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SOCIÉTÉ Jamais sans mon sapin
Jamais sans mon sapin!
Parce que la magie de Noël a été reléguée au rang de souvenir, pandémie oblige, la fête a, pour beaucoup, pris une autre tournure. Véritable rituel pour les uns, injonction sociétale pour les autres, elle interroge plus que jamais sur ce qui réjouit, stresse ou déçoit: son sens profond. Décryptage.
Par Aurélia Dejond « Cette année, c’est moi qui m’assieds à côté de Mamy, on a déjà tiré au sort, pas de jaloux ! » Cyrielle, 11 ans, n’a plus connu de repas de Noël en famille depuis décembre 2019. Balayé, comme chez beaucoup, ou du moins dans sa forme traditionnelle, par un invité de dernière minute : le covid-19. « On voulait protéger Mamy, même si c’était très triste de ne pas se voir et de déballer les cadeaux tous ensemble, on s’est envoyé des bisous sur WhatsApp et on lui a montré notre sapin, mais rien n’était vraiment pareil, même la bûche ne goûtait pas Noël », explique la petite lle, pour qui le rituel n’a pourtant pas perdu de son aura ni de son importance. Car les réunions familiales, qu’il s’agisse des fêtes de n d’année, d’anniversaires, de repas ou promenades dominicales, seraient loin d’être anodines, sur le plan des relations humaines et du moral, notamment. Au point d’être bénéfiques pour la santé ? « Abraham Maslow, psychologue des années 40, après de nombreuses observations, a développé sa fameuse “Pyramide des besoins ”, celui d’appartenance arrivant en 3e position, dans l’ordre des priorités. Cela démontre l’importance de l’humain ! L’individu est un être profondément social qui a besoin de se sentir appartenir à un clan, une tribu, une famille ou encore un groupe pour vivre et trouver du sens à son existence », précise Teresa Oger, psychologue spécialisée dans le couple, les parents et la famille. « Célébrer cette appartenance plusieurs fois dans l’année permet de renforcer ces liens de sang ou d’amitié. D’où l’importance de fêter en famille, mais également avec ses collègues, dans son club de sport ou avec les parents d’une même classe d’élèves », ajoute la psychothérapeute.
POURTANT, POUR CERTAINS, BIEN LOIN DE LA FÉÉRIE FANTASMÉE, les fêtes de n d’année, en famille ou entre amis, prennent des allures de diktat sociétal, véritable passage obligé en mode corvée, sur fond de tensions, rancœurs et autres jalousies, voire règlements de compte. Au point que la pandémie est parfois le prétexte idéal pour se débarrasser de l’épreuve de la réunion familiale. C’est le cas d’Amandine et Cyril. « Le covid a été un vrai déclic. On s’est interrogés sur nos vraies motivations. Quand il n’était permis de n’inviter qu’une seule personne chez soi, on a réalisé que c’était l’occasion de se recentrer sur l’essentiel. Notre fête
Teresa Oger, psychologue
de Noël en trio avec ma maman le 24 et avec mon beau-père le 25 ont été nos plus beaux dîners familiaux depuis des années ! », expliquent ces trentenaires liégeois. Si la pandémie a obligé tout le monde à revoir sa façon d’envisager (ou non) les sacrosaintes fêtes de n d’année, aussi bien dans sa sphère privée que professionnelle, une étude Telenet de 2020 a montré que Noël restait un rituel familial important pour beaucoup, avec des traditions parfois immuables, comme regarder tous ensemble Le Seigneur des Anneaux ou en ler le fameux pull moche festif, pour immortaliser la tribu, par exemple. En 2020, un Belge sur cinq a eu beaucoup de mal à accepter de ne pas pouvoir souhaiter ses vœux de bonne année en personne. « Il était inconcevable pour mes parents de ne pas être physiquement réunis le 25 décembre. Dans une société où tout va vite, où personne ne prend plus le temps de se poser, c’est une façon de rendre hommage aux liens familiaux, même si c’est parfois source de disputes. Voici dix ans, je me souviens d’un énorme malaise à Noël… on me reprochait mon célibat, on est restés en froid deux ans. Aujourd’hui, dans un climat de pandémie et de privations a ectives, ces retrouvailles ont vraiment tout leur sens », témoigne Stéphanie, comptable de 44 ans.
