Spéciale 2006

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SpĂŠciale 2006

ESA Productions


Sommaire

Editorial

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Nuit des “Tour Eiffel” Prix Esa

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Palmarès 2006

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Prix Esa 2006 Prix des meilleurs diplômes Mention Matthieu Ballarin Plateforme d'échanges, articulation des infrastructures du transport à la ville

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Mention Marine Jacques-Leflaive

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Support sensible, un lieu d'union

Concours

ci-contre : Remise des trophées du Prix Esa 2006, Yan Liu, lauréate Prix Esa 2005 et Marine Jacques-Leflaive, lauréate Prix Esa 2006. page suivante : Matthieu Ballarin, lauréat Prix Esa 2006.

Crédits des illustrations © Grégoire d’Amiens 2006 © Guy Vacheret 2006 © Marc Vaye 1988 Nous avons tout entrepris pour contacter et indiquer les auteurs des illustrations. Quand ce n’est pas le cas, nous prions l’auteur de s’adresser à Esa Productions. Sont concernées les pages 38,39,40,41,50,51. © Esa productions 2007 Philippe Guillemet & Marc Vaye ISBN : 2-916485-03-1 ISSN : 1951-8137

Mini maousse/ Mini maisons roulantes Institut français d'architecture

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Innover avec la terre cuite Partenariat Esa/Koramic Wienerberger

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Entretien avec Paul Virilio

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Editions Spéciale

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SpĂŠciale 2006


Editorial Marie-Hélène Fabre Responsable des études

Spéciale. Quel autre nom donner à l'annuel de l'Ecole Spéciale d'Architecture, l'Esa ? Dans cette troisième édition, Spéciale 2006, la richesse, la diversité et la vivacité qui font la force de l'école sont au rendez-vous. Autant d'atouts que j'ai découverts et appréciés depuis cette première année que je passe à l'Esa. Richesse des contenus et des formes d'enseignement, avec notamment les workshops en point d'orgue. Didier Faustino au printemps et Daniel Buren à l'automne sont intervenus respectivement sur les thèmes Animalités/Illégalités et Voir sa ville - Ecrire un cadrage de la ville. Chacun à leur manière ont fait travailler les étudiants sur le rapport à soi et le rapport au monde, essentiels pour comprendre et faire l'architecture. Diversité, et richesse encore, des personnes qui composent l'Ecole, avec au premier chef les étudiants d'origines et de cultures multiples. Diversité aussi dans la réflexion menée à l'Ecole comme en témoigne les deux diplômes mentionnés pour l'année 2006 portant sur une plateforme multimodale dans la banlieue nord de Paris et sur un lieu d'union.

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Vivacité, enfin. Etudiants comme enseignants se sont à nouveau distingués par leur projets et réalisations en 2006. Hommage leur a été rendu pendant la Nuit des Tour Eiffel qui s'est tenue en novembre. L'Ecole Spéciale d'Architecture se doit d'être sur la brèche, en permanence, pour assurer ces trois qualités qui font sa force. Elle est porteuse à cet effet d'un dynamisme et d'un projet qui demandent rigueur et générosité. Ce dernier point est fondamental et requiert la participation de tous pour une école toujours Spéciale.


De décembre 2005 à octobre 2006, sur les 64 diplômés, 22 ont obtenu la mention. Le 27 octobre 2006, un jury de présélection sur documents, composé de : Alain Pélissier, architecte Dplg, directeur de l'Esa, Gilbert Gallieni, architecte Desa, président de la Sadesa, Fabienne Bulle, architecte Desa, professeur d'atelier, Sébastien Chabbert, architecte Desa, professeur d'atelier, a retenu cinq finalistes : Matthieu Ballarin Plateforme d'échanges, articulation des infrastructures du transport à la ville Diplômé le 9 décembre 2005

Nuit des “Tour Eiffel” La nuit des Tour Eiffel est une fête qui se tient chaque année en décembre et rassemble tous les acteurs de la vie de l'école et leurs invités. La soirée est ouverte par la proclamation du Palmarès Esa qui rappelle les succès remportés par les enseignants, élèves et anciens élèves. Elle permet de décerner et rendre public le Prix Esa qui récompense les meilleurs travaux de diplôme. La soirée se prolonge par un cocktail et une soirée dansante.

Prix Esa 2006 Le Prix Esa est le prix annuel des meilleurs travaux de diplôme, il s'adresse aux élèves ayant obtenu la mention lors de la soutenance. Il est doté de 5.000 Euros pour moitié par l'Esa, pour moitié par la Sadesa.

Benjamin Godiniaux L'influence de l'outil dans la conception architecturale Diplômé le 8 juin 2006 Marine Jacques-Leflaive Support sensible : un lieu d'union Diplômée le 8 juin 2006 Sung Mi Kang et Victoria Miny Pneuma Diplômées le 9 juin 2006 Seung Eun Lee Reconversion des Magasins généraux d'Austerlitz Diplômée le 12 octobre 2006 Le 10 novembre 2006, le jury présidé par Richard Edwards, président de l'Esa, et composé de : Yan Liu, architecte, Premier prix du Prix Esa 2005, Françoise N'Thépé, architecte, Jean-Paul Robert, architecte, critique, Raed Skhiri, architecte, représentant de la Sadesa, a établi le palmarès suivant : Mention Matthieu Ballarin Plateforme d'échanges, articulation des infrastructures du transport à la ville Mention Marine Jacques-Leflaive Support sensible : un lieu d'union

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Nuit des “Tour Eiffel”

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Matthieu Ballarin Desa 2005, Mention Prix Esa 2006 pour son travail de fin d'études Plateforme d'échanges, articulation des infrastructures du transport à la ville. Directeur de mémoire Jacques Sautereau.

Emilie Cappella sur le peintre Eugène Carrière (1849-1906), Editions Magellan & Cie Paris 2006.

Marine Jacques-Leflaive Desa 2006, Mention Prix Esa 2006 pour son travail de fin d'études Support sensible : un lieu d'union. Directeur de mémoire Lionel Lemire.

Fabienne Bulle, Desa 1977, professeur à l'Esa, pour les concours Groupe scolaire 3 à Magny le Hongre et Commissariat de police à BoisColombes.

Léo Martial et Félix de Montesquiou, élèves de 1ère année, pour Ubiquo, Mention coup de cœur, concours Minimaousse, minimaisons roulantes, hybrides entre véhicule et maison, IFA 2005/2006.

Odile Decq, architecte, professeur à l'Esa, pour Information center Greenland/Group international furniture à Shanghaï.

Christian Laforgue, architecte, professeur à l'Esa, trophée d'honneur.

Didier Fiuza Faustino, architecte, pour le workshop Animalités / Illégalités ?

Charles-Edmond Henry, élève de 4ème année, lauréat du concours Europan 8 pour le projet JSI-je suis ici, urbanité européenne et projets stratégiques à Hénin-Carvin.

Chris Younès, philosophe, professeur associée à l'Esa, pour l'ensemble de son œuvre en architecture et en philosophie.

Eduardo Leal De La Gala, intendant, pour Moi, Carrière… le poème adorable et tragique des tendresses humaines avec Agnès Lauvinerie, textes rassemblés et présentés par

Thomas Heuzé et Valérie Vaudou, architectes, professeur invité et professeur associée à l'Esa, pour le concours de restructuration et extension du lycée Florian à Sceaux.


Palmarès 2006

Françoise Quardon, artiste, professeur d'art à l'Esa, pour l'exposition Les ruines des hommes, Galerie Métropolis à Paris.

Ralph Choueiri 5.2, I-Fan Juang 5.1, pour I-RA, Premier prix exaequo du workshop 2006 Animalités/Illégalités ? Didier Fiuza Faustino.

Frank Salama, architecte, professeur associé à l'Esa, pour La Maison G à Maison-Laffitte.

Nicolas Polaert 1.2, Martial Marquet 2.2, Léopold Lambert 3.2, Florian Bouziges 2.2, pour Tous illicites, Premier prix ex-aequo du workshop 2006 Animalités/Illégalités ? Didier Fiuza Faustino.

Isabel Herault, architecte, professeur associée à l'Esa, pour le concours du siège social Rossignol à Grenoble. Roueida Ayache-Architecture Studio, Desa 1989, pour l'Ecole des Beauxarts de Clermont-Ferrand et la tour de l'hôtel Rotana à Abdali-Amman.

Charles Marmion-Soucadaux 2.2, Li Fang 2.2, Jean-Philippe Sanfourche 2.2, pour Waste, Premier prix exaequo du workshop 2006 Animalités/Illégalités ? Didier Fiuza Faustino.

Tristan Brisard et Alexandre Clarard, Desa 2005, pour le Caue de la Mayenne à Laval.

Nicolas Mussche 1.1, pour Groupe T, Premier prix ex-aequo du workshop 2006 Animalités/Illégalités ? Didier Fiuza Faustino.

Lankry Architecture-Thomas Billard, Philippe Lankry, Raed Skhiri, Desa 1988, 1990, 1992, pour le service de psychiatrie adulte du centre hospitalier à Amboise-Château Renault.

Félix Millory 3.1, pour Out house, Premier prix ex-aequo du workshop 2006 Animalités/Illégalités ? Didier Fiuza Faustino.

Jean-Philippe Poirée-Ville, Desa 1996, pour le jardin en plein ciel de l'Inra à Versailles.

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Prix Esa 2006 Mention Matthieu Ballarin Plateforme d'échanges, articulation des infrastructures du transport à la ville Directeur de mémoire : Jacques Sautereau. Autres membres du jury : Isabel Hérault, François Gillet, Rémi Rouyer, Urs Keller.

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Avant-propos Sujet et démarche Introduction Enjeux urbains contemporains

Lorsque j'ai entrepris ce travail de fin d'études, mon ambition était de réaliser une analyse typologique de sites de la banlieue parisienne autour des infrastructures du réseau de transports et des limites qu'elles généraient. Après deux mois de travail de relevé et de reconnaissance de différents sites hétérogènes, je me suis recentré sur un site unique, tant la tâche sur celui-ci semblait déjà énorme. Cette ambition de départ m'a au moins permis d'explorer les problématiques que j'allais rencontrer de façon générique et les tissus urbains de la banlieue. De plus, cela m'offrait un choix parmi plusieurs paysages et contextes. J'avais alors dans l'idée que le travail sur ces territoires fragmentés par les infrastructures allait s'orienter vers la façon de retourner la ville sur elle-même, le long de ces limites, et donc de dialoguer avec les tissus qui les bordaient. Au regard des enjeux que portait chacun de ces sites et de leur potentiel de mutation, je me décidais pour le futur pôle intermodal du Bourget, inclus dans le développement de la plateforme aéroportuaire du Bourget, comprenant alors que l'on pouvait s'affranchir de ces limites par le pôle intermodal. Cette intuition fut confirmée par la suite, d'une part lors de ma première rencontre avec François Gillet et Eric Lambert de l'Etablissement public d'aménagement de la Plaine de France, et d'autre part au fil de mes recherches. Il y avait là une richesse propice au développement de problématiques renouvelées par la thèse de la mobilité et les besoins divers et variés que les trois communes impliquées pouvaient avoir, en commun ou pas. Le pôle était inscrit dans une procédure de projet regroupant tous les acteurs concernés : collectivités, investisseurs, sociétés de transport en Ile-de-France. Elle était assez avancée pour avoir déterminé orientations et financements. L'intérêt du projet devenait, au-delà du seul pôle intermodal, une réflexion sur ces nouveaux carrefours urbains. Ces nœuds semblaient s'étendre sur un territoire qui dépassait le simple cadre du pôle, mettant en jeu les infrastructures et le délaissement dont elles faisaient l'objet, quitte à se placer dans une position radicale par rapport au projet en cours, nécessairement consensuel puisque soumis aux divergences politiques et d'intérêts d'acteurs hétérogènes. C'était l'occasion d'aborder une réflexion prospective dépassant les enjeux locaux en répondant par des dispositifs à la fois urbains et architecturaux à des enjeux territoriaux.

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Malgré les efforts portés en faveur de la requalification de la capitale et de sa couronne immédiate, on ne s'intéresse que très peu à l'extérieur de la première couronne dans des projets urbains globaux. Les approches sont très parcellarisées, car les disciplines concernées n'ont pas ou peu d'approches transversales. Les références font d'ailleurs un peu défaut. Etant l'un des territoires de l'agglomération parisienne, sur lequel porte de multiples enjeux, on s'attendrait à ce que cette partie de la banlieue fasse l'objet d'études et de projets. De fait, son positionnement au cœur des ramifications du réseau de transports autour de Paris lui donne une place privilégiée sur les axes de développement économiques. Cependant, pour ce territoire considéré comme déjà urbanisé - ce qui, d'une certaine façon, est vrai, car les tissus en sont fortement constitués - on a considéré que la surdensification du paysage urbain par le passage des infrastructures n'était pas un problème. Toutefois il semble qu'aujourd'hui une étape d'urbanisation n'a pas été franchie. Au regard de la saturation de mobilité que les transports génèrent, n'y a-t-il pas une limite ou des franchissements à retrouver entre infrastructures lourdes de transports, fragments de territoire méta-urbain et les environnements urbains qu'ils questionnent, c'est-àdire les espaces de la ville quotidienne. La confrontation du banal, la ville quotidienne, et de l'objet plus ou moins monstrueux, au sens où il n'est ni anodin ni neutre, auquel il fait face pose la question de leur relation. Cette question est une préoccupation depuis longtemps. Au cours de déplacements aussi divers que nombreux, j'ai eu l'occasion de constater l'étendue de cette confrontation. A l'heure actuelle, les collectivités locales des banlieues d'agglomération commencent à s'intéresser de plus près à des friches urbaines sur lesquelles elles préféraient ne pas porter les yeux il y a quelques années. Un travail important de sensibilisation reste à faire dans ce domaine pour inciter les collectivités à se pencher sur le problème suivant : comment intégrer ces friches à la ville, quand bien souvent ces dernières sont liées à la proximité d'une nuisance particulière et souvent rédhibitoire. La majeure partie de ces nuisances résulte de l'implantation d'autoroutes ou de voies ferrées bruyantes, chargées de pollutions aussi bien réelles que symboliques. Elles deviennent à la fois de véritables obstacles topographiques pour les riverains et une non-façade urbaine, arrière de la ville mal assumée.


Si la ville est un espace, elle est aussi un temps, rythmé par des usages et des flux. Temps de l'établissement humain sédentaire, reposant sur des pratiques parfois millénaires et dont des traces très anciennes ont persisté jusqu'à nos jours. Dans la somme de l'espace et du temps se trouve effectivement les usages, l'histoire et l'évolution de la ville, dont la compréhension définira le potentiel d'évolution1. C'est pourquoi ce travail ne peut se situer uniquement à l'échelle locale, dans un cadre serré autour d'une friche considérée. Une remise en situation à l'échelle du territoire s'impose nécessairement. Tissant leurs rets à travers le territoire, les réseaux définissent une ville qui se méconnaît de plus en plus, sans réel espace de socialité, espace de vie publique par excellence, probablement du fait que les technologies de transports, de plus en plus efficaces, créent à la fois une forme de nomadisme et un phénomène de dispersion des centres d'intérêts urbains. “La ville était autrefois synonyme de concentration, à l'ère de l'automobile pour tous, elle s'étale audelà de toute limite”2. Il est vrai aussi que ce phénomène entraîne des changements d'usage profonds en termes urbains. En effet, la ville “ne s'adapte plus à l'automobile en lui faisant place tout en s'en protégeant. Elle se décompose et se recompose en un ensemble de micro environnements disjoints, disposés sans ordre apparent.”2 La disparition de l'espace public au profit d'une multitude d'espaces semiprivés ou appropriés, microenvironnements, provoque la remise en question du statut des sols comme facteur liant du tissu urbain, et par là même du tissu social. Entraînée par la dynamique économique, l'implantation de réseaux de transports de plus en plus performants, coûteux et de plus en plus lourds non seulement en terme d'infrastructures mais aussi d'impact sur les sites traversés a introduit a fortiori de nouveaux modes d'habiter.3 Si construire, c'est habiter, alors comment habiter ces constructions que sont

les infrastructures ? Habiter n'est cependant pas synonyme de fixité. Par la mobilité que supposent et supportent les infrastructures, la dichotomie sur laquelle repose ce travail porte sur la relation qu'entretiennent ces espaces de grande instabilité en milieu figé. Pouvons-nous habiter plus densément, tout en ménageant les deux éléments en frottement ? L'architecture se rapporte jusqu'à présent à quelque chose d'assez statique, alors que le monde du train et de l'automobile est lancé frénétiquement dans une course à l'efficacité, au mépris de l'environnement traversé. Ceci a notamment permis l'émergence de notions telles que celle “d'effet tunnel”.4 La valorisation des sites touchés passera par l'acceptation mutuelle des riverains et des nomades urbains. C'est quasiment un équilibre dans le sens du développement durable vers lequel il faut s'orienter. Car il faut être lucide, “pour être viable, une telle approche nécessite de lever un certain nombre d'anathèmes traditionnels de l'écologie, comme la condamnation de l'automobile en milieu urbain. Dans la ville territoire, les déplacements se font majoritairement en voiture”5. En d'autres termes, l'usage de la voiture, qui est ellemême un espace singulier du territoire, n'ira pas en décroissant. Ma démarche a donc débuté par la recherche de plusieurs sites potentiels pour cette étude. Il fallait qu'ils correspondent notamment aux critères définis ci-dessus : carrefour d'envergure, présence d'activités industrielles et/ou de zones artisanales. Sur une base documentaire, je me suis décidé pour quatre sites potentiels. A l'issue des visites de repérage sur place, un site ressort du fait de la richesse de son potentiel urbain non développé ou susceptible d'évoluer, notamment en termes foncier, mais aussi par le contraste très fort entre la saturation des transports et les faibles dessertes qu'il offre, et surtout cette impression d'urbanisation inachevée.

1/ Modernité, la nouvelle carte du temps, François Ascher et Francis Godard, Editions de l'aube/Datar, 2002. 2/ L'auto et la ville, Gabriel Dupuis, Editions Flammarion, collection Dominos, 1995. Les territoires de l'automobile et La dépendance automobile, symptômes, analyses, diagnostics, traitements, Gabriel Dupuis, Editions Anthropos, 1995. 3/ Essais et conférences, Martin Heidegger, Pfullingen, Editions Gallimard, 1958. 4/ La nouvelle ère du temps, Jean-Yves Boulin, Pierre Domergues et Francis Godard, Editions de l'aube/Datar, 2003. 5/ La ville territoire des cyborgs, Antoine Picon, Editions de l'imprimeur, collection Tranches de villes, 1995.

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Approche territoriale

A la croisée des chemins Au nord de Paris, à la limite entre trois communes de la petite ceinture, La Courneuve, Le Bourget et Drancy, s'étale une zone industrielle hermétique. Elle est entourée de quartiers d'habitation dont le tissu est constitué d'ensembles résidentiels hétérogènes, avec leur identité et leurs usages propres. A la croisée des chemins routiers et ferroviaires, la zone souffre d'une baisse de son taux d'activité et petit à petit les entreprises disparaissent, laissant place à d'autres tentatives industrielles ou artisanales, ou à des usages détournés. Au regard du schéma directeur de la région Ile-de-France, l'endroit est idéalement placé par rapport à l'axe de développement économique Paris/Lille et au-delà. Qui plus est, il se trouve que l'on s'apprête à renforcer les réseaux de transports et le maillage urbain. A la limite entre l'agglomération dense et celle plus diffuse de la grande ceinture, s'est donc dessiné un fragment de territoire qui a fini par entrer en conflit avec la ville qui le ceint. On peut donc effectivement qualifier ce site de carrefour territorial.

