#5 L’Archipel du Presque Rien

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#5

L’ARCHIPEL DU PRESQUE RIEN JAPON

Les trente six vues du Mont Fuji / Hokusaï,1833.

Editoriaux / Atelier Marc Vaye

Printemps 2019


Miegakure / Montré caché Wa / Harmonie

Omote-U

Wabi-sabi / D

Mujô / Impermanence

In-ei / Ombre Ma / Intervalle

O

Mu / Vide

Japonisumu / Japonisme Terunobu Fujimori Kengo Kuma Junya Ishigami

Shin Takamatsu Susumu Shingu

Ando l

Kare sansui / Espace sans eau Ho-Jo An Chas Chadoyu / Cérémonie du thé

Kapuseru hoteru / Hôte


Ura / Face-Envers Uchi-Soto / Dedans-Dehors

Dépouillement Patine Shakkei / L’emprunt de paysage

Oku / Profondeur

En / Transition

Akira Mizubayashi Nakae Chömin Sen no Rikyû Musö Soseki Kobori Enshu Watsuji Tetsurô Junichirô Tanizaki Bruno Taut

Augustin Berque

Claude Lévi-Strauss le Mono Mies Van Der Rohe Charlotte Perriand

Ryöanji

sitsu / Pavillon de thé

l capsule

Haïku

Sanctuaire d’Ise


Japonisumu / Japonisme À partir de 1868 et après plus de deux siècles de fermeture, l’ère Meiji s’ouvre et le Japon s’inspire de l’Occident. En retour, le Japon exerce une influence incontestable sur les artistes et architectes occidentaux, ainsi un intense mouvement fructueux s’installe entre les deux mondes. Dans les années 20 du XXe siècle la publication par Le Corbusier des cinq points pour une nouvelle architecture bouscule radicalement le monde de l’architecture. Le manifeste consacre la naissance du Mouvement Moderne et sera mis en œuvre dans le projet de la Villa Savoye achevé en 1931 à Poissy. La concordance entre la modernité européo - américaine et la tradition japonaise est troublante. Le Japonisme, que les japonais appellent Japonisumu, a donné lieu à un dialogue dans tous les domaines de la création. Nombreux sont ceux qui lui ont donné vie. Parmi eux, Nakae Chömin s’engage dans l’apprentissage de la langue française et traduit le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau, les architectes Frank Lloyd Wright et Bruno Taut y sé-

journent longuement, le philosophe Watsuji Tetsurô étudit en Allemagne en 1927 où il découvre le livre de Heidegger Etre et temps, puis écrit en 1935 Fûdo, le milieu humain, Léonard Foujita peint à Montparnasse, dans les années 40 Charlotte Perriand s’inspire de vêtements paysans pour créer des meubles contemporains, Paul Gauguin est le plus japonais des bretons, Claude Lévi-Strauss amoureux du Japon s’y rend de nombreuses fois et publiera L’autre face de la lune - Ecrits sur le Japon, l’architecte autodidacte Tadao Ando visite l’Europe à la recherche de Le Corbusier, Roland Barthes publie en 1970 L’empire des signes et s’exerce à la perte de sens que le Zen appelle satori, Akira Mizubayashi l’homme qui habite le français publie Dans les eaux profondes - Le bain japonais, le géographe Augustin Berque détourné vers le Japon pour raison de Révolution culturelle en Chine, où il sera le seul occidental à recevoir, en 2009, le Grand Prix de la culture asiatique de Fukuoka pour ses travaux sur la mésologie...


Pavillon Kikugetsutei - Parc Ritsurin Köen / Takamatsu.

Villa Savoye - Poissy / Le Corbusier 1931.

Les cinq points de l’architecture moderne Madori Distribution - Plan libre Kabeshiro Mur... sans celui-ci - Façade libre Hashira Poteau - Piloti Yane Toit - Toiture terrasse Mado Fenêtre - Fenêtre en longueur


Notions et dispositifs de la spatialité japonaise

Mu Le vide Le néant. La pureté du non existant. Comment rendre visible le vide sans le remplir ? Comment révéler le mouvement du vide, le flux du temps et de la vie ? Quatre poteaux, une corde tendue, une colonne, yorishiro, du sable blanc. Une aire sacrée traversée par le vide. Le geste de l’acteur, la pierre du jardin, la partition de la chambre de thé, le cri d’une flûte sont des traces destinées à révéler le vide, à créer des intervalles de silence et d’immobilité.


Wa Harmonie L’harmonie comme problématique de la relation des hommes entre-eux et des hommes avec la nature, comme quête suprême.

Ma L’intervalle L’idéogramme ma signifie “La lumière de la lune se montrant dans l’entrebâillement d’une porte à deux battants.” Le ma est l’intervalle entre deux choses. Un intervalle concret dans l’espacetemps d’une situation, d’une ambiance, c’est à la fois une liaison et un mouvement entre deux choses qui se succèdent. Il y a une idée de rythme : une unité de mesure traditionnelle, une pièce dans une maison, une pause dans la musique ou la danse, un temps de silence dans la diction, une longueur de tatami, un abri côtier.

Le ma est un espacement chargé de sens, il sépare en reliant comme une pause, un vide, un blanc, un arrêt, un décalage ou un silence. Il introduit dans la suite des signes qu’impose un émetteur des zones libres où le récepteur mobilise son imagination pour y inscrire les significations de son goût. C’est aussi l’alliance des points de vue. Ma-dori, prendre le ma, est l’art de l’architecte. C’est le plaisir de l’intervalle, de la perception successive d’états sans cesse différents de nous-même et du monde, fragmentés par des blancs, des pauses, des silences.


En La transition Il évoque la simultanéité dans un espacetemps non linéaire, la co-existence, kyöson. Elle est proche de la notion de symbiose, de l’association durable entre plusieurs organismes et profitable à chacun d’eux. La co-existence, c’est le “être à la fois ceci et cela”, introduisant la notion de marge, de bordure, de relation, de transition. L’engawa, protégé par le débord du toit, est la plateforme en bois qui ceinture la maison japonaise côté jardin. C’est un espace tampon destiné à amortir le contraste entre l’intérieur et l’extérieur. Il marque la perméabilité entre deux espaces. La fonction des espaces tampons est d’allonger les distances, au sens propre comme au sens figuré.

“L'espace est le milieu ambiant, une offrande tournée vers un extérieur en symbiose avec la nature, mais il n'y a pas de claire démarcation entre un intérieur et un extérieur, mais plutôt une perméabilité mutuelle". Tadao Ando Le en, le lien, la transition, relève de l’enveloppement, tsutsumi, mais aussi des techniques d’empaquetage et du vêtement. L’enveloppement relie plus qu’il n’oppose, il invite aux translations plus qu’il n’y met un terme. Le goût pour l’empaquetage, origata, est ancré dans la culture des japonais. Il requiert minutie et précision (sens des plis, leurs nombres, le choix des couleurs ont une signification précise).


Tsutsumi Kyรถson Enveloppement Co-existence

Chapelle du Mont Rokko - Kobe / Tadao Ando 1986.


Oku La profondeur La profondeur de l’espace, mais aussi ce qui vient après, l’avenir. Oku évoque la translation horizontale, le parcours. Les cheminements s’allongent pour procurer l’ampleur, se compliquent pour donner le sentiment d’inachèvement, d’imperfection, se diversifient qualitativement pour augmenter subjectivement l’étendue, introduisant une logique labyrinthique. Dans la maison ce sont les pièces de la vie quotidienne situées à l’opposé de la façade sur rue. Progression et détour, correspondent à celle de profondeur de champ, mais aussi de dédale. De la complexité des parcours naît la profondeur de l’espace. Les replis donnent de la densité à l’étendue. Compression de l’étendue brute et diversification qualitative. Une spatialité qui privilégie l’asymétrie, minimise les perspectives où chaque aire avec sa logique in-

trinsèque l’emporte sur les lignes et leur logique intégratrice et centralisatrice, où les zones intermédiaires horizontales et enveloppantes prévalent sur les confrontations nettes et les coupures verticales, où l’étendue se complique de détours et de coudes. La spatialité japonaise apprécie la contingence. "En Occident la notion d'espace est constituée par trois dimensions, le temps en ajoute une quatrième, alors qu'au Japon l'espace comprend uniquement deux dimensions. Il est constitué par une suite de plans à deux dimensions; ainsi la profondeur de l'espace était exprimée par la combinaison de plusieurs plans à travers lesquels plusieurs échelles de temps pouvaient être perçues". Arata Isozaki


Miegakure Montré Caché La notion traduit l’état ambigu où un objet à la fois se montre et se dérobe, où il ne se livre pas totalement au premier regard. Dans l’architecture, mais aussi dans l’art des jardins, cela consiste par des tours et détours. Il y a une logique labyrinthique, qui mène à révéler puis faire disparaître de la vue selon les déplacements de l’observateur.

