Xie. Himad Darani, Fiammetta Ferrara, Miryam Mliki, Oceane Patole, Teng Zeng. Adèle Breux, Alexandre Cattenoz, Christofer Cornevaux,Thibault Lorphelin. Himad Darani, Fiammetta Ferrara, Miryam Mliki, Oceane Patole, Teng Zeng. Himad Darani, Fiammetta Ferrara, Miryam Mliki, Oceane Patole, Teng Zeng. Christophe Cormy, Lou Pelosoff.
9
Lour Mahshi
Christian Wolff, Stones, Prose collection, 1969
Alvin Lucier, I am sitting in a room, 1970
Alvin Lucier, Chambers,1968
10 Illa Giannotti, Manon Robert, Stévana Scaglia. 11 Benoît Carteron Noir, Pierre Antoine Gelot. 12 Safae Kettani, Lour Mahshi, Bertille Pien, Paola Regis. 13 Nicolas Araman, Pierre de Pingon. 14 Charlotte Arres, Anthony Boguszewski, Priscillia Motoc. 15 Christophe Cormy, Lou Pelosoff 16 El Mehdi Adam Felloula 17 Dounia Benjelloun, Yassine Benkirane, Ludovic Ly-Tham, Yassine Youssoufi. 18 Safae Kettani, Lour Mahshi, Bertille Pien, Paola Regis.
MOBILIERS DE L’EXPOSITION
Banquettes de la serie Segno Arte de Michelangelo Pistoletto, 1993 Prêté avec l’aimable autorisation du Centre national de la danse
Photo: Dieter Kik
Block chairs de Charlie Jeffery, 2011 Production le Quartier, Quimper.
Position d’ecoute de Charlie Jeffery, 2004 - 2013 Production Galerie Spéciale, Paris.
INTERVIEW PATRICK KEILLER
Charlie Jeffery : Puis-je vous demander simplement, pour commencer, comment êtes-vous venu au médium film et finalement au film London et sa figure fantomatique centrale de Robinson, et comment ce film et ses suites (Robinson in Space et Robinson in Ruins) traitent-ils de la notion de paysage ? Patrick Keiller : Dans les années soixante-dix, en tant qu’architecte, j’étais intéressé par des bâtiments, des structures possédant des qualités architecturales frappantes, n’étant ni le produit de l’activité architecturale conventionnelle ni, pour la plus grande partie, des bâtiments vernaculaires traditionnels. Il s’agissait de structures industrielles, d’échafaudages, d’abris anti-aériens, et autres bâtiments de ce genre, la plupart à Londres, et j’ai commencé à les documenter en diapositives couleur. En 1978 eut lieu une exposition, Dada and Surrealism Reviewed, à la Hayward Gallery de Londres. Dans le catalogue d’exposition, et plus particulièrement dans une édition spéciale du journal Architectural Design intitulé Surréalisme et Architecture qui accompagnait l’exposition, je lus un sujet sur la perception de Paris par les Surréalistes et leur manière d’identifier certains sites, et je commençais à prendre ma collection de diapos plus au sérieux. Tout d’abord, je considérais les structures que je photographiais comme des modèles potentiels d’une production architecturale, de la même manière que les Modernistes du début du XXe siècle voyaient des silos à grains et ainsi de suite ; mais ils suggéraient
aussi la possibilité d’une transformation plus générale de notre environnement quotidien, et je commençais à me dire qu’ils pourraient devenir des sujets cinématographiques. Pendant les années quatre-vingts, je réalisais une série de courts-métrages dans lesquels des séquences de paysages en 16 mm monochrome, à la fois ruraux et urbains, étaient accompagnés par une narration fictionnelle, écrite spécialement pour ce montage. Le dernier de cette série m’incita à proposer un film plus long. Je décidais d’essayer de faire un film sur Londres, où je vivais à l’époque, en partie parce que je savais que cela me prendrait du temps de réaliser un long-métrage, et qu’il me serait difficile d’aller n’importe où ailleurs pendant plus de deux mois. Le film fut commandé à l’été 1991 et terminé en janvier 1994. Il tentait de développer une critique de l’espace ou, du moins, une explication des inconvénients généralement ressentis de la ville, du point de vue de quelqu’un déclarant aspirer à une culture plus sociale-démocrate et plus architecturale que celle du Royaume-Uni. Les autres films appliquent une méthode similaire pour traiter de sujets proches – Robinson in Space, par exemple, était l’exploration « d’un genre particulier de capitalisme à l’anglaise ». Ce projet a démarré avec la perception d’une économie défaillante, imparfaite, qui progressivement a laissé place, pendant la tournée du film, à une vision différente de l’économie britannique qui, bien que de plus en plus déplaisante à supporter, réussissait assez bien à défendre les intérêts des personnes qui la possédaient. C. J. : Je suis fasciné par cette idée : « l’objectif de développer des définitions originales de bien-être économique, basé sur le potentiel de transformation que nous avons attribué aux images de paysage ». Que