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MODE S’habiller pour briller

S’HABILLER POUR BRILLER

Or, volants, sequins, imprimés, micro-robes et talons hauts… cet hiver, tous les excès sont permis pour révéler son style au grand jour. Et embrasser pleinement les codes de ce néo-glamour qui dit si bien, malgré tout, notre inaltérable optimisme.

Par Charlotte Brunel

“ALORS, ÇA FAIT DU BIEN DE SORTIR? Ça vous a manqué un petit peu, le glamour ? », lançait Jodie Foster, invitée d’honneur du 74e Festival de Cannes, lors de la cérémonie d’ouverture. Tonnerre d’applaudissements, sourires béats, larmes contenues, dans la salle, la réponse n’a pas fait l’ombre d’un doute. Et c’est vrai que cette première montée des marches, après un an de pandémie, avait des airs de catharsis fashion avec ses ruissellements d’or et d’argent (Lou Doillon, Marion Cotillard), de sequins (Soko), ses couleurs flashy, à l’image du costume rose fluo avec lunettes assorties de Spike Lee, 64 ans, président du Jury. Il est vrai qu’après des mois de confinements, la question restait en suspens. À quoi allait ressembler notre moi social quand la vie normale reprendrait son cours ? Les chenilles, lovées depuis si longtemps dans leur cocon de jersey, se transformeraient-elles en papillons ? « On a observé deux manières opposées de réagir à la levée des restrictions sanitaires, analyse Nathalie Rozborski, directrice générale déléguée du bureau de style Nelly Rodi. D’un côté, celles et ceux qui ont fui l’hystérie de la ville et continué à vivre dans leur bulle hygiéniste, centrée sur le bien-être holistique, la pratique du yoga, privilégiant toujours les vêtements enveloppants inspirés du sportswear. De l’autre, celles et ceux qui n’en peuvaient plus du télétravail et n’avaient qu’une hâte : renouer avec les plaisirs de la vie sociale et célébrer avec amboyance le bonheur de l’instant présent. » Ce sont eux qui se sont lancés dans le « revenge shopping ». Un anglicisme pour désigner une nouvelle manière de consommer, à savoir l’envie de se faire encore plus plaisir à cause de la frustration générée par la pandémie. Pour beaucoup donc, le retour à la vie sociale a décuplé les envies de s’habiller, de briller avec encore plus d’intensité. Un phénomène récurrent dans l’histoire de la mode. Les robes à danser des années folles entièrement emperlées, le New look de Christian Dior et ses métrages fleuves de tissu (jugés scandaleux à l’époque) voulaient tourner le dos avec panache aux longues privations de la guerre.

“LORS DU CONFINEMENT, LE VÊTEMENT S’EST ESSENTIELLE-

MENT CANTONNÉ AU RÔLE DE ‘PANSEMENT’, explique Nathalie Rozborski. Pour beaucoup, il était temps de renouer avec sa dimension sociale, qui consiste aussi à se faire remarquer. Et en ce sens, la mode est un formidable instrument de reconquête. » Et celle-ci a débuté par la couleur. Cet été, les teintes ashy comme le rose et surtout le vert (symbole de l’espoir) ont fait un carton. Notamment sur net-a-porter.com, où les clientes ont plébiscité la veste en maille vert pomme de Bottega Veneta ou le blazer color block de Christopher John Rogers. « C’est le moment de dire qui vous êtes avec ce que vous portez, de ne plus s’excuser », tel est aussi le message envoyé aux femmes par Stella McCartney, qui voit dans cette nouvelle excentricité – à porter même au bureau – une occasion de s’a rmer encore plus après la crise.

ET L’INTENSITÉ VA AUGMENTER D’UN CRAN. Les créateurs et créatrices ont fantasmé un univers de fête, de glamour, d’insouciance et de paillettes dignes de Gatsby le magni que. Des robes charleston, des robes bustier, des robes longues ou lingerie, des boléros en plumes, de l’or, de l’argent et des imprimés dessus, mais aussi des talons (grands revenants de ce nouveau glamour)… Jamais le répertoire du soir n’aura été aussi riche. « S’amuser, danser, s’exalter, se donner à nouveau la possibilité de s’habiller pour sortir ! Lorsque j’ai commencé à travailler sur cette collection, nous étions très très loin de tout cela, explique Bruno Sialelli, directeur artistique de Lanvin. Mais j’avais

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COURTESY OF PRESS OFFICE/IMAXTREE.COM (X5). GUILLAUME ROUJAS/KOCHÉ. Défilés automne-hiver 2021-2022: 1. Ashish. 2. Moschino. 3. Germanier. 4. Stella McCartney. 5. Koché. 6. Paco Rabanne.