Nous nous attachons ici à montrer la pérennité des axes importants. La N2, par exemple, est une voie romaine devenue voie royale et dont l'usage n'a cessé de s'intensifier au fil des siècles. Il en est de même pour l'actuelle D30, reliant cette dernière au Grand Drancy. Le XIXème siècle est évidemment marqué par l'arrivée du chemin de fer mais aussi par l'industrialisation qui en est un corollaire. La recherche de nouveaux axes routiers majeurs visant à contourner la capitale, notamment la future N186, et le développement du réseau ferré ont contribué à l'implantation dans le courant du XXème siècle d'industries plus ou moins lourdes. Tous les atouts étaient là : faibles taxes dans ces communes sans besoins, proximité et connexion au réseau de fret/ferroutage. Attirant la population, grâce aux emplois ainsi fournis, ces communes ont eu une période d'essor économique qui est retombé avec le déclin du secteur secondaire. L'intensification s'est cependant poursuivie jusqu'à nos jours, en intégrant la poussée concentrique de l'agglomération parisienne, exacerbée par les autoroutes urbaines créées ces trente dernières années.

Un peu d'histoire Réseaux de transports Cette situation s'est constituée au fil du temps. On sait que la ville se transforme sur trois échelles temporelles qui correspondent à trois de ses composantes : la plus pérenne concerne la trame viaire, ensuite vient la structure foncière, enfin le bâti qui évolue sur des périodes courtes.

Carte Michelin 101 zoom, Grande banlieue de Paris, Editions 3, 2005.

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Le réseau de transports est saturé par définition. Ces axes historiques ne font pas exception à la règle, au contraire. Leur usage s'est intensifié avec l'automobile, devenant des boulevards périurbains non traversables et désordonnés. La N2, très empruntée, relie la Porte de


la Villette à l'aéroport du Bourget. Elle est également le support d'un important trafic routier lié à la bretelle de l'autoroute A86. Six lignes de bus y passe jusqu'en fin de soirée, faisant le rabattement vers le métro 7 à son terminus de La Courneuve-8 mai 1945 et le tramway T1 qui passe sur la N186. La D930 fait office de voie de contournement pour les usagers locaux. Curieusement, le site se trouve au cœur des infrastructures mais délaissé en termes de dessertes. Le développement de ces communes, pourtant lié historiquement à celui du chemin de fer qui a marqué leur paysage et leur expansion de son empreinte, a atteint les limites imposées par ce dernier, ceci étant renforcé par le remembrement des parcelles agricoles en zones d'activités industrielles. Cependant ce territoire questionne par la pauvreté effective d'usage dont il est le lieu, au sens d'un topos renvoyant à la fois à l'espace et au temps. L'A86, construite plus tardivement et ayant pour vocation la liaison de banlieue à banlieue, a été implantée à proximité des activités et le long des voies ferrées. Cela circonscrit les nuisances, mais prive également et définitivement le territoire de certaines liaisons essentielles. Les grandes orientations du Sdrif et les études du Stif montrent la volonté des pouvoirs publics de prolonger la ligne 7 du métro jusqu'au Parc des expositions du Bourget, ainsi que de renforcer les liaisons de banlieue à banlieue en rouvrant la tangentielle de la grande ceinture et en prolongeant les tramways T1 et T2 autour de Paris. Tous ces éléments concourent à faire de ce site un futur pôle inter et multi modal. On peut donc s'attendre à l'intensification de l'exploitation des sols et des sous-sols pour les réseaux de transports individuels et en commun. Ceci est d'autant plus probable qu'il joue un rôle clef dans la relation : Paris/plateforme aéroportuaire du Bourget/aéroport de Roissy Charles-deGaulle ; du sud-est de la Seine-SaintDenis au parc départemental de La Courneuve, qui se trouve en réalité sur le territoire de quatre communes différentes.

Atouts à venir Le grand patrimoine foncier que constituent les zones industrielles de la banlieue nord de Paris est une formidable réserve. En effet, ces activités pour partie sur le déclin, lorsqu'elles auront périclité, laisseront à l'usage des collectivités ou d'investisseurs privés un immense champ de prospection au cœur du dispositif de transports. Pour l'autre partie, la mutation ou le renforcement des activités

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industrielles est décidé et programmé, notamment sur les zones industrielles du Rateau à La Courneuve et de la Molette au Bourget. Anticipant sur ce mouvement inévitable, le projet se propose dans un premier temps de s'appuyer sur ces orientations pour, dans un deuxième temps, soumettre des hypothèses de développement des réseaux de transports, notamment celui de transport en commun. En effet, la population du département est la plus faiblement motorisée d'Ile-de-France, et n'a qu'un accès médiocre aux activités du département et à l'emploi en général, du fait de la faiblesse du réseau de transports en commun. Le site est un point central de distribution de ces zones industrielles, mais il renvoie également aux tissus urbains qui se heurtent à ses bordures. La géométrie devient donc aussi très importante : dans un contexte marqué par les croisements de réseaux, le triangle est une forme dont la logique est résiduelle. Comment tirer parti de celà ?

Programmes d'ampleur régionale Les orientations du projet vont nécessairement se tourner vers deux échelles : l'une devra gérer des programmes d'ampleur territoriale, régionale, l'autre des programmes de proximité. En se tournant vers des exemples étrangers, Etats-

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Unis, Chine, Japon, on peut estimer que les programmes de l'avenir seront tournés vers quatre types d'activités : habitats, services, tertiaires et loisirs. Les deux derniers sont les plus aisément implantables à proximité des infrastructures, les deux autres requérant plus de tranquillité. Programme tampon par rapport aux infrastructures lourdes, les bureaux et les équipements de loisirs peuvent facilement prétendre à un degré d'attraction élevé pour peu qu'ils soient accessibles. On peut ajouter à ceci les hôtels relais toujours situés à proximité des réseaux de transports. Dans l'ensemble, le réseau des transports en commun doivent autant que possible desservir l'ensemble des programmes : logements, services et zones tampon. Il semble donc important de donner au tracé du métro une course dissociée de la N2, afin de pénétrer au cœur des quartiers actuels et à venir, qui sont mal desservis. Au cœur de ces programmations, les réseaux de transport et la plateforme inter et multi modale vont faire le lien entre le territoire et la ville, marquant plus nettement les différences de tissu pour mieux les assumer. Le travail sur les réseaux à l'échelle locale va notamment porter sur le réseau routier : un nouveau maillage est à dessiner, pour préparer progressivement la place au nouveau tissu. Ce dernier sera qualifié


entre autres par la redéfinition de la structure foncière allant dans le sens d'un accroissement de la densité. Quelles propositions faire pour relever ce possible défi ? La plateforme intermodale doit être un élément très fluide et étal, réalisant la jonction entre transports, activités et habitats, en particulier en intégrant un certain nombre de services et de commerces utiles et en étant au plus proche des gros programmes. En effet, “l'échelle des vitesses devient considérable. Le principal enjeu de plateformes inter modales où s'articulent les vitesses, horizontales, verticales et aux priorités diverses, est de concilier cette multiplicité. Gérer la com-

plexité des problématiques, les transitions, les accélérations, les parallèles, les ruptures : l'enjeu est le même pour l'espace urbain, le territoire ou la maison”.1 Par la gestion des flux et leur alimentation, on pourra introduire des paliers urbains, définissant ainsi des seuils, des limites et des usages appropriés. Cependant tout cela ne doit pas occulter les réalités du site lui-même, très dégradé par les infrastructures et où justement l'ensemble des ruptures n'est pas géré. Tournons-nous donc à présent vers une approche plus urbaine et plus sensible avant d'aller plus loin.

1/Entretien avec François Asher, in Techniques et Architectures, N°455, août-septembre 2001.

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Flux routiers et ferroviaires. Impact des infrastructures.

Infrastructures de transport.

Structure foncière.

ActivitĂŠs.

Espace public.

Espace libre.

Trame viaire

Masses topographiques artificielles

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Structure des réseaux

Activités et trame viaire

Les limites communales sont importantes pour comprendre combien la géométrie triangulaire heurtée du site est imbriquée dans un territoire complexe administrativement et politiquement. Il faut dépasser les clivages pour faire un projet qui réponde à l'ensemble des problématiques posées par le devenir du site et les enjeux contemporains dont il est l'objet.

Les activités sont assez tournées vers l'industrie ou la prestation de services. La N2 et les entrées de dessertes locales présentent un linéaire commercial qui disparaît peu à peu lorsque l'on pénètre plus avant dans les quartiers arrière de La Courneuve et du Bourget.

Les flux sont de trois natures : routière, ferroviaire et piétonne. Deux pôles piétons importants sont à relever : la gare du Bourget/Rer B et le terminus actuel de la ligne 7 du métro à La Courneuve8 mai 1945, points de relais d'un réseau de bus assez dense. Ces deux pôles sont reliés par la N2, qui fait à la fois office de desserte locale et de boulevard urbain de décharge entre l'A86 et l'A1 au Bourget. La tangentielle et le Rer B viennent compléter ce schéma en fermant le triangle, constituant ainsi des barrières face aux piétons sur lesquelles il va falloir intervenir.

Structure foncière La structure foncière montre les zones d'étalement pavillonnaire que les voies ferrées d'abord et le remembrement industriel, qu'elles ont rendu possible, ont creusées. Ces quartiers, baptisés à l'époque l'Avenir parisien et Paris campagne à Drancy ou bien les Quatre routes à La Courneuve, sont typiques du début du XXème siècle, et fortement marqués par un certain héritage. Quelques zones d'interpénétration donnent un statut équivoque aux entités urbaines, perceptible le long de la N2 et au sud de l'A86. Les parcelles industrielles occupant le cœur du dispositif de transports constituent une forte barrière, malgré la publicité accordée au sol au cœur du triangle Rff.

Approche urbaine

Les équipements publics sont assez complets, notamment en matière scolaire. On note cependant la faible variété des équipements sportifs et culturels, ainsi que l'éloignement des services administratifs de La Courneuve. Pour que le pôle intermodal fonctionne, il faut inverser la polarité actuelle, donc le munir d'un certain nombre de services, voire lui attribuer une vie autonome permettant d'apporter une réponse aux vides laissés dans la trame viaire. La Ville de Drancy cherche une accroche plus directe à la N2, qu'elle envisage de faire par ce pôle Gare du Bourget, sur la partie du triangle qui lui appartient. Ces vides sont sensibles dans la topographie du site, topographie tout à fait artificielle puisque l'on se trouve dans la Plaine de France. Coupé à la cote 42 ngf, on obtient un plan qui comprend toutes ces masses liées à l'infrastructure à proprement parler. Et si la topographie devenait un élément fort du projet ? Peut-on exacerber les infrastructures pour mieux les habiter ?

Limites administratives.

Tout cela contraste avec la grande quantité d'espace libre, dont une bonne partie est réputée inaccessible, parce que privée. Ramenée à l'espace public, cette qualité du site met notamment en avant les ruptures urbaines. La trame végétale est également assez explicite. On y voit bien la trace laissée par les réseaux, tandis que la N2 se caractérise par ses alignements de platanes, dans la lignée des voies royales. Les trois communes font des efforts dans le cadre de la certification Ville fleurie. Il peut être intéressant de donner un plus à ce projet.

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Périphérie 1

Périphérie 2

La N2

Le pôle gare du Bourget

La N2 relie la Porte de la Villette au Bourget, mais aussi l'A1 à l'A86 et aux zones industrielles du Rateau et des Platanes. Elle dessert de plus les zones arrière de la ville, quartiers d'habitation pavillonnaire pour Drancy/l'Avenir parisien, mixtes pour La Courneuve, collectif pavillonnaire et type dense début du XXème siècle au Bourget.

En amont des faisceaux de deux voies de fret importantes, le pôle Gare du Bourget est un petit quartier un peu autonomisé, avec son fonctionnement propre, délibérément fermé à l'autre, interrompu par les voies ferrées.

Cette mixité du statut induit les usages les plus divers : stationnement sauvage, habitat précaire, clôtures fortes, publicités intempestives. Sur cet axe de transition s'enchaînent des paysages que rien ne relie et que rien ne structure en tant que boulevard urbain : d'une ville constituée à une ville constituée en passant par un terrain vague, un panorama. C'est au fil de la nationale que s'égrènent les différentes infrastructures dans une redondance que seules la topographie et la géométrie très fortes du site font un peu oublier. En se fondant sur cet atout et sur le délaissé public, où squattent actuellement des gens du voyage, un programme d'ampleur régional peut être implanté, avec le but de créer une force d'attraction centrifuge par rapport au pôle gare du Bourget. Cet endroit défiguré est le lieu de la densité des échanges. C'est là aussi que les chocs et la vitesse semblent les plus violents.

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De part et d'autre de la ligne ParisSoissons, les communes de Drancy et du Bourget dialoguent par opposition. Un front urbain lâche avec ses terrains de sport, contre un autre dense, avec sa place de la gare et son péage urbain, le parking de rabattement. Sur la parcelle vide de l'autre côté de la D30, occupée auparavant par une halle Sernam, des gens du voyage sédentarisés par l'arrêté municipal qui interdit les caravanes sur la commune attendent d'être chassé par un projet de Zac de 100.000 m2, dite du Commandant Rolland. Un investisseur a déjà fait une proposition pour 22.000 m2 de bureaux. L'empreinte des voies est indélébile et irréductible. Cependant, une richesse subsiste dans ce sol, qu'il conviendra d'exploiter, comme la tête du dispositif de transports en commun. Avec l'ouverture de nouveaux modes, ce pôle va se densifier, notamment en termes de flux. Plus de voyageurs, de gros efforts à faire sur les franchissements et l'accessibilité aux personnes à mobilité réduite, ce sont là des enjeux propres à ce secteur.


Périphérie 3

Cœur

Drancy et sa rupture

Cette partie de Drancy est la plus faiblement connectée au site. On sent d'ailleurs un étalement des espaces jusqu'à ce point de rupture que constitue l'A86, dont le passage a provoqué la destruction d'une partie du tissu local. En viaduc au-dessus des voies ferrées, avant de redevenir une masse topographique, elle provoque un double horizon. Toutefois, pas un son n'est émis par ce boyau. Une architecture paysagère très massive affirme la rupture entre les pavillons et la voie ferrée, séparant le quartier de l'Avenir Parisien et la cité Gagarine du reste de Drancy. Un peu en amont, on devine l'architecture industrielle de la fin du XIXème siècle et les barres de logements cheminots, traces diffuses et lointaines d'activités au cœur du site.

On ne pénètre ici que par une seule rue, la rue de la Butte, accessible depuis la N2, le long des voies du Paris-Soissons. Toutes les parcelles sont clôturées et inaccessibles, à l'exception des logements cheminots. Ces derniers sont des immeubles de quatre ou cinq étages. Ils sont équipés de terrains de sport mal entretenus, et visiblement inutilisés. Le reste de ce grand triangle est occupé par le Centre de formation des apprentis de l'industrie de l'Aforp et des entrepôts ou usines, parmi lesquels notamment deux structures privées : la Plateforme du bâtiment et Point P. Le Cfai possède également des terrains de sport, qui n'empêchent pas les apprentis de détourner les espaces publics des logements cheminots. La rue de la Butte dessert également un autre triangle : celui des voies Sncf. Le terrain appartenant à la Rff accueille des installations électriques, quelques logements, ainsi que le siège d'une Even chargée de la gestion d'une partie du Rer B et de la Grande ceinture. Une part d'espace public demeure. Autour de l'ancienne gare de la Grande ceinture, vouée à la destruction, une place délaissée n'est qu'un lieu de transit pour rejoindre par une venelle le tunnel souterrain de la gare. Les seuls usagers sont donc les quelques personnes qui travaillent là, et les apprentis et enseignants du Cfai.

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Questions de transports

Intermodalité Le pôle d'échanges dont il est ici question a pour enjeu principal de faciliter le transport collectif des franciliens. Répondant aux objectifs fixés par le Plan des déplacements urbains en Ile-de-France, le Syndicat des transports en Ile-de-France, la région et les départements, les collectivités locales et enfin les établissements publics d'aménagement travaillent de concert sur la question, la réduction de 3% du trafic routier de déplacements quotidiens, pendulaires, dans l'agglomération parisienne dans les cinq ans à venir. Faciliter l'accès au réseau, améliorer les solutions de rabattement, autobus et véhicules individuels, et assurer une vitesse commerciale ou une fréquence à la fois suffisante et rentable, telles sont les contraintes majeures de réflexion conditionnant le champ du pôle d'échanges.

significatifs est bien l'espace-temps du déplacement, où l'on se presse de rentrer chez soi ou de ne pas arriver en retard, tout en se lovant dans sa bulle comme pour mieux se protéger. Symboliquement, c'est aussi ce pari de qualifier ce temps positivement, peut-être parce qu'en le rendant moins inutile il sera moins pesant. Concrètement, proposer que les transitions piétinantes soient occupées par des activités auxquelles on s'adonnerait entre sa station et son domicile, ou pour lesquelles on prendrait normalement sa voiture. In situ, l'enjeu est également de proposer des solutions à plus long terme, visant à renforcer et affirmer un peu mieux le rôle d'envergure que peut jouer ce pôle au sein du réseau de pôles et du territoire dans lequel il s'inscrit.

Constitution du pôle d'échange Dans le cas précis qui nous occupe, il y a cependant une donnée à ajouter à l'équation : la présence de la N2 sur le tronçon où elle est également une portion de route inter et intra urbaine reliant deux autoroutes et participant au maillage local. C'est surtout l'échangeur avec l'A86, qui laisse à croire que la circulation automobile, même réduite, ne se résorbera pas. De plus, elle sert de desserte aux camions en provenance de l'A1 qui veulent accéder à la zone industrielle des Platanes. Donc, tout en conservant les objectifs du Pdu, il s'agira ici de ménager une place aux flux routiers, qui restent des impératifs inconditionnels.

1/Philosophie de la modernité, Georg Simmel, Payot, 1900. 2/ L'hyper centre est également un concept mathématique et informatique. Lorsque le centre d'une fonction n'offre pas de réponse, on fait appel à un hyper centre, destiné à donner de la profondeur à la résolution du problème, ce dernier étant souvent de nature combinatoire.

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Par ailleurs, le rabattement entre les modes recèle une certaine complexité : superpositions et croisements mènent à créer des niveaux de circulation dissociés, parfois très éloignés, de sous terre jusqu'au franchissement aérien de type viaduc, mais devant opérer un glissement subtil entre les univers spatiaux qui leur sont associés. Cet impératif de liaison, alors même que toutes ces couches tendent à se repousser et à s'aimanter, met déjà en avant un vocabulaire que l'on connaît d'expérience. Est-ce suffisant ? La fonction intermodale cherche à acquérir ses lettres de noblesse : en s'enrichissant de services communicationnels et commerciaux, en rentabilisant le temps de transport et d'attente de l'usager voire en lui proposant autre chose, un point d'arrêt entre le domicile, le travail et les loisirs, une ouverture hors du cycle quotidien. Ce moment de décompression qui lui permet d'évacuer les nombreux chocs quotidiens au sein de la ville que Georg Simmel1 a décelé et mis en question dès les années 1920. Or l'endroit où ces chocs sont les plus

Il convient à présent de définir plus précisément les dispositifs et contraintes techniques liés à ces différents modes pour mieux faire leur synthèse ensuite : trains, métro, autobus, voitures, piétons/circulations douces. Tous ces modes possèdent des caractéristiques parfois transversales qui augmentent la complexité de leur traitement. Le ferroviaire et la route se partagent également le fret, et le ferroutage est également un objectif à moyen terme pour alléger le poids des flux routiers dont l'enjeu est à la fois écologique et économique. Pour faire face à cette complexité, il est proposé une dissociation entre le pôle routier et le pôle de transports collectifs qui, à l'exception des bus, n'est pas routier. L'affirmation du pôle routier va se faire d'une part par l'occupation entière du délaissé situé entre la N2, l'A86 et la ligne de chemin de fer Paris-Soissons/Rer B, faisant partie du domaine public ; d'autre part par la réalisation d'un échangeur capable de traiter les différents flux routiers qui se mélangent ici. Ce que l'on appellera l'hypercentre 2 a pour vocation d'apporter une grande densité d'activité et d'usage destinée à s'appuyer sur l'activité autoroutière toute proche. Il n'a pas pour objectif de faire venir davantage de voitures, mais de les contenir dans un espace rapidement accessible, dans une frange entre vitesse et fixité. C'est la raison pour laquelle un lien fort doit cependant l'unir au pôle de transports collectifs, sur lequel il va exercer une attraction extérieure. Le pôle de transports en commun sera implanté sur une emprise étalée, réalisant la jonction entre les territoires actuellement


coupés les uns des autres par cette concentration d'infrastructures, à travers une architecture répondant aux différentes contraintes du pôle. L'une de ces contraintes est en particulier l'étalement des modes sur le territoire. Ce dernier est dû à la configuration des infrastructures et aux contraintes techniques liées à leur mise en œuvre, métro, tangentielle. Dans le même temps, l'enjeu du pôle est d'améliorer la portée piétonne de son rayonnement en favorisant des franchissements de qualité et une meilleure accessibilité aux personnes à mobilité réduite. La réciprocité des échanges humains engendrés par cette polarité met en balance les deux pôles : d'une part, le routier, qui fournit et assure la distribution des biens et dont l'activité sera portée principalement vers le fret ; et d'autre part, le collectif, qui achemine les individus, de jour comme de nuit, et leur permet de transiter le plus librement possible. Il semble donc évident que le pôle d'échange, dont le caractère bicéphale apparaît désormais, se fonde sur un système de circulation émanant à la fois des deux pôles et trouvant leur synthèse dans leur fonction : assurer la circulation fluide des différents supports en transcendant la barrière des infrastructures, et les limites intra ou inter communales.

