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BRUXELLES HÔTE GAMME
Pour plaire à la génération « digitale », coutumière du low cost, des réservations en ligne, des modes d’hébergement pas formatés et plus collaboratifs, l’hôtellerie bruxelloise se réinvente.
Installé aux étages supérieurs de l’ancien siège social de la Royale belge, l’hôtel Mix prend le pari d’attirer les touristes comme les Bruxellois·es pour leur offrir une expérience unique.
« Les 18-34 ans ne sont pas attiré·e·s par les hôtels standardisés que proposent les grandes chaînes. Quand les gens voyagent, ils veulent soit louer un Airbnb pour se sentir comme à la maison, soit vivre une expérience unique dans un hôtel lifestyle qui casse les codes », explique Jean-Michel André, l’homme derrière le Mix, l’hôtel urbain qui ouvrira ses portes en juin dans l’ancien bâtiment de la Royale belge. Avec l’ouverture prévue de plusieurs hôtels-concepts ce printemps – The Hoxton, Mix et l’année prochaine The Standard –, Bruxelles attire donc les convoitises des investissements internationaux et ce n’est pas trop tôt !
Cosmo, boulot, dodo
« Répondre à un état d’esprit “millénial” » est donc le mantra de ces concepts hôteliers qui misent plus sur la qualité de leurs cours de yoga que sur la présence d’un·e concierge 24h/24 dans leur lobby. Mais encore ? « La chambre devient secondaire par rapport à l’expérience. Nous voulons créer des souvenirs, que les client·e·s aient des émotions avec nous », confie ce professionnel de l’hôtellerie qui n’en est pas à son premier coup d’essai avec à son palmarès : Le Berger, Jam Hotel et Jardin Secret (entre autres). L’hôtel du XXIe siècle, comprend-on, est confortable (on ne plaisante pas avec la literie), écoresponsable, loin des quartiers dits touristiques, modéré dans ses tarifs (avec ceux d’Airbnb en ligne de mire), ultra-connecté (wifi de compétition impératif), et ambitionne de créer sa propre communauté réelle et virtuelle. L’épicentre du très cool hôtel Hoxton qui ouvrira en mai dans le quartier du Botanique à Bruxelles n’est donc plus la chambre, mais un bar à cocktails et un restaurant mexicain branchés sur l’époque et l’environnement. Le cocon pour touristes et cadres en déplacement brasse, « pulse », se mue en lieu de vie et de culture, embauche un·e Brand Manager, invite des artistes forcément locaux·ales – comme les produits au menu –, s’ouvre sur la ville pour rentabiliser son restaurant, ses chef·fe·s, sa déco rétro, pour se faire connaître, aussi, et permettre aux client·e·s de faire la fête avec l’autochtone sans avoir à débrancher leur ordinateur portable (pas un hôtel n’ouvre aujourd’hui sans son espace de coworking !). « Le Hoxton n’ouvre pas à Bruxelles et à côté de la gare du Nord par hasard. Miser sur un quartier en devenir, c’est vraiment leur philosophie ! C’est ce qu’ils ont fait à Londres quand ils se sont installés à Shoreditch – qui n’était pas encore le quartier branché que l’on connaît aujourd’hui », explique Elsa Fralon, Brand Manager du The Hoxton Brussels. De l’autre côté de la ville, à Watermael-Boitsfort, la terrasse du Mix avec sa vue panoramique sur la forêt de Soignes est encore en chantier, mais Jean-Michel André s’y voit déjà… « On voudrait que les gens viennent de tout Bruxelles pour profiter des lieux. Plus qu’un hôtel, le Mix sera un lieu de vie avec une salle de sport, un spa, trois restaurants, des salles de conférence, une bibliothèque pour coworker… Un projet ambitieux qui va, je l’espère, donner un coup de boost à la ville. » Un coup de fouet salutaire pour une ville boudée pendant longtemps par les concepts hôteliers novateurs… « Quand j’ai commencé ma carrière au Sofitel et à l’Hilton, on faisait 20 % d’occupation le vendredi soir ! C’était mort ! Bruxelles était alors considérée comme une ville administrative où il ne se passait rien. Aujourd’hui, les choses bougent. La ville tire son épingle du jeu grâce à son atmosphère décontractée et arty, ses boutiques d’antiquités, ses créateurs et créatrices de mode, sa gastronomie. Il ne faut pas oublier qu’on est la première capitale diplomatique. On est au cœur de l’Europe. Avec le Brexit, Londres a perdu des plumes. Paris est trop chère. Du coup, Bruxelles représente une belle alternative pour les investisseurs et investisseuses », confie le CEO de Limited Edition Hotels. « La preuve c’est que les chaînes les plus cool du moment comme Soho House, The Standard et Hoxton veulent y ouvrir une antenne. Le fait que ces grands noms débarquent ici est une bonne chose ! Ils vont prendre la place des auberges “à l’ancienne” qui doivent se remettre en question. Avoir des concepts comme