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LIVRES Trois auteurs de demain à lire dès aujourd’hui
TROIS AUTEURS DE DEMAIN À LIRE DÈS AUJOURD’HUI
La tradition des prix littéraires de l’automne vous a assommée? Hors compétition, ces trois jeunes écrivains surprennent et nous enthousiasment avec leur premier roman. Retenez bien leurs noms.
Par Gilles Chenaille
Pauline Gonthier, 31 ans
LES OISELLES SAUVAGES
Ces oiselles ensauvagées, qui sont ici deux jeunes femmes éprises de liberté dont on suit le parcours à cinquante ans de distance, vont devoir couper le fil à la patte que leur a passé la société des hommes et, si l’on peut dire, déployer leurs elles. En 1970, Madeleine quitte sa famille bourgeoise pour Paris, direction la Sorbonne qu’elle abandonnera pour devenir sage-femme. À la fac, elle rencontre Catherine, engagée dans le MLF. Égalité des sexes, droit à l’avortement et amitiés féminines qui débouchent sur un amour pour Jeanne, lesbienne assumée aux avances de qui elle rêve de céder, sans jamais l’oser. En chapitres alternés, retour au présent où l’on suit Mathilde, jeune journaliste vivant en couple avec Aurélien, qu’elle aime. Elle rencontre Alix, homo, qui la trouble. Jusqu’à ce que l’amour, cette fois assumé, éclose, et se pose pour les deux femmes la question de la maternité. Dans un style limpide et une psychologie fine des sentiments, ce roman documenté sur l’émancipation des femmes touche à ce que nous avons de plus profond : le besoin de liberté et le désir de l’autre… enfin réconciliés.
Éd. Julliard, 18 €.
Bruno Lus, 26 ans
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ET MÊME L’ENFER C’EST PAS GRAND-CHOSE
Lucie, à peine 13 ans, se serait bien passée de cette histoire. Un montage pourri sur le Web qui lui colle la honte, signé Enzo, lequel parade dans la cour de récré en jouant les hommes. Elle se jette sur lui et le mord au sang en lui arrachant une moitié d’oreille. Exclusion du collège en vue et crise de sa mère Juliette, informée en pleine cuvée d’alcool, entre deux coucheries bas de gamme et deux programmes télé avec stars des années 80 s’agitant dans des décors violets. Le père d’Enzo réclame mille euros pour ne pas porter plainte. Juliette étant à sec, comment payer ? Lucie va dealer, dans des teufs bidon pour préados. Ainsi s’enclenche la machine à broyer… Et la machine à raconter d’un jeune auteur au style survitaminé, hautement kiffable. Alice Babin, 27 ans
PRIÈRE AU LIEU
Il y a des petits livres qui n’ont l’air de rien, mais vous parlent de tout. Tout ce qui nous constitue aujourd’hui, venu d’hier. Ces souvenirs matriciels, ce sont souvent des lieux qui les contiennent : appartements, ou maisons. Là, c’est une maison d’enfance, ou plus précisément la rue où elle se situait. Rue des Rigoles, à Paris, 20e. Gérard Mordillat lui avait d’ailleurs consacré un livre en 2002. Alice, homonyme de l’auteure, est architecte, et reconstruit ici ses souvenirs en revenant dans ce qui fut sa rue, populaire d’un côté, petite-bourgeoise de l’autre. Et peu à peu, l’architecte ne rêve que de devenir écrivaine, pour raconter. Voilà qui est fait. Avec une simplicité qui s’enrichit au fil des pages, comme une timidité d’enfance qui progressivement se dissipe, ce premier roman nous jette un charme.
Éd. JC Lattès, 19 €.