signifie cela ? Attribuez-vous cette idée au personnage de Robinson lui-même ? Dois-je comprendre qu’elle est la base d’une plus large recherche en dehors du contexte des films de Robinson ? En lisant cette idée frappante, je me suis souvenu que, dans certaines expériences de physique quantique, il peut arriver que dans l’acte même d’observer, les conditions d’observation des particules en jeu changent en fait leur comportement, rendant l’observation impossible. Il semble y avoir un lien ici, bien qu’un scientifique pourrait ne pas être d’accord ou trouver l’idée saugrenue. P. K. : Le projet de recherche n’était pas basé sur une affirmation à propos de « définitions originales », etc. Il était, je l’ai écrit, « poussé par ce qui semblait être un désaccord entre, d’un côté, l’attention actuelle
et critique allouée à l’expérience de la mobilité et du déplacement et, de l’autre, une tendance tacite mais tout autant répandue de rester attaché à des formulations d’habitation dérivant d’un passé agricole et sédentaire ». Robinson in Ruins est seulement l’une des résultantes du projet, et la déclaration que vous citez appartient à la fiction du film. C’est aussi peut-être une parodie du genre de langage que j’ai employé pour formuler l’affirmation citée plus haut. D’un autre côté, je peux imaginer ce que les chercheurs fictionnels1 ont en tête. Certaines de leurs « définition originale du bien-être économique » pourrait ressembler à l’Index de Bien-Être Économique Soutenable (ISEW) mis en avant en premier par Herman Daly et d’autres en 1989 (ce qui n’était pas très original, je l’admets) comme alternative au Produit Intérieur Brut (PIB). Les estimations de l’ISEW par la Fondation Britannique de l’Économie Nouvelle, en 2004, suggérait, qu’au Royaume-Uni, le bien-être économique soutenable avait atteint un pic en 1976, et, depuis, avait décliné jusqu’au niveau des années cinquante, résultat de la paupérisation environnementale, des inégalités grandissantes, ainsi que d’autres facteurs. Aux États-Unis, je pense, le déclin est encore plus flagrant. Le « potentiel de transformation des images de paysage » peut signifier beaucoup de choses – quelque chose à voir avec le frisson2 surréaliste, peut-être, ou un phénomène plus général, dans lequel la production d’images fait partie d’un processus de création de valeurs.
P. K. : Je crois que cela pouvait être obtenu sans lui, par la narration. Robinson a été utilisé comme un moyen de faciliter l’introduction, par un narrateur à la première personne, d’idées et d’attitudes qu’on pourrait envisager, mais pas nécessairement adopter.
C. J. : L’idée que le contexte ou les conditions modifient ce qui est vu, que selon celui qui regarde, ce qui est vu change, que la manière dont on est lié à un paysage ou à un objet placé dans un lieu précis a un effet sur celui qui regarde : diriez-vous que vos films tentent de transformer la vision du spectateur de ces objets qu’il a déjà vus, mais qu’il ne voit pas vraiment ?
P. K. : Je ne crois pas qu’on puisse vraiment affirmer être un Surréaliste – ou même surréaliste – quatrevingts dix ans plus tard, bien que j’ai une fois défini les activités de Robinson comme « quasi surréalistes ». Il y a deux choses à dire à propos de l’affirmation que vous citez : premièrement, que les activités artistiques sont, par nature et dans leur motivation, assez différentes de celles des designers et des architectes et, deuxièmement, qu’un mouvement architectural, et en particulier d’avant-garde, est souvent précédé d’un enthousiasme polémique de la part des architectes pour des questions plus larges que celles relevant du simple domaine de l’architecture, et que ces enthousiasmes sont parfois partagés avec les artistes. Curieusement, cela implique souvent de la plomberie – d’abord avec Adolf Loos, puis Duchamp, et même, très récemment, Piano et Rogers. Mes films impliquent des enthousiasmes similaires, mais ils sont rarement très originaux. Dans Robinson in Space, par exemple, il y a beaucoup d’images de containers maritimes. J’imagine, probablement à tort, que
P. K. : Peut-être, mais je ne pense pas que ce soit tellement le résultat du contexte. Cela a plus à voir avec le phénomène de la photogénie, au sens où l’entendait Louis Aragon à propos du décor3 cinématique, en 1918. C. J. : Placez vous Robinson comme un genre de figure visible invisible dans le paysage, changeant ce qui est vu par la caméra, et ainsi par le spectateur, qui devient alors observateur d’un observateur ? 1 2 3
Personnages du film de Robinson in Ruins (n.d.t). En français dans le texte. Id.