ceux-là crédibilise Bruxelles sur la scène du tourisme, cela va attirer d’autres acteurs·trices du secteur et pousser les gens à créer et entreprendre de cool concepts tout autour. » Et d’ajouter : « Ce qui est chouette, c’est que chaque projet hôtelier a son identité propre, donc il y en aura pour tous les goûts. On observe aussi que ces nouveaux hôtels investissent des quartiers inattendus comme celui de la gare du Nord – qui n’est pas forcément le quartier le plus glamour. Je pense que ça va aider aussi à gentrifier ces zones un peu boudées par les Bruxellois·es. » De manière plus terre-à-terre, ces marques investissent Bruxelles aussi et peut-être surtout parce que le foncier est beaucoup moins cher que dans d’autres grandes villes. « À Paris par exemple, le foncier est trois à quatre fois plus cher qu’ici, mais les nuits d’hôtel ne sont pas trois à quatre fois plus chères ! », analyse Jean-Michel André. D’après les derniers chiffres de la Brussels Hotels Association, le secteur du tourisme à Bruxelles a, depuis la fin de la pandémie, repris des couleurs avec un taux de remplissage des hôtels de 70 % en moyenne. Des chiffres confirmés par l’homme à la tête de l’hôtel du Berger : « Depuis la fin de la pandémie, on remplit nos hôtels avec les Anglais·es, les Français·es, les Allemand·e·s, les Néerlandais·es qui ont redécouvert les joies du voyage de proximité. Certes on a moins de Chinois·es et de Japonais·es, mais on a gagné une clientèle locale qui, au-delà de vouloir découvrir une ville, veut aussi et surtout vivre des expériences authentiques. Bruxelles devient aussi une destination en soi alors qu’avant, elle était toujours une étape entre Londres et Paris. Avec le Mix à Watermael-Boitsfort, on offrira aux étrangers·ères comme aux Bruxellois·es une destination unique où poser leurs valises pour un week-end ou plus et vivre un moment hors du commun. Une bulle de confort, un dépaysement sans décalage horaire. La semaine, on a énormément de demandes pour les séminaires qui cherchent un cadre agréable avec des infrastructures de travail comme de loisirs. Le week-end, on compte sur un tourisme “citytrip”, mais aussi sur les locaux·ales qui ont envie de changer d’air. »
Lieux de vie hybrides
Attirer la clientèle locale, c’est donc l’une des particularités de ces hôtels « open-house », qui proposent presque tous des restaurants et bars qui ne ciblent pas seulement les client·e·s hébergé·e·s. Pour ces hébergements quatre étoiles aux identités bien trempées, mélanger les touristes, les voyageurs·euses d’affaires et les habitant·e·s est devenu le nouveau Graal. Cette formule magique permet de gagner en animation, de se faire connaître, de diversifier les sources de revenus et de créer une forme d’authenticité locale, loin des hôtels standardisés perçus comme ringards. Pour la petite histoire, ce modèle, appelé aussi « hôtellerie lifestyle », a été impulsé dans les années 2010 par Serge Trigano, ancien directeur du Club Med, avec ses hôtels Mama Shelter. Le premier s’est installé rue de Bagnolet (dans le XXe arrondissement de Paris), dans un quartier alors considéré comme peu propice à ce genre d’activités, et a tout misé sur son restaurant, son bar et ses activités. Pour attirer les voyageurs·euses à Watermael-Boitsfort, le Mix mise à son tour sur une décoration singulière (dont le maître d’œuvre n’est autre que Lionel Jadot), une atmosphère décontractée, un esprit convivial pour attirer les locaux·ales… Concrètement : des restaurants de partage, une salle de sport haut de gamme, des chambres aussi cool que hightech, des conférences dans un auditoire des années 70… Du haut de ses 22 étages de la tour Victoria au style brutaliste, The Hoxton Bruxelles (après Paris, Londres et Amsterdam) s’implante lui aussi dans un quartier « décentré » et s’en imprègne complètement pour en faire une maison ouverte et accueillante. « Bétonné et très “corporate”, ce quartier d’affaires jouit d’un nouveau souffle avec l’arrivée de The Hoxton qui lui apporte un peu de couleurs et de vie. Aujourd’hui, l’hôtel est consommé comme un divertissement, c’est une destination en soi », nous confie Elsa Fralon. « The Hoxton est une adresse qui booste l’ego d’une ville comme son économie locale. Mon boulot consiste à rendre l’endroit cool, d’y organiser de belles collaborations avec des acteurs·rices locaux·ales comme internationaux·ales et d’y attirer les gens les plus créatifs et les plus inspirants pour en faire un lieu de rendez-vous incontournable. »
« BRUXELLES A BEAUCOUP D’ATOUTS ET EST SURTOUT UN LABORATOIRE EXTRAORDINAIRE
POUR TENTER DES CHOSES QU’ON N'OSERAIT PAS FAIRE AILLEURS »
Palace où t’es?