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LA PREMIÈRE PAGE
Aux endroits brisés (1) de Pauline Harmange
L’HISTOIRE
Parfois – souvent ? – notre vie prend une drôle de tournure et les choses se détraquent malgré – à cause de ? – nous. Idem pour Anaïs, 25 ans, avec son boulot tranquille et le bel Axel, avec qui elle vit. Mais le train-train déraille : elle se fait virer de son boulot pour absences répétées (arrêts de travail car toujours patraque) et quitter par son compagnon, lassé de la voir si fragile, incertaine, ippée. Paisiblement désespérée, elle décide de prendre un train pour Limoges, sensible à sa réputation de ville triste et grise : « Limoges est une ville où l’on va pour mourir ? Très bien, alors let’s go. »
LE VERDICT
Ce premier roman est un régal de nesse, dont la lucidité n’est que la forme traduisant ce fond : un regard juste sur la cruauté de la vie ; surtout pour les âmes sensibles comme celle d’Anaïs. On pourrait en être surpris vu l’image de l’auteure, dont le Moi les hommes, je les déteste (2) avait, il y a un an, défrayé la chronique en France et à l’étranger. Mais il ne s’agissait là que d’un titre provocateur, utilisé par cette féministe lasse de voir les hommes évoluer si peu, selon elle. Il ne manquait pas d’humour, pas plus que ce nouveau roman si émouvant sur la tristesse vaincue : Anaïs ne mourra pas du tout à Limoges. Gilles Chenaille
VITE ET BIEN
Nos trois coups de cœur du mois
Par Gilles Chenaille et Aurélia Dejond
L’ÉCHAPPÉE
Frankisstein. Une histoire d’amour de Jeanette Winterson
Prix Marie Claire 2012 du Roman féminin pour son mémorable Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?, l’auteure n’a rien perdu de sa verve ni de sa sensibilité féministe. Dans ce roman aussi brillant que distrayant, elle se met dans la peau de Mary Shelley, écrivant en 1816 à 19 ans ce songe qui la hantait d’un médecin, le Dr Frankenstein, décidé à abolir la mort… Il créa à un monstre dont les méfaits inspirèrent depuis une multitude d’auteurs, dessinateurs et cinéastes. En contrepoint, Winterson crée ici un docteur transgenre fan de l’IA, et en particulier de l’intelligence artificielle au service de la robotique sexuelle qui va changer notre pratique de l’amour. Créatures échappant pour le pire ou le meilleur à leurs inventeurs, médecin, ingénieur ou ici, écrivain. Car ce roman singulier n’appartient plus à Jeanette Winterson : il est déjà entre nos mains et dans nos rêves les plus fous.
Éd. Buchet-Chastel, 22 €.
LA PÉPITE Sidérations de Richard Powers
Powers, furieusement humaniste et passionné par les sciences exploratrices de l’esprit, imagine ici un père observant l’espace à la lisière d’une forêt avec son fils autiste de 9 ans. L’un, astrobiologiste, se soucie des formes de vie possibles sur les exoplanètes, l’autre souffre presque dans sa chair du chaos climatique et de la dégradation de la vie animale. Le père se lance alors, pour guérir son fils, dans une extraordinaire expérience de neuro-feedback, où une forme de fusion intérieure avec la nature pourrait lui – nous – offrir une meilleure vie. Magnifique, et bien sûr
sidérant. Éd. Actes Sud, 23 €.
LE SUSPENSE
Pour rien au monde de Ken Follett
Les livres de cet écrivain gallois, maître des fresques à suspense, se sont vendus à cinquante millions d’exemplaires dans le monde. Et la qualité de celui-ci va encore faire sonner puissamment le tiroir-caisse. Dans ce suspense très géopolitique où plane la menace imminente d’une troisième guerre mondiale, on retrouve l’attractivité de tous ses récits basés sur une documentation sans faille, des personnages à la psychologie fouillée et un enjeu qui vous colle la chair de poule : le risque d’une apocalypse provoquée par une série de… mauvaises décisions.
Éd. Robert Laffont, 24,90 €.
LA SURPRISE
Une grande actrice de Stefan Liberski
C’est un ouvrage d’une violence inouïe. À l’image de celle de Jacqueline, mère et épouse toxique obsédée par l’image parfaite et lisse qu’elle cherche désespérément à donner d’elle, quête incessante qui a fait de cette femme un véritable monstre. Un septième livre au cœur duquel le Belge Stefan Liberski dissèque la cruauté humaine et offre un retournement de situation dont on se délecte. Quand le bourreau devient à son tour victime, on ne lâche plus ce roman où l’on tremble et rit jusqu’au bout.