Mujô Impermanence L’impermanence des choses du monde a une dimension temporelle, elle exprime le flux, l’éphémère, le fragile, l’incertitude, le caractère périssable de tout phénomène. C’est une esthétique du fugitif, de la beauté de l’instant, qui fut théorisée au XVIIe siècle : le mono no aware.


Omote / Ura Face / Envers Le couple omote - ura, face - envers, mais aussi devant - derrière ou avant - arrière, est spatialement structurant. Pour les affaires publiques, le visiteur est reçu dans le omotezashiki, pièce de réception située près de la rue et du vestibule. La famille vit dans le ura, l’espace privé éloigné de l’entrée, en milieu de parcelle. Les invités de marque y sont aussi reçus. Dans les parcelles urbaines traversantes on accède dans le jardin arrière, uraniwa, par la porte arrière uraguchi.

Omote c’est aussi le visage, le masque, l’aspect, la surface, le côté externe, l’apparent, le revêtement mais aussi le superficiel. Ura c’est le côté caché des choses, l’intérieur, le revers du vêtement, mais aussi la vérité des choses.


Uchi / Soto Dedans / Dehors Le couple uchi - soto exprime l’acte d’entrer dans un endroit clôturé, l’intérieur, par rapport à l’extérieur. Uchi, c’est aussi le je, le nous, le territoire du groupe, celui des japonais, comme un intérieur par opposition à l’autre, l’étranger, comme extérieur. La maison japonaise a un intérieur peu différencié, mais par contre fortement distinct de l’extérieur. L’opposition uchi - soto structure l’espace habité mais aussi les relations sociales, la langue, la pensée. L’idéogramme suggère un être humain au sein d’un espace semi-ouvert, celui de la maison. Il exprime la notion d’intime et d’intimité. Dans les sanctuaires shintô, le franchissement du tori, portique sacré, marque le passage de l’extérieur à l’intérieur, le passage du profane au sacré.


Modules et matières

Tatami Le tatami est un module rectangulaire de 90 x 180 cm. Selon les époques et les régions, elles peuvent légèrement varier, mais restent toujours un double carrée. Il est constitué de paille de riz recouvert d’une natte de jonc, igusa, et bordé d’un liseré de soie. Ses dimensions correspondent à celles du corps humain en position allongée.


Shôji - Fusuma - Sudare Portes coulissantes démontables Shôji, fusuma, sudare sont des cloisons en bois légères, coulissantes et démontables dont les dimensions correspondent à celles des tatamis. L’architecture japonaise est modulaire. Les shôjis sont disposés entre l’intérieur et le jardin, ils constituent la façade durant la journée. Escamotés, la relation intérieur - jardin devient un parfait continuum. Translu-

cides ils laissent passer une lumière douce et diffuse. Les montants en bois sont recouvert de washi, le papier japon. Une version opaque, fusuma, sépare et délimite les pièces intérieures entre elles. Durant la mousson, les shôjis sont remplacés par des sudares en jonc qui laissent passer l’air, ce qui favorise une bonne ventilation naturelle et améliore le confort.

Washi Papier japonais Washi, le papier japonais, est fabriqué artisanalement depuis le VIIe siècle et reconnu comme patrimoine immatériel de l’humanité. Il est à la fois brut et raffiné, transparent

et opaque, d’apparence fragile mais très résistant. Sa texture le caractérise. C’est un mélange composé de fibres végétales, kôzo + gampi + misumata.


Esthétique Mingei Mingei est un mouvement esthétique né en 1926 qui, face à la modernité, réaffirme la valeur de l’artisanat traditionnel. Son initiateur le philosophe et collectionneur Söetsu Yanagi rassemble des objets, notamment en provenance de Corée, de Taïwan et d’Okinawa, ce qui permet de fonder en 1936 le Musée japonais des arts populaires. Le Mouvement Mingei est l’équivalent asiatique du Mouvement anglais Arts and Crafts. Le terme est forgé de la contraction de minshu qui signifie peuple et de kogei qui signifie art-artisanat. C’est un art primitif, modeste et anonyme qui s’inscrit dans la tradition du travail manuel et allie les valeurs de beauté, de simplicité et de solidité. Il

concerne le textile, la poterie, la céramique, le métal et le bois, notamment le bambou. Il se tient au plus près des valeurs d’usage ordinaires, des objets domestiques du quotidien, plus utilisés que regardés. Il incarne la quintessence de l’esthétique japonaise formée de l’association de deux notions, le wabi-sabi. “Il doit être modeste mais pas de pacotille, bon marché mais non fragile. La malhonnêteté, la perversité, le luxe, voilà ce que les objets Mingei doivent au plus haut point éviter : ce qui est naturel, sincère, sûr, simple, telles sont les caractéristiques du Mingei.” Söetsu Yanagi L’idée du Mingei 1933.


Haïku L’esthétique de la raréfaction Le haïku est l’extrême du dépouillement. Rythme 5 / 7 / 5 en trois lignes. C’est un mélange de verve et de naïveté, de sincérité, d’humilité et de spontanéité. C’est un langage populaire, une langue vivante, basée sur l’improvisation. C’est une sensation juste, précise et concrète. C’est un art brut, étranger aux abstractions et aux jeux de la raison. C’est un art de l’instant qui transmet le plaisir de l’étonnement éprouvé en présence de minuscules événements marqués par l’impermanence. Le haïku est un éloge du dépouillement, de la raréfaction.

Pleine lune Et sur les nattes L’ombre d’un pin.


Esthétique japonaise In-ei Ombre “Seules les ténèbres révèlent la splendeur de l’or”. “Toujours à la recherche d’une clarté plus vive, ils se sont évertués, passant de la bougie à la lampe à pétrole au bec de gaz, du gaz à l’éclairage électrique, à traquer le moindre recoin, l’ultime refuge de l’ombre.” “Les couleurs que nous aimons, nous, pour les objets d’usage quotidien, sont des stratifications d’ombre : celles qu’ils préfèrent, eux, sont les couleurs qui condensent en elles tous les rayons du soleil.”

“De tout temps la surface des laques avait été noire, brune ou rouge, autant de couleurs qui constituaient une stratification de je ne sais combien de couches d’obscurité qui faisaient penser à quelque matérialisation des ténèbres environnantes.” “L’imagination des orientaux se meut dans des ténèbres noires comme laque, alors que les occidentaux attribuent à leurs spectres même la limpidité du verre.” Junichiro Tanizaki Eloge de l’ombre 1933.


Shoji & tatami / Kengo Kuma 2019.

Wabi-Sabi Dépouillement-Patine Notions esthétiques et morales du bouddhisme zen, wabi exprime le goût pour la solitude, l’érémitisme, et sabi celui pour les choses qui portent la marque du temps, une patine. Austérité des formes, couleurs et matières. Elles s’appliquent indiféremment à la cérémonie du thé et à la poésie. C’est une esthétique de l’écoulement, c’est la beauté des choses imparfaites, impermanentes et incomplètes, des choses modestes, humbles ou atypiques. Le wabi-sabi entretien son caractère mystérieux et imprécis parce que l’ineffabilité fait partie de sa spécificité ainsi que son incom-

plétude. Il pourrait renvoyer à la notion de rustique, d’art primitif (simple, naturel, non sophistiqué), à une apparence rugueuse, irrégulière. Le mode de vie de l’ermite ou de l’ascète est favorable à l’enrichissement spirituel qui stimule l’attention portée aux détails de l’existence quotidienne et valorise la simplicité comme esthétique. Le dépouillement, c’est-à-dire la question de l’ornement, dont Adolphe Loos dira qu’il est le crime et les bouddhistes zen une esthétique. Au VIIIe siècle quand la Chine incarne le modèle culturel, sabi signifie être affligé. A partir du XIIIe siè-


Wabi-sabi.

cle, il migre dans tous les arts et signifie prendre plaisir à ce qui est vieux, passé et solitaire, ainsi que la beauté des choses flétries, il signifie aussi rouille. A la fin du XVe siècle, le terme wabi décrit le ton émotionnel et la matérialité saturés de sabi d’une nouvelle forme de pratique de la cérémonie du thé. Théwabi, chanoyu signifie eau chaude pour le thé. La chambre de thé est un espace fermé de petite dimension conçu pour expérimenter un moment de vie idéalisé. Les critères pour la définir sont flexibles. L’invention du thé wabi, date d’une période d’instabilité politique et sociale. Il représente l’accommodement esthétique aux réalités catastrophiques

du jour. A partir du XVIIIe siècle, le wabi-sabi renvoi au système des iemoto, les entreprises familiales qui organisent, commercialisent les informations culturelles des arts : cérémonies du thé, arrangement floral, calligraphie, chant, danse. Le Mono-ha, l’école des choses, est un mouvement artistique japonais des années 60/70 fondé sur le goût des choses dans l’instant (installations temporaires). Mono-ha, utilise le bois, la terre, la pierre, le papier, le fer, le verre et joue avec les contrastes en combinant ces matériaux pour en ressentir la substance et l’existence.