Modes collectifs Nous allons ici définir plus précisément les projets, les contraintes et enjeux de chacun des modes de transport collectif. Rer ligne B Partageant les quatre voies du ParisSoissons, le Rer B en utilise deux, plus une en gare. Avec une fréquence de desserte de huit trains par heure et par sens, la gare accueille chaque jour environ 14.000 voyageurs entrants, à destination de Paris, principalement. Tangentielle nord Voilà un ouvrage complexe. La réouverture de la tangentielle au trafic voyageur va être un chantier colossal, car il s'agit d'un doublement des voies existantes, nécessitant des ouvrages d'art et des opérations foncières délicates. Pour certaines raisons techniques, le tracé en est dessiné et complique un peu plus le projet. Ces voies, d'un type nouveau, sont étudiées dans le cadre d'une variante dite train léger. Dans le cas où cette variante ne serait pas retenue, les voies existantes seraient partagées entre frets et voyageurs, entraînant des problèmes, notamment de

fréquence de desserte. Le projet s'appuiera sur l'hypothèse du train léger, parce qu'elle est plus viable en termes d'objectifs à atteindre, en particulier du point de vue de la fréquence de passage des trains. Métro ligne 7 La ligne 7 du métro, actuellement en terminus à La Courneuve/8 mai 1945 va être prolongée, au moins jusqu'au pôle du Bourget, plus probablement jusqu'au Musée de l'air et de l'espace et au Parc des expositions du Bourget. Le tracé de cette extension est déjà défini, également pour des motifs techniques. En effet, cet ouvrage souterrain doit être réalisé en grande profondeur, pour ne pas influer sur les ouvrages ou constructions existants, notamment l'A86 et les voies ferrées. Ceci pose aussi la question de la connexion de la station avec des réseaux qui ne sont que de surface, Rer, bus, véhicule, voire aériens, tangentielle. Bus lignes 133, 143, 146, 152, 609, 686. Sept lignes de bus sont concernées par le pôle d'échanges. Certaines, les 133, 143 et 146 desservent la gare directement, par la Place des déportés. Il faut impérativement simplifier les tracés redondants de leur circuit au niveau de la gare. Le double enjeu en est de désengorger la rue Etienne Dolet et de donner une grande fluidité à l'accès aux bus et à leurs départs lors des pics d'affluence liés à l'arrivée d'un train. Ceci doit également permettre de respecter les impératifs en matière de vitesse commerciale. La 152, elle, est extrêmement importante, car elle parcourt toute la N2, puis la N17, du Parc de la Villette jusqu'à Gonesse. Un contrat d'axe a été réalisé pour cette ligne, réunissant les différents acteurs concernés, et en particulier le Stif et les élus des communes concernées, qui cherchent tous un consensus différent sur le rôle et la place du bus par rapport à l'automobile. Son développement est pourtant primordial pour rentrer dans les objectifs du Pdu. Il s'agit donc, sur le tronçon, que ce projet va mettre en jeu, de ne pas oublier les impératifs de vitesse commerciale de l'axe 152, et à la fois de le connecter le plus judicieusement possible au pôle gare. Un des problèmes majeurs reste en effet son éloignement du pôle et la traversée de la N2 sans avoir de détours à faire. Cependant, les bus partagent leur support avec les véhicules particuliers et restent donc malgré tout subordonnés aux vicissitudes du trafic routier.

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Architectures de la mobilité Afin de relier tous ces modes étalés sur le territoire, l'accent sera mis dans le projet sur les franchissements. Il est d'ores et déjà acquis que ceux-ci s'effectueront sur des niveaux de circulation dissociés. En s'appuyant sur les blocs d'activités à travers leur émanation architecturale, des dispositifs de passerelles plus ou moins densément habitées se projetteront au-dessus des voies, tirant parti de la topographie tant existante que projetée.

Hypothèses de projet : coupe sur la parcelle, Photomontage depuis le parking actuel de la gare.

L'axe majeur de liaison reste placé le long de la voie Paris-Soissons/Rer B. Ceci pose la question de la mise en œuvre d'un ouvrage qui relève quasiment de l'ouvrage d'art, et notamment des contraintes liées à la construction d'ouvrages au-dessus des voies. Le projet s'attache à explorer des dispositifs constructifs apportant à la fois une réponse aux contraintes de mise en œuvre, le temps minimum de mise hors tension des caténaires, donc d'arrêt de circulation des trains, et à la fois des hypothèses de développement durable liées non seulement aux réseaux, aussi bien Sncf que de ville, mais aussi à des dispositifs végétalisés touchant aux

façades de la passerelle et à son impact dans le paysage. Enfin, cette dernière, outre la simple dimension de franchissement, prend une épaisseur physique et symbolique dans l'introduction de fonctions commerciales quotidiennes. Cette passerelle couverte est donc destinée à supporter des flux et à provoquer des stagnations dans le parcours du voyageur. L'ensemble est soutenu par le dispositif Système d'Information En Ligne que la Sncf et la Ratp mettent en œuvre depuis quelques années déjà pour informer les voyageurs sur leurs transports, en temps réel. Le temps libre ainsi dégagé peut être mis à profit, dans tous les sens du terme. En assurant un rabattement plus efficace et tourné vers l'ensemble du territoire, cet ouvrage doit aussi entraîner la baisse de 3% du trafic automobile fixée par le Pdu. Cependant, si ce dispositif est valable pour les modes de surface, qu'en est-il de la connexion avec le métro, qui circulera à plus de trente mètres de profondeur et à quelques deux cents mètres de la plateforme ? La réponse est assez simple : l'atout de cette profondeur est que l'on peut rabattre le voyageur au plus près du pôle, un peu à son insu, au

Percement d'une ligne de chemin de fer près de Coventry, Royaume Uni.

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travers d'un univers souterrain réalisant la jonction tout en fonctionnant comme un seuil entre la zone métro et Sncf, dont les tarifications sont différentes. Il semble important d'ajouter à ceci un dispositif, peut-être plus symbolique, mais néanmoins nécessaire pour fournir au voyageur un rapport sensible avec l'extérieur. Un gigantesque puits à l'aplomb du quai du métro est en effet le moyen d'y apporter d'une part une ambiance extérieure, et d'autre part un rapport immédiat entre le sol naturel et le ciel, tout en assurant la ventilation générale du système. Cette ambiance est largement perceptible dans l'image ci-contre, qui décrit le percement d'une ligne de chemin de fer au Royaume-Uni à la fin du XIXème siècle. Le décalage des échelles est aussi signifiant que cette arrivée de lumière naturelle improbable.

Ouverture du pôle Si la plateforme d'échanges semble devoir être orientée sur un axe est-ouest principalement, l'enjeu des flux et des champs de force résultants montre combien le territoire comprimé entre toutes ces infrastructures est important pour le bon fonctionnement du pôle. En effet, dans une optique de développement durable notamment, l'accès au pôle pour les habitants des trois communes concernées doit favoriser aussi l'accès à l'emploi et régler des problèmes sociaux complexes, ou tout au moins y apporter des éléments de réponse. Le schéma ci-contre définit les champs de force existants et les flux qui leur sont associés. Il exprime notamment la très forte prégnance de la N2 dans ce domaine, et la faiblesse des déplacements transversaux dus à l'éclatement du pôle dans le territoire. Le projet doit donc s'attacher à réintroduire d'une part de nouvelles transversalités et déterminer d'autre part de nouvelles ruptures, plus adaptées au contexte. Il en résulte un maillage très fort à l'endroit de la plateforme d'échanges, mais aussi la nécessité d'ouvrir le territoire central du site à de nouveaux usages. La suite du projet va donc comprimer et densifier au maximum le domaine de la voiture sous l'A86, y compris l'échangeur avec la N2, et par ailleurs cherchera une place pour un tissu plus mixte, élaboré sur une densité horizontale, facilitant, voire incitant à la circulation dans tous ses modes et à tous les niveaux de circulation nécessaire. Il s'agit aussi de reconnecter Drancy à la N2.

Schéma des points d'attraction, flux et champs de force résultants à l'échelle du site. En bleu, l'état existant de ces éléments. En rouge, ceux que l'on veut ouvrir ou renforcer. Le maillage ainsi produit montre des densités d'échanges hétérogènes. Là où la densité est la plus grande se trouve l'épicentre du pôle d'échanges.

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Bloc d'activités

Naissance du bloc L'hypercentre procède de deux qualités fondamentales : son aspect urbain, voire méta urbain, dans le sens où il s'agit d'un objet urbain à vocation autonome et indépendante renvoyant directement à l'univers des infrastructures qui le rendent possible, et ses qualités intérieures spatiales, dénotant une multitude d'interactions et développant une gradation de l'extérieur vers les intérieurs multiples dont il est l'écrin. Il sera intéressant de bien définir les entités qui vont refléter ces ambitions : volumes, enveloppes, dalles, édifices, patios et tours sont le vocabulaire d'une densité. Leur imbrication dans le pôle d'échange va apporter cette richesse d'usage et de mésusage propres à la confrontation d'expériences humaines. Si les pôles d'échanges sont en quelque sorte les nouvelles portes de la ville le long des grands axes, il faut en marquer clairement dans le paysage la prégnance, irradiant et structurant par son poids spatial et économique les territoires qui la jouxtent. Un travail particulier sur le rôle de la façade urbaine doit être envisagé. Fortement liés au paysage infrastructurel dont ils sont l'interface, les pôles d'échanges ont une étendue territoriale quantifiable par la portée de leur rayonnement, à la fois paysager et spatial. La géométrie des infrastructures provoque des délaissés. En s'inscrivant dans la géométrie triangulaire des deux délaissés principaux, strictement, l'hypercentre affirme, tout en créant une façade à chacun de ses côtés, que ces territoires marginaux à la frontière avec les zones d'activités industrielles sont partie inté-

Hypothèse de modelage du paysage, landscaping : horizons et émergences, signal territorial.

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grante du territoire des réseaux de transport, directement liés à lui. Emergence d'une densité accrue, cette proposition ne peut se départir d'une certaine masse dont la finesse sera donnée par sa richesse intérieure, son caractère inaliénable de domaine grouillant d'activité, de passage et de points de fixations. En principe, un tel événement devrait combiner une variété d'investissements aussi grande que la diversité des activités accueillies en son sein. La conception d'un dispositif constructif liant phasage des opérations, investissements et mise en service des activités permettra de rendre viable la création de quelque 200.000 m2 d'activités. L'image ci-contre montre un projet de Kisho Kurokawa de 123.000 m2, projet gagnant pour le concours Fusionpolis à Singapour. Le programme est essentiellement tourné vers les technologies de l'information et de l'industrie, engageant tous les partenaires qu'un tel secteur peut amener. Cependant c'est là un concentré de ville qui demande aussi des activités connexes : résidences, commerces. L'idée fondamentale du projet, basée sur la notion de layering, a pour objectif de renverser la conception traditionnelle


des activités par zoning horizontal pour un zoning vertical, supportant plusieurs couches programmatiques mélangées. Ceci est une piste à suivre pour une réflexion autour de la densité.

qui se déroule en trois dimensions le long des volumes édifices. L'ensemble est circonscrit par une enveloppe filtrante en plusieurs épaisseurs. Elle aussi est un ruban particulier. La cinquième façade présente des jeux de sol et respecte les émergences des édifices.

Financements, phasage et structures Conçu pour augmenter la densité d'usage du pôle et conforter son poids en tant que pôle, l'hyper centre est un objet urbain très complexe, avec son paysage intérieur propre. Ce concentré de ville comprend des édifices qui en sont la base à la fois financière et structurelle. Ils ne reposent pas de pleins pieds sur le sol. Ce sont des parcelles virtuelles, verticales. Eventuellement ils ont des parkings en surface et en sous-sol. Des zones de pleine terre sont réservées pour en faire dans un premier temps des espaces paysagers. Ces édifices, financés par des investisseurs privés ou bien publics, voire mixtes selon les cas, doivent comprendre une part d'investissement supplémentaire. Dans la masse de l'hyper centre, outre les édifices, on trouve aussi des éléments de transversalité, des dalles piétonnes sur lesquelles sont mises en concession par les investisseurs des locaux commerciaux : restauration, succursales bancaires, garderies, crèches, services quotidiens aux actifs. Elles viennent dans un troisième temps, soutenues par une structure autonome aux édifices, elle-même accrochée aux piles des tours et à la structure des patios. Les dalles, qui se rapprochent en termes de statut de l'agora proliférante dont parle Bruno Fortier, ne sont en fait qu'un long ruban

Agglutinées à leur colonne mère, structure autoportée et autoélévatrice, support des grues du chantier, les activités des tours s'élancent, pour marquer plus définitivement encore le pôle dans le paysage, au travers de la densité verticale qu'elles connotent, abritant des bureaux, des hôtels et des centres d'affaires, dans le prolongement de la plateforme aéroportuaire du Bourget. Les volumes édifices du bloc, eux, comprendraient des activités du tertiaire, mais aussi des édifices publics, culturels ou administratifs. Par ailleurs, pour conforter le renforcement des activités industrielles sur les deux zones industrielles de La Courneuve, il semble approprié de placer aussi ce type de programme, ainsi que des pôles d'enseignement supérieur et des équipements de loisirs, rendus accessibles facilement grâce au pôle de transports. Enfin, mais peut-être est-ce là la base du bloc, une plateforme autoroutière sous l'A86, directement liée à l'échangeur, qui dessert aussi la plateforme logistique du bloc, est implantée afin de circonscrire le pôle routier et d'éviter son empiètement sur les territoires voisins.

Schémas de phasage de l'hyper centre.

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Constant, maquettes, secteur oriental, Gemeente museum, La Haye.

Hypothèses de projet Edifices et structures pour grues. Dalle oblique et patios.

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Structure spatiale Fragment de ville en soi, l'hyper centre emprunte des qualités à des approches déjà datées, mais néanmoins toujours d'actualité parce que prospectives, comme celle de Constant avec ses secteurs et son urbanisme unitaire. Et bien que le contexte soit radicalement différent, le travail de Constant est fondé sur le postulat utopique de l'homo ludens, pour qui le travail n'est plus une valeur sociétale essentielle, l'architecture de cet hyper centre reste orientée vers un principe ludique, répondant pour le moins à l'investissement spatial et affectif de l'usager. Cet héritage se retrouve également dans l'aspect constructif : il y a là quelque chose de la mégastructure, prélude à la compréhension du bloc comme un territoire édifice, au sein duquel on retrouve les objets urbains traditionnels : édifices, circulations publiques, parcs, commerces. Cette double mise en abyme introduit la notion de dedans dehors. A ce titre l'espace des Halles à Paris est assez significatif. Car s'il est vrai que le bloc n'est pas un espace souterrain, mais un nouveau foyer, oikos, surimposé à la croûte terrestre habitée, écoumène, il n'en est pas moins un espace qui dans son intériorité est essentiellement tourné vers lui-même, comme celui des Halles. Cette position est paradoxale. C'est une ambiance fermée qui prend corps, et que l'on pourrait comparer à cette analyse des espaces souterrains de Jean-Paul Thibaud. Le phénomène de boîte dans la boîte, d'emboîtement des espaces les uns dans les autres, génère souvent des situations ambiguës : sentiment d'intériorité mis à l'épreuve dans le franchissement de seuils successifs, terrasses de café perçues à la fois comme un intérieur et comme un extérieur, puits de lumière naturelle simulant la présence d'une sortie inexistante, transition entre une galerie exiguë et une place volumineuse qui crée une relation fictive vis-à-vis de l'extérieur et qui est due à un effet de dilatation.1 On y retrouve aussi l'ambiance des passages parisiens, que Walter Benjamin décrivait comme des lieux où la rue devient pièce et la pièce devient rue. Celà dénote un espace réversible, où dedans et dehors tendent à se téléscoper. C'est ce frottement qui est à l'origine de l'approche ludique de l'hyper centre. Celui-ci ne possède-t-il pas un écho au niveau de la plateforme, où les seuils effectifs entre les modes de transport et la ville seront unifiés par un traitement similaire ? Fournissant à la fois cette sensa-

tion de protection par rapport à l'environnement extérieur, mais restant néanmoins directement en contact avec cet environnement, l'hypercentre est le lieu où sont rendus possibles les échanges et les rapports les plus improbables.

Ambiances Séparé de son environnement par une double peau filtrante, l'ambiance du bloc lui est propre. Son horizon est déterminé par la peau, la dalle supérieure, la cinquième façade, les édifices qui encadrent les vues et la dalle libre qui se déroule du plus bas au plus haut niveau et laisse deviner constamment le rapport entre sol pratiqué, sol naturel et limite avec le ciel. Cette dernière est le support de toutes les activités hors édifices. Le système de concessions fonctionnera sur cette dalle oblique, sur la base de modules techniques, supports des activités qui ont lieu à même la dalle. En fonction des besoins en service aux usagers, ces activités connexes verront leur densité croître ou décroître, rapportant à leur concessionnaire un retour sur investissement qui serait le produit de la surface utilisée et d'un pourcentage sur les chiffres d'affaires réalisés en un temps donné. Jouant sur des horizons multiples, la dalle, qui, dans le principe, n'est pas sans rappeler le travail de Rem Koolhaas sur la bibliothèque de Jussieu, ou celui de Claude Parent sur la fonction oblique, est une émanation directe de la passerelle de la plateforme d'échanges. L'hypercentre est donc le lieu où se retrouvent et se densifient les enjeux du territoire. Le dessus et le dessous s'aimantent et se repoussent, laissant suffisamment de place à la lumière et fabriquant une compacité liée au téléscopage des édifices et de la dalle.

1/ Paradoxe des ambiances souterraines, Jean-Paul Thibaud, in Vingt mille lieux sous les terres, espaces publics souterrains, Pierre Von Meiss et Florinel Radu, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2004.

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Logements : densité et paysage

Héritages et contexte Ainsi que nous l'avons vu, les trois communes se partagent un héritage culturel varié en matière de logement : pavillons et immeubles du début du XX ème siècle, typiques de cette période d'expansion de la ville, et logements collectifs construits depuis la dernière guerre. Malgré le renouvellement de la population et l'apport conséquent de nouveaux usages, la vie semble avoir déserté les rues des quartiers résidentiels, butant sur les infrastructures ou la zone industrielle du Rateau. Réintroduire le logement au cœur du territoire de rupture, c'est tenter de redonner une attractivité à ces quartiers déconnectés de leurs communes. La nuit, l'activité du site est grouillante, le jour aussi : un autre héritage de la banlieue sont ces catégories socioprofessionnelles indépendantes, professions libérales, artisans, qui créent des échanges avec l'extérieur et tissent les liens du tissu intérieur. En réaction à la pauvreté de l'espace public rationnel et fonctionnel issu du zoning, le maître mot est la mixité. Ce n'est pas un phénomène nouveau, c'est l'un des fondements de la ville européenne, tant dans le domaine social qu’économique.