C. J. : Votre production d’images de paysage est-elle une manière d’échapper au tourisme dont Guy Debord parle dans La Société du Spectacle quand il écrit que « le tourisme se ramène fondamentalement au loisir d’aller voir ce qui est devenu banal » ? P. K. : On peut décrire les films eux-mêmes comme « loisir d’aller voir ce qui est devenu banal » – bien que l’on pourrait s’interroger sur la perception du « banal », ne croyez-vous pas ? Je ne pense pas que je pourrais vraiment affirmer fuir le tourisme, que ce soit personnellement, comme touriste occasionnel ou dans les films. Je n’exclus pas l’idée du tourisme – le tourisme architectural, notamment. C. J. : Vous avez dit ailleurs que vous êtes « intéressé par le lien entre des subjectivités telles que celle du Surréalisme, qui transforme l’expérience de ce qui existe déjà, et les “activités” des designers, architectes et fabricants, qui produisent de nouvelles choses ». Pourriez-vous approfondir cette idée, en relation avec vos films ? Voyez vous vos films comme surréalistes d’une certaine manière ? Cela a-t-il à voir avec le « potentiel de transformation des images de paysage » cité plus haut ?
le spectateur les identifie comme les échos de la culture architecturale des années soixante, ou même comme du « Pop Art » – j’ai été assez chanceux, en tant qu’étudiant, d’avoir suivi les cours d’histoire de l’architecture par Reyner Banham. Dans mon dernier film, il y a beaucoup d’oléoducs – un peu plus de plomberie. J’ai toujours remarqué que les premiers Surréalistes étaient clairement intéressés par l’architecture, aucun d’entre eux n’était architecte, et le surréalisme n’est pas allé très loin avec l’architecture, au moins jusqu’à ce que Kiesler s’y investisse beaucoup plus tard. Dans les années quatre-vingts, ma curiosité m’emmena à Prague, où le Devetsil, mouvement d’avant-garde des années vingt, dont le Surréalisme tchèque a émergé, comprenait des architectes. C. J. : Vous parlez des Surréalistes et de leur relation à l’architecture. Pourriez nous en dire plus sur votre relation aux Situationnistes qui, de plusieurs façons, font suite aux Surréalistes de la période d’aprèsguerre ? Et encore, peut-être, pourriez-vous nous dire comment marcher nourrit vos films, et comment dériver à travers la ville vous permet de les structurer ? P. K. : Comme beaucoup au Royaume-Uni, je pris conscience de l’Internationale Situationniste quand un célèbre affichage sauvage, type BD, a été réimprimé en couverture du International Times4 , n° 26. Plus tard, j’ai lu la traduction anglaise de la Société du Spectacle, et, à la fin des années soixantedix, j’avais une copie de l’anthologie de Christopher Gray, Leaving the 20th Century: The Incomplete Work of the Situationist International, dont l’introduction traitait de la dérive5 et la psychogéographie. Le livre de Gray consistait principalement en une traduction de textes de l’IS (et incluait l’affiche citée plus haut, avec d’autres) dont l’un était le chapitre 23 du Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem, dont je vous cite un extrait : « Les ondes de choc de ce qui compose la réalité en devenir se répercutent dans les cavernes du subjectif. La trépidation des faits me gagne malgré moi ; tous ne m’impressionnent pas également mais leur contradiction m’atteint à tous coups, car mon imagination a beau s’en emparer, ils échappent la plupart du temps à ma volonté de les changer réellement. Le centre subjectif enregistre simultanément la transmutation du réel en imaginaire et le reflux des faits réintégrant le cours 4 Voir bas de page du document annexe : http://www.internationaltimes.it/archive/index.php?year=1968&vo lume=IT-Volume-1&issue=26. 5 En français dans le texte.
