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WOMAN@WORK Anne-Sophie Ernest une résilience à toute épreuve
Anne-Sophie Ernest, une résilience à toute épreuve
Après une enfance dure et à la dure, pas évident de « se choisir » et de prendre sa place. En quête d’authenticité, Anne-Sophie Ernest conçoit aujourd’hui des modèles de céramiques et de textiles dont elle confi e la réalisation à des artisans au Laos et au Cambodge.
Par Virginie Dupont
« Ça paraît complètement inconcevable mais à l’âge de 5 ans, je conduisais un tracteur dans la ferme de mes parents », se souvient Anne-Sophie Ernest (49 ans), ceramics designer. « Chargée de veiller sur mes frères et sœur, je n’ai pas connu l’insouciance de l’enfance. Je n’avais même pas le temps de faire mes devoirs. » Un environnement hostile entre un père autoritaire et une mère soumise, qui la prive de tout soutien parental et la place dans un état constant d’hypervigilance. Sans jamais pouvoir se rebeller, car aucune contestation n’était permise. « Je me sentais en insécurité. Face à cette violence physique et psychologique, la peur prenait le dessus au quotidien. »
À FORCE DE PERSÉVÉRANCE
À 14 ans, en plus du travail à la maison, Anne-Sophie commence à faire la plonge dans un restaurant dans l’espoir de s’émanciper (financièrement). Cinq ans plus tard, soucieuse de son avenir et bien décidée à poursuivre ses études, elle part un an au Mexique pour se former aux arts graphiques. À son retour, elle s’inscrit d’abord en histoire de l’art, tout en nançant ses études, puis en antiquariat où elle trouve sa voie. « Mon parcours a été semé d’embûches, parce que je devais constamment aller à l’encontre de mes parents. Tout ce que j’entreprenais pour moi était stoppé net par un tu-n’iras-jamais-nulle-part. » C’est sans compter sur l’optimisme de la jeune femme qui entend bien aller de l’avant, et toujours plus haut, notamment grâce à celles et ceux qu’elle qualifie d’anges gardiens. Une fois mariée et maman, la vie semble plus douce, plus équilibrée. Anne-Sophie entreprend alors des études d’architecte d’intérieur, parallèlement à son activité d’antiquaire indépendante. Mais entre le mari, les enfants et la maladie de sa maman, le boulot, les études et les travaux dans la maison, le rythme est implacable.
DE L’OMBRE À LA LUMIÈRE
« Toute ma vie, j’ai été au service des autres. Se respecter et penser à soi, ça ne s’apprend pas du jour au lendemain. C’est nalement un grave accident qui m’en a donné l’occasion. Ou plutôt qui m’y a contrainte. » Alors qu’elle est en train de danser avec un ami à l’inauguration de son nouvel espace de travail en janvier 2015, celui-ci la projette violemment en arrière. C’est alors que la tête – et la vie – d’Anne-Sophie basculent brutalement. « À partir de ce moment-là, j’ai perdu toute maîtrise, à commencer par celle de mon activité professionnelle à laquelle j’ai dû renoncer. J’observais les événements, je subissais la situation. En lutte permanente contre une douleur aiguë, j’étais complètement dépassée, épuisée. Entre-temps séparée, mes filles étaient ma raison de me lever le matin… » Après une très longue revalidation cérébrale et physique, entrecoupée par un arrêt cardiaque en 2018, Anne-Sophie recouvre peu à peu la force et la clairvoyance tout en traversant « la nuit noire de l’âme. Je me demandais ce que je valais encore, une question qui m’était renvoyée sans cesse par mon entourage qui s’interrogeait sur ce que je faisais de mes journées. Socialement, c’était très dur. J’ai alors appris à m’o rir ce que j’espérais recevoir de l’extérieur. J’ai intégré les bénéfices de ce repos imposé, ainsi qu’une autre façon de fonctionner. Et j’ai senti se rallumer en moi une amme qui me permettait en n de me xer de nouveaux objectifs. » En 2020, libérée des conditionnements qui avaient dicté sa vie jusqu’à présent, et consciente de ce qui est essentiel pour elle, elle déterre son projet de céramique initié en 2009. En e et, dans ses aménagements d’intérieur, elle introduisait déjà des vasques de salle de bains et autres accessoires qu’elle dessinait et faisait fabriquer par des artisans rencontrés en voyage en Asie. Une dizaine d’hommes et de femmes qui travaillent de façon ancestrale, sans électricité, et dont la bienveillance et l’honnêteté se révèlent aujourd’hui dans les collections Atelier FRA. « En Belgique, je travaille seule. Passionnée par la
nourriture saine et l’art de la table, j’ai décidé de concrétiser mes rêves et de faire valoir mes talents. En paix avec mon passé, j’ai renoué avec la terre et la nature de mon enfance, mais sous une autre forme. »
RETROUVER SON IDENTITÉ PROFONDE
La résilience d’Anne-Sophie a réussi à transcender ses blessures émotionnelles et sa souffrance physique. Aujourd’hui, sa quête d’harmonie et d’authenticité lui permet de concilier ses deux aspirations profondes : se réaliser et vivre dans l’instant présent, en toute complicité avec ses deux lles. « Depuis qu’elles sont toutes petites, je suis à leur écoute et leur fais con ance. Je les encourage à s’exprimer et être pleinement qui elles sont, tout en étant conscientes de leurs dé s personnels. Je suis super ère d’elles, et du lien profond qui nous unit. » Les transitions sont difficiles. Il faut apprendre à gérer les crises et à en considérer les bienfaits plutôt que de lutter contre elles. Par ailleurs, rester connecté à son identité profonde est primordial. « Engagée dans mon projet, je vise une démarche cohérente, fidèle à mes valeurs. En suivant ma boussole intérieure, je veille à rester centrée. Consciente de mes limites physiques et d’un certain chaos extérieur, je suis bien entourée. Je crois en l’entraide et la sororité. »