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L’IDÉE DU MÉRITE QUI IRRITE

Marina nous invite à relâcher nos tensions narcissiques, parce que « ces dernières années, on a souvent vu associés les mots “tyrannie” et “méritocratie” ». Ces sœurs névrotiques, on les connaît assez bien. En général, on pose le concept d’accomplissement immérité en cerise sur le gâteau de notre sentiment d’imposture, quand bien même on a plus ou moins atteint nos objectifs. On se répète ce qu’on a lu toute notre enfance sur nos bulletins planqués au fond du cartable : « Peut mieux faire. » Mais pour quoi faire ? On a tendance à se comparer à celles et ceux qui se sont mieux débrouillés que nous, du moins en photo (merci, merci les réseaux sociaux), et on oublie de profiter de ce qu’on a accompli, qui était quand même raide, mais ça, on ne s’en rendra compte que plus tard. Pour l’auteure, il est grand temps de cesser de croire que si on n’est pas « quelqu’un », on n’est personne. Et l’adverbe « assez » sert à ça : « Il nous offre une pause, nous aide à observer sans sauter trop vite aux conclusions, se muant pour finir en sympathie et en bienveillance (…) Nous n’échapperons jamais complètement au besoin d’approbation ni à ce penchant typiquement humain à juger et à comparer, mais nous pouvons en changer la dynamique. » Ce qui, pour commencer, serait aussi reposant.

L’HERBE EST TOUT AUSSI ANXIOGÈNE DANS LE JARDIN D’À CÔTÉ

L’INTELLIGENCE DE L’EXCELLENCE MODÉRÉE

La sérénité passerait donc par l’humilité. En se dressant – mollement, forcément – contre la mégalomanie ambiante, on obtiendrait enfin la paix des méninges. Il ne s’agit pas de se contenter de peu, il ne faut pas exagérer, mais d’apprécier le juste milieu. Marina van Zuylen rassure les plus exigeants : « Rater sa vie fait partie de la vie. » Le plus souvent, on méjuge un parcours plutôt sympa fait d’hésitations, de quelques décisions brumeuses, de choix cotonneux, et dans tout ce brouillard d’incertitudes, on croit discerner ces sommets qu’on n’a jamais atteints. Mais si on laissait à la buée le temps de se lever, on verrait peut-être qu’à force de procrastiner, de faire des pauses, de prendre la pose, on a finalement gravi cette colline dont on se faisait une montagne. On peut enfin profiter d’un merveilleux entre-deux, se rappeler qu’il est vaste, l’Empire du Milieu, et jouir de ce tendre ennui injustement méprisé. Bien assez, c’est la panacée.

Pourquoi consacre-t-on tant d’énergie à se comparer à des gens qui sans doute, passent leur temps à douter ? Marina se pose la même question : « D’où nous viennent de tels comportements sociaux, et pourquoi ce sentiment de honte ou de fierté occupe-t-il une telle place dans notre évolution en tant qu’espèce ? » Attention, la réponse ne va pas vraiment nous encourager à nous détacher du miroir sans teint dans lequel on s’observe par transparence être moins bien que les voisin·ne·s : selon le sociologue Norbert Elias, « l’humiliation et l’anxiété sociale sont les signes extérieurs du processus de civilisation ». Il défend l’idée que ce qu’il appelle sans connotation péjorative « la médiocrité » rassemble les gens, à la façon d’un partage d’identité par la simplicité, sans ambition de briller. Pour Tocqueville (les philosophes se passionnent décidément pour les tourments de la banalité), le statu quo nous sort paradoxalement de notre zone de confort. La réussite, c’est le début de l’angoisse. Plus on grimpe, de plus haut on risque de tomber. Alors que dans le cosy équilibre du milieu, dédramatise cet excellent ouvrage à mettre entre toutes les mains tremblantes de remises en question, on peut « transformer nos ambitions modestes en excellence personnelle ».

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