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Au contraire, le bouleversement du système des ruptures traditionnelles doit être renforcé, cependant qu'un horizon urbain à la fois structuré et ouvert se laisse deviner. De la même façon que Jean-Paul Sartre évoque dans L'imaginaire, la vision que l'on a du cube et l'idée que l'on se fait de ses faces cachées, l'intention est de laisser le soin à chacun de découvrir les secrets de l'arrière de la ville, à travers ces microporosités sociales qui strient le tissu urbain. La porosité est également spatiale, bien que jouant sur des registres différents de sens sollicités. Il faut que cette richesse ne succombe pas aux impératifs sécuritaires. Le moyen est d'obtenir une densité sociale suffisante pour que les usagers s'approprient et contrôlent socialement ce territoire. Toutefois, une question se pose : la rue traditionnelle est-elle une réponse suffisante compte tenu du contexte ?

Mutations L'interrogation nous porte vers une réflexion sur la rue et sur les progressions de l'espace public à l'espace privé. De même que pour l'hyper centre, il s'agit ici de proposer une alternative à la façon d'habiter l'écoumène. A la fois, parce que le contexte, rude, est très spécifique, et parce que les préoccupations du moment sont tournées vers les usages nouveaux que l'on peut imaginer pour les quartiers résidentiels.

A cela s'ajoute le contexte particulier dans lequel s'insère la proposition d'implanter des logements. Renverser la perception des infrastructures en renversant l'usage du site qui est actuellement très fermé foncièrement, c'est aussi poser la question du logement et de son interaction avec l'univers qui l'entoure. L'univers est une somme d'ambiances qui dialoguent et au sein desquelles nous évoluons. C'est ici que l'acte d'habiter prend tout son sens, non comme soumission passive mais comme perception renouvelée et sans cesse mise en distance par rapport à elle-même.

Nouveaux ? En réalité, les usages sont ancrés dans une culture urbaine qui a de plus en plus tendance à se chercher, par défaut d'espaces appropriables et de référents. Si la rue traditionnelle est bien le lieu du frottement social, est-il possible encore de croire aux valeurs qu'elle porte ?

Il ne s'agit pas tant de réfléchir en terme de cellules que de seuils. Ce qui compte ce sont les étapes d'une progression urbaine qui est un parcours social de chaque instant, invitant à s'épanouir dans l'urbain, un urbain à la fois plus ludique et plus mystérieux.

L'acte de résider, qui sous-tend l'idée de séjour, ne se construit pas par opposition entre dedans, le foyer, et dehors, le lieu public. Les mutations annoncées de notre mode de vie, ne peuvent plus se contenter de nous laisser aller à un individualisme forcené, ignorant de l'autre.


Il faut que la rue soit porteuse de valeurs sociales tenant compte de ce phénomène d'anonymat volontaire. On parle beaucoup de développement durable où se téléscopent : social, politique, environnemental, culturel et technique. Tous se recoupent néanmoins à travers deux concepts fondamentaux : la pérennité et le respect de notre foyer, lieu de notre résidence sur terre. Nous résidons à travers un corps qui est notre interface. Quel peut-être le rapport qu'entretient cette interface avec l'espace et le temps, c'est-à-dire avec le foyer et la pérennité ? Dans un foyer stérile, pas de frottements. Dans une structure temporelle hachée et heurtée, point de pérennité. C'est un problème de rupture et de continuité qui se pose. La tendance va vers l'utilisation de micro environnements disjoints reliés entre eux par les transports, produisant ce que l'on appelle l'effet tunnel. Une réponse à apporter, est effectivement celle de la mixité, qui jusqu'au début du siècle dernier, permettait de garder un contrôle social et plurilatéral des individus les uns sur les autres. Un retour en arrière ? Pas vraiment, car cette notion, opposée à celle du zoning, peut se parer de contemporanéité dès lors qu'elle produit des usages spatiaux ancrés dans le temps, mais aussi dans le collectif, sans déréliction du statut des sols. En effet, hors de la cellule moderne, où se trouve cet espace collectif, porteur de confrontation et de frottement réciproques, de nature à tisser le maillage social de demain ? Ici, le politique a un rôle à jouer pour la simple raison que les décisions sociétales importantes lui reviennent. Là encore, la mixité n'est pas sans produire une richesse nécessaire au débat. Mais le débat n'est-il pas devenu dogmatique et sans issue réelle, car il cache la démission des pouvoirs publics ? La réponse est aussi dans la parcellarisation des approches et des acteurs travaillant ce paysage, landscaping, où se mêlent le

public et le privé. Il faut développer des approches transversales, pluridisciplinaires, incluant notamment des acteurs privés. Notre lecture de la ville sera alors une réécriture globale, un palimpseste rendu possible par la diversité des compétences mises en commun. Le paysage est un horizon social, exprimé dans des volumes signifiants, et initié par le rapport au sol, à la topographie.

Strates Suivant l'optique paysagère évoquée précédemment, le projet s'appuie sur un travail de la topographie. Le secteur de logement, à la croisée des autres systèmes urbains, est situé sur une topographie déjà artificielle que l'on va faire évoluer. Utilisant la terre excavée des différentes interventions, qui font l'objet des deux chapitres précédents, des socles de pleine terre seront érigés, renfermant en leur sein des activités souterraines : parking, gestion des réseaux de ville. Jouant entre niveau naturel du sol et niveaux artificiels, les socles vont autoriser l'expansion de parcs végétalisés et surélevés, dont la masse pourrait être habitée par du logement semi collectif et des activités à l'échelle de l'habitat. Le sol naturel conserverait une multiplicité d'usages, en étant dédié conjointement ou alternativement à la voiture et aux piétons. L'implantation des logements au plus près du pôle d'échanges doit cependant limiter l'usage de la voiture au strict minimum. Liant ces parcs entre eux et à la façade du bloc d'édifices, des passerelles, tenues par une poutre végétalisée, filent à des niveaux différents, multipliant non seulement les scénari de circulation, mais enrichissant par conséquent le paysage social du piéton. Enfin, des logements collectifs donnent une qualité de densité à chacun de ces socles. Ils ont à la fois prise sur leur environnement en le surplombant et ne paraissent en même temps qu'une ligne

Habiter une topographie.

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supplémentaire, dans une profondeur de champ différente, dans l'horizon du promeneur, qu'il soit en voiture ou à pied. Le sous-sol n'est absolument pas exploité. Il devient comme une couche sédimentaire supplémentaire. Pris dans leur ensemble, ces dispositifs, tout en écrivant un nouveau palimpseste de la ville, hiérarchisent les espaces, en leur conférant un statut intuitivement perceptible. C'est dans les transitions entre ces dispositifs topographiques, cette variété de programmes que se constituera définitivement le tissu, c'est-à-dire dans les différentes intériorités et ce à quoi elles renvoient. La notion de porosité est importante, car c'est à travers elle que l'acte d'habiter prend toute son épaisseur. Intériorités L'emploi du pluriel n'est pas innocent. Il est vrai que le projet doit mettre à jour, à travers les scénari de cheminement et de passages de seuils, le frottement entre plusieurs espaces dont les qualités graduent la vie urbaine. Maison vernaculaire en Chine.

Maison S, préfecture d'Okoyama, Kazuyo Sejima. Un filtre en polycarbonate est utilisé, il cache la circulation périphérique autour d'une deuxième enveloppe en bois. L'ensemble permet aussi de ne pas privilégier d'orientation ou d'ordonnancement. Occupant la totalité de la parcelle, la maison est un vide entouré d'espace public.

1/ Paysages sonores, Jean-Paul Thibaud et Pascal Amphoux.

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Certains de ces seuils consistent en filtres, que l'on peut qualifier comme étant soit physiques, soit visuels, soit acoustiques, voire même tactiles ou olfactifs. Quelques exemples sont ici abordés pour donner un aperçu des possibilités laissées à l'habiter dans ces traitements.1 Au Japon, où le contexte urbain particulièrement dense est favorable à cela, quelques maisons individuelles urbaines notamment, montrent des dispositifs filtrants. Plusieurs architectes japonais ont d'ailleurs travaillé sur des systèmes préfabriqués et légers : Shigeru Ban et le carton, Cell Brick de Yasuhiro Yamashita. Des mises en œuvre légères, allant jusqu'à l'emploi du textile, cherchent à créer de nouveaux rapports entre l'habitat dans son entier et l'extérieur. Ceci est facteur d'une réaction aussi bien diurne que nocturne de la maison sur la ville, garante de son intégrité urbaine, tant fonctionnelle que symbolique. Mais l'intériorité, c'est aussi nombre d'espaces souterrains, ou semi enterrés, dont le registre va du parking au métro, en passant par le couloir souterrain. Dans la perspective d'un travail topographique, il apparaît également que le travail sur le monde du souterrain ou du semi enterré trouve des pistes intéressantes dans les espaces troglodytes. En occupant les flancs des socles avec des logements semi collectifs, on peut songer donner une épaisseur habitée, dont le rez-de-chaussée pourrait être dédié à des activités libérales ou artisanales, accessibles par une rue

intérieure filtrant partiellement la vue mais laissant l'individu en contact avec l'ambiance de cette strate, celle de la rue. Un seuil est ainsi proposé. Au cœur des socles, on trouvera des places, également largement inspirées d'habitations chinoises troglodytes, dont le pourtour sera occupé par des commerces. La transition entre cet intérieur et la rue se fera à travers la masse par des escaliers jouant sur l'épaisseur de la terre et la lumière comme guide. Les logements collectifs commencent avec la parcelle stratifiée, l'appartement. Foyer fiscal dense, ce type d'habitat fractalise l'habitat. Pourquoi ne pas rendre son intégrité au logement, lui rendre des volumes généreux et réintégrer sa cave par exemple. L'immeuble luimême doit requérir de l'espace semipublic, de sociabilité. Ce filtre supplémentaire est un autre moyen de produire un seuil, marquant une appropriation possible, autorisant un rempart communautaire pour mieux échapper aux obligations sécuritaires.


Après avoir parcouru de façon spatiale puis thématique le site de cette étude et les hypothèses de projet, on peut affirmer que l'enjeu de ce dernier se situe à la fois dans un travail d'approches transversales et dans une re-définition typologique, directement liée à cette méthode de travail. Cette transversalité des approches apparaît évidente au regard de la diversité des problématiques rencontrées et des thèmes abordés. Recoupant des questions telles que le transport et la mobilité, le paysage urbain et le positionnement des pôles d'échanges dans le territoire ou bien la perspective d'occupation des sols, ce travail ne pouvait donc se passer de références allant de la philosophie à l'architecture, lieu de rencontre des usages et du temps, en passant par la géographie, la sociologie, les théories moderne et contemporaine de l'architecture et de l'urbanisme ou encore des approches sensibles de l'espace urbain. Plus directement, cette approche détermine le projet comme un travail de scénarisation de la ville. Il fonctionne par parcours et par seuils, donnant à lire clairement les usages possibles d'un espace public dédié à un certain anonymat, mais à travers lequel chacun peut s'identifier à une société en pleine mutation, tournée vers l'individu. Ce phénomène est probablement à l'origine de la démarche de la démocratie participative ou consultative, puisque nous tendons à former des minorités de plus en plus nombreuses et spécialisées. En tant qu'individus, nous appréhendons l'espace dans un mouvement incessant, au travers de notre corps. La notion de scénarisation de l'espace public amène deux réflexions : d'une part, la ville doit être mise en scène car nous en sommes les spectateurs, consommateurs de sensations ; d'autre part, cette mise en scène, pour être effective, ne doit pas se départir de cette constante mise en distance que l'on trouve notamment dans le théâtre shakespearien ou brechtien, qui oblige le spectateur à devenir acteur, sollicitant son intellect et l'impliquant ainsi dans un jeu dont la règle est de conquérir sans cesse la ville, ou d'être conquis par elle. Or ce qui rend possible cette approche scénarisée est bien la complexité dont le territoire est l'objet. A travers la notion de couches cette complexité va prendre forme, déterminant de nouvelles typologies. Dans la genèse de celui-ci, l'initiative du projet est portée par ce pôle d'échanges, qui est déjà l'objet d'approches

transversales. Celui-ci est avant tout l'occasion, ou le prétexte, de réécrire la ville. Car, dans la mesure où l'utilisation du réseau de transport ne risque pas de se désaturer alors que nous entrons dans l'ère de la mobilité, nous tenons déjà dans le tissage d'une maille non seulement plus dense, mais aussi dotée de nœuds plus complets en termes de modes, des ouvrages qui ne peuvent plus s'appuyer uniquement sur l'espace public traditionnel. La notion de rayonnement et donc d'attractivité du pôle est donc à cet égard une valeur essentielle attachée à celui-ci. Ce rayonnement est aussi bien interne qu'externe.

Conclusion

C'est pourquoi la stratégie urbaine doit se préoccuper de rabattement. Mais cela pose aussi d'autres questions : juridiquement, quels sont les statuts des sous-sols et des sur-sols. Nous avons besoin de nouveaux outils pour déterminer ces typologies naissantes. Typologie des pôle d'échanges, mais aussi typologie du territoire et de l'habiter. Les deux échelles sont radicalement différentes, mais tellement complémentaires : car, si le regard embrasse la ville, il détermine aussi cette façon d'habiter. Car c'est bien un paysage que nous habitons, et par cet acte nous en prenons possession et exprimons notre appartenance à une culture, peut-être désormais plus urbaine que communautaire, et à une identité, qui nous place effectivement dans une perspective méta urbaine. C'est pourquoi ces typologies ne sont pas uniquement spatiales. Elles sont aussi et avant tout contenues dans la démarche du projet, dans un aller et retour permanent entre le territoire et le rapport du corps au paysage. C'est la raison pour laquelle la deuxième partie de ce travail, le projet, se fera sur des supports très variés, du dessin géométral, parfois technique, au photomontage presque naïf, montrant dans une extrême simplicité des interventions sur le paysage sensible, en passant par la maquette, à des échelles à la fois territoriale et spatiale dénotant bien la transversalité de la démarche. Et si le résultat, peut-être trop prospectif pour ne pas être un peu aporétique, se montre sous un jour qui demanderait une cinquantaine d'années à mettre en œuvre, c'est bien que cette démarche s'inscrit et dans une logique durable, et dans le cœur des réflexions sur les mutations sociétales, économiques et culturelles, donc urbaines.

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Plan cote 45 Ngf Echelle 1/1000 Significative du projet, elle est imprégnée de l'ensemble des réseaux de transports sur le terrain naturel et révèle le projet dans la masse de topographie artificielle habitée par le quartier résidentiel notamment. C'est aussi un niveau logistique : l'un des deux principaux niveaux de transfert intermodal et le niveau logistique du bloc, directement connecté à l'échangeur.

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Plan cote 54 Ngf Echelle 1/1000 A cette cote, l'espace public est perçu dans toute son ampleur, on retrouve l'ensemble des dispositifs imbriqués et dans le même temps il s'agit toujours d'un territoire habité à la fois par des activités et du résidentiel autour d'un espace public qui se pose a contrario du principe de dalles, comme étant lui-même un sol riche d'usage dans sa surface et son épaisseur.

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4 pièces Entrée basse Puits central

2 pièces Simplex Puits central

3 pièces Entrée haute Puits en fond

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Le bloc était l'occasion de traiter de la ville dans la ville. Ainsi, ce qui a l'air plein est en fait un vide dans lequel prolifèrent les frottements sociaux, comme un espace à la fois confiné dans son enveloppe mais ouvert aux usages réactifs des badauds. Les creux, eux, sont les activités qui rendent possible, y compris financièrement, l'existence de ce plein. Enfin, les patios, espaces neutres, permettent d'apprécier l'épaisseur du bloc, à la fois poumons et canons de lumière, irradiant où on ne les attend pas leur capacité à faire respirer une telle densité.

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Prix Esa 2006 Mention Marine Jacques-Leflaive Support sensible, un lieu d'union Directeur de mĂŠmoire : Lionel Lemire. Autres membres du jury : Marc Barani, Jean Desmier, Sylvie Dugasse, BĂŠatrix de La Tour d'Auvergne.

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Architecture et émotions

Les mémoriaux

Jûdisches museum, Berlin, Daniel Libeskind. Mémorial de l'holocauste, Berlin, Peter Eisenman.

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“J'ai visité, il y a quelques années, le musée juif de Berlin. C'est une réalisation absolument extraordinaire qui m'a fait découvrir la force inouïe de l'architecture. La tour de l'holocauste est une salle de forme triangulaire. On y entre un par un, par une lourde porte qui se referme immédiatement sur nos pas. Cette grande pièce vide, dont les murs de béton brut mesurent plusieurs mètres de hauteur, n'a qu'une seule ouverture, une meurtrière minuscule qui laisse passer les bruits de la rue. On reste là, dans l'obscurité, avec ces sons étouffés, ces murmures. Cette expérience d'isolement, angoissante et éprouvante, reproduit celle vécue par les déportés. C'est tout le génie de Libeskind, d'avoir su recréer toutes ces sensations par le biais de l'architecture et d'avoir fait de ce musée un lieu unique dans lequel nous sommes bien plus que de simples visiteurs.” Un journaliste.

“En concevant mon projet, je ne savais absolument pas si cette réflexion architecturale fonctionnerait et si ce champ de stèles provoquerait l'expérience physique recherchée, ce sentiment de déstabilisation. Lors de ma première visite du mémorial, j'ai découvert l'effet produit par les brusques dénivellations du sol. En pénétrant dans cette forêt de béton, j'ai aussi ressenti comment le bruit de la ville laissait peu à peu la place au silence, à la réflexion et à l'émotion. Je veux que le projet s'intègre dans le quotidien. Je veux qu'il soit possible de le traverser chaque matin quand on se rend au travail. Il n'est d'ailleurs pas conçu comme un lieu sacré et impénétrable, mais comme un champ de mémoire.” Peter Eisenman.


L'inscription sur la stèle métallique à l'entrée du mémorial de Libeskind révèle nos émotions. Elles seront vécues et amplifiées par la visite du musée.

Les faits historiques extraordinaires et/ou violents, marquent émotionnellement notre mémoire collective car ils questionnent les limites de la condition humaine. Ils sont véhiculés par toutes sortes de langages et de médias. Ils ne sont donc pas de l'ordre du vécu. Les mémoriaux font partie de ces médias. Ce sont des lieux de mémoire spécifiques à la transmission des faits historiques. Lorsque nous les visitons, ils révèlent les émotions associées à l'événement. Ils permettent aux individus, grâce à un espace et à un temps clairement défini, celui de la visite, d'extérioriser leurs émotions sans craindre d'être jugés. Ils permettent ainsi de laisser derrière soi une expérience psychologique identifiable. Comme tous les autres mémoriaux, ceux de Libeskind et d'Eisenman révèlent nos émotions et permettent de les extérioriser. Mais en cherchant à transmettre l'information historique de manière sensible, non rationnelle, ces deux architectes ont créé des bâtiments qui donnent à vivre des sensations/expériences physiques en relation avec notre mémoire collective. C'est grâce à un langage

architectural spécifique et reconnu par une large collectivité, le parcours, les symboles, leurs mises en scène, la scénographie, que Libeskind et Eisenman parviennent à transmettre aux visiteurs, les émotions vécues par les déportés : sentiment de déstabilisation par un effet de sol, sentiments d'étouffements par un jeu de volumes et de lumière. Ces mémoriaux permettent à nos émotions d'être révélées, de trouver un support sensible d'expression et d'être amplifiées par la qualité du langage architectural. Ils permettent alors de laisser derrière soi une expérience à la fois psychologique et physique. Ces mémoriaux donnent un contenu sensible, matériel et temporel, à nos émotions en opérant un glissement des sensations vécues par les déportés à travers un langage architectural.

Ne serait-il pas intéressant de transmettre physiquement nos émotions personnelles et de les vivre collectivement ?

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Un exercice architectural Quotidiennement, nous vivons certains événements qui nous marquent émotionnellement. Ces émotions constituent notre mémoire individuelle. Pour transmettre et faire partager ces expériences émotionnelles, nous utilisons divers médias : discours, textes, vidéos. Il serait intéressant d'utiliser un langage architectural pour transmettre nos émotions personnelles de manière sensible et plus seulement de manière intellectuelle, que les émotions soient extrêmes ou quotidiennes, positives ou négatives. Opérer, grâce à l'architecture, un glissement physique de nos émotions personnelles vers d'autres individus. En d'autres termes, faire vivre nos expériences émotionnelles à une ou plusieurs personnes par le biais de l'architecture.