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besoin de m’autoriser à penser l’après et je ne pouvais l’imaginer que amboyant », poursuit le créateur, qui a revisité le mythique modèle Lesbos créé en 1925 avec des proportions plus courtes et des rubans oversize. Ces pièces n’ont rien de futile pour autant. Mieux, elles ont encapsulé les prises de conscience et les désirs de l’époque, aiguisés pendant le con nement. « Le plus important dans ce nouveau glamour, explique Libby Page, senior market editor de net-a-porter. com, c’est d’investir dans des pièces fortes que l’on va chérir pendant des années et pouvoir porter de différentes façons. Rien n’est plus daté que d’acheter une tenue de soirée pour ne la mettre qu’une seule fois ! » Impossible non plus d’ignorer les envies de confort et de simplicité venues du sportswear. On mise donc sur des coupes aussi faciles à enfiler qu’un sweatshirt (mention spéciale pour la robe tubulaire de Dries Van Noten auréolée de couleurs choc et de paillettes, mise à l’épreuve du dance oor dans le clip du dé lé). Et sur la bienveillance des matières secondes peaux. « Je voulais marier le vocabulaire du soir, de la nuit avec des tissus très réels dans lesquels on puisse danser, s’allonger, marcher », explique Christelle Kocher, créatrice de Koché, au sujet de ses robes ajourées en jersey de coton recyclé. Une envie de silhouettes anatomiques, sexy, qui colle à son humeur du moment, plus féminine que jamais. Pour beaucoup, la mise entre parenthèses sociales due à la pandémie a permis une acceptation plus positive de leur corps, qui pourra sans doute s’épanouir dans les body couture, les minijupes ou les e ets de transparence très 90’s de la saison. Une sensualité assumée, portée par les réseaux sociaux et des personnalités fortes comme la chanteuse Lizzo. Ou encore Billie Eilish, qui a chait en juin son nouveau look de pin-up latex sur la couverture du Vogue UK, comme si, en un an, la femme avait remplacé l’ado. « Dans les soirées on voit beaucoup de peau, de maquillage aussi avec le come-back du nail art qui apporte de la féminité à la gestuelle, con rme Roni Raving. On sent de manière générale une plus grande acceptation des formes mais aussi une vraie uidité entre les genres. Cette soif de liberté, de tolérance, de partage me rappelle le summer of love des rave parties. »

LES RÈGLES DU JEU DU GLAMOUR 2021 ? C’est justement… qu’il n’y en a plus ! On veut pouvoir porter une robe de cocktail pour aller boire un verre, des leggings à paillettes pour un anniversaire, un costume rose au bureau, mais pouvoir aussi télétravailler dans un sweat-shirt bien coupé. Car le homewear chic et les classiques statutaires ont encore de beaux jours devant eux. Une chose est sûre : le con nement aura accéléré le rejet des diktats de la mode. « Nous observons un changement dans la manière de communiquer à travers le vêtement, analyse Daniel L. Benkendorf, professeur associé de psychologie au Fit (Fashion institute of tecnology). Nous allons vers moins de jugement et plus de tolérance pour les styles personnels. L’influence

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dans la mode s’est beaucoup démocratisée, donc tout le monde se sent plus libre de suivre ses propres règles. » Alors, amboyance passagère en réaction aux mois de frustration ou vrai retour des années folles, comme l’annonçait la presse au mois de janvier dernier ? La question reste en suspens, telle l’épée de Damoclès des multiples variants qui rend l’avenir encore incertain. Mais elle fait rêver. Notamment Bruno Sialelli, qui voit beaucoup de similarité entre les deux époques. Son vœu pour l’avenir ? « Que ce moment ait permis à la créativité d’“exploser” et que la société s’autorise à une certaine sensorialité pour mieux sortir de la gravité. Le cinéma, la musique, l’art et la mode doivent être d’autant plus une forme d’échappatoire et une usine à rêves pour conjurer l’enfermement et le repli sur soi. » Une pensée pleine d’optimisme qui nous donne une furieuse envie… de sortir.

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