L’univers du wabi-sabi Fondements métaphysiques / Soit les choses se détériorent jusqu’au nonêtre, soit elles se développent à partir du non-être (la hutte d’herbe vivante). Le non-être n’est pas un espace vide mais vivant de possibilités. L’univers est en mouvement constant vers ou à partir du domaine des possibilités. Valeurs spirituelles / La vérité découle de l’observation de la nature. Toutes choses sont impermanentes, imparfaites, incomplètes. La grandeur réside dans les détails discrets et négligés, est en af-

finité avec le mineur, le caché, l’indécis, l’éphémère, de l’ordre du subtil et de l’évanescent. La beauté peut être obtenue à partir de la laideur. Etat d’esprit / Acceptation de l’inévitable, perception esthétique du caractère éphémère de la vie. Perception de l’ordre cosmique. Préceptes moraux / Se défaire du superflu. Se concentrer sur l’intrinsèque et ignorer toute hiérarchie entre les matériaux. Qualités matérielles / Suggestions de processus naturels. Irréguliers. Intimes


Wabi-sabi.

(compact, discret, tourné vers l’intérieur). Sans prétentions. Terreux. Sombre (caractère flou, vague, atténué). Simple. Etat de grâce d’une intelligence empreinte de sobriété, de modestie et de sincérité. La stratégie de cette intelligence est l’économie de moyens. Une atmosphère d’entropie esthétisée. Comment conceptualiser le wabi-sabi ? Une esthétique autre / La transfiguration du banal (comme le Pop art américain du XXe siècle) / La beauté aux confins du non-être (renouveler le regard) / Une élégante pauvreté / L’imperfection (rendre visible le processus d’entropie de la nature) / Point de vue sans ego / Réconciliation de la matière et de l’esprit.

Comparaison Wabi-sabi / Modernisme Les deux sont des approches minimalistes en rupture avec la sensibilité de leur époque (éclectisme-classicisme / culture chinoise), elles bannissent toute décoration. C’est une approche abstraite. Mais elles se distinguent sur de nombreux points : Raison - Intuition / Absolu - Relatif / Solutions universelles - Solutions personnelles / Production de masse Pièces uniques / Foi dans le Progrès Absence de Progrès / Tourné vers le futur - Tourné vers le présent / Contrôle de la nature - Caractère fondamentalement incontrôlable de la nature / Vision roman-


Farnworth House / Mies Van Der Rohe.

tique de la technologie - Vision romantique de la nature / Formes géométriques (la boîte) - Formes organiques (le bol) / Matériaux fabriqués (le lisse) / Matériaux naturels (grossier) / Nécessite l’entretien - S’accommode de la dégradation et de l’usure / Pureté - Corrosion / Clair, lumineux - Sombre, terne / Eternel - Pour toute chose il y a une saison.

tique de l’épuré, va à l’essentiel. Le minimalisme nait de la fusion de la philosophie japonaise du zen, qui fait corps avec cette recherche de la compréhension des choses, et de l’esthétique réductionniste du less is more, le plus c’est le moins, de Mies Van Der Rohe, qui cherche à transcender l’ostentation après l’avoir pleinement explorée.

Esthétique de la disparition

“Le sabi est un état où l’âme s’est séparée du corps. Le Moyen Âge japonais appelait sabi la beauté qui transparaissait des couleurs passées, des objets patinés par l’écoulement du temps ou encore la beauté d’un état de transfiguration devant la désolation.” Arata Isozaki

Au Japon, le minimalisme est lié à l’esthétique du dépouillement, wabi, dans la culture zen. Contrairement aux éléments baroques que sont l’ostentation et le divertissement qui vénèrent la vie, l’esthé-


Art des jardins Le jardin japonais est organiquement lié à l’habitation. En été, les cloisons de la maison se démontent et l’espace s’ouvre largement sur l’extérieur et au-delà du jardin jusqu’à l’horizon. Le dedans et le dehors se confondent, seule la rencontre de l’ombre et de la lumière esquisse une ligne mouvante de démarcation. Le sol, natté à l’intérieur, devient plancher dans l’engawa, puis terre dans le jardin, il y a continuité spatiale entre la maison et le jardin. La notion de katei, maisonjardin, traduit le continuum des espaces clos et ouverts. Celui-ci est appelé sumai, lieu de vie. Aujourd’hui niwa signifie jardin, à l’origine il signifie lieu purifié, yuniwa, et est situé devant un palais ou un sanctuaire shintô. C’est sous l’influence chinoise que l’austère niwa primitif devient un véritable jardin où la nature est

restituée sous forme de paysages réels ou imaginaires. Dans l’art traditionnel des jardins tous les éléments disponibles sont mis en œuvre : arbres, herbes, fleurs, sables, pierres, eaux, mais aussi animaux, tous concourent à composer le tableau. Les arbres sont à feuilles caduques pour traduire le caractère cyclique et impermanent du monde, mujô. L’art du peintre paysagiste et de l’architecte jardiniste sont étroitement liés et donnent lieu, du VIIe au XIXe siècle, à une suite de formes jardinières : jardins de plaisance, paradis, zen, de thé, promenades. Dans les michiya, maisons de ville de l’ère Edo, subsistent des vides, des réserves de nature, des micro-jardins, naka-niwa (hashiri-niwa, tsubo-niwa, oku-niwa), et le shakkei, la notion d’emprunt de paysage, amène le lointain dans la maison.


Le sanctuaire d’Ise dispose de deux emplacements cote à cote qui permettent une reconstruction des bâtiments à l’identique tous les vingt ans. Les sanctuaires sont donc toujours neufs. Réalisation parfaite en bois de cyprès qui n’a subit aucun traitement et dégage en permanence un parfum toujours frais. C’est l’éternellement périssable qui continue de vivre au fil des générations. On compte aujourd’hui plus de soixante reconstructions sur ces deux emplacements alternés.C’est l’épurement de l’éphémère, la projection de l’instant dans l’univers, c’est le symbole de la ligne artistique du Japon.


Musö Soseki, le père des jardins secs.

Kare-sansui Espace sans eau Dans l’art des jardins zen les matériaux sont limités. Pierre et sable. Parfois des arbustes à croissance lente et à feuilles persistantes, ce qui confère un caractère immuable au jardin. La nature est dévêtue pour en révéler la substance. En réduisant la nature à ses plus petites dimensions et en la ramenant à sa plus simple expression on parvient à en extraire l’essence. Les

jardins de pierre sont des tableaux peints sans pinceaux, ils reflètent l’influence des peintures de paysage de l’époque Song qui renonçaient à l’usage de la couleur. Ce sont une expression plastique de la pensée zen, une prière plastique comme dirait le sculpteur Mathias Goeritz. Selon les moines zen il existe un lien entre l’art des jardins et la quête de la vérité.


Musö Soseki Musö Soseki (1276-1351) est le père des jardins secs, dont l’ancêtre fut réalisé au monastère Saihöji (1339-1344) dénommé le temple aux mousses à Kyotô. Il existait un jardin agrémenté d’un étang, il l’agrandit, ménagea des îlots et un embarcadère et trace un sentier au bord de l’étang pour en faire le tour, il inaugure le jardin promenade, modèle qui s’épanouira au XVIIe comme à Katsura, rompant avec la symétrie il dissémine les constructions selon le relief et édifie un pavillon-reliquaire qui devint le prototype des Pavillons d’or et d’argent et édifie des pavillons pour déguster du thé. L’ensemble de ces constructions sont reliées par des galeries qui serpentent selon le relief. Mais il crée un second jardin. Au nord de l’étang une porte s’ouvre sur le mont Köizan, quand on la franchit, on pénètre dans un autre monde, après avoir gravit un raide escalier on découvre dans un sous-bois,

une immobile avalanche de roches répartie par groupes sur trois paliers. De grandes tailles, de même nature, les blocs présentent des arrêtes vives, aucune n’est dressée, celles du palier haut sont basses pour ne pas dominer l’ensemble, toutes sont disposées de façon que le champ visuel semble se rétrécir graduellement du bas vers le haut pour obtenir un effet de profondeur. Composition dynamique presque violente elle exprime une étrange vision de la nature. L’originalité de ce jardin sec est qu’il est établi sur un terrain déclive, dans un bois non clos et est fait avec des pierres provenant du proche environnement, un site funéraire protohistorique, on dirait une œuvre due à la seule nature alors que certaines ont été plus ou moins travaillées et qu’elles figurent une cascade mugissante. C’est un lieu sacré fermé au public, âpre et aride qui représente le monde d’ici bas, opposé à celui délicieux du jardin bas.