La colle

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J'ai voulu faire cette expérience et tenter de transmettre à travers une installation spatiale, une de mes émotions personnelles. J'ai alors choisi l'émotion d'émerveillement que je ressentais enfant, lorsque je soufflais sur un pissenlit. Ce choix n'est pas anodin, il vient se placer en opposition avec les émotions négatives et violentes qui sont transmises dans les mémoriaux de Libeskind et d'Eisenman, permettant ainsi de tester la capacité d'un langage architectural à transmettre

toutes sortes d'émotions. L'ensemble de l'expérience est présenté dans les pages suivantes. Voici trois objets qui, lorsqu'ils sont détournés de leur fonction première, m'émerveillent : une gomme, de la colle, un pissenlit. Ils ont la caractéristique commune de présenter une évolution spatiale très attrayante et d'offrir une sensation tactile particulière. Dans un premier temps, vous allez recevoir ces événements de manière non physique, à l'aide d'images, de vidéos et de textes. Ces différents médias vous feront soit découvrir l'émotion d'émerveillement que me procurait ces objets si votre sensibilité est touchée, soit ils révéleront vos émotions personnelles si vous les avez déjà vécues. Dans un deuxième temps, l'émotion d'émerveillement du pissenlit sera retransmise à travers un langage architectural. L'installation spatiale, réalisée à l'échelle un, a été expérimentée par les membres du jury. Ils ont pu tester la capacité de l'architecture à transmettre des émotions de façon sensible.


La gomme

Le pissenlit

Souvent ça commence comme ça, Si la trousse n'avait pas été ouverte, On y aurait même pas pensé. Mais là, les circonstances déclenchent l'envie. L'ennui s'est installé depuis un petit moment. Décidé, on tend la main et on l'attrape. C'est lisse. Le blanc sent le neuf et le noir rappelle les erreurs. Les doigts manipulent la matière souple et compacte. On la caresse un temps. On sait comment tout va se terminer. Mais on ne pourra pas s'en empêcher : Alors on commence par comprimer fortement, Mais au début pas le moindre résultat. Ce n'est pas important, ça va venir. Un peu plus de tension, et tout d'un coup, On aperçoit une toute petite faille. La force est constante et extrêmement bien dirigée. La fente s'agrandit lentement, Dévoilant un intérieur rugueux. Cette dualité surprend même si on l'espérait. La faille s'agrandit encore et toujours doucement, La fin approche. Et déjà on regrette, Qu'est-ce qu'on va faire de ces deux petits morceaux.

La lumière du soleil est douce, Le jardin est calme. Cette petite brise invite à jouer. On choisit tout d'abord. Bien sûr il en faut un bien rond, bien droit, Le choix se fait vite, il n'y en a pas tant que ça aujourd'hui, Le vent était fort hier. On s'en approche, il n'y a que lui à présent qui compte. Le regard reste bloqué. On le cueille mais très délicatement. Le contrôle du bras, la stabilité du corps, la force et la direction du vent Ces paramètres demandent une attention très particulière. Il est là, face à nous, on le protège. On l'observe un peu. Sa transparence et sa densité provoquent la curiosité. Sa forme aussi, simple à assimiler. On n'observe pas plus longtemps. On n'est pas là pour ça. On se met en place. Le corps bien droit, le vent dans le dos. Le corps stable n'existe plus. Alors, lorsque le bras est à la bonne hauteur, on prend son inspiration. Première expiration, Ça se courbe, ça résiste, ça ne veut pas disparaître. Alors on souffle un peu plus fort, Les yeux se lèvent et s'élargissent, Ça se décroche, L'espace est révélé. Entre deux souffles, le sourire apparaît. Le fond bleu puis vert supporte cet espace immaîtrisable. Merveilleux, Les derniers résistent, Le sépale se dénude. Qu'importe, l'esprit a suivi. Le corps ne compte plus. La tige délicatement et fermement maintenue. Chute. Tout est calme.

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Transcriptions architecturales Comme lorsque l'on cueille un pissenlit, nous devons être confronté à la matière de l'installation spatiale. Comme le pissenlit, la matière de l'objet architectural doit être dense, translucide et blanche et sa forme doit être géométriquement simple : un cube. Comme notre souffle sur le pissenlit, pour expérimenter l'installation nous devons la détruire. Nous devons être confronté à la résistance de la matière. La forme géométrique doit disparaître au fur et à mesure que l'on vit l'installation. Notre intervention doit dilater l'espace. Comme l'événement souffler sur un pissenlit, l'installation spatiale ne doit s'utiliser qu'une seule fois. Elle doit être courte dans le temps. Le 7 juillet 2005, les membres du jury et quelques amis ont pu tester l'installation spatiale du support émotionnel sensible souffler sur un pissenlit. L'installation spatiale est un cube de 180 cm d'arête. Les six panneaux sont constitués d'une structure en bois sur laquelle sont agrafées des bandes en papier blanc et translucide d'une largeur de 4 cm.

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J'ai été heureuse d'observer l'hésitation à briser de façon définitive l'installation pour pouvoir la vivre. Ce premier sentiment est celui éprouvé, lorsque enfant,

j'étais face à un pissenlit. La suite des sensations vécues dans cette installation appartient à chacune des personnes présentes ce jour. L'exercice architectural montre qu'un cadre, un temps et un langage architectural spécifiques, permettent de transmettre de manière sensible des émotions personnelles et de les vivre collectivement. Conclusion Pour pouvoir vivre ensemble, transmettre et extérioriser, des émotions sur un événement historique ou personnel précis, il semble indispensable de disposer d'un lieu, d'un temps et de symboles représentants ce que donne à vivre l'événement. Les mémoriaux de Libeskind et d'Eisenman permettent de vivre collectivement des émotions profondes associées à des événements historiques précis. Existe-il des bâtiments publics où l'on puisse vivre ensemble des émotions denses de bonheur, liées à des événements personnels ? Pour répondre à cette question, je me suis intéressée aux événements émotionnels et personnels qui rythment le cycle de la vie familiale comme la naissance, le mariage et la mort.


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Etude des rituels et des rites de passage

Introduction et définitions

La société traditionnelle

Le terme rite vient du latin ritus qui désigne un culte, une cérémonie religieuse, mais aussi plus largement un usage, une coutume. Les rituels peuvent être religieux ou séculiers, collectifs ou personnels. Voici deux définitions qui permettent de mieux comprendre l'ensemble des composants qui forment le rituel, qu'il soit religieux ou laïc.

Arnold Van Gennep (1873-1957) a désigné sous le nom désormais classique de rites de passage, les événements qui ponctuent le cycle de la vie familiale : la naissance, le mariage et la mort. Dans la société traditionnelle, ces rituels concernent des individus, changement d'âge, de statut social, par des moments de rupture avec le quotidien. Ces changements et ces devenirs sont sources d'émotions plus ou moins vives qu'il importe de conjurer pour la personne comme pour la société. Le rituel de passage permet de canaliser et d'extérioriser ces émotions. Les rites de passage permettent de lier l'individu au groupe, mais aussi de structurer la vie de l'individu en étapes précises qui permettent une perception apaisante de l'individu par rapport à sa temporalité et à sa mortalité. Ce phénomène a donc un enjeu important pour l'individu, pour la relation entre celui-ci et le groupe, ainsi que pour la cohésion du groupe dans son ensemble. A. Van Gennep a su proposer un schéma, encore pertinent aujourd'hui, de la structure formelle des rituels. Ils sont toujours composés de trois stades : séparation, marge et agrégation. Les travaux de ce sociologue ont démontré d'une part le lien qui existait entre les rites et la structure sociale et d'autre part que l'essence même du rituel était son inscription dans le temps et l'espace. L'être est d'abord séparé du cours ordinaire des choses, il mène une existence marginale, puis se trouve réintégré dans la vie normale. Le rite marque un moment de rupture avec le quotidien. Il y a un amont et un aval, et le rite se situe dans cet entre-deux, dans un espace existentiel où les tensions et les excitations deviennent intenses. On sait quand un rituel commence et quand il se termine. Un rituel qui ne serait pas limité dans le temps perdrait sa capacité à générer des émotions.

Le rite ou le rituel est un ensemble d'actes formalisé, expressif, porteur d'une dimension symbolique. Le rite est caractérisé par une configuration spatio-temporelle spécifique, par le recours à une série d'objets, par des systèmes de comportements et de langages spécifiques, par des signes emblématiques dont le sens constitue l'un des biens communs d'un groupe. Le rituel est un système codifié de pratiques, sous certaines conditions de lieu et de temps, ayant un sens du vécu et une valeur symbolique pour ses acteurs et ses témoins, en impliquant la mise en jeu du corps et un certain rapport au sacré. Dans les rituels laïcs, la notion de sacré subsiste sous forme de valeurs et d'idéaux. Les deux définitions : - retiennent des critères morphologiques, - insistent sur la dimension collective, le rituel fait sens pour ceux qui le partagent, - reconnaissent que ces manifestations ont un champ spécifique : marquer des ruptures, des discontinuités, des moments critiques dans les temps individuels comme dans les temps sociaux, - mettent en avant leur efficacité sociale. Les rituels donnent aux acteurs sociaux les moyens de maîtriser le temps et de renforcer les relations sociales. “Ce qui est essentiel, c'est que les individus soient réunis, que des sentiments communs soient ressentis et qu'ils s'expriment en actes communs. Tous nous ramènent donc à la même idée : que les rites sont les moyens par lesquels le groupe social se réaffirme périodiquement.“ Émile Durkheim. “Le rite confère une épaisseur symbolique à nos activités. L'activité humaine suscite des émotions de toutes sortes. La souffrance et le bonheur, la colère et l'empathie, la vengeance, la frustration. Ces émotions peuvent parfois tourmenter un individu comme une collectivité. Le symbole traduit en image les émotions afin de leur donner une signification.” Denis Jeffrey.

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A cette époque, l'Église contrôle et encadre les rites de passage. Elle est l'unique cadre spatial et temporel qui permet de vivre collectivement des émotions personnelles et denses. Les symboles utilisés, pour canaliser ces émotions, étaient religieux. Ils s'enchaînaient les uns aux autres pour former une trame narrative qui donnait à vivre les émotions. Mais le rite est, dans la société traditionnelle, une répétition d'occasions et de formes chargée de signification qui n'est pas d'essence spontanée : au contraire, le rituel est réglé, fixé, codifié, et son respect garantit l'efficacité émotionnelle du rituel. Le rituel est induit par une tradition qui donne du sens aux héritages du passé, aux règles pour la survie de la collectivité, à ce qui est vécu et à ce qui est pensé.


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Du fait de leur organisation spatio-temporelle, les rites “jouent un rôle créateur au niveau des actes. Le rite permet de concentrer l'attention parce qu'il fournit un cadre. Il stimule la mémoire et lie le présent à un passé pertinent”. M. Douglas.

Le baptême

Evolution

Toutes les églises connaissent des rites d'agrégation du nouveau-né à la communauté, et le plus ancien est celui de la circoncision qui, huit jours après sa naissance, agrège le nouveau-né à la communauté des juifs. Les rites de naissance chrétiens se sont élaborés au fil du temps. Ils touchent à la fois à la mère et à l'enfant. Il y a toujours une période de marge, de mise hors de la société de la mère avant sa réintégration dans la société, une cérémonie religieuse de relevailles qui est une purification, car seulement après que soit tombé le tabou sexuel, elle peut retourner à la messe, donc être réintégrée à la société religieuse, puis au monde social. L'enfant doit aussi passer du monde profane au monde religieux. L'idée centrale est de le conduire, par la cérémonie du baptême, au monde chrétien.

“Dans sa lutte contre la religion catholique, la Révolution française s'empare d'une arme de fort calibre : l'état civil des Français. Traditionnellement, depuis le XVIème siècle, c'était un pouvoir dévolu à l'Eglise, compter ses ouailles, les répertorier, connaître et surveiller, de la vie à la mort, du baptême à l'enterrement en passant par le mariage. L'administration révolutionnaire s'approprie cette tutelle en laïcisant l'état civil, confiant, le 20 septembre 1792, la tenue des registres de naissances, mariages et décès, aux officiers municipaux. C'est une dissociation radicale du sacrement religieux et du contrat civil, un bouleversement des pratiques et des mentalités sur lequel aucun gouvernement ne reviendra, l'un des basculements de la France traditionnelle vers son portrait moderne et contemporain. Pour autant, si le contrat civil est institué, ses différents actes exigent une certaine solennité. De simples enregistrements, les actes de l'état civil républicain, sont ainsi transformés en rituels inclus dans une cérémonie. Le mariage civil, de même que le divorce ou l'enterrement s'entourent d'un rite municipal qui double les anciennes cérémonies religieuses, des fêtes nationales sont instituées en hommage à la jeunesse, aux vieillards, aux grandes dates commémoratives, autant de signes témoignant, dans la vie quotidienne, de l'édification d'une culture propre à la République. L'entrée dans la vie, qui exige une forme d'initiation à la communauté citoyenne, ne pouvait échapper à ce processus de laïcisation, baptême et parrainage républicains jouent ce rôle d'encadrement et d'édification. Les premiers parrainages et baptêmes civils semblent dater de l'été 1790, accompagnant les nombreuses fêtes de la Fédération célébrées à travers la France : devant l'autel de la patrie, les parents désignaient ainsi publiquement un parrain et une marraine à chacun de leurs enfants et les plaçaient sous la protection de la nation.” Antoine de Baecque.

Le mariage Acte social majeur, puisqu'au travers des époux ce sont deux familles qui s'allient, le mariage offre le cadre par excellence de démonstration des trois étapes : séparation, marge, agrégation. Le passage matrimonial est tout à la fois, social et matériel. Pour les jeunes époux, il marque l'accès à un nouvel état, celui d'adulte, ouvrant des droits à la sexualité, à la fécondité et à l'installation en ménage. On observe d'abord des temps de séparation de la mariée d'avec sa famille, des temps d'agrégation entre les deux familles, repas, entrecoupés par les cortèges. Ces moments de marge ont pour but d'empêcher la trop rapide progression de la cérémonie. Pour être bien faites, les choses doivent prendre leur temps : on ne peut pas brutaliser un changement social de cette importance. Ainsi le long des cortèges qui mènent la noce de la maison à l'église, pour la cérémonie religieuse, puis de l'église à la maison, pour le repas, sont dressées de nombreuses barrières physiques, sous forme de rubans attachés à deux chaises en travers de la route.

L'enterrement Pendant le deuil, les vivants et les morts constituent une société spéciale, située entre le monde des vivants et le monde des morts. La fermeture du cercueil correspond au rite de séparation. La période de marge se marque par la cérémonie, comme rite d'agrégation : le repas consécutif aux funérailles. Il a pour but de renouer entre tous les membres, la chaîne qui s'est brisée par la disparition d'un maillon.

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Les rituels et les registres civils précèdent automatiquement les cérémonies religieuses de baptême, mariage et enterrement. L'institution républicaine, qui a comme fonction première, la légalisation de l'état civil des Français, a créé des cérémonies laïques dont la forme a été fortement empruntée aux rituels religieux. Les symboles religieux ayant été remplacés par des symboles républicains. Les cérémonies religieuses restèrent obligatoires jusqu'en 1905. Depuis 1950, il existe un implacable déclin de la religion. Un moment charnière dans l'étude du rituel survient lors de la déconfessionnalisation des mentalités après la seconde guerre


mondiale. Dans les années 1950-1975, les rites religieux, dans le monde occidental, ont tendance à tomber en désuétude parce qu'ils s'effacent devant le progrès et la modernité. Les structures rigides des églises sont délaissées et les rituels, perçus comme répétitifs et sclérosés, sont désertés. Les individus remettent en question une foi héritée de traditions mal adaptées à la vie contemporaine. L'Église encadre toujours les rites de passage, mais aujourd'hui la pratique religieuse ne concerne plus que 13% de la population française. L'institution républicaine devient-elle de ce fait le cadre spatial et temporel des rites de passage pour les personnes sans attache religieuse ? Quels sens ont ces rites aujourd'hui ? Comment les vivons-nous ?

La société contemporaine Le baptême civil est rarement pratiqué et ne prend pas une place déterminée dans l'institution républicaine, de ce fait les faire-part de naissance, la fête de présentation de l'enfant et le développement des livres de bébé dans lesquels les jeunes mères consignent l'apparition de toutes les premières fois deviennent une forme de substitut à l'absence de ritualisation. Le baptême républicain n'est prévu par aucun texte législatif. Les maires ne sont donc pas tenus de le célébrer et il n'y a pas de cérémonial préétabli. Généralement, les baptêmes civils ont lieu le samedi après la célébration des mariages. Les parents et l'enfant sont accueillis par le maire ou son adjoint dans la salle des mariages. Le maire ou son adjoint fait un rappel historique sur l'origine de la cérémonie, puis un discours sur l'enfant et rappelle les valeurs républicaines. Le mariage civil est célébré par le maire ou son adjoint dans la salle des mariages de la mairie en un temps n'excédent pas vingt minutes. L'enterrement, malgré la

perte de l'influence de l'Eglise et la très forte baisse de la pratique religieuse, continue d'être célébré sur un mode plus intimiste qui se cherche. Le repli des signes extérieurs de la mort comme le développement de l'incroyance dans un au-delà gênent le travail du deuil.

“Aujourd'hui, l'homme occidental arrive au monde dans une mise en scène scientifique et rationnelle, il naît dans un théâtre chirurgical, le rite est un must social.” Pierre Legendre.

De nouvelles pratiques se répandent, comme l'incinération, qui laissent chacun mal à l'aise, sans repère pour accomplir les gestes qui apaisent le chagrin des vivants et font prendre au défunt sa place parmi les morts. Aujourd'hui, l'institution républicaine n'encadre que la cérémonie civile de mariage. Pour les naissances et décès, elle ne s'occupe que des registres administratifs. De ce fait, la présentation d'une naissance se fait souvent à la maison, tandis que les cérémonies de décès sont commercialisées par des entreprises privées spécialisées qui proposent toutes sortes de services : crémation, discours, fleurs. Même si en apparence la structure des rituels semble inchangée, chacune des étapes n'a plus ni le même sens ni la même fonction. Le stade de séparation devient l'étape de préparation, la période de marge devient l'étape de la reconnaissance, et celui d'agrégation devient l'étape de la fête. Les rites de passage ne correspondent plus à un changement brutal de condition sociale mais avant tout à un désir de faire reconnaître ses choix de vies. Ils sont vécus dans le besoin d'une reconnaissance de la part de la société, d'une institution, d'un collectif, de la famille ou/et des amis. Pour une majorité de personnes, les rites de passage n'apparaissent plus comme un impératif moral ou religieux, mais plutôt comme une stratégie existentielle car il s'agit d'un mouvement personnel choisi. Nul n'a l'obligation de baptiser un enfant, de se marier, de souligner l'anniversaire de naissance d'un ami ou d'assister à un enterrement.

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Tour d'horizon

Christian Boltanski

Sophie Calle

Les artistes contemporains et leur relation aux rituelsmplex

Le rituel d'anniversaire ou le rituel comme prétexte au débordement comportemental.

Le rituel du mariage ou le besoin de reconnaissance chez les individus.

Martin Meyer 5.1

Voilà une mise en scène qui met en avant, de manière consciente, ce que les rituels de notre société permettent de vivre, la reconnaissance d'autrui. Sophie Calle surritualise son anniversaire. L'élaboration d'une série de règles strictes et répétitives lui permet d'obtenir la reconnaissance dont elle a besoin lors de cette étape de vie.

“Un tel besoin de revivre certaine émotion pure de sa vie d'enfance montre le besoin, que tout individu a de reconnaître et de faire reconnaître les rites de passage.” Christian Boltanski. Saynètes comiques : je suis content,c’est mon anniversaire, 1974.