incontrôlable des choses. D’où la nécessité de jeter un pont entre la construction imaginaire et le monde objectif […]6 ». Ceci semble pour moi faire écho à ma mise en jeu avec l’environnement quotidien et, plus tard, le cinéma. J’ai depuis cité ce paragraphe de nombreuses fois, de manière très démonstrative dans les premières minutes de Robinson in Space, à la suite de la phrase suivante : « Assis confortablement, j’ai ouvert ma copie de The Revolution of Everyday Life. » À ce moment-là, la traduction de Donald Nicholson-Smith du Traité fut publiée. Nous avons pensé à citer cette traduction, bien plus proche de l’original de Vaneigem mais, finalement, nous en sommes restés à celle de Gray car elle est plus simple à saisir dans le film, qu’on ne peut pas relire comme un livre, et parce qu’elle est devenue si familière ! 6 Ici Kieller cite la traduction anglaise peu littérale de Christopher Gray : “Reality, as it evolves, sweeps me with it. I am struck by everything and, though not everything strikes me in the same way, I am always struck by the same basic contradiction: although I can always see how beautiful anything could be if only I could change it, in practically every case there is nothing I can really do. Everything is changed into something else in my imagination, then the dead weight of things changes it back into what it was in the first place. A bridge between imagination and reality must be built […]” (n.d.t.)
En 1991, Blackwell publiait la traduction de Nicholson-Smith de la Production de l’espace de Henri Lefebvre, publié originalement en français en 1974. Je me demande souvent quelle aurait été la différence s’il avait été publié plus tôt en anglais. Je trouve ces retards très intéressants. Je l’ai lu au début de l’année 1995, juste avant de commencer le tournage de Robinson in Space, et lu, page 189 : « Le fait est que l’espace qui contient les préconditions tangibles pour une autre vie est le même que celui qui interdit ce que ces préconditions rendent possibles. » Cela me semblait être proche du sens du paragraphe de Vaneigem précité, et j’ai fait aussi entendre cette phrase, pendant qu’on voit la silhouette d’un homme qui pourrait ressembler à Henri Lefebvre monter dans un bus. J’ai depuis suggéré que, parfois, peut-être, dans les espaces fictionnels de certains films (l’Atlante de Vigo me vient à l’esprit, ou même Listen to Britain de Jenning), l’interdiction que Lefebvre identifie est suspendue. Les films London et Robinson in Space étaient nourris de mon expérience des paysages filmés, accumulée pendant une longue période, vingt-cinq ans environ, enrichie certainement par la marche. La description de la dérive par Gray m’a rappelé mes premières explorations de Londres et de ses environs. Pendant les années soixante-dix, avec des amis, parfois venant de l’étranger, je partais occasionnellement en promenade dans ce qu’il reste des docks de Londres, avant leur rénovation, et dans d’autres endroits. C’était pendant l’apogée à Londres du logement type « short-life housing7 », des squats, des studios d’artistes installés dans des entrepôts, bien avant que je pense à faire des films. La plupart des marches que je décris dans les films sont fictionnelles. Il y avait certainement de nouvelles découvertes, mais elles n’étaient pas exclusivement le résultat de promenades. La plupart du temps, nous travaillions d’une voiture, marchant jusqu’au lieu de tournage seulement si nécessaire. Un ou deux fois je transportais l’équipement en bus Routemaster, rangeant le trépied dans l’espace à bagages sous les escaliers, mais ce n’était pas très agréable pour les contrôleurs (en 1992, la plupart des bus de Londres avaient toujours des contrôleurs). Pour une caméra 35 mm, la Caméflex Éclair est très légère, mais avec des batteries, des objectifs, une bobine de 122 m et un lourd trépied, il est difficile de marcher plus de deux kilomètres. D’un autre côté, Robinson in Ruins a impliqué beaucoup de marche, la plupart en territoire non familier. C’était en partie parce que le film n’a pas voyagé loin. 7
Bail de très courte durée.