Le jardin du monastère du Ryöanji Kyotô Le jardin du monastère du Ryöanji à Kyotô est appelé le jardin du néant, mutei. Il fut construit entre 1499 et 1507. Mesurant deux cents mètres carrés, il est rectangulaire, plat, sablé et comprend quinze pierres réparties en cinq groupes de deux, trois ou cinq. Ne comportant ni eaux, ni plantes, dépouillé de sa chaire végétale et vidé de sa substance aqueuse, malgré un incendie survenu en 1797, les pierres demeurent et défient le temps. Il est bordé au sud et à l’ouest par un muret en terre coiffé d’un toit en tuile, à l’est par un mur blanchi à la chaux, au nord par la longue véranda qui borde la demeure. Une rigole remplie de cailloux qui assure l’écoulement des eaux pluviales, ceinture le terrain. Derrière le muret

un rideau de pins rouges et d’érables fait écran, coupant le jardin du monde extérieur. Par-dessus le sable et les pierres, le ciel couronne le dispositif. Pour meubler le jardin, quinze pierres grisâtres de tailles diverses sont disséminées sur une nappe de sable blanc, des mousses d’un vert sourd ourlent la base des pierres et ajoutent une note de couleur aux tons neutres du tableau, seules deux pierres sont dressées, les autres reposent sur le sol. Aucune ne dispose de traits remarquables, toutes se mettent mutuellement en valeur. Matériaux simples, composition complexe. Le jardin du Ryöanji peu étendu, retranché derrière ses murs, parfaitement plat et rigoureusement géométrique atteint l’abstraction, comme une peinture


Jardin du monastère du Ryöanji, Kyotô.

tridimensionnelle, il exclut toute forme figurative. La composition très aérée laisse place au vide. Et pourtant, là, il y aurait eu dans le passé, un cerisier, mais celui-ci mort laissa la primauté aux pierres. En arrivant la première lecture de gauche à droite donne un groupe de cinq pierres, puis un de deux et un autre de trois, et encore un groupe de deux et un autre de trois. En prenant place sur la véranda et considérant le sens de lecture sino-japonais, on perçoit de ce belvédère un espace oblong: en fond trois groupes de deux, trois et deux pierres, soit un total de sept, puis le groupe majeur cinq, et suivant la règle du boustrophédon, le regard repart dans l’autre sens pour s’achever à droite en avant-plan sur les trois der-

nières pierres. Il est a noté que les pierres du Ryöanji au nombre de quinze, n’en révèlent que quatorze quelque soit le point de vue. Marier la rude dureté de la pierre à la douce fluidité de l’eau procure une jouissance d’ordre esthétique. Le shintôïsme est un culte des formes et des forces de la nature. La pierre doit restée intacte, vraie, telle que les eaux et les vents l’on sculptée, une œuvre du temps. Les pierres et les aires sacrées des temps protohistoriques sont à la source de l’esthétique des jardins secs. Le Kojiki ou Notes sur les faits du passé, compilé en 712, qui contient l’essentiel de la mythologie japonaise fait mention d’une certaine Iwasuhime no Kami, la divine princesse Pierre-sable.


“Originellement, il n’y a pas d’

l’Univers ; le grand et le petit s

lusoires qui flottent dans les cœ

Le Daitokuji est l’un des cinq grands monastères zen de Kyotô. Cité dans la cité, il comprend une vingtaine de quartiers comprenant un petit temple et un jardinet dont le plus célèbre est le Daisenin. Deux grandes pierres dressées suggèrent une cascade tombant d’une haute montagne et donnant naissance à un torrent. Le flot tumultueux s’engouffre sous un pont, s’élargit, engendre des rapides, le torrent devient fleuve qui s’épand dans une vaste plaine et se fond dans l’océan sans fin. Ces paysages se succèdent dans un terrain d’environ soixante dix mètres carrés. Ce jardin compact, au sol plat offre une forte impression de relief. L’espace y est d’une rare densité. La véranda n’est que faiblement surélevée par rapport au sol sablé et la pierre horizontale du premier plan est au même niveau ce qui lie l’intérieur et l’extérieur. Ce petit espace clos semble être une des pièces de la demeure, et la pierre un meuble. Les

hauteurs légèrement différentes des deux pierres dressées, grâce à un effet de perspective, donnent de la profondeur au jardin. Une cloison percée d’une fenêtre et bordée d’un plancher qui permet de rejoindre un autre édifice divise le jardin en deux ce qui permet de multiplier les points de vue. Le Daisenin est la transposition en trois dimensions d’une peinture de paysage chinoise de l’époque Song. Il met en scène des pierres figuratives comme celles du pont et du bateau. Le Ryoanji est abstrait, le Daisenin concret, et exigu. L‘infini de l’univers peut être condensé dans un espace infime, cette confusion entre l’immense et le minuscule entraine l’art du bonzeki et du bonsaï. Les jardins zen sont un produit de l’époque Muromachi (1333-1572) mais ils se sont formés au sein même de jardins s’inscrivant dans la tradition de l’époque de Heian (7941185). A l’époque Momoyama (1573-


’état de grandeur ou de petitesse dans toutes les choses de

sont dans l’esprit de l’homme. Ce ne sont qu’apparences il-

œurs abusés…” Dialogues en rêve / Musö Soseki

1602) apparaissent les jardins de thé mais les jardins zen ne dépérissent pas et accueillent des lanternes de pierre et des dalles de passage. L’histoire du jardin japonais est nourrie par la coexistence et la copénétration de l’ancien et du nouveau. Le jardin représente des montagnes émergeant de l’océan que la version soit réaliste ou abstraite. Le dessin des jardins dérive de l’art d’écrire chinois, considéré comme une branche de la peinture. Il y a trois styles de calligraphie : la forme régulière (écriture moulée), la cursive (plus rapide), l’herbacée (très stylisée). Les règles de l’art calligraphique se sont appliquées à l’art des jardins. Un jardin est dit régulier, shin, quand il comprend de nombreux éléments réalistes (arbres, eaux vives ou dormantes, mouvements de terrain). Il est de style cursif, gyö, quand l’accent est mis sur des motifs symboliques (pierre dressée sug-

gérant une cascade). Il est stylisé, sö, lorsque ses composants sont réduits au minimum et que l’ensemble tend à l’abstrait. Les pierres diffèrent tant par leur forme que par leur taille, il faut donc atteindre un équilibre fondé sur l’asymétrie. Les jardins zen n’ont pas à être parcourus mais sont des décors où seul le regard erre. Il est envisagé comme l’un des moyens de matérialiser l’expérience de l’Éveil, et doit s’écarter du réalisme tout en restant dans le domaine du sensible. Pour exprimer l’inexprimable par l’intermédiaire d’éléments naturels, il importe de dépouiller la nature et il ne reste que la pierre qui par sa densité, symbolise l’ossature de l’univers, la stabilité, et le sable qui par sa fluidité signifie le fluctuant et suggère l’impermanence du monde. Le jardin est la scène où s’affronte l’immuable et l’éphémère. Concentrer l’univers dans un jardin de poche.


Ando le Mono “Mono, matérialité d'une entité, chose, matériaux, espace, relation exclusive s'établissant entre deux matériaux, la dualité en tant qu'unité d'expression crée une tension, une totalité qui soutient l'ordre de la vie : intérieur/extérieur, béton/verre, plein/vide, abstraction/matière, transparence/opacité.” “J’ai commencé avec les meubles, puis j’ai fait des intérieurs, enfin je suis arrivé à l’architecture. Mon souhait est toujours de faire des choses concrètes. Il me faut un travail avec lequel je puisse avoir un rapport direct. Le paradoxe est que plus les travaux sont grands, moins il y a de place pour ses propres idées. Cela est pénible pour quelqu’un qui, comme moi, pense avec ses mains.” “Le corps apprend à habiter le lieu où les ténèbres et la lumière co-existent dans un rapport de symbiose.”

“Lorsque la logique penètre le processus de la conception, le résultat se traduit par une évidence de la structure spatiale, sensible non seulement à la perception, mais aussi à la raison.” “Se concentrer sur le volume des espaces purifiés délimités par un plancher, des murs et un plafond, plutôt que sur la nature même des parois ou de la structure qui sont l'objet de la construction.” ”L'espace borné par une enceinte défini un espace sacré. Le vide est révélé par le dépouillement d'où il émerge. L'espace est le milieu ambiant, une offrande tournée vers un extérieur en symbiose avec la nature, mais il n'y a pas de claire démarcation entre un intérieur et un extérieur, mais plutôt une perméabilité mutuelle.” Citations de Tadao Ando


Chapelle du Mont Rokko Kobe / 1986 L’accès à la chapelle se mérite. Sertit dans son écrin de végétation au fond d’un promontoire, elle est précédée d’un long corridor rectiligne qui désigne l’horizon et non pas la chapelle qui est désaxée. Façon de détourner les évidences. Mais en vérité le corridor est ouvert sur le ciel et baigne dans une lumière vive due aux matériaux translucides qui le couvre. La chapelle s’articule donc comme un labyrinthe de lumière puis d’ombre. Dans le cœur de la chapelle, la lumière provient d’une large baie vitrée ouverte sur un jar-

din intérieur. Les divisions de la surface vitrée forment une croix dont l’ombre se projettera au sol. Deux discrètes failles verticales et une troisième au zénith dans la toiture complètent le savant dispositif de prise de la lumière. Seule verticale de la composition le volume du clocher est indépendant du corps de la chapelle, simple tour à base carré, elle est couronnée d’un percement qui permet d’entrevoir la cloche de bronze. Faisant face à l’autel, l’accès est surélevé de quelques marches et forme seuil.