UN ENGOUEMENT RETROUVÉ, alors que l’enthousiasme des Belges, face aux fêtes de n d’année, semblait s’éroder d’année en année, le phénomène étant loin d’être nouveau. Une étude du Crioc montrait déjà, voici dix ans, que Noël était fêté par 66 % des sondés, contre 88 % trois ans plus tôt. Un comble ? « Non. La crise sanitaire a marqué les esprits par l’aspect muable du rite et par l’obligation à se réinventer. Le monde évolue et il est pertinent de ré échir à la présence du rite et son utilité. “En quoi est-ce que j’adhère encore à cette routine annuelle ?”, “N’est-il pas temps de questionner les règles et d’en proposer de nouvelles ?” Le covid a également rappelé à chacun la notion de liberté, par la privation de celle-ci. Ne pas pouvoir se réunir à Noël a rendu la fête essentielle. Ne plus pouvoir… et on la veut absolument ! Certaines familles se sont rappelé l’existence d’anciens en maison de retraite, lorsqu’elles ont appris qu’elles ne pourraient plus les visiter pendant quelques mois ou les voir aux fêtes. Certaines personnes âgées ont d’ailleurs été très surprises de l’engouement soudain qu’elles ont provoqué… à leur insu », constate Teresa Oger. Transmission et partage d’histoires de familles aux plus jeunes, conscientisation de l’existence, voire de l’importance des racines, moments de tendresse, émerveillement des enfants, les célébrations familiales, quel que soit le moment de l’année, ne sont pas dénuées de sens. « C’est le terme exact. Jusqu’en 2019, passer Noël avec ma belle-famille à Noël, un peu par automatisme, pour simuler un bonheur surfait, n’avait aucun sens. Aujourd’hui, j’en comprends enfin la vraie valeur », explique Valérie, 41 ans.
PLUS PROFONDÉMENT, C’EST TOUT LE RITUEL
DE LA RÉUNION FAMILIALE, festive ou non, qui revêt une toute autre forme, depuis le premier confinement, en mars 2020. Au centre de celui-ci, le plus souvent : le repas. Peu avant le lockdown, Marie Claire Belgique publiait d’ailleurs un article totalement consacré au sujet(1) : à l’époque, un parent sur trois regrettait de ne pas passer plus de temps à table avec ses enfants. Pour plus de la moitié d’entre eux, c’était la seule occasion de partager un moment tous ensemble(2). Le télétravail, la fermeture des écoles, de l’horeca et d’autres secteurs ont considérablement changé la donne. « Ce contexte forcé a rappelé que les relations à chérir devraient être celles que nous développons avec nos proches », poursuite Teresa Oger. Et on ne compte plus le nombre de Belges qui se sont notamment mis à la cuisine, en couple ou avec les kids, érigeant le repas familial au rang d’objectif quotidien. « Manger en tribu tous les jours est (re)devenu une vraie coutume ! La valeur symbolique du repas est très forte pour mon compagnon et notre famille recomposée. Les fêtes de n d’année scellent ces moments et réapprennent le sens du mot “partage”, autour d’un apéritif, d’un feu de bois ou d’un repas. Parce qu’être ensemble ne va plus de soi le reste de l’année », estime Margot, 38 ans.
QUANT AUX CADEAUX, eux aussi souvent synonymes de casse-têtes de dernière minute, ils prennent un autre sens pour certains, depuis que les façons de consommer ont été revues, dans le sillage du premier con nement. Acheter moins, mais mieux, privilégier le local, repenser ses comportements consuméristes, il semble que la crise sanitaire ait également impacté nos choix. « Au départ, s’offrir des cadeaux à Noël est une symbolique religieuse, elle a pour origine la venue des Rois mages qui ont rendu visite à Jésus avec des cadeaux : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Le cadeau est représentatif de la famille et de ses habitudes. Certains n’o rent qu’aux enfants, d’autres seulement aux adultes, d’autres tirent au sort, privilégient la récup’ ou le “fait maison”. Il importe de bien se comprendre et d’être en accord avec ce rite afin d’être sur la même longueur d’onde et donc… en paix », conseille Teresa Oger. La praticienne insiste sur le fait qu’il serait d’ailleurs peut-être pertinent, pour retrouver du plaisir à o rir et recevoir, de réinjecter de l’affectif, de sortir de la démarche obligée. « Pouvoir faire don de ce qui fera vraiment plaisir, c’est reconnaître réellement qui est la personne et ce qui va vraiment lui plaire. Pour garder les rituels vivants et préserver leur sens, il est bon de se les réapproprier, de les réinventer à l’aune de ses valeurs personnelles, afin de les vivre de manière intime et de transmettre la tradition en toute conscience. Les rites se réinventent pour ne pas rester gés. La pandémie en a été une piqure de rappel », conclut la psychothérapeute. « Père Noël n’existe pas… sauf que, juste pour la magie d’être avec toute ma famille, je continuerai à dire qu’il existe, même quand je serai grande, le covid a tout changé », ajoute Cyrielle. Qui a dit que la vérité sortait de la bouche des enfants ?