C. J. : La relation entre image et voix est très importante car les deux sont complémentaires, faisant voyager le spectateur dans l’Histoire, le temps et l’espace. Le contenu textuel est-il guidé par la découverte de certains endroits et les recherches qui ont suivi, ou avez-vous cherché des lieux ayant une signification particulière relative aux idées et histoires sur lesquelles vous enquêtez ? P. K. : Certains sujets de la caméra sont connus à l’avance, d’autres s’inventent le long du chemin. Il y a en principe un genre de carte, ou au moins une idée quant au processus cinématographique, bien que, pour Robinson in Ruins, je ne connaissais que ma première destination et l’intuition qu’au-delà, le film suivrait un chemin comme un rebours. L’arrivée à destination était un heureux hasard. Dans tous les films, à part seulement quelques brefs fragments de texte, les images ont toujours été photographiées et montées avant que l’écriture commence. C. J. : Le caractère fictionnel des films fait ressortir l’idée d’un voyage à la fois à travers le temps et l’espace. Ici je vois un lien avec le travail de Chris Marker dont le film, Sans Soleil, sera présenté pendant l’exposition à l’École Spéciale d’Architecture. Diriez-vous qu’il existe une relation entre votre travail et le sien, particulièrement votre engagement politique et les thèmes de la mémoire et de l’espace ? P. K. : Je pense que ce ne serait pas lui faire honneur que d’impliquer Chris Marker dans quoi que ce soit que j’ai fait. J’ai vu La Jetée pour la première fois en 1969, et, comme beaucoup de personnes, j’ai été frappé par ce film, mais c’était dix ans avant que je pense à en faire un moi-même. London était en partie inspiré par le visionnage de Joli Mai. C. J. : Nous allons aussi montrer un film intitulé La sixième face du Pentagone par Marker, centré sur la protestation anti-guerre du Vietnam à Washington DC en 1967. Il a été décrit comme une version militante des actualités filmées. Cela semble très loin du rythme posé de vos films où la caméra semble toujours comme à distance de l’action. Cependant, n’y a-t-il pas de connexion entre votre travail et celui de Marker, au-delà du format cinéma d’essai, en ce sens que votre représentation du monde est radicalement différente de celle du prisme des médias ? P. K. : Peut-être, mais beaucoup de personnes s’y essaient, n’est-ce pas ?
Septembre 2013.
HORS LES MURS : CHRIS MARKER - SANS SOLEIL, 1982
Un film de Chris Marker - Sans Soleil, 1982 Couleur, 1h40m Produit par Argos Films
La jeté, 1962 - Sans soleil, 1982 / Entre quatre murs et deux regards Deux regards confluent dans l’histoire du cinéma, traçant une parabole après laquelle la notion de film ne sera plus jamais la même. Vingt ans séparent ces regards. Le premier est brièvement en mouvement, il est un regard rédempteur, inattendu dans un monde qui a suivi le traumatisme d’une amnésie totale, car la perception du mouvement ne serait qu’un subterfuge de la mémoire ; le deuxième, fixé quelques instants à deux reprises, nous propose l’anamnèse d’un territoire, avant que l’hypothèse de la fin du monde qui n’arrive pas. Il serait juste à ce titre de les voir comme les deux volets d’un seul film prolongé dans le temps, ou bien de les penser comme le même film dans un rapport de convergence concave : celui qui puisse du réel le regard d’une femme capverdienne fixé pour l’éternité (rappelons que ce regard finira dans la virtualité d’une matrice à peine éclose), reflète à l’envers celui d’une mise en scène qui transforme notre rapport à l’image par la densité de sa force éphémère. Parler de science fiction, d’essai, reste anecdotique, La jetée (1962), par sa perfection borgésienne et Sans soleil (1982) par la spontanéité de sa forme sont à eux tous deux, une source inépuisable où le cinéma devra se restaurer. Mauricio Hernandez, Etna 2013
PERFORMANCE DES ÉTUDIANTS DE L’ATELIER D’ART
Cornelius Cardew - The Great learning, paragraph 7, 1971 exécuté par les étudiants de groupe S3 de Charlie Jeffery et dirigé par Thierry Madiot