Maison Koshino Ashiya 1981-84 La maison Koshino est en montagne, dans une forêt, c’est-à-dire dans ce qui est, au Japon, un espace sacré. Là où les dieux, kamis, habitent et non pas les hommes. Comme pour s’en excuser la construction se fait discrète, elle est largement enterrée et ne fait qu’affleurée au niveau du sol. A l’approche, la toiture est donc la première chose vue, la façade principale. Le programme de l’habitation, appartement, atelier, chambres d’amis et terrasse, est fragmenté en trois volumes plus un escalier en entre-deux, c’est-à-dire quatre éléments dont trois sont reliés par des corridors souterrains. De l’extérieur les trois composantes semblent indé-

pendantes les unes des autres. Le dispositif de prise de lumière est un catalogue raisonné de différents types : failles zénithales, failles frontales de type meurtrière, baies toute hauteur, cadrages bas, impostes. La lumière est ainsi canalysée selon les nécessités de l’usage. La matière dominante est encore, c’est une marque de fabrique, le béton lisse rythmé par les empreintes circulaires des pattes de coffrage qui font office de motif récurrent et accroche la lumière. Les murs intérieurs sur lesquels la lumière glisse sont commme des paravents, sans substance et sans poids. Le béton devient une matière lumineuse.




Clinique Pharaoh / KyotĂ´ 1984


Dessins & Photographies de Shin Takamatsu A postériori Minuit sur l’autoroute Osaka-Kyotô. Shin Takamatsu ne pense déjà plus à la soirée agitée d’inauguration du projet dont il vient d’achever la réalisation. Clignotant à droite. Sortie. Il imagine la suite. A coup de dessins. Papier type Canson, format 80 x 110 cm. Crayons à la mine de plomb, beaucoup de crayons. Un mois de travail pour chaque document. Trait par trait. Axonométries. Plans. Coupes. Elévations. L’état de la chose. Dernier acte de l’auteur avant que la vie ne l’emporte. Une pure image pour conclure. Une représentation ... à postériori.


Clinique Ark / KyotĂ´ 1983


Mise au point à propos de Shin Takamatsu Paul Virilio Il n’y a pas plus de critique d’architecture qu’il n’y a de critique de film. Désormais, ce qui est critique, c’est l’espace, le temps qui reste, l’état des lieux. Parmi les architectes, les cinéastes, nombreux sont ceux qui mettent en scène la crise, le dérèglement des comportements. Takamatsu est l’un d’entre eux. Avec lui cependant, l’interrogation n’est plus celle du comment des adeptes de la déconstruction, mais celle du où ? Du quand ? A l’inverse de l’incontinence américaine, l’insularité japonaise autorise en effet cette recherche de mise au point. Où construire ? À quelle période bâtir ? Isolé entre futur et passé, fiction et mémoire, le présent nippon se

réduit à l’instant, au court laps de temps d’une prise de vue photographique du moment. Takamatsu n’échappe pas à ce caractère national. Ses dessins d’une infinie précision se confondant avec les clichés de ses réalisations, l’écart devient infime entre présentation et représentation. Adepte du véhicule statique, confusion du meuble et de l’immeuble, du mouvement et de l’inertie, les bâtiments de Shin Takamatsu abordent l’espace des rues, des avenues, comme la nature ou la locomotive, les quais. Clinique Ark, Clinique Pharaoh, autant d’exemples de ce débarquement métaphorique. Proche d’une archéologie industrielle imaginaire,


Killing Moon 1 / 1986. Clinique Ark, 1983. Détail. Clinique Pharaoh 1984. Détail.


l’œuvre de Takamatsu n’illustre pourtant aucune époque, aucune école, mais seulement un attrait pour l’émancipation de l’architectonique. Chaos d’une précision scrupuleuse, désordre de l’ordre, l’œuvre graphique et ornementale de l’architecte s’enrichit d’éléments empruntés à l’esthétique sidérurgique : bardages métalliques, broches d’acier, cheminées, occulus vitrés, autant de figures d’une

transposition instructive. Instantanés de tensions qui s’exercent ici, à Tokyo, à Kyotô et ailleurs, tensions dues à la densité de la circulation comme à l’hyperdensité de population urbaine, l’œuvre de Takamatsu apparaît comme l’image d’une concentration fatale d’idées prospectives et réminiscentes, réservoir de sens, coffre-fort de valeurs architecturales en voie de disparition.


Ancêtre

Salarymen

Les hôtels capsules ont pour ancêtre la Nagakin Capsule Tower réalisée à Tokyo en 1972 par Kisho Kurokawa. Un noyau central accueille fluides et circulation verticale sur lequel s’accrochent des cellules préfabriquées de huit mètres carré à l’ergonomie fine. Kurokawa est un des acteurs des Métabolistes (avec Tange, Kikutake, Otaka, Maki) les architectes qui, dans les années 60, imprégnés de la notion bouddhiste d’impermanence, imaginent l’architecture et l’urbanisme comme des systèmes évolutifs capables de répondre aux changements et s’écartent des spéculations futuristes d’inspiration machiniste ou cartésienne de l’Occident.

Créés au Japon au milieu des années 70, les hôtels capsules sont situés au cœur des mégapoles japonaises, notamment autour des gares dont ils sont un fréquent appendice. Ils ont pour vocation d’accueillir les naufragés de la nuit, les salarymen. Une clientèle masculine d’employés de bureau, qui après avoir effectué des heures supplémentaires ou des tournées arrosées dans les bars des quartiers animés décident d’y dormir. Conséquence de l’allongement des distances entre le foyer et le lieu de travail, rejoindre son domicile dans un lointain quartier résidentiel situé à deux heures de train devient impossible quand la nuit est trop avancée ou que le service ferroviaire est interrompu.


Godzilla / Programme de circuit interne de télévision d’un hôtel capsule. Gare de Shinzuku.

Kapuseru hoteru / Hôtel Capsule Hybride

Luxe et miniaturisation

La phénoménale augmentation du coût du foncier dans les mégapoles japonaises a peu à peu compromis la survie, voire l’existence de certains équipements de proximité à bon marché, notamment l’hôtellerie classique et les bains publics de voisinage, les sento. L’hôtel capsule est un hybride né de l’association fortuite et innovante d’un hôtel et d’un bain.

L’hôtel capsule est une hôtellerie fondée sur deux principes. Le premier est est l’intégration d’une version revisitée, plus luxueuse, du bain public de voisinage qui améliore l’image de marque et sert d’argument commercial. Le second est la miniaturisation de l’espace privatif, deux mètres carrés, qui permet de pratiquer un prix modeste de nuitée.


Petite tour atypique

Rituel

L’hôtel capsule se conforme, visible en coupe, au principe de composition tripartite des édifices classiques, avec un socle, des étages courants et un couronnement. Le rez-de-chaussée, ouvert sur la ville, contient l’accueil et les vestiaires, les étages courants, sortes de lofts aveugles, les salons de restauration et de télévision ainsi que les cellules pour dormir, le couronnement, largement vitré et en belvédère sur la ville, les bains publics.

Le client règle en avance et reçoit en échange un bracelet numéroté, non pas celui de sa chambre mais celui d’une consigne qu’il trouvera près de l’accueil dans un vestiaire collectif. Là il abandonne dans la consigne ses effets personnels, bagages et vêtements, trouve un peignoir qu’il endosse et un kit de toilette. Avant de rejoindre sa couche il peut disposer d’un ensemble de services : salles de restaurant et de télévision, saunas, bains et toilettes.


Tatami

Mobilier

La cellule-capsule correspond en plan aux dimensions du tatami qui est aussi celle du corps en position allongé (90x180cm). Sa hauteur de un mètre permet aussi d’être allongé assis. Espace minimum donc, mais doté de multiples fonctionnalités : régler la lumière, la ventilation et le réveil matin, regarder la télévision, écouter la radio. Une jalousie en coton, suspendue à l’entrée, ferme l’espace et assure un certain degré d’intimité.

Produit industriel de série, la capsule est de l’ordre du mobilier. C’est une coque en polyéthylène moulée et sertie dans un cadre en métal qui autorise la superposition de deux modules. Fixées sur le cadre métallique, quelques marches permettent l’accès des occupants à la capsule supérieure. Elles sont intégralement fabriquées, assemblage et équipement, par des entreprises spécialisées, puis livrées et installées sur leur plateforme d’accueil comme un produit de second œuvre.


Chanoyu / Cérémonie du thé Portrait de Sanyutei Encho, 1930.