Dénicher des concepts hôteliers, des marques de mode et des chaînes de restauration à l’étranger, les convaincre de venir s’installer à Bruxelles et leur trouver l’endroit idéal pour s’implanter, c’est le métier de Charles Luel depuis trente ans... À la tête de Retail Partners, l’homme marie avec doigté enseignes internationales et propriétaires d’espaces dans la capitale. Le monde de l’hôtellerie et du luxe, il en connaît donc un rayon. Prada au pied de The Hotel, c’est lui. Le H&M à quelques mètres de là aussi. Alors, on lui a demandé pourquoi, à l’inverse de Paris, Londres ou Amsterdam qui collectionnent les palaces, Bruxelles restait encore timide en matière d’hôtels de luxe cinq étoiles… « Jusqu’il y a peu, Bruxelles ne faisait pas rêver... Comme elle ne peut pas concurrencer ses voisines en termes de shopping, restaurants, musées, elle n’attire que le tourisme d’un jour ou business. Les touristes asiatiques ou américain·e·s visitent Bruxelles en une journée, voire en quelques heures et préfèrent bien souvent passer la nuit à Londres ou Paris. Avec la Commission européenne, les hôtels se remplissent la semaine sans effort. Résultat, la ville a toujours eu une offre hôtelière assez désuète. Les grands groupes comme Hilton, Sheraton et Conrad ont fermé leurs portes et n’ont pas été remplacés. L’ancien Métropole avec ses chambres gigantesques ne correspond plus à la demande. L’Amigo est un bel hôtel, mais ses prix sont très élevés et on ne peut pas dire qu’il soit très branché. Aujourd’hui, même si Bruxelles est plus convoitée qu’avant, cela reste toujours un challenge d’y attirer les hôtels de luxe. De prime abord, ils veulent tous s’installer ici, car Bruxelles jouit d’une situation idéale, au cœur de l’Europe. Mais quand les investisseur·e·s se ren- seignent un peu sur les permis, les charges sociales et le marché, beaucoup abandonnent l’idée. À l’époque, j’avais fait venir le groupe Aman pour qu’ils·elles ouvrent un hôtel sur la Grand-Place et le groupe Six Senses pour une installation dans un château à Drogenbos. Pour les frères Costes, j’avais trouvé un super endroit place Stéphanie – là où est installé Urban Outfitters – pour l’ouverture d’un concept comme à Paris. L’idée avait été approuvée. Il y avait de l’espace et un beau potentiel en termes de marché, mais quand on leur a expliqué tous les permis qu’il fallait et la lourdeur des charges sociales, ils·elles se sont sauvé·e·s. »
Bruxelles vs Anvers
Grâce au port, au business du diamant, à ses enseignes de mode et à son centre-ville facile d’accès, Anvers tire son épingle du jeu et offre quelques beaux hôtels de luxe comme le Botanic Sanctuary Antwerp. Une offre qui rend la ville désirable aux yeux des investisseur·e·s étranger·e·s. Les grandes marques préfèrent d’ailleurs souvent s’installer à Anvers avant d’investir à Bruxelles. Charles Luel : « Bruxelles est un marché singulier. Tous les concepts qui cartonnent ailleurs ne marchent pas forcément ici. Les Bruxellois·es ont leurs habitudes et c’est compliqué de les sortir de cette zone de confort. Starbucks par exemple n’a jamais réussi à s’imposer en Belgique – à part à l’aéroport – alors qu’ils sont partout ailleurs. Mais Bruxelles a beaucoup d’atouts et est surtout un laboratoire extraordinaire pour tenter des choses qu’on n’oserait pas faire ailleurs. » Qui sait, un jour, elle détrônera peut-être Londres ou Paris... En attendant, Bruxelles on t’aime !