Thierry Madiot, artiste sonore, Paris. Respirateur s’appuyant sur le souffle, collectionneur d’objets sonores, tromboniste basse, privilégie le réel aux enregistrements. Aime partager des espaces sonores improbables avec Alfred Spirli, Daunik Lazro, Stéphane Garin, Seijiro Murayama, Yanik Miossec et s’emparer avec « Dedalus » des musiques de Cage, Tom Johnson, Cardew ou Wolff. Collabore avec le théâtre, la danse, l’art action et la littérature. S’aventure souvent hors de la scène et de la forme concertante en créant les «Massages sonores», des installations sonores avec ou non compresseur d’air « Phonoscopie », « I am a Breather » ou l’ensemble de 12 trompes télescopiques «Ziph», « Wabla » avec « Muzzix». Cultive des espaces d’expérimentations tels: « Inouïr » (1999-2008) et la manifestation «Ça vaut jamais le réel» (2004-2008), « Topophonie » avec Theo Jarrier Sophie Agnel et Hélène Breschand ou la revue live «Informo» ou encore « l’Astrolab » avec Noël Akchoté année 90 souvent aux Instants Chavirés. http://madiot.free.fr/
The Great Learning est considéré comme une œuvre majeure de Cornelius Cardew, composée de sept paragraphes pour divers groupes d’exécutants, musiciens ou non. Elle est basée sur l’un des textes canoniques du confucianisme du même nom. Paragraph seven est destinée à un groupe de chanteurs de nombre indéterminé. L’œuvre explore la relation entre l’individu et le collectif, chaque chanteur choisissant sa première note mais, par la suite, devant emprunter la note d’un autre exécutant, chacun étant ainsi constamment conscient des autres autour de lui. Chaque exécutant se déplace dans l’espace ; l’effet général de l’œuvre est une lente, parfois imperceptible évolution de l’atmosphère sonore, les voix semblant successivement nettes ou floues, comme les détails d’un ligne de bord de mer regardée aux jumelles. Les mots, hauteurs, accords passent, tel un oiseau entraperçu fugitivement au large. Il n’est pas demandé à l’auditeur de rester immobile, il peut aussi se mouvoir dans l’espace et ainsi modifier sa perception de l’œuvre. Cardew souhaitait créer une œuvre où l’auditeur peut être considéré comme partie prenante de la création, autant que l’exécutant.
BIBLIOGRAPHIE
Guy Debord La Société du spectacle, éditions Buchet/Chastel, Paris,1967 Paul Farley and Michael Symmons Roberts Edgelands, Vintage, 2011 Patrick Keiller The View from the Train: Cities and Other Landscapes, Verso books, 2013 The Possibility of Life’s Survival on the Planet, Tate publishing, 2012 Iain Sinclair Lights out for the territory, Granta, 1997 London Orbital, Penguin, 2006, traduction française éditions Inculte, 2010 Londres 2012 et autres dérives, Paris : Manuella, 2011 Ghost Milk, penguin 2012 Davila Thierry Marcher Créer : déplacements flâneries dérives dans l’art de la fin du XXe siècle, Paris : Regard, 2002
PLAN
École Spéciale d’Architecture Établissement privé d’enseignement supérieur, fondé en 1865, l’ESA est une association de type loi de 1901 à but non lucratif. Reconnue d’utilité publique depuis 1870 et par l’État en 1934. Exposition Commissaire de l’exposition : Charlie Jeffery http://charliejefferyunderconstruction.blogspot.fr/ Galerie Spéciale Leïla Colin-Navaï Assistants : Nhaïla Chin Foo & Charles Ober Publication Coordination et conception graphique : Leïla Colin-Navaï & Nhaïla Chin Foo Textes : Charlie Jeffery (sauf mention contraire) Traduction : Chantal Santon Correctrice : Françoise Santon Communication Magali Vannier, François Prigent. Impression en 300 exemplaires, à l’École Spéciale d’Architecture,Paris. Tous droits réservés pour tous pays. Remerciements Pierre Bal-Blanc, Christophe Bichon, Lannouar Ben Amara, Philipe Boivins, Antoine Camuzet, Adrien JM Fournier, Juan Estaban Sandoval, James Fulkerson, Elsa Guigo, Léo Hudson, Jean-Paul Felley, Dean Inkster, Calliope Jeffery, Graham Jeffery, Robert Jeffery, Olivier Kaeser, Natacha Langevin, Emmanuel Lefrant, Thierry Madiot, Eric Mangion, Rastine Mir, Ghislain Mollet -Vieville, Issam Ouljihate, Maria Pioppi, Michelangelo Pistoletto, Valentine Pommier, Gaël Rias, Domitille Roy, Sera Sabuncuoglu, Chantal Santon, Françoise Santon, Iain Sinclair, Théo Tostivint, Jeanne Vellard. Exposition réalisée avec le soutien de la Fondation Pistoletto Cittadellarte, du Centre National de la Danse et du Centre Culturel Suisse de Paris, LIGHT CONE, Les Films du Jeudi, ED Distribution et TAMASA Distribution. Partenaires de la Galerie Spéciale L’Atelier Maquette avec Stéphane Bernon, la reprographie avec Grégoire d’Amiens, le BARESA et toute son équipe. Scanachrome, Sikkens, i Guzzini
Galerie Spéciale, École Spéciale d’Architecture, 254 boulevard raspail, 75014 Paris - www.esa-paris.fr