Le thé est importé de Chine par les moines bouddhistes zen qui l’utilise rituellement afin de se tenir éveillés pendant la méditation. L’acte fondateur de la cérémonie du thé est la Grande réunion de thé du sanctuaire de Kitano d’octobre 1587 où Toyotomi Hideyoshi, seigneur de la guerre, ordonna à tous les pratiquants du thé de participer, ce qui mena à la construction de huit cent pavillons de thé dans les bois de pins du parc du sanctuaire de Kitano. Le chanoyu, cérémonie du thé, est une performance artistique multiforme. Décrivons la. Sur un feu de charbon de bois, une bouilloire est placée. La lumière est tamisée, l’encens brûle, un kaiseki, petit gateau, est servi, puis les invités sortent se rafraîchir. L’hôte remplace le parchemin par une fleur, achève les préparatifs du thé, frappe sur le gong et les invités reviennent pour prendre un thé fort. Le rituel commence,toute l’assemblée est assise en tailleur. Essuyer la boite à thé en céramique et la cuiller en bambou avec un linge de soie. Puiser de l’eau dans la bouilloire avec une louche en bambou et la verser dans le bol de thé. Rincer le fouet de bambou. Vider le bol de son eau et l’essuyer avec une serviette de lin humide. Volutes de vapeur et chant de l’eau frémissante. Mettre du thé vert, matcha, en poudre dans le bol, ajouter un peu d’eau chaude, mélanger le tout avec un fouet, ajouter un peu d’eau, fouetter. L’offrir au premier invité, puis le même

bol sera partagé par tous les invités. Puis viennent les questions sur les ustensiles, l’hôte se retire et revient chargé des ustensiles pour servir le thé léger. Le rythme s’accélère, l’hôte verse son thé à chaque invité, à nouveau de petits gâteaux sont mangés. La conversation reprend, des questions sont posées sur la boîte à thé, la laque, la forme de la boîte, l’artisan, puis ils examinent le feu et la fleur en silence. L’hôte ouvre le passage aux invités, s’incline, sort et se tient sur le pas de la porte jusqu’à leur départ. Il médite, lave les ustensiles, ôte la fleur, nettoie la pièce. La salle de thé est vide. L’expérience représente un microcosme de la vie elle même. Une réunion de thé est représentée par l’expression zen : mushinshu où mu est le néant, shin l’invité et shu l’hôte. Loin des soucis du monde extérieur, des valeurs artistiques indépendantes du modèle culturel chinois sont construites par les maîtres de thé comme Kobori Enshu (1579-1647), l’architecte de la villa impériale de Katsura qui a exercé une influence majeure sur les architectes occidentaux du XXe siècle. Le maître prépare le thé lui-même et sur place, à même le sol, sans mobilier et en concevant, fabricant ou rassemblant les ustensiles du thé ainsi que l’environnement. Le détournement et le réemploi y sont particulièrement développés. Le rituel emprunte au théâtre Nô, ses mouvements et son ambiance éthérée.


Inkyo L’ermitage Inkyo signifie aussi bien l’ermitage que le sage qui l’occupe. Il se tient au bout du chemin, dans la profondeur de l’espace, à la limite de la forêt et de la montagne sacrés. C’est une hutte de trois mètres de coté, démontable et transportable, qui incarne l’idéal de simplicité. A partir du XVe siècle, avec le développement des bourgs, l’inkyo migre en milieu urbain et devient chashistu, pavillon de thé. C’est au XVIe siècle, que Sen no Rikyû, une des principales figures de la cérémonie du thé et initiateur de l’esprit dit wabicha, le définit comme un espace de retraite caché au cœur de la ville, un désert.


Chashitsu - Chaseki - Mizuya Pavillon de thé Le pavillon de thé est symboliquement un espace de retraite caché au cœur de la ville. Le jardin a pour rôle de mener les invités jusqu’au pavillon de thé à travers un chemin de pierres dans une forêt d’arbres, de buissons et de mousse. C’est le moyen de quitter la vie mondaine. Le sentier et le jardin qui mènent au pavillon de thé s’appelle roji, ce qui signifie terre humide de rosée. Le traverser c’est quitter la maison brûlante des passions des trois mondes, c’est quitter la maison et entrer, l’espace d’un instant dans un lieu de pureté, de révélation. A l’entrée du pavillon se trouve

un bassin de pierre pour la purification. Avant d’entrer, il est indispensable de se délester des objets du quotidien, de tout, si ce n’est de ce dont on aurait besoin pour la réunion. La salle de thé, chaseki, est sans ornement, elle doit donc être décorée. La disposition des ustensiles de la cérémonie, le choix du rouleau de peinture accroché dans le tokonoma et de la composition florale, ikebana, tous contribuent à créer une ambiance particulière. Il faut se courber pour entrer, l’humilité est de mise. La porte basse nijiriguchi, haute de soixante neuf centimètres, oblige le vi-


Okoshi-e-zu

Jo-an, pavillon de thé, parc Uraku-en, 1618. Maitre Oda Ura

L’Okoshi-e-zu est une maquette pliable en carton qui a servi com exemplaires des salles de thé. Ce type de maquettes pliables repr repliés et confectionnés. L’échelle, les dimensions, les matériaux e pour vérifier l’espace construit et le transmettait au charpentier

siteur à se baisser. Il règne une atmosphère égalitaire où toute hiérarchie est abolie. Surfaces petites, communément quatre tatamis et demi soit 7,29m2, mais il en existe de deux, voire un tatami. Plafond bas, la hauteur sous plafond est de l’ordre de 1,80m. Les fenêtres sont de petites dimensions, elle n’offrent pas de vue directe sur le jardin pour ne pas distraire, mais tamisent la lumière et permettent la ventilation. Entrée minuscule, éclairage tamisé, atmosphère apaisante et enveloppante. Un monde à part (nulle part, n’importe où, partout). A l’intérieur, il est convenu de se déplacer à genoux. Les objets utiles à la cérémonie sont placés à proximité du corps humain, tout est fait pour que l’attention des invités soit tournée vers l’intérieur. Objets discrets, modestes qui co-existent avec leur milieu. Infinités de gris comme les blancs cassés du coton non traité, du

chanvre ou du papier recyclé, comme la rouille argentée des jeunes pousses. Les murs en torchis sont opaques. C’est un moine bouddhiste, Sen no Rikyû (1522-1591) qui ouvre un champ d’expérimentation et de valorisation de l’artisanat japonais. Cela concerne les objets, l’espace et le rituel. Il crée un nouveau type de pavillon de thé sur le modèle de la hutte paysanne (pisé, chaume, bois) et dont la superficie est progressivement passée de quatre et demi tatamis à deux avec une alcôve attenante, tokonoma, et une pièce de un tatami, mizuya, salle d’eau pour la préparation, dont les cloisons coulissantes, fusuma, peuvent se démonter. Ce nouveau modèle évoque une cabane d’ermite qui se fond dans le paysage. Les sens sont stimulés par la réduction spatiale.


aku (1547-1621).

mme objet standard pour représenter et transmettre les formes roduit les œuvres fameuses et étaient fournies en kit diligemment et les revêtements y étaient annotés. Le maître du thé s’en servait r.

Les sept règles de Sen no Rikyû

Le pavillon de thé est une enveloppe minimale. Il y a comme une compression de l’espace, un concentré d’espace où tous les sens subissent une forte stimulation. La co-présence des objets trouvés, réparés, modestes et des objets chinois raffinés et pleins de grâce éleva les objets wabi au même rang que les objets chinois d’importation.

2/ Dispose le charbon de bois de façon à chauffer l’eau.

Sen no Rikyû.

3/ Arrange les fleurs telles qu’elles sont dans les champs (chabana).

1/ Fait un délicieux bol de thé.

4/ En été, évoque la fraicheur ; en hiver la chaleur. 5/ Devance en chaque chose le temps. 6/ Prépare toi à la pluie. 7/ Accorde à chacun de tes invités la plus grande attention.



Pavillon de thé de Tadao Ando Il est conçu comme un lieu d’isolement. Situé en annexe de l’agence, il sert à l’architecte d’espace pour travailler et dormir, voire dans certains cas de lieu pour accueillir des invités. Le pavillon de thé dans sa version urbaine et du XXe siècle s’apparente à un SOHO (Small Office House), ces espaces minimum où chaque centimètre est compté, où l’ergonomie est subtilement étudiée pour faire le maximum dans le minimum. Paradoxe pour Tadao Ando, l’architecte du béton parfait, il est fait uniquement de bois et de fibres végétales. En opposition avec la version rurale, un mobilier est apparu, mais on y trouve toujours un tokonoma pourvu d’un magnifique tableau en graphite.



Tokonoma.


Pavillons de thé / Kengo Kuma Kengo Kuma réinvente l’architecture traditionnelle japonaise en privilégiant l’usage de matériaux de construction locaux, dont il réinterprète les potentialités structurelles et esthétiques. Son travail repose sur quatre notions : la capacité des toits et des sols à établir des liens entre la nature et l’édifice, l’assemblage de petits éléments, parti-

cules, qui fractionnent l’espace, l’organisation du bâti à partir de cloisons mobiles, l’utilisation innovante de matériaux de construction vernaculaires. Pour Kengo Kuma, dessiner des pavillons de thé, c’est entreprendre des recherches architecturales innovantes comme en témoigne ce pavillon de méditation en cours de réalisation à Bali.