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Voici un adulte qui se conduit d'une manière bien étrange, tel un enfant, il s'agite, il exprime par son corps, sa joie et son excitation. Forcément, il est ravi, car il fête son anniversaire en famille. La transposition du corps enfantin dans celui d'une grande personne provoque un effet bizarre, qui permet de s'interroger sur ce que donne à vivre le rituel. Boltanski utilise dans sa peinture un symbole matériel reconnu par une collectivité, dont nous faisons partie, pour indiquer qu'il s'agit d'un événement rituel : le gâteau d'anniversaire et ses bougies. L'anniversaire peut être une fête familiale, il fait de soi le héros d'une journée et symbolise aussi le passage vers un âge nouveau. Ce rituel qui semble anodin permet d'en comprendre les quelques caractéristiques fondamentales. Le rituel est un moment qui autorise le débordement comportemental dû à un surplus d'émotion. C'est ce que nous découvrons dans le tableau, le visage de Boltanski exprime de façon outrancière l'exaltation du petit garçon. Il se cache sous sa veste, avec une gestualité grotesque. Cette attitude étrange reste possible dans la mesure où le rituel est limité dans le temps. Les acteurs en connaîssent le début et la fin. Ces manifestations marquent des ruptures dans les temps individuels comme dans les temps sociaux. Cette fête de famille permet de maîtriser les relations sociales et au héros d'une journée, de bénéficier de la reconnaissance d'autrui, dons de cadeaux, compliments.

“J'ai failli me marier avec un homme, qui part en Chine pour trois ans, c'est long. Telle une fiancée dont l'amoureux s'en va au front, je souhaitais l'épouser sur la piste de l'aéroport, à l'heure de son départ. Il montait dans l'avion, je restais sur le tarmac. Le banquet aurait lieu sans lui et je serais rentrée passer seule ma nuit de noces. La date de la cérémonie, le 7 octobre 2000, avait été fixée. Négociation avec les autorités aéroportuaires, accord du maire, licence, témoins, robe, tout était réglé. La lettre du procureur refusant la dérogation est arrivée. Le mariage devait être célébré à la mairie. Deux exceptions étaient prévues par le Code civil : l'hôpital en cas de péril imminent de mort de l'un des deux époux ; l'établissement pénitentiaire pour les détenus. Au choix : mairie, agonie, prison. Banal, tragique ou radical. Le 7 octobre, je l'ai accompagné à l'aéroport pour porter ma robe une fois et faire le deuil de notre mariage. Et je suis rentrée seule, comme prévu.” Sophie Calle. L'œuvre dénonce le système trop strict d'une société où la personnalité des individus et ses besoins ne sont pas pris en compte. Le mariage n'ayant pas été accepté, Sophie Calle réinvestit le rituel du mariage en le transformant en un rituel de deuil symbolique qui lui donne à vivre sa tristesse et sa déception. L'émotion est ainsi symbolisée et permet d'être évacuée dans un espace-temps identifiable.


Kimiko Yoshida La mariée ou la symbolique du mariage entre deux cultures.

“J'ai fui le Japon, parce que j'étais morte. Je me suis réfugiée en France, pour échapper à ce deuil. Un jour, quand j'avais trois ans, ma mère m'avait mise à la porte. J'ai quitté la maison en emportant une boîte avec tous mes trésors. Je me suis réfugiée dans un jardin public. La police m'a retrouvée là le lendemain. Depuis, je me suis toujours sentie nomade, vagabonde, fugitive. Quand je suis arrivée en France, j'ai dû apprendre la langue comme une enfant qui venait de naître.” Kimiko Yoshida Son arrivée en France en 1995 est vécue comme une renaissance. Son univers comporte aujourd'hui de multiples facettes qu'elle peuple de souvenirs, de ses rêves de petite fille et des légendes de son pays natal. La série des mariées, constituée d'une soixantaine d'autoportraits, est un voyage intime qui se définit comme art de la transition et du passage, de l'expérience des entre-deux culturels. Ses autoportraits, qu'elle nomme mariées célibataires, sont des figures conjuratoires de la condition servile des femmes, notamment face aux mariages arrangés. “Avec les significations nouvelles que j'ai gagné en changeant de culture, avec la liberté que m'autorisent la langue et les structures de la pensée française, je réalise aujourd'hui des photos de mariées célibataires où se défait, mais à l'envers, la hantise de la petite fille horrifiée qui découvrit la servitude ancestrale du mariage arrangé et le destin humilié des femmes japonaises. Comment oublier cette confidence de ma mère quand j'avais huit ans et qui me fit tellement horreur. Je découvris soudain que mes parents s'étaient vus pour la première fois le jour du mariage qui avait été intégralement arrangé par leurs familles respectives.” Kimiko Yoshida

“Qui administre l'expérience du sacré en l'absence d'institution religieuse ? Les individus arriveront-il, de leur propre ressort, à trouver des lieux d'administration de leur expérience du sacré et de leur donner un sens ? La société thérapeutique actuelle montre bien les limites de ce projet, notamment la crise spirituelle des jeunes, dont l'errance psychique, le suicide, l'usage de drogues et le désarroi face au futur. Nous nous demandons si une morale civile peut remplacer la religion, s'il fallait envisager un retour du religieux pour administrer des formes du sacré qui ne peuvent l'être par une morale civile ? Peut-être bien ! Mais la morale n'est pas aussi riche de symboles et de narratifs signifiants que la religion, et une morale civile ne propose pas de rituels pour calmer des émotions perturbatrices comme la haine, la vengeance, la jalousie et l'envie. La religion a certes encore un rôle collectif à jouer. À moins que tous les hommes et les femmes de la modernité puissent payer le prix d'une psychothérapie. Il s'agirait alors d'un suivi thérapeutique de longue durée, car le rite, la crise existentielle, la maladie, la solitude, la mort sont des événements récurrents.” Denis Jeffrey, Éloge des rituels.

Tour d'horizon Conclusions de deux ouvrages sociologiques traitant de la question des rituels contemporains.

“Nous sommes en quête de nouveaux rituels à travers des essais, des illusions, des marasmes. De multiples rites locaux se maintiennent ou s'installent au niveau des groupements, des associations, voire des rencontres ou des sessions éphémères, témoignant d'une tendance inéluctable de tout ensemble humain à ritualiser certaines conduites. Vera-t-on se cristalliser des formes de ritualité plus globales, en liaison avec des symboliques largement prégnantes ? Au seuil du IIIème millénaire la prévision reste impossible mais l'enjeu est évidemment considérable puisqu'il concerne le sens, la régulation, les affects et les vécus sociaux.” Jean Maisonneuve, Les conduites rituelles.

“The bride with a mask of herself.” Kimiko Yoshida, 2002.

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Le mariage Interviews

Julien, 22 ans, paysagiste

Florian, 25 ans

Aimerais-tu te marier ? Non. Pourquoi ? Ca ne rentre pas dans le cadre de ma sexualité. Aurais-tu besoin d'officialiser ton couple ? Oui, j'en aurais besoin. Le Pacs ? Je ne sais pas, je n'en ai aucune idée, le Pacs c'est super administratif, c'est juste un papier que l'on signe, d'ailleurs on nous le précise bien, ils ne veulent pas lui donner de valeur symbolique, on ne se reconnaît pas à travers cette officialisation, la plupart des gays font une grande fête, et proclament à ce moment-là qu'ils sont ensemble, symboliquement, la fête peut se faire le jour d'une date importante. Si je devais me marier, ce serait dans un parc.

Le mariage idéal ? Ce n'est ni la mairie ni l'église, ce serait un lieu que l'on puisse s'approprier, à la fois l'espace et le temps, un lieu suffisamment neutre, capable de supporter l'essence de mon mariage et de ce que je suis.

Nicolas, 22 ans, urbaniste Aimerais-tu te marier ? Oui. Comment ? Mariage civil avec une grande fête ensuite, celà permet de marquer l'événement, c'est aussi un prétexte pour réunir des gens que l'on ne voit pas souvent.

Florian ,24 ans Le mariage ? Je le rejette car il est guidé par des systèmes trop stricts. Une union en ce qui me concerne, je ne l'envisage pas telle que l'institution républicaine ou religieuse nous la propose, je l'inscrirai dans une logique beaucoup plus personnelle, je n'ai pas encore trouvé la cérémonie qui correspondrait à mes besoins. La cérémonie idéale ? Un lieu que j'aurai plus ou moins façonné, sur lequel j'aurai un certain pouvoir, le transformer à l'image de ce que j'aurai envie de véhiculer le jour de la cérémonie.

Romain, 21 ans Lisa, 23 ans Aimerais-tu te marier ? Je ne sais pas, je ne suis pas croyante, mais si je me marie autant faire la totale, mariage civil, puis religieux. Religieux ? Ce ne sont pas les symboles mais c'est la beauté du lieu qui m'intéresse.

Je pense que l'institution républicaine n'arrive pas à remplacer le mariage religieux au niveau du caractère symbolique. Alors je pense que par défaut, je me marierais religieusement même si je ne suis pas croyant. J'ai assisté à plusieurs mariages en mairie et on a toujours l'impression que c'est une improvisation constante. La mairie n'arrive pas à rendre ce moment idéal.

François, 20 ans Aimerais-tu te marier ? Oui. De quelle manière ? Religieusement, mais si par le biais du mariage civil, on pouvait faire une aussi belle cérémonie que la cérémonie religieuse, je me marierais uniquement de manière civile.

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Delphine, 25 ans J'aime l'idée du mariage mais je ne me marierai pas car je n'ai pas de religion. Si je me marie, je le ferai pour des raisons financières, théoriquement la mairie me suffirait mais j'aurai du mal à accepter que mon mariage ne soit pas grandiose.


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État des lieux

Le mariage civil

Le Pacs et le concubinage

“C'est la plus vieille coutume de l'humanité et l'état de la plupart des individus adultes.”

La cérémonie se déroule dans la salle des mariages de la mairie. Elle une durée limitée de vingt minutes. Le nombre de places pour les invités est souvent restreint. Sous les symboles républicains, les attentes émotionnelles ne sont pas toujours comblées.

Ces formes d'unions sont des actes administratifs qui omettent les besoins symboliques et émotionnels des couples. L'événement se déroule dans une salle du tribunal d'instance ou de la mairie, sans aucun cérémonial.

La cérémonie civile devient un acte administratif. Pour palier à cette situation indésirable, on constate une demande croissante pour une personnalisation de la cérémonie, décor, discours mieux adapté. Ces demandes sont rarement acceptées. La fête devient alors l'unique moment où les individus peuvent vivre et donner l'ampleur émotionnelle souhaitée à l'événement. On observe aujourd'hui dans les séquences rituelles un glissement du pic émotionnel vers l'étape de la fête. Certains couples ont recours à des expériences limites, ils sautent en parachute, se font photographier sous l'eau en tenue de cérémonie. Ils aspirent à des états émotionnels extraordinaires.

Glissement du vécu émotionnel.

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Seuls les couples s'unissant à des fins financières peuvent se satisfaire de ces procédures. L'institution républicaine néglige les besoins émotionnels des personnes, ce qui provoque frustrations et déceptions avec parfois des conséquences néfastes sur la santé morale des couples. “Le rite n'est plus actif lorsque les symboles interpellés n'agissent plus. Le rite nécessite un moment fort lors duquel le corps est aux aguets, les sens excités, l'esprit possédé par les symboles. Le rite réussi est celui qui a procuré aux ritualisants ce moment recherché lors duquel sont vécues, sous un mode symbolique, des émotions extraordinaires, enivrantes, exaltantes ou tout simplement inhabituelles.” Denis Jeffrey.


Site Le site choisi, d'une surface d'environ 6.000 m2, est le square d'Anvers dans le IXème arrondissement de Paris. Au cœur d'une forte mixité sociale, il se trouve dans un tissu urbain sans particularité architecturale notable. Les flux sur le boulevard Rochechouart sont denses, alors que l'avenue Trudaine est calme. Les arbres existants, la légère pente et le parking souterrain seront conservés.

Le couple et ses proches se réunissent dans différents espaces réservés à la préparation : thermes, salles d'habillage, lieu de repos et de repas qui entourent le lieu de la cérémonie.

Un nouveau lieu Support sensible, un lieu d'union à Paris.

Les quatre fonctions essentielles du quotidien ont été repensées pour pouvoir être vécues collectivement. Elles prennent alors une dimension extraordinaire. Au centre, se trouve le lieu de cérémonie. Les conjoints peuvent se l'approprier avec leur propre symbolique.

Principes Toute union comporte trois étapes rituelles : la préparation, la cérémonie et la fête. Actuellement, ces étapes sont géographiquement distinctes. La préparation se déroule à la maison, la cérémonie à la mairie ou au tribunal d'instance et la fête dans un espace approprié, un château, une maison. Pour permettre de vivre des temps sociaux intenses dans une société fortement individualisée, Support sensible intègre dans un même lieu les trois étapes de l'union et donne la possibilité de maîtriser l'espace, le temps et la symbolique associés à l'union.

En réinterprétant le rituel à l'aune d'une société qui valorise le spectacle et la reconnaissance de soi, je propose aux couples, s'ils le souhaitent, de ne plus remonter une allée à la rencontre de l'officiant mais de descendre une volée de marches pour se placer non plus de dos, mais face à leurs proches. C'est par un travail architectural du sol, que cette forme rituelle est suggérée au couple. Après la célébration, les conjoints et leurs proches peuvent fêter l'évènement dans un vaste espace largement ouvert sur la ville.

Depuis l’avenue Trudaine. Depuis le boulevard de Rochechouart.

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La ligne symbolise la vie conjugale. Placée de façon fictive sur le site, elle oriente le projet. La ligne fictive, soulignée et encadrée, deviendra le lieu de cérémonie propice à la reconnaissance du couple. Les quatre espaces de préparation se dilatent autour du lieu de cérémonie.

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Placée au-dessus du sol, la ligne symbolique brise les flux quotidiens et acquiert un statut singulier. Le lieu de cérémonie deviendra un instant suspendu.

Les espaces de préparation servent de transition entre la vie quotidienne et le lieu de cérémonie. Suspendu par ces quatre espaces, le lieu de cérémonie crée au niveau du sol l'espace festif largement ouvert sur la ville.

Lieu des repas 1/ restaurant 170 m2, bar 10 m2 ouverts constamment au public. 2/ salle repas 180 m2, cuisine 12 m2. 3/ salon 81m2. 4/ salle de projection 63 m2.

Lieu du repos 1/ accueil, salle petit déjeuner 60 m2, cuisine 28 m2 , administration officiant 90 m2. 2/ accueil 11,5 m2, 4 chambres doubles 25 à 29 m2 + salle de bains 12 à 16 m2. 3/ dortoir 130 m2, vestiaires 11m2, douches et toilettes 40 m2. 4/ 2 chambres double 27 m2 + salle de bains 13 m2, chambre spéciale 64 m2 + salle de bains 13 m2 + dressing 16 m2.

Thermes 1/ salle d'habillage 220 m2, toilettes 14 m2, vestiaires durs 2 x 4 m2. 2/ accueil 12 m2, vestiaires 6 x 9 m2, vestiaire H 8 m2, bassin japonais 14 m2, bassin principal 64 m2, bassin noir 20 m2, bassin argent 11m2, toilettes 7,8 m2. 3/ bassin extérieur 27 m2, solarium 3 x 12 m2.

Lieu d'habillage 1/ accueil 35 m2, toilettes 10 m2, local bagages 6,6 m2, salle d'information 42 m2, salon de beauté 56 m2, salle de création 45,8 m2, vestiaire 10,7 m2, toilettes 6 m2. 2/ salle d'habillage 220 m2, toilettes 14 m2, vestiaires durs 2 x 4 m2. 3/ vestiaires spéciaux 48 m2, mezzanine 74 m2.

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Lieu des repas

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Lieu de repos

Lieu de cérémonie


Lieu de fête

Salle d’habillage

Thermes

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Lieu des repas

Lieu de repos

Il est constitué de trois niveaux, unis visuellement par un vide central. La salle des repas au niveau 2 dispose d'une cuisine connectée au restaurant public. Cela donne la possibilité de faire appel à un traiteur, de cuisiner soi-même ou encore de se faire livrer des repas du restaurant. Le salon au niveau 3 fait face à un écran de projection en hauteur. Le dernier niveau est une salle de projection. Ces espaces donnent accès au jardin et au lieu de fête.

L'espace de chaque niveau s'investit et se transforme en fonction des désirs de chacun. Dans le dortoir, les matelas se disposent au gré des envies. A chaque niveau, les balcons en saut de loup offrent une vue transversale sans obstacle lorsque les panneaux coulissants des chambres sont ouverts. Pour se retrouver dans l'intimité il suffit de faire coulisser les panneaux.

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Thermes Après s'être lavé dans la très haute pièce japonaise en bois, on arrive face au bassin principal qui structure toute la circulation des thermes. Suspendu entre les deux blocs du bâtiment, il est entouré de deux passerelles qui nous mettent au même niveau que les nageurs. Contrairement aux bassins plus intimistes logés au cœur des blocs du bâtiment, le bassin principal est largement ouvert sur l'extérieur.

Au rez-de-chaussée, logé sous le bassin principal ont peut se retrouver en famille dans une nappe d'eau de dix centimètres très chaude. Les quatre murs d'eau qui entourent le bassin nous protègent et transforment la vision de la ville. Au dernier étage, le solarium et le bassin extérieur offrent un panorama sur le sud de Paris.

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Salle d'habillage C'est un grand volume traversé par de larges bandes de lumière. Lorsque personne ne se change, de minces rubans tombent du plafond accentuant les lignes verticales du lieu. La perception de l'espace se modifie totalement lorsque les proches des conjoints déploient et investissent les tissus pour créer leur espace intime de changement. Au sol, de nombreuses encoches permettent de fixer les tissus. Une pièce spéciale a été créée pour satisfaire les couples désireux de se vêtir à l'écart de leurs proches. Elle se situe au dernier étage et surplombe tout le volume. Un escalier relie ces pièces au salon de beauté du rez-de-chaussée. Lorsque les ritualisants sont prêts, ils empruntent une série d'escaliers et arrivent sur une large mezzanine : une lourde porte en métal s'ouvre sur le lieu de cérémonie.

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Lieu de cérémonie Il se caractérise par le travail du sol, l'effet en suspension. Dans le rituel réinterprété, l'union n'est plus caractérisée par une trajectoire en aller-retour devant l'officiant, comme à la mairie ou à l'église, mais comme un passage linéaire qui illustre la continuité, le prolongement de la vie, l'entrée et la sortie du lieu de cérémonie sont à l'opposé. Le sol et le plafond sont disjoints des murs porteurs laissant glisser la lumière sur les pans blancs. Le sol semble flotter, amplifiant le moment intense d'une union.

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Concours Minimaousse 2006

Micro architecture/Macro design ?

Miniaturisation/Eloge du petit

Concours biennal de microarchitecture Institut Français d'Architecture

Question d'échelle, question à la frange, située dans le hors champ de la discipline : du bricolage amateur à l'architecture qualifiée d'intérieure, du design à certaines expressions artistiques.

Le petit peut représenter une alternative à la standardisation du quotidien. Il correspond souvent à un autre modèle économique : autoconstruction, recyclage de matériaux, transferts de technologies.

C'est une question qui invite à être hors sujet pour nourrir et redéfinir le sujet.

De la biogénétique aux nanotechnologies, l'exploration de l'infiniment petit est au centre des préoccupations. La réduction des objets du quotidien, est associée à un accroissement de leurs capacités, à la multiplicité de leurs fonctions : le tout en un.

Minimaisons roulantes "une petite architecture qui doit faire le maximum" Elèves de semestre 1 Professeurs : Sébastien Chabbert Olivier Leblois Jean-Claude Moreau Marc Vaye

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Une création hybride Aujourd'hui, dans un contexte marqué par la double attente des hommes qui sont à la fois mobiles et à la recherche d'ancrage, est-il possible de concevoir un hybride qui dépasserait les modèles d'origine que sont l'automobile et la maison, c'est-à-dire deux espaces dont la conception et la fonction divergent, mais tous deux chargés d'un riche imaginaire. La voiture est plus qu'un moyen de déplacement. Elle peut être un mode et un cadre de vie. Elle peut devenir le lien entre ses occupants et le monde. De son coté, l'habitation n'est pas réductible à une typologie unique, elle est un support d'affirmation de l'individualité de ses occupants et sa mise en mouvement conduit à repenser sa forme.

Le projet cible à la fois le domaine de l'intime et de l'individuel. L'intime individuel, c'est la question de la seconde peau. Selon l'acception commune, la première est notre peau biologique, la seconde les vêtements, la troisième l'habitation. Un véhicule qui ne soit plus une véritable automobile, mais un hybride du meuble et de l'électroménager.

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Mention coup de cœur Ubiquo Félix de Montesquiou Martial Leo Elèves de semestre 1

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Ubiquo est véhicule urbain, amphibie et tout terrain tracté par chenillettes, c'est aussi un foyer permanent qui dispose de tous les trésors de l'électroménager et une salle d'eau. Il est connecté à Internet via satellite, peut se brancher aux autres réseaux grâce à des bornes d'accueil. Ubiquo permet aussi d'emporter ses objets personnels en voyage. Ubiquo est à la fois Hermès, le dieu des voyages et Hestia, la déesse du foyer.

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Palmarès Du 9 octobre au 13 décembre 2006, les élèves de première année semestre 2 ont été invités à répondre individuellement au sujet proposé. Pour cela, ils ont bénéficié d'une conférence de présentation de la terre cuite complétée par la remise de documentations et d'échantillons de produits, ainsi que de la visite, à Macon et Besançon, de deux sites de fabrication de tuiles et briques. Le 16 novembre, un préjury composé de représentants des sociétés Koramic et Wienerberger et de professeurs de l'Esa, a examiné les premières esquisses à l'échelle du centième et conseillé les élèves en vue du développement de l'étude à l'échelle du vingtième. Il était demandé, pour la présentation finale, une composition sur affiches au format A0 montées sur informatique au format acrobat.pdf, une maquette d'ensemble au 1/100e et une maquette d'un fragment au 1/20e.

Concours 2006 Innover avec la terre cuite Partenariat Esa/Koramic Wienerberger Elèves de première année Professeurs : Gaëlle Breton & Marc Vaye

Sujet Un mur-pavillon dans le jardin de l'Esa Dans la prolongation des travaux engagés sur le thème de l'espace japonais, complétés par la participation aux journées d'Archilab 2006 Faire son nid dans la ville, il s'agit d'étudier un dispositif spatial réalisé en terre cuite pour le jardin de l'Esa. Il comprendra : - un mur/clôture du jardin, - un pavillon, une aire de tranquillité, de repos, voire de méditation, pouvant accueillir quelques personnes et défini à la fois comme un intérieur et un extérieur, - l'aménagement architectural et paysager de l'ensemble du jardin en tenant compte des trois corps de bâtiment existants, du système actuel de circulation des véhicules et piétons et intégrant un local à poubelle pouvant abriter six containers. L'ensemble conçu dans un esprit de dénuement sera réalisé à l'aide de produits en terre cuite de catalogues comme les briques, tuiles, bardeaux, conduits, hourdis, ce qui n'exclut pas de les mettre en œuvre de façon non conventionnelle. Le recours à d'autres matériaux est possible dans le cas où la terre cuite est inappropriée.

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Les 11 et 12 décembre, dans le cadre d'une exposition générale des travaux et après audition des participants, un jury de présélection composé de Gaëlle Breton, Chantal Danjon, Gérard Gay, Ralph Choueri, Abdul Konaté et Marc Vaye a retenu 11 propositions. Le 13 décembre un jury présidé par Gilles Wuthrich et composé de : Marc Bellair, responsable prescription Wienerberger, Jean Volmers, directeur régional des ventes Koramic, Maurice Dietrich, ingénieur Ensais, Michaël Halter, Gaëlle Breton,Marc Vaye, architectes, professeurs à l'Esa, a établi le palmarès suivant : Premiers prix ex-aequo Mur troglodyte/Elodie Doukhan Mur vénitien/Marco Lavit Nicora Deuxièmes prix ex-aequo Esa city/Yoann Ledoux Mur filtre/Alexandre Goinard Troisièmes prix ex-aequo Brique et fluidité/Nicolas Mussche Aoyama garden/David Drahi


Quelques lignes sur le concours Innover avec la terre cuite qui a été intégré à l'automne 2006 dans le programme de travail des étudiants de première année second semestre.

Editorial Gilles Wuthrich Directeur marketing et administration des ventes Koramic tuiles

Il nous paraît opportun d'éclairer notre démarche passée et future. Depuis quelques années nous réfléchissons au développement de nos produits en terre cuite : formes, coloris, technicité. Nous constatons néanmoins un désintérêt des architectes pour leur utilisation, notamment dans le cas des constructions contemporaines. Nous traduisions ce fait comme étant l'expression du caractère traditionnel du matériau supposé limiter la légitime créativité des concepteurs. Ce point de vue est permis tant que nous restons dans les schémas classiques d'utilisation, mais devient dépassé si nous explorons les multiples potentiels de la terre cuite. Voyez l'école hollandaise si riche d'enseignement. Au sein du groupe Wienerberger, nous sommes partenaires du site Archistudent dédié aux étudiants Européens et nous organisons un concours Européen Bricks Awards afin de récompenser les grands projets en briques et tuiles de terre cuite sans distinction de marques. Vous comprenez plus précisément notre proposition de partenariat avec l'Esa. Une conférence de présentation des produits, la visite de nos sites de fabrication et un concours pour un projet d'aménagement du jardin de l'Esa avec pour cahier des charges l'utilisation des briques et tuiles. Suite à la délibération, le jury a procédé à la nomination de lauréats et remis quelques prix. Il restait l'édition des travaux des étudiants que nous vous invitons maintenant à découvrir. Pour ma part et celle du jury dans son ensemble, nous avons été bluffés par la faisabilité des projets, la créativité et le sérieux des étudiants dont je ne peux m'empêcher de souligner, qu'en première année, ils ont une faible connaissance des produits de terre cuite. Objectif atteint, félicitations à tous et meilleurs vœux de réussite. Cordialement et à bientôt pour un prochain concours.

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Projet lauréat Premier prix ex-aequo Mur troglodyte/Elodie Doukhan Habiter : demeurer, loger, résider, peupler, posséder, occuper de façon durable. Habitat troglodyte : abri naturel dans les anfractuosités de la roche calcaire, comme, par exemple, à Pétra en Jordanie ou en Cappadoce en Turquie.

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Projet lauréat Premier prix ex-aequo Mur vénitien/Marco Lavit Nicora Le projet répond à la Fondation Cartier qui lui fait face et s'inspire des travaux de Mondrian, Composition N°10 et Le pommier. Il décline le store vénitien : dimensions magnifiées et usage d'un autre matériau, la terre cuite.

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Projet lauréat Deuxième prix ex-aequo Esa city/Yoann Ledoux

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Fondé sur le thème de la ville dans la ville, le projet figure Manhattan, avec son mur/skyline, ses percements/avenues et son jardin pelousé/Central park. Depuis la rue, à l'échelle urbaine, le mur/skyline, en enduit lisse et gris, apparaît comme une masse abstraite surmontée de veilleuses.

Il faut se rapprocher des percements ou mieux encore entrer dans le site pour découvrir que le mur est habitable, que l'intérieur offre des assises. Changement d'échelle permis par les dimensions et la texture du composant utilisé : la brique de terre cuite type vieux knokke avec appareillage panneresse.


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Projet lauréat Deuxième prix ex-aequo Mur filtre/Alexandre Goinard Inspiré des travaux de Carmen Perrin, le projet développe les thèmes de la transparence et de l'ouverture.

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Projet lauréat Troisième prix ex-aequo Brique et fluidité/Nicolas Mussche La brique est un élément constructif antique, standard, ergonomique qui permet de construire aussi bien des murs que des coupoles. Ton de brique évoque une couleur rougeâtre, c'est une appellation précise qui appartient à la culture universelle. Le projet vise à concilier cette tradition avec la quête de la fluidité des usages propres à la modernité.

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Projet lauréat Troisième prix ex-aequo Aoyama garden/David Drahi Un mur en brique massif et opaque pour dissimuler le jardin, tout le long et à diverses hauteurs, des percements pour en révéler des fragments ou plus exactement, cadrer, la nuit, les fluctuations de la lumière sur un mur en brique.

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Projet présélectionné Mur en brique perforée/Thomas Flausse Fondé sur la conception d'un module universel composé d'un modèle unique de briques perforées associées à des profils métalliques, le projet vise à démontrer que la terre cuite permet la quête de la porosité et de la dématérialisation : voir au travers, être d'une épaisseur minimum.

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Tirer bénéfice de la pente du boulevard Raspail et modeler le sol permet de générer une multitude d'assises, marches et amphithéâtre, sur fond de pelouse. Poser sur quatre fins piliers, un pavillon en brique blanche se cache dans les arbres et permet l'isolement. Une passerelle et une terrasse diversifient les points de vue et les parcours.

Se réunir, déambuler, s'isoler, il ne restait qu'à ménager la relation avec le boulevard, ce que permet le percement régulier du mur qui est, côté jardin, en brique monomur apparente et, côté boulevard, recouvert d'un parement qui lui confère du relief.

Projet présélectionné Au-delà des arbres/Antonin Pellissier

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Projet présélectionné Le mur balcon/Chloé de Smet Porosité. Permettre à la fois d'être en relation visuelle avec la rue et de préserver l'intimité du jardin.

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Projet participant Mur multi usage/N'Guyen Hoang Hiep

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Participants

Marie-Anne Sénéchal-Chevallier, projet présélectionné Youssef Hamza Benbella Ghislain Bibas Aymeric Chomereau Lamotte Paolo Dahan Azza Gtari Merhnoush Hajabdolazim Naraghi Young Mi Kim Amélie Lahutte Anna Mallac-Sim Baptiste Pavlidis Assma Rmili Hugo Roisné Romain Rousseau Marc-Olivier Trouvin

Aurélie Fourment Constantin Caropoulos Alefantis

Ahissan Tanoh, projet présélectionné Laure Celeri

Dimitra Papageorgiou Ali Benkirane

Mouna Nafakh-Lazraq Anaïs Sansonetti

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FrĂŠdĂŠric Brient

Mathieu Crabouillet Soundous Sliti

Mohammed Sayarh Najib Wakhmis

Charlotte Dhumes-Vigneron Jeremy Barla Ekwe

Lyza Hannah Bellelis Josefina Bellosta Varady

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F.LA.Z : Dans son ouvrage “S, M, L, XL”, Reem Koolhaas s'interroge sur le sens de l'urbanisme. Il dénonce un échec collectif, une somme de décisions non prises. Il écrit avec pessimisme : “Selon Derrida, nous ne pouvons pas être Tout, selon Baudrillard nous ne pouvons pas être Réels et selon Virilio nous ne pouvons pas être Là”. Il persiste néanmoins à croire en la ville, qui est selon lui “plus que jamais, tout ce qui nous reste”. Vous avez, vous aussi, dénoncé la crise de l'urbanisme, les phénomènes d'introversion au sein des cités, les villes ségrégatives, la désurbanisation post-industrielle, l'économie multinationale, la bombe démographique et la cyber bombe. Quel est votre sentiment sur la capacité des architectes ou des citoyens à intervenir, à renouveler, voire à sauvegarder la ville et l'architecture ?

La circulation habitable Entretien avec Paul Virilio François Legendre & Ahmed Zaouche*

*F.LA.Z, auteurs de la revue “Les correspondances ”, élèves de 5e année.

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Paul Virilio : J'ai travaillé essentiellement sur la vitesse et donc sur la catastrophe. On ne peut pas travailler sur les phénomènes de flux et d'accélération, dans la mesure où ils ne concernent pas simplement l'histoire mais l'accélération de la réalité, sans être conscient du caractère catastrophique de la ville. J'ai développé cette thèse à la Fondation Cartier dans l'exposition Ce qui arrive. Pour plusieurs

raisons, la ville est la grande catastrophe du vingtième siècle. D'abord parce qu'elle a été la cible de la guerre totale, son objectif, que ce soit à Guernica pour la guerre d'Espagne, à Coventry pour la Luftwaffe (on a même inventé à ce sujet le terme coventrysé), à Londres, Berlin et pour finir à Nagasaki et Hiroshima. Fait nouveau, la ville a été le lieu de l'invention d'une nouvelle guerre. Je parlerai de la guerre car je suis un enfant de la guerre et il est impossible de comprendre la ville sans la destruction et la reconstruction. Jusqu'à cette période, il y avait deux types de guerre : les guerres civiles, la guerre de tous contre tous, que l'on appelle aussi tumultes ou guerres interethniques et les guerres internationales. Il y avait à inventer une autre guerre et le vingtième siècle invente cette tragédie : “la guerre aux civils”. Voyez ce qui se passe aujourd'hui au Proche-orient. L'armée utilise la destruction massive contre la société civile, contre n'importe qui, et les terroristes font de même. La guerre aux civils est donc une véritable catastrophe pour la cité. La cité était le lieu de la résistance sociale, avec ses remparts, ses lois, ses champs de bataille et d'honneur. Le dernier champ d'honneur est celui de 1914, on se bat encore entre militaires.


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Le vingtième siècle a influencé le nouveau statut de la ville. Elle est devenue la cible mais aussi le lieu de concentration des nouvelles technologies. A travers ses transports, ses systèmes d'information, la ville est le lieu où se concentre l'accélération du réel. Elle est l'hyper centre de toutes les accélérations. Et comme il n'y a pas d'accélération sans augmentation de l'accident, la ville est devenue la victime du progrès. Puisque chaque objet technologique augmente la probabilité de l'accident. F.LA.Z : N'y a-t-il pas encore des moyens de résister ? Paul Virilio : Il n'a pas de désespérance dans mon discours. Le désespoir, comme le nihilisme, n'est pas une politique mais une absence de politique. Il ne s'agit donc pas de désespérer mais d'inventer un nouveau rapport à la territorialité et au peuplement. La mondialisation pose la question du repeuplement du monde. Quand on observe tous ces mouvements de déportation, d'exclusion, de migration, de délocalisation, pour les riches comme pour les pauvres, du tourisme permanent, tous posent la question du repeuplement du monde. En 2000, l'Onu a organisé une grande réunion sur les “migrations de repeuplement”. Le mot est intéressant car il dépasse la notion d'immigré clandestin. Cela pour dire que c'est un mouvement historique comme l'a été le peuplement indo-européen pour l'Europe. Aux origines de l'histoire, il y a les transvasions de population. Je suis donc convaincu que la globalisation amène inévitablement des stratégies de repeuplement. Il faut relire Dumézil. Qu'est-ce que la ville du repeuplement ? Ce n'est pas seulement la question banale du centre et de la périphérie, l'extérieur a plus d'importance que l'intérieur. C'est à partir de l'externalisation que l'on refait l'histoire, contrairement à l'internationalisation initiale. C'est donc la société globale qui façonne la cité et la politique avec des risques considérables.

1/ L'horizon négatif, Paul Virilio, Edition Galilée, 1984.

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F.LA.Z : Beaucoup de chercheurs pensent qu'il est possible d'habiter ces nouvelles technologies. Il y a entre autres les travaux de l'Institut de la ville en mouvement, pour restituer une certaine quotidienneté. Reem Koolhaas appelle à la “manipulation de l'infrastructure conduisant à une infinité d'intensifications et de diversifications, de raccourcis et de redistributions : la réinvention de l'espace psychologique”. Son projet pour les Halles à Paris va dans ce sens : des espaces instantanés, surexposés. Vous semblez en rupture avec ces pistes et vous écrivez que les intensités technolo-

giques des espaces de déportation instantanés bouleversent les structures sociales, effritent la réalité géopolitique de l'espace urbain. Que pensez-vous de ces tentatives de colonisation des infrastructures ? Quels sont, selon vous, les moyens de résistance ? Regarder la méduse en face ! Paul Virilio : En 1966, dans Architecture principe, j'ai lancé l'idée de la circulation habitable en disant que la ville ancienne, c'est le stationnement habitable, la sédentarité. Aujourd'hui, ce qu'il faut rendre habitable, c'est la circulation. D'où les balises de survie, les équipements, pour les exclus que nous avons développés dans les ateliers de projet de l'Esa. Devant cette hyper mobilité, nous allons vers la nécessité de rendre habitable la circulation, c'est-à-dire les mouvements de population au niveau de la demeure puisqu'il y a, là aussi, une délocalisation des proximités et une délocalisation des extrémités. Aller aux antipodes pour trouver du travail parce que les entreprises se sont délocalisées. Mais il y a aussi la délocalisation de proximité permise par le Tgv par exemple. La question se pose aussi au niveau de l'immeuble qui doit aussi tenir compte de ces effets de délocalisation. J'ai lancé pour mon dernier semestre d'enseignement à l'Esa, le projet Exit House, la maison pour sortir et non pour entrer. Il fallait penser la demeure métamorphosée par l'hyper mobilité du transport, du travail mais aussi de l'information. Le téléphone portable, l'ordinateur sont des moyens de délocalisation, d'où la présence du Gps sur les téléphones comme confirmation de cette hyper mobilité à laquelle on ne pourra pas s'opposer. L'homme moderne a besoin de deux montres : une pour donner l'heure, une autre pour donner le lieu. Le projet Exit House pose donc cette question. Que restera-t-il de la demeure à l'âge de la démesure des déplacements ? J'ai posé la même question en 1984 dans mon ouvrage L'horizon négatif.1 Qu'attendrons-nous quand nous n'aurons plus besoin d'attendre pour arriver ? Et ma réponse était : nous attendrons la venue de ce qui demeure, grâce aux écrans. D'où la venue des webcams, les phénomènes de feedback, voire de télé action lointaine. Comment, la demeure c'est-à-dire la fixité, la sédentarité à la fois dans l'espace et dans le temps, peut-elle aujourd'hui organiser la ville ? Il y a une inversion des notions de sédentaire et de nomade. Cela explique la mutation de la ville. Le nouveau sédentaire, c'est celui qui est partout chez lui, dans l'ascenseur, le Tgv, le jet.


Avec ces appareils, il est partout chez lui tout en étant dans l'hyper mobilité. Alors que le nomade est celui qui n'est nulle part chez lui. Ce n'est plus le nomade du passé, son chez lui, ce sont les trottoirs, les bandes d'arrêt d'urgence des autoroutes, les tentes du Canal Saint-Martin (la récupération de la notion de tente par les Don Quichotte est intéressante). Il y a inversion de la notion de demeure. Etre partout chez soi, cela veut dire concernant la demeure, qu'il y aura toujours un lieu où l'on s'arrête simplement. La bande d'arrêt d'urgence ou le trottoir de l'exclu n'ont rien à voir avec l'homme actif, hyper actif, qui n'est pas exclu. Comment faire habiter les flux, que ce soient ceux de la délocalisation de proximité ou ceux de la délocalisation d'extrémité ? D'où l'importance aujourd'hui, des gares, des aéroports. Elire domicile, c'est s'installer ici et non là. Nous passons des lieux d'élection aux lieux d'éjection : le stop-eject. Comment faire habiter le stop-eject dans le ici et maintenant du quartier ? Immédiatement, je pense aux désurbanistes russes, c'està-dire au linéarisme, à la ville linéaire. Je me souviens de l'exposition Paris-Moscou pour laquelle il m'a été demandé de participer, mais sans pouvoir véritablement les évoquer. Sans les désurbanistes, il est impossible, par exemple, de comprendre les plans de Le Corbusier pour Alger. Dans le projet Exit house, j'ai proposé une astuce pédagogique : il fallait que la demeure devienne hebdomadaire. C'est-àdire qu'il y avait le logement du lundi, du mardi, du mercredi, etc. On sortait du lieu du lundi pour rentrer dans le lieu du mardi pour revenir au lieu du dimanche. Et bien sûr, il y avait une pièce détachée, le garage, qui pouvait aussi devenir la porte d'entrée. Nous avions donc à traiter le cycle. Nous ne pouvions plus rester là. C'est, bien entendu, une logique pédagogique. Comme il fallait des passages en transition, on utilisait des plans inclinés. Est-ce que le matin, je passe de la cuisine à la salle de bains pour rentrer dans le lundi ? Les mots ne correspondent plus, les notions de “salle de bains” et de “cuisine” n'existent plus. Il fallait réinventer les pôles en comprenant les mouvements de la circulation habitable, non seulement dans la géométrie spatiale mais aussi bien dans la géométrie sociale. Comment fait-on pour faire habiter le micro déplacement à l'intérieur de la demeure ? Nous sommes en 2007 et ce sont des questions que je me pose depuis 1996 !