Paper snake pavilion / Anyang Corée du sud 2005 Un espace de repos pour les visiteurs du Anyang Public Art Project. Un système en nid d’abeilles est collé entre deux feuilles de trois millimètres de PRF. Ainsi, les matériaux à priori souples deviennent structurels et se composent de manière très fine : les ombres portées des arbres environnants sont vues à travers les panneaux translucides. Les

études ont permis d’optimiser la taille, la forme, le nombre de plis, et les détails des panneaux, au vu du budget proposé. La surface de papier est pliée à l’image d’une spirale en mouvement, jouant avec la topographie du site à travers les arbres, et créant de petits espaces protégés pour se reposer et profiter du paysage environnant. 46m2.


KXK Musée d’art contemporain Hara Shinagawa-ku Tokyo 2005 Un pavillon nomade pour représenter une marque de champagne. Dans notre tentative de nous éloigner au maximum d’une architecture dont la forme est figée, une membrane extrêmement souple composée d’un entrelacs de tubes de deux millimètres d’un matériau appelé EVA est montée sur une structure en alliage à mémoire de forme. Ainsi composée d’un entrelacs de tubes de deux millimètres de diamètre : elle peut être assimilée davantage à une membrane

qu’à une armature, et tend à neutraliser au plus haut degré la dichotomie entre membrane et armature. Puisque l’alliage à mémoire de forme change de forme en fonction des changements de température, le dôme est plus proche de la biologie que de l’architecture. Finalement, le réchauffement assoupli l’alliage, permettant de plier le dôme dans une malle pour pouvoir le faire voyager à travers le monde. 4m2.



Oribe Ceramics Park Mino / Tajimi Gifu 2005 Un salon de thé temporaire. La forme fait penser à un cocon de forme irrégulière, un hommage au bol historique déformé du maitre de cérémonie du thé Furuta Oribe. Quatre-vingt-douze pièces de plastique ondulé sont fixées avec des at-

taches. Une fois les profils détachés, le salon de thé renvoie immédiatement à un assemblage de matériaux courants et portables. Ce salon de thé a été installé pour Archilab à Orléans (2006), puis à Rome, Chicago et Pékin. 8m2.


Fu-An Festival de thé / Shizuoka Tokyo 2007 Un salon de thé, sans murs ni colonnes, enveloppé par un super organza, un tissu extrêmement léger inventé au Japon. La flottabilité du gaz hélium est en balance avec le poids du tissu. Des

galets sont placés en pied de voile afin de maintenir l’ensemble. Le salon de thé, doux et léger, offre une nouvelle façon d’expérimenter la cérémonie du thé. 8m2.


Kakoi / Musée d’art Frankfort 2007

Cette maison de thé se compose d’une membrane gonflable en Tenara, une fibre synthétique douce, légère et transparente. L’espace apparaît comme une créature lorsque l’air est injecté entre les membranes. Cette architecture qui

respire est une interprétation de l’idée originale du pavillon de thé Kakoi, un espace temporaire. Le gonflage prend environ dix minutes du début à la fin, et les détails ont été conçus dans un souci de montage facile. 31m2.


Ho-Jo An / 800 ans plus tard Shimogano Izumigawa-cho Sakyo-ku Kyotô 2012 Kamono Chomei (1155-1216), l’auteur de Hojo-ki Notes de ma maison de dix pieds a résidé dans une maison qui est décrite comme le prototype de la maison compacte. Le projet a pour objectif de reconstruire cette maison avec une méthode moderne, dans l’enceinte du sanctuaire de Shimogamo Jinja. Le mot Ho-jo An signifie petite et humble maison (3x3m). Cette maison à taille humaine, qui constitue l’origine de l’espace de vie japonais, offre aussi un contact intime avec la nature. Kamono Chomei a construit Ho-Jo-An comme une maison mobile à l’époque du turbulent Moyen-Age. Pour accentuer l’idée de mobilité, nous avons créé une combinaison de films d’EFTE qui peuvent être roulés et transportés. A cha-

cun des vingt et un films est collé un élément en bois de cèdre (section 20x30mm) et ces éléments de bois en forme de bâton sont fermement assemblés avec de puissants aimants, agissant comme une sorte de structure en tensegrité (faculté d’une structure à se stabiliser par le jeu des forces de tension et de compression). Les trois films souples sont assemblés dans une unité qui forme une boite solide. 9m2.


Yure / Jardin des Tuileries Paris 2015 Yure, du japonais tanguer, est un habitat nomade en mouvement. Il ondule comme les arbres qui balancent leurs branches et leurs feuillages au gré du vent. Composé de tasseaux de bois de section unique

(90x180mm), ceux-ci se superposent et s’assemblent en tournoyant créant un volume dynamique. Il manifeste une géométrie organique par une simple composition géométrique d’éléments de bois.


Owan / Foire du design Miami-Basel 2016 Cette installation a été présentée lors de la Foire du design Miami-Basel 2016. Elle est un exemple de quelque chose qui existe en 2D et peut soudainement se transformer en trois dimensions grâce à une petite coupure (2 mm). Une plaque de métal épais prend à la forme d’une

chose organique en trois dimensions. Owan est le mot pour désigner le bol dans lequel on sert la soupe miso. Dans le Owan chacun peut s’imaginer dans un monde différent. Il est facilement transportable et peut apparaitre comme un univers tridimensionnel. 22,25m2.


Pavillons de thé / Terunobu Fujimori Terunobu Fujimori est un historien de l’architecture japonaise contemporaine, il enseigne à l’Institut en sciences industrielles de l’Université de Tokyo. Il a réalisé de nombreux pavillons de thé d’inspiration naïve. Son travail est proche de l’Art brut.

“Une construction ne doit ressembler à aucune autre construction, passée ou présente, ni même s’inspirer d’un style développé depuis l’âge du Bronze.” Terunobu Fujimori



Shin-Ken 1997


Tan-Ken 1999



Ku-An 2003



Ichiya-Tei 2003



Takasugi-An 2004



Chashitsu Tetsu 2006


Maquettes / Pavillon du Japon Biennale de Venise 2006


Réchauffement climatique / Tokyo 2101


Ji-an / So-an / Gyo-an / Shigeru Uchida 1993

Ji-an, la maison de la perception, Soan, la maison de composition et Gyoan, la maison des souvenirs. Construits en bambou avec une doublure en papier japonais, ils peuvent être démontés et reconstruits à divers endroits. En fabriquant un chashitsu portable à partir de matériaux naturels et transparents, le concepteur, un designer, explore l’interconnexion des espaces intérieurs et extérieurs et la relation entre l’homme et la nature. À l’origine, le lieu de la cérémonie n’est pas toujours une maison, mais simplement un royaume délimité.


Kou-an / Tokujin Yoshioka 2011

Situé dans l’enceinte du temple Tendai Sect Shoren-in, classé parmi les Trésors nationaux du Japon. À l’origine, la cérémonie du thé était générée dans un espace microcosmique clos. Ici, la transparence due au verre rend le pavillon presque invible, la lumière génère des motifs multicolores et les pliures des ondulations comme à la surface de l’eau. “La maison de thé en verre transparent nous permettra de reconnaître les essences de la nature et de se fondre dans l’environnement.” Tokujin Yoshioka


Fleur de neige 2017 / Acier inoxydable, aluminium, fibre de carbone, papier japonais.


Breathing Earth, Una citta ideale, 2009.

Susumu Shingu Atmosphère Air Vent Souffle Engagées dans une oscillation permanente les sculptures de Susumu Shingu transmettent un sentiment d’équilibre instable, matérialisent les mouvements de l’atmosphère, au-delà de son rôle de force éolienne. Elle révèlent le caractère cyclique du vivant, de son éternel recommencement.

Eau Associées à l’eau, ce sont alors Vent & Eau. Les sculptures de Susumu Shingu baignent dans des substances fluides à l’écoute du hasard, se transforment sous l’impulsion des forces naturelles, captent la fugacité d’un instant.


Rythme astral 2012 / Acier inoxydable, aluminium, fibre de carbone, papier japonais.


Mouvement de l’air Pression hydraulique Pesanteur Versatilité du vent Polymorphisme de l’eau Immuabilité de l’attraction terrestre Caravane du vent 2000 - Groupe de 21 sculptures / Acier, fibre de carbone, polyester.


Stream of Time 2013 / Acier inoxydable, aluminium, fibre de carbone, polyester.


Bouteille en bois avec poils et mobile, Alexandre Calder, 1943.