F.LA.Z : Ne peut-on pas envisager les immobilités non pas comme des fixités ou des sédentarités mais comme des décélérations ? Paul Virilio : Bien sûr. J'essayais d'asseoir mon discours sur des choses stables, mais il est évident qu'avec l'hyper mobilité, l'emploi du temps est devenu plus important que l'emploi de l'espace. On est devant la question du continuum relativisé espace-temps. Une anecdote, avec Claude Parent, nous avions chacun une Jaguar. J'avais une 2,4 litres. Nous avons fait une pointe à 220 km/h sur l'autoroute en direction de Nevers. Nous avons vécu un effet de glaucome : la sensation que le champ de perception se réduit. Toutes les latéralités disparaissent au profit de la visée de la vitesse. Le mouvement et son accélération sont un problème d'espace-temps, et de focalisation frontale. F.LA.Z : Il s'agira alors de travailler sur des liens techniques, voire dromoscopiques ? Paul Virilio : L'écran est une troisième fenêtre, après la porte-fenêtre où l'on passe et la fenêtre où il vaut mieux ne pas passer. Il faut définir la nature du passage. Face à un écran, je suis devant le phénomène cinématique des séquences de défilement. L'énergie cinématique n'est pas reconnue comme telle. C'est-à-dire que je suis devant l'énergie du visible, c'est ce que j'appelle la dromoscopie. Le phénomène d'illusion d'optique donne l'impression que les choses reculent, alors que c'est vous qui avancez ! On ne peut plus aujourd'hui considérer les moyens de transport et leur énergie cinétique sans prendre en compte l'énergie cinématique, ceci est valable pour ceux qui sont en train, sur le trottoir ou regardent les écrans. Cette énergie cinématique ne concerne donc pas seulement les moyens de transport mais aussi la télévision. Voyez par exemple le débat qui a opposé Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal. Ce n'est pas un hasard si les lignes de cotation sont à l'écran. C'est extraordinaire, il y a une mutation du politiquement correct en optiquement correct. La cinématique du duel fait partie du choix. Ce qu'ils disent est moins important que l'affichage en direct du sondage de qui a gagné ou perdu la partie. Quand il est question de circulations habitables, l'architecture et la ville doivent s'organiser à partir de ces deux énergies : l'énergie cinétique, l'énergie du mouvement, et l'énergie cinématique,

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l'énergie de l'avoir vu. Il y a déjà des pathologies et des addictions à cette pathologie du visible, par exemple Second life. Il y a une ville des villes, une ville virtuelle qui est l'hyper centre des villes géographiquement installées. A partir du moment où les villes sont interconnectées en temps réel, un hyper centre se constitue qui est nulle part et partout, c'est First life. Quand nous parlons de ville monde, nous évoquons la capitale des capitales du temps réel, de l'immédiateté, de l'ubiquité dont les bourses sont le fleuron. Le jour où ces bourses vont sauter, ce sera pire qu'en 1929. Il faut entrer dans la relativité, je rappelle que la vitesse n'est pas un phénomène mais la relation entre les phénomènes. J'ai fait de nombreuses références à Einstein parce que la vitesse de la lumière est le moyen de la mondialisation. Ce n'est pas le Tgv, le supersonique mais la vitesse des ondes électromagnétiques qui façonne le monde et pas seulement les circuits financiers. Notre sensibilité à la mondialisation vient uniquement de là. A partir du moment où l'on a découvert que la terre était ronde et que l'Amérique existait, nous étions mondialisés mais nous ne l'étions pas encore au sens de l'énergie du visible, au sens des sensations immédiates comme celles, liées au tsunami ou au World Trade Center. Le monde a soudainement été réduit à l'immédiateté, ce qui était dans le passé, l'apanage du divin : l'immédiateté, l'ubiquité, l'instantanéité sont devenues communes. F.LA.Z : La modification de l'espace urbain peut être un vecteur d'imagination, un moyen de renouveler les images mentales, donc les pensées visuelles. Vous définissez l'espace comme l'entité qui empêche que tout soit à la même place. Reem Koolhaas semble redéfinir le nouvel urbanisme comme la capacité à agir sur les images mentales par le biais de la modification des réseaux et des infrastructures. En effet, l'intensité des moyens de transport dilue la réalité physique des espaces au profit d'une nouvelle perception, les images mentales. Qu'en est-il, selon vous, de ce territoire de l'imaginaire ? Paul Virilio : Saviez-vous que dans mon atelier à l'Esa, nous faisions quatre heures par semaine de dessin d'images mentales, avec un masque de relaxation sur les yeux ? Bien avant l'ordinateur, j'ai fait travailler mes étudiants par images mentales. F.LA.Z : Non.

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Paul Virilio : Cela est enseigné aux EtatsUnis et au Canada. Des professeurs d'Austin au Texas me disent : Paul, nous faisons ton exercice des images mentales. L'espace mental est capital pour moi et lié à l'énergie du visible. C'est à la fois actuel et virtuel. Dans l'exemple des rêves, c'est une image virtuelle, une image mentale et non pas instrumentale. Avec les moyens de télécommunications, ce sont des images instrumentales, qui s'imposent à travers le champ optique traditionnel, alors que l'autre est lié à l'imagination. Là où je trouve que Koolhaas est encore dangereusement optimiste, c'est que les images mentales sont atrophiées au profit d'une addiction aux images instrumentales. Les jeux Arcade, Second life ou autres, risquent d'abîmer et d'avilir l'image mentale de l'imagination et donc de la raison. Nous vivons toujours sous deux aspects (relisez Sigmund Freud), l'actuel ou le passage à l'acte et le virtuel. L'espace réel est relié aux deux. Le réel est à la fois actuel et virtuel, on peut dire potentiel. Or de plus en plus, l'espace de l'image virtuelle est industrialisé. Il prend une ampleur qui peut aboutir à une addiction comme c'est le cas chez certains Japonais. Les enfants ne sortent plus de chez eux, redeviennent des sédentaires par l'image instrumentale. Certains d'ailleurs se nourrissent à peine, ce qui est le signe d'une absence de vitalité. La critique que je fais à Koolhaas, c'est qu'il saute par-dessus le malheur, la souffrance, les grandes catastrophes de la postmodernité. Je vais faire une nouvelle exposition à la Fondation Cartier, sur l'homme exclu. Vous vérifierez que dans le catalogue de la précédente exposition, j'ai refusé de mettre des corps. La prochaine exposition, en 2008, ne parlera pas seulement des exclus mais aussi des délocalisés, des externalisés enfermés dans leurs images qui instrumentent le mental. Le travail à la chaîne se contentait d'instrumentaliser l'homme manuel de l'artisanat. A travers les phénomènes de perception et de conditionnement de l'imaginaire, c'est la mentalité qui est instrumentalisée. Il est donc temps de parler de l'énergie du perceptible. Je rappelle que je suis phénoménologue : si la vitesse n'est pas un phénomène mais la relation entre tous les phénomènes, le dromologue (celui qui travaille sur la vitesse), est forcément phénoménologue. Il faut relire MerleauPonty, notamment sa Phénoménologie de la perception. F.LA.Z : Nous voulions revenir à la chute des Twin towers de New-York pour vous demander : Quel est, selon vous, la capacité d'absorption de la ville


à de tels chocs ? Avec ce risque désormais permanent, comment repenser et continuer la ville ? Jean Baudrillard écrit dans La violence du monde que cette destruction visait les pouvoirs financier et culturel du libéralisme mondial. Ainsi, “c'est la destruction symbolique des tours qui a entraîné leur effondrement physique, et non le contraire”. Doit-on s'inquiéter de la résurrection de la ville ? Quel nouvel ordre urbain ? Paul Virilio : Les villes sont désormais la cible. Voyez la guerre d'Irak qui se concentre sur Bagdad. Les champs de bataille, comme Verdun ou Stalingrad, ont disparu au profit de la cité. Le choix du World Trade Center comme cible, s'explique entre autres par la densité de population. Ceux qui veulent s'opposer à cela doivent se battre dans la ville avec des forces considérables. La ville ressurgit toujours de sa destruction. La ville est l'objet/sujet de l'histoire le plus important. L'invention de la ville, c'est l'invention de la collégialité, de la confraternité dans la cité à travers l'histoire. Nagasaki et Hiroshima sont ressortis de terre après avoir été rasées. Mon ami Libeskind, qui est, à ce jour, plus ou moins mis sur la touche, a fait ce qu'il faut pour reconstruire. Pour moi, la question de la ville et celle de l'humanité sont liées. Même dans la religion, il y a la cité spirituelle et la cité réelle. Il y a la Jérusalem céleste et la Jérusalem actuelle avec ses murs de séparation. La ville est la grande métaphore de l'histoire, quelle que soit la civilisation. Je ne suis donc pas inquiet sur la résurrection de la ville mais sur sa forme, son continuum. Ce qui m'inquiète aujourd'hui, c'est que l'on revient à la tour. Le problème de la densification de la ville est une question clé. Il est vrai qu'il faut éviter que la ville ne se répande sur le territoire mais si c'est pour réinventer les tours, c'est aberrant. Le premier ordre urbain est horizontal, c'est celui des cités d'origine, Rome et Athènes pour résumé. La cité verticale de la modernité, c'est d'abord la cité des cathédrales, des donjons, puis des immeubles du dix-neuvième siècle, ceux de la révolution industrielle, avec l'invention de l'ascenseur et du gratte-ciel, le skyscraper, ce qui nous ramène à Manhattan. La construction à Shanghai de 4.000 tours est une aberration. Il y a un délire, un cul-de-sac en altitude, et une pauvreté de l'imaginaire qui est extraordinaire. Je suis pour l'ordre urbain oblique, c'est-à-dire pour la topologie comme nous l'avons énoncé

dans Architecture principe. C'est pour cela que je suis content de voir Jean Nouvel proposer, pour la Philharmonie de Paris, un travail sur la typologie et sur les obliques. Je n'ai rien contre une tour ici ou là, mais s'il est question de fonder la rénovation de la ville sur la tour, inutile de préciser que ce sera bien pire que les grands ensembles. C'est un problème de géométrie spatiale et temporelle. La topologie, c'est à la fois de l'espace et du temps. Les flux, les réseaux sont topographiques. Ces phénomènes complexes sont les seuls à même de résoudre le problème de la circulation habitable et de la nouvelle sédentarité dans la troisième dimension de la cité. F.LA.Z : Après les émeutes des banlieues parisiennes en 2005 et celles, plus anciennes, aux Etats-Unis dans les années soixante, que pensez-vous du choix politique de faire croire qu'il est possible de les écraser ? Paul Virilio : C'est aberrant. C'est dans l'espace et le temps que l'on peut résoudre les problèmes sociaux. L'homme “a lieu”, qu'il soit nomade ou sédentaire. Le problème que vous évoquez ne peut se résoudre que dans l'espace-temps politique. Ce qui est grave aujourd'hui, c'est que l'économie politique est encore celle du dix-huitième siècle. C'est l'économie politique de la richesse innovée par les physiocrates, c'est une réalité. Mais elle doit se doubler aujourd'hui d'une économie politique de la vitesse. Vitesse et richesse sont liées. Le temps, c'est de l'argent, après la révolution de l'accélération, on peut dire que l'argent, c'est surtout de la vitesse. Il suffit de relire Stieglitz, Prix Nobel d'économie, ancien patron du Fonds monétaire international. Il ne faut pas être économiste pour le comprendre ! J'ai dit à l'ancien Président Valéry Giscard d'Estaing ce que je pensais de l'Europe et de cette dilatation sans limites : que cela allait claquer. Lorsqu'on pousse des masses à la catastrophe, elles ne font pas que s'agiter, se révolter, elles se suicident comme aux Etats-Unis dans les années soixante, où les gens mettaient le feu à leurs propres maisons. F.LA.Z : Comment parvient-on à cette acculturation, à ce déclin à la fois politique et juridique. Y voyez-vous un indice de désintégration supplémentaire ou potentiel de la ville historique. Ce modèle de société dont on connaît bien les limites remporte actuellement en France l'adhésion de la majorité ? Qu'en pensez-vous, est-ce un horizon durable ? Comment les Français en arrivent-ils là ?

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Paul Virilio : Par le contrôle de l'information et par un effet de sidération dont la campagne électorale présidentielle a été l'exemple. L'optiquement correct, remplace le politiquement correct. Les candidats sont des top models. Ce sont des personnages qui n'ont pas de profondeur politique, à gauche comme à droite, contrairement aux anciens : Churchill, De Gaulle, Mendès-France. D'une certaine façon, la révolution de l'information a été celle de la propagande, un conditionnement des mentalités par l'instrumentalisation des émotions qui aboutit à ces sondages automatiques dont nous parlions précédemment. FLAZ : N'est-ce pas aussi une désintégration historique de ce qu'était la structure de la ville. Paul Virilio : La ville, c'était la communication directe, l'art oratoire. Depuis la cité grecque, jusqu'à Jaurès, on allait écouter un homme de parole. De gauche comme de droite, les personnages avaient une culture politique, une expérience. La présence du verbe, de la parole, du programme, de l'intelligence, de la philosophie politique conduisaient à des élections. Ce n'est pas un hasard si les intellectuels (excepté Glucksmann, le survivant), ont été évacués de la campagne, y compris les intellectuels médiatiques. Je suis un ami de Régis Debray, tous ces gens ont été mis au rencard. On n'a plus besoin d'eux. Il nous faut Zidane, un chanteur ou un rappeur. Il doit y avoir fascination, comme dans les jeux vidéo qui rendent dépendants. Indira Gandhi, Golda Meir, Margaret Thatcher ont été des femmes d'Etat. Pour moi, l'un des plus grands philosophes du vingtième siècle, en dehors de Husserl et de Merleau-Ponty, c'est Hannah Arendt, pour son analyse de la société totalitaire. C'est un personnage bien plus grand que Heidegger. Aujourd'hui le réflexe conditionné l'emporte sur la réflexion en commun. La société ancienne, c'est l'agora, le forum, la tribune. C'est Jaurès à l'Assemblée. C'est Churchill qui ose dire, “je vous promets du sang et des larmes”. Churchill écrivait aussi : “un optimiste, est un homme qui voit une chance derrière chaque calamité”. F.LA.Z : Est-ce que l'architecture n'a pas en elle, un terrain de résistance ? Paul Virilio : C'est fondamental. C'est pour cela que lorsqu'on me demande si je suis philosophe, je réponds non, je suis urbaniste et essayiste. Pour moi c'est fondamental, il n'y a pas de politique sans géopolitique, c'est-à-dire sans poli-

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tique du lieu. Aujourd'hui la chrono politique de l'instantanéité l'emporte sur la géopolitique du lieu et d'une certaine façon, c'est un échec du politique. Le politique, c'est la cité, le lieu du peuplement, c'est “a eu lieu”. L'histoire se fait dans des lieux, et sans être nationalitaire, je défends le lieu. Aujourd'hui on défend la délocalisation, la déterritorialisation. Tous les préfixes “dé” sont à la mode : déporter, déplacer, délocaliser. Il y a là un terrain de résistance extraordinaire ! Mais il faudrait que les architectes ne fassent pas comme beaucoup de nos amis : se vendre pour construire partout ! Je n'ai pas de solution. Il faut se demander comment allons-nous peupler le repeuplement du monde ? Je suis fils d'immigrés clandestins, on ne peut pas me dire que je suis nationaliste. Je suis pour l'Europe, mais je défends la localisation. Ce transvasement de populations concerne aussi bien l'immigré marocain qui meurt de faim sur sa barque, que la classe moyenne dont l'entreprise a été délocalisée. Ce n'est pas le même panier, mais c'est le même flux, le même mouvement. Il n'y a pas de progrès sans risque, il n'y a pas d'acquis sans perte. F.LA.Z : A nos yeux, la réforme des études d'architecture n'aborde pas les véritables questions et se contente d'harmonisation de boutiquier, notamment le passage au système européen Licence, Maîtrise, Doctorat, dit 3-5-8, et la mise en place de l'habilitation à la maîtrise d'ouvrage, Hmo, qui serait validée par une entreprise et l'Ordre des architectes. L'Etat ne serait plus garant du titre. Vous avez été enseignant et directeur de l'Esa, vous avez vu se succéder des générations d'étudiants, quelles doivent être les bases de l'enseignement d'architecture aujourd'hui ? Comment l'école d'architecture peut-elle organiser sa structure et sa pédagogie pour donner à regarder et à apprendre à agir sur les nouveaux environnements ? Paul Virilio : Sans avoir étudié cela de près, ce qui me semble remis en cause, c'est la notion d'utilité publique. Le diplôme de l'Esa est reconnu d'utilité publique. L'Esa, qui est privée, et c'est sa chance, a une garantie publique. D'après ce que je comprends, ce sont les entreprises qui demandent cette garantie. C'est l'utilité économique d'une entreprise, d'une conjoncture qui l'emporte sur l'utilité publique d'une politique. C'est faire entrer la concurrence dans les études, ce qui veut dire la guerre, le conflit d'intérêts.


F.LA.Z : Toutes les concurrences sontelles guerrières, ne peuvent-elles pas être sources d'enrichissement ? Paul Virilio : Il y a toujours des concurrences, voyez celle de F.L.Wright et de Le Corbusier, par exemple, mais elles étaient sur le terrain de l'art de construire qui est un art politique majeur. Il n'y a pas de politique sans lieu. Le lieu a une forme. La forme est un art. La morphologie de la ville fait partie de la morphologie politique. Mon sentiment est que la concurrence du marché l'emportera sur l'art de bâtir. F.LA.Z : Mais alors quel devrait être, selon vous, le statut de l'école d'architecture ? Paul Virilio : Mon prochain livre, qui paraîtra en septembre, s'appelle L'université du désastre. Attention, ce n'est pas le désastre de l'université, après le Cpe, ce serait trop facile. Je montre que l'université de demain doit faire face à la catastrophe et au désastre. De même qu'il y a, à la Sncf ou dans l'aéronautique, des crash-tests, c'est-à-dire une fabrique d'accident pour s'y opposer. L'université du désastre, c'est celle du crash-test de la société urbaine et post-industrielle. L'école comme l'université de demain doivent s'orienter face aux catastrophes écologiques mais pas seulement celles de l'air, de l'eau, de la faune, de la flore ou du réchauffement climatique, mais à celle de la pollution écologique de la pensée constructive.

dents énergétiques comme Tchernobyl. L'université du désastre est éminemment positive. Faire face à l'hyper concentration des tours, à la ville panic de la délocalisation, de la déportation. L'école d'architecture doit se construire face à la nouvelle catastrophe de l'environnement. Les écoles d'architecture qui se sont construites après la guerre se sont faîtes sur la reconstruction des villes après de grandes catastrophes. La préfabrication est sortie de là. On assiste aujourd'hui à une destruction du concept même de la cité, de la politique démocratique. Il faut garder la Cosmopolis et ne pas inventer la Claustropolis. La tour est l'équivalent des gated communities, à part Spiderman, personne n'y entre ! Nous sommes devant des phénomènes politiques et architectoniques. Si je fondais une école aujourd'hui, elle ferait face à ces trois catastrophes : la catastrophe physique de la ville, la catastrophe politique et la catastrophe mentale du conditionnement des mentalités. Autrement dit à la déréalisation en cours.

L'écologie politique, c'est ce que j'ai appelé “l'écologie grise”, celle de la pollution de la grandeur nature par la vitesse, la restriction du monde dans l'accélération. On ne pourra pas résoudre les problèmes de politique énergétique si on ne pose pas la question de l'accélération de la réalité, pas seulement au niveau de l'épuisement des ressources mais au niveau de la contraction, les douleurs d'un enfantement, d'un monde qui se réduit à rien et devient insupportable. Je suis claustrophobe. Le monde reste le même, et en même temps, il est réduit à rien par les phénomènes d'accélération. L'écologie grise, sans couleur, est une référence à l'ontologie grise de Hegel. Rappelons que les universités de Bologne ou La Sorbonne, ont été créées autour de l'an 1000, contre la barbarie qui était une réalité. Cela s'est fait avec la pensée judéo-chrétienne et gréco-latine. Aujourd'hui la nouvelle barbarie, c'est l'épuisement des ressources, c'est l'exclusion des populations et les grands acci-

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Achevé d’imprimer sur les presses de Imprimerie Néo typo, 1C rue Lavoisier, 25044 Besançon cedex, 3ème trimestre 2007. Depôt légal : septembre 2007.



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