Susumu Shingu met en œuvre des matériaux sophistiqués : acier, aluminium, fibre de carbone, polyester. Leurs assemblages lui permettent d’atteindre ses objectifs de précision, d’équilibre, d’élégance, de légèreté. Il y a là un rapport raffiné à la technologie plutôt qu’une surenchère technologique. L’approche est emprunte de délicatesse mais elle est en rupture avec les œuvres et recherches antérieures, de la même veine, mais d’une autre époque, celles d’Alexander Calder, cet autre sculpteur de l’air. Comment ne pas faire le lien avec l’auteur des Mobiles et Stabiles qui au milieu du XXe siècle bricole ses sculptures avec des bouts de fil de fer et de simples pinces ou bien encore avec de l’acier soudé au chalumeau. Il y avait une brutalité industrielle chez Calder il y a une délicateesse virtuelle chez Susumu Shingu. Question d’époque.


Habitation Est du Japon.

Jardins irriguĂŠs, Toshigi Japon.


Junya Ishigami le poète

Comment qualifier Junya Ishigami autrement ? Ni le terme d’architecte, ni le terme de paysagiste ne conviennent vraiment tant Junya Ishigami réinvente la pratique du projet. Le qualifier de poète, c’est bien sûr exprimer la forte charge poétique de ses travaux, l’émotion ressentie devant ses mots, ses maquettes, ses dessins, ses collages, en attendant d’avoir un jour la chance de

voir les réalisations, mais c’est surtout révéler le créateur de paysages intérieurs qui puisent au plus profond de notre inconscient. Nous pourrions aussi essayer celui de fabriquant de paysages oniriques. Créér un lac, déplacer des arbres, les replanter, créer une multitude d’étangs pour réaliser un jardin où l’eau, la terre et le ciel dialoguent comme dans un rêve.


Chapelle Shandong Chine.


Jean Nouvel, Junya Ishigami, Marc Vaye, François Bouvard à la Fondation Cartier pour l’art contemporain.

Remodeler une colline pour accentuer l’effet de jaillissement d’une forme incertaine. Un pli de béton brut de dimensions aux rapports extrêmes : hauteur 45 mètres, largeur 1,3 mètres dans sa partie la plus étroite. Espace ouvert à la fois monumental et enveloppant, exposé aux intempéries et offert à la lumière. Ici l’épaisseur de la matière varie de 22 à 180 cm. Ailleurs comme dans l’espace polyvalent à Kanagawa, la feuille d’acier mesure 12 mm d’épaisseur et franchit 70 mètres. Défis techniques au service d’un imaginaire primitif : terre, ciel, horizon, nuages, vents, pluies, forêts, grottes, jardins, plantes, enfants, animaux... Merci Junya Ishigami, mille fois merci, vos travaux enchantent les jeunes pousses de l’architecture, les Takenokos comme vous les appellez au Japon.


Fondamentaux Eloge de l’ombre / Tanizaki Junichiro, PUF, 1986. Le sauvage et l’artifice, les japonais devant la nature / Augustin Berque Editions Gallimard, 1986. Du geste à la cité, formes urbaines et lien social au Japon / Augustin Berque, Editions Gallimard, 1993. Le sens de l’espace au Japon - Vivre, penser, bâtir / Augustin Berque avec Maurice Sauzet, Éditions Arguments, 2004. Le temps et l’espace dans la culture japonaise / Katô Shüichi, CNRS éditions, 2009. Histoire de l’habitat idéal - de l’Orient vers l’Occident / Augustin Berque, Editions du Félin, 2010.

Fûdo - Le milieu humain / Watsuji Tetsuro, CNRS editions, 2011. 20 maisons japonaises - Un art d’habiter les petits espaces / Isabelle Berthet Bondet, Parenthèses, 2013.

Vocabulaire de la spatialité japonaise / sous la direction de Philippe Bonnin, Nishida Masatsugu, Inaga Shigemi, préface de Augustin Berque, CNRS éditions, 2014. La maison japonaise et ses habitants / Bruno Taut, Editions du Linteau, 2014. Dispositifs et notions de la spatialité japonaise / Benoit Jacquet, Philippe Bonnin, Nishida Masatsugu, PPUR, 2014. Formes empreintes, formes matrices, Asie orientale / Augustin Berque, Les presses du réel, 2015.

Ma et Aida - Des possibilités de la pensée et de la culture japonaises / Sakae Murakami-Giroux, Fujita Masakatsu, Virginie Fermaud, Éditions Philippe Picquier, 2016. Façon d’habiter au Japon - Maisons, villes & seuils / Philippe Bonnin, Jacques PezeuMassabuau, CNRS éditions, 2017. Dans les eaux profondes - Le bain japonais / Akira Mizubayashi, Arléa, 2018.


Les trente six vues du Mont Fuji / Hokusai 1833.

Références

Littérature

Arts / Esthétique

L’autre face de la lune - Ecrits sur le Japon / Claude Lévi-Strauss, Editions du Seuil, 2011.

1910 / 1970 Japon des Avant Gardes / Ouvrage collectif, Editions du Centre Pompidou, 1986.

L’empire des signes / Roland Barthes, Editions du Seuil Points, 2007.

Pleine lune et sur les nattes l’ombre d’un pin / Cesare Brandi, Arléa, 2012.

Tokyo - Portraits & Fictions / Manuel tardits, Le Gac Press, 2011.

Hokusaï aux doigts d’encre / Bruno Smolarz, Arléa, 2013.

Le Japon ou le sens des extrêmes / François Laplantine, Agora, 2017.

Wabi-sabi, à l’usage des artistes, designers, poètes et philosophes / Léonard Koren, Le Prunier Sully, 2015.

Aventure Japon / Robert Guillain, Arléa, 2018. Au Japon / Albert Londres, Arléa, 2010.

Le jeu de l’éternel et de l’éphémère / Nelly Delay, Editions Philippe Picquier, 2016.

Le Pavillon d’Or / Yukio Mishima, Editions Gallimard, 1961.

Wabi-sabi, pour aller plus loin / Léonard Koren, Le Prunier Sully, 2018.


Les trente six vues du Mont Fuji / Hokusai 1833.

Architecture Ando par Ando / Serge Salat & Françoise Labbé, Arc en rêve, 1988. Tadao Ando - Ombres portées / Giordano Tironi, 1988. Shin Takamatsu / Xavier Guillot, Electa Le Moniteur, 1989. Tadao Ando - Album de l’exposition / Editions du Centre Pompidou, 1993. Tadao Ando - Pensées sur l’architecture et le paysage / Yann Nussaume, Arléa 1999. Faire son nid dans la ville - Japon 2006 / Archilab, HYX, 2006. Le case del tè - Gli spazi del vuoto e dell’inatteso / Francesco Motagnana, Tadahiko

Hayashi, Yoshikatsu Hayashi, Electa, 2009. La poétique de l’architecture / Maurice Sauzet, Editions Norma, 2015. Regard sur l’architecture de Tadao Ando / Yann Nussaume, Arléa, 2017. Quelques mots pour le futur / Ieoh Ming Pei & Fumihiko Maki, Arléa, 2018. Fumihiko Maki - Architecte au long cours / Michel Thiollière, Arléa, 2018. Le défi - Tadao Ando / Sous la direction de Frédéric Migayroux, Flammarion, 2018. Freeing Architecture / Junya IshigamiLIXIL Publishing - Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2018.


Jardins

Cinéma

Dresser des pierres planter des bambous / Nan Shan, Les deux océans, 2002.

Le Goût du riz au thé vert, Yasujirö Ozu, 1952. Printemps précoce, Yasujirö Ozu, 1956.

Vie du thé - Esprit du thé / Soshitsu Sen, Arléa, 2013. La tentation de Kyoto / Jean Sarzana, Arléa, 2014.

Fleurs d’équinoxe, Yasujirö Ozu, 1958. Le Goût du saké, Yasujirô Ozu, 1962. L’empire des sens, Nagisa Oshima, 1976.

La mystérieuse beauté des jardins japonais / François Berthier, Arléa, 2015. Kyoto - Un monde qui ressemble au monde / Gérard Macé, Arléa, 2017. La structure de l’Iki / Kuki Shuzo, PUF Quadrige, 2017. Louanges des mousses / Véronique Brindeau, Editions Philippe Picquier, 2018.

Les 7 samouraïs, Akira Kurosawa, 1954. La médiathèque de Sendaï, Toyo Ito, 2005. Maison Sugimoto, Kyoto, 1723, Richard Copans, Les films d’ici - ARTE, 2007. The Rolex Learning Center, EPFL, Lausanne, SANAA, 2010, Richard Copans, Les films d’ici - ARTE, 2012.


#5

L’archipel du presque rien / Japon

Fondation Vitra, Bâle, Tadao Ando, 1993.

Copyright / Tout a été entrepris pour identifier les auteurs des documents qui figurent dans cette édition numérique universitaire. © Paul Virilio, © Kaburaki Kiyokata, © Tadao Ando, © Kengo Kuma, © Mies Van Der Rohe, © Alexandre Calder, © Junya Ishigami, ©Shin Takamatsu, © Térunubu Fujimori, © Shigeru Uchida, © Tokujin Yoshioka, ©Susumu Shingu, © Katsushika Hokusai. © Marc Vaye.

Editoriaux / Atelier Marc Vaye

Printemps 2019


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